UiK.
60 centimes.
G. DE WAILLY
60
centimes.
A travers
L’EXPOSITION DE 1900
X
LA RUE DES PUISSANCES AU QUAI D'ORSAY
il
EN VENTE ;
I. L’Exposition à vol d’oiseau •
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais .
III. Le Grand Palais
IV. Le Vieux Paris
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris
\I. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques
\1I. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau
VI II. Les Pavillons des Puissances étrangères.
IX. Les Palais des Hôtes de la France. . . ■
1 vol. illustré > ÜO
_ » 60
_ » 60
— » 60
_ » 60
» 60
T> 60
” 60
» 60
G. DE WAILLY
A TRAVERS
i
L'EXPOSITION DE 1900
X
LA RUE DES PUISSANCES AU QUAI D’ORSAY ^
i
i
PARIS
FAYARD FRÈRES, ÉDITEURS
78, Boulevard Saint-Michel, 78
GRECE, SERBIE
BELGIQUE, ALLEMAGNE
ESPAGNE
LUXEMBOURG
CI1AI>1THE
l’HEMlEI
)
\
c; R R ( ' E
A IJ K U \ IJ li ,1 10 U
— Miss !
— Mister Puzzling ?
— ^^J, il avé rélléclii ?
— A quoi ?
— A la proposai de mùa.
— x\h ! oui, la fameuse alliance !
— Yes, le alliance nos faisé toute les deux.
— l’ih bien ! je ne dis pas non.
— \ll rhjhtl
Mais je ne dis pas oui.
)'es, indeed^ \o disé ycs.
Il faut que je sache d’abord à quoi je in engage?
— .Jé dirai à vô, ce soir, dans mon chambre.
— Ah ! ça, non !
— Pourquoi ?
— Une jeune tille française ne va pas ainsi laii’e la càu-
genlleman, fût-ce pour her Maje.s/i/ s service
— Aôh ! vô pàlez anglais.
— Jamais qu'entre compatriotes : c'est assez noire façon
d’apprendre les langues étrangères en France... Mais il ne
s’agit pas de cela.
— Y es, de mon proposai . .
— Si vous voulez que j’accej)te, dites-moi, au moins, ce
que vous attendez de moi.
— Beaucoup.
— Je m'en doute, mais quoi, au juste? Allons, dépêchez-
vous, avant que mon oncle soit revenu et queM. etM"’''Bè-
chard aient achevé de discuter.
Puzzling baisse la voix, et, en grande confidence :
— \ù aider môa à discovermg a gréai secret.
— Oh ! voilà qui est tentant... Et c’est un secret...
d’Etat?
— Nô
terre très beaucoup.
— Et ce secret ?
— Il été pas necessarg vô savez loui.
— Fh ! déjà de la méfiance?
— Nô, jé été proudente, alieays.
— Mister Puzzling, en français, il y a deux proverbes,
nullement contradictoires, qui sont, l’un : Trop parler nuil...
— y es, ver g well !
— Et l’auti'c : Faute de parler, on nteurl sans confession .
— Aôh !
— C’est-à-dire que l’excès en tout est un défaut, et que
la vraie sagesse consiste à en dire assez.
— C’été môa qui parlerai assez. Je dirai à vô : « Faisez
telle une question à le bon moment, et... disez à môa la ré-
ponse.
un privale secret, mais qui intéressé le Angle-
J-A RI E DES PEISSAiNCES AE (JL Al D ORSAY
7
— Ah ! ça, vous me prenez pour un plionograplie. ?
— • Aôh !
— Sachez que rien ne rend pins mahulroil (|ne d'avoir à
adresser une question dont on ignore le sens réel et la
portée exacte. Si vous avez besoin d’un simple instrument
enregistreur, portez votre proposition à d’antres. Je n'ai pas
l’habitude, moi, d’ouvrir la bouche, sans bien savoir ce que
je veux dire.
L’.Vnglais se gratte la tôle, d’un index perplexe :
— l't'.s-... ihcn, il l'allé?...
— Avoir conliance en moi, si vous voulez que nous « tas-
sions alliance » et que je vous aide utilement. Je ne suis
pas assez sotte pour n’avoir pas deviné que vous atlacliez
une grande importance au but que vous poursuivez, et fpie
ce n’est pas le simple désir de nous tenir compagnie et de
profiter des explications qui nous sont tlonnées qui vous
attache ainsi à nos moindres pas. Vous avez besoin, parmi
nous, d’une alliée... je ne sais encore pour quelle mysté-
rieuse besogne. Vous avez d’abord fait, dans ce but, la cour
à iM""= Bôchard. Si vous vous adressez à moi, c’est que vous
n’avez pas trouvé de ce côté ce que vous cherchiez, prolni-
blement...
— Aôh! cette mistress Férine, elle été ridicnioiile. . . au-
tant que vô il était clever.
— Alors, pas de réticences. Vous êtes libre de me racon-
ter l’histoire que vous .voudrez ; mais prenez garde : si je
flaire le mensonge, je vous lâche net, et vous pourrez re-
tourner faire vos offres do service à M'"= Flore.
— Jé préféré disé à vù tout le vérité.
— Allons donc! fait à part la fine Bertrande. 11 y vient,
et je crois qn’on. n’anra pas trop à se plaindre de ce que
j'aie transgressé la défense du billet.
— Wilà, dit Fuzzling à voix plus basse encore, en se
[)enchant davantage vers l’oreille mignonne de la jeune
bile. Le police du Grand’ Bretagne, il avé discoverd . . .
Puzzling n’achève pas, au grand désappointement de Ber-
ti'ande, qui écoute anxieusement.
11 dit très vite, aussi vite du moins (jue le permet le
8
A TRAVERS l’eXPOSITION
laborieux échafaudage de ses phrases en son fantaisiste
anglo-français :
— Pions tai'd... L’oncle il revené... 11 fallé pas loui il
de viné nos avoir un understanding ensemble.
— Vous voulez dire ; que nous sommes d'intelligence?
— Ves! c'été cela.
El James-Gregory plonge le nez dans sa haute chope...
vide.
Cette singulière conversation avait lieu dans le sous-sol
du Pavillon de la Suède, où le bohème cicerone Bouscastrol
avait envoyé notre petit groupe provincial l'attendre quel-
ques moments en dégustant de la bière de Stockholm.
Nos cinq personnages n’avaient pu, faute de places libres,
s asseoir h la même table. Ils s’étaient trouvés séparés :
Verduret, sa nièce et 1 Anglais, qui les avaient rejoints,
d’une part ; et le couple Bêchard, à deux tables plus loin.
Verduret s’était, à peine les cbopes vidées, levé sous pré-
texte d’aller régler la dépense, mais bien pour avoir l'occa-
sion de causer avec la blonde Suédoise qui tenait la caisse...
Et, pendant ce temps, le ménage Bêchard était, à propos de
rien, entré en une discussion intime qui menaçait de dégé-
nérer en sérieuse querelle^ par le fait do la désespérante
mauvaise humeur de dame Flore.
C’est cette double circonstance qui avait permis à Puzzling
d’avoir un entretien relativement long avec Bertrande.
Mais, comme l’a dit le sujet de Sa Gracieuse Majesté,
^ erduret revient, Pair tout guilleret, reprendre la place
abandonnée. Comme il passe auprès de ses amis ;
— Arrivez donc, lui dit M""^ Elore^ il s’en passe de belles
en votre absence ! Ne voyez-vous pas que ce milord cram-
[)on se permet de flirter de très près avec votre nièce.
— Lui? fait ironiquement le manufacturier retiré. Oh!
il n’est pas dangereux !
— Ou’en savez-vous? riposte la dame d’une voix mor-
dante, furieuse de devoir reconnaître, en ce qui la con-
cerne, le trop de justesse de l’observation du rentier ma-
lesherbois.
Piquée au vif de voir détournée, vers une autre une atten-
tion britannique qu’elle avait eu tout lieu, jusqu'alors, de
I.A IU:E des PnSSAATES AT OIM d'oRSAV
9
10
A TRAVERS L EXPOSITION
croire acquise à ses charmes mûrs, notre farinière se dispose
à insister, exaspérée contre la quiétude de cet oncle qui ne
SC fait pas assez vite, (à son jjré, le vengeur de sa jalousie
contre une indigne rivale... Mais l'apparition de Bous-
castrol la force, en changeant le cours des idées, à attendre
une nouvelle occasion.
Le bohème au bandeau noir s'aA'ance, rapide et souriant,
à travers les groupes attablés.
— Mesdames et messieurs, dit-il, me revoilà tout à vos
ordres, .l'ose espérer que vous ne vous êtes pas trop languis
de moi pendant ma courte absence?
— Ma foi, comme vous voyez, mon cher monsieur Bous-
castrol, nous avons pris notre mal en patience et achevons
tout juste d'avoir très agréablement rafraîchi notre attente.
— Soyez tranquille, ajoute drôlement Bertrande, nous
avons bien occupé notre temps.
— appuie Puzzling en dardant sur le Méridional un
regard qui eût été ironique si ses yeux pfdes et sans llammi'
eussent été capables d'exprimer un sentiment.
Le couple Bèchard a, de son côté, quitté sa table pour se
rallier, non pas au panache blanc, mais au vaste feutre et
;ui noir liandeau du guide commun.
— Eh bien, dit le farinier avec impatience, allons-nous
voir vos Grecs?... Dépêchons !
— Si ces dames et ces messieurs veulent bien me faire
l’honneur de me suivre, té?...
Et le bohème prend les devants, se dirigeant vers la sortie
de la brasserie suédoise.
A peine le seuil esl-il franchi qu'il est rejoint par
M'”'’ Elore qui lui demande en confidence :
— M'avez-vous débarrassée de mes Turcs, au moins ?
— Vous ne les verrez plus, cère belle madame.
A la bonne heure... Vous devriez bien faire en sorte
que nous en puissions dire autant de notre Anglais.
— Oh ! Mr Puzzling se serait-il permis ?...
— Cet homme a des façons... inconvenantes. Après avoir
osé me faire une cour... que j’ai accueillie de la belle ma-
i.A ni'F, Di;s pnssAXCKS at (ji ai d'orsav
1 1
nière, je vous prie de le croire, voilà qu’il se met à en
conter à cette petite sotte de Bertrande... qui l’écoute
comme ell(\ na jamais, bien sûr, écouté prêcher .son ciiia^ !
le! vous m étonnez, fait le bolième en lançant par-
dessTis sou épaule un rapide regard... qui rencontre celui de
la jeune fdle, car celle-ci s est approchée et a surpris les
derniers mots de M'"' Bèchard.
Et c est elle-même qui réplique, sans cesser de fixer le
bohème ;
Certes, je l’écoute, et môme je trouve ce qu’il me dit...
et surtout ce qu’il me dira, extrêmement intéressant.
— Là! je ne le lui fais pas avouer! s’écrie la ronde fari-
nière '^n prenant de grands airs scandalisés. Ma petite, je
vais sans tarder prévenir votre oncle.
Bertrande lance un petit éclat de rire aussi frais que...
railleur.
— Faites, dit-elle à mi-voix. Et moi je dirai bien haut,
pour nous amuser, avec quel ardent dévouement vous avez
lailli vous consacrer au service des... intérêts de la Grande-
Bretagne.
— Que prétendez-vous dire, ma petite?
— Mon Dieu, chère madame, vous nous avez raconté, ce
matin, en déjeûnant à riiùhd, un rêve bizarre, et en le rap-
prochant de certains demi-mots que j’ai, bien malgré moi,
entendus...
— ^ ous êtes une petite, peste, ma chère !
Et iM'"' Flore, rouge comme une cerise, revient hrusque-
ment en arrière, pendant que Bertrande dit très vite au Tou-
lousain :
— Aidez-moi, à l’occasion, à me ménager un court mo-
ment de tète à tète avec IMr Pnzzling.
— Moi?
— Oui, vous! et... vous ne vous en repenlirez pas. Ene
oreille amie vaut, croyez-moi, tout un bataillon de Turcs.
— L’Anglais a parlé? interrogea Bouscastrol d’une voix-
basse et sifllante.
Mais sa question, qu'a accompagné un presque sursaul
aussitôt réprimé, demeure sans réponse. La nièce de Ver-
)E LA
1 i
A thavkhs l'exposition
durot après avoir lancé sa dernière phrase comme une lie-
Xrths, so.Klain arrMca et. ee tournaat vera le
exronpe distant do quelques métrés : ^ tmn
— Là! je disais bien <à M. Bouscastrol qu il maichait tioi
vite! , 1
l.:t elle vient, en espiègle, prendre le bras de son oncle
pour l’inviter a hâter le pas.
11
les DECX OliKCKS
Le 'roaloesain ralenlit un peu son
sivement se donnant ainsi le temps do ledechir. te n e^
qu-an'ivé’à <iuek|ues pas Ju 1'“"''™/'“
retourne et, de son ton coutumier c e^ j }
phénomènes, interpelle le sec et nom
_ Té’ monsieur Ucchard, je pane mon œil va ide mnlu
les roses folichonnes du chapeau de madame votre épousé
que vous n’ètes jamais allé eu Grèce'.
Bèchard hausse les épaules.
_ .le ne réponds pas aux sornettes, p , • ,
_ Permettez-moi de le regretter, mordions. Cclaiic ^
risn sur l'architecture hellénique, vous
neut-ctrc té ! un trait de lumière impartia e dans le débat
!;fdi^s;, au sujet de ce pavillon, les opinions des hommes
‘‘T Ah ' du moment que vous faites appel à mon jugement
A a uupa,-«.mé..topon<l le faHuieeeu
_ Eh' oui cadédis! mais, voila; vous notes pas ale
on Grèce, et je suis sûr que vous n'avez même pas la moim i
idée du rovaume hellène antique ou moderne.
_ C'est ce qui vous trompe. Ma femme for/Y-
ce pays, un feuilleton qui, exceptionnellement, m a fort
îéressé. Gela s'appelle : » Le Roi de la Montagne », pai un
certain M. About.
LA RLE DLS IT I SS ANC KS Al' OLAI llOlîSAV
ir;
— Hum ! fait en souriant le bohème, au point de vue im-
partialité, vous auriez peut-être pu mieux choisir que l'au-
teur du célèbre pamphlet historique : i' La Grèce conlern-
poraine ». Ge certain M. About, comme vous dites — et à
qui je rendrai son prénom d'Edmond par respect pour la
mémoire d’un dos plus charmants littérateurs de ce siècle
qui achève de s'enfoncer dans la nuit du passé — avait
rapporté de son séjour à l’Ecole d’Athènes des instantanés
humoristiques singulièrement piquants en leur fantaisie de
haut vol, mais pas toujours exempts de quelque parti pris
de dénigrement té ! mon bon. D’ailleurs, depuis un demi-
siècle qu’Ahout faisait étinceler sa verve aux dépens du
petit royaume arraché par ses patriotes et leurs amis d’Eu-
rope au joug turc, la Grèce s’est sérieusement transformée...
Et puis, comme je m’étonne que vous ne l’ayez pas déjà
deviné vous-même, capédious ! ce n’est pas de cela qu’il
s’agit, mais bien...
— D’un dill'érend à propos de l’architurc do ce Pavillon.
— Voilà. Nombre d’artistes et d’amateurs, en voyant ce
])etit Palais à coupoles surgir du sol truqué de cette berge
de la Seine, ont protesté contre l’architecte — un maître,
bien entendu, car c’est toujours contre les maîtres que l’on
crie... et nn maître français, naturellement, sans cela on se
fût bien gardé de le discuter — lieaucoup, dis-je, ont pro-
testé parce que rarcbitecte nous donnait ici nn échantillon
très harmonieusement savant de byzantin et non à'anliyiK’.
— 11 me semble, en etl'et, obsèrve Verdurot, que, du mo-
ment que l'on voulait symboliser la Grèce, c’était l’art an-
tique ([ui...
— Parbleu, té! vous voilà comme les oUrcs! Vous ne
comprenez pas qu’on se permette d’élever un monument
grec qui ne soit pas une imitation... ou une parodie du Par-
Ibénon ! Je ne vous en veux pas, mordions! car ce n’est pas
votre faute ; cela tient à notre éducation classique. Pour
nous, il y a deux Grèces... mais il n’y en a qu’une qui
compte, té! 11 est bien un petit état d’Europe de ce nom
dont le souvenir a été dernièrement ravivé par sa lutte mal-
heureuse contre les Turcs et les événements de Grète, un
petit état pour conquérir l’indépendance duquel notre Hotte
a largement contribué à écraser les navires turco-égyptiens
A TRAVERS l’eXPOSITION
IG
à ^Savarin, 1827, el qu’une armée française débarrassa peu
après du iarouche Ibrahim-Pacha; mais, malgré ces réalités
tangibles, celle petite Grèce-là n’a pas pu, en notre esprit,
servir comme d’écran à l'autre, poui’nous, la vraie, la seule.
GrKCK. — V.rSE DÉCORANT I.’eSCALIER.
celle du siècle de Périclès et plus encore celle du siège de
Troie, chanté par Homère et Virgile, celle que nous consi-
dérons comme la mère des arts et de la langue. Et c’est si
vrai, capédious ! que, lorsqu’il y a un peu plus d’un lustre,
Sardou, dans son drame de Gismonda, créé par l’inimitable
Sarah Bernbardt, évoqua la période française de Byzance et
LA RUE DES PUISSANCES AU nUAI D ORSAY
17
le duché français d’Atliènes, le |)uljlic, stupéfait, ouvrit de
grands yeux en se demandant comment il était possible
qu une Gi'èce eût existo* a\ ecdes chevaliers chrétiens au lieu
des Alcibiade et des IMiilopomien, et un évêque an lieu de
Socrate ou des prêtres des divinités mythologiques. Voyons,
té! n’étes-vous pas de mon avis, monsieur lléchard?
Gomment \onlez-vous que je vous réponde : je ii’ai pas
vu Gümonda.
— Gh cornehiou ! je ne parle pas de (-itsinonda, mais du
choix de ce style byzantin par rarchitecte de ce Pavillon.
Moi, je trouve qu il a très bien lait de nous sortir de la i‘ou-
tinièie conception de 1 idee grecque. GhI cadédis! nous n eu
manquons pas de monuments, et à Paris même, ayant lu
prétention de singer l’antiquité hellénique. 11 était original,
si parfaite qu’eût été l’évocation sous le compas du maître
qui professe à l’Ecole des Beaux-Arts le cours d’histoire de
l’Architecture, de nous montrer plutôt l’autre art grec, celui
qui ne remonte pas — je ne dis pas à la guerre de Troie,
puisqu alors on ne construisait qu’en liois, que la pierre ne
commença à chanter son immortel poème de beauté (|ue
cinq siècles pins tard — mais au temps de la guerre du Pé-
loponèse seulement.
Quel baAoird, ronchonne Bèchard. 11 nous parle depuis
un quart d’heure de l’achitecte de ce Pavillon et il ne nous
l'a même pas nommé !
— C’est ma toi vrai, té! Je répare: c’est ÎM. Gucien
Magne, professeur, comme je viens de le dire, aux Beaux-
Arts, professeur à l’Ecole des Arts et Métiers, membre de la
Commission des monuments historiques, qui a été choisi
par le gouvernement du roi Georges G*' pour construire ce
monument destiné à représenter la vieille patrie des Arts,
dans cette galerie architecturale des Nations. 11 ne pouvait
s en remettre à une plus haute expérience, non plus qu’à
un talent plus universellement reconnu et dont le savoir
soit plus grand que celui de l’auteur de la belle étude si
appréciée sur la restauration du Parthénon. Si donc M. Gu-
cien Magne eût voulu faire ici un pavillon de style antique,
il y était autorisé plus qu’aucun. S’il a préféré rappeler
1 époque très mal connue de la Grèce byzantine, j’estime
qu il n’y a qu’à s’incliner et à applaudir à la petite mer-
A TRAVERS l'eXPOSITION
IS
veille (le reconsliUitioii qu’il nous ollre et qui doit, si je ne
nie trompe, appartenir, à en juger par ses fenêtres trilobées,
<à la seconde des quatre époques de l'Art byzantin, c'est-à-
dire à celle qui s’étend de l'an odT à l’an 800 de notre ère.
— Alors, c’est riniitalion d’un monument de cette
éi)oque ?
— Non, mon car monsieur Yerduret. Il est tout entier la
création de M. Magne, qui en a fait, en quelque sorte, la
syntbèse d'un style à une époque donnée.
— Alors, (la, c’est le style byzantin. Pardonnez-moi si je
dis une monstruosité, mais, pour un profane tel que moi, la
caractéristique de ce style-là, ce sont les coupoles aplaties,
étagées sur des constructions dont le plan est polygonal?
— Ou circulaire. D’abord, mon car monsieur Vordund,
avec du bon sens on ne dit jamais de monstruosités, et,
[lour un profane, té! vous venez de très bien définir l’csseu-
tiel du style byzantin. Ça vous amuserait peut-être d'eu
conuaitre l’origine?
— Certes 1
— Eb bien, ce genre d’arcbitecture est né de la grande
('glise de l’Ascension, construite sur le mont des Oliviers —
lieu assigné par la légende ebrétienne à l’ascension du Sau-
veur — par sainte Hélène, mère de Constantin, le fondateur
de l’Empire romain d’Orient. Ce monument, dont le plan
était circulaire, était aussi, comme les temples bypètres des
.\uciens, à ciel ouvert, pour que le lieu d’où Jésus s’est élevé
dans la gloire n’eùt pour voûte que celle des deux infinis
où le Fils de l’Homme avait disparu aux regards de ses dis-
ciples.
— Hum !... Je ne vois pas bien, dans cette absence de
toiture, l’origine de ces coupoles?
— Elle est pourtant logique et directe, car monsieur. Les
dispositions saisissantes de cette basilique type furent imi-
tées; mais, comme ailleurs qu’au mont des Oliviers on n’avait
nulle raison de laisser la pluie du ciel arroser le crâne des
prêtres et des fidèles, on imita aussi la voûte céleste en
coiffant l’édifice de coupoles à l’intérieur desquelles le pin-
ceau retraça la grande scène religieuse de V Ascension <Jh
Christ vers le céleste Infini.
LA IIL'L DLS PUISSAiSCLS AL uL-Vl U OKSAV
19
— Parfait; je comprends. Très curieux, n'est-ce pas,
IJècliard ?
— Pour ceux qui aiment à voyager, car nous voilà higre-
mcnt loin du quai d'Orsay, ce me semble ! bougonne le
tari nier.
— Té! ne vous fâchez pas, monsieur ftèchard : je reviens
à notre Pavillon pour ne plus m’en écarter, même pour
vous dire que ce vestibule d’entrée servait, au premier
étage et dans les temples de ce style des trois premières
époques, de (jyndconif.is.
— Qu’est-ce que c'est que (;a? s'éciâe M"'“ Flore.
— (ja, cère Ijelle madame, c’était la tribune à entrée s[)é-
ciale, où les belles madames du temps se trouvaient entre
elles pour assister aux offices. Voyez-vous, les ebrétieus
sérieux d’alors, ils craignaient, té! les distractions toutes
profanes que cause le mélaugc des sexes. Je reconnais volon-
tiers que c’était moins commode (ju’à présent, pour per-
mettre aux jeunes hommes d’étudier les avantages extérieurs
de la gentille colombe que leur olfre la manie de conjungo
de quelque com[)laisante marieuse invétérée, rencontre,
toute fortuite, bien entendu, et où la mignonne est censée,
ne pas se douter de l’examen très peu religieux dont elle
est l’objet... Mais, que voulez-vous, té ! il y a quelque douze
ou quinze cents ans, on n’avait encore l’idée de faire du
})rie-dieu la première étape — l’opéra comique étant la
seconde — du chemin qui mène au jardin Henri et plein
d’hypocrites embûches des fiançailles.
— Mon Dieu ! comment faisait-on pour se marier? Moi,
c’est au mois de Marie, sous mon voile blanc de confré-
rienne — et ça allait joliment bien à mon genre de beauté,
allez! — que j’ai séduit Aristide... qui n’était alors que
commis meunier...
— Mais, tais-toi donc, bichette! Fa n’intéresse [)as mon-
sieur, ces histoires-là... Et puis, il y a si longtemps!
— Si longtemps!... Dis donc, parle pour toi, malhon-
nête.
Bouscastrol comprend qu'il n’est que temps d’intervenir
pour conjurer quelque bourrasque conjugale imminente.
— Mesdames et messieurs, reprend-il de tonie la sono-
20
A TRAVERS l’eXPOSITION
rité de sa belle voix, ce Pavillon de la Grèce ollre une par-
licnlarite qui le dillérencic de ses collègues : il est démon-
table.
— llein?
— .le no vons sni'|)i'('ndrai pas, capédious ! en vous al'fir-
mant qu aux lendemains de la peu prudente guerre tui'co-
grecque, le Trésor hellénique, qui n'a jamais été préci-
sément llorissant, ne pouvait faire de gros sacrilices pour
1 Exposition d(‘ 1000. Ne pas figurer parmi les Pavillons
des Nalions eût été, par contre, presque une abdication. Le
moyen de concilier l'écouomie obligatoire et d’ètre digne-
ment représentée dans cette avenue de palais était d’élever
un monument utilisable, par la suite, à Athènes, où une
place le réclame. L’éminent architecte a résolu le problème
de la façon, non seulement la plus artistique, mais la plus
pratique. Lontrairement à la plupart des autres Pavillons,
où l’épiderme de plâtre et de statT recouvre une éphémère
charpente en bois, la carcasse, ici, est formée d’une forte
ossature métallique, dans laquelle s’encastrent des murs
légers, recouverts de briques en terre cuite émaillée de
belle couleur bleue. Aussitôt l’Exposition fermée, le Pavillon
sera démoulé et embarqué pour le Pirée, c’est-à-dire le port
d’Athènes.
— Diable, fait Bèchard, ce sera un morceau à trans-
porter !
— Moins qu’on ne croirait, mon bon. Ce curieux échan-
tillon de l’architecture bizantine, bien antérieure à notre
national style ogival, tiendra relativement peu de place,
une fois sectionné eji menus fragments. Tel ([ue vous le
voyez, il couvre trois cent cinquante mètres carrés de super-
licie et, le vestibule franchi, ne forme qu’un vaste bail, ofi
le Commissaire général est parvenu à caser les produits
divers envoyés par six cents exposants helléniques... Car
toute l’Exposition de la Grèce est modestement et écono-
miquement contenue dans ce Pavillon.
— Cela me paraît constituer un tour de force d’organi-
sation...
— Dont vous allez juger vous-mème, cer monsieur Ver-
duret... Et vous verrez comme tous les produits nationaux
— vins d’Ithaque et de Santorin, eaux-de-vie, vins rai-
LA RLL DES PUISSANCES AL (jLAf D OKSAV
21
sinés, tabacs, liuiles, tissus de; soie et de cotou, minerais,
cuirs, ]'aisins secs, tapis, etc. — • y trouvent miraculeu-
seinent leur place... luitrons, s'il vous plaît.
Notre petit groupe, à la suite de son guide, entre dans le
Pavillon et visite tour à tour, et un peu rapifleinent ; au
centre, l’e.xposition in-
dustrielle, puis, vers le
tond, celle des Beau.x-
Arts, que termine l’exhi-
bition de l’art di\in
d’Orpbée. Sur les côtés,
ces messieurs — et en
particulier Bècbard,
homme pratique — ad-
mirent, à droite, les cuirs
et harnachements; et ces
dames, à gauche, s'ex-
tasient devant de su-
perbes étoffes et ten-
tures.
Chemin faisant. Bons-
cas trol explique que
l’Exposition Grecque a
été
organisée par
une
Commission, dont le pré-
sident, j\l . Alexandre
Boiua, réside à Athènes.
M. ALEXANDRE RO.MA
GO.MMIS.SAIUK GÉNKKAL l'K LA (iRÈCK.
{Cliché Larggr.)
— M. Borna, dit-il, est un jeune, puisqu'il est né à Zante
en 1864. Mais il est de pure et nohle race hellène, et ses /
ancêtres prirent héroïquement part à la rude guerre qui,
commencée en 1821, assura définitivement, en 1830, l'indé-
pendance de ce vaillant petit peuple, dont le nom seul
chante toute l’histoire de la civilisation européenne. En
1893, M. Borna fut élu à la Chambre grecque, où il succède
à son père. Il en a môme exercé la délicate présidence,
avec une fermeté et un tact qui lui ont valu les éloges de
tous les partis. On pourrait lui reprocher le cumul, té !
puisque, non content d’avoir présidé et la Chamhre et la
Commission des Olympies, le voilà qui préside la Commis-
24
A TRAVERS l’eXPOSITION
tin et de style ottoman. Cette grande coupole d’allure otto-
mane qui surmonte l’éphémère édifice et atteint une hau-
teur de vingt-cinq mètres, est virtuellement — oh ! pardon,
j'oubliais que Mr James-Gregory Puzzling m’écoule et ([u’il
est Anglais...
— Vù pùvcz pàler ; je comprcm' eery /eç//.
— En ce cas, mon bon, vous mériteriez d’être fait d’emblée
harunel, car votre ir«/' office a tellement changé, en un
récent passé, le sens de ce mot, qu'un général d’armée n'y
retrouverait plus... ses mulets : chaque fois, té! que l’en-
nemi était virfuellemen/ tourné, pas un Anglais no pouvait
s échapper du cercle de feu des Mauser, si bien (|ue le mot
en question renversait le sens de la phrase... Or, je n’en-
tends pas laisser croire que cette grande cou[)oIe est le con-
traire de celle de l’église orthodoxe de Belgrade, puisqu’elle
en est la reproduction approximative, c’est-à-dire aussi
proche que le permet la réduction des proportions. Donc,
mesdames et messieurs, tâchez de vous figurer que la petite
Seine qui coule là-bas est le beau Danube bleu — comme
ma fertile imagination y cherche chaque matin sa chère et
illustre Garonne — et, en regardant ce Pavillon, vous
pourrez vous croire, té! dans la capitale du petit Etat du
jeune roi Alexandre.
— Et allez donc ! fait Bèchard en haussant les épaules.
j\loi, qui n'ai heureusement pas la tète aussi... nomade, je
me contente de constater que ce Pavillon Serbe me semble
plus grand que son voisin de Grèce.
— Hé hé! je vous crois: il couvre cinq cents mètres
carrés, et l’autre trois cent cinquante ! Par contre, il n’est
pas démontable, et sa charpente est en bois et en métal
(té ployé , pluas ni moimf^ que le superbe escalier d’hon-
neur du Grand Palais des Champs-Elysées, le triomphe de
.M. Louvet. La Société française du métal iléployé n’a pas
cherché ici à faire de Part, mais bien œuvre pratique, son
système offrant le précieux avantage du bon marché joint
à celui d’une légèreté extrême.
Bèchard se redresse et, avec une solennité que lui eût
envié M. Joseph Prud’homme :
— Je vois avec satisfaction que la Serbie n'a pas, comme
I.A R|;E UES PL'ISSAACES AL (JUAI d'uR.SAV
25
beuiicoup dauLres naLions, Irappé d'ostracisme noti'e in-
ilustrie nationale. Cela me révoltait, à la fin, de voii' cdia-
que nation faire venir de chez elle les plans, les matériaux
et jusqu'aux ouvriers de son Pavillon !
Voyons Bêchard, explique Verdure!, c'est justement lii
que résidé pour nous leur plus grand intérêt !
Iati lait d intérêt, mon cher, je n'en veux considérer
qu'un: celui de notre industrie française. Voilà comme je
suis, moi !
^ Ch Iden, mille Capitoles! comme vous êtes, vous
n’ètes pas artiste, mon bon !
.le m en fais gloire, inôssieu ! afiirme Bêchard en son
parlait mépris pour ce seul nom d'artiste qui, pour lui,
représente — sauf en ce qui concerne les grands arrivés,
l)ien entend n — un peuple de videurs de bocks et de cou-
reurs de filles.
Ab ! vous ôtes a ce point intransigeant, s'écrie Bous-
castrol qui rit dans sa barbe? Aloi's, té! vous devriez, par
reconnaissance^ vous taire Serbe sur riieui’c, car si les
plans de ce Pavillon sont d’une haute sommité de là-bas eu
I arf de carapacer de pierre les pauvres humains — jetés si
nus, par une maratre nature, sur ce vieux globe presque
cbauve, qu ils en sont réduits à envier la tortue — si, dis-
je, le plan principal est dû à l'éminent professeur d'architec-
ture a 1 Ecole des Hautes Etudes de Belgrade, VE Kapeta-
novitch, c est un architecte français, VE Ambroise Baudry —
le frère du peintre fameux, Paul Baudry, à qui nous devons
les trente-trois toiles-chefs-d'oinivre qui ornent le foyer do
1 Opéra — qui a été chargé d’habiller le léger monument
que vous avez sous les yeux. VI. Ambroise Baudry a un
talent exquis, le don de la décoration architecturale...
Il a de qui tenir! déclare V^erduret avec assurance.
— Il vous manie le stalf, té! comme son célèbre frère
jouait avec les couleurs ; c’est miracle de voir, sur l’indica-
tion de son crayon, la vile matière se transformer en beauté.
— Bah! tait négligemment Bêcliard, c’est un artiste, c’est
sa fonction de laire de belles choses... Ça m’intéresse moins
que l'industrie du métal déployé.
— Pourtant, c’est un Français ?
— Oui, mais ce n’est qu’un artiste... Ibifin, passons.
rilAVKIlS; I. IC.M'OSITION. — T. X
sa
Je passe, té ! ô contempteur de l’Art! Mais, avant de
vous faire faire le tour du Pavillon pour vous faire entrer
])ar le portique qui a été reporté sur l'avenue — au heu
d’èire sur la Seine, comme le voulait d’abord 1 auteur du
plan, et avec la façade principale que la disposition de 1 ein-
iilacement accordé a forcé d’élever perpendiculairement au
neuve — avant, donc, de vous faire pénétrer dans le Palais
serbe, je veux vous raconter...
— Àh ! non: pas d’histoire, s’il vous plaît ! proteste le
farinier d’Essonnes avec presque autant il’énergie larouclie
que si Verdiiret lui eiit proposé de refaire une promenade
nautique... accidentée à bord de la terrible gondole où ce
brave avait enfin fait connaissance avec la venette folle.
Pas d’histoire? Soit, riposte le bohème au noir ban-
deau... quoique narrer soit mon triomphe, té! coiume,
d'ailleurs, celui de tout Méridional .ligne de son b.uin
soleil. Mais alors, mordions! vous me permettrez bien une
question ?
— A qui?
— A vous, mon bon.
— Ce n’est pas une charge d’atelier, au moins ? demande
le grave personnage qui n’est jamais très rassuré quand le
Toulousain le prend directement à partie.
Voici ; supposez que M. de Gvozd’itch président du
comité organisé en Serbie pour la participation de cet Etat
balkanique à notre grande Exposition de 1900, ancien mi-
nistre du Commerce à Belgrade, membre du Conseil d Etat
qui, là-bas, remplace le Sénat aboli comme contrepoids a la
Skoupclitina ou Chambre des députés, un homme, par
conséquent, d’une compétence supérieure sur toutes les
questions commerciales et industrielles — soit venu vous
trouver dans votre mourin, à Essonnes...
— Pourquoi voudriez-vous qu’il fût venu me trouver? Je
ne le connais pas.
— Eli ! mordions ! je suppose. Le champ des suppositions
est aussi libre qu’il est vaste, mille Capitoles ! Donc, venant
vous trouver, il vous aurait tenu ce langage .
Eli serbe ?
— Non, en français ! Dans les sphères gouvernementales,
011 parle partout le français en Europe... sauf peut-être en
L EXPOSITION
TRAVERS
LA m io IJKS l’LlSSANCES AI' nl AI D OUSAV
27
l 'rance ! Donc, je suppose qu’il vous ail dit : « IVlon-
siciir Aristide Bèchard, votre réputation d’homme sérieux,
réfléchi, intelligent, au fait des affaires, a franchi un
nombre respectable de frontières pour parvenir jusqu’aux
oreilles, non seulement de notre jeune roi, ce qui serait
déjà quelque chose, mais de son angnstc père, l’ex-roi
Milan, général en chef des armées serbes et directeur poli-
tique de son fils couronné, ce qui, dans certains cas, peut
valoir mieux. A la cour de Belgrade, on sait que vous êtes
une notabilité de l’industrie française... »
— Ça, je ne dis pas non. C’est, du moins, l'opinion de
mes honorables concitoyens, de mes clients et de mes con-
currents.
— Bon. Laissez-moi continuer. C’est toujoursM. Cvozditch
(jui parle : « Ne voudrez-vous rien faire pour un pays où
votre bantc compétence est si appréciée? .\e voudriez-vous
])as Jions rendre le service signalé d’être à l'aris le ])rotec-
teiir de nos nationaux, l’organisateur en titre de leur ex|)0-
sition, en un mot, notre commissaire général? »
— Mais?...
— Attendez, cornebioii ! L’ancien ministre serbe, pour
vous tenter davantage, vous aurait dit encore ; <( Je sais
combien votre moulin vous occupe ; qtie la baisse immi-
nente sur le marché des farines où vous avez à lutter contre
de redoutables concurrents vous cause de graves soucis. Je
ne voudrais pas que, pour nous, vous compromissiez vos
affaires ou vous imposassiez un surcroît de travail incompa-
tible avec l’état florissant de votre chère santé. Aussi, n’est-
ce, à bien prendre, qu’une sinécure dont je sollicite de vous
l’acceptation. Vous aurez la haute main sur tout et vos pré-
cieux conseils seront religieusement suivis, mais tout le
détail de la besogne incombera au secrétaire général du
commissariat, M. Léonce Tedeschi, né à Constantinople en
18b7, fondé de pouvoirs de l’importante banque Camondo,
un homme actif, dévoué, à l’esprit prompt et ouvert, au
jugement sûr et bien au fait des choses et des gens, puis-
(lu’il habite Paris depuis vingt ans, y étant venu dès l’age
de vingt-trois ans. Avec un tel second, vous n’aurez que de
temps en temps à paraître... Voyons, un bon mouvement:
dans ces conditions, acceptez-vous d'être le commissaire
28
A TRAVERS L EXPOSITION
genénil de la Serbie ? » Té 1 si le président du comité serbe
vous eiil dit tout cela, mon ror monsieur Itècbard, qu’au-
riez-vous répondu ?
Notre biriniei', qui a écoulé attentivement, relève solen-
pensées, repousse légè-
rement en arrière son
couvre-chef, défait vive-
ment deux boutons de
son gilet, et, plongeant
une main dans Touver-
lure, tout comme Napo-
léon, réjiond ;
— .l'aurais répondu ;
<' Monsieur le ministre,
topez-là ; je suis votre
homme, car, puisque je
pourrai ne pas délaisser
mes affaires, je considère
voire proposition comme
un grand honneur, pour
moi, sans doute, mais
surtout pour l'Industrie
Irançaise, dont je suis
lier d'être une des mo-
destes colonnes 1 »
— Eh hé ! té ! mon
bon, c’est justement —
quoique probablement en d'aulres termes ce qu’a dû
répondre M. le comte de Camondo, cousin de l’opulent ban-
quier comte Il de Eamomlo, lorsque b' Gouvernement serbe
le sollicita de vouloir bien (‘tre sou Commissaire général à.
1 Exposition de 1900... puisqu il a ac'cepté. De même qne
le comte 11 de Camondo, qui est un grand amateur d'art,
particulièremeut épris de celui du xviii'' siècle, le comte,
i\I. de Camondo, est un fin collectionneur de bibelots et
d'œuvres des artistes du passé; mais, pour lui, c’est surtout
au.x précieux souvenirs des xv° et xvi*’ siècles que son goût
Dès sûr s attaque de |n’étérence. . . et, entre les charmes de
son home, les devoirs mondains, les combinaisons linan-
sou fi'oul, chargé de
M. LE COMTE DE CAMOXIlO
COMMISSAIRE CI-.NKRAE DE SERHIF.
LA RUE DES PUISSANCES AU QUAI D ORSAY
29
cières et les patientes recherches du collectionnnenr, sa \\e
s’écoule très remplie. Mais comme, en somme, c’était plutôt
un titre officiel qu'une fonction laborieuse qu’on lui deman-
dait d’accepter, il consentit de très bonne grâce, se reposant
sur un second, tel que M. Tedeschi, à occuper ce poste
lionorifique, qu’il croyait pouvoir considérer nn peu comme
honoraire, c’est-à-dire ne devant pas trop gêner ses artis-
tiques jouissances... Ah! le bon billet et le pauvre amateur!...
— Mon Dieu ! que lui est-il arrivé ? demande M"'® Flore
apitoyée.
— Té ! il avait la main dans l’engrenage !
— Allons, bien, nn accident de machine !... G est épou-
vantable !... Moi, je ne veux jamais qu’Aristide me dise
quand son mécanicien le réclame pour aller voir la sienne...
Ub ! les inventions infernales!... Ça vous accroche par un
pan de la redingote ou de la blouse, et foiif le )‘esfe du corps
y passe !
— Bon Dion ! calmez les alarmes de votre bon cumr,
cè)’e madame. L’accident de M. le comte de Camondo n est
pas de Tordre brutal de ceux que l’on insère dans /e PelU
Jourual — dont vous ne pouvez manque)" d’être une lectrice
fervente — à la rubrique des « Faits divers » et au rez-de-
chaussée à drames sensationnels. La machine qui 1 a saisi
n’est autre que le grand rouage tyrannique de 1 Exposition.
11 croyait être un Commissaire général légèrement amateur,
et, chez lui, ce fut T «amateur » qui dut d abord sacrifici"
le temps de ses chères trouvailles à l’insatiable minotaure,
le([uel absorba peu à peu l'homme de foyer, le mondain <‘t
presque l’homme d’alfaires. . . H était bel et bien pris an
[liège... du Commissariat — et cela depuis près de cinq ans,
sa nomination imprudente datant déjà de 189-).
— Alors, c'est une figure, comme on dit'? Ab! tant
mieux : vous m'aviez fait peur! dit M““ flore, qui avail,
ma foi! sorti son mouchoir, en prévision d une charitable
émotion à convenablement étonil'er.
— Et maintenant que, n'en déplaise à monsieur Bêcbard,
j'ai raconté tout de même ma petite histoire, cornebiou !
j’ai l’honneur, mesdames et messieurs, de vous inviter a
venir rendre visite à l’Exposition Serbe, insérée dans cet
élégant local, aussi palatial et national... qu orthodoxe.
30
A TRAVEHS l’eXPOSITION
A L E K r E !
Conduisant ses compagnons devant la principale entrée
du Pavillon, située sur la rue des Palais étrangers, le toni-
truant Toulousain reprend :
Comme vous le voyez, té! l'entrée principale est
lormée par un escalier et un portique centraux, de chaque
coté desquels, en entrant, nous trouvons un kiosque sem-
blant ne pas taire tout à fait corps avec la disposition inté-
rieure, c est-a-dire la vaste salle partagée eu compartiments.
Ces deux kiosques constituent, avec le portique, comme le
\estibule, té! du Pavillon. Entrons dans l’un d’eux, au
hasard... Eh ! capédious ! le hasard nous sert à merveille,
cai il nous conduit dans le plus pittoresque des deux kios-
ques, celui où est installé le très curieux musée ethnogra-
phique serbe, œuvre d’un savant patriote du pays, M. Mal-
khazouny. C’est toute la Serbie que vous voyez réunie là,
dans toutes ces figures si bien groupées, qu’elles semblent
une suite de tableaux vivants n’attendant que le baisser du
rideau pour s’animer toutes à la fois et... sourire de nos
[listes halnllements occidentaux, si pauvres en comparaison
des leurs, (^.a, mordions ! c est un « clou » do premier ordre ;
seulement...
Bouscastrol se gratte l’oreille, d’un air perplexe, à travers
la soie de son bandeau.
— Seulement? interroge Verduret.
Dame! té! c est que voilà ; dans tout ça, vous ne
[louvez voir que des costumes chatoyants, joie du coloriste,
aussi bien pour les modestes étofles agrestes que pour les
licbes parures dos classes aisées, et c’est une race que je
voudrais vous y montrer. Pour vous mettre en état de
comprendre, il faudrait, cadédis ! que je pusse, tout au
moins, vous dire quelques mots de cette nation serbe, que
vous ignorez de toutes vos forces...
[.A KLE DES PUISSANCES AU QUAI D ORSAV
.'il
— Qui vous en empèclie?
La difficulté, mon cer monsieiu' Verduret, de luire
iciisir en quelques phrases ce qui demanderait des heures a
dre expliqué convcnahlement, et la peur, en ouvrant uiu'
louvelle parenthèse, de me faire conspuer [)ar M. Bêchard.
Le farinicr ri[)OsLe d’un ton l’oguc :
— Je trouve fort déplacé, môssieu, que vous me i)renie/
.üujoiirs ainsi à partie. Si ce que vous croyez devoir narrer
ai’assommc par trop, j’irai faire un tour dans cett(‘ salle en
ittendant que vous ayez lini, voilà tout. Je n’entends pas
empêcher Verduret de vous écouter, si (ja 1 amuse.
— Té! je le disais bien, ce matin, que vous ferez un i)ar-
lementaire parfait... Seulement, mon bon, ce que vous fré-
quenterez la buvette!... Donc, je protite de la peimission,
de crainte de vous voir introduire quelque motion contra-
dictoire et... liberticide. Les Serbes, mordions! tenez,
j’éprouve un faible pour eu.x. Savez-vous pourquoi?... Ne
cherchez pas, monsieur Verduret, je vais vous le dire, tout
de suite. C’est parce qu’ils sont les « (jems dn Midi » de la
race slave, tout comme nous sommes, nous oUres de Gas-
cogne, les Méridionaux de la nation gallo-franque. Du mo-
ment que je vous indique ce cousinage avec nous oltrc.s, d
est presque superllu d’ajouter que ces Serbes furent un
grand peuple, aujourd’hui disséminé, mais que laxenii
peut-être réunira. Il se reconquiert, en ctfet, par lambeaux
successifs : son principal centre, la Serbie, gardienne du
nom, a reconquis son indépendance sur les lurcs ; la Bosnie
et l’Herzégovine se reconstituent sous la protection autii-
chienne; le Monténégro a la gloire de n’avoir jamais courbe
le front sous le joug du Prophète ; la Dalmalie, I Escla-
vonie ou mieux Slavonie , le Banat, la Croatie et toute la
partie sud do la Hongrie attendent l’heure de la séparation
d’avec un xieil empire auquel les attachent des liens
chaque jour plus fragiles — tissés surtout de respect poui
une haute, noble et malheimeuse personnalité couronnée ,
la Macédoine et l’Albanie seules demeurent encore enchaî-
nées aux pointes du Croissant... ^ .
— Pardon, objecte Bêchard, il s’agit de la Serbie et non
de tous ces peuples divers : précisons, s il vous plaît !
32
A TRAVERS L EXPOSITIOM
^ — Ce ne sont pas dos peuples divers, ce sont tous des
Seines passes par fractions sons des dominations étran-
gères. (air 1 ancienne Serbie fut une grande nation de race
slave, mon cer monsieur, une nation vaillante et qui eut
son heure triomphale en même temps que son Charlemagne
on son Napoléon, en la personne de son roi fameux, Etienne
Donchan, dit le Fort, an xiv'' siècle. Alors, la Bulgarie et la
l hessalie marchèrent sons la même orillamme que tons les
Serbes dont je viens de vous citer les noms actuels, et, par
eux tous, Constantinople faillit être conquise, si l'empereur
de Bj'zance, épouvanté, n'avait appelé les Turcs à son
secours, ces Turcs qui ne tardèrent pas à mettre le talon sur'
1 empire d’Uccident, leur imprudent allié. Si Constantinople
lut tombée au pouvoir des braves Serbes, il est très pro-
balile que jamais 1 Islam n'eut pris pied en Europe... Et que
do sang chrétien et musulman eût été é|)argné !
A la bonne heure, s'écria Verduret enthousiasmé,
c est plaisir de vous entendre, fine d'horizons vous m'ou-
vrez en quelques mots sur la politique de races dans les
Balkans qui, jusqu'ici, me semblait un indéchiffrable o-ri-
moire Barhleu! je vois clairement, maintenant
— Eh ! \oyG'A tout ce que vous voudrez, Verduret. Moi,
je trouve qu’il est grand temps de voir... le Pavillon et
.l'y vais.
Comment, Béchard, vous ne comprenez pas l’impor-
tance, pour l'avenir de l’Europe, de celte reconstitution
lente do...
— Au diable ! ce que je trouve lent à venir, ce sont les
explications sui' ce qui nous entoure.
— Eh! mille millions de Capitoles! il fallait pourtant
bien que je vous dise ces quelques mots pour que vous ne
soyez pas surpris .le trouver, dans ce musée ethnographique
serbe, a côté de la dame de Belgrade en jupe de soie blanche
et en boléro de soie noire à larges manches, tout garnis de
broderies d'or et de pierreries dessinant des fleurs et des
triiits stylisés : la .Monténégrine en vaste manteau blanc,
sans manches et tout constellé, cachant la robe noire toute
brillante d'or; ou la jeune dame de la Vieille Serbie an
manteau de velours grenat brodé d'or on relief, et tombant
sur une sorte de vaste et merveilleuse culotle retenue aux
i.A nrro des rl issaaces ae qiwi d orsav
3:5
chevilles par des « poignets » richement ornés, avéc la poi-
trine nne sons la transparente chemise; on la Macédonienne,
pins modestement vCdue de drap avec ornements do soie de
dilïérentcs conlcnrs; on la Serbe-Bosniaqne, vètne de la
chalvan^ ample cnlotle longue (m soie changeante, et du
Li-: I’avii.i.on ih; i.a Skriub:.
holéro sans manches sur la chemise de soie trans|)a-
rente, etc., et toutes portant, posée sur leur noii'c cheve-
lure, la coquette petite calotte dont les couleurs du lond l't
du bandeau, ainsi que Fornementation tintinnabulante
changent avec chaque pays. Maintenant que vous savez
combien la race serbe s’étend loin des frontières du petit
Etat du roi Alexandre, vous comprenez la légitimité tle ces
présences qui vous eussent semblées insolites, - te !...■ et
TRAVERS
L EXPOSITION
sachant à quelle nation énergique et fiére de son glorieux
passé nous avons affaire, vous ne vous étonnerez plus qu'à
travers les siècles et en dépit des jougs étrangers, elle ait
fièrement conservé sa langue slave, ses mœurs, sa religion
et ses costumes.
\ oyons, Bêchard, vous ne pouvez nier que ce que
nous dit notre savant guide ne soit la vérité même?
Les vaniteux du genre de notre l'arinier ne s'avouent
Jamais battus. Quand ils sont mis au pied du mur par
l’évidence, ils... sautent brusquement de l’autre côté de
l'obstacle : ils estiment que se dérober est un bien suflisant
aveu... lorcé. Ainsi fait notre homme en demandant sans
transition, au bohème qui rit dans sa barbe :
■ — Et, dans l'autre kiosque?...
— Se trouve l’exposition des industries diverses.
— Ah ! ab ! fait Bêchard en se redressant, allons aux
industries, choses sérieuses et pratirjups.
Comme, pour se rendre dans cette seconde partie du ves-
lilmle du Pavillon, Bouscastrol prend, avec son escorte, par
le grand hall central, il explique, chemin faisant:
— Cette immense salle unique contient, entre autres,
l’exposition des produits du sol et du sous-sol de la princi-
pauté. La viticulture, en particulier, est absolument remar-
quable. La Serbie peut rivaliser avec la « Terre promise »,
de 1 Ecriture, té! elle vous exhibe des grappes qui pèsent
(rois ou quatre kilogrammes ; et vous pouvez déguster le
délicieux viu de Négotine qui, rouge ou blanc, est aux vins
serbes ce que le bordeaux est aux autres crus des côtes
françaises. Quant aux minerais de plomb argentifère, de
zinc, de cuivre et d'or, dont l’exploitation rationnelle n’en
est qu’à ses débuts, ils montrent que de richesses sont per-
dues partout où le Turc immobilise encore la marche de la
civilisation ; cette inertie est son plus sûr arrêt d'expulsion
plus ou moins lointain de la terre d’Europe, et...
Soudain, Bouscastrol s’arrête ; sous son bandeau de soie
son fi'ont se plisse et une flamme sombre brille dans son
unique regard d’occasionnel cyclope. .
En travers du portique d'entrée, quatre gaillards roux.
T.A. BI E DES Pl'ISS.V^CES AU QUAI T) OUSAY
on « complets»... explicites et à gros poings de boxenrs,
barrent presque le passage, entravant avec un parfait sans
gène la libre circulation.
Derrière le bobème soucieux, une voix ricane ;
— AU ruihl! il riait déjà très beaucoup celoui qui riait le
dernier.
Et Ibjz/ling, levant la main au-dessus des têtes du public,
fait un geste. Bouscastrol se retourne sur lui et. Un parlant
à l’oreille, d'une voix sourde :
— Vous n’allez pas, je suppose, user de violence en
pleine exposition? (Juc prétendez-vous faire?
_ Vô allez le vôar ! répond ironiquement l’Anglais.
Sa main, restée levée, fait un signe d’appel. Aussitôt, les
quatre gaillards roux, jouant fort brutalement des coudes,
se mettent en devoir de marcher sur notre groupe de visi-
Bertrande, la mine inquiète, regarde Bouscastrol; elle
voit celui-ci esquisser comme un mouvement .le retraite
qui le fait se heurter à Puzzling, lequel, les ,) arrêts tendus,
résiste au choc. , i .
Un éclair de colère étincelle dans l’ceil du bohème... mais
il se change tout à coup en une expression de vive satis-
faction, en se reposant sur une bande de jeunes hommes,
la plupart élégamment mis, et qui, au nombre de hui , se
dirigent vivement vers la sortie.
Leur mouvement les fait forcément se rencontrer avec
les quatre gaillards qui marchent en sens contraire e ,
comme ni les uns ni les autres ne paraissent vouloir se
céder le pas, il s’ensuit un choc au milieu de la fou e. ^
Les nouveaux arrivants, aidés en cela par le pub ic diqa
bousculé et pas content, interpellent vertement les bis
d’Albion. Ceux-ci, sans répondre, veulent rompre la digiu
humaine qui s’est formée devant eux; mais la dite digue
résiste en poussant les hauts cris. De là naît une bagaii.'
qui, naturellement, attire les agents de surveillance.
A ce moment, Bouscastrol, le sourire aux lèvres imih'
ses compagnons à vouloir bien le suivre et, prenant la. tete,
se dirige vers le fond du hall.
VUI
travers l’exposition
Puz/ling réprime un geste de fureur et, à pleins poumons,
pour dominer le tumulte voisin, commande .
Go ou !
ï TU UU .
eux. : messieurs ino,M-
leurtort, SI >>"" ‘1“';'*' ',,rAnglais sont refoulés par les
nément accounu , ^ q querelle continue de plus
•ents hors du Pa^lllo ... J . p^menés dans la
îirSé:;:errr<.-e;^î^sonte— é»su
St",r\ï:r:rmS police -i^
'' pèudànl !L oH
Îurs\mlf3de^rsd où il dit, eu réponse ^ une bien
naturelle interrogation du manufacluriei re ne -
•elH' mLL.lIUpUc.xa. xr 1 4
Fh' narfaitement, té! mon cer monsieur \erdurtt,
D“met:,'r':ml's'!:: cm nmportaut en ce .,ni
“"_!"Nm.s“pÏ::n; ‘ir Paxillons ,ue vous nous aves f.,»
'’''Ü-‘'’r.ÏÏt‘cela raéL. Seulement je vous
les laisser choisir claprés lorclre dan, lequel la doenmen
tation se présente à ma mémoire.
— G est trop juste. Flore que vous ne nous
_ A condition, objecte M'"'’ Flo o, que vo
fassiez plus courir comme des petits lapins . ,
Oh ' c-tte fois, belle madame, nous avons le temps
..rmuire nos aises, d’écl.re en souriant notre Ton ousam.
Se retiurnant. il aperçoil Pussling qui hMc 'o P»' P““'
rejoindre le groupe. , , ,
' Ft té ’ nous serons au complet, car voici venir milor
,„mrpon, m'ee nous avions, cadédis 1 égaré clans la foule.
LA RLE DES P[ ISSAA'CES AL (JEAI DORSAV
3!)
Or, Puzzling n’était pas de ceux qui s’égarent aussi faci-
lement. En voyant comment tournait l’algarade dont te Pa-
villon de Serbie était le théâtre, il avait serré les poings en
murmurant :
— Aôh ! le rascal!. . 11 avait précautionné loui-mème ;
jé été ràoulé acjainl C’était loui que je volais entraînera le
poste !...
Il avait hésité un instant sur le parti à prendre : ne
devait-il pas suivre en curieux ses quatre hoya, pour inter-
venir en leur faveur si besoin était. Mais c’était risquer de
compromettre sa mission, et, abandonnant britanniquement
ses acolytes à leur sort, il déclara hipnHo:
— No. Jé devais souiver loui, tùjours !
Et il s’élança, de son énorme pas rigide, sur les traces du
groupe déjà disparu. Mais, comme son amour-propre ré-
pugne à s'exposer trop tôt à la verve moqueuse de son adver-
saire obstinément heureux, il se contente de suivre
d'abord... de loin. Il laisse les doux couples provinciaux et
leur guide longer les Pavillons de Monaco, de l’Espagne, di“
l'Allemagne, de la Norvège, et ne les rejoint que lorsqu’il
les voit s’ariaHer devant celui de la
«’IIAPITRE III
liELGIQlE
5; |i'r
L IIOTIOL DE VILEE d'aI DE>ARDE
Au luonieiit où j\Ii' Jauies-Grogoi'y, estjuiro — affiriiio-
l-il, du moins — vient stopper dans les eaux de la partie
adverse, il eritend Verduret s'écrier :
Ça, c est merveilleux!... (Juelle superbe dentelle de
pierre! Alors, c est I Ilolel de Ville d'Oudenarde ou Aude-
narde, dites-vous? Est-ce exact comme reproduction?
C est-à-dire, mon bon, que deux bulles de savon ne
sont pas plus semblables.
\ ous voulez dire deux gouttes d'eau ?
_ Je dis toujours, te ! ce que je veux dire, cère madame.
J emploie la comparaison de ces bulles irisées qui sout les
Iragiles aérostats du jeiiue âge, et je dis scmhlablcs et non
fiareillcs, parce que vous ne vomiriez pas, cadédis ! que
l'arcbitecte bruxellois Henri van Peede, lorsqu'en 1325 il
commença, aidé de son confrère G. de Ronde, la construc-
tion dc^ ce modèle idéal du gothique du dernier âge, ait
prévu 1 Exposition de I90U et dressé scs plans eu songeant
a 1 emplacement que M. Picard pourrait réserver ici au
la\illon de la Belgique! Ceci est une reproduction exacte
42 A TRAVERS t’EXfOSlTlOn
en ce qu’elle est scrupuleusement proportionnelle. Et eu
core, té ! il est bien entendu que je ne parle que des façades :
les architectes, MM. Ackcr etMankels, en ont tracé les em-
iiiénagemcnts intérieurs selon les nécessités de leur utili-
sation.
— Alors, calcule Bèchard, cela fait quatre architectes
pour ce Palais de Belgique ?
— Mordions! au diable votre fureur d'additionner, mon-
sieur Deux-Et-l)eux-hout-Ouatre ! 11 est évident que,
.MM. Acker et Mankels, les architectes de 19UU, ne pour-
raient qu’être llattés que vous mettiez au môme rang leurs
noms et ceux de leurs grands prédécesseurs; mais, mille
('.apitoies! ils seraient sans doute moins satisfaits de voir
associer leurs pei’sonues avec ce qui peut rester tie celles de
ces ancêtres !
— C’est de votre faute, aussi ; vous mélangez tout : le
passé et le présent, les vivants et les morts • ,
— Si on peut dire!... Est-ce que je vous ai jatnais pris
pour le meunier de Sairs-Souci ou madame votre épouse
[)Our... Agnès Sorel ?
— Monsieur, je ne vous permets pas d établir de rappro-
chement entre M'’"= Bêchard et une demoiselle dont le nom
s’étale sous la plume des soiristes et des courriéristes de
théâtre!
— Et voilà, hou Dious! à quoi servent les livres d’his-
toire ! (dh ! le Vandale! M. Sorel n’a plus qu’à se pendre...
au bras du comte Yaudal.
— (duel galimatias ! ricane dédaigneusement Bèchaial ,
[leudant que le Toulousain, retrouvant fOU sérieux, un
instant envolé, reprend ;
— ■ Eoi d’artiste, mordions ! je ne sais rien de plus magui-
tique, eu architecture ogivale profane, que cet Hôtel de
Ville d’Audenarde, construit en quatre ans et qui, s’il rap-
pelle ceux de Bruxelles et de Louvain, leur est si hautement
supérieur eu beauté. Admirez ce portique à sept arcades,
unique en son genre, qui se détache de laçou si aéiiennc
de la façade principale, et au-dessus, cette tour, cliet-
d’œuvre de grâce et de majesté, qui s élève en plein ciel —
Admirez ces fenêtres élégantes, ces niches si étonnamment
fouillées et, au sommet de l'édifice, cette si légère galerie
LA RLK JJLS PI lSSAiNCLS Al (Jl Al D UKSAV
saillante, immense balcon be rêve d’où jaillissent les lou-
rtdles aux (lèclies si élancées, les pinacles d’une inouïe
linesse des teuètres du comble, comme des agrès de pierre
autoiii' du mal sculpte à jour de la grande tour. Cornebiou !
il laiit reconnaître que les écbe\ins des grandes villes
llamandes s’y entendaient pour illustrer leurs cilés d’in-
comparables édilices communaux, cl que le Commissariat
général belge ne pouvait mieux qu’en reproduisant cette
merveille du xiv‘' siècle, satisfaire au désir di^ iM. Alfred
Picard, tlcsir qui était de voir les ('trangiu's donner, en ces
Pavillons, la note des beautés de leurs architiM'lurcs natio-
nales,
— Bon, c’est magnilique, c’est entendu, dit le farinier
agacé, et qui n’a décidément pas la fibre ailmiratrice. Ce
Palais me semble carré?
— A peu près, avec quelque vingt-cinq mètres de fa-
çade.
— Et rilôtel de Ville véritable ?
— Ma foi, allez-y voir! Ah ! vous en avez, de l’estomac,
de vous inquiéter de chiffres qui ne signifient rien devant
un morceau d’architecture aussi émotionnant, et auquel ont
collaboré, à l’envi, tant d’autres splendeurs de pierre de
cette Belgique, qui est un véritable nid de merveilles archi-
tecturales. Les galeries ont été copiées sur l’Hôtel de Ville
de Courtrai, ainsi que les cheminées monumentales des
salles; de nombreux détails ont été empruntés à des châ-
teaux, ses aînés, notamment à celui du comte d’Egmont, à
Sotteghem. L escalier, que vous allez voir, est celui que les
échevins exigèrent que Van Peede refît, après qu’ils eurent
tait venir, pour le consulter, le célèbre Rambaud van Gans-
daele, architecte générai de Charles-Quint. Ah! il est
dommage qu’on n’ait pas pu reproduire ici la fameuse che-
minée ornée de figures représentant les Vertus théologales
et les Péchés capitaux, dont le premier modèle, â Courtrai,
existe encore, car c’est de l’art sans pareil, cela, je vous
en... donne mon billet!
— Quel travail., et pour si peu de temps! insinue phi-
losophiquement Verduret, car ce Pavillon est, comme les
autres, n’est-ce pas, construit en trompe-Pœil?
— Vous l’avez dit, cadédis! Une charpente en partie faite
A TRAVERS L EXPOSITION
avec cet éloiiiiaiiL ciment armé, système Hennebiqiie, dont
je vous ai parlé eu vous montrant les Palais des Champs-
Elysées, et toutes les parties si délicatement travaillées des
façades réalisées en stalT. Les ouvriers belges sont passés
maîtres en l'art de travailler ces imitations de la pierre;
Pi.AX nu Pavii.i.on iiK LA Belgique (côté de la Seine).
aussi tout le revélement si fouillé de la charpente a-t-il été
exécuté à Bruxelles et transporté ici, pour y être monté,
morceau par morceau.
— Par cliemin de fer?
— Non, par voix lluviale. C’est plus lent, mais plus sur
et moins dispendieux. C'est que, voyez-vous, té! cette lidèle
reconstitution d'un exceptionnel édilice a été soignée avec
I.A lin-: DES PriSSAACES AT OI AI DOliSAV
amour par M. A. Vercruyssc, le commissaire général, et son
adjoint, iM. Emile Robert... Mais, au tait, ji’ ne vous ai pas
encore parlé de ces messieurs.
Avec, cela que c’est si nécessaire, ronchonne Itêchai-d,
l'étei'nel malcontent.
— Fi ! mon ccr mon-
sieur, mais c'est de stricte
politesse! Eomment,
vous venez enchanter
gratuitement vos regards
de cette délicieuse AÙsion
de vieil art belge, et vous
ne voudriez pas entendre
rendre hommage, par ma
voix indigne, à ceux qui
en ont présidé et orga-
nisé, sinon exécuté, la si
intéressante résurrec-
tion? Mais, ce serait de
l’ingratitude au [)remier
chef, ça, mon bon, et,
que cela vous plaise ou
non, je ne m'associerai
pas à ce vilain péché si
contraire au tempéra- • m. vercruysSE
ment français — pris en COMMISSAIRE tîÉNÉRAL l'E LA BELCIQUE.
général, bien entendu. —
D'ailleurs, vous-même allez me dire merci de ce que,
avant de savoir, vous taxez d'intempérance de langue,
lorsque vous saurez ; 1“ Que le Commissaire général,
M. Astèrc Vercruysse, né à Courtrai en 1834, titulaire du
diplôme de docteur en droit, conquis à l’ünivei'sité de Gand
en 1858, a bel et bien et sans hésiter « quitté la robe
pour... »
— L’épée? achève Verduret qui sait vaguement ses au-
teurs.
— Eh non, mordions ! mais pour le caducée de Mercure.
— Sacrebleu! parlez donc comme tout le monde !... Cela
veut dire ?
— Qu’ayant conquis son entrée au barreau, il le déserta
A TRAVERS LEXPOSITIUA
4H
pour rindiislric et ue tarda pas à tenir la tète de l'industrie
gantoise.
— Ah ! ah ! Ce commissaire général est donc un com-
merçant ?
— Et cela vous rapapillotte, avec mon bavardage, hé ?
(Jiie sera-ce lorsque vous aurez appris que, comme suite au
beau succès de sa carrière industrielle, M. Vercruysse a été
créé consul du Gouvernement me.xicain en 1880; élu mem-
bre de la Chambre des représentants, c’est-à-dire député de
Gand, en 1886; puis sénateur en 1892. Hein ! mon bon,
quel modèle à imiter en vos ambitions commerciales et
[)oli tiques !
— En ellet, je reconnais...
— Ah ! par exempte, il vous faudra prendre exemple sur
son inlassable activité, son expérience profonde, ses con-
naissances multiples et surtout... son extrême aménité qui,
depuis onze ans, lui ont valu de monter, de par la confiance
justifiée de son Gouvernement, tous les degrés de la hié-
rarchie « expositionniste ». Membre du Comité belge à
l’Exposition de Paris, en 1889, il devient Commissaire
général des Sections étrangères à celle d’Anvers, président
des Commissions pour celles de Chicago, Bordeaux, Amster-
dam, et enfin Commissaire général de la Belgique en 1900,
ainsi que j’ai eu l'honneur de vous l’annoncer. Naturelle-
ment, des décorations, et non des moindres : commandeur
de. l’Ordre de Léopold, de la Légion d’honneur et d’Orange-
Nassau, chevalier du Lion Néerlandais et de l’Ordre d’isa-
belle-la-Catholique d’Espagne.
» Si vous voulez dépasser un pareil modèle commercial
et politique, je crois, mon bon, que vous ferez bien de...
mettre les jambes à mon cou ! »
— Bah !... Une fois député, que je devienne seulement
ministre... fait négligemment le farinier.
— Cornebiou ! quel appétit ! s’exclame ironiquement le
joyeux cicei’one... Seulement, il faudrait d’abord arriverai!
modeste conseil municipal. Aussi, crois-je prudent de vous
citer, en la personne de M. Emile Robert, commissaire
général adjoint, un modèle tout aussi honorable, mais dont
l’imitation est moins inabordable puisqu’il vous suffira de
vous élever au faite de votre corporation, ce qui, pour un
LA KI E LliS l’I ISSAiNCKS AL ULAl U OKSAV
47
lioiiime à principes iiilransigeaiils et nu émérite calculateur
tel ([uevous, doit être un jeu d’enfant.
— lluni ! fait Bêchard avec nn soupir un peu découragé,
il y a de hautes valeurs dans la fariiu;!
— Té ! aile/ à Bruxelles, pour faii'C la contre-partie île
M. Emile Robert qui fut une des importantes personnalités
du commerce parisien, où il a fondé une grande maison
d’exportation. Retiré des all'aires depuis douze ans, il s’esl
consacré anx œuvres de l’Union belge et de la Ubambi’e d(‘
Commerce belge, que son zèle et son expérience ont fait si
largement prospérer... Et puis, retenez ce détail, mon lion,
il a, comme son chef immédiat, une belle carrière d'ea-yvo-v/-
lionniste, ayant été membre, du jury de l'Exposition d'An-
vers en 1(S94, et vice-président de l’Economie sociale à celle
de Bruxelles en 1897. Cela lui a valu d’être officier de rOrdrc
de Léopold et chevalier de la Légion d’honneur. Sa mission
de commissaire adjoint en 1909 ap[)elle tout natui'ellement
la rosette rouge... Et quand je pense, ti' ! que vous n’avez
même pas encore le pauvre petit ruban violet, vous qui
faites tant pour ITnstruction publique !
— Bar exemple, je serais curieuse de savoir comment ?
demande, en s’elforçant de ne pas rire, la mutini' nièce de
Verduret.
— Eb ! bon Dious ! cela saute aux yeux, mademoiselle,
et une telle question me surprend de la part d'une intel-
ligence aussi vive que la vôtre. Té! raisonnons un jieu :
on violette à lire larigo les boutonnières des maîtres de
gymnastique, d’armes, etc., parce qu'ils apprennent aux
muscles nationaux la souplesse harmonieuse et la force ;
que dire alors de monsieur, qui, travaillant à la base de
l’alimentation fram^aise, apprend à l’estomac à faire vivre
cba([ue individu... qui court une chance sur un million
d’être une illustration de la patrie !
Bêchard allonge sa mine : il a peur d’être ridicule en
se fâchant de la « blague » fantaisiste du bohème. (Juant à
Bertrande, son rire part comme une fusée, pendant que
son oncle observe d'un air finaud :
— A ce compte-là, il suffirait de naître Erançais pour
être décorable... en violet?
48
A TRAVERS h EXPOSITION
— Et môme décoré, cer monsieui'. Patience, on y arrive.
Le peuple étant souverain, il est bien juste qu'il trouve au
un sous-ordre national dans son bercean !... Vous ne
direz pas, inojisieur Bècliard, que je ne vous iiidique pas là
un exceptionnel tremplin électoral pour votre premier
projet de loi... Mais ne froncez pas le sourcil pour une inno-
cente plaisanterie sur un ruban... élastique dont sourit le
Paris i'rondeur — cette Toulouse du Nord ! — mais qui fait
encore son très enviable petit elfet en pi’ovince... car je
me hâte de rentrer dans mon rôle, en vous invitant à
franchir avec moi l’iiuis de ce Pavillon.
Tout en se diiigeant vers le milieu de la façade pi'inci-
pale, perpendiculaire à la Seine et oii, sons ta tour incom-
parable, s'onvi'e la port(' d'honneur, Bouscastrol explique :
— La Belgi([ue, notre li'ès activement commerçante voi-
sine, a pris une large |»art à cette Exposition de 1900. C’est
dire que vous la retrouverez dans tons les groupes et classes.
Dans son Pavillon, composé d'un rez-de-chaussée, d'un
premier et d’un vaste sous-sot estamlnel, oi'i l’on déguste les
agréables bières Oamandes, elle n'a fait qu'une exposition
rétrospective d’art en môme temps ([u'un palais de récej)-
tion. C’est ainsi, té ! qu’au rez-de-chaussée, sur tes ti’ois
salles qu'il comprend, on en voit deux alfectées aux expo-
sitions des villes et une au service de la presse, servant en
meme temps de cabinet de lecture et de correspondance.
Lorsqu'on a gravi le superbe escalier monumental, on ne
trouve, au premier, que des salles de réception artisti-
quement ornées de tapisseries et d'objets d'art de l'époque,
et le très beau » salon royal ». Je vous jure, capédious !
que, pour les personnes de goût, ce n’est pas du temps
perdu que celui consacré à cette visite. Un éprouve une déli-
A TRAVERS L'EXPOSITION DE 1900
ALLEMAGNE ESPAGNE MONACO SUÈDE GRECE SERBIE
PAVILLONS DES PUISSANCES ÉTRANGÈRES
LA ri:k des plissances al: qeai d’uhsav
49
cieiiso jouissance intel-
lectuelle, au milieu des
œuvres de ce passé d’art
L|ui a fait des Flandres
d’antan les rivales artis-
tiques de l’Italie... Et les
modernes, américanisés
par l’étonnante transfor-
mation que la Science,
lialetantc de progrès,, a
imposée à la Vie, se di-
sent, là, qne les aïeu.v
savaient, sans le con-
cours de l’électricité et
de la vapeur, la com-
prendre de délicate et
l)ien harmonieuse façon,
cette Vie que, grâce
aiLK merveilleux artistes
d’autrefois, ils habil-
laient ainsi de calme et
profonde Heauté ! Certes,
nous avons bien encore
des génies du pinceau,
de la plume, de l’ébau-
choir, de l’équerre et du
contre-point; mais dans
la lièvre du téléphone,
de l’antomohile, de la
bicyclette et des express,
nous n’avons plus la
possibilité de recueil-
lement qui permet à Fart
de charmer les élites et
de pénétrer jusqu’à la
foule elle-même... Mais,
nous voici au seuil de la Beluique. — Aiguille uu UEFFiioi.
gothique merveille (la-
mande ; je vais avoir l’honneur de vous y intro luire, té ! à
titre de votre guide aussi dévoué qu’ofliciel.
A TRAVERS l’eXPOSITION. — T. — 3
40
A TRAVERS l’eXPOSIÏION
:jo
A ce mol, un gardien, que ses broderies annoncent être
un clief, vient droit à Itouscastrol :
— Vous avez dit que vous étiez le guide otficiel, pour
une fois, de ces menherr et de leurs madamos ?
— Oli!... officiel est une façon de parler; je...
— Tais-toi, menherr, savez-vous.
— Comment ? cornebiou !
— Je suis fonctionnaire du Gouvernement. Je dois inter-
roger et vous ne devez pas interroger, sayes-lu ?
Bouscastrol, gogiumard, r('garde le << fonctionnaire belge»
dans le blanc des yeux. Celui-ci, impertubablement, pour-
suit :
— Montrez-vous l’ilôtel de Ville tic la ville d'Audenarde
à ces étrangers, ou ne montrez-vous pas l’ilôtel de Ville de
la ville d’Audenarde à ces étrangers?
— Té! mon bon, je vais, du moinss, le leur montrer.
— Och ya. Csl-ce ([iie tu as, pour une fois, menherr,
l'autorisation du Gouvernement?
— Par exemple ! intervient Verdurct, pour nous expli-
quer ce que contient ce Pavillon, il faut?...
— Uu guide officiel, )nenherr, doit avoir l'auto-
risation du Gouvernement, et un guide pas officiel doit avoir
Pautorisation du Gouvernement également.
— Laissez donc, mon cer, dit Bouscastrol au manufac-
turier retiré, qui veut insister; je vais, mordions! adoucir
ce peu concis cerbère.
Etau gardien :
— Mon bon, vous olü-es Flamands, je vous crois, foi de
Toulousain, un tantinet farceurs, sans avoir Pair d’y tou-
cher. Oue diriez-vous, té ! si je vous offrais, là, en bas, dans
ce bel estaminet vieux style, dont les fameux plâtres
bruxellois font un véritable musée, d’aller faire mousser
ensemble une grande chope de faro ou de lambic, cela ne
constituerait-il pas la prétendue autorisation du Gouverne-
ment.
— V>n.
— Comment non?... Ah ça! c’est sérieux, cette in-
terdiction à des professionnels de faire admirer à des
étrangers ?. . .
I.A RI E DES PEISSAMIES Al' (jEAI D ORSAY
— Tout est sérieux en lîelgiquc, savez, menherr. J'cxé-
I cute la consigne formelle que m’a donnée, pour une fois,
! mon (iouveniement.
I — Après tout, c est possible ; ces Belges sont si forma-
listes ! explique le scul])teur à ses conijiagnoiis.
I Bt, se tournant de nouveau vers le gardien impassible :
I — Eh cadédis ! mon bon, c'est bien simjile ; je vais la
demander, cette autorisation.
— Impossible.
— Allons donc?M. Yei'cruyssc n'est pas au Pavillon ?
— Il y est, nirnlirrr... mais on ne le dérange pas,
sa //es-/ U.
— Alors, iM. Emile Hubert?
i — 11 n'y est pas. D'ailleurs, tu devrais, savez-vous, écrire
! à son secrétaire pour lui ilemander un rendez-vous. Infor-
mai ions prises, le secrétaire accorderait le rendez-vous et
vous questionnerait, pour une fois. S'il y a lieu, il faudrait
que tu voies, par le môme moyen, iM. le commissaire
général adjoint et peut-être, savez-vous, M. le commissaire
général, lequel écrirait au Gouvernement de Bruxelles...
' Ee Gouvernement de Bruxelles fera faire une enquête. Si
l’enquête est favorable, le Gouvernement de Bruxelles écrira
au Commissariat, qui te fera venir, rnen/ieir, pour vous dire
que tu peux adresser une demande an Gouveiaiement de
Bruxelles, en la faisant passer hiérarebiquement, pour une
fois, savez... Puis...
— Assez!... Et quand aurai-je la chance d'obtenir cette
autorisation ?
— En vous dépêchant, me/iherr, tu poux espérer, d'ici
trois ou quatre mois...
Un général éclat de rire accueille cetti' déclaration, au
grand scandale du digue « fonctionnaire » de la porte, et
Bouscastrol, s'adressant à ses compagnons, s’écrie:
— Je crois, té ! que nous ferons bien, si vous tenez à ce
que je vous accompagne...
— Certes, nous y tenons ! proclame Verduret.
— ■ Eh b(‘ ! nous ferons bien, dis-je, de revenir à un
moment où ce terrible cavalier du règlement aura cédé le
cordon à un collègue... à (|ui je me ganlorai bien de laisseï'
A TRAVERS l’eXPOSITION
deviner ma fonction ciceronéenne... Celui-là serait capable
d exiger que j'aille demander, à Bruxelles, audience à
Sa Majesté Léopold, roi des Belges et du Congo! En atten-
dant, si nous rendions visite à un oltre Pavillon, hé? Est-
ce votre aviss ?
— Absolument.
— Alors, té ! liions grand' erre au Pavillon de 1’
CHAl’lTHE IV
ALLEMAGNE
LA PO L ni QUE DK li O U S C A S T II O I,
Petidiint le trajet entre les deux Pavillons, trajet de ([nel-
qiic durée, puisqu'il fallait « passer » celui de la Norvège
déjà visité, l'artiste cicerone marche devant, silencieux et
pensif, répondant à peine d'un geste ou d'un vague mono-
syllabe à Verduret qui, étonné de cette soudaine transfor-
mation du verbeux Aléridional, renonce à l'interroger.
A l’arrière de la petite troupe, Bertrande s'approche de
Puzzling et, sans en avoir Pair, lui jette à mi-voix ces six
mots ;
— J'attends toujours votre histoire de police.
— )’es!... hui, le temps il été trop petite nuw. Je guetté
le instant levorèbeul.
C'est tout. Bertrande rejoint JM"’“ Flore avant que celle-ci
ait pu soupçonner ce rapide conciliabule, et... l'on ne tarde
pas à arriver devant la simple et élégamment curieuse con-
struction de l'Empire germain.
Lorsque, s'arrêtant, le joyeux bohème se retourne, cha-
cun reste stupéfait de l’exjiression profondément sérieuse
de sou maintien comme de ce que le bandeau de soie permet
de voir de son visage.
A TKAVERS L EXPOSITION
D’une voix lente et scandée, il annonce :
— Mesdames, messieurs, j’ai l'honneur de vous pré-
senter le Pavillon de Phnipire allemand.
Chose étrange : Bouscastrol, en articulant avec une cer-
taine solennité cette courte phrase, parait presque avoir
oublié son assent, si terrible par moments que, un peu
d’imagination aidant, on jurerait qu’il << embaume »... l’ail.
Bèchard lui-mème ne peut s’empêcher de remarquer la
métamorpliose et d’en exprimer lourdement sa surprise :
— Ah ça! qu’est-ce qu’il lui prend, à notre cieerone? dit-
il à Verduret. On nous l’a changé en nourrice ! A-t-il, tout
à coup. Pair lugubre !
— Pas lugubre, mais grave, observe tout haut le rentier
malesherhois.
Bouscastrol répond directement:
— Nous sommes ici sur la terre allemande, messieurs.
Il convient qu'un Français y soit, non pas sottement triste,
mais grave, comme l’a très bien dit le ccr iVI. Verduret.
— Vous n’êtes pourtant pas de ceux qui ont, comme
nous, vécu l’Année terrible, ironise pesamment le l'arinier.
— Je suis de ceux qui sont nés dans son grand deuil et
qui, de ce deuil, portent rinellaçable empreinte.
Cela était dit avec une simplicité si noble que Verduret
en eut la sensation comme d’un frisson respectueux lui
effleurant l’épiderme, tandis que Bertrande laissait se clore
tà demi ses longues paupières en relevant lentement et üère-
ment la tète.
Bèchard souleva dédaigneusement les épaules.
— Ces jeunes gens! dit-il. Il n’ont connu que par ouï-
dire les alfres de l’hiver sanglant, et ils osent en parler!
— I*eut-ètre pas, mon bon, avec le même sentiment que
ceux qui ont porté la capote de mobile ou de mobilisé; mais
qui sait si leur sentiment, distillé en quelque sorte par la
transmission atavique, pour être de nature indirecte n’esi
pas égal en puissance en même temps qu’affiné en qualité?
— Ça, c’est une présomption un peu forte, par exemple!...
— Dont j’aurai l’occasion de m’expliquer tout à l’heure.
Avant tout, je veux vous faire roir l’extérieur de ce l'avil-
LA lu E OES PÏ ISSANCES AL (Jl Al dOrsAV
Ion de rAIlomagne, ce (|iii sera vite fait, n'ayant, té ! que
peu de mots à en dire.
Intendant la main, notre Toulousain — ([ui, en ce moment
gasconne aussi peu que possible — annonce d'un ton dont
la sonorité s est faite presque discrète.
tieci n est la reproduction d'aucun monument existant.
L'architecte, M. Johannes Radke (architecte de l'Oftice im-
péiial des postes), traduisant la volonté de I Lmperenr
(luillanme, qui s’est occupé jusque dans d’infimes détails de
I Lxposition germanique dans la grande Exhibition de l!)0(),
a voulu simplement donner au public — selon le programme*
tie M. Picard, d ailleurs — une sensation bien allemande.
II a choisi, en 1 égayant toutefois, le style des |)remiors tem|)s
de la Renaissance auquel le pays d’outre-Rhin doit de
très heaux édifices. Me prenant conseil que de son imagi-
nation soutenue par une lorte érudition, il a proposé à
I bnnpereiir les plans de cette maison qui rappelle, par
1 ai’cbitecture et la couleur, les l’iches demeures bourgeoises
des bords du Rhin, de l’élégance sohre et de l'attrayant
aspect desquelles se souviennent les touristes du grand
llenve gothique — un voyage traditionnel autrefois et que
h;s français se sont dû de tlésapprendre. Ce sont bien là les
|)iguons élancés, les tourelles coitfées de cuivre doré, les
tuiles ronges des toits jaillissant des façades de bois douce-
ment polychromes. Regarde/-la bien, cette Maison-Symbole,
car elle synthétise, en quelque sorte, l’àme allemande, par
1 orgueil de sa haute tour dominant les palais voisins, par
la simplicité voulue de son aspect... civil, par l’art sérieux
de nomhi-eux détails, par la puissance (h* l'ensemble et aussi
par cette sorte de rêverie profonde et tranquille qui semble
glisser du faite des hauts toits aigus aux rellets verts d’onde
de lac wagnérien. Allez, les plus grands bonleversenn'uts
politiques, moraux ou scientifiques, ne transforment que la
surface des races humaines. L’àm(^ germaine est restée
gothique comme I âme française est demeurée gauloise.
Et sans doute, ironise Bècbard, votre « àmc gauloise »
lait platement la courbette devant « l’ànie germaine » ?
— Elle la respecte, mon cer monsieur, comme elle entend
être respectée d’elle.
A TRAVERS l’eXPOSITION
5()
— Elle est jolie, votre génération !... Si c’est comme cela
qn’elle comprend la haine qui, depuis 1870...
— llalte-là, s’il vous plaît! Une le Français, depuis la
guerre fatale, déteste occasionnellfinmil rAllemand, oui :
la conduite impitoyable de celui-ci, alors, a donné de trop
légitimes motils à cette a\'ersiou. Mais il n y a pas de haine
de race entre eux, surtout de la part du premier.
— Vraiment !
— Eh! non, mordions! C’est votre rancune, c’est votre
vigoureuse, et trop juste indignation contre d inutiles bar-
baries, que vous croyez à tort être la haine. La haine de
race ne naît pas subitement adulte — tel notre père Adam
dans l’Eden — d'un événement, si douloureusement dra-
matique qu’il soit ; lorsqu’elle est, elle est par elle-même
issue de loin, progressivement, mais non d'une brusque
cause immédiate. Or, avairt 1870, nous étions — et même
exagérément — tout à l’Allemagne : Ems et Bade étaient
nos rendez-vous; nos romanciers romantiques célébraient
l’Allemand élégiaque à plume que veux-tu; et notre théâtre,
donc! Un tel engouement ne se transforme pas du tac au
lac, même en traversant un bain de sang, en une haine déli-
nitive de race. Ce qui nous fait courir un pénible trisson
sous la peau, ce qui fait que nos sourcils se froncent à la
seule évocation du nom de la patrie de Goethe — qui, lui,
ne nous aimait guère — c’est un effet analogue à celui que
produit une llamme approcliée d’une blessure non cica-
trisée. Ab ! dites cela, dites qu’il nous a été fait, sans néces-
sité absolue, une plaie qui saigne toujours, aussi vive et
douloureuse qu’à la première heure, et qui ne peut cesser
d’être telle tant que l’unique remède ne le sera pas venu
guérir... dites cela et vous serez, hélas ! dans le vrai. Mais,
bon Dious! ne parlez pas d’une haine de race (\\n n’a jamais
existé.
— Votre jeune génération a peut-être raison, après tout,
opine Verduret en secouant pensivement la tète.
— Tenez, mes cers anciens, laissez-moi vous la dire, cette
opinion de ma génération, opinion qui, au fond, est aussi
la vôtre, maintenant que le temps a fait son œuvre... Aussi
bien, té ! il est nécessaire que je m’explique sur ces choses
avant que nous entrions dans ce Pavillon qui doit être par
58
A TRAVERS l’eXPOSITION
nous visité dans nn étal d'esprit tout spécial, mais net et
franc. l*onr la génération de Français nés vers l’époqne fatale,
la guerre qn’clle n’a pas vue fait partie, de l'Histoire et est,
comme telle, étudiée sans passion personnelle. Cette guerre
nous apparaît sous son vrai jour, exclusivement polkvjue.
Elle était, de longue date, le Fut du Chancelier de Fer, et
les guerres danoise et aulricliienne n'en furent, té ! que le
prologue. 11 fallait enlever la suprématie politique à la
F^rance, pour pouvoir, sur ses ruines, fonder l’Fimpire prus-
sien d’Allemagne. On ne peut, philosophiquement, en vou-
loir à la Prusse de nous avoir imposé la guerre : c'était à
nous d'avoir la prudence do nous rendre invulnérahles et,
|iar conséquent, \naUa(jUcil)les, La Nation, autant ([ue son
Convernement, a commis la faute de ne pas méditer sufti-
samment le vieil adage romain : Si vis pacern para helhim.
Mais une faute polili(|ue non moins grande a été commise
par notre ennemi vainqueur. Bismark — et cela empêchera
(|ne rilisloire sacre grand liomme celle grande l’orce —
n'a pas su apprécier à sa vraie valeur l’àme française. 11
a cru nous avoir ahattus pour un demi-siècle et réduits —
la révolution faite devant l'ennemi aidant — à l'état où un
peuple n’est plus qu’un troupeau uniquement préoccupé
d’éviter le hàton du herger et la dent de scs chiens. 11 a cru
|)ouvoir nous traiter comme le Danemark, oubliant nos
'iU,h(M),(lü(l d'àmes, et comme l’Autriche oubliant notre unité
parfaite et notre centralisation. Alors, il a commis la double
faute : 1" de nous enlever deux provinces, en nous laissant
sans frontière, au lieu de nous accabler, momentanément,
par un surcroît de rançon; 2" de faire des territoires an-
nexés le gage du nouvel cm|)ire, c’est-à-dire de se lier les
mains à son sujet et de lier celles de ses successeurs. Notre
prompt relèvcmeut, en un elfort de virilité qui est un excep-
tionnel exemple, l’a surpris. 11 a jugé sa lourde erreur; il a
compris que le rapt des doux provinces qu'il avait trop sou-
dé('s ;à la couronne impériale constituait, nous réorganisés,
une inèchc sans cesse allumée au liane de la nouvelle Alle-
magne; qu’il faudrait une nouvelle guerre sans merci — et,
sans la Bussie, c’était chose faite — pour nous écraser
pour longtemps, avant que pût s’élever la voix redevenue
puissante de notre revendication, car il savait que — fût-ce
I,A lil ic DES PI ISSANCES AT Ol Al o’itRSAV
59
dans cent ans — nous n’abandonnerions jamais l’espoir de
recouvrer notre rempart géographique, la l'ive gauelie du
llhin. Noti'o, régime politique, qui mourrait de la victoire
commi' d’une nouvelle défaite, prolonge cette veillée d’armes
qui s’est étendue instantanément à toute l’Europe c't dont
cette faute de ranni'xion est la seule cause; mais notre
génération d’hommes de trenti' ans, mais la jeune géné-
ration qui nous suit, savent très bien que la reprise des
départemcnis perdus est une nécessité politique inéluctable,
à laquelle elles se préparimt et à laquelle se prépai'eront
lontes b's générations, jusqu’à ce que le choc ait eu lieu.
Tous b's Allemands sensés, id: b'ur souvi'rain en tète, car il
est un haut (‘spi'it, compremuMit cette nécessité, croyez-le
bien, et b(‘aucou[) l•egrettent la seub' annexion qui l'a, fait
naîti'c.
— Ms n’ont qu’à nous rendre nos provinces! s’écrie Hè-
cbard... tandis que le sage Verdui’ot écoute id se tait, con-
templant Bonscastrol-politique d’un aii' émerveillé.
— Eh, capédious ! s’écrie le Toulousain, toujours grave,
le peuvent-ils? Leur terrible grand homme n’a-t-il pas fait
de cette noble Alsace-Lorraine le lien fédéral de l’Empire?
C’est une situation qui n’a eu que l’issue sanglante, et il
eut mieux valu pour l’Europe entière, qu’elle eût été réglée
depuis longtemps. Ceci était pour vous dire que, au bout de
trente ans, te mot de revanche n’a plus raison d’être ; mais,
qu’au mot près ainsi qu’au sentiment spécial qui anime
votre génération de vaincus, l’état des choses n’a pas changé
et ne peut changer. Nous n’avons plus l’idée fixe de repré-
sailles, nous qui n’avons pas subi Taiïront; mais nous avons,
politiquement, à ne pas laisser ouverte la frontière fran-
çaise. Partant, nous n’avons aucune haine féroce contre nos
voisins de l’Est; mais, par le fait de la fantc politique com-
mise par celui qui dort à Erederichsruc, l’Allemagne de-
meure forcément pour nous l’ennemie héréditaire jusqu’au
jour où, par-dessus le Rhin, nous sommes tout prêts à lui
tendre amicalement la main. Cette position respective
d’adversaires certains de demain ou d’après-demain nous
place, l’Empire germain et la France, dans cette situation
de deux hommes du monde devant se battre pour une ques-
tion do principe, bravement et sans haine, et qui causent
60
A TRAVERS l’eXPOSITION
Ai,lk51a(.;ni;. — Fknktres et entrée sur la eaçaue
(CÔTÉ DE i.A Seine).
avant l'heure fixée
pour la rencontre.
Tous fieux s’esti-
ment, s'apprécient,
choquent le verre
à la même table si
l'occasion le ré-
clame, mais gar-
dent à l’égard l'iin
de l’autre la tenue
élégamment grave
et la correction
courtoise de gens
bien nés qui savent
devoir bientôt se
retrouver... à lon-
gueur d’épée. Voilà,
messieurs, dans
toute sa délicate
netteté, l’état ac-
tuel des rapports
moraux franco-
allemands. Cette
profession de foi
faite, je me sens
très libre, té ! pour
vous exprimer sur
toutes choses ici
ma pensée impar-
tiale.
— Eh ! eh ! fait
Verduret, je vous
savais aussi intel-
ligentque conscien-
cieusement docu-
menté, mon cher
monsieur llous-
castrol ; mais du
diable si je m’at-
tendais à vous
r,A nUE DES PnSSANCES at: oeai d’ousay
ni
entendre émettre d’aussi sf
vous ôtes universel !
— Té ! mon ce/- mon-
sieur, ne suis-je pas de
Toulouse ? répond en sou-
riant le hohème.
— Ma foi, en vous écou-
tant, je ne m’en aperce-
vais guère. C’est étonnant
comme vous avez raccent. ..
intermittent.
Bouscaslrol se mord les
lèvres.
— Voyez-vous, explique-
t-il, Vasacnt do la Garonne,
véritable chanson de gaieté
ensoleillée, fantaisiste et
faite pour les boutades
outrancières, se sent mal
à Taise au milieu des spé-
culations de la politique.
11 jure avec ces termes
froids d’où la joyeuse et
excentrique hyperbole est
bannie. Alors, nous oUres,
té ! quand nous touchons
à ces graudes questions qui
soufllent comme un petit
vent polaire sur le cerveau,
nous nous empressons de
mettre autant que possible
cà l’abri notre ce/- a.'<s;en(...
de peur qu’il ne s’enrhume,
le povre. Vous saisissez,
mon bon ?
— Très bien, répond en
riant le manufacturier re-
tiré... Et je retrouve mon
Gascon : <à la bonne heure !
— Ravi, vraiment ! grogi
s vues politiques. ]Ma parole,
Allemagne. — Souhasse.mknt
ET FAÇADE ANTÉlilEUUE.
Bôcbard. Mais si vous êtes si
G2
A TRAVERS l’ EXPOSITION
satisfait d'avoir retrouvé votre Gascon, mon cher ami, je.
trouve, moi, que le dit Gascon a singulièrement perdu... de
vue le présent Pavillon 1
— Fâche/ jias, millodious, monsieur le futur politicien
— ce qui ne veut pas dire: politique, té ! J’ai terminé mon
petit préambule ep maintenant, Je l'aborde de front, le Pa-
villon !
— llum! mieux vaut tard que jamais, siflle entre ses
dents b' sempiti'rnel ronchonneur.
îi H
r/ I DÉ E I M I' 10 1! I A EE
liouscastrol reprend :
— Je vous ai indiqué que l’extérieur de ce Pavillon sym-
bolise déjà ce que j'appellerai l’enveloppe de l’âme alle-
mande, c’est-à-dire les reflets, sensibles pour tous, du
caractère des peuples d’outrc-Rbin. Entrons maintenant, et
vous allez voir, té ! comme le symbole se précise. C’est
comme si — et cela par la volonté du souverain — nous
pénétrions cette àmc germaine : après l'extériorité, l’inti-
mité. L’Empereur a voulu, en ell'et, montrer dans ces salles
du rez-de-chaussée une « synthèse des procédés de culture
intellectuelle et morale de l'Allemagne ». Le Commerce et
l’Industrie, la Science et les Beaux-x\rts de Germanie ont
pour pacifique champ de bataille les Sections étrangères
disséminées sur le vaste territoire de l’Exposition. Ici se
trouvent groupés les principaux éléments d’observation de
la vie et de l’intellectualité allemandes : les livres, ce qui
concerne les arts graphiques, la photographie, eic., — et, à
la place d'iiouneur, dans la plus grande salle, le Musre
social, c'est-à-dire tout ce qui a trait aux œuvres d'initia-
lives privées ayant pour objet d’améliorer l'état moral
et matériel des classes laborieuses de. l’Allemagne. Guil-
laume Il a voulu que fussent mis en regard l’elTort très
grand de la pensée germanique et l'orientation de. cette
pensée vers le bien, vers le souci du bien-edre des humbles.
LA IU;E [)RS PLISSANCKS Af (JCAI I) OHSAV
f)3
— Mais, c’est du socialisTiie, cola !
— I:it (lu meilleur, mordions ! mon crr monsieur Yer-
duret, car c’est C(dui qui <( descend » généreuse ni en l des cimes
('■'clairécs et non celui qui « monte » liaineusemeut des bas-
fonds... Mais, étant des mortels, glissons sur ce thème où il
est dangereu.v d’apimycr et montons au pr('mier... où nous
attend une surprise.
— Bah ?... Ou’y a-t-il doue à ce premier étage?
— Des salons de réception, au nombre de trois, tout
simplement. Tenez, nous y voici. Les mobiliers de ces
salons viennent en droite ligne des châteaux impériaux de
Berlin et de Dotsdam?
— Lomment, l’Empereur s’en ('st séparé à noire iiüim-
lion ?
— Il a fait bien autre chose.
— Quoi donc ?
— Kegardez aux murs.
— Ces tableaux ?
— Signés: ^Vatteau, Lancret, Dater, Chardin, etc... tous
les maîtres du xviiC siècle, dont ces toiles comjitent parmi
les meilleures.
— Mais... comment sont-elles ici ?
— C’est que Guillaume II les a fait décrocher des murs
de ses châteaux de Sans-Souci, de Dotsdam et du Ncun-
Dalais, qu’ils n’avaient jamais quittés depuis que les y avait
lait installer son fameux prédécesseur Frédéric le Grand.
— Tiens, tiens?
