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Full text of "À travers l'Exposition de 1900"

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UiK. 


60  centimes. 


G.  DE  WAILLY 


60 


centimes. 


A travers 

L’EXPOSITION  DE  1900 


X 

LA  RUE  DES  PUISSANCES  AU  QUAI  D'ORSAY 

il 


EN  VENTE  ; 


I.  L’Exposition  à vol  d’oiseau • 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . 

III.  Le  Grand  Palais 

IV.  Le  Vieux  Paris 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris 

\I.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 
resques   

\1I.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau  

VI II.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères. 
IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  . . ■ 


1 vol.  illustré  > ÜO 

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G.  DE  WAILLY 


A TRAVERS 

i 

L'EXPOSITION  DE  1900 

X 

LA  RUE  DES  PUISSANCES  AU  QUAI  D’ORSAY  ^ 

i 

i 


PARIS 

FAYARD  FRÈRES,  ÉDITEURS 

78,  Boulevard  Saint-Michel,  78 


GRECE,  SERBIE 
BELGIQUE,  ALLEMAGNE 
ESPAGNE 
LUXEMBOURG 


CI1AI>1THE 


l’HEMlEI 


) 

\ 


c;  R R ( ' E 


A IJ  K U \ IJ  li  ,1  10  U 

— Miss  ! 

— Mister  Puzzling  ? 

— ^^J,  il  avé  rélléclii  ? 

— A quoi  ? 

— A la  proposai  de  mùa. 

— x\h  ! oui,  la  fameuse  alliance  ! 

— Yes,  le  alliance  nos  faisé  toute  les  deux. 

— l’ih  bien  ! je  ne  dis  pas  non. 

— \ll  rhjhtl 


Mais  je  ne  dis  pas  oui. 

)'es,  indeed^  \o  disé  ycs. 

Il  faut  que  je  sache  d’abord  à quoi  je  in  engage? 

— .Jé  dirai  à vô,  ce  soir,  dans  mon  chambre. 

— Ah  ! ça,  non  ! 

— Pourquoi  ? 

— Une  jeune  tille  française  ne  va  pas  ainsi  laii’e  la  càu- 
genlleman,  fût-ce  pour  her  Maje.s/i/  s service 

— Aôh  ! vô  pàlez  anglais. 

— Jamais  qu'entre  compatriotes  : c'est  assez  noire  façon 
d’apprendre  les  langues  étrangères  en  France...  Mais  il  ne 
s’agit  pas  de  cela. 

— Y es,  de  mon  proposai . . 

— Si  vous  voulez  que  j’accej)te,  dites-moi,  au  moins,  ce 
que  vous  attendez  de  moi. 

— Beaucoup. 

— Je  m'en  doute,  mais  quoi,  au  juste?  Allons,  dépêchez- 
vous,  avant  que  mon  oncle  soit  revenu  et  queM.  etM"’''Bè- 
chard  aient  achevé  de  discuter. 

Puzzling  baisse  la  voix,  et,  en  grande  confidence  : 

— \ù  aider  môa  à discovermg  a gréai  secret. 

— Oh  ! voilà  qui  est  tentant...  Et  c’est  un  secret... 
d’Etat? 

— Nô 

terre  très  beaucoup. 

— Et  ce  secret  ? 

— Il  été  pas  necessarg  vô  savez  loui. 

— Fh  ! déjà  de  la  méfiance? 

— Nô,  jé  été  proudente,  alieays. 

— Mister  Puzzling,  en  français,  il  y a deux  proverbes, 
nullement  contradictoires,  qui  sont,  l’un  : Trop  parler  nuil... 

— y es,  ver  g well  ! 

— Et  l’auti'c  : Faute  de  parler,  on  nteurl  sans  confession . 

— Aôh  ! 

— C’est-à-dire  que  l’excès  en  tout  est  un  défaut,  et  que 
la  vraie  sagesse  consiste  à en  dire  assez. 

— C’été  môa  qui  parlerai  assez.  Je  dirai  à vô  : « Faisez 
telle  une  question  à le  bon  moment,  et...  disez  à môa  la  ré- 
ponse. 


un  privale  secret,  mais  qui  intéressé  le  Angle- 


J-A  RI  E DES  PEISSAiNCES  AE  (JL  Al  D ORSAY 


7 


— Ah  ! ça,  vous  me  prenez  pour  un  plionograplie.  ? 

— • Aôh  ! 

— Sachez  que  rien  ne  rend  pins  mahulroil  (|ne  d'avoir  à 
adresser  une  question  dont  on  ignore  le  sens  réel  et  la 
portée  exacte.  Si  vous  avez  besoin  d’un  simple  instrument 
enregistreur,  portez  votre  proposition  à d’antres.  Je  n'ai  pas 
l’habitude,  moi,  d’ouvrir  la  bouche,  sans  bien  savoir  ce  que 
je  veux  dire. 

L’.Vnglais  se  gratte  la  tôle,  d’un  index  perplexe  : 

— l't'.s-...  ihcn,  il  l'allé?... 

— Avoir  conliance  en  moi,  si  vous  voulez  que  nous  « tas- 
sions alliance  » et  que  je  vous  aide  utilement.  Je  ne  suis 
pas  assez  sotte  pour  n’avoir  pas  deviné  que  vous  atlacliez 
une  grande  importance  au  but  que  vous  poursuivez,  et  fpie 
ce  n’est  pas  le  simple  désir  de  nous  tenir  compagnie  et  de 
profiter  des  explications  qui  nous  sont  tlonnées  qui  vous 
attache  ainsi  à nos  moindres  pas.  Vous  avez  besoin,  parmi 
nous,  d’une  alliée...  je  ne  sais  encore  pour  quelle  mysté- 
rieuse besogne.  Vous  avez  d’abord  fait,  dans  ce  but,  la  cour 
à iM""=  Bôchard.  Si  vous  vous  adressez  à moi,  c’est  que  vous 
n’avez  pas  trouvé  de  ce  côté  ce  que  vous  cherchiez,  prolni- 
blement... 

— Aôh!  cette  mistress  Férine,  elle  été  ridicnioiile. . . au- 
tant que  vô  il  était  clever. 

— Alors,  pas  de  réticences.  Vous  êtes  libre  de  me  racon- 
ter l’histoire  que  vous  .voudrez  ; mais  prenez  garde  : si  je 
flaire  le  mensonge,  je  vous  lâche  net,  et  vous  pourrez  re- 
tourner faire  vos  offres  do  service  à M'"=  Flore. 

— Jé  préféré  disé  à vù  tout  le  vérité. 

— Allons  donc!  fait  à part  la  fine  Bertrande.  11  y vient, 
et  je  crois  qn’on.  n’anra  pas  trop  à se  plaindre  de  ce  que 
j'aie  transgressé  la  défense  du  billet. 

— Wilà,  dit  Fuzzling  à voix  plus  basse  encore,  en  se 
[)enchant  davantage  vers  l’oreille  mignonne  de  la  jeune 
bile.  Le  police  du  Grand’  Bretagne,  il  avé  discoverd . . . 

Puzzling  n’achève  pas,  au  grand  désappointement  de  Ber- 
ti'ande,  qui  écoute  anxieusement. 

11  dit  très  vite,  aussi  vite  du  moins  (jue  le  permet  le 


8 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


laborieux  échafaudage  de  ses  phrases  en  son  fantaisiste 
anglo-français  : 

— Pions  tai'd...  L’oncle  il  revené...  11  fallé  pas  loui  il 
de  viné  nos  avoir  un  understanding  ensemble. 

— Vous  voulez  dire  ; que  nous  sommes  d'intelligence? 

— Ves!  c'été  cela. 

El  James-Gregory  plonge  le  nez  dans  sa  haute  chope... 
vide. 

Cette  singulière  conversation  avait  lieu  dans  le  sous-sol 
du  Pavillon  de  la  Suède,  où  le  bohème  cicerone  Bouscastrol 
avait  envoyé  notre  petit  groupe  provincial  l'attendre  quel- 
ques moments  en  dégustant  de  la  bière  de  Stockholm. 

Nos  cinq  personnages  n’avaient  pu,  faute  de  places  libres, 
s asseoir  h la  même  table.  Ils  s’étaient  trouvés  séparés  : 
Verduret,  sa  nièce  et  1 Anglais,  qui  les  avaient  rejoints, 
d’une  part  ; et  le  couple  Bêchard,  à deux  tables  plus  loin. 

Verduret  s’était,  à peine  les  cbopes  vidées,  levé  sous  pré- 
texte d’aller  régler  la  dépense,  mais  bien  pour  avoir  l'occa- 
sion de  causer  avec  la  blonde  Suédoise  qui  tenait  la  caisse... 
Et,  pendant  ce  temps,  le  ménage  Bêchard  était,  à propos  de 
rien,  entré  en  une  discussion  intime  qui  menaçait  de  dégé- 
nérer en  sérieuse  querelle^  par  le  fait  do  la  désespérante 
mauvaise  humeur  de  dame  Flore. 

C’est  cette  double  circonstance  qui  avait  permis  à Puzzling 
d’avoir  un  entretien  relativement  long  avec  Bertrande. 

Mais,  comme  l’a  dit  le  sujet  de  Sa  Gracieuse  Majesté, 
^ erduret  revient,  Pair  tout  guilleret,  reprendre  la  place 
abandonnée.  Comme  il  passe  auprès  de  ses  amis  ; 

— Arrivez  donc,  lui  dit  M""^  Elore^  il  s’en  passe  de  belles 
en  votre  absence  ! Ne  voyez-vous  pas  que  ce  milord  cram- 
[)on  se  permet  de  flirter  de  très  près  avec  votre  nièce. 

— Lui?  fait  ironiquement  le  manufacturier  retiré.  Oh! 
il  n’est  pas  dangereux  ! 

— Ou’en  savez-vous?  riposte  la  dame  d’une  voix  mor- 
dante, furieuse  de  devoir  reconnaître,  en  ce  qui  la  con- 
cerne, le  trop  de  justesse  de  l’observation  du  rentier  ma- 
lesherbois. 

Piquée  au  vif  de  voir  détournée,  vers  une  autre  une  atten- 
tion britannique  qu’elle  avait  eu  tout  lieu,  jusqu'alors,  de 


I.A  IU:E  des  PnSSAATES  AT  OIM  d'oRSAV 


9 


10 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


croire  acquise  à ses  charmes  mûrs,  notre  farinière  se  dispose 
à insister,  exaspérée  contre  la  quiétude  de  cet  oncle  qui  ne 
SC  fait  pas  assez  vite,  (à  son  jjré,  le  vengeur  de  sa  jalousie 
contre  une  indigne  rivale...  Mais  l'apparition  de  Bous- 
castrol  la  force,  en  changeant  le  cours  des  idées,  à attendre 
une  nouvelle  occasion. 

Le  bohème  au  bandeau  noir  s'aA'ance,  rapide  et  souriant, 
à travers  les  groupes  attablés. 

— Mesdames  et  messieurs,  dit-il,  me  revoilà  tout  à vos 
ordres,  .l'ose  espérer  que  vous  ne  vous  êtes  pas  trop  languis 
de  moi  pendant  ma  courte  absence? 

— Ma  foi,  comme  vous  voyez,  mon  cher  monsieur  Bous- 
castrol,  nous  avons  pris  notre  mal  en  patience  et  achevons 
tout  juste  d'avoir  très  agréablement  rafraîchi  notre  attente. 

— Soyez  tranquille,  ajoute  drôlement  Bertrande,  nous 
avons  bien  occupé  notre  temps. 

— appuie  Puzzling  en  dardant  sur  le  Méridional  un 
regard  qui  eût  été  ironique  si  ses  yeux  pfdes  et  sans  llammi' 
eussent  été  capables  d'exprimer  un  sentiment. 

Le  couple  Bèchard  a,  de  son  côté,  quitté  sa  table  pour  se 
rallier,  non  pas  au  panache  blanc,  mais  au  vaste  feutre  et 
;ui  noir  liandeau  du  guide  commun. 

— Eh  bien,  dit  le  farinier  avec  impatience,  allons-nous 
voir  vos  Grecs?...  Dépêchons  ! 

— Si  ces  dames  et  ces  messieurs  veulent  bien  me  faire 
l’honneur  de  me  suivre,  té?... 

Et  le  bohème  prend  les  devants,  se  dirigeant  vers  la  sortie 
de  la  brasserie  suédoise. 

A peine  le  seuil  esl-il  franchi  qu'il  est  rejoint  par 
M'”'’  Elore  qui  lui  demande  en  confidence  : 

— M'avez-vous  débarrassée  de  mes  Turcs,  au  moins  ? 

— Vous  ne  les  verrez  plus,  cère  belle  madame. 

A la  bonne  heure...  Vous  devriez  bien  faire  en  sorte 

que  nous  en  puissions  dire  autant  de  notre  Anglais. 

— Oh  ! Mr  Puzzling  se  serait-il  permis  ?... 

— Cet  homme  a des  façons...  inconvenantes.  Après  avoir 
osé  me  faire  une  cour...  que  j’ai  accueillie  de  la  belle  ma- 


i.A  ni'F,  Di;s  pnssAXCKS  at  (ji  ai  d'orsav 


1 1 

nière,  je  vous  prie  de  le  croire,  voilà  qu’il  se  met  à en 
conter  à cette  petite  sotte  de  Bertrande...  qui  l’écoute 
comme  ell(\  na  jamais,  bien  sûr,  écouté  prêcher  .son  ciiia^  ! 

le!  vous  m étonnez,  fait  le  bolième  en  lançant  par- 
dessTis  sou  épaule  un  rapide  regard...  qui  rencontre  celui  de 
la  jeune  fdle,  car  celle-ci  s est  approchée  et  a surpris  les 
derniers  mots  de  M'"'  Bèchard. 

Et  c est  elle-même  qui  réplique,  sans  cesser  de  fixer  le 
bohème  ; 

Certes,  je  l’écoute,  et  môme  je  trouve  ce  qu’il  me  dit... 
et  surtout  ce  qu’il  me  dira,  extrêmement  intéressant. 

— Là!  je  ne  le  lui  fais  pas  avouer!  s’écrie  la  ronde  fari- 
nière  '^n  prenant  de  grands  airs  scandalisés.  Ma  petite,  je 
vais  sans  tarder  prévenir  votre  oncle. 

Bertrande  lance  un  petit  éclat  de  rire  aussi  frais  que... 
railleur. 

— Faites,  dit-elle  à mi-voix.  Et  moi  je  dirai  bien  haut, 
pour  nous  amuser,  avec  quel  ardent  dévouement  vous  avez 
lailli  vous  consacrer  au  service  des...  intérêts  de  la  Grande- 
Bretagne. 

— Que  prétendez-vous  dire,  ma  petite? 

— Mon  Dieu,  chère  madame,  vous  nous  avez  raconté,  ce 
matin,  en  déjeûnant  à riiùhd,  un  rêve  bizarre,  et  en  le  rap- 
prochant de  certains  demi-mots  que  j’ai,  bien  malgré  moi, 
entendus... 

— ^ ous  êtes  une  petite,  peste,  ma  chère  ! 

Et  iM'"'  Flore,  rouge  comme  une  cerise,  revient  hrusque- 
ment  en  arrière,  pendant  que  Bertrande  dit  très  vite  au  Tou- 
lousain : 

— Aidez-moi,  à l’occasion,  à me  ménager  un  court  mo- 
ment de  tète  à tète  avec  IMr  Pnzzling. 

— Moi? 

— Oui,  vous!  et...  vous  ne  vous  en  repenlirez  pas.  Ene 
oreille  amie  vaut,  croyez-moi,  tout  un  bataillon  de  Turcs. 

— L’Anglais  a parlé?  interrogea  Bouscastrol  d’une  voix- 
basse  et  sifllante. 

Mais  sa  question,  qu'a  accompagné  un  presque  sursaul 
aussitôt  réprimé,  demeure  sans  réponse.  La  nièce  de  Ver- 


)E  LA 


1 i 


A thavkhs  l'exposition 


durot  après  avoir  lancé  sa  dernière  phrase  comme  une  lie- 

Xrths,  so.Klain  arrMca  et.  ee  tournaat  vera  le 

exronpe  distant  do  quelques  métrés  : ^ tmn 

— Là!  je  disais  bien  <à  M.  Bouscastrol  qu  il  maichait  tioi 

vite!  , 1 

l.:t  elle  vient,  en  espiègle,  prendre  le  bras  de  son  oncle 

pour  l’inviter  a hâter  le  pas. 


11 


les  DECX  OliKCKS 


Le  'roaloesain  ralenlit  un  peu  son 
sivement  se  donnant  ainsi  le  temps  do  ledechir.  te  n e^ 

qu-an'ivé’à  <iuek|ues  pas  Ju  1'“"''™/'“ 
retourne  et,  de  son  ton  coutumier  c e^  j } 
phénomènes,  interpelle  le  sec  et  nom 

_ Té’  monsieur  Ucchard,  je  pane  mon  œil  va  ide  mnlu 
les  roses  folichonnes  du  chapeau  de  madame  votre  épousé 
que  vous  n’ètes  jamais  allé  eu  Grèce'. 

Bèchard  hausse  les  épaules. 

_ .le  ne  réponds  pas  aux  sornettes,  p , • , 

_ Permettez-moi  de  le  regretter,  mordions.  Cclaiic  ^ 
risn  sur  l'architecture  hellénique,  vous 

neut-ctrc  té  ! un  trait  de  lumière  impartia  e dans  le  débat 

!;fdi^s;,  au  sujet  de  ce  pavillon,  les  opinions  des  hommes 

‘‘T  Ah  ' du  moment  que  vous  faites  appel  à mon  jugement 
A a uupa,-«.mé..topon<l  le  faHuieeeu 

_ Eh'  oui  cadédis!  mais,  voila;  vous  notes  pas  ale 
on  Grèce,  et  je  suis  sûr  que  vous  n'avez  même  pas  la  moim  i 
idée  du  rovaume  hellène  antique  ou  moderne. 

_ C'est  ce  qui  vous  trompe.  Ma  femme  for/Y- 

ce  pays,  un  feuilleton  qui,  exceptionnellement,  m a fort 
îéressé.  Gela  s'appelle  : » Le  Roi  de  la  Montagne  »,  pai  un 
certain  M.  About. 


LA  RLE  DLS  IT I SS  ANC  KS  Al'  OLAI  llOlîSAV 


ir; 


— Hum  ! fait  en  souriant  le  bohème,  au  point  de  vue  im- 
partialité, vous  auriez  peut-être  pu  mieux  choisir  que  l'au- 
teur du  célèbre  pamphlet  historique  : i'  La  Grèce  conlern- 
poraine  ».  Ge  certain  M.  About,  comme  vous  dites  — et  à 
qui  je  rendrai  son  prénom  d'Edmond  par  respect  pour  la 
mémoire  d’un  dos  plus  charmants  littérateurs  de  ce  siècle 
qui  achève  de  s'enfoncer  dans  la  nuit  du  passé  — avait 
rapporté  de  son  séjour  à l’Ecole  d’Athènes  des  instantanés 
humoristiques  singulièrement  piquants  en  leur  fantaisie  de 
haut  vol,  mais  pas  toujours  exempts  de  quelque  parti  pris 
de  dénigrement  té  ! mon  bon.  D’ailleurs,  depuis  un  demi- 
siècle  qu’Ahout  faisait  étinceler  sa  verve  aux  dépens  du 
petit  royaume  arraché  par  ses  patriotes  et  leurs  amis  d’Eu- 
rope au  joug  turc,  la  Grèce  s’est  sérieusement  transformée... 
Et  puis,  comme  je  m’étonne  que  vous  ne  l’ayez  pas  déjà 
deviné  vous-même,  capédious  ! ce  n’est  pas  de  cela  qu’il 
s’agit,  mais  bien... 

— D’un  dill'érend  à propos  de  l’architurc  do  ce  Pavillon. 

— Voilà.  Nombre  d’artistes  et  d’amateurs,  en  voyant  ce 
])etit  Palais  à coupoles  surgir  du  sol  truqué  de  cette  berge 
de  la  Seine,  ont  protesté  contre  l’architecte  — un  maître, 
bien  entendu,  car  c’est  toujours  contre  les  maîtres  que  l’on 
crie...  et  nn  maître  français,  naturellement,  sans  cela  on  se 
fût  bien  gardé  de  le  discuter  — lieaucoup,  dis-je,  ont  pro- 
testé parce  que  rarcbitecte  nous  donnait  ici  nn  échantillon 
très  harmonieusement  savant  de  byzantin  et  non  à'anliyiK’. 

— 11  me  semble,  en  etl'et,  obsèrve  Verdurot,  que,  du  mo- 
ment que  l'on  voulait  symboliser  la  Grèce,  c’était  l’art  an- 
tique ([ui... 

— Parbleu,  té!  vous  voilà  comme  les  oUrcs!  Vous  ne 
comprenez  pas  qu’on  se  permette  d’élever  un  monument 
grec  qui  ne  soit  pas  une  imitation...  ou  une  parodie  du  Par- 
Ibénon  ! Je  ne  vous  en  veux  pas,  mordions!  car  ce  n’est  pas 
votre  faute  ; cela  tient  à notre  éducation  classique.  Pour 
nous,  il  y a deux  Grèces...  mais  il  n’y  en  a qu’une  qui 
compte,  té!  11  est  bien  un  petit  état  d’Europe  de  ce  nom 
dont  le  souvenir  a été  dernièrement  ravivé  par  sa  lutte  mal- 
heureuse contre  les  Turcs  et  les  événements  de  Grète,  un 
petit  état  pour  conquérir  l’indépendance  duquel  notre  Hotte 
a largement  contribué  à écraser  les  navires  turco-égyptiens 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


IG 


à ^Savarin,  1827,  el  qu’une  armée  française  débarrassa  peu 
après  du  iarouche  Ibrahim-Pacha;  mais,  malgré  ces  réalités 
tangibles,  celle  petite  Grèce-là  n’a  pas  pu,  en  notre  esprit, 
servir  comme  d’écran  à l'autre,  poui’nous,  la  vraie,  la  seule. 


GrKCK.  — V.rSE  DÉCORANT  I.’eSCALIER. 

celle  du  siècle  de  Périclès  et  plus  encore  celle  du  siège  de 
Troie,  chanté  par  Homère  et  Virgile,  celle  que  nous  consi- 
dérons comme  la  mère  des  arts  et  de  la  langue.  Et  c’est  si 
vrai,  capédious  ! que,  lorsqu’il  y a un  peu  plus  d’un  lustre, 
Sardou,  dans  son  drame  de  Gismonda,  créé  par  l’inimitable 
Sarah  Bernbardt,  évoqua  la  période  française  de  Byzance  et 


LA  RUE  DES  PUISSANCES  AU  nUAI  D ORSAY 


17 


le  duché  français  d’Atliènes,  le  |)uljlic,  stupéfait,  ouvrit  de 
grands  yeux  en  se  demandant  comment  il  était  possible 
qu  une  Gi'èce  eût  existo*  a\  ecdes  chevaliers  chrétiens  au  lieu 
des  Alcibiade  et  des  IMiilopomien,  et  un  évêque  an  lieu  de 
Socrate  ou  des  prêtres  des  divinités  mythologiques.  Voyons, 
té!  n’étes-vous  pas  de  mon  avis,  monsieur  lléchard? 

Gomment  \onlez-vous  que  je  vous  réponde  : je  ii’ai  pas 
vu  Gümonda. 

— Gh  cornehiou  ! je  ne  parle  pas  de  (-itsinonda,  mais  du 
choix  de  ce  style  byzantin  par  rarchitecte  de  ce  Pavillon. 
Moi,  je  trouve  qu  il  a très  bien  lait  de  nous  sortir  de  la  i‘ou- 
tinièie  conception  de  1 idee  grecque.  GhI  cadédis!  nous  n eu 
manquons  pas  de  monuments,  et  à Paris  même,  ayant  lu 
prétention  de  singer  l’antiquité  hellénique.  11  était  original, 
si  parfaite  qu’eût  été  l’évocation  sous  le  compas  du  maître 
qui  professe  à l’Ecole  des  Beaux-Arts  le  cours  d’histoire  de 
l’Architecture,  de  nous  montrer  plutôt  l’autre  art  grec,  celui 
qui  ne  remonte  pas  — je  ne  dis  pas  à la  guerre  de  Troie, 
puisqu  alors  on  ne  construisait  qu’en  liois,  que  la  pierre  ne 
commença  à chanter  son  immortel  poème  de  beauté  (|ue 
cinq  siècles  pins  tard  — mais  au  temps  de  la  guerre  du  Pé- 
loponèse  seulement. 

Quel  baAoird,  ronchonne  Bèchard.  11  nous  parle  depuis 
un  quart  d’heure  de  l’achitecte  de  ce  Pavillon  et  il  ne  nous 
l'a  même  pas  nommé  ! 

— C’est  ma  toi  vrai,  té!  Je  répare:  c’est  ÎM.  Gucien 
Magne,  professeur,  comme  je  viens  de  le  dire,  aux  Beaux- 
Arts,  professeur  à l’Ecole  des  Arts  et  Métiers,  membre  de  la 
Commission  des  monuments  historiques,  qui  a été  choisi 
par  le  gouvernement  du  roi  Georges  G*'  pour  construire  ce 
monument  destiné  à représenter  la  vieille  patrie  des  Arts, 
dans  cette  galerie  architecturale  des  Nations.  11  ne  pouvait 
s en  remettre  à une  plus  haute  expérience,  non  plus  qu’à 
un  talent  plus  universellement  reconnu  et  dont  le  savoir 
soit  plus  grand  que  celui  de  l’auteur  de  la  belle  étude  si 
appréciée  sur  la  restauration  du  Parthénon.  Si  donc  M.  Gu- 
cien Magne  eût  voulu  faire  ici  un  pavillon  de  style  antique, 
il  y était  autorisé  plus  qu’aucun.  S’il  a préféré  rappeler 
1 époque  très  mal  connue  de  la  Grèce  byzantine,  j’estime 
qu  il  n’y  a qu’à  s’incliner  et  à applaudir  à la  petite  mer- 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


IS 


veille  (le  reconsliUitioii  qu’il  nous  ollre  et  qui  doit,  si  je  ne 
nie  trompe,  appartenir,  à en  juger  par  ses  fenêtres  trilobées, 
<à  la  seconde  des  quatre  époques  de  l'Art  byzantin,  c'est-à- 
dire  à celle  qui  s’étend  de  l'an  odT  à l’an  800  de  notre  ère. 

— Alors,  c’est  riniitalion  d’un  monument  de  cette 
éi)oque  ? 

— Non,  mon  car  monsieur  Yerduret.  Il  est  tout  entier  la 
création  de  M.  Magne,  qui  en  a fait,  en  quelque  sorte,  la 
syntbèse  d'un  style  à une  époque  donnée. 

— Alors,  (la,  c’est  le  style  byzantin.  Pardonnez-moi  si  je 
dis  une  monstruosité,  mais,  pour  un  profane  tel  que  moi,  la 
caractéristique  de  ce  style-là,  ce  sont  les  coupoles  aplaties, 
étagées  sur  des  constructions  dont  le  plan  est  polygonal? 

— Ou  circulaire.  D’abord,  mon  car  monsieur  Vordund, 
avec  du  bon  sens  on  ne  dit  jamais  de  monstruosités,  et, 
[lour  un  profane,  té!  vous  venez  de  très  bien  définir  l’csseu- 
tiel  du  style  byzantin.  Ça  vous  amuserait  peut-être  d'eu 
conuaitre  l’origine? 

— Certes  1 

— Eb  bien,  ce  genre  d’arcbitecture  est  né  de  la  grande 
('glise  de  l’Ascension,  construite  sur  le  mont  des  Oliviers  — 
lieu  assigné  par  la  légende  ebrétienne  à l’ascension  du  Sau- 
veur — par  sainte  Hélène,  mère  de  Constantin,  le  fondateur 
de  l’Empire  romain  d’Orient.  Ce  monument,  dont  le  plan 
était  circulaire,  était  aussi,  comme  les  temples  bypètres  des 
.\uciens,  à ciel  ouvert,  pour  que  le  lieu  d’où  Jésus  s’est  élevé 
dans  la  gloire  n’eùt  pour  voûte  que  celle  des  deux  infinis 
où  le  Fils  de  l’Homme  avait  disparu  aux  regards  de  ses  dis- 
ciples. 

— Hum  !...  Je  ne  vois  pas  bien,  dans  cette  absence  de 
toiture,  l’origine  de  ces  coupoles? 

— Elle  est  pourtant  logique  et  directe,  car  monsieur.  Les 
dispositions  saisissantes  de  cette  basilique  type  furent  imi- 
tées; mais,  comme  ailleurs  qu’au  mont  des  Oliviers  on  n’avait 
nulle  raison  de  laisser  la  pluie  du  ciel  arroser  le  crâne  des 
prêtres  et  des  fidèles,  on  imita  aussi  la  voûte  céleste  en 
coiffant  l’édifice  de  coupoles  à l’intérieur  desquelles  le  pin- 
ceau retraça  la  grande  scène  religieuse  de  V Ascension  <Jh 
Christ  vers  le  céleste  Infini. 


LA  IIL'L  DLS  PUISSAiSCLS  AL  uL-Vl  U OKSAV 


19 


— Parfait;  je  comprends.  Très  curieux,  n'est-ce  pas, 
IJècliard  ? 

— Pour  ceux  qui  aiment  à voyager,  car  nous  voilà  higre- 
mcnt  loin  du  quai  d'Orsay,  ce  me  semble  ! bougonne  le 
tari  nier. 

— Té!  ne  vous  fâchez  pas,  monsieur  ftèchard  : je  reviens 
à notre  Pavillon  pour  ne  plus  m’en  écarter,  même  pour 
vous  dire  que  ce  vestibule  d’entrée  servait,  au  premier 
étage  et  dans  les  temples  de  ce  style  des  trois  premières 
époques,  de  (jyndconif.is. 

— Qu’est-ce  que  c'est  que  (;a?  s'éciâe  M"'“  Flore. 

— (ja,  cère  Ijelle  madame,  c’était  la  tribune  à entrée  s[)é- 
ciale,  où  les  belles  madames  du  temps  se  trouvaient  entre 
elles  pour  assister  aux  offices.  Voyez-vous,  les  ebrétieus 
sérieux  d’alors,  ils  craignaient,  té!  les  distractions  toutes 
profanes  que  cause  le  mélaugc  des  sexes.  Je  reconnais  volon- 
tiers que  c’était  moins  commode  (ju’à  présent,  pour  per- 
mettre aux  jeunes  hommes  d’étudier  les  avantages  extérieurs 
de  la  gentille  colombe  que  leur  olfre  la  manie  de  conjungo 
de  quelque  com[)laisante  marieuse  invétérée,  rencontre, 
toute  fortuite,  bien  entendu,  et  où  la  mignonne  est  censée, 
ne  pas  se  douter  de  l’examen  très  peu  religieux  dont  elle 
est  l’objet...  Mais,  que  voulez-vous,  té  ! il  y a quelque  douze 
ou  quinze  cents  ans,  on  n’avait  encore  l’idée  de  faire  du 
})rie-dieu  la  première  étape  — l’opéra  comique  étant  la 
seconde  — du  chemin  qui  mène  au  jardin  Henri  et  plein 
d’hypocrites  embûches  des  fiançailles. 

— Mon  Dieu  ! comment  faisait-on  pour  se  marier?  Moi, 
c’est  au  mois  de  Marie,  sous  mon  voile  blanc  de  confré- 
rienne  — et  ça  allait  joliment  bien  à mon  genre  de  beauté, 
allez!  — que  j’ai  séduit  Aristide...  qui  n’était  alors  que 
commis  meunier... 

— Mais,  tais-toi  donc,  bichette!  Fa  n’intéresse  [)as  mon- 
sieur, ces  histoires-là...  Et  puis,  il  y a si  longtemps! 

— Si  longtemps!...  Dis  donc,  parle  pour  toi,  malhon- 
nête. 

Bouscastrol  comprend  qu'il  n’est  que  temps  d’intervenir 
pour  conjurer  quelque  bourrasque  conjugale  imminente. 

— Mesdames  et  messieurs,  reprend-il  de  tonie  la  sono- 


20 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


rité  de  sa  belle  voix,  ce  Pavillon  de  la  Grèce  ollre  une  par- 
licnlarite  qui  le  dillérencic  de  ses  collègues  : il  est  démon- 
table. 

— llein? 

— .le  no  vons  sni'|)i'('ndrai  pas,  capédious  ! en  vous  al'fir- 
mant  qu  aux  lendemains  de  la  peu  prudente  guerre  tui'co- 
grecque,  le  Trésor  hellénique,  qui  n'a  jamais  été  préci- 
sément llorissant,  ne  pouvait  faire  de  gros  sacrilices  pour 
1 Exposition  d(‘  1000.  Ne  pas  figurer  parmi  les  Pavillons 
des  Nalions  eût  été,  par  contre,  presque  une  abdication.  Le 
moyen  de  concilier  l'écouomie  obligatoire  et  d’ètre  digne- 
ment représentée  dans  cette  avenue  de  palais  était  d’élever 
un  monument  utilisable,  par  la  suite,  à Athènes,  où  une 
place  le  réclame.  L’éminent  architecte  a résolu  le  problème 
de  la  façon,  non  seulement  la  plus  artistique,  mais  la  plus 
pratique.  Lontrairement  à la  plupart  des  autres  Pavillons, 
où  l’épiderme  de  plâtre  et  de  statT  recouvre  une  éphémère 
charpente  en  bois,  la  carcasse,  ici,  est  formée  d’une  forte 
ossature  métallique,  dans  laquelle  s’encastrent  des  murs 
légers,  recouverts  de  briques  en  terre  cuite  émaillée  de 
belle  couleur  bleue.  Aussitôt  l’Exposition  fermée,  le  Pavillon 
sera  démoulé  et  embarqué  pour  le  Pirée,  c’est-à-dire  le  port 
d’Athènes. 

— Diable,  fait  Bèchard,  ce  sera  un  morceau  à trans- 
porter ! 

— Moins  qu’on  ne  croirait,  mon  bon.  Ce  curieux  échan- 
tillon de  l’architecture  bizantine,  bien  antérieure  à notre 
national  style  ogival,  tiendra  relativement  peu  de  place, 
une  fois  sectionné  eji  menus  fragments.  Tel  ([ue  vous  le 
voyez,  il  couvre  trois  cent  cinquante  mètres  carrés  de  super- 
licie  et,  le  vestibule  franchi,  ne  forme  qu’un  vaste  bail,  ofi 
le  Commissaire  général  est  parvenu  à caser  les  produits 
divers  envoyés  par  six  cents  exposants  helléniques...  Car 
toute  l’Exposition  de  la  Grèce  est  modestement  et  écono- 
miquement contenue  dans  ce  Pavillon. 

— Cela  me  paraît  constituer  un  tour  de  force  d’organi- 
sation... 

— Dont  vous  allez  juger  vous-mème,  cer  monsieur  Ver- 
duret...  Et  vous  verrez  comme  tous  les  produits  nationaux 
— vins  d’Ithaque  et  de  Santorin,  eaux-de-vie,  vins  rai- 


LA  RLL  DES  PUISSANCES  AL  (jLAf  D OKSAV 


21 


sinés,  tabacs,  liuiles,  tissus  de;  soie  et  de  cotou,  minerais, 
cuirs,  ]'aisins  secs,  tapis,  etc.  — • y trouvent  miraculeu- 
seinent  leur  place...  luitrons,  s'il  vous  plaît. 

Notre  petit  groupe,  à la  suite  de  son  guide,  entre  dans  le 
Pavillon  et  visite  tour  à tour,  et  un  peu  rapifleinent  ; au 
centre,  l’e.xposition  in- 
dustrielle, puis,  vers  le 
tond,  celle  des  Beau.x- 
Arts,  que  termine  l’exhi- 
bition de  l’art  di\in 
d’Orpbée.  Sur  les  côtés, 
ces  messieurs  — et  en 
particulier  Bècbard, 
homme  pratique  — ad- 
mirent, à droite,  les  cuirs 
et  harnachements;  et  ces 
dames,  à gauche,  s'ex- 
tasient devant  de  su- 
perbes étoffes  et  ten- 
tures. 

Chemin  faisant.  Bons- 
cas  trol  explique  que 
l’Exposition  Grecque  a 


été 


organisée  par 


une 


Commission,  dont  le  pré- 
sident, j\l . Alexandre 
Boiua,  réside  à Athènes. 


M.  ALEXANDRE  RO.MA 

GO.MMIS.SAIUK  GÉNKKAL  l'K  LA  (iRÈCK. 

{Cliché  Larggr.) 


— M.  Borna,  dit-il,  est  un  jeune,  puisqu'il  est  né  à Zante 
en  1864.  Mais  il  est  de  pure  et  nohle  race  hellène,  et  ses  / 
ancêtres  prirent  héroïquement  part  à la  rude  guerre  qui, 
commencée  en  1821,  assura  définitivement,  en  1830,  l'indé- 
pendance de  ce  vaillant  petit  peuple,  dont  le  nom  seul 
chante  toute  l’histoire  de  la  civilisation  européenne.  En 
1893,  M.  Borna  fut  élu  à la  Chambre  grecque,  où  il  succède 
à son  père.  Il  en  a môme  exercé  la  délicate  présidence, 
avec  une  fermeté  et  un  tact  qui  lui  ont  valu  les  éloges  de 
tous  les  partis.  On  pourrait  lui  reprocher  le  cumul,  té  ! 
puisque,  non  content  d’avoir  présidé  et  la  Chamhre  et  la 
Commission  des  Olympies,  le  voilà  qui  préside  la  Commis- 


24 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


tin  et  de  style  ottoman.  Cette  grande  coupole  d’allure  otto- 
mane qui  surmonte  l’éphémère  édifice  et  atteint  une  hau- 
teur de  vingt-cinq  mètres,  est  virtuellement — oh  ! pardon, 
j'oubliais  que  Mr  James-Gregory  Puzzling  m’écoule  et  ([u’il 
est  Anglais... 

— Vù  pùvcz  pàler  ; je  comprcm'  eery  /eç//. 

— En  ce  cas,  mon  bon,  vous  mériteriez  d’être  fait  d’emblée 
harunel,  car  votre  ir«/'  office  a tellement  changé,  en  un 
récent  passé,  le  sens  de  ce  mot,  qu'un  général  d’armée  n'y 
retrouverait  plus...  ses  mulets  : chaque  fois,  té!  que  l’en- 
nemi était  virfuellemen/  tourné,  pas  un  Anglais  no  pouvait 
s échapper  du  cercle  de  feu  des  Mauser,  si  bien  (|ue  le  mot 
en  question  renversait  le  sens  de  la  phrase...  Or,  je  n’en- 
tends pas  laisser  croire  que  cette  grande  cou[)oIe  est  le  con- 
traire de  celle  de  l’église  orthodoxe  de  Belgrade,  puisqu’elle 
en  est  la  reproduction  approximative,  c’est-à-dire  aussi 
proche  que  le  permet  la  réduction  des  proportions.  Donc, 
mesdames  et  messieurs,  tâchez  de  vous  figurer  que  la  petite 
Seine  qui  coule  là-bas  est  le  beau  Danube  bleu  — comme 
ma  fertile  imagination  y cherche  chaque  matin  sa  chère  et 
illustre  Garonne  — et,  en  regardant  ce  Pavillon,  vous 
pourrez  vous  croire,  té!  dans  la  capitale  du  petit  Etat  du 
jeune  roi  Alexandre. 

— Et  allez  donc  ! fait  Bèchard  en  haussant  les  épaules. 
j\loi,  qui  n'ai  heureusement  pas  la  tète  aussi...  nomade,  je 
me  contente  de  constater  que  ce  Pavillon  Serbe  me  semble 
plus  grand  que  son  voisin  de  Grèce. 

— Hé  hé!  je  vous  crois:  il  couvre  cinq  cents  mètres 
carrés,  et  l’autre  trois  cent  cinquante  ! Par  contre,  il  n’est 
pas  démontable,  et  sa  charpente  est  en  bois  et  en  métal 
(té ployé , pluas  ni  moimf^  que  le  superbe  escalier  d’hon- 
neur du  Grand  Palais  des  Champs-Elysées,  le  triomphe  de 
.M.  Louvet.  La  Société  française  du  métal  iléployé  n’a  pas 
cherché  ici  à faire  de  Part,  mais  bien  œuvre  pratique,  son 
système  offrant  le  précieux  avantage  du  bon  marché  joint 
à celui  d’une  légèreté  extrême. 

Bèchard  se  redresse  et,  avec  une  solennité  que  lui  eût 
envié  M.  Joseph  Prud’homme  : 

— Je  vois  avec  satisfaction  que  la  Serbie  n'a  pas,  comme 


I.A  R|;E  UES  PL'ISSAACES  AL  (JUAI  d'uR.SAV 


25 


beuiicoup  dauLres  naLions,  Irappé  d'ostracisme  noti'e  in- 
ilustrie  nationale.  Cela  me  révoltait,  à la  fin,  de  voii'  cdia- 
que  nation  faire  venir  de  chez  elle  les  plans,  les  matériaux 
et  jusqu'aux  ouvriers  de  son  Pavillon  ! 

Voyons  Bêchard,  explique  Verdure!,  c'est  justement  lii 
que  résidé  pour  nous  leur  plus  grand  intérêt  ! 

Iati  lait  d intérêt,  mon  cher,  je  n'en  veux  considérer 
qu'un:  celui  de  notre  industrie  française.  Voilà  comme  je 
suis,  moi  ! 

^ Ch  Iden,  mille  Capitoles!  comme  vous  êtes,  vous 
n’ètes  pas  artiste,  mon  bon  ! 

.le  m en  fais  gloire,  inôssieu  ! afiirme  Bêchard  en  son 
parlait  mépris  pour  ce  seul  nom  d'artiste  qui,  pour  lui, 
représente  — sauf  en  ce  qui  concerne  les  grands  arrivés, 
l)ien  entend n — un  peuple  de  videurs  de  bocks  et  de  cou- 
reurs de  filles. 

Ab  ! vous  ôtes  a ce  point  intransigeant,  s'écrie  Bous- 
castrol  qui  rit  dans  sa  barbe?  Aloi's,  té!  vous  devriez,  par 
reconnaissance^  vous  taire  Serbe  sur  riieui’c,  car  si  les 
plans  de  ce  Pavillon  sont  d’une  haute  sommité  de  là-bas  eu 
I arf  de  carapacer  de  pierre  les  pauvres  humains  — jetés  si 
nus,  par  une  maratre  nature,  sur  ce  vieux  globe  presque 
cbauve,  qu  ils  en  sont  réduits  à envier  la  tortue  — si,  dis- 
je,  le  plan  principal  est  dû  à l'éminent  professeur  d'architec- 
ture a 1 Ecole  des  Hautes  Etudes  de  Belgrade,  VE  Kapeta- 
novitch,  c est  un  architecte  français,  VE  Ambroise  Baudry  — 
le  frère  du  peintre  fameux,  Paul  Baudry,  à qui  nous  devons 
les  trente-trois  toiles-chefs-d'oinivre  qui  ornent  le  foyer  do 
1 Opéra  — qui  a été  chargé  d’habiller  le  léger  monument 
que  vous  avez  sous  les  yeux.  VI.  Ambroise  Baudry  a un 
talent  exquis,  le  don  de  la  décoration  architecturale... 

Il  a de  qui  tenir!  déclare  V^erduret  avec  assurance. 

— Il  vous  manie  le  stalf,  té!  comme  son  célèbre  frère 
jouait  avec  les  couleurs  ; c’est  miracle  de  voir,  sur  l’indica- 
tion de  son  crayon,  la  vile  matière  se  transformer  en  beauté. 

— Bah!  tait  négligemment  Bêcliard,  c’est  un  artiste,  c’est 
sa  fonction  de  laire  de  belles  choses...  Ça  m’intéresse  moins 
que  l'industrie  du  métal  déployé. 

— Pourtant,  c’est  un  Français  ? 

— Oui,  mais  ce  n’est  qu’un  artiste...  Ibifin,  passons. 


rilAVKIlS;  I.  IC.M'OSITION.  — T.  X 


sa 


Je  passe,  té  ! ô contempteur  de  l’Art!  Mais,  avant  de 

vous  faire  faire  le  tour  du  Pavillon  pour  vous  faire  entrer 
])ar  le  portique  qui  a été  reporté  sur  l'avenue  — au  heu 
d’èire  sur  la  Seine,  comme  le  voulait  d’abord  1 auteur  du 
plan,  et  avec  la  façade  principale  que  la  disposition  de  1 ein- 
iilacement  accordé  a forcé  d’élever  perpendiculairement  au 
neuve  — avant,  donc,  de  vous  faire  pénétrer  dans  le  Palais 

serbe,  je  veux  vous  raconter... 

— Àh  ! non:  pas  d’histoire,  s’il  vous  plaît  ! proteste  le 
farinier  d’Essonnes  avec  presque  autant  il’énergie  larouclie 
que  si  Verdiiret  lui  eiit  proposé  de  refaire  une  promenade 
nautique...  accidentée  à bord  de  la  terrible  gondole  où  ce 
brave  avait  enfin  fait  connaissance  avec  la  venette  folle. 

Pas  d’histoire?  Soit,  riposte  le  bohème  au  noir  ban- 
deau... quoique  narrer  soit  mon  triomphe,  té!  coiume, 
d'ailleurs,  celui  de  tout  Méridional  .ligne  de  son  b.uin 
soleil.  Mais  alors,  mordions!  vous  me  permettrez  bien  une 

question  ? 

— A qui? 

— A vous,  mon  bon. 

— Ce  n’est  pas  une  charge  d’atelier,  au  moins  ? demande 
le  grave  personnage  qui  n’est  jamais  très  rassuré  quand  le 

Toulousain  le  prend  directement  à partie. 

Voici  ; supposez  que  M.  de  Gvozd’itch  président  du 

comité  organisé  en  Serbie  pour  la  participation  de  cet  Etat 
balkanique  à notre  grande  Exposition  de  1900,  ancien  mi- 
nistre du  Commerce  à Belgrade,  membre  du  Conseil  d Etat 
qui,  là-bas,  remplace  le  Sénat  aboli  comme  contrepoids  a la 
Skoupclitina  ou  Chambre  des  députés,  un  homme,  par 
conséquent,  d’une  compétence  supérieure  sur  toutes  les 
questions  commerciales  et  industrielles  — soit  venu  vous 
trouver  dans  votre  mourin,  à Essonnes... 

— Pourquoi  voudriez-vous  qu’il  fût  venu  me  trouver?  Je 

ne  le  connais  pas. 

— Eli  ! mordions  ! je  suppose.  Le  champ  des  suppositions 
est  aussi  libre  qu’il  est  vaste,  mille  Capitoles  ! Donc,  venant 
vous  trouver,  il  vous  aurait  tenu  ce  langage  . 

Eli  serbe  ? 

— Non,  en  français  ! Dans  les  sphères  gouvernementales, 
011  parle  partout  le  français  en  Europe...  sauf  peut-être  en 


L EXPOSITION 


TRAVERS 


LA  m io  IJKS  l’LlSSANCES  AI'  nl  AI  D OUSAV 


27 


l 'rance  ! Donc,  je  suppose  qu’il  vous  ail  dit  : « IVlon- 
siciir  Aristide  Bèchard,  votre  réputation  d’homme  sérieux, 
réfléchi,  intelligent,  au  fait  des  affaires,  a franchi  un 
nombre  respectable  de  frontières  pour  parvenir  jusqu’aux 
oreilles,  non  seulement  de  notre  jeune  roi,  ce  qui  serait 
déjà  quelque  chose,  mais  de  son  angnstc  père,  l’ex-roi 
Milan,  général  en  chef  des  armées  serbes  et  directeur  poli- 
tique de  son  fils  couronné,  ce  qui,  dans  certains  cas,  peut 
valoir  mieux.  A la  cour  de  Belgrade,  on  sait  que  vous  êtes 
une  notabilité  de  l’industrie  française...  » 

— Ça,  je  ne  dis  pas  non.  C’est,  du  moins,  l'opinion  de 
mes  honorables  concitoyens,  de  mes  clients  et  de  mes  con- 
currents. 

— Bon.  Laissez-moi continuer.  C’est  toujoursM.  Cvozditch 
(jui  parle  : « Ne  voudrez-vous  rien  faire  pour  un  pays  où 
votre  bantc  compétence  est  si  appréciée?  .\e  voudriez-vous 
])as  Jions  rendre  le  service  signalé  d’être  à l'aris  le  ])rotec- 
teiir  de  nos  nationaux,  l’organisateur  en  titre  de  leur  ex|)0- 
sition,  en  un  mot,  notre  commissaire  général?  » 

— Mais?... 

— Attendez,  cornebioii  ! L’ancien  ministre  serbe,  pour 
vous  tenter  davantage,  vous  aurait  dit  encore  ; <(  Je  sais 
combien  votre  moulin  vous  occupe  ; qtie  la  baisse  immi- 
nente sur  le  marché  des  farines  où  vous  avez  à lutter  contre 
de  redoutables  concurrents  vous  cause  de  graves  soucis.  Je 
ne  voudrais  pas  que,  pour  nous,  vous  compromissiez  vos 
affaires  ou  vous  imposassiez  un  surcroît  de  travail  incompa- 
tible avec  l’état  florissant  de  votre  chère  santé.  Aussi,  n’est- 
ce,  à bien  prendre,  qu’une  sinécure  dont  je  sollicite  de  vous 
l’acceptation.  Vous  aurez  la  haute  main  sur  tout  et  vos  pré- 
cieux conseils  seront  religieusement  suivis,  mais  tout  le 
détail  de  la  besogne  incombera  au  secrétaire  général  du 
commissariat,  M.  Léonce  Tedeschi,  né  à Constantinople  en 
18b7,  fondé  de  pouvoirs  de  l’importante  banque  Camondo, 
un  homme  actif,  dévoué,  à l’esprit  prompt  et  ouvert,  au 
jugement  sûr  et  bien  au  fait  des  choses  et  des  gens,  puis- 
(lu’il  habite  Paris  depuis  vingt  ans,  y étant  venu  dès  l’age 
de  vingt-trois  ans.  Avec  un  tel  second,  vous  n’aurez  que  de 
temps  en  temps  à paraître...  Voyons,  un  bon  mouvement: 
dans  ces  conditions,  acceptez-vous  d'être  le  commissaire 


28 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


genénil  de  la  Serbie  ? » Té  1 si  le  président  du  comité  serbe 
vous  eiil  dit  tout  cela,  mon  ror  monsieur  Itècbard,  qu’au- 
riez-vous répondu  ? 

Notre  biriniei',  qui  a écoulé  attentivement,  relève  solen- 

pensées,  repousse  légè- 
rement en  arrière  son 
couvre-chef,  défait  vive- 
ment deux  boutons  de 
son  gilet,  et,  plongeant 
une  main  dans  Touver- 
lure,  tout  comme  Napo- 
léon, réjiond  ; 

— .l'aurais  répondu  ; 

<'  Monsieur  le  ministre, 
topez-là  ; je  suis  votre 
homme,  car,  puisque  je 
pourrai  ne  pas  délaisser 
mes  affaires,  je  considère 
voire  proposition  comme 
un  grand  honneur,  pour 
moi,  sans  doute,  mais 
surtout  pour  l'Industrie 
Irançaise,  dont  je  suis 
lier  d'être  une  des  mo- 
destes colonnes  1 » 

— Eh  hé  ! té  ! mon 
bon,  c’est  justement  — 
quoique  probablement  en  d'aulres  termes  ce  qu’a  dû 
répondre  M.  le  comte  de  Camondo,  cousin  de  l’opulent  ban- 
quier comte  Il  de  Eamomlo,  lorsque  b'  Gouvernement  serbe 
le  sollicita  de  vouloir  bien  (‘tre  sou  Commissaire  général  à. 

1 Exposition  de  1900...  puisqu  il  a ac'cepté.  De  même  qne 
le  comte  11  de  Camondo,  qui  est  un  grand  amateur  d'art, 
particulièremeut  épris  de  celui  du  xviii''  siècle,  le  comte, 
i\I.  de  Camondo,  est  un  fin  collectionneur  de  bibelots  et 
d'œuvres  des  artistes  du  passé;  mais,  pour  lui,  c’est  surtout 
au.x  précieux  souvenirs  des  xv°  et  xvi*’  siècles  que  son  goût 
Dès  sûr  s attaque  de  |n’étérence. . . et,  entre  les  charmes  de 
son  home,  les  devoirs  mondains,  les  combinaisons  linan- 


sou  fi'oul,  chargé  de 


M.  LE  COMTE  DE  CAMOXIlO 

COMMISSAIRE  CI-.NKRAE  DE  SERHIF. 


LA  RUE  DES  PUISSANCES  AU  QUAI  D ORSAY 


29 


cières  et  les  patientes  recherches  du  collectionnnenr,  sa  \\e 
s’écoule  très  remplie.  Mais  comme,  en  somme,  c’était  plutôt 
un  titre  officiel  qu'une  fonction  laborieuse  qu’on  lui  deman- 
dait d’accepter,  il  consentit  de  très  bonne  grâce,  se  reposant 
sur  un  second,  tel  que  M.  Tedeschi,  à occuper  ce  poste 
lionorifique,  qu’il  croyait  pouvoir  considérer  nn  peu  comme 
honoraire,  c’est-à-dire  ne  devant  pas  trop  gêner  ses  artis- 
tiques jouissances...  Ah!  le  bon  billet  et  le  pauvre  amateur!... 

— Mon  Dieu  ! que  lui  est-il  arrivé  ? demande  M"'®  Flore 
apitoyée. 

— Té  ! il  avait  la  main  dans  l’engrenage  ! 

— Allons,  bien,  nn  accident  de  machine  !...  G est  épou- 
vantable !...  Moi,  je  ne  veux  jamais  qu’Aristide  me  dise 
quand  son  mécanicien  le  réclame  pour  aller  voir  la  sienne... 
Ub  ! les  inventions  infernales!...  Ça  vous  accroche  par  un 
pan  de  la  redingote  ou  de  la  blouse,  et  foiif  le  )‘esfe  du  corps 
y passe  ! 

— Bon  Dion  ! calmez  les  alarmes  de  votre  bon  cumr, 
cè)’e  madame.  L’accident  de  M.  le  comte  de  Camondo  n est 
pas  de  Tordre  brutal  de  ceux  que  l’on  insère  dans  /e  PelU 
Jourual — dont  vous  ne  pouvez  manque)"  d’être  une  lectrice 
fervente  — à la  rubrique  des  « Faits  divers  » et  au  rez-de- 
chaussée  à drames  sensationnels.  La  machine  qui  1 a saisi 
n’est  autre  que  le  grand  rouage  tyrannique  de  1 Exposition. 
11  croyait  être  un  Commissaire  général  légèrement  amateur, 
et,  chez  lui,  ce  fut  T «amateur  » qui  dut  d abord  sacrifici" 
le  temps  de  ses  chères  trouvailles  à l’insatiable  minotaure, 
le([uel  absorba  peu  à peu  l'homme  de  foyer,  le  mondain  <‘t 
presque  l’homme  d’alfaires. . . H était  bel  et  bien  pris  an 
[liège...  du  Commissariat  — et  cela  depuis  près  de  cinq  ans, 
sa  nomination  imprudente  datant  déjà  de  189-). 

— Alors,  c'est  une  figure,  comme  on  dit'?  Ab!  tant 
mieux  : vous  m'aviez  fait  peur!  dit  M““  flore,  qui  avail, 
ma  foi!  sorti  son  mouchoir,  en  prévision  d une  charitable 
émotion  à convenablement  étonil'er. 

— Et  maintenant  que,  n'en  déplaise  à monsieur  Bêcbard, 
j'ai  raconté  tout  de  même  ma  petite  histoire,  cornebiou  ! 
j’ai  l’honneur,  mesdames  et  messieurs,  de  vous  inviter  a 
venir  rendre  visite  à l’Exposition  Serbe,  insérée  dans  cet 
élégant  local,  aussi  palatial  et  national...  qu  orthodoxe. 


30 


A TRAVEHS  l’eXPOSITION 


A L E K r E ! 

Conduisant  ses  compagnons  devant  la  principale  entrée 
du  Pavillon,  située  sur  la  rue  des  Palais  étrangers,  le  toni- 
truant Toulousain  reprend  : 

Comme  vous  le  voyez,  té!  l'entrée  principale  est 
lormée  par  un  escalier  et  un  portique  centraux,  de  chaque 
coté  desquels,  en  entrant,  nous  trouvons  un  kiosque  sem- 
blant ne  pas  taire  tout  à fait  corps  avec  la  disposition  inté- 
rieure, c est-a-dire  la  vaste  salle  partagée  eu  compartiments. 
Ces  deux  kiosques  constituent,  avec  le  portique,  comme  le 
\estibule,  té!  du  Pavillon.  Entrons  dans  l’un  d’eux,  au 
hasard...  Eh  ! capédious  ! le  hasard  nous  sert  à merveille, 
cai  il  nous  conduit  dans  le  plus  pittoresque  des  deux  kios- 
ques, celui  où  est  installé  le  très  curieux  musée  ethnogra- 
phique serbe,  œuvre  d’un  savant  patriote  du  pays,  M.  Mal- 
khazouny.  C’est  toute  la  Serbie  que  vous  voyez  réunie  là, 
dans  toutes  ces  figures  si  bien  groupées,  qu’elles  semblent 
une  suite  de  tableaux  vivants  n’attendant  que  le  baisser  du 
rideau  pour  s’animer  toutes  à la  fois  et...  sourire  de  nos 
[listes  halnllements  occidentaux,  si  pauvres  en  comparaison 
des  leurs,  (^.a,  mordions  ! c est  un  « clou  » do  premier  ordre  ; 
seulement... 

Bouscastrol  se  gratte  l’oreille,  d’un  air  perplexe,  à travers 
la  soie  de  son  bandeau. 

— Seulement?  interroge  Verduret. 

Dame!  té!  c est  que  voilà  ; dans  tout  ça,  vous  ne 
[louvez  voir  que  des  costumes  chatoyants,  joie  du  coloriste, 
aussi  bien  pour  les  modestes  étofles  agrestes  que  pour  les 
licbes  parures  dos  classes  aisées,  et  c’est  une  race  que  je 
voudrais  vous  y montrer.  Pour  vous  mettre  en  état  de 
comprendre,  il  faudrait,  cadédis  ! que  je  pusse,  tout  au 
moins,  vous  dire  quelques  mots  de  cette  nation  serbe,  que 
vous  ignorez  de  toutes  vos  forces... 


[.A  KLE  DES  PUISSANCES  AU  QUAI  D ORSAV 


.'il 


— Qui  vous  en  empèclie? 

La  difficulté,  mon  cer  monsieiu'  Verduret,  de  luire 

iciisir  en  quelques  phrases  ce  qui  demanderait  des  heures  a 
dre  expliqué  convcnahlement,  et  la  peur,  en  ouvrant  uiu' 
louvelle  parenthèse,  de  me  faire  conspuer  [)ar  M.  Bêchard. 

Le  farinicr  ri[)OsLe  d’un  ton  l’oguc  : 

— Je  trouve  fort  déplacé,  môssieu,  que  vous  me  i)renie/ 
.üujoiirs  ainsi  à partie.  Si  ce  que  vous  croyez  devoir  narrer 
ai’assommc  par  trop,  j’irai  faire  un  tour  dans  cett(‘  salle  en 
ittendant  que  vous  ayez  lini,  voilà  tout.  Je  n’entends  pas 
empêcher  Verduret  de  vous  écouter,  si  (ja  1 amuse. 

— Té!  je  le  disais  bien,  ce  matin,  que  vous  ferez  un  i)ar- 

lementaire  parfait...  Seulement,  mon  bon,  ce  que  vous  fré- 
quenterez la  buvette!...  Donc,  je  protite  de  la  peimission, 
de  crainte  de  vous  voir  introduire  quelque  motion  contra- 
dictoire et...  liberticide.  Les  Serbes,  mordions!  tenez, 
j’éprouve  un  faible  pour  eu.x.  Savez-vous  pourquoi?...  Ne 
cherchez  pas,  monsieur  Verduret,  je  vais  vous  le  dire,  tout 
de  suite.  C’est  parce  qu’ils  sont  les  « (jems  dn  Midi  » de  la 
race  slave,  tout  comme  nous  sommes,  nous  oUres  de  Gas- 
cogne, les  Méridionaux  de  la  nation  gallo-franque.  Du  mo- 
ment que  je  vous  indique  ce  cousinage  avec  nous  oltrc.s,  d 
est  presque  superllu  d’ajouter  que  ces  Serbes  furent  un 
grand  peuple,  aujourd’hui  disséminé,  mais  que  laxenii 
peut-être  réunira.  Il  se  reconquiert,  en  ctfet,  par  lambeaux 
successifs  : son  principal  centre,  la  Serbie,  gardienne  du 
nom,  a reconquis  son  indépendance  sur  les  lurcs  ; la  Bosnie 
et  l’Herzégovine  se  reconstituent  sous  la  protection  autii- 
chienne;  le  Monténégro  a la  gloire  de  n’avoir  jamais  courbe 
le  front  sous  le  joug  du  Prophète  ; la  Dalmalie,  I Escla- 
vonie  ou  mieux  Slavonie , le  Banat,  la  Croatie  et  toute  la 
partie  sud  do  la  Hongrie  attendent  l’heure  de  la  séparation 
d’avec  un  xieil  empire  auquel  les  attachent  des  liens 
chaque  jour  plus  fragiles  — tissés  surtout  de  respect  poui 
une  haute,  noble  et  malheimeuse  personnalité  couronnée  , 
la  Macédoine  et  l’Albanie  seules  demeurent  encore  enchaî- 
nées aux  pointes  du  Croissant...  ^ . 

— Pardon,  objecte  Bêchard,  il  s’agit  de  la  Serbie  et  non 
de  tous  ces  peuples  divers  : précisons,  s il  vous  plaît  ! 


32 


A TRAVERS  L EXPOSITIOM 


^ — Ce  ne  sont  pas  dos  peuples  divers,  ce  sont  tous  des 
Seines  passes  par  fractions  sons  des  dominations  étran- 
gères. (air  1 ancienne  Serbie  fut  une  grande  nation  de  race 
slave,  mon  cer  monsieur,  une  nation  vaillante  et  qui  eut 
son  heure  triomphale  en  même  temps  que  son  Charlemagne 
on  son  Napoléon,  en  la  personne  de  son  roi  fameux,  Etienne 
Donchan,  dit  le  Fort,  an  xiv''  siècle.  Alors,  la  Bulgarie  et  la 
l hessalie  marchèrent  sons  la  même  orillamme  que  tons  les 
Serbes  dont  je  viens  de  vous  citer  les  noms  actuels,  et,  par 
eux  tous,  Constantinople  faillit  être  conquise,  si  l'empereur 
de  Bj'zance,  épouvanté,  n'avait  appelé  les  Turcs  à son 
secours,  ces  Turcs  qui  ne  tardèrent  pas  à mettre  le  talon  sur' 
1 empire  d’Uccident,  leur  imprudent  allié.  Si  Constantinople 
lut  tombée  au  pouvoir  des  braves  Serbes,  il  est  très  pro- 
balile  que  jamais  1 Islam  n'eut  pris  pied  en  Europe...  Et  que 
do  sang  chrétien  et  musulman  eût  été  é|)argné  ! 

A la  bonne  heure,  s'écria  Verduret  enthousiasmé, 
c est  plaisir  de  vous  entendre,  fine  d'horizons  vous  m'ou- 
vrez en  quelques  mots  sur  la  politique  de  races  dans  les 
Balkans  qui,  jusqu'ici,  me  semblait  un  indéchiffrable  o-ri- 

moire  Barhleu!  je  vois  clairement,  maintenant 

— Eh  ! \oyG'A  tout  ce  que  vous  voudrez,  Verduret.  Moi, 
je  trouve  qu’il  est  grand  temps  de  voir...  le  Pavillon  et 
.l'y  vais. 

Comment,  Béchard,  vous  ne  comprenez  pas  l’impor- 
tance, pour  l'avenir  de  l’Europe,  de  celte  reconstitution 
lente  do... 

— Au  diable  ! ce  que  je  trouve  lent  à venir,  ce  sont  les 
explications  sui'  ce  qui  nous  entoure. 

— Eh!  mille  millions  de  Capitoles!  il  fallait  pourtant 
bien  que  je  vous  dise  ces  quelques  mots  pour  que  vous  ne 
soyez  pas  surpris  .le  trouver,  dans  ce  musée  ethnographique 
serbe,  a côté  de  la  dame  de  Belgrade  en  jupe  de  soie  blanche 
et  en  boléro  de  soie  noire  à larges  manches,  tout  garnis  de 
broderies  d'or  et  de  pierreries  dessinant  des  fleurs  et  des 
triiits  stylisés  : la  .Monténégrine  en  vaste  manteau  blanc, 
sans  manches  et  tout  constellé,  cachant  la  robe  noire  toute 
brillante  d'or;  ou  la  jeune  dame  de  la  Vieille  Serbie  an 
manteau  de  velours  grenat  brodé  d'or  on  relief,  et  tombant 
sur  une  sorte  de  vaste  et  merveilleuse  culotle  retenue  aux 


i.A  nrro  des  rl  issaaces  ae  qiwi  d orsav 


3:5 


chevilles  par  des  « poignets  » richement  ornés,  avéc  la  poi- 
trine nne  sons  la  transparente  chemise;  on  la  Macédonienne, 
pins  modestement  vCdue  de  drap  avec  ornements  do  soie  de 
dilïérentcs  conlcnrs;  on  la  Serbe-Bosniaqne,  vètne  de  la 
chalvan^  ample  cnlotle  longue  (m  soie  changeante,  et  du 


Li-:  I’avii.i.on  ih;  i.a  Skriub:. 


holéro  sans  manches  sur  la  chemise  de  soie  trans|)a- 
rente,  etc.,  et  toutes  portant,  posée  sur  leur  noii'c  cheve- 
lure, la  coquette  petite  calotte  dont  les  couleurs  du  lond  l't 
du  bandeau,  ainsi  que  Fornementation  tintinnabulante 
changent  avec  chaque  pays.  Maintenant  que  vous  savez 
combien  la  race  serbe  s’étend  loin  des  frontières  du  petit 
Etat  du  roi  Alexandre,  vous  comprenez  la  légitimité  tle  ces 
présences  qui  vous  eussent  semblées  insolites,  - te  !...■  et 


TRAVERS 


L EXPOSITION 


sachant  à quelle  nation  énergique  et  fiére  de  son  glorieux 
passé  nous  avons  affaire,  vous  ne  vous  étonnerez  plus  qu'à 
travers  les  siècles  et  en  dépit  des  jougs  étrangers,  elle  ait 
fièrement  conservé  sa  langue  slave,  ses  mœurs,  sa  religion 
et  ses  costumes. 

\ oyons,  Bêchard,  vous  ne  pouvez  nier  que  ce  que 
nous  dit  notre  savant  guide  ne  soit  la  vérité  même? 

Les  vaniteux  du  genre  de  notre  l'arinier  ne  s'avouent 
Jamais  battus.  Quand  ils  sont  mis  au  pied  du  mur  par 
l’évidence,  ils...  sautent  brusquement  de  l’autre  côté  de 
l'obstacle  : ils  estiment  que  se  dérober  est  un  bien  suflisant 
aveu...  lorcé.  Ainsi  fait  notre  homme  en  demandant  sans 
transition,  au  bohème  qui  rit  dans  sa  barbe  : 

■ — Et,  dans  l'autre  kiosque?... 

— Se  trouve  l’exposition  des  industries  diverses. 

— Ah  ! ab  ! fait  Bêchard  en  se  redressant,  allons  aux 
industries,  choses  sérieuses  et  pratirjups. 

Comme,  pour  se  rendre  dans  cette  seconde  partie  du  ves- 
lilmle  du  Pavillon,  Bouscastrol  prend,  avec  son  escorte,  par 
le  grand  hall  central,  il  explique,  chemin  faisant: 

— Cette  immense  salle  unique  contient,  entre  autres, 
l’exposition  des  produits  du  sol  et  du  sous-sol  de  la  princi- 
pauté. La  viticulture,  en  particulier,  est  absolument  remar- 
quable. La  Serbie  peut  rivaliser  avec  la  « Terre  promise  », 
de  1 Ecriture,  té!  elle  vous  exhibe  des  grappes  qui  pèsent 
(rois  ou  quatre  kilogrammes  ; et  vous  pouvez  déguster  le 
délicieux  viu  de  Négotine  qui,  rouge  ou  blanc,  est  aux  vins 
serbes  ce  que  le  bordeaux  est  aux  autres  crus  des  côtes 
françaises.  Quant  aux  minerais  de  plomb  argentifère,  de 
zinc,  de  cuivre  et  d'or,  dont  l’exploitation  rationnelle  n’en 
est  qu’à  ses  débuts,  ils  montrent  que  de  richesses  sont  per- 
dues partout  où  le  Turc  immobilise  encore  la  marche  de  la 
civilisation  ; cette  inertie  est  son  plus  sûr  arrêt  d'expulsion 
plus  ou  moins  lointain  de  la  terre  d’Europe,  et... 

Soudain,  Bouscastrol  s’arrête  ; sous  son  bandeau  de  soie 
son  fi'ont  se  plisse  et  une  flamme  sombre  brille  dans  son 
unique  regard  d’occasionnel  cyclope.  . 

En  travers  du  portique  d'entrée,  quatre  gaillards  roux. 


T.A.  BI  E DES  Pl'ISS.V^CES  AU  QUAI  T)  OUSAY 


on  « complets»...  explicites  et  à gros  poings  de  boxenrs, 
barrent  presque  le  passage,  entravant  avec  un  parfait  sans 
gène  la  libre  circulation. 

Derrière  le  bobème  soucieux,  une  voix  ricane  ; 

— AU  ruihl!  il  riait  déjà  très  beaucoup  celoui  qui  riait  le 
dernier. 

Et  Ibjz/ling,  levant  la  main  au-dessus  des  têtes  du  public, 
fait  un  geste.  Bouscastrol  se  retourne  sur  lui  et.  Un  parlant 
à l’oreille,  d'une  voix  sourde  : 

— Vous  n’allez  pas,  je  suppose,  user  de  violence  en 
pleine  exposition?  (Juc  prétendez-vous  faire? 

_ Vô  allez  le  vôar  ! répond  ironiquement  l’Anglais. 


Sa  main,  restée  levée,  fait  un  signe  d’appel.  Aussitôt,  les 
quatre  gaillards  roux,  jouant  fort  brutalement  des  coudes, 
se  mettent  en  devoir  de  marcher  sur  notre  groupe  de  visi- 

Bertrande,  la  mine  inquiète,  regarde  Bouscastrol;  elle 
voit  celui-ci  esquisser  comme  un  mouvement  .le  retraite 
qui  le  fait  se  heurter  à Puzzling,  lequel,  les  ,) arrêts  tendus, 

résiste  au  choc.  , i . 

Un  éclair  de  colère  étincelle  dans  l’ceil  du  bohème...  mais 

il  se  change  tout  à coup  en  une  expression  de  vive  satis- 
faction, en  se  reposant  sur  une  bande  de  jeunes  hommes, 
la  plupart  élégamment  mis,  et  qui,  au  nombre  de  hui  , se 

dirigent  vivement  vers  la  sortie. 

Leur  mouvement  les  fait  forcément  se  rencontrer  avec 
les  quatre  gaillards  qui  marchent  en  sens  contraire  e , 
comme  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  paraissent  vouloir  se 
céder  le  pas,  il  s’ensuit  un  choc  au  milieu  de  la  fou  e.  ^ 

Les  nouveaux  arrivants,  aidés  en  cela  par  le  pub  ic  diqa 
bousculé  et  pas  content,  interpellent  vertement  les  bis 
d’Albion.  Ceux-ci,  sans  répondre,  veulent  rompre  la  digiu 
humaine  qui  s’est  formée  devant  eux;  mais  la  dite  digue 
résiste  en  poussant  les  hauts  cris.  De  là  naît  une  bagaii.' 
qui,  naturellement,  attire  les  agents  de  surveillance. 

A ce  moment,  Bouscastrol,  le  sourire  aux  lèvres  imih' 
ses  compagnons  à vouloir  bien  le  suivre  et,  prenant  la.  tete, 
se  dirige  vers  le  fond  du  hall. 


VUI 


travers  l’exposition 


Puz/ling  réprime  un  geste  de  fureur  et,  à pleins  poumons, 
pour  dominer  le  tumulte  voisin,  commande  . 

Go  ou  ! 


ï TU  UU  . 

eux.  : messieurs  ino,M- 

leurtort,  SI  >>"" ‘1“';'*'  ',,rAnglais  sont  refoulés  par  les 
nément  accounu  , ^ q querelle  continue  de  plus 

•ents  hors  du  Pa^lllo  ...  J . p^menés  dans  la 


îirSé:;:errr<.-e;^î^sonte— é»su 

St",r\ï:r:rmS  police  -i^ 
'' pèudànl  !L  oH 

Îurs\mlf3de^rsd  où  il  dit,  eu  réponse  ^ une  bien 
naturelle  interrogation  du  manufacluriei  re  ne  - 


•elH'  mLL.lIUpUc.xa. xr  1 4 

Fh'  narfaitement,  té!  mon  cer  monsieur  \erdurtt, 

D“met:,'r':ml's'!::  cm  nmportaut  en  ce  .,ni 

“"_!"Nm.s“pÏ::n;  ‘ir  Paxillons  ,ue  vous  nous  aves  f.,» 

'’''Ü-‘'’r.ÏÏt‘cela  raéL.  Seulement  je  vous 

les  laisser  choisir  claprés  lorclre  dan,  lequel  la  doenmen 

tation  se  présente  à ma  mémoire. 

— G est  trop  juste.  Flore  que  vous  ne  nous 

_ A condition,  objecte  M'"'’  Flo  o,  que  vo 

fassiez  plus  courir  comme  des  petits  lapins  . , 

Oh  ' c-tte  fois,  belle  madame,  nous  avons  le  temps 
..rmuire  nos  aises,  d’écl.re  en  souriant  notre  Ton  ousam. 

Se  retiurnant.  il  aperçoil  Pussling  qui  hMc  'o  P»'  P““' 

rejoindre  le  groupe.  , , , 

' Ft  té  ’ nous  serons  au  complet,  car  voici  venir  milor 
,„mrpon,  m'ee  nous  avions,  cadédis  1 égaré  clans  la  foule. 


LA  RLE  DES  P[  ISSAA'CES  AL  (JEAI  DORSAV 


3!) 


Or,  Puzzling  n’était  pas  de  ceux  qui  s’égarent  aussi  faci- 
lement. En  voyant  comment  tournait  l’algarade  dont  te  Pa- 
villon de  Serbie  était  le  théâtre,  il  avait  serré  les  poings  en 
murmurant  : 

— Aôh  ! le  rascal!.  . 11  avait  précautionné  loui-mème  ; 
jé  été  ràoulé  acjainl  C’était  loui  que  je  volais  entraînera  le 
poste  !... 

Il  avait  hésité  un  instant  sur  le  parti  à prendre  : ne 
devait-il  pas  suivre  en  curieux  ses  quatre  hoya,  pour  inter- 
venir en  leur  faveur  si  besoin  était.  Mais  c’était  risquer  de 
compromettre  sa  mission,  et,  abandonnant  britanniquement 
ses  acolytes  à leur  sort,  il  déclara  hipnHo: 

— No.  Jé  devais  souiver  loui,  tùjours  ! 

Et  il  s’élança,  de  son  énorme  pas  rigide,  sur  les  traces  du 
groupe  déjà  disparu.  Mais,  comme  son  amour-propre  ré- 
pugne à s'exposer  trop  tôt  à la  verve  moqueuse  de  son  adver- 
saire obstinément  heureux,  il  se  contente  de  suivre 
d'abord...  de  loin.  Il  laisse  les  doux  couples  provinciaux  et 
leur  guide  longer  les  Pavillons  de  Monaco,  de  l’Espagne,  di“ 
l'Allemagne,  de  la  Norvège,  et  ne  les  rejoint  que  lorsqu’il 
les  voit  s’ariaHer  devant  celui  de  la 


«’IIAPITRE  III 


liELGIQlE 


5;  |i'r 

L IIOTIOL  DE  VILEE  d'aI  DE>ARDE 

Au  luonieiit  où  j\Ii'  Jauies-Grogoi'y,  estjuiro  — affiriiio- 
l-il,  du  moins  — vient  stopper  dans  les  eaux  de  la  partie 
adverse,  il  eritend  Verduret  s'écrier  : 

Ça,  c est  merveilleux!...  (Juelle  superbe  dentelle  de 
pierre!  Alors,  c est  I Ilolel  de  Ville  d'Oudenarde  ou  Aude- 
narde,  dites-vous?  Est-ce  exact  comme  reproduction? 

C est-à-dire,  mon  bon,  que  deux  bulles  de  savon  ne 
sont  pas  plus  semblables. 

\ ous  voulez  dire  deux  gouttes  d'eau  ? 

_ Je  dis  toujours,  te  ! ce  que  je  veux  dire,  cère  madame. 
J emploie  la  comparaison  de  ces  bulles  irisées  qui  sout  les 
Iragiles  aérostats  du  jeiiue  âge,  et  je  dis  scmhlablcs  et  non 
fiareillcs,  parce  que  vous  ne  vomiriez  pas,  cadédis  ! que 
l'arcbitecte  bruxellois  Henri  van  Peede,  lorsqu'en  1325  il 
commença,  aidé  de  son  confrère  G.  de  Ronde,  la  construc- 
tion dc^  ce  modèle  idéal  du  gothique  du  dernier  âge,  ait 
prévu  1 Exposition  de  I90U  et  dressé  scs  plans  eu  songeant 
a 1 emplacement  que  M.  Picard  pourrait  réserver  ici  au 
la\illon  de  la  Belgique!  Ceci  est  une  reproduction  exacte 


42  A TRAVERS  t’EXfOSlTlOn 


en  ce  qu’elle  est  scrupuleusement  proportionnelle.  Et  eu 
core,  té  ! il  est  bien  entendu  que  je  ne  parle  que  des  façades  : 
les  architectes,  MM.  Ackcr  etMankels,  en  ont  tracé  les  em- 
iiiénagemcnts  intérieurs  selon  les  nécessités  de  leur  utili- 
sation. 

— Alors,  calcule  Bèchard,  cela  fait  quatre  architectes 
pour  ce  Palais  de  Belgique  ? 

— Mordions!  au  diable  votre  fureur  d'additionner,  mon- 
sieur Deux-Et-l)eux-hout-Ouatre  ! 11  est  évident  que, 

.MM.  Acker  et  Mankels,  les  architectes  de  19UU,  ne  pour- 
raient qu’être  llattés  que  vous  mettiez  au  môme  rang  leurs 
noms  et  ceux  de  leurs  grands  prédécesseurs;  mais,  mille 
('.apitoies!  ils  seraient  sans  doute  moins  satisfaits  de  voir 
associer  leurs  pei’sonues  avec  ce  qui  peut  rester  tie  celles  de 
ces  ancêtres  ! 

— C’est  de  votre  faute,  aussi  ; vous  mélangez  tout  : le 

passé  et  le  présent,  les  vivants  et  les  morts  • , 

— Si  on  peut  dire!...  Est-ce  que  je  vous  ai  jatnais  pris 
pour  le  meunier  de  Sairs-Souci  ou  madame  votre  épouse 
[)Our...  Agnès  Sorel  ? 

— Monsieur,  je  ne  vous  permets  pas  d établir  de  rappro- 
chement entre  M'’"=  Bêchard  et  une  demoiselle  dont  le  nom 
s’étale  sous  la  plume  des  soiristes  et  des  courriéristes  de 
théâtre! 

— Et  voilà,  hou  Dious!  à quoi  servent  les  livres  d’his- 
toire ! (dh  ! le  Vandale!  M.  Sorel  n’a  plus  qu’à  se  pendre... 
au  bras  du  comte  Yaudal. 

— (duel  galimatias  ! ricane  dédaigneusement  Bèchaial , 
[leudant  que  le  Toulousain,  retrouvant  fOU  sérieux,  un 
instant  envolé,  reprend  ; 

— ■ Eoi  d’artiste,  mordions  ! je  ne  sais  rien  de  plus  magui- 
tique,  eu  architecture  ogivale  profane,  que  cet  Hôtel  de 
Ville  d’Audenarde,  construit  en  quatre  ans  et  qui,  s’il  rap- 
pelle ceux  de  Bruxelles  et  de  Louvain,  leur  est  si  hautement 
supérieur  eu  beauté.  Admirez  ce  portique  à sept  arcades, 
unique  en  son  genre,  qui  se  détache  de  laçou  si  aéiiennc 
de  la  façade  principale,  et  au-dessus,  cette  tour,  cliet- 
d’œuvre  de  grâce  et  de  majesté,  qui  s élève  en  plein  ciel  — 
Admirez  ces  fenêtres  élégantes,  ces  niches  si  étonnamment 
fouillées  et,  au  sommet  de  l'édifice,  cette  si  légère  galerie 


LA  RLK  JJLS  PI  lSSAiNCLS  Al  (Jl  Al  D UKSAV 


saillante,  immense  balcon  be  rêve  d’où  jaillissent  les  lou- 
rtdles  aux  (lèclies  si  élancées,  les  pinacles  d’une  inouïe 
linesse  des  teuètres  du  comble,  comme  des  agrès  de  pierre 
autoiii'  du  mal  sculpte  à jour  de  la  grande  tour.  Cornebiou  ! 
il  laiit  reconnaître  que  les  écbe\ins  des  grandes  villes 
llamandes  s’y  entendaient  pour  illustrer  leurs  cilés  d’in- 
comparables édilices  communaux,  cl  que  le  Commissariat 
général  belge  ne  pouvait  mieux  qu’en  reproduisant  cette 
merveille  du  xiv‘'  siècle,  satisfaire  au  désir  di^  iM.  Alfred 
Picard,  tlcsir  qui  était  de  voir  les  ('trangiu's  donner,  en  ces 
Pavillons,  la  note  des  beautés  de  leurs  architiM'lurcs  natio- 
nales, 

— Bon,  c’est  magnilique,  c’est  entendu,  dit  le  farinier 
agacé,  et  qui  n’a  décidément  pas  la  fibre  ailmiratrice.  Ce 
Palais  me  semble  carré? 

— A peu  près,  avec  quelque  vingt-cinq  mètres  de  fa- 
çade. 

— Et  rilôtel  de  Ville  véritable  ? 

— Ma  foi,  allez-y  voir!  Ah  ! vous  en  avez,  de  l’estomac, 
de  vous  inquiéter  de  chiffres  qui  ne  signifient  rien  devant 
un  morceau  d’architecture  aussi  émotionnant,  et  auquel  ont 
collaboré,  à l’envi,  tant  d’autres  splendeurs  de  pierre  de 
cette  Belgique,  qui  est  un  véritable  nid  de  merveilles  archi- 
tecturales. Les  galeries  ont  été  copiées  sur  l’Hôtel  de  Ville 
de  Courtrai,  ainsi  que  les  cheminées  monumentales  des 
salles;  de  nombreux  détails  ont  été  empruntés  à des  châ- 
teaux, ses  aînés,  notamment  à celui  du  comte  d’Egmont,  à 
Sotteghem.  L escalier,  que  vous  allez  voir,  est  celui  que  les 
échevins  exigèrent  que  Van  Peede  refît,  après  qu’ils  eurent 
tait  venir,  pour  le  consulter,  le  célèbre  Rambaud  van  Gans- 
daele,  architecte  générai  de  Charles-Quint.  Ah!  il  est 
dommage  qu’on  n’ait  pas  pu  reproduire  ici  la  fameuse  che- 
minée ornée  de  figures  représentant  les  Vertus  théologales 
et  les  Péchés  capitaux,  dont  le  premier  modèle,  â Courtrai, 
existe  encore,  car  c’est  de  l’art  sans  pareil,  cela,  je  vous 
en...  donne  mon  billet! 

— Quel  travail.,  et  pour  si  peu  de  temps!  insinue  phi- 
losophiquement Verduret,  car  ce  Pavillon  est,  comme  les 
autres,  n’est-ce  pas,  construit  en  trompe-Pœil? 

— Vous  l’avez  dit,  cadédis!  Une  charpente  en  partie  faite 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


avec  cet  éloiiiiaiiL  ciment  armé,  système  Hennebiqiie,  dont 
je  vous  ai  parlé  eu  vous  montrant  les  Palais  des  Champs- 
Elysées,  et  toutes  les  parties  si  délicatement  travaillées  des 
façades  réalisées  en  stalT.  Les  ouvriers  belges  sont  passés 
maîtres  en  l'art  de  travailler  ces  imitations  de  la  pierre; 


Pi.AX  nu  Pavii.i.on  iiK  LA  Belgique  (côté  de  la  Seine). 


aussi  tout  le  revélement  si  fouillé  de  la  charpente  a-t-il  été 
exécuté  à Bruxelles  et  transporté  ici,  pour  y être  monté, 
morceau  par  morceau. 

— Par  cliemin  de  fer? 

— Non,  par  voix  lluviale.  C’est  plus  lent,  mais  plus  sur 
et  moins  dispendieux.  C'est  que,  voyez-vous,  té!  cette  lidèle 
reconstitution  d'un  exceptionnel  édilice  a été  soignée  avec 


I.A  lin-:  DES  PriSSAACES  AT  OI  AI  DOliSAV 


amour  par  M.  A.  Vercruyssc,  le  commissaire  général,  et  son 
adjoint,  iM.  Emile  Robert...  Mais,  au  tait,  ji’  ne  vous  ai  pas 
encore  parlé  de  ces  messieurs. 

Avec,  cela  que  c’est  si  nécessaire,  ronchonne  Itêchai-d, 
l'étei'nel  malcontent. 

— Fi  ! mon  ccr  mon- 
sieur, mais  c'est  de  stricte 
politesse!  Eomment, 
vous  venez  enchanter 
gratuitement  vos  regards 
de  cette  délicieuse  AÙsion 
de  vieil  art  belge,  et  vous 
ne  voudriez  pas  entendre 
rendre  hommage,  par  ma 
voix  indigne,  à ceux  qui 
en  ont  présidé  et  orga- 
nisé, sinon  exécuté,  la  si 
intéressante  résurrec- 
tion? Mais,  ce  serait  de 
l’ingratitude  au  [)remier 
chef,  ça,  mon  bon,  et, 
que  cela  vous  plaise  ou 
non,  je  ne  m'associerai 
pas  à ce  vilain  péché  si 

contraire  au  tempéra-  • m.  vercruysSE 


ment  français  — pris  en  COMMISSAIRE  tîÉNÉRAL  l'E  LA  BELCIQUE. 

général,  bien  entendu. — 

D'ailleurs,  vous-même  allez  me  dire  merci  de  ce  que, 
avant  de  savoir,  vous  taxez  d'intempérance  de  langue, 
lorsque  vous  saurez  ; 1“  Que  le  Commissaire  général, 

M.  Astèrc  Vercruysse,  né  à Courtrai  en  1834,  titulaire  du 
diplôme  de  docteur  en  droit,  conquis  à l’ünivei'sité  de  Gand 
en  1858,  a bel  et  bien  et  sans  hésiter  « quitté  la  robe 


pour...  » 

— L’épée?  achève  Verduret  qui  sait  vaguement  ses  au- 
teurs. 

— Eh  non,  mordions  ! mais  pour  le  caducée  de  Mercure. 

— Sacrebleu!  parlez  donc  comme  tout  le  monde  !...  Cela 
veut  dire  ? 

— Qu’ayant  conquis  son  entrée  au  barreau,  il  le  déserta 


A TRAVERS  LEXPOSITIUA 


4H 


pour  rindiislric  et  ue  tarda  pas  à tenir  la  tète  de  l'industrie 
gantoise. 

— Ah  ! ah  ! Ce  commissaire  général  est  donc  un  com- 
merçant ? 

— Et  cela  vous  rapapillotte,  avec  mon  bavardage,  hé  ? 
(Jiie  sera-ce  lorsque  vous  aurez  appris  que,  comme  suite  au 
beau  succès  de  sa  carrière  industrielle,  M.  Vercruysse  a été 
créé  consul  du  Gouvernement  me.xicain  en  1880;  élu  mem- 
bre de  la  Chambre  des  représentants,  c’est-à-dire  député  de 
Gand,  en  1886;  puis  sénateur  en  1892.  Hein  ! mon  bon, 
quel  modèle  à imiter  en  vos  ambitions  commerciales  et 
[)oli tiques  ! 

— En  ellet,  je  reconnais... 

— Ah  ! par  exempte,  il  vous  faudra  prendre  exemple  sur 
son  inlassable  activité,  son  expérience  profonde,  ses  con- 
naissances multiples  et  surtout...  son  extrême  aménité  qui, 
depuis  onze  ans,  lui  ont  valu  de  monter,  de  par  la  confiance 
justifiée  de  son  Gouvernement,  tous  les  degrés  de  la  hié- 
rarchie « expositionniste  ».  Membre  du  Comité  belge  à 
l’Exposition  de  Paris,  en  1889,  il  devient  Commissaire 
général  des  Sections  étrangères  à celle  d’Anvers,  président 
des  Commissions  pour  celles  de  Chicago,  Bordeaux,  Amster- 
dam, et  enfin  Commissaire  général  de  la  Belgique  en  1900, 
ainsi  que  j’ai  eu  l'honneur  de  vous  l’annoncer.  Naturelle- 
ment, des  décorations,  et  non  des  moindres  : commandeur 
de.  l’Ordre  de  Léopold,  de  la  Légion  d’honneur  et  d’Orange- 
Nassau,  chevalier  du  Lion  Néerlandais  et  de  l’Ordre  d’isa- 
belle-la-Catholique  d’Espagne. 

» Si  vous  voulez  dépasser  un  pareil  modèle  commercial 
et  politique,  je  crois,  mon  bon,  que  vous  ferez  bien  de... 
mettre  les  jambes  à mon  cou  ! » 

— Bah  !...  Une  fois  député,  que  je  devienne  seulement 
ministre...  fait  négligemment  le  farinier. 

— Cornebiou  ! quel  appétit  ! s’exclame  ironiquement  le 
joyeux  cicei’one...  Seulement,  il  faudrait  d’abord  arriverai! 
modeste  conseil  municipal.  Aussi,  crois-je  prudent  de  vous 
citer,  en  la  personne  de  M.  Emile  Robert,  commissaire 
général  adjoint,  un  modèle  tout  aussi  honorable,  mais  dont 
l’imitation  est  moins  inabordable  puisqu’il  vous  suffira  de 
vous  élever  au  faite  de  votre  corporation,  ce  qui,  pour  un 


LA  KI  E LliS  l’I  ISSAiNCKS  AL  ULAl  U OKSAV 


47 


lioiiime  à principes  iiilransigeaiils  et  nu  émérite  calculateur 
tel  ([uevous,  doit  être  un  jeu  d’enfant. 

— lluni  ! fait  Bêchard  avec  nn  soupir  un  peu  découragé, 
il  y a de  hautes  valeurs  dans  la  fariiu;! 

— Té  ! aile/  à Bruxelles,  pour  faii'C  la  contre-partie  île 
M.  Emile  Robert  qui  fut  une  des  importantes  personnalités 
du  commerce  parisien,  où  il  a fondé  une  grande  maison 
d’exportation.  Retiré  des  all'aires  depuis  douze  ans,  il  s’esl 
consacré  anx  œuvres  de  l’Union  belge  et  de  la  Ubambi’e  d(‘ 
Commerce  belge,  que  son  zèle  et  son  expérience  ont  fait  si 
largement  prospérer...  Et  puis,  retenez  ce  détail,  mon  lion, 
il  a,  comme  son  chef  immédiat,  une  belle  carrière  d'ea-yvo-v/- 
lionniste,  ayant  été  membre,  du  jury  de  l'Exposition  d'An- 
vers en  1(S94,  et  vice-président  de  l’Economie  sociale  à celle 
de  Bruxelles  en  1897.  Cela  lui  a valu  d’être  officier  de  rOrdrc 
de  Léopold  et  chevalier  de  la  Légion  d’honneur.  Sa  mission 
de  commissaire  adjoint  en  1909  ap[)elle  tout  natui'ellement 
la  rosette  rouge...  Et  quand  je  pense,  ti'  ! que  vous  n’avez 
même  pas  encore  le  pauvre  petit  ruban  violet,  vous  qui 
faites  tant  pour  ITnstruction  publique  ! 

— Bar  exemple,  je  serais  curieuse  de  savoir  comment  ? 
demande,  en  s’elforçant  de  ne  pas  rire,  la  mutini'  nièce  de 
Verduret. 

— Eb  ! bon  Dious  ! cela  saute  aux  yeux,  mademoiselle, 
et  une  telle  question  me  surprend  de  la  part  d'une  intel- 
ligence aussi  vive  que  la  vôtre.  Té!  raisonnons  un  jieu  : 
on  violette  à lire  larigo  les  boutonnières  des  maîtres  de 
gymnastique,  d’armes,  etc.,  parce  qu'ils  apprennent  aux 
muscles  nationaux  la  souplesse  harmonieuse  et  la  force  ; 
que  dire  alors  de  monsieur,  qui,  travaillant  à la  base  de 
l’alimentation  fram^aise,  apprend  à l’estomac  à faire  vivre 
cba([ue  individu...  qui  court  une  chance  sur  un  million 
d’être  une  illustration  de  la  patrie  ! 

Bêchard  allonge  sa  mine  : il  a peur  d’être  ridicule  en 
se  fâchant  de  la  « blague  » fantaisiste  du  bohème.  (Juant  à 
Bertrande,  son  rire  part  comme  une  fusée,  pendant  que 
son  oncle  observe  d'un  air  finaud  : 

— A ce  compte-là,  il  suffirait  de  naître  Erançais  pour 
être  décorable...  en  violet? 


48 


A TRAVERS  h EXPOSITION 


— Et  môme  décoré,  cer  monsieui'.  Patience,  on  y arrive. 
Le  peuple  étant  souverain,  il  est  bien  juste  qu'il  trouve  au 
un  sous-ordre  national  dans  son  bercean  !...  Vous  ne 
direz  pas,  inojisieur  Bècliard,  que  je  ne  vous  iiidique  pas  là 
un  exceptionnel  tremplin  électoral  pour  votre  premier 
projet  de  loi...  Mais  ne  froncez  pas  le  sourcil  pour  une  inno- 
cente plaisanterie  sur  un  ruban...  élastique  dont  sourit  le 
Paris  i'rondeur — cette  Toulouse  du  Nord  ! — mais  qui  fait 
encore  son  très  enviable  petit  elfet  en  pi’ovince...  car  je 
me  hâte  de  rentrer  dans  mon  rôle,  en  vous  invitant  à 
franchir  avec  moi  l’iiuis  de  ce  Pavillon. 


Tout  en  se  diiigeant  vers  le  milieu  de  la  façade  pi'inci- 
pale,  perpendiculaire  à la  Seine  et  oii,  sons  ta  tour  incom- 
parable, s'onvi'e  la  port('  d'honneur,  Bouscastrol  explique  : 

— La  Belgi([ue,  notre  li'ès  activement  commerçante  voi- 
sine, a pris  une  large  |»art  à cette  Exposition  de  1900.  C’est 
dire  que  vous  la  retrouverez  dans  tons  les  groupes  et  classes. 
Dans  son  Pavillon,  composé  d'un  rez-de-chaussée,  d'un 
premier  et  d’un  vaste  sous-sot  estamlnel,  oi'i  l’on  déguste  les 
agréables  bières  Oamandes,  elle  n'a  fait  qu'une  exposition 
rétrospective  d’art  en  môme  temps  ([u'un  palais  de  récej)- 
tion.  C’est  ainsi,  té  ! qu’au  rez-de-chaussée,  sur  tes  ti’ois 
salles  qu'il  comprend,  on  en  voit  deux  alfectées  aux  expo- 
sitions des  villes  et  une  au  service  de  la  presse,  servant  en 
meme  temps  de  cabinet  de  lecture  et  de  correspondance. 
Lorsqu'on  a gravi  le  superbe  escalier  monumental,  on  ne 
trouve,  au  premier,  que  des  salles  de  réception  artisti- 
quement ornées  de  tapisseries  et  d'objets  d'art  de  l'époque, 
et  le  très  beau  » salon  royal  ».  Je  vous  jure,  capédious  ! 
que,  pour  les  personnes  de  goût,  ce  n’est  pas  du  temps 
perdu  que  celui  consacré  à cette  visite.  Un  éprouve  une  déli- 


A TRAVERS  L'EXPOSITION  DE  1900 


ALLEMAGNE  ESPAGNE  MONACO  SUÈDE  GRECE  SERBIE 


PAVILLONS  DES  PUISSANCES  ÉTRANGÈRES 


LA  ri:k  des  plissances  al:  qeai  d’uhsav 


49 


cieiiso  jouissance  intel- 
lectuelle, au  milieu  des 
œuvres  de  ce  passé  d’art 
L|ui  a fait  des  Flandres 
d’antan  les  rivales  artis- 
tiques de  l’Italie...  Et  les 
modernes,  américanisés 
par  l’étonnante  transfor- 
mation que  la  Science, 
lialetantc  de  progrès,,  a 
imposée  à la  Vie,  se  di- 
sent, là,  qne  les  aïeu.v 
savaient,  sans  le  con- 
cours de  l’électricité  et 
de  la  vapeur,  la  com- 
prendre de  délicate  et 
l)ien  harmonieuse  façon, 
cette  Vie  que,  grâce 
aiLK  merveilleux  artistes 
d’autrefois,  ils  habil- 
laient ainsi  de  calme  et 
profonde  Heauté  ! Certes, 
nous  avons  bien  encore 
des  génies  du  pinceau, 
de  la  plume,  de  l’ébau- 
choir,  de  l’équerre  et  du 
contre-point;  mais  dans 
la  lièvre  du  téléphone, 
de  l’antomohile,  de  la 
bicyclette  et  des  express, 
nous  n’avons  plus  la 
possibilité  de  recueil- 
lement qui  permet  à Fart 
de  charmer  les  élites  et 
de  pénétrer  jusqu’à  la 
foule  elle-même...  Mais, 
nous  voici  au  seuil  de  la  Beluique.  — Aiguille  uu  UEFFiioi. 

gothique  merveille  (la- 

mande  ; je  vais  avoir  l’honneur  de  vous  y intro  luire,  té  ! à 
titre  de  votre  guide  aussi  dévoué  qu’ofliciel. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION.  — T.  — 3 


40 


A TRAVERS  l’eXPOSIÏION 


:jo 


A ce  mol,  un  gardien,  que  ses  broderies  annoncent  être 
un  clief,  vient  droit  à Itouscastrol  : 

— Vous  avez  dit  que  vous  étiez  le  guide  otficiel,  pour 
une  fois,  de  ces  menherr  et  de  leurs  madamos  ? 

— Oli!...  officiel  est  une  façon  de  parler;  je... 

— Tais-toi,  menherr,  savez-vous. 

— Comment  ? cornebiou  ! 

— Je  suis  fonctionnaire  du  Gouvernement.  Je  dois  inter- 
roger et  vous  ne  devez  pas  interroger,  sayes-lu  ? 

Bouscastrol,  gogiumard,  r('garde  le  <<  fonctionnaire  belge» 
dans  le  blanc  des  yeux.  Celui-ci,  impertubablement,  pour- 
suit : 

— Montrez-vous  l’ilôtel  de  Ville  tic  la  ville  d'Audenarde 
à ces  étrangers,  ou  ne  montrez-vous  pas  l’ilôtel  de  Ville  de 
la  ville  d’Audenarde  à ces  étrangers? 

— Té!  mon  bon,  je  vais,  du  moinss,  le  leur  montrer. 

— Och  ya.  Csl-ce  ([iie  tu  as,  pour  une  fois,  menherr, 
l'autorisation  du  Gouvernement? 

— Par  exemple  ! intervient  Verdurct,  pour  nous  expli- 
quer ce  que  contient  ce  Pavillon,  il  faut?... 

— Uu  guide  officiel,  )nenherr,  doit  avoir  l'auto- 

risation  du  Gouvernement,  et  un  guide  pas  officiel  doit  avoir 
Pautorisation  du  Gouvernement  également. 

— Laissez  donc,  mon  cer,  dit  Bouscastrol  au  manufac- 
turier retiré,  qui  veut  insister;  je  vais,  mordions!  adoucir 
ce  peu  concis  cerbère. 

Etau  gardien  : 

— Mon  bon,  vous  olü-es  Flamands,  je  vous  crois,  foi  de 
Toulousain,  un  tantinet  farceurs,  sans  avoir  Pair  d’y  tou- 
cher. Oue  diriez-vous,  té  ! si  je  vous  offrais,  là,  en  bas,  dans 
ce  bel  estaminet  vieux  style,  dont  les  fameux  plâtres 
bruxellois  font  un  véritable  musée,  d’aller  faire  mousser 
ensemble  une  grande  chope  de  faro  ou  de  lambic,  cela  ne 
constituerait-il  pas  la  prétendue  autorisation  du  Gouverne- 
ment. 

— V>n. 

— Comment  non?...  Ah  ça!  c’est  sérieux,  cette  in- 
terdiction à des  professionnels  de  faire  admirer  à des 
étrangers  ?. . . 


I.A  RI  E DES  PEISSAMIES  Al'  (jEAI  D ORSAY 


— Tout  est  sérieux  en  lîelgiquc,  savez,  menherr.  J'cxé- 
I cute  la  consigne  formelle  que  m’a  donnée,  pour  une  fois, 

! mon  (iouveniement. 

I — Après  tout,  c est  possible  ; ces  Belges  sont  si  forma- 
listes ! explique  le  scul])teur  à ses  conijiagnoiis. 

I Bt,  se  tournant  de  nouveau  vers  le  gardien  impassible  : 

I — Eh  cadédis  ! mon  bon,  c'est  bien  simjile  ; je  vais  la 

demander,  cette  autorisation. 

— Impossible. 

— Allons  donc?M.  Yei'cruyssc  n'est  pas  au  Pavillon  ? 

— Il  y est,  nirnlirrr...  mais  on  ne  le  dérange  pas, 
sa //es-/ U. 

— Alors,  iM.  Emile  Hubert? 

i — 11  n'y  est  pas.  D'ailleurs,  tu  devrais,  savez-vous,  écrire 
! à son  secrétaire  pour  lui  ilemander  un  rendez-vous.  Infor- 
mai ions  prises,  le  secrétaire  accorderait  le  rendez-vous  et 
vous  questionnerait,  pour  une  fois.  S'il  y a lieu,  il  faudrait 
que  tu  voies,  par  le  môme  moyen,  iM.  le  commissaire 
général  adjoint  et  peut-être,  savez-vous,  M.  le  commissaire 
général,  lequel  écrirait  au  Gouvernement  de  Bruxelles... 

' Ee  Gouvernement  de  Bruxelles  fera  faire  une  enquête.  Si 
l’enquête  est  favorable,  le  Gouvernement  de  Bruxelles  écrira 
au  Commissariat,  qui  te  fera  venir,  rnen/ieir,  pour  vous  dire 
que  tu  peux  adresser  une  demande  an  Gouveiaiement  de 
Bruxelles,  en  la  faisant  passer  hiérarebiquement,  pour  une 
fois,  savez...  Puis... 

— Assez!...  Et  quand  aurai-je  la  chance  d'obtenir  cette 
autorisation  ? 

— En  vous  dépêchant,  me/iherr,  tu  poux  espérer,  d'ici 
trois  ou  quatre  mois... 

Un  général  éclat  de  rire  accueille  cetti'  déclaration,  au 
grand  scandale  du  digue  « fonctionnaire  » de  la  porte,  et 
Bouscastrol,  s'adressant  à ses  compagnons,  s’écrie: 

— Je  crois,  té  ! que  nous  ferons  bien,  si  vous  tenez  à ce 
que  je  vous  accompagne... 

— Certes,  nous  y tenons  ! proclame  Verduret. 

— ■ Eh  b(‘  ! nous  ferons  bien,  dis-je,  de  revenir  à un 
moment  où  ce  terrible  cavalier  du  règlement  aura  cédé  le 
cordon  à un  collègue...  à (|ui  je  me  ganlorai  bien  de  laisseï' 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


deviner  ma  fonction  ciceronéenne...  Celui-là  serait  capable 
d exiger  que  j'aille  demander,  à Bruxelles,  audience  à 
Sa  Majesté  Léopold,  roi  des  Belges  et  du  Congo!  En  atten- 
dant, si  nous  rendions  visite  à un  oltre  Pavillon,  hé?  Est- 
ce  votre  aviss  ? 

— Absolument. 

— Alors,  té  ! liions  grand'  erre  au  Pavillon  de  1’ 


CHAl’lTHE  IV 


ALLEMAGNE 


LA  PO  L ni  QUE  DK  li  O U S C A S T II  O I, 

Petidiint  le  trajet  entre  les  deux  Pavillons,  trajet  de  ([nel- 
qiic  durée,  puisqu'il  fallait  « passer  » celui  de  la  Norvège 
déjà  visité,  l'artiste  cicerone  marche  devant,  silencieux  et 
pensif,  répondant  à peine  d'un  geste  ou  d'un  vague  mono- 
syllabe à Verduret  qui,  étonné  de  cette  soudaine  transfor- 
mation du  verbeux  Aléridional,  renonce  à l'interroger. 

A l’arrière  de  la  petite  troupe,  Bertrande  s'approche  de 
Puzzling  et,  sans  en  avoir  Pair,  lui  jette  à mi-voix  ces  six 
mots  ; 

— J'attends  toujours  votre  histoire  de  police. 

— )’es!...  hui,  le  temps  il  été  trop  petite  nuw.  Je  guetté 
le  instant  levorèbeul. 

C'est  tout.  Bertrande  rejoint  JM"’“  Flore  avant  que  celle-ci 
ait  pu  soupçonner  ce  rapide  conciliabule,  et...  l'on  ne  tarde 
pas  à arriver  devant  la  simple  et  élégamment  curieuse  con- 
struction de  l'Empire  germain. 

Lorsque,  s'arrêtant,  le  joyeux  bohème  se  retourne,  cha- 
cun reste  stupéfait  de  l’exjiression  profondément  sérieuse 
de  sou  maintien  comme  de  ce  que  le  bandeau  de  soie  permet 
de  voir  de  son  visage. 


A TKAVERS  L EXPOSITION 


D’une  voix  lente  et  scandée,  il  annonce  : 

— Mesdames,  messieurs,  j’ai  l'honneur  de  vous  pré- 
senter le  Pavillon  de  Phnipire  allemand. 

Chose  étrange  : Bouscastrol,  en  articulant  avec  une  cer- 
taine solennité  cette  courte  phrase,  parait  presque  avoir 
oublié  son  assent,  si  terrible  par  moments  que,  un  peu 
d’imagination  aidant,  on  jurerait  qu’il  <<  embaume  »...  l’ail. 

Bèchard  lui-mème  ne  peut  s’empêcher  de  remarquer  la 
métamorpliose  et  d’en  exprimer  lourdement  sa  surprise  : 

— Ah  ça!  qu’est-ce  qu’il  lui  prend,  à notre  cieerone?  dit- 
il  à Verduret.  On  nous  l’a  changé  en  nourrice  ! A-t-il,  tout 
à coup.  Pair  lugubre  ! 

— Pas  lugubre,  mais  grave,  observe  tout  haut  le  rentier 
malesherhois. 

Bouscastrol  répond  directement: 

— Nous  sommes  ici  sur  la  terre  allemande,  messieurs. 
Il  convient  qu'un  Français  y soit,  non  pas  sottement  triste, 
mais  grave,  comme  l’a  très  bien  dit  le  ccr  iVI.  Verduret. 

— Vous  n’êtes  pourtant  pas  de  ceux  qui  ont,  comme 
nous,  vécu  l’Année  terrible,  ironise  pesamment  le  l'arinier. 

— Je  suis  de  ceux  qui  sont  nés  dans  son  grand  deuil  et 
qui,  de  ce  deuil,  portent  rinellaçable  empreinte. 

Cela  était  dit  avec  une  simplicité  si  noble  que  Verduret 
en  eut  la  sensation  comme  d’un  frisson  respectueux  lui 
effleurant  l’épiderme,  tandis  que  Bertrande  laissait  se  clore 
tà  demi  ses  longues  paupières  en  relevant  lentement  et  üère- 
ment  la  tète. 

Bèchard  souleva  dédaigneusement  les  épaules. 

— Ces  jeunes  gens!  dit-il.  Il  n’ont  connu  que  par  ouï- 
dire  les  alfres  de  l’hiver  sanglant,  et  ils  osent  en  parler! 

— I*eut-ètre  pas,  mon  bon,  avec  le  même  sentiment  que 
ceux  qui  ont  porté  la  capote  de  mobile  ou  de  mobilisé;  mais 
qui  sait  si  leur  sentiment,  distillé  en  quelque  sorte  par  la 
transmission  atavique,  pour  être  de  nature  indirecte  n’esi 
pas  égal  en  puissance  en  même  temps  qu’affiné  en  qualité? 

— Ça,  c’est  une  présomption  un  peu  forte,  par  exemple!... 

— Dont  j’aurai  l’occasion  de  m’expliquer  tout  à l’heure. 
Avant  tout,  je  veux  vous  faire  roir  l’extérieur  de  ce  l'avil- 


LA  lu  E OES  PÏ  ISSANCES  AL  (Jl  Al  dOrsAV 


Ion  de  rAIlomagne,  ce  (|iii  sera  vite  fait,  n'ayant,  té  ! que 
peu  de  mots  à en  dire. 

Intendant  la  main,  notre  Toulousain  — ([ui,  en  ce  moment 
gasconne  aussi  peu  que  possible  — annonce  d'un  ton  dont 
la  sonorité  s est  faite  presque  discrète. 

tieci  n est  la  reproduction  d'aucun  monument  existant. 
L'architecte,  M.  Johannes  Radke  (architecte  de  l'Oftice  im- 
péiial  des  postes),  traduisant  la  volonté  de  I Lmperenr 
(luillanme,  qui  s’est  occupé  jusque  dans  d’infimes  détails  de 

I Lxposition  germanique  dans  la  grande  Exhibition  de  l!)0(), 
a voulu  simplement  donner  au  public  — selon  le  programme* 
tie  M.  Picard,  d ailleurs  — une  sensation  bien  allemande. 

II  a choisi,  en  1 égayant  toutefois,  le  style  des  |)remiors  tem|)s 
de  la  Renaissance  auquel  le  pays  d’outre-Rhin  doit  de 
très  heaux  édifices.  Me  prenant  conseil  que  de  son  imagi- 
nation soutenue  par  une  lorte  érudition,  il  a proposé  à 
I bnnpereiir  les  plans  de  cette  maison  qui  rappelle,  par 
1 ai’cbitecture  et  la  couleur,  les  l’iches  demeures  bourgeoises 
des  bords  du  Rhin,  de  l’élégance  sohre  et  de  l'attrayant 
aspect  desquelles  se  souviennent  les  touristes  du  grand 
llenve  gothique  — un  voyage  traditionnel  autrefois  et  que 
h;s  français  se  sont  dû  de  tlésapprendre.  Ce  sont  bien  là  les 
|)iguons  élancés,  les  tourelles  coitfées  de  cuivre  doré,  les 
tuiles  ronges  des  toits  jaillissant  des  façades  de  bois  douce- 
ment polychromes.  Regarde/-la  bien,  cette  Maison-Symbole, 
car  elle  synthétise,  en  quelque  sorte,  l’àme  allemande,  par 
1 orgueil  de  sa  haute  tour  dominant  les  palais  voisins,  par 
la  simplicité  voulue  de  son  aspect...  civil,  par  l’art  sérieux 
de  nomhi-eux  détails,  par  la  puissance  (h*  l'ensemble  et  aussi 
par  cette  sorte  de  rêverie  profonde  et  tranquille  qui  semble 
glisser  du  faite  des  hauts  toits  aigus  aux  rellets  verts  d’onde 
de  lac  wagnérien.  Allez,  les  plus  grands  bonleversenn'uts 
politiques,  moraux  ou  scientifiques,  ne  transforment  que  la 
surface  des  races  humaines.  L’àm(^  germaine  est  restée 
gothique  comme  I âme  française  est  demeurée  gauloise. 

Et  sans  doute,  ironise  Bècbard,  votre  « àmc  gauloise  » 
lait  platement  la  courbette  devant  « l’ànie  germaine  » ? 

— Elle  la  respecte,  mon  cer  monsieur,  comme  elle  entend 
être  respectée  d’elle. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


5() 


— Elle  est  jolie,  votre  génération  !...  Si  c’est  comme  cela 
qn’elle  comprend  la  haine  qui,  depuis  1870... 

— llalte-là,  s’il  vous  plaît!  Une  le  Français,  depuis  la 
guerre  fatale,  déteste  occasionnellfinmil  rAllemand,  oui  : 
la  conduite  impitoyable  de  celui-ci,  alors,  a donné  de  trop 
légitimes  motils  à cette  a\'ersiou.  Mais  il  n y a pas  de  haine 
de  race  entre  eux,  surtout  de  la  part  du  premier. 

— Vraiment  ! 

— Eh!  non,  mordions!  C’est  votre  rancune,  c’est  votre 
vigoureuse,  et  trop  juste  indignation  contre  d inutiles  bar- 
baries, que  vous  croyez  à tort  être  la  haine.  La  haine  de 
race  ne  naît  pas  subitement  adulte  — tel  notre  père  Adam 
dans  l’Eden  — d'un  événement,  si  douloureusement  dra- 
matique qu’il  soit  ; lorsqu’elle  est,  elle  est  par  elle-même 
issue  de  loin,  progressivement,  mais  non  d'une  brusque 
cause  immédiate.  Or,  avairt  1870,  nous  étions  — et  même 
exagérément — tout  à l’Allemagne  : Ems  et  Bade  étaient 
nos  rendez-vous;  nos  romanciers  romantiques  célébraient 
l’Allemand  élégiaque  à plume  que  veux-tu;  et  notre  théâtre, 
donc!  Un  tel  engouement  ne  se  transforme  pas  du  tac  au 
lac,  même  en  traversant  un  bain  de  sang,  en  une  haine  déli- 
nitive  de  race.  Ce  qui  nous  fait  courir  un  pénible  trisson 
sous  la  peau,  ce  qui  fait  que  nos  sourcils  se  froncent  à la 
seule  évocation  du  nom  de  la  patrie  de  Goethe  — qui,  lui, 
ne  nous  aimait  guère  — c’est  un  effet  analogue  à celui  que 
produit  une  llamme  approcliée  d’une  blessure  non  cica- 
trisée. Ab  ! dites  cela,  dites  qu’il  nous  a été  fait,  sans  néces- 
sité absolue,  une  plaie  qui  saigne  toujours,  aussi  vive  et 
douloureuse  qu’à  la  première  heure,  et  qui  ne  peut  cesser 
d’être  telle  tant  que  l’unique  remède  ne  le  sera  pas  venu 
guérir...  dites  cela  et  vous  serez,  hélas  ! dans  le  vrai.  Mais, 
bon  Dious!  ne  parlez  pas  d’une  haine  de  race  (\\n  n’a  jamais 
existé. 

— Votre  jeune  génération  a peut-être  raison,  après  tout, 
opine  Verduret  en  secouant  pensivement  la  tète. 

— Tenez,  mes  cers  anciens,  laissez-moi  vous  la  dire,  cette 
opinion  de  ma  génération,  opinion  qui,  au  fond,  est  aussi 
la  vôtre,  maintenant  que  le  temps  a fait  son  œuvre...  Aussi 
bien,  té  ! il  est  nécessaire  que  je  m’explique  sur  ces  choses 
avant  que  nous  entrions  dans  ce  Pavillon  qui  doit  être  par 


58 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


nous  visité  dans  nn  étal  d'esprit  tout  spécial,  mais  net  et 
franc.  l*onr  la  génération  de  Français  nés  vers  l’époqne  fatale, 
la  guerre  qn’clle  n’a  pas  vue  fait  partie,  de  l'Histoire  et  est, 
comme  telle,  étudiée  sans  passion  personnelle.  Cette  guerre 
nous  apparaît  sous  son  vrai  jour,  exclusivement  polkvjue. 
Elle  était,  de  longue  date,  le  Fut  du  Chancelier  de  Fer,  et 
les  guerres  danoise  et  aulricliienne  n'en  furent,  té  ! que  le 
prologue.  11  fallait  enlever  la  suprématie  politique  à la 
F^rance,  pour  pouvoir,  sur  ses  ruines,  fonder  l’Fimpire  prus- 
sien d’Allemagne.  On  ne  peut,  philosophiquement,  en  vou- 
loir à la  Prusse  de  nous  avoir  imposé  la  guerre  : c'était  à 
nous  d'avoir  la  prudence  do  nous  rendre  invulnérahles  et, 
|iar  conséquent,  \naUa(jUcil)les,  La  Nation,  autant  ([ue  son 
Convernement,  a commis  la  faute  de  ne  pas  méditer  sufti- 
samment  le  vieil  adage  romain  : Si  vis  pacern  para  helhim. 
Mais  une  faute  polili(|ue  non  moins  grande  a été  commise 
par  notre  ennemi  vainqueur.  Bismark  — et  cela  empêchera 
(|ne  rilisloire  sacre  grand  liomme  celle  grande  l’orce  — 
n'a  pas  su  apprécier  à sa  vraie  valeur  l’àme  française.  11 
a cru  nous  avoir  ahattus  pour  un  demi-siècle  et  réduits  — 
la  révolution  faite  devant  l'ennemi  aidant  — à l'état  où  un 
peuple  n’est  plus  qu’un  troupeau  uniquement  préoccupé 
d’éviter  le  hàton  du  herger  et  la  dent  de  scs  chiens.  11  a cru 
|)ouvoir  nous  traiter  comme  le  Danemark,  oubliant  nos 
'iU,h(M),(lü(l  d'àmes,  et  comme  l’Autriche  oubliant  notre  unité 
parfaite  et  notre  centralisation.  Alors,  il  a commis  la  double 
faute  : 1"  de  nous  enlever  deux  provinces,  en  nous  laissant 
sans  frontière,  au  lieu  de  nous  accabler,  momentanément, 
par  un  surcroît  de  rançon;  2"  de  faire  des  territoires  an- 
nexés le  gage  du  nouvel  cm|)ire,  c’est-à-dire  de  se  lier  les 
mains  à son  sujet  et  de  lier  celles  de  ses  successeurs.  Notre 
prompt  relèvcmeut,  en  un  elfort  de  virilité  qui  est  un  excep- 
tionnel exemple,  l’a  surpris.  11  a jugé  sa  lourde  erreur;  il  a 
compris  que  le  rapt  des  doux  provinces  qu'il  avait  trop  sou- 
dé('s  ;à  la  couronne  impériale  constituait,  nous  réorganisés, 
une  inèchc  sans  cesse  allumée  au  liane  de  la  nouvelle  Alle- 
magne; qu’il  faudrait  une  nouvelle  guerre  sans  merci  — et, 
sans  la  Bussie,  c’était  chose  faite  — pour  nous  écraser 
pour  longtemps,  avant  que  pût  s’élever  la  voix  redevenue 
puissante  de  notre  revendication,  car  il  savait  que  — fût-ce 


I,A  lil  ic  DES  PI  ISSANCES  AT  Ol  Al  o’itRSAV 


59 


dans  cent  ans  — nous  n’abandonnerions  jamais  l’espoir  de 
recouvrer  notre  rempart  géographique,  la  l'ive  gauelie  du 
llhin.  Noti'o,  régime  politique,  qui  mourrait  de  la  victoire 
commi'  d’une  nouvelle  défaite,  prolonge  cette  veillée  d’armes 
qui  s’est  étendue  instantanément  à toute  l’Europe  c't  dont 
cette  faute  de  ranni'xion  est  la  seule  cause;  mais  notre 
génération  d’hommes  de  trenti'  ans,  mais  la  jeune  géné- 
ration qui  nous  suit,  savent  très  bien  que  la  reprise  des 
départemcnis  perdus  est  une  nécessité  politique  inéluctable, 
à laquelle  elles  se  préparimt  et  à laquelle  se  prépai'eront 
lontes  b's  générations,  jusqu’à  ce  que  le  choc  ait  eu  lieu. 
Tous  b's  Allemands  sensés,  id:  b'ur  souvi'rain  en  tète,  car  il 
est  un  haut  (‘spi'it,  compremuMit  cette  nécessité,  croyez-le 
bien,  et  b(‘aucou[)  l•egrettent  la  seub'  annexion  qui  l'a,  fait 
naîti'c. 

— Ms  n’ont  qu’à  nous  rendre  nos  provinces!  s’écrie  Hè- 
cbard...  tandis  que  le  sage  Verdui’ot  écoute  id  se  tait,  con- 
templant Bonscastrol-politique  d’un  aii'  émerveillé. 

— Eh,  capédious  ! s’écrie  le  Toulousain,  toujours  grave, 
le  peuvent-ils?  Leur  terrible  grand  homme  n’a-t-il  pas  fait 
de  cette  noble  Alsace-Lorraine  le  lien  fédéral  de  l’Empire? 
C’est  une  situation  qui  n’a  eu  que  l’issue  sanglante,  et  il 
eut  mieux  valu  pour  l’Europe  entière,  qu’elle  eût  été  réglée 
depuis  longtemps.  Ceci  était  pour  vous  dire  que,  au  bout  de 
trente  ans,  te  mot  de  revanche  n’a  plus  raison  d’être  ; mais, 
qu’au  mot  près  ainsi  qu’au  sentiment  spécial  qui  anime 
votre  génération  de  vaincus,  l’état  des  choses  n’a  pas  changé 
et  ne  peut  changer.  Nous  n’avons  plus  l’idée  fixe  de  repré- 
sailles, nous  qui  n’avons  pas  subi  Taiïront;  mais  nous  avons, 
politiquement,  à ne  pas  laisser  ouverte  la  frontière  fran- 
çaise. Partant,  nous  n’avons  aucune  haine  féroce  contre  nos 
voisins  de  l’Est;  mais,  par  le  fait  de  la  fantc  politique  com- 
mise par  celui  qui  dort  à Erederichsruc,  l’Allemagne  de- 
meure forcément  pour  nous  l’ennemie  héréditaire  jusqu’au 
jour  où,  par-dessus  le  Rhin,  nous  sommes  tout  prêts  à lui 
tendre  amicalement  la  main.  Cette  position  respective 
d’adversaires  certains  de  demain  ou  d’après-demain  nous 
place,  l’Empire  germain  et  la  France,  dans  cette  situation 
de  deux  hommes  du  monde  devant  se  battre  pour  une  ques- 
tion do  principe,  bravement  et  sans  haine,  et  qui  causent 


60 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Ai,lk51a(.;ni;.  — Fknktres  et  entrée  sur  la  eaçaue 
(CÔTÉ  DE  i.A  Seine). 


avant  l'heure  fixée 
pour  la  rencontre. 
Tous  fieux  s’esti- 
ment, s'apprécient, 
choquent  le  verre 
à la  même  table  si 
l'occasion  le  ré- 
clame, mais  gar- 
dent à l’égard  l'iin 
de  l’autre  la  tenue 
élégamment  grave 
et  la  correction 
courtoise  de  gens 
bien  nés  qui  savent 
devoir  bientôt  se 
retrouver...  à lon- 
gueur d’épée.  Voilà, 
messieurs,  dans 
toute  sa  délicate 
netteté,  l’état  ac- 
tuel des  rapports 
moraux  franco- 
allemands.  Cette 
profession  de  foi 
faite,  je  me  sens 
très  libre,  té  ! pour 
vous  exprimer  sur 
toutes  choses  ici 
ma  pensée  impar- 
tiale. 

— Eh  ! eh  ! fait 
Verduret,  je  vous 
savais  aussi  intel- 
ligentque  conscien- 
cieusement docu- 
menté, mon  cher 
monsieur  llous- 
castrol  ; mais  du 
diable  si  je  m’at- 
tendais à vous 


r,A  nUE  DES  PnSSANCES  at:  oeai  d’ousay 


ni 


entendre  émettre  d’aussi  sf 
vous  ôtes  universel  ! 

— Té  ! mon  ce/-  mon- 
sieur, ne  suis-je  pas  de 
Toulouse  ? répond  en  sou- 
riant le  hohème. 

— Ma  foi,  en  vous  écou- 
tant, je  ne  m’en  aperce- 
vais guère.  C’est  étonnant 
comme  vous  avez  raccent. .. 
intermittent. 

Bouscaslrol  se  mord  les 
lèvres. 

— Voyez-vous,  explique- 
t-il,  Vasacnt  do  la  Garonne, 
véritable  chanson  de  gaieté 
ensoleillée,  fantaisiste  et 
faite  pour  les  boutades 
outrancières,  se  sent  mal 
à Taise  au  milieu  des  spé- 
culations de  la  politique. 
11  jure  avec  ces  termes 
froids  d’où  la  joyeuse  et 
excentrique  hyperbole  est 
bannie.  Alors,  nous  oUres, 
té  ! quand  nous  touchons 
à ces  graudes  questions  qui 
soufllent  comme  un  petit 
vent  polaire  sur  le  cerveau, 
nous  nous  empressons  de 
mettre  autant  que  possible 
cà  l’abri  notre  ce/-  a.'<s;en(... 
de  peur  qu’il  ne  s’enrhume, 
le  povre.  Vous  saisissez, 
mon  bon  ? 

— Très  bien,  répond  en 
riant  le  manufacturier  re- 
tiré... Et  je  retrouve  mon 
Gascon  : <à  la  bonne  heure  ! 

— Ravi,  vraiment  ! grogi 


s vues  politiques.  ]Ma  parole, 


Allemagne.  — Souhasse.mknt 

ET  FAÇADE  ANTÉlilEUUE. 

Bôcbard.  Mais  si  vous  êtes  si 


G2 


A TRAVERS  l’ EXPOSITION 


satisfait  d'avoir  retrouvé  votre  Gascon,  mon  cher  ami,  je. 
trouve,  moi,  que  le  dit  Gascon  a singulièrement  perdu...  de 
vue  le  présent  Pavillon  1 

— Fâche/  jias,  millodious,  monsieur  le  futur  politicien 
— ce  qui  ne  veut  pas  dire:  politique,  té  ! J’ai  terminé  mon 
petit  préambule  ep  maintenant,  Je  l'aborde  de  front,  le  Pa- 
villon ! 

— llum!  mieux  vaut  tard  que  jamais,  siflle  entre  ses 
dents  b'  sempiti'rnel  ronchonneur. 


îi  H 

r/  I DÉ  E I M I'  10 1!  I A EE 

liouscastrol  reprend  : 

— Je  vous  ai  indiqué  que  l’extérieur  de  ce  Pavillon  sym- 
bolise déjà  ce  que  j'appellerai  l’enveloppe  de  l’âme  alle- 
mande, c’est-à-dire  les  reflets,  sensibles  pour  tous,  du 
caractère  des  peuples  d’outrc-Rbin.  Entrons  maintenant,  et 
vous  allez  voir,  té  ! comme  le  symbole  se  précise.  C’est 
comme  si  — et  cela  par  la  volonté  du  souverain  — nous 
pénétrions  cette  àmc  germaine  : après  l'extériorité,  l’inti- 
mité. L’Empereur  a voulu,  en  ell'et,  montrer  dans  ces  salles 
du  rez-de-chaussée  une  « synthèse  des  procédés  de  culture 
intellectuelle  et  morale  de  l'Allemagne  ».  Le  Commerce  et 
l’Industrie,  la  Science  et  les  Beaux-x\rts  de  Germanie  ont 
pour  pacifique  champ  de  bataille  les  Sections  étrangères 
disséminées  sur  le  vaste  territoire  de  l’Exposition.  Ici  se 
trouvent  groupés  les  principaux  éléments  d’observation  de 
la  vie  et  de  l’intellectualité  allemandes  : les  livres,  ce  qui 
concerne  les  arts  graphiques,  la  photographie,  eic.,  — et,  à 
la  place  d'iiouneur,  dans  la  plus  grande  salle,  le  Musre 
social,  c'est-à-dire  tout  ce  qui  a trait  aux  œuvres  d'initia- 
lives  privées  ayant  pour  objet  d’améliorer  l'état  moral 
et  matériel  des  classes  laborieuses  de.  l’Allemagne.  Guil- 
laume Il  a voulu  que  fussent  mis  en  regard  l’elTort  très 
grand  de  la  pensée  germanique  et  l'orientation  de.  cette 
pensée  vers  le  bien,  vers  le  souci  du  bien-edre  des  humbles. 


LA  IU;E  [)RS  PLISSANCKS  Af  (JCAI  I)  OHSAV 


f)3 


— Mais,  c’est  du  socialisTiie,  cola  ! 

— I:it  (lu  meilleur,  mordions  ! mon  crr  monsieur  Yer- 
duret,  car  c’est  C(dui  qui  <(  descend  » généreuse  ni  en  l des  cimes 
('■'clairécs  et  non  celui  qui  « monte  » liaineusemeut  des  bas- 
fonds...  Mais,  étant  des  mortels,  glissons  sur  ce  thème  où  il 
est  dangereu.v  d’apimycr  et  montons  au  pr('mier...  où  nous 
attend  une  surprise. 

— Bah  ?...  Ou’y  a-t-il  doue  à ce  premier  étage? 

— Des  salons  de  réception,  au  nombre  de  trois,  tout 
simplement.  Tenez,  nous  y voici.  Les  mobiliers  de  ces 
salons  viennent  en  droite  ligne  des  châteaux  impériaux  de 
Berlin  et  de  Dotsdam? 

— Lomment,  l’Empereur  s’en  ('st  séparé  à noire  iiüim- 
lion  ? 

— Il  a fait  bien  autre  chose. 

— Quoi  donc  ? 

— Kegardez  aux  murs. 

— Ces  tableaux  ? 

— Signés:  ^Vatteau,  Lancret,  Dater,  Chardin,  etc...  tous 
les  maîtres  du  xviiC  siècle,  dont  ces  toiles  comjitent  parmi 
les  meilleures. 

— Mais...  comment  sont-elles  ici  ? 

— C’est  que  Guillaume  II  les  a fait  décrocher  des  murs 
de  ses  châteaux  de  Sans-Souci,  de  Dotsdam  et  du  Ncun- 
Dalais,  qu’ils  n’avaient  jamais  quittés  depuis  que  les  y avait 
lait  installer  son  fameux  prédécesseur  Frédéric  le  Grand. 

— Tiens,  tiens? 

— C’est  que  Guillaume  II,  mes  ezv.v  bons,  s’est  dit  ceci  : 

« La  l'T’ance,  en  cette  Exposition  de  1900,  se  pare,  telle  une 
grande  dame  de  ses  plus  précieux  joyaux  aux  soirs  de 
solennelle  réception,  des  chcfs-d’u'Livre  d(' ses  Maîtres.  Il  sera 
élégant  de  ma  part  d’ajouter  à cette  couronne  de  souve- 
raine artistique  les  lleurons  rares  que  je  possède.  En  venant 
à mon  Davillon  impérial,  c’est  une  Exposition  française  en- 
core que  le  Monde  sera  appelé  à venir  admirer.  Duisque  les 
l'rançais  exposeront  dans  leur  Dalais  des  Beau.x-Arts  les 
toiles  de  mes  artistes,  je  veux  montrer  dans  uuni  Dalais, 
mes  toiles  de  leurs  maîtres  du  passé  ». 

— C’est  vraiment  troj)  aimable. 


A TRAVERS  L EXPOSITION 

— C’est  mieux  qu’aimable,  monsieur  Bèchard,  c'est  très 
((  gentilhomme  »...  Surtout  si  l’on  veut  faire  attention  que 
cette  Exposition  d'art  rétrospectif  français,  extraite  de  la 

capitale  allemande,  a ce  sons 
gracieux  de  dire  ; « Vous  voyez, 
messieurs  de  la  France,  que 
c'est  de  parfaite  bonne  grâce, 
en  étalant  dans  mon  éphémère 
« chez  moi  » parisien  de  vos 
uuivres  de  maîtres  devenues 
miennes,  que  j’avoue  que  ces 
maîtres  ont  été  les  modèles 
de  notre  art,  les  initiateurs 
de  nos  artistes  aux  délicates 
noblesses  du  ])iuceau.  » 


.'Vi.i.fmaojNf: 


— C'est,  du  moins,  ainsi  que  vous  l’interprétez,  vous, 
monsieur  Bouscastrol,  rétorqué  aigremeut  le  Carinic'r. 

— Non  pas  : e'est  ainsi  que  l'a  pensé  l'Cmpercnr  alle- 
m iml.  Avouez  que  cette  manière  de  su|)érieure  élégance 
n'est  [)as  à la  portée  de  tous.  Je  ne  tlis  pas  (ju’il  n'y  ait  pas 
ou,  en  ceci,  cette  arrière-pensée  de  parer  le  Crand  Frédéric 
d'un  peu  de  rauréolc  d'ami  des  Arts,  (|ui  est  la  plus  pure 
gloire  de  notre  l’rançois  F''.  Mais,  même  dans  cet  ordre 
d'idées,  il  y a une  intention  très  chevaleresquement  fine  dans 
cette  indication  llattense  que,  voulant  avoir  quelque  droit 
an  titre  d'ami  éclairé  des  Arts,  ce  soit  parmi  les  h’rancais 
que  P'rédéric  le  Grand  a choisi  ses  amis  : savants,  littéra- 
teurs et  peintres. 

— Alors,  c'est,  de  la  part  de  Guillanme  II,  un  vouloir  de 
llatterie,  je  dirais  presque  de  llagornerie  à notre  endroit? 

— Eh!  capédious  ! raisonnez  un  peu  : la  l’rance  et  l’Allc- 
imigne  sont  égales  en  puissance  militaire  ; si  la  première  a 
d'incontestahles  supériorités  dans  l'ordre  artistique  et  sa- 
vant, la  seconde  a les  siennes  dans  certaines  hranches  de  la 
science  et  dans  l'ordre  commercial.  Ce  n'est  pas  lorsque 
deu.v  nations  se  sentent  de  même  taille,  que  l’ime  d'elles, 
surtout  celle  que  l'imprudente  sécurité  de  sa  voisine  a faite 
jadis  victorieuse,  éprouve  le  hesoin  de  flatter  sa  rivale.  Il  y 
a,  et  depuis  longtemps,  chez  Guillaume  11,  un  persistant 
vouloir  d'amahilité  envers  nous. 

— Oui,  par  cxem|)le  les  soianons  guerriers  à la  presta- 
tion de  serment  des  recrues  et  les  pompes  hlessantes  de  la 
/c/c  de  Sedan. 

— Ah  ! mille  Capitoles  ! quel  homme  rèche  vous  faites, 
mon  bon  ! Pri'tendriez-vous  que  le  Maître  du  jeune  Empire 
germain  cessât  d'ètre  allemand  pour  novis  faire  sa  cour? 
('.'est  bien  là  le  faux  jugement  des  masses,  ([uelles  que 
soient  les  couleurs  du  drapeau  sous  lesquelles  elles  relèvent 
le  front.  Des  deux  côtés  on  juge  les  actes  de  l'adversaire  à 
son  propre  point  de  vue,  sans  avoir  la  liberté  d'esprit  suffi 
saute  pour  asseoir  son  jugement  d'après  l'état  d'âme  du 
milieu  dans  lequel  évolue  l'adversaire.  Dans  les  deux  camps, 
il  n'y  a que  les  intelligences  d'élite,  ou  plus  généralement 
les  esprits  réellement  ouv(M'ts,  ([ui  soient  capables,  té!  de 
cet  effort.  f>r,  les  iiittdligences  ouvertes  rendent  justice  a ce 


66 


A TRAVERS  l’exposition 


jeune  empereur  en  qui  la  foule  superficielle  no  voulul  trop 
longtemps  voir  qu'un  jeune  homme  ardent,  versatile, 
louche-à-tout,  ayant  un  goût  effréné  de  la  parade  et  dési- 
reux de  sans  cesse  étonner  et  inquiéter  riùirope  par  les  sou- 
hresauts  d'une  politique  de  casse-cou.  C'est  que  la  foule 
jugeait  — avec  ses  journaux  — Cuillanme  11,  comme  s'il 
eût  résidé  à Paris  au  lieu  de  Berlin,  comme  s’il  eût  célébré 
I ollice  divin  dans  les  salons  de  l'Elysée,  pour  de  là,  courir 
alarmer  la  garnison  do  notre  camp  retranché  de  Paris,  filer 
a 1 Cpéra  faire  répéter  par  les  chœurs  un  chant  de  sa  com- 
position, voler  aux  Invalides  faire  une  conférence,  aux  offi- 
ciers de  1 Ecole  de  guerre,  puis  déjeuner  en  grande  tenue 
de  général  au  Cercle  militaire,  avant  de  santer  dans  le  train 
pour  aller  s embarquer  à Cherbourg,  en  costume  d'amiral, 
sur  un  croiseur  appareillant  aussitôt  pour  la  sublime  féei'ie 
météorologique  du  Cap  Nord.  Mais,  mordions  ! transportée 
sur  sa  scène  allemande,  cette  activité  félnâle  n’est  plus  vue 
sous  le  même  angle  optique.  Elle  éblouit  et  intéresse  le  calme 
méthodisme  allemand,  alors  qu  elle  nous  faisait  sourire,  et 
masque  la  pensée  impériale  qui,  elle,  va  progressivement 
et  tout  droit  son  chemin  vers  le  développement  incessant  de 
la  force  de  1 Empire...  Et  voilà  que  l’œuvre  accomplie, 
Guillaume  II  nous  ap[)arait  sous  son  vrai  jour  : en  politi- 
(|uc,  un  virtuose  doué  d’une  volonté  tenace;  comme  indi- 
vidu, un  esprit  artiste  greffé  sur  une  âme  moderne  de  clie- 
valier  d’autrefois...  En  un  mot,  messieurs,  une  haute  et 
très  intéressante  figure.  S’il  est  aimable  envers  nous  le  plus 
souvent  que  le  lui  permet  son  rôle,  c’est  toujours,  vous  le 
reconnaitre/ , avec  un  rare  à propos  et  nue  parficulière 
délicatesse  de  touclic  qui  fleurent  bien  le  gentilhomme  sous 
la  lourde  couronne.  Ce  dernier  trait  de  cette  Exposition 
d’œuvres  de  maîtres  exclusivemeut  français  dans  son  Pa- 
villon impérial  du  quai  d’Orsay  est  des  plus  jolis.  Je  le 
trouve  mol,  très  talon  rouge:  c'est  l'adversaire  — et  non 
1 ennemi  — disant  galamment  : « Je  sais  qu'une  situation 
que  je  n’ai  pas  faite,  qu'il  m’est  impossible  de  changer  et 
même  d'avouer  regrettable,  nous  conduira  forcément  sur  le 
terrain  où  l’enjeu,  des  deux  parts,  sera  de  la  plus  elfrayante 
gravité  ; mais  je  ne  veux  pas  manquer  une  occasion,  en  vrai 
cbevalicr,  de  vous  saluer  du  chapeau  avant  que  l’heure  ait 


1.A  iu:e  des  PCISSANCES  A1'  OEAI  d ohsav 


07 


soniiP  de  vous  saluer  de  répée...  » A vous,  messieurs,  de 
conclure  dans  quel  es[)ril  de  haute  courtoisie  vous  devez, 
maintenant,  té  ! visiter  l'Exposition  allemande  extrême- 
ment développée  et  d'un  très  sérieux  intérêt  comparatiC 
|)Our  notre  inilustrie,  et  en  particulier  ce  Pavillon  élevé, 
selon  la  pensée  de  l'Empereur  d'Allemagne,  sous  la  direc- 
tion de  collaborateurs  choisis...  comme  vous  allez  le  voir. 

Bouscastrol  prend  le  temps  de  respirer,  (d  Vcnluret,  se 
grattant  l’oreille  d'un  index...  réfléchi,  murmure,  : 

— Très  curieux,  tout  ce  qu'il  dit  là,  cet  étonnant  gai'(;on. 
11  vous  a une  façon  de  raisonner  des  choses,  de  faii'e  consi- 
déi'er  les  jtlus  imj)^)rtantes  queslions,  (ju'il  semlde  (jue, 
(hquiis  trente  ans,  c’est  ta  première  fois  qu'on  les  envisage' 
sérieusement...  Décidément,  ci'  Bouscaslrol  n'est  pas  un 
lapin  ordinaire...  pas  plus  que  ce  Laurentielî...  pas  [)lus 
(|uc  ce  savant  centenaii’c...  C’est  hizai-re,  cela  : j'arrive  à 
Pai'is  sur  la  promesse  d’y  trouver  un  guide  documenlé  et,  à 
la  plac,c  de  celui  qui  me  fait  faux-bond,  j’en  trouve  trois  tels 
que  je  n'eusse  osé  rêver  rien  d’approchant.  D'autre  pari,  j(î 
cherche  un  jeune  génie  pour  ma  nièce,  ci  j’en  suis  à regret- 
ter que  ce  Bouscaslrol  ne  soil  qu'un  pauvre  hère  de  sculpteur 
sans  le  sou  et  sans  renom,  que  [jaiirentielf  soit  un  pauvre, 
fou  d'ouvrier  obscur  et  que  le  centenaire  n’ait  pas  soixante- 
dix  ans  de  moins  avec  quelque  reuvre  exceptionnelle  à son 
actif...  car  vraiment,  tous  ces  gens-là  oui  du  génie  ou  bien 
je  ne  suis  qu’une  vieille  ganache... 

Le  Toulousain  coupe  court  aux  réllexious  légèrement 
trouhh'cs  du  brave  manufacturier  retii'é,  en  reprenant  de  sa 
belle  voix  reposée,  après  avoir  fait  commodément  asseoir 
s('s  auditeurs  siu'  des  fauteuils  accoutumés  à des  attou- 
chements moins  bourgeois  : 

— Sa  Majesté  l’Empereur  Guillaume  II  a désigné,  pour 
remplir  les  fonctions  de  Commissaire  général  à l’Exposition 
I niverselle  de  Paris,  M.  le  Conseiller  Intime  Supérieur,  doc- 
teur Bichter,  que  distinguent,  dès  l’abord,  une  haute  intel- 
ligence, un  tact  parfait  et  une  courtoisie  toute  aristocratique 
sous  ces  allures  correctes  et  un  [)eu  l'aides  d’oflicier,  qui 
plaisent  tant  à Berlin. 


6S 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


— Parlilou  ! intervient  l'entôté  farinier,  (iuilhiume  devait 
nous  envoyer  un  général,  c’est  évident. 

— Uon  !...  Millodious  de  millodioiis  ! vous  n'avez  donc 

pas  entendu  que  je  viens 
de  qualifier  M.  Ricliter  de 
docteur,  té  ? 

— Bien...  C'est  un  mé- 
(U'cin  ? 

— Non  !...  C’est  trop 
fort  !...  Capédious,  vous  en 
êtes,  mon  bon  !... 

— .l’ensuis?...  De  quoi? 
— De  votre  génération, 

té  !...  De  celle  pour  (|ui  la 
terre  finissait  à nos  bornes 
l'rontières  et  qui  faisait 
profession  d’ignorer  tout 
des  gens  d’au-delà  ! 

— .Müssieu  ! s’écrie  le 
farinier  en  colère. 

— Mais  enfin,  monsieur, 
mon  mari  a raison,  inter- 
vient iM"“'  Flore.  Vims 
apiielez  ce  monsieur  doc- 
teur, donc... 

— Doue,  il  n’est  nulle- 
ment nécessaire  qu’il  soit  docteur  « en  médecine  »,  erre 
madame.  Nous  commettons  cette  anomalie,  ayant  chez  nous 
des  docteurs  es  sciences,  ès  lettres,  en  droit,  etc...  de  n’ap- 
pider  docteurs  que  les  médecins.  Là-bas,  on  donne  le  titre 
au.K  gens,  voilà  tout.  Donc,  M.  Bichter,  né  à Kœnigsberg 
(Prusse  Orientale)  dans  les  derniers  jours  de  '18.a(i,  bache- 
lier en  1875,  avocat  en  1879,  passe  avec  succès  l’examen 
de  l’assessorat  en  188(1,  est  aussitôt  attaché  au  Gouver- 
nement de  la  province  de  Posen  et,  l’année  suivante,  à la 
Présidence  de  la  dite  province. 

— Comme  qui  dirait  à une  préfecture... 

— De  plusieurs  départements  réunis,  oui,  monsieur  Ver- 
duret.  En  1891,  Xadocleur  Bichter  reviiità  Berlin,  au  ministère 
de  rintérieur,  où  il  ne  tarda  pas  à recevoir  la  charge  de  Con- 


M.  RICHTER 

COM.MISSAIKE  GÊNKKAL  HE  L'ALLK.MAiiNE. 

(Cliché  Larger.) 


LA  lU  E UES  PI  ISSANCES  Al  OEAl  u'ORSAV 


(19 


seillerdii  Gouvenienicnt,  pour  être  nommé  ensuite,  eu  ]89d, 
Conseiller  Intime  et  Conseiller-Rapporteur,  et,  en  1898, 
Conseiller  Intime  Supérieur.  Telle  est  la  brillante  carrière 
administrative  du  docteur. 

— Ijiutile  de  nous  le  répéter  à satiété, 
ce  titre  de  docteur...  Nous  avons  compris  : 
nous  ne  sommes  pas  nés  dans  une  coquille, 
comme  voire  insistance  a l’air  de  voubjir 
le  laire  supposer!  déclare  âprement  Bêchard. 

lîonscastrol  s’incline  en  souriant  et... 
jionrsuit  : 

--  Rendant  tonte  la  durée  de  ses  fonc- 
tions dans  ce  Departement  du  Converne- 
ment  impérial,  monsieur  liichter  a en  à 
s’occuper  spécialement  des  grandes  Expo- 
sitions, ce  qui  fait,  té!  qu’il  a tout  natn- 
rellemeut  acquis  une  expéj’ience  consommée 
en  cette  matière...  beaucoup  pins  ardue 
qn’on  ne  se  l’imagine  bénévolement.  Com- 
missaire adjoint  à Tbixposition  de  Chicago, 
il  a eu  sous  sa  direction,  de  juillet  1899  à 
lévrier  1891,  toutes  les  alfaires  du  Com- 
missariat général  allemand.  Il  était  donc 
mûr,  par  l’habileté  déployée  au  cours  de 
cette  mission,  pour  se  voir  attribuer  en 
toute  confiance,  par  Cnillaume  11,  la  fonc- 
tion de  Commissaire  général  à notre  Expo- 
sition parisienne  de  191)0...  ce  qui  fut  fait 
en  juillet  1890.  Dès  lors,  le  docteur...  — 
oh!  jiardon,  monsieur  Bêchard!...  — dès 
lors.  Monsieur  Dichtei-  résida  tour  à tour  à 
Berlin,  pour  recevoir  les  avis  détaillés  do 
l’Empereur  — qui,  en  fait,  a été,  de  loin, 
son  propre  Commissaire  général,  tant  l’ex- 
position allemande  à Paris  a fait  l’objet  de  ses  impériales 
préoccupations  — et  à Paris,  pour  s’y  entendre  avec  notre 
Commissaire  général  de  l’Exposition  et  ses  chefs  de  sei'- 
vices,  qui  n’ont  cessé  de  lutter  de  concessions  courtoises 
avec  le  haut  représentant  de  Sa  IMajesté  allemande.  De 


70  A TRAVERS  l’eXPOSITION 


part  et  d'autre,  chacun  a mis  une  vérilable  coquelteric  cà 
rendre  le  plus  gracieux  possible  les  rapports,  l’administra- 
tion de  l'Exposition  en  allant  au-devant  des  moindres 
désirs,  et  le  (Commissariat  allemand  en  faisant  preuve  de 
la  plus  délicate  discrétion. 

— Un  s’est  mulnellement  couvert  de.  Heurs!...  C't'st  tou- 
chant! ricane  Eincorrigible  Hccliard. 

— On  en  a,  tout  simplement,  mon  bon,  usé  récipro- 
quement avec  un  sens  délicatement  clievaleresqne  dont 
vous  no  comprendrez  jamais,  je  le  vois  bien,  la  grâce  supé- 
rieure... et  chez  nous  historique. 

Et  Bonscastrol,  regardant  drôlement  le  farinicr  de  son 
(jiiart  d'œil  S(mi1  visible,  mais  singulièrement  lumineux, 
s'écrie  : 

— Mon  cer  monsieur  llécbard  ! 

— (Jnoi  ? 

— (Jnand  vous  serez  député,  il  se  peut  que  vous  entriez 
comme  appoint  dans  quelque  Idzarrc  combinaison  minis- 
térielle. 

— Pourquoi  bizarre?...  Il  me  semijle  que... 

— Ues  accidents-là  arrivent  do  bunps  à autre  aux  moins... 
préparés;  vous  avez  raison,  mon  l)on  ! Eb  bien!  si  cela  vous 
arrivait  jamais,  jurez-moi,  sur  votre  sacré,  moulin,  (|ue 
vous  déclineriez  les  Affaires  Etrangères  ! 

— Pourtant,  avec  ma  gravité?... 

— Non,  là,  vrai,  sans  compliment,  vous  n'avez  pas 
rétolfe  ! 

— Mais!... 

— Voyous,  Bècbard,  mon  ami,  insinue  Verduret  de  sou 
air  bonhomme,  si  vous  intcrrrom|)ez  sans  cesse  notre  cicé- 
rone, nous  u'en  (inirons  jamais. 

Interloqué  de  s’ètrc  mis  dans  le  cas  — lui,  le  grand 
redresseur  de  torts  — d'être  justement  rappelé  à l'ordre, 
notre  farinier  ne  trouve  pas  le  mot  de  riposte  immédiate. 
Bonscastrol  en  prolite  pour  renouer  le  til  interrompu  : 

— M.  le  docteur  Bicbter  est  assisté,  dans  l'œuvre  com- 
j)lcxe  de  l'organisation  de  l'ensemble  de  l'exposition  alle- 
mande — qui  est  une  manifestation  industrielle,  savante  et 
artistique  de  tout  premier  ordre...  comme  vous  pourrez  vous 


LA  lU  K DES  PI  ISSANCES  AL  nl  AI  DdRSAV 


71 


eu  reiulre  compte  en  visitant  les  Sections  — par  un  haut 
personnel  qui  ne  compte  pas  moins  de  quinze  personnes... 
lesquelles  sont  autant  de  personnalités.  A la  tète  de  ce  dis- 
tingué aréopage  se  tient  — lhe  righl  man  in  llir  ricj ht  place  — 
M.  le  Conseiller  Intime  du  Gouvernement  Theodor  Lewald, 
(Commissaire  général  adjoint.  Né  à Berlin  en  août  l.ShO,  entré 
dans  radministration  en  I d8(i  et  attaché,  après  avoir  déhulé 
cà  Cassel,  rà  la  Brésidence  de  la  province  do  Brandebourg  et 
de  la  ville  de  Berlin,  M.  Lewald  est  depuis  longtemps  h* 
second  du  docteur  Bichter.  f/ayant  suivi  dans  toutes  ses 
fonctions,  il  lui  revenait  tout  naturellement  de  le  seconder, 
si  utilement  et  avec  quel  intelligent  dévouement,  dans  son 
œuvre  parisienne  de  IDUdl...  jMainteJiant,  mesdames  et 
messieurs,  voulez-vous  vous  donner  la  joie  artistique  d’ad- 
mirer de  près  cette  belle  galerie  de  toiles  exilées  de  nos 
maîtres  français,  chefs-d’œuvre  (|ui,  dans  quelqm^s  mois, 
après  avoir  eu  tout  juste  le  temps  de  recevoir  la  caresse  de 
quelques  centaines  de  milliers  de  regards  d(‘  France,  retour- 
neront à leurs  murs  tenions  dos  Schloss  des  bords  de  la 
Sprée? 

— Je  crois,  émet  sagement  Veialnret,  que  nous  ferons 
mieux  do  revenir  une  autre  fois,  afin  d’être  plus  de  loisir... 
Fn  ce  moment,  nous  nous  hâterions  pent-ctre  plus  qu'il  ne 
convient. 

— A merveille,  té!  Nous  allons  donc,  pour  terminer, 
rendre  une  petite  visite  au  sous-sol,  oîi  est  iTistallée. .. 

— Parbleu  ! une  brasserie  allemande,  cela  va  de  soi, 
interrom|)t  Bècbard. 

Décidément,  le  farinier  n’a  pas,  en  ce  moment,  l'inter- 
])cllation  heureuse.  Pour  un  tribun  en  espérances,  il  manque 
désolemment  d’à-proj)os,  ce  que  l’artiste  toulousain  n'a 
garde  d’omettre  de  lui  faire  sentir  : 

— Millodious  ! mon  puera  car  monsieur,  je  croyais  vous 
avoir  suffisamment  laissé  entendre  que  Guillaume  11  était 
tout  le  contraire  d'un  esprit  banal,  et  il  me  semble,  conie- 
biou  ! que  la  seule  vue  de  ce  Pavillon  en  fait  foi! 

— Eh  bien  ? 

— Comment,  eh  bien  ? L’Allemagne  exposer  une  bras- 
serie dans  la  Maison  impériale  du  quai  d’Ursay,  quand  cetlc 


72 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Allemagne.  — Campanile. 


nous  irons 


saluer  le  Palais  de 


exhibition  est  permanente 
depuis  un  demi-siècle  tout 
au  long  de  nos  boulevards  ! 
Non,  non,  mon  bon,  le 
jeune  empereur  du  pays 
par  excellence  de  la  blonde 
bière  est  de  goût  bien  troji 
joliment  paradoxal  pour 
avoir  permis  cette  fade  re- 
dite. Dans  cette  France  où 
abondent  les  vignobles  et 
qui  s'épaissit  à plaisir  le 
cerveau  à absorber  la  bière 
allemande  faite  pour  d'au- 
tres tempéraments,  l'Alle- 
magne, buveuse  de  hou- 
blon, expose...  scs  crus  de 
jus  de  la  treille. 

— Le  fait  est  que  c’est 
original. 

— Ab  ! mon  cer  monsieur 
Verduret,  quel  service  nous 
rendrait  l’empereur  alle- 
mand, si,  grâce  à cette  der- 
nière et  très  adroite  fan- 
taisie, il  pouvait  mettre  à 
la  mode  les  vins  du  Rhin 
au  lieu  et  place  de  la  bière 
de  Munich!...  Ex(|uis,  vous 
savez,  ces  crus  germains  !... 
Allons  vite  en  déguster  une 
coquette  bouteille  que  nous 
boirons  galamment  à la 
santé  de  nos  futurs  adver- 
saires; puis,  quittant  les 
pays  tributaires  de  la  mer 
du  Nord  et  de  la  Baltique, 
nos  frères  de  race,  les  lils 


de  la  belle,  de  la  brune,  de  l’ensoleillée  et...  malheureuse 


CJIAIMTHE  V 


ESPAGXE 


S(.>L'P(;oN  DE  PL  L'AIE  T» 

iXuU'o  groupe  d exposi/ioiuiisles^  qui  pensait  ne  faire  que 
passer  presque  par  le  cabaret  du  Pavillon  Allemand,  se 
tiou\e  y rester,  au  contraire,  un  assez  long  moment,  et  ce, 
par  le  fait  de  M'’'“  Flore  Bècliard. 

IPépouse  rondelette  du  grave  et  long  farinier  se  pique, 
en  (lualité  de  Bourguignonne  qu’elle  est  d’origine,  de  s'y 
connaîtie  eu  vins  et  tl  avoir  la  cave  la  mieux  montée,  non 
seulement  d’Essonnes,  mais  de  Corbeil...  c'est  tout  juke  si 
elle  n ajoute  pas  de  Paids  ! Le  mari  a l’orgueil  de  son  im- 
]Aoi tance,  la  lemme  celui  de  ses  rangées  de  poussiéreuses 
bouteilles  : l’orgueil  est  universel,  mais  chacun  on  oriente 
la  piincipale  maniiestalion  selon  le  plus  prédominant  de..i 
ses  antres  péchés  capitaux. 

La  « cave  du  moulin  »,  comme  on  dit  à quelques  kilo- 
mètres a la  ronde,  a donc  une  réputation  faite  — surtout 
pai  oui-dire,  car  les  occasions  sont  rares  où  le  très  économe 
Jaiinier  consent  à laisser  vnoler  en  favmiir  d'autrui  lés 
vastes  toiles  d araignées  de  son  cellier  — réputation  que  la 
dame  de  céans  a sans  cesse  le  souci  d’accroître. 

« 

A TilAVEUS  l’exposition.  — T.  X.  — 4 J] 


74 


A TRAVERS  L EXPOSIUON 


Ür,  Bouscaslrol  ayant  convié  ses  compagnons  à déguster 
une  bouteille  de  joli  vin  du  Rhin,  couleur  de  paille, 
yiniü  p'iore,  après  avoir,  d’un  air  connaisseur,  fait  cla(juer  sa 
langue  et  dilaté,  à humer,  les  petites  narines  de  son  gros  nez 
court,  déclare  à son  mari  que  ces  crus  allemands  devaient 
acquérir  de  rares  vertus  avec  le  temps  et  que  cela  ferait 
un  elfet  sensationnel  à Essonnes,  lorsqu  on  saurait  que 
la  « cave  du  moulin  » aurait  rangé,  <à  côté  des  principaux 
crus  français,  une  ou  deux  sortes  de  ces  vins  étrangers 
aciu’irs  à l'Exposition. 

Bècliard  a beau  lever  des  yeux  et  des  bras  ellarés  vers  le... 
plafond,  la  vaniteuse  ménagère  tient  bon  et  na  de  cesse 
qu’elle  n'ait  obtenu  de  sérieusement  « échantillonner  » 
pour  jeter  à bon  escient  sou  dévolu. 

Après  la  bouteille  proposée  par  le  fonlousain,  c est  un 
délile  de  quatre  ou  cinq  autres  auxquelles  rexi)ert  palais 
bourguignon  fait,  pour  sa  part,  de  très  savantes  mais  assez 
importantes  brèches. 

La  dégustation  achevée,  Flore  est  fixée  sur  son  choix, 
mais  ses  pommettes  ardent  et  ses  yeux  brillent  singulièie- 
ment.  En  sortant  du  cabart't  — obstinément  appelé  hrassenr 
par  le  mari  et  laverac  par  l’ami  Verduret  — elle  se  met  à 
jacasser  sur  tout  comme  une  grosse  pie,  et  à rire  à propos 
de  rien...  au  grand  scandale  du  grave  farinier,  qui  juge  la 
((  respectabilité  » du  ménage  un  peu  bien  compromise 
|)ar  « l’échantillonnage  » imprudent  de  sa  moitié. 

C’est  ainsi  que,  M'”"  Flore,  très  gaie,  son  Aristide  encore 
pins  vexé  et  les  autres  fort  amusés  — sauf  Buzzling,  [dus 
glacé  et  impassible  que  jamais  — on  arrive  devant  le  voisin 
Pavillon  de  l’Espagne. 

— (Ih!..  ohü.  ohü!  que  c’est  beau!  s’exclame  la  grosse 
dame  qui  a F <(  pxcitnini^ ni  » plutôt  admiratit. 

— Té,  belle  madame,  je  vois  qu'il  n’y  a rien  de  tel  qu  un 
doigt  de  vin  blanc,  fùt-il  allemand,  pour  éclairer  les  idées. 
Ah!  mordions!  vous  avez  raison  : c’est  une  su[)erbe  compi- 
lation architecturale  qu’a  faite  là  1 éminent  architecte  espa- 
gnol Don  José  Urioste  y Velada. 

Une  compilation?...  monsieur  Bouscastrol,  ([u  ('st-cc 

que  c'est  ([UC  ça,  une  compilation  ? 


I.A  lU  K UES  PI  ISSANCES  AT  ni  Al  u'uRSAV 


75 


— Vous  vous  rapiielez  ce  que  je  vous  ai  dil  au  sujet  de 
la  Hongrie? 

— Comment  voulez-vous  !...  Voilà  déjà  un  siècle  (luo  nous 
avons  visité  ce  Pavillon...  Et  la  mémoire  et  moi,  vous  sa- 
vez... Tète  de  linotte,  quoi  ! 

— Voyons,  luchette!  gronde  la  Dignité  faite  homme. 

Ch!  tu  sais,  ne  fait  pas  ton  VI.  Ilahat-Joie,  comme  a 
dit  M.  Bouscastrol.. . J’ai  envie  de  parler,  je  parle...  Je  ne 
SUIS  pas  du  calibre  de  milord  Puzzling,  (|ui  ne  bouge  pas 
plus  qu’une  souche...  Ah  non  ! 

IA  la  très  guillei'ctte  farinièrc  éclate  de  rire,  narguant  les 
gros  sourcils  noirs  froncés  de  son  époux. 

Souriant,  le  Toulousain  poursuit: 

11  a été  fait  ici  pour  1 Espagne  comme,  à quelques  cen- 
taines de  mètres,  pour  la  Hongrie  : on  a pris  des  fragments 
de  plusieurs  monuments  célèbres  de  la  Péninsule,  de 
1 époque  de  la  Keiiaissance,  et  on  les  a très  hahileincnt  sou- 
dés dans  une  construclion  d’ensemble,  en  ayant  soin,  cepen- 
dant, de  faire  aux  haies  d éclairage  une  large  part  inconnue 
des  architectes  d’aiitrelois...  C’est  un  louable  sacrifice  ar- 
chéologique au  grand  liesoin  de  lumière  qui  distingue  noire 
goût  moderne.  Sauf  cette  minime  et  bien  justifiée  entorse 
a I exacte  vérité,  tout  ce  que  vous  voyez  est  authentique- 
ment exact,  puisque  ce  sont  bel  et  bien  des  moulages,  capé- 
dious  ! 

— - (>ctte  construction  rectangulaire,  avec  ses  colonnes, 
scs  innombrables  sculptures  ornementales,  ses  quatre  tours 
d angle  carrées  et  surmontées  de  galeries,  tout  cela  à un 
gi-and  air,  à la  fois  très  imposant  et  très  élégant,  observe 
\ erduret  dont  les  petits  yeii.x  détaillent,  avec  le  plus  vif  in- 
teret, l’aspect  d’ensemble  ilu  Pavillon. 

Et  tout  cela,  mon  ccr  monsieur,  c’est  l’Espagne  même, 
la  belle  Espagne  architecturale  dont  les  pierres,  millodious! 
chantent  l’bistoire,  jadis  si  triomphale,  et  que  la  banale  rou- 
tine des  touristes  sacrilie  troj)  complètement  et  bien  à tort  à 
la  prestigieuse  Italie...  Ah!  l’Espagne!... 

— Ah  ! oui,  l’Espagne,  interrompt  Vl'’'e  Flore,  qui  a eu  le 
temps  de  reprendre  un  peu  de  salive...  L’Espagne...  I.e  Cid... 
et  les  cigarières...  et  les  toréadors!... 


76 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Toréador,  prends  ga-a-a-a-a-a  a-arde  !... 

— Voyons,  hichctle  !...  Tu  nous  i'ais  remarquer  ! 

— Ça  m’csL  bien  égal!  I. 'Espagne  !...  les  caslagnettcs... 

uUr!.!.  ol... 

La  voix  mamiue  à l'entbonsiasLe  farinière,  ce  qui  permet 
à son  mari  de  la  prendre  par  le  bras  et  de  l'emmener  un  peu 
à l'écart  pour  lui  adresser  une  admonestation  en  Irois  points, 
tandis  que  l’artiste  au  bandeau  reprend,  en  riant  sous 
cape  : 

— D’abord,  té!  pendant  que  M"’“  Bèchard  en  donne  la 
permission,  que  je  vous  dise  bien  vite  que  1 Espagne  est  ic 
présentée,  à l'Exposition,  par  M.  le  duc  de  Sesto,  Commis- 
saire général  royal.  C'est  de  la  part  du  gouvernement  de 
S.  M.  la  reine-régente  le  choix  le  plus  heureux  et  le  plus 
flatteur,  car  vous  allez  voir  que  le  duc,  té!  n’est  pas  tout  a 
fait,  comme  on  dit,  de  la  « petite  bière  ».  Le  duc  de  Sesto, 
(|ui  est  encore  marquis  d'Alcafiices,  de  los  Balbases,  etc., 
duc  de  Âlbuquerque,  Algete  et...  autres  lieux,  est  plusieurs 
fois  Grand  d'Espagne...  11  est  meme  le  doyen  de  la  Gran- 
desse  espagnole.  Sénateur  à vie  par  droit  de  naissance,  u a 
été  vice-président  du  Sénat.  Il  fut  maire  et  trois  fois  gou- 
verneur de  iMadrid.  Comme  le  rappelle  M.  Antonin  Proust 
dans  un  article  qu’il  a consacré  à ce  Pavillon... 

IG  ici,  Bouscastrol  lire  de  sa  poche  un  feuillet  imprimé 
qu'il  consulte  du  regard  et  poursuit  ; 

((...lia  été  le  premier  et  unique  Graml-.Maîtrc  du  Pa- 
lais pendant  le  court  règne  d'Alphonse  XII,  qu  il  suivit  dans 
son  exil,  à Londres  et  à Vienne.  Il  avait  dirigé,  avec  M.  Ca- 
novas dcl  Castillo,  la  Uestauration,  qui  rendit  le  trône  a 
leur  roi.  11  est  chevalier  de  l'Ordre  insigne  de  la  Toison 
d'Or,  Collier  et  Grand-Croix  de  Charles  111,  de  Saint-lNlaurice 
et  de  Saint-Lazare  d’Italie,  de  Villaviciosa  et  du  Christ  du 
Portugal,  de  Pie  IX,  de  Saint- Esté  Ile  de  Hongrie,  de  la  Bose 
du  Brésil,  de  l’Osmanié,  du  Eaucon  Blanc,  de  Léopold  d’Au- 
triche, du  Mérite  de  la  Couronne  de  Bavière,  de  l’Aigle 
Bouge  de  Prusse,  de  Léopold  de  Belgique,  etc...  » 

— Mazette  ! fait  Verduret,  je  vois  qu'en  Espagne,  quand 
on  prend  du  ruban... 


TjA  R[  E des  Pl'ISSANCES  au  QUAI  D ORSAV 


77 


Baste,  mon  cer  monsieur,  en  France,  on  en  donne  un 
a cent;  /m  los  mon/e.s,  on  en  donne  trente  à un  seul...  Vous 
voyez,  cadédis!  que  l'avantage  reste  encore  largement  à 
1 Fspagno. 


— Uécidémenl,  vous 
êtes  nu  ironiste,  mon- 
sieur Bouscastrol...  Mais, 
dans  cette  liste,  je  ne 
vois  pas  Fétoile  de  la 
Légion  d’honneur? 

— Mordions!  je  ne  l’y 
vois  pas  non  [ilus...  11 
est  vrai  (|ue  cetahiégé  a 
été  fait  bien  avant  l'ou- 
verture de  l’Exposition. 

D’ailleurs,  le  noble  duc 
n a-t-il  pas  déjà  cueilli 
une  étoib'  en  France, 
en  épousant  la  veuve  de 
M.  le  duc  de  Moruy?  Mais 
laissez- moi  achever  la 
lecture  de  ma  note.  « Pré- 
sident du  Conseil  siipé- 
uicur  de  l’Agriculture,  il  s.  e,  le  duc  de  sesto 

est  particulièrcmeut  in-  co..m.s.sa.he  gé.néhal  hova.  u.  ukspagn,:. 
téressant  d observer  que 

ce  grand  scigmeur  considère  que  la  régénération  de  son 
pays  et  son  futur  bien-être  consistent  uniquement  dans 
le  travail  et  le  jirogrès  de  l’industrie.  A ce  but  tendent 
tontes  ses  préoccupations,  et  c’est  avec  fierté  qu’il 
rappelle  les  succès  remportés  dans  les  diverses  expositions 
qui  lui  ont  été  confiées,  et  particulièrement  dans  la  pre- 
mière des  « Industries  nationales  »,  dans  l’Agriculture. 
Comme  président  du  Comité  permanent  des  Expositions, 
il  na  lien  négligé  pour  assurer  le  succès  de  l’Espagne  à 
Paris  en  1900.  » 


bM  c est  le  duc  de  Sesto  qui  a tout  organisé  ? 

Ob  ! le  terrain  a été  considérablement  déblayé  par  le 
jeune,  adroit  et  distingué  diplomate,  le  si  sympathique 
secrétaire  de  1 Ambassade,  marquis  de  Villalobar,  qui,  dès  le 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Jobul  des  travaux,  fut  délégué  royal  près  le  Commissariat 
général  français.  C’est  lui  qui  a mené  à bonne  fin  toutes  les 
négociations  relatives  aux  terrains  et  espaces  a obtenir  au 
quai  d’Orsay  et  dans  les  Sections.  11  y a déployé  un  zele 
loyal,  une  infatigable  activité  et  une  intelligence  rare.  A 
rAdministration  centrale,  on  ne  fait  de  lui  que  des  éloges, 
mais  qui  n’atteignent  pas  à l’enthousiasme  de  ceux  que  e 
Délégué  royal  fait  lui-même  de  M.  Picard  et  de  ses  direc- 
teurs et  chefs  de  services.  Du  reste,  M.  de  Villalobar  n en 
est  pas  à scs  premières  armes  en  ce  qui  concerne  les  expo- 
sitions : bras  droit  du  duc  de  Sesto,  dont  il  partage  les  hantes 
idées,  sludieux  voyageur  ayant  observé  la  vie  des  peuples 
liai-  tout  l’Ancien  et  le  Nouveau  Continent,  il  lut  1 un  des 
commissaires  espagnols  à Chicago...  Qui  lui  eut  dit  alors 
(lue,  si  peu  d'années  après,  les  Etats-Unis...  Mais,  te.  passons 
sur  les  tristesses  : ce  n’est  pas  ici  le  lieu  de  raviver  des  an- 
goisses devant  l'elfort  de  belle  vitalité  qu'est  l’exposition 
espaoTiole.  Le  vice-commissaire  est  M.  le  comte  de  Valencia 
de  Don  Juan...  Eli!  mais,  té!  voici  le  couple  Bècliard  qui 

nous  revient! 

Ce  maître  de  moulin  et  son  épouse  se  rapprochent,  en 
elfet  de  Verduret,  de  Bertrande  et  de  1 Anglais,  groupés 
autour  du  ïoiiloiisain.  La  conjugale  mercuriale  a dû  être 
sérieuse,  car  Flore  est  aussi  rouge  qu  un  bouquet  (le 
coquelicots  éntourant...  une  pivoine.  Les  yeux  baisses,  elle 
écoute  et  se  tient  coite  — pour  le  moment  du  moins. 

iMalicieiisemeiit,  Boiiscastrol,  (le  sa  voix  la  pUis  chaude- 
ment engageante,  reprend  son  thème  où  il  1 a laissé  . 

I l’pispagne  ! s’écrie-t-il...  mais  sans  provoquer 

d’écho.  Duel  superbe  musée  archéologique  que  cette  terr(:j 
ibérique  si  peu  connue  de  ses  voisins  immédiats.  Certes,  i 
fut  un  temps  oii  nos  poètes,  à chaque  tournant  de  vers,  bon 
Dioiis  ! chantaient  l’Aiidalouse  au  sein  bruni,  Sévillii,  la 
Castille  et  les  bords  du  ïage  ! Mais  tout  s’envolait  en  chan- 
sons et.  quoique  Louis  XIV  ait,  plulôt  avant-hier,  te!  pro- 
clamé qu'il  n’y  avait  plus  de  Pyrénées,  bien  peu  de  chez 
nous  les  franchissaient  pour  aller  admirer  les  merveilles 
de  pierre  qui  mouchètent  le  sol  des  sierras  et  des  vallées 
comme...  coquelicots  dans  un  champ.  Et  pourtant,  millo- 


LA  lU  E DES  PI  ISSAACES  AL  OL'Al  D OUSAV 


79 


(lions!  il  H y a qu'à  choisir.  Piquons  au  hasard  sur  la  carhu. 
l’au  ! (;a  y esl,  eu  plein  nord-ouest,  province  de  L(ïou... 
Là,  nous  trouvons  Salamanque,  à PUniversité  si  fameuse 
jadis,  (pi’on  la  citait  parmi  le  célèbre  quatuor  de  centres 
savants  comprenant  avec  elle  Paris,  Pologne  et  Uxford. 
A Salamanque,  une  des  vieilles  villes  espagnoles  ayant  le 
ini(Mi.\  conservé  le  caractère  archaïque,  les  monuments 
abondent  : la  cathédrale,  en  gothique  moderne,  commencée 
en  1513  ; le  Collegio-Viejo,  reconslruil  en  ITbO,  par  11er- 
mosilla,  et  qui  possède  un  beau  cloitre  formé  de  deux  gale- 
ries, ionique  et  dorique,  et  un  escalier  monumental  digne 
de  servir  de  pendant  à celui,  si  connu  par  sa  magnilicence, 
te  ! du  l^alais  de  Madrid  ; l’Université,  composée  de  deux 
édifices,  grandes  et  petites  écoles,  avec  cloîtres  élégants 
((  œuvre  acbevéc  et  parlaite,  chargée  d’une  iTilinité  de  détails, 
de  médaillons,  de  bas-reliefs  exécutés  avec  talent  et  déli- 
catesse » ; et  puis  la  l*laza-Mayor,  qui  est  à Salamainjiie 
ce  que  la  place  Royale  — sottemeut  débaptisée  place  des 
Vosges  — est  à Paris;  et  un  pont,  et  ses  maisons  seigneu- 
riales. L’architecte  de  ce  Pavillon  en  a retenn  le  Collhjc, 

I Univer.nti'  et  la  Maison  Montevoij,  dont  je  vous  montrerai 
des  Iragments  tout  à l’heure...  Et  maintenant,  mesdames  et 
messieurs,  où  voulez-vous  (|ue  nous  piquions  la  carte?... 
Au  nord-est,  en  Aragon,  hé? 

Parbleu,  ou  vous  voudrez,  car  je  soupemnne  votre 
pointe  de  savoir  très  bien  diriger  le  hasard,  dit  en  souriant 
Verduret. 

Ah  1 capédious  ! pas  moyen  de  vous  la  faire,  mon 
bon.  Donc,  nous  picjuons  Saragosse,  en  Aingon.  Ici,  nous 
trouvons  d abord  la  fameuse  .Sco,  autrement  dit  la  cathé- 
di-ale  de  San-Salvador,  dont  d’aucuns  veulent  faire  remonter 
la  construction  jusqu’aux  Romains;  puis  Notre-Dame-del- 
Pilar,  où  nos  romantiques  se  sont  complus  à faire  passer 
tant  de  senoras  et  de  caballeros  amoureux  dans  d(‘  terribhis 
trames;  la  lorre  Aueva,  dite  Tour  penchée,  qui  mouti'e  que 
Pise  na  pas  le  monopole  de  ces  curieuses  erreurs  d’équi- 
libre; rAljaferia,  construite  par  le  Maure  Abn-Giafar- 
Ahmet,  qui  sert  maintenant  de  caserne  d’infanterie,  et 
oi'i  se  passe  une  pai'tie  de  l’action  de  l’opéra  de  Verdi,  le 
Irourère  ; et  les  Impitaux,  et  les  écoles,  et  enlin  les  anciens 


80 


A TRAVERS  L’EXP0S1TI0^ 


hüLols  comme,  entre  aulres,  la  Casa  dr  Zaporta  ou  de  la 
Infanta,  dont  t'ornemen talion  est  si  riche.  De  toutes  les 
heautés  architecturales  anciennes  de  Saragosse,  c’est  cette 
dernière  casa  qui  est  représentée  par  un  intéressant  Jrag- 
ment  dans  la  composition  de  ce  Pavillon  royal  espagnol.  Pt 
maintenant,  té  ! nous  allons  pi([uer  an  centre  de  la  carte  de 
la  Péninsule,  en  Nouvelle  Castille...  Vous  voulez  bien  l 

— Allez  donc,  farceur!  fait  avec  honhoniie  le  manufactu- 
rier retiré. 

— Va  bien,  millodious!  En  Nouvelle  Castille,  nous  trou- 
vons d'abord  l ancienne  capitale,  voisine  de  Madrid  et  dé- 
laissée pour  elle  : ïolèdc. 

— Les  fameuses  lames  de  Tolède  ! s exclame  dramatique- 
ment Verdure  t. 

— Dont  l'acier,  té!  il  vient  do  l’étranger,  parlaitement, 
mon  bon!  A Tolède,  qui  est  bravement  sur  le  lage,  tandis 
que  Madrid  n’est  baigné  que  par  le  petit  Mançanarès,  à lo- 
lède,  ville  morte  aujourd'hui,  mais  dont  le  dénuement  a 
conservé  l'allure  arislocrati([ue  qui  lui  vaut  d’être  appelé  le 
« faubourg  Saint-Germain  » de  l’Espagne,  nous  trouvons, 
dans  l'enceinte  intérieure,  la  célèbre  Puerta  dcl  Sol,  chef- 
d'œuvre  de  l’architecture  arabe  et  intact  joyau  archéolo- 
gique ; la  cathédrale,  reconslrnite  par  Pedro  Parez  après  que 
les  Maures  eurent  souillé  celle  fondée  par  saint  Eugène  en 
('Il  faisant  une  mosquée,  et  qui  est  bien,  du  monde  entier, 
la  basilicpie  la  pins  abondante  en  précieux  détails;  puis 
l’église  de  San-Juan-dc-los-Heycs,  pour  bâter  la  construc- 
tion de  laquelle  la  reine  Isabelle  mit  à l’œuvre  jnsqu  a cent 
vingt-six  maîtres  tailleurs  de  pierre;  d’autres  églises,  et 
d’autres  encore.  Parmi  les  monuments  civils,  un  des  plus 
beaux  est  l'ancien  In'ipilal  de  Santa-Cruz,  devenu  le  collège 
militaire,  qui  date  de  li9i;  enfin  l’Alcazar. 

— Ab!  s’écrie  soudain  M""^  Elorc  — pour  qui  sa  méid- 
toire  abstinence  de  langue  dure  vraiment  depuis  tro[)  long- 
temps, étant  donné  T « excitemeut  )>  de  son  cerveau  — mais 
oui,  je  sais,  il  y a une  romance  là-dessus  ! 

Et  elle  entonne,  d’une  voix  d’ex-lillette  lièlant  timidement 
un  compliment  mélodique  de  jour  de  fête 


Jardins  de  l'Alcazar  ! ... 


T.A  RT  E DES  PITSSANCES  AC  QT-Al  tt’ORSAY 


81 


— Assez,  bichette  ! coTiimaiide  bi’TisqTiement  le  digne  fa- 
rinier  à sa  moitié  qui  s'arrête  net...  toute  confuse. 

— 1)  autant,  belle  madame  qui  eussiez  fait  trembler  la 
]\lalibj-an  si  elle  voits  eut  entendue,  qu  il  faudrait  préciser, 
cadédis  ! caiq  explique  en  riant  le  joyeux  ciceroiu',  il  y on  a 


une  séquelle  d’Alcazars,  rien  (ju'ii  Tob'de,  sans  compter  Sé- 
ville, (Àrenade,  etc...  Alcazar  vent  dii'c  : palais,  et  un  pays 
qui,  comme  l'bspagne,  a connu,  grâce  à Colomb,  une  fortune 
toile,  en  a à revendre  dos  palais,  vous  le  pensez  bien.  Mais, 
quand  on  parle  de  l’Alcazar  de  Tolède,  on  veut  dire  le  pins 
remarquable  de  tous,  le  superbe  édifice  qui,  construit  sur  la 
principale  colline  de  cette  ville  plus  que  sinnense,  té!  do- 


ami 


,S2  A TRAVERS  l’eXPOSITION 


mine  la  cité  tout  entière  de  scs  masses  imposantes.  Malheu- 
reusement, deux  lois  incendié,  en  1/10  et  an  milieu  du 
même  xviii'’ siècle,  il  n’en  reste  plus  que  les  murailles;  mais 
ces  murailles  recèlent  des  trésors  pour  les  amateurs  des 
nol)les  beautés  architecturales...  Dans  ce  Pavillon  d’hspa- 
^ne,  on  retrouve  et  cet  Alcazai’  et  1 Hôpital  de  Santa-Ciuz. 
Je  n’ai  plus,  de  la  même  province,  qu’à  vous  citer  la  ville 
d’Alcala-de-Ilénarès,  qui  possédait  autrefois,  c’est-à-dire  au 
xvi'^  siècle,  la  seconde  Université  de  1 Espagne,  fondée  par 
Xi  mènes,  et  qui  fut  la  patrie  de  Michel  Cervantès. 

— L’auteur  de  l'admirable  ironie  qui  s’intitule  ; Don 
(juic/io//e  tïe  /a  Manche? 

_ Ziiste,  mon  bon.  Alt!  mordions,  s’il  vivait  de  nos 
jours,  quelles  cruelles  satyres  il  pourrait  écrire,  non  plus 
contre  la  chevalerie  à jamais  et  complètement  disparue, 
mais  contre  le  « pasamufllisme  » moderne. 

Le '.b.,  fait  M'“  Flore  en  ouvrant  tout  grands  ses  yeux 

un  peu...  vagues. 

— Cordions!  ne  cherchez  pas,  belle  madame:  c’est  du 

latin  de  « Mans  Martyrwn  ».  Je  disais  donc,  té,  qu(>  d'Al- 
cala 

— Mais,  ça  se  chante  aussi  : 

Drainons  d'Alcala  ! ... 

— Oui  ! Ne  poursuivez  pas,  par  égard  pour  la  mémoire  de 
Bizet.  S’il  était  là...  oh!...  le  povre!  Donc,  encore  une  fois, 
c'est  cette  Université  d’Alcala,  construite  par  Bodrigo  tiil  de 
Ositafion  au  commencement  du  xvi'’  siècle,  qui  lorme  le  der- 
nier emprunt  fait  à l’immense  et  merveilleuse  galerie  archi- 
tecturale qu’est  l’Espagne,  au  profit  de  ce  Pavillon  du  quai 
d’Orsay.  Deux  mots  encore.  Ce  style  de  Renaissance  espa- 
gjiole  — car  l’Espagne  entend  bien  avoir  eu  sa  Renaissance 
à elle,  en  dehors  du  grand  mouvement  contemporain  qui  a 
transformé  les  idées  d'art  dans  tout  le  reste  de  l’Europe  — 
comporte  un  débordement  de  sculptures  ornementales  que 
l’architecte  de  ce  Pavillon  a très  sagement  atténué.  Ainsi, 
té  ! pour  le  fragment  de  l’Université  de  Salamanque,  laquelle 
appartient  à diverses  époques,  ou  a choisi  une  portion  de 
slvle  platacespue,  datant  de  IddO. 


I.A  lU  K UES  PI  ISSAA'CES  AT  QI  AI  U'UHSAV 


83 


Plata...  quoi?  fait  la  tarinière,  qui  s’appuie  forlement 
au  bras  do  sou  farinier. 

— Les  Plaleros,  cère  madame,  sont  les  artistes  orfèvres. 
Lorsque  les  galions  apportèrent  à pleines  cales  For  du 
Mexique  et  du  Pérou,  Part  do  l'orfèvrerii'  se  développa  avec 
uue  sorte  de  frénésie,  devint  tellement  à la  mode,  qu’il 
s'imposa  à,  la  décoration  arcbitecturale.  De  là,  té!  ce  fouillis, 
sans  doute  très  beau  et  très  délicat,  qui  surcharge  les  monu- 
ments, mais  qui  convient  mieux  au  métal  qu'à  la  pierre. 

— Tout  ça,  c’est  très  joli,  réclame  Bècbard,  dont  l'exliu- 
bérance  de  sa  conjointe  a cxas|)éré  la  normale  méchante 
humeur,  mais  cela  ne  nous  apprend  pas  ce  qu’il  importe  de 
savoir,  au  sujet  de  ce  Pavillon,  c’est-à-dire  les... 

— Chillres?  achève  ironiquement  le  documenté  cice- 
rono.  Je  m’en  voudrais  mal  de  mort,  coruehiou  ! de  ne  pas 
satisfaii-e  votre  pythagoricienne...  manie.  Sachez  donc  ipie 
le  Pavillon  de  l’Lspagne  forme  un  rectangle  ayaiit  2.'»  mètres 
et  28"' oO  de  cotés... 

• Soit  : 712  mètres  carrés  et  demi,  calcule  vivement 
l’homme-chilTrc...  C’est  superbe  ! 

— .\joutez  la  grande  tour  d’angle,  8 mètres  sur  8,  soit 
h F mètres. 

— Total,  77(i  mètres  et  demi  carrés...  Et  la  hauteur? 

— De  la  tour?  25  mètres.  Etes-vous  content? 

— Oui.  Merci.  .. 

— Je  ne  m’en  sens  [las  de  joie,  té!..-.  Et  maintenant, 
mesdames  et  messieurs,  je  n’ai  plus  ([u  à vous  introduire 
dans  ce  palais,  dont  1 iuté]■ie^lr...  il  A'aut  l’extérieur,  c’est 
tout  dire.  Comme  vous  allez  voir,  l’édifice  se  compose 
essentiellement  de  deux  siipi'rhes  salles  perpendiculaires 
a la  Seine  et  encadrant  de  jolies  colonnades  un  patio,  ou 
cour  intérieure,  dont  le  séjour  est  absolument  enchanteur 
par  tes  jours  caniculaires,  grâce  à l’ombre  des  porliques 
et  a la  Iraîchcur  des  eaux  jaillissantes  du  bassin  qui  orne  la 
partie  centrale  et  découverte. 

— est  ainsi,  je  crois,  dans  tous  les  palais  mauresques? 

— Et  arabes,  oui,  monsieur  Verduret...  Mais  le  patio 
vient  de  bien  plus  loin,  puisqu’il  est,  en  somme,  une  réé- 
dition de  V implavanAo,  l’architecture  de  l’antiquité...  Comme 


86 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


de  tout,  il  faut  tirer  la  philosophie,  ne  Irouvcz-vous  pas 
qu'un  peuple  qui  s’affirme,  au  cours  d’une  douloureuse 
épreuve,  par  une  aussi  nohle  et  belle  manifestation  de  son 
art,  est  un  beau  et  grand  peuple  ? 

— Hélas!  bien  réduit,  bien  anéanti  par  ses  récents  dé- 
sastres militaires. 

— Té!  je  ne  vois  pas  des  mômes  yeux  que  vous,  mon 
CPI'  monsieur  Verdurct.  l’our  moi,  le  déchirement  — combien 
moins  douloureux  que  celui  que  nous  avons  subi  il  y a treille 
ans,  puisqu'en  somme  il  est  extérieur  — qui  met  eu  ce  mo- 
ment l’Espagne  en  deuil,  sera  le  signal  d'une  superbe  re- 
naissance. 

— C’est  paradoxal  ! 

— Non,  car  toute  sa  magnilique  énergie,  concentrée  dé- 
sormais sur  le  sol  sacré  de  la  patrie,  délaissé  depuis  Tini- 
mense  vague  d’or  qui  l’a  submergée  au  temps  de  la  conquête 
des  Indes  Occidentales,  en  fera  vite  jaillir  une  grandeur  na- 
tionale, une  force  et  une  richesse...  (}ui  préparent  peut-être 
la  solide  union  latine  de  l’avenir. 

— Oh  ! jeune  homme,  voilà  de  bien  audacieuses  concep- 
tions politiques! 

— La  vraie  politique,  té  ! c’est  d’essayer  do  bien  lire  dans 
l’avenir  pour  lui  organiser  le  présent;  cest... 


^ H 

EN  PA  .N  N E 

lîoiiscastrol  n’achève  pas. 

ITi  homme  à l’allure  de  sous-officier  retraité,  qui  s'est 
glissé  derrière  lui,  profite  d’un  des  gestes  fréquents  et  larges 
du  remuant  Toulousain  pour  lui  glisser  un  papier  dans  la 
main,  et  s’éloigne  aussitùl. 

Bouscastrol,  comme,  machinalement,  jette  les  yeux  sur  le 
papier  — un  vulgain*  prospectus  — et  tressaille.  En  travers, 
il  a lu  ces  mots  écrits  à la  bute  au  crayon  : « Les  hn'U  en 


T, A RIE  DES  PCISSANCES  Al'  OIAI  d’oRSAV 


87 


mauvaise  position  ; fort  sans  garnison  ; nécessité  d’aviser 
de  suite.  » 

Le  jeune  artiste  cicerone  froisse  le  papier dans  sa  main  et 
va  le  jeter...  quand  il  voii  Puzzling  se  rapprocher  de  lui,  les 
yeux  fixés  sur  la  dite  main  et  son  contenu.  Alors,  il  glisse 
vivement  contenant  et  contenu  dans  la  poche  bâillante  de 
son  veston  fatigué,  et,  à mots  un  peu  pressés,  <iiten  s’adres- 
sant plus  particulièrement  au  manufacturier  retiré  . 

— Messieurs,  mesdames,  je  vous  prie  de  m’excuser,  mais 
je  suis  contraint  de  vous  quitter  hrusquemeiit  pour  un  mo- 
ment. Je  suis  obligé  de  me  rendre  sans  retard  chez  le  très 
aimable  M.  Phardon,  secrétaire  général  de  l’Pxpositiou  — 
je.  dis  cela,  té!  pour  l'estimable  John  Pull  qui  parait  très  an- 
xieux de  connaître  quelle  direction  prendront  mes  pas,  et  je 
serais  désolé  de  ne  pas  lui  être  agréaldi-  eu  tous  poinis.  C’est 
tout  près  d’ici,  à l’Administration  centrale,  au  coin  du  quai 
d’tirsay  et  de  l’avenue  Happ.  Je  vous  laisse  donc  visiter  seuls 
les  salles  de  ce  Pavillon  de  l’Espagne,  si  le  cœur  vous  en  dit, 
et  comme  je  pourrais  être  roteuu  plus  longtemjis  que  je  ne 
souhaite,  capédious!  voici  queh|ues  notes  sur  le  Pavillon  du 
Grand-Duché  du  Luxembourg,  où  j’irai  vous  rejoindre,  et 
que  je  vous  demande  de  visiter  si  je  tardais  un  peu  trop  à ve- 
nir vous  retrouver...  Ivxcusez-moi  encore,  millodious!  mais 
le  temps  presse  et,  jusqu’à  tout  à l’heure,  j’ai  bien  l’hon- 
neur de  vous  tirer  ma  révérence. 

Et  Bouscastrol  s’éloigne  d’un  pas  rapide,  laissant  nos  pro- 
A iuciaux  stupéfaits  de  cette  fuite  subite  et  dont  la  cause'  l'st 
pour  eux  un  mystère. 

Seul,  Puzzling  ouvre  ses  longs  compas  et  se  met  en  devoir 
de  suivre  le  Toulousain.  Celui-ci  se  retourne  et  lui  crie  : 

— Té,  si  vous  aimez  à courir,  mou  bon,  apprêtez  vos 
transatlantiques  I 

Et  il  prend  sa  course,  glissant  adroitement  entiœ  les 
groupes  nombreux  de  promeneurs.  James-Gregory  aussi 
s’élance  en  avant,  mais,  de  beaucoup  moins  adroit,  appa- 
remment, il  n’a  pas  fait  dix  pas  en  courant  qu’il  heurte  uii 
promeneur  à...  l’allure  militaire  (|ui  se  trouve  inopin(‘meut 
traverser  juste  devant  lui.  L’abordage  a lieu  si  malbeui'eu- 


88 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


sement,  que  le  pied  du  promeneur  à grosse  moustaclie  se 
prend  entre  les  longues  jambes  de  l’Anglais  qui  va,  à quel- 
ques pas  plus  loin,  mesurer  sa  longueur  sur  le  sol.  Si  vite 
qu'il  se  lève,  Bouscastrol  a pris  une  telle  avance  qu’il  dispa- 
raît aux  yeux  de  son  acharné  poiirsuiveur.  Celui-ci  serre 
rageusement  les  maxillaires,  articule  un  « Tes!  » plein  do 
menace  et,  rebroussant  chemin,  vient  rejoindre  notre  petit 
groupe  d'expositionnistes  témoins  plus  ou  moins  ironiques 
de  sa...  culbute. 


CH  A IM  T HE  Vl 


LUXHMIiÜURG 


LliS  A USE. NI' s ONT  TOUT 

Après  avoir  longuement  discuté  au  siijel  d('  savoir  s'ils 
visiteraient  seuls  l’intérieur  du  Pavillon  de  l'Espagne  ou 
s'ils  se  rendraieni,  avec  les  noies  laissées  par  le  bohème,  à 
celui  du  Luxembourg,  c’est  [)0ur  ce  dernier  que,  sur  l’avis 
de  V('rduret,  se  décident  les  deux  couples  escortés  de  l’insé- 
parable Puzzling. 

D’ailleurs,  M""''  Flore  éprouve  le  désir  de  rester  autant  (jiie 
possible  en  plein  air 

Le  Pavillon  du  Grand-Duebé  que  gouverne,  sous  la  suz(‘- 
raiueté  des  Pays-Bas,  le  grand-duc  de  Nassau,  se  trouve 
placé  de  l’anli'c  côté  de  la  « Bue  des  Puissances  Etrangères  », 
c’est-à-dire  dans  la  partie  qui,  au  lieu  de  donner  sur  la 
Seine,  s’appuie  à la  palissade  de  clôture  de  l’Exposition  sur 
le  quai  d’Orsay.  l*our  l’observateur  placé  sur  la  rive  droite  du 
tleuve,  il  est  exactement  derrière  le  Pavillon  de  la  Belgique, 
à l’angle  du  boulevard  ti'ansversal  qui  fait  suite  à la  j)asse- 
relle  médiane  jetée  sur  la  rivière  entre  les  ponts  des  Inva- 
lides et  de  l’Alma. 

C’est  sur  ce  court  boulevard  que  s’ouvre  l’entrée  princi- 
pale lin  Pavillon  et  que  s’arrêtent  nos  visiteurs. 

Verduret,  alors,  ajuste  tant  bien  que  mal  un  pince-nez 
rôtir...  par  la  faute  du  manque  de  proéminence  de  son  sup- 


90  ' A TRAVERS  l’eXPOSITION 


port,  et,  (l'un  ton  important,  il  lit  la  note  désespérément 
succincte  ([uc.  voici  : 


« Pavillon  de  Luxembourg  (prière  de  lu'  pas  cont'ondre 
avec  le  Palais  antinatioualiste  Idem  : pas  de  rapport). 

» Est  une  reproduction  partielle  du  Palais  du  Grand-Duc, 
à Luxembourg  (xvi*^ siècle  — jolies  tourelles  — Na[)oléon  L'‘' 
y descendit  en  1804)  dont  il  reproduit  quelques  fragments 
[udneipaux. 

U Long  rectangle,  de  35  mètres  de  façade  sur  l'avenue, 
avec  10  mètres  de  profondeur...  » 

— Superficie,  350  mètres  carrés,  interrompit  fatalement 
Bècbard. 

Verdnret  poursuit  sa  lecture  ; 

« A cbaque  e.xtrémité,  un  pavillon.  (Adni  de  l'entrée 
principale,  pavillon  Est,  constitue  nue  tour  haute  de 
20  mètres  environ. 

« L’entrée  principale  — pavillon  Est  — donne  sur  une 
exi)osition  de  poteries  et  faïences  du  pays.  Dans  la  tour  ; 
[)remier  étage,  salle  de  lectures;  second  étage,  bureau  du 
Commissaire  général. 

(<  Corps  central  du  Pavillon,  travaux  de  l’Ecole  des 
.\rtisans,  exposition  télégrapbi([ue  et  téléphonique,  etc. 
iV.  /)'.  — Ne  pas  oublier  de  montrer  la  reproduction  du  mo- 
nument élevé  par  la  Ville  aux  poètes  nationaux  Dick  et 
Letitz,  œuvre  du  sculpteur  Federspiel  — et  aussi  l’exposi- 
tion (produits  et  photographies)  de  la  station  thermale  de 
.Mondorf-les-Bains,  située  à dix-sept  kilomètres  do  Luxem- 
bourg. 

<(  Sous  le  deuxième  clocheton,  c’est-à-dire  pavillon  Ouest, 
au  rez-de-chaussée,  brasserie  de  dégustation  îles  produits 
du  syndicat  des  brasseurs  de  la  capitale  lu.xembonrgeoise  ; 
faii'e  remarquer  dans  ce  Itar  de  beaux  vitraux  exécutés  par 
un  artiste  de  Lnxcmbouj'g.  » 

— Là,  explique  Yerdnret,  deux  lignes  que  je  ne  peux 
pas  lire  : c’est  dans  le  pli  du  papier,  le  crayon  est  tout 
effacé. . . . Puis  : 


LA  lU  E DES  PLISSANCES  Al  OL'AI  IJ  ORSAY 


[Il 


<<  Le  Commissaire  général  est  M.  ïony  Dutreux,  l'iiigé- 
nieiir-arehitecte  qui  a construit  à lAixembonrg  le  beau 
monument  de  la  « Fondation  Pescator  »,  musée  de  tableaux 
de  la  Ville. 

« Le  Commissaire  adjoint  est  M.  Auguste  Dutreux,  tils  du 
jirécédent. 

« Le  Pavillon  de  Luxembourg,  au  quai  d’Orsay,  est  con- 
struit en  bois  avec  revêtement  de  carreaux  de  plâtre.  L'ar- 
chitecte — français  — en  est  M.  Vaudoyer,  chevalier  de  la 
Légion  d’honneur,  déjà  chargé  de  la  même  Section  luxem- 
bourgeoise aux  Expositions  de  1878  et  de  1881). 

((  En  dehors  de  son  Pavillon,  le  Luxembourg  a principa- 
lement deux  belles  expositions,  une  de  l’usine  Dudelange, 
au  Palais  des  iNlines  et  de  la  Métallurgie,  et  une  des  fameux 
rosiéristes  et  pépiniéristes  du  Duché,  dont  les  échantillons 
sont  superbes.  ■) 

Vei'duret  s'arrête. 

— Hein  ? demande  Dêcbaid...  Voulez-vous  que  je  vous 
aide  à lire  ? 

— Inutile  : c’est  tout. 

— Comment,  c’est  tout? 

— Absolument. 

— C’est  maigre  ! 

— Ce  qui  m’étonne,  c’est  qu’avec  des  notes  si  concisi's, 
cet  étonnant  Bouscastrol  trouve  à nous  dire  tant  de  choses 
intéressantes. 

— Dah  ! mon  cher,  ces  ^léridionaux  sont  tous  les  mêmes; 
lorsqu’ils  n’ont  rien  à dire,  ils  trouvent  quand  même  à 
parler. 

— Dêchard,  vous  êtes  injuste. 

— Tant  pis  pour  lui  : il  n’avait  qu’à  ne  pas  nous  planter 
là...  Eh  bien,  que  faisons-nous,  maintenant? 

— Nous  allons  visiter  le  Pavillon,  comme  il  est  convenu, 
et  y attendre  M.  Bouscastrol.  Seulement,  quand  nous  le 
tiendrons,  avant  de  passer  à la  visite  des  autres  Pavillons 
qui  nous  restent  à voir,  nous  lui  demanderons  des  détails 
complémentaires. 

— Ah  ! vous  y tenez,  à son  verbiage,  vous  ! 


I.A  liüE  DES  ni  lSSA^CES  AU  QUAI  U ORSAY 


93 


— Bccliartl,  je  suis  venu  ici  pour  m’instruire.  Le  hasard 
m’en  oiïrc  le  moyen  : j’en  profite. 

— Allons,  messieurs,  dit  gaiement  Bertrande,  ne  vous 
disputez  pas  et  entrons  ! 

Puis,  la  jeune  tille,  trouvant  moyen  de  rester  en  arrière 
avec  Puzzling,  lui  dit  tout  bas  : 

— L’occasion,  pour  nous  aussi,  va  être  bonne.  M™"  Bè- 
cliard  est  toute...  rêveuse;  mon  oncle  va  être  très  occupé 
à expliquer  à son  ami  tout...  ce  qu’il  ignore  lui-même; 
donc,  nous  allons  avoir  la  possibilité  de  causer. 

— y’es!  et  de  faiser  alliance. 

— Contre  votre  grand  ennemi? 

— Aôb,  l/es!...  Jé  tenais  loui  dans  le  abborrence  : il  été 
le  caôse  jé  avé  presque  cassé  le  nez  de  moa  sur  le  terre  ! 

— (Juel  crime!  Tenez,  il  ne  mérite  aucune  pitié. 

— G’été  one  sauvage  !...  onc  Boër  !...  Jé  allé  toute  racon- 
ter à vù. 

Biant  sons  cape,  la  line  Bertrande  se  dit  : 

— Lnfin,  je  vais  donc,  pcut-ctre,  savoir...  ce  qu’t/  me 
cache  ! 


E Bit  Aï  A 


Des  erreurs  typograpliiques  se  sont  produites  dans  les  noms  sui- 
vants : 

Tome  VIll.  — Autriche.  Lire:  M.  Max  Beyer,  Commissaire  général 
' adjoint,  au  lieu  de  Min/er. 

— IX.  — Norvège.  Lire  : M.  Ivar  Aanstad,  second  Secrétaire, 
au  lieu  de  Aaiisiad. 

— IX.  — Suède.  Lire  : M.  Arthur  Tiiiel,  Commissaire  général, 
au  lieu  de  ThiU. 


Le  isruchaui  volume  auva  pour  litre  : 


L’AVENUE  UES  NATIONS 
el  comprendra  : 


Les  Pavillons  de  la  Roumanie 
— la  Bula-iU'ie. 


la  Finlande, 
la  Perse, 
le  Pérou, 
le  Portugal. 
F te. 


/p'.v  dessins  accompagneront  le  texte. 


l ne  helle  Ei tltographie,  faisant  suite  à celle  du  volume 
précèdent,  représentera  divers  Pavillons  élramjers. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pages 

Chapitre  — Grèce 5 

§ I.  A deux  de  jeu ■ ■ ■ •' 

§ II.  Les  deux  Grèces I l 

Chapitre  II.  — Seiuue '■> 

§ I.  Ln  amateur  pris  au  piège 

§ II.  Alerte  ! • ■ 

Chapitre  III.  — BEEc.igcE H 

§ I.  L’Hôtel  de  A ille  d’Audeuarde -11 

§ 11.  Sayes-tu,  menherr  ? -1*^ 

Chapitre  IV.  — .Ai.lemaone 

§ 1.  La  politique  de  Bouscastrol 

§ II.  L’idée  impériale 

Chapitre  V.  — Espagne 

§ I.  Soupçon  de  « plumet  » 

§ IL  En  panne 

Chapitre  VI.  — 

Les  absents  ont  tort 


I 


Paris.  — lmp.  MICHELS  bt  Fils,  6,  8 et  lo,  rue  d'Alexandrie. 


I 


A TRAVERS 


L’EXPOSITION  DE  1900 


XI 


L’AVENUE  DES  NATIONS 


EN  VENTE  : 


I.  L'Exposition  à vol  d'oiseau 1 vol.  illustré  > 60 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . — » 60 

III.  Le  Grand  Palais — » 60 

IV.  Le  Vieux  Paris — » 60 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris — » 60 

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 

resques   — " IjO 

VII.  Le  Palais  de  l'Électricité  et  le  Château 

d'Eau — » 60 

VIII.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères.  — » 60 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  ...  — » 60 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d'Orsay.  — » 60 


•|1Mi  i-rt— tl~- 1 41 


niIAPITHE  PUE.MIEI! 


LA  CHASSE  Ai:  PRODIGE 


§ 

U ^ 1>  A li  1 

Nous  avons  laissé  noire  groupe  provincial  en  train  de 
visiter  — sans  guide,  hélas  ! — le  Pavillon  du  Grand-Duché 
de  Luxembourg. 

Profitant  de  ce  que  le  houhomme  Verduret  fait  les  plus 
louables  ell'orts  pour,  le  catalogue  en  main,  remplir  tant 
bien  que  mal  l’ollice  de  cicerone  à l’égard  de  son  parfaite- 
ment grincheux  ami  Bccbard,  occupation  qui  l’absorbe  en 
entier;  profitant  surtout  île  ce  que  M""-'  Flore,  après  avoir 


6 


A TRAVEBS  L EXPOSITION' 


commencé  par  jacasser  comme  une  grosse...  grive,  est  tout 
à coup  tombée  dans  une  sorte  de  prostration  (|ui,  sans  1 em- 
pêcher de  suivre  machinalement  « ces  messieurs  la  rend 
incapable  de  rien  penser,  dire  ou  voir;  protitant,  donc,  de  ce 
concours  exceptionnel  de  circonstances  tavorahles,  Bertrande 
a mis  James-Gregory  Puzzling — qui  ne  demandait  que  cela 

demeure  de  lui  faire  les  coniidences  qu  elle  réclame 

avant  de  s'engager  dans  la  secrète  « alliance  » proposée  [lar 
l’Anglais  à la  jeune  lille. 

Or,  débarrassé  de  la  forme  de  langage  très  relativement 
française  qu  emploie  le  citoyen  de  la  libre  et  généreuse 
Albion  — et  dont  la  lecture  serait  une  fatigue  — voici  l’in- 
vraisemblable  histoire  que  Puzzling  parvient  à raconter,  en 
un  monologue  fréquemment  sus[)endu  par  la  nécessité  où 
est  Bertrande  de  répondre  aux  incessants  appels  de  son 
oncle  : 

« L'année  dernière,  un  membre  de  la  Chambre  Haute, 
grand  amateur  de  sports,  ayant  son  yacht  à Bowes,  une 
écurie  près  d'Epsom,  connu  pour  ses  « challenges  » sportifs 
de  toutes  natures  ; footbal,  boxe,  bicyclette,  teut-teuf,  tours 
de  force  de  cavalier  et  de  piéton  marcheur,  lord  Drysteam, 
pour  ne  pas  le  nommer,  se  trouvait  à bord  du  bateau  faisant 
le  service  de  Dieppe  à Newhaven. 

« Le  temps  était  superbe.  Commodément  assis  dans  un 
fauteuil  d'osier,  à l arrière,  lord  Drysteam  causait  avec  quel- 
ques amis.  Leur  conversation  portait,  non  sur  les  pre- 
mières difficultés  outre  .loseph  Chamberlain  et  l'Oncle  Paul, 
comme  on  pourrait  le  croire  et  comme  cela  n’eut  pas  man- 
qué de  la  part  de  Français  écervelés,  mais  bien  sur  la  vitesse 
comparée  des  divers  railways  du  monde. 

« Et  l’éminent  membre  de  la  Chambre  des  Lords  était 
tout  simplement  indigné  de  ce  que  le  record  de  la  vdtesse 
sur  voie  ferrée  ne  fut  pas  détenu  par  1 Angleterre,  pas 
même  par  l’Amérique  du  Nord,  sœur  de  la  race  d Albion, 
mais  bien  par  cette  Compagnie  du  Chemin  de  fer  du  Nord 
de  cette  France  qui,  source  ordinaire  des  inventions,  arrive 
non  moins  ordinairement  bonne  dernière  dans  1 utilisation 
des  progrès  conçus  chez  elle,  mais  qui  ne  1 intéressent  que 
lorsqu’ils  reviennent  de  l’étranger. 


l'avenue  des  nations 


7 


« — C’est  insupportable,  disait-il  avec  force  et  conviction. 
A la  prochaine  session  du  Parlement,  je  ferai  eu  sorte  que 
le  (iouveruement  de  la  Heine  impose  à nos  compagnies  de 
]'aihvays  l'obligation  de  la  suprématie  de  la  vitesse  sur  le 
monde  entier.  11  ferait  licau  voir  que  le  plus  vaste,  le  plus 
puissant,  le  plus  riche  et  le  plus  « respectable  » empire  de 
l’Univers  n’eût  pas  en  tout  la  supériorité  absolue,  comme 
c'est  son  droit  rigoureux  par  cela  seul  qu'il  s'appelle  r.\n- 
gleterrc  ! 

« Les  compagnons  du  lord  n’ont  pas  eu  le  temps  d'a[)- 
prouver  sa  belle  déclaration  impérialiste  qu’une  voix  ironi- 
que s’élève  à (|uelquos  pas  et  dit  : 

« — 11  faut  pourtant,  mylord,  que  l'orgueilleuse  Albion 
ri'uonce  délinitivement  à cette  suprématie  et,  comble  de 
douleur!  en  faveur  do  la  même  voisine,  la  b'rance. 

« — (Jui  parle  ainsi?  demande,  eu  sursautant  sur  son  fau- 
teuil d’osier,  le  noble  membre  de  la  Chambre  Haute. 

« — Moi,  déclare,  en  s’avançant  avec  aisance,  un  jeune 
homme  à la  légère  moustaebe  brune,  à la  mise  élégamment 
simple  qui,  depuis  un  moment,  se  tient  appuyé  contre  le 
bastingage  du  paquebot. 

((  Le  lord  toise  dédaigneusement  le  nouveau  venu,  puis 
détourne  de  lui  les  yeux,  se  disposant  à poursuivre  sa  con- 
versation avec  ses  amis  comme  si  aucune  interruption  ne 
se  fût  produite. 

« L’étranger  sourit  silencieusement,  non  sans  hausser 
fort  irrévérencieusement  les  épaules. 

« — Oui,  je  sais,  dit-il  en  excellent  anglais;  je  n’existe 
pas  jiour  lord  Drysteam,  n’ayant  jias  eu  le  grand  honneur  do 
lui  avoir  été  présenté.  Comme  je  n’ai  nnllcment  l’intention 
de  me  faire  connaitre  ici,  je  n’ignore  pas  que  je  demeurerai 
pour  le  haut  gentleman  que  je  contemple  une  quantité  hu- 
maine parfaitement  négligeable.  Enfreignant  volontairement 
les  règles  d'une  sévère  étiquette,  je  n'ai  pas  la  prétention 
d’attendre  aucune  réponse,  aucun  signe,  même,  m’indiquant 
que  ma  voix  est  entendue.  Mais  je  u’eu  affirme  pas  moins 
que  l’Angleterre,  sous  le  rapport  de  la  translation  ultra  rapide 
de  l’homme  autour  de  la  planète  tellurienne  et  dos  consé- 
quences qui  en  découlent,  doit  désormais  — et  probable- 
ment pour  toujours  — s’incliner  humblement  devant  la 


8 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


France...  dont  avant  peu,  si  telle  est  sa  fantaisie,  des  batail- 
lons pourront  fondre  sur  ta  Cité  sans  qu'aucun  soldat  de  la 
Yoemanery  ait  eu  le  temps  de  faire  seller  son  cheval...  ou 
même  d’enlilcr  ses  bottes  ! 

« — Aôh  ! ne  peut  s’empêcher  de  faire  le  lord. 

« — Bien,  je  vois  que  vous  m’entendez,  poursuit  en  sou- 
riant lra]u|uillemcnL  l’inconnu.  Eh  bien  ! milord,  sachez  que 
je  n’avance  rien,  en  ce  moment,  dont  je  ne  puisse  bientôt 
faire  la  preuve...  oh  ! discrètement,  pour  ne  pas  froisser 
votre  susceptibilité  nationale. 

« — iMonsieur,  répond  enfin  le  gentleman,  vous  ne  m’êtes 
pas  présenté,  c’est  vrai.  Mais  ce  qtie  vous  dites  est  si  étrange 
que,  outre  que  la  situation  de  compagnons  de  traversée  ex- 
cuse cevlaines  licences,  je  veux,  à titre  de  sportsman,  passer 
outre  à cette  dérogation  à une  séculaire  coutume  de  mon 
})ays.  Je  vous  serais,  en  conséquence,  obligé  de  vous  expli- 
quer. 

» — Je  m’en  garderai  bien,  milord.  Mais  je  peux  vous 
proposer  un  pari...  de  100,000  francs. 

« — Quatre  mille  livres  sont  un  enjeu.  Mais  comment 
pourrais-je  parier  avec  un  inconnu? 

<(  — Qui  se  fera  connaître  en  temps  utile,  croyez-le 
bien. 

« — El  ce  pari  ? 

« — Voici...  Mais,  d'abord,  je  vous  préviens  (|ue  je  ne 
voyagerai  que  la  nuit  et  que  te  temps  où  le  soleil  sera  au- 
dessus  de  l'horizon  ne  comptera  pas  dans  le  compte  des  heures 
employées  à faire  de  la  route. 

« — Quelle  idée  ! 

« — J'ai,  pour  agir  ainsi,  une  raison  majeure. 

« — Soit.  Eh  bien? 

« — Eh  bien,  nous  pourrons  partir  le  même  soir,  aussitôt 
la  nuit  complètement  tombée,  vous  de  Londres,,  sur  votre 
le  mieux  en  forme;  moi  do  Paris  sur...  un  coursier 
d’un  autre  genre. 

((  — Apocalyptique? 

« — Peut-être.  Toujours  est-il  qu’avant  que  vos  courses 
nocturnes  vous  aient  conduit  jusqu’à  Edimbourg,  j'aurai, 
moi,  touché  successivement  : un  point  de  la  cote  sud  de 
l’Angleterre,  l’extrême  nord  de  l’Ecosse  ou  peut-être  une  île 


t.  AVEN’l'K  DES  NATIONS 


9 


des  Orcades  OU  des  Shetland,  un  des  fjords  norvégiens  des 
environs  de  Bergen,  le  voisinage  du  Cap  Nord,  un  village  à 
proximité  de  Stockholm,  nn  lieu  à ma  convenance  des  ter- 
ritoires allemands  on  hollandais,  et  sei'ai  enlin  rentré  à 
Paris...  avec  liberté,  bien  entendu,  de  brûler  une  ou  deux 
des  étapes  intermédiaires  si  je  le  juge  à propos,  mais  avec 
l’obligation,  si  je  ne  crois  pas  devoir  m’arrêter,  de  passer 
par  tons  les  points  précités.  / 

« Le  lord  et  ses  compagnons  regardent  l’étranger  de  tra- 
vers. 

« Celui-ci,  aussitôt  : 

« — Je  ne  suis  pas  fou,  et  encore  moins  suis-je  un  mau- 
vais plaisant. 

((  — Hum  ! fait  le  membre  de  la  Chambre  Hante,  à votre 
accen  t je  devine  que  vous  êtes  Français,  ce  qui  me  dispense 
de  prendre  vos  folies  an  sérieux. 

U — C’est  qn’alors,  vous  vous  avouez  vaincu  sans  com- 
battre. 

« — Du  tout!  Mais  votre  proposition,  en  tout  cas,  ne  tient 
pas  debout.  Comment  saurais-je  que  vous  avez  fidèlement 
rempli  les  clauses  du  « cballenge?  » Un  de  mes  amis  vous 
accompagnera-t-il  ? 

<1  — Je  m'y  oppose  absolument  ! 

« — Alors? 

« — C'est  pourtant  simple  : j’ai  justement  sur  moi  une 
douzaine  de  cartes  photographiques...  Ces  portraits  de  votre 
serviteur  ont  été  tirés  par  un  amateur  de  mes  amis;  ce  qui 
explique  qu’ils  ne  portent  pas  de  nom  de  professionnel. 

((  — Üb  ! vous  tenez  donc  bien  à ce  qu’on  ne  puisse 
mettre  un  nom  sur  votre  visage? 

« — Peut-être.  Mais  cela  importe  peu  à mon  moyen  de 
contrôle,  qui  est  le  suivant  : vous  prenez  la  peine,  milord, 
de  numéroter  et  de  parafer  au  dos  chacun  de  ses  portraits. 
Moi,  je  les  ferai  ensuite  viser  dans  l’ordre,  avec  lieu,  date  et 
heure,  par  les  plus  notables  habitants  que  je  pourrai  réveil- 
ler aux  endroits  où  je  m’arrêterai,  et  je  vous  les  adresserai 
par  la  poste.  H vous  sera  facile  de  faire  contrôler  l’exactitude 
de  ces  visa,  dont  les  signataires,  sur  le  vu  du  portrait,  au- 
ront mentionné  par  écrit  l’identité  de  la  personne  dont  ils 
affirmeront  la  présence  an  lieu  indiqué. 


10 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


« Le  lord  éclcito  de  rire,  iin  peu  bruyamment,  à l’an- 
glaise. 

(I  — Ma  foi,  s’écrie-L-il,  ce  n’est  pas  mal  imaginé  et  vous 
êtes,  comme  la  plupart  de  vos  légers  compatriotes,  un  adroit 
farceur!  Vous  voulez  tout  simplement  collectionner  quel- 
ques-uns de  mes  autographes. 

((  — Mon  Dieu,  milord,  si  cela  était,  je  me  permettrais 
de  solliciter  un  peu  plus  qu’un  numéro  d’ordre  et  une  sim- 
ple signature.  D’ailleurs,  je  ne  tiens  pas  absolument  à ce 
que  votre  nom  s’étale  sur  l’envers  de  mon  visage,  et  nous 
pouvons  le  remplacer  par  un  signe  quelconque,  tracé  de 
façon  à authentiquer  sûrement  la  carte  photographique. 

« — Alors,  c’est  sérieux? 

(<  — Tout  ce  qu’il  y a de  plus  sérieux. 

« — Vous  prétendez  vous  transporter  en  une  semaine 
sur  ces  points  si  éloignés  et  sans  communication  rapide 
normale  entre  eux  ? 

« — .le  vous  ai  dit  en  six  ou  sept  nuits,  voulant  garder 
](!  secret  de  mon  moyen  de  locomotion...  Lt  remarquez  que 
je  choisirai  des  nuits  moyennes,  l’expédition  en  question 
ne  pouvant,  à mon  estime,  avoir  lieu  avant  le  courant  de 
mars  1900. 

« — Et  si  vous  voyagiez  jour  et  nuit? 

« — Sans  arrêts,  je  ne  demanderais  que  de  soixante-dix 
à quatre-vingts  heures  pour  aller  de  Paris  au  Cap  Nord,  en 
passant  par  l'Angleterre,  et  revenir  au  point  de  départ  par 
la  Suède,  le  Danemark,  l’Allemagne,  la  Hollande  et  la  Bel- 
gique. 

((  — B;/  God ! si  vous  accomplissiez  ce  tour  de  force,  je 
n’aurais  pas  besoin  d'égrener  des  nuitées  de.  cheval  sur  la 
route  de  Londres  à Edimbourg.  .Je  n’aurais  qu’à  me  déclarer 
hautement  vaincu  sans  bouger  de  place.  Mais... 

((  — Quoi?  demande  l’inconnu,  relevant  une  intention 
railleuse  dans  le  regard  du  lord. 

« — l'ourquoi  demandez-vous,  pour  partir,  ce  long  délai 
entre  l’heure  présente  et  le  mois  de  mars  1900  ? 

« — Parce  que  je  ne  suis  absolument  certain  d’avoir  ma 
monture  prête  qu’alors. 

<<  — Wedll  c’est  bien  ce  que  je  pensais  : vous  êtes  encore 
un  de  ces  illuminés  qui,  en  fait  de  monture,  chevauchent 


I,  AVENUE  DES  NATIONS 


1 I 


la  Cliimère...  Voilà  un  pari  que  je  pourrais  tenir  sans  crainte 
d'y  risquer  mes  quatre  mille  livres  sterling. 

a — Alors,  vous  le  tenez? 

((  — Lord  Drysteam,  monsieur,  se  disqualifierait  parmi 
les  grands  sportsmen,  s’il  prêtait  le  liane  à une  telle  plai- 
santerie. 

« — Lord  Drysteam,  milord,  a penr  d’être  obligé  de 
témoigner  de  la  défaite  sportive  d’Albion,  et  lord  Drysteam, 
membre  de  la  Gbambre  Haute,  a peur  d'etre  contraint  do 
constater  qu’un  pauvre  rêveur  a doté  la  Franco  d’nn  engin 
tel,  que  l'immense  flotte  d’Angleterre  ne  pourrait  défendre 
Londres  d’un  coup  de  main,  les  arsenaux  et  les  railways 
d’une  destruction  immédiate;  d’un  engin  tel  que,  laGrande- 
Dretagne  ei'it-elle  une  armée  de  cinq  cent  mille  hommes, 
cette  armée  serait  dans  l’impossibilité  d’empêcher  la  flamme 
de  la  ravager  de  l’Ouest  à l’Est  et  du  Sud  au  Septentrion  ! 

« Cetle  fois,  le  noble  personnage  rit  à gorge  déployée. 

« — Mais,  alors,  s’écrie-t-il,  ce  sera  la  tin  du  monde  ! 

« — Non,  milord,  puisque  ce  sera  la  main  généreuse  de 
la  France  qui  tiendra  la  foudre.  Mais  ce  sera  la  lin  de  la 
suprématie  britannique  sur  les  faibles  des  cinq  parties  du 
monde;  ce  sera  pour  longtemps  la  délivrance  pour  Lbuma- 
nité,  la  guerre  devenant  impossible  sans... 

« — Votre  permission,  peut-être? 

« ■ — Eh!  ma  foi,  oui,  peut-être,  milord  ! 

« — Monsieur,  donnez-moi  vite  vos  portraits.  Vous  ôtes 
parfaitement  fou,  mais  vous  m’avez  fait  passer  un  trop 
joyeux  moment  pour  que  je  vous  refuse  de  flatter  votre  fan- 
taisie démente.  J’adore  les  « excent  ries  »,  et  je  reconnais 
que  je  n’en  ai  pas,  jusqu’ici,  rencontré  qui  m’aient  parlé 
sans  rire  de  briller  l’Angleterre...  en  soufflant  dessus.  Vite, 
ïoby,  une  plume  et  de  l’encre  dans  mon  nécessaire  de 
voyage!...  Je  n’ai  qu’un  regret,  c’est  de  ne  pas  connaître 
votre  nom,  pour  l’envoyer  au  lum,  avec  le  désopilant  récit 
de  cet  entretien...  Mais  je  reconnais  que,  sans  le  complé- 
ment d’originalité  que  donne  le  mystère,  cette  folle  aven- 
ture perdrait  le  meilleur  de  son  humour...  Donc,  monsieur 
le  futur  maître  du  Monde,  voici  vos  photographies,  numé- 
rotées et  signées  de  ma  main.  Je  vous  souhaite  un  bon 
voyage  au  pays  du  Soleil  de  Minuit,  en  attendant  le  grand 


12 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


jour  où  je  vous  verrai  sortir  d’une  trappe,  à la  Ciianibre 
des  Lords,  la  torche  victorieusement  incendiaire  à la  main... 

« Et  le  lord,  tournant  le  dos  à l'inconnu,  après  lui  avoir 
remis  son  lot  de  portraits,  s’écrie,  en  s’adressant  à ses  com- 
pagnons de  traversée  : 

(<  — Mes  amis,  il  n’y  a que  la  France  pour  élever  au 
biberon  de  pareils  boulions  : j’en  rirai  longtemps  ! 

« Pendant  ce  temps,  le  jeune  homme  à la  légère  mous- 
tache brune  a tranquillement  remis  dans  sa  poche  ses  por- 
traits autographiés  et  est  allé  reprendre,  appuyé  au  bas- 
tingage, sa  méditative  contemplation  de  la  mer. 


« Six  mois  se  passent.  Après  en  avoir  ri  tout  une  longue 
quinzaine,  il  y a belle  lurette  que  lord  Drysteam  a complè- 
tement oublié  l’aventure  du  bateau  de  Dieppe-Newhaven. 

(>  Dr,  un  matin,  parmi  le  courrier  que  lui  présente  avec 
le  llegme  tle  rigueur  le  correct  Toby,  il  avise  une  lettre  por- 
tant le  timbre  français  et  dont  l’écriture  lui  est  inconnue. 
Il  1’  ouvre  machinalement  et  en  tire...  une  photographie, 
celle  de  l’inconnu  du  « packet  ».  11  retourne  vivement 
l’image  et  lit  : 

(<  ^ nuirs,  ()  lipiirps,  soir.  — .le  pars  dans  un  instant.  Pré- 
parez vos  hanknotes,  milord.  A mon  retour,  je  vous  forai 
savoir  comment  vous  pourrez  me  faire  tenir  votre  chèque 
de  quatre  mille  livres  sterling  ».  Au-dessous,  se  trouve  l’at- 
testation de  deux  boutiquiers  du  boulevard  de  la  Chapelle, 
à Paris,  déclarant  qu'à  l’heure  et  au  jour  susdits,  l’original 
du  présent  portrait  était  en  leur  présence. 

K — Ah  ça,  se  dit  le  lord,  est-ce  que  ce  farceur  ou  ce 
détraqué  voudrait  réellement  me  fait  croire  qu'il  entreprend 
cet  invraisemblable  voyage?  Bah  ! attendons. 

<<  Il  met  la  photographie  de  côté,  après  avoir  bien  constaté 
qu’elle  est  une  de  celles  signées  de  lui  et  est  matriculée  n“  1 . 
Tout  le  jour  il  pense  à cet  envoi  inattendu,  mais  en  souriant 
avec  une  parfaite  incrédulité. 

« Le  soir,  réception  de  la  carte  photographique  n”  2,  da- 
tée de  Poüle,  dans  le  Dorsetshire,  .3  mars,  45  minutes  du 
matin,  et  attestée  comme  la  précédente. 


L AYl^NT'E  DES  NATIONS 


13 


« Le  lord  n'cTi  croit  pas  ses  yeux...  qu'il  ne  parvient  guère 
à fermer  de  la  nuit,  tant  est  grande  sa  surprise. 

((  Le  lendemain  matin,  troisième  missive  identique,  expé- 
diée des  environs  de  Nickwall,  capitale  des  Iles  Orkney  (ou 
Orcades),  et  portant  la  mémo  date,  3 mars,  7 heures  25  mi- 
nutes du  matin.  Cette  fois,  le  noble  lord  n’a  plus  envie  de 
sourire  ; il  bondit  de  sa  couebe,  refuse,  pour  la  première 
fois  de  sa  vie,  son  tbé  malinal,  qu’il  remplace  par  un  double 
petit  verre  de  gin,  condamne  sa  porte  et  demeure,  singu- 
lièrement perplexe,  dans  son  vaste  cabinet  de  travail...  Istre 
allé,  en  une  nuit,  de  Paris  à l'extrémité  nord  de  l'I^cosse, 
en  s’ai'rètant  à quelques  dizaines  de  milles  à l’onest  de  Pile 
de  ^Yigbt!...  Gela  dépassait  l’imagination!... 

((  Le  soir,  rien.  Le  lendemain,  rien.  Le  surlendemain, 
rien... 

« Lord  Drysteam  recommence  à resjiircr.  11  se  dit  qn’il  a 
été  le  jouet  de  quelque  tour  do  passe-passe,  explicable  par 
•l'admission  de  l’bypotbèse  de  l’aide  d'un  compère  ayant,  avec 
le  modèle  du  portrait,  une  ressemblance  pins  ou  moins  ap- 
prochée. L'important  est  que  le  cauebemar  de  la  réalisation 
de  l’étrange  pari  ne  soit  qu'une  fausse  alerte.  C'est  tout  ré- 
conforté par  cette  idée  que  le  noble  gentleman  se  rond  à 
son  club. 

« Le  lendemain,  rien  encore.  Rasséréné,  lord  Prvsteam 
se  prend  ti  rire  de  sa  donble  angoisse  de  sportsman  et  de 
]>atrioto  impérialiste  anglais.  Mais,  le  surlendemain,  tout 
s'elfondre  : quatre  photographies  lui  arrivent  à la  fois  : une 
portant  le  timbre  de  Bergen  (Norvège)  et  le  n'’  3;  une  d’Ar- 
boga,  non  loin  de  Stockholm,  et  chiiïrée  n“  5 ; une  de  Lin- 
den, en  Hanovre,  non  loin  de  la  frontière  de  Hollande,  n"  (i; 
enfin,  le  n"  7,  venant  de  Paris  et  indiquant  le  retour,  7 mars, 
à 5 heures  du  matin,  de  ce  féerique  voyage.  Le  n"  4 man- 
que à l’appel;  mais,  comme  c’est  celui  du  Cap  Nord  — avec 
lequel,  en  dehors  des  quelques  semaines  qui  avoisinent  le 
solstice  d’été,  les  communications  sont  plutôt  rares  — rien 
d’étonnant  à ce  que  la  missive  mette  quelque  temps  à par- 
venir à son  adresse. 

<(  En  recevant  cette  bordée  photographique,  lord  Drysteam 
croit  devenir  fou.  C’est  donc  vrai!...  Un  Français  maudit  a 
donc  trouvé  le  moyen  nouveau  et  incomparable  de  suppri- 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


mer  pour  l’Iiommo  lu  distance,  et  de  faire  en  cinq  jours,  ou 
mieux,  en  cinq  nuits,  un  voyage  qui,  normalement,  en  se 
servant  des  steamers  et  railways  existants,  demande  près 
de  trois  semaines!...  C'est  vertigineux!...  C’est  surtout  ef- 
frayant en  raison  des  moyens  d’action  que  donne  la  posses- 
sion d'un  tel  secret  à une  nation  qui  le  voudrait  exploiter 
militairement.  Ce  n’était  donc  pas  assez  que  l’invention  dos 
infernaux  sous-marins  l)attent  en  brèche  la  toute-puissance 
de  la  Heine  des  Mers  ! 

« Blême  d’angoisse,  le  lord  se  fait  conduire,  au  galop,  au 
War  Office,  où  son  aventure  cause  un  trouble  autrement  sé- 
rieux que  les  nouvelles  de  la  campagne  sud-africaine.  L’af- 
faire fait  l’objet  d’un  Conseil  de  cabinet  où  il  est  décidé 
qu’il  faut  à tout  prix  acquérir,  pour  l’Angleterre,  la  nouvelle 
découverte  mystérieuse,  ou  bien,  si  l’on  no  peut  l’obtenir, 
ni  en  faisant  donner  en  grand  la  cavalerie  de  Saint-Georges, 
ni  par  persuasion,  ni  par  ruse,  ni  par  surprise,  faire  en  sorte 
do  supprimer  coûte  que  coûte  l’invention  inconnue. 

« Sur  riieure,  des  reproductions  des  photographies  re- 
çues par  lord  Drysteam  sont  envoyées  dans  tous  les  offices 
de  police  du  Hoyaume-Uni,  et  expédiées  avec  instructions 
précises  et  promesse  de  superbe  récompense  aux  nombreux 
agents  qu’Albion  entretient  sur  le  Continent.  » 


Tel  est,  dans  ses  grandes  lignes,  le  récit  qu’après  promesse 
d’en  garder  pour  elle  le  secret  rigoureusement,  James-Gre- 
gory  F'uzzling  fait  à la  gentille  Bertrande,  non  sans  être 
obligé  de  s’avouer  à l’intelligente  jeune  lille  comme  un 
des  émérites  limiers  londoniens. 

11  lui  déclare  — ce  dont  elle  ne  doute  pas  un  instant  — 
qu’il  est  sûr  d’avoir  trouvé,  seul  de  ses  confrères,  la  bonne 
piste,  en  s’attachant  aux  pas  des  singuliers  cicerones  du  pe- 
tit groupe  provincial  d’explorateurs  de  l’Exposition. 

Bertrande,  songeuse,  a écouté  attentivement  le  récit,  for- 
cément fait  par  bribes,  du  britannique  détective.  Lorsqu’il 
a fini,  elle  lui  dit  : 

— Mister  Puzzling,  mon  aide  vous  est  tout  acquise. 

— Ves  ! vô  il  aimé  le  yreai  pétrie,  le  Angleterre! 

— Non.  Je  suis  femme,  voilà  tout  et,  comme  telle,  je 
suis  folle  des  aventures,  j’adore  être  mêlée  à une  intrigue 


I.  AVrM  R DES  NATIONS 


1o 


el  suis  curieuse  en  diable.  Je  vous  assure  que,  dans  tout 
cela,  l’intérêt  de  l’Angleterre  comme  celui  du  mystérieux 
parieur  dont  vous  m'avez  raconté  riiistoire  me  sont  bien 
iiidiHérents.  Alors,  nous  allons  tacher  de  lui  faire  découvrir 
son  jeu,  à ce  cachottier? 

— Aoh,  ijes  l 

— Et  vous  croyez  vraiment  l’avoir  reconnu  dans  ce 
M.  Houscastrol  ? 

— .l’on  mettrais  le  tête  de  môa  sur  le  hillotte. 

— Vous  savez,  les  femmes  ont  de  bons  yeux  pour  saisir 
le  plus  subtil  indice  de  ressemblance...  Montrez-moi  donc 
cette...  photographie. 

— Impossibeul  ! 

— Vous  ne  voulez  pas? 

— Jé  pùvé  pas.  11  avait  été  volée ‘à  môa  dans  le  dernier 
nouit  par  des  felloK's  qui  avaient  hoxed  môa. 

— l'auvre  mister  Puzzling! 

— Tout  à l’heure  encore,  ces  « houit  »,  vô  avez  viou,  ils 
avaient  intercepté  mes  « quatre»...  Aôh  ! le  rascal,  il  été 
hieii  défend iou  ! 

— Hravo  ! pense  Bertrande. 

— Comprenez  : jé  été  hroùlé,  mes  hoys  ils  été  hroùlés, 
el  jé  vôlé  pas  mettc'r  le  frrnch  police  sur  le  piste. 

— Dame  ! elle  n’a  pas  été  créée  pour  faire  le  jeu  de  TAn- 
nlcterre  contre  un  Français  ! 

— Ce  été  ])as  cela.  Le  Angleterre  il  faisé  tôjours  mâcher 
le  goveriumient  du  France.  C’été  môa,  il  vôlé  pas,  becausc 
les  camarades  tic  môa  ils  seraient  informed  et  alors  ils  pré- 
liaient  le  bon  piste. 

— En  somme,  quel  premier  service  puis-je  vous  rendre? 

— Savoir  le  nom  de  loui  et  son  maison. 

— D’abord,  le  nom  vous  le  savez  aussi  bien  que  moi  : 
Bouscastrol. 

— Ce  été  pas  le  nom  de  loui,  et  il  été  pas  du  Garonne 
plous  qué  môa. 

— Comment  le  savez-vous  ? 

— Par  lord  Drysteam  qui  avait  entendiou  loui  pâler. 

— Soit...  Et  j’essaierai  de  lui  faire  dire  où  il  demeure? 

— No  : il  dirait  jamais.  11  fallé  faiser  conduct  vô  par  loui 
dans  son  home. 


16 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— Par  exemple!...  l’oiir  qui  me  prenez-vous?  s'écrie 
Bertrande  toute  rougissante. 

— Her  Majeslifs  service.  Vù  été  assez  jolie  pour  tùrner  le 
tête  de  loui.  Rememher  Jioudith  and  llolophern. 

La  jeune  fille  cache  sous  sa  main  gantée  un  singulier 
sourire  et,  d’une  voix  ferme  : 

— Comptez  sur  moi,  mister  Puzzling.  Je  me  dévouerai... 
jusqu’à  l'épouser,  s’il  le  faut  ! 

— Nù,  le  tlirtation  il  été  souflisante... 


§ Il 

LE  SIÈCLE  nui  MARCHE 

La  visite  — sans  guide  — du  Pavillon  du  Luxembourg 
est  achevée.  Nos  provinciaux,  groupés  devant  le  seuil  de 
l’entrée  principale,  interrogent  en  vain  des  yeux  les  alen- 
tours. Contrairement  à sa  promesse,  Bouscastrol  n’est  pas 
venu  les  rejoindre,  Bouscastrol  ne  reparaît  pas  à leur 
horizon. 

Bèchard  — approuvé  par  sa  moitié  qui,  à peu  près 
remise  d’un  trouble  passager,  s’appuie  à son  bras  — pré- 
tend ne  pas  faire  plus  longtemps  le  « pied  de  grue  » et 
poursuivre  la  visite  des  Pavillons. 

Verduret,  fortement  appuyé  par  sa  nièce  et  par  les  yes 
accentués  du  détective,  déclare  qu’il  a promis  d’attendre  là 
le  Toulousain  et  qu’il  l'y  attendra. 

Bèchard  riposte  aigrement.  Verduret  s’entête.  Dame  Flore 
et  Bertrande  se  mettent  de  la  partie.  Bref,  une  querelle  est 
imminente  ou  tout  au  moins  une  séparation  entre  les  deux 
couples...  lorsque  tout  à coup,  Verduret  fait  un  « Ah  ! » de 
surprise. 

— Est-ce  que  vous  apercevez  enfin  votre  hâbleur  de  la 
Haute-Garonne  ! 

— Non,  Bèchard,  ce  n’est  pas  le  joyeux  Bouscastrol  que 
j’aperçois,  mais  bien  notre  providence  du  jour  de  notre 
arrivée. 


I,  AVENUE  DES  NATIONS 


17 


— Le  centenaire  ? 

— Lui-mcme...  Et  tencfz,  il  nous  a reconnus,  car  il  se 
dirige  de  notre  côté. 

(Jnolqucs  instants  après,  le  vénérable  personnage  à la 
lourde  barbe  blanche,  aux  énormes  lunettes  et  à la  peau 
parcheminée,  aborde  le  groupe  abandonné  par  ses  mots  dits 
de  la  chevrotante  voix  de  tète  que  l’on  connaît  : 

— Charmé  de  vous  rencontrer,  madame,  mademoiselle  et 
messieurs.  Eh  bien,  vous  avez  donc  terminé  cette  si  inté- 
ressante visite  des  Pavillons  des  Puissances  étrangères  que 
vous  avez  rendu  la  volée  au  jeune  cicerone  que  j’ai  eu 
l'idée  de  vous  envoyer  ce  matin  ? 

— Mais  Jion,  nous  n’avons  pas  fini.  Nous  attendons,  pour 
achever  notre  visite  le  retour  de  M.  Bouscastrol  qui  nous  a 
quittés  tout  à l’heure,  au  Pavillon  de  l'Espagne,  en  nous 
donnant  rendez-vous  ici. 

Le  vieillard  secoue  doucement  la  tète. 

— llum  ! fait-il,  je  crois  que  vous  ferez  bien  de  ne  pas 
l’attendre  plus  longtemps.  Eu  [lassant  près  de  la  Porte  Rapp, 
je  l'ai  aperçu  qui  entrait  au  commissariat. 

. — Il  nous  a dit,  en  elfet,  avoir  affaire  au  Commissariat 
général... 

— C’est  au  commissariat  de  police  que  je  l’ai  vu  entrer, 
et  sous  l’escorte  de  deux  agents. 

— IJein?...  11  serait  arrêté?...  C'est  impossible. 

— Mon  Dieu,  monsieur...  iMonsicur  Verduret,  si  je  me 
souviens  bien... 

— L’auriez-vous  oublié  depuis  hier  soir? 

— Excusez-moi.  J’ai  heureusement  la  mémoire  encore 
excellente  pour  mon  grand  âge,  mais  je  n’y  constate  pas 
moins  un  trou,  en  ce  qui  concerne  les  noms  [iropres... 
Donc,  monsieur  Verduret,  il  ne  faut  jurer  de  rien,  voyez- 
vous.  Ce  jeune  artiste  — sculpteur,  je  crois?  — que  j’eusse 
ignoré  toujours  si  vous  ne  m'aviez  parlé  de  lui  avec  éloges, 
est  à coup  sur  une  vive  et  peut-être  une  remarquable  intel- 
ligence; mais  il  y a,  dans  son  allure,  quelque  chose  de  fac- 
tice et  de  voulu  qui  semblerait  indiquer  qu'il  joue  un  per- 
sonnage desliné  à masquer  son  individualité  propre.  Or,  ce 
n'est  jamais  sans  motif  que  l'on  adojite  ainsi  un  rôle,  et  je 


18 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


ne  serais  nullement  surpris  qu’il  y eût,  dans  le  passé  si 
court  de  ce  jeune  homme,  quelque  chose  qui  légitimât  l’en- 
trée un  peu  trop  solennelle  (|ue  je  viens  île  lui  voir  faire 
chez  le  magistrat  de  police. 

— Comment,  vous  supposeriez?... 

— Je  ne  suppose  rien,  puisque  je  ne  sais  rien  de  lui. 
Mais  j’ai  idée  que  vous  serez  longtenqis  avant  de  revoir  votre 
jeune  cicerone,  si  môme  vous  le  revoyez  jamais. 

— Vraiment,  ce  que  vous  me  dites  là  me  cause  une 
peiiK'  inlinie,  d’autant  plus  que  cola  s’accorde  avec  la  sin- 
gulière conduite  qu’il  tient  avec  nous  depuis  ce  matin  : un 
manque  d’ordre  dans  la  visite  des  Pavillons,  dont  il  sautait 
certains  pour  nous  y faire  revenir  plus  tard...  Et  puis,  des 
fuites  soudaines,  inexpliquées,  et  des  paroles  singulières... 
On  aurait  dit  qu’il  nous  entraînait  dans  une  partie  do  cache- 
cache. 

Il  Mais,  malgré  tout,  je  me  sentais  attiré  vers  ce  jovial, 
hardi  et  spirituel  compagnon  pur  une  sympathie  très  vive... 
Savez-vous  que  j’ai  même  découvert  en  lui  une  profondeur 
de  vues  politiques  absolument  étonnante?  » 

— Eh  ! cher  monsieur,  nous  ferons  peut-être  bien  de  ne 
pas  cliercher  plus  loin.  J'ai,  depuis  un  siècle,  vu  passer  bien 
des  gouvernements  divers,  mais  je  n’ai  pas  connu,  parmi 
les  démocratiques,  de  moins  cléments  que  celui  qui  nous 
régente  à l’égaj’d  de  l’éclosion  des  idées  audacieusement  et 
généreusement  supérieures,  ni  de  plus  timides  dans  la 
répression  envers  les  fauteurs  de  désagrégation  sociale, 
tout  en  étant  d’un  autoritarisme  des  plus  susceptibles.  Moi 
qui,  à mon  âge,  ne  fais  plus  que  regarder  passer  la  vie  des 
autres,  je  ne  puis  retenir  un  sourire  de  philosophie  ironique 
en  voyant  si  diversement  s’agiter  les  bergers  des  troupeaux 
humains  que  l’on  appelle  les  peuples;  l’Europe  occidentale, 
en  particulier,  me  donne  la  comédie  de  la  façon  la  plus 
curieuse,  sinon  toujours  la  plus  sage  et  la  plus  loyale.  Mais 
votre  jeune  cicerone  n’a  pas  le  triste  privilège  de  quatre 
fois  vingt-cinq  ans  pour  considérer  les  évolutions  humaines 
d'un  œil  aussi...  spectateur.  11  s’y  est  peut-être  trop  acti- 
vement intéressé,  ce  qui  est  toujours,  non  pas  blâmable, 
certes,  mais  dangereux. 

— Alors,  vous  croyez?... 


L AVENUE  DES  NATIONS 


19 


— Je  ne  crois  rien,  monsieur  Verduret,  je  le  répète  : je 
me  contente  d'émettre  une  simple  hypothèse. 

— Ce  qui  n’est  pas  une  hypothèse,  bougonne  Bèchard, 
c'est  que  nous  voilà  en  panne...  ce  qui  m’est  parfaitement 
indilYérent,  mais  qui  ne  sera  pas  sans  nous  causer  des  désa- 
gréments, étant  donné  la  manie  de  mon  ami  Verduret  de 
prétendre  se  faire  tout  expliquer. 

— C'est  vrai,  opine  avec  regret  le  manufacturier  retiré. 
Ce  pauvre  Bouscastrol  nous  suggérait,  à propos  de  cluuiue 
Pavillon,  des  aperçus  si  remplis  d’à-propos  et  d'intérêt...  Et 
le  maladroit,  qui  se  fait  justement  appréhender  avant 
d'avoir  achevé  sa  mission  éducatrice  à notre  égard!... 

Le  centenaire,  sous  sa  rude  barbe  blanche,  sourit  à ce 
joli  petit  cri  d’inconscient  égoïsme,  et  il  ajoute  : 

— Vraiment,  puisque  c'est  moi  qui  vous  ai  adressé  ce 
jeune  cicerone  qui  en  arrive  à manquer  ainsi,  si  involon- 
tairement que  ce  puisse  être,  à son  devoir  professionnel, 
je  m’en  voudrais  de  vous  abandonner  dans  votre  détresse. 
Je  ne  prétends  pas  avoir  la  verve  et  encore  moins,  hélas  ! la 
sonore  faconde  du  guide  que  vous  perdez.  Mais,  ces  Pavil- 
lons, je  les  ai  vus  construire,  j'ai  causé  souvent  avec  les 
hommes  d’élite  que  sont  les  Commissaires  étrangers,  et... 
je  crois  que  je  pourrai  vous  renseigner,  sinon  de  manière 
aussi  gaie,  originale  et  complète,  que  M.  Bouscastrol,  du 
moins  de  façon  suffisamment  utile. 

— Comment,  vous  consentiriez?... 

— Laissez  donc,  je  me  sens  aujourd’hui  d'une  vaillance 
presque  juvénile,  et  vous  accompagner  me  sera  un  plaisir, 
en  meme  temps  que  de  promener  parmi  ces  peuples  un 
siècle  français  qui  marche.  Voyons,  que  vous  reste-t-il  à 
visiter? 

— Mais,  sauf  le  Luxembourg,  tout  le  même  côté  de  cette 
avenue  des  Nations. 

— Bien.  Comme  je  suis  méthodique  avant  tout,  nous 
allons,  si  vous  le  voulez  bien,  commencer  notre  prome- 
nade par  une  des  extrémités.  Le  bout  de  l'avenue  le  plus 
proche  de  l’endroit  on  nous  sommes  est  celui  qui  avoisine 
le  pont  de  l’Alma.  Allons  donc  voir,  tout  d abord  — et 
pour  revenir  ensuite  dans  la  direction  du  pont  des  Inva- 
lides — allons  voir,  dis-je,  le  Pavillon  de  la 


(’IIAIMTRE  11 


ROUMANIE 


je 


li  E K T li  A K D E C O N F IC  1!  E N C 1 È K E 


Tandis  qu'à  la  suite  du  centenaire  nos  expositionnistes 
suivent  eu  causant  rAveiuie  des  Nations,  ombragée  par  les 
arbres  du  quai  d’ürsay,  Bertrande  parvient  adroitement,  à 
Tinsu  de  son  oncle  et  du  couple  Bècliard,  à se  rapprocher 
du  détective  londonnicn.  Rapidement,  elle  lui  dit  à mi- 
voix  : 

— Ouel  contre-temps  ! 

— \]'hal,)uiss? 

— I\lais  cette  disparition  comme  à point  nommé,  de  celui 
dont  nous  voulons  connaître  le  vrai  nom  et  la  demeure. 

Buzzling'  l'ait  une  grimace  qui  a la  prétention  d’être  un 
rire  muet.  Non  sans  une  vague  expression  de  pitié  à l’égard 
de  sa  nouvelle  recrue,  il  lui  dit  : 

— Aüb  ! ce  été  de  même  pour  niùa.  Le  prétendiou  Bous- 
castrol  il  avé  disparou  loui-mème,  i/es!...  Vo  devez  faiser 
toute  pareil  a le  régard  dé  céloui-là. 

Du  doigt,  il  montre  le  centenaire. 

— Hein?  fait  Bertrande,  vous  voulez  que  je...  tourne  la 
tète  à ce  pauvre  vieux  de  cent  ans  ? 

— ) CS  ! il  lallé  loui  conducL  vù  dans  son  hume. 


— Non!...  Mo  voyez-vous  essayer  de  flirter,  comme  vous 
dites,  avec  un  « siècle  qui  marche!...  » 11  est  fin  comme 
l'ambre,  ce  vieillard;  il  me  rira  an  nez. 

— Je  croyais  vù  pions  clerer... 

— En  quoi  est-ce  que  je  manque  d'inlelligence  ? demande 
la  jeune  fille  d'un  ton  vexé. 

— Du  reste,  poursuit  l’Anglais  sans  répondre,  cela  il  été, 
Itrrhaps,  [)lous  mieux  ainsi.  A})prenez  seulement  son  nom 
et  son  vraie  demeure,  et  disez  à moa,  et  ce  été  verij  welL. . 
Takr  care...  11  régàdé  nos! 

Vivement,  Bertrande  s'éloigne  do  l’uzzling,  ayant  à la 
fois  la  lèvre  moqueuse  et  le  regard  soucieux. 

A ce  même  moment,  on  arrive  devant  l’entrée  principale 
du  Pavillon  Roumain,  et  le  vieillard,  invitant  du  geste  scs 
compagnons  à s'approcher  de  lui  le  plus  possible  pour  ne 
pas  obliger  à trop  d’efforts  son  organe  usé,  commeuce  en  ces 
termes  : 

— Je  crains  que,  comme  cicerone,  vous  n'ayez  beaucoup 
perdu  au  change... 

— Fi!  c’est  de  la  coquetterie,  cela,  car  nous  vous  con- 
naissons, fait  Verduret  complimenteur,  mais  complimenteur 
sincère. 

— C’est  la  simple  vérité,  insiste  le  centenaire.  D'abord, 
vous  ne  pouvez  attendre  d'un  pauvre  vieux  tel  (jue  moi  la 
verve  artiste  et  l’cxliubérance  méridionale  de  mon  jeune  et 
vigoureux...  prédécesseur.  Et  puis,  vous  avez  vu  par  deux 
fois  déjà  combien  forcer  ma  faible  voix  et  parler  en  mar- 
chant m’épuisent.  Aussi,  pour  me  ménager,  vais-je  prier 
mademoiselle  de  me  suppléer,  au  moins  pour  ce  Pavillon. 

— Moi  ! s’écria  Bertrande  en  ouvrant  de  grands  yeux. 
Moi  qui  ne  sais  rien,  comment  voulez-vous  que  j’explique  ?... 

— Rassurez-vous  ; si  je  vous  demande  de  faire  la  petite 
conférence,  j'en  fournis  le  texte...  ou  plutôt,  c’est  xM.  Olla- 
nesco  lui-même  qui  va  parler  par  votre  jolie  bouche. 

— M.  Ollanesco  ? interroge  Rècbard  en  plissant  les  sour- 
cils d’un  air  important. 

— Oui,  i\l.  Démètre  C.  Ollanesco,  le  Commissaire  généra 
du  Gouvernement  roumain  à l’Exposition  de  190(1,  un 
homme  d’une  distinction  supérieure  sous  tous  les  rapports 
et  dont  je  ne  saurais  trop  dire  la  haute  et  délicate  obli- 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOX 


L AVENL'K  DES  .NATIONS 


23 


; goancc.  Coinnie,  en  dilellanie  cuTicux,  je  m’intéressais  à la 
; construction  de  ces  Pavillons  des  Puissances,  j’ai  commis 
I l’indiscrétion  d’aller  causer  avec  lui  de  l’exposition  de  la 
Ij  Roumanie,  un  tout  jeune  royaume  de  vingt  ans  né  de  la 
|!  principauté  Valaqnc-Moldave  qui,  elle-même,  ne  date  pas 
de  beaucoup  plus  haut  que  le  milieu  de  ce  siècle  — ce  qui 
i|  n’empêche  pas  le  peuple  roumain  de  remonter  historiqiic- 
I:  ment  et  ethnologiquement  à une  sérieuse  antiquité,  puis- 
!■:  qu  il  est  né  de  la  fusion  des  Daces,  les  occupants  d’alors  du 
1 territoire,  et  de  la  Colonie  romaine  qu’y  expédia  l’empereur 
i'  Trajan.  Voyant  à quel  point  je  m’intéresse  à l’évolution  des 
nations  de  la  presqu’île  halkanique  et  à la  manifeslation  de 
' leurs  vertigineux  progrès  prouvés  par  le  bel  elfort  qu’elles 
fotit  pour  montrer,  en  celte  grande  Fête  laborieuse  de 
l’Humanité,  ce  qu’elles  sont  devenus  et  surtout  ce  qu  elles 
promettent  pour  un  prochain  avenir,  l\l.  Ollanesco  a bien 
I voulu  me  promettre  de  prendre  la  peine  de  faire,  pour  moi, 
un  travail  sur  la  participation  de  la  Roumanie  à l’Exposition. 
Je  m’attendais  à quelques  notes  sommaires,  et  c’est  tout  un 
opuscule  écrit  de  maîtresse  plume  que  j’ai  eu  le  plaisir  de 
recevoir  et  la  joie  de  lire.  Devant  diriger  aujourd’hui  ma 
promenade  vers  cette  rue  des  Nations,  j’ai  pris  sur  moi  ces 
feuilles  intéressantes  et  ce  sont  colles  d’entre  elles  qui  con- 
I cernent  ce  Pavillon  que  je  vais  prier  mademoiselle  de  vous 
I lire. 

I — Comme  ça,  à la  l)onne  heure!  dit  Rertrande...  Mais  je 

I vous  ferai  observer  que  c’est  M.  le  Commissaire  général 

II  — et  non  moi  — qui  fora  la  conférence. 

j — 11  ne  pourrait,  en  tout  cas,  emprunter  des  lèvres  plus 
aimables  pour  lui  servir  de  porte-parole,  dit  d’un  ton  do 
! galanterie  très  xviii'^  siècle  le  vieillard,  en  remettant  le  ma- 
! nuscrit  sorli  de  sa  poche  profonde,  véritable  bibliothèque 
ambulante. 

Comme  Bertrande  se  dispose  à commencer  la  lecture,  le 
centenaire,  d’un  geste  de  la  main,  la  prie  de  surseoir. 

— iM.  Ollanesco  est  une  des  sommités  intellectuelles  de 
ce  royaume  danubien,  dont  rintellcctualité  est,  en  général, 
si  vive,  et  que  ses  origines  latines  ont  fait  un  grand  ami  de 
I la  patrie  française;  de  ce  jeune  royaume, compagnon  de  cam- 
pagne de  la  Russie  en  1877,  et  dont  la  reine,  sous  le  pseu- 


TRAVERS 


L EXPOSITION 


ilonyme  ilc  Carmen  Sylva,  est  le  charmant  poète  et  le  beau 
romancier  dont  toute  l'Europe  lettrée  apprécie  le  talent  tour 
à tour  linement  délicat  et  harmonieusement  puissant.  Quant 
à lui,  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de 

S.  M.  le  Roi  de  Roumanie, 
vice-président  de  l’Acadé- 
mie Roumaine,  il  est  l'iin 
des  diplomates  et  des  let- 
trés les  plus  en  vue  de  son 
pays.  Né  à Focsani  en  1849, 
M.  Ullanesco  faisait  ses 
études  en  France,  lorsque 
la  guerre  de  1870  l’obligea 
à aller  les  poursuivre  et'les 
achever  en  Relgiqne.  Tour 
à tour  magistrat,  maire  de 
la  ville  de  Técutch,  député 
au  Parlement  Roumain,  il  a 
fait  néanmoins  de  la  diplo- 
matie sa  principale  carrière. 
Entré  en  187G  au  ministère 
des  Atfaires  étrangères,  en 
qualité  de  chef  de  cabinet 
du  ministre,  il  fut  désigné, 
en  1878,  pour  assister  le 
Commissaire  général  roumain  près  les  armées  impériales 
russes,  lors  de  la  partici|)ation  de  la  Roumanie  à la  guerre 
russo-turque,  en  1877-1878.  Premier  secrétaire  à Constan- 
tinople on  1880,  chef  de  la  Division  Consulaire  et  du  Con- 
tentieux au  département  dos  Atfaires  étrangères  en  1889, 
secrétaire  général  de  ce  môme  département  en  1889,  chargé 
d’atfaires  à Vienne  en  1887,  il  se  vit  confier,  en  1889,  la 
Légation  royale  de  Roumanie  à Athènes.  11  abandonna  ce 
poste  en  18t)3,  à la  suite  de  la  rupture  des  relations  diplo- 
matiques entre  la  Roumanie  et  la  Grèce,  à propos  de 
l’atlaire  Zappa.  Depuis,  iM.  Ollanesco  s’est  plus  spéciale- 
ment occupé  de  littérature.  Il  a fait  représenter  avec  succès 
plusieurs  ouvrages  dramatiques  sur  la  scène  roumaine  — 
entre  autres  une  magistrale  traduction  en  vers  du  Rwj  Bios 
de  Victor  Hugo.  Sa  très  remarquable  traduction  — égalc- 


M.  OLL.VNESCO 

COMMISSAIRE  GÉNÉRAL  DE  LA  ROUMANIE. 


26 


A TRAVERS  LEXPOSITION 


(]ont  il  est  actuellement  le  vice-président.  On  doit  égale- 
ment à M.  Ollanesco,  qni  est  depuis  longtemps  membre 
de  la  commission  des  théâtres  de  Konmanie,  une  très  inté- 
ressante et  très  savante  histoire  du  théâtre  roumain,  depuis 
ses  origines  jusqu'à  nos  jours. 

— iMàtin,  fait  Yerduret,  je  vois  que  M.  le  Comitiissaire 
général  roumain  n’est  pas  précisément  le  premier  venu  ! 

Le  vieillard  s’incline  en  signe  d’assentiment  et,  de  la 
main,  invite  ertramle  à commencer  sa...  conférence. 
Celle-ci,  de  sa  voix  claire  et  oliment  timbrée,  lit  aussitôt  ; 

« La  lloumanie,  qui  n’avait  pris  ofliciellement  part,  de- 
puis 1S67,  à aucune  de  nos  Expositions  universelles,  résolue 
à iigurer  brillamment  à celle  de  IDOÜ,  a fait  voter  par 
son  Earlement  une  somme  de  dei  x .millions  pour  sa  parCu 
cipation  au  grand  tournoi  pacifique...  » 

— Bigre,  deux  millions,  c’est  un  chilTre!  interrompt  Bc- 
chard  en  faisant  claquer  admirativement  sa  langue. 

La  jeune  tille  poursuit  ; 

«...  Elle  a appelé  à la  tète  de  son  Commissariat  général, 
ainsi  que  des  divers  Comités  d’organisation  de  son  expo- 
sition, des  hommes  d’une  valeur  éprouvée,  presque  aussi 
connus  en  Erance  qu’en  Roumanie;  enfin,  elle  a .confié  le 
soin  d’éditier  ses  deux  principaux  l'avillons  à i\L  Eormigé, 
rarchitecte  de  la  Ville  de  Paris,  universellement  connu  par 
le  retentissant  succès  de  ses  Palais  des  Beaux-Arts  et  des 
Arts  libéraux  érigés  au  Champ-dc-i\Iars  lors  de  la  dernière 
Exposition  de  ISSU. 

« La  tâche  de  l’éminent  artiste  n’était  pas  des  plus  aisées, 
étant  donné  que  les  Pavillons  doivent  être  nue  reproduc- 
tion ou  une  synthèse  de  l’architecture  nationale  de  chaque 
pays,  en  montrer  le  caractère  distinctif  et  s’inspirer,  tantôt 
des  souvenirs  du  passé,  tantôt  des  formes  nouvelles  et  des 
créations  plus  récentes  de  l’art  moderne. 

« Or,  la  Roumanie  qui,  depuis  les  temps  les  plus  reculés 
jusque  dans  la  première  moitié  île  ce  siècle,  n’a  eu  d’autre 
souci  que  de  défendre  son  existence  contre  les  hordes  des 
envahisseurs,  qui  n’a  jamais  pu  jouir  des  loisirs  fécondants 
de  la  paix,  ijui  pendant  plus  d’n//  aihcle  et  demi  a subi  le 


L AVEM  E DES  AA  I lO.NS 


'11 


joug  (Je  la  domination  étrangère,  no  possède  pas  encore  à 
riicure  qu'il  est  une  architecture  nationale  bien  caractérisée. 
Forcés  de  chercher  un  refuge  dans  leurs  forets  et  dans 
leurs  montagnes,  craignant  toujours  la  surprise  d'un  conp 
de  main,  comiamnés  à une  vie  plutôt  errante  et  nomade, 
les  anciens  Roumains  ne  pouvaient  songer  à bâtir  des  villes 
ni  meme  des  maisons  dont  le  séjourne  leur  offrait  aucune 
sécurité,  liraves  et  pieux,  ils  ne  rentraient  de  quelque  expé- 
dition lointaine  que  pour  manifester  leur  foi  religieuse  en 
bâtissant  des  églises. 

« C’est  ce  qui  explique  pourquoi  seule  rarchiteefure  reli- 
gieuse existe  on  Roumanie,  ün  n’y  relève  presque  aucune 
trace  d’édifices  civils  ou  militaires  anciens;  en  revanche, 
on  y trouve  un  nombre  incalculable  d’églises  et  de  couvents. 
11  n’est  pas  de  ville  d'une  population  moyenne  de  dix  à 
quinze  mille  habitants  qui  ne  compte  au  moins  une  dizaine 
d’églises.  Bucarest  en  a cejit  quinze,  lassi  cinquante,  et  l'on 
peut  estimer  actuellemejit  à environ  sept  mille  le  nombre 
des  édifices  de  toutes  sortes,  églises,  couvents,  monastères, 
consacrés  au  culte  dans  le  jeune  royaume  danubien.  Cette 
profusion  de  monuments  religieux  ne  pouvait  manquer  de 
trapper  l’esprit  et  les  yeux  de  M.  Formigé,  au  cours  du 
voyage  qu'il  entreprit  en  Roumanie  pendant  l'été  de  1S9(S, 
dans  le  but  d’étudier  sur  place  le  type  prédominant  de  l’art 
architectural  roumain. 

« Désireux  de  conserver  au  Pavillon  qn'il  avait  été  chargé 
d’édifier  au  quai  d’Orsay  le  caractère,  le  style,  l'ornemen- 
tation des  coastrnetions  roumaines  qui  avaient  fixé  son 
attention,  et  de  mêler  aussi  à ces  éléments  quelques  formes 
plus  nouvelles,  inspirées  de  l’évolution  tonte  naturelle 
qu'aurait  accomplie  l’art  roumain  s’il  avait  [ui  suivre  sa 
marche  et  son  développement  l'éguliers  à travers  les  âges, 
IM.  Formigé  s’est  appliqué  et  a réussi  à faire  œuvre  d'artiste 
en  se  montrant,  dans  la  conception  et  l'exécution  de  son 
Palais,  novateur  original  en  même  temps  que  gardien  rcs- 
pcetnenx  des  traditions  du  passé.  Les  types  d’architecture 
roumaine  des  xvi"  et  xvié'  siècles  qui  ont  le  plus  contribué 
à inspirer  Fauteur  de  ce  Palais  soiM;  les  églises  d’.Vrgesb, 
des  trois  Hyérarques  de,  lassi,  d'ilorezu,  toutes  trois  Heurs 
tardives  mais  originales  de  Part  byzantin.  » 


— Un  moment,  s'il  vous  plaît,  mademoiselle.  A propos 
de  cette  église  de  Cnrtea  d’Argesh  — dont  la  situation  est  si 
pittoresque  au  nord  de  la  ville  entourée  des  imposants  con- 
trctorts  des  Alpes  de  Transylvanie,  cette  chaîne  méridionale 


des  monts  Karpathes  — je  vcu.v  vous  dire  une  vieille 
légende  roumaine  qui  fleure  lerrihlcment  son  moyen  âge 
ignorant  et  superstitieux.  Celte  église  est  due  à Tun  des 
premiers  Domni  ou  ])rinces  roumains,  nommé  liadu-Negru 
( Rodolphe  le  Noir),  qui  la  fit  élever  au  commencement  du 
XV"  siècle.  Il  chargea  de  la  construction  un  Maître  Tailleur 
et  .\sscmhleur  de  l*iorres,  c’est-à-dire  un  architecte,  nommé 
-Mestéroul-Manolé.  Or,  tout  ce  que  celui-ci  édifiait  pendant  le 
jour,  par  suite  de  quelque  diabolique  sortilège,  s’efl'ondrait 
pendant  la  nuit.  Il  fallait  conjurer  ce  mauvais  sort  et,  pour 
cela,  les  maîtres  travailleurs,  assemblés  la  nuit  en  conseil 
seci'et,  ne  trouvèrent  rien  de  mieux  que  le  plus  cruel  des 
sacrifices  humains.  Ils  décidèrent,  avec  l’impitoyable  esprit 
de  ces  temps  de  barbarie,  que  le  plus  proche  parent  du  pre- 
mier travailleur  qui,  avec  le  jour,  paraîtrait  sur  le  chantier, 
serait  mun’'  dans  la  rebelle  et  démoniaque  maçonnerie.  Dès 
l’aurore,  les  voilà  rodant  autour  de  l’église  en  construction, 
et  la  première  personne  qui  se  présente,  c’est...  la  propre 
lemme  de  l’architecte.  Mestéroul-Manolé  veut  se  précipiter 


LAVKNi:!-:  DES  NATIONS 


29 


au  devant  d'elle;  ses  compagnons  le  retiennent  de  force  et 
rempcclienl  de  crier...  la'  niallieureux  invoque  le  Dieu  du 
ciel  et  toutes  les  forces  de  la  terre,  les  sup()liant  d’inspirer 
à sa  femme  l’idée  de  retourner  en  arriére.  Il  n’est  pas 
e.vaucé  ; elle  avance  Lonjonrs...  elle  arrive  sur  le  ( lianlier  ! 
Or,  iMestcroul-iNlanolc  a solennellement  juré  d’emmurer  hii- 
mnue  la  victime  expiatoire  et,  comme  le  patriarche  Abraham, 
il  s’incline  devant  ce  qu’il  croit  être  la  volonté  d'Dn-llaut. 
Le  cu'ur  torturé,  il  impose  à ses  lèvres  de  sourire;  ràmc 
saignante,  il  commande  à sa  voix  de  se  faire  gaie  et  à son 
esprit  ulcéré  de  jouer  une  horrilde  comédie.  11  prend  sa 
femme  par  la  main  et  l’amène  au  pied  de  la  muraille 
maudite. 

((  Là,  par  manière  de  jeu  auquel  la  malheureuse  se  prête 
en  riant,  il  veut  lui  faire  figurer  une  sainte  dans  une  niche; 
mais  comme,  paraît-il,  de  la  sainte  on  ne  doit  voir  que  le 
buste,  il  élève  la  maçonnerie  jusqu'à  la  taille  de  sa  femme... 
et  celle-ci  rit  toujours.  Mais  alors,  pris  de  frénésie,  le  voilà 
([ui  ajoute  une  pierre,  et,  très  vite,  une  autre.  Alors,  seule- 
ment, la  victime  s’inquiète,  puis  s’émeut,  puis  prend  peur  !... 
Le  mur  montant  toujours,  elle  comprend  enlin,  éclate  en 
sanglots  et  en  supplications.  Lui,  les  yeux  éperdus,  travaille 
avec  une  ardeur  de  folie...  Le  mur  atteint  le  cou.  11  regarde 
une  dernière  fois  ces  lèvres  tordues  d’épouvante,  ces  pru- 
nelles dilatées  d’horreur,  ce  front  et  ces  cheveux  qu’il  aime 
tant  et,  avec  un  cri  de  démence,  pose  une  dernière  pierre 
qui  achève  l’œuvre  cruelle...  puis  il  toral»e  sans  connaissance 
au  pied  dn  mur.  Longtemps  on  entend,  à travers  la  pierre, 
des  appels  de  plus  en  plus  faibles  et,  lorsque  l’architecte 
reprend  ses  sens,  le  silence  de  la  mort  règne  absolu  et  lui 
apprend  que  tout  est  consomme. 

((  Les  travaux,  dès  lors,  s’achèvent  sans  encombre  : les 
murs  scellés  d’une  vie  humaine  résistent  aux  malétices  de 
Satan.  A la  tin  des  travaux,  le  Domni  condamne  l architecte 
à demeurer,  sans  moyens  d’en  descendre,  sur  le  toit  de 
rédificc,  alin  qu’il  ne  remette  jamais  à la  truelle  une  main 
aussi  habile  et  qui  construirait  d'auti'cs  temples  de  Dieu. 
L'architecte  se  fabrique  alors  des  ailes  de  bois  pour  tenter 
de  fuir  la  mort...  Mais  il  tombe  et  se  tue.  Dans  sa  chute, 
le  corps  de  Mcstéroul-Manolé  crève  le  sol,  d’où  jaillit,  voisine 


30 


A TRAVERS  l’eXROSITION 


de  l'église,  iiiic  fontaiiie  toujours  existante  et  qui  porte  le 
nom  de  l'architecte.  » 

Brrrrr  ! fait  en  se  moquant  le  i'arinier,  c'est  un  conte 
de  Barbe-Bleue  que  vous  voue/  de  nous  réciter-là  ! 
iMoi,  dit  dame  hloj'e,  j en  ai  la  chair  tie  poule. 

— Faisons  vite  diversion,  alors!  .Mademoiselle,  voulez- 
vous  continuer  de  nous  lire  la  prose  élégante  de  M.  Ollanesco? 
\ous  en  étiez  au  passage  où  il  est  question  des  trois  églises 
auxquelles  sont  empruntées  les  parties  principales  du  Pa- 
villon, n'est-ce  pas? 

— Oui,  monsieur. 

Et  elle  ajoute  : 

« C’est  ainsi  que  le  hall  central  du  Pavillon  royal  ropro- 
< uit  le  pionaos  du  monaslero  d llorczu.  Surmonté  il’une 
vaste  coupole  mesurant  trente  mètres  de  hauteur,  ce  hall 
est  occupé  par  un  grand  escalier  à double  rampe  conduisant 
mix  galeries  du  premier  élagc,  lesquelles  se  terminent  par 
deux  élégants  Pavillons  coui-onnés  de  deux  clochetons,  dont 
la  forme  est  empruntée  à la  cathédrale  d'Argesh,  restaurée 
1 \ a quelques  années  par  un  autre  architecte  français, 
iM.  Lecomte  du  Noiiy. 

« Sur  les  façades  sont  reproduits  divers  motifs  inspirés 
pai  1 architecture  et  la  décoration  des  monuments  j’cligieu.x 
roumams.  La  porte  principale  n'est  autre  que  le  porche  de 
église  d llorezu  ; les  fenêtres  latérales  imitent  celles  de 
église  de  Stavropoleos,  tout  en  étant  d('  plus  grande  dimen- 
sion , les  colonnades  des  e.xtrémités  tiennent  à la  fois  du 
pronaos  d’ilorezu  et  de  celui  d'Argesh  ; enfin,  sur  la  façade 
pi  incipale,  1 arc  du  grand  tympan,  dont  la  courbe  est  d'un 
ellet  si  iniissant,  a été  em|)runté  à l’église  il’fVrgesh,  mais 
s est  enrichi  en  meme  temps  de  la  corniche  à consoles  de 
1 église  des  Trois-Myérarques  de  lassi.  C'est  également  cette 
dernièie  église  qui  a lourni  le  dessin  de  la  frise  qui  forme 
une  liche  ceinture  a tout  le  monument.  Comme  à Argesh, 
les  coupoles  sont  ornées  de  rinceaux  et  de  cabochons  dorés 
du  idus  heureux  elfet  décoratif,  nuant  à l'aiipareil  des  murs 
de  iaçade,  il  comporte  des  assises  de  briques  émaillées,  en 
même  temps  que  des  motifs  de  sculpture,  dont  la  variété 
constitue  un  ensemble  des  plus  harmonieux. 


r/AviOM'n  i)i:s  na’i’ions 


31 


« Le  second  Pavillon  que  M.  Forinigé  construit  j)our  la 
Roumanie,  au  quai  d’Orsay,  de  l'autre  côté  du  pont  de 
l’Alma,  et  qui  est  destiné  à l'exploilation  d’un  restau- 
rant national  — où  une  place  d’houneur  sera  faite,  bien 
entendu,  à la  cuisine  fran- 
çaise — reproduit  un  type 
de  l'antique  maison  des 
champs  roumaine.  Ici  en- 
core, l’a^Aivre  qu’a  tenté  de 
réaliser  l’architecte  présen- 
tait un  problème  assez  dif- 
ticilc  à résoudre,  car  les 
spécimens  de  ce  genre 
d’habitation  sont  devenus 
peu  communs.  Ces  mai- 
sons, liàties  sur  un  sou- 
bassement élevé,  n’avaient 
au  niveau  du  sol  qu’une 
porte  d’enti'ée  pour  le  cel- 
lier ; les  appartements,  si- 
tués au  premier  étage  et 
recouverts  d’un  large  toit, 
étaient  entourés  de  galeries 
à jour,  oii  on  n’accédait 
que  par  une  échelle  et  du  haut  des(juelles  les  habitante 
n’avaient  aucune  surprise  à redouter.  11  s’agissait  de  se 
défendre  contre  les  incursions  des  barbares  qui  dévastaitq’it 
le  pays  et  chaque  maison  — surtout  les  maisons  des  cham|l)S 
— était  une  solde  île  citadelle  capable  de  soutenir,  au  besoin, 
un  siège  en  règle.  A mesure  qu’nnc  sécurité  relative  vint 
j'égner  dans  les  campagnes,  le  soubassement  de  la  maisejn 
fut  graduellement  abaissé  et  la  galerie  de  défense  prit  pdu 
à peu  l’aspect  d’une  loggia  plus  on  moins  saillante.  C’est  de 
ce  dernier  type  que  jM.  Formigé  s’est  insjiiré  dans  la  con — 
struction  du  restaurant  roumain.  .1 

« 11  s’est  servi  à cet  ell’et  des  cléments  les  plus  purs  et 
les  plus  authentiques  qu’il  a rencontrés  dans  les  édiJices 
anciens,  en  conservant  d’une  part  à ces  cléments  leur  carac-^ 
tèr'e  et  leurs  proportions,  et  en  s’attachant  d’autre  part,  aussi' 
bien  par  le  tini  du  travail  que  par  une  préoccupation  con-^ 


stante  d'harmonisor  les  couleurs, 
à.  Faire  du  moderne  et  cà  créer 
comme  un  art  nouveau  dérivant 
en  droite  ligne  de  l’ancien  art 
architectural  roumain. 

« Les  motifs  de  décoration  des 
antiques  monuments  religieux  de 
la  lloumauie  ont  été  également 
mis  à contribution  par  l’éminent 
architecte  pour  donnera  son  œuvre 
un  caractère  vraiment  national. 

es  colonnes  de  la  loggia  sont 
copiées  sur  celles  qui  décorent 
les  hàtiments  claustraux  du  mo- 
nastère d'Anthyme;  les  balus- 
trades rappellent  celles  de  l’église 
de  Stravropoléos,  avec  cette  dilTo- 
rence  que  l’arcliitecture  et  la 
sculpture  y sont  moins  byzantines 
de  Formes,  enfin  les  frises  en  terre 
cuite  sont  une  reproduction  des 
frises  des  églises  de  Harlau  et  de 
Saint-Xicolas-de-lassi. 
édifice  comme  dans  le  grand  pavil- 
lon, l’appareil  des  briques  appa- 
rentes, les  charpentes  polychromes, 
enfin  la  frise  formée  de  disques  en 
grès  flammé,  d’un  coloris  si  harmo- 
nieux, viennent  donner  l'impres- 
sion exacte  du  style  original  qui 
caractérise  l’architecture  roumaine 
et  montrer  ce  qu’aurait  pu  devenir 
cet  art,  si  plusieurs  siècles  d’as- 
servissement n’en  avaient  brusque- 
ment arrêté  l’essor. 

— Mademoiselle,  interrompt  le 
centenaire,  voulez-vous,  avant  que 
nous  pénétrions  dans  le  Pavillon  — j’allais  dire  le  sanc- 
tuaire — lire  le  passage  où  M.  Üllanesco  parle  de  scs  prin- 
cipaux collaborateurs? 


llOUMAME.  — Le  CA.lir’ANU.E 
DU  Pavii.i.on  nOVAI,. 


I.  AVKNt'E  DES  NATIOAS 


33 


— Tout  à vos  ordres,  monsieur.  Voici  : 


((  M.  Ollanesco  s'est  fait  adjoindre,  comme  commissaire 
spécial,  iM.  N.  Coucou,  député  au  Parlement  roumain,  ingé- 
nieur en  chef  des  Ponts  et  Chaussées,  ancien  directeur  des 
travaux  de  la  ville  de  Bu- 
carest, et  ancien  secré- 
taire 2;énéral  du  iMinis- 


tère  de  l’Agriculture,  du 
Commerce,  de  l’Industrie 
et  des  Domaines.  M.  Cou- 
cou est  l'auteur  d’un  ou- 
vrage, sur  le  pétrole  et  ses 
dérivés,  publié  en  1881, 
et  qui  a obtenu  les  suf- 
frages de  l’Académie  rou- 
maine, et  il  s’est  fait  en 
outre  connaître  très  avan- 
tageusement, par  une 
compétence  toute  spé- 
ciale, dans  les  diverses 
questions  industrielles. 

« Les  deux  principaux 
délégués  du  Commissaire 
général  sont  bien  connus 
à Paris  : l’un,  M.  Geor- 


M.  BEN.JESCO 

DLLKtit.’r;  DD  LA  KOUMAMK. 


ges  Sterian,  élève  diplômé  de  l’Ecole  nationale  des  Beaux- 
Aids,  oi'i  il  a suivi  le  cours  de  M.  Guadet,  ancien  député  au 
Parlement  l’oumain,  ancien  directeur  de  l’Ecole  d’architec- 


ture de  Bucarest,  membre  de  la  Commission  dos  iMonuments 


b istoriques  et  conseiller  tecb nique  du  Gouveruement  royal, 
est  l’un  dos  meilleurs  architectes  que  compte  la  Boumanic,  et 
a participé  à la  restauration  de  la  cathédrale  d’Argesh,  ainsi 
qu’à  celle  de  l’église  des  Trois-llyérarques  de  lassi  — 1 autre, 
M.  Georges  Bongesco,  ancien  envoyé  extraordinaire  et  minis- 
tre plénipotenliaire  de  S.  M.  le  roi  de  Boumanie  a Bruxelles, 
La  Haye,  et  Athènes  (où  il  a été  spécialement  envoyé  en  18ü() 
pour  renouer  les  relations  diplomatiques  rompues  à la  suite 
du  départ  de  -AL  Ollanesco)  est  l’auteur  d’une  bibliographie  des 
œuvres  de  Voltaire  en  quatre  volumes,  couronnée  à doux  rc- 


A TUAVERS  l’exposition 


Si 


prises  par  rAcadéniie  française  ; d'iine  bibliographie  franco- 
rouniaiiie  du  xix'' siècle.  : d’une  bibliographie  de  la  question 
d’Drient,  ainsi  que  de  plusieurs  autres  ouvrages  historiques 
et  littéraires  qui  ont  été  accueillis  avec  faveur  en  France 
aussi  bien  qu’à  l’étranger.  M.  G.  Bengesco  est  membre  cor- 
respondant de  l’Académie  roumaine,  membre  correspondant 
de  la  Société  d’histoire  diplomatique  et  vice-président  de  la 
Société  d’histoire  littéraire  de  la  l’rancc.  » 

— Ah  ça!  tous  les  hommes  d’Ftat  sont  donc  artistes, 
dans  ce  pays-là? 

— C'est,  monsieur  Bè.chard,  riposte  en  souriant  le  cente- 
naire, un  avantage  que  la  plupart  des  nôtres  pourraient  leur 
enviei'...  Pour  ne  pas  abuser  de  la  complaisance  de  made- 
moiselle, je  vous  dirai  rapidement  que,  parmi  les  autres 
délégués  roumains  brillent  le  prince  Ferdinand  Ghika,  le 
l)eintre  éminent  Grigoresco,  .M.  Ghitza,  ancien  député,  etc.; 
que  le  très  aimable  secrétaii’c  du  Commissariat  cstAl.  Con- 
stantin C.  jMano,  ancien  juge  au  Tribunal  de  Bucarest;  que 
M.  Nicolas  Pbilippesco,  vice-président  de  la  Chambre  des 
députés  et  ancien  maire  de  Bucarest  ; le  général  Bengesco- 
Dabija,  contrôleur  général  de  l'armée;  M.  iMinco,  architecte  ; 
M.  Scortzesco,  député;  M.  Zanné,  grand  industriel,  sont  les 
[)rincipaux  membres  du  Comité  consultatif,  et  je  vous  invi- 
terai à entrer  dans  le  Pavillon  dont  les  exposants  — ainsi, 
d’ailleurs,  que  ceux  dont  les  produits  sont  disséminés  dans 
les  diverses  sections  de  l’Exposition  — sont  une  véritable 
élite  industrielle  obtenue  par  voie  d’élimination.  Tout  en 
visitant,  mademoiselle  voudra  bien  continuer  de  lire,  et  c’est 
ainsi  que  ce  sera  M.  Gllanesco  lui-même  qui  vous  fera  le 
grand  honneur  d’être  votre  ciccrone...  et  que  je  pourrai 
réserver  mes  faibles  forces. 

Le  groupe,  amusé  par  ce  mode  nouveau  de  documenta- 
tion, franchit  le  s('uil  et  Bertrande  poursuit  : 

« Une  partie  du  rez-de-chaussée  du  Pavillon  royal  — côté 
gauche  faisant  face  au  Palais  de  la  Bulgarie,  est  plus  spécia- 
lement réservé  à l'Exposition  du  sel  gemme.  On  connaît 
l’abondance  et  la  riebesse  des  gisements  de  sel  gemme  en 
Boiimanic,  qui  peuvent  rivaliser  avec  les  célèbres  mines 
(le  sel  de  la  Galicie.  On  peut  citer  notamment  les  mines 


t.'.AVKNüE  UES  NATIONS 


3:; 


(l’Ocna,  tlans  le  dislrict  de  Bacaii,  celles  de  Slanic,  de  Téléga 
('t  do  Dot'tana,  dans  le  dislrict  de  Prahova,  enlin  celle 
d’Ocnele-.Mari,  dans  le  districl  de  Valcea.  Exploitées  |)ar 
l'Etal,  ((iii  en  tii'O  des  revenus  considérables,  et  qui  emploie, 
à l'extraclion  du  sel,  soit  les  condiamnés  aux  travaux  forcés, 
soit  des  paysans  de  ceidains  villages  voisins  des  salines,  les 
mines  de  la  Roumanie,  éclairées  à la  lumière  électrique  et 
dotées  de  tous  les  perfectionnements  que  la  science  de  nos 
ingénieurs  modernes  a sn  trouver  pour  ce  gmire  d’exploi- 
tation, constituent  à la  fois  l'une  des  curiosités  et  rune  des 
principales  richesses  de  la  Roumanie.  Ees  diverses  variétés 
des  sels  gemmes  roumains  sont  ici  représentées  par  des 
blocs  de  grosseurs  ditl'érentes,  parmi  lesquels  un  admirable 
globe  de  deux  mètkes  de  tliamètrc  reposant  sur  un  piédestal 
de  l^RiO  de  liautciu',  également  en  sel. 

((  C’est  aussi  dans  cette  section  du  Pavillon  royal 
que  ligurciit  les  instruments  et  procédés  des  Eettres,  des 
Sciences  et  des  Arts  : le  papier,  la  carrosserie  et  la  sellerie, 
enlin  les  peaux  et  les  cuirs.  Toujours  au  rez-de-chaussée, 
mais  du  côté  faisant  face  an  pont  de  l'Alma,  prennent  place 
les  Cristaux  et  la  Céramique  — produits  de  la  fabri({ue 
d’Azuga  et  de  la  Société  de  Basalte  ; — la  iMécaniquc  et  la 
iMétallurgie  — celle-ci  plus  spécialement  représentée  par 
les  articles  en  fer  et  en  fonte  émaillée,  dorés,  argentés, 
nickelés,  d(^  la  maison  Jacques  Catz  ; — enfin  les  Minerais  et 
leurs  dérivés  industriels,  depuis  le  pétrole,  la  parafine, 
l’ozokérite,  jusqu’à  la  cire  fossile,  le  bel  ambre  noir  de 
Valachie,  l’albàtre,  le  charbon  de  terre,  les  lignites,  etc...  » 

— Mesdames,  messieurs,  prie  le  vieillard,  gravissons,  si 
vous  le  voulez  bien,  le  superbe  escalier  central  qui  conduit 
du  rez-de-chaussée  au  premier  étage...  Et  maintenant,  cette 
ascension  faite,  vous  voyez...  Mais,  poursuivez,  mademoi- 
selle : je  m’en  voudrais  trop  de  remplacer,  par  ma  vieille 
voix  cassée  et  par  ma  pauvre  prose  improvisée,  votre  déli- 
cieux orgaiie  et  la  claire  documentation  de  M.  Cllanesco  ! 

Bertrande,  tout  en  marchant,  annonce  donc: 

« — C'est,  à gauche  : l’Exposition  des  Industjâcs  diver- 
ses ; — de  la  Décoration  fi.xc  des  édilices  publics  et  des  babi- 
lations  ; — des  Meubles  et  Tissus  pour  meubles;  à signaler 


iu:lCiARie 


I 


3S 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


un  très  beau  mobilier  eu  noyer  sculpté  avec  un  portail 
monumental  exposé  par  l’Ecole  des  Arts  et  Métiers  de  Bu- 
carest; — du  Génie  militaire:  armes,  spécimens  et  pro- 
duits de  la  pyrotechnie,  aperçu  des  travaux  exécutés  [lar 

...  _ l’oraani- 


rinstitut  cartographique  de  rarmée  ainsi  que  de 


sation  de  la  'manutention  : habillements,  équipements, 
literie  militaire,  etc.  — A droite  : la  Papeterie,  rEconomie 
sociale  et  l’Hygiène  — collection  complète  des  Ivaux  miné- 
rales roumaines,  avec  une  description  des  stations  balnéaires 
de  l'Etat;  Service  sanitaire  on  Roumanie,  avec  la  descrip- 
tion des  Instituts  de  vaccine  de  l'Etat,  des  Instituts  de 
chimie  de  Bucarest  et  de  lassi,  des  Instituts  antirabiques 
organisés  par  le  professeur  Babesh,  le  collaborateur  de 
M.  le  professeur  et  sénateur  Cornil,  etc.;  — 1 Education  et 


rEnseignement,  avec 


les  remarqnaldes  publications  de 


rAianlirmie  roumaine,  qui  forment  plus  do  cent  dix  volu 
mes,  etc.  — Enfin,  l’extrémité  droite  de  cette  galerie  supé- 
rieure sera  tout  entière  occupée  par  l’Exposition  de  l’Adini- 
nistration  du  Domaine  de  la  Couronne,  placé  sous  la  haute 
el  habile  direction  de  M.  Jean  Kalindéro,  l’un  des  juriscon- 
sultes et  des  économistes  les  plus  éminents  de  la  Boumanic  ; 
— procédés  de  l’exploitation  rurale,  des  industries  agricoles 
et  forestières,  des  pêcheries,  de  l’horticulture  et  de  1 arbo- 
riculture, de  l’outillage  mécanique,  etc.  _ 

« Une  exposition  rétrospective  d’objets  d art  anciens 
complète  la  série  des  collections  du  Pavillon  royal.  On  y 


voit  figurer  le  célèbre  trésor  de  Pétroassa  en  ortevrerie  an- 


cienne  en  or  massif,  enrichi  de  pierreries,  qui  est  un  des  ■ 
rares  spécimens  que  l'on  possède  en  Europe  de  l’orlèvrerie . 
barbare,  lequel  a appartenu,  selon  toute  vraisemblance,  a a 
Alaric,  roi  des  Visigoths;  — des  Etoffes  et  Broderies  rcli-- 
sieuses  appartenant  au  Musée  de  Bucarest  et  provenant  dci 
divers  couvents  de  Roumanie  : chasubles,  étoles,  épüaphiom, 
etc.,  des  XI v''  au  xvi'' siècles;  — des  Produits  de  1 Art  typogra- 
nhiqiie  roumain  du  commencement  du  xv"  siècle  : psau- 
tiers évangiles,  livres  de  liturgie,  en  langues  slave  et  rou-i 
mairie  • — enfin  un  magnifique  Evangile  manuscrit,  avec 
enluminures,  par  S.  M.  la  reine  de  Roumanie,  « Garmeni 
Svlva  » dont  l’exécution  est  une  merveille  d art,  et  que  ba 
Majesté’  a offert  à la  cathédrale  d’Argesh.  — Des  vascs' 


l’avenui-:  des  nations 


3!) 


sacrés  en  or  et  en  argent,  de  très  belles  portes  d’églises  on 
bois  sculptés  du  xiv'^  siècle,  des  vêtements  sacerdotaux 
d’nne  grainle  richesse,  une  colleclion  de  médailles  et  d'es- 
tampes anciennes  donnent  à cette  exposition  un  intérêt  et 
un  attrait  tout  particuliers.  » * 


^ Il 

DES  .MARCHES  OÉANTES 

Le  vieillard  arrête  la  jeune  lectrice. 

— IMerci,  mademoiselle,  dit-il.  La  suite  intéresse  l’en- 
semble do  l’Exposition  llonmaine  qui  n’a  pu  accueillir  que 
quelques  centaines  d’élns  sur  les  cinq  mille  demandes 
d’exposants  reçues  an  Commissariat...  Donc  ce  qui  suit  nous 
sortirait  du  cadre  des  Pavillons  du  quai  d'Orsay,  et  ne  sera 
intéressant  pour  vous  tous  que  lorsque  vous  visiterez  les 
nombreuses  sections  où  expose  la  lionmanie.  Ce  qu’il  faut 
que  je  vous  dise  avant  que  nous  quittions  ce  Pavillon,  c'est 
quelques  mots  sur  ce  pays  plein  d’avenir,  et  ce  très  ancien 
peuple  latin  jeté  depuis  tant  de  siècles  parmi  les  races 
slave,  grecque  et  ottomane,  qui  rentourent.  llassurez-vons, 
chère  madame  Bôchard,  de  qui  n’ai  pas  oublié  les  ten- 
dances à l’impatience  : je  traiterai  cette  doulde  question  en 
quelques  mots. 

« Le  territoire  moldo-valaque  qui  coinpose  la  Roumanie, 
mitoyen  avec  la  Russie  d’une  part  et  l'Autricbo  de  l'antre, 
ce  qui  lui  donne  sa  hante  importance  politique,  s’étage,  dn 
Danube  et  de  son  afilnent  le  l*rut,  qui  lui  servent  de  fron- 
tières méridionale  et  orientale,  jusqu’aux  monts  Karpatbes 
qui  la  séparent  de  la  Transylvanie  autrichienne  en  trois 
zones  bien  déterminées,  qui  forment  comme  trois  marches 
géantes  : premièi-e  marche,  l’immense  plaine  qui,  en  face 
la  Rulgarie,  s’appuie  à la  rive  gauche  du  grand  Danube,  et 
vers  la  Russie,  à la  rive  droite  du  Prut;  deuxième  marche, 
la  région  des  collines  formée  par  les  premiers  contreforts 
des  monts,  Alpes  de  Transylvanie  en  Valachio,  Karpatbes 


40 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


en  Moldavie;  enfin,  troisième  marche,  la  région  pittoresque 
(le  ces  montagnes.  Comme  vous  voyez,  c’est  nn  pays  complet 
possédant  les  trois  sols  : le  plat,  propre  à l'agricnlture, 
l’accidenté  et  le  montagneux,  et  ayant  de  plus,  tonte  la  côte 
maritime  de  la  province  de  Dobroudja,  sur  la  mer  Noire. 


Kor.M.wit;.  — Tvi'es  uf.  la  MUNTAn.si;. 


Comme,  en  outre,  il  est  Lien  délimité  par  dos  frontières 
naturelles  Iluvialos  et  alpestres,  ce  jeune  royaume  a la  con- 
stitution géograpliique  normale  pour  développer  on  sécurité 
sa  richesse  industrielle  et  terrienne. 

« Et  ce  territoire  est  habité  par  une  population  de  plus 
six  millions  d’êtres  robustes,  sains,  intelligents  et  d’une 
grande  beauté  de  race.  La  langue  qu'elle  parle,  qui  n’est 
autre  que  le.  vieux  latin  populaire  d'avant  l’ère  chrétienne, 
dit  son  origine  coloniale  romaine.  La  colonie  trajane,  aban- 


l’aVKME  nies  NATIONS 


il 


donnée  parmi  les  Daces,  a englobé  ceux-ci  an  lieu,  comme 
certains  le  croient,  de  s’ètre  l'ondue  en  eux.  Les  qualités 
belliqueuses  originai l’es  de  la  race  se  sont  perpétuées  grâce 
a des  luîtes  incessanti's ,•  d’abord  [lonr  conquérir  son  indé- 
pendance (dbeniie  vers  la  tin  du  xiii'’  siècle  et  ensuite  pour 
la  conserver  ou  la  reconquérir  après  nue  éclipse  momen- 


RoUMA.NIH.  — Lie  l'KTlT  I’avii.i.o.n. 


tanée  sous  le  joug  des  Turcs.  Voilà  cotte  nation  fine,  belle 
et  rude,  tro])  amie  de  la  mitre  pour  que  jamais  un  Roumain 
dise  jamais  à un  Français  : a .Je  voudrais  manger  de  ta  coliva, 
c’est  à dire  te  voir  mort,  la  colica  étant  un  gâteau  porté  en 
avant  des  cortèges  funèbres  et  que  l’on  distribue  aux  men- 
diants assemblés  à la  porte  du  cimetière.  Bien  au  contraire, 
le  proverbe  roumain  dit  : 

« (Jdnd  Parisul  s/n'mutà,  Hucuresthd  are  gulurai.  » 

— Ce  qui  vont  dire  ? demande  curieusement  Verduret. 


TRAVERS  L EXPOSITION 

(Juand  Paris  éternue,  Bucarest  est  enrhumé  ».  Main- 
tenant, tout  en  nous  dirigeant  vers  la  sortie,  je  vais,  pour 
ces  dames,  ajouter  quelques  mots  concernant  les  modes 
l'éminines,  le  costume  national  sous  lequel  les  Boumaines, 
si  belles,  sont  plus  belles  encore.  Le  costume  si  pittoresque 
qui  s'est  conservé  dans  les  montagnes  est  celui  des  anciens 
Daces,  ou  à peu  près.  Les  femmes  portent  une  chemise 
brodée,  soit  en  couleur,  soit  en  or,  et  élégamment  serrée  à 
la  taille,  où  elle  dispai’aît  sous  une  courte  jupe,  également 
brodée  avec  un  art  merveilleux  et  nommée  zucclca.  Sur  la 
tète  elles  arborent  un  gracieux  voile  disposé  en  j)arure,  la 
marama.  Jugez  si,  là-dessous,  la  llamme  langoureuse  de 
leurs  yeux  de  Castillanes 
ac([uiert  un  charme  troublant  et  délicieusement  conqué- 
rant... Mais,  nous  revoici  au  seuil.  Nous  allons  passer  main- 
tenant au  palais  voisin... 

— Ecoutez  donc,  fait  Bertrande.  Voici  — un  Roumain, 
sans  doute  — qui  vous  parle. 

En  effet,  une  voix  chaudement  timbrée,  chante  cette 
phrase  au  centenaire  : 


— Poffiti,  Doinnub;,  in  fairnusul  iiG.s/ru  Pavi/iun,  si  sa 
(//cnn  t(jti  pc  lcritori/il  rjenn-osci  nosire  sa/'O/'i  mai  mari  : 
Vivat  Francia! 


— C'est  vrai  qu’on  jurerait  entendi'e  du  latin  ! s'écrie 
Verduret.  Que  peul-il  bien  dire? 

— 11  croit  que  nous  n’avons  pas  encore  visité  le  Palais 
roumain  et  m’invite  à le  faire  par  ces  mots  ([ue  je  vous  tra- 
duis textuellement  : <(  Wulez-vous,  monsieur,  entrer  dans 
notre  fameux  Pavillon,  et  nous  disons  tons,  sur  le  territoire 
de  notre  généreuse  sœur  aînée  : Vive  la  Erance  ! » 

— Ah  ! (]ue  vous  êtes  heureux  de  comprendre  tout  cela  ! 

— Qu’aurais-je  fait,  mon  cher  monsieur  Verduret,  de 
tontes  les  années  que  j'ai  vécues,  si  je  ne  m’étais  intéressé  à 
la  pensée  humaine  cachée  sous  les  différents  dialectes?... 
Mais  ce  n’est  pas  le  moment  de  philosopher;  le  palais  voi- 
sin appelle  votre,  visite. 

— Et...  lequel  est-ce? 

— Celui  de  la 


CIIAIMTKE  III 

B U LG A RIE 


I!  ü U L ( ; H E S 1'  A li  I S 1 E N S 

— \raimcnL,  dit  le  vieillard,  j'ai  pour  (jiio  nia  manière 
un  pou  grave  — comme  il  convient  à mon  siècle  d’exis- 
tence — (le  vous  parler  de  ces  Pavillons  et  des  nations 
qui  les  ont  construits,  lU'  fatigue  votre  attention  de  tou- 
ristes à travers  1 fixposition.. . J’ai  peur  que,  fatigués  un  peu 
par  le  tour  d’Europe  que  vous  venez  d(>  faire  au  quai 
(1  Orsay,  vous  n’ctaldissiez  numtalement,  tmtre  mon  jeune 
prédéccssi'ur  aux  ardeurs  juvéniles  et  aux  images  pittores- 
ques et  moi,  un  parallèle  qui  doit  être  tout  à mon  désavan- 
tage... 

— Pouv('z-vous  croire  ? 

— Eli  oui!  monsieur  Verduret.  Ouelquc  elfort  que  fasse 
un  centcnaii'(‘  pour  garder  son  (‘sprit  jeum*  malgré  le  |)oids 
des  ans,  celui-ci  se  fait  sentir  en  dépit  de  tout,  alourdissant 
le  vol  de  la  p('nsée,  lui  enlevant  riiumour,  les  saillies,  les 
aperçus  originaux  qui  ne  ileurissent  à l'aise  que  dans  Bvs 
jeunes  cervcdh's...  Et  puis,  comim'iit  lutter  contre  le  sou- 
venir immédiat  de  la  chaude  faconde  méridionale,  avec  une 
pauvre  voix  frêle  et  cassée  t(*lle  que  la  mienne  ! 

— Je  vous  assure,  monsieur,  que,  pour  moi,  je  no  sens 
pas  de  dilférence,  dit  Bertrande  avec  un  joli  sourire  qui  fait 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


voir  lin  mignon  rang  de  perles  entre  la  pourpre  mutine  de 
ses  lèvres. 

— Vous  montrez,  mademoiselle,  une  générosité  rare 
parmi  la  jeunesse  à l'égard  de  eeuv  pour  qui  la  jeunesse 
n’est  plus  qu'un  lointain  souvenir. 

— Mais  non,  je  ne  suis  pas  du  tout  généreuse,  je  vous 
jure  : je  suis  sincère. 

— Well!  t'ait  l’uzzling  à voix  basse  à l'oreille  de  la  jeune 
fille. 

— Vous  allez,  mademoiselle  Bertrande,  trop  me  faire 
regretter  le  grand  âge  qui  me  vaut  ces  délicates  paroles. 

— Votre  âge  !...  votre  âge  !...  Vous  en  parlez  tant  que  je 
Unis  par  avoir  toutes  les  peines  du  monde  à y croire  ! 

— Vous  êtes  une  charmante  flatteuse,  dit  le  centenaire 
gracieusement,  mais  d'un  air  un  peu  contraint  en  se  détour- 
nant de  la  nièce  pour  faire  face  à l'oncle. 

— Xcrij  approuve  derechef  le  détective  londonnien 

à l’oreille  de  la  complimenteuse.  Ce  été  par  le  flatleruicj 
(lu'ou  faisé  un  bon  bciibminq .. . no  : commencement  de 
le  flirt! 

La  jeune  fille  se  tournant  résolnment  vers  le  rouge  fils 
d’Albion  ; 

— Et  c’est  en  parlant  quand  on  devrait  se  taire  qu’on 
compromet  la  réussite  d'un  plan  d’atta(|ue.  Comment  vou- 
lez-vous que  l'ennemi  tombe  dans  le  piège  si,  dès  la  ])ro- 
mière  escarmonche,  vous  vous  ingéniez  à lui  faire  toucher 
du  doigt  notre  entente. 

— Aôb  ! 

— Il  n’y  a pas  de  « aôb!  » Si  vous  voulez  que  je  pousse 
les  choses,  allez  donc...  un  peu  plus  loin  méditer  sur 
l’inconvénient  d’avoir  la  langue  trop  longue  ! 

— Yesl  fâchez  pas  vous-meme  : jé  allé...  Je  souivé  de 
loin. 

— C'est  ça,  de  très  loin,  n’est-ce  pas  ? 

— y es  ! 

Et,  virant  tout  d’une  pièce,  l’Anglais,  siir  d’avoir  lancé 
sur  la  piste  un  adroit  petit  limier,  gagne  à grands  pas  le 
large  dans  la  direction  du  pont  des  Invalides. 

— Ouf!  fait  tout  bas  Bertrande  en  suivant  du  coin  de 
l’œil  la  retraite  de  son...  associé. 


L AVENl'E  DES  PsATiONS 


— Comment,  Mr  Puzzliiig  nous  quitte  ! s'écrie  Verduret 
qui  n’eu  peut  croire  le  témoignage  de  ses  yeux. 

— Je  serais  surpris  qiu'  ce  lut  pour  longtemps,  ol.)serve 
le  vieillard  eu  faisant  euteudrc  le  petit  rire  de  crécelle  ([ui 


Le  PHINCE  l'EIiriI.N.tND  I"  de  liULOAIllE. 


a le  don  de  faire  vibrer  si  désagréablement  les  nerfs  de  la 
farinière...  au  point  que  rimprudeutc  échautillonueuse  de 
crus  germains  s’eu  trouve  subitement  réveillée  de  son  vague 
engourdissement  général. 

— Voyons,  poursuit  le  centenaire,  nous  ne  sommes  pas 
venus  devant  le  Pavillon  de  la  Bulgarie  pour  nous  pré- 


A TRAVERS  l’ EXPOSITION 


4() 


occuper  des  faits  et  gestes  d’un  sujet  de  la  libre  Angle- 
terre. 

— Ça,  c’est  vrai!  approuve  Bècliard. 

— Laissez-nioi  donc  d’abord  vous  dire  que,  géographi- 
quement, la  Bulgarie  est  la  sœur  junndlc  inversée  de  la 
Bounianie  qiu'  M.  Ollanesco  et  mademoiselle  viennent  de 
vous  présenter.  Leur  frontière  commune  est  le  Danube, 
mais  elle  est  septeutrionale  pour  la  Bulgarie  alors  qu'elle 
est  méridionale  pour  l'Etat  roumain.  La  Bulgarie  a égale- 
ment sa  région  de  plaines  danubiennes,  mais  moins  éten- 
due ; sa  région  de  collines  et  ses  montagnes  qui  se  noni- 
menl  Stara  Planina  — monts  Balkans  — au  lieu  de  la  chaîne 
des  Karpathes,  mais  elle  franchit  les  monts  et  retrouve 
collines  et  [)laincs  dans  sa  grande,  annexe  de  la  Boumélie 
orientale.  Donc,  pays  tout  aussi  complet  et  jouissant  même 
d’nn  climat  plus  doux... 

— Alors,  pays  d’avenir,  comme  son  voisin? 

— Oui,  pays  de  très  grand  avenir,  mais  moins  avancé 
que  le  dit  voisin,  étant  plus  nen/  encore  cl,  ofliciellement, 
moins  affranchi  de  la  suzeraineté  ottomane. 

— Et,  comme  [)opulation  ? 

— Ici,  la  fraterni té  cesse.  Si  les  Boumaines  sont  d'origine 
daco-romaine,  les  Bulgares  sont  franchement  slaves,  et 
1 élément  mahométan  est  pour  ainsi  dire  nul  sur  leur  terri- 
toire. 

i<  Venus  des  rives  du  Volga  — d où  leur  nom  — le 
brave  peuple  bulgare  s’installa  dès  le  v°  siècle  dans  la 
« .Mœsia  inférieure  » des  Anciens,  leur  pays  d’aujourd'hui 
— beau  et  fertile  pays  et  pourtant  pauvre  pays!  C'est  que, 
plus  peut-être  encore  que  la  Boumanie,  il  fut,  jus<|u’à  ces 
dernières  années,  un  constant  champ  de  bataille  : guerres 
contre  l'empire  de  Byzance,  luttes  vaines  contre  la  san- 
glante domination  de  l'Islam,  théâtre  des  opérations  ini- 
tiales de  la  Bussie  contre  la  Turquie,  etc.,  toujours  les 
combats,  les  massacres,  les  incendies,  les  rapts,  les  viols, 
les  pillages...  et  de  l'avidité  des  oppresseurs  ottomans  et  de 
leurs  proj)res  [u’ctres  du  rite  grec  lancés  sur  eux  comme  sur 
une  proie  par  leurs  maîtres  mahométans...  Ils  ont  résisté, 
ils  ont  v'écu  quand  môme,  et  voilà  enfin  que  s’ouvre  pour 
eux,  depuis  qucl(|ues  lustres,  l'ère  du  relèvement  dans  la 


L AVUNIE  BES  ISATIO.NS 


47 


paix  féconde,  par  le  travail  et  le  progrès.  Ah  ! les  vaillants 
et  — trop  longtemps  — les  malhenrenx  Boulgres! 

— Hein?  fait  V^erdnret  en  sursautant,  moins  olfnsqué 
que  stupéfait  d’entendre  ce  terme  tomber  tranquillement 
des  lèvres  du  vénérable  cicerone. 

— Iju'y  a-t-il?  demande  celui-ci. 

— Vous  avez  dit...  les  « bougres?  » 

— ■ ,1’ai  dit  : Dovdgres,  corruption  très  directe  de  Boul- 
gares,  d’où  est  venu,  en  effet,  notre  terme  ultra-familier  de 
« bougre  ».  Et  cela  date  de  loin.  Lorsque  les  Croisés  traver- 
sèrent le  pays,  ils  en  crui-ent  les  bal)ilants  idolâtres,  et  tirent 
de  leur  nom  une  grossière  injure.  Quand  le  Père  iJt/c/ieme 
qnaliliait  de  « bons  bougres  de  patriotes  » les  citoyens  des 
sections  parisiennes,  ceux-ci  ne  s’imaginaient  pas  qu’il  adres- 
sait, par-dessus  leurs  piques  et  leurs  baïonnettes,  un  superbe 
compliment  (à  un  peuple  opprimé  dont  ils  ne  soupçonnaient 
même  pas  l’existence. 

— Ainsi,  résume  le  j)bilosopbe  Verduret,  nos  faubou- 
riens et  nos  frustes  campagnards  ne  l'ont,  en  s’injuriant, 
que  suivre,  après  tant  de  siècles  écoulés,  la  tradition  créé(! 
par  les  cbevaliers  bardés  de  for  allant  en  Terre  Sainte 
reprendre  le  tombeau  du  Cbrist  I ...  Ün  les  étonnerait  b.,  .igre- 
ment,  si  ouïe  leur  disait! 

— Je  vous  ferai  observer,  Verduret,  (|ue  vous  distrayez 
monsieur  de  ses  explications  pour  bien  peu  de  chose,  gronde 
Bècbard,  l’éternel  mécontent. 

— Pardon,  lerrilde  ami  ; je  ne  le  ferai  plus  ! 

— Donc,  dit  en  souriant  le  vieillard,  je  poursuis,  tout 
comme  si  j’étais  moi-mème  un  bon  Boulgre... 

— iMalbeureusement,  vous  êtes  Français,  observe  en 
riant  le  manufacturier  retiré. 

— Ce  qui  serait  loin  de  me  faire  mal  voir  dans  ce  pays 
dont  le  prince,  Ferdinand  F'',  est  le  petit-fils  de  notre  roi 
Fouis-Pbilippe,  par  sa  mère,  la  vénérée  princesse  Clémen- 
tine, une  des  femmes  les  plus  éminentes  de  l’Europe  et 
dont  l’esprit,  si  élevé,  est  encore  dépassé  par  sa  souveraine 
bonté  qui  n’exclut  pas  une  sagesse  et  une  fermeté  toutes 
royales.  Elle  est  la  digne  sœur  du  duc  d’Aumale,  dont  le 
noble  et  loyal  souvenir  est  resté  universellement  cher  en 
notre  patrie,  comme  celui  d’un  graïul  et  généreux  Français. 


48 


A TKAVEllS  L EXPOSITION 


Si  le  prince  de  Bulgarie  a pu  se  maintenir  dans  les  Balkans, 
malgré  les  terribles  oppositions  européennes  que  son  éléva- 
tion a rencontrées,  il  le  doit  beaucoup  au  respect  dont  sa 


mère  est  l’objet  de  la  part  de  tous,  et  au  grand  sens  politi- 
que de  cette  femme  d'élite.  Formé  à une  telle  école,  sou- 
tenu de  si  précieux  conseils,  le  prince  Ferdinand  a été  le 
très  habile  ouvrier  de  la  résuri’cction  de  la  nation  bulgare  à 


A TRAVERS  L'EXPOSITION  DE  1900 


FAYARD  Freres  Editeurs  78. sl  Michel , PARIS 


lmp-  Michels  a Fili 


FINLANDE 


BULGARIE 


ROUMANIE 


PAVILLONS  DES  PUISSANCES  ÉTRANGÈRES 


AVKM  E DES  AA'I  IOAS 


49 


lac|uelle,  a|)rÈs  tant  do  siècles  d esclavage  et  de  répi’essions 
ellroyablement  cruelles,  1 empire  Ottoman  avait  été  con- 
traint de  rendre  I autonomie  et  les  lilmrtés  nécessaires. 
Gi’àce  cà  lui,  la  Bulgarie, 


sans  cesser  d'ètre  encore  va- 
gnemenl  inféodée  à la  Tur- 
quie, est  entrée  dans  le  con- 
cert des  l^uissances  enro- 
pcennes,  ce  qui  constitue 
son  brevet  d’existence  poli- 
tique. Aussi  la  jeune  nation, 
enfin  sortie  du  vieux  peuple 
enchaîné,  s’ost-cdle  fébrile- 
ment mise  en  marche  vers 
le  progrès,  faisant  surgir  du 
sol  abandonné  les  moissons 
et  les  usines,  triplant  les 
étapes  vers  l’avenir,  comme 
le  taisaient,  de  loin’  côté,  les 
Roumains,  les  Bosniaques 
et  aussi  les  Serbes...  Car,  en 
vérité,  c’est  avec  émotion 
qu’il  faut,  en  présence  de 
ces  Balais,  songer  au  su- 
perbe développement  indus- 
triel de  ces  jeunes  Etats 
chrétiens  des  Balkans,  si 
nouvellement  libérés  de  la 
déprimante  tutelle  de  ce 
Constantinople  turc  qui,  taiit 
qu’il  est  le  plus  fort,  brise 
les  races  dans  le  sang  et 
éteint  leur  génie  sous  l’es- 
clavage. Ah  ! le  beau  et  ré- 
confortant spectacle  que 
cette  large  participation 

de  ces  nations  réveillées  enliii  d'Iiier  de  leur  séculaire  tor- 
peur, à noire  grande  Exposition  universelle  de  1900  ! Ce 
sont  des  B’ères  enfin  libérés  à jamais  de  la  tyrannie,  et 
qu  accueille  à bras  ouverts,  avec  des  larmes  heureuses,  cette 


LiLi,r.AiiiE. 

Tuur  d’angle  du  Pavillon. 


A TRAVERS  l'E.VPOSITION.  — T.  XI. 


44 


oO 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


France  qui,  sur  la  terre  d’Afrique,  a versé  son  sang  pour 
délivrer  du  joug  funeste,  sans  toucher  à leur  toi,  les  peuples 
d’Algérie,  de  Tunis  et,  autrefois,  la  vieille  terre  des  Pha- 
raons où  une  autre  a pu  planter  ses  étendards,  mais  non 
faire  oublier  la  généreuse  libératrice. 

Ces  paroles  émues  font  un  elfet  bizarre  prononcées  par  la 
voix  chevrotante  et  aigre  du  vétuste  cicerone,  mais  ni  Ver- 
duret  ni  sa  nièce  ne  songent  à en  sourire,  impressionnés 
qu'ils  sont  par  l'ampleur  de  l'Idée.  Quant  à Bêchard,  il 
fronce  les  sourcils  d'un  air  profond,  tandis  que  son  épouse 
écoute  bouche  bée  des  mots  qui  dépassent  de  beaucoup  son 
superlicicl  entendement. 

— Au  moins,  hasarde  Verduret,  ces  Ftats  nouveau.x  du 
Danube  et  des  Balkans  comprennent-ils  cette  vive  sympathie 
de  la  France  à leur  égard  ? 

— M.  Ollanesco  a pris  la  peine  de  vous  répondre  lui- 
même,  tout  à l’heure,  en  ce  qui  concerne  la  Boumanie. 
Quant  à la  Bulgarie,  outre  son  prince  d’origine  si  hautement 
française  et  qui  n'avait  pas  besoin  du  grand-cordon  de  la 
Légion  d’iionneur  que  lui  a remis  le  regretté  Président 
Félix  Faure,  pour  être  un  des  grands  amis  de  la  patrie,  de 
ses  ancêtres,  les  membres  du  Gouvernement  de  Sofia  sont 
presque  autant  Parisiens  que  Bulgares. 

— Des  Boulgres  parisiens,  alors  ! fait  en  souriant  l’oncle 
de  Bertrande. 

— iMa  foi,  jugez-cn  vous-même.  Son  Altesse  Boyale  le 
prince  Ferdinand  a fait  de  notre  E.xposition  présente  une 
de  ses  constantes  préoccupations  depuis  quatre  années. 
Grand  collectionneur,  amateur  d’art  éclairé,  intrépide  chas- 
seur et  même,  ainsi  que  son  oncle  d’Aumale,  viticulteur 
passionné  comme  j’aurai  le  plaisir  de  vous  en  donner  la 
preuve  tout  à l’heure,  il  a veillé  personnellement  à ce  que 
la  Bulgarie  (dont  il  est  le  Moi  indépendant  de  demain)  lasse 
bonne  ligure  parmi  les  nations  réunies  pacifiquement  à cette 
heure  sur  les  rives  de  la  Seine. 

« 11  a été  très  activement  secondé  dans  son  œuvre  par  son 
ministre  de  l’Agriculture  et  du  Commerce,  M.  G.  D Natcho- 
vitch,  homme  du  plus  grand  mérite,  dont  l’intluence  heu- 
reuse et  la  réputation  sont  universelles,  et  dont  l’affinité  vers 
la  France  ne  fera  pour  vous  aucun  doute  lorsque  vous  sau- 


L AVKNUK  UES  .NATIONS 


Ol 


ivz  que  l’actil'  ministre  bulgare  est  un  ancien  élève  du  lycée 
Louis-le-Grand.  » 

— Ah  ! bah  ? 

^ — Passons  rapidement,  puisqu’il  nous  a quittés,  iM.  J. -S. 
Guéchotr,  premier  représentant  de  la  Principauté  danu- 
bienne lorsque,  en  1896,  le  Gouvernement  de  Solia  noua 
des  relations  diplomatiques  directes  avec  la  France,  et 
qui,  très  goûté  autant  qu'apprécié  à Paris,  cumula  aussitôt 
ses  tondions  d ambassadeur  avec  celles  de  (Commissaire 
général,  premier  en  titre,  et  arrivons  au  très  distingué  érudit 
M.  Vassil  Pavlitoff,  Commissaire  général  actuel  de  la  Bul- 
garie à l'Exposition,  après  avoir  été  chargé  d’affaires  du 
Gouvernement  bulgare  en  l’rance. 

Est-ce  qu  il  serait  aussi  un  Boulgre  parisien? 

Doublement.  D abord,  avant  de  devenir  le  Secrétaire 
général  du  ministère  des  Atl'aires  étrangères  et  des  Cultes 
qu  il  est  également,  il  a fait  à Paris  ses  humanités  ; et  puis, 
il  a choisi  pour  compagne  une  de  nos  plus  charmantes  com- 
patriotes. 

^ bonne  heure  !...  j.\lors,  c est  lui  qui  a organisé 

l’Exposition  bulgare  ? 

— Pas  précisément.  11  n’a  remplacé  M.  Guécholf  que 
depuis  quelques  mois  et  a été  remplacé  lui-même  à la  léga- 
tion par  le  très  aimable  docteur  Stephan  P.  Nikyphorolf, 
qui  est  déjà  passé  parisien  en  pied. 

— i\Iais,  est-ce  que  ces  changements?... 

Rassurez-vous.  Depuis  que  le  Commissariat  bulgare  a 

été  créé,  il  a trouvé  sa  cheville  ouvrière  dans  la  personne 
du  plus  actif,  du  plus  dévoué,  et  du  plus  complaisant  des 
commissaires  généraux  adjoints,  notre  compatriote  M.  le 
comte  Maurice  de  La  Fargue,  aussi  modeste  que  grand  tra- 
vailleur, et  qui  a porté  le  plus  allègrement  du  monde  le 
poids  de  ses  délicates  responsabilités. 

— Alors,  un  débrouillard  ! prononce  sentencieusement  le 
grave  farinier. 

— Un  laborieux,  cher  monsieur,  et  qui,  ayant  fait  ses 
premières  armes  dans  la  Presse,  a été  à bonne  école  pour 
savoir  se  tirer  élégamment  de  toutes  les  difficultés.  Le 
prince  Ferdinand  a eu  en  lui  le  plus  adroit  et  le  plus  dis- 
tingué des  seconds  et...  z/  /le  l'ignore  pas.  Maintenant,  par- 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Ions  un  peu  du  l'avillon  où,  sauf  les  œuvres  des  arlisLes 
qui  ont  leur  place  au  Palais  des  Beaux-Arts,  se  trouve 
réunie  toute  la  très  intéressante  exposition  bulgare. 

— Ma  parole,  pense  Bèchard,  je  croyais  que  nous  n'y 
arriverions  jamais.  En  fait  de  bavartlage,  passer  du  Tou- 
lousain à ce  loquace  cen- 
tenaire, c'est  à peu  près 
tomber  de...  de...  chose 
en  machin...  enlin,  je 
m’entends  ! 

— De  quel  style,  le 
Pavillon?  demande  le 
manufacturier  retiré. 

— Du  style...  futur. 

— Hein? 

— Cela  vous  fait  rire? 
— Dame!...  J’avoue 
que  le  joyeux  M.  Bous- 
castrol  nous  a expliqué, 
aux  Champs- Elysés  et 
ici,  plus  de  styles  que  ma 
pauvre  mémoire  n’en 
pourra  retenir,  mais  il 
n’a  pas  été  jusqu’à  glis- 
M.  MAURICE  DE  LA  FAiiGUE  ser  (Jaus  la  nomenclature 

C0.\[M1SS,UUE  GÉxKR.iL  AD.joiNT  nii  LA  hllgarU'.  stylc  qiU  u’cxisle  pRS 

{Cliché  largfr.i  encore...  et  pourtant,  il 

est  Toulousain,  lui! 

— Je  vais  vous  expliquer.  Les  deux  architectes,  diplômés 
et  français,  chargés  par  le  Gouvernement  de  Son  Altesse 
Boyale  le  prince  Ferdinand,  de  construire  ce  Palais  bulgare 
au  quai  d’Orsay,  sont  MM.  Henri  Saladin  et  H.  de  Seve- 
linges.  Le  premier  est  un  fervent  d’orientalisme,  comme 
M.  Binet,  l’auteur  de  la  Porte  Monumentale  de  la  place  de 
la  Concorde. 

— Parbleu!  observe  Bèchard,  Saladin...  la  «lampe  de 
Saladin  !...  » il  devait  à son  nom... 

— Je  ne  crois  pourtant  pas,  cher  monsieur,  qu  il  des- 
cende des  Maures.  Mais  vous  pourriez,  dans  un  certain  sens, 
avoir  raison.  H est  des  noms  qui  semblent  prédestinés,  sans 


Bulgarik.  — Dkcouatio.n  d’ü.ne  l'iLE  DU  1’a\  illon.  (Enlree  principiilc.) 


L AVKMT-:  [)l-;s  NATIONS 


qu’on  puisse  copendanl  affirmer  qu'il  y ait  là  autre  chose 
que  de  curieuses  coïncidences  ou  des  facéties  du  hasard. 
Ainsi,  ce  nom  de  Bêchard,  que  vous  porte/...  si  hien.. 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


U 


— Pardon,  pardon  !...  Je  vous  serais  obligé  de  ne  pas 
l'aire  de  personnalité. 

— Soit.  Je  continue  donc.  M.  Saladin  sait  à tond  l'art 
oriental  et  s’est  vu,  en  raison  de  cette  spécialité,  confier  la 
construction  des  Pavillons  de  la  Tunisie  et  du  Maroc  par  le 
Commissariat  général  de  l'Exposition,  comme  celle  de  ce 
Pavillon  par  la  Bulgarie.  Or,  ce  tout  jeune  Etat,  dont  la 
reconnaissance  officielle  ne  remonte  qu’à  peu  d’années,  est 
privé,  bien  plus  encore  que  la  Roumanie,  de  toute  archi- 
tecture nationale.  Les  architectes  ont  pensé  qu'au  Palais 
représentant  une  principauté  aussi  neuve,  il  fallait  une 
architecture  absolument  neuve,  qui  s'éloignât  suffisamment 
des  arts  byzantin  et  ottoman  pour  être  susceptible  de 
devenir  une  indication  pour  le  style  personnel  que  les  pro- 
grès de  la  Bulgarie  obligeront  à créer  demain.  Ce  qu'ils  ont 
conçu  est  à la  fois  très  moderne,  très  léger,  très  élégam- 
ment décoratif  et  très...  suffisamment  oriental.  Vous  voyez, 
cela  a l'air  de  vouloir  rappeler  bien  des  styles  et,  de  fait,  ne 
resssemble  à aucun.  C'est  de  la  fantaisie  remarquablement 
ingénieuse  et  harmonieuse,  qui  laisse  tout  juste  sentir 
qu'elle  est  née  d'esprits  savamment  documentés.  A chaque 
partie,  à chaque  détail,  soit  qu’il  s’agisse  du  porche  de 
superbe  venue,  des  fenêtres  trilobées  du  premier  étage  ou 
des  campaniles  s’élançant  gracieusement  vers  le  ciel,  il 
vient  aux  lèvres  ce  cri  : « Parbleu,  c’est  du...  » Mais  la  parole 
ne  s’achève  pas„  car,  en  y regardant  de  plus  près,  on  s’aperçoit 
que  plusieurs  caractères  principaux  manquent  pour  per- 
mettre de  formuler  le  nom  du  style  connu  venu  d’abord  à 
la  pensée.  On  ne  peut  que  dire:  c’est  du  nouveau  et  du  nouveau 
de  qualité  exquise,  où  la  couleur  joue  un  rôle  charmant, 
comme,  par  exemple,  pour  ces  haies,  angles  et  tourelles  se 
détachant  en  blanc  sur  ce  fond  d’un  beau  rouge.  Et  remar- 
quez que  ce  nouveau  a déjà  sa  marque  bulgare  par  le  fait 
que  tous  les  motifs  ornementaux  qui  accusent  les  lignes 
principales  du  petit  monument  sont  tirés  de  la  faune  et  de 
la  flore  spéciales  du  pays.  N’avais-je  pas  raison  de  vous  dire 
tout  à l'heure  que  c’était  là  de  l’Art  « futur  »,  que  la  princi- 
pauté fera  bien  de  consacrer  sien  en  en  faisant  son  style 
national  ? 

— Je  m’incline  et  me  rétracte,  déclare  Verduret.  Et  je 


LAVENUI-:  DES  iNAÏION'S 


regrette  que  notre  Toulousain  ne  soit  pas  là  pour  applaudir 
à un  aperçu  éminemment  original  qui  est  big...  pardon... 
Bonlgrement  dans  sa  manière. 

— Laissez  donc  votre  Bonscastrol  tranquille,  mon  cher  ! 
Un  gaillard  qui  se  met  dans  le  cas  d’être  appréhendé  parles 
gardiens  de  la  paix  n^est  pas  une  personnalité  recomman- 
ble  à évoquer  à chaque  tournant  de  phrase  ! Si  vous  m’en 
croyez,  vous  ferez  bien  mieux  de  demander  à notre  guide 
de  nous  introduire  dans  ce  Pavillon,  cai',  sans  reproche, 
voilà  assez  longtemps  que  nous  posons  à la  porte  ! 

Devant  cette  injonction  peu  déguisée  du  grave  farinier, 
le  centenaire  invite  docilement  du  geste  le  petit  groupe  à 
entrer  et  prend  lui-même  les  devants. 


Il 


LA  KULUAKIE  ((  l'AUElM  DL  .MONDE  » 


— Vous  voyez,  mes  chers  auditeurs,  ro})rend  le  vieillard 
aussitôt  que  notre  groupe  de  visiteurs  a franchi  à sa  suite  le 
seuil  du  Palais,  vous  voyez  que  la  disposition  inléricure  do 
ce  Pavillon,  qui  couvre  375  mètres  carrés,  est  des  plus 
simples  : un  beau,  clair  et  vaste  vestibule,  à droite  et  à 
gauche  duquel  sont  deux  superbes  salles  d’exposition. 

— Tiens  ! s’écrie  M'"“  Flore,  nn  jet  d’eau  au  milieu  de  ce 
vestibule  ! C’est  trouvé,  cela  ! 

— Mais,  fait  tout  à coup  Bertrande  en  faisant  palpiter 
les  ailettes  délicatement  rosées  de  ses  mignonnes  narines, 
cela  sent  délicieusement  bon,  ici. 

— Mademoiselle,  voulez-vous  nous  faire  le  plaisir  de  lire 
l’inscription  que  vous  voyez  là-haut,  au-dessus  du  jet  d’eau  : 


J 


— Vous  dites  cela  pour  me  faire  honte  de  mon  igno- 
rance. 11  y a là-dedans  des  lettres  si  bizarres  que,  bien  loin 


r,  AVENUE  DES  NA'I'IONS 


ni 


(le  pouvoir  déciiiflVer  le  sens  des  mots,  je  serais  mémo  inca- 
pable de  les  épeler...  (Ju’esl-ce  que  cela  veut  dire  ? 

— Textuellement  : 

(I  La  Ihdfjanr  parfump  tout  le  monde.  » 

— Alors,  ce  jet  d'eau?... 

— l^'ait  tout  simplement  voltiger  dans  l’atmosphère  dos 
millions  de  petites  gouttelettes  d’essence  de  rose.  La  llnl- 
garie  se  devait  de  placer  ici  ce  bassin  parfumé. 

— Est-ce  que  ce  serait  un  symbole?  demande  Verdnret  en 
clignant  de  l’œil  d'un  air  entendu. 

— Le  jet  d’eau  en  pourrait  être  un,  en  somme,  une  des 
curiosités  naturelles  de  la  Bulgarie  étant,  parmi  son  grand 
nombre  de  sources  tbermales  — dont  celle  du  Mont-Suha 
lance  des  eaux  sulfureuses  colorées  eu  rouge  — la  double 
source  qu'elle  jiossèdc  près  de  la  frontière  serbe.  Ces  deux 
sources,  très  voisines  l'une  de  l'autre,  débitent  : l’une,  une 
colonne  d’eau  tiède  de  la  gr(jsseur  du  bras,  et  l’autre,  située 
un  |)cu  plus  bas,  au  pied  de  la  même  colline,  un  jet  cristal- 
lin et  giaciid. 

— Diable!  observe  Verdnret,  le  sous-sol  doit  être  intéres- 
sant |)our  les  géologues,  dans  ce  pays-là! 

— jMais,  pour.suit  le  séculaire  cicerone,  les  oi'ganisatcurs 
de  ce  palais  ont  vu  dans  ce  jet  mieux  qu'un  symbole  qui 
serait,  avoue/-le,  (juelque  peu  tiré  par  les  cheveux.  11  consti- 
tue l’enseigne  parlante  de  la  grande  et  charmante  industrie 
du  pays  : la  culture  des  roses.  La  reine  des  Heurs  est  bien 
nue  reine  eu  Bulgarie,  püis([u'elle  y a pour  domaine  souve- 
rain toute  inie  vallée,  la  « Vallée  des  Boses  »,  dont  les  ap- 
proches, comme  celles  de  cette  fontaine,  se  reconnaissent 
par  les  suaves  parfums  qu'emporte  la  brise.  Les  essences 
(Id'eii  tire  l’industrie  locah(  sont  sans  rivales,  et  vous  voyez 
ici  l'exposition  des  produits  de  vingt  fabricants  réputés. 

— Est-ce  qn’on  peut  tremper  un  coin  de  son  mouclioir? 
liasarde  la  coquette  farinière, 

— Laisse  donc,  s’oppose  son  peu  sociable  époux.  Tu 
empoisonnes  déjà  le  musc,  bichette...  Avec  l’essence  de 
rose,  ça  ferait  un  joli  mélange  ! Comme  odeur,  je  ne  com- 
prends que  la  lavande,  dans  les  armoires  ! 


58 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Voyons,  mon  gros,  nous  sommes  à Paris  ! 

— Nous  sommes  même  à Sofia...  pour  le  moment,  et  la 
rose  est  ici  odeur  XocüXq,  monsieur  Bêchard,  sollicite  gracieu- 
sement Bertrande. 

— Puisqu'il  est  dit  que  je  n’échapperai  pas  à la  migraine, 
va  faire  ta  trempette,  consent  le  farinier  de  mauvaise 
grâce. 

M'"''  Bêchard  ne  se  fait  pas  répéter  l’autorisation  et  court 
plonger  son  mouchoir  entier  dans  l’eau  parfumée. 

Puis,  le  centenaire  emmène  le  groupe  d'expositionnistes 
dans  les  salles  où  l’industrie  bulgare  est  représentée  par 
quelque  cinq  cent  soixante  exposants,  un  joli  chilTre,  surtout 
si  l’on  fait  la  comparaison  avec  la  Turquie  qui  n’a  au  quai 
d’Orsay  que  trente-trois  exposants...  obligés  de  construire 
leur  palais  à leur  frais  — « la  revanche  du  vassal  ! » comme 
l’a  spirituellement  souligné  M.  Beer,  dans  un  de  ses  articles 
du  Figaro. 

Le  vieillard  fait  rapidement  passer  en  revue  à nos  provin- 
ciaux les  expositions  (photographies,  plans,  cartogrammes, 
diagrammes,  statistiques)  des  ministères  : Travaux  publics. 
Agriculture  et  Commerce,  Instruction  publique;  et  celles 
des  corporations,  parfois  fort  naturalistes,  comme  le  bizarre 
et  inattendu  lot  de  cornes  et  d'os  envoyé  par  les  bouchers 
de  Sofia. 

11  leur  fait  voir  les  photographies  des  antiquités,  moulages 
de  statues  et  reliefs  du  temps  des  Traco-lllyrions  et  des 
Macédoniens,  existant  au  Musé  national  de  Sofia.  11  leur  fait 
remarquer  les  parures  et  costumes  nationaux  qui,  après  la 
Grande  Fête  de  1900,  iront  grossir  les  collections  ethnolo- 
giques du  Musée  du  Trocadéro;  les  intérieurs  d’ateliers  (avec 
travaux  d’élèves)  de  l’Ecole  commerciale  Pistor;  tout  ce 
qui  intéresse  l’armée  bulgare,  les  foires  et  marchés,  les 
institutions  de  crédit,  les  assurances,  les  Chambres  de  com- 
merce, les  Musées,  etc.,  delà  Principauté. 

Puis  il  leur  montre,  après  les  monnaies  nouvelles,  poids  et 
mesures  (système  métrique  comme  en  France),  les  pro- 
duits expédiés  par  cent  soixante-neuf  agriculteurs  et  qui 
prouvent  ce  qu’est  rapidement  devenue  la  généreuse  terre 
bulgare  dans  les  travaux  de  la  paix  et  sous  le  régime  d’une 
paternelle  administration. 


L AVENUE  DES  NATIONS 


:i9 


Ensuite,  ce  sont  les  vins,  rlont  la  qualité  semble  protester 
contre  la  réalité  géographique  qui,  là-bas,  fait  descendre  les 
côtes,  face  an  nord,  des  Balkans  vers  le  Danube...  Et  encore 
les  envois  de  dix-sept  fabriques  de  tapis  de  Sofia,  Plewna, 
Tsaribrod,  Kotel,  Slivno,  Gabrowo,  Elena,  Stanimaka,  l)ra- 
goniirovo,  Vratza,  Ronstchouk,  Tcbiporovtzi  et  Danagu- 
richté. 

— De  boulgres  de  noms...  à couelier  à la  porte,  ricane 
Bêcbard. 

Le  vieillard  se  contente  de  hausser  les  épaules  en  regar- 
dant Verduret,  et,  ramenant  son  monde  daïis  le  vestibule, 
lui  dit  ; • 

— Maintenant,  allons  rendre  visite  à l’envoi  du  principal 
exposant  bulgare. 

— Et  quel  est  cet  exposant  principal? 

— Le  prince  lui-même,  monsieur  Verduret.  Voici,  au  pre- 
mier, au-dessus  de  la  porte  d’entrée  du  Pavillon,  le  saloiT 
qui  lui  est  réservé.  Vous  voyez  là  les  pièces  les  plus  impor- 
tantes de  ses  vitrines  de  grand  collectionneur,  les  collections 
d’histoire  naturelle  de  ce  beau  chasseur  et...  cent  dix-huit 
échantillons  des  vins,  vermouths  et  cognacs,  produits  par 
son  domaine  princier  d’Euxinograde,  dans  le  district  de 
Varna.  Le  souverain  a donné,  en  se  consacrant  à l’exploita- 
tion agricole  et  surtout  vinicole  de  ses  propriétés,  un  bel 
exemple  à ses  sujets,  exemple  que  ceux-ci  s’empressent  de 
suivre  pour  le  plus  grand  bien  de  l’industrie  bulgare.  Il  a 
bel  et  bien  consacré  deux  millions  à ses  plantations  de  vignes 
qui  protluisent  les  fameux  vins  blancs  et  rouges  d’Euxino- 
grade qui  sont  les  « bordeaux  » de  la  Bulgarie. 

— Est-ce  qu’on  peut  déguster?  demande  M'”'^  Elore,  subi- 
tement intéressée. 

Pour  toute  réponse,  le  farinier  saisit  vivement  le  bras  de 
son  épouse  et,  pour  qu’elle  n’ait  pas  la  velléité  « d’échantil- 
lonner » de  nouveau,  l’entraîne  tout  d’une  traite  hors  du 
Pavillon  de  la  Bulgarie. 

Alors,  rassuré,  il  demande  : 

— (Jnel  Pavillon  allez-vous  nous  montrer,  après  celui  de 
la  Bulgarie? 

— Mais,  le  suivant,  si  vous  A’oulez  bien,  c’est-à-dire  celui 
de  la 


PAVILU: 


CHAPITRE  IV 


FIXLANDK 


I.E  Ml'li  Ur  CENTENAIRE 

— Vraiment,  mes  chers  auditeurs,  dit  le  vieillard  de  sa 
voix  perchée  qui,  en  essayant  de  prendre  du  volume,  se  fait 
effroyablement  criarde,  je  crains  que  vous  ne  saisissiez  pas 
tout  l’intérêt  de  l’excursion  que  vous  faites  en  ce  moment  à 
travers  les  pays  les  plus  étonnamment  divers.  Ainsi  nous 
quittons  les' rivages  de  la  mer  iNoire  où  se  retlètent  les  côtes 
brûlantes  de  la  Turquie  d’Asie,  et  nous  voilà,  traversant 
d’un  bond  l'immense  Russie,  transportés  sans  transition 
dans  une  de  ses  plus  septentrionales  provinces,  grandes 
comme  des  Etats,  tout  là  haut,  aux  confins  de  la  Laponie, 
dans  les  contrées  presque  hyperboréennes...  et  cela  sans 
quitter  les  bords  cléments  de  la  Seine  estivale!  Savez-vous 
que  ce  sont  là  des  sensations  précieuses,  qu’il  n’a  été  donné 
à personne  d'éprouver  aussi  complètement  avant  cet  ingé- 
nieux groupement  au  quai  d’Orsay  des  évocations  intenses 
de  races  et  de  nationalités  que  sont  ces  Pavillons,  sensa- 
tions que  la  rapidité  môme  des  communications  ne  permet- 
tent pas  aux  plus  ardents  globe  trot  fers?..  Savez-vous  que 
cette  merveilleuse  possibilité  de  passer  ainsi  soudain  eté  l’iin 
à l'autre  de  ces  centres  de  la  vie  complète  de  pays  situés  aux 


A'V 


I-  AVEM  E DES  NATIONS 


G3 


extrémités  opposées  de  l’Europe  et  même  du  monde,  tient 
de  la  magie,  de  la  féerie  réalisée,  du  miracle! 

— Moi,  déclare  Bèchard,  je  trouve  que  cela  tient  tout 
simplement  au  hasard  de  la  distribution  faite  par  M.  Picard 
des  concessions  aux  diverses  puissances. 

— Ah!  monsieur,  riposte  te  centenaire  en  regardant  fixe- 
ment le  farinier,  la  muraille  de  Chine  n’est  qu’une  mous- 
seline en  comparaison  des  murs  opaques  qui  s’interposent 
entre  certains  intellects  humains!  Permettez-moi  de  plaindre 
ceux  qui  traversent  cette  Exposition  sans  la  voir,  quelque 
etfort  que  l’on  fasse  pour  la  leur  montrer,  et  de  féliciter  hau- 
tement ceux  que  hante  le  désir  de  la  compréhension  aussi 
complète  que  possible. 

Bèchard  se  redresse  furieux  sous  ta  leçon  anonyme. 

— Autrement  dit,  ironise-t-il,  vous  prônez  le  roman,  l’il- 
lusion, aux  dépens  du  solide  réalisme!  Je  suis  heureusement 
d’esprit  trop  sérieux  pour  vous  suivre  sur  ce  nuageux  ter- 
rain. 

— Je  ne  faisais  aucune  personnalité.  Mais,  puisque  vous 
déclarez  si  lièrement  vouloir  rester  de  l’autre  côté  de...  mon 
mur,  je  vais  tout  d’abord  m’empresser  de  déblayer  voire 
terrain. 

— C’est-à-dire? 

• 

— Vous  apprendre  que  ce  Pavillon  de  la  Finlande,  qui 
affecte  la  forme  d’une  vieille  chapelle  en  bois  de  ce  pays  très 
spécial  englobé  dans  le  vaste  empire  des  Tzars,  s’inspirant 
de  toutes  sans  reproduire  aucune  d’elles,  couvre  400  mètres 
carrés  de  superficie,  à raison  de  40  mètres  de  longueur  sur 
l’avenue  des  Nations,  et  de  10  mètres  dans  le  sens  perpen- 
diculaire de  la  largeur  de  l’édifice.  J’ajouterai  que  cette  cha- 
pelle, comme  toute  construction  consacrée  au  culte,  se  com- 
pose essentiellement  d’une  grande  nef,  d’une  coupole  corres- 
pondant à l’entrée  principale  sur  l’avenue,  et  d’une  abside. 
Je  dirai  encore  que  la  tour  qui  surmonte  la  coupole  s'élève 
à très  peu  près  à la  hauteur  de  35  mètres.  J’achèverai,  pour 
M.  Bèchard,  en  indiquant  que  le  bâtiment  a coûté  environ 
100,000  marcks  finlandais,  c’est-à-dire  à peu  près  une  cen- 
taine de  mille  francs. 

— A la  bonne  heure  : voilà  qui  est  bien  parler. 

— Et  maintenant,  si 'vous  le  permettez,  je  vais  commen- 


A TUAVERS  L EXROSITlOiN' 


cer  à parler  pour  M.  Verduret  et  sa  très  aimable  nièce,  qui 
ont,  eux,  la  prétention  d’être  fermement  du  côté  de  « mon 
mur  » opposé  au  vôtre. 

— Parlez,  docte  et  obligeant  cicerone,  nous  sommes  tout 
oreilles,  déclare  le  manufacturier  retiré,  dont  l'amour-pro- 
pre, qui  se  dissimule  derrière  une  Imnbomie...  un  peu  va- 
niteuse, comme  toutes  les  bonhomies,  est  intimement  Hatté. 

Le  i-àûmav  pralifj lie  liausse  les  épaules,  et  le  vieillard  re- 
prend : 

— Ce  Pavillon  — qui  est  une  synthèse,  plusieurs  cha- 
pelles finlandaises  lui  ayant  conjointement  servi  de  modèles, 
et  qui,  construit  par  la  maison  Sornes  Angsog,  là-bas,  avec 
des  pins  du  pays,  a été  apporté  [)ar  pièces  et  monté  par  des 
ouvriers  indigènes  — ne  dédaigne  pas,  en  son  ornementation, 
de  sacrilier  aussi  au  symbolisme...  Ob  ! très  peu,  que  iM.  Bè- 
chard  se  rassure!  Ainsi,  voyez,  de  place  en  place,  au-dcssns 
des  renètres,  ces  crapauds  sculptes,  le  ventre  en  l'air. 

— Oui.  A quoi  cela  fait-il  allusion? 

— Tout  simplement  aux  nombreux  marais  dont  cette  con- 
trée très  plate,  aux  lacs  aussi  vastes  que  nombreux,  est  lit- 
téralement enconi brée. 

— Hum!...  C'est  du  symbolisme  piàmitil' et  nnïf. 


on 


Li , Tinldn 


d( 


Crmndÿ  Mef 


K 


O 


Ten'e|jleLn  de  VerciLU’f 


— Et,  d'ailleurs,  c'est  le  seul...  car  ce  n’est  pas  du  sym- 
l)ole  qu’a  voulu  faire,  d'un  ciseau  émérite,  le  sculpteur  Emil 
Halonen,  en  déposant  ces  tètes  de  loup,  en  cintre,  au-dessus 
de  l'entrée  principale,  que  j’appellerai  la  porte  A ( e.  /c  plan) 
()our  préciser  [les  idées.  Le  loup  est,  en  e Ilot,  à la  Einlande 


i/ave.m'f:  des  aaiions- 


()0 


cc  que  le  lion  est  au  grand  désert  d'alfa  du  nord-africain, 
l’ani mal-roi  du  pays.  C'est  dans  le  même  ordre  d’idées  que 
rontrée  secondaire  (porte  B)  se  voit  ornée  de  tètes  <rclans,et 
([n'aux  quatre  coins  de  la  tour,  au  point  on  celle-ci  émerge 
de  la  coupole,  se  tiennent  quatre  ours  de  grandeur  natu- 
relle, dus  au  beau  talentdo  M.  lîmil  Wittstrom. 

— Très  original,  ces  tètes  et  ces  corps  d’animaux  domes- 
ti(!ues  ou  carnassiers  parant  un  temple  de  la  prière  ! 

— C’est  mieux  qu’original,  c’est  l’évocation  de  toute  la 
vie  de  la  Finlande,  l’iiomme  religieux  au  sein  d’une  dure  et 
sauvage  natuia'. 

— Quel  contraste  avec  les  Pavillons  voisins! 

— Egal  au  contraste  existant  entre  des  contrées  si  dilTé- 
rentes  que  celles  de  la  Finlande  et  de  ses  voisines  immé- 
diates ..  du  quai  d’Orsay,  la  Bulgarie  et...  la  Perse!  Les 
architectes,  !\IM.  Saarinen  (de  Bautasami],  Armas  Lindgren 
(de  Tawastohus),  et  Herman  Gesellius  (de  Ilelsiugfors), 
ont  excellemment  compris  leur  œuvre,  qu’a  parfaite- 
ment exécutée  le  liaumeister  (entrepreneur),  M.  A.  Jans- 
sen,  et  supérieurement  ornée  les  artistes  de  talent  que 
sont  les  sculpteurs.  Ce  trio  d’architectes  est  sorti,  la  même 
aimée  (189h),  de  l’Ecole  polytechnique... 

— Hein? 

— Attendez:  de  l’Ecole  polytechnique  de  Ilelsiugfors,  et 
ils  ont  ensemhle  créé  dans  ce  port  méridional  — relativi'- 
ment  — do  l’entrée  du  golfe  de  Finlande,  une  sorte  de  très 
hriliaut  « hurean  d’architecture  » qui  a remporté  nombre 
de  prix  dans  divers  concours  et,  comme  consécration 
ultime,  la  première  récompense  pour  leur  projet  de  Pa- 
villon pour  1900.  Si,  maintenant,  vous  voulez  bien  me  faire 
l’honneur  d’entrer  avec  moi... 

— Ah  ! pardon  : vous  oubliez  quelque  chose. 

— Et  quoi  donc,  cher  monsieur  Verduret? 

— Jamais  l’aimable  toulousain  Bouscastrol  ne  nous  a 
permis  de  pénétrer  dans  aucun  pavillon  sans  nous  avoir 
[larlé  peu  ou  prou  du  Commissaire  général.  11  estimait  qu’il 
était  pour  nous  d’élémentaire  ])olitesso  de  saluer  au  moins 
le  nom  do  celui  ([u’il  appelait:  « le  maitro  de  céans  ».  Il 
m’en  a donné  l’iiahitude  et,  il  me  semble,  tant  mon  esprit 
routinier  prend  vite  l’accoutumance,  qu  il  me  manquerait 


(i6 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


quelque  chose  si  je  pénétrais  dans  le  sanctuaire  sans 
savoir... 

Qui  a présidé  à sa  consécration.  Soyez  satisfait  : le 
Commissaire  général  est  un  ingénieur  pétersbourgeois  de 
haut  renom.  M.  Runeherg,  directeur  du  bureau  technique 
« Wega  ».  Mais  croyez  que  je  ne  faisais  pas  une  omission 
involontaire  en  me  taisant  sous  ce  rapport.  La  Finlande 
taisant  partie  de  l’Empire  russe,  je  comptais  avoir  le  plaisir 
de  vous  dénombrer  les  membres  éminents  du  Commissariat 
de  la  grande  Nation  « amie  et  alliée  »,  lorsque  je  vous  en 
montrerai  la  si  importante  et  si  curieuse  Exposition  au  Tro- 
cadéro...  car  j entends  ne  laisser  cette  satisfaction  à aucun 
autre. 

Ab  ! voilà  une  aimable  promesse  dont  nous  vous 
remercions  tous  avec  une  sincère  reconnaissance.  Mettons 
donc  que  je  n'ai  rien  dit,  et  hâtons-nous... 

D’entrer?  Veuillez  donc  me  faire  l’amitié  de  me  suivre. 


§ Il 

AUTOUR  Ij’UiN'  AÉROLLTUE 

Sur  les  pas  du  complaisant  centenaire,  notre  quatuor  de 
visiteurs  — car  James-Gregory  Puzzling  a laissé  le  champ 
libre  à la  diplomatie  de  Bertrande,  qui  s’empresse...  de  n’en 
pas  profiter  — gravit  les  marches  de  l’entrée  principale  du 
Pavillon  de  la  Finlande  et  pénètre  dans  le  vaste  carré  sur- 
monté de  la  coupole,  et  dont  chaque  angle  arrondi  sert  de 
gite  à une  fontaine  décorative. 

Dès  les  premiers  pas,  M'’''=  Flore  pousse  un  petit  cri  de 
surprise. 

Oh!...  là,  au  milieu,  sur  ce  piédestal  et  habillé  d’une 
vitrine,  qu  est-ce  que  c’est  que  cela?...  Une  pierre? 

— En  elïet,  madame,  mais  une  pierre  tombée  du  ciel 
sur  la  terre  de  Finlande.  C’est  un  aérolithe  géant,  un  des 
milliards  de  petits  inondes  qui  gravitent  comme  nous  autour 
du  soleil  dans  1 espace  infini  et  qui,  pour  être  entré,  en  sa 


l’avenlk  des  nations 


(i7 


course  en  apparence  seulement  vagabonde,  dans  la  sphère 
d’attraction  dominatrice  de  notre  planète,  est  venu  choir 
sur  le  sol  marécageux  de  la  grande  province  de  la  Russie 
septentrionale. 

— Bigre,  observe  judicieusement  Bèchard,  si  cela  vous 
tombait  sur  la  tête,  on  pourrait  dire  que  c’est  une  maîtresse 
tuile  ! 

Sa  digne  épouse,  regardant  autour  d’elle,  hoche  la  tète  : 

— C’est  égal,  c’est  une  drôle  de  chapelle,  ici.  Voyez  donc 
ces  l'ontaines. . . Ce  ne  sont  pas  des  fonts  baptismaux,  je 
présume  ? 

— Elles  s’en  gardent  bien,  chère  madame.  Ces  fontaines 
de  caractère,  au  nombre  do  quatre,  une  dans  chaque  angle 
du  carré  servant  de  base  à la  coupole,  avec  leurs  vasques  où 
tombe  gracieusement  une  onde  qui  pourrait  être  plus  pure, 
étant  donné  qu’elle  est...  séquanienne,  sont  de  jolis  mor- 
ceaux de  sculpture  dus  à M.  Axel  Galien,  auteur  égale- 
ment des  dessins  des  très  curieux  vitraux  qui  tamisent  ici 
les  rayons  du  jour. 

— Et  toutes  ces  grosses  pierres? 

— Des  spécinicns  de  ces  granits  superbes  dont  la  Finlande 
fournit  toute  la  Russie. 

— Et  ces  peintures  murales!...  Vous  n’allez  pas  pré- 
tendre qu’elles  représentent  des  sujets  religieux? 

— .Je  me  permettrai  de  vous  rappeler,  intransigeante  ma- 
dame, que  si  cet  édifice  a emprunté  sa  forme  aux  temples 
rustiques  du  pays  en  même  temps  que  la  double  muraille 
de  bois  destinée  à s’opposer  à l’invasion  du  froid,  il  n en  est 
pas  moins  un  Pavillon  d’exposition,  et  qu’en  conséquence  ce 
serait  se  montrer  un  peu  exigeant  de  demander  à n’y  voir... 

— Que  prêtres,  fidèles  et  cérémonies  du  culte  ! achève 
en  riant  Verduret. 

— C’est  cela  même,  confirme  le  vieillard.  Ainsi,  ce  n’est 
pas  la  Passion  du  Christ  qu’ont  l’intention  de  faire  vivre 
aux  yeux  ces  peintures,  qui  sont  du  même  M.  Axel  Galien. 
Ce  que  vous  voyez  là,  ce  sont  des  scènes  de  la  fameuse 
épopée  finnoise  « le  Kalevala  ». 

— Une  épopée  du  Nord?  questionne  curieusement  \ er- 
duret. 


68 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOIS 


— I n gigantesque  poème  en  50  r/nms  ou  chants  et  quelque 
:22,500  .vers,  poème  d’une  race,  légende  étrange  faite  des 
chansons  de  gestes  des  antiques  rapsodes  populaires  et  con- 
servée dans  la  mémoire  des  générations  successives,  histoire 
ou  le  « lien  » manque  à chaque  pas,  mais  étrange,  puis- 
Scuite,  superhe  et,  en  même  temps,  triviale  par  endroits, 
d une  psychologie  profonde  et  aussi  d’un  réalisme  parfois 
hrutal.  On  y voit  les  dieux  voisiner  avec  bonhomie  avec  des 
héros  plus  ou  moins  magiciens,  splendides  d’audace,  en  des 
scènes  tour  à tour  tei-ribles  et  familières... 

— Enfin,  quelque  chose  comme  cet  « anneau  de  Niebe- 
lungen  » dont  Wagner  a harmonisé  la  Tétralogie'? 

Ou  du  genre  du  Alahdhhdrala,  monsieur  Verduret,  ou, 
SI  vous  voulez,  de  Vl/iade  d’Homère,  qui  s’en  voit  magistra- 
lement dépassée.  « En  étudiant  le  Kalevala  »,  a écrit 
iM.  Eeouzon  Ee  Duc  dans  un  travail  qui  fait  autorité  et  dont 
quelques  passages  sont  restes  en  ma  vieille  mémoire,  « on 
est  comme  fasciné  par  une  création  aussi  étrange.  C’est  un 
monde  qui  se  révèle  et  dont  le  type  ne  se  reflète  nulle  part  ; 
c est  un  abime  d où  s’exhalent  des  nuages  orageux  qui  vous 
enveloppent  de  leurs  noires  spirales,  à travers  lesquels  la 
magie  fait  scintiller  de  rougeâtres  éclairs;  c’est  une  lutte 
acharnée  entre  la  lumière  et  les  ténèbres,  entre  le  bien  et  le 
mal,  qui  s’agite  sous  d’incroyables  personnifications...  Les 
héros  ont  le  bras  plus  fort,  accomplissent  des  exploits  plus 
grands  que  ceux  d Homère.  Souvent  ils  parlent  comme  les 
prophètes  de  la  Bible,  car  souvent  la  phrase  finnoise  rivalise 
avec  la  phrase  orientale...  » C’est  sublime,  grossier,  délicat, 
logique,  contradictoire  et  excentrique  à la  fois,  ce  poème 
national  dont  vous  voyez  ici  de  curieuses  scènes  reproduites 
par  un  maître  pinceau,  et  c’est  si  naïvement  complexe  que 
cela  ne  peut  se  raconter... 

Vous  nous  mettez  pourtant  l’eau  à la  bouche  ! Voyons, 
cher  savant,  qu’est-ce  que  c’est,  en  quelques  mots? 

— C’est,  monsieur  Verduret,  l’histoire  de  la  rivalité  de 
deux  cités  sœurs  et  parfaitement  imaginaires  : Kalevala  (qui 
signifie  quelque  chose  comme  : ilemeure  ou  patrie  des  hommes 
et  des  actes  héroïques)  et  Polija,  se  disputant  le  Sampo, 
objet  inconnu,  mais  qui  doit  être  quelque  homérique  Toison 
d or.  L action  (qui  na  pas  plus  d’époque  qu’on  ne  .peut 


L AVEM  K DES  >•  ATI  OA  S 


(39 


^ en  assigner  une  au  poème)  commence  lorsque  les  deux 
(!  villes  en  sont  encore  à la  période  de  tension...  diplomati(|iie, 
f pour  se  continuer  parmi  les  gigantes(]ues  coups  de  lance  et 
I des  hécalomhes  l'ormidables  mêlés  de  scènes  conjugales,  de 
[ passions  tendres  et  violentes,  de  générosités  et  de  cruautés, 
t trame  où  vibre  réternel  féminin  sons  la  tigure  d'une 
1 Hélène  finnoise  qui  n’a  rien  à envier  à celle  de  l’épopée 
I troyenne. 


FiNL.ANDAIS  [)U  Nohii. 


— Enlin,  conclut  nettement  Bèchard,  tout  ça,  [lassez-moi 
le  mot,  ce  sont  des  « blagues  » parfaitement  inutiles,  puisque 
ce  n'est  pas  arrivé. 

— Tout  ça,  monsieur  Bèchard,  ce  sont  de  géniales  ima- 
ginations de  poètes  inspirés  par  le  milieu  où  ils  vivaient  et 
qui  révèlent  l’àme  d un  peuple  .;  c est  donc  de  1 art,  dans  le 
sens  le  plus  haut  et  le  plus  vaste  du  terme. 


C1IA[’1THE  V 


PERSE 


I.A  M ni)  UES  s K II  .M  A DEU  I Cil  A II 


Nos  A’isiti'urs,  élanl  sor[is  du  l^avillon-chapclle  de  la 
iMulaiide  par  la  porte  ipii  douiio  sur  le  Pavillon  de  la  Bul- 
garie, se  trouvent  avoir  un  assez  long  cdiemin  (à  faire  pour 
atleiiidre  le  Palais  persan.  11  leur  faut,  en  ell'et,  longer  de 
nouvi'au  l'église  rusti(|ue,  jiuis  le  Pavillon  du  Duclié  de 
Luxembourg  déjà  visite,  pour  de  là,  traverser  la  large  place 
corros[)ondan t a la  [lasserelle  sur  la  Seine  et  où  s’élève  la 
petite  sation  du  chemin  de  fer. 

Ln  passant  dexant  I entrée  du  Pavillon  du  Luxembourg, 
la  manulacturier  retiré  expose  son  désir  de  le  visiter  de 
nouveau,  mais  cette  fois  avec  un  guide  documenté  tel  que 
le  centenaire.  Bècbard  coupe  court  à cette  velléité  en  criant 
à notre  iMalosberbois  : 

— llegardez  donc  l'heure,  mon  cher! 

^piie  pjore  tire  aussitôt  de  sa  ceinture  sa  helle  « montre  de 
mariage  » et,  la  plaidant  devant  les  yeux  de  l'oncle  de  Ber- 
trande ; 

— Six  heures  et  demie,  monsieur  Verduret  ! Et  j'ai  une 
faim  et...  une  soif  ! 

— Encore?  fait  entre  ses  dents  le  lionhomme,  non  sans 
s incliner,  cependant,  devant  cette  « raison  majeure  ))  de 
ne  se  permettre  aucune  ilànerie. 


1,  AVIvN'i  rO  DES  NATIONS 


T.'i 


En  arrivant  à hauteur  de  la  station,  Bertrande  aperçoil, 
guettant  derrière  le  quatuor  de  ses  boip  à carreaux,  le 
détective  Jaines-tiregory  l'uzzling  en  personne.  Aussitôt, 


A TKAVEKS  L’EXI>0SIT10N.  — T.  XI.  — 1 


elle  court  rejoindre  le  centenaire  qui  a pris  les  devants  de 
quelques  pas  et  lui  dihtrès  vite,  à voix  basse  : 

— Savez-vous  de  quoi  on  m’a  chargée? 

Le  vieillard  répond  de  môme,  en  souriant  : 

— Je  n’ai  pas  besoin  de  mes  lunettes  pour  savoir  de  quel 


(Cliché  Larcer.) 


74 


A TRAVERS  L EXPOSITIC»' 


« on  » VOUS  parlez,  et  mes  yeux  sont  encore  assez  bons  pour 
distinguer  à vingt  pas...  quatre  hommes  et  un  caporal. 
Quant  à la  mission  que  vous  dites  avoir  reçue  à mon  sujet, 
je  serais  curieux,  ma  chère  demoiselle,  de  la  connaître. 

— Je  me  suis  engagée  à tout  taire  pour...  vous  séduire. 

— Eh  ! mais,  c’est  chose  faite,  alors  ! 

— .Mon  oncle  peut  nous  rejoindre  ; laissez-moi  achever. 
Je  dois  chercher  à me  faire  conduire  chez  vous  par  vous- 
même. 

— Tiens,  c’est  tout  à fait  charmaut,  et  je  ne  saurais  trop 
remercier  « On  » d une  aussi  coquette  idée. 

— Aloi’s  ? 

— Je  vous  indiquerai  demain  le  home  propice  à cette 
savoureuse  entrevue. 

— Vous  ne  supposez  pas  que  je  vais... 

— Je  suppose  qu’oM  vous  permettra  bien  de  vous  faii'c 
accompagner  par  M""=  Bèchard,  personne  tout  à fait  exem])te 
de  malice,  pendant  que  je  trouverai  le  moyen  do  faire 
occuper  ailleurs  ces  messieurs. 

Et  je  pourrai  trahir  le  lieu  de  ce  singulier  rendez- 

vous. 

— Vous  ne  pourrez  me  faire  un  plus  grand  plaisir. 

— A la  bonne  heure  ! fait  entre  ses  dents  la  jeune  fille 
dont  les  yeux  pétillent  d’espièglerie. 

A ce  moment,  le  groupe,  la  station  dépassée,  découvre  en 
plein,  chaudement  éclairé  par  le  soleil  presque  couchant,  le 
grand  arc  en  ogive  lancéolée  de  l’entrée  principale  du  Palais 
de  la  Perse. 

— Oh!  oh  1 s’extasie  Verduret  en  s’arrêtant  net  et  en 
obligeant,  de  son  bras  étendu,  le  pressé  Bêchard  à l’imiter. 

— Que  vous  arrive-t-il?  bougonne  le  farinier. 

— Mon  cher,  il  m’arrive  de  constater  combien  cette 
excursion  de  tout  un  jour  à travers  tant  de  beautés  archi- 
tecturales de  tous  styles  m’a  ouvert  les  yeux  et  affiné  le 
sens  artiste.  J’avais  déjà  aperçu  de  loin,  ce  matin,  ce  Pa- 
villon sans  y prêter  attention  et,  ce  soir,  sa  vue  me  cause 
une  vive  impression  d’admiration.  Je  trouve  cela  à la  fois 
très  curieux,  très  spécial  et  très  beau.  Ai-je  tort,  monsieur 
notre  savant  cicerone? 

— Vous  avez  tout  à fait  raison,  cber  monsieur,  et  je  vois 


L AVI2NUE  DES  NATIO.NS 


7.') 


avec  plaisir  que  vous  quitterez  cette  merveilleuse  Exposi- 
tion de  1900  transformé  en  véritable  amateur.  Il  n'est  peut- 
être  pas  d architecture  plus  curieuse  à étudier  que  celle  de 
la  Perse,  et  je  ne  saurais  trop  vous  complimenter  d'en  avoir 
eu  l’intuition  dès  le  premier  coup  d’œil. 

Notre  ex-manufacturier  savoure  délicieusement  ces  éloges 
et,  par  effet  réflexe,  sent  d’un  seul  coup  s’enllammer  en  lui 
jusqu’à  l’amitié,  la  sympathie  plutôt  respectueuse  qu’il  a 
éprouvée  dès  le  premier  jour  pour  le  complaisant  et  docte 
centenaire. 

Celui-ci  explique  : 

Ca  Perse,  voyez-vous,  a été  et  sera  sans  doute  encore 
un  des  Etats  les  plus  tourmentés  de  runivers  comme  il  en 
est  un  des  plus  antiques.  Aussi  loin  que  nous  pouvons 
remonter  les  âges,  nous  voyons  le  fabuleux  Zohâc  y régner 
vers  l’an  800  avant  Jésus-Cbrist.  Puis,  de  536  à 323,  tou- 
jours avant  notre  ère,  c est  la  glorieuse  dynastie  des  Aclié- 
ménides,  depuis  Cyrus,  Cambyse,  Darius  et  Xercès,  jusqu’à 
Alexandre  le  Grand.  Jusqu’alors,  c’est  la  guerre  de  con- 
quêtes, à l’époque  où  nos  ancêtres  occidentaux  couraient 
nos  forêts  sauvages  couverts  de  peaux  de  bêtes  et  armés  de 
silex.  Depuis  le  partage  de  l’empire  d’Alexandre,  ce  pays  a 
vécu  au  milieu  des  révoltes  intestines  et  des  invasions 
étrangères.  11  a subi  tour  à tour  le  joug  des  Mabométans  de 
1 Inde,  des  IMogols,  des  Turcs,  etc.,  changeant  de  religion, 
se  reprenant,  succombant  à l’anai'chie  et  reconquérant  enfin 
son  indépendance.  Mais  au  milieu  de  tant  de  désastres,  de 
destructions,  de  Ilots  de  sang  répandus,  ce  peuple  fort,  qui 
savait  absorber  ses  successifs  vainqueurs  au  lieu  de  se 
fondre  en  eux,  a toujours  gardé  son  tempérament,  son  carac- 
tère, sa  civilisation,  sa  conception  d'art  originaires.  C’est 
ainsi  que,  chez  lui,  l’architecture,  ce  livre  si  clair  de  la  vie  des 
races  et  des  nations,  a pu  subir  di's  inlluences  nombreuses 
et  très  diverses,  tout  en  restant  typique  et  toujours  persane. 
Le  style  ottoman  qui,  avec  la  loi  du  Coran  volontiers 
acceptée,  s est  imposé  à elle,  n’y  est  sorti  de  terre  que  trans- 
iormé,  marqué  du  sceau  personnel  de  la  race,  de  cette  race 
qui  était  grande,  puissante,  maîtresse  de  son  art  bien  des 
siècles  avant  que  ne  fussent  nées  les  antiquités  euro- 
péennes. 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— A ce  comptc-là,  rarchitcclure  persane  serait  singuliè- 
remenl  composite? 

— F.llc  l'a  surtout  été  dans  les  édifices  disparus  qui  dataient 

d’avant  l’hégire.  Comme, 
depuis,  c'est  le  style 
arabe  qui  a prévalu  dans 
l'Iran... 

— O il  p r e n e Z - V 0 U s 
riran? 

— C'est  tout  simple- 
ment le  vrai  nom  de  la 
Perse,  chère  madame.  . 
Le  style  arabe  ayant  pré- 
valu, dis-je,  modifié  de 
plus  en  plus  et  au  point 
d'en  presque  complète- 
ment dillerer,  le  style 
des  temps  modernes  ne 
porte  plus  que  des  traces 
des  arcb  itect lires  in- 
dienne, mogole,  etc. 

— Tout  ça  peut  être 
très  in  téressant  pour  ceux 
que  cela  amuse,  mais... 
le  Pavillon?  réclame 
Bccbard. 

— Lli  bien,  ce  Pavillon  est  la  reproduclion  de  certaines 
parties  d'un  immense  édilice  d’ispaban,  l'ancienne  capitale 
devenue  une  cité  à peu  près  déserte  depuis  le  siège  qui,  au 
commencement  du  xviii''  siècle,  lors  de  1 invasion  afghane, 
la  laissa  aux  trois  quarts  détruite.  Ce  grand  édifice  appelé 
M('drf‘sseh  maderlchah  SuUan  llasse'ni,  c'est-îi-dire  « Collège 
de  la  mère  du  Sultan  llasscïn  »,  fut  érigé,  en  1710  de  notre 
ère,  dans  un  but  éminemment  philanthropique,  par  cette 
sultane...  douairière.  Dans  une  partie  étaient  logés,  héber- 
gés et  instruits  les  étudiants  pauvres  dont  la  royale  bienfai- 
trice surveillait  elle-même  la  garde-robe  et  la  lingerie... 

— Cela  valait  autrement  mieux  que  notre  mélange  des 
boursiers  parmi  les  élèves  plus  fortunés  des  lycées  et  col- 
lèges, observe  Verduret. 


LE  GENERAL  K IT  A B G I - K 11  A N 

rOMMlSSAIKE  «tPXÉKAL  DE  LA  PKRSK. 

(Cliché  Larger.) 


I.  AN'E.M  E l)i:S  NATIONS 


77 


Dans  1 autre  partie,  continue  le  vieillard,  était  organisé 
un  caravansérail,  c esl-à-dirc  un  vaste  établissement  ou 
étaient  logés  gratuitement  les  voyageurs  et  leurs  montures. 

— C'était  pratiquer  somptueuse- 
ment l'hospitalité  de  nuit,  plaisante 
Bêchard,  enchanté  d'avoir  glissé 
cette  grosse  pointe  à travers  le  mo- 


nologue 


iuti'i'uiiua- 
hle (selon  lui) du  vieu.v 
cicerone. 

— Toute  la  partie 
du  Pavillon  oii  se 
trouve  l'entrée  prin- 
cipale, continue  celui- 
ci  sans  prendre  garde 
à l’interruption  — ce 

qui  hlesse  profond cinent  son  auteur  — est  la  co|)ie  exacte 
d’une  porte  monumentale  dépendant  de  ce  Collège  de 
« boursiers  »,  comme  l'a  si  bien  dit  M.  Venluret.  Et  dire  (jue 
peut-être,  ces  petits  ingrats,  par  suite  de  l'accoutumance, 
la  traversaient  sans  faire  attention  à son  exceptionnelle 
beauté  artistique.  Regardez,  en  clfet,  autour  de  Tare  en 


I'kkse.  — Le  carcan;  Iianseuse  du  harem. 


78 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Ogive  lancéolée  du  seuil,  cette  large  frise  formant  encadre- 
ment; puis,  en  arrière,  la  voûte  en  cul-de-four  formée  d'une 
série  de  stalactites  superposées,  le  tout  entièrement  revêtu 
de  faïences  bleu  d’outre-mer,  bleu  turquoise,  relevées  de 
vert  et  d'orangé...  N’est-ce  pas  à la  fois  plein  de  grandeur, 
d’élégance  et  de  brillante  gaieté? 

— Mais,  cette  porte,  qui  se  termine  en  haut  par  une  ter- 
rasse, est  surmontée  d’un  autre  étage...  à jour?... 


Un  M.ARIAOE  l’EKSAN. 


— Ceci  u’appartient  pas  à la  porte  monumentale  en  ques- 
tion. C’est  un  autre  spécimen  de  l’art  persan  que  l’archi- 
tecte, un  Français,  M.  Philippe  Mériat,  a tout  simplement  et 
très  heureusement  gretfé  sur  son  Palais  asiatique.  Vous  re- 
marquerez que  cet  édicule  a un  frère  perché  sur  l’autre 
aile  du  Pavillon.  Ces  superstructures  à colonnades  repro- 
duisent le  Tchcpel  souloitn  ou  « Pavillon  des  quarante  co- 
lonnes »,  qui,  reconstruit  après  un  incendie,  au  siècle  dernier, 
par  le  sultan  llosseïn,  existe  encore  à Ispahan.  Les  colonnes 
octogonales  en  cyprès,  r.ecouvertes  de  glaces,  soutiennent  un 
plafond  à caissons  profondément  sculptés  et  peints  et  do- 
rés. Le  tout  repose  sur  des  assises  de  marbre  blanc. 


l’aVEMI-;  des  ^AT10^S 


79 


— Ce  doit  être  merveilleux  sous  le  beau  ciel  d’Orient, 
pense  tout  haut  Verduret. 

— Très  juste,  approuve  le  vieux  savant.  11  aurait  fallu 
pouvoir  étudier  chacun  de  ces  palais  étrangers  sous  son  vrai 
ciel.  Malheureusement,  modilier  les  lois  de  la  nature  n’est 
pas  au  pouvoir  de  l’homme.  Pour  en  finir  avec  l’extérieur, 
j’ajouterai  que  le  reste  du  Pavillon  est  rigoureusement  exé- 
cuté dans  le  style  de  cette  porte  monumentale  de  la  « INIe- 
dresseh  mederichah  »,  que  les  haies,  amples  et  rapprochées 
les  unes  des  autres,  portent  des  verres  peints  et  émaillés 
qui  sont  des  merveilles,  et... 

— Et  sans  doute,  interrompt  Bêchard,  que  la  Perse  pour- 
rait rendre  des  points  à l’Amérique,  sous  le  rapport  de  la 
réclame. 

— Pourquoi  cela,  cher  monsieur  ? 

— Dame!  ne  voyez-vous  pas  que  ce  Palais  persan  mérite- 
rait le  surnom  de  l‘avillon  sandwich?...  Chaque  façade  est 
une  véritable  afliche  : on  a écrit  partout,  sur  la  faïence  des 
murs,  sur  tous  les  vitraux... 

— Voyez,  à votre  tour,  cher  monsieur,  comme  on  peut, 
j en  jugeant  trop  légèrement  ce...  qu’on  ne  comprend  pas,  se 
montrer  affreusement  ingrat  à l’égard  de  la  plus  courtoise 
des  intentions  étrangères.  L’art  architectural  persan  prête 
beaucoup  à scs  inscriptions  murales,  et  on  ne  s’en  fait  pas 
faute  dans  l’Iran.  Mais  celles  que  vous  voyez  là  ne  sont  co- 
piées sur  aucun  édifice  ; ce  sont  des  vers  spécialement  com- 
posés en  l’honneur  de  la  France  et  à l’occasion  de  cette  Ex- 
I position  de  1900,  par  un  poète  célèbre  de  Téhéran. 

— Et  il  y en  a partout!...  C’est  très  gentil,  cela...  mais,  je 
ne  pouvais  pas  deviner,  non  plus  ! 

I — Maintenant,  messieurs,  tenez-vous  bien  à ce  que  je 
vous  conduise  moi-même  à l’intérieur  de  ce  Pavillon? 

I — Comment,  si  nous  y tenons  ! se  récrie  le  manufactu- 
rier retiré. 

— C’est  que,  en  dehors  de  vous  apprendre  — ce  que  vous 
verrez  par  vous-même  au  premier  regard  — que  le  Pavillon 
I contient  un  grand  salon  de  réception  de  110  mètres  carrés 
magnifiquement  meublé  dans  l’attente  de  la  venue  du  sou- 
verain, que  le  reste  constitue  un  immense  « bazar  » où  — 
sans  préjudice  des  envois  dans  les  groupes  et  sections  — 


80 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


sont  installés  des  produits  du  sol,  de  l'industrie,  et  des  arts 
persans...  je  ne  sais  trop  ce  que  je  pourrais  Inen  vous  dire, 
saut  qu'il  y a un  kiosque  à musique... 


-A 

A,  J r'Abf^ 


Musiciens  l■l•;RSA.Ns 


— Eli!  quoi,  vous,  si  bien  documenté?... 

— C'est  que...  voilà!..  Je  n'ai  pn  voir  le  généi'al  Kitabgi- 
Khan,  Commissaire  général  du  Shah  de  l*erse.  Le  jeune 
secrétaire  du  Commissariat,  le  lils  du  général,  je  crois,  très 
occupé,  n’a  pas  cru  pouvoir  disposer  du  temps  nécessaire 


' 81 


L AVENi  n;  DES  nations 


!|  pour  satisfaire  autant  que  je  l’eusse  désiré  la  manie  curiensc 
I d’un  vieil  amateur  d’exotismes  tel  que  moi  — ce  que  je 
I comprends  très  bien,  aussi  n’ai-je  en  garde  de  commettre 
’ l'indiscrétion  d’insister...  Mais  cela  me  prive  du  plaisir  de 
i vous  initier  aux  détails  de  l’intéricnr  de  ce.  très  lieau  petit 
Palais. 

— Alors  ..  Ma  foi,  il  se  fait  si  tard  !...  Si  nous  terminions 
notre  laborieuse  après-midi  en  passant  tout  de  suite  au 
Pavillon  suivant  ? On’en  dites-vous,  Bècbard  ? 

— Parbleu,  c’est  évident  : d’ailleurs,  ma  femme  meurt  de 
faim.  Nous  visiterons  l'intérieur  un  autre  jour.  Je  demande 
senlementqiie  l'on  n'inilige  pas  à .M""’  Bèchard  un  jeune  tro[) 
prolongé. 

— Ce  serait,  en  effet,  un  crime  de  lèse-galanterie.  En 
consé([nencc,  mesdames  et  messieurs,  veuillez  me  faire 
l'bonneur  de  venir  avec  moi  jeter  un  rapide  coup  d’œil  — 
le  dernier  pour  aujourd’hui  — au  Ibivillon  du 


('[lAPlTRE  VI 


P K R ou 


VENTRE  AFFAMÉ  n’a  POINT  d’orEIEEES 

Le  vieillard,  toujours  merveilleusement  alerte,  entraîne  à 
sa  suite,  d’un  pas  rapide,  notre  groupe  do  visiteurs  vers... 
la  façade  postérieure  du  Pavillon  des  Etats-Unis.  Pour  cola, 
il  lui  fait  traverser  obliquement  l’Avenue  des  Nations. 

\Ime  piore,  fortement  accrochée  au  bras  de  son  long  et  sec 
époux,  gémit  entre  ses  dents  : 

— Ah  ça!  où  nous  conduit-il  donc,  maintenant? 

Verduret,  qui,  marchant  devant  le  couple  Bêchard  avec  sa 

nièce,  a entendu  le  propos,  explique  ; 

— Vous  n’avez  donc  jamais  vu  travailler  un  peintre, 
chère  amie...  je  veux  dire  un  peintre  de  tableaux?  Il  se 
recule  fréquemment  pour  juger  de  l'effet,  à distance.  Or, 
comme  ce  Pavillon  du  Pérou  est  précisément  derrière  celui 
des  Etats-Unis,  il  est  évident  que  notre  guide  nous  conduit 
près  du  second  pour  que,  de  là,  ayant  un  peu  de  champ  devant 
nous,  nous  puissions  bien  d'avoir  d’ensemble  le  premier. 

— Comme  c’est  amusant!  Cela  allonge  le  chemin  et  re- 
tarde d’autant  le  moment  où  nous  pourrons  nous  mettre 
quelque  chose  sous  la  dent  ! 

— Voyons,  bichette,  tu  n’as  pas  fini  de  te  plaindre?  C’est 
insupportable  ! gronde  Bêchard,  prouvant  une  fois  de  plus  le 
si  humain  apologue  évangélique  de  la  paille  aperçue  dans 


[,  AVEM'K  DES  NATIONS 


83 


l’œil  du  prochain  par  une  pupille  obstruée  d’une  poutre 
symbolique. 

— Tiens,  tu  es  bon,  loi  ! s’exclame  la  grosse  dame.  Ce 
n’est  pas  moi  qui  me  plains,  c'est  mon  estomac! 

— Allons,  encore  un  peu  de  patience,  ebere  amie,  réclame 
le  manufacturier  retiré.  Annoncez-lui,  à votre  estomac,  la 
toute  prochaine  satisfaction,  à ce  révolté,  et,  à moins  qu'il 
ne.  soit  un  socialiste  irréconciliable,  aux  appétits  irraison- 
luibles,  il  se  taira. 

— Vous  en  parlez  à votre  aise.  Vous  n'avez  pas  faim,  vous  ! 

— Eh  ! eb  ! je  crois  que  je  ferai  honneur  au  diner  ; cette 
longue  promenade  m’a  creusé. 

— 11  n’y  paraît  pas...  à la  rondeur  de  vos  joues.  Gras 
comme  vous  l’êtes,  vous  vous  nourrissez  de  votre  propre 
substance. 

— Allons,  bien,  s’écrie  Bertrande  en  éclatant  de  rire,  est- 
ce  que  vous  prenez  mon  oncle  pour  un  ours? 

— Sans  compter,  chère  amie,  riposte  Verduret  avec  une 
bonhomie  enjouée,  que  si  je  ne  saurais,  en  conscience,  avoir 
la  prétention  de  passer  pour  un  sylphe,  de  votre  coté... 

— C’est  ça,  vous  allez  peut-être  comparer  ma  taille  à la 
vôtre  ! 

— .le  n’irai  pas  jusque-là,  mais,  en  fait  de  sveltesse... 

— Mesdames,  messieurs,  interrompt  à temps  le  vieux  ci- 
cérone, je  vous  demande  de  laisser  un  moment  de  côté  une 
question  irritante  où  la  galanterie  de  M.  Verduret  lui  fait  un 
devoir  d’être  battu...  et  de  vouloir  bien  jeter  d’ici  un  coup 
d’œil  sur  ce  très  coquet  petit  Palais  péruvien...  tout  en  re- 
remarquant qu’il  ne  nous  a fallu  que  quelques  pas  pour  ac- 
courir du  cœur  de  l’Asie  jusqu’au  lointain  Pérou,  en  fran- 
chissant comme  en  un  rêve  toute  l'Europe,  et  le  vaste  Atlan- 
tique, pour  remonter  jusqu’à  sa  source  le  plus  grand  lleuve 
monde,  le  Maranon  ou  Amazone...  Plus  même,  car  enjam- 
bant les  sommets  altiers  des  Andes,  nous  voici  à Lima,  à 
9 kilomètres  de  Callao,  port  de  la  capitale  républicaine  sur 
l’immense  océan  Pacifique. 

— Mais,  observe  Verduret,  c’est  étonnant  comme,  avec 
moins  de  majesté  dans  les  lignes  et  beaucoup  plus  de  dé- 
tails d’ornementation,  ce  Pavillon  rappelle,  en  tant  qu’ensem- 
ble  de  style,  avec  ses  tours  carrées,  ses  fenêtres  au  cintre 


LE  pavil; 


r/f/ 


PKHOf 


81) 


A travers  l’exposition 


casqué  de  sculptures,  celui  de  l’Espagne  que  nous  avons  vu 
tout  à riieure. 

— Vous  vous  attendiez,  je  suis  sûr,  à voir  ici,  un  monu- 
ment de  l'art  indigène  d’avant  la  conquête  du  pays  par  Pi- 
zarre  sur  les  deux  frères  ennemis,  les  Incas  lluascar  et  Ata- 
lîualpa,  au  premier  tiers  du  xvû  siècle.  Pour  vous,  la  vision 
du  Pérou  n’existe  que  par  le  roman  sentimental  de  Mar- 
montel  ; hors  « les  Incas,  point  de  Pérou  ! » 

— Dame!  acquiesse  Verduret,  cet  ouvrage  a été  le  livre 
de  chevet  de  l’adolescence  de  notre  génération. 

— Et  plus  encore  de  la  mienne,  cher  monsieur,  car  c'est 
étonnant  comme  on  aimait  la  mièvre  douceur  de  ce  style 
précieux  au  rude  temps  ou  Napoléon  le  Grand  prome- 
nait héroïquement  par  le  monde  ses  aigles  victorieuses. 
Mais  la  vérité  est  que  l’architecture  indigène  n a pas  sur- 
vécu aux  premiers  temps  de  la  conquête  espagnole.  Les  en- 
vahisseurs du  Sud-Amérique  étaient  animés  de  deux  pas- 
sions absolues  : l’amour  de  l’or  et  1 asservissement  impi- 
toyable de  ces  peuples  à un  intransigeant  catholicisme.  Ces 
deux  passions  effrénées  amenèrent  la  prompte  destruction 
de  tous  les  temples  et  palais  péruviens,  pour  en  arracher  l’or 
et  pour  anéantir  toute  trace  de  la  religion  primitive  des  ado- 
rateurs du  Soleil.  Mais  les  terribles  aventuriers,  gorgés  d'or, 
et  disposant  de  tant  de  bras  esclaves,  élevèrent  à profusion, 
sur  les  ruines  des  édifices  des  Incas,  des  églises  et  des  pa- 
lais qui,  depuis  plus  de  quatre  siècles,  ont  transformé,  au 
point  de  vue  architectural,  le  Pérou  en  une  seconde  Espagne. 
Naturellement,  le  style  de  cette  violente  transformation  ne 
pouvait  être  que  celui  de  la  « Renaissance  espagnole  »,  le 
même  que  celui  des  cathédrales  et  des  alcazars  de  la  mère- 
patrie  que  nous  montre  le  grand  et  beau  Pavillon  d'Espagne, 
mais  encore  plus  surchargé  de  détails  ornementaux,  détails 
qui,  dans  l’esprit  des  néo-millionnaires,  proclamaient  le  faste 
de  leur  soudaine  fortune.  C’est  exactement  de  Part  hispano- 
lusitanien...  Mais,  mon  Dieu,  madame,  que  vous  avez  donc 
l’estomac  impatient. 

Cette  apostrophe  s’adresse  à M™"  Bêchard  qui,  par  des 
gestes  réitérés^  montre  que  les  plus  précis  renseignements 
sur  l’histoire  architecturale  du  Pérou  ne  saui’aient  valoir, 
pour  elle,  la  moindre  cuillerée  de  consommé. 


l'aveni  r des  nations 


87 


Bèchard,  à qui  ces  renseignements  importent  peu,  d’ail- 
leurs, ytent  très  volontiers  au  secours  de  son  épouse. 

— L’architecture,  nous  la  voyons  du  reste,  dit-il.  Bi- 
chette à raison  : parlez-nous  du  Pavillon.  Il  me  paraît  de 
dimensions  restreintes. 

— 2.'i0  mètres  carrés  sur  320  de  la  concession.  Les  70  mè- 
tres restant  sont,  comme  vous  le  voyez,  occupés  eu  grande 
partie  par  un  kiosque  affecté  à la  dégustation  des  boissons. 

— Ah  ! ah  ! fait  M"’*^  Bichette,  suhitement  intéressée,  en 
dessinant  un  mouvement  en  avant. 

— Voyons,  lui  souffle  Verduret  à l’oreille,  vous  ne  voulez 
pas  de  nouveau...  échantillonner?... 

ypiio  ji'iore  se  redresse  et,  avec  une  dignité  qu’eût  pu  lui 
envier  son  mari  : 

— Vous  ôtes  un  impertinent,  monsieur  Verduret!  (Test 
mon  estomac  qui  crie  et  il  trouverait  peut-être  là-dedans 
quelque  chose  pour  le  faire  taire. 

— En  effet,  certifie  le  centenaire;  on  y trouve,  outre  les 
vins  de  là-bas,  du  café,  du  chocolat,  des  liqueurs  et  des 
fruits  d'un  exotisme  garanti,  voire  même  du  tabac  et  de 
menus  objets  de  fabrication  indigène. 

— Oh  !•  ma  foi,  je  n'y  tiens  pins,  s’écrie  l'affamée  fari- 
nière.  Mon  « gros  »,  tu  vas  me  payer  quelque  chose! 

— Ça  va  te  couper  l’appétit,  observe  l’économe  Bêchard. 

— (ja  va  m'empêcher  de  défaillir,  car  je  te  préviens  qu’a- 
vant cinq  minutes  je  serai  évanouie  d’inanition  dans  tes 
bras  ! 

— Merci!  il  me  faudrait  te  faire  voiturer...  J’aime  encore 
mieux  y aller  d’un  chocolat...  quoique  je  sois  sûr  qu’ils  vont 
le  faire  payer  « les  yeux  de  la  tête  ! » 

Le  couple,  la  ronde  Bichette  remorquant  rapidement  le 
long  Aristide,  se  dirige  vers  le  kiosque,  où  le  suivent  l’oncle 
et  la  nièce,  à qui  le  vieillard  explique  tout  en  marchant: 

— Le  Pavillon,  dessiné  avec  autant  de  science  que  d'art 
et  de  goût  par  un  architecte  français  de  grand  talent, 
M.  Ferdinand  Gaillard,  est,  comme  celui  de  la  Grèce,  dont 
le  jeune  Bonscastrol  a dû  vous  parler,  destiné  à survivre  à 
l’Exposition.  Il  est,  comme  lui,  armé  d’une  ossature  de  fer 
boulonnée  et  démontable,  et  les  murs  sont  en  pierre  factice, 
dure  et  résistante,  bien  plus  longue  à préparer  que  le  slalT, 


EXPOSITION! 


TRAVERS 


quoique  issue  du  même  procédé,  mais  qui  prend  beaucoup 
plus  finement  les  empreintes  les  plus  délicates  du  moulage 
et  leur  assure  une  longue  durée  en  dépit  des  morsures  des 
intempéries. 

— Et  surtout  du  soleil,  car  je  présume  que  si  l’on  a fait 
ce  palais  démontable,  c’est  pour  le  transporter  (ui  Amérique. 

Or,  le  Pérou  est  peu 
éloigné  de  rE([uateur. 

— Le  Pavillon  frag- 
menté sera,  en  effet, 
transporté  et  réédifié 
à Lima.  Mais,  si  je 
n’ai  pas  parlé  avant 
tout  du  soleil,  c’est 
(|ue,  quoique  Lima 
soit  au  nord  du  tro- 
pique du  Capricorne, 
c’est-à-dire  dans  la 
zone  torride,  cette  ca- 
[)  i t a 1 e j 0 U i t d ' n n c 1 i m a t 
relativement  tempéré 
par  suite  de  la  coucbe 
de  nuages  qui,  pres- 
que constamment,  y 
adoucit  la  rudesse  du 
Pbœbus  tropical. 

— Est-ce  que  tonte 
l’Exposition  p é r u - 
vienne  est  réunie  ici? 

— .!('  le  crois,  mais  je  ne  suis  pas  en  mesure  de  l’af- 
lirmer. 

— Comunnit? 

— Pour  la  même  raison  (|ni  m’a  fait  si  peu  prolixe  à 
l’égard  du  Pavillon  de  la  Perse',  .le  n’ai  pas  eu  le  plaisir  de 
pouvoir  causeï’  avec  M.  Torriliio  Sanz,  l’aimable  et  très  pari- 
sien Commissaire  général  du  Pérou.  Je  n’ai  eu  l’avantage 
de  rencontrer,  au  cours  des  travaux,  que  son  secrétaire, 
M.  l’ingénieur  des  mines  Ernésto  Diaz,  lequel  a fait  quelque 
peu  fi  de  ma  sénile  curiosité. 

— Muni  1 pense  Verdiiret,  ce  n’est  pas  ce  brave  llonscastrol 


M.  TORRIBIO  SANZ 

CO.MMIÿSAlKK  CÊNKKAL  PU  PKKuP. 

’ (Cliché  Larger.) 


90 


A TRAVERS  LEXPOSITION 


qui  se  serait  ainsi  trouvé  à court  de  documentation.  11  en- 
tendait joliment  bien  son  rôle  de  cicerone,  celui-là! 

11  est  à croire  que  le  vieillard  lit  cette  remarque  désavan- 
tageuse sur  le  visage  de  l’oncle  de  Bertrande,  car,  en  sou- 
riant d’un  air  très  drôle,  il  y répond  : 

— Je  vous  avais  prévenu  que,  quelque  bonne  volonté 
que  je  misse  à vous  être  agréable,  je  ne  remplacerais  que 
bien  imparfaitement  mon  prédécesseur.  Quant  à M.  Torribio 
Sanz,  je  puis  vous  dire  qu’il  a partagé  entre  Londres  et  Paris 
sa  déjà  longue  carrière  diplomatique,  qu’il  a longtemps  ha- 
bité notre  grand’ville  où  il  est  connu  et  apprécié  à sa  haute 
valeur  par  toute  la  société,  qu’il  parle  notre  langue  avec  une 
perfection  que  pourraient  lui  envier  nombre  de  nos  compa- 
triotes, et  qu’il  était  un  des  commissaires  du  Bazar  de  la 
Charité  lors  de  l’effroyable  incendie  qui  a fait  tant  de  nobles 
et  même  illustres  victimes.  11  s’est  montré,  dans  cette  hor- 
rible catastrophe,  d’un  sang-froid  et  d’un  courage  au-dessus 
de  tout  éloge,  et  bien  gagnée  est  la  médaille  de  sauvetage 
qui  lui  a été  décernée  en  cette  circonstance  pour  son  intré- 
pidité à secourir  au  milieu  des  flammes  tant  de  femmes  géné- 
reuses dont  beaucoup  ont  payé  de  leur  vie  leur  dévouement 
aux  œuvres  de  la  sainte  Charité.  Pour  ce  qui  est  des 
objets  contenus  dans  le  Pavillon  où  je  n’ai  pas  encore  eu  le 
loisir  de  pénétrer  depuis  la  récente  ouverture  de  l’Expo- 
sition, je  serai  un  visiteur  au  même  titre  que  vous-mêmes; 
mais  je  sais  déjà  qu’il  y a à y remarquer  les  collections 
minéralogiques,  au  premier  rang  desquelles  les  échantillons 
des  mines  d’argent  et  d’or. 

— 11  y en  a donc  encore  ? Je  croyais  qu’il  fallait  aller  au 
Transvaal  ou  au  Klondyke  pour...  trouver  le  Pérou? 

— 11  est  toujours  chez  lui,  croyez-le  bien,  et  voilà  que  ses 
mines  d’argent  principalement  commencent  à reprendre  une 
activité  qui  pourrait  bien  faire  retrouver  au  pays  sa  vieille 
réputation  — celle  du  temps  où  les  mines  inondaient  à ce 
point  l’Espagne,  que  le  comte  d’Albuquerque,  trouvant  qu’il 
avait  vraiment  assez  de  quatorze  cents  douzaines  d’assiettes 
et  de  douze  cents  plats,  fit  faire  en  argent  son  mobilier, 
les  échelles  de  service  de  son  bufl'et  géant;  de  ce  temps 
invraisemblable  où  nombre  de  senores  caballeros  ne  plan- 
taient plus  à leurs  seuils  orangers  ou  jasmins  que  dans  des 


l’avenue  des  nations 


91 


bacs  d’argent  massif.  Je  me  suis  aussi  laissé  dire  que  les 
spécialistes  s’émerveillent,  en  ce  Pavillon  du  Pérou,  à la 
vue  de  matières  premières  telles  que  : laines  de  vigogne  et 
d’alpaga,  bois  d’ébénisterie  ; des  textiles  comme  le  coton, 
le  lin,  le  chanvre  ; des  plantes  pharmaceutiques  telles  que 
le  quinquina,  l’aloès;  et  des  gommes,  et  des  résines,  etc... 
Enfin,  nous  allons  jeter  un  coup  d’œil  à tout  cela;  voici 
que  M.  et  M"'®  Bècbard  sortent  du  kiosque...  sans  même 
daigner  jeter  un  regard  aux  éclatants  échantillons  rares  de 
la  tlore  péruvienne  gracieusement  disposés  derrière  l’élé- 
gante balustrade  qui  relie  ce  kiosque  au  Pavillon... 

Les  deux  époux  rejoignent,  en  elfet,  leurs  compagnons. 
iM"'«  Flore  est  pâle  — autant  du  moins,  qu’elle  peut  l’être  — 
de  colèi-e  et  de...  fringale  inassouvie. 

— C’est  révoltant!  s’écrie-t-elle.  Un  monde  fou  de  gens 
qui  n ont  pas  faim  et  qui  empêchent  les  vrais  affamés  de  se 
taire  servir!..  Aristide  a pu  tout  juste  m’attraper  un  fruit... 
mais  ça  n’a  ni  goût  ni  vertu  : c’est  de  l’eau  ! 

— Délicieuse  sous  le  chaud  climat  pour  lequel  la  nature 
l’a  créé.  Voyez-vous,  chère  madame,  il  ne  faut  déguster  la 
pastèque  quesousles  tropiques,  comme  en  Espagne  l’orange, 
et  la  pomme...  en  Normandie.  Pourtant,  je  pense  que  ce  jus 
végétal  aura  assez  calmé  vos  inquiétudes  stomacales  pour 
nous  permettre  une  rapide  excursion  parmi  les  salles  de  ce 
Pavillon... 

— Encore  attendre  pour  aller  dîner?...  Ah!  jamais,  par 
exemple!  Est-ce  que  vous  croyez  que  je  pourrais  rien  voir 
ou  même  entendre  un  seul  mot  de  ce  que  vous  nous  diriez, 
quand  j’ai  tout  l’intérieur  qui  hurle  famine  ?...  Vite,  à table, 
ou  je  mange  quelqu’un! 

— Alors,  la  visite  du  Pavillon  du  Pérou?...  fait  Ver- 
dure t. 

— Une  autre  fois  : j’ai  trop  faim  ! 

— Ce  serait  un  crime  de  prolonger  les  angoisses  de 
madame,  intervient  le  vieillard.  Je  me  mets  à votre  disposi- 
tion pour  terminer  cette  promenade  à travers  les  Pavillons 
étrangers...  Demain,  à une  heure,  voulez-vous?  car,  fatigués 
comme  vous  devez  l’être,  je  pense  que  vous  ferez  grasse 
matinée. 


92 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Vous  Ôtes  vraiment  trop  aimable...  Nous  craignons 
(l'abuser... 

— Nullement,  monsieur  Yerduret.  Voyons,  que  vous 
reste-t-il  à voir  ici?  Le  Portugal  et  le  Danemark... 

— Et  puis  l'Angleterre...  et  Monaco,  que  M.  Bouscastrol 
nous  a t'ait  « brûler  ». 

— Nous  verrons  d'abord  ces  Pavillons  particulièrement 
intéressants.  Et  puis,  je  tâcherai  de  vous  trouver  un  guide 
expert  pour  vous  montrer  et  vous  expliquer  les  très  curieux 
moyens  de  transport  dans  l’Exposition  ; chemin  de  fer  élec- 
trique, plate-forme  roulante,  etc...  A moins  que... 

— A moins  que  ? 

— Je  no  vous  procure  une  distraction  pour  agrémenter 
votre  voyage  d'exploration  expositiouniste. 

— Peut-on  savoir? 

— Demain...  Cela  vous  sera  ainsi  une  surprise. 

— Bon...  C'est  cela...  à demain!  interrompt  Elore. 

Elle  ajonle  aussitôt  : 

— Dii  est  le  l'estaurant  le  plus  près? 

— Vous  n'avez  que  l’embarras  du  choix  entre  les  sous-sols 
gastronomiques  de  ces  Pavillons  des  Puissances  étran- 
gères. 

— Pour  que  nous  soyons  écorchés  dans  toutes  les 
langues,  n’est-ce  {)as  ? réclame  Bêchard.  Non,  non,  pas 
(le  ça  ! 

— Alors,  il  faut  que  vous  gagniez  l'autre  bord  de  la  Seine 
où,  de  chaque  côté  de  la  joyeuse  « Bue  de  Paris  »,  vous 
trouverez  jusqu’à  cinq  restaurants  à prix  moyens. 

— Mais,  c'est  au  bout  du  monde  ! se  récrie  notre  affamée. 

— Non  ; vous  n'avez  qu'à  traverser  la  Seine  sur  la  passe- 
relle du  pont  des  Invalides. 

— Mon  Dieu!  C’est  moi  qui  serai  invalide...  ou  défunte 
avant  d'arriver! 

— 11  n’y  a pas  moyen  de  prendre  au  court? 

— Dame  ! à moins  de  traverser  la  Seine  en  bateau... 

— En  bateau!...  Jamais  de  la  vie!  s’écrie  Bêchard  en 
frémissant  au  souvenir  de  la  ((  gondole  enchantée». 

Le  farinier  saisit  sa  femme  par  le  bras  et  l’entraîne  rapi- 
dement dans  la  direction...  des  prix  moyens. 


L AVIOMIE  DES  iN  AT  ION  S 


93 


Ail  moment  où  Bcrlrande  preml  à son  lonr  le  bras  de  son 
oncle  pour  marcher  sur  les  iraces  du  couple  Bèchard,  elle 
voit  se  dresser  soudain  à côté  d’elle  la  rougeaude  silhouette 
de  l’uzzling.  D’un  signe  de  télé,  elle  l'invite  à l’accom- 
pagner. 

— se  dit  le  détective,  il  y a du  neuf,  proberl/j...  Je 

avé  bien  fait  dé  engager  ce  petite  miss. 

Sans  s inquiéter  du  centenaire  qui  s'éloigne  après  lui  avoir 
lancé,  à travers  ses  énormes  hineltes,  un  iiei'çant  e.t  énig- 
matiijue  regard,  notre  .\nglais  emhoite  résolument  le  pas  au 
couple  Venlurel-Berti'ande. . . qui  allonge  les  siens  pour 
rejoindre  le  couple  Bèchard. 


Le  prochain  volume  aura  pour  lilre  : 

l'L\  \Æ  l'BOMKAADl'  AU  (jUAI  D'OBSAY 
LA  l'LATE-FüB.MI'  BOULANTE 

cl  comprendra  : 

I.es  t’avillon.s  du  Portugal. 

— Danemark. 

— Grande-Bretagne. 

— Monaco, 

l.e  riiemin  de  fer  électrique. 

La  Plate-forme  roulante. 

Les  Llévateurs  et  autres  moyens  de  trans})ort  dans  l'L.'ijjOsition. 

Ues  dessins  el  une  Lithographie  hors  texte  compléteront 
ce  fascicule,  qui  terminera  les  Puissances  étrangères  au  quai 
d’Orsay. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pages 

Chapitre  P"'.  — L\  chasse  au  i'Iiüdice 5 

§ I.  Un  pari 5 

§ II.  Le  siècle  (jiii  marche 10 

Chapitre  II.  — Rou.manie 

§ I.  Bertrande  conférencière  20 

§ II.  Les  marches  géantes ÜO 

Chapitre  III.  — Bulgarie -13 

§ 1.  Boulgres  parisiens 43 

§ IL  La  Bulgarie  « parfum  du  monde  » 55 

Chapitre  IV.  — Finlande 62 

§ I.  Le  mur  du  centenaire 62 

§ II.  .Autour  d'un  aérolitho 66 

Chapitre  V.  — Perse 72 

La  Medresseh  maderichah 72 

Chapitre  VI.  — Perdu 82 

Ventre  affamé  n’a  point  d’oreilles 82 


Paris.  — lmp.  MICHELS  et  Fils,  6,  8 et  lo,  rue  d’Alexandrie. 


A TRAVERS 

L’EXPOSITION  DE  1900 


XII 


PROMENADE  AU  QUAI  D'ORSAY 


EN  VENTE  ; 

1.  L'Exposition  à vol  d’oiseau • 1 vol.  illustré  » 60 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . — » 60 

III.  Le  Grand  Palais 

IV.  Le  Vieux  Paris ~ 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris — ” 

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 
resques   ~ ® 

MI.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau • • — ” '^0 

Mil.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères.  — » 60 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  ...  — » 60 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d’Orsay.  ” 60 

XI.  L’Avenue  des  Nations “ “66 


" PORTUGAL 
Mtv:  DAHEIVIARK 

GRANDE-BRETAGNE 
PRINCIPAUTE  de  IHONACO 


chapitkp:  premier 


P O K T'  l:  g a l 


§ p^ 

ÉCLECTISME 


Eu  traversant  le  pont  des  Invalides,  Verduret  tire  sa 
montre  et,  se  tournant  vers  M.  et  M""'  Bêchard,  qui  suivent 
consciencieusement  le  couple  formé  par  l’oncle  et  la  nièce,  il 
annonce  : 

— Une  heure  moins  cinq  !...  Et  la  porte  donnant  accès  à 
la  Rue  des  Nations  n’est  plus  qu’à  quelques  pas  !...  U’csl  ce 
qui  s’appelle  être  d’une  e.xactitmle  toute  militaire  ! 


6 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— Parbleu,  nous  pouvons  bien  être  en  avance,  après 
toute  cette  matinée  perdue...  par  obéissance  aux  ordres  de 
ce  vieux  bonhomme... 

— Dont  l’avis  de  ne  reprendre  le  cours  de  nos  visites 
que  cet  après-midi  fut,  avouez-le,  plein  de  sagesse.  Pour 
ma  part,  j’étais,  hier  soir,  brisé  de  fatigue. 

— Moi,  je  ne  l’étais  pas! 

— Mais  votre  femme  l'était,  et  Bertrande  même  était 
lasse,  en  dépit  de  la  vigueur  de  ses  vingt  ans.  D’ailleurs, 
vous  ne  vous  êtes  pas  fait  prier  pour  aller  tôt  et  rester  tard 
au  lit,  tout  comme  nous. 

— Tiens,  il  fallait  bien,  puisque  c’était  dans  votre  pro- 
gramme ! 

— Ab  ! tenez,  Bècbard,  ne  bougonnez  donc  pas  toujours 
ainsi  à propos  de  tout  et  de  rien  ; cela  finit  par  me  mettre 
en  colère,  malgré  toute  ma  placide,  philosophie...  Je 
sais  bien,  au  fond,  ce  qu’il  faut  prendre  et  laisser  — 
surtout  laisser  — de  vos  continuelles  boutades.  Qui  vous 
connaîtrait  moins  vous  jugerait,  ma  parole  d’honneur,  un 
ingrat  à l’égard  de  nos  précieux  cicerones...  ce  que  vous 
n’ètes  pas  le  moins  du  monde. 

— Qu’en  savez-vous  ? 

— Pardieu!  voilà  le  cri  que  j'attendais!  Et  qu’elle  est 
bien  française  cette  fausse  honte  des  vrais  bons  sentiments, 
que  l’on  cache  sous  le  masque  superficiel  d’une  manie  que 
l’on  possède  ou  d’un  vice  que  l’on  n’a  pas  ! Vous,  Bôchard, 
qui  avez,  comme  ces  « vieux  de  la  vieille  »,  la  petite  ma- 
ladie de  trouver  à redire  à tout,  vous  seriez  désolé  qu’on 
vous  surprît  dans  un  élan  d’admiration  vraie,  d’approbation 
ou  de  satisfaction  sincère.  Quand  une  émotion  vous  vient, 
vous  forcez  la  note  de  votre  humeur...  ronchonneuse,  comme 
ces  vieux  héros  de  la  garde  qui,  après  s’être  indignés  d’avoir 
été  laissés  en  réserve,  grognaient  encore  que  le  « Tondu 
voulait  les  faire  hacher  pour  se  débarrasser  d’eux  »,  lorsque 
le  « Petit  Caporal  » leur  causait  la  joie  sans  pareille  de  les 
lancer,  terribles,  en  pleine  fournaise.  Allez,  mon  cher, 
soyez  tant  que  vous  voudrez  un  fanfaron  de  dénigrement  et 
de  méchante  humeur,  comme  tant  de  nos  compatriotes  sont, 
à Paris  surtout,  d’invétérés  fanfarons  des  vices  coquets  et 
bien  portés  : cela  vaut  diantrement  mieux  que  l’hypocrisie 


PR0MENAD1-;  AU  ULAl  D ORSAA" 


7 


y en  honneur  chez  d’autres  qui  se  prétendent  les  plus  ver- 
.1  tueux  de  la  terre  et  qui... 

— üood  day  ! interrompt  une  voix  rude. 

C'est,  devant  nos  expositionnistes  débouchant  du  pont  sur 
il  le  quai  d’Orsay,  James-Gregory  Puzzling,  qui,  disparu 
1:  depuis  la  veille,  les  salue...  de  la  voix  seulement,  bien 
y;  entendu. 

— Du  diable,  si  je  m’attendais  à vous  revoir!  lui  dit  fraî- 
■i  chement  Verduret  à qui  rien  n’est  déscigreable  comme  de  se 
/:  voir  couper  une  période  qu’il  se  datte  de  croire  bien  pensée 
■i|  et  excellemment  dite. 

I — Aôh!  ils  revoyaient  môa  tôjours,  quand  le  momenhil 
'i  été  véniou. 

Clignant  de  l'œil  à l’adresse  de  Bertrande,  le  détective 
fi  ajoute; 

; — Jé  avé  travaillé  very  bien  dans  le  dernier  nouit.  Si 

1 tout  le  monde  il  travaillé  aussi  very  well,  jé  été  contente, 
J tout  à faite  ! 

— Ah  bah  !...  Vous  avez  des  occupations  nocturnes,  à 
1 Paris  ? goguenarde  le  manufacturier  retiré. 

— ïes  ! mister  Verdiourette,  et  je  croyais  nôs  ils  allé  idre 
J très  biaucoup...  bienlot  ! 

— Rire,  vous?...  Pas  possible  ! Si  vous  vous  livrez  à des 
r occupations  aussi  gaies  que  vous  le  dites,  il  faut  avouer  que 
V vous  cachez  bigrement  bien  votre  jeu  ! 

— )"es  I ]é  été  fort  sur  le  cacbe-cache. 

— Vite,  mon  oncle,  donnez  les  tickets,  nous  voici  au 
ï tourniquet...  Et,  tenez,  voici  notre  « siècle  » qui  nous 
I?  attend. 

La  frontière  de  l’Exposition  franchie,  nos  provinciaux 
'/  voient,  en  etfet,  venir  à eux  le  centenaire,  son  vaste  et 
'/  vénérable  chapeau  à la  main. 

— Ah  ! dit  le  vieillard,  tous  mes  compliments.  Vous  êtes 
1.1  d’une  exactitude  dont  je  ne  saurais  trop  féliciter  ces... 
1'  dames. 

— Fi,  monsieur,  s’écrie  joyeusement  Bertrande,  c’est  là 
I une  pierre  dans  notre  jtirdin. 


8 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


— Pouvez-vous  supposer? 

— Oui,  oui.  On  prétend  que  les  dames  mettent  toujours 
les  messieurs  en  retard. 

— Quelle  calomnie,  quand,  au  contraire,  ce  sont  elles 
qui...  les  font  marcher!  .Mais,  je  suis  sûr  que  M.  Béchard 
nous  en  voudrait  de  nous  immobiliser  près  de  ce  seuil, 
alors  que  le  Portug'al  nous  réclame...  Si  vous  voulez  me 
faire  l’honneur  de  me  suivre... 

Sur  un  acquiescement  muet  et  très  arrondi  de  Verduret, 
notre  groupe  de  visiteurs  s'avance  sur  les  traces  du  cente- 
naire. 

Après  avoir  longé,  à droite,  le  Pavillon  de  Pltalie  et,  à 
gauche,  la  légère  et  pittoresque  construction  jetée  à la  der- 
nière heure  sur  le  quai  d’Orsay  par  le  royaume  de  Dane- 
mark, le  dit  groupe,  sur  un  geste  de  son  guide,  s'arrête 
devant  le  bâtiment  léger,  aux  lignes  droites  et  sobres,  mais 
non  inélégantes,  qui  fait  l’objet  de  sa  première  visite  en 
ce  début  de  sa  cinquième  journée  d’Exposition. 

Verduret  ne  peut  s'empêcher  de  comparer  l'absence  d'or- 
nementation de  ces  murs  nus  — faits  do  gâteaux  de  plâtre 
préparé  un  peu  à la  façon  du  stalT  et  appelé  fihro,  et  fixés 
sur  une  charpente  de  bois  — au  luxe  exagéré  do  statues  et 
de  sculptures  qui  surcharge  le  vaste  Palais  italien  d'en 
face.  Mais  il  garde  son  observation  pour  lui,  prudemment 
désireux  d’étayer  ses  opinions  sur  celles  dii  vieux  cicé- 
rone. 

Celui-ci,  dont  l'œil  s'est  mis  soudain  à briller,  narquois 
et  sceptique,  derrière  l'écran  presque  impénétrable  de  ses 
grosses  lunettes,  fait  entendre  une  petite  toux  discrète  qui 
réclame  l’attention,  et  commence  en  ces  termes  : 

— Devant  ce  Pavillon  portugais...  du  quai  d'Orsay  — car 
le  Portugal  en  a un  autre,  d’intérêt  supérieur,  dans  le 
Groupe  colonial  du  Trocadéro  — devant  ce  Pavillon,  mes- 
dames et  messieurs,  je  me  sens,  en  tant  que  Français,  en- 
vahir par  un  sentiment...  mélancolique. 

— 11  est  pourtant  d’aspect  plutôt  gai,  dans  son  extrême 
simplicité,  ce  Pavillon? 

— Oui,  monsieur  Vei'durct. 


10 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Il  paraît  petit  et  Ims,  en  comparaison  de  ses  grands 
voisins  de  l’antre  coté  do  la  rue. 

— 11  n’est  pas  si  petit  qu’il  en  a l’air,  monsieur  Bèchard, 
puisqu’il  couvre  doO  mètres  carrés  de  superficie.  Quant  à 
la  hauteur,  elle  n’atteint,  il  est  vrai,  que  10  mètres. 

— C’est  modeste  ! 

— Tout  le  Pavillon  est  élégamment  modeste.  Le  budget, 
également  modeste  du  Portugal,  ne  permettait  pas  des 
dépenses  somptuaires. 

— Et  c’est  là  ce  qui  vous  rend  mélancolique? 

— Non,  monsieur  Verduret...  car  ma  mélancolie  vient 
de  ce  que,  comme  Français,  j’éprouve  comme  un  peu  d’hu-, 
miliation  et  quelque  chose  comme  un  vague  regret...  en- 
vieux. 

— C’est  une  énigme  que  vous  nous  posez  là  ! Ce  n’est 
pas  l’architecture  du  Pavillon  qui  vous  cause  ce  senti- 
ment ? 

— Non,  monsieur  Verduret.  L’auteur  du  projet,  M.  Ven- 
tura Terra,  architecte  portugais  qui  a fait  scs  études  à Paris, 
n’a  pas  eu  un  seul  instant  l’intention,  comme  vous  vous  en 
rendez  compte  à première  vue,  de  donner  ici  un  spécimen  de 
l’architecture  nationale,  ainsi  que  l’ont  fait  les  autres  Puis- 
sances. Ce  petit  palais  d’exposition  — élevé  par  M.  Monteiro, 
l’éminent  architecte  de  Lisbonne,  oii  il  a construit  la  si 
coquette  » gare  centrale  » et  le  grand  hôtel  de  la  Compagnie 
des  Wagons-Lits  dénommé  « Avenne  Palace  »,  et  de  qui  le 
second  est  M.  Soarès,  élève  de  notre  Ecole  des  Beaux-Arts 
— est  une  pure  fantaisie  d’artiste.  Si  l’on  voulait  y voir  un 
style,  cela  se  rapprocherait  plutôt  de  celui  qui  préside  à 
l’édilication  de  nombre  de  bâtiments  européens  en  Extreme- 
( trient. 

— C’est  vrai  : il  y a,  dans  l’ornementation  et  dans  cer- 
taines lignes,  comme  de  vagues  réminiscences  sino-japo- 
naises...  Mais,  on  ce  cas,  d’on  vient  la  sensation  singulière 
que  ce  Pavillon  vous  procure? 

— Eh  ! oui,  dites,  à la  fin  ! Nous  ne  sommes  pas  des 
enfants  ou  des  femmes  pour  nous  amuser  aux  propos  in- 
lerrominis. 

— Allons,  no  vous  fâchez  pas,  monsieur  Bèchard.  Ce 
n’est  pas  en  considérant  ce  Pavillon  si  simple  que  je  sens 


PRO.MKKADE  AU  QUAI  D ORSAY 


U 


une  soi'tc  (riunuiliation  patriotique;  c'est  en  songeant  à la 
hante  illustration  des  représentants  ici  du  Portugal  que  je 
trouve  que,  vraiment,  la  France  moderne  manque,  compa- 
rativement, de...  panache. 

— Ah  ! ah  ! ricane  le  politicien  farinier,  vous  êtes  encore 
un  réactionnaire,  vous  ! 

— Eh  ! bon  Dieu  ! cher  monsieur,  de  quelle  réaclion  vou- 
driez-vous que  je  pusse  être  partisan,  apres  avoir  vécu  sous 
tant  de  régimes  did'érents  ? Puis-je  souhaiter  la  restauration 
du  Directoire  qui  m’a  vu  naître?  Ah!  il  avait  du  goût  pour 
la  parade,  les  superbes  chapeaux  emplumés  et  les  glaives 
romains  ; les  cérémonies  n’y  manquaient  pas  d'apparat, 
lorsqu’il  accueillait  un  général  victorieux  et  distribuait  des 
armes  d’honneur,  aux  applaudissements  de  beautés  fémi- 
nines au  costume  presque  mythologique  et...  tout  à fait 
indiscret.  Mais  il  faut  croire  que  ce  régime  avait  quelques 
torts,  puisque  le  pays  entier  cria  de  bonheur  lorsque  Bona- 
parte le  fit  jeter  dehors  par  ses  grenadiers.  — Est-ce  la  res- 
tauration du  Consulat,  période  superbe  d’organisation  au 
dedans  et  de  triomphes  au  delà  de  nos  frontières,  ère 
brillante  où  la  petite  cour  du  Premier  Consul  savait  riva- 
liser de  jeune  éclat  avec  de  vieilles  royautés  étrangères.  11 
paraît  pourtant  que  le  Consulat  n’était  pas  le  rêve  du  pays, 
puisque  celui-ci  acclama  frénétiquement  l’empereur  Napo- 
léon lorsqu’il  prit  la  place  du  Premier  Cousul  Bonaparte.  — 
Est-ce  la  restauration  du  Grand  Empire,  légende  unique  île 
gloire  et  de  faste,  d’enthousiasme  guerrier  où,  entre  deux 
conquêtes,  les  demi-dieux  de  la  Guerre,  pressés  autour  du 
maître  de  l’Europe,  faisaient  pâlir  les  lustres  des  Tuileries 
moins  encore  sous  l’éclat  fauve  de  leurs  chamarrures  d’or 
et  de  l’or  de  leurs  épées  que  sous  le  rayonnement  de  leurs 
victoires.  11  faut  croire,  néanmoins,  que  le  régime  de  l’Epopée 
sublime  n’engendra  qu’une  fièvre  de  gloire  momentanée, 
puisque  la  partie  lasse  du  pays  accueillit  avec  une  déférence 
empressée  l’ancienne  royauté  ramenée  par  une  Europe  qui 
avait  les  meilleurs  motifs  du  monde  de  ne  pas  chérir  Père 
impériale.  — Est-ce  la  restauration  du  Drapeau  blanc,  sou- 
venir des  gloires  séculaires  de  la  vieille  Monarchie  française, 
royauté  des  frères  du  Roi-Martyr  dont  la  cour  fut  — autant 
que  le  permettaient  la  virgule  d’émancipation  de  1789,  ponc- 


12 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


tuant  l'histoire,  ainsi  que  le  trait  rouge  de  1793,  et  sur- 
tout la  fière  promenade  des  trois  couleurs  à travers  l'Europe 
— fut,  dis-je,  une  réédition  de  la  suprématie  aristocratique 
des  siècles  échus  avec  ses  hautes  élégances?  11  est  à pré- 
sumer que  cette  Restauration  n’avait  pas  satisfait  l’idéal 
national,  puisque  ceux  mêmes  qui  s’élaient  tant  hâtés  d’ar- 
borer la  cocarde  blanche  tirent  une  révolution  pour  recon- 
quérir le  drapeau  tricolore.  ■ — Est-ce  la  restauration  de  la 
Monarchie  constitutionnelle  de  Juillet?  Ce  fut  une  période 
de  calme  semée  de  troubles  intérieurs,  qui  ne  fut  pas  sans 
quelque  éclat  militaire  puisque  nous  lui  devons  l’Algérie, 
une  ère  particulière  de  gloire  pour  la  tribune  et  la  littéra- 
ture, un  régime  qui,  quoiqu’on  le  qualifiât  de  « royauté 
bourgeoise  »,  ne  s’auréola  pas  moins  du  prestige  inhérent  à 
une  cour  entourant  une  couronne...  Il  faut  admettre  cepen- 
dant que  cette  royauté  tricolore  et  mitigée  de  parlementa- 
risme ne  satisfît  pas  encore  le  pays,  puisqu’il  s’olTrît  le 
plaisir  d’une  troisième  révolution  pour  fonder  la  deuxième 
llépublique.  — Est-ce  la  restauration  d’une  République  tonte 
vibrante  de  généreux  sentiments  et  pavée  d’excellentes 
intentions  comme  celle  de  1(S48?  Ce  fut,  avec,  pour  prési- 
dents, un  général,  puis  un  prince  du  sang  du  Grand  Empereur, 
un  entr'acte  d'une  quarantaine  de  mois  qui  ne  manqua  pas 
d’un  certain  éclat  et  qui  eut  — comme  il  arrive  toujours  des 
grands  mouvements  de  l'àme  française  — sa  répercussion 
dans  le  monde  entier.  11  faut,  encore  une  fois,  supposer  que 
cette  forme  républicaine  n’était  pas  la  cristallisation  délini- 
tive  du  rêve  du  pays,  puisque  l’immense  majorité  de  la 
nation  approuva  hautement  Napoléon  III  de  s’être  assis  dans 
le  fauteuil  du  prince-président,  siège  transformé  pour  la  cir- 
constance en  second  trône  impérial.  — Est-ce  la  restauration 
de  ce  Second  Empire?  Mon  Dieu,  messieurs,  nous  touchons 
là  au  dernier  régime  déchu,  de  la  chute  duquel  vit  encore  la 
République  actuelle,  car  il  est  visible  qu’en  France  un 
régime  ne  vit  que  de  son  opposition  avec  celui  qui  l’a 
immédiatement  précédé  et  que,  lorsque  l’image  du  premier 
s’est  assez  estompée  sous  le  brouillard  des  temps  pour  que 
cette  opposition  ne  soit  plus  nettement  sentie  par  tous,  le 
second  est  bien  près  de  s’évanouir  dans  un  nouveau  sonfUe 
populaire.  Vous  n’êtes  plus  des  jeunes  gens  et  vous  pouvez 


PRnMKNADI-:  Ai:  nCAl  d orsav 


— Oh  ! oh  ! reginiho,  Bèchard. 

— Je  ne  .parle  pas  poliLique,  cher  monsieur,  mais  histoire 
froide  et  impartiale.  Que  diable,  si  vos  affaires  allaient  mal 
et  qu'un  successeur  ayant  acquis  votre  moulin,  ait  fait 
faillite,  alors  que  vous  eussiez  pu,  vous,  éviter  prohahle- 
ment  la  catastrophe,  le  failli  serait  lui,  et  non  vous! 

— C’est  évident.  Miiis... 


avoir  conservé,  adoucies  mais  encore  existantes,  des  opi- 
nions trentenaires  que,  quel  que  soit  leur  sens,  je  ne  vou- 
drais pas  froisser.  Cette  reculée  de  trente  ans  permet  pour- 
tant d’apprécier,  en  même  temps  que  les  fautes,  la  prospérité 
et  l’exceptionnel  éclat  de  ce  second  Empire,  qui  nous  a 
acquis  la  Savoie  et  Nice  et  qui,  s’il  n’eùt  été  renversé  devant 
l’ennemi,  nous  eût,  dans  la  défaite,  préservé,  non  do  l’humi- 
liation, mais  de  la  perte  materielle  des  [)rovinccs  de  l'Est. 


l.»KrOIIAT10N  DU  KAiTE  DU  Pw'lI.I.O.V  DU  l’OHI'LIlAI.. 