— C’est que Guillaume II, mes ezv.v bons, s’est dit ceci :
« La l'T’ance, en cette Exposition de 1900, se pare, telle une
grande dame de ses plus précieux joyaux aux soirs de
solennelle réception, des chcfs-d’u'Livre d(' ses Maîtres. Il sera
élégant de ma part d’ajouter à cette couronne de souve-
raine artistique les lleurons rares que je possède. En venant
à mon Davillon impérial, c’est une Exposition française en-
core que le Monde sera appelé à venir admirer. Duisque les
l'rançais exposeront dans leur Dalais des Beau.x-Arts les
toiles de mes artistes, je veux montrer dans uuni Dalais,
mes toiles de leurs maîtres du passé ».
— C’est vraiment troj) aimable.
A TRAVERS L EXPOSITION
— C’est mieux qu’aimable, monsieur Bèchard, c'est très
(( gentilhomme »... Surtout si l’on veut faire attention que
cette Exposition d'art rétrospectif français, extraite de la
capitale allemande, a ce sons
gracieux de dire ; « Vous voyez,
messieurs de la France, que
c'est de parfaite bonne grâce,
en étalant dans mon éphémère
« chez moi » parisien de vos
uuivres de maîtres devenues
miennes, que j’avoue que ces
maîtres ont été les modèles
de notre art, les initiateurs
de nos artistes aux délicates
noblesses du ])iuceau. »
.'Vi.i.fmaojNf:
— C'est, du moins, ainsi que vous l’interprétez, vous,
monsieur Bouscastrol, rétorqué aigremeut le Carinic'r.
— Non pas : e'est ainsi que l'a pensé l'Cmpercnr alle-
m iml. Avouez que cette manière de su|)érieure élégance
n'est [)as à la portée de tous. Je ne tlis pas (ju’il n'y ait pas
ou, en ceci, cette arrière-pensée de parer le Crand Frédéric
d'un peu de rauréolc d'ami des Arts, (|ui est la plus pure
gloire de notre l’rançois F''. Mais, même dans cet ordre
d'idées, il y a une intention très chevaleresquement fine dans
cette indication llattense que, voulant avoir quelque droit
an titre d'ami éclairé des Arts, ce soit parmi les h’rancais
que P'rédéric le Grand a choisi ses amis : savants, littéra-
teurs et peintres.
— Alors, c'est, de la part de Guillanme II, un vouloir de
llatterie, je dirais presque de llagornerie à notre endroit?
— Eh! capédious ! raisonnez un peu : la l’rance et l’Allc-
imigne sont égales en puissance militaire ; si la première a
d'incontestahles supériorités dans l'ordre artistique et sa-
vant, la seconde a les siennes dans certaines hranches de la
science et dans l'ordre commercial. Ce n'est pas lorsque
deu.v nations se sentent de même taille, que l’ime d'elles,
surtout celle que l'imprudente sécurité de sa voisine a faite
jadis victorieuse, éprouve le hesoin de flatter sa rivale. Il y
a, et depuis longtemps, chez Guillaume 11, un persistant
vouloir d'amahilité envers nous.
— Oui, par cxem|)le les soianons guerriers à la presta-
tion de serment des recrues et les pompes hlessantes de la
/c/c de Sedan.
— Ah ! mille Capitoles ! quel homme rèche vous faites,
mon bon ! Pri'tendriez-vous que le Maître du jeune Empire
germain cessât d'ètre allemand pour novis faire sa cour?
('.'est bien là le faux jugement des masses, ([uelles que
soient les couleurs du drapeau sous lesquelles elles relèvent
le front. Des deux côtés on juge les actes de l'adversaire à
son propre point de vue, sans avoir la liberté d'esprit suffi
saute pour asseoir son jugement d'après l'état d'âme du
milieu dans lequel évolue l'adversaire. Dans les deux camps,
il n'y a que les intelligences d'élite, ou plus généralement
les esprits réellement ouv(M'ts, ([ui soient capables, té! de
cet effort. f>r, les iiittdligences ouvertes rendent justice a ce
66
A TRAVERS l’exposition
jeune empereur en qui la foule superficielle no voulul trop
longtemps voir qu'un jeune homme ardent, versatile,
louche-à-tout, ayant un goût effréné de la parade et dési-
reux de sans cesse étonner et inquiéter riùirope par les sou-
hresauts d'une politique de casse-cou. C'est que la foule
jugeait — avec ses journaux — Cuillanme 11, comme s'il
eût résidé à Paris au lieu de Berlin, comme s’il eût célébré
I ollice divin dans les salons de l'Elysée, pour de là, courir
alarmer la garnison do notre camp retranché de Paris, filer
a 1 Cpéra faire répéter par les chœurs un chant de sa com-
position, voler aux Invalides faire une conférence, aux offi-
ciers de 1 Ecole de guerre, puis déjeuner en grande tenue
de général au Cercle militaire, avant de santer dans le train
pour aller s embarquer à Cherbourg, en costume d'amiral,
sur un croiseur appareillant aussitôt pour la sublime féei'ie
météorologique du Cap Nord. Mais, mordions ! transportée
sur sa scène allemande, cette activité félnâle n’est plus vue
sous le même angle optique. Elle éblouit et intéresse le calme
méthodisme allemand, alors qu elle nous faisait sourire, et
masque la pensée impériale qui, elle, va progressivement
et tout droit son chemin vers le développement incessant de
la force de 1 Empire... Et voilà que l’œuvre accomplie,
Guillaume II nous ap[)arait sous son vrai jour : en politi-
(|uc, un virtuose doué d’une volonté tenace; comme indi-
vidu, un esprit artiste greffé sur une âme moderne de clie-
valier d’autrefois... En un mot, messieurs, une haute et
très intéressante figure. S’il est aimable envers nous le plus
souvent que le lui permet son rôle, c’est toujours, vous le
reconnaitre/ , avec un rare à propos et nue parficulière
délicatesse de touclic qui fleurent bien le gentilhomme sous
la lourde couronne. Ce dernier trait de cette Exposition
d’œuvres de maîtres exclusivemeut français dans son Pa-
villon impérial du quai d’Orsay est des plus jolis. Je le
trouve mol, très talon rouge: c'est l'adversaire — et non
1 ennemi — disant galamment : « Je sais qu'une situation
que je n’ai pas faite, qu'il m’est impossible de changer et
même d'avouer regrettable, nous conduira forcément sur le
terrain où l’enjeu, des deux parts, sera de la plus elfrayante
gravité ; mais je ne veux pas manquer une occasion, en vrai
cbevalicr, de vous saluer du chapeau avant que l’heure ait
1.A iu:e des PCISSANCES A1' OEAI d ohsav
07
soniiP de vous saluer de répée... » A vous, messieurs, de
conclure dans quel es[)ril de haute courtoisie vous devez,
maintenant, té ! visiter l'Exposition allemande extrême-
ment développée et d'un très sérieux intérêt comparatiC
|)Our notre inilustrie, et en particulier ce Pavillon élevé,
selon la pensée de l'Empereur d'Allemagne, sous la direc-
tion de collaborateurs choisis... comme vous allez le voir.
Bouscastrol prend le temps de respirer, (d Vcnluret, se
grattant l’oreille d'un index... réfléchi, murmure, :
— Très curieux, tout ce qu'il dit là, cet étonnant gai'(;on.
11 vous a une façon de raisonner des choses, de faii'e consi-
déi'er les jtlus imj)^)rtantes queslions, (ju'il semlde (jue,
(hquiis trente ans, c’est ta première fois qu'on les envisage'
sérieusement... Décidément, ci' Bouscaslrol n'est pas un
lapin ordinaire... pas plus que ce Laurentielî... pas [)lus
(|uc ce savant centenaii’c... C’est hizai-re, cela : j'arrive à
Pai'is sur la promesse d’y trouver un guide documenlé et, à
la plac,c de celui qui me fait faux-bond, j’en trouve trois tels
que je n'eusse osé rêver rien d’approchant. D'autre pari, j(î
cherche un jeune génie pour ma nièce, ci j’en suis à regret-
ter que ce Bouscaslrol ne soil qu'un pauvre hère de sculpteur
sans le sou et sans renom, que [jaiirentielf soit un pauvre,
fou d'ouvrier obscur et que le centenaire n’ait pas soixante-
dix ans de moins avec quelque reuvre exceptionnelle à son
actif... car vraiment, tous ces gens-là oui du génie ou bien
je ne suis qu’une vieille ganache...
Le Toulousain coupe court aux réllexious légèrement
trouhh'cs du brave manufacturier retii'é, en reprenant de sa
belle voix reposée, après avoir fait commodément asseoir
s('s auditeurs siu' des fauteuils accoutumés à des attou-
chements moins bourgeois :
— Sa Majesté l’Empereur Guillaume II a désigné, pour
remplir les fonctions de Commissaire général à l’Exposition
I niverselle de Paris, M. le Conseiller Intime Supérieur, doc-
teur Bichter, que distinguent, dès l’abord, une haute intel-
ligence, un tact parfait et une courtoisie toute aristocratique
sous ces allures correctes et un [)eu l'aides d’oflicier, qui
plaisent tant à Berlin.
6S
A TRAVERS l'eXPOSITION
— Parlilou ! intervient l'entôté farinier, (iuilhiume devait
nous envoyer un général, c’est évident.
— Uon !... Millodious de millodioiis ! vous n'avez donc
pas entendu que je viens
de qualifier M. Ricliter de
docteur, té ?
— Bien... C'est un mé-
(U'cin ?
— Non !... C’est trop
fort !... Capédious, vous en
êtes, mon bon !...
— .l’ensuis?... De quoi?
— De votre génération,
té !... De celle pour (|ui la
terre finissait à nos bornes
l'rontières et qui faisait
profession d’ignorer tout
des gens d’au-delà !
— .Müssieu ! s’écrie le
farinier en colère.
— Mais enfin, monsieur,
mon mari a raison, inter-
vient iM"“' Flore. Vims
apiielez ce monsieur doc-
teur, donc...
— Doue, il n’est nulle-
ment nécessaire qu’il soit docteur « en médecine », erre
madame. Nous commettons cette anomalie, ayant chez nous
des docteurs es sciences, ès lettres, en droit, etc... de n’ap-
pider docteurs que les médecins. Là-bas, on donne le titre
au.K gens, voilà tout. Donc, M. Bichter, né à Kœnigsberg
(Prusse Orientale) dans les derniers jours de '18.a(i, bache-
lier en 1875, avocat en 1879, passe avec succès l’examen
de l’assessorat en 188(1, est aussitôt attaché au Gouver-
nement de la province de Posen et, l’année suivante, à la
Présidence de la dite province.
— Comme qui dirait à une préfecture...
— De plusieurs départements réunis, oui, monsieur Ver-
duret. En 1891, Xadocleur Bichter reviiità Berlin, au ministère
de rintérieur, où il ne tarda pas à recevoir la charge de Con-
M. RICHTER
COM.MISSAIKE GÊNKKAL HE L'ALLK.MAiiNE.
(Cliché Larger.)
LA lU E UES PI ISSANCES Al OEAl u'ORSAV
(19
seillerdii Gouvenienicnt, pour être nommé ensuite, eu ]89d,
Conseiller Intime et Conseiller-Rapporteur, et, en 1898,
Conseiller Intime Supérieur. Telle est la brillante carrière
administrative du docteur.
— Ijiutile de nous le répéter à satiété,
ce titre de docteur... Nous avons compris :
nous ne sommes pas nés dans une coquille,
comme voire insistance a l’air de voubjir
le laire supposer! déclare âprement Bêchard.
lîonscastrol s’incline en souriant et...
jionrsuit :
-- Rendant tonte la durée de ses fonc-
tions dans ce Departement du Converne-
ment impérial, monsieur liichter a en à
s’occuper spécialement des grandes Expo-
sitions, ce qui fait, té! qu’il a tout natn-
rellemeut acquis une expéj’ience consommée
en cette matière... beaucoup pins ardue
qn’on ne se l’imagine bénévolement. Com-
missaire adjoint à Tbixposition de Chicago,
il a eu sous sa direction, de juillet 1899 à
lévrier 1891, toutes les alfaires du Com-
missariat général allemand. Il était donc
mûr, par l’habileté déployée au cours de
cette mission, pour se voir attribuer en
toute confiance, par Cnillaume 11, la fonc-
tion de Commissaire général à notre Expo-
sition parisienne de 191)0... ce qui fut fait
en juillet 1890. Dès lors, le docteur... —
oh! jiardon, monsieur Bêchard!... — dès
lors. Monsieur Dichtei- résida tour à tour à
Berlin, pour recevoir les avis détaillés do
l’Empereur — qui, en fait, a été, de loin,
son propre Commissaire général, tant l’ex-
position allemande à Paris a fait l’objet de ses impériales
préoccupations — et à Paris, pour s’y entendre avec notre
Commissaire général de l’Exposition et ses chefs de sei'-
vices, qui n’ont cessé de lutter de concessions courtoises
avec le haut représentant de Sa IMajesté allemande. De
70 A TRAVERS l’eXPOSITION
part et d'autre, chacun a mis une vérilable coquelteric cà
rendre le plus gracieux possible les rapports, l’administra-
tion de l'Exposition en allant au-devant des moindres
désirs, et le (Commissariat allemand en faisant preuve de
la plus délicate discrétion.
— Un s’est mulnellement couvert de. Heurs!... C't'st tou-
chant! ricane Eincorrigible Hccliard.
— On en a, tout simplement, mon bon, usé récipro-
quement avec un sens délicatement clievaleresqne dont
vous no comprendrez jamais, je le vois bien, la grâce supé-
rieure... et chez nous historique.
Et Bonscastrol, regardant drôlement le farinicr de son
(jiiart d'œil S(mi1 visible, mais singulièrement lumineux,
s'écrie :
— Mon cer monsieur llécbard !
— (Jnoi ?
— (Jnand vous serez député, il se peut que vous entriez
comme appoint dans quelque Idzarrc combinaison minis-
térielle.
— Pourquoi bizarre?... Il me semijle que...
— Ues accidents-là arrivent do bunps à autre aux moins...
préparés; vous avez raison, mon l)on ! Eb bien! si cela vous
arrivait jamais, jurez-moi, sur votre sacré, moulin, (|ue
vous déclineriez les Affaires Etrangères !
— Pourtant, avec ma gravité?...
— Non, là, vrai, sans compliment, vous n'avez pas
rétolfe !
— Mais!...
— Voyous, Bècbard, mon ami, insinue Verduret de sou
air bonhomme, si vous intcrrrom|)ez sans cesse notre cicé-
rone, nous u'en (inirons jamais.
Interloqué de s’ètrc mis dans le cas — lui, le grand
redresseur de torts — d'être justement rappelé à l'ordre,
notre farinier ne trouve pas le mot de riposte immédiate.
Bonscastrol en prolite pour renouer le til interrompu :
— M. le docteur Bicbter est assisté, dans l'œuvre com-
j)lcxe de l'organisation de l'ensemble de l'exposition alle-
mande — qui est une manifestation industrielle, savante et
artistique de tout premier ordre... comme vous pourrez vous
LA lU K DES PI ISSANCES AL nl AI DdRSAV
71
eu reiulre compte en visitant les Sections — par un haut
personnel qui ne compte pas moins de quinze personnes...
lesquelles sont autant de personnalités. A la tète de ce dis-
tingué aréopage se tient — lhe righl man in llir ricj ht place —
M. le Conseiller Intime du Gouvernement Theodor Lewald,
(Commissaire général adjoint. Né à Berlin en août l.ShO, entré
dans radministration en I d8(i et attaché, après avoir déhulé
cà Cassel, rà la Brésidence de la province do Brandebourg et
de la ville de Berlin, M. Lewald est depuis longtemps h*
second du docteur Bichter. f/ayant suivi dans toutes ses
fonctions, il lui revenait tout naturellement de le seconder,
si utilement et avec quel intelligent dévouement, dans son
œuvre parisienne de IDUdl... jMainteJiant, mesdames et
messieurs, voulez-vous vous donner la joie artistique d’ad-
mirer de près cette belle galerie de toiles exilées de nos
maîtres français, chefs-d’œuvre (|ui, dans quelqm^s mois,
après avoir eu tout juste le temps de recevoir la caresse de
quelques centaines de milliers de regards d(‘ France, retour-
neront à leurs murs tenions dos Schloss des bords de la
Sprée?
— Je crois, émet sagement Veialnret, que nous ferons
mieux do revenir une autre fois, afin d’être plus de loisir...
Fn ce moment, nous nous hâterions pent-ctre plus qu'il ne
convient.
— A merveille, té! Nous allons donc, pour terminer,
rendre une petite visite au sous-sol, oîi est iTistallée. ..
— Parbleu ! une brasserie allemande, cela va de soi,
interrom|)t Bècbard.
Décidément, le farinier n’a pas, en ce moment, l'inter-
])cllation heureuse. Pour un tribun en espérances, il manque
désolemment d’à-proj)os, ce que l’artiste toulousain n'a
garde d’omettre de lui faire sentir :
— Millodious ! mon puera car monsieur, je croyais vous
avoir suffisamment laissé entendre que Guillaume 11 était
tout le contraire d'un esprit banal, et il me semble, conie-
biou ! que la seule vue de ce Pavillon en fait foi!
— Eh bien ?
— Comment, eh bien ? L’Allemagne exposer une bras-
serie dans la Maison impériale du quai d’Ursay, quand cetlc
72
A TRAVERS L EXPOSITION
Allemagne. — Campanile.
nous irons
saluer le Palais de
exhibition est permanente
depuis un demi-siècle tout
au long de nos boulevards !
Non, non, mon bon, le
jeune empereur du pays
par excellence de la blonde
bière est de goût bien troji
joliment paradoxal pour
avoir permis cette fade re-
dite. Dans cette France où
abondent les vignobles et
qui s'épaissit à plaisir le
cerveau à absorber la bière
allemande faite pour d'au-
tres tempéraments, l'Alle-
magne, buveuse de hou-
blon, expose... scs crus de
jus de la treille.
— Le fait est que c’est
original.
— Ab ! mon cer monsieur
Verduret, quel service nous
rendrait l’empereur alle-
mand, si, grâce à cette der-
nière et très adroite fan-
taisie, il pouvait mettre à
la mode les vins du Rhin
au lieu et place de la bière
de Munich!... Ex(|uis, vous
savez, ces crus germains !...
Allons vite en déguster une
coquette bouteille que nous
boirons galamment à la
santé de nos futurs adver-
saires; puis, quittant les
pays tributaires de la mer
du Nord et de la Baltique,
nos frères de race, les lils
de la belle, de la brune, de l’ensoleillée et... malheureuse
CJIAIMTHE V
ESPAGXE
S(.>L'P(;oN DE PL L'AIE T»
iXuU'o groupe d exposi/ioiuiisles^ qui pensait ne faire que
passer presque par le cabaret du Pavillon Allemand, se
tiou\e y rester, au contraire, un assez long moment, et ce,
par le fait de M'’'“ Flore Bècliard.
IPépouse rondelette du grave et long farinier se pique,
en (lualité de Bourguignonne qu’elle est d’origine, de s'y
connaîtie eu vins et tl avoir la cave la mieux montée, non
seulement d’Essonnes, mais de Corbeil... c'est tout juke si
elle n ajoute pas de Paids ! Le mari a l’orgueil de son im-
]Aoi tance, la lemme celui de ses rangées de poussiéreuses
bouteilles : l’orgueil est universel, mais chacun on oriente
la piincipale maniiestalion selon le plus prédominant de..i
ses antres péchés capitaux.
La « cave du moulin », comme on dit à quelques kilo-
mètres a la ronde, a donc une réputation faite — surtout
pai oui-dire, car les occasions sont rares où le très économe
Jaiinier consent à laisser vnoler en favmiir d'autrui lés
vastes toiles d araignées de son cellier — réputation que la
dame de céans a sans cesse le souci d’accroître.
«
A TilAVEUS l’exposition. — T. X. — 4 J]
74
A TRAVERS L EXPOSIUON
Ür, Bouscaslrol ayant convié ses compagnons à déguster
une bouteille de joli vin du Rhin, couleur de paille,
yiniü p'iore, après avoir, d’un air connaisseur, fait cla(juer sa
langue et dilaté, à humer, les petites narines de son gros nez
court, déclare à son mari que ces crus allemands devaient
acquérir de rares vertus avec le temps et que cela ferait
un elfet sensationnel à Essonnes, lorsqu on saurait que
la « cave du moulin » aurait rangé, <à côté des principaux
crus français, une ou deux sortes de ces vins étrangers
aciu’irs à l'Exposition.
Bècliard a beau lever des yeux et des bras ellarés vers le...
plafond, la vaniteuse ménagère tient bon et na de cesse
qu’elle n'ait obtenu de sérieusement « échantillonner »
pour jeter à bon escient sou dévolu.
Après la bouteille proposée par le fonlousain, c est un
délile de quatre ou cinq autres auxquelles rexi)ert palais
bourguignon fait, pour sa part, de très savantes mais assez
importantes brèches.
La dégustation achevée, Flore est fixée sur son choix,
mais ses pommettes ardent et ses yeux brillent singulièie-
ment. En sortant du cabart't — obstinément appelé hrassenr
par le mari et laverac par l’ami Verduret — elle se met à
jacasser sur tout comme une grosse pie, et à rire à propos
de rien... au grand scandale du grave farinier, qui juge la
(( respectabilité » du ménage un peu bien compromise
|)ar « l’échantillonnage » imprudent de sa moitié.
C’est ainsi que, M'”" Flore, très gaie, son Aristide encore
pins vexé et les autres fort amusés — sauf Buzzling, [dus
glacé et impassible que jamais — on arrive devant le voisin
Pavillon de l’Espagne.
— (Ih!.. ohü. ohü! que c’est beau! s’exclame la grosse
dame qui a F <( pxcitnini^ ni » plutôt admiratit.
— Té, belle madame, je vois qu'il n’y a rien de tel qu un
doigt de vin blanc, fùt-il allemand, pour éclairer les idées.
Ah! mordions! vous avez raison : c’est une su[)erbe compi-
lation architecturale qu’a faite là 1 éminent architecte espa-
gnol Don José Urioste y Velada.
Une compilation?... monsieur Bouscastrol, ([u ('st-cc
que c'est ([UC ça, une compilation ?
I.A lU K UES PI ISSANCES AT ni Al u'uRSAV
75
— Vous vous rapiielez ce que je vous ai dil au sujet de
la Hongrie?
— Comment voulez-vous !... Voilà déjà un siècle (luo nous
avons visité ce Pavillon... Et la mémoire et moi, vous sa-
vez... Tète de linotte, quoi !
— Voyons, luchette! gronde la Dignité faite homme.
Ch! tu sais, ne fait pas ton VI. Ilahat-Joie, comme a
dit M. Bouscastrol.. . J’ai envie de parler, je parle... Je ne
SUIS pas du calibre de milord Puzzling, (|ui ne bouge pas
plus qu’une souche... Ah non !
IA la très guillei'ctte farinièrc éclate de rire, narguant les
gros sourcils noirs froncés de son époux.
Souriant, le Toulousain poursuit:
11 a été fait ici pour 1 Espagne comme, à quelques cen-
taines de mètres, pour la Hongrie : on a pris des fragments
de plusieurs monuments célèbres de la Péninsule, de
1 époque de la Keiiaissance, et on les a très hahileincnt sou-
dés dans une construclion d’ensemble, en ayant soin, cepen-
dant, de faire aux haies d éclairage une large part inconnue
des architectes d’aiitrelois... C’est un louable sacrifice ar-
chéologique au grand liesoin de lumière qui distingue noire
goût moderne. Sauf cette minime et bien justifiée entorse
a I exacte vérité, tout ce que vous voyez est authentique-
ment exact, puisque ce sont bel et bien des moulages, capé-
dious !
— - (>ctte construction rectangulaire, avec ses colonnes,
scs innombrables sculptures ornementales, ses quatre tours
d angle carrées et surmontées de galeries, tout cela à un
gi-and air, à la fois très imposant et très élégant, observe
\ erduret dont les petits yeii.x détaillent, avec le plus vif in-
teret, l’aspect d’ensemble ilu Pavillon.
Et tout cela, mon ccr monsieur, c’est l’Espagne même,
la belle Espagne architecturale dont les pierres, millodious!
chantent l’bistoire, jadis si triomphale, et que la banale rou-
tine des touristes sacrilie troj) complètement et bien à tort à
la prestigieuse Italie... Ah! l’Espagne!...
— Ah ! oui, l’Espagne, interrompt Vl'’'e Flore, qui a eu le
temps de reprendre un peu de salive... L’Espagne... I.e Cid...
et les cigarières... et les toréadors!...
76
A TRAVERS l’eXPOSITION
Toréador, prends ga-a-a-a-a-a a-arde !...
— Voyons, hichctle !... Tu nous i'ais remarquer !
— Ça m’csL bien égal! I. 'Espagne !... les caslagnettcs...
uUr!.!. ol...
La voix mamiue à l'entbonsiasLe farinière, ce qui permet
à son mari de la prendre par le bras et de l'emmener un peu
à l'écart pour lui adresser une admonestation en Irois points,
tandis que l’artiste au bandeau reprend, en riant sous
cape :
— D’abord, té! pendant que M"’“ Bèchard en donne la
permission, que je vous dise bien vite que 1 Espagne est ic
présentée, à l'Exposition, par M. le duc de Sesto, Commis-
saire général royal. C'est de la part du gouvernement de
S. M. la reine-régente le choix le plus heureux et le plus
flatteur, car vous allez voir que le duc, té! n’est pas tout a
fait, comme on dit, de la « petite bière ». Le duc de Sesto,
(|ui est encore marquis d'Alcafiices, de los Balbases, etc.,
duc de Âlbuquerque, Algete et... autres lieux, est plusieurs
fois Grand d'Espagne... 11 est meme le doyen de la Gran-
desse espagnole. Sénateur à vie par droit de naissance, u a
été vice-président du Sénat. Il fut maire et trois fois gou-
verneur de iMadrid. Comme le rappelle M. Antonin Proust
dans un article qu’il a consacré à ce Pavillon...
IG ici, Bouscastrol lire de sa poche un feuillet imprimé
qu'il consulte du regard et poursuit ;
((...lia été le premier et unique Graml-.Maîtrc du Pa-
lais pendant le court règne d'Alphonse XII, qu il suivit dans
son exil, à Londres et à Vienne. Il avait dirigé, avec M. Ca-
novas dcl Castillo, la Uestauration, qui rendit le trône a
leur roi. 11 est chevalier de l'Ordre insigne de la Toison
d'Or, Collier et Grand-Croix de Charles 111, de Saint-lNlaurice
et de Saint-Lazare d’Italie, de Villaviciosa et du Christ du
Portugal, de Pie IX, de Saint- Esté Ile de Hongrie, de la Bose
du Brésil, de l’Osmanié, du Eaucon Blanc, de Léopold d’Au-
triche, du Mérite de la Couronne de Bavière, de l’Aigle
Bouge de Prusse, de Léopold de Belgique, etc... »
— Mazette ! fait Verduret, je vois qu'en Espagne, quand
on prend du ruban...
TjA R[ E des Pl'ISSANCES au QUAI D ORSAV
77
Baste, mon cer monsieur, en France, on en donne un
a cent; /m los mon/e.s, on en donne trente à un seul... Vous
voyez, cadédis! que l'avantage reste encore largement à
1 Fspagno.
— Uécidémenl, vous
êtes nu ironiste, mon-
sieur Bouscastrol... Mais,
dans cette liste, je ne
vois pas Fétoile de la
Légion d’honneur?
— Mordions! je ne l’y
vois pas non [ilus... 11
est vrai (|ue cetahiégé a
été fait bien avant l'ou-
verture de l’Exposition.
D’ailleurs, le noble duc
n a-t-il pas déjà cueilli
une étoib' en France,
en épousant la veuve de
M. le duc de Moruy? Mais
laissez- moi achever la
lecture de ma note. « Pré-
sident du Conseil siipé-
uicur de l’Agriculture, il s. e, le duc de sesto
est particulièrcmeut in- co..m.s.sa.he gé.néhal hova. u. ukspagn,:.
téressant d observer que
ce grand scigmeur considère que la régénération de son
pays et son futur bien-être consistent uniquement dans
le travail et le jirogrès de l’industrie. A ce but tendent
tontes ses préoccupations, et c’est avec fierté qu’il
rappelle les succès remportés dans les diverses expositions
qui lui ont été confiées, et particulièrement dans la pre-
mière des « Industries nationales », dans l’Agriculture.
Comme président du Comité permanent des Expositions,
il na lien négligé pour assurer le succès de l’Espagne à
Paris en 1900. »
bM c est le duc de Sesto qui a tout organisé ?
Ob ! le terrain a été considérablement déblayé par le
jeune, adroit et distingué diplomate, le si sympathique
secrétaire de 1 Ambassade, marquis de Villalobar, qui, dès le
A TRAVERS L EXPOSITION
Jobul des travaux, fut délégué royal près le Commissariat
général français. C’est lui qui a mené à bonne fin toutes les
négociations relatives aux terrains et espaces a obtenir au
quai d’Orsay et dans les Sections. 11 y a déployé un zele
loyal, une infatigable activité et une intelligence rare. A
rAdministration centrale, on ne fait de lui que des éloges,
mais qui n’atteignent pas à l’enthousiasme de ceux que e
Délégué royal fait lui-même de M. Picard et de ses direc-
teurs et chefs de services. Du reste, M. de Villalobar n en
est pas à scs premières armes en ce qui concerne les expo-
sitions : bras droit du duc de Sesto, dont il partage les hantes
idées, sludieux voyageur ayant observé la vie des peuples
liai- tout l’Ancien et le Nouveau Continent, il lut 1 un des
commissaires espagnols à Chicago... Qui lui eut dit alors
(lue, si peu d'années après, les Etats-Unis... Mais, te. passons
sur les tristesses : ce n’est pas ici le lieu de raviver des an-
goisses devant l'elfort de belle vitalité qu'est l’exposition
espaoTiole. Le vice-commissaire est M. le comte de Valencia
de Don Juan... Eli! mais, té! voici le couple Bècliard qui
nous revient!
Ce maître de moulin et son épouse se rapprochent, en
elfet de Verduret, de Bertrande et de 1 Anglais, groupés
autour du ïoiiloiisain. La conjugale mercuriale a dû être
sérieuse, car Flore est aussi rouge qu un bouquet (le
coquelicots éntourant... une pivoine. Les yeux baisses, elle
écoute et se tient coite — pour le moment du moins.
iMalicieiisemeiit, Boiiscastrol, (le sa voix la pUis chaude-
ment engageante, reprend son thème où il 1 a laissé .
I l’pispagne ! s’écrie-t-il... mais sans provoquer
d’écho. Duel superbe musée archéologique que cette terr(:j
ibérique si peu connue de ses voisins immédiats. Certes, i
fut un temps oii nos poètes, à chaque tournant de vers, bon
Dioiis ! chantaient l’Aiidalouse au sein bruni, Sévillii, la
Castille et les bords du ïage ! Mais tout s’envolait en chan-
sons et. quoique Louis XIV ait, plulôt avant-hier, te! pro-
clamé qu'il n’y avait plus de Pyrénées, bien peu de chez
nous les franchissaient pour aller admirer les merveilles
de pierre qui mouchètent le sol des sierras et des vallées
comme... coquelicots dans un champ. Et pourtant, millo-
LA lU E DES PI ISSAACES AL OL'Al D OUSAV
79
(lions! il H y a qu'à choisir. Piquons au hasard sur la carhu.
l’au ! (;a y esl, eu plein nord-ouest, province de L(ïou...
Là, nous trouvons Salamanque, à PUniversité si fameuse
jadis, (pi’on la citait parmi le célèbre quatuor de centres
savants comprenant avec elle Paris, Pologne et Uxford.
A Salamanque, une des vieilles villes espagnoles ayant le
ini(Mi.\ conservé le caractère archaïque, les monuments
abondent : la cathédrale, en gothique moderne, commencée
en 1513 ; le Collegio-Viejo, reconslruil en ITbO, par 11er-
mosilla, et qui possède un beau cloitre formé de deux gale-
ries, ionique et dorique, et un escalier monumental digne
de servir de pendant à celui, si connu par sa magnilicence,
te ! du l^alais de Madrid ; l’Université, composée de deux
édifices, grandes et petites écoles, avec cloîtres élégants
(( œuvre acbevéc et parlaite, chargée d’une iTilinité de détails,
de médaillons, de bas-reliefs exécutés avec talent et déli-
catesse » ; et puis la l*laza-Mayor, qui est à Salamainjiie
ce que la place Royale — sottemeut débaptisée place des
Vosges — est à Paris; et un pont, et ses maisons seigneu-
riales. L’architecte de ce Pavillon en a retenn le Collhjc,
I Univer.nti' et la Maison Montevoij, dont je vous montrerai
des Iragments tout à l’heure... Et maintenant, mesdames et
messieurs, où voulez-vous (|ue nous piquions la carte?...
Au nord-est, en Aragon, hé?
Parbleu, ou vous voudrez, car je soupemnne votre
pointe de savoir très bien diriger le hasard, dit en souriant
Verduret.
Ah 1 capédious ! pas moyen de vous la faire, mon
bon. Donc, nous picjuons Saragosse, en Aingon. Ici, nous
trouvons d abord la fameuse .Sco, autrement dit la cathé-
di-ale de San-Salvador, dont d’aucuns veulent faire remonter
la construction jusqu’aux Romains; puis Notre-Dame-del-
Pilar, où nos romantiques se sont complus à faire passer
tant de senoras et de caballeros amoureux dans d(‘ terribhis
trames; la lorre Aueva, dite Tour penchée, qui mouti'e que
Pise na pas le monopole de ces curieuses erreurs d’équi-
libre; rAljaferia, construite par le Maure Abn-Giafar-
Ahmet, qui sert maintenant de caserne d’infanterie, et
oi'i se passe une pai'tie de l’action de l’opéra de Verdi, le
Irourère ; et les Impitaux, et les écoles, et enlin les anciens
80
A TRAVERS L’EXP0S1TI0^
hüLols comme, entre aulres, la Casa dr Zaporta ou de la
Infanta, dont t'ornemen talion est si riche. De toutes les
heautés architecturales anciennes de Saragosse, c’est cette
dernière casa qui est représentée par un intéressant Jrag-
ment dans la composition de ce Pavillon royal espagnol. Pt
maintenant, té ! nous allons pi([uer an centre de la carte de
la Péninsule, en Nouvelle Castille... Vous voulez bien l
— Allez donc, farceur! fait avec honhoniie le manufactu-
rier retiré.
— Va bien, millodious! En Nouvelle Castille, nous trou-
vons d'abord l ancienne capitale, voisine de Madrid et dé-
laissée pour elle : ïolèdc.
— Les fameuses lames de Tolède ! s exclame dramatique-
ment Verdure t.
— Dont l'acier, té! il vient do l’étranger, parlaitement,
mon bon! A Tolède, qui est bravement sur le lage, tandis
que Madrid n’est baigné que par le petit Mançanarès, à lo-
lède, ville morte aujourd'hui, mais dont le dénuement a
conservé l'allure arislocrati([ue qui lui vaut d’être appelé le
« faubourg Saint-Germain » de l’Espagne, nous trouvons,
dans l'enceinte intérieure, la célèbre Puerta dcl Sol, chef-
d'œuvre de l’architecture arabe et intact joyau archéolo-
gique ; la cathédrale, reconslrnite par Pedro Parez après que
les Maures eurent souillé celle fondée par saint Eugène en
('Il faisant une mosquée, et qui est bien, du monde entier,
la basilicpie la pins abondante en précieux détails; puis
l’église de San-Juan-dc-los-Heycs, pour bâter la construc-
tion de laquelle la reine Isabelle mit à l’œuvre jnsqu a cent
vingt-six maîtres tailleurs de pierre; d’autres églises, et
d’autres encore. Parmi les monuments civils, un des plus
beaux est l'ancien In'ipilal de Santa-Cruz, devenu le collège
militaire, qui date de li9i; enfin l’Alcazar.
— Ab! s’écrie soudain M""^ Elorc — pour qui sa méid-
toire abstinence de langue dure vraiment depuis tro[) long-
temps, étant donné T « excitemeut )> de son cerveau — mais
oui, je sais, il y a une romance là-dessus !
Et elle entonne, d’une voix d’ex-lillette lièlant timidement
un compliment mélodique de jour de fête
Jardins de l'Alcazar ! ...
T.A RT E DES PITSSANCES AC QT-Al tt’ORSAY
81
— Assez, bichette ! coTiimaiide bi’TisqTiement le digne fa-
rinier à sa moitié qui s'arrête net... toute confuse.
— 1) autant, belle madame qui eussiez fait trembler la
]\lalibj-an si elle voits eut entendue, qu il faudrait préciser,
cadédis ! caiq explique en riant le joyeux ciceroiu', il y on a
une séquelle d’Alcazars, rien (ju'ii Tob'de, sans compter Sé-
ville, (Àrenade, etc... Alcazar vent dii'c : palais, et un pays
qui, comme l'bspagne, a connu, grâce à Colomb, une fortune
toile, en a à revendre dos palais, vous le pensez bien. Mais,
quand on parle de l’Alcazar de Tolède, on veut dire le pins
remarquable de tous, le superbe édifice qui, construit sur la
principale colline de cette ville plus que sinnense, té! do-
ami
,S2 A TRAVERS l’eXPOSITION
mine la cité tout entière de scs masses imposantes. Malheu-
reusement, deux lois incendié, en 1/10 et an milieu du
même xviii'’ siècle, il n’en reste plus que les murailles; mais
ces murailles recèlent des trésors pour les amateurs des
nol)les beautés architecturales... Dans ce Pavillon d’hspa-
^ne, on retrouve et cet Alcazai’ et 1 Hôpital de Santa-Ciuz.
Je n’ai plus, de la même province, qu’à vous citer la ville
d’Alcala-de-Ilénarès, qui possédait autrefois, c’est-à-dire au
xvi'^ siècle, la seconde Université de 1 Espagne, fondée par
Xi mènes, et qui fut la patrie de Michel Cervantès.
— L’auteur de l'admirable ironie qui s’intitule ; Don
(juic/io//e tïe /a Manche?
_ Ziiste, mon bon. Alt! mordions, s’il vivait de nos
jours, quelles cruelles satyres il pourrait écrire, non plus
contre la chevalerie à jamais et complètement disparue,
mais contre le « pasamufllisme » moderne.
Le '.b., fait M'“ Flore en ouvrant tout grands ses yeux
un peu... vagues.
— Cordions! ne cherchez pas, belle madame: c’est du
latin de « Mans Martyrwn ». Je disais donc, té, qu(> d'Al-
cala
— Mais, ça se chante aussi :
Drainons d'Alcala ! ...
— Oui ! Ne poursuivez pas, par égard pour la mémoire de
Bizet. S’il était là... oh!... le povre! Donc, encore une fois,
c'est cette Université d’Alcala, construite par Bodrigo tiil de
Ositafion au commencement du xvi'’ siècle, qui lorme le der-
nier emprunt fait à l’immense et merveilleuse galerie archi-
tecturale qu’est l’Espagne, au profit de ce Pavillon du quai
d’Orsay. Deux mots encore. Ce style de Renaissance espa-
gjiole — car l’Espagne entend bien avoir eu sa Renaissance
à elle, en dehors du grand mouvement contemporain qui a
transformé les idées d'art dans tout le reste de l’Europe —
comporte un débordement de sculptures ornementales que
l’architecte de ce Pavillon a très sagement atténué. Ainsi,
té ! pour le fragment de l’Université de Salamanque, laquelle
appartient à diverses époques, ou a choisi une portion de
slvle platacespue, datant de IddO.
I.A lU K UES PI ISSAA'CES AT QI AI U'UHSAV
83
Plata... quoi? fait la tarinière, qui s’appuie forlement
au bras do sou farinier.
— Les Plaleros, cère madame, sont les artistes orfèvres.
Lorsque les galions apportèrent à pleines cales For du
Mexique et du Pérou, Part do l'orfèvrerii' se développa avec
uue sorte de frénésie, devint tellement à la mode, qu’il
s'imposa à, la décoration arcbitecturale. De là, té! ce fouillis,
sans doute très beau et très délicat, qui surcharge les monu-
ments, mais qui convient mieux au métal qu'à la pierre.
— Tout ça, c’est très joli, réclame Bècbard, dont l'exliu-
bérance de sa conjointe a cxas|)éré la normale méchante
humeur, mais cela ne nous apprend pas ce qu’il importe de
savoir, au sujet de ce Pavillon, c’est-à-dire les...
— Chillres? achève ironiquement le documenté cice-
rono. Je m’en voudrais mal de mort, coruehiou ! de ne pas
satisfaii-e votre pythagoricienne... manie. Sachez donc ipie
le Pavillon de l’Lspagne forme un rectangle ayaiit 2.'» mètres
et 28"' oO de cotés...
• Soit : 712 mètres carrés et demi, calcule vivement
l’homme-chilTrc... C’est superbe !
— .\joutez la grande tour d’angle, 8 mètres sur 8, soit
h F mètres.
— Total, 77(i mètres et demi carrés... Et la hauteur?
— De la tour? 25 mètres. Etes-vous content?
— Oui. Merci. ..
— Je ne m’en sens [las de joie, té!..-. Et maintenant,
mesdames et messieurs, je n’ai plus ([u à vous introduire
dans ce palais, dont 1 iuté]■ie^lr... il A'aut l’extérieur, c’est
tout dire. Comme vous allez voir, l’édifice se compose
essentiellement de deux siipi'rhes salles perpendiculaires
a la Seine et encadrant de jolies colonnades un patio, ou
cour intérieure, dont le séjour est absolument enchanteur
par tes jours caniculaires, grâce à l’ombre des porliques
et a la Iraîchcur des eaux jaillissantes du bassin qui orne la
partie centrale et découverte.
— est ainsi, je crois, dans tous les palais mauresques?
— Et arabes, oui, monsieur Verduret... Mais le patio
vient de bien plus loin, puisqu’il est, en somme, une réé-
dition de V implavanAo, l’architecture de l’antiquité... Comme
86
A TRAVERS l’eXPOSITION
de tout, il faut tirer la philosophie, ne Irouvcz-vous pas
qu'un peuple qui s’affirme, au cours d’une douloureuse
épreuve, par une aussi nohle et belle manifestation de son
art, est un beau et grand peuple ?
— Hélas! bien réduit, bien anéanti par ses récents dé-
sastres militaires.
— Té! je ne vois pas des mômes yeux que vous, mon
CPI' monsieur Verdurct. l’our moi, le déchirement — combien
moins douloureux que celui que nous avons subi il y a treille
ans, puisqu'en somme il est extérieur — qui met eu ce mo-
ment l’Espagne en deuil, sera le signal d'une superbe re-
naissance.
— C’est paradoxal !
— Non, car toute sa magnilique énergie, concentrée dé-
sormais sur le sol sacré de la patrie, délaissé depuis Tini-
mense vague d’or qui l’a submergée au temps de la conquête
des Indes Occidentales, en fera vite jaillir une grandeur na-
tionale, une force et une richesse... (}ui préparent peut-être
la solide union latine de l’avenir.
— Oh ! jeune homme, voilà de bien audacieuses concep-
tions politiques!
— La vraie politique, té ! c’est d’essayer do bien lire dans
l’avenir pour lui organiser le présent; cest...
^ H
EN PA .N N E
lîoiiscastrol n’achève pas.
ITi homme à l’allure de sous-officier retraité, qui s'est
glissé derrière lui, profite d’un des gestes fréquents et larges
du remuant Toulousain pour lui glisser un papier dans la
main, et s’éloigne aussitùl.
Bouscastrol, comme, machinalement, jette les yeux sur le
papier — un vulgain* prospectus — et tressaille. En travers,
il a lu ces mots écrits à la bute au crayon : « Les hn'U en
T, A RIE DES PCISSANCES Al' OIAI d’oRSAV
87
mauvaise position ; fort sans garnison ; nécessité d’aviser
de suite. »
Le jeune artiste cicerone froisse le papier dans sa main et
va le jeter... quand il voii Puzzling se rapprocher de lui, les
yeux fixés sur la dite main et son contenu. Alors, il glisse
vivement contenant et contenu dans la poche bâillante de
son veston fatigué, et, à mots un peu pressés, <iiten s’adres-
sant plus particulièrement au manufacturier retiré .
— Messieurs, mesdames, je vous prie de m’excuser, mais
je suis contraint de vous quitter hrusquemeiit pour un mo-
ment. Je suis obligé de me rendre sans retard chez le très
aimable M. Phardon, secrétaire général de l’Pxpositiou —
je. dis cela, té! pour l'estimable John Pull qui parait très an-
xieux de connaître quelle direction prendront mes pas, et je
serais désolé de ne pas lui être agréaldi- eu tous poinis. C’est
tout près d’ici, à l’Administration centrale, au coin du quai
d’tirsay et de l’avenue Happ. Je vous laisse donc visiter seuls
les salles de ce Pavillon de l’Espagne, si le cœur vous en dit,
et comme je pourrais être roteuu plus longtemjis que je ne
souhaite, capédious! voici queh|ues notes sur le Pavillon du
Grand-Duché du Luxembourg, où j’irai vous rejoindre, et
que je vous demande de visiter si je tardais un peu trop à ve-
nir vous retrouver... Ivxcusez-moi encore, millodious! mais
le temps presse et, jusqu’à tout à l’heure, j’ai bien l’hon-
neur de vous tirer ma révérence.
Et Bouscastrol s’éloigne d’un pas rapide, laissant nos pro-
A iuciaux stupéfaits de cette fuite subite et dont la cause' l'st
pour eux un mystère.
Seul, Puzzling ouvre ses longs compas et se met en devoir
de suivre le Toulousain. Celui-ci se retourne et lui crie :
— Té, si vous aimez à courir, mou bon, apprêtez vos
transatlantiques I
Et il prend sa course, glissant adroitement entiœ les
groupes nombreux de promeneurs. James-Gregory aussi
s’élance en avant, mais, de beaucoup moins adroit, appa-
remment, il n’a pas fait dix pas en courant qu’il heurte uii
promeneur à... l’allure militaire (|ui se trouve inopin(‘meut
traverser juste devant lui. L’abordage a lieu si malbeui'eu-
88
A TRAVERS L EXPOSITION
sement, que le pied du promeneur à grosse moustaclie se
prend entre les longues jambes de l’Anglais qui va, à quel-
ques pas plus loin, mesurer sa longueur sur le sol. Si vite
qu'il se lève, Bouscastrol a pris une telle avance qu’il dispa-
raît aux yeux de son acharné poiirsuiveur. Celui-ci serre
rageusement les maxillaires, articule un « Tes! » plein do
menace et, rebroussant chemin, vient rejoindre notre petit
groupe d'expositionnistes témoins plus ou moins ironiques
de sa... culbute.
CH A IM T HE Vl
LUXHMIiÜURG
LliS A USE. NI' s ONT TOUT
Après avoir longuement discuté au siijel d(' savoir s'ils
visiteraient seuls l’intérieur du Pavillon de l'Espagne ou
s'ils se rendraieni, avec les noies laissées par le bohème, à
celui du Luxembourg, c’est [)0ur ce dernier que, sur l’avis
de V('rduret, se décident les deux couples escortés de l’insé-
parable Puzzling.
D’ailleurs, M""'' Flore éprouve le désir de rester autant (jiie
possible en plein air
Le Pavillon du Grand-Duebé que gouverne, sous la suz(‘-
raiueté des Pays-Bas, le grand-duc de Nassau, se trouve
placé de l’anli'c côté de la « Bue des Puissances Etrangères »,
c’est-à-dire dans la partie qui, au lieu de donner sur la
Seine, s’appuie à la palissade de clôture de l’Exposition sur
le quai d’Orsay. l*our l’observateur placé sur la rive droite du
tleuve, il est exactement derrière le Pavillon de la Belgique,
à l’angle du boulevard ti'ansversal qui fait suite à la j)asse-
relle médiane jetée sur la rivière entre les ponts des Inva-
lides et de l’Alma.
C’est sur ce court boulevard que s’ouvre l’entrée princi-
pale lin Pavillon et que s’arrêtent nos visiteurs.
Verduret, alors, ajuste tant bien que mal un pince-nez
rôtir... par la faute du manque de proéminence de son sup-
90 ' A TRAVERS l’eXPOSITION
port, et, (l'un ton important, il lit la note désespérément
succincte ([uc. voici :
« Pavillon de Luxembourg (prière de lu' pas cont'ondre
avec le Palais antinatioualiste Idem : pas de rapport).
» Est une reproduction partielle du Palais du Grand-Duc,
à Luxembourg (xvi*^ siècle — jolies tourelles — Na[)oléon L'‘'
y descendit en 1804) dont il reproduit quelques fragments
[udneipaux.
U Long rectangle, de 35 mètres de façade sur l'avenue,
avec 10 mètres de profondeur... »
— Superficie, 350 mètres carrés, interrompit fatalement
Bècbard.
Verdnret poursuit sa lecture ;
« A cbaque e.xtrémité, un pavillon. (Adni de l'entrée
principale, pavillon Est, constitue nue tour haute de
20 mètres environ.
« L’entrée principale — pavillon Est — donne sur une
exi)osition de poteries et faïences du pays. Dans la tour ;
[)remier étage, salle de lectures; second étage, bureau du
Commissaire général.
(< Corps central du Pavillon, travaux de l’Ecole des
.\rtisans, exposition télégrapbi([ue et téléphonique, etc.
iV. /)'. — Ne pas oublier de montrer la reproduction du mo-
nument élevé par la Ville aux poètes nationaux Dick et
Letitz, œuvre du sculpteur Federspiel — et aussi l’exposi-
tion (produits et photographies) de la station thermale de
.Mondorf-les-Bains, située à dix-sept kilomètres do Luxem-
bourg.
<( Sous le deuxième clocheton, c’est-à-dire pavillon Ouest,
au rez-de-chaussée, brasserie de dégustation îles produits
du syndicat des brasseurs de la capitale lu.xembonrgeoise ;
faii'e remarquer dans ce Itar de beaux vitraux exécutés par
un artiste de Lnxcmbouj'g. »
— Là, explique Yerdnret, deux lignes que je ne peux
pas lire : c’est dans le pli du papier, le crayon est tout
effacé. . . . Puis :
LA lU E DES PLISSANCES Al OL'AI IJ ORSAY
[Il
<< Le Commissaire général est M. ïony Dutreux, l'iiigé-
nieiir-arehitecte qui a construit à lAixembonrg le beau
monument de la « Fondation Pescator », musée de tableaux
de la Ville.
« Le Commissaire adjoint est M. Auguste Dutreux, tils du
jirécédent.
« Le Pavillon de Luxembourg, au quai d’Orsay, est con-
struit en bois avec revêtement de carreaux de plâtre. L'ar-
chitecte — français — en est M. Vaudoyer, chevalier de la
Légion d’honneur, déjà chargé de la même Section luxem-
bourgeoise aux Expositions de 1878 et de 1881).
(( En dehors de son Pavillon, le Luxembourg a principa-
lement deux belles expositions, une de l’usine Dudelange,
au Palais des iNlines et de la Métallurgie, et une des fameux
rosiéristes et pépiniéristes du Duché, dont les échantillons
sont superbes. ■)
Vei'duret s'arrête.
— Hein ? demande Dêcbaid... Voulez-vous que je vous
aide à lire ?
— Inutile : c’est tout.
— Comment, c’est tout?
— Absolument.
— C’est maigre !
— Ce qui m’étonne, c’est qu’avec des notes si concisi's,
cet étonnant Bouscastrol trouve à nous dire tant de choses
intéressantes.
— Dah ! mon cher, ces ^léridionaux sont tous les mêmes;
lorsqu’ils n’ont rien à dire, ils trouvent quand même à
parler.
— Dêchard, vous êtes injuste.
— Tant pis pour lui : il n’avait qu’à ne pas nous planter
là... Eh bien, que faisons-nous, maintenant?
— Nous allons visiter le Pavillon, comme il est convenu,
et y attendre M. Bouscastrol. Seulement, quand nous le
tiendrons, avant de passer à la visite des autres Pavillons
qui nous restent à voir, nous lui demanderons des détails
complémentaires.
— Ah ! vous y tenez, à son verbiage, vous !
I.A liüE DES ni lSSA^CES AU QUAI U ORSAY
93
— Bccliartl, je suis venu ici pour m’instruire. Le hasard
m’en oiïrc le moyen : j’en profite.
— Allons, messieurs, dit gaiement Bertrande, ne vous
disputez pas et entrons !
Puis, la jeune tille, trouvant moyen de rester en arrière
avec Puzzling, lui dit tout bas :
— L’occasion, pour nous aussi, va être bonne. M™" Bè-
cliard est toute... rêveuse; mon oncle va être très occupé
à expliquer à son ami tout... ce qu’il ignore lui-même;
donc, nous allons avoir la possibilité de causer.
— y’es! et de faiser alliance.
— Contre votre grand ennemi?
— Aôb, l/es!... Jé tenais loui dans le abborrence : il été
le caôse jé avé presque cassé le nez de moa sur le terre !
— (Juel crime! Tenez, il ne mérite aucune pitié.
— G’été one sauvage !... onc Boër !... Jé allé toute racon-
ter à vù.
Biant sons cape, la line Bertrande se dit :
— Lnfin, je vais donc, pcut-ctre, savoir... ce qu’t/ me
cache !
E Bit Aï A
Des erreurs typograpliiques se sont produites dans les noms sui-
vants :
Tome VIll. — Autriche. Lire: M. Max Beyer, Commissaire général
' adjoint, au lieu de Min/er.
— IX. — Norvège. Lire : M. Ivar Aanstad, second Secrétaire,
au lieu de Aaiisiad.
— IX. — Suède. Lire : M. Arthur Tiiiel, Commissaire général,
au lieu de ThiU.
Le isruchaui volume auva pour litre :
L’AVENUE UES NATIONS
el comprendra :
Les Pavillons de la Roumanie
— la Bula-iU'ie.
la Finlande,
la Perse,
le Pérou,
le Portugal.
F te.
/p'.v dessins accompagneront le texte.
l ne helle Ei tltographie, faisant suite à celle du volume
précèdent, représentera divers Pavillons élramjers.
TABLE DES CHAPITRES
Pages
Chapitre — Grèce 5
§ I. A deux de jeu ■ ■ ■ •'
§ II. Les deux Grèces I l
Chapitre II. — Seiuue '■>
§ I. Ln amateur pris au piège
§ II. Alerte ! • ■
Chapitre III. — BEEc.igcE H
§ I. L’Hôtel de A ille d’Audeuarde -11
§ 11. Sayes-tu, menherr ? -1*^
Chapitre IV. — .Ai.lemaone
§ 1. La politique de Bouscastrol
§ II. L’idée impériale
Chapitre V. — Espagne
§ I. Soupçon de « plumet »
§ IL En panne
Chapitre VI. —
Les absents ont tort
I
Paris. — lmp. MICHELS bt Fils, 6, 8 et lo, rue d'Alexandrie.
I
A TRAVERS
L’EXPOSITION DE 1900
XI
L’AVENUE DES NATIONS
EN VENTE :
I. L'Exposition à vol d'oiseau 1 vol. illustré > 60
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais . — » 60
III. Le Grand Palais — » 60
IV. Le Vieux Paris — » 60
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris — » 60
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques — " IjO
VII. Le Palais de l'Électricité et le Château
d'Eau — » 60
VIII. Les Pavillons des Puissances étrangères. — » 60
IX. Les Palais des Hôtes de la France. ... — » 60
X. La Rue des Puissances au Quai d'Orsay. — » 60
•|1Mi i-rt— tl~- 1 41
niIAPITHE PUE.MIEI!
LA CHASSE Ai: PRODIGE
§
U ^ 1> A li 1
Nous avons laissé noire groupe provincial en train de
visiter — sans guide, hélas ! — le Pavillon du Grand-Duché
de Luxembourg.
Profitant de ce que le houhomme Verduret fait les plus
louables ell'orts pour, le catalogue en main, remplir tant
bien que mal l’ollice de cicerone à l’égard de son parfaite-
ment grincheux ami Bccbard, occupation qui l’absorbe en
entier; profitant surtout île ce que M""-' Flore, après avoir
6
A TRAVEBS L EXPOSITION'
commencé par jacasser comme une grosse... grive, est tout
à coup tombée dans une sorte de prostration (|ui, sans 1 em-
pêcher de suivre machinalement « ces messieurs la rend
incapable de rien penser, dire ou voir; protitant, donc, de ce
concours exceptionnel de circonstances tavorahles, Bertrande
a mis James-Gregory Puzzling — qui ne demandait que cela
demeure de lui faire les coniidences qu elle réclame
avant de s'engager dans la secrète « alliance » proposée [lar
l’Anglais à la jeune lille.
Or, débarrassé de la forme de langage très relativement
française qu emploie le citoyen de la libre et généreuse
Albion — et dont la lecture serait une fatigue — voici l’in-
vraisemblable histoire que Puzzling parvient à raconter, en
un monologue fréquemment sus[)endu par la nécessité où
est Bertrande de répondre aux incessants appels de son
oncle :
« L'année dernière, un membre de la Chambre Haute,
grand amateur de sports, ayant son yacht à Bowes, une
écurie près d'Epsom, connu pour ses « challenges » sportifs
de toutes natures ; footbal, boxe, bicyclette, teut-teuf, tours
de force de cavalier et de piéton marcheur, lord Drysteam,
pour ne pas le nommer, se trouvait à bord du bateau faisant
le service de Dieppe à Newhaven.
« Le temps était superbe. Commodément assis dans un
fauteuil d'osier, à l arrière, lord Drysteam causait avec quel-
ques amis. Leur conversation portait, non sur les pre-
mières difficultés outre .loseph Chamberlain et l'Oncle Paul,
comme on pourrait le croire et comme cela n’eut pas man-
qué de la part de Français écervelés, mais bien sur la vitesse
comparée des divers railways du monde.
« Et l’éminent membre de la Chambre des Lords était
tout simplement indigné de ce que le record de la vdtesse
sur voie ferrée ne fut pas détenu par 1 Angleterre, pas
même par l’Amérique du Nord, sœur de la race d Albion,
mais bien par cette Compagnie du Chemin de fer du Nord
de cette France qui, source ordinaire des inventions, arrive
non moins ordinairement bonne dernière dans 1 utilisation
des progrès conçus chez elle, mais qui ne 1 intéressent que
lorsqu’ils reviennent de l’étranger.
l'avenue des nations
7
« — C’est insupportable, disait-il avec force et conviction.
A la prochaine session du Parlement, je ferai eu sorte que
le (iouveruement de la Heine impose à nos compagnies de
]'aihvays l'obligation de la suprématie de la vitesse sur le
monde entier. 11 ferait licau voir que le plus vaste, le plus
puissant, le plus riche et le plus « respectable » empire de
l’Univers n’eût pas en tout la supériorité absolue, comme
c'est son droit rigoureux par cela seul qu'il s'appelle r.\n-
gleterrc !
« Les compagnons du lord n’ont pas eu le temps d'a[)-
prouver sa belle déclaration impérialiste qu’une voix ironi-
que s’élève à (|uelquos pas et dit :
« — 11 faut pourtant, mylord, que l'orgueilleuse Albion
ri'uonce délinitivement à cette suprématie et, comble de
douleur! en faveur do la même voisine, la b'rance.
« — (Jui parle ainsi? demande, eu sursautant sur son fau-
teuil d’osier, le noble membre de la Chambre Haute.
« — Moi, déclare, en s’avançant avec aisance, un jeune
homme à la légère moustaebe brune, à la mise élégamment
simple qui, depuis un moment, se tient appuyé contre le
bastingage du paquebot.
(( Le lord toise dédaigneusement le nouveau venu, puis
détourne de lui les yeux, se disposant à poursuivre sa con-
versation avec ses amis comme si aucune interruption ne
se fût produite.
« L’étranger sourit silencieusement, non sans hausser
fort irrévérencieusement les épaules.
« — Oui, je sais, dit-il en excellent anglais; je n’existe
pas jiour lord Drysteam, n’ayant jias eu le grand honneur do
lui avoir été présenté. Comme je n’ai nnllcment l’intention
de me faire connaitre ici, je n’ignore pas que je demeurerai
pour le haut gentleman que je contemple une quantité hu-
maine parfaitement négligeable. Enfreignant volontairement
les règles d'une sévère étiquette, je n'ai pas la prétention
d’attendre aucune réponse, aucun signe, même, m’indiquant
que ma voix est entendue. Mais je u’eu affirme pas moins
que l’Angleterre, sous le rapport de la translation ultra rapide
de l’homme autour de la planète tellurienne et dos consé-
quences qui en découlent, doit désormais — et probable-
ment pour toujours — s’incliner humblement devant la
8
A TRAVERS l'eXPOSITION
France... dont avant peu, si telle est sa fantaisie, des batail-
lons pourront fondre sur ta Cité sans qu'aucun soldat de la
Yoemanery ait eu le temps de faire seller son cheval... ou
même d’enlilcr ses bottes !
« — Aôh ! ne peut s’empêcher de faire le lord.
« — Bien, je vois que vous m’entendez, poursuit en sou-
riant lra]u|uillemcnL l’inconnu. Eh bien ! milord, sachez que
je n’avance rien, en ce moment, dont je ne puisse bientôt
faire la preuve... oh ! discrètement, pour ne pas froisser
votre susceptibilité nationale.
« — iMonsieur, répond enfin le gentleman, vous ne m’êtes
pas présenté, c’est vrai. Mais ce qtie vous dites est si étrange
que, outre que la situation de compagnons de traversée ex-
cuse cevlaines licences, je veux, à titre de sportsman, passer
outre à cette dérogation à une séculaire coutume de mon
})ays. Je vous serais, en conséquence, obligé de vous expli-
quer.
» — Je m’en garderai bien, milord. Mais je peux vous
proposer un pari... de 100,000 francs.
« — Quatre mille livres sont un enjeu. Mais comment
pourrais-je parier avec un inconnu?
<( — Qui se fera connaître en temps utile, croyez-le
bien.
« — El ce pari ?
« — Voici... Mais, d'abord, je vous préviens (|ue je ne
voyagerai que la nuit et que te temps où le soleil sera au-
dessus de l'horizon ne comptera pas dans le compte des heures
employées à faire de la route.
« — Quelle idée !
« — J'ai, pour agir ainsi, une raison majeure.
« — Soit. Eh bien?
« — Eh bien, nous pourrons partir le même soir, aussitôt
la nuit complètement tombée, vous de Londres,, sur votre
le mieux en forme; moi do Paris sur... un coursier
d’un autre genre.
(( — Apocalyptique?
« — Peut-être. Toujours est-il qu’avant que vos courses
nocturnes vous aient conduit jusqu’à Edimbourg, j'aurai,
moi, touché successivement : un point de la cote sud de
l’Angleterre, l’extrême nord de l’Ecosse ou peut-être une île
t. AVEN’l'K DES NATIONS
9
des Orcades OU des Shetland, un des fjords norvégiens des
environs de Bergen, le voisinage du Cap Nord, un village à
proximité de Stockholm, nn lieu à ma convenance des ter-
ritoires allemands on hollandais, et sei'ai enlin rentré à
Paris... avec liberté, bien entendu, de brûler une ou deux
des étapes intermédiaires si je le juge à propos, mais avec
l’obligation, si je ne crois pas devoir m’arrêter, de passer
par tons les points précités. /
« Le lord et ses compagnons regardent l’étranger de tra-
vers.
« Celui-ci, aussitôt :
« — Je ne suis pas fou, et encore moins suis-je un mau-
vais plaisant.
(( — Hum ! fait le membre de la Chambre Hante, à votre
accen t je devine que vous êtes Français, ce qui me dispense
de prendre vos folies an sérieux.
U — C’est qn’alors, vous vous avouez vaincu sans com-
battre.
« — Du tout! Mais votre proposition, en tout cas, ne tient
pas debout. Comment saurais-je que vous avez fidèlement
rempli les clauses du « cballenge? » Un de mes amis vous
accompagnera-t-il ?
<1 — Je m'y oppose absolument !
« — Alors?
« — C'est pourtant simple : j’ai justement sur moi une
douzaine de cartes photographiques... Ces portraits de votre
serviteur ont été tirés par un amateur de mes amis; ce qui
explique qu’ils ne portent pas de nom de professionnel.
(( — Üb ! vous tenez donc bien à ce qu’on ne puisse
mettre un nom sur votre visage?
« — Peut-être. Mais cela importe peu à mon moyen de
contrôle, qui est le suivant : vous prenez la peine, milord,
de numéroter et de parafer au dos chacun de ses portraits.
Moi, je les ferai ensuite viser dans l’ordre, avec lieu, date et
heure, par les plus notables habitants que je pourrai réveil-
ler aux endroits où je m’arrêterai, et je vous les adresserai
par la poste. H vous sera facile de faire contrôler l’exactitude
de ces visa, dont les signataires, sur le vu du portrait, au-
ront mentionné par écrit l’identité de la personne dont ils
affirmeront la présence an lieu indiqué.
10
A TRAVERS L EXPOSITION
« Le lord éclcito de rire, iin peu bruyamment, à l’an-
glaise.
(I — Ma foi, s’écrie-L-il, ce n’est pas mal imaginé et vous
êtes, comme la plupart de vos légers compatriotes, un adroit
farceur! Vous voulez tout simplement collectionner quel-
ques-uns de mes autographes.
(( — Mon Dieu, milord, si cela était, je me permettrais
de solliciter un peu plus qu’un numéro d’ordre et une sim-
ple signature. D’ailleurs, je ne tiens pas absolument à ce
que votre nom s’étale sur l’envers de mon visage, et nous
pouvons le remplacer par un signe quelconque, tracé de
façon à authentiquer sûrement la carte photographique.
« — Alors, c’est sérieux?
(< — Tout ce qu’il y a de plus sérieux.
« — Vous prétendez vous transporter en une semaine
sur ces points si éloignés et sans communication rapide
normale entre eux ?
« — .le vous ai dit en six ou sept nuits, voulant garder
](! secret de mon moyen de locomotion... Lt remarquez que
je choisirai des nuits moyennes, l’expédition en question
ne pouvant, à mon estime, avoir lieu avant le courant de
mars 1900.
« — Et si vous voyagiez jour et nuit?
« — Sans arrêts, je ne demanderais que de soixante-dix
à quatre-vingts heures pour aller de Paris au Cap Nord, en
passant par l'Angleterre, et revenir au point de départ par
la Suède, le Danemark, l’Allemagne, la Hollande et la Bel-
gique.
(( — B;/ God ! si vous accomplissiez ce tour de force, je
n’aurais pas besoin d'égrener des nuitées de. cheval sur la
route de Londres à Edimbourg. .Je n’aurais qu’à me déclarer
hautement vaincu sans bouger de place. Mais...
(( — Quoi? demande l’inconnu, relevant une intention
railleuse dans le regard du lord.
« — l'ourquoi demandez-vous, pour partir, ce long délai
entre l’heure présente et le mois de mars 1900 ?
« — Parce que je ne suis absolument certain d’avoir ma
monture prête qu’alors.
<< — Wedll c’est bien ce que je pensais : vous êtes encore
un de ces illuminés qui, en fait de monture, chevauchent
I, AVENUE DES NATIONS
1 I
la Cliimère... Voilà un pari que je pourrais tenir sans crainte
d'y risquer mes quatre mille livres sterling.
a — Alors, vous le tenez?
(( — Lord Drysteam, monsieur, se disqualifierait parmi
les grands sportsmen, s’il prêtait le liane à une telle plai-
santerie.
« — Lord Drysteam, milord, a penr d’être obligé de
témoigner de la défaite sportive d’Albion, et lord Drysteam,
membre de la Gbambre Haute, a peur d'etre contraint do
constater qu’un pauvre rêveur a doté la Franco d’nn engin
tel, que l'immense flotte d’Angleterre ne pourrait défendre
Londres d’un coup de main, les arsenaux et les railways
d’une destruction immédiate; d’un engin tel que, laGrande-
Dretagne ei'it-elle une armée de cinq cent mille hommes,
cette armée serait dans l’impossibilité d’empêcher la flamme
de la ravager de l’Ouest à l’Est et du Sud au Septentrion !
« Cetle fois, le noble personnage rit à gorge déployée.
« — Mais, alors, s’écrie-t-il, ce sera la tin du monde !
« — Non, milord, puisque ce sera la main généreuse de
la France qui tiendra la foudre. Mais ce sera la lin de la
suprématie britannique sur les faibles des cinq parties du
monde; ce sera pour longtemps la délivrance pour Lbuma-
nité, la guerre devenant impossible sans...
« — Votre permission, peut-être?
« ■ — Eh! ma foi, oui, peut-être, milord !
« — Monsieur, donnez-moi vite vos portraits. Vous ôtes
parfaitement fou, mais vous m’avez fait passer un trop
joyeux moment pour que je vous refuse de flatter votre fan-
taisie démente. J’adore les « excent ries », et je reconnais
que je n’en ai pas, jusqu’ici, rencontré qui m’aient parlé
sans rire de briller l’Angleterre... en soufflant dessus. Vite,
ïoby, une plume et de l’encre dans mon nécessaire de
voyage!... Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas connaître
votre nom, pour l’envoyer au lum, avec le désopilant récit
de cet entretien... Mais je reconnais que, sans le complé-
ment d’originalité que donne le mystère, cette folle aven-
ture perdrait le meilleur de son humour... Donc, monsieur
le futur maître du Monde, voici vos photographies, numé-
rotées et signées de ma main. Je vous souhaite un bon
voyage au pays du Soleil de Minuit, en attendant le grand
12
A TRAVERS l’eXPOSITION
jour où je vous verrai sortir d’une trappe, à la Ciianibre
des Lords, la torche victorieusement incendiaire à la main...
« Et le lord, tournant le dos à l'inconnu, après lui avoir
remis son lot de portraits, s’écrie, en s’adressant à ses com-
pagnons de traversée :
(< — Mes amis, il n’y a que la France pour élever au
biberon de pareils boulions : j’en rirai longtemps !
« Pendant ce temps, le jeune homme à la légère mous-
tache brune a tranquillement remis dans sa poche ses por-
traits autographiés et est allé reprendre, appuyé au bas-
tingage, sa méditative contemplation de la mer.
« Six mois se passent. Après en avoir ri tout une longue
quinzaine, il y a belle lurette que lord Drysteam a complè-
tement oublié l’aventure du bateau de Dieppe-Newhaven.
(> Dr, un matin, parmi le courrier que lui présente avec
le llegme tle rigueur le correct Toby, il avise une lettre por-
tant le timbre français et dont l’écriture lui est inconnue.
Il 1’ ouvre machinalement et en tire... une photographie,
celle de l’inconnu du « packet ». 11 retourne vivement
l’image et lit :
(< ^ nuirs, () lipiirps, soir. — .le pars dans un instant. Pré-
parez vos hanknotes, milord. A mon retour, je vous forai
savoir comment vous pourrez me faire tenir votre chèque
de quatre mille livres sterling ». Au-dessous, se trouve l’at-
testation de deux boutiquiers du boulevard de la Chapelle,
à Paris, déclarant qu'à l’heure et au jour susdits, l’original
du présent portrait était en leur présence.
K — Ah ça, se dit le lord, est-ce que ce farceur ou ce
détraqué voudrait réellement me fait croire qu'il entreprend
cet invraisemblable voyage? Bah ! attendons.
<< Il met la photographie de côté, après avoir bien constaté
qu’elle est une de celles signées de lui et est matriculée n“ 1 .
Tout le jour il pense à cet envoi inattendu, mais en souriant
avec une parfaite incrédulité.
« Le soir, réception de la carte photographique n” 2, da-
tée de Poüle, dans le Dorsetshire, .3 mars, 45 minutes du
matin, et attestée comme la précédente.
L AYl^NT'E DES NATIONS
13
« Le lord n'cTi croit pas ses yeux... qu'il ne parvient guère
à fermer de la nuit, tant est grande sa surprise.
(( Le lendemain matin, troisième missive identique, expé-
diée des environs de Nickwall, capitale des Iles Orkney (ou
Orcades), et portant la mémo date, 3 mars, 7 heures 25 mi-
nutes du matin. Cette fois, le noble lord n’a plus envie de
sourire ; il bondit de sa couebe, refuse, pour la première
fois de sa vie, son tbé malinal, qu’il remplace par un double
petit verre de gin, condamne sa porte et demeure, singu-
lièrement perplexe, dans son vaste cabinet de travail... Istre
allé, en une nuit, de Paris à l'extrémité nord de l'I^cosse,
en s’ai'rètant à quelques dizaines de milles à l’onest de Pile
de ^Yigbt!... Gela dépassait l’imagination!...
(( Le soir, rien. Le lendemain, rien. Le surlendemain,
rien...
« Lord Drysteam recommence à resjiircr. 11 se dit qn’il a
été le jouet de quelque tour do passe-passe, explicable par
•l'admission de l’bypotbèse de l’aide d'un compère ayant, avec
le modèle du portrait, une ressemblance pins ou moins ap-
prochée. L'important est que le cauebemar de la réalisation
de l’étrange pari ne soit qu'une fausse alerte. C'est tout ré-
conforté par cette idée que le noble gentleman se rond à
son club.
« Le lendemain, rien encore. Rasséréné, lord Prvsteam
se prend ti rire de sa donble angoisse de sportsman et de
]>atrioto impérialiste anglais. Mais, le surlendemain, tout
s'elfondre : quatre photographies lui arrivent à la fois : une
portant le timbre de Bergen (Norvège) et le n'’ 3; une d’Ar-
boga, non loin de Stockholm, et chiiïrée n“ 5 ; une de Lin-
den, en Hanovre, non loin de la frontière de Hollande, n" (i;
enfin, le n" 7, venant de Paris et indiquant le retour, 7 mars,
à 5 heures du matin, de ce féerique voyage. Le n" 4 man-
que à l’appel; mais, comme c’est celui du Cap Nord — avec
lequel, en dehors des quelques semaines qui avoisinent le
solstice d’été, les communications sont plutôt rares — rien
d’étonnant à ce que la missive mette quelque temps à par-
venir à son adresse.
<( En recevant cette bordée photographique, lord Drysteam
croit devenir fou. C’est donc vrai!... Un Français maudit a
donc trouvé le moyen nouveau et incomparable de suppri-
A TRAVERS L EXPOSITION
mer pour l’Iiommo lu distance, et de faire en cinq jours, ou
mieux, en cinq nuits, un voyage qui, normalement, en se
servant des steamers et railways existants, demande près
de trois semaines!... C'est vertigineux!... C’est surtout ef-
frayant en raison des moyens d’action que donne la posses-
sion d'un tel secret à une nation qui le voudrait exploiter
militairement. Ce n’était donc pas assez que l’invention dos
infernaux sous-marins l)attent en brèche la toute-puissance
de la Heine des Mers !
« Blême d’angoisse, le lord se fait conduire, au galop, au
War Office, où son aventure cause un trouble autrement sé-
rieux que les nouvelles de la campagne sud-africaine. L’af-
faire fait l’objet d’un Conseil de cabinet où il est décidé
qu’il faut à tout prix acquérir, pour l’Angleterre, la nouvelle
découverte mystérieuse, ou bien, si l’on no peut l’obtenir,
ni en faisant donner en grand la cavalerie de Saint-Georges,
ni par persuasion, ni par ruse, ni par surprise, faire en sorte
do supprimer coûte que coûte l’invention inconnue.
« Sur riieure, des reproductions des photographies re-
çues par lord Drysteam sont envoyées dans tous les offices
de police du Hoyaume-Uni, et expédiées avec instructions
précises et promesse de superbe récompense aux nombreux
agents qu’Albion entretient sur le Continent. »
Tel est, dans ses grandes lignes, le récit qu’après promesse
d’en garder pour elle le secret rigoureusement, James-Gre-
gory F'uzzling fait à la gentille Bertrande, non sans être
obligé de s’avouer à l’intelligente jeune lille comme un
des émérites limiers londoniens.
11 lui déclare — ce dont elle ne doute pas un instant —
qu’il est sûr d’avoir trouvé, seul de ses confrères, la bonne
piste, en s’attachant aux pas des singuliers cicerones du pe-
tit groupe provincial d’explorateurs de l’Exposition.
Bertrande, songeuse, a écouté attentivement le récit, for-
cément fait par bribes, du britannique détective. Lorsqu’il
a fini, elle lui dit :
— Mister Puzzling, mon aide vous est tout acquise.
— Ves ! vô il aimé le yreai pétrie, le Angleterre!
— Non. Je suis femme, voilà tout et, comme telle, je
suis folle des aventures, j’adore être mêlée à une intrigue
I. AVrM R DES NATIONS
1o
el suis curieuse en diable. Je vous assure que, dans tout
cela, l’intérêt de l’Angleterre comme celui du mystérieux
parieur dont vous m'avez raconté riiistoire me sont bien
iiidiHérents. Alors, nous allons tacher de lui faire découvrir
son jeu, à ce cachottier?
— Aoh, ijes l
— Et vous croyez vraiment l’avoir reconnu dans ce
M. Houscastrol ?
— .l’on mettrais le tête de môa sur le hillotte.
— Vous savez, les femmes ont de bons yeux pour saisir
le plus subtil indice de ressemblance... Montrez-moi donc
cette... photographie.
— Impossibeul !
— Vous ne voulez pas?
— Jé pùvé pas. 11 avait été volée ‘à môa dans le dernier
nouit par des felloK's qui avaient hoxed môa.
— l'auvre mister Puzzling!
— Tout à l’heure encore, ces « houit », vô avez viou, ils
avaient intercepté mes « quatre»... Aôh ! le rascal, il été
hieii défend iou !
— Hravo ! pense Bertrande.
— Comprenez : jé été hroùlé, mes hoys ils été hroùlés,
el jé vôlé pas mettc'r le frrnch police sur le piste.
— Dame ! elle n’a pas été créée pour faire le jeu de TAn-
nlcterre contre un Français !
— Ce été ])as cela. Le Angleterre il faisé tôjours mâcher
le goveriumient du France. C’été môa, il vôlé pas, becausc
les camarades tic môa ils seraient informed et alors ils pré-
liaient le bon piste.
— En somme, quel premier service puis-je vous rendre?
— Savoir le nom de loui et son maison.
— D’abord, le nom vous le savez aussi bien que moi :
Bouscastrol.
— Ce été pas le nom de loui, et il été pas du Garonne
plous qué môa.
— Comment le savez-vous ?
— Par lord Drysteam qui avait entendiou loui pâler.
— Soit... Et j’essaierai de lui faire dire où il demeure?
— No : il dirait jamais. 11 fallé faiser conduct vô par loui
dans son home.
16
A TRAVERS L EXPOSITION
— Par exemple!... l’oiir qui me prenez-vous? s'écrie
Bertrande toute rougissante.
— Her Majeslifs service. Vù été assez jolie pour tùrner le
tête de loui. Rememher Jioudith and llolophern.
La jeune fille cache sous sa main gantée un singulier
sourire et, d’une voix ferme :
— Comptez sur moi, mister Puzzling. Je me dévouerai...
jusqu’à l'épouser, s’il le faut !
— Nù, le tlirtation il été souflisante...
§ Il
LE SIÈCLE nui MARCHE
La visite — sans guide — du Pavillon du Luxembourg
est achevée. Nos provinciaux, groupés devant le seuil de
l’entrée principale, interrogent en vain des yeux les alen-
tours. Contrairement à sa promesse, Bouscastrol n’est pas
venu les rejoindre, Bouscastrol ne reparaît pas à leur
horizon.
Bèchard — approuvé par sa moitié qui, à peu près
remise d’un trouble passager, s’appuie à son bras — pré-
tend ne pas faire plus longtemps le « pied de grue » et
poursuivre la visite des Pavillons.
Verduret, fortement appuyé par sa nièce et par les yes
accentués du détective, déclare qu’il a promis d’attendre là
le Toulousain et qu’il l'y attendra.
Bèchard riposte aigrement. Verduret s’entête. Dame Flore
et Bertrande se mettent de la partie. Bref, une querelle est
imminente ou tout au moins une séparation entre les deux
couples... lorsque tout à coup, Verduret fait un « Ah ! » de
surprise.
— Est-ce que vous apercevez enfin votre hâbleur de la
Haute-Garonne !
— Non, Bèchard, ce n’est pas le joyeux Bouscastrol que
j’aperçois, mais bien notre providence du jour de notre
arrivée.
I, AVENUE DES NATIONS
17
— Le centenaire ?
— Lui-mcme... Et tencfz, il nous a reconnus, car il se
dirige de notre côté.
(Jnolqucs instants après, le vénérable personnage à la
lourde barbe blanche, aux énormes lunettes et à la peau
parcheminée, aborde le groupe abandonné par ses mots dits
de la chevrotante voix de tète que l’on connaît :
— Charmé de vous rencontrer, madame, mademoiselle et
messieurs. Eh bien, vous avez donc terminé cette si inté-
ressante visite des Pavillons des Puissances étrangères que
vous avez rendu la volée au jeune cicerone que j’ai eu
l'idée de vous envoyer ce matin ?
— Mais Jion, nous n’avons pas fini. Nous attendons, pour
achever notre visite le retour de M. Bouscastrol qui nous a
quittés tout à l’heure, au Pavillon de l'Espagne, en nous
donnant rendez-vous ici.
Le vieillard secoue doucement la tète.
— llum ! fait-il, je crois que vous ferez bien de ne pas
l’attendre plus longtemps. Eu [lassant près de la Porte Rapp,
je l'ai aperçu qui entrait au commissariat.
. — Il nous a dit, en elfet, avoir affaire au Commissariat
général...
— C’est au commissariat de police que je l’ai vu entrer,
et sous l’escorte de deux agents.
— IJein?... 11 serait arrêté?... C'est impossible.
— Mon Dieu, monsieur... iMonsicur Verduret, si je me
souviens bien...
— L’auriez-vous oublié depuis hier soir?
— Excusez-moi. J’ai heureusement la mémoire encore
excellente pour mon grand âge, mais je n’y constate pas
moins un trou, en ce qui concerne les noms [iropres...
Donc, monsieur Verduret, il ne faut jurer de rien, voyez-
vous. Ce jeune artiste — sculpteur, je crois? — que j’eusse
ignoré toujours si vous ne m'aviez parlé de lui avec éloges,
est à coup sur une vive et peut-être une remarquable intel-
ligence; mais il y a, dans son allure, quelque chose de fac-
tice et de voulu qui semblerait indiquer qu'il joue un per-
sonnage desliné à masquer son individualité propre. Or, ce
n'est jamais sans motif que l'on adojite ainsi un rôle, et je
18
A TRAVERS L EXPOSITION
ne serais nullement surpris qu’il y eût, dans le passé si
court de ce jeune homme, quelque chose qui légitimât l’en-
trée un peu trop solennelle (|ue je viens île lui voir faire
chez le magistrat de police.
— Comment, vous supposeriez?...
— Je ne suppose rien, puisque je ne sais rien de lui.
Mais j’ai idée que vous serez longtenqis avant de revoir votre
jeune cicerone, si môme vous le revoyez jamais.
— Vraiment, ce que vous me dites là me cause une
peiiK' inlinie, d’autant plus que cola s’accorde avec la sin-
gulière conduite qu’il tient avec nous depuis ce matin : un
manque d’ordre dans la visite des Pavillons, dont il sautait
certains pour nous y faire revenir plus tard... Et puis, des
fuites soudaines, inexpliquées, et des paroles singulières...
On aurait dit qu’il nous entraînait dans une partie do cache-
cache.
Il Mais, malgré tout, je me sentais attiré vers ce jovial,
hardi et spirituel compagnon pur une sympathie très vive...
Savez-vous que j’ai même découvert en lui une profondeur
de vues politiques absolument étonnante? »
— Eh ! cher monsieur, nous ferons peut-être bien de ne
pas cliercher plus loin. J'ai, depuis un siècle, vu passer bien
des gouvernements divers, mais je n’ai pas connu, parmi
les démocratiques, de moins cléments que celui qui nous
régente à l’égaj’d de l’éclosion des idées audacieusement et
généreusement supérieures, ni de plus timides dans la
répression envers les fauteurs de désagrégation sociale,
tout en étant d’un autoritarisme des plus susceptibles. Moi
qui, à mon âge, ne fais plus que regarder passer la vie des
autres, je ne puis retenir un sourire de philosophie ironique
en voyant si diversement s’agiter les bergers des troupeaux
humains que l’on appelle les peuples; l’Europe occidentale,
en particulier, me donne la comédie de la façon la plus
curieuse, sinon toujours la plus sage et la plus loyale. Mais
votre jeune cicerone n’a pas le triste privilège de quatre
fois vingt-cinq ans pour considérer les évolutions humaines
d'un œil aussi... spectateur. 11 s’y est peut-être trop acti-
vement intéressé, ce qui est toujours, non pas blâmable,
certes, mais dangereux.
— Alors, vous croyez?...
L AVENUE DES NATIONS
19
— Je ne crois rien, monsieur Verduret, je le répète : je
me contente d'émettre une simple hypothèse.
— Ce qui n’est pas une hypothèse, bougonne Bèchard,
c'est que nous voilà en panne... ce qui m’est parfaitement
indilYérent, mais qui ne sera pas sans nous causer des désa-
gréments, étant donné la manie de mon ami Verduret de
prétendre se faire tout expliquer.
— C'est vrai, opine avec regret le manufacturier retiré.
Ce pauvre Bouscastrol nous suggérait, à propos de cluuiue
Pavillon, des aperçus si remplis d’à-propos et d'intérêt... Et
le maladroit, qui se fait justement appréhender avant
d'avoir achevé sa mission éducatrice à notre égard!...
Le centenaire, sous sa rude barbe blanche, sourit à ce
joli petit cri d’inconscient égoïsme, et il ajoute :
— Vraiment, puisque c'est moi qui vous ai adressé ce
jeune cicerone qui en arrive à manquer ainsi, si involon-
tairement que ce puisse être, à son devoir professionnel,
je m’en voudrais de vous abandonner dans votre détresse.
Je ne prétends pas avoir la verve et encore moins, hélas ! la
sonore faconde du guide que vous perdez. Mais, ces Pavil-
lons, je les ai vus construire, j'ai causé souvent avec les
hommes d’élite que sont les Commissaires étrangers, et...
je crois que je pourrai vous renseigner, sinon de manière
aussi gaie, originale et complète, que M. Bouscastrol, du
moins de façon suffisamment utile.
— Comment, vous consentiriez?...
— Laissez donc, je me sens aujourd’hui d'une vaillance
presque juvénile, et vous accompagner me sera un plaisir,
en meme temps que de promener parmi ces peuples un
siècle français qui marche. Voyons, que vous reste-t-il à
visiter?
— Mais, sauf le Luxembourg, tout le même côté de cette
avenue des Nations.
— Bien. Comme je suis méthodique avant tout, nous
allons, si vous le voulez bien, commencer notre prome-
nade par une des extrémités. Le bout de l'avenue le plus
proche de l’endroit on nous sommes est celui qui avoisine
le pont de l’Alma. Allons donc voir, tout d abord — et
pour revenir ensuite dans la direction du pont des Inva-
lides — allons voir, dis-je, le Pavillon de la
(’IIAIMTRE 11
ROUMANIE
je
li E K T li A K D E C O N F IC 1! E N C 1 È K E
Tandis qu'à la suite du centenaire nos expositionnistes
suivent eu causant rAveiuie des Nations, ombragée par les
arbres du quai d’ürsay, Bertrande parvient adroitement, à
Tinsu de son oncle et du couple Bècliard, à se rapprocher
du détective londonnicn. Rapidement, elle lui dit à mi-
voix :
— Ouel contre-temps !
— \]'hal,)uiss?
— I\lais cette disparition comme à point nommé, de celui
dont nous voulons connaître le vrai nom et la demeure.
Buzzling' l'ait une grimace qui a la prétention d’être un
rire muet. Non sans une vague expression de pitié à l’égard
de sa nouvelle recrue, il lui dit :
— Aüb ! ce été de même pour niùa. Le prétendiou Bous-
castrol il avé disparou loui-mème, i/es!... Vo devez faiser
toute pareil a le régard dé céloui-là.
Du doigt, il montre le centenaire.
— Hein? fait Bertrande, vous voulez que je... tourne la
tète à ce pauvre vieux de cent ans ?
— ) CS ! il lallé loui conducL vù dans son hume.
— Non!... Mo voyez-vous essayer de flirter, comme vous
dites, avec un « siècle qui marche!... » 11 est fin comme
l'ambre, ce vieillard; il me rira an nez.
— Je croyais vù pions clerer...
— En quoi est-ce que je manque d'inlelligence ? demande
la jeune fille d'un ton vexé.
— Du reste, poursuit l’Anglais sans répondre, cela il été,
Itrrhaps, [)lous mieux ainsi. A})prenez seulement son nom
et son vraie demeure, et disez à moa, et ce été verij welL. .
Takr care... 11 régàdé nos!
Vivement, Bertrande s'éloigne do l’uzzling, ayant à la
fois la lèvre moqueuse et le regard soucieux.
A ce même moment, on arrive devant l’entrée principale
du Pavillon Roumain, et le vieillard, invitant du geste scs
compagnons à s'approcher de lui le plus possible pour ne
pas obliger à trop d’efforts son organe usé, commeuce en ces
termes :
— Je crains que, comme cicerone, vous n'ayez beaucoup
perdu au change...
— Fi! c’est de la coquetterie, cela, car nous vous con-
naissons, fait Verduret complimenteur, mais complimenteur
sincère.
— C’est la simple vérité, insiste le centenaire. D'abord,
vous ne pouvez attendre d'un pauvre vieux tel (jue moi la
verve artiste et l’cxliubérance méridionale de mon jeune et
vigoureux... prédécesseur. Et puis, vous avez vu par deux
fois déjà combien forcer ma faible voix et parler en mar-
chant m’épuisent. Aussi, pour me ménager, vais-je prier
mademoiselle de me suppléer, au moins pour ce Pavillon.
— Moi ! s’écria Bertrande en ouvrant de grands yeux.
Moi qui ne sais rien, comment voulez-vous que j’explique ?...
— Rassurez-vous ; si je vous demande de faire la petite
conférence, j'en fournis le texte... ou plutôt, c’est xM. Olla-
nesco lui-même qui va parler par votre jolie bouche.
— M. Ollanesco ? interroge Rècbard en plissant les sour-
cils d’un air important.
— Oui, i\l. Démètre C. Ollanesco, le Commissaire généra
du Gouvernement roumain à l’Exposition de 190(1, un
homme d’une distinction supérieure sous tous les rapports
et dont je ne saurais trop dire la haute et délicate obli-
A TRAVERS l’eXPOSITIOX
L AVENL'K DES .NATIONS
23
; goancc. Coinnie, en dilellanie cuTicux, je m’intéressais à la
; construction de ces Pavillons des Puissances, j’ai commis
I l’indiscrétion d’aller causer avec lui de l’exposition de la
Ij Roumanie, un tout jeune royaume de vingt ans né de la
|! principauté Valaqnc-Moldave qui, elle-même, ne date pas
de beaucoup plus haut que le milieu de ce siècle — ce qui
i| n’empêche pas le peuple roumain de remonter historiqiic-
I: ment et ethnologiquement à une sérieuse antiquité, puis-
!■: qu il est né de la fusion des Daces, les occupants d’alors du
1 territoire, et de la Colonie romaine qu’y expédia l’empereur
i' Trajan. Voyant à quel point je m’intéresse à l’évolution des
nations de la presqu’île halkanique et à la manifeslation de
' leurs vertigineux progrès prouvés par le bel elfort qu’elles
fotit pour montrer, en celte grande Fête laborieuse de
l’Humanité, ce qu’elles sont devenus et surtout ce qu elles
promettent pour un prochain avenir, l\l. Ollanesco a bien
I voulu me promettre de prendre la peine de faire, pour moi,
un travail sur la participation de la Roumanie à l’Exposition.
Je m’attendais à quelques notes sommaires, et c’est tout un
opuscule écrit de maîtresse plume que j’ai eu le plaisir de
recevoir et la joie de lire. Devant diriger aujourd’hui ma
promenade vers cette rue des Nations, j’ai pris sur moi ces
feuilles intéressantes et ce sont colles d’entre elles qui con-
I cernent ce Pavillon que je vais prier mademoiselle de vous
I lire.
I — Comme ça, à la l)onne heure! dit Rertrande... Mais je
I vous ferai observer que c’est M. le Commissaire général
II — et non moi — qui fora la conférence.
j — 11 ne pourrait, en tout cas, emprunter des lèvres plus
aimables pour lui servir de porte-parole, dit d’un ton do
! galanterie très xviii'^ siècle le vieillard, en remettant le ma-
! nuscrit sorli de sa poche profonde, véritable bibliothèque
ambulante.
Comme Bertrande se dispose à commencer la lecture, le
centenaire, d’un geste de la main, la prie de surseoir.
— iM. Ollanesco est une des sommités intellectuelles de
ce royaume danubien, dont rintellcctualité est, en général,
si vive, et que ses origines latines ont fait un grand ami de
I la patrie française; de ce jeune royaume, compagnon de cam-
pagne de la Russie en 1877, et dont la reine, sous le pseu-
TRAVERS
L EXPOSITION
ilonyme ilc Carmen Sylva, est le charmant poète et le beau
romancier dont toute l'Europe lettrée apprécie le talent tour
à tour linement délicat et harmonieusement puissant. Quant
à lui, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de
S. M. le Roi de Roumanie,
vice-président de l’Acadé-
mie Roumaine, il est l'iin
des diplomates et des let-
trés les plus en vue de son
pays. Né à Focsani en 1849,
M. Ullanesco faisait ses
études en France, lorsque
la guerre de 1870 l’obligea
à aller les poursuivre et'les
achever en Relgiqne. Tour
à tour magistrat, maire de
la ville de Técutch, député
au Parlement Roumain, il a
fait néanmoins de la diplo-
matie sa principale carrière.
Entré en 187G au ministère
des Atfaires étrangères, en
qualité de chef de cabinet
du ministre, il fut désigné,
en 1878, pour assister le
Commissaire général roumain près les armées impériales
russes, lors de la partici|)ation de la Roumanie à la guerre
russo-turque, en 1877-1878. Premier secrétaire à Constan-
tinople on 1880, chef de la Division Consulaire et du Con-
tentieux au département dos Atfaires étrangères en 1889,
secrétaire général de ce môme département en 1889, chargé
d’atfaires à Vienne en 1887, il se vit confier, en 1889, la
Légation royale de Roumanie à Athènes. 11 abandonna ce
poste en 18t)3, à la suite de la rupture des relations diplo-
matiques entre la Roumanie et la Grèce, à propos de
l’atlaire Zappa. Depuis, iM. Ollanesco s’est plus spéciale-
ment occupé de littérature. Il a fait représenter avec succès
plusieurs ouvrages dramatiques sur la scène roumaine —
entre autres une magistrale traduction en vers du Rwj Bios
de Victor Hugo. Sa très remarquable traduction — égalc-
M. OLL.VNESCO
COMMISSAIRE GÉNÉRAL DE LA ROUMANIE.
26
A TRAVERS LEXPOSITION
(]ont il est actuellement le vice-président. On doit égale-
ment à M. Ollanesco, qni est depuis longtemps membre
de la commission des théâtres de Konmanie, une très inté-
ressante et très savante histoire du théâtre roumain, depuis
ses origines jusqu'à nos jours.
— iMàtin, fait Yerduret, je vois que M. le Comitiissaire
général roumain n’est pas précisément le premier venu !
Le vieillard s’incline en signe d’assentiment et, de la
main, invite ertramle à commencer sa... conférence.
Celle-ci, de sa voix claire et oliment timbrée, lit aussitôt ;
« La lloumanie, qui n’avait pris ofliciellement part, de-
puis 1S67, à aucune de nos Expositions universelles, résolue
à iigurer brillamment à celle de IDOÜ, a fait voter par
son Earlement une somme de dei x .millions pour sa parCu
cipation au grand tournoi pacifique... »
— Bigre, deux millions, c’est un chilTre! interrompt Bc-
chard en faisant claquer admirativement sa langue.
La jeune tille poursuit ;
«... Elle a appelé à la tète de son Commissariat général,
ainsi que des divers Comités d’organisation de son expo-
sition, des hommes d’une valeur éprouvée, presque aussi
connus en Erance qu’en Roumanie; enfin, elle a .confié le
soin d’éditier ses deux principaux l'avillons à i\L Eormigé,
rarchitecte de la Ville de Paris, universellement connu par
le retentissant succès de ses Palais des Beaux-Arts et des
Arts libéraux érigés au Champ-dc-i\Iars lors de la dernière
Exposition de ISSU.
« La tâche de l’éminent artiste n’était pas des plus aisées,
étant donné que les Pavillons doivent être nue reproduc-
tion ou une synthèse de l’architecture nationale de chaque
pays, en montrer le caractère distinctif et s’inspirer, tantôt
des souvenirs du passé, tantôt des formes nouvelles et des
créations plus récentes de l’art moderne.
« Or, la Roumanie qui, depuis les temps les plus reculés
jusque dans la première moitié île ce siècle, n’a eu d’autre
souci que de défendre son existence contre les hordes des
envahisseurs, qui n’a jamais pu jouir des loisirs fécondants
de la paix, ijui pendant plus d’n// aihcle et demi a subi le
L AVEM E DES AA I lO.NS
'11
joug (Je la domination étrangère, no possède pas encore à
riicure qu'il est une architecture nationale bien caractérisée.
Forcés de chercher un refuge dans leurs forets et dans
leurs montagnes, craignant toujours la surprise d'un conp
de main, comiamnés à une vie plutôt errante et nomade,
les anciens Roumains ne pouvaient songer à bâtir des villes
ni meme des maisons dont le séjourne leur offrait aucune
sécurité, liraves et pieux, ils ne rentraient de quelque expé-
dition lointaine que pour manifester leur foi religieuse en
bâtissant des églises.
« C’est ce qui explique pourquoi seule rarchiteefure reli-
gieuse existe on Roumanie, ün n’y relève presque aucune
trace d’édifices civils ou militaires anciens; en revanche,
on y trouve un nombre incalculable d’églises et de couvents.
11 n’est pas de ville d'une population moyenne de dix à
quinze mille habitants qui ne compte au moins une dizaine
d’églises. Bucarest en a cejit quinze, lassi cinquante, et l'on
peut estimer actuellemejit à environ sept mille le nombre
des édifices de toutes sortes, églises, couvents, monastères,
consacrés au culte dans le jeune royaume danubien. Cette
profusion de monuments religieux ne pouvait manquer de
trapper l’esprit et les yeux de M. Formigé, au cours du
voyage qu'il entreprit en Roumanie pendant l'été de 1S9(S,
dans le but d’étudier sur place le type prédominant de l’art
architectural roumain.