14 


A TRAVERS  l'eXPOSITION  : 1 


— Mais...  laisse/-moi  fermer  ma  trop  longue  parenthèse. 
Aussi  bien,  l'interruption  de  l'honorable  M.  Bèchard,  en 
m'amenant  à faire  défiler  devant  vous  une  série  d’instan- 
tanés gouvernementaux  du  siècle,  ne  m’a  pas  trop  fait 
sortir  de  mon  rôle,  puisque  cette  Exposition  est  justement 
celle  du  xix®  siècle. 

— Vous  avez  beaucoup  parlé,  mais  vous  ne  m’avez  pas 
répondu. 

— Est-il  donc  besoin  que  je  formule  une  conclusion? 
Soit.  Comment  voulez-vous  qu’apres  avoir  été  témoin  de 
tant  de  formes  de  gouvernement  qui,  toutes,  ont  cessé  de 
plaire,  je  puisse  souhaiter  plus  particulièrement  le  retour 
d aucune  d’elles  ? Je  sais  que  si  je  m’employais  — et  quelle 
folie  ce  serait  à mon  âge  auquel  convient  si  bien  le  rôle  de 
sceptique  spectateur  — ■ à ramener  une  royauté  pacifique  ou 
guerrière,  ou  bien  un  empire  militaire  ou  ami  de  la  paix, 
ce  ne  serait  que  pour  le  nombre  d'années  nécessaire  à l’ac- 
tion française  dans  le  monde  et  que,  ce  temps  échu,  le  sys- 
tème à la  résurrection  ou  à l’invention  duquel  j’aurais  col- 
laboré se  verrait  remplacé  par  son  contraire,  parce  que  la 
nécessité  de  ce  contraire  serait  venue. 

— Alors,  ricane  aigrement  Bèchard,  vous  n’avez  pas 
d'opinion  politique  ? 

— Si  lait,  et  la  voici  ; pour  moi  qui  en  ai  vu  tant  naître, 
triompher,  péricliter  et  mourir,  les  différents  régimes  ne 
sont  que  des  étiquettes  correspondant  à chaque  état  d’àme 
de  la  Nation  française  selon  l'étape  qu’elle  fournit  parmi 
les  groupements  humains,  dans  sa  destinée  providentielle. 
La  France,  qu'on  le  veuille  ou  non,  est  le  grand  creuset  de 
l’humanité  ; c’est  en  elle,  de  par  une  loi  supérieure  indé- 
pendante de  sa  propre  volonté,  que  s’élaborent  les  combi- 
naisons de  transcendante  chimie  morale  de  l’espèce;  elles 
jaillissent  ensuite  de  son  foyer  pour  s’épandre  sur  l’Univers 
terrestre.  Ce  rôle,  dont  elle  peut  tirer  quelque  fierté,  mais 
dont  elle  aurait  tort  de  concevoir  de  l'orgueil  puisqu’il  lui 
est  assigne  par  un  insondable  décret  du  Grand  Tout,  l’oblige 
à des  sursauts  historiques  qui  ne  sauraient  rimer  avec  un 
paisible  bonheur.  Si  la  liqueur  douloureusement  combinée 
dans  les  brûlantes  tortures  du  creuset  est  de  celles  qu’un 
implacable  destin  veut  voir  répandue  de  foi'ce  sur  l'buma- 


PROMEAADK  AF  QI  Al  d’oRSAV 


15 


ni  té,  la  l"  rance  arbore  rétiquclte  guerrière  d’nne  royauté 
conquérante  ou  d’un  empire  militaire  et,  an  prix  de  son 
sang’  répandu  pour  1 Idée,  accomplit  sa  mission.  Sa  tâche 
remplie,  elle  change  l’étiquette  rouge  en  une  étiquette  grise 
et,  dans  le  recueillement,  se  refait  pour  se  préparer  au 
nouvel  ellort  que.  la  destinée  lui  imposera...  Mais  j’estime 
que,  même  grise,  l’étiquette  doit  être  belle  et  briller, 
(|uund  ce  n est  pas  par  la  teinte  du  fond,  au  moins  par 
l’éclat  des  enluminures.  Un  peuple  instrument  généreux  de 
grandes  œuvres  comme  le  nôtre,  un  peuple  dévoué  à l'Idée, 
incapable  de  s’armer  pour  de  mesquins  intérêts,  un  peuple 
qui  a toujours  donné  son  sang  pour  l'opprimé  et  pour  les 
belles  causes,  mais  ne  l’a  jamais  vendu,  ce  peuple  a le  droit 
de  voir  marcher  à sa  tête,  sous  les  plis  de  son  drapeau,  le 
faste  et  les  panaches  qu’il  aime,  étant  de  race  gallo-latine  et 
élevé  dans  ce  pompeux  culte  catholique,  si  brillant  aux  yeux 
et  si  chaud  au  cœur  !... 

« Messieurs,  j’ai  trop  vécu  pour  que  le  régime  politique 
dont  s étiquette  temporairement  la  Patrie  française  no 
me  soit  pas  indillérent;  mais  je  proclame  que  ce  régime, 
quel  qu’il  soit,  puisqu’il  représente  momentanément  la 
France,  a le  devoir  de  ne  pas  découronner  la  tête  réelle 
ou  apparente  de  la  Nation  de  l’éclat  somptuaire  que  veut 
son  tempérament  ennemi  d’austérités  souvent  hypocrites, 
et  que  lui  mérite  son  glorieux  et  noble  passé.  Un  gou- 
vernement de  France  doit  toujours  montrer  au  monde 
des  hommes  dont  le  pays  soit  lier  et  les  montrer  dans  un 
apparat  qui  rayonne  leur  gloire,  qui  est  celle  de  tous. 
Quand  je  plonge  mon  regard  jusqu’au  fond  de  ce  siècle  que 
j’ai  vécu,  je  vois  que  pas  un  seul  des  l'égimes  déchus  n'avait 
lailli  à ce  devoir  de  légitime  llatterie  envers  le  goût  popu- 
laire. Seul,  le  présent  décalque  de  la  monarchie  constitu- 
tionnelle — sans  roi  et  sans  cour  — qui  règne  sous  le  nom 
de  Troisième  République,  prive  le  pays  de  l'étiquette  écla- 
tante, du  panache  qui  lui  est  cher.  C'est  surtout  loi'sque, 
comme  ici,  la  France  traite  le  Monde,  que  cette  prétendue 
austérité  ■ — qui  n'est  faite  que  de  la  frayeur  que  la  mé- 
diocrité collective  éprouve  des  personnalités  de  génie  — 
jette  dans  la  fête  comme  une  ombre  quelque  peu  humi- 
liante... et  voilà  pourquoi  je  disais  éprouver,  en  tant  que 


A TRAVERS  e’EXPOSITION 


IG 


Français,  devant  ce  tout  modeste  Pavillon  portugais,  une 
sorte  de  vague  mélancolie...  » 

— Mais...  pourquoi  devant  ce  Pavillon  du  Portugal  plutôt 
que  devant  tout  autre  ? 

— Parce  quici,  la  comparaison  décevante  est  plus 

sensible  qu’ailleurs. 
Voilà  le  Portugal, 
un  petit  pays  combien 
déchu  de  son  an- 
cienne fortune  eP  de 
sa  puissance  passée  ; 
un  petit  peuple  frère 
de  race  du  nôtre,  à 
qui  — plus  heureux 
en  cela  que  sa  sœur 
et  voisine  si  éprouvée, 
l'Espagne  — l’Anglo- 
Saxon  permet  encore 
de  posséder  quelques 
colonies,  à condition 
d'incliner  sa  vaillante 
pauvreté  devant  les 
richesses  et  les  navires 
d’Albion;  voilà,  dis-je, 
ce  petit  peuple  que  le 
comte  français  Henri 
de  Bourgogne  a créé 
comme  Puissance,  ce  peuple,  ardent  mais  faible,  qui  nous 
envoie,  pour  une  simple  fête  internationale  du  travail,  des 
représentants  devant  lesquels  nos  grands  hommes  politiques 
du  jour  font  assez  déplorable  figure. 

— Ah  ! oui,  du  panache  ! ironise  lourdement  Bèchard. 

— Oui,  du  panache,  du  vrai,  de  celui  que  chez  nous  on 
fait  tout  pour  éteindre  et  que,  là-bas,  on  place  on  vedette 
dans  l’éclatante  lumière  qui  lui  est  due.  Ah  ! ce  noble  petit 
Portugal,  dont  le  roi  Carlos  a posé  la  couronne  sur  le  front 
charmant  d’une  fille  de  France,  à la  grâce  si  royale  et  sym- 
pathique, avec  quel  tact  amical  il  a délégué  à notre  Exposi- 
tion ses  illustrations  les  plus  françaises! 

— Comment  cela  ? 


s'.  E.  LE  CONSEILLER  RESS.\.NO  GARCIA 

PHÉSIPENT 

PF.  LA  COMMISSION  PORTFCiAISE. 


PROMKNADIi  AL'  (Jl  AI  d’oRSAV 


17 


— Jugez-en  vous-même.  Qui  le  gouvernement  de  Lis- 
bonne a-t-il  désigné  pour  présider  la  Commission  portu- 
gaise? 

— Ln  personnage  do  haut  mérite,  sans  doute? 

— Tout  simplement  un  de  ses  plus  éminents  hommes 
d’Etat,  cher  monsieur 
Verduret,  c’est-à-dire 
S.  E.  le  Conseiller 
Idessano  Garcia,  le  seul 
Portugais  qui  fasse 
partie  de  notre  Corps, 
si  hautement  re- 
nommé, des  ingé- 
nieurs des  ponts  et 
chaussées. 

— Ah  hall  ! un  Por- 
tugais ingénieur  fran- 
çais'i» 

— Et  qui  voulut,  de 
plus,  être  un  défenseur 
de  la  France.  En  sor- 
tant de  l’Ecole  poly- 
technique de  Lis- 
bonne, il  entra,  en 
1865,  à notre  Ecole 
des  ponts  et  chaus- 
sées, où  il  conquit 
brillamment  le  diplôme  d'ingénienr.  Uesté  en  France  pour 
étudier  sur  place  les  travaux  de  notre  génie  civil,  il  était  à 
Paris  lorsque  les  Allemands  investirent  la  capitale.  Aussitôt, 
il  s’engage  dans  ce  bataillon  do  garde  nationale  mobilisée 
de  la  Hue  (leu  Ecoles,  qui  s’est  tant  distingué  par  sa  bravoure 
en  plusieurs  combats.  Pendant  la  Commune,  il  ne  doit  qu’à 
son  énergique  sang-froid  de  n’ètre  pas  « collé  au  mur  » pour 
intrépide  refus  de  travailler  aux  barricades.  C’est  mûri  par 
ces  rudes  épreuves  qu'il  rentre  à Lisbonne  où  il  devient 
successivement  — toujours  premier  dans  les  concours  — 
professeur  à l'Institut  industriel  et  commercial  eu  1872,  di- 
recteur général  des  travaux  de  la  Ville  en  1874  et  professeur 
à l’Ecole  militaire  en  1879.  L’année  suivante  il  est  élu  député 


M.  LE  VU'O.MTE  AUGUSTO  DE  PARIA 

COMMISSAIRE  GÉNÉRAL  DU  rORTCGAL. 


18 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


de  la  capitale  et  sénateur  en  1886.  11  est  ministre  de  la  marine 
en  1889  et,  en  1897,  opère  de  si  habiles  réformes,  comme  mi- 
nistre des  Finances,  qu’il  enthousiasme  tout  le  Portugal  d'ad- 
miration et  de  reconnaissance.  Orateur  de  premier  ordre  dans 
le  Parlement,  son  incroyable  activité  lui  a permis  d’être  la  pro- 
vidence des  diverses  compagnies  industrielles  qui  ont  appelé 
à leur  aide  ses  merveilleux  talents  d’administrateur  et  de 
technicien  : tour  à tour  directeur  délégué  de  la  Compagnie 
générale  des  eaux  de  Lisbonne,  dont  sous  sa  direction  les 
actions  ont  triplé  de  valeur,  administrateur  de  la  Compagnie 
générale  des  tabacs,  ingénieur-conseil  de  la  Compagnie  des 
allnraettes  de  la  capitale  portugaise  — qu’il  est  encore  ac- 
tuellement — la  présence  de  cet  adroit,  de  ce  sa  vant  et  de  ce 
laborieux  à la  tète  d’une  industrie  a toujours  été  le  gage  d’un 
éclatant  succès.  Inutile  d’ajouter,  n’est-ce  pas'?  qu’il  est 
Grand  Cordon  de  nombre  d’ordres,  et  il  est  à peine  besoin 
d’indiquer  que  les  principales  Sociétés  scientifiques  — et 
aussi  littéraires  — de  son  pays  ont  tenu  à honneur  de  l’avoir 
pour  président... 

• — Le  fait  est  que  voilà  nn  homme  de  bien  haute  valeur 
intellectuelle  et  de  tout  exceptionnel  mérite...  Et  c’est  lui 
qui  a été  chargé  d’organiser  l’Exposition  portugaise? 

— En  Portugal,  oui,  monsieur  Verduret.  Pour  faire  con- 
naissance avec  l’organisateur  à Paris  de  l’Exposition  lusita- 
nienne, passons  à M.  le  Commissaire  général,  El  Vizeonde 
Augnsto  de  Faria,  une  des  sommités  du  monde  diplomatique, 
je  ne  dis  pas  portugais,  mais  européen. 

— Oh!  proteste  Bêchard,  c’est  donner  une  bien  grande 
importance  à un  Etat  tel  que  le  Portugal  ! 

— Mon  cher  monsieur,  une  nation  qui  a joué  un  si  grand 
rôle  dans  l’univers;  qui  compte  parmi  ses  fils  des  B.  Diaz, 
des  Yasco  de  Gama,  des  Cabrol,  un  conquérant  comme  d’Al- 
Imqnerque;  qui  fut  rivale  de  l’Espagne  au  temps  où  celle-ci 
fut  si  puissante;  qui  regorgea  de  richesses  et  s’éleva  au  rang 
de  puissance  maritime  de  premier  ordre;  à qui  ses  hardis  na- 
vigateurs, les  célèbres  découvreurs  de  terres  inconnues,  don- 
nèrent d’immenses  possessions  en  Asie  et  en  Afrique;  qui 
étendit  jadis  sa  domination  sur  les  plus  belles  contrées  de 
l'Amérique  du  Sud,  notamment  sur  le  grand  Empire  brési- 
lien, contrées  qui,  pour  être  détachées  de  la  métropole,  n en 


PROMEiNADE  AU  QEAI  D ORSAV 


19 


jl  conserveront  pas  moins  sa  marque  pendant  des  siècles;  une 
)|  telle  nalion,  dis-je,  parce  que  la  destinée  a réduit  son  vaste 
} domaine  et  sa  fortune,  ne  cesse  pas  de  ce  fait  de  compter  en 
li  honorable  place  dans  le  Concert  européen.  Son  grand  passé 
li  dit  trop  sa  valeur  pour  que,  amoindrie,  la  diplomatie  uni- 
ij  versclle  la  considère  comme  déchue.  Quoi  qu'on  ait  dit  des 
Il  races  latines  — dont  un  courant  do.  snobisme  s’est  plu  à af- 
lirmer  l’irrémédiable  décadence  et  à annoncer  la  fin  fatale 
— il  y a trop  de  ressort  en  elles  pour  que  les  esprits  clair- 
I voyants  n'envisagent  pas  la  possibilité  de  quelque  fier  et 
soudain  relèvement...  Mais  je  m’égare  et  me  hâte  de  revenir 
' à M.  le  vicomte  de  Paria.  Né,  en  1898,  à Marseille... 

! — Comment?...  Mais,  alors,  il  est  français! 

— Non.  Partout,  un  consulat  étranger  est  terre  étrangère, 

I et  le  père  de  M.  de  Paria  représentait  l’état  lusitanien  en 
; notre  grand  port  de  commerce  méditerranéen. 

— Une  famille  de  diplomates,  à ce  que  je  vois. 

I — De  père  en  (ils,  monsieur  Verdure!.  Augusto  de  Paria, 
'!  qui  compte  parmi  ses  ancêtres  plusieurs  illustres  marins  de 

la  grande  époque  navale  et  glorieuse  du  Portugal,  fit  ses 
||  études  premières  à Copenhague,  entra  en  1849  à l’Ecole 
polytechnique  de  Lisbonne,  passa  par  les  ministères  de  la 
yiarine,  du  Commerce  et  des  Travaux  publics,  où  il  montra 
! l’énergique  initiative  à laquelle  le  Portugal  doit  la  réforme 
de  son  service  postal  et  l’adoption  du  système  métrique.  A 
cette  période  de  sa  jeunesse  remonte  un  glorieux  fait  d’ar- 
j mes  qui  lui  valut  la  croix  de  La  Tour  et  de  l’Epée,  l’ordre 
de  chevalerie  le  plus  envié  et  le  plus  difficilement  accordé 
j de  tous  les  ordres  portugais.  C’était  en  1857,  lors  do  la 
ji  guerre  civile  qui  faillit  mettre  en  péril  la  couronne  de  la 
il  Maison  de  Bragancc.  Officier  dans  un  des  bataillons  de 
ij  mobiles  organisés  l’année  précédente,  il  fut  chargé  de 
|!  défendre  contre  les  rebelles  l'immense  château-citadelle  de 

II  Saint-Georges,  bâti  au  sommet  d’une  des  collines  de  Lis- 
j;  bonne,  et  où  se  trouvaient  de  nombreux  prisonniers  et  de 

vastes  magasins  d’approvisionnement.  11  déploya  tant  de 
;|  valeur  et  de  savoir  guerrier,  qu’à  la  tète  de  ses  soldats  im- 
I'  provisés  il  résista  victorieusement  à tous  les  assauts.  Puis  il 
Il  embrassa  la  carrière  consulaire,  qui  est  de  tradition  dans  sa 
1'  famille.  Après  avoir  débuté  à Stockholm,  il  alla  occuper  le 


20 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Consulat  général  de  Maranhao  (Brésil)  on,  à force  de  dignité, 
de  fermeté  et  d’énergie,  il  obtint  une  réparation  éclatante 
pour  une  insulte  faite  au  drapeau  portugais  au  cours  d’une 
émeute.  Chargé  d’affaires  à La  Plata,  Consul  général  à 
Paris  et  premier  secrétaire  de  la  Légation;  Consul  général 
de  P'^'  classe  au  Havre,  puis  en  Angleterre,  partout  il  rendit 
de  hauts  services  à son  pays  et,  par  sa  bienveillance  et  son 
all'abilité  exquises,  son  loyal  et  ferme  caractère  de  gentil- 
homme, sa  belle  intelligence,  la  finesse  de  son  esprit  et  son 
tact  délicat,  laissa  de  son  passage  les  plus  excellents  et 
il  U rallies  souvenirs.  En  t890,  il  fut  appelé  aux  hautes  fonc- 
tions d’inspecteur  général  des  consulats  de  Portugal  en 
Europe.  11  est  Conseiller  de  S.  M.  Très  Fidèle  le  roi  Dom 
Carlos  et  (<  Hidalgo  en  la  Corte  ».  Si  je  devais  vous  énu- 
mérer les  ordres  de  tous  pays  — y compris  notre  Légion 
d'Honneur  — qui  transforment  en  cuirasse  éblouissante  le 
plastron  de  sa  tenue  de  cérémonie,  il  nous  faudrait  renoncer 
presque  à visiter  aujourd’hui  ce  Pavillon  dont  l'installation 
est  son  œuvre  ; mais  je  ne  veux  pas  passer  sous  silence  ce 
signe  particulier  : en  dehors  du  titre  de  membre  correspon- 
dant des  Sociétés  de  géographie  de  Lisbonne,  de  Paris  et  de 
Toulouse,  et  de  nombre  d’autres  Sociétés  savantes  de  tous 
pays,  M.  le  vicomte  de  Paria  est  président  honoraire  de 
plusieurs  Sociétés  de  sauvetage  françaises,  telles  que  celles 
de  l'Aude,  de  la  Méditerranée,  de  la  Loire,  de  la  Nièvre,  etc. 
11  a épousé,  en  1861,  doua  Maria  de  Portugal,  descendante 
d'une  des  plus  nobles  familles  militaires  portugaises,  et  dont 
le  père,  le  général  dom  Guillermo  de  Portugal,  est  mort 
gouverneur  de  la  colonie  de  Mozambique. 

— Dites  donc,  il  me  semble  que,  né  sur  le  sol  français  et 
membre  de  tant  de  Sociétés  françaises,  ce  vicomte  de  Paria 
no  peut  manquer  d'ètre  un  sincère  ami  de  notre  pays? 

- HT  est  peut-être  plus  encore  que  vous  ne  l’imaginez, 
cher  monsieur  Verduret.  Je  suis  sûr  qu’il  ne  me  démen- 
tirait pas  si  je  disais  devant  lui  qu’il  tient  la  France  pour 
sa  seconde  patrie  et  qu’il  l'aime  presque  autant  que  l’autre. 
H l'a  maintes  fois  prouvé,  d'ailleurs  en  saisissant  toutes  les 
occasions  de  resserrer  les  liens  intellectuels  entre  les  deux 
nations  latines  en  même  temps  que  les  relations  commer- 
ciales.. . 


l'ROMKiSAUli  Ai:  HUAI  U ORSAV 


21 


» Et  maintenant,  quelques  mots  concernant  le  Secrétaire 


général  dn  Commissariat  de  Portugal.  » 

— luicorel  réclame  Bèchard.  Vous  voulez  doue  que  nous 
prenions  racine  à la  porte  de  ce  Pavillon  ! 

— Voilà  ))lus  de  dix 
minutes  que  A'ous  nous 
tenez  debout  et...  ça 
commence  à me  <(  tirer 
l’estomac  »,  appuie 
iM""=  Flore. 

— Désolé,  déclare 
doucement  le  vieil- 
lard, mais  je  ne  vous 
laisserai  pas  entrer 
que  je  ne  vous  aie 
présenté  le  pins  char- 
mant jeune  diplomate 
et  distingué  autant 
que  fécond  écrivain 
que  j’aie  rencontré 

dans  ma  longue  car-  commandkur 

rière...  et  aussi  Pari-  antonio  de  Portugal  de  paria 


sien  que  Portugais,  sr.cuKTMRE  GiiNKH.iL 

puisqu’il  a fait  ses  or  co.mmissariat  Gii-siiiui.  du  portcgal. 

études  au  Collège 

Stanislas,  où  fut  élève  feu  le  jeune  roi  Aliihonsc  AU 
d’Espagne,  et  où  le  jeune  secrétaire  du  Commissariat  lusi- 
tanien eut  pour  condisciple  le  duc  d Orléans,  Irère  de  Sa 
Très  Française  Majesté  la  « Kainba  de  Portugal  ».  Ce  déjà 
éminent  consul  du  roi  de  Portugal  à Livourne  est,  à trente- 
deux  ans  — étant  né  à Eisbonne  en  18(58  — gentilhomme  à 
la  Cour,  Commandeur  de  l’ordre  militaire  de  Noti’e-Dame- 
de-la-Conception  de  Villaviciosa  et  de  1 ordre  de  la 
ronne  d'Italie,  chevalier  du  (Mirist,  de  (diarles  111  et  d Isa- 
belle la  Catholique...  Pour  dire  beaucoup  en  un  mot,  il  est 
le  fils  aîné  du  vicomte  de  Faria  dont  je  viens  de  vous 
parler,  et  se  nomme:  Antonio  de  Portugal  de  Faria.  e 
cavalier  élégant,  à l’abord  si  aristocratiquement  simp  e et 
distingué,  si  franchement  sympathique,  est  un  travailleur 
opiniâtre  et  un  érudit  qui,  au  cours  de  ses  missions  consu- 


22 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Icüips,  d Pai’is  d abord,  puis  à Cadix,  à Montevideo  et  enfin 
en  Toscane,  avec  retour  à Paris  pour  y tenir  auprès  île  son 
pèie  son  poste  actuel,  a publié  déjà  le  chifFre  fantastique  de 
.)3  volumes  ou  brochures,  toutes  œuvres  historiques,  diplo- 
matiques, biographiques  ou  documentaires,  d’un  très  sérieux 
intérêt...  ce  qui  ne  l’empêcha  pas,  pendant  les  quelques 
années  de  son  séjour  a Cadix,  d être  le  très  fécond  corres- 
pondant de  plusieurs  journaux  français,  parmis  lesquels, 
le  bnjoro,  le  Monde  diploinulique,  le  Courrier  du  IMnicinche , 
la  Gazette  des  Pai/s  Latins,  la  Géographie,  etc. 

Tout  cela  a la  fois!...  (Quelle  tête  il  faut  avoir!  s’écrie 
^ erduret  émerveillé. 

— 11  faut  seulement  être,  comme  M.  Antonio  de  Paria, 
doue  d abord,  et  puis  laborieu.x,  actif  et  d une  intelligence 
supérieure. 

C’est  drôle,  fait  Bêchant,  je  m’imaginais  que  tous  ces 
grands  d Espagne,  de  Portugal  ou  d'ailleurs,  tous  ces  des- 
cendants de  1 ancienne  noblesse,  en  un  mot,  passaient  sur- 
tout leur  temps  à monter  à cheval,  à aller  au  club  et  à faire 
le  joli  cœur  dans  les  boudoirs  des  grandes  « madames  » ! 

Ce  qui  prouve  qu’en  tout,  monsieur  Bèchard,  on  se 
trompe  quatre-vingt-di.x-neuf  fois  sur  cent,  lorsqu’on  adopte 
sans  contrôle  les  opinions  toutes  faites.  11  est  certain  que  si 
ce  jeune  diplomate  de  grand  avenir  a trouvé  le  temps  de 
remplir  galamment  les  gracieux  devoirs  mondains  qui  font 
partie  de  ses  fonctions,  il  n’a  dû  y consacrer  que  le  strict 
minimum  d’heures  qu’ils  réclamaient,  car  il  est  membre  ou 
délégué,  voir  president  de  vingt-neuf  Sociétés  scientifiques, 
littéraires  ou  humanitaires,  parmi  lesquelles  : les  Sociétés 
de  Géographie  de  Paris  — qui  le  reçut  à l’âge  de  vingt  et  un 
ans,  après  la  publication  d un  très  remarquable  ouvrage  sur 
les  découvertes  des  Portugais,  et  sous  le  haut  patronage  de 
berdinand  de  Lesseps  et  du  prince  Roland  Bonaparte — de 
Lisbonne,  Madrid,  Lille,  etc.  ; de  la  Société  de  Géographie 
commerciale  de  Paris;  de  la  iSectioa  d'Histoire  et  de  Géogra- 
phie de  la  Société  académique  franco-hispano-portugaise 
de  Toulouse,  dont  fait  également  partie  son  père;  et  de 
l’Alliance  scientifique  universelle  do  Paris,  et  de  la  Société 
néo-latine  de  Carcassonne,  et  de  la  Société  de  Topographie 
de  fiance,  et  de  la  Ligue  du  Bien  de  Bologne,  et  du  Conseil 


PROMENADE  AU  OUAI  d’oRSAY 


2;-i 


; 


héraldique  de  France,  et  de  la  Pi'opaganda  di  Scienza  popu- 
laire, et  de  la  Société  d’Etliuographie  américaine  et  orien- 
tale de  Paris,  et  des  Sauveteurs  de  l’Aude,  du  Haiit-Hhin,  do 
Bel  tort,  et...  et...,  etc.,  etc.,  etc.  ! 

— C'est  e (Trayant  ! 

— Moi,  je  trouve  cela  d'un  bel  exemple,  et...  réconfor- 
tant. Quant  à l'homme  aimable,  spirituel,  de  caractère  loyal 
et  sûr,  je  me  contenterai  de  vous  citer  les  deux  sixains  que 
lui  a dédiés  son  illustre  et  intime  ami,  nôtre  maestro  Ca- 
mille Saint-Saèns,  le  maître  compositeur  d',d.vc«Mm^  lorsque 
le  jeune  diplomate  exerçait  les  fonctions  de  consul  à 
Cadix  : 

Dans  votre  main  cordiale, 
ün  sent  une  âme  loyale. 

On  devine  un  noble  cœur  ; 

T'os  aïeux  de  grande  race 
Vou.s  ont,  comme  une  cuirasse. 

Légué  leur  antique  honneur. 

Votre  amitié  réconforte  : 

Celui  qu’un  vain  souffle  emporte, 
iVavire  dé.semparé, 

Sans  port  et  sans  espérance, 

Est  heureux,  dans  sa  soulfrance. 

De  vous  avoir  rencontré. 


— C'est  charmant  et  tout  à l’honneur  de  celui  qui  a 
inspiré  le  poète,  déclare  Bertrande  avec  une  gentille  émo- 
tion. 

— N’cst-ce  pas,  mademoiselle?...  Et,  pour  recevoir  de 
façon  pour  nous  llatteuse  de  tels  hôtes  étrangers,  trouvez- 
vous  que  j’aie  tort  de  penser  que  nos  maîtres  politiciens  du 
régime  actuel  manquent  vraiment  un  peu  de  légende  per- 
sonnelle et  de...  panache?  — Mais,  bien  vite,  pour  ne  pas 
faire  languir  plus  longtemps  iM.  et  M'"'’  Bèchard,  qui  ne 
sont  pas  venus  ici  pour  m’entendre  dire...  des  vers,  je 
m'empresse  de  vous  inviter  à me  suivre...  en  Portugal  ! 

Sur  les  pas  du  vieillard,  notre  groupe  d'expositionnistes 
pénètre  — enlin  ! — dans  le  Pavillon,  où  l’infatigable  cen- 
tenaire reprend  aussitôt  la  parole  pour  expliquer  : 


— Ce  Pavillon  se  divise  uniquement  en  deux  grandes 
salles,  plus,  au  premier  étage,  au-dessus  de  la  porte  d en- 
trée, un  vaste  salon  élégamment  décoré  et  meuhlé,  mais 
qui  n’a  nullement  l'intention  de  J’ournir,  comme  cela  se 
voit  fréquemment  ailleurs,  un  échantillon  de  la  fabrication 
portugaise.  Le  Pavillon  entier,  main-d’œuvre  et  matériaux, 
est  de  construction  parisienne.  Seuls,  viennent  du  Portugal 
les  produits  exposés,  car  le  Pavillon  est,  avant  tout,  un  local 
« d’exposition  ». 

— Pourtant,  ce  salon  dont  vous  parlez  ? 

— Est  en  même  temps  le  « bureau  » de  M.  le  vicomte  de 
Paria,  Commissaire  général,  et  le  salon  de  réception  intime. 
C’est  là  que,  lors  de  sa  visite  attendue  dans  l’enceinte  de 
l'Exposition,  Sa  Majesté  Très  Fidèle  Dom  Carlos  des- 
cendra... 

— Descendra?...  quand  c'est  au  premier?  retoi'que  le 
farinier. 

— Se  rendra,  si  vous  préférez,  ù la  précision  faite 
homme  ! 

— D’après  ce  que  je  vois,  remarque  Verdurel,  c’est  ici 
une  exposition  maritime  ? 

— Oui,  cette  première  salle  carrée  est  consacrée  aux  pro- 
duits, instruments  et  industries  relatifs  à la  pêche.  Les 
Hottes  modernes  ne  s'obtenant  plus  qu’à  coups  de  centaines 
et  de  centaines  de  millions  — de  francs  et  non  de  reis  — car 
vous  n’ignorez  pas  qu’une  ménagère  qui  dépense  au  marché 
quelque  deux  mille  six  cents  reis,  a tout  juste  déboursé  une 
dizaine  de  francs  .. 

— Ce  qui  fait,  calcule  Bèchard,  qu’un  centime  équivaut 
à environ  deux  reis  et  demi...  Les  livres  de  cuisinières, 
là-bas,  doivent  ressembler  à des  livres  de  caisse  de  ban- 
quiers 1 


A ÏRAVEUS  L EXPOSITION 


PROMEiNADI']  AU  nUAl  D ORSAY 


25 


Ahmes  de  i.a  vjli.e 
DE  LiSUÛNNE. 


— Je  disais  donc,  reprend  le  centenaire,  que  le  faible 
budget  du  Portugal  ne  pouvant  faire  construire  beaucoup 
de  cuirassés  du  prix  de  sept  à huit  milliards...  da  rois,  ce 
pays  a dù  renoncer  à compter  parmi  les  grandes  nations 
maritimes,  au  point  fie  vue  militaii-e.  Les  nombreux  et  ex- 
cellents marins  de  ses  belles  côtes  accores 
sur  1 Atlantique  ne  trouvent  tlonc  guère 
I emploi  de  qualités  nautiques  hérédi- 
taires qu’un  peu  dans  la  marine  de  com- 
merce et  principalement  dans  la  pratique 
de  la  pèche,  qui  est  une  des  industries 
les  plus  importantes  du  pays.  Les  ports 
de  pèche  — dont  vous  voyez  ici  six  beaux 
panneaux  représenter  les  six  principaux 
— sont  pleins  tl’activité  et,  à chaque 
mar6(',  couvrent  la  mer  de  belles  bar- 
(jucs  robustes.  Ah  ! ces  côtes  du  Portugal 
aux  eaux  prolondes,  que  le  navire  peut 
longer  d’un  bout  à l'autre,  si  près,  sou- 
vent à portée  de  la  voix!...  Et  ce  Tage,  dont  on  n'a  pas 
assez  chanté  la  large,  calme  et  puissante  poésie,  s’étendant 
comme  un  lac  ondulé  sous  la  lortc  caresse  de  la  brise,  avant 
de  SC  tordre  en  goulet  pour  aller,  à Helcm,  se  fondre  dans 
le  divin  Océan!...  VA  Lisbonne,  la  ville  aux  sept  collines, 
comme  Home,  mais  comme  une  Rome  (|ui  se  relléterait,  au 
lieu  du  Tibre  étroit,  dans  le  miroir  d'un  lac  de  Constance 
qui  serait  chaudement  animé  et  entlammé  d’un  superhe 
soleil  méridional!... 

— Alors,  c’est  un  beau  pays?  demande  Verdure!. 

Si  c est  un  beau  pays?...  Mais,  d’abord,  voyez  la 
seconde  salle,  qui  occupe  tout  le  reste  du  Pavillon  et  qui  est 
consacrée  aux  produits  des  forêts,  aux  chasses  et  aux  indus- 
tries chimiques...  Et  puis,  je  vous  dirai  quelques  mots  de 
Lisbonne. 

La  visite  rapidement  clfectuée,  tandis  que  nos  provin- 
ciaux, suivis  toujours  de  Puzzling  plus  muet  que  jamais,  se 
dirigent  lentement  vers  la  sortie,  le  centenaire  reprend  : 

— Vous  me  demandiez  si  le  Portugal  est  un  beau  pays. 
Je  ne  connais,  hors  ses  côtes  que  j’ai  admirées  en  les  ran- 

A TRAVERS  l’eXPOSITION.  — T.  .XII.  — 2 44 


26 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOÎS 


géant  du  large,  que  resluaire  du  Tage  jusqu’à  Lisbonne,  et 
ce  que  j’ai  vu  constitue  un  pays  de  charme,  de  saine  et 
chaude  beauté  et  de  rêve,  qu’il  faut  vraiment  que  nos  tou- 
ristes mondains  ignorent,  même  de  oui-dire,  pour  se  refuseï 
renchantement  d’y  courir  au  début  de  l’automne.  Quel  site 
merveilleux  que  celui  do  « Lisboa  » s étageant  en  amphi- 
théâtre an  bord  de  ce  Tage  qui,  avec  scs  treize  kilomètres  de 
laro-eur  en  cet  endroit,  semble  une  tranquille  mer  inté- 
rieure! Du  tleuve,  les  sept  collines  (S.  Vicentc  de  bora, 
Santo  André,  Castello,  Sauf  Anna,  S.  Roque,  Chagas  et 
Santa  Catharina)  apparaissent  coiffées  de  châteaux  ou  de 
cathédrales  qui,  dans  l’or  du  soleil  se  détachent,  tel  un 
décor  de  féerie,  sur  le  bleu  si  pur  du  ciel.  C’est  San  Vicente, 
panthéon  des  rois  de  Portugal;  c’est  le  Castillo,  antique 
château  des  Maures,  autour  duquel  naquit  la  ville  ; c est 
le  dôme  majestueux  et  magniliquc  de  la  basilique  da 
Estrella,  etc..'.  Ah!  cette  superbe  rade  iiue  forme  le  fleuve 
profond’  comme  on  sent  qu’elle  est  veuve  des  Hottes  du 
passé  aux  grandes  voiles  blanches,  en  voyant  ses  quelques 
croiseurs  et  avisos,  ses  paiiuebots,  navires  de  commerce  et 
barques  de  pèche  qui  semblent  des  libellules  perdues  dans 
Paquatique  désert  d’un  vaste  étang  !...  Comme  elle  rappelle 
la  puissance  maritime  d’antan  et  comme  elle  semble  en 
appeler  la  résurrection,  cette  rade  si  bien  protégée  où  tien- 
draient les  forces  navales  réunies  de  l’Europe  moderne. 
Voilà  pour  la  majesté  et  la  beauté,  appréciées  depuis  une  si 
lointaine  antiquité  que  la  fondation  première  de  Lisbao  est 
attribuée,  par  certains  historiens,  à Ulysse,  roi  d Ithaque, 
perdu  jusqu’au  delà  des  Colonnes  d’Hercule,  en  revenant 
du  siège  de  Troie...  11  est  vrai  que  d’autres  prétendent  que 
les  Ibères  fondateurs  fuyaient,  en  1 an  1900  du  monde,  la 
tyrannie  do  Nemrod,  roi  de  Babylone...  Quoi  qu  il  en  soit, 
Lisbao  a été  successivement  au  pouvoir  des  Carthaginois, 
des  Phéniciens,  des  Grecs,  des  Romains,  puis  des  Manies 
jusqu’à  ce  qu’en  1147,  Afïonso  Henriquos,  fils  de  ce  comte 
Henri'  de  Bourgogne,  dont  je  vous  ai  parlé,  les  en  chassa 
avec  l’aide  d’nne  Hotte  de  Croisés.  Voilà  sommairement  pour 
l’histoire.  Quant  au  charme  intime,  il  est  dans  la  franche 
hospitalité, 'dans  l’activité  heureuse  d’une  population  pitto- 
resque et  loyale,  mi-partie  citadine,  mi-partie  maritime. 


PRO-MENADI-;  AL'  QLAl  d’oUSAV 


27 


Chez  les  Lusitaniens,  un  Français  se  sent  chez  des  amis  en 
étroite  communion  de  pensées  avec  lui  et  parlant  une  langue 
à ce  point  sœur  de  la  sienne  qu'il  peut  la  lire  sans  étude  et 
la  compiendre  et  parler  grâce  a un  facile  minimum  de 
travail.  Je  regi’ette  de  n avoir  pas  le  temps  de  faire  avec 
vous  une  petite  promenade  ethnologique  à travers  les  diffé- 
rents quartiers  de  Lisbonne,  de  vous  montrer  la  ville  popu- 
laire avec  ses  mœurs  intéressantes,  la  ville  commerçante 
sillonnée  de  tramways  traînés  par  des  mules  qui  grimpent 
les  collines  au  grand  trot  et  en  redescendent  ventre  à terre, 
de  vous  signaler  la  promiscuité  du  palais  du  roi  et  de  pau- 
vres masures  qui  s’abritent  familièrement  à son  ombre,  de 
vous  conduire  à une  course  de  taureau.x  (ne  fût-ce  que  ])our 
NOUS  taire  remarquer  que  ce  peuple  généreux  a depuis  bien 
longtemps  proscrit  la  « muortc  » en  eiiibuulant  les  cornes  de 
1 animal,  tout  comme  aux  corridas  de  Lex-arène  parisienne 
lie  Li  lue  Pergolèse),  de  vous  taire  rire  aux  lazzi  des  gamins, 
cai  gavroche  triomphe  aux  bords  du  fage  comme  au.x  rives 
de  la  Seine,  et  dç  faire  loucher  un  peu  iM.  Verduret  du  côté 
des  jambes  nues  des  jolies,  gracieuses  et  typiques 
(pêcheuses)  allant,  jupes  relevées  et  balançant  harmonieuse- 
ment les  hanches,  chercher  jusqu’aux  barques  revenant  de 
la  mer  les  vastes  mannes  lourdes  de  poisson...  Je  ne  vous 
parlerai  pas  davantage,  des  délicieux  soirs  de  Lisbonne,  dans 
la  brise  câline  et  attiédie  que  l'on  respire  avec  ivresse  et  où 
1 on  se  sent  vivre  avec  une  joie  dolente...  Je  veu.x  seulenu'nt 
vous  nommer,  à quelques  lieues  de  Lisbao,  Cintra,  avec  son 
chateau  de  la  Lena,  planté  en  pleine  montagne,  au  sommet 
de  rocs  escarpés  d où  le  roi  Dom  Manuel  guetta  pendant  tant 
de  longs  jours  le  retour  de  Vasco  de  Gama.  Du  liant  des 
touis  de  ce  séjour  favori  de  la  reine  Amélie,  on  découvre 
un  panorama  prestigieux,  réunissant  la  mer  sans  limite,  la 
sierra  altière,  la  ville  et  le  Fage  lointains.  Je  veux  vous 
nommer  enlin,  plus  près  encore  de  la  capitale,  à l’extrême 
avancée  de  1 estuaire  du  lage,  au  delà  de  Delem  et  du  fort 
Saint-Julien,  la  coquette  [ilage  de  (Oascaës  qui,  avec  ses  jolis 
chalets,  est  le  frouville  de  Lisbonne,  mais  un  Trouville  qui 
serait  presque,  suburbain  et  où  les  Lusitaniens  pourraient 
se  rendre  si  les  chemins  de  fer  de  la  presqu'île  ibérique 
se  décidaient  à déambuler  avec  moins  de...  sagesse  ■ à 


•28 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


quelque  chose  près  comme  les  Parisiens  vont  à Fontaine- 
bleau, Versailles  ou  Saint-Germain...  Ah!  voyez-vous,  je 
suis  trop  vieux  maintenant  pour  former  des  projets  au  delà 
du  lendemain;  mais,  si  cela  m’était  permis,  je  voudrais, 
avant  d’entreprendre  le  grand  voyage  sans  retour,  revoir 
l’inoubliable  spectacle  du  Tage  et  de  Lisbonne  et  villégia- 
turer paresseusement  à Cascaës  après  être  monté  à Lintra  . 

Mâtin  ! vous  me  faites  venir  l’eau  à la  bouche  à propos 

du  Portugal,  comme  hier  cet  étonnant  Bouscastrol  nous 
simo-érait  l’envie  folle  de  visiter  la  Bosnie  ou  d’aller  contem- 
plCTle  Soleil  de  Minuit  au  Cap  Nord...  Et,  ma  foi,  Lisbonne 
est  moins  loin  que  la  Laponie  ou  les  Balkans  ! observe  gaie- 
ment Verduret  en  sortant,  avec  ses  compagnons,  du  Pavillon 

portugais.  _ . 

— J’ai  bien  envie,  fait  en  riant  Bertrande,  d ajouter  Lisbao 

sur  mon  itinéraire  de  futur  voyage  de  noce  ! 

— Trop  ambitieuse,  petite,  s’écrie  l’oncle  d’un  ton  jovial. 
Avec  le  Cap  Nord  et  les  Balkans,  cela  dépasserait  par  trop 
les  limites  d’un  tour...  conjugal. 

Pourquoi  ? dit  sérieusement  le  centenaire. 

— Mais...  parce  qu’il  faudrait  y consacrer  plus  d'un  tri- 
mestre et  que  la  dépense  écornerait  singulièrement  la  dot! 

— Bah  ! qui  sait  si  ce  ne  serait  pas  avant  peu  l’alTairc 
d’une  simple  excursion. 

— Vous  dites? 

(jue  la  science,  après  avoir  piétiné,  puis  marché,  court 

maintenant  et  bientôt  volera  !...  D’ailleurs,  M.  Henry  Deutsch 
n'a-t-il  pas  récemment  fondé  un  prix  de  100,000  francs  que 
l’Aéro-Club  remettra  au  premier  aéronaute  qui,  parti  de 
Saint-Cloud  à bord  de  sa  machine,  sera,  en  moins  de  trente 
minutes,  revenu  à son  point  de  départ  après  avoir  tait  le 
tour  de  la  Tour  Eiffel?...  Cet  enthousiasme  des  capitalistes 
est  un  signe  certain  que  la  solution  du  grand  problème  est 
proche...  plus  proche,  peut-être  môme,  que  ne  le  croit  le 
généreux  ami  de  la  conquête  de  l’air...  Mais  je  vois  M.  Bè- 
chard  esquisser  un  geste  d’impatience...  Passons  vite  du 
Portugal  en... 


CHAPJTRE  II 


DAXEMARK 


l"'' 

l-A  MA  ISO. N DANOISE 

— Mesdamos,  dit  lo  vieillard  en  s'adressant  plus  pai  ticu- 
lerenient  à la  ronde  larinière,  je  reconnais  que  tout  à 
I heure,  lorsipie  je  vous  ai  tenues  si  longtemps  debout  dans 
cette  rue  si  parfaitement  internationale,  avant  d’entrer  chez 
nos  bons  amis  les  Portugais,  j'ai  vraiment  abusé  de  vous. 

— Vous  avez  abusé  de  moi?  fait  Flore  en  ouvrant 
tout  ronds  ses  yeu.v,  miroirs  d’une  très  paresseuse  pensée. 

— Je  veux  dire  : de  votre  patience  et  surtout...  de  vos 
muscles  inférieurs. 

Bèchard  se  redresse,  un  Ilot  do  sang  indigné  aux 

joues  ; 

^ — Où  prenez-vous  mes  muscles  inférieurs,  monsieur? 
s éciie-t-cllc  d un  ton  pudiquement  courroucé. 

— Je  ne  les  prends  pas,  rectifie  le  vieillard  avec  un  calme 
parlait,  tandis  que  Verduret  éclate  de  rire  et  que  le  l’arinier 
commence  à froncer  d’olympiens  sourcils.  Je  les  laisse  à vos 
jambes  qui  doivent  m’accuser  de  manque  d’égards  pour  les 
avoir  ainsi  fatiguées. 


M'"“  Flore  comprend  enfin  qn’elle  a attribué  à tort  au  vieux 
cicm-one  ce  qu’elle  prenait  pour  une  inconvenance  de  lan- 
o-a-e  Sa  rougeur  offusquée  disparaît  et  les  noirs  sourcils  de 
Ln  époux  retrouvent  leur  arc  d’importante  dignité.  \ erdu- 
ret  cesse  également  de  faire  sauter  son  ventre  de  soubre- 
sauts hilares,  et,  de  sa  voix  monotone  et  aigrement  peichee, 
le  vieillard  poursuit  : 

— Uien  ne  lasse,  en  elfct,  comme  les  stations  sur  place, 
surtout  à écouter  de  longues  et  peut-être  fastidieuses  expli- 
cations. Mais  si  je  me  suis  permis  de  vous  imposer  cette 
fatigue  tout  à l’heure,  en  Portugal,  c’est  que  je  savais  pou- 
voii  , en  Danemark,  vous  offrir  un  moment  d agréable  et 

réparateur  repos. 

_ Comment  cela?  demande  M-“  Flore  avec  un  sourire 
aimable,  qui  a l’intention  de  s'excuser  d’avoir  pu  soupçon- 
ner d’incongruité  ce  « siècle  » cicerone. 

— Madame,  le  Pavillon  danois  que  voici  n’est  pas,  comme 
son  voisin,  un  pavillon  d’exposition.  Le  plus  méridional  des 
Etats  Scandinaves  a peuplé  de  ses  produits  les  diverses  sec- 
tions étrangères. 

Alors,  qu’cst-ce  qu’il  y a la-dedans. 

— Rien... 

— Cette  construction  est  vide  ? 

Aon  pas!  J’ai  voulu  dire  : rien  de  ce  qui  sollicite  la 

curiosité  d’explorateurs  de  la  Grande  Fête  industrielle,  tels 
que  vous  êtes.  Ce  Pavillon  n’a  d’autre  but  que  d’être  un  leu 
agréable  de  rendez-vous...  pour  les  sujets  du  roi  Christian 
attirés  à Paris  par  cette  merveilleuse  Exposition.  Ils  y trou 
veront  outre  les  bureaux  de  leur  Commissaire  général,  M.  le 
comte  Raben-Levetzau,  des  petits  salons  de  réunions  intimes 
et  de  lecture  donnant  sur  la  double  galerie  entourant  un 
vaste  hall,  lequel  est  une  salle  de  conversation.  Dans  les 
nctits  salons,  les  journaux  et  revues  de  leur  pays  permettent 
aux  Danois,  en  ce  tout  petit  coin  de  la  grande  reunion  inter- 
nationale, de  se  sentir  encore  dans  l’atmosphere  de  leur 
si  intéressante  patrie. 

_ Mais,  observe  Yerduret,  nous  ne  sommes  pas  danois, 
— Le  Danemark  est  généreusement  hospitalier,  cher 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


PROMENADE  AC  QUAI  d’orsaY 


31 


ons  onr,  et  galant  envers  les  dames.  Aussi,  sa  maison  dn 
uai  d Oisay  sera-t-elle  ravie  de  permettre  à nos  compagnes 
se  délasser  un  instant,  instant  que,  d'ailleurs,  i'occu- 
d'mmTer'\V'"  “f’  commodément...  et  chez  lui,  di  pays 

loin  - je  ne  dis  pas  « du  propriétaire  . - mais  de  l’hôte 
I ont  a vos  ordres,  monsieur,  acquiesce  la  farinière  en 
esquissant  une  révérence,  tant  est  grand  son  désir  de  faire 
oublier  sa  méprisé. 

— Kt  puis,  ajoute  le  vieux  cicerone,  nous  perdrions  trou 

tlnufm  •'  r’r''  T-7  '^’^'™«teur  sur  ce  charmant 

ecliantillon  de  1 architecture  danoise  du  xvir^  siècle 

Comment?  ce  Pavillon  daterait  de  deux  cents  ans 

— t50n  style,  chère  madame,  et  non  lui  qui  n’est  au’iine 

l'opie  legere,  si  hâtivement  édifiée  que  deux  mois  avant 

I ouverture  de  l’Exposition  les  premiers  malériaux  n’éSE 

Mllons  de  cette  rue  unique  et  qui  demeurera  dans  le  sou- 
venir des  visiteurs  comme  un  ,<  clou  » exceptionnel  étaient 
complètement  achevés.  ciaieni 

"r!  sensation  très  différente, 

paimi  1 eusenihle  de  ses  collègues  du  quai  d’Orsay  • à nre- 
miore  vue,  nn  riir-.îi  i ^ ^ pit 


..  •_  VI  ^_'zou.y  . a 

on  dirait  un  fragment  du  « Vieux  Paris 


I . , ' 7“  -•  uu  « vieux  raris  » de 

d^d/l"'-!  " tniiisporté  ici,  fait  Verduret  qui 

cligne  de  1 œil  en  connaisseur.  Malgré  un  caractère  très  per- 
sonnel principalement  dans  cette  jolie  tourelle  si  gracLi- 
seinent  coillée  de  sa  llèclie  au  ventre  rebondi  — caractère 
un' 1- . Scandinave  -eek  vous  a comnœ 

vre  emœro^T*  T'"'"''  maisons  que  l’on  décou- 

vre encoie  dans  les  anciens  quartiers  de  nos  vieilles  villes 

e piovince.  \oyez  ces  nombreuses  fenêtres  aux  vitres  mi- 
nuscules enchâssées  dans  des  filets  de  plomb,  et  ces  éta-es 
qui  avancent  légèrement  laissant  un  peu  en  retrait  la  parffe 
n cneure  de  la  construction...  Ne  trou%ez-vous  pas  que  cek 
eure  le  mo}en  âge...  mais  comme  qui  dirait  un  moyen 
âge  atténué,  modernisé?  ^ 

s»n'  ‘rès  juste,  cher  mou- 
. e f a\ilIon  Danois  élevé  par  souscriptions  privées 

tecte^'M^  tardive  à laquelle  l’éminent  archi- 

iccie,  iM.  \ . Koch,  en  a assemblé  les  premières  charpentes). 


32 


A TRAVERS  l’eXPOSXTION 


rcnrésente  une  maison  bourgeoise  de  province  conlcmpo- 
Y-nnc  de  la  fin  du  règue  de  Christian  IV,  un  des  plus  granc  s 
rois  dont  s'honore  le  Danemark,  ou  du  commencement  de 
celui  de  Frédéric  111,  ère  de  revers  et  point  de  Repart  de 
cent  soixante-dix  ans  de  monarchie  absolue.  Les  murs  sont 
en  brique  blanchis  à la  chaux  et  laissant  bien  apparentes 
t:„tt lès 'charpentes  ,ini.  comme  vous  le  voy^j  -nt 
montées  d'ornements  et  très  artistiquement  fouillées 

sci^ptui^es.  Bertrande,  ce  que  je  trouve  tout  à fait 

nittoresqiie,  c'est  ce  grand  toit  en  tuiles  rouges... 

‘ Ü Sur  lequel  tranche  le  ton  elfacé  de  la  tourelle...  \ous 
avez  mille  fois  raison,  mademoiselle.  Cela  ^ f ''Is'niii 
reiix  ehet  et  prouve  que  les  générations 
construisaient  leurs  demeures  dans  un  ^ 

simule  si  coquet  et  même  si  pimpant,  savaieiit  nierveilleii 
sèment  iouo,  de  la  couleur.  Ce  Pavillon  du  Danemark  « 
assurément  un  des  plus  eurieux  et  des  plus  originaux  paru  i 
bs  èiîmces  si  divers  qui  peuplent  cette  étonnante  Rue  dos 
Notions,  s'il  no  peut  avoir  la  prétention  de  compter  parmi 

‘"V"ru7èèrpèèè.ries-vous  nous  en  dire  les  dimensions, 
réclame  Bêchard,  pour  n’en  pas  perdre  1 habitude. 

Tp  le  lieux,  cher  monsieur. 

— Ah!  A la  bonne  heure  1 Nous  avons  donc,  comme  lon- 


gueur 


de  la 

Vingt  mètres. 


Bien.  Et  on  profondeur? 

— Parfait  Soit  ; une  siiperlicie  de  deux  cents  métrés 
carrés...  Hum  ! ce  ii’est  pas  le  Pérou,  en  etlet! 

— Pas  tout  à fait. 

— \h'  ahl  vous  jouez  sur  les  mots. 

_ C’est  que  rien  ne  me  met  en  joie  comme  de  les  en- 
tendre ùili  approprier.  Eh  ! vous  oubliez  de  me  demander 

èè'tmais  ! .l'allais  vous  poser  la  question,  car,  pour  s„ 
base  relativement  restreinte  et  pour  le  bon  vieux  temps 
où  elle  a été  construite,  cette  maison  me  semble  assez 

élevée. 


PnniIENADK  AU  QUAI  d’orSAY 


33 


I 


— Seize  mètres,  cher  monsisur...  tout  comme  une  mo- 
derne caserne  à quatre  étages. 

— Et  pourtant,  elle  n’en  a que  deux.  C’est  drôle,  ces 
maisons  d autrefois  : le  toit  prenait  tout  ! En  perdait-on,  de 
la  place!  Le  progrès  nous  a rendus  plus  pratiques... 

Eu  faisant  cuire  l’été  et  geler  l’hiver  les  pauvres  dia- 
bles dans  les  mansardes  ! Certes,  monsieur  Bèchard,  ce  pro- 
grès est  superbe...  pour  les  propriétaires, 
i Le  farinier,  stupéfait  par  cette  réplique  inattendue,  ne 
' trouve  rien  à répondre,  et  le  centenaire,  toujours  du  même 
; ton  de  pince-sans-rire,  poursuit  : 

I — Ces  toits  si  élevés  avaient  du  bon,  croyez-moi;  ils 
il  constituaient  d’immenses  greniers  qui  étaient  de  vastes 
I magasins  d’air  : sec  sous  la  pluie,  tiède  sous  la  gelée  et 
j frais  sous  le  soleil. 

I — Ob  ! ah  ! ricane  Bécbard,  qui,  comme  tous  les  petits 
[{  esprits,  se  croirait  déshonoré  s’il  n’avait  pas  le  dernier  mot, 
ij  ce  dernier  rôle  de  matelas  d’air  frais  contre  les  ardeurs 
j solaires  est  au  moins  superllu  dans  ces  pays  du  froid  ! 

— Où  prenez-vous  qu’il  fasse  si  froid  en  Danemark? 

— Mais...  dans  mes  connaissances  géographiques,  car  on 
I en  a,  ne  vous  déplaise. 

— Cela  ne  peut  que  m’enchanter  chez  un  Français  ; 
c’est,  hélas!  chose  si  rare...  de  façon  un  peu  complète, 
ü s’entend. 

— Eh  bien  ! poursuit  le  farinier  triomphant,  je  n’ignore 
j pas  que  le  Danemark  est  tout  aussi  septentrional  que  la 
I Gothie  suédoise,  et  qu’il  n’est  pas  besoin  d’atteindre  le  cap 
« Skagen  pour  se  trouver  sur  le  même  parallèle  que  cette  île 
1 Gottland,  de  la  Baltique,  à laquelle,  pendant  tout  l’hiver, 

!'  les  glaces  font  si  bien  une  ceinture  qu’on  peut  gagner  à pied 
t|  sec,  à certains  moments,  la  grande  ile  Gland  pour  entrer, 
de  là,  en  communications  postales  avec  la  Scandinavie  con- 
;j  tinentale.  Ah  ! mais,  vous  ne  direz  pas  que  je  vous  en  conte  : 
j;  j’ai  lu,  au  sujet  des  marins  postiers  de  Gottland,  des  his- 
toires terribles...  dans  le  Journal  des  Voyages! 

— Bravo  ! s’écrie  le  centenaire  après  avoir  lancé  quelques 
^ notes  narquoises  de  son  rire  aigu  de  crécelle.  Je  ne  m’at- 
tendais à voir  l’étude  du  planisphère  en  si  grand  honneur 
l'  près  de  la  meule  d’un  moulin. 

i 

i 

! 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— C’est  qu’il  y a meunier  et  maître  de  moulin,  môssieu  ! 
La  géographie  est  une  science  exacte  et  qui  devait  tenter  un 
esprit  précis  et  pratique  tel  que  le  mien  ! 

Croyez  que  je  m’incline  respectueusement  devant 

votre  savoir  et  vous  en  félicite  hautement;  seulement... 
Mais,  d’ahord,  pénétrons  dans  le  hall  du  Pavillon,  où  ces 
dames  trouveront  pour  se  reposer,  ainsi  que  je  le  leur 
ai  promis,  de  bons  divans  ayant  tout  le  confortable  des 
mobiliers  modernes,  car  on  n’a  pas  lait  ici  d archéologie 
sous  le  rapport  de  l’ameublement...  En  route,  donc,  mes- 
dames et  messieurs,  et  tout  en  allant  gagner  nos  sièges,  je 
ferai  observer  à monsieur  Bèchard  que  tout  son  bagage 
céograpbique  n’a  qu’une  valeur  relative  dans  la  question 
de  climat  qui  nous  occupe  ; que  la  géographie  sans  la  cli- 
matérologie  ressemble  fort  à la  chronologie  sans  l’histoire, 
et  qu'il  lui  aurait  été  sage  de  ne  pas  s’en  tenir  aux  rigides 
latitudes  de  son  atlas  — dont  s’écartent  très  capricieusement 
les  courbes  thermales.  Connaissez-vous  les  zones  thermales, 
monsieur  Bèchard? 

— Je  connais  les  eaux  thermales,  ayant  dù,  pour  mon 
estomac... 

— Ce  n’est  pas  tout  à fait  la  même  chose...  Là,  mainte- 
nant que  ces  dames,  commodément  assises,  ne  pourront 
plus  me  reprocher  de  ne  pas  me  préoccuper  assez  de  leur 
bien-être,  laissez-moi  vous  dire,  monsieur  Bèchard,  que  la 
seule  inspection  des  courbes  thermales  vous  aurait  appris 
que  le  Danemark  jouit  d’un  climat  inliniment  plus  doux  que 
ne  semble  le  comporter  sa  situation  géographique.  L’hiver 
n'y  dure  que  trois  mois  et  demi,  saut  dans  le  nord  du  Jut- 
land,  et  les  étés  y sont  plus  chauds  que  dans  bien  des 
régions  de  l Europc  centrale.  Les  ouragans  y sont  raies,  la 
mer  y est  le  plus  souvent  calme,  et,  n’était  la  grêle  qui  y 
est  un  peu  trop  fréquente,  le  « pays  d’Odin  » (Danemark 
signifie  Marche  du  pays  W odan  ou  Odin  ô Wagnei  !) 
serait  tout  à fait  un  pays  de  Cocagne...  Mais,  laissons  cela. 
Eh  bien  ! madame  Bèchard,  trouvez-vous  suffisamment 
moelleux  ce  divan,  et  vous,  mademoiselle,  votre  fauteuil  ? 
Vous  voyez  que  les  tapissiers  de  Copenhague  s’y  entendent 
aussi  bien  que  leurs  confrères  parisiens  pour  bien  asseoir 
leurs  compatriotes. 


PROMENADE  AÜ  QEAI  D ORSAY 


3 O 


— Ces  meubles  viennent  de  Copenlnigne  ? 

— Directement,  oui,  madame.  C'est  du  meuble  danois 
moderne.  D’ailleurs,  ici,  le  modernisme  ne  s'arrête  pas  au 
mobilier.  Si  vous  voulez  bien  lever  les  yeux  vers  les  ta- 
bleaux qui  décorent  les  murailles,  vous  y verrez  des  œuvres 
de  premier  ordre  de  l’Ecole  danoise  actuelle,  et  vous  con- 
staterez que  les  peintres  a fin  de  ce  siècle  » sont  les  dignes 
successeurs  des  nombreux  et  excellents  artistes  qui,  au  pré- 
cédent, ont  pour  ainsi  dire  fondé  l’art  de  la  peinture  eu 
Danemark. 

— Mais,  objecte  Verduret,  la  disposition  intérieure  de  ce 
Pavillon,  avec  son  grand  hall  ourlé  de  deux  galeries  longi- 
tudinales, sur  lesquelles  s’ouvrent  les  petits  salons,  n’a  évi- 
demment aucun  rapport  avec  l’aménagement  interne  des 
maisons  bourgeoises  de  la  province  danoise  au  xvii°  siècle? 

— Non,  sans  doute,  cher  monsieur.  L’architecte,  M.  Y. 
Koch,  u’a  en  vue  que  l'utilisatiou  du  bà liment  comme  une 
sorte  de  cercle  à l’usage,  comme  je  vous  l’ai  dit,  des  sujets 
du  vieux  roi  Christian  IX  présents  à Paris. 

— Eb  bien,  observe  Verduret,  au  point  de  vue  éducateur 
et  pittoresque,  je  le  regrette.  C’eût  été  un  régal  intellectuel 
véritable  do  pouvoir,  eu  causant  ici  comme  nous  le  faisons, 
s’imaginer  que  l’on  revit  momentanément  un  peu  de  l’exis- 
tence de  ces  ancêtres  Scandinaves. 

— Vous  êtes  un  gourmet  de  sensations  curieuses,  à ce  que 
je  vois. 

— .le  le  suis  devenu  depuis  que  je  visite  l’Exposition,  et 
la  tante  en  est  aux  précieux  initiateurs  qu’un  providentiel 
hasard  nous  a donnés,  moins  pour  guides  que  pour  éduca- 
teurs. Je  constate  seulement  que  nous  sommes,  on  ce  mo- 
ment, beaucoup  moins  les  liôtes  du  vieux  Danemark  que  de 
M.  le  Commissaire  général  du  moderne  Danemark  à l’Expo- 
sition universelle  de  1900. 

— Que  voulez-vous?  On  ne  pouvait  pourtant  oublier, 
dans  cette  Exposition,  que  cette  Exposition  existe,  et  il  a 
fallu  sacrifier  l’intérêt  archéologique  aux  convenances  des 
exposants  danois  de  1900,  les  principaux  intéressés.  Mais 
puisque,  comme  vous  t’exprimez  si  bien,  nous  sommes 
actuellement  les  hôtes  de  M.  le  Commissaire  général  du 
Danemark,  permettez-moi  de  vous  })résenter  en , quelques 


38 


A TRAVERS,  l’eXPOSITION 


mots  ce  grand  seigneur  Scandinave  qui,  par  sa  hante  dis- 
tinction et  son  extrême  affabilité,  s’est  conquis  à Paris  la 
plus  respectueuse  et  la  plus  générale  sympathie...  Je  devrais 
plutôt  dire  qu'il  l’a  reconquise,  car  un  quart  de  siècle  n’a  pu 
faire  oublir  la  charmante  impression  produite  dans  notre 
monde  par  son  trop  court  passage  à la  Légation  danoise  à 
Paris. 

— Ce  Commissaire  général  serait  aussi  un  diplomate, 
comme  celui  du  Portugal? 

— .M.  le  comte  Rahen-Levetzau,  qui  est  le  chef  d’une  des 
familles  aristocratiques  les  plus  estimées  du  Danemark,  est 
né  en  IH-dü. 

— Soit:  cinquante  ans,  tout  rond. 

— Et  tout  juste,  monsieur  Béchard.  .Vprès  avoir  terminé 
ses  études. . . 

— A Paris  ? 

— Voyons,  monsieur  Béchard,  vous  n’avez  pas  la  préten- 
tion que  tous  les  hommes  éminents  du  monde  entier  aient, 
enfants  ou  adolescents,  sucé  le  lait  de  notre  civilisation  fran- 
çaise? Il  est  évident  que,  malgré  nos  revers  et  notre  dépri- 
mant sons-parlem'entarisme,  celle-ci  a quand  même  main- 
tenu son  poste  d'honneur  à l’avant-garde  de  l’humanité;  mais 
de  là  à l'imaginer  unique  et  s’imposant  à toutes  les  classes 
élevées  de  l’nnivers,  il  y a la  distance  qui  sépare  le  calme 
bon  sens  des  imaginations  folles  d’un  halluciné,  ou  le  patrio- 
tisme sain  de  l’ultra-amhitiense  folie  de  l’outré  impérialisme 
britannique... 

— Jé  vôlé  pas  vô  pàler  avec  irrespect  du  grand  Angle- 
terre ! 

— Oh  ! excusez-moi,  mister  Puzzling,  je  vous  oubliais  ! 
Mais  nous  sommes  dans  un  pays  qui,  tout  en  ayant  fourni 
une  plus  ou  moins  prochaine  reine  au  trône  d’Albion,  n’est 
à aucun  degré  atteint,  heureusement  pour  lui,  de...  comment 
dire?...  de  1’  « université  » dangereuse  qui  finira  par  jouer 
un  vilain  tour  à votre  Angleterre,  les  pins,  forts  tempéra- 
ments ne  pouvant  résister  aux  lièvres  trop  intenses.  C’est 
sans  doute  l’atmosphère  de  sage  raison  émanée  d'nn  petit 
peuple  exceptionnellement  instruit  et  sérieux  qui,  emplis- 
sant ce  hall,  m’a  soufflé  une  comparaison  qui  vous  offusque. 
Voyons,  mister  Puzzling,  vous  ne  pouvez  plus  me  garder 


PROMENADE  AT  Ql  Al  D OKSAV 


39 


rancune,  puisque  je  vous  déclare  que  mes  paroles  n’oul  pas 
été  dictées  par  un  état  d’esprit  français. 

— Jé  été  Anglais  : jé  comprené  pas  les  finasseries.  <<  AU 
rifjlill  » il  été  le  devise  de  mon  pétrie. 

— Honni  soit  qui  mal  y pense. 

— Vôdisez? 

— Rien.  Je  continue  ma  présentation  de  IM.  le  comte 
Raben-Lcvelzau  à ces  dames  et  à ces  messieurs.  Donc,  lors- 
qu’il eut  terminé  ses  études...  dans  les  e.xcollents  collèges 
danois,  il  entra  dans  la  carrière  diplomatique.  C’est  alors  seu- 
lement, monsieur  Bêchard,  qu’il  s’assimilât  la  belle  culture 
intellectuelle  de  notre  pays,  car  son  premier  poste  fut  ;'i 
Raris.  Il  y resta  deux  années  à titre  d’attaché  à la  Légation, 
puis  quitta  notre  capitale,  au  regret  de  tous  ceux  qui  avaient 
pu  apprécier  ses  hautes,  nobles  et  délicates  qualités,  pour 
celle  de  r.\utriche,  où  il  séjourna  également  deux  années... 
Mais  laissons...  En  1888,  la  mort  de  son  père  le  mit  en  pos- 
session du  ((  Cumté  Chi'istiansbolm  ■>,  un  des  seize  majo- 
rats  du  Danemark  auxquels  est  attaché  le  titre  de  comte. 

— Mâtin  ! nous  àvons  uu  peu  plus  de  comtes  que  cela 
dans  notre  France  rép'ublicaine  !...  Je  veux  dire  de  noblesse 
authentique,  car,  s’il  fallait  songer  à tous  ceux  dont  le  goût 
immodéré  de  notre  républic-anisme  pour  le  titre  et  le  ruban 
fait  fleurir  la  boutonnière  ou,  sans  parchemins,  la  carte  de 
visite... 

— 11  serait  peut-être  bon  de  susèiter  un  nouveau  Louis  XI 
pour  abattre  un  si  grand  débordement  de  chevalerie  et  de 
noblesse...  C’est  cela  que  vous  voulez  dire,  monsieur  Ver- 
duret?  fait  en  riant  le  vieillard. 

— Vous  avez  complété  ma  pensée,  déclare  modestement 
le  manufacturier  retiré. 

— Donc,  poursuit  le  cicei’one  centenaire,  le  nouveau 
comte,  par  droit  d’héritage,  quitte  alors  la  diplomatie  pour 
se  consacrer  à l’administration  de  son  Comté,  labour  très 
absorbant,  étant  donné  la  très  grande  étendue  de  ses  do- 
maines. Depuis  lors  et  jusqu’à  ces  dernières  années,  il  avait 
renoncé  à toute  situation  ou  mission  officielle.  Mais,  sollicité 
par  le  vénéré  monarque  danois,  et  très  certainement  tenté 
par  un  retour  dans  ce  Paris  que  nul  n’oublie  et  où  il  avait 
jadis  fait  si  heureusement  ses  premières  armes  diploma- 


40 


A TRAVERS  L EXPOSITIO^’ 


tiques,  il  accepte  le  poste  délicat  de  représentant  du  Dane- 
mark à l’Exposition  do  1900,  poste  pour  lequel  le  dési- 
gnaient, outre  sa  connaissance  du  monde  parisien  où  il  avait 
laissé  de  si  excellents  souvenirs,  sa  grande  expérience  admi- 
nistrative et  son  goût  artistique  si  éclairé  et  si  sùr. 

— Je  vois,  observe  Verduret,  que  vous  aviez  raison,  tout 
à l’heure,  de  nous  dire  que  les  Puissances  étrangères  avaient 
decanté  la  fleur  de  leurs  aristocraties  et  de  leurs  sommités 
éminentes  pour  la  déléguer  vers  notre  grand  Loncours 
international  du  Travail  humain.  Il  me  semble  que,  xrai- 
ment,  nous  avons  le  droit  d’en  être  fiers,  puisque  — on 
remarquant  que  notre  tète  est,  comme  vous  le  regrettiez, 
quelque  peu  découronnée  de...  de  panache  — c’est  bien  au 
peuple  français  que  s’adressent  de  si  hautes  attentions  .. 
Et  (lame  ! le  peuple  français,  c’est  vous,  c’est  moi,  n’est-ce 
pas.  Bêcha rd? 

— C’est  même,  à la  rigueur,  fait  en  souriant  le  vieillard, 
un  héros  comme  le  colonel  Marchand,  un  auteur  drama- 
tique comme  Sardou  i,après  la  France,  le  Danemark  est 
le  pays  par  excellence  de  l’art  dramatique),  un  soldat 
comme  le  généralissime  Janiont,  un  savant  comme...  Enfin, 
vous,  ceux-là  et...  quelques  autres. 

Fi!  vous  ôtes  méchant,  dit  Bertrande  à mi-voix  au 

centenaire.  Aussi,  pour  vous  punir,  je  vais  vous  rappeler 
une  promesse,  faite  hier,  et  dont  vous  ne  paraissez  plus  vous 
souvenir. 

Et  tout  haut,  la  jeune  fille  demande  : 

— Eh  bien,  monsieur  notre  aimable  guide,  et...  cette 
surprise  ? 

— Quelle  surprise?  interroge  Bèchard. 

Ah!  dame  ! monsieur  Bêchard,  je  ne  peux  pas  savoir 

plus  que  vous,  moi  ! Rappelez-vous  seulement  qu’hier, 
comme  nous  le  quittions  pour  aller  en  courant  apaiser  la 
fringale  de  Bèchard,  monsieur  nous  a annoncé  qu'il 
nous  réservait  peut-être  pour  aujourd’hui  une  surprise. 

— C’est  vrai,  au  fait. 

Le  vieillard  hoche  la  tête. 


PRO.MIoN ADIO  Al'  QUAI  B ORSAA" 


il 


— Oui,  lait-il,  j’avais  l’intention,  pour  rompre  la  mono- 
tonie de  ce  voyage  parmi  tant  de  pays  représentés  par  leurs 
curieux  Pavillons,  de  vous  amuser  un  moment  au  spectacle 
d’une  des  si  nombreuses  attractions  dont  est  peuplé  le  terri- 
toire de  l’Exposition,  et  j’avais  jeté  mon  dévolu  sur  le 
iMaréorama. 

— Eh  bien  ? 

— J’y  ai  renoncé. 

— Pourquoi  ? 

— Parce  que  j’ai  rélléchi  et  que  j ai  en  vraiment  peut  de 
M.  Bêchard. 

Peur  de  moi  ? fait  ce  dernier  sincèrement  et  très  mo- 
destement stupéfait. 

Pas  de  vous,  si  vous  voulez,  mais  peur  de  vos  criti- 
ques, auxquelles  j’ai  senti  que  je  ne  serais  pas  en  mesure  de 
riposter  avec  la  conviction  nécessaire. 

— Je  ne  vois  pas  quelles  critiques  j’aurais  bien  pu  faire. 

Parce  que  vous  n’ètes  pas  allé  faire  ce  pseudo-voyage 

en  mer  sur  une  portion  restreinte  de  pont  do  jiaquebot  lou- 
lant  et  tanguant  à l’aide  de  pistons... 

— Les  bateaux  comme  j’en  ai  vu  à la  fête  de  Corbeil, 

alors  ? 

— Tenez,  voilà  que  vous  bêchez...  même  sans  avoir  vu  ! 
Oui,  ce  pseudo-bateau,  où  des  marins  traînent  des  cables 
inutiles  pour  faire  croire  à des  manœuvres,  et  autour  duquel 
se  déroulent  des  toiles  qui  vous  font  voir,  on  un  raccourci  de 
temps  vraiment  trop  invraisemblable,  les  escales  méditci’- 
ranéennes,  avec  de  l’air  soufflé  par  une  pompe  pour  imiter 
le  vent,  air  qui  passe  sur  du  varech  humide  pour  essayer 
d’irailer  les  senteurs  salines  du  large,  j ai  eu  peur  que  cela 
ne  prêtât  trop  au  besoin  de  dénigrement  de  monsieur,  sans 
que  je  puisse,  en  conscience,  moi  qui  ai  beaucoup  navigué, 
ne  pas  être,  au  fond,  un  tout  petit  peu  de  son  avis... 

— Monsieur,  déclare,  Bêchard  en  se  levant  et  en  se  cam- 
brant avec  dignité,  votre  pseudo-bateau,  sur  lequel  on  lait 
un  pseudo-voyage,  en  respirant  des  pseudo-airs  salins,  vous 
m’avouerez  que  c’est  bon  pour  amuser  les  enfants,  et  j ai  la 
prétention  d’être  un  homme  sérieux  que  l’on  ne  mène  pas, 
sous  prétexte  de  l’amuser,  voir  Guignol  ou  jouer  avec  des 
jouets  enfantins  ! 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Hum  ! murmure  le  centenaire,  je  vois  que  j’ai  eu  rai- 
son de  no  pas  vous  y emmener.  Ce  spectacle  adroitement 
machiné  ne  mérite  pas  un  tel  mépris,  mais,  en  vous  y con- 
duisant, monsieur  Bôchard,  je  me  serais  trop  exposé  à 
lournir  matière  à votre  critique  d'homme  grave.  Nous  nous 
contenterons  donc,  si  vous  le  voulez  bien,  d'achever  pour 
le  moment  notre  visite  des  Pavillons,  en  nous  rendant  tout 
de  suite  — car  je  pense  ces  dames  suffisamment  reposées  — 
à celui  de  la 


CHAPITRE  111 


GRANDE  - BRETAGNE 


1er 


PUZZLINc;  s PE  A K eu! 


A cotte  simple  annonce  du  vieux  cicerone,  James-Gregory 
Pnzzling  bondit  tlu  siège  où  il  s’était  assis  et  paraissait 
attendre  avec  une  absolue  indill'érence  la  fin  de  la  causerie 
sur  le  Danemark. 

11  se  dresse  tout  d'une  pièce  et,  en  deux  pas,  larges 
comme  ceux  de  l Ogre  du  conte  de  Perrault,  vient  se  planter 
devant  le  centenaire. 

— Vô  allez  montrer  lhe  english  Pavillon  à ces  gen/lemen 
and  ladies  ? interroge-t-il  de  toute  la  rudesse  de  sa  voix. 

— Mais,  sans  doute. 

— Vô? 

— Oui,  moi  ! 

— No  ! 

— Comment,  non? 

— No,  hecanse  jé  volé  pas. 

— Je  vous  ferai  observer,  inévitable  mister  Pnzzling,  que 
nous  nous  inquiétons  fort  peu  de  votre  autorisation. 

— Aüh  ! je  volé  pas,  tout  de  môme,  hecause  personne  il 
(levé  pàler  de  le  Angleterre. 

— Ah  ! bah  ? 


44 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Vô  surtout.  Vô  été  français,  et  le  french  people  il  pâlé 
jamais  properly...  Je  volé  dire  « proprement  » de  le  Angle- 
terre. 

— Ah  ça!  s’écrie  ironiquement  Verdnret,  se  mêlant  à ce 
singulier  débat,  prétendriez-vous  nous  interdire  de  visiter 
le  Pavillon  britannique? 

— No;  ce  été  le  contrary.  But  an  Enylishman  il  pouvait 
toute  seul  pâler  ((  comme  il  faut  » du  counlry  de  loiii  ! 

— Est-ce  que,  demande  le  centenaire  en  lançant  son 
petit  rire  aux  notes  si  aigres,  vous  voudriez  me  procurer  le 
repos  de  montrer  vous-même  le  Pavillon  de  la  Grande- 
Bretagne  à ces  dames  et  à ces  messieurs? 

— Yesl  je  volé!  Je  devé  être  le  speaker...  Je  volé  dire  : 
le  parleur  de  cette  chose. 

— .Ma  toi,  je  suis  trop  curieux  de  savoir  comment  vous 
vous  on  tirerez  pour  ne  pas  vous  passer  de  bon  cœur  la 
parole. 

— Vô  allez  vôar  ! 

Et  Puzzling,  s’adressant  aux  couples  Verdurct  et  Bêcbard, 
commande  laconiquement  ; 

— Corne  ! 

Naturellement,  personne  ne  Ijouge,  sauf  Bertrande  qui 
montre,  en  esquissant  un  mouvement  en  avant,  qu’elle 
comprend  l’Anglais  plus  qu’elle  ne  consent  à en  avoir 
l’air. 

Puzzling,  déjà  en  route  vers  la  sortie,  se  retourne. 

— Aoh  ! they  don’t  undersland . . . Jé  avé  dite  : Vénez  ! 

Cette  fois,  le  groupe  entier  s’ébranle  et  se  met  en  devoir 
de  suivre  son  nouveau  et  très  inattendu  ciceronc.  Mais  ce- 
lui-ci, avec  l'absence  de  préoccupations  altruistes  qui  est  une 
des  caractéristiques  de  sa  race  si  fortement  individualiste, 
prend  les  devants,  par  le  simple  fait  qu’il  marche  à son  pas 
et  que  ce  pas  se  trouve  être  d’une  envergni’e  considérable- 
ment supérieure  à la  plus  grande  longueur  do  terrain  que 
puissent  couvrir  les  enjambées  féminines  de  Bertrande  et 
surtout  de  M"’'  Flore...  alors  que  tout  naturellement  Verdu- 
rct, Bêcbard  et  le  centenaire  conforment  leur  marche  à celle 
de  leurs  compagnes. 


PROMENADE  AU  OUAI  1)  ORSAV 


i5 


Pour  se  rendre  du  Pavillon  danois  à celui  de  la  Grande- 
Bretagne,  notre  groupe  a exaclenient  à franchii'  la  moitié  de 
la  longueur  de  la  Rue  des  Nations.  Mais,  il  n’a  pas  encore 
dépasse  le  travers  des  Pavillons  yankee,  sur  la  droite,  et 
péruvien,  sur  la  gaucho,  qu’il  est  déjà  laissé  à plus  de  di.v 
mètres  en  arrière  et  que  la  farinière,  toute  rouge  et  sult’o- 
quée  par  ses  vains  elTorts  pour  rivaliser  avec  les  favoris  du 
Derby,  renonçant  à la  lutte,  s’arrête  net  en  s’écriant  : 


Grandk-Buetagne.  — Façade  du  ciiateau. 


— Ah  ! non  ! S'il  faut  courir  comme  des  lièvres,  vous 
savez,  je  n’en  suis  plus.  11  aurait  dû  nous  prévenir  qu’il  pré- 
tendait nous  faire  galoper,  ce  fameux  milord  anglais!... 
J’aurais  demandé  à Aristide  de  me  faire  mettre  en  fauteuil 
roulant  1 

• — Pour  un  parcours  d’un  quart  do  kilomètre,  une  voiture 

pour  madame!,..  Comme  tu  y vas,  hichette,  proteste  le  long 
mais...  étroit  maître  de  moulin. 

Averti  sans  doute,  par  quelque  secret  instinct,  qu’il  n est 
plus  suivi,  James-Gregory  se  retourne,  et,  voyant  le  groupe 
arrêté,  lui  crie  de  loin  ; 


4(> 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— Allô!  Go  on! 

— Que  dit-il?  demande  M™'^  Flore. 

— 11  nous  invite  à nous  hâter,  explique  Bertrande.  11 
nous  crie  : « En  avant!  » 

— Comme  les  petits  laiderons  de  l’Armée  du  Salut,  alors  ! 
En  fait  de  salut,  je  tiens  à celui  de  ma  personne  et  je  ne  vais 
|tas  étouffer  pour  lui  faire  plaisir  ! 

— Oh  ! fait  en  riant  Bertrande,  je  ne  pense  pas  que 
Mr  Puzzling  nourrisse  des  projets  aussi  noirs! 

— C’est  cela!...  Vous  défendez  votre  complice,  ma  pe- 
tite ! 

— Mon  complice? 

— Oui,  oui,  vous  devez  me  comprendre  si  vous  savez  ce 
que  parler  veut  dire  ! 

Sans  daigner  faire  un  pas  en  arrière,  Pnzzling  répète,  en 
élevant  davantage  la  voix  et  d’un  ton  plus  impérieux  : 

— Allô!...  Corne!...  Go  on  ! 

— Gone,  gone!...  tant  qu'il  voudra!...  Donne-moi  ton 
bras,  Aristide...  et  marchons  doucement,  hein  ! 

L'Anglais,  qui  s’est  laissé  rejoindre,  dit,  avec  rudesse  ; 

— • Vô,  mâchez  pas  ! 

— Dites  donc,  nous  ne  faisons  que  cela... 

Superbe  de  conviction,  James-Gregory  proclame  ; 

• — Tous  ils  devaient  mâcher,  tous  ils  devaient  attrapper 
beaucoup  du  peine,  quand  ce  était  pour  contempler  le  glory 
de  le  Angleterre  ! 

— Voyez-vous  ça  ! s’écrie  Verduret  en  éclatant  de  rire. 
Passe  pour  vous  autres.  Anglais...  mais,  les  autres  peuples? 

— Tous  les  peoples  de  Mappemonde  ils  étaient  dans  le 
admirative  contemplation  pour  le  Great  Britain. 

— Quel  pince-sans-rire  vous  faites,  mister  Puzzling  ! 

— No,  mister  Verdiourette,  jé  été  pas  une...  pince... 
comme  vo  disez  ! 

— Ma  parole,  il  a l'air  de  croire  à ce  qu'il  dit. 

— Et  il  y croit,  monsieur  Verduret,  je  puis  vous  le  certi- 
fier, affirme  le  centenaire.  Ce  chauvinisme  hyperbolique  de 
la  bourgeoisie  et  du  peuple  britanniques,  qui  prête  tant  à 


PBO.MKNADE  AU  (JÜAl  d’orSAY 


47 


rire  à des  Gallo-latins  tels  que  nous,  est  la  vraie  force  d’Al- 
bion, car  il  étonne  le  monde  en  môme  temps  que  la  superbe 
opinion  de  soi  qu’il  inspire  aux  Anglais  légitime  à leurs 
yeux  tous  les  procédés  de  britannisation  de  la  planète.  Sans 
la  sincérité  de  la  conviction,  cet  orgueil  absolu  jusqu’à  en 
être  brutal  serait  une  monstruosité.  Avec  elle  il  devient  nue 
grandeur...  que  bon  ne  peut  pas  apprécier,  mais  qu’il  con- 
vient de  reconnaitro. 

— Alors,  dit  Bèchard  ironiquement  au  vieillaid,  vous 
admirez  les  Anglais? 

— Mon  cher  monsieur,  ma  vieille  philosophie  admire  tout 
ce  qui  s'élève  franchement  au-dessus  du  niveau  moyen. 
J’admire  le  mont  Blanc  et  l’immensité  anormale  du  désert 
saharien,  la  figure  d’un  Pasteur  ouvrant  à la  Science  la  con- 
quête de  la  Vie  sur  le  mal  morbide,  d’un  Christ  fondant  sur 
l’amonr  et  le  renoncement  de  soi  une.  religioïi  qui  élève 
l’Homme  au-dessus  des  matérialités  terrestres...  et  j’admire 
les  cyclones  dévastateurs,  les  tléaux  humains  comme  Attila 
ou  Gengiskan,  le  crime,  même,  lorsqu’il  se  vautre  dans  la 
pourpre  sanglante  d’un  Néron  en  des  horreurs  qui  semblent 
dépasser  l’humanité,  et  jusqu’à  la  fourbe  odieuse,  lors- 
qu’elle est  géniale.  Je  n’ai,  après  cent  ans  de  vie,  conservé 
qu’une  haine  : celle  de  la  médiocrité  prétendant  régenter 
les  supériorités...  Mais,  voici  qu’en  vous  faisant  cette  pro- 
fession de  foi  qui,  je  le  vois,  vous  «ébouriffe  » quelque  peu, 
nous  sommes  arrivés  devant  la  façade  du  Pavillon  de  la 
Grande-Bretagne  qui  donne  sur  la  Bue  des  Nations.  Voyous 
comment  mon  suppléant  volontaire  va  s’y  prendre  pour  jouer 
son  rôle  de  conférencier.  Attention,  il  commence. 

En  effet,  James-Gregory  Puzzling,  le  bras  étendu  vers  la 
porte  à laquelle  conduit  une  double  série  de  marches  inter- 
rompues de  paliers,  s’écrie  ; 

— Bigâdez ! 

— Nous  regardons...  Après?... 

— Vô...  ils  avaient  viou?...  }’es...  Ail  riglit...  Corne, 
now. 

Quittant  la  façade  snd,  Puzzling  emmène  le  groupe,  à 
marche  forcée,  devant  la  façade  ouest,  qui  donne  sur  la 


48  A TRAVERS  l' EXPOSITION 


petite  place  faisant  suite  à la  passerelle  jetée  sur  la  Seine 
entre  les  ponts  des  Invalides  et  de  1 Alma.  Etendant  de  nou- 
veau le  bras  vers  le  Pavillon,  il  ordonne  : 

— lîigàdez  ! 

— Nous  ne  faisons  que  cela,  répète  Verdnret.  Expliquez- 
nous. . . 


Mais  Puzzling  : 

— Vô,  ils  avaient  viou?...  .1//  right...  Corne! 

Et,  sans  daigner  avoir  paru  entendre  l’invitation  du  ma- 
nufacturier retiré,  le  rouge  fils  d’Albion  entraîne,  à allure 
plus  que  vive,  nos  visiteurs  devant  la  façade  nord  donnant 
sur  la  terrasse  de  la  Seine.  Lti,  il  réitère  son  geste  indi- 
cateur et  son  impérieux  avis  : 

— Higàdez! 

— Eh  ! que  diable,  nous  avons  vu  ! Vous  n’allez  pas  nous 
faire  tourner  autour  de  ce  Pavillon  comme  des  chevaux  de 


A TRAVERS  E EXPOSITION  DE  1900 


DANEMARK 


PORTUGAL 


PEROU 


PERSE 


PAVILLONS  DES  PUISSANCES  ÉTRANGÈRES 


l’IlO^JENADi;  AC  nCAl  d’orsav 


4!) 


cirque  galopant  aux  claquements  de  chambrière  de  récuyer  ! 
Dites-nous  quoique  chose  ! 

— Vos,  mister  Verdioiirette,  jé  allé... 

— Parler  ? 

— ■ Ves. 

Nous  sommes  tout  oreilles,  déclare  au  nom  de  tous  le 
cher  de  la  petite  hande. 


— Ce  été  le  fnigUsh  Pavillon. 

— Je  vous  iorai  remarquer  que  nous  nous  en  doutions. 

— H ell.  Ce  été  le  plous  heatilifull ! 

— llura,  je  ne  trouve  pas.  Ce  n’est  pas  mal,  sans  doute, 
mais  ce  teint  jauuasson... 

— Le  plous  grand... 

Ça...  autant  du  moins  qu’on  en  peut  juger  d’un  simple 
regard,  vous  nous  permettrez  de  le  trouver  pins  petit  que 
d autres,  à commencer  par  celui  de  l'Italie,  par  exemple. 

— No,  je  permettrai  pas.  Le  Great  Hritain  été  le  plous 
grande  nation  de  l’Ounivers,  le  people  anglais  le  premier 
people  du  monde  ! 

— En  1 admettant,  ce  n’est  pas  une  raison  pour  que... 

‘là 


TILWEUS  l’exposition. 


T.  MI.  — O 


A TRAVERS  L EXPOSlTIOiN 


— }>.s  / l.e  pions  grande  nation  et  le  premier il 
avé  ncccssarily  le  pions  large  et  le  pions  heautïfuü  Pavillon 
dans  le  (jredt  Êxhil)ition  in  Paris. 

Cela,  ce  peut  être  une  opinion...  très  patriotique,  mais 

je  vous  avoue  que  je  suis  comme  mon  ami  Bêchard  et  que 
le  moindre  chiflre  ferait  bien  mieu.v  mon  atlaire. 

, — Wliat?..-  (Jnels  chiffres? 

Verduret  serait  heureux  que  vous  condescendissiez, 

par  exemple,  à lui  dire  quelle  longueur  a cette  façade  sur  la 
Seine,  intervient  ironiquement  le  centenaire. 

— Aôh?  Uow  manij  feet?...  Jé  savé  pas. 

— environ  quatre-vingt-trois,  souflle  obligeamment  le 
vieillard. 

— )!>//...  Caiio  front,  il  avé  quatre-vingt-trois... 

Métrés?...  Jamais  de  la  vie,  proteste  Bèchard. 

— Xo,  pas  french.  mètres,  enr/lis/i  feet...  je  volé  dire  : pieds. 

— Et  quelle  est  la  longueur  du  pied  ? 

— Douze  inches...  je  volé  dire  ; pouces. 

X'ous  vous  demandons  l'équivalent  en  mesure  fran- 
çaise. 

Aôh  ! je  vôlé  pas  savoir.  Le  pied  il  été  la  hase  de  tous 

les  mesioures,  hecame  il  été  anglais. 

Au  diable  ! fait  Bèchard  en  frappant  le  sol  de  son  pied, 

à lui.  ...  1 

— Ne  vous  fâchez  pas,  cher  monsieur,  fait  en  riant  te 

centenaire.  Le  pied  anglais  vaut,  en  chillre  rond,  0"  30,  et 
les  feets  de  cette  façade  équivalent  à 23'" 30. 

— A la  bonne  heure,  cela  se  comprend,  au  moins  ! 

Puzzling  hausse  les  épaules  avec  autant  de  mépris  que... 
d’absence  de  politesse. 

Pour  obliger  notre  britannique  cicerone,  j ajouterai, 

dit  le  vieillard,  que  les  façades  pcrpendiculaii^es  à la  Seine 
ont  90  pieds  anglais  ou,  approximativement,  27'"30...  Main- 
tenant, cher  mister  Puzzling,  je  vous  rends  la  parole. 

)'cs.  Cette  incompérébeul  palace  du  plous  grand  et  du 

plous  puissant  empire  du  monde,  il  été  conslruct  comme  le 
« hume  » of  the  Prince  uf  Wales. 

Nos  provinciaux  regardent  le  centenaire.  Celui-ci  grimace 


UII  sourire  cL  se  rcml  à la  muette  prière  de  ses  compa- 
gnons ; ‘ 

— Mr  Puzzling  — dans  un  langage  trop...  mélangé  pour  être 
p^our  vous  bien  facilement  compréhensible,  vous  dit  que  ce 
Pavillon  est  destiné  à servir  d'habitation  de  jour  au  Prince 
de  Galles.  C'est  rigoureusement  exact.  L’héritier  do  la  cou- 
ronne d’Angleterre  y a ses  appartements...  que  nous  pour- 
rons visiter  tout  à l’heure,  Son  Altesse  ne  les  occupant  pas 
en  ce  moment.  Mais,  continuez,  je  vous  prie,  mon  bien 
cher...  mon  trop  cher  mister  Puzzling! 

— No.  Ce  été  tout. 

— Gomment,  proteste  Verduret,  vous  prenez  d’autorité  la 
idacc  de  notre  si  aimable  et  savant  cicerone,  vous  nous 
laites  courir  comme  des  lapins  de  garenne,  et  c’est  là  tout 
ce  que  vous  nous  dites? 

^ — Je  avé  proclaimed  le  majesté  du  Pavillon  du  dreat. 

Ce  été  cela  jé  volé...  Le  reste  il  été  rien  pour  môa: 
-ctoui-la,  il  aurait  pas  proclaimed  le  supériorité  souperho 
de  mon  pétrie  et  je  avé  fait. 


D un  doigt  assez...  incivil,  il  indique  le  ceuteuaire,  qui 
riposte  du  tac  au  tac. 


, savez-vous,  s’il  vous  plaît,  mister  Puzzling? 

Je  n aurais  pas  poussé  le  néo-impérialisme  jusqu'à  poser 
en  principe  que,  hors  la  race  anglo-saxonne,  il  n’est  pas, 
sur  notre  globe  chétif,  d’humanités  dignes  de  ce  nom;  mais 
J aurais  rendu  un  juste  hommage  à la  grande  nation  mar- 
chande, industrielle  et  pratiquant  partout,  avec  une  suiicrhe 
énergie  rude  le  sivggle  for  life;  à la  race  forte,  peu  sensible 
et  très  sentimentaliste  qui  peut  en  môme  temps  : fabriquer 
cl  1 usage  humain  la  cruelle  halle  « expansive  »,  (lirter  au 
clair  de  lune,  essaimer  froidement  la  famille  adolescente 
sous  toutes  les  latitudes,  rêver  avec  ses  poètes,  vouloir  sub- 
juguer le  nionde  et  dispenser  généreusement  de  ta  liberté... 
pourvu  qu  elle  soit  de  marque  britannique.  J’aurais  dit  que 
1 Angleterre  a beaucoup  fait  pour  la  civilisation  universelle, 
sans  m inquiéter  si  les  mobiles  mercantiles  n’ont  pas  eu,  dans 
œuvre  utile,  une  part  un  peu  exclusive  et  si  les  moyens  em- 
ployés pour  rendre  cette  civilisation  hostilement  britannique 
sont  toujours  Irappés  au  coin  d'une  chevaleresque  loyauté.  Le 


toi 


■\\ 


' <! . . i 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


fait  prime  tout  ; l’OEuvre  anglaise  est  grande  et  elle  a même 
été  jusqu'ici  très  utile  àla  paix  européenne  en  créant  le  cou- 
rant colonisateur  continental,  par  nécessité  de  ne  pas  laisser 
accaparer  le  monde  noir,  brun  et  jaune,  par  un  seul  pavil- 
lon... J’aurais  proclamé  que  l’Angleterre  est  un  colosse; 
mais,  malheureusement  pour  elle,  un  colosse  «virtuel», 
selon  l'expression  dont  abusent  les  nouvellistes  d’outre- 
Manche,  c’est-à-dire  un  colosse  de  surface  — et  cela,  parce 
qu’à  l’orgueil  anglais  (et  j’estime  que  1 orgueil  national 
est  une  vertu)  ne  correspondent  pas  des  sommes  égales 
de  dévouement  individuel  et  de  tempérament  militaire. 
L’antique  Rome  fut  une  merveilleuse  puissance  colonisa- 
trice et  conquérante,  mais  les  Romains  étaient  un  peuple 
militaire  qui  savait,  avec  scs  propres  légions,  vaincre  es 
forts.  Albion,  môme  au  loin,  ne  peut  prétendre  renouveler 
Rome,  parce  qii’après  tous  les  faibles  rudement  abattus, 
elle  se  heurtera  aux  forts,  contre  lesquels  il  lui  est  impos- 

-,  T ^ r- O n '/'•/l  I r»  rr  011 


G’ 


sible  de  lutter...  Voyez-vous,  mon  cher  mister  t uzzlin^ 
a beaucoup  reproché  autrefois  aux  Français  de  ne  pas  savoir 
regarder  au  delà  de  leurs  frontières.  C’était  vrai  et  la 
France  a payé  cher  cette  vaniteuse  légèreté.  Mais  que  dire, 
alors,  de  votre  pays  qui,  voyant  les  peuples  d Europe  s ar- 
mer formidablement  et  travailler,  en  bénédictins  de  la  cape 
et  de  l’épée,  l’art  de  la  guerre,  en  est  resté,  comme  orga- 
nisation et  science  tactique,  à l’èrc  de  la  guerre  de  Crimee. 

Fn  somme,  résume  Verduret  d un  air  de  bonhomie 

finaude,  la  nation  anglaise  est  un  peuple  civilisé  qui  civi- 
lise, surtout  par  intérêt,  les  non  civilisés,  et  qui  se  monRc 
parfois  un  tantinet...  incivile  sans  être  pour  cela  le  moins 

du  monde...  militaire.  . , , 

— Fichtre,  mon  cher,  vous  êtes  donc  humoriste,  con- 
state Bêcbard  au  milieu  de  l’éclat  de  rire  provoque  par  la 

boutade  du  manufacturier  retiré. 

— Ma  foi,  depuis  que  je  suis  à Pans,  je  crois,  parole 
d’honneur,  que  je  le  deviens,  répond  celui-ci  d un  ton  de 
modestie  qui  ne  trompe  personne,  pas  même  lui. 

\ mi-voix  et  parlant  bien  directement  au  détective  lon- 
donien, le  centenaire  achève  ainsi  son  rapide  croquis  poli- 
tico-ethnologique : 


TRAVERS  l’exposition 


— L’impérialisme  intransigeant  et  agressif  prépare  de 
terribles  déboires  à l’Angleterre,  et  croyez  que  je  le  regrette 
car  une  nation  forte,  commerçante  et  moins  déraisonnable- 
ment coloniale,  est,  pour  l'Europe 

Doids  et  un  « excitement  » éminemment  utile...  Vous  reco 
Lîtrez,  mon  cher  Anglo-Saxon,  que  je  ne  suis  nullemen 
hostile’ à la  puissance  équilibrée  de  votre  pays,  que  j es  i 
-rand  et  que,  dans  l’intérêt  de  la  paix  européenne  future,  je 
Ss  Lireùx  de  voir  un  esprit  moins  orgue, llensement 

dominateur  et  àprement  conquérant.  , , ■ / 

— Je  voyé  que  vù  il  dénigré  sijslematicallij,  hy  jealomy, 

la  (ilorii  du  premier  people  du  monde  ! 

— Ah Quodvidt  perdere  Jupiter,  demenlat  prias... 

W'/iat  do  l/ou  sa  y . , 

— Je  dis...  ! tenez,  je  dis  vous  serez  toujours  un  grand 

peuple,  car  l’avenir,  quel  qu’il  soit,  ne  tera  pas  qu  un 

miükesneare  ne  soit  Anglais!  , • • 

" _ Pardon,  pardon,  objecte  Bèchard,  il  ne  s agit  pas  ici 

de  Shakespeare,  mais  du... 

— Pavillon  hritannique.  Votre  rappel  à « la  question  » 
est  la  sagesse  même  et,  si  mister  Puzzling  veut  bien  me 

cedci  pas  vô  il  attaqué  le  Angleterre  ! 

Si  vù  faisé,  je  coupé  le  parole  de  vù.  ^ 

Kntendii  ! acquiesce  le  vieillard  en  s inclinant. 


Il 

U A II  1 U A 11  E 

— Mesdames  et  messieurs,  puisque  nous  sommes  sur 
cette  terrasse  devant  la  façade  nord  du  Pavillon 
ous  dire  qu’elle  est  la  reproduction  exacte  de  la  façade 

du^hateau^ton  Bradford-on-Avon,  près  de  Bath,  dans 

le  Wiltshire,  England. 


PüOMEXADE  AC  (JCAI  DORSAV  Ij5 


Parfail  !..,  Je  parlerai  de  vous  à l’Agence  (look,  mis- 
ter Puzzlingl...  La  ville  .le  Bradford-on-Avon  abonde  en 
vieilles  demeures  de  pierre  et  aux  fagades  à pignons,  telles 
que  celle-ci;  mais  aucune  no  peut  rivaliser  avec  Kingston 
llouse  qui  est  le  parfait  modèle  du  « Jacobean  Style  »,  avec 
son  luxe  excessif  de  « Windows  »,  son  crénèlement  d'ara 
lesqucs  et  de  flétails  classiques,  où  Ion  croirait  reconnaître 
la  main  qui  traça  le  plan  de  Longlcat,  près  de  Warminsteiv 
Cette  façade  a trois  pignons  avec  mansardes,  devant  les- 
quelles court  une  balustrade  de  pierre  élégamment  sculptée  ; 
cette  façade  avec  ses  deux  étages  de  « Windows  » aux  meneaux 
superbes  qui  en  font  comme  un  immense  vitrage  gracieuse- 
ment tourmenté,  est  le  type  parfait  de  Pareil itectiire  châte- 
laine et  bien  anglaise  du  xvii-siècle.  John  Anbrey,  le  digne  et 
intime  ami  (le  Milton,  le  grand  poète  du  « Paradisc  Los/  », 
disait  de  Kingston  llouse,  que  ce  château  était  la  ((  gentil- 
hommière par  excellence  du  comté  de  Wilts  ».  11  aurait  pu 
dire  de  l’Angleterre  entière. 

Et  naturellement,  observe  le  judicieux  Verduret,  cette 
« Maison  de  gentleman  » a été  construite  pour  quelque 
lord  ? 

^ — Nullement...  ou,  du  moins,  pour  un  seigneur  du 
Commerce.  C’est  un  drapier  dn  nom  de  John  Hall  qui  la  fit 
édifier,  dans  la  première  moitié  du  xvii"  siècle,  sur  l’empla- 
cement d'une  vieille  maison  que  la  famille  Hall  possédait 
an  XM'  siècle  et  dont  certaines  parties  ont  dû  être  incorpo- 
rées dans  le  château. 

Pourtant,  ce  nom  de  Kingston  llouse  semble  indiquer 
une  demeure  noble? 

Elle  est  devenue  ducale  par  le  mariage  de  la  petite- 
tillc  de  ce.  John  Hall  avec  lelils  dn  premier  duc  de  Kingston. 
Celui-ci  étant  mort  avant  son  père,  la  maison  passa  au 
second  et  dernier  duc  de  Kingston,  qui  lui  donna  son  nom... 
devenu  trop  fameux  par  le  scandale  dont  Elisabeth  Chud- 
eigh,  duchesse  de  Kingston  et  épouse  de  ce  dernier  duc,  lit 
rougir  la  piidibonde'.Vlbton,  i 

— Pc.y.Me  Angleterre  il  été  le  pétrie  de  la  Vertion. 

— Cordieii  ! mister  Piizzling,  il  faut  que  vous  ayez  une 
proles.sion  qui  vous  fasse  bien  ignorant  de  la  criminalité  en 
pays  (1  Outre-Manche,  pour  oser  être  à ce  point  affirmatif. 


Ghande-Bretagne.  — Le  i.ion  de  la  balustrade. 

transcendante.  Mais  le  masque  de  pureté  qn  elle  se  met  sur 
le  visage  ne  peut  donner  le  change  à un  vieux  philosophe 
qui,  depuis  quatre-vingts  ans,  regarde  danser  les  pantins 


Albion  tient  à cette  réputation  de  Vertu  générale  et 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


humains.  A hien  obscrvur.  riuimanité  est,  du  plus  au  moins, 
partout  la  même,  avec  son  lot  de  tares  comme  ses  nobles 
('.xceptions.  l.,'atti(nde  surtout  est  diit’ércnte  : ici,  on  est  fan- 
faron de  vice;  là,  de  vertu.  A bien  prendre,  j’aurais  plus  de 
conliance  dans  la  valeur  morale  des  fanfarons  du  premier 
genre,  parce  qu  ils  se  découvrent...  plus  meme  qu  ils  n ont 
à montrer,  et  que,  ceux-là,  on  les  voit  bien  alors  que  les 
autres  dissimulent  leurs  lèpres.  Ainsi,  voilà  l*aris,  qn  on  se 
plaît  au  loin,  tout  en  l’adorant,  à appeler  la  « Babylone  mo- 
derne ))  ; eb  bien,  je  mets  en  fait  que  le  Paris  fêtard  et 
joyeux  est,  au  total,  beaucoup  moins  perverti  que  telles 
autres  capitales  qui  se  drapent  ostensiblement  d’bermine; 
et  je  sais  que  les  étrangers  (locwnentrs  et  qui  sont  sin- 
cères pensent  ainsi,  s’ils  évitent  de  le  dire,  ce  dont  je  ne 
saurais  les  blâmer...  Mais,  revenons  à la  trop  célèbre 
duebesse.  Vers  ITiO,  elle  était,  à vingt  ans,  belle...  belle, 
comme  savent  l’étre  les  Anglaises,  quand  elles  s en  donnent 
la  peine.  La  vivacité  de  son  esprit,  1 exqnise  distinction  de 
sa  personne,  tournaient  alors,  autant  que  sa  beauté,  toutes 
les  tètes.  Pelle  du  duc  d'ilamilton  ayant  tait  le  tour  complot, 
le  noble  lord  en  fut  lécompensé,  ce  qui  n’empccba  pas 
l'éblouissante  Elisabeth  de  convoler  avec  le  capitaine  llervey, 
qn’elle  abandonna  dès  le  lendemain  du  mariage  pour  hier 
en  Allemagne  avec  un  major  accouru  sur  le  vu  il  un  avis  que 
la  dame  avait  fait  insérer  dans  les  gazettes...  Los  « petites 
correspondances»  no  sont  pas,  comme  vous  voyez,  d invention 
moderne.  Or,  la  volage  personne  envoya  promener  le  dit 
major  avant  qu’il  ait  eu  le  temps  de  lui  faire  goûter  les 
charmes  de  la  grande  vie  germanique,  et  revint  conquérir 
sans  elforts  et  épouser  le  duc  de  Kingston...  sans  s arrêter 
à ce  vulgaire  détail  qu  elle  n'avait  pas,  de  tuguo  en  fugue, 
laissé  au  capitaine  llervey,  son  premier  mari^  le  temps 
moral  de  passer  de  vie  à trépas. 

— Une  bigame,  alors  ! 

— Qui  faillit  être  trigame,  car,  avant  de  se  laisser  épouser 
par  le  dernier  Kingston,  elle  se  serait  nommée  princesse  d Al- 
bany  si  elle  n’avait  pas  tlairé  à temps  que  ce  d'Albany  était 
simplement  un  audacieux  aventurier  ; « les  loups  ne  se  man- 
gent pas  entre  eux  ! » Le  duc  de  Kingston,  en  ayant  la  complai- 
sance d'aller  promptement  villégiaturer  dans  1 autre  monde, 


pPiOaii:n ADI-:  ai:  ouai  d'orsaa" 


.a9 


Ici  laissa  veuve  cavec  une  immense  fortune...  que  la  famille  du 
défunt,  avertie,  ne  put. lui  enlever,  non  plus  que  son  titre  de 
< Hchesso.  Notre  Ingame  en  fut  quitte  pour  aller  respirer  l’air 
( U con  inen  ou  son  étrange  notoriété  n’empècha  pas  qu’elli' 
lut  eçue  avec  distinction  par  le  Grand  Frédéric,  l’Electrice 
de  Bavière  et  la  grande  Catherine  II  de  Russie.  Fini, le  de 

vieillesse  et  il 

vieillesse,  et  le  plus  epns  fut  le  prince  Hatziwil.  Elle  finit 
ses  jours  dans  le  magnifique  chûteau  de  Saint-Assise  prés 
de  hontainehleau,  juste  à temps  pour  ne  pas  voir  les’  ho 
reurs  égalitaires  de  la  Révolution,  en 


-M  C..C  ,788. 

n,  quelle  gaillarde!  s’écrie  Rèchard 
- Revenons  à Kingston  House,  se  hâte  de  dire  le  vieil- 
I.  . I assoc  au  neveu  ,l„  ,k,c,  cll„  f„t  yen, lue,  e„  I8l,2 
Ikvell.tnuallccla  ceUc  pcrlcilc  rarcliilccliii-c  l,i.ilanni,|’„o 

vair„n’n“‘''’!"h  ' '''  Ucatairea,  la  chalaau  na  pou- 

Veut  qii  de  douloureusement  dévasté  et  il  le  fut.  Ileureu- 

. cment,  il  devint,  en  18i:>,  la  propriété  d'un  Mr  S.  iMoulton 
ancêtre  du  possesseur  actuel,  qui,  ami  des  helles  œuvres’ 
le  restaura  avec  le  plus  grand  soin  ’ 

— On  dit,  cher  monsieur  Verdurct,  que  le  fameux  et 
ma  leureux  conspirateur,  James  Scott,  duc  de  IMonmoiith 
Is  nature  de  Charles  II  d’Angleterre  et  dont  la  haX  lii 

visiteT  s’y  arrêta  lorsqu’il  vint 

^ siter  la  nohlesse  des  comtés  de  l'Ouest,  mais  ce\’est  pas 

absolument  certam.  Aussi,  n'est-ce  pas  au  point  de  vue  his- 
torique, mais  uniquement  architectural,  que  le  Comité  hri- 
Exposition  _ de  19(...  chXt  le  modèle  de 


Kingston  House,  d'accord  avec 


AI,,  T , .’  l’architecte  du  Pavillon 

Lutyens,  qui  a apporté  à cette  reconstitution  autant  de 
conscience  que  de  savoir-faire.  Mr  Entvens  — un  jeune 

hadeXle^r  """  ^ ^ ^^’Estc  de 

dont  il  nnrtp'i  ^ du  peintre  renommé 

^ r H a grandi,  grâce  à son  père,  dans  le 

cncôr'l'I.f’  T «I 

of  A,k„  a!  i.  Scliool 

dans  le  ti  il  a,  après  un  court  apprentissage 

dans  le  hureau  d’architecture  de  MMrs  George  et  Peto, 


62 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


commencé  à voler  de  ses  propres  ailes  dès  1889,  à l'àge  de 
vingt  uns,  pur  conséquent.  A trente  et  un  ans,  il  ne  compte 
plus  les  maisons  de  campagne,  grandes  et  petites,  qu’il  a 
édifiées,  souvent  dans  des  conditions  très  délicates,  non 
seulement  en  Angleterre,  mais  dans  le  Nord  de  la  France  et 
en  Allemagne,  et  toujours  avec  le  souci  de  la  tradition  d'art 
anglais  dont  il  s’est  fait  une  méritoire  spécialité. 

— Pardon...  mais,  le  Pavillon? 

— .l'y  reviens,  monsieur  Bèchard. 


ni 


U N .M  U S K E R O A [. 

Le  vieillard  reprend,  non  sans  avoir  adressé  un  regard 
ironique  au  détective  Puzzling,  qui  ne  peut  qu’écouter 
houche  bée  des  détails  qui  lui  prouvent  à quel  point  humi- 
liant il  ignore  le  propre  Pavillon  de  son  pays  : 

— Mr  Lutyens  a donc  fait  la  face  nord  de  ce  Pavillon  avec 
la  face  sud  de  Kingston  blouse.  Ouant  aux  autres  faces,  il 
a dû,  à cause  dos  exigences  de  l'utilisation  de  son  éphémère 
château,  les  créer  presque  entièrement,  tout  en  restant 
rigoureusement  dans  le  style  du  type-modèle.  Au  point  de 
vue  technique,  il  a eu  — comme  d’ailleurs  la  plupart  de  ses 
collègues  cosmopolites  des  autres  Pavillons  — de  sérieuses 
difficultés  à vaincre...  plus  sérieuses,  même,  en  raison  des 
conditions  exceptionnelles  de  solidité  et  d’incombustibilité 
imposées  par  le  Comité. 

— Pourquoi  ces  conditions  exceptionnelles  de  solidité  et 
surtout  d’incombustibilité  ? 

— Parce  que,  cher  monsieur  Verduret,  le  Pavillon  bri- 
tannique est  tout  simplement  un  tout  exceptionnel  Musée  où 
le  Prince  de  Galles,  le  grand  président  de  la  Commisssion 
anglaise  de  cette  Exposition,  a voulu  que  soit  réunie  la 
quintesccnce  des  œuvres  de  l’Art  anglais. 


PROMENAI)!-:  Ai:  OEM  d'oiîSAV 


(i3 


— Yes  : les  cliel’s-d'œuvre  inconipèrèbeuls  du  premier 
art  du  monde... 

— lîritannique. 

■—  Je  disô  ; du  monde  entier. 

— Et  vous  m’oblig-ez  à répéter  : britannique. 

— Vô,  il  dénigré  tôjours  sijslnnaticalltj  ! 

— Mais  non,  que  diable!  s’écrie  le  centenaire  en  s’ani- 
mant— ce  qui  fait,  à l’inverse  de  l’effet  ordinaire,  singuliè- 
rement baisser  le  ton  de  son  organe.  J’ai,  au  contraire,  une 
très  particulière  estime  pour  vos  grands  artistes  du  lioyamne- 
Uni.  C’est  votre  rage  maladroite  de  prétendre  imposer  à 
l’Univers  l’opinion  que  tout  ce  qui  est  anglais  est  en 
quelque  sorte  au-dessus  de  riiumanité  qui  me  force,  non 
pas  h des  restrictions  qui  ne  sont  pas  dans  ma  pensée, 
mais  à une  remise  au  point  légitime  et  raisonnable.  C’est 
ainsi  que  — sauf,  bien  entendu,  les  nombreuses  exceptions 
sensées  — tant  d’Anglais  ont  rendu  le  caractère  anglais 
insupportable  aux  auC-es  nations...  qui  ont  bien  le  droit, 
morbleu  ! de  se  dire  artistes,  politiques,  coloniales,  etc. 
Mais  je  me  fâche;  j’ai  tort.  11  y a chez  vous,  heureuse- 
ment, une  minorité  importante  d’esprits  d’élite — minorité 
qui  se  réduit  fort,  il  est  vrai,  quand  la  question  réservée  de 
politique  impérialiste  est  en  jeu  — qui  sait  voir  au  dehors, 
juger  équitablement  et,  sans  ravaler  en  rien  la  valeur  morale 
et  matérielle  anglaise  au  profit  d’autrui  (aberration  dont 
nous  autres  Français  paraissons  avoir  le  ridicule  monopole 
admirer  le  génie  ou  sim])lcment  les  supériorités,  quelle 
que  soit  la  couleur  du  drapeau  qu’elles  honorent.  Cette  mi- 
norité-là empêche  les  esprits  sages  du  Continent  de  géné- 
raliser ce  que  j'appelais  tout  à l’heure  le  caractère  anglais, 
faute  de  pouvoir,  en  quelques  mots,  indiquer  les  nuances; 
elle  permet  de  se  fermer  les  oreilles  aux  violences  jin- 
goïstesde  la  masse,  qui  est  évidemment  de  civilisation  retar- 
dataire par  suite  de  son  isolement  orgueilleux;  elle  s’éten- 
dra, gagnera  rapidement  du  terrain  au  jour  où  une  prospérité 
trop  exagérée  pour  être  durable  on  le  même  état,  étant 
donné  l’insuftisance  des  moyens  de  la  maintenir  au  môme 
niveau,  éprouvera  de  sérieux  échecs...  et  cette  minorité-là 
sera  alors  le  salut  de  la  puissance  britannique  parce  qu’elle 
sera  la  raison  reprenant  le  dessus  sur  la  lièvre.  Mais  voilà 


A TRAVERS  l’eXP0SIT10>; 


1)4 


que  les  interruptions  de  Mr  Puzzling  m’ont  entraîné  de 
nouveau  dans  une  digression  que  je  supplie  M.  Bèchard  de 
me  pardonner. 

— C’est  vrai,  taisez-vous  donc,  monsieur  l’Anglais,  ou 
nous  n'en  finirons  pas  ! 

— Je  été  Anglais,  ye.ç.  Je  été  donc  libre  de  pàler  ! 

Bêchard  serre  les  poings  avec  colère  ; mais,  comme  il  se 
sent  près  d’éclater...  il  se  tait.  Le  centenaire  se  hâte  de 
reprendre  : 

— Ce  Pavillon,  construit  pour  être,  en  même  temps  qu’un 
séjour  princier  éventuel,  un  rare  musée  permanent,  presque 
sans  cesse  accessible  au  flot  d'une  foule  nombreuse,  il  a été 
prescrit  à l'architecte  : P'  De  donner  à l’édifice  éphémère  le 
ma.ximum  de  résistance;  2”  de  bâtir  de  façon  à mettre  les 
trésors  artistiques  confiés  au  Pavillon  à l’abri  de  toute  pos- 
sibilité d’incendie. 

— Pour  prévenir  le  péril  d’incendie,  il  est  indiqué  que 
la  charpente  doit  être  métallique  et  l’emploi  du  bois  proscrit 
autant  que  possible. 

— Sans  doute.  La  charpente  est  toute  en  acier.  Mais 
Mr  Lutycns  ne  s’en  est  pas  tenu  là.  11  a aussi  métallisé  les 
murs,  intérieurs  comme  e.xtérieurs,  ainsi  que  les  planchers. 

— Allons  donc  ! fait  Bèchard.  On  voit  bien  que  ces  murs 
sont  en  pierre...  ou  plutôt  en  imitation  de  pierre! 

— Ils  sont  en  plâtre  étendu  : en  partie  sur  une  nouvelle 
sorte  d'acier  très  mince  et  comme  plissé... 

— Lb  oui!  SC  rappelle  Verduret,  le  joyeux  Bouscastrol  — 
pauvre  diable  ! — nous  a parlé,  hier  matin,  de  quelque 
chose  comme  cela. 

. — ...  Et,  continue  le  vieillard,  en  partie  sur  l’appui  formé 

par  des  bandes  métalliques  plates  fixées,  avec  intervalles  de 
0™  4rj,  aux  montants  verticaux  de  la  charpente.  Quant  aux 
planchers,  soutenus  par  des  traverses  d’acier,  ils  sont  en 
béton  armé  pour  les  surfaces  planes  de  fer  plissr  — comme 
l’acier  des  murs  dont  je  viens  de  parler  — et,  pour  les  sur- 
faces en  ponte,  de  réseaux  de  fil  de  fer. 

— Bouscastrol  nous  a aussi  indiqué  cette  méthode,  se 
souvient  encore  le  très  attentif  Verduret. 

— En  ce  qui  concerne  la  résistance,  celle-ci  est  fonction 


PliO.MK.NADE  7\ü  OTAI  D ORSAY 


fis 


de  la  force  de  la  charpente  cl  des  planchers  et  par  suite  de 
leur  poids.  11  est  évident  — et  pour  le  comprendre  il  n’est 
pas  nécessaire  d’ctre  le.  moins  du  monde  ingénieur  — 
qu’une  pièce  de  fer  qui  doit  supporter  un  grand  poids  doit 
être  heaucoup  plus  grosse  et  partant  plus  lourde  qu’une 
antre  qui  ne  doit  soutenir  qu'un  poids  léger.  L’architecte 


Oiiamjk-Biietag.ne.  — Vue  i>e  i.a  terüasse. 


du  Pavillon  a calcule  que  le  hàtimcnt  construit  assez  en 
force  pour  résister  au  poids  d’une  vague  humaine  l’emplis- 
sant sans  cesse  en  entier  devait,  avec  la  dite  foule,  peser  sur 
ses  fondations  à raison  de  4,300  kilogrammes  par  mètre 
carré.  Or,  plus  de  la  moitié  du  terrain  couvert  par  le  Pa- 
villon est  occupé  par  le  tunnel  du  prolongement  de  la  ligne 
des  Monl ineaux  jusqu’à  l’Esplanade  des  Invalides,  et  le 
radier  de  béton  qui  couvre  ce  tunnel  ne  peut  supporter  une 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


pression  supérieure  à 1,000  kilogrammes  par  mètre  carré, 
c’est-à-dire  moins  du  quart  de  la  poussée  verticale  du 
Pavillon. 

— Diable  ! 

— De  plus,  il  était  interdit  de  prendre  un  point  d'appui 
sur  le  mur  de  soutènement  de  la  tranchée  du  chemin  de  fer 
souterrain.  D’où,  sérieuse  difficulté  de  construction,  étant 
donné  que  si  le  Pavillon  britannique  n’est  pas  très  grand, 
il  est,  comparativement  aux  autres,  extrêmement  lourd. 

— Comment  a-t-on  fait  ? 

— Mr  Lutyens  a dû  créer  le  sol  résistant  qui  faisait  défaut 
à l’aide  de  poutres  parallèles,  longues  de  1.5'"  40,  afin  de 
prendre  leur  point  d'appui  extrême  au  delà  du  mur  de  sou- 
tènement interdit.  Ces  poutres,  qui  supportent  à distance  le 
plancher  du  rez-de-chaussée  au  moyen  de  petits  piliers, 
reposent  sur  un  seuil  de  fer,  long  de  27  mètres  et  scellé 
avec  du  béton.  Tout  le  poids  de  l’édifice  et  de  ce  système  de 
terrain  artificiel  porte  sur  dos  pieux  de  0''’.30  à 0'”35  de  dia- 
mètre et  enfoncés  de  7 mètres  dans  le  sol.  11  y a 40  de  ces 
pieux  — qui,  même,  à cause  toujours  du  tunnel,  ont  dû  être 
enfoncés  obliquement  — du  coté  de  la  face  sinl,  et  52  du  côté 
de  la  façade  nord. 

— Tant  de  difficnltés  pour  une  construction  que  l’on 


aurais  jamais  cru!  s ecrie 


abattra  dans  six  mois  ! Je  ne 
Verduret. 

— Ab  ! cher  monsieur,  j’aurais  — dût  ce  pauvre  Mr  Puzz- 
ling,  qui  fait  vraiment  triste  figure,  avoir  la  jaunisse  de 
dépit  de  me  voir  faire  constater  plus  encore  son  ignorance  à 
l’égard  de  cette  œuvre...  pourtant  bien  anglaise,  puisque 
tout,  jusqu’aux  moindres  matériaux,  est  anglais  dans  ce 
Pavillon... 

— Aôh  ! ce  été  pas  le  métier  de  mùa  de  savoir  toutes  ces 
choses... 

— Ce  n’est  pour  moi  que  métier  tout  occasionnel,  mais  je 
ne  le  changerais  pas  avec  le  vôtre,  dit  le  vieillard  en  dardant 
un  regard  d’une  singulière  acuité  ironique  vers  le  rouge  fils 
d’Albion  qui  mâche  quoique  inintelligible  menace  entre  ses 
longues  dents,  pendant  que  Bertrande  se  trouve  soudain 
prise  d’un  subit  accès  de  toux  en  fixant  le  centenaire. 


PROMENADE  AU  UUAl  D OKSAV 


G7 


Celui-ci  fait  un  léger  signe  de  tète  à l’adresse  de  la  jeune 
tille  et  reprend  aussitôt  : 

— J'aurais,  disais-je,  bien  des  choses  à vous  dire  encore 
au  sujet  de  la  construction  de  ce  Pavillon  britannique,  mais 
je  dois  me  limiter.  Voulez-vous  maintenant  me  permettre 
de  vous  faire  les  honneurs  de  ce  princier  petit  temple  de 
l’Art?  V'euillcz  me  suivre,  je  vous  prie. 

A la  suite  du  vieillard,  le  groupe  quitte  la  terrasse  du  bord 
de  l’eau,  et,  après  avoir  escaladé  quelques  marches,  pénètre 
dans  l’intérieur  par  la  porte  voûtée  en  plein-cintre  de  la 
façade  nord. 

— Ici,  annonce  le  vénérable  cicerone  en  entrant  dans  une 
première  pièce  au  mobilier  luxueux,  nous  sommes  dans  le 
salon  du  prince  de  Galles.  Placés  comme  nous  le  sommes, 
c’est-à-dire  au  milieu  de  la  façade  nord  et  tournant  le  dos  à 
la  Seine,  nous  avons,  à notre  gauche,  la  salle  à manger 
{tUning  room]^  et,  à notre  droite,  le  salon  de  réception 
(draiving  room).  Devant  nous  s’ouvre  un  large  corridor  cou- 
rant entre  l’escalier  principal  et  l’office,  et  aboutissant  au 
grand  hall,  décoré  d’une  superbe  collection  de  tapisseries 
de  sir  Edward  Bnrne-Jones,  exécutées  par  Morris.  Ge  hall, 
avec  la  bibliothèque,  occupe  presque  entièrement  la  façade 
sur  la  Rue  des  Nations.  Au  milieu  de  la  façade  de  l’est,  la  seule 
qui  n’ait  pas  de  porte  donnant  accès  de  l’extérieur,  se  trou- 
vent le  second  escalier,  les  W.-C.,  le  lavabo,  le  poste  du 
portier.  Deux  ascenseurs  de  service,  un  dans  l’office  et  un 
dans  le  second  escalier,  mettent  le  rez-de-chaussée  en  rela- 
tion rapide  avec  l’étage  supérieur. 

— Alais...  c’est  tout  un  vaste  appartement,  sans  chambres 
à coucher  ! 

— C’est,  cher  monsieur  Verduret,  l’appartement  réservé 
dans  l’Exposition  à l’héritier  de  la  conronne  d’Angleterre. 

— Et,  comme  l’Exposition  est  fermée  la  nuit  et  que  per- 
sonne n’est  autorisé  à y demeurer... 

— L’installation  de  chambres  à coucher  ei'it  été  un  non 
sens:  cher  monsieur  Verduret,  vous  ôtes  la  logique  même. 

— Vous  savez,  observe  gravement  M"’"  Flore,  c’est  tout  à 
fait  bien  ici...  Il  n’y  a pas  à dire  : nous  n’avons  pas  d’appar- 
tement organisé  et  meublé  comme  cela,  à Essonnes  ! 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Cela  vient,  chère  madame,  de  ce  que,  jusqu’ici,  le 
prince  de  Galles  a plutôt  préféré  Paris  à Essonnes,  mais...  il 
ne  faut  désespérer  de  rien. 

^ Tu  as  perdu  une  belle  occasion  de  te  taire  ! bougonne 
Bêchard  à l'oreille  de  sa  femme.  Pour  la  première  fois,  ou 
presque,  que  tu  ouvres  la  bouche  depuis  la  visite  de  cette 
matinée,  tu  n'as  pas  la  main  heureuse  ! 


.V.\’r,i,.us  i.’Exi'osn'iON. 


]\lnie  piorc  rougit,  conlusc,  et  le  centenaire  reprend  ; 

Avant  de  vous  inviter  à me  suivre  au  premier,  je  tiens 
à vous  e.vprimcr  combien  je  me  sens  à l’aise,  en  cet  appar- 
tement royal,  pour  dire  tout  le  bien  que  je  pense  de  l’aristo- 
cratie britannique.  Affabilité,  tact,  correction,  compréhension 
large  de  la  vie,  clarté  dé  l’esprit,  solidité  des  sympathies, 
générosité,  le  gentleman  — une  expression  que  I on  vulga- 
rise à tort  — a à peu  près  tout  pour  lui. 

F'ourtant,  la  Chambre  des  lords  approuve... 


l’UOMENAIJE  AU  OUAl  I)  OKSAV 


09 


— Monsieur  Verduret,  nous  ne  parlons  pas  politique. 
Elle  serait  ici  déplacée.  Si,  dans  tons  ces  Pavillons  étrangers 
que  je  vous  ai  t'ait  visiter,  je  me  suis  |)lù  à vous  dessiner  des 
silhouettes  de  peuples  et  de  personnalités,  c’est  uniquement 


Types  .vngeais  et  hindous. 

Femmes  et  .ieu.nes  filles  de  Guhkas  et  de  Madhas. 


au  point  de  vue  ethnique'  des  caractères  de  race  et  «les  va- 
leurs individuelles.  Ainsi,  au  sujet  de  cqüq  gentr/j  anglaise, 
je  suis  sûr  de  n’ètre  contredit  ni  en  Angleterre  ni  en  France 
en  affirmant  qu’il  n’est  aucune  sélection  humaine  avec  la- 


70 


A ÏRAVEIIS  l'exposition  • 


quelle  notre  élite,  à nous,  entretienne  un  plus  agréable  com- 
merce d’excellentes  relations.  Je  me  crois  en  droit,  par  contre, 
de  dire  francliement  que  jamais  les  bourgeoisies  et  les  peu- 
ples d’Albion  et  de  France  ne  s’entendront  et  ne  sympathi- 
seront, car  tout  en  eux  est 
opposé:  pensée, sentiments, 
vertus...  et  jusqu’aux  vices 
— sans  compter  l’immc- 
moriale  hostilité  historique. 
Je  le  regrette,  mais  les  faits 
sont  tes  faits  et  on  ne  modi- 
fie pas  le  génie  même  des 
races. 

— Alors,  les  Anglais  se- 
ront toujours  nos  ennemis? 

— Pourquoi?  Deux  fa- 
milles de  mœurs,  d'humeur, 
de  religion  opposées  peu- 
vent très  bien  vivre  en 
bonne  harmonie  en  deux 
maisons  voisines...  11  n’y  a 
qu’à  tâcher  d’évi  ter  mutuel- 
lement et  avec  le  plus  grand 
soin  toute  discussion...  de 
mur  mitoyen...  Mais,  nous 
causons  — je  reconnais  que 
c'est  ma  très  grande  faute,  cette  fois  — et  nous  perdons  du 
temps.  Montons  au  premier,  où  je  veux  vous  montrer  la 
superbe  galerie  placée  au-dessus  des  salons  princiers  et, 
par  conséquent,  ayant  vue  sur  la  Seine. 

Lorsqu’ils  y sont  : 

— Cette  longue  galerie,  où  abondent  les  maitresses- 
œmvres  des  grands  artistes  anglais  drfunts  des  xvnù'  et  xix° 
siècles,  est  copiée  — sauf  la  disposition  des  fenêtres  qui  est 
commandée  par  la  reproduction  de  la  façade  de  Kingston 
llousc  — sur  la  galerie  fameuse  de  Knole  Park,  près  tie 
Sevenoaks,  dans  le  Comté  de  Kent. 

— Ft...  qu’ost-cc  que  Knole  Park?  demande  curieus<‘- 
ment  Bertande. 


SIR  ^VU,LIAM  AGXEW 

H.kRONNKT 

MLMBHt:  Di:  COMITK  Di:  PAVILLON  ROYAL 
imiTANNDML. 


PROMKNADi:  AU  QU'AI  D ORSAV 


71 


Lest,  mademoiselle,  une  des  plus  célèljres  parmi  les 
anciennes  demeures  baronniales  de  rAngleterre.  L’édilice 
est  consideralile,  llanc|ue  de  tours,  délendu  par  des  portes 
massives  à créneaux,  et  l’on  y voit  le  mélange  des  architec- 
tures des  trois  derniers  siè- 
cles. Le  parle  couvre  5 ou  h 
milles  en  circonférence  (de 
<S  à K)  kilomètres),  ce  qui 
donne,  n'est-ce  pas,  une 
haute  idée  — très  juste, 
d'ailleurs  — des  propriétés 
se igneu  riales  d 'ou  tre-ÎMan- 
che.  Ce  château  possède  une 
galerie  de  tahleanxiles  plus 
remarquahles  ('fitien,  l'Al- 
hane,  Salvator  Rosa,  Rem- 
hrandt,  Ruhens,  Van  Llyck, 
llolhein,  Téniers,  etc.,  pins 
une  curieuse  collection  île 
])ortraits  anglais),  et  c'est 
sur  le  modèle  do  cette  ga- 
lerie qu'a  été  construitecelle 
de  ce  Pavillon. 

— décroîs  hien,  fichtre! 
qu'il  ne  faudrait  pas  que  le 
feu  prenne  ici  ! murmure  Yerduret. 

— Aôh!...  les  trésors  de  le  Angleterre  hroùler!... 

— Rassurez-vous,  estimahle  mister  Puzzling  : non  seu- 
ement  le  coffre-fort  est  incomhustihle,  mais  on  a pousse  la 

précaution  jusqu  à installer  dans  les  dessous  un  poste  d'in- 
cendie avec  une  pompe  à vapeur  ! Vous  voyez  que  le 
«Comité»  du  Pavillon  est  composé. d’hommes  que  Pou  ne 
pourra  accuser  d’imprévoyance. 

— Je  vois,  moi,  qn'en  le  cas  présent,  étant  donné  la 
ioule  qui  envahit  sans  cesse  céant,  c’est  un  véritable  Comité 
de  Salut  public!  s’écrie  Verduret,  tout  jovialement  fier  de 
faire  « un  mot  ». 

■ — Hum!  rectifie  le  centenaire,  je  n’imagine  pas  bien  un 
comité  révolutionnaire  avec  des  noms  tels  que  ceux  : du 
major  général  sir  Arthur  Ellis  (président)  ; de  sir  ^Villiam 


M.  THOMSON  I,Y()N 

SKCKÉT.UHK  DR  COMITÉ  DU  P.VVILLON  H0Y.\L 
RHITANNR^CK. 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


12 


Agnew,  baronnet;  de  sir  William  Murray  Scott,  également 
baronnet;  de  sir  Cbarles  Tennant,  toujours  baronnet;  de 
Mr  Piirdon  Clarke,  directeur  du  South  Kensington  Muséum  ; 
de  Mr  Montagne  Ouest,  du  professeur  G.  Attehison,  prési- 
dent du  (<  Royal  Institut  » des  « Architectes  britanniques  »; 
du  colonel  Jckyll,  Commissaire  général  britannique  à 
l'Exposition  de  1900;  enfui  du  très  aimable  secrétaire  du 
Comité,  M.  11.  Thomson  Lyon  ! 

— Bigre,  vous  avez  raison;  mes  « sans-culottes  » n’ont 
qu’à  battre  en  retraite...  si  peu  que  cela  fût  dans  leurs  habi- 
tudes. Excusez  donc  ma  facétie  qui  se  trompe  de  porte,  et 
laissez-moi  vous  dire  ma  surprise  d'apprendre  que  le  Com- 
missaire général  britannique  est  un  colonel. 

— Mon  cher  monsieur  Verduret,  dans  une  nation  fonciè- 
rement militaire  ou  sérieusement  militarisée,  les  militaires 
ne  sont  que  militaires...  à moins  qu'ils  ne  se  reposent  en  se 
faisant  des  savants,  des  tccliniciens.  Les  officiers  des  grandes 
armées  si  instruites  du  présent  craindraient  de  n’ètre  plus  à 
la  hauteur  des  devoirs  des  hauts  commandements  s'ils  se 
distrayaient  do  l'étude  constante  de  leurs  sciences  spéciales 
et  des  incessants  perfectioiinenieuts  de  la  tactique  et  de  l'ou- 
tillage guerrier.  11  n’en  est  pas  de  môme  on  Angleterre  où, 
comme  je  vous  l’ai  dit,  ou  en  est,  au  point  de  vue  militaire, 
sauf  en  ce  qui  concerne  les  nécessités  des  modifications  de 
l’armement,  à peu  près  encore  à 18oo  ou  1860,  et  vous  savez 
qn’alors  on  demandait  surtout  aux  officiers  d’être  braves  et 
d’avoir  du  coup  d’œil  ; or,  les  officiers  anglais,  s’ils  n’ont  pas 
toujours  un  impeccable  coup  d’œil,  sont  tous  d’une  parfaite 
bravoure. 

« Le  colonel  Hubert  Jckyll,  Commissaire  général  à notre 
Exposition  est,  dans  l’armée  anglaise,  un  officier  des  plus 
remarquables.  Brillant  élève  de  Woolwich,  il  appartient 
à l’arme  savante  du  génie.  11  fut  cité  plusieurs  fois  à 
l’ordre  du  jour,  en  1874,  dans  la  campagne  contre  les 
Ashantis.  A son  retour,  il  devint  secrétaire  privil  du  Ministre 
des  Colonies,  puis  secrétaire  du  « Comité  de  la  défense 
nationale  » et  de  la  « Commission  chargée  do  faire  prévaloir 
les  intérêts  du  commerce  britannique  ».  11  redevient  ensuite 
secrétaire  de  l’ancien  Ministre  des  Colonies,  comte  Carnavon, 
appelé  au  poste  de  vice-roi  d’Irlande;  il  va  organiser  l’Expo- 


PRO.MENADIi  AU  QUAI  d’oRSAV 


7;{ 


sition  de  Melbourne,  puis  reprend  la  situation  de  secrétaire 
auprès  du  nouveau  vice-roi  d Irlande,  lord  llnughton...  » 


— Ah!  bien,  dans  cette  succession  de  postes  plutôt  civils, 
il  a dû  quelque  peu  se  brouiller  avec  l’art  de  diriger  les 
lortifications  de  siège  ou  de  campagne. 

l'J 


A TKAVEKli  l’e\1'Oï>IT1ÜN.  — T.  MI.  — 1 


74 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOIN 


— Nullement.  Les  perfectionncmenls  de  son  arme 
n'allaient  pas  assez  vile,  en  son  pays,  pour  distancer  un 
homme  intelligent.  Aussi,  après  ces  diverses  lonctions,  prit- 
il  sans  effort  le  commandement  du  génie  de  la  circon- 
scription de  Cork,  pour  venir  ensuite  organiser  la  défense 
de  l'industrie  anglaise  sur  le  pacifique  champ  de  bataille  de 
l’Exposition  de  1900. 

— Vous  avez  beau  dire,  je  ne  vois  pas  la  France  envoyant 
le  colonel  Marchand  commander  la  section  française  à une 
exposition  universelle  de  Londres. 

— Parce  que  vous  jugez,  comme  toujours,  avec  des  yeux 
français;  mettez-vous  au  point  de  vue  anglais  et  vous  trou- 
verez cela  tout  naturel.  D’ailleurs,  le  colonel  Jekyll  n est 
pas  le  seul  militaire  que  la  grande  puissance  navale  voisine 
ait  délégué  à l organisation  de  1 e.xhibition  britannique. 

— C’est  vrai,  ne  venez-vous  pas  do  dire  que  le  president 
du  Comité  du  Pavillon  était  un  général  ’? 

— Oui,  le  major-général  sir  Arthur  Ellis.  Mais  ce  n’est 
pas  de  lui,  demeuré  dans  les  hautes  sphères  lointaines,  que 
je  veux  parler;  c’est  d’un  ancien  vaillant  otticier  comptant 
trente  années  de  bons  services,  sur  les  fortes  épaules  de  qui 
a porté  tout  le  poids  de  l’organisation  de  l'exposition  an- 
glaise, la  plus  importante,  je  crois,  des  sections  étrangères; 
c’est  du  Commissaire  général  adjoint  qui,  présent  à Paris, 
qu’il  habite,  a,  des  la  première  heure,  été  la  cheville  ou- 
vrière de  toute  l’ceuvre  ; Mr  Spearman. 

— Cela  fait  trois  ofliciers,  calcule  d’emblée  le  mathéma- 
ticien Bèchard. 

— Et  remarquez,  on  passant,  poursuit  le  centenaire,  que 
ce  sont  trois  officiers  de  l’armée  de  terre. 

— Tiens,  c’est  vrai.  Pourquoi  pas  un  marin,  dans  le 
nombre,  pour  varier? 

— Parce  que,  cher  monsieur  Verduret,  la  marine  est  la 
vraie  armée  de  1 Angleterre,  celle  qui  travaille  sans  cesse 
pour  garder  la  suprématie  maritime,  et  dont  on  ne  distrait 
pas  les  cbefs,  toujours  tenus  en  haleine. 

— Pourtant,  chez  nous,  où  la  marine  est  moins  impor- 
tante que  l’armée  de  terre,  l’une  comme  1 autre... 

— N’essayez  pas  do  comparer,  cher  monsieur  : la  b rance 
est  une  nalion  et  militaire  et  maritime  ; l’Angleterre  est 


PROMENADE  AU  QUAI  d'oRSAY 


7o 


la  nation  la  plus  {missamment  maritime,  mais  n'est  lias 
une  nation  militaire.  Tout  te  secret  est  là...  Mais,  laissez- 
moi  revenir  à,  Mr  Spearman,  si  laborieux  et  si  courtois. 

ont  soldat  de  carrière  qiTil  a été,  il  est,  bel  et  bien 
de  souche...  exposilion-  ’ 

niste. 

— Hein  ? 

— Oui,  et  au  premier 
chef.  Son  père,  le  « Très 
honorable  sir  Alexander 
Spearman,  baronnet.  Con- 
seiller privé  de  lier  Ma- 
jesty  the  Qaeen  Vicloria  », 
était  membre  de  la  Com- 
mission royale  qui  fut 
chargée  de  préparer  la 
P r e m i è r e des  grandes 
expositions  universelles, 
colle  qui  fut  ouverte  à 
Londres  en  1851,  et  dont 
je  vous  ai  dit  un  mot,  si 
vous  vous  souvenez,  lors 
de  notre  première  ren- 
contre, le  jour  de  votre 
arrivée  à Paris. 

— Parfaitement.  C'é- 
tait pendant  le  trajet  que 
nous  avons  fait  dans  votre  automobile  si  étonnamment 
légère,  pour  nous  rendre  du  Trocadéro  à l’avenue  Nicolas  IL 
C est  cela.  Donc,  Mr  Spearman,  après  avoir  fait  ses 
études  au  Collège  royal  d’Eton,  les  a complétées  en  Alle- 
magne et...  en  brance.  Comme  c’est  à Paris  qu’il  est  venu 
s installer  après  avoir  pris  sa  retraite,  vous  voyez  qu’il  est 
bien  1 Anglais  le  plus  Français  de  tous  les  éminents  orga- 
nisateurs de  la  Section  de  la  Grande-Bretagne.  Il  est  très 
sympathiquement  accueilli  et  hautement  estimé  dans  la 
société  parisienne  et,  en  quittant  l’épée,  sa  main  s’est  armée 
dune  plume  aussi  valeureuse  qu’elle.  11  envoie  de  Paris 
aux  revues  anglaises  des  études  très  appréciées  et  dont 
beaucoup  traitent  la  question  si  délicate  et  humaine  des 


iM.  SPEARMAN 

COMMISSAIRE  GÉNÉRAL  ADJOINT 
DE  LA  GUANDE-URETAGNE. 
(Cliché  Larger.) 


A TRAVERS  l’eXPOSIÏION 


7() 


réo'inies  pénitentiers,  quoslions  dont  il  s est  fait  une  spécia- 
lité qui  l'a  désigné  pour  représenter  la  Grande-Bretagne  au 
Congrès  pénitentiaire  international  qui  a été  tenu  à Paris  en 
181)5.  Inutile  d’ajouter  que  l’heureux  choix  fait  par  le  Gou- 
vernement de  la  Heine  a été  pour  hoaucoup  dans  les  excel- 
lentes relations,  toutes  de  complaisances  réciproques  et  de 
cordialité,  qui  n’ont  cessé  d’exister  entre  le  Commissariat 
«énéral  de  l’Exposition  et  le  Commissariat  hritannique...  Et 
maintenant,  puisqu’il  vous  reste  encore  un  Pavillon  étranger 
à visiter,  voulez-vous  que  nous  nous  y rendions? 

— Aôh  ! déjà  quitter  le  Angleterre  ! 

— Comment,  déjà?  riposte  \ erduret.  Mais,  sans  reproche, 
voilà  près  de  trois  quarts  d’heure  que  nous  venons  de  consa- 
crer à ce  Pavillon. 

— Et  il  me  semble,  bien  cher  mister  Puzzling,  ajoute  le 
vieillard,  que  je  n’ai  pas  ménagé  les  explications,  alors  que 
vous  en  étiez  si  sobre? 

Yes!  vô  avez  dit  hiaucoup  dos  chaôses...  et  surtout 

hiaucoup  des...  Aôh!  comment  vô  disez...  Ah!  yes:  des 
méchancetés. 

— C’est  de  votre  faute  aussi,  et  de  votre  seule  faute.  Si 
j'ai  articulé  un  peu  crûment  quelques  vérités  d’ordre  géné- 
ral, c’est  par  besoin  de  répondre  à vos  déclarations  de  supré- 
matie universelle,  envers  et  contre  tous,  de  tout  ce  qui  est 
anglais.  Savez-vous,  mister  Puzzling,  quels  sont  les  plus  ter- 
ribles ennemis  de  l’Angleterre? 

Yes  ! les  ridiquioulos  farmers  hollandais  du  South 

Africa. 

— Non,  mais  bien  les  Anglais  agressivement  intransi- 
geants tels  que  vous. 

— Aôh  ! 

— Et,  sur  cette  conclusion  ad  hominem,  quittons  Kingston 
House  et  les  brumes  du  Royaume-Uni  pour  le  beau  soleil 
de  la... 


CHAPITRE  IV 


PRINClPAlTli  DE  MONACO 


LE  l'LLiS  J'i:riT  É'I'AT  JJ  U MONDE 

En  quittant  lo  Pavillon  de  la  Grandc-Bi’etagne,  noire 
groupe  pi’ovincial,  sur  les  pas  très  fermes  du  centenaire,  se 
riiet  tranquillement  en  marche  dans  la  direction  du  pont  de 
1 Alma,  sans  quitter  la  teiTasse  du  hoiH  de  l’eau.  Pour  at- 
teindre Monaco,  but  de  sa  dei’nièi’e  station  parmi  les  Pavil- 
lons éti-angers  groupés  au  quai  d’Orsay,  il  lui  faut  longer 
les  territoires  parisiens  de  la  Belgique,  de  la  Norvège,  de 
rAllemagne  et  de  l’Espagne. 

Chemin  faisant,  le  cicei’one  antique  se  déhariaisse  de  son 
exorde  coutumier  précédant  visite. 

^ raiment,  dit-il  à ses  compagnons,  le  hasard  vous 
ollre,  pour  cette  tin  de  pi-omenade  au  quai  d’Orsay,  la  sui’- 
pi ise  du  plus  grand  contraste  qu’il  soit  possible  d’imaginer. 
Nous  quittons  la  plus  vaste  Puissance  du  monde,  celle  qui, 
sous  la  figure  tangible  de  ses  réseau.x  télégraphiques,  étend 
ses  bras  maigres  sur  le  globe  entier  qu’il  enserre  avec  une 
énergie  farouche;  la  Puissance  dont  la  formidable  marine 
fait  toiletter  le  pavillon  sur  toutes  les  mers,  qui  porte  la 


78 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


guerre  jusqu  en  les  parages  les  plus  lointains,  jetant  ses 
troupes  mercenaires  à la  conquête  de  toutes  les  terres  dont 
les  populations  faibles  ou  arriérées  osent  vouloir  vivre  hors 
de  sa  dépendance  au  moins  morale...  Et  voilà  que  nous 
allons  saluer  un  Etat  qui  tiendrait  presque  dans  Hyde  Park  ; 
qui  n'a  d'autre  prétention  de  conquête  que  celle  d attirer 
chaque  hiver  sous  sa  domination  aimable  une  plus  grande 
fonle  cosmopolite  d'élégantes  mondaines  et  leurs  galants 
cavaliers;  qui  n’a  pour  armée  que  dix  ou  douze  dizaines  de 
soldats  de  parade;  un  Etat  dont  toute  la  marine  nationale 
consiste  en  I nnique  Pruteesse  Alice,  le  beau  yacht  du  Prince 
qui  ne  compte  plus  ses  savantes  campagnes  maritimes. 

— Le  fait  est,  approuve  Verduret,  qu'entre  nn  pays  qui 
fait  voguer  une  armée  de  200,000  hommes  de  la  Métropole 
et  de  rinde  jusqu’au  Sud  de  l’Afrique,  et  un  antre  dont 
toute  l’armée  n’atteint  pas  l’elfectif  d’une  de  nos  demi-sec- 
tions commandées  par  un  de  nos  petits  sergents  plus  ou 
moins  imberhes,  il  y a de  la  marge  ! 

— Eh  bien  ! je  vous  assure  qu’un  habitant  do  Mars,  tom- 
bant ici  de  sa  planète,  aurait  toute  chance,  en  son  ignorance 
de  la  géographie  politique  de  notre  Terre,  de  prendre  bel  et 
bien  Monaco  pour  la  grande  puissance,  car  vous  allez  voir 
ce  que  Kingston  llouse  semble  médiocre  en  comparaison  du 
palais  de  la  petite  principauté. 

— Ce  qui  prouve  jme  fois  de  plus  qu’il  ne  faut  pas  se  fier 
aux  apparences,  poursuit  sentencieusement  le  grave  tariiiier 
d’Essoiines. 

— Bien  parlé,  monsieur  Bêchard  !...  Il  est  évident  que 
si  le  Martien  que  j'imaginais  poussait  sa  visite  au  delà  de 
cotte  Bue  des  Nations,  son  opinion  changerait  vite  du  tout 
au  tout  ; de  Monaco,  pas  trace  dans  les  sections  et  au  Tro- 
cadéro,  où  l’Angleterre  réclame  l'attention  à chaque  pas. 

— Ce  qui  veut  dire,  traduit  Verduret,  que  toute  1 expo- 
sition do  la  princi[)anté  est  contenue  dans  son  Pavillon.  Je 
me  demande  même,  puisque  vous  dites  ce  Pavillon  si  impor- 
tant, comment  cet  Etat  moins  peuplé  qu  une  seule  rue 
moyenne  de  Paris  a bien  pu  taire  pour  le  meubler  de  ses 
produits  agricoles  et  industriels? 

— Eh  ! eh  ! Monaco  est  un  petit  port  de  pêche  et  de  com- 
merce très  actif  ; il  possède  des  manufactures,  tissus  de 


PROMENADE  AU  OUAI  D ORSAY 


79 


coton  et  distilleries  d’essences  ; il  récolte  de  très  beaux  fruits 
et  des  fleurs  merveilleuses...  Et  puis,  moralement,  n'est-il 
pas  l’égal  de  la  Russie,  de  l'Angleterre  ou  de  la  France 
puisque,  comme  elles,  il  est  Etat  indépendant?...  Avant  que 
nous  arrivions  devant  le  Pavillon,  je  n’ai  pas,  vous  le  com- 
prenez, à vous  parler  de  ce  pays  microscopique  et  charmant. 
11  est  trop  connu.  Perché  pittoresquement  sur  son  rocher,  il 
est  a la  fois  banlieue  de  Nice  et  du  quartier  des  Champs- 
Elysées.  Et  puis,  pour  vous  le  décrire  dans  sa  note  si  parti- 
culière de  rendez-vous  mondain,  au  lieu  de  l'aigre  voix  d’un 
pauvre  vétuste  érudit  tel  que  moi,  toujours  occupé  de  vieux 
livres  et  de  sciences  neuves,  il  vous  faudrait  la  parole  auto- 
risée d’un  élégant  oisif,  habitué  des  sensations  du  « Trente 
et  Quarante  » et  de  « la  rouge  ou  la  noire  ».  Dans  l’esprit 
du  public,  Monaco,  c’est  son  Casino,  accidentellement  ses 
régates.  Vous  allez  voir,  puisque  nous  voici  arrivés,  qu’il 
est...  aiRre  chose,  grâce  à l’orientation  supérieure  que  son 
Souverain  a donnée  à ses  propres  clforts  et  à sa  vie... 


Mais  ses  auditeurs  n’écoutent  plus  le  centenaire;  ils  con- 
templent. Ils  n ont  pas  assez  d’yenx  pour  admirer.  Pour- 
tant, leurs  sensations  sont  essentiellement  diverses. 


— Comment  trouvez-vous  cela?  demande  le  vieillard  en 
les  observant. 

C est...  c est  <■  riche  » ! déclare  tout  de  suite  iM'""  Flore. 
••••  ^ Gst  très  grand  ! formule  le  fariniei-... 

IA  cette  tour...  Voyez  donc  ce  qu’elle  est  haute  ! 


A son  tour,  Verduret,  d'un  air  amateur  et  extasié,  ex- 
prime : 


Cest  à la  lois  coquet,  somptueux  et  imposant;  cela 
vous  a lin  double  caractère  de  château  fort  moyenâgeux  et 
de  palais  moderne  qui  enchante  l’œil  ! 

Et  vous,  mademoiselle  Bertrande? 

■ 'iioij  je  regarde  et  ne  dis  rien,  car  si  je  par- 
lais, mon  oncle  me  gronderait. 

— Moi,  petite?  Et  pourquoi  ? 

— Parce  que,  en  contemplant  ce  beau  Pavillon,  je  me  dis 
quil  est  dommage  que  l’on  no  construise  ces  superbes  de- 
meures que  pour  les  Altesses  Sérénissimes,  sans  cela... 


PROMENADE  AV  QUAI  d'oRSAV 


81 


— Sans  cela  ? 

— Mon  oncle,  vous  rêvez  pour  moi  un  époux  excep- 
tionnel... Eh  Lion,  s’il  voulait  et  pouvait  mettre  un  joli 
château  de  rêve  comme  celui-là  dans  ma  corbeille  de  ma- 
riage... 


BIOXACO.  — L’ilKtl.  DE  LA  TOUR  DU  PAVILLON. 


— Veux-tu  bien  te  taire!  Serais-tu  assez  sotte  pour  (o 
laisser  prendre  à la  folie  des  grandeurs? 

— Là,  vous  voyez  bien  que  vous  me  grondez! 

— Et  je  prétends  que  monsieur  votre  oncle  a tort,  made- 
moiselle, déclare  d’une  voix  bizarre  le  vieillard.  Sait-il  si 


82 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


celui  qui  aura  l’honneur  de  votre  choix  ne  sera  pas  capable, 
tôt  ou  tard,  de  satisfaire  votre  rêve  somptueux? 

— Ah  ! je  vous  en  prie,  s’écria  Verduret,  n'allez  pas  lui 
mettre  de  pareilles  idées  en  tète  ! 

— Je  me  le  tiens  pour  dit,  cher  monsieur,  et  je  m’em- 
presse, pour  détourner  le  cours  des  idées  — que  vous  jugez 
dangereuses  — de  mademoiselle  votre  nièce  et  pupille,  de 
répondre  à chacune  de  vos  exclamations.  M'"'’  Bcchard  trouve 
ce  Palais  do  bois  et  de  stalT  très  riche;  si  Monaco  ne  faisait 
pas  riche,  qui  donc  l'oserait?  M.  Bechard  le  trouve  grand  : 
il  l'est,  mais  il  l'est  plus  d’aspect  que  par  ses  proportions 
réelles.  La  concession  de  terrain  accordé  à la  IVincipauté 
mesure  38  mètres  sur  3.3.  L'édifice  provisoire  se  compose  de 
doux  parties  : 1“  le  Pavillon  proprement  dit  qui  a 28"'30  de 
façade  principale  (c’est-à-dire  celle  perpendiculaire  à la 
Seine  et  devant  laquelle  nous  sommes),  sur  23  mètres  de 
profondeur;  2”  la  tour  qui  a pour  base  un  carré  de  8 mètres 
de  côté  et  qui  atteint  la  jolie  altitude  de  48  mètres.  Pour  ré- 
pondre à M.  Verduret,  je  n’ai  qu'à  indiquer  que  te  Pa- 
villon reproduit  quelques-unes  des  principales  parties  du 
Château  de  Monaco,  qui  est,  en  efl'et,  de  plusieurs  époques. 
Mais,  je  reviendrai  dans  un  instant  sur  ce  sujet.  Quant  au 
vœu  formulé  par  M""  Bertrande,  je  me  garderai,  à mon 
tour,  de  ne  rien  ajouter  à mes  paroles  qui  m’ont  fait  gron- 
der, moi  aussi...  Et  puisque  Mr  Puzzling  n’a,  selon  son  ha- 
bitude, exprimé  aucune  pensée,  il  ne  sera  pas  étonné  que 
je  réponde  par  un  prudent  silence  au  froid  brouillard  de  ses 
impressions  artistiques.  Avant  de  vous  donner  quelques  in- 
dications sur  ce  Pavillon,  laissez-moi  vous  dire  rapidement 
à quel  groupe  il’hommes  d'incontestahle  valeur.  Son  Altesse 
le  prince  de  Monaco  a confié  le  soin  d’organiser  la  repré- 
sentation de  la  principauté  à l'Expositiou  de  1900. 

— Parfait;  le  petit  défilé  du  Commissariat  général. 

— Comme  vous  dites,  monsieur  Verduret.  Jusqu'au  dé- 
but de  cette  année,  le  Commissaire  général  était  M.  le  baron 
du  Charmel,  ministre  plénipotentiaire  du  prince  à Paris. 
Quelques  semaines  avant  l’ouverture  de  l'Exposition,  il  a ré- 
silié ses  fonctions  entre  les  mains  du  Commissaire  général 
actuel,  M.  de  Pelley,  directeur  de  la  Société  des  Câbles  trans- 
atlantique, un  administrateur  de  premier  ordre,  officier  de 


PROMENADE  AU  QUAI  d'oRSAY 


83 


la  Légion  d’honneur  et  français  --  cela  va  sans  diia!  — la 
Principauté  enclavée  dans  notre  département  des  Alpes- 
Maritimes  étant  « virtuellement  » française  tout  en  étant 
exclusivement  monégfisque.  M.  de  Pelley  s’est  déjà  occupé 
d expositions,  et  c)i  particulier,  a joué  un  rôle  dans  celle  de 
1889.  Le  Commissaire  délégué  est  M.  Camille  Blanc,  l’uni- 
versellement  connu  et  apprécié  Président  du  Conseil  d’ad- 
ministration de  la  Société  des  Bains  de  Mer  et  Cercle  des 
Etrangers  de  Monte-Carlo.  Sportman  di  primo  carteUo , 
M.  C.  Blanc  est  président  du  Conseil  de  la  Société  du  Tat- 
tersall,  et  possède  une  écurie  de  courses  presque  aussi  re- 
nommée que  celle  de  son  frère.  Il  est  le  président  du  Comité 
d’organisation  de  l’exposition  monégasque  dont  les  membres 
sont  MM.  Eugène  de  Millo,  Delefortrie,  Cabireau,  Jenty,  etc. 
Le  secrétaire  du  Commissariat  est  le  distingué,  aimable  et  très 
sympathique,  secrétaire  de  la  rédaction  du  Figaro  Gaston 
Calmette.  Avec  une  telle  cohorte  pour  porter  son  drapeau, 
la  principauté  de  Monaco  ne  pouvait  que  marcher  à un  écla- 
tant succès,  ce  qui  a lieu.  Maintenant,  jetons  un  coup  d’œil 
sur  le  Pavillon,  situé,  comme  vous  voyez,  entre  ses  deux 
collègues  d’Espagne  et  de  Grèce. 


.m 

:monaco  a paris 

Alors,  dit  Verduret,  ceci  est  une  reproduction  du  (ihà- 
teau  de  Son  Altesse  à Monaco. 

— Beproduction  est  un  terme  impropre.  Le  Château  de 
Monaco,  sans  remonter  aux  temps  préhistoriques  où  Denys 
d llalicarmasse,  Diodore  de  Sicile  et  d’autres  historiens  veu- 
lent que  la  ville  do  Monaco  ( llcrculix  i\fonœci  Por/as)  ait  été 
londée  par  Hercule  allant  en  Espagne  combattre  Géryon, 
voit  remonter  sa  construction  à une  antiquité  assez  reculée  ; 
mais  il  a été  agrandi  par  des  annexes  de  dilférentes  époques 
et  ayant  par  conséquent  des  styles  ililférents.  11  est  très 
vaste,  ave  cses  tours  surmontées  de  créneaux,  et  qui  sont  do 


1 


PAUÏÉ  DE  MONACO 


86 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOIS 


style  mauresque,  ses  riches  galeries,  ses  salles  d'houneur, 
sa  chapelle  et  ses  jardins  étagés  en  terrasse.  Ce  Pavillon 
d’exposition  ne  peut  donc  en  être  une  reproduction,  au 
sens  exact  du  mot;  mais,  comme  je  vous  l'ai  dit,  il  en  repro- 
duit quelques  fragments  saillants.  Ainsi,  de  concert  avec 
iM.M.  Médecin  et  Marquet,  les  architectes  monégasques, 
M.  Teissier,  l'architecte  français  du  Pavillon...  (Ah!  que  je 
vous  dise  tout  de  suite  que  M.  Teissier  est  un  jeune,  étant 
né  à Marseille  en  1869,  et  que,  éléve  de  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts,  il  est  bien  connu  à Monte-Carlo  pour  y avoir  été  chargé 
de  travaux  importants  eu  1897  et  1898)...  ainsi,  disais-je 
les  architectes  ont  exprimé,  dans  cette  belle  tour  qui  s’élève 
au  bord  de  la  Seine,  une  réminiscence  des  vieilles  tours  que 
possède  encore  — et  surtout  qu’a  possédées  — le  Cbâteau. 
De  même,  le  Pavillon  proprement  dit  est  un  assemblage  de 
plusieurs  motifs  empruntés  au  Château  moderno-féodal  du 
pittoresque  Cap.  Tenez,  par  exemple,  la  porte  principale  est 
la  reproduction  exacte  de  celle  du  Château  de  Monaco... 

A ce  moment,  un  mouvement  se  produit  parmi  le  Ilot  do 
visiteurs  qui  coule  lentement  par  la  Rue  des  Nations.  Le 
centenaire  tourne  vivement  la  tète  de  ce  côté.  Peu  amateur 
apparemment  des  poussées  populaires,  fussent-elles  interna- 
tionales, il  dit  rapidement  à ses  compagnons  : 

— Entrons,  je  vous  prie. 

EC  .i  oignant  l'exemple  au  précepte,  il  gravit  en  quelques 
enjambées  le  large  perron  et  pénètre  dans  le  Pavillon.  Nos 
provinciaux  seuls  l’y  rejoignent  aussitôt,  car  James-Gregory 
Puzzling — serait-il  devenu  curieux  et  badaud  comme...  uu 
Parisien?  — s'est  élancé  vers  le  point  où  se  produit  un 
léger  tumulte. 

Entraînant  les  deux  couples,  le  centenaire  descend  au 
sous-sol,  où  il  leur  montre  un  superbe  diorama  de  la  ville 
de  Monaco  vue  du  large,  et  qui  est  dû  au  pinceau  habile  de 
M.  Ulive,  peintre  de  marine  marseillais. 

Il  les  emmène  ensuite  à la  salle  de  Cinématographie;  là, 
ils  assistent  à une  intéressante  séance  où  défilent  les  clichés 
primés  au  Concours  de  bandes  cinématograDhiques  qui  a eu 
lieu  à Monaco  en  1899. 


PROMENAOrC  Ai:  QUAI  Tj’oRSAV 


87 


Laissant  nos  visiteurs  à leur  plaisir  double  de  la  surprise 
de  faire  connaissance  avec  cette  C(Mn  d'Azur  qu'aucun  d'eux 
ne  connaît,  le  vieillard  s est  un  moment  éclipsé.  Lorsqu’il 
revient,  c'est  avec  un  calme  souriant  qu’il  leur  dit  : 

— \ous  avez  bien  vu  ? Lh  bien!  remontons  visiter  le  rez- 
de-chaussée. 

11  les  promène,  tout  causant,  à travers  les  trois  grandes 
galeries  d'exposition  où  ce  ne  sont,  artistiquement  présen- 
tés, que  fruits  appétissants,  oranges  parfumées,  et  surtout 
des  plantes  et  des  (leurs,  et  des  Heurs  encore,  rares  et  belles, 
dont  1 atmosphère  est  embaumée...  et,  aux  murs,  des  pein- 
tures exquises  qui,  pour  six  mois,  ont  gracieusement  déserté 
la  principauté. 

Le  tour  lait,  il  les  conduit  dans  l'atrium  central  et  leur 
dit  : 

— Regardez,  et  faites-vous  une  idée  du  merveilleux  climat 
d’un  pays  où,  sur  un  rocher  s’avançant  dans  la  mer,  croît 
et  vit  un  arbre  pareil  ! 

— Mais...  c’est  un  palmier!...  et  un  palmier  géant  ! 

— Ce  palmier,  cher  monsieur  Verduret,  pèse  3,000  kilo- 
grammes. 

3,000  kil...  s écrie  Bèchard  que  ce  chilTre,  parce  que 
chiffre,  manque  de  faire  tomber  en  extase. 

Heureusement,  le  centenaire  ne  lui  permet  pas  cette  déro- 
gation a ses  principes  de  gravité.  Il  paraît  ne  pouvoir  tenir 
en  place,  le  singulier  vieillard;  et  c'est  presque  nerveuse- 
ment qu  il  invite  ses  compagnons  a gagner  le  iiremier  étage 

Il  leur  dit  : 

H y a,  en  réalité,  dans  ce  superbe  Pavillon,  deux  expo- 
sitions : celle  de  la  principauté  de  Monaco  et  celle  de  Son 
Altesse  Sérénissime  le  Prince  de  Monaco. 

Alors,  c est  comme  pour  la  Bulgarie,  oi'i  se  trouve  la 
très  belle  exposition  des  domaines  particuliers  du  Prince 
Ferdinand  ? 

— Cela  n’a  aucun  rapport. 

— Comment? 

— L’exposition  du  Prince  Ferdinand  est  encore  une  ex- 
position bulgare,  tandis  que  celle  du  Prince  de  Monaco  n’a 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


pas  le  moindre  lien  avec  son  petit  Etat.  Jngez-en.  Ce  que 
vous  avez  vu  jusqu’ici,  c'est  l’exposition  do  la  principauté  : 


dioramas  et  cinématogra[)hes  du  sons-sol,  fleurs,  fruits, 
plantes,  tableaux  du  rez-de-chaussée,  enfin  le  Pavillon  lui- 
même  qui  montre  partiellement  aux  Parisiens  et  à leurs 


La  tour  du  I’ai.ais  de  Monaco. 


PRO^II'NADE  Al'  OL'AI  ij’oRSAY 


89 


BIonaco.  — La  I'ORTe  i'iii.ncu’ai.k  du  Pavii.lo.n. 


hôtes  le  vieux  cluiteau  du  Port  d Hercule.  A cette  exposition 
do  la  principauté  appartient  encore  la  superbe  galerie  du 
premier  étage  où  nous  entrons,  et  qui  est  située  sur  la 


90 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


façade  principale,  au-dessus  de  la  porte  maîtresse  du  Pa- 
villon. 

— Elle  est,  en  ell'et,  magnifique,  cette  galerie.  Est-ce 
qu'elle  est  une  reproduction? 

— C’est  la  reproduction  rigoureusement  exacte  de  celle 
qui,  au  château  méditerranéen,  porte  le  nom  de  « Galerie 
(l'Hercule  ».  Véritable  chef-d’œuvre  d'architecture,  avec  ses 
colonnes  si  légères  et  son  luxe  d’ornementations,  de  motifs, 
de  peintures.  Regardez  attentivement  ces  fresques  qui,  en 
])lusieurs  panneaux  nés  sous  les  maîtres  pinceaux  de  l'ar- 
tiste monégasque  M.  Eissore  et  de  son  collaborateur  x\l.  Eau- 
trew,  représentent  les  plus  célèbres  douze  travaux  légen- 
daires d’itercule.  Vous  savez  que  ce  héi'os,  dont  l’antiquité 
grecque  a fait  un  demi-dieu,  ayant  tué  sa  femme  iMégare  et 
ses  enfants  dans  un  accès  de  folie,  dut,  pour  expier  ce 
crime  involontaire  et  sur  l'ordre  de  son  frère  le  roi  Eu- 
rysthée,  accomplir  une  série  mémorable  d’exploits  consi- 
dérés comme  surhumains,  mais  dont  sa  force  extraordinaire 
lui  permit  de  sortir  à son  honneur.  11  combattit  et  tua  le 
lion  formidable  de  la  forêt  de  Nemée  ; tua  l’hydre  de  Lerne; 
prit  vivant  le  sanglier  d'Erymantbe  ; s’empara  à la  course 
— une  course  d'une  année  — de  la  biche  fugace  et  rapide 
dont  les  cornes  étaient  d'or  et  les  pieds  d’airain,  ce  qui  ne 
l’empêchait  pas,  parait-il,  de  bondir  avec  autant  de  légèreté 
([ue  s’ils  eussent  été...  de  caoutchouc;  perça  de  scs  tlèchcs 
les  oiseaux  du  lac  Stymphale;  dompta  le  taureau  de  Pile  de 
Crète;  enleva  les  cavales  (jue  le  roi  de  Thrace,  Diomède, 
nourrissait  criminellement  de  chair  humaine;  vainquit  les 
redoutables  Amazones,  ce  qui  manquait  peut-être  un  peu  de 
galanterie,  et  leur  enleva  leur  reine,  ce  qui  est  tout  à fait... 
talon  rouge;  nettoya  les  écuries  du  malpropre  xCugias  en 
détournant  sur  elles  le  cours  du  tlcuve  Aljdiée,  et  l’on  ne 
dit  pas  que  les  commissions  sanitaires  du  temps  lui  aient, 
pour  cette  œuvre  magistrale  d’assainissement,  fait  décerner 
le  moindre  prix  Montyon  ; il  combattit  et  tua  Géryon  et  lui 
subtilisa  — héroïquement,  bien  entendu  — ses  nombreux 
troupeaux;  il  enleva  les  pommes  d’or  du  Jardin  des  llespé- 
ride  ; enfin,  enchaînant  le  farouche  Cerbère,  concierge  des 
Enfers,  il  délivra  Thésée  du  noir  séjour.  Or,  mes  chers  au- 
diteurs, vous  voyez  ici  plus  encore  que  ces  Travaux  fameux. 


J'RdMKNADI:;  AC  QLAI  IJ(JRSAV 


91 


Combats  contre  l’Hydre,  le  Lion,  le  Gladiateur,  etc.,  pnis- 
qu  un  panneau,  prenant  Lhistoire  fantastique  du  héros  à 
son  origine,  vous  montre  la  Naissance  d'ilercnle.  Ces  pein- 
tuies  sont  faites  « a la  fresque  »,  c’est-à-dire  à la  détrempe 
sur  enduit  frais.  En  levant  les  yeu.v,  vons  ne  pourrez,  si 
peu  de  sang  artiste  que  l’atavisme  vous  ait  mis  dans  les 
veines,  qu’admirer  les  très  remarquables  plafonds  de  cette 
merveilleuse  galerie,  lesquels  sont  peints  dans  le  style  ra- 
phaélisque. 

Ma  parole,  déclare  \'erduret  d’un  air  convaincu,  on  se 
croirait  ici  dans  une  salle  du  Louvre  ! 

— Voilà,  poursuit  le  vieillard,  de  qui  l’articulation  se 
lait  de  pins  en  pins  rapide,  comme  s’il  avait  une  hâte  de 
pins  eu  plus  grande  de  terminer  au  plus  tôt  son  rôle  de 
cicerone,  voilà  — en  y ajoutant,  si  vous  voulez,  le  très  beau 
salon  de  réception  de  la  tour,  salon  de  style  Louis  XVI,  et 
tout  entouré  de  loggias  à l’italienne  — voiïà,  dis-je,  l'expo- 
sition de  la  Principauté  de  Monaco,  l'assons  à celle  du 
Prince,  qui  occupe  tout  le  premier  étage  du  Pavillon. 

— Toutes  ces  vitrines  ? 

Gni,  ce  sont  les  précieuses  collections  qui  résument 
1 œuvre  de  Son  Altesse  Sérénissime,  œuvre  maritime  de 
haut  inlérèt  universel  et  humain. 

— Et  cette  œuvre  ? 

C est  la  consécration  de  toute  une  existence  à ta  grande 
science  nouvelle  de  l’Océanographie.  Le  Prince  est  nn 
marin.  Il  consacre  sa  vie  et  une  part  de  ses  gros  revenus  à 
pénétrer  les  mystères  de  1 abîme.  Faisant  croisière  sur  croi- 
sière à bord  de  son  beau  yacht  galamment  baptisé  dn  nom 
de  la  Princesse  Alice,  nn  yacht  qui  est  en  môme  temps  un 
laboratoire  de  savant,  il  fait  sous  toutes  les  latitudes, 
chaudes  comme  glacées,  des  dragages  et  des  sondages 
incessants  qui  révèlent  an  monde  les  curiosités  incon- 
nues des  fonds  marins,  de  leur  flore,  de  leur  faune;  il  étudie, 
en  un  mot,  toutes  les  particularités  de  la  vie  sous-marine. 
Près  du  pôle,  il  découvre  des  rades  et  des  ports  sûrs  de 
refuge  pour  les  expéditions  scientifiques  dans  ces  inhospi- 
taliers parages  ; dans  les  océans,  grâce  à sa  qualité  de  chef 
d Etat,  il  a pn  organiser  par  toutes  les  marines  des  lancers 
de  bouteilles  qui  ont  permis  de  connaître  le  régime  — - 


92 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


marche,  direction,  vitesse  — des  courants,  connaissance  si 
précieuse  à la  navigation.  Un  peu  partout  il  a pu  dresser  des 


cartes  des  fonds  et  révéler  aux  naturalistes  des  milliers  de 
formes  de  la  vie  inconnues  avant  ses  patients  et  nobles  tra- 


vaux...  Voila  1 œuvre  du  Priuco,  et  ecUe  œuvre  est  écrite 
eu  lettres  de  gloire  dans  ces  nombreuses  vitrines...  (]ue  je 
vous  invite  à étudier  avec  attention  et  respect,  mais  sans 
moi,  si  vous  le  permettez. 

— Comment,  vous  quittez? 

— II  le  Tant.  Cn  rendez-vous  ui-gent  m’a[)pelle  ailleurs, 
pour  le  moment.  iMais,  rassurez-vous,  je  ne  vous  abandonne 
pas. 


Et,  prenant  Verduret  sous  le  bras,  il  l emmène  un  peu  à 
l'écart. 

— Cher  monsieur,  lui  dit-il,  voulez-vous  me  permettre  de 
profiter  de  l'absence  de  Mr  Puzzling  pour  vous  indiquer  l'iti- 
néraire  que  je  vous  serais  obligé  de  suivre  pendant  Plieurc 
environ  où  il  me  tant  me  priver  de  votre  aimable  société? 


1)4 


A TRAVERS  l’exposition 


— Mais,  comment  donc,  cher  monsieur.  Nous  vous 
devons  Irop  de  reconnaissance  pour  ne  pas  obéir  aveugle- 
ment à vos  excellentes  indications. 

— Aveuglement  et.. . discrètement? 

— Je  ne  comprends  pas. 

— Je  m'explique.  Je  vous  avoue  que  rétornelle  présence 
de  cet  Anglais  à nos  petites  conférences  expositionnistes  me 
produit  un  elTct  d'agacement  tout  particulier  — vous  avez 
vu  qu’au  l'avillon  britannique  je  n’ai  pu  me  retenir  de  lui 
dire  des  choses  désagréables  — et,  puisqu’il  vous  a mo- 
mentanément quittés,  j’en  voudrais  profiter  pour  le  dépister. 

— Ma  foi,  pour  ma  part,  j'en  serais  ravi,  car  je  trouve  sa 
tenace  indiscrétion  tout  à fait  insupportable. 

— Eh  bien,  voici,  j’espère,  le  moyen.  Visitez  rapidement 
les  collections  princières  qui  sont  ici  et  sortez  du  Pavillon 
par  la  porte  du  bord  de  l’eau,  sous  la  Tour.  Mêlez-vous  à la 
foule  et,  rebroussant  chemin  adroitement,  entrant  pour  en 
ressortir  aussitôt  dans  quelques-uns  des  Pavillons  que  vous 
connaissez,  gagnez  la  station  qui  se  trouve  dans  la  Une  des 
Nations,  entre  les  Pavillons  du  Luxembourg  et  de  la  Perse. 
Là,  vous  n’aurez  que  peu  d'instants  à attendre  pour  voir 
arriver  quelqu’un  qnc  vous  connaissez  et  qui  vous  fera  faire 
une  intéressante  et  distrayante  excursion  sur  les  chemins  de 
fer  électriques,  trottoir  roulant,  etc.,  de  1 Exposition. 
Vous  verrez  qu’il  y a là,  pour  vous,  beaucoup  à apprendre. 

— Je  n’en  doute  pas,  et  cette  promenade  sera,  j’en  suis 
sùr,  charmante.  Mais  quel  guide  nous  donnez-vous  donc? 

— Vous  verrez.  Quami  vos  petits  voyages  seront  ter- 
minés, il  sera  bien  temps  que  vous  alliez  vous  reposer  en 
prenant  un  léger  goûter  ou  ([uelques  rafraîchissements  dans 
un  des  nombreux  bars  cosmopolites  qui  sont  aussi  nom- 
breux à l’Exposition  que  les  coquelicots  dans  un  champ, 
une  fois  reposés,  rendez-vous  à l’Exposition  du  Mexique, 
entre  le  pont  de  l’Alma  et  le  Palais  des  Armées  de  Terre  et 
de  iMer. 

— Au  grand  Pavillon  du  Mexique?...  Oui,  je  sais...  Mais 
pourquoi  ? 

— Parce  que  vous  m’y  retrouverez,  tout  prêt,  si  cela  ne 
vous  lasse  pas,  à vous  continuer  mes  explications. 

— Parfait.  Compris.  Votre  plan  est  excellent  pour  nous 


debarrasser  d’un  gêneur  et  je  ne  saurais  trop  vous  remercier 
de  votre  amabilité. 

Donc,  a tout  a l’heure,  au  Me.\ique.  Mais  surtout, 
gardez  pour  vous  seul  la  connaissance  de  notre  petit  com- 
plot. Je  crains  trop  les  indiscrétions  involontaires. 

— C’est  promis. 

— A bientôt  ! 


Et  le  centenaire,  saluant  de  la  main  le  groupe  intr 


iS  provinciaux,  s’éloigne  rapidement. 


Le  prochain  volume  aura  pour  litre  : 

LES  CIIEMLXS  DE  EEll  A L’EXPOSITION 
En  Tiiottüir  jiOLc.xNT  — El-;  Mcxinia; 

et  comprendra  : 

Le  Chemin  de  fer  électrique. 

La  Plate-forme  à deux  vitesses. 

Les  divers  moyens  de  locomotion  dans  l’intérieur  de  l’Exposition. 
Le  Palais  du  Mexique. 

Comme  dans  les  précédents  volumes,  de  nombreuses  illus- 
trations accompagneront  le  texte. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pages 

Chapitre  I®''.  — Pürtuoal 5 

§ I.  Éclectisme ^ 

§ II.  Lisbao 24 

Chapitre  II.  — D.vnem.\rk 29 

La  maison  danoise 29 

Chapitre  III.  — Cr.\nde-Bret.\gne 43 

§ I.  Puzzling  speaker 43 

§ II.  La  bigame 54 

§ III.  Un  musée  royal 02 

Chapitre  IV.  — Princh'-auté  de  Monaco 

§ 1.  Le  plus  petit  État  du  monde 77 

§ IL  Monaco  à Paris 83 


Pâlis.  — lmp.  MICHELS  et  Fils,  6,  8 et  lO,  rue  d’Alexandrie. 


A TRAVERS 

L’EXPOSITION  DE  1900 


XIII 

LES  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A L’EXPOSITION 
LE  MEXIQUE 


EN  VENTE  ; 


I.  L’Exposition  à vol  d’oiseau 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . 

III.  Le  Grand  Palais 

IV.  Le  Vieux  Paris 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris.  .... 

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 
resques   

VII.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau 

VIII.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères. 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  . . ■ 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d’Orsay. 

XI.  L’Avenue  des  Nations 

XII.  Promenade  au  Quai  d'Orsay 


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I 


G.  DE  WAILLY 


A TRAVERS 

L’EXPOSITION  DE  1900 


Xlll 

LES  IVlOYENS  DE  LOCOIYIOTION  A L'EXPOSITION 
LE  IVIEXIQUE 


PARIS 

FAYARD  FRÈRES,  ÉDITEURS 

78,  Boulevard  Saint-Michel,  78 


{'■*■ 

1)0 1;  iiiisu  II  II  IJ (.:  r M » 

-- - Al)  ra  ! qua  vuits  prend-il,  Verdurel?  Vous  avez  l’air 
(I  un  conspirateur  de  mélodrame  qui  conduirait  un  groupe 
d affidés  vers  quelque  tragique  exploit  ! 

• Vous  exagérez,  IBèchard,  et  surtout  vous  dramatisez 
les  clioses  à plaisir.  Regardez-moi,  et  dites  si  j'ai  la  mine 
d'un  conspiraieur ? 


6 


A TRAVERS  L EXPOSTITOM 


— Parce  que  vous  avez  le  visage  joyeux  et  que  vos  yeux 
])ri lient  comme  quand  vous  faites  qnine  à notre  loto  de  fa- 
mille... Ce  n'est  pas  une  raison.  Dans  les  drames,  on  voit 
très  bien  des  intrigues  terribles  menées  par  des  gaillards 
qui  ne  se  privent  pas  d’avoir  le  mot  pour  rire.  Enfin,  vous 
ne  nierez  pas  que  votre  façon  de  nous  faire  déguerpir  de  ce 
l*avillon  de  la  Principauté  de  Monaco  ne  soit  au  moins  sin- 
gulière? Ma  parole,  nous  aurions  cambriolé  les  collections 
du  prince  et  nous  aurions  la  police  à nos  trousses  que  nous 
n'aurions  pas  agi  autrement  pour  dépister  les  recherches  ! 

— Pensez  ce  que  vous  voudrez,  mais  suivez-moi. 

— Où  nous  conduisez-vous,  avec  vos  airs  mystérieux? 

— Vous  verrez...  Venez! 

Malgré  la  résistance  de  son  ami,  le  manufacturier  retiré 
entraîne  son  compagnon  récalcitrant  et  ses  compagnes, 
M'"'^’ Flore  et  Bertrande,  vers  le  Pavillon  de  l'Espagne.  Arrive 
là,  il  commande  : 

— Entrons. 

— Pourquoi?...  Nous  lavons  déjà  visité,  ce  Pavillon. 

— .le  vous  expliquerai  plus  lard. 

Bèchard  s’exécute,  tout  en  maugréant  : 

— Décidément,  mon  cher,  vous  êtes  piqué  de  la  même 
tarentule  que  ce  Méridional  mal  élevé  de  Bonscastrol,  lors- 
qu’hier  il  nous  faisait  galoper  par  ici  à tort  et  à travers... 
Vous  n’allez  pas,  je  pense,  nous  faire  visiler  de  nouveau?... 

— Ne  me  questionnez  pas  : cela  perd  du  temps. 

--  Est-ce  que  nous  avons  le  diable  sur  les  talons? 

— Peut-être...  Venez  ! 

— Bien...  Nous  voilà  dehors.  Maintenant... 

— Eilons  en  Bulgarie,  en  face,  de  l’autre  côté  de  la  rue. 

— Alors,  c’est  une  course  au  clocher? 

— Ah!  mais,  réclame  à son  tour  M"’"  Elore,  je  n ai  pas 
des  jambes  de  cerf  comme  Aristide,  moi... 

— Bichette  ! fait  sévèrement  le  maître  de  moulin. 

— Bien  sûr,  riposte  sa  ronde  moitié  déjà  essoufllée,  tu  n as 
pas  la  prétention  de  poser  pour  le  mollet...  a moins  que  ce 
soit  dans  un  concours  de  coqs  ! 

— Ah!  mais,  bichette!...  gronde  l’époux  vexé,  en  colère. 

Heureusement,  le  chei  de  la  petite  bande  aj’rête  net  ce 

début  de  conjugal  débat,  en  s’écriant  vivement  ; 


LES  MOVEMS  DE  LOCOMOTION  A l'eXPOSITION 


l 


— Halte!.,.  Uetournons  vite  sur  nos  pas!...  11  y a mi 
attroupement  dans  la  rue,  sur  noire  droite. 

— Oli  ! allons  voir...  demande  Bertrande,  curieuse. 

— Jamais  de  la  vie!  Terrons-nous  bien  vite,  au  contraire, 
dans  le  Pavillon  de  l’Espagne,  retraversons-le  et  liions  par 
la  terrasse  du  bord  de  l'eau. 

Et  le  bonhomme,  saisissant  sa  nièce  par  le  poignet,  l’en- 
traîne et  disparaît  avec  elle  dans  le  su|)erbe  écbantillon 
d'arcbitecturo  de  la  « Renaissance  » espagnole.  Bècbard, 
dame  Flore  accrochée  à son  bras,  le  suit  en  lui  criant  : 

— \erdurct!...  Voyons,  \erduret!...  Ou’est-ce  qui  vous 
prend  ? 

Pour  toute  réponse,  le  gros  propriétaire  malesherbois  fait 
décrire  à sou  bias  libre  un  impérieu.v  moulinet  signiliant 
clairement  qu  il  invite  ses  amis  d Essounes  à le  suivre  en 
toute  bâte...  ce  qu’ils  tout  eu  continuant  à le  sommer  de 
donner  la  raison  de  celte  inconcevable  fuite. 

Tentative  vaine.  ^ erduret  jiresse  île  plus  en  [)lus  le  pas. 
Arrivé  au  seuil  noi’d  du  Pavillon  de  la  péninsule  ibérique,  il 
s’arrête,  plonge  un  regard  inquisiteur  sur  la  terrasse,  et  re- 
part de  plus  belle,  entraînant  Bertrande  à son  bras. 

Il  arrive  à l'entrée  de  la  superbe  vieille  maison  allemande, 
s y engoullre,  en  lait  le  tour  à une  allure  vertigineuse,  monte 
au  premier,  redescend  au  rez-de-chaussée,  dégringole  dans 
le  sous-sol,  d’où  il  s élance  sur  la  berge.  Là,  il  consent  pour 
la  première  fois  à modérer  l’ardeur  de  sa  course  incompré- 
beusible. 

A vingt  pas  derrière  lai,  le  farinier,  voyant  haleter  sa 
moitié,  s’ellorce  de  la  rejoindre.  Mais,  après  avoir  laissé 
le  couple  diminuer  la  distance  qui  le  sépare  de  lui,  Yerduret 
recommence  son  geste  d’appel,  et  lile  vers  le  Pavillon  de  la 
Xorvège,  où  il  ne  tarde  pas  à disparaître. 

— Ab  ! c'est  trop  fort,  à la  lin  ! s’écrie  le  farinier.  Vous 
allez  m’cxpli([uer... 

Bccbard  regarde  M'"‘'  Bècbard;  M'''“  Bècbard,  tout  en 
épongeant  son  front  qui  s’empourpre,  regarde  M.  Bècbard... 

Hans  ce  double  regard,  ces  deux  intelligences  se  sont 
comprises  : leur  ami,  leur  pauvre  ami  Verduret,  est  devenu 
subitement  fou...  H se  croit  poursuivi,  sans  doute...  C’est 
évidemmentun  accès  inopiné  du  délire  de  la  persécution  !... 


cS 


A TUAVEUS  l’exposition 


Or,  le  bon  petit  égoïsme  de  ces  deux  belles  âmes  ne  va 
pas  jusqu'à  l’indilterence  coupable,  d'abandonner  le  mal- 
heureux... Ils  le  rejoindront  à tout  prix.  Et  Bèchard,qui  a 
toutes  les  peines  du  monde  à soutenir  la  démarche  de  sa 
ronde  épouse  à cette  allure  anormale,  hèle  la  jeune  tille. 

— Hep!...  hep!  Bertrande!...  Cramponnez-vous  à son 
bras  et  arrètez-le...  autant  que  vous  le  pourrez  ! 

Mais  Bertrande,  de  qui  ce  jeu  amuse  les  alertes  vingt  ans, 
répond  à l’invitation  du  farinier  par  un  joyeux  éclat  de  rire 
et,  au  lieu  de  peser  sur  le  bras  avunculaire,  le  soutient  et 
aide  ainsi  le  manufacturier  à accélérer  encore  son  allure. 

— La  solte  ! fait  Bêcliard  furieux,  elle  ne  comprend  pas 
ce  qui  se  passe...  Est-on  bète  quand  on  est  jeune  ! 

Et  la  course  folle  continue,  à travers  la  maison  de  bois 
du  pays  du  « Soleil  de  Minuit  »,  puis  parmi  les  salles  — 
inexplorées,  mais  où  la  rapidité  d’un  tel  pas  ne  permet  de 
rien  voir  — de  l'Iiùtel  de  ville  belge  d’Audenardc. 

Toujours  conduite  par  le  malheureux  Verduret,  la  folle 
galopade  sort  du  l'avillou  de  la  Belgique,  savez-vous.  Bc- 
chai'd  va  prendre  un  grand  parti,  pour  une  fois. 

— Attends-moi  là,  dit-il  à sa  femme.  Seul,  je  l’auj-ai  vite 
rejoint  et  je  le  maîtriserai  jusqu’à  l’arrivée  du  secours 
qu’ira  chercher  Bertrande. 

En  prenant  ce  parti  héroïque,  Aristide  compte  sans  Bi- 
chette, ce  en  quoi  il  a tort.  Celle-ci,  à l’énoncé  de  ce  géné- 
reux projet,  se  cramponne  au  bras  de  son  long  seigneur. 

— Me  quitter?...  Jamais!  11  nous  serait  impossible  de 
nous  retrouver  parmi  tout  ce  monde.  Que  deviendrais-je?... 
Je  te  préviens  que  si  tu  me  quittes,  je  me  trouve  mal  ! 

- — ^ Ah  ! bien,  il  ne  manquerait  plus  que  ça  ! 

Bivé  par  cette  menace  à la  remorque  conjugale,  Béchard 
se  résigne  à continuer  la  pénible  et  vaine  poursuite.  Les 
yeux  lixés  sur  le  couple  fuyant,  le  ménage  traverse  obli- 
quement la  rue  des  Nations  et,  voyant  Verdiu'et  et  Bertrande 
disparaître  derrière  le  kiosque  à musique  situé  entre  les 
Pavillons  de  la  Perse  et  du  Luxembourg,  s’y  précipite  à son 
tour. 

A leur  grande  stupéfaction,  les  époux  fariniers  y tombent 
face,  à face  avec  Verduret,  qui,  fort  échauîfé  mais  souriant, 
les  attend  tranquillement,  la  rieuse  Bertrande  au  bras. 


LIiS  MOVKN'S  DK  KOCOMni'ION  A I.’KXPdSri’inN 


î) 


A cette  vue,  Bèchard  se  redresse  et,  avec  une  noble  indi- 
gnation : 

— Ali  ! ça,  mon  clier,  je  vous  ai  cru  fou  ! 

— Mt  je  ne  suis  qu’en  nage,  voilà  tout. 

— Alors...  c'est  une  mau  vaise  farce  ? 

— Je  la  crois  trbs  bonne,  au  contraire. 

— Pardon,  mais...  il  me  semble  que  vous  venez  de  vous 
moquer  de  nous  ! 

— De  vous?...  Fi,  la  vilaine  idée!  Pas  de  vous,  mon 
cbcr,  mais  du  dénommé  Puzzling. 

— Hein? 

— Eb  ! oui.  Je  viens  de  couper  et  recouper  notre  piste  do 
façon  à faire  perdre  la  voie  aux  meilleurs  limiers,  et  vous 
m’en  voyez  tout  fier. 

— En  tout  cas,  voilà  une  bien  subite  turlutaine. 

— Ce  n’est  pas  une  turintaine,  Bècbard.  il  fallait  ii  tout 
prix,  et  au  jilus  vite,  « semer  » cet  Anglo-Saxon. 

— J'y  suis,  dit  .M""'  Flore  aigrement,  entre  deux  soupirs 
oppressés.  Vous  avez  compris  le  danger  [lour  votre  petite 
écervelée  de  Bertrande... 

— I\la  nièce  est  hors  de  cause,  cbère  madame.  En  dépit 
de  ciM’tain  écart  d’imagination,  je  la  sais  de  goût  trop 
délicat  ponr  redouter  à cause  d’elle  la  présence  de  ce  rouge 
gentleman  en  complet  à cai'reaux.  C’est  un  motif  de  tonte 
gravité...  pour  nous  qui  m’a  fait  ainsi  agir. 

— Voyous,  Verduret,  vous  n'étes  pas  sérieux? 

— Si,  Bèchard,  je  le  suis. 

— Quel  mal,  en  dehors  de  l'ennui  de  l'avoir  toujours  eu 
tiers  avec  nous,  pouvait  nous  faire  ce  personnage? 

— Ce  plus  terrible.  Grâce  à lui,  nous  allions  être  privés 
de  la  liberti'.  . 

— Ça  y est,  s’écrie  le  farinier  : « de  la  liberté  » ; c’est  bien 
le  délire  de  la  persécution.  IMon  pauvre  ami,  êtes-vous  bien 
sûr  que  votre  tète.?... 

— J en  souhaiterais  une  aussi  solide  et  aussi  calme  à tous 
les  enragés  politiciens  de  France  et  de  Navarre...  Rassu- 
rez-vous, mon  cher.  Mais  c'est  celle  de  ce  Puzzling  que  je 
voudrais  voir  en  ce  moment...  Vous  ne  m’avez  pas  laissé 
achever.  Par  le  fait  de  ce  gêneur,  c’est  de  la  liberté  de  pour- 
suivre notre  visite  de  l’Exposition  sous  la  si  intéressante 


direction  de  ce  bon  et  obligeant  centenaire  que  nous  allions 
èire  privés. 

— Alors,  c’est  simplement  pour  faire  perdre  notre  trace 
à cet  Anglais  que  vous  avez  infligé  cette  course  folle  où 
]M™°  Bècbard  a failli  attraper  une  congestion?  Par  exemple, 
si  j'avais  su  !... 

— Si  vous  aviez  su,  vous  n’auriez  rien  eu  de  plus  chaud 
que  de  vous  mettre  en  travers  de  mon  projet,  et  je  n’aurais^ 
pas  réussi.  Comme  je  m’y  suis  pris,  au  contraire,  tout  est 
pour  le  mieux. 

— Pour  le  mieux,  quand  je  suis  en  eau,  quand  mon  cœur 
bat  à rompre,  quand  j’ai  les  jambes  coupées  à ne  plus  me 
tenir  debout!  s’écrie  M""'  Flore  indignée. 

— Allons,  ne  vous  fâchez  pas,  chère  madame.  Vous  allez 
avoir  tout  le  temps  de  vous  remettre,  bien  assise... 

— Où  ça? 

— En  chemin  de  fer. 

— Hein?...  Est-ce  que  nous  repartons  pour  Essonnes? 

— Quand  nous  n’avons  encore  vu  qu’une  faible  partie  de 
la  Grande  Exposition  !...  Vous  ne  voudriez  pas.  Nous  allons 
seulement  faire  connaissance  sérieuse  avec  les  moyens  de 
transport  de  l’intérieur  de  la  grande  fête  de  1900. 

— Après  tout,  dit  le  farinier,  ça  nous  reposera,  en  nous 
permettant  un  coup  d’u'il  d'ensemldo  sur  des  régions  que 
nous  n’avons  pas  encore  visitées.  Allons-y  donc  du  petit  tour 
en  chemin  de  fer...  d autant  que  ce  n’est  pas  très  cher,  je 
crois? 

— Vingt-cinq  centimes,  cher  ami. 

— C’est  dans  nos  prix...  Eh  bien!  qu’est-cc  que  nous 
attendons? 

— Un  guide,  qui  m’est  promis. 

— Un  guide,  pour  aller  nous  faire  voiturer  dans  un 
wagon?...  Vous  vous  moquez  de  nous,  Verdurel  ! 

— Il  parait  qu’il  y a des  choses  très  intéressantes  à 
apprendre  au  sujet  des  chemins  de  fer  de  l’Exposition. 

— C’est  ce  vieux  bavard  qui  s’est  moqué  de  vous.  Un 
chemin  de  fer  est  toujours  un  chemin  de  fer,  que  diable! 

— Comme  un  palais  est  toujours  un  palais. 

— Ce  n'est  pas  la  même  chose...  Enfin,  soit  encore  : va 
pour  le  guide,  puisque  vous  y tenez.  Où  est-il? 


LES  .MOYENS  DE  I.OCOMO'llON  A l’eXPOSITIO.N 


— Je  l’altends. 

- — Vous  le  connaissez? 

— C’esl-à-dire  que  c'est  l’oljligeant  centenaire  qui  a pris 
soin  de  vous  pourvoir  de  ce  Mentor  inconnu...  que  je  con- 
nais, paraît-il...  Mais,  dn  dialde!  si  je  soupçonne  qui  cela 
peut  être. 

Bcchard  regarde  le  chef  de  la  petite  troupe  avec  une 
expression  si  inquiète  que  Verduret  éclate  de  rire. 

— Décidément,  mon  cher,  dit-il,  vous  tenez  donc  bien  îi 
ce  que  j’aie  perdu  la  tête  ? J avouo  que  mes  paroles  peuvent 
sembler  incohérentes,  mais  vous  allez  voir  que  les  faits 
vont  se  charger  de  réhabiliter  mon  équilibre  mental 
dans  votre  esprit...  Tenez,  là...  Que  disais-je? 

— Quoi? 

— Regardez...  sur  la  place...  cet  homme  qui  se  dirige  de 
notre  côté. 

— Eh  ! mais,  c’est... 

— Eh  ! oui,  Laurentieff,  le  pseudo-prince  russe,  ouvrier 
mécanicien  par  abnégation  de  patriotisme  slave  en  pays  ami 
et  allié,  cet  étonnant  désiquilihré  — un  vrai,  celui-là,  mon 
cher  Bêchard  ! — qui  nous  a si  magistralement  expliqué  le 
l’ont  Alexandre,  dont  il  s’imagine  avoir  inspiré  le  plan  et 
dirigé  la  construction  par  la  mystérieuse  puissance  de  son 
« Moi  » extériorisé...  Comment  ne  l'avais-je  pas  deviné? 
Mais  par  quel  miracle  consent-il  à quitter  le  poste,  à la  tête 
du  l’ont  de  l’Alliance,  on  sa  démence  attend  la  venue  de  Sa 
Majesté  le  Tzar? 

— Vous  savez  bien,  mon  oncle,  qn’il  vous  prend,  le 
pauvre  garçon,  pour  le  ministre  russe  des  voies  et  commu- 
nications. 

— C’est  parbleu  vrai...  J’oubliais  mes  grandeurs.  Tout 
s'explique...  sauf  la  connaissance  de  ce  pauvre  diable  par 
notre  vénérable  centenaire. 

— J’ai  idée,  fait  Bertrande,  que  cette  connaissance  est 
beaucoup  plus  intime  que  vous  ne  croyez.  D'ailleurs,  le 
voici  : il  va,  sans  doute,  vous  expliquer  lui-même... 

Laurentieff,  qui  se  dirige  vers  la  gare  voisine  dn  chemin 
de  fer  électrique,  aperçoit  le  groupe,  vient  droit  à lui, 
s’arrête  devant  Verduret,  les  talons  joints  et  la  main  à la 
visière  de  sa  casquette  desoie,  grasse  dépoussiéré  de  houille. 


12 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— Excellence,  articule-t-il  de  sa  voix  outrageusement 
enrouée,  j'ai  l’honneur  de  me  mettre  à votre  disposition. 

— Trop  aimable,  mon  brave  ami.  Oh  !...  Pardon...  Je 
voulais  dire;  mou  cher  prince!  IMais  j'avoue  que  votre 
arrivée  m’intrigue  énormément.  Gomment  avez-vous  pu 
savoir  tant  à l’avance  que  je  souhaitais  utiliser  vos  lu- 
mières au  cours  d’une  promenade  sur  les  voies  ferrées  de 
Tlvxposilion. 


FAUrUfll.  ROIil.ANT. 


— Excelleuce,  voici  l'oiTlre  qui  vient  do  m’être  remis  de 
la  part  du  prince  Tenichelf,  Commissaire  général  de  l’Em- 
pire russe. 

Il  tend  une  feuille  toute  ouverte  à Verduret  qui,  au 
comble  de  la  surprise,  constate  : 

— C'est  bien  du  papier  à en-tète  du  Commissariat  général 
de  lUissie  ! Je  n’y  comprends  plus  rien. 

— Ce  sont,  vous  le  voyez,  Excellonco,  les  hauts  repré- 
sentants de  l'Empire  du  Tzar  à l’Exposition  qui  m’ont  mis 
à vos  oi'drcs. 

— Parbleu,  c'('st  bien  ce  qui  me,  stupéfie.  ITi  pareil  bon- 


r>ES  AlOYENS  DE  [.Ol  :(  (MOTION  A I.’isX  POSCI'IflN 


i:{ 


neuT  à do  simples  visiteurs  tels  que  nous,  cela  passe  mon 
entendement. 

Oh!  simples  visiteurs  pour  qui  ne  sonlève  pas  le  mas- 
que transparent  de  votre  incognito! 

]>t  puis,  poursuit  ^ordurel,  cela  no  s’accorde  gui're 
avec  ce  que  me  disait  tout  à 1 heure  le  vénérahle  cente- 
naire, notre  guide,  que  c’était  lui  qui... 

Le  centenaire!...  \ous  av'cz  le  honlieur  d’avoir  pour 
guide  le  centenaiie  ! s écrie  Laurentiell  avec  une  soudaine 
e.xaltation.  Üh  ! alors,  plus  encore  que  par  votre  haute 
dignité,  vous  ôtes  bien.  Excellence,  la  roi  de  l’Exposition, 
car  cet  auguste  vieillard  plane  au-dessns  de  cette  incompa- 
rahle  fête  de  l’Humanité  comme  l'aurore  boréale  au  plus 
haut  de  l’atmosphère  polaire...  Ici,  tout  le  monde  s’incline 
devant  lui. 

— Ah  ! hall  ! ..  (ju’est-il  donc? 

— Tous  l’ignorent,  sauf  moi. 

Alors,  vous  allez  nous  h*  dire,  car  je  suis  singulière- 
ment curieux  de  le  savoir. 

Vous  ne  le  répéterez  à personne,  an  monde  ! 

C’est  donc  un  bien  grand  mystère  ? 

— C’est  plus  qu’un  mystère,  c’est  nn  miracle  que  m’a 
seul  permis  de  découvrir  la  souveraine  sensibilité  savante 
de  mon  corps  astral. 

— Hein?  fait  Verduret  en  ouvrant  de  grands  yeux. 

Et  Eaiirentietl,  plaçant  ses  lèvres  près  de  l’oreille  du  ma- 
nufacturier retiré,  lui  souffle,  en  grande  confidence: 

Ce  centenaire  est  plus  de  deux  fois  millénaire,  avant 
près  de  vingt-trois  siècles  d’existence.  Il  n’a  pas  été’lué  en 
l’an  ^12  avant  notre  ère,  comme  on  l'a  dit.  Le  soldat 
romain  n’a  fait  que  le  blesser;  cet  insondable  puits  de 
science  est...  Archimède  en  personne  ! 

Patatras!  pense  Verduret,  voilà  la  folie  du  pauvre 
diable  qui  fait  encore  des  siennes  !...  Et  moi  qui  l’écoutais  ! 

iMais,  lidèle  à son  principe  de  ne  jamais  contrarier  nn 
dement,  il  se  contente  de  dire,  en  approuvant  gravement 
de  la  tète  : 

— C’est  merveilleux  ! 

A ce  moment,  l’attention  de  llcchard  et  des  deux  com- 
pagnons du  propriétaire  malesherhois  est  attirée  par  le  pa's- 


14 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


sage  devant  le  kiosque  de  l’agglomération  populaire  formée 
plus  d'une  demi-heure  auparavant  à l’autre  bout  de  la  rue 
des  Nations,  ce  qui  évite  à Verduret  d'avoir  à traduire,  pour 
satisfaire  la  curiosité  de  ses  amis,  la  confidence  insensée  qui 
vient  de  lui  être  faite. 

En  tète  de  cette  foule  et  immédiatement  escorté  de  quatre 
gaillards  à la  moustache  rousse  et  au  feutre  dur,  dont  la 
forme  toujours  reconnaissable  cric  la  provenance  londo- 
nienne, marche  un  personnage  dont  la  seule  vue  amène  un 
petit  cri  de  surprise  aux  lèvres  de  nos  quatre  visiteurs. 

— Bon  ! s'écrie  Bèchard,  il  a donc  été  relâché  par  le 
commissaire  de  police? 

En  elfet,  ce  personnage  que  suit  curieusement  la  foule 
badaude,  c’est  le  méridional  Bouscastrol. 

— Comment,  songe  tout  haut  Verduret,  notre  Toulousain 
en  quelque  sorte  gardé  à vue  par  ces  mômes  Anglais  qui 
ont  fait  esclandre,  hier,  dans  je  ne  sais  plus  quel  pavillon 
que  nous  étions  en  train  de  visiter?  Que  signifie? 

— Oui,  que  signifie?  répète  Bertrande  à mi-voix,  avec 
une  expression  de  stupéfaction  profonde. 

Laurenlielf  s'est  reculé  dans  l'ombre  du  kiosque  et  subit, 
impassible,  cette  indirecte  interrogation  de  la  jeune  fille. 
Celle-ci  remarque  alors,  parmi  la  foule,  la  rouge  silhouette 
de  .James-Gregory  l’uzzling  qui,  haussant  les  épaules,  jette 
autour  de  lui  des  regards  furieux.  Elle  sourit  et  murmure  : 

— Je  comprends...  Parfait! 

Et,  pressant  le  bras  de  son  oncle  en  même  temps  qu'elle 
touche  celui  de  Bèchard,  elle  dit  vivement,  les  obligeant  cà 
se  retourner  : 

— Nous  oublions  que  le  prince  Eaurentietf  nous  attend. 


^ Il 

— Excusez-moi,  dit  Verduret  au  « prince-mécanicien  ». 
Mais  vous  ne  sauriez  croire  comliien,  pour  ce  jeune  et 
intelligent  artiste  que  je  viens  de  voir  passer  — en  assez 
mauvaise  posture,  je  le  crains  — j’éprouve  de  sympathie. 

— C’est  pour  lui  un  grand  honneur,  Excellence. 


LES  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A LEXPOSITION 


l.'i 


— Malheureusement,  il  paraît  (|u’il  est  assez  peu  mérité. 

— J’ai  trop  de  loi  en  la  haute  sagesse  de  Votre  Excel- 
lence pour  radmettre.  Si  celui  dont  vous  parlez  et  que  je 
n ai  pas  1 honneur  de  connaître  a attiré  votre  bienveillance, 
cela  suHit  pour  que  je  sois  certain  qu'il  en  est  digne. 

— P)-ince,  vous  voulez  me  flatter. 

— Parce  que  je  dis  ce  que  je  pense? 

\ ous  m attribuez  donc  réellement  une  clairvoyance. 

— Les  âmes  honnêtes  ont  comme  un  mot  d’ordre  mysté- 
rieux pour  se  reconnaître  sûrement  entre  elles. 

\ ous  pourriez  bien  avoir  raison,  déclare  sans  fausse 
modestie  le  manufacturier  retiré,  dont  les  paroles  du  méca- 
nicien monomane  caressent  délicieusement  l’amour-propre. 

— Veuillez  me  suivre,  invite  Laurent ielf. 

Sur  les  pas  du  mécanicien,  notre  groupe  de  visiteurs 
atteint  en  quelques  pas  la  station  toute  pi'oche. 

— Irès  gentille  cette  petite  gare,  déclare  Verduret. 

— Très  solidement  bâtie  en  briques  émaillées.  Excel- 
lence... comme,  d’ailbuirs  les  quatre  autres  disséminées  sur 
le  parcours.  Cela  leur  donne  un  air  clair  et  joyeux  du  plus 
heureux  effet. 

— Alors,  il  n'y  a que  cinq  stations  en  tout? 

Nombre  très  sutfisant,  monsieur  le  (jrand  l'anetiei'. 
Après  celle-ci,  il  y en  a une  rue  Fabert,  en  face  de  la  rue 
de  l'Université,  pour  desservir  l'esplanade  des  Invalides; 
«leux  avenue  de  La  Bourdonnais,  une  à la  hauteur  «lu  Palais 
de  I Electricité,  l’autre  près  de  la  concession  du  Gaz  et  du 
Palais  de  la  Métallui'gie,  c’est-à-dire  entre  la  porte  liapp  et 
le  travers  de  la  Tour  Eilfel  : toutes  deux  desservent,  par 
conséquent,  le  Champ  de  Mars  ; enfin,  une  sur  le  même  quai 
(1  Orsay  où  se  trouve  celle  où  nous  sommes,  mais  à la  hau- 
teur de  la  passerelle  qui  relie  l’extrémité  Ouest  du  « Vieux 
Paris»  au  grand  Palais  des  Armées  de  Terre  et  de  Mer... 
l'renons  nos  tickets,  je  vous  prie,  ou  mieux,  je  vais  les 
prendre  pour  nous  tous. 

Bèchard  a l’air  inquiet. 

— Inutile  de  nous  mettre  plus  en  frais  qu'il  ne  faut,  dit- 
il;  il  y a déjà  tant  d’occasions  de  dépenses  supplémentaires 
dans  cette  Exposition  ! Prenez  seulement  un  billet  pour  la 
prochaine  station. 


* 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Laiircntieli'  hausse  assez  irrévérencieusement  les  épaules 
et  explique  : 

— 11  n'y  a qu’un  prix  unique  et  modeste  de  25  centimes, 
qui  donne  droit  au  parcours  complel. 

— En  ce  cas,  nous  ferons  le  tour  entier,  déclare  le  fari- 
nier  qui  entend  en  avoir  pour  son  argent. 

— Allons,  bien!  se  dépite  M"'®  Flore;  voilà  un  train  qui 
part  et  nous  n’avons  pas  de  billets  ! 


l’LATi:  rOli.ME  riOlU.ANTE  (f.ARK  rNTRR.MÉIllAiriEi. 

— (jiie  votre  fatigue  pnmne  patience,  (dière  amie,  dit 
\'i'rduret.  Elle  n’aura  pas  longtemps  à attendre  : les  trains 
S('  succèdent  toutes  les  une  minute  et  demie. 

Les  quatre-vingt-dix  secondes  annoncées  exactement 
écoulées,  le  train  suivant  part,  emportant  nos  visiteurs  et 
leur  guide.  Inutile  de  dire  (|u’en  prenant  place  sur  sa  con- 
fortable banquette,  .M'”"  Flore  a poussé  un  « ouf!  » de  sa- 
tisfaction. 

— Excellence,  commence  aussitôt  EaurcntiefI',  je  dois 
vous  prier  de  ne  pas  trop  m’interrompre,  car  le  parcours  de 
lie  5,100  mètres  (quai  d'Orsay,  rue  Eabert,  avenue  de  La 


Li:,S  .MOVKNS  DE  l.OCnMOTION  A i/eXPO,SITI(  l.\ 


Alotte-l'iquel,  avenue  de  La  Bourdonnais  et  retour  (|uai 
d Ursay)  étant  couvert  en  quatorze  minutes,  j’aurai  à peine 
le  temps  de  vous  dire  les  principales  choses  qu'il  faut  que 
vous  sachiez. 

— Dites,  prince.  Nous  sommes  temt  oreilles. 

Lanrentieiï  tousse  — sans  parvenir  à s’éclaircii'  la  voi.x, 
tant  son  organe  désolement  couvert  est  rehelle  à tout  piud'ec- 
tionnement  — et  déhnte  en  ces  termes  ; 

Quels  sojit  les  deux  principaux  desidemla,  d'ordre  gé  - 
néral, auxquels  doit  répondre  toute  Exposition  universelle 
pour  avoir  chance  d’ètre  un  succès? 

— Parhleu!  fait  Verduret,  c’est  qu’elle  soit  et  très  helle 
et  très  instructive. 

Et  amusante,  avec  la  tacilité  de  se  re|)Osei'  et  d y hien 
manger,  proclame  M'"“  Elore. 

Il  tant,  déclare  sententieusement  le  farinier,  qu'elle 
soit  praliqiui  et  ('•conomique. 

Bertrande,  joyeusement,  s’écrie  : 

Bah  ! iiue  Ex])osition  peut  éti'c  tout  ce  qu’elle  voudra; 
elle  sera  toujours  merveilleuse  pour  qui  y découvre  |)récisé- 
ment  ce  qn  il  souhaite.  G est  comme  pour  messieurs  les 
amouicux,  n est-ce  pas,  mon  oncle?  La  personne  pour  qui 
ils  soupirent  se  trouve  douée  de  toutes  h‘s  qualités  imagi- 
nables, j)ar  cela  seul  que  le  tressaillement  de  son  cœur  ré- 
pond aux  hattements  du  leur! 

Je  te  trouve  hien  osée  en  tes  comparaisons,  petite, 
[)Our  une  tille  bien  élevée,  morigène  le  bonhomme  Yerdurel. 

jMademoiselle  n’exprime  là  qu’une  vérité  courante. 
Excellence;  mais  je  lui  ferai  remarquer  qu’une  exposition 
qui  ne  satisferait  (lue  les  techniciens  de  la  Science,  de  l’Art, 
de  l’Industrie  ou...  du  sentiment,  n’atteindrait  pas  tout  son 
but,  car  elle  laissei'ait  de  coté  la  foule  et  sa  curiosité  d’onlre 
général.  M.  le  Grand  Daneticr  a fort  hien  dit  en  décla- 
l'ant  qu  une  exposition  doit  être  pralique  et  éconoDiiqiie . 

Evidemment  ! tait  le  larinier  d’Essonnes  en  se  rengor- 


geant. 


J ajouterai  seulement  qu’elle  doit  être  généreusement 
hospitalière  et...  je  m’explique.  Devant  accueillir  le  plus 
grand  nombre  d'exposants  possible  et  donner  à chacun  la 
place  nécessaii'e  pour  meltre  en  valeur  ses  produits,  il  faut 


■ 


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; tvSit’' 


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m 


18 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


nécessairement  qu’elle  présente  une  très  ample  sup'erlicie. 
C’est  là  pour  le  principe  de  ghiéreiise  hospitalité  à l’égard 
dos  exposants  de  tous  pays.  Mais,  en  môme  temps,  il  faut 
(|u’elle  songe  aux  innombrables  visiteurs  et  que,  en  plus 
d'un  classement  ingénieusement  rationne! , oX  pratique, 
elle  soit  économe  du  temps,  des  jias  et  de  la  fatigue  de 
iM.  Tout-le-Monde.  Ce  monsienr-là  veut  pouvoir,  lorsqu’il 
s'intéresse  à tels  et  tels  produits,  les  comparer  tout  de  suite 
aux  similaires  des  autres  nations,  ce  qui  lui  sera  facile  étant 
donné  le  mode  de  classification  qui  préside  ici.  C’est  là  une 
très  intéressante  étude  comparative  par  le  détail.  Or, 
.M.  Tont-le-Monde,  étant  beaucoup  pins  « la  foule  » que  tel 
spécialiste,  veut  aussi  jtouvoir,  à l’Exposition  de  1900  qui 
offre  ce  qui  a été  fait  de  plus  complet  jusqu’ici  sous  ce  rap- 
[)ort  — faire  son  tour  du  monde  détaillé  et  éminemment 
iuslructif.  C’est  même  là,  pour  les  l’rançais,  le  principal 
attrait,  en  meme  temi)s  que  la  plus  légitime  ambition.  Vous 
savez,  Excellence,  combien  le  Erançais  s’ex[)atrio  difficile- 
ment, non  parce  qu’il  est  indilféiamt  à ce  qui  se  passe  hors 
de  chez  lui,  mais  parce  que  son  « chez  lui  » est  si  confor- 
table qu’il  redoute  instinclivement  d’all'router  les  climats  et 
les  mœurs  de  l’ctrangei'.  Eh  Ijien  ! voilà  que,  pendant  six 
mois,  le  monde  entier  vient  chez  lui;  vous  jugez  s’il  a hâte 
d’en  profiter  pour  tâcher  de  tout  connaître  d’autrui  sans  avoir 
à se  déranger.  Que  fera-t-il  d'abord’?... 

— Il  ira  à la  rue  des  Nations. 

— Oui.  11  se  donnera  là  une  sommaire  idée  générale 
de  la  nation  qu’il  veut  connaître.  Mais,  s’il  est  sérieux,  il  ne 
s’en  contentera  pas.  Il  voudra  poursuivre  dans  chaque 
groupe,  dans  chaque  classe,  le  génie  industriel,  scientifique, 
artistique,  militaire  et  marilime  du  pays;  puis,  en  cette  ère 
d’elfort  universel  vers  la  conquête  colonisatrice,  il  lui  faudra 
compléter  son  voyage  par  un  coup  d’œil  intéressé  sur  la 
puissance  coloniale  de  la  nation  étudiée.  Et,  dame!  pour 
réaliser  ce  très  sage  programme,  il  y a du  chemin  à faire, 
car  l’Exposition,  vous  le  savez,  ne  couvre  pas  moins  de 
108  heclares. 

— Le  fait  est  que,  si  on  voulait  suivre  par  pays  et  voir 
complètemen  t chacun  d’eux,  il  faudrait  être  marcheur  comme 
un  zouave  ! 


F-ES  MOVEAS  DE  LOCOMOTION  A L EXl’OSTITON 


19 


— I*as  tant  que  vous  le  pensez,  Excellence. 

— Ah  ! sous  ce  point  de  vue,  parlez-moi  de  l'Exposition 
! do  1867... 

ij  — A la  bonne  lieure  ! s’écrie  avec  emphase  le  raidnicr,  qui, 
I en  1867,  avait  — jeune  Bècliard  alors,  mais  quand  mèim' 
î Bèchard  — ti'ouvé  l’Exposition  ridiculement  compi’ise.  Alors, 
! on  rayonnait  par  nation  et  oif  tomaiait  par  pi-oduits  simi- 
I laircs,  en  quelque  sorte  géométri(|uement  et  sans  fatigue. 

: — Üh  ! sans  fatigue!...  Permettez,  mon  cher,  j’étais  dejà 

; moins  jeune  que  vous,  il  est  vrai  ; mais,  après  une  journée 
de  rayonnements  et  de  périples,  j’étais  rendu. 

^ — Votre  Excellence  a raisoFi.  Lors  de  la  gi’ande  et  tiaom- 

])halc  fête  cosmopolite  qui  marqua  l’apogée  de  l'ére  impé- 
riale — ■ Capitole  combien  voisin  de  la  lioclu'  Tarpéienne  ! 

, — bien  des  jatnbes  se  plaignirent,  (d  non  à tort,  de  la  trop 

vaste  étendue  du  tei-riloire  d’exhibition.  Ce  fui  bien  auti'e 
chose,  en  1878.  Beaucoup  renuncérent  alors  à des  compa- 
raisons instructives  ou  au  moins  intéressantes,  à cause  de 
la  perte  de  temps  considérable  et  de  la  fatigue  qu’impo- 
I saient  les  visites  successives  à des  points  éloignés  les  uns 
des  autres.  11  en  est  iVsulté  {|ue  la  foule  se  localisait  dans 
quelques  centres,  qu  elle  jugeait,  à tort  qu  à raison,  plus 

I attractifs,  et  délaissait  certaines  parties  de  haut  intérêt, 

' mais  qu’il  fallait  gagner  au  prix  d’une  courbature.  Voyez- 
vous,  le  public  est  un  autocrate  singulièrement  exigeant  ; 
il  entend,  pour  lui  faire  un  grand  succès,  qu’une  exposition 
' universelle  soit  en  même  temps  très  complète,  ce  qui  l'oblige 

II  à être  très  étendue,  et  très  l'esserrée,  afin  de  lui  permettre 
!i  d’avoir,  pour  ainsi  dire,  sous  la  main,  tout  ce  qu’il  veut 
j connaître  ou  étudier,  quel  que  soit  l’oialre  dans  lequel  sa 
r curiosité  veut  voir  ou  son  esprit  étudier  les  choses. 

I — Dites  donc,  ça  ne  me  paraît  pas  facile. 

II  — C’est  simplement  impossible,  Excellence.  11  est  évident 
I que  si  une  exposition  qui  occupe  comme  celle-ci  un  terri- 
toire s’étendant  de  ta  place  de  la  Concorde  à l’Ecole  Mili- 

‘ taire  et  du  Trocadéro  à l’ilùtel  des  Invalides,  a pris  comme 
base  excellente  de  classilication  le  groupement  des  produits, 
elle  oblige  ceux  qui  veulent  se  rendre  compte  exclusivement 
; des  productions  et  du  génie  d’un  peuple  pris  à part,  à vaga- 
bonder parmi  les  108  hectares  de  superficie... 


20 


A THAVliUS  L EXPOSITION 


Aussi,  étclit-il  bii'ii  [iliis  simple  de  classer  par  nation. 

— Alors,  ce  serait  contraindre  les  savants,  les  philo- 
sophes, les  industriels,  les  artistes,  les  spécialistes  de  tout 
poil  a 1 impossible  tàcbe  d'aller  un  peu  partout  chercher  les. 
éléments  de  comparaison  qui  leur  sont  nécessaires  pour  se 
rendre  compte  de  la  concui’rence  et  du  progrès  universels 
dans  chaque  branche  de  l’activité  humaine.  Ce  serait  tomber 
de  Charybde  en  Scylla,  reconnaissez-le,  monsieur  le  Grand 
Ihineticr. 

Bèchard  tait  la  grimace.  11  y a plusieurs  voyageurs  étran- 
gers dans  le  môme  compartiment.  Naturellement,  ils  prêtent 
une  oreille  attentive  aux  paroles  du  mécanicien  conl'éren- 
cii'i',  et  être  ainsi  appelé  : « Grand  Panetier  » devant  eux 
produit  sur  le  farinior  d'Essonnes  le  plus  désagréable  effet. 

— Si  ça  vous  était  égal,  monsieur  LaurenticH’,  dit-il  eu 
pinçant  les  lèvri's  d’un  air  ve.xé,  de  vous  priver,  à mou 
égard,  d une  appidlation  ridicub*  et  de  vous  contenter  de 
m appeler  « monsieur  » tout  simplement. 

— Monsieur  le  Grand  Panetier  de  Son  Excellence,  entend 
garder  l’incognito?  C'est  son  droit,  et  je  me  ferai,  doré- 
navant, un  di'voir  de  respecter  son  désir... 

— Oui,  vous  m’obligerez. 

— Mais  U ayant,  moi,  aucune  raison  de  ilissimulei'  ma 
[lersonnalité,  je  vous  serai,  par  contre,  très  oldigé,  « mon- 
sieur >»,  de  me  donner  mon  titre. 

— Vous  voulez  que  je  vous  appelle  prince  avec  le  costume 
d’ouvrier  que  vous  portez?  C’est  vouloir  que...  la  galerie  se 
moque  de  moi  ! dit  Bèchard  en  haussant  les  épaules. 

— Appelez-moi  « monseigneur  »,  si  vous  préférez. 

— Ce  serait  encore  pis  ! 

— E’incident  est  clos  ! prononce  Bertrande  en  se  conte- 
nant de  sou  mieux  pour  ne  pas  poull'cr  de  rire. 

Eaurenlieff  incline  galamment  du  chef  devant  la  joyeuse 
sentence  juvénile  et  poursuit  : 

— Donc,  eu  présence  de  l'impossibilité  de  satisfaire  à la 
fois  les  deux  ('/e.!>ù/crrt/«  diamétralement  opposé  de  Sa  Majesté 
le  Public  — vous  voyez,  « Monsieur  que  je  no  crains  pas, 
moi,  de  décerner  le  plus  haut  titre  à qui  est  pourtant 
d’essence  roturière  — ou  s’est  ingénié  à supprimer  pour  lui 
I uou  en  réalité,  puisque  c’est  impossible,  mais  virluellc- 


nient)  lu  disluncc.  Pour  ce 
Caire,  ou  a de  louLe  part  mul- 
tipliû... 

— Les  uioyeus  l'apides  de 
locouudioii. 

— Préciséuieiil,  l'ixcellence  ; 
et  je  n'ai  pas  besoin  de  vous 
dire  si  la  dit(‘  iMajeslé  le  Pu- 
blic a cliaudeuient  applaudi  à 
l’ell'oi't  tenté  pour  le  satisl'aire. 
Vous  vous  souvenez  du  succès 
qu’il  a fait,  en  18811,  au  petit 
chemin  de  fer  Decauville  qui 
reliait  le  Champ  de  Mars  à 
l’esplanade  des  Invalides? 

— Ah  ! certes  I approuve 
Verdiiret.  Amusant  et  curieux 
comme  tout,  ce  petit  Dccau- 
ville,  filant  comme  un  rat  eiilre 
le  double  rang  d'arbres  du  quai 
il’ Orsay. 

— bit  vous  vous  rappelez 
comme  c’était  drôle  ces  affi- 
ches répétant,  au  long  du  par- 
cours, le  meme  avis  dans 
toutes  les  langues  du  monde? 

— Si  je  m’en  souviens, 
chère  madame!  On  le  prenait, 
ce  petit  chemin  de  fer  hijon, 
par  ])Iaisir.  En  dehors  de  son 
utilité  — quand  on  avait  à se 
rendre  sur  un  point  quelconque 
de  son  parcours  long  de  trois 
kilomètres  et  demi,  entre  le 
Palais  des  Machines  et  l’espla- 
nade des  Invalides,  par  l’ave- 
nue de  Sulïrcn,  le  bas  du 
Champ  de  Mars  et  le  quai  d’Oi'- 
say — - on  peut  dire  qu’il  a été 
une  des  attractions  les  plus  sui- 


22 


A TRAVERS  l’eXPOSITTON 


vies  de  l'Exposition  de  1889.  Dame!  c’était  une  nouveauté, 
alors.  Maintenant  qu’on  est  habitué  aux  tramways  automo- 
biles, l'effet  surprise,  le  caractère  attraction  de  ce  moyen  de 
locomotion  sont  supprimés. 

— ■ Puissamment  raisonné.  Excellence.  On  voit  tout  de 
suite  que,  lorsqu’il  s'agit  de  chemins  de  fer,  vous  êt(!s  dans 
votre. . . département. 

— Mais  non.  puisque  nous  l’avons  quitté  pour  venir  à 
Paris,  fait  étourdiment  M"’®  Elore. 

— Sache,  madame  Bêchard,  que  « département  » est  mis 
ici  pour  ministère  d'Etat,  rectifie  solennellement  le  farinier. 
Ceci  prouve  que  tu  n’étais  pas  du  tout  cà  la  conversation  : tu 
entends  le  dernier  mot,  et,  crac!  tu  te  perches  dessus.  Ah  ! 
ah  ! nos  féministes  qui  voudraient  faire  des  femmes  des 
hommes...  d’Etat!  Le  cerveau  féminin  n’est  pas  construit  de 
matière  assez  solide  pour... 

— Eh!  tu  m’ennuies!  déclare  péremptoirement  l’épouse 
vexée.  J’aime  bien  mieux  regarder  défiler  le  monde. ..  d’iens, 
nous  voilà  déjà  à la  gare  suivante...  Ea  station  de  la  rue  Ea- 
hei't,  n’est-ce  pas?...  Très  gentil,  le  costume  des  employés, 
en  vareuse  et  casquette  bleues...  Oh!  mais  on  s’arrête  à 
peine!...  deux  secondes!...  Et  comme  ça  repart  facile- 
ment !... 

— Femme...  linotte!  murmure  Bêchard  en  haussant  les 
épaules.  Voyons,  revenons  aux  choses  sérieuses.  Ce  chemin 
de  fer  n’a  pas  été  établi  sur  le  budget  de  l’Exposition? 

— Non,  monsieur  le  Grand  Pan...  Ah  ! pardon,  j’oubliais 
l’interdiction!... 

— Tâchez,  je  vous  prie,  de  vous  en  souvenir  à l’avenir. 

Laurentieff  s’incline  respectueusement  et  poursuit; 

— Ea  concession  de  ce  chemin  de  fer  a été  accordée,  il  y 
a deux  ans,  à une  société  constituée  au  capital  de  quatre 
millions. 

— Ah  ! ah  ! c’est  un  chiffre,  cela.  Mais,  dites-moi,  je 
n’ai  pas  vu  de  machine  en  tête  du  tiain. 

— Pourquoi  faire  ? 

— Parbleu,  pour  le  tirer. 

— Ce  ne  serait  pas  la  peine,  vraiment,  ([ue  la  Science 
marchât  à pas  de  géant  dans  la  voie  du  Progrès,  si  l’on  était 
condamné  à refaire,  en  1900,  un  Decauville  de  1889  ! Le 


LES  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A L EN  POSITION 


23 


chemin  de  Tct  de  celle  Exposition  est  an  chemin  de  ter 
électrique. 

• — Ne  parlez  pas,  je  vous  prie,  sur  un  ton  qui  tendrait  à 
mo  faire  prendre  pour  un  ignorant.  Je  sais  ce  que  je  dis, 
mùssieu  ! Je  sais  parfaitement  que  nos  grands  réseaux, 
1 Ouest  en  particulier,  ont  essayé  la  locomotion  électri- 
que »,  avec  des  machines,  donc... 

— Ces  machines  sont  destinées  à traîner  de  grands  poids 
à de  grandes  distances  et  à de  formidahles  vitesses.  Ici  c'est 
tout  dilférent.  Chaque  train  ne  comporte  (|ue  trois  voitures 
légères  emharquant  200  voyageurs  — exactement  20ti  au 
com|)lel  — pour  uu  parcours  total  de  3,i00  mètres,  d’une 
durée  de  quatorze  minutes,  avec  arrêt  toutes  les  trois  mi- 
nutes en  moyenne,  ainsi  que  je  vous  l'ai  déjà  dit.  l'our  ce 
service,  les  voitures  automotrices  étaient  indiquées. 

— Dans  les  tramways  électriques,  on  voit  pourtant  les 
appareils  m'i  s'emmagasine  la  force  motrice. 

— Sauf  pourtant  pour  le  trolley,  ou  système  dans  lequel 
le  courant,  c'est-à-dire  la  force,  est  amenée  par  un  fil  aérien 
avec  lequel  la  minuscule  machine  de  la  voilure  est  con- 
stamment en  rajiport.  Si  ce  système  n'est  pas  employé  à 
Daris,  il  orne  — je  n’ose  pas  dire  très  heureusement  — les 
artères  principales  d'un  grand  nombre  de  villes. 

— Saprebleu!  mossieu,  je  n’ai  pas  la  berlue.  Il  n’y  a pas 
ici  de  ces  fils  aériens. 

— Non,  mais  si  vous  daignez  jeter  un  regard  sur  la  voie, 
en  avant,  puisque  nous  sommes  dans  la  grande  première 
voiture,  vous  verrez  que  cette  voie  possède  trois  rails  : deux 
de  roulement  espacés  de  1 mètre,  le  troisième  à 0"'3.t  du 
rail  de  roulement  courant  du  côté  opposé  au  quai.  Ce  troi- 
sième rail,  qui  domine  de  0"‘18  le  plan  des  deux  autres,  est 
dit  « rail  latéral  conducteur  »,  et  n'a  d'autre  office  que  de 
conduire  le  courant  électrique  comme  le  fil  aérien  du 
trolley...  D’ailleurs,  voici  uu  plan  de  la  voie  dressé  par 
I éminent  ingénieur  qui  en  est  l’auteur.. , Vous  allez  aisé- 
ment vous  rendre  compte. 

— A la  bonne  heure,  avec  cela  souS  les  yeux,  on  y voit 
clair,  proclame  Verduret.  Je  comprends  que  l’on  a mis  le 
rail  conducteur  du  côté  opposé  au  quai  afin  qu'il  soit  isolé 
du  public. 


A TRAVEltS  L EXPOSITION 


— l'i'écispnicnt,  KxccI leiico.  Le  coulacl  de  ce  rail  sérail 
Irès  dangereux. 

— d'oiile  la  ('oi-ce  i'declri(|ue  c(3iirl  le  linig  de  ce  l'ail  ? 


l'vlévatiün.  — (Juuj>c. 

V ^ 


— Uni,  el  la  J'orce  em[iloyée  est  de  2,0d0  chevaux,  rournis 
par  une  usine  située  aux  Monlineaux. 

— Goinnicnl?...  si  loin.  Je  supposais  qu’elle  venait  du 
Palais  de  l’Electricité,  comme  celle  qui  anime  les  machines 

el  alimente  l’éclairage  dans 
l'Exposition. 

— Non,  Excellence.  Elh' 
est  produite  par  une  usine 
spéciale.  Elle  arrive  au 
Ghamp  do  Mars  au  moyen 
d’une  canalisation  souter- 
raine latérale  à la  tranchée 
du  chemin  de  fer  des  Mou- 
linoaux  au  Ghamp  de  Mars.  Elle  se  rend,  sous  forme  de  cou- 
rant triphasé  à 5,0ÜÜ  volts,  c’est-à-dire... 

— Inutile  d’entrer  dans  jiliis  d’explications  sous  ce  rap- 
port, mon  cher  prince  : le  vénérable  centenaire  nous  à 
donné  — je  veux  dire  a donné  pour  M.  le  Grand  Panelier 


Coupe  longitudinale. 


ij'js  iiio  a i/kxpushio.n  2‘) 


et  ces  dames  qui  ne  peuvent  ètr(‘  aussi  techniquement  infor- 
més des  clioses  de  l'électricité  qu’un  Ministre  des  Voies  et 
Communications  — des  indications  très  précises  sur  les  cou- 
rants, volts,  ampères,  watts,  etc.,  lorsque  nous  avons  visité 
a\ ec  lui  le  Palais  merveilleux  dei\l.  llenaril. 


Mura'  UE  uécuhatiun  du  Tiiottoik  Roulant  (avenue  Rai'u). 


Pai'lait.  En  ce  cas,  j abrège.  Je  disais  donc  ({ue  le  cou- 
rant triphasé  tà  o,ü00  volts  se  rend  à une  sous-station  dite 
lie  transtorrnation  qui  se  trouve  à l'angle  du  quai  d'Orsay 
et  de  1 avenue  de  la  Bourdonnais.  Cotte  sous-station  trans- 
lorme  le  courant  triphasé,  à l'aide  de  commutatrices  d'une 
force  de  600  kilowatts,  en  courant  continu  de  oOO  volts  que 
prend  ce  rail  conducteur...  Vous  voyez  que  le  garde-fou  qui 
en  détend  1 approche  n’est  pas  un  e.xcès  de  précaution  et 
qu  il  ne  serait  pas  prudent  d’essayei'  de  s’y  asseoir... 

A THAVERS  L'E.XPOSITION.  — T.  XIU.  — 2 ri' 


26 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Bigre!...  (Juelle  secousse!  11  vaut  évidemment  mieux 

laisser  prendre  par  le  train  un  contact  qui  lui  est  destiné... 
Quand  je  dis  « le  train  »,  je  devrais  sans  doute  dire  «les 
trains  ». 

— En  cll'et,  Excellence,  ils  sont  au  nombre  de  neuf  cir- 
culant sans  cesse,  dans  le  sens  des  aiguilles  d'une  montre, 
sur  cette  voie  circulaire  sans  lin. 

— Pas  la  nuit,  je  suppose? 

— Non,  assurément.  Ils  marchent  de  neut  heures  du 
matin  à la  fermeture  de  l'Exposition,  c'est-à-dire,  jusqu'à 
l'extrême  limite  de  une  heure  du  matin,  lorsqu'il  y a lète 
de  nuit.  Lorsque  le  service  cesse,  les  trains  vont  se  garer  au 
dépôt  du  chemin  de  fer  électrique  situé  avenue  de  La  Bour- 
donnais, entre  les  rues  de  Grenelle  et  de  Saint-Dominique, 
à la  hauteur  du  Château  d'Eau. 

— Parfait. 

— Tiens,  s'écrie  M"’“  Elorc,  nous  sortons  de  l'Expo- 
sition? 

— C’est  que,  madame,  nous  allons  longer  1 avenue  de  la 
Motte-Piquet,  pour  passer  de  l'Esplanade  des  Invalides  au 
Champ  de  Mars. 

— Mais...  ça  monte!  C'est  donc  le  chemin  du  paradis, 
votre  avenue  de  la  Motte-Piquet? 

Du  paradis  de  Mahomet,  apparemment,  puisque  les 

houris  d’Occident  le  fréquentent,  madrigalise,  de  sa  voix 
l'ogomme,  le  mécanicien  en  s inclinant  légèrement  veis 
M"io  pylore  et  Bertrande,  assises  côte  à côte  en  face  de  lui, 
mais  particulièrement  à l'adresse  de  cette  dernière. 

Au  compliment,  M"'«  Flore  se  rengorge. 

— Prince,  dit-elle  en  se  tortillant  en  manière  de  révé- 
rence, vous  êtes  du  dernier  galant.  Ma  parole,  vous  auriez 
été  le  roi  des  mécaniciens  lalons  rouges  des  locomotives  du 
temps  de  la  Régence  ! 

— Hélas  ! madame,  déplore  avec  une  gravité  superbe 
Eaurentietf,  qui  ne  sourit  même  pas  à cette  bourde...  monu- 
mentale comme  la  Porte  Binet,  hélas  ! les  chemins  de  fer 
et  moi  sommes  pour  cela  un  peu  jeunes,  et...  nous  le 
regrettons. 

Le  farinier  pousse  le  coude  à sa  femme,  en  roulant  des 
yeux  féroces. 


I.I^S  MOVIiiNS  DE  LOCOMOTION  A l'eXPOSITIO.N 


27 


lu  devrais  bien,  lui  dit-il  aigrement,  attendre  au 
avi  moins  pour  parler  que  nous  soyons  entre  nous  ! 

— Vraiment!  Tu  crois  qu’il  n’y  a que  toi  à qui  il  soit 
permis  de  risquer  des  allusions  historiques...  Tu  aimerais 
mieux  que  je  paraisse  une  sotte  devant  le  monde...  Tiens 
Aristide,  veux-tn  que  je  te  dise...  tu  es  jaloux!...  Tais-toi’ 
va,  et  laisse  M.  le  prince  nous  expliquer...  ' 

Pourquoi  nous  roulons  ainsi  entre  ciel  et  terre?... 
Mon  Dieu,  madame,  c’est  simplement  pour  permettre  de 
circuler  aux  humains  qui  rampent  sur  le  sol.  Le  chemin  de 
fer  est  ainsi  en  viaduc, — à 3 mètres  de  hauteur,  à cause  du 
passage  des  ti'amways  — tout  le  long  de  l’avenue  Bosquet. 
Ln  tournant  vers  le  Champ  de  Mars,  la  voie,  descendant  un 
plan  incliné,  redevient  «en  palier..,  c’est-à-dire  horizon- 
tale, presque  au  niveau  du  sol.  Elle  plonge  en  tranchée 
pour  laisser  libre  la  porte  Bapp,  regrimpe  en  viaduc  pour  la 
traversée  du  carrefour  La  Bourdonnais-quai  d’Orsay, 
replonge  de  nouveau  en  terre  devant  le  pont  de  l’Alma  et 
s’élève  une  dernière  fois  en  viaduc  au  carrefour  Tour  Mau- 
bourg-quai  d’Orsay.  Le  reste  du  parcours  et  toutes  les  gares 
sont  en  palier. 

Cela  n a pas  dû  être  facile  à construire. 

--  En  effet,  Excellence.  Pour  les  parties  en  palier,  c’était 
un  jeu;  de  môme  pour  celles  en  viaduc... 

— Pourtant,  le  poids... 


t)h  ! les  voitures  sont  aussi  légères  que  solides  (par 
tram,  celle  de  tète  chiffre  lU  tonnes  et  chacune  îles  deux 
autres  4 tonnes,  soit  ensemble  18  tonnes  ou  18,000  kilo- 
grammes) et  les  rails  ne  pèsent  que  2.3  kilogrammes.  Les 
diificultés,  qui  ont  été  de  deux  sortes,  matérielles  et...  com- 
ment dirai-je  .C. . morales,  ont  résidé,  au  premier  point  de 
vue,  dans  la  construction  des  tranchées.  Là,  on  a rencontré 
plusieurs  égouts,  entre  autres  le  collecteur  Bapp.  La  que- 
relle avec  ces  importants  adversaires  étant  d’ordre  purement 
technique,  un  ingénieur  habitué,  comme  M.  Maréchal,  à 
jongler  avec  les  obstacles,  en  a eu  vite  raison.  11  n’en  a pas 
été  de  même  pour  le  second  point  de  vue,  les  adversaires 
étant  ici  d humaine  espèce,  c’est-à-dire  peu  dociles  et  faci- 
lement processifs. 

Des  jaloux,  peut-être? 


28 


A TRAVERS  l’eXROSITIOiN 


UliCURATlON  DKS  l'Il.ES  DU  PONT  DU  TrOTTOIK  RoUI.ANT 
(pont  de  l’Auia). 

jour  à leurs  immeubles  et  le  passage  des  trains  causer  pour 
ceux-ci  de  dangereuses  trépidations...  l^t  puis,  ils  eslimaienl 
que  leurs  grands  locataires  du  premier  étage  verraient  sans 


— Non,  Excellence,  des  gêneurs,  de  simples  proprie- 
taires, ceux  de  l’avenue  de  la  Motte-Piquet  qui  poussaient 
les  hauts  cris,  prétendant  que  le  viaduc  allait  enlever  du 


m:s  JioviiNs  Dio  T,(ii:((.MOTi()N  A i/expositio.n 


20 


cesse  des  regards  étrangers,  voire  cosmopolites,  violer  l’in- 
timité de  leur  home. 

— Le  lait  est  que,  d ici,  on  plonge  admirablement  dans 
les  appartements  qui  entrouvrent  les  guipures  isolatrices 
de  leurs  baies!  Si  l'on  était  indiscret... 

— Bah  ! ou  passe  si  vite.  D'ailleurs,  comme  vous  dites, 
c est  une  question  de  stores  et  atlaire  de  tapissier.  Et  puis, 
est-ce  que  des  impériales  de  tramways  ou  d’omnibus  on  n'a 
point  dos  vues  presque  aussi  pénétrantes,  sans  que  jamais 
personne  ait  songé  à demander  la  suppression  des  moyens 
de  communication  dans  la  capitale? 

— Ab!  prince,  lait  \erduret  en  rianl,  vous  avez  îles  rai- 
sons. . . 

— brappees  au  coin  de  l’expérience. ..  personnelle. 

— Je  n’en  doute  pas,  mais... 

— Excellence,  voici  que  nous  redescendons  vers  le  Cbamp 
de  jMars.  Notre  parconi’s  est  plus  qu’aux  deux  tiers  accom- 
pli, et  je  suis  ellrayé  de  tout  ce  qu’il  me  reste  encore  à vous 
dire  au  sujet  de  ce  cbemin  de  f(M'  (dcctrique,  si  rapide  et  si 
pi'ati([ue.  Laissez-moi  vous  parle)'  bien  \dte  des  voitui'es  ([ui 
nous  emportent,  car,  une  lois  descendus,  vous  n'auriez  plus 
sous  les  yeux  les  élénumts  de  la  démonstration . 

— L'aites,  prince. 

— Cbaque  train,  comme  voiis  voyez,  se  com[)ose de  ti'ois 
voitures  et  occupe  une  longueur  totale  de  :i0  mèti'es.  Dette 
longueur  totale  se  subdivise  comme  suit  ; voiture  de  tète, 

1 1 m.  80  c.;  chacune  des  deux  auti'es,  8 m.  80  c.;  plus  deux 
intervalles  d’attelage  de  chacun  80  centimètres. 

— 11,80  4-  16,00  -j-  1,60,  cela  fait  bien  30  mètres,  con- 
lirme  avec  autorité  le  farinier  calculateur. 

— Tenez  Excellence,  voulez-vous  jeter  les  yeux  sur  ce 
plan?  Vous  y verrez  que  la  voiture  de  tète  est  portée  par 
huit  roues  ou  deux  systèmes  de  deux  essieux  conjugués. 
Cette  voiture  est  la  plus  intéressante,  c’est  elle  qui  tient  lieu 
de  cette  locomotive  réclamée  tout  à l’heure  par  M.  le  Grand 
D...  Oh!  pardon!  je  voulais  dire  par  M.  Tout-Court.  Seule 
des  trois,  en  effet,  elle  est  automotrice.  Elle  comporte 
quatre  moteurs  de  trente-cinq  chevaux  et  commande  un 
système  de  frénage  électrique  à air  comprimé. 

— Mais,  proteste  Bèchai'd,  je  n’admets  [)as  une  locomo- 


30 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


live  sans  machine  et  sans  mécanicien!  Où  sont-ils?  Je  ne 
les  ai  pas  vus  ! 

— C’est  qu’en  effet  machine  et  mécanicien  occupent  fort 
peu  (le  place.  Le  minuscule  compartiment  de  70  centimètres 
de  profondeur  sur  la  largeur  totale  de  la  voiture,  soit 
2 m.  30^  et  qui  se  trouve  à l’avant,  a facilement  échappe  à 
votre  attention  non  prévenue.  C’est  dans  ce  réduit,  indiqué 
sur  le  plan  sous  le  nom  de  « Wattman  »,  qu’habitent  la 
machine  et  la  main  intelligente  qui  la  conduit. 

— Bon,  je  regarderai  cela  en  descendant. 

— Je  n’ai  pas  besoin  de  vous  faire  remarquer  le  très 
adroit  aménagement  des  voitures  qui  permet,  pour  monter 
et  pour  descendre,  l’écoulement  presque  instantané  du  flot 
des  voyageurs.  Songez  que  le  temps  théorique  de  stationne- 
ment n’est  que  de  deux  secondes!  Les  deux  déversoirs  d’hu- 
mains que  constituent  les  plates-formes  de  chaque  extrémité 
SC  prolongent  intérieurement  en  places  debout  qui  sont  en 
contact  immédiat  avec  les  courtes  travées  de  places  assises; 
de  la  sorte,  pas  de  perte  de  temps  à se  glisser  entre  les  ran- 
gées de  genoux  des  voyageurs,  comme  cela  a lieu  dans  les 
incommodes  compartiments  des  raihvays  français.  C’est  ainsi 
que  cette  voiture  de  tète  contient  trente-six  places  debout 
contre  quarante-six  assises.  Pour  un  parcours  comme  celui- 
ci,  qui  ne  dure  que  quelques  minutes,  cet  aménagement  est 
ce  qu’il  y a de  plus  pratique.  Quant  aux  deux  autres  voi- 
tures, simplement  remorquées  par  celle  de  tète,  d’une  lon- 
gueur moindre,  elles  ont  la  même  largeur  de  2 m.  30  c.,  et 
la  disposition  intérieure  est  la  même,  moins  deux  doubles 
banquettes  transversales  et  une  diminution  de  longueur  de 
la  grande  banquette  longitudinale.  Chacune  de  ces  deux 
voitures  comporte  trente-deux  places  assises  et  trente  de- 
bout. 

— Eh  ! eh  ! dites  donc,  prince,  il  me  semble  que  ce  che- 
min de  fer  de  l'Exposition  doit  transporter  pas  mal  de  monde 
dans  sa  journée  ? 

— De  neuf  heures  du  matin  à une  heure  du  matin, 
quelque  350,000  personnes.  Excellence. 

— Hein?...  C’est  fantastique  ! 

— Comment  comptez-vous  cela?  questionne  Bêchard  d’un 
ton  doctoral. 


LES  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A l’eXPOSITION 


31 


Mon  Dieu!  d après  les  chillres  de  l’ingénieur.  Je  ne 
saurais  indiquer  sur  quel  barême  il  se  base,  mais  il  affirme 
que  le  chemin  de  fer  voiture  22,000  voyageurs  à l'heure. 
Pour  une  journée  pleine  de  seize  heures,  comptez  ! En  tout 
cas,  on  peut  dire  qu  ils  font,  surtout  s’ils  sont  commodément 
assis  comme  nous,  un  voyage  charmant.  Rien  n’est  agréa- 
ble, par  les  chaleurs  de  1 été,  comme  cette  fraîcheur  que 
procure  la  vitesse  (car  nous  faisons,  en  moyenne  du  2.3 
mètres  à la  seconde)  dans  ces  jolies  voitures  ouvertes, 
dont  les  coquets  rideaux  ne  se  closent  qu’en  cas  de  mauvais 
temps.  Je  vous  recommande  le  tour  le  soir,  dans  le  rayon- 
nement de  lumière  électrique  dont  la  voie  est  inondée:  c’est 
léerique...  Mais,  nous  voici  à la  dernière  station  que  nous 
ayons  à franchir  avant  de  descendre  à notre  point  de  départ, 
celle  du  quai  d Orsay,  située  en  face  de  la  Manufacture  des 
Jabacs  et  près  de  l’Annexe  des  Armées  de  'l'erre  et  de  Mer. 
Il  n est  que  temps  que  je  profite  de  ces  derniers  instants  pour 
vous  présenter  l’auteur  de  ce  projet  de  chemin  de  fer  si 
heureusement  et  si  ponctuellement  réalisé. 

Vous  nous  Pavez  déjà  nommé  : c’est  M.  Maréchal. 

Oest-a-dire  1 un  des  techniciens  les  plus  justement 
estimés  que  je  connaisse.  Comme  homme,  il  est  l’affabilité, 

1 obligeance  et  la  distinction  mêmes;  comme  chef,  il  me 
suffit  de  dire  qu  il  est  aussi  aimé  qu’apprécié,  respecté  et 
obéi  par  les  divers  personnels  qu  il  a eu  sous  ses  ordres  ; 
comme  ingénieur,  aussi  actif  que  travailleur,  je... 

— Je  parie  que  c est  encore  un  jeune  : c’est  incroyable  ce 
qu’on  voit  de  jeunes  parmi  les  préparateurs  de  cette  Exposi- 
tion de  1900  ! articule  le  mûr  farinier  avec  une  moue  signi- 
ficative de  la  plus  injuste,  mais  de  la  plus  humaine  rancune. 

— Ma  foi,  vous  ne  vous  trompez  pas,  répond  Laurentietf. 
M.  Maréchal  vient  à peine  de  doubler  le  cap  de  la  quaran- 
taine, étant  né  en  1N39,  dans  le  département  de  l’Indre,  à 
Issoudun  ou  à Châteauroux,  je  ne  me  rappelle  plus  au 
juste.  Mais,  s il  est  encore  en  pleine  seconde  jeunesse,  je 
vous  prie  de  croire  qu’il  n’a  pas  perdu  son  temps.  Sorti 
dans  les  premiers  rangs  de  l’Ecole  Polytechnique,  il  a fait 
sa  carrière  dans  les  Ponts  et  Chaussées.  Très  vite,  il  est 
arrivé  au  poste  recherché  d’ingénieur  de  la  Ville  de  Paris. 
Comme  tel... 


A TRAVERS  l'eXROSTITON 


— Il  il  abalUi  une  pomme  sur  la  lèle  de  sou  lils?  demande 
élourdiment  M""=  Flore,  qui,  très  préoccupée  de  la  toilette... 
bizarre  de  deux  Anglaises  debout  près  d'elle,  le  tace  à main 
l'ivé  devant  les  yeux,  est  on  ne  peut  moins  aux  explications 
du  j)rincc-prolétaire. 


— Non,  madame,  se  hâte  de  dire  celui-ci,  coupant  à temps 
une  sévère  mercuriale  de  l’époux  farinier  a sa  trop  distraite 
conjointe.  Je  disais  que,  comme  ingénieur  de  la  Ville  de 
Paris,  M.  Maréchal  a été  directeur  de  FUsine  électrique  des 
Halles,  qu’il  a l'ait  l'éclairage  de  l’avenue  de  l'Opéra  et  a 


Le  CHE.MIN  UE  FER  Él.ECTllIQUE. 


LES  MOYENS  DE  LOEOAIOTI rtN  A L ICXPOSIIION 


grandement  collaboré  an  percement  de  la  rue  Réan  mur.  Les 
deux  premières  fonctions  vous  indiquent  que  le  maniement 
des  forces  électriques  n’a  pour  lui  aucun  mystère.  11  a,  d'ail- 
leurs, écrit,  sur  \' Edairafjc  à Paris'  et)  sur  les  Tramirays, 
(’lectriques,  doux  ouvrages  techniques  de  premier  ordre  el 
qui  font  autorité  en  la  matière.  11  est,  avec  une  simplicité 
exquise,  une  véritable  sommité  savante,  merveilleusement 
en  sa  place  comme  dii'ecteur  de  la  Compagnie  des  Transports 
électriques  de  l’Lxposition,  administrateur  au  Métropolitain 
et  membre  du  Comité  de  direction... 

— Oh  ! s écria  tout  à coup  Rertrande,  regardez  donc  !... 
Comme  c’est  drôle  ! 

— Quoi,  petite  ? 

— -Maitemoiselle  parle  de  la  plate-forme  à deux  vitesses, 
dont  l’itineraire,  après  s’ètre  séparé  du  nôtre  cji  arrivant 
au  quai  d’Orsay,  vient  le  l'ejoindre  en  approchant  de  l'a- 
venue Rapp.  C’est,  en  elfet,  amusant  à voir... 


1 1 I 

CHASSÉ  CliOISli 

Cenchés  en  avant  et  le  nez  on  l'air,  nos  quatre  visi- 
teurs contemplent,  une  gaieté  croissante  dans  le  regard,  le 
bizari'e  spectacle  qu'olfi’cnt,  vus  d’en  bas,  les  pi'omeneurs 
du  Trottoir  lloulant. 

Rien,  au  premier  moment,  no  donne  envie  de  rire',  comme 
de  voir  tous  ces  personnages  courir,  se  dépasser  nnituelle- 
ment,  sans  taire  un  seul  des  gestes  ordinaii'os  de  la  transla- 
tion. Ils  ressemblent  à des  pantins  qu'une  main  invisible 
déplacerait  rapidement,  en  onl)liant  de  mouvoir  les  fils  qui 
leur  font  aller  les  jambes. 

Tout  mouvement  dont  on  ne  voit  pas  la  cause  et  qui 
donne  l’impression  de  quelque,  chose  d’anormal,  de  con- 
traire aux  lois  naturelles  qui  régissent  le  déplacement  ac- 
coutumé des  êtres  et  des  choses,  produit  tout  d’abord  un 
elfet  d’hilarité  sur  les  spectateurs. 

Il  est  évidemment  tout  à fait  anormal  de  voir  des  gens. 


34 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


tranquillement  assis  sur  l’impériale  d’un  tramway,  se  dé- 
placer latéralement;  mais  c’est  une  vision  habituelle  et 
acquise  à laquelle  nous  ne  faisons  plus  attention.  Il  en  est 
de  même  à propos  du  Trottoir  Roulant  ; le  premier  effet  de 
surprise  passé,  la  bizarrerie  du  geste  s'atténue  pour  bientôt 
n'ètre  plus  sensible. 

Brusquement,  Laurentieff,  assis  à côté  de  la  fausse  Excel- 
lence, saisit  le  bonhomme  par  les  deux  épaules,  le  fait  pi- 
voter sur  sa  banquette  de  façon  à l'interposer,  obèse  écran, 
entre  lui  et  les  promeneurs  du  dit  Trotloir  Houlant. 

— Hein?...  Qu'est-ce  qui  vous  prend?  interroge  Verdu- 
re! tout  interdit  et  réduit  à l’immobilité  par  la  pression  d'étau 
des  mains  nerveuses  de  Laurentieff. 

— Chut!  siffle  celui-ci  à voix  basse  et  d’un  ton  d'épou- 
vante... Cachez-moi,  j'ai  vu  le  diable  I 

— Eh!  bon  Dieu  ! où  prenez-vous  le  diable,  mon  pauvre 
prince?  fait  l'oncle  de  Bertrande  avec  toute  la  compassion 
que  lui  inspire  cette  nouvelle  preuve  de  déséquilibremenl 
mental  chez  ce  pauvre  garçon. 

— Je  le  vois...  11  est  sur  la  plate-forme  rapide  !...  Pourvu 
que  lui  ne  me  voie  pas  ! 

Instinctivement,  nos  quatre  expositionnislps  lèvent  de 
nouveau  les  yeux  vers  la  bruyante  machine,  qui  se  rapproche 
rapidement  de  la  voie  du  chemin  de  fer. 

Tous  quatre  étouffent  un  cri  de  surprise. 

A leur  quadruple  geste  répond,  du  haut  du  Trottoir,  un 
cri  guttural  qui  les  fait  tressaillir. 

Parmi  les  personnages  glissant  dans  le  sens  opposé  à celui 
du  train,  un  indivTdu  en  complet  à carreaux,  rouge  de  poil 
comme  de  visage,  lève  vers  le  ciel  deux  poings  exaspérés. 

— Puzzling  ! murmurent-ils  stupéfaits. 

— -Mon  cher  prince,  lâchez-moi,  supplie  Yerduret,  que 
l’étreinte  de  Laurentieff  gène  et  inquiète  quelque  peu.  Ce 
n'est  pas  le  diable,  c’est  notre  crampon  d’Anglais...  vous  sa- 
vez bien,  celui  qui  nous  a accompagnés  dans  la  fameuse 
gondole...  à qui  j’étais  ])arvenu  à faire  perdre  notre  trace  et 
qu’un  fâcheux  hasard  remet  sur  notre  piste. 

— 11  ne  faut  pas  qu’il  nous  suive.  Excellence,  gémit 
le  fou  d'une  voix  effarée.  Je  suis  sûr  que  c’est  Belzébuth 
incarné!  Je  l’ai  bien  reconnu!... 


I.KS  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A l'eXPOSITION 


3o 


— Parbleu  ! je  ne  demande  pas  mieux  que  de  l’éviter... 
J ai  assez  fait  courir  Bèchard  pour  ne  pas  souhaiter  voir 
tant  de  peine  perdue...  Mais  cela  me  semble  bien  difficile. 

— Les  saintes  Icônes  me  protègent!  S’il  m’atteint,  je  se- 
rai un  damné!  s’écrie  LaurentielT,  dont  les  mains  tremblent 
sur  tes  épaules  de  \ erduret  qu’il  ne  lâche  toujours  pas. 
Voyez-vous,  L.xcellence,  il  ne  faut  pas  qu’il  puisse  nous  re- 
joindre, il  ne  faut... 

Soudain,  le  prince-mécanicien  pousse  un  cri.  Ses  mains 
abandonnent  les  grasses  omoplates  du  manufacturier  retiré 
pour  se  frotter  Lune  contre  l'autre,  avec  une  joie  enfan- 
tine, comme  en  ont  les  déments  dont  la  folie  est  douce. 

— J’ai  trouvé!  s’écrie-t-il...  Un  moyen  naïf  et  sûr  dont 
l'antre  ne  s’avisera  pas,  tout  Satan  qu’il  est!...  Car  vous 
savez.  Excellence,  qu’en  prenant  la  forme  humaine  pour  ve- 
nir accomplir  ici  ses  méfaits  infernaux,  il  a endossé  les  infir- 
mités de  l’humaine  nature  et  perdu  le  don  d’ubiguité  des 
esprits.  En  raison  de  la  direction  où  l’entraîne  la  plate-forme 
mobile,  il  ne  peut,  après  l’avoir  quittée,  que  prendre  le  train 
qui  nous  suit  à la  dernière  station  que  nous  avons  franchie, 
avec  l’espoir  de  nous  apercevoir  avant  que  nous  ayons  eu  le 
temps  de  nous  éloigner  de  la  station,  inconnue  de  lui,  où 
nous  quitterons  le  chemin  de  fer...  Eh  bien!  nous  allons 
descendre  dans  quelques  instants  , à notre  station  initiale, 
gagner  en  courant  l’escalier-station  de  la  plate-forme  qui  se 
trouve  tout  près,  à côté  du  Pavillon  de  la  Perse,  et  filer  par 
le  trottoir  roulant  pendant  que,  sous  nos  pieds,  il  roulera 
dans  le  sens  inverse...  Et  du  diable,  alors,  si  le  diable  nous 
rattrape  jamais! 

— Ma  foi,  approuve  en  riant  Verduret,  le  moyen  est  bon 
et  le  résultat  cadre  trop  bien  avec  notre  désir  de  nous  dé- 
faire de  cet  animal  pour  que  nous  ne  l'essayions  pas. 

En  ce  cas,  Excellence,  descendons  vite;  voilà  que  nous 
arrivons. 

Notre  quatuor  se  trouve,  quelques  secondes  après,  sur  le 
quai  de  la  petite  gare.  Verduret  olfre  le  bras  à sa  nièce, 
Bèchard  saisit  solidement  celui  de  sa  femme,  et,  bande  folle 
conduite  par  un  fou,  les  deux  couples  s’élancent  à la  suite  de 
Laurentieff  vers  l’embarcadère  du  ïrottoii’  Boulant... 


(iAiu-; 


1)1 


l'Kii'l'l'O.K 


no 


I KsiM.ANAijr: 


DKS  INVAI.IUKS) 


V : 


CIIAIMTKE  II 


E TROTTOIR  ROULANT 


S E'' 


P A T A T li  A s ! 

Tant  de  monde  sc  presse  pour  profiter  de  l’immense 
chemin  qui  marche,  que  notre  groupe  de  visiteurs  et 
son  guide  ont  été  contraints  de  « faire  la  queue  » quel- 
ques moments  à la  gare  du  Pavillon  de  la  Perse,  gare 
ituée  à la  hauteur  du  premier  étage  du  dit  Pavillon,  et 
Tune  des  douze  qui  permettent  l'accès  du  public  au  mode 
nouveau  de  locomotion. 

Cet  empressement,  qui  prouve  l’excellent  accueil  fait  par 
la  foule  à cette  innovation,  a le  don  de  causer  un  surcroît  de 
méchante  humeur  à l’esprit  étroit  et  jaloux  de  Béchard, 

Cet  homme,  toujours  prêt  à dénigrer  ce  qui  montre  un 
mérite  ou  une  valeur  au-dessus  de  la  moyenne,  est  décidé- 
ment bien  la  personnification  de  l’élément  faussement  démo- 
cratique dont  la  France,  ce  pays  de  pensée  généreusement 
hardie  et  d’éclat  intellectuel,  subit  sceptiquement  le  joug. 
Toute  personnalité  qui,  en  sa  présence,  captive  trop  les 
regards,  provoque  en  lui  comme  une  sourde  hostilité;  et 
cette  hostilité  hausse  le  ton  dès  qu  elle  juge  que  la  supé- 
riorité qui  l'olfusque  aura  la  timidité,  la  politesse  ou  la 
sagesse  de  lui  épargner  les  cinglantes  ripostes.  Cette  ja- 


FÆS  MOYENS  DE  EnCO.^IOriON  \ E EXPOSITION 


39 


lousie  — qui  est  la  caractéristique  principale  de  la  Médio- 
crité devenue  souveraine  de  par  la  loi  du  nombre  — s’étend, 
chez  Bêchard,  jusqu’aux  choses  ; il  déteste,  à travers  l'ou- 
vrier de  talent,  1 œuvre  môme  qui  se  permet  de  triompher 
et  est  coupable  d’être  née  d'une  capacité  artiste,  indus- 
trielle ou  savante. 

— Ridicule!  maugrée-t-ii.  Ne  se  dirait-on  pas  à la 
gare  de  la  Porte  Maillot,  lors  d’un  retour  de  la  revue  du 
14  Juillet  Quand  on  fait  un  Trottoir  Roulant,  on  s’arrange 
pour  qu’il  soit  commodément  accessible  pour  tous  et  con- 
stamment ! Ce  n’est  pas  douze  gares  qu’il  aurait  fallu  espacer 
sur  le  parcours  : c est  cent  que  l’on  aurait  dû  semer  afin 
qu  il  y en  eût  tous  les  quelques  pas  ! 

Quand  il  s’agit  d’acquitter  les  cinq  modestes  décimes 
exigés  pour  avoir  droit  à l’accès  sur  les  plates-formes,  autre 

— Cela  devait  être,  parbleu  ! Le  Decau ville  électrique, 
moyen  de  transport  rapide  et  normal,  ne  coûte  que  vinM- 
cinq  centimes,  et  cette  invention-là,  qui  fait  exactemenUe 
même  trajet,  lève  sur  le  public  bénévole  un  impôt  double 
C’est  grotesque  ! 

— Je  vous  ferai  observer,  mon  cher  ami,  que,  pour  ce 
prix  modique,  vous  pouvez,  si  vous  le  voulez,  rester  toute 
la  journée  sur  le  Trottoir  Roulant. 

— Vous  voilà  bien,  Verduret.  Parce  que  cette  machine 
est  une  innovation,  elle  a le  droit,  d’après  vous,  d’écorcher 
Vils  les  visiteurs  de  l’Exposition.  Vous  mériteriez  d’être 
1 arisien,  car  vous  êtes  autant  qu’eux  hadaud  et...  gogo,  ma 
parole!  Et  puis,  pourquoi  est-ce  fait,  pratiquement,  le  Trot- 
toir Roulant?...  Pour  épargner  la  fatigue  de  la  marche, 
n est-ce  pas? 

— Sans  doute.  Eh  bien  ? 

— Eh  bien,  voilà  que  nous  l’atteignons  enfin  et  que,  pour 
cela,  il  nous  a fallu  gravir  un  gigantesque  étage...  J’ai  les 
jambes  coupées.  Ab  ! elle  est  jolie  l’économie  de  fatigue  ! 

A ce  moment,  le  guide,  que  le  groupe  vient  de  rejoindre 
sur  1 étroit  trottoir  fixe,  se  tourne  vers  nos  provinciaux. 

C est  avec  une  aisance  et  un  calme  — qui  contrastent  avec 
1 extraordinaire  agitation  du  pauvre  prince-ouvrier  depuis  la 
rencontre  de  Puzzling-Belzébiith  — que  Laiirentielf  répond  ; 


40 


A traveiis  l’exposition 


— Pour  doux  des  douze  gares,  on  a,  remplacé  les  esca 
liers  par  des  plans  inclinés  mobiles... 

— Comme  ces  o tapis  » des  grands  magasins  de  nou- 
veautés que  m'a  l'ait  voir  mon  oncle  ^ 

— Oui,  mademoiselle. 

Bôcliard  hausse  les  épaules  : 

Une  grande  Exposition  comme  celle-ci  aller  emprunter 

des  moyens  de  locomotion  anx  modernes  bazars  du  com- 
merce de  détail...  Ouel  ell'ort  d’imagination! 


lUlIl'K  MOHII  K. 

Ulp.  a même  fait  cet  emprunt  dans  des  pro[)ortions 

bien  plus  vastes  que  vous  ne  le  soupçonnez.  Onand  vous 
visiterez  les  Palais  du  Champ  de  Mars  et  de  l’Esfdanade  des 
Invalides,  vous  verrez  nombre  de  ces  élévateurs  si  pratiques, 
supprimant  l'elTort  pour  gagner  rétage  supéiâeur.  Mais, 
bixe.ellence  et  mesdames,  nous  sommes  au  Trottoir  Rou- 
laut,  et... 

Pas  lient  non  plus,  votre  fameux  Trottoir.  J’ai  lu 

quelque  part  qu’il  y en  avait  un  à l'Exposition  de  Chicago. 

— Et  aussi,  plus  récemment,  <à  celle  do  Berlin. 

Allons  [donc  !...  Nous  marchons  à la  remoiajne  du 

génie  anglo-saxon  et  allemand. 


m:s  jioykns  di:  LocdMo  ridN  a i.  i:\i>()si  i io.n 


41 


— Pas  le  moins  du  monde. 

— Par  exemple  ! Ne  venez-vous  pas  de  dire  vous-mème 
(jue  les  Américains  et  les  Teutons  ont  eu  leur  Trottoir  avant 
nous?...  11  est  vrai  que  j’ai  tort  de  m’étonner  de  vous  voir 
vous  contredire...  Ce  n'est  pas  de  votre  faute  si  vous  n’avez 
pas  deux  idées  de  suite. 

— D’abord,  monsieur  le  Crand  Panetier. .. 

— Je  vous  ai  prie  de  ne  pas  .. 


— Vous  donner  votre  titre?  C’est  vrai...  Pardon  ! D'abord, 
dis-je,  le  Trottoir  Roulant  de  1900  est  très  diO’érent  de  ses 
prédécesseurs  qui  n’étaient  que  de  faibles  essais...  En 
second  lieu,  ainsi  que  j’aurai  le  plaisir  de  vous  le  démontrer, 
sachez  que  les  projets  de  plates-formes  roulantes  sont  nés... 

— Parbleu,  en  Amérique,  comme  tout  ce  qui  est  pra- 
tique ! 

— Non,  monsieur:  en  France,  comme  tant  d'idées  ingé- 
nieuses que  le  momie  a assez  l’habitude  de  venir  puiser  à 
Paris  et  que  les  Français  adoptent  ensuite  ..  avec  la  mar- 
que étrangère. 

— Ça  m’étonne  ! 

— Ab  ! que  voilà  un  étonnement  éminemment  français  ! 


TRAVERS  L EXPOSITIOIN 


— Et  maintenant,  observe  Verduret,  si  nous  montions 
comme  tout  le  monde  sur  le  Trottoir,  qu’en  dites-vous? 

— A vos  ordres,  Excellence...  Et,  tenez,  voilà  un  em- 
j)loyé  qui  va  vous  indiquer  la  façon  de  vous  y prendre. 

— l’our  monter  là-dessus  ? La  belle  malice,  se  récrie 
Bèchard...  Une  simple  petite  marebe  à monter,  quelle 
grande  alfaire  ! Dirait-on  pas  qu'on  a besoin,  pour  cela,  de 
leçons  comme  pour  apprendre  à monter  à cheval. 

— Une  leçon,  non  ; mais  une  indication  n’est  pas  su- 
[)erllue. 

— Vous  voulez  rire!...  Cela  va  si  doucement!  Voyez 
comme  c'est  simple  ! 

Bèchard,  joignant  le  geste  a la  parole,  fait  — toujours 
raille  comme  la  justice  — un  pas  en  avant,  perpendiculaire- 
ment au  Trottoir,  et  pose  le  pied  gauche  sur  le  chemin  qui 
marclie. . . 

Mais  le  farinier  d’Essonnes,  hôte  accidentel  de  Paris,  est 
loin  (l'ètre  assoupli  à l’exercice  très  parisien  de  l’ascension 
et  de  la  descente  d’une  voiture  en  mouvement.  Inapte  à 
meltre  son  corps  rigide  dans  la  position  d’équilibre  conve- 
uahle,  sa  jambe,  soudainement  entraînée  fait  perdre  à cet 
homme  grave  son  centre  de  gravité...  physique  et,  tel  un 
capucin  de  cartes  ou  un  mât  de  navire  sous  une  ï’afale,  il 
s’allonge  rudement  sur  le  côté  gauche. 

— Patatras  ! s'écrie  la  mutine  Bertrande,  qui  se  hâte  de 
bâillonner  ses  jolies  lèvres  avec  son  mouchoir  pour  essayer 
de  contenir  l’accès  de  fou  rire  que  lui  cause  le  spectacle  du 
juste  châtiment  de  la  présomption  du  maître  de  moulin. 

Celui-ci  a à peine  eu  le  temps  de  mesurer  complète- 
ment sa  longueur  sur  le  plancher  mouvant,  que  les  deux 
mains  nerveuses  de  LaurentietT  l’ont  remis  sur  pied,  vexé 
et  sacrant. 

Soutenu,  cette  fois,  par  le  prince-prolétaire,  il  a regagné 
le  trottoir  fixe. 

— Eh  bien,  mon  cher,  lui  dit  Verduret  d’un  ton  gogue- 
nard, trouvez-vous  toujours  qu’un  petit  avis  préalable  soit 
si  inutile  ? 

— Je  trouve  que  cette  invention  de  plancher  qui  se 
dérobe  sous  les  pas  est  ridicule  ! Je  trouve  que  l'auteur  de 
cette  machine  infernale,  créée  expressément  pour  que  les 


LES  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A l’eXPOSIÏION 


43 


honnêtes  gens  s’y  viennent  rompre  le  cou,  mériterait  cl  ctre 
envoyé  aux  galères  ! 

I.'employé  en  vareuse  bleue,  signalé  l’instant  d’avant  par 
laiurentieir,  va  vivement  à Bèchard. 

— \ ous  ne  vous  ôtes  pas  fait  mal,  monsieur? 

— Non,  grogne  le  farinier,  et  je  le  regrette.  J’aurais 
voulu  me  casser  un  membre...  qui  aurait  coûté  cher  en 
dommages  et  intérêts,  je  vous  le  certifie  ! 

^ — (l’est  que  vous  vous  ôtes  trop  bâté,  aussi  ! Vous  ne 
m avez  pas  laissé  le  temps  de  vous  expliquer...  Voyez:  il 
sutlitde  marcher  tout  doucement  dans  le  même  sens  que  le 
Irottoir,  d attendre  le  passage  d’un  des  poteaux  d’appui,  d(‘ 
poser  la  main  sur  la  boule  qui  le  surmonte  et,  garanti 
contre  toute  perte  d é(|uilibre  par  ce  solide  tuteur,  de  pren- 
dre pied  en  toute  sécurité  sur  la  plate-forme  mobile. 

— Tenez,  voyez  comme  c’est  simple  ainsi  ! dit  Bertrande. 

Et  elle  saute  légèrement  sur  le  Trottoir  mobile,  en  se 
conformant  aux  indications  de  1 employé,  lequel  va  répéter 
son  utile  avis  à d’autres  débutants. 

A 1 exemple  de  la  souple  jeune  fille,  ,M'"“  Bèchard  soutenue 
par  Laurentielf,  et  ensuite  Verduret,  s’engagent  sur  le  chemin 
fatal  au  farinier.  Celui-ci  les  suit  d’abord  en  marchant  sur 
le  plancher  fixe...  11  hésite...  Enfin,  pris  de  fausse  honte, 
il  se  décide  à réitérer  une  tentative  précédemment  cou- 
ronnée d un  insuccès  dont  son  amour-propre  est  fort  mor- 
tifié. 11  guette  le  passage  du  suivant  point  d’appui,  le  saisit 
convulsivement  à deux  mains  et,  faisant  un  pas  de  géant  des 
plus...  grotesques,  se  trouve  enfin,  sans  chute  nouvelle, 
entraîné  dans  le  placide  mouvement  translatoire  de  la 
plate-forme....  Alors,  il  se  redresse  et,  d’un  air  de  dédain  : 

— Penh!...  C’est  enfantin! 

A ce  mot,  si  « nature  » dans  la  bouche  d’un  homme  tel 
que  Bèchard,  comme  un  vent  léger  de  sourire  muet  court 
parmi  la  loule  ambiante  témoin  amusé  de  la  mésaventure 
du  personnage.  Celui-ci  en  a l’intime  sensation  et,  intérieu- 
1 ement,  sa  mauvaise  humeur  s’en  décuple,  quoique,  pru- 
demment, il  se  tienne  coi...  pour  quelques  secondes.  Se 
composant  un  visage...  diplomatique,  il  rejoint  ses  compa- 
gnons à qui  Laurentietf  explique  que,  pour  passer  de  la 
plate-forme  en  marche  au  petit  quai  fixe,  il  suffit,  toujours 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


en  faisant  face  dans  le  sens  du  mouvement,  de  se  pencher 
l'ranchement  en  arrière  pour  descendre  le  petit  pas  qui 
forme  la  frontière  des  deux  planchers. 

Le  prince-mécanicien  commence  ensuite,  en  s adressant 
plus  spécialement  à Verduret  qui,  dans  1 idée  du  monomane, 
occupe  le  sommet  hiérarchique  relativement  à scs  compa- 
gnons : 

— Comme  vous  le  voyez.  Excellence,  le  Trottoir  Roulant 
de  1900  SC  compose  de  trois  parties  distinctes,  dont  Tcn- 
seinhle  est  élevé  à la  hauteur  dTm  second  étage,  sur  une  so- 
lide charpente  en  bois... 

— (Jui  est  bien  du  plus  boi'i'ible  effet!  récrimine  le  lari- 
nier,  incapable  de  contenir  sa  bile  plus  longtemps.  Drôle 
d'idée  de  faire  courir  cette  rustique  estacade  tà,  travers  l'Ex- 
position ! 

— J’avoue  quau  point  de  vue  esthétique,  ces  robuste.s 
madriers,  plantés  dans  le  sol  et  couronnés  d'un  fouillis  de 
lambourdes,  de  longrines,  d’entretoises,  manquent  un  peu 
de...  légèreté  et  de  grâce.  Mais  croyez  que  si  les  autours  et 
exécuteurs  du  projet  s’y  sont  résignés,  ce  n a pas  dû 
sans  valables  motifs. 

— Allons  donc!  (ju'est-ce  qui  les  emjiècbail  de  faire, 
comme  pour  le  cbemin  de  ter  électrique,  un  viaduc  métal- 
li<j  ne  ? 

— Ecoutez,  je  vous  prie. 

— Votre  raison?...  Eh  bien,  j'attejids. 

— Non.  Ecoutez  simplement. 

— Quoi? 

— Le  bruit  constant  de  j'onlemcntdu  système. 

— Ab!  parbleu,  il  est  on  ne  i)eut  plus  insupportable... 
Un  dirait  un  grondement  ininterrompu  d'orage  qui  aj)- 
proclie. 

— Vous  exagérez.  Je  le  Irouvc  doux  relativement  à l'cl- 
frayante  masse  sonore  en  mouvement  et,  pour  garder  votre 
comparaison  orageus(;,  cela  ressemble  à un  écho  d orages 
lointains.  Mais,  ligurez-vous  ce  roulement  s accomplissanl 
sans  répit  sur  un  vibrant  viaduc  de  fer.  Cela  ferait  pour 
l’oreille,  avec  ce  qui  existe,  une  différence  analogue  à celle 
des  bruits  (d’intensité  à peine  comparable)  d'un  train  rou- 
lant sur  remblai  de  terre,  ou  bien  franchissant  une  rivière' 


' -V^ 


- lii;•,■^A^''■l'^  /?’ 


"■y ht;  ' ■ 


i,i;s  .MiivioNs  iJh;  L(lC(l.M(l■n((^  a i.  ioxposi  i ioa 


't.) 


sur  mi  pont  métallique.  Avouez  qu'il  vaut  mieux  sacrifier 
un  peu  il  esthétique  pour  l'vitei'  un  pareil  inconvénient. 


IMais,  permettez-moi  do  fermer  cette  parenthèse  et  de 
reprendre... 

— Uni,  précise  Verduret  : les  (rois  parties  du  Trottoir 
Roulant... 


):  1' 


U: 


i''  f.' 


fii 


'1 


I ' 


46 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— Sont,  Excellence  : 1“  une  plate-t'orme  fixe,  ayant 
l™lo  de  largeur,  servant  à la  fois  de  quai  continu  d'embar- 
quement et  de  terrasse,  lorsqu’il  plaît  aux  voyageurs  d’in- 
terrompre leur  marche  pour,  appuyés  à la  balustrade  comme 
à un  balcon,  contempler  une  perspective,  étudier  l’archi- 
tecture d’un  palais  ou  tout  simplement  saluer  d’un  bonjour 
quelqu’ami  aperçu  dans  la  foule  pédestre  circulant  au  long 
du  parcours;  2®  une  plate-forme  de  petite  vitesse,  c’est-à- 
dire  celle,  toute  étroite,  qui  nous  emporte  en  ce  moment. 

— Ah!  par  exemple,  elle  est  bien  nommée,  celle-là! 
Ouelle  marche  de  tortue!  Un  enfant  la  suivrait  à quatre 
pattes  ! 

— Elle  avance  pourtant  à raison  de  4 kilomètres  un 
quart  à l’heure. 

— Hein?...  Plus  d’une  lieue  à l’heure!...  Vous  plaisan- 
tez ? 

— Leschilfres  sont  les  chiffres. 

— Sans  doute  ; mais,  voyons,  c’est  impossible. 

— Pourquoi? 

— Ce  serait  une  allure  équivalente  à celle  d'une  troupe 
d’infanterie  en  marche! 

— Pas  tout  à fait,  car  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  plate- 
forme n’éprouve  pas  le  besoin  de  ces  repos  que  l’on  désigne, 
dans  l’armée,  sous  le  nom  de  haltes  horaires.  D’ailleurs  sa 
vitesse  ne  représente  que  70'” 83  à la  minute,  tandis  que, 
dans  le  même  temps,  la  troupe  d’infanterie  française  couvre 
91  mètres  au  « pas  déroute  » et 96  mètres  au  « pas  accéléré  ». 
Elle  équivaut  donc  à un  simple  pas  de  promenade  pas  trop 
nonchalant.  Du  reste,  celte  plate-forme  n’a  été  construite  si 
étroite  — 0"’90  — que  parce  qu’elle  constitue  un  chemin 
marchant  de  transition  entre  le  quai  immobile  et  le  véritable 
Trottoir  Roulant,  troisième  partie  du  système,  lequel,  large 
de  2 mètres,  progresse  à raison  de  8 kilomètres  et  demi  à 
l'heure,  soit  14P''66  à la  minute,  ce  qui  équivaut,  à très  peu 
près,  à la  vitesse  de  fantassins  lancés  au  pas  gymnastique. 
Vous  savez,  en  effet,  que  les  dits  fantassins  couvrent, 
à cette  allure,  136  mètres  à la  minute;  ce  n’est  donc  qu’un 
excédent  tle  moins  de  6 mètres  par  soixante  secondes  en 
faveur  de  la  plate-forme  de  grande  vitesse...  sur  laquelle  je 
vous  prie  do  vouloir  bien  me  suivre. 


LKS  .MOVli.NS  DE  LUCU.MOTIU.N  A l' EXPOSITION 


47 


— l^ardon,  mais... 

— Ne  vous  effrayez  pas.  La  différence  de  vitesse  étant 
égale  à la  vitesse  du  plancher  intermédiaire,  le  passage  de 
la  petite  à la  grande  correspond  exactement  au  passage  que 
vous  venez  d’exécuter  du  trottoir  fixe  à la  petite  vitesse. 
Gela  vous  explique  l’utilité  de  cette  plate-forme  intermé- 
diaire qui  permet  aux  dames,  aux  personnes  âgées,  ainsi 
qu’aux  enfants,  de  passer,  sans  danger  ni  eii'ort,  et  en  deux 
fois,  du  plancher  immobile  au  plancher  animé  du  mouve- 
ment rapide. 

— C'est  excellemment  compris,  approuve  Verduret. 

— N’est-ce  pas.  Excellence?  11  est  certain  que  si  l’on 
n avait  à sa  disposition  que  la  petite  vitesse,  on  trouverait 
bien  long  de  mettre  tout  près  de  cinquante  minutes  à faire 
les  3,500  mètres  que  comporte  la  longueur  totale  du  système. 

— Le  Trottoir  Roulant  est  donc  plus  long  que  le  Decau- 
ville  électrique,  qui  n’a,  nous  avez-vous  dit,  que  3,400  mè- 
tres? 11  suit  pourtant  le  même  itinéraire. 

— 11  passe,  en  effet,  parles  mêmes  voies  — quai  d’fJrsay, 
avenues  de  La  Bourdonnais  et  de  La  Motte-Piquet,  et  rue 
Fabert  — et  souvent  les  deux  tracés  se  confondent;  mais, 
là  où  ces  tracés  se  disjoignent,  la  courbe  du  Trottoir  est  en- 
veloppante par  l’apport  à celle  du  chemin  de  fer,  et,  par- 
tant, légèrement  plus  longue...  Mais  passons,  ainsi  que  je 
viens  de  vous  en  prier,  sur  le  trottoir  à grande  vitesse,  qui, 
lui,  fait  le  tour  complet  en  un  peu  moins  de  vingt-cinq 
minutes...  Faut-il  vous  aider,  monsieur  le  Grand  Panetier? 

— Merci,  j’y  suis!  répondit  sèchement  Bêchard  au  trop 
prévenant  pseudo-prince  russe. 

— ■ Hum  ! ces  trois  planchers,  fixes  ou  plus  ou  moins 
roulants,  manquent  singulièrement  de  sièges,  regrette 
ypiie  pfiore  en  opérant  à son  tour  le  passage  avec  l’aide  du 
bras  de  Verduret. 

— Toute  l’Exposition  est  un  peu  en  retard  et  les  instal- 
lations ne  sont  pas  achevées.  Les  sièges  dont  vous  blâmez 
l’absence,  madame,  feront  bientôt  leur  apparition,  mais 
peut-être  en  nombre  plus  restreint  que  ne  le  souhaiterait  la 
gracieuse  indolence  féminine.  N’oublions  pas  que  nous 
sommes  ici  sur  un  Irotloir  et  non  dans  une  sorte  de  voilure 
sans  fin. 


A TRAVERS  L'EXPOSITION  DE  1900 


LE  TROTTOIR  ROULANT  EUE  CHEMIN  DE  TER  ELECTRIQUE 


IJOS  MOVIÜS'S  DI'  IJICII.MDTKJN  A l’eXPOSITIO-N' 


49 


— C’est,  en  ell'el,  le  moyen  d'obtenir  le  nuiximnni  de 
rii|)idité  de  translation. 

I‘.it  à combien  s’i'dève  ce  maximnm  ?...  Non,  non...  ne 


répondez  pas,  monsieur  le  pi'ince  Laurentieir  ; vous  mar- 
cberiez  sur  les  brisées  de  M.  le  Grand  Panetier,  dont  le 
calcul  est  la  spécialité. 

~ I ctite  Bertrande,  vous  savez  combien  cette  appellation 
l'idicnlc  me... 


A TKAVKUS  l’eM'USITIO.N.  — T.  \1H.  — 


so 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Mais  Bèchard,  qui  commençait  à gronder,  oublie  de  pour- 
suivre, saisi  qu'il  est  par  sa  chère  marotte  calculatrice.  Les 
mots  fâchés  lui  manquent  et  sa  gronderie  esquissée  s’achève 
en  un  énoncé  de  la  solution  du  problème  par  lui  mentale- 
ment résolu  aussitôt  que  posé  par  la  jeune  lille. 

— En  ajoutant,  dit-il,  à la  vitesse  de  la  plate-forme  rapide 
celle  de  la  plate-forme  intermédiaire  ou  du  pas  de  prome- 
nade, on  obtient  212  mètres  t/2  à la  minute,  soit  du  12  kilo- 
mètres 750  mètres  à Lbeurc,  et  le  tour  complet  en  10  mi- 
nutes 1/2.  Si  l’on  prend  le  pas  accéléré,  on  se  trouve  faire 
252  mètres  2/5  à la  minute,  15  kilomètres  900  mètres  à 
rheure,  et  le  tour  en  un  quart  d'heure.  Avec  le  pas  gym- 
nastique, on  arrive  au  maximum  de  277  mètres  2/5  a la 
minute,  ou  10  kilomètres  000  mètres  à l’heure,  et  on  tait 
le  lotir  de  la  piste  en  12  minutes  50  secondes. 

— Superbe!  s’écrie  Laurentiell  avec  une  admiration  qui 
paraît  toute  sincère.  Vous  êtes,  monsieur,  un  barème  vivant! 

Ilècbard  se  rengorge,  quoiqu’il  ne  saisisse  pas  bien  ht 
valeur  de  la  comparaison  marquée  par  ce  mot  hiérogdypbique 
de  barème,  qui  rappelle  plus  à sa  mémoire  un  crime  poli- 
tique et...  préfectoral,  sur  leqmd  a été  étendu  un  voile 
mystérieux,  qu’uni'  allusion  matbématique  a son  esprit 
insuflisamment  éclairé.  Il  n en  est  pas  moins  très  satisfait 
d’avoir  produit  son  petit  etlet,  effet  très  capable,  pensc-t-il, 
d’avoir  fait  oublier  sa  chute  grotesque  de  tout  a 1 heure. 
Cette  intime  satisfaction  d’amour-propre  adoucit  1 âpreté  de 
son  humeur,  et  c’est  sans  l’interrompre  d’observations 
aigres  (|u’il  laisse  le  mal  équilibré  ciccronc  poursuivre  la 
documentation  du  petit  groupe. 


i.Es  uEssi.irs  Di:  i.’ ou  vre 

luxcellencc,  dit  en  s’inclinant  respectueusement  Lau- 

renticlf,  je  n’insisterai  pas  sur  la  genèse  de  ce  Trottoir 
Roulant,  qui  porte  le  nom  de  « Système  de  transport  Blot- 
Mocomble-Guycnet  ». 


LES  .MOYENS  DE  LOCO.MOTION  A l'eXPOSITION 


51 


— Oh  ! un  nom  très  composé  ! 

— Exactement  de  trois  noms  propres  : celui  de  Einventeur 
du  système,  M.  de  Mocomble,  et  ceux  des  autres  ingénieurs 
qui  lui  ont  apporte  le  concours  de  leurs  lumières  pour  l’éla- 
horation  du  projet  et  son  exécution.  11  y avait  bien  un 
Irolto.r  Roulant  à Chicago,  et  aussi  un  à"  BeX  . „n,is  m 
I un  n,  autre  no  dépassait  trois  hectomètres  de  dEelonp"! 
ment  alors  que  celui-ci  s'allonge  sur  un  parcours  de  près 
d une  henc  et  résout,  de  plus,  le  problème  des  doux  vitesses 
Vous  voyez  que,  quoique  le  premier  projet  sérieux  de  ebe- 

Pabainrî'ELS't"'':  lactuel 

— sM.  llénard  ? 

mi7r  quoique  ce  pre- 

date  de  audacieux, 

date  de^  KStS/,  cest-a-dire  de  treize  ans,  l’étranger  n’a  nas 

devance  a brance  dans  l’application  sérieuse  et  suffisam- 
Xz  eUe  'Pailleiirs  enfantée 

— Je  n’en  reviens  pas.  Comment,  rAmérique  elle-mcme 
SI  pronipte  aux  réalisations  osées?... 

— L Amérique,  comme  rAlleniagnc,  n’a  tenté  nu’nne 
application  troji  timide  et  surtout  trop  imparfaite  pour  que 
1 on  puisse,  d après  elle,  pronostiquer  de  l’avenir  de  ce 
mode  nouveau  de  locomotion.  Avec  cette  double  plate- 
01  me,  couvrant  d,50Ü  mètres  et  fournissant  ses  deux  niou- 
saXa  7^'"  one  régularité  rigoureuse,  sans  arrêts  comme 
sans  d-conps,  1 est  permis  à l’imagination  la  plus  timorée 
d entrevoir  relativement  prochaine  la  révolution  qui  traiis- 
foi^icra  les  habitudes  de  vie  dans  toutes  les  grandes  villes. 

— Mais  non.  Excellence,  puisque,  sons  vos  yeux  et  sous 
vos  pas,  la  preuve  est  faite.  Sans  doute,  il  y aura  des  per- 
ectionnements  à apporter  encore  pour  rendre  tout  à fait 

pratique  ce  système  de  transport,  mais  on  est  d’ores  et  déjà 
autorise  à voir  de  semblables  « trottoirs  » courir  au-dessus 
de  ceux  des  grandes  artères  de  circulation  citadine,  de  même 
I on  est  eu  droit  de  concevoir  le  maximum  de  vitesse 
dcciu  jiar  1 adjonction  d’une  troisième  et  même  d’une  qua- 
Ineme  vitesse  sur  les  voies  très  larges,  telles  que  les  bolile- 


52 


A TRAVERS  l’eXPOSHTON 


vards.  On  peut  désormais,  sans  être  nullement  prophète, 
envisager  le  temps  où  Parisiens,  Londonniens,  Madrilènes, 
Viennois,  IVHersbourgeois,  etc.,  pour  se  rendre  en  quelques 
minutes  à leurs  affaires  ou  à leurs  plaisirs,  n auront  qu  a 
mettre  le  i)ied  sur  un  élévateur  qui  les  portera  an  Irottoir 
Uonlant,  puis  — soit  directement,  soit  par  correspondance, 
avec  d’antres  reliés  à l'aide  de  passerelles  — vers  le  point 
de  la  ville  on  les  appelle  leur  fantaisie  ou  leur  intérêt...  ht 
cela  gratuitement,  sinon  au  début,  du  moins  dès  que  les  frais 
d'installation  auront  été  couverts. 

— Eh  bien,  et  les  omnibus? 

Supprimés,  rejetés  au  rang  des  antiquailles.  Suppri- 
mées, les  poussées  dans  la  boue  gluante  et  les  intermina- 
bles stations  sous  la  pluie,  avec  un  numéro  au  chiffre  déses- 
pérant à la  main.  Seules,  les  automobiles  sillonneront  encore 
les  chaussées,  que  ne  traverseront  plus  que  les  gens  trop 
affairés. 

— Et  les  habitants  du  premier  étage,  proteste  liechard, 
ils  verront  donc  tout  Paris  déliter  presque  chez  eux? 

Ils  en  seront  quittes  pour  monter  plus  haut.  Ce  n est 

qu'une  habitude  à prendre,  et  les  ascenseurs  généralisés 
auront  alors  mis  de  plain-pied  tous  les  étages  d une  maison. 

Vous  verrez  que  le  sixième  deviendra  l’étage  « select»  ! 

s’écrie  joyeusement  Bertrande. 

— Ce  sera  le  monde  renversé,  appuie  gaiement  Verduret. 

Ou  plutôt  un  anormal  préjugé  enterré,  dit  Laurentieff, 

car  il  est  bien  évident  que  l’air,  la  lumière,  la  salubrité  et 
la  garantie  du  « home  » familial  contrôles  regards  indiscrets 
croissent  à mesure  que  davantage  on  s approche  du  faîte  des 

immeubles.  t • i.  i i 

Oh!  vous  aviez  raison  de  dire  que  ce  Trottoir  houlanl 

serait  le  point  initial  d’une  véidtable  révolution! 

— Elle  n’est  pas  encore  accomplie.  Excellence,  rien 
ii’étant  lent  à déraciner  comme  les  habitudes  prises,  en 
dépit  des  pas  de  géant  du  progrès.  Je  voulais  seulement 
vous  faire  toucher  du  doigt  une  des  métamorphoses  qu  en- 
traînera, au  prochain  siècle,  c’est-à-dire  presque  demain,  la 
fécondité  créatrice  de  l’esprit  humain  moderne  en  constant 

travail,  et...  je  crois  que  j’ai  réussi. 

— Trop,  malheureux,  car  c’est  me  donner  d amers  et 


TvIiS  3I0VKNS  DE  [J1C0;\I0T10N  A L l-XPOSrrH>.\ 


53 


N'ue  u’e.nsejiijlic  L)i;  'l'aoTTuiii  Uuulant. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION' 


rii 


cruels  regrets  d’avoir  déjà  tant  vieilli.  Que  le  monde  sera 
curieux  à contempler  seulement  dans  trente  ans!...  Mais, 
hélas!  je  ne  serai  plus  là. 

— Vous  y serez,  Excellence;  mais  la  Parque  dût-elle 
avant  ce  terme  trancher  le  lil  précieux  de  vos  jours,  vous 
n’auriez  pas  le  droit  de  vous  plaindre,  votre  génération 
ayant  assisté  à la  transfiguration  de  l’univers  par  la  mise  en 
pratique  de  la  vapeur  et  de  l’électricité...  Mais  redescendons, 
s'il  vous  plaît,  de  l'avenir  au  présent,  et  de  la  vision  de 
Paris  entier  roulant  à ce  premier  chemin  qui  marche. 

— .Je  serais,  en  efTet,  curieux  de  me  rendre  compte  du 
mécanisme... 

— De  cette  plate-forme  promeneuse?  Ah!  parbleu,  il  se 
voit  de  reste  : on  n’a  qu’à  regarder  d’en  bas.  Vous  n y voyez 
donc  pas  clair? 

— J’ai  la  jirétention  de  n’ètre  pas  plus  myope  que  vous, 
mon  cher  Bcchard  ; seulement  je  me  méfie  de  ce  que  mes 
-veux  me  disent  lorsqu’ils  sont  arrêtés  à la  surface  des  choses, 
comme  c’est  ici  le  cas. 

— Les  miens,  déclare  péremptoirement  le  farinicr,  ne 
m’ont  jamais  trompé;  aussi  m’en  rapporté-jo  à ce  qu’ils  con- 
sultent et  à rien  autre.  Au  sujet  de  ce  Trottoir  Roulant,  par 
exemple,  j'ai  parfaitement  vu  qu’il  est  construit  à l’instar 
d’un  train  de  marchandises  auquel  ne  seraient  attelés  que 
des  « trucs  ».  On  en  voit  toutes  les  roues  tourner  sur  le 
rail  ; il  n’y  a donc  pas  d’erreur  possible.  11  doit  y avoir  des- 
sous des  mécaniques  qui  actionnent  toul  ou  partie  de  ces 
roues,  comme  dans  les  locomotives,  et  mettent  tout  le  sys- 
tème en  mouvement;  c’est  clair  comme  le  jour,  n'esl-ce  pas, 
monsieur  Laurent...? 

— Tieff,  je  vous  prie. 

— LaurcntielT,  soit. 

— prince,  si  cela  ne  blesse  pas  trop  vos  lèvres  démo- 
crates. 

Rècbard  bausse  les  épaules. 

— Eh!  prince  Laurentielf  si  vous  voulez;  peu  m im[)orte 
sous  quels  titre  et  nom  vous  me  direz  que  j’ai  raison. 

— J’ai,  au  contraire,  le  regret  de  vous  dii'e  que  vous  vous 
trompez  du  tout  au  tout  sur  la  façon  dont  est  actionnée  la 
plate-forme  à deux  vitesses  de  1900.  G est  même  là  le  point 


LES  MOYENS  DE  LOCOMOTION  A L EXPOSITION 


00 


très  particulièrement  intéressant  de  l’invention  de  M.  de 
Mocomble.  Ce  que  vous  venez  de  définir,  c’est  exactement  le 
principe  du  Trottoir  Roulant  de  Chicago.  Celui-là  était, 
en  eiïet,  un  véritable  train  pourvu  de  moteurs  faisant  mou- 
voir les  roues  sur  des  rails  fixes,  absolument  comme  dans 
le  Decauville  électrique  que  nous  venons  de  quitter.  C’est 
bien  à cause  de  cela,  précisément,  que  la  plate-forme  mo- 
bile de  Chicago  a subi,  après  sa  mise  en  service,  de  si 
Iréquentes  anicroches.  Les  moteurs,  entraînés  dans  le  mou- 
vement général  qu’ils  produisaient,  étaient  exposés  à faire 
des  avaries  qui,  pour  être  réparées,  nécessitaient  le  démon- 
tage de  certaines  parties  du  trottoir  ambulant,  et  ils  y 
étaient  d'autant  plus  exposés  que  leur  surveillance  était 
presque  impossible  en  cours  de  route...  Et  ce  n’était  qu’un 
train  continu  d’une  longueur  de  .300  mètres!  Le  principe  du 
système  Rlot-Mocomble-Guyenct  est  tout  à fait  l’inverse.  A 
Chicago  et  ailleurs,  c étaient  les  roues  qui,  mises  en  mouve- 
ment sur  les  rails  fixes  faisaient  marcher  les  trucs  automo- 
biles et  la  plate-forme  qu’ils  supportaient.  Ici,  à Paris,  ce 
sont  des  moteurs  et  des  roues  fi.xes  qui  font  avancer  le  rail 
ou  « poutre  axiale  ». 

— Par  exemple!  proteste  violemment  Rèchard;  mais  ou 
voit... 

— Ce  que  vous  voyez  tourner  en  avançant,  ce  sont  de 
simples  galets  de  support  destinés  à donner  la  stabilité  à la 
plate-forme.  Les  agents  de  translation,  vous  ne  les  voyez 
pas;  et  voici  en  quoi  ils  consistent.  Des  moteurs  fixes,  au 
nombre  de  cent  soi.xante-dix,  sont  dissimulés  dans  la  char- 
pente du  viaduc,  en  des  places  où  il  est  aisé,  en  tous  temps, 
de  surveiller  leur  fonctionnement.  Chacun  de  ces  moteurs 
actionne  un  galet  de  friction,  également  fixe,  qui  vient  s’ap- 
puyer sur  le  rail  axial  fixé  au-dessous  du  trottoir.  Or,  c’est 
cette  série  de  galets  qui,  tournant  d’un  mouvement  uni- 
forme, fait  avancer  le  rail.  C’est  donc,  comme  vous  voyez, 
l'inverse  de  ce  qui  se  passe  pour  uu  train  de  chemin  de  fer  et 
de  ce  qui  avait  lieu  dans  les  précédents  essais  de  plate-forme 
continue  mobile. 

— Très  ingénieux  et  très  simple,  en  vérité,  applaudit 
Verduret.  Seulement,  il  fallait  le  trouver...  C’est  comme  le 
fameux  œuf  de  Colomb. 


A TRAVERS  e’eXPOSITIOiN 


5(i 


Et,  d'un  ton  de  bonhomie  triomphante,  en  s’adressant  à 
Bêchard  : 

Allons,  mon  cher  saint  Thomas,  avouez  qu’il  est  quel- 
que fois  prudent  de  ne  pas  s’en  rapporter  au  seul  témoi- 
gnage de  ses  yeux... 

Le  farinier  se  drape  dans  un  digue  mutisme  et  Verduret 
poursuit  ; 

Mais,  ce  rail,  cette  poutre  axiale  qui  est  l’àme  du 
système,  il  ou  elle  ne  peut  être  rigide  sur  une  grande  éten- 
due, à cause  des  courbes. 

Evidemment,  Excellence;  de  môme  que  la  plate-forme 
trottoir  est  nécessairement  articulée  pour  pouvoir  s’inlléchir 
selon  les  sinuosités  du  parcours. 

Pourtant,  je  ne  vois  pas  de  solution  de  continuité  sur 
ces  trottoirs? 

C est  que  le  mode  d’articulation  est  à peu  près  invi- 
visible,  et  ce  mode,  le  voici...  Je  vous  le  dessine  à grands 
traits  pour  mieux  vous  le  faire  comprendre.  Les  deux  plates- 
lormes  mobiles  sont  composées  d’une  suite  de  trucs  de  deux 
espèces,  j ai  envie  de  dire  de  deux  se.xes.  Chacun  des  trucs 
mâles,  terminé  aux  deux  extrémités  en  demi -cercle,  est 
fixé,  vers  1 avant  et  vers  l’arrière,  tous  les  4 mètres,  au  rail 
axial  qui  1 entraîne  dans  sa  marche.  Entre  le  point  de  con- 
tact arrière  d’un  de  ces  trucs  et  le  point  de  contact  «tvm?  du 
suivant,  l’espace  libre  est  occupé  par  un  truc,  que  j’appel- 
lerai femelle,  et  dont  les  deux  extrémités  sont  creusées  en 
demi-cercle  pour  emboîter  exactement  les  convexités  hémi- 
circulaires de  ses  deux  voisins.  Ce  ti'uc  intermédiaire  femelle 
na  aucun  point  de  contact  avec  l’axe  axial;  il  est  emporté 
dans  le  mouvement  général  par  la  seule  poussée  du  truc 
mâle  qui  le  suit.  Vous  voyez  tout  de  suite,  la  fonction  do 
liaison  harmonique  dans  les  courbes  de  ce  truc,  qui  est  à la 
lois  indépendant  du  rail  directeur  et  esclave  de  ses  deux 
compagnons  immédiats. 

— Bigre,  cest  de  la  polyandrie!  s’écrie  avec  un  gros  rire 
le  manufacturier  retiré. 

— Oui,  répond  sur  le  meme  ton  le  prince-mécanicien, 
oui,  si  Ton  considère  la  situation  du  truc  intermédiaire; 
mais  c’est  de  la  pure  bigamie  si  l’on  prend  pour  objectif  le 
truc  mâle... 


LES  MOYENS  DE  LOEOMOTiON  A L EXPOSITION 


— Qui  se  trouve  faire  le  panier  à deux  anses,  c’est  ma 
foi  vrai!  Ah!  prince,  prince,  vous  avez  décidément  de  drôles 
de  façons  d expliquer  les  choses...  Mais  glissons,  n’insistons 
pas!  Dites-moi  plutôt  comment  on  est  parvenu  à régler  les 
moteurs,  de  sorte  qu’ils  impriment  à chaque  plate-forme 
une  vitesse  différente. 

■ — Tous  les  galets  de  friction  sont  animés  d’une  égale  vi- 
tesse de  rotation. 

— Alors,  les  deux  plates-formes  devraient  marcher  aussi 
vite  l’une  que  l’autre. 

— Nullement,  et  c’est  là  qu’apparait  l’excellence  du 
système  de  rails  se  déplaçant  sur  des  galets  à essieu  fixe. 
11  suffit,  la  circonférence  étant  fonction  du  diamètre,  comme 
disent  les  mathématiciens,  de  donner  aux  galets  des  diamè- 
tres ditférenls  pour  obtenir  des  vitesses  proportionnellement 
différentes.  Ainsi,  les  galets  de  friction  de  la  plate-forme  à 
grande  vitesse  ayant  0'’^70  de  diamètre,  alors  que  ceux  de 
la  plate-forme  à petite  vitesse  n’ont  que  O''’3,o,  il  s’ensuit 
qu’un  tour  des  premiers  fait  faire  au  rail  qu’ils  portent  le 
double  du  chemin  que  font  couvrir  chaque  tour  des  seconds 
à Taxe  de  la  plate-forme  Intermédiaire. 

— C’est  lumineux! 

— Comme  tout  ce  qui  est  simple,  Excellence.  Mainte- 
nant, passons  à la  force  motrice. 

— Elle  provient,  sans  doute,  de  l’usine  des  Moulineaux, 
comme  celle  qui  actionne  le  chemin  de  fer  électrique  ? 

— Oui,  et  les  câbles  qui  la  transportent  représentent  le 
joli  chiffre  de  40.000  kilogrammes  de  cuivre.  Le  courani, 
qui  arrive  triphasé  de  l’usine,  est  transformé  en  courant  con- 
tinu de  oOO  volts  à la  même  sous-station  centrale  qui  four- 
nit le  courant  continu  au  chemin  de  fer  électrique.  Mais, 
comme  le  démaiTage  du  Trottoir  est  bien  plus  difficile  et 
exige  une  beaucoup  plus  grande  dépense  de  force  que  celui 
des  trains  du  Decauville  modèle  1900,  on  a usé  d’appareils 
spéciaux  — des  transformateurs  tournants  — qui  permettent 
d’employer,  pour  le  moment  du  démarrage,  un  courant  à 
tension  croissante. 

— V^oyez,  tout  de  môme,  observe  Verduret,  comme  les 
vraies  difficultés  sont  justement  là  où  le  public  ne  les  ima- 
gine pas. 


58 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Il  y a donc  de  mis  en  œuvre,  dans  la  sous-station  cen- 
trale, pour  le  service  de  la  plate-forme  à deux  vitesses,  deux 
commutatrices  de  600  kilowatts  et  les  deux  transformateurs 
tournants  dont  je  viens  de  vous  parler,  lesquels  sont  égale- 
ment de  600  kilowatts. 

— Rt,  demande  Bècliard  pour  couper  cour!  à ces  détails 
techniques  qu’il  juge  plutôt  oiseux,  combien  ce  Trottoir 
llovilant  peut-il  porter  à la  fois  de  personnes? 

— Vous  parlez,  n'est-ce  pas,  de  la  seule  plate-forme  à 
grande  vitesse? 

— Evidemment,  puisque  la  partie  fixe  n'est  qu’un  quai 
d’embarquement  et  la  plate-forme  à petite  vitesse  un  simple 
plancher  in terméd i ai re . 

— Je  vous  répondrai  donc  que  cette  plate-forme  peut 
contenir  8.000  personnes  ; soit  une  approximation  de  25.000 
promeneurs  à l’heure,  ou  575.000  pour  la  journée  complète, 
de  huit  heures  du  matin  à une  heure  du  matin. 

— Oh!  le  soir,  elle  ne  doit  pas  avoir  beaucoup  d’ama- 
teurs, car  je  ne  vois  pas  le  plaisir  que  Ton  pourrait  goiiter  à 
rouler  ainsi  dans  la  nuit. 

— D’abord,  la  nuit  n’oxiste  pas  pour  le  Trottoir  Roulant 
qni  est  splendidement  éclairé  par  des  lampes  à arc  suspen- 
dues dans  les  arbres,  tout  le  long  de  son  parcours  ; et  puis, 
c’pst  en  réalité  le  soir  que  le  spectacle  de  cette  Exposition, 
si  léeriquement  lumineuse,  est  le  plus  merveilleux. 

— Alors,  questionne  Bertrande,  le  Trottoir  Roulant  est 
donc  un  nouveau  Juif-Errant  qui  ne  s’arrête  jamais? 

— Jamais,  mademoiselle,  tant  que  les  portes  de  l’Exposi- 
tion sont  ouvertes.  11  ne  se  repose  que  la  nuit,  après  que  le 
dernier  visiteur  a quitté  le  vaste  champ  clos  de  la  grande 
Fête  du  Travail  et  jusqu’à  ce  que  le  premier  visiteur  du 
lendemain  matin  ait  fait  contrôler  son  ticket  à Tune  des  cin- 
quante-six portes  de  cette  Thèhes  électro-cosmopolite...  Je 
crois.  Excellence,  mesdames  et...  mossieu  Tout-Court,  vous 
avoir  dit,  au  sujet  de  ce  très  curieux  et  prometteur  système 
de  transport,  les  quelques  choses  importantes  qu’il  est  né- 
cessaire que  vous  sachiez.  Avez-vous  quelque  autre  ques- 
tion à me  poser  ou  quelque  observation  à me  faire? 

— Je  ne  vois  pas  trop,  dit  Verduret,  sinon  que  je  m’émer- 
veille de  l’esprit  de  décision  de  M.  Picard  qui  osa  prendre  la 


LKS  -MOVEN'S  Di:  I.OCC j.MOTlON  A l’exPOSITIO.N 


39 


responsabilité  de  confier  à une  telle  innovation  le  service 
de  transportdu  public...  Car,  enlin,  cela  s’esl  vu  des  systèmes 
nouveaux  qui  ne  rendent  pas  ce  qu’en  espéraient  les  au- 
teurs... 11  aurait  bien  pu  ne  pas  marcher,  ce  Trottoir 
Roulant  ! 

— Excellence,  M.  Picard  est  trop  habile  ingénieur  pour 
risquer  do  se  tromper  aussi  lourdement.  11  savait,  après  avoir 
étudié  les  plans  des  ingénieurs,  que  cette  plate-forme  mar- 
cherait, et,  dans  les  meilleui'es  conditions.  Mais,  quelle  que 
lût  à cet  égai'd  sa  certitude  dès  le  premier  jour,  il  est  trop 
prudent,  malgi'é  tout,  pour  <(  acheter  chat  en  poche  », 
comme  dit  un  assez  bizarre  proverbe  français.  Il  a donc 
exigé,  avant  d’accorder  la  concession  de  terrains  et  l’auto- 
risation nécessaires,  que  MM.  tle  Mocomble,  Idiot  et  (inyenet 
lui  donnassent  la  preuve  de  la  viabilité  certaine  de  leur 
grandiose  projet.  A cet  elfet,  ces  messieni’s  ont  dû  préala- 
blement construire,  à Saiiit-Ouen,  une  plate-forme  d'expé- 
rience de  400  mètres  de  développement.  Cette  première  réa- 
lisation provisoire  du  système  de  translation  à doux  vitesses 
a été  soumise  aux  essais  les  plus  sévères  et,  comme  elle  en 
est  sortie  triomphalement  victorieuse,  la  responsabilité  de 
M.  Picard,  comme  le  dit  Votre  Excellence,  était  entièrement 
mise  à couvert.  Vous  remarquerez  aussi  que,  dans  l’instal- 
lation de  ce  Trottoir  Roulant  — qui  constitue  un  progrès 
pratique  considérable,  pnis(ju’il  supprime  les  attentes  des 
lonles  localisées  aux  gai-es,  les  dangers  de  déraillement  et 
do  rencontre  de  trains,  tout  en  laissant  aux  voyageurs  l’ab- 
solue liberté  de  s’arrêter  où  et  quand  ils  veulent  — toutes 
les  précautions  ont  été  prises  pour  assurer  la  sécurité  la 
plus  complète  de  chacun  : un  petit  pas  à gravir  impose  l’at- 
tention pour  passer  d’une  plate-forme  à une  autre,  et  celle 
de  vitesse  supérieure  déborde  de  quelques  centimètres  sur 
sa  voisine,  afin  d’éviter  tout  danger  provenant  dn  plus  infime 
écartement  à vide  entre  les  deux  trottoirs.  Vous  voyez 
comme  les  poteaux  d’appui  sont  fréquents  et  quelle  solide 
balustrade  borde,  de  chaque  côté  l’ensemble  du  système... 
Avez-vous  encore  quelque  chose  à me  dire  ? 

— Rien^  déclarent  en  même  temps  Verdnret,  Rêchard  et 
Bertrande. 

— ]\loi,  fait  M'”“  Flore  avec  une  moue  réfléchie,  ce  que 


TRAVERS 


L EXPOSri'lON 


je  vois  (le  plus  clair  dans  ce  Trolloir  Roulaiil,  c’est  qu'on  y 
a trouvé  le  moyen  d'utiliser  les  galets,  et  je  demandais  jus- 
tement à mon  mari,  la  premii-ro  fois  qu'il  m’a  conduite  en 


ij:s  .mi)Vi;.\s  |)|-:  i.oco.motiox 


A I,  i^xi'osrridx 


(;i 


bir  que,  grâce  à ce  progrès  de  l’indusirie,  on  arrivera  main- 
tenant a en  débarrasser  nos  plages,  et... 

- -Mais,  lais-tni  donc!  crie  à sa  remnie  Bèchard,  jaune 


Trottoiii  Kouu.vt.  - Assaut  i.k  i.a  i.ki-xikmk  ptate-formi;. 

de  dépit,  lu  n'as  donc  pas  compris  qne  ce  que  MM.  les  in- 
gcnieiirs  appellent  galets,  ce  n’est  pas  antre  cJiose  qne  de 
petites  roucsde  chemin  de  Ier!  Tu  devrais  an  moins  réllé- 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


()2 


chir  avant  de  dire  de  ces  énormités  qui  font  rire  de 
nous  ! 

— Ne  te  fâche  pas,  Aristide.  Après  tout,  nous  ne  som- 
mes pas  plus  l'un  que  l’autre  allés  à l’Ecole  polytechnique: 
on  peut  bien  se  tromper  ! 

I^e  farinier,  humilié  en  sa  moitié,  serre  les  poings  et  les 
lèvres  de  colère  contenue.  11  se  dispose,  pour  la  seule  gale- 
rie, adiré  vertement  son  fait  à une  trop  étourdie  conjointe, 
lorsque  Laurenticif  lui  rend  le  service  de  l’interrompre. 

— De  la  méprise  de  madame  sont  seuls  coupables  les 
ingénieurs  dont  1 esprit  de  comparaison  est  vraiment  par 
trop  élastique,  déclare  Laurentielf  avec  le  plus  grand  sé- 
rieux. Je  vous  demande  en  conscience  quel  rapport  il  y a 
entre  leurs  petites  roues  parfaitement  circulaires  et  ces  dé- 
bris de  roche  usés  par  le  frottement...  qui  le  sont  si  peu  ^ 

— Là,  tu  vois,  Aristide,  monsieur  le  prince  me  donne 
raison. 

— Les  dames  ont  toujours  raison,  madrigalise  galam- 
ment le  singulier  cicerone  monomane,  eu  adressant  a la 
grosse  farinière  enchantée,  un  salut  très...  Comédie-Fran- 
çaise. 

11  reprend  aussitôt,  en  se  tournant  vers  Verduret  : 

— Excellence,  avant  d’abandonner  ce  sujet  du  Trottoir 
Uoulantet  de  quitter  avec  vous  ce  plancher  mobile  pour  le 
sol  immobile,  voulez-vous  me  permeftiu'  de  remonter  le 
temps  de  treize  années  et  de  vous  dire  les  quelques  mots 
que  je  vous  ai  annoncés  tout  à l’heure,  coucernant  : 


111 

rX  VIEUX  PHU.IET  SIMPLISTE 

— Celui  qu’avait  proposé  alors,  nous  avez-vous  dit, 
.M.  Eugène  llénard,  l’auteur  de  l’étincelant  Palais  de  l’Elec- 
tricité? 

— C’est  cela  même.  Excellence. 


I.ES  MOVE.N'S  DE  EOCOMOTION  A e’eXPOSITION 


(13 


1S.S9?^'^  Commission  de  l’Exposition  de 

— Qui  le  considéra  comme  une  utopie,  sans  doute,  parce 
que,  complètement  nouveau,  l’idée  n’avait  été  consU-ée 
réalisable  par  aucune  tentative  faite  cà  l’étranger.  Si  je  désire 
vous  entretenir  de  ce  projet  - mort-né,  malheureusement, 
cai,  s il  eut  vu  le  jour,  la  France  aurait  ou  l'honneur  de  la 
première  application  en  même  temps  que  de  l’idée  — c’est 
que  je  n ai  pas  oublié  les  objections  formulées,  en  prenant 
pied  sur  le  Trottoir  Roulant,  par  M.  votre  Grand  Panet 
l ardon  ! je  yeux  dire  par  iM.  Tout-Court.  Ces  objections 
visiuent,  SI  J ai  bonne  mémoire,  la  fatigue  de  l’ascension  du 
viaduc  sur  lequel  courent  la  plate-forme  à deux  vitesses  le 
nombre  insutlisant  de  gares  d’accès,  et  le  léger  débours  exigé 
pour  etre  ici  admis.  ^ 

— Parfaitement,  approuve  avec  force,  conviction,  auto- 
rité et  majestueuse  dignité,  le  farinier  d’Essonnes. 

Eh  bien,  poursuit  Laurentieff,  je  soumets  à votre  ap- 
préciation le  titre  explicite  du  projet  de  M.  Hénard.  Ce  titre 
le  voici  : . Projet  de  train,  jwrtant  plate-forme  sans  fin  an 
? as  <n  ^0  ^ pow  l hxposition  de  1889,  système  hreve/é^ 

•i.  g.  d.  g.,  destiné  a obtenir  la  suppression  de  la  fatique  de\ 
visiteurs.  » t j ■ 

Au  ras  du  sol?. . . Tiens,  tiens! 

— J’ajouterai  ces  trois  mots  que  Fauteur  a omis  dans  le 
titre,  et  qui  ont  leur  importance  : « Et  d'usage  gratuit.  » 

1 !■  i^ites-donc,  Bécbard,  voilà  qui  répond 

a la  lois  a tous  vos  desiderata  ! 

— Etonnemment,  c’est  vrai. 

son  projet, 

*1.  Renard  fait,  en  ces  termes,  autant  que  je  m’en  puisse 
souvenir,  le  procès  des  planchers  roulants  sur  viaduc 
» Cette  colossale  machine,  dont  l'idée  a été  émise  en  Amé- 
rique, outre  qu’elle  est  d’un  fonctionnement  très  aléatoire 
cou  erait  tort  cher,  ce  qui  serait  un  de  ses  moindres  incon- 
vénients Une  pareille  construction  présenterait  un  aspect 
déplorable  : ce  long  A-iaduc  indéfini,  avec  ses  milliers  de  pi- 
lers  couperait  toutes  les  lignes  et  toutes  les  perspectives 
des  Palais  et  des  Jardins.  Non  seulement  les  embarras  des 
stations,  au  point  de  vue  de  la  formation  de  la  foule,  ne  se- 


64 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


raient  pas  évités,  mais  le  promeneur,  astreint  à gravir  sou- 
vent des  escaliers  d’accès,  perdrait  dans  le  sens  vertical 


plate-forme  lui  aurait  procurée 


l’économie  de  fatigue  que  la 
dans  le  sens  horizontal.  » 


I.IiS  MOYENS  DE  LOCOMOTIO^•  A l’exPOSITIO.N 


^ Ma  parole  cl  honneur,  opine  n 
n aurais  pas  dit 
mieux  ! 

— M.  Hénard  se- 
rait heureux  de  vous 
entendre!  affirme 
Laurentiell'  avec 
une  gravité  égale  à 
celle  du  farinier. 

Et  il  continue  : 

— Après  avoir 
ainsi  fait  la  critique 
du  système  à via- 
duc,  l’auteur  du  pro- 
jet de  1887  propose 
de  « mettre  la  plate- 
forme au  ras  du  sol, 
de  façon  à la  ren- 
dre presque  invi- 
i b 1 e de  loin  et 
accessible  gratuite- 
ment sur  tous  les 
points  de  son  par- 
cours. » 

— Et  on  n'a  pas 
donné  suite  à ce 
merveilleux  projet? 

Ceux  de  qui  l'accep- 
tation en  dépendait 
étaient  donc  insen- 
sés ou  aveugles? 

— Ils  se  sont  ar- 
rêtés, tout  simple- 


ment, à la  grave 


objection  qu’un 
plancher  mobile  et 
continu  au  niveau 
du  sol  formerait  une 
barrière  permanente  à la  circulation 
Irès  juste.  Je  n'y  pensais  pas. 


A TRAVERS  LEXPOSITION 


(K) 


— M.  Hénavcl  y avait  pensé  et  répondait  : i"  qne  sa  plate- 
forme n’anrait  qn’une  très  faible  vitesse  permettant  aux 
gens  alertes  et  pressés  de  la  franchir  à leur  guise;  2"  que 
pour  les  personnes  craintives  ou  peu  ingambes,  de  fréquents 
arrêts  de  courte  durée  (quinze  secontles  toutes  les  minutes) 
permettraient  de  la  traverser  n’importe  où  ; 3"  que,  de  dis- 
tance en  distance,  des  passerelles  aériennes  ottriraicrit  en 
outre  des  moyens  de  passage  permanents  et  indépendants 

du  système.  ... 

— Au  fait,  j'allais  le  dire,  approuve  le  iannier  d un  air 

docte.  . . . 

Comme  moyen  d'exécution,  c était  la  simplicité  même  . 

une  tranchée  sans  tin,  profonde  de  large  de  2"’ 8.), 

an  fond  de  laquelle  est  posée  une  voie  ordinaire  de  chemin 
lie  fer.  Sur  cette  voie  roule  une  suite  continue  de  trucs 
empruntés  au  matériel  des  Compagnies  et  sur  laquelle  est 
disposé  le  plancher.  M.  Hénard  répondait  d’avance  a a 
critique  que  formulait  tout  à l’heure  madame  au  sujet  du 
manque  de  places  assises,  tout  en  compensant  les  frais  pris 
à sa  charge  par  l’administration  et  résultant  de  la  gratuité 
du  transport  pour  le  public  : il  imaginait  des  wagons  à ter- 
rasse avec  tentes  et  places  assises  payantes,  sortes  de  petits 
bars  ambulants  qui  eussent  été,  je  crois,  très  courus  par 
les  visiteurs.  La  plate-forme  roulante,  d’autant  plus  écono- 
mique que  le  principal  du  matériel  eût  été  pris  en  location, 
n’avait,  il  est  vrai,  qu’une  seule  vitesse,  et  une  vitesse  très 
modérée  (l"’4ü  par  seconde)  ; de  plus,  elle  comportait  de  nom- 
breux arrêts  qui  augmentaient  la  durée  du  parcours,  mais 
elle  offrait  d’autre  part  tant  d’avantages  pratiques,  était  si 
minutieusement  étudiée,  qu’il  est  regrettable  que  ce  siny 
pliste  projet  n’ait  pas  été  réalisé  en  1889.  Pans  aurait  pris 
ainsi  une  avance  complète  sur  Chicago  et  Berlin,  tandis 
qu’il  n’a,  cette  année,  que  la  gloire  — très  grande,  d ail- 
Icm-s  _ de  montrer  au  monde  accouru  la  première  appli- 
cation sérieuse,  vaste  et  de  fonctionnement  parfait  de  l'idée 
si  intéressante  et  de  grand  avenir  An  chemin  qm  marche... 
Mais,  je  m’aperçois,  Plxcellence,  qne  j’ai  eu  1 honneur  de  si 
bien  captiver  votre  attention  depuis  près  d’un  quart  d heure 
que  nous  voici  presque  revenus  à notre  point  de  départ  sans 
qne  vous  ayez  jeté  un  coup  d’oeil  sur  les  nombreux  palais 


07 


l.i;s  .MOVKNS  JJK  l.dCOMOTIO.N  A L ICXl’OSl  I IOA 


(1  exposition  et  autres  que  nous  avons  longés  pendant  ma 
causerie.  Voulez-vous  recommencer  ce  petit  voyage  en  tou- 
riste uniquement  occupé  de  contempler  les  sites  traversés? 

— Non.  .le  suis  charmé  de  connaître  si  bien,  grâce  à vos 
claires  e.xplications,  ce  Trottoir  Roulant  à deux  vitesses  dont 
on  parle  tant  depuis  deux  ans;  mais  nous  reviendrons  l'aire 
un  autre  jour  le  tour  d amateur  que  vous  nous  proposez, 
[trince  Laurentietï.  hn  ce  moment,  le  digne  centenaire  doit 
nous  attendre,  pour  nous  montrer,  le  Palais  du  Mexique,  et 
je  serais  trop  désolé  de  mettre  sa  complaisante  patience  à 
l’épreuve. 

\ousavez  raison.  Excellence.  Un  tel  homme  a droit  à 
un  respect  et  à des  égards  plus  grands  qu’aucun  autre  hu- 
main, Sa  Majesté  le  Tzar  exceptée.  Un  illustre  ministre  tel 
que  vous  se  (lisqualifierait  aux  yeux  de  tous  les  savants  do 
l'univers  s’il  faisait  attendre.. . Archimède! 

U est  cela,  ne  taisons  pas  attendre  Archimède,  acquiesce 
\ erdurct  avec  une  bonhomie  souriante  et  apitovée,  pendant 
que  son  arni  le  larinier  tourne  brusquement  le  dos  en  haus- 
sant les  épaules.  Pour  un  esprit  aussi  solidement  équilibré 
qu  il  juge  le  sien,  la  folie  n’est  pas  un  mal  digne  de  pitié; 
c est  une  tare  ne  comportant  que  le  mépris  à l’égard  de  qui 
on  est  atteint. 

Cependant,  en  attendant  le  moment  de  quitter  le  Trottoir 
Roulant  à la  station  de  la  passerelle  de  l’avenue  Rapp,  en- 
droit de  descente  le  plus  rapproché  du  Palais  du  Mexique, 
Laurentielf  reste  rêveur. 

I ont  à coup,  comme  un  homme  qui  prend  un  grand  parti, 
il  se  tourne  résolument  vers  Verduret  et  lui  dit  d'un  ton  de 
prière  ; 

Excellence,  voudriez-vous  daigner  exaucer  un  de  mes 
souhaits  les  plus  ardents? 

Parlez,  prince,  invite  le  manufacturier  retiré  en 
essayant  de  se  donner  de  grands  airs  de  dignité  condescen- 
dante qui  ne  vont  guère  à sa  grosse  face  réjouie. 

Eh  bien,  implore  le  mécanicien,  je  vous  supplie  timi- 
tlement  de  me  permettre  de  vous  accompagner  jusqu’au 
Mexique  et  de  vouloir  bien  me  faire  l’insigne  honneur  de  me 
présenter  au  plus  grand  savant  des  temps  antiques  que  vous 
avez  te  bonheur  d’avoir  pour  cicerone. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


68 


— Qu’à  cela  ne  tienne,  mon  cher  prince  ! Je  serai  trop 
heureux  de  vous  faire  ce  plaisir. 

— Merci  du  fond  du  cœur,  Excellence!  s’écrie  Lau- 
rentieff  avec  une  expression  d’infinie  reconnaissance. 

Bertrande  regarde  Laurentietf  d’un  air  de  stupéfaction  si 
intense  que  son  oncle  lui  dit  à l’oreille  : 

— Ne  fixe  pas  ainsi  ce  malheureux  : il  faut  llatter  sa 
manie...  et  le  plaindre,  vois-tu,  car  il  est  douloureux  de 
voir  somhréeune  aussi  belle  intelligence. 

Mais  le  conseil  de  l'oncle  est  sans  efi'et,  et  il  est  évident 
que  l’étonnement  de  la  jeune  tille  ne  fait  que  s’accroître 
lorsqu’elle  voit  Laurentietf  quitter,  avec  le  petit  groupe  pro- 
vincial, le  « chemin  qui  marche  »,  se  diriger  vers  la  berge 
de  la  Seine  voisine  du  pont  de  l’Alma,  et  se  disposer  à faire, 
en  compagnie  des  deux  couples... 


ClIAl'lTHE  111 

UNE  VISITE  Al  MEXIgi  E 


A li  I',  I V É li  SE  A-  S A r 1 U ^ A E E I.  E 

Comme  notre  quatuor  visiteur  quitte  le  Trottoir  Roulant, 
l^aurentieff,  après  avoir  pris  les  devants  pendant  quelques 
pas,  se  retourne  vivement,  et,  levant  les  deux  bras,  s’écrie; 

— Arrêtez  ! 

— Ponrqnoi  ? demande  Verduret. 

— Parce  que  je  ne  soulïrirais  pas.  Excellence,  qu'un  mi- 
nistre de  Sa  Majesté  le  Tzar  Nicolas,  mon  auguste  et  bien- 
aimé  Maître,  aborde  le  territoire  d’une  république  améri- 
caine pédestrement,  comme  le  commun  des  mortels. 

— C’est  pourtant  ainsi  qu’avant  de  vous  recontrer  pour 
la  seconde  lois,  nous  avons  visité  les  Pavillons  des  Puis- 
sances étrangères. 

— Ceux  qui  vous  guidaient  alors  ignoraient  évidemment 
votre  haute  qualité,  comme  je  l’ignorais  moi-même  lorsque 
vous  êtes  venu  interrompre,  l’autre  jour,  ma  faction  au  pied 
du  pylône  de  ma  grande  OEnvre,  le  pont  de  l’Alliance.  Au- 
jourd’hui que  je  sais  qui  j’ai  le  grand  honneur  de  conduire 
à travers  les  merveilles  de  l’Exposition  de  1900,  je  n’entends 
pas  que,  moi  présent,  soit  renouvelée  une  pareille  déroga- 


70 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


tion  aux  égards  dus  à un  des  premiers  serviteurs  de  l'Em- 
pereur... Daignez  prendre  patience  un  court  instant,  Excel- 
lence; je  vais  faire  avancer  nos  équipages. 

Et  Laurentielf  tire  un  son  modulé  d’un  sifflet  qui  lui  pend 
au  cou. 

• — Voyous,  mon  cher  prince,  pour  faire  quelques  pas,  ce 
n’est  pas  la  peine,  dit  avec  complaisance  Verduret  qui  ne 
peut  s’empêcher  de  sourire  à cette  nouvelle  idée  baroque 
du  pauvre  cerveau  fêlé. 

— D’ailleurs,  ajoute-t-il,  où  les  prendriez-vous,  vos  équi- 
pages? 

— Les  voici.  Excellence. 

De  la  main,  il  montrer  dix  gaillards  à face  d'ébène  qui 
accourent,  armés  de  cinq  longues  perches  que,  par  couples, 
ils  portent  sur  l’épaule.  Au  milieu  de  chacune  de  ces  per- 
ches est  suspendu  un  siège  assez  primitif. 

— C’est  ça  que  vous  appelez  nos  équipages? 

— Ce  sont  les  seuls,  avec  les  banaux  fauteuils  roulants  à 
cinquante  deux  sous  l’heure,  qui  soient  autorisés  dans  l’in- 
térieur de  l'Exposition.  Ce  sont  les  filanzanes  de  Madagascar 
et  les  porteurs  sont  des  Sakalaves... 

— Mais...  comment  sont-ils  ici,  à point  nommé? 

— Votre  Excellence  oublie  qu’il  existe  en  moi  un  être 
mystérieux  qui  a un  don  de  divination  étrangement  affiné. 
J’avais,  ou  plutôt,  c’est  lui  qui  avait  prévu  que  nous  nous 
arrêterions  à cette  gare  du  Trottoir  Roulant.  Lui  et  moi  avons 
pris  nos  précautions  en  conséquence. 

— Va  pour  les  filanzanes  ! consent  Verduret  en  prenant 
place  dans  l'africaine  chaise  à porteurs. 

— Cela  va  être  amusant  comme  tout  ! déclare  Rertrande 
en  s’installant  dans  la  sienne. 

— Et  nous  coûter  les  yeux  de  la  tête!  grommèlc  le  fari- 
nicr  économe  en  aparté. 

— Aristide,  lui  crie  sa  conjointe,  je  me  fais  l’effet  de  la 
reine  Ranavalo...  Mais  je  trouve  le  siège  un  peu  étroit. 

Sur  un  geste  de  Laurentielf  embarqué  à son  tour  dans  le 
cinquième  véhicule  indigène,  les  dix  Malgaches  font  sauter 
l’extrémité  des  perches  sur  leur  épaule  droite  et  partent  au 
pas  de  course. 

— (Jue  c’est  drôle  d’être  balancé  là-dedans!  énonce  de  sa 


LE  MEXIQUE 


71 


voix  claire  la  nièce  de  Verduret.  Quel  dommage  que  ce  soit 
pour  si  peu  d'instants  ! 

— Mademoiselle,  lui  répond  le  prince-prolétaire,  nous 
prolongerons  votre  plaisir  en  taisant  ainsi  tout  le  tour  du 
Palais  du  Mexique. 

La  course  continue  quelques  instants. 

— üh  là!  oh  là!...  doucement!  gémit  tout  à coup 
Flore...  (>  me  tourne  !...  Je  vais  avoir  le  mal  de  mer!... 

Au  pas!  commande  aussitôt  Laorentietl,  immédiate- 
ment obéi. 

Sur  ses  indications,  tes  iilanzanes  marchent  désormais 
deux  par  deux,  avec  un  léger  intervalle.  Leur  ordre  forme 
ainsi  un  parallélogramme  dont  le  pseudo-prince  fait  occu- 
per le  centre  de  figure  par  ses  propres  porteurs.  De  la  sorte, 
en  éh'vant  autant  qu  il  le  peut  sa  xmix  cassée  au  timbre 
souid,  il  par\  ient  a se  laire  entendre  de  tous  ses  compagnons 
a ta  fois.  S adressant  d abord  à la  femme  du  maître  du 
moulin  : 

^ oiis  venez  de  ressentir,  dès  les  premiers  pas,  ma- 
dame, lin  elfet  que  n ont  pas  oublié  nombre  de  militaires  du 
corps  (1  occupation  de  Madagascar,  lesquels  ont  usé  de  ce 
mode  de  transport  soit  pour  se  rendre  de  la  côte  à Tana- 
nari\e,  soit  pour  rallier  les  postes  de  l'intérieur.  Beaucoup 
qui  n avaient  eu  que  le  » cœur  dou.x  »,  comme  disent  les 
marins,  au  cours  de  la  longue  traversée,  ont  failli  avoir  le 
plus  complet  mal  de  mer  en  escaladant  en  filanzane  les  sen- 
tiers escarpés  de  la  Grande  lie.  C’est  surtout  au  moment  où 
les  poiteurs  se  relaient,  faisant,  sans  cesser  de  courir,  sau- 
ter la  perche  de  leur  épaule  sur  celle  de  leur  remplaçant, 
que  la  petite  plongée  qui  en  résulte  produit  le  vertige  ca- 
ractéristique analogue  à celui  que  cause  le  roulis  du  navire. 
Mais,  ici,  a 1 Exposition,  ce  mode  de  transport  ne  peut  pro- 
voquer ces  sensations  particulières,  les  porteurs  allant 
jiresque  toujours  au  pas,  et  n’ayant  pas  à escalader  d’acci- 
dents du  sol. 

— Pourtant,  réclame  M"'«  Flore,  j’ai  parfaitement 
éprouvé... 

Permettez-moi  de  vous  dire,  madame,  que  vous  êtes 
d une  susceptibilité  toute...  imaginaire,  comme  ces  personnes 
qui  commencent  à se  croire  atteintes  du  mal  de  mer  lorsque 


72 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


le  paquebot  est  encore  au  bassin,  immobile  sur  ses  amarres, 
au  long  du  quai  (rembarquement...  Mais  voici,  tant  était 
courte  la  distance  à Iranchir,  que  nous  avons  entamé  déjà 


I.KS  (Tl.ANZ.ANES  DK  MADA(K\SCA(t. 


notre  tour  extérieur  du  l’avillon  de  1 Exposition  mexicaine... 
Au  petit  pas,  les  Malgaches  ! 

— Ah  ! ab  ! nous  allons  donc  retrouver  notre  aimable  et 
docte  centenaire,  songe  \erduretavec  salistaction. 


U-:  M^xinno 


73 


I^Hlais  (lu  Mexique,  poursuit  Lau- 
rcntien.  L est  du  plus  pur  style  uéo-grec,  ce  quenousa  donn(5 
la  (uuincut  architecte  mexicain,  M.  Anza,  et  c’est  de  sa 
part  de  I excellent  modernisme.  C’est  dans  ce  style  en 
(Mot,  (pie  sont  construites  la  plupart  des  riches  demeurés  et 
. h's  edihce.s  ^cents  de  Mexico  et  des  autres  grandes  villes 
<lo  la  l{c[)uMique. 


.est  drôle...  ,1e  me  rapp(dle  très  hien  qu'en  188!)  le 
Alexupie  avait  au  Champ  de  Mars  uu  superhe  Palais...  qui 

na\ait,  comme  architecture,  pas  le  moindre  rapport  avec 
celui-ci. 

— Vos  souvenirs  sont  fidèles.  Excellence.  Cette  grande 
nation  tramsatlantique  nous  avait  alors  montré  un  très  beau 
specimen  de  1 art  aztèque,  qui  constitue  Fantiquité  mexi- 
caine comme  le  gallo-romain  forme  celle  de  la  France 
Pette  lois,  le  gouvernement  du  général  Porfirio  Diaz  a voulu 
montrer  dans  un  cadre  du  présent  ce  pays  qui  est  sorti, 

■(  TK.WEHS  I.’k.XI'OSITIO.N.  — T.  .MIL  — | 


bli 


TRAVERS  L EXPOSITION 


avec  une  si  belle  énergie  et  une  si  complète  réussite  dans  le 
progrès,  des  langes  anarchiques  du  passé  d hier;  ce  pays  qui, 
en  son  développement  agricole  et  industriel,  n a plus  qu  un 
vao-ue  lien  historique  avec  le  lointain  passé  des  anciens 
mciitres  du  sol.  N’oublions  pas  que  la  rétrospectivite  de 
cette  superbe  Exposition  de  1900  ne  porte  que  sur  la  du- 
rée du  siècle  qui  se  meurt  — et  que,  par  conséquent,  c est 
le  monde  tel  qu’il  s’est  développé  depuis  cent  ans  qui  doit 
Y être  représenté,  et  non  dos  souvenirs  des  périodes  anti- 
ques, si  ce  n’est  à titre  d’exceptionnels  points  de  compa- 
raison. En  1889,  c'était  un  magnitique  Palais  Aztèque,  évo- 
quant les  splendeurs  de  l’ancien  empire  de  l’Anahuac  qui 
triomphait  non  loin  de  la  rive  de  la  Seine  ; aujourd  hiu, 
c’est  un  spécimen  des  palais  qu’élève,  sur  les  ruines  des 
temps  révolus,  une  des  républiques  les  plus  modernes  et 
les  plus  prospères  du  Nouveau-Monde. 

Je  comprends,  opine  Verdiiret  d’un  air  entendu. 

Palais  — ^ qui  comprend  toute  la  très  importante 

exposition  du  Mexique,  occupe  un  rectangle  de  GO  mètres 
de  long  sur  28  mètres  de  large,  et  dont  les  deux  extrémités 

sont  arrondies  en  rotonde. 

— Oui,  je  vois.  C’est  étonnant  ce  que  tout  cela  vous  a 

un  air  familier  « premier  empire  ». 

— Assurément,  puisque  la  caractéristique  de  1 art,  pen- 
dant la  glorieuse  ère  de  transition  napoléonienne,  ctait 
1(3  i.,3tour  — pas  toujours  très  réussi  — à l’antiquite  grecque. 
Ce  Palais  est  intérieurement  un  vaste  hall.  Des  deux  rotondes 
quiforment  les  petits  côtés  arrondis  du  rectangle,  celle  qui 
ldi t face  au  pont  de  l’Alma  (et  qui  contient  le  miisee  de  poin- 
ture et  de  sculpture)  constitue  le  superhe  salon  de  lecep 
tion-  la  rotonde  opposée  contient  un  bel  escalier  a double 
révolution  conduisant  à la  galerie  .pu  court,  a hauteur 

d’étage,  autour  du  hall  central.  En  ce  moment,  nous  dou- 
hlons  — j’emploie  l’expression  maritime  pour  üatter  le  goût 
que  professe  madame  pour  le  malaise  nautique  ce  e 
rotonde-vestibule,  et  nous  voici,  au  long  de  la  Seine,  de- 
vant la  façade  principale  du  Palais.  m I 

— Oh  ! mais,  elle  me  semble  ravissante,  cette  façade  . 
s’extasie  Verduret,  avec  la  prudence  d’un  sage  qui  n ose 
s’en  rapporter  à ses  seules  lumières. 


LI-  MEXIQUE 


73 


— Excellence,  vous  pouvez  alTirmer  sans  crainte,  et 
j admire  la  grande  modestie  d’un  goût  aussi  sûr  que  se 
montre  le  vôtre.  Cette  façade  principale,  avec  sa  loggia  limitée 
par  une  colonnade  d'une  très  belle  venue,  presque  impo- 
sante, même,  est,  en  effet,  du  plus  joli  effet  en  sa  très 
savante  et  élégante  pureté  technique. 

Vorduret,  ainsi  complimenté  sur  la  justesse  artistique  de 
son  coup  d’œil  et  la  qualité  de  ses  appréciations  spontanées, 
éprouve  une  intime  satisfaction  d’amour-propre  qui  lui  fait 
se  caresser  le  menton  non  sans  quebjue  vanité. 

— Décidément,  pense-t-il,  il  faut  que  je  ne  sois  pas  tout 
à fait  une  vieille  bourrique  pour  (jue  des  hommes  de  l’évi- 
dente valeur  du  centenaire,  de  ce  joyeux  Houscastrol  et  de 
cet  étonnant  déséquilibré  de  Laurentielf  s’accordent  avec 
une  si  parfaite  unanimité  à corroborer  mes  jugements. 

Et  1 oncle  de  Berti'ande  couvre  d’un  regard  singulièrement 
sympathique  le  pseudo-prince  russe,  dont  il  sent  qu’il  ne  se 
contente  pins  uniquement  de  plaindre  la  folie  et  d’admirer 
1 érudition  savante...  Mais  il  voit  celui-ci  faire  un  geste  et, 
aussitôt,  les  cinq  filanzanes  s’arrêtent,  déposant  nos  expu- 
ÿilwnais/es  au  seuil  de  l’entrée  principale  s’ouvrant  par  une 
triple  baie  derrière  la  colonnade.  L’appareil  d’une  telle  ar- 
rivée n’est  pas  sans  causer  une  sensation  parmi  la  foule 
des  visiteurs  qui,  instinctivement,  s’écarte  et,  curieuse,  fait 
la  haie...  comme  à l’apparition  de  personnages  de  marque. 

Bèchard  se  redresse,  en  une  raideur  exagérée  qu’il  croit 
de  la  dignité;  Flore,  intimidée,  baisse  son  épais  petit 
nez  et  colle  les  coudes  au  corps.  Quant  à Verduret  et  à Ber- 
trande, ils  ne  s’occupent  guère  de  la  foule  : l’oncle  se  de- 
mande en  quels  termes  il  pourra  bien  présenter  Laurentielf 
au  vénérable  centenaire  pour  que  celui-ci  n’aille  pas  sup- 
poser au  rentier  malesberbois  la  naïveté  do  croire  aux  titres 
dont  se  pare  le  pauvre  fou  ; la  nièce  porte  alternativement 
son  clair  regard  fouilleur  du  pseudo-prince  à ce  seuil  où 
1 on  doit  retrouver  le  vieillard.  Donc,  selon  les  personnages, 
c’est  magistralement,  gauchement  ou  préoccupé,  que  le 
groupe  visiteur  traverse  la  terrasse  et  arrive  à la  porte  prin- 
cipale. 


Le  Pavillon  du  Memole 


Pavillon  du  Mexiqul.  — Uétail  de  la  l•■A(■AD^;. 


S II 

1 1 1 > .X  E U It  1 i\-  A T r E .N  D U 

Ur,  a celte  porte,  une  déconvenue  tout  d’abord  rallend. 

Je  ne  vois  pas  notre  aimable  centenaire,  dit  Verduret, 
dont  les  yeux  cherchent  anxieusement  de  toutes  parts..! 
Pourtant,  nous  sommes  plutôt  en  retard  sur  le  temps  qu’il 
avait  juge  que  nous  consacrerions  au  chemin  de  fer  et  au 
Trottoir  lloulant...  Je  ne  sais  que  penser  ! 


78 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


— Et  moi,  je  sais  à quoi  m’en  tenir,  murmure  entre  ses 
jolies  (lents  la  gentille  Bertrande  en  regardant  ironiquement 
l.aurentielV. 

— Parbleu,  grogne  le  farinier,  il  nous  aura  attendu 
quelques  minutes  et,  voyant  que  nous  ne  paraissions  pas,  il 
nous  aura  brûlé  la  politesse. 

— Lui,  mon  cher?  11  est  trop  galant  homme  pour  cela. 
Peut-être  nous  guette-t-il  à une  autre  porte  ou  se  promène- 
t-il,  en  nous  cherchant,  dans  les  environs. 

— Veuillez  m attendre  ici.  .Je  vais  m’en  assurer,  dit  Lau- 
rentieff,  qui,  sans  attendre  de  réponse,  s’éloigne  vivement. 

— Voulez-vous  parier  une  chose,  mon  oncle? 

— Laquelle,  fillette? 

— C’est  que  si  nous  retrouvons  le  centenaire,  nous  per- 
drons LaurenticlT  ; et  que  si  Laurentieft  nous  revient,  il  faut 
taire  noire  deuil  du  vieux  cicerone. 

Quelle  folie!...  Qui  te  fait  supposer  cela,  alors  que, 

justement,  ce  pauvre  mécanicien  brûle  d’être  présenté  à 
notre  vénérable  guide  ? 

— Mon  Dieu,  c’est  ma  conviction,  voila  tout.  iS(3s  divers 
cicerones  me  font,  je  ne  sais  pourquoi,  1 etlet  de  ces  bons- 
hommes en  carton  des  baromètres...  vous  savez?  Quand 
l'un  sort  de  la  guérite,' c’est  que  l’autre  y rentre,  et  réci- 
proquement. 

— Quelle  idée  biscornue  ! fait  Bèchard  du  haut  de  son 
importance. 

— Attendons  ! conclut  la  jeune  fille  avec  une  moue  mu- 
tine. 

L’attente  est  de  courte  durée.  Laurentieft  revient,  décla- 
rant qu'il  n’a  vu  nulle  part  le...  « Grand  Archimède  )).\er- 
duret,  très  embarrassé,  se  demande  s’il  lui  faut  rester  avec 
ses  amis  sur  ce  seuil  où  les  témoins  de  leur  arrivée  sensa- 
tionnelle les  regardent  avec  une  curiosité  qui  est  bien  un 
peu  gênante,  ou  bien  s il  doit  se  décider  a entrepiendic 
la  visite  du  Palais  et  de  l’exposition  mexicaine...  sans  guide, 
puisque  le  mécanicien,  interrogé,  déclare  que  sa  compétence 
est  limitée  aux  œuvres  des  ingénieurs...  Et  Bêchard  s’impa- 
tiente, et  iM""'  Bèchard  réclame  un  fauteuil  pour  le  cas  oii 
l’attente  devrait  se  prolonger,  et  Bertrande  ne  sait  que  sou- 
rire de  façon  narquoise  et  agaçante.  Le  manufacturier  retiré. 


LE  MEXIQUE 


79 


le  centenaire  no  paraissant  toujours  pas,  commence  à deve- 
nir extrêmement  perplexe...  lorstju’il  est  abordé  par  un 
gardien  du  palais,  en  livrée,  qui  lui  dit  : 

N est-ce  pas  vous  qui  altendoz  un  vieux  monsieur  ? 

— En  elTet. 

Alors,  veuillez  me  tain'  1 honneur  de  me  suivre,  ainsi 
que  vos  compagnons.  On  vous  attend  au  Commissariat  géné- 
ral du  Mexique. 

Interdit,  notre  groupe  emboîte  le  pas  à l'employé,  qui 
bientôt  ouvre  devant  lui  la  porte  d un  élégant  salon,  en 
invitant  les  deux  couples  provinciaux  à y entrer.  Verduret, 
de  plus  en  plus  stupéfait,  cherche  des  yeux  LaurentielY  pour 
lui  demander  ce  qu  il  pense  de  cette  invitation  inattendue  ; 
mais  le  mécanicien  a disparu.  Alors,  de  l'intérieur  du  salon, 
une  voix,  au  timbre  agréable  et  très  distingué,  prononce  : 

— Veuillez  prendre  la  peine  d'entrer,  je  vous  prie,  mes- 
dames et  messieurs. 

Interloqués,  Verduret  et  le  couple  Hèchard,  qu’escorte 
Bertrande,  se  rendent  à cette  courtoise  invitation,  et  se 
trouvent  en  présence  d’nn  gentleman  de  (enue  parfaite, 
[lortant  binocle,  habillé  avec  la  plus  corrode  élégance,  et 
qui  leur  dit  en  souriant  : 

— Le  vénérable  vieillard  qui  devait  vous  faire  les  hon- 
neurs de  notre  Palais  mexicain  se  trouve  cmpôcbé  et  m’a 
prié  de  vouloir  bien  le  suppléer  dans  cette  agréable  tâche. 
Je  n aurai  peut-être  pas  son  éloquence,  que  vous  avez  été, 
je  le  sais,  à même  d apprécier;  mais,  au  point  de  vue  de  la 
documentation,  j espère  que  vous  ne  perdrez  pas  trop  au 
change,  car  j'ai  de  sérieuses  raisons  pour  ne  rien  ignorer  de 
cette  exposition.  Avant  de  vous  faire  visiter  ce  Palais,  je 
crois  que  vous  en  saisirez  mieux  l intérèt,  si  je  vous  explique 
rapidement  ce  que  vous  y verrez.  Veuillez  donc  prendre  la 
peine  de  vous  asseoir  et  me  faire  l’honneur  de  m’écouter 
quelques  instants. 

— Monsieur,  nous  sommes  aussi  surpris  que...  confus... 
ou  plutôt  aussi  confus...  que...  s’embrouille  Verduret,  à 
qui  les  manières  délicatement  mondaines  du  gentleman  en 
imposent  considérablement. 

Benonçant  à achever  une  phrase  trop  rétive,  il  s'assied, 
ainsi  (jue  le  ménage  Bècbard,  non  moins  interdit  que  lui. 


(SO  A TRAVERS  l'eXPOSITIOiN 


BeTii’cindc,  lail  de  même,  tandis  (|uc  le  peTsoüiiaji;c  incoimu 
la  regarde  avec  tino  bienveillante  attention  qui  ne  laisse  pas 
que  d'cmbari'asser  un  peu  la  jeune  fille. 

S'asseyant  à son  tour,  l’hôte  de  l’élégant  salon  commence 
en  ces  termes  ; 


iNUlHiNS  IIU  ilKXHjUE. 


— Le  iMexique  est  un  des  pays  qui  repondirent  les  pre- 
miers à l'appel  de  la  France  pour  prendre  part  à cette  rna- 
gnilique  apothéose  du  xix*^  siècle  qn  est  1 Lxposition  de  11)00. 
Déjà,  en  1889,  il  avait  tenu  à honneur  de  figurer  dignement 
à l’Fxposition  universelle.  Cette  année,  il  o tire  au  public  pa- 
risien et  à ses  invités  de  l’univers  entier  une  exposition 
nationale  très  intéressante  et  très  complète.  Je  ne  vous 
parle  pas  do  ce  Palais  moderne  sur  lequel  vous  avez,  je 
pense,  jeté  un  coup  d’œil  avant  d’entrer... 

— • En  effet,  monsieur,  hasarde  \crdnret  avec  un  peu 


LR  .MRXigrr; 


81 


moins  de  timidité,  enhardi  qu'il  est  par  la  bonne  grâce 
accneillante  dn  distingue  suppléant  dn  centenaire.  Nous 
venons  d’en  faire  le  tour  avec...  quelqu'un  que  je  suis  sur- 
plis do  ne  plus  voir  avec  nous  ici,  et  qui  nous  a donné 
(|uelques  indications  sur  le  stylejet  IVnsemble  de  ce  xaste 
Pavillon  du  Mexique. 


CaVAUKII  MF.XICAIN. 

,.  ^ insisterai  donc  pas.  Je  vous  dirai  seulement  que 

1 intiu’ieur  ri  valise  de  beauté  avec  l’extérienr  et  que,  mémo, 
M.  Anza  a trouvé,  pour  le  dit  intérieur,  une  disposition  ti'ès 
originale,  consistant  en  une  série  de  niches  voûtées  délimi- 
tées par  des  colonnes,  et  permettant  de  donner  un  excep- 
tionnel développement  de'  murs  pour  l'exposition.  Je  vous 
recommande  d’accorder  toute  l'attention  qu’il  mérite  au 
salon  de  réception  de  la  rotonde  d amont,  très  luxueusement 
mcubb'  en  style  Empire  le  plus  pur. 


A TRAVERS  L EXPOSlTIO?i 


— Pourquoi,  Empire? 

— Simplement  parce  que  c'est  celui  qui  cadre  le  mieux 
avec  l’architecture  néo-grecque  dans  lequel  est  construit  le 
Palais.  Vous  admirerez  aussi,  je  n’en  doute  pas,^  l’escalier 

d’honneur  de  l’autre  ro- 
tonde, un  morceau  très  ori- 
ginal et  de  remarquable 
beauté.  Passons  à un  autre 
ordre  d’idées.  Le  président 
de  la  République  mexicaine, 
général  Porfirio  Diaz,  s est 
beaucoup  occupé  person- 
nellement de  l’exposition 
que  vous  allez  voir  ici.  II 
l’a  fait,  je  puis  dire,  avec 
un  réel  plaisir,  car  il  aime 
beaucoup  la  France  et  les 
b’rançais,  qu'il  a connu  et 
appréciés...  en  les  combat- 
tant. Le  général  fut,  en 
efl’et,  un  des  héros  de  la 
guerre  franco-  mexicaine  ; 
mais  vous  savez  que  cetle 
guerre  fut  toute  politique. 
Pomme  cela  s’est  passé 
entre  Français  et  Russes  en 
Crimée,  les  adversaires  lut- 
tèrent avec  un  grand  cou- 
rage , mais  sans  haine . . . 
mieux  encore,  en  s’estimant  et  on  sympathisant.  Vous  pou- 
vez parler  du  général  Diaz  à votre  ancien  généialissime 
Saussier,  aux  généraux  de  Galliffet,  Japy,  Niox...  Ils  vous 
diront  qu’ils  se  souviennent  de  lui  avec  autant  de  tranche 
et  loyale  amitié  qu’il  leur  a conservé  de  noble  et  cordiale 
estime...  et  c’est  ce  qu’il  y a de  plus  fièrement  émouvant  au 
monde,  cette  généreuse  amitié  entre  ofliciers  do  camps 
adverses  qui  se  serrent  la  main  en  vaillants  camarades  avant 
de  retourner  lutter  héroïquement  les  uns  contre  les  autres. 
Avec  le  général  Diaz  — président  depuis  vingt  ans  et  à qui 
notre  Réiiublique  doit  l’état  de  prospérité  dans  lequel  elle  se 


M.  S.  B.  DE  MIER 

MINISTRE  DU  MEXIQUE  A LONDRES 
COMMISSAIRE  GÉNÉRAL 
DU  MEXIQUE  A l’exposition  UNIVERSELLE 

DE  1900. 


LK  MEX1Q(;E 


83 


trouve  — le  ministre  du  Commerce  et  de  l’Industrie, 
M.  Fernandez-Leal,  est  l’homme  qui  s’est  peut-être  le  plus 
occupé  de  cette  exposition  mexicaine,  à l’ore^anisation  de 
laquelle  il  a tra- 
vaillé sans  repos 
depuis  deux  ans. 

Quant  au  Commis- 
sariat parisien  du 
Mexique,  le  Gou- 
vernement ne  pou- 
vait mieux  choisir 
queM.  de  Mier  pour 
les  hautes  fonctions 
de  Commissaire  gé- 
néral. M.  de  Mier 
est  un  Parisien  . . . 

— Comment,  un 
Français? 

— Non.  Je  dis  un 
Parisien  parce  qu’il 
a fait  ses  études  à 
Paris  et  l’a  habité 
pondant  trente  ans  ; 
parce  qu’il  parle 
français,  vous  le 
pensez  bien,  comme 
le  plus  pur  « boule- 
vardier  ».  Mais  il 
tient  au  Mexique 
par  sa  naissance; 
par  ses  propriétés  terriennes  qui  y sont  considérables;  par 
les  beaux  travaux  d’intérêt  général  qu'il  y a fait  exécuter, 
tels  que  la  dérivation  de  la  rivière  Atoyac,  dans  FIMat  de 
Puebla,  qui  lui  donne  une  force  motrice  hydraulique  de 
23,000  chevaux;  enfin,  par  ses  fonctions  diplomatiques:  il  a 
été  nommé,  l’année  dernière,  envoyé  extraordinaire  et  mi- 
nistre plénipotentiaire  à Londres,  poste  qu’il  a momenta- 
nément quitté,  en  vertu  d’un  congé,  pour  venir  prendre  la 
tête  du  Commissariat  général  de  l’Exposition. 

« 11  a organisé  la  participation  du  Mexique  de  façon  très 


M.  RAMON  FERNANDEZ  DE  ARTEAGA 

CONSUL  Pt:  MEXIQUE  A MARSEILLE 
ADJOINT  AU  rOMMlSSAlKE  {ÎFNÉRAL  DU  MEXIQUE. 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


lirillante,  et  vous  verrez  les  superbes  fêles  qu'il  donnera  en 
ce  pavillon.  » 


h rancais 


de 


donc 


puis 


Excusez-moi,  je... 

.'erreur  n'est  que  toute  flatteuse  pour  le 
cœur  et  do  sélection  de  vie  qni  en  est  l’objet;  je 


Le  Bois  de  Ch.^pui.tepec  a Mexico. 


VT?; 


r.F 


MIOXIOIT': 


vous  pardonner  eii  son  nom.  Il  est  aidé  en  sa  tache  par 
al.  Antonio  Anza,  Commissaire  général  adjoint... 


■ Ln  parent  de  rarcliitecte,  alors? 

^lieux',  cher  monsieur. . . \ erduret,  je  crois? 
^ ous  savez  mon  modeste  nom? 


. 1-.; 


A TRAVERS  l’ EXPOSITION 


8C) 


_ Puisque  je  supplée,  il  était  juste  que  je  fusse  au 
moins  informé  auprès  de  qui...  Donc,  M.  Anza,  un  des 
ingénieurs  les  plus  émérites  du  Mexique,  n est  nullemen 
doublé  : il  est  «cumulard.).  Commissaire  général  adjoint, 
il  est  en  même  temps  architecte  du  Pavillon.  Je  vous  nom- 
merai ensuite,  par  ordre  hiérarchique,  le  premier  adjoint 
au  Commissaire  général,  M.  Ramon  Fernandez  de  Arteaga, 
Consul  du  Mexique  à Marseille,  actuellement  en  conge  au 
Commissariat;  M.  Garcia  Torres,  attaché  à la  Légation  du 
Mexique,  qui  fut,  en  1889,  membre  de  la  Commission  mexi- 
caine et  esl  marié  à une  charmante  Française; 

Hans,  un  Français,  qui  ht  comme  ofhcier  ^ la 

campagne  du  Mexique;  enfin,  M.  Bernardo  de  Mier,  attache 

au  Commissariat. 

— Je  vois,  monsieur,  remarque  Verduret,  que  le  premier 
adjoint,  M.  Ramon  Fernandez,  est  le  seul  qui  n ait  pas  des 
liens  directs  avec  la  France. 

— Allons,  dit  en  souriant  le  personnage  inconnu  voila 
que,  par  culte  pour  la  vérité,  vous  me  forcez  à parler  de  lui. 
Sachez  donc  que  ce  M.  Ramon  Fernandez  est  peut-etre  le 
plus  français  des  Mexicains  du  Commissariat  pneral,  ayant 
fait  ses  études  dans  votre  pays,  étant  ancien  élève^de  1 Lcole 
centrale  des  Arts  et  Manufactures,  membre  de  la  Société  des 
Ino'énieurs  civils  de  France,  ancien  représentant  des  usines 
du  Creusot  au  Mexique.  Entré  dans  la  diplomatie  il  Y a 
ans,  c’est  encore  à Paris  qu’il  a débuté,  comme  attache  à la 
Légation  mexicaine. 

Eh  ' mais  fait  le  manufacturier  retiré  avec  sa  bon- 
homie finaude,  c’est  la  revanche  de  la  fâcheuse  guerre  en- 
treprise il  y a quelque  quarante  ans,  car  je  constate  que, 
pour  terminer  le  siècle,  c’est  bel  et  bien  le  Mexique  qui 
conquiert  Paris,  ce  M.  Fernandez  de  Arteaga  en  tête. 

— En  ce  qui  le  concerne,  cher  monsieur,  j’avoue  qu  il  se 
fait  Moire  d’avoir  même  conquis  sur  ce  Pans,  centre  du 
monde,  un  trophée  de  haut  prix  en  la  personne  de  sa 
femme,  une  des  plus  ravissantes  Parisiennes,  dont  la  grâce, 
l’esprit  et  la  délicate  beauté  sont  universellement  célébrés 
dans  l’aristocratie  intellectuelle  et  mondaine  de  la  grande 

capitale.  . , 

— Quels  redoutables  conquérants  que  ces  messieurs  du 


I.K  MEXIQl'E 


ST 


Nouveau-Monde!  J’ai  envie  de  prier  notre  député  d'en  tou- 
cher un  mot  au  ministre  de  la  Guerre  pour  qu’il  prenne  des 
précautions  majeures. 

— Peine  perdue,  cher  monsieur,  puisque  je  vous  ai  dit 
que  le  marquis  de  GallifTet,  comme  nombre  de  vos  géné- 
rau.v,  est  depuis  longtemps  conquis  lui-même  par  notre 
Président  de  la  République  en  pei’sonnel.  . Mais  revenons 
a l’objet  de  votre  visite.  Le  gouvernement  mexicain,  qui  a 
dépensé  cinq  millions  de  francs  pour  l’Exposition  de  1889, 
dépasse  encore  ce  chilfrc  pour  celle-ci.  Il  faut  vous  dire  que, 
chez  nous,  non  seulement  l’Etat  ne  réclame  aucune  retle- 
vance  pour  les  places  occupées  par  les  exposants  dans  ce 
palais  — où  ils  sont,  hélas!  bien  à l’étroit,  étant  donné  leur 
nombre  considérable  (3,b00!)  — mais  prend  à sa  charge 
Ions  les  frais  d emballage  et  de  transport.  C’est,  je  crois,  le 
seul  gouvernement  qui  aide  ainsi  les  industriels  de  tous 
genres  à faire  apprécier  leurs  produits.  Ce  que  vous  disiez 
en  badinant,  c’est-à-dire  que  le  Mexique  a à faire  la  con- 
quête de  la  hrance,  est  absolument  sérieu.x  ; l’Allemagne, 
l'Angleterre  connaissent  bien  maintenant  ce  beau  pays;  la 
IG’ance  ne  fait  que  commencer  depuis  peu  à...  l’apprendre. 
lîit  pourtant  les  Fi'ançais  sont  très  aimés  là-bas  ; votrf' 

<<  14  Juillet  » est  une  fête  presque  aussi  grande  à Mexico 
qu  a r aris,  une  fête  officielle  a laquelle  prend  part  la  muni- 
cipalité, parmi  les  illuminations  et  les  di’apeaux  unis  des 
deux  républiques.  ^ oyez-vous,  nous  comptons  beaucoup  sur 
cette  Exposition  pour  que  la  France  apprécie  enfin  à leur 
valeur  les  amis  sincères  qu’elle  a par-delà  le&-mers.  11  lui 
sullira,  pour  cela,  d’étudier  avec  une  attention  sympathique 
1 edort,  couronné  de  succès,  de  notre  lointaine  patrie;  il  en 
surgiia  pour  elle  comme  une  révélation.  Prenons,  par 
exemple,  la  section  des  mines.  Sous  ce  rapport,  le  Mexiijuc 
est  d’une  richesse  exceptionnelle. 

— Parbleu!...  les  mines  d’or  de  Californie! 

Si  1 or  et  l’argent  y ont  seuls  été  exploités  pendant 
des  siècles,  on  a commencé  depuis  peu  à s’occuper  des  gise- 
ments des  autres  métaux.  ()n  a découvert  une  superbe 
bande  métallifère  de  près  de  200  kilomètres,  de  l’Etat  de 
Sonora  à celui  d'Oaxaca,  contenant  à profusion  l’or,  l’ar- 
gent, le  cuivre,  le  fer,  le  plomb...  et  puis  de  l’aspbate,  de 


A travühs  l'exposition 


8 s 


l’amiante,  des  pierres  précieuses,  de  l’onyx  et  une  grande 
variété  de  marbres...  Elles  magnifiques  perles  mexicaines!... 
Vous  allez  voir  cela.  Notez  que  la  plus  belle  cxploitalion 
minière,  la  mieux  comprise  du  Mexique  et  je  crois  bien  du 
monde,  est  colle  de  cuivre  du  Boléo,  et  elle  est  exchisive- 
ment  franraiac.  Quel  exemple  à suivre!  Sous  le  rapport  de 
l'industrie,  les  progrès  réalisés  depuis  dix  ans  sont  éton- 
uanls.  Il  faut  reraar(|uer  que  le  Mexique,  ayant  toutes  les 


altitudes,  a tous  les  climats  et  produit  à volonté  toutes  les 
matières  premières;  que  la  main-d  œuvre  y est  à très  bon 
marché  et  que  de  nombreuses  et  puissantes  chutes  d’eau 
produisent  de  toutes  parts  la  force  motrice  économique. 
Ce  M.  Ramon  Fernandez,  dont  vous  m’avez  forcé  à vous 
parler  tout  à l’heure,  a publié  au  commencement  de  1898, 
dans  le  Grnie  Civil,  une  étude  sur  le  Mexique  (généralités, 
volcans,  ebutes  d’eau)  qui  a vivement  intéressé  tous  les 
ingénieurs  et  qui  montre  à quel  grand  avœnir  peut,  indus- 
triellement, prétendre  ce  pays  privilégié.  Même  pro- 


I.i:  MKMnlK 


grès  au  point  de  vue  agricule,  car,  grâce  à ses  diirérenccs 
d’altitudes,  le  sol  produit  depuis  le  blé,  le  maïs,  le  tabac  et 
le  café,  jusqu  au  cacao,  à la  canne  à sucre  et  au  caoutchouc. 
L exploitation  dn  café,  en  particulier,  se  fait  en  grand,  et 
vous  verrez  fabriquer  d excellentes  cigarettes  par  de  jolies 
Mexicaines... 

N insistez  pas,  je  vous  en  i)rie,  monsieur,  réclame  Bè- 
cbaid,  ou  mon  ami  Verduret  nous  retiendra  ici  jusqu’à  la 
l’ermeture  ! 


(icla  prouverait  simplement  que  voh'c  ami  a fort  bou 
goût..  Mais  je  passe.  Je  ne  voudrais  pas  faire  tort  à l’expo- 


sitiou  ues  ministères,  montrant  que  nos  chemins  de  fer  ont 
atteint  16,000  kilomètres  et  nos  télégraphes  45,000,  faisant 
toucher  du  doigt  les  grands  travaux  exécutés  dejiuis  dix  ans, 
tels  que  le  drainage  de  la  v^allée  de  Mexico  qui,  construit 
par  les  Aztèques  sur  un  lac,  comme  Venise  sur  l’Adriatique, 
ayant  vu  les  Espagnols  transformer  les  canaux  en  rues,  est 
devenu  maintenant,  grâce  aux  travaux  d’assainissement, 
une  des  villes  les  plus  saines  du  monde  entier...  Et  tant  et 
tant  d autres  travaux  considéi'ables  — ce  qui  n’empeche  pas 


90 


A TRAVERS  l’exposition 


le  budget  du  ministre  modèle  des  Finances  de  s arrondir 

d'un  excédent  de  quelque  soixante  millions. 

— Bigre,  pense  Verduret,  je  connais  une  république  à 
qui  pareil  accident  n'arrivera  probablement  jamais. 

— Une  chose  qui  vous  intéressera,  j’en  suis  sûr,  poursuit 
l’inattendu  et  très  aimable  conférencier,  c’est  les  progrès  de 
l'instruction  publique,  qui,  à tous  les  degrés,  est  ahsolumenl 
gratuite  HW  Mexique,  et  dirigée  de  manière  que  tout  jeune 
homme  faisant  des  études  sérieuses  sache,  à fond^  le  Iran- 
çais  et  l’anglais. 

— • Ah  ! ah  ! proclame  Bêchard  avec  autorité,  voila  qui  est 
utile. 

— Et  obtenu  de  la  très  simple  façon  que  voici  ; au  bout 
de  deux  ans  d’étude  d’une  de  ces  langues,  c’est  dans  cette 
langue  que  sont  aussitôt  professés  certains  cours,  tels  que 
ceux  de  physique,  de  chimie,  etc.  I.,  e.xposition  des  Beaux- 
Arts  vous  montrera  une  jeune  école  indigène  pleine  d avenir, 
sans  que,  pour  cela,  soit  négligé  1 art  ancien,  c est-a-diie 
l'art  des  Aztèques,  qui  est  aussi  imposant  que  la  civilisation 
de  ce  peuple  ancêtre  était  avancée  au  temps  de  la  conquête 
espagnole.  Du  domaine  de  l’art,  passons  à celui  du  pitto- 
reag^te.  .Je  vous  recommande  les  vues  de  cet  étonnant  pays. 
Vous  savez  que  Mexico  est  à 2,düü  mètres  d altitude.  « Or, 
a écrit  Désiré  Charnay,  la  vallée  de  Mexico,  contemplée 
du  château  de  Chapulte[)cc,  constitue  le  plus  beau  pano- 
rama que  l'on  puisse  voir  au  monde  : plaines  immenses, 
superbes  montagnes,  et  des  volcans  comme  le  Papocatepclt 
(d  rixtacihualt,  et  des  lacs  avec  des  jardins  llottants,  et  des 
bois!.-. 

— Assez,  de  grâce,  implore  en  riant  \ erdureU  sinon  ma 
nièce  va  encore  mettre  un  voyage  au  Mexique...  dans  sa 
future  corbeille  ! 

— Je  passe  donc  au  chapitre  costume,  si  intéressant  en 
ce  pays  où  le  peuple  a conservé  sous  ce  rapport  les  traditions 
nationales.  Le  costume  du  cavalier  mexicain  est  surtout  ty- 
pique et...  très  dénaturé  par  les  croquis  qui  on  sont  puliliés 
jiar  les  illustrés  de  l'ancien  Continent.  Ce  costume  est  beau- 
coup plus  sobre  qu’on  le  re])résente,  surtout  pour  les  per- 
sonnes d'un  certain  monde.  Le  peuple,  lui,  se  permet  quel- 
ques fantaisies  ornementées  d’argent,  dans  la  tenue  <lu  ca- 


LE  MEXIQUE 


91 


valicr  (toujours  émérito)  et  dans  le  harnachement.  Ce  qui 
est  unique  au  monde,  par  exemple,  c'est  le  sombrero,  ce 
chapeau  mexicain  dont  la  valeur  s’élève  souvent  à deux  ou 
trois  mille  francs. 

— Et  j en  porte  un  qui  na  pas  coûté  huit  i’rancs!  s’écrie 
]\piic  piore  humiliée. 

— Vous  verrez  ici  des  spécimens  de  sombreros,  et  remarq  uez 
(|u’ils  n’ont  pas  la  forme  que  vos  dessinateurs  leur  prêtent 
et  qu’ils  ne  sont  jamais  ornés  de  grelots  nés,  sans  doute,  dans 
1 imagination  de  quelque  voyageur  un  peu  trop...  gascon. 
Les  selles  sont  très  lu.xueuses;  il  en  est,  ornées  de  hrode- 
'l'ies  d’or,  qui  valent  jusqu’à  huit  et  dix  mille  francs.  Je  ne 
\ ous  parle  pas  du  lazo^  ce  sport  aussi  utile  que  dangereux  : 
il  est  trop  connu.  Ce  qui  l'est  moins,  ce  sont  les  objets  si 
curieuxque  fahriquent  les  indigènes  : poteries,  merveilleuses 
deshiladas  (hroderics),  objets  en  bois,  en  filigrane.  Vous 
allez  voir  tout  cela,  et  vous  garderez  certainement  le  souve- 
nii-  de  notre  collection  des  costumes  si  pittoresques  des 
|)aysans  du  Mexique...  Voulez-vous  me  permettre  une  ques- 
tion : 

— Comment  donc,  monsieur... 

— (>n  me  dit  assez  bon  physionomiste...  et  je  jurerais 
que  monsieur  Verduret  est  un  fin  gourmet. 

— Ah  ! mon  oncle,  vous  ne  le  nierez  pas? 

— J’avoue,  petit  démon...  J’avoue  même  sans  fausse 
honte. 

— Alors,  monsieur,  il  faudra  goûter  à la  très  variée  et 
très  savoureuse  cuisine  mexicaine...  au  plat  national,  sur- 
tout, le  7nole,  une  dinde  accommodée  avec  une  sauce  que 
relève  des  piments  indigènes  inconnus  en  Europe.  Je  ne 
vous  engage  pas,  pourtant,  à l’arroser  avec  la  boisson  na- 
tionale^  pidque,  fait  avec  de  l’agave.  Ce  breuvage  popu- 
laire ne  coûte  que  IS  centimes  le  litre,  mais...  on  en  a pour 
son  argent.  Ah  ! par  exemple,,  vous  pourrez,,  cher  monsieur, 
vous  régaler  avec  les  entremets  et  tes  fruits  confits  dont 
vous  me  direz  des  nouvelles. 

— IMais,  c’est  tout  le  Mexique  qui  est  enfermé  dans  ce 
Pavillon  ! 

— Et  il  est  quatre  fois  grand  comme  la  France,  s’il  n'a 
encore  que  quatorze  millions  d’habitants...  Voyez  quel  tour 


!)2  A TRAVERS  l'eXPUSI'IION 


de  l'orce  ! Sérieuseiiieiil,  je  puis  dii'e  ipie,  parmi  touLes  les 
Expositions  étrangères,  celle  de  la  République  mexicaine 
est  une  des  plus  complètes.  Pour  linir,  un  mot  grave  : ce 


pays  lient  et  riclie  a le  devoir  de  bien  se  détendre  et,  si  peu 
que  vous  soyez  au  courant  des  choses  mililaires,  vous  juge- 
rez ici  sur  quel  excellent  pied  le  général  Diaz  a mis  l’armée 


I.l-:  -MEXIOIK 


93 


(lu  Moxiqiio.  Du  rcsle,  la  nouvelle  artillerie,  système  du  si 
distingue,  vaillant  et  savant  colonel  mexicain,  Mondragon, 


est  bien  connue  et  hautement  appix'ciée  des  officiers  fran- 
(:ais,  car  elle  est  en  totalité  fabriquée...  chez  vous.  Vous  C(3n- 
staterez  que  notee  mai-ine,  si  elle  commence  à se  former. 


Pl.antations  de  café  au  .Mexique.  — Séchage  du  café. 


94 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


nest  pas  encore  très  développée;  elle  sera  très  importante 
un  jour,  car  le  gouvernement,  maintenant  qu’il  possède  une 
armée  de  terre  de  premier  ordre,  tourne  méthodiquement 
scs  regards...  vers  la  mer. 

« Voici,  mesdames  et  messieurs,  un  aperçu  général  sur 
CO  (juc  contient  ce  Palais.  Je  vais  vous  remettre  aux  mains 
d’un  guide  intelligent  qui  vous  montrera  tout  cela  en  dé- 
tail. » 

— Oh!  monsieur,  que  d'amabilité  ! 

— Ne  me  remerciez  pas,  je  vous  en  prie,  mais  bien  le  si 
sympathique  centenaire  pour  qui  j'ai  une  toute  particulière 
estime  et  à qui  je  suis  trop  heureux  de  faire  plaisir. 

— Vous  le  connaissez  Imn,  ce  centenaire?  demande  Ber- 
trande d’un  ton  singulier. 

— Mademoiselle,  je  le  considère  comme  une  des  plus  ra- 
res intelligences  qu’ait  produites  cette  hrance  si  liche  en 
génies...  Mais,  voici  votre  gu'ide,  suivez-le  bien  vite...  Ah  ! 
un  dernier  mot  : le  centenaire  m’a  prié  de  vous  dire  qu  au 
sortir  du  Pavillon  du  Mexique  — où  il  a bien  regretté  de  ne 
pouvoir  vous  attendre  — vous  le  trouverez  au  Trocadéro,  au 
seuil  <lu  beau  l’alais  syhérien.  11  m'a  semblé  avoir  grand’- 
bàte  de  vous  conduire  chez  vos  grands  amis,  les  Busses. 

— Nous  n’aurons  garde  de  manquer  de  nous  y rendre, 

monsieur!...  Encore,  merci,  et... 

— C’est  bon,  c’est  bon!...  Suivez  ce  brave  garçon-là.  U 
sait  son  Mexique  sur  le  bout  des  doigts.  Bonne  et  intéressante 
promenade  je  vous  souhaite,  mesdames  et  messieurs!... 

Après  force  salutations,  notre  groupe  provincial  quitte  le 
salon  sur  les  pas  du  même  gardieu  qui  l’y  a amené  et  que 
le  [lersonnage  inconnu  a chargé  de  le  guider. 

La  porte  est  à peine  refermée  que  Bertrande  va  vivement 
au  dit  gardien  et  lui  demande  rapidement: 

— Vite,  vite,  dites-moi  le  nom  de  ce  monsieur  que  nous 

venons  de  quitter. 

— Comment,  vous  ne  le  savez  pas  ? 

— Après  la  façon  dont  il  a parlé  de  certain  centenaire,  je 
le  considère  comme  le  plus  aimable  et  le  plus  galant  homme 
de  Paris...  J’éprouve  pour  lui  une  sympathie  très  vive... 
Mais  qui  est-il,  je  ne  sais  pas...  Dites  donc  vite. 


LE  MEXIQUE 


— Eh!  mademoiselle,  c’est  iM.  Ramon  Fernandez  de 
Arteaga. 

— Hein?  s’écrie  Verd  lire  t qui  s’est  approché. 

— Oui,  M.  l’adjoint  au  Commissaire  général  en  per- 
sonne. 

— Et  je  ne  m'en  suis  pas  douté?...  vieil  imhécile  que  je 
suis  !...  (Juel  honneur  pour  nous,  ma  nièce  ! 

— Et  cet  honneur-là,  n'ouhliez  pas,  mon  oncle,  que  c’est 
à notre  charmant  centenaire  que  nous  le  devons. 

— Ton  oncle,  Bertrande,  a la  mémoire  du  cœur.  Sachc- 
le  et...  donne-moi  le  hras.  Visitons  vivement  le  Mexique 
pour  aller  bien  vite  remercier  ce  savant  vieillard...  que 
j'aime  comme  un  père  ! 

Bertrande  se  mord  les  lèvres  pour  ne  pas  éclater  de  rire, 
et...  la  visite  commence. 


Le  prochain  volume  aura  pour  titre  : 

AU  TBOCAUÉRÜ 

et  comprendra  : 

Le  Pavillon  de  la  Sibérie. 

Les  Pavillons  du  "J’ransvaal. 

Les  Indes  Néerlandaises. 

Ltc.,  etc. 


Chapitre  — L'Exi'Ositiun  qui  makciie 
§ I.  Double  résurrection 

§ H 

^ 111.  Chassé  croisé 


Pages 

. 5 

5 

. 14 

. 33 


Chapitre  II.  — Le  Tkoïtuik  Ruli.-vni'  . 

§ I.  Patatras! 

§ 11.  Les  dessous  de  l'œuvre  . . 
§ 111.  Un  vieu.x  projet  simpliste  . 


Chapitre  III.  - Une  visite  .\u  Mexique 

§ 1.  Arrivée  sensationnelle  . . . 
§ 11.  Honneur  inattendu 


Paris.  — lmp.  MICHELS  et  Fils,  6,  8 et  lo,  rue  d’Alexandrie. 


EN  VENTE  : 


I.  L’Exposition  à vol  d’oiseau 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . 

III.  Le  Grand  Palais 

lY.  Le  Vieux  Paris 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 
la  Ville  de  Paris.  

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 

resques   

VII.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau  • • • 

A'III.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères. 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  . . • 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d’Orsay. 

XI.  L’Avenue  des  Nations 

XII.  Promenade  au  Quai  d’Orsay 

.XIII.  Les  moyens  de  locomotion  à l’Exposition. 

Le  Mexique 


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I 60 


G.  DE  WAILLY 


A TRAVERS 

L’EXPOSITION  DE  1900 


XIV 

AU  TROCADÉRO 


PARIS 

FAYARD  FRÈRES,  EDITEURS 

78,  Boulevard  Saint-Michel,  78 


CrJAPlTHE  PREMIER 


LA  RUSSIE  A L’EXPOSITIUN 


> ÜIALOGCE  ULSSO-SÉnüAMEA' 

Quel  auleur  paradoxal  a donc  prétendu  que  la  l'oule  est 
intelligente,  que  son  esprit  fait  do  milliers  d’esprits  saisit 
dans  1 immatérielle  ambiance  l’idée  opportune  avec  un 
subtil  a propos,  et  qu’un  instinct  très  sur  la  guide  vers  le 
lieu  ou  sa  présence  s'impose  et  où  lui  est  réservé  un  rôle 
a jouer,  soit  de  comparse,  soit  de  premier  sujet? 


RUSSIE  — SIBÉRIE 
CÉLESTE-EMPiRE  _ TRANSVAAL  - INDES  NÉERLANDAISES 
JAPON  - COLONIES  PORTUGAISES 
COLONIES  ANGLAISES 


6 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Telle  n'esl  pas,  assurément,  l'opinion  d’Aristide  Bèchard, 
maître  de  moulin  à Essonnes,  et  de  M'“  Bèchard,  gon 
épouse,  lorsque,  le  front  haut  et  tenant  la  tète  de  leur  petit 
groupe,  ils  quittent  licrement  le  seuil  du  Pavillon  de  1 Ex- 
position Mexicaine.  ...  . ^ i 

Pomment,  cette  foule  maladroite  faisait  curieusement  la 
double  haie  à leur  entrée,  alors  que  la  singularité  de  leur 
équipage  malgache  les  désignait  seule  à Tattention  du 
public,  et  elle  a la  sottise  de  s'ètre  dispersée  et  de  circuler 
inditférente  lorsqu’ils  sortent  grandis  par  l’honneur  — - 
exceptionnel  pour  de  simples  visiteurs  — d’avoir  ete  reçus  et 
longuement  documentés  par  une  des  hautes  personnalités 
du  r.ommissariat  général  de  la  Grande  République  de  Occi- 
dent américain  ? I 1 • 1 

\h  ! murmure  le  farinier  en  jetant  autour  de  lui  ue 

dédaigneux  regards,  ces  gens  ne  se  doutent  pas  que  nous 
sommes  ceux  pour  qui  les  autorités  mexicaines  viennent  de 
se  mettre  en  frais  d’amabilités  et  d’égards!...  Je  serais 
curieux  de  voir  leur  mine  jalouse  s’ils  pouvaient  seulement 

le  soupçonner  ! , , n-  • 

La  Erance  est  un  paysd’égalité,  farouchemcntrepublicain, 
où  chaipic  citoyen  — et  d’autant  plus  qu’il  est  plus  médiocre 

u'a  qu’un  souci  : obtenir  une  fonction,  un  titre,  un 

ruban,  un  privilège  quelconque  ou  même  une  simple  faveur 
(pii,  à ses  yeux,  l’élève  au-dessus  de  la  vulgaire  foule  de 

ses  concitoyens.  • i r>  i 

De  cette  innocente  faiblesse  si  répandue  parmi  le  1 euple 

Souverain  de  la  Gaule  moderne,  le  manufacturier  retiré 
Verdiiret,  ipioique  d’un  intellect  très  sensiblement  supérieur 
à celui  de  son  ami  et  compagnon,  n’est  pas  exempt.  Si,  en 
sortant  du  Palais  Mexicain,  sa  nièce  au  bras,  il  ne  se  carc 
pas  comme  Bèchard,  derrière  qui  il  marche,  ce  iT est  pas 
sans  un  demi-sourire  modestement  triomphateur  qu  il  se 
place  parmi  le  flot  du  vu/gum  pecus  dos  visiteurs  n’ayant 
pour  guide  que  la  constante  et  toute  plébéienne  consultation 
du  catalogue. 

— Or  ça,  mon  cher,  lui  dit  le  farinier  d Essonnes  en 
élevant  intentionnellement  le  verbe,  m’est  avis  que  nous 
ferons  bien  de  hâter  le  jias  ; l’accueil  empressé  qui  nous  a 
été  fait  par  ce  haut  et  distingué  personnage  du  Mexique 


Ai:  TIKIl^ADEHO 


7 


n’est  jias  iino  raison  pour  (jue  nous  lassions  attendre  la 
Russie  ! 

— Eh  bien,  et  noire  équipage?...  Ces  file-en-sacs  de 
M.  le  prince...  dit  M'"®  Rècliard. 

— Filanzancs,  bicheLtc  ! corrige  Rècliard  inccontenL. 

— Enfin  ces  file...  en  ce  que  tu  voudras,  pourquoi  se 
sont-ils  évanouis  juste  au  moment  où  leur  secours  nous 
sei'ait  réellement  ulile  ?... 

— Parbleu,  quand  on  se  confie  à nn  l’on,  il  faut  toujours 
s'attendre  à des  incohérences,  déclare  solennellement  le 
l'arinier.  Ce  prince  Laurentiell  — et  Bccbard  appuie  sur  le 
haut  titre  nobiliaire — ^nous  lait  voiturer  pour  franchir  cent 
pas  et  emmène  ses  porteurs  lorsque  nous  avons  à fournir 
une  étape  sérieuse.  En  tout  cas,  ce  que  je  trouve  absolu- 
ment mal  compris,  c'est  qu'on  ait  limité  le  Trottoir  Roulant 
au  pâté  de  maisons  s'étendant  en  arrière  du  quai  d’Ürsay. 
On  aurait  dù,  au  moins  le  faire  aller  jusqu'au  ïrocadéro, 
pour  lequel  il  n'existe  pas  de  moyen  de  transport...  Cette 
conception  est  ridicule  ! 

— Que  voulez-vous,  monsieur  Rècliard,  on  n'a  évidem- 
ment ])as  [u'évu  que  nous  aurions  à faire  ce  trajet,  dit  ironi- 
quement la  moqueuse  Rertrande.  Nous  n'avons  qu'à  faire 
contre  mauvaise  fortune  bon  cœur  et  à prendre  notre  cou- 
rage à deux...  jambes.  A moins  que...  Ab  ! c’est  trop  fort: 
regardez  donc,  mon  oncle  ! 

— Quoi,  lillctte? 

— Cette  personne  qui  se  dirige  vers  nous. 

— De  quel  côté? 

— Venant  de  la  porte  voisine  du  pont  de  l’Alma...  A 
moins  que  ce  soit  de  la  berge  môme  du  fleuve...  d’autant 
plus  que,  près  du  ponton,  il  me  semble  bien  voir... 

— Ab!  parbleu,  s’écrie  gaiement  Yerduret,  je  vois  notre 
homme,  et  voilà  une  ceinture  rouge  et  un  chapeau  de  paille 
qui  ne  me  sont  pas  inconnus. 

En  même  temps  que  Verduret,  mais  avec  bien  plus  de 
lente  dignité,  Rècliard  a dirigé  un  regard  interrogateur  vers 
le  personnage  annoncé.  Lui  aussi  l’a  reconnu  et,  tandis  qu’il 
jaunit  visiblement  — ce  qui  est  la  façon  de  pâlir  de  son 
sombre  et  exsangue  visage  — ses  lèvres  articulent,  en  un 
rictus  angoissé  : 


8 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Le  gondolier  ! 

— Qui  vient,  mesdames  et  messieurs,  mettre  son  esquiH'! 
votre  disposition,  déclare  le  compagnon  de  Bouscastrobj 
l’artiste  improvisé  marinier  qui,  arrivé  à quelques  pasu 
salue  avec  correction  et  grâce. 

— iMettre  de  nouveau  le  pied  sur  votre  infernale  inaa 
chine  ? Ali  ! jamais,  par  exemple  ! 

— Hassurez-vous  : j’ai  fait  des  progrès.  Mon  bateau  m’on 
héit  maintenant  comme  un  king-charles  à sa  maîtresse. 

— Ta,  ta,  ta,  ta!...  Je  ne  m’y  fie  pas. 

— Je  n’aurai  garde  d’insister...  auprès  de  vous;  mai'i! 
j’espère  que  mon  offre,  adressée  à monsieur  et  à mademoi-ii 
selle... 

— Nous  llatte,  assurément,  autant  qu’en  profiter  noinii 
serait  agréable. 

— Je  crois  bien,  approuve  vivement  Bertrande.  Elle  esisj 
si  jolie  votre  étonnante  gondole,  et  si  amusante  avec  sepj 
soudains  caprices  ! 

— Et  puis,  poursuit  Verduret,  j’avoue  que  la  perspectivei) 
de  taire  pédestrement  tout  le  quai  d'Orsay  pour  aller  cher-rj 
cher  le  pont  d léna  ne  sourit  que  médiocrement  à mesJ 
vieilles  jambes  éprouvées  par  ces  cinq  journées  consécntives‘:| 
d’Exposition.  Je  serais  donc  charmé  de  glisser  sur  Tonddi 
en  votre  nacelle,  jusqu’au  Trocadéro  ; mais  Amus  comprenez'! 
que  je  ne  peux  pas  abandonner  mes  amis,  M.  et  M'”®  Bcchard.l 

— Je  sais  quelqu'un  qui  va  être  fort  contrarié  de  votrei 
refus. 

— Le  centenaire? 

— Lui-même.  11  vous  attend  dans  ma  gondole  amarréec 
au  ponton  voisin  et  m’a  dépêché  auprès  de  vous. 

— Voilà  qui  change  la  thèse  du  tout  au  tout.  Bèchard,! 
mon  ami,  nous  ne  pouvons  faire  à notre  guide  si  savant  et'i 
si  complaisant  l’impolitesse  de  ne  pas  répondre  avec  em-i 
pressement  à une  aussi  délicate  prévenance. 

— Eh  ! je  ne  vous  empêche  pas  d’aller  risquer  un  plon- 
geon si  cela  vous  amuse.  Emmenez  même  ma  femme  si; 
elle  y consent,  c’est  son  affaire.  Quant  à moi,  serviteur!  Je( 
vous  retrouverai  là-bas  : cette  Sibérie  n’est  pas  au  Pérou, 
après  tout. 

— Je  crois,  intervient  le  marinier,  que  mon  vénérablei 


AU  TROCADÉRO 


9 


passager  serait  très  contrarié,  pour  nn  motif  <iue  i’ionore 
que  monsieur,  môme  seul,  promène  sa  très  reconnaissahlê 
silliouette  (le  ce  C(')tc  de  l'Kxposition. 

- Je  comprends,  fait  Verduret...  Et  je  vois  que  vous  en 
savez...  ou  devinez  plus  que  vous  n’en  voulez  dire.  Oui  il  est 
mutile  que  certain  Anglais...  enlin,  je  m’entends.  Allons 
Becliard,  réagissez  contre  une  appréhension  indigne  d'nn 
hmnme  tel  que  vous.  (Jue  dialde,  quand  un  vieillard  do 
lage  de  notre  guide  navigue  à boi'd  de  cette  gondole,  c’est 

qii  on  ny  court  aucun  danger,  et  sa  présence  avec  nous 
doit  VOUS  rassurer. 

— I\bn  cher,  on  fait  des  folies  à (ont  Age;  mais  sachez  que 
,ie  SUIS  de  ceux  qui  n’en  font  à aucun.  Je  vous  reioindrai  . 
par  le  |)ont. 

Bertrande,  l’œil  malicieux,  se  glisse  jusqu’auprès  du  pru- 
dent tarinier  et  lui  dit  tout  bas. 

— Oh  ! monsieur  Béchard,  êtes-vous  donc  si  peu  bravo  ! 
Nous  savez  que  tout  le  monde,  autour  de  nous,  vous  regarde 
— Ea  m’est  bien  égal. 

— Non,  cela  ne  peut  vous  être  indiifércnt,  car  j’ai  entendu 
que  qu  un  murmurer  : <(  Tiens,  je  croyais  que  ce  devait  être 
un  de  ceux  de  la  suite  du  Président...  Mais  il  parait  que 
non,  piiisqu  il  n’ose  pas  s’embarquer...  » 

— Verduret,  s’écrie  brusquement  Bèchard,  Verduret  ie 
vous  accompagne  ! ’ 

Et  tout  bas,  il  ajoute  : 

— Mais  faisons  vite,  hein?  Ne  me  laissez  pas  le  temps  de 
a reflexion.  Ouand  un  homme  sérieux  se  décide  à faire 
une  sottise,  il  faut  on  hâter  l'accomplissement. 

Précédé  du  marinier  inexpert  et  suivi  de  Bertrande  riant 
sous  cape  le  groupe  se  dirige  vers  le  ponton  près  duquel  le 
Ilot  berce  la  « gondole  enchantée  ». 

Moiîsiiiui  dit  au  centenaire  le  farinier,  en  prenant 
pied  sur  le  plancher  de  la  rajiide  embarcation,  il  faut  que 

.1  aie  bien  à cœur  de  ne  pas  vous  désobliger  pour  consentir  à 
monter  sur  ce  bateau. 

— Auriez-vous  à ce  point  peur  de  l’eau,  cher  monsieur? 
racliez  que  je  n'ai  peur  que  du  ridicule;  mais  je 
compte  que  votre  présence  empêchera  que  de  pareils  fai'ts 
se  renouvellent,  des  faits  qui  ont  causé  une  grande  et 


10 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


léo-itimo  frayeur  à M'‘"=  Bècliard  et  m'ont  mis  moi-même 
dans  la  posture  très  blessante  d’un  homme  grave  que  l'on 
se  permet  do  mystifier. 

J'ignore  do  quelles  facéties  vous  voulez  pailer,  dit  le 

vieillard...  à moins  que  ce  ne  soit  de  quelque  expéiience 
de  la  vélocité  incomparable  dont  ce  bateau  a été  doué  pai 


son  constructeur... 

Pin  ingénieur  de  génie,  a coup  sûr  ! proclame  \ er- 

diiret. 

— Un  inventeur  de  quelque  avenir,  en  effet,  cher  mon- 
sieur, et  que  j’ai  l'honnenr  de  connaître  assez  pour  avoir  pu 
lui  emprunter  son  petit  navire  à votre  intention. 

— Hiim!...  Etes-vous  sûr,  au  moins,  que  son  pilote  a 
suffisamment  appris  à le  diriger?  demande  le  farinier. 

— (Ju'importc  ?... 

Ah  ! pardon  ; il  importe  à notre  sécurité... 

— Je  veux  dire,  qu'importe  la  valeur  technique  de  notre 
pilote,  puisque,  ayant  choisi  ce  mode  de  locomotion  pour 
pouvoir  causer  tranquillement  avec  vous  de  cette  Russie  à 
qui  nous  allons  rendre  visite,  j’ai  prié  ce  nautonnier  que 
tant  vous  suspectez  de  n'user  que  de  sou  seul  aviron  pour 
nous  faire  traverser  tout  doucement  la  rivière  et  nous  laisser 

ensuite  descendre  au  fil  de  l’eau. 

— Comme  cela,  soit,  acquiesce  Bèchard  qui,  seulement 
enfin,  consent  à s’asseoir  dans  la  chambre  de  l’embarcation. 

— Mesdames,  messieurs,  commence  alors  le  centenaire 
de  sa  voix  grêle  et  tremblotante,  il  y a toujours  une  foule 
si  compacte,  dans  ce  vaste  et  si  beau  Pavillon  de  la  Sibérie, 
qu'il  m’y  sera  impossible  de  faire  autre  chose  que  de  vous 
y guider  en  éclairant  de  quelques  mots  rapides  votre  curio- 
sité intéressée.  Sans  la  précaution  que  j’ai  prise  de  ce  lent 
petit  voyage  nautique,  si  favorable  à la  causerie,  je  ne  sais 
vraiment  où  j’aurais  pu  vous  développer  les  quelques  idées 
préalables,  vous  faire  les  présentations  coutumières,  en  un 
mot,  donner  à l'impatiente  1\I'-  Bêcliard  l’cnnui  de  subir 

ma  petite  conférence  préliminaire. 

— Oh  ! fait  la  grosse  dame,  vous  pouvez  raconter  tout  ce 
qu'il  vous  plaira:  tant  que  nous  serons  là-dessus,  ce  n est 

pas  moi  qui  vous  interromprai  ! ^ r - 

Eh  ! eli  ! dit,  en  agitant  la  crécelle  de  son  rire,  le  véne- 


AC  TROCADKRO 


itible  ciccionc,  imposer  a la  bjis  le  silence  et  la  patience  an 
sexe  gracieux,  voila  ce  qn  en  l’antiqiiile  grecque  ou  romaine, 
nous  antres  philosophes  eussions  appelé  un  miracle  de 
Neptune  ! 

Verrlnret  fixe  sur  le  centenaire  un  regard  singulier. 

Pardon,  demande-t-il  d'un  ton  un  jum  coniraint,  vous 
ava^z  dit  nous^  en  parlant...  des  (Irocs  (.lu  vieux  temps  ? 

.1  ai  dit  nous  en  parlant  seulement  des  savants  et  des 
philosophes,  dont  la  docte  chaîne  remonte,  ininterrompue, 
do  sage  en  sage,  ]us(]n  au  delà  des  temps  préhistoriques. 

A la  bonne  heure.  C’est  que  ce  pauvre  et  intéressant 
Laurenticn  — à qui,  entre  j)arenthèses,  vous  avez,  complai- 
samment à notre  endroit,  fait  parvenir  un  ordre  officiel 
russe. .. 

— Oui.  On  est  charmant  pour  moi  an  Commissariat  de 
Russie,  particulièrement  le  tiat's  aimable  lils  du  plus  parisien 
des  généraux  de  la  belle  armée  du  Tzar.  C’est  ce  parfait  et 
galant  jeune  gentilhomme  qui,  instruit  de  mon  désir  de 
décider  ce  Laurentiell  à vous  piloter,  m’a  suggéré  l’idée  de 
cette  petite  comédie  et  a mis  à ma  disposition  le  pajiier  à 
en-tete  diplomatique  dont  je  conçois  que  la  ^•ue  vous  ait 
surpris. 

tout  sexpli([uc.  .le  disais  donc  (jue  ce  bravo  garçon, 
en  sa  paisible  et  innocente  folie,  voit  en  vous  ni  plus  ni 
moins  que  le  célèbre  Archimède...  Cela  ne  vous  fait  pas 

Je  ne  trouve  pas  a sourire  d’un  exemple  ti*ès  curieux 
de  perspicacité. 

— Hein?  fait  Verduret,  à la  fois  interloqué  et  railleur, 
vous  ne  prétendez  pas  être  ce  fameux... 

— Je  ne  constate  qu’une  chose  : c’est  qu’Archimède 
s écria  ; Eun'ha!  après  avoir  trouvé  la  loi  physique  de  la 
pesanteur  spécifique  des  corps.  Or,  comme  Archimède,  je 
me  suis  cru  en  droit,  un  jour,  moi  aussi,  de  crier  ; « J'ai 
trouvé  ! » \ oila  pourquoi  j’estime  étonnamment  profonde  la 
comparaison  de  ce  garçon.  C’est  à croire  qu’il  est  doué  de 
la  double  vue. 

— Il  le  prétend...  Mais...  qu’avoz-vous  donc  trouvé? 

Chut!...  II  faut  laisser  aux  mystères,  pour  se  révéler, 

Thoure  secrète  qu’ils  se  sont  choisis. 


-^v-y  * 


14 


A TRAVERS  l’eXPOSTTION 


— .le  ne  vomirais  pas  être  indiscret...  mais  pourrons- 
nous  savoir  jamais?... 

— Patience,  cher  monsieur.  Je  crois  pouvoir  aflirmer  que  q 

le  moment  est  proche  où  Ampis  saurez  tout.  Pour  le  moment,  ,| 
vous  me  désobligeriez  en  me  pressant  davantage.  | 

— Je  m’incline  donc.  ' 

— Et  vous  ne  faites  pas  mal,  Verduret  ! in  tervient  Bôchard.  [ 
Vous  me  faites  Petfet  d’un  vieil  enfant  intrigué  par  le  tic-  ; 
tac  d'une  montre  qu'il  lu’ûle  de  démolir!...  Au  lieu  de  cher-  j 
cher  à deviner  ce  qui  ne  vous  regarde  pas,  vous  feriez  mieux  :i 
de  vous  apercevoir  que  monsieur  se  moque  de  vous,  et  de  ■ 
le  laisser  nous  raconter  ce  qu’il  a à nous  dire  ; nous  sommes  ; 
ici  pour  parler  de  la  Russie  à l'Exposition. 

— Messieurs,  reprend  donc  le  centenaire,  la  puissante  : 
Russie  se  devait  d'occuper  un  rang  exceptioTincl  dans  la  i 
Eête  pacifique  de  l'Humanité  que  donne  à Paris  la  Erance, 
la  grande  amie  de  son  Tzar  bien-aimé  et  religieusement 
obéi. 

— Aussi  m’etonnai-je  de  ne  l’avoir  vu  représentée  par  ' 
aucun  Pavillon  dans  la  me  des  Nations. 

— Eussiez-vous  admis  qu'elle  occupât  un  petit  empla-  • 
cernent  quelconque,  près  de  l’Allemagne,  de  l’Angleterre, 
de  l’Autriche  ou  de  l’Italie?  11  eût  fallu  qu'elle  y primât  de  ! 
toute  l’ampleur  de  sa  majesté,  de  toute  la  prépondérance  ' 
de  sa  situation  de  géante  alliée.  Et  qu  eussent  dit  les  autres  i 
Puissances  si  une  réduction  du  Kremlin  eût  occupé,  ainsi 
que  cela  eût  été  normal,  une  concession  triple  ou  quadruple  ' 
de  celles  qui  leur  étaient  accordées?  Aussi,  Nicolas  11  s est-il 
contenté,  pour  garder  les  distances...  morales,  de  déléguer  ■ 
une  des  ])rovinces  de  son  empire,  la  Finlande,  pour  repré- 
senter ses  Etats  parmi  les  Etats  de  l'Europe. 

— C'est  évident...  La  pensée  fiére  du  jeune  empereur 
saute  aux  yeux  ! 

— Le  Tzar  attache  une  importance  capitale,  dans  le  paci- 
lique  tournoi  de  cette  Exposition,  au  succès  de  sa  Russie 
modernisée  qui  marche  à pas  de  géant  vers  un  éhlouissant 
avenir  industriel  et  agricole;  il  juge  d’intérêt  supérieur  de 
faire  savoir  à son  grand  ami  le  peuple  Irançais,  qui  1 ignore, 
le  prodigieux  développement  économique  de  s'on  empire. 
Vous  n'avez  pas  l'air  de  soupçonner'  quelle  place  le  pins 


Al'  TTiOCADiinn 


grand  congràs  induslriol,  savant  et  artistique  du  siècle  et  do 
tous  les  temps,  a occupé  et  occupe  actuellement  dans  les 
préoccupations  si  mnlliples  du  Tzar;  que  la  Tzarine,  ITnipé- 
ratrice-Mère  et  des  (îrands-Dnes  y ont,  pour  ainsi  dire,  leurs 
expositions  ])roprcs,  des  installations  d'ordre  particulier 
placées  sous  leur  patronage  et  auxquelles  ils  se  sont  active- 
ment consacrés:  enfin  que  le  Commissariat  de  Russie  créé 
pour  la  merveilleuse  exhibition  parisienne  est  un  véritable 
ministère,  qui  ne  compte  pas  moins  de  vingt  et  un  fonc- 
tionnaires. 

— Tant  que  cela  ! 

— Et  quels  fonctionnaires!  C'est  d'abord  le  Président  de 
la  Commission  impériale,  M.  de  Kowalewsky,  Conseiller 
Privé  de  Sa  Majesté.  M de  Kowalewsky,  né  en  1844,  est  une 
dos  plus  hautes  autorités  européennes  en  matière  d’économie 
rurale-.  11  a traité  en  maître,  en  de  nombreux  ouvrages,  ces 
questions  délicates  et  complexes.  C’est  un  spécialiste  d'une 
rare  valeur,  issu  de  l’Académie  agronomique  de  Saint- 
Pétersbourg,  dont  il  est  l’une  des  gloires.  Il  a été  chef  do 
la  statislique  au  ministère  russe  de  l'Agriculture  et  meml)re 
du  Comité  scientifique  au  même  ministère.  11  est,  depuis 
1893,  Directeur  du  département  du  Commerce  et  des  Manu- 
factures au  ministère  des  Finances. 

— b ! a b ! 

— Puis,  c’est  le  Vice-Président  de  la  Commission  impé- 
riale, le  Conseiller  d’Etat  actuel,  M.  Arthur  de  Kalfalovicb, 
membre  du  Conseil  du  ministère  des  Finances,  Agent  com- 
mercial et  financier  de  Russie  en  France,  attaché  à l’Ambas- 
sade de  Russie  à Paris.  Pour  vous  donner  une  idée  de  la 
haute  personnalité  de  M.  A.  de  Ralfalovicb,  il  me  suffira  de 
vous  dire  qu’il  était  le  secrétaire  général  de  la  Conférence  de 
la  Paix,  à l,a  Haye,  et  d’ajouter  qu’il  est  membre  correspon- 
dant de  l’Institut  de  France.  11  est  un  vétéran  de  nos  expo- 
sitions universelles,  sa  sûre  compétence  l'ayant  fait  nommer, 
en  1889,  juré  et  rapporteur  du  groupe  de  l'Economie  sociale. 

— Eb! ch! 

— .Mais,  bien  vite,  laissez-moi  vous  présenter  le  prince 
Winceslas  Téniclietf,  Commissaire  général  de  la  Russie  à 
l'Exposition.  Le  prince  Ténicbelf  est  un  ingénieur  émérite 
eta fourni,  dans  cette  branche  savante  de  l'activité  humaine. 


16 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


une  très  belle  carrière.  C’est  lui  qui,  entre  autres  œuvres 
importantes,  a créé  les  usines  de  la  Société  de  Briansk  (Bus- 
sie).  Depuis  cinq  ans,  il  se  repose  de  ses  grands  travaux... 
actifs  en  se  vouant  à l’enseignement  technique.  Un  labo- 
rieux, au  premier  chef,  comme  vous  voyez. 

— Et  c’est  uii  prince!  murmure  Verduret  rêveur. 

— Je  passe  au  Commissaire  général  adjoint,  le  Conseiller 
tl'Elat  actuel,  M.  de  Vouich,  qui  poursuit,  lui,  sa  carrière 
dans  l’Administration,  mais  au  titre...  comment  dirai-je?... 
au  titre  de  l’Etat-Major,  en  quelque  sorte.  Il  a dirigé,  pen- 
dant plusieurs  années,  diverses  administrations  de  l'Etat, 
mais  occupe  un  poste  assez  particulier  et  qui  exige  de  re- 
marquables aptitudes  : il  est  fonctionnaire  pour  missions 
sprciales  près  le  ministère  des  Finances. 

— Oh  ! oh  ! 

— Puis  viennent,  attachés  au  Commissariat  général  et 
délégués  pour  les  rapports  avec  rAdmiuistration  française, 
M.  le  comte  L.  d'Assche,  courtois  comme  savent  l’être  les 
gentilshommes  de  la  haute  aristocratie  russe,  et  M.  de  Yon- 
bir-Larsky;  les  membres  du  Comité  technique  des  construc- 
tions à Paris,  M.  U.  de  Nikiphorotf  et  M.  le  Conseiller  d’Etat 
de  Gazentzer;  les  attachés  au  Commissariat  général,  MM.  le 
baron  Jacques  de  Berwick,  le  baron  A.  de  Ih'eedericksz 
— chargé  d’une  statistique  commerciale  au  ministère  russe 
des  Finances  — P.  Apostol,  E.  de  Kireevski,  V.  de  Past- 
chenko  (chargé  des  installations),  Maurice  Ephrussi,  J.  de 
Schreycr.  E.  de  PoliakolF,  P.  de  Chimkévitch,  W.  de  Your- 
kévitch;  les  membres  du  Contrôle  général  de  l’Empire, 
MM.  de  K irsanotr,  de  Solski  et  Serge  L.'  Bad’alovich.  Je  ne 
vous  parle  pas  de  la  légion  des  secrétaires  et  du  monde  d’em- 
ployés en  sous  ordre... 

— Yous  me  voyez  stupéfait  et  très  lier  : stupéfait  que  la 
participation  à une  Exposition  universelle  comporte  le  dé- 
ploiement d’un  si  nombreux  personnel. 

— Yous  avez  le  droit  d’être  plus  fier  que  vous  ne  pensez, 
cher  monsieur,  car  c’est  au  généreux  peuple  ami  de  France 
et  nullement  à son...  étiquette  que  le  Tzar  adresse  cotte  co- 
horte brillante  et  d’exceptionnelle  valeuiy  avec  mission  de 
lui  bien  montrer  ce  que,  dans  les  travaux  de  la  paix,  peut 
son  Empire.  Et,  tenez,  puisque  l’occasion  s’en  présente,  je 


AU  TROCADÙRd 


vais  VOUS  faire  remarquer  ce  qu’il  y a do  très  curieux  et 
d uuique  dans  cette  alliance  franco-russe  qui  a déjà  produit 
de  SI  importants  résultats  et  qui  sera  par  la  suite  bien  autre- 
ment et  glorieusement  féconde. 

- Ouelquc  chose  de  curieux  et  d’unique?...  Je  parie  que  ie 
ilevine  ! interrompt  le  manufacturier  retiré  d’un  air  finaud 

— Noyons? 

— Eh  bien,  Napoléon  avait  dit  que  «la  France  serait 
lepublicaine.  o»  cosaque  »;  or,  voilà  que,  pour  finir  le 
Mccle,  elle  s amuse  a donner  un  démenti  formel  au  Kraïul 
liomme  qi"  en  a couvert  de  lauriers  l’aurore  : la  France,  en 
cuet,  est  bel  et  bien  et  républicaine  cl  cosaque. 

— Pas  mal,  cher  monsieur,  quoique,  en  jouant  ainsi  sur 
les  mots,  vous  vous  trouviez  dire  une  contre-vérité  un  peu 
bien  criante...  ^ 

— Voyons,  Verduret,  ne  faites  pas  de  facéties  au  suiet 
d une  question  aussi  grave  ! gronde  Bècbard,  s’arrachant  un 
instanUison  inquiétude  pour  le  plaisir  de...  grogner.  Mon- 
sieur, je  pense,  nous  fait  l’iionneiir  de  nous  prendre  pour  des 
liommes  serieiix  ; ne  lui  donnez  pas  l’idée  défavorable  que 
nous  sommes  de  ces  gens  futiles  qui,  lorsqu’on  traite  devant 
eux  de  avenir  des  nations,  répondent  par  une  pirouette 
comme  les  clowns  ! 

— Pas  mal  non  plus,  monsieur  Bècbard,  approuve  le  cen- 
enairc  en  hochant  la  tète.  C’est  effrayant  ce  que  vous  troii- 
\mrcz  de  clowns,  si  votre  mauvaise  étoile  veut  que  vous 
frayez  dans  les  milieux  politiques.  Mais  j’en  reviens  à ma 
lemarque:  a mon  âge,  voyez-vous,  on  ne  fait  plus  que 
regarder  passer  Phistoire  du  présent  de  façon  personnelle- 
ment désintéressée,  et  c’est  un  moyen  de  la  bien  voir.  Eh 
bien,  quand  celte  alliance  a été  conclue,  je  n’ai  pu  m’em- 
cher  de  sourire  en  songeant  combien  sont  différentes  les 
parties  contractantes.  Ordinairement,  ces  sortes  de  pactes 
sont  couc  us  de  chef  d’Etat  à chef  d’Etat;  c’est,  par  exemple 
J'rançois-Josepli  vaincu  et  dépouillé  mettant  par  politique 
sa  main  dans  celle  de  Guillaume  vainqueur.  Dans  l’alliance 
franco-russe,  rien  de  pareil  ; ce  n’est  ni  le  gouvernement 
üe  baint-f  étersbourg  pactisant  avec  celui  de  Paris,  ni  le 
pcujile  russe  se  jetant  dans  les  bras  du  peuple  français 
— l’ourtant  ?... 


IS 


TRAVERS  l'exposition 


eela  pour  cette  double  raison  très  simple  qu  en 

Russie  le  peuple  n’est  pas,  le  Tzar  étant  tout;  tandis  qu  en 
France,  le  peuple  étant  tout,  le  très  instable  gouvernement 
n’est  guère,  comme  je  vous  l’ai  dit,  qu’une  étiquette.  Allez, 
le  Grand  Tzar  Pacifique  Alexandre  et,  plus  tard,  son  illustre 
Fils  ne  s'y  sont  pas  trompés.  Ils  se  sont  peu  préoccupes  des 
cabinets  éphémères  issus  de  la  politicaille  parlementaire,  et 
uni  n’ont  guère  fait  que  mettre  des  bâtons  dans  les  roues. 
Alexandre,  avant  de  se  décider,  a longuement  tate  le  pouls 
à la  vieille  nation  des  Gaules,  dont  le  fier  relèvement,  apres 
le  désastre  de  l’Année  terrible,  a démontré  aux  yeux  de 
l’Europe  et  du  monde  stupéfiés,  1 incomparable  vitalité.  ^ 
l’on  a vu  alors  ce  fait  unique  de  l’Autocrate  le  plus  absolu 
otfrant  sa  main  loyale  aux  mains  tendues  de  tout  un  1 ciiple, 
et  une  Nation  entière.  Hère  et  heureuse  d etre  si  bien 
comprise,  donnant  ardemment  sa  solide  amitié  a ccd  Auto- 
crate et  enchaînant  ses  destinées  à la  sienne...  Et  c est 
là,  messieurs,  un  spectacle  superbe  ! l ue  alliance,  ainsi 
conclue  dans  la  foi  d’un  en  tous  et  de  tous  en  un,  est  la 
plus  sincère  que  présente  l’Histoire,  comme  elle  en  sera 
la  plus  durable...  Mais,  voici  que,  tout  en  causant,  nous 
sommes  arrivés  au  pont  d’iéna.  Nous  allons 
ce  qui  n’est  pas,  ,je  crois,  pour  déplaire  a M.  et  a M e- 
chard  — et,  gravissant  la  pente  des  jardins  du  Trocadeio, 
nous  rendre  sans  tarder  au  vaste  et  beau 


S II 

pavillon  UE  LA  S 1 11  É R l K 

En  reprenant  pied  sur  le  résistant  plancher  des...  ter- 
riens, notre  farinicr,  toute  crainte  évanouie,  retrouve  comme 
par  enchantement  le  don  do  la  parole. 

11  s’en  sert,  naturellement,  pour  trouver  a redire  à tout  . 
quelle  idée  de  s’en  aller  commencer  la  visite  des  Colonies 
étrangères  réunies  dans  la  partie  est  du  jardin  du  frocadéro, 


AU  TIIOCADEIUI 


19 


juslement  par  le  Pavillon  perché  tout  là  haut  et  le  plus 
éloigné  (le  la  rive  de  la  Seine  ! 

Une  première  fois,  le  centenaire  lui  répond  : 

— Cher  monsieur,  quand  on  débarque  dans  une  ville  où 
l’on  possède  un  grand  ami,  ce  serait  manquer  au  premier 
des  devoirs  que  de  ne  pas  se  rendre  tout  d’abord  à la  mai- 
son qu’il  habite. 

Mais  comme  alors  Bôchard  se  plaint  que  la  pente  de  la 
colline  parisienne  est  trop  raide;  s'étonne  que  dans  une 
exposition  bien  comprise  et  que  l’on  a eu  tant  d'années  pour 
préparer  — ■ sans  d'ailleurs  arriver  à être  prêt  en  temps  — 
on  n'ait  pas  songé  à supprimer  cette  pente,  ou  tout  au  moins 
à y installer  un  funiculaire  ; réclame  d’abord  contre  la  rapi- 
dité égoïste  d’une  allure  qui  oblige  Bèchard  à se  con- 
sumer en  impuissants  ell'orts  pour  essayer  de  suivre,  puis, 
cette  allure  modérée,  contre  une  lenteur  qui  fait  que  l'on 
n'atteindra  jamais  le  but,  et  que  l’on  aurait  plus  tôt  fait,  se- 
lon lui,  d’aller  réellement  en  Sibérie  que  d’en  gagner  le  pa- 
villon... le  vieillard  hausse  les  épaules  et  prend  le  parti, 
sur  le  conseil  donné  tout  bas  par  Verduret,  de  laisser 
s’écouler  librement  le  petit  ruisseau  de  bile  issu  de  l'esprit 
maussade  du  noir  farinier  d’Essonnes. 

Enfin,  on  arrive  devant  l’entrée  principale  du  Palais  de 
rEx])osition  coloniale  russe.  Le  centenaire  s’arrête,  attend 
que  le  groupe  soit  bien  compact  à ses  côtés  et,  de  son  aigre 
voix  tremblante,  explique  : 

— Ce  n’est  qu’ici,  au  Trocadéro,  que  la  Bussie  pouvait 
trouver  un  emplacement  digne  d’elle,  sans  blesser  la  suscep- 
tibilité des  autres  Etats  hôtes  de  la  France.  Ce  vaste  palais 
— construit  par  une  nombreuse  équipe  de  charpentiers 
russes  (dont  le  pittoresque  costume,  ample  blouse  rouge, 
larges  culottes,  bottes  et  casquette,  ont  attiré,  au  cours  des 
travaux,  tant  de  curieux)  sur  les  plans  et  sous  la  direc- 
tion des  architectes  russes,  MM.  Meltzer  et  Stoborovsky,  et 
de  l’architecte  français,  M.  Leblanc,  dont  l’entrepreneur  est 
M.  Meltzer,  frère  de  l’architecte  — couvre,  d’un  seul  tenant, 
4,000  mètres  carrés  de  terrain. 