« Désireux de conserver au Pavillon qn'il avait été chargé
d’édifier au quai d’Orsay le caractère, le style, l'ornemen-
tation des coastrnetions roumaines qui avaient fixé son
attention, et de mêler aussi à ces éléments quelques formes
plus nouvelles, inspirées de l’évolution tonte naturelle
qu'aurait accomplie l’art roumain s’il avait [ui suivre sa
marche et son développement l'éguliers à travers les âges,
IM. Formigé s’est appliqué et a réussi à faire œuvre d'artiste
en se montrant, dans la conception et l'exécution de son
Palais, novateur original en même temps que gardien rcs-
pcetnenx des traditions du passé. Les types d’architecture
roumaine des xvi" et xvié' siècles qui ont le plus contribué
à inspirer Fauteur de ce Palais soiM; les églises d’.Vrgesb,
des trois Hyérarques de, lassi, d'ilorezu, toutes trois Heurs
tardives mais originales de Part byzantin. »
— Un moment, s'il vous plaît, mademoiselle. A propos
de cette église de Cnrtea d’Argesh — dont la situation est si
pittoresque au nord de la ville entourée des imposants con-
trctorts des Alpes de Transylvanie, cette chaîne méridionale
des monts Karpathes — je vcu.v vous dire une vieille
légende roumaine qui fleure lerrihlcment son moyen âge
ignorant et superstitieux. Celte église est due à Tun des
premiers Domni ou ])rinces roumains, nommé liadu-Negru
( Rodolphe le Noir), qui la fit élever au commencement du
XV" siècle. Il chargea de la construction un Maître Tailleur
et .\sscmhleur de l*iorres, c’est-à-dire un architecte, nommé
-Mestéroul-Manolé. Or, tout ce que celui-ci édifiait pendant le
jour, par suite de quelque diabolique sortilège, s’efl'ondrait
pendant la nuit. Il fallait conjurer ce mauvais sort et, pour
cela, les maîtres travailleurs, assemblés la nuit en conseil
seci'et, ne trouvèrent rien de mieux que le plus cruel des
sacrifices humains. Ils décidèrent, avec l’impitoyable esprit
de ces temps de barbarie, que le plus proche parent du pre-
mier travailleur qui, avec le jour, paraîtrait sur le chantier,
serait mun’' dans la rebelle et démoniaque maçonnerie. Dès
l’aurore, les voilà rodant autour de l’église en construction,
et la première personne qui se présente, c’est... la propre
lemme de l’architecte. Mestéroul-Manolé veut se précipiter
LAVKNi:!-: DES NATIONS
29
au devant d'elle; ses compagnons le retiennent de force et
rempcclienl de crier... la' niallieureux invoque le Dieu du
ciel et toutes les forces de la terre, les sup()liant d’inspirer
à sa femme l’idée de retourner en arriére. Il n’est pas
e.vaucé ; elle avance Lonjonrs... elle arrive sur le ( lianlier !
Or, iMestcroul-iNlanolc a solennellement juré d’emmurer hii-
mnue la victime expiatoire et, comme le patriarche Abraham,
il s’incline devant ce qu’il croit être la volonté d'Dn-llaut.
Le cu'ur torturé, il impose à ses lèvres de sourire; ràmc
saignante, il commande à sa voix de se faire gaie et à son
esprit ulcéré de jouer une horrilde comédie. 11 prend sa
femme par la main et l’amène au pied de la muraille
maudite.
(( Là, par manière de jeu auquel la malheureuse se prête
en riant, il veut lui faire figurer une sainte dans une niche;
mais comme, paraît-il, de la sainte on ne doit voir que le
buste, il élève la maçonnerie jusqu'à la taille de sa femme...
et celle-ci rit toujours. Mais alors, pris de frénésie, le voilà
([ui ajoute une pierre, et, très vite, une autre. Alors, seule-
ment, la victime s’inquiète, puis s’émeut, puis prend peur !...
Le mur montant toujours, elle comprend enlin, éclate en
sanglots et en supplications. Lui, les yeux éperdus, travaille
avec une ardeur de folie... Le mur atteint le cou. 11 regarde
une dernière fois ces lèvres tordues d’épouvante, ces pru-
nelles dilatées d’horreur, ce front et ces cheveux qu’il aime
tant et, avec un cri de démence, pose une dernière pierre
qui achève l’œuvre cruelle... puis il toral»e sans connaissance
au pied dn mur. Longtemps on entend, à travers la pierre,
des appels de plus en plus faibles et, lorsque l’architecte
reprend ses sens, le silence de la mort règne absolu et lui
apprend que tout est consomme.
(( Les travaux, dès lors, s’achèvent sans encombre : les
murs scellés d’une vie humaine résistent aux malétices de
Satan. A la tin des travaux, le Domni condamne l architecte
à demeurer, sans moyens d’en descendre, sur le toit de
rédificc, alin qu’il ne remette jamais à la truelle une main
aussi habile et qui construirait d'auti'cs temples de Dieu.
L'architecte se fabrique alors des ailes de bois pour tenter
de fuir la mort... Mais il tombe et se tue. Dans sa chute,
le corps de Mcstéroul-Manolé crève le sol, d’où jaillit, voisine
30
A TRAVERS l’eXROSITION
de l'église, iiiic fontaiiie toujours existante et qui porte le
nom de l'architecte. »
Brrrrr ! fait en se moquant le i'arinier, c'est un conte
de Barbe-Bleue que vous voue/ de nous réciter-là !
iMoi, dit dame hloj'e, j en ai la chair tie poule.
— Faisons vite diversion, alors! .Mademoiselle, voulez-
vous continuer de nous lire la prose élégante de M. Ollanesco?
\ous en étiez au passage où il est question des trois églises
auxquelles sont empruntées les parties principales du Pa-
villon, n'est-ce pas?
— Oui, monsieur.
Et elle ajoute :
« C’est ainsi que le hall central du Pavillon royal ropro-
< uit le pionaos du monaslero d llorczu. Surmonté il’une
vaste coupole mesurant trente mètres de hauteur, ce hall
est occupé par un grand escalier à double rampe conduisant
mix galeries du premier élagc, lesquelles se terminent par
deux élégants Pavillons coui-onnés de deux clochetons, dont
la forme est empruntée à la cathédrale d'Argesh, restaurée
1 \ a quelques années par un autre architecte français,
iM. Lecomte du Noiiy.
« Sur les façades sont reproduits divers motifs inspirés
pai 1 architecture et la décoration des monuments j’cligieu.x
roumams. La porte principale n'est autre que le porche de
église d llorezu ; les fenêtres latérales imitent celles de
église de Stavropoleos, tout en étant d(' plus grande dimen-
sion , les colonnades des e.xtrémités tiennent à la fois du
pronaos d’ilorezu et de celui d'Argesh ; enfin, sur la façade
pi incipale, 1 arc du grand tympan, dont la courbe est d'un
ellet si iniissant, a été em|)runté à l’église il’fVrgesh, mais
s est enrichi en meme temps de la corniche à consoles de
1 église des Trois-Myérarques de lassi. C'est également cette
dernièie église qui a lourni le dessin de la frise qui forme
une liche ceinture a tout le monument. Comme à Argesh,
les coupoles sont ornées de rinceaux et de cabochons dorés
du idus heureux elfet décoratif, nuant à l'aiipareil des murs
de iaçade, il comporte des assises de briques émaillées, en
même temps que des motifs de sculpture, dont la variété
constitue un ensemble des plus harmonieux.
r/AviOM'n i)i:s na’i’ions
31
« Le second Pavillon que M. Forinigé construit j)our la
Roumanie, au quai d’Orsay, de l'autre côté du pont de
l’Alma, et qui est destiné à l'exploilation d’un restau-
rant national — où une place d’houneur sera faite, bien
entendu, à la cuisine fran-
çaise — reproduit un type
de l'antique maison des
champs roumaine. Ici en-
core, l’a^Aivre qu’a tenté de
réaliser l’architecte présen-
tait un problème assez dif-
ticilc à résoudre, car les
spécimens de ce genre
d’habitation sont devenus
peu communs. Ces mai-
sons, liàties sur un sou-
bassement élevé, n’avaient
au niveau du sol qu’une
porte d’enti'ée pour le cel-
lier ; les appartements, si-
tués au premier étage et
recouverts d’un large toit,
étaient entourés de galeries
à jour, oii on n’accédait
que par une échelle et du haut des(juelles les habitante
n’avaient aucune surprise à redouter. 11 s’agissait de se
défendre contre les incursions des barbares qui dévastaitq’it
le pays et chaque maison — surtout les maisons des cham|l)S
— était une solde île citadelle capable de soutenir, au besoin,
un siège en règle. A mesure qu’nnc sécurité relative vint
j'égner dans les campagnes, le soubassement de la maisejn
fut graduellement abaissé et la galerie de défense prit pdu
à peu l’aspect d’une loggia plus on moins saillante. C’est de
ce dernier type que jM. Formigé s’est insjiiré dans la con —
struction du restaurant roumain. .1
« 11 s’est servi à cet ell’et des cléments les plus purs et
les plus authentiques qu’il a rencontrés dans les édiJices
anciens, en conservant d’une part à ces cléments leur carac-^
tèr'e et leurs proportions, et en s’attachant d’autre part, aussi'
bien par le tini du travail que par une préoccupation con-^
stante d'harmonisor les couleurs,
à. Faire du moderne et cà créer
comme un art nouveau dérivant
en droite ligne de l’ancien art
architectural roumain.
« Les motifs de décoration des
antiques monuments religieux de
la lloumauie ont été également
mis à contribution par l’éminent
architecte pour donnera son œuvre
un caractère vraiment national.
es colonnes de la loggia sont
copiées sur celles qui décorent
les hàtiments claustraux du mo-
nastère d'Anthyme; les balus-
trades rappellent celles de l’église
de Stravropoléos, avec cette dilTo-
rence que l’arcliitecture et la
sculpture y sont moins byzantines
de Formes, enfin les frises en terre
cuite sont une reproduction des
frises des églises de Harlau et de
Saint-Xicolas-de-lassi.
édifice comme dans le grand pavil-
lon, l’appareil des briques appa-
rentes, les charpentes polychromes,
enfin la frise formée de disques en
grès flammé, d’un coloris si harmo-
nieux, viennent donner l'impres-
sion exacte du style original qui
caractérise l’architecture roumaine
et montrer ce qu’aurait pu devenir
cet art, si plusieurs siècles d’as-
servissement n’en avaient brusque-
ment arrêté l’essor.
— Mademoiselle, interrompt le
centenaire, voulez-vous, avant que
nous pénétrions dans le Pavillon — j’allais dire le sanc-
tuaire — lire le passage où M. Üllanesco parle de scs prin-
cipaux collaborateurs?
llOUMAME. — Le CA.lir’ANU.E
DU Pavii.i.on nOVAI,.
I. AVKNt'E DES NATIOAS
33
— Tout à vos ordres, monsieur. Voici :
(( M. Ollanesco s'est fait adjoindre, comme commissaire
spécial, iM. N. Coucou, député au Parlement roumain, ingé-
nieur en chef des Ponts et Chaussées, ancien directeur des
travaux de la ville de Bu-
carest, et ancien secré-
taire 2;énéral du iMinis-
tère de l’Agriculture, du
Commerce, de l’Industrie
et des Domaines. M. Cou-
cou est l'auteur d’un ou-
vrage, sur le pétrole et ses
dérivés, publié en 1881,
et qui a obtenu les suf-
frages de l’Académie rou-
maine, et il s’est fait en
outre connaître très avan-
tageusement, par une
compétence toute spé-
ciale, dans les diverses
questions industrielles.
« Les deux principaux
délégués du Commissaire
général sont bien connus
à Paris : l’un, M. Geor-
M. BEN.JESCO
DLLKtit.’r; DD LA KOUMAMK.
ges Sterian, élève diplômé de l’Ecole nationale des Beaux-
Aids, oi'i il a suivi le cours de M. Guadet, ancien député au
Parlement l’oumain, ancien directeur de l’Ecole d’architec-
ture de Bucarest, membre de la Commission dos iMonuments
b istoriques et conseiller tecb nique du Gouveruement royal,
est l’un dos meilleurs architectes que compte la Boumanic, et
a participé à la restauration de la cathédrale d’Argesh, ainsi
qu’à celle de l’église des Trois-llyérarques de lassi — 1 autre,
M. Georges Bongesco, ancien envoyé extraordinaire et minis-
tre plénipotenliaire de S. M. le roi de Boumanie a Bruxelles,
La Haye, et Athènes (où il a été spécialement envoyé en 18ü()
pour renouer les relations diplomatiques rompues à la suite
du départ de -AL Ollanesco) est l’auteur d’une bibliographie des
œuvres de Voltaire en quatre volumes, couronnée à doux rc-
A TUAVERS l’exposition
Si
prises par rAcadéniie française ; d'iine bibliographie franco-
rouniaiiie du xix'' siècle. : d’une bibliographie de la question
d’Drient, ainsi que de plusieurs autres ouvrages historiques
et littéraires qui ont été accueillis avec faveur en France
aussi bien qu’à l’étranger. M. G. Bengesco est membre cor-
respondant de l’Académie roumaine, membre correspondant
de la Société d’histoire diplomatique et vice-président de la
Société d’histoire littéraire de la l’rancc. »
— Ah ça! tous les hommes d’Ftat sont donc artistes,
dans ce pays-là?
— C'est, monsieur Bè.chard, riposte en souriant le cente-
naire, un avantage que la plupart des nôtres pourraient leur
enviei'... Pour ne pas abuser de la complaisance de made-
moiselle, je vous dirai rapidement que, parmi les autres
délégués roumains brillent le prince Ferdinand Ghika, le
l)eintre éminent Grigoresco, .M. Ghitza, ancien député, etc.;
que le très aimable secrétaii’c du Commissariat cstAl. Con-
stantin C. jMano, ancien juge au Tribunal de Bucarest; que
M. Nicolas Pbilippesco, vice-président de la Chambre des
députés et ancien maire de Bucarest ; le général Bengesco-
Dabija, contrôleur général de l'armée; M. iMinco, architecte ;
M. Scortzesco, député; M. Zanné, grand industriel, sont les
[)rincipaux membres du Comité consultatif, et je vous invi-
terai à entrer dans le Pavillon dont les exposants — ainsi,
d’ailleurs, que ceux dont les produits sont disséminés dans
les diverses sections de l’Exposition — sont une véritable
élite industrielle obtenue par voie d’élimination. Tout en
visitant, mademoiselle voudra bien continuer de lire, et c’est
ainsi que ce sera M. Gllanesco lui-même qui vous fera le
grand honneur d’être votre ciccrone... et que je pourrai
réserver mes faibles forces.
Le groupe, amusé par ce mode nouveau de documenta-
tion, franchit le s('uil et Bertrande poursuit :
« Une partie du rez-de-chaussée du Pavillon royal — côté
gauche faisant face au Palais de la Bulgarie, est plus spécia-
lement réservé à l'Exposition du sel gemme. On connaît
l’abondance et la riebesse des gisements de sel gemme en
Boiimanic, qui peuvent rivaliser avec les célèbres mines
(le sel de la Galicie. On peut citer notamment les mines
t.'.AVKNüE UES NATIONS
3:;
(l’Ocna, tlans le dislrict de Bacaii, celles de Slanic, de Téléga
('t do Dot'tana, dans le dislrict de Prahova, enlin celle
d’Ocnele-.Mari, dans le districl de Valcea. Exploitées |)ar
l'Etal, ((iii en tii'O des revenus considérables, et qui emploie,
à l'extraclion du sel, soit les condiamnés aux travaux forcés,
soit des paysans de ceidains villages voisins des salines, les
mines de la Roumanie, éclairées à la lumière électrique et
dotées de tous les perfectionnements que la science de nos
ingénieurs modernes a sn trouver pour ce gmire d’exploi-
tation, constituent à la fois l'une des curiosités et rune des
principales richesses de la Roumanie. Ees diverses variétés
des sels gemmes roumains sont ici représentées par des
blocs de grosseurs ditl'érentes, parmi lesquels un admirable
globe de deux mètkes de tliamètrc reposant sur un piédestal
de l^RiO de liautciu', également en sel.
(( C’est aussi dans cette section du Pavillon royal
que ligurciit les instruments et procédés des Eettres, des
Sciences et des Arts : le papier, la carrosserie et la sellerie,
enlin les peaux et les cuirs. Toujours au rez-de-chaussée,
mais du côté faisant face an pont de l'Alma, prennent place
les Cristaux et la Céramique — produits de la fabri({ue
d’Azuga et de la Société de Basalte ; — la iMécaniquc et la
iMétallurgie — celle-ci plus spécialement représentée par
les articles en fer et en fonte émaillée, dorés, argentés,
nickelés, d(^ la maison Jacques Catz ; — enfin les Minerais et
leurs dérivés industriels, depuis le pétrole, la parafine,
l’ozokérite, jusqu’à la cire fossile, le bel ambre noir de
Valachie, l’albàtre, le charbon de terre, les lignites, etc... »
— Mesdames, messieurs, prie le vieillard, gravissons, si
vous le voulez bien, le superbe escalier central qui conduit
du rez-de-chaussée au premier étage... Et maintenant, cette
ascension faite, vous voyez... Mais, poursuivez, mademoi-
selle : je m’en voudrais trop de remplacer, par ma vieille
voix cassée et par ma pauvre prose improvisée, votre déli-
cieux orgaiie et la claire documentation de M. Cllanesco !
Bertrande, tout en marchant, annonce donc:
« — C'est, à gauche : l’Exposition des Industjâcs diver-
ses ; — de la Décoration fi.xc des édilices publics et des babi-
lations ; — des Meubles et Tissus pour meubles; à signaler
iu:lCiARie
I
3S
A TRAVERS l’eXPOSITION
un très beau mobilier eu noyer sculpté avec un portail
monumental exposé par l’Ecole des Arts et Métiers de Bu-
carest; — du Génie militaire: armes, spécimens et pro-
duits de la pyrotechnie, aperçu des travaux exécutés [lar
... _ l’oraani-
rinstitut cartographique de rarmée ainsi que de
sation de la 'manutention : habillements, équipements,
literie militaire, etc. — A droite : la Papeterie, rEconomie
sociale et l’Hygiène — collection complète des Ivaux miné-
rales roumaines, avec une description des stations balnéaires
de l'Etat; Service sanitaire on Roumanie, avec la descrip-
tion des Instituts de vaccine de l'Etat, des Instituts de
chimie de Bucarest et de lassi, des Instituts antirabiques
organisés par le professeur Babesh, le collaborateur de
M. le professeur et sénateur Cornil, etc.; — 1 Education et
rEnseignement, avec
les remarqnaldes publications de
rAianlirmie roumaine, qui forment plus do cent dix volu
mes, etc. — Enfin, l’extrémité droite de cette galerie supé-
rieure sera tout entière occupée par l’Exposition de l’Adini-
nistration du Domaine de la Couronne, placé sous la haute
el habile direction de M. Jean Kalindéro, l’un des juriscon-
sultes et des économistes les plus éminents de la Boumanic ;
— procédés de l’exploitation rurale, des industries agricoles
et forestières, des pêcheries, de l’horticulture et de 1 arbo-
riculture, de l’outillage mécanique, etc. _
« Une exposition rétrospective d’objets d art anciens
complète la série des collections du Pavillon royal. On y
voit figurer le célèbre trésor de Pétroassa en ortevrerie an-
cienne en or massif, enrichi de pierreries, qui est un des ■
rares spécimens que l'on possède en Europe de l’orlèvrerie .
barbare, lequel a appartenu, selon toute vraisemblance, a a
Alaric, roi des Visigoths; — des Etoffes et Broderies rcli--
sieuses appartenant au Musée de Bucarest et provenant dci
divers couvents de Roumanie : chasubles, étoles, épüaphiom,
etc., des XI v'' au xvi'' siècles; — des Produits de 1 Art typogra-
nhiqiie roumain du commencement du xv" siècle : psau-
tiers évangiles, livres de liturgie, en langues slave et rou-i
mairie • — enfin un magnifique Evangile manuscrit, avec
enluminures, par S. M. la reine de Roumanie, « Garmeni
Svlva » dont l’exécution est une merveille d art, et que ba
Majesté’ a offert à la cathédrale d’Argesh. — Des vascs'
l’avenui-: des nations
3!)
sacrés en or et en argent, de très belles portes d’églises on
bois sculptés du xiv'^ siècle, des vêtements sacerdotaux
d’nne grainle richesse, une colleclion de médailles et d'es-
tampes anciennes donnent à cette exposition un intérêt et
un attrait tout particuliers. » *
^ Il
DES .MARCHES OÉANTES
Le vieillard arrête la jeune lectrice.
— IMerci, mademoiselle, dit-il. La suite intéresse l’en-
semble do l’Exposition llonmaine qui n’a pu accueillir que
quelques centaines d’élns sur les cinq mille demandes
d’exposants reçues an Commissariat... Donc ce qui suit nous
sortirait du cadre des Pavillons du quai d'Orsay, et ne sera
intéressant pour vous tous que lorsque vous visiterez les
nombreuses sections où expose la lionmanie. Ce qu’il faut
que je vous dise avant que nous quittions ce Pavillon, c'est
quelques mots sur ce pays plein d’avenir, et ce très ancien
peuple latin jeté depuis tant de siècles parmi les races
slave, grecque et ottomane, qui rentourent. llassurez-vons,
chère madame Bôchard, de qui n’ai pas oublié les ten-
dances à l’impatience : je traiterai cette doulde question en
quelques mots.
« Le territoire moldo-valaque qui coinpose la Roumanie,
mitoyen avec la Russie d’une part et l'Autricbo de l'antre,
ce qui lui donne sa hante importance politique, s’étage, dn
Danube et de son afilnent le l*rut, qui lui servent de fron-
tières méridionale et orientale, jusqu’aux monts Karpatbes
qui la séparent de la Transylvanie autrichienne en trois
zones bien déterminées, qui forment comme trois marches
géantes : premièi-e marche, l’immense plaine qui, en face
la Rulgarie, s’appuie à la rive gauche du grand Danube, et
vers la Russie, à la rive droite du Prut; deuxième marche,
la région des collines formée par les premiers contreforts
des monts, Alpes de Transylvanie en Valachio, Karpatbes
40
A TRAVERS l’eXPOSITION
en Moldavie; enfin, troisième marche, la région pittoresque
(le ces montagnes. Comme vous voyez, c’est nn pays complet
possédant les trois sols : le plat, propre à l'agricnlture,
l’accidenté et le montagneux, et ayant de plus, tonte la côte
maritime de la province de Dobroudja, sur la mer Noire.
Kor.M.wit;. — Tvi'es uf. la MUNTAn.si;.
Comme, en outre, il est Lien délimité par dos frontières
naturelles Iluvialos et alpestres, ce jeune royaume a la con-
stitution géograpliique normale pour développer on sécurité
sa richesse industrielle et terrienne.
« Et ce territoire est habité par une population de plus
six millions d’êtres robustes, sains, intelligents et d’une
grande beauté de race. La langue qu'elle parle, qui n’est
autre que le. vieux latin populaire d'avant l’ère chrétienne,
dit son origine coloniale romaine. La colonie trajane, aban-
l’aVKME nies NATIONS
il
donnée parmi les Daces, a englobé ceux-ci an lieu, comme
certains le croient, de s’ètre l'ondue en eux. Les qualités
belliqueuses originai l’es de la race se sont perpétuées grâce
a des luîtes incessanti's ,• d’abord [lonr conquérir son indé-
pendance (dbeniie vers la tin du xiii'’ siècle et ensuite pour
la conserver ou la reconquérir après nue éclipse momen-
RoUMA.NIH. — Lie l'KTlT I’avii.i.o.n.
tanée sous le joug des Turcs. Voilà cotte nation fine, belle
et rude, tro]) amie de la mitre pour que jamais un Roumain
dise jamais à un Français : a .Je voudrais manger de ta coliva,
c’est à dire te voir mort, la colica étant un gâteau porté en
avant des cortèges funèbres et que l’on distribue aux men-
diants assemblés à la porte du cimetière. Bien au contraire,
le proverbe roumain dit :
« (Jdnd Parisul s/n'mutà, Hucuresthd are gulurai. »
— Ce qui vont dire ? demande curieusement Verduret.
TRAVERS L EXPOSITION
(Juand Paris éternue, Bucarest est enrhumé ». Main-
tenant, tout en nous dirigeant vers la sortie, je vais, pour
ces dames, ajouter quelques mots concernant les modes
l'éminines, le costume national sous lequel les Boumaines,
si belles, sont plus belles encore. Le costume si pittoresque
qui s'est conservé dans les montagnes est celui des anciens
Daces, ou à peu près. Les femmes portent une chemise
brodée, soit en couleur, soit en or, et élégamment serrée à
la taille, où elle dispai’aît sous une courte jupe, également
brodée avec un art merveilleux et nommée zucclca. Sur la
tète elles arborent un gracieux voile disposé en j)arure, la
marama. Jugez si, là-dessous, la llamme langoureuse de
leurs yeux de Castillanes
ac([uiert un charme troublant et délicieusement conqué-
rant... Mais, nous revoici au seuil. Nous allons passer main-
tenant au palais voisin...
— Ecoutez donc, fait Bertrande. Voici — un Roumain,
sans doute — qui vous parle.
En effet, une voix chaudement timbrée, chante cette
phrase au centenaire :
— Poffiti, Doinnub;, in fairnusul iiG.s/ru Pavi/iun, si sa
(//cnn t(jti pc lcritori/il rjenn-osci nosire sa/'O/'i mai mari :
Vivat Francia!
— C'est vrai qu’on jurerait entendi'e du latin ! s'écrie
Verduret. Que peul-il bien dire?
— 11 croit que nous n’avons pas encore visité le Palais
roumain et m’invite à le faire par ces mots ([ue je vous tra-
duis textuellement : <( Wulez-vous, monsieur, entrer dans
notre fameux Pavillon, et nous disons tons, sur le territoire
de notre généreuse sœur aînée : Vive la Erance ! »
— Ah ! (]ue vous êtes heureux de comprendre tout cela !
— Qu’aurais-je fait, mon cher monsieur Verduret, de
tontes les années que j'ai vécues, si je ne m’étais intéressé à
la pensée humaine cachée sous les différents dialectes?...
Mais ce n’est pas le moment de philosopher; le palais voi-
sin appelle votre, visite.
— Et... lequel est-ce?
— Celui de la
CIIAIMTKE III
B U LG A RIE
I! ü U L ( ; H E S 1' A li I S 1 E N S
— \raimcnL, dit le vieillard, j'ai pour (jiio nia manière
un pou grave — comme il convient à mon siècle d’exis-
tence — (le vous parler de ces Pavillons et des nations
qui les ont construits, lU' fatigue votre attention de tou-
ristes à travers 1 fixposition.. . J’ai peur que, fatigués un peu
par le tour d’Europe que vous venez d(> faire au quai
(1 Orsay, vous n’ctaldissiez numtalement, tmtre mon jeune
prédéccssi'ur aux ardeurs juvéniles et aux images pittores-
ques et moi, un parallèle qui doit être tout à mon désavan-
tage...
— Pouv('z-vous croire ?
— Eli oui! monsieur Verduret. Ouelquc elfort que fasse
un centcnaii'(‘ pour garder son (‘sprit jeum* malgré le |)oids
des ans, celui-ci se fait sentir en dépit de tout, alourdissant
le vol de la p('nsée, lui enlevant riiumour, les saillies, les
aperçus originaux qui ne ileurissent à l'aise que dans Bvs
jeunes cervcdh's... Et puis, comim'iit lutter contre le sou-
venir immédiat de la chaude faconde méridionale, avec une
pauvre voix frêle et cassée t(*lle que la mienne !
— Je vous assure, monsieur, que, pour moi, je no sens
pas de dilférence, dit Bertrande avec un joli sourire qui fait
A TRAVERS l’eXPOSITION
voir lin mignon rang de perles entre la pourpre mutine de
ses lèvres.
— Vous montrez, mademoiselle, une générosité rare
parmi la jeunesse à l'égard de eeuv pour qui la jeunesse
n’est plus qu'un lointain souvenir.
— Mais non, je ne suis pas du tout généreuse, je vous
jure : je suis sincère.
— Well! t'ait l’uzzling à voix basse à l'oreille de la jeune
fille.
— Vous allez, mademoiselle Bertrande, trop me faire
regretter le grand âge qui me vaut ces délicates paroles.
— Votre âge !... votre âge !... Vous en parlez tant que je
Unis par avoir toutes les peines du monde à y croire !
— Vous êtes une charmante flatteuse, dit le centenaire
gracieusement, mais d'un air un peu contraint en se détour-
nant de la nièce pour faire face à l'oncle.
— Xcrij approuve derechef le détective londonnien
à l’oreille de la complimenteuse. Ce été par le flatleruicj
(lu'ou faisé un bon bciibminq .. . no : commencement de
le flirt!
La jeune fille se tournant résolnment vers le rouge fils
d’Albion ;
— Et c’est en parlant quand on devrait se taire qu’on
compromet la réussite d'un plan d’atta(|ue. Comment vou-
lez-vous que l'ennemi tombe dans le piège si, dès la ])ro-
mière escarmonche, vous vous ingéniez à lui faire toucher
du doigt notre entente.
— Aôb !
— Il n’y a pas de « aôb! » Si vous voulez que je pousse
les choses, allez donc... un peu plus loin méditer sur
l’inconvénient d’avoir la langue trop longue !
— Yesl fâchez pas vous-meme : jé allé... Je souivé de
loin.
— C'est ça, de très loin, n’est-ce pas ?
— y es !
Et, virant tout d’une pièce, l’Anglais, siir d’avoir lancé
sur la piste un adroit petit limier, gagne à grands pas le
large dans la direction du pont des Invalides.
— Ouf! fait tout bas Bertrande en suivant du coin de
l’œil la retraite de son... associé.
L AVENl'E DES PsATiONS
— Comment, Mr Puzzliiig nous quitte ! s'écrie Verduret
qui n’eu peut croire le témoignage de ses yeux.
— Je serais surpris qiu' ce lut pour longtemps, ol.)serve
le vieillard eu faisant euteudrc le petit rire de crécelle ([ui
Le PHINCE l'EIiriI.N.tND I" de liULOAIllE.
a le don de faire vibrer si désagréablement les nerfs de la
farinière... au point que rimprudeutc échautillonueuse de
crus germains s’eu trouve subitement réveillée de son vague
engourdissement général.
— Voyons, poursuit le centenaire, nous ne sommes pas
venus devant le Pavillon de la Bulgarie pour nous pré-
A TRAVERS l’ EXPOSITION
4()
occuper des faits et gestes d’un sujet de la libre Angle-
terre.
— Ça, c’est vrai! approuve Bècliard.
— Laissez-nioi donc d’abord vous dire que, géographi-
quement, la Bulgarie est la sœur junndlc inversée de la
Bounianie qiu' M. Ollanesco et mademoiselle viennent de
vous présenter. Leur frontière commune est le Danube,
mais elle est septeutrionale pour la Bulgarie alors qu'elle
est méridionale pour l'Etat roumain. La Bulgarie a égale-
ment sa région de plaines danubiennes, mais moins éten-
due ; sa région de collines et ses montagnes qui se noni-
menl Stara Planina — monts Balkans — au lieu de la chaîne
des Karpathes, mais elle franchit les monts et retrouve
collines et [)laincs dans sa grande, annexe de la Boumélie
orientale. Donc, pays tout aussi complet et jouissant même
d’nn climat plus doux...
— Alors, pays d’avenir, comme son voisin?
— Oui, pays de très grand avenir, mais moins avancé
que le dit voisin, étant plus nen/ encore cl, ofliciellement,
moins affranchi de la suzeraineté ottomane.
— Et, comme [)opulation ?
— Ici, la fraterni té cesse. Si les Boumaines sont d'origine
daco-romaine, les Bulgares sont franchement slaves, et
1 élément mahométan est pour ainsi dire nul sur leur terri-
toire.
i< Venus des rives du Volga — d où leur nom — le
brave peuple bulgare s’installa dès le v° siècle dans la
« .Mœsia inférieure » des Anciens, leur pays d’aujourd'hui
— beau et fertile pays et pourtant pauvre pays! C'est que,
plus peut-être encore que la Boumanie, il fut, jus<|u’à ces
dernières années, un constant champ de bataille : guerres
contre l'empire de Byzance, luttes vaines contre la san-
glante domination de l'Islam, théâtre des opérations ini-
tiales de la Bussie contre la Turquie, etc., toujours les
combats, les massacres, les incendies, les rapts, les viols,
les pillages... et de l'avidité des oppresseurs ottomans et de
leurs proj)res [u’ctres du rite grec lancés sur eux comme sur
une proie par leurs maîtres mahométans... Ils ont résisté,
ils ont v'écu quand môme, et voilà enfin que s’ouvre pour
eux, depuis qucl(|ues lustres, l'ère du relèvement dans la
L AVUNIE BES ISATIO.NS
47
paix féconde, par le travail et le progrès. Ah ! les vaillants
et — trop longtemps — les malhenrenx Boulgres!
— Hein? fait V^erdnret en sursautant, moins olfnsqué
que stupéfait d’entendre ce terme tomber tranquillement
des lèvres du vénérable cicerone.
— Iju'y a-t-il? demande celui-ci.
— Vous avez dit... les « bougres? »
— ■ ,1’ai dit : Dovdgres, corruption très directe de Boul-
gares, d’où est venu, en effet, notre terme ultra-familier de
« bougre ». Et cela date de loin. Lorsque les Croisés traver-
sèrent le pays, ils en crui-ent les bal)ilants idolâtres, et tirent
de leur nom une grossière injure. Quand le Père iJt/c/ieme
qnaliliait de « bons bougres de patriotes » les citoyens des
sections parisiennes, ceux-ci ne s’imaginaient pas qu’il adres-
sait, par-dessus leurs piques et leurs baïonnettes, un superbe
compliment (à un peuple opprimé dont ils ne soupçonnaient
même pas l’existence.
— Ainsi, résume le j)bilosopbe Verduret, nos faubou-
riens et nos frustes campagnards ne l'ont, en s’injuriant,
que suivre, après tant de siècles écoulés, la tradition créé(!
par les cbevaliers bardés de for allant en Terre Sainte
reprendre le tombeau du Cbrist I ... Ün les étonnerait b., .igre-
ment, si ouïe leur disait!
— Je vous ferai observer, Verduret, (|ue vous distrayez
monsieur de ses explications pour bien peu de chose, gronde
Bècbard, l’éternel mécontent.
— Pardon, lerrilde ami ; je ne le ferai plus !
— Donc, dit en souriant le vieillard, je poursuis, tout
comme si j’étais moi-mème un bon Boulgre...
— iMalbeureusement, vous êtes Français, observe en
riant le manufacturier retiré.
— Ce qui serait loin de me faire mal voir dans ce pays
dont le prince, Ferdinand F'', est le petit-fils de notre roi
Fouis-Pbilippe, par sa mère, la vénérée princesse Clémen-
tine, une des femmes les plus éminentes de l’Europe et
dont l’esprit, si élevé, est encore dépassé par sa souveraine
bonté qui n’exclut pas une sagesse et une fermeté toutes
royales. Elle est la digne sœur du duc d’Aumale, dont le
noble et loyal souvenir est resté universellement cher en
notre patrie, comme celui d’un graïul et généreux Français.
48
A TKAVEllS L EXPOSITION
Si le prince de Bulgarie a pu se maintenir dans les Balkans,
malgré les terribles oppositions européennes que son éléva-
tion a rencontrées, il le doit beaucoup au respect dont sa
mère est l’objet de la part de tous, et au grand sens politi-
que de cette femme d'élite. Formé à une telle école, sou-
tenu de si précieux conseils, le prince Ferdinand a été le
très habile ouvrier de la résuri’cction de la nation bulgare à
A TRAVERS L'EXPOSITION DE 1900
FAYARD Freres Editeurs 78. sl Michel , PARIS
lmp- Michels a Fili
FINLANDE
BULGARIE
ROUMANIE
PAVILLONS DES PUISSANCES ÉTRANGÈRES
AVKM E DES AA'I IOAS
49
lac|uelle, a|)rÈs tant do siècles d esclavage et de répi’essions
ellroyablement cruelles, 1 empire Ottoman avait été con-
traint de rendre I autonomie et les lilmrtés nécessaires.
Gi’àce cà lui, la Bulgarie,
sans cesser d'ètre encore va-
gnemenl inféodée à la Tur-
quie, est entrée dans le con-
cert des l^uissances enro-
pcennes, ce qui constitue
son brevet d’existence poli-
tique. Aussi la jeune nation,
enfin sortie du vieux peuple
enchaîné, s’ost-cdle fébrile-
ment mise en marche vers
le progrès, faisant surgir du
sol abandonné les moissons
et les usines, triplant les
étapes vers l’avenir, comme
le taisaient, de loin’ côté, les
Roumains, les Bosniaques
et aussi les Serbes... Car, en
vérité, c’est avec émotion
qu’il faut, en présence de
ces Balais, songer au su-
perbe développement indus-
triel de ces jeunes Etats
chrétiens des Balkans, si
nouvellement libérés de la
déprimante tutelle de ce
Constantinople turc qui, taiit
qu’il est le plus fort, brise
les races dans le sang et
éteint leur génie sous l’es-
clavage. Ah ! le beau et ré-
confortant spectacle que
cette large participation
de ces nations réveillées enliii d'Iiier de leur séculaire tor-
peur, à noire grande Exposition universelle de 1900 ! Ce
sont des B’ères enfin libérés à jamais de la tyrannie, et
qu accueille à bras ouverts, avec des larmes heureuses, cette
LiLi,r.AiiiE.
Tuur d’angle du Pavillon.
A TRAVERS l'E.VPOSITION. — T. XI.
44
oO
A TRAVERS l’eXPOSITION
France qui, sur la terre d’Afrique, a versé son sang pour
délivrer du joug funeste, sans toucher à leur toi, les peuples
d’Algérie, de Tunis et, autrefois, la vieille terre des Pha-
raons où une autre a pu planter ses étendards, mais non
faire oublier la généreuse libératrice.
Ces paroles émues font un elfet bizarre prononcées par la
voix chevrotante et aigre du vétuste cicerone, mais ni Ver-
duret ni sa nièce ne songent à en sourire, impressionnés
qu'ils sont par l'ampleur de l'Idée. Quant à Bêchard, il
fronce les sourcils d'un air profond, tandis que son épouse
écoute bouche bée des mots qui dépassent de beaucoup son
superlicicl entendement.
— Au moins, hasarde Verduret, ces Ftats nouveau.x du
Danube et des Balkans comprennent-ils cette vive sympathie
de la France à leur égard ?
— M. Ollanesco a pris la peine de vous répondre lui-
même, tout à l’heure, en ce qui concerne la Boumanie.
Quant à la Bulgarie, outre son prince d’origine si hautement
française et qui n'avait pas besoin du grand-cordon de la
Légion d’iionneur que lui a remis le regretté Président
Félix Faure, pour être un des grands amis de la patrie, de
ses ancêtres, les membres du Gouvernement de Sofia sont
presque autant Parisiens que Bulgares.
— Des Boulgres parisiens, alors ! fait en souriant l’oncle
de Bertrande.
— iMa foi, jugez-cn vous-même. Son Altesse Boyale le
prince Ferdinand a fait de notre E.xposition présente une
de ses constantes préoccupations depuis quatre années.
Grand collectionneur, amateur d’art éclairé, intrépide chas-
seur et même, ainsi que son oncle d’Aumale, viticulteur
passionné comme j’aurai le plaisir de vous en donner la
preuve tout à l’heure, il a veillé personnellement à ce que
la Bulgarie (dont il est le Moi indépendant de demain) lasse
bonne ligure parmi les nations réunies pacifiquement à cette
heure sur les rives de la Seine.
« 11 a été très activement secondé dans son œuvre par son
ministre de l’Agriculture et du Commerce, M. G. D Natcho-
vitch, homme du plus grand mérite, dont l’intluence heu-
reuse et la réputation sont universelles, et dont l’affinité vers
la France ne fera pour vous aucun doute lorsque vous sau-
L AVKNUK UES .NATIONS
Ol
ivz que l’actil' ministre bulgare est un ancien élève du lycée
Louis-le-Grand. »
— Ah ! bah ?
^ — Passons rapidement, puisqu’il nous a quittés, iM. J. -S.
Guéchotr, premier représentant de la Principauté danu-
bienne lorsque, en 1896, le Gouvernement de Solia noua
des relations diplomatiques directes avec la France, et
qui, très goûté autant qu'apprécié à Paris, cumula aussitôt
ses tondions d ambassadeur avec celles de (Commissaire
général, premier en titre, et arrivons au très distingué érudit
M. Vassil Pavlitoff, Commissaire général actuel de la Bul-
garie à l'Exposition, après avoir été chargé d’affaires du
Gouvernement bulgare en l’rance.
Est-ce qu il serait aussi un Boulgre parisien?
Doublement. D abord, avant de devenir le Secrétaire
général du ministère des Atl'aires étrangères et des Cultes
qu il est également, il a fait à Paris ses humanités ; et puis,
il a choisi pour compagne une de nos plus charmantes com-
patriotes.
^ bonne heure !... j.\lors, c est lui qui a organisé
l’Exposition bulgare ?
— Pas précisément. 11 n’a remplacé M. Guécholf que
depuis quelques mois et a été remplacé lui-même à la léga-
tion par le très aimable docteur Stephan P. Nikyphorolf,
qui est déjà passé parisien en pied.
— i\Iais, est-ce que ces changements?...
Rassurez-vous. Depuis que le Commissariat bulgare a
été créé, il a trouvé sa cheville ouvrière dans la personne
du plus actif, du plus dévoué, et du plus complaisant des
commissaires généraux adjoints, notre compatriote M. le
comte Maurice de La Fargue, aussi modeste que grand tra-
vailleur, et qui a porté le plus allègrement du monde le
poids de ses délicates responsabilités.
— Alors, un débrouillard ! prononce sentencieusement le
grave farinier.
— Un laborieux, cher monsieur, et qui, ayant fait ses
premières armes dans la Presse, a été à bonne école pour
savoir se tirer élégamment de toutes les difficultés. Le
prince Ferdinand a eu en lui le plus adroit et le plus dis-
tingué des seconds et... z/ /le l'ignore pas. Maintenant, par-
A TRAVERS L EXPOSITION
Ions un peu du l'avillon où, sauf les œuvres des arlisLes
qui ont leur place au Palais des Beaux-Arts, se trouve
réunie toute la très intéressante exposition bulgare.
— Ma parole, pense Bèchard, je croyais que nous n'y
arriverions jamais. En fait de bavartlage, passer du Tou-
lousain à ce loquace cen-
tenaire, c'est à peu près
tomber de... de... chose
en machin... enlin, je
m’entends !
— De quel style, le
Pavillon? demande le
manufacturier retiré.
— Du style... futur.
— Hein?
— Cela vous fait rire?
— Dame!... J’avoue
que le joyeux M. Bous-
castrol nous a expliqué,
aux Champs- Elysés et
ici, plus de styles que ma
pauvre mémoire n’en
pourra retenir, mais il
n’a pas été jusqu’à glis-
M. MAURICE DE LA FAiiGUE ser (Jaus la nomenclature
C0.\[M1SS,UUE GÉxKR.iL AD.joiNT nii LA hllgarU'. stylc qiU u’cxisle pRS
{Cliché largfr.i encore... et pourtant, il
est Toulousain, lui!
— Je vais vous expliquer. Les deux architectes, diplômés
et français, chargés par le Gouvernement de Son Altesse
Boyale le prince Ferdinand, de construire ce Palais bulgare
au quai d’Orsay, sont MM. Henri Saladin et H. de Seve-
linges. Le premier est un fervent d’orientalisme, comme
M. Binet, l’auteur de la Porte Monumentale de la place de
la Concorde.
— Parbleu! observe Bèchard, Saladin... la «lampe de
Saladin !... » il devait à son nom...
— Je ne crois pourtant pas, cher monsieur, qu il des-
cende des Maures. Mais vous pourriez, dans un certain sens,
avoir raison. H est des noms qui semblent prédestinés, sans
Bulgarik. — Dkcouatio.n d’ü.ne l'iLE DU 1’a\ illon. (Enlree principiilc.)
L AVKMT-: [)l-;s NATIONS
qu’on puisse copendanl affirmer qu'il y ait là autre chose
que de curieuses coïncidences ou des facéties du hasard.
Ainsi, ce nom de Bêchard, que vous porte/... si hien..
A TRAVERS L EXPOSITION
U
— Pardon, pardon !... Je vous serais obligé de ne pas
l'aire de personnalité.
— Soit. Je continue donc. M. Saladin sait à tond l'art
oriental et s’est vu, en raison de cette spécialité, confier la
construction des Pavillons de la Tunisie et du Maroc par le
Commissariat général de l'Exposition, comme celle de ce
Pavillon par la Bulgarie. Or, ce tout jeune Etat, dont la
reconnaissance officielle ne remonte qu’à peu d’années, est
privé, bien plus encore que la Roumanie, de toute archi-
tecture nationale. Les architectes ont pensé qu'au Palais
représentant une principauté aussi neuve, il fallait une
architecture absolument neuve, qui s'éloignât suffisamment
des arts byzantin et ottoman pour être susceptible de
devenir une indication pour le style personnel que les pro-
grès de la Bulgarie obligeront à créer demain. Ce qu'ils ont
conçu est à la fois très moderne, très léger, très élégam-
ment décoratif et très... suffisamment oriental. Vous voyez,
cela a l'air de vouloir rappeler bien des styles et, de fait, ne
resssemble à aucun. C'est de la fantaisie remarquablement
ingénieuse et harmonieuse, qui laisse tout juste sentir
qu'elle est née d'esprits savamment documentés. A chaque
partie, à chaque détail, soit qu’il s’agisse du porche de
superbe venue, des fenêtres trilobées du premier étage ou
des campaniles s’élançant gracieusement vers le ciel, il
vient aux lèvres ce cri : « Parbleu, c’est du... » Mais la parole
ne s’achève pas„ car, en y regardant de plus près, on s’aperçoit
que plusieurs caractères principaux manquent pour per-
mettre de formuler le nom du style connu venu d’abord à
la pensée. On ne peut que dire: c’est du nouveau et du nouveau
de qualité exquise, où la couleur joue un rôle charmant,
comme, par exemple, pour ces haies, angles et tourelles se
détachant en blanc sur ce fond d’un beau rouge. Et remar-
quez que ce nouveau a déjà sa marque bulgare par le fait
que tous les motifs ornementaux qui accusent les lignes
principales du petit monument sont tirés de la faune et de
la flore spéciales du pays. N’avais-je pas raison de vous dire
tout à l'heure que c’était là de l’Art « futur », que la princi-
pauté fera bien de consacrer sien en en faisant son style
national ?
— Je m’incline et me rétracte, déclare Verduret. Et je
LAVENUI-: DES iNAÏION'S
regrette que notre Toulousain ne soit pas là pour applaudir
à un aperçu éminemment original qui est big... pardon...
Bonlgrement dans sa manière.
— Laissez donc votre Bonscastrol tranquille, mon cher !
Un gaillard qui se met dans le cas d’être appréhendé parles
gardiens de la paix n^est pas une personnalité recomman-
ble à évoquer à chaque tournant de phrase ! Si vous m’en
croyez, vous ferez bien mieux de demander à notre guide
de nous introduire dans ce Pavillon, cai', sans reproche,
voilà assez longtemps que nous posons à la porte !
Devant cette injonction peu déguisée du grave farinier,
le centenaire invite docilement du geste le petit groupe à
entrer et prend lui-même les devants.
Il
LA KULUAKIE (( l'AUElM DL .MONDE »
— Vous voyez, mes chers auditeurs, ro})rend le vieillard
aussitôt que notre groupe de visiteurs a franchi à sa suite le
seuil du Palais, vous voyez que la disposition inléricure do
ce Pavillon, qui couvre 375 mètres carrés, est des plus
simples : un beau, clair et vaste vestibule, à droite et à
gauche duquel sont deux superbes salles d’exposition.
— Tiens ! s’écrie M'"“ Flore, nn jet d’eau au milieu de ce
vestibule ! C’est trouvé, cela !
— Mais, fait tout à coup Bertrande en faisant palpiter
les ailettes délicatement rosées de ses mignonnes narines,
cela sent délicieusement bon, ici.
— Mademoiselle, voulez-vous nous faire le plaisir de lire
l’inscription que vous voyez là-haut, au-dessus du jet d’eau :
J
— Vous dites cela pour me faire honte de mon igno-
rance. 11 y a là-dedans des lettres si bizarres que, bien loin
r, AVENUE DES NA'I'IONS
ni
(le pouvoir déciiiflVer le sens des mots, je serais mémo inca-
pable de les épeler... (Ju’esl-ce que cela veut dire ?
— Textuellement :
(I La Ihdfjanr parfump tout le monde. »
— Alors, ce jet d'eau?...
— l^'ait tout simplement voltiger dans l’atmosphère dos
millions de petites gouttelettes d’essence de rose. La llnl-
garie se devait de placer ici ce bassin parfumé.
— Est-ce que ce serait un symbole? demande Verdnret en
clignant de l’œil d'un air entendu.
— Le jet d’eau en pourrait être un, en somme, une des
curiosités naturelles de la Bulgarie étant, parmi son grand
nombre de sources tbermales — dont celle du Mont-Suha
lance des eaux sulfureuses colorées eu rouge — la double
source qu'elle jiossèdc près de la frontière serbe. Ces deux
sources, très voisines l'une de l'autre, débitent : l’une, une
colonne d’eau tiède de la gr(jsseur du bras, et l’autre, située
un |)cu plus bas, au pied de la même colline, un jet cristal-
lin et giaciid.
— Diable! observe Verdnret, le sous-sol doit être intéres-
sant |)our les géologues, dans ce pays-là!
— jMais, pour.suit le séculaire cicerone, les oi'ganisatcurs
de ce palais ont vu dans ce jet mieux qu'un symbole qui
serait, avoue/-le, (juelque peu tiré par les cheveux. 11 consti-
tue l’enseigne parlante de la grande et charmante industrie
du pays : la culture des roses. La reine des Heurs est bien
nue reine eu Bulgarie, püis([u'elle y a pour domaine souve-
rain toute inie vallée, la « Vallée des Boses », dont les ap-
proches, comme celles de cette fontaine, se reconnaissent
par les suaves parfums qu'emporte la brise. Les essences
(Id'eii tire l’industrie locah( sont sans rivales, et vous voyez
ici l'exposition des produits de vingt fabricants réputés.
— Est-ce qn’on peut tremper un coin de son mouclioir?
liasarde la coquette farinière,
— Laisse donc, s’oppose son peu sociable époux. Tu
empoisonnes déjà le musc, bichette... Avec l’essence de
rose, ça ferait un joli mélange ! Comme odeur, je ne com-
prends que la lavande, dans les armoires !
58
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Voyons, mon gros, nous sommes à Paris !
— Nous sommes même à Sofia... pour le moment, et la
rose est ici odeur XocüXq, monsieur Bêchard, sollicite gracieu-
sement Bertrande.
— Puisqu'il est dit que je n’échapperai pas à la migraine,
va faire ta trempette, consent le farinier de mauvaise
grâce.
M'"'' Bêchard ne se fait pas répéter l’autorisation et court
plonger son mouchoir entier dans l’eau parfumée.
Puis, le centenaire emmène le groupe d'expositionnistes
dans les salles où l’industrie bulgare est représentée par
quelque cinq cent soixante exposants, un joli chilTre, surtout
si l’on fait la comparaison avec la Turquie qui n’a au quai
d’Orsay que trente-trois exposants... obligés de construire
leur palais à leur frais — « la revanche du vassal ! » comme
l’a spirituellement souligné M. Beer, dans un de ses articles
du Figaro.
Le vieillard fait rapidement passer en revue à nos provin-
ciaux les expositions (photographies, plans, cartogrammes,
diagrammes, statistiques) des ministères : Travaux publics.
Agriculture et Commerce, Instruction publique; et celles
des corporations, parfois fort naturalistes, comme le bizarre
et inattendu lot de cornes et d'os envoyé par les bouchers
de Sofia.
11 leur fait voir les photographies des antiquités, moulages
de statues et reliefs du temps des Traco-lllyrions et des
Macédoniens, existant au Musé national de Sofia. 11 leur fait
remarquer les parures et costumes nationaux qui, après la
Grande Fête de 1900, iront grossir les collections ethnolo-
giques du Musée du Trocadéro; les intérieurs d’ateliers (avec
travaux d’élèves) de l’Ecole commerciale Pistor; tout ce
qui intéresse l’armée bulgare, les foires et marchés, les
institutions de crédit, les assurances, les Chambres de com-
merce, les Musées, etc., delà Principauté.
Puis il leur montre, après les monnaies nouvelles, poids et
mesures (système métrique comme en France), les pro-
duits expédiés par cent soixante-neuf agriculteurs et qui
prouvent ce qu’est rapidement devenue la généreuse terre
bulgare dans les travaux de la paix et sous le régime d’une
paternelle administration.
L AVENUE DES NATIONS
:i9
Ensuite, ce sont les vins, rlont la qualité semble protester
contre la réalité géographique qui, là-bas, fait descendre les
côtes, face an nord, des Balkans vers le Danube... Et encore
les envois de dix-sept fabriques de tapis de Sofia, Plewna,
Tsaribrod, Kotel, Slivno, Gabrowo, Elena, Stanimaka, l)ra-
goniirovo, Vratza, Ronstchouk, Tcbiporovtzi et Danagu-
richté.
— De boulgres de noms... à couelier à la porte, ricane
Bêcbard.
Le vieillard se contente de hausser les épaules en regar-
dant Verduret, et, ramenant son monde daïis le vestibule,
lui dit ; •
— Maintenant, allons rendre visite à l’envoi du principal
exposant bulgare.
— Et quel est cet exposant principal?
— Le prince lui-même, monsieur Verduret. Voici, au pre-
mier, au-dessus de la porte d’entrée du Pavillon, le saloiT
qui lui est réservé. Vous voyez là les pièces les plus impor-
tantes de ses vitrines de grand collectionneur, les collections
d’histoire naturelle de ce beau chasseur et... cent dix-huit
échantillons des vins, vermouths et cognacs, produits par
son domaine princier d’Euxinograde, dans le district de
Varna. Le souverain a donné, en se consacrant à l’exploita-
tion agricole et surtout vinicole de ses propriétés, un bel
exemple à ses sujets, exemple que ceux-ci s’empressent de
suivre pour le plus grand bien de l’industrie bulgare. Il a
bel et bien consacré deux millions à ses plantations de vignes
qui protluisent les fameux vins blancs et rouges d’Euxino-
grade qui sont les « bordeaux » de la Bulgarie.
— Est-ce qu’on peut déguster? demande M'”'^ Elore, subi-
tement intéressée.
Pour toute réponse, le farinier saisit vivement le bras de
son épouse et, pour qu’elle n’ait pas la velléité « d’échantil-
lonner » de nouveau, l’entraîne tout d’une traite hors du
Pavillon de la Bulgarie.
Alors, rassuré, il demande :
— (Jnel Pavillon allez-vous nous montrer, après celui de
la Bulgarie?
— Mais, le suivant, si vous A’oulez bien, c’est-à-dire celui
de la
PAVILU:
CHAPITRE IV
FIXLANDK
I.E Ml'li Ur CENTENAIRE
— Vraiment, mes chers auditeurs, dit le vieillard de sa
voix perchée qui, en essayant de prendre du volume, se fait
effroyablement criarde, je crains que vous ne saisissiez pas
tout l’intérêt de l’excursion que vous faites en ce moment à
travers les pays les plus étonnamment divers. Ainsi nous
quittons les' rivages de la mer iNoire où se retlètent les côtes
brûlantes de la Turquie d’Asie, et nous voilà, traversant
d’un bond l'immense Russie, transportés sans transition
dans une de ses plus septentrionales provinces, grandes
comme des Etats, tout là haut, aux confins de la Laponie,
dans les contrées presque hyperboréennes... et cela sans
quitter les bords cléments de la Seine estivale! Savez-vous
que ce sont là des sensations précieuses, qu’il n’a été donné
à personne d'éprouver aussi complètement avant cet ingé-
nieux groupement au quai d’Orsay des évocations intenses
de races et de nationalités que sont ces Pavillons, sensa-
tions que la rapidité môme des communications ne permet-
tent pas aux plus ardents globe trot fers?.. Savez-vous que
cette merveilleuse possibilité de passer ainsi soudain eté l’iin
à l'autre de ces centres de la vie complète de pays situés aux
A'V
I- AVEM E DES NATIONS
G3
extrémités opposées de l’Europe et même du monde, tient
de la magie, de la féerie réalisée, du miracle!
— Moi, déclare Bèchard, je trouve que cela tient tout
simplement au hasard de la distribution faite par M. Picard
des concessions aux diverses puissances.
— Ah! monsieur, riposte te centenaire en regardant fixe-
ment le farinier, la muraille de Chine n’est qu’une mous-
seline en comparaison des murs opaques qui s’interposent
entre certains intellects humains! Permettez-moi de plaindre
ceux qui traversent cette Exposition sans la voir, quelque
etfort que l’on fasse pour la leur montrer, et de féliciter hau-
tement ceux que hante le désir de la compréhension aussi
complète que possible.
Bèchard se redresse furieux sous ta leçon anonyme.
— Autrement dit, ironise-t-il, vous prônez le roman, l’il-
lusion, aux dépens du solide réalisme! Je suis heureusement
d’esprit trop sérieux pour vous suivre sur ce nuageux ter-
rain.
— Je ne faisais aucune personnalité. Mais, puisque vous
déclarez si lièrement vouloir rester de l’autre côté de... mon
mur, je vais tout d’abord m’empresser de déblayer voire
terrain.
— C’est-à-dire?
•
— Vous apprendre que ce Pavillon de la Finlande, qui
affecte la forme d’une vieille chapelle en bois de ce pays très
spécial englobé dans le vaste empire des Tzars, s’inspirant
de toutes sans reproduire aucune d’elles, couvre 400 mètres
carrés de superficie, à raison de 40 mètres de longueur sur
l’avenue des Nations, et de 10 mètres dans le sens perpen-
diculaire de la largeur de l’édifice. J’ajouterai que cette cha-
pelle, comme toute construction consacrée au culte, se com-
pose essentiellement d’une grande nef, d’une coupole corres-
pondant à l’entrée principale sur l’avenue, et d’une abside.
Je dirai encore que la tour qui surmonte la coupole s'élève
à très peu près à la hauteur de 35 mètres. J’achèverai, pour
M. Bèchard, en indiquant que le bâtiment a coûté environ
100,000 marcks finlandais, c’est-à-dire à peu près une cen-
taine de mille francs.
— A la bonne heure : voilà qui est bien parler.
— Et maintenant, si 'vous le permettez, je vais commen-
A TUAVERS L EXROSITlOiN'
cer à parler pour M. Verduret et sa très aimable nièce, qui
ont, eux, la prétention d’être fermement du côté de « mon
mur » opposé au vôtre.
— Parlez, docte et obligeant cicerone, nous sommes tout
oreilles, déclare le manufacturier retiré, dont l'amour-pro-
pre, qui se dissimule derrière une Imnbomie... un peu va-
niteuse, comme toutes les bonhomies, est intimement Hatté.
Le i-àûmav pralifj lie liausse les épaules, et le vieillard re-
prend :
— Ce Pavillon — qui est une synthèse, plusieurs cha-
pelles finlandaises lui ayant conjointement servi de modèles,
et qui, construit par la maison Sornes Angsog, là-bas, avec
des pins du pays, a été apporté [)ar pièces et monté par des
ouvriers indigènes — ne dédaigne pas, en son ornementation,
de sacrilier aussi au symbolisme... Ob ! très peu, que iM. Bè-
chard se rassure! Ainsi, voyez, de place en place, au-dcssns
des renètres, ces crapauds sculptes, le ventre en l'air.
— Oui. A quoi cela fait-il allusion?
— Tout simplement aux nombreux marais dont cette con-
trée très plate, aux lacs aussi vastes que nombreux, est lit-
téralement enconi brée.
— Hum!... C'est du symbolisme piàmitil' et nnïf.
on
Li , Tinldn
d(
Crmndÿ Mef
K
O
Ten'e|jleLn de VerciLU’f
— Et, d'ailleurs, c'est le seul... car ce n’est pas du sym-
l)ole qu’a voulu faire, d'un ciseau émérite, le sculpteur Emil
Halonen, en déposant ces tètes de loup, en cintre, au-dessus
de l'entrée principale, que j’appellerai la porte A ( e. /c plan)
()our préciser [les idées. Le loup est, en e Ilot, à la Einlande
i/ave.m'f: des aaiions-
()0
cc que le lion est au grand désert d'alfa du nord-africain,
l’ani mal-roi du pays. C'est dans le même ordre d’idées que
rontrée secondaire (porte B) se voit ornée de tètes <rclans,et
([n'aux quatre coins de la tour, au point on celle-ci émerge
de la coupole, se tiennent quatre ours de grandeur natu-
relle, dus au beau talentdo M. lîmil Wittstrom.
— Très original, ces tètes et ces corps d’animaux domes-
ti(!ues ou carnassiers parant un temple de la prière !
— C’est mieux qu’original, c’est l’évocation de toute la
vie de la Finlande, l’iiomme religieux au sein d’une dure et
sauvage natuia'.
— Quel contraste avec les Pavillons voisins!
— Egal au contraste existant entre des contrées si dilTé-
rentes que celles de la Finlande et de ses voisines immé-
diates .. du quai d’Orsay, la Bulgarie et... la Perse! Les
architectes, !\IM. Saarinen (de Bautasami], Armas Lindgren
(de Tawastohus), et Herman Gesellius (de Ilelsiugfors),
ont excellemment compris leur œuvre, qu’a parfaite-
ment exécutée le liaumeister (entrepreneur), M. A. Jans-
sen, et supérieurement ornée les artistes de talent que
sont les sculpteurs. Ce trio d’architectes est sorti, la même
aimée (189h), de l’Ecole polytechnique...
— Hein?
— Attendez: de l’Ecole polytechnique de Ilelsiugfors, et
ils ont ensemhle créé dans ce port méridional — relativi'-
ment — do l’entrée du golfe de Finlande, une sorte de très
hriliaut « hurean d’architecture » qui a remporté nombre
de prix dans divers concours et, comme consécration
ultime, la première récompense pour leur projet de Pa-
villon pour 1900. Si, maintenant, vous voulez bien me faire
l’honneur d’entrer avec moi...
— Ah ! pardon : vous oubliez quelque chose.
— Et quoi donc, cher monsieur Verduret?
— Jamais l’aimable toulousain Bouscastrol ne nous a
permis de pénétrer dans aucun pavillon sans nous avoir
[larlé peu ou prou du Commissaire général. 11 estimait qu’il
était pour nous d’élémentaire ])olitesso de saluer au moins
le nom do celui ([u’il appelait: « le maitro de céans ». Il
m’en a donné l’iiahitude et, il me semble, tant mon esprit
routinier prend vite l’accoutumance, qu il me manquerait
(i6
A TRAVERS l’eXPOSITION
quelque chose si je pénétrais dans le sanctuaire sans
savoir...
Qui a présidé à sa consécration. Soyez satisfait : le
Commissaire général est un ingénieur pétersbourgeois de
haut renom. M. Runeherg, directeur du bureau technique
« Wega ». Mais croyez que je ne faisais pas une omission
involontaire en me taisant sous ce rapport. La Finlande
taisant partie de l’Empire russe, je comptais avoir le plaisir
de vous dénombrer les membres éminents du Commissariat
de la grande Nation « amie et alliée », lorsque je vous en
montrerai la si importante et si curieuse Exposition au Tro-
cadéro... car j entends ne laisser cette satisfaction à aucun
autre.
Ab ! voilà une aimable promesse dont nous vous
remercions tous avec une sincère reconnaissance. Mettons
donc que je n'ai rien dit, et hâtons-nous...
D’entrer? Veuillez donc me faire l’amitié de me suivre.
§ Il
AUTOUR Ij’UiN' AÉROLLTUE
Sur les pas du complaisant centenaire, notre quatuor de
visiteurs — car James-Gregory Puzzling a laissé le champ
libre à la diplomatie de Bertrande, qui s’empresse... de n’en
pas profiter — gravit les marches de l’entrée principale du
Pavillon de la Finlande et pénètre dans le vaste carré sur-
monté de la coupole, et dont chaque angle arrondi sert de
gite à une fontaine décorative.
Dès les premiers pas, M'’''= Flore pousse un petit cri de
surprise.
Oh!... là, au milieu, sur ce piédestal et habillé d’une
vitrine, qu est-ce que c’est que cela?... Une pierre?
— En elïet, madame, mais une pierre tombée du ciel
sur la terre de Finlande. C’est un aérolithe géant, un des
milliards de petits inondes qui gravitent comme nous autour
du soleil dans 1 espace infini et qui, pour être entré, en sa
l’avenlk des nations
(i7
course en apparence seulement vagabonde, dans la sphère
d’attraction dominatrice de notre planète, est venu choir
sur le sol marécageux de la grande province de la Russie
septentrionale.
— Bigre, observe judicieusement Bèchard, si cela vous
tombait sur la tête, on pourrait dire que c’est une maîtresse
tuile !
Sa digne épouse, regardant autour d’elle, hoche la tète :
— C’est égal, c’est une drôle de chapelle, ici. Voyez donc
ces l'ontaines. . . Ce ne sont pas des fonts baptismaux, je
présume ?
— Elles s’en gardent bien, chère madame. Ces fontaines
de caractère, au nombre do quatre, une dans chaque angle
du carré servant de base à la coupole, avec leurs vasques où
tombe gracieusement une onde qui pourrait être plus pure,
étant donné qu’elle est... séquanienne, sont de jolis mor-
ceaux de sculpture dus à M. Axel Galien, auteur égale-
ment des dessins des très curieux vitraux qui tamisent ici
les rayons du jour.
— Et toutes ces grosses pierres?
— Des spécinicns de ces granits superbes dont la Finlande
fournit toute la Russie.
— Et ces peintures murales!... Vous n’allez pas pré-
tendre qu’elles représentent des sujets religieux?
— .Je me permettrai de vous rappeler, intransigeante ma-
dame, que si cet édifice a emprunté sa forme aux temples
rustiques du pays en même temps que la double muraille
de bois destinée à s’opposer à l’invasion du froid, il n en est
pas moins un Pavillon d’exposition, et qu’en conséquence ce
serait se montrer un peu exigeant de demander à n’y voir...
— Que prêtres, fidèles et cérémonies du culte ! achève
en riant Verduret.
— C’est cela même, confirme le vieillard. Ainsi, ce n’est
pas la Passion du Christ qu’ont l’intention de faire vivre
aux yeux ces peintures, qui sont du même M. Axel Galien.
Ce que vous voyez là, ce sont des scènes de la fameuse
épopée finnoise « le Kalevala ».
— Une épopée du Nord? questionne curieusement \ er-
duret.
68
A TRAVERS l’eXPOSITIOIS
— I n gigantesque poème en 50 r/nms ou chants et quelque
:22,500 .vers, poème d’une race, légende étrange faite des
chansons de gestes des antiques rapsodes populaires et con-
servée dans la mémoire des générations successives, histoire
ou le « lien » manque à chaque pas, mais étrange, puis-
Scuite, superhe et, en même temps, triviale par endroits,
d une psychologie profonde et aussi d’un réalisme parfois
hrutal. On y voit les dieux voisiner avec bonhomie avec des
héros plus ou moins magiciens, splendides d’audace, en des
scènes tour à tour tei-ribles et familières...
— Enfin, quelque chose comme cet « anneau de Niebe-
lungen » dont Wagner a harmonisé la Tétralogie'?
Ou du genre du Alahdhhdrala, monsieur Verduret, ou,
SI vous voulez, de Vl/iade d’Homère, qui s’en voit magistra-
lement dépassée. « En étudiant le Kalevala », a écrit
iM. Eeouzon Ee Duc dans un travail qui fait autorité et dont
quelques passages sont restes en ma vieille mémoire, « on
est comme fasciné par une création aussi étrange. C’est un
monde qui se révèle et dont le type ne se reflète nulle part ;
c est un abime d où s’exhalent des nuages orageux qui vous
enveloppent de leurs noires spirales, à travers lesquels la
magie fait scintiller de rougeâtres éclairs; c’est une lutte
acharnée entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le
mal, qui s’agite sous d’incroyables personnifications... Les
héros ont le bras plus fort, accomplissent des exploits plus
grands que ceux d Homère. Souvent ils parlent comme les
prophètes de la Bible, car souvent la phrase finnoise rivalise
avec la phrase orientale... » C’est sublime, grossier, délicat,
logique, contradictoire et excentrique à la fois, ce poème
national dont vous voyez ici de curieuses scènes reproduites
par un maître pinceau, et c’est si naïvement complexe que
cela ne peut se raconter...
Vous nous mettez pourtant l’eau à la bouche ! Voyons,
cher savant, qu’est-ce que c’est, en quelques mots?
— C’est, monsieur Verduret, l’histoire de la rivalité de
deux cités sœurs et parfaitement imaginaires : Kalevala (qui
signifie quelque chose comme : ilemeure ou patrie des hommes
et des actes héroïques) et Polija, se disputant le Sampo,
objet inconnu, mais qui doit être quelque homérique Toison
d or. L action (qui na pas plus d’époque qu’on ne .peut
L AVEM K DES >• ATI OA S
(39
^ en assigner une au poème) commence lorsque les deux
(! villes en sont encore à la période de tension... diplomati(|iie,
f pour se continuer parmi les gigantes(]ues coups de lance et
I des hécalomhes l'ormidables mêlés de scènes conjugales, de
[ passions tendres et violentes, de générosités et de cruautés,
t trame où vibre réternel féminin sons la tigure d'une
1 Hélène finnoise qui n’a rien à envier à celle de l’épopée
I troyenne.
FiNL.ANDAIS [)U Nohii.
— Enlin, conclut nettement Bèchard, tout ça, [lassez-moi
le mot, ce sont des « blagues » parfaitement inutiles, puisque
ce n'est pas arrivé.
— Tout ça, monsieur Bèchard, ce sont de géniales ima-
ginations de poètes inspirés par le milieu où ils vivaient et
qui révèlent l’àme d un peuple .; c est donc de 1 art, dans le
sens le plus haut et le plus vaste du terme.
C1IA[’1THE V
PERSE
I.A M ni) UES s K II .M A DEU I Cil A II
Nos A’isiti'urs, élanl sor[is du l^avillon-chapclle de la
iMulaiide par la porte ipii douiio sur le Pavillon de la Bul-
garie, se trouvent avoir un assez long cdiemin (à faire pour
atleiiidre le Palais persan. 11 leur faut, en ell'et, longer de
nouvi'au l'église rusti(|ue, jiuis le Pavillon du Duclié de
Luxembourg déjà visite, pour de là, traverser la large place
corros[)ondan t a la [lasserelle sur la Seine et où s’élève la
petite sation du chemin de fer.
Ln passant dexant I entrée du Pavillon du Luxembourg,
la manulacturier retiré expose son désir de le visiter de
nouveau, mais cette fois avec un guide documenté tel que
le centenaire. Bècbard coupe court à cette velléité en criant
à notre iMalosberbois :
— llegardez donc l'heure, mon cher!
^piie pjore tire aussitôt de sa ceinture sa helle « montre de
mariage » et, la plaidant devant les yeux de l'oncle de Ber-
trande ;
— Six heures et demie, monsieur Verduret ! Et j'ai une
faim et... une soif !
— Encore? fait entre ses dents le lionhomme, non sans
s incliner, cependant, devant cette « raison majeure )) de
ne se permettre aucune ilànerie.
1, AVIvN'i rO DES NATIONS
T.'i
En arrivant à hauteur de la station, Bertrande aperçoil,
guettant derrière le quatuor de ses boip à carreaux, le
détective Jaines-tiregory l'uzzling en personne. Aussitôt,
A TKAVEKS L’EXI>0SIT10N. — T. XI. — 1
elle court rejoindre le centenaire qui a pris les devants de
quelques pas et lui dihtrès vite, à voix basse :
— Savez-vous de quoi on m’a chargée?
Le vieillard répond de môme, en souriant :
— Je n’ai pas besoin de mes lunettes pour savoir de quel
(Cliché Larcer.)
74
A TRAVERS L EXPOSITIC»'
« on » VOUS parlez, et mes yeux sont encore assez bons pour
distinguer à vingt pas... quatre hommes et un caporal.
Quant à la mission que vous dites avoir reçue à mon sujet,
je serais curieux, ma chère demoiselle, de la connaître.
— Je me suis engagée à tout taire pour... vous séduire.
— Eh ! mais, c’est chose faite, alors !
— .Mon oncle peut nous rejoindre ; laissez-moi achever.
Je dois chercher à me faire conduire chez vous par vous-
même.
— Tiens, c’est tout à fait charmaut, et je ne saurais trop
remercier « On » d une aussi coquette idée.
— Aloi’s ?
— Je vous indiquerai demain le home propice à cette
savoureuse entrevue.
— Vous ne supposez pas que je vais...
— Je suppose qu’oM vous permettra bien de vous faii'c
accompagner par M""= Bèchard, personne tout à fait exem])te
de malice, pendant que je trouverai le moyen do faire
occuper ailleurs ces messieurs.
Et je pourrai trahir le lieu de ce singulier rendez-
vous.
— Vous ne pourrez me faire un plus grand plaisir.
— A la bonne heure ! fait entre ses dents la jeune fille
dont les yeux pétillent d’espièglerie.
A ce moment, le groupe, la station dépassée, découvre en
plein, chaudement éclairé par le soleil presque couchant, le
grand arc en ogive lancéolée de l’entrée principale du Palais
de la Perse.
— Oh! oh 1 s’extasie Verduret en s’arrêtant net et en
obligeant, de son bras étendu, le pressé Bêchard à l’imiter.
— Que vous arrive-t-il? bougonne le farinier.
— Mon cher, il m’arrive de constater combien cette
excursion de tout un jour à travers tant de beautés archi-
tecturales de tous styles m’a ouvert les yeux et affiné le
sens artiste. J’avais déjà aperçu de loin, ce matin, ce Pa-
villon sans y prêter attention et, ce soir, sa vue me cause
une vive impression d’admiration. Je trouve cela à la fois
très curieux, très spécial et très beau. Ai-je tort, monsieur
notre savant cicerone?
— Vous avez tout à fait raison, cber monsieur, et je vois
L AVI2NUE DES NATIO.NS
7.')
avec plaisir que vous quitterez cette merveilleuse Exposi-
tion de 1900 transformé en véritable amateur. Il n'est peut-
être pas d architecture plus curieuse à étudier que celle de
la Perse, et je ne saurais trop vous complimenter d'en avoir
eu l’intuition dès le premier coup d’œil.
Notre ex-manufacturier savoure délicieusement ces éloges
et, par effet réflexe, sent d’un seul coup s’enllammer en lui
jusqu’à l’amitié, la sympathie plutôt respectueuse qu’il a
éprouvée dès le premier jour pour le complaisant et docte
centenaire.
Celui-ci explique :
Ca Perse, voyez-vous, a été et sera sans doute encore
un des Etats les plus tourmentés de runivers comme il en
est un des plus antiques. Aussi loin que nous pouvons
remonter les âges, nous voyons le fabuleux Zohâc y régner
vers l’an 800 avant Jésus-Cbrist. Puis, de 536 à 323, tou-
jours avant notre ère, c est la glorieuse dynastie des Aclié-
ménides, depuis Cyrus, Cambyse, Darius et Xercès, jusqu’à
Alexandre le Grand. Jusqu’alors, c’est la guerre de con-
quêtes, à l’époque où nos ancêtres occidentaux couraient
nos forêts sauvages couverts de peaux de bêtes et armés de
silex. Depuis le partage de l’empire d’Alexandre, ce pays a
vécu au milieu des révoltes intestines et des invasions
étrangères. 11 a subi tour à tour le joug des Mabométans de
1 Inde, des IMogols, des Turcs, etc., changeant de religion,
se reprenant, succombant à l’anai'chie et reconquérant enfin
son indépendance. Mais au milieu de tant de désastres, de
destructions, de Ilots de sang répandus, ce peuple fort, qui
savait absorber ses successifs vainqueurs au lieu de se
fondre en eux, a toujours gardé son tempérament, son carac-
tère, sa civilisation, sa conception d'art originaires. C’est
ainsi que, chez lui, l’architecture, ce livre si clair de la vie des
races et des nations, a pu subir di's inlluences nombreuses
et très diverses, tout en restant typique et toujours persane.
Le style ottoman qui, avec la loi du Coran volontiers
acceptée, s est imposé à elle, n’y est sorti de terre que trans-
iormé, marqué du sceau personnel de la race, de cette race
qui était grande, puissante, maîtresse de son art bien des
siècles avant que ne fussent nées les antiquités euro-
péennes.
A TRAVERS L EXPOSITION
— A ce comptc-là, rarchitcclure persane serait singuliè-
remenl composite?
— F.llc l'a surtout été dans les édifices disparus qui dataient
d’avant l’hégire. Comme,
depuis, c'est le style
arabe qui a prévalu dans
l'Iran...
— O il p r e n e Z - V 0 U s
riran?
— C'est tout simple-
ment le vrai nom de la
Perse, chère madame. .
Le style arabe ayant pré-
valu, dis-je, modifié de
plus en plus et au point
d'en presque complète-
ment dillerer, le style
des temps modernes ne
porte plus que des traces
des arcb itect lires in-
dienne, mogole, etc.
— Tout ça peut être
très in téressant pour ceux
que cela amuse, mais...
le Pavillon? réclame
Bccbard.
— Lli bien, ce Pavillon est la reproduclion de certaines
parties d'un immense édilice d’ispaban, l'ancienne capitale
devenue une cité à peu près déserte depuis le siège qui, au
commencement du xviii'' siècle, lors de 1 invasion afghane,
la laissa aux trois quarts détruite. Ce grand édifice appelé
M('drf‘sseh maderlchah SuUan llasse'ni, c'est-îi-dire « Collège
de la mère du Sultan llasscïn », fut érigé, en 1710 de notre
ère, dans un but éminemment philanthropique, par cette
sultane... douairière. Dans une partie étaient logés, héber-
gés et instruits les étudiants pauvres dont la royale bienfai-
trice surveillait elle-même la garde-robe et la lingerie...
— Cela valait autrement mieux que notre mélange des
boursiers parmi les élèves plus fortunés des lycées et col-
lèges, observe Verduret.
LE GENERAL K IT A B G I - K 11 A N
rOMMlSSAIKE «tPXÉKAL DE LA PKRSK.
(Cliché Larger.)
I. AN'E.M E l)i:S NATIONS
77
Dans 1 autre partie, continue le vieillard, était organisé
un caravansérail, c esl-à-dirc un vaste établissement ou
étaient logés gratuitement les voyageurs et leurs montures.
— C'était pratiquer somptueuse-
ment l'hospitalité de nuit, plaisante
Bêchard, enchanté d'avoir glissé
cette grosse pointe à travers le mo-
nologue
iuti'i'uiiua-
hle (selon lui) du vieu.v
cicerone.
— Toute la partie
du Pavillon oii se
trouve l'entrée prin-
cipale, continue celui-
ci sans prendre garde
à l’interruption — ce
qui hlesse profond cinent son auteur — est la co|)ie exacte
d’une porte monumentale dépendant de ce Collège de
« boursiers », comme l'a si bien dit M. Venluret. Et dire (jue
peut-être, ces petits ingrats, par suite de l'accoutumance,
la traversaient sans faire attention à son exceptionnelle
beauté artistique. Regardez, en clfet, autour de Tare en
I'kkse. — Le carcan; Iianseuse du harem.
78
A TRAVERS L EXPOSITION
Ogive lancéolée du seuil, cette large frise formant encadre-
ment; puis, en arrière, la voûte en cul-de-four formée d'une
série de stalactites superposées, le tout entièrement revêtu
de faïences bleu d’outre-mer, bleu turquoise, relevées de
vert et d'orangé... N’est-ce pas à la fois plein de grandeur,
d’élégance et de brillante gaieté?
— Mais, cette porte, qui se termine en haut par une ter-
rasse, est surmontée d’un autre étage... à jour?...
Un M.ARIAOE l’EKSAN.
— Ceci u’appartient pas à la porte monumentale en ques-
tion. C’est un autre spécimen de l’art persan que l’archi-
tecte, un Français, M. Philippe Mériat, a tout simplement et
très heureusement gretfé sur son Palais asiatique. Vous re-
marquerez que cet édicule a un frère perché sur l’autre
aile du Pavillon. Ces superstructures à colonnades repro-
duisent le Tchcpel souloitn ou « Pavillon des quarante co-
lonnes », qui, reconstruit après un incendie, au siècle dernier,
par le sultan llosseïn, existe encore à Ispahan. Les colonnes
octogonales en cyprès, r.ecouvertes de glaces, soutiennent un
plafond à caissons profondément sculptés et peints et do-
rés. Le tout repose sur des assises de marbre blanc.
l’aVEMI-; des ^AT10^S
79
— Ce doit être merveilleux sous le beau ciel d’Orient,
pense tout haut Verduret.
— Très juste, approuve le vieux savant. 11 aurait fallu
pouvoir étudier chacun de ces palais étrangers sous son vrai
ciel. Malheureusement, modilier les lois de la nature n’est
pas au pouvoir de l’homme. Pour en finir avec l’extérieur,
j’ajouterai que le reste du Pavillon est rigoureusement exé-
cuté dans le style de cette porte monumentale de la « INIe-
dresseh mederichah », que les haies, amples et rapprochées
les unes des autres, portent des verres peints et émaillés
qui sont des merveilles, et...
— Et sans doute, interrompt Bêchard, que la Perse pour-
rait rendre des points à l’Amérique, sous le rapport de la
réclame.
— Pourquoi cela, cher monsieur ?
— Dame! ne voyez-vous pas que ce Palais persan mérite-
rait le surnom de l‘avillon sandwich?... Chaque façade est
une véritable afliche : on a écrit partout, sur la faïence des
murs, sur tous les vitraux...
— Voyez, à votre tour, cher monsieur, comme on peut,
j en jugeant trop légèrement ce... qu’on ne comprend pas, se
montrer affreusement ingrat à l’égard de la plus courtoise
des intentions étrangères. L’art architectural persan prête
beaucoup à scs inscriptions murales, et on ne s’en fait pas
faute dans l’Iran. Mais celles que vous voyez là ne sont co-
piées sur aucun édifice ; ce sont des vers spécialement com-
posés en l’honneur de la France et à l’occasion de cette Ex-
I position de 1900, par un poète célèbre de Téhéran.
— Et il y en a partout!... C’est très gentil, cela... mais, je
ne pouvais pas deviner, non plus !
I — Maintenant, messieurs, tenez-vous bien à ce que je
vous conduise moi-même à l’intérieur de ce Pavillon?
I — Comment, si nous y tenons ! se récrie le manufactu-
rier retiré.
— C’est que, en dehors de vous apprendre — ce que vous
verrez par vous-même au premier regard — que le Pavillon
I contient un grand salon de réception de 110 mètres carrés
magnifiquement meublé dans l’attente de la venue du sou-
verain, que le reste constitue un immense « bazar » où —
sans préjudice des envois dans les groupes et sections —
80
A TRAVERS L EXPOSITION
sont installés des produits du sol, de l'industrie, et des arts
persans... je ne sais trop ce que je pourrais Inen vous dire,
saut qu'il y a un kiosque à musique...
-A
A, J r'Abf^
Musiciens l■l•;RSA.Ns
— Eli! quoi, vous, si bien documenté?...
— C'est que... voilà!.. Je n'ai pn voir le généi'al Kitabgi-
Khan, Commissaire général du Shah de l*erse. Le jeune
secrétaire du Commissariat, le lils du général, je crois, très
occupé, n’a pas cru pouvoir disposer du temps nécessaire
' 81
L AVENi n; DES nations
!| pour satisfaire autant que je l’eusse désiré la manie curiensc
I d’un vieil amateur d’exotismes tel que moi — ce que je
I comprends très bien, aussi n’ai-je en garde de commettre
’ l'indiscrétion d’insister... Mais cela me prive du plaisir de
i vous initier aux détails de l’intéricnr de ce. très lieau petit
Palais.
— Alors .. Ma foi, il se fait si tard !... Si nous terminions
notre laborieuse après-midi en passant tout de suite au
Pavillon suivant ? On’en dites-vous, Bècbard ?
— Parbleu, c’est évident : d’ailleurs, ma femme meurt de
faim. Nous visiterons l'intérieur un autre jour. Je demande
senlementqiie l'on n'inilige pas à .M""’ Bèchard un jeune tro[)
prolongé.
— Ce serait, en effet, un crime de lèse-galanterie. En
consé([nencc, mesdames et messieurs, veuillez me faire
l'bonneur de venir avec moi jeter un rapide coup d’œil —
le dernier pour aujourd’hui — au Ibivillon du
('[lAPlTRE VI
P K R ou
VENTRE AFFAMÉ n’a POINT d’orEIEEES
Le vieillard, toujours merveilleusement alerte, entraîne à
sa suite, d’un pas rapide, notre groupe do visiteurs vers...
la façade postérieure du Pavillon des Etats-Unis. Pour cola,
il lui fait traverser obliquement l’Avenue des Nations.
\Ime piore, fortement accrochée au bras de son long et sec
époux, gémit entre ses dents :
— Ah ça! où nous conduit-il donc, maintenant?
Verduret, qui, marchant devant le couple Bêchard avec sa
nièce, a entendu le propos, explique ;
— Vous n’avez donc jamais vu travailler un peintre,
chère amie... je veux dire un peintre de tableaux? Il se
recule fréquemment pour juger de l'effet, à distance. Or,
comme ce Pavillon du Pérou est précisément derrière celui
des Etats-Unis, il est évident que notre guide nous conduit
près du second pour que, de là, ayant un peu de champ devant
nous, nous puissions bien d'avoir d’ensemble le premier.
— Comme c’est amusant! Cela allonge le chemin et re-
tarde d’autant le moment où nous pourrons nous mettre
quelque chose sous la dent !
— Voyons, bichette, tu n’as pas fini de te plaindre? C’est
insupportable ! gronde Bêchard, prouvant une fois de plus le
si humain apologue évangélique de la paille aperçue dans
[, AVEM'K DES NATIONS
83
l’œil du prochain par une pupille obstruée d’une poutre
symbolique.
— Tiens, tu es bon, loi ! s’exclame la grosse dame. Ce
n’est pas moi qui me plains, c'est mon estomac!
— Allons, encore un peu de patience, ebere amie, réclame
le manufacturier retiré. Annoncez-lui, à votre estomac, la
toute prochaine satisfaction, à ce révolté, et, à moins qu'il
ne. soit un socialiste irréconciliable, aux appétits irraison-
luibles, il se taira.
— Vous en parlez à votre aise. Vous n'avez pas faim, vous !
— Eh ! eb ! je crois que je ferai honneur au diner ; cette
longue promenade m’a creusé.
— 11 n’y paraît pas... à la rondeur de vos joues. Gras
comme vous l’êtes, vous vous nourrissez de votre propre
substance.
— Allons, bien, s’écrie Bertrande en éclatant de rire, est-
ce que vous prenez mon oncle pour un ours?
— Sans compter, chère amie, riposte Verduret avec une
bonhomie enjouée, que si je ne saurais, en conscience, avoir
la prétention de passer pour un sylphe, de votre coté...
— C’est ça, vous allez peut-être comparer ma taille à la
vôtre !
— .le n’irai pas jusque-là, mais, en fait de sveltesse...
— Mesdames, messieurs, interrompt à temps le vieux ci-
cérone, je vous demande de laisser un moment de côté une
question irritante où la galanterie de M. Verduret lui fait un
devoir d’être battu... et de vouloir bien jeter d’ici un coup
d’œil sur ce très coquet petit Palais péruvien... tout en re-
remarquant qu’il ne nous a fallu que quelques pas pour ac-
courir du cœur de l’Asie jusqu’au lointain Pérou, en fran-
chissant comme en un rêve toute l'Europe, et le vaste Atlan-
tique, pour remonter jusqu’à sa source le plus grand lleuve
monde, le Maranon ou Amazone... Plus même, car enjam-
bant les sommets altiers des Andes, nous voici à Lima, à
9 kilomètres de Callao, port de la capitale républicaine sur
l’immense océan Pacifique.
— Mais, observe Verduret, c’est étonnant comme, avec
moins de majesté dans les lignes et beaucoup plus de dé-
tails d’ornementation, ce Pavillon rappelle, en tant qu’ensem-
ble de style, avec ses tours carrées, ses fenêtres au cintre
LE pavil;
r/f/
PKHOf
81)
A travers l’exposition
casqué de sculptures, celui de l’Espagne que nous avons vu
tout à riieure.
— Vous vous attendiez, je suis sûr, à voir ici, un monu-
ment de l'art indigène d’avant la conquête du pays par Pi-
zarre sur les deux frères ennemis, les Incas lluascar et Ata-
lîualpa, au premier tiers du xvû siècle. Pour vous, la vision
du Pérou n’existe que par le roman sentimental de Mar-
montel ; hors « les Incas, point de Pérou ! »
— Dame! acquiesse Verduret, cet ouvrage a été le livre
de chevet de l’adolescence de notre génération.
— Et plus encore de la mienne, cher monsieur, car c'est
étonnant comme on aimait la mièvre douceur de ce style
précieux au rude temps ou Napoléon le Grand prome-
nait héroïquement par le monde ses aigles victorieuses.
Mais la vérité est que l’architecture indigène n a pas sur-
vécu aux premiers temps de la conquête espagnole. Les en-
vahisseurs du Sud-Amérique étaient animés de deux pas-
sions absolues : l’amour de l’or et 1 asservissement impi-
toyable de ces peuples à un intransigeant catholicisme. Ces
deux passions effrénées amenèrent la prompte destruction
de tous les temples et palais péruviens, pour en arracher l’or
et pour anéantir toute trace de la religion primitive des ado-
rateurs du Soleil. Mais les terribles aventuriers, gorgés d'or,
et disposant de tant de bras esclaves, élevèrent à profusion,
sur les ruines des édifices des Incas, des églises et des pa-
lais qui, depuis plus de quatre siècles, ont transformé, au
point de vue architectural, le Pérou en une seconde Espagne.
Naturellement, le style de cette violente transformation ne
pouvait être que celui de la « Renaissance espagnole », le
même que celui des cathédrales et des alcazars de la mère-
patrie que nous montre le grand et beau Pavillon d'Espagne,
mais encore plus surchargé de détails ornementaux, détails
qui, dans l’esprit des néo-millionnaires, proclamaient le faste
de leur soudaine fortune. C’est exactement de Part hispano-
lusitanien... Mais, mon Dieu, madame, que vous avez donc
l’estomac impatient.
Cette apostrophe s’adresse à M™" Bêchard qui, par des
gestes réitérés^ montre que les plus précis renseignements
sur l’histoire architecturale du Pérou ne saui’aient valoir,
pour elle, la moindre cuillerée de consommé.
l'aveni r des nations
87
Bèchard, à qui ces renseignements importent peu, d’ail-
leurs, ytent très volontiers au secours de son épouse.
— L’architecture, nous la voyons du reste, dit-il. Bi-
chette à raison : parlez-nous du Pavillon. Il me paraît de
dimensions restreintes.
— 2.'i0 mètres carrés sur 320 de la concession. Les 70 mè-
tres restant sont, comme vous le voyez, occupés eu grande
partie par un kiosque affecté à la dégustation des boissons.
— Ah ! ah ! fait M"’*^ Bichette, suhitement intéressée, en
dessinant un mouvement en avant.
— Voyons, lui souffle Verduret à l’oreille, vous ne voulez
pas de nouveau... échantillonner?...
ypiio ji'iore se redresse et, avec une dignité qu’eût pu lui
envier son mari :
— Vous ôtes un impertinent, monsieur Verduret! (Test
mon estomac qui crie et il trouverait peut-être là-dedans
quelque chose pour le faire taire.
— En effet, certifie le centenaire; on y trouve, outre les
vins de là-bas, du café, du chocolat, des liqueurs et des
fruits d'un exotisme garanti, voire même du tabac et de
menus objets de fabrication indigène.
— Oh !• ma foi, je n'y tiens pins, s’écrie l'affamée fari-
nière. Mon « gros », tu vas me payer quelque chose!
— Ça va te couper l’appétit, observe l’économe Bêchard.
— (ja va m'empêcher de défaillir, car je te préviens qu’a-
vant cinq minutes je serai évanouie d’inanition dans tes
bras !
— Merci! il me faudrait te faire voiturer... J’aime encore
mieux y aller d’un chocolat... quoique je sois sûr qu’ils vont
le faire payer « les yeux de la tête ! »
Le couple, la ronde Bichette remorquant rapidement le
long Aristide, se dirige vers le kiosque, où le suivent l’oncle
et la nièce, à qui le vieillard explique tout en marchant:
— Le Pavillon, dessiné avec autant de science que d'art
et de goût par un architecte français de grand talent,
M. Ferdinand Gaillard, est, comme celui de la Grèce, dont
le jeune Bonscastrol a dû vous parler, destiné à survivre à
l’Exposition. Il est, comme lui, armé d’une ossature de fer
boulonnée et démontable, et les murs sont en pierre factice,
dure et résistante, bien plus longue à préparer que le slalT,
EXPOSITION!
TRAVERS
quoique issue du même procédé, mais qui prend beaucoup
plus finement les empreintes les plus délicates du moulage
et leur assure une longue durée en dépit des morsures des
intempéries.
— Et surtout du soleil, car je présume que si l’on a fait
ce palais démontable, c’est pour le transporter (ui Amérique.
Or, le Pérou est peu
éloigné de rE([uateur.
— Le Pavillon frag-
menté sera, en effet,
transporté et réédifié
à Lima. Mais, si je
n’ai pas parlé avant
tout du soleil, c’est
(|ue, quoique Lima
soit au nord du tro-
pique du Capricorne,
c’est-à-dire dans la
zone torride, cette ca-
[) i t a 1 e j 0 U i t d ' n n c 1 i m a t
relativement tempéré
par suite de la coucbe
de nuages qui, pres-
que constamment, y
adoucit la rudesse du
Pbœbus tropical.
— Est-ce que tonte
l’Exposition p é r u -
vienne est réunie ici?
— .!(' le crois, mais je ne suis pas en mesure de l’af-
lirmer.
— Comunnit?
— Pour la même raison (|ni m’a fait si peu prolixe à
l’égard du Pavillon de la Perse', .le n’ai pas eu le plaisir de
pouvoir causeï’ avec M. Torriliio Sanz, l’aimable et très pari-
sien Commissaire général du Pérou. Je n’ai eu l’avantage
de rencontrer, au cours des travaux, que son secrétaire,
M. l’ingénieur des mines Ernésto Diaz, lequel a fait quelque
peu fi de ma sénile curiosité.
— Muni 1 pense Verdiiret, ce n’est pas ce brave llonscastrol
M. TORRIBIO SANZ
CO.MMIÿSAlKK CÊNKKAL PU PKKuP.
’ (Cliché Larger.)
90
A TRAVERS LEXPOSITION
qui se serait ainsi trouvé à court de documentation. 11 en-
tendait joliment bien son rôle de cicerone, celui-là!
11 est à croire que le vieillard lit cette remarque désavan-
tageuse sur le visage de l’oncle de Bertrande, car, en sou-
riant d’un air très drôle, il y répond :
— Je vous avais prévenu que, quelque bonne volonté
que je misse à vous être agréable, je ne remplacerais que
bien imparfaitement mon prédécesseur. Quant à M. Torribio
Sanz, je puis vous dire qu’il a partagé entre Londres et Paris
sa déjà longue carrière diplomatique, qu’il a longtemps ha-
bité notre grand’ville où il est connu et apprécié à sa haute
valeur par toute la société, qu’il parle notre langue avec une
perfection que pourraient lui envier nombre de nos compa-
triotes, et qu’il était un des commissaires du Bazar de la
Charité lors de l’effroyable incendie qui a fait tant de nobles
et même illustres victimes. 11 s’est montré, dans cette hor-
rible catastrophe, d’un sang-froid et d’un courage au-dessus
de tout éloge, et bien gagnée est la médaille de sauvetage
qui lui a été décernée en cette circonstance pour son intré-
pidité à secourir au milieu des flammes tant de femmes géné-
reuses dont beaucoup ont payé de leur vie leur dévouement
aux œuvres de la sainte Charité. Pour ce qui est des
objets contenus dans le Pavillon où je n’ai pas encore eu le
loisir de pénétrer depuis la récente ouverture de l’Expo-
sition, je serai un visiteur au même titre que vous-mêmes;
mais je sais déjà qu’il y a à y remarquer les collections
minéralogiques, au premier rang desquelles les échantillons
des mines d’argent et d’or.
— 11 y en a donc encore ? Je croyais qu’il fallait aller au
Transvaal ou au Klondyke pour... trouver le Pérou?
— 11 est toujours chez lui, croyez-le bien, et voilà que ses
mines d’argent principalement commencent à reprendre une
activité qui pourrait bien faire retrouver au pays sa vieille
réputation — celle du temps où les mines inondaient à ce
point l’Espagne, que le comte d’Albuquerque, trouvant qu’il
avait vraiment assez de quatorze cents douzaines d’assiettes
et de douze cents plats, fit faire en argent son mobilier,
les échelles de service de son bufl'et géant; de ce temps
invraisemblable où nombre de senores caballeros ne plan-
taient plus à leurs seuils orangers ou jasmins que dans des
l’avenue des nations
91
bacs d’argent massif. Je me suis aussi laissé dire que les
spécialistes s’émerveillent, en ce Pavillon du Pérou, à la
vue de matières premières telles que : laines de vigogne et
d’alpaga, bois d’ébénisterie ; des textiles comme le coton,
le lin, le chanvre ; des plantes pharmaceutiques telles que
le quinquina, l’aloès; et des gommes, et des résines, etc...
Enfin, nous allons jeter un coup d’œil à tout cela; voici
que M. et M"'® Bècbard sortent du kiosque... sans même
daigner jeter un regard aux éclatants échantillons rares de
la tlore péruvienne gracieusement disposés derrière l’élé-
gante balustrade qui relie ce kiosque au Pavillon...
Les deux époux rejoignent, en elfet, leurs compagnons.
iM"'« Flore est pâle — autant du moins, qu’elle peut l’être —
de colèi-e et de... fringale inassouvie.
— C’est révoltant! s’écrie-t-elle. Un monde fou de gens
qui n ont pas faim et qui empêchent les vrais affamés de se
taire servir!.. Aristide a pu tout juste m’attraper un fruit...
mais ça n’a ni goût ni vertu : c’est de l’eau !
— Délicieuse sous le chaud climat pour lequel la nature
l’a créé. Voyez-vous, chère madame, il ne faut déguster la
pastèque quesousles tropiques, comme en Espagne l’orange,
et la pomme... en Normandie. Pourtant, je pense que ce jus
végétal aura assez calmé vos inquiétudes stomacales pour
nous permettre une rapide excursion parmi les salles de ce
Pavillon...