— El  il  représente? 

— Üilférentes  parties  du  Kremlin. 

— Alors,  nous  sommes  en  pleine  capitale  de  la  vieille 


20 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Russie  moscovite,  berceau  de  l'Empire  des  Tzars,  et  non  en 
Sibérie  ? 

— Nous  sommes  bien  on  Sibérie,  et  aussi  en  Asie  Cen- 
trale russe,  puisque  nous  sommes  au  Trocadéro  et  que  le 
Trocadéro  groupe  exclusivement  l'Exposition  coloniale.  Mais 
il  ne  t'aut  pas  oublier  que  la  Russie  — sa  province  finlan- 
daise figurant  seulement  dans  la  Rue  des  Nations  — a élevé 
ici  son  Palais  impérial.  C'est  donc  dans  le  Palais  Russe  que 
noire  illustre  allié,  le  Tzar  Rlanc,  tait  admirer  au  monde  sa 
superbe  Exposition  — je  ne  dirai  pas  coloniale,  car  la  Si- 
bérie et  l'Asie  Centrale...  en  attendant  plus,  sont  les  pro- 
longements de  son  immense  empire  européen  — mais  mieux 
asiatique.  Or,  pour  édifier  à Paris  le  Palais  de  la  Sainte 
Russie,  <les  reproductions  du  Kremlin  n’étaient-elles  pas 
indiquées?  Quel  édifice,  composé  de  palais  et  d'églises 
ajoutés  au  cours  des  âges  à des  palais  et  à des  églises,  dirait 
de  façon  plus  lumineuse  (avec  tous  ses  styles,  depuis  le  tar- 
tare,  l'indien  et  le  chinois  jusqu’au  gothique)  la  Russie  et 
sa  vaillante  et  souvent  terrible  bisloire...  et  une  Histoire 
plus  intimement  liée  à la  nôtre?  Qluels  grandioses  souve- 
nirs ce  Kremlin  n’invoqua-t-il  pas  dans  l’àme  des  petits-fils 
des  soldats  de  la  Grande  Armée,  et,  partant,  où  eût-on 
trouvé  un  monument  qui  fût  plus  évocateur  pour  les  Fran- 
çais et  leur  fût  plus  familier.  Vraiment,  n’y  a-t-il  pas  quel- 
que chose  de  souverainement  élégant  dans  cette  visite  que 
vient  nous  rendre  ce  Kremlin  après  celle  que  nous  lui  fîmes 
voilà  quatre-vingt-huit  ans?  J’étais  bien  jeune  alors,  mais 
je  me  souviens  cependant  de  l’émotion  poignante  que  pro- 
duisit à Paris  la  nouvelle  de  la  terrible  illumination  de 
Moscou.  Aussi  est-ce  avec  une  joie  intense,  une  admiration 
profonde  pour  les  mystérieux  décrets  de  la  Providence,  que 
j’ai  contemplé  du  haut  des  tours  de  ce  petit  Kremlin  le  paci- 
fique embrasement  du  Palais  de  l'Exposition.  Une  amitié 
qui  se  cherche  pendant  un  siècle,  à travers  les  drames  san- 
glants d’hostilités  (jui  furent  exclusivement  d'ordre  politique, 
n'est  pas  une  amitié  légère,  soumise  aux  Iluctuations  des 
idées  ou  des  nécessités  passagères;  une  amitié  semblable, 
née  d’une  longue  estime  réciproque  entre  deux  Forces  qui 
deux  fois  se  sont  appréciées  les  armes  à la  main,  entre 
ces  deux  Pensées,  l'une  autoritaire  et  l’autre  démocratique. 


Al'  'l'ROCADÉRO 


21 


ci  qui  ont  toujours  marché  de  pair  dans  les  voies  géné- 
reuses qui  sont  rhonneur  de  l’humanité,  cette  amitié-là, 
incomparahlement  plus  qu’aucune  autre,  est  faite  pour  les 
longs  et  féconds  lendemains. 


Oui,  observe  jovialement  Verduret,  c'est,  toutes  pro- 
portions gardées,  comme  pour  ces  camarades  de  collège,  à 
la  tète  prompte,  au  cœur  chaud  et...  au  poing  vif,  qui 
deviennent  amis  pour  la  vie,  après  s’ètre  administré,  pen- 
dant les  récréations,  d épiques  trepignées. 

— Voyons,  Verduret,  réclame  Bèchard,  ne  réveillez  pas 
de  si  vieux  souvenirs  de  potache,  lesquels  ne  demandent 
qu  à dormir  en  paix,  et  revenons-en  au  Pavillon. 


•r 


il  d ht 


'M 


22 


A TRAVEES  l’eXPOSITION 


— Ce  Pavillon  de  la  Russie,  poursuit  le  vieillard,  occupe 
uu  terrain  de  4,000  mètres  carrés  revêtant  la  forme  d’un 
vaste  quadrilatère.  Sa  plus  grande  largeur  — parallèlement 
à la  façade,  c’est-à-dire  du  nord  an  sud  mesure  75  mètres. 
Sa  profondeur  atteint,  près  de  la  face  nord,  70  mètres.  Le 
maximum  de  hauteur,  mesure  à la  grande  toui,  est  de 
48  mètres.  La  plus  petite  tour  s’élève  à 27  mètres.  Les  par- 
ties du  Kremlin  reproduites  ici  ont  été  construites  avec  le 
plus  minutieux  souci  de  1 e.xactitudc.  L état  de  conseivation 
du  vieux  Krenii,  comme  on  appelle  aussi  le  Kremlin,  est 
des  plus  inégau.x;  à côté  de  pai'ties  relativement  neuves  et 
d’autres  bien  restaurées,  il  en  est  qui  présentent  presque 


l’aspect  de  ruines.  Vous  comprenez  que  pour  arriver  a une 
reproduction  e.xacte  et  dans  1 état  primitif,  les  aichitectes 
ont  dù  faire  de  délicates  recherches;  c’est  ainsi  que  plusieurs 
des  détails  d’architecture  que  vous  voyez  ici  dans  le  feston- 
nage  des  toits  et  la  décoration  des  fenêtres,  ont  été  retrouvés 
d’après  le  dessin  d’anciennes  dentelles  russes...  légers  tra- 
vaux arachnéens  plus  durables  — ù ironie  des  choses  ! 
que  les  dentelles  de  pierre!  Quant  aux  plaques  de  brique 
émaillée,  elles  sont  copiées  sur  des  originaux  provenant  et 
du  Kremlin  et  île  quelques-uns  des  plus  anciens  monu- 
ments de  l’architecture  russe  des  xvi''  et  xyu“  siècles  que 
l’on  trouve  dans  les  villes  de  Jaroslav,  Nijni,  etc...  l'..it, 
maintenant,  entrons,  si  vous  le  voulez  bien. 

— Nous  sommes  respectueusement  a vos  ordres,  proteste 
le  manLilackirior  retiré  en  obéissant  avec  un  empressement 
qui  fait  hausser  l’épaule  à son  ami  Bcchard. 

— En  principe,  et  sauf  les  rares  exceptions  que  je  vous 
indiquerai,  explique  le  centenaire,  toute  1 exposition  est 
|■éunic  au  rez-de-chaussée.  Voici  d abord  1 Entrée  piincipale 
et,  en  tournant  à gaucho,  la  « Salle  de  1 Empereur  ».  Lette 
superbe  pièce  rectangulaire,  ayant  treize  mètres  de  long  sui 
huit  de  large,  coilfée  d’une  voûte  dorée  et  ornementée  dans 
le  style  russe  le  plus  pur  par  iM.  DalgolT,  est  le  salon  de 
réception  de  Sa  Majesté  le  Izar  Nicolas  IL  G est  là,  dcrrièie 
les  vitraux  remarquables  des  cinq  fenêtres,  sous  les  deux 
beaux  tableaux  du  maître  Partirolf,  au  milieu  d’un  mobilier 
de  haut  goût,  mobilier  russe  dans  le  style  des  boyards  du 
xvi“  siècle,  création  de  la  maison  Meltzer,  de  Saint-Péters- 


AU  TUOCADÉno 


23 


bourg,  que.  le  jeune,  tout-puissant  et  si  clninnant  souverain, 
lorsqu’il  viendra,  recevra  le  Peuple  français  qu’il  aime,  en 
la  personne  de  ceux  qui  ont  actuellement  mission  de  le 
représenter.  La  Salle  de  LLmpereur  communique,  par 
quelques  marches,  avec  le  restaurant,  où  les  garçons  en 
blouses  blanches  serrées  à la  taille  pai' une  ccinlure  servent 
la  succulente  cuisine  russe  ou  française,  au  choix.  Le  res- 
taurant donne,  au  sud,  sur  un  perron  où  se  tient  l'excellent 
orchestre  slave  et  qui  domine  la  vaste  cour  — vingt  mètres 
sur  quinze  de  profondeur  — faisant  suite  à l'Lntrée  princi- 
pale, et,  au  nord,  sur  un  grand  jardin.  Dans  une  grotte  en 
sous-sol  est  installée,  comme  vous  le  voyez,  une  brasserie... 
Uedescendons,  je  vous  prie,  dans  la  cour  d’honneur. 

— Est-ce  que  nous  ne  nous  attablons  pas  devant  quelque 
Iraîche  consommation,  comme  toutes  ces  personnes  qui  ont 
Pair  d’être  si  bien?  réclame  M""’  Flore. 

— Laissez-moi  d’abord,  chère  madame,  vous  montrer  ce 
Palais  de  la  Russie,  dont  vous  n’avez  rien  vu  encore.-  Tenez, 
voici,  à l’angle  droit  de  la  cour,  tout  de  suite  à côté  de  l’En- 
ti’ée  principale,  à main  droite,  la  « Tour  des  Apanages  ». 
Ee  rez-de-chaussée  eu  est  occu[»é  par  le  « Cabinet  de  l’Em- 
])ereur  »,  une  pièce  carrée  de  cinq  mètres  de  côté,  riche- 
ment décorée,  comme  il  convient  pour  le  séjour  privé  du 
iMaître  a qui  elle  est  destinée,  et  dont  les  murs  sont  tout 
tendus  d’étoiles  aux  belles  broderies,  de  style  russe,  bien 
entendu.  Au  premier  se  trouve  le  bureau  du  Commissaire 
général,  puis  encore  le  bureau  des  apanages... 

— Du  est-ce  que  c’est  que  ça,  les  apanages  ? 

— Mademoiselle,  les  apanages,  dont  nous  voyons  la  si 
intéressante  exposition  dans  cette  grande  « Salle  des  x\pa- 
nages  » — quinze  mètres  sur  onze  — (pii  forme,  en  retrait, 
la  droite  de  la  façade,  ce  sont  les  domaines  impériaux  ; la 
variété  et  le  nombre  des  produits  exposés  vous  disent  leur 
très  impériale  importance.  Nicolas  11  n’a  pas  voulu  se  laisser 
dépasser  par  les  autres  souverains-exposants,  dont  la  rivalité 
n est  pas  un  mince  bonheur  pour  notre  Exposition.  Cette 
« Salle  des  Apanages  » a,  par  un  escalier  monumental,  sa 
sortie  sur  la  face  sud  du  Palais-Kremlin  ; mais  revenons 
dans  la  cour  d'honneur  et  tournons  le  dos  à l’Entrée  prin- 
cipale, comme  si  nous  ne  faisions  qu'arriver  dans  la  cour 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


intérieure.  Devant  nous,  par  cette  porto  dont  l'aixlaitecture  est 
empruntée  aux  édifices  russo-asiatiques  de  Samarkand,  s’ou- 
vre l’immense  et  merveilleuse  « Salle  de  l'Asie  centrale  ». 
Large  de  près  de  seize  mètres,  profonde  de  vingt-deux... 

— Surface,  trois  cent  cinquante  mètres  carrés. 

— Ah  ! monsieur  Bèchard,  c’est  vous  et  non  moi  que  ce 
pauvre  fou  de  mécaniciou  aurait  dù  prendre  pour  Archi- 
mède, car  vous  êtes  le  roi  du  calcul  mental. 


Asie  Russe.  — Gr.4nd  perron  et  cloiike. 


— Un  des  princes,  seulement  ! déclara  modestement  le 
farinier. 

— Donc,  poursuit  le  vieillard,  nous  voici,  le  seuil  franchi, 
dans  cette  féerique  Hussie  de  l'Orient,  dont  nous  vivons  un 
moment  la  vie  parmi  ces  vrais  marchands  de  Samarkand, 
vendant  en  leurs  petites  houtiques  les  hijoux,  les  armes  con- 
stellées, les  étoffes  éclatantes.  Ces  deux  grands  panneaux 
nous  montrent  des  selles,  armes,  tapis,  etc.,  appartenant 


25 


A TRAVERS  l’exposition 


à l'Emir  de  Boukhara  et  au  Khau  de  Khiva.  Pour  compléter  ■ 
rillusioii,  uous  n’avons,  du  point  où  nous  sommes,  c est-  , 
à-dire  on  goûtant  la  fraîcheur  de  la  grande  lonlame  cen- 
trale, qu'à  repaître  notre  vue  des  cinq  grandes  toiles  où  i 
M.  Ivorovine,  d’un  pinceau  si  alerte,  a lixe  la  vie  de  ces 
beaux  pays. 

— Uh  ! tenez...  écotitez  ! Quelle  douce  et  grave  har- 
monie ! . . , 

— Ce  sont  les  musiciens  de  la  cour  intérieure  qui  execu-  t 

lent  un  morceau  d'un  maître  slave  on  attendant  qu  ils  inter- 
prètent, avec  un  égal  talent,  quelque  chef-d  œuvre  de  la 
musique  française... 

C’est  du  franco-russe  pour  l'oreille  comme  le  restau-  i 

rant  offre  du  franco-russe  aux  palais  des  gourmets  : la 
menue  monnaie  do  l’alliance,  quoi!  observe  le  judicieux 
Verduret. 

— Uù  mène  cet  escalier,  a droite  ? 

— A la  «Salle  du  Caucase  »,  chère  madame,  où  sont  ; 
exposés  les  tapis,  armes,  outils,  minerais  de  cette  contrée  : 
voisine  de  la  Perse...  si  beureuseinent  conquise  à l’amitié  ■ 
moscovite.  On  y voit,  entre  autre  choses,  les  grottes  et  les  i 
sources  minérales  de  Bargow  et  de  Piatigorsk. 

— Et  cette  porte  de  droite,  vers  le  fond  de  la  Salle  ■ 

(.1  ' iV  SIC  '• 

— Conduit  au  « Pavillon  de  Nobel  » comprenant  la  Salle  : 
et  la  Tour.  Très  curieuse,  cette  Salle  de  Nobel,  consacrée  a i 
l’industrie  du  pétrole  qui  est,  vous  le  savez,  un  des  pro-  - 
duits  du  sol  concourant  le  plus  largement  à la  lortune  ; 
industrielle  de  la  Russie. 

— Nobel  veut  donc  dire  pétrole  en  russe?  demande 
y[me  pylore,  avec  autant  de  réllexion  que  de  coutume. 

— Nou,  madame.  Nobel  est  le  nom  de  l’un  des  « rois  : 
du  pétrole  » de  la  Russie,  dont  l’exploitation  colossale  lait 
l’objet  de  cette  exposition  spéciale.  C est  un  lantastique 
paysage  que  celui  d’un  territoire  producteur  de  1 utile  et 
redoutable  liquide,  et  ce  tableau  étrange  est  évoqué,  dans 
cette  salle,  aux  yeux  des  visiteurs,  par  trois  toiles  du  peintic 
Schilder.  Figurez-vous  un  « Champ  de  Carnac  » oîi  chaque 
dolmen  serait  remplacé  par  une  immense  cheminée  de 
bois,  puits  artésien  d’où  jaillit  riiuilc  da  pierre...  xMais 


AU  TROCADERO 


27 


non,  ne  cherchez  pas  à vous  rien  imaginer,  puisque  vous 
allez  voir.  Vous  admirerez  aussi,  du  môme  artiste,  une 
grande  toile,  absolument  saisissante,  représentant  le  Templr 
des  adovateurs  du  [eu.  Quant  à la  tour  qui  suiunonte  la  salle 
de  Nobel,  son  ascension  s’impose  à tout  visiteur  fx’ançais; 
au  premier  étage,  en  etl'et,  triomphe  le  superbe  tableau 
représentant  le  couronnement  do  Nicolas  II  et  que  le  Tzar 
a demandé  au  pinceau  de  notre  Gervex,  si  fidèle  à repro- 
duire les  traits  de  taxit  de  hauts  personnages. 

— Allons-y  tout  do  suite  ! s’écrie  Bertrande  en  sa  juvé- 
nile impatience. 

— Attendez,  de  grâce,  que  je  vous  aie  nomme  les  autres 
salles  ilonnant  sur  cette  grande  Salle  centrale  de  l’Asie.  A 
gauche,  près  do  Tentrée,  la  première  ouverture  conduit  à 
la  « Grande  Tour  »,  dont  le  rez-de-chanssco  contient  une 
partie  de  l’exposition  des  chemins  de  ter  sibériens  et  où 
1 on  trouve,  an  premier  étage,  le  « Panorama  mouvant  » du 
docteur  Piassetsky. 

— C’est  le  laineux  panorama  du  Transsibérien  dont  on  a 
tant  parlé  ! 

— Pardon.  C’est  bien  un  panorama  du  Transsibérien, 
mais  ce  n est  pas,  justement,  celui  dont  on  a tant  parlé  et 
dont  je  vous  entretiendrai  tout  à l’heure.  Le  Panorama  mou- 
vant de  la  Grande  Tour  est  une  œuvre  qui,  sans  viser  à 
1 ellet,  est  un  document  d’exactitude  rigoureuse.  C’est  une 
sorte  de  tableau  qui  marche  dans  un  cadre  plan  et  qui  l'epré- 
sente,  kilomètre  par  kilomètre,  les  pays  traversés  [)ar  la 
voie  terrée  depuis  .Moscou  jusqu’à  Vladivistok. ..  La  porte 
suivante,  toujours  à notre  gauche,  donne  dans  deux  salles 
contiguës  à la  Grande  Tour  et  contenant  avec  celle-ci  l’expo- 
sition des  chemins  de  fer  sibériens,  dessins  et  plans,  ma- 
quettes, petit  matériel,  etc.  C’est  du  plus  haut  intérêt  pour 
les  techniciens;  mais,  comme  vous  ôtes  de  simples  curieux, 
je  passe.  La  porte  en  pan  coupé,  symétriquement  opposée 
à celle  conduisant  au  Pavillon  de  Nobel,  introduit  dans  le 
« Pavillon  du  Noi’d  ».  Ah  ! c’est  là  un  véritable  lieu  de  per- 
dition pour  les  dames,  et  de  péril  pour...  la  poche  de  leurs 
époux,  non  pas  que  l’on  y vende  rien,  mais  par  la  seule  ten- 
tatrice magie  de  la  plus  merveilleuse,  de  la  plus  riche  expo- 
sition de  fourrures  que  l’on  puisse  voir.  Si  j’ose  me  per- 


28 


A TRAVERS  e’eXPOSITION 


mcUre  de  donner  nn  conseil  à M.  Bècliard,  c’est,  lorsque 
nous  serons  dans  celle  Salle  du  Nord,  de  ne  pas  ti’op  se 
laisser  distraire  par  la  contemplation  des  ours  blancs  ou 
noirs,  naturalisés  avec  tant  d'art  qu'ils  semblent  terrible- 
ment vivants,  non  plus  que  par  celles  des  rennes,  des  pho- 
ques, des  morses,  etc.,  car,  pendant  ce  tcmps-la,  M'””  Bc- 
cbard  serait  tout  entière  livrée  sans  protection  au  dangereux 
démon  de  la  convoitise,  à l’aspect  d'idéales  lourrures  : 
renard  bien,  hermine,  martre  zibeline,  etc.,  tlont  le  sou- 
venir hanterait  ses  rêves  comme  ses  songeries  éveillées, 
et  lui  donnerait  le  désir  fou  des  somptueuses  parures  hiver- 
nales... C’est  étrangement  troublant  pour  la  féminine 
coquetterie  que  de  se  voir  entouré  par  une  telle  profusion 
de  grisantes  pelleteries  dont  on  semble  ressentir  la  déli- 
cieuse caresse,  en  dépit  du  sage  avis  qui  défend  d’y  tou- 
cher... Ab  ! que  les  époux  économes  prennent  garde  ! H y a 
là  de  ces  petites  peaux  tentantes  qui,  un  peu  plus  grandes 
seulement  (|ue  les  deux  mains,  valent  des  o et  t),(H)0  francs. 

— Hein!  mais  alors  il  y en  a pour  des  sommes  fabu- 
leuses dans  cette  salle? 

— b'abuleuse  est  le  mot,  monsieur  Bècliard.  Ce  Pavillon 
du  Nord  est  presque  aussi  grand  que  la  Salle  d Asie  où  nous 
sommes  et,  de  la  toiture  vitrée  au  sol  ce  n’est  littéralement 
qu'une  mer  d’inestimables  fourrures  ! 

— Bon.  En  ce  cas,  nous  ne  ferons  que  la  traverser  pour 
passer  à la  salle  su  i van  le. 

— Qui  est  le  « Pavillon  de  la  Sibérie  »,  c’est-a-dire  la 
salle  de  mémo  forme  que  celle  où  nous  sommes  et  qui  lui 
fait  immédiatement  suite.  Là,  l’étonnement  de  voir  tant  de 
beaux  produits  — et  en  particulier  les  minerais  d’or  tels 
qu’on  les  trouve  dans  les  mines  — venir  de  cette  contrée 
que  nous  nous  imaginons  à tort  être  une  sorte  de  vaste 
désert  glacé,  sera  un  utile  dérivatif  à 1 impression  produite 
par  le  passage  à travers  le  prestigieux  décor  des  tourrures. 
Pour  achever  de  glacer  toute  velléité  somptuaire  dans 
l'esprit  de  madame,  nous  n’aurons  qu’à  passer  de  la  Salle 
sibérienne  dans  la  « Tour  du  Nord  ».  Nous  nous  trouverons 
là,  en  plein  pays  boréal,  dans  les  territoires  qui  longent 
l’océan  Arctique.  Nous  y verrons  dans  leurs  sombres  forêts, 
sur  les  plaines  couvertes  de  neige,  les  Esquimaux  glissant 


AC  l'RdCUJCUO 


29 


sur  leurs  rus(u|ucs  Iraîiieaux  aux  attelages  de  rennes  ou  de 
ehiens,  ou  bien  eliassant,  chaussés  de  raquettes,  ou  bien 
(uicore  se  lançant  en  kaïac  à la  poursuite  des  bûtes  marins 
des  rudes  niei's  des  banquises. 

— \'A  !ors(|ue  nous  aurons  vu  tout  cela?  demande  Yer- 
duivt  émerveillé  de  la  vaste  variété  de  l’exposilion  russe. 

Alors,  lait  le  vieillai’d,  nous  monterons  en  wagon-lit... 

— bdi  mon  Dieu  ! jmur  aller  où  ? 


Siuiiuiiî  Russe.  — Kntuke  ouest. 

Riais  pour  faii'c,  grâce  au  talent  du  maître  peintre 
di'coratit,  iM.  Jambon,  nn  voyage  sensationnel  — et  aussi 
véritable  que  possible  sans  quitter  le  Trocadéro  — de  Moscou 
à R'Iadivistok. 

Comme  au  ])remier  étage  de  la  Grande  Tour,  alors? 

— Cest-à-dire  que  le  parcours  est  le  même,  puisqu’il 
s agit  du  même  Transsibérien;  mais  le  spectacle  est  d’ordre 
ti es  (lillércnt.  D abord,  nous  serons  dans  l immense  galerie 
du  l’anorama  de  la  Société  des  wagons-lits,  laquelle  mesure 
T.'i  mètres  de  longueur.  Puis,  nous  serons  installés  dans 


30 


A TRAVEUS  l’eXPOSITIOiN 


un  véritable  train,  dans  les  voitures  mêmes  qui  courront  à 
toute  vapeur  à travers  l’Asie  septentrionale,  mettant  1 Eu- 
rope à quelques  journées  des  eaux  japonaises.  Ce  train  réel 
a sa  locomotive  à Moscou,  tandis  que  son  dernier  wagon, 
crevant  la  muraille  de  ce  Kremlin,  est  à Pékin,  en  pleine 
concession  chinoise.  De  nos  wagons,  nous  verrons  se 
dérouler  une  immense  toile  panoramique  qui  nous  mon- 
trera, non  plus  exactement  tout  le  chemin  parcouru,  comme 
dans  le  tableau  mouvant  du  docteur  Piassetsky,  mais  les 
principaux  sites,  ceux  qui  frappent  le  voyageur  réel  et  dont 
il  garde  le  souvenir.  Nous  aurons  de  plus,  par  le  fait  de  la 
translation  du  décor,  l'illusion  que  nous  courons  à travers 
les  paysages  de  l’immense  Asie  russe  du  noid. 

— Voilà  ce  qui  peut  s’appeler  un  a clou  » de  premièie 
grandeur!...  sans  compter  les  antres,  car  c est  bien  de  ce 
Pavillon  de  la  Russie  que  l’on  peut  dire  — excusez  de  la 
trivialité  — qu’un  « clou  » y chasse  l’autre.  En  vérité  c est 
tout  un  monde,  ce  Kremlin  du  Irocadéro. 

— Et  je  ne  vous  ai  pas  parlé  du  « \ illagc  russe  »,  église, 
isbas,  etc.,  construit  à l’extérieur  et  tout  le  long  du  grand 
mur  du  nord  du  Pavillon,  sur  les  plans  du  peintre  Korovme. 
C’est  une  reproduction  des  constructions  villageoises  de 
l’empire,  reconstitution  dans  le  genre  du  « Vieux  Pans  », 
mais  de  grandeur  réelle.  Cette  section  spéciale  est  sous  e 
haut  patronage  de  la  grande-duchesse  Elisabeth,  femme  du 
grand-duc  Serge,  oncle  de  l’Empereur  et  gouverneur  de 
Moscou,  et  la  direction  en  a été  confiée  àM'"'' Jakountchikol  , 
qui  y a consacré  tonte  son  intelligence  et  tout  son  dévoue- 
ment. . 

— Et  c’est,  sans  doute,  comme  le  a \ leux  1 ans  »,  un 

rendez-vous  de  « nopces  et  beuveries»,  mais  à la  mode 

mou  jik,  s’entend  ? ^ i - . t 

— Ouelle  erreur,  monsieur  Verduret  ! Son  objet  est 
d’instniire  et  non  d’amuser.  Dans  le  « Village  russe  » est 
installée  l’exposition  des  « Petites  Industries»...  ^ ous  me 
regardez  tous  en  vous  demandant  ce  (|ue  peuvent  bien  etre 
ces  a Petites  Industries».  Eh  bien,  ce  sont  les  travaux  de 
toutes  sortes,  bois  sculptés,  broderies,  etc.,  exécutés  par  les 
paysans,  à domicile,  soit  seuls,  soit  par  ateliers,  pendant 
les  longs  mois  d’hiver,  alors  que  les  travaux  des  champs 


AC  THOCADÉRO 


31 


sont  suspendus  pjir  le  l'ait  de  la  saison  rigoureuse  et  que  le 
peuple  agreste  est  confiné  dans  ses  demeures  de  bois,  autour 
du  grand  poète  familial.  Ce  village  devrait  être  un  lieu  de 
pèlerinage  pour  tous  les  Français  venus  à l’Exposition,  car 
c’est  là  qu'ils  apprendront,  par  l’habilité  patiente  déployée 
en  ces  œuvres  manuelles,  à connaître  ce  peuple  frère  qu’ils 
ignorent  et  à apprécier  son  remarquable  savoir-faire.  Dans 
l’église,  reproduction  exacte  des  églises  en  bois  des  gouver- 
nements du  Nord,  sont  les  superbes  coffres  à cierges,  chan- 
deliers, lampadaires  sculptés  en  plein  bois,  d’après  des 
modèles  anciens,  et  des  icônes,  des  croix,  des  ornements  du 
culte  orthodoxe.  Dans  une  isba,  sont  les  objets  que  l'on 
trouve  sur  les  marchés  de  campagne.  Dans  une  autre  salle, 
les  meubles  si  curieusement  façonnés  par  les  paysans. 
Ailleurs,  sur  le  désir  exprimé  par  l’Impératrice,  sont  les 
objets  confectionnés  dans  les  asiles  de  bienfaisance,  de 
secours  aux  travailleurs,  fondés  par  Sa  Majesté.  Enfin,  une 
salle,  pur  xvii“  siècle,  contient  une  partie  de  la  merveilleuse 
collection  de  vêtements  d’autrefois,  de  broderies  anciennes 
de  M"’“  übabclsky,  dont  la  compétence  comme  antiquair(.\ 
est  renommée  dans  tout  l’empire. 

— Cette  exposition  russe,  décidément,  est  aussi  merveil- 
leusement comprise  qu  elle  est  vaste,  riche  et  complète. 


111 


A ü rii  E s r A 1 1. 1. 0 ,\  s n l:  s s i;  s 


— Attendez,  ce  n’est  pas  tout.  En  dehors  des  envois  de 
ses  mille  sept  cents  exposants  répartis  dans  foutes  les 
classes,  envois  qui  constituent  un  véritable  triomphe  indus- 
triel pour  notre  grande  alliée  qui,  depuis  trois  aiis,  a n-i/jltî 
la  masse  de  sa  production;  en  dehors,  dis-je,  de  cette  expo- 
sition de  détail  qui  place  l'Empire  russe  à la  tète  de  l’Eu- 
rope pour  les  filatures  de  coton  et  après  Lyon  pour  la  fabri- 
cation de  la  soie,  le  Commissariat  général  de  l'Empire  slave 
a semé,  de  toutes  parts,  de  petits  pavillons  spéciaux,  aussi 


32 


A TUAVuns  l’exposition 


iniércssants  que  piUoresqiics.  C’est,  par  exemple,  a rEs[)la- 
nadeilcs  Invalides,  le  « Pavillon  des  œuvres  de  l'impéralricc 
.Mario...  » 

— La  mère  de  Sa  Majesté  le  Tzar? 

— .Non  pas  la  noble  A'euve  du  Grand  Izar  pacifique 
Alexandre  111,  mais  son  homonyme,  la  Tzarinc  Maria-Fede- 


D.uiha  jtu.ssics,  xvi"'  .sii:ci.i;. 


rowna,  femme  de  Paul  F'',  qui  organisa  définitivement  la 
eréalion  hospitalière,  éducatrice  et  léminine.  de  la  Grande 
Catherine.  C’est  nn  ministère  impérial  de  cliarilé  — de  l’assis- 
tance publique,  si  vous  voulez,  mais  avec  une  organisation 
spéciale  pour  la  protection  de  la  femme  et  1 éducation  de 
l'enfance  — que,  depuis  la  fondatrice,  dirigèrent  les  impé- 
ratrices. 11  est,  depuis  IScSl,  sons  le  patronage  et  1 autorité 
directe  de  Sa  Majesté  Marie-Federowna  actuelle,  c’est-à-dire 
la  mère  du  Tzar. 

— C’est  une  idée  charmante. 

— C'est  de  la  haute  philanthropie  et  c'est  aussi  du  bon... 
féminisme.  Avant  Catherine,  la  femme  russe  était  à peu 
près  dans  la  môme  condition  d’infériorité  que  se  trouve 


AU  TnnCADÉflO 


33 


encore  lu  femme  musulmane;  a\mc  la  gc^nialc  compagne  de 
Pierre  le  Grand,  elle  conquit  son  rang  social  dans  la  nation. 
La  veuve  du  Géant  du  Nord  savait,  par  expérience  person- 
nelle, ce  que  peut  la  femme  intelligente  et  instruite  pour  le 
l)rogrès  d'une  société.  Elle  voulut,  des  jeunes  filles  du  pré- 
sent, faire  des  femmes  utiles  à la  patrie  dans  l'avenir. 
Aidée  de  sou  ami  le  philanthrope  et  pédagogue  Betzky,  elle 
fonda  des  maisons  d éducation,  des  orphelinats,  des  asiles 
qui,  d’abord  féminins,  s'étendirent  aux  enfants  de  l'autre 
sexe.  De  cette  institution  emlu-yonnaire,  l'impératrice  Marie, 
femme  de  Paul  P’’,  fit  une  administration  complète  (l'Assis- 
tance puhli(|ue,  augmentée  de  l’organisation  s[»éciale  d’éta- 
blissements d éducaticjn  et  de  protection  de  la  jeune  fille, 
(..est  a cette  muvre  de  charité  et  de  féminisme,  an  sujet  de 
la(|U(dle  l\l . le  hai’on  A.  de  IGa'edei'icksz  a fait  un  rapport 
documenté  du  plus  haut  intéi’èt,  qu’est  consacré  le  pavillon 
que  l'architecte  Hohert  Meizer  a,  sur  les  indications  de  l'Im- 
pératrice douairière,  élevé  sur  l’Esplanade  des  Invalides. 
Il  est  dédié  au  sonvejiir  de  l’i mpératiice  Marie  par  la  femme 
de  si  grand  cœur  dont  la  vie  de  dévouement  et  d’abnéga- 
tion sublimes,  comme  épouse  et  comme  mère,  grave  une 
sainte  auréole  aux  armes  de  la  Maison  impériale  de  Russie. 
C’est  un  chalet  de  bois,  couvrant  210  mètres  carrés,  sur- 
monté d’une  tlèclie  peinte  en  bleu,  hante  de  22  mètres  et 
qui  supporte  l'aigle  impérial  d’or  étincelant.  A l'intérieur, 
une  grande  salle  tendue  tl’étofle  bleue  turquoise,  un  salon 
de  réception  et  un  petit  bureau  réservé  à M.  Descarrières, 
déh'gué  des  ((  Institutions  do  Sa  Majesté  PI mpératric(j 
Marie  ».  Tous  les  matériaux  do  ce  pavillon  viennent  de 
Lussie.  Je  n ai  pas  besoin  de  vous  indiquer  la  nature  de 
1 exposition  qui  y est  contenue  ; cette  administration  — qui 
donne  rang  de  ministre  au  directeur  en  chef  de  la  chancel- 
lerie dos  ((  Institutions»  — ne  peut,  comme  les  administra- 
tions similaires,  se  faire  juger  qu’à  l’aide  de  plans,  cartes, 
photographies,  cartogrammes,  spécimen  d’ouvrages,  stati- 
stiques, etc. 

« Parmi  les  autres  pavillons  spéciau.x,  je  vous  rappelle  le 
Pavillon  de  la  Finlande,  que  nous  avons  visité  ensembh' 
Due  des  Nations.  Je  cite,  pour  mémoire,  un  pavillon  ih' 
dégustation  du  fameux  « Nié  des  caravanes  » et  une  Bon- 


A TRAVERS  l’eXPOSITIO^ 


lano-eric  où  l’on  fabrique  ilu  pain  russe  sous  les  yeux  des 
visiteurs;  cela  se  Iroiivc  à côté  du  Pavillon  des  « Institu- 
tions de  1 Impératrice  INlarie  ».  Je  ne  ni  arrête  pas  au  Pa- 
villon spécial  des  Armées  russes  de  terre  et  de  mer,  non 
plus  qu'au  Pavillon  des  Domaines.  Mais  je  vous  signale, 
ilu  côté  de  ravenue  de  SuiVren,  le  très  curieux  Pavillon 
de  la  célèbre  manufacture  de  galoches  de  caoutchouc,  de  la- 
quelle la  production  s'élève  au  chilTre...  respectable  de 
70,000  paires  par  jour.  Le  volume  de  cette  production  quo- 
tidienne est  représenté  par  la  dimension  môme  du  dôme 
qui  coilfe  cette  originale  construction,  léhistoire  de  cette 
industrie  est  représentée  à rintéricur  par  le  peintre  Schilder 
sous  la  forme  d'un  panorama  et  d’un  diorama.  Vous  vous 
arrêterez  aussi  an  Pavillon  de  l’Administration  du  Mono- 
pole de  l’Alcool,  construit  par  l'architecte,  M.  Zeidler;  il 
montre,  conjointement  avec  les  procédés  de  fabrication,  de 
très  pittoresejues  « dednts  » — le  populaire  français  dirait; 
mastroquets  — tels  qu’on  en  voit  dans  les  villes  et  les 
villages  de  Russie...  Enlin,  j'en  aurais  pour  une  heure  à 
vous  citer  les  attractions  de  tous  genres  de  la  Section  russe, 
telles  que  ; des  mosa'iques  d’une  Ijcauté  exceptionnelle,  des 
vitraux  d’église  de  style  byzantin,  un  tapis  qui  ne  mesure 
pas  moins  de  quarante  mètres  de  longueur,  un  iconostase 
géai^t  (quarante  mètres  carrés)  tout  en  argent  émaillé  et 
(font  le  superbe  dessin  est  du  peintre  Vasnetzoll,  le  piano 
que  l’incomparable  maestro  russe,  Rubinstein,  a promené 
avec  lui  dans  scs  tournées  triomphales  tout  autour  du 
globe,  etc.  » 

— Mais,  alors,  ce  n’est  plus  l’Exposition  universelle,  c’est 
l'Exposition  russe  à Paris  ! 

Ce  n’est  pas  à ce  point-là!  s’écrie  le  vieillard  en  riant 

de  son  petit  rire  criard.  La  Russie  a laissé  de  la  place  aux 
autres  Etats,  mais  il  est  incontestable  que  son  exposition 
est  de  toutes  la  plus  complète  et,  pour  nos  esprits,  soutenus 
parle  cordial  enthousiasme  de  nos  cœurs,  la  plus  intéres- 
sante. 

Mais,  observe  M"’^  Elore,  et  la  carte  de  Erance  en  mo- 

sa'ique  et  pierres  pi'écieuses,  vous  ne  nous  en  parlez  pas? 

— Si  fait,  j’y  arrive  ; je  gardais  pour  la  fin  ce  régal,  ce 
cadeau  unique,  merveilleux  et  d intention  si  délicate,  fait 


AT  TUOCADIÔIin 


35 


parle  Tzar  h son  peuple  français  représeuLé  par  noire  Gou- 
verncmenL 

— Klle  n’est  donc  pas  ici  ? 

• — Non,  madame.  Le  l'j’ésidcnl  de  la  Hépnbli(|ne,  avec  nn 
tact  dont  il  tant  le  louer,  a vonln  que  ce  gigantesque  joyau, 
quoique  devenu  propriété  française  par  le  fait  de  la  remise 
de  l’incomparable  présent,  restât,  pendant  toute  la  durée  de 
riîxposition,  parmi  les  envois  de  la  joaillerie  russe.  C’est 
donc  au  groupe  15,  à la  classe  95,  à l’Esplanade  des  Inva- 
lides qu’il  le  faut  aller  admirer.  C’est  un  don  vraiment  im- 
périal que  cette  mosaïque  de  gemmes  de  l'Oural,  du  poids 
imposant  de  350  kilogrammes,  e.xécutée  par  la  taillerie  im- 
périale de  Katherinbourg.  ^ur  son  lit  de  velours  rouge 
frangé  d’or,  sons  l’éclat  de  la  lumière  électrique,  elle  est 
éblouissante,  cette  carte  de  t"’25  de  coté,  sur  laquelle  ceuL 
six  pierres  de  haut  prix,  représentant  autant  de  villes, 
iradient  de  toutes  parts  des  faisceaux  lumineux  de  toutes 
teintes.  C’est  bien  là  que  Paris  peut  se  dire  la  Ville-Lu- 
mière, représentée  qu’elle  est  par  une  énorme  sihrri/e,  cou- 
leur de  rubis.  Le  cadre  est  nu  lapis  Nicolas  11;  la  mer, 
l’Océan,  les  lacs,  les  lleuves,  en  lapis-lazzuli  ; les  aflliients  en 
platine;  les  dé|)artemeuts,  en  marbre  de  nuances  ditférentes; 
les  frontières  en  jaspe.  Le  nom  des  villes  est  inscrit  eu 
lettres  d’or. 

— En  somme,  combien  y a-t-il  de  genres  de  gemmes  pour 
ro{)résenter  les  villes? 

— Treize,  monsieur  Verduret.  Et,  tenez,  j’en  ai  justement 
sur  moi  la  nomenclature,  avec  les  villes  que  chaque  pierre 
représente  : 

1  Sil)érite  : — Paris. 

1 Saphir  : — Rouen. 

1 Olivine  ; — Reims. 

1 .âle.xandrite  : — Cherl)ourg. 

1 'topaze  ou  fénatite:  — Lille. 

2 Diacinthes  : — .\ice,  Lyon. 

2 Emeraudes  : — Marseille,  Le  Havre. 

3 Aigues  marines  (Aqwi  iiiarinn)  : — Bordeaux,  Toulon, 

Biarritz. 

8 Brillants  teintés  jaunes  ; — Mont-de-Marsan,  Lons-le- 
Saunier,  Annecy,  Domrémy,  Rochefort,  Lorient, 
Quimper,  Nantes. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


:-iS 


7 Brillants  teintés  brun  ; — Beauvais,  Chaumont,  bigeac, 
Draguignan,  La  Roche-sur-Yon,  Cahors,  Cette. 

2t>  Brillants  blancs  : — Laon,  Bar-le-Duc,  Foix.  Auch, 
Auxerre,  Mâcon,  Vesoul,  Gap,  Digue,  Saint-Quentin, 
Cambrai,  Saint-Malo,  Le  Creusot,  Privas,  Evrenx, 
Saint-Lô,  Alençon,  Guéret,  Rodez,  Mende,  Le  Puy, 
Tulle,  Aurillac. 

22  Améthystes  : — Amiens,  Troyes,  Versailles,  Orléans, 
Toulouse,  Dijon,  Besançon,  Brest,  Calais,  Grenoble, 
Valence,  Nîmes,  Nancy,  Rennes,  Le  Mans,  Angers, 
Bourges,  Limoges,  Saint-Etienne,  Clermont-Fer- 
rand, Montpellier,  Tours. 

et  34  Rubis  ; — Arras,  Châlons-sur-Marne,  Melun,  Chartres, 
Mézières,  Agen,  Montauban,  Pau,  T arbes,  Perpignan, 
Carcassonne,  Nevers,  Belfort,  Bourg,  Chambéry, 
Verdun,  Dieppe,  Bayonne,  Chàlon-sur-Saône,  Avi- 
gnon, Epinal,  Caen,  Saint-Brieuc,  Vannes,  Laval, 
Blois,  Châteauroux,  Poitiers,  Niort,  Moulins,  Péri- 
gueux,  Albi,  La  Rochelle,  Angoulême. 


— Hélas!  soupire  la  fariniére  é.merveilloe,  que  ne  puis-je 
uieltre  Paris  en  Itroclie  et  scnlenient  une  dizaines  d’autres 

villes  fà  mes  oreilles  et  à mes  doigts  ! 

Pour  qu’on  te  pionne  pour  une  châsse!  riposte  son 

époux  avec  humour.  •■ni 

— Hélas!  dirai-je,  moi,  soupire  gravement  le  vieillard, 
pourquoi  deux  belles  villes  auxquelles  tout  hon  Français 
pense  sans  cesse  sans  les  nommer,  n’ont-ellcs  plus  le  dmtt 
d'ctre  des  diamants?...  Ah!  cette  carte,  quand  donc  le  Izar 
aura-t-il  la  joie  d'envoyer  un  hon  sertisseur  la...  compléter. 

D'un  geste  ému,  Vertluret  tend  la  main  au  centonaiie... 
qui  longuement  la  serre  — ce  qui,  à la  grande  indignation 
de  Fonde,  fait  partir  Bertrande  d’un  éclat  de  rire  aussi  franc 
que...  déplacé. 

Le  charme  rompu,  Verduret  demande  : 

— One  fera-t-on  do  celte  carte  unique  au  monde,  après 


l’Kxposition?  . . .,  . , i 

Cette  carte  de  France  au  cent-millioniènie  ira  dans  le 

seul  palais  digne  d’elle  et  de  son  impérial  donateur  : au 
Louvre...  Allons,  mesdames  et  messieurs,  c’est  assez  causé 
sur  place.  Nous  allons  visiter  ce  beau  Pavillon  de  la  Sibérie 
que  je  viens  de  vous  décrire  et  selon  l'itinéraire  que  je  vous 
ai  tracé.  Pour  commencer,  donc... 


AT  TROCADÉRO 


30 


Soudain,  le  documenté  centenaire  s’arrête  et  murmure  : 
— Allons,  il  paraît  que  le  change  est  résolu.  An  Coûte  ! 
A oici  les  chiens  qni  de  nouveau  goûtent  la  voie  ! 


.ii  IV 


LE  RENDEZ-VOUS 


En  se  retournant,  en  eiïet,  le  vénérahle  et  docte  person- 
nage a aperçu,  par  la  vaste  haie  d'entrée  de  la  Salle  de  l'Asié, 
quatre  tout  britanniques  melons  s’installant  llegmatique- 
ment  autour  d'une  des  petites  taljles  de  hois  qui  transfor- 
ment en  tel  1 asse  de  hrasseric  la  partie  de  la  Cour  intérieure 
avolsinaut  l’estrade  des  musiciens.  Ce  sont  les  quatre  très 
reconnaissahles  subordonnés  de  James-Gregory  Puzzlino-, 
ceux  que  nos  visiteurs,  au  moment  d’aller  prendre  le  che’ 
nun  de  fer  électrique,  ont  vus  s’acharnant  à la  poursuite  de 
l’infortuné  Bouscastrol,  génie...  avarié  de  Toulouse. 

^ — llum!  murmure  cncoi'e  l’homme  d’un  siècle,  quand 
l’escouade  entre  en  ligne,  le  caporal  ne  saurait  être  loin.  11 
est  temps  de  changer  nos  dispositions,  et  voilà  un  incident 
qui  va  quelque  peu  hâter  notre  promenade  à travers  cette 
partie  du  Trocadéro. 

Et,  s’adressant  à Verduret  et  à ses  compagnons  : 

^ songe  que  1 ajirès-midi  est  déjà  très  avancé  et  que 

c’est  à peine  si,  d’ici  à l’heure  du  dîner,  vous  auriez  le  temps 
de  visiter,  comme  il  le  mérite  et  y a tous  les  droits  possi- 
bles, le  Palais  do  la  Sibérie  avec  son  exposition  si  complexe 
et  ses  attractions  artistiques  et  panoramiques.  D'autre  part, 
a mon  âge,  il  est  imprudent  de  compter  sur  le  lendemain... 
tout  au  moins  au  point  de  Ame  de  l’état  des  forces.  Au  lieu 
d atteindre  à l’extrême  fatigue  on  faisant  avec  vous,  à petits 
pas  et  parmi  la  foule  compacte,  cette  visite  pour  laquelle, 
après  ce  que  je  vous  ai  dit,  ma  présence  n’est  plus  néces- 
saire, Amulez-Amus  me  permettre  de  Amns  conduire  rapide- 
ment à travers  les  autres  concessions  étrangères  du  Troca- 
déro? \ ous  rentrerez  ensuite  bien  sagement  dîner  à votre  ho- 


40 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOE 


Ici  et  irez  admirer  Sarah  Bernhardt  dans  l'Aiglon,  pour 
lequel  j’ai  un  coupon  de  loge  que  je  ne  pourrais  utiliser  per- 
sonneliement  sans  imprudence  majenrc.  Cela  vous  va-t-il? 


(ilîOlîlilKN.NE,  JIûhillRlENNE,  ÉvÈQUE  (IKEC. 


— Si  cela  nous  va!...  Mais,  en  vérité,  vous  nous  com- 
blez, et  je  ne  sais  vraiment  en  quels  termes  vous... 

— Vous  me  remercierez  plus  tard...  du  moins,  je  1 es- 
père, cher  raonsienr  \erduret.  Pour  le  moment,  venez 


Al'  l’IlOC  AOlCHO 


Vile..  I»c  ce  cùté:  nous  sortons  par  le  pavillon  de  Nobel, 

ou...  il  y a moins  d afllnence  de  visiteurs.  Allons  ie  voms 
prie!  ’ '' 

Ibun  rapide  cou|)  .l’œil,  il  constate  que  les  quatre  hom  àn 
delcclive  n ont  jias  quitté  leur  poste  d'observation  .le  la 
tour  inteneure,  et,  prenant  les  devants,  enlraiuc  du  ^esle 
et  de  I e.vemple  notre  quatuor  e.vpositionniste  vers  la  sortie 
opposée. 

Avec  une  légèreté  de  gazelle,  Bertrande  rejoint  le  cente- 
naire. I rolitantde  la  distance  qui  les  sépare' tous  deuv  du 
reste  plus  lent  du  groupe,  elle  lui  dit  bàtivoment,  ànii-A'oi.v  : 

— J ai  vu  les  -VngBais  ; Piizzling  ne  doit  pas  èlre  loin. 

L esl  ma  conviction. 

— Je  vais  donc  avoir  votre  ri.qionse  à lui  l'aire  connaître 
car  vous  ni  avez  promis  hier  de  me  taire  savoir  aujourd'hui 
ou  JC  |iourrai... 

- Bendre  à mon  /m/ue  particulier  uue  visite  aussi  Gra- 
cieuse (jii  indiscr.'te?  ” 

— Oui,  oi'i  et  (|uand  ? 

— Allons,  j'ai  pitié  de  l’impatience  de  cet  aimable  gent- 
leman... I»  autant  plus  que  l'.'.sclandre  qu'il  cherche  cà  pro- 
voquer pour  mêler  la  police  parisienne  à nos  all'aires,  et 
iorcer  ainsi  a dévoiler  certain  incognito  dont  il  a mission  de 
déchirer  le  masque,  linirait  par  réussir  ; le  brave  Bouscas- 
lol  n aurait  pas  toujours  à point  nommé  un  sosie  <'i  envover 
c icz  xc  commissaire...  à sa  place.  Il  est  donc  prudent  .ren 
finir.  Vous  pourrez  donc  trahir  le  rendez-vous  que  voici.  Je 
vous  al  endrai  demain  soir,  à dix  heures,  au  coin  du  quai 
« e Javel  et  de  la  rue  des  Cévennes,  emplacement  de  l'usine 
des  payes  en  bois,  pour,  de  là,  vous  conduire  chez  moi. 

Lommeiit,  le  soir  et  dans  un  endroit  qui,  si  peu  que 
je  connaisse  I ans,  me  paraît  être  un  pays  perdu?  Bè- 
chard  et  moi  nous  mourrons  de  peur  pour  nous  y rendre 
SI  meme  je  parviens  à décider  à m'y  accompagner  l'excel- 
lente lariniere,  qui  n'csl  pas  précisément  une  Jeanne  d’Arc 
pour  la  bravoure  ! 

- Aussi  ni 'arrangerai -je  de  l'açon  que  vous  y soyez  es- 
cortée par  votre  oncle  et  xM-  Béchard  par  son  épou.x...  ces 

(eux  personnages  pouvant  avoir  leur  utilité  à titre  de 
Imnoiiis. 


«ItP'ii  ? a 


di 


'A 


42 


A TRAVEUS  L EXPOSITION 


— Oli  ' mais,  alors,  c’est  un  rendez-vous  général? 

_ Mon  Dieu,  oui  : tous  les  rôles,  principaux  comme 
épisodiques,  en  scène...  ainsi  que  pour  le  dénouement  d une 

comédie  bien  charpentée.  , 

— Eh  quoi?...  c’est?...  Hélas!  à cette  idee,  me  voila 

toute  tremblante  !...  , . 

_ Vous,  si  brave?...  Allons  donc!...  J ai  la  conviction 

nue  le  spectacle  sera  de  votre  goût. 

Dieu  vous  entende  ! murmure  Bertrande  devenue  un 

ncii  pâle,  tandis  que  le  centenaire  et  la  jeune  fille,  ayant 
Lient!  le  nas.  sont  rejoints  par  Verduret  et  le  couple  la- 


riniGT.  > • 

Nous  voici  hors  du  Kremlin,  dit  le  manufacturier  re- 
tiré. Serait-il  indiscret  de  vous  demander  où  vous  nous 

^°Le  centenaire  fait  un  geste  thé.àtral  et,  de  tout  le  maigre 
volume  de  sa  pauvre  vieille  voix  haut  perchée,  il  s eciie,  a 
la  façon  de  Buridan  dans  la  Tour  de  Nesle  : 

— En  Chine  ! 

— Bigre!  lait  en  riant  \erdurct.  ^ 

nous  y voici.  Mesdames  et  messieurs,  j ai  l lion- 

neur  de  vous  présenter  le  territoire  parisien  du 


CHAPITRE  II 

CÉLKSTE-EMPIRE 


Dès  que  noire  groupe  provincial  a pénétré  jusqu'au  bassin, 
autour  du(|uel  sont  si  artistemcnt  semés  le  grand  et  les 
])etits  pavillons  de  1 empire  le  plus  peuplé  du  monde,  le  cen- 
tenaire annonce  ; 

Ici,  nous  sommes  en  plein  Pékin,  capitale  de  la  Chine. 

Délicieux,  s écrie  Verduret,  qui  entonne,  avec  beau- 
coup plus  de  conviction  que  de  justesse,  et  en  le  paraphra- 
sant un  peu,  le  morceau  connu  de  l’opéra-comique  de  Bazin  : 


La  Chine  est  un  pays  charmant 
Et  qui  doit  plaire,  assurément!... 


Assez,  mon  oncle  ! supplie...  bien  irrespectueuse- 
ment Bertrande,  en  taisant  mine  de  se  boucher  les  oreilles. 

Et  qui  plaît  tout  d’abord,  aux  gros  appétits  euro- 
péens, se  bâte  de  répondre  le  vieillard.  Elle  plaît  même  à 
tant  de  monde  que  la  rivalité  des  prétendants  à ses  terri- 
toires est  sa  sauvegarde...  Mais  j’ai  mieux  à faire  que  de 
traiter  avec  vous  la  grosse  question  du  « péril  chinois  ».  Je... 

^ Pardon  si  je  vous  interromps,  articule  gravement 
Bêchard,  mais  le  Trocadéro  réunissant  les  expositions  colo- 
niales, comment  se  tait-il  que  l’on  y ait  mis  la  Chine  qui 
est,  tout  au  contraire,  une  immense  métropole,  et  une  mé- 
tropole sans  colonies,  au  sens  que  nous  donnons  à ce  mot? 

Je  pourrais  vous  répondre  que  c’est  une  flatterie... 


a,-"! 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


avant  la  lettre  à l'égard  des  appétits  dont  je  viens  de  parler; 
mais  cette  idée  n'a  certainement  pas  efllenré  l'ème  impar- 
tiale dn  Commissariat  général,  et  il  faut  y voir  des  raisons 
d’organisation  intérieure  et  de  convenances  mutuelles.  Un 
palais  chinois  isolé,  comme,  par  e.xemple,  celui  du  Mexique, 
eût  été  une  banalité  dans  la([uelle  s est  bien  gardé  de  tombei 
le  Commissaire  général,  M.  Vaperean. 

\Va-Peub-li(y?...  (Juelque  grand  mandarin,  sans  donte.^ 

— Je  crois  bien,  dit  le  centenaire  en  faisant  entendre  son 
petit  rire  de  crécelle.  11  fait  partie,  s il  vous  plait,  du 
'rsong-Li-Vamen,  ou  gi'and  conseil.  U est  vrai  que  ce  très 
chinois  mandarin  — (jui  est  bien  riiommc  du  monde  le 
plus  alfable  et  le  plus  simple,  autant  que  d'esprit  distin- 
gué... est  né  à ’fonrs,  le  15  février  fSi7... 

— Comment,  ce  Chinois  est  nu  brançais  ? 

— Ab!  on  voit  bien  que  Malesherbes  est  au.v  antipodes, 
puisque  vous  ignorez  M.  \ apereaii,  que  tout  Ibirisa  applaudi 
en  tant  que  spirituel  conférencier  extrcmc-orientaliste , a 
lu  en  tant  qu'auteur  des  relations  si  excellemment  et  fine- 
ment écrites  de  ses  voyages  — et  quels  voyages!  — que 
tout  Paris,  dis-je,  connaît  et  estime  pour  ses  multiples  et 
hauts  mérites. 

— Vous  le  connaissez  ? 

— J'ai  en  le  régal  d’une  conversation  avec  lui,  à propos 
de  cette  exposition  chinoise  qu’il  a organisée,  et  je  vous 
avoue  que  nous  avons  causé  d'elle  et  surtout  d autre 
chose.  M.  Vapereau  est  un  sympathique  et  un  charmeur,  et 
je  ne  prise  rien  au-dessus  de  la  parole  d un  homme  qui, 
avec  une  science  sûre,  a beancoup  vu  ..  en  sachant  voir, 
e’est-à-dire  en  ohsei'vateur  et  en  artiste.  Sous  ce  dernier 
rapport,  M.  Vapereau  était  bien  préparé  par  ses  études  à 
l'Ecole  des  Beaux-Arts,  qu’il  quitta,  en  1869,  pour  suivre 
en  Extrême-Orient  le  beau-frère  de  sa  sœur  — lequel  n’était 
autre  que  le  lieutenant  de  vaisseau  h rancis  Oarnier,  dont 
l’héroïque  expédition  indo-chinoise  (1806-18(18)  est  un  des 
pins  beaux  exploits  d’explorateur.  C'est  ainsi  qu’à  Page  de 
vingt-deux  ans,  le  jeune  Vapereau  visite  Saigon,  hou- 
Tchéou,  puis  Eormose  et  ses  sauvages.  11  arrive  à l*ékin, 
en  novembre  1870,  non  sans  avoir  fait  naufrage  sur  les 
cotes  de  Chine,  et  entre  dans  l’Administration  des  douanes. 


AU  TlîOCAniillO 


au  service  du  Couvcrnenient  cliinois.  Cn  1873,  Francis  Gar- 
nier ayant  été  (né  dans  un  combat  près  de  llu’é,  capitale  de 
Annam  dont  il  s était  emparé  avec  120  marins  et  qu’il 
a eu  le  temps  de  ganler  à la  France  — Cliarles  Vapereau 
se  fixe  définitivement  à Pékin.  Il  y est  resté,  attaché  aux 
Douanes  dn  (adeste-Lmpire,  pendant  vin-t-six  ans,  rési- 
dence interrompue  seulement  jiar  des  congés  qu’il  a super- 
bement utilises,  comme  vous  allez  en  juger.  Fn  1881  lors 
( e la  guerre  contre  la  Chine,  au  Tonkin,  il  a otle’rt  sa 
démission.  La  incilhmrc  preuve  de  ses  mérites,  de  ses  capa- 


M.UtCIIAND.S  CIIINOI.S. 


Cités  et  aussi  des  charmes  d'un  caractère  qui  ne  lui  a créé 
partout  que  des  amis,  c’est  que  le  Tsong-Li-Vamen  refusa, 
en  cette  circonstance,  de  se  séparer  de  lui  ; la  seule  entrave 
que  lui  attira,  pendant  cette  guerre,  sa  qualité  de  Fran- 
çais et  de  bon  Français,  fut  la  défense  de  s’éloigner  à 
plus  de  hÜ  kilomètres  de  la  ville.  M.  Vapereau,  qui  con- 
naît a tond  le  chinois  et  l’anglais,  voire  un  peu  le  russe 
es  particulièrement  apprécié,  à Paris,  comme  émérite 
collectionneur;  il  a tait  au  musée  Guimet  et  à celui  des  Arts 
décoratifs  des  envois  précieux.  Lorsque,  en  189ti,  le  Gouver- 
nement chinois,  se  décidant  à faire  acte  de  modernisme  en 
prenant  part  a 1 Exposition  de  1900,  chargea  le  directeur 


4G 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


des  Douanes,  sir  Robert  Hart,  d’organiser  sa  participation  à 
notre  Grand  Concours  universel  du  Travail,  celui-ci  pro- 
posa M.  Yapereau  pour  les  délicates  fonctions  de  Commis- 
saire général.  C'est  grâce  â ce  poste  aussitôt  acceiRe,  que 
nous  avons  le  plaisir  de  posséder  à Pans  notre  eminent 

compatriote. 

— Et  ses  voyages  ? . • - i 

■—  Ah  ! ah  ! cela  pique  votre  curiosité  de  Français  séden- 
taireJe  ne  vous  citerai  pourtant  que  les  deux  princi- 
paux, qu'il  fit  l’un  et  l’autre,  en  la  société  de  sa  vaillante 
compagne,  M'”"  Yapereau.  Le  premier  fut  un  raid  en  Mon- 
golie : quarante  jours  à cheval,  h raison  de  tih  kilomètres 
pai-  jour.  Couchant,  soit  sous  la  tente,  soit  dans  les  pai 
lottes,  sur  le  petit  matelas  cambodgien,  avec  la  valise  en 
guise  d’oreiller,  le  couple  hardi  poussa,  cette  lois-la,  jus- 
qu'au désert  de  Gobi,  faisant  ample  provision  de  documents 
photographiques.  Elle  est  tout  simplement  admirable,  la 
collection  de  photographies  prises  aux  Indes,  a Java  au 
Japon,  en  Corée,  en  Californie  et  dans  1 Amérique  du  lAord 
par  cet  observateur  artiste  et  savant  ! 11  m’en  a montre  qui 
sont  de  véritables  merveilles,  comme  celle  du  « 1 ont  du 
Palais  d’Eté  »,  ce  prodige  de  grâce  dont  1 arche  unique, 
presque  ogivale,  d'une  légèreté  inouïe,  dresse  sa  courbe  de 
rêve  au  sein  d’une  plaine  sans  limite,  et  se  rellete  dans  une 
eau  ilormante  où  le  mirage  transforme  l’ogive  en  une 
ellipse  comiilète...  Cela  vous  a un  caractère  d irréel,  de 
rêve  de  poésie  qui  est  un  enchantement....  Mais  je  m égaie, 
et  Bcchard  ne  me  le  pardonnerait  pas.  Quant  au  secom 
..■rand  voyage  de  M.  le  Commissaire  général  de  la  Chine,  ce 
fut  en  1892,  un  retour  de  Pékin  à Paris,  en  passant  par 
Tchéfou,  Shangaï,  le  Japon,  la  Corée,  Yladiyostok,  Alexun- 
drevsk,  Nicolaïevsk,  toute  la  remontée  du  grand  lleuvc 
Amour,  toute  la  Sibérie  (Irkoutsk,  Tomsk,  Samaroya,  lo- 
lolskk  toute  la  Russie  (Pcrin,  Kazan,  iAijni,  Moscou, 


Saint-Pétersbourg),  puis  Yarsovic,  Yienne,  Bâle  et  Paris. 


baini-T'ciersjjuLiigj,  ijluc  , 

Ce  voyage,  que  les  hautes  autorités  russes,  parmi  lesquelle. 
M.  Yapereau  a tant  de  solides  amitiés,  qualifiaient  de  lolie^ 
a été  superbement  accompli  par  le  couple  intrépide  e 
raconté  avec  humour  et  en  style  combien  attachant  par  sor 
auteur,  dans  le  Tour  du  Monde.  11  faut  lire  cela,  mon 


AU  TROCADÉJiO 


il 


Ui. 

t\ïl  ^ M’ 


sieur  \ erduret  ; vous  vous  délecterez,  et  grâce  aux  innoni- 
braldes  photographies  prises  en  cours  de  route  et  jointes  an 
récit,  ce  sera  pour  vous  un  indispensahle  complément  à la 
visite  que  nous  venons  de  faire  du  Pavillon  de  la  Sibérie. 

J en  ferai  la  lecture  a mon  oncle,  déclare  Bertrande, 
et  je  suis  bien  sûre  (ju'il  ne  s’endormira  pas. 

Donc,  poursuit  le  vieillard,  vous  comprenez  que,  pour 
la  première  fois  que  la  Chine  expose  officiellement,  .M.  Va- 
pereau,  avec  son  érudition  s[)éciale,  acquise  par  Aungt-six 
années  de  séjour  dans  la  capitale  du  Céleste-Empire,  n’allait 
pas  nous  olfri)-,  pour  sa  bienvenue  de  retour  dans  la  Mère- 
Patrie,  la  banalité  d un  kiosque  quelconque,  ainsi  qu’on  l a 
fait  jnsqu’ici.  11  a voulu  que  ses  compatriotes,  et  avec  eux 
leurs  botes,  aient  ici  une  sensation  de  réalité  chinoise,  en 
ayant  sous  les  yeux  l’ensemble  d’une  demeure  de  haut  man- 
darin, avec  son  corps  de  logis  principal  et  ses  pavillons  sé- 
parés. 11  a A'onlu,  de  plus,  que  quelques-unes  des  parties  de 
cet  ensemble  aient  la  valeur  documentaire  de  reproductions 
exactes  de  constructions  célèbres  de  Pékin.  C’est  dans  cet 
ordre  d’idées  qn’il  a inspiré  et  guidé  les  plans  de  M.  Masson- 
Détourbet,  1 architecte  au  talent  précis  et  oiâginal  chargé 
des  Sections  étrangèi'os  à 1 Exposition  de  19û0.  Prenons  d’a- 
bord  le  Pavillon  principal... 

Celui  (]ni  est  voisin  du  Palais  de  la  Sibérie,  et  s’y 
trouve  relié,  à laible  hauteur,  par  une  passerelle? 

^ Pont  je  AUAus  expliquerai  tout  à l’heure  la  fonction.  Ce 
Pavillon  principal,  long  de  dix-neuf  mètres,  large  de  treize, 
doit  être  séparé,  par  l’observateur  <|ui  l’étudie  extérieure- 
ment, en  deux  parties  distinctes  : la  partie  inférieure  et  la 
])artie  supérieure.  La  première,  à muraille  droite  percée 
d une  porte  et  de  deux  fenclres,  évoque  exactement  l'asiiect 
d un  temple  chinois.  Les  U'inples,  en  elfet,  possèdent  tous 
ces  trois  ouvertures,  derrière  lesquelles  se  tiennent,  à l’in 
térieur,  les  quatre  gardiens  sacrés  de  rigueur  de  ces  lieux 
de  prières...  mâchées. 

■ Des  suisses,  sans  doute?  demande  étourdiment 
yime  Flore. 

Auprès  desquels,  chère  madame,  ceux  de  nos  églises 
paraîtraient  n’êtrc  que  d'inllmes  pygmées. 

— Ce  sont  des  géants? 


: ii< 


(f  ii 


t lU 


ht 


4S 


A THAVERS  l’EXPOSITIOIN 


— Monstrueux...  mais  muets  : ce  sont  de  gigantesques 
idoles,  hideuses  et  terrihles,  armées  de  toutes  pièces...  sans 
pour  cela  causer  une  bien  grande  frayeur  a leurs  adora- 
teurs... plutôt  sceptiques  — car  nous  n avons  pas  inventé  le 


scepticisme,  croyez-le  bien.  Ce  rez-de-chaussée  contient,  cutie 
autres  choses,  une  très  curieuse  collection  de  monnaies,  si 
anciennes  que  les  antiques  médailles  romaines,  dont  la  dé- 
couverte fait  l'orgueil  de  nos  numismates,  sont,  en  com[ui- 
raison,  presques  modernes.  11  y aussi,  dans  cette  partie  in- 
férieure du  l'avillon  principal,  nu  « clou  »...  ou  plutôt  la 


AU  THOCADÉRO 


49 


pointe  (le  ce  « clou  » énorme  qui,  à juste  titre,  fait  la  joie 
(les  visiteurs  du  Ivremlin  mitoyen  ; c’est  la  fin  du  train  du 
ti anssibérieu  dont  tait  partie  la  passerelle  (|ue  remarc|uait 
tout  a 1 heure  M.  Verduret.  Ln  (diine,  le  panorama  du  maître 
décorateur  Jambon  montre  l'arrivée  à Pékin...  ou  plutôt  le 
départ  de  la  plus  vaste  capitale  du  monde,  puisque  la  tête 
du  train  est  à Moscou.  Une  des  toiles  fait  passer  sous  les  re- 
gards des  sédentaires  voyageurs  l'immense  rempart  réputé 
comme  une  des  « merveilles  du  monde  » : la  fameuse  Mu- 
raille de  Chine,  une  merveille  qui  ne  survivra  guère  à la  re- 
production qu’en  a exécuté  le  pinceau  de  l'habile  décorateur, 
car  cette  muraille,  qui  d ailleurs,  comme  l’épée  sénile  de 
Don  Diègue,  a toujours 

...  servi  de  parade  et  non  pas  de  défense, 

vient  d être  condamnée  par  le  gouvernement  Chinois.  Les 
pieires  serviront  utilement  do  matériaux  (et  Dieu  sait  s’il  y 
en  a!)  pour  de  grands  travaux  publics.  Sic  transit  glorial... 
Et  que  l’on  dise  encore,  devant  un  tel  sacrilice,  que  les 
Celestes  ne  se  laissent  pas  pénétrer  par  les  idées  pratiques 
de  l’Europe  moderne! 

La  Chine  sans  sa  Grande  Muraille!...  11  semble  (jue  ce 
ne  sera  plus  la  Chine. 

Ce  ne  sera  plus  celle  de  la  légende.  Pourvu  que  ce  ne 
soit  pas  le  commencement  de  1 évolution  de  l'innonihi’able 
race  jaune  continentale  vers  cet  avenir  auquel  la  pousse  l’avi- 
dité... initiatrice  de  la  race  blanche!...  Mais,  encore  une  fois, 
cela  regardera  nos  cirrière-neveux.  Passons... 

— ...  Au  premier  étage? 

b)u  mieux  à la  partie  supérieure  du  Pavillon,  c’est  ce 
(|ue  j’allais  avoir  l’honneur  de  vous  dire.  Cette  partie  supé- 
rieure est  la  reproduction  exacte  de  l’une  des  tours  à plu- 
sieurs toits  superposés  qui  se  trouvent  au-dessus  de  chacune 
des  portes  de  Pékin.  Ces  tours  — je  parle  des  véritables  — 
sont  des  depots  de  matériel  de  guerre,  pas  bien  redoutable, 
réuni  pour  la  défense  éventuelle  de  la  Cité  impériale  ; elles 
contiennent  de  petits  canons,  des  fusils,  des  munitions,  dos 
armes  blanches  à l’usage  des  soldats  jaunes,  etc.  Ici,  celle 
que  vous  voyez  a un  objectif  absolument  pacifique  : elle  sert 
de  logis  à une  exposition  de  meubles...  qui  sont  à vendre 

A THAVEKS  l’e.KPOSITION.  — T.  .\IV.  — 3 tr(; 


50 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


et,  par  conséquent,  à acheter  si  le  cœur  vous  en  dit... 

— Ilnm!  des  pri.v  d'exposition,  non  merci,  déclare  l’éco- 
nonie  Bècliard.  Si  nous  voulions  un  mohiler  chinois,  nous  en 
ferions  l'ataïuisilion  au  Louvre,  c’est  bien  meilleur  marché! 

— Et,  pour  vous,  d’une  authenticité  très  suffisante,  c’est 
entendu  ! J’achève  donc  ce  qui  concerne  le  l*avillon  principal 
en  vous  indiquant  que  la  partie  supérieure  contient  encore 
une  exposition  d’instruments  aratoires  et  une  salle  de  théâtre, 
devant  laquelle  commence  à descendre  ce  gigantesque  esca- 
lier extérieur  aboutissant  aux  bassins,  et  qui  est  celui  du 
Temple  du  Dragon  noir.  Bassons  à cet  autre  Pavillon  que 
vous  voyez  à droite  du  Pavillon  principal... 

— Celui  qui  paraît  n’avoir  qu’un  rez-de-chaussée,  mais, 
en  revanche,  s’otl're  deux  toits  supei’posés  ? 

— Celui-là  meme,  monsieur  Verduret.  C’est  une  imitation 
très  approchée  de  l un  des  l'avil  Ions  successi  fs  dont  1 ensemble 
constitue  le  « Palais  d’Eté  » du  luis  du  Ciel,  autrement  dit 
de  l’Empereur  de  Chine.  11  contient  une  exposition  d’objets 
d argent,  d ivoire,  etc.,  qui  lait  1 admiration  des  collection- 
neurs d’art  chinois. 

— Et  cette  espèce  d’arc-dc-triomphe  a trois  arcades  et  si 
élevé  que  l’on  voit  à côté  du  palais  d’Eté? 

— C’est  tout  simplement  la  reproduction  exacte  d’une  des 
trois  plus  belles  portes  de  Pékin,  lesquelles  sont  des  mer- 
veilles. Ces  immenses  arches  en  céramique  multicolore  font, 
sous  l’éclatante  caresse  du  soleil,  un  eflet  extraordinaire  ; 
c’est  brillant,  somptueux,  gracieux  et  imposant  à la  fois. 
iNl.  Yapereau  a été  excellemment  inspiré  en  plaçant  cette 
porte  monumentale  à l’entrée  de  la  concession  de  la  Chine. 

— ()h!  regardez-donc,  s’écrie  M'“  Elore,  tous  ces  Chinois, 
là,  an  seuil  du  Pavillon  suivant. 

— .Mesdames  et  messieurs,  j’ai  le  plaisir  de  vous  mettre 
on  présence  d’une  » tranche  de  vie  » pékinoise.  Le  pavillon 
oii  madame  vient  de  remarquer  cette  affluence  de  Célestes 
qui  tant  l’intrigue,  est  une  des  boutiques  de  la  capitale  chi- 
noise transportée  telle  quelle  ou  presque,  d Exlrème-Orient  à 
Paris,  contenant  et  contenu.  A l’enseigne  : 

« Youxg-Tciieuxe-Tch.M  », 

c’est  jM.  Kou-Young-Pao  en  personne,  un  gros  marchand 


Al'  TRdCADÉRO 


de  k-bas  — gros  sous  tous  les  i-apports,  me  faisait  spirituel- 
kment  rcmaiapioi'  M.  Vaporeau  à propos  de  1 euormo  roton- 
dité du  porte-natte  — qui,  aidé  de  ses  commis,  olfrc  aux 
chalands  parisiens  cosmopolites  un  superbe  étalage  de 
bibelots  empruntés  à ses  vastes  magasins.  Le  gros  homme 
ne  s est  pas  moqué  de  sa  clientèle  de  l'Exposition,  je  vous 
assure,  car  la  collection  de  marchandises  de  choix  qu’il  a 
apportée  avec  lui  représente  une  valeur  d’au  moins  deux 
millions  de  Irancs. 

— Bigre!  ne  peut  s’empêcher  de  s’exclamer  Verdurct 

— C’est  drôle,  observe  Bertrande,  parmi  ces  vendeurs 
je  ne  vois  pas  une  seule  vendeuse.  J'aurais  pourtant  été 
P us  curieuse,  je  l’avoue,  de  voir  des  Chinoises  que  des 

— iMademoiselle,  si,  comme  il  est  probable,  certains  de  ces 
Celestes  employés  de  commerce  ont  amené  leurs  femmes 
a ans,  ils  se  gardent  bien  de  les  produire  à l’Exposition 

— Pourquoi? 

— C’est  que  la  femme  chinoise  est,  socialement,  moins 
encore  que  la  femme  musulmame.  Elle  reste  au  lo-ls 
cachée  aux  yeux  indiscrets.  ’ 

bi!  Quels  vilains  cachottiers  que  vos  Chinois. 

~ Il  pouvez  l’imaginer,  ma  chère  de- 

moiselle. Cest  au  point  qu’ils  ne  se  reçoivent  pas  entre 

— Quels  ours  ! 

— Ils  le  sont  jusqu'à  ne  pas  vouloir,  la  plupart  du  temps 

deriuncres’""^'''''''  P""'”' 

— Nou-es  comme  les  vôtres?  demande  espièglemont  la 
jeune  fille  au  centenaire. 

— Oui,  noires,  justement,  riposte  tranquillement  celui-ci. 
.uand  un  Chinois  porte  des  lunettes  noires  dans  la  rue 
cela  veut  dire  : « il  ne  me  plaît  pas  que  vous  ayez  l’air  de  me 
reconnaître  ».  Ainsi,  un  ménage  se  montre  exceptionnelle- 
ment  en  ville  pour  quelque  course  obligatoire  : sur  la  petite 
charrette  nationale,  on  voit  la  femme  assise  en  arrière  et  le 
mari  juche  sur  un  brancard.  Si  celui-ci  a les  yeux  libres,  il 
seia  sa  ue  égèrement  eticu/par  les  connaissances  rcncon- 
lees,  mais,  si  sur  son  nez  chevauchent  les  lunettes  de 


S2 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


l’incogniio,  non  seulement  personne  ne  le  saluera,  mais, 
passàt-il  au  milieu  d'une  bande  de  relations  intimes  de  fa- 
mille ou  de  négoce,  pas  un  regard  ne  se  détournera  vers  lui  : 

on  ne  le  verra  jnis.  - n • 

Voilà  une  mode  que  l’on  devrait  bien  adopter  a 1 ans, 

à l'usage  des  importuns  ! Je  les  trouve  très  pratiques,  ces 
Chinois,  déclare  Bêchard. 

Le  vieillard  reprend  ; 

— (Jmant  au  dernier  Pavillon  fermant  le  demi-cercle  et  ve- 
nant, en  face  du  Pavillon  principal,  voisiner  avec  le  Kremlin, 
là,  sur  notre  gauche,  il  contient,  en  son  unique  rez-de- 
chaussce,  une  très  instructive  et  amusante  exposPion 
ethnologique.  11  y a là-dedans  tout  un  peuple  de  Chinois  en 
cire  arborant  la  curieuse  variété  des  costumes  des  habitants 
du  Céleste-Empire...  Et  voilà,  très  résumées,  les  principales 
choses  que  j’avais  à vous  dire  concernant  l’exposition  chi- 
noise et  son  aimable  Commissaire  général.  Maintenant... 

iXous  allons  bien  vite  visiter  ces  merveilles  au  sujet 

desquelles  vous  nous  avez  littéralement  mis  l’eau  à la 

bouche...  , , 

— J’allais  vous  dire,  au  contraire,  passons  d un  bond... 
qui  n'aura  rien  de  fatigant,  de  l’Extreme-Orient  asiatique 
à rExtrème-Sud  africain,  de  la  Chine  au... 

— Comment,  nous  ne  visitons  pas?...  interrompt  le  ma- 
nufacturier retiré  tout  décontenancé 

— Vous  aurez  tout  le  loisir  de  le  faire  à votre  temps  et  e 
catalogue  en  main.  Je  vous  demande,  pour  le  moment,  de 
vous  contenter  de  ma  causerie  d’ordre  général,  comme  vous 
Y avez  consenti  pour  la  magnifique  exposition  russo-sibé- 
rienne ; il  se  fait  tard  et...  j’ai  une  raison  majeure  pour  ne 
nas  désirer  prolonger  cette  conférencière  séance... 

— Oui,  la  fatigue  que  vous  impose  votre  bienveillance  a 
notre  égard.. . Nous  serions  ingrats  d’insister  et  nous  sommes 
trop  heureux  de  vous  suivre  où  vous  voudrez  bien  nous 

— Parfait.  Veuillez  donc  me  faire  1 honneur  de  me 


suivre  au 


ClIAl’lTKE  111 


TRANSVAAL 


Lorsque  quelques  pas  ont  transporté  notre  groupe  d’expo- 
sitionnistes  sur  le  territoire  de  la  Concession  de  la  Répu- 
blique Sud-Africaine  : 

Messieurs,  dit  le  centenaire  d'une  voix  émue,  c’est 
avec  un  sentiment  de  sympathie  douloureuse  que  nous 
devons,  en  pénétrant  chez  lui,  saluer  ce  vaillant  peuple 
boër  qui  combat  avec  tant  de  persévérance  pour  la  défense 
de  son  indépendance,  attaquée  si  odieusement  et  pour  un 
si  vil  motif  de  lucre  par  une  nation  européenne  qui  fut 
glande,  mais  dont  la  conduite  à l’égard  de  ces  hurghers 
fermiers,  marque  le  Iront  d une  tache  indélébile.  La  cause 
de  leur  malheur,  tenez,  voici  qu'eux-mêmes  nous  la  mon- 
trent ici,  sans  orgueil  ni  regret,  plutôt  comme  un  fait  déri- 
vant du  fatum  antique.  Vous  voyez,  devant  nous,  à gauche 
du  chemin  que  nous  suivons  depuis  que  nous  avons  quitté 
la  Chine,  cette  pyramide... 

— Cette  sorte  d'obélisque  doré? 

Précisément,  madame.  C’est  le  monument  représentatif 
de  l'or  extrait  des  mines  du  Transvaal  de  1884  à 1899,  c’est- 
à-dire  en  seize  ans. 

M"'“  Flore  ouvre  des  yeux  effarés. 

— Comment,  tout  ça,  c’est  de  l’or?  s’écrie-clle  avec  un 
tremblement  dans  la  voix. 


A TRAVERS  l'exposition 


o4 


— Non,  sourit  le  vieillard.  La  pyramide  que  vous  voyez 
est  en  plâtre  doré,  car  vous  pensez  bien  que  le  volume  d or 
qu’elle  représente  court  depuis  longtemps  le  monde.  Ce 
tronc  de  pyramide,  haut  de  36  mètres,  ayant  2'"  SO  de  côté 
à la  base  inférieure,  et  0"' 40  de  côté  à la  base  supérieure, 
pèserait,  en  or  pur  comme  celui  qui  sort  en  lingots  des  labo- 
ratoires des  mines,  621,706  kilog.  604,063  milligrammes. 

— Un  poids  d'or  pareil  doit  représenter  une  somme 

colossale? 

— Exactement  deux  milliards,  cent  quarante  et  un  mil- 
lions, sept  cent  neuf  mille  quatre  cent  dix-huit  francs,  mon- 
sieur Verduret.  Ainsi,  ce  peuple  de  sages  qui  méprisent  cet 
or  maudit  dont  Lappàt,  en  notre  vieille  civilisation,  lait 
commettre  tant  d infamies,  d’apostasies,  de  lâchetés,  ce 
peuple  de  cultivateurs  et  de  bergers  creuse  avec  indillé- 
rence  ses  sillons  et  fait  dédaigneusement  paître  ses  trou- 
peaux sur  un  sol  tout  contaminé  de  l’épidémique  métal, 
nu’importe  à ces  saines  natures  exemptes  de  tout  morbide 
besoin  de  luxe,  à ces  êtres  simples  et  forts  devant  Dieu 
qui  ne  demandent  qu'à  mener  librement  la  large  vie  du 
plein  air,  la  vie  pastorale  des  patriarches,  et  à vieillir  dans 
le  respect  de  l'immense  famille  dont  ils  sqnt  la  souche  et 
qui  seule  fait  leur  noble  orgueil!  Ce  peuple  était  trop  heu- 
reux ; une  telle  exception  à la  loi  fatale  qui  courbe  1 huma- 
nité sous  le  niveau  aux  mille  aspects  de  la  Douleur  ne 
pouvait  subsister.  La  terre  de  ces  pasteurs  contenait  de  Lor, 
et  l'or  a attiré  sur  leur  sol  la  meute  des  appétits  insatiables 
et  sur  leur  tète  le  malheur.  Messieurs,  saluons  avec  respect 
et  admiration  ce  peuple  boèr,  au  secours  duquel  eût  vole 
sans  hésiter  la  France  d autrefois  ; saluons-le  avec  1 amer- 
tume de  constater  en  quel  état  de  déchéance  morale  le  culte 
du  veau  d’or  qui  nous  est  imposé  a fait  descendre  la  nation 
qui  fut  la 'généreuse  France.  Mais  détournons  les  yeux  de 
ces  tristesses... 

— Parhleu  ! proteste  Bêchard,  nous  ne  pouvons  pas  non 
plus  sacrilier  nos  intérêts  pour  protéger  le  monde  entier  ! 

Pendant  des  siècles,  monsieur,  nul  opprimé  n’appelait 

en  vain  la  France  à son  secours.  On  disait  alors  : Qesla 
Dr]  prr  francos,  et  je  ne  sache  pas  que  nos  intérêts,  au  bout 
du  compte,  s’en  soient  si  mal  trouvés.  C’est  notre  posture 


AU  TnOCADÉRO 


5S 


cllacée  actuollo  qui  est  seule  <langereuse  pour  nous,  eroyez- 
le  bien  et...  passons  vite  à l'intéressante  leçon  de  choses 
qui  nous  est  donnée  ici.  Dans  la  llépublique  Sud-Afri- 
caine, il  y a deux  éléments  opposés  : la  terre  et  l’or,  c'est- 
a-dire  le  Boor  et  l’Etranger.  Ces  éléments  si  disparates  qui 
partagent  là-bas  le  pays,  partagent  également  ici  l’exposi- 
tion trans vaalienne.  E architecte,  chargé  par  le  Commissaire 
général  de  la  construction  des  pavillons  sur  la  concession 
de  1,SU0  métrés  obtenue,  en  a construit  quatre,  sur  les- 
quels deux  sont  consacrés  à l’exploitation  minière  et  les 
deux  autres  à 1 Etat  et  au  peuple  hoër.  On  ne  pouvait,  vous 
voyez,  mieux  faire  le  départ  entre  les  deux  éléments.  De  la 
[lyramide,  où  nous  sommes,  et  en  lui  tournant  le  dos,  nous 
avons  les  deux  premiers  à notre  droite  et  à notre  gaucho 
les  deux  seconds,  cest-à-dire  le  Pavillon  principal  et  la 
terme  hoér.  Occupons-nous  d’abord  de  l’exposition  minière. 

Pardon  si  je  vous  interromps,  fait  Verduret,  mais  il 
me  semble  qu’une  concession  de  1,800  mètres,  pour  ce 
petit  Etat  africain... 

— C’est  disproportionné,  évidemment;  mais  si  le  Trans- 
vaal a pu  y prétendre,  c’est  que,  en  outre  de  l’important 
budget  d'un  demi-million  voté  par  le  Volskraad,  la  nature 
de  son  exhibition  olfre  un  intérêt  et  un  attrait  qui  sont  de 
tout  premier  ordre!  Vous  allez  en  juger. 

« Vous  n ignorez  pas  que  le  Trocadéro — comme  Mont- 
martre et  la  grande  partie  du  Paris  de  la  rive  gauche  sous 
laquelle  s’étendent  les  Catacombes  — est  creux  par  le  fait 
des  anciennes  carrières  qu  i!  récèle  dans  ses  flancs.  Ces 
cavités  du  sous-sol  ont  été  mises  à profit  par  la  Société  des 
Houillères  de  brance  pour  organiser  la  si  curieuse  attraction 
consistant  en  1 aménagement  de  galeries  souterraines  de 
mines  de  houille,  de  sel,  etc.  Or,  une  section  de  ce  « clou  »... 
que  1 on  ne  peut  pas  accuser  d’être  sans  profondeur,  section 
qui  est  placée  au-dessous  de  la  concession  de  la  République 
Sud-Africaine,  représente  en  une  longue  galerie  une  por- 
tion d une  des  principales  mines  d’or  du  sous-sol  transvaa- 
lien.  Dans  cette  galerie,  qui  communique  par  un  puits  muni 
d une  benne  authentique  avec  le  plus  grand  des  deux  pavil- 
lons dont  nous  nous  occupons  et  qui  est  désigné  sous  le 
nom  de  « Pavillon  du  bocardage  »,  se  trouve  déposée  une 


56 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


provision  de  800  tonnes  de  minorai  du  Witwatersrand,  c’est- 
à-dire  de  minerai  anrifère  importé  directement  de  cette  mine 
dn  Transvaal.  » 


Les  Boehs  chez  eux.  — I.a  i'yramide  u’oii. 


— LTk'  mine  d or  an  Trocadéro,  c est  vraiment  extraor- 
dinaire ! 

— Ce  qui  Test  bien  davantage  — et  pour  le  public  aussi 
bien  que  pour  les  ingénieurs  — c'est  de  voir  passer  ce  mi- 


AU  TRnCADÉP.n 


.•)7 


norai  par  toute  la  série  d’opérations  nécessaires  pour  en 
extraire  l'or. 

Comment,  on  voit?... 

— La  benne  chargée  de  quartz  aurifère  sortir  du  puits  et 
le  précieux  chargement  déversé  dans  le  « concasseur  ».  Le  mi- 
nerai ainsi  fragmenté  tombe  dans  la  trémie  terminée  par 
un  appareil  a distribution  automatique  placé  en  arrière  du 
« bocard  »,  c est-à-dire  du  mortier  oi'i  cint]  pilons  pulvéri 
sent  le  minerai  dans  une  grande  quantité  d eau.  La  pulpe  for- 
mée par  le  bocardage  s échappe  par  le  tamis  disposé  à la  face 
. antérieure  du  bocard  et  tombe  sur  la  « plaque  à amalga- 
tion  »,  c est-à-dire  une  plaque  en  cuivre  recouverte  de  mer- 
cure qui  retient  au  passage  une  partie  de  l’or  contenu  dans 
la  pulpe.  Cette  ])ulpo  — et  ceci  est  la  » centralisation  » — 
coule  ensuite  sur  une  table  à secousses  {le  truc  vanner),  où 
Tou  recueille  les  particules  de  pyrites  riches  en  or  pour  être 
traitées  directement  au  laboratoire.  Ces  opérations  du  concas- 
sage, du  bocardage,  de  l’amalgation  et  de  la  centralisation  ont 
toutes  lieu  dans  le  premier  bâtiment,  long  de  l»S"'oO  et  lar«e 
de  9 mètres,  dit  « Pavillon  du  bocardage  ».  Dans  l'inter- 
Aalle  qui  sépare  ce  Pavillon  de  son  voisin  — le  laboratoire  — 
\ous  voyez  ce  volumineux  appareil?  C’est  une  grande  roue 
a augets  qui  élève  la  pulpe  pour  la  déverser  dans  une  grande 
caisse  pointue  oi'i  se  fait  la  séparation  en  schlanuns,  boues 
flottantes  qui  subissent  un  traitement  spécial,  et  en  tailinc/s, 
sables  lourds  d ou  1 or  est  extrait  par  la  <(  cyanuration  » 
opérée  dans  les  deux  cuves,  supérieure  et  inférieure.  Cette 
opération  consiste  dans  l’envoi  de  cyanure  de  potassium  en 
dissolution  sur  les  sables  aurifères,  dont  il  extrait  l’or  en  le 
dissolvant.  Ce  liquide  qui  sort  des  cuves  de  traitement  est 
envoyé  dans  les  » caisses  à précipitation  » et...  nous  voici 
dans  le  Pavillon  du  laboratoire,  de  beaucoup  plus  petit  que 
le  précédent.  Le  liquide  produit  par  la  cyanuration  Q.ÿ,i  pré- 
cipite, soit  par  le  zinc,  soit  par  l’électrolyse.  Dans  le  premier 
cas,  le  zinc  est  dissout  par  de  l’acide  sulfurique,  le  liquide 
obtenu  est  transformé  par  le  filtre-presse  en  gâteaux  de  pré- 
cipité que  1 on  fait  sécher  et  que  l’on  fond  ensuite  au  four 
et  l’or  est  coulé  en  lingots.  Dans  le  second  cas,  la  méthode 
(dectrique  précipite  1 or  sur  le  plomli,  lequel  plomb  aurifère 
est  fondu  et  l’on  en  sépare  l’or  par  coupellation.  Donc, 


58 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


lorsque  vous  serez  de  loisir,  vous  pourrez  venir  voir  sortir 
(le  terre  un  morceau  de  minerai  et  le  suivre  jusqu  à la  lor- 
mation  du  lingot  d'or  pur. 

— Sapristi,  je  crois  bien  que  c’est  intéressant,  cela  ! 

— Ce  que  je  trouve  bien  plus  intéressant  — à un  point  de 
vue  tout  philosophique,  il  est  vrai  — c’est,  en  face  de  cette  la- 
borieuse extraction  du  métal  précieux,  de  voir  s’élever  cette 
modeste  ferme  boer  qui,  avec  son  ameublement  rustique,  sa 
lourde  porte  d'entrée  on  bois  brut,  sa  salle  commune  précé- 
dant la  vaste  cuisine  oi'i  la  pastorale  lamille  s assied  à la 
table  du  patriarche,  avec  ses  chambres  aux  meubles  sim-  ,, 
pies  et  robustes  faites  pour  le  sommeil  calme  de  ces  rudes 
travailleurs  de  la  terre.  Ah!  comme  cette  ferme,  emblème 
sain  et  paisible,  semble  par  le  contraste  violent,  dire  à 
l’usine  en  mal  d'enfantement  tumultueux  des  fauves  par- 
celles pour  la  possession  desquelles  l’homme  abreuve  de 
sang  pourpre  le  sein  maternel  de  Cybèle  ; « Folle  ([ui  t agites, 
qui  fais  grincer  les  monstres  de  fer  pour  créer  le  vain  métal, 
regarde  ma  fière  et  tranquille  médiocrité  et  ne  cherche  pas 
dans  ta  fièvre  le  bonheur  que  j ai  trouvé  dans  ma  rudesse  et 
dans  ma  paix  ».  Mais  1 usine  semble  lui  répondre,  à grands 
ronflements  de  machines  en  marche  : « bolle  qui  a cru  à la 
possibilité  du  calme  bonheur  en  ensemençant  de  graines  une 
terre  qui  recèle  l’or!...  C’était  construire  un  volcan.  Le  jour 
où  tu  m’as  laissé  creuser  ton  sol,  tu  as  ouvers  la  porte  de 
l’enfer  et  tu  t’étonnes  de  t’y  engloutir.  Tu  dédaignes  cet  or 
qui  ronge  l ame  et  les  forces  humaines  sur  toute  la  surface 
du  glohe  : l’or  se  veuge  de  ton  mépris  en  t apportant  1 es- 
clavage et  la  mort!  Ta  paix  heureuse  insulte  trop  aux  souf- 
frances des  autres  nations  qui  n’ont  pas  ta  sagesse  pour  que 
ces  nations  ne  laissent  pas  un  peuple  de  proie  te  détruire  en 
toute  liberté!  Que  ton  sang  et  tes  biens  soient  la  rançon  de 
ton  insultante  vertu,  toi  qui  prétends  ne  pas  sacrifier  a 
l’idole  du  progrès  civilisé,  au  dieu  Business;  c est  la  justice 
nouvelle  depuis  que  la  France  a abdiqué  sa  mission!  » Ah  ! 
messieurs,  toute  l’histoire  des  nobles  et  glorieuses  infortunes 
des  Boers  tient  dans  le  contraste  voulu  de  cette  usine  en  face 
de  cette  ferme,  et...  Pardon...  excusez-moi.  Voilà  que  je  sors 
trop  de  mon  rôle  de  ciceronc.  Allons  voir  le  Pavillon 
principal. 


Afl  TROCADKnn 


:i9 


Siii  les  pas  (kl  singulier  vieillard,  notre  groupe  de  visiteurs 
passe  devant  la  ferme  lioer;  non  sans  y jeter  un  regard  Iris- 
tement  sympathique,  et  arrive  devant  l’élégante  construction 
portant,  au-dessus  du  porche,  l'écusson  du  Transvaal  sur- 
monté d’un  aigle  et  des  initiales  ; li.S.  A.  et  Z.  A.  H.,  c’est- 
à diie,  en  fran(^ais  et  en  hollandais  : « République  Sud- 
Africaine.  » 

— Oh!  s’écrie  Verduret,  il  est  du  dernier  coquet,  ce  Pa- 
villon. Si  c’est  là  le  style  architectural  à Préloria,  ce  doit 
être  une  ville  charmante. 

— Le  Transvaal,  cher  monsieur,  est  un  état  heaucoup 
trop  jeune  pour  posséder  un  style  architectural  national. 
Les  édifices  de  ses  grandes  villes  juxtaposent  un  jieu  partout 
les  deux  styles  européens  cjui  représentent  les  deux  princi- 
paux éléments  de  la  population  : le  style  hollandais  rappelant 
la  patrie  originaire  du  peuple  boer  et  le  style  anglais  per- 
sonniliant  la  majorité  de  l'élément  uitlander.  Pour  ce 
Pavillon  de  la  République  Sud-Africaine,  le  très  aimable 
Délégué  du  Transvaal,  M.  Johannes  Pierson,  a laissé  carte 
blanche  à l’éminent  architecte  parisien,  .M.  lleuhès,  en  lui 
confiant  la  partie  architecturale  de  son  exposition.  M.  Hen- 
bès  — qui  joint  la  plus  courtoise  simplicité  à un  talent 
consacré  est  1 architecte  bien  connu,  diplômé  par  le  Gou- 
vernement, inspecteur  des  Travaux  de  la  Ville  de  Paris,  où 
il  est  né  en  18()2  et  où  il  a conquis  le  second  Grand  Prix 
de  Rome.  11  est  l’auteur  du  superbe  monument  élevé  à 
Saint-Quentin  en  souvenir  de  l’héroïque  défense  de  la  ville 
en  L).d7  et,  quoique  jeune,  a à son  actif  de  nombreuses 
construckons  de  premier  ordre.  Si,  au  Trocadéro,  il  a fait 
de  1 érudition  au  sujet  de  la  ferme  hoer,  qui  est  la  reproduc- 
tion rigoureusement  exacte  des  anciennes  habitations  dos 
colons  hollandais  du  sud  de  l’Afrique;  s’il  y a poussé  une 
savante  incursion  dans  le  domaine  technujue  de  T ingénieur 
en  procédant  à l’installation  de  la  mine  artilicielie  et  dos 
bâtiments  d exploitation  — ne  laissant  à M.  Rousquet, 
ingénieur  du  Gouvernement  de  Prétoria  et  inspecteur  des 
mines  du  Transvaal,  que  l’exécution  de  la  machinerie  — il 
n’a  pas  eu  l’intention  d’offrir,  en  ce  Pavillon  principal, 
autre  chose  qu'une  fantaisie  d’artiste,  fantaisie  excellemment 
réussie,  comme  vous  voyez,  et  pour  laquelle  il  s'est  un  peu 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


inspiré  de  l’art  hollandais.  Ce  Pavillon  carré,  de  14  mètres 
sur  chaque  face... 

Superficie  : 196  mètres  carres,  calcule  Bêchard,  en- 
traîné par  la  force  de  l’hahitude. 


Enpositio.n  Universelle  de  1900. 


__  Comprend,  continue  le  vieillard,  un  rez-de-chaussée 

et  un  premier  étage,  surmonté  lui-même  d’un  campanile 
qui,  sans  compter  le  mât,  atteint  une  hauteur  de  28  mèties 
au-dessus  du  sol.  Un  porche  de  6™  50  de  large  snr  2'”  50  de 
profondeur,  soutenu  par  de  légères  colonnettes,  conduit  à 


AU  TIIOCADÙRO 


61 


rentrée  principale.  A l’inlérieiir,  nn  hall  central  carré 
de  S mètres  est  entouré  de  trois  côtés  par  des  galeries  et 
s'onvre,  an  fond,  sur  le  «Salon  du  Président»,  dont  les  cir- 
constances, hélas!  liennent  éloigné  le  vieil  « 07icle  Paul  », 
représenté  j)ar  sa  seule  stalne.  (Juant  au  contenu  de  ce 


Pavillon  principal,  c’est  l'exposition  officielle  de  la  Répu- 
blique Sud-Africaine... 

— C’est-à-dire  pas  grand’chose,  conclut  péremptoirement 
Bèchard. 

— Vous  croyez? 


02 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Iwidemment.  Vous  l’avez  dit  vous-mè me  : il  n’y  a que 
deux  choses  au  Ti'ansvaal,  l'or  qu’y  vont  chercher  les  étran- 
gers et  la  vie  paslorale  des  Boers.  Comme  l’usine  concerne 
le  premier  et  la  ferme  ancienne  la  seconde,  il  ne  reste  pour 
le  Bavillon  principal... 

— Que  de  montrer,  cher  monsieur,  l’état  si  avancé  d’or- 
ganisation et  de  civilisation  de  cette  nation  que  la  race 
anglo-saxonne,  du  bout  de  dents  bien  longues  et  bien  puis- 
santes pour  ne  pas  faire  songer  à la  primitive  barbarie  de 
notre  espèce,  traite  de  race  inférieure.  11  semble,  n’est-ce 
pas,  que  ces  burghers,  ou  bourgeois  fermiers,  vivant  par 
familles  et  clans  sur  leurs  terres  conquises  sur  la  sauvagerie 
nègre,  n’aient  besoin  que  d’une  administration  très  rudi- 
mentaire? Mais,  veuillez  vous  souvenir  que  nous  avons 
affaire  ici  à des  Européens,  car  le  Transvaal,  l'Etat  libre  et 
une  grande  partie  de  la  colonie  anglaise  du  (iap,  ne  sont 
autre  chose  qu’une  Hollande  transplantée  dans  l'autre 
hémisphère.  Les  graves  et  pieux  républicains,  en  dressant 
en  1897  le  programme  de  leur  exposition  officielle,  se 
sont  trouvé  répondre  par  avance  aux  accusations  formulées 
contre  eux  par  l'Angleterre,  pour  les  besoins  de  sa  laide 
et  mauvaise  cause.  Le  Gouvernement  de  Prétoria  a,  dès 
lors,  divisé  son  exposition  — révélatrice  pour  l'ignorance 
indifférente  de  l’Europe  — 'en  trois  groupes  : 1"  l’expo- 
sition directe  de  l’Etat  ; 2"  l’exposition  des  compagnies 
jouissant  d’un  privilège  direct  de  l’Etat;  fi"  l’exposition  des 
objets  prêtés  à l’Etat.  Dans  le  premier  groupe  se  trouve 
l’administration  militaire.  Les  événements  ont  montré  que 
le  peuple  boer  mobilisé,  s’il  ne  constitue  pas,  malheureuse- 
ment pour  lui  et  malgré  l’extrême  mobilité  de  ses  détache- 
ments une  arme  manœuvrière,  ne  peut  cependant  passer 
pour  une  force  négligeable.  Sa  mobilisation  si  prompte  n’a 
pas  été  sans  causer  de  rudes  angoisses  à ses  agresseurs,  et 
les  pertes  effrayantes  des  Anglais  prouvent  la  solidité  de  ces 
troupes  citoyennes  avec  lesquelles  les  légions  britanniques 
ne  peuvent  se  mesurer  qu’à  la  condition  d’être  quatre...  et 
parfois  jusqu’à  dix  contre  un.  11  est  dommage  que  la  pénible 
guerre  qui  ensanglante  le  sud  de  l’Afrique  pour  la  satis- 
faction (le  quelques  capitalistes  d'Albion  n’ait  pas  permis  de 
venir  au  détachement  de  réguliers  qui  devait  faire  le  service 


63 


Al'  TROCADÉnn 


il  lionneur  du  Pavillon  : l’Europe  continentale  réunie  à 
Paris  eût  fait  une  belle  réception  à ces  vaillants  si  haute- 
ment humains  qo’ils  ne  se  réjouissaient  pas  de  leurs  pre- 
mières victoires  cause  du  sang  qu'avaient  répandu  leurs 
halles  si  merveilleusement  sûres. 

— Ah!  les  braves  gens!  soupire  Verduret,  répétant  sans 
y penser  le  cri  de  Guillaume  1"  assistant  à la  charge  hé- 
l'oïque  de  notre  cavalerie  se  sacrifiant  pour  couvrir  la  retraite 
fatale  vers  le  goulfre  de  Sedan. 

— Dans  le  même  premier  groupe,  poursuit  le  centenaire, 
se  trouvent  le  service  de  rinstruction  publique,  comprenant 
les  types  d’écoles,  les  musées,  l'histoire  du  Transvaal  ; le 
Ministère  des  mines,  législation,  statistiques,  histoire,  collec- 
tions ; le  service  des  finances  et  des  travaux  publics  qui 
montre  quel  était  l’avenir  de  cette  sage  nation  brisée  par  une 
inavouable  cupidité.  Dans  le  deuxième  groupe  entrent  les 
Compagnies  de  chemins  de  fer  ; la  Compagnie,  trop  fameuse, 
de  la  dynamite,  et  les  distilleries  d’alcool.  Enfin,  le  dernier 
groupe  comprend  tout  ce  qui  a trait  à Phabitatiou,  à la 
terre,  sous-sol  (minerais,  quartz,  charbons,  minéraux)  et 
suriace  (culture,  plantes  indigènes,  etc.),  ainsi  qu’aux  pro- 
duits de  l’agriculture  et  de  l’élevage,  à la  faune  indigène, 
aux  arts,  aux  sciences,  aux  curiosités  cafres,  sans  oublier  la 
iée  travailleuse  de  cette  fin  de  siècle,  l’électricité.  Vous  le 
voyez,  c’est  une  exposition  d’Etat  absolument  complète  que 
vous  verrez  en  détail  dans  ce  Pavillon  que,  un  peu  légère- 
ment, M.  Bèchard  supposait  devoir  être  vide.  Si  vous  con- 
statez quelques...  manques,  songez  que  c’est  l’envoi  d’un 
peuple  qui,  depuis  six  mois,  est  tout  entier  sous  les  armes... 
L’heure  qui  nous  presse  ne  me  permet  pas  d’insister. 
Saluons,  au  départ  comme  à l'arrivée,  le  Pavillon  emblème 
de  cette  petite  patrie  lointaine  dont  les  fils  défendent  de 
leur  mieux  l’indépendance  contre  l’etfroyable  invasion  de 
deux  cent  mille  hommes,  et,  sans  quitter  cette  belle  race 
de  lutteurs,  passons  sur  cet  autre  territoire  hollandais  que 
sont  les 


CHAPITRE  ]\ 


INDES  NÉERLANDAISES 


Le  l'avillon  principal  du  gouvernement  de  la  République 
Snd-Africaine  que  quitte  notre  quatuor  provincial  se  trouve 
placé  derrière  l’aile  droite  du  groupe  de  constructions  néer- 
landaises. Pour  venir  faire  face  à la  partie  centrale  de  ce 
si  intéressant  ensemble,  il  suflit  donc  d’en  contourner  la 
droite  et  de  remonter,  l'espace  de  40  mètres,  la  large  avenue 
qui,  sur  la  droite  du  bassin,  monte  au  Palais  du  Trocadéro. 
Ce  chemin  si  court,  le  guide  centenaire  semlde  ne  l’entre- 
prendre qu’avec  la  [)lus  grande  appréhension.  Est-ce  de 
fatigue  soudaine  que  son  pas  se  fait  si  incertain?  Est-ce  la 
chaleur,  pourtant  très  adoucie  de  cette  lin  d'après-midi,  qui 
le  rond  sourd  aux  remarques  de  Verdnret,  lui  toujours  si 
complaisamment  attentif  aux  moindres  idées  émises  par  le 
manufacturier  retiré,  et  le  fait  n’avancer  qu’avec  ta  plus 
grande  circonspection  ? 

Non.  C’est  tout  simplement  que  la  façade  de  l’exposition 
coloniale  des  Pays-Bas  est  sur  le  même  front  et  précède 
immédiatement  celle  du  Kremlin,  où  il  a aperçu  tout  à 
l’henre  les  quatre  Anglais  de  James-Gregory  Pnzzling  instal- 
ler leur  poste  d’observation...  et  il  est  évident  qu’il  lui  serait 
très  désagréable  de  provoquer  une  rencontre  avec  ces  trop 
indiscrets  personnages. 

Aussi,  dès  qu’il  a amené  ses  compagnons  devant  le  centre 
du  triple  Pavillon  indo-hollandais,  se  hâte-t-il  ibexpliquer  : 


6fi 


A TRAVERS  l’exposition 


— Avec  le  Kremlin  de  la  superbe  exposition  de  nos  amis 
de  Kiissie,  l’exposition  coloniale  néerlandaise  est  certai- 
nement la  plus  ciirieiise  et  la  plus  réussie  du  groupe  des 
colonies  étrangères.  On  ne  peut  rien  rêver  de  mieux  comme 
pittoresque,  et  cela  fait  le  plus  grand  honneur  à M.  le  baron 
iMicbiels  Van  Verduynen,  vice-président  de  la  Seconde 
(Chambre  des  Etats-Généraux,  président  de  la  Commission 
royale  et  Commissaire  général  à l’Exposition  de  1900;  à 
M.  le  baron  Van  Asbeck,  membre  de  la  Commission  royale 
et  délégué  du  Commissaire  général,  et  à M.  Bouwens  Van 
der  Doyen,  l'architecte  de  la  Commission  royale,  auteur 
émérite  des  plans  et  directeur  de  la  construction  de  cette 
triple  reconstitution  de  l'art  architectural  ancien  et  moderne 
à Java.  Regardez  : est-il  possible  d’imaginer  un  décor  plus 
beau  et  d’ctfet  plus  intense? 

— Et  d’un  développement  énorme,  car  c’est  aussi  vaste 
que  la  Russie. 

— Comme  façade  sur  le  bassin  du  Trocadéro,  oui;  cotte 
façade  se  déroulant  sur  une  étendue  de  80  mètres.  Mais  la 
superlicie  n’est  que  de  2,500  mètres,  c’est-à-dire  les  cinq 
huitièmes  de  l’emplacement  occupé  par  le  Kremlin. 

— Ce  n’en  est  pas  moins  colossal  pour  un  pays  aussi 
petit  que  la  Hollande. 

— Mais  dont  les  colonies  sont  — surtout  si  on  les  com- 
pare à la  métropole  — aussi  vastes  que  superbes.  Or,  mon- 
sieur Verduret,  ce  ne  sont  pas  les  petits  Pays-Bas  qui  se 
présentent  ici  aux  visiteurs,  mais  leurs  grandes  colonies. 
Celles-ci  — • en  particulier  celles  des  mers  asiatiques — étant 
parmi  les  plus  belles,  les  plus  riches,  les  plus  intéressantes 
dont  puisse  se  glorifier  un  Etat  européen,  vous  voyez  qu’il 
n’était  que  juste  qu’un  emplacement  vaste  et  de  choix  leur 
fût  concédé. 

— Vous  avez  raison  et  j’ai  parlé  trop  vite,  sans  rélléchir. 
Ainsi,  ce  sont  des  édifices  de  Pile  de  Java  que  nous  avons 
sous  les  yeux  ? 

— En  fait  d’édifice  proprement  dit,  il  n’y  a... 

— Il  n’y  a ?. . . 

— Oue  la  partie  centrale,  placée  en  retrait...  et  à laquelle 
on  accède  par  trois  terrasses...  c’est-à-dire...  le...  le 
temple. 


AU  rilOCAUÉRO 


67 


— Un  temple  qui  me  paraît  avoir  rie  grands  airs  de  fa- 
mille avec  ceux  de  l’Inde?... 

— Oui,  temple  hindou,  d’avant  la  conquête  musulmane 
lie  .Java,  au  xv‘=  siècle...  conquête  imparfaite,  d’ailleurs... 
Beaucoup  de  ruines  de  monuments  religieux  houddhiques 
dans  la  grande  île  hollandaise...  Pour  celui-ci,  c’est... 
c’est... 

— (Ju’avez-vous  donc,  mon  cher  cicerone  ? 

— Moi,  monsieur  Verduret?...  mais,  rien. 

— Si.  Malgré  vous,  vous  ne  parvenez  pas  à fixer  votre 
attention  sur  cette  exposition  que  vous  nous  montrez  si 
obligeamment...  Vous  paraissez  préoccupé...  distrait. 

— Je  suis...  je  suis  un  peu  fatigué.  Et  puis,  ces  allées  et 
venues  de  foule  sur  cette  avenue  si  passagère  gênent  l’en- 
chaînement de  mes  idées.  Je  vous  prie  de  m’excuser, 
mais... 

— Vous  excuser!  Par  exemple!...  Nous  nous  reproche- 
rions trop  d’être  cause  que  vous  excédiez  vos  forces.  Nous 
allons  tout  simplement  suspendre  notre  visite  et,  comme  il 
est  à peu  près  l’heure  d’aller  dîner... 

— Non.  J’ai  mieux  à vous  proposer.  Je  suis  mal  en  état, 
ici,  je  le  confesse,  de  vous  donner  les  explications  néces- 
saires en  toute  liberté  d’esprit.  Je  vais  même  vous  demander 
la  permission  de  vous  abandonner  un  moment  ponr  aller 
prendre  un  peu  de  repos...  en  ingurgitant  une  tasse  du  thé 
exquis  que  servent  les  « mousmés  » à la  « Maison  de  thé  » 
de  1 exposition  voisine  du  Japon...  en  bas  du  Trocadéro,  le 
long  du  quai  de  Billy.  (t’est  là  que  je  vous  demanderai  de 
vouloir  bien  venir  me  rejoindre  lorsque  vous  aurez  visité 
les  II  Indes  néerlandaises»...  Vous  me  trouverez  à l’inté- 
rieur : on  y est  plus  tranquille... 

— Alors,  réclame  Bêchard,  nous  allons  visiter  ce  temple 
criblé  de  statues  bizarres  et  ces  jolies  constructions  bario- 
lées de  couleurs  vives  et  dont  les  énormes  toits  se  relèvent 
de  toutes  parts,  en  pointes,  comme  s’ils  voulaient  aller  voir 
là-haut  le  temps  qu’il  fait...  sans  que  personne  nous  dise 
seulement  ce  que  c’est  que  ce  temple,  ce  que  sont  les  pavil- 
lons si  coquettement  drôles  qui  le  tlanquent?  11  y a quelques 
jours,  je  n’aurais  pas  mieux  demandé;  mais  maintenant 
que  j’ai  pris  l’habitude  de  m’entendre  tout  expliquer,  je 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


i^il,  ■ 

irvxXjl  ) . 


’iül, 


Paviixon  des  Indes  Xkeiilandajses. 


vous  félicite  d'avoir  si  bien  pris  goût.  Je  puis  même  dire 
que,  comme  cicerone,  vous  serez  loin  de  perdre  au  change, 
puisque,  pour  la  seconde  fois,  je  vais  prier  M"®  Bertrande 
de  vouloir  bien  me  remplacer. 


Indes  Néerlandaises.  — Temple. 


trouve  ça  très  pratique,  et  j’aime  mieux,  comme  Verdurct, 
remettre  la  visite  que  de  m’en  passer. 

— Bassnrez-vous,  cher  monsieur  : mon  absence  momen- 
tanée ne  vous  privera  pas  de  la  documentation  à laquelle  je 


70 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Pas  comme  cicerone,  alors  ; comme  lectrice? 

— Si  vous  préférez.  Voici,  mademoiselle,  une  note  sur 
cette  exposition  des  Indes  néerlandaises,  qui  vous  permettra 
de  remplir  à la  satisfaction  de  tous  votre  complaisante  mis- 
sion. C’est  une  note  dont  on  ne  pourra  révoquer  en  doute 
l’authenticité,  car  elle  me  vient  du  Commissariat  général 
même  des  Pays-Bas. 

— Allons,  donnez  et...  allez  vite  voir  vos  « mousmés  », 
dit  Bertrande  d'un  ton  mutin. 

Et  elle  ajoute  à mi-voix,  pour  le  vieillard  seul  dont  elle 
interrompt  ainsi  le  geste  de  protestation  déjà  dessiné  : 

— N’attendez  donc  pas  que  les  quatre  Anglais  de  Puzzling, 
ou  bien  James-Grogory  lui-même,  surgissent  comme  des 
diables  de  leur  boîte...  Filez  vite  ! 

Sur  un  salut  rapide,  le  centenaire  s’éloigne  à grandes 
enjambées.  Verduret  lui  crie  : 

— A tout  à l’heure  ! 

Et,  s’adressant  à sa  nièce  : 

— Va,  petite  : nous  t’écoutons  ! 

Bertrande  lit  : 

<(  L’ensemble  de  l’exposition  comprend  trois  constructions 
distinctes  : au  milieu,  en  retrait,  le  plus  remarquable  spéci- 
men de  l'architecture  hindoue  à Pile  de  Java,  le  temple  de 
Tjandi-Sari  ; à gauche  et  à droite  — du  côté  nord  et  sud  — 
deux  reproductions  des  maisons  très  décoratives  des  indi- 
gènes du  haut  plateau  de  Padang,  dans  l’île  de  Sumatra. 

« Le  temple  de  Tjandi-Sari  a une  hauteur  totale  de  13  mè- 
tres, une  largeur  de  17  mètres  et  une  profondeur  de  10  mè- 
tres, avec  un  soubassement  de  l^SO  de  haut  sur  20  mètres 
de  large. 

« Les  moulages  des  sculptures  et  des  motifs  d’ornementa- 
tion ont  été  pris  sur  le  temple  meme  à Java,  et  les  parties 
tombées  en  ruine  ou  détruites  par  le  vandalisme  des  Chinois 
immigrés,  ont  été  restaurées  avec  îles  soins  consciencieux 
et  artistiques.  Malheureusement  le  soubassement  et  le  grand 
portique  de  Tjandi-Sari  n’existent  plus.  Les  Chinois,,  dans 
une  guerre  contre  le  prince  de  Soerakarta,  en  ont  utilisé  les 
pierres  pour  construire  des  fortifications  ; mais  des  fouilles 
pratiquées  au  temple  identique,  le  Tjandl-Plaosan,  ont  per- 


ai;  TROCAIJiaiO 


71 


mis  de  faire  une  reconsliliilion  complète  et  fidèle  du  mo- 
nument dans  toute  la  splendeur  de  sa  conception  primitive. 

^ « Par  son  ordonnance  imposante,  par  son  ornementation 
d’une  richesse  prodigieuse,  mais  toujours  d’une  pureté 
absolue,  par  la  profusion  de  ses  statues  et  de  ses  bas-reliefs, 
le  temple  de  Tjandi-Sari  peut  être  considéré  comme  l’idéal 
de  1 architecture  hindoue  à Java  ; tous  les  fragments,  ves- 
tiges vénérables  d une  civilisation  et  d’un  art  disparus,  for- 
ment isolément  des  objets  d art  inédits,  dont  jusqu’à  pré- 
sent aucun  spécimen  ne  fut  introduit  en  Europe  et  dont  la 
primeur  est  ollerte  aux  visiteurs  de  l’Exposition  universelle 
de  lltOO. 

« Le  temple  s’élève  sur  deux  terrains  superposés;  l’accès  à 
la  première  terrasse  est  formé  par  deux  autres  temples  de 
petites  dimensions,  reproduits  d’après  les  ruines  de  Pram- 
banam  à Java.  Les  soubassements  de  la  deuxième  terrasse 
sont  revêtus  de  reproductions  des  bas-reliefs  les  plus  remar- 
quables du  célèbre  temple  de  Boro-Boudbour  (1),  représen- 
tant, sur  une  longueur  detiO  mètres,  des  scènes  de  la  vie  de 
Bouddha,  depuis  l’annonciation  de  sa  naissance  jusqu’à  sa 
mort. 

« Dans  1 intérieur  du  temple,  on  peut  admirer  les  reproduc- 
tions des  spécimens  les  plus  précieux  de  rarcbiteclure  et  de 
la  sculpture  hindoue  à Java.  Au  fond,  large  de  17  mètres. 


(I)  Cg  temple  de  Horo-BoLulhour  — ou  Hoeroe-Boedor  — est  uii  splendide 
monument  de  l’art  hindou,  situé  dans  la  résidence  de  Kadoe.  On  le  tient 
pour  un  des  plus  beaux  spécimens  d’architecture  inspirés  par  la  l’eligion 
bouddhique.  En  indiquer  ici  les  mesures  pi-incipales  sera  donner  une  idée 
des  dimensions  réelles  et  imposantes  de  ces  temples.  Foi'iné  d’étages  en 
retrait,  il  ligure  une  superbe  p3'ramide  à base  carrée  ayant  125  mètres  de 
côté.  L’étage  supérieur  est  élevé  de  dO  mètres  au-dessus  du  sol.  Do  la  base 
au  sommet,  il  est  littéralement  couvert  de  statues  et  de  l'i’ises  — celles-ci, 
mises  bout  à bout,  atteindraient  l’énorme  développement  de  cinq  kilo- 
mèU’es  exécutées  avec  une  perfection  rare,  une  grande  science  de  com- 
position, de  la  vérité,  du  mouvement  et  le-  sentiment  exact  des  scènes 
ligurées.  Ces  scènes  racontent  aux  yeux  ; ..  la  légende  de  Bouddha;  l’histoire 
de  Çouddhona,  son  père;  de  la  reine  Maya,  sa  mère;  l’annonce  de  l’incar- 
nation du  dieu  et  l’épopée  entière  du  Çakia-Mouni  se  déroulant  en  seize  cent 
trente-six  tableaux,  qui  comportent  environ  vingt-cinq  mille  ligures  en 
haut  relief.  >. 

Ce  temple  de  Boro-Boudhour  remonte  au  viii'  siècle  de  notre  ère.  Celui  de 
Tjandi-Sari,  qui  est  reproduit  au  Trocadéro,  ne  date  guère,  probablement, 
que  du  commencement  du  xv“  siècle,  époque  qui  marque  les  derniers  temps 
du  règne  souverain  de  la  religion  de  l’Inde  à Java. 


72 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


s’élève  le  grand  portique  du  Temple  de  Boro-lîoudhour,  dont 
les  formes  gracieuses  et  élancées  sont  merveilleusement 
ornées.  A droite  et  à gauche  de  ce  portique,  sur  des  bas- 
reliefs  et  dans  des  niches  richement  décorées,  se  trouvent 


Indes  NÉEraANDAiSES. 


les  statues  de  Bouddha  dans  ditîérentes  attitudes,  le  tout 
également  emprunté  au  Temple  de  Boro-Bondhour.  La  paroi, 
adroite,  est  occupée  sur  une  longueur  de  10  mètres  par  la 
reproduction,  d’après  nature,  d’un  fragment  du  Temple  de 
Pramhanam,  an  milieu  duquel  est  représenté  le  lion  légen- 
daire entre  deux  arbres  sacrés.  La  paroi  gauche  est  occupée 


AU  rnocADiono 


73 


par  la  splendide  façade  du  Temple  de  TjTunli-Seavii,  ei  dans 
le  vestibule  on  trouvera  t(int('  une  série  de  statues  de 
Vichnon  et  de  Siva. 

« Les  denx  Pavil- 
lons (]ni  sont  élevés 
sur  la  même  terrasse, 
des  deux  côtés  et  en 
avant  dn  Temple 
cenlral,  représentent 
denx  types  de  mai- 
sons indigènes  des 
liants  plateaux  de  Su- 
matra, dont  les  toi- 
tures, d’une  courbe 
élégante,  reposent 
sur  des  façades  en 
bois  sculpté  et  dé- 
coré; les  ornements 
de  leur  décoration 
ont  été  reproduits  par 
des  moulages  pris 
sur  place.  Pour  bien 
démontrer  la  diver- 
sité de  cette  ornemen- 
tation indigène,  les 
quatre  faces  de  cha- 
que Pavillon  repré- 
sentent autant  de 
types  différents  de 
maisons. 

« Le  Pavillon  nord 
contient  les  modèles 
de  fortitications  dans 
les  Colonies  néerlan- 
daises, de  matériel  de 
campement^  d’hôpi- 
taux militaires,  d’éta- 
blissements de  marine,  etc.,  et  une  belle  collection  de  cartes 
et  de  photographies. 

« Dans  le  Pavillon  sud,  on  voit  des  expositions  cthnogra- 

A TRAVERS  l’E.\POSITION.  — T.  .XIV.  — 4 57 


Pagode  des  Indes  Néerlandaises. 
Divi.mtés. 


74 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


phiques,  minéralogiques  et  agricoles  des  difTérentes  posses- 
sions néerlandaises,  et  enfin  le  Panthéon  des  dieux  hindous 
adorés  par  les  populations  actuelles  de  Bali  et  de  Lombok, 
composé  de  soixante-dix  grandes  statues  richement  déco- 
rées. 

((  Par  suite  do  la  dillerence  de  niveau  du  terrain  sur  rem- 
placement de  l’exposition  coloniale  hollandaise,  il  a été 
j)ossihle  de  ménager,  dans  la  partie  en-dessons  de  la  salle 
d'cxposilion  du  Pavillon  sud,  nue  salle  de  théâtre,  où  une 
troupe  excellente  de  danseuses  et  de  musiciens  javanais 
donnent  d'intéressantes  représentations,  tandis  que  les  visi- 
teurs peuvent  apprécier  les  produits  des  plantations  colo- 
niales par  la  consommatioii  sur  place  de  thé  et  de  cale.  » 

• — Eh!  mais,  songe  tout  haut  Verdnret,  on  doit  passer  la 
d’agréahles  moments  ! 

Se  reprenant  vivement,  après  avoir  jeté  un  regard  inquiet 
vers  la  jeune  lectrice,  trop  adroite  pour  avoir  paru  même 
entendre  la  réllexion  de  son  oncle,  le  manufacturier  vieux 
garçon  demande  à sa  pupille  : 

— C’est  tout,  petite  ? 

— Oui,  mon  oncle. 

— Evidemment,  c’est  très  intéressant  et  ce  ne  peut 
qu’être  parfaitement  exact,  étant  donné  la  source  d’où  cette 
note  est  originaire;  mais  j’avoue  que  les  commentaires  habi- 
tuels de  notre  vénérable  guide  manquent  à ma  complète 
satisfaction. 

— Oh!  moi,  observe  M"""  Elore,  je  ne  peux  pas  supporter 
entendre  lire  debout  : ça  me  donne  des  crampes  d’estomac. 

— Tais-toi  donc,  gronde  l’époux  farinicr.  Je  le  connais, 
ton  estomac,  bichette  ; ce  n’est  pas  contre  la  lecture  qu’il 
réclame,  c’est  apres  le  dîner. 

— Oh!  regrette  Verdnret,  si  notre  amie  se  met  à avoir 
faim,  je  retire  ma  proposition  de  jeter  un  coup  d’œil  à l’in- 
térieur du  Temple  et  au...  théâtre  javanais.  Ce  que  nous 
avons  de  mieux  à faire  pour  obtenir  que  la  fringale  de 
iM'"=  Bèchard  nous  permette  d’achever  notre  visite,  c est  de 
t’amuser  avec  quelque  chose,  par  exemple  un  peu  de  ce  thé 
japonais  que  déguste  notre  savant  centenaire  en  nous 
attendant...  Pas  un  instant  à perdre,  Bèchard  : filons  au 


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CJIAI'ITRE  \ 


J A P 0 N 


\enlurel,  BerLraiulu  an  bras,  se  met  ou  marche  pour  con- 
duire le  groupe,  dont  il  est  le  doyen,  des  lies  de  la  Sonde  à 
l’Empire  insulaire  du  « Soleil  Levant  ». 

iMallieurcusement,  pour  remplir  siirement  le  rôle  de  pi- 
lote, il  est  on  ne  peut  plus  mal  préparé.  Habitué  jusqu’alors 
à se  laisser  guider  sans  guère  s’occuper  de  s’orienter,  il  est 
peu  au  courant  de  la  topographie  du  Trocadéro  de  l’Expo- 
sition. Il  redescend  bien  jusqu’à  l’avenue  transversale,  qui, 
à liautenr  du  fond  du  Balais  do  l’Algéide  oflicielle,  conduit 
vers  l’avenue  d’Iéna,  et  il  s’y  engage  ; mais,  an  lieu  de  prendre 
le  premier  chemin  dévalant  sur  la  droite  et  conduisant  di- 
rectement au  .lapon  en  passant  derrière  les  Colonies  an- 
glaises, il  continue  l’artère  transversale,  passe  entre  le  Pa- 
lais de  l’Egypte,  sur  la  droite,  et  le  Pavillon  des  Colonies 
portugaises  sur  la  gauche,  et  ne  s’arrête  que  lorsqu’il  voit 
devant  lui  la  porte  de  sortie  tle  l'Exposition.  Alors,  il  tourne 
enfin  à droite  et  ne  tarde  pas  à pénétrer  dans  la  concession 
japonaise,  en  longeant  le  bazar  qui  en  occupe  l’extrémité 
orientale. 

Outre  que  ce  trajet  allonge  le  chemin,  il  a l’inconvénient 
de  mettre  à l'épreuve  la  curiosité  de  M'"®  Bèchard,  attirée 
en  dépit  des  réclamations  urgentes  de  son  estomac^,  par  les 
étalages  de  bibelots,  d'éventails,  d’étod'es  et  de  lanternes  du 
bazar.  C’est  avec  toutes  les  peines  du  monde  que  ces  mes- 


AT  TRdCAIlKRO 


sieurs  parviennent  à arraclier  la  très  ronde  farinière  aux 
vues  l'ascinairices  des  assortimenls  in/arres  ainsi  (ju’aux 
odrcs  lenlalriccs  dos  petits  luarcliands  jaunes  aux  yeux  Ina- 
dés.  Ils  y parviennent  enliii  et,  lisant  les  suscriptions  des 
Pavillons,  atteignent  celui  de  la  dégustation  dn  thé,  oii  ils 
retrouvent  le  centenaire  attablé  devant  une  tasse  microsco- 
pi(|ue  — tout  est  petit  au  Japon,  choses  et  gens,  saut  les  ain- 


BiiilHMÉri 

:|ii  f 1 

I’avii.lon  impkriai,  .Iaponais. 


bitions  politiques!  — et  essuyant  ses  gants  trop  larges  de  til 
noir  à une  très  coloriée  serviette  en...  papier  de  soie. 

D’un  regard  investigateur,  le  vieillard  s'assure  que  le 
groupe  n'entraîne  aucun  complet  à carreaux  dans  son  sillage 
et,  rassuré  sur  ce  point,  s'écrie  d’un  ton  de  belle  humeur: 

— Vous  voyez  que  je  vous  attendais  en  véritable  sybarite. 
Ce  thé  vert  a un  arôme  que  nous  ignorons,  nons  autres 
pauvres  occidentaux.  Ne  me  ferez-vous  pas  l'honneur  d'en 
accepter  une  tasse  en  ma  sénile  compagnie? 


78 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— üh  ! de  grand  cœur,  augmentée  de...  quelques  gâteaux  ! 
accepte  M"’®  Flore  avec  une  impétuosité  d'atlamée. 

— Prenez  donc  place,  je  vous  prie.  Nous  sommes  ici  on 
ne  peut  mieux  pour  causer,  en  nous  reposant,  de  cette  ra- 
vissante exposition  japonaise...  et  môme  de  quelques  autres. 

Cliacim  s’installe.  De  vives  » mousmés  »,  étroitement  dra- 
pées de  soies  éclatantes,  accourent  avec  des  plateaux  char- 
gés de  tasses  fumantes.  Un  petit  homme  correct,  en  habit 
noir,  la  serviette  européenne  sons  le  bras,  apporte  à 
Flore,  sur  un  plat  aussi  minuscnle  qu'authentiquement 
japonais,  une  pyramide  substantielle  de  gâteaux  sur  lesquels 
notre  farinière  se  jette  avec  frénésie,  et,  après  que  Bêchard 
eut  consciencieusement  critiqué  la  joliesse  coquette  de  l’exo- 
tique service  dont  s'amusent  Verduret  et  sa  nièce,  le  cen- 
tenaire demande  : 

— Eh  bien,  que  dites-vous  do  ce  coin  du  Japon  trans- 
planté au  Trocadéro  ? 

— Charmant!  déclarent  d’une  seule  voix  Bertrande  et  son 
tuteur. 

— Bidicule!  proteste  Bèchard,  car  il  est  absurde  de  per- 
dre tant  de  place  alors  que  l'espace  est  si  parcimonieuse- 
ment compte  aux  autres  pays.  N’est-ce  pas,  Idchette  ? 

Mais  « Bichette-Chonchon  » n’a  aucune  opinion  : elle  est 
trop  occupée  à calmer  gloutonnement  ses  angoisses  stoma- 
cales. 

— Voyez,  retorque  le  vieillard,  comme,  suivant  la  nature 
d’esprit  de  chacun,  les  jugements  sont  dilférents.  Pour  moi, 
c’est  justement  cet  aiiq  cet  espace,  qui  font  le  charme  de 
cette  exposition  japonaise,  véritable  oasis  de  verdure  parmi 
la  forêt  de  fragiles  murailles  environnantes.  La  concession 
s’étend  sur  trois  mille  mètres  carrés,  et  c’est  à peine  si  les 
deux  architectes  français,  M.  Régnier,  inspecteur  des  tra- 
vaux de  la  Ville  de  Paris,  et  M.  Petitgrand,  également  ar- 
chitecte de  la  Ville,  en  ont  consacré  un  quart  à leurs  jolies 
et  très  documentaires  constructions.  D’ailleurs,  ils  fussent 
allé  contre  l’idée  qui  préside  à toutes  ces  typiques  évoca- 
tions d’exotisme  vrai  en  donnant  satisfaction  à la  critique 
iormuléc  par  M.  Bèchard  ; puisqu’ils  faisaient  japonais,  il 
fallait  avant  tout  qu’ils  donnassent  aux  visiteurs  une  im- 
pression de  ce  Japon  mignard  et  Henri,  mièvre  et  coquet,  qui 


AÜ  TlidCADEUd 


7!) 


esl,  la  note  très  spéciale  des  villes  de  l'Enipire  du  Soleil 
Levant...  et  ils  y ont  excelleinment  réussi.  C'est  ici  nu  cha- 
pitre do  Pierre  Loti  on  de  Lélicien  Chanipsaur  matérialisé 
poni'  le  plus  grand 
enchantement  et  la 
plus  e.vacte  docu- 
mentation des  Occi- 
dentaux. Il  faut  dii'e 
(|uc  ces  messieurs 
de  l'équerre  étaient 
guidés  dans  leur  re- 
constitution si  déli- 
catement et  sincè- 
rement exotique, 
par  deux  purs  su- 
jets du  Mikado,  qui 
sont  des  esprits  su- 
périeurs : un  sa- 
vant, dont  la  répu- 
tation a franchi  les 
mers,  iM.  Ilayaski, 

Commissaire  géné- 
ral, et  le  si  aimable 
et  très  distingué 


M.  T.  IIAVASKl 

C O M M i S S A IIl  !•:  G L N K K A L . 


M.  Saïto,  Commis- 
saire général  ad- 
joint, à ([ui  revient 
plus  particulièrement  l'honneur  d'avoir  réalisé  ce  joli  rêve 
vécu  de  petite  ville  japonaise. 

— Je  n'ai  aperçu,  tandis  que  nous  venions  vous  retrouver 
ici,  que  quatre  Pavillons.  Est-ce  qu'ils  contiennent  toute 
l’exposition  du  Japon? 

— Que  non  pas,  cher  monsieur  Verduret!  Le  gouverne- 
ment si  modernisé  du  vieil  empire  insulaire  d'Extrême- 
Orient  a fait  voter  un  budget  de  trois  millions  de  francs  pour 
la  participation  du  Japon  à l'Exposition  de  1900,  et  les  ex- 
posants sont  au  nombre  imposant  de  dix-huiteents.  C'est  vous 
dire  combien  l'Exposition  japonaise  est  importante  dans  les 
sections.  Ici,  c’est  uniquement  une  évocation  de  vie  réelle  et 
pittoresque.  Etant  donné  la  direction  que  vous  suiviez 


80 


A TRAVERS  l’exposition 


lorsque  vous  êtes  venus  me  rejoindre,  vous  avez  dû  passer 
devant  le  très  curieux  bazar,  composé  d’une  quantité  de  pe- 
tites boutiques  à échelons? 

— lîn  cÎTct.  Nous  y avons  vu  vendre  quantité  d’objets  de 

bronze,  de  porcelaine,  des 
éventails,  des  étoiles... 

— C’est  enrageant  de  ne 
[)as  être  riche  comme  lloth- 
schild!  déclare  M'”“  Flore, 
la  bouche  pleine.  Avec  quel 
plaisir  on  achèterait  de  tout 
cela...  qui  ferait  si  bien 
dans  notre  salon  d’Es- 
sonnes ! 

— Eh  bien,  poursuit  le 
centenaire,  ces  marchands 
sont  d’authentiques  com- 
merçants de  Ycddo  ou  des 
grands  ports,  qui  out  trans- 
porté au  Trocadéro  les  plus 
jolies  choses  de  leurs  éta- 
lages, absolument  comme 
M.  sAÏTo  le  gros  Chinois  de  Pékin 

c'o.M.MissAiKK  hi;ni;r.\l  au.iiiixt.  que  nous  avous  VU  dans  son 

kiosque  de  la  concession  du 
Céleste  Empire.  Devant  ce  bazar,  on  peut,  avec  un  léger  ef- 
fort d’imagination,  se  croire  soudain  au  pays  de  M"’®  Chry- 
santhème... et  cela  même  pour  ceux  qui  y sont  allés,  car  tout 
ici  est  de  pur  japonisme.  Ces  jardins,  dont  la  vue  est  si  plai- 
sante, sont  dessinés  à la  japonaise,  et  servent  d’exposition 
à la  llore  de  ces  îles  enchanteresses.  On  y voit  quatre  cents 
Heurs  indigènes  sur  tige,  dont  des  chrysanthèmes  monstres 
qui  font  l’admiration  des  spécialistes...  Et  puis  des  iris,  des 
nénuphars,  des  pivoines  superbes,  etc.,  etc.  Ah  ! oui,  allez, 
vous  êtes  bien  ici  au  Japon  1 Peut-on  rêver  rien  de  plus  ja- 
ponais que  ce  « Pavillon  du  thé  » oii  nous  sommes,  où  tout 
est  si  bien  comme  làdtas,  et  le  service  et  les  objets  d’art  qui 
le  décorent.  Il  constitue  l’exposition  du  Syndicat  japonais 
du  thé...  Et  le  Pavillon  du  Saké,  que  vous  voyez  d’ici,  et  oii 
nos  palais  curieux  de  sensations  exotiques  peuvent  déguster 


Ai:  TROcAniinn 


le  vrai  « vin  de  riz  »...  xVvez-vous  vu  le  Pavillon  prin- 
cipal ? 

— .le...  je  ne  croispas. 

— C’est  vrai,  voire  itinéraire  ne  vous  l’a  pas  permis.  Ce 
sera  pour  quand  nous  nous  dirigerons  de  l’endroit  oii  nous 
nous  reposons  vers  les  Colonies  Itritanniqiies.  Laissez-moi 
tout  de  suite  vous  en  dire  quelques  mots...  Ce  Pavillon  prin- 
cipal est  su|)crhe,  avec  ses  portes  dorées,  scs  toits  bronzés 


dont  le  faîte  supérieur  atteint  vingt  mètres  de  haut.  Celte 
construction,  élégante  et  brillante,  a un  intérêt  arcliéolo- 
gi(|uc  puissant,  en  ce  qu’elle  est  la  reproduction  — approxi- 
mative, il  est  vrai,  mais  aussi  fidèle  que  possible  — d’uu 
très  remarquable  monument  du  vii'^  siècle.  C’est  l’ancien 
Temple  d’Ür,  désigné  sous  le  nom  de  Khondo,  et  situé  dans 
la  province  de  Nara,  pays  de  Yamato.  .le  vous  signale  le  des- 
sus des  fenêtres  où  triomphent  des  dessins,  imitation  d’ori- 
ginaux dont  le  temps  n’a  pu  qu’à  peine  ternir  l'éclat.  Ces 
dessins  représentent  des  déesses  de  la  mythologie  japonaise, 
des  oiseaux,  etc. 


Les  .Iapcinaises  chez  ei.i.es. 


I 


82 


A TRAVERS  l’eXPOSITTON 


— Toute  la  lyre  des  divinités  invraisemblables  auxquelles, 
évidemment, l’intérieur  dece  pseudo-temple  est  consacré! 

— Fi,  cher  monsieur  Verduret,  que  c’est  mal  connaître 
le  modernisme  avancé  des  lils  de  l’Albion  d'Extrême-Orient  ! 
Voyez-vous  la  France  exposant  à Yeddo  — ne  souriez  pas, 
cela  pourrait  fort  bien  arriver  avant  longtemps  — et  consa- 
crant son  Pavillon  principal  à des  souvenirs  de  la  religion 
druidique?  Non;  l’Empire  du  Soleil  Levant  a fait  de  cette 
reconstitution  arcbitecturale  d’ordre  religieux  un  « Palais 
japonais  des  arts  rétrospectifs  ».  On  y voit  donc,  et  à profu- 
sion, des  objets  d’art  anciens,  tableaux,  sculptures,  céra- 
miques, faïences,  porcelaines. 

— Toutes  choses  bien  connues,  grâce  à la  mode  de  japo- 
naiseries  qui,  avec  les  Goncourt,  a possédé  nos  collection- 
neurs. 

— Erreur  encore,  car  la  collection  qui  est  exposée  dans 
ce  Pavillon  principal  est  absolument  nouvelle  pour  le  public 
européen,  et,  même,  elle  est  inconnue  au  .lapon.  Elle  est, 
en  etfet,  composée  d’objets  rarissimes  prêtés  par  les  grands 
seigneurs  japonais  qui  en  sont  les  possesseurs  jaloux.  11  a 
fallu  la  fascination  du  nom  de  Paris  et  de  la  merveilleuse 
fête  universelle  qu’il  donne  pour  clore  le  xix®  siècle,  pour 
décider  ces  hauts  personnages  à s’en  dessaissir  l’espace  de 
quelques  mois. 

— Alors,  observe  Bèchard,  tout  ici  est  authentiquement 
japonais  ? 

— Tout...  sauf  les  matériaux  qu’il  eut  été  vraiment  trop 
exigeant  do  réclamer  d’aussi  lointaine  provenance.  C’est 
le  soir  que  l’Exposition  japonaise  est  bien  curieuse  à voir, 
avec  tous  ses  candélabres  funéraires  si  artistiques,  datant  du 
vu®  siècle,  et  qui  sont  semés  un  peu  partout  sur  les  pe- 
louses; avec  l'éclairage  du  Pavillon  principal  dont  le  double 
toit  est  bordé  de  lampes  do  verre,  peintes  aux  couleurs  na- 
tionales, et  dont  les  huit  angles  portent,  suspendue,  une  im- 
mense tulipe  de  cristal  faisant  fonction  de  réverbère...  A 
propos  de  ce  Pavillon,  j’ai  exagéré  en  vous  disant  que  le 
contenu  était  d’ordre  exclusivement  profane.  Vous  verrez, 
en  etfet,  à l’intérieur  — qui  forme  un  immense  bail  avec 
galeries  circulaires  au  premier  étage  — vous  verrez,  dis-je, 
à l’intérieur,  au  centre  du  hall,  une  antique  statue  du  dieu 


AT  TnCICADKtlO 


83 


bouddhique  de  la  guerre,  Bislianne  ; de  plus,  placés  en  sen- 
tinelles au  pied  de  1 escalier  d’honneur  — hizari'e  série  de 
paliers  conduisant  aux  galeries  du  premier  étage  — se  tien- 
nent deux  terribles  « gardiens  » du  temple  de  Niwo,  datant 
du  v‘=  siècle. 

— Ils  sont  vivants,  ces  gardiens?  demande  étourdiment 
\|"ie  pylore. 

— Oh  ! madame,  quelle  humiliation  ce  serait  pour  moi, 
qui  n ai  qu  un  pauvre  siècle  d'existence  ! S’ils  vivent  encore, 
voyez-vous^  ils  le  doivent  à leur  nature  minérale,  particu- 
lièrement propice  à la  longévité  presque  sans  limite...  Et 
maintenant,  mesdames  et  messieurs,  voulez-vous  que  nous 
laissions  le  Japon  pour  nous  occuper  des  colonies  britanni- 
ques, ses  importantes  voisines? 

— C’est,  réclame  M"’®  Bèchard,  que  je  n’ai  pas  fini  de 
prendre  mon  thé,  et... 

— Aussi  dis-je:  nous  occuper  d’elles,  etnon  pas  : les  visiter 
encore.  Si  votre  appétit  n’est  pas  tout  à fait  calmé,  ma 
tatigue  n’a  pas  entièrement  disparu,  et  vraiment  nous  som- 
mes ici  le  mieux  du  monde  pour  causer  tranquillement. 
(Ju'en  dites-vous,  monsieur  Verduret  ? 

— Vous  savez  que  je  ne  me  permettrais  pas  d’avoir  un 
avis  dilïérent  du  vôtre.  Si  vous  jugez  inutile  de  nous  donner 
vos  précieuses  explications  sur  place,  c’est  qu’évidemment 
cela  est  su  perdu.  Mais  avant  d’entamer  ce  gros  morceau  des 
colonies  anglaises,  voulez-vous  m’autoriser  à solliciter  de 
vous  un  simple  renseignement? 

— Dites  vite,  cher  monsieur. 

— hdi  bien,  en  quittant  les  Indes  néerlandaises  pour  le 
rendez-vous  que  vous  nous  aviez  donné  au  Japon,  nous 
avons  vu,  sur  notre  gauche,  un  fort  joli  Pavillon  dont  vous 
ne  nous  avez  pas  parlé  jusqu'ici,  et  qui  pourtant  se  trouve 
situé  dans  la  même  partie  du  Trocadéro  que  la  Sibérie,  la 
Chine,  les  Pays-Bas  et  le  Transvaal... 

— Attendèz  donc...  Sur  la  façade,  un  groupe  sculpté  de 
deux  femmes  qui... 

— C’est  cela  ! s’écrie  vivement  le  manufacturier  retiré. 

— Je  vous  fais  toutes  mes  excuses  et  me  hâte  de  réparer 
une  impardonnable  omission.  Parlons  donc  tout  d’abord  de 
ce  l*avillon  des 


CILVIMTRE  Y1 


COLONIES  PORTl'GAISES 


— Comment,  c’est  là  l’exposition  coloniale  dn  Portugal  ? 
dil  Nerdnret  non  sans  quelque  surprise.  .Mais  cotte  construc- 
tion me  parait  bien  plus  importante  et  surtout  bien  plus 
ornée  que  le  Pavillou  royal  de  la  rue  des  Nations? 

— ’Vous  avez  raison.  L’elTort  dn  gouvernement  de  Lis- 
l)onno,  représenté  par  M.  le  conseiller  Prederico  Ressano 
Garcia,  Président  de  la  commission,  et  M.  le  vicomte  de 
b’aria,  Commissaire  général,  est  bien  plus  grand  et  plus  heu- 
reux au  ïrocadéro  que  sur  la  rive  gaucho  de  la  Seine.  La 
somme  de  talent  dépensée  par  l’architecte,  M.  Monteiro,  y 
est  aussi  incontestablement  plus  considérable.  C’est  que  ses 
colonies  sont  d’autant  plus  chères  au  Portugal  que  la  durée 
de  leur  possession  on  est  plus  compromise  par  le  fréquent 
voisinage  d’une  grande  amie  politique  qui  ne  professe  qu  un 
respect  modéré  pour  le  bien  d’autrui.  Un  hasard  doucement 
ironique  a placé,  au  ïrocadéro,  les  colonies  portugaises 
assez  loin  de  l’exposition  exotique  d’Albion  — et  beaucoup 
plus  près  du  malheureux  Transvaal  — mais,  dans  la  réalité 
géographique,  les  distances  sont  malheureusement,  dans 
plusieurs  cas,  infiniment  plus  rapprochées  et,  dame!  les 
intérêts  britanniques  se  montrent  parfois  singulièrement 
exigeants.  Jusqu’à  présent,  et  pour  prix  de  complaisances 
que  le  faible  n’a  pas  toujours  la  liberté  de  refuser,  les  pos- 
sessions d’outro-mer  de  la  petite  nation  péninsulaire  ont  été 


Mèl 


ai;  TnoDAriÉRo 


8o 


Pavillon  des  Colonies  Portugaises. 


rclalivcmont  respectées.  Fasse  le  ciel  que  rimpcrialisme  lon- 
donien n’ait  pas  besoin  trop  tôt  d'une  nouvelle  Rhodésia... 


ou  que  les  dents  longues  que  le  monde  connaît  bien  se 
soient  auparavant  attaquées  à quelque  morceau  un  peu  dur 
pour  elles  et  se  trouvent  contraintes  au  repos  ! Telle  est  la 


86 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


grâce  que,  sans  être  prophète  de  malheur,  on  peut  se  per- 
mettre de  souhaiter  au  sympathique  royaume  de  dom  Car- 
los... Pünfin,  qui  vivra  verra.  Pour  ne  parler  que  du  Pa- 
villon, vous  n’avez  dû  lui  accorder  qu’uu  regard  au  pas- 
sage... 

— En  ell'et,  nous  cherchions  à nous  orienter  pour  des- 
cendre au  Japon... 

— C’est  cela,  car  autrement,  rien  qu’à  la  vue  du  très  beau 
groupe  de  M.  Thomas  Costa,  qui  orne  la  façade  principale, 
vous  vous  seriez  rendu  compte  de  la  nationalité  à laquelle 
appartient  ce  pavillon.  Ce  groupe,  avec  une  superbe  am- 
pleur de  ligne,  représente  doux  femmes  soutenant  l’écusson 
portugais.  Si  je  ne  vous  parle  pas  plus  de  l’architecte,  que  je 
vous  ai  présenté  lors  do  notre  visite  du  Pavillon  du  quai 
d’Orsay,  je  serais  impardonnable,  de  no  pas  attirer  votre 
attention  sur  le  vigoureux  talent  du  sculpteur,  et  de  ne  pas 
ajouter  que  les  compliments  que  mérite  M.  Costa  vont  à 
l’artiste  parisien  autant  qu’au  Portugais. 

— Quel  artiste  parisien? 

— Mais  iM.  Costa  lui-meme,  qui  est  venu  demander  à 
Paris,  où  il  s’est  établi,  la  consécration  de  son  talent.  Quand 
vous  visiterez  ce  charmant  Pavillon  — qui  atteint  16  mètres 
de  hauteur  alors  que  celui  du  quai  d’Orsay  borne  à 10  mètres 
sa  peu  ambitieuse  altitude  — vous  verrez  avec  quel  goût  il 
est  orné  intérieurement  do  peintures  décoratives  dont  les 
sujets,  excellemment  traités,  se  rapportent  aux  colonies 
exposantes  et  à la  navigation.  Quant  à l'aménagement  inté- 
rieur, il  est  très  simple  : au  roz-de  chaussée,  une  vaste 
salle  de  200  mètres  carrés  de  superficie  et,  au  premier,  une 
galerie  de  140  mètres. 

— Et  l’exposition  qui  y est  contenue  comporte?... 

— Mais,  naturellement,  les  produits  agricoles  et  indus- 
triels des  colonies  portugaises:  c’est-à-dire,  en  Afrique 
occidentale,  la  petite  enclave  de  Bissao-Geha,  dans  notre 
Sénégamhie,  et,  au  sud  du  Congo,  le  vaste  territoire  de 
llenguela;  dans  l’Est  africain,  le  non  moins  vaste  Mozam- 
bique, dont  les  longues  côtes,  vis-à-vis  de  Madagascar, 
tirent  dangereusement  l’œil  de  la  « Greater  liritain  » ; puis 
Goa,  petit  grain  de  mil  toléré  sur  la  côte  du  gigantesque 
Hindoustan  britannique;  Macao,  en  Chine,  près  de  Canton; 


AU  THOCADÉnn 


S7 


la  demi-île  de  Timor,  en  voisinage  courtois  avec  les  Hollan- 
dais, et  1 île  Saint-Thomas,  aux  Antilles;  enfin  surtout,  les 
archipels  atlantiques  du  Cap  Vert  et  des  Açores. 

Si  je  me  souviens  bien,  autour  de  ce  heau  Pavillon 
colonial,  il  m’a  semblé  apercevoir,  en  passant  de  petits... 

— Kiosques?  Vous  avez  très  bien  vu,  monsieur  Verduret. 
Ces  kiosques  satellites  sont  au  nombre  de  cinq.  Quatre  sont 
atleclés  a la  vente  du  tabac,  des  vins  et  des  calés  provenant 
des  manufactures  et  entrepôts  île  Lisbonne.  Le  cinijuicme  a 
un  objet  tout  spécial  et  auquel,  je  crois,  vous  ne  serez  pas 
indidérent,  étant  donné  la  finesse  de  votre  Palais  amateur 
des  bonnes  choses. 

^ ous  me  mettez  l’eau  à la  bouche,  fait  en  riant  le 
manufacturiei  i étiré.  Et  qu  y montre-t-on  dans  ce  cinquième 
kiosque  ? 

— La  manière  de  cultiver  les  ananas  au  Portugal...  Et 
ils  y sont  délicieux,  vous  savez. 

— Vous  êtes  un  tentateur,  mon  cher  ciceronc  !...  Mais, 
dites-moi:  en  face  de  cette  concession  coloniale  portugaise, 
nous  avons  vu  un  immense  Palais  au-dessus  du  seuil  duquel 
est  écrit.  « hgyjttc  ».  G est  la,  sans  doute,  l'exposition  de  la 
vieille  terre  des  Pharaons  et  du  Nil,  aujourd'hui  domaine 
anglo-khédivial  ? Ce  doit  être  bien  intéressant? 

- Ma  toi,  mon  cher  monsieur,  vous  irez  voir  vous-même, 
car  j ignore  ce  qui  s y passe.  C’est  une  exhibition  privée  et 
je  ne  me  suis  attaché  jusqu  ici  (|u’aux  expositions  officielles 
et  largement  publiques.  Est-ce  tout  ce  que  vous  désirez  me 
demander? 

— C’est  tout. 

Alors,  terminons  cette  causerie  sur  le  Trocadéro  étran- 
ger jmr  une  rapide  excursion  dans  le  domaine  colonial  bri- 
tannique, autrement  dit,  les 


<S80 


CIIAPITHE  VII 


COLONIES  ANGLAISES 


— Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  l’exposition  colo- 
niale d’Albion  est  aussi  belle  qu'intéressante  et  variée.  J’in- 
sinuerais le  contraire  que  vous  auriez  raison  de  no  pas 
ajouter  foi  à mes  paroles.  Ce  ne  serait  pas  la  ])eine  qu’une 
nation  étendît  sa  vaste  et  lourde  domination  à travers  le 
monde  entier  et  jusque  sur  les  points  les  plus  reculés  du 
globe,  sur  des  pays  de  climat,  de  faune_,  de  dore  et  d'hu- 
manités les  plus  diverses,  pour  qu’elle  n’olTrît  aux  visiteurs 
d’une  exposition  universelle  qu’une  exhibition  d'ordre 
secondaire.  C’est  comme  si  l’on  disait  que  l'hotel  d'un 
milliardaire  est  meublé  d’un  mobilier  de  pacotille,  orné  de 
bibelots  achetés  à la  « boutique  à treize  ».  Cela  ferait  hausser 
les  épaules  à tous  les  gens  sensés.  L'exposition  coloniale 
anglaise  est  donc  fort  belle;  mais,  parl)leu,  on  n’en  saurait 
dire  autant  de  l’écrin  dans  lequel  les  bijoux  sont  présentés. 
Ce  sont  de  grandes  constructions  basses  en  stalf...  j’allais 
dire  des  hangars,  tant  l'architecte,  Mr  C.  Clowes  (3,  Arun- 
del  Street,  Strand,  W.  C.),  s’est  peu  mis  en  frais  d’art 
architectural  et  d'ornementation.  Ce  spécialiste  du  lire- 
ligne  • — qui  a collaboré  à la  décoration  du  Pavillon 
du  quai  d’Orsay,  a construit  le  restaurant  anglais  qui  s’élève 
au  pied  du  Trocadéro,  près  du  pont  d’Iéna,  ainsi  que  la 
Laiterie  anglaise  de  l’Esplanade  des  Invalides  et,  à Vin- 
cennes,  les  bâtiments  contenant  les  machines  agricoles  — 


ai;  TUOCAIJliRO 


n cl  voulii  laire,  pour  celte  exposition  coJonialo,  que  des 
locaux  (I  utilisation,  tout  à fait  « sans  façons  ».  Vous  savez 
que  l’Anglais  dédaigne  de  faire  toilette  à l'étranger  ; il  est 


PARIS  UI»CIVEHSAL  EXrilBiTION  1900 

~Bi^irisH  Colsxial  a iirPTÂTir  secttoms~ 


Plan  du  Pavillon'  des  Colonies  Anglaises. 

partout  le  Cook  s lounst  qui,  si  le  garde  inunicipal  ne  s’y 
opposait,  se  promènerait  casquette  de  voyage  en  tète  parmi 
les  fracs  et  les  décolletages  endiamantés  du  foyer  de  l’Opéra. 

— Le  mépris  du  continental  ! 

— fait  d’intraitable  orgueil  britannique,  c’est  cela,  cher 


90 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


monsieur  Yerdurct,  du  moins  pour  la  masse  dn  peuple 
anglais,  et...  c’est  bien  la  faute  de  l'Europe,  qui  ne  met  pas 
en  pratique  le  vieux  proverbe  français... 

— « 11  faut  hurler  avec  les  loups?  » 

— Oui.  Donc,  je  n’ai  pas  à vous  parler  des  constructions 
de  l’exposition  coloniale  anglaise  aux  points  de  vue  archi- 
tectural et  artistique,  ceux-ci  n'existant  pas.  Veuillez  mettre 
vos  petites  tasses  japonaises  sur  la  table  voisine  pour  que 
je  place  sons  vos  yeux  le  plan  des  sections  coloniales  du 
Itoyaume  Uni...  Eà,  voilà  qui  est  fait.  La  concession  de 
terrain  livré  à l’Angleterre,  au  Trocadéro... 

— Me  paraît  énorme  ! 

— Elle  dépasse  de  plus  de  mille  mètres  carrés  la  surface 
de  l'emplacement  donné  à la  Russie.  Les  deux  façades,  sur 
l'avenue  qui  conduit  aux  bassins  du  Trocadéro  et  sur  le 
quai  de  Billy  sont  à peu  près  égales,  à raison  de  240  pieds. 

— Eela  fait  : 

— Calculez,  monsieur  Bcchard  : le  pied  anglais  mesure 
O"'  :1048. 

— 79  mètres,  annonce  le  farinier  calculateur,  son  opéra- 
tion faite. 

— Sur  ce  terrain,  continue  le  centenaire,  l’architecte  an- 
glais a construit  : un  Pavillon  des  Indes  — [nrhan  Section, 
sur  le  plan  — un  « Pavillon  des  colonies  »,  séparé  en  deux 
bâtiments  mitoyens  à cause  d’un  groupe  d'arbres  auquel  il 
était  interdit  de  toucher;  entin,  en  arrière,  c’est-à-dire  près 
de  la  frontière  de  la  concession  du  Japon,  une  Ceylon  Tea 
Housc,  ou  « Maison  de  thé  » de  Pile  de  Ceylan.  Les  deux 
Pavillons  des  Indes  et  des  Colonies  sont  construits  sur  le 
même  gabarit  : une  série  de  halls  avec  galeries  au  premier 
étage.  Nous  allons  rapidement  passer  en  revue  chacun  de 
ces  trois  pavillons.  Prenons  d’abord  ; 

« [O  Le  Pavillon  ile^  Unies.  — Grand  bâtiment  rectangu- 
laire ; 7(j  pieds  (23  mètres),  sur  le  Trocadéro,  et  240  pieds 
(73  mètres)  : sur  le  quai  de  Billy,  avec  entrée  principale 
sur  le  dit  quai  de  Billy.  Vous  ferez  attention  à la  rampe  de 
l’escalier  de  cette  Grand  Enlrance  ; elle  est  très  curieuse- 
ment sculptée  dans  dn  bois  de  Burmah.  Ce  Pavillon  contient 
dans  la  partie  qui  donne  sur  le  Trocadéro,  Ylniperial  court, 


ai:  iRdCAnÉno 


!)[ 


c’est-à-dire  l'exposilion  officirlle  des  Indes  anglaises;  au 
centre,  la  Ihnvalr  rxliibilors  court , on  expositions  de  parti- 
culiers indiens;  dans  la  partie  qui  confine  an  Japon,  les 
Ceijlon  courir,  traduction  : expositions  de  (leylan. 

« A remarquer,  dans  1’  « Exposition  officielle  et  gouverne- 
mentale des  Indes  » : les  produits  venus  des  principaux  ports 
de  i'ilindoustan,  Calcutta  et  Bombay;  dans  les  vitrines, 
bijouterie  indienne  et  objets  d’art;  au  centre  du  grand  bail’ 
une  grande  vitrine  contenant  des  marbres  de  toute  beauté’ 
provenant  dos  mines  de  Baroda  ; dans  la  galerie  du  premier 
étage,  les  minerais  et  les  produits  des  forêts  de  l'IIindons- 
tan  ; et  partout,  les  vitrines  elles-mêmes  qui  sont  artiste- 
mont  sculptées  dans  le  style  hindou...  Madame  qui,  je  le 
vois,  a fait  lôte  au  thé  du  Japon,  rendra,  j’en  suis  sûr,  une 
visite  aux  Tea  1 era/u/as,  placées  immédiatement  à la  suite 
de  la  (irand  Entrance,  ne  füt-ce  que  pour  s’assurer  si  le  thé 
indien,  servi  par  des  mauh  en  petit  bonnet,  vaut  le  thé 
japonais  ollert  par  les  mains  des  niousmcs . 

« A A'oir  dans  la  salle  de  l’exposition  priA'ée  : au  milieu 
du  bail,  des  piano-forte,  des  cuivres,  verreries,  châles  de 
Kdchemii,  tapis  et  bois;  dans  la  galerie  du  premier,  pro- 
duits commerciaux-  ’ 

« Enfin,  dans  1 exposition  de  Ceylan,  on  le  gouverne- 
mental et  le  privé  sont  mélangés,  vous  ne  pourrez  pas  ne 
pas  tomber  en  arrêt  devant  le  gigantesque  trophée  central 
qui,  du  sol  an  toit,  ollrc  un  assortiment  aussi  complet 
qu’empaillé,  de  tigres,  d’éléphants,  d’antilopes,  etc.  D'autre 
part,  ces  dames  ne  seraient  pas  femmes  si,  pour  elles,  pas- 
saient inaperçus  les  diamants  et  les  perles  mirifiques’de  la 
plus  belle  île  du  monde. 

« 2 Le  1 avili  on  des  Colonies.  — La  majeure  partie  y 
est  allectée  au  Canada,  qui  occupe  tout  le  bâtiment  ouest 
poui  sa  faune  naturalisée  (élans,  cerfs,  ours);  ses  four- 
rures, ses  produits  divers,  son  salon,  et,  dans  la  galerie  du 
premier  étage,  ses  grains,  blés,  pailles,  à l’ombre  d’une 
immense  oriflamme  canadienne  tricolore.  11  prend  encore 
la  plus  grande  partie  du  bâtiment  est  pour  ses  minerais  et 
scs  chemins  de  for. 

^ » Le  reste  des  bâtiments  est  occupé  par  l’exposition  des 
Colonies  de  la  Couronne  ^Crown  colonies)  où  sont  à remar- 


92 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


qiier  les  expositions  — café  princi(mlement  — de  l’ilc  Mau- 
rice et  des  Seychelles  ; et  par  celle  de  l'Australie  occidentale 
(West  Auslmlia'':  où,  parmi  les  produits  les  plus  divers,  les 
plus  intéressants  au  point  de  vue  mercantile  anglais  sont 
les  minerais  d’or  et  les  bois  du  pays. 


Ceylan. 


« La  Ceijlon  Tea  House,  à laquelle  madame,  j’en  suis 
sur,  ne  manquera  pas,  non  plus,  de  rendre  une  petite  visite, 
est  un  pavillon  d’une  soixantaine  de  pieds  sur  vingt-cinq 
(quelque  19  mèlres  sur  8 mètres),  alTectant  une  imita- 
tion assez  grossière  de  l'architecture  hindoue  : petite  colon- 
nade au  rez-de-chaussée  et,  au  premier,  terrasse  avec  dôme 


AU  TROCADÉnO 


cculral.  Là,  des  Cingluilais,  plus  ou  uioius  en  costume, 
servent  Ica,  coffec^  jius/rics  and  nnifec/.inneries.  » 


Club  canadien. 


« ^ oilà.  ^ ous  devez  trouver,  cher  monsieur  Verduret,  que 
je  viens  de  parler  un  peu  trop  comme  un  abrégé  de  catalogue  ? 
Ma  toi,  je  rends  comme  on  me  donne.  Un  matin  — c'était,  il 
est  vrai,  avant  l’ouverture  de  l'E.vpositiou  — j’ai  demandé 
à Mr  Cloves  (3,  Arundel  Street,  Strand.  \V.  G.),  de  me 
dire  quelques  mots  de  cette  english  exhibition.  11  m’a  répondu 


94 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


avec  le  laconisme  que  j’ai  trouvé  juste  de  répéter.  Les  An- 
glais, voyez-vous,  ne  s'amusent  pas  an.\  bagatelles  des  com- 
mentaires : acta,  non  verba.  » 

— Vous  dites? 

— Je  dis,  chère  madame,  que  te  thé  japonais  ne  doit  pas 
vous  faire  oublier  le  dîner  français,  et  qu'il  n’est  que  temps 
de  vous  y prendre  si  vous  voulez  no  pas  arriver  en  retard 
cliez...  le  Roi  de  Rome. 

— C’est  vrai!...  Vous  avez  eu  l’amabilité  de  nous  olTrir 
une  loge  pour /',lù//o/i...  Moi  qui  n’ai  jamais  vu  Sarah  Rer- 
nhardt!  Vite,  mon  gros,  filons  dare-dare! 

Le  premier,  le  centenaire  se  lève,  et,  prenant  congé  du 
groupe  visiteur  : 

— Joyeuse  soirée  je  vous  souhaite,  mesdames  et  mes- 
sieurs. Je  crains  d’être  bien  las  pour  vous  faire  visiter, 
demain  matin,  comme  je  le  désirerais,  les  grands  Palais  du 
bord  de  l’eau,  c'est-à-dire  : l’orèts.  Chasses,  Pèches;  Marine 
du  commerce;  Armées  de  terre  et  de  mer,  etc. 

— Vous  nous  abandonneriez? 

— Rassurez-vous,  monsieur  Verduret.  Si  la  sagesse  m’im- 
posait de  ne  pas  risquer  aussi  vite  une  nouvelle  course  à travers 
l’Exposition  — car  je  ne  me  sens  pas  bien...  mais  pas  bien 
du  tout,  sans  qu’il  y paraisse  — je  ferai  en  sorte  que  vous 
trouviez  à votre  arrivée  — dix  heures,  n’est-ce  pas,  devant 
le  porche  du  Palais  des  Forêts,  Chasses  et  Pêches?  — un 
guide  sérieux  qui  ne  vous  fasse  pas  trop  regretter  mon 
abstention...  prudente.  Donc,  monsieur  Verduret,  à demain. 
Si  ce  n’est  le  matin,  ce  sera  sûrement...  avant  que  minuit 
sonne. 

Le  vieillard  salue  cérémonieusement  M'™  Flore,  avec  une 
grâce  familière  la  gentille  Rertrande,  correctement  le  rigide 
Rôchard  et  serre  drôlement  la  main  de  Verduret.  l*uis, 
tournant  sur  les  talons,  il  s’éclipse...  par  la  porte  de  service 
des  mousmés  et  de  leurs  petits  et  agiles  compatriotes. 

11  a à peine  disparu  que  James-Gregory  Puzzling,  la  face 
congestionnée,  se  précipite  dans  la  « Maison  de  thé  » japo- 
naise. A la  vue  de  nos  quatre  provinciaux  seuls,  il  demeure 
interdit. 

— Aoh  ! fait-il. 

— Ah!  mon  pauvre  John  Bull,  s’écrit  en  riant  le  manu- 


AU  TROCADÉRO 


9o 


lacturier  retire,  si  c est  notre  vieil  et  obligeant  guide  que 
vous  cherchez,  vous  arrivez  trop  tard,  car  il  est  parti.  Et 
quant  a nous...  nous  sommes  en  train  de  nous  disposer  à 
l’imiter. 

Mais  Bertrande  a fait  un  imperceptible  signe  au  détective, 
(.elui-ci,  pendant  que  le  groupe  en  partance  se  dirige  vers 
la  porte,  se  rapproche  vivement  de  la  jeune  fille  qui  lui 
glisse  à voix  Ijasse  ces  seuls  mots  ; 

rendez-vous...  Demain  soir.  Siiivez-nous  à 
1 InMel,  je  vous  dirai  le  reste. 

Le  icgard  de  Duzzling  s illumine  au  point  de  pi'esque 
briller.  11  emboîte  gaillardement  le  pas  à nos  visiteurs  qui 
s éloignent  et  murmure  entre  ses  dents...  britanniques; 

Il  olll  fonte  il  allé  très  bien.  Demain  soir,  le  Angle- 
terre il  tenait  le  sicrète  du  Français,  ou  Duzzling  il  été  une 
stupid  animal  ! 


Le  prochain  volume  aura  poiir  titre  : 

LES  GRANDS  PALAIS  DU  BORD  DE  L'EAU 
et  comprendra  : 

Le  Palais  des  torôts.  Chasses,  Pêches  et  Cueillettes. 

Le  Palais  de  la  Marine  du  commerce. 

Le  Palais  des  Armées  de  terre  et  de  mer. 

Le  Port  de  la  Navigation  de  plaisance. 

Etc.,  etc. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pages 

Chapitre  — La  Russie  a l’Exposition 

§ I.  Dialogue  russo-séquanien 

§ II.  Pavillon  de  la  Sibérie 

§111.  Autres  Pavillons  russes 

§ IV.  Le  rendez-vous  . . . 3ü 

Chapitre  II.  — Céleste-Empiue • ...  43 

— III.  — Transvaal .>3 

_ IV.  — Indes  Néerlandaises  ...  . C4 

— V.  — 

_ VI.  — Colonies  Portugaises 84 

— VII.  — Colonies  Anglaises 88 


Paris.  — lmp,  MICHELS  et  Fils,  6,  8 et  lo,  rac 


d’Alexandrie. 


EN  VENTE  : 

I.  L’Exposition  à vol  d’oiseau 1 vol.  illustré  > 00 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . — i GO 

III.  Le  Grand  Palais — i 00 

IV.  Le  Vieux  Paris — » 60 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris — u 60 

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 
resques   — n 60 

^ll.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau — » 60 

\'11I.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères.  — » 60 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  ...  — » 60 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d’Orsay.  — » 60 

XI.  L’Avenue  des  Nations — j 60 

XII.  Promenade  au  Quai  d’Orsay — » 60 

XIII.  Les  moyens  de  locomotion  à l’Exposition. 

Le  Mexique — » 60 

XIV.  Au  Trocadéro — » 60 


G.  DE  WAILLY 


A TRAVERS 

L'EXPOSITION  DE  1900 


XV 

LES  GRANDS  PALAIS  DU  BDRD  DE  L’EAU 


PARIS 

FAYARD  FRÈRES,  ÉDITEURS 

78,  Boulevard  Saint-Michel,  7S 


L AMI  rJE  ISO  L SC  asti;  U L 


I.e  Icndomaiii  matin  — dél)uL  de  la  sixième  journée  de 
visites  à l’Exposition  de  notre  provincial  (jualuor  — nous 
retrouvons  celui-ci  dévalant  à vive  allure  les  pentes  du  Tro- 
cadéro  et,  Verduret  en  tète,  atteignant  le  pont  d'iéna. 

— Ah  ! bien,  proteste  iM""-'  Flore,  si  cela  commence  comme 
ça,  dès  notre  arrivée!...  Moi,  j'ai  déjà  les  jambes  cassées, 
sans  compter  un  point  de  côté!... 


('11  Vl’lTHE  rilEMlEIl 

FORin’S,  CHASSES,  PÈCHES  ET  CUEILLETTES 


(1 


A TRAVERS  l' EXPOSITION 


— Voyons,  Vcrdorct,  c’est  ridicule,  aussi!  Voilà  déjà  ma 
Icmme  en  nage,  à dix  heures  du  matin! 

— Dix  heures  dix,  rectihc  le  manufacturier  retire. 

— Qu'est-ce  que  cela  fait? 

— Cela  fait  (jue  nous  sommes  en  retard  de  dix  minutes, 
ce  qui  m’est  tout  à fait  insupportable,  et  en  retard  par  votre 
faute,  .l’avais  pris  mes  précautions  pour  ne  pas  nous  faire 
attendre  au  rendez-vous  fixé  par  notre  si  complaisant  vieux 
cicerone...  Nous  arrivons  Itcllement  à dix  heures  moins  un 
([uartà  la  place  du  Trocadéro,  et  là,  impossible  de  vous  dé- 
cider à entrer! 

— Darhleu,  à quoi  bon  s’amuser  à payer  l’entrée  deux  tic- 
kets quelques  minutes  avant  le  moment  oii  on  n’en  réclame 
plus  qu’un  seul?  Et  puis,  ne  fallait-il  pas  compenser  par  un 
peu  de  sagesse  votre  prodigalité  d’hier  soir...  Aller  donner 
quarante  sous  à une  ouvreuse,  sous  le  fallacieux  prétexte 
que  notre  loge  no  nous  avait  rien  coûté! 

— Vous  avez  de  la  peine  à les  digérer,  ces  deux  pauvres 
francs...  Mais  vous  devriez  me  savoir  gré,  au  contraire, 
dans  renthousiasme  où  m'avaient  monté  l’artiste  géniale  et 
la  j)ièce  superbe,  de  ne  pas  avoir  jeté  à cette  gracieuse  pré- 
posée aux  petits  bancs  — car  tout  est  décidément  charmant 
chez  cotte  grande  en  jôleuse  de  Sarah  Bernbardt — un  écii  de 
cinq  livres  ou  un  domi-Napoléon. 

— Comme  un  ambassadeur,  alors? 

— Avouez  que  le  demi-Napoléon  eût  été  de  l’à-propos... 
chez  le  Roi  de  Rome! 

— Si  vous  plaisantez  avec  une  chose  aussi  sérieuse  que 
l’économie,  je  n’ai  plus  rien  à vous  dire. 

— Vous  ferez  d’autant  mieux,  mon  cher,  que  cela  nous 
retarde  et  que  j’ai  bâte  de  remercier  notre  guide  aussi  gé- 
néreux que  complaisant  de  la  merveilleuse  soirée  qu’il  nous 
a fait  passer. 

— Et  qui  nous  a fait  coucher  à une  heure  du  matin, 
ce  qui  est  éreintant,  quand  on  en  n’a  pas  riialntudc. 

— Vous  n’êtcs  jamais  content,  c’est  entendu.  Moi,  j’aurais 
voulu  que  le  spectacle  recommençât,  quitte  à passer  toute 
la  nuit  dans  notre  jolie  loge...  Ah!  voici  qu’enlln  nous  at- 
teignons la  rive  gauche;  nous  allons  retrouver  cet  excellent 
vieillard.  J’espère  que  vous  allez,  avec  moi,  le  remercier 


LKS  (iRA.NDS  PALAIS  DL'  ItORlJ  DE  LEAU 


/ 


comme  il  faut  pour  la  soirée  d hier  el  bien  dire  que  c’est  de 
votre  faute  si  nous  l’avons  fait  attendre. 

Le  long  et  sec  farinier  dresse,  au-dessus  des  tètes  du  pu- 
blic déjà  nombreux,  son  cou  de  héron  et,  après  avoir  scruté 
du  regard  le  porche  d’entrée  du  Palais  des  Forêts,  mainte- 
nant distant  de  cinquante  mètres  au  plus,  s’écrie  d’un  ton 
de  triomphateur  : 

Vcrdurct,  c est  a vous  de  me  remercier  de  ne  pas  avoir 
laissé  nous  imposer  la  dépense  de  quatre  tickets  supplémen- 
taires, dépense  bien  inutile,  car  votre  centenaire  est  plus  en 
retard  que  nous  : il  n’est  pas  au  rendez-vous. 

— Vous  en  êtes  sûr? 

J ai  bonne  vue,  et  le  personnage  a une  silhouette  as- 
sez spéciale  pour  être  facilement  reconnu  entre  mille  et  de 
bien  plus  loin  que  nous  ne  sommes  du  porche  de  ce  palais. 

lise  sera' peut-être  lassé  de  nous  attendre...  Du  reste, 
nous  allons  bien  vite  savoir... 

ljuelques  pas  que  bâte  au  maximum  Fimpatience  in- 
quiète de  ^ erduret,  puis  un  changement  de  direction  adroite, 
portent  rapidement  notre  groupe  expositionniste  en  face  de 
l’entrée  monumentale  du  Palais  des  Forêts. 

^ ^ est  pourtant  vrai  qu’il  n’y  est  pas  ! regrette  tout  haut 

Verdurct,  tout  décontenancé.  Je  ne  puis  croire  à de  l’inexac- 
titude de  la  part  d un  homme  aussi  courtoisement  exact 
jusqu  ici.  Pourtant,  s il  n avait  pu  venir  ce  matin,  il  nous 
aurait  dépêché  quelqu’un  pour  le  remplacer,  ainsi  qu'il 
nous  1 a promis  hier  et...  je  ne  vois  personne  qui... 

L oncle  de  Dertrande  n’a  pas  en  le  temps  d’achever  de 
iormuler  sa  pensée,  que  la  jeune  fille,  lui  serrant  vivement 
le  bras  sur  lequel  elle  s’appuie  si  légèrement  ; 

— Mon  oncle,  voici  que  vous  allez  saAmir  à quoi  vous  en 
tenir  ; regardez. 

— Uiioi,  petite? 

Ce  monsieur  qui  vient  tout  droit  à nous...  Tenez,  il 
porte  la  main  à son  chapeau  pour  nous  saluer. 

Ah  !...  en  effet,  j’aperçois...  Mais  je  ne  le  connais  pas, 
ce  monsieur. 

Oh  ! mon  oncle,  avez-vous  donc  si  peu  la  mémoire 
des  physionomies  ? 

Un  jeune  homme,  élégamment  mis,  arborant  jaquette  du 


s 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


bon  faiseur  et  bottines  vernies,  s’avance,  le  chapeau  à la 
main.  Verduret  s'arrête,  regarde  l’étranger  avec  un  air  de 
surprise  qui  n’a  pas  besoin  de  la  parole  pour  clairement 
dire  : 

— Voilà  un  monsieur  fort  poli  assurément,  mais  qui, 
non  moins  sûrement,  nous  prend  pour  d'autres,  car  nous 
n’avons  pas  l’honneur  de  le  connaître... 

Mais,  tout  à coup,  le  rentier  malesherbois  fait  un  brusque 
geste  et  s'écrie  : 

— Mais...  cette  barbe  taillée  en  pointe...  on  dirait?... 
Voyons,  c'est  impossible  : je  me  trompe. 

— Eh  non!  mon  oncle,  vous  ne  vous  trompez  pas,  atlirme 
Bertrande  en  riant  de  la  mine  stupéfaite  de  son  tuteur. 

— Gomment,  fait  celui-ci,  ce  serait...  notre  fameux  gon- 
dolier. 

— En  personne,  cher  monsieur,  répond  lui-même  en  sou- 
riant et  en  s’inclinant  le  jeune  homme  arrivé  à quelques 
pas  du  groupe. 

— Sous  ce  costume  élégant? 

— Mon  Dieu,  oui.  Devant  avoir  l’honneur  de  vous  servir 
de  cicerone,  j’ai  cru  devoir  m’habiller  de  façon  convenable. 

— Hein?...  C’est  vous  qui  allez?... 

— Avec  votre  permission,  vous  faire  les  honneurs  de  ces 
Palais  du  bord  de  l’eau,  au  lieu  et  place  du  vieillard  que 
vous  pensiez  trouver  ici  et  qui  se  trouve  empêché.  Cela 
vous  étonne  et  vous  n’avez  pas  l’air  d’avoir  une  confiance 
illimitée  en  ma  valeur  comme  guide. 

— Dame!  à en  juger  par  votre  inexpérience  comme  nau- 
tonnier... 

Le  jeune  homme  esquisse  un  sourire  finement  ironique 
et,  d’un  ton  parfait  de  courtoise  bienveillance  : 

— Monsieur,  dit-il,  il  est  quelquefois  prudent  de  ne  pas 
trop  se  fier  aux  apparences.  En  ce  qui  concerne  mes  apti- 
tudes à vous  guider  dans  ces  palais,  je  me  contente  de  vous 
informer  qu’hier,  après  vous  avoir  conduits  — pas  trop 
maladroitement,  avouez-le  — du  Palais  du  Mexique  au 
Trocadéro,  j’ai  assisté  au  cours  de  l’Ecole  de  l’Exposition... 

— Hein?...  qu’est-ce  que.  c’est  que  ça? 

— Une  création  absolument  récente,  puisqu’on  n’y  son- 
geait guère,  il  y a six  jours,  lors  de  la  première  conlérencc 


a*2iC 


J.KS  r.RANDS  PAÏ.ATS  DI'  llORD  T>E  h RAT 

que  vous  fît,  sur  la  première  plate-forme  de  la  Tour,  le 
vieillard  que  ce  matin  je  remplace  auprès  de  vous.  (Jr,  cette 
conférence  a été  entendue,  racontée  au.v  grands  chets  de 
celte  Exposition,  et  ils  ont  compris  aussitôt  le  haut  intérêt 
qu'il  y a pour  la  France  et...  pour  leur  œuvre  à ce  que  le 
public  soit  mis  à môme  de  tout  voir  en  visiteurs  avisés... 

A ce  mot,  qui  est  celui  du  mystérieux  communiqué  reçu 
par  lui  à Maleshorbos,  Verduret  dresse  l'oreille.  Le  jeune 
homme  poursuit  : 

— On  a senti  en  haut  lieu,  que,  pour  bien  comprendre 
cette  merveilleuse  Exposition,  la  simple  consultation  du 
catalogue  — consultation  dont  s’abstient  môme,  la  plupart 
du  temps,  la  paresse  bien  natundle  du  public  — était  tout 
à fait  insuflisante  ; que  les  visiteurs  avaient  besoin  d’être 
guidés  par  une  sérieuse  documentation  orale.  Immédiate- 
ment des  conférences  furent  demandées  aux  commissaires 
et  architccti's  des  diverses  sections,  dans  le  but  de  former 
une  cohorte  de  guides  instruits  des  choses  qu’ils  ont  à 
montrer.  Hier  une  de  ces  conférences  ayant  été  donnée  sur 
ces  Palais  du  bord  de  l'eau,  j’y  ai  puisé  les  connaissances 
nécessaires  pour  vous  bien  guider  aujourd'hui.  Daignez 
donc  bannir  toute  appréhension  d’incompétence  générale  à 
mon  sujet.  Quant  à ce  qui  se  rapporte  aux  sections  mariti- 
mes et  militaires  ofi  nous  allons  nous  rendre  après  avoir 
parcouru  le  domaine  des  Forêts,  Chasses  et  Pêches,  je  |)ensc 
que,  pour  vous  rassurer  pleinement...  et  en  même  temps 
vous  donner  un  peu  plus  de  confiance  si  l’occasion  se.  pré- 
sente d’embarquer  de  nouveau  à bord  de  la  capricieuse 
gondole  que  vous  savez,  il  me  suflira  de  vous  remettre  ma 
carte. 

Le  jeune  homme,  d’un  geste  fait  à la  fois  de  distinction 
et  d’autorité,  tend  à Verduret  le  rectangle  de  bristol  sur 
lequel  celui-ci  lit  à haute  voix,  mais  non  sans  une  franche 
surprise  : 

Baron  Gaétan  dp:  Pierouet 

ENSEIGNE  DE  VAISSEAU  DE  P.ÉSEBVE 


Verduret  regarde  Bêchard 


lequel  allonge  la  mine,  abso- 
lument vexé  d’avoir  été  le  jouet  d’une  évidente  comédie  et 
furieux  de  ne  pouvoir  exhaler  son  mécontentement  comme 


A TRAVERS  l’eXPOSIÏION 


il  le  voudrait  à l’égard  do  rautour  de  la  mystification,  dé- 
l’endii  par  la  dérérence  qu'inspire  à tout  terrien  la  qualité 
d'oflicier  do  la  marine  militaire.  L’oncle  de  Bertrande,  lui, 
se  sent  tout  gêné  au  souvenir  de  la  façon  plutôt  cavalière 
dont  il  a,  à plusieurs  reprises,  parlé  à ce  gondolier  qu’il 
prenait  pour  un  joycu.v  rapin.  (iauchement,  il  cherche  à 
s’excuser  ; 

— Vraiment  je  suis  confus...  et  vous  avez  dû  me  trouver 
hien  familier... 

— De  quoi  me  plaindrais-je?  N’avez-vous  pas  montré 
nnc  considération  adéquate  à mon  travestissement?  J'ai,  au 
contraire  été  charmé  de  sentir  que  vous  me  teniez,  tout 
maladroit  canotier  que  je  vous  semhlais  être,  pour  un  garçon 
lie  (|uolque  intelligence  et  pas  tout  à fait  dénué  d’esprit. 

— Je  n’avais  pour  cela  qu’à  vous  regarder,  ce  n’était  pas 
hien  difficile...  Lt  vraiment,  vous  montrez  en  ce  moment 
pour  moi  beaucoup  d’indulgence. 

— Eh!  mon  cher,  rejimhc  Bèchard,  allez-vous  vous  ex- 
cuser de  ce  que  monsieur  s’est  amusé  à se  moquer  de' nous? 
Je  me  permets  de  trouver,  même,  que  lorsque  l’on  a l'hon- 
neur de  porter  l’épaulette,  il  ne  sied  guère  de  se  déguiser 
ainsi  pour  mystifier  d’honnêtes  gens  ! 

— Monsieur,  riposte  aussitôt  d’un  air  sérieux  et  d’un  ton 
de  dignité  polie  le  jeune  officier  de  vaisseau  démission- 
naire, la  leçon  serait  méritée  si  le  travestissement  et  la  petite 
comédie  auxquels  j’ai  consenti  n’avaient  pour  objet  qu’une 
mystification  puérile  et  d’un  goût  qui  peut  paraître  douteux. 
Mais  elle  manque  d’à-propos  en  la  présente  circonstance.  La 
grandeur  du  but  ennoblit  la  vulgarité  des  moyens...  Vous 
m'excuserez  de  ne  pas  vous  en  dire  davantage,  n’ayant  pas 
qualité  pour  vous  instruire  de  ce  qu’un  mieux  qualifié  que 
moi  aurait  seul  le  droit  de  vous  expliquer. 

— Croyez,  monsieur  le  baron,  s'empresse  de  dire  Ver- 
durct,  que  nous  n’avons  pas  l’indiscrétion  de  réclamer  des 
confidences  qui...  que...  Enfin,  l’important  pour  moi  est  que 
vous  vouliez  hien  agréer  mes  excuses. 

— El  vous  les  miennes  d’avoir  été  mis  dans  la  néces- 
sité de  vous  tromper  sur  la  réalité  de  mon  modeste  person- 
nage. 

— Vous  comprenez,  moi,  je  vous  prenais  tout  simplement 


LES  OHANDS  PALAIS  DT'  HOIîD  DE  t/eAL 


$ 


pour  un  ami  de  ce  diaMe  do  corps,  de  cet  intelligent  farceur 
de  Bouscastrol...  Alors... 

^ ous  ne  vous  trompiez  pas  en  cela,  monsieur.  J’ai 
I liouTieur  d être  1 ami  — et  l'ami  très  dévoué  — de  votre 
guide  si  joycusemenl  exubérant. 

— Vous,  monsieur  le  baron?...  Oh  ! mais  en  ce  cas,  voilà 
qui  me  donne  des  idées  inattendues  au  sujet  de  M.  Bous- 
castrol  lui-même.  J'en  suis  à me  demander  si  je  n’ai  pas  été, 
à son  égard,  dupe  do  quelque  illusion  semblable  à celle  où 
je  suis  sottement  tombé  vis-à-vis  de  vous... 

Le  jeune  oflicior  de  vaisseau  ne  répond  que  par  un  sou- 
rire discret  et  légèrement  mystérieux. 

— Oui,  poursuit  le  manufacturier  retiré,  vous  no  pouvez 
me  répondre.  Je  comprends...  Cela  me  donne  un  fameux 
désir  de  retrouver  votre  ami  toulousain  — s'il  est  même 
aussi  toulousain  qu  il  nous  1 a lait  croire  — et  di'  1 observ'or 
avec  moins  d’inintelligente  bonhomie... 

Je  crois  être  ci'rtain,  monsieur,  que  vous  ne  reverrez 
plus  Bouscastrol. 

— C’est  évident...  Sans  cela,  vous  n’aurii'z  rien  dit  qui 
put  ainsi  m ins[nrer  des  doutes  comme  ceux  que  je  ne  suis 
pas  assez  simple  pour  ne  pas  avoir  maintenant... 

— Voulez-vous  mon  avis.  Verdure!  ? 

— Dites,  Bôchard. 

Eh  bien,  tout  ça,  ça  n’est  pas  clair,  voilà  mon  opi- 
nion! proclame  avec  force  le  farinier,  tandis  que  sa  femme 
opine  du  chapeau,  ce  qui  met  en  lutte  sérieuse  les  deux 
roses  qui  surmontent  audacieusement  celui-ci,  pour  la  plus 
grande  gloire  de  l’art  modiste  en  la  vieille  ville  de  Coi'beil. 

Vous  m excuserez  de  n’étre  pas  plus  explicite  et  do 
vous  rappeler  que  je  suis  ici  tout  à votre  disposition  pour 
vous  guider  a travei's  le  beau  Palais  dont  le  porche  nous... 
sollicite,  déclare  Gaëtan  de  Pilbouët  en  souriant  et  en  invi- 
tant du  geste  le  gj-oupc  expositionniste  à pénétrer  avec  lui 
dans  le  grand  sanctuaire  des  Forêts,  Chasses,  Pèches  et 
Cueillettes  du  monde  entier. 

^ erduret  s incline  en  signe  d’acquiescement  et,  se  pen- 
chant vers  sa  nièce,  demeurée  muette  à son  bras  pendant 
cette  petite  scène,  lui  demande  à mi-voix  : 

— Et  toi,  fillette,  qu’est-cc  que  tu  dis  de  tout  cela? 


12 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Oh  ! moi,  mon  oncle,  j’altemls  pour  parler... 

— (J ne  lu  aies  compris? 

— Peut-èlre. 

— Je  craius,  alors,  que  lu  n'aies  pas  de  longlemps  l’oc- 
casion (le  le  délier  la  langue  ! 

— Oui  sait?  répond  évasivement  la  jeune  fille...  qui 
cache  derrière  son  mouchoir  un  fin  sourire. 

Et  Verduret,  s'adressant,  non  sans  une  évidente  défé- 
rence, au  jeune  officier  de  vaisseau  qui  semble  attendre  son 
bon  vouloir  : 

— Monsieur  le  baron,  puisque,  par  un  incroyable,  con- 
cours de  circonstances  dont  je  renonce  à percer  le  mystère, 
vous  daignez  nous  honorer  de  vos  explications,  nous  sommes 
tout  oreilles. 


§ Il 


LE  G É A N ï DE  ROIS 

— Mademoiselle,  madame  et  messieurs,  commence  l'aris- 
tocratique néo-conférencier,  je  réclame  d’abord  toute  votre 
indulgence. 

— Oh  !...  proteste  Verduret. 

— Si.  Les  paroles  que  vous  entendez  depuis  quelques 
jours  ajoutent  à l’attrait  constant  des  choses  décrites  des 
envolées  d'éloquence  et  des  ingéniosités  d’aperçus  aux- 
quelles ma  modeste  prose  n’aura  pas  la  témérité  de  pré- 
tendre. Marin  et  soldat,  je  suis  habitué  au  laconisme  précis 
des  discours  militaires.  Du  seul  intérêt  supérieur  des  choses 
montrées  découlera  pour  vous  l’intérêt  de  mes  sommaires 
('xplications.  Ainsi,  pour  ce  Palais  îles  Forêts,  Cbasses, 
l*êches  et  Cueillettes,  je  vous  dirai  que  je  le  considère 
comme  un  des  plus  beaux  de  l’Exposition  et  un  des  jilus 
« forts  » au  point  do  vue  technique  de  la  construction.  Très 
vaste,  puisque  sa  façade  sur  la  Seine  se  développe  sur 
une  longueur  de  183  mètres  et  que  sa  plus  grande  largeur 
est  exactement  de  04"' 1 0,  il  n’en  est  pas  dont  le  caractère 


13 


I.ES  GRANDS  PALMS  DU  ÜORD  DK  R KAl 


arcliiLectural  cadre  mieux  avec  la  nature  de  l'’cxposilion 
couleiiue,  et  uù  soient  mieux  utilisées  les  dil'ficultés  d’un 
terrain  présentant  deux  cotes  si  dilVérentes  (celle  de  la 
berge,  29"’().'),  et  celle  du  quai,  au-dessus  ib'  la  plate-forme 
en  ciment  armé  qui  couvre  le  chemin  de  fer  des  Mouli- 
neaux,  3')"' 90). 


l.K  Palais  diîs  Fori'ts,  Ciiassks,  Pi'ciiks  kt  Culili.iîttks. 

— Pardon,  objecte  Bècbard,  mais  la  technicité  de  ces 
chilfrcs  n'est  peut-être  pas  bien  compréhensible...  pour  ma 
femme  et  pour  la  nièce  de  mon  ami... 

— Par  exemple  ! se  récrie  Bertrande,  ce  ne  serait  pas  la 
peine  d'avoir  si  bien  écouté  le  prince  Lanrentielf  et  le  véné- 
rable centenaire  nous  parlant  des  fondations  du  Pont 
Alexandre  et  de  la  Tour  Eitfcl,  si  je  ne  savais  pas  que  la 


14 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


cote  (run  terrain  est  son  élévation  an-dessus  dn  niveau  de 
la  mer,  et  que,  par  conséquent,  la  dillérence  de  ces  deux 
cotes  citées  par  M.  de  Pilbouët,  indique  que  le  quai  est  ici 
plus  haut  que  la  berge  de  G"’ 23  ! 

— Mademoiselle,  vous  avez  des  aptitudes  mathématiques 
dignes  d’un  « listot  » de  l'Pcole  navale,  dit  en  s’inclinant  et 
en  souriant  l'ancien  élève  dn  Horda.  Vous  allez  voir  main- 
tenant avec  quelle  habileté  M.  Troncliet... 

— Tiens,  interrompt  M'”’’  Flore,  il  y a une  rue  de  ce 
nom-là  ! 

— Voyons,  biebette  ! gronde  l’époux  farinicr  en  fronçant 
ses  noirs  et  broussailleux  sourcils. 

— Madame,  dit  l’officier  avec  le  plus  beau  sérieux, 
j’ignore  si  M.  Guillaume  Tronchet,  à qui  l’Exposition  doit, 
avec  ce  Palais  des  Forêts,  Chasses  et  Pèches,  celui  de  la 
Navigation  de  commerce,  une  partie  excellemment  réussie 
de  la  plate-forme  coiffant  la  ligne  des  Moulineanx  et,  au 
pied  du  Trocadéro,  le  vaste  et  coquet  restaurant  de  la  Belle 
Meunière  — vous  voyez  qu’il  n’y  a pas  de  belles  meunières 
qu’à  Essonnes  ! — j’ignore,  dis-je,  si  M.  Guillaume  Tronchet 
est  le  moins  du  monde  allié  à la  famille  du  célèhrc  juris- 
consulte qui  prépara  les  éléments  de  la  plaidoirie  de  ]\la- 
lesherhes  défendant  Louis  XVI  devant  la  Convention  et  fut 
un  des  principaux  rédacteurs  du  Code  Napoléon  et  sénateur 
de  l'Empire;  mais  je  puis  vous  affirmer  qu’il  est  impossible 
de  confondre  l’éminent  architecte  avec  son  proéminent 
homonyme  ; celui-ci  est  mort  à Paris,  sa  ville  natale,  en 
KSÜG,  tandis  que  le  premier  est  né  à Villenenve-sur-Lot  le 
22  octobre  18G8. 

— Itein  ? calcule  Bêchard,  l’auteur  de  ces  Palais  n’aurait 
que  trente-deux  ans. 

— Trente  et  un,  s’il  vous  plaît,  jusque  vers  la  fermeture 
de  l’Exposition. 

— Ah  ça  ! M.  Picard  a donc  pris  tous  ses  collaborateurs 
au  maillot  ! 

— Oh  ! monsieur,  vous  n’aimez  pas  la  jeunesse,  à ce  qu’il 
paraît.  Que  voulez-vous,  les  organisateurs  de  cette  superhe 
Fête  humaine  ont  eu  la  faiblesse,  devant  des  diplômes  et 
des  œuvres,  d’oublier  de  consulter  les  actes  de  naissance... 
Et  il  faut  avouer  que  les  états  de  service  de  M.  Tronchet  ne 


r.Es  grands  palais  nr  hord  de  l eal 


manquenl  pas  de  quelque  éclat  artistique.  Iteçu  avec  le 
II”  3,  à dix-huit  ans,  à l'hxole  des  Beaux-Arts,  où  il  rade 
bien  vite  plusieurs  prix  et  médailles,  il  se  voit  diplômer  par 
le  Gouvernemeut  au  bout  de  six  ans  d’études,  en  1892,  eu 
même  temps  qu’il  conquiert  une  mention  liouorable  au  Salon  ; 
sacrer  Second  Grand-Prix  de  Borne  en  1899;  décerner,  en 
1895,  une  médaille  de  3''  classe  — pour  son  envoi  au  Salon 
de  « l 11  Edcn  pour  19(10  d’une  recherche  moderne  tr^s 
appréciée  — et  la  Bourse  ministérielle  de  voyage  qui  lui 
permet  de  parcourir  l’Espagne,  l’Italie,  la  Dalmatie  et  le 
.Monténégro,  d’on  il  rapporte  de  nombreuses  études  et  aqua- 
relles dont  plusieurs  sont  achetées  par  l’Etat.  A Cettigne  il 
est  fait  ollicior  de  Danilo  P'',  pour  le  monument  élevé  à' 
gloire  de  la  dynastie  monténégrine  qu’il  est  chargé  par  le 
prince  et  sa  fille,  aujourd’hui  princesse  de  Naples,  de  con- 
struire sur  le  plus  haut  pic  de  cette  ville-montagne.  Je 
passe  ta  série  de  ses  succès  dans  les  concours  d’architectes 
pour  divers  monuments  à Paris  et  en  province,  et  j’arrive 
au  concours  de  1896  pour  le  projet  d’ensemble  de  l’Expo- 
sition ; il  y obtient  une  d''  prime  et  devient  aussitôt  l’un  des 
quatre  collaborateurs  (1)  directs  de  JM.  Bouvard,  directeur 
du  service  de  l’architecture,  pour  l’élaboration  du  plan 
génénal.  Chargé  ensuite  d’élever  les  Palais  des  Forêts  et  de 
la  Navigation  de  commerce,  il  n’en  dirige  pas  moins, 
comme  attaché  à la  Direction  des  services  d’architecture, 
les  travaux  de  clôture  du  territoire  de  l’Exposition  et  de 
toutes  les  portes-guichets,  moins  deux,  celles  de  la  place  de 
la  Concorde  et  des  Champs-Elysées,  qui  sont,  comme  Bous- 
castrol  a dù  vous  le  dire,  l’œuvre  de  .M.  Binet...  Ecce  hotnu  ! 

C est  superbe  à son  âge...  .Mais  que  de  travaux  pour 
un  seul. 

11  est  juste  de  dire  qu’il  a été  aidé  dans  son  labeur 
par  un  conirère  de  grand  talent,  M.  Bey,  architecte  diplômé 
du  Gouvernement,  et  ensuite  par  ses  dévoués  inspecteurs  au 
premier  rang  desquels  sont  MM.  Toussaint  et  Goujon. 

— A la  bonne  heure!...  Je  médisais,  aussi  !... 

— Avant  de  passera  l’examen  architectural  d’ensemble. 


(1)  Les  trois  auti'cs  sont  MM.  Eug.  llénard,  Louis  .Sortais  et  Louis  Var- 
cüllier. 


k; 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


ce  (lue  nous  ferons  des  que  nous  serons  dans  l’intérieur  de 
l’édifice,  veuillez,  je  vous  prie,  jeter  un  coup  d’œil  d’ama- 
teur sur  cette  belle  porte  monumentale,  en  forme  de  grande 
niche,  dont  la  liauteur  est  de  16  mètres  avec  une  largeur 
d’arc  de  \i  mètres. 

— Cela  me  semble,  on  elfct,  d’une  ligne... 

— Très  simple  et  très  noble,  avec  son  sujet  de  Pôcbe, 
peint  par  ÎM.  Auburtin,  un  des  meilleurs  élèves  de  Puvis  de 
Cbavannes  et  de  Benjamin  Constant.  Cette  voussure  rap- 
pelle les  absides  romaines  en  mosaïques.  Ne  dirait-on  pas 
une  antique  mosaïque  d'or  se  détacbant  sur  le  blanc  de 
l’ensemble  de  la  façade,  et  cette  note  contrastée  n’est-ello 
pas  du  plus  heureux  etfet  ? 

— Ob  ! monsieur  le  baron,  fait  en  souriant  Verduret, 
votre  laconisme  militaire  me  semble  tout  à fait  artis- 
tique ! 

— Monsieur,  quoi  qu’en  disent  certains...  qui  ignorent 
plus  ou  moins  sincèrement,  je  u((  sache  pas  que  l’épaulette 
soit  exclusive  de  la  sensation  du  Beau  et  du  sentiment  de 
l’Art.  Ici,  l’Art  s’est  fait  symbolique  au  premier  chef.  Voyez, 
de  chaque  côté  de  la  porte,  ces  pylônes  couronnés  de  tètes 
d’animaux  cynégéti([ues  supportant  un  fronton  triangulaire 
faisant  couronnement  au-dessus  de  l’entrée  principale,  dont 
le  tympan  représente  une  chasse  au  sanglier  (14  mètres  de 
long  sur  d mètres  de  hauteur)  d’un  beau  mouvement,  fille 
est  duc,  d’ailleurs,  au  maître  sculpteur  Baffier.  Au  milieu 
de  cette  chasse  est  une  fière  statue  personnifiant  le  Cénie  de 
ta  Forêt,  par  M.  Badin,  et,  dominant  le  tout,  le  groupe  do 
« Deux  Cerfs  à Tballali  »,  de  Gardet,  mesurant  4 mètres  de 
haut  sur  3"'u0  de  large,  fies  deux  groupes  d’ « Animaux 
combattant  »,  que  MM.  Dagonetet  Auban  ont  placé  de  chaque 
côté  de  la  porte,  achèvent  bien  de  dire  aux  yeux  des  visi- 
teurs le  titre  même  du  Palais  : Forêts,  Chasse  et  Pèche! 

— Très  ingénieux,  mais...  il  me  paraît  que  la  Chasse  y 
domine  singulièrement  ta  Pêclie. 

— Non,  cher  monsieur.  Fonde  n'a  pas  à jalouser  ici  les 
« grands  bois  ».  L’architecte  a voulu  qu  ils  fussent  sur  le 
pied  d'artistique  égalité,  comme  le  prouve  te  soubassement 
entier  du  Palais,  qui  est  entouré  de  stalactites  et  de  pois- 
sons. 


18 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Oh  ! mais,  alors,  ce  pourrait  bien  être  la  Pèche  qui, 
maintenant,  l'emporte. 

— Pour  rétablir  l'équilibre,  des  tètes  de  cerfs  surmontent 
les  pilastres  séparant  les  baies  et,  pour  le  proclamer,  deux 
grandes  statues  placées  aux  extrémités  du  motif  central 
symbolisent,  l'une  la  Chasse  et  l'autre  la  Poche. 

— 11  n’y  a rien  à redire,  et  je  me  déclare  battu. 

— Entrons  maintenant,  si  vous  le  voulez  bien.  Ici,  ma- 
demoiselle, madame  et  messieurs,  nous  sommes  tout  sim- 
plement en  présence  d'un  chef-d'œuvre  de  construction  qui, 
malheureusement,  passe  inaperçu  pour  trop  de  visiteurs 
non  prévenus  et,  d’ailleurs,  tout  occupés  des  milliers  de 
curieuses  choses  composant  cette  exposition  si  merveilleu- 
sement complète. 

— Et,  ce  chef-d’œuvre,  c'est?... 

— L’étonnante  et  suprêmement  habile  charpente  de  ce 
Palais,  qui  est  toute  en  bois  apparent,  laissant  visibles  les 
moindres  détails.  Tout  a été  étudié  dans  ce  but,  comme 
dans  les  salles  du  moyen  âge,  et,  ici  comme  en  Norvège,  le 
bois  de  France  a été  traité  dans  la  manière  décorative.  Ces 
innombrables  pièces  de  bois  que  vous  voyez,  et  dont  Teifet 
est  si  harmonieusement  gracieux,  ont  été  combinées,  en 
leur  savant  enchevêtrement,  de  façon  si  particulière,  qu’au- 
cune de  ces  pièces,  fùt-cc  la  moindre,  ne  pourrait  être  en- 
levée sans  compromettre  la  solidité  de  l’édifice  entiei'.  C’est 
vous  dire  qu'il  n’en  est  pas  une  seule  qui  ait  été  mise  dans 
un  but  exclusivement  décoratif,  et  que  cet  cd'et  si  réussi 
réside  dans  le  seul  arrangement  de  la  charpente  utile.  Cotte 
particularité  est  une  recherche  d’originalité  des  plus  cu- 
rieuses et  absolument  unique  à l’Exposition,  où  ce  Palais 
est  le  seul  qui  ait  été  construit  de  cette  façon.  Et  il  n’y  a 
pas,  en  cette  charpente,  que  la  recherche  d'originalité  et  de 
beauté,  il  y a aussi  la  solution  élégamment  obtenue  d'un 
audacieux  problème  de  construction. 

— Où  cela  et  quel  problème?  demande  Verduret  — ce 
qui  fait  faire  la  moue  à son  ami  Bèchard.  Qu’importent, 
en  effet,  toutes  les  victoires  scientifiques  ou  artistiques  au 
roide  farinier,  dont  l'horizon  n’a  que  trois  points  cardinaux  : 
un  « quant  à soi  » féroce,  l'industrie  meunière  et  l’ambition 
politicailleuse  et  parlementaire  ? 


LES  nriANDS  PALAIS  DE  liORD  DE  L EAU 


19 


— Pour  vous  l'indiquer,  répond  l’oflicicr  de  vaisseau  de 
réserve  au  nianuracturier  retiré,  il  faut  que,  d’abord,  vous 
vous  rendiez  compte  de  la  topographie  du  Palais.  Celui-ci 
comprend  trois  parties  bien  distinctes  : 

« 1"  Le  Hall  d’Entrée,  où  nous  sommes,  formant  un  rec- 
tangle de  près  de  69  mètres  de  longueur  sur  22  mètres  de 
large,  et  construit  au-dessus  de  la  ligne  des  Moulineaux.  11 
faut  y ajouter  une  (j alerte  de  circtdalion  à couvert,  de  même 
longueur  et  de  11  mètres  de  largeur,  construite  sur  le 
chemin  de  fer  de  l’Exposition,  communiquant  avec  le  Hall 
d’Entrée,  qu'il  longe  du  coté  du  Champ-de-Mars  ; 

« 2"  Le  (Iratid  Hall,  large  de  .91 '”80,  dont  la  longueur, 
égale  à celle  du  Hall  d’Entrée,  est  cependant  portée  à 
69'”90,  si  l’on  compte  la  rotonde  entourée  du  vaste  escalier 
extérieur  montant  de  la  berge  et  qui,  sur  la  même  façade, 
fait  pendant  à l’Entrée  principale  ; 

« 9"  Le  Pc///  Hall,  longue  galerie  de  plus  de  100  mètres 
sur  25  mètres  de  large,  s’étendant  au  bord  de  la  Seine,  à la 
suite  du  Grand  Hall.  » 

— Et  le  ])roblème  résolu? 

— M’y  voici.  Le  Grand  et  le  Petit  Hall,  étant  sur  la  berge 
du  llcuve,  sont  en  contre-bas  de  6'”  90  par  rapport  au  Hall 
d’Entrée,  appelé  aussi  Hall  des  Moulineaux.  Pour  passer  de 
ce  dernier  dans  le  Grand  I lall  de  la  berge,  vous  voyez  que  l’on 
descend  un  bel  escalier  monumental  — qui,  entre  paren- 
thèses, est  décoré  d'une  toile  exquise  de  M.  Johanson,  pein- 
tre officiel  de  la  marine,  et  représentant  avec  une  réalité  en 
même  temps  qu’une  poésie  intenses  un  départ  de  grandes 
barques  de  pêche,  au  crépuscule.  Eh  bien,  le  problème  de 
construction  dont  je  parle  réside  dans  Parc  intérieur  en  bois 
séparant  ces  deux  nefs  ; il  a une  portée  de  22  mètres,  et 
c’est  la  première  fois  que  l’on  tente,  en  charpente  en  bois,  un 
arc  de  pareille  envergure.  Vous  remarquerez  aussi,  dans  ce 
Grand  Hall,  le  joli  effet  de  ces  deux  vastes  étoiles  formant 
les  deux  points  do  réunion  des  immenses  fermes  du  Hall. 
Voilà  pour  l'œuvre  architecturale  qui  est  l’objet  d’un  véri- 
table pèlerinage  pour  les  chevaliers  de  l’équerre  de  tous  les 
pays,  tant  est  vif  l’intérêt  qu’il  offre  à Leurs  Compétences. 
Passons  à ce  qui  attire  et  retient  ici  le  commun  des  mortels, 
c’est-à-dire  l’Exposition... 


20 


A travers  l'exposition 


— Après  le  conleiiant,  le  contenu. 