— Encore attendre pour aller dîner?... Ah! jamais, par
exemple! Est-ce que vous croyez que je pourrais rien voir
ou même entendre un seul mot de ce que vous nous diriez,
quand j’ai tout l’intérieur qui hurle famine ?... Vite, à table,
ou je mange quelqu’un!
— Alors, la visite du Pavillon du Pérou?... fait Ver-
dure t.
— Une autre fois : j’ai trop faim !
— Ce serait un crime de prolonger les angoisses de
madame, intervient le vieillard. Je me mets à votre disposi-
tion pour terminer cette promenade à travers les Pavillons
étrangers... Demain, à une heure, voulez-vous? car, fatigués
comme vous devez l’être, je pense que vous ferez grasse
matinée.
92
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Vous Ôtes vraiment trop aimable... Nous craignons
(l'abuser...
— Nullement, monsieur Yerduret. Voyons, que vous
reste-t-il à voir ici? Le Portugal et le Danemark...
— Et puis l'Angleterre... et Monaco, que M. Bouscastrol
nous a t'ait « brûler ».
— Nous verrons d'abord ces Pavillons particulièrement
intéressants. Et puis, je tâcherai de vous trouver un guide
expert pour vous montrer et vous expliquer les très curieux
moyens de transport dans l’Exposition ; chemin de fer élec-
trique, plate-forme roulante, etc... A moins que...
— A moins que ?
— Je no vous procure une distraction pour agrémenter
votre voyage d'exploration expositiouniste.
— Peut-on savoir?
— Demain... Cela vous sera ainsi une surprise.
— Bon... C'est cela... à demain! interrompt Elore.
Elle ajonle aussitôt :
— Dii est le l'estaurant le plus près?
— Vous n'avez que l’embarras du choix entre les sous-sols
gastronomiques de ces Pavillons des Puissances étran-
gères.
— Pour que nous soyons écorchés dans toutes les
langues, n’est-ce {)as ? réclame Bêchard. Non, non, pas
(le ça !
— Alors, il faut que vous gagniez l'autre bord de la Seine
où, de chaque côté de la joyeuse « Bue de Paris », vous
trouverez jusqu’à cinq restaurants à prix moyens.
— Mais, c'est au bout du monde ! se récrie notre affamée.
— Non ; vous n'avez qu'à traverser la Seine sur la passe-
relle du pont des Invalides.
— Mon Dieu! C’est moi qui serai invalide... ou défunte
avant d'arriver!
— 11 n’y a pas moyen de prendre au court?
— Dame ! à moins de traverser la Seine en bateau...
— En bateau!... Jamais de la vie! s’écrie Bêchard en
frémissant au souvenir de la (( gondole enchantée».
Le farinier saisit sa femme par le bras et l’entraîne rapi-
dement dans la direction... des prix moyens.
L AVIOMIE DES iN AT ION S
93
Ail moment où Bcrlrande preml à son lonr le bras de son
oncle pour marcher sur les iraces du couple Bèchard, elle
voit se dresser soudain à côté d’elle la rougeaude silhouette
de l’uzzling. D’un signe de télé, elle l'invite à l’accom-
pagner.
— se dit le détective, il y a du neuf, proberl/j... Je
avé bien fait dé engager ce petite miss.
Sans s inquiéter du centenaire qui s'éloigne après lui avoir
lancé, à travers ses énormes hineltes, un iiei'çant e.t énig-
matiijue regard, notre .\nglais emhoite résolument le pas au
couple Venlurel-Berti'ande. . . qui allonge les siens pour
rejoindre le couple Bèchard.
Le prochain volume aura pour lilre :
l'L\ \Æ l'BOMKAADl' AU (jUAI D'OBSAY
LA l'LATE-FüB.MI' BOULANTE
cl comprendra :
I.es t’avillon.s du Portugal.
— Danemark.
— Grande-Bretagne.
— Monaco,
l.e riiemin de fer électrique.
La Plate-forme roulante.
Les Llévateurs et autres moyens de trans})ort dans l'L.'ijjOsition.
Ues dessins el une Lithographie hors texte compléteront
ce fascicule, qui terminera les Puissances étrangères au quai
d’Orsay.
TABLE DES CHAPITRES
Pages
Chapitre P"'. — L\ chasse au i'Iiüdice 5
§ I. Un pari 5
§ II. Le siècle (jiii marche 10
Chapitre II. — Rou.manie
§ I. Bertrande conférencière 20
§ II. Les marches géantes ÜO
Chapitre III. — Bulgarie -13
§ 1. Boulgres parisiens 43
§ IL La Bulgarie « parfum du monde » 55
Chapitre IV. — Finlande 62
§ I. Le mur du centenaire 62
§ II. .Autour d'un aérolitho 66
Chapitre V. — Perse 72
La Medresseh maderichah 72
Chapitre VI. — Perdu 82
Ventre affamé n’a point d’oreilles 82
Paris. — lmp. MICHELS et Fils, 6, 8 et lo, rue d’Alexandrie.
A TRAVERS
L’EXPOSITION DE 1900
XII
PROMENADE AU QUAI D'ORSAY
EN VENTE ;
1. L'Exposition à vol d’oiseau • 1 vol. illustré » 60
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais . — » 60
III. Le Grand Palais
IV. Le Vieux Paris ~
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris — ”
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques ~ ®
MI. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau • • — ” '^0
Mil. Les Pavillons des Puissances étrangères. — » 60
IX. Les Palais des Hôtes de la France. ... — » 60
X. La Rue des Puissances au Quai d’Orsay. ” 60
XI. L’Avenue des Nations “ “66
" PORTUGAL
Mtv: DAHEIVIARK
GRANDE-BRETAGNE
PRINCIPAUTE de IHONACO
chapitkp: premier
P O K T' l: g a l
§ p^
ÉCLECTISME
Eu traversant le pont des Invalides, Verduret tire sa
montre et, se tournant vers M. et M""' Bêchard, qui suivent
consciencieusement le couple formé par l’oncle et la nièce, il
annonce :
— Une heure moins cinq !... Et la porte donnant accès à
la Rue des Nations n’est plus qu’à quelques pas !... U’csl ce
qui s’appelle être d’une e.xactitmle toute militaire !
6
A TRAVERS L EXPOSITION
— Parbleu, nous pouvons bien être en avance, après
toute cette matinée perdue... par obéissance aux ordres de
ce vieux bonhomme...
— Dont l’avis de ne reprendre le cours de nos visites
que cet après-midi fut, avouez-le, plein de sagesse. Pour
ma part, j’étais, hier soir, brisé de fatigue.
— Moi, je ne l’étais pas!
— Mais votre femme l'était, et Bertrande même était
lasse, en dépit de la vigueur de ses vingt ans. D’ailleurs,
vous ne vous êtes pas fait prier pour aller tôt et rester tard
au lit, tout comme nous.
— Tiens, il fallait bien, puisque c’était dans votre pro-
gramme !
— Ab ! tenez, Bècbard, ne bougonnez donc pas toujours
ainsi à propos de tout et de rien ; cela finit par me mettre
en colère, malgré toute ma placide, philosophie... Je
sais bien, au fond, ce qu’il faut prendre et laisser —
surtout laisser — de vos continuelles boutades. Qui vous
connaîtrait moins vous jugerait, ma parole d’honneur, un
ingrat à l’égard de nos précieux cicerones... ce que vous
n’ètes pas le moins du monde.
— Qu’en savez-vous ?
— Pardieu! voilà le cri que j'attendais! Et qu’elle est
bien française cette fausse honte des vrais bons sentiments,
que l’on cache sous le masque superficiel d’une manie que
l’on possède ou d’un vice que l’on n’a pas ! Vous, Bôchard,
qui avez, comme ces « vieux de la vieille », la petite ma-
ladie de trouver à redire à tout, vous seriez désolé qu’on
vous surprît dans un élan d’admiration vraie, d’approbation
ou de satisfaction sincère. Quand une émotion vous vient,
vous forcez la note de votre humeur... ronchonneuse, comme
ces vieux héros de la garde qui, après s’être indignés d’avoir
été laissés en réserve, grognaient encore que le « Tondu
voulait les faire hacher pour se débarrasser d’eux », lorsque
le « Petit Caporal » leur causait la joie sans pareille de les
lancer, terribles, en pleine fournaise. Allez, mon cher,
soyez tant que vous voudrez un fanfaron de dénigrement et
de méchante humeur, comme tant de nos compatriotes sont,
à Paris surtout, d’invétérés fanfarons des vices coquets et
bien portés : cela vaut diantrement mieux que l’hypocrisie
PR0MENAD1-; AU ULAl D ORSAA"
7
y en honneur chez d’autres qui se prétendent les plus ver-
.1 tueux de la terre et qui...
— üood day ! interrompt une voix rude.
C'est, devant nos expositionnistes débouchant du pont sur
il le quai d’Orsay, James-Gregory Puzzling, qui, disparu
1: depuis la veille, les salue... de la voix seulement, bien
y; entendu.
— Du diable, si je m’attendais à vous revoir! lui dit fraî-
■i chement Verduret à qui rien n’est déscigreable comme de se
/: voir couper une période qu’il se datte de croire bien pensée
■i| et excellemment dite.
I — Aôh! ils revoyaient môa tôjours, quand le momenhil
'i été véniou.
Clignant de l'œil à l’adresse de Bertrande, le détective
fi ajoute;
; — Jé avé travaillé very bien dans le dernier nouit. Si
1 tout le monde il travaillé aussi very well, jé été contente,
J tout à faite !
— Ah bah !... Vous avez des occupations nocturnes, à
1 Paris ? goguenarde le manufacturier retiré.
— ïes ! mister Verdiourette, et je croyais nôs ils allé idre
J très biaucoup... bienlot !
— Rire, vous?... Pas possible ! Si vous vous livrez à des
r occupations aussi gaies que vous le dites, il faut avouer que
V vous cachez bigrement bien votre jeu !
— )"es I ]é été fort sur le cacbe-cache.
— Vite, mon oncle, donnez les tickets, nous voici au
ï tourniquet... Et, tenez, voici notre « siècle » qui nous
I? attend.
La frontière de l’Exposition franchie, nos provinciaux
'/ voient, en etfet, venir à eux le centenaire, son vaste et
'/ vénérable chapeau à la main.
— Ah ! dit le vieillard, tous mes compliments. Vous êtes
1.1 d’une exactitude dont je ne saurais trop féliciter ces...
1' dames.
— Fi, monsieur, s’écrie joyeusement Bertrande, c’est là
I une pierre dans notre jtirdin.
8
A TRAVERS l'eXPOSITION
— Pouvez-vous supposer?
— Oui, oui. On prétend que les dames mettent toujours
les messieurs en retard.
— Quelle calomnie, quand, au contraire, ce sont elles
qui... les font marcher! .Mais, je suis sûr que M. Béchard
nous en voudrait de nous immobiliser près de ce seuil,
alors que le Portug'al nous réclame... Si vous voulez me
faire l’honneur de me suivre...
Sur un acquiescement muet et très arrondi de Verduret,
notre groupe de visiteurs s'avance sur les traces du cente-
naire.
Après avoir longé, à droite, le Pavillon de Pltalie et, à
gauche, la légère et pittoresque construction jetée à la der-
nière heure sur le quai d’Orsay par le royaume de Dane-
mark, le dit groupe, sur un geste de son guide, s'arrête
devant le bâtiment léger, aux lignes droites et sobres, mais
non inélégantes, qui fait l’objet de sa première visite en
ce début de sa cinquième journée d’Exposition.
Verduret ne peut s'empêcher de comparer l'absence d'or-
nementation de ces murs nus — faits do gâteaux de plâtre
préparé un peu à la façon du stalT et appelé fihro, et fixés
sur une charpente de bois — au luxe exagéré do statues et
de sculptures qui surcharge le vaste Palais italien d'en
face. Mais il garde son observation pour lui, prudemment
désireux d’étayer ses opinions sur celles dii vieux cicé-
rone.
Celui-ci, dont l'œil s'est mis soudain à briller, narquois
et sceptique, derrière l'écran presque impénétrable de ses
grosses lunettes, fait entendre une petite toux discrète qui
réclame l’attention, et commence en ces termes :
— Devant ce Pavillon portugais... du quai d'Orsay — car
le Portugal en a un autre, d’intérêt supérieur, dans le
Groupe colonial du Trocadéro — devant ce Pavillon, mes-
dames et messieurs, je me sens, en tant que Français, en-
vahir par un sentiment... mélancolique.
— 11 est pourtant d’aspect plutôt gai, dans son extrême
simplicité, ce Pavillon?
— Oui, monsieur Vei'durct.
10
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Il paraît petit et Ims, en comparaison de ses grands
voisins de l’antre coté do la rue.
— 11 n’est pas si petit qu’il en a l’air, monsieur Bèchard,
puisqu’il couvre doO mètres carrés de superficie. Quant à
la hauteur, elle n’atteint, il est vrai, que 10 mètres.
— C’est modeste !
— Tout le Pavillon est élégamment modeste. Le budget,
également modeste du Portugal, ne permettait pas des
dépenses somptuaires.
— Et c’est là ce qui vous rend mélancolique?
— Non, monsieur Verduret... car ma mélancolie vient
de ce que, comme Français, j’éprouve comme un peu d’hu-,
miliation et quelque chose comme un vague regret... en-
vieux.
— C’est une énigme que vous nous posez là ! Ce n’est
pas l’architecture du Pavillon qui vous cause ce senti-
ment ?
— Non, monsieur Verduret. L’auteur du projet, M. Ven-
tura Terra, architecte portugais qui a fait scs études à Paris,
n’a pas eu un seul instant l’intention, comme vous vous en
rendez compte à première vue, de donner ici un spécimen de
l’architecture nationale, ainsi que l’ont fait les autres Puis-
sances. Ce petit palais d’exposition — élevé par M. Monteiro,
l’éminent architecte de Lisbonne, oii il a construit la si
coquette » gare centrale » et le grand hôtel de la Compagnie
des Wagons-Lits dénommé « Avenne Palace », et de qui le
second est M. Soarès, élève de notre Ecole des Beaux-Arts
— est une pure fantaisie d’artiste. Si l’on voulait y voir un
style, cela se rapprocherait plutôt de celui qui préside à
l’édilication de nombre de bâtiments européens en Extreme-
( trient.
— C’est vrai : il y a, dans l’ornementation et dans cer-
taines lignes, comme de vagues réminiscences sino-japo-
naises... Mais, on ce cas, d’on vient la sensation singulière
que ce Pavillon vous procure?
— Eh ! oui, dites, à la fin ! Nous ne sommes pas des
enfants ou des femmes pour nous amuser aux propos in-
lerrominis.
— Allons, no vous fâchez pas, monsieur Bèchard. Ce
n’est pas en considérant ce Pavillon si simple que je sens
PRO.MKKADE AU QUAI D ORSAY
U
une soi'tc (riunuiliation patriotique; c'est en songeant à la
hante illustration des représentants ici du Portugal que je
trouve que, vraiment, la France moderne manque, compa-
rativement, de... panache.
— Ah ! ah ! ricane le politicien farinier, vous êtes encore
un réactionnaire, vous !
— Eh ! bon Dieu ! cher monsieur, de quelle réaclion vou-
driez-vous que je pusse être partisan, apres avoir vécu sous
tant de régimes did'érents ? Puis-je souhaiter la restauration
du Directoire qui m’a vu naître? Ah! il avait du goût pour
la parade, les superbes chapeaux emplumés et les glaives
romains ; les cérémonies n’y manquaient pas d'apparat,
lorsqu’il accueillait un général victorieux et distribuait des
armes d’honneur, aux applaudissements de beautés fémi-
nines au costume presque mythologique et... tout à fait
indiscret. Mais il faut croire que ce régime avait quelques
torts, puisque le pays entier cria de bonheur lorsque Bona-
parte le fit jeter dehors par ses grenadiers. — Est-ce la res-
tauration du Consulat, période superbe d’organisation au
dedans et de triomphes au delà de nos frontières, ère
brillante où la petite cour du Premier Consul savait riva-
liser de jeune éclat avec de vieilles royautés étrangères. 11
paraît pourtant que le Consulat n’était pas le rêve du pays,
puisque celui-ci acclama frénétiquement l’empereur Napo-
léon lorsqu’il prit la place du Premier Cousul Bonaparte. —
Est-ce la restauration du Grand Empire, légende unique île
gloire et de faste, d’enthousiasme guerrier où, entre deux
conquêtes, les demi-dieux de la Guerre, pressés autour du
maître de l’Europe, faisaient pâlir les lustres des Tuileries
moins encore sous l’éclat fauve de leurs chamarrures d’or
et de l’or de leurs épées que sous le rayonnement de leurs
victoires. 11 faut croire, néanmoins, que le régime de l’Epopée
sublime n’engendra qu’une fièvre de gloire momentanée,
puisque la partie lasse du pays accueillit avec une déférence
empressée l’ancienne royauté ramenée par une Europe qui
avait les meilleurs motifs du monde de ne pas chérir Père
impériale. — Est-ce la restauration du Drapeau blanc, sou-
venir des gloires séculaires de la vieille Monarchie française,
royauté des frères du Roi-Martyr dont la cour fut — autant
que le permettaient la virgule d’émancipation de 1789, ponc-
12
A TRAVERS l'eXPOSITION
tuant l'histoire, ainsi que le trait rouge de 1793, et sur-
tout la fière promenade des trois couleurs à travers l'Europe
— fut, dis-je, une réédition de la suprématie aristocratique
des siècles échus avec ses hautes élégances? 11 est à pré-
sumer que cette Restauration n’avait pas satisfait l’idéal
national, puisque ceux mêmes qui s’élaient tant hâtés d’ar-
borer la cocarde blanche tirent une révolution pour recon-
quérir le drapeau tricolore. ■ — Est-ce la restauration de la
Monarchie constitutionnelle de Juillet? Ce fut une période
de calme semée de troubles intérieurs, qui ne fut pas sans
quelque éclat militaire puisque nous lui devons l’Algérie,
une ère particulière de gloire pour la tribune et la littéra-
ture, un régime qui, quoiqu’on le qualifiât de « royauté
bourgeoise », ne s’auréola pas moins du prestige inhérent à
une cour entourant une couronne... Il faut admettre cepen-
dant que cette royauté tricolore et mitigée de parlementa-
risme ne satisfît pas encore le pays, puisqu’il s’olTrît le
plaisir d’une troisième révolution pour fonder la deuxième
llépublique. — Est-ce la restauration d’une République tonte
vibrante de généreux sentiments et pavée d’excellentes
intentions comme celle de 1(S48? Ce fut, avec, pour prési-
dents, un général, puis un prince du sang du Grand Empereur,
un entr'acte d'une quarantaine de mois qui ne manqua pas
d’un certain éclat et qui eut — comme il arrive toujours des
grands mouvements de l'àme française — sa répercussion
dans le monde entier. 11 faut, encore une fois, supposer que
cette forme républicaine n’était pas la cristallisation délini-
tive du rêve du pays, puisque l’immense majorité de la
nation approuva hautement Napoléon III de s’être assis dans
le fauteuil du prince-président, siège transformé pour la cir-
constance en second trône impérial. — Est-ce la restauration
de ce Second Empire? Mon Dieu, messieurs, nous touchons
là au dernier régime déchu, de la chute duquel vit encore la
République actuelle, car il est visible qu’en France un
régime ne vit que de son opposition avec celui qui l’a
immédiatement précédé et que, lorsque l’image du premier
s’est assez estompée sous le brouillard des temps pour que
cette opposition ne soit plus nettement sentie par tous, le
second est bien près de s’évanouir dans un nouveau sonfUe
populaire. Vous n’êtes plus des jeunes gens et vous pouvez
PRnMKNADI-: Ai: nCAl d orsav
— Oh ! oh ! reginiho, Bèchard.
— Je ne .parle pas poliLique, cher monsieur, mais histoire
froide et impartiale. Que diable, si vos affaires allaient mal
et qu'un successeur ayant acquis votre moulin, ait fait
faillite, alors que vous eussiez pu, vous, éviter prohahle-
ment la catastrophe, le failli serait lui, et non vous!
— C’est évident. Miiis...
avoir conservé, adoucies mais encore existantes, des opi-
nions trentenaires que, quel que soit leur sens, je ne vou-
drais pas froisser. Cette reculée de trente ans permet pour-
tant d’apprécier, en même temps que les fautes, la prospérité
et l’exceptionnel éclat de ce second Empire, qui nous a
acquis la Savoie et Nice et qui, s’il n’eùt été renversé devant
l’ennemi, nous eût, dans la défaite, préservé, non do l’humi-
liation, mais de la perte materielle des [)rovinccs de l'Est.
l.»KrOIIAT10N DU KAiTE DU Pw'lI.I.O.V DU l’OHI'LIlAI..
14
A TRAVERS l'eXPOSITION : 1
— Mais... laisse/-moi fermer ma trop longue parenthèse.
Aussi bien, l'interruption de l'honorable M. Bèchard, en
m'amenant à faire défiler devant vous une série d’instan-
tanés gouvernementaux du siècle, ne m’a pas trop fait
sortir de mon rôle, puisque cette Exposition est justement
celle du xix® siècle.
— Vous avez beaucoup parlé, mais vous ne m’avez pas
répondu.
— Est-il donc besoin que je formule une conclusion?
Soit. Comment voulez-vous qu’apres avoir été témoin de
tant de formes de gouvernement qui, toutes, ont cessé de
plaire, je puisse souhaiter plus particulièrement le retour
d aucune d’elles ? Je sais que si je m’employais — et quelle
folie ce serait à mon âge auquel convient si bien le rôle de
sceptique spectateur — ■ à ramener une royauté pacifique ou
guerrière, ou bien un empire militaire ou ami de la paix,
ce ne serait que pour le nombre d'années nécessaire à l’ac-
tion française dans le monde et que, ce temps échu, le sys-
tème à la résurrection ou à l’invention duquel j’aurais col-
laboré se verrait remplacé par son contraire, parce que la
nécessité de ce contraire serait venue.
— Alors, ricane aigrement Bèchard, vous n’avez pas
d'opinion politique ?
— Si lait, et la voici ; pour moi qui en ai vu tant naître,
triompher, péricliter et mourir, les différents régimes ne
sont que des étiquettes correspondant à chaque état d’àme
de la Nation française selon l'étape qu’elle fournit parmi
les groupements humains, dans sa destinée providentielle.
La France, qu'on le veuille ou non, est le grand creuset de
l’humanité ; c’est en elle, de par une loi supérieure indé-
pendante de sa propre volonté, que s’élaborent les combi-
naisons de transcendante chimie morale de l’espèce; elles
jaillissent ensuite de son foyer pour s’épandre sur l’Univers
terrestre. Ce rôle, dont elle peut tirer quelque fierté, mais
dont elle aurait tort de concevoir de l'orgueil puisqu’il lui
est assigne par un insondable décret du Grand Tout, l’oblige
à des sursauts historiques qui ne sauraient rimer avec un
paisible bonheur. Si la liqueur douloureusement combinée
dans les brûlantes tortures du creuset est de celles qu’un
implacable destin veut voir répandue de foi'ce sur l'buma-
PROMEAADK AF QI Al d’oRSAV
15
ni té, la l" rance arbore rétiquclte guerrière d’nne royauté
conquérante ou d’un empire militaire et, an prix de son
sang’ répandu pour 1 Idée, accomplit sa mission. Sa tâche
remplie, elle change l’étiquette rouge en une étiquette grise
et, dans le recueillement, se refait pour se préparer au
nouvel ellort que. la destinée lui imposera... Mais j’estime
que, même grise, l’étiquette doit être belle et briller,
(|uund ce n est pas par la teinte du fond, au moins par
l’éclat des enluminures. Un peuple instrument généreux de
grandes œuvres comme le nôtre, un peuple dévoué à l'Idée,
incapable de s’armer pour de mesquins intérêts, un peuple
qui a toujours donné son sang pour l'opprimé et pour les
belles causes, mais ne l’a jamais vendu, ce peuple a le droit
de voir marcher à sa tête, sous les plis de son drapeau, le
faste et les panaches qu’il aime, étant de race gallo-latine et
élevé dans ce pompeux culte catholique, si brillant aux yeux
et si chaud au cœur !...
« Messieurs, j’ai trop vécu pour que le régime politique
dont s étiquette temporairement la Patrie française no
me soit pas indillérent; mais je proclame que ce régime,
quel qu’il soit, puisqu’il représente momentanément la
France, a le devoir de ne pas découronner la tête réelle
ou apparente de la Nation de l’éclat somptuaire que veut
son tempérament ennemi d’austérités souvent hypocrites,
et que lui mérite son glorieux et noble passé. Un gou-
vernement de France doit toujours montrer au monde
des hommes dont le pays soit lier et les montrer dans un
apparat qui rayonne leur gloire, qui est celle de tous.
Quand je plonge mon regard jusqu’au fond de ce siècle que
j’ai vécu, je vois que pas un seul des l'égimes déchus n'avait
lailli à ce devoir de légitime llatterie envers le goût popu-
laire. Seul, le présent décalque de la monarchie constitu-
tionnelle — sans roi et sans cour — qui règne sous le nom
de Troisième République, prive le pays de l'étiquette écla-
tante, du panache qui lui est cher. C'est surtout loi'sque,
comme ici, la France traite le Monde, que cette prétendue
austérité ■ — qui n'est faite que de la frayeur que la mé-
diocrité collective éprouve des personnalités de génie —
jette dans la fête comme une ombre quelque peu humi-
liante... et voilà pourquoi je disais éprouver, en tant que
A TRAVERS e’EXPOSITION
IG
Français, devant ce tout modeste Pavillon portugais, une
sorte de vague mélancolie... »
— Mais... pourquoi devant ce Pavillon du Portugal plutôt
que devant tout autre ?
— Parce quici, la comparaison décevante est plus
sensible qu’ailleurs.
Voilà le Portugal,
un petit pays combien
déchu de son an-
cienne fortune eP de
sa puissance passée ;
un petit peuple frère
de race du nôtre, à
qui — plus heureux
en cela que sa sœur
et voisine si éprouvée,
l'Espagne — l’Anglo-
Saxon permet encore
de posséder quelques
colonies, à condition
d'incliner sa vaillante
pauvreté devant les
richesses et les navires
d’Albion; voilà, dis-je,
ce petit peuple que le
comte français Henri
de Bourgogne a créé
comme Puissance, ce peuple, ardent mais faible, qui nous
envoie, pour une simple fête internationale du travail, des
représentants devant lesquels nos grands hommes politiques
du jour font assez déplorable figure.
— Ah ! oui, du panache ! ironise lourdement Bèchard.
— Oui, du panache, du vrai, de celui que chez nous on
fait tout pour éteindre et que, là-bas, on place on vedette
dans l’éclatante lumière qui lui est due. Ah ! ce noble petit
Portugal, dont le roi Carlos a posé la couronne sur le front
charmant d’une fille de France, à la grâce si royale et sym-
pathique, avec quel tact amical il a délégué à notre Exposi-
tion ses illustrations les plus françaises!
— Comment cela ?
s'. E. LE CONSEILLER RESS.\.NO GARCIA
PHÉSIPENT
PF. LA COMMISSION PORTFCiAISE.
PROMKNADIi AL' (Jl AI d’oRSAV
17
— Jugez-en vous-même. Qui le gouvernement de Lis-
bonne a-t-il désigné pour présider la Commission portu-
gaise?
— Ln personnage do haut mérite, sans doute?
— Tout simplement un de ses plus éminents hommes
d’Etat, cher monsieur
Verduret, c’est-à-dire
S. E. le Conseiller
Idessano Garcia, le seul
Portugais qui fasse
partie de notre Corps,
si hautement re-
nommé, des ingé-
nieurs des ponts et
chaussées.
— Ah hall ! un Por-
tugais ingénieur fran-
çais'i»
— Et qui voulut, de
plus, être un défenseur
de la France. En sor-
tant de l’Ecole poly-
technique de Lis-
bonne, il entra, en
1865, à notre Ecole
des ponts et chaus-
sées, où il conquit
brillamment le diplôme d'ingénienr. Uesté en France pour
étudier sur place les travaux de notre génie civil, il était à
Paris lorsque les Allemands investirent la capitale. Aussitôt,
il s’engage dans ce bataillon do garde nationale mobilisée
de la Hue (leu Ecoles, qui s’est tant distingué par sa bravoure
en plusieurs combats. Pendant la Commune, il ne doit qu’à
son énergique sang-froid de n’ètre pas « collé au mur » pour
intrépide refus de travailler aux barricades. C’est mûri par
ces rudes épreuves qu'il rentre à Lisbonne où il devient
successivement — toujours premier dans les concours —
professeur à l'Institut industriel et commercial eu 1872, di-
recteur général des travaux de la Ville en 1874 et professeur
à l’Ecole militaire en 1879. L’année suivante il est élu député
M. LE VU'O.MTE AUGUSTO DE PARIA
COMMISSAIRE GÉNÉRAL DU rORTCGAL.
18
A TRAVERS l'eXPOSITION
de la capitale et sénateur en 1886. 11 est ministre de la marine
en 1889 et, en 1897, opère de si habiles réformes, comme mi-
nistre des Finances, qu’il enthousiasme tout le Portugal d'ad-
miration et de reconnaissance. Orateur de premier ordre dans
le Parlement, son incroyable activité lui a permis d’être la pro-
vidence des diverses compagnies industrielles qui ont appelé
à leur aide ses merveilleux talents d’administrateur et de
technicien : tour à tour directeur délégué de la Compagnie
générale des eaux de Lisbonne, dont sous sa direction les
actions ont triplé de valeur, administrateur de la Compagnie
générale des tabacs, ingénieur-conseil de la Compagnie des
allnraettes de la capitale portugaise — qu’il est encore ac-
tuellement — la présence de cet adroit, de ce sa vant et de ce
laborieux à la tète d’une industrie a toujours été le gage d’un
éclatant succès. Inutile d’ajouter, n’est-ce pas'? qu’il est
Grand Cordon de nombre d’ordres, et il est à peine besoin
d’indiquer que les principales Sociétés scientifiques — et
aussi littéraires — de son pays ont tenu à honneur de l’avoir
pour président...
• — Le fait est que voilà nn homme de bien haute valeur
intellectuelle et de tout exceptionnel mérite... Et c’est lui
qui a été chargé d’organiser l’Exposition portugaise?
— En Portugal, oui, monsieur Verduret. Pour faire con-
naissance avec l’organisateur à Paris de l’Exposition lusita-
nienne, passons à M. le Commissaire général, El Vizeonde
Augnsto de Faria, une des sommités du monde diplomatique,
je ne dis pas portugais, mais européen.
— Oh! proteste Bêchard, c’est donner une bien grande
importance à un Etat tel que le Portugal !
— Mon cher monsieur, une nation qui a joué un si grand
rôle dans l’univers; qui compte parmi ses fils des B. Diaz,
des Yasco de Gama, des Cabrol, un conquérant comme d’Al-
Imqnerque; qui fut rivale de l’Espagne au temps où celle-ci
fut si puissante; qui regorgea de richesses et s’éleva au rang
de puissance maritime de premier ordre; à qui ses hardis na-
vigateurs, les célèbres découvreurs de terres inconnues, don-
nèrent d’immenses possessions en Asie et en Afrique; qui
étendit jadis sa domination sur les plus belles contrées de
l'Amérique du Sud, notamment sur le grand Empire brési-
lien, contrées qui, pour être détachées de la métropole, n en
PROMEiNADE AU QEAI D ORSAV
19
jl conserveront pas moins sa marque pendant des siècles; une
)| telle nalion, dis-je, parce que la destinée a réduit son vaste
} domaine et sa fortune, ne cesse pas de ce fait de compter en
li honorable place dans le Concert européen. Son grand passé
li dit trop sa valeur pour que, amoindrie, la diplomatie uni-
ij versclle la considère comme déchue. Quoi qu'on ait dit des
Il races latines — dont un courant do. snobisme s’est plu à af-
lirmer l’irrémédiable décadence et à annoncer la fin fatale
— il y a trop de ressort en elles pour que les esprits clair-
I voyants n'envisagent pas la possibilité de quelque fier et
soudain relèvement... Mais je m’égare et me hâte de revenir
' à M. le vicomte de Paria. Né, en 1898, à Marseille...
! — Comment?... Mais, alors, il est français!
— Non. Partout, un consulat étranger est terre étrangère,
I et le père de M. de Paria représentait l’état lusitanien en
; notre grand port de commerce méditerranéen.
— Une famille de diplomates, à ce que je vois.
I — De père en (ils, monsieur Verdure!. Augusto de Paria,
'! qui compte parmi ses ancêtres plusieurs illustres marins de
la grande époque navale et glorieuse du Portugal, fit ses
|| études premières à Copenhague, entra en 1849 à l’Ecole
polytechnique de Lisbonne, passa par les ministères de la
yiarine, du Commerce et des Travaux publics, où il montra
! l’énergique initiative à laquelle le Portugal doit la réforme
de son service postal et l’adoption du système métrique. A
cette période de sa jeunesse remonte un glorieux fait d’ar-
j mes qui lui valut la croix de La Tour et de l’Epée, l’ordre
de chevalerie le plus envié et le plus difficilement accordé
j de tous les ordres portugais. C’était en 1857, lors do la
ji guerre civile qui faillit mettre en péril la couronne de la
il Maison de Bragancc. Officier dans un des bataillons de
ij mobiles organisés l’année précédente, il fut chargé de
|! défendre contre les rebelles l'immense château-citadelle de
II Saint-Georges, bâti au sommet d’une des collines de Lis-
j; bonne, et où se trouvaient de nombreux prisonniers et de
vastes magasins d’approvisionnement. 11 déploya tant de
;| valeur et de savoir guerrier, qu’à la tète de ses soldats im-
I' provisés il résista victorieusement à tous les assauts. Puis il
Il embrassa la carrière consulaire, qui est de tradition dans sa
1' famille. Après avoir débuté à Stockholm, il alla occuper le
20
A TRAVERS l’eXPOSITION
Consulat général de Maranhao (Brésil) on, à force de dignité,
de fermeté et d’énergie, il obtint une réparation éclatante
pour une insulte faite au drapeau portugais au cours d’une
émeute. Chargé d’affaires à La Plata, Consul général à
Paris et premier secrétaire de la Légation; Consul général
de P'^' classe au Havre, puis en Angleterre, partout il rendit
de hauts services à son pays et, par sa bienveillance et son
all'abilité exquises, son loyal et ferme caractère de gentil-
homme, sa belle intelligence, la finesse de son esprit et son
tact délicat, laissa de son passage les plus excellents et
il U rallies souvenirs. En t890, il fut appelé aux hautes fonc-
tions d’inspecteur général des consulats de Portugal en
Europe. 11 est Conseiller de S. M. Très Fidèle le roi Dom
Carlos et (< Hidalgo en la Corte ». Si je devais vous énu-
mérer les ordres de tous pays — y compris notre Légion
d'Honneur — qui transforment en cuirasse éblouissante le
plastron de sa tenue de cérémonie, il nous faudrait renoncer
presque à visiter aujourd’hui ce Pavillon dont l'installation
est son œuvre ; mais je ne veux pas passer sous silence ce
signe particulier : en dehors du titre de membre correspon-
dant des Sociétés de géographie de Lisbonne, de Paris et de
Toulouse, et de nombre d’autres Sociétés savantes de tous
pays, M. le vicomte de Paria est président honoraire de
plusieurs Sociétés de sauvetage françaises, telles que celles
de l'Aude, de la Méditerranée, de la Loire, de la Nièvre, etc.
11 a épousé, en 1861, doua Maria de Portugal, descendante
d'une des plus nobles familles militaires portugaises, et dont
le père, le général dom Guillermo de Portugal, est mort
gouverneur de la colonie de Mozambique.
— Dites donc, il me semble que, né sur le sol français et
membre de tant de Sociétés françaises, ce vicomte de Paria
no peut manquer d'ètre un sincère ami de notre pays?
- HT est peut-être plus encore que vous ne l’imaginez,
cher monsieur Verduret. Je suis sûr qu’il ne me démen-
tirait pas si je disais devant lui qu’il tient la France pour
sa seconde patrie et qu’il l'aime presque autant que l’autre.
H l'a maintes fois prouvé, d'ailleurs en saisissant toutes les
occasions de resserrer les liens intellectuels entre les deux
nations latines en même temps que les relations commer-
ciales.. .
l'ROMKiSAUli Ai: HUAI U ORSAV
21
» Et maintenant, quelques mots concernant le Secrétaire
général dn Commissariat de Portugal. »
— luicorel réclame Bèchard. Vous voulez doue que nous
prenions racine à la porte de ce Pavillon !
— Voilà ))lus de dix
minutes que A'ous nous
tenez debout et... ça
commence à me <( tirer
l’estomac », appuie
iM""= Flore.
— Désolé, déclare
doucement le vieil-
lard, mais je ne vous
laisserai pas entrer
que je ne vous aie
présenté le pins char-
mant jeune diplomate
et distingué autant
que fécond écrivain
que j’aie rencontré
dans ma longue car- commandkur
rière... et aussi Pari- antonio de Portugal de paria
sien que Portugais, sr.cuKTMRE GiiNKH.iL
puisqu’il a fait ses or co.mmissariat Gii-siiiui. du portcgal.
études au Collège
Stanislas, où fut élève feu le jeune roi Aliihonsc AU
d’Espagne, et où le jeune secrétaire du Commissariat lusi-
tanien eut pour condisciple le duc d Orléans, Irère de Sa
Très Française Majesté la « Kainba de Portugal ». Ce déjà
éminent consul du roi de Portugal à Livourne est, à trente-
deux ans — étant né à Eisbonne en 18(58 — gentilhomme à
la Cour, Commandeur de l’ordre militaire de Noti’e-Dame-
de-la-Conception de Villaviciosa et de 1 ordre de la
ronne d'Italie, chevalier du (Mirist, de (diarles 111 et d Isa-
belle la Catholique... Pour dire beaucoup en un mot, il est
le fils aîné du vicomte de Faria dont je viens de vous
parler, et se nomme: Antonio de Portugal de Faria. e
cavalier élégant, à l’abord si aristocratiquement simp e et
distingué, si franchement sympathique, est un travailleur
opiniâtre et un érudit qui, au cours de ses missions consu-
22
A TRAVERS L EXPOSITION
Icüips, d Pai’is d abord, puis à Cadix, à Montevideo et enfin
en Toscane, avec retour à Paris pour y tenir auprès île son
pèie son poste actuel, a publié déjà le chifFre fantastique de
.)3 volumes ou brochures, toutes œuvres historiques, diplo-
matiques, biographiques ou documentaires, d’un très sérieux
intérêt... ce qui ne l’empêcha pas, pendant les quelques
années de son séjour a Cadix, d être le très fécond corres-
pondant de plusieurs journaux français, parmis lesquels,
le bnjoro, le Monde diploinulique, le Courrier du IMnicinche ,
la Gazette des Pai/s Latins, la Géographie, etc.
Tout cela a la fois!... (Quelle tête il faut avoir! s’écrie
^ erduret émerveillé.
— 11 faut seulement être, comme M. Antonio de Paria,
doue d abord, et puis laborieu.x, actif et d une intelligence
supérieure.
C’est drôle, fait Bêchant, je m’imaginais que tous ces
grands d Espagne, de Portugal ou d'ailleurs, tous ces des-
cendants de 1 ancienne noblesse, en un mot, passaient sur-
tout leur temps à monter à cheval, à aller au club et à faire
le joli cœur dans les boudoirs des grandes « madames » !
Ce qui prouve qu’en tout, monsieur Bèchard, on se
trompe quatre-vingt-di.x-neuf fois sur cent, lorsqu’on adopte
sans contrôle les opinions toutes faites. 11 est certain que si
ce jeune diplomate de grand avenir a trouvé le temps de
remplir galamment les gracieux devoirs mondains qui font
partie de ses fonctions, il n’a dû y consacrer que le strict
minimum d’heures qu’ils réclamaient, car il est membre ou
délégué, voir president de vingt-neuf Sociétés scientifiques,
littéraires ou humanitaires, parmi lesquelles : les Sociétés
de Géographie de Paris — qui le reçut à l’âge de vingt et un
ans, après la publication d un très remarquable ouvrage sur
les découvertes des Portugais, et sous le haut patronage de
berdinand de Lesseps et du prince Roland Bonaparte — de
Lisbonne, Madrid, Lille, etc. ; de la Société de Géographie
commerciale de Paris; de la iSectioa d'Histoire et de Géogra-
phie de la Société académique franco-hispano-portugaise
de Toulouse, dont fait également partie son père; et de
l’Alliance scientifique universelle do Paris, et de la Société
néo-latine de Carcassonne, et de la Société de Topographie
de fiance, et de la Ligue du Bien de Bologne, et du Conseil
PROMENADE AU OUAI d’oRSAY
2;-i
;
héraldique de France, et de la Pi'opaganda di Scienza popu-
laire, et de la Société d’Etliuographie américaine et orien-
tale de Paris, et des Sauveteurs de l’Aude, du Haiit-Hhin, do
Bel tort, et... et..., etc., etc., etc. !
— C'est e (Trayant !
— Moi, je trouve cela d'un bel exemple, et... réconfor-
tant. Quant à l'homme aimable, spirituel, de caractère loyal
et sûr, je me contenterai de vous citer les deux sixains que
lui a dédiés son illustre et intime ami, nôtre maestro Ca-
mille Saint-Saèns, le maître compositeur d',d.vc«Mm^ lorsque
le jeune diplomate exerçait les fonctions de consul à
Cadix :
Dans votre main cordiale,
ün sent une âme loyale.
On devine un noble cœur ;
T'os aïeux de grande race
Vou.s ont, comme une cuirasse.
Légué leur antique honneur.
Votre amitié réconforte :
Celui qu’un vain souffle emporte,
iVavire dé.semparé,
Sans port et sans espérance,
Est heureux, dans sa soulfrance.
De vous avoir rencontré.
— C'est charmant et tout à l’honneur de celui qui a
inspiré le poète, déclare Bertrande avec une gentille émo-
tion.
— N’cst-ce pas, mademoiselle?... Et, pour recevoir de
façon pour nous llatteuse de tels hôtes étrangers, trouvez-
vous que j’aie tort de penser que nos maîtres politiciens du
régime actuel manquent vraiment un peu de légende per-
sonnelle et de... panache? — Mais, bien vite, pour ne pas
faire languir plus longtemps iM. et M'"'’ Bèchard, qui ne
sont pas venus ici pour m’entendre dire... des vers, je
m'empresse de vous inviter à me suivre... en Portugal !
Sur les pas du vieillard, notre groupe d'expositionnistes
pénètre — enlin ! — dans le Pavillon, où l’infatigable cen-
tenaire reprend aussitôt la parole pour expliquer :
— Ce Pavillon se divise uniquement en deux grandes
salles, plus, au premier étage, au-dessus de la porte d en-
trée, un vaste salon élégamment décoré et meuhlé, mais
qui n’a nullement l'intention de J’ournir, comme cela se
voit fréquemment ailleurs, un échantillon de la fabrication
portugaise. Le Pavillon entier, main-d’œuvre et matériaux,
est de construction parisienne. Seuls, viennent du Portugal
les produits exposés, car le Pavillon est, avant tout, un local
« d’exposition ».
— Pourtant, ce salon dont vous parlez ?
— Est en même temps le « bureau » de M. le vicomte de
Paria, Commissaire général, et le salon de réception intime.
C’est là que, lors de sa visite attendue dans l’enceinte de
l'Exposition, Sa Majesté Très Fidèle Dom Carlos des-
cendra...
— Descendra?... quand c'est au premier? retoi'que le
farinier.
— Se rendra, si vous préférez, ù la précision faite
homme !
— D’après ce que je vois, remarque Verdurel, c’est ici
une exposition maritime ?
— Oui, cette première salle carrée est consacrée aux pro-
duits, instruments et industries relatifs à la pêche. Les
Hottes modernes ne s'obtenant plus qu’à coups de centaines
et de centaines de millions — de francs et non de reis — car
vous n’ignorez pas qu’une ménagère qui dépense au marché
quelque deux mille six cents reis, a tout juste déboursé une
dizaine de francs ..
— Ce qui fait, calcule Bèchard, qu’un centime équivaut
à environ deux reis et demi... Les livres de cuisinières,
là-bas, doivent ressembler à des livres de caisse de ban-
quiers 1
A ÏRAVEUS L EXPOSITION
PROMEiNADI'] AU nUAl D ORSAY
25
Ahmes de i.a vjli.e
DE LiSUÛNNE.
— Je disais donc, reprend le centenaire, que le faible
budget du Portugal ne pouvant faire construire beaucoup
de cuirassés du prix de sept à huit milliards... da rois, ce
pays a dù renoncer à compter parmi les grandes nations
maritimes, au point fie vue militaii-e. Les nombreux et ex-
cellents marins de ses belles côtes accores
sur 1 Atlantique ne trouvent tlonc guère
I emploi de qualités nautiques hérédi-
taires qu’un peu dans la marine de com-
merce et principalement dans la pratique
de la pèche, qui est une des industries
les plus importantes du pays. Les ports
de pèche — dont vous voyez ici six beaux
panneaux représenter les six principaux
— sont pleins tl’activité et, à chaque
mar6(', couvrent la mer de belles bar-
(jucs robustes. Ah ! ces côtes du Portugal
aux eaux prolondes, que le navire peut
longer d’un bout à l'autre, si près, sou-
vent à portée de la voix!... Et ce Tage, dont on n'a pas
assez chanté la large, calme et puissante poésie, s’étendant
comme un lac ondulé sous la lortc caresse de la brise, avant
de SC tordre en goulet pour aller, à Helcm, se fondre dans
le divin Océan!... VA Lisbonne, la ville aux sept collines,
comme Home, mais comme une Rome (|ui se relléterait, au
lieu du Tibre étroit, dans le miroir d'un lac de Constance
qui serait chaudement animé et entlammé d’un superhe
soleil méridional!...
— Alors, c’est un beau pays? demande Verdure!.
Si c est un beau pays?... Mais, d’abord, voyez la
seconde salle, qui occupe tout le reste du Pavillon et qui est
consacrée aux produits des forêts, aux chasses et aux indus-
tries chimiques... Et puis, je vous dirai quelques mots de
Lisbonne.
La visite rapidement clfectuée, tandis que nos provin-
ciaux, suivis toujours de Puzzling plus muet que jamais, se
dirigent lentement vers la sortie, le centenaire reprend :
— Vous me demandiez si le Portugal est un beau pays.
Je ne connais, hors ses côtes que j’ai admirées en les ran-
A TRAVERS l’eXPOSITION. — T. .XII. — 2 44
26
A TRAVERS l’eXPOSITIOÎS
géant du large, que resluaire du Tage jusqu’à Lisbonne, et
ce que j’ai vu constitue un pays de charme, de saine et
chaude beauté et de rêve, qu’il faut vraiment que nos tou-
ristes mondains ignorent, même de oui-dire, pour se refuseï
renchantement d’y courir au début de l’automne. Quel site
merveilleux que celui do « Lisboa » s étageant en amphi-
théâtre an bord de ce Tage qui, avec scs treize kilomètres de
laro-eur en cet endroit, semble une tranquille mer inté-
rieure! Du tleuve, les sept collines (S. Vicentc de bora,
Santo André, Castello, Sauf Anna, S. Roque, Chagas et
Santa Catharina) apparaissent coiffées de châteaux ou de
cathédrales qui, dans l’or du soleil se détachent, tel un
décor de féerie, sur le bleu si pur du ciel. C’est San Vicente,
panthéon des rois de Portugal; c’est le Castillo, antique
château des Maures, autour duquel naquit la ville ; c est
le dôme majestueux et magniliquc de la basilique da
Estrella, etc..'. Ah! cette superbe rade iiue forme le fleuve
profond’ comme on sent qu’elle est veuve des Hottes du
passé aux grandes voiles blanches, en voyant ses quelques
croiseurs et avisos, ses paiiuebots, navires de commerce et
barques de pèche qui semblent des libellules perdues dans
Paquatique désert d’un vaste étang !... Comme elle rappelle
la puissance maritime d’antan et comme elle semble en
appeler la résurrection, cette rade si bien protégée où tien-
draient les forces navales réunies de l’Europe moderne.
Voilà pour la majesté et la beauté, appréciées depuis une si
lointaine antiquité que la fondation première de Lisbao est
attribuée, par certains historiens, à Ulysse, roi d Ithaque,
perdu jusqu’au delà des Colonnes d’Hercule, en revenant
du siège de Troie... 11 est vrai que d’autres prétendent que
les Ibères fondateurs fuyaient, en 1 an 1900 du monde, la
tyrannie do Nemrod, roi de Babylone... Quoi qu il en soit,
Lisbao a été successivement au pouvoir des Carthaginois,
des Phéniciens, des Grecs, des Romains, puis des Manies
jusqu’à ce qu’en 1147, Afïonso Henriquos, fils de ce comte
Henri' de Bourgogne, dont je vous ai parlé, les en chassa
avec l’aide d’nne Hotte de Croisés. Voilà sommairement pour
l’histoire. Quant au charme intime, il est dans la franche
hospitalité, 'dans l’activité heureuse d’une population pitto-
resque et loyale, mi-partie citadine, mi-partie maritime.
PRO-MENADI-; AL' QLAl d’oUSAV
27
Chez les Lusitaniens, un Français se sent chez des amis en
étroite communion de pensées avec lui et parlant une langue
à ce point sœur de la sienne qu'il peut la lire sans étude et
la compiendre et parler grâce a un facile minimum de
travail. Je regi’ette de n avoir pas le temps de faire avec
vous une petite promenade ethnologique à travers les diffé-
rents quartiers de Lisbonne, de vous montrer la ville popu-
laire avec ses mœurs intéressantes, la ville commerçante
sillonnée de tramways traînés par des mules qui grimpent
les collines au grand trot et en redescendent ventre à terre,
de vous signaler la promiscuité du palais du roi et de pau-
vres masures qui s’abritent familièrement à son ombre, de
vous conduire à une course de taureau.x (ne fût-ce que ])our
NOUS taire remarquer que ce peuple généreux a depuis bien
longtemps proscrit la « muortc » en eiiibuulant les cornes de
1 animal, tout comme aux corridas de Lex-arène parisienne
lie Li lue Pergolèse), de vous taire rire aux lazzi des gamins,
cai gavroche triomphe aux bords du fage comme au.x rives
de la Seine, et dç faire loucher un peu iM. Verduret du côté
des jambes nues des jolies, gracieuses et typiques
(pêcheuses) allant, jupes relevées et balançant harmonieuse-
ment les hanches, chercher jusqu’aux barques revenant de
la mer les vastes mannes lourdes de poisson... Je ne vous
parlerai pas davantage, des délicieux soirs de Lisbonne, dans
la brise câline et attiédie que l'on respire avec ivresse et où
1 on se sent vivre avec une joie dolente... Je veu.x seulenu'nt
vous nommer, à quelques lieues de Lisbao, Cintra, avec son
chateau de la Lena, planté en pleine montagne, au sommet
de rocs escarpés d où le roi Dom Manuel guetta pendant tant
de longs jours le retour de Vasco de Gama. Du liant des
touis de ce séjour favori de la reine Amélie, on découvre
un panorama prestigieux, réunissant la mer sans limite, la
sierra altière, la ville et le Fage lointains. Je veux vous
nommer enlin, plus près encore de la capitale, à l’extrême
avancée de 1 estuaire du lage, au delà de Delem et du fort
Saint-Julien, la coquette [ilage de (Oascaës qui, avec ses jolis
chalets, est le frouville de Lisbonne, mais un Trouville qui
serait presque, suburbain et où les Lusitaniens pourraient
se rendre si les chemins de fer de la presqu'île ibérique
se décidaient à déambuler avec moins de... sagesse ■ à
•28
A TRAVERS l’eXPOSITION
quelque chose près comme les Parisiens vont à Fontaine-
bleau, Versailles ou Saint-Germain... Ah! voyez-vous, je
suis trop vieux maintenant pour former des projets au delà
du lendemain; mais, si cela m’était permis, je voudrais,
avant d’entreprendre le grand voyage sans retour, revoir
l’inoubliable spectacle du Tage et de Lisbonne et villégia-
turer paresseusement à Cascaës après être monté à Lintra .
Mâtin ! vous me faites venir l’eau à la bouche à propos
du Portugal, comme hier cet étonnant Bouscastrol nous
simo-érait l’envie folle de visiter la Bosnie ou d’aller contem-
plCTle Soleil de Minuit au Cap Nord... Et, ma foi, Lisbonne
est moins loin que la Laponie ou les Balkans ! observe gaie-
ment Verduret en sortant, avec ses compagnons, du Pavillon
portugais. _ .
— J’ai bien envie, fait en riant Bertrande, d ajouter Lisbao
sur mon itinéraire de futur voyage de noce !
— Trop ambitieuse, petite, s’écrie l’oncle d’un ton jovial.
Avec le Cap Nord et les Balkans, cela dépasserait par trop
les limites d’un tour... conjugal.
Pourquoi ? dit sérieusement le centenaire.
— Mais... parce qu’il faudrait y consacrer plus d'un tri-
mestre et que la dépense écornerait singulièrement la dot!
— Bah ! qui sait si ce ne serait pas avant peu l’alTairc
d’une simple excursion.
— Vous dites?
(jue la science, après avoir piétiné, puis marché, court
maintenant et bientôt volera !... D’ailleurs, M. Henry Deutsch
n'a-t-il pas récemment fondé un prix de 100,000 francs que
l’Aéro-Club remettra au premier aéronaute qui, parti de
Saint-Cloud à bord de sa machine, sera, en moins de trente
minutes, revenu à son point de départ après avoir tait le
tour de la Tour Eiffel?... Cet enthousiasme des capitalistes
est un signe certain que la solution du grand problème est
proche... plus proche, peut-être môme, que ne le croit le
généreux ami de la conquête de l’air... Mais je vois M. Bè-
chard esquisser un geste d’impatience... Passons vite du
Portugal en...
CHAPJTRE II
DAXEMARK
l"''
l-A MA ISO. N DANOISE
— Mesdamos, dit lo vieillard en s'adressant plus pai ticu-
lerenient à la ronde larinière, je reconnais que tout à
I heure, lorsipie je vous ai tenues si longtemps debout dans
cette rue si parfaitement internationale, avant d’entrer chez
nos bons amis les Portugais, j'ai vraiment abusé de vous.
— Vous avez abusé de moi? fait Flore en ouvrant
tout ronds ses yeu.v, miroirs d’une très paresseuse pensée.
— Je veux dire : de votre patience et surtout... de vos
muscles inférieurs.
Bèchard se redresse, un Ilot do sang indigné aux
joues ;
^ — Où prenez-vous mes muscles inférieurs, monsieur?
s éciie-t-cllc d un ton pudiquement courroucé.
— Je ne les prends pas, rectifie le vieillard avec un calme
parlait, tandis que Verduret éclate de rire et que le l’arinier
commence à froncer d’olympiens sourcils. Je les laisse à vos
jambes qui doivent m’accuser de manque d’égards pour les
avoir ainsi fatiguées.
M'"“ Flore comprend enfin qn’elle a attribué à tort au vieux
cicm-one ce qu’elle prenait pour une inconvenance de lan-
o-a-e Sa rougeur offusquée disparaît et les noirs sourcils de
Ln époux retrouvent leur arc d’importante dignité. \ erdu-
ret cesse également de faire sauter son ventre de soubre-
sauts hilares, et, de sa voix monotone et aigrement peichee,
le vieillard poursuit :
— Uien ne lasse, en elfct, comme les stations sur place,
surtout à écouter de longues et peut-être fastidieuses expli-
cations. Mais si je me suis permis de vous imposer cette
fatigue tout à l’heure, en Portugal, c’est que je savais pou-
voii , en Danemark, vous offrir un moment d agréable et
réparateur repos.
_ Comment cela? demande M-“ Flore avec un sourire
aimable, qui a l’intention de s'excuser d’avoir pu soupçon-
ner d’incongruité ce « siècle » cicerone.
— Madame, le Pavillon danois que voici n’est pas, comme
son voisin, un pavillon d’exposition. Le plus méridional des
Etats Scandinaves a peuplé de ses produits les diverses sec-
tions étrangères.
Alors, qu’cst-ce qu’il y a la-dedans.
— Rien...
— Cette construction est vide ?
Aon pas! J’ai voulu dire : rien de ce qui sollicite la
curiosité d’explorateurs de la Grande Fête industrielle, tels
que vous êtes. Ce Pavillon n’a d’autre but que d’être un leu
agréable de rendez-vous... pour les sujets du roi Christian
attirés à Paris par cette merveilleuse Exposition. Ils y trou
veront outre les bureaux de leur Commissaire général, M. le
comte Raben-Levetzau, des petits salons de réunions intimes
et de lecture donnant sur la double galerie entourant un
vaste hall, lequel est une salle de conversation. Dans les
nctits salons, les journaux et revues de leur pays permettent
aux Danois, en ce tout petit coin de la grande reunion inter-
nationale, de se sentir encore dans l’atmosphere de leur
si intéressante patrie.
_ Mais, observe Yerduret, nous ne sommes pas danois,
— Le Danemark est généreusement hospitalier, cher
A TRAVERS L EXPOSITION
PROMENADE AC QUAI d’orsaY
31
ons onr, et galant envers les dames. Aussi, sa maison dn
uai d Oisay sera-t-elle ravie de permettre à nos compagnes
se délasser un instant, instant que, d'ailleurs, i'occu-
d'mmTer'\V'" “f’ commodément... et chez lui, di pays
loin - je ne dis pas « du propriétaire . - mais de l’hôte
I ont a vos ordres, monsieur, acquiesce la farinière en
esquissant une révérence, tant est grand son désir de faire
oublier sa méprisé.
— Kt puis, ajoute le vieux cicerone, nous perdrions trou
tlnufm •' r’r'' T-7 '^’^'™«teur sur ce charmant
ecliantillon de 1 architecture danoise du xvir^ siècle
Comment? ce Pavillon daterait de deux cents ans
— t50n style, chère madame, et non lui qui n’est au’iine
l'opie legere, si hâtivement édifiée que deux mois avant
I ouverture de l’Exposition les premiers malériaux n’éSE
Mllons de cette rue unique et qui demeurera dans le sou-
venir des visiteurs comme un ,< clou » exceptionnel étaient
complètement achevés. ciaieni
"r! sensation très différente,
paimi 1 eusenihle de ses collègues du quai d’Orsay • à nre-
miore vue, nn riir-.îi i ^ ^ pit
.. •_ VI ^_'zou.y . a
on dirait un fragment du « Vieux Paris
I . , ' 7“ -• uu « vieux raris » de
d^d/l"'-! " tniiisporté ici, fait Verduret qui
cligne de 1 œil en connaisseur. Malgré un caractère très per-
sonnel principalement dans cette jolie tourelle si gracLi-
seinent coillée de sa llèclie au ventre rebondi — caractère
un' 1- . Scandinave -eek vous a comnœ
vre emœro^T* T'"'"'' maisons que l’on décou-
vre encoie dans les anciens quartiers de nos vieilles villes
e piovince. \oyez ces nombreuses fenêtres aux vitres mi-
nuscules enchâssées dans des filets de plomb, et ces éta-es
qui avancent légèrement laissant un peu en retrait la parffe
n cneure de la construction... Ne trou%ez-vous pas que cek
eure le mo}en âge... mais comme qui dirait un moyen
âge atténué, modernisé? ^
s»n' ‘rès juste, cher mou-
. e f a\ilIon Danois élevé par souscriptions privées
tecte^'M^ tardive à laquelle l’éminent archi-
iccie, iM. \ . Koch, en a assemblé les premières charpentes).
32
A TRAVERS l’eXPOSXTION
rcnrésente une maison bourgeoise de province conlcmpo-
Y-nnc de la fin du règue de Christian IV, un des plus granc s
rois dont s'honore le Danemark, ou du commencement de
celui de Frédéric 111, ère de revers et point de Repart de
cent soixante-dix ans de monarchie absolue. Les murs sont
en brique blanchis à la chaux et laissant bien apparentes
t:„tt lès 'charpentes ,ini. comme vous le voy^j -nt
montées d'ornements et très artistiquement fouillées
sci^ptui^es. Bertrande, ce que je trouve tout à fait
nittoresqiie, c'est ce grand toit en tuiles rouges...
‘ Ü Sur lequel tranche le ton elfacé de la tourelle... \ous
avez mille fois raison, mademoiselle. Cela ^ f ''Is'niii
reiix ehet et prouve que les générations
construisaient leurs demeures dans un ^
simule si coquet et même si pimpant, savaieiit nierveilleii
sèment iouo, de la couleur. Ce Pavillon du Danemark «
assurément un des plus eurieux et des plus originaux paru i
bs èiîmces si divers qui peuplent cette étonnante Rue dos
Notions, s'il no peut avoir la prétention de compter parmi
‘"V"ru7èèrpèèè.ries-vous nous en dire les dimensions,
réclame Bêchard, pour n’en pas perdre 1 habitude.
Tp le lieux, cher monsieur.
— Ah! A la bonne heure 1 Nous avons donc, comme lon-
gueur
de la
Vingt mètres.
Bien. Et on profondeur?
— Parfait Soit ; une siiperlicie de deux cents métrés
carrés... Hum ! ce ii’est pas le Pérou, en etlet!
— Pas tout à fait.
— \h' ahl vous jouez sur les mots.
_ C’est que rien ne me met en joie comme de les en-
tendre ùili approprier. Eh ! vous oubliez de me demander
èè'tmais ! .l'allais vous poser la question, car, pour s„
base relativement restreinte et pour le bon vieux temps
où elle a été construite, cette maison me semble assez
élevée.
PnniIENADK AU QUAI d’orSAY
33
I
— Seize mètres, cher monsisur... tout comme une mo-
derne caserne à quatre étages.
— Et pourtant, elle n’en a que deux. C’est drôle, ces
maisons d autrefois : le toit prenait tout ! En perdait-on, de
la place! Le progrès nous a rendus plus pratiques...
Eu faisant cuire l’été et geler l’hiver les pauvres dia-
bles dans les mansardes ! Certes, monsieur Bèchard, ce pro-
grès est superbe... pour les propriétaires,
i Le farinier, stupéfait par cette réplique inattendue, ne
' trouve rien à répondre, et le centenaire, toujours du même
; ton de pince-sans-rire, poursuit :
I — Ces toits si élevés avaient du bon, croyez-moi; ils
il constituaient d’immenses greniers qui étaient de vastes
I magasins d’air : sec sous la pluie, tiède sous la gelée et
j frais sous le soleil.
I — Ob ! ah ! ricane Bécbard, qui, comme tous les petits
[{ esprits, se croirait déshonoré s’il n’avait pas le dernier mot,
ij ce dernier rôle de matelas d’air frais contre les ardeurs
j solaires est au moins superllu dans ces pays du froid !
— Où prenez-vous qu’il fasse si froid en Danemark?
— Mais... dans mes connaissances géographiques, car on
I en a, ne vous déplaise.
— Cela ne peut que m’enchanter chez un Français ;
c’est, hélas! chose si rare... de façon un peu complète,
ü s’entend.
— Eh bien ! poursuit le farinier triomphant, je n’ignore
j pas que le Danemark est tout aussi septentrional que la
I Gothie suédoise, et qu’il n’est pas besoin d’atteindre le cap
« Skagen pour se trouver sur le même parallèle que cette île
1 Gottland, de la Baltique, à laquelle, pendant tout l’hiver,
!' les glaces font si bien une ceinture qu’on peut gagner à pied
t| sec, à certains moments, la grande ile Gland pour entrer,
de là, en communications postales avec la Scandinavie con-
;j tinentale. Ah ! mais, vous ne direz pas que je vous en conte :
j; j’ai lu, au sujet des marins postiers de Gottland, des his-
toires terribles... dans le Journal des Voyages!
— Bravo ! s’écrie le centenaire après avoir lancé quelques
^ notes narquoises de son rire aigu de crécelle. Je ne m’at-
tendais à voir l’étude du planisphère en si grand honneur
l' près de la meule d’un moulin.
i
i
!
A TRAVERS L EXPOSITION
— C’est qu’il y a meunier et maître de moulin, môssieu !
La géographie est une science exacte et qui devait tenter un
esprit précis et pratique tel que le mien !
Croyez que je m’incline respectueusement devant
votre savoir et vous en félicite hautement; seulement...
Mais, d’ahord, pénétrons dans le hall du Pavillon, où ces
dames trouveront pour se reposer, ainsi que je le leur
ai promis, de bons divans ayant tout le confortable des
mobiliers modernes, car on n’a pas lait ici d archéologie
sous le rapport de l’ameublement... En route, donc, mes-
dames et messieurs, et tout en allant gagner nos sièges, je
ferai observer à monsieur Bèchard que tout son bagage
céograpbique n’a qu’une valeur relative dans la question
de climat qui nous occupe ; que la géographie sans la cli-
matérologie ressemble fort à la chronologie sans l’histoire,
et qu'il lui aurait été sage de ne pas s’en tenir aux rigides
latitudes de son atlas — dont s’écartent très capricieusement
les courbes thermales. Connaissez-vous les zones thermales,
monsieur Bèchard?
— Je connais les eaux thermales, ayant dù, pour mon
estomac...
— Ce n’est pas tout à fait la même chose... Là, mainte-
nant que ces dames, commodément assises, ne pourront
plus me reprocher de ne pas me préoccuper assez de leur
bien-être, laissez-moi vous dire, monsieur Bèchard, que la
seule inspection des courbes thermales vous aurait appris
que le Danemark jouit d’un climat inliniment plus doux que
ne semble le comporter sa situation géographique. L’hiver
n'y dure que trois mois et demi, saut dans le nord du Jut-
land, et les étés y sont plus chauds que dans bien des
régions de l Europc centrale. Les ouragans y sont raies, la
mer y est le plus souvent calme, et, n’était la grêle qui y
est un peu trop fréquente, le « pays d’Odin » (Danemark
signifie Marche du pays W odan ou Odin ô Wagnei !)
serait tout à fait un pays de Cocagne... Mais, laissons cela.
Eh bien ! madame Bèchard, trouvez-vous suffisamment
moelleux ce divan, et vous, mademoiselle, votre fauteuil ?
Vous voyez que les tapissiers de Copenhague s’y entendent
aussi bien que leurs confrères parisiens pour bien asseoir
leurs compatriotes.
PROMENADE AÜ QEAI D ORSAY
3 O
— Ces meubles viennent de Copenlnigne ?
— Directement, oui, madame. C'est du meuble danois
moderne. D’ailleurs, ici, le modernisme ne s'arrête pas au
mobilier. Si vous voulez bien lever les yeux vers les ta-
bleaux qui décorent les murailles, vous y verrez des œuvres
de premier ordre de l’Ecole danoise actuelle, et vous con-
staterez que les peintres a fin de ce siècle » sont les dignes
successeurs des nombreux et excellents artistes qui, au pré-
cédent, ont pour ainsi dire fondé l’art de la peinture eu
Danemark.
— Mais, objecte Verduret, la disposition intérieure de ce
Pavillon, avec son grand hall ourlé de deux galeries longi-
tudinales, sur lesquelles s’ouvrent les petits salons, n’a évi-
demment aucun rapport avec l’aménagement interne des
maisons bourgeoises de la province danoise au xvii° siècle?
— Non, sans doute, cher monsieur. L’architecte, M. Y.
Koch, u’a en vue que l'utilisatiou du bà liment comme une
sorte de cercle à l’usage, comme je vous l’ai dit, des sujets
du vieux roi Christian IX présents à Paris.
— Eb bien, observe Verduret, au point de vue éducateur
et pittoresque, je le regrette. C’eût été un régal intellectuel
véritable do pouvoir, eu causant ici comme nous le faisons,
s’imaginer que l’on revit momentanément un peu de l’exis-
tence de ces ancêtres Scandinaves.
— Vous êtes un gourmet de sensations curieuses, à ce que
je vois.
— .le le suis devenu depuis que je visite l’Exposition, et
la tante en est aux précieux initiateurs qu’un providentiel
hasard nous a donnés, moins pour guides que pour éduca-
teurs. Je constate seulement que nous sommes, on ce mo-
ment, beaucoup moins les liôtes du vieux Danemark que de
M. le Commissaire général du moderne Danemark à l’Expo-
sition universelle de 1900.
— Que voulez-vous? On ne pouvait pourtant oublier,
dans cette Exposition, que cette Exposition existe, et il a
fallu sacrifier l’intérêt archéologique aux convenances des
exposants danois de 1900, les principaux intéressés. Mais
puisque, comme vous t’exprimez si bien, nous sommes
actuellement les hôtes de M. le Commissaire général du
Danemark, permettez-moi de vous })résenter en , quelques
38
A TRAVERS, l’eXPOSITION
mots ce grand seigneur Scandinave qui, par sa hante dis-
tinction et son extrême affabilité, s’est conquis à Paris la
plus respectueuse et la plus générale sympathie... Je devrais
plutôt dire qu'il l’a reconquise, car un quart de siècle n’a pu
faire oublir la charmante impression produite dans notre
monde par son trop court passage à la Légation danoise à
Paris.
— Ce Commissaire général serait aussi un diplomate,
comme celui du Portugal?
— .M. le comte Rahen-Levetzau, qui est le chef d’une des
familles aristocratiques les plus estimées du Danemark, est
né en IH-dü.
— Soit: cinquante ans, tout rond.
— Et tout juste, monsieur Béchard. .Vprès avoir terminé
ses études. . .
— A Paris ?
— Voyons, monsieur Béchard, vous n’avez pas la préten-
tion que tous les hommes éminents du monde entier aient,
enfants ou adolescents, sucé le lait de notre civilisation fran-
çaise? Il est évident que, malgré nos revers et notre dépri-
mant sons-parlem'entarisme, celle-ci a quand même main-
tenu son poste d'honneur à l’avant-garde de l’humanité; mais
de là à l'imaginer unique et s’imposant à toutes les classes
élevées de l’nnivers, il y a la distance qui sépare le calme
bon sens des imaginations folles d’un halluciné, ou le patrio-
tisme sain de l’ultra-amhitiense folie de l’outré impérialisme
britannique...
— Jé vôlé pas vô pàler avec irrespect du grand Angle-
terre !
— Oh ! excusez-moi, mister Puzzling, je vous oubliais !
Mais nous sommes dans un pays qui, tout en ayant fourni
une plus ou moins prochaine reine au trône d’Albion, n’est
à aucun degré atteint, heureusement pour lui, de... comment
dire?... de 1’ « université » dangereuse qui finira par jouer
un vilain tour à votre Angleterre, les pins, forts tempéra-
ments ne pouvant résister aux lièvres trop intenses. C’est
sans doute l’atmosphère de sage raison émanée d'nn petit
peuple exceptionnellement instruit et sérieux qui, emplis-
sant ce hall, m’a soufflé une comparaison qui vous offusque.
Voyons, mister Puzzling, vous ne pouvez plus me garder
PROMENADE AT Ql Al D OKSAV
39
rancune, puisque je vous déclare que mes paroles n’oul pas
été dictées par un état d’esprit français.
— Jé été Anglais : jé comprené pas les finasseries. << AU
rifjlill » il été le devise de mon pétrie.
— Honni soit qui mal y pense.
— Vôdisez?
— Rien. Je continue ma présentation de IM. le comte
Raben-Lcvelzau à ces dames et à ces messieurs. Donc, lors-
qu’il eut terminé ses études... dans les e.xcollents collèges
danois, il entra dans la carrière diplomatique. C’est alors seu-
lement, monsieur Bêchard, qu’il s’assimilât la belle culture
intellectuelle de notre pays, car son premier poste fut ;'i
Raris. Il y resta deux années à titre d’attaché à la Légation,
puis quitta notre capitale, au regret de tous ceux qui avaient
pu apprécier ses hautes, nobles et délicates qualités, pour
celle de r.\utriche, où il séjourna également deux années...
Mais laissons... En 1888, la mort de son père le mit en pos-
session du (( Cumté Chi'istiansbolm ■>, un des seize majo-
rats du Danemark auxquels est attaché le titre de comte.
— Mâtin ! nous àvons uu peu plus de comtes que cela
dans notre France rép'ublicaine !... Je veux dire de noblesse
authentique, car, s’il fallait songer à tous ceux dont le goût
immodéré de notre républic-anisme pour le titre et le ruban
fait fleurir la boutonnière ou, sans parchemins, la carte de
visite...
— 11 serait peut-être bon de susèiter un nouveau Louis XI
pour abattre un si grand débordement de chevalerie et de
noblesse... C’est cela que vous voulez dire, monsieur Ver-
duret? fait en riant le vieillard.
— Vous avez complété ma pensée, déclare modestement
le manufacturier retiré.
— Donc, poursuit le cicei’one centenaire, le nouveau
comte, par droit d’héritage, quitte alors la diplomatie pour
se consacrer à l’administration de son Comté, labour très
absorbant, étant donné la très grande étendue de ses do-
maines. Depuis lors et jusqu’à ces dernières années, il avait
renoncé à toute situation ou mission officielle. Mais, sollicité
par le vénéré monarque danois, et très certainement tenté
par un retour dans ce Paris que nul n’oublie et où il avait
jadis fait si heureusement ses premières armes diploma-
40
A TRAVERS L EXPOSITIO^’
tiques, il accepte le poste délicat de représentant du Dane-
mark à l’Exposition do 1900, poste pour lequel le dési-
gnaient, outre sa connaissance du monde parisien où il avait
laissé de si excellents souvenirs, sa grande expérience admi-
nistrative et son goût artistique si éclairé et si sùr.
— Je vois, observe Verduret, que vous aviez raison, tout
à l’heure, de nous dire que les Puissances étrangères avaient
decanté la fleur de leurs aristocraties et de leurs sommités
éminentes pour la déléguer vers notre grand Loncours
international du Travail humain. Il me semble que, xrai-
ment, nous avons le droit d’en être fiers, puisque — on
remarquant que notre tète est, comme vous le regrettiez,
quelque peu découronnée de... de panache — c’est bien au
peuple français que s’adressent de si hautes attentions ..
Et (lame ! le peuple français, c’est vous, c’est moi, n’est-ce
pas. Bêcha rd?
— C’est même, à la rigueur, fait en souriant le vieillard,
un héros comme le colonel Marchand, un auteur drama-
tique comme Sardou i,après la France, le Danemark est
le pays par excellence de l’art dramatique), un soldat
comme le généralissime Janiont, un savant comme... Enfin,
vous, ceux-là et... quelques autres.
Fi! vous ôtes méchant, dit Bertrande à mi-voix au
centenaire. Aussi, pour vous punir, je vais vous rappeler
une promesse, faite hier, et dont vous ne paraissez plus vous
souvenir.
Et tout haut, la jeune fille demande :
— Eh bien, monsieur notre aimable guide, et... cette
surprise ?
— Quelle surprise? interroge Bèchard.
Ah! dame ! monsieur Bêchard, je ne peux pas savoir
plus que vous, moi ! Rappelez-vous seulement qu’hier,
comme nous le quittions pour aller en courant apaiser la
fringale de Bèchard, monsieur nous a annoncé qu'il
nous réservait peut-être pour aujourd’hui une surprise.
— C’est vrai, au fait.
Le vieillard hoche la tête.
PRO.MIoN ADIO Al' QUAI B ORSAA"
il
— Oui, lait-il, j’avais l’intention, pour rompre la mono-
tonie de ce voyage parmi tant de pays représentés par leurs
curieux Pavillons, de vous amuser un moment au spectacle
d’une des si nombreuses attractions dont est peuplé le terri-
toire de l’Exposition, et j’avais jeté mon dévolu sur le
iMaréorama.
— Eh bien ?
— J’y ai renoncé.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai rélléchi et que j ai en vraiment peut de
M. Bêchard.
Peur de moi ? fait ce dernier sincèrement et très mo-
destement stupéfait.
Pas de vous, si vous voulez, mais peur de vos criti-
ques, auxquelles j’ai senti que je ne serais pas en mesure de
riposter avec la conviction nécessaire.
— Je ne vois pas quelles critiques j’aurais bien pu faire.
Parce que vous n’ètes pas allé faire ce pseudo-voyage
en mer sur une portion restreinte de pont do jiaquebot lou-
lant et tanguant à l’aide de pistons...
— Les bateaux comme j’en ai vu à la fête de Corbeil,
alors ?
— Tenez, voilà que vous bêchez... même sans avoir vu !
Oui, ce pseudo-bateau, où des marins traînent des cables
inutiles pour faire croire à des manœuvres, et autour duquel
se déroulent des toiles qui vous font voir, on un raccourci de
temps vraiment trop invraisemblable, les escales méditci’-
ranéennes, avec de l’air soufflé par une pompe pour imiter
le vent, air qui passe sur du varech humide pour essayer
d’irailer les senteurs salines du large, j ai eu peur que cela
ne prêtât trop au besoin de dénigrement de monsieur, sans
que je puisse, en conscience, moi qui ai beaucoup navigué,
ne pas être, au fond, un tout petit peu de son avis...
— Monsieur, déclare, Bêchard en se levant et en se cam-
brant avec dignité, votre pseudo-bateau, sur lequel on lait
un pseudo-voyage, en respirant des pseudo-airs salins, vous
m’avouerez que c’est bon pour amuser les enfants, et j ai la
prétention d’être un homme sérieux que l’on ne mène pas,
sous prétexte de l’amuser, voir Guignol ou jouer avec des
jouets enfantins !
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Hum ! murmure le centenaire, je vois que j’ai eu rai-
son de no pas vous y emmener. Ce spectacle adroitement
machiné ne mérite pas un tel mépris, mais, en vous y con-
duisant, monsieur Bôchard, je me serais trop exposé à
lournir matière à votre critique d'homme grave. Nous nous
contenterons donc, si vous le voulez bien, d'achever pour
le moment notre visite des Pavillons, en nous rendant tout
de suite — car je pense ces dames suffisamment reposées —
à celui de la
CHAPITRE 111
GRANDE - BRETAGNE
1er
PUZZLINc; s PE A K eu!
A cotte simple annonce du vieux cicerone, James-Gregory
Pnzzling bondit tlu siège où il s’était assis et paraissait
attendre avec une absolue indill'érence la fin de la causerie
sur le Danemark.
11 se dresse tout d'une pièce et, en deux pas, larges
comme ceux de l Ogre du conte de Perrault, vient se planter
devant le centenaire.
— Vô allez montrer lhe english Pavillon à ces gen/lemen
and ladies ? interroge-t-il de toute la rudesse de sa voix.
— Mais, sans doute.
— Vô?
— Oui, moi !
— No !
— Comment, non?
— No, hecanse jé volé pas.
— Je vous ferai observer, inévitable mister Pnzzling, que
nous nous inquiétons fort peu de votre autorisation.
— Aüh ! je volé pas, tout de môme, hecause personne il
(levé pàler de le Angleterre.
— Ah ! bah ?
44
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Vô surtout. Vô été français, et le french people il pâlé
jamais properly... Je volé dire « proprement » de le Angle-
terre.
— Ah ça! s’écrie ironiquement Verdnret, se mêlant à ce
singulier débat, prétendriez-vous nous interdire de visiter
le Pavillon britannique?
— No; ce été le contrary. But an Enylishman il pouvait
toute seul pâler (( comme il faut » du counlry de loiii !
— Est-ce que, demande le centenaire en lançant son
petit rire aux notes si aigres, vous voudriez me procurer le
repos de montrer vous-même le Pavillon de la Grande-
Bretagne à ces dames et à ces messieurs?
— Yesl je volé! Je devé être le speaker... Je volé dire :
le parleur de cette chose.
— .Ma toi, je suis trop curieux de savoir comment vous
vous on tirerez pour ne pas vous passer de bon cœur la
parole.
— Vô allez vôar !
Et Puzzling, s’adressant aux couples Verdurct et Bêcbard,
commande laconiquement ;
— Corne !
Naturellement, personne ne Ijouge, sauf Bertrande qui
montre, en esquissant un mouvement en avant, qu’elle
comprend l’Anglais plus qu’elle ne consent à en avoir
l’air.
Puzzling, déjà en route vers la sortie, se retourne.
— Aoh ! they don’t undersland . . . Jé avé dite : Vénez !
Cette fois, le groupe entier s’ébranle et se met en devoir
de suivre son nouveau et très inattendu ciceronc. Mais ce-
lui-ci, avec l'absence de préoccupations altruistes qui est une
des caractéristiques de sa race si fortement individualiste,
prend les devants, par le simple fait qu’il marche à son pas
et que ce pas se trouve être d’une envergni’e considérable-
ment supérieure à la plus grande longueur do terrain que
puissent couvrir les enjambées féminines de Bertrande et
surtout de M"’' Flore... alors que tout naturellement Verdu-
rct, Bêcbard et le centenaire conforment leur marche à celle
de leurs compagnes.
PROMENADE AU OUAI 1) ORSAV
i5
Pour se rendre du Pavillon danois à celui de la Grande-
Bretagne, notre groupe a exaclenient à franchii' la moitié de
la longueur de la Rue des Nations. Mais, il n’a pas encore
dépasse le travers des Pavillons yankee, sur la droite, et
péruvien, sur la gaucho, qu’il est déjà laissé à plus de di.v
mètres en arrière et que la farinière, toute rouge et sult’o-
quée par ses vains elTorts pour rivaliser avec les favoris du
Derby, renonçant à la lutte, s’arrête net en s’écriant :
Grandk-Buetagne. — Façade du ciiateau.
— Ah ! non ! S'il faut courir comme des lièvres, vous
savez, je n’en suis plus. 11 aurait dû nous prévenir qu’il pré-
tendait nous faire galoper, ce fameux milord anglais!...
J’aurais demandé à Aristide de me faire mettre en fauteuil
roulant 1
• — Pour un parcours d’un quart do kilomètre, une voiture
pour madame!,.. Comme tu y vas, hichette, proteste le long
mais... étroit maître de moulin.
Averti sans doute, par quelque secret instinct, qu’il n est
plus suivi, James-Gregory se retourne, et, voyant le groupe
arrêté, lui crie de loin ;
4(>
A TRAVERS L EXPOSITION
— Allô! Go on!
— Que dit-il? demande M™'^ Flore.
— 11 nous invite à nous hâter, explique Bertrande. 11
nous crie : « En avant! »
— Comme les petits laiderons de l’Armée du Salut, alors !
En fait de salut, je tiens à celui de ma personne et je ne vais
|tas étouffer pour lui faire plaisir !
— Oh ! fait en riant Bertrande, je ne pense pas que
Mr Puzzling nourrisse des projets aussi noirs!
— C’est cela!... Vous défendez votre complice, ma pe-
tite !
— Mon complice?
— Oui, oui, vous devez me comprendre si vous savez ce
que parler veut dire !
Sans daigner faire un pas en arrière, Pnzzling répète, en
élevant davantage la voix et d’un ton plus impérieux :
— Allô!... Corne!... Go on !
— Gone, gone!... tant qu'il voudra!... Donne-moi ton
bras, Aristide... et marchons doucement, hein !
L'Anglais, qui s’est laissé rejoindre, dit, avec rudesse ;
— • Vô, mâchez pas !
— Dites donc, nous ne faisons que cela...
Superbe de conviction, James-Gregory proclame ;
• — Tous ils devaient mâcher, tous ils devaient attrapper
beaucoup du peine, quand ce était pour contempler le glory
de le Angleterre !
— Voyez-vous ça ! s’écrie Verduret en éclatant de rire.
Passe pour vous autres. Anglais... mais, les autres peuples?
— Tous les peoples de Mappemonde ils étaient dans le
admirative contemplation pour le Great Britain.
— Quel pince-sans-rire vous faites, mister Puzzling !
— No, mister Verdiourette, jé été pas une... pince...
comme vo disez !
— Ma parole, il a l'air de croire à ce qu'il dit.
— Et il y croit, monsieur Verduret, je puis vous le certi-
fier, affirme le centenaire. Ce chauvinisme hyperbolique de
la bourgeoisie et du peuple britanniques, qui prête tant à
PBO.MKNADE AU (JÜAl d’orSAY
47
rire à des Gallo-latins tels que nous, est la vraie force d’Al-
bion, car il étonne le monde en môme temps que la superbe
opinion de soi qu’il inspire aux Anglais légitime à leurs
yeux tous les procédés de britannisation de la planète. Sans
la sincérité de la conviction, cet orgueil absolu jusqu’à en
être brutal serait une monstruosité. Avec elle il devient nue
grandeur... que bon ne peut pas apprécier, mais qu’il con-
vient de reconnaitro.
— Alors, dit Bèchard ironiquement au vieillaid, vous
admirez les Anglais?
— Mon cher monsieur, ma vieille philosophie admire tout
ce qui s'élève franchement au-dessus du niveau moyen.
J’admire le mont Blanc et l’immensité anormale du désert
saharien, la figure d’un Pasteur ouvrant à la Science la con-
quête de la Vie sur le mal morbide, d’un Christ fondant sur
l’amonr et le renoncement de soi une. religioïi qui élève
l’Homme au-dessus des matérialités terrestres... et j’admire
les cyclones dévastateurs, les tléaux humains comme Attila
ou Gengiskan, le crime, même, lorsqu’il se vautre dans la
pourpre sanglante d’un Néron en des horreurs qui semblent
dépasser l’humanité, et jusqu’à la fourbe odieuse, lors-
qu’elle est géniale. Je n’ai, après cent ans de vie, conservé
qu’une haine : celle de la médiocrité prétendant régenter
les supériorités... Mais, voici qu’en vous faisant cette pro-
fession de foi qui, je le vois, vous «ébouriffe » quelque peu,
nous sommes arrivés devant la façade du Pavillon de la
Grande-Bretagne qui donne sur la Bue des Nations. Voyous
comment mon suppléant volontaire va s’y prendre pour jouer
son rôle de conférencier. Attention, il commence.
En effet, James-Gregory Puzzling, le bras étendu vers la
porte à laquelle conduit une double série de marches inter-
rompues de paliers, s’écrie ;
— Bigâdez !
— Nous regardons... Après?...
— Vô... ils avaient viou?... }’es... Ail riglit... Corne,
now.
Quittant la façade snd, Puzzling emmène le groupe, à
marche forcée, devant la façade ouest, qui donne sur la
48 A TRAVERS l' EXPOSITION
petite place faisant suite à la passerelle jetée sur la Seine
entre les ponts des Invalides et de 1 Alma. Etendant de nou-
veau le bras vers le Pavillon, il ordonne :
— lîigàdez !
— Nous ne faisons que cela, répète Verdnret. Expliquez-
nous. . .
Mais Puzzling :
— Vô, ils avaient viou?... .1// right... Corne!
Et, sans daigner avoir paru entendre l’invitation du ma-
nufacturier retiré, le rouge fils d’Albion entraîne, à allure
plus que vive, nos visiteurs devant la façade nord donnant
sur la terrasse de la Seine. Lti, il réitère son geste indi-
cateur et son impérieux avis :
— Higàdez!
— Eh ! que diable, nous avons vu ! Vous n’allez pas nous
faire tourner autour de ce Pavillon comme des chevaux de
A TRAVERS E EXPOSITION DE 1900
DANEMARK
PORTUGAL
PEROU
PERSE
PAVILLONS DES PUISSANCES ÉTRANGÈRES
l’IlO^JENADi; AC nCAl d’orsav
4!)
cirque galopant aux claquements de chambrière de récuyer !
Dites-nous quoique chose !
— Vos, mister Verdioiirette, jé allé...
— Parler ?
— ■ Ves.
Nous sommes tout oreilles, déclare au nom de tous le
cher de la petite hande.
— Ce été le fnigUsh Pavillon.
— Je vous iorai remarquer que nous nous en doutions.
— H ell. Ce été le plous heatilifull !
— llura, je ne trouve pas. Ce n’est pas mal, sans doute,
mais ce teint jauuasson...
— Le plous grand...
Ça... autant du moins qu’on en peut juger d’un simple
regard, vous nous permettrez de le trouver pins petit que
d autres, à commencer par celui de l'Italie, par exemple.
— No, je permettrai pas. Le Great Hritain été le plous
grande nation de l’Ounivers, le people anglais le premier
people du monde !
— En 1 admettant, ce n’est pas une raison pour que...
‘là
TILWEUS l’exposition.
T. MI. — O
A TRAVERS L EXPOSlTIOiN
— }>.s / l.e pions grande nation et le premier il
avé ncccssarily le pions large et le pions heautïfuü Pavillon
dans le (jredt Êxhil)ition in Paris.
Cela, ce peut être une opinion... très patriotique, mais
je vous avoue que je suis comme mon ami Bêchard et que
le moindre chiflre ferait bien mieu.v mon atlaire.
, — Wliat?..- (Jnels chiffres?
Verduret serait heureux que vous condescendissiez,
par exemple, à lui dire quelle longueur a cette façade sur la
Seine, intervient ironiquement le centenaire.
— Aôh? Uow manij feet?... Jé savé pas.
— environ quatre-vingt-trois, souflle obligeamment le
vieillard.
— )!>//... Caiio front, il avé quatre-vingt-trois...
Métrés?... Jamais de la vie, proteste Bèchard.
— Xo, pas french. mètres, enr/lis/i feet... je volé dire : pieds.
— Et quelle est la longueur du pied ?
— Douze inches... je volé dire ; pouces.
X'ous vous demandons l'équivalent en mesure fran-
çaise.
Aôh ! je vôlé pas savoir. Le pied il été la hase de tous
les mesioures, hecame il été anglais.
Au diable ! fait Bèchard en frappant le sol de son pied,
à lui. ... 1
— Ne vous fâchez pas, cher monsieur, fait en riant te
centenaire. Le pied anglais vaut, en chillre rond, 0" 30, et
les feets de cette façade équivalent à 23'" 30.
— A la bonne heure, cela se comprend, au moins !
Puzzling hausse les épaules avec autant de mépris que...
d’absence de politesse.
Pour obliger notre britannique cicerone, j ajouterai,
dit le vieillard, que les façades pcrpendiculaii^es à la Seine
ont 90 pieds anglais ou, approximativement, 27'"30... Main-
tenant, cher mister Puzzling, je vous rends la parole.
)'cs. Cette incompérébeul palace du plous grand et du
plous puissant empire du monde, il été conslruct comme le
« hume » of the Prince uf Wales.
Nos provinciaux regardent le centenaire. Celui-ci grimace
UII sourire cL se rcml à la muette prière de ses compa-
gnons ; ‘
— Mr Puzzling — dans un langage trop... mélangé pour être
p^our vous bien facilement compréhensible, vous dit que ce
Pavillon est destiné à servir d'habitation de jour au Prince
de Galles. C'est rigoureusement exact. L’héritier do la cou-
ronne d’Angleterre y a ses appartements... que nous pour-
rons visiter tout à l’heure, Son Altesse ne les occupant pas
en ce moment. Mais, continuez, je vous prie, mon bien
cher... mon trop cher mister Puzzling!
— No. Ce été tout.
— Gomment, proteste Verduret, vous prenez d’autorité la
idacc de notre si aimable et savant cicerone, vous nous
laites courir comme des lapins de garenne, et c’est là tout
ce que vous nous dites?
^ — Je avé proclaimed le majesté du Pavillon du dreat.
Ce été cela jé volé... Le reste il été rien pour môa:
-ctoui-la, il aurait pas proclaimed le supériorité souperho
de mon pétrie et je avé fait.
D un doigt assez... incivil, il indique le ceuteuaire, qui
riposte du tac au tac.
, savez-vous, s’il vous plaît, mister Puzzling?
Je n aurais pas poussé le néo-impérialisme jusqu'à poser
en principe que, hors la race anglo-saxonne, il n’est pas,
sur notre globe chétif, d’humanités dignes de ce nom; mais
J aurais rendu un juste hommage à la grande nation mar-
chande, industrielle et pratiquant partout, avec une suiicrhe
énergie rude le sivggle for life; à la race forte, peu sensible
et très sentimentaliste qui peut en môme temps : fabriquer
cl 1 usage humain la cruelle halle « expansive », (lirter au
clair de lune, essaimer froidement la famille adolescente
sous toutes les latitudes, rêver avec ses poètes, vouloir sub-
juguer le nionde et dispenser généreusement de ta liberté...
pourvu qu elle soit de marque britannique. J’aurais dit que
1 Angleterre a beaucoup fait pour la civilisation universelle,
sans m inquiéter si les mobiles mercantiles n’ont pas eu, dans
œuvre utile, une part un peu exclusive et si les moyens em-
ployés pour rendre cette civilisation hostilement britannique
sont toujours Irappés au coin d'une chevaleresque loyauté. Le
toi
■\\
' <! . . i
A TRAVERS L EXPOSITION
fait prime tout ; l’OEuvre anglaise est grande et elle a même
été jusqu'ici très utile àla paix européenne en créant le cou-
rant colonisateur continental, par nécessité de ne pas laisser
accaparer le monde noir, brun et jaune, par un seul pavil-
lon... J’aurais proclamé que l’Angleterre est un colosse;
mais, malheureusement pour elle, un colosse «virtuel»,
selon l'expression dont abusent les nouvellistes d’outre-
Manche, c’est-à-dire un colosse de surface — et cela, parce
qu’à l’orgueil anglais (et j’estime que 1 orgueil national
est une vertu) ne correspondent pas des sommes égales
de dévouement individuel et de tempérament militaire.
L’antique Rome fut une merveilleuse puissance colonisa-
trice et conquérante, mais les Romains étaient un peuple
militaire qui savait, avec scs propres légions, vaincre es
forts. Albion, môme au loin, ne peut prétendre renouveler
Rome, parce qii’après tous les faibles rudement abattus,
elle se heurtera aux forts, contre lesquels il lui est impos-
-, T ^ r- O n '/'•/l I r» rr 011
G’
sible de lutter... Voyez-vous, mon cher mister t uzzlin^
a beaucoup reproché autrefois aux Français de ne pas savoir
regarder au delà de leurs frontières. C’était vrai et la
France a payé cher cette vaniteuse légèreté. Mais que dire,
alors, de votre pays qui, voyant les peuples d Europe s ar-
mer formidablement et travailler, en bénédictins de la cape
et de l’épée, l’art de la guerre, en est resté, comme orga-
nisation et science tactique, à l’èrc de la guerre de Crimee.
Fn somme, résume Verduret d un air de bonhomie
finaude, la nation anglaise est un peuple civilisé qui civi-
lise, surtout par intérêt, les non civilisés, et qui se monRc
parfois un tantinet... incivile sans être pour cela le moins
du monde... militaire. . , ,
— Fichtre, mon cher, vous êtes donc humoriste, con-
state Bêcbard au milieu de l’éclat de rire provoque par la
boutade du manufacturier retiré.
— Ma foi, depuis que je suis à Pans, je crois, parole
d’honneur, que je le deviens, répond celui-ci d un ton de
modestie qui ne trompe personne, pas même lui.
\ mi-voix et parlant bien directement au détective lon-
donien, le centenaire achève ainsi son rapide croquis poli-
tico-ethnologique :
TRAVERS l’exposition
— L’impérialisme intransigeant et agressif prépare de
terribles déboires à l’Angleterre, et croyez que je le regrette
car une nation forte, commerçante et moins déraisonnable-
ment coloniale, est, pour l'Europe
Doids et un « excitement » éminemment utile... Vous reco
Lîtrez, mon cher Anglo-Saxon, que je ne suis nullemen
hostile’ à la puissance équilibrée de votre pays, que j es i
-rand et que, dans l’intérêt de la paix européenne future, je
Ss Lireùx de voir un esprit moins orgue, llensement
dominateur et àprement conquérant. , , ■ /
— Je voyé que vù il dénigré sijslematicallij, hy jealomy,
la (ilorii du premier people du monde !
— Ah Quodvidt perdere Jupiter, demenlat prias...
W'/iat do l/ou sa y . ,
— Je dis... ! tenez, je dis vous serez toujours un grand
peuple, car l’avenir, quel qu’il soit, ne tera pas qu un
miükesneare ne soit Anglais! , • •
" _ Pardon, pardon, objecte Bèchard, il ne s agit pas ici
de Shakespeare, mais du...
— Pavillon hritannique. Votre rappel à « la question »
est la sagesse même et, si mister Puzzling veut bien me
cedci pas vô il attaqué le Angleterre !
Si vù faisé, je coupé le parole de vù. ^
Kntendii ! acquiesce le vieillard en s inclinant.
Il
U A II 1 U A 11 E
— Mesdames et messieurs, puisque nous sommes sur
cette terrasse devant la façade nord du Pavillon
ous dire qu’elle est la reproduction exacte de la façade
du^hateau^ton Bradford-on-Avon, près de Bath, dans
le Wiltshire, England.
PüOMEXADE AC (JCAI DORSAV Ij5
Parfail !.., Je parlerai de vous à l’Agence (look, mis-
ter Puzzlingl... La ville .le Bradford-on-Avon abonde en
vieilles demeures de pierre et aux fagades à pignons, telles
que celle-ci; mais aucune no peut rivaliser avec Kingston
llouse qui est le parfait modèle du « Jacobean Style », avec
son luxe excessif de « Windows », son crénèlement d'ara
lesqucs et de flétails classiques, où Ion croirait reconnaître
la main qui traça le plan de Longlcat, près de Warminsteiv
Cette façade a trois pignons avec mansardes, devant les-
quelles court une balustrade de pierre élégamment sculptée ;
cette façade avec ses deux étages de « Windows » aux meneaux
superbes qui en font comme un immense vitrage gracieuse-
ment tourmenté, est le type parfait de Pareil itectiire châte-
laine et bien anglaise du xvii-siècle. John Anbrey, le digne et
intime ami (le Milton, le grand poète du « Paradisc Los/ »,
disait de Kingston llouse, que ce château était la (( gentil-
hommière par excellence du comté de Wilts ». 11 aurait pu
dire de l’Angleterre entière.
Et naturellement, observe le judicieux Verduret, cette
« Maison de gentleman » a été construite pour quelque
lord ?
^ — Nullement... ou, du moins, pour un seigneur du
Commerce. C’est un drapier dn nom de John Hall qui la fit
édifier, dans la première moitié du xvii" siècle, sur l’empla-
cement d'une vieille maison que la famille Hall possédait
an XM' siècle et dont certaines parties ont dû être incorpo-
rées dans le château.
Pourtant, ce nom de Kingston llouse semble indiquer
une demeure noble?
Elle est devenue ducale par le mariage de la petite-
tillc de ce. John Hall avec lelils dn premier duc de Kingston.
Celui-ci étant mort avant son père, la maison passa au
second et dernier duc de Kingston, qui lui donna son nom...
devenu trop fameux par le scandale dont Elisabeth Chud-
eigh, duchesse de Kingston et épouse de ce dernier duc, lit
rougir la piidibonde'.Vlbton, i
— Pc.y.Me Angleterre il été le pétrie de la Vertion.
— Cordieii ! mister Piizzling, il faut que vous ayez une
proles.sion qui vous fasse bien ignorant de la criminalité en
pays (1 Outre-Manche, pour oser être à ce point affirmatif.