— C’est  cela  môme.  Ah  ! je  vous  assure  qu’il  n’est  pas  un 
seul  petit  coin  de  ce  Palais  qui  ne  captive  la  curiosité  des 
visiteurs.  Les  forêts  ! la  chasse  ! la  pêche  ! quoi  de  plus 
connu  que  ces  mots  et,  pour  la  plupart  des  gens,  surtout  pour 
des  citadins  qui  sont  ici  en  majorité,  quoi  de  plus  ignoré 
que  la  complexe  réalité  de  la  chose  ! Pour  avoir  vu,  en  pas- 
sant, des  bûcherons  jouer  de  la  cognée,  sait-on  les  travaux 
et  les  mystères  sylvestres?  Pour  avoir,  avec  plus  ou  moins 
de  bonheur,  suivi  son  chien  au  long  des  terres  labourées, 
ou  assisté  à une  battue  de  plaine  ou  de  bois,  se  doute-t-on 
de  ce  que  sont  les  grandes  chasses  des  fauves  ou  les  émo- 
tionnantes poursuites  du  chamois  ou  du  highorn,  de  pic  en 
pic,  an  long  des  précipices?  Pour  avoir  paciliquement  tendu 
1 hameçon  aux  hôtes  des  rivières  ou  exceptionnellement 
accompagné  des  ])êcheiirs  allant  faire  leur  marée  à proxi- 
mité de  la  côte,  quelle  idée  inlime  n’a-t-on  pas  des  mnt- 
liples  procédés  de  guerre  faite  aux  habitants  des  eaux,  et  sur- 
tout de  la  [)opulation  sous-marine  elle-même?  Ici,  tout  cela 
révèle  aux  yeux  attentifs  ses  secrets,  merveilleusement  mis 
en  valeur  par  le  talent  d’organisateur  de  M.  Dauhrée,  con- 
seiller d'Etat,  délégué  du  Ministère  de  l'Agricnlture  pour 
présider,  de  concert  avec  l'architecte,  aux  installations. 

« Cette  installation,  dans  le  Hall  d'Entrce  ou  des  Mouli- 
neaux  est  tout  entière  de  M.  Tronchet.  Elle  est  consacrée 
aux  Eorêts  nationales,  dont  un  grand  diorama  — au  cadre 
rustique  à souhait,  avec  ses  groupes  d'animaux,  son  bû- 
che ron  géant  taillé  dans  nn  colossal  tronc  d’arbre,  les  deux 
huttes  ouvrant  la  vue  sur  le  site  escarpé  — montre  un  coin 
de  forêt  avant  et  après  le  reboisement.  » 

— Quand  on  pense  que  la  Gaule  n’était,  pour  ainsi  dire, 
qu'une  immense  forêt  et  que  nous  en  sommes  à être  obligés 
do  reboiser  pour  faire  face  aux  besoins  Industriels,  cela 
donne  une  idée  de  la  vie  intense  et  de  l'elfrayante  somme 
de  travail  humain  dont  la  terre  féconde  de  notre  patrie  a été 
depuis  deux  mille  ans  le  théâtre  et  le  témoin!  songe  tout 
haut  Verdurot. 

— Cela  prouve  tout  simplement  que.  l'on  a eu  besoin  do 
beaucoup  de  bois  de  chauffage  et  de  construction,  riposte  le 
très  terre  à terre  et  antiphilosophique  Bêchard. 


LKS  GRANfJS  PALAIS  DL  MORIJ  UK  L KAK 


21 


— Pour  sûr,  mon  gros,  approuve  péremptoirement  sa 
moitié. 

]/officier  de  vaisseau  de  réserve  poursuit  : 

— Dans  ce  Hall  d'Entrée,  tout  est  consacré  à nos  bois 
métropolitains  et  coloniaux  de  torèts  : bois  ouvrés,  mer- 
rains,  bois  de  fente,  de  teinture,  lièges,  écorces  textiles, 
matières  tannantes,  odorantes,  résineuses,  boisselleric, 
sabots,  bouclions,  elc.  C’e't  une  complète  leçon  de  choses 
que  tous  les  forestiers  s’accordent  à trouver  supérieurement 
présentée...  Si  vous  voulez  bien,  maintenant,  descendre 
avec  moi  dans  le  Grand  Hall  de  la  berge,  nous  allons  y 
trouver,  au  rez-de-cbaussée,  d’une  part  ce  qui  concerne  le 
« Matériel  et  les  Procédés  des  Exjdoitations  et  Industries 
forestières  »,  et,  d’autre  part  les  « Engins,  Instruments  et 
Produits  de  la  pèche  ».  Voyez  ces  aquariums,  ces  collections 
de  poissons,  de  cétacés,  de  mollusques...  Et  les  perles,  le 
corail,  la  nacre,  les  éponges,  avec  scènes  de  pèche,  sans 
oublier  le  Pavillon  de  l'ostréiculture.  Avec  un  peu  d’ima- 
gination, ne  se  croirait-on  pas,  tantôt  à bord  des  A'aillantes 
barques  travailleuses,  liàlant  leur  chalut  ou  leur  lignes,  en 
bondissant  lourdement  dans  la  houle  sombre,  tantôt  dans 
les  profondeurs  de  l’abîme  des  eaux,  parmi  toute  cette  popu- 
lation si  diverse  et  si  étrange  '? 

— .le  vois  en  ell’et  quantité  de  choses  inconnues  ou  mal 
connues  de  profanes  tels  que  nous  et  qui  auraient  besoin  de 
nous  êtres  expliquées. 

— Vous  avez  raison,  monsieur  Verduret.  IMais,  sous  peine 
de  dépenser  ici  notre  journée  je  ne  pourrai  que  vous  dire,  en 
passant,  quelques  mots  bien  insulTisants.  Pour  que  vous 
appréciiez  pleinement  cette  partie  de  l'Exposition,  il  me 
faudrait  faire  votre  éducation  maritime,  vous  raconter  les 
mœurs  de  ces  mille  espèces  de  poissons,  les  habitudes  de 
pèche  qui  varient  non  seulement  avec  chaque  espèce  de 
poisson,  mais  avec  chaque  région  de  pèche,  et  cela,  je  dois 
malheureusement  y renoncer  pour  aujourd’hui.  Evidem- 
ment, des  visiteurs  à qui  on  pourrait,  ici  et  partout,  tout 
expliquer  en  détail,  quitteraient  l’Exposition — au  bout  do 
combien  de  mois?  — possesseurs  de  l’omniscience,  si  tou- 
tefois leur  mémoire  et  leur  culture  intellectuelle  permet- 
taient qu’ils  se  souvinssent  de  tout  et  fussent  capables  de 


22 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


tout  comprendre.  Mais,  c’est  un  rêve  irréalisable,  vous  le 
comprenez.  Ici,  par  exemple,  ce  serait  pendant  bien  des 
heures  que  je  pourrais  vous  parler,  rien  qu'à  propos  des 
éponges,  ou  des  perles,  ou  du  corail,  car  il  me  faudrait 
étudier  avec  vous  : pour  les  premières,  les  limites  incer- 
taines où,  au  sein  des  eaux,  finit  le  règne  animal  pour 
faire  place,  au  règne  végétal  ; pour  les  deuxiemes,  la  consti- 
tution des  mollnsques,  la  maladie  qui  provoque  la  riche 
secrétion  et  les  lieux  et  procédés  de  l'industrie  perlière  ; 
pour  les  troisièmes,  le  travail  des  madrépores  qui  nous  en- 
trainerait  à parler  de  ces  iles  remplies  de  vie  terrestre  (jui, 
un  jour,  oscillent  sur  leur  base  et  s’elToudrent  dans  l'Océan... 
Tenez,  devant  cette  morue  en  son  bocal  d’esprit-de-vin,  ne 
devrais-je  pas,  pour  être  complet,  après  vous  avoir  édifié 
sur  les  mœurs  de  ce  poisson  et  les  crises  politiques  dont  sa 
capture  a été  et  sera  cause,  vous  dire,  avec  combien  moins 
de  talent  que  mon  célèbre  « ancien  »,  Pierre  Loti,  dans 
Pécheurs  d'Islande,  Lhistoire  de  la  vie  mathurinc  sur  les 
Bancs  et  les  côtes  mauvaises,  les  drames  des  doris  per- 
dues dans  les  brouillards...  etc.  ? 

— Dommage  que  ce  ne  soit  pas  possible,  ce  serait  bien 
intéressant. 

— Ce  n'est  impossible,  monsieur  Verduret,  que  pour  la 
première  visite,  comme  celle  que  je  vous  fais  faire  aujour- 
d'hui. L'Exposition  une  fois  vue  d'ensemble,  c'est  alors  que 
l'on  devrait  revenir  sur  le  détail,  avec  un  cicerone  qui 
serait  un  spécialiste,  et  apprendre  tontes  ces  choses. 

— Oui,  je  comprends. 

— Donc,  vous  m’excuserez  de  passer  rapidement,  et  de 
vous  dire  tout  de  suite  et  d’en  bas  que  le  premier  étage  de 
ce  Grand  Hall  de  la  berge  est  consacre  à la  chasse  — peaux, 
plumes,  cornes,  ivoires,  musc,  etc.;  et  les  armes,  matériel, 
équipement,  sans  oublier  les  cueillettes,  champignons, 
trutTes,  racines,  herboristerie,  caoutchouc,  gomme,  etc..., 
tout  un  monde,  comme  vous  voyez...  — Mais,  passons  au 
long  Petit  Hall  de  la  berge.  Ici,  ce  sont,  réunies  par  pays, 
les  torèts,  chasses  et  pèches  des  nations  étrangères,  c'est-à- 
dire  comme  nn  groupement  d'instantanés  do  la  nature,  en  sa 
dore  sylvestre  et  en  sa  faune  terrestre,  Iluviale  et  maritime, 
des  régions  qui  nous  intéressent  le  plus  dans  notre  univers. 


Li;S  ClîANDS  PALAIS  Di;  DORll  DE  l'eaI, 


23 


Lest  la  Russie,  avec  ses  ours,  ses  loups,  scs  rennes...  cl  son 
caviar  frais  que  chacun  peut  goûter;  c’est  l'Amcrique  avec 
les  fauves  de  la  « Prairie  » ; c est  — e.vposition  superbe  — 
1 Autriclie-llongrie,  avec  la  faune  si  riche  (cerfs,  isards,  etc.) 
des  montagnes  du  Tyrol;  c’est...  mais  je  ii’en  finirais  pas 
et  vous  verrez  tout  cela  en  detail  au  cours  d’une  autre 
visite...  Ah!  j’ouhliais  de  vous  uoter,  au  premier  étage  du 
(irand  Hall,  la  collection  si  hautement  intéressante  des 
armes  de  chasse  de  l’empereur  de  Russie...  (Juand  vous 
reviendrez,  ce  no  sera  pas  trop  de  consacrer  une  pleine 
après-midi  à ce  Palais  dont  l'c.xposition  est  tout  un  monde. 

— Je  le  vois. 

hd  ce  Palais  si  vaste,  si  curieux,  si  réussi,  est  un  de 
ceux  qui  ont  le  moins  coi'ité  à élever  : son  budget  n'a  été 
que  de  7()(),0()(|  francs.  A propos  de  sa  construction,  un 
lait  a noter  : aucun  entrepreneur  parisien  n’a  osé  se  charger 
d exécuter  la  cliarpeute,  la  trouvant  trop  audacieuse,  et 
c est  IM.  Ihorel,  entrepreneur  à Louviers,  qui,  eu  la  réussis- 
sant de  main  de  maître,  a fait  quelque  peu  honte  à la 
pusillanimité  industrielle  de  la  capitale...  Eh  bien,  mon- 
sieur Rèchard,  je  vous  vois  plongé  depuis  un  moment  dans 
de  bien  profondes  réllexions  ; vmus  allez  sans  doute  résumer 
1 impression  que  vous  cause,  contenant  et  contenu,  la  belle 
œuvre  de  M.  Tronche!  ? 

— Oui,  répond  gravement  le  farinier.  Je  me  dis,  en  elfct, 
d après  les  chilires  que  vmus  nous  avez  donnés,  que  ce 
Palais...  couvre  une  superlicie  de  6,780  mètres  carrés  en- 
viron. 

— Ahl...  c’est  là  l’impression  que?...  C’est  un  point  de 
vue,  en  ellet,  mais...  particulier... 

— C’est  le  mien,  monsieur. 

Il  en  est  des  points  de  vues  comme  des  couleurs... 
Donc,  mailemoiselle,  madame  et  messieurs,  je  n’ai  plus 
qu  à vous  prier  de  vouloir  bien  me  suivre  au  Palais  d’en 
lace,  c est-à-dire  de  l’autre  côté  de  la  tète  du  pont  d’iéna 
sur  cette  même  rive  gauche. 

— Et  quel  est-il  ? 

— C’est  celui  de 


ri 


m- 


Peu  de  minutes  sui’lisenl  à îmlre  groupe  provincial  pour 
sortir  du  grand  Palais  de  M.  Ti-onc'mt  et,  traversant  la  place 
ou  déijouchc  le  pont  d léna,  venir  b'arrèter  devant  l’enti'éc 
principale  de  I autre  Palais  du  meme  architecte,  consacré  à 
la  Marine  du  commerce. 

— Si  vous  le  permettez,  dit  à ses  auditeurs  l’olïicier  de 
vaisseau,  nous  procéderons,  pour  ce  Palais,  diiréremment 
que  pour  le  précédent.  Je  vais,  avant  d’entrer,  vous  en 
donner  une  idée  générale  et,  pendant  que  nous  visiterons 
l’intérieur,  je  vous  documenterai,  moins  sur  ce  que  vous 
aurez  sous  tes  yeux  que  sur  la  marine  marchande  elle- 
même,  ce  que  je  considère  comme  le  seul  moyen  de  rendre 
réellement  intéressante  pour  des  profanes  cette  exposition 
maritime. 

— l*ourtant,  objecte  Bèchard,  je  jtense  que  ce  qui  est 
exposé  là-dedans  ne  fera  pas  autre  chose,  justement,  que 
de  nous  indiquer  l’état  de  cette  marine  marchande? 

— Evidemment.  Seulement,  le  langage  que  les  modèles, 
engins  et  instruments  exposés  peuvent  d’eux-mèmes  parler 

A 7RAVEHS  l’e.IPOSITION.  — T.  .\V.  — 2 5(1 


26 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


n'est  complètement  compréhensible  que  pour  les  gens  de 
mer,  et  ne  l'est  sulTisamment  pour  intéresser  les  autres  qu’à 
condition  que  ceux-ci  aient  au  moins  quelques  notions  spé- 
ciales... 

— Voyons,  Bècliard,  laissez  M.  le  baron  diriger  notre 
instruction  comme  il  l'entend.  Que  diable,  c est  ici  « sa 
partie  » et  nous  n’y  connaissons  rien  ! 

Le  l'arinier  se  redresse,  en  une  peso  digne,  et  M.  de  Pil- 
bou(-t,  sentant  la  menace  d'une  discussion  imminente,  se 
hâte  do  commencer  : 

— Pour  vous  donner  l'idée  générale  préliminaire  du 
l'alais  et  de  son  exhibition,  je  ne  puis  mieux  faire  — et  ce 
sci-a  gagner  du  temps — que  de  vous  lire  le  court  chapitre 
fort  bien  résumé  qu'y  consacre  le  Guide  Contij.  Je  n’y  ajou- 
terai que  quelques  mots  et  quelques  chilfres. 

Ce  mot  » chilfre  » produit  son  etfet  habituel  sur  le  fari- 
nier,  dont  il  flatte  la  marotte.  11  daigne  se  calmer  aussitôt  et 
consent  à écouter. 

« — Ce  Palais  (de  la  Navigation  de  Commerce)  mesure 
((  12.')  mètres  de  longueur;  il  se  compose  de  deux  grands 
« halls,  l'un  carré  situé  côté  léna,  l'autre  rectangulaire  qui 
« se  greffe  sur  le  premier. 

((  Autour  de  ces  halls  régnent  des  galeries  de  6 mètres  de 
<(  largeur,  tandis  qu'à  leurs  extrémités  se  trouvent  deux 
« escaliers  extérieurs,  dont  l’un  (côté  lona)  est  couronné 
« par  une  proue  de  vaisseau  formant  motif  principal  de 
((  décoration  »...  Ici,  tout  de  suite,  je  complète  et  rectifie  la 
description  et  les  chilfres. 

— Ah  ! ah  ! fait  Bcchard  subitement  intéressé. 

— Uum  ! voilà  qui  flatte  votre  faible?  fait  en  souriant  le 
marin. 

— Dites  mon  « fort»,  car  rien  n'est  plus  fort  que  les 
chiffres. 

— Soyez  donc  heureux.  D’abord,  le  hall  côté  léna  a 

dp’’70  de  long,  en  y comprenant  les  deux  galeries  de  (i'‘'77 
perpendiculaires  à la  Seine.  H a de  large,  en  y com- 

prenant les  deux  galeries  de  ()'’CjO  parallèles  au  fleuve,  à ous 
voyez,  par  conséquent,  qu’il  n'est  qu  à peu  près  carré.  Le. 
Grand  Hall  rectangulaire  qui  lui  fait  suite  a 80  mètres  de 
long  sur  de  large,  y compris  les  deux  galeries  Ion- 


IJOS  (iKAM33  PALAIS  DL  KORD  DK  l'eAU 


27 


gitudinalcs  du  premier  étage,  qui  ont  chacune  S^uO  de 
largeur. 

— Attendez!  N’allez  pas  si  vite!...  Je  calcule,  s’écrie  Bê- 
chard. 

Apres  un  moment  de  recueillement  et  de  silence  qu’il  im- 
pose du  geste,  il  annonce  : 

— Cela  fait,  pour  le  Grand  Hall,  une  superücie  de  2,(i8tl 
mètres  carrés,  et,  pour  l’autre  hall,  l,lü2  mètres  carrés  50. 

Donc... 

— Attendez,  à votre  tour,  pour  totaliser.  Du  côte  léna, 
ainsi  que  je  viens  de  vous  le  lire,  il  y a un  escalier...  qui 
est  en  rotonde;  Or,  cette  rotonde  se  compose  d’une  petite 
partie  rectangulaire  de  4 mètres  de  long  sur  l.’l  mètres  de 
large,  sur  laquelle  se  soude  la  partie  demi-circulaire  de 
0'"5Ü  do  rayon.  Cola  fait,  pour  la  rotonde  — car  je  crains 
que,  tout  calculateur  que  vous  soyez,  vous  n’ayez  quelque 
peine  à résoudre  l’aire  du  demi-cercle- — 118  mètres  carrés. 

— Soit,  au  total,  pour  tout  le  Palais  et  en  chiffre  rond, 
4,0Ü0  mètres  carrés. 

Parlait.  Je  continue  ma  lecture  : « La  façade  sur  la 
« Seine  comprend  douze  arcades  dont  le  style  rappelle  l'art 
« mauresque  (arc  pl-cin  cintre). 

« Dans  tes  tympans  de  ces  arcs  se  trouvent  les  ornomen- 
<■  tâtions  en  proues  de  vaisseaux  dont  les  formes  se  déta- 
« chont  en  silhouettes  sur  la  façade.  Trois  arcatures  les 
« surmontent  couronnées  par  un  oculus.  Cet  oculus  rappelle 
« les  hublots  d un  navire;  il  est  en  briques  de  verre  et  con- 
<(  stitue  un  foyer  lumineux  puissant,  grâce  à sa  forme,  qui 
« imite  celle  des  lentilles  de  phare. 

« Les  arcatures,  groupées  trois  par  trois,  sont  coupées  par 
« des  pylônes  couronnés  par  des  mats  de  pavois.  Le  motif 
« principal  (façade  Seine)  se  compose  d’un  grand  arc  dont 
« ta  décoration,  divisée  en  cinq,  symbolise  les  cinq  parties 
« du  monde.  A droite  cl  à gauche  de  cet  arc,  deux  grands 
« pylônes  surmontés  chacun  d’une  galère  antique  armée  de 
« rames  et  surmontée  d’une  Renommée  ailée.  Le  motif  le 
« plus  original  de  ce  Palais  est  la  proue  de  vaisseau  de 
« 1 escalier  (côté  léna).  Une  grande  sirène,  se  détachant  de 
« la  guibre  du  navire,  souille  dans  une  conque  marine, 

« tandis  qu’au-dessus  d elle  une  lanterne  monumentale  se 


Pl.AN  DU  Pavillon  de  la  Navigation  de  Co.mmehce. 


((  dresse  élégante  vers  le  ciel,  digne  couronnement  d'une 
K telle  composition.  Cela  rappelle  un  peu  le  gem’e  des 
<(  oeuvres  marines  du  Cuget.  Ce  motif  se  termine  sur  la 
« façade  par  deux  figui’es  décoratives  représentant  Neptune 
« et  une  Naïade.  Des  rames  complètent  cet  ensemble,  qui, 
« avec  l'escalier  à jour,  forme  une  extrémité  de  Calais  vrai- 
« ment  très  intéressante. 

(<  L’autre  extrémité  du  Palais  consiste  en  un  motif  de 
« lanterne,  sorte  de  tourelle  de  signaux  surmontée  d'un 
« mât  de  pavillon.  Le  Palais  do  la  Navigation  a la  particu- 
<(  larité  de  se  trouver  sur  la  berge  et  d'avoir,  vers  la  Seine, 
« une  iaçade  avec  soubassement,  tandis  que,  sur  le  quai,  il 
« n’y  a qu’un  seul  étage. 

« A 1 intérieur,  tout  est  construit  en  bois  apparent;  le 
« dôme  se  compose  de  quatre  grands  arcs  en  bois  mou- 
« liiré  et  d'une  tonalité  rappelant  celle,  des  aménagements 
« de  yacbts.  Au  rez-de-chaussée,  la  navigation  française 
« occupe  sous  le  dôme  la  place  d'honneur;  la  classe  dd 
« (matériel  de  la  navigation  de  commerce,  dessins  et  mo- 
« dèles  de  bâtiments,  canots,  appai’eils  moteurs,  yacbts  et 

embarcations  de  plaisance,  navigation  sous-marine,  etc.); 

« 1 Allemagne,  les  Ltats-Unis,  la  Russie  et  suidout  l'Angle- 
0 terre  y sont  représentés,  fbirmi  les  objets  exposés  dans  ce 
« palais,  il  iaut  signaler  les  canots  insubmersibles  de  dilfé- 
« rents  modèles  et  les  engins  de  sauvetage  dont  on  se  sert 
» actuellement,  admirables  inventions  des  hommes  pour 
« essayer  d arracher  aux  Ilots  leurs  trop  nombreuses  victi- 
« mes.  Tout  est  intéressant,  d'ailleurs,  comme  tout  ce  qui 
« se  rattache  aux  choses  de  la  mer. 

« Au  premier  étage,  aux  galeries  du  bail  rectangulaire, 

« les  expositions  étrangères  de  l’Italie,  de  l’Angleterre,  des 
« Pays-Bas,  de  l’Autriche  et  de  l’Espagne. 

« 11  est  intéressant  de  remarquer  que  la  décoration  de 
« toute  la  façade  est  essentiellement  maritime  : des  cor- 
« dages,  des  ancres,  des  agrès  s’y  mélangent  et  s’y  enla- 
u cent  d heureuse  façon  ».  Voilà  l’explication  du  guide... 

— Pourquoi  avez-vous  souri  en  lisant  certains  passages. 

— 11  faut  m’excuser,  monsieur  Verduret.  Un  marin  ne 
peut  lire  une  description  de  choses  maritimes  écrite  par... 
un  terrien  sans  être  souvent  amusé  par  des  impropriétés  de 


30 


A TRAVERS  l’eXPOSITTON 


termes  qui  lui  semblent  bizarres.  Mais,  passons,  puisque 
c’est  à des  terriens  que  j'ai  riionneur  de  m'adresser  et  à 
qui,  autant  que  je  le  pourrai,  je  m’appliquerai  à parler  en... 
terrien. 

— Pardon  — fait  Bccliard  qui  a écouté  à peine  ces  der- 
niers détails,  pour  lui  peu  intéressants,  et  s’est  absorbé, 
depuis  un  moment,  dans  une  méditation...  chillrée  — par- 
don, mais  le  total  des  dimensions  que  vous  nous  avez  indi- 
quées pour  les  deux  halls  et  la  rotonde  ne  donne  que 
119"' 30  et  non  12.3  mètres. 

— Voyez  ma  négligence  : j'ai  oublié  de  vous  dire  que 
l’escalier  de  l’extrémité  opposée  à la  rotonde  s avance  de 
.3"' .30  hors  du  Palais. 

— ■ Voyons,  mon  cher,  dit  Verduret  impatienté,  laissez- 
nous  un  peu  tranquille  avec  vos  chilTres.  Je  suis  sûr  que 
M.  le  haron  a à nous  entretenir  de  choses  moins...  terre  à 
terre. 

— J’ai  à vous  dire,  en  ell'et,  que  pour  le  style  architcc- 
lural  de  ce  palais  nautique,  M.  Tronche!  s’est  inspiré  du 
style  norvégien  — la  charpente  apparente  do  l’intérieur  va 
en  faire  foi  à vos  yeux  — et  aussi  de  l’architecture  de 
Venise.  11  suffira  pour  vous  en  convaincre  de  contempler 
l’œuvre  de  l’autre  rive  du  tlcuve  ou  bien  en  passant  à bord 
d'un  bateau  parisien;  vous  verrez  si  ces  ogives  des  fenêtres 
se  réllétant  dans  les  ondes  — prcs{|ue  clarifiées  maintenant 
— do  la  Seine  n’évoiiuent  pas  l'idée  d’un  passage  en  gon- 
dole au  long  du  (irand  Canal...  Et  maintenant,  ce  que  j’ai 
à vous  dire  surtout,  c’est  le  pénible  état  do 


§ n 


L A V A 1 L r.  A N T E -M  A E A H E 

— Qu'est-ce  que  c’est  que  ça? 

— Hélas  ! c’est  notre  marine  marchande.  De  la  visite  que 
vous  allez  faire  avec  moi  de  l’exposition  technique  contenue 
dans  ce  Palais,  cette  vérité  douloureuse  — au  courant  de 
laquelle  tous  les  Français  devraient  être,  car  de  la  con- 


ndissancc  naîlrail  1 inLorct,  et  de  1 intérêt  de  tous  peut-être 
le  remi'de  de  cette  visite,  dis-je,  1 état  de  notre  marine 
ne  ressort  pas  pur  la  simple  comparaison. 

Alors,  cette  exposition  est  mal  comprise. 

Non  pas,  monsieur  Bècliard.  Et  vous  allez  en  ju^cr. 
Cette  exposition  porte  : E Sur  Irs  ma/ièros  premières  el  ma- 
lériaitx  spécialemenL  appropriés  à la  constraclion  el  àl' arme- 
ment des  navires  e!  haleaux.  Sous  ce  rapport,  vous  verrez 
que  nous  no  le  cédons  en  rien  aux  autres  nations  et  pour- 
tant notre  marine  marchande  n occupe  qu'un  pauvre  rano" 
bien  loin  derrière  l'Angleterre  et  l’xVllemagne.  ^ 

— Je  ne  m’explique  pas... 

— Attendez,'  monsieur  Bêcliard.  Cette  exposition  porte  : 
lE'  Sur  l outillage  spécial  pour  chantiers  de  constructions 
navales  et  pour  ateliers  de  construction  de  machines  marines. 
Or,  notre  outillage  est  parfait,  s’il  est  reslreint,  les  chan- 
tiers étant  rares  et  construisant  peu  de  coques  à la  fois;  et 
en  ce  qui  concerne  nos  machines  marines,  je  n'ai  besoin 
(]uc  de  nommer  les  générateurs  « Belleville  »,  les  chau- 
diiies  a([ uatu hu  1 aires  « du  leinple  » et  les  généi’alcurs 
inexplosihies  « Niclaussc  > , qui  sont  installés  à bord  d'un 
gland  nombri'  do  navires  tie  guerre  et  de  commei’ce  de 
toutes  les  marines  européennes,  annudeaines  et  asiatiques, 
pour  montrer  qu  à ce  point  de  vue  encore  nous  tenons  la 
tête,  sous  le  rapport  de  la  (|nalité  de*  nos  ingénieurs  méca- 
niciens. 

Eh  mais,  lait  Verduret,  ce  n’est  déjà  pas  si  mal,  cela! 

^ Attendez  ! Cette  exposition  porte  : Il  b'  Sur  les  dessins  et 
modèles  de  liaùments  el  haleaux  en  tous  genres  usités  jjour 
les  transjjorts  marilimes  et  fluviaux,  et  les  spécimens  d'amé- 
nagement de  ces  hatimenls  el  haleaux.  Si  j’avais  le  temps 
et  surtout  si  ce  n’était  m’engager  sur  un  terrain  où  votre 
ignorance  de  1 art  des  constructions  navales  vous  empêche- 
rait de  me  suivre,  je  vous  parlerais  en  détail  des  superbes 
voiliers  à cinq  nifiLs  de  la  maison  Bordes,  du  peu  qui  reste 
de  robustes  barques  de  pêche  non  désarmées  par  la  concur- 
rence des  barques  à vapeur  — ràcleuses  dévastatrices  des 
fonds  marins  — et  des  qualités  marines  de  nos  grands 
paquebots,  ainsi  que  do  nos  excellents  canots  el  emhar- 
calions  de  service,  à voile,  à vapeur  et  à avirons.  Je  n'ai 


32 


A TRAVERS  l’eXPOSUTON 


rien  à dire  des  remorqueurs  et  loueurs  dont  les  modèles  et 
dessins  sont  exposés,  ne  m’étant  jamais  occupé  de  naviga- 
tion fluviale,  dans  la  métropole,  du  moins.  INlais  vous  verrez 
qu’en  ce  qui  concerne  les  appareils  moteurs  des  navires  et 
bateaux  et  leurs  accessoires  (générateurs,  bouilleurs,  éva- 
porateurs,  récupérateurs,  liltres  pour  eaux  alimentaires, 
machines  motrices,  appareils  do  condensation,  propulseurs, 
machines  auxiliaires,  pompes,  régulateurs  du  mouvement, 
indicateurs  du  sens  de  la  marche  et  de  la  vitesse,  compteurs 
détours,  dispositions  contre  l'incendie,  etc.,  etc.  ),  que  pour 
rarmement  (treuils,  palans,  chaînes,  ancres,  aussières,  gre- 
lins, etc.;  appareils  cà  gouverner,  transmetteurs  d’ordres, 
mécanismes  pour  la  manœuvre  des  voiles;  leux  de  posiUon, 
de  signaux;  distillateurs,  appareils  d'éclairage,  de chaufl'age, 
d’aérage,  de  venfilation  ; ceux  pour  la  production  et  l’em- 
ploi de  l'électricité  à bord;  appareils  l'rigoriliques  ; instru- 
ments de  précision  et  d'horlogerie  marins  ; pavillons  et 
signaux;  mobilier  spécial,  etc.),  nous  n avons  à nous  guidci 
sur  personne.  Je  ne  vous  dis  rien  maintenant  de  la  navi- 
gation de  plaisance,  qui  a exposé  les  modèles  de  quelques- 
uns  de  ses  racers,  ainsi  (pic  des  embarcations  absolument 
supérieures  oi'i  les  trop  rares  Parisiens  amateurs  de  sport 
nautique  vont  occuper  leurs  loisirs  a manier  très  finement 
la  barre  et  l'écoute  ; nous  en  causerons  tout  à l'heure,  à 
propos  de  son  « Port  » sur  la  Seine.  J ajouterai  seulement 
cfue  notre  matériel  de  sauvetage  (bateaux,  porte-amarres, 
lignes,  va-et-vient,  lilagc  de  1 huile  a la  mer,  etc.,  etc.)  est 
de  tout  premier  ordre  et  le  prouve  par  le  nombre  de  maiins 
et  de  navires  sauvetés  chaque  année  par  les  postes  semés 
le  long  de  nos  côtes.  J’ajouterai  encore  que  nos  marins  du 
commerce  — que  je  connais  bien,  puisqu  ils  ont  tous  fait 
leur  ((  service  à l’Etat  » — ne  sont  en  rien  inlcrieurs  pio- 
l'essionnellement  aux  fils  d’Albion  et  leur  sont  pour  beau- 
coup supérieurs  en  qualités  morales... 

— iMais  alors,  encore  une  fois,  je  ne  comprends  pas,  avec 
tant  de  perfections  de  toutes  sortes,  le  ton  apitoyé  que  vous 
avez  pris  en  parlant  de  notre  marine  marchande  ? 

— Comment  ne  m’apitoyerais-je  pas  sur  elle,  monsieur 
Hôchard,  lorsque,  avec  tout  ce  qu  il  faut  pour  vivre,  a\ec 
toute  sa  vaillance,  elle  est  malade  au  point  que  les  cœuis 


I-ES  ghands  palais  du  iiord  dp  [/pal 


33 


l'rançais  se  serrenl  en  consLatant  l’ellroyalile  rapidité  de  sa 
niarclie  vers  l’ancantissemont  relatif? 

— A quoi  voyez-vous  cola  ? 


Ilelas!  a ce  simple  fait  que,  si  vous  vous  trouvez,  au 
moment  du  plein,  sur  la  jetée  d’un  de  nos  grands  ports  de 
commerce,  sur  dix  navires  qui  entreront,  il  y en  aura  six 
anglais,  deux  de  nations  diverses  et  tout  juste  deux  français. 
Ce  sont  les  marines  étrangères,  surtout  la  marine  anglaise. 


A TRAVERS  l’exposition 


ai 


qui  nous  apportent  le  fret  d’importation  et  remportent  pres- 
que seules  nos  produits  d’exportation. 

— Et  que  font  donc  nos  navires? 

Ils  disparaissent  peu  à peu,  ne  pouvant  lutter  contre 

la  concurrence. 

— Mais,  pourquoi  ? 

— Je  vais  vous  expliquer  : nos  matières  premières  de 
construction  sont  excellentes,  mais  chères;  chère  est  aussi 
la  main-d’œuvre  chez  nous.  En  sorte,  qu’un  armateur  qui 
commande  un  navire  à nos  chantiers  — qui  travaillent  très 
bien,  mais  lentement,  ne  pouvant  entretenir  un  nombreux 
personnel  pour  do  rares  commandes  — attend  son  navire 
bien  plus  longtemps  et  le  paye  beaucoup  plus  cher  que  s’il 
le  fait  faire  sur  un  chantier  anglais.  Il  s’ensuit  que,  pour 
récupérer  l’intérêt  de  son  capital  et  en  obtenir  l’amortis- 
sement, il  est  forcé  de  majorer  le  prix  de  la  tonne  de  fret, 
et  que  le  commerçant,  trouvant  infiniment  plus  d’avantage 
à faire  transporter  ses  marchandises  par  des  navires  anglais, 
s’adresse  .à  eux. 

11  n’v  a donc  pas  moyen  de  compenser  cette  concur- 
rence? 

— L’Etat,  monsieur  Verduret,  alloue  des  primes  à la 
construction  qui  ramènent  le  prix  d’un  navire  a un  taux 
pas  trop  supérieur  à celui  des  chantiers  anglais...  ou  alle- 
mands. Mais,  reste  la  durée  du  travail,  qui  se  chiflre  par 
une  perte  d’intérêt  du  capital  immobilisé,  et  reste  aussi 
l’excédent  de  frais  provenant  des  exigences  de  solde  de 
l'équipage.  Car,  cher  monsieur,  nous  nous  trouvons  en  pré- 
sence de  cette  anomalie  bizarre  : dix  mille  inscrits  mari- 
times français  naviguent  sur  des  hiitiments  anglais,  parce 
qu’ils  ont  refusé  de  naviguer  sous  pavillon  tricolore  aux 
prix  que  leur  offraient  les  capitaines.  Eh  bien  ! ces  marins 
— qui,  en  cas  de  guerre  avec  l’Angleterre,  seraient  dix  mille 
prisonniers  tout  trouvés  — acceptent  sur  les  navires  anglais 
une  solde  inférieure  à celle  qu’ils  ont  refusée  de  nos  capi- 
laines. 

— C’est  absurde  ! 

— Les  revendications  ouvrières  ne  sont  pas  toujours  mar- 
quées au  sceau  du  plus  pur  bon  sens,  vous  devez  vous  on 
être  plus  d'une  fois  aperçu  au  cours  de  votre  carrière  de 


mamifacliirier.  Toujours  est-il  que,  on  dépit  de  primes  in- 
suilisantes  et  qui,  armateur  et  constructeur  chercliant  à 
toujours  tirer  à soi  la  couverture,  se  trouvent  aller  ((ucl- 
quefois  à l’encontre  du  but  proposé,  notre  marine  marchande, 
plus  chargée  de  ti’ais  — que  j'appellerai  d'exploitation  — 
que  SOS  concurrentes,  continue  à péricliter  et  marche  vers 
une  disparition  totale. 

-Mais,  à ce  compte-là,  que  doit-on  dire,  dans  le  monde, 
de  voir  do  moins  en  moins  le  pavillon  français  sur  les  mers  ? 

— Rien  de  lavorahle  à notre  pays,  évidemment.  Et  croyez 
bien  que  le  prestige  que  donne  à l’Angleterre  la  vue  de  son 
pavillon  sur  tous  les  points  du  globe  produit  un  effet  moral 
(jui  est  pour  beaucoup  dans  son  omnipotence  sur  tant  de 
terres  de  notre  planète. 

Sapristi,  il  faut  a tout  prix  empocher  notre  marine 
marchande  de  disparaître  ainsi  ! C’est  capital,  cela!  11  n'y 
a donc  pas  un  moyen  ? 

— Si,  monsieur  Vorduret,  il  en  est  un  qui  eût  été  depuis 
longtemps  mis  en  œuvre  si  nos  représentants,  au  lieu  de 
laire  de  la  misérable  politique  d’intérét  électoral,  se  don- 
naient la  peine  d'éclairer  leur  ignorance  et  de  faire  de  la 
grande  politique  française. 

— Que  faut-il  donc  faire? 

Donner  à la  hrance  la  flotte  militaire  Nécessaire  et  cela, 
en  vingt  ou  vingt-deux  mois  au  plus,  ce  qui  n’a  rien  d’uto- 
pique, vous  pouvez  en  croire  un  marin.  Je  vous  en  dirai  un 
mot  quand  nous  serons  à « l’Armée  de  mer  ». 

— Pardon,  objecte  Bèchard,  mais  vous  sortez  de  la  ques- 
tion. 11  ne  s’agit  pas  de  la  Hotte  de  guerre,  mais  de  la  ma- 
rine marchande. 

Celle-ci  serait  sauvée  par  ce  grand  effort  militaire.  La 
plus  grande  cause  de  son  mal  est,  je  viens  de  vous  le  dire, 
dans  la  cherté  et  la  durée  des  constructions.  Or,  pour  nous 
donner  en  moins  de  deux  ans  tous  les  navires  dont  notre 
marine  militaire  a besoin  pour  pouvoir  parler  haut  quand 
1 Angletej  re  crie,  1 I^tat  serait  forcé  de  confier  la  plus  lourde 
part  de  la  tâche  à l’industrie.  Nos  grands  chantiers  pren- 
draient, du  fait,  un  immédiat  développement  en  matériel  et 
en  personnel  qui,  la  commande  de  l’Etat  achevée,  leur  per- 
mettrait de  construire  vite,  beaucoup  et  à bien  meilleur 


3(i  A TRAVERS  l’exposition 


marché  pour  les  armateurs.  Ceux-ci,  dès  lors,  trouvant  eiirm 
l’emploi  rémunérateur  de  leurs  capitaux  tout  eu  abaissant 
le  prix  du  fret  de  façon  à entrer  en  concurrence  avec  les 


GRAMI  MO  ril'  IIKCORATIK  DU  l*AVll,l-ON  DF,  1,  \ MaRINF,  ALI.EMANDE. 


marines  britannique  et  allemande,  inomleraient  les  dits 
chantiers  de  commandes,  et  la  marine  marchande,  cette 
pépinière  indispensable  du  personnel  de  la  Hotte,  ainsi 


IJ’S  (iRANDS  PALAIS  DT  lifIRD  DK  I,  KAK 


37 


régénérée,  montrerait  de  nouveau  le  pavillon  tricolore  à coté 
du  //r//.'  d'Alldon  dans  tous  les  ports  du  monde.  Hélas  ! qui 
donc  pourra  faire  comprendre  cette  élémentaire  véi'ité  anx 
maîtres  actuels  de  notre  bourse?  11  faudrait  qu’elle  ])éné- 
Iràt  le  [lays  et  que  l’opinion  publique  l’imposât...  Mais  ces 
questions  maritimes  sont  si  étrangères  aux  Français  de  la 
terre  que  je  n’ose  l’espérer...  du  moins  avant  qu’il  soit  trop 
tard,  c'est-à-dire  avant  que  notre  voisine  insulaire,  qui  sait 
le  danger  économique,  au  point  de  vue  anglais,  d’une 
grande  marine  marcbande  française,  n’ait  atteint  son  but 
qui  est  de  détruire  au  plus  vite  notre  puissance  navale 
actuellement  trop  faible  etd’empècher  pour  longtemps,  par 
contre-coup,  le  relèvement  de  notre  Hotte  de  commerce. 

— (le  serait  là  un  i-emède  qui  conterait  cher  ! 

— A peine  plus  d’un  demi-milliard,  s'il  est  a|)pliqué 
avec  énergie,  rapidité  et  compétence.  Mais,  le  diable,  c'est 
que,  pour  pi'escrire  le  remède  et  assurer  son  exacte  applica- 
tion, au  lien  d'un  bon  médecin  sachant  ce  qu’il  fait  et  le 
voulant  fermement,  nous  avons  deux  aréopages  de  docteurs 
consultants  qui  ignorent  le  premier  mot  de  la  nature  du  mal, 
de  la  complexion  du  malaile  et  qui  sont,  surtout  en  ce  cas 
particulier,  au  coui’ant  de  l'art  qu’ils  ont  mission  de  prati- 
quer autant  qu'un  cocher  de  tiacre  que  l'on  ferait  descendre 
de  son  siî'ge  pour  le  charger  de  conduire  incontinent  b' 
rapide  de  Faris-llordeanx  ! Dans  des  questions  si  graves  et 
si  complexes  où  les  amiraux,  après  s’être  longinmient  con- 
sultés, éprouvent  des  hésitations,  c’est  un  avoué  du  Midi, 
joint  à un  viticulteur  du  Centre  et  à un  drapier  du  Nord  qui 
décident  souverainement  : ne  connaissant  rien  à ce  qu'on 
leur  demande,  ils  décident  le  moins  qu'ils  peuvent  pour 
que  leurs  électeurs  ne  puissent  les  accuser  de  s’ètn'  trop 
engagés. 

— Ibirdon,  monsieur:  la  Chambre  et  le  Sénat  sont  com- 
posés d’hommes  sages  et  pondérés  qui... 

M.  de  Pilbouët  coupe  la  parole  au  pontiliant  farinier  et, 
s’adressant  à \"erdurct  : 

— Tenez,  la  preuve  matérielle  que  le  régime  des  assem- 
blées aussi  nombreuses  que  souveraines  et  des  gouverne- 
ments aussi  durables  que  les  brises  folles  et  incertaines  de 
l'été  est  néfaste  à une  œuvre  comme  celle  dont  je  parle, 


A travers  l exposition 


.S8 


cette  preuve  est  à quelques  pas  de  nous.  Derrière  le  Palais 
de  la  Navigation  de  commerce,  voyez-vous  ce  phare? 

— Là  où  on  voit  extérieurement,  comme  décorations 
enluminées,  des  marins,  dos  bateaux,  des  cordages,  des 
ancres  ?... 

— Oui.  C'est  le 


§ ni 

P A V I L I.  O N A N N E X E D E L A AI  A RIXE  AELE  AI  A N D E 

— On  ne  pourra  pas  dire,  à son  sujet,  que  le  Pavillon 
trompe  sur  la  marchaudise!  s'écrie  rondement  l’oncle  de 
Bertrande  qui,  tout  en  s’intéressant  vivement  aux  sérieuses 
explications  de  l’aristocratique  cicerone,  ne  laisse  pas  que 
de  regretter  un  peu  les  boutades  du  joyeux  Bouscastrol  et  les 
aperçus  souvent  piquants  du  centenaire. 

Et  il  ajoute  : 

— Un  phare,  voilà  qui  est  marin,  ou  je  ne  m’y  connais 
pas!  .le  m’étonne  que  iM.  Tronchet,  pour  compléter  l'orne- 
mentation symbolique,  proues,  hublots,  mâts  de  signaux, 
avirons,  etc.,  de  son  Palais  de  la  Navigation  de  commerce, 
n’ait  pas  eu  l'idée,  qui  vraiment  s’imposait,  d’élever  un 
phare  à la  place  de  son  dôme  qui  est  on  ne  peut  moins  ma- 
ritime. 

— Aussi,  l’a-t-il  eue,  cette  idée,  cher  monsieur. 

— Et  il  y a renoncé? 

— Par  politesse  internationale.  Le  phare  que  comportait 
son  plan  primitif  eût  masqué  celui  de  M.  Georges  Thielen 
et.  comme  à titre  de  Français,  il  était  chez  lui,  il  a eu  la 
délicatesse  de  se  gêner  pour  ne  pas  déranger  le  projet  de 
l’architecte  hambourgeois,  notre  hôte.  Le  Pavillon  de  la  ma- 
rine allemande,  haut  de  40  mètres,  construit  par  M.  Thie- 
len, est  une  reproduction  du  phare  de  Rothesand,  situé  à l'ein- 
houchure  du  Wéser...  extérieurement,  du  moins,  car  les 
trois  étages  de  l’intérieur  rappellent  les  vieilles  habitations 
des  côtes  de  la  Baltique. 


î' 


LES  flRA^■DS  PALAIS  DU  MORD  DE  l’eaL 


3!) 


— C’est  absolu  que  c'est  un  vrai  phare  : il  n’y  a pas  que  la 
tour;  il  y a bel  cl  bien  une  lanterne...  réelle  ou  imitée,  car, 
à rCxposition  on  ne  sait  jamais. 

— Toutee  qu’il  ya  de  plus  réelle,  monsieur  Verduret.  Elle 
est  munie  d’un  puissant  loyer  électrique  qui  lui  permet,  sinon 
d’éclairer  la  route  de  navires  absents,  du  moins  de  jouer 
brillamment  son  rôle  dans  les  féeriques  illuminations  noc- 
turnes de  celte  grandiose  fête  du  génie  humain.  xV  l’inté- 
rieur, ce  qui  appelle  immédiatement  les  regards,  c’est  un 
motif  décoratif  central  de  proportions  géantes  ; le  dieu 
1 hor  soulenatil  le  Monde  par  son  souffle.  Cette  gigantesque 
composition  de  statuaire,  exécutée  par  M.  Bommer  sur  un 
dessin  de  M.  \\  enk,  a été  érigée  dans  ce  Pavillon  à la  de- 
mande expresse  des  exposants  allemands...  C’est  l’ivresse 
de  la  « grandeur  »,  et  cela  porte,  sans  contredit,  sur  le  pu- 
blic cosmopolite.  Dans  le  même  ordre  d’idées,  une  très  re- 
marquable (étant  colossale  pour  un  modèle)  coupe  du  vapeur 
« Deutscbland  »,  de  la  Compagnie  llambourgeoise-Améri- 
caine.  Ce  qui  est  autrement  instructif  et...  inquiétant, 
quoique,  a première  vue,  cela  ressemble  à un  grand  joujou, 
c’est  « la  Hotte  en  miniature  de  la  Compagnie  “Norddeut- 
schen  Lloyd”  ».  Ouel  elfrayant  développement  a pris  depuis 
quelques  dix  ans  la  (lotte  allemande  (les  grands  courriers 
des  mers.  Les  transatlantiques  teutons  viennent  drainer 
jusque  dans  nos  ports  les  voyageurs  et  les  marchandises 
pour  1 Amérique.  Dr„  la  Hotte  de  commerce  en  général  a 
suivi  une  progression  parallèle,  prenant  sur  les  océans,  en 
concurrence  avec  l’Angleterre,  la  place  que  de  plus  en  plus 
nous  abandonnons...  Et  savez-vous  pourquoi  cette  prospérité 
croissante  chez  eux  en  regard  de  la  non  moins  croissante 
décadence  chez  nous?...  Tout  simplement  parce  que  dans  cet 
emiiire  fédéral  où  le  parlementarisme  n’existe  que  comme 
garantie  pour  les  royaumes  annexés  et  comme  régulateur 
de  la  machine  gouvernementale,  il  existe  une  volonté  qui 
est  une  et  souveraine,  et  dont  le  but  ne  peut-être  que  la 
grandeur  de  l'Empire  dont  dépend  la  puissance  de  l’Empe- 
reur. Cette  volonté,  dont  l’absence  fait  la  faiblesse  de  notre 
régime  politique  pour  le  bien  du  pays,  est  constamment 
tendue  — la  force  sur  terre  ayant  atteint  son  maximum  d’in- 
tensité — ■ vers  le  développement  maritime,  militaire  comme 


■ -s' 

i A 


Cf 

i.-o  fi 


i' 


m 


40 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


commercial.  Tant  que  nous  n’aurons  pas,  chez  nous,  une 
volonté  similaire,  res[)onsahle  vis-à-vis  de  la  Nation  seule, 
contre-balançant  la  souveraineté  d'assemblées  de  fait  irres- 


I.E  PaVII.I.ON  de  I.A  MaHINE  MAliCMANTlE  Al.l.EMANHE. 


ponsables  et  que  dominent  trop  les  calculs  électoraux,  l'eltort 
marin  militaire  entraînant  le  réveil  de  l’industrie  do  la 
construction  navale  pratique  ne  sera  pas  tait;  tandis  que 
les  Fasboda  et  le  préjudiciable  effacement  dans  les  grandes 


LIvS  C.RANDS  PARAIS  DP  liOliD  DR  I,  EAU 


41 


crises  loinlaincs,  comme  celle  de  Chine,  se  répclci'onl  à 
notre  grande  Immiliation,  notre  marine  de  commerce  achè- 
vera de  descendre  an  rang  de  celles  des  petits  états. 

— Oh!  fait  ironiquement  le  farinier,  réserve  et  espoir  , 
d'nne  future  législature,  je  vois  — ce  qui  était  indiqué  — 
que  monsieur  le  baron  est  réactionnaire  ! 

— Monsieur,  répond  en  souriant  l’oflicier  de  vaisseau,  un 
militaire,  même  rendu  partiellement  à la  vie  civile,  sc  doit 
de  se  tenir  en  dehors  de  toute  politique  intérieure.  Il  n’en 
a que  plus  d’indépendance  et  de  clairvoyance  pour  juger 
des  grands  intérêts  techniques  et  vitaux  du  pays.  Je  n'ai 
fait  que  traduire  la  leçon  de  choses  que  nous  donne,  au 
point  de  vue  de  la  navigation  de  commerce,  l’exemple  alle- 
mand fourni  par  cette  Exposition. 

— Cardon!  Vous  touchez  à l'arche  sainte  de  la  représen- 
tation nationale! 

— J'indique  simplement,  preuve  à l’appui,  la  nécessilé 
])Our  notre  relèvement  maritime,  d’une  volonté  unique  et 
[lolitiquement  forte,  agissant  avec  une  continuité  d'effort  et 
avec  line  compétence  technique  personnelle  ou  acquise  de 
conseillers  qualifiés.  Je  ne  m’inquiète  pas  du  nom,  du  titre 
ni  de  l'habit  de  cette  Volonté  nécessaire  — cela  serait  de  la 
politique.  Je  constate  un  fait,  un  mal,  un  remède  et,  si  je 
m'émeus,  c'est  qu’il  est  vraiment  désolant  do  voir  un  pays 
0(1  bouillonnent  tant  do  forces  vives  user  stérilement  son 
énergie  et  l'or  né  de  son  travail,  sans  que  son  laborieux  ef- 
fort, mal  utilisé,  l’élève  dans  le  monde  à la  place  qu’il  mé- 
rite et  qui  doit  être...  et  fut  sienne  !.. . Mais  voilà  qu’entraîné 
par  le  grave  intérêt  d'un  tel  sujet,  je  m’écarte  du  laconisme 
dont  je  me  suis  fait  une  loi.  Excusez-moi  et,  pour  compen- 
ser le  temps  que  je  me  suis  laissé  aller  à vous  prendre,  tra- 
versons, sans  nous  arrêter,  ce  Palais  de  la  Navigation  du 
commerce  que  maintenant  vous  visiterez  à loisir  et,  j’espère, 
avec  le  ferme  propos  de  répandre  autour  do  vous,  une  fois 
rentrés  en  vos  pénates,  la  vérité  qu’il  faut  que  chacun 
sache  concernant  le  triste  état  de  notre  marine  marchande 
et  l'elfort  d’oi'i  doit  naître  sa  renaissance. 

Tandis  que  le  groupe  traverse  longitudinalement  le  Palais, 
tout  en  jetant  de  droite  et  de  gauche  des  regards  intéressés, 
l’ofticier  cicerone  lui  apprend  : 


42 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


— H y a encore,  voisines  de  celle  de  la  marine  allemande, 
d’Hutres  annexes  étrangères  d'où  vous  pourrez,  par  compa- 
raison, tirer  de  sérieux  enseignements.  Telles  sont,  par 
exemple,  le  Pavillon  où  la  Peninsular  and  Orienal  Coni- 
pani/  montre  orgueilleusement  de  beaux  modèles  de  sa 
Hotte  de  grands  paquebots  ; puis,  l’annexe  des  Etats-Unis, 
très  curieuse  avec,  en  dehors  des  modèles  de  navires 
exposés,  son  service  postal  où  Thnmour  yankee  va  jusqu’à 
nous  montrer,  au  nombre  des  colis  postaux  tombés  en  rebut, 
une  oreille  humaine  ! A remarquer  aussi  le  courrier  indi- 
gène conduisant,  l’hiver,  son  traîneau  attelé  de  trois  chiens 
et...  le  mail  coach  ayant  servi  au  président  Garfield.  Dans 
l’intérieur  du  Palais  de  la  Navigation,  la  section  américaine 
fuit  une  large  part  au  Yachting,  en  exposant  les  modèles 
des  yachts  qui  ont  conquis  — et  jusqu’ici  toujours  gardé  — 
sur  l'Angleterre  la  fameuse  « Coupe  de  l’América  ».  Vous 
verrez  tout  cela  à votre  temps.  Sortons  du  Palais  par  la 
porte  opposée  au  côté  léna  et  saluons... 

— (Ju'cst-ce  que  c'est  que  cet  immense  dôme  de  fer? 

— C'est,  messieurs,  la  vaste  coupole  du  Creusot,  autre- 
ment dit  ; 


CHAPITRE  111 


LE  PAVILLON  SCHNEIDER 


hv:  DUEL  DU  CANO?.’  ET  DE  LA  C ü I li  A S S E 

— üli!  ah  ! noire  grande  usine  mélalhirgique  de  France  ! 

— Oni,  nionsienr  Verdnret.  Vous  pouvez  même  vous 
hasarder  à dire  /a  prinuirre  du  luoiide  — où  elle  n'a  que 
deux  concurrenles,  la  maison  Krupp,  en  Allemagne,  et  la 
maison  Armstrong,  on  Angleterre.  Je  la  crois  la  première 
au  point  de  vue  du  chilTre  d'allaii’cs,  mais  sans  oser  l’affir- 
mer, n’ayant  jamais  songé  à m'en  informer;  mais  elle  l’est 
certainement  sous  le  rapport  des  succès  scientifiques. 

— Ft  sur  quoi  portent  ces  succès? 

— Principalement  sur  les  canons  système  Canot  et  sur  les 
plaques  défensives  de  nos  cuirassés...  Ce  sont,  du  moins, 
les  succès  auxquels  je  Tue  suis  le  plus  directement  intéressé, 
en  qualité  de  marin. 

— C est  donc  cela.  Je  m’explique  maintenant  pourquoi 
cette  énorme  calotte  métallique  s’élève  entre  les  Palais  des 
Armées  de  Terre  et  do  I\Ier  et  de  la  Navigation,  malgré  son 
I aspect  que  je  tz’ouve  bien  disparate. 

— Vous  voyez  qu’elle  touche  presque  au  Palais  où  trô- 
nent les  marines  do  guerre,  et  c'est,  en  elfet,  sa  vraie  place. 
Le  Creusot  n’est-il  pas  le  grand  fournisseur  des  armes 
I détensives  de  la  Hotte  militaire  française,  et  olfensives  et 
défensives  de  presque  toutes  les  autres.  Les  bouches  à 


A TRAVERS  l’exposition 


l'eu  système  Schiicider-Canet  ont  été  livrées  à la  llussic,  au 
Danemark,  à la  Suède,  à la  Norvège,  à la  Grèce,  aux  Etats- 
Unis,  au  Portugal,  au  Japon,  au  Chili,  au  Brésil,  au  Mexi- 
que, à r Uruguay,  à Haiti,  au  Maroc,  à la  Bulgarie,  à 
la  Serbie,  à l’Espagne^  à la  Bépublique  Argentine,  au 
Transvaal,  on  vous  savez  si  les  Anglais  ont  eu  à s'en  plain- 
dre, à la  Chine  où,  malheureusement  pour  les  Européens, 
elles  ne  sont  pas  assez  mal  servies.  Quant  aux  cuirasses... 
Mais  je  vous  eu  parlerai  tout  à l'heure.  11  faut,  d'abord,  que 
je  vous  dise  quelques  mots  du  Pavillon  lui-même.  Comme 
vous  voyez,  il  se  compose  d'un  dùme  surmonté  d'un  cam- 
panile, tous  deux  métalliques. 

— Ce  n’est  jias  du  simili-métal,  comme  sont  en  simili- 
pierre  les  murs  des  palais  et  pavillons  de  l’Exposition  '? 

— Vous  le  demandez,  quand  il  s’agit  du  Creusot  ! 

— Alors,  reprend  Verduret,  si  tout  cela  est  en  vrai  lcr, 
cela  doit  peser  le  diable. 

— J’avoue  n’avoir  aucune  indication  sur  ce  que  [)cut  bien 
peser  Messire  Belzébuth  ; mais  il  n’en  est  pas  de  môme  pour 
ce  pavillon-coupole.  Le  dôme  de  43  mètres  de  diamètre, 
formé  par  trente-quatre  demi-fermes  mesurant  27  mètres  de 
la  base  au  sommet,  plus  le  campanile  qui  a 12  mètres  de 
diamètre  et  dont  le  faite  s’élève  à 40  mètres  au-dessus  du 
niveau  de  la  berge  de  la  Seine,  représentent  un  poids  de 
400  tonnes  ou  400,000  kilogrammes.  De  plus,  la  charpente 
repose  sur  un  plancher  métallique  recouvrant  la  tranchée 
du  chemin  de  fer  des  Moulineaux  et  pesant  environ 
300  tonnes. 

— Bigre  ! Voilà  un  pavillon  que  le  vent  n’emportera 
pas  !...  Donc,  dans  cette  coupole  grossière,  sont  exposés  des 
canons  et  des  cuirasses  de  navires  ? 

— Dans  cette  l’ougc  carapace  hérissée  de  canons  — et 
dont  la  coupole  tournant  sur  pivot  qui  la  surmonte  donne 
une  idée  do  la  disposition  adoptée  en  fortilication  perma- 
nente en  vue  de  donner  aux  grosses  pièces  tout  I horizon 
pour  champ  de  tir  — la  colossale  maison  Schneider  n expose 
pas  qu’à  litre  de  fonderie  de  canons.  Elle  montre  les  pro- 
duits de  ses  houillères,  de  ses  aciéries,  de  ses  forges,  de  ses 
ateliers  de  construction  et  d’électricité.  C’est  ainsi  que  vous 
y verrez  une  locomotive  à vapeur  do  grande  vitesse,  sys- 


vaux  de  lorce,  etc...  lîln  ce  qui  concerne  le  matériel  iraitil- 
Icrie,  les  pièces  les  plus  intéressantes  à étudier  sont  pour 
les  artilleurs,  un  canon  tie  75  millimètres. 

— llcin  ! fait  i\l">“  Flore  qui  écoute,  par  hasai'd.  Un  canon 


ième  Thuile;  une  machine  motrice  du  cuirassé  Kh'-her.  un 
des  trois  moins  forts  des  onze  cuirassés  à 21  mends  de 
vitesse  actuellement  sur  chantier,  machine  de  17,1(10  che- 


l.E  Pavillon  Sciineideh. 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


4 G 


(le  7 centimètres  et  demi  ! C’est  donc  im  joujou  pour  les 
enfants  ? 

— Un  redoutable  joujou,  madame,  en  tout  cas,  fait  en 
riant  l’officier  de  vaisseau.  Votre  bien  excusable  méprise 
vient  de  ce  que  je  n’ai  pas  dit  : 75  millimètres  de  calibre^ 
c’est-à-dire  de  diamètre  intérieur.  Ce  canon  est  monté  sur 
affût  de  campagne  à frein  hydropneumatique. 

— Oh!  oh!  le  frein  dont  il  a été  tant  question,  s’écrie 
Verduret. 

— Pour  les  marins,  continue  le  technicien  cicerone  sans 
paraître  avoir  entendu  la  remarque  du  manufacturier  retiré, 
il  y a là  des  obusiers  de  bord  de  15  et  34  centimètres;  un 
canon  de  24  centimètres  en  tourelle  barbette  et  un  très 
curieux  canon  double  à tir  rapide,  de  15  centimètres  et  de 
45  calibres  sur  affût  double... 

— Pas  si  vite,  réclame  Bèchard...  Vous  nous  parlez  d’un 
canon  qui  aurait  15  centimètres  de  calibre  et,  en  môme 
temps  45  calibres...  Voyons,  c’est  l’iin  ou  l’autre,  15  ou  45  ! 

— C’est  bien  15  centimètres  de  calibre,  avec  une  lon- 
gueur de  45  calibres,  c’est-à-dire  de  45  fois  15  centimètres 
ou  G"‘73. 

— Âh  ! bien  ! Mais  vous  avez  des  façons  à vous,  messieurs 
les  marins  de  rendre  incompréhensibles  les  choses  les  plus 
simples.  Et,  après  cela,  vous  allez  vous  plaindre  de  ce  que 
les  députés  finissent,  on  désespoir  de  cause,  par  voter  sans 
comprendre...  C’est  de  votre  faute  ! Vous  devriez... 

— Pardon  si  je  vous  interromps,  mon  cher  Bèchard, 
mais,  tout  à l’heure,  en  énumérant  les  nombreux  pays  qui 
se  fournissent  de  canons  de  marine  du  système  Schneider- 
Canet,  M.  le  baron  nous  a nommé  plusieurs  Etats  qui  ne 
sont  pas  le  moins  du  monde  maritimes.  Que  peuvent-ils 
faire  de  ces  pièces. 

— S’en  servir  à terre,  comme  l’ont  fait  ces  braves  Boers 
avec  un  si...  éclatant  succès,  car  ces  canons  sont  étudiés  en 
vue  d’etre  utilisés  à terre  aussi  bien  qu’à  bord.  Je  n’entre- 
prendrai pas  de  vous  expliquer  en  détail  ces  canons  Schnei- 
der-Canet;  je  deviendrais  forcément  trop  technique  pour 
que  vous  puissiez  me  suivre.  Je  vous  dirai  seulement  qu’ils 
sont  en  acier  forgé,  trempé  à l’huile  et  recuit,  et  que  le 
le  tube  de  pièce  est  renforcé  d’un  ou  deux  rangs  de  frettes. 


r,ES  (IRAXDS  PALAIS  DP  BflRD  DE  l’eAU 


47 


Uuant  à la  valeur  (le  ces  armes,  il  me  suffira  de  vous  citer 
l’exemple  d’essais  faits  dès  1892  avec  le  lü  centimètres  de 
80  calibres  à tir  rapide,  et  qui  ont  donné  jusqu’à  1,020  mè- 
tres de  vitesse  initiale,  ce  qui  permet  une  tension  de  la  tra- 
jectoire entraînant  une  merveilleuse  justesse  de  tir. 

— Ça  doit  percer  le  diable! 

Monsieur  Verdurct,  je  vous  assure  de  nouveau  que 
nous  laissons  bien  tranquille  Sa  Majesté  le  Iloi  des  Enfers. 
Ce  n est  pas  lui,  mais  bien  une  cuirasse  en  fer  forgé  que 
nous  offrons  aux  coups  à bout  portant  pour  juger  de  la  force 
de  pénétnition  de  nos  pièces.  Or,  pour  nous  rendre  compte 
de  la  puissance  de  cette  artillerie,  je  vous  indiquerai  que  le 
Scbneider-Canct  de  30  centimètres  et  de  43  calibres  perce 
I 1 0 de  cette  cuirasse. 


— C'est  effrayant  ! 

— C est  pourtant  moins  que  le  303  millimètres  modèle 
1893  de  la  londerie  de  Ruelle  — qui,  vous  le  savez,  fabrique 
les  canons  de  la  flotte  — lequel  perce  l'‘'20  de  cuirasse,  avec 
820  mètres  de  vitesse  initiale. 


— Brrr...  donne  chaud  ! Mais  alors,  il  n'y  a plus  de 
cuirasse  qui  tienne  devant  de  pareilles  pénétrations. 

Détrompez-vous.  L’arme  offensive  progressant  s’est 
heurtée  c est  le  cas  de  le  dire  — aux  progrès  de  l'arme 
défensive. 


— Je  serais  curieux  de  savoir... 

— Ce  que  vous  me  demandez,  c’est  de  vous  faire  l’histo- 
rique du  tameux  duel  du  « canon  et  de  la  cuirasse».  Ce 
sciait  un  peu  long,  mais  je  vais  essayer  de  vous  le 
résumer  en  quelques  phrases.  En  1834,  l’ingénieur  fran- 
çais Dupuy  do  Lôme  imagina  le  premier  de  protéger  à l’aide 
de  plaques  enfer  les  lianes  des  navires  de  guerre  à hauteur 
de  la  flottaison,  et  le  Creusot  fabriqua  des  blindages  pour 
des  batteries  flottantes  et  la  fameuse  frégate  cuirassée  la 
Gloire,  que  12  centimètres  de  fer  rendait  invulnérable  aux 
canons  de  l’époque.  L'artillerie  se  perfectionnant,  il  fallut 
augmienter  progressivement  l’épaisseur  de  la  cuirasse,  qui 
finissiiit  par  devenir  désespérément  lourde.  En  187(), 
MM.  Schneider  ont  les  premiers  l’idée  d’obvier  à ce  grave 
inconvénient  en  remplaçant  le  fer  par  l’acier.  Les  Anglais  se 
contentent  de  plaques  mixtes  ou  compound  — acier  coulé 


48 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


sur  du  i'er.  — Inutile  de  dire  que,  partout  triomphe  l'acier 
du  Creusot,  acier  doux  d’abord,  puis,  pour  riposter  aux 
nouveaux  progrès  du  canon,  acier  de  plus  en  plus  dur.  Mais 
bientôt  l’acier  pnr,  si  durci  qu’il  soit,  devient  insuffisant. 
Alors,  MM.  Schneider  — toujours  en  tète  — inventent  en 
189fi,  l’acier-nickel  (auquel  les  usines  de  Saint-Chamond 
ont  ajouté  du  chrome)  qui  donne  de  merveilleux  résul-  ; 
tais  de  résistance  à la  pénétration  et  a la  rupture.  Mais 
voici  qu’entrent  en  scène  les  obus  à explosifs  puissants,  et  . 
il  faut  arriver  non  seulement  à empêcher  les  fentes  de  la  . 
plaque,  mais  à briser  le  projectile  par  le  durcissement  île 
la  surface  de  cette  plaque  de  blindage.  C est  la  période  • 
actuelle  dos  blindages  cémentés.  Tamlis  qu  en  Amérique, 
Harvey  invente  le  durcissement  à l'aide  d’un  cément  solide, 
MM.  Schneider  triomphent  encore  en  trouvant  le  moyen  de 
régler  la  cémentation  à l’aide  du  gaz  d’éclairage  et  obtien-  - 
lient,  pour  la  surface  d’impact,  une  trempe  si  merveilleuse  ■ 
(pie  les  plus  puissants  projectiles  s’y  brisent  comme  verre. 
Cette  méthode  est  universellement  adoptée.  4 oila  où  nous 
en  sommes.  Attendons  de  part  et  d autre  les  progiès  de  ; 
l'avenir. 

— Et...  les  étrangers? 

Après  les  cuirasses  françaises  du  Creusot,  puis  celles 

de  Marrel,  de  Saint-Chamond,  etc.  — qui  sont  classées  les 
premières  du  monde  entier  — viennent  les  cuirasses  an- 
"laises  de  Brown,  do  Vickers,  de  Commell  ; les  cuirasses 
allemandes  de  Krupp  ; les  américaines  de  Cornegie,  de 
Bethlchem  et  enfin  les  nouvelles  cuirasses  italiennes  de 

Terni. 

Cet  acier-nickel  cémenté  est  donc  de  beaucoup  plus 

résistant  que  le  fer  ? 

Jugez-en,  monsieur  Verduret  : déjà,  une  plaque  en 

acier  au  nickel  et  chrome  de  10  centimètres  remplaçait  une 
plaque  de  fer  de  15  centimètres  1/2;  aujourd’hui,  une  plaque 
en  acier  au  nickel  cémenté,  également  de  10  centimètres, 
remplace  une  plaque  de  fer  de  près  de  21  centimètres  d’é-; 
])aisseur...  Mais  ce  sont  là  des  aperçus  bien  techniques. 
Voulez-vous  que  nous  nous  en  reposions  et  changions  le 
thème  de  notre  conversation  en  allant  faire  un  tour  au 
”'ara“'e  crée  au  <■<  Port  Debilly  >>,  auticment  dit  . 


(’JiAPrniE  IV 

LE  PÜHT  DE  LA  NAMGATlON  DE  PLAISANCE 


LE  VACIIÏING 

— Et,  dit  Bèchard,  on  le  prenez-vous,  ce  port?  Je  ne  le 
vois  pas. 

— Juste  en  face  de  la  coupole  Schneider,  de  l’autre  côté 
de  la  Seine.  Voyez-vous  cette  estacade  — qui,  d’ici,  il  est 
vrai,  se  confond  presque  avec  la  rive  opposée  — et  que 
délimitent  a 1 œil  deux  mats  de  pavois  gréés  chacun  au 
centre  d un  des  deux  musoirs  qui  en  forment  les  extré- 
milés?  Eh  bien,  le  port  est  compris  entre  la  rive  droite  et 
cette  estacade. 

Parhleu,  c est  assez  visible,  rien  qu’à  l’aspect  des  mâts 
et  des  cheminées  qui  émergent  de  l’autre  coté!  proteste 
maintenant  le  farinier  grincheux.  Seulement,  il  faudra  que 
vous  nous  en  parliez  de  loin,  car  vous  ne  voudriez  pas,  pour 
une  visite  présentant  un  si  faible  intérêt,  pour  un  homme 
sérieux,  que  celle  d’une  flottille  de  canotage,  nous  imposer, 
par  le  pont  d léna,  une  course  de  quelque  six  cents  mètres! 

— Je  suis  pour  cela  trop  ménager  de  votre  temps  et  de  la 
fatigue  pour  ces  dames.  Nous  nous  y rendrons,  cependant, 
et  le  plus  commodément  du  monde. 


A TRAVERS  l’e.\PùSITION.  — T.  XV.  — 3 


ÜO 


50 


A TRAVERS  L EXPOSITIOÎS 


— Pas  on  iilanzane,  je  suppose? 

Vous  oubliez  que  j’ai  une  embarcation  a ma  ilisposi- 

tion,  et  vous  allez  voir  que  mon  mouchoir  balancé  un  mo- 
ment à bout  de  bras  suffira  pour  la  faire  venir  à nos  pieds. 

— Pas  toute  seule,  je  présume?  demande  Verdurct  en 
clignant  finement  dePœil. 

— J’ai  trop  de  respect  pour  mes  auditeurs  pour  le  pré- 
tendre. Il  n’en  est  pas  moins  vrai  que  vous  allez  la  voir 
venir  tout  à l’heure  accoster  à quai  sans  que  vous  puissiez 
découvrir  personne  a son  bord. 

— C’est  la  gondole  du  mystère,  décidément!  s’écrie  joyeu- 
sement l’oncle  de  Bertrande. 

C’est  peut-être  mieux,  riposte  sérieusement  1 ollicier 

de  vaisseau. 

— Et  quoi  donc? 

— L’embarcation  idéale  du  vingtième  siècle,  monsieur!... 
Mais,  en  attendant  que  notre  véhicule  nautique  se  rende  a 
mon  appel,  laissez-moi  relever  l'expression  de  « canotage 
sans  intérêt  » dont  M.  Bèchard  vient  de  quahner  la  Naviga- 
tion de  plaisance.  Oui,  notre  ijciclüliui  — pour  employer 
l’expression  sportive  britannique  à laijuclle  tiennent  nos 
amateurs  marins,  quoique  le  mot  yacht  ne  soit  pas  du  tout 
d’origine  anglaise  — oui,  dis-je,  notre  yachting  est  issu  de  ce 
« canotage  » de  rivière  qui,  jadis,  par  scs  allures  grotesques, 
s’est  justement  couvert  de  ridicule  (1).  Ce  canotage  a la 
voile  fit  son  apparition  on  Seine  en  1822  et  ne  commença  a 
se  développer  qu’en  1838...  Mais  dans  quelles  conditions. 
C’est  aloi's  que  surgit  le  type  du  « llambart  » qui  hélas,  ré- 
gna vingt  ans. 

— Le  Llambart?  - i r 

— C’est-à-dire  le  canotier  terrible,  dont  je  cède  à la  fan- 
taisie de  vous  dessiner  une  des  silhouettes  aul lient iquci,. 
Vers  1856,  il  y avait  à Poitiers  un  homme  d’âge  sérieux  et 
d’occupalions  plutôt  graves,  qui  acceptait  sans  sourire  le 
titre  d’  « amiral  de  Poitiers  »,  parce  qu’il  était  le  promoteur 
du  canotage  en  cette  ville.  Lh  bien,  pour  se  rendre  à son 


(1)  Historiquement,  la  Navigation  de  plaisance  remonte  aux  Komams 
ainsi  que  l’on  pourra  en  trouver  la  preuve  dans  un  article  documente 
publié  par  la  Nouvelle  llevuo  (livraison  du  1"  septembre  18J-,  page  lb7). 


r.i-;s  (WîANü.s  PAi.Ais  Dr  liouu  I'E  l eai: 


I 

ol 


I hurd^  où  l’aUendait  un  équipage  d’amateurs  vêtus  en  marins 
d’opéra-comique,  cet  Jiomme,  sérieux  dans  le  cours  habiluel 
do  sa  vie,  arborait  un  babil  brodé  et  couvert  d’aiguillettes, 
une  large  ceinture  où  pendaient  bacbe  d’abordage,  pistolets 
et  poignard  damasquiné.  A peine  sur  le  pont  de  son  bateau, 
ilemboLicbait  le  porte-voix  et,  d’une  voix  de  stentor,  avec 
des  poses  de  lorban  irrité,  commandait  l’appareillage.  Dès 
que  les  voiles  commençaient  à parler,  et  afin  sans  doute  d’im- 
pressionner les  populations  « terriennes  »,  il  mugissait  dans 
son  instrument  : « Feu  tribord  ! feu  bâbord  ! ! feu  partout  ! ! ! » 
en  s’adressant  à deux  domestiques  qui,  déguisés  en  marins- 
canonniers,  une  niècbc  allumée  à la  main,  mettaient  le 
leu  à deux  pauvres  petits  canons-joujoux  arrimés  sur  l’a- 
vaiit. 

— Pantins!  prononce  Bécbard  avec  mépris. 

Ces  sottises,  approuve  l’officier-cicerone,  ont  permis 

jadis  à un  apologiste  du  canotage  d’écrire  — sans  rire!  

cette  burlesque  (lélinition  ; « La  cabine  disposée  à bord  des 
voiliers  sert  au  patron  pour  y déposer  son  porte-voix,  sa 
bacbe  d’abordage,  tous  les  objets  enfin  dont  il  peut  avoir 
besoin  dans  sa  promenade. 

!..  est  du  dernier  boutton!...  Je  ne  comprends  pas  que, 
dans  une  Ivxposition  consacrée  a ce  que  1 industrie  et...  le 
reste  ont  de  pins  génial,  on  admette  de  jiareilles  pitreries  ! 

— Voyons,  ne  vous  indignez  pas  si  fort,  monsieur  Bè- 
cbard,  et  laissez-moi  vous  faire  remarquer  que  ces  enfan- 
tillages momentanés  ont  cessé  depuis  quelque  quarante 
ans,  c est-à-dire  depuis  que  de  l’œuf  carnavalesque  du  cano- 
tage flambart  est  sortie  la  Navigation  de  plaisance,  élégante, 
distinguée,  savante,  vaillante  et  utile. 

— A quoi,  je  vous  le  demande? 

Et  vous  laites  bien,  car  je  vais  vmus  répondre.  Sacbez 
il  abord  ce  qu  est  devenu  le  yachting  français.  Au  lieu  des 
quelques  flambards  du  milieu  du  siècle,  nous  avons  l.tiÛO 
propriétaires  de  yacbts  qui  ont  <à  l’eau,  sous  voiles  ou  sous 
liression,  1.98.3  vapeurs,  goélettes,  yawls,  ketebs,  côtres  ou 
sloops,  bouaris  ou  latins,  et  embarcations  diverses,  repré- 
sentant ensemble  38.190  tonneaux  de  jauge  totale. 

« Ces  marins  amateurs,  cultivant  la  voile  ou  la  navigation 
à vapeur,  se  sont  organisées  en  quatre-vingt-dix  sociétés. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


52 


dont  la  grande,  1’  « Union  des  Yachts  français  »,  a pour  pré- 
sident M.  le  vice-amiral  Duperré  ; pour  vice-présidents: 
MM.  le  baron  Arthur  de  Rothschild,  le  comte  Alain  de  Gué- 
hriant,  Henri  Ménier,  Demay,  le  contre-amiral  Conrrejolles, 
celui  qui  commande  en  ce  moment  dans  les  mers  de  Chine. 
M.  Bèchard  trouve-t-il  encore  trop  peu  sérieuse  pour  figurer 
dans  cette  Exposition  une  marine  de  plaisance  qui  compte 
des  amiraux  à sa  tête  et  nombre  d anciens  officiers  de  vais- 
seau parmi  ses  membres  ? » 

— Je  ne  pouvais  pas  me  douter... 

— Alors,  pour  uu  homme  de  votre  gravité,  avouez  que 
c’est  bien  de  la  légèreté  de  ne  pas  vous  être  informé  avant 
de  porter  un  aussi  méprisant  jugement.  D’ailleurs,  le 
Yachting  n’est  pas  la  seule  institution  qui  soulTre  en  son  dé- 
veloppement d’ètre  ignoré  dn  peuple  souverain  et  de  ses 
maîtres.  Mais,  pardon  ; pas  de  digression  inutile.  Ce  yachting, 
que  M.  Bèchard  ne  juge  déjà  plus  autant  méprisable,  doit 
pour  une  bonne  part  son  importance  actuelle  à deux  modestes 
fervents  de  la  navigation  de  plaisance  qui  dirigent  en 
apôtres,  avec  autant  de  dévouement  que  de  conscience  et 
de  prudence,  le  journal  le  Yacht,  une  des  publications  ma- 
ritimes les  plus  prisées  et  qui  est  le  parfait  moniteur  du 
grand  sport  nautique.  Ce  vaillant  journal  compte  aujourd’hui 
vingt-deux  années  d’existence;  cela  reporte  ses  débuts  — 
difficiles  comme  ceux  de  tous  les  organes  spéciaux  à public 
restreint  — à une  époque  oii  le  sport  do  la  voile  était  à peine 
connu  et  n'était  encore  pratiqué  que  par  une  sélection  bien 
clairsemée  d’amateurs.  Il  peut  être  fier  aujourd  hui  de  ses 
larges  progrès  qui  sont  le  critérium  du  développement  du 
Yachting  français  auquel  il  a laborieusement  travaillé. 

— Tout  cela  ne  dit  pas  rutilité  de... 

— J’y  arrive  et  vais  vous  le  dire  a bord  de  notre  gondole 
qui  vient  — toute  seule  — accoster  le  quai,  et  dans  la 
« chambre  » de  laquelle  je  vous  prie  de  vouloir  bien  prendre 
place...  Nous  voici  installés.  Nous  allons  traverser  très  dou- 
cement le  neuve,  ce  qui  me  donnera  le  temps  d’éclairer 
votre  religion  au  sujet  de  1 intérêt  important  que  présente 
la  Navigation  de  plaisance  pour  notre...  marine  nationale. 

— Oh  ! proteste  ironiquement  le  farinier. 

— Cet  intérêt  porte  sur  deux  points  : le  personnel  et  le 


lÆS  r.RANDS  PALAIS  DL  MOUD  DE  l’eaU 


sSi  ==îtir.i  i-i: 

embamuomLTTo”^  G'»  moins  et,  par  conséquent  laisse  sans 
en  b uqnement  de  nombreux  marins.  Ceux-ci  se  sont  reietés 

miein  ‘^1'^'®  les  barques  à vapeur  avec 

quelques  liommes,  pouvant  traîner  le  chalut  sans  avoir  I.p- 

soin  d attendre  le  vent,  font  à elles  seules  le  travail  de  cinn 
ou  SIX  voiliers,  smon  plus  ; d où  disparition  progressifs 

en  S™  7 '“'■>1  ‘l“'«  les 

l "":  f''"P  "'“‘■'‘'S  cesseraieiil  Jonc  Je  s'enlre^ 

mer  si  â'il-., l'I.alntude  do  la 

les  Inédon  lÎVr'“'*‘'f  "î‘™  .VlelHing,  les  Cllcïccii.v, 
es  (uKdon,  les  Snhuque,  les  Unillcmot,  le  UinJicelli  elc 

tiavaillant  sans  cesse  au  perfeclionnemcnl  des  l'orn  eî  nom’ 

O en,..  Iapl,.sg,.„.„,e  vilesse  sans  nnice  à la  s a II  é' ’ 

. , os  t ir  rr’  ' 

tonnages.  ,1  le.,l  .-esle  d trata’ill':  dts  iTtl'sts't;!:: 

ittSL”  ifeT  tet' at- râ  d:,:!'"  "t'- 

créèr'^'^'^f ®i''«»\-yachtsmen.  Celte  émnîationf 
plusS^nhm  ^ amateurs  tendent  de 

ils  achètent  beS  à vapeur  que,  malheureusement, 

à cet  faid  en  Angleterre,  nos  chantiers  olfrant, 

cet  Cç,aid  les  memes  infériorités  pratiques  qu’ils  mon 

de  cbf*"  ""  construction  de  la  marine  marchande.  Cet  état 

ai  di  luf  f T que  je  vmus 

yacbtinc  eTsi  commerce.  L’intérêt  dn 

jacliUng  est  si  évident  que  tous  les  gouvernements  d’états 

■na... lunes  s'.ngénient  à le  favorise,-  d“e  tout  let "tod. 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


;r;“.rs;'K:5;ir;s^^^ 

précisément  tlans  le  camp  socialiste.  , 

"S's.- .t,  tien  vil.,  romcic..  ae  vais^u,. 

évite  une  virulente  riposte  du  grand  citoyen  en  s éci  c ^ 
\ttention,  je  vous  prie,  mesdames  et  messieurs,  voie 


II 


paris  P O R ï DE  11  E R 


Fil  ' mais,  s’étonne  Verduret,  il  est  bien  plus  grand 
„a7i  .«  ce  povt!  Qua.ul  oa  n’y  est  pas,  cela  a a 

,„„.ue  .Ie7i0  a,a.aee  - e.actc^enl  etS 

fditlrbergr'sriaqueUe'a'éieeeal  le  l'alaie  .ta  Armées 
le  lmTé  el  de  mer  el  le  l'aville-'-eecapeee  >lu  Cre,  so  1 e 
non  a donc  sensiblement  la  forme  d nn  Irape/e  doi^^ 
lieux  bases  seraient  légèrement  incurvées,  et  il  a je  il 
cela  pour  M.  licchard  — une  superficie  d environ  / 1-  arcs, 
-^rois  quarts  d'hectare,  c’est  une  surface,  proclame 


suMisante  (le  géométrie  élémentaire...  n'a  [m  calculer. 

Celte  Ghtacade  que  nous  longeons  à petite  vitesse  on 

reirruL  ir"'""'*  '* 

eux  files  de  pieux  en  sapin  rond  de  0-30  de  diamètre 
espaces  de  métrés  daxe  en  axe.  avec  une  dislàÛcè  de 
- mèhes  entie  chaque  Ole,  supportant  un  plancher  de  3-30 
de  largeur.  Chaque  file  de  pieux  porte  une  lisse  de  o-arde 
corps  lormant  parapet  à 0-90  au-dessus  de  la  cote  du 
plancher.  La  tenue  de  l’ensemble  est  assurée  par  des  moises 
cehant  es  p.eux  de  cln.que  file,  par  d’autres ^missant  dlux 

l ' P'"'’  contre-fiches 

n madriers.  Chaque  extrémité  de  l’estacade  est  terminée 
par  un  musoir  de  3 mètres  de  rayon. 

— Cous  appelez  musoir  ces  deux  plates-formes  circiihiirptc 
au  centre  desquelles  un  màt  est  planté  arhorTnt  d 
Ions  de_  toutes  les  couleurs  ? ' 

C est  cela  môme,  monsieur  C’erduret. 

— C est  que  vous  employez  un  tas  de  termes  techniaues 
qui,  pour  des  prolaiies  tels  que  nous 

p.'e^e, 

>nni.  ^ ri  . ‘ ingénieur  en  chef  des 

onts  et  Chaussées  (et  auteur,  avec  M.  Alhy,  du  Pont 

exandre  III),  et  Lion,  ingénieur  des  dits  Ponts  et  Clrius 
se^el  dn-ecleucle  la  iXavigalion.  Si  qucli,™  te  .n es  1 
cllarpente  ileja  vous  rein, lent,  je  crois  que  jt  ferai  l>  e n I- 
renoncer  à vous  parler  du  très  intéressant  Vavail  evéedi 
pai  CCS  messieurs  pour  refaire  les  (00  mètres  du  Port  l)i- 
1 lly.  .lo,jt  une  moitié  forme  le  mur  du  fond  de  ce  gilraeo 
Je  tous  d.rai  seulement,  grosso  modo,  que  les  trois  sections 
le  ce  mur  lime  centrale  de  .(3  mètres  de  développement  et 

“s  "‘ràmm'r  S'  20r„.è 

tte.'-i  r civeraine  du  trapèze  que  représente  le 

o.t  de  phusance),  ont  été  construites  à sec,  Lee  à un 
jataideau  (sorte  de  barricade  provisoire  contre^les  eaux) 

Cl  mur  de.)  mètres  de  hauteur  et  presque  vertical  (u’avint 

s“élm:::::'t"l1a"’  “-‘-"‘-r-  clipire^r 

s Cioi  liant  do  la  verticale  que  de  cette  quantité)  est  con 
» r.nl  sur  des  fondations  faites  de  qnatre  Lgs  de  pieùv  cm 
lonces  a refus,  coillès  de  cliapeaux  (madi-icrs)  dcl3«.3ë  de 


Construction  des  Quais. 


LES  (IRAN’DS  PAT, MS  DT  linHD  DE  i/eaE 


long  sur0'"2i  d épaisseur,  lesquels  supportent  un  planclier 
a joints  croisés  de  Ü'M3  d’épaisseur.  C’est  sur  cette  i-obuste 
assise  en  chêne  et  pitchpin  qu’a  été  élevé  en  maçonnerie  de 
moe  lons  hruts  de  Souppes  et  meulière  ordinaire  de  la 
. Haute-Seine,  hourdie  en  mortier  de  chaux  hydraulique  et 
sahie,  le  massif  du  mur  de  d-iO  à la  hase,  contre  lequel 


1.  . . . , - - - . V.  uulilit;  lequel 

glissent  maintenant  les  ondes  du  lleuve  Séquana.  Je  n’in- 

iisle.  nn<2  cnp  In  ^ A..  • . .. 


. . - i^vruuclUcl.  Je  11  111- 

siste  pas  sur  le  parement  d(‘  pierre  rejointé  au  ciment  de 
ùitland  a raison  de  GÜÜ  kilogrammes  par  mètre  euhe  de 
sahie  kimise,  ni  sur  la  hanquette  qui  couronne  l’ouivre 

— Je  croîs  que  vous  ferez  bien,  déclare  Verdurct,  qui,  à 
lorce  d attention...  vaine,  commence  à avoir  mal  aux  mé- 
ninges. 

Oui,  pour  ces  dames,  rectifie  le  vaniteux  farinier 

— Donc,  je  reviens  au  Port  de  plaisance.  Vous  voyez  qu’à 
son  intention  le  mur  est  illustré  de  fi  échelles,  27  honcles 

amarre  et  ;)2  champignons  d’amarrage  en  fonte,  les  yachts 
comme  tous  les  bateaux,  ayant  besoin  pour  demeurer  en 

paix  de  fixer  deux  mains  de  chanvre  ou  de  fil  de  fer  sur  un 
point  solide  du  sol. 

Ils  poui raient  mouiller  sur  leurs  ancres? 

— Oui,  dans  le  milieu  du  port  où  la  profondeur  est  d'en- 
viron h mètres  et  ~ ‘ 


(le 


mi.  Près  du  quai  et  de  l'estacade,  ils 


mur  est  bien  plus  siir  et  commode  de  mettre  deux  amarres 

les  3 oü  d eau  que  ’on  trouve  à Paccore  de  la  berge  étant 
suffisants  piDur  le  plus  grand  nombre.  Pourtant  le.s  yachts 
de  course  a la  voile,  même  les  petits,  devront  s’éloigner  du 
hoid  parce  que,  bulh-qmd  pour  la  plupart  — c’est-à-dire 
étant  armes  d une  immense  fausse  quille  ou  aileron  métal- 
lique au  bas  duquel  est  fixé  un  lourd  cigare  de  plomb  - 
ils  ont  du  «pied  en  mer»  de  façon  exagérée.  Vous  vous  en 
rendrez  compte  en  visitant  l'Exposition  du  Yachting  au  Pa- 
ais  de  la  iNavigation  de  commerce,  dans  la  rotonde  d’entrée 
(|ue  nous  n avons  fait  que  traverser  rapidement.  Quand  ie 
dis  que  les  plus  grands  yachts  devront  s’amarrer  à l’esta- 
cade  ou  mouiller  à proximité,  j’entends  parler  de  ceux  qui 
peuvent  remonter  jusqu’à  Paris.  ^ 

— Hem,  fait  Bêchard  en  sursautant,  vous  ne  voulez  nas 
dire,  je  pense,  qu’il  y a de  ces  petits  bateaux  d’amateurs  qui 


' I . 


■ ! I: 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


'*  O 
;)o 


seraient  trop  importants  ponr  naviguer  sur  la  Seine?  11  y ou 
aurait  donc,  selon  vous,  de  plus  grands  que...  les  bateaux 

omnibus?  . r 

11  y a,  cher  monsieur,  de  ces  « petits  bateaux  u ama- 
teur » qiii  jaugent  1 .550  tonneaux,  comme  la  goélette  à va- . 
peur  à 2 hélices  Atmah,  appartenant  à M.  le  baron  Edmond 
de  Rothschild.  Comme  l’énoncé  de  ce  sérieux  tonnage  est 
sans  signification  pour  vous,  voici  les  dimensions  de  ce  joli 


navire 


longueur,  l)d"M)0;  bau  ou  plus  grande  largeur  au 


maître-couple,  10"’40;  creux  de  la  quille  au  pont,  b'''oü;  en- 
fin ce  yacht  a n'”  10  de  tirant  d’eau,  ce  qm  veut  dire  que  e 
dessous  de  sa  quille  est  à cette  profondeur  au-dessous  de  la 
surface  de  l'eau.  Or,  en  été,  un  bateau  qui  cale  3 métrés  au- 
rait de  sérieuses  difficultés  à franchir  certains  endroits  peu 
profonds  du  tleuve  pour  le  remonter  jusqu  ici;  a plus  torte 
raison  est-ce  impossible  à Atmah  qui  cale  2'"  10  de  plus  . 

En  elfet,  c’est  Rà  un  beau  navire,  dit  Verdiiret  pensif. 

Mais  c’est  sans  doute  le  plus  grand  yacht. 

— De  la  Hotte  de  plaisance  française,  oui  ; quoique  d autres 
le  suivent  d’assez  près  comme  Valhalla,  trois-mâts  à vapeur 
de  1.490  tonneaux,  à M.  le  comte  Boni  de  Castcllane,  long 
de  73  mètres,  large  de  11'" 3o  et  creux  de  0"'30;  comme,  en- 
core Princesse-Aiicr,  la  goélette  à vapeur  de  1.2  /0  tonneaux, 
S.’ A.  S.  le  prince  de.  Monaco  ( longueur  08"’40,  largeur 
10"’ 33  creux  6'"  10);  comme  le  trois-mâts  vapeur  auxiliaire 
— c’est-à-dire  allant  à la  voile  et  à vapeur  — de  973  ton- 
neaux, Rarr/m/i/c,  à M.  Henri  Ménier...  ^ ^ 

— Celui  qui  s’est  rendu  propriétaire  d’une  île  en  Ame- 


a 


riqne' 


De  l’île  Anticosti,  à l’embouchure  du  Saint-Laurent, 

une  dépendance,  géographique  de  Terre-Neuve,  longue  de 
près  de  trois  degrés  et  large  de  un  degré,  lui-memc,  mon- 
sieur Verdnrct.  . x o 

— Nous  avons  encore  d’autres  yachts  importants  . 

— A foison.  Tels  Eros,  de  820  tonneaux,  an  baron  Arthur 
de  Rothschild;  Alaroussia,  de  812  tonneaux,  à M.  le  baron 
de  la  Grange;  Vel/eda,  de  615  tonneaux,  à M.  le  De- 
cazes;  Chaza/ie,  de  604  tonneaux,  à M.  le  comte  de  Ual- 
mas,  etc.,  etc.  Puis,  dans  un  autre  ordre  d’idées,  nous  avons 
les  yachts  qui  sont  surtout  intéressants  en  raison  de  la  per- 


sonnahto  de  leur  propriétaire,  tel  Pourquoi-Pas,  la  jolie 
goeletto  de  120  tonneaux,  à.M,  J. -B.  Charcnt;  la  goélette  à 
vapeur  Saqitta,  de  503  tonneaux,  àM.  Maurice  Ephrussi-  la 
goelette  a vapeur  de  571  tonneaux,  cà  M.  Albert 

Icnier,  etc.,  etc.,  jusqu'au  petit  vapeur  de  i tonneaux,  Gri- 
soUchs,  appartenant  au  grand  pêclieur  à la  ligne,  notre  ex- 
cellent tragédien  Sylvain. 

— Si  nous  possédons  en  France  de  pareils  navires  de  plai- 
sance, _que  doit-cc  être  en  Angleterre  et  en  Amérique? 

— Evidemment,  ces  deux  pays  nous  sont  supérieurs  au 
point  de  vue  du  yachting  en  général,  supériorité  d’ensemble 
avec  laquelle  n’ont  rien  à voir  les  plus  ou  moins  grandes 
dimensions  de  quelques  yachts  qui  ne  prouvent.,  que  la 
lortune  de  leurs  propriétaires.  Il  n’en  est  pas  moins  typique 
de  constater  que  si  le  plus  grand  yacht  du  monde  — en 
dehors  des  yachts  impériaux  ou  royaux  qui  sont  hors  ,1e 

~ au  richissime 

Américain  M.  Vanderhilt  - et.  après  lui,  Lqsistra^a,  de 
2.0S2  tonneaux,  a M.  Gordon  Bennett  - le  plus  grand  na- 
vire de  plaisance  anglais  est  Eriu,  h Sir  Thomas  Lipton 
qui  ne  jaup  que  l.'2'i-2  tonneaux,  c’est-cà-dire  moins  que 
es  yachts  du  baron  Ed.  de  Bothschild,  du  comte  Boni  de 
Faste liane  et  du  prince  de  Monaco.  Albion,  qui  détenait  le 
record  du  tonnage,  n arrive  donc  plus  qu’en  troisième,  ce 
qui  ne  1 empecdie  pas  de  posséder  le  premier  yachting  du 
monde  comme  les  premières  flottes  militaire  et  marchande 
ni  de  , étenir  notre  « Coupe  de  France  >,  qu’a  vainemeni 
cl  le  de  lui  reprendre  patriotiquement  le  comte  Boni  de 

^ tonneaux,  Anna,  construit 
I ci.  1 architecte  naval,  M.Maur.  Le  plus  grand  yacht  autri- 

L^BnirS  tonneaux,  au  hcaron  iAathaniel, 

® tienne...  Mais,  voilà  bien  longtemps  que 
imp  navigation  de  plaisance.  Pendant 

que  notre  gondole  mystérieuse  nous  reconduit  vers  la  rive 
gauche  avez-vous  quelque  dernière  observation  à me  faire 

— Eue  seule,  monsieur  le  baron  : c’est  l’étonnement 
puisque  nous  en  possédons  tant,  do  voir  ici  relativement  si’ 
peu  de  bateaux  d amateurs. 

— C’est  que,  vraiment,  le  séjour  de  l’Exposition  manque 


AtMAH  ” AU  BARON  EdMOND  DE  ROTIISCHII.D. 


resqiic  et  intime  de  sélecte  réunion,  des  fêtes  adroitement 
composées  pour  eux,  le  contact  fréquent  de  leur  Giand 
Maître  l'amiral  président  et  des  membres  du  Bureau,  du  Con- 
seil et  des  Commissions  techniques  de  1 « Union  »,  le  tout 
dans  un  décor  vraiment  marin  que  permettait  cette  estacadc 
et  qui  eût  pu  leur  donner  comme  l’illusion  d’être  dans  un 
port,  je  crois  qu'ils  fussent  venus  en  grand  nombre,  se  don- 
nant rendez-vous  de  tous  les  points  du  littoral  pour  se  rece- 
voir gaiement  sur  leurs  bords  réciproques  et  passer  une 


PO  A TRAVERS  l'EXPOSITION 


pour  eux  d’attraits  qui  compensent  le  long  voyage  de  la  re- 
montée de  la  Seine.  Je  connais  MM.  les  yachtsmen  et,  si 
j’avais  été  consulté  sur  la  conception  de  ce  port  à eux  ré- 
servé, je  me  serais  appliqué,  pour  les  attirer,  à en  faire  un 
centre  d’attraction  maritimement  mondain.  Si  cette,  esta- 
cade,  développée  un  peu  en  largeur,  eût  été  organisée  en 
casino  nautique  de  1’  « Union  des  \acbts  Irançais  »,  oii  les 
élégants  amateurs  marins  eussent  trouvé  un  centre  pitto- 


LES  r.  R AN’ ns  PALAIS  DI 


quinzaine  cordiale  et  charnianto  tout  en  permettant  à l’ccil 
dn  public  de  caresser  une  élégante  (lotillc  sans  cesse  renou- 
velée, et  d’assister  chaque  jour  à des  arrivées  et  à des  appa- 
reillages qui  eussent  donné  un  attrait  tout  particulier  à ce 
coin  de  la  Seine...  .Mais  notre  traversée  dn  tleuve  s’est  faite 
grande  allure  et  nous  voici  rendus  au  pied  de  la  grande  et 


jiasserelle  qui,  à la  liauteu 


’extrémité  ouest  du 


« Vieux  l’aris  » réunit  les  deux  rives.  Débarquons, 
prie,  étalions  rendre  visite  au  superbe 


vous 


CHAPITRE  V 

PALAIS  DES  ARMÉES  DE  TERRE  ET  DE  MER 
ET  DE  L’HAD}IÈNE 


§ C 


U N 13  X F A X T E K X T L A li  0 H I E F X 

Tandis  que  VerJuret  aide  complaisament  iM"'“  Flore  à 
débarquer  — le  farinier,  par  un  reste  de  rancune  à l'égard 
de  la  gondole  pourtant  assagie,  s’étant  hiUé  de  mettre 
pied  à terre  le  premier  — l’officier  de  vaisseau  de  réserve 
od're  galamment  la  main  à Bertrande  et,  prévenant  un  léger 
mouvement  d’hésitafion  de  la  jeune  fille  : 

— Vous  pouvez,  mademoiselle,  dit-il  à mi-voix,  accepter 
sans  crainte  l’appui  de  ma  main  qui  est  celle  d’un  ami  à 
vous  tout  dévoué...  bien  longtemps  avant  d’avoir  eu  le 
plaisir  de  faire  votre  connaissance. 

La  jeune  fille  sourit  et...  rougit,  mais  s'appuie  franche- 
ment sur  le  bras  du  marin.  Celui-ci,  aussitôt,  s’adressant  au 
groupe  de  ses  auditeurs  : 

— Je  regrette  que  cette  gondole  — dont  vous  voyez  que 
je  ne  suis  pas  plus  le  conducteur  sous  mes  apparences 
réelles  que  sons  l’avatar  d’inexpert  marinier  — nous  ait 
reconduit  sur  la  rive  gauche.  J’aurais  voulu  vous  faire 
arriver  au  Palais  des  Armées  de  Terre  et  de  Mer  par  la  pas- 
serelle qui  la  relie  à l’entrée  Ouest  du  «Vieux  Paris  » 
Nous  en  serons  quittes,  si  vous  le  voulez  bien,  pour  nous 


6i 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


rendre  tout  de  suite  sur  cette  passerelle,  et  en  vous  priant 
de  ne  pas  vous  retourner  pour  ne  pas  escompter  l’effet 
que  vous  ressentirez,  j’en  suis  convaincu,  à la  vue  de  face 
du  donjon  central.  Je  n’ose  pas  vous  proposer  de  vous  bander 
les  yeux,  et  pourtant  j'en  aurais  presque  envie. 

— Précaution  inutile,  monsieur  le  baron.  Nous  ue  céde- 
rons pas  plus  a la  curiosité  que  vous  excitez  en  nous  que  si 
nous  pouvions  craindre  qu'elle  ne  fût  punie  comme  celle  de 
la  femme  de  Loth  ou  de  la  femme  d’Euée. 

Uuand  le  groupe,  observant  religieusement  la  consigne,  a 
fait  une  vingtaine  de  pas  sur  la  passerelle,  son  ciceroiie 
commande  : 

— Demi-tour,  maintenant,  s’il  vous  plaît,  et  regardez  ! 

— (Jue  c est  beau  ! s écrie  Bertrande.  II  n’est  pas  une 
entrée  monumentale  de  palais  de  l’Exposition,  même  ceux 
des  Champs-Elysées,  qui  procure  une  semblable  impression 
de  grandeur  et  de  sévère  et  prenante  beauté  ! 

— iVlagnifique  et  imposant,  ce  donjon,  approuve  Ver- 
durret...  Et  si  fier  qu’il  soit,  il  n’enlève  rien  au  bel  aspect 
moyenâgeux  de  l'ensemble  du  Palais...  Ah  ! c’est  là,  certes, 
un  bien  beau  morceau  d’architecture  ! 

Oui,  mademoiselle,  oui,  monsieur,  vous  avez  tous  deux 
pleinement  raison  et  je  suis  heureux  de  voir  avec  quelle 
rapidité  et  quelle  sûreté  de  goût  vous  comprenez.  Ce  donjon 
de  large  envolée  avec  sa  tribune,  son  trifarium,  sa  majes- 
teuse  décoration  toute  neuve  d’idées  et  qui  lui  donne 
l’aspect  d’un  immense  arc  de  triomphe  élevé  à la  gloire  de 
nos  belles  armées  du  passé  et  de  notre  si  profondément 
chère  armée  nationale  du  présent  ; ce  donjon  qui,  avec  ses 
deux  escaliers  à la  décoration  magnifique  descendant  ma- 
gistralement vers  la  berge,  cause  à tout  cœur  français  une 
émotion  forte  et  saine,  est  une  inspiration  d’art  puissante 
et,  je  n hésite  pas  à le  dire,  plus  que  supérieure. 

C est  vrai,  dit  Bertrande  d une  voix  un  peu  tremblante, 
on  sent  ici  comme  un  souflle  impressionnant  de  génie. 

Dont,  ajoute  Verduret,  l’honneur  revient,  la  part  faite 
à ceux  qui  ont  conçu  l’œuvre,  à cette  Armée  et  à celte 
Marine  capables,  par  la  seule  évocation  morale  du  drapeau 
et  du  pavillon,  d élever  ainsi  au-dessus  d’clles-mèmes  les 
âmes  des  fils  de  Erance. 


l’OItCllE  DU  l’AI.AlS  DES  All.MÉES  DE  TEIIKE  ET  DE  .MER. 

— M.  Dobiecki? 

— Est  l'inspecteur  des  deux  jeunes  artistes  qui  se  sont 
montrés  maîtres  pour  le  coup  d’essai  qu’est  ce  vaste  temple 
des  Armées.  Homme  d’expérience  autant  qu’aimable,  archi- 
tecte d’un  goût  mûri,  praticien  zélé  et  dévoué,  il  leur  a 
apporté  nue. collaboration  de  tous  les  instants,  mettant  sans 
réserve  à leur  service  sa  large  part  de  connaissances  acqui- 
ses. En  m’amenant  à cette  place  où  je  viens  de  vous  conduire 


66 


A TRAVERS  l’exposition 


pour  jouir  tlu  captivant  coup  d'œil  de  l'œuvre,  M.  Dobiecki 
m’expliquait,  non  sans  une  fine  pointe  d’esprit  que  souli- 
gnait 1 intonation  dont  je  regrette  d’être  trop  mal  disant  pour 
vous  rendre  ta  jolie  fantaisie  : 

» Cette  exposition  des  Armées  ne  ressemble  en  rien  à 
celle  du  Ministère  de  la  Guerre  en  1889.  Alors,  la  France 
uft'tcielle  montrait  au  public  son  artillerie,  ses  poudres  et 
tout  son  attirail  militaire,  tandis  qu’en  1900  elle  a cédé  la 
place  à 1 Industrie  — qui  travaille  avec  un  si  bel  entrain  à 
créer  pour  la  patrie  des  outils  et  des  moyens  perfectionnés 
de  défense  — ainsi  qu’aux  Nations  étrangères.  Mais,  par- 
lons tout  d’abord  des  architectes  et  des  incroyables  tribula- 
tions par  eux  subies  avant  de  pouvoir  donner  un  corps 
à ce  fils  superbe  de  leur  ardente  et  patriotique  imagination. 
Ces  architectes  sont  MM.  Auburtin  et  Umbdenstock  dans 
1 oi’dre  alphabétique,  et  MM.  Umbdenstock  et  Auburtin  en 
respectant  leur  rang  d’ancienneté  comme  habitants  de  notre 
planète.  Comme  leurs  parts  de  collaboration  se  pénètreiit 
avec  une  égalité  absolument  fraternelle,  je  préfère  les  nom- 
mer par  rang  d’ancienneté,  militairement,  ainsi  qu’il  con- 
vient pour  les  auteurs  de  ce  palais  guerrier. 

« M.  Gustave  Umbdenstock,  architecte  diplômé  par  le 
( rüuvernement,  est  né  à Colmar  en  1866.  Alsacien,  il  a opté 
pour  la  France.  Elève  de  M.  Guadet  à l’Ecole  des  Beaux- 
Arts  où  il  a conquis  nombre  de  récompenses,  notamment  le 
prix  (lodebeut  en  1895.  11  est  deuxieme  Grand-Prix  de  Home 
de  1896.  Architecte-expert  près  le  Tribunal  civil  de  la 
Seine,  il  a emporté  au  concours  la  construction  du  monu- 
ment élevé,  à Turckheim,  à la  mémoire  de  Grad,  le  grand 
patriote  alsacien,  a exécuté  différents  travaux  privés  à Paris 
et  en  province  et...  est  officier  d’Académie. 

'<  (Juant  à M.  .Marcel  Auburtin,  en  changeant  le  nom  du 
maître  (Pascal  au  lieu  de  Guadet  i et  en  rajeunissant  un  peu 
toutes  les  dates,  sa  carrière  et  scs  succès  sont  si  semblables 
a ceux  de  son  aîné  ( prix  Rougevin  en  1895,  deuxième  Grand 
Prix  de  Rome  en  1898),  qu’il  semble  lui  avoir  emboîté  le  pas 
aussi  exactement  que  les  bons  troupiers,  dans  la  marche 
par  le  liane,  emboîtent  celui  de  leur  chef  de  lile.  Pourtant, 
un  signe  distinctif  rarissime  chez  un  artiste  déjà  aussi 
<1  arrivé  » ; il  peut  encore  deux  fois  entrer  en  loge  pour  dé- 


[.ES  (IHAMJS  PALAIS  DU  JiOHD  UE  L EAU 


67 


crocherle  Premier  Grand-Pri.x  de  Rome  et,  n’ayez  pas  peur, 
c'est  pour  ses  futurs  concurrents  et  non  pour  lui  que  l’on 
pourra  fredonner  comme  dans  l’opérette  antique,  la  Tiinljale 
d' Argent  : 

Encore  un  qui  n'  l’aura  pas 

La  timbale,  la  timbale!... 

Encore  un  qui  glisse  en  bas 

— Ail  ! fait  Ycrduret,  je  me  rappelle:  Judic!  Peschard! 

— Donc,  poursuit  l’officier,  M.  Düliiecki,  passant  à l'his- 
torique... mouvementé  de  ce  Palais  des  Armées,  me  dit  : 
« Voyez-vous,  l'artiste,  quel  que  soit  son  talent,  n’arrivera 
à rien  chez  nous,  s’il  n’est  doublé  d’un  véritable  héros  de 
patience,  de  lénacité,  de  volonté  et  s'il  a la  tare  de  modestie 
outrée,  c’est-à-dire  le  manque  d’absolue  condance  en  soi. 
Pn  1897,  on  rêvait  de  convier  le  Monde  à une  inégalable 
merveille  pour  clore  le  siècle...  des  merveilles.  Chacun  s’y 
donnait  de  tout  cœur,  aussi  bien  dans  les  sphères  gouver- 
nementales que  dans  les  sphères...  travailleuses.  C’est  alors 
que,  emportés  tlans  le  courant  d'enthousiasme  général,  les 
Ministères  de  la  Guerre  et  de  la  Marine  ouvrirent  un  concours 
pour  leur  palais  d’exposition,  portant  au  programme  que  ce 
bâtiment  se  terminerait  aux  deux  extrémités  en  forme  d'a- 
vant et  d’arrière  de  navire  de  guerre,  concours  où,  en 
novembre  1897,  MM.  Umbdenstock  et  Auburtin  enlèvent  le 
premier  prix,  entraînant  l’exécution  du  projet.  Vite,  ils  se 
mettent  à l’œuvre  pour  satisfaire  certaines  exigences  modi- 
ficatrices des  ministères:  ils  sont  prêts,  leurs  dessins  sont, 
avec  autorisation  supérieure,  publiés  dans  les  « illustrés  », 
on  n’a  plus  qu’à  procéder  à l’adjudication  des  travaux... 
quand,  en  juillet  1898,  les  ministères  annoncent  qu'il  faut 
faire  sauter  du  plan  les  bateaux.  Nos  architectes  se  deman- 
ilent  si  cette  questioiu  de  « hateau  » n’en  comporte  pas  un  à 
leur  intention.  Mais  non,  c’est  réel,  et  les  voilà  démolissant 
leurs  plans  pour  refondre  un  nouveau  projet  qui,  en  octobre, 
est  enfin  délinitivement  approuvé.  Ils  n’ont  plus  qu’à  pro- 
céder à la  dernière  mise  au  point  et,  cette  fois  on  va  pouvoir 
mettre  les  ouvriers  sur  le  chantier...  Allons  donc!...  Et  la 
sainte  guigne,  pour  qui  la  comptez-vous?  M.  de  Freycinet 
arrive  rue  Saint-Dominique  et...  supprime  net  la  partici- 
pation de  la  Guerre  à l'Exposition  de  1900  ! Fichtre,  voir 


68 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


ainsi  assassiner...  avant  sa  naissance,  l’enfant  de  ses  rêves 
ai  tisticjiies  et  de  tant  de  labeurs,  le  coup  était  un  peu  dur, 
si  cuirassés  que  fussent  nos  jeunes  maîtres  contre  les  houles 
adverses  qui  avaient  déjà  englouti  les  cuirassés  de  leur 
projet  primitif!  Recommencer  l’œuvre  à plusieurs  reprises, 
soit!...  Mais  avoir  usé  son  imagination  et  surmené  son 
talent  pour  n’accoucher  que  d’un  cadavre,  c’était  la  petite 
mort. 

« Malgré  tout,  te  dernier  mot  ne  pouvait  pas  être  dit. 
I.e  ministre  français  pouvait-il  ainsi  se  dérober,  après 
que  ses  collègues  de  l’étranger  avaient  accepté  l’invitation 
de  (imire 


ec 


ban 


se  ( 


au  quai  d Orsay  en  sa  compagnie  ? 11  y eut 
le  notes  diplomatiques  et  l’on  comprit  chez  nous 


que  l’on  devait,  tout  au  moins,  assurer  un  gîte  à nos  hôtes. 
G est,  je  pense  — me  dit  en  souriant  M.  Üobiecki  — ce  qui 
a dû  se  passer,  car,  soudain,  l’Administration  de  l’Expo- 
sition de  1900,  reprenant  à son  compte  le  projet  abandonné, 
en  charge,  qui?...  les  mêmes  architectes,  demeurés  on 
panne  par  le  lait  de  la  décision  abstentionniste  de  notre  dé- 
partement de  la  Guerre,  en  les  invitant  à fournir  de  nou- 
veaux plans.  Or,  remarquez  que  ces  invraisemblables  ter- 
giversations avaient  conduit  jusqu’en  avril  1899.  Plus  qu’un 
an  pour  concevoir,  mettre  sur  le  papier,  confier  à l’entre- 
prise, construire  et  inaugurer  le  palais  que  vous  voyez. 
MM.  Lmbdenstock  et  Auburtin  y ont  réussi,  mais  je  vous... 
donne  mon  billet  qu  il  leur  a fallu  marcber  à un  fantastique 
pas  de  géant...  Songez  donc,  le  temps  de  faire  les  adjudica- 
tions, ce  n’est  que  lin  juillet  que  l'on  peut  donner  le  pre- 
mier coup  de  pioche,  et  il  faut  couvrir  le  chemin  de  fer  des 
Müulineaux  et  faire  la  plate-forme  de  20,000  mètres  super- 
ficiels sur  laquelle  s’élèvera,  non  seulement  la  partie  haute 
de  l’immense  temple  de  Mars,  mais  aussi  le  Palais  du  Mexi- 
que. Plus  d un  vieux  praticien  ne  se  fut  pas  chargé  de  l’œu- 
vre dans  ces  conditions  ; nos  jeunes  architectes  n’hésitent 
pas  : Audaces  fortuna  juvat  ! La  plate-forme  n’est  terminée 
qu  en  octobre.  Ge  Palais  a donc  été  édifié  en  huit  mois  ! » 

G est  qu’il  est  immense  ! remarque  Verduret 
11  a quelque  345  mètres  de  long  sur  35  mètres  de  lar- 
geur. Et  cette  rapidité  vertigineuse  de  construction  a été 
obtenue  sans  que,  dans  1 armée  des  travailleurs,  on  n’ait  eu 


à dôplorer  un  seul  acculent  mortel,  pas  même  une  chute 
entraînant  une  incapacité  de  travail  de  plus  de  quinze 
jours. 

— (lomme  celle  de  ce  pauvre  Bouscastrol  au  Grand  Balais 
des  Champs-Elysées. 

— Oui,  répond  en  souriant  énigmatiquement  l'ofticicr- 
cicerone  au  manuracturier  retiré;  on  peut  dire  qu’en  dehors 
de  la  constante  vigilance  cà  laquelle  les  architectes  se  sont 
astreints,  ils  ont  eu  de  la  chance.  11  est  vrai  qu’ils  ont  été 
secondés  avec  un  rare  dévouement,  d’abord  par  M.  Dobiecki, 
dont  je  viens  de  vous  traduire  bien  mal  un  fragment  de  la 
longue  conversation  explicative  dont  il  a bien  voulu  me 
charmer,  et  qui,  tâtent  et  expérience  à part,  fut  pour  eux  le 
modèle  des  inspecteurs.  Puis  par  iM.  Monnier,  leur  sous- 
inspecteur,  auxiliaire  aussi  modeste  que  précieux,  dessina- 
teur original,  travailleur  infatigable,  prompt  à saisir  la 
pensée  de  scs  chefs  et  à l'interpréter,  bref,  un  officier  suhal- 
tei ne  parfait.  Ensuite  par  M.  Verray,  sous-inspecteur  du 
chantier,  qui  a exercé  une  surveillance  de  tous  les  instants 
avec  une  assiduité  et  une  conscience  exceptionnelles,  chose 
diflicile  dans  l’exécution  d’une  œuvre  aussi  vaste  et  m-an- 
diose.  Enfin  par  M.  Guineheau,  conducteur  des  travaux*^  par 
les  jeunes  aspirants  architectes  MM.  Deslandes  et  Berthier- 
jaar  M.  Balloux,  leur  vérificateur,  dont  la  probité  égalait 
I activité  et  qui,  hélas!  est  mort...  on  peut  dire  sur  le  chamn 
de  bataille.  * 

« En  dehors  de  ces  aides  techniques  de  leur  agence  ces 
messieurs  ont  eu,  au  point  de  vue  de  la  décoration  aristi- 
qiie  de  leur  grande  œuvre,  des  collaborateurs  c/i  primo  car- 
lello.  Toute  la  décoration  ornemaniste,  si  délicatement  et 
supérieurement  réussie,  est  de  M.  Galy  qui,  étant  de  plus 
statuaire,  a si  bellement  planté  les  deux  chevaliers  qui  gar- 
dent 1 entrée  de  la  passerelle.  Le  célèbre  sculpteur  russe 
lourguenefï,  collaborateur  et  ami  de  notre  maître  peintre 
1 était  e — qui  a pris  à celte  exposition  militaire  une  part 
SI  noble  et  SI  importante  dont  je  vous  parlerai  tout  à l’heure 
a généreusement  fait  don  des  deux  statues  équestres 
que  vous  voyez  là,  devant  vous,  dans  la  tribune  du  Donion 
central,  et  qui  évoquent,  en  une  si  superbe  allure,  ces 
deux  preux  dont  la  Erance  est  lière  : Bayard  et  Duguesclin. 


I.ES  CRAXDS  PALAIS  llU  HOIllJ  DE  l’eaü  69 


70 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


^ ous  vcri’GZ,  quand  nous  visitci’ons,  à 1 Gxtréinité  du  I alais 
voisine  du  Palais  Mexicain,  la  « rotonde  » qui  dispute 
au  Donjon  le  titre  de  « clou  » architectural,  vous  verrez, 
dis-je,  deux  magnifiques  chevaliers  ornant  le  départ  de 
l’escalier  extérieur;  ils  sont  1 œuvre  de  1 émérite  statuaire 
M.  Gcoiïroy.  Je  vous  forai  remarquer,  au  même  endroit,  la 
grille  de  fer  forgé  qui  ferme  la  Uotonde  et  est  une  œuvre 
d'art  tout  à fait  remarquahle  du  maître  serrurier  M.  Robert. 
Mais,  avançons-nous  plus  près  du  Donjon  central.  » 

— Nous  entrons?  demande  M""’  More,  qui  commence  a 
s'impatienter,  de  cette  nomenclature  d’œuvres  supérieures. 

— Dans  un  instant,  madame.  Auparavant,  j’ai  le  devoir 
de  vous  faire  admirer  avec  quelle  belle  hardiesse  de  pinceau 
ont  été  brossés  les  murs  et  les  voûtes  des  escaliers  qui,  de 
la  berge,  conduisent  au  Donjon,  peintures  qui  sont  l’œuvre 
dcM.  Mangonot,  artiste  habile  et  inspiré.  De  lui  encore  est, 
dans  la  tribune  même  du  Donjon,  cette  si  puissante  apo- 
théose militaire  devant  laquelle  Bayard  et  Duguesclin,  om- 
bres illustres  de  pierre,  semblent  monter  une  faction 
héroïque.  Ab  ! messieurs,  tous  ici,  architectes,  sculpteurs, 
peintres,  ont,  avec  émotion  d’artistes  et  tilial  amour,  con- 
couru à l’édification  d’une  œuvre  de  beauté,  à la  sévérité 
grandiose,  vraiment  digne  de  cette  armée  modèle  de  dévoue- 
ment, d’abnégation  patriotique,  de  travail,  de  savoir  et 
d'honneur  qu’est  notre  noble  et  chère  armée  de  France  ! 

Bèchard  pince  les  lèvres.  Non  pas  qu  il  soit  hostile  à 1 ar- 
mée : il  n’est  pas  assez  inlellecluel  pour  donner  dans  cette 
fronde  politico-confessionnelle  qui  manquait  à la  bigar- 
rure du  xix®  siècle  et  qui,  malgré  la  puissance  déprimante 
de  l’or  qui  est  sienne,  n’est  pas  viable  parce  quelle  se  heurte 
au  sens  et  au  tempérament  gallo-français.  Mais  la  vaniteuse 
pédanterie  du  farinier  regimbe  instinctivement  contre  tout 
éloge  passant  un  peu  trop  haut  au-dessus  de  sa  tète.  Si  l e 
paillette,  qui  lui  lire  l’œil,  le...  cbillonne  un  peu  parfois, 
c’est  parce  qu  elle  est  un  insigne  d autorité  et  de  dignité 
auquel  il  ne  peut  prétendre. 

— Ilum!  fait-il  d’un  ton  gros  d’intention,  je  ne  m’atten- 
dais pas  à entendre  la  marine  parler  si  chaudement  de  1 ai- 
mée de  terre. 

— Monsieur,  il  n'y  a qu’une  armée  française  scr\ant  sui 


LES  C.RAKDS  PAI.AIS  IIU  MORD  DK  l'kAL 


71 


(les  sols  (lillerents  et  dont  la  meme  devise  guide  la  valeur  ; 
((  Honneur  et  l’atrie!  » 

Oh  ! je  veux  bien  l’admettre  pour  l'armée  active.  11  ne 
faudrait  pourtant  pas  dire  que  l'armée  est  une  quand  elle 
comj)rond  dans  ses  cadres  ces  myriades  de  porte-galons  des 
réserves  qui  ont,  m’a-t-on  assuré,  un  organe  spécial  où  s'a- 
moncelle leurs  doléances  et  leurs  récriminations. 

— D’abord,  répond  un  peu  scellement  l’officier  de  vais- 
seau, ces  officiers  le  sont  au  môme  titre  que  les  autres  de 
par  leur  lettre  de  service  et  leurs  devoirs,  à cela  près  que 
leur  dévouement  et  leur  travail  se  donnent  gratuitement  à la 
patrie...  ce  qui  seul  devrait  leur  attirer  reconnaissance  et 
considération  de  la  part  do  tous.  S’ils  n’ont  pas  toujours  été 
traités  avec  les  égards  qui  leur  sont  dus  et  qu’ils  méritent  à 
tant  de  titres,  c’est  que  le  haut  commandement  se  souvient 
trop  des(.tébuts  forcément  peu  sérieux  de  l’institution.  ()n 
n’improvise  pas,  comme  on  l’a  fait  il  y a vingt-cinq  ans, 
un  aussi  formidable  corps  d’officiers  qui  ne  sont  pas  de  la 
carrière,  sans  que  le  plus  grand  nombre  soit  de  valeur  tecb- 
ni(|ue  ti ès  douteuse.  IMais,  a 1 user,  une  sélection  s’est  faite 
naturellement  et  ce  n’est  plus  maintenant  que  pour  une 
faible  minorité  que  l’on  peut  appréhender  qu’elle  ne  soit 
pas  tout  a lait  à la  hauteur  de  sa  tâche.  Si  plus  d un  grand 
chef,  encore  prévenu  défavorablement  par  les  souvenirs 
d un  passé  vu  de  près  dans  les  grades  subalternes,  se  rendait 
exactement  compte  de  ce  que  peut  rendre  mainlenant  l’ar- 
mée appelée  de  seconde  ligne  quoiqu'elle  doive  se  trouver 
un  peu  sur  la  même  ligne  que  sa  camarade  active,  ces 
grands  chefs  témoigneraient  un  intérêt  soudain  très  actif  pour 
ces  cadres  régénérés.  Cela  vous  étonne  qu’un  marin  parle 
en  connaissance  de  cause  des  réserves  de  l’armée  de  terre. 
C'est  (^uc,  toujours  préoccupé  de  l’état  général  des  fdrees  du 
pays,  je  me  suis  sans  cesse  tenu  très  au  courant  de  tout  ce 
qui  concerne  nos  formations  terrestres  aussi  bien  que  mari- 
times. Le  meilleur  guide  que  j’aie  trouvé  pour  me  rensei- 
gner sur  nos  armées  de  seconde  ligne,  est  justement  cette 
ieuille  à laquelle  M.  Bcchard  vient  de  faire  allusion  et  qui, 
très  militaire  et  d’ailleurs  rédigée  par  des  officiers  supérieurs, 
s appelle  \ Année  Terrilonale , nom  très  impropre  donné 
jadis  par  nos  législateurs  et  dans  un  but  un  peu  hypocrite,  à 


72 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


des  l’ormations  qui,  pour  l’inlanterie,  conslituent  tout  sim- 
plement le  triplement  du  régiment  actif,  déjà  doublé  par  le 


régiment  dit  de  réserve.  Cette  feuille,  indispensable  atout 
oflicierdes  réserves  soucieux  de  se  maintenir  constamment 
au  courant  de  ce  qui  concerne  sa  situation  et  son  instruction. 


Le  Palais  des  Au.mées  de  TicitiiE  et  de  meh. 


a lo  (Iroil  de  revendiquer  une  large  part  dans  le  grand  per- 
l'ectionnement  de  nos  cadres  de  réserve  terrestre  ; sa  voix 
autorisée  a retenu  bien  souvent  l’autorité  militaire  sur  des 
pentes  dangereuses  et  inainl(mu  dans  laligne  du  dévouement 
et  de  l’abnégation  bien  des  ofliciers,  qu’elle  a conservés  à la 
défense  des  pays;  elle  a le  droit  d’être  fière  de  l’œuvre  ac- 
complie, de  jmiser  dans  cette  fierté  l’énergie  nécessaire  aux 
ellorts  qui  lui  restent  <T  taire,  et  de  compter  sur  l’appui  elTec- 
til  de  ceux  dont  elle  défend  si  opiniâtrement  les  intérêts  et 
la  dignité,  et  qu’elle  dirige  dans  la  noble  voie  du  travail 
pour  le  plus  grand  bien  de  la  puissance  de  la  patrie  fran- 
çaise... Allons,  voilà  une  bien  longue  digression  dont  M.  Bè- 
chard  est  plus  que  moi  lo  grand  coupable...  J'y  coupe  court 
en  vous  priant  de  me  suivre  dans. l’intérieur  du  Palais  dont 
il  me  loste  à vous  indiquer  1 exposition  dans  ses  grandes 
lignes. 

Sur  les  pas  du  jeune  baron  de  Pilbouét,  notre  groupe  pé- 
nètre dans  le  Palais,  non  sans  une  sensation  de  respect  in- 
stinctif, un  peu  comme  on  entre  dans  un  temple.  N’est-ce 
pas,  en  ell'et,  le  Temple  de  la  Force  au  service  de  la  Civili- 
sation et  aussi,  bêlas  ! des  appétits  parfois  voraces  de  la  po- 
litique internationale?  JN  est-ec  pas  le  Tem|de  du  dieu  ter- 
rible et  ici  matérialisé  des  sanglantes  hécatombes  qui  peut, 
d un  jour  à l’autre,  réclamer  dans  chaque  famille  des  victi- 
mes de  belle  jeunesse,  de  forte  virilité,  pour  les  sacrifier 
dans  la  tourmente  elfroyahlement  perfectionnée  du  fer  et 
du  fou?  Dès  l’entrée,  la  vue  de  canons  monstrueux  inquiète 
un  peu  l’âme  paisible  de  Verduret,  fait  courir  un  frisson 
sous  l’épiderme  du  très  majestueux,  mais  fort  peu  belli- 
queux farinier,  et  briller  un  éclair  de  curiosilé  dans  l'œil  de 
.M  ' More  et  de  Bertrande  ; les  dames  ont  un  goût  particu- 
lier pour  ces  clioses  terribles,  des  effets  meurtriers  des- 
quelles leur  sexe  et  leur  mission  créatrice  les  mot  à l’abri. 

,,  77  l’ez-de-chaussée  de  cet  immense  Palais,  explique 
1 otbeier  de  vaisseau,  est,  comme  vous  voyez,  établi  au  dou- 
ble niveau  de  la  berge  et  du  quai,  ainsi  que  je  vous  Fai  fait 
remarquer  pour  les  halls  du  Palais  des  Forêts,  Chasses  et 
Pèches.  M.  Escalier,  l’architecte  si  justement  apprécié  qui 
a été  chargé  de  la  mise  en  scène...  pardon  ! de  l’installation, 
a réservé  autant  que  possible  le  rez-de-chaussée  haut 'à  Par 


A TRAVERS  l’exposition.  — T.  XV.  4 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


mée  de  terre  et  le  rez-dc-chaussée  has  à la  marine  mili- 
taire. Partant  de  ce  principe  général,  l’Administration  a 
virtuellement  séparé  l'immense  galerie  en  tranches  où  les 
nations  voisinent  selon  leurs  affinités.  Inutile  de  dire  que 
la  France  et  la  Russie  se  trouvent  côte  à côté.  Nos  mi- 
nistères de  la  Guerre  et  de  la  Marine  s’étant  officiellement 
dérobés  derrière  le  prétexte  des  fameux  secrets  profession- 
n.cls...  ilont  les  quelques-uns,  réeh,  eussent  été  faciles  a 
préserver  de  curiosités  intéressées,  la  section  française  ne 
comporte  qu’une  exposition  purement  industrielle.  Admira- 
blement disposée,  je  vous  assure  qu’elle  est  sutfisante  pour 
faire  faire  de  sérieuses  réflexions  sur  les  formidables  arme- 
ments modernes,  et  aussi  consoler  parla  perfection  de  l’or- 
o-anisation  des  ambulances.  Je  vous  recommande,  à ce  sujet, 
de  ne  pas  manquer,  lorsque  vous  visiterez  en  détail,  d'aller 
voir  les  petites  annexes  du  Palais  des  Armées  de  terre  et 
de  mer. 

((  Là,  en  contemplant  les  émotionnantes  salles  d ex[U>si- 
tion  des  trois  grandes  associations  ; 1"  des  Dames  françaises; 
2"  de  Secours  aux  blessés  militaires;  d"  des  Femmes  de 
France,  qui  proclament  la  généreuse  charité  du  cœur  fémi- 
nin, vous  regretterez,  mesdames,  de  ne  pas  avoir  songé 
encore  à contribuer  à étendre  ces  œuvres  de  noble  solli- 
citude et  de  dévouement,  qui  sont  le  cbamp  de  bataille 
pour  la  vie,  opposé  à l’infernal  champ  de  carnage  où 
régnent  la  souffrance  et  la  mort.  La,  M.  \ erduret  s intéres- 
sera au  baraquement  militaire  démontable,  en  bois,  de  la 
Société  des  Constructions  portatives,  ainsi  qu’à  la  voilure 

d’ambulance  si  bien  comprise  de  Marcou.  » 

pourquoi  \ erduret  seul  aurait-il  le  privilège  de 

s’intéresser  à ces  choses?  11  me  semble  que  je  suis  autant 
que  lui  capable  de... 

— Vous,  monsieur  Bèchard,  vous  y trouverez  une  grande 
attraction  professionnelle  dans  les  fours  de  campagne  démon- 
tables pour  les  pays  de  montagnes  et  les  colonies,  et  dans  la 
boulangerie  militaire,  système  Schweizer...  Mais,  revenons  au 
Grand  Palais  où  nous  sommes.  La  section  maritime  fran- 
çaise occupe  le  rcz-dc-cliaussée  du  bas.  Guy  voit  des  tou- 
relles cuirassées,  des  pièces  de  canons  qui  n’en  finissent  plus, 
des  machines  de  croiseurs,  etc.,  etc.,  le  tout  sorti  des  usines 


I.liS  (iKANiJS  PALAIS  Dc;  MOHIJ  DE  l'eaE 


/.) 


rm,l"slrie,  les  f„„Jorios  ol  arsenaux  de 

I Ltcli  U exposant  pas. 

— Aous  allez  nous  expliquer  eu  maître  ces  choses  que 
VOUS  connaissez  SI  bien,  n’osl-co  pas? 

- .le  mou  garilcrai  Lieu,  monsieur  A'erdurct,  car  nlu- 
Mcurs  seauces  seraient  tout  juste  suflisanles  pour  traiter  à 
on.l  tel  sujol,  ol  il  esl  Iden  convenu  ,,„e  nius  no  Wsônà 

CL.  matin  qu  une  visite  d ensemble. 

- Vous  nous  aviez  pourtant  promis  de  nous  dire  ici 
qnelques  mots  de  la  question  - inquiétante  pour  tous  les 
i ninçais  ayant  souci  de  la  défense  de  la  patrie  - de  la  llo  te 

n 7^  ï temps.  Telle  qu’elle  esl 

bravLre  l’i  vfl  supérieure,  sa  légendaire 

Z iu  nu'ic  r l'Angleterre, .éventualité 

. qui  , jusqu  ICI,  ministres  ni  amirauté  n’avaient  voulu  envi- 

sagei.  Vous  avons,  en  ell’et,  parmi  les  navires  capables  de 

due  campagne,  grands  cuirassés  rapides  cobre  eûu// 

1^01????  fZT  ’” eux;  voilà  la 
Z / 2 0 f ’T  ^''-«l^eurs,  nous  en  avons 

Zins  ? n I filant  au 

catéo-oide  lï  ? t’  pouvons  montrer  que  3 de  cette 

U^oiie.  11  est  vrai  que  nous  avons  188  torpilleurs  alors 

la\?oZ'?s*^?T^  Ponrrions-nous  compter  sur 

mo  tic  des  nôtres  pour  rendre  sur  Tbeure  dc  vrais  ser- 
Mces  de  gmerre  en  cas  de  soudaine  mobilisation? 

po^  ^pZrr:;Snc:""^^'’  ”” 

Savez-vous  qu'un  cuirassé  coûte  de  :{;{  à d.d  millions  et 
n?if  à" elZirrZgiZrZ  il  nouslu 

I i 3 -ilir  ^ »/«»■*  cl.  <,„a.ul  ,d,. s aurions 

due  LT  ' sif  “''■"'“‘"’t  V'-dle  soit  possible  cl 

que  nos  agressifs  «amis.,  nous  en  laissent  le  temns  nous 

nous  trouverons  en  face  d’une  Hotte,  chez  eux  auo-mentée 
de  moitié,  ce  qui  leur  sera  d’autant  plus  facile  qu'ils  cou 
sLruisent  plus  vite  et  à meilleur  marché.  ^ 

Alors,  comment  faire  pour  les  tenir  en  respect. 


ae,-.  "w-i 


76 


A TRAVERS  l'eVROSITION 


Rappelez-vous  le  combat  de  Saiil  contre  Goliath.  Le 

jeune  Hébreu  n’aurait  pas  eu  la  force  de  brandir  une  épée 
aussi  lourde  et  longue  que  celle  du  géant.  Que  fait-il?  se 
sert  d'une  simple  fronde  qui  lui  permet  de  se  tenir  hors  de 
portée  du  bras  terrible  et  dont  la  petite  pierre  habilement 
maniée  abat  le,  colosse.  Notre  budget,  pesamment  charge 
par  l’armée  de  terre  indispensable,  ne  nous  permet  pas  de 
lutter  contre  Albion  avec  une  arme  pareille;  ayons  donc 
l’habileté  de  lui  opposer  une  autre  arme  efficace  et  de 
moindre  pri.v. 

— La  fronde?  • . i 

C’est-à-dire  l’arme  insaisissable  et  rapide  qui  évité  la 

lame  formidable  dans  l’espèce,  les  escadres  de  grands  cuiras- 
sés et  frappe  l'adversaire  au  front,  c’est-à-dire  au  siège  de 
la  vie  qui  est,  pour  l’ Angleterre-usine,  l’arrivée  dans  scs 
ports  des  vivres  et  des  matières  premières.  De  plus,  ména- 
geons-nous la  possibilité  de  tenir  ces  géants  en  respect,  le  ■ 
temps  d(‘ débarquer  cent  mille  hommes  et  aussi  de  les  dé- 
truire s’ils  essaient  des  représailles  sur  nos  eûtes,  même 
d’aller  les  faire  sauter  mystérieusement  dans  leurs  propres 
rades.  Pour  cela,  nous  aurions  besoin  d’ajouter  à notre 
tlotte  : 24  croiseurs-corsaires  (624  millions),  dO  avisos-moi- 
tiers  d’au  moins  dO  nœuds  de  vitesse  et  lançant  1 obus  a 
grande  capacité  d’c.xplosif,  type  qui  a fait  scs  preuves 
(8h  millions),  100  torpilleurs  de  1™  classe  à dO  nœuds 
(4d  millions),  100  sous-marins  (60  millions),  et  pour  10  mil- 
lions de  remorqueurs  et  chalands  propres  au  débarquement 
rapide  de  troupes  de  toutes  armes.  En  faisant  cette  dépense 
immédiate  de  seulement  520  millions,  1 Angleterre  sera 
obligée  de  devenir  polie  et  conciliante,  sous  peine,  prompte- 
ment affamée,  industriellement  anihilée  ou  même  envahie, 
de  regretter  d’avoir  imposé  d’humiliants  bashoda  à autrui. 
Telle  "est  l’opinion  de  la  plus  grande  partie  de  \d.  jeune  ma- 
rine, dont  le  titre  ne  veut  pas  dire  quelle  ne  compte  pas 
dans  ses  rangs  de  vieux  amiraux  non  inféodés  au  grand 
parti  métallurrjique.  Elle  dit,  cette  «jeune  manne»: 
« Puisque  vous  ne  pouvez  pas  avoir  l’équivalent  similaire 
d’Albion,  créez  l'arme  bon  marché  à opposer  utilement  au 

géant.  » _ . , 

— H me  semble  qu’elle  pourrait  bien  avoir  raison. 


LES  (iRANDS  PALAIS  Dü  liORD  DE  l'eaL 


77 


- l'.lle  se  conipose  de  la  nuijorilé  des  olTiciers  de  vais- 
seau et  elle  a la  loi  inébranlaLle  (|iLelle  est  dans  le  vrai 
IMais  que  voulez-vous  que  déci.lent  dos  députés  ignorants  de 
ces  questions  spéciales?  Ils  font  des  cotes  mal  taillées  et 
nous  dépensons  sans  résultat.  II  faudrait  que  ces  vérités  si 
simples  pénétrassent  la  nation;  mais  en  supposant  qu’on  v 
arrive,  il  y aurait  beau  jour  que  l’Angleterre  nous  auraft 
prévenus  en  détruisant,  sous  le  nombre,  notre  Hotte  actuelle 
liülin,  répandez  toujours  autour  de  vous  la  bonne  parole 
pas  nuire;  mais,  pour  parvenir  au  but  en  temps 
utile,  il  laudraitqu  une  personnalité  surgît,  en  qui  tout  le 
pays  ait  confiance,  et  qui  se  donnât  la  mission  de  nous 
lendre  forts  sur  mer  comme  nous  le  sommes  sur  terre  Au- 
rons-nous ce  bonheur,  je  l’ignore.  Ayant  dit  ce  que  je  crois 
de  mon  devoir  de  dire,  fùt-cc  inutilement,  je  reviens  à cette 
e.\po.sition  en  vous  disant  que  les  ex-positions  militaires  et 
maritimes  des  autres  lÀtats  - ,jui,  elles,  sont  franebement 
olticie  les  -- sont  du  pins  haut  intérêt,  en  particulier  celles 
de  la  hussie  et  de  1 Angleterre.  Maintenant,  montons  au 

lence^*^*'  le  «clou.)  français  par  excel- 

— Et  en  quoi  consiste-t-il? 

- En  une  exposition  rétrospeclivo  militaire  qui,  sous  la 
bague  te  magique  de  noire  grand  peintre  national,  Edouard 
Jetaille  est  deycniie  non  seulement  un  musée,  mais  un 
temple  de  nos  gloires  guerrières  depuis  la  Renaissance  jus- 
qu a nos  jours.  «Ab!  me  disait  M.  Dobiccki,  le  public  ne  se 
doutei a jamais  de  la  somme  d’elforts  que  le. grand  artiste  a 
consacrée  au  service  de  cette  œuvre  patriotique.  Avec  des  res- 
sources dérisoires,  il  s est  mis  en  campagne,  apôtre  ardent 
de  son  reve,  écrémant  avec  une  activité  inlassable  et  un 
impeccable  goût  les  richesses  des  collectionneurs  de  glorieux 
souvenirs  et,  de  tous  ces  héroïques  débris  disparates,  sachant 
luire  un  tout  classé  avec  un  art  prodigieux  et  qui  fait  re- 
vivre, en  une  évocation  parlante  des  reliques  de  iiotr.-  su- 
perbe passe  militaire,  la  vaillance,  la  gloire,  la  générosité  et 

1 héroïsme  de  notre  race.  Ce  sont  des  tableaux  rares,  .les 
portraits  .le  nos  grands  capitaines  : maréchal  de  Saxe,  Condé 
urcnne;Sucbet,  par  Horace  Vernet;  Bonaparte,  par  Davi.l 
e^  tentures  historiques,  des  armures  moins  tières  sous  les 


78 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


estocades  (lue  les  braves  qui  les  portaient,  les  habits  brodés 
d’or  troués  par  la  mitraille,  un  morceau  du  manteau  bleu  de 
Bonaparte  à Marengo,  le  petit  chapeau  et  runiforme  de  chas- 
seur de  Napoléon,  la  lorgnette  de  Napoléon  111  à Sollérino, 
etc.,  etc.,  et  c’était  le  cœur  de  La  Tour  d’Auvergne,  « Pre- 
mier Grenadier  de  France»,  avant  qu’on  ne  l’eut  enlevé 
pour  en  demander  à la  famille  dn  modeste  héros  le  tiansfert 
au  Panthéon.  Le  maître  Détaillé  a présenté  cette  collection 
unique  avec  un  ordre  et  une  harmonie  incomparables,  sous 
l’inspiration  ardente  de  sa  grande  àme  de  patriote;  il  en  a 
fait  le  but  du  pèlerinage  ému  des  visiteurs  Irançais,  qui  la 
quittent  avec  une  hère  larme  au.x  yen.v,  une  noble  cbaleui 
sous  la  poitrine  et...  nn  pli  au  front,  car  l’éclatant  passé  leur 
fait  sentir  plus  gris  et  plus  terne  encore  un  immérité  pré- 
sent. Honneur  et  merci  à Edouard  Détaillé,  messieurs;  il  a 
fait  mieux  que  d’organiser  patriotiquement  une  collection 
glorieuse,  il  a fait  communier  les  cœurs  français  dans  un 
élan  de  mâle  amour  pour  cette  patrie,  mère  de  tant  de  héros. 

((  Pour  répondre  à cette  évocation  des  vaillances  dn  passe, 
le  syndicat  des  fournisseurs  d’équipement  de  l’armée  ont 
organisé  près  de  là,  sous  le  titre  de  Panorama  militaire,  une 
exposition  — un  peu  toutfue  en  raison  dn  manque  de  place 

Jes  uniformes  modernes  qui  attendent  qu  un  inéluctable 

avenir  fasse  d’eux  un  passé  digne  des  glorieux  débris  des 
ancêtres.  A côté,  voisine  l’exposition  militaire  rétrospective 
allemande;  elle 'est  très  brillante,  mais  ne  fait  pas  de  tort 

à la  nôtre.  » , at  i 

— Et  la  Russie,  notre  Grande  Alliée,  réclame  Verduret, 

est-elle,  au  moins  bien  représentée  ici?...  Elle  ne  s’est  pas, 
je  pense,  dérobée,  comme  la  b rance...  olficielle  . 

— Non  certes,  et,  de  toutes  les  sections  étrangères,  la 

plus  complète  est 


l’ EX  l'O  s 1 T l OiS  MIEITAMl  !■;  DE  DA  R l S S 1 1'. 

— Cette  exposition  a été  organisée,  sous  la  direction 
supérieure  de  M.  le  conseiller  privé  Verkovtzow,  par  M.  le 
général  Van  der  Hoven,  pour  l’artillerie;  îil.  le  général 


70 


Li;S  CRA.MiS  PALAIS 


nu  HORD  DK  l’kai: 


le  génie 


M.  Kaptschevsky,  pour  le  service 


Falu'ilius,  poui 

l’intendance'  secondés  par 
MA  . les  lieutenants  LvolT  et  Winogradsky.  J'ai  en  la  horlne 
ortune  de  visiter  la  section  russe  sous  l'aimable  conduite  de 
ce  I ei-nier,  courtoisement  et  bienveillamment  mis  à la  dis- 
position du  camarade  français  par  le  général  Van  der  Hoven 
cl  qui  J en  garde  une  respectueuse  reconnaissance.  Vatu- 
lellement,  entre  militaires,  nous  nous  sommes  arrêtés  à de 
nombieux  details  techniques  d’un  intérêt  capital,  auxquels 
.jo  ne  peux  initier  des  dames  et  des  profanes  tels  que  vous 
letes  messieurs.  Je  ne  puis  donc  que  vous  indic  uer  les 
glandes  lignes,  en  vous  précisant  seulement  quelques 
points  tout  particulièrement  intéressants. 

« La  section  russe  occupe  un  vaste  carré  du  re/-de- 
chaussee,  haut  et  bas,  de  ce  Palais,  à côté  de  la  France  et 
une  annexe  construite  par  MM.  les  architectes  Mclt/er  de 
fecVint-Pelersbourg,  et  Von  llogcn,  de  l’Académie  pétèrs- 
J ingeoise.  Dans  le  Palais,  rez-de-chaussée  haut,  Vlnten- 
dance  expose  ses  draps,  toiles  et  tissus  imperméables  d’urn- 
|;e.s  ance  et  d'une  solidité  de  couleul-  extraol^^kai!;:^ 
bab  lemeiit  et  des  mannequins  équipés,  les  marmites  et 
gcimelles  en  a nminiiim,  les  vivres  de^onserves  de  toutes 
I es  e outillage  nécessaire  à leur  préparation,  des  photo- 
^lapbies  des  etablissements  de  l’intendance,  des  magasins 
et  ateliers  d habillement,  des  parcs  du  train  militaire  et  une 

lisir'cuhs  n apprécier  les 

tissus,  CHUS,  objets  métalliques,  qualité  des  vivres  etc 

lout  cela  est  exclusivement  russe  et  révèle  une  organisation 
avante  de  premier  ordre.  Là  aussi,  vous  verrez  tlit  ce  Z 
conceine  les  troupes  cosaques,  hommes,  uniformes,  équipe- 
imnt  pays  tourn.ssant  ces  nombreux  contingents,  reniolte 
budget  spécial.  La  encore  tout  co  qui  intéresse  le  service 
ce  santé,  hôpitaux,  matériel  et  personnel;  sacs  de  méde- 
cins, de  ve  ennaire,  d'infirmier,  de  brancardier,  poste  de 
secours  de  bataillon,  ambulance  de  brigade,  matériel  de 
pansemenl,  médicaments  en  tablettes,  laboratoires  bacté- 
lo^iques  et  hygiéniques,  étuves  à désinfection,  oiitilla-e 
de  labrication  de  ces  outils  et  produits,  travaux,  tableaux 

ZfriZ  •'  co^P^te  de  l'état  sani- 

aiic,  lit  1 hjgienc  et  de  1 organisation  médicale  dans  l’armée 


SI) 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


russe.  Làenlin,  la  majeure  partie  de  rcxposilion  du  genie, 
chez  nos  alliés;  larme  spéciale  y élève,  outre  les  bâtiments 
militaires  conslruits  à l'usage  de  l'armée,  des  chapelles,  des 
éo-lises  des  monuments  commémoratifs,  tel  celui  baptisé 
Aa  Gloire  »,  érigé  à Saint-Pétersbourg  en  mémoire^de  la 
guerre  d'Orient  de  1877-78.  Les  troupes  de  chemin  de  fer 
et  les  pontonniers,  les  officiers-étudiants  de  l’Academie  du 
o-énie  et  les  élèves  de  l’école  de  l'arme,  l'atelier  de  moulage, 
etc  etc  , sont  représentés  par  des  travaux  éminemment 
intéressants  pour  les  techniciens.  Le  service  dn  génie  dé- 
borde dans  le  rez-dc-cbanssée  bas  oii  expose  la  marine  de 
l’Etat  et  V montre  le  ballon  militaire  la  France!^  gréé 

comme  if  l’était  en  1897  pour  son  ascension  libre  exécutée 
au  camp  de  Erasnoié-Sélo,  en  présence  du  si  représentalil, 
cordial  et  regretté  Président  Félix  Fanre...etc. 

— Ft,  dans  l'annexe?...  ■c  i. 

Sont  d’abord,  le  service  de  l'artillerie  qui  lait,  dans 

les  vastes  Etats  du  Tzar,  de  si  merveilleux  progrès.  M.  le 
lieutenant  Winogradsky  m'a  guidé  dans  1 etude  d nn  allut 
à éclipse  et  à ressort  pour  le  canon  de  côte  de  9 pouces  — 
e.-est-à-dirc,  povco  russe  de  dix  lignes  mesurant  t)'"02b  t, 
environ  d'''28  de  calibre  — et  d’un  antre,  pour  canon  de 
11  ponces  (Ü'’'28),  muni  d’appareils  hydrauliqnes  pour  le 
chargement  et  le  pointage.  Ces  deux  alfûts,  placés  au  centre 
du  pavillon,  construits  sur  les  plans  du  colonel  Donrlacher 
à Saint-Pétersbourg,  dans  l’usine  Nobel,  qui  est  le  Lreusot 
slave,  reposent  sur  le  principe  suivant:  les  servants,  en 
agissant  sur  une  iiompe,  font  passer  de  l’huile  de  naphte  d un 
réservoir  dans  nn  accumulateur  mum  de  ressorts  Belleville, 
on  ouvrant  une  soupape,  riuiile  sous  pression  passe  dans 
deux  cylindres  et  fait  monter  l’affût  ; le  recul  refoule  le 
liquide  dans  l'accumulateur,  ce  qui  permet  de  replacer  anto- 
matiquement  la  pièce  dans  sa  position  sans  avoir  a charger 
de  nouveau  l’accumulateur.  Pour  l’alTût  du  canon  de 
11  pouces,  le  principe  de  la  manœuvre  est  le  meme,  t e 
plus  le  chargement  est  lui-mème  automatique  comme  le 
pointage  en  hauteur  et  en  direction,  car  une  des  quatre 
presses  actionne  une  grue  qui  amène  le  projectile  devan 
la  culasse  où  le  fait  entrer  une  sorte  de  projecteur.  1 res  c e 
ces  affûts  sont  des  coupes  verticales  des  projectiles  en  ser 


LES  GRANDS  PARAIS  DP  liORD  DK  r’raI' 


81 


vice,  y compris  les  obus  éclairants  inventés  par  le  capitaine 
iVilus.  L arsenal  <1  artillerie  de  Saint-lb’dersbonrg^  expose 


un 


La  GOKi.Enp;  1 erhk-^kuvi:  ” kt  i.i:  kateau  AMiîui.A.NriEn. 


aimt  (le  campagne,  modèle  I8!»b,  munie  d'une  bêche  de 
crosse  imagânée  par  le  général-lieutenant  Engelhard!,  qui  a 
eu  le  premier  l'idée  d’employer  du  caoutchouc  et  des  res- 


82 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


sorts  pour  immobiliser  les  pièces  pendant  le  tir.  Dn  môme 
savant  officier  est  un  affût  pour  mortier  de  campagne  île 
()  pouces  (O™  152  1/2),  qui  montre  comment  la  Russie  a 
résolu  le  problème  des  gros  calibres  pour  l’artillerie  de  cam- 
pagne... Mais,  ]e  n en  finirais  pas  tant  il  y a,  dans  cotte 
exposition,  de  choses  curieuses  aux  points  de  vue  les  {)lus 
divers. 

— Techniques,  toujours? 

Non  pas,  monsieur  Venluret.  Ainsi  la  manufacture 

d’armes  de  Toula,  en  exposant  tous  les  types  de  fusils  ayant 
existé  en  Russie,  depuis  le  fusil  à pierre  jusqu’à  l’arme  por- 
tative actuelle,  modèle  1891,  qui  est  à répétition  avec  ma- 
«asin  de  cinq  cartouches,  exhibe  dans  une  vitrine  des  fusils 
aux  superbes  incrustations  artistiques  d’ivoire  et  de  métal  : 
ce  sont  les  armes  impériales,  chaque  empereur  étant,  en 
quelque  sorte,  le  parrain  d’un  fusil  ; on  voit  le  vieux  fusil 
à silex  de  Catherine  11,  ceux  des  tzars  Nicolas  R’’, 
Alexandre  l'’’,  Alexandre  11,  Alexandre  111.  Ailleurs,  c est 
un  lingot  d’acier  en  creuset  pour  canon  de  fusil,  coulé  sans 
soufflure  suivant  le  procédé  spécial  pratiqué  à laciéiie  de 
Jjewsk.  Plus  loin,  c'est  un  vieux  canon  du  xiv"  siècle  en- 
castré dans  un  tronc  d’arbre;  un  du  xvn«  siècle  z/?/?  est  rayé 
(>t  se  charye  par  la  culasse,  une  couleuvrine  du  même 
temps,  de  même  type,  dont  la  fermeture  à coin  montre  que 
Krupp  n’a  fait  que  retrouver  une  idée  en  pratique  deux 
siècles  avant  lui  ; et  des  roues  d affût  en  bois  courbe,  sys- 
tème du  général  Fischer. 

— Très  curieux,  tout  cela! 

Dans  ce  Pavillon  annexe  sont  représentés  : le  service 

cartographique  et  topographique,  où  l’on  voit  les  plans  mê- 
mes levés  au  Pamir,  en  Chine  et  au  Thibet,  par  le  capitaine 
Kabarovky  et  le  lieutenant  Kozlow,  au  cours  d’une  des  cent 
sept  explorations  faites  par  l’état-major  russe,  en  Asie  cen- 
trale ; et  le  service  des  écoles  militaires,  modèle  d’habitation 
d’un  corps  de  cadets,  leurs  travaux,  les  règlements,  les  pro- 
grammes, etc.  En  résumé,  le  Tzar  a voulu  faire  bien  et 
complètement  connaître  au  public  français,  son  allié,  1 état 
de  la  puissance  militaire  de  la  Russie.  Son  ministre  de  la 
guerre  a fait  publier,  dans  le  but  de  faciliter  cette  étude  à 
tous,  un  aperçu  qui  donne  une  idée  générale  de  1 organisa- 


83 


Li;s  r.lUNDS  PAF.AIS  DU  IIOPD  DE  u’uAU 


lion  (lo  rarniÉe,  de  son  recrulement,  de  son  armement,  de 
ses  services  administralils,  de  son  budget,  etc.  Cette  liante 
Irancluse  est  un  avis  qui  portera  ses  fruits.  En  sortant  de  la 
Section  militaire  russe,  au  Calais  et  dans  l’annexe,  les 
français  se  sentent  monter  an  cœur  une  vaillante  chaleur 
confiante,  et  les  étrangers  demeurent  songeurs.  Seuls  les... 
insulaires  turbulents  sourient  à leur  provisoire  invu’lnéra- 
bi  itc.  Ah  ! SI  nous  avions  la  flotte  nécessaire  et  la  Russie 
celle  de  1 avenir,  i’rance  et  Russie,  la  main  dans  la  main 
imposeraient  la  paix  sans  arrière  pensée  à l’Europe...  et  aii 
monde,  parle  seul  respect  de  leur  puissance  unie! 

— Quand  l’aurons-nous,  cette  flotte,  hélas  ? 

— Rientôt  peut-être,  car  il  me  semble  impossible  que  le 
pays  et  ses  mandataires  demeurent  en  contradiction  d’opi- 
nions et  d idées  Nous  sommes  un  peuple  logique  où  les 
situations  absurdes  ne  peuvent  s’implanter...  Oh!  pardon. 
Notre  question  me  fait  sortir  de  mon  double  rôle  de  soldat 
voue  au  silence,  et  de  cicerone.  J'y  rentre  en  vous  invitant  à 
pgner  1 aile  droite  de  ce  Calais  où  s’abrite  l'Hygiène,  dont 

exposition  constitue  un  immense  hommage  de  l’iiunianité 
reconnaissante,  un  monumenl... 


~ ')'esdames  et  messieurs,  poursuit  le  guide  titré,  l’idée 
est  belle  qui  a fait  placer  l'OEuvre  de  vie  sous  le  toit  même 
ou  s afnrment  les  terribles  et  perfectionnés  engins  de  mort 
La  les  héca  ombes  farouches,  ici  la  prolongation  savante  de 
existence  humaine  ; là  les  fatigues  qui  déciment  les  coni- 
baltants  et  les  hideux  charniers  qui  engendrent  les  conta- 
gions; ici  les  decouvertes  merveilleuses  qui  rendent  peu  à 
peu  1 homme  réfractaire  aux  maux  et  aux  épidémies  aux- 
quels il  payait  un  effroyable  tribut.  Cette  classe  bienfai- 
sante a cte  installée  admirablement  par  les  architectes 
memes  du  Calais,  MM.  Umbdenstock  et  Auburtin,  sous  la 


^5,  A TRAVERS  L EXPOSITION 


présidence  de  l'cminent  docteur  Brouardel,  doyen  de  la 
Faculté  de  Médecine.  En  quittant  l'exposition  militaire 
industrielle  française  et  en  nous  dirigeant  du  côté  Alma, 
nous  traversons  les  filtres  — pardon,  car  ils  auraient,  en  ce 
cas  les  porcs  un  peu  trop  vastes  pour  notre  sécurité  — nous 
traversons  entre  les  liltres  les  plus  ingénieux,  pour  arriver 
dans  une  salle  que  voici  et  qui  est  vraiment  charmante  avec 
ses  arcades,  sa  voûte  ajourée,  ses  vélums  d'une  teinte  douce, 
scs  lo^'cttes  Louis  XV,  où  sont  enfermés  des  dioramas,  et  sa 
huveUe...  que  mépriserait,  certes,  le  Irinquefort  do  la 
vieille  chanson  si  line  de  nos  pères,  car  on  n'y  sert  que  de 
l'eau.  Nous  sommes  dans  l'exposition  des  Eaux  minérales, 
dont  la  décoration  de  sculpture  ornemaniste  si  élégante  esl 

due  àM.  Langevin.  , , n , , 

« De  cette  salle  nous  descendons  1 escalier  de  la  Uotomie, 
au  pied  duquel  est  la  belle  grille  de  fer  forgé  dont  je  vous 
ai  parlé  et  nous  voilà  au  rez-de-chaussée,  où  nous  trouvons 
le  Salon  Pasteur,  décoré  par  M.  Gally,  comme  le  reste  du 
l'alais.  Au  centre  vous  voyez  le  monument  sculpté  avec  une 
idéale  noblesse  d'inspiration  et  de  touche,  iine^  pureté  de 
lignes  et  un  charme  inexprimable,  par  MM.  Enderlin  et 

Block,  en  l'honneur  de  l'illustre  savant.  <(  C'csl  la  salle  des 

Microiios,  me  disait  M.  Dohiecky,  en  me  montrant  ce  beau 
salon,  mais  ne  vous  clfrayez  pas;  MM.  les  docteurs  Roux 
et  Camette,  de  l’Institut  Pasteur,  les  ont  maintenus  prison- 
niers dans  des  bocaux  que  la  main  ne  peut  approcher». 
Les  vitrines  qui  entourent  le  buste  de  1 inventeur  de  la 
méthode  microbienne  résument  ses  beaux  travaux  : îhssi/- 
métrie  rnolécidaire  préparés  par  Un  dans  les  bacons 

originaux  avec  étiquettes  de  sa  main,  et  ce  manuscrit  est 
sa  thèse  de  physique  présentée  à la  Faculté  des  Sciences 
en  18i7);  Fermen/alion  (ballon  et  microscope  ayant  sei\i 
au  maître);  Généra/ ions  spontanées  (ballon  ayant  servi  aux 
expériences  sur  les  matières  organisées  de  1 atmosphère  — 
nos  insaisissables  empoisonneuses  — et  ballon  présente 
à l'Académie  des  Sciences  lors  de  la  fameuse  discus- 
sion sur  ces  générations  spontanées);  Maladie  des  vins  H 
de  (a  bière  : Maladies  des  vers  à soie;  Appareils  de  slerdi- 
saiion;  Maladies  virulentes  (choléra  des  poules,  vaccination 
charbonneuse,  vaccination  contre  le  rouget  des  porcs);  enlin 


LES  r.UAKDS  PALAIS  DU  liORD  DE  L EAU 


85 


Etudes  sur  la  rage,  avec  la  spatule  de  platine  dont  se  ser- 
vait Pasteur  pour  ses  inoculations.  La  statistique  annexée 
nous  dit  que,  sur  24,631  personnes  mordues  et  traitées  à 
l’Institut  de  1886  a 1898,  c’est-à-dire  en  treize  années, 
99  seulement  sont  mortes,  ce  qui  équivaut  à dire  que,  pen- 
dant cette  période,  ce  Génie  bienfaisant  a sauvé  de  la  plus 
horrilile  mort  99  1/2  "/o  des  malades  qui  ont  eu  recours  à sa 
méthode.  Ce  Salon  Pasteur  — qui  sert  de  vestibule  à l’expo- 
sition de  l’Hygiène  et  où  tous  les  ingénieurs  et  construc- 
teurs d’appareils,  tous  les  fabricants  français  de  produits 
pouvant  contribuer  à l’amelioration  de  l'habitation  ou  au 
large  bien-être  de  l’existence  semblent  offrir  leurs  ell'orts 
comme  un  hommage  à l’illustre  savant  — est  entouré,  tel 
une  escorte  d’honneur,  par  les  petits  salons  do  l’Autriche, 
de  l’Allemagne,  do  1 Italie,  de  la  Suisse  et  du  Ministère  de 
1 Intérieur  français;  le  Monde  avec  la  France  honorent  res- 
pec-tueusemement  la  Science  bienfaitrice  dont  la  patrie 
morale  ne  connaît  pas  de  frontières  ! » 

— Mais,  remarque  Verduret,  cette  partie  du  Palais  des 
Armées  consacrée  à l’ilygiène,  n’a  donc  pas,  comme  le  reste, 
de  rez-de-cbaussée  bas? 

— Le  rez-de-cbaussée  haut,  ici,  s’étend  en  effet  jusqu'à 
la  façade  sur  la  Seine.  11  forme  ainsi,  au-dessus  de  la  berge, 
comme  un  vaste  sous-sol  qui  est  occupé  par  l’exposition  du 
cbaullage  et  de  la  ventilation,  très  intéressante  pour  tous, 
mais  en  particulier  pour  les  propriétaires,  monsieur  Ver- 
duret. Nous  allons  y descendre,  si  vous  le  voulez  bien,  pour 
rembarquer  dans  notre  gondole  qui  va  nous  faire  faire  un 
lour  de  Seine_,  de  façon  que  je  puisse  vous  présenter  : 


...■5Sn?Ç- 


LES  SERRES  DE  L’IIORTICELTE  RE  ET  LE  PALAIS 
DES  CONGRÈS 


Notre  groupe  expositionniste  vient  à peine  de  quitter  le 
l'cilais  des  Armées  et  de  l'IIj-giènc,  que  l’extraordinaire  embar- 
cation accourt  toute  seule  se  ranger  au  long  du  quai,  à ses 
pieds. 

Bizarre  tout  de  même!  fait  Verduret,  avec  un  sourire 
incrédule.  Je  ne  vois  pourtant  pas  à ce  « Diable  d’eau  » le 
fameux  œil  de  ces  jonques  de  guerre  que  les  doux  Chinois 
ont  si  bien  remplacées  par  des  cuirassés  modernes  ! 

11  embarque,  suivi  aussitôt  de  ses  compagnons,  car  Bè- 
chard  commence  h s’habituer,  et  la  présence  de  l’officier  de 
vaisseau  le  rassure.  La  forte  et  rapide  embarcation  s'élance 
a vive  allure,  franchissant  le  pont  de  l'Alma,  dans  la  direc- 
tion du  pont  des  Invalides.  Avant  de  l’atteindre,  elle  vire  de 
bord,  vient  ranger  la  rive  droite  du  fieuve  à quelques  mè- 
tres, et  se  met  à descendre  le' courant  avec  une  vitesse  infi- 
nitésimale, beaucoup  moindre  certainement,  que  celle  du 
courant  lui-même. 

Nous  voici,  dit  alors  le  baron  de  PilbouëL  devant  le 
Pavillon  de  la  Ville  de  Paris... 

^ Que  nous  avons  visité,  vous  le  savez  bien,  puisque 
c est  vous  qui  nous  y avez  conduits...  pas  très  sagement! 

Et  je  vous  y ai  donné  un  guide  qui  n’a  pas  dû  vous 
intéresser  beaucoup. 

— Oui,  le  gardien-catalogue. 


■Il 


H ' ■ 


88 


A TRAVERS  l’EXPOSITION 


— C’est  un  brave  garçon  que  j’ai  eu  jadis  à mon  service, 
comme  valet  de  chambre... 

— Pardon!  intervient  Bccbard,  il  s’agit... 

De  vous  dire  un  mot  des  serres  de  l’horticnlture  et  de 

l’arboriculture,  devant  lesquelles  nous  allons  passer.  Pour 
pouvoir  vous  en  parler  convenablement,  j’avais  demandé  à 
M.  Gautier,  rarchitccle,  un  rendez-vous  qu’il  n’a  pu  me 
donner  en  temps  o|)portun... 

— Ab  ça  ! interrompt  Verduret,  vous  saviez  donc  devoir 
nous  les  montrer,  monsieur  le  baron  ? Savez-vous  que  vous, 
Bouscastrol,  et  même  le  vénérable  centenaire,  vous  me 
faites  l’eiret  d’une  véritablo  bande,  dont  nous  n’avons  qu’à 
nous  louer,  certes,  mais  (pril  est  étrange  de  voir  s'occuper 
ainsi  de  nous  dès  notre  arrivée!  Je  serais  curieu.v  de  savoir 
ennn.. . 

— Ce  qu’il  ne  m’appartient  pas  de  vous  expliquer,  mon- 
sieur Verduret.  Daignez  prendre  patience:  elle  ne  sera  pas 
soumise  maintenant  à une  longue  épreuve  — et,  comme  je 
n’en  sais  pas  plus,  sur  ces  serres,  que  le  commun  des  mor- 
tels, permettez-moi  de  vous  lire,  en  passant  devant  elles, 
le  résumé  descriptif  du  (uiidp  Contrj  : 

« Placé  sur  le  bord  de  la  Seine,  le  Palais  de  l’Horticul 
turc  et  de  l’Arboriculture  se  compose  de  trois  grandes  ser- 
res placées  en  triangle,  et  parallèles  au  cours  de  la  Seine. 
Les  deu.x  premières,  sur  le  boi’d  de  1 eau,  sont  absolument 
identiques.  Formées  toutes  deux  d un  batiment  lectangu- 
laire,  terminé  à l’extrémité  par  une  autre  serre  de  forme 
elliptique,  elles  mesurent  cbacune  83"' io  de  longueur  to- 
tale, sur  28  mètres  de  largeur  et  18  mètres  de  hauteur.  Dis- 
tantes l’une  de  l’autre  de  70  mètres,  elles  laissent  aperce- 
voir la  troisième  grande  serre  rectangulaire,  adossée  aux 
clôtures  de  l’Exposition  sur  une  longueur  de  100  mètres 
avec  une  largeur  de  12  mètres  et  Id  mètres  de  hauteni . 

K La  sei're  de  gauche,  en  regardant  la  Seine,  a été  destinée 
à l’exposition  des  Heurs  françaises;  tandis  qne  celle  de  dioite 
contient  les  Heurs  étrangères. 

« Le  grand  bâtiment  du  fond  a été  construit  pour  les  expo- 
sitions do  plans  et  jardins,  les  outils  et  le  petit  matériel  de 
jardinage. 


lÆS  (;RAMiS  )'A1,AIS  IU'  üOUD  liE  E EAi; 


89 


« Les  trois  serres  sont  séparées  par  une  vaste  terrasse 
aménagée  en  grand  jardin  français  dont  le  séjour  est  parti- 
culièrement agréable.  Des  pelouses  et  des  corbeilles  de 


Heurs  ravissantes  y ont  été  installées,  permettant  aux  visi- 
teurs de  se  promener  jusqu’à  la  berge  à laquelle  on  accède 
par  un  grand  escalier  de  dO  mètres,  au  bas  duquel  un  pro- 
menoir permet  de  longer  le  lleuveet  de  se  reposer  dans  des 
pièces  en  sous-sol,  dont  la  fraicheur  est  exquise. 


A TUAVERS  l’exposition 


•JH 


« Les  deux  premières  serres  comportent  chacune  une 
grande  porte  d’entrée.  Les  deux  entrées  se  font  vis-à-vis. 
Les  serres  sont  construites  en  briques  de  verre  qui  ne  per- 
mettent à la  lumière  d'arriver  jusqu’au.x  fleurs  qu’après 
avoir  été  tamisée. 

((  Tout  le  long  des  façades,  des  «Windows»  formant  en 
saillie  des  demi-rotondes,  permettant  aux  visiteurs  de  s’a- 
vancer en  dehors  des  serres  pour  jouir  du  coup  d’œil  mer- 
veilleux qu’oifrent  la  Seine  et  les  Palais  de  la  rive  gauche. 

« La  serre  du  fond,  décorée  dans  sa  partie  haute  de  motifs 
en  treillages,  surmontés  de  petits  clochetons  de  fantaisie, 
complète  admirablement  l’ensemble  des  deux  autres. 

« L’arcbitecte  de  cet  ouvrage,  iM.  Gautier,  a été  bien  inspiré 
dans  sa  composition;  la  place  qui  lui  était  imposée  étant 
relativement  restreinte  augmentait  les  diflicultés  à vaincre. 

« Ajoutons,  pour  terminer,  que  de  chaque  côté  et  au  pied 
du  grand  escalier,  des  passages  disposés  en  souterrains  ac- 
cèdent à l’Aquarium  de  Paris.  » 

Et,  rofficier-cicerone,  reprenant  la  parole  : 

— Let  aquarium  d’eau  de  mer,  montrant  les  fonds  ma- 
rins, leurs  hôtes  à nageoires  et  des  mano'uvres  de  scaphan- 
driers à bord  de  navires  coulés  pour  être  entrés  en  collision, 
est  nue  intéressante  attraction,  derrière  laquelle,  du  pont 

.des  Invalides  au  pont  de  l'Alma,  s’allonge  la  Rue  de  Paris 
où  ce  ne  sont  que  spectacles  fort  joyeux:  Cadets  de  Gas- 
cogne, Pbono-Cinéma-Tliéàtre,  Maison  du  Rire,  Tableaux 
vivants.  Jardin  de  la  Chanson,  Roulotte,  Grand  Guignol, 
Ronshommes  Guillaume,  Auteurs  gais.  Palais  de  la  Danse 
et  Manoir  à l’envers.  Un  peu  en  retrait,  sur  l’avenue  Mon- 
taigne, il  y a à voir  la  belle  exposition  du  grand  sculpteur 
Rodin. 

Puis,  il  ajoute  : 

— Guantau  Palais  de  l’blconomic  sociale  et  des  Congrès, 
cet  imposant  édifice',  aux  formes  carrées  et  tout  blanc  que 
nous  relevons,  par  l’avant,  à la  suite  des  serres,  je  puis  vous 
en  parler  pei'sonnellement,  ayant  eu  le  plaisir  de  le  visiter 
en  compagnie  du  très  distingué  architecte  qui  en  est  l’au- 
teur. Cet  architecte  est  M.  Charles-Erédéric  Méwès,  né  à 
Strasbourg  le  JU  janvier  1858,  et  qui  a opté  pour  la  natio- 


I.ES  CRANDS  PALAIS  DU  liORD  DE  l’eAU 


nalité  IVani^aise  en  1872;  il  est  donc  deux  fois  Français. 
Bachelier  ès  sciences,  il  est  entré  à l’Ecole  des  Beaux-Arts  en 
1878  et  a é^té  logiste,  avec  le  numéro  deux,  pour  le  concours 
du  Grand  Prix  de  Rome  en  1885.  Ses  états  de  services  artisti- 
ques marquent  ; diplômé  par  le  Gouvernement  en  1881); 
membre  de  la  Société  centrale  des  Architectes  en  1892;  ar- 
chitecte de  la  Société  de  protection  des  Alsaciens-Lonains 
demeurés  français;  grande  médaille  d'argent  de  la  Société 
centrale  d’Architecture  privée  en  1894;  mention  honorable 
au  Salon  de  1895;  arbitre  prés  le  fribunal  de  Commerce; 
quai]  icme  piime  au  Concours  d ensemble  pour  l'Exposition 
de  1900;  quatrième  prime  pour  le  Petit  Palais  des  Champs- 
Elysées  au  concours  suivant,  primes  qui  lui  ont  valu  d’ètrc 
désigné  pour  la  construction  de  ce  Palais  des  Congrès.  Offi- 
cier d’académie  cl  de  l’Ordre  de  Saint-Jacques,  il  est  archi- 
tecte du  Gi'and  Hôtel  et  du  Bitz  Hôtel  de  la  place  Vendôme, 
a 1 aiis,  ainsi  que  du  chaleau  de  Bochefort,  à\velines.  H a 
construit  nombre  d'hôtels  particuliers,  des  châteaux,  des 
villas,  des  banques,  etc  , etc.  Inutile  d’ajouter,  après  cette 
nomenclature,  qu  il  est  artiste  et  praticien  de  premier  ordre. 

((  Son  Palais  de  l'Economie  sociale  et  des  Congrès,  qui 
couvre  une  sui'face  de  4üU  mètres  carrés,  est  une  œuvre 
éminemment...  socialiste,  non  seulement  dans  son  objet, 
mais  dans  sa  conception  et  dans  son  exécution.  Il  se  com- 
pose de  deux  parties  bien  distinctes:  le  rez-de-chaussée 
allecté  à 1 Economie  sociale,  et  le  premier  étage,  auquel  on 
accède  par  deux  escaliers  monumentaux,  réservé  aux 
Congrès.  » ♦ 

— Qui  sont  on  nombre  respectable,  je  crois? 

— A la  lin  do  l’Exposition,  cent  vingt-sept  congrès  s’y 
seront  réunis,  dont  les  principaux  sont  ceux  : de  l’Agricul- 
ture, de  l’Alpinisme,  des  Américanistes,  d’Assistance  pu- 
blique et  de  Bienfaisance  privée,  de  l’Automobilisme,  d’Elec- 
tricité,  de  l’Enseignement  des  langues  vivantes,  de  l’Ensei- 
gnement primaire,  du  secondaire,  du  supérieur,  de  la  con- 
dition et  des  droits  do  la  femme,  du  Matériel  théâtral,  de 
Médecine,  (le  Physique,  de  la  Propriété  littéraire  et  artisti- 
que, des  Voyageurs  de  commerce,  etc.,  etc.  Le  directeur  des 
Congrès  est  M.  Jai'iel,  ingénieur  en  cbei  des  Ponts  et  Chaus- 
sées... Mais  je  reviens  au  Palais.  L’Economie  sociale,  au 


92 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


rez-de-chaussée,  forme  un  grand  ensemble  séparé  par  des 
cloisons  et  où  se  trouvent  les  sections  françaises  et  étran- 
gères, ainsi  qu’un  musée  centennal.  On  peut  étudier  là  les 
questions  de  l’apprentissage,  de  la  protection  de  l'enfance 
ouvrière,  des  associations  coopératives  et  syndicats  profes- 
sionnels, du  règlement  du  travail,  du  développement  intel- 
lectuel et  moral  des  ouvriers,  « eniin,  me  disait  M.  i\lé\vè.s, 
du  développement  du  socialisme  et  de  ses  bons  ellets  ».  La 
classe  lOC),  qui  n’a  pu  trouver  normalement  sa  place  dans 
cette  partie  du  Palais,  a dû  aller  édifier  à Viucennes  son 
petit  village  d'habitations  ouvrières.  Le  premier  étage  com- 
prend : une  grande  galerie  des  Pas-Perdus,  ornée  des  bustes 
des  plus  célèbres  économistes,  longue  de  100  mètres  et 
large  de  12™d0,  sur  laquelle  s’ouvre  la  grande  salle  des  Con- 
grès, avec  tribune  et  orgues,  pouvant  contenir  de  800  a 
1,000  personnes.  De  chaque  côté  de  cette  salle  principale  se 
trouvent  quatre  salles  de  moindre  importance  : deux  de 
2.t0  personnes  et  deux  pouvant  en  grouper  150  environ. 
Puis  viennent  les  salles  de  commissions  et  les  petites  pièces 
indispensables,  lavabos,  etc.  « De  la  grande  galerie  qui, 
m'a  dit  M.  iMéwès,  doit  servir  de  salon  de  réception  des 
souverains  et  personnages  de  marque  à l’occasion  des  lètes 
de  nuit,  la  vue  embrasse  tout  le  merveilleux  panorama  de 
la  Seine.  » 

— Vous  ne  nous  dites  rien  du  style  architectural  mon- 
sieur le  baron? 

— J'y  arrive,  monsieur  Verduret.  L’artiste  émérite  qui  a 
conçu  ce  Palais  a adopté,  pour  l’extérieur,  un  style  inspiré 
de  l’époque  Louis  XVl...,  qui  fut  la  période  du  réveil  de 
l’esprit  de  liberté,  ainsi  que  celle  du  grand  mouvement  éco- 
nomiste. 

— ()b!  ob!  du  symbole  socialiste! 

— Je  vous  ai  prévenu.  Je  continue.  La  sobriété  et  le 
calme  de  cette  construction  destinée  à abriter  des  groupe- 
ments si  sérieux  et  un  public  d’études  sont  voulus.  La 
façade  sur  la  Seine  est  ornée  de  deux  pylônes,  sur  lesquels 
des  ligures  dues  au  ciseau  de  l’habile  statuaire  M.  baivre, 
symbolisent  la  Science  et  la  Uenommée.  Un  puissant  sou- 
bassement décoré  d’attributs  marins  — et  qui  contient, 
entre  parenthèses,  un  restaurant  des  plus  fréquentés  — vient 


asseoir  le  bàlimout  jusqu’au  niveau  de  la  Seine.  M.  iMéwès 
estime  que  ce  caractère  d austérité  est  indispensable  à un 
grave  édilice  où  s'agitent  les  importantes  questions  du  tra- 
vail et  du  bien-être  des  ouvi’iers.  Et  voyez  où  s’affirme  l’idée 
socialiste  de  1 arcbitcct<',  dont  les  collaborateurs  sont 
-MM.  Bliault,  inspecteur,  Tcmipliei-,  sous-inspecteur,  Aubrée, 
vérificateur,  et  illiam,  dessinateur-couducteui’  du  tas  : 
1 exécution  du  Palais  a été  confiée  exclusivement  aux  asso- 
ciations ouvi'ières  : « Gbarpeutiers  de  Paris»,  «Maçons  de 
l’aris»,  ((  Menuisiers  de  Paris  »,  « Union  des  ouvriers  serru- 
riers »,  «Société  coopérative  des  ouvriers  parqueteurs  », 
Association  d ouvriers  peintres  « Le  Travail  »,  « Association 
des  ouvriers  plombiers,  couvreurs  et  zingueurs  »,  « Société 
coopérative  des  sculpteurs,  décorateurs  et  ornemanistes  », 
dont  M.  Langevin  est  le  directeur.  Toutes  ces  sociétés  ont, 
d ailleurs,  si  bien  rivalisé  de  zèle,  que  ce  l*alais,  commencé 
le  U'  février  lb9!),  a été  terminé  fin  décembre,  le  premier  de 
toute  1 Exposition...  Ivt  maintenant,  mesdames  et  messieurs, 
il  ue  me  reste  plus  qu  à vous  soubaiter  bon  plaisir  et  bon 
voyage. 

— Comment,  vous  nous  quittez? 

\ oyez,  la  gondole  se  rapproche  déjà  du  quai  pour  m'v 
déposer.  ■ i i 

Xous  ne  vous  reverrons  [)lus? 

Si,  mais  je  ne  crois  pas  que,  à moins  d’ordres  con- 
traires, ce  soit  comme  cicerone,  rôle  pour  moi  terminé,  à 
moins  d’improbable  imprévu. 

Mais...  nous  débarquons  avec  vous? 

Non  pas,  s’il  vous  plaît  : on  vous  attend  au  Trocadéro 
pour  vous  montrer  un  des  grands  « clous  » de  1900,  l’abso- 
lu ment  superbe  exposition  des  Colonies  françaises... 

— Et...  qui  donc  nous  attend  ? 

vous  avoue  en  toute  sincérité  que  je  l’ignore  com- 
plètement. Je  sais  seulement  qu’il  m’est  enjoint  de  débar- 
quer ici  et  que  vous  serez  accueillis  en  débarquant  au  pont 
d’Iéna.  ^ ‘ 

Ma  parole,  s écrie  en  riant  Verdui'et,  nous  sommes 
au.x  mains  dune  véritable  société  secrète.  Parbleu,  je  vou- 
drais bien  dire  un  mot  à son  chef  mystérieux. 

Cela  ne  tardera  pas,  monsieur  Verduret. 


A TRAVERS  L EXPOSITIOIN 


!»4 


Et,  galamment,  l'officier  de  vaisseau  de  réserve  s'incline 
devant  Bertrande  et  iM”"'  Flore,  salue  Verduret  et  Bèchard, 
et,  l’embarcation  arrivant  près  de  la  berge,  saule  légère- 
ment à terre. 

— 11  nous  laisse  seuls  dans  ce  bateau  du  diable  ! s'écrie 
Bèchard  alarmé.  Jamais  de  la  vie,  par  exemple!  Bestcz  si 
vous  voulez,  moi,  je  m'en  vais  à pied. 

Espoir  aussitôt  déçu.  Le  farinier  n'a  pas  eu  le  temps  de 
poser  le  pied  sur  le  petit  plat  bord  pour,  de  là,  sauter  sur 
la  terre  ferme,  que  la  gondole  s’est  brusquement  éloignée  de 
la  berge  et  se  met  à descendre  le  fleuve  avec  une  vitesse 
vertigineuse. 


Le  prochain  volume  aura  pour  titre  : 

LES  COLUNIES  EBANLAISES 
et  comprendra  : 

1"  Palais  du  Ministère  des  Colonies; 

2°  Algérie,  Tunisie,  Cambodge,  Indo-Cbine,  (iuyane,  Guadeloupe, 
lie  de  la  Itéunion,  Tonkin  ; 

3®  Dioramas  de  l'Océanie,  de  Mayotte,  de  la  côte  Somalis,  (’e 
Saint-Pierre-et-Miquelon  ; 

4'^  Guinée,  Côte  d'ivoire,  Dahomey,  Ouest  Africain,  Soudan, 
Sénégal  ; 

b"  Palais  de  la  Colonisation,  etc.,  etc. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Chapitre  I".  — Forêts,  Chasses, 
§ I.  L’arni  de  Kouscastrol. 


Chapitre  II.  — |,a  Naviga 


§ I.  Cluide  en  main 

§ II.  La  vaillante  malade 

§ 111.  Pavillon  anne.xe  de  la  Marine  allemande 


Le  duel  du  canon  et  de  la  cuirasse 


Chapitre  IV.  — Le  port  de  i.  \ .N'.wiu.crio.N  de  i>l.\isance 

§ I.  Le  Yachting 

§ IL  Paris  port  de  mer 


: .1 

•1^ 

Pages 

. . 5 

i . 

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1 

. . 38 

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'M 

. . 49 

. . 54 

Chapitre  V.  — P u.. 


■ aïs  des  ARMEES  DE  TERRE  ET  DE  .MER  ET  DE 
E'ÜYGIÈ.NE 

§ 1.  Un  enfantement  laborieux Og 

§ IL  L’exposition  militaire  de  la  Russie.  . 78 

§ III.  A la  gloire  du  grand  Pasteur 83 


Chapitre  VI. 


Les  serres  de  l'Horticulture  et  le  Palais  des 
Cu.NGRÈS 


87 


Pans.  — I.up.  MICHELS  et  Fils,  6,  8 et  lo,  rue  d’.Uexaudrie. 


( ,.  !• 


EN  VENTE  : 


r 


I.  L’Exposition  à vol  d’oiseau 1 vol.  illustré 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . — 

III.  Le  Grand  Palais — 

IV.  Le  Vieux  Paris — 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris — 

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 

resques   

VII.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau  • “ 

VIII.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères. 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  ...  — 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d’Orsay.  — 

XL  L’Avenue  des  Nations 

XII.  Promenade  au  Quai  d’Orsay — 

XIII.  Les  moyens  de  locomotion  à l’Exposition. 

Le  Mexique ~ 

XIV.  Au  Trocadéro  ~ 

XV.  Les  Grands  Palais  du  bord  de  l’eau  ...  — 


» 60 
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G.  DE  WAILLY 


A TRAVERS 

L'EXPOSITION  DE  1900 

XVI 

LES  COLONIES  FRANÇAISES 


PARIS 

FAYARD  FRÈRES,  ÉDITEURS 

78,  Boulc\\ud  Sainl-Micliel,  78 


CHAPITRE  PREMIER 


NOTRE  EMPIHE  COLONIAL 


U M,  Cil  EF  TOUAREG 

L’oflicier  de  vaisseau  n’a  pas  fait  quatre  pas  sur  la 
berge,  se  dirigeant  vers  l’entrée  du  Palais  des  Congrès,  que 
l’einbarcation  énigmatique,  la  gondole  sans  gondolier,  s’é- 
lance à une  allure  endiablée,  franchissant  comme  un  trait 
1 arche  dn  pont  de  l'Alma  voisine  de  la  rive  droite  du  fleuve. 

Avec  un  cri,  M'''“  Flore  se  cramponne  au  bras  de  son 
époux,  dont  la  tête  de  héron  se  dresse  inquiète.  Bertrande, 


6 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


selon  sa  coutume,  rit  aux  éclats,  tandis  que  Vci’duret,  sou- 
riant, tire  prestement  sa  montre. 

Nos  navigateurs  longent  ainsi  le  « Vieux  Paris  »,  passent 
sons  la  passerelle  des  Armées  de  Terre  et  de  Mer,  glissent 
comme  un  météore  à quelques  mètres  de  l’estacade  du  Port 
de  la  Navigation  de  plaisance,  et  viennent  stopper  contre  la 
berge  avant  de  s'engager  sous  le  pont  dTéna.  Et  Verdnret, 
débarquant  tranquillement  le  dernier,  constate  : 

— Une  minute  vingt-sept  secondes  de  ti’aversée.  Cela 
s’appelle  de  la  vitesse.  11  est  dommage  que  M.  le  baron  de 
Pilbouèt  ait  dû  nous  quitter  : il  nous  aurait  dit  ce  que  cela 
représente,  maritimement. 

— Du  vingt  nœuds  ou  milles  à rheiire,  la  distance  par- 
courue étant  d’environ  900  mètres;  c’est  simplement  une 
vitesse  de  transatlantique  et  dont  rougirait  un  torpilleur 
qui  se  respecte,  mais  qui  n’en  est  pas  moins  anormale  et 
défendue  en  Seine...  Aussi  votre  bateau,  Sidi,  se  hàte-t-il 
de  s’éloigner  dans  la  direction  d’Auteuil. 

La  voix  qui  répond  ainsi  à la  question  du  manufacturier 
retiré  sort,  à la  fois  voilée  et  gutturale,  de  dessous  le  turban 
de  poil  de  cbameau  d’un  Arabe  immobile  à quelques  pas  du 
point  de  débarquement  de  notre  groupe  provincial.  Enve- 
loppé dans  un  grand  burnous  blanc,  le  lils  du  Désert  ne 
montre  de  sa  noire  ligure  guère  plus  ([ne  deux  yeux  vils  au 
regard  lixe,  le  bas  du  visage  disparaissant  derrière  un  voile 
léger  et  opaque  et  le  turban  venant  afilenrer  les  sourcils. 
Verdnret  et  ses  compagnons  le  regardent  avec  curiosité, 
mais  sans  surprise.  C’est  d’un  ton  un  peu  narquois  que  le 
chef  de  la  petite  bande  lui  dit  : 

• — ]\lerci  du  renseignement,  monsieur  l’Arabe,  renseigne- 
ment qui,  sans  doute,  ne  sera  pas  le  dernier,  car,  j imagine 
que  vous  êtes  ici  à notre  intention? 

— Allab  défend  le  mensonge.  Mohammed  Abdullah  ben 
Mockarah,  chef  renommé  au  Grand  Désert,  a bien  été 
envoyé  par  le  vieux  Maître  blanc  pour  recevoir  et  guider 
les  étrangers  apportés  par  le  llenve. 

— Allons  donc,  je  savais  bien.  Vous  êtes  Algérien?... 
.Marocain?... 

— Touareg. 

— Ah  bah!...  Vous  parlez  joliment  bien  le  irançais? 


7 


Mit  tribu  ma  onvoyc,  eni'ant,  apprendre  la  science 


des  Rouniis  au  collège  d’Alger. 


C est  donc  cela!  dit  \ erduret  avec  le  linaud  sourire 
d un  homme  tpii  entend  bien  ne  croire  que  ce  qu’il  lui  plaît 


fie  ce  qu  on  lui  raconte.  Eh  bien,  seigneur  Touare 


nous 


sommes  à vos  ordres. 

■ — Une  les  blancs  veuillent  me  suivre. 

— Où  cela? 

Au  1 alais  du  .Ministère  des  Colonies,  ou  iMohammed 
Abdullah  ben  Mockarah  leur  dira  ce  qu’ils  doivent  savoir 
pour  visiter  avec  fruit  l’e.xposition  coloniale  de  la  France, 
une  des  plus  belles  parties  de  l’Exposition  de  1900  et,  je 
crois  pouvoir  dire,  la  mieux  comprise  et  la  plus  e.xcellem- 
ment  organisée. 

Ee  louareg,  immobile  jusqu’alors,  tourne  majestueuse- 
ment sur  les  talons  do  bottes  à tige  rouge  assez  peu  saha- 
riennes et,  a larges  pas  rythmés,  se  dirige  vers  les  bassins 
du  Irocadéro.  Sans  s’inquiéter  des  olqurgations  haletantes 
de  M""^  lièchard  qui,  remorquée  par  le  farinicr,  s’ossoullle  à 


le  suivre,  il  continue  à gravir  la  pente  raille,  prenant  à 


gauche  des  bassins,  et  atteint  enfin 


11  on  gravit  les  marches,  traverse  la  terrasse  où  s’élève 
le  plaire  du  monument  de  Barrias  consacré  au  gloricu.x 
souvenir  des  soldats  morts  en  opérant  la  conquête  de  .Ma- 
dagascar et,  pénétrant  dans  une  salle,  s’installe  dans  un 
lauteuil  qu  il  a poussé  devant  une  banquette  où,  du  geste, 
il  invite  nos  deu.x  couples  a s asseoir.  Sur  cette  ban(|uette, 
s’etfondre  avec  une  satisfaction  non  déguisée  .M'"‘'  Flore, 
(|ui  s’écrie  : 

— fhil  ! il  était  temps!...  Je  suis  quasiment  eu  fondue  ! 


Ee  fait  est  que  la  très  rondelette  dame  est  obli 


prunier  à son  mari  un  mouchoir  de  j-ccbange  pour  achever 


d’em 


ee 


LES  COLONIES  FR.INÇAISES 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


(le  s’éponger.  Le  Touareg,  avec  le  flegme  des  Orientaux, 
laisse  à Bêchard  le  temps  de  se  remettre,  puis,  d’une 
voix  calme,  un  peu  rauque,  il  commence  : 

— Sidi,  par  la  Barbe  du  Brophète,  je  jure  que  je  u’ai 
jamais  pémflré  dans  ce  Balais  officiel  des  Colonies  sans  un 

profond  sentiment  de 
respect  pour  le  génie 
puissant  de  la  l’rance 
et  d'admiration  in- 
tense pour  les  hommes 
de  ce  grand  pays  qui 
ont  su,  avec  tant  de 
clarté  lumineuse,  et 
de  gont  artiste,  rendre 
])alpable  pour  tous 
l'empire  extérieur  des 
Français,  et  créer  le 
mei'veilleux  champ 
d'initiation  coloniale 
qu’est  celte  captivante 
exposition  des  Colo- 
nies et  des  pays  de 
jirotectorat  du  Troca- 
déro.  Cette  exposition, 
iM.  CHARLES  ROUX.  qyj  est  un  modèle  et  à 

laquelle  le  public  fait 
un  succès  exceptionnel,  aussi  légilime  que  mérité,  est  l’œuvre 
de  M.  Jules-Charles  Boux,  ancien  dé[)nté,  administrateur  de 
la  Banque  de  France,  dn  Canal  de  Suez,  etc.,  Brésident  de  la 
Société  de  Céographic,  Délégué  des  Ministères  des  Aflaires 
F.trangères  et  des  Colonies  à l’Exposition  de  1900,  une  des 
[)lus  hautes  compétences  qui  soit  sur  toutes  les  questions 
coloniales,  commerciales  et  économiques.  Esprit  très  net, 
sachant  grouper  le  pins  complexe  ensemble  dans  un  maître 
coup  d’œil  qui  ne  néglige  aucun  détail,  volonté  courtoise- 
ment ferme,  constance  qui  triomphe  de  toutes  les  difficultés 
et  énergie  qui  brise  les  olistacles,  il  est  un  de  ceux  dont  la 
France  tient  en  réserve  la  rare  valeur  et  l’expérience  pour 
l’avenir  do  son  beau  domaine  exotique.  Nul  n’était  plus 
apte  que  lui  à succéder  à M.  Dislère  à la  tête  de  l’organi- 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


salion  si  déliciite  do  l'Exposition  dos  Eolonios.  M.  Disière 
avait  préparé  le  terrain,  réuni  les  éléments  sur  et  avec 
Icsqinds  (;iiarl(‘s  lîonx  a,  do  toutes  pièces,  créé  son 
(oiivro,  (ouvre  qui  tient  toute  dans  ce  laconique,  complet  et 
limpide  pi'ogramnK'  : 

((  Vulgarisation  praligtie,  utilitaire  et  'pittoresque  des 
( olonies  françaises . » Lcuiiinenl  et  éclaiia*  spécialiste  est 
parti  de  celte  conslalation,  Indas!  indénialilc,  (|u'en  France, 
saul  un  gi'oiipe  — clmque  jour  plus  nomlireux,  il  est  vrai 

— d ('s|ti’ils  oiuR'rls  (d  stn(li('nx,  la  mass(^  et  ménu'  une  cer- 
taine élite,  ignorent  les  colonies...  comme,  dn  r('sle,  le  fond 
d('  ce  qui  laxiste  hoi’s  des  Irontic'u'es.  L liunuuir  casanière 

— [larlant  aniicoloniale  d('  lait  — ■ qiu'  Ton  reproche  au 
iM’aiu'.ais  cadr('  Irop  mal  avec  sou  tempérament  audacieux 
el  son  gYiùt  des  giaindes  av(mliires  pour  n oire  pas  superli- 
cielle. 

« Elle  |)rovi('nt  d('  sou  séi‘i('nx  fonds  d('  hon  sens.  11 
ne  laquigne  nnllonnmt  à aller  faire  fortiim'  sous  d'autres 
cieux,  mais  il  veni  savoir  préalablement  ce  qu’il  fait,  ou  il 
va  et  quelles  sont  se.s  chances  de  l'éussite.  (Jr,  comme  il 
ignore  aulroment  que  de  nom  — (d  encore!  — ses  pos- 
sessions d onire-mer,  il  la'ste  prudemment  au  grand  foy('r 
d('  la  Meiropole  ; il  n est  anticadonial  que  par  ignorance.  Eli 
biim,  c'est  celle  ignorance  que  M.  Eliarles  Roux  a voulu 
laire  cesser  aillant  que  possible  im  prolilant,  pour  cida,  de 
I (‘xcellent  insirunient  d(‘  vulgarisation  qu'est  une  Exposi- 
tion universidle.  Il  a organisé  S(^n  exbibition  spéciab'  dans 
le  but,  si  bien  atteint,  qu'aucun  visiteur  consciencieux  ne 
la  puisse  quitter  sans  posséder  une  nolion  exacte  et  ibdai I lée, 
non  pas  seulement  des  réalités  géograpliiqiu's  du  domaine 
colonial  Irançais,  mais  de  sa  valeur  productrice,  industrielle, 
commerciale,  pratique  dans  le  présent  et  dans  l’avenir. 
Rour  parlaire  son  but  vulgarisateur,  M.  Charles  Roux  s’est 
bien  gardé  de  négliger  le  côté  pittoresque  : l’etlinographie, 
les  vues  vivantes  de  pays  occupent  une  place  importante 
dans  son  organisation  si  savante,  car  il  n’est  tel,  pour  com- 
pléter et  fixer  l’instruction  du  public,  cjue  de  savoir  parler 
éloquemment  à ses  yeux,  en  même  temps  que  l’on  éclaire 
son  intelligence.  » 

— Comment,  s’étonne  Verdnret  en  ouvrant  de  grands 


10 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


y(Mix,  cVsl  iM.  (-harlos  Houx  qui  a org'aiiisé  (ouïe  colle 
inoilic'  (lu  Trocadéco?  C’csI  l’aiilasl ique  ! 

— Non,  i\l.  Charles  Roux  a été  l'àme,  la  direction  et  le 
contrôle,  à la  fois,  de  cette  immense  inslallation  dont  les 
détails  incombaient  aux  Commissaires  spéciaux  de  chaque 
colonie,  disposant  et  travaillant  toujours  guidés  par  Vidre 
du  Délégué  dos  ministères.  Et  même  cette  tâche  de  direction 
et  de  dispositions  d’ensemble,  si  complexe,  eût  dépassé 
les  forces  matérielles  d'une  seule  tète,  si  actif  que  soit  le 
cerveau  de  M.  Charles  Roux.  Aussi  a-t-il  eu  un  collabo- 
rateur précieux,  un  collahoraleur  d’aptitudes,  de  savoir  et 
de  capacité  hors  ligne,  en  la  personne  du  Directeur  adjoint 
au  Délégué,  M.  Marcel  Saint-Germain,  sénateur.  d’Oran.  Un 
des  plus  jeunes  membres  de  la  Chambre  Haute,  il  a cet 
accueil  franc,  cette  simplicité  spirituelle  et  primesautière 
f|ui  conviennent  si  bien  aux  supériorités.  Venu  à Oran  en 
USiSf,  oflicier  ministériel,  sa  valeur  aussitôt  remarquée  ne 
devait  pas  tarder  à le  faire  sortir  du  rang.  Adjoint  au  maire, 
il  n’attendit  pas  longtemps  dans  cette  fonction  municipale 
la  faveur  du  sulfrago  universel  qui  l'envoya  roprésenler  la 
province  algérienne  à la  Chambre  des  Députés.  Ce  ca|U’i- 
cieux  souverain  qui  aime  à jouer  avec  ses  idoles,  sans 
égards  pour  les  services  rendus,  ayant  eu  une  velléité  d’inli- 
délité  à l’endroit  du  mandataire  dont  Oran  était  justement 
lier,  le  sulfrago  restreint  vengea  bien  vite  M.  Saint-Germain 
en  l’envoyant  siéger  au  Luxembourg.  11  est  membre  du  Con- 
seil général  du  département  africain,  où  il  a pour  collègue 
M.  Etienne,  député  actuel  d’Oran,  ancien  sous-secrétaire 
d’Etat  aux  Colonies  avant  qu’elles  ne  fussent  devenues  un 
ministère. 

« IM.  Charles  Roux  et  son  éminent  collaborateur  ont  trouvé 
en  MM.  Y van  Rroussais,  sous-directeur,  Victor  Maurel,  secré- 
taire général  de  leur  administration,  et  Ercbléric  Rasset, 
chef  de  cabinet  du  délégué,  des  aides  aussi  experts  que 
(b'-voués. 

<(  .Ictons  maintenant  un  coup  d’œil  sur  ce  Palais  du  Mi- 
nistère des  Colonies  dont  M.  Charles  Roux  a voulu  faire  la 
O synildse  » de  sou  exposition  coloniale.  Par  Allah  ! mes 
meilleures  lieurcs  d’ami  ardent  de  la  puissance  française, 
je  puis  dire  que  je  les  ai  pass('es  ici,  dans  ce  Pavillon  de 


r,ES  cnr.ONTKs  françaises 


H 


scrieusc  clcgancc  qiio  ses  belles  lignes  arcliitoctiirales  font 
paraître  vaste  comme  un  palais;  sous  cette  coupole  (l'entia-e 
où  le  maître  peintre  Cormon  a reprcsenti'  les  quatre  parties 
(lu  monde  colonial  : l’Asie,  1 Afrique,  l AnKù’ique  et 
rüc('anie;  dans  ces  belles  galeries  on,  sous  le  plafond  dû  au 
pinceau  du  même  grand  artiste,  se  dressent,  en  hommage 
reconnaissant,  les  statues  de  ces  hommes  qui  donnèrent, 
en  ce  dernier  quart  de  sif'cle,  leur  labeur  — et  comtden  leur 
vie  — à Fujuvre  de  la  « plus  grande  France  »,  les  Jules  Ferry, 
les  Courbet,  les  (îarnier,  les  Lavigcric  et  toute  la  pbuac'le 
des  héros  de  l’expansion  coloniale;  dans  cos  deux  vastes 
salles  et  les  quatre  autres  plus  petites  où,  parmi  les  visi- 
teurs recueillis,  j ai  appris  a juger  l’ensemble  du  superbe 
elfort  de  la  France,  cà  apprécier,  par  leurs  travaux,  la  haute 
valeur  des  enfants  do  la  vieille  Gaule  parcourant  l’univers,  « 
les  trois  couleurs  nationales  à la  main,  pour  partir  au  loin 
persuadant  autant  (pie  combattant  — la  giùiéreusi’  et 
cbùnento  civilisation  d’un  peuple  libre,  bon  et  )nste.  C’est 
dans  ce  pavillon,  feidi,  ipie  sont  on  ellet,  clairement, 
oflorts  a 1 instruction  de  tous,  tous  les  documents  qui  disent 
1 umvrc  de  la  colonisation  Irançaise,  au  point  de  vue  histo- 
rique et  à celui  des  résultats  acquis.  Incomparable  biblio- 
thèque coloniale,  publications  g(‘Ographiqucs  oflicielles,  . 
travaux  des  ofliciers  en  colonne,  des  ingénieurs  et  dos 
hardis  pionniers  de  la  pénétration  émancipatrice,  statisti- 
ques de  toutes  sortes,  tout  est  ici  réuni  pour  que  le  public 
studieux  puisse  se  rendre  compte  de  ce  qui  a été  fait  et  de 
ce  cpii  reste  à faire  encore.  Et  quelles  lei^ons  d’ordre  supé- 
rieur on  trouve  cà  chaque  pas,  si  l’on  sait  regarder!  Voyez 
cette  immense  carte  du  réseau  tidégrapbique  sous-marin 
supprimant  la  distance  pour  la  pensee  et  les  (b'cisions  en- 
traînant 1 action  : les  câbles  de  chaque  nation  y sont  indi- 
ques par  une  couleur  spéciale.  Ce  tableau  ne  crie-t-il  pas 
à tous  les  Framjais  qui  le  contemplent,  que  les  représeu- 
lants  de  la  nation  n’ont  pas  compris  qu’un  empire  colonial 
lran(,‘ais  im  rosie,  sons  pente  de  presque  le  livrer  d'avance  à 
rennemi  éventuel,  un  réseau  (le  communications  télégra- 
phiques com|)let  exclusivement  français!  Voilà  la  premîère 
(euvre  a taii'c  sans  délai,  la  lacune  à combler  sur  l’iieure, 
et  chaque  jour  que  lait  perdre  la  politique  pour  entre- 


12 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


prendre  ce  travail  d’urgence  effroyable,  est  un  crime  envers 
le  pays  ».  Tenez,  Sidi,  voici  une  place  spéciale  réservée 
aux  travaux  de  la  mission  Marchand,  qui  évoque  immé- 
diatement le  souvenir  de  Fachoda.  Eh  bien,  deux  choses, 
nous  ont  conduit  à éviter  à tout  prix  — et  quel  prix!  — 
une  lutte  contre  Albion  ; l'abandon  de  nos  colonies  elles- 
mêmes  par  le  fait  de  l’impossibilité  de  communiquer  avec 
elles  et  d’ôtre  renseigné  sur  les  opérations  navales  de  Tad- 
vorsaire,  et  le  manque  de  points  d’appui  suffisamment 
défendus  et  outillés  pour  notre  Hotte. 

((  Dans  ce  pavillon,  on  ne  sait  vraiment  où  ne  pas  s’in- 
téresser puissamment.  Ici  sont  les  documents  montrant  les 
beaux  résultats  obtenus  sur  le  Niger,  au  Soudan,  au  Sahara, 
en  Guinée,  au  Congo  ; là,  ce  sont  ceux  de  la  mission  Pavie, 
en  Indo-Chine,  des  lieutenants  de  vaisseau  Simon  et  Maze- 
raud  sur  le  Mé-Kong,  de  la  mission  d’étude  du  chemin  de 
fer  de  pénétration  du  Tonkin  au  Yun-Nam,  les  superbes 
levés  géographiques  de  Madagascar  dus  à l’initiative  du 
général  Gallieni,  etc.,  qui  éclatent  aux  regards...  Et  puis 
le  grand  atlas  colonial,  les  tableaux  statistiques  avec  gra- 
phiques, etc. 

((  Trois  salles  ont  été  réservées  à « l’office  colonial  »,  inno- 
vation administrative  du  plus  haut  intérêt  pour  faciliter  la 
colonisation.  Ce  sont  : un  salon  de  réception-bibliothèque 
où  8,000  volumes  et  toutes  les  publications  ayant  trait  aux 
colonies  sont  à consulter  ; un  bureau  où  des  fonctionnaires' 
donnent  tons  les  renseignements  commerciaux  et  de  toute 
autre  nature  que  Ton  peut  désirer,  salle  dont  des  peintures 
murales  indiquent  les  gisements  honilliers,  les  concessions 
agricoles  occupées  et  libres  ; une  salle  contenant  des  échan- 
tillons de  tous  les  principaux  produits  coloniaux...  Et, 
semées  de  toutes  parts  parmi  toutes  ces  choses  graves,  des 
œuvres  d'art  qui  font  de  ce  palais  d’étude  un  séjour  char- 
mant...  » 

— Comme  synthèse,  il  faut  avouer  que  voilà  une  merveil- 
leuse synthèse  ! 

— Pourtant,  M.  Charles  Roux  l’eût  trouvée  ainsi  encore 
incomplète.  11  a voulu  qu’aux  échantillons  des  produits 
vinssent  s’ajouter  ceux  de  la  flore  coloniale,  afin  que  le  pu- 
blic ne  puisse  dire  que  quoi  que  se  soit  ayant  trait  aux  colo- 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


13 


nies  ait  été  enlevé  à sa  possibilité  d’instruction  complète. 
Il  a chargé  M.  Itybowski,  directeur  du  Jardin  d'Essai  des 
Cultures  Coloniales,  à Vincennes,  d'installer  dans  les 
serres  qui  font  suite  à la  galerie  iine''e.\position  de  plantes 
exotiques  qui  est  une  simple  merveille... 

(<  Et  maintenant  que  je  vous  ai  indiqué  décrit  le 

Palais  synthèse,  nous  allons  — sommairement,  bêlas  ! car 
les  limites  d’une  conférence  sont  restreintes  — voir  pour 
chaque  colonie  le  résultat  (parlait,  je  vous  le  dis  d'avance) 
qu’a  donné  l’application  scrupuleuse  du  programme  pra- 
tique, utilitaire  et  pittoresque  de  M.  Charles  Ifoux.  Avec  votre 
permission,  Sidi,  je  commence  par... 


L’ALGÉRIE  ET  LA  TL'NISIE 


Et,  s’adressant  avec  une  impertnrbahlc  solennité  et  une 
délerence  inarcjnée  à l’oncle  de  llertrande,  le  noble  Africain, 
de  sa  voix  gutturale  et  monotone,  poursuivit,  scandant  les 
mots  : 

— Sidi,  il  vous  semble  peut-être  que,  entrant  dans  le  dé- 
tail des  nombreuses  colonies  francaist's,  je  devrais  commen- 
cer par  c('ttc  splendide  Algérie,  si  enviée  à la  In’ance,  et 
qui  occupe,  dans  cette  exposition  du  Trocadéro,  la  place 
d’honneur  au  premier  plan.  Je  m’abstiendrai  cepinnlant  de 
vous  en  entrct('nir. 

— Bah  !..,  Pourquoi  ? 

— Pour  deux  raisons  : la  première  est  que  ce  serait  vous 
faire  injure  ([ue  de  prétendre  vous  apprendre  ce  qu’est  cette 
vaste  extension  du  tei’ritoirc  métropolitain  par  delà  le  grand 
lac  méditerranéen.  Rien  de  ce  (|ui  concerne  l’ancienne  Nnmi- 
dic  des  Romains  ne  peut  être  ignoré  de  ses  maîtres  mo- 
d('rnes,  alors  que  chaque  année  les  cheiks  de  la  capitale  (ui 
élaborent  longuement  la  gestion  à la  tribune  du  grand  con- 
seil tumultueux  dos  cadis  réunis  dans  le  tempb'  gr('can(|uol 
conduit  l’allée  de  pierre  du  pont  de  la  Eoncorde.  Ea  s('conde 
raison  est  qu’en  réalité  l’Algérie  a depuis  longtemps  cessé 
d'ôtr('  une  colonie,  an  sens  complet  du  mot,  i»mir  devenir 
partie  intégrante  du  territoire  delà  Métropole.  Alger,  Oran, 


r.KS  COLONIES  FRANÇAISES 


Conslantino,  sont  dos  départemonts  français  licanconp  mieux 
conmis  dnp,Tand  {inidic  (|no  nombre  do  ddpartonionts  do  la 
branco  contimmlab'  enropooniio,  ot  ils  sont  si  pon  t(‘rros  co- 
loiiialos  qu’ils  ndôvont  dn  Minisièro  de  rintériour  ot  non 
do  C(dni  des  Colonies.  Le  représentant  dn  Gonvornomont 
Il  est  pas  nn  gonvornenr  colonial,  mais  provincial,  une  sorte 
de  prélet  supérieur,  comme  il  y en  aurait  de  ce  côté  de  la 
Méihterrance  si  la  centralisation  administrative  de  la  France 
avait  laissé  subsister  la  division  en  provinces  en  y ajoutant 
le  secliminement  en  départements.  Vous  visilère/  donc 
l’exposition  algérienne  comme  vous  le  feriez  de  celles  do  la 
Ficardie,  de  la  Guyenne,  du  Béarn  on  de  la  Savoie...  si  elles 
existaient  sous  cette  forme. 