Ghande-Bretagne. — Le i.ion de la balustrade.
transcendante. Mais le masque de pureté qn elle se met sur
le visage ne peut donner le change à un vieux philosophe
qui, depuis quatre-vingts ans, regarde danser les pantins
Albion tient à cette réputation de Vertu générale et
A TRAVERS L EXPOSITION
humains. A hien obscrvur. riuimanité est, du plus au moins,
partout la même, avec son lot de tares comme ses nobles
('.xceptions. l.,'atti(nde surtout est diit’ércnte : ici, on est fan-
faron de vice; là, de vertu. A bien prendre, j’aurais plus de
conliance dans la valeur morale des fanfarons du premier
genre, parce qu ils se découvrent... plus meme qu ils n ont
à montrer, et que, ceux-là, on les voit bien alors que les
autres dissimulent leurs lèpres. Ainsi, voilà l*aris, qn on se
plaît au loin, tout en l’adorant, à appeler la « Babylone mo-
derne )) ; eb bien, je mets en fait que le Paris fêtard et
joyeux est, au total, beaucoup moins perverti que telles
autres capitales qui se drapent ostensiblement d’bermine;
et je sais que les étrangers (locwnentrs et qui sont sin-
cères pensent ainsi, s’ils évitent de le dire, ce dont je ne
saurais les blâmer... Mais, revenons à la trop célèbre
duebesse. Vers ITiO, elle était, à vingt ans, belle... belle,
comme savent l’étre les Anglaises, quand elles s en donnent
la peine. La vivacité de son esprit, 1 exqnise distinction de
sa personne, tournaient alors, autant que sa beauté, toutes
les tètes. Pelle du duc d'ilamilton ayant tait le tour complot,
le noble lord en fut lécompensé, ce qui n’empccba pas
l'éblouissante Elisabeth de convoler avec le capitaine llervey,
qn’elle abandonna dès le lendemain du mariage pour hier
en Allemagne avec un major accouru sur le vu il un avis que
la dame avait fait insérer dans les gazettes... Los « petites
correspondances» no sont pas, comme vous voyez, d invention
moderne. Or, la volage personne envoya promener le dit
major avant qu’il ait eu le temps de lui faire goûter les
charmes de la grande vie germanique, et revint conquérir
sans elforts et épouser le duc de Kingston... sans s arrêter
à ce vulgaire détail qu elle n'avait pas, de tuguo en fugue,
laissé au capitaine llervey, son premier mari^ le temps
moral de passer de vie à trépas.
— Une bigame, alors !
— Qui faillit être trigame, car, avant de se laisser épouser
par le dernier Kingston, elle se serait nommée princesse d Al-
bany si elle n’avait pas tlairé à temps que ce d'Albany était
simplement un audacieux aventurier ; « les loups ne se man-
gent pas entre eux ! » Le duc de Kingston, en ayant la complai-
sance d'aller promptement villégiaturer dans 1 autre monde,
pPiOaii:n ADI-: ai: ouai d'orsaa"
.a9
Ici laissa veuve cavec une immense fortune... que la famille du
défunt, avertie, ne put. lui enlever, non plus que son titre de
< Hchesso. Notre Ingame en fut quitte pour aller respirer l’air
( U con inen ou son étrange notoriété n’empècha pas qu’elli'
lut eçue avec distinction par le Grand Frédéric, l’Electrice
de Bavière et la grande Catherine II de Russie. Fini, le de
vieillesse et il
vieillesse, et le plus epns fut le prince Hatziwil. Elle finit
ses jours dans le magnifique chûteau de Saint-Assise prés
de hontainehleau, juste à temps pour ne pas voir les’ ho
reurs égalitaires de la Révolution, en
-M C..C ,788.
n, quelle gaillarde! s’écrie Rèchard
- Revenons à Kingston House, se hâte de dire le vieil-
I. . I assoc au neveu ,l„ ,k,c, cll„ f„t yen, lue, e„ I8l,2
Ikvell.tnuallccla ceUc pcrlcilc rarcliilccliii-c l,i.ilanni,|’„o
vair„n’n“‘''’!"h ' ''' Ucatairea, la chalaau na pou-
Veut qii de douloureusement dévasté et il le fut. Ileureu-
. cment, il devint, en 18i:>, la propriété d'un Mr S. iMoulton
ancêtre du possesseur actuel, qui, ami des helles œuvres’
le restaura avec le plus grand soin ’
— On dit, cher monsieur Verdurct, que le fameux et
ma leureux conspirateur, James Scott, duc de IMonmoiith
Is nature de Charles II d’Angleterre et dont la haX lii
visiteT s’y arrêta lorsqu’il vint
^ siter la nohlesse des comtés de l'Ouest, mais ce\’est pas
absolument certam. Aussi, n'est-ce pas au point de vue his-
torique, mais uniquement architectural, que le Comité hri-
Exposition _ de 19(... chXt le modèle de
Kingston House, d'accord avec
AI,, T , .’ l’architecte du Pavillon
Lutyens, qui a apporté à cette reconstitution autant de
conscience que de savoir-faire. Mr Entvens — un jeune
hadeXle^r """ ^ ^ ^^’Estc de
dont il nnrtp'i ^ du peintre renommé
^ r H a grandi, grâce à son père, dans le
cncôr'l'I.f’ T «I
of A,k„ a! i. Scliool
dans le ti il a, après un court apprentissage
dans le hureau d’architecture de MMrs George et Peto,
62
A TRAVERS l’eXPOSITION
commencé à voler de ses propres ailes dès 1889, à l'àge de
vingt uns, pur conséquent. A trente et un ans, il ne compte
plus les maisons de campagne, grandes et petites, qu’il a
édifiées, souvent dans des conditions très délicates, non
seulement en Angleterre, mais dans le Nord de la France et
en Allemagne, et toujours avec le souci de la tradition d'art
anglais dont il s’est fait une méritoire spécialité.
— Pardon... mais, le Pavillon?
— .l'y reviens, monsieur Bèchard.
ni
U N .M U S K E R O A [.
Le vieillard reprend, non sans avoir adressé un regard
ironique au détective Puzzling, qui ne peut qu’écouter
houche bée des détails qui lui prouvent à quel point humi-
liant il ignore le propre Pavillon de son pays :
— Mr Lutyens a donc fait la face nord de ce Pavillon avec
la face sud de Kingston blouse. Ouant aux autres faces, il
a dû, à cause dos exigences de l'utilisation de son éphémère
château, les créer presque entièrement, tout en restant
rigoureusement dans le style du type-modèle. Au point de
vue technique, il a eu — comme d’ailleurs la plupart de ses
collègues cosmopolites des autres Pavillons — de sérieuses
difficultés à vaincre... plus sérieuses, même, en raison des
conditions exceptionnelles de solidité et d’incombustibilité
imposées par le Comité.
— Pourquoi ces conditions exceptionnelles de solidité et
surtout d’incombustibilité ?
— Parce que, cher monsieur Verduret, le Pavillon bri-
tannique est tout simplement un tout exceptionnel Musée où
le Prince de Galles, le grand président de la Commisssion
anglaise de cette Exposition, a voulu que soit réunie la
quintesccnce des œuvres de l’Art anglais.
PROMENAI)!-: Ai: OEM d'oiîSAV
(i3
— Yes : les cliel’s-d'œuvre inconipèrèbeuls du premier
art du monde...
— lîritannique.
■— Je disô ; du monde entier.
— Et vous m’oblig-ez à répéter : britannique.
— Vô, il dénigré tôjours sijslnnaticalltj !
— Mais non, que diable! s’écrie le centenaire en s’ani-
mant— ce qui fait, à l’inverse de l’effet ordinaire, singuliè-
rement baisser le ton de son organe. J’ai, au contraire, une
très particulière estime pour vos grands artistes du lioyamne-
Uni. C’est votre rage maladroite de prétendre imposer à
l’Univers l’opinion que tout ce qui est anglais est en
quelque sorte au-dessus de riiumanité qui me force, non
pas h des restrictions qui ne sont pas dans ma pensée,
mais à une remise au point légitime et raisonnable. C’est
ainsi que — sauf, bien entendu, les nombreuses exceptions
sensées — tant d’Anglais ont rendu le caractère anglais
insupportable aux auC-es nations... qui ont bien le droit,
morbleu ! de se dire artistes, politiques, coloniales, etc.
Mais je me fâche; j’ai tort. 11 y a chez vous, heureuse-
ment, une minorité importante d’esprits d’élite — minorité
qui se réduit fort, il est vrai, quand la question réservée de
politique impérialiste est en jeu — qui sait voir au dehors,
juger équitablement et, sans ravaler en rien la valeur morale
et matérielle anglaise au profit d’autrui (aberration dont
nous autres Français paraissons avoir le ridicule monopole
admirer le génie ou sim])lcment les supériorités, quelle
que soit la couleur du drapeau qu’elles honorent. Cette mi-
norité-là empêche les esprits sages du Continent de géné-
raliser ce que j'appelais tout à l’heure le caractère anglais,
faute de pouvoir, en quelques mots, indiquer les nuances;
elle permet de se fermer les oreilles aux violences jin-
goïstesde la masse, qui est évidemment de civilisation retar-
dataire par suite de son isolement orgueilleux; elle s’éten-
dra, gagnera rapidement du terrain au jour où une prospérité
trop exagérée pour être durable on le même état, étant
donné l’insuftisance des moyens de la maintenir au môme
niveau, éprouvera de sérieux échecs... et cette minorité-là
sera alors le salut de la puissance britannique parce qu’elle
sera la raison reprenant le dessus sur la lièvre. Mais voilà
A TRAVERS l’eXP0SIT10>;
1)4
que les interruptions de Mr Puzzling m’ont entraîné de
nouveau dans une digression que je supplie M. Bèchard de
me pardonner.
— C’est vrai, taisez-vous donc, monsieur l’Anglais, ou
nous n'en finirons pas !
— Je été Anglais, ye.ç. Je été donc libre de pàler !
Bêchard serre les poings avec colère ; mais, comme il se
sent près d’éclater... il se tait. Le centenaire se hâte de
reprendre :
— Ce Pavillon, construit pour être, en même temps qu’un
séjour princier éventuel, un rare musée permanent, presque
sans cesse accessible au flot d'une foule nombreuse, il a été
prescrit à l'architecte : P' De donner à l’édifice éphémère le
ma.ximum de résistance; 2” de bâtir de façon à mettre les
trésors artistiques confiés au Pavillon à l’abri de toute pos-
sibilité d’incendie.
— Pour prévenir le péril d’incendie, il est indiqué que
la charpente doit être métallique et l’emploi du bois proscrit
autant que possible.
— Sans doute. La charpente est toute en acier. Mais
Mr Lutycns ne s’en est pas tenu là. 11 a aussi métallisé les
murs, intérieurs comme e.xtérieurs, ainsi que les planchers.
— Allons donc ! fait Bèchard. On voit bien que ces murs
sont en pierre... ou plutôt en imitation de pierre!
— Ils sont en plâtre étendu : en partie sur une nouvelle
sorte d'acier très mince et comme plissé...
— Lb oui! SC rappelle Verduret, le joyeux Bouscastrol —
pauvre diable ! — nous a parlé, hier matin, de quelque
chose comme cela.
. — ... Et, continue le vieillard, en partie sur l’appui formé
par des bandes métalliques plates fixées, avec intervalles de
0™ 4rj, aux montants verticaux de la charpente. Quant aux
planchers, soutenus par des traverses d’acier, ils sont en
béton armé pour les surfaces planes de fer plissr — comme
l’acier des murs dont je viens de parler — et, pour les sur-
faces en ponte, de réseaux de fil de fer.
— Bouscastrol nous a aussi indiqué cette méthode, se
souvient encore le très attentif Verduret.
— En ce qui concerne la résistance, celle-ci est fonction
PliO.MK.NADE 7\ü OTAI D ORSAY
fis
de la force de la charpente cl des planchers et par suite de
leur poids. 11 est évident — et pour le comprendre il n’est
pas nécessaire d’ctre le. moins du monde ingénieur —
qu’une pièce de fer qui doit supporter un grand poids doit
être heaucoup plus grosse et partant plus lourde qu’une
antre qui ne doit soutenir qu'un poids léger. L’architecte
Oiiamjk-Biietag.ne. — Vue i>e i.a terüasse.
du Pavillon a calcule que le hàtimcnt construit assez en
force pour résister au poids d’une vague humaine l’emplis-
sant sans cesse en entier devait, avec la dite foule, peser sur
ses fondations à raison de 4,300 kilogrammes par mètre
carré. Or, plus de la moitié du terrain couvert par le Pa-
villon est occupé par le tunnel du prolongement de la ligne
des Monl ineaux jusqu’à l’Esplanade des Invalides, et le
radier de béton qui couvre ce tunnel ne peut supporter une
A TRAVERS L EXPOSITION
pression supérieure à 1,000 kilogrammes par mètre carré,
c’est-à-dire moins du quart de la poussée verticale du
Pavillon.
— Diable !
— De plus, il était interdit de prendre un point d'appui
sur le mur de soutènement de la tranchée du chemin de fer
souterrain. D’où, sérieuse difficulté de construction, étant
donné que si le Pavillon britannique n’est pas très grand,
il est, comparativement aux autres, extrêmement lourd.
— Comment a-t-on fait ?
— Mr Lutyens a dû créer le sol résistant qui faisait défaut
à l’aide de poutres parallèles, longues de 1.5'" 40, afin de
prendre leur point d'appui extrême au delà du mur de sou-
tènement interdit. Ces poutres, qui supportent à distance le
plancher du rez-de-chaussée au moyen de petits piliers,
reposent sur un seuil de fer, long de 27 mètres et scellé
avec du béton. Tout le poids de l’édifice et de ce système de
terrain artificiel porte sur dos pieux de 0''’.30 à 0'”35 de dia-
mètre et enfoncés de 7 mètres dans le sol. 11 y a 40 de ces
pieux — qui, même, à cause toujours du tunnel, ont dû être
enfoncés obliquement — du coté de la face sinl, et 52 du côté
de la façade nord.
— Tant de difficnltés pour une construction que l’on
aurais jamais cru! s ecrie
abattra dans six mois ! Je ne
Verduret.
— Ab ! cher monsieur, j’aurais — dût ce pauvre Mr Puzz-
ling, qui fait vraiment triste figure, avoir la jaunisse de
dépit de me voir faire constater plus encore son ignorance à
l’égard de cette œuvre... pourtant bien anglaise, puisque
tout, jusqu’aux moindres matériaux, est anglais dans ce
Pavillon...
— Aôh ! ce été pas le métier de mùa de savoir toutes ces
choses...
— Ce n’est pour moi que métier tout occasionnel, mais je
ne le changerais pas avec le vôtre, dit le vieillard en dardant
un regard d’une singulière acuité ironique vers le rouge fils
d’Albion qui mâche quoique inintelligible menace entre ses
longues dents, pendant que Bertrande se trouve soudain
prise d’un subit accès de toux en fixant le centenaire.
PROMENADE AU UUAl D OKSAV
G7
Celui-ci fait un léger signe de tète à l’adresse de la jeune
tille et reprend aussitôt :
— J'aurais, disais-je, bien des choses à vous dire encore
au sujet de la construction de ce Pavillon britannique, mais
je dois me limiter. Voulez-vous maintenant me permettre
de vous faire les honneurs de ce princier petit temple de
l’Art? V'euillcz me suivre, je vous prie.
A la suite du vieillard, le groupe quitte la terrasse du bord
de l’eau, et, après avoir escaladé quelques marches, pénètre
dans l’intérieur par la porte voûtée en plein-cintre de la
façade nord.
— Ici, annonce le vénérable cicerone en entrant dans une
première pièce au mobilier luxueux, nous sommes dans le
salon du prince de Galles. Placés comme nous le sommes,
c’est-à-dire au milieu de la façade nord et tournant le dos à
la Seine, nous avons, à notre gauche, la salle à manger
{tUning room]^ et, à notre droite, le salon de réception
(draiving room). Devant nous s’ouvre un large corridor cou-
rant entre l’escalier principal et l’office, et aboutissant au
grand hall, décoré d’une superbe collection de tapisseries
de sir Edward Bnrne-Jones, exécutées par Morris. Ge hall,
avec la bibliothèque, occupe presque entièrement la façade
sur la Rue des Nations. Au milieu de la façade de l’est, la seule
qui n’ait pas de porte donnant accès de l’extérieur, se trou-
vent le second escalier, les W.-C., le lavabo, le poste du
portier. Deux ascenseurs de service, un dans l’office et un
dans le second escalier, mettent le rez-de-chaussée en rela-
tion rapide avec l’étage supérieur.
— Alais... c’est tout un vaste appartement, sans chambres
à coucher !
— C’est, cher monsieur Verduret, l’appartement réservé
dans l’Exposition à l’héritier de la conronne d’Angleterre.
— Et, comme l’Exposition est fermée la nuit et que per-
sonne n’est autorisé à y demeurer...
— L’installation de chambres à coucher ei'it été un non
sens: cher monsieur Verduret, vous ôtes la logique même.
— Vous savez, observe gravement M"’" Flore, c’est tout à
fait bien ici... Il n’y a pas à dire : nous n’avons pas d’appar-
tement organisé et meublé comme cela, à Essonnes !
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Cela vient, chère madame, de ce que, jusqu’ici, le
prince de Galles a plutôt préféré Paris à Essonnes, mais... il
ne faut désespérer de rien.
^ Tu as perdu une belle occasion de te taire ! bougonne
Bêchard à l'oreille de sa femme. Pour la première fois, ou
presque, que tu ouvres la bouche depuis la visite de cette
matinée, tu n'as pas la main heureuse !
.V.\’r,i,.us i.’Exi'osn'iON.
]\lnie piorc rougit, conlusc, et le centenaire reprend ;
Avant de vous inviter à me suivre au premier, je tiens
à vous e.vprimcr combien je me sens à l’aise, en cet appar-
tement royal, pour dire tout le bien que je pense de l’aristo-
cratie britannique. Affabilité, tact, correction, compréhension
large de la vie, clarté dé l’esprit, solidité des sympathies,
générosité, le gentleman — une expression que I on vulga-
rise à tort — a à peu près tout pour lui.
F'ourtant, la Chambre des lords approuve...
l’UOMENAIJE AU OUAl I) OKSAV
09
— Monsieur Verduret, nous ne parlons pas politique.
Elle serait ici déplacée. Si, dans tons ces Pavillons étrangers
que je vous ai t'ait visiter, je me suis |)lù à vous dessiner des
silhouettes de peuples et de personnalités, c’est uniquement
Types .vngeais et hindous.
Femmes et .ieu.nes filles de Guhkas et de Madhas.
au point de vue ethnique' des caractères de race et «les va-
leurs individuelles. Ainsi, au sujet de cqüq gentr/j anglaise,
je suis sûr de n’ètre contredit ni en Angleterre ni en France
en affirmant qu’il n’est aucune sélection humaine avec la-
70
A ÏRAVEIIS l'exposition •
quelle notre élite, à nous, entretienne un plus agréable com-
merce d’excellentes relations. Je me crois en droit, par contre,
de dire francliement que jamais les bourgeoisies et les peu-
ples d’Albion et de France ne s’entendront et ne sympathi-
seront, car tout en eux est
opposé: pensée, sentiments,
vertus... et jusqu’aux vices
— sans compter l’immc-
moriale hostilité historique.
Je le regrette, mais les faits
sont tes faits et on ne modi-
fie pas le génie même des
races.
— Alors, les Anglais se-
ront toujours nos ennemis?
— Pourquoi? Deux fa-
milles de mœurs, d'humeur,
de religion opposées peu-
vent très bien vivre en
bonne harmonie en deux
maisons voisines... 11 n’y a
qu’à tâcher d’évi ter mutuel-
lement et avec le plus grand
soin toute discussion... de
mur mitoyen... Mais, nous
causons — je reconnais que
c'est ma très grande faute, cette fois — et nous perdons du
temps. Montons au premier, où je veux vous montrer la
superbe galerie placée au-dessus des salons princiers et,
par conséquent, ayant vue sur la Seine.
Lorsqu’ils y sont :
— Cette longue galerie, où abondent les maitresses-
œmvres des grands artistes anglais drfunts des xvnù' et xix°
siècles, est copiée — sauf la disposition des fenêtres qui est
commandée par la reproduction de la façade de Kingston
llousc — sur la galerie fameuse de Knole Park, près tie
Sevenoaks, dans le Comté de Kent.
— Ft... qu’ost-cc que Knole Park? demande curieus<‘-
ment Bertande.
SIR ^VU,LIAM AGXEW
H.kRONNKT
MLMBHt: Di: COMITK Di: PAVILLON ROYAL
imiTANNDML.
PROMKNADi: AU QU'AI D ORSAV
71
Lest, mademoiselle, une des plus célèljres parmi les
anciennes demeures baronniales de rAngleterre. L’édilice
est consideralile, llanc|ue de tours, délendu par des portes
massives à créneaux, et l’on y voit le mélange des architec-
tures des trois derniers siè-
cles. Le parle couvre 5 ou h
milles en circonférence (de
<S à K) kilomètres), ce qui
donne, n'est-ce pas, une
haute idée — très juste,
d'ailleurs — des propriétés
se igneu riales d 'ou tre-ÎMan-
che. Ce château possède une
galerie de tahleanxiles plus
remarquahles ('fitien, l'Al-
hane, Salvator Rosa, Rem-
hrandt, Ruhens, Van Llyck,
llolhein, Téniers, etc., pins
une curieuse collection île
])ortraits anglais), et c'est
sur le modèle do cette ga-
lerie qu'a été construitecelle
de ce Pavillon.
— décroîs hien, fichtre!
qu'il ne faudrait pas que le
feu prenne ici ! murmure Yerduret.
— Aôh!... les trésors de le Angleterre hroùler!...
— Rassurez-vous, estimahle mister Puzzling : non seu-
ement le coffre-fort est incomhustihle, mais on a pousse la
précaution jusqu à installer dans les dessous un poste d'in-
cendie avec une pompe à vapeur ! Vous voyez que le
«Comité» du Pavillon est composé. d’hommes que Pou ne
pourra accuser d’imprévoyance.
— Je vois, moi, qn'en le cas présent, étant donné la
ioule qui envahit sans cesse céant, c’est un véritable Comité
de Salut public! s’écrie Verduret, tout jovialement fier de
faire « un mot ».
■ — Hum! rectifie le centenaire, je n’imagine pas bien un
comité révolutionnaire avec des noms tels que ceux : du
major général sir Arthur Ellis (président) ; de sir ^Villiam
M. THOMSON I,Y()N
SKCKÉT.UHK DR COMITÉ DU P.VVILLON H0Y.\L
RHITANNR^CK.
A TRAVERS L EXPOSITION
12
Agnew, baronnet; de sir William Murray Scott, également
baronnet; de sir Cbarles Tennant, toujours baronnet; de
Mr Piirdon Clarke, directeur du South Kensington Muséum ;
de Mr Montagne Ouest, du professeur G. Attehison, prési-
dent du (< Royal Institut » des « Architectes britanniques »;
du colonel Jckyll, Commissaire général britannique à
l'Exposition de 1900; enfui du très aimable secrétaire du
Comité, M. 11. Thomson Lyon !
— Bigre, vous avez raison; mes « sans-culottes » n’ont
qu’à battre en retraite... si peu que cela fût dans leurs habi-
tudes. Excusez donc ma facétie qui se trompe de porte, et
laissez-moi vous dire ma surprise d'apprendre que le Com-
missaire général britannique est un colonel.
— Mon cher monsieur Verduret, dans une nation fonciè-
rement militaire ou sérieusement militarisée, les militaires
ne sont que militaires... à moins qu'ils ne se reposent en se
faisant des savants, des tccliniciens. Les officiers des grandes
armées si instruites du présent craindraient de n’ètre plus à
la hauteur des devoirs des hauts commandements s'ils se
distrayaient do l'étude constante de leurs sciences spéciales
et des incessants perfectioiinenieuts de la tactique et de l'ou-
tillage guerrier. 11 n’en est pas de môme on Angleterre où,
comme je vous l’ai dit, ou en est, au point de vue militaire,
sauf en ce qui concerne les nécessités des modifications de
l’armement, à peu près encore à 18oo ou 1860, et vous savez
qn’alors on demandait surtout aux officiers d’être braves et
d’avoir du coup d’œil ; or, les officiers anglais, s’ils n’ont pas
toujours un impeccable coup d’œil, sont tous d’une parfaite
bravoure.
« Le colonel Hubert Jckyll, Commissaire général à notre
Exposition est, dans l’armée anglaise, un officier des plus
remarquables. Brillant élève de Woolwich, il appartient
à l’arme savante du génie. 11 fut cité plusieurs fois à
l’ordre du jour, en 1874, dans la campagne contre les
Ashantis. A son retour, il devint secrétaire privil du Ministre
des Colonies, puis secrétaire du « Comité de la défense
nationale » et de la « Commission chargée do faire prévaloir
les intérêts du commerce britannique ». 11 redevient ensuite
secrétaire de l’ancien Ministre des Colonies, comte Carnavon,
appelé au poste de vice-roi d’Irlande; il va organiser l’Expo-
PRO.MENADIi AU QUAI d’oRSAV
7;{
sition de Melbourne, puis reprend la situation de secrétaire
auprès du nouveau vice-roi d Irlande, lord llnughton... »
— Ah! bien, dans cette succession de postes plutôt civils,
il a dû quelque peu se brouiller avec l’art de diriger les
lortifications de siège ou de campagne.
l'J
A TKAVEKli l’e\1'Oï>IT1ÜN. — T. MI. — 1
74
A TRAVERS l’eXPOSITIOIN
— Nullement. Les perfectionncmenls de son arme
n'allaient pas assez vile, en son pays, pour distancer un
homme intelligent. Aussi, après ces diverses lonctions, prit-
il sans effort le commandement du génie de la circon-
scription de Cork, pour venir ensuite organiser la défense
de l'industrie anglaise sur le pacifique champ de bataille de
l’Exposition de 1900.
— Vous avez beau dire, je ne vois pas la France envoyant
le colonel Marchand commander la section française à une
exposition universelle de Londres.
— Parce que vous jugez, comme toujours, avec des yeux
français; mettez-vous au point de vue anglais et vous trou-
verez cela tout naturel. D’ailleurs, le colonel Jekyll n est
pas le seul militaire que la grande puissance navale voisine
ait délégué à l organisation de 1 e.xhibition britannique.
— C’est vrai, ne venez-vous pas do dire que le president
du Comité du Pavillon était un général ’?
— Oui, le major-général sir Arthur Ellis. Mais ce n’est
pas de lui, demeuré dans les hautes sphères lointaines, que
je veux parler; c’est d’un ancien vaillant otticier comptant
trente années de bons services, sur les fortes épaules de qui
a porté tout le poids de l’organisation de l'exposition an-
glaise, la plus importante, je crois, des sections étrangères;
c’est du Commissaire général adjoint qui, présent à Paris,
qu’il habite, a, des la première heure, été la cheville ou-
vrière de toute l’ceuvre ; Mr Spearman.
— Cela fait trois ofliciers, calcule d’emblée le mathéma-
ticien Bèchard.
— Et remarquez, on passant, poursuit le centenaire, que
ce sont trois officiers de l’armée de terre.
— Tiens, c’est vrai. Pourquoi pas un marin, dans le
nombre, pour varier?
— Parce que, cher monsieur Verduret, la marine est la
vraie armée de 1 Angleterre, celle qui travaille sans cesse
pour garder la suprématie maritime, et dont on ne distrait
pas les cbefs, toujours tenus en haleine.
— Pourtant, chez nous, où la marine est moins impor-
tante que l’armée de terre, l’une comme 1 autre...
— N’essayez pas do comparer, cher monsieur : la b rance
est une nalion et militaire et maritime ; l’Angleterre est
PROMENADE AU QUAI d'oRSAY
7o
la nation la plus {missamment maritime, mais n'est lias
une nation militaire. Tout te secret est là... Mais, laissez-
moi revenir à, Mr Spearman, si laborieux et si courtois.
ont soldat de carrière qiTil a été, il est, bel et bien
de souche... exposilion- ’
niste.
— Hein ?
— Oui, et au premier
chef. Son père, le « Très
honorable sir Alexander
Spearman, baronnet. Con-
seiller privé de lier Ma-
jesty the Qaeen Vicloria »,
était membre de la Com-
mission royale qui fut
chargée de préparer la
P r e m i è r e des grandes
expositions universelles,
colle qui fut ouverte à
Londres en 1851, et dont
je vous ai dit un mot, si
vous vous souvenez, lors
de notre première ren-
contre, le jour de votre
arrivée à Paris.
— Parfaitement. C'é-
tait pendant le trajet que
nous avons fait dans votre automobile si étonnamment
légère, pour nous rendre du Trocadéro à l’avenue Nicolas IL
C est cela. Donc, Mr Spearman, après avoir fait ses
études au Collège royal d’Eton, les a complétées en Alle-
magne et... en brance. Comme c’est à Paris qu’il est venu
s installer après avoir pris sa retraite, vous voyez qu’il est
bien 1 Anglais le plus Français de tous les éminents orga-
nisateurs de la Section de la Grande-Bretagne. Il est très
sympathiquement accueilli et hautement estimé dans la
société parisienne et, en quittant l’épée, sa main s’est armée
dune plume aussi valeureuse qu’elle. 11 envoie de Paris
aux revues anglaises des études très appréciées et dont
beaucoup traitent la question si délicate et humaine des
iM. SPEARMAN
COMMISSAIRE GÉNÉRAL ADJOINT
DE LA GUANDE-URETAGNE.
(Cliché Larger.)
A TRAVERS l’eXPOSIÏION
7()
réo'inies pénitentiers, quoslions dont il s est fait une spécia-
lité qui l'a désigné pour représenter la Grande-Bretagne au
Congrès pénitentiaire international qui a été tenu à Paris en
181)5. Inutile d’ajouter que l’heureux choix fait par le Gou-
vernement de la Heine a été pour hoaucoup dans les excel-
lentes relations, toutes de complaisances réciproques et de
cordialité, qui n’ont cessé d’exister entre le Commissariat
«énéral de l’Exposition et le Commissariat hritannique... Et
maintenant, puisqu’il vous reste encore un Pavillon étranger
à visiter, voulez-vous que nous nous y rendions?
— Aôh ! déjà quitter le Angleterre !
— Comment, déjà? riposte \ erduret. Mais, sans reproche,
voilà près de trois quarts d’heure que nous venons de consa-
crer à ce Pavillon.
— Et il me semble, bien cher mister Puzzling, ajoute le
vieillard, que je n’ai pas ménagé les explications, alors que
vous en étiez si sobre?
Yes! vô avez dit hiaucoup dos chaôses... et surtout
hiaucoup des... Aôh! comment vô disez... Ah! yes: des
méchancetés.
— C’est de votre faute aussi, et de votre seule faute. Si
j'ai articulé un peu crûment quelques vérités d’ordre géné-
ral, c’est par besoin de répondre à vos déclarations de supré-
matie universelle, envers et contre tous, de tout ce qui est
anglais. Savez-vous, mister Puzzling, quels sont les plus ter-
ribles ennemis de l’Angleterre?
Yes ! les ridiquioulos farmers hollandais du South
Africa.
— Non, mais bien les Anglais agressivement intransi-
geants tels que vous.
— Aôh !
— Et, sur cette conclusion ad hominem, quittons Kingston
House et les brumes du Royaume-Uni pour le beau soleil
de la...
CHAPITRE IV
PRINClPAlTli DE MONACO
LE l'LLiS J'i:riT É'I'AT JJ U MONDE
En quittant lo Pavillon de la Grandc-Bi’etagne, noire
groupe pi’ovincial, sur les pas très fermes du centenaire, se
riiet tranquillement en marche dans la direction du pont de
1 Alma, sans quitter la teiTasse du hoiH de l’eau. Pour at-
teindre Monaco, but de sa dei’nièi’e station parmi les Pavil-
lons éti-angers groupés au quai d’Orsay, il lui faut longer
les territoires parisiens de la Belgique, de la Norvège, de
rAllemagne et de l’Espagne.
Chemin faisant, le cicei’one antique se déhariaisse de son
exorde coutumier précédant visite.
^ raiment, dit-il à ses compagnons, le hasard vous
ollre, pour cette tin de pi-omenade au quai d’Orsay, la sui’-
pi ise du plus grand contraste qu’il soit possible d’imaginer.
Nous quittons la plus vaste Puissance du monde, celle qui,
sous la figure tangible de ses réseau.x télégraphiques, étend
ses bras maigres sur le globe entier qu’il enserre avec une
énergie farouche; la Puissance dont la formidable marine
fait toiletter le pavillon sur toutes les mers, qui porte la
78
A TRAVERS l’eXPOSITION
guerre jusqu en les parages les plus lointains, jetant ses
troupes mercenaires à la conquête de toutes les terres dont
les populations faibles ou arriérées osent vouloir vivre hors
de sa dépendance au moins morale... Et voilà que nous
allons saluer un Etat qui tiendrait presque dans Hyde Park ;
qui n'a d'autre prétention de conquête que celle d attirer
chaque hiver sous sa domination aimable une plus grande
fonle cosmopolite d'élégantes mondaines et leurs galants
cavaliers; qui n’a pour armée que dix ou douze dizaines de
soldats de parade; un Etat dont toute la marine nationale
consiste en I nnique Pruteesse Alice, le beau yacht du Prince
qui ne compte plus ses savantes campagnes maritimes.
— Le fait est, approuve Verduret, qu'entre nn pays qui
fait voguer une armée de 200,000 hommes de la Métropole
et de rinde jusqu’au Sud de l’Afrique, et un antre dont
toute l’armée n’atteint pas l’elfectif d’une de nos demi-sec-
tions commandées par un de nos petits sergents plus ou
moins imberhes, il y a de la marge !
— Eh bien ! je vous assure qu’un habitant do Mars, tom-
bant ici de sa planète, aurait toute chance, en son ignorance
de la géographie politique de notre Terre, de prendre bel et
bien Monaco pour la grande puissance, car vous allez voir
ce que Kingston llouse semble médiocre en comparaison du
palais de la petite principauté.
— Ce qui prouve jme fois de plus qu’il ne faut pas se fier
aux apparences, poursuit sentencieusement le grave tariiiier
d’Essoiines.
— Bien parlé, monsieur Bêchard !... Il est évident que
si le Martien que j'imaginais poussait sa visite au delà de
cotte Bue des Nations, son opinion changerait vite du tout
au tout ; de Monaco, pas trace dans les sections et au Tro-
cadéro, où l’Angleterre réclame l'attention à chaque pas.
— Ce qui veut dire, traduit Verduret, que toute 1 expo-
sition do la princi[)anté est contenue dans son Pavillon. Je
me demande même, puisque vous dites ce Pavillon si impor-
tant, comment cet Etat moins peuplé qu une seule rue
moyenne de Paris a bien pu taire pour le meubler de ses
produits agricoles et industriels?
— Eh ! eh ! Monaco est un petit port de pêche et de com-
merce très actif ; il possède des manufactures, tissus de
PROMENADE AU OUAI D ORSAY
79
coton et distilleries d’essences ; il récolte de très beaux fruits
et des fleurs merveilleuses... Et puis, moralement, n'est-il
pas l’égal de la Russie, de l'Angleterre ou de la France
puisque, comme elles, il est Etat indépendant?... Avant que
nous arrivions devant le Pavillon, je n’ai pas, vous le com-
prenez, à vous parler de ce pays microscopique et charmant.
11 est trop connu. Perché pittoresquement sur son rocher, il
est a la fois banlieue de Nice et du quartier des Champs-
Elysées. Et puis, pour vous le décrire dans sa note si parti-
culière de rendez-vous mondain, au lieu de l'aigre voix d’un
pauvre vétuste érudit tel que moi, toujours occupé de vieux
livres et de sciences neuves, il vous faudrait la parole auto-
risée d’un élégant oisif, habitué des sensations du « Trente
et Quarante » et de « la rouge ou la noire ». Dans l’esprit
du public, Monaco, c’est son Casino, accidentellement ses
régates. Vous allez voir, puisque nous voici arrivés, qu’il
est... aiRre chose, grâce à l’orientation supérieure que son
Souverain a donnée à ses propres clforts et à sa vie...
Mais ses auditeurs n’écoutent plus le centenaire; ils con-
templent. Ils n ont pas assez d’yenx pour admirer. Pour-
tant, leurs sensations sont essentiellement diverses.
— Comment trouvez-vous cela? demande le vieillard en
les observant.
C est... c est <■ riche » ! déclare tout de suite iM'"" Flore.
•••• ^ Gst très grand ! formule le fariniei-...
IA cette tour... Voyez donc ce qu’elle est haute !
A son tour, Verduret, d'un air amateur et extasié, ex-
prime :
Cest à la lois coquet, somptueux et imposant; cela
vous a lin double caractère de château fort moyenâgeux et
de palais moderne qui enchante l’œil !
Et vous, mademoiselle Bertrande?
■ 'iioij je regarde et ne dis rien, car si je par-
lais, mon oncle me gronderait.
— Moi, petite? Et pourquoi ?
— Parce que, en contemplant ce beau Pavillon, je me dis
quil est dommage que l’on no construise ces superbes de-
meures que pour les Altesses Sérénissimes, sans cela...
PROMENADE AV QUAI d'oRSAV
81
— Sans cela ?
— Mon oncle, vous rêvez pour moi un époux excep-
tionnel... Eh Lion, s’il voulait et pouvait mettre un joli
château de rêve comme celui-là dans ma corbeille de ma-
riage...
BIOXACO. — L’ilKtl. DE LA TOUR DU PAVILLON.
— Veux-tu bien te taire! Serais-tu assez sotte pour (o
laisser prendre à la folie des grandeurs?
— Là, vous voyez bien que vous me grondez!
— Et je prétends que monsieur votre oncle a tort, made-
moiselle, déclare d’une voix bizarre le vieillard. Sait-il si
82
A TRAVERS l'eXPOSITION
celui qui aura l’honneur de votre choix ne sera pas capable,
tôt ou tard, de satisfaire votre rêve somptueux?
— Ah ! je vous en prie, s’écria Verduret, n'allez pas lui
mettre de pareilles idées en tète !
— Je me le tiens pour dit, cher monsieur, et je m’em-
presse, pour détourner le cours des idées — que vous jugez
dangereuses — de mademoiselle votre nièce et pupille, de
répondre à chacune de vos exclamations. M'"'’ Bcchard trouve
ce Palais do bois et de stalT très riche; si Monaco ne faisait
pas riche, qui donc l'oserait? M. Bechard le trouve grand :
il l'est, mais il l'est plus d’aspect que par ses proportions
réelles. La concession de terrain accordé à la IVincipauté
mesure 38 mètres sur 3.3. L'édifice provisoire se compose de
doux parties : 1“ le Pavillon proprement dit qui a 28"'30 de
façade principale (c’est-à-dire celle perpendiculaire à la
Seine et devant laquelle nous sommes), sur 23 mètres de
profondeur; 2” la tour qui a pour base un carré de 8 mètres
de côté et qui atteint la jolie altitude de 48 mètres. Pour ré-
pondre à M. Verduret, je n’ai qu'à indiquer que te Pa-
villon reproduit quelques-unes des principales parties du
Château de Monaco, qui est, en efl'et, de plusieurs époques.
Mais, je reviendrai dans un instant sur ce sujet. Quant au
vœu formulé par M"" Bertrande, je me garderai, à mon
tour, de ne rien ajouter à mes paroles qui m’ont fait gron-
der, moi aussi... Et puisque Mr Puzzling n’a, selon son ha-
bitude, exprimé aucune pensée, il ne sera pas étonné que
je réponde par un prudent silence au froid brouillard de ses
impressions artistiques. Avant de vous donner quelques in-
dications sur ce Pavillon, laissez-moi vous dire rapidement
à quel groupe il’hommes d'incontestahle valeur. Son Altesse
le prince de Monaco a confié le soin d’organiser la repré-
sentation de la principauté à l'Expositiou de 1900.
— Parfait; le petit défilé du Commissariat général.
— Comme vous dites, monsieur Verduret. Jusqu'au dé-
but de cette année, le Commissaire général était M. le baron
du Charmel, ministre plénipotentiaire du prince à Paris.
Quelques semaines avant l’ouverture de l'Exposition, il a ré-
silié ses fonctions entre les mains du Commissaire général
actuel, M. de Pelley, directeur de la Société des Câbles trans-
atlantique, un administrateur de premier ordre, officier de
PROMENADE AU QUAI d'oRSAY
83
la Légion d’honneur et français -- cela va sans diia! — la
Principauté enclavée dans notre département des Alpes-
Maritimes étant « virtuellement » française tout en étant
exclusivement monégfisque. M. de Pelley s’est déjà occupé
d expositions, et c)i particulier, a joué un rôle dans celle de
1889. Le Commissaire délégué est M. Camille Blanc, l’uni-
versellement connu et apprécié Président du Conseil d’ad-
ministration de la Société des Bains de Mer et Cercle des
Etrangers de Monte-Carlo. Sportman di primo carteUo ,
M. C. Blanc est président du Conseil de la Société du Tat-
tersall, et possède une écurie de courses presque aussi re-
nommée que celle de son frère. Il est le président du Comité
d’organisation de l’exposition monégasque dont les membres
sont MM. Eugène de Millo, Delefortrie, Cabireau, Jenty, etc.
Le secrétaire du Commissariat est le distingué, aimable et très
sympathique, secrétaire de la rédaction du Figaro Gaston
Calmette. Avec une telle cohorte pour porter son drapeau,
la principauté de Monaco ne pouvait que marcher à un écla-
tant succès, ce qui a lieu. Maintenant, jetons un coup d’œil
sur le Pavillon, situé, comme vous voyez, entre ses deux
collègues d’Espagne et de Grèce.
.m
:monaco a paris
Alors, dit Verduret, ceci est une reproduction du (ihà-
teau de Son Altesse à Monaco.
— Beproduction est un terme impropre. Le Château de
Monaco, sans remonter aux temps préhistoriques où Denys
d llalicarmasse, Diodore de Sicile et d’autres historiens veu-
lent que la ville do Monaco ( llcrculix i\fonœci Por/as) ait été
londée par Hercule allant en Espagne combattre Géryon,
voit remonter sa construction à une antiquité assez reculée ;
mais il a été agrandi par des annexes de dilférentes époques
et ayant par conséquent des styles ililférents. 11 est très
vaste, ave cses tours surmontées de créneaux, et qui sont do
1
PAUÏÉ DE MONACO
86
A TRAVERS l’eXPOSITIOIS
style mauresque, ses riches galeries, ses salles d'houneur,
sa chapelle et ses jardins étagés en terrasse. Ce Pavillon
d’exposition ne peut donc en être une reproduction, au
sens exact du mot; mais, comme je vous l'ai dit, il en repro-
duit quelques fragments saillants. Ainsi, de concert avec
iM.M. Médecin et Marquet, les architectes monégasques,
M. Teissier, l'architecte français du Pavillon... (Ah! que je
vous dise tout de suite que M. Teissier est un jeune, étant
né à Marseille en 1869, et que, éléve de l'Ecole des Beaux-
Arts, il est bien connu à Monte-Carlo pour y avoir été chargé
de travaux importants eu 1897 et 1898)... ainsi, disais-je
les architectes ont exprimé, dans cette belle tour qui s’élève
au bord de la Seine, une réminiscence des vieilles tours que
possède encore — et surtout qu’a possédées — le Cbâteau.
De même, le Pavillon proprement dit est un assemblage de
plusieurs motifs empruntés au Château moderno-féodal du
pittoresque Cap. Tenez, par exemple, la porte principale est
la reproduction exacte de celle du Château de Monaco...
A ce moment, un mouvement se produit parmi le Ilot do
visiteurs qui coule lentement par la Rue des Nations. Le
centenaire tourne vivement la tète de ce côté. Peu amateur
apparemment des poussées populaires, fussent-elles interna-
tionales, il dit rapidement à ses compagnons :
— Entrons, je vous prie.
EC .i oignant l'exemple au précepte, il gravit en quelques
enjambées le large perron et pénètre dans le Pavillon. Nos
provinciaux seuls l’y rejoignent aussitôt, car James-Gregory
Puzzling — serait-il devenu curieux et badaud comme... uu
Parisien? — s'est élancé vers le point où se produit un
léger tumulte.
Entraînant les deux couples, le centenaire descend au
sous-sol, où il leur montre un superbe diorama de la ville
de Monaco vue du large, et qui est dû au pinceau habile de
M. Ulive, peintre de marine marseillais.
Il les emmène ensuite à la salle de Cinématographie; là,
ils assistent à une intéressante séance où défilent les clichés
primés au Concours de bandes cinématograDhiques qui a eu
lieu à Monaco en 1899.
PROMENAOrC Ai: QUAI Tj’oRSAV
87
Laissant nos visiteurs à leur plaisir double de la surprise
de faire connaissance avec cette C(Mn d'Azur qu'aucun d'eux
ne connaît, le vieillard s est un moment éclipsé. Lorsqu’il
revient, c'est avec un calme souriant qu’il leur dit :
— \ous avez bien vu ? Lh bien! remontons visiter le rez-
de-chaussée.
11 les promène, tout causant, à travers les trois grandes
galeries d'exposition où ce ne sont, artistiquement présen-
tés, que fruits appétissants, oranges parfumées, et surtout
des plantes et des (leurs, et des Heurs encore, rares et belles,
dont 1 atmosphère est embaumée... et, aux murs, des pein-
tures exquises qui, pour six mois, ont gracieusement déserté
la principauté.
Le tour lait, il les conduit dans l'atrium central et leur
dit :
— Regardez, et faites-vous une idée du merveilleux climat
d’un pays où, sur un rocher s’avançant dans la mer, croît
et vit un arbre pareil !
— Mais... c’est un palmier!... et un palmier géant !
— Ce palmier, cher monsieur Verduret, pèse 3,000 kilo-
grammes.
3,000 kil... s écrie Bèchard que ce chilTre, parce que
chiffre, manque de faire tomber en extase.
Heureusement, le centenaire ne lui permet pas cette déro-
gation a ses principes de gravité. Il paraît ne pouvoir tenir
en place, le singulier vieillard; et c'est presque nerveuse-
ment qu il invite ses compagnons a gagner le iiremier étage
Il leur dit :
H y a, en réalité, dans ce superbe Pavillon, deux expo-
sitions : celle de la principauté de Monaco et celle de Son
Altesse Sérénissime le Prince de Monaco.
Alors, c est comme pour la Bulgarie, oi'i se trouve la
très belle exposition des domaines particuliers du Prince
Ferdinand ?
— Cela n’a aucun rapport.
— Comment?
— L’exposition du Prince Ferdinand est encore une ex-
position bulgare, tandis que celle du Prince de Monaco n’a
A TRAVERS l’eXPOSITION
pas le moindre lien avec son petit Etat. Jngez-en. Ce que
vous avez vu jusqu’ici, c'est l’exposition do la principauté :
dioramas et cinématogra[)hes du sons-sol, fleurs, fruits,
plantes, tableaux du rez-de-chaussée, enfin le Pavillon lui-
même qui montre partiellement aux Parisiens et à leurs
La tour du I’ai.ais de Monaco.
PRO^II'NADE Al' OL'AI ij’oRSAY
89
BIonaco. — La I'ORTe i'iii.ncu’ai.k du Pavii.lo.n.
hôtes le vieux cluiteau du Port d Hercule. A cette exposition
do la principauté appartient encore la superbe galerie du
premier étage où nous entrons, et qui est située sur la
90
A TRAVERS l’eXPOSITION
façade principale, au-dessus de la porte maîtresse du Pa-
villon.
— Elle est, en ell'et, magnifique, cette galerie. Est-ce
qu'elle est une reproduction?
— C’est la reproduction rigoureusement exacte de celle
qui, au château méditerranéen, porte le nom de « Galerie
(l'Hercule ». Véritable chef-d’œuvre d'architecture, avec ses
colonnes si légères et son luxe d’ornementations, de motifs,
de peintures. Regardez attentivement ces fresques qui, en
])lusieurs panneaux nés sous les maîtres pinceaux de l'ar-
tiste monégasque M. Eissore et de son collaborateur x\l. Eau-
trew, représentent les plus célèbres douze travaux légen-
daires d’itercule. Vous savez que ce héi'os, dont l’antiquité
grecque a fait un demi-dieu, ayant tué sa femme iMégare et
ses enfants dans un accès de folie, dut, pour expier ce
crime involontaire et sur l'ordre de son frère le roi Eu-
rysthée, accomplir une série mémorable d’exploits consi-
dérés comme surhumains, mais dont sa force extraordinaire
lui permit de sortir à son honneur. 11 combattit et tua le
lion formidable de la forêt de Nemée ; tua l’hydre de Lerne;
prit vivant le sanglier d'Erymantbe ; s’empara à la course
— une course d'une année — de la biche fugace et rapide
dont les cornes étaient d'or et les pieds d’airain, ce qui ne
l’empêchait pas, parait-il, de bondir avec autant de légèreté
([ue s’ils eussent été... de caoutchouc; perça de scs tlèchcs
les oiseaux du lac Stymphale; dompta le taureau de Pile de
Crète; enleva les cavales (jue le roi de Thrace, Diomède,
nourrissait criminellement de chair humaine; vainquit les
redoutables Amazones, ce qui manquait peut-être un peu de
galanterie, et leur enleva leur reine, ce qui est tout à fait...
talon rouge; nettoya les écuries du malpropre xCugias en
détournant sur elles le cours du tlcuve Aljdiée, et l’on ne
dit pas que les commissions sanitaires du temps lui aient,
pour cette œuvre magistrale d’assainissement, fait décerner
le moindre prix Montyon ; il combattit et tua Géryon et lui
subtilisa — héroïquement, bien entendu — ses nombreux
troupeaux; il enleva les pommes d’or du Jardin des llespé-
ride ; enfin, enchaînant le farouche Cerbère, concierge des
Enfers, il délivra Thésée du noir séjour. Or, mes chers au-
diteurs, vous voyez ici plus encore que ces Travaux fameux.
J'RdMKNADI:; AC QLAI IJ(JRSAV
91
Combats contre l’Hydre, le Lion, le Gladiateur, etc., pnis-
qu un panneau, prenant Lhistoire fantastique du héros à
son origine, vous montre la Naissance d'ilercnle. Ces pein-
tuies sont faites « a la fresque », c’est-à-dire à la détrempe
sur enduit frais. En levant les yeu.v, vons ne pourrez, si
peu de sang artiste que l’atavisme vous ait mis dans les
veines, qu’admirer les très remarquables plafonds de cette
merveilleuse galerie, lesquels sont peints dans le style ra-
phaélisque.
Ma parole, déclare \'erduret d’un air convaincu, on se
croirait ici dans une salle du Louvre !
— Voilà, poursuit le vieillard, de qui l’articulation se
lait de pins en pins rapide, comme s’il avait une hâte de
pins eu plus grande de terminer au plus tôt son rôle de
cicerone, voilà — en y ajoutant, si vous voulez, le très beau
salon de réception de la tour, salon de style Louis XVI, et
tout entouré de loggias à l’italienne — voiïà, dis-je, l'expo-
sition de la Principauté de Monaco, l'assons à celle du
Prince, qui occupe tout le premier étage du Pavillon.
— Toutes ces vitrines ?
Gni, ce sont les précieuses collections qui résument
1 œuvre de Son Altesse Sérénissime, œuvre maritime de
haut inlérèt universel et humain.
— Et cette œuvre ?
C est la consécration de toute une existence à ta grande
science nouvelle de l’Océanographie. Le Prince est nn
marin. Il consacre sa vie et une part de ses gros revenus à
pénétrer les mystères de 1 abîme. Faisant croisière sur croi-
sière à bord de son beau yacht galamment baptisé dn nom
de la Princesse Alice, nn yacht qui est en môme temps un
laboratoire de savant, il fait sous toutes les latitudes,
chaudes comme glacées, des dragages et des sondages
incessants qui révèlent an monde les curiosités incon-
nues des fonds marins, de leur flore, de leur faune; il étudie,
en un mot, toutes les particularités de la vie sous-marine.
Près du pôle, il découvre des rades et des ports sûrs de
refuge pour les expéditions scientifiques dans ces inhospi-
taliers parages ; dans les océans, grâce à sa qualité de chef
d Etat, il a pn organiser par toutes les marines des lancers
de bouteilles qui ont permis de connaître le régime — -
92
A TRAVERS l’eXPOSITION
marche, direction, vitesse — des courants, connaissance si
précieuse à la navigation. Un peu partout il a pu dresser des
cartes des fonds et révéler aux naturalistes des milliers de
formes de la vie inconnues avant ses patients et nobles tra-
vaux... Voila 1 œuvre du Priuco, et ecUe œuvre est écrite
eu lettres de gloire dans ces nombreuses vitrines... (]ue je
vous invite à étudier avec attention et respect, mais sans
moi, si vous le permettez.
— Comment, vous quittez?
— II le Tant. Cn rendez-vous ui-gent m’a[)pelle ailleurs,
pour le moment. iMais, rassurez-vous, je ne vous abandonne
pas.
Et, prenant Verduret sous le bras, il l emmène un peu à
l'écart.
— Cher monsieur, lui dit-il, voulez-vous me permettre de
profiter de l'absence de Mr Puzzling pour vous indiquer l'iti-
néraire que je vous serais obligé de suivre pendant Plieurc
environ où il me tant me priver de votre aimable société?
1)4
A TRAVERS l’exposition
— Mais, comment donc, cher monsieur. Nous vous
devons Irop de reconnaissance pour ne pas obéir aveugle-
ment à vos excellentes indications.
— Aveuglement et.. . discrètement?
— Je ne comprends pas.
— Je m'explique. Je vous avoue que rétornelle présence
de cet Anglais à nos petites conférences expositionnistes me
produit un elTct d'agacement tout particulier — vous avez
vu qu’au l'avillon britannique je n’ai pu me retenir de lui
dire des choses désagréables — et, puisqu’il vous a mo-
mentanément quittés, j’en voudrais profiter pour le dépister.
— Ma foi, pour ma part, j'en serais ravi, car je trouve sa
tenace indiscrétion tout à fait insupportable.
— Eh bien, voici, j’espère, le moyen. Visitez rapidement
les collections princières qui sont ici et sortez du Pavillon
par la porte du bord de l’eau, sous la Tour. Mêlez-vous à la
foule et, rebroussant chemin adroitement, entrant pour en
ressortir aussitôt dans quelques-uns des Pavillons que vous
connaissez, gagnez la station qui se trouve dans la Une des
Nations, entre les Pavillons du Luxembourg et de la Perse.
Là, vous n’aurez que peu d'instants à attendre pour voir
arriver quelqu’un qnc vous connaissez et qui vous fera faire
une intéressante et distrayante excursion sur les chemins de
fer électriques, trottoir roulant, etc., de 1 Exposition.
Vous verrez qu’il y a là, pour vous, beaucoup à apprendre.
— Je n’en doute pas, et cette promenade sera, j’en suis
sùr, charmante. Mais quel guide nous donnez-vous donc?
— Vous verrez. Quami vos petits voyages seront ter-
minés, il sera bien temps que vous alliez vous reposer en
prenant un léger goûter ou ([uelques rafraîchissements dans
un des nombreux bars cosmopolites qui sont aussi nom-
breux à l’Exposition que les coquelicots dans un champ,
une fois reposés, rendez-vous à l’Exposition du Mexique,
entre le pont de l’Alma et le Palais des Armées de Terre et
de iMer.
— Au grand Pavillon du Mexique?... Oui, je sais... Mais
pourquoi ?
— Parce que vous m’y retrouverez, tout prêt, si cela ne
vous lasse pas, à vous continuer mes explications.
— Parfait. Compris. Votre plan est excellent pour nous
debarrasser d’un gêneur et je ne saurais trop vous remercier
de votre amabilité.
Donc, a tout a l’heure, au Me.\ique. Mais surtout,
gardez pour vous seul la connaissance de notre petit com-
plot. Je crains trop les indiscrétions involontaires.
— C’est promis.
— A bientôt !
Et le centenaire, saluant de la main le groupe intr
iS provinciaux, s’éloigne rapidement.
Le prochain volume aura pour litre :
LES CIIEMLXS DE EEll A L’EXPOSITION
En Tiiottüir jiOLc.xNT — El-; Mcxinia;
et comprendra :
Le Chemin de fer électrique.
La Plate-forme à deux vitesses.
Les divers moyens de locomotion dans l’intérieur de l’Exposition.
Le Palais du Mexique.
Comme dans les précédents volumes, de nombreuses illus-
trations accompagneront le texte.
TABLE DES CHAPITRES
Pages
Chapitre I®''. — Pürtuoal 5
§ I. Éclectisme ^
§ II. Lisbao 24
Chapitre II. — D.vnem.\rk 29
La maison danoise 29
Chapitre III. — Cr.\nde-Bret.\gne 43
§ I. Puzzling speaker 43
§ II. La bigame 54
§ III. Un musée royal 02
Chapitre IV. — Princh'-auté de Monaco
§ 1. Le plus petit État du monde 77
§ IL Monaco à Paris 83
Pâlis. — lmp. MICHELS et Fils, 6, 8 et lO, rue d’Alexandrie.
A TRAVERS
L’EXPOSITION DE 1900
XIII
LES MOYENS DE LOCOMOTION A L’EXPOSITION
LE MEXIQUE
EN VENTE ;
I. L’Exposition à vol d’oiseau
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais .
III. Le Grand Palais
IV. Le Vieux Paris
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris. ....
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques
VII. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau
VIII. Les Pavillons des Puissances étrangères.
IX. Les Palais des Hôtes de la France. . . ■
X. La Rue des Puissances au Quai d’Orsay.
XI. L’Avenue des Nations
XII. Promenade au Quai d'Orsay
. G(l
. Gü
ï GU
» 60
ï. GO
» 00
T> GO
» GO
.. GO
ï GO
» (jO
I. GO
I
G. DE WAILLY
A TRAVERS
L’EXPOSITION DE 1900
Xlll
LES IVlOYENS DE LOCOIYIOTION A L'EXPOSITION
LE IVIEXIQUE
PARIS
FAYARD FRÈRES, ÉDITEURS
78, Boulevard Saint-Michel, 78
{'■*■
1)0 1; iiiisu II II IJ (.: r M »
-- - Al) ra ! qua vuits prend-il, Verdurel? Vous avez l’air
(I un conspirateur de mélodrame qui conduirait un groupe
d affidés vers quelque tragique exploit !
• Vous exagérez, IBèchard, et surtout vous dramatisez
les clioses à plaisir. Regardez-moi, et dites si j'ai la mine
d'un conspiraieur ?
6
A TRAVERS L EXPOSTITOM
— Parce que vous avez le visage joyeux et que vos yeux
])ri lient comme quand vous faites qnine à notre loto de fa-
mille... Ce n'est pas une raison. Dans les drames, on voit
très bien des intrigues terribles menées par des gaillards
qui ne se privent pas d’avoir le mot pour rire. Enfin, vous
ne nierez pas que votre façon de nous faire déguerpir de ce
l*avillon de la Principauté de Monaco ne soit au moins sin-
gulière? Ma parole, nous aurions cambriolé les collections
du prince et nous aurions la police à nos trousses que nous
n'aurions pas agi autrement pour dépister les recherches !
— Pensez ce que vous voudrez, mais suivez-moi.
— Où nous conduisez-vous, avec vos airs mystérieux?
— Vous verrez... Venez!
Malgré la résistance de son ami, le manufacturier retiré
entraîne son compagnon récalcitrant et ses compagnes,
M'"'^’ Flore et Bertrande, vers le Pavillon de l'Espagne. Arrive
là, il commande :
— Entrons.
— Pourquoi?... Nous lavons déjà visité, ce Pavillon.
— .le vous expliquerai plus lard.
Bèchard s’exécute, tout en maugréant :
— Décidément, mon cher, vous êtes piqué de la même
tarentule que ce Méridional mal élevé de Bonscastrol, lors-
qu’hier il nous faisait galoper par ici à tort et à travers...
Vous n’allez pas, je pense, nous faire visiler de nouveau?...
— Ne me questionnez pas : cela perd du temps.
-- Est-ce que nous avons le diable sur les talons?
— Peut-être... Venez !
— Bien... Nous voilà dehors. Maintenant...
— Eilons en Bulgarie, en face, de l’autre côté de la rue.
— Alors, c’est une course au clocher?
— Ah! mais, réclame à son tour M"’" Elore, je n ai pas
des jambes de cerf comme Aristide, moi...
— Bichette ! fait sévèrement le maître de moulin.
— Bien sûr, riposte sa ronde moitié déjà essoufllée, tu n as
pas la prétention de poser pour le mollet... a moins que ce
soit dans un concours de coqs !
— Ah! mais, bichette!... gronde l’époux vexé, en colère.
Heureusement, le chei de la petite bande aj’rête net ce
début de conjugal débat, en s’écriant vivement ;
LES MOVEMS DE LOCOMOTION A l'eXPOSITION
l
— Halte!.,. Uetournons vite sur nos pas!... 11 y a mi
attroupement dans la rue, sur noire droite.
— Oli ! allons voir... demande Bertrande, curieuse.
— Jamais de la vie! Terrons-nous bien vite, au contraire,
dans le Pavillon de l’Espagne, retraversons-le et liions par
la terrasse du bord de l'eau.
Et le bonhomme, saisissant sa nièce par le poignet, l’en-
traîne et disparaît avec elle dans le su|)erbe écbantillon
d'arcbitecturo de la « Renaissance » espagnole. Bècbard,
dame Flore accrochée à son bras, le suit en lui criant :
— \erdurct!... Voyons, \erduret!... Ou’est-ce qui vous
prend ?
Pour toute réponse, le gros propriétaire malesherbois fait
décrire à sou bias libre un impérieu.v moulinet signiliant
clairement qu il invite ses amis d Essounes à le suivre en
toute bâte... ce qu’ils tout eu continuant à le sommer de
donner la raison de celte inconcevable fuite.
Tentative vaine. ^ erduret jiresse île plus en [)lus le pas.
Arrivé au seuil noi’d du Pavillon de la péninsule ibérique, il
s’arrête, plonge un regard inquisiteur sur la terrasse, et re-
part de plus belle, entraînant Bertrande à son bras.
Il arrive à l'entrée de la superbe vieille maison allemande,
s y engoullre, en lait le tour à une allure vertigineuse, monte
au premier, redescend au rez-de-chaussée, dégringole dans
le sous-sol, d’où il s élance sur la berge. Là, il consent pour
la première fois à modérer l’ardeur de sa course incompré-
beusible.
A vingt pas derrière lai, le farinier, voyant haleter sa
moitié, s’ellorce de la rejoindre. Mais, après avoir laissé
le couple diminuer la distance qui le sépare de lui, Yerduret
recommence son geste d’appel, et lile vers le Pavillon de la
Xorvège, où il ne tarde pas à disparaître.
— Ab ! c'est trop fort, à la lin ! s’écrie le farinier. Vous
allez m’cxpli([uer...
Bccbard regarde M'"‘' Bècbard; M'''“ Bècbard, tout en
épongeant son front qui s’empourpre, regarde M. Bècbard...
Hans ce double regard, ces deux intelligences se sont
comprises : leur ami, leur pauvre ami Verduret, est devenu
subitement fou... H se croit poursuivi, sans doute... C’est
évidemmentun accès inopiné du délire de la persécution !...
cS
A TUAVEUS l’exposition
Or, le bon petit égoïsme de ces deux belles âmes ne va
pas jusqu'à l’indilterence coupable, d'abandonner le mal-
heureux... Ils le rejoindront à tout prix. Et Bèchard,qui a
toutes les peines du monde à soutenir la démarche de sa
ronde épouse à cette allure anormale, hèle la jeune tille.
— Hep!... hep! Bertrande!... Cramponnez-vous à son
bras et arrètez-le... autant que vous le pourrez !
Mais Bertrande, de qui ce jeu amuse les alertes vingt ans,
répond à l’invitation du farinier par un joyeux éclat de rire
et, au lieu de peser sur le bras avunculaire, le soutient et
aide ainsi le manufacturier à accélérer encore son allure.
— La solte ! fait Bêcliard furieux, elle ne comprend pas
ce qui se passe... Est-on bète quand on est jeune !
Et la course folle continue, à travers la maison de bois
du pays du « Soleil de Minuit », puis parmi les salles —
inexplorées, mais où la rapidité d’un tel pas ne permet de
rien voir — de l'Iiùtel de ville belge d’Audenardc.
Toujours conduite par le malheureux Verduret, la folle
galopade sort du l'avillou de la Belgique, savez-vous. Bc-
chai'd va prendre un grand parti, pour une fois.
— Attends-moi là, dit-il à sa femme. Seul, je l’auj-ai vite
rejoint et je le maîtriserai jusqu’à l’arrivée du secours
qu’ira chercher Bertrande.
En prenant ce parti héroïque, Aristide compte sans Bi-
chette, ce en quoi il a tort. Celle-ci, à l’énoncé de ce géné-
reux projet, se cramponne au bras de son long seigneur.
— Me quitter?... Jamais! 11 nous serait impossible de
nous retrouver parmi tout ce monde. Que deviendrais-je?...
Je te préviens que si tu me quittes, je me trouve mal !
- — ^ Ah ! bien, il ne manquerait plus que ça !
Bivé par cette menace à la remorque conjugale, Béchard
se résigne à continuer la pénible et vaine poursuite. Les
yeux lixés sur le couple fuyant, le ménage traverse obli-
quement la rue des Nations et, voyant Verdiu'et et Bertrande
disparaître derrière le kiosque à musique situé entre les
Pavillons de la Perse et du Luxembourg, s’y précipite à son
tour.
A leur grande stupéfaction, les époux fariniers y tombent
face, à face avec Verduret, qui, fort échauîfé mais souriant,
les attend tranquillement, la rieuse Bertrande au bras.
LIiS MOVKN'S DK KOCOMni'ION A I.’KXPdSri’inN
î)
A cette vue, Bèchard se redresse et, avec une noble indi-
gnation :
— Ali ! ça, mon clier, je vous ai cru fou !
— Mt je ne suis qu’en nage, voilà tout.
— Alors... c'est une mau vaise farce ?
— Je la crois trbs bonne, au contraire.
— Pardon, mais... il me semble que vous venez de vous
moquer de nous !
— De vous?... Fi, la vilaine idée! Pas de vous, mon
cbcr, mais du dénommé Puzzling.
— Hein?
— Eb ! oui. Je viens de couper et recouper notre piste do
façon à faire perdre la voie aux meilleurs limiers, et vous
m’en voyez tout fier.
— En tout cas, voilà une bien subite turlutaine.
— Ce n’est pas une turintaine, Bècbard. il fallait ii tout
prix, et au jilus vite, « semer » cet Anglo-Saxon.
— J'y suis, dit .M""' Flore aigrement, entre deux soupirs
oppressés. Vous avez compris le danger [lour votre petite
écervelée de Bertrande...
— I\la nièce est hors de cause, cbère madame. En dépit
de ciM’tain écart d’imagination, je la sais de goût trop
délicat ponr redouter à cause d’elle la présence de ce rouge
gentleman en complet à cai'reaux. C’est un motif de tonte
gravité... pour nous qui m’a fait ainsi agir.
— Voyous, Verduret, vous n'étes pas sérieux?
— Si, Bèchard, je le suis.
— Quel mal, en dehors de l'ennui de l'avoir toujours eu
tiers avec nous, pouvait nous faire ce personnage?
— Ce plus terrible. Grâce à lui, nous allions être privés
de la liberti'. .
— Ça y est, s’écrie le farinier : « de la liberté » ; c’est bien
le délire de la persécution. IMon pauvre ami, êtes-vous bien
sûr que votre tète.?...
— J en souhaiterais une aussi solide et aussi calme à tous
les enragés politiciens de France et de Navarre... Rassu-
rez-vous, mon cher. Mais c'est celle de ce Puzzling que je
voudrais voir en ce moment... Vous ne m’avez pas laissé
achever. Par le fait de ce gêneur, c’est de la liberté de pour-
suivre notre visite de l’Exposition sous la si intéressante
direction de ce bon et obligeant centenaire que nous allions
èire privés.
— Alors, c’est simplement pour faire perdre notre trace
à cet Anglais que vous avez infligé cette course folle où
]M™° Bècbard a failli attraper une congestion? Par exemple,
si j'avais su !...
— Si vous aviez su, vous n’auriez rien eu de plus chaud
que de vous mettre en travers de mon projet, et je n’aurais^
pas réussi. Comme je m’y suis pris, au contraire, tout est
pour le mieux.
— Pour le mieux, quand je suis en eau, quand mon cœur
bat à rompre, quand j’ai les jambes coupées à ne plus me
tenir debout! s’écrie M""' Flore indignée.
— Allons, ne vous fâchez pas, chère madame. Vous allez
avoir tout le temps de vous remettre, bien assise...
— Où ça?
— En chemin de fer.
— Hein?... Est-ce que nous repartons pour Essonnes?
— Quand nous n’avons encore vu qu’une faible partie de
la Grande Exposition !... Vous ne voudriez pas. Nous allons
seulement faire connaissance sérieuse avec les moyens de
transport de l’intérieur de la grande fête de 1900.
— Après tout, dit le farinier, ça nous reposera, en nous
permettant un coup d’u'il d'ensemldo sur des régions que
nous n’avons pas encore visitées. Allons-y donc du petit tour
en chemin de fer... d autant que ce n’est pas très cher, je
crois?
— Vingt-cinq centimes, cher ami.
— C’est dans nos prix... Eh bien! qu’est-cc que nous
attendons?
— Un guide, qui m’est promis.
— Un guide, pour aller nous faire voiturer dans un
wagon?... Vous vous moquez de nous, Verdurel !
— Il parait qu’il y a des choses très intéressantes à
apprendre au sujet des chemins de fer de l’Exposition.
— C’est ce vieux bavard qui s’est moqué de vous. Un
chemin de fer est toujours un chemin de fer, que diable!
— Comme un palais est toujours un palais.
— Ce n'est pas la même chose... Enfin, soit encore : va
pour le guide, puisque vous y tenez. Où est-il?
LES .MOYENS DE I.OCOMO'llON A l’eXPOSITIO.N
— Je l’altends.
- — Vous le connaissez?
— C’esl-à-dire que c'est l’oljligeant centenaire qui a pris
soin de vous pourvoir de ce Mentor inconnu... que je con-
nais, paraît-il... Mais, dn dialde! si je soupçonne qui cela
peut être.
Bcchard regarde le chef de la petite troupe avec une
expression si inquiète que Verduret éclate de rire.
— Décidément, mon cher, dit-il, vous tenez donc bien îi
ce que j’aie perdu la tête ? J avouo que mes paroles peuvent
sembler incohérentes, mais vous allez voir que les faits
vont se charger de réhabiliter mon équilibre mental
dans votre esprit... Tenez, là... Que disais-je?
— Quoi?
— Regardez... sur la place... cet homme qui se dirige de
notre côté.
— Eh ! mais, c’est...
— Eh ! oui, Laurentieff, le pseudo-prince russe, ouvrier
mécanicien par abnégation de patriotisme slave en pays ami
et allié, cet étonnant désiquilihré — un vrai, celui-là, mon
cher Bêchard ! — qui nous a si magistralement expliqué le
l’ont Alexandre, dont il s’imagine avoir inspiré le plan et
dirigé la construction par la mystérieuse puissance de son
« Moi » extériorisé... Comment ne l'avais-je pas deviné?
Mais par quel miracle consent-il à quitter le poste, à la tête
du l’ont de l’Alliance, on sa démence attend la venue de Sa
Majesté le Tzar?
— Vous savez bien, mon oncle, qn’il vous prend, le
pauvre garçon, pour le ministre russe des voies et commu-
nications.
— C’est parbleu vrai... J’oubliais mes grandeurs. Tout
s'explique... sauf la connaissance de ce pauvre diable par
notre vénérable centenaire.
— J’ai idée, fait Bertrande, que cette connaissance est
beaucoup plus intime que vous ne croyez. D'ailleurs, le
voici : il va, sans doute, vous expliquer lui-même...
Laurentieff, qui se dirige vers la gare voisine dn chemin
de fer électrique, aperçoit le groupe, vient droit à lui,
s’arrête devant Verduret, les talons joints et la main à la
visière de sa casquette desoie, grasse dépoussiéré de houille.
12
A TRAVERS L EXPOSITION
— Excellence, articule-t-il de sa voix outrageusement
enrouée, j'ai l’honneur de me mettre à votre disposition.
— Trop aimable, mon brave ami. Oh !... Pardon... Je
voulais dire; mou cher prince! IMais j'avoue que votre
arrivée m’intrigue énormément. Gomment avez-vous pu
savoir tant à l’avance que je souhaitais utiliser vos lu-
mières au cours d’une promenade sur les voies ferrées de
Tlvxposilion.
FAUrUfll. ROIil.ANT.
— Excelleuce, voici l'oiTlre qui vient do m’être remis de
la part du prince Tenichelf, Commissaire général de l’Em-
pire russe.
Il tend une feuille toute ouverte à Verduret qui, au
comble de la surprise, constate :
— C'est bien du papier à en-tète du Commissariat général
de lUissie ! Je n’y comprends plus rien.
— Ce sont, vous le voyez, Excellonco, les hauts repré-
sentants de l'Empire du Tzar à l’Exposition qui m’ont mis
à vos oi'drcs.
— Parbleu, c'('st bien ce qui me, stupéfie. ITi pareil bon-
r>ES AlOYENS DE [.Ol :( (MOTION A I.’isX POSCI'IflN
i:{
neuT à do simples visiteurs tels que nous, cela passe mon
entendement.
Oh! simples visiteurs pour qui ne sonlève pas le mas-
que transparent de votre incognito!
]>t puis, poursuit ^ordurel, cela no s’accorde gui're
avec ce que me disait tout à 1 heure le vénérahle cente-
naire, notre guide, que c’était lui qui...
Le centenaire!... \ous av'cz le honlieur d’avoir pour
guide le centenaiie ! s écrie Laurentiell avec une soudaine
e.xaltation. Üh ! alors, plus encore que par votre haute
dignité, vous ôtes bien. Excellence, la roi de l’Exposition,
car cet auguste vieillard plane au-dessns de cette incompa-
rahle fête de l’Humanité comme l'aurore boréale au plus
haut de l’atmosphère polaire... Ici, tout le monde s’incline
devant lui.
— Ah ! hall ! .. (ju’est-il donc?
— Tous l’ignorent, sauf moi.
Alors, vous allez nous h* dire, car je suis singulière-
ment curieux de le savoir.
Vous ne le répéterez à personne, an monde !
C’est donc un bien grand mystère ?
— C’est plus qu’un mystère, c’est nn miracle que m’a
seul permis de découvrir la souveraine sensibilité savante
de mon corps astral.
— Hein? fait Verduret en ouvrant de grands yeux.
Et Eaiirentietl, plaçant ses lèvres près de l’oreille du ma-
nufacturier retiré, lui souffle, en grande confidence:
Ce centenaire est plus de deux fois millénaire, avant
près de vingt-trois siècles d’existence. Il n’a pas été’lué en
l’an ^12 avant notre ère, comme on l'a dit. Le soldat
romain n’a fait que le blesser; cet insondable puits de
science est... Archimède en personne !
Patatras! pense Verduret, voilà la folie du pauvre
diable qui fait encore des siennes !... Et moi qui l’écoutais !
iMais, lidèle à son principe de ne jamais contrarier nn
dement, il se contente de dire, en approuvant gravement
de la tète :
— C’est merveilleux !
A ce moment, l’attention de llcchard et des deux com-
pagnons du propriétaire malesherhois est attirée par le pa's-
14
A TRAVERS l’eXPOSITION
sage devant le kiosque de l’agglomération populaire formée
plus d'une demi-heure auparavant à l’autre bout de la rue
des Nations, ce qui évite à Verduret d'avoir à traduire, pour
satisfaire la curiosité de ses amis, la confidence insensée qui
vient de lui être faite.
En tète de cette foule et immédiatement escorté de quatre
gaillards à la moustache rousse et au feutre dur, dont la
forme toujours reconnaissable cric la provenance londo-
nienne, marche un personnage dont la seule vue amène un
petit cri de surprise aux lèvres de nos quatre visiteurs.
— Bon ! s'écrie Bèchard, il a donc été relâché par le
commissaire de police?
En elfet, ce personnage que suit curieusement la foule
badaude, c’est le méridional Bouscastrol.
— Comment, songe tout haut Verduret, notre Toulousain
en quelque sorte gardé à vue par ces mômes Anglais qui
ont fait esclandre, hier, dans je ne sais plus quel pavillon
que nous étions en train de visiter? Que signifie?
— Oui, que signifie? répète Bertrande à mi-voix, avec
une expression de stupéfaction profonde.
Laurenlielf s'est reculé dans l'ombre du kiosque et subit,
impassible, cette indirecte interrogation de la jeune fille.
Celle-ci remarque alors, parmi la foule, la rouge silhouette
de .James-Gregory l’uzzling qui, haussant les épaules, jette
autour de lui des regards furieux. Elle sourit et murmure :
— Je comprends... Parfait!
Et, pressant le bras de son oncle en même temps qu'elle
touche celui de Bèchard, elle dit vivement, les obligeant cà
se retourner :
— Nous oublions que le prince Eaurentietf nous attend.
^ Il
— Excusez-moi, dit Verduret au « prince-mécanicien ».
Mais vous ne sauriez croire comliien, pour ce jeune et
intelligent artiste que je viens de voir passer — en assez
mauvaise posture, je le crains — j’éprouve de sympathie.
— C’est pour lui un grand honneur, Excellence.
LES MOYENS DE LOCOMOTION A LEXPOSITION
l.'i
— Malheureusement, il paraît (|u’il est assez peu mérité.
— J’ai trop de loi en la haute sagesse de Votre Excel-
lence pour radmettre. Si celui dont vous parlez et que je
n ai pas 1 honneur de connaître a attiré votre bienveillance,
cela suHit pour que je sois certain qu'il en est digne.
— P)-ince, vous voulez me flatter.
— Parce que je dis ce que je pense?
\ ous m attribuez donc réellement une clairvoyance.
— Les âmes honnêtes ont comme un mot d’ordre mysté-
rieux pour se reconnaître sûrement entre elles.
\ ous pourriez bien avoir raison, déclare sans fausse
modestie le manufacturier retiré, dont les paroles du méca-
nicien monomane caressent délicieusement l’amour-propre.
— Veuillez me suivre, invite Laurent ielf.
Sur les pas du mécanicien, notre groupe de visiteurs
atteint en quelques pas la station toute pi'oche.
— Irès gentille cette petite gare, déclare Verduret.
— Très solidement bâtie en briques émaillées. Excel-
lence... comme, d’ailbuirs les quatre autres disséminées sur
le parcours. Cela leur donne un air clair et joyeux du plus
heureux effet.
— Alors, il n'y a que cinq stations en tout?
Nombre très sutfisant, monsieur le (jrand l'anetiei'.
Après celle-ci, il y en a une rue Fabert, en face de la rue
de l'Université, pour desservir l'esplanade des Invalides;
«leux avenue de La Bourdonnais, une à la hauteur «lu Palais
de I Electricité, l’autre près de la concession du Gaz et du
Palais de la Métallui'gie, c’est-à-dire entre la porte liapp et
le travers de la Tour Eilfel : toutes deux desservent, par
conséquent, le Champ de Mars ; enfin, une sur le même quai
(1 Orsay où se trouve celle où nous sommes, mais à la hau-
teur de la passerelle qui relie l’extrémité Ouest du « Vieux
Paris» au grand Palais des Armées de Terre et de Mer...
l'renons nos tickets, je vous prie, ou mieux, je vais les
prendre pour nous tous.
Bèchard a l’air inquiet.
— Inutile de nous mettre plus en frais qu'il ne faut, dit-
il; il y a déjà tant d’occasions de dépenses supplémentaires
dans cette Exposition ! Prenez seulement un billet pour la
prochaine station.
*
A TRAVERS L EXPOSITION
Laiircntieli' hausse assez irrévérencieusement les épaules
et explique :
— 11 n'y a qu’un prix unique et modeste de 25 centimes,
qui donne droit au parcours complel.
— En ce cas, nous ferons le tour entier, déclare le fari-
nier qui entend en avoir pour son argent.
— Allons, bien! se dépite M"'® Flore; voilà un train qui
part et nous n’avons pas de billets !
l’LATi: rOli.ME riOlU.ANTE (f.ARK rNTRR.MÉIllAiriEi.
— (jiie votre fatigue pnmne patience, (dière amie, dit
\'i'rduret. Elle n’aura pas longtemps à attendre : les trains
S(' succèdent toutes les une minute et demie.
Les quatre-vingt-dix secondes annoncées exactement
écoulées, le train suivant part, emportant nos visiteurs et
leur guide. Inutile de dire (|u’en prenant place sur sa con-
fortable banquette, .M'”" Flore a poussé un « ouf! » de sa-
tisfaction.
— Excellence, commence aussitôt EaurcntiefI', je dois
vous prier de ne pas trop m’interrompre, car le parcours de
lie 5,100 mètres (quai d'Orsay, rue Eabert, avenue de La
Li:,S .MOVKNS DE l.OCnMOTION A i/eXPO,SITI( l.\
Alotte-l'iquel, avenue de La Bourdonnais et retour (|uai
d Ursay) étant couvert en quatorze minutes, j’aurai à peine
le temps de vous dire les principales choses qu'il faut que
vous sachiez.
— Dites, prince. Nous sommes temt oreilles.
Lanrentieiï tousse — sans parvenir à s’éclaircii' la voi.x,
tant son organe désolement couvert est rehelle à tout piud'ec-
tionnement — et déhnte en ces termes ;
Quels sojit les deux principaux desidemla, d'ordre gé -
néral, auxquels doit répondre toute Exposition universelle
pour avoir chance d’ètre un succès?
— Parhleu! fait Verduret, c’est qu’elle soit et très helle
et très instructive.
Et amusante, avec la tacilité de se re|)Osei' et d y hien
manger, proclame M'"“ Elore.
Il tant, déclare sententieusement le farinier, qu'elle
soit praliqiui et ('•conomique.
Bertrande, joyeusement, s’écrie :
Bah ! iiue Ex])osition peut éti'c tout ce qu’elle voudra;
elle sera toujours merveilleuse pour qui y découvre |)récisé-
ment ce qn il souhaite. G est comme pour messieurs les
amouicux, n est-ce pas, mon oncle? La personne pour qui
ils soupirent se trouve douée de toutes h‘s qualités imagi-
nables, j)ar cela seul que le tressaillement de son cœur ré-
pond aux hattements du leur!
Je te trouve hien osée en tes comparaisons, petite,
[)Our une tille bien élevée, morigène le bonhomme Yerdurel.
jMademoiselle n’exprime là qu’une vérité courante.
Excellence; mais je lui ferai remarquer qu’une exposition
qui ne satisferait (lue les techniciens de la Science, de l’Art,
de l’Industrie ou... du sentiment, n’atteindrait pas tout son
but, car elle laissei'ait de coté la foule et sa curiosité d’onlre
général. M. le Grand Daneticr a fort hien dit en décla-
l'ant qu une exposition doit être pralique et éconoDiiqiie .
Evidemment ! tait le larinier d’Essonnes en se rengor-
geant.
J ajouterai seulement qu’elle doit être généreusement
hospitalière et... je m’explique. Devant accueillir le plus
grand nombre d'exposants possible et donner à chacun la
place nécessaii'e pour meltre en valeur ses produits, il faut
■
L '1
; tvSit’'
n
' 1
m
18
A TRAVERS l’eXPOSITION
nécessairement qu’elle présente une très ample sup'erlicie.
C’est là pour le principe de ghiéreiise hospitalité à l’égard
dos exposants de tous pays. Mais, en môme temps, il faut
(|u’elle songe aux innombrables visiteurs et que, en plus
d'un classement ingénieusement rationne! , oX pratique,
elle soit économe du temps, des jias et de la fatigue de
iM. Tout-le-Monde. Ce monsienr-là veut pouvoir, lorsqu’il
s'intéresse à tels et tels produits, les comparer tout de suite
aux similaires des autres nations, ce qui lui sera facile étant
donné le mode de classification qui préside ici. C’est là une
très intéressante étude comparative par le détail. Or,
.M. Tont-le-Monde, étant beaucoup pins « la foule » que tel
spécialiste, veut aussi jtouvoir, à l’Exposition de 1900 qui
offre ce qui a été fait de plus complet jusqu’ici sous ce rap-
[)ort — faire son tour du monde détaillé et éminemment
iuslructif. C’est même là, pour les l’rançais, le principal
attrait, en meme temi)s que la plus légitime ambition. Vous
savez, Excellence, combien le Erançais s’ex[)atrio difficile-
ment, non parce qu’il est indilféiamt à ce qui se passe hors
de chez lui, mais parce que son « chez lui » est si confor-
table qu’il redoute instinclivement d’all'router les climats et
les mœurs de l’ctrangei'. Eh Ijien ! voilà que, pendant six
mois, le monde entier vient chez lui; vous jugez s’il a hâte
d’en profiter pour tâcher de tout connaître d’autrui sans avoir
à se déranger. Que fera-t-il d'abord’?...
— Il ira à la rue des Nations.
— Oui. 11 se donnera là une sommaire idée générale
de la nation qu’il veut connaître. Mais, s’il est sérieux, il ne
s’en contentera pas. Il voudra poursuivre dans chaque
groupe, dans chaque classe, le génie industriel, scientifique,
artistique, militaire et marilime du pays; puis, en cette ère
d’elfort universel vers la conquête colonisatrice, il lui faudra
compléter son voyage par un coup d’œil intéressé sur la
puissance coloniale de la nation étudiée. Et, dame! pour
réaliser ce très sage programme, il y a du chemin à faire,
car l’Exposition, vous le savez, ne couvre pas moins de
108 heclares.
— Le fait est que, si on voulait suivre par pays et voir
complètemen t chacun d’eux, il faudrait être marcheur comme
un zouave !
F-ES MOVEAS DE LOCOMOTION A L EXl’OSTITON
19
— I*as tant que vous le pensez, Excellence.
— Ah ! sous ce point de vue, parlez-moi de l'Exposition
! do 1867...
ij — A la bonne lieure ! s’écrie avec emphase le raidnicr, qui,
I en 1867, avait — jeune Bècliard alors, mais quand mèim'
î Bèchard — ti'ouvé l’Exposition ridiculement compi’ise. Alors,
! on rayonnait par nation et oif tomaiait par pi-oduits simi-
I laircs, en quelque sorte géométri(|uement et sans fatigue.
: — Üh ! sans fatigue!... Permettez, mon cher, j’étais dejà
; moins jeune que vous, il est vrai ; mais, après une journée
de rayonnements et de périples, j’étais rendu.
^ — Votre Excellence a raisoFi. Lors de la gi’ande et tiaom-
])halc fête cosmopolite qui marqua l’apogée de l'ére impé-
riale — ■ Capitole combien voisin de la lioclu' Tarpéienne !
, — bien des jatnbes se plaignirent, (d non à tort, de la trop
vaste étendue du tei-riloire d’exhibition. Ce fui bien auti'e
chose, en 1878. Beaucoup renuncérent alors à des compa-
raisons instructives ou au moins intéressantes, à cause de
la perte de temps considérable et de la fatigue qu’impo-
I saient les visites successives à des points éloignés les uns
des autres. 11 en est iVsulté {|ue la foule se localisait dans
quelques centres, qu elle jugeait, à tort qu à raison, plus
I attractifs, et délaissait certaines parties de haut intérêt,
' mais qu’il fallait gagner au prix d’une courbature. Voyez-
vous, le public est un autocrate singulièrement exigeant ;
il entend, pour lui faire un grand succès, qu’une exposition
' universelle soit en même temps très complète, ce qui l'oblige
II à être très étendue, et très l'esserrée, afin de lui permettre
!i d’avoir, pour ainsi dire, sous la main, tout ce qu’il veut
j connaître ou étudier, quel que soit l’oialre dans lequel sa
r curiosité veut voir ou son esprit étudier les choses.
I — Dites donc, ça ne me paraît pas facile.
II — C’est simplement impossible, Excellence. 11 est évident
I que si une exposition qui occupe comme celle-ci un terri-
toire s’étendant de ta place de la Concorde à l’Ecole Mili-
‘ taire et du Trocadéro à l’ilùtel des Invalides, a pris comme
base excellente de classilication le groupement des produits,
elle oblige ceux qui veulent se rendre compte exclusivement
; des productions et du génie d’un peuple pris à part, à vaga-
bonder parmi les 108 hectares de superficie...
20
A THAVliUS L EXPOSITION
Aussi, étclit-il bii'ii [iliis simple de classer par nation.
— Alors, ce serait contraindre les savants, les philo-
sophes, les industriels, les artistes, les spécialistes de tout
poil a 1 impossible tàcbe d'aller un peu partout chercher les.
éléments de comparaison qui leur sont nécessaires pour se
rendre compte de la concui’rence et du progrès universels
dans chaque branche de l’activité humaine. Ce serait tomber
de Charybde en Scylla, reconnaissez-le, monsieur le Grand
Ihineticr.
Bèchard tait la grimace. 11 y a plusieurs voyageurs étran-
gers dans le môme compartiment. Naturellement, ils prêtent
une oreille attentive aux paroles du mécanicien conl'éren-
cii'i', et être ainsi appelé : « Grand Panetier » devant eux
produit sur le farinior d'Essonnes le plus désagréable effet.
— Si ça vous était égal, monsieur LaurenticH’, dit-il eu
pinçant les lèvri's d’un air ve.xé, de vous priver, à mou
égard, d une appidlation ridicub* et de vous contenter de
m appeler « monsieur » tout simplement.
— Monsieur le Grand Panetier de Son Excellence, entend
garder l’incognito? C'est son droit, et je me ferai, doré-
navant, un di'voir de respecter son désir...
— Oui, vous m’obligerez.
— Mais U ayant, moi, aucune raison de ilissimulei' ma
[lersonnalité, je vous serai, par contre, très oldigé, « mon-
sieur >», de me donner mon titre.
— Vous voulez que je vous appelle prince avec le costume
d’ouvrier que vous portez? C’est vouloir que... la galerie se
moque de moi ! dit Bèchard en haussant les épaules.
— Appelez-moi « monseigneur », si vous préférez.
— Ce serait encore pis !
— E’incident est clos ! prononce Bertrande en se conte-
nant de sou mieux pour ne pas poull'cr de rire.
Eaurenlieff incline galamment du chef devant la joyeuse
sentence juvénile et poursuit :
— Donc, eu présence de l'impossibilité de satisfaire à la
fois les deux ('/e.!>ù/crrt/« diamétralement opposé de Sa Majesté
le Public — vous voyez, « Monsieur que je no crains pas,
moi, de décerner le plus haut titre à qui est pourtant
d’essence roturière — ou s’est ingénié à supprimer pour lui
I uou en réalité, puisque c’est impossible, mais virluellc-
nient) lu disluncc. Pour ce
Caire, ou a de louLe part mul-
tipliû...
— Les uioyeus l'apides de
locouudioii.
— Préciséuieiil, l'ixcellence ;
et je n'ai pas besoin de vous
dire si la dit(‘ iMajeslé le Pu-
blic a cliaudeuient applaudi à
l’ell'oi't tenté pour le satisl'aire.
Vous vous souvenez du succès
qu’il a fait, en 18811, au petit
chemin de fer Decauville qui
reliait le Champ de Mars à
l’esplanade des Invalides?
— Ah ! certes I approuve
Verdiiret. Amusant et curieux
comme tout, ce petit Dccau-
ville, filant comme un rat eiilre
le double rang d'arbres du quai
il’ Orsay.
— bit vous vous rappelez
comme c’était drôle ces affi-
ches répétant, au long du par-
cours, le meme avis dans
toutes les langues du monde?
— Si je m’en souviens,
chère madame! On le prenait,
ce petit chemin de fer hijon,
par ])Iaisir. En dehors de son
utilité — quand on avait à se
rendre sur un point quelconque
de son parcours long de trois
kilomètres et demi, entre le
Palais des Machines et l’espla-
nade des Invalides, par l’ave-
nue de Sulïrcn, le bas du
Champ de Mars et le quai d’Oi'-
say — - on peut dire qu’il a été
une des attractions les plus sui-
22
A TRAVERS l’eXPOSITTON
vies de l'Exposition de 1889. Dame! c’était une nouveauté,
alors. Maintenant qu’on est habitué aux tramways automo-
biles, l'effet surprise, le caractère attraction de ce moyen de
locomotion sont supprimés.
— ■ Puissamment raisonné. Excellence. On voit tout de
suite que, lorsqu’il s'agit de chemins de fer, vous êt(!s dans
votre. . . département.
— Mais non. puisque nous l’avons quitté pour venir à
Paris, fait étourdiment M"’® Elore.
— Sache, madame Bêchard, que « département » est mis
ici pour ministère d'Etat, rectifie solennellement le farinier.
Ceci prouve que tu n’étais pas du tout cà la conversation : tu
entends le dernier mot, et, crac! tu te perches dessus. Ah !
ah ! nos féministes qui voudraient faire des femmes des
hommes... d’Etat! Le cerveau féminin n’est pas construit de
matière assez solide pour...
— Eh! tu m’ennuies! déclare péremptoirement l’épouse
vexée. J’aime bien mieux regarder défiler le monde. .. d’iens,
nous voilà déjà à la gare suivante... Ea station de la rue Ea-
hei't, n’est-ce pas?... Très gentil, le costume des employés,
en vareuse et casquette bleues... Oh! mais on s’arrête à
peine!... deux secondes!... Et comme ça repart facile-
ment !...
— Femme... linotte! murmure Bêchard en haussant les
épaules. Voyons, revenons aux choses sérieuses. Ce chemin
de fer n’a pas été établi sur le budget de l’Exposition?
— Non, monsieur le Grand Pan... Ah ! pardon, j’oubliais
l’interdiction!...
— Tâchez, je vous prie, de vous en souvenir à l’avenir.
Laurentieff s’incline respectueusement et poursuit;
— Ea concession de ce chemin de fer a été accordée, il y
a deux ans, à une société constituée au capital de quatre
millions.
— Ah ! ah ! c’est un chiffre, cela. Mais, dites-moi, je
n’ai pas vu de machine en tête du tiain.
— Pourquoi faire ?
— Parbleu, pour le tirer.
— Ce ne serait pas la peine, vraiment, ([ue la Science
marchât à pas de géant dans la voie du Progrès, si l’on était
condamné à refaire, en 1900, un Decauville de 1889 ! Le
LES MOYENS DE LOCOMOTION A L EN POSITION
23
chemin de Tct de celle Exposition est an chemin de ter
électrique.
• — Ne parlez pas, je vous prie, sur un ton qui tendrait à
mo faire prendre pour un ignorant. Je sais ce que je dis,
mùssieu ! Je sais parfaitement que nos grands réseaux,
1 Ouest en particulier, ont essayé la locomotion électri-
que », avec des machines, donc...
— Ces machines sont destinées à traîner de grands poids
à de grandes distances et à de formidahles vitesses. Ici c'est
tout dilférent. Chaque train ne comporte (|ue trois voitures
légères emharquant 200 voyageurs — exactement 20ti au
com|)lel — pour uu parcours total de 3,i00 mètres, d’une
durée de quatorze minutes, avec arrêt toutes les trois mi-
nutes en moyenne, ainsi que je vous l'ai déjà dit. l'our ce
service, les voitures automotrices étaient indiquées.
— Dans les tramways électriques, on voit pourtant les
appareils m'i s'emmagasine la force motrice.
— Sauf pourtant pour le trolley, ou système dans lequel
le courant, c'est-à-dire la force, est amenée par un fil aérien
avec lequel la minuscule machine de la voilure est con-
stamment en rajiport. Si ce système n'est pas employé à
Daris, il orne — je n’ose pas dire très heureusement — les
artères principales d'un grand nombre de villes.
— Saprebleu! mossieu, je n’ai pas la berlue. Il n’y a pas
ici de ces fils aériens.
— Non, mais si vous daignez jeter un regard sur la voie,
en avant, puisque nous sommes dans la grande première
voiture, vous verrez que cette voie possède trois rails : deux
de roulement espacés de 1 mètre, le troisième à 0"'3.t du
rail de roulement courant du côté opposé au quai. Ce troi-
sième rail, qui domine de 0"‘18 le plan des deux autres, est
dit « rail latéral conducteur », et n'a d'autre office que de
conduire le courant électrique comme le fil aérien du
trolley... D’ailleurs, voici uu plan de la voie dressé par
I éminent ingénieur qui en est l’auteur.. , Vous allez aisé-
ment vous rendre compte.
— A la bonne heure, avec cela souS les yeux, on y voit
clair, proclame Verduret. Je comprends que l’on a mis le
rail conducteur du côté opposé au quai afin qu'il soit isolé
du public.
A TRAVEltS L EXPOSITION
— l'i'écispnicnt, KxccI leiico. Le coulacl de ce rail sérail
Irès dangereux.
— d'oiile la ('oi-ce i'declri(|ue c(3iirl le linig de ce l'ail ?
l'vlévatiün. — (Juuj>c.
V ^
— Uni, el la J'orce em[iloyée est de 2,0d0 chevaux, rournis
par une usine située aux Monlineaux.
— Goinnicnl?... si loin. Je supposais qu’elle venait du
Palais de l’Electricité, comme celle qui anime les machines
el alimente l’éclairage dans
l'Exposition.
— Non, Excellence. Elh'
est produite par une usine
spéciale. Elle arrive au
Ghamp do Mars au moyen
d’une canalisation souter-
raine latérale à la tranchée
du chemin de fer des Mou-
linoaux au Ghamp de Mars. Elle se rend, sous forme de cou-
rant triphasé à 5,0ÜÜ volts, c’est-à-dire...
— Inutile d’entrer dans jiliis d’explications sous ce rap-
port, mon cher prince : le vénérable centenaire nous à
donné — je veux dire a donné pour M. le Grand Panelier
Coupe longitudinale.
ij'js iiio a i/kxpushio.n 2‘)
et ces dames qui ne peuvent ètr(‘ aussi techniquement infor-
més des clioses de l'électricité qu’un Ministre des Voies et
Communications — des indications très précises sur les cou-
rants, volts, ampères, watts, etc., lorsque nous avons visité
a\ ec lui le Palais merveilleux dei\l. llenaril.
Mura' UE uécuhatiun du Tiiottoik Roulant (avenue Rai'u).
Pai'lait. En ce cas, j abrège. Je disais donc ({ue le cou-
rant triphasé tà o,ü00 volts se rend à une sous-station dite
lie transtorrnation qui se trouve à l'angle du quai d'Orsay
et de 1 avenue de la Bourdonnais. Cotte sous-station trans-
lorme le courant triphasé, à l'aide de commutatrices d'une
force de 600 kilowatts, en courant continu de oOO volts que
prend ce rail conducteur... Vous voyez que le garde-fou qui
en détend 1 approche n’est pas un e.xcès de précaution et
qu il ne serait pas prudent d’essayei' de s’y asseoir...
A THAVERS L'E.XPOSITION. — T. XIU. — 2 ri'
26
A TRAVERS l’eXPOSITION
Bigre!... (Juelle secousse! 11 vaut évidemment mieux
laisser prendre par le train un contact qui lui est destiné...
Quand je dis « le train », je devrais sans doute dire «les
trains ».
— En cll'et, Excellence, ils sont au nombre de neuf cir-
culant sans cesse, dans le sens des aiguilles d'une montre,
sur cette voie circulaire sans lin.
— Pas la nuit, je suppose?
— Non, assurément. Ils marchent de neut heures du
matin à la fermeture de l'Exposition, c'est-à-dire, jusqu'à
l'extrême limite de une heure du matin, lorsqu'il y a lète
de nuit. Lorsque le service cesse, les trains vont se garer au
dépôt du chemin de fer électrique situé avenue de La Bour-
donnais, entre les rues de Grenelle et de Saint-Dominique,
à la hauteur du Château d'Eau.
— Parfait.
— Tiens, s'écrie M"’“ Elorc, nous sortons de l'Expo-
sition?
— C’est que, madame, nous allons longer 1 avenue de la
Motte-Piquet, pour passer de l'Esplanade des Invalides au
Champ de Mars.
— Mais... ça monte! C'est donc le chemin du paradis,
votre avenue de la Motte-Piquet?
Du paradis de Mahomet, apparemment, puisque les
houris d’Occident le fréquentent, madrigalise, de sa voix
l'ogomme, le mécanicien en s inclinant légèrement veis
M"io pylore et Bertrande, assises côte à côte en face de lui,
mais particulièrement à l'adresse de cette dernière.
Au compliment, M"'« Flore se rengorge.
— Prince, dit-elle en se tortillant en manière de révé-
rence, vous êtes du dernier galant. Ma parole, vous auriez
été le roi des mécaniciens lalons rouges des locomotives du
temps de la Régence !
— Hélas ! madame, déplore avec une gravité superbe
Eaurentietf, qui ne sourit même pas à cette bourde... monu-
mentale comme la Porte Binet, hélas ! les chemins de fer
et moi sommes pour cela un peu jeunes, et... nous le
regrettons.
Le farinier pousse le coude à sa femme, en roulant des
yeux féroces.
I.I^S MOVIiiNS DE LOCOMOTION A l'eXPOSITIO.N
27
lu devrais bien, lui dit-il aigrement, attendre au
avi moins pour parler que nous soyons entre nous !
— Vraiment! Tu crois qu’il n’y a que toi à qui il soit
permis de risquer des allusions historiques... Tu aimerais
mieux que je paraisse une sotte devant le monde... Tiens
Aristide, veux-tn que je te dise... tu es jaloux!... Tais-toi’
va, et laisse M. le prince nous expliquer... '
Pourquoi nous roulons ainsi entre ciel et terre?...
Mon Dieu, madame, c’est simplement pour permettre de
circuler aux humains qui rampent sur le sol. Le chemin de
fer est ainsi en viaduc, — à 3 mètres de hauteur, à cause du
passage des ti'amways — tout le long de l’avenue Bosquet.
Ln tournant vers le Champ de Mars, la voie, descendant un
plan incliné, redevient «en palier.., c’est-à-dire horizon-
tale, presque au niveau du sol. Elle plonge en tranchée
pour laisser libre la porte Bapp, regrimpe en viaduc pour la
traversée du carrefour La Bourdonnais-quai d’Orsay,
replonge de nouveau en terre devant le pont de l’Alma et
s’élève une dernière fois en viaduc au carrefour Tour Mau-
bourg-quai d’Orsay. Le reste du parcours et toutes les gares
sont en palier.
Cela n a pas dû être facile à construire.
-- En effet, Excellence. Pour les parties en palier, c’était
un jeu; de môme pour celles en viaduc...
— Pourtant, le poids...
t)h ! les voitures sont aussi légères que solides (par
tram, celle de tète chiffre lU tonnes et chacune îles deux
autres 4 tonnes, soit ensemble 18 tonnes ou 18,000 kilo-
grammes) et les rails ne pèsent que 2.3 kilogrammes. Les
diificultés, qui ont été de deux sortes, matérielles et... com-
ment dirai-je .C. . morales, ont résidé, au premier point de
vue, dans la construction des tranchées. Là, on a rencontré
plusieurs égouts, entre autres le collecteur Bapp. La que-
relle avec ces importants adversaires étant d’ordre purement
technique, un ingénieur habitué, comme M. Maréchal, à
jongler avec les obstacles, en a eu vite raison. 11 n’en a pas
été de même pour le second point de vue, les adversaires
étant ici d humaine espèce, c’est-à-dire peu dociles et faci-
lement processifs.
Des jaloux, peut-être?
28
A TRAVERS l’eXROSITIOiN
UliCURATlON DKS l'Il.ES DU PONT DU TrOTTOIK RoUI.ANT
(pont de l’Auia).
jour à leurs immeubles et le passage des trains causer pour
ceux-ci de dangereuses trépidations... l^t puis, ils eslimaienl
que leurs grands locataires du premier étage verraient sans
— Non, Excellence, des gêneurs, de simples proprie-
taires, ceux de l’avenue de la Motte-Piquet qui poussaient
les hauts cris, prétendant que le viaduc allait enlever du
m:s JioviiNs Dio T,(ii:((.MOTi()N A i/expositio.n
20
cesse des regards étrangers, voire cosmopolites, violer l’in-
timité de leur home.
— Le lait est que, d ici, on plonge admirablement dans
les appartements qui entrouvrent les guipures isolatrices
de leurs baies! Si l'on était indiscret...
— Bah ! ou passe si vite. D'ailleurs, comme vous dites,
c est une question de stores et atlaire de tapissier. Et puis,
est-ce que des impériales de tramways ou d’omnibus on n'a
point dos vues presque aussi pénétrantes, sans que jamais
personne ait songé à demander la suppression des moyens
de communication dans la capitale?
— Ab! prince, lait \erduret en rianl, vous avez îles rai-
sons. . .
— brappees au coin de l’expérience. .. personnelle.
— Je n’en doute pas, mais...
— Excellence, voici que nous redescendons vers le Cbamp
de jMars. Notre parconi’s est plus qu’aux deux tiers accom-
pli, et je suis ellrayé de tout ce qu’il me reste encore à vous
dire au sujet de ce cbemin de f(M' (dcctrique, si rapide et si
pi'ati([ue. Laissez-moi vous parle)' bien \dte des voitui'es ([ui
nous emportent, car, une lois descendus, vous n'auriez plus
sous les yeux les élénumts de la démonstration .
— L'aites, prince.
— Cbaque train, comme voiis voyez, se com[)ose de ti'ois
voitures et occupe une longueur totale de :i0 mèti'es. Dette
longueur totale se subdivise comme suit ; voiture de tète,
1 1 m. 80 c.; chacune des deux auti'es, 8 m. 80 c.; plus deux
intervalles d’attelage de chacun 80 centimètres.
— 11,80 4- 16,00 -j- 1,60, cela fait bien 30 mètres, con-
lirme avec autorité le farinier calculateur.
— Tenez Excellence, voulez-vous jeter les yeux sur ce
plan? Vous y verrez que la voiture de tète est portée par
huit roues ou deux systèmes de deux essieux conjugués.
Cette voiture est la plus intéressante, c’est elle qui tient lieu
de cette locomotive réclamée tout à l’heure par M. le Grand
D... Oh! pardon! je voulais dire par M. Tout-Court. Seule
des trois, en effet, elle est automotrice. Elle comporte
quatre moteurs de trente-cinq chevaux et commande un
système de frénage électrique à air comprimé.
— Mais, proteste Bèchai'd, je n’admets [)as une locomo-
30
A TRAVERS l’eXPOSITION
live sans machine et sans mécanicien! Où sont-ils? Je ne
les ai pas vus !
— C’est qu’en effet machine et mécanicien occupent fort
peu (le place. Le minuscule compartiment de 70 centimètres
de profondeur sur la largeur totale de la voiture, soit
2 m. 30^ et qui se trouve à l’avant, a facilement échappe à
votre attention non prévenue. C’est dans ce réduit, indiqué
sur le plan sous le nom de « Wattman », qu’habitent la
machine et la main intelligente qui la conduit.
— Bon, je regarderai cela en descendant.
— Je n’ai pas besoin de vous faire remarquer le très
adroit aménagement des voitures qui permet, pour monter
et pour descendre, l’écoulement presque instantané du flot
des voyageurs. Songez que le temps théorique de stationne-
ment n’est que de deux secondes! Les deux déversoirs d’hu-
mains que constituent les plates-formes de chaque extrémité
SC prolongent intérieurement en places debout qui sont en
contact immédiat avec les courtes travées de places assises;
de la sorte, pas de perte de temps à se glisser entre les ran-
gées de genoux des voyageurs, comme cela a lieu dans les
incommodes compartiments des raihvays français. C’est ainsi
que cette voiture de tète contient trente-six places debout
contre quarante-six assises. Pour un parcours comme celui-
ci, qui ne dure que quelques minutes, cet aménagement est
ce qu’il y a de plus pratique. Quant aux deux autres voi-
tures, simplement remorquées par celle de tète, d’une lon-
gueur moindre, elles ont la même largeur de 2 m. 30 c., et
la disposition intérieure est la même, moins deux doubles
banquettes transversales et une diminution de longueur de
la grande banquette longitudinale. Chacune de ces deux
voitures comporte trente-deux places assises et trente de-
bout.
— Eh ! eh ! dites donc, prince, il me semble que ce che-
min de fer de l'Exposition doit transporter pas mal de monde
dans sa journée ?
— De neuf heures du matin à une heure du matin,
quelque 350,000 personnes. Excellence.
— Hein?... C’est fantastique !
— Comment comptez-vous cela? questionne Bêchard d’un
ton doctoral.
LES MOYENS DE LOCOMOTION A l’eXPOSITION
31
Mon Dieu! d après les chillres de l’ingénieur. Je ne
saurais indiquer sur quel barême il se base, mais il affirme
que le chemin de fer voiture 22,000 voyageurs à l'heure.
Pour une journée pleine de seize heures, comptez ! En tout
cas, on peut dire qu ils font, surtout s’ils sont commodément
assis comme nous, un voyage charmant. Rien n’est agréa-
ble, par les chaleurs de 1 été, comme cette fraîcheur que
procure la vitesse (car nous faisons, en moyenne du 2.3
mètres à la seconde) dans ces jolies voitures ouvertes,
dont les coquets rideaux ne se closent qu’en cas de mauvais
temps. Je vous recommande le tour le soir, dans le rayon-
nement de lumière électrique dont la voie est inondée: c’est
léerique... Mais, nous voici à la dernière station que nous
ayons à franchir avant de descendre à notre point de départ,
celle du quai d Orsay, située en face de la Manufacture des
Jabacs et près de l’Annexe des Armées de 'l'erre et de Mer.
Il n est que temps que je profite de ces derniers instants pour
vous présenter l’auteur de ce projet de chemin de fer si
heureusement et si ponctuellement réalisé.
Vous nous Pavez déjà nommé : c’est M. Maréchal.
Oest-a-dire 1 un des techniciens les plus justement
estimés que je connaisse. Comme homme, il est l’affabilité,
1 obligeance et la distinction mêmes; comme chef, il me
suffit de dire qu il est aussi aimé qu’apprécié, respecté et
obéi par les divers personnels qu il a eu sous ses ordres ;
comme ingénieur, aussi actif que travailleur, je...
— Je parie que c est encore un jeune : c’est incroyable ce
qu’on voit de jeunes parmi les préparateurs de cette Exposi-
tion de 1900 ! articule le mûr farinier avec une moue signi-
ficative de la plus injuste, mais de la plus humaine rancune.
— Ma foi, vous ne vous trompez pas, répond Laurentietf.
M. Maréchal vient à peine de doubler le cap de la quaran-
taine, étant né en 1N39, dans le département de l’Indre, à
Issoudun ou à Châteauroux, je ne me rappelle plus au
juste. Mais, s il est encore en pleine seconde jeunesse, je
vous prie de croire qu’il n’a pas perdu son temps. Sorti
dans les premiers rangs de l’Ecole Polytechnique, il a fait
sa carrière dans les Ponts et Chaussées. Très vite, il est
arrivé au poste recherché d’ingénieur de la Ville de Paris.
Comme tel...
A TRAVERS l'eXROSTITON
— Il il abalUi une pomme sur la lèle de sou lils? demande
élourdiment M""= Flore, qui, très préoccupée de la toilette...
bizarre de deux Anglaises debout près d'elle, le tace à main
l'ivé devant les yeux, est on ne peut moins aux explications
du j)rincc-prolétaire.
— Non, madame, se hâte de dire celui-ci, coupant à temps
une sévère mercuriale de l’époux farinier a sa trop distraite
conjointe. Je disais que, comme ingénieur de la Ville de
Paris, M. Maréchal a été directeur de FUsine électrique des
Halles, qu’il a l'ait l'éclairage de l’avenue de l'Opéra et a
Le CHE.MIN UE FER Él.ECTllIQUE.
LES MOYENS DE LOEOAIOTI rtN A L ICXPOSIIION
grandement collaboré an percement de la rue Réan mur. Les
deux premières fonctions vous indiquent que le maniement
des forces électriques n’a pour lui aucun mystère. 11 a, d'ail-
leurs, écrit, sur \' Edairafjc à Paris' et) sur les Tramirays,
(’lectriques, doux ouvrages techniques de premier ordre el
qui font autorité en la matière. 11 est, avec une simplicité
exquise, une véritable sommité savante, merveilleusement
en sa place comme dii'ecteur de la Compagnie des Transports
électriques de l’Lxposition, administrateur au Métropolitain
et membre du Comité de direction...
— Oh ! s écria tout à coup Rertrande, regardez donc !...
Comme c’est drôle !
— Quoi, petite ?
— -Maitemoiselle parle de la plate-forme à deux vitesses,
dont l’itineraire, après s’ètre séparé du nôtre cji arrivant
au quai d’Orsay, vient le l'ejoindre en approchant de l'a-
venue Rapp. C’est, en elfet, amusant à voir...
1 1 I
CHASSÉ CliOISli
Cenchés en avant et le nez on l'air, nos quatre visi-
teurs contemplent, une gaieté croissante dans le regard, le
bizari'e spectacle qu'olfi’cnt, vus d’en bas, les pi'omeneurs
du Trottoir lloulant.
Rien, au premier moment, no donne envie de rire', comme
de voir tous ces personnages courir, se dépasser nnituelle-
ment, sans taire un seul des gestes ordinaii'os de la transla-
tion. Ils ressemblent à des pantins qu'une main invisible
déplacerait rapidement, en onl)liant de mouvoir les fils qui
leur font aller les jambes.
Tout mouvement dont on ne voit pas la cause et qui
donne l’impression de quelque, chose d’anormal, de con-
traire aux lois naturelles qui régissent le déplacement ac-
coutumé des êtres et des choses, produit tout d’abord un
elfet d’hilarité sur les spectateurs.
Il est évidemment tout à fait anormal de voir des gens.
34
A TRAVERS L EXPOSITION
tranquillement assis sur l’impériale d’un tramway, se dé-
placer latéralement; mais c’est une vision habituelle et
acquise à laquelle nous ne faisons plus attention. Il en est
de même à propos du Trottoir Roulant ; le premier effet de
surprise passé, la bizarrerie du geste s'atténue pour bientôt
n'ètre plus sensible.
Brusquement, Laurentieff, assis à côté de la fausse Excel-
lence, saisit le bonhomme par les deux épaules, le fait pi-
voter sur sa banquette de façon à l'interposer, obèse écran,
entre lui et les promeneurs du dit Trotloir Houlant.
— Hein?... Qu'est-ce qui vous prend? interroge Verdu-
re! tout interdit et réduit à l’immobilité par la pression d'étau
des mains nerveuses de Laurentieff.
— Chut! siffle celui-ci à voix basse et d’un ton d'épou-
vante... Cachez-moi, j'ai vu le diable I
— Eh! bon Dieu ! où prenez-vous le diable, mon pauvre
prince? fait l'oncle de Bertrande avec toute la compassion
que lui inspire cette nouvelle preuve de déséquilibremenl
mental chez ce pauvre garçon.
— Je le vois... 11 est sur la plate-forme rapide !... Pourvu
que lui ne me voie pas !
Instinctivement, nos quatre expositionnislps lèvent de
nouveau les yeux vers la bruyante machine, qui se rapproche
rapidement de la voie du chemin de fer.
Tous quatre étouffent un cri de surprise.
A leur quadruple geste répond, du haut du Trottoir, un
cri guttural qui les fait tressaillir.
Parmi les personnages glissant dans le sens opposé à celui
du train, un indivTdu en complet à carreaux, rouge de poil
comme de visage, lève vers le ciel deux poings exaspérés.
— Puzzling ! murmurent-ils stupéfaits.
— -Mon cher prince, lâchez-moi, supplie Yerduret, que
l’étreinte de Laurentieff gène et inquiète quelque peu. Ce
n'est pas le diable, c’est notre crampon d’Anglais... vous sa-
vez bien, celui qui nous a accompagnés dans la fameuse
gondole... à qui j’étais ])arvenu à faire perdre notre trace et
qu’un fâcheux hasard remet sur notre piste.
— 11 ne faut pas qu’il nous suive. Excellence, gémit
le fou d'une voix effarée. Je suis sûr que c’est Belzébuth
incarné! Je l’ai bien reconnu!...
I.KS MOYENS DE LOCOMOTION A l'eXPOSITION
3o
— Parbleu ! je ne demande pas mieux que de l’éviter...
J ai assez fait courir Bèchard pour ne pas souhaiter voir
tant de peine perdue... Mais cela me semble bien difficile.
— Les saintes Icônes me protègent! S’il m’atteint, je se-
rai un damné! s’écrie LaurentielT, dont les mains tremblent
sur tes épaules de \ erduret qu’il ne lâche toujours pas.
Voyez-vous, L.xcellence, il ne faut pas qu’il puisse nous re-
joindre, il ne faut...
Soudain, le prince-mécanicien pousse un cri. Ses mains
abandonnent les grasses omoplates du manufacturier retiré
pour se frotter Lune contre l'autre, avec une joie enfan-
tine, comme en ont les déments dont la folie est douce.
— J’ai trouvé! s’écrie-t-il... Un moyen naïf et sûr dont
l'antre ne s’avisera pas, tout Satan qu’il est!... Car vous
savez. Excellence, qu’en prenant la forme humaine pour ve-
nir accomplir ici ses méfaits infernaux, il a endossé les infir-
mités de l’humaine nature et perdu le don d’ubiguité des
esprits. En raison de la direction où l’entraîne la plate-forme
mobile, il ne peut, après l’avoir quittée, que prendre le train
qui nous suit à la dernière station que nous avons franchie,
avec l’espoir de nous apercevoir avant que nous ayons eu le
temps de nous éloigner de la station, inconnue de lui, où
nous quitterons le chemin de fer... Eh bien! nous allons
descendre dans quelques instants , à notre station initiale,
gagner en courant l’escalier-station de la plate-forme qui se
trouve tout près, à côté du Pavillon de la Perse, et filer par
le trottoir roulant pendant que, sous nos pieds, il roulera
dans le sens inverse... Et du diable, alors, si le diable nous
rattrape jamais!
— Ma foi, approuve en riant Verduret, le moyen est bon
et le résultat cadre trop bien avec notre désir de nous dé-
faire de cet animal pour que nous ne l'essayions pas.
En ce cas, Excellence, descendons vite; voilà que nous
arrivons.
Notre quatuor se trouve, quelques secondes après, sur le
quai de la petite gare. Verduret olfre le bras à sa nièce,
Bèchard saisit solidement celui de sa femme, et, bande folle
conduite par un fou, les deux couples s’élancent à la suite de
Laurentieff vers l’embarcadère du ïrottoii’ Boulant...
(iAiu-;
1)1
l'Kii'l'l'O.K
no
I KsiM.ANAijr:
DKS INVAI.IUKS)
V :
CIIAIMTKE II
E TROTTOIR ROULANT
S E''
P A T A T li A s !
Tant de monde sc presse pour profiter de l’immense
chemin qui marche, que notre groupe de visiteurs et
son guide ont été contraints de « faire la queue » quel-
ques moments à la gare du Pavillon de la Perse, gare
ituée à la hauteur du premier étage du dit Pavillon, et
Tune des douze qui permettent l'accès du public au mode
nouveau de locomotion.
Cet empressement, qui prouve l’excellent accueil fait par
la foule à cette innovation, a le don de causer un surcroît de
méchante humeur à l’esprit étroit et jaloux de Béchard,
Cet homme, toujours prêt à dénigrer ce qui montre un
mérite ou une valeur au-dessus de la moyenne, est décidé-
ment bien la personnification de l’élément faussement démo-
cratique dont la France, ce pays de pensée généreusement
hardie et d’éclat intellectuel, subit sceptiquement le joug.
Toute personnalité qui, en sa présence, captive trop les
regards, provoque en lui comme une sourde hostilité; et
cette hostilité hausse le ton dès qu elle juge que la supé-
riorité qui l'olfusque aura la timidité, la politesse ou la
sagesse de lui épargner les cinglantes ripostes. Cette ja-
FÆS MOYENS DE EnCO.^IOriON \ E EXPOSITION
39
lousie — qui est la caractéristique principale de la Médio-
crité devenue souveraine de par la loi du nombre — s’étend,
chez Bêchard, jusqu’aux choses ; il déteste, à travers l'ou-
vrier de talent, 1 œuvre môme qui se permet de triompher
et est coupable d’être née d'une capacité artiste, indus-
trielle ou savante.
— Ridicule! maugrée-t-ii. Ne se dirait-on pas à la
gare de la Porte Maillot, lors d’un retour de la revue du
14 Juillet Quand on fait un Trottoir Roulant, on s’arrange
pour qu’il soit commodément accessible pour tous et con-
stamment ! Ce n’est pas douze gares qu’il aurait fallu espacer
sur le parcours : c est cent que l’on aurait dû semer afin
qu il y en eût tous les quelques pas !
Quand il s’agit d’acquitter les cinq modestes décimes
exigés pour avoir droit à l’accès sur les plates-formes, autre
— Cela devait être, parbleu ! Le Decau ville électrique,
moyen de transport rapide et normal, ne coûte que vinM-
cinq centimes, et cette invention-là, qui fait exactemenUe
même trajet, lève sur le public bénévole un impôt double
C’est grotesque !
— Je vous ferai observer, mon cher ami, que, pour ce
prix modique, vous pouvez, si vous le voulez, rester toute
la journée sur le Trottoir Roulant.
— Vous voilà bien, Verduret. Parce que cette machine
est une innovation, elle a le droit, d’après vous, d’écorcher
Vils les visiteurs de l’Exposition. Vous mériteriez d’être
1 arisien, car vous êtes autant qu’eux hadaud et... gogo, ma
parole! Et puis, pourquoi est-ce fait, pratiquement, le Trot-
toir Roulant?... Pour épargner la fatigue de la marche,
n est-ce pas?
— Sans doute. Eh bien ?
— Eh bien, voilà que nous l’atteignons enfin et que, pour
cela, il nous a fallu gravir un gigantesque étage... J’ai les
jambes coupées. Ab ! elle est jolie l’économie de fatigue !
A ce moment, le guide, que le groupe vient de rejoindre
sur 1 étroit trottoir fixe, se tourne vers nos provinciaux.
C est avec une aisance et un calme — qui contrastent avec
1 extraordinaire agitation du pauvre prince-ouvrier depuis la
rencontre de Puzzling-Belzébiith — que Laiirentielf répond ;
40
A traveiis l’exposition
— Pour doux des douze gares, on a, remplacé les esca
liers par des plans inclinés mobiles...
— Comme ces o tapis » des grands magasins de nou-
veautés que m'a l'ait voir mon oncle ^
— Oui, mademoiselle.
Bôcliard hausse les épaules :
Une grande Exposition comme celle-ci aller emprunter
des moyens de locomotion anx modernes bazars du com-
merce de détail... Ouel ell'ort d’imagination!
lUlIl'K MOHII K.
Ulp. a même fait cet emprunt dans des pro[)ortions
bien plus vastes que vous ne le soupçonnez. Onand vous
visiterez les Palais du Champ de Mars et de l’Esfdanade des
Invalides, vous verrez nombre de ces élévateurs si pratiques,
supprimant l'elTort pour gagner rétage supéiâeur. Mais,
bixe.ellence et mesdames, nous sommes au Trottoir Rou-
laut, et...
Pas lient non plus, votre fameux Trottoir. J’ai lu
quelque part qu’il y en avait un à l'Exposition de Chicago.
— Et aussi, plus récemment, <à celle do Berlin.
Allons [donc !... Nous marchons à la remoiajne du
génie anglo-saxon et allemand.
m:s jioykns di: LocdMo ridN a i. i:\i>()si i io.n
41
— Pas le moins du monde.
— Par exemple ! Ne venez-vous pas de dire vous-mème
(jue les Américains et les Teutons ont eu leur Trottoir avant
nous?... 11 est vrai que j’ai tort de m’étonner de vous voir
vous contredire... Ce n'est pas de votre faute si vous n’avez
pas deux idées de suite.
— D’abord, monsieur le Crand Panetier. ..
— Je vous ai prie de ne pas ..
— Vous donner votre titre? C’est vrai... Pardon ! D'abord,
dis-je, le Trottoir Roulant de 1900 est très diO’érent de ses
prédécesseurs qui n’étaient que de faibles essais... En
second lieu, ainsi que j’aurai le plaisir de vous le démontrer,
sachez que les projets de plates-formes roulantes sont nés...
— Parbleu, en Amérique, comme tout ce qui est pra-
tique !
— Non, monsieur: en France, comme tant d'idées ingé-
nieuses que le momie a assez l’habitude de venir puiser à
Paris et que les Français adoptent ensuite .. avec la mar-
que étrangère.
— Ça m’étonne !
— Ab ! que voilà un étonnement éminemment français !
TRAVERS L EXPOSITIOIN
— Et maintenant, observe Verduret, si nous montions
comme tout le monde sur le Trottoir, qu’en dites-vous?
— A vos ordres, Excellence... Et, tenez, voilà un em-
j)loyé qui va vous indiquer la façon de vous y prendre.
— l’our monter là-dessus ? La belle malice, se récrie
Bèchard... Une simple petite marebe à monter, quelle
grande alfaire ! Dirait-on pas qu'on a besoin, pour cela, de
leçons comme pour apprendre à monter à cheval.
— Une leçon, non ; mais une indication n’est pas su-
[)erllue.
— Vous voulez rire!... Cela va si doucement! Voyez
comme c'est simple !
Bèchard, joignant le geste a la parole, fait — toujours
raille comme la justice — un pas en avant, perpendiculaire-
ment au Trottoir, et pose le pied gauche sur le chemin qui
marclie. . .
Mais le farinier d’Essonnes, hôte accidentel de Paris, est
loin (l'ètre assoupli à l’exercice très parisien de l’ascension
et de la descente d’une voiture en mouvement. Inapte à
meltre son corps rigide dans la position d’équilibre conve-
uahle, sa jambe, soudainement entraînée fait perdre à cet
homme grave son centre de gravité... physique et, tel un
capucin de cartes ou un mât de navire sous une ï’afale, il
s’allonge rudement sur le côté gauche.
— Patatras ! s'écrie la mutine Bertrande, qui se hâte de
bâillonner ses jolies lèvres avec son mouchoir pour essayer
de contenir l’accès de fou rire que lui cause le spectacle du
juste châtiment de la présomption du maître de moulin.
Celui-ci a à peine eu le temps de mesurer complète-
ment sa longueur sur le plancher mouvant, que les deux
mains nerveuses de LaurentietT l’ont remis sur pied, vexé
et sacrant.
Soutenu, cette fois, par le prince-prolétaire, il a regagné
le trottoir fixe.
— Eh bien, mon cher, lui dit Verduret d’un ton gogue-
nard, trouvez-vous toujours qu’un petit avis préalable soit
si inutile ?
— Je trouve que cette invention de plancher qui se
dérobe sous les pas est ridicule ! Je trouve que l'auteur de
cette machine infernale, créée expressément pour que les
LES MOYENS DE LOCOMOTION A l’eXPOSIÏION
43
honnêtes gens s’y viennent rompre le cou, mériterait cl ctre
envoyé aux galères !
I.'employé en vareuse bleue, signalé l’instant d’avant par
laiurentieir, va vivement à Bèchard.
— \ ous ne vous ôtes pas fait mal, monsieur?
— Non, grogne le farinier, et je le regrette. J’aurais
voulu me casser un membre... qui aurait coûté cher en
dommages et intérêts, je vous le certifie !
^ — (l’est que vous vous ôtes trop bâté, aussi ! Vous ne
m avez pas laissé le temps de vous expliquer... Voyez: il
sutlitde marcher tout doucement dans le même sens que le
Irottoir, d attendre le passage d’un des poteaux d’appui, d(‘
poser la main sur la boule qui le surmonte et, garanti
contre toute perte d é(|uilibre par ce solide tuteur, de pren-
dre pied en toute sécurité sur la plate-forme mobile.
— Tenez, voyez comme c’est simple ainsi ! dit Bertrande.
Et elle saute légèrement sur le Trottoir mobile, en se
conformant aux indications de 1 employé, lequel va répéter
son utile avis à d’autres débutants.
A 1 exemple de la souple jeune fille, ,M'"“ Bèchard soutenue
par Laurentielf, et ensuite Verduret, s’engagent sur le chemin
fatal au farinier. Celui-ci les suit d’abord en marchant sur
le plancher fixe... 11 hésite... Enfin, pris de fausse honte,
il se décide à réitérer une tentative précédemment cou-
ronnée d un insuccès dont son amour-propre est fort mor-
tifié. 11 guette le passage du suivant point d’appui, le saisit
convulsivement à deux mains et, faisant un pas de géant des
plus... grotesques, se trouve enfin, sans chute nouvelle,
entraîné dans le placide mouvement translatoire de la
plate-forme.... Alors, il se redresse et, d’un air de dédain :
— Penh!... C’est enfantin!
A ce mot, si « nature » dans la bouche d’un homme tel
que Bèchard, comme un vent léger de sourire muet court
parmi la loule ambiante témoin amusé de la mésaventure
du personnage. Celui-ci en a l’intime sensation et, intérieu-
1 ement, sa mauvaise humeur s’en décuple, quoique, pru-
demment, il se tienne coi... pour quelques secondes. Se
composant un visage... diplomatique, il rejoint ses compa-
gnons à qui Laurentietf explique que, pour passer de la
plate-forme en marche au petit quai fixe, il suffit, toujours
A TRAVERS l’eXPOSITION
en faisant face dans le sens du mouvement, de se pencher
l'ranchement en arrière pour descendre le petit pas qui
forme la frontière des deux planchers.
Le prince-mécanicien commence ensuite, en s adressant
plus spécialement à Verduret qui, dans 1 idée du monomane,
occupe le sommet hiérarchique relativement à scs compa-
gnons :
— Comme vous le voyez. Excellence, le Trottoir Roulant
de 1900 SC compose de trois parties distinctes, dont Tcn-
seinhle est élevé à la hauteur dTm second étage, sur une so-
lide charpente en bois...
— (Jui est bien du plus boi'i'ible effet! récrimine le lari-
nier, incapable de contenir sa bile plus longtemps. Drôle
d'idée de faire courir cette rustique estacade tà, travers l'Ex-
position !
— J’avoue quau point de vue esthétique, ces robuste.s
madriers, plantés dans le sol et couronnés d'un fouillis de
lambourdes, de longrines, d’entretoises, manquent un peu
de... légèreté et de grâce. Mais croyez que si les autours et
exécuteurs du projet s’y sont résignés, ce n a pas dû
sans valables motifs.
— Allons donc! (ju'est-ce qui les emjiècbail de faire,
comme pour le cbemin de ter électrique, un viaduc métal-
li<j ne ?
— Ecoutez, je vous prie.
— Votre raison?... Eh bien, j'attejids.
— Non. Ecoutez simplement.
— Quoi?
— Le bruit constant de j'onlemcntdu système.
— Ab! parbleu, il est on ne i)eut plus insupportable...
Un dirait un grondement ininterrompu d'orage qui aj)-
proclie.
— Vous exagérez. Je le Irouvc doux relativement à l'cl-
frayante masse sonore en mouvement et, pour garder votre
comparaison orageus(;, cela ressemble à un écho d orages
lointains. Mais, ligurez-vous ce roulement s accomplissanl
sans répit sur un vibrant viaduc de fer. Cela ferait pour
l’oreille, avec ce qui existe, une différence analogue à celle
des bruits (d’intensité à peine comparable) d'un train rou-
lant sur remblai de terre, ou bien franchissant une rivière'
' -V^
- lii;•,■^A^''■l'^ /?’
"■y ht; ' ■
i,i;s .MiivioNs iJh; L(lC(l.M(l■n((^ a i. ioxposi i ioa
't.)
sur mi pont métallique. Avouez qu'il vaut mieux sacrifier
un peu il esthétique pour l'vitei' un pareil inconvénient.
IMais, permettez-moi do fermer cette parenthèse et de
reprendre...
— Uni, précise Verduret : les (rois parties du Trottoir
Roulant...
): 1'
U:
i'' f.'
fii
'1
I '
46
A TRAVERS L EXPOSITION
— Sont, Excellence : 1“ une plate-t'orme fixe, ayant
l™lo de largeur, servant à la fois de quai continu d'embar-
quement et de terrasse, lorsqu’il plaît aux voyageurs d’in-
terrompre leur marche pour, appuyés à la balustrade comme
à un balcon, contempler une perspective, étudier l’archi-
tecture d’un palais ou tout simplement saluer d’un bonjour
quelqu’ami aperçu dans la foule pédestre circulant au long
du parcours; 2® une plate-forme de petite vitesse, c’est-à-
dire celle, toute étroite, qui nous emporte en ce moment.
— Ah! par exemple, elle est bien nommée, celle-là!
Ouelle marche de tortue! Un enfant la suivrait à quatre
pattes !
— Elle avance pourtant à raison de 4 kilomètres un
quart à l’heure.
— Hein?... Plus d’une lieue à l’heure!... Vous plaisan-
tez ?
— Leschilfres sont les chiffres.
— Sans doute ; mais, voyons, c’est impossible.
— Pourquoi?
— Ce serait une allure équivalente à celle d'une troupe
d’infanterie en marche!
— Pas tout à fait, car il ne faut pas oublier que la plate-
forme n’éprouve pas le besoin de ces repos que l’on désigne,
dans l’armée, sous le nom de haltes horaires. D’ailleurs sa
vitesse ne représente que 70'” 83 à la minute, tandis que,
dans le même temps, la troupe d’infanterie française couvre
91 mètres au « pas déroute » et 96 mètres au « pas accéléré ».
Elle équivaut donc à un simple pas de promenade pas trop
nonchalant. Du reste, celte plate-forme n’a été construite si
étroite — 0"’90 — que parce qu’elle constitue un chemin
marchant de transition entre le quai immobile et le véritable
Trottoir Roulant, troisième partie du système, lequel, large
de 2 mètres, progresse à raison de 8 kilomètres et demi à
l'heure, soit 14P''66 à la minute, ce qui équivaut, à très peu
près, à la vitesse de fantassins lancés au pas gymnastique.
Vous savez, en effet, que les dits fantassins couvrent,
à cette allure, 136 mètres à la minute; ce n’est donc qu’un
excédent tle moins de 6 mètres par soixante secondes en
faveur de la plate-forme de grande vitesse... sur laquelle je
vous prie do vouloir bien me suivre.
LKS .MOVli.NS DE LUCU.MOTIU.N A l' EXPOSITION
47
— l^ardon, mais...
— Ne vous effrayez pas. La différence de vitesse étant
égale à la vitesse du plancher intermédiaire, le passage de
la petite à la grande correspond exactement au passage que
vous venez d’exécuter du trottoir fixe à la petite vitesse.
Gela vous explique l’utilité de cette plate-forme intermé-
diaire qui permet aux dames, aux personnes âgées, ainsi
qu’aux enfants, de passer, sans danger ni eii'ort, et en deux
fois, du plancher immobile au plancher animé du mouve-
ment rapide.
— C'est excellemment compris, approuve Verduret.
— N’est-ce pas. Excellence? 11 est certain que si l’on
n avait à sa disposition que la petite vitesse, on trouverait
bien long de mettre tout près de cinquante minutes à faire
les 3,500 mètres que comporte la longueur totale du système.
— Le Trottoir Roulant est donc plus long que le Decau-
ville électrique, qui n’a, nous avez-vous dit, que 3,400 mè-
tres? 11 suit pourtant le même itinéraire.
— 11 passe, en effet, parles mêmes voies — quai d’fJrsay,
avenues de La Bourdonnais et de La Motte-Piquet, et rue
Fabert — et souvent les deux tracés se confondent; mais,
là où ces tracés se disjoignent, la courbe du Trottoir est en-
veloppante par l’apport à celle du chemin de fer, et, par-
tant, légèrement plus longue... Mais passons, ainsi que je
viens de vous en prier, sur le trottoir à grande vitesse, qui,
lui, fait le tour complet en un peu moins de vingt-cinq
minutes... Faut-il vous aider, monsieur le Grand Panetier?
— Merci, j’y suis! répondit sèchement Bêchard au trop
prévenant pseudo-prince russe.
— ■ Hum ! ces trois planchers, fixes ou plus ou moins
roulants, manquent singulièrement de sièges, regrette
ypiie pfiore en opérant à son tour le passage avec l’aide du
bras de Verduret.
— Toute l’Exposition est un peu en retard et les instal-
lations ne sont pas achevées. Les sièges dont vous blâmez
l’absence, madame, feront bientôt leur apparition, mais
peut-être en nombre plus restreint que ne le souhaiterait la
gracieuse indolence féminine. N’oublions pas que nous
sommes ici sur un Irotloir et non dans une sorte de voilure
sans fin.
A TRAVERS L'EXPOSITION DE 1900
LE TROTTOIR ROULANT EUE CHEMIN DE TER ELECTRIQUE
IJOS MOVIÜS'S DI' IJICII.MDTKJN A l’eXPOSITIO-N'
49
— C’est, en ell'el, le moyen d'obtenir le nuiximnni de
rii|)idité de translation.
I‘.it à combien s’i'dève ce maximnm ?... Non, non... ne
répondez pas, monsieur le pi'ince Laurentieir ; vous mar-
cberiez sur les brisées de M. le Grand Panetier, dont le
calcul est la spécialité.
~ I ctite Bertrande, vous savez combien cette appellation
l'idicnlc me...
A TKAVKUS l’eM'USITIO.N. — T. \1H. —
so
A TRAVERS l’eXPOSITION
Mais Bèchard, qui commençait à gronder, oublie de pour-
suivre, saisi qu'il est par sa chère marotte calculatrice. Les
mots fâchés lui manquent et sa gronderie esquissée s’achève
en un énoncé de la solution du problème par lui mentale-
ment résolu aussitôt que posé par la jeune lille.
— En ajoutant, dit-il, à la vitesse de la plate-forme rapide
celle de la plate-forme intermédiaire ou du pas de prome-
nade, on obtient 212 mètres t/2 à la minute, soit du 12 kilo-
mètres 750 mètres à Lbeurc, et le tour complet en 10 mi-
nutes 1/2. Si l’on prend le pas accéléré, on se trouve faire
252 mètres 2/5 à la minute, 15 kilomètres 900 mètres à
rheure, et le tour en un quart d'heure. Avec le pas gym-
nastique, on arrive au maximum de 277 mètres 2/5 a la
minute, ou 10 kilomètres 000 mètres à l’heure, et on tait
le lotir de la piste en 12 minutes 50 secondes.
— Superbe! s’écrie Laurentiell avec une admiration qui
paraît toute sincère. Vous êtes, monsieur, un barème vivant!
Ilècbard se rengorge, quoiqu’il ne saisisse pas bien ht
valeur de la comparaison marquée par ce mot hiérogdypbique
de barème, qui rappelle plus à sa mémoire un crime poli-
tique et... préfectoral, sur leqmd a été étendu un voile
mystérieux, qu’uni' allusion matbématique a son esprit
insuflisamment éclairé. Il n en est pas moins très satisfait
d’avoir produit son petit etlet, effet très capable, pensc-t-il,
d’avoir fait oublier sa chute grotesque de tout a 1 heure.
Cette intime satisfaction d’amour-propre adoucit 1 âpreté de
son humeur, et c’est sans l’interrompre d’observations
aigres (|u’il laisse le mal équilibré ciccronc poursuivre la
documentation du petit groupe.
i.Es uEssi.irs Di: i.’ ou vre
luxcellencc, dit en s’inclinant respectueusement Lau-
renticlf, je n’insisterai pas sur la genèse de ce Trottoir
Roulant, qui porte le nom de « Système de transport Blot-
Mocomble-Guycnet ».
LES .MOYENS DE LOCO.MOTION A l'eXPOSITION
51
— Oh ! un nom très composé !
— Exactement de trois noms propres : celui de Einventeur
du système, M. de Mocomble, et ceux des autres ingénieurs
qui lui ont apporte le concours de leurs lumières pour l’éla-
horation du projet et son exécution. 11 y avait bien un
Irolto.r Roulant à Chicago, et aussi un à" BeX . „n,is m
I un n, autre no dépassait trois hectomètres de dEelonp"!
ment alors que celui-ci s'allonge sur un parcours de près
d une henc et résout, de plus, le problème des doux vitesses
Vous voyez que, quoique le premier projet sérieux de ebe-
Pabainrî'ELS't"'': lactuel
— sM. llénard ?
mi7r quoique ce pre-
date de audacieux,
date de^ KStS/, cest-a-dire de treize ans, l’étranger n’a nas
devance a brance dans l’application sérieuse et suffisam-
Xz eUe 'Pailleiirs enfantée
— Je n’en reviens pas. Comment, rAmérique elle-mcme
SI pronipte aux réalisations osées?...
— L Amérique, comme rAlleniagnc, n’a tenté nu’nne
application troji timide et surtout trop imparfaite pour que
1 on puisse, d après elle, pronostiquer de l’avenir de ce
mode nouveau de locomotion. Avec cette double plate-
01 me, couvrant d,50Ü mètres et fournissant ses deux niou-
saXa 7^'" one régularité rigoureuse, sans arrêts comme
sans d-conps, 1 est permis à l’imagination la plus timorée
d entrevoir relativement prochaine la révolution qui traiis-
foi^icra les habitudes de vie dans toutes les grandes villes.
— Mais non. Excellence, puisque, sons vos yeux et sous
vos pas, la preuve est faite. Sans doute, il y aura des per-
ectionnements à apporter encore pour rendre tout à fait
pratique ce système de transport, mais on est d’ores et déjà
autorise à voir de semblables « trottoirs » courir au-dessus
de ceux des grandes artères de circulation citadine, de même
I on est eu droit de concevoir le maximum de vitesse
dcciu jiar 1 adjonction d’une troisième et même d’une qua-
Ineme vitesse sur les voies très larges, telles que les bolile-
52
A TRAVERS l’eXPOSHTON
vards. On peut désormais, sans être nullement prophète,
envisager le temps où Parisiens, Londonniens, Madrilènes,
Viennois, IVHersbourgeois, etc., pour se rendre en quelques
minutes à leurs affaires ou à leurs plaisirs, n auront qu a
mettre le i)ied sur un élévateur qui les portera an Irottoir
Uonlant, puis — soit directement, soit par correspondance,
avec d’antres reliés à l'aide de passerelles — vers le point
de la ville on les appelle leur fantaisie ou leur intérêt... ht
cela gratuitement, sinon au début, du moins dès que les frais
d'installation auront été couverts.
— Eh bien, et les omnibus?
Supprimés, rejetés au rang des antiquailles. Suppri-
mées, les poussées dans la boue gluante et les intermina-
bles stations sous la pluie, avec un numéro au chiffre déses-
pérant à la main. Seules, les automobiles sillonneront encore
les chaussées, que ne traverseront plus que les gens trop
affairés.
— Et les habitants du premier étage, proteste liechard,
ils verront donc tout Paris déliter presque chez eux?
Ils en seront quittes pour monter plus haut. Ce n est
qu'une habitude à prendre, et les ascenseurs généralisés
auront alors mis de plain-pied tous les étages d une maison.
Vous verrez que le sixième deviendra l’étage « select» !
s’écrie joyeusement Bertrande.
— Ce sera le monde renversé, appuie gaiement Verduret.
Ou plutôt un anormal préjugé enterré, dit Laurentieff,
car il est bien évident que l’air, la lumière, la salubrité et
la garantie du « home » familial contrôles regards indiscrets
croissent à mesure que davantage on s approche du faîte des
immeubles. t • i. i i
Oh! vous aviez raison de dire que ce Trottoir houlanl
serait le point initial d’une véidtable révolution!
— Elle n’est pas encore accomplie. Excellence, rien
ii’étant lent à déraciner comme les habitudes prises, en
dépit des pas de géant du progrès. Je voulais seulement
vous faire toucher du doigt une des métamorphoses qu en-
traînera, au prochain siècle, c’est-à-dire presque demain, la
fécondité créatrice de l’esprit humain moderne en constant
travail, et... je crois que j’ai réussi.
— Trop, malheureux, car c’est me donner d amers et
TvIiS 3I0VKNS DE [J1C0;\I0T10N A L l-XPOSrrH>.\
53
N'ue u’e.nsejiijlic L)i; 'l'aoTTuiii Uuulant.
A TRAVERS l’eXPOSITION'
rii
cruels regrets d’avoir déjà tant vieilli. Que le monde sera
curieux à contempler seulement dans trente ans!... Mais,
hélas! je ne serai plus là.
— Vous y serez, Excellence; mais la Parque dût-elle
avant ce terme trancher le lil précieux de vos jours, vous
n’auriez pas le droit de vous plaindre, votre génération
ayant assisté à la transfiguration de l’univers par la mise en
pratique de la vapeur et de l’électricité... Mais redescendons,
s'il vous plaît, de l'avenir au présent, et de la vision de
Paris entier roulant à ce premier chemin qui marche.
— .Je serais, en efTet, curieux de me rendre compte du
mécanisme...
— De cette plate-forme promeneuse? Ah! parbleu, il se
voit de reste : on n’a qu’à regarder d’en bas. Vous n y voyez
donc pas clair?
— J’ai la jirétention de n’ètre pas plus myope que vous,
mon cher Bcchard ; seulement je me méfie de ce que mes
-veux me disent lorsqu’ils sont arrêtés à la surface des choses,
comme c’est ici le cas.
— Les miens, déclare péremptoirement le farinicr, ne
m’ont jamais trompé; aussi m’en rapporté-jo à ce qu’ils con-
sultent et à rien autre. Au sujet de ce Trottoir Roulant, par
exemple, j'ai parfaitement vu qu’il est construit à l’instar
d’un train de marchandises auquel ne seraient attelés que
des « trucs ». On en voit toutes les roues tourner sur le
rail ; il n’y a donc pas d’erreur possible. 11 doit y avoir des-
sous des mécaniques qui actionnent toul ou partie de ces
roues, comme dans les locomotives, et mettent tout le sys-
tème en mouvement; c’est clair comme le jour, n'esl-ce pas,
monsieur Laurent...?
— Tieff, je vous prie.
— LaurcntielT, soit.
— prince, si cela ne blesse pas trop vos lèvres démo-
crates.
Rècbard bausse les épaules.
— Eh! prince Laurentielf si vous voulez; peu m im[)orte
sous quels titre et nom vous me direz que j’ai raison.
— J’ai, au contraire, le regret de vous dii'e que vous vous
trompez du tout au tout sur la façon dont est actionnée la
plate-forme à deux vitesses de 1900. G est même là le point
LES MOYENS DE LOCOMOTION A L EXPOSITION
00
très particulièrement intéressant de l’invention de M. de
Mocomble. Ce que vous venez de définir, c’est exactement le
principe du Trottoir Roulant de Chicago. Celui-là était,
en eiïet, un véritable train pourvu de moteurs faisant mou-
voir les roues sur des rails fixes, absolument comme dans
le Decauville électrique que nous venons de quitter. C’est
bien à cause de cela, précisément, que la plate-forme mo-
bile de Chicago a subi, après sa mise en service, de si
Iréquentes anicroches. Les moteurs, entraînés dans le mou-
vement général qu’ils produisaient, étaient exposés à faire
des avaries qui, pour être réparées, nécessitaient le démon-
tage de certaines parties du trottoir ambulant, et ils y
étaient d'autant plus exposés que leur surveillance était
presque impossible en cours de route... Et ce n’était qu’un
train continu d’une longueur de .300 mètres! Le principe du
système Rlot-Mocomble-Guyenct est tout à fait l’inverse. A
Chicago et ailleurs, c étaient les roues qui, mises en mouve-
ment sur les rails fixes faisaient marcher les trucs automo-
biles et la plate-forme qu’ils supportaient. Ici, à Paris, ce
sont des moteurs et des roues fi.xes qui font avancer le rail
ou « poutre axiale ».
— Par exemple! proteste violemment Rèchard; mais ou
voit...
— Ce que vous voyez tourner en avançant, ce sont de
simples galets de support destinés à donner la stabilité à la
plate-forme. Les agents de translation, vous ne les voyez
pas; et voici en quoi ils consistent. Des moteurs fixes, au
nombre de cent soi.xante-dix, sont dissimulés dans la char-
pente du viaduc, en des places où il est aisé, en tous temps,
de surveiller leur fonctionnement. Chacun de ces moteurs
actionne un galet de friction, également fixe, qui vient s’ap-
puyer sur le rail axial fixé au-dessous du trottoir. Or, c’est
cette série de galets qui, tournant d’un mouvement uni-
forme, fait avancer le rail. C’est donc, comme vous voyez,
l'inverse de ce qui se passe pour uu train de chemin de fer et
de ce qui avait lieu dans les précédents essais de plate-forme
continue mobile.
— Très ingénieux et très simple, en vérité, applaudit
Verduret. Seulement, il fallait le trouver... C’est comme le
fameux œuf de Colomb.
A TRAVERS e’eXPOSITIOiN
5(i
Et, d'un ton de bonhomie triomphante, en s’adressant à
Bêchard :
Allons, mon cher saint Thomas, avouez qu’il est quel-
que fois prudent de ne pas s’en rapporter au seul témoi-
gnage de ses yeux...
Le farinier se drape dans un digue mutisme et Verduret
poursuit ;
Mais, ce rail, cette poutre axiale qui est l’àme du
système, il ou elle ne peut être rigide sur une grande éten-
due, à cause des courbes.
Evidemment, Excellence; de môme que la plate-forme
trottoir est nécessairement articulée pour pouvoir s’inlléchir
selon les sinuosités du parcours.
Pourtant, je ne vois pas de solution de continuité sur
ces trottoirs?
C est que le mode d’articulation est à peu près invi-
visible, et ce mode, le voici... Je vous le dessine à grands
traits pour mieux vous le faire comprendre. Les deux plates-
lormes mobiles sont composées d’une suite de trucs de deux
espèces, j ai envie de dire de deux se.xes. Chacun des trucs
mâles, terminé aux deux extrémités en demi -cercle, est
fixé, vers 1 avant et vers l’arrière, tous les 4 mètres, au rail
axial qui 1 entraîne dans sa marche. Entre le point de con-
tact arrière d’un de ces trucs et le point de contact «tvm? du
suivant, l’espace libre est occupé par un truc, que j’appel-
lerai femelle, et dont les deux extrémités sont creusées en
demi-cercle pour emboîter exactement les convexités hémi-
circulaires de ses deux voisins. Ce ti'uc intermédiaire femelle
na aucun point de contact avec l’axe axial; il est emporté
dans le mouvement général par la seule poussée du truc
mâle qui le suit. Vous voyez tout de suite, la fonction do
liaison harmonique dans les courbes de ce truc, qui est à la
lois indépendant du rail directeur et esclave de ses deux
compagnons immédiats.
— Bigre, cest de la polyandrie! s’écrie avec un gros rire
le manufacturier retiré.
— Oui, répond sur le meme ton le prince-mécanicien,
oui, si Ton considère la situation du truc intermédiaire;
mais c’est de la pure bigamie si l’on prend pour objectif le
truc mâle...
LES MOYENS DE LOEOMOTiON A L EXPOSITION
— Qui se trouve faire le panier à deux anses, c’est ma
foi vrai! Ah! prince, prince, vous avez décidément de drôles
de façons d expliquer les choses... Mais glissons, n’insistons
pas! Dites-moi plutôt comment on est parvenu à régler les
moteurs, de sorte qu’ils impriment à chaque plate-forme
une vitesse différente.
■ — Tous les galets de friction sont animés d’une égale vi-
tesse de rotation.
— Alors, les deux plates-formes devraient marcher aussi
vite l’une que l’autre.
— Nullement, et c’est là qu’apparait l’excellence du
système de rails se déplaçant sur des galets à essieu fixe.
11 suffit, la circonférence étant fonction du diamètre, comme
disent les mathématiciens, de donner aux galets des diamè-
tres ditférenls pour obtenir des vitesses proportionnellement
différentes. Ainsi, les galets de friction de la plate-forme à
grande vitesse ayant 0'’^70 de diamètre, alors que ceux de
la plate-forme à petite vitesse n’ont que O''’3,o, il s’ensuit
qu’un tour des premiers fait faire au rail qu’ils portent le
double du chemin que font couvrir chaque tour des seconds
à Taxe de la plate-forme Intermédiaire.
— C’est lumineux!
— Comme tout ce qui est simple, Excellence. Mainte-
nant, passons à la force motrice.
— Elle provient, sans doute, de l’usine des Moulineaux,
comme celle qui actionne le chemin de fer électrique ?
— Oui, et les câbles qui la transportent représentent le
joli chiffre de 40.000 kilogrammes de cuivre. Le courani,
qui arrive triphasé de l’usine, est transformé en courant con-
tinu de oOO volts à la même sous-station centrale qui four-
nit le courant continu au chemin de fer électrique. Mais,
comme le démaiTage du Trottoir est bien plus difficile et
exige une beaucoup plus grande dépense de force que celui
des trains du Decauville modèle 1900, on a usé d’appareils
spéciaux — des transformateurs tournants — qui permettent
d’employer, pour le moment du démarrage, un courant à
tension croissante.
— V^oyez, tout de môme, observe Verduret, comme les
vraies difficultés sont justement là où le public ne les ima-
gine pas.
58
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Il y a donc de mis en œuvre, dans la sous-station cen-
trale, pour le service de la plate-forme à deux vitesses, deux
commutatrices de 600 kilowatts et les deux transformateurs
tournants dont je viens de vous parler, lesquels sont égale-
ment de 600 kilowatts.
— Rt, demande Bècliard pour couper cour! à ces détails
techniques qu’il juge plutôt oiseux, combien ce Trottoir
llovilant peut-il porter à la fois de personnes?
— Vous parlez, n'est-ce pas, de la seule plate-forme à
grande vitesse?
— Evidemment, puisque la partie fixe n'est qu’un quai
d’embarquement et la plate-forme à petite vitesse un simple
plancher in terméd i ai re .
— Je vous répondrai donc que cette plate-forme peut
contenir 8.000 personnes ; soit une approximation de 25.000
promeneurs à l’heure, ou 575.000 pour la journée complète,
de huit heures du matin à une heure du matin.
— Oh! le soir, elle ne doit pas avoir beaucoup d’ama-
teurs, car je ne vois pas le plaisir que Ton pourrait goiiter à
rouler ainsi dans la nuit.
— D’abord, la nuit n’oxiste pas pour le Trottoir Roulant
qni est splendidement éclairé par des lampes à arc suspen-
dues dans les arbres, tout le long de son parcours ; et puis,
c’pst en réalité le soir que le spectacle de cette Exposition,
si léeriquement lumineuse, est le plus merveilleux.
— Alors, questionne Bertrande, le Trottoir Roulant est
donc un nouveau Juif-Errant qui ne s’arrête jamais?
— Jamais, mademoiselle, tant que les portes de l’Exposi-
tion sont ouvertes. 11 ne se repose que la nuit, après que le
dernier visiteur a quitté le vaste champ clos de la grande
Fête du Travail et jusqu’à ce que le premier visiteur du
lendemain matin ait fait contrôler son ticket à Tune des cin-
quante-six portes de cette Thèhes électro-cosmopolite... Je
crois. Excellence, mesdames et... mossieu Tout-Court, vous
avoir dit, au sujet de ce très curieux et prometteur système
de transport, les quelques choses importantes qu’il est né-
cessaire que vous sachiez. Avez-vous quelque autre ques-
tion à me poser ou quelque observation à me faire?
— Je ne vois pas trop, dit Verduret, sinon que je m’émer-
veille de l’esprit de décision de M. Picard qui osa prendre la
LKS -MOVEN'S Di: I.OCC j.MOTlON A l’exPOSITIO.N
39
responsabilité de confier à une telle innovation le service
de transportdu public... Car, enlin, cela s’esl vu des systèmes
nouveaux qui ne rendent pas ce qu’en espéraient les au-
teurs... 11 aurait bien pu ne pas marcher, ce Trottoir
Roulant !
— Excellence, M. Picard est trop habile ingénieur pour
risquer do se tromper aussi lourdement. 11 savait, après avoir
étudié les plans des ingénieurs, que cette plate-forme mar-
cherait, et, dans les meilleui'es conditions. Mais, quelle que
lût à cet égai'd sa certitude dès le premier jour, il est trop
prudent, malgi'é tout, pour <( acheter chat en poche »,
comme dit un assez bizarre proverbe français. Il a donc
exigé, avant d’accorder la concession de terrains et l’auto-
risation nécessaires, que MM. tle Mocomble, Idiot et (inyenet
lui donnassent la preuve de la viabilité certaine de leur
grandiose projet. A cet elfet, ces messieni’s ont dû préala-
blement construire, à Saiiit-Ouen, une plate-forme d'expé-
rience de 400 mètres de développement. Cette première réa-
lisation provisoire du système de translation à doux vitesses
a été soumise aux essais les plus sévères et, comme elle en
est sortie triomphalement victorieuse, la responsabilité de
M. Picard, comme le dit Votre Excellence, était entièrement
mise à couvert. Vous remarquerez aussi que, dans l’instal-
lation de ce Trottoir Roulant — qui constitue un progrès
pratique considérable, pnis(ju’il supprime les attentes des
lonles localisées aux gai-es, les dangers de déraillement et
do rencontre de trains, tout en laissant aux voyageurs l’ab-
solue liberté de s’arrêter où et quand ils veulent — toutes
les précautions ont été prises pour assurer la sécurité la
plus complète de chacun : un petit pas à gravir impose l’at-
tention pour passer d’une plate-forme à une autre, et celle
de vitesse supérieure déborde de quelques centimètres sur
sa voisine, afin d’éviter tout danger provenant dn plus infime
écartement à vide entre les deux trottoirs. Vous voyez
comme les poteaux d’appui sont fréquents et quelle solide
balustrade borde, de chaque côté l’ensemble du système...
Avez-vous encore quelque chose à me dire ?
— Rien^ déclarent en même temps Verdnret, Rêchard et
Bertrande.
— ]\loi, fait M'”“ Flore avec une moue réfléchie, ce que
TRAVERS
L EXPOSri'lON
je vois (le plus clair dans ce Trolloir Roulaiil, c’est qu'on y
a trouvé le moyen d'utiliser les galets, et je demandais jus-
tement à mon mari, la premii-ro fois qu'il m’a conduite en
ij:s .mi)Vi;.\s |)|-: i.oco.motiox
A I, i^xi'osrridx
(;i
bir que, grâce à ce progrès de l’indusirie, on arrivera main-
tenant a en débarrasser nos plages, et...
- -Mais, lais-tni donc! crie à sa remnie Bèchard, jaune
Trottoiii Kouu.vt. - Assaut i.k i.a i.ki-xikmk ptate-formi;.
de dépit, lu n'as donc pas compris qne ce que MM. les in-
gcnieiirs appellent galets, ce n’est pas antre cJiose qne de
petites roucsde chemin de Ier! Tu devrais an moins réllé-
A TRAVERS l’eXPOSITION
()2
chir avant de dire de ces énormités qui font rire de
nous !
— Ne te fâche pas, Aristide. Après tout, nous ne som-
mes pas plus l'un que l’autre allés à l’Ecole polytechnique:
on peut bien se tromper !
I^e farinier, humilié en sa moitié, serre les poings et les
lèvres de colère contenue. 11 se dispose, pour la seule gale-
rie, adiré vertement son fait à une trop étourdie conjointe,
lorsque Laurenticif lui rend le service de l’interrompre.
— De la méprise de madame sont seuls coupables les
ingénieurs dont 1 esprit de comparaison est vraiment par
trop élastique, déclare Laurentielf avec le plus grand sé-
rieux. Je vous demande en conscience quel rapport il y a
entre leurs petites roues parfaitement circulaires et ces dé-
bris de roche usés par le frottement... qui le sont si peu ^
— Là, tu vois, Aristide, monsieur le prince me donne
raison.
— Les dames ont toujours raison, madrigalise galam-
ment le singulier cicerone monomane, eu adressant a la
grosse farinière enchantée, un salut très... Comédie-Fran-
çaise.
11 reprend aussitôt, en se tournant vers Verduret :
— Excellence, avant d’abandonner ce sujet du Trottoir
Uoulantet de quitter avec vous ce plancher mobile pour le
sol immobile, voulez-vous me permeftiu' de remonter le
temps de treize années et de vous dire les quelques mots
que je vous ai annoncés tout à l’heure, coucernant :
111
rX VIEUX PHU.IET SIMPLISTE
— Celui qu’avait proposé alors, nous avez-vous dit,
.M. Eugène llénard, l’auteur de l’étincelant Palais de l’Elec-
tricité?
— C’est cela même. Excellence.
I.ES MOVE.N'S DE EOCOMOTION A e’eXPOSITION
(13
1S.S9?^'^ Commission de l’Exposition de
— Qui le considéra comme une utopie, sans doute, parce
que, complètement nouveau, l’idée n’avait été consU-ée
réalisable par aucune tentative faite cà l’étranger. Si je désire
vous entretenir de ce projet - mort-né, malheureusement,
cai, s il eut vu le jour, la France aurait ou l'honneur de la
première application en même temps que de l’idée — c’est
que je n ai pas oublié les objections formulées, en prenant
pied sur le Trottoir Roulant, par M. votre Grand Panet
l ardon ! je yeux dire par iM. Tout-Court. Ces objections
visiuent, SI J ai bonne mémoire, la fatigue de l’ascension du
viaduc sur lequel courent la plate-forme à deux vitesses le
nombre insutlisant de gares d’accès, et le léger débours exigé
pour etre ici admis. ^
— Parfaitement, approuve avec force, conviction, auto-
rité et majestueuse dignité, le farinier d’Essonnes.
Eh bien, poursuit Laurentieff, je soumets à votre ap-
préciation le titre explicite du projet de M. Hénard. Ce titre
le voici : . Projet de train, jwrtant plate-forme sans fin an
? as <n ^0 ^ pow l hxposition de 1889, système hreve/é^
•i. g. d. g., destiné a obtenir la suppression de la fatique de\
visiteurs. » t j ■
Au ras du sol?. . . Tiens, tiens!
— J’ajouterai ces trois mots que Fauteur a omis dans le
titre, et qui ont leur importance : « Et d'usage gratuit. »
1 !■ i^ites-donc, Bécbard, voilà qui répond
a la lois a tous vos desiderata !
— Etonnemment, c’est vrai.
son projet,
*1. Renard fait, en ces termes, autant que je m’en puisse
souvenir, le procès des planchers roulants sur viaduc
» Cette colossale machine, dont l'idée a été émise en Amé-
rique, outre qu’elle est d’un fonctionnement très aléatoire
cou erait tort cher, ce qui serait un de ses moindres incon-
vénients Une pareille construction présenterait un aspect
déplorable : ce long A-iaduc indéfini, avec ses milliers de pi-
lers couperait toutes les lignes et toutes les perspectives
des Palais et des Jardins. Non seulement les embarras des
stations, au point de vue de la formation de la foule, ne se-
64
A TRAVERS L EXPOSITION
raient pas évités, mais le promeneur, astreint à gravir sou-
vent des escaliers d’accès, perdrait dans le sens vertical
plate-forme lui aurait procurée
l’économie de fatigue que la
dans le sens horizontal. »
I.IiS MOYENS DE LOCOMOTIO^• A l’exPOSITIO.N
^ Ma parole cl honneur, opine n
n aurais pas dit
mieux !
— M. Hénard se-
rait heureux de vous
entendre! affirme
Laurentiell' avec
une gravité égale à
celle du farinier.
Et il continue :
— Après avoir
ainsi fait la critique
du système à via-
duc, l’auteur du pro-
jet de 1887 propose
de « mettre la plate-
forme au ras du sol,
de façon à la ren-
dre presque invi-
i b 1 e de loin et
accessible gratuite-
ment sur tous les
points de son par-
cours. »
— Et on n'a pas
donné suite à ce
merveilleux projet?
Ceux de qui l'accep-
tation en dépendait
étaient donc insen-
sés ou aveugles?
— Ils se sont ar-
rêtés, tout simple-
ment, à la grave
objection qu’un
plancher mobile et
continu au niveau
du sol formerait une
barrière permanente à la circulation
Irès juste. Je n'y pensais pas.
A TRAVERS LEXPOSITION
(K)
— M. Hénavcl y avait pensé et répondait : i" qne sa plate-
forme n’anrait qn’une très faible vitesse permettant aux
gens alertes et pressés de la franchir à leur guise; 2" que
pour les personnes craintives ou peu ingambes, de fréquents
arrêts de courte durée (quinze secontles toutes les minutes)
permettraient de la traverser n’importe où ; 3" que, de dis-
tance en distance, des passerelles aériennes ottriraicrit en
outre des moyens de passage permanents et indépendants
du système. ...
— Au fait, j'allais le dire, approuve le iannier d un air
docte. . . .
Comme moyen d'exécution, c était la simplicité même .
une tranchée sans tin, profonde de large de 2"’ 8.),
an fond de laquelle est posée une voie ordinaire de chemin
lie fer. Sur cette voie roule une suite continue de trucs
empruntés au matériel des Compagnies et sur laquelle est
disposé le plancher. M. Hénard répondait d’avance a a
critique que formulait tout à l’heure madame au sujet du
manque de places assises, tout en compensant les frais pris
à sa charge par l’administration et résultant de la gratuité
du transport pour le public : il imaginait des wagons à ter-
rasse avec tentes et places assises payantes, sortes de petits
bars ambulants qui eussent été, je crois, très courus par
les visiteurs. La plate-forme roulante, d’autant plus écono-
mique que le principal du matériel eût été pris en location,
n’avait, il est vrai, qu’une seule vitesse, et une vitesse très
modérée (l"’4ü par seconde) ; de plus, elle comportait de nom-
breux arrêts qui augmentaient la durée du parcours, mais
elle offrait d’autre part tant d’avantages pratiques, était si
minutieusement étudiée, qu’il est regrettable que ce siny
pliste projet n’ait pas été réalisé en 1889. Pans aurait pris
ainsi une avance complète sur Chicago et Berlin, tandis
qu’il n’a, cette année, que la gloire — très grande, d ail-
Icm-s _ de montrer au monde accouru la première appli-
cation sérieuse, vaste et de fonctionnement parfait de l'idée
si intéressante et de grand avenir An chemin qm marche...
Mais, je m’aperçois, Plxcellence, qne j’ai eu 1 honneur de si
bien captiver votre attention depuis près d’un quart d heure
que nous voici presque revenus à notre point de départ sans
qne vous ayez jeté un coup d’oeil sur les nombreux palais
07
l.i;s .MOVKNS JJK l.dCOMOTIO.N A L ICXl’OSl I IOA
(1 exposition et autres que nous avons longés pendant ma
causerie. Voulez-vous recommencer ce petit voyage en tou-
riste uniquement occupé de contempler les sites traversés?
— Non. .le suis charmé de connaître si bien, grâce à vos
claires e.xplications, ce Trottoir Roulant à deux vitesses dont
on parle tant depuis deux ans; mais nous reviendrons l'aire
un autre jour le tour d amateur que vous nous proposez,
[trince Laurentietï. hn ce moment, le digne centenaire doit
nous attendre, pour nous montrer, le Palais du Mexique, et
je serais trop désolé de mettre sa complaisante patience à
l’épreuve.
\ousavez raison. Excellence. Un tel homme a droit à
un respect et à des égards plus grands qu’aucun autre hu-
main, Sa Majesté le Tzar exceptée. Un illustre ministre tel
que vous se (lisqualifierait aux yeux de tous les savants do
l'univers s’il faisait attendre.. . Archimède!
U est cela, ne taisons pas attendre Archimède, acquiesce
\ erdurct avec une bonhomie souriante et apitovée, pendant
que son arni le larinier tourne brusquement le dos en haus-
sant les épaules. Pour un esprit aussi solidement équilibré
qu il juge le sien, la folie n’est pas un mal digne de pitié;
c est une tare ne comportant que le mépris à l’égard de qui
on est atteint.
Cependant, en attendant le moment de quitter le Trottoir
Roulant à la station de la passerelle de l’avenue Rapp, en-
droit de descente le plus rapproché du Palais du Mexique,
Laurentielf reste rêveur.
I ont à coup, comme un homme qui prend un grand parti,
il se tourne résolument vers Verduret et lui dit d'un ton de
prière ;
Excellence, voudriez-vous daigner exaucer un de mes
souhaits les plus ardents?
Parlez, prince, invite le manufacturier retiré en
essayant de se donner de grands airs de dignité condescen-
dante qui ne vont guère à sa grosse face réjouie.
Eh bien, implore le mécanicien, je vous supplie timi-
tlement de me permettre de vous accompagner jusqu’au
Mexique et de vouloir bien me faire l’insigne honneur de me
présenter au plus grand savant des temps antiques que vous
avez te bonheur d’avoir pour cicerone.
A TRAVERS l’eXPOSITION
68
— Qu’à cela ne tienne, mon cher prince ! Je serai trop
heureux de vous faire ce plaisir.
— Merci du fond du cœur, Excellence! s’écrie Lau-
rentieff avec une expression d’infinie reconnaissance.
Bertrande regarde Laurentietf d’un air de stupéfaction si
intense que son oncle lui dit à l’oreille :
— Ne fixe pas ainsi ce malheureux : il faut llatter sa
manie... et le plaindre, vois-tu, car il est douloureux de
voir somhréeune aussi belle intelligence.
Mais le conseil de l'oncle est sans efi'et, et il est évident
que l’étonnement de la jeune tille ne fait que s’accroître
lorsqu’elle voit Laurentietf quitter, avec le petit groupe pro-
vincial, le « chemin qui marche », se diriger vers la berge
de la Seine voisine du pont de l’Alma, et se disposer à faire,
en compagnie des deux couples...
ClIAl'lTHE 111
UNE VISITE Al MEXIgi E
A li I', I V É li SE A- S A r 1 U ^ A E E I. E
Comme notre quatuor visiteur quitte le Trottoir Roulant,
l^aurentieff, après avoir pris les devants pendant quelques
pas, se retourne vivement, et, levant les deux bras, s’écrie;
— Arrêtez !
— Ponrqnoi ? demande Verduret.
— Parce que je ne soulïrirais pas. Excellence, qu'un mi-
nistre de Sa Majesté le Tzar Nicolas, mon auguste et bien-
aimé Maître, aborde le territoire d’une république améri-
caine pédestrement, comme le commun des mortels.
— C’est pourtant ainsi qu’avant de vous recontrer pour
la seconde lois, nous avons visité les Pavillons des Puis-
sances étrangères.
— Ceux qui vous guidaient alors ignoraient évidemment
votre haute qualité, comme je l’ignorais moi-même lorsque
vous êtes venu interrompre, l’autre jour, ma faction au pied
du pylône de ma grande OEnvre, le pont de l’Alliance. Au-
jourd’hui que je sais qui j’ai le grand honneur de conduire
à travers les merveilles de l’Exposition de 1900, je n’entends
pas que, moi présent, soit renouvelée une pareille déroga-
70
A TRAVERS l’eXPOSITION
tion aux égards dus à un des premiers serviteurs de l'Em-
pereur... Daignez prendre patience un court instant, Excel-
lence; je vais faire avancer nos équipages.
Et Laurentielf tire un son modulé d’un sifflet qui lui pend
au cou.
• — Voyous, mon cher prince, pour faire quelques pas, ce
n’est pas la peine, dit avec complaisance Verduret qui ne
peut s’empêcher de sourire à cette nouvelle idée baroque
du pauvre cerveau fêlé.
— D’ailleurs, ajoute-t-il, où les prendriez-vous, vos équi-
pages?
— Les voici. Excellence.
De la main, il montrer dix gaillards à face d'ébène qui
accourent, armés de cinq longues perches que, par couples,
ils portent sur l’épaule. Au milieu de chacune de ces per-
ches est suspendu un siège assez primitif.
— C’est ça que vous appelez nos équipages?
— Ce sont les seuls, avec les banaux fauteuils roulants à
cinquante deux sous l’heure, qui soient autorisés dans l’in-
térieur de l'Exposition. Ce sont les filanzanes de Madagascar
et les porteurs sont des Sakalaves...
— Mais... comment sont-ils ici, à point nommé?
— Votre Excellence oublie qu’il existe en moi un être
mystérieux qui a un don de divination étrangement affiné.
J’avais, ou plutôt, c’est lui qui avait prévu que nous nous
arrêterions à cette gare du Trottoir Roulant. Lui et moi avons
pris nos précautions en conséquence.
— Va pour les filanzanes ! consent Verduret en prenant
place dans l'africaine chaise à porteurs.
— Cela va être amusant comme tout ! déclare Rertrande
en s’installant dans la sienne.
— Et nous coûter les yeux de la tête! grommèlc le fari-
nicr économe en aparté.
— Aristide, lui crie sa conjointe, je me fais l’effet de la
reine Ranavalo... Mais je trouve le siège un peu étroit.
Sur un geste de Laurentielf embarqué à son tour dans le
cinquième véhicule indigène, les dix Malgaches font sauter
l’extrémité des perches sur leur épaule droite et partent au
pas de course.
— (Jue c’est drôle d’être balancé là-dedans! énonce de sa
LE MEXIQUE
71
voix claire la nièce de Verduret. Quel dommage que ce soit
pour si peu d'instants !
— Mademoiselle, lui répond le prince-prolétaire, nous
prolongerons votre plaisir en taisant ainsi tout le tour du
Palais du Mexique.
La course continue quelques instants.
— üh là! oh là!... doucement! gémit tout à coup
Flore... (> me tourne !... Je vais avoir le mal de mer!...
Au pas! commande aussitôt Laorentietl, immédiate-
ment obéi.
Sur ses indications, tes iilanzanes marchent désormais
deux par deux, avec un léger intervalle. Leur ordre forme
ainsi un parallélogramme dont le pseudo-prince fait occu-
per le centre de figure par ses propres porteurs. De la sorte,
en éh'vant autant qu il le peut sa xmix cassée au timbre
souid, il par\ ient a se laire entendre de tous ses compagnons
a ta fois. S adressant d abord à la femme du maître du
moulin :
^ oiis venez de ressentir, dès les premiers pas, ma-
dame, lin elfet que n ont pas oublié nombre de militaires du
corps (1 occupation de Madagascar, lesquels ont usé de ce
mode de transport soit pour se rendre de la côte à Tana-
nari\e, soit pour rallier les postes de l'intérieur. Beaucoup
qui n avaient eu que le » cœur dou.x », comme disent les
marins, au cours de la longue traversée, ont failli avoir le
plus complet mal de mer en escaladant en filanzane les sen-
tiers escarpés de la Grande lie. C’est surtout au moment où
les poiteurs se relaient, faisant, sans cesser de courir, sau-
ter la perche de leur épaule sur celle de leur remplaçant,
que la petite plongée qui en résulte produit le vertige ca-
ractéristique analogue à celui que cause le roulis du navire.
Mais, ici, a 1 Exposition, ce mode de transport ne peut pro-
voquer ces sensations particulières, les porteurs allant
jiresque toujours au pas, et n’ayant pas à escalader d’acci-
dents du sol.
— Pourtant, réclame M"'« Flore, j’ai parfaitement
éprouvé...
Permettez-moi de vous dire, madame, que vous êtes
d une susceptibilité toute... imaginaire, comme ces personnes
qui commencent à se croire atteintes du mal de mer lorsque
72
A TRAVERS l’eXPOSITION
le paquebot est encore au bassin, immobile sur ses amarres,
au long du quai (rembarquement... Mais voici, tant était
courte la distance à Iranchir, que nous avons entamé déjà
I.KS (Tl.ANZ.ANES DK MADA(K\SCA(t.
notre tour extérieur du l’avillon de 1 Exposition mexicaine...
Au petit pas, les Malgaches !
— Ah ! ab ! nous allons donc retrouver notre aimable et
docte centenaire, songe \erduretavec salistaction.
U-: M^xinno
73
I^Hlais (lu Mexique, poursuit Lau-
rcntien. L est du plus pur style uéo-grec, ce quenousa donn(5
la (uuincut architecte mexicain, M. Anza, et c’est de sa
part de I excellent modernisme. C’est dans ce style en
(Mot, (pie sont construites la plupart des riches demeurés et
. h's edihce.s ^cents de Mexico et des autres grandes villes
<lo la l{c[)uMique.
.est drôle... ,1e me rapp(dle très hien qu'en 188!) le
Alexupie avait au Champ de Mars uu superhe Palais... qui
na\ait, comme architecture, pas le moindre rapport avec
celui-ci.
— Vos souvenirs sont fidèles. Excellence. Cette grande
nation tramsatlantique nous avait alors montré un très beau
specimen de 1 art aztèque, qui constitue Fantiquité mexi-
caine comme le gallo-romain forme celle de la France
Pette lois, le gouvernement du général Porfirio Diaz a voulu
montrer dans un cadre du présent ce pays qui est sorti,
■( TK.WEHS I.’k.XI'OSITIO.N. — T. .MIL — |
bli
TRAVERS L EXPOSITION
avec une si belle énergie et une si complète réussite dans le
progrès, des langes anarchiques du passé d hier; ce pays qui,
en son développement agricole et industriel, n a plus qu un
vao-ue lien historique avec le lointain passé des anciens
mciitres du sol. N’oublions pas que la rétrospectivite de
cette superbe Exposition de 1900 ne porte que sur la du-
rée du siècle qui se meurt — et que, par conséquent, c est
le monde tel qu’il s’est développé depuis cent ans qui doit
Y être représenté, et non dos souvenirs des périodes anti-
ques, si ce n’est à titre d’exceptionnels points de compa-
raison. En 1889, c'était un magnitique Palais Aztèque, évo-
quant les splendeurs de l’ancien empire de l’Anahuac qui
triomphait non loin de la rive de la Seine ; aujourd hiu,
c’est un spécimen des palais qu’élève, sur les ruines des
temps révolus, une des républiques les plus modernes et
les plus prospères du Nouveau-Monde.
Je comprends, opine Verdiiret d’un air entendu.
Palais — ^ qui comprend toute la très importante
exposition du Mexique, occupe un rectangle de GO mètres
de long sur 28 mètres de large, et dont les deux extrémités
sont arrondies en rotonde.
— Oui, je vois. C’est étonnant ce que tout cela vous a
un air familier « premier empire ».
— Assurément, puisque la caractéristique de 1 art, pen-
dant la glorieuse ère de transition napoléonienne, ctait
1(3 i.,3tour — pas toujours très réussi — à l’antiquite grecque.
Ce Palais est intérieurement un vaste hall. Des deux rotondes
quiforment les petits côtés arrondis du rectangle, celle qui
ldi t face au pont de l’Alma (et qui contient le miisee de poin-
ture et de sculpture) constitue le superhe salon de lecep
tion- la rotonde opposée contient un bel escalier a double
révolution conduisant à la galerie .pu court, a hauteur
d’étage, autour du hall central. En ce moment, nous dou-
hlons — j’emploie l’expression maritime pour üatter le goût
que professe madame pour le malaise nautique ce e
rotonde-vestibule, et nous voici, au long de la Seine, de-
vant la façade principale du Palais. m I
— Oh ! mais, elle me semble ravissante, cette façade .
s’extasie Verduret, avec la prudence d’un sage qui n ose
s’en rapporter à ses seules lumières.
LI- MEXIQUE
73
— Excellence, vous pouvez alTirmer sans crainte, et
j admire la grande modestie d’un goût aussi sûr que se
montre le vôtre. Cette façade principale, avec sa loggia limitée
par une colonnade d'une très belle venue, presque impo-
sante, même, est, en effet, du plus joli effet en sa très
savante et élégante pureté technique.
Vorduret, ainsi complimenté sur la justesse artistique de
son coup d’œil et la qualité de ses appréciations spontanées,
éprouve une intime satisfaction d’amour-propre qui lui fait
se caresser le menton non sans quebjue vanité.
— Décidément, pense-t-il, il faut que je ne sois pas tout
à fait une vieille bourrique pour (jue des hommes de l’évi-
dente valeur du centenaire, de ce joyeux Houscastrol et de
cet étonnant déséquilibré de Laurentielf s’accordent avec
une si parfaite unanimité à corroborer mes jugements.
Et 1 oncle de Berti'ande couvre d’un regard singulièrement
sympathique le pseudo-prince russe, dont il sent qu’il ne se
contente pins uniquement de plaindre la folie et d’admirer
1 érudition savante... Mais il voit celui-ci faire un geste et,
aussitôt, les cinq filanzanes s’arrêtent, déposant nos expu-
ÿilwnais/es au seuil de l’entrée principale s’ouvrant par une
triple baie derrière la colonnade. L’appareil d’une telle ar-
rivée n’est pas sans causer une sensation parmi la foule
des visiteurs qui, instinctivement, s’écarte et, curieuse, fait
la haie... comme à l’apparition de personnages de marque.
Bèchard se redresse, en une raideur exagérée qu’il croit
de la dignité; Flore, intimidée, baisse son épais petit
nez et colle les coudes au corps. Quant à Verduret et à Ber-
trande, ils ne s’occupent guère de la foule : l’oncle se de-
mande en quels termes il pourra bien présenter Laurentielf
au vénérable centenaire pour que celui-ci n’aille pas sup-
poser au rentier malesberbois la naïveté do croire aux titres
dont se pare le pauvre fou ; la nièce porte alternativement
son clair regard fouilleur du pseudo-prince à ce seuil où
1 on doit retrouver le vieillard. Donc, selon les personnages,
c’est magistralement, gauchement ou préoccupé, que le
groupe visiteur traverse la terrasse et arrive à la porte prin-
cipale.
Le Pavillon du Memole
Pavillon du Mexiqul. — Uétail de la l•■A(■AD^;.
S II
1 1 1 > .X E U It 1 i\- A T r E .N D U
Ur, a celte porte, une déconvenue tout d’abord rallend.
Je ne vois pas notre aimable centenaire, dit Verduret,
dont les yeux cherchent anxieusement de toutes parts..!
Pourtant, nous sommes plutôt en retard sur le temps qu’il
avait juge que nous consacrerions au chemin de fer et au
Trottoir lloulant... Je ne sais que penser !
78
A TRAVERS L EXPOSITION
— Et moi, je sais à quoi m’en tenir, murmure entre ses
jolies (lents la gentille Bertrande en regardant ironiquement
l.aurentielV.
— Parbleu, grogne le farinier, il nous aura attendu
quelques minutes et, voyant que nous ne paraissions pas, il
nous aura brûlé la politesse.
— Lui, mon cher? 11 est trop galant homme pour cela.
Peut-être nous guette-t-il à une autre porte ou se promène-
t-il, en nous cherchant, dans les environs.
— Veuillez m attendre ici. .Je vais m’en assurer, dit Lau-
rentieff, qui, sans attendre de réponse, s’éloigne vivement.
— Voulez-vous parier une chose, mon oncle?
— Laquelle, fillette?
— C’est que si nous retrouvons le centenaire, nous per-
drons LaurenticlT ; et que si Laurentieft nous revient, il faut
taire noire deuil du vieux cicerone.
Quelle folie!... Qui te fait supposer cela, alors que,
justement, ce pauvre mécanicien brûle d’être présenté à
notre vénérable guide ?
— Mon Dieu, c’est ma conviction, voila tout. iS(3s divers
cicerones me font, je ne sais pourquoi, 1 etlet de ces bons-
hommes en carton des baromètres... vous savez? Quand
l'un sort de la guérite,' c’est que l’autre y rentre, et réci-
proquement.
— Quelle idée biscornue ! fait Bèchard du haut de son
importance.
— Attendons ! conclut la jeune fille avec une moue mu-
tine.
L’attente est de courte durée. Laurentieft revient, décla-
rant qu'il n’a vu nulle part le... « Grand Archimède )).\er-
duret, très embarrassé, se demande s’il lui faut rester avec
ses amis sur ce seuil où les témoins de leur arrivée sensa-
tionnelle les regardent avec une curiosité qui est bien un
peu gênante, ou bien s il doit se décider a entrepiendic
la visite du Palais et de l’exposition mexicaine... sans guide,
puisque le mécanicien, interrogé, déclare que sa compétence
est limitée aux œuvres des ingénieurs... Et Bêchard s’impa-
tiente, et iM""' Bèchard réclame un fauteuil pour le cas oii
l’attente devrait se prolonger, et Bertrande ne sait que sou-
rire de façon narquoise et agaçante. Le manufacturier retiré.
LE MEXIQUE
79
le centenaire no paraissant toujours pas, commence à deve-
nir extrêmement perplexe... lorstju’il est abordé par un
gardien du palais, en livrée, qui lui dit :
N est-ce pas vous qui altendoz un vieux monsieur ?
— En elTet.
Alors, veuillez me tain' 1 honneur de me suivre, ainsi
que vos compagnons. On vous attend au Commissariat géné-
ral du Mexique.
Interdit, notre groupe emboîte le pas à l'employé, qui
bientôt ouvre devant lui la porte d un élégant salon, en
invitant les deux couples provinciaux à y entrer. Verduret,
de plus en plus stupéfait, cherche des yeux LaurentielY pour
lui demander ce qu il pense de cette invitation inattendue ;
mais le mécanicien a disparu. Alors, de l'intérieur du salon,
une voix, au timbre agréable et très distingué, prononce :
— Veuillez prendre la peine d'entrer, je vous prie, mes-
dames et messieurs.
Interloqués, Verduret et le couple Hèchard, qu’escorte
Bertrande, se rendent à cette courtoise invitation, et se
trouvent en présence d’nn gentleman de (enue parfaite,
[lortant binocle, habillé avec la plus corrode élégance, et
qui leur dit en souriant :
— Le vénérable vieillard qui devait vous faire les hon-
neurs de notre Palais mexicain se trouve cmpôcbé et m’a
prié de vouloir bien le suppléer dans cette agréable tâche.
Je n aurai peut-être pas son éloquence, que vous avez été,
je le sais, à même d apprécier; mais, au point de vue de la
documentation, j espère que vous ne perdrez pas trop au
change, car j'ai de sérieuses raisons pour ne rien ignorer de
cette exposition. Avant de vous faire visiter ce Palais, je
crois que vous en saisirez mieux l intérèt, si je vous explique
rapidement ce que vous y verrez. Veuillez donc prendre la
peine de vous asseoir et me faire l’honneur de m’écouter
quelques instants.
— Monsieur, nous sommes aussi surpris que... confus...
ou plutôt aussi confus... que... s’embrouille Verduret, à
qui les manières délicatement mondaines du gentleman en
imposent considérablement.
Benonçant à achever une phrase trop rétive, il s'assied,
ainsi (jue le ménage Bècbard, non moins interdit que lui.
(SO A TRAVERS l'eXPOSITIOiN
BeTii’cindc, lail de même, tandis (|uc le peTsoüiiaji;c incoimu
la regarde avec tino bienveillante attention qui ne laisse pas
que d'cmbari'asser un peu la jeune fille.
S'asseyant à son tour, l’hôte de l’élégant salon commence
en ces termes ;
iNUlHiNS IIU ilKXHjUE.
— Le iMexique est un des pays qui repondirent les pre-
miers à l'appel de la France pour prendre part à cette rna-
gnilique apothéose du xix*^ siècle qn est 1 Lxposition de 11)00.
Déjà, en 1889, il avait tenu à honneur de figurer dignement
à l’Fxposition universelle. Cette année, il o tire au public pa-
risien et à ses invités de l’univers entier une exposition
nationale très intéressante et très complète. Je ne vous
parle pas do ce Palais moderne sur lequel vous avez, je
pense, jeté un coup d’œil avant d’entrer...
— • En effet, monsieur, hasarde \crdnret avec un peu
LR .MRXigrr;
81
moins de timidité, enhardi qu'il est par la bonne grâce
accneillante dn distingue suppléant dn centenaire. Nous
venons d’en faire le tour avec... quelqu'un que je suis sur-
plis do ne plus voir avec nous ici, et qui nous a donné
(|uelques indications sur le stylejet IVnsemble de ce xaste
Pavillon du Mexique.
CaVAUKII MF.XICAIN.
,. ^ insisterai donc pas. Je vous dirai seulement que
1 intiu’ieur ri valise de beauté avec l’extérienr et que, mémo,
M. Anza a trouvé, pour le dit intérieur, une disposition ti'ès
originale, consistant en une série de niches voûtées délimi-
tées par des colonnes, et permettant de donner un excep-
tionnel développement de' murs pour l'exposition. Je vous
recommande d’accorder toute l'attention qu’il mérite au
salon de réception de la rotonde d amont, très luxueusement
mcubb' en style Empire le plus pur.
A TRAVERS L EXPOSlTIO?i
— Pourquoi, Empire?
— Simplement parce que c'est celui qui cadre le mieux
avec l’architecture néo-grecque dans lequel est construit le
Palais. Vous admirerez aussi, je n’en doute pas,^ l’escalier
d’honneur de l’autre ro-
tonde, un morceau très ori-
ginal et de remarquable
beauté. Passons à un autre
ordre d’idées. Le président
de la République mexicaine,
général Porfirio Diaz, s est
beaucoup occupé person-
nellement de l’exposition
que vous allez voir ici. II
l’a fait, je puis dire, avec
un réel plaisir, car il aime
beaucoup la France et les
b’rançais, qu'il a connu et
appréciés... en les combat-
tant. Le général fut, en
efl’et, un des héros de la
guerre franco- mexicaine ;
mais vous savez que cetle
guerre fut toute politique.
Pomme cela s’est passé
entre Français et Russes en
Crimée, les adversaires lut-
tèrent avec un grand cou-
rage , mais sans haine . . .
mieux encore, en s’estimant et on sympathisant. Vous pou-
vez parler du général Diaz à votre ancien généialissime
Saussier, aux généraux de Galliffet, Japy, Niox... Ils vous
diront qu’ils se souviennent de lui avec autant de tranche
et loyale amitié qu’il leur a conservé de noble et cordiale
estime... et c’est ce qu’il y a de plus fièrement émouvant au
monde, cette généreuse amitié entre ofliciers do camps
adverses qui se serrent la main en vaillants camarades avant
de retourner lutter héroïquement les uns contre les autres.
Avec le général Diaz — président depuis vingt ans et à qui
notre Réiiublique doit l’état de prospérité dans lequel elle se
M. S. B. DE MIER
MINISTRE DU MEXIQUE A LONDRES
COMMISSAIRE GÉNÉRAL
DU MEXIQUE A l’exposition UNIVERSELLE
DE 1900.
LK MEX1Q(;E
83
trouve — le ministre du Commerce et de l’Industrie,
M. Fernandez-Leal, est l’homme qui s’est peut-être le plus
occupé de cette exposition mexicaine, à l’ore^anisation de
laquelle il a tra-
vaillé sans repos
depuis deux ans.
Quant au Commis-
sariat parisien du
Mexique, le Gou-
vernement ne pou-
vait mieux choisir
queM. de Mier pour
les hautes fonctions
de Commissaire gé-
néral. M. de Mier
est un Parisien . . .
— Comment, un
Français?
— Non. Je dis un
Parisien parce qu’il
a fait ses études à
Paris et l’a habité
pondant trente ans ;
parce qu’il parle
français, vous le
pensez bien, comme
le plus pur « boule-
vardier ». Mais il
tient au Mexique
par sa naissance;
par ses propriétés terriennes qui y sont considérables; par
les beaux travaux d’intérêt général qu'il y a fait exécuter,
tels que la dérivation de la rivière Atoyac, dans FIMat de
Puebla, qui lui donne une force motrice hydraulique de
23,000 chevaux; enfin, par ses fonctions diplomatiques: il a
été nommé, l’année dernière, envoyé extraordinaire et mi-
nistre plénipotentiaire à Londres, poste qu’il a momenta-
nément quitté, en vertu d’un congé, pour venir prendre la
tête du Commissariat général de l’Exposition.
« 11 a organisé la participation du Mexique de façon très
M. RAMON FERNANDEZ DE ARTEAGA
CONSUL Pt: MEXIQUE A MARSEILLE
ADJOINT AU rOMMlSSAlKE {ÎFNÉRAL DU MEXIQUE.
A TRAVERS L EXPOSITION
lirillante, et vous verrez les superbes fêles qu'il donnera en
ce pavillon. »
h rancais
de
donc
puis
Excusez-moi, je...
.'erreur n'est que toute flatteuse pour le
cœur et do sélection de vie qni en est l’objet; je
Le Bois de Ch.^pui.tepec a Mexico.
VT?;
r.F
MIOXIOIT':
vous pardonner eii son nom. Il est aidé en sa tache par
al. Antonio Anza, Commissaire général adjoint...
■ Ln parent de rarcliitecte, alors?
^lieux', cher monsieur. . . \ erduret, je crois?
^ ous savez mon modeste nom?
. 1-.;
A TRAVERS l’ EXPOSITION
8C)
_ Puisque je supplée, il était juste que je fusse au
moins informé auprès de qui... Donc, M. Anza, un des
ingénieurs les plus émérites du Mexique, n est nullemen
doublé : il est «cumulard.). Commissaire général adjoint,
il est en même temps architecte du Pavillon. Je vous nom-
merai ensuite, par ordre hiérarchique, le premier adjoint
au Commissaire général, M. Ramon Fernandez de Arteaga,
Consul du Mexique à Marseille, actuellement en conge au
Commissariat; M. Garcia Torres, attaché à la Légation du
Mexique, qui fut, en 1889, membre de la Commission mexi-
caine et esl marié à une charmante Française;
Hans, un Français, qui ht comme ofhcier ^ la
campagne du Mexique; enfin, M. Bernardo de Mier, attache
au Commissariat.
— Je vois, monsieur, remarque Verduret, que le premier
adjoint, M. Ramon Fernandez, est le seul qui n ait pas des
liens directs avec la France.
— Allons, dit en souriant le personnage inconnu voila
que, par culte pour la vérité, vous me forcez à parler de lui.
Sachez donc que ce M. Ramon Fernandez est peut-etre le
plus français des Mexicains du Commissariat pneral, ayant
fait ses études dans votre pays, étant ancien élève^de 1 Lcole
centrale des Arts et Manufactures, membre de la Société des
Ino'énieurs civils de France, ancien représentant des usines
du Creusot au Mexique. Entré dans la diplomatie il Y a
ans, c’est encore à Paris qu’il a débuté, comme attache à la
Légation mexicaine.
Eh ' mais fait le manufacturier retiré avec sa bon-
homie finaude, c’est la revanche de la fâcheuse guerre en-
treprise il y a quelque quarante ans, car je constate que,
pour terminer le siècle, c’est bel et bien le Mexique qui
conquiert Paris, ce M. Fernandez de Arteaga en tête.
— En ce qui le concerne, cher monsieur, j’avoue qu il se
fait Moire d’avoir même conquis sur ce Pans, centre du
monde, un trophée de haut prix en la personne de sa
femme, une des plus ravissantes Parisiennes, dont la grâce,
l’esprit et la délicate beauté sont universellement célébrés
dans l’aristocratie intellectuelle et mondaine de la grande
capitale. . ,
— Quels redoutables conquérants que ces messieurs du
I.K MEXIQl'E
ST
Nouveau-Monde! J’ai envie de prier notre député d'en tou-
cher un mot au ministre de la Guerre pour qu’il prenne des
précautions majeures.
— Peine perdue, cher monsieur, puisque je vous ai dit
que le marquis de GallifTet, comme nombre de vos géné-
rau.v, est depuis longtemps conquis lui-même par notre
Président de la République en pei’sonnel. . Mais revenons
a l’objet de votre visite. Le gouvernement mexicain, qui a
dépensé cinq millions de francs pour l’Exposition de 1889,
dépasse encore ce chilfrc pour celle-ci. Il faut vous dire que,
chez nous, non seulement l’Etat ne réclame aucune retle-
vance pour les places occupées par les exposants dans ce
palais — où ils sont, hélas! bien à l’étroit, étant donné leur
nombre considérable (3,b00!) — mais prend à sa charge
Ions les frais d emballage et de transport. C’est, je crois, le
seul gouvernement qui aide ainsi les industriels de tous
genres à faire apprécier leurs produits. Ce que vous disiez
en badinant, c’est-à-dire que le Mexique a à faire la con-
quête de la hrance, est absolument sérieu.x ; l’Allemagne,
l'Angleterre connaissent bien maintenant ce beau pays; la
IG’ance ne fait que commencer depuis peu à... l’apprendre.
lîit pourtant les Fi'ançais sont très aimés là-bas ; votrf'
<< 14 Juillet » est une fête presque aussi grande à Mexico
qu a r aris, une fête officielle a laquelle prend part la muni-
cipalité, parmi les illuminations et les di’apeaux unis des
deux républiques. ^ oyez-vous, nous comptons beaucoup sur
cette Exposition pour que la France apprécie enfin à leur
valeur les amis sincères qu’elle a par-delà le&-mers. 11 lui
sullira, pour cela, d’étudier avec une attention sympathique
1 edort, couronné de succès, de notre lointaine patrie; il en
surgiia pour elle comme une révélation. Prenons, par
exemple, la section des mines. Sous ce rapport, le Mexiijuc
est d’une richesse exceptionnelle.
— Parbleu!... les mines d’or de Californie!
Si 1 or et l’argent y ont seuls été exploités pendant
des siècles, on a commencé depuis peu à s’occuper des gise-
ments des autres métaux. ()n a découvert une superbe
bande métallifère de près de 200 kilomètres, de l’Etat de
Sonora à celui d'Oaxaca, contenant à profusion l’or, l’ar-
gent, le cuivre, le fer, le plomb... et puis de l’aspbate, de
A travühs l'exposition
8 s
l’amiante, des pierres précieuses, de l’onyx et une grande
variété de marbres... Elles magnifiques perles mexicaines!...