« G est  en  évoquant  les  souvenirs  bistoriques  de  cette  belle 
partie  du  Nord-Africain  — Nnmidie  occidentale  au  temps  de 
la  Bépiibln|ue  Komaino,  Mauritanie  Césarienne  et  iMauri- 
lanie  Sititienne.  sous  la  domination  des  empereurs  de  limno, 
Boyaume  des  Vandales  au  iv"  siècle  de  l’ère  ebrétienne’ 
•Mabgreb  de  l’immense  empire  des  Arabes  an  temps  on 
(diarlemagnc  groupait  la  l'rance,  la  Germanie  et  l’Italie 
sous  son  seiqitre  puissant,  Fiat  des  Almoravides  au  xC  siècle, 
centre  dn  Boyaume  des  Maures  à l’époque  des  croisades’ 
Boyaume  de  Tlemcen  au  temps  du  moyen  Age  miropéen’ 
Begence  barbaresiiue  au  xvC  siècle  (où  Cliarles-( tuint  fut  dé- 
ait  par  Barberousse  et  les  éléments  coniurés),  jusqu’à  ce  que 
la  brance  moderne  ait,  en  1830,  commencé  la  con(|uétc  qui 
a translormé  en  province  française  le  somptueux  repaire  des 
terribles  pirates  qui  furent  si  longtemps  les  maîtres  de  la 
J(‘ditcrranee  qu  il  faut  gravir  les  marches  de  l’escalier 
monumental  (lu  Balais  ofliciel  de  l’.Vlgérie.  C'est  aussi,  sons 
peine  d èlri'  ingrats  envers  vos  héros,  en  évoquant  b>s  hères 
ligures  des  soldats  lameux  aux(|nels  les  races  guerrières  peu- 
plant l('s  villes  et  les  douars  ont  pu  rendre  les  armes  sans 
honte  ni  sans  déclnhinco  dans  leur  propre  estime,  (pi’il  faut 
pénétrer  ici.  Les  vaincus  de  vaillants  génies  tels  qui'  les 


Clanzid,  les  Bugeaini,  Nalèe.  Bedeau,  Lamoricière,  Mac- 
Mabon,  Caiindu-rt,  Changarnier,  d’Aumale,  etc.,  conser- 
vaient le  droit  de  se  dire  des  guerriers  par  tons  autres  invin- 
cibles et  d(‘  devenir  les  frères  d’armes  de  leurs  intrépides 
et  génért'ux  vaiinjuenrs. 


A TRAVERS  l’eXPOSTTION 


k; 


((  Si  los  (‘hors  qui  ont  guc'rroyo  penilant  la  longue  période 
de  conquèle  vivaient  — S.  A.  R.  le  dnc  d’Aumale  a fermé  la 
marche  funi'lire  de  ces  immortels  vers  la  tombe — la  vue  du 
Palais  officiel  de  l’Algérie  raviverait  leurs  glorieux  souve- 
nirs d'Algériens,  (l’est  la  mosquée  du  sultan  Bacha  qu'ils 


retrouveraient  dans  le  minaret 
orné  de  faïences  qui  s'élève  à 
la  droite  do  l’escalier  monu- 
mental; c'est  de  la  mosquée 
de  la  Pêcherie  que  leur  parle- 
rait la  grande  coupole  cen- 
trale; ils  se  sou  viendraient 
avoir  vu,  rue  de  rEtat-Major, 
à Alger,  l'auvent  qui  termine  le  C(jté  oppose  do  l’édifice; 
surtout,  ils  retrouveraient  une  intéressante  partie  de  la 
IMosquéc  d A bd-el-Kader , a Mascara,  dans  la  jolie  salle  voûti'c 
où  sont  exposés,  dans  un  décor  de  tableaux  représentant  des 
scènes  agricoles  indigènes,  les  produits  du  sol  algérien.  Le 
reste  du  Palais,  dû  à Part  savant  de  l'habile  architecte, 
M.  Albert  Ballu,  est  de  fantaisie  en  même  temps  que  du 
plus  pur  style  mauresque. 

<(  C'est  bien  toute  l’Algérie  francane  qui  se  détaille  dans 


18 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


cc  Palais,  avec  juste  ce  qu’il  faut  d’arabe  pour  indiquer 
le  cadi’c  africain  dans  lequel  se  meut  la  vie  européenne 
élargie  et  calmée  par  le  contact  de  la  vie  orientale  et  musul- 
mane. La  grande  cour  mauresque  du  sous-sol,  couvrant 
124  métrés  carrés  et  qui  est  une  reproduction  d’une  salle  de 
l’ancien  Musée  d’Alger,  montre  l’Algérie  antique,  il  est  vrai, 
avec  ses  ruines  de  Timgad,  de  Tébessa,  de  ïlemcem,  ses 
statues  des  musées  de  Cherchel  et  d’Alger,  mais,  aussitôt, 
une  galerie  contiguë  expose  les  vins  do  nos  crus  transmédi- 
terranéens. Au  premier  étage,  les  mines,  travaux  publics, 
enseignement,  salles  de  la  presse,  de  l'iiivernage  sous  ce 
délicieux  climat,  des  eaux  thermales,  des  forêts,  des  Beaux- 
Arts,  des  Tabacs,  de  l’exploitation  agricole,  disent  bien  vite 
à quel  point  l’européenisation  a fait  son  œuvre,  et,  sur  le 
grand  plan  en  relief  de  b métrés  sur  4,  incurvé  selon  la 
sphéricité  de  la  terre,  on  voit  combien  on  doit,  quittant  le 
Tell,  s’enfoncer  dans  le  Sud,  pour  trouver,  par  delà  les 
monts  et  aux  conlins  du  désert,  cette  vie  arabe  que  plus 
d’un  touriste  s’imaginait  rencontrer  presque  en  descendant 
du  paquebot. 

(<  Pour  compléter  l’exacte  sensation  d’Algérie  moderne 
que  donne  le  Palais  officiel  si  savamment  réussi  par  M.  Ballu, 
il  est  intéressant  de  faire  une  visite  au  Pavillon  parallèle 
des  attractions  algériennes,  construit  par  le  môme  éminent 
architecte.  Ce  Pavillon  a donné  asile  à certaines  exhibitions 
un  peu  bien  foraines  ; mais,  laissant  celles-ci  de  côté,  il  en 
reste  trois  .qui  sont  do  premier  ordre;  le  Stéréorama  qui, 
très  ingénieusement,  donne  l’illusion  parfaite  d’un  pitto- 
resque voyage  au  long  des  côtes  d’Algérie  de  Bône  à üran, 
en  passant  par  le  superbe  golfe  de  Bougie  et  la  rade  d’Alger 
et  par  tous  les  effets  de  lumière  compris  entre  l’aurore  et 
le  crépuscule  sur  ces  bords  où  la  lumière  infante  des  téeries  ; 
le  ïhorama  de  .MM.  Noiret  et  Galand  qui  emmène  le  visiteur 
émerveillé  dans  l’intérieur,  au  col  de  Sfa  avec  Biskra  au 
lointain,  au  désert  non  loin  de  Sidi-Boum-Eddhim,  au  ravin 
lie  Constantine  témoin  de  tant  d’actes  d’béroïsmcs,  aux 
gorges  imposantes  du  Bummel,  eu  un  coin  sauvage  du 
Pjurjura,  enliu  à Alger  même;  la  l\ae  d’Alger^  qui  est  une 
reproduction  lidèle  d’une  des  voies  tortueuses,  restées  bien 
arabes,  de  la  Casbah,  avec  ses  cchopes  de  marchands  et 


LISS  COLONIES  FIÎ AN(,; A I SES 


19 


SCS  milisous  à moiicliarabics.  nniconque  a su  Ijien  voir  le 
Palais  olficiel  et  le  Pavillon  des  atlraclions,  ne  forme  plus 
qu’un  vu'u... 

— C’esl  d’aller  s’assurer  de  visu  île  rexaclitudo  de  ces 
diverses  reproduclions. 

— Oui,  Sidi.  Kt  quiconque  a une  fois  de  rAlgcric 

y revient  et  y entraîne  plus  d’un  touriste  qui  deviendra  un 
Algérien,  pour  son  plus  grand  bonheur  et  pour  le  plus  grand 
bien  de  la  France  d’Afrique,  qui  regrette  que  ses  beautés  et 
ses  avantages  attirent  tant  de  Latins  des  deux  presqu’îles 
méditerranéennes  et  relativement  si  peu  de  fils  de  la  grande 
patrie!...  Mais,  je  ne  veux  pas  m’étendre  davantage  sur  cette 
province  Irançaisc,  je  vous  en  ai  dit  les  raisons.  Je  passe  à 
a Tunisie  voisine. 

Un  moment,  s’écrie  llcchard.  Je  vous  ferai  observer... 

Le  louareg,  sans  faire  un  geste,  mais  en  grossissant  ta 
voi.x  et  lui  donnant  un  ton  d’autorité  absolue,  interrompt 
le  farinier  interloqué. 

■ IM  moi,  je  vous  ferai  observer  que,  si  j’ai  été  instruit 
par  les  Koumis  et  suis  un  patriote  framgiis  beaucoup  plus 
brançais  et  patriote  que  trop  de  Fram;ais  de  France,  j(' 
n en  ai  pas  moins  gardé  toujours  — etrepris  plusprofondément 
que  jamais  en  rejoignant  ma  tribu  — les  sentiments  de 
respect  biérarchique  qui  sont,  avec  le  respect  d’Allah,  la 
force  d'un  peuple  et  qui  s’est  perdu  dans  la  grande  France, 
saul  dans  1 armée.  Or,  an  désert,  quand  un  cbeick  parle,  de 
meme  que  qnand  un  vieillard  raconte  la  sagesse,  on  se  tait 
et  on  écoute.  Je  sais  que  dans  vos  assemblées  de  cadis  il  est 
devenu  d usage  de  couper  d’iri'évérencieuses  interruptions  les 
discours  do  vos  cboicks  et  des  autres  cadis,  surtout  si  leurs 
paroles  sont  empreintes  de  la  sagnsse  inspirée  par  Allah. 
Commeces  perfectionnements  n’ont  pas  franchi  les  immenses 
vagues  d’alfa  pour  gagner  les  oasis,  îles  du  Sahara,  je  m’oii 
tiens  a nos  coutumes  du  liesert  et  je  vous  prie,  Sidi  iii'oyeur 
de  couscous,  d attendre  pour  parler  que  j’aie  volontaire- 
numt  cessé  de  le  faire  : sinon,  je  quitterai  la  place  pour  aller 
cborclu'r  la  dignité  et  la  déférenci'  parmi  mes  Touaregs,  che- 
valiers des  sables  sans  limites!  Je  poursuis  donc. 

L année  LScSl  où,  |)ii'  b‘  ti'aité  du  Bardo  (m'gocié,  ajii'ès 
une  facile  campagne,  par  le  général  Bréard),  le  bey  Sidi- 


20 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Essadok  recoTiniil  le  protectorat  bienfaisant  de  la  France  et 
la  souveraineté  sur  la  régence  de  Tunis,  doit  être  mai'qnée 
d'une  houle  hlanclie.  Grâce  à Jules  Fej'i'y,  qui  paya  de  l'iin- 
popularilé  le  haut  mérite  d’avoir  su  pi-eiidre  la  tète  du  grand 
inouveme)it  colonial  vers  lequel  toute  l’Fui'ope  allait  faire 
dériver  ses  forces  immobilisées  dans  la  paix  formidablement 


Lr,  Pavillon  des  AiTiiACTiONS  algiîiiiennes. 


armée,  la  patrie  française,  qni  a recueilli  bbéritage  de  l'an- 
cienne  Rome  comme  ccmtre  moral  de  la  race  latine,  moll- 
irait avec  (iiielle  vigueur  elle,  s’était  relevée  d’uu  récent 
(b'sastre.  Fa  prise  eu  suzeraineté  de  I ancien  empire  de  Car- 
thage, aiuiuel  une  sage  adminisli'atiou  a su  rendre  déjà 
pres(|ue  toute  sou  antique  prospérité,  est  mieux  qu  un  coup 
de  maître;  c’était  pour  la  France  reprendre  le  cours  de  son 
histoire,  un  moment  suspendu,  et  atténuer  un  peu  la  pusilla- 


LES  COEOIS  lES  Elï  ANÇAISES  2 I 


iiiiiiil(‘  C(*iip(ibl(‘  (jiu  îH L iiuss(*  All)i(ni  l(M)(lr(^  soiil(‘  vc^rs 
l'J^gypIc,  il(Hil  Hoiiaparlo  avail.  ('h*  la  » Siillaii  Jiislo  ».  ima 
inaiii...  qui  s osl  vilo  l'olcriiiéa.  La  Frauca,  (l('|)iiis  nu  siècla, 
r(un])lil,  la  niissioii,  |)résafvali'ic('  j)Oui'  la  niuuda  clinditui 
aiilaiil  (jua  da  Idanrail  liuniain,  da  pânalrcr  da  plus  au  plus 
la  iu()ud(‘  uiiisuluiau  du  pi'asliga  da  ses  aiauas,  de  sa,  civilisa- 
lion  al.  de  sa  juslice.  (ii'àca  à ella,  la  l'analisma  de  rishuu 
aiail  place,  (ui  I iulausa  luyai-  i'(d igieiix  afi'ica iu , à uii  modus 
Wemr/t  eulrcî  rEvaugila  al  le  Coran,  qui  deviajidra,  avec 
1 exlensiou  de,  sou  acliou,  uu  cousauliuiienl  paciru|ua  à la 
jiixlaposiliou  des  ctillas  siij-  la  sol  de  l'auciau  l’oyauuia  d('s 
Maures.  L uuivre  coimuaucée  par  Boiiaparle  aux  l*yramid(3s 
(où  noire  iiilluauca,  souvenir  seculaiia',  n'a  pu  èlra  aiilièra- 
uu'ul  supplatilée)  s'esi  poursuivie  eu  Algérie,  eu  Tunisie, 
au  Soudan,  eL  péuàtni  !('  Sahara. 

« La  luuisia,  ou  la  Coran  avait  deLi'uil  las  anlu|uas  et 
hrillanlas  civilisations  carthaginoise,  romaine  et  Ityzantina, 
asl  un  beau  al  saluhra  pays  ollVaul,  comiua  rAlgérie  sa  voi- 
sina, (las  plaines  au  nord,  de  hauts  |daleau.x  luonlagnanx  an 
centre,  la  zone  des  sablas  au  sud.  An  nord,  à l'est  et  au 
canli'e,  la  cliiuat,  lanqx'ré  jiar  h‘s  brisas  marinas  ou  h's 
alliludas,  est  tia'-s  siipporlahla,  mèiiK'  en  (d(',  et  las  hivers  y 
sont  d’une  grande  doucaur.  La  llora  an  est  mervaillamsa  : 
las  oraiigai’s,  les  (diviei's,  la  vigiu'  y viennent  aliondainnianl, 
(d  la  paluiier-dalliei'  tidoiuplu'  dans  la  la'giiui  vedsinc  du 
dasert.  Le  sous-sol  est  lâche  eu  giseiuaiits  de  phosphates,  (>n 
minas  da  jilomb,  an  carrièi’es  tie  marhi'as  lamomimis.  La 
faune  oIVra  aux  chasseurs  la  pei'drix,  la  gazcdla,  le  lièvre,  et, 
pour  les  vaillants  munrods,  h‘  sanglier,  le  chacal,  etc.  Un’ 
compte  actuellement  20, OUI)  colons  IVai^aiis,  nombre  (|ni  a 
ele  (d  ira  croissant  d’amnie  en  année.  Dans  h‘s  souhs  ou 
marches,  iré(|uenlant  les  corporations  indigènes  : cordoii- 
ni('i  s,  tissan rs,  la  i Ihuirs,  h rodan  rs,  hi jou li(*rs,  chaud r(;)n n iers, 
potiers,  etc.  .h'  n ai  [),is  besoin  da  vous  parler  d(‘s  tapis,  (jui 
sont  appréciés  dans  l'iMii’ope  entière,  et  des  essences  pré- 
cieuses. 

<(  Ce  si  llorissant  Drotectoi'at,  dont  la  budget  s'élève  à 
2i  millious  sans  rien  coûter  à la  Mélrojiole,  et  (jui  |)ossèdc 
(lualj-e  grands  beaux  ports  : Tunis,  Sousse,  Sfax  et  Jiizeide 
ce  dernier  port  militaire  de  prenii('r  ordre  et  un  solide 


22 


A ÏUAVEIIS  l’exposition 


point  trappui  pour  notre  année  navale  lorsque  ses  travaux 
(le  défense  seront  eiilin  terniinés  — est  relié  à rÂl(>érie  par 
le  chemin  de  fer.  Il  est  un  d('s  pins  beaux  llenrons  (h'  la 
coni'onne  de  r('mpire  colonial  des  Hoinnis  de  Fi'ance,  et  a 
tonjonrs  été  excelleniincnt  administré  par  tes  résidents  f;é- 
mh'anx  (jni  gon vernenL  au  nom  de  la  l{épubli(|nc,  sous  l'au- 
torité noiniuahî  du  la'y.  Le  résident  ^('iiéi'al  actnel  est, 
(hqniis  M.  M i I let,  ministre  [dénipotentiaire  de  classe, 
anci(‘n  clnd' de  cabinet  de  M.  Bartiiéicmy-Saint-Ililaire,  puis 
ministre  de  France  à Stockholm.  C’est  nn  gouverneur  ben- 
l'enx  dans  nn  benrenx  ])ays,  oii  la  vie  est  larg(‘  et  oti  le  tra- 
vail int(d I ig('nt  assure  l'aisance  en  altendant  la  rortune. 

« La  Tunisie  méritait  une  jilace  d'honneur  dans  cette 
exj,»osition  coloniale  dn  Trocaub'ro.  File  l’a,  (d  cette  place 
est  superbement  rempTn',  gràc('  à l’habile  organisation  dont 
rbonucur  revient  (à  M.  le  Commissaire,  docteur  Loir,  aid('‘ 
de  collaborateurs  tels  ()ue  : M.  Roger  Martin,  inspecteur  de 
l’exposition  des  Colonies  fran(^.aises  en  t(S8!),  Commissaire 
adjoint;  M.  lJugon,  directeur  de  l'Agricultiire  et  dn  Com- 
UK'rce,  (|ui  a centralisé  les  divers  services  conliés  à : 
.M.M.  .Macbmd,  diiaudenr  général  de  l'Fnseiguement  juiblic; 
Buisson,  dirt'cleur  du  colb''g('  Alaoui  (Ecfde  normale  de 
Tunis);  Bavillier,  directeur  des  Travaux  publics;  Ganckbd 
et  Ladonx,  directeur  et  inspecteur  des  Arts  et  Anti([uit(''s; 
Boy,  secrétaire  général  du  Cou vernement  tunisien;  .lacqnes, 
directenr  de  l’Oftice  postal,  et  Dncrocquet,  directeur  des 
l’inances. 

« A tout  scigueur,  tout  honneur  : un  mot  s|)écial  est  dû 
à M.  le  lt‘'  Loir,  Commissaire  du  Couvernement  tnnisien  à 
l'Expositiou  de  tltüO,  ([ui  est  tout  simplement  le  neveu  de 
l'illustre  Bastenr,  cet  autre  «Grand  IGançais».  Né  à Lyon, 
eu  18t)2,  le  tJ’’  Loir  a (dé  successivement  préparateur  de 
(diimie  à la  Faculté  des  sciences  de  sa  ville  natale,  dont  son 
père  était  le  doyen,  puis,  à partir  de  1882,  préparateur  de 
son  oncle  Ikistenr  Ini-mème.  fin  1881),  il  est  chargé  de 
rinstallatiou  de  l lnstitut  Bastenr  de  Saint-Bétersboiirg  et 
tait,  deux  ans  après,  [lartie  de  la  nii-;sion  envoyée  en  Au- 
stralie [)Our  procéder  à la  deslruction  des  lapins...  que  h“s 
s)|natters  préférèrent  conserve)'  pour  les  exporter  en  Eu- 
rope dans  les  frigoriliqucs,  ce  qui  ieu.'’  procure  de  gros  béné- 


LUS  COLO.MUS  FllANÇALSLS 


lices.  .M . l^oir  siiL  lircj’  ])ai'li  de  sa  ])i'éseiice  à Sydney  pour 
y ci'éi'i'  lin  Insliliil  l‘as(eiir  qii  il  dii  i^c'a  pendant  qiialri' ans. 
Il  qnilla,  imi  iNü.i,  I Australie',  y laissant  la  niai'(|ii(‘  liien- 
l'aisanle  de  la  supériorité  de  la  science  française  et  vint 
fondei' un  Institut  si'iiililable  à ïnnis.  il  installa  siicci'ssive- 
inent  élans  li'  l'roli'clorat  un  Inslitiit  raliie|ne,  un  cenli'c  vac- 
cinoj^ène  oèi  l'on  produit  li'  vaccin  pour  conibaltre  le  lléaii 
de  la  variide,  e'iilin  un  Inslilut  antiel i pli tcriqiu',  tandis  ijiie, 
dans  son  laboratoire,  il  éliidiail  les  aniélioi’alions  à apporb'r 
a la  vinilication  dans  ce  pays  ofi  la  vi^ne  est  un  de's  grands 
ani'iils  d('  ioi'tiiiie  pour  les  lîiUropéens.  La  Tunisie  saeanti' 
niar(|ua  au  1)'  Loir  sa  re'connaissance  jioui'  tant  de*  belles 
ei'iivj'cs  accomplies  au  |)i-ix  di's  plus  laborieux  ell'orls  en  raj)- 
pelant,  en  LSIMi,  a la  préside-nce  de  Ta  liistilut  de  Liirlba^e  », 
docle  association  lu n isienne  des  Lellres,  eles  Sciences  e't  ele.s 
Arls.  C’est  l'ii  celte'  (|nalité  eju'il  ivalisa  son  proji't  de  la  ir- 
ce'ption  ejiie  lit  la  liinisii'àl  Associalion  li'aiiçais  pourravan- 
e'i'ini'iit  (b's  science's,  lors  du  Conj^i'ès  de'  Carlha!;i'.  Oj',  b' 
|u•ésid('nt  de'  ce'  Ceuq-rès  eitait  ,M.  Dislè're',  leréelée-e'sseiir' eb' 
-M . (diaib's  Leuix  élans  b',  peiste'  eb'  Itéb'giié  eb'S  Ceibuiie'S  èi 
ILxpeesilion  (b*  ItJOÜ.  t,  e'st  lui  ejiii,  lrap|)i'  ele  la  su périe'ii re 
e)i  i;a n isa I ieui  eb'  I l'^xposiliem  ineliistrielle  e]u  aeail  orj^auisée, 
|>our  cette  ci rceuistaïu'e,  rinstiliil  eb'  Carlluque',  eb'nianela  ;i 
Seul  Altesse  le  lii'y,  sur  la  jeroposilieui  eb'  ^'l.  .Millet,  Uési- 
eb'iil  p,éuéi'al,  eb'  lui  ilonne'r  le  1)''  Loir  conimi'  sou  collalio- 
l'ateiir,  en  ce  qui  coimerne  la  Tunisie,  pour  la  i;raiule  T'éte 


la  lin  élu  siè'cli'.  Du  ri'ste,  les  edectenrs  Iraïupiis  élu 


’ro- 


le'eloiat  a\aie'nt  eléja,  e'ii  e|uele[ue'  sorte',  ]U‘is  les  devants  en 
en\e))ant  le  ji'iine  et  si  actil  saAant  sie\yo_'r  à la  Conl'érence 
cemsiiltali ve  de  lunisio.  Voilà  riieemnie.  Voyenis  Tœiivre 
maintenant. 

« Le  Leibiis  el  exposiliejii  ele  la  Tunisie,  e|ui  couvre  eine  sur- 
lace ele  5,00(1  mètres  carrés,  est  un  ense'iiible  liarmon ieiix 
ele  reconslilutiems  habiles  et  ele  pur  style  arabe  eles  plus 
curieux  édilices  de  la  Ue-^o'iice.  C’est  i\L 'Sahulin,  l’éminemt 
arcbiU'cle  eirienlaliste,  déjà  chargé  ele  loger  la  'l’nnisie 
en  IbS.t,  ejiii,  a\e'c  un  geuit  stivant  eaù  hi  liilélité  sci'iqni- 
leuse  le  elisjnite  an  |)ilte.re'sque,  a l'éiini  en  un  teint,  qui 
est  eine  petite  ville  arabe,  en  minialui'e,  la  .Mose|uée  ele 
Sidi-Ma/ire:,  à lunis;  la  Mosquée  du  Barbier  du  Prophcle, 


24 


A TRAVERS  L’EXPOSITIO^• 


à Koi’oiiaii;  inic  porte  de  Monasiri,  avec  ses  inscriptions  an- 
ciennes; une  cnriense  ladite  maison  de  Sidi-Bon-Saïd cneillie 
sur  la  côt(‘,  près  de  Bizerle;  le  pavillon  de  la  Manouha, 
situé  à Tunis,  près  dn  Bardo,  et  qn'entonre  nn  jardin;  le 
minaret  àv  Sfax,  enlin,  dont  rélégance  élancée  domine  le 
composite  édirice. 


((  (l'est  liien,  scdon  la  pensée  directrice  de  M.  Charles 
Roux,  toute  la  Tunisie  qui  vit  dans  ce  décor  excellemment 
tunisien.  La  Mosquée  de  Sidi-Mahrez  partage  ses  12,000  mè- 
tres de  superlicie  entre  les  ex])ositions  des  administrations 
d'état;  agricnltnre  et  commerce,  CRseignement  ptddic,  tra- 
vaux publics  et  mines,  direction  des  antiquités  et  des  arts, 
dont  les  fouilles  font  si  superbement  revivre  le  lointain  passé 
punicine.  Les  exposants  particnliei's  si  noinlirenx  montrent, 
dans  le  reste  du  Palais,  quel  beau  développement  a pris 
rindnstrie  dans  la  Régence  depuis  qu’y  commandent  ces 


LES  COLONIES  FIÎANCAISES 


l'rançais  qui  s’cii  vont  rdpélaiil  naïvomiMil,  parce  que  les 
étrangers  le  (lisent,  qn’ils  ne  sont  pas  colonisateurs.. . alors 
cju  à chaque  pas  l'IIisloire  s’inscrit  en  l'an x contre  cet  anto- 
• Cnigrement  (|ni  é‘|„ig,ie  trop  «rinteltigences  et  de  capitaux 
(les  ('iitrejn-ises  coloniales  on  ils  trouveraient  tant  do  suc- 
cès... Ht  l’étranger  de  sourire  en  occupant  la  place  laissée 
vacante.  Comment  celte  patrie  de  la  pensée,  de  la  logique 
(lu  travail,  des  grands  élans  de  justice  et  de  générosité,  cetti- 
Hrance  qui  a moralement  colonisé  l’Europe  continentale  eu 
a [lénétrant  de  son  esprit,  se.  trouverait-elle  taire  moins 
lonne  figure  que  d autres  nations  heaucoiip  moins  sympa- 
thiques vis-a-vis  des  races  de  civilisation  intérieure  ou  de 
culture  moins  avanc(>e?  Un  disait  jadis,  de  qui  entreprenait 
une  cenvre  considérée  comme  impossible,  qu’il  « voulait  ma- 
rier le  Crand  Turc  avec  la  Hi^puldiqiie  de  Venise  » ; la  France 
a lait  plus  fort:  elle  a marié  le  croissant  de  l'Islam  à ses 
trms  couleurs  chréliennes  catholiques,  et  de  cette,  union 
naissent  cIukjuc  jour  de  nouveaux  fruits. 

n-T  lunisiimne?  ohjecte  timidement 

IJechard. 

Le  loiiareg  lance  au  farinier  un  regard  sévère  et  nonr- 

— La  partie  la  plus  pittoresque  de  l’exhildtion  de  la  mo- 
derne Carthage  trançaise  est  la  reproduction  vivante,  tidèle 
reidle  des  Souks,  ou  marchés  arabes.  Cette  longue  rue  se- 
nieiyle  petites  houtiqiies  bizarres  où  l’on  voit  travailler  et 
vendre  leurs  produits  si  divers  : le  potier  de  Nahéral,  le  tis- 
•serand  de  Galsa,  le  tapissier  et  le  chaudronnier  de  Kérouaii 
e cordonnier  de  Béza,  l’émaillenr  de  Moknin,  marchands  de 
honhoiLs  d epices,  de  parfumerie,  de  bijouterie,  d’ébéniste- 
Jie  d (jrfcM-erie,  de  burnous,  et  l’éventailliste,  et  le  barbier 
et  le  (lecorateur  de  gargoulettes,  etc.,  est  un  coin  qui,  au 
cie  pies,  lait  du  voyage  au  Trocadéro  un  résumé  piciuant 
dum^  p'ande  excursion  à Itizerte,  Tunis,  Soiisse,  Sfax,  etc. 

J ai  dit.  Maintenant,  vous  pouvez  parler 

— Cosi  po„s<.  Bècl,»nl  qMi,  pou,,  pmlilc,'  aus- 

■ ot  ( C la  ])ermission  selon  son  goût  dominant,  demande: 

tour  que  ces  Souks  tunisiens  puissent  offrir  quehiiie 
Maisemblance,  il  doit  falloir  tout  un  personnel  indigène? 

— Aussi,  sont-ils  cent  quarante,  dont  ]dusieurs  femmes. 

A TRAVERS  l’exposition.  — T.  XVI.  - 


26 


— Tous  jnusuliiiiias?  inlcri'ogC  u sou  loin'  Ncrduicl. 

Li(>s  (loux  ('léiuciils  (Joui  SC  coiu|)i.)sç  la  popiilalioii  imli- 

p,ciu'  sont  ici  l'ciu'csculcs  : les  inusiiliuaus  (l'iicc  laulicic  cl 
?acc  mam'(‘).cl  les  israélilcs,  ([ui  oui  conserve  les  mœurs  cl 
mainleiiu  le  Ivpr  des  sémiles  oi'iealaux. 

— Un  derii'ier  mol.  D'après  loul  le  liien  que  vous  , nous 
diles  de  la  Tunisie,  il  sei'ail  iuléressaut  de  voir  s y rendre 
lant  de  pauvres  diables  qui  véf'èlenl  eu  b rance  ! 

Oui,  Sidi,  sui'loul  pour  s'y  adoumu'  à 1 ap,riciilliire. 

Sur  21,000  Français  insLallés  eu  Tunisie,  16  "A.  senlemeiil, 
soit  de  31  à 32,000  se  partag’enl  la  possession  el  le  Iravail 
(les  310.000  lieclares  de  lerres  ap[)ai'leuanL  à vos  nalionaux. 
Ce  n'esl  pas  assez,  loin  de  là,  élaul  donné  le  bel  avenir  (|ni 
alLend  les  C(doiis  laboi'ieux.  Aussi  Ions  les  loualdes  ellorls 
de  rAdminislralion  sonl-ils  lonrnés  vers  le  peiiplemenl 
l'rançais.  l’assons  à 


('IIAI'ITh’E  111 


LA  NUUVEI.LE-CALÉDOMH 


— Ail!  iili!  liiil  Bècliard,  la  Luikmiso  ((  Nonvclli' »,  à liu|iic|l(‘ 

‘""l’"'''"*'  '<  (1(!  r(‘((Mii-  » (iiin  l’on  voil  ces 

«■xnclk'iils  cscai'ix's  cli(Tcli(‘r  à inasiirci- la  iiorléa  piMialc  de 
Iciirs  iiiaiivais  coiijis  de  ra(j(m,  au  cas  où  ils  soraieiil  pris  c'i 
SC  lairc  l•cl.'‘^llcr  dans  ccl  eden  des  mall'ailcni's  ! 

— Avouez,  dil,  Verdnrel  en  s'adressant  à .Mahoined  Ali- 
dnllali  ben  .Mockarali  (|ne  vous  autres.  Africains  du  Deseid 
vous  vous  ùlonnez  de  voir  expddier  nos  chenapans  dans  nii 
pays  de.  climat  iiiMvilegick  aloj's  (pne  nos  hraves  et  honnêtes 
lietits  soldats  sont  envoyés  sur  les  côtes  où  régnent  ta 
dysentmae  ou  la  fièvri!  pinne? 

— Je  m en  etnnnerais,  Sidi,  si  j'avais  moins  ajijiris  à con- 
naître les  hrançais.  Ce  que  vous  sif-nalez  est  un  excès  de 
v()s  mei  lenres  qualités  : la  honte  généreuse  .le  la  ra.^e  gau- 
loise et  la  vivacité  d impression  que  lui  causent  les  imaires 
ovo.|nees  par  les  mots.  Cuvoyer  à la  mort  possihle  un  cou- 
puhle  qui  nest  condamné  qu'aux  travaux  forcés  lui  semhie 
m,|iisliceet  .^nmauté.  Le  hrav.>  petit  sohlat  peni,  lui,  courir 
losris.,nes  du  trépas,  pui8.|u'il  emporte  l’honneur  sous  le 
plastron  d.'  sa  varmise  et  (|u’il  aura  celui  de  siiccomher 
nohlemenl  eu  se  dévouant  au  s.'rvice  de  la  [latrie  et  à la 
gloire  du  drajieaii.  lai  soci.'d.'  qui  approuve  le  sacrifice  géné- 
reux es  hiessée  par  l'idée  d'aggraver  la  peine  de  ceux 
qu  elle  brise  sous  ses  lois  de  défenses  nécessaire. 


28 


A TRAVERS  l’EXPOSITIOIS 


— llum!  p(Mise  Verdurel,  voilà 'k'  la  psycliologio  bionsiil)- 
lile  pour  1111  ]iriiice  du  Déserl! 

El  il  l'ogardc  curicusenic'ut  le  singulier  Touareg  (jui,  ler- 
maut  la  [larenllicsc  : 

Oui,  Sidi,  celte  ile  de  la  Nouvelle-Calédonie,  située 

entre  20  et  21  degrés  de  latitude  dans  raulre  héiuistilière 
et,  en  longitudes  (101», 30  et  164», 10),  aux  antipodes  de  la 
Métropole,  longue  de  400  kilomètres  et  large  de  50  a 60  ki- 
lomètres, possède  nu  merveilleux  climat;  la  température 
u'y  descend  jias  au-dessous  de  13  degrés  et  n'y  monte  qu  ex- 
ee[)tionnellemeul,  et  pendant  quelques  jours  à 36  degrés;  la 
salubrité  y est  parlai  te,  pas  Tombre  de  maladies  cndémi- 
(|ues  ni  épidémiques.  On  s'y  porte  beaucoup  mieux  qu'à 
Pai'is  et  on  y souffre  beaucoup  moins  de  la  chaleur,  toujours 
lem|HU’éc  par  les  lirises  de  1 Océan,  et  a laquelle,  dailleuis, 
on  se  dispense  de  s'exposer  pendant  les  heures  chaudes  de 
la  journée,  àlais,  ne  nous  écartons  pas  du  sujet  dont  j ai  leçu 
mission  de  vous  entreleuir... 

De  ([ui  cette  mission?  interrogé'  curieusement  Vei'- 

dui'el. 

— De  (|ueb|n'un,  Sidi,  (jui  vous  porte  t'u  haut  inléi'èl, 
mais  (jui  désire  se  faire  lui-même  connaitre  à vous. 

— C'est  donc  un  bien  grand  secret? 

Le  discret  Touareg  fait  un  geste  évasif  et  poursuit  : 

— Eu  Erance,  on  est  rempli  d'égards  pour  les  chefs  du 
Désert  que  l'on  sait  dévoués,  comme  moi,  à la  cause  fran- 
çaise, et  c’est  M.  le  Commissaire  de  l’Exposition  calédonienne 
fni-mème,  qui  a bien  voulu  m’en  faire  les  honneurs. 
M.  Louis  Simon,  délégué  de  la  iNouvelle-Calédouie  au  Conseil 
supérieur  des  Colonies,  chevalier  de  la  Légion  d honneur, 
lté  à Metz,  le  15  décembre  1835,  est  aucicn  officier  d'ar- 
tillerie. Aimable  autant  que  distingué,  il  a gardé  du  mili- 
taire la  concision  de  parole  et  la  prompte  nelleté  de  vue, 
et  du  polytechnicien  la  pensée  précise  accoutumée  à se  hâter 
vers  la  solution  mathématique.  Aux  premiers  mots  échangés, 
il  a saisi  mou  secret  désir  et  m’a  dit  : 

„ _ Quesliounez-moi,  de  la  parole  ou  même  seulement 
dn  gesli',  si  vous  voulez,  et  je  vous  douucrai  le  maximum 
d'indications  eu  un  minimum  d'expression. 

« J’approuvai  de  la  tète  et  dis,  comme  il  me  montrait  le 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


29 


Pavillon  de  la  Nonvelle-Caledoiiio,  dont  il  est  le  très  expert 
organisa  te  ni-  : 

« — Pavillon?... 

“ — Construction  rectangnlaire  en  fer  et  briques sans 

style  — 23  mètres  de  longueur  sur  12  de  largeur  avec 
perron  d’en  lire  couvert  et,  sur  t’nn  des  grands  côtés,  nne 
véranda  de  3 mètres. 

« — Architecte? 

« — M.  Brey,  ancien  élève  de  l'J'xole  des  Beanx-Arts. 

« — Nouvelle-Calédonie,  beau  pays? 

0 — Snpei'be. 

« — Produits  du  sol  ? 

« Ions  les  fruits  des  Tj'opiqnes,  tons  les  légnnies  d’En- 
rope  et  des  Trojiiipies;  café,  vanille,  caontcbonc,  textiles, 
indigo,  etc.;  loi'èls  de  liois  précieux  très  nombreux  et  très 
varies;  un  |)(mi  de  bois  ib'  santal. 

« — Produits  dn  sons-sol? 

« — Minej'aisde  tontes  sortes  — |»rinci|)alenient  nickel, 
enivre  et  fer  en  qnanlilé  inépuisable  — chrome,  cobalt,’ 
plomb  argentifère,  zinc,  antimoine,  or,  mercure,  etc...  et 
de  la  Inmille.  ’ 

« — Flore? 

liés  1 iche,  leprésentei'  an  Pavillon  iiar  un  magni- 
fiqne.  herbier. 

« — Panne? 

« — Pauvre.  Pas  de  gibier  à poil  indigène;  deux  races 
de  cerfs  ont  été  importées  de  Java.  Pas  de  bêtes  malfaisantes. 
Comme  gibier  à plnme  ; li-ois  variétés  de  pigeons,  tourte- 
relles, canards,  pei-rnches,  poules  sultanes,  râles,  corneilles, 

oiseaux  de  proie,  merles  et  nne  certaine  quantité  de  iietits 
oiseaux.  ' 

« — Industries? 

« Minoterie,  tannei'ie,  labrique  de  chaussures,  hnile- 
iie,  savonnerie,  distillerie,  fabrique  de  glace,  conserves  de 
Mandes,  fabriques  de  tabac,  exploitation  des  mines  et  des 
iorêts,  huîtres  nacrières  et  [lerlières. 

« — Depuis  quand  française  ? 

® Depuis  1833.  C’est  l’amiral  Février-Despointes,  qui, 
le  24  septemlire  de  cette  année-là,  a pris  possession  de  là 
Aouvelle-Calédonie  au  nom  de  la  France. 


30 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


« — Le  gouvoiTKnir  acluel? 

„ _ ]\l.  Paul  F('illei,  hoiiuiK!  suix'rieur,  goii venieiir  de 
|u'euii(‘i’  ordre,  ([uaraiilc'-li’ois  uns.  A ele  (dnd  de  caldiiet  d(‘ 
INI.  Poubelle  à la  PiadVetiiiT'  île  la  Seine,  puis  sons-pn'd'et 
à l)nnker(|ne,  directeur  de  l’Interienr  à la  Gnadeloniie,  gon- 
vernenr  de  Sainl-Pierri'  et  Miipielon.  Est  gouverneur  de  la 
Calédonie  depuis  1894. 

« — Combii'u  coiHe  celle  colonie? 

„ _ A la  .Métropole?  Rien.  Son  budget,  de  3.400.000 
l'rancs,  est  enlièreuienl  Ibnrni  par  la  colonie. 

« — l'opniatiou  uoinbreiise  ? 

« — I)(,  onze  à donzi*  mille  Européens  libri'S,  y compris 
la  garnison;  de  sept  à buit  mille  libéi'és  et  relégués  ; de  trois 
à (|nalre  mille  pensionnaires  du  bague;  de  vingt  a viugt- 
ciin]  mille  indigènes  Canaipies;  pins  den.x  on  ti'ois  mille  tra- 
vailleurs im[)ortés  lies  Nouvelles-lléltrides,  du  Innkin  (d  de 

Java. 

« — Ces  indigènes?... 

« — An  point  de  xni'  pliysi(|n(‘  ; de  race  undanesiimne, 
laids  — snidouL  les  remmes  — mais  bien  bâtis  et  rolnisles. 
An  itoinl  de  vue  moral  : essentiellement  païusseux,  mais 
iimirensil's  si  on  les  empêche  de  s’inlnxiipier  d'alcools,  dont 
ils  sont  très  friands.  t)n  peut  en  tiirr  bon  parti  avec  de  la 
fermeté  id  de  la  doncenr.  Chez  les  Cana(|nes,  point  de  reli- 
gion ; ils  vivent  à rétat  sauvage  et  sont  fétichisti'S.  Il  n’est  pas 
bien  sur  que  ceux  qui  se  sont  laisse  évangéliseraient,  poni 
la  majeure  partie,  compris  la  valeur  de  leur  acte.  La qilupait 
u’agissent  (pi’en  vue  d’intérêts  très...  matériels. 

K — bdorissaiite,  la  colonie  ? 

(,  — En  belle  voie  de  prospérité.  Les  cultures  de  café  s’y 
développent  ; celles  dn  caoutchouc,  du  taljac,  du  manioc  poui 
tapioca  y sont  entreprises  avec  succès.  Les  mines  de  nickel, 
de  cuivre,  do  chrome  et  de  cobalt  sont  en  pleine  ex[)loita- 
tion  ; l’extraction  de  la  houille  sera  commencée  dès  que  l’on 
pourra  disposer  de  3.'i  kilomètres  de  chemin  de  1er. 

K — Colonie  d’avenir  ? 

« — 1)^1  plus  grand  avenir  : les  capitan.x  commencent  a 
s’y  intéresser.  Ciette  exposition,  d ordonnancement  si  pia- 
lujiie,  y orientera  certainement  des  colons,  qui  manquent 


TÆS  COLONIES  FllANCAlSES 


31 


actiiollemeiit.  La  question  des  travailleurs,  qui  l'ont  défaut, 
esl  plus  délicate,  mais  est  eu  bonne  voie  de  solution. 

« — fait-on  d’importants  travaux? 

« — Un  bon  réseau  de  routes  est  créé  et  entretcmu  ; Nou- 
méa possède  et  agrandit  de  bons  quais.  D’ailleurs,  le  déve- 
loppement, sous  le  rapport  des  travaux  publics,  est  prochain. 
Il  y a encore  beaucoup  à lairc;  mais  un  emprunt  de  dix  mil- 
lions que  la  colonie  est  sur  le  point  d’opérer  va  permettre 
d outiller  sérieusement  le  port  de  Nouméa,  en  le  dotant  d’un 
wbarl,  d’un  bassin  de  radoub  et  d’une  drague,  et  en  iier- 
niettant  de  commencer  enfin  le  chemin  do  fer  partant  de  la 
ca[)itale  pour  s’élever  vers  le  nord  de  l’ilo. 


“ .Mais  revenons  à l’exposition... 

« — Comme  je  vous  l’ai  dit.  Pavillon  rectangulaire  sans 
pretenlion,  iormant  salle  unique  de  2o  mètres  sur  12  et  8 
niètres  de  hauteur,  éclairée  par  des  châssis  vitrés  occupant 
la  partie  supeneure  des  . murs  sur  tout  le  pourtour.  Ces 
murs  sont  revêtus  d étoile  bleutée,  et  un  immense  vélum 
blanc  garni  en  étoile  pareille  à la  tenture  forme  le  plafond 
Le  long  dos  murs,  vitrines,  étagères,  consoles  en  bois  dil 
pays.  Uiiati-o  portes  de  2"'oU,  également  en  bois  calédoniens  : 
a une  d elles  on  accèd.e  jiar  le  perron  couvert;  deux  autres 
s ouvrent  sur  la  véranda  de  3 mètres  de  largeur  que  j'ai 
déjà  indiquée.  ' 

" — Du  y a-t-il  de  plus  intéressant  à voir  ? 

" — - La  très  révélatrice  collection  de  minerais  qui  appelle 
les  industriels  avec  promesse  do  fortune  ; les  cafés  de  230 
exposants,  dont  la  jiroduction  est  annuellement  de  300  tonnes 
et  augmente  sans  cesse  ; les  textiles,  coprah,  résines,  gom- 
mes, produits  agricoles  et  leurs  dérivés  (huiles,  indigo  ta- 
bacs’  etc.),  bien  faits  pour  faire  réllécbir  les  agriculteurs  de 
la  Métropole;  les  bois,  aux  essences  variées  et  précieuses, 
e es  matières  laniiantes  ; un  plan  en  relief  au  quarante 
millième  de  la  colonie  et  un  plan  au  cent  millième  de  la 
c.donisalion,  1 lierbier,  les  ois.>aux  empaillés,  les  travaux  des 

enlanis  des  ecoh's,  cajiabb  s de  rassurer  les  pèri's  de  famille 

sur  1 éducation  de  leur  progéniture;  les  [iroduilsdc  l’Indus- 
trie (larmes,  conserves  de  viandes,  cuirs,  cliaussures,  ta- 
jUoca,  ‘'U-,);  Ions  ces  (d.jets  exposés  ont  été  accompagnés  en 
1 lance  par  M.  1 ani  Dislère,  attaché  au  service  des  mines  eu 


32 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Nouvollo-Calédonie,  cl  qui  a été  envoyé  à Paris  avec  le  titre 
de  Commissaire  adjoint  pour  aider  au  classement. 

,<  — Je  ne  vois  pas  d’indigènes. 

« Ils  sont  encore  trop  sauvages,  nos  Canaques  ! 

((  — En  résumé  ? 

,<  — En  participant  àCExposition  dans  un  Pavillon  spécial, 
dont  elle  a fait  tous  les  frais,  la  Nouvelle-Calédouic,  a eu 
surtout  pour  but  de  mettre  en  évidence  les  progrès  qu’elle  a 
accomplis  depuis  quelques  auuées,  et  surtout  depuis  qu  en 
KS'.ti  -M.  Eeillet  en  a été  nommé  gouverneur.  Grâce  à 
lui,  la  Nouvelle-Calédonie  a cessé  d’être  presque  exclusive- 
ment un  lien  de  relégation  pour  devenir  nne  véritable  et 
magniliqiic  colonie,  dans  laquelle  l’élément  indigène  et  1 ad- 
ministration pénitentiaire  n’ont  plus  que  le  rôle  qui  leur  ap- 
partient, celui  d'auxiliaires  de  la  population  libre,  r 

Et  Mohammed  Abdullah  ben  Mockarab  conclut  . 

— Voilà,  Sidi,  ce  que  m’a  dit,  en  termes  aussi  concis 
qu’excellents,  M.  le  Commissaire  Eouis  Simon.  Cet  aimrçu 
d’ensemble,  si  catégorique  et  précis,  vaut  selon  moi  un  livre  : 
il  donne  comme  nne  vision  présente  et  d’avenir  de  cette  si 
intéressante.,  et  très  enviée  colonie.  Au  cours  de  votre  vi- 
site, ne  manquez  pas  de  déguster,  dans  le  kiosque  place  a 
l’extérieur  du  1‘avillon,  une  tasse  de  l’exqnis  café  calédonien, 
et  passons  maintenant  au  groupement  séduisant  que  Ion 
nomme  : 


CHAPITRE  IV 


LI>:  1)1  OR  AM  A COLONIAL 


— Si,  de  la  iXouvclIe-Calédonio,  qui  avoisine  le  Palais  du 
JMiuistère  des  Colonies  où  je  vous  retiens  coiumodémenl 
assis  à l’ombre,  on  saute  jusqu’à  la  partie  centnile  do  l’ex- 
posiLion  coloniale  française  du  Trocadéro,  on  trouve,  en 
liordure  de  l’avenue  Delcssert,  un  vaste  bàliment  auquel 
deux  pavillons  teriuinaux,  coidés  de  coupoles  d’nne  gra- 
cieuse fantaisie,  et  un  double  escalier  à palier  de  4 mètres 
de  large  et  d’un  joli  dessin,  donnent  un  caractère  de  sérieuse 
élégance.  Ce  pavillon,  long  de  6G  mètres,  large  de  14  (sans 
compter  les  escaliers  d accès  de  la  façade  principale,  liant 
d’un  pou  plus  de  Id  mètres  jusqu’à  la  rampe  de  la  balus- 
trade décorée  d’unies  qui  on  contourne  le  faîlc  et  dont  l’al- 
titude, au  sommet  des  coupoles,  atteint  près  do  211  mètres), 
est  l’ieuvre  distinguée  do  M.  Scellier  de  (iisors,  inspecteur 
général  du  Service  des  bâtiments  nationaux,  officier  de  la 
Légion  d’bonneur,  architecte  en  chef  de  l’Exposition  colo- 
niale de  1900.  Cet  édifice  est  intérieurement  divisé  on  quatre 
•salles  principales,  réservées  à quatre  colonies  n’ayant  pas  cru 
devoir  se  permettre  le  pavillon  spécial,  étant  donné  leur  faible 
importance...  géographique  — car  vous  verrez,  Sidi,  que  cer- 
taines ne  sont  pas  sans  une  très  sérieuse  importance  poli- 
tique. Les  colonies  groupées  en  cet  endroit  sont  : Sai/U- 


34 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOIN 


Pierre  el  Miquelon,  Côtes  des  HumaHs,  Mayotte  et  Océanie. 
(Iliaque  salle  oITre  le  grand  atlrail  d'un  vaste  diorama  qui, 
donnant  une  image  exacte  et  pour  ainsi  dire  vivante  d'un 
paysage  animé  de  la  colonie,  est,  au  milieu  de  l'exposition 
particulière  de  cette  colonie,  une  excellente  leçon  ilc  chose. 
Le  public,  en  môme  temps  qu'il  se  rend  compte  du  pays 
par  l’exposition  des  produits,  en  a sous  les  yeux  une  vision 
parliellc  d'éclalante  réalité  qui  l’impressionne  et  se  grave 
en  son  esprit.  11  vous  intéressera  peut-être,  Sidi,  de  con- 
naître les  dimensions  et  de  savoir  comment  sont  disposés 
ces  dioramas,  en  leurs  cages  de  7 mètres  ilc  prolondenr  sur 
5 mètres  de  hauteur.  Voici  un  plan  en  conpo  transversale  du 
Pavillon  entier  c[ni,  tout  en  vous  révidant  les  dessous,  caclu's 
par  le  plâtre  et  le  stalï,  de  ce  palais  éphémère,  vous  |)er- 
mettra  de  vous  rendre  com|)to  de  la  laçon  dont  s obtient 
l'illusion  dioramique. 

Tandis  que  Yerduret  et  ses  compagnons  considèrent  le 
plan  qn’il  lenr  a soumis.  Mohammed  Ahilullah  continue  ; 

— .le  vais,  maintenant,  vous  dire  queh|ues  mots  sur  cha- 
cune de  ces  petites  colonies,  .le  commence  par 


îi  P'- 

SAIXT-PIF.RIiE  ET  V I Q U E E O iX 

De  Saint-Pierre  et  des  petits  îlots  rocheux  qui  l’enlourcnt 
(ile  aiix  Chiens,  qui  forme  la  rade;  Grand  Colombier,  mon- 
tagne seule  fréquentée  par  des  myriades  d’oiscanx  de  mer; 
r//e  a}ix  Vainqueurs  et  Pile  Massacre),  do  môme  que  de  la 
Grande  et  de  la  Petite  .Miquelon,  réunies  maintenant  par  un 
banc  de  sable,  je  ne  vous  occuperai  que  très  pou  fl'instants. 
Ce  groupe,  lilliputien  en  comparaison  do  la  seule  île  Anti- 
costi — récemment  achetée  par  M.  Henri  .Ménior,  et  comme 
elle  située  à l'cmhoucliure  du  grand  llonvc  canadien,  le 
Saint-Laurent  — n’est  pas,  à proprement  parler,  une 
colonie  : c’est  un  entrepèit  de  pêcheries.  Non  pas  que 
cela  lui  retire  de  l’importance;  il  en  a assez,  avec  sa  tren- 
taine de  millions  de  trafic,  pour  que,  depuis  l’an  ITti.l  qu  il 


35 


LES  COEONIES  FTlAN’ÇAiSES 


ost  notre  ])ossession,  l'Angletcrr»'  s’on  soit  emparé  doux  fois 
pour  (les  périodes  de  quel(|ues  années.  Vous  jugerez  de  sa 
taille  en  sachant  (pie  Saint-I'ierre,  ipii  est  de  heaucoup  la 
plus  grande  des  trois  îles,  n’a  qu(‘  2(i  kilonu'dres  de  tour,  el 
de  son  liahitahilité  par  le  fait  que  seule  la  Petite  Mi(piel()ii, 
ou  Lauglade,  est  assez  irrigui'e.  par  un  petit  ruisseau  pom- 
pcusemenl  qnalilie  de  ((  Belh'  Rivii'u’c  » pour  que  ([uclqucs 
lermcs  aient  pu  y être  installées.  Ces  îles  ne  sont  (pie  des 
rocs  nus,  à ce  point  arides  que,  dans  la  petite  capitale  de 
Sainl-Pi('i‘r(',  construit('  eu  bois  (sauf  (pi(d(pi('s  édifices  ad- 
minislralils  et  mililaires,  ainsi  (jue  l église,  ejui  arboreni 
somptuaireinent  la  brique  ),  il  a lallii  rapporterdes  teri'os  jiour 
pouvoir  fair('  pousser  (pielqiu's  maigres  légunn-s. 

Mais  alors,  c ('st  un  jiays  désolé  et  inhabile  ! s’écrie 
Heebard,  transgressant  la  délense  d interrompre. 

.Mohammed  Abdullab  ben  IMockarah  regarde  lixemenl  le 
farini(‘r  ; puis,  excusant  sans  doiile  ce  manque  de  déférenl 
silence  de  la  part  d un  lionmi,  consent  à ri'pondre  : 

Un  pays  n est  pas  d('solé  quand  il  possi'ale  une  ville 
longue  (1  un  kilonndre  en  constante  activité  industrielle 
pendant  buil  mois  de  1 année;  il  ne  saurait  èlri'  trait(‘  d’in- 
habil(‘  lorsqu’il  possède  une  garnison,  une  populalion  fixe 
(b‘  plus  de  trois  mille  liabilants,  et  une  population  flollante 
(dans  tonte  1 (dendin^  du  mol,  puistpi’il  s’agit  de  marins) 

(1  une  vingtaine  (b‘  mille  âmes.  L induslrie  uni(pic  est  celle 
du  « brench  shore  » de  Terre-Neuve  ; la  pèche  et  la  jna'pa- 
lalion  de  la  morue,  qui  pullule  dans  ses  eaux  comme  dans 
celles  de  sa  grande  voisine  Terre-Neuve.  Les  vivres  et  objets 
de  consommation  nsnelle  y sont  importés.  La  ville  s’allonge 
au  long  de  l’excellente  rade  formé('  par  l’île  aux  Chiens, 
d niK'  lieue  de  circonférence.  La  plage  est  louée  aux  pécheurs 
.hivernants  qui,  dans  des  baraquements,  pia'parcnt  la  morue 
(sèche,  verte  ou  Iraîche),  1 huile  de  foie  de  morue,  les  lan- 
gues, la  rogne  (œufs  (jui  servent  d’appat  pour  la  pèche  de 
la  saidine).  C est  cette  scène  que  montre  le  diorama,  avec  la 
rade  où  se  pressent  les  goélettes  venues  de  France  ou  con- 
struites dans  les  chantiers  des  îles.  L’exposition  de  la  salle 
com  jirend  tous  les  engins  employés  par  les  pêcheurs  : piqnois, 
galles,  aulx  à morue,  cuillers  à énocter,  blets,  mannes  à 
boettes,  hottes,  colfres,  etc.  Si  vous  voulez  vous  faire  une 


36 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


idée  de  la  vie  et  de  la  nature,  de  tous  les  colons  marins  qui 
animent  les  îles  de  mi-avril  à mi-novembre,  lisez  Pêcheurs 
d'islaurle,  du  capitaine  de  frégate  académicien  Pierre  Loti. 
Islande  et  Terre-Neuve  ne  font  qu’un  au  point  de  vue  de 
l’existence  rude  des  chasseurs  du  gibier  marin.  Vous  savez 


Le  Dioiîam.\  colonial.  — Coupe  tkansveusale. 

quelle  est  l’importance  commerciale  de  cette  pèche  de  la 
morue  et  son  intérêt  capital  pour  la  formation  et  1 entretien 
d’excellents  marins  pour  les  équipages  de  la  Hotte.  Gela 
suftit  à établir  l’importance  de  ces  îles  minuscules,  sans 
aborder  le  terrain  politico-géographique.  Mais  je  quitte  bien 
vite  cette  contrée  de  brumes  et  de  frimats  pour  passer  à la 
salle  contiguë  et  vous  présenter 


38 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


Il 

LA  CÔTE  D ES  S O M A L I S 

Et  Mahommod  AIkIuIIciIi,  de  sa  meme  voix  assourdie  et 
monotone,  mais  avec  une  clarté  plus  yivc  dans  le  regard, 
explique  : 

— Des  îles  froides,  brumeuses  en  été,  couvertes  d’un 
linceuil  de  neige  en  liiver  et  qu’illuminent  les  aurores  boréa- 
les, de  ces  cenlres  de  rude  industrie  morutière,  nous  voici 
Iransporlés  sans  transition  dans  la  zone  torride  de  la  Mer 
Uouge,  dans  ce  golfe  de  Tadjoura  proche  du  détroit  de  Bab- 
el-Moudel,  et  oi'i  la  France  est  en  train  de  créer  le  principal 
débouché  de  la  riche  Abyssinie  méridionale  sur  l’Dcéan 
Indien,  primant  l’ciTort  italien  et  meme  l’ellort  anglais  dans 
celte  anivre  commerciale  de  premier  ordre. 

« En  18.38,  noire  agent  consulaire  à Adeu,  M.  Ilcuri  Lam- 
hert,  afin  d’avoir  un  port  à la  sortie  de  la  iNh'r  Bouge,  en 
prévision  de  l’ouverture  du  Fanal  de  Suez,  acheta  du  chef 
Ibrahim  Ahou-Bckr,  l’étroit  territoire  d’Dhock.  Ce  premier 
pionnier  de  l’étahlissemcnt  français  dans  ces  hrùlauts  para- 
ges ayant  été  assassiné  l’année  suivante,  le  capitaine  de 
vaisseau  Fleuriot  de  Lauglc  reprit  r(ruvre,  et  ce  coin  de 
côte  passa  délinitivement  sous  l’autorih' de  votre  patrie  par 
le  traité  du  11  mars  18(i2.  Ce  poste  — sur  une  terre  calcinée 
par  une  tempérai  lire  qui  atteint  jusqu’à  .30  degrés  lorsipi’y 
souille  le leterrible  « iioroit»  du  Désert  — ne  trouva 
sa  première  utilisation  pratique,  comme  dépôt  de  charhon 
et  de  vivres,  que  lors  de  la  guerre  franco-chinoise  de 
1883-83,  où  s’immortalisa  l’amiral  Courbet.  Mais,  Obock 
n'étail  qu'une  création  artilicielbg  incapable  de  vie  propre, 
sans  communications  commerciales  sérieuses  possibles 
avec  riuléi-ieui',  muré  qu’il  est  de  vastes  étendues  désolées, 
dominées  par  de  hautes  montagnes  difticilemcnt  accessibles, 
b’allait-il,  la  guerre  finie,  en  continuer  l’occupation  pénible 
et  sans  bénéfices,  ou  l’abandouner?  Son  gouverneur. 


LES  COLONIES  FIIANÇAISES  39 


M.  Laganio,  trouva  au  problùmo,  unp  solution  niagniPique 
pour  les  interets  de  la  l'rance.  Il  créa  la  llorissante  colonie 
actuelle  de  la  « (tùte  des  Somalis  »,  et  voici  comment.  Kn 
lace  d’Oijock,  de  l’autre  coté  du  golfe  de  Tadjoura,  est  le 
plateau  de  Djibouti,  où  la  température  est  presque  clémente, 
et  qui  est  tète  d’étapes  de  caravanes  se  rendant  directement, 
à travers  le  Désert,  à llarrar,  la  riche  province  méridionale 
occupée,  en  1887,  parles  troupes  du  Négus  Ménélick.  Par 
une  série  de  traités,  M.  Lagarde  acquit  à son  [laÿs  les  terri- 
toires baignés  par  le  golfe  de  Tadjoura,  et  établit  un  poste 
a un  endroit  ou  les  eaux  prolondes  font  une  excellente 
rade.  Ce  fut  l’embryon  de  la  ville  de  Djibouti,  bon  port  de 
ravitaillement  et  d'cscalc,  qui  conqite  aujourd  bui  |)lus  de 
13,000  habitants,  de  grandes  maisons  de  commerce,  la  gare 
du  chemin  de  fer  de  Djibouti  à llarrar,  dont  MO  kilomètres 
sur  290  sont  aebevés  et  qui  sera  en  pleine  exploitation  dans 
dix-bnit  mois.  De  llarrar,  la  voie  ferrée  se  dirigera  sur  Addis- 
Ababa,  capitale  de  l’Ethiopie,  faisant  du  port  de  Djibouti, 
appelé  à détrôner  les  ports  anglais  d’vXden  et  de  l’érim, 
une  des  plus  importantes  escales  de  paquebots  de  toute 
l’Afrique. 

« Des  merveilleux  progrès  de  l’établissement  de  la  « Côte 
française  des  Somalis  »,  dont  le  territoire  — tant  en  Dana- 
kils  et  Somalis  qu’en  Callas  beaucoup  moins  nombreux  — 
est  habité  par  quoique  200,000  imligénes  (de  qui  le  commerce 
général,  sans  chemin  de  fer  encore,  atteint  quatre  millions 
et  demi  par  an),  prouve  combien,  en  dépit  du  préjugé,  la  race 
Irançaiso  est  liabilcment  colonisatrice,  malgré  l'infériorité 
dans  l’elfort  que  lui  inllige  son  régime  politique.  C'est  main- 
tenant le  moment  de  donner  à cette  colonie  tout  son  essor, 
en  y dirigeant  capitaux  et  colons  de  la  Métropole.  .» 

— Colonie  d’avenir,  alors? 

— Immense,  Sidi.  Djibouti  sera  le  grand  port  de  l’Abys- 
sinie, ce  pays  ami,  si  riche  et  jusqu'ici  inexploité  faute  de 
sérieux  moyens  de  communication.  Ce  poiT  anglais  de 
Zeylali,  qui  est  actuellement  centre  privilégié  de  transit  avec 
llarrar  (grâce  à 1 ancienneté  de  son  organisation  et  quoique 
déjà  actuellement  l'importation  pour  llarrar  économise 
12  1/2  de  Irais  par  la  voie  de  Djibouti  en  raison  de  la 
modicité  des  droits  de  douane),  sera  déchue  de  ses  avantages 


40 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


dès  que  le  chemin  de^fer  français  fera  courir  ses  premiers 
trains  à travers  le  Désert. 

— Et...  l’exposition?  hasarde  timidement  Bèchard. 

— J'y  viens,  acquiesce  sévèrement  le  peu  traitable  Toua- 
reg. 1.0  Commissaire 

de  cette  colonie  est- 
africaine  de  transit, 

.M.  Boucard,  ancien 
inspecteur  général  des 
Forets,  administra- 
teur du  Canal  de  Suez 
— ofi  il  a fait  toutes 
les  plantations  desti- 
nées à fixer  les  sables 
au  long'  des  berges  de 
1 ' œ U V r e du  ( 1 r a n d 
Français  b’erdinam 
de  Fesstqis  — secondé 
par  .M.  Vigneras,  ré- 


f  Ataÿottl^  Une 


JIayotte. 


dacteur  au  .Ministère  des  Colonies,  C.ommissaire  adjoint, 
et  par  .M.  Suricaud,  Commissaire  adjoint  en  second,  a 
dirigé  son  exposition  dans  le  sens  éminemment  pratique , 
satisfaisant  ainsi  pleinement  à l’idée  générale  de  M.  Charles 
Boux.  Sur  la  pelouse,  eu  dehors  du  joli  palais  do  .M.  S.  de 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


41 


Gisors,  il  a dispose  deux  tentes  où  est  installé  le  matériel  de 
campement  nécessaire,  pour  la  traversée  du  Désert,  au 
voyageur  fjui  se  rend  acluellcmenl  de  Djiliouti  en  Aliyssinie. 
Dans  l’intérieur  du  palais,  deux  salles  sont  consacrées  à la 


GhOUI’E  d’AuJOUANXAI.S  a la  I’OKTE  d’üN  l’ALAIS. 


colonie  de  la  « Côte  des  Somalis  ».  La  première,  à laquelle 
on  accède  par  un  escalier  monumental  décoré  de  dél'cnses 
d’éléphant,  contient,  entre  autres  choses  intéressantes,  des 
groupes  ethnographiques  (Abyssins,  Somalis,  Danakils,  ces 
deux  derniers  peuples  en  état  d’hostilité  permanente),  un 


A TRAVERS  l'eXPOSIÏION 


^2 


énorme  bloc  de  sel,  et  de  nombreuses  collections  rapportées 
par  le  comte  LéojiiielT.  Oaiis  la  seconde  pièce,  tout  est  dis- 
posé pour  l'rapper  les  yeux  et  inontrer  la  colonie.  Concur- 
remment avec  les  produits  d’im|)ortation  et  d’exportation, 
ce  sont  : une  collection  ethnographique  de  M.  Ilg,  le  conseil- 
ler de  .Ménélick,  lequel  s’intéresse  an  ]ilus  haut  degré  an  i)ro- 
gi'ès  de  cette  côte  qui  procurera  franchement,  à la  fran(;aise, 
tantde  bien-être  dans  scs  Etats  ; une  carte  dioramiqne,  peinte, 
qui  rend  l’effet  d'une  vision  du  pays  j)erçuc  de  la  nacelle 
d’un  ballon...  apocaly})tique  ()ui  planerait  à une  altitude  de 
près  de  ()0  kilomètres;  des  vues  du  Désert  des  Somalis, 
situé  entre  la  côte  et  l’empire  d’Ethiopie,  et  dues  à M.  Tris- 
tan Lacroix;  nu  graphique  du  chemin  de  fer  de  Djibouti  à 
llarrar  ; des  tableaux-documents  de  Al.  Bulfet,  faisant 
saisir  d’un  coup  d’œil  l’œuvre  accomplie  en  dix  ans,  en 
montrant  ce  qu’étaient  et  ce  que  sont  aujourd’hui  Obock, 
Djiljoucket  Tadjourah;  enlin  le  diorama  impressionnant  oii 
le  pinceau  lidèle  de  Al.  Henry  d’Estienne  a,  d’a[)rès  la  ma- 
(inelte  de  Al.  Alarins  Perret,  mis  en  parallèle  le  présent  et 
l’avenir  sons  la  double  forme  d’une  caravane  en  marcluï 
|)Our  l’Abyssinie  longeant,  dans  le  désert,  les  premières 
constructions  delà  voie  ferrée  de  Djibouti  à llarrar.  (Juand 
vous  quitterez  l’exposition  de  la  « Côte  française  des  Sonia- 
lis  II,  vous  aurez  et  vous  conserverez  dans  votre  souvenir 
une  connaissance  très  complète  de  cette  colonie  qui  ne  fait 
que  naître,  mais  avec  quelle  vigueur,  à la  vie  et  au  plus  bel 
avenir.  Je  passe  à la  partie  ouest  du  Palais  du  Diorama,  et 
nous  voici  dans  des  pays  aussi  curieux  qu’ignorés  de  la  plu- 
[lart  : 


^ 111 

-MWOTI'E  irr  LE  l’ROTECrORAT  DES  COMOHES 

— Ilnm!  fait  A’erduret  en  se  grattant  jovialement 
l’oreille  de  l'imlex,  on  dialde  perchent-elles  donc,  les  Co- 
mores?... Pour  Alayotte,  il  me  semble  vaguement  me  sou- 
venir avoir  ajipris  dans  mon  enfance  que  cette  ile  se  trouve 
du  côté  de  Aladagascar... 


LES  COLONIES  EllANCAISES 


— Silli,  votre  hésitation  est,  hélas  ! tro])  naturelle,  .l’ai 
vu  (|ue  dans  les  écoles  des  Uouinis,  on  passe  hcancoup  plus 
de  temps  à apprendre  aux  enfants  quelles  étaient  les  colo- 
nies des  Phéniciens,  des  (Irccs  et  des  Romains,  peuples  qui 
n’existent  plus,  que  la  géog’ra[)hic,  l’Iiistoirc  et  la  valeur 
intrinsèque  des  possessions  d’ontre-mer  de  leur  patrie,  quel- 
ques-unes très  importantes  exceptées.  Je  suis  donc  obligé 
de  vous  dire  tout  d'abord  que  Mayotte,  la  Grande  Gomore, 
Aujouan,  Mohéli  constituent  un  môme  archipel  situé  au 
nord  du  canal  de  Mozambique.  Si  on  nomme  Mayotte  à 
[lart,  c'est  en  raison  de  sa  situation  politique  de  colonie 
annexée  par  le  gouverneur  de  la  Réunion  en  icSil,  et  celle 
des  trois  autres  îles  sur  lesquelles,  en  1885  et  1886,  la 
h’rance  établit  son  protectorat.  Ce  protectorat  est  dû,  pour 
la  (îrande  Gomore,  à M.  llnmhlot,  naturaliste  eu  mission 
([ui,  voyant  rAllemagnc  venir  faire  des  offres  au  sultan  de 
Pile,  n’hésita  [las  à sortir  do  son  modeste  r<Me  de  savant  et 
l’emiiorta  sur  ses  concurrents  germaniques.  C’était  en  1885. 
L'année  suivante,  M.  Gerville  Réache,  gouverneur  de 
Mayotte,  vint  à bord  d'un  croiseur  sanctionner  le  traité  et 
en  passer  de  semblables  avec  les  îles  voisines  d’Aujonan  et 
de  .Mohéli.  A ce  groupement  colonial  il  convient  d’ajouter 
les  deux  petites  îles  Glorieuses,  situées  relativement  à 
proximité  dans  l’océan  Indien  et  qui  ont  été  placées  en 
1892  sous  la  dcpendanco  de  Mayotte.  La  plus  grande  terre 
tie  cet  archipel  est  la  Grande  Gomore,  qui  compte  environ 
65  kilomètres  de  longueur  sur  26  kilomètres  de  large. 
Mayotte  vient  ensuite  avec  40  kilomètres  sur  20  kilomètres 
de  plus  grande  largeur;  Aujouan,  la  « perle  de  l’archipel  » 
et  Mohéli  sont  do  dimensions  plus  petites.  Vous  voilà, 
Sidi,  éclairé  au  point  de  vue  de  la  situation  géographique 
de  ces  possessions  françaises. 

— J’en  remercie  Mohammed  Ahdullali,  tout  en  demeu- 
rant saisi  qu’un  (ils  du  Sahara,  tout  instruit  qu’il  ait  été  à 
Alger,  soit  aussi  ferré  sur... 

— Je  vous  promets,  Sidi,  que  votre  surprise  à cet  égard 
prendra  lin  très  prochainement,  mais  je  ne  m’engage  pas  à 
ce  (pi’elle  ne  soit  pas  remplacée  par  une  antre  d’ordre 
dillérent  et,  je  crois,  plus  intense...  Ne  m’interrogez  pas  : 
il  m’est  interdit  de  vous  répondre  plus  explicitement. 


•'■J: 


4i 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Veuillez  donc  continuer  à..,  écouter.  Pour  bien  faire,  au 
sujet  de  cet  archipel,  je  devrais  vous  parler  séparément  de 
chacune  des  îles  qui  le  composent.  Elles  le  méritent  ; mais 
le  temps  me  manquerait  et  j'aurai  le  regret  de  m’en  tenir 

aux  généralités  d’en- 
semble. Pour  le  dé- 
tail, puissamment 
intéressant,  je  vous 
renvoie  à l’excellente 
et  si  complète  notice 
qu’a  écrite  ]\l.  Emile 
Vienne,  rédacteur  au 
Ministère  des  Colo- 
nies, officier  d’Acadé- 
mie  et  Commissaire 
de  Mayotte  et  des  pro- 
tectorats des  Comores 
à l’Exposition  de  1900. 
C'est  lui  qui  a organisé 
les  salles  que  vous  vi- 
siterez tout  à l’heure 
et  il  l’a  fait  avec  un 
savoir  et  un  goût  par- 
faits. 11  est  en  même 
temps  Commissaire 
adjoint  de  la  Guinée 
française  et  membre 
du  jury  international 
des  récompenses  pour 
la  classe  59.  Un  Com- 
missaire adjoint  de 
haute  valeur,  M.  Castelneau,  ingénieur  civil  des  mines  et 
vicc-consiil  de  Perse,  l’a  aidé  dans  son  œuvre,  et  cette 
œuvre,  la  voici  : Une  petite  salle  expose,  dans  des  vitrines 
et  sur  des  étagères,  les  produits  manufacturés  indigènes  de 
l’archipel,  tels  que  nattes  coloriées  et  ustensiles  de  ménage, 
line  vannerie,  tables  et  tabourets  en  bois  sculptés,  poterie 
artistique,  cordages  en  fibres  de  coco,  bijoux  indigènes  d’or 
et  d’argent,  armes  de  luxe,  coquillages  merveilleux,  étoffes 
souples  et  brillantes,  instruments  de  musique,  etc. 


M.  ÉMILE  VIENNE 

COMMISSAIRE  DE  MAYOTTE  ET  DES  PROTECTORATS 
DES  COMORES. 


LES  COLOiMES  FRANÇAISES 


45 


— Diahle!...  Mais,  dites  donc,  ce  ne  sont  pas  précisément 
des  sauvages,  les  gens  de  ces  pays-là? 

— Gel  archipel,  Sidi,  croit  pouvoir  faire  remonter  sa  ci- 
vilisation au  temps  de  Salomon,  époque  ofi  des  Induméens 
ou  des  vVrahes  d’avant  l’Egire  l'occupcrent.  La  population 
actuelle,  de  (So.OOO  habitants  environ,  est  plus  panachée  ; 
tandis  que  1 élément  arabe  s'est  renforcé  d’originaires  de 
Platta,  de  Zanzibar, de  1’^  émen,  etc.;  que  des  Hindous  y sont 
venus  de  Bombay  et  de  la  cote  de  Malabar,  et  que  des  Cafres  y 
étaient  importés  comme  esclaves,  des  expéditions  nialgaclies  y 
introduisaient  l’élément  Sakalave.  Les  Antalotcs,  qui  consti- 


Le  Uiohama  de  Mayotte,  par  M.  de  IMarsac. 


tuent  la  seule  race  purement  indigène,  proviennent  du  croise- 
ment des  Sémites  avec  les  premiers  Africains  venus  dans  ces 
îles.  Le  typeau  teint  jaunâtre  et  au  nez  arqué  légère  ment  montre 
que  le  sang  sémitique  domine  chez  les  Antalotes  de  la  Grande 
Comore  et  que  c’est  la  race  éthiopique,  au  teint  foncé  et  au 
uez  épaté  qui  prime  chez  ceux  de  Mayotte  et  surtout  de 
Mobéli.  Sauf  les  ^lalgacbes,  qui  ont  conservé  les  mœurs  et 
coutumes  de  la  grande  île  maintenant  bien  définitivement 
française  — si  la  politique  du  Gouvernement  de  Paris  n'en- 
trave pas  par  trop  les  efforts  de  vaillants  soldats  pour  la  bien 
délendre  après  Lavoir  conquise,  pacifiée  et  splendidement 
préparée  pour  la  colonisation  — les  habitants  des  Comores 
ont  adopté  la  religion  et  les  usages  des  Arabes.  Depuis  le 
protectorat,  ces  îles  se  repeuplent;  mais  elles  sont,  sous  ce 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


i() 


rapport,  loin  encore  de  ce  qu'elles  étaient  au  coininencinneut 
du  siècle,  époque  on  la  (Irande  Coinore  seule  comptait  100. (JOÜ 
haintants.  Je  reviens  à l'Exposition.  Dans  ses  deux  salles  on 
trouve  les  produits  agricoles,  rliuni,  vanille,  canne  à sucre. 


riz,  bananes,  cacao,  ignames,  calé,  tabac,  poivre,  girolle, 
etc.,  etc.;  une  carte  dé  l'arcbipel,  de  d mètres  sur  2,  occupant 
tout  un  mur;  une  quantité  de  petits  tableaux  faisant  connaître 
les  sites  et  les  types  indigènes;  enfin,  un  superbe  diorama 
né  du  pinceau  alerte  et  scrupuleux  du  peintre  des  Départe- 


iiK'iils  delà  Marine  et  des  Colonies,  .M.  Marsac.  Ce  diorama 
re|)résenle  l’ancienne  source  de  richesse  dn  pays,  anjonr- 
d’iini  liien  Loml)ée  en  raison  des  savants  projirès  de  l’indiis- 
Irie  : une  exploitation  de  sucre  de  cannes.  Devant  iin 
panorama  do  montagnes,  on  voit  un  groupe  de  travailleurs, 
lihrcs  faisant  la  récolte,  tandis  qu’au  premier  plan  se  trouve 
l'iisine  avec  scs  ap[)arcils  et  ses  ouvriers.  Au  point  de 
vue  commercial,  les  indigènes  commencent  seulement  à 
s’adresser  pour  leurs  approvisionnements  à vos  grands  ma- 
gasins modèles  du  l>ouvre,du  Bon-lMarché  et  du  Printemps, 
et  rurgent  de  la  colonie,  autrefois  draine  par  les  Indes  et 
Zanzibar,  reste  mainUmant  à Mayotte.  Là  encore,  les  colons 
curoj)éens,  suitont  français,  sont  loin  d’cire  assez  nom- 
breux. Il  y a,  sous  ce  rapport,  un  courant  de  progrès, 
mais  ti'op  faible  et  qu'il  importe  d’activer.  Ce  sera  le  rôle 
lie  cette  ex[)osition,  si  ses  hauts  enseignements  sont  bien 
compris.  Il  est  dommage  que  quelques  Comoréens  ou  An- 
gouannais  n’aient  pu  faire  le  voyage  du  Trocadero  : ces  lidèles 
sectateurs  d’Ali  — avec  leur  longue  robe  blanche  ou  jaune 
tombant  jusqu’aux  chevilles,  à manclies,  boulonnée  sur  la 
poitrine,  recouvrant  le  sinibou  roulé  de  la  ceinture  au  genou. 


souvent  recouvert  d’un  gilet  ou  du  long  pardessus  Jioir, 
rouge  et  vert,  richement  brodé,  avec  le  turban,  les  sandales 
plates  et  b'  chapelet,  plus  la  large  ceinture  où,  les  jours  de 
cérémonie,  est  jiassé  un  l'iche  kandjiar  à lame  reconrbée  — 
auraient  en  ici  un  succès  tie  curiosité  qui  eut  altiré  l’atten- 
tion sur  buirs  si  agréables  patries  insulaires.  .Mais  les  re- 
grets sont  supcrilus:  c’était  écrit.  Pour  terminer  votre  visite 
au  l’alais  du  Uioi'ama,  vous  passerez,  Sidi,  à l’Exposition  de 
l’ücéanie,  représentée  principalement  par  celle  de 


1 AU  ITI 


— Taliili,  les  îles  du  Vent,  tout  cela  est  trop  connu  pour 
que  je  vous  y arrête  longuement.  Chacun  sait  que  la  reine 
Pomaré  IV  mit,  grâce  à l’amiral  Dupetit-Thouars,  son  insu- 


LES  COLONIES  EnANC. AISES 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


laire  royaume  sous  le  protectorat  de  la  France  en  1842,  pro- 
tectorat qui  depuis  s’est  transformé  en  annexion  coloniale. 
Chacun  sait  que  Tahiti,  notre  plus  lointaine  possession  et  la 
plus  rapprocliée  du  continent  Sud-Américain  dans  le  Grand 
.Océan,  jouit  d'un  climat  merveilleux  et  d'une  exception- 
uclle  fertilité,  du  moins  au  long  des  rivages  où  se  déversent 
une  multitude  do  torrents  descendant  des  superbes  monta- 
gnes pittoresquement  sauvages  de  l’intérieur.  Nul  n’ignore... 


JlOlIliLlE.NNES. 

OU  uedevrait  ignorer,  puisqu’il  s’agit  d’une  colonie  ancienne 
et  à Thisloire  de  la  possession  de  laquelle  sont  liés  les  noms 
célèbres  de  marins  tels  que  les  amiraux  Dumont  d'Urville, 
Bruat,  Cecille,  Laplace,  La  Boncière,  que  c’est  encore  une 
terre  lointaine  enlevée,  comme  la  Nouvelle-Calédonie,  à la 
barbe  de  Tomni-accapareur  impérialisme  anglais  ; que  dans 
la  rade  de  Papeete,  la  capitale,  nous  entretenons  une  sta- 
tion navale  — qui,  même,  compte  parmi  ses  petits  navires 
de  guerre  (avisos  sous  les  ordres  d’un  capitaine  de  frégate) 
la  dernière  goélette  exclusivement  à voile  (110  tonneaux  et 
2(j  hommes  d’équipage]  inscrite  sur  le  tableau  de  notre' 


l-i:s  r.OLOMKS  francaisks 


49 


OolLc;  que  c'est  uii  pays  de  Cocagne  t(d,  que  les  iiuligèncs 
engraissent  paresseusement  à vivre  en  sybarites  des  produits 
qu  une  terre  généreuse  leur  donne  sans  leur  demander  de 
travail.  Les  nneurs  voluptueuses  des  hal)itanls  lui  ont 
même  fait  donner  le  nom  de  Nouvelle-Gythère.  Tahiti  pos- 
sède des  plantalions  prospères  et  s’otTrc  le  luxe  d'un  produit 
somptuaire,  la  perle.  G est  une  scène  de  pêche  de  rhuilre 
perlière  que  montre  le  Diorama  que,  j'en  suis  certain,  ancune 
Parisienne  ne  manquera  d aller  voir.  Quant  aux  autres  pro- 
duits de  lahiti  et  à ceux  des  auti’es  îles  françaises  de  Poly- 
lU'sie  (qui  sont,  avec  les  îles  qui  s’ajoutent  à Tahiti  pour  for- 
mer I archipel  des  Ih's  de  la  Société,  les  arcliipels  des  (Mar- 
quises, Pomotou,  les  îles  Gaml)ier,  Touhouaï,  Wallis,  etc.), 
vous  les  verrez  vous-mêmes  exposés  daits  cette  salle  de 
de  rOcéauie  cl  expliqués  dans  la  notic('  concernant  les  pos- 
sessions é])arses  dans  celte  grande  division  du  vaste  Paci- 
fique. J ai  halo  de  vous  conduire  — virtuellement,  comme 
dirait  un  lils  d Albion  — dans  des  contrées d'outre-mer  plus... 
a 1 ordi'e  du  joui'.  Quitlous  donc  ce  si  intéressant  Piorama 
colonial  pour  un  des  Pavillons  on  court  la  foule,  dans  cette 
captivante  exhibition  des  coloni('s  françaises  qui  n'est  (ju’un 
groupemeni  d’attractions  plus  attrayantes  les  unes  qm;  les 
autres.  Je  |)rends  au  hasard... 


A TIIAVERS  l’e.XPOSITION.  — T.  XVI.  — 3 


6-1 


CHAPITRE  Y 

L’INDO-CHINE  ET  LES  INDES  FRANÇAISES 


P" 


1 N D O - C II!  Mi 

Après  avoir  réfléchi  un  couiT  moment,  Mohammed  Ali- 
dnlliili  lien  Moekarah  repreml  : 

— Je  croirais  faire  injure  à un  liomme  de  votre  âge,  Sidi,si 
je  me  permettais  de  faire,  à votre  intention,  nn  liistoriqiie 
do  la  con(|nèt('  jn’ogressive  de  ITmlo-Chine.  comprenani  la 
Gochinchiiie,  le  Camhodge,  le  Laos,  l'Annam  et  le  Tonkin. 
C’est  pour  vous  de  khistoire  contemporaine.  Je  me  conten- 
terai de  vous  rappeler,  car  vous  étiez  jenne  homme  alors, 
comment  commença  celle  immense  colonie  asiatique  par  la 
])rise  de  possession  de  Saïgon,  puis  dn  reste  de  la  Cochin- 
chine.  L'empercnr  d'Annam,  Tn-Dnc,  ayant,  après  tant  d'an- 
Ires  missionnaires,  fait  on  laissé  mettre  à moi't  monsei- 
gneur Diaz,  évêque  espagnol,  une  llollille  franco-espagnole, 
sons  les  ordres  de  l'amiral  lliganlt  de  Cenonilly,  vint,  en 
1838,  s’empari'r  de  ïonrane  ; puis,  ayant  tro])  peu  de  troupes 
de  déliarqnement  pour  aller  châtier  le  souverain  annamite 
dans  sa  capitale  de  Hué,  il  s'empara  de  Saïgon,  la  seconde 
ville  de  l'Empire.  Pékin  ayant  été  pris  deux  ans  pins  tard 
par  le  général  Consin-iMonianhan,  comte  de  Palikao,  le 
traité  de  Tion-Tsin  assura  à la  France  la  possession  des  trois 


LES  COLONIES  FUANCAISES 


51 


|n'oviiiC('s  iiuM’idionalcs  de  l'Aiinani  : Saïf>'on,  Uioi-lloa,  cl. 
iMyllio.  J(‘  UC  vous  l'appellerai,  au  siijel:  de  la  eampague  de, 
1883-1(S85,  (|ui  lions  douua  Iliié  el.  llauoï,  c’est-à-dii'O  l'Aii- 
iiaiu  et  le  Toukin,  que  les  iiouis  de  si's  héi’oïques  jirepai'a- 
teiirs,  Garnier,  le  coiuiuaiidaul  Rivière  et  celui  du  uolili'  uiariu 
(|ui  la,  dirig-ea  eu  grande  partie,  Courhet.  Cette  évocaliou 


La  Coloniiî  CAMnonr.iENNE. 


sufüt  à vous  rappider  tous  les  dcMails  de  celle  rude  caiii- 
pag'ue,  et,  coiume  vous  n'iguorez  pas  la  prospérili'  de  l'eiii- 
pire  l'raïupiis  iiido-cliitiois,  je  m'empresse  d’aliorder.. . sou  ex- 
position . 

<(  Vous  savez  ((ue  M.  Doumer,  gouverueur  eu  Extrème- 
Orii'ul,  a travaillé  avec  la  jilus  éuergiijiu'  conslaiice  àruuité 
de  rJndo-Gliiue  trançaise  et  l'a,  complèlement  réalisée.  C’est 
de  cette  unité  qui!  s’est  iuspiié  l’aucieu  chef  de  cabinet  de 
M.  Doumer,  M.  Pierre  Nicolas,  Commissaire  de  l'Indo-Cliiue 


52 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


à l'Exposilion.  Il  a fa4  uni'  exposition  do  rcnsomble  de  ces 
étals  au  point  de  vue  adniinislratif,  ne  nian[nant  guère  les 
nuances  historiques  et  géographiques  que  dans  la  rcconsti- 
tiitioTi  de  mounincnls  servant  de  Ihivillons  d’exposition  et 
qui  sont  au  noinhre  de,  quatre,  plus  un  tluaitre  indo-chinois. 

« G est  d ahord  le  Palais  des  Produits  de  l' Indo-Chine, 
pour  lequel  a été  reconstituée  la  pagode  de  Cho-Loii,  nue  des 
merveilles  de  la  Gochinchiue,  située  là-has,  dans  nue  vieille 


Pavillo.v  du  i.'Annam.  — Le  Gong. 


ville  pittoresque,  aux  rues  étroites  et  toi'tni'uses,  à quel- 
ques kilomèti'i's  de  Saigon.  Et  voyez  toujours  l’idée  direc- 
trice de  .M.  Charles  Roux  : les  murs  intéiâeurs,  sur  toute 
l’éh'ndne  qu’en  ont  laissé  libre  les  moulages  des  sculpliires 
originales,  sont  occupés  par  d’immenses  « ])lans  perspectifs  » 
des  quatre  capitales  indo-ebinoises  : Saigon,  Pnom-Penh, 
Hué  et  Hanoï,  brossés  de  main  di'  maitre  par  le  peintre 
jMerwarl,  du  .Ministère  des  Colonies,  et  par  deux  grandes 
caries  évo(|uant  grapb iquement,  rune  les  progrès  réalisés 
depuis  l’origine  de  l’occupation  française,  avec  itinéraires  des 


F 


f 


I 


VlillICL'I.ES  ISlrÉS  EN  iNI.O-ClIINf:. 


LES  COLONIES  FRANÇAISES  , 53 


cxplornioiirs;  l’aiiiro,  l’élal  iiidiislriol  o(  agricole,  les  voies 
(le  cominiinicalioii,  etc.  Puis,  c’esl  le  « Palais  dès  Arts  in- 
diisPaels  .)  logo  dans  une  reprodnclion  du  Palais  de  Co-Loa, 
au  lonkin,  d andiileclure  compliquée  selon  la  manière  des 
J*iXlrôme-Orientaux,  avec  triple  |)orte  cinln'e  en  fac^ade,.  un 
escalier  conduisant  à des  galeries  où  Pou  pénètre  en  franchis- 
sant de  noinadles  porles  en  bois  sculpté.  Il  contient  une  su- 


perbe exhibition  d’objets  d'art,  de  meubles  si  prisAs  des  col- 
leclionueurs,  d’étolTos  cambodgiimnes,  de  merveilleuses  in- 
ci  ustatioiis  de  nacre  de  IMam-])iub,  etc.  Ifnsuite,  c est  le 
« Pavillon  Forestier  une  maison  annamite,  conslriiite  à 
Jbudaumot  et  appoidée  démoulée  par  la  rivière  de  Saigon 
jusqu  au  paquebot  qui  l'a  lransporté(‘ eu  France,  dette  expo- 
silion  montre  à quiconque  se  doute  du  commerce  des  bois 
quelles  alfaires  élonnemment  romunéralrices  seraient  là  bas 
(1  intelligentes  explorations  forestières.  Fnsuite,  « clou  » de 
première  grandeur,  c’est  le  Pnom,  reconstitution  di'  la  col- 
line et  de  la  Pagode  royale  de  Pnom-Penb,  au  Cambodge. 


54 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Pardon  si  je  vous  interromps,  mais,  qu’est-ce  que  c’est 
que  cela,  le  Pnom‘1 

— Laissez-moi  continuer,  Sidi,  et  vous  allez  l’apprendre. 
Celle  reconstitution,  exécutée  avec  autant  de  fidélité  que 


Le  Village  Laotien  et  le  Pno.m-Penh. 


d’haldlelé  par  l’architecle  M.  iMarcel,  est  d'un  ciTet  pitto- 
resque an  possible.  Figurez-vous  une  minuscule  montagne 
aux  pentes  raides,  dont  le  flanc  est  gravé,  comme  avec  un 
burin  de  géant,  des  longs  traits  parallèles  d’un  immense  es- 
calier aux  marches  blanches,  hautes  l't  courtes,  bordé  de 


COLONIES 


FRANÇAISES 


LES 


faliiili'iix  dragons  et  sur  les  di'grés  duquel  sc  tieniienl,  si'u- 
tinelles  l'arme  au  pied,  quelques  hommes  de  la  milici'  cam- 
hodgienne.  Au  haut  d(‘  cet  escalier  la  croupe  aplanii'  de  la 
colline  forme  un  vaste  terre-plein,  également  orné  de  fan- 
tastiques hèles  de  bronze  et  d'or,  et  d’où  la  vue  est  étonnée 
d’embrasser  le  superbe  panorama  do  l’Itxposition  au  lieu 
des  toits  contournés  se  rollétant  dans  les  eaux  du  Mé-Kong. 
Sur  ce  terre- plein  s’é- 
lève, éclatante,  la  belle 
Pagode  royale,  prosqu’au 
seuil  de  laquelle  res- 
plendit la  masse  dorée 
il  un  colossal  Houddha 
de  ()  mètres  de  hauteur. 

Cette  Pagode,  d’une  in- 
croyable richesse,  est 
coilfée  d’un  grand  Pnom 
en  forme  do  cloche  al- 
longée, atteignant  une 
altitude  de  47  mètres. 

— J’y  suis  : on  ap- 

pelle pnoms  CCS  sortes 
de  dômes  orienta u x , 
étroits  et  montant  si 
haut...  comme  une  lon- 
gue pomme,  de  pin  dont  Le  Bouddha  Janus. 

on  aurait  scié  l’extrôme 

base!  11  n’en  manque  pas  dans  l’architecture  hindoue. 

— Ajoutez-y  une  base  dont  les  bords  se  recourbent  comme 
les  lèvres  d’une  cloche,  et  vous  aurez  le  pnom  cambodgien. 
L’escalier  monumental  est  flanque  de  pnoms  plus  petits,  qui 
complètent  le  caractère  d’intérêt  si  pittoresque  de  cette 
reconstitution  charmante  qui  attire  le  visiteur,  tel  le  miroir 
l’allouctte,  et  qui  le  garde  — car  la  somptueuse  Pagode  royale 
(exposition  de  Part  religieux  bouddhique)  traversée,  une 
surprise  l'attend,  surprise  délicieuse  par  les  grandes  cha- 
leurs de  l’été.  Lu  sortant  de  la  Pagode  par  la  façade  oppo- 
sée à la  façade  principale,  'on  sc  trouve  en  présence  d’un 
immense  trou  assombri,  une  sorte  de  vaste  puits  aux  parois 
incrustées  de  ligures  étranges,  où  l'on  descend  par  un  esca- 


lier  circulaire.  Quand  oi\  est  au  fond,  on  découvre  l’entrée 
dune  immense  grotte  vaguement  éclairée  à l'électricité, 
aux  hautes  voûtes  supportées  par  des  piliers.  On  se  trouve,  là, 


I’avili.on  de  l’Annam.  — Peintres  annamites. 

IM.  Dumoulin,  du  .Ministère  de  la  Marine,  rauleur  du  graud 
l'anorama  du  Four  du  Monde,  au  Champ  de  Mars.  Ces  dio- 
ramas  (auxquels  s'ajoute  un  cinématographe  donnant  l'illu- 
sion de  la  vio  indo-chinoise)  transportent  le  visiteur  en  Ex- 


sous la  l’agode;  carie  tertre  en  ciment  armé  qui  simule  la 
colline,  est  creux.  Celle  grotte  esl  une  attraction  des  plus  in- 
ti'ressanles,  car  elle  est  entourée  de  dioramas  peints  par 


I.KS  COLOMES  FRANÇAISES 


4 

h 


."8 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


trènie-Orient,  en  lui  montrant  la  me  Catinat,  à Saigon,  les 
bords  du  Alé-Kong',  à Mytbo,  le  tombeau  de  Tu-Duc,  ii  Hué, 
la  baie  d’Along  et  un  grand  chantier  du  Pont  Doumer,  à 
Hanoï.  Les  galeries  qui  conduisent  directement  de  l’exté- 
rieur dans  cette  grotte  sont  occupées  par  la  belle  exposition 
de  la  mission  Pavie  : portraits,  groupes  ethnographiques  en 
cire,  etc.  Sur  le  liane  de  la  colline  de  la  Pagode  royale  est 
une  case  cambodgienne  servant  d'écurie  à un  cadeau  fait  par 
iM.  Doumer,  gouverneur  de  rindo-Ghine,  au  iMuséum  du 
Jardin  des  Plantes;  c’est  un  éléphant  blanc...  qui  n’est  pas 
plus  blanc  que  les  pachidermes  sacrés  du  Siam,  mais  d'un 
gris  l’osé  r(‘sultant  d'une  all'ection  maladive  qui  leur  déco- 
lore le  cuir.  Vous  terminerez  votre  visite  à l’Extrême- 
Orient...  du  Trocadéro,  en  assistant  ii  une  représentation  du 
« Théâtre  Indo-Chinois,  oii  joue  la  troupe  annamite  du 
théâtre  du  Phn,  â Gbo-Lon,  et  où  dansent  les  gracieuses  pe- 
tites poupées  féminines  cambodgiennes,  artistes  du  corps  de 
ballet  du  roi  Norodom.  Ce  théâtre  indo-chinois  est  une  con- 
struction de  très  harmonieuse  et  élégante  fantaisie  exotique 
avec  beau  fi'ontispice  sculpte  et  riches  aménagements  inté- 
rieurs, de  l’architecte  de  talent  délicat  et  sûr,  âl.  Du  Houx 
de  Brossard , qui  déjà  appartenait  à l'agence  de  l’Expo- 
sition coloniale  de  1889,  ce  qui  fait  de  lui  un  jeune  et  émé- 
rite vétéran.  Vous  ferez  ensuite  un  tour  an  « Village  Tonki- 
nois »,  où  vous  verrez  les  indigènes  an  travail  dans  leurs 
cases...  et  vous  pourrez  vous  imaginer  avoir  fait  un  splen- 
dide et  lointain  voyage,  sans  crainte  de  la  traversée  torride 
de  la  .Mer  Rouge  ni  des  fièvres  et  insolations. 

« Maintenant,  tout  comme  si  vous  reveniez  d'ExIrôme- 
Orient  en  France,  nous  allons,  si  vous  le  voulez  liien,  Sidi, 
faire  une  courle  escale  aux 


Il 


1 X b E s I-  R A N e AISES 


— Ah!  oui,  s'écrie  Verduret,  l’Inde!...  La  Compagnie 
française  des  Indes  Orientales...  Cela  date  de...  de... 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


59 


■ D(‘  16G4  (le  I èi'o  (l('s  Ilouuiis,  Sidi.  Celli^  coiiipogiiie  ac- 
([iiiL  alors  Pondichéi-y,  qiK'  plus  lard  Dujilcux  d(;f(Uidit  ho- 
l'OïquoiiKuil  coulrc'  les  Anglais  (9-  ([ue  dut  lauidrc'  sou  sucos- 
s(nir.  Oui,  les  Frau(,:ais  lurent  les  pionniers  d(Oriude,  qui  eût 
été  leur  tout  enti(''re,  si  Théidlier  de  Louis  XIV  eût  été  digne 
de  son  aïeul.  iNlais  nos  liraAa's  uncêti’os,  ahaudonués  par  la 
Métropoh',  ont  dû  laisser  r.\ngletein  c leui'  ravir  riiiudoustan 
si  j'iclîo,  I AugL'tcu're  dont  1 aduiinistralion  n’eu  a pas  encoi'e, 
(U'puis  si  lougtcni[)s,  chassé  le  spectre  liideux  de  la  famine. 
Ce  que  Ion  ajipidle  les  Indes  Iraïujaises,  c’est  les  (|uelques 
bouts  de  lerritoire  — Poudiclnûy.  Mahé,  KarikaI,  Yauaon 
et  Chandernagor  — eu  tout  250'.0ü()  hahitauls  dont  1.500 
Lui'opéeus,  ue  faisant  |)as  poui'  500.000  fi’aucs  d'alfaires  par 
an,  qu’Alhion  laisse  dédaigneus(uneut  à la  France  au  bord 
d('  son  iniinense  empire  asiatiipu'.  INIais,  malgré  tout,  ces 
lambeaux  de  terre  sont  l’imle,  le  pays  de  r(jv(!,  et  prennent 
leur  jiart  de  la  beaulé  de  ces  vastes  conlrées  sur  les([uelles 
John  Bull  éteiul  sa  main  pesante...  Et  cette  petite  Inde  fran- 
çaise — moralement  nue  tristesse  et  un  ri'gret  — tient  an 
Trocadéro  une  place  proportionnée,  non  pas  à sou  étendue  et 
à sa  valeui"  commerciale,  mais  au  prestige  qui  fait  que  son 
seul  nom  transporte  la  pensée  dans  la  féerie  des  <(  iMille  et 
une  Nuits  ».  Cette  exjiosition  présente  aux  visiteurs  un  « Pa- 
lais officiel  » on  voisinent  ses  produits  et  ses  travailleurs 
hindous;  un  fastueux  lemple  de  Brahma,  reproduction  extrê- 
mement inléressaute ; un  « Théâtre  » où  rivalisent  d’adresse 
les  fameux  prestidigitateurs  du  Pays  des  Jungles,  et  de  lan- 
gueur lascive  et  de  vertigineuse  soujilesse  des  bayadères;  eu- 
tiu  une  « Bue  hindoue  »,  avec  boutiques  et  attractions  di- 
vers('s.  Cette  Inde  française  est  si  peu  de  ebose  dans  le  vaste 
domaine  colonial  de  la  France,  que  vous  me  [lermettrez,  tout 
en  vous  promettant  grand  plaisir  de  la  visite  que  vous  allez 
lui  faire  dans  1 eucciiite  de  1 Exposition,  de  vous  occuper  de 
quelqn’autre  gi’amle  coiiquôte.  d’au-delà  des  mers.  Tenez  sans 
quitter  l’Océan  Indien,  passons  à... 


CHAPITRE  Y1 


MADAGASCAR 


— Eh  ! oh  ! fait  Verduret  intéressé;,  la  grande  conquête 
récente  de  la  France  ! 

— Dites,  Sidi,  que  l’annexion  totale  et  définitive  de  cette 
île  — qui  est  presque  un  petit  continent,  puisque  sa  super- 
ficie de  600,000  kilomètres  carrés  dépasse  celle  de  la  France, 
de  la  Belgique’et  de  la  Hollande  réunies  — est  en  effet 
récente,  n’clant  âgée  que  de  quatre  ans  ; mais  rappelez-vous 
que  Fœuvre  de  la  conquête  est  commencée  depuis  deux 
siècles  et  demi,  car  c'est  en  1642  que  le  iJieppois  Rigault 
fonda  Fort-Dauphin,  sur  la  côte  sud-est,  et  que  le  grand 
cardinal  de  Richelieu  autorisa  à son  sujet  la  création  d’une 
Compagnie  commerciale  qui  fut  l’embryon  de  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales  créée  par  Colbert  en  1664.  Un  mas- 
sacre de  colons  fit  abandonner  l’île  — non  complètement 
croient  certains  qui  affirment  retrouver  dans  ces  parages, 
à l’état  demi-sauvage,  des  descendants  des  premiers  occu- 
pants français.  L’établissement  de  Fort-Dauphin  est  rétabli 
en  1767  et,  en  1773,  Benyowski,  envoyé  du  Gouvernement 
français,  parvient  à se  faire  peu  à peu  accepter  comme  chef 
suprême  par  tous  les  habitants  do  la  région  du  nord-est  de 
File.  Sous  la  République,  la  France  y a des  commissaires 
spéciaux.  Napoléon  F*'  y envoie,  en  1804,  Sylvain  Roux, 
comme  sous-gouverneur  de  Tamatave,  et  ce  n’est  qu’en  181 1 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


(i2 


que,  [)i)ur  1 uni(|ue  fois,  paraissent  les  Anglais  qui  s emparent 
de  ce  port...  que  Sylvain  Roux  fait  rendre  à son  pays  en 
tStG.  Il  étend  progressivement  son  autorité  sur  des  terri- 
toires de  plus  en  plus  vastes,  mais  se  heurte,  avec  des 
chances  diverses,  aux  Hovas,  travaillés  et  soutenus  par 
l’Angleterre.  Une  expédition  avortée  sous  Charles  X en- 
traîne l'évacuation  sous  le  régne  de  son  successeur,  Louis- 
Philippe.  L’œuvre  de  deux  siècles  va-t-elle  être  perdue? 
Non.  Un  hon  et  vaillant  Français,  Jean  Lahorde,  établi 
dans  File  depuis  1831,  y a acquis  une  telle  influence  en  ren- 
dant de  grands  services  au  gouvernement  hova,  qu  il  sait 
persuader  au  roi  Radama  II  de  conclure  avec  FEmpire  fran- 
çais, en  1868,  un  traité  de  commerce  donnant  droit  à vos 
nationaux  de  posséder  et  de  transmettre  leurs  biens  meu- 
bles et  immeubles  à leurs  héritiers.  C’est  ce  traité  qui  est 
l’origine  de  l’annexion  de  181)(),  car,  étant  éludé  par  la  reine 
Ranavalona  11  à l’égard  des  héritiers  mômes  de  Jean  La- 
horde, et  les  Hovas  prétendant  de  plus  rendre  la  vie  intolé- 
rable aux  colons  de  France  et  asservir  les  peuplades  Saka- 
laves  placées  depuis  1840  sous  le  protectorat  du  drapeau 
tricolore,  le  Gouvernement  républicain  de  1882  se  voit  obligé 
d’envoyer  l'amiral  Pierre  pour  imposer  le  respect  des 
traités.  La  Hotte  prend  Tamatave,  mais  votre  diplomatie  se 
laisse  amuser  par  d’interminables  négociations  où  se  sentent 
les  influences  britanniques,  et  ce  n est  qu  à la  fin  de  1885, 
après  une  action  plus  vigoureuse  de  l'amiral  Miot,  qu’est 
signé  l’abandon  à la  France  du  terr'itoire  de  Diégo-Suarez  et 
sur  le  reste  de  File  un  protectorat  un  peu  vague,  mais  qui 
n’en  impose  pas  moins  au  Gouvernement  hova  de  ne  traiter 
avec  aucune  nation  que  par  l’intermédiaire  d’un  résident 
général  envoyé  de  Paris.  Cette  clause  détruisant  les  espé- 
rances britanniques,  la  cour  d’imérina,  s’empresse  de  jouer 
sur  l’ambiguïté  des  termes  de  l’acte  diplomatique,  pour  en 
susciter  de  continuels  conllits  que  nos  résidents  s ingénient 
bénévolement  à apaiser.  Enfin,  en  1893,  le  premier  ministre, 
époux  de  la  reine  Ranavalo-Maujaka  III,  Rainilaiarivony,  jetle 
le  masque  en  méconnaissant  brutalement  le  droit  du  Résident 
de  donner  Vrxequatur  aux  consuls  étrangers.  M.Xe  Myre  de 
Vil  ers,  envoyé  pour  exiger  1 application  du  traité  de  1885, 
essuyo  un  refus  ; il  évacue  aussitôt  la  colonie  sur  les  ports 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


63 


occiipc'‘s  de  lamatave  et  de  Majunga  et  la  parole  est  donnée 
anx  canons  ci  aux  Lebcl.  Vous  savez  te  reste.  Un  corps 
expéditionnaire  de  13,000  hommes  et  OoO  ofliciers  débar- 
(pie  à .Majunga  sous  les  ordres  du  général  Ducliesnc  et 
marche  sur  lananarive,  péniblement,  en  raison  de  la  néces- 
sité de  construire  une  route  tout  en  combattant.  Pour  en 
linir,  le  général  en  chef  fomn*  une  colonne  volante  de 
4,000  hommes  sous  les  ordres  du  général  Voyron  et,  chas- 
sant l'ennemi  la  baïonnette  dans  les  reins,  sè  rend  maître 
de  la  capitale.  L’ensemble  do  la  marche  en  avant  a duré 
moins  de  cinq  mois,  depuis  le  2 mai  1893,  où  l’avant-garde 
du  général  .Metzinger  enlève  .Marovoay,  jusqu’au  30  sep- 
tembre, où  le  drapeau  blanc  est  hissé  sur  le  palais  de  la 
reine.  (Lest  une  rapidité  rare  si  l’on  songe,  outre  la  route  à 
construire,  aux  immenses  espaces  à parcourir  dans  cette  île 
sans  chemin,  qui  mesure  1,380  kilomètres  du  nord  au  sud 
et  430  kilomètres  de  l’est  à l'ouest,  et  dont  la  population  est 
do  3,000,000  d’habitants. 

((  La  valeur  stratégique  de  Madagascar  est  grande  et  sa 
valeur  coloniale,  elle  est  immense.  Grâce  surtout  à la  mer- 
veilleuse administration,  si  ferme,  si  raisonnée,  si  métho- 
dique, si  ingénieuse,  si  conforme  aux  intérêts  généraux 
et  particuliers  comme  aux  nécessités  ethniques,  du  général 
Gallieni  un  homme  que  la  Rome  antique  eût  comblé 
d honneurs  et  qui  a droit  à la  reconnaissance  sans  fin  de 
tous  les  Français  — la  nouvelle  grande  colonie  jouit  déjà 
d’une  puissante  prospérité;  elle  crée  de  toutes  parts  des 
voies  de  communication,  gage  un  emprunt  de  (iO  millions, 
voit  affluer  les  colons  et  les  capitaux  justement  confiants 
en  une  pacification  aussi  sûre  qu’elle  a été  prompte,  triomphe 
partout  de  1 iniluence  anglaise  implantée  depuis  si  long- 
temps et  avec  tant  <1  activité  par  les  pasteurs  politiques  de 
Londres,  proiRigc  l'instruction  oflicielle  neutre  et  assiste 
avec  satisfaction  — l’anticléricalisme  n’étant  pas  article 
d’exportation,  comme  l'a  si  sagement  proclamé  Gamhetta 

au  peuplement  en  masse,  par  les  enfants  malgaches, 
des  merveilleux  centres  de  trancisation  que  sont  les  nom- 
hreuses  écoles  des  brères  de  la  doctrine  chrétienne,  sous 
la,  haute,  habite  et  ferme  impulsion  dirigeante  du  frère 
Benoit-Constant,  une  des  lumières  de  l’Institut,  cœur  déli- 


64 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


eut,  Français  ardent,  esprit  rempli  de  finesse,  de  savoir, 
de  foi  et  de  zèle  énergique.  Allez,  Sidi,  par  tons,  généraux, 
officiers,  soldats,  administrateurs,  fonctionnaires,  colons, 
religieux,  la  France  est  bien  servie  sur  la  grande  terre 
malgache  et  le  drapeau  aux  trois  couleurs  y Hotte  fièrement  ! 
Tous  savent  qu’ils  sont  à un  poste  d’honneur,  au  grand 
point  d’appui  de  défense  des  intérêts  coloniaux  de  la  patrie 
dans  l’océan  Indien  et  en  Extrême-Orient,  et  ils  sont  prêts 
à tout  sacrifier  pour  bien  garder  ce  superbe  lleuron  de  la 
couronne  coloniale  de  la  France...  Puisse  le  gouverne- 
ment de  la  Métropole  les  aider  efficacement  dans  leur  noble 
tdclie  ! » 

— Et...  l’exposition?  hasarde  encore  Bêchard...  tout  sur- 
pris de  ne  pas  se  voir  rabrouer  aussitôt  par  un  noir  regard 
tout  chargé  de  dédaigneux  courroux. 

— Votre  ami  le  broyeur  de  couscous  a raison,  Sidi.  Si 
je  ne  contenais  ma  pensée,  je  vous  parlerais  pendant  des 
heures  de  chaque  grande  ou  importante  colonie,  au  premier 
rang  desquelles  se  place  Madagascar...,  et  votre  désir  est 
légitime  de  voir  se  clore  ma  conférence  pour  aller  juger  par 
vous-mêmes  des  charmes  et  de  l’extrême  intérêt  de  cette  ex- 
ceptionnellement belle  exposition  coloniale.  J’abrège  donc. 
Le  soin  de  présenter  la  grande  île  africaine  au  public  cos- 
mopolite et  surtout  au  public  français  réunis  en  ce  moment 
à Paris,  a été  confiée  à un  Commissaire  — M.  Crosclaude, 
jadis  humoriste  du  plus  joyeux  talent,  aujourd’hui  conquis 
aux  hauts  et  grands  intérêts  de  l’empire  colonial  de  la  France, 
et  qui,  de  Madagascar  on  il  est  allé  aussitôt  la  conquête,  a 
rapporté  un  excellent  livre  rempli  de  choses  graves  racontées 
avec  la  plus  charmante  fantaisie  primesautière  — aidé  de 
deux  Commissaires  adjoints,  M.  Clément  Delhorhe,  secrétaire 
général  du  Comité  de  Madagascar  (constitué  en  vue  de  tra- 
vailler au  développement  de  la  colonisation  dans  File),  mem- 
bre du  Conseil  supérieur  des  Colonies,  et41.  François  Crozier, 
consul  de  France,  ancien  attaché  à la  Résidence  générale  à 
Tananarive  avant  que  Madagasgar  n’eût  cessé  d’être  un 
protectorat  et  que  la  reine  Ranavolo  n’eùt  été  priée  d’al- 
ler... apprendre  le  piano  dans  une  coquette  villa  des  envii’ons 
d’Alger.  L’emplacement  du  bassin  de  la  place  du  Trocadéro 
ayant  été  attribué  à l’exposition  madégasque,  4L  Antony 


LES  COLONIES  ERANÇAISES 


1)5 


La  Colonie  de  JlAD.Ar.AscAii. 


cet  endroit  une  vaste  construction  circulaire  comme  le  ter- 
rain concédé,  d’un  diamètre  de  Sii  mètres.  Ce  pavillon  cylin- 
drique relie  au  Palais  du  Trocadéro  par  une  vaste  plate- 


66 


A TRAVERS  l’EXPOSITION 


forme)  est  traité  dans  le  style  arabe,  dont  de  curieux  vestiges 
ont  été  mis  au  jour,  dans  bile,  par  les  travaux  de  M.  -lully. 
Trois  portes  rnonumenlalcs  en  relèvent  la  façade,  et  un  cam- 
panile de  4i  mètres  de  haut,  au  sommet  duquel  déploie  ses 
ailes  le  vahoro  mahery  ou  vautour  royal  de  Madagascar, 
conduit  à une  belle  saÜe  de  conférences,  au  niveau  du  pre- 
mier étage,  c’est-à-dire  au  milieu  de  ce  pavillon-tour, 
([ui  possède  rcz-de-cbausséc,  premier  et  second  étages. 

((  L’Idée  — essentiellement  logique  et  pratique  qui 
a présidé  à l’organisation  de  cette  exposition  est  celle-ci  : 
b’rapper  l’imagination  des  visiteurs  par  le  pittoresque,  retenir 
leur  curiosité  intéressée  par  l'enchainement  raisonné  des 
notions  principales  concernant  le  pays,  indiquer  aux  esprits 
attentifs  les  moyens  de  se  renseigner  utilement  et  pratique- 
ment sur  tout,  tel  a été  le  plan  qui  a fait  diviser  1 exposition 
madégasque  en  trois  régions  : 

« 1"  Le  rez-de-chaussée,  spectacle  mouvementé  de  Mada- 
gascar, sites.  Ilore,  faune,  existence  indigène,  l ne  lie  centi  ale 
montre  en  sa  saisissante  réalité  la  liante  et  profonde  forêt 
malgache,  avec  ses  singes,  ses  oiseaux,  ses  serpents  et, 
parmi  les  rochers,  dans  la  rivière  circulaire  qui  l'enlourc, 
des  crocodiles  — tous  ces  êtres,  imporlés  de  la  Grande  lie, 
et  vivant  en  lilierté.  Deux  dioramas  font  voir  les  aspects  et 
les  phases  de  l’agriculture  malgache;  des  jardinets  de 
plantes  artificielles  font  connaître  les  procédés  de  cultures 
exotiques,  café,  vanille,  cacao,  caoutchouc,  thé,  tabac,  et 
le  travail  des  bombyx,  des  tapias  et  de  la  fameuse  araignée 
de  Madagascar,  lilant  la  soie  précieuse...  Auprès  de  là. 
dans  leurs  cases  originales,  travaillent  à leurs  métiers 
des  représentants  des  principales  peuplades  indigènes;  ils 
confectionnent  des  rabanes,  tissent  des  lamhas,  tressent  des 
sabikas  de  roseaux  ou  des  sacs  en  raphia,  font  de  la  poterie, 
de  la  dentelle,  de  la  vannerie  fine,  travaillent  les  bois  et 
métaux  précieux,  et  même  « lavent  de  l’or  » à la  battée  ou 
au  sluice,  ou  surveillent,  dans  un  parc  minuscule,  les  zébus 
ou  bu'ufs  à bosse  qui  servent  là-bas  de  bêtes  de  trait,  de 
somme  cl  aussi  de  montures. 

— Les  indigènes  sont  nombreux  ? ^ 

— Lent  vingt-quatre,  se  décomposant  comme  suit  : 2i- 
tirailleurs  armés  de  Lebel  ; lu  milicieus  armés  du  fusil  (iias  , 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


35  musiciens  hovas,  qui  formaient  autrefois  la  musique  de 
la  Keine  et  constituent  une  exellente  fanfare  militaire  ; 20 
Hovas  (dont  8 femmes)  souples,  intelligents,  adroits  aux  arts 
industriels,  les  anciens  maîtres  du  pays  ; i Hetsiléo  (dont 
2 femmes),  race  équivalente,  mais  moins  turbulente;  4 Sia- 
hanaka  (dont  1 femme  et  2 enfants)  pêcheurs  habitant  des 


villages  lacustres;  4 lankarona  (dont  2 lemmes)  des  envi- 


rons de  Diego,  colonisés  jadis  par  les  Arabes  des  Comores 
dont  ils  ont  les  mœurs  et  le  costume;  2 Sakalava  du  Nord- 
Ouest  (Nossi-Héens)  aux  mumrs  dissolues,  mais  excidlents 
marins,  pépinière  de  nos  équipages  indigènes;  3 Sakalava 
de  1 Ouest  (Maintirano),  dont  I iemme,  sau\ages,  nomades, 
pillards,  (|ui  ne  se  sont  soumis  qu 'après  de  sanglants  com- 
liats;  3 Mahalaly  (dont  2 iemmes)  de  la  région  encore  presque 
inconnue  des  euphorbiacées,  produisant  le  caoutchouc;  2 
lanosy  (dont  1 femme),  beau  peuple  guerrier  et  éleveur  de 
rCst  qui  a longuement  lutté,  au  xvu"  siècle,  contre  Flacourt, 
établi  au  bort-Daupbin  ; 3 Taimorona  (dont  1 Iemme),  popu- 
lation arabe  de  la  côt(‘  Est,  travailleurs,  les  meilleurs  ter- 


. ' -J--..  

rassiers  pour  la  construction  des  voies  de  pénétration  ; 


Betsimisaraka  (dont  2 femmes)  pécheurs  et  bûcherons  de'  la 
côte  Est,  malheureusement  alcooliques  et  paresseux,  race 
([ui  décroît  rapidement  ; 1 Tambaboaka,  représentant  une 
petite  principauté  de  métis  arabes,  relativement  récenls, 
gi oupés  autour  de  Mananjary.  I ous  ces  indigènes  sont  placés 
sous  le  commandement  de  41.  le  capitaine  Laporte,  de  l'in- 
tanterie  de  marine. 

2”  Le  premier  étage  réunit  renseignement  élémenlain'  des 
choses  de  Madagascar.  Un  plan  de  l’ile  en  relief,  des  caries 
detaillees,  des  reliels  de  la  baie  de  Diego-Sinwez,  de'  ïana- 
narive  (ce  dernier  exéculc  sous  la  direction  des  IC-ères  des 
Ecoles  cbrétbmnes  par  leurs  élèves),  carl(>  murale  des  lignes 
de  commun icat ions  avec  la,  Métropob'  (Ab'ssageries  mari- 
limes,  Chargeurs  réunis.  Péninsulaire  havraisc),  équipement 
et  outillage  colonial,  le  lilanzane  (gi’onpe).  ethnographie,  etc. 

3"  />c  second  etage,  où  sont  gronpi's  tons  hss  doenmeuts 
de  nalure  a laire  connaître  I île  bisloriqni'menl  et  gi'ogra- 
pbi(|uemenl.  Objets  provenant  du  palais  de  la  reine  lîana- 
volo,  musée  commercial  de  la  cajiilale,  vitrines  des  expo- 
•sants,  spécimens  de  rindnstrie  locale  et  des  ails  nouveaux 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


que  les  Français  oui  introduils  (loi  celui  du  vitrail),  collec- 
tions d'hisloire  iialundle  et  de  paleonthologi('  vraiment 
extraordinaires,  le  tout  eu  un  cadre,  inummse  de  tuiles  niu- 
i-alcs  dont  les  sujets  sont  tous  eiupruniés  à la  vie  des  iudi- 
g’èucs  et  des  colous,  à la  faune  et  à la  dore  de  1 ile,  ainsi 
qu'à  qmdques  paysages  caractéristiques. 


Le  Palais  d’Argent  et  les  tombealx  royau.x 
A Tananarive. 


— Vrailueul,  cher  monsieur  M<diaiumed  Abdullali  lien 
Mockarah,  je  ne  m'attinulais  pas  à ce  que  Madagascar  ait  pu 
réunir  une  exposition  aussi  vaste,  complète  et  instructive. 

— Fl  pourtant,  Sidi,  je  ne  vous  ai  i)as  encore  parlé  de  la 
grande  atlractiou  artistique  cl  en  même  temps  glorieusement 
iiislori([uc,  du  superlie  Panorama  où  se  résume,  avec  une 
\isiou  d('  File  (d  une  vérité  si  intense  que  cimx  qui  y ont 
vécu  y croient  revivre,  eu  respiiR'r  la  chaude  atmosphère  si 
limpide,  devant  les  horizons  connus,  aux  teintes  bleuâtres, 
violacées  ou  roses),  où  se  résume,  dis-je,  1 histoire  de  la  cou- 


LES  colonies  eh ANC 


AISES 


69 


e k le"','  V»  Pi>issa„l,.  ,1,. 

né  ' '"“y™-  ' l«■ir.l,■k,l,.ss;Mal,.n^  nllaelié. 

P l.iiil  les  opcralioiis.  a I elal-niajni'  ,lii  eé,in,'iil  Diiclicsii,' 

P ‘“'"P'«y  pai'lins:  1"  llnil  ,|iora,„aa  nionlranl  l,.5 

(Inerscs  plias, 'S  ilo  la  eaiiipagno.  ,l,,piiis  !,■  ,l,,|,an|i„., ,, 

'î'”'”  '*  ''' 

1,1  An.lnlia  pour  lana.iarivo,  2"  Le  grainl  panorama  i„- 
I liai  I les  posilionsj^l,-.a  Iroiipes  de  eetle  vaillanle  eolon,,,, 

V.  i H L"l'l  ''  ' '■  "''i’!™''"''  'S'-'S-  O"»!"'  Jioran.as 

->  Ihiti&anl  u'inrc  de  |mci(ica(ion  du  général  Galieni  (Ta- 

iijalave  vue  du  large,  hi  gra.ule  rorèl  de  40  kiloinèlres  vlx- 
dune  ruine  d'or,  nue  enirée  du  général-gouver- 
neur a lananarive).  Voyez-vous,  Sidi,  la  vraie  façon  de 
gouliT  cmnnic  elle  le  inénle  celte  magislrale  et  si  conscien- 
cieuse œu\re  de  Louis  Tinayre,  il  serait  de  l'aller  admirer 

ion  e I s h conire  le  cliinal  autant  que 

soldats  qui  ont  noblement  montré  au  monde,  après  le 

lOWn'ni:;";  î '-dui'ioot 

J nitrcpi dite  sont  .les  vertus  guerrières  qui  ne  sauraient  d.i- 
cioilie  dans  la  belle  armée  de  France.  Alors,  vous  pourri.v, 

lis  cîiamns  ^'o^'q^^ète,  reconnaissant 

les  champs  de  bataille,  saluant  les  cbefs  dont  le  nom  main- 
tenant appartnmt  a 1 Histoire.  Faites  ainsi  et  vous  décuplerez 
e poignant  inleretqu  ins])irenl  aux  ernurs  fi'auçais  ces  toiles 
] 1 sem  ) eut  Mvre  et  où  l’on  croit  senlir  le  souffle  de  brise 
tinjiicale  taisant  ondoyer  au  loin  le  drapeau  tricolore  Vous 
nuirez  uue  prolonde  sensalion  .le  même  ordre  en  allanl  voT 

doenmenté,  le  Panorama 

« Avant  de  quitter  l’exposition  de  la  Grande  lie,  laissez- 

coloniale  intitulée  le 

«Comité  de  .Madagascar»  - M.  Charles  Roux  en  esl  IVm 
nent  presnlent-trésorier  et  MM.  Etienne  et  Chaillej-Bert  les' 

-m  ne,  d enti amer  les  lorc.-s  inutilisés  do  la  nation  vers  la 
colonesation  s,  productive  de  Madagascar,  d’en  défendre  lis 


70 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


iiitérèls  p;énéraux  et  d'y  aider  puissamment  les  intérêts 

particuliers...  » • i .-u  i. 

A ce  moment,  M'"''  Flore  ne  peut  contenir  un  bâillement 

un  peu  indiscret.  Le  Touareg-conférencier  s'incline  avec  une 

gravité  ironique. 

Je  compr('nds,  dit-il.  Sous  peine  de  bientôt  parkr  pour 

des  yeux  clos,  il  me  faut  me  hâter.  Comme  on  dit,  je  crois, 
en  bAance,  je  vais  donc  metlrc  les  « bouchées  doidiles  ». 
Pour  commencer,  je  vais  vous  présenter  d’un  seul  coup  ; 


SEM^IGAL  ET  SOUDAN,  DAHOMEY,  COTE  D’IVOIRE 
GUINÉE  ET  CONGO 


— C’est-à-dirc,  résume  Vcrduret,  tout  le  lot  énorme  <le 
nos  possessions  africaines,  moins  l’Algérie,  la  Tunisie  et  la 
Côte  des  Somalis  sur  lesquelles  nous  sommes  déjà  édifiés  ! 

Le  Touareg  approuve  du  turban  et  commence  : 


S 

LE  DA  II  0 n !•:  Y 

— I.a  Côte  du  Dahomey,  ou  Côte  des  Esclaves,  a été  visi- 
tée dés  le  xiiC  siècle,  par  les  navigateurs  dieppois...  Mais, 
que  la  iemme  du  liroyeiir  de  couscous  se  rassure,  je  ne 
vais  pas  remonter  au  Déluge.  Je  saute  d’un  seul  bond  au 
temps  de  la  dernière  grande  Exposition  de  Paris.  En  1889 
quand  M.  Etienne  prit  la  direction  des  affaires  coloniales 
comme  sous-secrétaire  d’Etat,  la  France  ne  possédait  sur  la 
côte  de  la  portion  du  golfe  de  Guinée,  appelée  golfe  do 
Bonin,  que  quelques  comptoirs  dont  la  légitime  possession 
lui  était  constestée,  par  l’Angleterre,  du  côté  des  lagunes  de 
Torto-Novo,  et  par  le  roi  du  Dahomey,  qui  prétendait  ne 
tenir  aucun  compte  des  traités  par  lesquels  il  avait  cédé  la 
plage  inhospitalière  de  Cotonou.  Mais,  M.  Etienne  pressent 
l’importance  et  la  richesse  de  ce  pays,  dont  le  tyran  sangui- 
naire inspirait  de  l’horreur  à tout  le  inonde  civilisé;  il  régie 


72 


A TRAVERS  l’exposition 


le  conllit  avec  rAiiglcterro  et,  ayant  brisé  cette  entrave, 
envoie  an  Bénin  M.  Ballot,  aujourd’hui  encore  le  Gouver- 
neur si  apprécié  du  Bahomey,  avec  mission  de  parler  haut 
aux  cahacères  représentant  le  cruel  Béhanzin.  Getle  heu- 
reuse initiative  provoque  la  hclle  campagne  que  vous  savez 
et  qui  a rendu  fameux  et  si  populaire  le  nom  du  général 
Bodds.  M.  Etienne,  iM.  Ballot  et  le  brillant  et  énergique  offi- 
cier général,  ont  donné  à la  h’rance  une  superbe  colonie  qui, 
bornée  par  le  Lagos  anglais  à l'Est,  le  Togo  allemand  à 
rOuest,  étend  son  hinterland  jusqu’au  Soudan  faisant,  de  ce 
côte  sud,  communiquer  la  région  du  Niger  à la  mer,  union 
que  fera  tout  à fait  intime  un  chemin  de  fer  sur  le  point 
d’ètre  construit.  Bien  n'est  intéressant  comme  le  fort  volu- 
me qu’a  écrit,  sous  le  trop  modeste  titre  de  : Notice  sur  le 
Dahomey,  .M.  Jean  Foussagrive,  administrateur  des  Golonics, 
sous  la  direction  de  M.  Pierre  Pascal,  Secrétaire  général 
(^et  gouvernenr  par  intérim)  du  Dahomey.  Cette  lecture, 
qu'il  faudra  faire,  vous  montrera  par  les  merveilleux  résul- 
tats rapidement  obtenus,  de  combien  d habileté,  d’énergie, 
et  d'esprit  colonisateur  sont  doués  ces  Erançais  qui,  sur  la 
foi  d’adversaires  intéressés,  nient  leurs  propres  qualités 
qui  sont  dos  qualités  de  race  cent  fois  prouvées  sous  tous 
les  cieux  de  l'univers. 

« L’exposition  si  originale  dn  Dahomey,  que  l'architecte, 
M.  Louis  Silfert,  a si  scrupuleusement  habillée  de  « couleur 
locale  »,  est  l'auivre  de  M.  Médard-Béraud,  ancien  négociant 
en  cette  contrée.  Commissaire,  assisté  de  son  Commissaire 
adjoint,  M.  J.-L.  Brunet,  secrétaire  du  Syndicat  de  la  Presse 
coloniale.  Ces  messienrs,  de  concert  avec  leur  haliile  archi- 
tecte.et  toujours  d’après  Vidée  directrice  deiM.  Charles  Roux, 
ont  donné  à leur  section,  qui  forme  un  îlot  de  2, Un  mètres 
superficiels  qu’entoure  un  mnr  rustique  a demi  ruiné,  1 as- 
pect d’un  village  dahoméen  avec  ses  constructions  imitant 
la  « terre  de  barre  » et  recouvertes  de  chaume.  Seules,  les 
deux  principales,  situées  au  centre,  ne  sont  pas  des  reproduc- 
tions exactes,  en  raison  du  souci  artistique  de  1 ensemldc 
et  des  nécessités  de  la  circulation.  La  principale  construc- 
tion est  le  « Tata  »;,  avec  haut  porche  d’entrée,  et  surmonté 
d’une  tour  de  2!J  mètres,  que  le  public  (qui,  ignorant  peut- 
être  la  position  exacte  du  Dahomey,  sait  dans  leurs  moin- 


LES  COLONIES  ERANÇAISES 


73 


I (ires  détails,  les  terribles  cérémonies  qui  délectaient  le  tyran, 
I sa  cour  et  ses  amazones)  a tout  de  suite  baptisée  la  « Tour 
y des  Sacriliçes  >i.  Le  toit  de  chaume  de  ce  Tata  est  hérissé  de 
I piques  supportant  les  crânes  memes  des  esclaves  décapités 
f sous  les  yeux  de  Béhanzin.  Le  Tata  contient  deux  salles; 
^ une  fraude  laisant  suite  à l’entrée  où  est  (exposé  tout  ce  qui 
5 concerne  rethnograjihie  et  la  géographie  du  pays,  avec  orne- 
1 mentation  d art  indigène,  et  une  [ilus  jietite  contenant  les 
) cxhiljitioiis  dos  ex])osants.  Helié  au  Tata  par  un  escalier  est 
I le  «Musée  des  Beligions  l'étichistes  »,  ou  de  vrais  gnol.s  ou 
I prêtres  donnent  de  temps  eu  temps  de  sauvages  séances. 

« Autour  do  ces  constructions  sont  disséminées  de  nom- 
I breuses  [(aillotes  terrestres,  dont  le  poste  de  10  hommes  do 
1 la  garde  civile  indigène  (la  plupart  anciens  tirailleurs  haous- 
' sas,  ayant  comhattu  au  Dahomey  et  à Madagascar)  avec  les 
I trois  femmes  du  sous-brigadier  et  de  doux  gardes  — ou  pail- 
I lûtes  lacustres  avec  leurs  curieuses  pirogues,  réduites  on 
L raison  do  1 exiguïté  de  la  minuscule  rivière  qui  les  porte. 

! Des  artisans,  au  nombre  de  sept,  avec  deu.x  femmes  et  (jua- 
: tre  enfants,  excr(;ent  leurs  industries  dans  ces  primitives 
' demeures.  Je  ne  vous  parle  pas,  Sidi,  des  objets  contenus 
1 dans  cette  ex[)osition  du  Daliomey  (que  l’on  devrait  écrire 
Dahumé,  signifiant  mot  à mot  de  Dan,  appellation 

j justifiée  par  une  curieuse  h'gende  historique).  Les  choses 
■ originales  y abondent  : trônes  royaux,  collection  du  général 
! Dodds,  une  carte  du  pays  datant  de  159.'i,  la  colossale 
il  défense  d’éléphant,  dont  le  poids  dépasse  9Ü  kilos  et  qui  est 
“ la  propriété  de  .M.  le  (iouverneur  Ballot,  tam-tams  mons- 
tres, table  des  sacrifices  humains,  etc.,  etc.  Vous  verrez  tout 
I cela,  ainsi  que  le  buste  du  roi  Tolfa,  notre  allié,  à qui  nous 
1 avons  donne  une  parlie  île  l’ancien  royaume  de  Béhanzin. 

louten  vous  renvoyant  au  si  complet  travail  deâl.  b’oussa- 
j grive,  je  veux,  en  terminant,  vous  donner  cette  seule  et 
I explicite  indication  de  la  prospérité  de  cette  jeune  colonie  : 

I l’année  dernii'u-e,  les  importations  et  les  exportations  réu- 
I nies  (les  dernières  dépassant  les  premières)  se  sont  élevées 
i à un  chillrc  supérieur  à 25  millions  de  francs.  Pour  cette 
I meme  année  1899,  les  recettes  prévues  du  budget  local 
I étaient  de  1 ,9()ù,hüh  Irancs  ; or,  les  recettes  réalisées  se  sont 
I clevces  de  2,790,000  Inancs,  soit  un  excédent  inattendu  de 


A TRAVERS  L’E.XPOSITION. 


T.  .\VI.  — 4 


65 


74 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


830.000  francs.  J’ajoute  que  la  superficie  du  Dahomey  est  do 

210.000  kilomètres  carrés  et  sa  population  indigène  de 

1.200.000  âmes. 


Il 

s !•;  N É (’.  A I.  E T SOUDAN 

— L’heure  s’avance  et  je  n’ai  plus  le  temps  de  vous  par- 
ler longuement  de  cJiaque  colonie.  Je  vous  rappellerai  seu- 
lement que  le  Sénégal,  où  les  marins  de  Dieppe  fondèrent 
un  premier  comptoir  en  I3G0,  est  une  des  plus  anciennes 
colonies  modernes  de  la  France,  son  établissement  sérieux, 
datant  de  18.30.  Inutile  de  faire  un  retour  sur  les  pages  guer- 
rières de  son  histoire  ; trop  de  généraux  contemporains  ou 
presque,  comme  Faidherbe,  dont  vous  verrez  au  Trocadéro 
la  statue,  y ont  conquis  la  célébrité  pendant  que  le  récit  do 
leurs  hauts  faits  instruisait  la  métropole  sur  ces  contrées  de 
l’Ouest  africain  qui  s’étendent  de  l’Atlantique  au  lac  Tchad. 
Je  ne  vous  dirai  quelques  mots  que  de  l’exposition  sénégalo- 
soudanaise,  dont  M.  Milhe  Pontingon  est  le  Commissaire  et 
pour  laquelle  M.  Seillier  de  Gisors,  l’architecte  en  chef  des 
constructions  coloniales  françaises  du  Trocadéro  et  l’auteur, 
ainsi  que  je  vous  l’ai  dit,  du  Palais  où  nous  sommes,  a con- 
struit un  pavillon  très  monumental,  couvrant  000  et  quelques 
mètres  carrés,  et  dont  l’architecture  est  inspirée  des  mos- 
quées et  des  résidences  des  chefs  du  Sénégal  et  du  Soudan. 
Ce  Pavillon,  qui  est  un  véritable  petit  palais,  a pour  disposi- 
tion intérieure  une  vaste  salle  de  20  mètres  sur  7,  entourée 
de  galeries.  C’est  au-dessus  do  l’entrée  principale  que  vous 
verrez  la  statue  de  Faidherbe,  le  plus  illustre  parmi  tant  de 
gouvernenrs,  administrateurs  et  conquérants  dont  les  noms 
ont  passé  à la  postérité.  Tout  autour  on  a édifié  des  cases, 
reproductions  très  exactes,  dans  lesquelles  travaillent  sous 
les  yeux  du  public,  des  indigènes  du  Sénépl  : tisserands, 
forgerons,  bijoutiers,  etc.  Inutile  de  vous  dire  que  l’exposi- 
tion sénégalo-soudanaise  est  aussi  belle  que  réconfortante 
pour  les  amis  dévoués  de  l’empire  colonial.  Le  Sénégal  est 
une  colonie  laite  et  en  plein  rapport,  ainsi  qu  en  atteste  le 
grand  mouvement  commercial  des  ports  de  Saint-Louis  et 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


75 


(le  Dakar,  l.’immcnso  Soudan  n’est,  à liien  prendre,  que 
riiinlcrland  géant  de  la  Sénégambio,  et  la  côte  ([ui  lui  sert 
de  débouché  direct  s’étend  du  Cap  Blanc,  frontière  des  dé- 
serts rivages  continentaux  dépendant  des  espagnoles  Cana- 
ries, jus(|u'à  Dorto-Novo  au  Dahomey,  moins  les  emprises 
anglaises  de  l’étroit  territoire  de  la  Gambie,  de  Sierra-Leone, 
do  la  Côte  d’Or  (Acbanti),  de  l’embouchure  portugaise  du 
Geba,  de  la  Képuhlique  do  Libéria  et  du  Togo  germanique. 
L’avenir  amènera-t-il  des  évictions  amiables  qui  permet- 
traient Tiinité  du  grand  domaine  français  de  l’Ouest  africain 
à l’Occident  de  la  ligne  frontière  qui  déjà  réunit  le  golfe 
«méditérranéen  de  Gabès  au  lac  Tchad  et  celui-ci  au  golfe 
de  Bénin?..,  C’est  son  secret.  Avec  ses  débouchés  actuels, 
le  Sénégal-Soudan  fait  un  énorme  commerce  maritime  : 
par  an,  la  production  de  la  gomme  seule  s’exporte  pour 
4,500,000  francs,  le  caoutchouc  pour  plus  d’un  million... 
Ah  lino  (ihcp.  omnea. 

— Hum  ! pense  Verduret  en  souriant  intérieurement,  un 
Touareg  (|ui  parle  latin  ! 

— Les  organisateurs  de  l’exposition  de  cette  colonie  an- 
cienne n ont  eu,  contrairement  à ce  qui  a eu  lieu  pour  la 
colonie  neuve  de  Madagascar,  qu'à  en  montrer  les  produits 
de  toute  nature;  ceux  du  sol  : mil,  riz,  manioc,  coton,  in- 
digo, etc;  et,  dans  les  forêts  profondes,  le  baobab,  le  faux- 
acajou,  le  fromager,  etc,  etc;  ceux  de  l’industrie  et  de  l’art 
indigènes:  armes,  bijoux,  tissus,  cuirs  ouvrés,  poteries,  in- 
struments de  musi([ue,  etc.  Des  peintures  aux  sujets  spéciaux 
et  des  ligures  de  cire  donnent  de  complets  aperçus  ethnolo- 
giques, taudis  que  des  dépouilles  d’animaux  représentent  la 
laune  de  ces  immenses  et  si  variées  régions. 

« Gc  n’est  pas  quitter  le  Soudan  que  de  vous  parler  main- 
tenant de  la 


§ 111 

CÔTE  D ’ I V O I 11  E 

— Les  établissements  de  Grand-Bassam  et  d’Assinie  furent 
fondés  dès  le  xiv“  siècle,  toujours  par  les  Dieppois,  pour 
l’achat  de  l’ivoire  (dont  la  côte  a gardé  le  nom  quoique  les 


Vii.i.ACiE  Dahoméen 


LES  COLONIES  ERANCAISES 


77 


précieuses  défenses  en  aient  totalement  disparu),  de  la  pou- 
dre d’or  et  de  la  gomme  arabique.  Ces  comptoirs  durèrent 
quatre  siècles  sans  faire  parler  d’eux.  La  côte,  évacuée  on 
1870,  il  n’y  resta  plus  (}ue  les  deux  comptoirs  de  la  maison 
\erdier,  de  La  Itochelle,  et  les  cartes,  jusqu’en  ne 

mentionnèrent  même  plus  l’existence  de  cette  possession 
quadriséculaire,  lors(|ue,  cette  année-là,  iM.  Binger,  alors 
ca|)itaine,  y descendit,  venant  d’explorer  la  bouche  du  Niger. 
La  publication  de  ses  travaux  attira  sur  elle  l'attention, 
et,  dès  lors,  elle  reçut  des  visites  de  missions  qui  la  firent 
j'evivre  et  accrurent  sans  cesse  son  territoire  ; maintenant, 
elle  est  intimement  liée  au  Soudan  par  les  routes  décou- 
V(U’tcs  par  les  explorateurs.  En  réalité,  elle  date  des  décrets 
de  1(S!)2  et  LSfi.fi  qui  fixèrent  ses  limites  et  lui  rendirent  son 
autonomie.  En  1890,  les  comptoirs  existants  faisaient  |)our 
2,800,000  fr.  d’alfaires;  aujourd’hui,  le  commerce  extérieur 
de  la  colonie  atteint,  eu  ebitfre  rond,  12,000,000  de  francs  : 
de  tels  cliillres  disent  clairement  son  dévelopj)ement. 

— Ob  ! les  cbilfres  ! a|)j)rouve  tout  bas  Bôchard. 

— Cette  colonie  si  vieille  et...  si  jeune,  poursuit  le  chef 
touareg,  se  suffit  à soi-mème  avec  sou  budgetde  1 ,i00,000  fr., 
sur  lequed,  cette  année,  elle  a |)rélevé  25,000  fr.  pour  frais 
de  partiel |)atiün  à l’Exposition  Universelle.  Près  de  la  mer,  de 
(Irand  Lalion  à la  Côte  d'Or  anglaise  (Acbanti),  le  |)ays  n’est 
(|u’une  lagune,  au-delà  de  la(|uclle,  sur  toute  la  longueur 
de  la  côte,  règne  une  colossale  forêt  s'étendant  sur  500  kilo- 
métrés, avec  000  kilomètres  de  profondeur.  Cette  abondance 
de  futaie  géante  ne  va  pas  sans  ])luies  intenses  : il  tombe 
fi  mètres  cubes  d’eau  au  mètre  carré,  avec  une  température 
moyenne  de  50".  Le  caoutchouc,  l’acajou,  les  ])almes  à huile 
sont  les  ])roduits  indiqués,  auxquels  il  faut  ajouter  le  café, 
le  cacao,  et...  l’or.  11  y a beaucoup  d’ur,  dont  on  fait  d'admi- 
rables bijoux.  Les  mines  sont  prospectées,  mais  elles  atten- 
dent encore  une  ex|)loitation  rationelle  comme  celle  qui  a 
fait  la  fortune  du  pays  anglais  voisin  des  Acbantis.  La  forêt 
équatoriale  et  1 or  préparent  à cette  colonie  un  avenir  d'une 
richesse  exceptionnelle  lors(|ue,  en  190fi,  sera  terminé  le  che- 
min de  fer  de  pénétration  de  280  kilomètres,  dont  le  capitaine 
lloudaille  a achevé  le  tracé.  La  voie  ferrée  traversant  la 
forêt  mettra  l’hinterland,  c’est-à-dire  le  Baoulé  et,  plus  haut. 


78 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


le  pays  de  Kong,  en  relation  directe  et  rapide  avec  la  côte. 
Nul  doute  que  les  Français  ne  laissent  pas  autrui  — comme 
cela  arrive  trop  souvent  — exploiter  ces  richesses  ; mais  la 
colonie  de  la  Cote  d Ivoire  n'oll'rc  pas  l’établissement  à bon 
marché,  quoique  les  concessions  y soient  gratuites  ; inutile 
de  s'y  avcntui'cr  sans  un  ca|)ital  minimum  de  2dü,0()()  t'r., 
nécessaire  ])o,ur  établir  des  jilantations  et  y adjoindre,  en 
attendant  qu'elles  ra|»portent,  des  factories  pour  l’exporta- 
tion de  l’acajou. 

— Et  1 Exjiosition  ? répète  à voix  basse  IJcchard,  avec  une 
régularité  de  chronomètre. 

D('rccbcr,  le  Touareg  h'  satisfait,  tout  en  feignant  d(' n’avoir 
pas  entendu. 

— ■ Le  Pavillon,  dil-il,  a été  construit  par  M.  Eoiirlois- 
Suflit,  sur  le  modèle  hygiénique  des  grandes  factories  du 
pays.  Il  mesure  li  mètres  sur  8,  est  entouré  d’une  véranda 
spacieuse  et  doté  d’un  mirador.  Il  répond  si  excellemment 
aux  conditions  d’haldtabilité  sons  le  climat  chaud  et  humide 
de  la  colonie  que  M.  Roberdeau  — le  gouverneur  actuel, 
successeur  de  M.  Moiittet,  lequel  succédait  lui-mémo  à M. 
Binger  — l’a  voulu  démontable,  pour  qu'après  l'Exposition  il 
puisse  être  réédifié  là-bas.  Le  Eommissaire,  M.  Pierre  Mille 
(auteur  de  Texcellentc  notice  sur  la  colonie,  travail  concis, 
clair  et  complet),  a organisé  son  exposition  de  la  façon  la 
plus  intéressante  et  la  plus  commodément  instructive.  C'est, 
à l'intérieur  du  hall,  la  collection  Houdaille,  c'est-à-dire 
tous  les  ])lans  et  dessins  relatifs  au  chemin  de  fer  et  à la 
création  du  port  et  de  la  ville  nouvelle  ( Bingerville)  qui  rem- 
placera Grand  Bassam  ; des  cartes  murales  où  M.  Pierre 
.Mille  a su,  par  une  méthode  particulière,  faire  ressortir  la 
constitution  géographique  et  botanique  de  la  colonie  ainsi 
que  ses  ressources  en  tous  genres  ; des  collections  de 
produits  (plantations  et  acajou)  ; des  collections  ethnogra- 
phiques réunies  par  .M.  Clozel,  secrétaire  général,  et  M.  Lam- 
blin,  administrateur  de  la  Cote  d’ivoire  ; les  quatre  cents 
aquarelles,  si  artistiquement  fidèles,  de  M.  Thoiré  — l'admi- 
nistrateur  qui  se  montra  si  énergique  lors  de  la  répression 
do  la  révolte  des  Boubouris,  en  18!t8  — et  qui  représentent 
la  faune  et  la  llore  de  cette  contrée;  enlin,  le  « clou  d'or  » 
do  cette  exposition,  la  collection  de  bijoux  indigènes  faits 


LES  COLOÎSIES  FRAiNLAlSES 


avec  cet  or,  dont  l’exploitation  européenne  ultérieure  prou- 
vera que  la  « Côte  d'Or  » fraïu^aise  ne  le  cède  en  rien  à la 
Cote  (l’Or  britanni({ue...  d’ii  C(jté.  Francliissons  maintenant 
le  grand  golfe  africain,  pour  nous  rendre  dans  la 


— Est-ce  qu’il  y en  a encore  beaucoup  de  ces  colonies? 
demande  lamentablement  la  farinière,  tirée  d’une  demi- 
somnolence  par  l'annonce  plus  forte  de  ces  deux  mots  : 
« Guinée  franejaise  »,  comme  détachés  par  le  noir  confé- 
rencier de  la  monotonie  des  jihrascs  précédentes. 

— Ne  vous  en  plaignez  pas,  chère  madame,  se  récrie  pa- 
triotiquement Yerduret.  Notre  empire  colonial  est  la  riche 
parure  de  la  France,  et  regrett(vt-on  jamais  qu'une  i)arure 
ait  trop  de  brillants? 

— Je  ne  dis  pas...  mais  c’est  qu’il  me  semble  que  nous 
sommes  ici  depuis... 

— J’abrège,  interrompt  laconiquement  et  d’un  ton  brus- 
que de  mécontentement  le  Touareg,  qui  reprend,  en  style 
presque  télégraphique...  du  moins  pour  quelques  moments  ; 

■ — Guinée,  colonie  à la  vapeur,  exemple  de  merveilleux 
élans  décolonisation  rapide  dont  sont  capables  les  Français 
quand  ils  s’y  mettent.  11  y a sept  ans,  capitale  Konakri,  quel- 
({ues  cases  indigènes  éparses  autour  du  Palais  du  gouver- 
neur, de  l’hôpital,  de  l’école  et  de  deux  ou  trois  factoreries; 
en  la  presqu’île  qu’elle  occupe,  un  vapeur  sur  rade  ('galait 
sensationnel  événement;  sur  la  grande  terre,  à quelques 
kilomètres  de  la  cote,  plus  de  route,  des  sentiers.  Aujour- 
d'hui, Konakri,  ville  importante,  maisons  d’habitations  et 
de  commerce,  bâtiments  administratifs,  rade  peuplée  de  na- 
vires; la  Sierra  Leone  des  Anglais  enrage  d’y  voir  passer 
une  grande  partie  de  son  trafic;  grande  terre  défraîchie, 
larges  et  belles  routes  pénétrant  loin  dans  l'intérieur,  bien- 
tôt chemin  de  fer  reliant  capitale  au  Niger.  Progrès  super- 
bes dus  à l'intelligent  gouvernement  du  docteur  Balay.  Quand 
b’rance  s’y  met,  enfante  des  miracles.  Exposition  duc  à 


80 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


M.  Vienne,  Commissaire,  etCaboriau,  Commissaire  adjoint, 
digne  de  cette  étonnante  colonie.  Pavillon  est  reproduction 
de  deux  cases  indigènes  à étage,  réunies  par  galerie  à toit 
conique  chaume,  style  Soussou.  Rez-de-chaussée,  exposition 
administrative  : produits,  industrie  locale,  cartes  en  relief 
comparatives  de  Konakri  il  y a dix  ans  et  maintenant,  explo- 
rations, renseignements  de  toutes  natures;  premier  étage,  ex- 
position des  colons  : noix  de  kola,  caoutchouc,  arachide  et 
poudre  d'or,  ivoire,  sparterie.  Autour,  cases  indigènes;  un 
(a(a,  modèle  de  poste  de  milice  du  pays,  dans  une  enceinte 
fortitiée;  type  de  l’ancien  sentier,  aujourd’hui  transformé  en 
helle  route  ; un  jardin,  devant  la  porte,  contient  spécimens  de 
cultures  du  pays  ; dans  un  petit  hois,  case  où  sorciers  fout 
leurs  incantations.  J’ai  dit.  Madame  contente,  je  pense. 
Passe  à 


V 

COXGO 

— Oh  ! je  vous  en  prie,  mon  cher  vioimeur  Touareg,  s’é- 
crie Verduret,  dût  notre  compagne  s’en  désoler,  soyez,  de 
grâce,  moins  laconique.  Ces  choses  des  colonies,  si  elles 
n'ont  pas  le  tlon  de  plaire  à -M'"=  Bèchard,  m’iiitéi'cssent  fort, 
moi  ! 

— Bien,  Sidi,  consent  Mohammed  Abdullah,  j’irai  vite 
tout  en  arrondissant  les  formes  de  langage.  D’abord,  un  mot 
d'historique. 

— Parbleu  ! fait  le  farinier  vexé  de  l’épigramme  adressée 
à sa  « moitié  » et  encouragé  par  les  façons  adoucies  à son 
égard  du  narrateur  à la  peau  noire,  ce  Congo  a été  conquis 
pacifiquement  par  M.  Savorgnan  de  Brazza,  chacun  sait 
cela  ! 

— C’est  vrai,  mais  c'est  un  peu  plus  simple  que  la  réalité, 
déclare  le  » chevalier  du  Désert  » eu  reprenant  le  ton  sé- 
vère qui  impressionne  tant  Bôchard.  A grands  traits,  voici 
ta  vérité.  Oui,  c’est  le  lieutenant  de  vaisseau  hors  cadre  de 
Brazza  qui  a été  l'apôtre  et  le  grand  ouvrier  de  l’acquisition 
de  ce  vaste  domaine  qui,  appuyé  sur  les  rives  droites  de 


LE.S  COLONIES  FRANÇAISES 


SI 


l’Oubangui  et  du  Congo,  pari,  du  quatrième  degré  au-dessous 
de  l’équateur  pour  étendre  sa  sphère  d'inlluence  jusqu'à 
1 Algérie,  et  dont  les  territoires  actuellement  occupés  sont 
trois  fois  grands  comme  la  hVance,  leur  superficie  pouvant  être 
évaluée  à S, 000, 000 
de  kilomètres  car- 
rés. Mais,  M.  de 
Brazza  est  loin  d’a- 
voii'  élé  le  premier 
à tenter  l’étahlisse- 
meut  dans  ces  ré- 
gions, s’il  a le  grand 
mérite  d’avoir  été 
le  premier  à y com- 
plètement réussir. 

Ce  Gabon  a com- 
mencé à être  occupé 
par  le  commandant 
B O U t - Willaumez 
dès  1838,  et  Libre- 
ville a été  fondée 
on  1849.  De  1851 
à 1805  ont  lieu  les 
belles  e.vplorations 
de  Paul  du  Chaillu, 
puis  celles  des 
lieutenants  de  vais- 
seau Braouzec,  Ser- 
val, Genoyer  et  du 
docteur  Griffon  du 
Bellay;  en  1807, 
c’est  le  lieutenant 
de  vaisseau  Aymés,  et  en  1872,  MM.  Marche  et  de  Com- 
piègne.  Tous  acquièrent  sans  cesse  des  territoires  sur  la 
rivière  Ogooué;  le  Gabon  était  définitivement  acquis.  Enfin, 
imraît  M.  de  Brazza,  tourmenté  par  l’idée  congolaise,  dès 
1 Ecole  navale.  En  1872,  à vingt  ans,  faisant  partie  de 
rétat-major  de  la  division  de  l'Atlantique,  il  fait  son 
premier  voyage  au  Gabon  et,  profitant  d’une  courte  per- 
mission, se  met  en  relation  avec  les  indigènes  en  remon- 


M.  DE  LAMOTHE 

COMMISSAIRE  GÉNÉRAL  DU  GOUVERNEMENT 
AU  CONGO  ERANÇAIS. 

(Cliché  Eugène  Pirou.J 


82 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


tant  le  Komo,  une  des  rivières  du  Gabon.  En  1874,  il 
oblicuL  d'etre  envoyé  on  mission  vers  les  sources  do 
rOgôoné  et  fait  une  première,  belle  et  diflicile  explora- 
tion, de  187.0  à 1878.  A peine  de  retour,  il  repart  pour 
un  deuxieme  voyage,  qui  devait  avoir  des  résultats  consi- 
dérables. bin  1880,  il  fonde  Erancevillo,  traite  avec  le  roi 
IMakoko,  fonde  Brazzaville  et  voit  son  univre  aidée,  alors 
qu'il  revient  vers  la  côte,  par  l’exploration  de  M.  renseigne 
de  vaisseau  .Mizon  ( 1880-1 88.8),  et  du  docteur  Ballay  (1882). 
A la  lin  de  1882,  il  entreprend  un  troisième  voyage,  occupe 
la  rive  gauche  du  Congo.  11  est  nommé  Commissaire  géné- 
ral du  Congo  français  en  1886  et,  dès  lors,  dirige  les  explo- 
rations de  ses  collaborateurs  vers  le  haut  Oubangui  et  le  lac 
Tchad,  no  se  réservant  que  les  raids  les  plus  importants. 
Ses  collaborateurs  sont  légions,  les  JNlizon,  les  Maistre,  de 
Béhaglc  (perdu  récemment,  hélas!),  Bonel,  Gentil,  Liotard, 
Dybowsky,  Paul  Campel,  Fourreau,  de  Boumayrac,  assas- 
siné, duc  d’Uzès,  mort  au  champ  d’honneur,  et  cent  autres 
fameux,  dont  le  plus  célèbre.  Marchand,  qui  nous  avait  con- 
(juis  le  llaut-Nil,  abandonné  par  le  Gouvernement  français 
sur  un  ordre  d’Albion.  Comlnon  d’cnlre  eux  ont  payé  de 
leur  vie  l’acquisition  de  ce  Congo  qui  est  è lui  seul  un  im- 
mense empire.  Le  Gabon,  détaché  en  1886  de  la  colonie  de 
(iuinéo,  a été  normalement  réuni  au  Congo,  où  il  fait  chaud 
(entre  20"  et  8o"),  puisque  c’est  sous  ré(|uateur,  mais  dont 
les  côtes  seules  sont  malsaines;  il  faut,  pour  s’y  acclimater, 
une  saine  et  bonne  constitution,  une.  grande  sobriété  et  une 
suflisantc  énergie  morale  pour  ne  pas  se  laisser  déprimer 
par  le  climat  équatorial.  Du  reste,  vous  n’aurez  qu’à  lire  le 
volume-notice  rédigé  sous  la  direction  de  i\l.  Marcel  Guille- 
met, Commissaire  adjoint  du  Congo  à l’Exposition  : c’est  un 
véritable  livre  d’or  résumé  de  l’héroïsme  et  des  ijelles 
facultés  coloniales  des  Français.  Le  Commissaire  général  du 
gouvernement  au  Congo  est  maintenant  iM.  de  Lamothe, 
Ceci  dit,  je  passe  à l’exposition  pour  ne  pas  ahuser  de  votre 
temps,  Sidi,  non  plus  que  de  la  patience  de  madame, 
l)aticnce  déjà  mise  à une  rude  épreuve,  je  le  reconnais. 

Verduret  fait  un  geste  de  protestation,  mais  le  grave 
Touareg  poursuit  : 

— L’exposition  congolaise  a été  préparée  par  M.  Ponol, 


LKS  COr.OMKS  FUANC.AISKS 


Commissilire  ; mais  comme,  le  pavillon  arrêté,  il  a dû 
repartir  pour  réunir  divers  produits  et  renseignements 
nécessaires,  c’est  M.  (ïnillemot  qui  en  a poursuivi  rexéeu- 
tion  et  l’organisation  intérieure  aidé  de  Bourdon,  second 
Commissaire  adjoint.  Le  Bavillon  est  un  type  de  maison 
coloniale,  en  fer,  carreaux  de  plâtre,  couvci-t  de  tôle  on- 
dulée, monté  sur  infra-structure  en  liois,  et  <lémontal:)lc, 
devant  être  transporté  à la  colonie  pour  y servir  de  poste. 
11  a été  constimit  sur  les  plans  de  M.  Scellier  de  Cisors  et 
mesure  20  mètres  sur  10  mètres.  11  contient  deux  salles  su- 
pei'posées  : dans  celle  du  bas  sont  les  bois,  campements,, 
tentes,  etc.;  dans  celle  du  liant,  les  produits  classés  par 
régions  : bois,  ivoire,  caoutchouc,  cafés,  cacaos,  tissus, 
collection  botanique  (à  remarquer  surtout  la  belle  collec- 
tion réunie  par  .M.  Autran,  chef  d’exploration,  et  celle  de 
lianes  à caoutcbouc  et  lat('x  de  .M.  Vesser,  directeur  de  la 
plantation  du  lac  Cayo)  et  minéralogique  ; puis,  des 
armes,  des  fétiches,  des  étolfes  d’importation,  des  photo- 
graphies, des  cartes,  des  meubles  en  bois  et  peaux  du  pays. 
^’ous  y verrez  de  beaux  dioramas  instructifs,  dont  trois  dus 
au  maître  pinceau  de  iM.  Lastellani,  deux  de  .M.  Noël  Dor- 
ville  et  le  portrait  de  .M.  flentil,  par  Merwart;  vous  assis- 
terez au  travail  de  l’ivoire  par  deux  indigènes  et,  sous  la 
véranda,  deux  belles  cartes  — 3 mètres  sur  4 mètres  — vous 
diront,  au  premier  coup  d’œil,  ce  qu’était  le  Congo  français 
en  18(S9  et  ce  qu’il  est  devenu  aujourd’bui;  c’est  une  su- 
perbe leçon  do  fait.  Devant  le  Pavillon  est  une  pièce  d’ean 
sur  laquelle.  Hotte  nue  très  curieuse  pirogue,  et,  à côté  du 
Pavillon,  est  une  case  circulaire  copiée  sur  celles  des  indi- 
gènes de  la  région  du  Chari...  Espérant  avoir  satisfait  à la 
fois  Sidi  et  la  compagne  de  son  ami,  je  franchis  l’Atlanti- 
que pour  présontei'  — en  y ajoutant  la  Réunion  dont  j’ai 
omis  do  vous  parler  lorsque  nous  étions  dans  l’océan  Indien 
— le  domaine  de  la  France  en  Amérique  : 


Mii 


C'IIAfMTIîE  YIIl 


GUYANE  FRANÇAISE,  GUADELOUPE,  MARTINIQUE 

R É UN  ION 


— ^ oic!  le  lot  des  vieilles  colonies.  Que  niadanie  prenne 
courage,  c’est  par  lui  que  je  termine.  La  Luyane  (502 
kilomètres  de  côtes  et  1,200  d(^  prolondcnr)  reçut  fiés  1004 
la  visile  de  La  Revardière,  envoyé  dans  un  but  de  colo- 
nisation par  Henri  IV,  et  ces!  dès  1020  ([ue  vingt-six 
colons  roucnnais  s'élablirent  à Cayamne  ; la  Guadeloupe, 
séparée  en  deux  tei’res  par  un  canal  appelé  la  Hivih'e  mire 
(snperlicie  109,235  bectcires  et  310  kilomètres  de  développe- 
ment de  côtes),  découverte  par  Colomb  en  1 493,  a été 
occupée  par  le  gouverneur  français  de  Saint-Christophe, 
rOlive,  aidé  d’un  gentilhomme  du  nom  de  Du  Plessis,  en 
1035;  la  Vlartinique  (siiperncic  98,783  hectares),  découverte 
au  même  voyage  que  la  Cuadeloupe,  devint  en  môme  temps 
qu’elle  française;  enfin,  quittant  les  Antilles  pour  l'Océan 
Indien,  bile  Bourbon  ou  de  la  Réunion  (snperlicie  200,980 
hectares  et  215  kilomètres  de  côtes),  voisine  de  Maurice 
que  les  Anglais  ont  pris  à la  France,  découverte  en  1545  par 
le  Portugais  Dom  Pedro  Mascarenhas  (d’oii  le  nom  de  Mas- 
careignes que  porte  le  groupe  Maurice-Réunion),  a été 
mise  sons  la  domination  du  drapeau  fleurdelysé  par  Proius, 
commandant  de  Madagascar,  en  1042.  De  meme  que  la  Loi 
avec  les  myriades  d’articles  de  ses  codes,  des  colonies  aussi 
anciennes,  aussi  séculaires  doivent  être  supposées  connues 
de  tous  les  Français,  ce  qui  était  en  partie  vrai  pendant  la 


LES  COLONIES  ERANÇAISES 


_ _ _ S5 

prcmitrc  mollit  ,1,,  ce  siPcIc,  ,ln  moins  au  point  cIc  vue  des 
nnnrs  dn  paysage  cl  du  pitlorcsqne,  les  auteurs  rmnan! 
lupies  d alors  ayant  souvenl  pris  pour  héros  et  Inn-oïnes  ,1,. 
langoureuses  créoles  de  la  Martinique,  de  plus  ou  moins 
ciue  s planteurs  de  Bourbon,  de  poéliques  (?)  eselaves  de  h 
(.uadelonpe  ou  ,les  hèles,  générale, ncnl  innocents,  du  bagne 

■ te  la  manifestation  lie  ces  douairières  coloniales  eu 
pées!  ÎSr!r"  Srou- 


l a OUA- ANE 

— M.  Maurice  rxoïirljoil,  le  Commissaire  <lo  celte  colonie 
française  .lu  Sml-Améri<|i,e,  a organisé  - excellemment 
comme  tous  ses  collègues  — son  exIiihiUon  particulière 

.VMnV'hiri  'V  '*'''!''''*  " ■'"■''^■‘■*'1^  'a  tonne 

I me  habitafion  du  pays.  L installation,  dans  les  .leux 

salles  separ.«es  par  nue  galerie  vitna^  (,ui  contient  un  joli 

^tc^upe  doisniiix  de  mammileres,  de  reptiles  et  .rinsecles’ 

mdig(?nes  naturalises,  est  des  plus  co.piettes  avec  sa  ten- 

lure  d etamine  bleue,  coupée  par  des  madras  gu3'anuais  et 

ses  meubles  dacajou  tiré  des  grandes  forêts"...^  qui  sont 

avec  les  requins  du  large,  la  meilleure  digue  conJ,  les  éva- 

un  neî.  b^ T"  f agricole,  celte  vaste  contrée 

un  peu  bien  abandonnée  et  qui,  en  attendant  son  bel  avenir 

ogi.]uement  assuré,  se  soutient  par  son  importante  produc- 
tion aurilere  C est  incroyable  ce  que  le  mouvement  colonial 

métaïTnrtr  "l  gisements  du  précieux 

irnAal  eans  tous  les  coins  du  monde!  Mais,  cette  fièvre 

jaune  du  sous-sol  passera  avec  l'épuisement  des  placers 

et  les  produits  naturels  de  la  surface  resteront,  donnant 

U valeur  vraie  aux  établissements  coloniaux.  Dans  la 

« f.rande  Salle  » du  l>avillon,  contenant  les  expositions 

riout  VeeD  '}  s'intéresseront 

suitout  a cette  derniere  ou  1 abondante  variété  des  essences 


86 


A travers  l’exposition 


est  simplemont  merveilleuse.  Pour  lor,  on  a procédé 
comme  au  Transvaal  : en  outre  des  éeliantilloTis  très 
beaux,  une  pyramide  de  cubes  dores  montre  le  rendement 
par  année  et  ensemble  la  quantité  extraite  depuis  dix 
ans.  Dans  la  « Petite  Salle  » sont  réunis  les  produits 
alimentaires  (cafés,  cacaos,  fruits,  couscous,  riz,  etc.,  et 
conserves  diverses  ainsi  que  liqueurs)  et  de  très  intéres- 
santes collections  d’objets  pittoresques  ou  artistiques,  ün  y 
voit  serrées  par  le  manque  do  place,  des  armes,  des  pote 
ries 'indigènes,  des  vues  de  pays  ; une  superbe  toile  du  pein- 
tre Merwart,  panorama  de  l’entrée  de  Cayenne,  appelle  et 
retient  l’attention,  et  les  esprits  studieux  méditent  devant 
les  grandes  cartes  murales  qui,  avec  les  tableaux  statisti- 
ques apprennent  en  peu  d’instants  plus  que  de  longues  lec- 
tures. Par  les  chaleurs,  le  public  achève  sa  visite  par  une 
station  des  plus  agréables  — le  Proplu'te  le  lui  pardonne! 

au  comptoir  de  dégustation. 

Les  yeux  de  iM""’  Flore,  bien  près  de  se  clore  déliiutive- 
ment,  se  rouvrent  brillants  à cette  annonce  ; mais  le  grave 
Touareg  est  au-dessus  de  ces  petits  péchés  occidentaux  si 
ingénument  avoués  et,  tranquillement,  poursuit: 


gu.vdeloupe 

— Cette  belle  île,  si  souvent  éprouvée  par  les  cata- 
clysmes, a construit  un  pavillon  de  120  mètres  carrés  qui, 
d’une  simplicité  distinguée,  semble  sortir  d un  massit  de 
plantes  tropicales  et  de  vertes  pelouses  bordées  do  coquil- 
kmes  o-éants.  Type  gracieux  d’habitation  de  créoles,  avec  sa 
véranda  qui  entoure  la  salle  d’exposition  et  à laquelle  don- 
nent accès  deux  escaliers  peuplés  de  fougères  arborescentes. 
M.  L.  Guesde,  Commissaire,  et  M.  Maurice  Huet,  Commis- 
saire adjoint,  ont  très  habilement  exposé,  dans  ce  Pavillon  ; 
1“  les  sucres  fameux  do  cette  Antille  et  l outillage  per  ec- 
tionné  de  sa  fabrication;  2°  les  cultures  (avec  le  sucre,  les 
fruits  incomparables,  ananas,  bananes,  mangues,  etc.),  qui 


LKS  COI^ONIES  Fil ANC.AISRS 


commoncpnt  à venir  en  P rance  dans  des  frigoriiiqiies  ; le 
Hinm  ilonl  1 eloge  est  siiperOn  ; 4''  les  procédés  variés  et 
lesnltats  inslriictiis  du  commerce  local,  sans  oublier  les 
armes  antu|iios  et  la  faune  terrestre  et  marine.  C’est  une 
tes  expositions  particulières  les  plus  fournies  (140  expo- 
sants) et  les  plus  heurensement  présentées.  Je  la  quitte 
pourtant  bien  vite  ~ ce  en  quoi  vous  ne  m’imiterez  proba- 

“n'ri:^^"  ™piao 


Fiîconiiatio.n  artificielle  de  la  vanille. 


§ H 


51  V UT  1. MOLE 


— Bon  ! s’écrie  Verduret,  le  pays  du  café. 

1 ^ SOUS  toutes  ses  formes  dans 

le  I avillon  que  vous  reconnaîtrez  à son  large  perron  llanqué 
de  deu.v  constructions  légères  et  donnant  accès  à un  assez 
vaste  bâtiment  aux  ailes  surmontées  chacune  d’une  tourelle 
Ce  qui  le  distingue  plus  encore  de  ses  voisins,  ce  sont  les 
trois  grandes  ouvertures  vitrées  de  la  façade,  lesquelles  éclai- 
icnt  la  « Salle  des  calés  »,  et  les  deux  rotondes  également  et 


88 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


complètement  vitrées  formant  les  ailes.  Comme  vous  le  de- 
viniez, Sidi,  c'est  le  café  qui  y occupe  la  plus  large  place, 
distançant  sensiblement  la  canne  à sucre  et  la  vanille  qui 
sont  les  doux  coproduits  principaux  de  la  plus  peuplée  dos 
colonies  relativement  à sa  superficie...  Ce  qui  n’empôchc 
pas  les  rhums,  tafias,  cacaos,  cotons,  fruits  des  tropiques, 
échantillons  minéralogiques,  ethnographiques,  etc.,  dy 
trouver  leur  petit  coin,  et  même  la  fameuse  hamhoula  exé- 
cutée par  des  ligures  de  cire,  de  façon  toute  immobile, 
mais  non  silencieuse,  un  phonographe  redisant  au  public 
les  lentes  mélodies  créoles...  Comme  je  m'aperçois  que  votre 
compagne  est  définitivement  partie  pour  le  pays  des  songes, 
je  n'insiste  pas,  et  je  termine  cet  exposé  des  colonies  au 
Trocadéro  en  vous  disant  un  mot  de  la 


IV 

R É r X 1 T)  X 

Son  fhivillon,  frère  jumeau  de  celui  de  la  Guadeloupe,  a 
cependant  en  plus,  et  au  sous-sol,  un  har  très  fréquenté.  Les 
produits  exposés  sont  les  mêmes  que  ceux  des  Antilles,  plus 
le  quinquina,  le  caoutchouc  et  la  vigne,  récemment  impor- 
tée et  exploitée  avec  grand  succès.  Ce  qu’il  y a de.  plus  pitto- 
resque et  qui  intéresse  particulièrement  le  visiteur,  c est  1 é- 
tonnantc  variété  de  types  composant  la  population  de  file. 
(In  y trouve  naturellement  des  Malgaches  de  la  grande  l'ie 
voisine  et  aussi  des  Cafres  du  continent  le  plus  proche,  mais 
et  en  grand  nombre,  des  Hindous,  des  Chinois  et  en  outre 
plusieurs  races  océaniennes,  (j  est  une  colonie  qui  atteint  le 
joli  chitfre  de  40,000,000  d'affaires,  tant  en  exportations 
qu’eu  importations. 

« Voilà,  Sidi,  les  indications  toutes  sommaires  que  je  crois 
suflisantes  sur  les  quatre  vieilles  colonies,  d’abord  parce 
qu  en  raison  de  l’ancienneté  même  de  leurs  rapports  avec  la 
Mère-Latrie,  elles  sont  aussi  intimement  connues  que  bien 
des  départements  métropolitains,  et  aussi  parce  qu’avant  de 
vous  rendre  votre  liberté,  je  voudrais  vous  dire  un  mot  du 


ClIAl^lTHE  IX 
palais  de  la  colonisation 

[Pavillon  des  Missions) 


~ Qu  entendez-vous  par  Palais  de  la  Colonisation'^  i'aü 
trduret.  11  me  scmWe  que  cela  doit  l'aire  double  cmnloi 
avec  celui  du  Ministère  des  Colonies,  qui  donne  à ce  si  et 
tous  les  renseignements'?  J 

- Sidi,  vous  commettez  une  erreur  que  ic  vais  vous  f'iir.> 

une  revue  ou  se  trouveraient  réunies  des  délégations  do 
tous  es  corps  de  toutes  les  armes  de  l’armée  française  et 

naître  lei  lieux  de  '^milin  eul  iimpotuioiirs  MsM 

^orv  io  r -I  1 ^ '"''S'^ïiisation,  l’administration,  les 
^ vices  auxiliaires  les  sources  d’approvisionnement  en  vi- 
vres, armes,  munitions,  matériel,  e.i  un  mot,  les  éléments 
qui  dans  1 ombre  permettent  à cette  armée  de  se  mouvoir 

Ion  irt  -tte  Expositmn  ci: 

du  Tiocadero,  chaque  exposition  particulière  est 
comme  une  délégation  d’nn  des  corps  de  troupes  de  la  o-rande 
armée  coloniale;  le  Palais  du  Ministère  des  Colonies  est  cet 
annuaire  ou  le  public  trouve  toutes  les  indicatîmis  su^ 

I emplacement  la  composition,  le  rendement  des  colonies 
etc.,  etc.  11  reste  à connaître  dans  le  détail  l’outillage  dJ 


90 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


colon  et  de  l’explorateur,  les  matériaux  de  pénétration  et 
d'exploitation,  les  produits  fournis  par  la  Métropole  pour 
soutenir  l’existeucc  et  le  labeur  lointain  des  colons,  etc. 
C’est  là  l'objet  de  ce  complément  indispensable  de  l’exposi- 
tion coloniale  désigné  sous  le  nom  de  Colonisation.  Son  im- 
portance est  si  grande  que,  dans  le  plan  primitif  de  1 Expo- 
sition, ou  avait  réservé  un  emplacement  de  2,400  mètres 
carrés  dans  le  Jardin  du  ïrocadéro  pour  construire  à ce 
groupe  XVlluu  vaste  Palais.  Mais  les  Pavillons  coloniaux, 
trop  à l'étroit,  obtinrent  peu  à peu  des  agrandissements  de 
leurs  concessions  respectives  et  envahirent  les  dits  jardins 
au  point  d'en  exclure  le  Palais  projeté,  au  grand  et  bien  lé- 
gitime dépit  tle  l’architecte  désigné,  M.  Deperthes  fils... 

Attendez  doue!...  Mais  je  connais  ce  nom-là!  On  nous 

a déjà  parlé  de  ce  nom  ; M.  Deperthes! 

— A propos  du  Grand  Palais  dos  Champs-Elysées,  évi- 
demment, Sidi,  puisque,  en  même  temps  qu’architecte  chef 
d’agence  du  Palais  de  la  Colonisation,  M.  Deperthes  a été  le 
premier  inspecteur,  le  collaborateur  de  M.  Louvet  pour  la 
construction  de  la  partie  intermédiaire  du  Grand  Palais. 
C’est  bien  l’homme  le  plus  charmant  en  môme  temps  que 
travailleur  infatigable  et  artiste  doué.  Sous  ce  dernier  rap- 
port, il  a de  qui  tenir,  étant  le  fils  do  M.  li-d.  Deperthes,  le 
maître  qui  reconstruisit  l’Hôtel  de  4 illo  de  Pa.ris,  avec 
M.  Ballu.  Parisien,  né  en  mai  18ü4,  entré  à l'Ecole  des 
Beaux-Arts  en  1883,  où  il  a obtenu  six  médailles,  presque 
tous  les  prix  que  décerne  l’Ecole,  et  été  quatre  fois  logiste, 
il  est  Premier  Grand  Prix  de  Borne  de  1892. 

((  Il  est  de  ceux  dont  le  surmenage  développe  de  façon 
intensive  les  hautes  facultés.  Son  exposition  a.  du  être  frac- 
tionnée en  cinq  parties  logées  : 1“  dans  la  galerie  portique  est 
du  vieux  Palais  du  Trocadéro,  fermée  par  un  vitrage,  et  où 
sont  réunis  les  produits  alimentaires  et  pharmaceutiques  ex- 
portés dans  les  colonies,  la  parfumerie  et  les  tissus  spéciale- 
ment fabriqués  dans  ce  dessein,  la  banque  indo-ch moïse, 
etc.;  2^  dans  la  galerie  partique  ouest  du  Palais  du  Troca- 
déro où  sont  groupés,  centre  d'intérêt  d ordre  supérieur  et 
combien  captivant,  les  « Moyens  de  propopagande  colo- 
niale »;  ce  sont  : l’exposition  du  Comité  Dupleix  dont  le 
célèbre  explorateur,  M.  Bonvalot,  est  le  président  (con  é- 


LES  COLO^’^T•;S  FliANÇAlSES 


91 


•lo  Mm>l  la  colonisation,  livres  export.^s,  tableau  de  la  mort 
e uple.x,  etc.),  les  missions  protestantes,  la  méthode  .le 
Hcilit/  pour  la  propagation  de  la  langue  française,  des  sou- 
venirs provenant  des  explorations  au  Soudan  (entre  autres 

comn!o^^r  1^^"’  ‘^‘■'•’Anthonay  et  qui 

^ mr  ! " ^■««'■onno,  tant  d'objets  et  bijoux  dlir 

raw  11  e de  grande  valeur),  les  voies  ferrées  de  pénétration 
aux  colonies  e leurs  corollaires  (plans  de  cbeniins  do  fer 

le  la  cïviî  I ' ‘^^^'^;;f(onnages  du  Tonkin),  la  propagation 
c la  CIV,  isation  par  1 instruction  des  petits  indigènes  ( 1ns- 

Fco  es"'l  ï'’"'  'los  hcoles  chrétiennes;  photographies  des 
xo  os  de  Saigon,  llaimi,  Rangoon,  etc.,  des  lavis  remar- 
quables^ exécutés  par  de  jeunes  élèves  annamites),  etc.; 
d e « 1 avillon  annexe  » de  20  mètres  sur  12  et  de  7 mètres 
« e hauteur  ayant  au  sous-sol  un  laboratoire  photographique 
a la  .lisposition  des  nombreux  visiteurs  photographes  ama- 
t,3urs,  et  qui,  au  rez-de-chaussée,  expose  les  produits  expor- 
tes dans  nos  calonies  (on  y voit  des  pianos,  des  cantines 
1 explorateurs  legeres  en  aluminium,  des  pharmacies  por- 
tatives, SI  précieuses,  la  malle  qui  a suivi  M.  de  Brazza  à 
travers  les  territoires  du  Congo  et  de  l'Oubanghi;,  etc.  ; 
a le<<  I d\illon  des  Collectivités  »,  omvre  principale  de  Pen- 

a>ant  -r  mètres  de  haut,  un  véritable  petit  palais.  M.  De- 
perthes,  pour  l'aspect  général  de  ces  deux  Pavillons,  s’est 
inspiré  des  constructions  coloniales  : toits  on  tuiles  avec 
gramle  saillie  supportée  par  des  consoles,  principe  du  bois 
apparent  avec  décoration  peinte.  La  Prise  du  Pavillon  des 
Co  lectivites,  .lue  a M.  Rousseau,  l’auteur  de  la  célèbre 
toile  « l a boupe  aux  Halles  »,  achetée  par  laVille  de  Paris, 
icpie^ente  d un  cite  « Les  colonies  apportant  leurs  produits 
a la  franco  » de  l’autre  côté  « La  Métropole  venant  olfrir  à 

1 exposition  de  l.lOO  ses  produits  et  objets  .l’exportation 
coloniale.  » j i ^ 

— Pardon  si  je  vous  interromps,  moitsieur  Mohamme.l 
mais  .jiie  peut-on  bien  cnten.lre  par  ce  titre  de  Pavillon  des 

— Simplement  .les  groupements,  en  vue  de  l'exportation 
coloniale  de  plusieurs  commerçants  de  dilférentes  villes  de 
l’ rance.  (.  est  ainsi  que  l’on  y voit  la  vitrine  du  musée  colo- 


92 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


niai  de  Lille,  etc.,  etc...  Je  note,  en  passant,  que  toutes  les 
vitrines  sont  en  nikado,  un  nouveau  bois.  Vous  remarquerez 
que  le  Pavillon  si  élégamment  réussi  et  si  artistique  des 
Collectivités  se  soude  à un  antre  Pavillon  dû  à M.  Montar- 
nal  et  qui  est  celui  des  Missions.  C’est  le  cardinal  Richard 
qui  a eu  l’initiative  de  cette  participation  des  umvres  catho- 
liques à l’Exposition  et  en  a confié  l’organisation  à un 
comité  présidé  par  le  vice-amiral  Lafont.  La,  on  se  rend 
compte  de  la  splendeur  civilisatrice  de  l’action  des  mission- 
naires, parmi  lesquels  il  y eut  et  il  y a encore  chaque  année 
tant  de  martyrs.  Les  plus  hostiles  à l’idée  religieuse  ne  peu- 
vent qu’admirer  les  résultats  civilisateurs,  éducateurs, 
artistiques,  de  science  pure,  de  propagation  de  l’inllnence 
Irançaise  obtenus  jusqu’au  fond  des  plus  barbares  et  sau- 
vages régions  par  ces  hommes  généreux  et  si  simplement 
héroïques,  qui  parcourent  le  monde  n ayant  pour  arme  que 
la  croix,  embleme  du  sacrifice,  et  la  parole  persuasive  pour 
bouclier  contre  les  glaives  et  les  zagaies...  Mais  revenons  a 
la  colonisation  laïque  si  bien  logée  par  M.  Deperthes.  11  reste 
une  cinquième  partie  dont  je  ne  vous  ai  pas  encore  paxlé, 
c’est  celle  qui  s’étend  derrière  l’aile  gnuche  du  Palais  du 
Trocadéro,  au  long  de  l’avenue  du  dit  Trocadéro,  et  qui, 
quoique  reléguée  bien  loin,  n est  pas,  à beancoup  près,  la 
moins  intéressante.  Dans  une  suite  de  constructions  en  bois, 
parmi  lesquelles  un  tyjie  très  pratique  de  maison  coloniale 
démontable  de  M.  Cornilz,  est  exposé  tout  le  grand  et  le 
[)etitoulillage  dont  se  servent  nos  explorateurs,  nos  colonnes 
en  expédition,  nos  corps  de  troupes  de  conquête  et  d’occu- 
pation (installalions,  campements,  moyens  de  transport,  etc., 
etc.).  Cette  partie  de  l’exposition  de  la  Colonisation  est  peu- 
plée de  choses  curieuses  et  ingénieuses,  comme  cette  sorte 
de  grande  guérUe  en  métal,  avec  liublots,  pouvant  servira 
la  fois  de  poste  pour  la  chasse  à 1 allât,  de  chambie,  de 
chapelle  portative  pour  les  missionnaires,  etc.;  comme  tout 
le  matériel  si  divers  du  grand  constructeur  11.  Lefebvre... 

Ah!  oui,  fait  ironiquement  Bêchard,  les  trop  lameuses 

voitures  Lefebvre  de  Madagascar. 

Le  Touai’cg  prend  un  air  attristé  et  hausse  légèrement 

les  épaules. 

— Ah!  Français!  dit-il,  vonlez-vous  donc  que  Ion  vous 


LES  COLONIES  FRANÇAISES 


93 


croie  (oojours,  ,lai,s  le  monde,  les  liommes  au  iuKenienl  I, ^.ci- 
ra rin'i'd-.'N'"  »l.|.arcncesa'ns'’v„  s r,  ; 

a pemo  d aller  au  foud  des  choses?  l'our  „ bêcher  » ce  ma^ 
CT  ici,  comme  ce  IttI  un  moment  la  mode...  de  loin  et  dans 
lignoranee  ,les  ,liniculles  réelles  à smam, nier,  avelvlu^rsln 

■II]  g'i  *'1"  °i  'le  commandanls  de  eidoiines  ■ 

ciii  ooudiiii;  ciilone]  (inlif'rni  i lvioc  i i la 

Areliim.rd  ( I.ijlN)  à coioiid' RumbcVl'riS  iSr’e 

ea  e Vi  I v veé  " la  c„ii<|ueie  de  .Madliias- 

car  \,),  s y vouiez  que  les  voilures  Lefebvre  onf  na-lout 

“ <1-  l'Vai"  .r;: 

éuv  mil  II  i“'‘"™‘"'  “ 1'"'  lesanires  ualiniis  leur 
uviciil.  .\l  ez  voir  dans  celle  Ex|)üsilinn  _ outre  les  voilures 
cainnues  j|ui  servent  excellemment  de  bateaux  |,o,ir  je  |1 

Tl  o,ms  îes'lrl  r'  “7'’“'""“'  «l-argie,  les  lu'ancards 
les  .Tu  l’  campagne,  les  teiUes  irambulanee 

ié.  I Xibilde  ala-'  'Hoiliez  les  eaum”: 

nicys  ,1.  mont,  lies  en  alumiimim,  le  „ .Iules  lliivoiisl  

Çomide  sur  la  liste  de  la  llolte  et  à le  lienlei’e 

de  va^seiii:  lloiirsl  .a  lui,  sa  verllKineiise'  cx.dor.:,;,,;,  “ 

^MriCi  , boiivenez-vous  que  des  mêmes  nhdl,. ^ 

d’cTrTval  sur  les.juellesa\larcd.aTl"lraversa 

I cil  oyables  marécages  pour  s’immortaliser  à Ibiclioda  .«t 

mêTile  hi  ""  T"™®  ‘1”"  l’iiivciiteiir  .le  tous  ces  engins 

tn  dn  pays,  el  que  cette  exposition  de  la  Colonisa 

ou  éi  ,1°,".““  fr  'i“  ''"'''■’"■i'-■ll"  'la  llui" 

moins  ;.b:;.  .7ie "r;,'" 

lab  er  que  sui'  le  modeste  cliilli-c  de  ■«.Uni)  francs  ’ 
lh-us;|uen,enl,  le  O.ef  Touareg  se  lève  et  déclare  ■ 

...ydif  .i;L^te;;:;uir™;.s*;;:^e:S'‘'“ 

Mohammerv:;is'’lvmz'™d«,T^^^^^^^ 

ami  M Bêchard  ^ appelé  mon 

anu  M.  ivecliaid  « broyeur  de  couscous  Vous  cou n ait; 

5iez  donc  sa  profession  Lonnais- 

oaÇbiJ^ir  ie"'t":e:,ro’‘„s''di,î^ 

th  SI . mon  cher,  puisque  c’est  une  claire  périphrase 


■ Î(l-î 


9i- 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


arabe  équivalant  à farinier.  Mais  jo  me  demande  comment 
notre  savant  conférencier  a pu  l’apprendre  au  Désert,  par 
exemple  ? 

— Sidi,  c’est  le  Cadi,  vieux  de  plus  de  douze  cents  lunes, 
qui  m’en  a instruit. 

— Encore  cet  excellent  centenaire!  Je  ne  l'ignorais  pas, 
mais  je  voulais  vous  le  faire  dire.  Savez-vous  que  sa  bien- 
veillance à notre  égard  commence  à faire  plus  que  m’intri- 
guer et  que  je  donnerais  beaucoup  pour  le  revoir  et...  lui 
arracher  enfin  son  masque.  Je  voudrais  bien  lui  faire  com- 
prendre que,  tout  en  étant  pénétré  de  reconnaissance  à son 
égard,  je  trouve  un  peu...  comment  dire?...  un  peu  torte  la 
comédie  où  il  nous  force  à jouer  des  personnages  qui  ne 
cadrent  guère  avec  nos  âges  respectables... 

— Prenez  patience  encore  quelques  heures,  Sidi.  Le  Cadi 
ou  chef  blanc  m’a  dit  qu’il  vous  verrait  ce  soir,  à l’issue  de 
la  fête  de  nuit.  En  attendant,  voici  l’homme  qui  va  vous 
conduire  à travers  les  colonies  dont  je  viens  de  vous  parler 
et  est  chargé  ensuite  de  vous  faire  faire  le  tour  de  1 Espla- 
nade des  Invalides  et  du  Champ  de  Mars...  Allah!  vous 
garde,  Sidi  ! 

Le  Chef  Touareg  s’éloigne  majestueusement,  tandis  qu  un 
jeune  homme  inconnu  et  qui  vient  d entrer  dans  la  salle, 
'salue  cérémonieusèment  notre  groupe  de  visiteurs  provin- 


ciaux. 


l-i:S  COLONIES  ERANCAISES 


Le  prochain  (cl  dernier]  volume  aura  pour  titre  : 

LA  DERNIÈRE  PROMENADE 

et  contiendra  : 

Le  Palais  des  Manufactures  nationales. 

— des  Industries  diverses. 

— de  la  Décoration  et  Mobilier  des  édifices  publics  et  des 

habitations. 

— des  Mines  et  Métallurgie. 

— des  Fils,  Tissus  et  Vêtements. 

— de  la  Mécanique. 

de  l'Agriculture  (Salle  des  Féte.s). 

— des  Industries  chimiques. 

— du  Génie  civil. 

des  Lettres,  Sciences  et  .\rts. 
de  l’Optique. 

— Lumineux. 

Etc.,  etc. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


l’ciyes 


Chapitre  — Notre  Empire  colonial  

§ I.  Un  chef  Touareg 

g II.  Le  Palais  du  Ministère  des  Colonies 

Chapitre  II.  — L’Algérie  et  i.a  Tunisie 

Chapitre  III.  — L.\  Nouvelle-Calédonie 

Chapitre  IV.  — Le  Diorama  coloniai 

g 1.  Saint-Pierre  et  Miiiuelon . . 

^ II.  La  Côte  des  Soinalis 

§ 111.  MayoUe  et  le  Protectorat  des  Comores 

55  1\'.  Taiiiti 

Chapitre  V.  — LTndo-Ciiine  et  les  Indes  Françaises 

§ 1.  Indo-Chine 

g 11.  Indes  Françaises.  • 

Chapitre  VI.  - Madagascar  

Chapitre  VII.  — Sénégal  et  Soudan,  Dahomey,  Côte  dTvoire, 
Gulnée  et  Congo 

55  1.  Le  Dahomey 

^ 11.  Sénégal  et  Soudan 

§ III.  Côte  d'ivoire 

§ IV.  Guinée  Française 

§ V.  Congo 

Chapitre  VIII.  — Guyane  Française,  Guadeloupe,  Martinioue , 

llÉUNION 

§ 1.  La  Guyane • 

§ IL  Guadeloupe 

g 111.  Martinique  

g IV.  Réunion 

Chapitre  IX.  — Palais  de  la  Colonisation  (Pavillon  des  Mis- 
sions]   


5 

5 

7 

14 


27 


313 

34 

38 

42 

47 


ôU 

30 

38 


00 


71 

71 

74 

75 

79 

80 


84 

85 
SO 

87 

88 


89 


Palis.  — lmp.  MICHELS  et  Fils,  6,  8 et  lo,  rue  d’Alexandrie. 


EN  VENTE  ; 


1.  L’Exposition  à vol  d’oiseau 

II.  La  Porte  Monumentale  et  le  Petit  Palais  . 

III.  Le  Grand  Palais 

IV.  Le  Vieux  Paris 

V.  Le  Pont  Alexandre  III  et  le  Pavillon  de 

la  Ville  de  Paris 

VI.  La  Tour  Eiffel  et  les  Spectacles  pitto- 

resques   

VII.  Le  Palais  de  l’Électricité  et  le  Château 

d’Eau  

VIII.  Les  Pavillons  des  Puissances  étrangères. 

IX.  Les  Palais  des  Hôtes  de  la  France.  . . . 

X.  La  Rue  des  Puissances  au  Quai  d’Orsay. 

XI.  L’Avenue  des  Nations 

XII.  Promenade  au  Quai  d’Orsay 

XIII.  Les  moyens  de  locomotion  à l’Exposition. 

Le  Mexique 

XIV.  Au  Trocadéro 

XV.  Les  Grands  Palais  du  bord  de  l’eau  . . . 

XVI.  Les  Colonies  Françaises 


vol.  illustré  » GO 

— « GO 

— .GO 

— » GO 

— . GO 

— . GO 

— .GO 

— I GO 

— » GO 

— . GO 

— » GO 

— » GO 

— .GO 

— . GO 

. CO 

— » GO 


A TRAVERS 


L'EXPOSITION  DE  1900 


XVII 

LA  DERNIÈRE  PROiyiENADE 


CHAPITRE  PREMIER 

iiL  I ii’ocADjirjo  A l’esflaxade  des  invalides 


p'‘' 

E X 1>  R E s s - L K I V E U s li  L S P É C 1 A I S T E 

Le  jeune  homme  qui,  dans  cette  galerie  du  Palais  du 
Ministère  des  Colonies,  salue  — avec  la  grâce  exquise  qui 
est  1 apanage  des  voyageurs  de  commerce  — notre  groupe 
provincial  assez  brusquement  abandonné  par  le  chef  Toua- 
reg, est  un  petit  brun,  à la  fois  compassé  et  frétillant,  à la 
chevelure  cosinétiquée,  et  qui  remplace  volontiers  par  des 
appels  du  pied  — tel  un  prévôt...  d’avant-scène  — les  éclats 


0 A TRAVERS  L EXPOSITION 


absents  d’un  organe  ingrat  qui  se  désespère  de  totalement 
manquer  de  conquérante  ampleur. 

Comme,  avant  même  de  desserrer  les  lèvres,  c est  par  un 
de  ces  doubles  battements  de  semelle  qu’il  achève  sou  geste 
de  révérentieuse  introduction,  More  se  réveille  en  sui- 

S3ll.lt  et  S GCriG  » 

Ah  ! pardon...  Excusez-moi...  Nous  étions  aux  An- 
tilles, je  crois...  Tiens,  le  Noir  du  Désert...  qui  met  sa  voi- 
lette sur  le  bas  de  la  figure...  n’est  plus  là? 

— 11  a terminé  sa  contércnce,  chère  madame,  et  a été 
remplacé  auprès  de  nous  par  monsieur... 

— Théobald  Trottecourt,  pour  vous  servir. 

— Et  qui  vient  sans  doute  aussi,  ajoute  Yerduret  d'un 
air  finaud,  de  la  part  de  notre  extraordinairement  obligeant 
centenaire  ? 

— Un  centenaire?  Connais  pas! 

Allons  donc  ! insiste,  incrédule,  le  manufacturier 

retiré. 

— Ah  ! non,  alors,  riposte  le  nouveau  venu  avec  une 
pirouette  qui  sent  d'une  lieue  son  « talon  rouge  »...  de 
Montparnasse  ou  des  Cobelins.  Vous  ne  m’avez  donc  pas 
regardé  ? A mon  âge  avoir  pour  connaissances  des  émules 
dc^feu  Mathusalem  ?...  Ça  ne  serait  pas  à faire  ! 

Alors,  je  ne  comprends  plus,  (jomment  êtes-vous  ici  ? 

Parce  qu’on  a de  la  notoriété  sur  la  place,  monsieur. 

Depuis  l’ouverture  de  l’Exposition  que  je  me  suis  établi  sur 
mon  pliant,  à l’entrée  du  Trocadéro,  à main  droite  en  sor- 
tant, je  suis  connu  pour  ma  spécialité. 

. — Votre?... 

Tel  que  vous  me  voyez,  messieurs  et  dames,  je  suis 

U l’Express-univcrsel  spécialiste  ». 

Daignez  m’excuser...  Je  vais  peut-être  vous  paraître 

bien  obtus,  mais...  je  ne  comprends  pas. 

— Je  m'explique,  homme  d'âge  ! 

Verduret  fait  la  grimace  et  le  jeune  monsieur  si  hicn 
peigné  poursuit  : 

— Ce  ne  sont  pas  les  guides  cpii  manquent  ici,  pour  peu 
qu'on  sache  les  découvrir.  On  a même  londé  une  école  pour 
en  former,  parce  que  cette  Exposition  de  19Ü0  est  si  im- 
mense et  si  compliquée,  de  fait,  pour  le  visiteur  non  initié. 


malgrô  la  simplicité  raisonnée  de  sa  conception,  que  ceux 
qui  s’y  aventurent  sans  « lil  d’Ariane  » sont  exposés  à y 
passer  des  semaines,  voguant  à l’aventure  sans  voir  grand’- 
chose.  Or,  parmi  tous  ces  guides,  il  n'en  est  qu’un 
qui  ait  résolu  le  problème  de  faire  voir  à la  vapeur  toute 
l’Exposition  aux  honorables  provinciaux  et  étrangers  qui 
ont  l’inappréciable  chance  de  se  confier  à ma  direction.  Je 
suis  unique  de  mon  espèce...  uaicxua  sub  sole!...  c’est-à-dire 
« l’unique  homme  sous  le  soleil  » pour  ceux  et  celles  qui 
ne  sont  pas  lamiliarisés  avec  la  langue  des  anciens  Julius  et 
autres  Césars.  Je  suis  « l’Express-universel  spécialiste  », 
chacun  sait  ça,  le  seul  qui  ait  résolu  le  problème  de  faire 
voir  complètement  en  deux  journées  de  douze  heures,  à qui 
s en  remet  à mon  ingénieuse  direction,  toute  cette  immense 
Exposition  que  beaucoup  peuvent  parcourir  maladroitement 
pendant  quinze  jours  sans  la  connaître  entièrement! 

.\u  boniment  débité  sans  reprendre  baleine,  Bertrande, 
retrouvant  sa  gaieté  qui  semble  envolée,,  comme  sons  l'em- 
pire  de  quelque  grande  préoccupation  intime,  lance  vers  le 
plalond  si  bautement  artistique  du  Balais  du  Ministère  îles 
Colonies,  les  notes  joyeuses  de  son  rire  si  jeune  et  si  franc. 

S(ju  oncle,  souriant  de  la  faconde  du  nouveau  venu,  dit 
à celui-ci  : 

— Je  ne  doute  jias,  monsieur,  de  vos  exceptionnels 
talents  de  ciccrone;  mais  je  vous  ferai  observer  que  nous 
ne  saurions  les  utiliser  en  leur  rapide  plénitude,  car,  depuis 
six  jours  que  nous  sommes  à Baris,  nous  avons  déjà  vu 
quantité  de  palais,  de  pavillons,  et  de  merveilles  en  cette 
sjilendide  Exposition. 

— Je  sais.  Aussi  n’est-ce  pas  « l Express-iiniversel  spé- 
cialiste » que  l’on  dépêche  vers  vous,  mais  celui  que  l’on  a 
également  Inijitisé  : « l’Ariane  de  la  dernière  promenade  »... 

— Comment,  de  la  dernière  promenade  ? 

— A l’ivxposition,  bien  entendu. 

— Barl.)len,  je  le  comprends  ainsi;  mais  je  ne  vois  pas 
pourquoi  la  visite  que  nous  allons  faire  serait  la  dernière! 
Nous  n avons  nullement  décidé  de  reprendre  le  train  ! 

— Il  huit  pourtant  bien  que  cela  soit,  puisqu’on  s’est 
adressé  à moi  poiii’  vous  piloter.  Voyez-vous,  il  arrive  géné- 
ralement, celte  E.xposition  étant  disposée  de  façon,  en  dissé- 


■r»~c 


LA  DEIUMLRE  PRO.MEXADE 


8 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


minant  sur  un  immense  espace,  l’intérêt  du  visiteur,  que 
les  personnes  qui  se  sont  accorde  un  nombre  tle  jours  fixé  à 
1 avance  pour  la  visiter,  musent  au  début  parmi  les  mer- 
veilles et  arrivent  au  ierme  de  leur  séjour  ayant  encore  un 
lot  considérable  de  choses  à voir.  Ma  notoriété  de  spécialiste 
déjà  si  bien  établie  tait  que  nombre  de  ces  personnes  sur- 
prises par  le  manque  de  temps  me  sont  adressées  pour  que 
je  me  charge,  en  une  dernière  promenade  habilement  com- 
binée et  vélocement  conduite,  d’empêcher  quelles  ne 
quittent  Paris  avec  une  connaissance  incomplète  de  la 
CTrandc  Universelle.  Jamais  ceux  « qui  ont  le  temps  » ne 
s adressent  ni  se  sont  adressés  à moi.  Donc,  puisque  I on  a 
obtenu  que  je  consentisse,  malgré  le  nombre  de  mes  clients, 
a vous  taire  parcourir  les  Colonies  françaises  — ■ que  m’a- 
t-on  dit,  vous  ne  connaissez  que  théoriquement  — puis 
1 Esplanade  des  Invalides  et  le  Champs  de  Mars  que  vous 
ignorez  encore,  c’est  qu’evidemment  vous  devez  être  sur 
votre  très  imminent  départ. 

— \ oilà  qui  est  un  peu  fort  ! gronde  Bèchard.  Se  permet- 
trait-on, par  hasard,  de  disposer  de  nous  sans  notre  assenti- 
ment? 

— Dame,  c’est  vrai,  appuie  Verduret  un  peu  fâché.  Je 
serais  curieux  de  savoir  qui  a bien  pu  aller  vous  chercher 
à notre  intention  ? 

— Ca,  messieurs  et  dames,  impossible  de  vous  le  dire. 
J’étais  allé  taire  une  manille,  histoij-e  de  me  délasser  un 
moment  de  mes  courses  absorbantes  où  l’intellect  travaille 
presque  autant  que  les  jambes,  et  c’est  à mon  secrétaire 
que  l’on  s’est  adressé. 

— Vous  avez  un  secrétaire?  fait  Bèchard,  non  sans  une 
nuance  de  respect. 

— Oui...  Oui  garde  mon  pliant...  je  veux  dire,  mon 
hureau.  C’est  lui  qui  est  accouru  me  prévenir  que  l’on  me 
demandait  dare  dare  pour  des  clients  que  je  trouverais  dans 
la  galerie  du  Palais  du  Ministère  des  Colonies,  et  me  voilà. 

— Comment  avez -vous  pu  savoir  qu’il  s’agissait  de 
nous? 

— On  avait  donné  votre  signalement  à mon  secrétaire  : 
un  monsieur  chauve  et  gros,  l’air  bon  enfant,  avec  une 
jolie  demoiselle,  sa  nièce,  plus  un  autre  monsieur  à barbe 


LA  dernière  PROJIENADE 


noire,  grave  comme  un  ministre...  qui  aurait  égaré  son 
mai'oquin,  avec  sa  dame,  encore  très  bien  et  coilTée  d’un., 
remarquable  chapeau  à Heurs. 

, ^ons  a dit  cela?  disent  en  même  temps  les 

epoux  Bèchard  intimement  flattés. 

Lt,  ajoute  le  farinier,  à ce  signalement  si  exact  vous 

nous  avez  reconnus  tout  de  suite? 

— lout  de  suite,  d autant  plus  que  l'on  m’avait  fait  pré- 
venir que  vous  étiez  en  compagnie  d’un  Arabe. 

— Allons,  pense  avec  impatience  Verduret,  la  myslifica- 
lion  aimable  se  poursuit,  et  si  l’on  se  met  à y faire  jouer  un 
rôle  a des  élrangers  à la  bande.  Je  crois,  malgré  les  belles 
promesses,  que  nous  serons  longtemps  à avoir  le  mot  de 
I imigme,  si  même  nous  y arrivons. 

1 T Touareg  a dit  ; « ce  soir!  » souffle  à l’oreille 

de  1 oncle  la  mutine  nièce  qui,  à l’expression  de  son  visage 
a deviné  la  pensée  avunculaire.  ’ 

Verduret  répoml  par  un  soulèvement  des  épaules,  syno- 

Ti  résignation  et,  s’adressant  à 

I héobald  Irofteconrt: 

— Monsieur,  nous  .sommes  îi  votre  disposition,  faites 
votre  office. 

— l'n  moment!  intervient  le  prudent  farinier.  Monsieur 
nest  ni  un  vieux  propriétaire  d’automobile,  ni  un  artiste 
baroque  taisant,  par  pose  et  pour  la  galerie,  mine  de  faire 
Il  de  I argent  ni  un  fou  s’imaginant  posséder  sans  doute 
line  iortune  de  boyard  avec  le  titre  de  prince  russe,  ni  un 
ollicier  de  marine  mystificateur  et  titré  ; monsieur  est  un 
guide  professionnel,  et,  par  conséquent  ne  doit  pas  offrir 
ses  services  gmlts  pro  deo...  Avant  qu’il  ne  se  mette  à notre 
tete,  J estime  qu’il  n’est  pas  sans  intérêt  de  savoir  ce  que 
nous  coûtera  sa  compagnie? 

— Bien. 

\ous  travaillez  donc  pour  la  gloire? 

— Ah  ! non  pas,  fichtre!  Si  je  dis  que  cette  promenade  ne 
t'oiLç  contera  rien,  c’est  parce  que  mon  temps  et  mes  peines 
ont  ete  rétribuées  d’avance  entre  les  mains  de  mon  secré- 
taire... et  J ai  trop  de  probité  commerciale  pour  proliter  de 
votre  Ignorance  de  ce  détail  et  me  faire  payer  deux  fois. 


10 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOÎS 


— C’est  humiliant,  à la  On,  d’ôtro  tonjonvs  l’obligé  forcé 
d’inconnus  ! fait-il. 

— Bah  ! mon  oncle,  riposte  Bertrande,  laissez-vous  laire 

puisque  vous  ne  pouvez  l’empêcher. 

p:h  ! appuie  le  tri's  serré  Bèchard,  si  c’est  son  idée,  à 

ce  centenaire,  de  nous  éviter  tous  débours,  nous  serions 
bien  sots  de  nous  insurger  contre  sa  manie  ! 

— Allons  ! conclut  laconiquement  le  chef  et  doyen  de  la 

petite  troupe. 

Mais,  entre  ses  dents,  il  murmure  : 

gi  je  le  retrouve,  comme  il  1 a promis,  nous  auions 

un  fameux  compte  à régler  ensemble  ! 

Bertrande  sourit  en  regardant  de  coté  et  drôlement  son 

oncle. 


Il 


D E s s I ■ s E r D E s s O U S 

.'indalousie  au  temps  des  Maures.  — Monde  souterrain. 
Houillères  de  France.  — Les  Phares. 

Le  Palais  de  l’Égypte. 

Théohald  Trottecourt  lève  un  léger  stick  qu’il  tient  à la 
main-  trop  courte  pour  une  canne,  cette  mince  baguette 
fait  entre  ses  doigts  office  de  régie  de  magister  et  de  bâton 
do  commandement,  à la  façon  de  celles  que  brandissent  cer- 
tains agents  conducteurs  de  Cook' s and  C°. 

A CG  signal,  le  provincial  quator  sc  met  en  marche  sur  les 
traces,  combien  fugaces,  de  son  nouveau  guide.  Malgré  les 
objurgations  de  M'""  IMore,  cramponnée  air  liras  de  son 
mari  c’est  alors,  à travers  la  foule  toujours  compacte 
qui  se  presse  à l’exposition  si  _ instructive,  pittoresque  et 
excollenient  organisée  des  Colonies  françaises,  une  véritab  e 

course  au  clocher.  rp,  , . i i t f 

— Sapristi,  remarque  Verduret  an  jeune  Tbéobald  I rot- 

teconrt,  vous  êtes  le  bien  nommé  : à pas  menus^  comme 
ceux  d’une  Parisienne,  vous  couvrez  de  la  route  à rendre 


1,A  DER^’IKRI•:  PROMENARE 


11 


jilloiix  un  cycliste...  licnronscmont  ((uo  le  Touareg  nous  a 
(uJifies  sur  loules  ces  choses  si  intéressaTiles  que  vous  nous 
faites  traverser  à une  allure  de  fantômes  emportés  par  les 
hrises  profondes  du  Tartare  ! Votre  baguette  saute  d'un 
objet  à un  autre  comme  prise  de  la  danse  de  Saint-Gui  : à 
peine  si  nos  regards  ont  le  temps  de  se  fixer. 

— Monsieur,  je  ne  suis  pas  pour  rien  le  « Spécialiste- 
oxprf'ss  ».  Mais  vous  constaterez  que  ma  vélocité  ne  manque 
pas  de  méthode,  et  la  méthode  que  j’applique  aux  visites 
rapides  de  l’Exposition  est  tout  simplement  celle  de  lierlitz, 
qui  vous  apprend  une  langue  étrangère  en  un  tour  de  main. 
Gue  fait  Herlitz,  en  somme?  11  montre  les  objets  et  tes 
nomme  : je  ne  fais  pas  autre  chose.  C’est  au  public-élève  à 
s'arranger  pour  retenir...  Voihà. 