Vous allez voir cela. Notez que la plus belle cxploitalion
minière, la mieux comprise du Mexique et je crois bien du
monde, est colle de cuivre du Boléo, et elle est exchisive-
ment franraiac. Quel exemple à suivre! Sous le rapport de
l'industrie, les progrès réalisés depuis dix ans sont éton-
uanls. Il faut reraar(|uer que le Mexique, ayant toutes les
altitudes, a tous les climats et produit à volonté toutes les
matières premières; que la main-d œuvre y est à très bon
marché et que de nombreuses et puissantes chutes d’eau
produisent de toutes parts la force motrice économique.
Ce M. Ramon Fernandez, dont vous m’avez forcé à vous
parler tout à l’heure, a publié au commencement de 1898,
dans le Grnie Civil, une étude sur le Mexique (généralités,
volcans, ebutes d’eau) qui a vivement intéressé tous les
ingénieurs et qui montre à quel grand avœnir peut, indus-
triellement, prétendre ce pays privilégié. Même pro-
I.i: MKMnlK
grès au point de vue agricule, car, grâce à ses diirérenccs
d’altitudes, le sol produit depuis le blé, le maïs, le tabac et
le café, jusqu au cacao, à la canne à sucre et au caoutchouc.
L exploitation dn café, en particulier, se fait en grand, et
vous verrez fabriquer d excellentes cigarettes par de jolies
Mexicaines...
N insistez pas, je vous en i)rie, monsieur, réclame Bè-
cbaid, ou mon ami Verduret nous retiendra ici jusqu’à la
l’ermeture !
(icla prouverait simplement que voh'c ami a fort bou
goût.. Mais je passe. Je ne voudrais pas faire tort à l’expo-
sitiou ues ministères, montrant que nos chemins de fer ont
atteint 16,000 kilomètres et nos télégraphes 45,000, faisant
toucher du doigt les grands travaux exécutés dejiuis dix ans,
tels que le drainage de la v^allée de Mexico qui, construit
par les Aztèques sur un lac, comme Venise sur l’Adriatique,
ayant vu les Espagnols transformer les canaux en rues, est
devenu maintenant, grâce aux travaux d’assainissement,
une des villes les plus saines du monde entier... Et tant et
tant d autres travaux considéi'ables — ce qui n’empeche pas
90
A TRAVERS l’exposition
le budget du ministre modèle des Finances de s arrondir
d'un excédent de quelque soixante millions.
— Bigre, pense Verduret, je connais une république à
qui pareil accident n'arrivera probablement jamais.
— Une chose qui vous intéressera, j’en suis sûr, poursuit
l’inattendu et très aimable conférencier, c’est les progrès de
l'instruction publique, qui, à tous les degrés, est ahsolumenl
gratuite HW Mexique, et dirigée de manière que tout jeune
homme faisant des études sérieuses sache, à fond^ le Iran-
çais et l’anglais.
— • Ah ! ah ! proclame Bêchard avec autorité, voila qui est
utile.
— Et obtenu de la très simple façon que voici ; au bout
de deux ans d’étude d’une de ces langues, c’est dans cette
langue que sont aussitôt professés certains cours, tels que
ceux de physique, de chimie, etc. I., e.xposition des Beaux-
Arts vous montrera une jeune école indigène pleine d avenir,
sans que, pour cela, soit négligé 1 art ancien, c est-a-diie
l'art des Aztèques, qui est aussi imposant que la civilisation
de ce peuple ancêtre était avancée au temps de la conquête
espagnole. Du domaine de l’art, passons à celui du pitto-
reag^te. .Je vous recommande les vues de cet étonnant pays.
Vous savez que Mexico est à 2,düü mètres d altitude. « Or,
a écrit Désiré Charnay, la vallée de Mexico, contemplée
du château de Chapulte[)cc, constitue le plus beau pano-
rama que l'on puisse voir au monde : plaines immenses,
superbes montagnes, et des volcans comme le Papocatepclt
(d rixtacihualt, et des lacs avec des jardins llottants, et des
bois!.-.
— Assez, de grâce, implore en riant \ erdureU sinon ma
nièce va encore mettre un voyage au Mexique... dans sa
future corbeille !
— Je passe donc au chapitre costume, si intéressant en
ce pays où le peuple a conservé sous ce rapport les traditions
nationales. Le costume du cavalier mexicain est surtout ty-
pique et... très dénaturé par les croquis qui on sont puliliés
jiar les illustrés de l'ancien Continent. Ce costume est beau-
coup plus sobre qu’on le re])résente, surtout pour les per-
sonnes d'un certain monde. Le peuple, lui, se permet quel-
ques fantaisies ornementées d’argent, dans la tenue <lu ca-
LE MEXIQUE
91
valicr (toujours émérito) et dans le harnachement. Ce qui
est unique au monde, par exemple, c'est le sombrero, ce
chapeau mexicain dont la valeur s’élève souvent à deux ou
trois mille francs.
— Et j en porte un qui na pas coûté huit i’rancs! s’écrie
]\piic piore humiliée.
— Vous verrez ici des spécimens de sombreros, et remarq uez
(|u’ils n’ont pas la forme que vos dessinateurs leur prêtent
et qu’ils ne sont jamais ornés de grelots nés, sans doute, dans
1 imagination de quelque voyageur un peu trop... gascon.
Les selles sont très lu.xueuses; il en est, ornées de hrode-
'l'ies d’or, qui valent jusqu’à huit et dix mille francs. Je ne
\ ous parle pas du lazo^ ce sport aussi utile que dangereux :
il est trop connu. Ce qui l'est moins, ce sont les objets si
curieuxque fahriquent les indigènes : poteries, merveilleuses
deshiladas (hroderics), objets en bois, en filigrane. Vous
allez voir tout cela, et vous garderez certainement le souve-
nii- de notre collection des costumes si pittoresques des
|)aysans du Mexique... Voulez-vous me permettre une ques-
tion :
— Comment donc, monsieur...
— (>n me dit assez bon physionomiste... et je jurerais
que monsieur Verduret est un fin gourmet.
— Ah ! mon oncle, vous ne le nierez pas?
— J’avoue, petit démon... J’avoue même sans fausse
honte.
— Alors, monsieur, il faudra goûter à la très variée et
très savoureuse cuisine mexicaine... au plat national, sur-
tout, le 7nole, une dinde accommodée avec une sauce que
relève des piments indigènes inconnus en Europe. Je ne
vous engage pas, pourtant, à l’arroser avec la boisson na-
tionale^ pidque, fait avec de l’agave. Ce breuvage popu-
laire ne coûte que IS centimes le litre, mais... on en a pour
son argent. Ah ! par exemple,, vous pourrez,, cher monsieur,
vous régaler avec les entremets et tes fruits confits dont
vous me direz des nouvelles.
— IMais, c’est tout le Mexique qui est enfermé dans ce
Pavillon !
— Et il est quatre fois grand comme la France, s’il n'a
encore que quatorze millions d’habitants... Voyez quel tour
!)2 A TRAVERS l'eXPUSI'IION
de l'orce ! Sérieuseiiieiil, je puis dii'e ipie, parmi touLes les
Expositions étrangères, celle de la République mexicaine
est une des plus complètes. Pour linir, un mot grave : ce
pays lient et riclie a le devoir de bien se détendre et, si peu
que vous soyez au courant des choses mililaires, vous juge-
rez ici sur quel excellent pied le général Diaz a mis l’armée
I.l-: -MEXIOIK
93
(lu Moxiqiio. Du rcsle, la nouvelle artillerie, système du si
distingue, vaillant et savant colonel mexicain, Mondragon,
est bien connue et hautement appix'ciée des officiers fran-
(:ais, car elle est en totalité fabriquée... chez vous. Vous C(3n-
staterez que notee mai-ine, si elle commence à se former.
Pl.antations de café au .Mexique. — Séchage du café.
94
A TRAVERS l’eXPOSITION
nest pas encore très développée; elle sera très importante
un jour, car le gouvernement, maintenant qu’il possède une
armée de terre de premier ordre, tourne méthodiquement
scs regards... vers la mer.
« Voici, mesdames et messieurs, un aperçu général sur
CO (juc contient ce Palais. Je vais vous remettre aux mains
d’un guide intelligent qui vous montrera tout cela en dé-
tail. »
— Oh! monsieur, que d'amabilité !
— Ne me remerciez pas, je vous en prie, mais bien le si
sympathique centenaire pour qui j'ai une toute particulière
estime et à qui je suis trop heureux de faire plaisir.
— Vous le connaissez Imn, ce centenaire? demande Ber-
trande d’un ton singulier.
— Mademoiselle, je le considère comme une des plus ra-
res intelligences qu’ait produites cette hrance si liche en
génies... Mais, voici votre gu'ide, suivez-le bien vite... Ah !
un dernier mot : le centenaire m’a prié de vous dire qu au
sortir du Pavillon du Mexique — où il a bien regretté de ne
pouvoir vous attendre — vous le trouverez au Trocadéro, au
seuil <lu beau l’alais syhérien. 11 m'a semblé avoir grand’-
bàte de vous conduire chez vos grands amis, les Busses.
— Nous n’aurons garde de manquer de nous y rendre,
monsieur!... Encore, merci, et...
— C’est bon, c’est bon!... Suivez ce brave garçon-là. U
sait son Mexique sur le bout des doigts. Bonne et intéressante
promenade je vous souhaite, mesdames et messieurs!...
Après force salutations, notre groupe provincial quitte le
salon sur les pas du même gardieu qui l’y a amené et que
le [lersonnage inconnu a chargé de le guider.
La porte est à peine refermée que Bertrande va vivement
au dit gardien et lui demande rapidement:
— Vite, vite, dites-moi le nom de ce monsieur que nous
venons de quitter.
— Comment, vous ne le savez pas ?
— Après la façon dont il a parlé de certain centenaire, je
le considère comme le plus aimable et le plus galant homme
de Paris... J’éprouve pour lui une sympathie très vive...
Mais qui est-il, je ne sais pas... Dites donc vite.
LE MEXIQUE
— Eh! mademoiselle, c’est iM. Ramon Fernandez de
Arteaga.
— Hein? s’écrie Verd lire t qui s’est approché.
— Oui, M. l’adjoint au Commissaire général en per-
sonne.
— Et je ne m'en suis pas douté?... vieil imhécile que je
suis !... (Juel honneur pour nous, ma nièce !
— Et cet honneur-là, n'ouhliez pas, mon oncle, que c’est
à notre charmant centenaire que nous le devons.
— Ton oncle, Bertrande, a la mémoire du cœur. Sachc-
le et... donne-moi le hras. Visitons vivement le Mexique
pour aller bien vite remercier ce savant vieillard... que
j'aime comme un père !
Bertrande se mord les lèvres pour ne pas éclater de rire,
et... la visite commence.
Le prochain volume aura pour titre :
AU TBOCAUÉRÜ
et comprendra :
Le Pavillon de la Sibérie.
Les Pavillons du "J’ransvaal.
Les Indes Néerlandaises.
Ltc., etc.
Chapitre — L'Exi'Ositiun qui makciie
§ I. Double résurrection
§ H
^ 111. Chassé croisé
Pages
. 5
5
. 14
. 33
Chapitre II. — Le Tkoïtuik Ruli.-vni' .
§ I. Patatras!
§ 11. Les dessous de l'œuvre . .
§ 111. Un vieu.x projet simpliste .
Chapitre III. - Une visite .\u Mexique
§ 1. Arrivée sensationnelle . . .
§ 11. Honneur inattendu
Paris. — lmp. MICHELS et Fils, 6, 8 et lo, rue d’Alexandrie.
EN VENTE :
I. L’Exposition à vol d’oiseau
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais .
III. Le Grand Palais
lY. Le Vieux Paris
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris.
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques
VII. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau • • •
A'III. Les Pavillons des Puissances étrangères.
IX. Les Palais des Hôtes de la France. . . •
X. La Rue des Puissances au Quai d’Orsay.
XI. L’Avenue des Nations
XII. Promenade au Quai d’Orsay
.XIII. Les moyens de locomotion à l’Exposition.
Le Mexique
60
60
60
60
60
60
60
60
60
60
60
60
I 60
G. DE WAILLY
A TRAVERS
L’EXPOSITION DE 1900
XIV
AU TROCADÉRO
PARIS
FAYARD FRÈRES, EDITEURS
78, Boulevard Saint-Michel, 78
CrJAPlTHE PREMIER
LA RUSSIE A L’EXPOSITIUN
> ÜIALOGCE ULSSO-SÉnüAMEA'
Quel auleur paradoxal a donc prétendu que la l'oule est
intelligente, que son esprit fait do milliers d’esprits saisit
dans 1 immatérielle ambiance l’idée opportune avec un
subtil a propos, et qu’un instinct très sur la guide vers le
lieu ou sa présence s'impose et où lui est réservé un rôle
a jouer, soit de comparse, soit de premier sujet?
RUSSIE — SIBÉRIE
CÉLESTE-EMPiRE _ TRANSVAAL - INDES NÉERLANDAISES
JAPON - COLONIES PORTUGAISES
COLONIES ANGLAISES
6
A TRAVERS L EXPOSITION
Telle n'esl pas, assurément, l'opinion d’Aristide Bèchard,
maître de moulin à Essonnes, et de M'“ Bèchard, gon
épouse, lorsque, le front haut et tenant la tète de leur petit
groupe, ils quittent licrement le seuil du Pavillon de 1 Ex-
position Mexicaine. ... . ^ i
Pomment, cette foule maladroite faisait curieusement la
double haie à leur entrée, alors que la singularité de leur
équipage malgache les désignait seule à Tattention du
public, et elle a la sottise de s'ètre dispersée et de circuler
inditférente lorsqu’ils sortent grandis par l’honneur — -
exceptionnel pour de simples visiteurs — d’avoir ete reçus et
longuement documentés par une des hautes personnalités
du r.ommissariat général de la Grande République de Occi-
dent américain ? I 1 • 1
\h ! murmure le farinier en jetant autour de lui ue
dédaigneux regards, ces gens ne se doutent pas que nous
sommes ceux pour qui les autorités mexicaines viennent de
se mettre en frais d’amabilités et d’égards!... Je serais
curieux de voir leur mine jalouse s’ils pouvaient seulement
le soupçonner ! , , n- •
La Erance est un paysd’égalité, farouchemcntrepublicain,
où chaipic citoyen — et d’autant plus qu’il est plus médiocre
u'a qu’un souci : obtenir une fonction, un titre, un
ruban, un privilège quelconque ou même une simple faveur
(pii, à ses yeux, l’élève au-dessus de la vulgaire foule de
ses concitoyens. • i r> i
De cette innocente faiblesse si répandue parmi le 1 euple
Souverain de la Gaule moderne, le manufacturier retiré
Verdiiret, ipioique d’un intellect très sensiblement supérieur
à celui de son ami et compagnon, n’est pas exempt. Si, en
sortant du Palais Mexicain, sa nièce au bras, il ne se carc
pas comme Bèchard, derrière qui il marche, ce iT est pas
sans un demi-sourire modestement triomphateur qu il se
place parmi le flot du vu/gum pecus dos visiteurs n’ayant
pour guide que la constante et toute plébéienne consultation
du catalogue.
— Or ça, mon cher, lui dit le farinier d Essonnes en
élevant intentionnellement le verbe, m’est avis que nous
ferons bien de hâter le jias ; l’accueil empressé qui nous a
été fait par ce haut et distingué personnage du Mexique
Ai: TIKIl^ADEHO
7
n’est jias iino raison pour (jue nous lassions attendre la
Russie !
— Eh bien, et noire équipage?... Ces file-en-sacs de
M. le prince... dit M'"® Rècliard.
— Filanzancs, bicheLtc ! corrige Rècliard inccontenL.
— Enfin ces file... en ce que tu voudras, pourquoi se
sont-ils évanouis juste au moment où leur secours nous
sei'ait réellement ulile ?...
— Parbleu, quand on se confie à nn l’on, il faut toujours
s'attendre à des incohérences, déclare solennellement le
l'arinier. Ce prince Laurentiell — et Bccbard appuie sur le
haut titre nobiliaire — ^nous lait voiturer pour franchir cent
pas et emmène ses porteurs lorsque nous avons à fournir
une étape sérieuse. En tout cas, ce que je trouve absolu-
ment mal compris, c'est qu'on ait limité le Trottoir Roulant
au pâté de maisons s'étendant en arrière du quai d’Ürsay.
On aurait dù, au moins le faire aller jusqu'au ïrocadéro,
pour lequel il n'existe pas de moyen de transport... Cette
conception est ridicule !
— Que voulez-vous, monsieur Rècliard, on n'a évidem-
ment ])as [u'évu que nous aurions à faire ce trajet, dit ironi-
quement la moqueuse Rertrande. Nous n'avons qu'à faire
contre mauvaise fortune bon cœur et à prendre notre cou-
rage à deux... jambes. A moins que... Ab ! c’est trop fort:
regardez donc, mon oncle !
— Quoi, lillctte?
— Cette personne qui se dirige vers nous.
— De quel côté?
— Venant de la porte voisine du pont de l’Alma... A
moins que ce soit de la berge môme du fleuve... d’autant
plus que, près du ponton, il me semble bien voir...
— Ab! parbleu, s’écrie gaiement Yerduret, je vois notre
homme, et voilà une ceinture rouge et un chapeau de paille
qui ne me sont pas inconnus.
En même temps que Verduret, mais avec bien plus de
lente dignité, Rècliard a dirigé un regard interrogateur vers
le personnage annoncé. Lui aussi l’a reconnu et, tandis qu’il
jaunit visiblement — ce qui est la façon de pâlir de son
sombre et exsangue visage — ses lèvres articulent, en un
rictus angoissé :
8
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Le gondolier !
— Qui vient, mesdames et messieurs, mettre son esquiH'!
votre disposition, déclare le compagnon de Bouscastrobj
l’artiste improvisé marinier qui, arrivé à quelques pasu
salue avec correction et grâce.
— iMettre de nouveau le pied sur votre infernale inaa
chine ? Ali ! jamais, par exemple !
— Hassurez-vous : j’ai fait des progrès. Mon bateau m’on
héit maintenant comme un king-charles à sa maîtresse.
— Ta, ta, ta, ta!... Je ne m’y fie pas.
— Je n’aurai garde d’insister... auprès de vous; mai'i!
j’espère que mon offre, adressée à monsieur et à mademoi-ii
selle...
— Nous llatte, assurément, autant qu’en profiter noinii
serait agréable.
— Je crois bien, approuve vivement Bertrande. Elle esisj
si jolie votre étonnante gondole, et si amusante avec sepj
soudains caprices !
— Et puis, poursuit Verduret, j’avoue que la perspectivei)
de taire pédestrement tout le quai d'Orsay pour aller cher-rj
cher le pont d léna ne sourit que médiocrement à mesJ
vieilles jambes éprouvées par ces cinq journées consécntives‘:|
d’Exposition. Je serais donc charmé de glisser sur Tonddi
en votre nacelle, jusqu’au Trocadéro ; mais Amus comprenez'!
que je ne peux pas abandonner mes amis, M. et M'”® Bcchard.l
— Je sais quelqu'un qui va être fort contrarié de votrei
refus.
— Le centenaire?
— Lui-même. 11 vous attend dans ma gondole amarréec
au ponton voisin et m’a dépêché auprès de vous.
— Voilà qui change la thèse du tout au tout. Bèchard,!
mon ami, nous ne pouvons faire à notre guide si savant et'i
si complaisant l’impolitesse de ne pas répondre avec em-i
pressement à une aussi délicate prévenance.
— Eh ! je ne vous empêche pas d’aller risquer un plon-
geon si cela vous amuse. Emmenez même ma femme si;
elle y consent, c’est son affaire. Quant à moi, serviteur! Je(
vous retrouverai là-bas : cette Sibérie n’est pas au Pérou,
après tout.
— Je crois, intervient le marinier, que mon vénérablei
AU TROCADÉRO
9
passager serait très contrarié, pour nn motif <iue i’ionore
que monsieur, môme seul, promène sa très reconnaissahlê
silliouette (le ce C(')tc de l'Kxposition.
- Je comprends, fait Verduret... Et je vois que vous en
savez... ou devinez plus que vous n’en voulez dire. Oui il est
mutile que certain Anglais... enlin, je m’entends. Allons
Becliard, réagissez contre une appréhension indigne d'nn
hmnme tel que vous. (Jue dialde, quand un vieillard do
lage de notre guide navigue à boi'd de cette gondole, c’est
qii on ny court aucun danger, et sa présence avec nous
doit VOUS rassurer.
— I\bn cher, on fait des folies à (ont Age; mais sachez que
,ie SUIS de ceux qui n’en font à aucun. Je vous reioindrai .
par le |)ont.
Bertrande, l’œil malicieux, se glisse jusqu’auprès du pru-
dent tarinier et lui dit tout bas.
— Oh ! monsieur Béchard, êtes-vous donc si peu bravo !
Nous savez que tout le monde, autour de nous, vous regarde
— Ea m’est bien égal.
— Non, cela ne peut vous être indiifércnt, car j’ai entendu
que qu un murmurer : <( Tiens, je croyais que ce devait être
un de ceux de la suite du Président... Mais il parait que
non, piiisqu il n’ose pas s’embarquer... »
— Verduret, s’écrie brusquement Bèchard, Verduret ie
vous accompagne ! ’
Et tout bas, il ajoute :
— Mais faisons vite, hein? Ne me laissez pas le temps de
a reflexion. Ouand un homme sérieux se décide à faire
une sottise, il faut on hâter l'accomplissement.
Précédé du marinier inexpert et suivi de Bertrande riant
sous cape le groupe se dirige vers le ponton près duquel le
Ilot berce la « gondole enchantée ».
Moiîsiiiui dit au centenaire le farinier, en prenant
pied sur le plancher de la rajiide embarcation, il faut que
.1 aie bien à cœur de ne pas vous désobliger pour consentir à
monter sur ce bateau.
— Auriez-vous à ce point peur de l’eau, cher monsieur?
racliez que je n'ai peur que du ridicule; mais je
compte que votre présence empêchera que de pareils fai'ts
se renouvellent, des faits qui ont causé une grande et
10
A TRAVERS l’eXPOSITION
léo-itimo frayeur à M'‘"= Bècliard et m'ont mis moi-même
dans la posture très blessante d’un homme grave que l'on
se permet do mystifier.
J'ignore do quelles facéties vous voulez pailer, dit le
vieillard... à moins que ce ne soit de quelque expéiience
de la vélocité incomparable dont ce bateau a été doué pai
son constructeur...
Pin ingénieur de génie, a coup sûr ! proclame \ er-
diiret.
— Un inventeur de quelque avenir, en effet, cher mon-
sieur, et que j’ai l'honnenr de connaître assez pour avoir pu
lui emprunter son petit navire à votre intention.
— Hiim!... Etes-vous sûr, au moins, que son pilote a
suffisamment appris à le diriger? demande le farinier.
— (Ju'importc ?...
Ah ! pardon ; il importe à notre sécurité...
— Je veux dire, qu'importe la valeur technique de notre
pilote, puisque, ayant choisi ce mode de locomotion pour
pouvoir causer tranquillement avec vous de cette Russie à
qui nous allons rendre visite, j’ai prié ce nautonnier que
tant vous suspectez de n'user que de sou seul aviron pour
nous faire traverser tout doucement la rivière et nous laisser
ensuite descendre au fil de l’eau.
— Comme cela, soit, acquiesce Bèchard qui, seulement
enfin, consent à s’asseoir dans la chambre de l’embarcation.
— Mesdames, messieurs, commence alors le centenaire
de sa voix grêle et tremblotante, il y a toujours une foule
si compacte, dans ce vaste et si beau Pavillon de la Sibérie,
qu'il m’y sera impossible de faire autre chose que de vous
y guider en éclairant de quelques mots rapides votre curio-
sité intéressée. Sans la précaution que j’ai prise de ce lent
petit voyage nautique, si favorable à la causerie, je ne sais
vraiment où j’aurais pu vous développer les quelques idées
préalables, vous faire les présentations coutumières, en un
mot, donner à l'impatiente 1\I'- Bêcliard l’cnnui de subir
ma petite conférence préliminaire.
— Oh ! fait la grosse dame, vous pouvez raconter tout ce
qu'il vous plaira: tant que nous serons là-dessus, ce n est
pas moi qui vous interromprai ! ^ r -
Eh ! eli ! dit, en agitant la crécelle de son rire, le véne-
AC TROCADKRO
itible ciccionc, imposer a la bjis le silence et la patience an
sexe gracieux, voila ce qn en l’antiqiiile grecque ou romaine,
nous antres philosophes eussions appelé un miracle de
Neptune !
Verrlnret fixe sur le centenaire un regard singulier.
Pardon, demande-t-il d'un ton un jum coniraint, vous
ava^z dit nous^ en parlant... des (Irocs (.lu vieux temps ?
.1 ai dit nous en parlant seulement des savants et des
philosophes, dont la docte chaîne remonte, ininterrompue,
do sage en sage, ]us(]n au delà des temps préhistoriques.
A la bonne heure. C’est que ce pauvre et intéressant
Laurenticn — à qui, entre j)arenthèses, vous avez, complai-
samment à notre endroit, fait parvenir un ordre officiel
russe. ..
— Oui. On est charmant pour moi an Commissariat de
Russie, particulièrement le tiat's aimable lils du plus parisien
des généraux de la belle armée du Tzar. C’est ce parfait et
galant jeune gentilhomme qui, instruit de mon désir de
décider ce Laurentiell à vous piloter, m’a suggéré l’idée de
cette petite comédie et a mis à ma disposition le pajiier à
en-tete diplomatique dont je conçois que la ^•ue vous ait
surpris.
tout sexpli([uc. .le disais donc (jue ce bravo garçon,
en sa paisible et innocente folie, voit en vous ni plus ni
moins que le célèbre Archimède... Cela ne vous fait pas
Je ne trouve pas a sourire d’un exemple ti*ès curieux
de perspicacité.
— Hein? fait Verduret, à la fois interloqué et railleur,
vous ne prétendez pas être ce fameux...
— Je ne constate qu’une chose : c’est qu’Archimède
s écria ; Eun'ha! après avoir trouvé la loi physique de la
pesanteur spécifique des corps. Or, comme Archimède, je
me suis cru en droit, un jour, moi aussi, de crier ; « J'ai
trouvé ! » \ oila pourquoi j’estime étonnamment profonde la
comparaison de ce garçon. C’est à croire qu’il est doué de
la double vue.
— Il le prétend... Mais... qu’avoz-vous donc trouvé?
Chut!... II faut laisser aux mystères, pour se révéler,
Thoure secrète qu’ils se sont choisis.
-^v-y *
14
A TRAVERS l’eXPOSTTION
— .le ne vomirais pas être indiscret... mais pourrons-
nous savoir jamais?...
— Patience, cher monsieur. Je crois pouvoir aflirmer que q
le moment est proche où Ampis saurez tout. Pour le moment, ,|
vous me désobligeriez en me pressant davantage. |
— Je m’incline donc. '
— Et vous ne faites pas mal, Verduret ! in tervient Bôchard. [
Vous me faites Petfet d’un vieil enfant intrigué par le tic- ;
tac d'une montre qu'il lu’ûle de démolir!... Au lieu de cher- j
cher à deviner ce qui ne vous regarde pas, vous feriez mieux :i
de vous apercevoir que monsieur se moque de vous, et de ■
le laisser nous raconter ce qu’il a à nous dire ; nous sommes ;
ici pour parler de la Russie à l'Exposition.
— Messieurs, reprend donc le centenaire, la puissante :
Russie se devait d'occuper un rang exceptioTincl dans la i
Eête pacifique de l'Humanité que donne à Paris la Erance,
la grande amie de son Tzar bien-aimé et religieusement
obéi.
— Aussi m’etonnai-je de ne l’avoir vu représentée par '
aucun Pavillon dans la me des Nations.
— Eussiez-vous admis qu'elle occupât un petit empla- •
cernent quelconque, près de l’Allemagne, de l’Angleterre,
de l’Autriche ou de l’Italie? 11 eût fallu qu'elle y primât de !
toute l’ampleur de sa majesté, de toute la prépondérance '
de sa situation de géante alliée. Et qu eussent dit les autres i
Puissances si une réduction du Kremlin eût occupé, ainsi
que cela eût été normal, une concession triple ou quadruple '
de celles qui leur étaient accordées? Aussi, Nicolas 11 s est-il
contenté, pour garder les distances... morales, de déléguer ■
une des ])rovinces de son empire, la Finlande, pour repré-
senter ses Etats parmi les Etats de l'Europe.
— C'est évident... La pensée fiére du jeune empereur
saute aux yeux !
— Le Tzar attache une importance capitale, dans le paci-
lique tournoi de cette Exposition, au succès de sa Russie
modernisée qui marche à pas de géant vers un éhlouissant
avenir industriel et agricole; il juge d’intérêt supérieur de
faire savoir à son grand ami le peuple Irançais, qui 1 ignore,
le prodigieux développement économique de s'on empire.
Vous n'avez pas l'air de soupçonner' quelle place le pins
Al' TTiOCADiinn
grand congràs induslriol, savant et artistique du siècle et do
tous les temps, a occupé et occupe actuellement dans les
préoccupations si mnlliples du Tzar; que la Tzarine, ITnipé-
ratrice-Mère et des (îrands-Dnes y ont, pour ainsi dire, leurs
expositions ])roprcs, des installations d'ordre particulier
placées sous leur patronage et auxquelles ils se sont active-
ment consacrés: enfin que le Commissariat de Russie créé
pour la merveilleuse exhibition parisienne est un véritable
ministère, qui ne compte pas moins de vingt et un fonc-
tionnaires.
— Tant que cela !
— Et quels fonctionnaires! C'est d'abord le Président de
la Commission impériale, M. de Kowalewsky, Conseiller
Privé de Sa Majesté. M de Kowalewsky, né en 1844, est une
dos plus hautes autorités européennes en matière d’économie
rurale-. 11 a traité en maître, en de nombreux ouvrages, ces
questions délicates et complexes. C’est un spécialiste d'une
rare valeur, issu de l’Académie agronomique de Saint-
Pétersbourg, dont il est l’une des gloires. Il a été chef do
la statislique au ministère russe de l'Agriculture et meml)re
du Comité scientifique au même ministère. 11 est, depuis
1893, Directeur du département du Commerce et des Manu-
factures au ministère des Finances.
— b ! a b !
— Puis, c’est le Vice-Président de la Commission impé-
riale, le Conseiller d’Etat actuel, M. Arthur de Kalfalovicb,
membre du Conseil du ministère des Finances, Agent com-
mercial et financier de Russie en France, attaché à l’Ambas-
sade de Russie à Paris. Pour vous donner une idée de la
haute personnalité de M. A. de Ralfalovicb, il me suffira de
vous dire qu’il était le secrétaire général de la Conférence de
la Paix, à l,a Haye, et d’ajouter qu’il est membre correspon-
dant de l’Institut de France. 11 est un vétéran de nos expo-
sitions universelles, sa sûre compétence l'ayant fait nommer,
en 1889, juré et rapporteur du groupe de l'Economie sociale.
— Eb! ch!
— .Mais, bien vite, laissez-moi vous présenter le prince
Winceslas Téniclietf, Commissaire général de la Russie à
l'Exposition. Le prince Ténicbelf est un ingénieur émérite
eta fourni, dans cette branche savante de l'activité humaine.
16
A TRAVERS l'eXPOSITION
une très belle carrière. C’est lui qui, entre autres œuvres
importantes, a créé les usines de la Société de Briansk (Bus-
sie). Depuis cinq ans, il se repose de ses grands travaux...
actifs en se vouant à l’enseignement technique. Un labo-
rieux, au premier chef, comme vous voyez.
— Et c’est uii prince! murmure Verduret rêveur.
— Je passe au Commissaire général adjoint, le Conseiller
tl'Elat actuel, M. de Vouich, qui poursuit, lui, sa carrière
dans l’Administration, mais au titre... comment dirai-je?...
au titre de l’Etat-Major, en quelque sorte. Il a dirigé, pen-
dant plusieurs années, diverses administrations de l'Etat,
mais occupe un poste assez particulier et qui exige de re-
marquables aptitudes : il est fonctionnaire pour missions
sprciales près le ministère des Finances.
— Oh ! oh !
— Puis viennent, attachés au Commissariat général et
délégués pour les rapports avec rAdmiuistration française,
M. le comte L. d'Assche, courtois comme savent l’être les
gentilshommes de la haute aristocratie russe, et M. de Yon-
bir-Larsky; les membres du Comité technique des construc-
tions à Paris, M. U. de Nikiphorotf et M. le Conseiller d’Etat
de Gazentzer; les attachés au Commissariat général, MM. le
baron Jacques de Berwick, le baron A. de Ih'eedericksz
— chargé d’une statistique commerciale au ministère russe
des Finances — P. Apostol, E. de Kireevski, V. de Past-
chenko (chargé des installations), Maurice Ephrussi, J. de
Schreycr. E. de PoliakolF, P. de Chimkévitch, W. de Your-
kévitch; les membres du Contrôle général de l’Empire,
MM. de K irsanotr, de Solski et Serge L.' Bad’alovich. Je ne
vous parle pas de la légion des secrétaires et du monde d’em-
ployés en sous ordre...
— Yous me voyez stupéfait et très lier : stupéfait que la
participation à une Exposition universelle comporte le dé-
ploiement d’un si nombreux personnel.
— Yous avez le droit d’être plus fier que vous ne pensez,
cher monsieur, car c’est au généreux peuple ami de France
et nullement à son... étiquette que le Tzar adresse cotte co-
horte brillante et d’exceptionnelle valeuiy avec mission de
lui bien montrer ce que, dans les travaux de la paix, peut
son Empire. Et, tenez, puisque l’occasion s’en présente, je
AU TROCADÙRd
vais VOUS faire remarquer ce qu’il y a do très curieux et
d uuique dans cette alliance franco-russe qui a déjà produit
de SI importants résultats et qui sera par la suite bien autre-
ment et glorieusement féconde.
- Ouelquc chose de curieux et d’unique?... Je parie que ie
ilevine ! interrompt le manufacturier retiré d’un air finaud
— Noyons?
— Eh bien, Napoléon avait dit que «la France serait
lepublicaine. o» cosaque »; or, voilà que, pour finir le
Mccle, elle s amuse a donner un démenti formel au Kraïul
liomme qi" en a couvert de lauriers l’aurore : la France, en
cuet, est bel et bien et républicaine cl cosaque.
— Pas mal, cher monsieur, quoique, en jouant ainsi sur
les mots, vous vous trouviez dire une contre-vérité un peu
bien criante... ^
— Voyons, Verduret, ne faites pas de facéties au suiet
d une question aussi grave ! gronde Bècbard, s’arrachant un
instanUison inquiétude pour le plaisir de... grogner. Mon-
sieur, je pense, nous fait l’iionneiir de nous prendre pour des
liommes serieiix ; ne lui donnez pas l’idée défavorable que
nous sommes de ces gens futiles qui, lorsqu’on traite devant
eux de avenir des nations, répondent par une pirouette
comme les clowns !
— Pas mal non plus, monsieur Bècbard, approuve le cen-
enairc en hochant la tète. C’est effrayant ce que vous troii-
\mrcz de clowns, si votre mauvaise étoile veut que vous
frayez dans les milieux politiques. Mais j’en reviens à ma
lemarque: a mon âge, voyez-vous, on ne fait plus que
regarder passer Phistoire du présent de façon personnelle-
ment désintéressée, et c’est un moyen de la bien voir. Eh
bien, quand celte alliance a été conclue, je n’ai pu m’em-
cher de sourire en songeant combien sont différentes les
parties contractantes. Ordinairement, ces sortes de pactes
sont couc us de chef d’Etat à chef d’Etat; c’est, par exemple
J'rançois-Josepli vaincu et dépouillé mettant par politique
sa main dans celle de Guillaume vainqueur. Dans l’alliance
franco-russe, rien de pareil ; ce n’est ni le gouvernement
üe baint-f étersbourg pactisant avec celui de Paris, ni le
pcujile russe se jetant dans les bras du peuple français
— l’ourtant ?...
IS
TRAVERS l'exposition
eela pour cette double raison très simple qu en
Russie le peuple n’est pas, le Tzar étant tout; tandis qu en
France, le peuple étant tout, le très instable gouvernement
n’est guère, comme je vous l’ai dit, qu’une étiquette. Allez,
le Grand Tzar Pacifique Alexandre et, plus tard, son illustre
Fils ne s'y sont pas trompés. Ils se sont peu préoccupes des
cabinets éphémères issus de la politicaille parlementaire, et
uni n’ont guère fait que mettre des bâtons dans les roues.
Alexandre, avant de se décider, a longuement tate le pouls
à la vieille nation des Gaules, dont le fier relèvement, apres
le désastre de l’Année terrible, a démontré aux yeux de
l’Europe et du monde stupéfiés, 1 incomparable vitalité. ^
l’on a vu alors ce fait unique de l’Autocrate le plus absolu
otfrant sa main loyale aux mains tendues de tout un 1 ciiple,
et une Nation entière. Hère et heureuse d etre si bien
comprise, donnant ardemment sa solide amitié a ccd Auto-
crate et enchaînant ses destinées à la sienne... Et c est
là, messieurs, un spectacle superbe ! l ue alliance, ainsi
conclue dans la foi d’un en tous et de tous en un, est la
plus sincère que présente l’Histoire, comme elle en sera
la plus durable... Mais, voici que, tout en causant, nous
sommes arrivés au pont d’iéna. Nous allons
ce qui n’est pas, ,je crois, pour déplaire a M. et a M e-
chard — et, gravissant la pente des jardins du Trocadeio,
nous rendre sans tarder au vaste et beau
S II
pavillon UE LA S 1 11 É R l K
En reprenant pied sur le résistant plancher des... ter-
riens, notre farinicr, toute crainte évanouie, retrouve comme
par enchantement le don do la parole.
11 s’en sert, naturellement, pour trouver a redire à tout .
quelle idée de s’en aller commencer la visite des Colonies
étrangères réunies dans la partie est du jardin du frocadéro,
AU TIIOCADEIUI
19
juslement par le Pavillon perché tout là haut et le plus
éloigné (le la rive de la Seine !
Une première fois, le centenaire lui répond :
— Cher monsieur, quand on débarque dans une ville où
l’on possède un grand ami, ce serait manquer au premier
des devoirs que de ne pas se rendre tout d’abord à la mai-
son qu’il habite.
Mais comme alors Bôchard se plaint que la pente de la
colline parisienne est trop raide; s'étonne que dans une
exposition bien comprise et que l’on a eu tant d'années pour
préparer — ■ sans d'ailleurs arriver à être prêt en temps —
on n'ait pas songé à supprimer cette pente, ou tout au moins
à y installer un funiculaire ; réclame d’abord contre la rapi-
dité égoïste d’une allure qui oblige Bèchard à se con-
sumer en impuissants ell'orts pour essayer de suivre, puis,
cette allure modérée, contre une lenteur qui fait que l'on
n'atteindra jamais le but, et que l’on aurait plus tôt fait, se-
lon lui, d’aller réellement en Sibérie que d’en gagner le pa-
villon... le vieillard hausse les épaules et prend le parti,
sur le conseil donné tout bas par Verduret, de laisser
s’écouler librement le petit ruisseau de bile issu de l'esprit
maussade du noir farinier d’Essonnes.
Enfin, on arrive devant l’entrée principale du Palais de
rEx])osition coloniale russe. Le centenaire s’arrête, attend
que le groupe soit bien compact à ses côtés et, de son aigre
voix tremblante, explique :
— Ce n’est qu’ici, au Trocadéro, que la Bussie pouvait
trouver un emplacement digne d’elle, sans blesser la suscep-
tibilité des autres Etats hôtes de la France. Ce vaste palais
— construit par une nombreuse équipe de charpentiers
russes (dont le pittoresque costume, ample blouse rouge,
larges culottes, bottes et casquette, ont attiré, au cours des
travaux, tant de curieux) sur les plans et sous la direc-
tion des architectes russes, MM. Meltzer et Stoborovsky, et
de l’architecte français, M. Leblanc, dont l’entrepreneur est
M. Meltzer, frère de l’architecte — couvre, d’un seul tenant,
4,000 mètres carrés de terrain.
— El il représente?
— Üilférentes parties du Kremlin.
— Alors, nous sommes en pleine capitale de la vieille
20
A TRAVERS L EXPOSITION
Russie moscovite, berceau de l'Empire des Tzars, et non en
Sibérie ?
— Nous sommes bien on Sibérie, et aussi en Asie Cen-
trale russe, puisque nous sommes au Trocadéro et que le
Trocadéro groupe exclusivement l'Exposition coloniale. Mais
il ne t'aut pas oublier que la Russie — sa province finlan-
daise figurant seulement dans la Rue des Nations — a élevé
ici son Palais impérial. C'est donc dans le Palais Russe que
noire illustre allié, le Tzar Rlanc, tait admirer au monde sa
superbe Exposition — je ne dirai pas coloniale, car la Si-
bérie et l'Asie Centrale... en attendant plus, sont les pro-
longements de son immense empire européen — mais mieux
asiatique. Or, pour édifier à Paris le Palais de la Sainte
Russie, <les reproductions du Kremlin n’étaient-elles pas
indiquées? Quel édifice, composé de palais et d'églises
ajoutés au cours des âges à des palais et à des églises, dirait
de façon plus lumineuse (avec tous ses styles, depuis le tar-
tare, l'indien et le chinois jusqu’au gothique) la Russie et
sa vaillante et souvent terrible bisloire... et une Histoire
plus intimement liée à la nôtre? Qluels grandioses souve-
nirs ce Kremlin n’invoqua-t-il pas dans l’àme des petits-fils
des soldats de la Grande Armée, et, partant, où eût-on
trouvé un monument qui fût plus évocateur pour les Fran-
çais et leur fût plus familier. Vraiment, n’y a-t-il pas quel-
que chose de souverainement élégant dans cette visite que
vient nous rendre ce Kremlin après celle que nous lui fîmes
voilà quatre-vingt-huit ans? J’étais bien jeune alors, mais
je me souviens cependant de l’émotion poignante que pro-
duisit à Paris la nouvelle de la terrible illumination de
Moscou. Aussi est-ce avec une joie intense, une admiration
profonde pour les mystérieux décrets de la Providence, que
j’ai contemplé du haut des tours de ce petit Kremlin le paci-
fique embrasement du Palais de l'Exposition. Une amitié
qui se cherche pendant un siècle, à travers les drames san-
glants d’hostilités (jui furent exclusivement d'ordre politique,
n'est pas une amitié légère, soumise aux Iluctuations des
idées ou des nécessités passagères; une amitié semblable,
née d’une longue estime réciproque entre deux Forces qui
deux fois se sont appréciées les armes à la main, entre
ces deux Pensées, l'une autoritaire et l’autre démocratique.
Al' 'l'ROCADÉRO
21
ci qui ont toujours marché de pair dans les voies géné-
reuses qui sont rhonneur de l’humanité, cette amitié-là,
incomparahlement plus qu’aucune autre, est faite pour les
longs et féconds lendemains.
Oui, observe jovialement Verduret, c'est, toutes pro-
portions gardées, comme pour ces camarades de collège, à
la tète prompte, au cœur chaud et... au poing vif, qui
deviennent amis pour la vie, après s’ètre administré, pen-
dant les récréations, d épiques trepignées.
— Voyons, Verduret, réclame Bèchard, ne réveillez pas
de si vieux souvenirs de potache, lesquels ne demandent
qu à dormir en paix, et revenons-en au Pavillon.
•r
il d ht
'M
22
A TRAVEES l’eXPOSITION
— Ce Pavillon de la Russie, poursuit le vieillard, occupe
uu terrain de 4,000 mètres carrés revêtant la forme d’un
vaste quadrilatère. Sa plus grande largeur — parallèlement
à la façade, c’est-à-dire du nord an sud mesure 75 mètres.
Sa profondeur atteint, près de la face nord, 70 mètres. Le
maximum de hauteur, mesure à la grande toui, est de
48 mètres. La plus petite tour s’élève à 27 mètres. Les par-
ties du Kremlin reproduites ici ont été construites avec le
plus minutieux souci de 1 e.xactitudc. L état de conseivation
du vieux Krenii, comme on appelle aussi le Kremlin, est
des plus inégau.x; à côté de pai'ties relativement neuves et
d’autres bien restaurées, il en est qui présentent presque
l’aspect de ruines. Vous comprenez que pour arriver a une
reproduction e.xacte et dans 1 état primitif, les aichitectes
ont dù faire de délicates recherches; c’est ainsi que plusieurs
des détails d’architecture que vous voyez ici dans le feston-
nage des toits et la décoration des fenêtres, ont été retrouvés
d’après le dessin d’anciennes dentelles russes... légers tra-
vaux arachnéens plus durables — ù ironie des choses !
que les dentelles de pierre! Quant aux plaques de brique
émaillée, elles sont copiées sur des originaux provenant et
du Kremlin et île quelques-uns des plus anciens monu-
ments de l’architecture russe des xvi'' et xyu“ siècles que
l’on trouve dans les villes de Jaroslav, Nijni, etc... l'..it,
maintenant, entrons, si vous le voulez bien.
— Nous sommes respectueusement a vos ordres, proteste
le manLilackirior retiré en obéissant avec un empressement
qui fait hausser l’épaule à son ami Bcchard.
— En principe, et sauf les rares exceptions que je vous
indiquerai, explique le centenaire, toute 1 exposition est
|■éunic au rez-de-chaussée. Voici d abord 1 Entrée piincipale
et, en tournant à gaucho, la « Salle de 1 Empereur ». Lette
superbe pièce rectangulaire, ayant treize mètres de long sui
huit de large, coilfée d’une voûte dorée et ornementée dans
le style russe le plus pur par iM. DalgolT, est le salon de
réception de Sa Majesté le Izar Nicolas IL G est là, dcrrièie
les vitraux remarquables des cinq fenêtres, sous les deux
beaux tableaux du maître Partirolf, au milieu d’un mobilier
de haut goût, mobilier russe dans le style des boyards du
xvi“ siècle, création de la maison Meltzer, de Saint-Péters-
AU TUOCADÉno
23
bourg, que. le jeune, tout-puissant et si clninnant souverain,
lorsqu’il viendra, recevra le Peuple français qu’il aime, en
la personne de ceux qui ont actuellement mission de le
représenter. La Salle de LLmpereur communique, par
quelques marches, avec le restaurant, où les garçons en
blouses blanches serrées à la taille pai' une ccinlure servent
la succulente cuisine russe ou française, au choix. Le res-
taurant donne, au sud, sur un perron où se tient l'excellent
orchestre slave et qui domine la vaste cour — vingt mètres
sur quinze de profondeur — faisant suite à l'Lntrée princi-
pale, et, au nord, sur un grand jardin. Dans une grotte en
sous-sol est installée, comme vous le voyez, une brasserie...
Uedescendons, je vous prie, dans la cour d’honneur.
— Est-ce que nous ne nous attablons pas devant quelque
Iraîche consommation, comme toutes ces personnes qui ont
Pair d’être si bien? réclame M""’ Flore.
— Laissez-moi d’abord, chère madame, vous montrer ce
Palais de la Russie, dont vous n’avez rien vu encore.- Tenez,
voici, à l’angle droit de la cour, tout de suite à côté de l’En-
ti’ée principale, à main droite, la « Tour des Apanages ».
Ee rez-de-chaussée eu est occu[»é par le « Cabinet de l’Em-
])ereur », une pièce carrée de cinq mètres de côté, riche-
ment décorée, comme il convient pour le séjour privé du
iMaître a qui elle est destinée, et dont les murs sont tout
tendus d’étoiles aux belles broderies, de style russe, bien
entendu. Au premier se trouve le bureau du Commissaire
général, puis encore le bureau des apanages...
— Du est-ce que c’est que ça, les apanages ?
— Mademoiselle, les apanages, dont nous voyons la si
intéressante exposition dans cette grande « Salle des x\pa-
nages » — quinze mètres sur onze — (pii forme, en retrait,
la droite de la façade, ce sont les domaines impériaux ; la
variété et le nombre des produits exposés vous disent leur
très impériale importance. Nicolas 11 n’a pas voulu se laisser
dépasser par les autres souverains-exposants, dont la rivalité
n est pas un mince bonheur pour notre Exposition. Cette
« Salle des Apanages » a, par un escalier monumental, sa
sortie sur la face sud du Palais-Kremlin ; mais revenons
dans la cour d'honneur et tournons le dos à l’Entrée prin-
cipale, comme si nous ne faisions qu'arriver dans la cour
A TRAVERS L EXPOSITION
intérieure. Devant nous, par cette porto dont l'aixlaitecture est
empruntée aux édifices russo-asiatiques de Samarkand, s’ou-
vre l’immense et merveilleuse « Salle de l'Asie centrale ».
Large de près de seize mètres, profonde de vingt-deux...
— Surface, trois cent cinquante mètres carrés.
— Ah ! monsieur Bèchard, c’est vous et non moi que ce
pauvre fou de mécaniciou aurait dù prendre pour Archi-
mède, car vous êtes le roi du calcul mental.
Asie Russe. — Gr.4nd perron et cloiike.
— Un des princes, seulement ! déclara modestement le
farinier.
— Donc, poursuit le vieillard, nous voici, le seuil franchi,
dans cette féerique Hussie de l'Orient, dont nous vivons un
moment la vie parmi ces vrais marchands de Samarkand,
vendant en leurs petites houtiques les hijoux, les armes con-
stellées, les étoffes éclatantes. Ces deux grands panneaux
nous montrent des selles, armes, tapis, etc., appartenant
25
A TRAVERS l’exposition
à l'Emir de Boukhara et au Khau de Khiva. Pour compléter ■
rillusioii, uous n’avons, du point où nous sommes, c est- ,
à-dire on goûtant la fraîcheur de la grande lonlame cen-
trale, qu'à repaître notre vue des cinq grandes toiles où i
M. Ivorovine, d’un pinceau si alerte, a lixe la vie de ces
beaux pays.
— Uh ! tenez... écotitez ! Quelle douce et grave har-
monie ! . . ,
— Ce sont les musiciens de la cour intérieure qui execu- t
lent un morceau d'un maître slave on attendant qu ils inter-
prètent, avec un égal talent, quelque chef-d œuvre de la
musique française...
C’est du franco-russe pour l'oreille comme le restau- i
rant offre du franco-russe aux palais des gourmets : la
menue monnaie do l’alliance, quoi! observe le judicieux
Verduret.
— Uù mène cet escalier, a droite ?
— A la «Salle du Caucase », chère madame, où sont ;
exposés les tapis, armes, outils, minerais de cette contrée :
voisine de la Perse... si beureuseinent conquise à l’amitié ■
moscovite. On y voit, entre autre choses, les grottes et les i
sources minérales de Bargow et de Piatigorsk.
— Et cette porte de droite, vers le fond de la Salle ■
(.1 ' iV SIC '•
— Conduit au « Pavillon de Nobel » comprenant la Salle :
et la Tour. Très curieuse, cette Salle de Nobel, consacrée a i
l’industrie du pétrole qui est, vous le savez, un des pro- -
duits du sol concourant le plus largement à la lortune ;
industrielle de la Russie.
— Nobel veut donc dire pétrole en russe? demande
y[me pylore, avec autant de réllexion que de coutume.
— Nou, madame. Nobel est le nom de l’un des « rois :
du pétrole » de la Russie, dont l’exploitation colossale lait
l’objet de cette exposition spéciale. C est un lantastique
paysage que celui d’un territoire producteur de 1 utile et
redoutable liquide, et ce tableau étrange est évoqué, dans
cette salle, aux yeux des visiteurs, par trois toiles du peintic
Schilder. Figurez-vous un « Champ de Carnac » oîi chaque
dolmen serait remplacé par une immense cheminée de
bois, puits artésien d’où jaillit riiuilc da pierre... xMais
AU TROCADERO
27
non, ne cherchez pas à vous rien imaginer, puisque vous
allez voir. Vous admirerez aussi, du môme artiste, une
grande toile, absolument saisissante, représentant le Templr
des adovateurs du [eu. Quant à la tour qui suiunonte la salle
de Nobel, son ascension s’impose à tout visiteur fx’ançais;
au premier étage, en etl'et, triomphe le superbe tableau
représentant le couronnement do Nicolas II et que le Tzar
a demandé au pinceau de notre Gervex, si fidèle à repro-
duire les traits de taxit de hauts personnages.
— Allons-y tout do suite ! s’écrie Bertrande en sa juvé-
nile impatience.
— Attendez, de grâce, que je vous aie nomme les autres
salles ilonnant sur cette grande Salle centrale de l’Asie. A
gauche, près do Tentrée, la première ouverture conduit à
la « Grande Tour », dont le rez-de-chanssco contient une
partie de l’exposition des chemins de ter sibériens et où
1 on trouve, an premier étage, le « Panorama mouvant » du
docteur Piassetsky.
— C’est le laineux panorama du Transsibérien dont on a
tant parlé !
— Pardon. C’est bien un panorama du Transsibérien,
mais ce n est pas, justement, celui dont on a tant parlé et
dont je vous entretiendrai tout à l’heure. Le Panorama mou-
vant de la Grande Tour est une œuvre qui, sans viser à
1 ellet, est un document d’exactitude rigoureuse. C’est une
sorte de tableau qui marche dans un cadre plan et qui l'epré-
sente, kilomètre par kilomètre, les pays traversés [)ar la
voie terrée depuis .Moscou jusqu’à Vladivistok. .. La porte
suivante, toujours à notre gauche, donne dans deux salles
contiguës à la Grande Tour et contenant avec celle-ci l’expo-
sition des chemins de fer sibériens, dessins et plans, ma-
quettes, petit matériel, etc. C’est du plus haut intérêt pour
les techniciens; mais, comme vous ôtes de simples curieux,
je passe. La porte en pan coupé, symétriquement opposée
à celle conduisant au Pavillon de Nobel, introduit dans le
« Pavillon du Noi’d ». Ah ! c’est là un véritable lieu de per-
dition pour les dames, et de péril pour... la poche de leurs
époux, non pas que l’on y vende rien, mais par la seule ten-
tatrice magie de la plus merveilleuse, de la plus riche expo-
sition de fourrures que l’on puisse voir. Si j’ose me per-
28
A TRAVERS e’eXPOSITION
mcUre de donner nn conseil à M. Bècliard, c’est, lorsque
nous serons dans celle Salle du Nord, de ne pas ti’op se
laisser distraire par la contemplation des ours blancs ou
noirs, naturalisés avec tant d'art qu'ils semblent terrible-
ment vivants, non plus que par celles des rennes, des pho-
ques, des morses, etc., car, pendant ce tcmps-la, M'”” Bc-
cbard serait tout entière livrée sans protection au dangereux
démon de la convoitise, à l’aspect d'idéales lourrures :
renard bien, hermine, martre zibeline, etc., tlont le sou-
venir hanterait ses rêves comme ses songeries éveillées,
et lui donnerait le désir fou des somptueuses parures hiver-
nales... C’est étrangement troublant pour la féminine
coquetterie que de se voir entouré par une telle profusion
de grisantes pelleteries dont on semble ressentir la déli-
cieuse caresse, en dépit du sage avis qui défend d’y tou-
cher... Ab ! que les époux économes prennent garde ! H y a
là de ces petites peaux tentantes qui, un peu plus grandes
seulement (|ue les deux mains, valent des o et t),(H)0 francs.
— Hein! mais alors il y en a pour des sommes fabu-
leuses dans cette salle?
— b'abuleuse est le mot, monsieur Bècliard. Ce Pavillon
du Nord est presque aussi grand que la Salle d Asie où nous
sommes et, de la toiture vitrée au sol ce n’est littéralement
qu'une mer d’inestimables fourrures !
— Bon. En ce cas, nous ne ferons que la traverser pour
passer à la salle su i van le.
— Qui est le « Pavillon de la Sibérie », c’est-a-dire la
salle de mémo forme que celle où nous sommes et qui lui
fait immédiatement suite. Là, l’étonnement de voir tant de
beaux produits — et en particulier les minerais d’or tels
qu’on les trouve dans les mines — venir de cette contrée
que nous nous imaginons à tort être une sorte de vaste
désert glacé, sera un utile dérivatif à 1 impression produite
par le passage à travers le prestigieux décor des tourrures.
Pour achever de glacer toute velléité somptuaire dans
l'esprit de madame, nous n’aurons qu’à passer de la Salle
sibérienne dans la « Tour du Nord ». Nous nous trouverons
là, en plein pays boréal, dans les territoires qui longent
l’océan Arctique. Nous y verrons dans leurs sombres forêts,
sur les plaines couvertes de neige, les Esquimaux glissant
AC l'RdCUJCUO
29
sur leurs rus(u|ucs Iraîiieaux aux attelages de rennes ou de
ehiens, ou bien eliassant, chaussés de raquettes, ou bien
(uicore se lançant en kaïac à la poursuite des bûtes marins
des rudes niei's des banquises.
— \'A !ors(|ue nous aurons vu tout cela? demande Yer-
duivt émerveillé de la vaste variété de l’exposilion russe.
Alors, lait le vieillai’d, nous monterons en wagon-lit...
— bdi mon Dieu ! jmur aller où ?
Siuiiuiiî Russe. — Kntuke ouest.
Riais pour faii'c, grâce au talent du maître peintre
di'coratit, iM. Jambon, nn voyage sensationnel — et aussi
véritable que possible sans quitter le Trocadéro — de Moscou
à R'Iadivistok.
Comme au ])remier étage de la Grande Tour, alors?
— Cest-à-dire que le parcours est le même, puisqu’il
s agit du même Transsibérien; mais le spectacle est d’ordre
ti es (lillércnt. D abord, nous serons dans l immense galerie
du l’anorama de la Société des wagons-lits, laquelle mesure
T.'i mètres de longueur. Puis, nous serons installés dans
30
A TRAVEUS l’eXPOSITIOiN
un véritable train, dans les voitures mêmes qui courront à
toute vapeur à travers l’Asie septentrionale, mettant 1 Eu-
rope à quelques journées des eaux japonaises. Ce train réel
a sa locomotive à Moscou, tandis que son dernier wagon,
crevant la muraille de ce Kremlin, est à Pékin, en pleine
concession chinoise. De nos wagons, nous verrons se
dérouler une immense toile panoramique qui nous mon-
trera, non plus exactement tout le chemin parcouru, comme
dans le tableau mouvant du docteur Piassetsky, mais les
principaux sites, ceux qui frappent le voyageur réel et dont
il garde le souvenir. Nous aurons de plus, par le fait de la
translation du décor, l'illusion que nous courons à travers
les paysages de l’immense Asie russe du noid.
— Voilà ce qui peut s’appeler un a clou » de premièie
grandeur!... sans compter les antres, car c est bien de ce
Pavillon de la Russie que l’on peut dire — excusez de la
trivialité — qu’un « clou » y chasse l’autre. En vérité c est
tout un monde, ce Kremlin du Irocadéro.
— Et je ne vous ai pas parlé du « \ illagc russe », église,
isbas, etc., construit à l’extérieur et tout le long du grand
mur du nord du Pavillon, sur les plans du peintre Korovme.
C’est une reproduction des constructions villageoises de
l’empire, reconstitution dans le genre du « Vieux Pans »,
mais de grandeur réelle. Cette section spéciale est sous e
haut patronage de la grande-duchesse Elisabeth, femme du
grand-duc Serge, oncle de l’Empereur et gouverneur de
Moscou, et la direction en a été confiée àM'"'' Jakountchikol ,
qui y a consacré tonte son intelligence et tout son dévoue-
ment. .
— Et c’est, sans doute, comme le a \ leux 1 ans », un
rendez-vous de « nopces et beuveries», mais à la mode
mou jik, s’entend ? ^ i - . t
— Ouelle erreur, monsieur Verduret ! Son objet est
d’instniire et non d’amuser. Dans le « Village russe » est
installée l’exposition des « Petites Industries»... ^ ous me
regardez tous en vous demandant ce (|ue peuvent bien etre
ces a Petites Industries». Eh bien, ce sont les travaux de
toutes sortes, bois sculptés, broderies, etc., exécutés par les
paysans, à domicile, soit seuls, soit par ateliers, pendant
les longs mois d’hiver, alors que les travaux des champs
AC THOCADÉRO
31
sont suspendus pjir le l'ait de la saison rigoureuse et que le
peuple agreste est confiné dans ses demeures de bois, autour
du grand poète familial. Ce village devrait être un lieu de
pèlerinage pour tous les Français venus à l’Exposition, car
c’est là qu'ils apprendront, par l’habilité patiente déployée
en ces œuvres manuelles, à connaître ce peuple frère qu’ils
ignorent et à apprécier son remarquable savoir-faire. Dans
l’église, reproduction exacte des églises en bois des gouver-
nements du Nord, sont les superbes coffres à cierges, chan-
deliers, lampadaires sculptés en plein bois, d’après des
modèles anciens, et des icônes, des croix, des ornements du
culte orthodoxe. Dans une isba, sont les objets que l'on
trouve sur les marchés de campagne. Dans une autre salle,
les meubles si curieusement façonnés par les paysans.
Ailleurs, sur le désir exprimé par l’Impératrice, sont les
objets confectionnés dans les asiles de bienfaisance, de
secours aux travailleurs, fondés par Sa Majesté. Enfin, une
salle, pur xvii“ siècle, contient une partie de la merveilleuse
collection de vêtements d’autrefois, de broderies anciennes
de M"’“ übabclsky, dont la compétence comme antiquair(.\
est renommée dans tout l’empire.
— Cette exposition russe, décidément, est aussi merveil-
leusement comprise qu elle est vaste, riche et complète.
111
A ü rii E s r A 1 1. 1. 0 ,\ s n l: s s i; s
— Attendez, ce n’est pas tout. En dehors des envois de
ses mille sept cents exposants répartis dans foutes les
classes, envois qui constituent un véritable triomphe indus-
triel pour notre grande alliée qui, depuis trois aiis, a n-i/jltî
la masse de sa production; en dehors, dis-je, de cette expo-
sition de détail qui place l'Empire russe à la tète de l’Eu-
rope pour les filatures de coton et après Lyon pour la fabri-
cation de la soie, le Commissariat général de l'Empire slave
a semé, de toutes parts, de petits pavillons spéciaux, aussi
32
A TUAVuns l’exposition
iniércssants que piUoresqiics. C’est, par exemple, a rEs[)la-
nadeilcs Invalides, le « Pavillon des œuvres de l'impéralricc
.Mario... »
— La mère de Sa Majesté le Tzar?
— .Non pas la noble A'euve du Grand Izar pacifique
Alexandre 111, mais son homonyme, la Tzarinc Maria-Fede-
D.uiha jtu.ssics, xvi"' .sii:ci.i;.
rowna, femme de Paul F'', qui organisa définitivement la
eréalion hospitalière, éducatrice et léminine. de la Grande
Catherine. C’est nn ministère impérial de cliarilé — de l’assis-
tance publique, si vous voulez, mais avec une organisation
spéciale pour la protection de la femme et 1 éducation de
l'enfance — que, depuis la fondatrice, dirigèrent les impé-
ratrices. 11 est, depuis IScSl, sons le patronage et 1 autorité
directe de Sa Majesté Marie-Federowna actuelle, c’est-à-dire
la mère du Tzar.
— C’est une idée charmante.
— C'est de la haute philanthropie et c'est aussi du bon...
féminisme. Avant Catherine, la femme russe était à peu
près dans la môme condition d’infériorité que se trouve
AU TnnCADÉflO
33
encore lu femme musulmane; a\mc la gc^nialc compagne de
Pierre le Grand, elle conquit son rang social dans la nation.
La veuve du Géant du Nord savait, par expérience person-
nelle, ce que peut la femme intelligente et instruite pour le
l)rogrès d'une société. Elle voulut, des jeunes filles du pré-
sent, faire des femmes utiles à la patrie dans l'avenir.
Aidée de sou ami le philanthrope et pédagogue Betzky, elle
fonda des maisons d éducation, des orphelinats, des asiles
qui, d’abord féminins, s'étendirent aux enfants de l'autre
sexe. De cette institution emlu-yonnaire, l'impératrice Marie,
femme de Paul P’’, fit une administration complète (l'Assis-
tance puhli(|ue, augmentée de l’organisation s[»éciale d’éta-
blissements d éducaticjn et de protection de la jeune fille,
(..est a cette muvre de charité et de féminisme, an sujet de
la(|U(dle l\l . le hai’on A. de IGa'edei'icksz a fait un rapport
documenté du plus haut intéi’èt, qu’est consacré le pavillon
que l'architecte Hohert Meizer a, sur les indications de l'Im-
pératrice douairière, élevé sur l’Esplanade des Invalides.
Il est dédié au sonvejiir de l’i mpératiice Marie par la femme
de si grand cœur dont la vie de dévouement et d’abnéga-
tion sublimes, comme épouse et comme mère, grave une
sainte auréole aux armes de la Maison impériale de Russie.
C’est un chalet de bois, couvrant 210 mètres carrés, sur-
monté d’une tlèclie peinte en bleu, hante de 22 mètres et
qui supporte l'aigle impérial d’or étincelant. A l'intérieur,
une grande salle tendue tl’étofle bleue turquoise, un salon
de réception et un petit bureau réservé à M. Descarrières,
déh'gué des (( Institutions do Sa Majesté PI mpératric(j
Marie ». Tous les matériaux do ce pavillon viennent de
Lussie. Je n ai pas besoin de vous indiquer la nature de
1 exposition qui y est contenue ; cette administration — qui
donne rang de ministre au directeur en chef de la chancel-
lerie dos (( Institutions» — ne peut, comme les administra-
tions similaires, se faire juger qu’à l’aide de plans, cartes,
photographies, cartogrammes, spécimen d’ouvrages, stati-
stiques, etc.
« Parmi les autres pavillons spéciau.x, je vous rappelle le
Pavillon de la Finlande, que nous avons visité ensembh'
Due des Nations. Je cite, pour mémoire, un pavillon ih'
dégustation du fameux « Nié des caravanes » et une Bon-
A TRAVERS l’eXPOSITIO^
lano-eric où l’on fabrique ilu pain russe sous les yeux des
visiteurs; cela se Iroiivc à côté du Pavillon des « Institu-
tions de 1 Impératrice INlarie ». Je ne ni arrête pas au Pa-
villon spécial des Armées russes de terre et de mer, non
plus qu'au Pavillon des Domaines. Mais je vous signale,
ilu côté de ravenue de SuiVren, le très curieux Pavillon
de la célèbre manufacture de galoches de caoutchouc, de la-
quelle la production s'élève au chilTre... respectable de
70,000 paires par jour. Le volume de cette production quo-
tidienne est représenté par la dimension môme du dôme
qui coilfe cette originale construction, léhistoire de cette
industrie est représentée à rintéricur par le peintre Schilder
sous la forme d'un panorama et d’un diorama. Vous vous
arrêterez aussi an Pavillon de l’Administration du Mono-
pole de l’Alcool, construit par l'architecte, M. Zeidler; il
montre, conjointement avec les procédés de fabrication, de
très pittoresejues « dednts » — le populaire français dirait;
mastroquets — tels qu’on en voit dans les villes et les
villages de Russie... Enlin, j'en aurais pour une heure à
vous citer les attractions de tous genres de la Section russe,
telles que ; des mosa'iques d’une Ijcauté exceptionnelle, des
vitraux d’église de style byzantin, un tapis qui ne mesure
pas moins de quarante mètres de longueur, un iconostase
géai^t (quarante mètres carrés) tout en argent émaillé et
(font le superbe dessin est du peintre Vasnetzoll, le piano
que l’incomparable maestro russe, Rubinstein, a promené
avec lui dans scs tournées triomphales tout autour du
globe, etc. »
— Mais, alors, ce n’est plus l’Exposition universelle, c’est
l'Exposition russe à Paris !
Ce n’est pas à ce point-là! s’écrie le vieillard en riant
de son petit rire criard. La Russie a laissé de la place aux
autres Etats, mais il est incontestable que son exposition
est de toutes la plus complète et, pour nos esprits, soutenus
parle cordial enthousiasme de nos cœurs, la plus intéres-
sante.
Mais, observe M"’^ Elore, et la carte de Erance en mo-
sa'ique et pierres pi'écieuses, vous ne nous en parlez pas?
— Si fait, j’y arrive ; je gardais pour la fin ce régal, ce
cadeau unique, merveilleux et d intention si délicate, fait
AT TUOCADIÔIin
35
parle Tzar h son peuple français représeuLé par noire Gou-
verncmenL
— Klle n’est donc pas ici ?
• — Non, madame. Le l'j’ésidcnl de la Hépnbli(|ne, avec nn
tact dont il tant le louer, a vonln que ce gigantesque joyau,
quoique devenu propriété française par le fait de la remise
de l’incomparable présent, restât, pendant toute la durée de
riîxposition, parmi les envois de la joaillerie russe. C’est
donc au groupe 15, à la classe 95, à l’Esplanade des Inva-
lides qu’il le faut aller admirer. C’est un don vraiment im-
périal que cette mosaïque de gemmes de l'Oural, du poids
imposant de 350 kilogrammes, e.xécutée par la taillerie im-
périale de Katherinbourg. ^ur son lit de velours rouge
frangé d’or, sons l’éclat de la lumière électrique, elle est
éblouissante, cette carte de t"’25 de coté, sur laquelle ceuL
six pierres de haut prix, représentant autant de villes,
iradient de toutes parts des faisceaux lumineux de toutes
teintes. C’est bien là que Paris peut se dire la Ville-Lu-
mière, représentée qu’elle est par une énorme sihrri/e, cou-
leur de rubis. Le cadre est nu lapis Nicolas 11; la mer,
l’Océan, les lacs, les lleuves, en lapis-lazzuli ; les aflliients en
platine; les dé|)artemeuts, en marbre de nuances ditférentes;
les frontières en jaspe. Le nom des villes est inscrit eu
lettres d’or.
— En somme, combien y a-t-il de genres de gemmes pour
ro{)résenter les villes?
— Treize, monsieur Verduret. Et, tenez, j’en ai justement
sur moi la nomenclature, avec les villes que chaque pierre
représente :
1 Sil)érite : — Paris.
1 Saphir : — Rouen.
1 Olivine ; — Reims.
1 .âle.xandrite : — Cherl)ourg.
1 'topaze ou fénatite: — Lille.
2 Diacinthes : — .\ice, Lyon.
2 Emeraudes : — Marseille, Le Havre.
3 Aigues marines (Aqwi iiiarinn) : — Bordeaux, Toulon,
Biarritz.
8 Brillants teintés jaunes ; — Mont-de-Marsan, Lons-le-
Saunier, Annecy, Domrémy, Rochefort, Lorient,
Quimper, Nantes.
A TRAVERS l’eXPOSITION
:-iS
7 Brillants teintés brun ; — Beauvais, Chaumont, bigeac,
Draguignan, La Roche-sur-Yon, Cahors, Cette.
2t> Brillants blancs : — Laon, Bar-le-Duc, Foix. Auch,
Auxerre, Mâcon, Vesoul, Gap, Digue, Saint-Quentin,
Cambrai, Saint-Malo, Le Creusot, Privas, Evrenx,
Saint-Lô, Alençon, Guéret, Rodez, Mende, Le Puy,
Tulle, Aurillac.
22 Améthystes : — Amiens, Troyes, Versailles, Orléans,
Toulouse, Dijon, Besançon, Brest, Calais, Grenoble,
Valence, Nîmes, Nancy, Rennes, Le Mans, Angers,
Bourges, Limoges, Saint-Etienne, Clermont-Fer-
rand, Montpellier, Tours.
et 34 Rubis ; — Arras, Châlons-sur-Marne, Melun, Chartres,
Mézières, Agen, Montauban, Pau, T arbes, Perpignan,
Carcassonne, Nevers, Belfort, Bourg, Chambéry,
Verdun, Dieppe, Bayonne, Chàlon-sur-Saône, Avi-
gnon, Epinal, Caen, Saint-Brieuc, Vannes, Laval,
Blois, Châteauroux, Poitiers, Niort, Moulins, Péri-
gueux, Albi, La Rochelle, Angoulême.
— Hélas! soupire la fariniére é.merveilloe, que ne puis-je
uieltre Paris en Itroclie et scnlenient une dizaines d’autres
villes fà mes oreilles et à mes doigts !
Pour qu’on te pionne pour une châsse! riposte son
époux avec humour. •■ni
— Hélas! dirai-je, moi, soupire gravement le vieillard,
pourquoi deux belles villes auxquelles tout hon Français
pense sans cesse sans les nommer, n’ont-ellcs plus le dmtt
d'ctre des diamants?... Ah! cette carte, quand donc le Izar
aura-t-il la joie d'envoyer un hon sertisseur la... compléter.
D'un geste ému, Vertluret tend la main au centonaiie...
qui longuement la serre — ce qui, à la grande indignation
de Fonde, fait partir Bertrande d’un éclat de rire aussi franc
que... déplacé.
Le charme rompu, Verduret demande :
— One fera-t-on do celte carte unique au monde, après
l’Kxposition? . . ., . , i
Cette carte de France au cent-millioniènie ira dans le
seul palais digne d’elle et de son impérial donateur : au
Louvre... Allons, mesdames et messieurs, c’est assez causé
sur place. Nous allons visiter ce beau Pavillon de la Sibérie
que je viens de vous décrire et selon l'itinéraire que je vous
ai tracé. Pour commencer, donc...
AT TROCADÉRO
30
Soudain, le documenté centenaire s’arrête et murmure :
— Allons, il paraît que le change est résolu. An Coûte !
A oici les chiens qni de nouveau goûtent la voie !
.ii IV
LE RENDEZ-VOUS
En se retournant, en eiïet, le vénérahle et docte person-
nage a aperçu, par la vaste haie d'entrée de la Salle de l'Asié,
quatre tout britanniques melons s’installant llegmatique-
ment autour d'une des petites taljles de hois qui transfor-
ment en tel 1 asse de hrasseric la partie de la Cour intérieure
avolsinaut l’estrade des musiciens. Ce sont les quatre très
reconnaissahles subordonnés de James-Gregory Puzzlino-,
ceux que nos visiteurs, au moment d’aller prendre le che’
nun de fer électrique, ont vus s’acharnant à la poursuite de
l’infortuné Bouscastrol, génie... avarié de Toulouse.
^ — llum! murmure cncoi'e l’homme d’un siècle, quand
l’escouade entre en ligne, le caporal ne saurait être loin. 11
est temps de changer nos dispositions, et voilà un incident
qui va quelque peu hâter notre promenade à travers cette
partie du Trocadéro.
Et, s’adressant à Verduret et à ses compagnons :
^ songe que 1 ajirès-midi est déjà très avancé et que
c’est à peine si, d’ici à l’heure du dîner, vous auriez le temps
de visiter, comme il le mérite et y a tous les droits possi-
bles, le Palais do la Sibérie avec son exposition si complexe
et ses attractions artistiques et panoramiques. D'autre part,
a mon âge, il est imprudent de compter sur le lendemain...
tout au moins au point de Ame de l’état des forces. Au lieu
d atteindre à l’extrême fatigue on faisant avec vous, à petits
pas et parmi la foule compacte, cette visite pour laquelle,
après ce que je vous ai dit, ma présence n’est plus néces-
saire, Amulez-Amus me permettre de Amns conduire rapide-
ment à travers les autres concessions étrangères du Troca-
déro? \ ous rentrerez ensuite bien sagement dîner à votre ho-
40
A TRAVERS l’eXPOSITIOE
Ici et irez admirer Sarah Bernhardt dans l'Aiglon, pour
lequel j’ai un coupon de loge que je ne pourrais utiliser per-
sonneliement sans imprudence majenrc. Cela vous va-t-il?
(ilîOlîlilKN.NE, JIûhillRlENNE, ÉvÈQUE (IKEC.
— Si cela nous va!... Mais, en vérité, vous nous com-
blez, et je ne sais vraiment en quels termes vous...
— Vous me remercierez plus tard... du moins, je 1 es-
père, cher raonsienr \erduret. Pour le moment, venez
Al' l’IlOC AOlCHO
Vile.. I»c ce cùté: nous sortons par le pavillon de Nobel,
ou... il y a moins d afllnence de visiteurs. Allons ie voms
prie! ’ ''
Ibun rapide cou|) .l’œil, il constate que les quatre hom àn
delcclive n ont jias quitté leur poste d'observation .le la
tour inteneure, et, prenant les devants, enlraiuc du ^esle
et de I e.vemple notre quatuor e.vpositionniste vers la sortie
opposée.
Avec une légèreté de gazelle, Bertrande rejoint le cente-
naire. I rolitantde la distance qui les sépare' tous deuv du
reste plus lent du groupe, elle lui dit bàtivoment, ànii-A'oi.v :
— J ai vu les -VngBais ; Piizzling ne doit pas èlre loin.
L esl ma conviction.
— Je vais donc avoir votre ri.qionse à lui l'aire connaître
car vous ni avez promis hier de me taire savoir aujourd'hui
ou JC |iourrai...
- Bendre à mon /m/ue particulier uue visite aussi Gra-
cieuse (jii indiscr.'te? ”
— Oui, oi'i et (|uand ?
— Allons, j'ai pitié de l’impatience de cet aimable gent-
leman... I» autant plus que l'.'.sclandre qu'il cherche cà pro-
voquer pour mêler la police parisienne à nos all'aires, et
iorcer ainsi a dévoiler certain incognito dont il a mission de
déchirer le masque, linirait par réussir ; le brave Bouscas-
lol n aurait pas toujours à point nommé un sosie <'i envover
c icz xc commissaire... à sa place. Il est donc prudent .ren
finir. Vous pourrez donc trahir le rendez-vous que voici. Je
vous al endrai demain soir, à dix heures, au coin du quai
« e Javel et de la rue des Cévennes, emplacement de l'usine
des payes en bois, pour, de là, vous conduire chez moi.
Lommeiit, le soir et dans un endroit qui, si peu que
je connaisse I ans, me paraît être un pays perdu? Bè-
chard et moi nous mourrons de peur pour nous y rendre
SI meme je parviens à décider à m'y accompagner l'excel-
lente lariniere, qui n'csl pas précisément une Jeanne d’Arc
pour la bravoure !
- Aussi ni 'arrangerai -je de l'açon que vous y soyez es-
cortée par votre oncle et xM- Béchard par son épou.x... ces
(eux personnages pouvant avoir leur utilité à titre de
Imnoiiis.
«ItP'ii ? a
di
'A
42
A TRAVEUS L EXPOSITION
— Oli ' mais, alors, c’est un rendez-vous général?
_ Mon Dieu, oui : tous les rôles, principaux comme
épisodiques, en scène... ainsi que pour le dénouement d une
comédie bien charpentée. ,
— Eh quoi?... c’est?... Hélas! à cette idee, me voila
toute tremblante !... , .
_ Vous, si brave?... Allons donc!... J ai la conviction
nue le spectacle sera de votre goût.
Dieu vous entende ! murmure Bertrande devenue un
ncii pâle, tandis que le centenaire et la jeune fille, ayant
Lient! le nas. sont rejoints par Verduret et le couple la-
riniGT. > •
Nous voici hors du Kremlin, dit le manufacturier re-
tiré. Serait-il indiscret de vous demander où vous nous
^°Le centenaire fait un geste thé.àtral et, de tout le maigre
volume de sa pauvre vieille voix haut perchée, il s eciie, a
la façon de Buridan dans la Tour de Nesle :
— En Chine !
— Bigre! lait en riant \erdurct. ^
nous y voici. Mesdames et messieurs, j ai l lion-
neur de vous présenter le territoire parisien du
CHAPITRE II
CÉLKSTE-EMPIRE
Dès que noire groupe provincial a pénétré jusqu'au bassin,
autour du(|uel sont si artistemcnt semés le grand et les
])etits pavillons de 1 empire le plus peuplé du monde, le cen-
tenaire annonce ;
Ici, nous sommes en plein Pékin, capitale de la Chine.
Délicieux, s écrie Verduret, qui entonne, avec beau-
coup plus de conviction que de justesse, et en le paraphra-
sant un peu, le morceau connu de l’opéra-comique de Bazin :
La Chine est un pays charmant
Et qui doit plaire, assurément!...
Assez, mon oncle ! supplie... bien irrespectueuse-
ment Bertrande, en taisant mine de se boucher les oreilles.
Et qui plaît tout d’abord, aux gros appétits euro-
péens, se bâte de répondre le vieillard. Elle plaît même à
tant de monde que la rivalité des prétendants à ses terri-
toires est sa sauvegarde... Mais j’ai mieux à faire que de
traiter avec vous la grosse question du « péril chinois ». Je...
^ Pardon si je vous interromps, articule gravement
Bêchard, mais le Trocadéro réunissant les expositions colo-
niales, comment se tait-il que l’on y ait mis la Chine qui
est, tout au contraire, une immense métropole, et une mé-
tropole sans colonies, au sens que nous donnons à ce mot?
Je pourrais vous répondre que c’est une flatterie...
a,-"!
A TRAVERS l’eXPOSITION
avant la lettre à l'égard des appétits dont je viens de parler;
mais cette idée n'a certainement pas efllenré l'ème impar-
tiale dn Commissariat général, et il faut y voir des raisons
d’organisation intérieure et de convenances mutuelles. Un
palais chinois isolé, comme, par e.xemple, celui du Mexique,
eût été une banalité dans la([uelle s est bien gardé de tombei
le Commissaire général, M. Vaperean.
\Va-Peub-li(y?... (Juelque grand mandarin, sans donte.^
— Je crois bien, dit le centenaire en faisant entendre son
petit rire de crécelle. 11 fait partie, s il vous plait, du
'rsong-Li-Vamen, ou gi'and conseil. U est vrai que ce très
chinois mandarin — (jui est bien riiommc du monde le
plus alfable et le plus simple, autant que d'esprit distin-
gué... est né à ’fonrs, le 15 février fSi7...
— Comment, ce Chinois est nu brançais ?
— Ab! on voit bien que Malesherbes est au.v antipodes,
puisque vous ignorez M. \ apereaii, que tout Ibirisa applaudi
en tant que spirituel conférencier extrcmc-orientaliste , a
lu en tant qu'auteur des relations si excellemment et fine-
ment écrites de ses voyages — et quels voyages! — que
tout Paris, dis-je, connaît et estime pour ses multiples et
hauts mérites.
— Vous le connaissez ?
— J'ai en le régal d’une conversation avec lui, à propos
de cette exposition chinoise qu’il a organisée, et je vous
avoue que nous avons causé d'elle et surtout d autre
chose. M. Vapereau est un sympathique et un charmeur, et
je ne prise rien au-dessus de la parole d un homme qui,
avec une science sûre, a beancoup vu .. en sachant voir,
e’est-à-dire en ohsei'vateur et en artiste. Sous ce dernier
rapport, M. Vapereau était bien préparé par ses études à
l'Ecole des Beaux-Arts, qu’il quitta, en 1869, pour suivre
en Extrême-Orient le beau-frère de sa sœur — lequel n’était
autre que le lieutenant de vaisseau h rancis Oarnier, dont
l’héroïque expédition indo-chinoise (1806-18(18) est un des
pins beaux exploits d’explorateur. C'est ainsi qu’à Page de
vingt-deux ans, le jeune Vapereau visite Saigon, hou-
Tchéou, puis Eormose et ses sauvages. 11 arrive à l*ékin,
en novembre 1870, non sans avoir fait naufrage sur les
cotes de Chine, et entre dans l’Administration des douanes.
AU TlîOCAniillO
au service du Couvcrnenient cliinois. Cn 1873, Francis Gar-
nier ayant été (né dans un combat près de llu’é, capitale de
Annam dont il s était emparé avec 120 marins et qu’il
a eu le temps de ganler à la France — Cliarles Vapereau
se fixe définitivement à Pékin. Il y est resté, attaché aux
Douanes dn (adeste-Lmpire, pendant vin-t-six ans, rési-
dence interrompue seulement jiar des congés qu’il a super-
bement utilises, comme vous allez en juger. Fn 1881 lors
( e la guerre contre la Chine, au Tonkin, il a otle’rt sa
démission. La incilhmrc preuve de ses mérites, de ses capa-
M.UtCIIAND.S CIIINOI.S.
Cités et aussi des charmes d'un caractère qui ne lui a créé
partout que des amis, c’est que le Tsong-Li-Vamen refusa,
en cette circonstance, de se séparer de lui ; la seule entrave
que lui attira, pendant cette guerre, sa qualité de Fran-
çais et de bon Français, fut la défense de s’éloigner à
plus de hÜ kilomètres de la ville. M. Vapereau, qui con-
naît a tond le chinois et l’anglais, voire un peu le russe
es particulièrement apprécié, à Paris, comme émérite
collectionneur; il a tait au musée Guimet et à celui des Arts
décoratifs des envois précieux. Lorsque, en 189ti, le Gouver-
nement chinois, se décidant à faire acte de modernisme en
prenant part a 1 Exposition de 1900, chargea le directeur
4G
A TRAVERS L EXPOSITION
des Douanes, sir Robert Hart, d’organiser sa participation à
notre Grand Concours universel du Travail, celui-ci pro-
posa M. Yapereau pour les délicates fonctions de Commis-
saire général. C'est grâce â ce poste aussitôt acceiRe, que
nous avons le plaisir de posséder à Pans notre eminent
compatriote.
— Et ses voyages ? . • - i
■— Ah ! ah ! cela pique votre curiosité de Français séden-
taireJe ne vous citerai pourtant que les deux princi-
paux, qu'il fit l’un et l’autre, en la société de sa vaillante
compagne, M'”" Yapereau. Le premier fut un raid en Mon-
golie : quarante jours à cheval, h raison de tih kilomètres
pai- jour. Couchant, soit sous la tente, soit dans les pai
lottes, sur le petit matelas cambodgien, avec la valise en
guise d’oreiller, le couple hardi poussa, cette lois-la, jus-
qu'au désert de Gobi, faisant ample provision de documents
photographiques. Elle est tout simplement admirable, la
collection de photographies prises aux Indes, a Java au
Japon, en Corée, en Californie et dans 1 Amérique du lAord
par cet observateur artiste et savant ! 11 m’en a montre qui
sont de véritables merveilles, comme celle du « 1 ont du
Palais d’Eté », ce prodige de grâce dont 1 arche unique,
presque ogivale, d'une légèreté inouïe, dresse sa courbe de
rêve au sein d’une plaine sans limite, et se rellete dans une
eau ilormante où le mirage transforme l’ogive en une
ellipse comiilète... Cela vous a un caractère d irréel, de
rêve de poésie qui est un enchantement.... Mais je m égaie,
et Bcchard ne me le pardonnerait pas. Quant au secom
..■rand voyage de M. le Commissaire général de la Chine, ce
fut en 1892, un retour de Pékin à Paris, en passant par
Tchéfou, Shangaï, le Japon, la Corée, Yladiyostok, Alexun-
drevsk, Nicolaïevsk, toute la remontée du grand lleuvc
Amour, toute la Sibérie (Irkoutsk, Tomsk, Samaroya, lo-
lolskk toute la Russie (Pcrin, Kazan, iAijni, Moscou,
Saint-Pétersbourg), puis Yarsovic, Yienne, Bâle et Paris.
baini-T'ciersjjuLiigj, ijluc ,
Ce voyage, que les hautes autorités russes, parmi lesquelle.
M. Yapereau a tant de solides amitiés, qualifiaient de lolie^
a été superbement accompli par le couple intrépide e
raconté avec humour et en style combien attachant par sor
auteur, dans le Tour du Monde. 11 faut lire cela, mon
AU TROCADÉJiO
il
Ui.
t\ïl ^ M’
sieur \ erduret ; vous vous délecterez, et grâce aux innoni-
braldes photographies prises en cours de route et jointes an
récit, ce sera pour vous un indispensahle complément à la
visite que nous venons de faire du Pavillon de la Sibérie.
J en ferai la lecture a mon oncle, déclare Bertrande,
et je suis bien sûre (ju'il ne s’endormira pas.
Donc, poursuit le vieillard, vous comprenez que, pour
la première fois que la Chine expose officiellement, .M. Va-
pereau, avec son érudition s[)éciale, acquise par Aungt-six
années de séjour dans la capitale du Céleste-Empire, n’allait
pas nous olfri)-, pour sa bienvenue de retour dans la Mère-
Patrie, la banalité d un kiosque quelconque, ainsi qu’on l a
fait jnsqu’ici. 11 a voulu que ses compatriotes, et avec eux
leurs botes, aient ici une sensation de réalité chinoise, en
ayant sous les yeux l’ensemble d’une demeure de haut man-
darin, avec son corps de logis principal et ses pavillons sé-
parés. 11 a A'onlu, de plus, que quelques-unes des parties de
cet ensemble aient la valeur documentaire de reproductions
exactes de constructions célèbres de Pékin. C’est dans cet
ordre d’idées qn’il a inspiré et guidé les plans de M. Masson-
Détourbet, 1 architecte au talent précis et oiâginal chargé
des Sections étrangèi'os à 1 Exposition de 19û0. Prenons d’a-
bord le Pavillon principal...
Celui (]ni est voisin du Palais de la Sibérie, et s’y
trouve relié, à laible hauteur, par une passerelle?
^ Pont je AUAus expliquerai tout à l’heure la fonction. Ce
Pavillon principal, long de dix-neuf mètres, large de treize,
doit être séparé, par l’observateur <|ui l’étudie extérieure-
ment, en deux parties distinctes : la partie inférieure et la
])artie supérieure. La première, à muraille droite percée
d une porte et de deux fenclres, évoque exactement l'asiiect
d un temple chinois. Les U'inples, en elfet, possèdent tous
ces trois ouvertures, derrière lesquelles se tiennent, à l’in
térieur, les quatre gardiens sacrés de rigueur de ces lieux
de prières... mâchées.
■ Des suisses, sans doute? demande étourdiment
yime Flore.
Auprès desquels, chère madame, ceux de nos églises
paraîtraient n’êtrc que d'inllmes pygmées.
— Ce sont des géants?
: ii<
(f ii
t lU
ht
4S
A THAVERS l’EXPOSITIOIN
— Monstrueux... mais muets : ce sont de gigantesques
idoles, hideuses et terrihles, armées de toutes pièces... sans
pour cela causer une bien grande frayeur a leurs adora-
teurs... plutôt sceptiques — car nous n avons pas inventé le
scepticisme, croyez-le bien. Ce rez-de-chaussée contient, cutie
autres choses, une très curieuse collection de monnaies, si
anciennes que les antiques médailles romaines, dont la dé-
couverte fait l'orgueil de nos numismates, sont, en com[ui-
raison, presques modernes. 11 y aussi, dans cette partie in-
férieure du l'avillon principal, nu « clou »... ou plutôt la
AU THOCADÉRO
49
pointe (le ce « clou » énorme qui, à juste titre, fait la joie
(les visiteurs du Ivremlin mitoyen ; c’est la fin du train du
ti anssibérieu dont tait partie la passerelle (|ue remarc|uait
tout a 1 heure M. Verduret. Ln (diine, le panorama du maître
décorateur Jambon montre l'arrivée à Pékin... ou plutôt le
départ de la plus vaste capitale du monde, puisque la tête
du train est à Moscou. Une des toiles fait passer sous les re-
gards des sédentaires voyageurs l'immense rempart réputé
comme une des « merveilles du monde » : la fameuse Mu-
raille de Chine, une merveille qui ne survivra guère à la re-
production qu’en a exécuté le pinceau de l'habile décorateur,
car cette muraille, qui d ailleurs, comme l’épée sénile de
Don Diègue, a toujours
... servi de parade et non pas de défense,
vient d être condamnée par le gouvernement Chinois. Les
pieires serviront utilement do matériaux (et Dieu sait s’il y
en a!) pour de grands travaux publics. Sic transit glorial...
Et que l’on dise encore, devant un tel sacrilice, que les
Celestes ne se laissent pas pénétrer par les idées pratiques
de l’Europe moderne!
La Chine sans sa Grande Muraille!... 11 semble (jue ce
ne sera plus la Chine.
Ce ne sera plus celle de la légende. Pourvu que ce ne
soit pas le commencement de 1 évolution de l'innonihi’able
race jaune continentale vers cet avenir auquel la pousse l’avi-
dité... initiatrice de la race blanche!... Mais, encore une fois,
cela regardera nos cirrière-neveux. Passons...
— ... Au premier étage?
b)u mieux à la partie supérieure du Pavillon, c’est ce
(|ue j’allais avoir l’honneur de vous dire. Cette partie supé-
rieure est la reproduction exacte de l’une des tours à plu-
sieurs toits superposés qui se trouvent au-dessus de chacune
des portes de Pékin. Ces tours — je parle des véritables —
sont des depots de matériel de guerre, pas bien redoutable,
réuni pour la défense éventuelle de la Cité impériale ; elles
contiennent de petits canons, des fusils, des munitions, dos
armes blanches à l’usage des soldats jaunes, etc. Ici, celle
que vous voyez a un objectif absolument pacifique : elle sert
de logis à une exposition de meubles... qui sont à vendre
A THAVEKS l’e.KPOSITION. — T. .\IV. — 3 tr(;
50
A TRAVERS l’eXPOSITION
et, par conséquent, à acheter si le cœur vous en dit...
— Ilnm! des pri.v d'exposition, non merci, déclare l’éco-
nonie Bècliard. Si nous voulions un mohiler chinois, nous en
ferions l'ataïuisilion au Louvre, c’est bien meilleur marché!
— Et, pour vous, d’une authenticité très suffisante, c’est
entendu ! J’achève donc ce qui concerne le l*avillon principal
en vous indiquant que la partie supérieure contient encore
une exposition d’instruments aratoires et une salle de théâtre,
devant laquelle commence à descendre ce gigantesque esca-
lier extérieur aboutissant aux bassins, et qui est celui du
Temple du Dragon noir. Bassons à cet autre Pavillon que
vous voyez à droite du Pavillon principal...
— Celui qui paraît n’avoir qu’un rez-de-chaussée, mais,
en revanche, s’otl're deux toits supei’posés ?
— Celui-là meme, monsieur Verduret. C’est une imitation
très approchée de l un des l'avil Ions successi fs dont 1 ensemble
constitue le « Palais d’Eté » du luis du Ciel, autrement dit
de l’Empereur de Chine. 11 contient une exposition d’objets
d argent, d ivoire, etc., qui lait 1 admiration des collection-
neurs d’art chinois.
— Et cette espèce d’arc-dc-triomphe a trois arcades et si
élevé que l’on voit à côté du palais d’Eté?
— C’est tout simplement la reproduction exacte d’une des
trois plus belles portes de Pékin, lesquelles sont des mer-
veilles. Ces immenses arches en céramique multicolore font,
sous l’éclatante caresse du soleil, un eflet extraordinaire ;
c’est brillant, somptueux, gracieux et imposant à la fois.
iNl. Yapereau a été excellemment inspiré en plaçant cette
porte monumentale à l’entrée de la concession de la Chine.
— ()h! regardez-donc, s’écrie M'“ Elore, tous ces Chinois,
là, an seuil du Pavillon suivant.
— .Mesdames et messieurs, j’ai le plaisir de vous mettre
on présence d’une » tranche de vie » pékinoise. Le pavillon
oii madame vient de remarquer cette affluence de Célestes
qui tant l’intrigue, est une des boutiques de la capitale chi-
noise transportée telle quelle ou presque, d Exlrème-Orient à
Paris, contenant et contenu. A l’enseigne :
« Youxg-Tciieuxe-Tch.M »,
c’est jM. Kou-Young-Pao en personne, un gros marchand
Al' TRdCADÉRO
de k-bas — gros sous tous les i-apports, me faisait spirituel-
kment rcmaiapioi' M. Vaporeau à propos de 1 euormo roton-
dité du porte-natte — qui, aidé de ses commis, olfrc aux
chalands parisiens cosmopolites un superbe étalage de
bibelots empruntés à ses vastes magasins. Le gros homme
ne s est pas moqué de sa clientèle de l'Exposition, je vous
assure, car la collection de marchandises de choix qu’il a
apportée avec lui représente une valeur d’au moins deux
millions de Irancs.
— Bigre! ne peut s’empêcher de s’exclamer Verdurct
— C’est drôle, observe Bertrande, parmi ces vendeurs
je ne vois pas une seule vendeuse. J'aurais pourtant été
P us curieuse, je l’avoue, de voir des Chinoises que des
— iMademoiselle, si, comme il est probable, certains de ces
Celestes employés de commerce ont amené leurs femmes
a ans, ils se gardent bien de les produire à l’Exposition
— Pourquoi?
— C’est que la femme chinoise est, socialement, moins
encore que la femme musulmame. Elle reste au lo-ls
cachée aux yeux indiscrets. ’
bi! Quels vilains cachottiers que vos Chinois.
~ Il pouvez l’imaginer, ma chère de-
moiselle. Cest au point qu’ils ne se reçoivent pas entre
— Quels ours !
— Ils le sont jusqu'à ne pas vouloir, la plupart du temps
deriuncres’""^''''''' P""'”'
— Nou-es comme les vôtres? demande espièglemont la
jeune fille au centenaire.
— Oui, noires, justement, riposte tranquillement celui-ci.
.uand un Chinois porte des lunettes noires dans la rue
cela veut dire : « il ne me plaît pas que vous ayez l’air de me
reconnaître ». Ainsi, un ménage se montre exceptionnelle-
ment en ville pour quelque course obligatoire : sur la petite
charrette nationale, on voit la femme assise en arrière et le
mari juche sur un brancard. Si celui-ci a les yeux libres, il
seia sa ue égèrement eticu/par les connaissances rcncon-
lees, mais, si sur son nez chevauchent les lunettes de
S2
A TRAVERS L EXPOSITION
l’incogniio, non seulement personne ne le saluera, mais,
passàt-il au milieu d'une bande de relations intimes de fa-
mille ou de négoce, pas un regard ne se détournera vers lui :
on ne le verra jnis. - n •
Voilà une mode que l’on devrait bien adopter a 1 ans,
à l'usage des importuns ! Je les trouve très pratiques, ces
Chinois, déclare Bêchard.
Le vieillard reprend ;
— (Jmant au dernier Pavillon fermant le demi-cercle et ve-
nant, en face du Pavillon principal, voisiner avec le Kremlin,
là, sur notre gauche, il contient, en son unique rez-de-
chaussce, une très instructive et amusante exposPion
ethnologique. 11 y a là-dedans tout un peuple de Chinois en
cire arborant la curieuse variété des costumes des habitants
du Céleste-Empire... Et voilà, très résumées, les principales
choses que j’avais à vous dire concernant l’exposition chi-
noise et son aimable Commissaire général. Maintenant...
iXous allons bien vite visiter ces merveilles au sujet
desquelles vous nous avez littéralement mis l’eau à la
bouche... , ,
— J’allais vous dire, au contraire, passons d un bond...
qui n'aura rien de fatigant, de l’Extreme-Orient asiatique
à rExtrème-Sud africain, de la Chine au...