Et  la  lu-omenade  continue,  rapide,  vertigineuse;  les  colo- 
nies succèdent  aux  colonies  en  nn  raid  fantastique  qui  rend 
\erduret  et  Bèchard  ahuris,  liertramle  très  amusée  et  M”"' 
hloie  haletante  et...  ecarlate.  En  sortant  de  1 Inde  française, 
le  groupe  passe  devant  1 entrée  de  !’((  Andalousie  on  temps 
des  Maures  ». 

— Créât  attraction  ! proclame  le  guide.  La  main  à la 
poche  !...  C’est  aujourd’hui  deux  francs  par  personne.  Nous 
n’allons  faire  que  traverser...,  atlaire  du  sept  minutes! 

^ — Et  ça  nous  coûterait  dix  francs  ! Jamais  de  la  vie  ! 
s'écrie  llèchard. 

— Tant  mieux  : économie  de  temps  pour  tous.  Vous  y 
auriez  vu  . la  porte  de  1 Alcazar  de  Séville;  le  portique  de 
l’Alhamhra  de  Grenade  (la  fameuse  Cour  des  Lions);  la 
grande  tour  de  Giralda,  h Grenade  ; un  gourbi  arabe  du 
moyen  àgr  en  terre  d’Espagne;  la  Porte  de  Justice,  tou- 
jours a (irenade  ; une  line  de  village  espagnol  d’autrefois, 
près  do  Tolède  ; et  le  théâtre  avec  gitanes  dansant  le  boléro 
ou  les  manchegas,  la  piste  avn^c  tantasias  mauresques,  un 
musée  do  peintures,  une  exposition  tauromachique... 

— Tout  cela  en  sept  minutes  ! 

— Gui,  un  instantané...  iMais  passons.  11  vaut  mieux  aller 
voir  « i.E  Monde  Socierrain  ». 

— 1 iens,  on  ne  nous  en  avait  pas  parlé. 

11  ne  nous  a donc  rien  dit,  votre  arhicot?  Là,  ça  ne 
conte  (jn’un  franc. 


A'vINlSTEi^B  DU  COMMFRpL 
D£  [,  INDUSTR^IE  DES  PoSTES  ET  DES  TÉLEOR^^PHES 

Exposition  Universelle  de  I900 

Direiction  Cener-ale  de  l Exploitation 
Service  des  Installations  Générales 


PLAN  DE 


l’a? 


Anmexe  deViNGENNES 


Plan  Général 

plan  «pprou^  le  31  AodL  1899  par  le  Miriiiiee  ^ 

du  I oniTntree  de  I IrtduiVo  PotUt  K tti  1<Ie()r4p><u 
fUf  1*  pfupoBUSB  iîuCanm)t«ir«  Ceawildei  E.»poi>l.u,n  a«  l*M 

Echelle  de  o*ooo1^  p‘Metre 


ri 


DE  VINCENNES 


1 4 


TRAVETIS  L EXPOSITION 


Bècliard  l'ait  la  grimace. 

l^t  nu’v  voit-on?  demande-t-il,  méliant. 

— Les  mystères  de  tontes  sortes  du  sons-sol  terrestre.  Dans 
les  anciennes  carrières  dont  est  creusée  la  colline  du  Iro- 
cadéro,et  dont  les  galeries  s'étendent  loin  hors  de  1 enceinte 
de  l'Exposition  — mais  pas  de  danger  qn’on  entre  par  a, 
nas  vrai  ? — est  organisée  une  superbe  leçon  des  choses  in- 
connues des  humains  de  la  surtace  du  globe.  Dans  es  j,a  c 
ries  et  les  nombreuses  excavations  formant  salles,  ce  sont 
d’abord,  après  la  figuration  de  la  structure  géologique  de 
l'écorce  de  la  planète,  les  rep> è.ealation,  archro  ogique.  : 
une  mine  .le  fer,  telle  quelle  était  au  temps  des  1 bciiiciens, 
puis  ou  moyen  âge;  le  fameux  tombeau  d Agamemnon  a 
iVlycènes,  avec  les  revêtements  et  masques  d or  des  lois,  ■ 
que  les  ont  montrées  les  fouilles  pratiquées  par  Scblieman  , 
une  nécropole  à Memphis,  représentation  (par  le  grand  artiste 
Eimèiie  tlniraud  ) d'une  chambre  funéraire  decouverte  a ba- 
kam;  la  salle  étrusque,  etc.  Puis,  c'est  le  spectacle  du  monde 
géologiiiuo  ancien  ; ici  on  assiste  à la  formation  progressive 
de  la  vie  terrestre  et  à ses  préhistoriques  mamies  ations , 
aspects  de  la  terre  à l’époque  houillère  (un  beau  diorama 
do  M.  Toussaint  montre  un  torrent  amenant  des  lougeres, 
des  siiïillaires,  des  lycopodiacées  géantes  iiiii  viennent  s en- 
vaser pour  i'ormer  le  charbon  que  nous  bru  ons;  on  y voit, 
scientifiquement  reconstitués,  les  animaux  d alors  et  les  vé- 
gétations fantastiques,  dans  la  lumière  bleuâtre  qui  traver- 
sait péniblementune  atmosphère  chargée  de  vapeurs);  aspi  cts 
à l’époiiue  i iirassique,  à l’époque  tortiaire(oîi  vivaient  ces  ani- 
maux-colois.s  qui  le  vulgaire  appelle  -‘W/'-ena  e , 
comparaison  desquels  nos  éléphants  ne  semhleraien  que  K 
petits  moutons:  le  Paléothérium,  le  grand  Elan  etc.).  Ei  m. 
en  arrivant  à l’époque  quaternaire  qui  es  celle  I MM  - ' 
rition  de  notre  humanité,  « le  Monde  Souterrain  » f^'t 
mirer  aux  visiteurs  les  curiosités  naturelles  auprès  desquel  es 
les  touristes  globe-trotters  passent  souvent  sans  y dcscen.  m 
lia  (frotte  d'A/ur,  à Capri,  reconstitution  prestigieuse, 
diorama  de  M.  Suraud  représentant  un  couvent  Pfrchc  si 
un  pic  escarpé  de  .ludéo;  les  célèbres  ^’ottes  des  trousse  - 

cellede  Padirac,  dans  le  Lot-avecrivière  et  lacsouteriain 

stalactites  et  stalagmites,  etc;  les  grottes  de  marbre  de  An- 


LA  DERMÈRE  PROMENADE 


15 


nam,  montrant,  dans  un  décor  d’antiques  pagodes,  l’extrac- 
tion du  riche  calcaire,  etc.,  etc.). 

— Vous  direz  tout  ce  que  vous  voudrez,  Bèchard,  il  faut 
aller  voir  cela  ! s’écrie  Verduret. 

Mais  l’excellent  doyen  compte,  cotte  fois,  sans  l’épouse  du 
farinier.  Celle-ci  proteste  ; 

— C’est  cela,  aller  dans  des  caves,  dans  l’état  de  transpi- 
ration où  m’a  mise  cette  course  folle  ! Je  n’ai  pas  envie  d’at- 
traper une  pleurésie  ! 

— Passons!  soupire.  Verduret  avec  résignation. 

— Il  y a encore  le  « Pavillon  des  Houillères  de  France  », 
mais  vous  avez  dû  le  voir  si  vous  avez  visité  les  Colonies 
étrangères. 

— Ah  hicn  oui  ! grogne  le  farinier  : le  guide  hors  d’âge 
que  nous  avions  était  bien  trop  préoccupé  de  jouer  à cache- 
cache  avec  certain  Anglais...  que  nous  n’avons  pas  revu 
aujourd’hui,  d’ailleurs. 

— Vous  n’avez  donc  même  pas  consulté  le  moindre  guide 
de  l’I'ixposition  ■?  Vous  y auriez  vu  que  — sinon  le  Pavillon 
des  Houillères,  malgré  son  grand  intérêt,  avec  toute  la  ma- 
chinerie des  mines,  au  rez-de-chaussée,  et  les  ingénieuses 
maquettes  du  premier  étage  représentant  les  types  des  prin- 
cipales houillères  de  France,  l’histoire  dos  Puits  de  mine  et 
l’exploitation  do  tous  les  systèmes  d’appareils  — du  moins 
la  galerie  de  mine  de  six  conls  mc/res  est  un  des  « clous  » 
les  plus  curieux  de  toute  l’Exposition,  où  pourtant  les  « clous  » 
abondent. 

— Alors,  c’est  une  réédition  du  « Monde  Souterrain  » '? 

— A cela  près  que  la  galerie  (toujours  prise  dans  les  an- 
ciennes carrières)  est  beaucoup  plus  longue,  qu’elle  est  exclu- 
sive au  monde  minier  et  que  le  public  y voit  pratiquer  sous 
ses  yeux  tout  le  travail  des  mineurs  : mineurs  proprement 
dits  procédant  au  havage  et  cà  l’abatage  do  grandes  masses  de 
houille,  les  bouteurs  et  les  serveurs  qui  déblayent  le  char- 
bon abattu  et  amènent  les  bois  dont  on  étaye  la  partie  supé- 
rieure des  couches,  les  remhlayeurs  et  les  roculeurs  qui 
exécutent  le  travail  de  soutènement  en  arrière,  les  hos- 
seyeurs  qui  font  les  voies  et  les  boisent  ; et  les  puits  secon- 
daires, et  les  machines  perforatrices  électriques,  et  le  chemin 
de  fer  électrique  qui  va  des  salles  d’accrochage  jusqu’au  fond 


16 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


des  galeries,  etc...  Sans  compter  qu’en  pins  de  la  mine  de 
houille,  il  y a une  mine  de  fer,  une  de  sel  gemme,  une  de 
zinc  et  — en  revenant  sous  la  concession  dn  Transvaal,  après 
avoir  été  sons  Tavenne  de  jMagdebonrg  — une  mine  d’or 
communiquant  avec  l’usine  de  l’Exposition  des  Républiques 
du  Sud  de  l’Afrique,  üh!  messiein’s,  c’est  à voir,  cela,  et  ça 
ne  coûte  que  vingt  sous. 

— Il  faut  donc  toujours  payer,  dans  cette  Exposition  ? 
grommèle  le  farinier. 

— D’ailleurs,  proteste  son  épouse,  c’est  encore  une  cave 
et.. . j’ai  trop  cbaud. 

— Passons  donc  encore  pour  aujourd’hui,  soupire  de 
rechef  Verduret. 

— 11  y a aussi  au  Trocadéro  TExposition  des  Phares  (entre 
les  Houillères  et  le  Pavillon  colonial  français  des  Collecti- 
vités), formée  de  deux  tours  de  phares  réunies  par  une  passe- 
relle, contenant  tous  les  modèles  de  grands  fanaux  marins 
depuis  l'antiquité  jusqu’aux  phares  et  feux  flottants  mo- 
dernes, avec  leurs  modes,  systèmes  et  mécanisme  d’éclai- 
rage. On  n’a  pas  dû  davantage  vous  conduire  à cette  Expo- 
sition qui  eût  été  mieux  h sa  place  annexée  à celle  de  la 
marine,  car  je  comprends  qu’on  s’en  est  tenu  à vous  mon- 
trer exclusivement  les  exhibitions  exotiques. 

— D’ailleurs,  quel  intérêt  peut  présenter  pour  nous  qui 
ne  sommes  pas  marins  l’Exposition  des  systèmes  de  phares? 
articule  le  farinier  du  haut  de  sa  présomptueuse  ignorance. 

— .le  n’ai  garde  d’insister,  déclare  avec  empressement  le 
très  |)ressé  Théobald  Trottecourt,  quoiqu’il  ne  soit  pas  tout 
à fait  indifférent  d’y  apprendre  que  les  côtes  française^  par 
exemple,  sont  éclairées  la  nuit  par  quatre  cent  quatre-vingt- 
trois  phares  et  feux  de  port,  pins  huit  feux  flottants,  treize 
feux  permanents  dont  l’on  n’a  besoin  d’alimenter  la  flamme 
qui  brûle  sans  cesse  que  tout  les  quelques  semaines  on 
même  les  quelques  mois,  et  soixante-seize  bouées  lumi- 
neuses. Il  ne  nous  reste  donc  plus  qu’à  quitter  le  Troca- 
déro, puisque  vous  y avez  maintenant  visité  entièrement  les 
Colonies  françaises  et  étrangères. 

— Sauf,  parmi  ces  dernières,  l’Er.vPTE  que  le  vénérable 
centenaire  qui  nous  guidait,  nous  a dit  n’etre  pas  une  expo- 
sition officielle. 


LA  DERiMKRE  promenade 


17 


n’.r.  *^t*^^*^  d’organisalion  priveo  elle 

tn  esl  pas  moins  nationale  et  très  intéressante  se  co’mno- 
sant  dii  (ilont  la  façade  principale  est  celle  du  Temple 

de  Daudourt  eiA  Nubie,  et  les  laces  latérales  des  copies  .les 

(ba/m^lrab^fai^  Kaniak),  de  l'Oua/.a/a 

(Ta/di  ai  abc  fait  de  rangées  de  maisons  avec  moiicharabies 

voussures  peintes  et  terrasses,  avec,  au  fond  du  patio  l i 

icpioductmn  du  Salon  du  Ministre  de  France  au  ciirc  aux 

mieux  plafonds  et  à la  coupole  en  forme  du  ruche)  ênlin 

d^tm  attractions,  baiiMs^ 

tenm  I 1 rr""  ^ ''^ir  main- 

^ie  nVm  ‘ '/ëTl^e  ; cela  nous  prendrait  du  temps 

Ltje  nen  ai  guère  a vous  donner  pour  pouvoir  remplir 
mon  piogramme-express.  Je  mécontente  de  vous  direîiue 
1 avant-porlique  du  forme  un  vestibule  qui  conduit 

a uuegYilene  rectangulaire  où  sont  exposés  et  où  Ton  vend 
les  produits  manufacturiers  et  agricoles,  objets  d'art,  bijoux 
IVri/c'eT’"'  '«oderues  de  l’Fgypte  ; quau-dessoiis  du 

raireflp  '""i  i-e|'roduisant  les  chambres  funé- 

raucs  de  diverses  dynasties  ; enfin  que  le  rez-de-cbaussée  de 
Ouakala  est  naturellement  peuplé  d'un  grand  nombre  de 
1 oiitiques  ou  des  tellahs  vendent  aux  visiteurs  toutes  sortes 
d objets  du  pays,  et  que  la  troupe  du  théâtre,  dont  la  scène 
Gvnn‘e?r''"’  U d’Arabes  et  de  Soudanais,  de 

k^imuM  r T'  traversons  vite 

c pon  d lena,  gagnons  la  gauche  du  Champ  de  Mars  et  pre- 

iiuelm  ^'  -'  'T'?  ' f«‘’/dectrique  qui  va  nous  conduire  en 
luelques  instants  jusqu  a hauteur  du  pont  Alexandre  111 
<ifm  que  je  vous  montre  ’ 


• i; 


VetI 


r-T 


CHAPITRE  II 


LES  PALAIS  DE  L’ESPLANADE 


§ c- 


\ P K II  1’ os  O K l’annexe  IIE  \INC,  ENNK  S 

Théobalil  Trottcncourt  lève  son  stick,  puis  le  projette  en 
.^vant  — tel,  un  début  de  la  campagne  Sud-Africaine,  un 

o-éncral  anglais  enlevant  sècbcmcnl  sa  brigade  pour  l’envoyer, 

cible  compacte,  se  faire  décimer  par  les  adroites  balles  des 
Mausers  boers...  Et  voilà,  sur  ce  geste  de  commandement, 
notre  minuscule  caravane  expéditionniste  s’élançant  a petits 
pas  précipités  dans  le  sillage  de  son  guide. 

Naturellement,  la  face  ronde  de  M-  Flore,  que  le  pi'C- 
cédent  arrêt  avait  ramenée  à la  teinte  de  peclie...  bien  mûre, 
recommence  à vouloir  rendre  des  points  à la  pivoine  ruti- 
lante sous  la  rosée.  ... 

Elle  réclame,  l'excellente  dame  ; mais  son  mari,  impi- 
toyable parce  qu’il  ignore  les  inconvénients  d’une  nature 
trop  généreusement  rebondie,  l’entraîne  toujours. 

A la  tin  — c’est-à-dire  comme  le  groupe  s’engage  sur  le 
pont  d’iéna  — la  farinière  se  révolte.  A mots  entrecoupés  par 
l’oppression,  elle  s écrie  : 

— Aristide,  je  n’en  peux  plus!... 

— Tais  toi,  tu  vas  nous  faire  remarquer. 

(ja,  mon  gros,  ça  m’est  bien  égal.  Je  n ai  pas  envie 


A 


LA  DLRMÈHE  PHO.MENArjE 


19 


(I  avoir  une.  attaque  d’apoplexie...  Continue  si  tu  veux,  moi, 
je  m’arrête. 

Cnergiquement,  elle  dégage  son  bras  de  dessous  celui  de 
son  seigneur  ci  maître  et  se  campe,  souillante,  au  milieu  du 
pont. 

Théobald  Trottecourt  qui,  en  bon  cbef  de  troupe,  à 
1 œil  à tout...  même  derrière  lui,  se  retourne  et,  d'un  ton 
net  : 

— Madame,  ma  mission  de  guide-express,  m’interdit  d’ad- 
mettre les  arrêts. 

— Allez  au  diable!  riposte  M™'' Bèchard  hors  d’elle.  Je  me 
moque  de  votre  mission,  et  je  sais  bien  que  je  ne  ferai  pas 
un  pas  de  plus  à cette  allure. 

L’  « Ariane  des  dernières  promenades  » prononce  : 

11  le  laut,  pourtant,  et  nous  avons  beureusement  le 
moyen  de  vous  contraindre  à ne  pas  nous  retarder. 

11  lève  et  agite  au-dessus  de  sa  tète  son  bâtonnet  de  com- 
mandement et  cric  : 

— Ln  « roulant!...  » Preste? 

l n des  nombreux  pousse-pousse  parisiens,  qui  regagne 
à vide  son  poste  de  la  tète  du  pont,  se  bâte  d'amener  son 
lauteuil  roulant,  désireux  île  ne  pas  laisser  échapper  l’au- 
baine... plutôt  rare  d’un  client. 

— Comme  ça,  je  veux  bien,  déclare  la  farinière  d’Es- 
sonnes. 

fdle  s'installe,  un  peu...  pesamment,  dans  l’étroit  véhi- 
cule, sans  égards  pour  les  protestations...  économiques  de 
son  époux  et,  sur  un  nouveau  geste  du  bras  armé  de  l’irré- 
sistible stick,  la  petite  troupe  reprend  sa  marche  interrompue 
à peine  l’espace  d’une  minute. 

Brusquement,  sans  cesser  d’avancer  à la  même  allure, 

I rottecourt  crie  à nos  provinciaux  acharnés  sur  ses  traces  ; 

— .\vez-vuus  été  à Vincennes? 

l’ourquoi  lairc,  demande  Vc'rduret  dont  la  respiration 
non  plus,  commence  à ne  plus  être  très  libre. 

\ oir  1 Annexe.  Naturellement,  c'est  toujours  comme 
cela,  ^oila  uue  partie  très  intéressante  de  l Exposition,  et, 
saul  les  spécialistes,  ou  ne  songe  à s’y  rendre  que  lorsque 
rbeure  du  prochain  départ  n’en  laisse  plus  le  loisir! 

Mais,  je  compte  bien  que  nous  irons  un  de  ces  jours! 


20 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Ouand,  puisque  vous  partez? 

— C’est  trop  fort!  Parce  qu’il  a plu  à je  ne  sais  qui  de 
vous  charger  de  nous  guider  aujourd’hui  et  que  vous  avez 
la  spécialité  de  diriger  les  promenades  in  extremis,  vous 
voulez  absolument  que  ce  soit  notre  cas  ! 

— .l’en  suis  d'autant  plus  sûr  que  mon  secrétaire  m’a 
affirmé  qii’o»  lui  avait  dit  que  vous  partiez  ce  soir. 

— Ce  soir!  Ah!  par  exemple,  c'est  un  comble!  proteste 
Verdiiret.  iMoi  qui,  pour  rien  au  monde,  ne  consentirais  à 
voyager  de  nuit  ! Mais  j’ai  tort  de  m'enllammer  ainsi  pour 
un  malentendu  ou  une  afiirmation  en  l'air.  Supposons  donc 
que  nous  quittons  Ihiris  ce  soir,  puis(]ue  vous  le  voulez  ab- 
solument, etdites-nous  ce  que  l'on  voit  dans  cette  fameuse 
Annexe  de  Vincennes. 

Théohald  Trottecourt  n’a  pas  le  temps  de  se  rendre  à 
cette  invitation.  Ue  son  fauteuil  roulant,  Flore  clame  : 

— Eh!  dites  donc,  monsieur  Verduret,  il  est  midi  et  de- 
mi passé,  vous  savez!  J’ai  un  estomac  qui  n’ouhlic  pas 
l’heure,  et  je  pense  bien  que,  avant  de  suivre  monsieur,  nous 
allons  déjeuner  quelque  part. 

— Prendre  le  temps  de  déjeuner,  je  le  défends  bien  ! 
déclare  le  guide-express.  Dans  ces  conditions-là,  il  me  serait 
impossible  de  remplir  mon  programme. 

Veriluret,  devant  cette  prétention,  })rend  le  parti  de 
rire 

— Vous  n’auriez  pas  l’audace  de  nous  condamner  à la 
diète,  après  avoir  décrété  notre  départ  nocturne  de  l*aris  ? 
dit-il. 

— Messieurs  et  dames,  on  n’en  meure  pas  pour  se  sus- 
tenter en  marchant.  J’en  suis  la  preuve,  moi  qui  ne  procède 
jamais  autrement.  Voici  un  kiosque  de  débitant  de  victuailles 
froides;  je  vais  vous  approvisionner  et,  d’ici  à l’fisplanade 
vous  aurez  le  temps  de  satisfaire  sans  perdre  de  temps  aux 
exigences  naturelles. 

— Hein,  fait  Verduret  interloqué,  vous  nous  invitez  à 
déjeuner...  sur  le  pouce?  Cela  ne  rentre  pas  dans  le  marché 
conclu  avec  vous  à notre  sujet  et  à irotre  insu  ! 

— Parfaitement  : le  cas  est  prévu. 

Le  manufacturier  retiré  a grande  envie,  cette  fois,  de  se 
fâcher  tout  rouge.  Mais  il  est  oblige  de  réfréner  sa  mau- 


LA  DEHNIKRE  PRO.UENADE 


21 


valse  luimcur  - que  ne  partagent,  «railleurs,  ni  le  prati- 
que couple  Bèchard  ni  Bertrande,  que  ces  excentncSs 
amusent  comme  une  petite  folle:  sans  attendre  de  permis- 
sion,  le  jeune  Irottecourt  a couru  au  kiosque  d’où  il  rap- 
por  e,  instant  d après,  une  corbeille  Londée  de  sand- 
\yclis  et  estee  de  quelques  bouteilles,  qu’il  pose  sur  le  fau- 
teuil loiiknt,  aux  pieds  de  dame  Flore.  11  tire  de  sa  pocbc 
une  demi-douzaine  de  gobelets  de  cuir  - irréprochable- 
ment neufs  et  les  distribue  en  disant  : 

— Madame  sera  l’hôtesse.  Veuillez  puiser  à la  ronde  et... 
nicirclions . 

Verduret  lait  une  mine  fort  dépitée,  mais  se  résiane  et 

tout  bon  ‘^^'ipagnons.  11  linit  même,  étant  avant 

tout  bon  enlant,  par  trouver  la  chose  amusante. 

endant  que  le  groupe  déjeune  ainsi  tout  en  avançant 
« 1 kxpress-spéciahste  » explique  : ’ 

- Evidemment,  c’est  navrant  que  l’on  ait  dû  aller  cher- 

dmTs'ue  di;!f surtout 
ans  U tt(  diiec  ion  de  A inccnues  sans  moyens  de  transports 

*1  iccts  le  iant  1 Annexe  à l’Exposition.  On  n’y  va  auère 

alors  qu  il  devrait  y avoir  foule,  d’une  part,  parce  que  rien 

exposition  en  plein  bo\s  perce 

ciei  x l u au  loin  autour  de  ce  déli- 

c eux  lac  1 aumesnil,  d autre  part  et  surtout  parce  que  les 

choses  que  I on  voit  là,  dans  l’ampleur  du  plein  aii,  son! 
d m interet  et  d une  actualité  saisissants.  D’abord  une  exhi- 
bition internationale  des  chemins  de  fer  comme  on  n’en  a 
jamais  mi  avec  sa  gare  commune  où  s’alignent  vingt  voies 
bordées  de  quais.  Ce  ne  sont  plus  quelques  locomotives 
c types  de  vsagons  epars  ou  entassés,  ce  sont  des  trains  com- 
ple  s qui  permettent  de  curieuses  comparaisons.  C’est  el 
sui  e un  véritable  Palais  américain  des  machines  ; la  Société 
philanthropique;  un  hameau  montrant  les  dilférents  types 
de  maisons  ouvrières  en  tous  pays;  l’exposition  si  compte 
des  machines  agricoles;  un  tir  à l’arc;  un  grand  vélodrome 
municipal  (car,  la-bas,  règne  la  bicyclette,  royauté  qu’elle 
paitageavec  I automobilej;  et  le  Pavillon  de  l’Acétylène  et 
ux  des  Cyc  es  de  la  Fauconnerie,  des  Forêts,  de  FAnnéxe 
d s Armees  de  Terre  et  de  Mer.  C’est  encore  le  grand  ilro 
dAerostation.  C est  enlin  l’horticulture,  la  viticulture,' les 


22 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


animaux  reproducteurs;  et  la  Section  allemande  de  sauve- 
taj^e;  et  la  Meunerie  belge,  etc.;  car  je  n’en  finirais  pas...  Si 
seulement  ce  bois  de  ^ incennes,  au  lieu  d être  égaré  à 1 est 
de  Paris,  logeait  à la  sortie  ouest  du  lleuve  s’échappant  de 
la  capitale,  là  où  un  service  de  bateaux  et  de  chemins  de 
lcr  le  mettrait  à quelques  minutes  du  Champ  de  Mars,  je 
vous  assure  bien  que  I’Annexe  ne  désemplirait  pas.  Hélas! 
comment  voulez-vous  que  le  public  exclusivement  prome- 
neur et  curieux  aille  la  chercher  aux  antipodes?  Elle  auiait 
été  tout  aussi  Iréqucntée  dans  les  plaines  de  la  Beaucc  ou 
dans  les  Landes  ! Enfin,  n’en  parlons  plus  et  hàtons-nous 
d’atteindre  la  gare  du  chemin  de  fer  électrique  que  voici 
devant  nous,  car  il  y a ibule  ici...  à l'encontre  de  là-bas. 

Notre  quatuor,  après  avoir  arrosé  d'une  rasade  d excellent 
Bordeaux  son  sommaire  et  nomade  repas,  abandonne  les 
reliefs  de  celui-ci  dans  le  fauteuil  roulant  abandonné  a 
contre-cœur  par  M'”'-’  Elore,  et  ne  tarde  pas  à prendre  place 
dans  un  des  petits  trains  qui  l’emporte  vers 


L ' A E M'  E UES  PARAIS 

Comme  le  train  léger  stoppe  a la  station  qui,  à la  hautem 
du  Pont  des  Invalides,  précède  la  courbe  de  la  voie  s’enga- 
geant dans  la  rue  Fabcrt,  Trottccourt  love  son  stick  et 
commande  : 

— Attention  : tout  le  monde  descend  ! 

Verduret  et  Bertrande,  Bèchard  et  sa  lemme  tout  en 
achevant  de  dévorer  un  petit  pain  au  jambon,  supplément 
que  cette  précautionnée  personne  avait  glissé  dans  sa  poche 
en  quittant  son  fauteuil  roulant  — descendent  de  vvapn  et, 
se  hâtant  à la  suite  de  leur  guide,  suivent  le  quai  jusqu  a 
la  hauteur  du  Pont  Alexandre  111.  Arrivés  là,  ils  s arrêtent 
à l’exemple  de  Théobald  qui,  prenant  un  air  d’autorité  in- 
spiré, s’écrie,  la  baguette  étendue  dans  la  direction  du  dôme 
des  Invalides  ; 

— Ici^  messieurs  et  dames,  nous  sommes  dans  la  fameuse 
perspective...  en  plein,  meme.  En  tournant  le  dos  aux 


LA  DKK.MKUI';  l’IlO.M  ICN  ADIO 


2;:! 


Cliamps-lîllysées,  nous  voyons  s’onvrir  devant  nous  l'avennc 
de  vinf^t-cinq  mètres  de  large,  que  j’appelle  l'Avenue  des 
l’alais  et  qui,  faisant  siiite  an  Pont  de  l’Alliance,  va  se  ter- 
miner an  seuil  de  1 llùtcd  des  Invalitles.  \ ons  comprenez  que 
cette  partie  de  l’Exposition,  ayant  un  objet  esthétique  aussi 
important,  ne  pouvait  se  contenter,  comme  en  1889,  de 
présenter  une  suite  de  galeries  quelconques  et  simplcinent 
utilitaires.  Il  fallait  particulièrement  soigner  le  point  de  vue 
architectural,  résidant  principalement  dans  les  façades,  pour 
laire  un  cortège  digne,  à la  fois,  de  l'œuvre  de  Mansart, 
du  1 ont  et  des  i’alais  délinitifs  des  Cliamps- Elysiœs. 
De  là,  double  préoccupation  pour  les  architectes.  En  cll'et, 
quand  on  construit  des  batiments  d e.xposition,  il  faut  se 
piéoccuper  de  loger  lacilement  et  avantageusement  les 
objets  exposés,  c’est-à-dire  de  donner  aux  vitrines  de  Pair 
et  de  la  lumière  pour  que  la  circulation,  même  intensive, 
soit  partout  aisée  et  que  jiersonnc  ne  puisse  se  plaindre  que 
ses  [iroduits  sont,  ou  relégués  hors  de  ce  courant  circnla- 
toire,  ou  placés  dans  une  jiénombre  défavoralde  à l'obser- 
vation attentive  du  public.  Croyez  que  ce  ne  n’est  déjà  pas 
un  mince  souci  pour  les  auteurs  des  plans.  Mais,  ici,  une 
autre  préoccupation  d ordre  hautement  artistique  est  venue 
se  grctfer  sur  la  première.  Ces  palais  d’exposition  de  l’Es- 
planade des  Invalides  font  partie  du  décor  de  la  « Grande 
perspective  ».  An  sens  pratique,  il  fallyiit  ajouter  une  esthé- 
tique appropriée  à la  situation,  laire  beau,  tout  en  faisant 
bien,  et  mettre  de  la  grandeur  sans  toutefois  tomber  dans 
une  exagération  préjudiciable  à l’ensemble.  Voilà  elfecti- 
vement  des  palais  éphémères  qui,  servant  de  liaison  archi- 
tecturale entre  les  beaux  Palais  définitifs  des  Champs- 
Elysées  et  la  façade  de  l’IIôtel  des  Invalides  dont  ils 
doivent  encadrer  et  faire  valoir  la  puissante  beauté  de  ligne, 
sont  tenus  de  procéder  de  ces  imposants  édiliccs,  tout  en 
s interdisant  1 irréalisable  et  dangereuse  prétention  d'entrer 
en  rivalité  avec  eux.  Ajoutez  à cela  que,  cette  Exposition  de 
1 JOO  étant  par  e.xcellence  la  grande  Eète  paciri([ue  essayant 
do  couronner  dans  la  joie  fraternelle  dos  peuples  conviés  à 
ce  prodigieux  xix'-'  siècle  — ce  ne  sera  pas  de  la  faute 
de  la  Nation  irancaise  si  des  égoïsmes  étrangers  empêchent 
cette  noble  conception  d être  réalisée  — cette  avenue  des 


24 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Palais  devait,  à la  Ijeaiilé  et  à réclat  joindre  une  sensation 
joyeuse,  brillaminent  ^aie,  proscrire  toute  sévérité,  ruser 


Lk  Palais  de  la  Danse  (kle  de  Pairs). 


avec  runiformilé  c|ue  seinljle  devoir  forcénrent  engendrer  la 
disposition  de  deux  immenses  façades  parallèles. 


Dites  donc,  iail  Verdurcl,  le  problème  n’était  pas  pré- 
cisément commode  à résoudre  ! ^ 

I qu'à  jeter  les  yeux  sur  cette  perspective 

(le  1 l'.splanade  pour  vous  rendre  compte  qu’il  a été  superbe- 
ment résolu,  et  que  les  arcbitectes  — MM.  Tondoire  et 
I radelle,  M.  Esquié,  MM.  Larché  et  Naebon,  M.  Trapev- 
Bailly  — qui  ont  exécuté  les  diverses  paidics  de  cette  œuvre 
mentent  que  leurs  noms  survivent  à leurs  palais,  bêlas»’ 
sans  lendemains,  et  prennent  rang  apres  ceux  des  auteurs 
dos  Grand  et  Petit  Palais  des  Champs-Elysées  et  du  Pont 
Alexcindie.  Ceci  dit,  longeons  l’avenue  centrale  et  entrons 
--  sommairement  parce  que  rapidement  — dans  le  détail 
de  ces  belles  façades. 

— Nous  vous  écoutons. 

^ cl'alj(5nt,  vous  voyez  au  premier  plan  le 
l alms  (les  Mann/acUires  Na/ionales,  dù  à MM.  Tondoire  et 
radelle.  C est,  au  point  de  vue  de  la  responsablité  artisti- 
que, le  morceau  capital  de-PEsplanade.  Le  public  y arrive 
alors  (^111  il  vient  d être  imjiressionné  par  la  magnificence  des 
« loux  I alais  de  1 avenue  Nicolas  11  et  la  vaste  élégance  du 
1 01  monumental;  ce  sont  des  yeux  déjà  remplis  de  mer- 
veilles qui  doivent  s’arrêter  sur  cette  entrée  d’avenue  sans 
feubir  la  moindre  désillusion.  Ce  Palais  qui,  occupant  les 
j eux  cotés  de  rEsplanadc,  enserre  une  place  délimitée  latéra- 
ement  par  des  porLques  construits  par  les  mêmes  arclii- 

iaçades.  Col  es-ci  s allongent  sur  730  mètres,  alors  que  la 
supcificie  totale  des  constructions  n’est  que  de  8.000  mètres 

trjr';  est  décora- 

, a\ec  ses  coloncttes,  ses  voussures  en  cintres,  ses 
glandes  peintures  décoratives,  scs... 

^onc?  demande  Verduret  en  voyant 
éobald  Irottecourt  louiller  fébrilement  ses  poches  et  pa^lper 
comme  avec  angoisse  toutes  les  parties  de  son  vètemLl 
- Ce  que  je  cherche?...  Ce  sont  mes  notes...  Sacrebleu 
.10  es  ai  oubliées  sur  la  table  du  café  où  je  faisais  ma  ma- 
nille !...  Je  sms  parti  si  vite  ..  Me  voilà  obligé  de  faire  mon 
boniment  de  mémoire  et...  je  ne  garantis  le^s  pas  les  trm" 

et  l oùs  P*'®  ‘"««sieurs  et  dames, 

et  ions  pouvez  bien  avoir  un  peu  d’indulgence  pour  les 


A TRAVERS  L EXPOSITION.  T,  XVII.  2 


67 


tu 

n 


I? 


I; 


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l;- 


26 


A ÏRAVKRS  l’eXPOSIÏIOM 


manques  de  mémoire,  piiisqu'aussi  bien  ce  n est  pas  vous 
qui  payez. 

— Ce  n'est  pas  une  raison!  commence  à protester  aigre- 
ment Bèchard. 

— Comme  c'est  vrai,  ce  que  vous  ditcs-là-,  remarque 
mélocoliquement  le  guide-e.vpress  ; il  n’y  a pas  comme  les 
((  billets  de  faveur  » pour  être  mauvais  public.  Voulez-vous 
m’attendre  ici,  pendant  que  j'irai  tâcher  de  remettre  la 
main  sur  mes  précieux  papiers? 

— Mais  non,  refuse  Yerduret  avec  bonhomie.  Nous  sup- 
[)16erons  par  nos  impressions  propres  aux  quelques  lacunes 
qui  pourraient  se  glisser  dans  votre  démonstiation...  Allez. 

A la  lionne  heure,  vous  êtes  un  bon  type,  vous.  Ce 

que  j'ai  note  sur  ce  Palais  des  Manufactures  Nationales  me 
reviendra  peut-être  tout  à l’iieure.  Cn  attendant,  laissez-moi 
vous  dire  un  mot,  que  j’omettais,  sur  la  disposition  générale 
de  l’Esplanade.  Celle-ci,  île  meme  ([uc  le  Grand  Palais  des 
Beaux-Arts,  peut  être  divisée  cn  trois  : la  partie  antérieure, 
voisine  de  la  Seine,  et  comprenant,  à droite  et  à gauche  de 
l’avenue  centrale,  les  poidiqucs  sur  la  gare  et  le  Palais  des 
Manufactures  proprement  dit;  la  partie  médiane,  a\cc  ses 
deux  palais  jumeaux  se  faisant  vis  à vis  et  contenant  les 
expositions  des  liulvslrics  flirerscs  et  une  partie  de  celles  de 
la  Dccuralion  ot  du  Mobilier  des  Edifices  publics  et  Habita- 
tions; eniin  la  partie  postérieure,  ou  du  fond,  consacrée 
enlièrement  à cette  exposition  de  la  Décoration  et  du  Mobi- 
lier. Dans  le  sens  de  la  longueur,  la  dite  Esplanade  est  par- 
tagée en  deux  par  l’avenue  centrale,  à gauche  de  laquelle 
(côté  de  la  rue  de  Cons  tan  tine)  sont  toutes  les  sections  fran- 
çaises, tandis  qu’à  droite  (côté  de  la  rue  Eabert)  sont  paral- 
lèlement les  sections  étrangères.  Maintenant,  si  vous  le 
voulez  bien,  suivons  le  conseil  du  bon  curé  de  campagne  au 
chantre  qui,  s’ari'ètant  net  de  chanter,  lui  crie  du  lutrin 
qu’il  y a un  trou  dans  la  page  ; sautons  par  dessus...  mais 
pas  comme  le  dit  chantre  qui  s’est  empressé  de  mettre  le 
grand  livre  par  terre  et  de  le  franchir  d’un  bond  de  ses  gros 
souliei's  ferrés.  E)-aucli issons  le  trou  au  moral.  Cette  enjam- 
bée que  j’obtiens  de  voire  complaisance  nous  conduit  aux 
palais  de  la  partie  médiane,  au  sujet  desquels  ma  mémoire 
est  moins  rebelle. 


I.A  DEI1Î\'U>UE  l’RO.MENADE 


■n 


— Ail!  ah!  voyons  cela. 

— \ oici  (lahord,  à droite,  en  regardant  le  dôme  des 
nvalides,  le  Palais  de  MM.  Larché  et  Nachon,  élevé  pour 
abriter  les  expositions  .PArt  décoratif  des  Paissances  étran- 
gères. lai  hclle  et  artistique  façade  sur  l’avenue  centrale  à 
-la  métrés  île  long,  hdlc  est  élevée  d'un  re/.-de-chanssée  et 
' lin  premier  i-tagc.  A la  fois  gracieuse  et  majestueuse  est 
entree  monumentale  occupant  le  centre  de  la  faeade  et 
laupant  jusqu  au  laite  son  arc  d'une  si  belle  vernie,  surmonté 
'I  un  splendide  motif  sculptural  représentant  la  France 
Irwinphanie,  tenant  à la  main  des  fleurs,  symbole  de  ara- 
ciense  bienvenue  envers  scs  hôtes,  et  acclamée  nar  une 
t/loire  aüee  De  chaque  côté  de  l’arc,  que  .lécorent  deux 
bloiics  lorales  aux  lignes  très  pures,  un  portique  en  loggia 
réunit  1 entrée  monumentale  à doux  campaniles  élégants 
.lont  le  couronnement  sert  de  piédestal  à deux  genres  de 
M.ji;e  de  grande  beauté.  J-!nlin,  les  deux  campaniles  sont 
.■eli.‘s  aux  deux  pavillons  d’about  par  de  jolis  porti- 
ques a re/.-de-cbaiisséc  lormant  terrasse  au  ])remicr  étage. 

. ur  ce  te  liMTasse  les  deux  porches  couverts  que  vous  vove/ 
servent  d entree  aux  camjianiles  et  aux  pavillons  d'about. 

I ans  les  tympans  de  ces  derniers,  les  artistes  déclarent 
parla.ls  ces  deux  morceaux  de  sculpture  qui  représentent, 

1 un  1 Art  du  bron/e,  l’autre  l’Art  du  bois.  Tous  les  motifs 
d(.  decoiation  (le  cette  delicieuse  faijade  répandent  sur  elle, 
a profusion  discrète  et  exclusive,  des  Heurs  et  des  fruits  : 
marguerites,  pavots,  lion  tons  d’or,  volubilis,  lys.  Heurs  de 
liüiiimier,  etc.  Les  dessous  des  portiques,  murs  et  iilafonds 
son  couverts  de  peinture  imitant  la  fresque  et  dont  les  divers 
médaillons  et  compositions  symbolisent  les  Arts  décoratifs 

— Lt,  en  dehors  de  la  façade?  réclame  lîèchard. 

— Le  Palais,  d’une  superficie  do  1 1 ,:{!).’i  mètres  carrés 

(rectangle  de  mètres  sur  -13  mètres  de  largeur),  est  divisé 
en  tiois  atriuins  entourés  de  galeries.  Au  centre  du  eraiid 
atrium  central  (Ni  mètres  sur  23  mètres)  est  un  superbe 
escalier  monnmental  de  32  mètres  de  développement  uni 
par  une  montée  droite  et  deux  circulaires,  conduit  au  pre- 
mier etage.  La  construction  intérieure  est  entièrement  en 
acier  et  se  compose  d’une  série  de  fermes  circulaires  repo- 
sant sur  des  piliers  carrés.  ‘ 


28 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOK 


— Comment,  s’étonne  M'’'=  Flore,  ce  n’est  pas  construit  en 
üicrrc  ? 

p]n  pierre  d’exposition,  c’est-à-dire  en  plâtre  cachant 

l’armature  d’acier,  avec  l’ornementation  et  les  sculptures 
en  staff.  L’architecte  en  chef  de  ce  Palais  est  M.  Edomml 
Larché,  un  Gascon  de  Saint-André-de-Cuhzac,  aussi  aimable 
homme  qu’artiste  émérite;  déjà  titulaire  de  deux  secondes 
primes  aux  concours  pour  la  reconstruction  de  la  Sorbonne 
et  de  l'Opéra-Comique,  c’est  une  première  prime  au  concours 
pour  le  plan  d’ensemble  de  l’Exposition  de  1900  qui  lui  a 
valu  d’être  chargé  de  la  construction  de  ce  Palais.  (Juant  aux 
figures  sculpturales  (groupes  et  hauts  reliefs)  que  vous 
venez  d’admirer,  elles  sont  tontes  dues  à 1 habile  ciseau  d un 
jeune  sculpteur  du  plus  brillant  passe  — il  est  membre  du 
jury  des  Salons  — et  du  plus  haut  avenir,  M.  Raoul  Larché, 
dont  le  grand  talent  a su  donner  aux  figures  un  caractère 
très  personnel  et  convenant  excellemment  à la  décoration 

^’’6nércil6.  . . 

_ Allons,  fait  en  souriant  Verduret,  je  vois  avec  [ilaisir 

que  la  mémoire  vous  est  revenue,  monsieur  Trottecoiirt! 

— Oh  ! je  ne  garantis  pas  les  manques  ultérieurs,  car... 

— Et,  interrompt  Bêchard,  qn’est-cc  que  cela  a hien  pu 
coûter  à construire,  un  palais  comme  celui-la? 

P)e  même  que  pour  son  pendant  d en  face,  d identiques 

dimensions  sinon  de  pareil  aspect,  ce  n’est  que  sur  un 
budget  de  1,200,000  francs,  tout  compris,  qu'ont  pu  tabler 
les  architectes.  Ce  palais  médian  d’en  face,  réservé  aux  arts 
décoratifs  français,  est  de  M.  Esquié,  presque  plus  méri- 
dional que  son  collègue  Larché,  piiisqu  il  est  né  a_  roulouse 
en  1853.  Grand  Prix  de  Rome,  lauréat  dans  plusieurs  con 
cours,  ayant  construit,  entre  autres  morceaux  d’importance 
l’établissement  thermal  de  Dax,  dans  les  Landes,  i es 
arcliitccte  dn  Gouvernement  (service  des  Batiments  civils) 
et  professeur  libre  d'architecture.  Je  vous  ai  dit  que  son 
Palais  que  voici  a les  mêmes  proportions  que  celui  ( e 
m\.  Larché  et  Nachon,  y compris  la  hauteur  qui  est  de 
18  mètres  du  sol  à la  corniche.  Je  ne  vous  parlerai 
donc  que  de  la  façade,  moins  sobre  de  dessin  que  celle  qui 
lui  fait  face,  mais  plus  osée  et  plus  fantaisiste  avec  es 
grandes  baies  et  les  hauts  pignons  qui  la  composent. 


LA  LiEUMÈRE  PROMENADE 


29 


M.  l^squié  avisé  la  modernisation  des  styles  anciens.  Dans 
la  façade  se  distinguent  trois  parties,  symétriques  d’ailleurs 
avec  celles  de  son  vis-à-vis:  le  corps  central  et  les  deux  por- 
tions extrêmes,  qui  sont  séparés  les  uns  des  autres  par  des  pa- 
villons avancés  dont  les  pignons  hauts  de  3ü  mètres  mai’- 
quent  1 importance  dans  le  plan  de  1 auteur.  Le  porche  cen- 
tidl,  coupé  par  un  balcon  comme  celui  du  Dôme  central  de 
M.  lîouvard,  en  1N89,  est  moins  monumental  que  celui  de 
M.  Larché  et  de  conception  toute  dillerente.  Le  rez-de- 
chaussée  est  une  immense  galerie  couverte;  le  premier 
étage  est  un  passage  couvert  sur  la  partie  centrale  et  décou- 
vei  t et  entièrement  a air  libre  en  approchant  des  ailes.  Des 
balcons,  avançant  sur  le  plan  de  construction,  font  des  fenê- 
tres des  loggias  qui  rompent  très  heureusement  la  mono- 
tonie d une  si  grande  laçade.  La  ilécoration  est  aussi  abon- 
dante qu  artistique  et  lait  autant  d’honneur  aux  collahora- 
leurs  de  1 œuvre  que  le  Palais  proclame  le  grand  talent  de 
l'architecte. 

Hum!  un  peu  plus  de  vague  dans  les  souvenirs,  mur- 
mure ironiquemenl  Verdure!,  qui  ajoute  : 

Lt  maintenant,  cher  monsieur,  le  Palais  du  fond? 

— Lst  de  M.  Trapey-Bailly  et  occupe  tout  le  fond  de  l’Es- 
planade, moins  une  cour  elliptique  et  surélevée  de  P";)Ü, 
niénagée  au  centre  pour  la  perspective  du  dôme  des  Inva- 
lides. Cela  lait  que  ce  palais  se  trouve  symétriquement  par- 
tagé en  deux  corps  de  bâtiment  absolument  iilentiques.  La 
p()sition  extrême  du  palais  oblige  chacune  de  ses  deux  par- 
ties a avoir  deux  iaçades,  une  principale  sur  la  cour  ellep- 
tique  de  l’Esplanade,  l’autre  sur  la  rue  de  Grenelle.  Très 
gaie  et  très  intéressante  autant  que  mouvementée  la  com- 
position toute  éclectique  de  M.  Trapey-Bailly;  pas  de  style 
déterminé,  mais  nn  mélange  de  différents  styles  qui,  se 
tenant  bien  et  joliment  fondu  dans  un  harmonieux  ensemble, 
en  font  un  tout  absolument  agréable  et  llattenr  an  regard! 
C’est  aiœsi  qne  les  arêtes  inclinées  des  pavillons  latéranx 
lleuient  1 architecture  orientale,  tout  en  encadrant  très  heu- 
reusement des  haies  très  Benaissance  ; que  les  clochetons 
sont  composés  d’éléments  François  P"'  et  que  les  trois 
grandes  ouvertures  de  la  façade  pourraient  presque  être 
signées  du  nom  d un  des  maîtres  du  temps  du  Boi-Soleil, 


30 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


tel  le  jNIansart  de  1 Hùtel  giicrriei'  voisin...  si,  soudain,  on  ne 
découvrait  dans  le  fond  de  la  partie  centrale  une  porte  carrée 
rappelant  de  très  près  la  porte  d’amphithéâtre  de  l’Opéra- 
Garnier. 

— Alors,  c’est  du  style...  panaché. 

— Mais  charmant  par  cela  même,  en  meme  temps  que 
très  exposition,  c’est-à-dire  de  fantaisie  savante. 

— Et  la  façade  sur  la  rue  de  Grenelle  ? 

— Naturellement  plus  unie,  avec  les  grandes  lignes  plus 
marquées.  Des  clochetons  en  forment  le  motif  central  au 
lieu  de  terminer  les  ailes  comme  du  côté  Esplanade.  Le  rc/.- 
de-chaiissée, fait  de  petites  haies  en  plein  cintre,  supporte 
des  murs  pleins  oii  s’étale  joyeusement  de  la  peinture  poly- 
chrome, et  deux  robustes  pavillons  arrêtent  nettement  les 
extrémités.  En  résumé,  une  immense  somme  d’art  a été  dé- 
pensée dans  la  conception  et  rexécution  de  ces  palais  éphé- 
mères, dont  les  plans  ont  été  si  scrupuleusement  étudiés  que 
les  architectes  n’auraient  rien  eu  à y changer  si  on  les  avait 
tout  à coup  avertis  qu’ils  devaient  construire  en  pierre  leurs 
palais  soudain  destinés  à survivre  à la  Eète  dont  la  ferme- 
ture sera  leur  arrêt  de  mort...  Dois-je  maintenant  vous  dé- 
tailler les  groupes  et  classes  qui  exposent  dans  ces  palais  ^ 
Non.  n’est-ce  pas?  Nous  allons  ensemble  les  parcourir  un 
guide  en  main,  ce  qui  nous  permettra  de  ne  nous  arret('i' 
qu’aux  choses  principales...  Âh  ! j’onhliais  de  vous  signaler 
que,  derrière  ces  palais,  sous  les  vieux  arijres  respectés  de 
l’antique  Esplanade  des  Invalides,  ont  été  organisés,  en  |)lus 
de  dilfércntes  annexes,  nombre  de  centres  charmants  d at- 
traction, tels  que  : dans  l’allée  de  la  rue  de  Gonstantinc,  ics 
frtes  locales,  l’e-rpusUioii  Itrelonne  (dont  le  comité  est  présidé 
par  iM.  Guyesse,  l’ancien  ministre),  avec  sa  cliaumière  finis- 
térienne,  scs  monuments  mégalityqucs,  etc.  etc.,  la  Maison 
poitevine,  la  Maison  arlés/en/ie,  le  Mas  provençal  ; et,  du 
côté  de  la  rue  Eabert,  la  Vteille  Auvertjnc,  qui  ne  ilésemplit 
pas,  le  Carré  russe  et  le  Pavillon  des  anivres  de  C impératrice 
Marie et  dame,  j’ai  dit.  Nous  allons  passer  vivement  dans 
tout  cela,  puis  nous  prendrons  le  trottoir  roulant  qui  nous 
Iransportera  jusqu’aux 


r'IfAlMTI.’E  III 


l'ALAlS  DU  CHAMP  DE  MARS 


§ I'-'' 

CO  T K LA  ItO  L It  D(l  A N A I S 
Mines  et  Métallurgie.  — Fils  et  Ti.ssus. 

Itii  moins  (l-nno  heure  el  demie,  le  yuide  bien  nommé 
« e.\'|)res.s  » Iroiive  moyen  (h‘  l’aire  passer  en  revue  — au  ga- 
lop, il  est  vrai,  tout  comme  au  II  Juillet  à Longcliamp 
par  notre  petit  groupe  de  visiteurs  la  plupart  des  merveilles 
entassées  dans  le  l'alais  des  Invalides  |)ar  les  grands  artistes, 
grandes  manuraetures,  grands  magasins,  fabricants  fameux’ 
tapissiers  renommés  du  .Monde  entier.  A peine  leur  a-t-ii 
été  permis  de  consacrer  exceptionnellement  quelques  mi- 
nutes H la  carte  de  France  en  marbre,  pieiTcs  précieuses, 
diamant,  or  et  platine,  cadeau  somptuaire  de  S.  iM.  l'Empe- 
reur de  Russie,  que  les  voilà  embarqués  sur  le  trottoir,  pour 
arriver,  sur  le  coup  de  deux  heures  et  demie,  au  seuil  du 
Champ  de  .Mars. 

loujours  trottinant,  Trottecourt  fait  passer  son  monde 
smis  la  lotir  hdllel  et  1 arrête  aussitôt  que  celle-ci  est 
déqiasséi*. 

— bicoutez,  commande-t-il  en  tendant  sa  baguette  vers  le 
premier  Calais  de  gauebe,  qui  (>st  celui  des  Mlxls  lt  ue  lv 
IMltalllucie. 


32 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Un  carillon  ! s’écrie  M™  Flore  en  tendant  l’oreille, 
geste  bien  inutile,  car,  quoique  le  vent  souflle  léger  de  l’Ouest, 
entraînant  le  son  dans  la  direction  des  Invalides,  le  jeu  de 
cloches  retentit  avec  une  puissance  à peine  adoucie. 

— Ce  carillon,  déclare  le  guide,  est  placé  dans  le  campa- 

nile que  vous  voyez  au-dessus  du  porche  en  pan  coupé  du 
Palais  des  Mines  et  de  la  Métallurgie.  11  se  compose  de 
32  notes,  c’est-à-dire  de  32  cloches,  dont  la  plus  petite  a 
1!)  centimètres  de  diamètre  et  pèse  i kilos,  alors  que  la  plus 
grosse  atteint  le  poids  respectable  de  840  kilos,  avec  un  dia- 
mètre de  1 12. 

Oh  ! sollicite  M™“  Flore,  que  c’est  joli  à entendre  ! F.st- 

ce  que  nous  n’allons  pas  rester  là  pour  écouter  quehjues 
airs  ? 

— Impossible,  madame  : mon  programme  interdit  toute 
perte  de  temps.  Aussi  ai-je,  sans  surseoir,  l’honneur  do  vous 
présenter  ce  Palais,  œuvre  de  M.  Varcollier,  jeune  et  émi- 
nent architecte,  né  à Paris  en  1804,  de  M.  Varcollier,  qui 
est  le  fils  de  son  père. 

Naturellement!  s’écrie  Bertrande  en  éclatant  de  rire, 

hilarité  que  Fonde  d'icelle  partage  de  tranche  manière. 

— Je  comprends  parfaitement  ce  que  monsieur  veut  dire, 
déclare  avec  gravité  le  solennel  farinier.  Le  père  de  cet  ar- 
chitecte est  sans  doute  architecte  lui-même,  et... 

— Etait,  hélas  ! monsieur,  poursuit  impertuablement  le 
guide-spécialiste,  car  le  lils  en  deuil  a dû  achever  la  magni- 
fique mairie  parisienne  du  18™“  arrondissement  que  con- 
struisait le  père,  un  des  maîtres  du  grand  art  architectural. 
M.  Varcollier,  Fauteur  de  ce  Palais  d'exposition,  est  un  an- 
cien élève  de  l’Ecole  des  Beau.x-Arts,  Second  Grand  Prix  de 
Borne  en  181)0,  pour  lequel  il  fut  quatre  fois  logisfe.  Il  a ob- 
tenu une  2™“  médaille  au  Salon  de  181).o.  11  s’est  vu  attribuer 
une  4™“  prime  au  concours  pour  l’ensemble  de  l’Exposition 
et  a remporté  une  première  prime,  avec  M.  Louvet,  au  con- 
cours pour  le  Grand  Palais  des  Champs-Elysées.  Choisi  par 
M.  Bouvard,  en  mars  189.'),  pour  collaborer  au  plan  délinitif 
de  la  Grande  Fête  du  Travail  du  Génie  humain,  il  a été 
chargé  d’élever  ce  Palais  des  Mines  et  de  la  Métallurgie.  11 
est,  de  plus,  attaché  au  Service  d’Architecturc  de  la  Ville 
de  Paris. 


LA  DLRMÈnE  PROMENADE 


33 


— Mes  compliments,  monsieur,  pour  votre  excellente 
mémoire. 

— Il  y a,  comme  cela,  certaines  biographies  que  je  retiens 
très  bien.  Cela  donne  du  mat  ù apprendre,  maisj  une  fois 
que  c'est  su...  Hum  !...  si 
je  fais  des  digressions,  je 
n'arriverai  pas  en  temps 
au  bout  de  mon  chapelet. 

Donc,  passons  à rouivrc 
que  vous  avez  sous  les 
yeux. 

— Cela  me  paraît  très 
lieau.  Cela  a quelque  chose 
du  grand  air  des  basiliques. 

— .l'allais  vous  le  dire. 

La  façade,  qui  a !J6  mètres 
sur  le  Champ  de  Mars  et 
7b  mètres  sur  la  Seine,  est 
imposante  en  sa  grande 
sobrié té  d'ornementation. 

Le  porche  monumental,  par 
exemple,  est  très  orné  : ce 
ne  sont,  sur  le  cintre  du 
portait  vitré,  que  blasons  et 
lleui'ons  ; des  rosaces,  des 
trèdes,  des  spirales  courent 
noblement  siir  toute  la  longueur  de  la  frise.  Les  tourelles  que 
vous  voyez  de  chaque  côté  du  porche  servent  de  logement 
aux  escaliers,  et  un  dôme  massif,  d'une  ligne  lièi'o,  coiffe  le 
porche  comme  d'une  tiare.  C’est  un  cadre  digne  de  la  belle 
exposition  d'ordre  sévère  qui  y est  contenue...  Avançons, 
je  vous  prie. 

— Cour  voir  le  Palais  voisin? 

Oui.  C'est  celui  des  « Fils,  Tissus  et  Vêtements  ».  11 


M.  RLAVEÏTE 

ARCHITECTE  DU  PALAIS  DES  FILS, 
TLSSUS  ET  VÊTEMENTS. 


est  immense,  ayant  281'>'4Ü  de  façade  sur  130  mètres  de 


profondeur... 

Total  : 3b, .582  mètres  carrés  de  supeiTicie,  calcule 
triomphalement  Bêchard. 

I héobahl  rrottecourt  s’incline,  émerveillé  d’une  si  grande 
faculté  calculatrice,  et  se  hâte  de  poursuivre,  pour...  ne  pas 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


:n 


perdre  le  fil,  ce  qui  eùL  été  douldemeni  ironique  à propos 
du  temple  industriel  élevé  eux  fils  et  à leurs  succédanés  les 
tissus  et  les  vélorneuts. 

— L’élaboration  et  la  construction  de  ce  gigantesque 
palais  ont  été  confiées  [)ar  l'Administration  de  l’Lxposilion 
à l'un  des  architectes  les  plus  haut  côtés  de  Paris,  M.  Victor- 
Auguste  Blavette,  né  à Brains  (Sarthe),  le  4 octobre  VStiO, 
Grand  Prix  de  Borne  de  1871),  architecte  des  Bàliments 
civils,  artiste  Hors  Concours,  étant  titulaire  d’une  deuxième 
et  d’une  première  médaille  au  Salon,  médaille  d’or  de  l'Ex- 
position Universelle  de  1881),  enlin  chevalier  de  la  Légion 
d’IIonneni'  depuis  onze  ans  et  ol'licier  de  l’Instruction  Publi- 
que. fiomo  ! 

— Voilà  de  beaux  états  de  services,  constate  avec  admi- 
ration Verduret,  ce  qui  tait  hausser  d’impatience  les  épanh's 
de  Bècbard  à qui  l’éloge  d’autrui,  meme  par  simple  consta- 
tation d('  mérités  succès,  est  toujours  désagréable. 

— Ce  Palais  des  Fils,  Tissus  et  Vêtements,  poursuit 
hâtivement  le  ciceroiie,  est  travei'sé  dans  toute  sa  largeur 
par  le  Vestibule'  Bapp,  donnant  sur  la  porte  du  môme  nom, 
une  des  |)lns  tréquontées  par  le  public  de  11)00  comme  par 
celui  de  1881).  Le  Palais  comprend  à l’intérieur. sept  galeries 
parallèles  à l'axe  longitudinal.  La  galerie  centrale  et  le  Ves- 
tibule Bapp  SC  rencontrent  dans  un  pavillon  carré,  de 
4u  mètres  de  côté  et  de  hauteur  scnsiblenKmt  égale, 
qui  abrite  les  deux  escaliers  principaux.  L’ensemble  d('  la 
construction  est  on  acier,  resté  apparent  à l’intérieur  ainsi 
que  la  charpente  légère  soutenant  la  couverture,  tandis  qu’à 
l’extérieur  elle  est  recouverte  d’une  décoration  en  plâtre  et 
stair.  La  façade  présente  sur  le  Champ  de  j\Iars  un  porti(jue 
à deux  étages  servant  de  promenoir  couvert  et  donnant 
accès  aux  restaurants  installés  entre  le  promenoir  et  les 
galeries.  Le  rez-de-chaussée  est  recouvert  par  un  immense 
plancher  en  acier  et  ciment  armé;  le  premier  étage  l’est 
par  des  voûtes  entièrement  illustrées  de  maîtresses  pein- 
tures. iM.  Blavette  s’est  de  préférence  appliqué  à décorer  les 
deux  portes  du  Vestibule  Rapp  qui  donnent  l’une  sur  l'ave- 
mie  de  La  Bourdonnais,  l'antre  sur  le  Jardin  du  Champ  de 
Mars,  ainsi  que  le  pavillon  circulaire  qui  se  trouve  sur  ce 
jardin,  à la  jonction  du  l^alais  avec  celui  des  Mines  et  de  la 


É1 


LA  DERN’ILUL  PROMENADE 


Mélalliirgio  ; mallKiurouscmpiil,  la  décoralion  do  la  porlc 
Happ  osl,  prosqiie  complMcmonl,  nias(|ii('‘('  par  les  coiislriic- 
lions  do  la  Compagnie  d(!s  Transports  l'declriqnes.  L’en- 
semlde  de  la  décoration  est  inspiré  du  style  Louis  XV,  et  le 
l’alais,  en  général,  a un  grand  caractère' de  simplicité:  les 
travées  courantes,  sur  le  Chani|)  d(;  Mars  et  sur  l’avenue  de 
La  liourdomiais  ont  etc  traitées  avec  la  plus  grande  soLriété, 
et  le  ton  de  pierre  a été  adoplé  pour  toutes  les  parties  en 
plâtre.  La  décoration  ext('rieure  est  uniquemeiit  rehauss(a> 
luardes  inscriptions  en  lettres  dorées.  Il  ne  s ensuit  pas  que 
M.  |{lav('tte,  n ait  pas  eu  le  |)lus  heureux  et  le  plus  judicieux 
l’ecours  au  talent  des  statuaires  : c’est  à M.  Caly  qu’il  a 
dmnandé  les  deux  ligures  de  haut  goût  qui  accompagnent  le 
Irontondu  pavillon  circulaire;  àM.  Houssin,  les  deux  autres 
des  campanih‘s  de  la  porte  centrale  sur  le  jardin  ; à M.  Chré- 
tien les  deux  micore  des  campaniles  semhlaldes  situés  sur 
l’avenue  de  La  Bourdonnais  ; les  ligures  des  cartouches  cou- 
ronnant les  grandes  portes  sont  de  M.  Leysalle;  l’exti'rieur 
du  pavillon  circulaire  a été  ornementé  ])ar  M.  Aimeras  et 
rintérieur  par  M.  Millet;  M.  Lemesie  s’est  chargé  des  tra- 
vées courantes  et  du  motif  central  sur  le  jardin,  et,  avec 
M.  Milhd,  de  la  porte  Bapp.  La  décoration  picturale  des 
voûtes  est  de  M.  Tayau  sur  le  jardin  et  de  M.  l'oèllcux- 
Saiiit-Ange  pour  la  jiorte  Bapp.  .l'ajouterai,  messieurs  et 
danu's,  que  I éminent  architecte  auteur  de  ce  très  heau  palais 
a eu  pour  collaborateurs  directs,  travaillant  avec  h'  plus 
entier  et  le  jilus  artistique  dévouement  sous  ses  ordres, 
M.  Henri  (uiutier,  son  inspecteur,  et  ses  sous-inspecteurs, 
MM.  Bousseau,  .larlac  et  Lihuite/...  et  aussi  que  la  dépense 
totale  du  Palais  s’élève  à la  somnn'  de  :t,.’i00,00()  francs,  ce 
qui  équivaut  a peu  près  à !J.'i  francs  par  mètre  superticiel  de 
construction. 

Mais,  c’est  pour  rien,  même  pour  une  construction 
provisoire!  s’écrie  tout  ébahi  Verdurct  qui,  en  qualité  de 
propriétaire,  sait  le  prix  des  choses. 

Je  ne  suis  pas  compétent  sous  ce  rapport,  déclare  mo- 
ilestemcnt  I’  « Exjmess-universel  spécialiste  » qui,  évidem- 
ment, n a jamais  tait  bâtir...  Mais  laissez-moi  finir  en  vous 
indiquant  (|ue  les  principales  installations  françaises  dans  ce 
Palais  sont  l’œuvre  di  ' 


-s 


m 


« 


r 


^ Le  Palais  des  Fils,  Tisses  et  Vi-'tements. 

les  Fils  (le  soie,  lame  et  coton;  Pascalon,  enfin,  pour  l’Fx- 

position  lyonnaise.  Ceci  dit,  messieurs  et  dames,  passons 
JO  vous  prie  an 


Pai.ais  des  Fils,  Tissus  et  VÈTEME^'l■s. 


§ Il 

FOND  DF  en  AMI’  DF  M A I!  S 


Salle  des  Illusions.  — Palais  de  la  Mécanique.  — Salle  des  Fêtes. 
Palais  des  Industries  cliindques. 

— Ce  qui  tout  d’abord  tire  l’ndl  du  visiteur,  nu  fond  du 
(.liamp  de  Mars,  c’est  le  Château  d’biau. 

— Un  aimable  centenaire  nous  en  a dit  à ce  sujet  certai- 


LA  DERMÉni-:  l'ROMENADE 


39 


71  on 


savez  A'Ous-mème. 


noniont  lioaiiconp  plus  que  vous 
Doue,  là  aali’e  chose. 

De  Palais  de  l’iÀlectricilé... 

— l.oiht  ceuteuaii-e,  docte  et  couihien  couplaisaut,  nous 
I a explique  eu  détaiD 

eoiupris  la  « Sat.i.e  des  Ii.i.esioxs?  d 
Je  ue  me  souviens  pas... 

— Oh!  il  faudra  voi7-c.da.  Une  salle  polygonale,  toute  eu 
J,  <7ces,  ou  I Dnehautcur  lleuaial,  par  le  ieu  de  milliei's  de 
lampes  a lucaudesceuce  de  tous  les  tons' de  la  gamme  des 
cou  cui’s,  fait  pousser  aux  spectateurs  euthousi;istes  des  cla- 
meurs d .admiiaitiou  à l’apparition  de  successifs  Palais  de 
magie,  t<ds  qoe  u’eùt  pu  les  7-èver  rimagiuatiou  de  dix 
Sh(hera/,ade  i-u  dix  lois  nulle  et  une  nuits.  C’est  l’idéale 
leiu'ie  de  la  science. 

veille  emitenaire  ne  nous  a pas  monti’é  cette  mei'- 

— Ihir  la^  iaiison  majeiii-e  qu’en  ces  joui’s  voisins  de  l’ou- 
vei  ture  de  Dxposilion,  cett(>  merveille,  ce  « clou  » de  pre- 
.i.7é7'e  grau,  eur  n est  pas  encore  accessible  au  public.  Si  je 
vems  en  paiJe  c est  que  j’ai  pu  assister  hier  à u,l  essai  qui  a 
01.^771  triomphe  Le  public  y srn-a  admis  sons  peu  de  jours 

farinier"  mi  peu  aigrement  le 

— Abus  rien,  puisque  c’est  une.  « alti-action  officielle  » 

entiu  îr^tr'  vouiez-vous  que  l’on  s’y  7>econnaisse 

mtift  les  atti-actions  qui  sont  oflicielles  et  celles  ,7ui  ne 
1 etant^pas,  sont  payantes!...  Tout  est  inélaiigcî! 

— Pardon  monsieur,  mais  si  nous  discutons  nous  n’au- 
lons  pins  le  t.mips  ,1e  remplir  mon  programme,  et  j’y  mets 

— Non. 

— Eh  bien,  sachez  que  ce  Palais,  œuvre  de  M.  Paulin 

L architecte  ,lu  Château  d’Eau?  (»n  nous  a parlé  de  lui 
a propos  de  son  Palais  des  Ondes  lumineuses. 

— Parfait.  Je  n’ai  donc  plus  à vous  faire  remarquer  que 

1 S 'i'"  hgauL 

façade'  est  1 "7’  servent  ,1e 

ta.,a,le,  est  le  plus  eleve  de  tous,  si  son  éten,lue  est  bien 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


10 


moindre  que  celle  de  la  célMjro  (lalerie  des  Machines 
de  IS(S!).  11  se  compose  de  deux  longues  galeries  ahmüissant 
à l’avenne  de  lai  Bourdonnais,  et  deux  beaux  escaliers  cou- 


le Palais  iik  i.a  Mécanhjliî. 


dnisantau  premier  étage.  Ba  décoration  en  est  simple,  toute 
en  lignes  courbes  et  voussures,  et...  dame,  puisqu  on  vous 
a déjà  parlé  de  la  façade,  je  vois  plus  trop... 

— Je  vois,  moi,  fait  en  souriant  Vcrduret  que  vous  voda 


LA  1)1':MN1]CRK  PIIOMKNAIIE 


uu  boni  (1  un  tles  fumeux  u Irons  » que  vous  appj'éhemlioz 
tout  a I heure.  Suivons  doue  le  conseil  dn  curé  : sautons  ! 

I>t  ce  saut  nous  conduit,  monsieur — qui  voulez  bien 


ctre  SI  aimablement  indulgent  — à cette  galerie  géante  et 

^ 'iiiracle  de  188!),  la  Tour 

Jnllcl  étant  le  premier,  ce  saut  umis  conduit,  dis-je  à ce 
majestueux  tour  de  force  de  M.  Dutert,  auquel  a collabore 


A TRAVERS  l' EXPOSITION 


Ï2 


M.  llénard,  c'est-à-dire  à l'immense  ancien  Palais  des  i\la- 
chines,  devenue  le  Parais  de  e’Aoricultlre  et  de  l’Alimenv 

TATION. 

— OÙ  se  trouve  la  Salle  des  Fêtes? 

— Précisément.  Le  grand  artiste  chargé  de  la  translor- 
mation  — intérieure,  car  rextériciir  est  masqué  par  le 
l'alais  de  l’Electricité  et  ses  dépendances  — de  l’ancien 
Palais  des  Machines,  est  lui-même  nn  Ancien  de  l'architec- 
ture et  des  expositions.  C’est  M.  Gustave  Raulin  qu’il  se 
nomme,  nn  Parisien  de  Paris,  arborant  « à l’artiste  » la  che- 
velure mérovingienne,  la  forte  moustache  retroussée  sur 
une  belle  barbe  se  séparant,  sur  sa  poitrine,  en  deux  poin- 
tes. C’est  un  probe  et  nn  modeste  : chevalier  de  la  Légion 
d’honneur  depuis  l’Exposition  de  1878,  ce  n’est  qu’au  mois 
d’avril  1899  qu’il  a vu  son  ruban  se  changer  en  rosette;  il 
en  est  ainsi  des  talents  qui  se  contentent  dignement  d’être 
de  grands  talents.  Brillant  élève  de  l’Ecole  des  Beaux-Arts, 
dont  il  est  maintenant  un  des  professeurs  les  plus  estimés, 
il  a été  inspecteur  à l’Opéra,  puis  premier  inspecteur  au 
Trocadéro.  C’est  lui  qui- a construit  le  Palais  des  Produits 
alimentaires  de  1889,  et  il  était  tout  indiqué  qu  il  fit  partie, 
en  19Ü0,  de  la  plupart  des  jurys  et  comités  pour  les  con- 
cours de  cette  présente  ex|»osition  universelle. 

— A la  bonne  heure,  enfin,  approuve  Bcchard  : jusqu’ici 
vraiment,  il  semblait  qn’on  ait  fait  la  gageure  de  ne  s'adres- 
ser qu’à  des  architectes  n’ayant  pas  dépassé  la  quarantaine, 
autant  dire  des  talents  au  maillot?  C’était  révoltant  à penser 
quand  on  a quelque  peu  contourné  ce  promontoire  de  la 
vie,  comme  dirait  mon  ami  Verduret,  qui  aime  tant  a iaire 
des  phrases  ! 

— Fi  ! fait  en  riant  Bertrande,  des  pierres  dans  le  jardin 
de  mon  oncle  !...  11  n’est  pourtant  pas  tout  à lait  un  de  ces 
jeunes  hommes  dont  vous  vous  déclarez  l’ennemi...  Mais, 
voici  qu’à  mon  tour  je  désespère  monsieur  notre  cicerone. 
Continuez,  monsieur  ïrottecourt  : je  me  tais. 

— Vous  connaissez,  poursuit  le  dit  Théohald,  les  énormes 
dimensions  de  cet  cx-Palais  des  Machines,  une  salle  gigan- 
tesque de  i2(l  mètres  de  long  sur  14ô  mètres  de  large  et  i-i 
mètres  de  hauteur.  M.  Raulin  1 a partagée  en  trois  sections 
inégales.  Les  deux  sections  formant  les  ailes,  un  peu  plus 


t/A  DKKNIKnii  l’RO.AIEXADE 


petites,  n ont  siilii  que  les  peu  imporlunts  cliungements  né- 
cessites par  les  installations  de  riAxposition  très  pittorcsiiue 
< e 1 af^Ticnlture  et  de  l'alimentalion  (l-Vancc,  côté  La  Bour- 
donnais ~ Etranger,  côte  Suirren),  telles  que  la  Pavillon  du 
\ in  de  Llianipagnc,  le  diorama  d'un  vignoble,  le  .Musée  ré- 
trospectil,  le  Pavillon  de  la  Brasserie,  les  l'roinagerics,  le 
chalet  de  1 induslrie  laitière,  les  curieux  Pavillons  des  Puis- 
sances étrangères,  les  scènes  avec  décors  de  l’.-Vssistance 
ubliquc  aux  champs,  etc.,  etc.  Il  n'en  a pas  été  de  même 
i c la  partie  centrale,  où  JM.  Baulin  a aménagé  sa  superbe 
. ALU-:  UES  Eètes,  véritable  tour  do  force  architectural.  Dans 
un  rectangle  de  1115  mètres  sur  142  de  côtes,  est  inscrite 
une  colossale  voûte  circulaire  de  9Ü  mètres  de  diamètre 
sujiportée  par  huit  grands  pylônes  en  fer  (poids  lü,0ü()  kilos) 
et  huit  pi  lers  de  moitié  plus  légers.  Sous  la  voûte,  d’où 
tombe  la  lumière,  est  une  piste  planchéiée  de  même  dia- 
mètre, autour  de  laquelle  s’élèvent  des  gradins  et  les  loges 
emplissant  1 espace  compris  entre  le  cercle  et  le  rectangle 
Le  te  salle,  qui  peut  contenir  14,000  personnes  et  dont  la 
richesse  (1  ornementation  est  inouïe,  est  décorée  par  les 
•miutres  du  jnnceau  apportant  le  concours  de  leur  haut  talent 
a I œuvre  d un  maître  de  l’équerre.  Les  triptyques  de  la 
voûte  sont  de  .M.M . Lormon,  bda meng,  .Maignan  et  Boebegrosse 
.jui  dans  des  compositions  de  plus  de  20  mètres  de  hauteur 

lu  le  premier  : la 

bee  l'dectricité,  le  Génie  Civil,  les  modes  do  transport  et  de 

ücomotion,  le  labeur  dos  mines,  l'histoire  du  charbon  et  le 
ravail  de  la  mélallurgio  ; le  deuxième:  les  industries 
(meuble,  velement)  h travers  les  siècles,  et  l’histoire  du  lil 
de^la  soie,  du  coton,  du  tissu,  de  l'étolfe,  ainsi  que  des 
muustnes  cliinuques;  le  troisième  : l’agriculture  et  l’horti- 
culture, en  même  temps  que  les  forcis,  chasses  et  pêches 
en  un  paysage  sylvestre  où  vivent  puissamment  fauve,  dore' 
chasseurs  et  pêcheurs,  sous  un  doux  soleil  do  fructidor;  lé 
quatrième  :1  économie  sociale,  la  l’rance  lointaine,  l’Em- 
pire colonial,  1 armée  nationale,  c'est-à-dire  la  Nation  armée 
pour  la  c elense  du  Droit  et  de  la  Justice,  et  représentée 
pal  le  soldat  et  par  le  marin. 

iMais,  c est  toute  l’Exjiosition  ! 

— lout  à 1 heure,  vous  direz  que  c’est  tout  l’Enivers  : 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


écoutez.  Dans  les  quatre  grandes  voussures  sont  des  panneaux 
desquatre  saisons,  de  MM.  Maillard  (été),  Hirsch  (printemps), 
Surand  (automne)  et  Thirion  (hiver).  Dans  les  voussures 
secondaires,  les  mois  : H''  trimestre,  M.  Mengin  ; M. 
Berges;  3™®,  )M.  Tournier;  4"’'^,  M.  Sauvage.  Puis,  c’est,  dans 
les  retombées  de  la  voûte,  les  usages  des  peuples  anciens,  au- 
dessus  des  tribunes  des  quatre  points  cardinau.x,  les  contrées 
arctiques,  de  M.  Motte  (le  Nord),  le  désert  et  la  brousse, 
de  MM.  Biessy  et  Bégaux  (le  Sud),  les  montagnes  d'Asie,  des 
deux  Laurens  (l'Est),  la  mer  et  la  prairie  américaine,  de 
M.M.  Thibaudeau  et  Courtois  (TDuest)...  Puis  tout  le  reste, 
ornant  tribunes  et  vestibules,  par  une  pléiade  de  beaux 
talents.  Et  la  sculpture  donc!  Les  bas-reliefs  de  M.  Barreau 
(la  mécanique);  de  (M.  Leroux  (éducation,  enseignement, 
littérature,  philosophie);  de  M.  Massiglier  (peinture,  sculp- 
ture, architecture,  gravure)  ; deM.  Bolard  (matliématliiques, 
science  des  sons,  médecine,  chirurgie,  reproduction  scien- 
litiquc).  Aux  escalici's,  les  groupes  de  rensemcncement  et 
de  la  récolte  (M.  Debric)  ; du  laitage  et  de  la  vendange 
(M.  Aube).  Sur  les  styles  des  pylônes,  la  bière,  le  vin,  les 
liqueurs  et  les  i)lantcs  cultivées,  symbolysées  par  M"®  Basse,' 
MM.  Hubert,  Pallez  et  Salières.  Enfin,  le  clou  sculptural 
pittoi'csque,  la  représentation  par  trente-six  statues  de  2'" 50, 
des  trente-six  nations  exposantes.  J ajouterai  qu  exteriein  e- 
ment  trois  groupes,  de  MM.  Perrin,  Dubois  et  Captier,  dé- 
corent la  façade,  et  que  la  salle  est  éclairée  par  4,500  lampes 
à incandescence...  Voilà. 

— C’est  merveilleux  ! s’écrie  Verduret,  justement  enthou- 
siasmé i)ar  cette  description...  Et  tous  mes  compliments, 
cette  fois,  à la  mémoire  du  cicerone. 

— Ah  bien  ! fait  celui-ci,  si  je  ne  savais  pas  sur  le  bout 
du  doigt  ma  Salle  des  Pètes,  je  n aurais  qu  à rendre  ma  ba- 
guette, pas  vrai?  Ça,  dépêchons,  je  vous  prie;  laissez-moi 
vous  dire  un  mot  du  Palais  des  Ixdlsiries  ciiimiocies,  que 
j’envisage  comme  faisant  partie  du  tond  du  Champ  de  Mars 
(comme  le  Palais  de  la  Mécanique,  son  pendant  d en  face), 
parce  qu  il  a pour  façade  les  loggias  de  droite  du  Château 
d Eau,  qu’on  ne  peut  pas  accuser  de  ne  pas  appartenir  a la 
région  « du  fond  ».  C’est  une  idée  à moi,  histoire  de  ne  pas 
être  de  l’avis  de  tout  le  monde.  Donc  ce  Palais,  symétrique 


ki^ÊÊL: 


LA  DERNIÈRE  PROMENADE 


45 


de  celui  de  la  .Mécanique,  est  également  du  meme  auteur. 
Ces  deux  Palais  en  vis-à-vis,  dépendant  on  somme  du  Château 
(FEau,  devaient  naturellement  être  construits  par  M.  Paulin, 
liien,  donc,  a vous  dire  de  rextéricur,  puisque  sa  façade  est 
identique  a 1 autj'c  ; et  quant  à l’intérieur,  vous  savez  ce 
(]ue.  c’est...  construction  en  fermes  d’acier...  des  galeries... 
des... 

— Hrcf,  il  nous  faut  encore 

— Oui,  s’il  vous  plaît,  au 


.ii  I 


.s 


C 0 T É S E E r’  R E X 

Palai.s  du  Génie  civil.  — Palais  des  Arts  libéraux. 


De  ce  côté,  messieurs  et  dames,  en  continuant  de  des- 
cendre vers  la  Seine,  voici  deux  Palais  faisant  pendant  à 
ceux  du  côté  La  Bourdonnais  : un  grand,  celui  du  Génie 
civil,  symétrique  du  Palais  des  Fils,  Tissus  et  Vêtements 
dont  je  vous  ai  parlé  tout  a l'heure,  et,  plus  petit,  celui  de 
1 lAuseignement,  Lettres,  Sciences  et  Arts,  autrement  et  plus 
commodément  dit  « des  Arts  libéraux  »,  symétjaquc  du 
Palais  des  IMines  et  de  la  Métallurgie  où  perche  le  carillon. 
Parlons  d’abord  du  Palais  du  Génie  civil  et  des  Moyens 
DE  Tra.nsport.  . . 

- Oue  laites-vous  donc.^  demande  \ erduret  en  voyant 
h.xpress-universel  spécialiste  » chercher  liévreusement 
dans  toutes  scs  jioches. 

Attendez...  il  me  semble  me  souvenir  que  j’avais  mis 
à part,  a propos  de  ce  Palais  du  Génie  civil... 

— Des  notes? 

Non,  un  article  de  M.  Badin,  [uiblié  tout  récemment 
dans  le  Momleur  de  PJOü,  et  qui  m’éviterait  d'avoir  à faire 
do  nouveaux  etforts  de  mémoire. 


Et  à nous,  probablement,  le  désagrément  d’avoir  ù 


suivre  uîie  lois  de  plus  le  « conseil  du  curé  »... 
vous  ? 


f 


46 


A TRAVEUS  l’exposition 


— Le  voici  : voyez. 

— jMais,  cet  article  a huit  colonnes  ! Est-ce  que  vous 
allez  nous  le  lire  en  entier? 

— Ce  serait  contiTiire  à mes  principes  de  célérité.  Je  vais 
simplement  vous  le  résumer,  le  texte  sous  les  yeux.  Le. 
Palais  du  Génie  civil  et  des  iMoycns  de  lrans[)ort  est  de 
iM.  Jacques  llermant,  si  hautement  apprécié  de  quiconque  a. 
suivi  le  mouvement  artistique  depuis  l’Exposition  de  LSSit 
où,  débutant  alors,  il  avait  construit  le  ravissant  Pavillon 
Louis  XV  des  Pashdlistes.  Depuis,  on  le  reti-ouvc  dans  tou- 
tes les  expositions  universelles  étrangères,  en  particulier 
celle  de  Chicago  où  il  a installé  toute  la  Section  française 
qui  y eut  tant  de  succès.  C’est  en  étudiant  comparativement 
aux  nôtres  les  procédés  de  construction  américaine  qu’il 
s’est  fait  de  l’emploi  du  fer  une  conception  1res  'j)ersonrielle 
qui  fait  de  ce  Palais  du  Génie  civil  un  modèle  presque 
aussi  intéressant,  là  des  titres  divers,  que  la  fameuse  Gale- 
rie des  iNlachines  de  LS81J.  Il  s'est  servi  de  petites  fermes 
comme  point  d'appui  pour  lancer  les  fermes  des  galeries 
de  27  mètres,  absolument  dans  le  vide,  en  porte-à-faiix  et 
non  seulement  ne  se  rejoignant  pas,  mais  supportant  sur 
leurs  exirémités  sur[)lombantes  le  poids  d'un  lanterneau. 
Sa  construction  est  une  dentelle  de  fer,  d'une  légèi’eté 
inouïe,  et  reposant  sur  le  principe  de  bras  de  levier  égaux 
jetés  dans  le  vide  et  se  faisant  contrepoids  par  rapport  au 
point  d'appui  axial,  procédé  absolument  nouveau  et  excel- 
lemment scientifique.  Son  Palais,  élevé  pour  abriter  des 
pièces  de  la  dimension  de  locomotives,  vagons,  teuf-teufs  — 
que  l'on  a relégués  ultérieurement  à l’Annexe  de  Vincen- 
nes  — devait  allier  à l’élégance  de  l’ensemble  l'idée  de 
force  et  de  massivité  en  rapport  avec  les  masses  qu’il 
était  destiné  à l'occvoir.  C'est  à ce  souci  que  répond 
le  porche  central,  haute  silhouette  carrée,  bien  assise,  en 
avant-corps  sur  les  deux  ailes  du  Palais  et  les  dépassant  en 
hauteur,  creusée  d'un  arc  géant,  de  20  mètres  de  haut,  dont 
le  fond  s'arrondit  en  niche.  Deux  pieds-droits  légers,  cou- 
ronnés de  campaniles  à loggia,  calcul^  pour  employer 
l'expression  d’ateliers,  ce  motif  central  si  joliment  illuminé 
le  soir.  De  chaque  côté,  deux  files  de  portiques  superposés, 
rez-dc-chausscc  et  premier,  selon  la  règle  commune  pour 


tous  les  Palais  du  Champ  do  Mars  et  que  M.  llcrmant  a mo- 
dernisée on  décorant  les  pieds-droits  (h's  arcades  de  has- 
reliels  rej)résentant  les  (c  ouvriers  dn  penie  civil  et  de  tous 
les  mo^ ens  tle  transport  ».  La  destination  du  moiuiment 
est  accusée  encore  par  la  frise  du  sculpteur  André  Allai-, 
tlont  le  thème  est  Lhistorique  intéressant  des  moyens  de 
transport. 


Les  laqades  sont 


èrement  polychi'omos...  ]/une  des 


parties  auxquelles  rarchitectc  attachait,  je,  crois,  le  plus 
d importance,  en  raison  de  la  dilïiculté  vaincue,  c’était  la 
lantei-uo  ou  tonj'ello  d’angle  qui  raccorde  son  Palais  au 
Palais  voisin  des  Arts,  Sciences  et  Lettres,  et  qui  donne  à 
la  lois  accès  aux  deux  monnments.  Quant  aux  autres  motifs 
sculpturaux,  voici,  sur  le  Pavillon  d’angle,  deux  heaiix 
groupes  de  M.  llaniiaux  montrant  d'une  part  « rintelligence 
conduisant  1 homme  a la  lortune  »,  d’antre  part  c l’Instruc- 
tion révélant  à riiomme  son  intelligence  ».  Sur  les  tympans, 
les  ligures  de  la  Vapeur  et  de  la  Chimie,  encadrant  la  date 
LSOÜ,  symbolisant  le  xviiP  siècle,  i-t  les  hgures  de  la  Méca- 
nique et  de  1 LIccti'icité  personnitiaiit,  autour  de  la,  date 
l'JhO,  les  merveilleux  jirogrès  scienliliques  du  xix'^’  siècle. 
M.  Jacques  llermant,  qui  a eu  pour  dévoués  et  savants  colla- 
horateurs  ses  inspecteurs,  MM.  les  architectes  Daydé,  et 
l'illé,  est  un  artiste  complet,  dans  tonte  l'étendue  du  mol. 
car,  à line  science  consommée,  il  ajoute  l’art  d’exjirimer  la 
horce  comme  la  Grâce  et  comme  la  Heanté.  De  ce  triple 
don,  il  n avait  prouvé  que  les  deux  derniers  jnsqu’an  jour 
où  il  a construit  ce  monument  impeccable  et  (l'nne  si  mâle 
imissance  d expression  qnest,  à Paris,  la  superbe  Caserne 
des  Célestiiis...  Et  il  n a pas  encore  atteint  l’àge  mûr  si 
piopice  à 1 enfantement  des  chcls-d’œiivre  ! » 

Le  larinier  quiii(|nagénaire  hausse  les  yeux  vers  le  ciel, 
comme  pour  le  prendre  à lémoin  de  sa  jalouse  (irotestation 
contre  l'armée  de  jeunes  gloires  artistiques  qui  triomphe  en 
cette  Exposition  de  PtOO. 

Le  <(  gu ide-ex[iress  » poursuit  : 

— Et  maintenant,  je  termine  le  croquis  des  grands  palais 
d exposition  du  Champ  de  Mars  en  vous  racontant  le  Palais 
im  L EuUCATIOX,  ENSLmXÇ.MEXT,  IxSTHLME.M'S  KT  PliOCÉllÉS  UÉXÉ- 
HAUX  IJES  LeTTUES,  DES  SciEXCES  E'I  DES  ArTS. 


ff 


ùi  K 


^11 


50 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— Diable  de  titre,  récriniiiie  Bècliard  ; il  est  aussi  long’ 
que  la  route  de  Paris  à Essonnes. 

— Aussi  le  public,  grand  simplilicateur,  rappcllc-t-il  le 
((  Palais  des  Arts  libéraux  »,  puisque  aussi  bien  il  a le 
même  objet  que  celui  qui  portait  ce  nom  en  1889.  Donc, 
messieurs  et  dames,  ce  palais  si  joliment  fantaisiste,  oîi  fra- 
ternisent de  façon  si  harmonieuse  et  audacieusement  co- 
quette presque  tous  les  styles  architecturaux,  depuis  l'anti- 
que grec,  le  grave  et  religieux  gothique  jusqu’aux  genres 
Uenaissance,  liococo  et  Moderne,  est  de  M.  Louis  Sortais, 
un  Parisien  ayant  vu  le  jour  en  la  Grand'Ville  le  8 no- 
vembre 1800. 

— Encore  un  qui  n’a  pas  quarante  ans  ! ronchonne 
Bcchard. 

— k défaut  d’ans  — qu’il  ne  réclame  probablement  pas 
— il  pourrait  vous  dire,  monsieur,  que  si  les  années  de 
campagnes  et  de  succès  artistiques  comptent  double,  il 
aurait  des  droits  à se  considérer  presque  comme  un  doyen 
moral,  lui  clfet,  entré  à l’Ecole  des  Bcau.x-Arts  en  1881,  il 
commence  par  collectionner  les  médailles  et  les  récom- 
penses lie  l’Institut  et  de  la  Société  centrale  d’Architecture. 
Trois  fois  il  est  logistc,  et  c’est  pour  remporter  successive- 
ment: le  deuxième  Second  Grand  Prix  de  Borne  en  1881),  le 
SecoTul  Grand  Prix  en  1888,  enfin  le  Grand  Prix  de  Borne  en 
189U.  Muni  de  tant  de  diplômes,  il  passe  quatre  ans  en 
Italie...  et  à voyager  à travers  l'Europe,  faisant  chaque 
année  des  envois  qui  attirent  sur  lui  la  plus  louangeuse 
attention.  Bentré  à Paris,  il  conquiert  une  mention  hono- 
rable, puis  une  deuxième  médaille  au  Salon  des  Artistes 
français,  et  est  fait  officier  d’Académie  en  189G.  Dès  lors, 
travaux  sur  travaux  naissent  sons  le  compas  de  ce  laborieux 
infatigable  : usine  et  hôtel  de  « la  Salamandre  » (ne  pas 
confondre,  je  vous  prie,  avec  la  Porte  Monumentale,  à 
laquelle  l’éternel  esprit  de  fantaisiste  gouaillerie  des  l*ari- 
siens  a donné  ce  nom,  motivé  par  quelque  similitude  de 
forme  avec  le  dit  appareil  de  chauffage),  et  la  maison  de 
Poste  à Sceaux,  et  des  villas  au  bord  de  la  mer,  et  un 
supcidje  mausolée  à Senavezza,  près  de  Garrare,  et,  en 
collaboration  avec  le  statuaire  M.  Desvergnes,  la  commande 
d’un  vase  pour  la  Manufacture  de  Sèvres,  et  le  Musée 


I.A  UKIIMKHIO  l‘llO:\ri;.NADK 


ni 


l>0(lin,  place  de  1 Alma...  (Juant  aux  concours  public,  c’est 
api'ès  les  monuments. le  Carnot,  à Lyon,  et  .1.*  Pasteur,  à Cliar- 
Ires,  une  troisi.'mie  prime  au  concours  pour  rensomble  de 
cette  exposition  de  1900,  qui  vaut  <à  cet  ancien  audit.mr  au 
Conseil  general  des  Hàtimenls  civils,  architecte  du  Couver- 
lU'mcnt,  dV-tre  nommé,  en  ISOn,  inspecteur  [.rincipal  du 
^eivice  central  d architecture  de  la  Crande  Fctte  de  190(1. 
Comme  tel,  il  collabore  à tous  les  plans,  construit  tous  les 
. kiosques  à musique  et  divers  bâtiments  d’administration, 
b.nlin,  en  1897,  il  est  cliarg.i  d'éditier  ce  Palais  d’entrée  du 
Champ  de  Mars  et  s'en  acquitte  de  l’artistique  façon  dont 
vous  pouvez  juger. 

Mais  dont  nous  jugerions  infiniment  mieux  en  étant 
|)eu  guidés,  si  toutelois  madame  votre  mémoire  est  en  dis- 
jiosition  de  nous  apporter  cette  ai.le,  dit  Verduret  de  son 
ton  le  plus  bonhomme. 

- Ma  mémoire  est  ici  tout  à votre  service  : écoutez-moi 
ça.  Je  commence  par  me  débarrasser  des  chillrcs  la 
lorme  générale  du  Palais  est  un  rectangle  presque  carré 
I l.i.l  mètres  sur  120  métrés),  dont  un  des  angles  est  abattu 

l’entrée  principale  qui  fait  face  à là 

lour  Cillcl. 

- Superficie  : environ  10,000  nnOrcs  carrés,  calcule 
orgueilleusement  Pccbard. 

— Oui,  en  ne  tenant  pas  compte  de  l'angle  amputé, 
(.omme  la  superficie  du  premier  étage  est  de  11,400  mètres 
carres,  cela  lait,  au  tolal  environ  27,000  mètres  d’exno- 
sition. 

— C'est  énorme! 

— Et  t(3ut  à fait  insufrisant,  à preuve  que  l'on  a été  obligé 
de  loger  la  plus  grande  partie  de  l'Enseignement  et  de 

Education  dans  le  Palais  du  Génie  civil.  Mais  ce  n’est  pas 
la  laute  de  1 architecte  si  on  ne  lui  a pas  accordé  plus  de 
terrain,  bm  raison  du  pan  coujié,  ce  Palais  a quatre  façades 
'<  La  pr.?miere,  qui  lunge  le  jardin  du  Champ  .le  Mars,  se 
compose  de  deux  portiques  ouverts  superposés,  servant  de 
promenoirs;  le  portique  .lu  rez-.le-cliaussée  (90  mètres  de 
ong  sur  / mètres  de  large),  percé  alternativement  de 
deux  gran.les  arcades  el  d'une  petite,  est  décoré  de  peintures 
lormant  jeu  de  fond  mordoré,  et  surmonté  d'une  frise  où 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


52 


le  peintre  décorateur  M.  Delmotte  a jeté  une  suite  de  car- 
touches et  d’eul’ants  sur  foud  rouge  ; le  portique  du  premier 
étage  comprend  trois  grands  motifs  à voussures  intérieures, 
avec  vaste  ajouré  décoratif  supporté  par  trois  arcades  avec 
colouuettcs, 'et  grand  balcon  (en  encorbellement  de  3 mè- 
tres') soutenu  par  une  ligure  de  femme  dont  rébauchoir 
savant  de  M.  Allar  a tracé  les  purs  contours;  les  trois  grands 
motifs  sont  encadrés  par  quatre  pavillons  avec  arcades  à 
jour  et  balcons  secondaires.  L'ensemble  de  cette  intéres- 
sante façade  ressemble  à une  vaste  loggia  de  théâtre  qui, 
douuaiit^ur  le  jardin,  permet  au  public  de  voir  tout  le 
Lhamp  de  Mars...  et  aussi  d'entendre  la  musique  du  kiosque 
qui'  vous  voyez  placé  juste  ou  lace. 

La  deuxième  façade,  celle  du  pan  coupé,  est  la  princi- 
pale, quoique  de  bien  moindre  développement  que  les 
autres.  Là  est  la  grande  porte  d'entrée,  haute  arcature  a 
deux  éta'^es,  avec  balcon  central,  llampiée  de  deux  tourelles 
à dômes  surélevés.  Les  statues  de  la  porte  et  les  figures  des 
tourelles  sont  de  l'habile  statuaire  .M.  Loiseau  Bailly.  Le 
o-rand  groupe  de  sculiilure  qui  surmonte  la  porte,  liant 
relief  absolument  remarquable  et  qui  symbolise  les  Procef/e.s 
f/rs  l/'/v  SOUS  la  forme  d'une  cliaiue  dansante  de  iemmes 
cutourant  Apollon,  dieu  des  Arts,  est  do  rémiueut  Ch.  Des- 
verouos.  Grand  Drix  de  Borne  de  ISSh;  de  lui  aussi  le  groupe 
inférieur  de  gauche,  représentant  les  Procédés  des  Sciences. 
(tuant  à celui  de  droite,  les  Procédés  des  Lellres,  il  est  du  a 
rexcellcut  ciseau  do  M.  Houssin.  11  y a,  dans  cette  taçade, 
et  exécutée  par  le  peintre  Barbin,  une  curieuse  application  de 
peinture  en  relief  encadrant  la  grande  et  belle  verrière  ((.aro 
[ecit,  d’après  cartons  de  Lerolle  et  Besnard)  qui  éclairé  la 
salle’ d'auditions  musicales  située  à l’étage  du  grand  baicon. 
Entre  parenthèses,  cette  salle,  longue  de  2/  métrés,  large 
de  1->"’5(I  haute  de  21  mètres  et  qui  a la  forme  bizarre 
d'uiië  moitié  de  tore,  est  décorée  de  haut  en  lias  de  pein- 
tures maroLillées  du  peintre  de  décors  bien  connu,  iM.  Lha- 
peron.  Elle  possède,  de  plus,  une  tribune  et  un  orgue  Abbey 

ide  Versailles).  » 

Bardou,  s’il  vous  phiit.  ôous  avez  dit  que  cette  saltc 

revêt  la  forme  d’une  moitié  de  « tore  » '?  . _ 

J'ai  été  comme  vous.  Je  me  suis  renseigne  . on 


A TRAVERS  l’ EXPOSITION 


appelle  tore,  en  architecture,  ces  anneaux  de  pierre  ornant 
le  bas  des  colonnes  et  qui  ne  sont  autres  qu’un  souvenir  des 
Ircttes  dont  les  anciens  garnissaient  le  pied  de  leurs  colonnes 
en  bois  pour  quelles  ne  se  tendent  pas.  En  géométrie,  on 
appelle  ainsi  une  surface  engendrée  par  un  cercle  tournant 
autour  d'une  droite  située  dans  son  plan.  Il  paraît  — si  vous 
comprenez  quelque  chose  à la  géométrie,  ce  qui  n est  pas 
mon  cas,  ayant  ([uitté  l'école  à treize  ans  — que  les  deux 
définitions  sont  équivalentes.  l\loi,je  me  suis  appliqué  à les 
apprendre  par  cœur  et  je  les  redis  sans  me  chargei  de  les 
expliquer  davantage. . . Donc,  je  continue.  La  troisième  larade, 
qui  fait  face  à la  Seine  est  en  tout  symétrique  à la  première, 
sauf  que  tontes  les  arcatures  sont  fermées  par  des  verrières 
au  lieu  d'être  à jour.  Enfin,  la  quatrième  façade,  qui  longe 
l'avenue  Suifren  est  traitée  avec  la  simplicité  ([110  comporte 
sa  situation...  extérieure  par  rapport  à l'Exposition;  elle  est 
en  fer  et  verre. 

<(  La  tonalité  générale  dos  façades  dans  l’Exposition  est, 
vous  le  voyez,  blanche  avec  mosaïque  d'or  et  toitures 
bleu  et  or,  ce  qui  donne  une  teinte  d’imsemble  cà  la  tois 
très  douce  et  très  brillante,  sur  laquelb'  se  détachent  en 
vigueur  les  vertes  frondaisons  du  jardin.  Ces  laçades,  très 
découpées  de  silhouette,  font  naître  un  contraste  voulu  avec 
b's  grandes  lignes  horizontales  îles  Palais  voisins  et  engen- 
drent du  mouvement  et  de  la  gaîté...  ÏNlais,  c est  surtout  le 
soir  qu’il  faut  venir  voir  ce  Palais  de  l Education,  Ensei- 
gnement, etc...  (c’est  trop  long!),  alors  qn  il  est  tout  illu- 
miné par  les  bouquets  de  lampes  a incandescence  et  les 
deux  grands  lustres  éclairant  la  porte  et  le  pan  coupé,  lis 
rampes  de  gaz  courant  sur  les  façades  latérales,  et  surtout 
l'éclairage  des  porti(|ues  par  çles  lampes  électriques  dissimu- 
lées qui  donne  à ceux-ci  un  aspect  mystérieusement  féeri- 
que, dans  une  tonalité  douce  où  dominent  le  rose  et  le  jaune 
pâle...  Ça,  c'est  « chic  »,  vous  savez  ! 

— Je" n’en  doute  pas,  fait  Verduret  en  souriant  débonnai- 
rement à ce  terme...  si'irennmt  improvisé  par  le  guide-réci- 
tant. Alors,  c’est  tout  ce  (|ue  vous  avez  à nous  apprendre  sur 
ce  Palais. 

Attendez  donc:  j'en  ai  encore  dans  mon  sac.  Laissez 

(]ue  je  vous  parle  de  la  construction.  L intérieur  des  galeiies 


I.A  DERMiniE  l'IiOMENADi: 


esl  en  fer,  cl  les  galeries  extérieures  en  cliarponle  de  bois, 
mêlai  déployé  et  plâtre.  Le  pbmclier  du  pi’ciuier  (itage  est 
en  ci  ment  ai'uié,  ainsi  (juc  les  balcons  (|ui,  ])onr  uiu'  avancée 
de  .3  mètres  nont  (jne  10  cenlimètrcs  d V[)aiseur.  Tout 
ça  repose  sur  des  poteaux  en  ciment  armé  de  dO/iO.  Toute 
la  décoration  ornemaniste  est  en  stall',  par  MM.  Devècbe  et 
hagon.  J^a  construction  — quia,  (dé  entièrement  cx(H'utéc 
do  janvier  1899  à avril  190(1  — présentait  trois  diflicultés 
[U'incipales  doTit  M.  Louis  Sortais  s'est  tiré  tout  à son  hon- 
neur. D’abord,  le  raccordement  de  Taxe  biais  à ib"  du  |)an 
coupe  avec  les  grandes  galcines;  ce  biais  est  dissimulé  par  la 
forme  octogonale  donnée  cà  la  Salle  centrale  de  l'Lxposition 
(.eiiteninde,  salle  a laquelle  conduit  un  superbe  escalier  mo- 
nunn'utal  à double  révolution,  dont  les  voussures  ont  ét(^ 
peintes  par  M.  Le  Dielic,  Prix  de  lionic  de  1888.  Lusuite, 
l’exécution  du  porche  d’entrée  (hauteur,  .bO  mètres)  avec  sa 
lorme  particulière  de  double  carapace  iidérieure  et  exté- 
rieure dont  les  deux  parois  ne  sont  dislanl(>s  que  de 
8(»  centimètres,  et  qui  doit  supporter  un  campanile  hexa- 
gonal de  20  mètres  de  liauteuT  avec  carcasse  en  fer  repo- 
sant sur  le  mili('u  même  de  la  voûte.  Entiu,  surtout,  la  fai- 
hlesse  du  crédit  de  1,787,000  francs,  soit  un  peu  plus  de 
100  fi'ancs  le  mètre  carré,  mis  à la  disposition  de  l’archi- 
tect(',  alors  que  les  matériaux  avaient  doublé  de  [irix,  et  (|ue 
les  grèves,  le  mam|uc  ordinaire  d’ouvriers  et  le  mauvais 
temj)s  rendaient  si  dispendieuse  une  construction  (jui  repré- 
sente 1,000  mètres  cub(‘s.  M.  Sortais  a trouvé  moyen  de  ne 
pas  dépasser  sou  crédit  et  cela  constitue  tout  simpiement  un 
tour  de  force.  Je  termine,  messieurs  et  dames,  en  vous  disant 
(jue  1 architecte  a été  secondé  avec  un  dévouement  parfait 
par  les  |)rincipaux  collaborateurs  de  son  agence,  tous,  d’ail- 
leurs, architectes  di|)bnnés  par  le  Gouvernement;  MM.  Du- 
ménil,  premier  inspecteur,  Michelet  et  Bertrand  de  Kont- 
violant,  sous-mspectours,  sans  oublier  le  vérificateur, *M.  Le- 
maire. J ajoute  qu  en  visitant  l’exposition  qui  « est  là- 
dedans  »,  vous  ne  vous  ennuierez  pas:  sans  parler  de  la 
Idbrairie  ou  il  y a,  des  publications  ((  épatantes  »,  il  y a,  à la 
l’botograpliie,  celle  en  couleurs  Lumière  ; à la  Typographie 
les  nouvelles  machines  des  journaux  et  les  affiches  en  cou- 
leurs ; dans  le  vestibule  d’entrée  (instruments  de  précision) 


56 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


la  frappe  des  médailles  de  l'Exposilion  ; à la  Médecine  et 
Chirurgie  les  fameux  rayons  X ; à la  Géographie  et  Cosmo- 
graphie les  grandes  cartes  de  l’Etat-Major  et  de  1 Intérieur; 
aux  Instruments  de  musique  des  Eleyel  à double  clavier  et 
des  harpes  nouvelles  à donl)les  cordes,  sans  compter  les 
concerts  et  les  phonographes  ; mais  c’est  surtout  a 1 Art 
théâtral,  avec  maquettes  de  décors,  souvenirs  de  lalma, 
llachel.  Mars,  trois  scènes  complètes,  machinées...  et  le 
Théàtrophone. . . Il  faut  dire  que  Sara  h Bernhardt,  Bartet,  etc., 
y ont  mis  la  main...  Cour  abriter  tout  cela,  on  peut  bien  se 
payer  un  Balais  (lui  s’élance,  en  son  plus  haut  point,  a 
65  mèlres  vers  le  ciel.  N’est-ce  pas  voire  avis? 

— Vous  ôtes  amateur  de  théâtre,  hein? 

— Tiens!...  Je  suis  parisien  !...  Mais  ce  n’est  pas  tout  ça. 
Nous  allons,  dare  dare,  visiter  l’intérieur  de  tous  ces  Palais 
— le  tour  du  Champ  de  Mars,  quoi  ! — pour  qu’après  je  vous 
fasse  un  peu  promener... 


V 


ClIAriTHE  IV 


TOUT  AUTOUR  DK  K A TOUR 


L i\  COL'P  l»’(]-ll,  A 11  A UC  II  E 

Palais  du  Costume,  Pavillon  du  Club  Alpin,  Chalet  Suisse,  \'illage 
Suisse,  Panorama  du  Tour  du  Monde,  Pavillon  de  Siain,  Palais 
Lumineux,  Pavillon  de  la  République  de  Saint-Marin,  etc. 

Après  uiio  course  haletaule  et  qui  ne  dure  pas  moins  de 
deux  heures  à travers  toutes  les  galeries  aussi  nombreuses 
qu  immenses  des  Palais  du  Champ  de  Mars,  notre  provincial 
qnatuorsort,  pnAédéde  son  « Itxpress-universel  spécialiste  », 
par  la  porte  du  Palais  des  Mines,  sous  le  carillon  qui  chante 
justement,  comme  pour  saluer  son  exode,  ironiquement 
sans  doute,  l’air  du  Cliah^l  : 

Arrêtons-nous  ici...  etc... 

Au  même  instant,  le  jeune  guide,  toujours  vaillant  quoi- 
que à bout  de  salive,  dit  à Yerduret  fourbu,  à Bôchard  de  qui 
la  lassitude  courbe  un  cou  que  l’on  eût  pu  croire,  jusque-là, 
rigide  comme  un  manche  à balai,  à Bertrande  dont  les 
vingt  ans  mômes  daignent  avouer  la  fatigue,  et  à M""'  Flore 
qui,  littéralement,  s’écroule  épuisée  : 

Ça,  presto,  nous  allons  un  peu  nous  promener  parmi 


O. s 


A thavers  l’exposition 


les  environs  île  la  Tour,  on  j’ai  quantité  de  choses  à vous 
montrer. 

— Ah!  ça,  non,  par  exemple!  proteste  M'"'’  lîêchard  en 
rassemhlant  tout  ce  qui  lui  reste  d'énergie.  C’est  miracle 
que  j’aie  |)u  arriver  jusqu’ici,  mais  je  déclare  bien  qu’on  ne 
me  fera  pas  faire  un  pas  de  plus!  Je  suis  exténuée...  Je  ne 
demande  qu’un  fauteuil  et  le  reste  m’est  bien  égal. 

Le  guide  sourit  complaisamment. 

— Ce  cas  est  prévu,  dit-il.  C’est  assez  l’habitude  que  nos 
clients,  arrivés  ici,  me  tiennent  un  semblable  langage. 
Aussi  ai-je  passé  un  forfait  avec  quelques  pousse-pousse  qui 
viennent  ici  prêts  fà  recueillir  les  découragés...  Et,  tenez, 
les  voici.  Messieurs  et  dames,  prenez  place! 

— Comment,  nous  aussi?  s’étonne  et  s’inquiète  llècbard 
en  désignant  son  ami  le  manufacturier  retiré  à Malesherbcs. 

— Caissez-vous  donc  faire  violence  : ça  no  conte  rien, 
pnis(|ue  c’est  prévu  dans  mon  prix  et  que  ce  n’est  pas  vous 
qui  l'acquittez. 

— C’est  justement  pour  cela,  proteste  ^ erduiad,  que  je  ne 
saurais  soulfrir... 

— Bah!  vous  ferez  des  manières  demain,  crie  à son  ami 
le  farinicr,  en  s’installant  dans  un  des  fauteuils  roulants, 
à l’exemple  de  Bertrande  et  de  dame  b’iore,  déjà  en  pos- 
session de  deux  des  précieux  véhicules. 

Verdurct  cesse  de  se  défendre,  occupe  un  quatrième  fau- 
teuil et,  sur  un  siftlement  de  la  bagnette  de  Théobald  Trotte- 
conrt,  qui  prend  pédestrement  la  tète,  la  petite  caravane, 
désormais  montée  sur  roues,  se  met  en  marche. 

— Messieurs  et  dames,  annonce  le  guide,  nous  allons 
d’abord  jeter  un  coup  d'udl  à gauche...  Je  veux  dire  ; a gau- 
che de  ia  Tour  de  300  mètres.  Nous  avons  d’abord,  de  ce 
coté,  le  Palais  du  Costume,  organisé  par  le’  grand  couturier 
Félix.  C’est,  dans  des  décors  appropriés,  une  reconstitution 
à l’aide  de  ligures  do  cire  grandeur  naturelle  et  groupées  de 
façon  à former  des  scènes  que  l’on  croirait  animées,  1 his- 
toire du  Costume  de  tout  l'Uccitlent  civilisé  depuis  les  temps 
les  plus  reculés  jusqu’à  nos  jours...  Et  ça  ne  coûte  que  vingt 
sous... 

— Nous  n’entrons  pas!  déclare  péremptoirement  Becbard. 

— Ce  chapitre  toilette  intéresserait  pourtant  bien 


I.A  DKIlMKliE  PROjrENADI-: 


ri!) 


nia,l;niio  voiro  épouse;  car,  aux  Fils  et  Tissus,  je  Fai  vue 
s arrêter,  loule  lasse  qu’elle  était,  à la  vitrine  teiitatricc  du 
« jUomleur</e  la  Mode  ».  N’est-il  pas  vrai,  madauie? 

Mais  M-  More  ne  répond  pas.  A peine  assise  dans  son 
lanteiiil,  les  jiavôts  de  Morphéc  ont  appesanti  ses  paupières 
et,  dans  le  bercement  de  la  promenade,  elle...  dort  du 
sommeil  prolond  de  l innocence. 

Théubald  salue  cette  opulence  assoupie  et  fait  poursui- 
vre la  marche. 

— Voici,  annonce-t-il  derechef,  le  P.wira.ox  m:  Cnun 
Amun,  qui  comprend  deux  parties:  1»  Le  Châle l où  sont 
reunis  tous  les  objets  et  collections  intéressant  les  ascen- 
sionnistes des  Pyrénées  ou  des  Alpes,  depuis  le  piolet  ferré 
jusqu’aux  refuses  construits  sur  les  hautes  cimes;  2“  le 
l'avillon  des  panoramas  où  l’on  voit  : des  dioramas’  de  la 
Grotte  de  Dargillens  (Lozère),  du  lac  do  Rctournemer  et  de 
Lonjremer  (Vosges),  de  la  haute  vallée  du  Var,  des  gorges 
du  larn,  du  Cirque  de  Gavarnie  (Pyrénées),  des  Alpes  du 
Dauiihino,  et  le  grand  panorama  du  Mont  Blanc  C’est  la 
céléhralion  inslrnctive  et  artistique  de  la  « Montagne  fran- 
çaise » . 

— Passons,  dit  Verduret  : ne  réveillons  pas  cette  pauvre 
M'”''  Bechard.  * 

T à côté,  le  CiiAi.KT  Si  issE,  ravis- 

sant l avillon  de  1 exposition  oflicielle  de  la  Bépublique 
liolvetiqiio...  A ce  propos,  si  par  hasard  et  contre  toute  évi- 
dence, vous  prolongiez  votre  séjour  ou  si  vous  revenez  à 
1 l'.xposition,  ne  manquez  pas  de  rendre  visite  au  Vili..vgic 
bmssE  qui,  situé  hors  du  Champ  de  Mars,  à hauteur  de  l’an- 
cien l alais  des  Machines,  est  l’attraction  complémentaire 
de  ce  avillon  Helvétique;  les  deux  ingénieurs  de  Genève, 
MA  . Henneherg  et  Allemand,  en  ont  fait  un  véritable  coin 
de  la  . lusse,  avec  sa  vie  et  ses  habitants,  montagne,  vallée 
Yi  e,  village,^  etc.,  transporté  miraculeusement  en  plein 
I ans,  et  ça  n a coilté  que  d millions.  Vous  trouverez  cette 
jolie  attraction  juste  derrière  la  Grande  Boue  de  Paius,  une 
tantaisie  d’ingénieur,  bien  pille  après  la  Tour  Eilfel  et  où  ce 
sonlplutül  les  attractions  accessoires  qui  attirent  le  public... 
Mais  revenons  à notre  promenade.  Voici  maintenant,  en 
bordure  du  quai  d’Ursay,  à l’angle  du  Champ  de  Mars,  le 


02 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


Paaosara  d['  Torii  du  Monde,  de  M.  Louis  Dumoulin,  pein- 
tre de  la  marine.  C’est,  en  réalité,  le  Panorama  de  la  grande 
Compagnie  des  Messageries  Marithiies  (concurrente  de  la 
Transatlantique)  qui  montre  ici  an  public  — par  le  pinceau 
(panoramas  et  dioramas),  par  des  scènes  animées  dont  les 
indigènes  jaunes,  noirs  ou  blancs,  sont  les  acteurs  et  dont  le 
panorama  est  le  décor,  enfin  par  un  théâtre  où  s’exhibe  les 
troupes  exotiques  — qui  montre,  dis-je  les  principales  esca- 
les des  parcours  de  ses  beaux,  confortables  et  excellents 
navires.  La  vaste,  superbe  et  si  curieuse  construction  ovale 
qui  sert  de  temple  à ces  évocations  lointaines  ou  proches 
procède  de  la  même  intention  : c’est  ainsi  que  la  porte 
principale  de  ce  Panorama  est  la  porte  même  du  temple  de 
I okio  (toute  en  bois  rehaussée  de  dorures  et  décorée  ilc  dra- 
gons aux  yeux  d’émail  enchâssés  d’or)  transportée  et  réédi- 
liée  ici;  que  la  tour  à droite  de  l’entrée,  toute  de  halcons 
soutenus  par  des  divinités  bouddhiques,  avec  son  dôme  en 
forme  de  mitre  ciselée,  est  la  grosse  Tour  Canil)o<lgienne  ■ 
(|ue  la  tour  chinoise  qui  est  à gauche,  avec  ses  toit?  comme 
empilés  les  uns  au-dessus  des  autres  ainsi  que  des  oublies 
dans  la  boîte  d un  marchand  de  « plaisirs  »,  est  la  haute  et 
curieuse  tour  des  Jardins  de  Nilo;  que  la  troisième  tour,  à 
l'autre  extrémité  de  l’édifice,  et  tout  à fait  à l’angle  du 
Champ  de  Mars,  est  de  pur  style  portugais.  M.  Dumoulin — à 
la  valeur  artistique  de  qui  a été  confiée  la  mission  ue  jiein- 
dre  l’entrevue  historique  de  Cronstadt  pour  le  Musée  do 
\ ersailles  — fait  bien  faire  ici,  dans  son  œuvre,  le  Tour  du 
iMonde  aux  visiteurs,  rien  qu’en  s’arrêtant  aux  escales  des 
Messageries  Maritimes,  car  les  lignes  de  paquebots  de  cette 
compagnie  desservent,  comme  vous  savez,  tous  les  grands 
ports  d’Extrême-Orient,  de  l’Océan  Indien,  de  la  Mer  Rouge, 
de  la  Méditerranée  et,  dans  l’Atlantique,  le  Sud-Amérique 
avec  les  côtes  européennes.  En  un  mot,  c’est  le  tour  du 
momie  réduit  à une  promenade  autour  dos  plates-formes 
intérieures  de  ce  curieux  Palais  : c’est  Yédo  (Japon),  le  Jar- 
din de  Niko  et  Shanga'î  (Chine),  les  ruines  d’Angkor,  Suez, 
le  Canal,  Port-Saïd,  le  Bosphore  avec  Constantinople,  la 
Corne  d’Or  et  le  cimetière  Turc,  Athènes  et  l’Acropole,  et 
I l‘,spagne  avec  Eontarabie,  et...  Mais  je  n’en  linirais  plus  et 
il  est  temps  de  descendre  de  voiture  si  vous  Aoulez  visiter... 


r.A  ÎÆnNIKIlE  promena  DK 


— < >11  paie  ? 

— I)cux  francs  le  grand  jcn  : c’est  pour  rien. 

— Vous  trouvez  cela,  vous?  Allons,  roulez  : je  ne  veux 
pas  réveiller  ma  femme. 

— Compris.  Je  vous  présente  donc  le  Pavillon  du  royaume 
DI.  biAM,  lequel,  c est  facile  à voir,  se  compose  de  deux  Pavil- 
lons ,1  architecture  K'mer  réunis  par  une  jolie  passerelle 
clancee  : P le  Pavillon  officiel,  fait  de  deux  corps  de  loo-is 
avec  porche  unique  orné  des  Lions  de  Siain  à l’angle  cen- 
tral, et  coillé  (1  un  toit  de  pagode  surmonté  d’nn  hardi  clo- 
cheton de  dO  métrés,  portant,  étagés  jusqu’aux  nues,  les 
sept  couronnes  de  la  royauté  siamoise.  Dans  ce  pavillon 
dont  le  très  hahile  et  érudit  architecte  est  M.  Chaste!  S p’ 
IMiya  Snrip,  ministre  de  Siani  en  France  et  Commissaire 
général,  aidé  de  ,M.  Alhert  Gréhan,  Consul  à Paris,  Com- 
missaire adjoint,  ont  accumulé  d'inomhrables  richesses  ar- 
tistiques siamoises  qui  n’ont,  contrairement  à ce  que  croient 
la  pluparÇ  que  do  très  lointains  rapports  avec  les  arts  jano- 
nais  et  chinoH.  2"  Le  Petil  Pavillon,  très  coquet  quoique 
moins  orne  et  ou,  au  restaurant,  pu  peut  déguster  tous  les 

mets  et  toutes  les  boissons  dont  se  délectent  les  sujets  du  roi 
de  biam. 


— On  ne  paie  pas,  là,  au  moins  ! Si  nous  y allions'^  pro- 
pose Bcchard.  ' ^ 

Hé,  mou  cher,  vous  ne  craignez  donc  plus  de  réveiller 
votre  iemme?  Ma  foi,  je  me  frouve  trop  bien  d’ètre  assis, 
l'mtrez  si  vous  voulez  ; nous  vous  attendrons. 

-—  Je  ne  vais  pas  y aller  tout  seul,  vous  pensez  bien. 
Monsieur  le  guide,  en  roule  pour  autre  chose. 

— Pour  le  Palais  llmineix,  alors;  c’est  en  remontant 
vers  le  Palais  des  Mmes  et  de  la  Métallurgie,  d’où  nous  ve- 
non.s.  ()}ez-le  d ici,  ce  Palais,  vision  idéale  imaginée  par  le 
maître  verrier  Ponsin,  que  la  mort  est  venue  prendre,  hélas! 
avant  qii  il  ait  pu  jouir  de  son  univre.  C'est  un  reve  des  IMille 
et  une  nuits,  tout  en  verre  et  en  cristal,  une  féerie  de  teintes 
opalines,  de  llamhoiements  de  diamants,  de  rubis,  d’amé- 
t listes,  etc...  las  grand,  mais  une  pure  merveille  qui  est 
un  « clou  .)  étincelant,  quelque  chose,  parmi  les  construc- 
tions luttoresques  de  ce  proscéninm  du  Champ  de  Mars 
comme  Jupiter  ou  comme  Siriiis  parmi  les  mondes  du  ciel.’ 


LA  ULliNlKUL  l'IlOAl  LN  ADP;  ()5 


Le  (l('erire  est  lacile;  sur  son  rocher,  au  haut  bout  d'une 
ravissante  pièce  d'eau,  c'est  un  iiall  central  coill'é  d’une 
coupole  que  surmonle,  comme  détachée  dans  l’espace,  la 
statue  d l'dectryone,  fille  du  Soleil  (u'uvre  de  la  jeune  com- 


I’anok.uia  du  Touu  du  Monde. 


tesse  polonaise  d’Alhazzi-Kwiatkowska).  Or,  la  coupole,  la 
statue,  le  hall  et  tout  ce  qui  le  mcuhlc  et  le  décore,  depuis 
le  tapis  et  les  tentures  jusqu’au.x  meubles,  tout  est  en  verre. 
C’estdélicieux  le  jour,  mais  c’est  le  soir  que  c’est  un  prodige, 
lorsque  (le  toutes  parts  la  lumière  électrique  se  reflète  aux 
mille  facettes  de  ce  diamant  fantaisiste  et  en  traverse  les 
parois  pour  taire  tout  autour  une  auréole,  une  Gloire,  pro- 
portions gardées,  comme  celle  du  Soleil.  Aussi,  quoicpi’il  y 
ait  à voir  dans  le  sous-sol  le  si  intéressant  travail  de  la  fabri- 


l'YHc  (lu  ^Jonde  et  de  Paris,  c’est  alors  seulement 
qu'il  y faudra  venir  pour  connaître  ce  Palais  irréel  dans 
toute  sa  splendeur.  Longeant  le  lac  en  miniature  oii  vous  le 
verrez  ce  soir  se  relléter,  je  vous  emmène  donc  au  Pavu- 

LON  DK  I.A  llÉPl  Iir.Kjl  K DK  SaUNT-M ARI.N . 

— Décidément,  pense  Verduret  rêveur,  il  y tient  à son 
idée  que  c’est  notre  derniiire  journée  à rEx})ositiüii.  iMa  pa- 


LA  DKRNIKRE  PRfXMlùNADL 


G 7 


rôle,  a force  de  1 entendre  dire  ainsi,  je  finirais  presque  par 
le  croii'e  ! Gela  tourne  à l’obsession  ! 

Lt,  visiblement  fatigué,  mais  n’en  montrant  que  pins  de 
bâte  fievrense,  « 1 Expi'ess-universel  spécialiste  » airnonce,  la 
gorge  sèche  : 

— iMessienrs  et  dames,  ce  petit  Pavillon  de  style  llo- 
rentin,  avec  sa  crête  crénelée  et  sa  tour  d'angle  qui  a des 
airs  redon tables  de  forteresse  de  Lilliput,  est  celui  de  la 
minuscule  liépnblique  de  Saint-Marin  (8,000  habitants  pour 
02  kilomètres  carrés  de  territoire)  qui  est,  vous  l’avez  peut- 
être  oublié,  enclavée  dans  le  royaume  d’Italie,  à 85  kilo- 
mètres de  Florence  et  à quatre  lieues  de  l’Adriatique.  La 
fac^ade  a trois  portiques  on  ogives,  les  écussons,  la  grande 
baie  vitrée  et  tout  le  reste  de  la  construction  très  jolie,  tout 
cela  est  une  imitation  du  Palais  du  Conseil  souverain  do 
cette  patrie  heureuse  d’ôtre  si  petite  et  qui,  dans  Punique 
salle  et  sa  galerie  que  contient  son  pavillon,  se  décrit  de  son 
mieux  a la  curiosité  des  visiteurs...  Je  vous  fais  maintenant 
passer  devant  les  pavillons  des  A/v/oü/rm-  de 

1 Aulomolnle-Cliil)^  de  la  Matenutd  ha/ge^  sans  vous  y arrêter, 
car  j’ai  hâte  de  jetej'  avec  vous  et  pour  linir  : 


H 


i;  .N  CüLl’  U Uill.  A URori'E 

Pavillon  du  .Maroc,  Palais  de  I Optique,  le  Globe  céleste,  \'enise  à Paris, 
Maréoraina,  Cinéoraina,  Pavillon  de  la  République  de  l'Equateur’ 
Palais  de  la  Eeniine,  etc.  ’ 

...  f- est-a-dire  sur  le  louillis  de  pavillons  et  rPattractions 
qui  se  trouve  de  1 autre  côté  de  la  Tour. 

Sur  un  signe  de  la  laineuse  baguette  de  commandement, 
les  pousse-pousse  traversent  sous  ta  Tour  en  longeant  les 
piliers  postérieurs  et  s’arrêtent  devant  le  Paviixon  ue 
IMaroc.  Üe  grands  murs  blancs,  une  vaste  porte  en  ogive,  la 
reproduction  d'un  des  pins  élégants  minarets  de  Télouan, 
des  coupoles  a boules  d or  de  la  mosquée  sainte  de  Ka- 


68 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


raoLiin  (la  Mecque  de  l’AlViquc  et  point  de  départ  de  toutes 
les  guerres  contre  les  Rouniis).  Hez-de-chauss6e  : une  cour 
intérieure  d'une  riche  demeure  marocaine,  avec  colonnade 
légère,  mosaïque  et  tontaine,  oi'i  sont  exposés  les  produits 
et  objets  artistiques  de  ce  pays  encore  terme,  mais  plus 


Li;  I’avii.i.u.n  de  SAi.\i-ilAiii;\.  — La  .Suciété  GÉ.NÉiiAi.E. 


pour  bien  longtem[)s  très  probablement.  Des  indigènes 
somnolents  sont  accroupis  auprès  des  étalages  de  leurs 
bazars.  Ou  y admire  les  cuirs  célèbres  et  les  riches  étoiles, 
et  lies  pholographies  do  notre  consul  général  M.  de  La  Mar- 
tinière  permettent  de  se  faire  une  idée  exacte  du  pays.  Au 
premier  étage,  un  l'estaurant  et  un  café  indigènes.  Telle  est 
en  quelque  sorte  le  résumé  de  la  desci'iption  du  guide,  qui 


I.A  ntiRMKKE  PMO.MKiNADK 


69 


entraîne  aussitôt  les  « équipages  » devant  le  Palais  ul 

l'()[TIOl;K. 

— C’est  ici,  messieurs  et  dame  — je  dis  dame  an  singu- 
lier et  devrais  dire  : mademoiselle,  puisque  le  sommeil 
réparateur  prive  votre  eomjiagno  aînée  de  mes  intéressantes 
explications  — qu’une  immense  construction  de  forme 
bizarre,  dont  l’entrée  symbolique  est  un  énorme  poidique 
décoré  des  douze  lignes  du  Zodiaque  et  qui  est  surmonté 
dbine  coupole  (|ue  domine  un  puissant  projecteur  électrique 
elevé  de  42  mètres  au-dessus  du  sol,  sert  de  temple  et  de... 
gaine  à la  (Irande  Lunel/e  de  60  mètres  de  longueur  qui  vous 
rajiproche  la  lune  à... 

— lin  mètre,  aebève  Bccbard  avec  toute  la  gravité  de 
1 absolue  cei'ti tilde. 

— \ oyons,  vous  no  voudriez  pas!  fait  en  souriant  le 
guide,  avec  une  indexion  d'ironie  gavroebe.  Alors,  autant 
vous  la  servir  sur  un  plat  en  vous  invitant  à étendre  la 
main  pour  y toucher! 

— Pourtant,  c est  ce  que  tout  le  monde  dit!  riposte  le 
larinier  d’un  air  vexé.  » 

lout  le  monde  dit  bien  d’autres  bêtises  sans  qu’on 
soit  obligé  de  les  croire.  Je  ne  suis  pas  bien  fort  en  astro- 
nomie... 

Dommage,  murmure  \erduret,  que  nous  ne  soyons 
pas,  pour  la  circonstance,  en  compagnie,  du  savant  cente- 
naire . c est  lui  qui  nous  dirait  à ce  sujet  des  eboses  inté- 
ressantes. 

— (tn  vous  en  dira  tout  de  même,  monsieur,  car,  si  l'on 
n est  pas  astronome,  on  a un  ami  qui  a causé  de  la  lunette 
avec  le  neveu  d un  astronome  et  l’on  sait  à quoi  s’en  tenir 
réplique  iièrement  Tbéobald  Trottccourt.  Moi  aussi,  j’ai 
répété  avec  tout  le  monde:  la  lune  à I mètre!...  Si  vous 
saviez  ce  que  mon  ami  s’est  « gondolé  ! » 11  m’a  fait  rcmar- 

distaiice  moyenne  de  la  lune  étant  de 
96,000  houes,  ou  plus  de  380  millions  de  mètres,  il  faudrait, 

pour  la  voir  à 1 mètre,  une  lunette  qui  grossisse  380  mil- 
lions de  lois... 

~ Eli  bien?  fait  le  farinier  avec  l'aplomb  imperturbable 
des  Ignorants. 

— Eh  bien,  nous  n’en  sommes  pas  là  — et  si  nous  en 


70 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


étions  là,  on  ne  verrait  rien  du  tout,  car  les  molécules  de 
l’atmosplière  grossis  380  millions  de  fois  formeraient  comme 
nn  mur  opaque  devant  la  rétine.  Nous  en  sommes  si  loin 
que  la  plus  puissante  lunette  astronomique  antérieure 
à celle-ci,  celle  de  Yerkes,  exposée  à Chicago  en  1893,  ne 
grossit  que  4,000  fois  et,  par  conséquent,  amène  la  lune 
à 22  lieues  et  demie.  Un  grossissement  de  (i,000  lois  rap- 
proche le  satellite  à 17  lieues  et  un  de  10,000  fois  à 9 lieues. 
Or,  cette  grande  tunefte  de  Paris,  installée  grâce  aux  ell'orts 
de  iM.  Deloncle  (ancien  député),  offre  au  minimum  ce 
grossissement  de  0,000  fois,  soit  le  rapprochement  à 
17  lieues,  ce  qui  est  splendide  en  l’état  actuel  de  l’optique 
pratique,  mais  est  quelque  peu  supérieur  à 1 mètre,  n’est- 
ce  pas?  Pour  obtenir  ce  résultat,  il  a fallu:  un  tuhe  de 
00  mètres  en  tôle  d’acier;  des  verres  de  1"’2.3  de  diamètre 
qui  reviennent  chacun  à plus  de  000,000  Jrancs,  sans 
compter  le  pri.x  des  ratés  à la  tonte  ; un  sidérostat  de  hou- 
cault  au  miroir  de  2 mètres  de  diamètre  mù  par  un  mou- 
vement d’horlogerie  alin  de  toujours  amener  l’image  dans  le 
champ  de  la  lunette  immobile,  sidérostat  dont  le  verre  seul 
j)èsc  3,<)00  kilogrammes.  Ce  sidérostat  qui,  avec  son  pied,  a 

10  mètres  de  hauteur,  pèse  en  tout  14^000  kilogrammes! 
Ajoutez  la  lunette  qui  pèse  20  tonnes,  et  vous  vous  ren- 
drez compte  que,  pour  amener  la  luue  à moins  de  17  lieues, 

11  en  a déjà  coûté,  depuis  huit  ans  qu’on  y travaille,  plus 
d’un  million  et  demi.  11  ne  faut  pas  le  regretter  puisque, 
grâce  à rénergique  constance  de  1\1.  Deloncle,  la  h’rance 
possède  maintenant  un  instrument  qui  laisse  loin  en  arrière 
les  plus  puissants  de  l’univers,  et  avec  lequel  ont  été  obte- 
nues des  photographies  du  momie  cosmique  qui  révolution- 
nent celui  des  astronomes. 

— Alors,  ce  Palais  de  l'Optique  est  simplement  le  loge- 
ment do  la  Grande  Lunette  et  du  Sidérostat? 

— Ce  sei'ait  se  borner  là  à l’attraction  d’ordre  trop  gra- 
vement scientifique  et  la  foule  ne  s’y  presserait  pas  autant 
qu’elle  le  fait.  A côté  de  la  Grande  Lunette,  il  y a le  laby- 
rinthe de  miroirs  avec  scs  si  curieux  ellets  de  réllexion;  un 
panorama  du  monde  sous-marin  absolument  merveilleux  et 
étonnant  ; sans  compter  les  conlérenccs  sur  1 électricité, 
l’électromagnétisme,  la  l’adioscopic,  etc. 


A DKHMÉliK  PRO.AIE^'AÜE 


71 


A la  Jjonnc  licurc,  s’écrie  Béchanl,  voilà  au  moins  .les 
spectacles  dignes  des  esprits  sérieux.  Nous  allons  voir  cela 
n est-ce  pas,  Vcrduret?  J’en  serai  quitte  pour  laisser  ma 
lemme  achever  sou  somme  à la  porte. 

— Vous  savez  que  c’est  deux  francs  par  personne  ? insi- 
nue le  guide,  non  sans  une  pointe  d'ironie. 

Le  larmier  réintègre  vivement  sa  curnie...  qui  roule 
hors  de  laquelle  il  avait  déjà  fait  un  pas. 

to,^.  y i’«yiendrons  un  jour  que  nous  aurons  plus  de 
temps  a nous,  dit-il,  sous  lorme  d’e.xplication  de  son  brus- 
que mouvement  de  retraite. 

Et  il  ajoute  : 

— \ous  aviez  raison,  Verduret;  c’est  dommage  que  le 
centenaire  ne  soit  pas  avec  nous;  il  nous  aurait  eu  d(!s  en- 
trées, comme  pour  l’ascension  de  la  Tour  Eilfel 

— Parfaitement,  réplique  avec  dignité  le  farinier 
— Je  ne  vous  lais  pas  faire  le  tour  du  Palais  de  l’dptinue 
— Il  n y a rien  derrière? 

m.ml  f-lilo  T-'"'"'  '■«^o«sL-tution  si  adroite- 

iit  faite  que  1 .iii  se  croirait  transporte  sur  les  lagunes 

-le  1 A.lriatujue  ; . y a le  P.vxoiia.m.v  de  i.a  Compaoxie  Tiiaxs- 
A.  LAN  1 1.. LE,  dont  le  panorama  proprement  dit  représente  la 
flotte  fl ançaise  en  ra.le  d Alger,  et  les  dioranias  onze  beaux 
Mtes  et  scenes  d Algérie  et  de  Tunisie  ; il  v a le  Gioi.r 
LecESTE,  une  boule  de  46  mètres  de  diamètre,  où  l’on 
it  une  leproduction  extraordinairement  réduite  et  de 
mouvement  lantastiquement  accéléré  du  système  planétaire 
mais  qui  donne  a qui  a des  notions  suflisantes  de  cosmo- 
giaphie,  une  sensation  approchée  et  très  curieuse  de  la 
sublime  mécanique  céleste  ; il  y a le  Maréora.va  où  des 
mies  qui  se  déroulent  font  faire  le  tour  de  la  Méditerranée 
au  public  place  sur  un  demi-pont  de  paquebot  dont  les  oscil- 
la ions  singent  les  mouvements  d’un  bateau  dans  la  houle, 
a donner  le  mal  de  mer  aux  entrailles  sensibles;  il  y a le 
^ î'wP'e  qu’un  immense  cinématographe 

....  con  enrs  qui  lait  revivre  des  scènes  .le  tous  pavs  avmc  i.ne 
peiicclion  rare...  Mais,  .lans  tous  ces  en.Iroits-ià,  dame... 


72 


A TRAVERS  l’exposition 


— C'est  bien:  nous  irons  une  autre  fois,  car  je  ne  vou- 
drais pas  priver  nia  femme  do  ces  spectacles  laits  surtout 
pour  amuser,  et  j’estime  qu’il  serait  cruel  de  la  l’évcillcr  eu 
ce  moment. 


— C’est  tout  juste  ce  que  je  pensais,  approuve  le  guide 
avec  une  intlexion  comique  qui  en  masque  la  gouaillerie. 
Donc,  eu  longeant  I Histoire  de  la  Céraiuqce^  je  vous  con- 
duis au  P AATLLON  DE  [.A  RÉPLIiLlOrE  DE  L b.,nUATEl  R. 

— C’est  CO  pavillon  à deux  étages  tlanqués  d’une  tour  que 
surmonte  une  coupole'? 


I,A  liIJIiMlillIi  l'UOMIONAUE 


73 


— Oui.  Slylt'  Oouis  XIV,  avec,  sur  la  façade,  un  grand 
vitrail  roprésenUint  un  paysage  du  cru  entourant  les  armes 
de  la  lÀépuljlique,  et,  de  chaque  côté  de  l’entrée,  les  bustes 


Le  Pai.ais  de  la  Fe.mme. 


de  littérateurs  du  pays,  Almondo  et  JMontalvo.  Ce  pavillon 
a été  construit  démontable  et  ira  faire  les  beaux  jours  d'une 
place  de  Guayaquil  où  il  servira  de  bibliotbèque. 


A TRAVERS  l’e.XPOSITION. 


T.  .\VÜ.  — 4 


69 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


— G'cst  le  pourquoi  des  deux  bustes  de  la  porte,  observe 
Yerdiirct. 

— Ce  minuscule  palais  contient  l’exposition  dn  groupe 
de  républiques  du  Centre-Amérique:  Equateur,  Nicaragua, 
Guatémala,  Costa-lîica,  Honduras  et  Salvator.  Au  rez-de- 
chaussée  sont  montrés  les  produits  du  sol;  au  premier  étage, 
ceux  de  l’iiulustrie,  et  vous  y voyez  un  bar  où  l'on  déguste 
un  café  délicieux  et  un  chocolat  sans  pareil. 

— Cassons  vite,  demande  en  souriant  le  mannt'actnrier 
retiré  : si  liécbard  s'éveillait  et  vous  entendait,  nous  ne 
délogerions  plus  d’ici. 

Bècbard  approuve  do  la  tête...  économiquement. 

— Voici,  tout  près,  poursuit  le  guide,  pendant  que  les 
ponssc-pousse  se  remettent  en  marche,  le  Pavu.loiX  des 
Alcooi.s  Hisses. 

— Merci.  Hegarder  suffit  : le  centenaire  nous  en  a parlé 
en  nous  montrant  le  merveilleux  Calais  Sibérien  du  Tro- 
cadéro. 

— Alors,  voici,  derrière,  le  Ciiat’eau  TraoEiEx... 

— Très  joli...  Nous  savons  : le  mémo  obligeant  vieillard 
nous  a édifiés  à son  sujet  tandis  qu’il  nous  faisait  voir  le 
Cavillon  do  l’Autricbc  de  la  « rue  des  Nations  ». 

— Si  l’on  a déjà  fait  une  si  gramle  part  de  ma  besogne, 
je  ne  vois  plus  à vous  présenter,  à Centrée  du  Champ  de 
Mars  en  arrivant  du  [»ont  d’iéna,  que  le  Calais  de  la 
Ee.mme...  à moins  qu'on  ne  vous  en  ait  déjà  parlé  aussi. 

— Le  >1  Palais  <le  la  Femme  ? » fait  Verduret  en  clignant 
de  Cmil  de  façon  gaillarde...  Non,  on  ne  nous  en  a rien  dit 
encore...  Mais  je  me  doute,  d’après  ce  que  j’ai  entendu  en 
prêtant  l’oreille  aux  propos  de  la  foule...  llcin?...  les  poses 
plastiques?...  les  danses  capiteuses  ?... 

— Cb  ! vous  n’y  èb’s  pas,  mon  cher  monsieur.  Vous  ne 
songez  qu'à  la  femme...  comment  dirai-je  ?. ..  à la  femme 
<(  plastique  »,  pour  employer  votre  propre  expression.  Cette 
« femme-là  » a de  nombreux  temples  en  cette  enceinte,  et 
en  particulier,  pour  entrer  dans  votre  ordre  d’idées,  le  Calals 
DE  LA  Danse  au  Cours-la-Heinc,  là  oii  l’on  voit,  avec  le  [iré- 
texlc  d’un  peu  de  danses  antiques  ou  modernes  de  carac- 
tère, du  cancan  débraillé  et  surtout  les  danses  lumineuses 
de  la  Loïc  Fullcr,  qui  étaient  récentes  en...  1889.  Ici,  sachez- 


I.A  DIORMKRIO  l'UOM  I :.\  ADI:  75 


. le,  messieurs,  c’est  de  la  femme  morale  et  laborieuse,  de  la 
l(!mmo  « c{i;alc  » qu  il  s agit.  G est  vous  dire  (|ue  nous  som- 
mes, en  CO  Palais  du  Champ  de  Mars,  eu  plein  féminisme, 
mais  en  léminisme  élevé  et  sensé,  qui  appuie  les  droits  logi- 
,(]ucs  sur  les  devoirs,  le  travailles  facultés  et  les  capacités 
(bnnontrées  par  le  passé  et  par  les  preuves  matérielles  comme 
moj‘ales.  Ici,  c’est  l'histoire  de  la  Fhm.me,  depuis  les  temps 
les  plus  recules  jusqu’à  l’époque  présent(.',  dans  toutes  les 
conditions  de  sa  vie  sociale  et  aussi  de  sa  vie  Jiaturelle;  elh; 
y est  étudic'c  a,  travers  les  siècles  dans  toutes  h's  branches 
d(i  son  vaste  l'olc  et  dans  ses  aspirations,  comme  femme  de 
loyer,  comme  ouvrière,  comme  mère,  comme  éducatrice, 
comme  inspiratrice  de  l’éjtoux  qu  elle  veut  compagnon  pro- 
tecteni  et  non  pins  maîtia' arbitraire.  G est  dans  ce  com|)lexe 
j ordre  de  claires  idées  que  le  rez-de-chaussée  du  Palais 
féminin  contient  une  r/ii  travail  où  sont  représentés, 

i avec  l'econstilution  des  costumes  locaux,  les  dilférents  mé- 
tiers de  tous  temps  réservés  à la  femme  en  Franco  et  à 
1 l'trangcr , (jue  les  quatre  pavillons  d’angle  sont  consacrés 
aux  méticrsnouveanxqnclcs  progrès  scientiliques  modernes 
ont  donnés  au  sexe  féminin,  tels  que  le  téléphone,  la  typo- 
giaphic,  etc.;  (|ue  dans  le  grand  hall  central  sont  J’eproduits, 
a laide  de  ligures  de  cire  comme  celles  du  Musée  Grévin, 
les  épisodes  li  istori(|nes  dont  la /cnnac  Int  1 héroïne;  ce  sont 
des  scènes  de  la  vie  de  Jeanne  d'Arc,  de  Gatherinc  de  llussie, 
(l’Flisahcth  d’Angleterre,  d’isahcllc  de  Castille,  de  Maric- 
I hérèse  d’Autriche  et,  parmi  les  héroïnes  do  1 ordre  intel- 
lecluol,  M""*  Beecher  Itowc,  etc.  Au  premier  étage  sont, 
avec  l'exposition  des  travaux  féminins,  une  salle  de  théâtre 
et  une  salle  de  conférences  on  prennent  seules  la  parole  des 
représentantes  du  féminisme  dans  tons  les  pays. 

xVlors,  Ihéohahl  Irotteconrt,  <<  Fxpress-nnivcrsel  sjiécia- 
liste  )),  recule  de  deux  pas  et  saluant  plus  particulièrement 
\'erdnret  : 

Messieurs  et  dames,  il  va  être  six  heures  et  demie  et... 
j’ai  rempli  mon  programme,  à votre  entière  satisfaction  j'es- 
père. 11  ne  me  reste  qu'à  vous  souhaiter  bon  retour  en  vos 
pénates,  et  à me  retirer  avec  le  légitime  orgueil  du  devoir 
accompli.  Avant  de  \ous  quitter  pour  aller  prendre  un  ra- 
fraîchisse ment  hien  gagné,  j’ai  l'honneur  de  vous  prévenir 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


7() 


que,  selon  les  indications  qui  m’ont  etc  données  à votre  sujet, 
les  liommcs  des  fauteuils  roulants  vont  vous  conduire  de 
l'autre  coté  de  l’eau,  au  restaurant  des  Congrès,  oti  votre  dî- 
ner vous  attend  à une  table  réservée. 

— Mais,  comment  la  reconnaîtrons-nous  ? 

— • Vous  n'aurez  qu’à  demander,  m’a-t-on  fait  dire,  la  table 
« des  passagers  de  la  gondole  »,  et  il  paraît,  d’ailleurs,  que 
vous  serez  reçus  au  seuil  du  restaurant  par  quelqu’un 
de  votre  connaissance...  Ne  me  demandez  pas  qui,  je  l’ignore 
absolument  et  ne  fais  que  répéter  comme  un  perroquet  les 
indications  que  l’on  m’a  recommandé  de  vous  fournir.  Sur 
ce,  messieurs  et  dames,  je  vous  tire  ma  révérence. 

Et  le  jeune  Théobald,  sur  un  nouveau  salut,  s’éloigne  hâ- 
tivement pendant  que  les  pousse-pousse  poussent,  à bonne 
allure,  leurs  fauteuils  roulants  dans  la  direction  du  pont  de 
l’Alma. 

A ce  moment,  M""^  Flore  se  réveille  sur  ce  cri...  de  l’esto- 
mac : 

— Est-ce  que  nous  n’allons  pas  bientôt  dîner  ? 

— Nous  nous  y rendons,  chère  madame,  répond  Verdu- 
ret;  mais,  comme  c’est  un  peu  loin,  vous  feriez  bien  de 
reprendre  votre  somme  : qui  dort  dîne. 

d’outàcoup, Bertrande*,  jette,  clleaussi,  un  petiteri.  Devant  le 
groupe  voituré  vient  de  surgir...  James-Cregory  Duzzling  en 
personne.  11  marche,  la  pipe  aux  dents,  d’un  air  triompha- 
teur. Sans  saluer  ])crsonne,  il  s’approche  du  fauteuil  roulant 
de  Bertrande  et,  en  passant,  lance  ces  mots  à la  jeune  fille  : 

— Toute,  il  été  prêt  ..  Le  nouit  qui  venait,  à dix  heures, 
vous  aurez  donné  un  gi’and  victory  à mon  pétrie.  Le  secret 
il  pouvait  pas  échapper  à moà.  llip!  hip  I hnrrah  ! pour  le 
Angleterre  ! 

Bertrande  pâlit,  soudain  inquiète...  et  l’Anglais  dispai’ait 
parmi  la  foule. 


CIIAIMTKE  V 

LK  MA  SQL’ K TOM  H H 


1.  A I'  K T li  \’  K iN  I '1'  I ]■:  A N !■; 

(rcsl  silencieusement  que  le  cortège  l'ait  le  parcours, 
long  (le  prt's  d’un  kilonn'Tre,  qui  sépare  le  Champ  de  Mars 
du  l’alais  des  Congrès.  Outre  ([u’il  est  dil'licile  de  causer  de 
iauteuil  à lauieuil  parmi  la  foule  qui  ne  commence  à être 
moins  compacte  qu  après  la  |)asserelle  de  ravenue  Happ  fran- 
chie, nos  personnages  ne  sont  nullement  enclins  au  havar- 
dage.  Une  inquiétude  qui  croît  à mesure  (]uc  la  nuit  ap|)ro- 
che  met  de  la  pâleur  au .v  joues  de  la  gentille  Bertrande  et 
un  petit  pli  vertical  à la  hase  de  son  front  pur,  entre  ses  longs 
sourcils  linement  arqués.  M""'  Flore,  encore  somnolente, 
écoute  anxieusement  les  réclamations  de  plus  en  plus  in- 
stantes de  son  estomac  si  peu  complaisant.  L’oncle  Verduret, 
reconnaissant  certainement  du  mal  qu'on  s’est  donné  pour 
lui  expliquer  l'Exposition,  mais  vexé  intimement  du  sans- 
la(;on  dont  on  prolonge  à son  égard  un  incognito  qui,  pense- 
t-il,  n’a  plus  raison  d’étre  depuis  qu’il  a fait  voir  qu’il  com- 
prenait que  ses  divers  ciceroni  s'entendaient  comme  aimables 
larrons  en  loire...  superbe  de  1!K)0,  Verduret,  donc,  contrarié 
par  dessus  tout  de  la  liberté  prise  d'imposer  à sa  situation  de 
propriétaire,  l’humiliation  de  ne  pas  acquitter  les  menues  dé- 
penses de  la  visite,  laisse  un  peu  pendre  une  lèvre  mécon- 
tente. (Juant  au  farinier  Bèchard,  sa  préoccupation  est  op- 


78 


A TRAVERS  l'eXPOSITION 


posée  ; il  s’enqiièle  elc  l’élévation  possible  des  prix  d;.i  res- 
taurant assigné,  et  ne  sait  s'il  doit  pencher  vers  le  regret 
qu'on  ne  laisse  pas  à lui  et  à ses  amis  la  lilicrté  de  choisir  un 
restaurant  à prix  lixes  et  doux,  ou  vers  l'espoir  que  là  où  on 
les  appelle,  ils  trouveront  une  fois  de  plus  l'addition  soldée. 

Enlin,  nos  quatre  provinciaux  descendent  de...  fauteuil 
devant  le  sous-sol  du  Palais  des  Congres,  et  voient  aussitôt 
s'avancer  vers  eux,  comme  s'il  n’eût  pas  quitté  la  place  de- 
puis son  presque  furtif  débarquement  de  la  matinée,  M.  ren- 
seigne de  vaisseau  de  réserve,  baron  Gaétan  de  Pilbouét. 

— Vous  voyez,  mademoiselle,  madame  et  messieurs,  dit 
celui-ci  en  saluant  d’un  geste  de  simple  élégance,  que  j’avais 
auguré  juste  en  vous  laissant  à penser  que  peut-être  mon 
adieu  de  ce  matin  ne  serait  qu'un  au  revoir.  Si,  en  moi,  le 
guide  a disparu,  vous  y retrouvez  l'hote  qui  a Phonneurde 
vous  inviter  à venir  bien  vite  réparer  vos  forces,  avant  qu'il 
n’ait  le  plaisir  d'assister  avec  vous  à la  fête  de  nuit. 

— Monsieur  le  baron,  répond  Verduret  d’un  ton  qui  n'est 
qu’à  demi  gracieux,  nous  vous  sommes  mille  fuis  obligé 
d'avoir  préparé  notre  rupture  de  jeûne;  mais,  eii  ce  qni  me 
concerne,  je  n'accepte  qn’à  une  condition  qui,  si  elle  pas  ad- 
mise, me  forcera  à vous  fausser  immédiatement  compagnie. 

— Vous  ne  feriez  pas  cela,  mon  oncle!  s’écrie  Bertrande 
d'une  voix  subitement  altén'e. 

— Dites  vite  quelle  condition,  monsieur,  supplie  d'un  ton 
presque  angoissé  le  jeune  officier  de  marine. 

Verduret,  stupéfait  de  l’effet  extraordinaire  et  inattendu 
que  produisent  ses  paroles,  regarde  tour  à tour  sa  nièce  et  le 
baron,  et  un  point  d'interrogation  traverse  brusquement  sa 
pensée. 

— Ah  ! ça,  se  dit-il,  est-ce  qu’il  y aurait  quelque  chose 
entre  eux  pour  qu'ils  soient  en  même  temps  si  troublés  à 
l'idée  que  je  pourrais  emmener  Bertrande  dîner  ailleurs? 

Tou  t préoccupé  lu  i-mème,  c'est  machinalement  qu'il  achève 
sa  réponse  à l'invitalien  du  baron  : 

— C’est  à condition,  dil-il,  que  vous  permettiez  à notre 
petite  société  voyageuse  de  solder  la  dépense  de  ce  dîner, 
comme  il  est  convenable,  car,  enfin,  à l'égard  de  personnes 
de  notre  âge  et  dans  notre  sitnatio7i,  cette  prétention  de  nous 
défi’ayer  devient  d'autant  plus  intolérable  que,  sauf  en  ce  qui 


r.A  ni'inMKHE  iMiOMENAur; 


7!» 


^ vous  concenio  personnellement,  nous  devons  subir  des  g6- 
* nérosités  inas(ju6cs  ! 

<Jii  il  cela  ne  tienne,  s’écrie  le  jeune  officier  avec  un  vi- 
sible soulagement.  Vous  payerez  l’addition,  cher  monsieur, 
et  SI  vous  ne  la  trouvez  pas  sufasamment  corsée,  eb  ! bien, 
je  ferai  venir  le  champagne  au  dessert. 

Je  suis  sur  que  le  menu  n’a  pas  besoin,  lui,  d’addition, 
lait  ^ erdiiret  rasséréné,  [lonr  rassurer  Hécbard  qui  lui  fait 
des  signes  désespérés. 

- (Jiianl  aux  masques  que  vous  desirez  si  légitimement 
voir  tomber,  je  no  vous  demande  que  de  patienter  encore 
deux  beuros. 

Bertrande  adresse  an  jeune  homme  un  regard  de  surprise 
interrogatrice  auquel  celui-ci  répond  par  une  presque  imper- 
ccptible-aflirmation  de  la  tète. 

— Décidément,  pense  Verdurct,  ces  cnfants-là  sont  de 
^ connivence,  mais  ils  auraient  tort  de  s’imaginer  que  je  suis 
un  bon  « père  Cassandre  » aveugle  de  la  Farce  Italienne. 
Hum!  enseigne  de  vaisseau...  démissionnaire  et  titré,  c’est 
tiès  pdi,  sans  doute,  mais  les  galons  ni  le  blason  ne  me  fe- 
ront pas  revenir  sur  mon  projet  /ovyVc.-  il  faut  que  je  découvre 
pour  ma  Bertrande  un  jeune  génie,  un  futur  graml  homme 
dont  la  gloire  rejaillisse  a son  heure  sur  l’oncie  par  alliance 
de  qui  la  lortune  roturière  de  labricantso  sera  aristocratiséc 
en  aidant  a 1 éclosion  d un  cliet-d  ouivre.  Donc,  monsieur  b' 
le  baron,  ne  chassez  pas  sur  nos  terres,  car  je  vous  liens  à 
l’mil!  Puisiiue  l’on  m’annonce  (|ue  je  vais  enlin  revoir  mon 
centenaire  et  savoir  pourquoi  il  fait  de  nous  des  visiteurs  pri- 
vilégics  — car  c’est  lui  Fàme  de  ce  complot,  cela  est  de 
toute  évidence  — je  lui  demanderai  de  me  trouver  l’oiseau 
rare  que  je  cbcridie  . un  savant  comme  lui,  un  homme  (|ui 
sait  tout,  doit  pourvoir  me  dénicher  mon  merle  blanc.  D’ail- 
leurs, je  mettrai  cette  condition  expresse  à l'cxcnse  de  la 
(letite  comédie,  si  peu  digne  do  gens  sérieux,  dont  il  s’est 
amusé  vis-a-*vis  de  nous.  Flirtez  donc,  mes  tourtereaux,  mais 
de  loin,  si  le  cœur  vous  en  dit  ; b'  jeu  aura  duré  trop  peu 
pour  que  la  petite  s'y  brûle  les  ailes! 

Satisfait  de  sa  clairvoyance  et  caressant  l’espoir  de  réaliser 
bientôt  son  rêve  aviinculairi',  le  manufacturier  retiré  fait  le 
plus  gland  honneur  au  repas  abondant  et  délicat  commandé 


1 


80 


A TRAVERS  L EXPOSITION 


par  le  jeune  oHicier  de  vaisseau.  Mais  sa  fourchette  ne  pai-^ 
vient  pus  à égaler  en  ardeur  celle  du  tariuier  d Essonnes, 
dont  la  physionomie  hargneuse  semijle  dire,  entre  chaque 
bouchée: 

— Ihiisque  cet  imbécile  de  Verduret  nous  met  par  ridi- 
cule amour-propre  la  note  sur  le  dos,  au  moins  j en  auiai 
pris  pour  mon  argent. 

Et  il  pousse  à copieusement  manger  et  boire  sa  moitié... 
qui  n’a  pourtant  pas  besoin  d’encouragement.  Seuls  I3er- 
trandeet  Gaëtan  de  Pilbouët  ne  font  que  très  peu  honneur 
aux  mets  choisis:  la  jeune  fille  est  visiblement  de  plus  en 
plus  troublée  et  le  jeune  oflicier,  taisant  presque  seul  les 
frais  de  la  conversation,  se  donne  grand'pcine  — d’ailleurs' 
avec  succès  — pour  intéresser,  charmer  et  rendre  le  bon- 
homme Verduret  de  franche  bonne  humeur. 

Celui-ci  n’est  pas  dupe  du  manège,  tout  en  en  subissant 
volontiers  les  elfcts. 

— Le  gaillard,  pense-t-il,  me  fait  la  cour  on  règle.  11 
veut  me  séduire  : c est  dans  la  règle  et,  comme  il  est  in- 
slruit  et  spiriruel,  la  partie  est  trop  attrayante  pour  que  je 
ne  m'y  prête  pas  de  bonne  grâce,  .le  suis  désolé  qii  il  doive 
en  être  pour  scs  frais  d'éloquence,  mais  comme  il  est  cliar- 
mant  j’en  profile  pour  passer  vraiment  de  fort  agréaldes 
instants. 

On  s’était  mis  à table  passé  sept  heures,  il  est  plus  de  huit 
heures  un  quart  lorsque  les  deux  couples,  guides  par  de 
Pilbomd,  quittent  le  restaurant  pour  embarquer  dans  la 
gondole  venue  se  ranger  à quelques  pas  au  long  du  quai.  11 
a été  convenu  que  l’otficier  de  vaisseau  ferait  d abord 
assister  son  monde  à la  fête  vénitienne  dont  la  Seine  va, 
dans  peu  de  temps,  être  le  lumineux  théâtre.  C est  sur  le 
neuve  et  ses  berges  que  réside,  ce  soir-là,  la  magie  des 
illuminations,  le  Cbateau  d Eau  ayant  subi  les  atteintes 
d’un  incendie  qui,  pour  être  peu  important,  ne  lui  interdit 
pas  moins  pour  quelques  jours  de  faire  jouer  les  ondes 
cnllammées. 

— ^ Vous  voyez,  fait  remarquer  le  marin,  en  désignant  un 
homme  en  vareuse  de  molleton  et  en  casquette  américaine 
qui  attend  à bord  de  la  gondole,  que  nous  commençons  à 
trahir  nos  secrets.  (Juand,  ce  matin,  la  dite  gondole  vous  a 


LA  DLRNIKRE  PROMENADE  81 


onImeuDS au  Trocadéro,  c’est  que  le  mécauicion 
que  vous  voyez  se  tenait  caclié  dans  sou  petit  poste  placé 
i sous  le  gaillard  d avant.  Quant  à la  A'ilesse  de  l’euibarcatiou, 
elle  est  due  au  système  de  propulseurs  à turliiues,  Lieu 
connu  dans  la  marine  où  il  remplacera  riiclice  presque 
i séculaire,  pour  les  bateaux  b'gers  et  ultra  j'apidos.  Pour  ce 
qui  est  du  moteur,  vous  p('nsez  bien  qu’il  est  électrique, 
ainsi  que  vous  alb'z  en  avoir  la  preuve  dans  un  instant. 

Lentement,  la  belle  embarcation,  sous  ses  seuls  feux 
l’églemeutaircs,  promène  d’un  bouta  l’autre  de  l’Lxpositiou 
ses  passagers,  eu  attendant  le  signal  de  l’illuminai  ion  géné- 
rale. Somiain,  rembrasement  se  fait  partout  à la  fois  sur 
les  deu.x  lives  et  sur  les  Ilots  ; la  Tour  Eillel  resplendit 
j comme  un  immense  joyau  d'or  constellé  de  diamants;  les 
Pavillons  des  Puissances  étrangères  dessinent  eu  traits  de 
llammes  leurs  contours,  leurs  porebes;  les  Palais  du  Lours- 
la-Reiue  répondent  en  lignes  de  feu;  le  Pont  Alexandre  III 
I étincelle  entre  les  llamboyements  dos  Palais  des  Champs- 
Elysées  et  ceux  de  l’Esplanade  des  Invalides;  de  toutes  parts 
b^  ci(d  se  raye  des  traînées  d’argent  subtil  des  projecteurs 
électriques,  et,  sur  l’eau  assombrie,  des  centaines  de  yachts 
et  de  barques  promènent  la  lueur  multicolore  et  mouvante 
de  leurs  pavois  de  lanternes  vénitiennes,  dessinant  parfois 
dans  la  nuit  dos  formes  gracieuses  ou  fantastiques  de 
cygnes,  de  tritons,  de  monstres  marins...  -Et,  de  toutes 
parts,  les  lumées  ardentes  des  feux  de  bengalc  font  flotter 
dans  1 air,  à la  surface  du  sol  ou  des  ondes  des  nuages 
d’eufer  et  de  paradis.  Le  spectacle  est  féerique  et  la  foule  des 
rives  applaudit,  pousse  des  clameurs  d’admiration  joyeuse. 

L’enthousiasme  général  saisit  nos  passagers. 

Et  vous?  demande  \ erduret  à 1 oflicier  de  vaisseau, 
vous  n avez  pas  eu  l'idée  de  jouer  votre  rôle  dans  cette  fête 
de  la  lumière.  C’est  pitié  de  voir  cette  belle  gondole  errer 
sombre  parmi  toutes  ces  clartés  ! 

L omission  est  réparable,  répond  en  souriant  de 
1 ilboui't,  et  il  suffit  que  vous  en  e.xprimiez  le  désir  pour... 

11  n’achève  pas.  Bertrande,  dame  Flore,  Verduret  et  môme 
le  plus  imperturbablement  grave  des  fariniers  de  France  et 
de  Navarre  poussent  un  cri  de  surprise  et  d’admiration  ; ils 
se  sentent  soudain  entourés  d'une  nappe  lumineuse  faite 


82 


A TRAVERS  l’eXPOSITION’ 


(i’iinc  muUituile  d'immpnsos  aigreltes  électriques,  bleiies 
vers  l’avant,  blanches  an  centre  et  rouges  sur  l’arriére,  et 
dont  rintensité  est  telle  que  la  lueur  doit,  de  part  et  d’autre, 
enllammer  tes  visages  pressés  sur  les  berges.  Les  passagers 
entendent  cette  foule  répondre  à leur  cri  de  surprise  par  des 
honrrahs  frénétiques,  des  trépignements,  puis  un  fantas- 
tique : « Vive  la  France  ! » poussé  par  vingt  mille  poitrines 
à la  vue  de  cet  éblouissant  drapeau  tricolore  surgissant  ii 
l'improviste  de  la  surface  des  eaux. 

Verduret  se  sent  remué  d’une  émotion  profonde.  11 
bégaye  : 

— C’est  beau!...  C'est  magnilique  !...  C’est  sublime!.... 

Et  il  tend  d’un  geste  spontané,  ses  deux  mains  qui  trem- 
blent à l'enseigne  de  vaisseau  en  s’écriant  : 

— Ab  ! monsieur  le  Ijarou,  ou  u a jamais  l’ien  vu  de 
pareil  à ce  bateau  sui'humain...  efvous  pouvez  être  fier  de 
voire  (cuvre. 

— Monsieur  Vcu’durid,  je  ne  suis  [)as  plus  1 auteur  de 
ceUu  gondole,  (|U(‘  vous  pouvez  sans  crainte  d'iiyperboby 
(|ualilier  d('  merveilleusi',  (ju'un  capitaim*  de  vaisseau  u’esl 
c(dui  du  cuirassé  qu’il  commande.  C’i'st  donc  à un  antre 
(|in'  vont  vos  sinci'res  éloges. 

— ■ A (|ui  donc? 

— A c(dui  vers  lequel  j('  vous  mène  (d  (|ui  vous  attend. 

Soudain,  la  gondob'  redi'vient  somlua',  ayant  éteiul  jus- 
qu’à ses  fi'ux  réglementaires,  (d,  en  même  temps,  tiadnis- 
saut  toute  sous  l’ellort,  elle  s’élance  à uiu'  vitesse  vertigi- 
mmse  dans  la  direction  d’aval...  taudis  (|u’uue  clameur  d(‘ 
désappointement  accueil  le,  des  idves,  sa  brusque  disparition. 


S n 

P R O T l';  E 

Franchissant  en  quelques  minutes  les  ponts  de  1 Alma, 
d’iéna,  de  l'assy,  de  Grenelle  et  iMirabeau,  la  gondole- 
é(dair  viimt  stopper  avec  ses  passagers  contre  le  qnai  de  la 
rive  gaucluy  à liaul('ui'de  la  rue  des  Cévennes. 


I.A  DEIIMÈIIF,  PliO.MENADE 


83 


|jOl(ici(‘i’  (l<“  A'aiss(“iiii  santé  h terre,  ('t  invite  ses  conipa- 
f-'nons  non  encore  revenus  de  leur  surpris(',  a le  suivre  sur 
ce  quai  désert,  (ialanmn'nt  il  lend  la  main  à Bertrande  qu 
s y appuie  fortement,  toute  tremblante  qu’elle  est  d’émotion 
— Allons,  courage,  mademoisidle  ; tout  ira  bimi,  lui 
soullle-t-il  à rorcille. 

— Dieu  vous  entende!  répond  la  jmine  iilb'  en  un  mnr- 
muri'  grave  de  fervente  jirière. 

Sur  les  ti'acos  de  son  guide  ai'islocratique,  le  groupe  pro- 
vincial, assez  peu  rassui'é,  s’engage  dans  la  rue  des  Céven- 
nes,  où  il  n’a  pour  compagnie  que  son  ombre  quadruple 
projetée  sur  le  Irotloir  pai'  la  blancbe  clarlé  lunaire.  An 
bout  d’iiiu'  centaine  do  pas,  l’oflicier  s’arrête  devant  uni' 
porte  de  planebi's,  et  poidant  un  mignon  sifllet  d’argent  à scs 
lèvri's,  (Ml  tire  un  triple  appel  doucement  modulé. 

— Brrr!  fait  Veialuret  en  riant  un  peu  fort  pour  tromper 
la  vague  iminiélude  qui  lui  fait  courir  un  b'ger  frisson  au 
long  de  l’épine  dorsale,  on  dirait  que  nous  jouons  un  cba- 
pitre  de  Xavier  de  i\Iontépin  ! 

Ba  porte  s’est  ouverb'  sur  un  profond  trou  noir  qui  doit 
être  un  vaste  bangar,  et  oii  Gaidan  d(‘  Bilbomù  invite  scs 
compagnons  à se  jilonger. 

Verdnret  obéit,  entraîné  par  .sa  nièce  et  puiiille;  mais 
Becbard,  que  sa  moitié  tonte  apeurée  retient  par  le  bnis,  no 
paraît  nnllement  déci(b‘  à franebir  le  pas  qui  le  sépare  d’nn 
in()niétant  inconnu. 

— Où  nous  conduisez-vous?  demanda-t-il  au  jeune  ofli- 
cier  qui  le  presse  d’entrer. 

V.  Tr'V  niasques  tombent  et  où  l’on  attend 

l\l.  verduret. 

— Pas  de  mauvaise  plaisantei'io,  hein!  (ja  m’a  tout  l’air 
il  un  coupe-gorge,  ici  ! 

I.e  baron  GaCdan  de  PilbomÙ  se  redresse  et,  d’un  ton 
blessé; 

— Viaus  oubliez,  monsieur,  qui  je  suis.  Sous  la  sauve- 
garde d un  officier  français,  il  n’est  permis  à personne  de 
supposer  une  traîtrise. 

Becbard  se  décide  ; il  entraîne  de  force  sa  farinièro  qui  se 
raulit  et  proteste  en  vain,  et  sur  le  groupe  plongé  dans  les 
temdjres,  la  porte  se  referme. 


8i 


A TRAVERS  l’exposition 


Alors,  un  point  luniineux  jaillit  à quelque  distance:  c est 
nne  porte  intérieure  qui  s’ouvre  peu  a peu,  et,  de  loin,  une 
voix  aiguë  et  chevrotante  crie  taiblcniont . 

— Par  ici  !...  Venez  ! . • . , ■ i 

Vcrdurct  a tressailli  et  soudain  tonte  son  inquiétude  s est 
envolée.  Cette  voix,  il  la  reconnaît  bien  : c’est  celle  du  cen- 
tenaire. , 

Le  manufacturier  retire  et  ses  compagnons  entrent  dans 

une  petite  pièce  aux  murs  nus,  faits  de  planches  grossière- 
ment jointes,  meublée  de  quelques  sièges  recouverts  de  nm- 
Icsquine,  d'une  table  habillée  du  traditionnel  tapis  de  serge 
verte  et  éclairée  par  l’ampoule  suspendue  d’une  lampe  a 
incandescence.  Ce  petit  baraquement  est  bien  le  « liureau 
sans  luxe  d'une  usine  de  dixième  ordre.  Au  fond,  une  por- 
tière algérienne  aux  couleurs  passées  masque  une  étroite 
baie  que  le  nottement  mou  de  la  tenture  annonce  veuve  de 
sa  iiorte.  A la  grande  surprise  de  Verduret,  la  pièce  exigim 
oii  il  vient  d’entrer  le  premier  est  déserte.  t)ù  est  donc  le 
centenaire  dont  il  vient  (rentendre  la  voix  bien  connue? 

Comme  il  cherche  du  regard  et  tombe  en  arrêt  devant  la 
portière  llottante,  une  voix  rogomme  sans  cesser  d iHrc  dis- 
tinguée, une  voix  jeune  mais  cassée  qui  éveille  en 
souvenir  précis,  cause  d’un  nouveau  tressaillement,  lui  dit  : 

— One  Son  excellence,  ainsi  que  M.  le  Grand  Panetier 
de  Sa^Majesté  le  Tzar  et  leurs  compagnes  veuillent  bien 
l)rendre  la  peine  de  s’asseoir,  .le  suis  à eux  dans  un  instant. 

— Bon,  pense  Verduret,  ce  pauvre  diable  de  toque  de 
LaiirentielV  est  avec  le  centenaire;  c’était  à prévoir.  ' 

Gaëtan  do  Pilbouid,  qui  a refermé  à clef  la  porte  d’entrée 
du  bureau,  fait  asseoir  le  groupe  de  visiteurs  et,  s adres- 
sant... à la  tenture  hors  d’àge  : 

— Conformément  cà  votre  avis,  voici  ces  messieurs  et  ces 
dames  au  rendez-vous  près  de  trois  quarts  d’heure  avant  le 

moment  primitivement  indiqué. 

Té!  c’est  bien  ainsi,  cadédis  ! répond  un  organe  toni- 
truant bien  connu,  qui  fait  sursauter  d’aise  l’oncle  de  Ber- 
trande. I l •)  .' 

— C’est  ce  bon  Bouscastnd  !...  Ils  y sont  tous  . dit-il  a 

Béchard,  qui  dissimule  son  ahurissement  sous  une  attitude 
de  dignité  grotesque  à force^d’ètre  rigidement  oulree. 


LA  OLFIMÈHE  PÜOAIENADE 


8o 


Dci’riore  le  rideau,  le  généreux  organe  barytone  de  nou- 
veau ; 

— Cornebiou  ! grâce  à cette  exactitude  que  je  ne  puis  pas 
plus  su|)erbemcnt  qualilier  que  de  toulousaine,  nous  allons 
l'aii-e  la  pige,  té,  à ce  farceur  morne  de  Pu/zling,  James- 
(ir('gory  pour  les  ladies,  et  hononrvhcnl  agent  de  l’uniAU'rsel 
agrippement  britannique...  Et  vive  la  France  1 mon  bon. 
Nord  et  Midi,  troun  de  l’air  bagasse,  comme  ils  disent  à 
Marseille  ! 

— C’était  écrit  : Allah  protège  les  lioumis  français, 
répond  au  Toulousain  une  autre  voix  couverte. 

— Parbleu,  le  Touareg,  maintenaut  : la  bande  est  au 
complel.  Nous  allons  nous  amuser,  n’est-ce  pas,  lillette? 

Mais  Ibu-lrande  ne  paraît  nullement  disposée  à confirmer  le 
pi’onostic  d('.  son  oncle.  Les  yenx  baissés  et  comme  renlermée 
toute  en  elle-même,  ses  doigts  féliriles  tordent  à le  décliirer 
sou  fragile  moucboir  de  batiste. 

loutà  coup,  la  j)ortière  algérienne  brnsquemenl  s’écarte 
et,  dans  l’encadrement  de  la  port('  parait  — à Timb'scrip- 
tible  stupélaction  de  \crduret  — ^ un  inconnu. 

C’est  un  jeune  homme  de  moins  de  trente  ans,  à la  mous- 
tache brune,  trop  légère  [)our  cacher  une  houche  à l’arc 
(h'ciilé.  11  est  correctement  vêtu  d’une  rcalingote  noire  dessi- 
nant un  buste  élégant,  aux  épaules  larges  sans  excès  et  bien 
assises  sur  la  cbarperite  thoracique.  Li's  cheveux  coupés  ras, 
a la  militaire,  dégagenl  un  front  élevé  au-dessous  duquel 
deux  yeux  noirs  brillent  d’un  éclat  intense.  Très  calme,  il 
s avance  vers  le  cercle  de  scs  visiteurs,  salue  avec  une  grâce 
un  peu  froide,  va  prendre  place  à la  table  au  tapis  vert  et. 
(1  une  voix  dont  la  douceur,  chantante  et  bien  timbrée, 
trahit  une  réserve  de  puissance  qui  juge  inutile  de  se  dé- 
penser sans  utilité,  il  dit  simplcmcut: 

— Je  vous  remercie  tous  d’être  venu  à mou  appel. 

— Comment,  à votre  appel?  fait  Verduret  interloqué. 
C’est  M.  le  baron  qui  nous  a amenés,  lions  promettant  qu’oyi 
se  déciderait  à jeter  enfin  le  masque. 

— C’est  moi  qui  suis  ce:  un. 

— Pardon,  mais...  je  suis  venu  voir  ici  le  centenaire 

que... 

— C’est  moi  qui  suis  le  centenaire, 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


8(i 


ITein?...  Je  viens  de  l'entendre  parler  al  instant,  ainsi 

qnc  ce  pauvre  mécanicien  déséquilibré  qui  se  prétend  prince 
l^aurentielT. 

— ('/est  moi  qui  suis  Laurentiell. 

— Par  exemple  !...  Et  Bouscastrol!  et  le  touareg  Moham- 
med (jui  viennent  de  parler,  là,  dans  cette  pièce  voisine!... 

— Nbmillc/.  vous  rendre  compte  par  vous-même.  Mon 
clier  de  Pelbouët,  accompagnez,  je  vous  prie,  M.  Verduret. 

Accompagné  de  1 officier  de  vaisseau,  1 oncle  tout  décon- 
tenancé de  Bertrande  pénètre  dans  la  pièce  voisine  qu  il 
constate  être  une  sorte  de  cabinet  sans  issue  et  absolument 
vide.  11  revient  vers  l'inconnu,  en  balbutiant,  interrogateur. 

— Je...  je  ne  comprends  pas  ! 

Jo,  vous  répète  que  vous  ne  pouvez  trouver  ceux  que 

vous  cherchez  et  qui  ne  sont  que  des  mythes  ou,  si  vous 
préférez,  des  avatars  diilcrents  d'un  seul  et  môme  individu... 
qui  n'est  autre  que  moi-nièmc. 

— (/'est  prodigieux  ! 

— Cela  prouve  simplement  que  je  possède  quelque  talent 
en  Part  des  transformations. 

— Mais,  la  science  consommée  et  la  sagesse  de  ce  vieil- 
lard, le  savoir  de  cet  Arabe,  1 esprit  alerte  et  la  belle  bu- 
ineur  do  l'artiste  toulousain,  le  génie  fantasque  de  ce  prince 
mécanicien,  et  l’éloquence  de  tous  ainsi  fjuo  leur  étonnante 
documentation  seraient  donc,  en  ce  cas,  l'apanage  de  votre 
seule  personnalité,  à vous  qui  paraissez  si  jeune?...  C est 
imjmssible, 

— Dame,  il  faut  pourtant  bien  l'admettre. 

Mais  alors,  vous  qui  savez,  nouveau  Protée,  être  tour 

à tour  sage,  fou,  artiste,  chef  noir,  et  toujours  si  érudit 
vulgarisateur,  qui  doue  êtes-vous  ? 

— (Jui  je  suis? 

— Oui. 

Le  jeune  inconnu  se  lève  et,  regardant  \ erdurct  bien  en 
face  : 

— Je  suis  votre  neveu  à la  mode  de  Bretagne  et  quel- 
que peu  cousin  de  votre  nièce... 

— Hein? 

— Je  suis  Fernand  Bobert,  cecrt/cqui  vous  a vu  déchirer 
sa  photographie  avec  tant  do  colère,  de  rancune  et  de  mé- 


i.A  riEiiMi':i!i-:  pitoMENAnic 


SI 


pris,  ot  qui  a I honneur,  mon  oncle,  de  vous  demander,  de- 
vant témoins,  la  main  de  Bertrande. 

Verdnret  n’en  peut  entendre  davantage.  D’abord,  il 
s’écroule  sur  sa  chaise  en  proie  à une  stupéfaction  d'une 
violence  ahurissante...  Buis  soudain,  il  se  repiend,  une 
poussée  de  sang  empourpre  sou  visag.q  il  bondit  sur  ses 
courtes  jambes  en  s’écriant  ; 

loi  !...  (,  est  toi,  misérable,  qui  t’es  b ce  point  joué  do 

moi  ? 


— iM’eussiez-vous  permis,  sans  déguisement  — nécessité, 
d ailleurs  par  un  motif  plus  grave  — de  faire  tranquille- 
ment devant  vous  la  preuve  que  le  m/r  n’est  pourtant  pas 
dénué  de  quelque  savoii"?  Ce  n’est  pas  de  ma  faute  si  vos 
yeux  n’ont  pas  eu  la  pénétration  de  ceux  de  Bertrande,  qui 
n’a  pas  mis  deux  fois  vingt-quatre  heures  à lire  sous  mon 
masque. 

— Ab!  la  petite  gueuse!...  Vous  étiez  do  connivence 
pour  me  bafouer. 

— Noyons,  pas  de  colère,  mon  oncle,  et  daignez  avouer 
qu  il  me  fallait  bien  avoir  recours  à mes  talents  scéniques 
jiour  combler  le  plus  cher  de  aos  vœux. 

— De  plus  cher  do  mes  vœux?  questionne  le  manufacturier 
retire  en  lovant  vers  le  ciel  deux  poings  exaspérés. 

--  Mon  Dieu,  oui.  Votre  rêve  — le  bon  curé  de  .Males- 
berbes  m’anrail-il  trompé?  — n’est-il  pas  de  découvrir, 
pour  lunir  b Bertrande,  celui  qui  vous  permettra  de  con- 
sacrer une  part  de  votre  aisance  b quelque  grande  œuvre 
dont  le  retentissement  dans  le  monde  anoblira  votre  for- 
tune que  vous  estimez,  on  votre  noble  ambition,  entachée 
de  trop  de  prosaïsme  mercantile  et  banal  ? Eb  bien,  j’estime 
que  ce  n était  pas  me  jouer  de  vous,  la  lin  justiiiant  les 
moyens,  que  de  vous  aider  b découvrir  l’homme  qui  fera  en 


môme  temps  le  bonheur  de  la  nièce  et  la  gloire  de 


oncle. 


sans  que,  par  parti  pris,  vous  ne  commenciez  par  eO'arou- 
cber  l’oiseau  rare. 

Et  tu  prétends  que  cet  oiseau  rare?... 

Je  prétends,  té,  qu’il  est  devant  vos  yeux,  cadédis  ! 

— Eb  bien,  tu  as  du  toupet  ! Je  ne  nie  pas  que,  en  nous 
expliquant  1 Exposition  de  façon  si  intéressante  et...  diverse, 
tu  U aies  fait  preuve  de  supérieur  bagout  et  de  quelque  mé- 


88 


A TRAVERS  e’eXPOSITION 


rite  peut-être  plus  appai'cnt  que  réel...  Car  je  n oublie  pas 
que  tu  as  été  cabotin,  et  j'incline  à croire  maintenant  que, 
si  tu  as  merveilleusement  joué  tes  rôles,  rien  ne  prouve 
que  l'actenr  soit  l'auteur,  en  sorte  que  je  pourrais  très  bien 
n’ètre  en  présence  que  d'un  tour  de  torce  de  mémoire, 
hiiaut  à ta  prétention  d'obtenir  de  moi  la  main  de  Ibu- 
trande,  je  la  trouve  si  plaisante  que  je  ne  m'en  fâche  minnc 
pas.  Je  me  contente  de  prendre  ma  nièce  à mon  bras  et  de 
sortir  de  ce  traquenard  manqué  en  haussant  les  épaules. 
Voilà  ma  réponse.  Allons,  viens,  Bertrande. 

— Mon  oncle!  supplie  la  jeune  tille  qui  joint  les  mains 

on  fondant  en  larmes. 

— Ah  ! pas  de  simagrées,  je  te  prie.  Si  tu  as  eu  la  sottise 
de  t'amouracher  de  ce  godelureau...  que  je  veux  bien  re- 
connaitre  avoir  fait  quelque  progrès  à sou  avantage,  tu  en 
seras  quitte  pour  remiser  cette  sotte  passioiuu'ttc  au  ma- 
gasin des  fantaisies  irréalisables.  Lu  route  ! 

^ _ Mon  oncle,  vous  ne  voudre/  pas  me  désespérer  ainsi, 
avant  même  de  savoir  iiiiel  i-st  l'homme  de  génie  que  vous 
ose/  repousser  ! 

_ IMh'  lui  donne  du  génie,  maintenant,  pour  avoir  su 
réciter  avec  beaucoup  d'art  un  rôle  bien  appris  !...  C’est  du 
génie  cabotin,  cela,  et  il  ne  peut  que  faire  rougir  de  honte 
des  gens  sérieux  et  moraux  ! 

— Mais,  ce  n’est  pas... 

— Allons,  assez  ! Je  t’ordonne  de  prendre  mon  bras  pour 
sortir  d’ici  ! 

Comment,  l'eruand,  tu  m abandonnes. 

Obéis  à notre  oncle,  ma  chère  Bertrande;  il  ne  t em- 
mènera pas  loin. 

— ( lu'est-ce  à dire,  môssieur  ? 

— One  j’avais  prévu  cette  belle  colère  qui,  elle,  est  beau- 
coup moins  documentée  que  mes  explications  de  ces  loiirs 
passés,  et...  que  l’unique  porte  par  où  l’on  puisse  sortir  de 

ce  bureau  est  fermée.  . . 

— Tu  aurais  l’audace  de  vouloir  me  retenir  prisonnier  . 
C’est  donc  un  guet-apens?  s’écrie  Verduret  en  se  retournant, 
pâle  maintenant  de  fureur,  vers  Fernand  Bobert  impassible, 
à qui  il  montre  le  poing. 

— Guet-apens  si  vous  voulez,  mais  vous  demeurerez  mou 


LA  DLIiMKliL  PllO.M  ILN  A DL 


.S9 


pi-isoimicr  ce  que  j’aie  achevé  de  dire...  ce  que  j’ai 

a vous  dire.  (Juand  j’avance  une  chose  je  la  prouve  et  il 
Il  est  ni  lorce  ni  colère  au  monde  qui  m'empêcheraient  de  faire 
cette  preuve  si  toile  est  ma  volonté.  Je  vous  ai  dit,  mon 
oncle,  que  je  suis  celui  que  vous  rêvez  pour  llertrande  et  — 
soitdit  sans  pensée  malicieuse  — pour  vous-même.  Dans  cinq 
minutes  je  1 aurai  démontré  et  alors,  mais  alors  seulement, 
vous  me  relusorez  la  main  de  celle  que  j’aime  (;t  qui  m’ai- 
me... si  vous  l’osez  ! 

— (Jiiel  toupet  ! 

^ — Ah  ! pas  d’injures  inutiles!  A mon  tour  je  dis  ; assez  ! 
Vous  allez  me  suivre  tous,  car  je  veux  dos  témoins.  Et  vous, 
mon  cher  de  Dilhouët,  vous  mon  vaillant  second,  vous  qui 
avez  eu  loi  en  moi  et  avez  sacrifié  à mon  œuvre  votre  ave- 
nii  marin  et  votre  lortune,  veuillez  donner  des  onlrcs  pour 
que  la  porte,  la-has,  soit  au  besoin  bien  défendue  et  que 
1 Angleterre  ne  vienne  pas  trop  tôt  Iroulder  cet  entretien 
duquel  ilépcud  le  bonheur  de  ma  vie. 

— IdAngleterre  ?...  murmure  machinalement  Verduret 
huit  abasourdi  par  le  ton  d'impressionnante  solennité  el 
daiilorité  magistrale  dont  l’ernand  Robert,  la  tête  haute, 
grave  et  comme  trausiiguré,  a prononcé  ces  paroles. 

Lejeune  homme,  d’un  geste  tranquille  et  irrésistible,  écarte 
sou  oncle  de  son  chemin,  éloigne  Bèchard  et  sa  femme  de- 
meurés, au  tond  de  la  pièce,  les  témoins  ahuris  de  celte 
scène  do  familhq  repousse  les  chaises  que  le  couple  farinier 
occupait,  et  appuie  la  main  contre  la  muraille  do  planche... 


lil 

l’ill  vu  l 

Sous  la  pression,  un  déclict  se  fait  entendre  et  une  partie 
de  la  muraille  de  bois  s'enfonce,  tandis  qu’nne  boulfée  d'air 
pénètre  dans  le  bureau.  Dans  la  demi-obscurité  de  l’ouver- 
ture, les  visiteurs  vespérau.x  devinent,  plus  qu’ils  ne  voient, 
un  vaste  hangar  au  milieu  duquel  apparaît  vaguement  une 


A TRAVERS  l’eXPOSITIOM 


90 


grande  macliinc  renvoyant  on  rcOcts  nnvtulliqnes  très  blancs 
la  lueur  lointaine  d’une  lanterne  pendue  au  toit.  L ouver- 
ture Iranchie  par  tous,  Fernand  Uobert  commande  : 

— Le  projecteur  ! 

Ausssitôt,'  un  faisceau  de  lumière  électrique  partant  de 
rextremité  du  hangar  vient  frapper  nnc  machine  étrange, 
d'iin  blanc  d’argent,  an  pied  de  laquelle  se  tiennent  cinq 
jcvincs  hommes  jiortant  le  pantalon  et  la  veste  de  toile  bleue 
des  mécaniciens,  mais  dont  la  correction  de  tenue  indique, 
sinon  font  à fait  des  gentlemen,  du  moins  ces  maîtres  ou- 
vriers qui  sont  une  classe  très  intellectuellement  supciicnie 
de  travailleurs. 

— Mes  dévoués  collaborateurs,  tonnant  mon  équipage 
d'élite,  annonce  Fernand  Robert,  qui,  d un  ton  ferme  et  ami- 
cal, leur  demande  : 

— Tout  est  paré  ? 

— ( )ui,  commamlant. 

— Merci.  Prenez  les  ordres  de  M.  de  Pilbouèt. 

Les  cinq  hommes  accoururent  vers  1 enseigne  de  vaisseau 
de  réserve. 

Verduret,  chez  qui  toute  colère  a lait  place  à une  prolondc 
sur[)risc  admirativc,  croit  rêver.  Tandis  que  ses  oreilles  sont 
frappées  du  ton  de  respect  atlcctucux  dont  on  parle  a celui 
qu'il  vient  de  traiter  de  si  haut,  ses  regards  ne  peuvent  se. 
détacher  de  la  machine  étrange  qu'il  a sons  les  yeux.  F est 
d'une  voi.x  o[)prcsséc  d’émotion  instinctive  qu  il  demande 
presque  timidement  : 

— Ou'est-ce  que  c’est  que  cela? 

— Cela,  répond  Robert,  c'est  l’œuvre  de  mes  veilles.  Si  je 
l'avais  voulu  mettre  à l’Exposition,  mon  nom  serait  fameux 
d’un  bout  à l’autre  tlu  monde.  Mais  c’eût  été  faire  perdre  a . 
mon  pays  nnc  partie  ries  avantages  que  lui  donne  le  secret 
gardé  de  ma  création.  Cela,  cest  la  net  de  I avenir  qui,  répé- 
tée seulement  quelque  cinquante  ou  soixante  fois  assurerait 
la  suprématie  de  la  France  sur  scs  rivales,  en  supprimant 
pour  elle  la  distance,  tes  frontières,  en  rendant  inutiles  les 
fortilications  de  scs  adversaires.  Fêla,  c est  le  torpilleur  îles 
airs.  Veuillez  y pénétrer,  je  vais,  autant  ([u  il  convient,  et  a 
vous  les  premiers  en  dehors  de  mes  collaborateurs,  vous 
l’expliquer. 


r.A  urctiMKitr;  PRO.Mr-;>’AnK 


91 


^ Le  jeune  J.omme  sapproclic  de  la  macliine  qui  ressemble 
a une  lono-ue  embarcation  très  plate,  surmontée  de  trois  ma- 
meaux  au  sommet  desquels  sont  engrenées  de  grandes  hé- 
lices aux  longues  ailes  légères,  ctdont  l’avant  ctl’arrière  sont 
armes  de  propu  seurs  semblables.  11  fait  sortir  du  liane  en 
aluminium  de  la  machine  une  mince  et  solide  échelle  et 
un  ité  A crduret  et  Berirande  à le  suivre  « à bord  ».  Bèchard 
leste  a terre  avec  sa  lemme  qui  ne  peut  se  résoudre  cà  gravir 
CCS  étroits  échelons  métalliques,  et  le  fariuier  est  enchanté 
. ce  pietcxtc  qui  évite  a sa  couardise  méOante  de  s’avenlii- 
ler  sur  le,  monstre  inconnu. 

A bord  le  jeune  homme  reprend,  s’adresantau  manufac- 
turier retire  : 

,„7'|  lielices  à rotation  contrariée  qui  sont  aii-des- 

eenl  ° Tv  seulement  à l’ascension  et  à la  des- 

a les  u,r!l  I l’  S'-iee  à deux  grandes 

jUlcs  qu  il  déploie,  une  de  chaque  hord,  et  qui  lui  font  fendre 

I au  huri/outalement  sous  la  propulsion  des  hélices  verti- 

ç.  es  des  extrémités.  C’est  simplement  le  « plus  lourd  que 

l ^u  » et  une  imitatioii  ralionuelle  du  vol  de  l’oiseau.  Ce 

1 chut  laque  la  partie  très  secondaire  du  problème  ; la  prin- 

c pale  était  de  trouver  le  moteur  puissant  et  léger  cailable 

■ivec’'unè'  ”'ic  torce  durable  pour  faire  mouvoir'  les  hélices 

tlvcU  T propulseurs  marins,  sans 

siiichaigci  I esquil  aerien.  J y suis  arrivé  grâce  à la  décou- 
verte qiiej  al  laite,  heaucoup  par  hasard,  je  l’av.uie,  de  l’ac- 

dër,d  insigniliant.  Par  lui,  les  lois 

de  la  physique  électrique  se  trouvent  renversées,  maisn’est- 

tale  ous  la  poussée  du  progrès  ? Cette  partie  fondamentale 
ma  decouverte  ne  permet  pas  seulement  la  navigation 
ai  lionne  pratique,  elle  permettra  d'actionner  les  arbres  de 
couche  des  navires  marins  qui,  pouvant  (plus  heureux  en 
ce  a que  mon  aero-nef)  opérer  le  rechargement  en  cours  de 
route,  auront  ! empire  des  mers  par  le  seul  fait  que  leur  rayon 
.1  action  sera  illimité...  Voilà  mon  œuvre,  l’ouivre  du  « vlu- 
nen,  du  propre  a rien,  du  vagabond,  du  dépensier,  du  pares- 
seux qm  n a meme  pas  su  être  bachelier  comme...  tout  le 
monde,  et  qui  devait  linir  comme  un  va-nu-pattes  » selon 
vos  propres  paroles  dites,  le  jour  de  votre  arrivée  à l'Expo- 


92 


A TRAVERS  l’eXPOSITION 


sition,  en  présence  de  ce  pauvre  centenaire  qui  na  meme 
pas  pris  matlélensc.  Estimez-vous  que  cette  u'uvre  me  rende 
digne  de  la  tendre  et  charmante  récompense  que  vous  revez 
réserver  à l'inventeur  d’avenir  que  vous  veniez  chercher  a 
l'Exposition  sur  l'avis  que  je  vous  ai  l'ait  mystérieusement 

parvenir'?  . ^ , i 

— Ah!  Fernand,  tu  es  un  génie!  s’écria  bertrande  en 

s’élançant  vers  son  cousin. 

.Alais  Verdurct  la  relient  énergiiinement. 

— Un  instant,  commande-t-il.  Je  connais  le  jeune  homme 

pour  être  un  monteur  de  coup  de  première  lorcc  et  je  ne 
m'emhalle  qu'à  bon  escient.  Je  vois  bien  la  machine  dont  je 
suis  absolument  stupéfait  ainsi  que  de  tout  ce  qui  v'Ciü  ce 
m’être  dit.  .Mais  les  imaginations  d’inventeurs  ou  soi-disan 
t(ds  vont  souvent  plus  vite  que  la  réalité.  Le  nombre  est 
.-■rand  des  inventions  destinées  à bouleverser  le  monde  et 
qui,  mises  en  demeure  de  prendre  leur  essor,  ne  toui- 
nent...  qu’à  la  confusion  de  leur  inventeur  : les  ailes 
d’ieare  iie  sont  pas  nnc  légende  créée  d’hier!  1res  curieuse 
sûrement  ton  allairc  ; mais  marche-t-elle?  . . 

— \h!  monsiimr,  s’écrie  l’enseigne  de  vaisseau  qui  vient 

de  reioindre  Fernand  llobcrt  à son  bord,  vous  ôtes  plus  in- 
crédule que  saint  Thomas  et  surtout  que  les  Anglais.  Far 
mon  génial  ami  ne  vous  dit  pas  (lu’il  m’a  emmené  au  cours 
d’uuc  expérience  dont  le  champ  a été  une  partie  de  l Europe, 
mais  que  notre  passage,  dont  par  point  d honneur  <le  pa- 
triote il  a voulu  laisser  des  traces,  lui  a suscite  cm  Albion 
de  terribles  ennemis.  11  ne  vous  dit  pas  que  ce  Puzzhng  que 
vous  connaissez  est  un  agent  acharné  à la  découverte  de 
cette  machine  merveilleuse  pour  en  surprendre  les  secrets 
ou,  s’il  ne  peut,  la  détruire,  puisque  son  inven  eur  refuse 
de  la  vendre  contre  un  monceau  de  livres  sterling.  11  ne 
vous  dit  pas  qu’en  ce  moment  nos  hommes  sont  en  armes 
près  du  seuil  de  cet  asile  pour  empêcher  1 invasion  attendue 
des  ennemis  d’Outre-Manchc  et  nous  donner  le  temps  d al- 
ler mettre  cette  œuvre  miraculeuse,  cette  machine  en  com- 
paraison de  laquelle  tout  ce  que  vous  avez  vu  dans  1 Exposi- 
tion n’est  qu’enfantillage,  dans  un  abri  ignoré  ou  ne  pour- 
ront l’atteindre  ceux  qui  outtant  d’intérêt,  ayant  surpris  son 
existence,  à l’anéantir  s’ils  ne  peuvent  la  voler. 


* . 


I.A  1JEHMKI;E  l'IîOMENADE 


93 


— Allons,  ne  vous  lâchez  pas,  inonshuii' le  baron.  Je  coni- 
inence  à croire  qnennj//  neveu  pourrait  bien  tout  de  meme 
être  un  grand  lionimc.  ÎMais,  vous  venez  de  le  dire,  je  suis 
coin  inc  saint  I honias.  Je  ne  donne  pas  ma  nièce  sur  de  belles 
[laiolcs.  Que  bernand  Itobertaillc  dé|)oser,  avec  saniacbine, 
le  couteau  que  voici  sur  le  toit  de  nia  maison  de  Males- 
berbes,  pendant  que  je  tclégrapbierai  à mon  jardinier  de 
me  dire  par  dépècbc  s il  l’a  trouvé  et,  cette  preuve  banale 
et  matérielle  laite,  je  tiendi’ai  pour  vrais  ses  dires  et  les 
vôtres. 

— Et  vous  m’accorderez  la  main  de  ma  cousine. 

— Uni. 

— Vous  le  jurez? 

— Je  le  jure. 

— Eb  bien,  descendez.  Avant  une  bciire,  l'objet  sera  où 
vous  voulez  qu  il  soit;  avant  le  jour,  j’aurai  caidié  provi- 
soirement mon  navire  aérien  hors  des  atteintes  de  l'étranger 
et  je  reviendrai,  par  le  premier  train  du  matin,  réclamer  à 
votre  hôtel  1 accomplissement  de  vmtre  promesse. 

Soit,  pacte  conclu.  Ta  superbe  assurance  me  ferait 
piesiiuc  croire  déjà  à la  réalité  pratique  de  ton  invraisem- 
Idalde  invention,  et  j avoue  que,  pour  l'iionneur  de  la 
lamille,  je  souhaiterais  (|ue  ta  réussite  vînt  confondre  le 
jugement  que  j ai  porté  sur  toi.  Pars  donc,  mon  gaillard,  et 
tâche  de  sortir 

. . . Vainqueur  d'un  combat  dont  Bertrande  est  le  prix  ! 

A ce  moment,  un  vacarme  de  coups  et  de  cris  éclate 
|)rès  de  la  porte  du  hangar...  Un  homme  accourt  haletant  : 

Ùommandant  ! . . . Le  sont  les  xVnglais!  Ils  sont  plus  de 
trente  et  démolissent  la  porte...  Eaut-il  faire  fen? 

— Non,  pas  même  pour  notre  légitime  défense,  (luvrcz 
les  panncau.x. 

— ün  y est...  Voyez.  La  mananivre  est  commencée.  Dans 
di.v  secondes  on  pourra  partir...  Ab!  la  porte  cède!...  Les 
voici,  les  misérables! 

— -Alon  oncle,  dit  vivement  Fernand  Robert,  si  vous  vou- 
lez que  je  vous  mette  à terre  ainsi  que  Bertrande,  je  n’aurai 
plus  le  temps  de  m échapper...  Je  le  ferai  pourtant,  si... 


A TRAVERS  l’ëXPOSITIOIN 


!)i 


^ — ■ Non!...  L acliai’ncnn'nt  de  ces  Anglais  me  donne  la 
loi.  .l'ii'ai  moi-nième  déposer  mon  couteau  là-bas!... 

^ — Em bart| Lie  ! commande  llobert  d'une  voix  de  stenlor 
oîi  Verduret  retrouve  le  beau  baryton  de  Bonscastrol. 

Los  cinq  bommes,  qui  reculaient  devant  Pn/zling  et  ses 
hommes,  pénétrant  dans  le  hangar,  bondissent  et  s accro- 
client  à la  macliinc  merveillensi',  an  moment  oii  celle-ci, 
son  commandant  ayant  appuyé  sur  nu  levier,  commence  a 
s'élever  au-dessus  du  sol. 

Les  Anglais  envahissent  le  hangar  en  hurlant  cb's  Ivurrabs 
de  victoire...  qui  leur  expirent  soudain  dans  la  gorge  . 
l’aéro-nef  sort  par  la  large  brèche  du  toit,  et  ce  sont,  tom- 
bant du  ciel,  les  voix  dcliranles  d’enthousiasme  de  Verduret 
transfiguré  et  do  Bertrande,  folle  de  bonheur,  qui  crient  à 
pleins  poumons  : 

— Vive  Lcrnand  !...  Vive  la  Lranco. 

— Aob  ! fait,  en  bas,  Puz/ding  consterné,  je  été  raoiilé 
un  second  fois. 


I.e  lendemain,  des  cris  d appel  attirèrent  des  [lassants 
dans  le  hangar  et...  on  délivra  !M.  et  iM""’  Bècbai'd  qui  y 
avaient  passé  la  nuit,  enfermés  [lar  Puzzling  qui,  battant  en 
l'etraili'  avec  ses  bommes,  on  avait  claqué  de  rage  derrière 
lui  la  porte...  encore  trop  solide  pour  les  lorccs  réunies  (lu 
cou[)lc  farinier  — le([U(d  se  hâta  de  réintégrer  le  moulin 
d’Essonnes. 

(J U inze  jours  après,  ils  étaient  invités  à Malesherbes.. . pour 
nn  dîner  de  contrat. 


I N 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pages 
. 5 


§ 1.  lixpross-universel  Rpécialiütc 

§ II.  Dessus  et  dessous.  (.Vndalousic  au  temps  des  Maures 
Le  Monde  souterrain,  Houillères  de  France,  Les 
Phares,  Le  Palais  de  l’Lgypte.) 

Chapitre  II.  — Les  Pai.ais  de  e'Espi.a.naüe 

§ 1.  A propos  de  1 annexe  de  \inceniies 

§ H.  L’Avenue  des  Palais 

Chapitre  III.  — Les  Pai.\is  dp  Ciiami'  de  Mars 


§ 1.  Côté  La  liourdonnais.  (Mines  et  Métallur' 

'l’issus.) ‘ 


urgie,  l’ils  et 


§ II.  Fond  du  Champ  de  Mars.  (Salle  des  Illusions^  Palais 
de  la  Mécanniue,  Salle  des  Fêtes,  Palais  des  Indus- 
tries chimiques.) 

§ HL  Côté  Sulîren.  (Palais  du  Génie  civil.  Palais  des’ Arts 
hbéraux.) 

Chapitre  IV.  — 'Fout  autopr  de  la  Tour 


§ 1.  Un  coup  d'œil  à gauche.  (Palais  du  Costume,  Pavillon 

fin  r’lnK_  A t'..-  . TT.,.  ... 


du  Club-Alpin,  Chàlet  Suisse,  Village  Suisse,  Pano- 
rama du  Tour  du  Monde,  Pavillon  de  Siam,  Palais 
Lumineux,  Pavillon  de  la  République  de  Saint- 
Marin,  etc. ) 

n coup  d'œil  à droite.  (Pavillon  du  Maroc,  Palais  de 
lOptique,  Globe  Céleste,  Venise  à Paris,  Maréorama 
Cinéorama,  Pavillon  de  la  République  de  l'Equateur' 
Palais  de  la  l'emme,  etc.) ’ 


Chapitre  V.  — Le  .mas(,(ue  tombe 

§ 1.  La  fête  vénitienne 

§ IL  Protéc 

§ 111.  .L’œuvre 


S 


§ 

§ 


8-2 

811 


77 


/ / 


Pans.  — lmp.  MICHELS  et  Fils,  6.  S et  lo,  rue  d'Alexandrie 


fl  TRAVERS  b’EXPOSITIOR  DE  1900  ^ 

Tout  montrer,  tout  expliquer,  intéresser  à tout,  sciences,  arts,  industrie,  attrac- 
tions de  toutes  sortes,  dans  cette  merveilleuse  Exposition  de  1900,  sans  rivales 
dans  le  passé  et  très  probablement  dans  l’avenir,  tel  est  le  but  très  large  qua 
poursuivi  M.  G.  de  Wailly,  l’auteur  de 

A TRAVERS  L’EXPOSITION 

Cet  ouvrage  s’adresse  à tous,  lettrés  et  simples  curieux,  techniciens  et  visiteurs 
peu  au  fait  des  connaissances  savantes  ou  artistiques,  aussi  bien  aux  jeunes  falles 
qu’aux  jeunes  hommes.  C’est  le  grand  public  tout  entier,  en  un  mot,  quil  veut 
intéresser  en  le  documentant,  et  cela  sans  elforts,  sans  aucune  tension  d esprit, 
bien  plus  même,  en  l’amusant,  en  le  faisant  sourire  et  rire  aussi. 

L’universalité  des  lecteurs,  jointe  à l’universalité  des  sujets  a traitei,  rendait  la 
solution 'du  complexe  problème  malaisée  à obtenir.  L auteur  de 

A TRAVERS  L’EXPOSITION 

l’a  très  heureusement  trouvée  en  donnant  à son  explication  detaillee  de  la  Grande 
Fête  de  la  Science,  de  l’Art,  de  l'Industrie  et  de  rHumanité,  la  forme  si  vivante, 

si  attrayante  du  roman  vécu.  . , ' • i i i 

Dans  toute  l’œuvre  court  la  trame  légère  d un  véritable  roman  a la  Jules  Verne, 
avec  ses  péripéties  tour  à tour  captivantes  et  réjouissantes,  toujours  intimement 
liées  à la  * Vie  dans  l’Exposition  ..  Mais  cette  action  alerte  et  pleine  de  surprises, 
qui  cependant  suffirait  à faire  dévorer  curieusement  ses  pages,  par  le  lecteur, 
n’est  pour  l’auteur  qu'un  prétexte  et  un  moyen  des  plus  ingénieux  dans  son 

oeuvre  savamment  vulgarisatrice.  , . . , u-  i o 

Rien  ne  vaut,  en  effet  : l'action  pour  exprimer  la  vie  et  les  sensations  multiples 
des  visiteurs;  le  dialogue  et  surtout  le  dialogue  serré  de  l’auteur  dramatique,  pour 
expliquer  clairement,  pour  faire  comprendre  complètement  et  sans  fatigue 
aucune  toutes  les  merveilles,  fussent-elles  d’ordre  abstrait,  qui  sont  exposees  a 
l’admiration  du  public. 

Habilement  voilée  sous  cette  forme  facile  et  riante,  se  cache  une  etude  abso- 
lument sérieuse,  scientifique,  exacte  et  profonde,  de  tout  ce  que  le  génie, humain 
rassemble  à l’Exposition  de  beaux  progrès,  d’inventions  étonnantes,  de  beautés 
de  toutes  sortes,  dans  toutes  tes  branches  de  la  science,  de  1 art  et  de  1 industrie. 

Tel  est  cet  ouvrage  tout  de  vie,  de  mouvement  et  de  gaieté,  auquel  te  public 
intéressé  — et  charmé  de  tout  apprendre  de  graves  choses  sans  que  te  sourire 
quitte  tes  lèvres  — donnera  lui-méme  pour  devise  : , 

IL  INSTRUIT  EN  AMUSANT.  ^ 

Imprimé  sur  papier  de  luxe  et  orné  de  nombreuses  illustrations,  portraits, 
vues,  photographies,  ainsi  que  de  grandes  planches  hors  texte,  1 ouvrage  est  digne 
de  figurer  dans  tes  meilleures  bibliothèques.  Il  sera  te  couronnement  de  tout 
ce  qui  s’est  fait  en  ce  genre  en  librairie,  comme  l’Exposition  elle-meme  est  le 
couronnement  du  Siècle.  

En  venle  le  1-  .olume  : L’EXPOSITION  A UOL  D’OISEAU 

60  centimes  le  volume  broclié  (80  centimes  franco) 

IL  PAR.AlTRA  UN  VOLUME  TOUS  LES  QUINZE  JOURS 
L*  S”-*  volume  sera  intitulé  : 

LE  GRAND  PALAIS 

et  contiendra,  en  plus  de  nombreux  dessins,  bbe  Lithographie 

hors  tçxte,  mesurant  GCxbO,  représentant  LE  GRAND  PALAIS. 

On  souscrit  dès  à présent  en  envoyant  80  centimes  en  timbres 
à MM.  TATARD  Frères,  éditeurs,  78,  boulevard  Saint-Michel,  Pans. 


Paris.  — Imr  MICHELS  ii  Fils.  6,  8 et  lo.  tue  d'Alexandrie.