— Comment, nous ne visitons pas?... interrompt le ma-
nufacturier retiré tout décontenancé
— Vous aurez tout le loisir de le faire à votre temps et e
catalogue en main. Je vous demande, pour le moment, de
vous contenter de ma causerie d’ordre général, comme vous
Y avez consenti pour la magnifique exposition russo-sibé-
rienne ; il se fait tard et... j’ai une raison majeure pour ne
nas désirer prolonger cette conférencière séance...
— Oui, la fatigue que vous impose votre bienveillance a
notre égard.. . Nous serions ingrats d’insister et nous sommes
trop heureux de vous suivre où vous voudrez bien nous
— Parfait. Veuillez donc me faire 1 honneur de me
suivre au
ClIAl’lTKE 111
TRANSVAAL
Lorsque quelques pas ont transporté notre groupe d’expo-
sitionnistes sur le territoire de la Concession de la Répu-
blique Sud-Africaine :
Messieurs, dit le centenaire d'une voix émue, c’est
avec un sentiment de sympathie douloureuse que nous
devons, en pénétrant chez lui, saluer ce vaillant peuple
boër qui combat avec tant de persévérance pour la défense
de son indépendance, attaquée si odieusement et pour un
si vil motif de lucre par une nation européenne qui fut
glande, mais dont la conduite à l’égard de ces hurghers
fermiers, marque le Iront d une tache indélébile. La cause
de leur malheur, tenez, voici qu'eux-mêmes nous la mon-
trent ici, sans orgueil ni regret, plutôt comme un fait déri-
vant du fatum antique. Vous voyez, devant nous, à gauche
du chemin que nous suivons depuis que nous avons quitté
la Chine, cette pyramide...
— Cette sorte d'obélisque doré?
Précisément, madame. C’est le monument représentatif
de l'or extrait des mines du Transvaal de 1884 à 1899, c’est-
à-dire en seize ans.
M"'“ Flore ouvre des yeux effarés.
— Comment, tout ça, c’est de l’or? s’écrie-clle avec un
tremblement dans la voix.
A TRAVERS l'exposition
o4
— Non, sourit le vieillard. La pyramide que vous voyez
est en plâtre doré, car vous pensez bien que le volume d or
qu’elle représente court depuis longtemps le monde. Ce
tronc de pyramide, haut de 36 mètres, ayant 2'" SO de côté
à la base inférieure, et 0"' 40 de côté à la base supérieure,
pèserait, en or pur comme celui qui sort en lingots des labo-
ratoires des mines, 621,706 kilog. 604,063 milligrammes.
— Un poids d'or pareil doit représenter une somme
colossale?
— Exactement deux milliards, cent quarante et un mil-
lions, sept cent neuf mille quatre cent dix-huit francs, mon-
sieur Verduret. Ainsi, ce peuple de sages qui méprisent cet
or maudit dont Lappàt, en notre vieille civilisation, lait
commettre tant d infamies, d’apostasies, de lâchetés, ce
peuple de cultivateurs et de bergers creuse avec indillé-
rence ses sillons et fait dédaigneusement paître ses trou-
peaux sur un sol tout contaminé de l’épidémique métal,
nu’importe à ces saines natures exemptes de tout morbide
besoin de luxe, à ces êtres simples et forts devant Dieu
qui ne demandent qu'à mener librement la large vie du
plein air, la vie pastorale des patriarches, et à vieillir dans
le respect de l'immense famille dont ils sqnt la souche et
qui seule fait leur noble orgueil! Ce peuple était trop heu-
reux ; une telle exception à la loi fatale qui courbe 1 huma-
nité sous le niveau aux mille aspects de la Douleur ne
pouvait subsister. La terre de ces pasteurs contenait de Lor,
et l'or a attiré sur leur sol la meute des appétits insatiables
et sur leur tète le malheur. Messieurs, saluons avec respect
et admiration ce peuple boèr, au secours duquel eût vole
sans hésiter la France d autrefois ; saluons-le avec 1 amer-
tume de constater en quel état de déchéance morale le culte
du veau d’or qui nous est imposé a fait descendre la nation
qui fut la 'généreuse France. Mais détournons les yeux de
ces tristesses...
— Parhleu ! proteste Bêchard, nous ne pouvons pas non
plus sacrilier nos intérêts pour protéger le monde entier !
Pendant des siècles, monsieur, nul opprimé n’appelait
en vain la France à son secours. On disait alors : Qesla
Dr] prr francos, et je ne sache pas que nos intérêts, au bout
du compte, s’en soient si mal trouvés. C’est notre posture
AU TnOCADÉRO
5S
cllacée actuollo qui est seule <langereuse pour nous, eroyez-
le bien et... passons vite à l'intéressante leçon de choses
qui nous est donnée ici. Dans la llépublique Sud-Afri-
caine, il y a deux éléments opposés : la terre et l’or, c'est-
a-dire le Boor et l’Etranger. Ces éléments si disparates qui
partagent là-bas le pays, partagent également ici l’exposi-
tion trans vaalienne. E architecte, chargé par le Commissaire
général de la construction des pavillons sur la concession
de 1,SU0 métrés obtenue, en a construit quatre, sur les-
quels deux sont consacrés à l’exploitation minière et les
deux autres à 1 Etat et au peuple hoër. On ne pouvait, vous
voyez, mieux faire le départ entre les deux éléments. De la
[lyramide, où nous sommes, et en lui tournant le dos, nous
avons les deux premiers à notre droite et à notre gaucho
les deux seconds, cest-à-dire le Pavillon principal et la
terme hoér. Occupons-nous d’abord de l’exposition minière.
Pardon si je vous interromps, fait Verduret, mais il
me semble qu’une concession de 1,800 mètres, pour ce
petit Etat africain...
— C’est disproportionné, évidemment; mais si le Trans-
vaal a pu y prétendre, c’est que, en outre de l’important
budget d'un demi-million voté par le Volskraad, la nature
de son exhibition olfre un intérêt et un attrait qui sont de
tout premier ordre! Vous allez en juger.
« Vous n ignorez pas que le Trocadéro — comme Mont-
martre et la grande partie du Paris de la rive gauche sous
laquelle s’étendent les Catacombes — est creux par le fait
des anciennes carrières qu i! récèle dans ses flancs. Ces
cavités du sous-sol ont été mises à profit par la Société des
Houillères de brance pour organiser la si curieuse attraction
consistant en 1 aménagement de galeries souterraines de
mines de houille, de sel, etc. Or, une section de ce « clou »...
que 1 on ne peut pas accuser d’être sans profondeur, section
qui est placée au-dessous de la concession de la République
Sud-Africaine, représente en une longue galerie une por-
tion d une des principales mines d’or du sous-sol transvaa-
lien. Dans cette galerie, qui communique par un puits muni
d une benne authentique avec le plus grand des deux pavil-
lons dont nous nous occupons et qui est désigné sous le
nom de « Pavillon du bocardage », se trouve déposée une
56
A TRAVERS l’eXPOSITION
provision de 800 tonnes de minorai du Witwatersrand, c’est-
à-dire de minerai anrifère importé directement de cette mine
dn Transvaal. »
Les Boehs chez eux. — I.a i'yramide u’oii.
— LTk' mine d or an Trocadéro, c est vraiment extraor-
dinaire !
— Ce qui Test bien davantage — et pour le public aussi
bien que pour les ingénieurs — c'est de voir passer ce mi-
AU TRnCADÉP.n
.•)7
norai par toute la série d’opérations nécessaires pour en
extraire l'or.
Comment, on voit?...
— La benne chargée de quartz aurifère sortir du puits et
le précieux chargement déversé dans le « concasseur ». Le mi-
nerai ainsi fragmenté tombe dans la trémie terminée par
un appareil a distribution automatique placé en arrière du
« bocard », c est-à-dire du mortier oi'i cint] pilons pulvéri
sent le minerai dans une grande quantité d eau. La pulpe for-
mée par le bocardage s échappe par le tamis disposé à la face
. antérieure du bocard et tombe sur la « plaque à amalga-
tion », c est-à-dire une plaque en cuivre recouverte de mer-
cure qui retient au passage une partie de l’or contenu dans
la pulpe. Cette ])ulpo — et ceci est la » centralisation » —
coule ensuite sur une table à secousses {le truc vanner), où
Tou recueille les particules de pyrites riches en or pour être
traitées directement au laboratoire. Ces opérations du concas-
sage, du bocardage, de l’amalgation et de la centralisation ont
toutes lieu dans le premier bâtiment, long de l»S"'oO et lar«e
de 9 mètres, dit « Pavillon du bocardage ». Dans l'inter-
Aalle qui sépare ce Pavillon de son voisin — le laboratoire —
\ous voyez ce volumineux appareil? C’est une grande roue
a augets qui élève la pulpe pour la déverser dans une grande
caisse pointue oi'i se fait la séparation en schlanuns, boues
flottantes qui subissent un traitement spécial, et en tailinc/s,
sables lourds d ou 1 or est extrait par la <( cyanuration »
opérée dans les deux cuves, supérieure et inférieure. Cette
opération consiste dans l’envoi de cyanure de potassium en
dissolution sur les sables aurifères, dont il extrait l’or en le
dissolvant. Ce liquide qui sort des cuves de traitement est
envoyé dans les » caisses à précipitation » et... nous voici
dans le Pavillon du laboratoire, de beaucoup plus petit que
le précédent. Le liquide produit par la cyanuration Q.ÿ,i pré-
cipite, soit par le zinc, soit par l’électrolyse. Dans le premier
cas, le zinc est dissout par de l’acide sulfurique, le liquide
obtenu est transformé par le filtre-presse en gâteaux de pré-
cipité que 1 on fait sécher et que l’on fond ensuite au four
et l’or est coulé en lingots. Dans le second cas, la méthode
(dectrique précipite 1 or sur le plomli, lequel plomb aurifère
est fondu et l’on en sépare l’or par coupellation. Donc,
58
A TRAVERS l’eXPOSITION
lorsque vous serez de loisir, vous pourrez venir voir sortir
(le terre un morceau de minerai et le suivre jusqu à la lor-
mation du lingot d'or pur.
— Sapristi, je crois bien que c’est intéressant, cela !
— Ce que je trouve bien plus intéressant — à un point de
vue tout philosophique, il est vrai — c’est, en face de cette la-
borieuse extraction du métal précieux, de voir s’élever cette
modeste ferme boer qui, avec son ameublement rustique, sa
lourde porte d'entrée on bois brut, sa salle commune précé-
dant la vaste cuisine oi'i la pastorale lamille s assied à la
table du patriarche, avec ses chambres aux meubles sim- ,,
pies et robustes faites pour le sommeil calme de ces rudes
travailleurs de la terre. Ah! comme cette ferme, emblème
sain et paisible, semble par le contraste violent, dire à
l’usine en mal d'enfantement tumultueux des fauves par-
celles pour la possession desquelles l’homme abreuve de
sang pourpre le sein maternel de Cybèle ; « Folle ([ui t agites,
qui fais grincer les monstres de fer pour créer le vain métal,
regarde ma fière et tranquille médiocrité et ne cherche pas
dans ta fièvre le bonheur que j ai trouvé dans ma rudesse et
dans ma paix ». Mais 1 usine semble lui répondre, à grands
ronflements de machines en marche : « bolle qui a cru à la
possibilité du calme bonheur en ensemençant de graines une
terre qui recèle l’or!... C’était construire un volcan. Le jour
où tu m’as laissé creuser ton sol, tu as ouvers la porte de
l’enfer et tu t’étonnes de t’y engloutir. Tu dédaignes cet or
qui ronge l ame et les forces humaines sur toute la surface
du glohe : l’or se veuge de ton mépris en t apportant 1 es-
clavage et la mort! Ta paix heureuse insulte trop aux souf-
frances des autres nations qui n’ont pas ta sagesse pour que
ces nations ne laissent pas un peuple de proie te détruire en
toute liberté! Que ton sang et tes biens soient la rançon de
ton insultante vertu, toi qui prétends ne pas sacrifier a
l’idole du progrès civilisé, au dieu Business; c est la justice
nouvelle depuis que la France a abdiqué sa mission! » Ah !
messieurs, toute l’histoire des nobles et glorieuses infortunes
des Boers tient dans le contraste voulu de cette usine en face
de cette ferme, et... Pardon... excusez-moi. Voilà que je sors
trop de mon rôle de ciceronc. Allons voir le Pavillon
principal.
Afl TROCADKnn
:i9
Siii les pas (kl singulier vieillard, notre groupe de visiteurs
passe devant la ferme lioer; non sans y jeter un regard Iris-
tement sympathique, et arrive devant l’élégante construction
portant, au-dessus du porche, l'écusson du Transvaal sur-
monté d’un aigle et des initiales ; li.S. A. et Z. A. H., c’est-
à diie, en fran(^ais et en hollandais : « République Sud-
Africaine. »
— Oh! s’écrie Verduret, il est du dernier coquet, ce Pa-
villon. Si c’est là le style architectural à Préloria, ce doit
être une ville charmante.
— Le Transvaal, cher monsieur, est un état heaucoup
trop jeune pour posséder un style architectural national.
Les édifices de ses grandes villes juxtaposent un jieu partout
les deux styles européens cjui représentent les deux princi-
paux éléments de la population : le style hollandais rappelant
la patrie originaire du peuple boer et le style anglais per-
sonniliant la majorité de l'élément uitlander. Pour ce
Pavillon de la République Sud-Africaine, le très aimable
Délégué du Transvaal, M. Johannes Pierson, a laissé carte
blanche à l’éminent architecte parisien, .M. lleuhès, en lui
confiant la partie architecturale de son exposition. M. Hen-
bès — qui joint la plus courtoise simplicité à un talent
consacré est 1 architecte bien connu, diplômé par le Gou-
vernement, inspecteur des Travaux de la Ville de Paris, où
il est né en 18()2 et où il a conquis le second Grand Prix
de Rome. 11 est l’auteur du superbe monument élevé à
Saint-Quentin en souvenir de l’héroïque défense de la ville
en L).d7 et, quoique jeune, a à son actif de nombreuses
construckons de premier ordre. Si, au Trocadéro, il a fait
de 1 érudition au sujet de la ferme hoer, qui est la reproduc-
tion rigoureusement exacte des anciennes habitations dos
colons hollandais du sud de l’Afrique; s’il y a poussé une
savante incursion dans le domaine technujue de T ingénieur
en procédant à l’installation de la mine artilicielie et dos
bâtiments d exploitation — ne laissant à M. Rousquet,
ingénieur du Gouvernement de Prétoria et inspecteur des
mines du Transvaal, que l’exécution de la machinerie — il
n’a pas eu l’intention d’offrir, en ce Pavillon principal,
autre chose qu'une fantaisie d’artiste, fantaisie excellemment
réussie, comme vous voyez, et pour laquelle il s'est un peu
A TRAVERS l’eXPOSITION
inspiré de l’art hollandais. Ce Pavillon carré, de 14 mètres
sur chaque face...
Superficie : 196 mètres carres, calcule Bêchard, en-
traîné par la force de l’hahitude.
Enpositio.n Universelle de 1900.
__ Comprend, continue le vieillard, un rez-de-chaussée
et un premier étage, surmonté lui-même d’un campanile
qui, sans compter le mât, atteint une hauteur de 28 mèties
au-dessus du sol. Un porche de 6™ 50 de large snr 2'” 50 de
profondeur, soutenu par de légères colonnettes, conduit à
AU TIIOCADÙRO
61
rentrée principale. A l’inlérieiir, nn hall central carré
de S mètres est entouré de trois côtés par des galeries et
s'onvre, an fond, sur le «Salon du Président», dont les cir-
constances, hélas! liennent éloigné le vieil « 07icle Paul »,
représenté j)ar sa seule stalne. (Juant au contenu de ce
Pavillon principal, c’est l'exposition officielle de la Répu-
blique Sud-Africaine...
— C’est-à-dire pas grand’chose, conclut péremptoirement
Bèchard.
— Vous croyez?
02
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Iwidemment. Vous l’avez dit vous-mè me : il n’y a que
deux choses au Ti'ansvaal, l'or qu’y vont chercher les étran-
gers et la vie paslorale des Boers. Comme l’usine concerne
le premier et la ferme ancienne la seconde, il ne reste pour
le Bavillon principal...
— Que de montrer, cher monsieur, l’état si avancé d’or-
ganisation et de civilisation de cette nation que la race
anglo-saxonne, du bout de dents bien longues et bien puis-
santes pour ne pas faire songer à la primitive barbarie de
notre espèce, traite de race inférieure. 11 semble, n’est-ce
pas, que ces burghers, ou bourgeois fermiers, vivant par
familles et clans sur leurs terres conquises sur la sauvagerie
nègre, n’aient besoin que d’une administration très rudi-
mentaire? Mais, veuillez vous souvenir que nous avons
affaire ici à des Européens, car le Transvaal, l'Etat libre et
une grande partie de la colonie anglaise du (iap, ne sont
autre chose qu’une Hollande transplantée dans l'autre
hémisphère. Les graves et pieux républicains, en dressant
en 1897 le programme de leur exposition officielle, se
sont trouvé répondre par avance aux accusations formulées
contre eux par l'Angleterre, pour les besoins de sa laide
et mauvaise cause. Le Gouvernement de Prétoria a, dès
lors, divisé son exposition — révélatrice pour l'ignorance
indifférente de l’Europe — 'en trois groupes : 1" l’expo-
sition directe de l’Etat ; 2" l’exposition des compagnies
jouissant d’un privilège direct de l’Etat; fi" l’exposition des
objets prêtés à l’Etat. Dans le premier groupe se trouve
l’administration militaire. Les événements ont montré que
le peuple boer mobilisé, s’il ne constitue pas, malheureuse-
ment pour lui et malgré l’extrême mobilité de ses détache-
ments une arme manœuvrière, ne peut cependant passer
pour une force négligeable. Sa mobilisation si prompte n’a
pas été sans causer de rudes angoisses à ses agresseurs, et
les pertes effrayantes des Anglais prouvent la solidité de ces
troupes citoyennes avec lesquelles les légions britanniques
ne peuvent se mesurer qu’à la condition d’être quatre... et
parfois jusqu’à dix contre un. 11 est dommage que la pénible
guerre qui ensanglante le sud de l’Afrique pour la satis-
faction (le quelques capitalistes d'Albion n’ait pas permis de
venir au détachement de réguliers qui devait faire le service
63
Al' TROCADÉnn
il lionneur du Pavillon : l’Europe continentale réunie à
Paris eût fait une belle réception à ces vaillants si haute-
ment humains qo’ils ne se réjouissaient pas de leurs pre-
mières victoires cause du sang qu'avaient répandu leurs
halles si merveilleusement sûres.
— Ah! les braves gens! soupire Verduret, répétant sans
y penser le cri de Guillaume 1" assistant à la charge hé-
l'oïque de notre cavalerie se sacrifiant pour couvrir la retraite
fatale vers le goulfre de Sedan.
— Dans le même premier groupe, poursuit le centenaire,
se trouvent le service de rinstruction publique, comprenant
les types d’écoles, les musées, l'histoire du Transvaal ; le
Ministère des mines, législation, statistiques, histoire, collec-
tions ; le service des finances et des travaux publics qui
montre quel était l’avenir de cette sage nation brisée par une
inavouable cupidité. Dans le deuxième groupe entrent les
Compagnies de chemins de fer ; la Compagnie, trop fameuse,
de la dynamite, et les distilleries d’alcool. Enfin, le dernier
groupe comprend tout ce qui a trait à Phabitatiou, à la
terre, sous-sol (minerais, quartz, charbons, minéraux) et
suriace (culture, plantes indigènes, etc.), ainsi qu’aux pro-
duits de l’agriculture et de l’élevage, à la faune indigène,
aux arts, aux sciences, aux curiosités cafres, sans oublier la
iée travailleuse de cette fin de siècle, l’électricité. Vous le
voyez, c’est une exposition d’Etat absolument complète que
vous verrez en détail dans ce Pavillon que, un peu légère-
ment, M. Bèchard supposait devoir être vide. Si vous con-
statez quelques... manques, songez que c’est l’envoi d’un
peuple qui, depuis six mois, est tout entier sous les armes...
L’heure qui nous presse ne me permet pas d’insister.
Saluons, au départ comme à l'arrivée, le Pavillon emblème
de cette petite patrie lointaine dont les fils défendent de
leur mieux l’indépendance contre l’etfroyable invasion de
deux cent mille hommes, et, sans quitter cette belle race
de lutteurs, passons sur cet autre territoire hollandais que
sont les
CHAPITRE ]\
INDES NÉERLANDAISES
Le l'avillon principal du gouvernement de la République
Snd-Africaine que quitte notre quatuor provincial se trouve
placé derrière l’aile droite du groupe de constructions néer-
landaises. Pour venir faire face à la partie centrale de ce
si intéressant ensemble, il suflit donc d’en contourner la
droite et de remonter, l'espace de 40 mètres, la large avenue
qui, sur la droite du bassin, monte au Palais du Trocadéro.
Ce chemin si court, le guide centenaire semlde ne l’entre-
prendre qu’avec la [)lus grande appréhension. Est-ce de
fatigue soudaine que son pas se fait si incertain? Est-ce la
chaleur, pourtant très adoucie de cette lin d'après-midi, qui
le rond sourd aux remarques de Verdnret, lui toujours si
complaisamment attentif aux moindres idées émises par le
manufacturier retiré, et le fait n’avancer qu’avec ta plus
grande circonspection ?
Non. C’est tout simplement que la façade de l’exposition
coloniale des Pays-Bas est sur le même front et précède
immédiatement celle du Kremlin, où il a aperçu tout à
l’henre les quatre Anglais de James-Gregory Pnzzling instal-
ler leur poste d’observation... et il est évident qu’il lui serait
très désagréable de provoquer une rencontre avec ces trop
indiscrets personnages.
Aussi, dès qu’il a amené ses compagnons devant le centre
du triple Pavillon indo-hollandais, se hâte-t-il ibexpliquer :
6fi
A TRAVERS l’exposition
— Avec le Kremlin de la superbe exposition de nos amis
de Kiissie, l’exposition coloniale néerlandaise est certai-
nement la plus ciirieiise et la plus réussie du groupe des
colonies étrangères. On ne peut rien rêver de mieux comme
pittoresque, et cela fait le plus grand honneur à M. le baron
iMicbiels Van Verduynen, vice-président de la Seconde
(Chambre des Etats-Généraux, président de la Commission
royale et Commissaire général à l’Exposition de 1900; à
M. le baron Van Asbeck, membre de la Commission royale
et délégué du Commissaire général, et à M. Bouwens Van
der Doyen, l'architecte de la Commission royale, auteur
émérite des plans et directeur de la construction de cette
triple reconstitution de l'art architectural ancien et moderne
à Java. Regardez : est-il possible d’imaginer un décor plus
beau et d’ctfet plus intense?
— Et d’un développement énorme, car c’est aussi vaste
que la Russie.
— Comme façade sur le bassin du Trocadéro, oui; cotte
façade se déroulant sur une étendue de 80 mètres. Mais la
superlicie n’est que de 2,500 mètres, c’est-à-dire les cinq
huitièmes de l’emplacement occupé par le Kremlin.
— Ce n’en est pas moins colossal pour un pays aussi
petit que la Hollande.
— Mais dont les colonies sont — surtout si on les com-
pare à la métropole — aussi vastes que superbes. Or, mon-
sieur Verduret, ce ne sont pas les petits Pays-Bas qui se
présentent ici aux visiteurs, mais leurs grandes colonies.
Celles-ci — • en particulier celles des mers asiatiques — étant
parmi les plus belles, les plus riches, les plus intéressantes
dont puisse se glorifier un Etat européen, vous voyez qu’il
n’était que juste qu’un emplacement vaste et de choix leur
fût concédé.
— Vous avez raison et j’ai parlé trop vite, sans rélléchir.
Ainsi, ce sont des édifices de Pile de Java que nous avons
sous les yeux ?
— En fait d’édifice proprement dit, il n’y a...
— Il n’y a ?. . .
— Oue la partie centrale, placée en retrait... et à laquelle
on accède par trois terrasses... c’est-à-dire... le... le
temple.
AU rilOCAUÉRO
67
— Un temple qui me paraît avoir rie grands airs de fa-
mille avec ceux de l’Inde?...
— Oui, temple hindou, d’avant la conquête musulmane
lie .Java, au xv‘= siècle... conquête imparfaite, d’ailleurs...
Beaucoup de ruines de monuments religieux houddhiques
dans la grande île hollandaise... Pour celui-ci, c’est...
c’est...
— (Ju’avez-vous donc, mon cher cicerone ?
— Moi, monsieur Verduret?... mais, rien.
— Si. Malgré vous, vous ne parvenez pas à fixer votre
attention sur cette exposition que vous nous montrez si
obligeamment... Vous paraissez préoccupé... distrait.
— Je suis... je suis un peu fatigué. Et puis, ces allées et
venues de foule sur cette avenue si passagère gênent l’en-
chaînement de mes idées. Je vous prie de m’excuser,
mais...
— Vous excuser! Par exemple!... Nous nous reproche-
rions trop d’être cause que vous excédiez vos forces. Nous
allons tout simplement suspendre notre visite et, comme il
est à peu près l’heure d’aller dîner...
— Non. J’ai mieux à vous proposer. Je suis mal en état,
ici, je le confesse, de vous donner les explications néces-
saires en toute liberté d’esprit. Je vais même vous demander
la permission de vous abandonner un moment ponr aller
prendre un peu de repos... en ingurgitant une tasse du thé
exquis que servent les « mousmés » à la « Maison de thé »
de 1 exposition voisine du Japon... en bas du Trocadéro, le
long du quai de Billy. (t’est là que je vous demanderai de
vouloir bien venir me rejoindre lorsque vous aurez visité
les II Indes néerlandaises»... Vous me trouverez à l’inté-
rieur : on y est plus tranquille...
— Alors, réclame Bêchard, nous allons visiter ce temple
criblé de statues bizarres et ces jolies constructions bario-
lées de couleurs vives et dont les énormes toits se relèvent
de toutes parts, en pointes, comme s’ils voulaient aller voir
là-haut le temps qu’il fait... sans que personne nous dise
seulement ce que c’est que ce temple, ce que sont les pavil-
lons si coquettement drôles qui le tlanquent? 11 y a quelques
jours, je n’aurais pas mieux demandé; mais maintenant
que j’ai pris l’habitude de m’entendre tout expliquer, je
A TRAVERS L EXPOSITION
i^il, ■
irvxXjl ) .
’iül,
Paviixon des Indes Xkeiilandajses.
vous félicite d'avoir si bien pris goût. Je puis même dire
que, comme cicerone, vous serez loin de perdre au change,
puisque, pour la seconde fois, je vais prier M"® Bertrande
de vouloir bien me remplacer.
Indes Néerlandaises. — Temple.
trouve ça très pratique, et j’aime mieux, comme Verdurct,
remettre la visite que de m’en passer.
— Bassnrez-vous, cher monsieur : mon absence momen-
tanée ne vous privera pas de la documentation à laquelle je
70
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Pas comme cicerone, alors ; comme lectrice?
— Si vous préférez. Voici, mademoiselle, une note sur
cette exposition des Indes néerlandaises, qui vous permettra
de remplir à la satisfaction de tous votre complaisante mis-
sion. C’est une note dont on ne pourra révoquer en doute
l’authenticité, car elle me vient du Commissariat général
même des Pays-Bas.
— Allons, donnez et... allez vite voir vos « mousmés »,
dit Bertrande d'un ton mutin.
Et elle ajoute à mi-voix, pour le vieillard seul dont elle
interrompt ainsi le geste de protestation déjà dessiné :
— N’attendez donc pas que les quatre Anglais de Puzzling,
ou bien James-Grogory lui-même, surgissent comme des
diables de leur boîte... Filez vite !
Sur un salut rapide, le centenaire s’éloigne à grandes
enjambées. Verduret lui crie :
— A tout à l’heure !
Et, s’adressant à sa nièce :
— Va, petite : nous t’écoutons !
Bertrande lit :
<( L’ensemble de l’exposition comprend trois constructions
distinctes : au milieu, en retrait, le plus remarquable spéci-
men de l'architecture hindoue à Pile de Java, le temple de
Tjandi-Sari ; à gauche et à droite — du côté nord et sud —
deux reproductions des maisons très décoratives des indi-
gènes du haut plateau de Padang, dans l’île de Sumatra.
« Le temple de Tjandi-Sari a une hauteur totale de 13 mè-
tres, une largeur de 17 mètres et une profondeur de 10 mè-
tres, avec un soubassement de l^SO de haut sur 20 mètres
de large.
« Les moulages des sculptures et des motifs d’ornementa-
tion ont été pris sur le temple meme à Java, et les parties
tombées en ruine ou détruites par le vandalisme des Chinois
immigrés, ont été restaurées avec îles soins consciencieux
et artistiques. Malheureusement le soubassement et le grand
portique de Tjandi-Sari n’existent plus. Les Chinois,, dans
une guerre contre le prince de Soerakarta, en ont utilisé les
pierres pour construire des fortifications ; mais des fouilles
pratiquées au temple identique, le Tjandl-Plaosan, ont per-
ai; TROCAIJiaiO
71
mis de faire une reconsliliilion complète et fidèle du mo-
nument dans toute la splendeur de sa conception primitive.
^ « Par son ordonnance imposante, par son ornementation
d’une richesse prodigieuse, mais toujours d’une pureté
absolue, par la profusion de ses statues et de ses bas-reliefs,
le temple de Tjandi-Sari peut être considéré comme l’idéal
de 1 architecture hindoue à Java ; tous les fragments, ves-
tiges vénérables d une civilisation et d’un art disparus, for-
ment isolément des objets d art inédits, dont jusqu’à pré-
sent aucun spécimen ne fut introduit en Europe et dont la
primeur est ollerte aux visiteurs de l’Exposition universelle
de lltOO.
« Le temple s’élève sur deux terrains superposés; l’accès à
la première terrasse est formé par deux autres temples de
petites dimensions, reproduits d’après les ruines de Pram-
banam à Java. Les soubassements de la deuxième terrasse
sont revêtus de reproductions des bas-reliefs les plus remar-
quables du célèbre temple de Boro-Boudbour (1), représen-
tant, sur une longueur detiO mètres, des scènes de la vie de
Bouddha, depuis l’annonciation de sa naissance jusqu’à sa
mort.
« Dans 1 intérieur du temple, on peut admirer les reproduc-
tions des spécimens les plus précieux de rarcbiteclure et de
la sculpture hindoue à Java. Au fond, large de 17 mètres.
(I) Cg temple de Horo-BoLulhour — ou Hoeroe-Boedor — est uii splendide
monument de l’art hindou, situé dans la résidence de Kadoe. On le tient
pour un des plus beaux spécimens d’architecture inspirés par la l’eligion
bouddhique. En indiquer ici les mesures pi-incipales sera donner une idée
des dimensions réelles et imposantes de ces temples. Foi'iné d’étages en
retrait, il ligure une superbe p3'ramide à base carrée ayant 125 mètres de
côté. L’étage supérieur est élevé de dO mètres au-dessus du sol. Do la base
au sommet, il est littéralement couvert de statues et de l'i’ises — celles-ci,
mises bout à bout, atteindraient l’énorme développement de cinq kilo-
mèU’es exécutées avec une perfection rare, une grande science de com-
position, de la vérité, du mouvement et le- sentiment exact des scènes
ligurées. Ces scènes racontent aux yeux ; .. la légende de Bouddha; l’histoire
de Çouddhona, son père; de la reine Maya, sa mère; l’annonce de l’incar-
nation du dieu et l’épopée entière du Çakia-Mouni se déroulant en seize cent
trente-six tableaux, qui comportent environ vingt-cinq mille ligures en
haut relief. >.
Ce temple de Boro-Boudhour remonte au viii' siècle de notre ère. Celui de
Tjandi-Sari, qui est reproduit au Trocadéro, ne date guère, probablement,
que du commencement du xv“ siècle, époque qui marque les derniers temps
du règne souverain de la religion de l’Inde à Java.
72
A TRAVERS l’eXPOSITION
s’élève le grand portique du Temple de Boro-lîoudhour, dont
les formes gracieuses et élancées sont merveilleusement
ornées. A droite et à gauche de ce portique, sur des bas-
reliefs et dans des niches richement décorées, se trouvent
Indes NÉEraANDAiSES.
les statues de Bouddha dans ditîérentes attitudes, le tout
également emprunté au Temple de Boro-Bondhour. La paroi,
adroite, est occupée sur une longueur de 10 mètres par la
reproduction, d’après nature, d’un fragment du Temple de
Pramhanam, an milieu duquel est représenté le lion légen-
daire entre deux arbres sacrés. La paroi gauche est occupée
AU rnocADiono
73
par la splendide façade du Temple de TjTunli-Seavii, ei dans
le vestibule on trouvera t(int(' une série de statues de
Vichnon et de Siva.
« Les denx Pavil-
lons (]ni sont élevés
sur la même terrasse,
des deux côtés et en
avant dn Temple
cenlral, représentent
denx types de mai-
sons indigènes des
liants plateaux de Su-
matra, dont les toi-
tures, d’une courbe
élégante, reposent
sur des façades en
bois sculpté et dé-
coré; les ornements
de leur décoration
ont été reproduits par
des moulages pris
sur place. Pour bien
démontrer la diver-
sité de cette ornemen-
tation indigène, les
quatre faces de cha-
que Pavillon repré-
sentent autant de
types différents de
maisons.
« Le Pavillon nord
contient les modèles
de fortitications dans
les Colonies néerlan-
daises, de matériel de
campement^ d’hôpi-
taux militaires, d’éta-
blissements de marine, etc., et une belle collection de cartes
et de photographies.
« Dans le Pavillon sud, on voit des expositions cthnogra-
A TRAVERS l’E.\POSITION. — T. .XIV. — 4 57
Pagode des Indes Néerlandaises.
Divi.mtés.
74
A TRAVERS l’eXPOSITION
phiques, minéralogiques et agricoles des difTérentes posses-
sions néerlandaises, et enfin le Panthéon des dieux hindous
adorés par les populations actuelles de Bali et de Lombok,
composé de soixante-dix grandes statues richement déco-
rées.
(( Par suite do la dillerence de niveau du terrain sur rem-
placement de l’exposition coloniale hollandaise, il a été
j)ossihle de ménager, dans la partie en-dessons de la salle
d'cxposilion du Pavillon sud, nue salle de théâtre, où une
troupe excellente de danseuses et de musiciens javanais
donnent d'intéressantes représentations, tandis que les visi-
teurs peuvent apprécier les produits des plantations colo-
niales par la consommatioii sur place de thé et de cale. »
• — Eh! mais, songe tout haut Verdnret, on doit passer la
d’agréahles moments !
Se reprenant vivement, après avoir jeté un regard inquiet
vers la jeune lectrice, trop adroite pour avoir paru même
entendre la réllexion de son oncle, le manufacturier vieux
garçon demande à sa pupille :
— C’est tout, petite ?
— Oui, mon oncle.
— Evidemment, c’est très intéressant et ce ne peut
qu’être parfaitement exact, étant donné la source d’où cette
note est originaire; mais j’avoue que les commentaires habi-
tuels de notre vénérable guide manquent à ma complète
satisfaction.
— Oh! moi, observe M""" Elore, je ne peux pas supporter
entendre lire debout : ça me donne des crampes d’estomac.
— Tais-toi donc, gronde l’époux farinicr. Je le connais,
ton estomac, bichette ; ce n’est pas contre la lecture qu’il
réclame, c’est apres le dîner.
— Oh! regrette Verdnret, si notre amie se met à avoir
faim, je retire ma proposition de jeter un coup d’œil à l’in-
térieur du Temple et au... théâtre javanais. Ce que nous
avons de mieux à faire pour obtenir que la fringale de
iM'"= Bèchard nous permette d’achever notre visite, c est de
t’amuser avec quelque chose, par exemple un peu de ce thé
japonais que déguste notre savant centenaire en nous
attendant... Pas un instant à perdre, Bèchard : filons au
-
»{«»}«»«» fl
û? ?»cP ?*
fllflfllflflîflfl --'--f--
fl»
flfl
CJIAI'ITRE \
J A P 0 N
\enlurel, BerLraiulu an bras, se met ou marche pour con-
duire le groupe, dont il est le doyen, des lies de la Sonde à
l’Empire insulaire du « Soleil Levant ».
iMallieurcusement, pour remplir siirement le rôle de pi-
lote, il est on ne peut plus mal préparé. Habitué jusqu’alors
à se laisser guider sans guère s’occuper de s’orienter, il est
peu au courant de la topographie du Trocadéro de l’Expo-
sition. Il redescend bien jusqu’à l’avenue transversale, qui,
à liautenr du fond du Balais do l’Algéide oflicielle, conduit
vers l’avenue d’Iéna, et il s’y engage ; mais, an lieu de prendre
le premier chemin dévalant sur la droite et conduisant di-
rectement au .lapon en passant derrière les Colonies an-
glaises, il continue l’artère transversale, passe entre le Pa-
lais de l’Egypte, sur la droite, et le Pavillon des Colonies
portugaises sur la gauche, et ne s’arrête que lorsqu’il voit
devant lui la porte de sortie tle l'Exposition. Alors, il tourne
enfin à droite et ne tarde pas à pénétrer dans la concession
japonaise, en longeant le bazar qui en occupe l’extrémité
orientale.
Outre que ce trajet allonge le chemin, il a l’inconvénient
de mettre à l'épreuve la curiosité de M'"® Bèchard, attirée
en dépit des réclamations urgentes de son estomac^, par les
étalages de bibelots, d'éventails, d’étod'es et de lanternes du
bazar. C’est avec toutes les peines du monde que ces mes-
AT TRdCAIlKRO
sieurs parviennent à arraclier la très ronde farinière aux
vues l'ascinairices des assortimenls in/arres ainsi (ju’aux
odrcs lenlalriccs dos petits luarcliands jaunes aux yeux Ina-
dés. Ils y parviennent enliii et, lisant les suscriptions des
Pavillons, atteignent celui de la dégustation dn thé, oii ils
retrouvent le centenaire attablé devant une tasse microsco-
pi(|ue — tout est petit au Japon, choses et gens, saut les ain-
BiiilHMÉri
:|ii f 1
I’avii.lon impkriai, .Iaponais.
bitions politiques! — et essuyant ses gants trop larges de til
noir à une très coloriée serviette en... papier de soie.
D’un regard investigateur, le vieillard s'assure que le
groupe n'entraîne aucun complet à carreaux dans son sillage
et, rassuré sur ce point, s'écrie d’un ton de belle humeur:
— Vous voyez que je vous attendais en véritable sybarite.
Ce thé vert a un arôme que nous ignorons, nons autres
pauvres occidentaux. Ne me ferez-vous pas l'honneur d'en
accepter une tasse en ma sénile compagnie?
78
A TRAVERS l’eXPOSITION
— üh ! de grand cœur, augmentée de... quelques gâteaux !
accepte M"’® Flore avec une impétuosité d'atlamée.
— Prenez donc place, je vous prie. Nous sommes ici on
ne peut mieux pour causer, en nous reposant, de cette ra-
vissante exposition japonaise... et môme de quelques autres.
Cliacim s’installe. De vives » mousmés », étroitement dra-
pées de soies éclatantes, accourent avec des plateaux char-
gés de tasses fumantes. Un petit homme correct, en habit
noir, la serviette européenne sons le bras, apporte à
Flore, sur un plat aussi minuscnle qu'authentiquement
japonais, une pyramide substantielle de gâteaux sur lesquels
notre farinière se jette avec frénésie, et, après que Bêchard
eut consciencieusement critiqué la joliesse coquette de l’exo-
tique service dont s'amusent Verduret et sa nièce, le cen-
tenaire demande :
— Eh bien, que dites-vous do ce coin du Japon trans-
planté au Trocadéro ?
— Charmant! déclarent d’une seule voix Bertrande et son
tuteur.
— Bidicule! proteste Bèchard, car il est absurde de per-
dre tant de place alors que l'espace est si parcimonieuse-
ment compte aux autres pays. N’est-ce pas, Idchette ?
Mais « Bichette-Chonchon » n’a aucune opinion : elle est
trop occupée à calmer gloutonnement ses angoisses stoma-
cales.
— Voyez, retorque le vieillard, comme, suivant la nature
d’esprit de chacun, les jugements sont dilférents. Pour moi,
c’est justement cet aiiq cet espace, qui font le charme de
cette exposition japonaise, véritable oasis de verdure parmi
la forêt de fragiles murailles environnantes. La concession
s’étend sur trois mille mètres carrés, et c’est à peine si les
deux architectes français, M. Régnier, inspecteur des tra-
vaux de la Ville de Paris, et M. Petitgrand, également ar-
chitecte de la Ville, en ont consacré un quart à leurs jolies
et très documentaires constructions. D’ailleurs, ils fussent
allé contre l’idée qui préside à toutes ces typiques évoca-
tions d’exotisme vrai en donnant satisfaction à la critique
iormuléc par M. Bèchard ; puisqu’ils faisaient japonais, il
fallait avant tout qu’ils donnassent aux visiteurs une im-
pression de ce Japon mignard et Henri, mièvre et coquet, qui
AÜ TlidCADEUd
7!)
esl, la note très spéciale des villes de l'Enipire du Soleil
Levant... et ils y ont excelleinment réussi. C'est ici nu cha-
pitre do Pierre Loti on de Lélicien Chanipsaur matérialisé
poni' le plus grand
enchantement et la
plus e.vacte docu-
mentation des Occi-
dentaux. Il faut dii'e
(|uc ces messieurs
de l'équerre étaient
guidés dans leur re-
constitution si déli-
catement et sincè-
rement exotique,
par deux purs su-
jets du Mikado, qui
sont des esprits su-
périeurs : un sa-
vant, dont la répu-
tation a franchi les
mers, iM. Ilayaski,
Commissaire géné-
ral, et le si aimable
et très distingué
M. T. IIAVASKl
C O M M i S S A IIl !•: G L N K K A L .
M. Saïto, Commis-
saire général ad-
joint, à ([ui revient
plus particulièrement l'honneur d'avoir réalisé ce joli rêve
vécu de petite ville japonaise.
— Je n'ai aperçu, tandis que nous venions vous retrouver
ici, que quatre Pavillons. Est-ce qu'ils contiennent toute
l’exposition du Japon?
— Que non pas, cher monsieur Verduret! Le gouverne-
ment si modernisé du vieil empire insulaire d'Extrême-
Orient a fait voter un budget de trois millions de francs pour
la participation du Japon à l'Exposition de 1900, et les ex-
posants sont au nombre imposant de dix-huiteents. C'est vous
dire combien l'Exposition japonaise est importante dans les
sections. Ici, c’est uniquement une évocation de vie réelle et
pittoresque. Etant donné la direction que vous suiviez
80
A TRAVERS l’exposition
lorsque vous êtes venus me rejoindre, vous avez dû passer
devant le très curieux bazar, composé d’une quantité de pe-
tites boutiques à échelons?
— lîn cÎTct. Nous y avons vu vendre quantité d’objets de
bronze, de porcelaine, des
éventails, des étoiles...
— C’est enrageant de ne
[)as être riche comme lloth-
schild! déclare M'”“ Flore,
la bouche pleine. Avec quel
plaisir on achèterait de tout
cela... qui ferait si bien
dans notre salon d’Es-
sonnes !
— Eh bien, poursuit le
centenaire, ces marchands
sont d’authentiques com-
merçants de Ycddo ou des
grands ports, qui out trans-
porté au Trocadéro les plus
jolies choses de leurs éta-
lages, absolument comme
M. sAÏTo le gros Chinois de Pékin
c'o.M.MissAiKK hi;ni;r.\l au.iiiixt. que nous avous VU dans son
kiosque de la concession du
Céleste Empire. Devant ce bazar, on peut, avec un léger ef-
fort d’imagination, se croire soudain au pays de M"’® Chry-
santhème... et cela même pour ceux qui y sont allés, car tout
ici est de pur japonisme. Ces jardins, dont la vue est si plai-
sante, sont dessinés à la japonaise, et servent d’exposition
à la llore de ces îles enchanteresses. On y voit quatre cents
Heurs indigènes sur tige, dont des chrysanthèmes monstres
qui font l’admiration des spécialistes... Et puis des iris, des
nénuphars, des pivoines superbes, etc., etc. Ah ! oui, allez,
vous êtes bien ici au Japon 1 Peut-on rêver rien de plus ja-
ponais que ce « Pavillon du thé » oii nous sommes, où tout
est si bien comme làdtas, et le service et les objets d’art qui
le décorent. Il constitue l’exposition du Syndicat japonais
du thé... Et le Pavillon du Saké, que vous voyez d’ici, et oii
nos palais curieux de sensations exotiques peuvent déguster
Ai: TROcAniinn
le vrai « vin de riz »... xVvez-vous vu le Pavillon prin-
cipal ?
— .le... je ne croispas.
— C’est vrai, voire itinéraire ne vous l’a pas permis. Ce
sera pour quand nous nous dirigerons de l’endroit oii nous
nous reposons vers les Colonies Itritanniqiies. Laissez-moi
tout de suite vous en dire quelques mots... Ce Pavillon prin-
cipal est su|)crhe, avec ses portes dorées, scs toits bronzés
dont le faîte supérieur atteint vingt mètres de haut. Celte
construction, élégante et brillante, a un intérêt arcliéolo-
gi(|uc puissant, en ce qu’elle est la reproduction — approxi-
mative, il est vrai, mais aussi fidèle que possible — d’uu
très remarquable monument du vii'^ siècle. C’est l’ancien
Temple d’Ür, désigné sous le nom de Khondo, et situé dans
la province de Nara, pays de Yamato. .le vous signale le des-
sus des fenêtres où triomphent des dessins, imitation d’ori-
ginaux dont le temps n’a pu qu’à peine ternir l'éclat. Ces
dessins représentent des déesses de la mythologie japonaise,
des oiseaux, etc.
Les .Iapcinaises chez ei.i.es.
I
82
A TRAVERS l’eXPOSITTON
— Toute la lyre des divinités invraisemblables auxquelles,
évidemment, l’intérieur dece pseudo-temple est consacré!
— Fi, cher monsieur Verduret, que c’est mal connaître
le modernisme avancé des lils de l’Albion d'Extrême-Orient !
Voyez-vous la France exposant à Yeddo — ne souriez pas,
cela pourrait fort bien arriver avant longtemps — et consa-
crant son Pavillon principal à des souvenirs de la religion
druidique? Non; l’Empire du Soleil Levant a fait de cette
reconstitution arcbitecturale d’ordre religieux un « Palais
japonais des arts rétrospectifs ». On y voit donc, et à profu-
sion, des objets d’art anciens, tableaux, sculptures, céra-
miques, faïences, porcelaines.
— Toutes choses bien connues, grâce à la mode de japo-
naiseries qui, avec les Goncourt, a possédé nos collection-
neurs.
— Erreur encore, car la collection qui est exposée dans
ce Pavillon principal est absolument nouvelle pour le public
européen, et, même, elle est inconnue au .lapon. Elle est,
en etfet, composée d’objets rarissimes prêtés par les grands
seigneurs japonais qui en sont les possesseurs jaloux. 11 a
fallu la fascination du nom de Paris et de la merveilleuse
fête universelle qu’il donne pour clore le xix® siècle, pour
décider ces hauts personnages à s’en dessaissir l’espace de
quelques mois.
— Alors, observe Bèchard, tout ici est authentiquement
japonais ?
— Tout... sauf les matériaux qu’il eut été vraiment trop
exigeant do réclamer d’aussi lointaine provenance. C’est
le soir que l’Exposition japonaise est bien curieuse à voir,
avec tous ses candélabres funéraires si artistiques, datant du
vu® siècle, et qui sont semés un peu partout sur les pe-
louses; avec l'éclairage du Pavillon principal dont le double
toit est bordé de lampes do verre, peintes aux couleurs na-
tionales, et dont les huit angles portent, suspendue, une im-
mense tulipe de cristal faisant fonction de réverbère... A
propos de ce Pavillon, j’ai exagéré en vous disant que le
contenu était d’ordre exclusivement profane. Vous verrez,
en etfet, à l’intérieur — qui forme un immense bail avec
galeries circulaires au premier étage — vous verrez, dis-je,
à l’intérieur, au centre du hall, une antique statue du dieu
AT TnCICADKtlO
83
bouddhique de la guerre, Bislianne ; de plus, placés en sen-
tinelles au pied de 1 escalier d’honneur — hizari'e série de
paliers conduisant aux galeries du premier étage — se tien-
nent deux terribles « gardiens » du temple de Niwo, datant
du v‘= siècle.
— Ils sont vivants, ces gardiens? demande étourdiment
\|"ie pylore.
— Oh ! madame, quelle humiliation ce serait pour moi,
qui n ai qu un pauvre siècle d'existence ! S’ils vivent encore,
voyez-vous^ ils le doivent à leur nature minérale, particu-
lièrement propice à la longévité presque sans limite... Et
maintenant, mesdames et messieurs, voulez-vous que nous
laissions le Japon pour nous occuper des colonies britanni-
ques, ses importantes voisines?
— C’est, réclame M"’® Bèchard, que je n’ai pas fini de
prendre mon thé, et...
— Aussi dis-je: nous occuper d’elles, etnon pas : les visiter
encore. Si votre appétit n’est pas tout à fait calmé, ma
tatigue n’a pas entièrement disparu, et vraiment nous som-
mes ici le mieux du monde pour causer tranquillement.
(Ju'en dites-vous, monsieur Verduret ?
— Vous savez que je ne me permettrais pas d’avoir un
avis dilïérent du vôtre. Si vous jugez inutile de nous donner
vos précieuses explications sur place, c’est qu’évidemment
cela est su perdu. Mais avant d’entamer ce gros morceau des
colonies anglaises, voulez-vous m’autoriser à solliciter de
vous un simple renseignement?
— Dites vite, cher monsieur.
— hdi bien, en quittant les Indes néerlandaises pour le
rendez-vous que vous nous aviez donné au Japon, nous
avons vu, sur notre gauche, un fort joli Pavillon dont vous
ne nous avez pas parlé jusqu'ici, et qui pourtant se trouve
situé dans la même partie du Trocadéro que la Sibérie, la
Chine, les Pays-Bas et le Transvaal...
— Attendèz donc... Sur la façade, un groupe sculpté de
deux femmes qui...
— C’est cela ! s’écrie vivement le manufacturier retiré.
— Je vous fais toutes mes excuses et me hâte de réparer
une impardonnable omission. Parlons donc tout d’abord de
ce l*avillon des
CILVIMTRE Y1
COLONIES PORTl'GAISES
— Comment, c’est là l’exposition coloniale dn Portugal ?
dil Nerdnret non sans quelque surprise. .Mais cotte construc-
tion me parait bien plus importante et surtout bien plus
ornée que le Pavillou royal de la rue des Nations?
— ’Vous avez raison. L’elTort dn gouvernement de Lis-
l)onno, représenté par M. le conseiller Prederico Ressano
Garcia, Président de la commission, et M. le vicomte de
b’aria, Commissaire général, est bien plus grand et plus heu-
reux au ïrocadéro que sur la rive gaucho de la Seine. La
somme de talent dépensée par l’architecte, M. Monteiro, y
est aussi incontestablement plus considérable. C’est que ses
colonies sont d’autant plus chères au Portugal que la durée
de leur possession on est plus compromise par le fréquent
voisinage d’une grande amie politique qui ne professe qu un
respect modéré pour le bien d’autrui. Un hasard doucement
ironique a placé, au ïrocadéro, les colonies portugaises
assez loin de l’exposition exotique d’Albion — et beaucoup
plus près du malheureux Transvaal — mais, dans la réalité
géographique, les distances sont malheureusement, dans
plusieurs cas, infiniment plus rapprochées et, dame! les
intérêts britanniques se montrent parfois singulièrement
exigeants. Jusqu’à présent, et pour prix de complaisances
que le faible n’a pas toujours la liberté de refuser, les pos-
sessions d’outro-mer de la petite nation péninsulaire ont été
Mèl
ai; TnoDAriÉRo
8o
Pavillon des Colonies Portugaises.
rclalivcmont respectées. Fasse le ciel que rimpcrialisme lon-
donien n’ait pas besoin trop tôt d'une nouvelle Rhodésia...
ou que les dents longues que le monde connaît bien se
soient auparavant attaquées à quelque morceau un peu dur
pour elles et se trouvent contraintes au repos ! Telle est la
86
A TRAVERS L EXPOSITION
grâce que, sans être prophète de malheur, on peut se per-
mettre de souhaiter au sympathique royaume de dom Car-
los... Pünfin, qui vivra verra. Pour ne parler que du Pa-
villon, vous n’avez dû lui accorder qu’uu regard au pas-
sage...
— En ell'et, nous cherchions à nous orienter pour des-
cendre au Japon...
— C’est cela, car autrement, rien qu’à la vue du très beau
groupe de M. Thomas Costa, qui orne la façade principale,
vous vous seriez rendu compte de la nationalité à laquelle
appartient ce pavillon. Ce groupe, avec une superbe am-
pleur de ligne, représente doux femmes soutenant l’écusson
portugais. Si je ne vous parle pas plus de l’architecte, que je
vous ai présenté lors do notre visite du Pavillon du quai
d’Orsay, je serais impardonnable, de no pas attirer votre
attention sur le vigoureux talent du sculpteur, et de ne pas
ajouter que les compliments que mérite M. Costa vont à
l’artiste parisien autant qu’au Portugais.
— Quel artiste parisien?
— Mais iM. Costa lui-meme, qui est venu demander à
Paris, où il s’est établi, la consécration de son talent. Quand
vous visiterez ce charmant Pavillon — qui atteint 16 mètres
de hauteur alors que celui du quai d’Orsay borne à 10 mètres
sa peu ambitieuse altitude — vous verrez avec quel goût il
est orné intérieurement do peintures décoratives dont les
sujets, excellemment traités, se rapportent aux colonies
exposantes et à la navigation. Quant à l'aménagement inté-
rieur, il est très simple : au roz-de chaussée, une vaste
salle de 200 mètres carrés de superficie et, au premier, une
galerie de 140 mètres.
— Et l’exposition qui y est contenue comporte?...
— Mais, naturellement, les produits agricoles et indus-
triels des colonies portugaises: c’est-à-dire, en Afrique
occidentale, la petite enclave de Bissao-Geha, dans notre
Sénégamhie, et, au sud du Congo, le vaste territoire de
llenguela; dans l’Est africain, le non moins vaste Mozam-
bique, dont les longues côtes, vis-à-vis de Madagascar,
tirent dangereusement l’œil de la « Greater liritain » ; puis
Goa, petit grain de mil toléré sur la côte du gigantesque
Hindoustan britannique; Macao, en Chine, près de Canton;
AU THOCADÉnn
S7
la demi-île de Timor, en voisinage courtois avec les Hollan-
dais, et 1 île Saint-Thomas, aux Antilles; enfin surtout, les
archipels atlantiques du Cap Vert et des Açores.
Si je me souviens bien, autour de ce heau Pavillon
colonial, il m’a semblé apercevoir, en passant de petits...
— Kiosques? Vous avez très bien vu, monsieur Verduret.
Ces kiosques satellites sont au nombre de cinq. Quatre sont
atleclés a la vente du tabac, des vins et des calés provenant
des manufactures et entrepôts île Lisbonne. Le cinijuicme a
un objet tout spécial et auquel, je crois, vous ne serez pas
indidérent, étant donné la finesse de votre Palais amateur
des bonnes choses.
^ ous me mettez l’eau à la bouche, fait en riant le
manufacturiei i étiré. Et qu y montre-t-on dans ce cinquième
kiosque ?
— La manière de cultiver les ananas au Portugal... Et
ils y sont délicieux, vous savez.
— Vous êtes un tentateur, mon cher ciceronc !... Mais,
dites-moi: en face de cette concession coloniale portugaise,
nous avons vu un immense Palais au-dessus du seuil duquel
est écrit. « hgyjttc ». G est la, sans doute, l'exposition de la
vieille terre des Pharaons et du Nil, aujourd'hui domaine
anglo-khédivial ? Ce doit être bien intéressant?
- Ma toi, mon cher monsieur, vous irez voir vous-même,
car j ignore ce qui s y passe. C’est une exhibition privée et
je ne me suis attaché jusqu ici (|u’aux expositions officielles
et largement publiques. Est-ce tout ce que vous désirez me
demander?
— C’est tout.
Alors, terminons cette causerie sur le Trocadéro étran-
ger jmr une rapide excursion dans le domaine colonial bri-
tannique, autrement dit, les
<S80
CIIAPITHE VII
COLONIES ANGLAISES
— Je n'ai pas besoin de vous dire que l’exposition colo-
niale d’Albion est aussi belle qu'intéressante et variée. J’in-
sinuerais le contraire que vous auriez raison de no pas
ajouter foi à mes paroles. Ce ne serait pas la ])eine qu’une
nation étendît sa vaste et lourde domination à travers le
monde entier et jusque sur les points les plus reculés du
globe, sur des pays de climat, de faune_, de dore et d'hu-
manités les plus diverses, pour qu’elle n’olTrît aux visiteurs
d’une exposition universelle qu’une exhibition d'ordre
secondaire. C’est comme si l’on disait que l'hotel d'un
milliardaire est meublé d’un mobilier de pacotille, orné de
bibelots achetés à la « boutique à treize ». Cela ferait hausser
les épaules à tous les gens sensés. L'exposition coloniale
anglaise est donc fort belle; mais, parl)leu, on n’en saurait
dire autant de l’écrin dans lequel les bijoux sont présentés.
Ce sont de grandes constructions basses en stalf... j’allais
dire des hangars, tant l'architecte, Mr C. Clowes (3, Arun-
del Street, Strand, W. C.), s’est peu mis en frais d’art
architectural et d'ornementation. Ce spécialiste du lire-
ligne • — qui a collaboré à la décoration du Pavillon
du quai d’Orsay, a construit le restaurant anglais qui s’élève
au pied du Trocadéro, près du pont d’Iéna, ainsi que la
Laiterie anglaise de l’Esplanade des Invalides et, à Vin-
cennes, les bâtiments contenant les machines agricoles —
ai; TUOCAIJliRO
n cl voulii laire, pour celte exposition coJonialo, que des
locaux (I utilisation, tout à fait « sans façons ». Vous savez
que l’Anglais dédaigne de faire toilette à l'étranger ; il est
PARIS UI»CIVEHSAL EXrilBiTION 1900
~Bi^irisH Colsxial a iirPTÂTir secttoms~
Plan du Pavillon' des Colonies Anglaises.
partout le Cook s lounst qui, si le garde inunicipal ne s’y
opposait, se promènerait casquette de voyage en tète parmi
les fracs et les décolletages endiamantés du foyer de l’Opéra.
— Le mépris du continental !
— fait d’intraitable orgueil britannique, c’est cela, cher
90
A TRAVERS l'eXPOSITION
monsieur Yerdurct, du moins pour la masse dn peuple
anglais, et... c’est bien la faute de l'Europe, qui ne met pas
en pratique le vieux proverbe français...
— « 11 faut hurler avec les loups? »
— Oui. Donc, je n’ai pas à vous parler des constructions
de l’exposition coloniale anglaise aux points de vue archi-
tectural et artistique, ceux-ci n'existant pas. Veuillez mettre
vos petites tasses japonaises sur la table voisine pour que
je place sons vos yeux le plan des sections coloniales du
Itoyaume Uni... Eà, voilà qui est fait. La concession de
terrain livré à l’Angleterre, au Trocadéro...
— Me paraît énorme !
— Elle dépasse de plus de mille mètres carrés la surface
de l'emplacement donné à la Russie. Les deux façades, sur
l'avenue qui conduit aux bassins du Trocadéro et sur le
quai de Billy sont à peu près égales, à raison de 240 pieds.
— Eela fait :
— Calculez, monsieur Bcchard : le pied anglais mesure
O"' :1048.
— 79 mètres, annonce le farinier calculateur, son opéra-
tion faite.
— Sur ce terrain, continue le centenaire, l’architecte an-
glais a construit : un Pavillon des Indes — [nrhan Section,
sur le plan — un « Pavillon des colonies », séparé en deux
bâtiments mitoyens à cause d’un groupe d'arbres auquel il
était interdit de toucher; entin, en arrière, c’est-à-dire près
de la frontière de la concession du Japon, une Ceylon Tea
Housc, ou « Maison de thé » de Pile de Ceylan. Les deux
Pavillons des Indes et des Colonies sont construits sur le
même gabarit : une série de halls avec galeries au premier
étage. Nous allons rapidement passer en revue chacun de
ces trois pavillons. Prenons d’abord ;
« [O Le Pavillon ile^ Unies. — Grand bâtiment rectangu-
laire ; 7(j pieds (23 mètres), sur le Trocadéro, et 240 pieds
(73 mètres) : sur le quai de Billy, avec entrée principale
sur le dit quai de Billy. Vous ferez attention à la rampe de
l’escalier de cette Grand Enlrance ; elle est très curieuse-
ment sculptée dans dn bois de Burmah. Ce Pavillon contient
dans la partie qui donne sur le Trocadéro, Ylniperial court,
ai: iRdCAnÉno
!)[
c’est-à-dire l'exposilion officirlle des Indes anglaises; au
centre, la Ihnvalr rxliibilors court , on expositions de parti-
culiers indiens; dans la partie qui confine an Japon, les
Ceijlon courir, traduction : expositions de (leylan.
« A remarquer, dans 1’ « Exposition officielle et gouverne-
mentale des Indes » : les produits venus des principaux ports
de i'ilindoustan, Calcutta et Bombay; dans les vitrines,
bijouterie indienne et objets d’art; au centre du grand bail’
une grande vitrine contenant des marbres de toute beauté’
provenant dos mines de Baroda ; dans la galerie du premier
étage, les minerais et les produits des forêts de l'IIindons-
tan ; et partout, les vitrines elles-mêmes qui sont artiste-
mont sculptées dans le style hindou... Madame qui, je le
vois, a fait lôte au thé du Japon, rendra, j’en suis sûr, une
visite aux Tea 1 era/u/as, placées immédiatement à la suite
de la (irand Entrance, ne füt-ce que pour s’assurer si le thé
indien, servi par des mauh en petit bonnet, vaut le thé
japonais ollert par les mains des niousmcs .
« A A'oir dans la salle de l’exposition priA'ée : au milieu
du bail, des piano-forte, des cuivres, verreries, châles de
Kdchemii, tapis et bois; dans la galerie du premier, pro-
duits commerciaux- ’
« Enfin, dans 1 exposition de Ceylan, on le gouverne-
mental et le privé sont mélangés, vous ne pourrez pas ne
pas tomber en arrêt devant le gigantesque trophée central
qui, du sol an toit, ollrc un assortiment aussi complet
qu’empaillé, de tigres, d’éléphants, d’antilopes, etc. D'autre
part, ces dames ne seraient pas femmes si, pour elles, pas-
saient inaperçus les diamants et les perles mirifiques’de la
plus belle île du monde.
« 2 Le 1 avili on des Colonies. — La majeure partie y
est allectée au Canada, qui occupe tout le bâtiment ouest
poui sa faune naturalisée (élans, cerfs, ours); ses four-
rures, ses produits divers, son salon, et, dans la galerie du
premier étage, ses grains, blés, pailles, à l’ombre d’une
immense oriflamme canadienne tricolore. 11 prend encore
la plus grande partie du bâtiment est pour ses minerais et
scs chemins de for.
^ » Le reste des bâtiments est occupé par l’exposition des
Colonies de la Couronne ^Crown colonies) où sont à remar-
92
A TRAVERS L EXPOSITION
qiier les expositions — café princi(mlement — de l’ilc Mau-
rice et des Seychelles ; et par celle de l'Australie occidentale
(West Auslmlia'': où, parmi les produits les plus divers, les
plus intéressants au point de vue mercantile anglais sont
les minerais d’or et les bois du pays.
Ceylan.
« La Ceijlon Tea House, à laquelle madame, j’en suis
sur, ne manquera pas, non plus, de rendre une petite visite,
est un pavillon d’une soixantaine de pieds sur vingt-cinq
(quelque 19 mèlres sur 8 mètres), alTectant une imita-
tion assez grossière de l'architecture hindoue : petite colon-
nade au rez-de-chaussée et, au premier, terrasse avec dôme
AU TROCADÉnO
cculral. Là, des Cingluilais, plus ou uioius en costume,
servent Ica, coffec^ jius/rics and nnifec/.inneries. »
Club canadien.
« ^ oilà. ^ ous devez trouver, cher monsieur Verduret, que
je viens de parler un peu trop comme un abrégé de catalogue ?
Ma toi, je rends comme on me donne. Un matin — c'était, il
est vrai, avant l’ouverture de l'E.vpositiou — j’ai demandé
à Mr Cloves (3, Arundel Street, Strand. \V. G.), de me
dire quelques mots de cette english exhibition. 11 m’a répondu
94
A TRAVERS l’eXPOSITION
avec le laconisme que j’ai trouvé juste de répéter. Les An-
glais, voyez-vous, ne s'amusent pas an.\ bagatelles des com-
mentaires : acta, non verba. »
— Vous dites?
— Je dis, chère madame, que te thé japonais ne doit pas
vous faire oublier le dîner français, et qu'il n’est que temps
de vous y prendre si vous voulez no pas arriver en retard
cliez... le Roi de Rome.
— C’est vrai!... Vous avez eu l’amabilité de nous olTrir
une loge pour /',lù//o/i... Moi qui n’ai jamais vu Sarah Rer-
nhardt! Vite, mon gros, filons dare-dare!
Le premier, le centenaire se lève, et, prenant congé du
groupe visiteur :
— Joyeuse soirée je vous souhaite, mesdames et mes-
sieurs. Je crains d’être bien las pour vous faire visiter,
demain matin, comme je le désirerais, les grands Palais du
bord de l’eau, c'est-à-dire : l’orèts. Chasses, Pèches; Marine
du commerce; Armées de terre et de mer, etc.
— Vous nous abandonneriez?
— Rassurez-vous, monsieur Verduret. Si la sagesse m’im-
posait de ne pas risquer aussi vite une nouvelle course à travers
l’Exposition — car je ne me sens pas bien... mais pas bien
du tout, sans qu’il y paraisse — je ferai en sorte que vous
trouviez à votre arrivée — dix heures, n’est-ce pas, devant
le porche du Palais des Forêts, Chasses et Pêches? — un
guide sérieux qui ne vous fasse pas trop regretter mon
abstention... prudente. Donc, monsieur Verduret, à demain.
Si ce n’est le matin, ce sera sûrement... avant que minuit
sonne.
Le vieillard salue cérémonieusement M'™ Flore, avec une
grâce familière la gentille Rertrande, correctement le rigide
Rôchard et serre drôlement la main de Verduret. l*uis,
tournant sur les talons, il s’éclipse... par la porte de service
des mousmés et de leurs petits et agiles compatriotes.
11 a à peine disparu que James-Gregory Puzzling, la face
congestionnée, se précipite dans la « Maison de thé » japo-
naise. A la vue de nos quatre provinciaux seuls, il demeure
interdit.
— Aoh ! fait-il.
— Ah! mon pauvre John Bull, s’écrit en riant le manu-
AU TROCADÉRO
9o
lacturier retire, si c est notre vieil et obligeant guide que
vous cherchez, vous arrivez trop tard, car il est parti. Et
quant a nous... nous sommes en train de nous disposer à
l’imiter.
Mais Bertrande a fait un imperceptible signe au détective,
(.elui-ci, pendant que le groupe en partance se dirige vers
la porte, se rapproche vivement de la jeune fille qui lui
glisse à voix Ijasse ces seuls mots ;
rendez-vous... Demain soir. Siiivez-nous à
1 InMel, je vous dirai le reste.
Le icgard de Duzzling s illumine au point de pi'esque
briller. 11 emboîte gaillardement le pas à nos visiteurs qui
s éloignent et murmure entre ses dents... britanniques;
Il olll fonte il allé très bien. Demain soir, le Angle-
terre il tenait le sicrète du Français, ou Duzzling il été une
stupid animal !
Le prochain volume aura poiir titre :
LES GRANDS PALAIS DU BORD DE L'EAU
et comprendra :
Le Palais des torôts. Chasses, Pêches et Cueillettes.
Le Palais de la Marine du commerce.
Le Palais des Armées de terre et de mer.
Le Port de la Navigation de plaisance.
Etc., etc.
TABLE DES CHAPITRES
Pages
Chapitre — La Russie a l’Exposition
§ I. Dialogue russo-séquanien
§ II. Pavillon de la Sibérie
§111. Autres Pavillons russes
§ IV. Le rendez-vous . . . 3ü
Chapitre II. — Céleste-Empiue • ... 43
— III. — Transvaal .>3
_ IV. — Indes Néerlandaises ... . C4
— V. —
_ VI. — Colonies Portugaises 84
— VII. — Colonies Anglaises 88
Paris. — lmp, MICHELS et Fils, 6, 8 et lo, rac
d’Alexandrie.
EN VENTE :
I. L’Exposition à vol d’oiseau 1 vol. illustré > 00
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais . — i GO
III. Le Grand Palais — i 00
IV. Le Vieux Paris — » 60
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris — u 60
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques — n 60
^ll. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau — » 60
\'11I. Les Pavillons des Puissances étrangères. — » 60
IX. Les Palais des Hôtes de la France. ... — » 60
X. La Rue des Puissances au Quai d’Orsay. — » 60
XI. L’Avenue des Nations — j 60
XII. Promenade au Quai d’Orsay — » 60
XIII. Les moyens de locomotion à l’Exposition.
Le Mexique — » 60
XIV. Au Trocadéro — » 60
G. DE WAILLY
A TRAVERS
L'EXPOSITION DE 1900
XV
LES GRANDS PALAIS DU BDRD DE L’EAU
PARIS
FAYARD FRÈRES, ÉDITEURS
78, Boulevard Saint-Michel, 7S
L AMI rJE ISO L SC asti; U L
I.e Icndomaiii matin — dél)uL de la sixième journée de
visites à l’Exposition de notre provincial (jualuor — nous
retrouvons celui-ci dévalant à vive allure les pentes du Tro-
cadéro et, Verduret en tète, atteignant le pont d'iéna.
— Ah ! bien, proteste iM""-' Flore, si cela commence comme
ça, dès notre arrivée!... Moi, j'ai déjà les jambes cassées,
sans compter un point de côté!...
('11 Vl’lTHE rilEMlEIl
FORin’S, CHASSES, PÈCHES ET CUEILLETTES
(1
A TRAVERS l' EXPOSITION
— Voyons, Vcrdorct, c’est ridicule, aussi! Voilà déjà ma
Icmme en nage, à dix heures du matin!
— Dix heures dix, rectihc le manufacturier retire.
— Qu'est-ce que cela fait?
— Cela fait (jue nous sommes en retard de dix minutes,
ce qui m’est tout à fait insupportable, et en retard par votre
faute, .l’avais pris mes précautions pour ne pas nous faire
attendre au rendez-vous fixé par notre si complaisant vieux
cicerone... Nous arrivons Itcllement à dix heures moins un
([uartà la place du Trocadéro, et là, impossible de vous dé-
cider à entrer!
— Darhleu, à quoi bon s’amuser à payer l’entrée deux tic-
kets quelques minutes avant le moment oii on n’en réclame
plus qu’un seul? Et puis, ne fallait-il pas compenser par un
peu de sagesse votre prodigalité d’hier soir... Aller donner
quarante sous à une ouvreuse, sous le fallacieux prétexte
que notre loge no nous avait rien coûté!
— Vous avez de la peine à les digérer, ces deux pauvres
francs... Mais vous devriez me savoir gré, au contraire,
dans renthousiasme où m'avaient monté l’artiste géniale et
la j)ièce superbe, de ne pas avoir jeté à cette gracieuse pré-
posée aux petits bancs — car tout est décidément charmant
chez cotte grande en jôleuse de Sarah Bernbardt — un écii de
cinq livres ou un domi-Napoléon.
— Comme un ambassadeur, alors?
— Avouez que le demi-Napoléon eût été de l’à-propos...
chez le Roi de Rome!
— Si vous plaisantez avec une chose aussi sérieuse que
l’économie, je n’ai plus rien à vous dire.
— Vous ferez d’autant mieux, mon cher, que cela nous
retarde et que j’ai bâte de remercier notre guide aussi gé-
néreux que complaisant de la merveilleuse soirée qu’il nous
a fait passer.
— Et qui nous a fait coucher à une heure du matin,
ce qui est éreintant, quand on en n’a pas riialntudc.
— Vous n’êtcs jamais content, c’est entendu. Moi, j’aurais
voulu que le spectacle recommençât, quitte à passer toute
la nuit dans notre jolie loge... Ah! voici qu’enlln nous at-
teignons la rive gauche; nous allons retrouver cet excellent
vieillard. J’espère que vous allez, avec moi, le remercier
LKS (iRA.NDS PALAIS DL' ItORlJ DE LEAU
/
comme il faut pour la soirée d hier el bien dire que c’est de
votre faute si nous l’avons fait attendre.
Le long et sec farinier dresse, au-dessus des tètes du pu-
blic déjà nombreux, son cou de héron et, après avoir scruté
du regard le porche d’entrée du Palais des Forêts, mainte-
nant distant de cinquante mètres au plus, s’écrie d’un ton
de triomphateur :
Vcrdurct, c est a vous de me remercier de ne pas avoir
laissé nous imposer la dépense de quatre tickets supplémen-
taires, dépense bien inutile, car votre centenaire est plus en
retard que nous : il n’est pas au rendez-vous.
— Vous en êtes sûr?
J ai bonne vue, et le personnage a une silhouette as-
sez spéciale pour être facilement reconnu entre mille et de
bien plus loin que nous ne sommes du porche de ce palais.
lise sera' peut-être lassé de nous attendre... Du reste,
nous allons bien vite savoir...
ljuelques pas que bâte au maximum Fimpatience in-
quiète de ^ erduret, puis un changement de direction adroite,
portent rapidement notre groupe expositionniste en face de
l’entrée monumentale du Palais des Forêts.
^ ^ est pourtant vrai qu’il n’y est pas ! regrette tout haut
Verdurct, tout décontenancé. Je ne puis croire à de l’inexac-
titude de la part d un homme aussi courtoisement exact
jusqu ici. Pourtant, s il n avait pu venir ce matin, il nous
aurait dépêché quelqu’un pour le remplacer, ainsi qu'il
nous 1 a promis hier et... je ne vois personne qui...
L oncle de Dertrande n’a pas en le temps d’achever de
iormuler sa pensée, que la jeune fille, lui serrant vivement
le bras sur lequel elle s’appuie si légèrement ;
— Mon oncle, voici que vous allez saAmir à quoi vous en
tenir ; regardez.
— Uiioi, petite?
Ce monsieur qui vient tout droit à nous... Tenez, il
porte la main à son chapeau pour nous saluer.
Ah !... en effet, j’aperçois... Mais je ne le connais pas,
ce monsieur.
Oh ! mon oncle, avez-vous donc si peu la mémoire
des physionomies ?
Un jeune homme, élégamment mis, arborant jaquette du
s
A TRAVERS l’eXPOSITION
bon faiseur et bottines vernies, s’avance, le chapeau à la
main. Verduret s'arrête, regarde l’étranger avec un air de
surprise qui n’a pas besoin de la parole pour clairement
dire :
— Voilà un monsieur fort poli assurément, mais qui,
non moins sûrement, nous prend pour d'autres, car nous
n’avons pas l’honneur de le connaître...
Mais, tout à coup, le rentier malesherbois fait un brusque
geste et s'écrie :
— Mais... cette barbe taillée en pointe... on dirait?...
Voyons, c'est impossible : je me trompe.
— Eh non! mon oncle, vous ne vous trompez pas, atlirme
Bertrande en riant de la mine stupéfaite de son tuteur.
— Gomment, fait celui-ci, ce serait... notre fameux gon-
dolier.
— En personne, cher monsieur, répond lui-même en sou-
riant et en s’inclinant le jeune homme arrivé à quelques
pas du groupe.
— Sous ce costume élégant?
— Mon Dieu, oui. Devant avoir l’honneur de vous servir
de cicerone, j’ai cru devoir m’habiller de façon convenable.
— Hein?... C’est vous qui allez?...
— Avec votre permission, vous faire les honneurs de ces
Palais du bord de l’eau, au lieu et place du vieillard que
vous pensiez trouver ici et qui se trouve empêché. Cela
vous étonne et vous n’avez pas l’air d’avoir une confiance
illimitée en ma valeur comme guide.
— Dame! à en juger par votre inexpérience comme nau-
tonnier...
Le jeune homme esquisse un sourire finement ironique
et, d’un ton parfait de courtoise bienveillance :
— Monsieur, dit-il, il est quelquefois prudent de ne pas
trop se fier aux apparences. En ce qui concerne mes apti-
tudes à vous guider dans ces palais, je me contente de vous
informer qu’hier, après vous avoir conduits — pas trop
maladroitement, avouez-le — du Palais du Mexique au
Trocadéro, j’ai assisté au cours de l’Ecole de l’Exposition...
— Hein?... qu’est-ce que. c’est que ça?
— Une création absolument récente, puisqu’on n’y son-
geait guère, il y a six jours, lors de la première conlérencc
a*2iC
J.KS r.RANDS PAÏ.ATS DI' llORD T>E h RAT
que vous fît, sur la première plate-forme de la Tour, le
vieillard que ce matin je remplace auprès de vous. (Jr, cette
conférence a été entendue, racontée au.v grands chets de
celte Exposition, et ils ont compris aussitôt le haut intérêt
qu'il y a pour la France et... pour leur œuvre à ce que le
public soit mis à môme de tout voir en visiteurs avisés...
A ce mot, qui est celui du mystérieux communiqué reçu
par lui à Maleshorbos, Verduret dresse l'oreille. Le jeune
homme poursuit :
— On a senti en haut lieu, que, pour bien comprendre
cette merveilleuse Exposition, la simple consultation du
catalogue — consultation dont s’abstient môme, la plupart
du temps, la paresse bien natundle du public — était tout
à fait insuflisante ; que les visiteurs avaient besoin d’être
guidés par une sérieuse documentation orale. Immédiate-
ment des conférences furent demandées aux commissaires
et architccti's des diverses sections, dans le but de former
une cohorte de guides instruits des choses qu’ils ont à
montrer. Hier une de ces conférences ayant été donnée sur
ces Palais du bord de l'eau, j’y ai puisé les connaissances
nécessaires pour vous bien guider aujourd'hui. Daignez
donc bannir toute appréhension d’incompétence générale à
mon sujet. Quant à ce qui se rapporte aux sections mariti-
mes et militaires ofi nous allons nous rendre après avoir
parcouru le domaine des Forêts, Chasses et Pêches, je |)ensc
que, pour vous rassurer pleinement... et en même temps
vous donner un peu plus de confiance si l’occasion se. pré-
sente d’embarquer de nouveau à bord de la capricieuse
gondole que vous savez, il me suflira de vous remettre ma
carte.
Le jeune homme, d’un geste fait à la fois de distinction
et d’autorité, tend à Verduret le rectangle de bristol sur
lequel celui-ci lit à haute voix, mais non sans une franche
surprise :
Baron Gaétan dp: Pierouet
ENSEIGNE DE VAISSEAU DE P.ÉSEBVE
Verduret regarde Bêchard
lequel allonge la mine, abso-
lument vexé d’avoir été le jouet d’une évidente comédie et
furieux de ne pouvoir exhaler son mécontentement comme
A TRAVERS l’eXPOSIÏION
il le voudrait à l’égard do rautour de la mystification, dé-
l’endii par la dérérence qu'inspire à tout terrien la qualité
d'oflicier do la marine militaire. L’oncle de Bertrande, lui,
se sent tout gêné au souvenir de la façon plutôt cavalière
dont il a, à plusieurs reprises, parlé à ce gondolier qu’il
prenait pour un joycu.v rapin. (iauchement, il cherche à
s’excuser ;
— Vraiment je suis confus... et vous avez dû me trouver
hien familier...
— De quoi me plaindrais-je? N’avez-vous pas montré
nnc considération adéquate à mon travestissement? J'ai, au
contraire été charmé de sentir que vous me teniez, tout
maladroit canotier que je vous semhlais être, pour un garçon
lie (|uolque intelligence et pas tout à fait dénué d’esprit.
— Je n’avais pour cela qu’à vous regarder, ce n’était pas
hien difficile... Lt vraiment, vous montrez en ce moment
pour moi beaucoup d’indulgence.
— Eh! mon cher, rejimhc Bèchard, allez-vous vous ex-
cuser de ce que monsieur s’est amusé à se moquer de' nous?
Je me permets de trouver, même, que lorsque l’on a l'hon-
neur de porter l’épaulette, il ne sied guère de se déguiser
ainsi pour mystifier d’honnêtes gens !
— Monsieur, riposte aussitôt d’un air sérieux et d’un ton
de dignité polie le jeune officier de vaisseau démission-
naire, la leçon serait méritée si le travestissement et la petite
comédie auxquels j’ai consenti n’avaient pour objet qu’une
mystification puérile et d’un goût qui peut paraître douteux.
Mais elle manque d’à-propos en la présente circonstance. La
grandeur du but ennoblit la vulgarité des moyens... Vous
m'excuserez de ne pas vous en dire davantage, n’ayant pas
qualité pour vous instruire de ce qu’un mieux qualifié que
moi aurait seul le droit de vous expliquer.
— Croyez, monsieur le baron, s'empresse de dire Ver-
durct, que nous n’avons pas l’indiscrétion de réclamer des
confidences qui... que... Enfin, l’important pour moi est que
vous vouliez hien agréer mes excuses.
— El vous les miennes d’avoir été mis dans la néces-
sité de vous tromper sur la réalité de mon modeste person-
nage.
— Vous comprenez, moi, je vous prenais tout simplement
LES OHANDS PALAIS DT' HOIîD DE t/eAL
$
pour un ami de ce diaMe do corps, de cet intelligent farceur
de Bouscastrol... Alors...
^ ous ne vous trompiez pas en cela, monsieur. J’ai
I liouTieur d être 1 ami — et l'ami très dévoué — de votre
guide si joycusemenl exubérant.
— Vous, monsieur le baron?... Oh ! mais en ce cas, voilà
qui me donne des idées inattendues au sujet de M. Bous-
castrol lui-même. J'en suis à me demander si je n’ai pas été,
à son égard, dupe do quelque illusion semblable à celle où
je suis sottement tombé vis-à-vis de vous...
Le jeune oflicior de vaisseau ne répond que par un sou-
rire discret et légèrement mystérieux.
— Oui, poursuit le manufacturier retiré, vous no pouvez
me répondre. Je comprends... Cela me donne un fameux
désir de retrouver votre ami toulousain — s'il est même
aussi toulousain qu il nous 1 a lait croire — et di' 1 observ'or
avec moins d’inintelligente bonhomie...
Je crois être ci'rtain, monsieur, que vous ne reverrez
plus Bouscastrol.
— C’est évident... Sans cela, vous n’aurii'z rien dit qui
put ainsi m ins[nrer des doutes comme ceux que je ne suis
pas assez simple pour ne pas avoir maintenant...
— Voulez-vous mon avis. Verdure! ?
— Dites, Bôchard.
Eh bien, tout ça, ça n’est pas clair, voilà mon opi-
nion! proclame avec force le farinier, tandis que sa femme
opine du chapeau, ce qui met en lutte sérieuse les deux
roses qui surmontent audacieusement celui-ci, pour la plus
grande gloire de l’art modiste en la vieille ville de Coi'beil.
Vous m excuserez de n’étre pas plus explicite et do
vous rappeler que je suis ici tout à votre disposition pour
vous guider a travei's le beau Palais dont le porche nous...
sollicite, déclare Gaëtan de Pilbouët en souriant et en invi-
tant du geste le gj-oupc expositionniste à pénétrer avec lui
dans le grand sanctuaire des Forêts, Chasses, Pèches et
Cueillettes du monde entier.
^ erduret s incline en signe d’acquiescement et, se pen-
chant vers sa nièce, demeurée muette à son bras pendant
cette petite scène, lui demande à mi-voix :
— Et toi, fillette, qu’est-cc que tu dis de tout cela?
12
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Oh ! moi, mon oncle, j’altemls pour parler...
— (J ne lu aies compris?
— Peut-èlre.
— Je craius, alors, que lu n'aies pas de longlemps l’oc-
casion (le le délier la langue !
— Oui sait? répond évasivement la jeune fille... qui
cache derrière son mouchoir un fin sourire.
Et Verduret, s'adressant, non sans une évidente défé-
rence, au jeune officier de vaisseau qui semble attendre son
bon vouloir :
— Monsieur le baron, puisque, par un incroyable, con-
cours de circonstances dont je renonce à percer le mystère,
vous daignez nous honorer de vos explications, nous sommes
tout oreilles.
§ Il
LE G É A N ï DE ROIS
— Mademoiselle, madame et messieurs, commence l'aris-
tocratique néo-conférencier, je réclame d’abord toute votre
indulgence.
— Oh !... proteste Verduret.
— Si. Les paroles que vous entendez depuis quelques
jours ajoutent à l’attrait constant des choses décrites des
envolées d'éloquence et des ingéniosités d’aperçus aux-
quelles ma modeste prose n’aura pas la témérité de pré-
tendre. Marin et soldat, je suis habitué au laconisme précis
des discours militaires. Du seul intérêt supérieur des choses
montrées découlera pour vous l’intérêt de mes sommaires
('xplications. Ainsi, pour ce Palais îles Forêts, Cbasses,
l*êches et Cueillettes, je vous dirai que je le considère
comme un des plus beaux de l’Exposition et un des jilus
« forts » au point do vue technique de la construction. Très
vaste, puisque sa façade sur la Seine se développe sur
une longueur de 183 mètres et que sa plus grande largeur
est exactement de 04"' 1 0, il n’en est pas dont le caractère
13
I.ES GRANDS PALMS DU ÜORD DK R KAl
arcliiLectural cadre mieux avec la nature de l'’cxposilion
couleiiue, et uù soient mieux utilisées les dil'ficultés d’un
terrain présentant deux cotes si dilVérentes (celle de la
berge, 29"’().'), et celle du quai, au-dessus ib' la plate-forme
en ciment armé qui couvre le chemin de fer des Mouli-
neaux, 3')"' 90).
l.K Palais diîs Fori'ts, Ciiassks, Pi'ciiks kt Culili.iîttks.
— Pardon, objecte Bècbard, mais la technicité de ces
chilfrcs n'est peut-être pas bien compréhensible... pour ma
femme et pour la nièce de mon ami...
— Par exemple ! se récrie Bertrande, ce ne serait pas la
peine d'avoir si bien écouté le prince Lanrentielf et le véné-
rable centenaire nous parlant des fondations du Pont
Alexandre et de la Tour Eitfcl, si je ne savais pas que la
14
A TRAVERS l’eXPOSITION
cote (run terrain est son élévation an-dessus dn niveau de
la mer, et que, par conséquent, la dillérence de ces deux
cotes citées par M. de Pilbouët, indique que le quai est ici
plus haut que la berge de G"’ 23 !
— Mademoiselle, vous avez des aptitudes mathématiques
dignes d’un « listot » de l'Pcole navale, dit en s’inclinant et
en souriant l'ancien élève dn Horda. Vous allez voir main-
tenant avec quelle habileté M. Troncliet...
— Tiens, interrompt M'”’’ Flore, il y a une rue de ce
nom-là !
— Voyons, biebette ! gronde l’époux farinicr en fronçant
ses noirs et broussailleux sourcils.
— Madame, dit l’officier avec le plus beau sérieux,
j’ignore si M. Guillaume Tronchet, à qui l’Exposition doit,
avec ce Palais des Forêts, Chasses et Pèches, celui de la
Navigation de commerce, une partie excellemment réussie
de la plate-forme coiffant la ligne des Moulineanx et, au
pied du Trocadéro, le vaste et coquet restaurant de la Belle
Meunière — vous voyez qu’il n’y a pas de belles meunières
qu’à Essonnes ! — j’ignore, dis-je, si M. Guillaume Tronchet
est le moins du monde allié à la famille du célèhrc juris-
consulte qui prépara les éléments de la plaidoirie de ]\la-
lesherhes défendant Louis XVI devant la Convention et fut
un des principaux rédacteurs du Code Napoléon et sénateur
de l'Empire; mais je puis vous affirmer qu’il est impossible
de confondre l’éminent architecte avec son proéminent
homonyme ; celui-ci est mort à Paris, sa ville natale, en
KSÜG, tandis que le premier est né à Villenenve-sur-Lot le
22 octobre 18G8.
— Itein ? calcule Bêchard, l’auteur de ces Palais n’aurait
que trente-deux ans.
— Trente et un, s’il vous plaît, jusque vers la fermeture
de l’Exposition.
— Ah ça ! M. Picard a donc pris tous ses collaborateurs
au maillot !
— Oh ! monsieur, vous n’aimez pas la jeunesse, à ce qu’il
paraît. Que voulez-vous, les organisateurs de cette superhe
Fête humaine ont eu la faiblesse, devant des diplômes et
des œuvres, d’oublier de consulter les actes de naissance...
Et il faut avouer que les états de service de M. Tronchet ne
r.Es grands palais nr hord de l eal
manquenl pas de quelque éclat artistique. Iteçu avec le
II” 3, à dix-huit ans, à l'hxole des Beaux-Arts, où il rade
bien vite plusieurs prix et médailles, il se voit diplômer par
le Gouvernemeut au bout de six ans d’études, en 1892, eu
même temps qu’il conquiert une mention liouorable au Salon ;
sacrer Second Grand-Prix de Borne en 1899; décerner, en
1895, une médaille de 3'' classe — pour son envoi au Salon
de « l 11 Edcn pour 19(10 d’une recherche moderne tr^s
appréciée — et la Bourse ministérielle de voyage qui lui
permet de parcourir l’Espagne, l’Italie, la Dalmatie et le
.Monténégro, d’on il rapporte de nombreuses études et aqua-
relles dont plusieurs sont achetées par l’Etat. A Cettigne il
est fait ollicior de Danilo P'', pour le monument élevé à'
gloire de la dynastie monténégrine qu’il est chargé par le
prince et sa fille, aujourd’hui princesse de Naples, de con-
struire sur le plus haut pic de cette ville-montagne. Je
passe ta série de ses succès dans les concours d’architectes
pour divers monuments à Paris et en province, et j’arrive
au concours de 1896 pour le projet d’ensemble de l’Expo-
sition ; il y obtient une d'' prime et devient aussitôt l’un des
quatre collaborateurs (1) directs de JM. Bouvard, directeur
du service de l’architecture, pour l’élaboration du plan
génénal. Chargé ensuite d’élever les Palais des Forêts et de
la Navigation de commerce, il n’en dirige pas moins,
comme attaché à la Direction des services d’architecture,
les travaux de clôture du territoire de l’Exposition et de
toutes les portes-guichets, moins deux, celles de la place de
la Concorde et des Champs-Elysées, qui sont, comme Bous-
castrol a dù vous le dire, l’œuvre de .M. Binet... Ecce hotnu !
C est superbe à son âge... .Mais que de travaux pour
un seul.
11 est juste de dire qu’il a été aidé dans son labeur
par un conirère de grand talent, M. Bey, architecte diplômé
du Gouvernement, et ensuite par ses dévoués inspecteurs au
premier rang desquels sont MM. Toussaint et Goujon.
— A la bonne heure!... Je médisais, aussi !...
— Avant de passera l’examen architectural d’ensemble.
(1) Les trois auti'cs sont MM. Eug. llénard, Louis .Sortais et Louis Var-
cüllier.
k;
A TRAVERS l’eXPOSITION
ce (lue nous ferons des que nous serons dans l’intérieur de
l’édifice, veuillez, je vous prie, jeter un coup d’œil d’ama-
teur sur cette belle porte monumentale, en forme de grande
niche, dont la liauteur est de 16 mètres avec une largeur
d’arc de \i mètres.
— Cela me semble, on elfct, d’une ligne...
— Très simple et très noble, avec son sujet de Pôcbe,
peint par ÎM. Auburtin, un des meilleurs élèves de Puvis de
Cbavannes et de Benjamin Constant. Cette voussure rap-
pelle les absides romaines en mosaïques. Ne dirait-on pas
une antique mosaïque d'or se détacbant sur le blanc de
l’ensemble de la façade, et cette note contrastée n’est-ello
pas du plus heureux etfet ?
— Ob ! monsieur le baron, fait en souriant Verduret,
votre laconisme militaire me semble tout à fait artis-
tique !
— Monsieur, quoi qu’en disent certains... qui ignorent
plus ou moins sincèrement, je u(( sache pas que l’épaulette
soit exclusive de la sensation du Beau et du sentiment de
l’Art. Ici, l’Art s’est fait symbolique au premier chef. Voyez,
de chaque côté de la porte, ces pylônes couronnés de tètes
d’animaux cynégéti([ues supportant un fronton triangulaire
faisant couronnement au-dessus de l’entrée principale, dont
le tympan représente une chasse au sanglier (14 mètres de
long sur d mètres de hauteur) d’un beau mouvement, fille
est duc, d’ailleurs, au maître sculpteur Baffier. Au milieu
de cette chasse est une fière statue personnifiant le Cénie de
ta Forêt, par M. Badin, et, dominant le tout, le groupe do
« Deux Cerfs à Tballali », de Gardet, mesurant 4 mètres de
haut sur 3"'u0 de large, fies deux groupes d’ « Animaux
combattant », que MM. Dagonetet Auban ont placé de chaque
côté de la porte, achèvent bien de dire aux yeux des visi-
teurs le titre même du Palais : Forêts, Chasse et Pèche!
— Très ingénieux, mais... il me paraît que la Chasse y
domine singulièrement ta Pêclie.
— Non, cher monsieur. Fonde n'a pas à jalouser ici les
« grands bois ». L’architecte a voulu qu ils fussent sur le
pied d'artistique égalité, comme le prouve te soubassement
entier du Palais, qui est entouré de stalactites et de pois-
sons.
18
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Oh ! mais, alors, ce pourrait bien être la Pèche qui,
maintenant, l'emporte.
— Pour rétablir l'équilibre, des tètes de cerfs surmontent
les pilastres séparant les baies et, pour le proclamer, deux
grandes statues placées aux extrémités du motif central
symbolisent, l'une la Chasse et l'autre la Poche.
— 11 n’y a rien à redire, et je me déclare battu.
— Entrons maintenant, si vous le voulez bien. Ici, ma-
demoiselle, madame et messieurs, nous sommes tout sim-
plement en présence d'un chef-d'œuvre de construction qui,
malheureusement, passe inaperçu pour trop de visiteurs
non prévenus et, d’ailleurs, tout occupés des milliers de
curieuses choses composant cette exposition si merveilleu-
sement complète.
— Et, ce chef-d’œuvre, c'est?...
— L’étonnante et suprêmement habile charpente de ce
Palais, qui est toute en bois apparent, laissant visibles les
moindres détails. Tout a été étudié dans ce but, comme
dans les salles du moyen âge, et, ici comme en Norvège, le
bois de France a été traité dans la manière décorative. Ces
innombrables pièces de bois que vous voyez, et dont Teifet
est si harmonieusement gracieux, ont été combinées, en
leur savant enchevêtrement, de façon si particulière, qu’au-
cune de ces pièces, fùt-cc la moindre, ne pourrait être en-
levée sans compromettre la solidité de l’édifice entiei'. C’est
vous dire qu'il n’en est pas une seule qui ait été mise dans
un but exclusivement décoratif, et que cet cd'et si réussi
réside dans le seul arrangement de la charpente utile. Cotte
particularité est une recherche d’originalité des plus cu-
rieuses et absolument unique à l’Exposition, où ce Palais
est le seul qui ait été construit de cette façon. Et il n’y a
pas, en cette charpente, que la recherche d'originalité et de
beauté, il y a aussi la solution élégamment obtenue d'un
audacieux problème de construction.
— Où cela et quel problème? demande Verduret — ce
qui fait faire la moue à son ami Bèchard. Qu’importent,
en effet, toutes les victoires scientifiques ou artistiques au
roide farinier, dont l'horizon n’a que trois points cardinaux :
un « quant à soi » féroce, l'industrie meunière et l’ambition
politicailleuse et parlementaire ?
LES nriANDS PALAIS DE liORD DE L EAU
19
— Pour vous l'indiquer, répond l’oflicicr de vaisseau de
réserve au nianuracturier retiré, il faut que, d’abord, vous
vous rendiez compte de la topographie du Palais. Celui-ci
comprend trois parties bien distinctes :
« 1" Le Hall d’Entrée, où nous sommes, formant un rec-
tangle de près de 69 mètres de longueur sur 22 mètres de
large, et construit au-dessus de la ligne des Moulineaux. 11
faut y ajouter une (j alerte de circtdalion à couvert, de même
longueur et de 11 mètres de largeur, construite sur le
chemin de fer de l’Exposition, communiquant avec le Hall
d’Entrée, qu'il longe du coté du Champ-de-Mars ;
« 2" Le (Iratid Hall, large de .91 '”80, dont la longueur,
égale à celle du Hall d’Entrée, est cependant portée à
69'”90, si l’on compte la rotonde entourée du vaste escalier
extérieur montant de la berge et qui, sur la même façade,
fait pendant à l’Entrée principale ;
« 9" Le Pc/// Hall, longue galerie de plus de 100 mètres
sur 25 mètres de large, s’étendant au bord de la Seine, à la
suite du Grand Hall. »
— Et le ])roblème résolu?
— M’y voici. Le Grand et le Petit Hall, étant sur la berge
du llcuve, sont en contre-bas de 6'” 90 par rapport au Hall
d’Entrée, appelé aussi Hall des Moulineaux. Pour passer de
ce dernier dans le Grand I lall de la berge, vous voyez que l’on
descend un bel escalier monumental — qui, entre paren-
thèses, est décoré d'une toile exquise de M. Johanson, pein-
tre officiel de la marine, et représentant avec une réalité en
même temps qu’une poésie intenses un départ de grandes
barques de pêche, au crépuscule. Eh bien, le problème de
construction dont je parle réside dans Parc intérieur en bois
séparant ces deux nefs ; il a une portée de 22 mètres, et
c’est la première fois que l’on tente, en charpente en bois, un
arc de pareille envergure. Vous remarquerez aussi, dans ce
Grand Hall, le joli effet de ces deux vastes étoiles formant
les deux points do réunion des immenses fermes du Hall.
Voilà pour l'œuvre architecturale qui est l’objet d’un véri-
table pèlerinage pour les chevaliers de l’équerre de tous les
pays, tant est vif l’intérêt qu’il offre à Leurs Compétences.
Passons à ce qui attire et retient ici le commun des mortels,
c’est-à-dire l’Exposition...
20
A travers l'exposition
— Après le conleiiant, le contenu.
— C’est cela môme. Ah ! je vous assure qu’il n’est pas un
seul petit coin de ce Palais qui ne captive la curiosité des
visiteurs. Les forêts ! la chasse ! la pêche ! quoi de plus
connu que ces mots et, pour la plupart des gens, surtout pour
des citadins qui sont ici en majorité, quoi de plus ignoré
que la complexe réalité de la chose ! Pour avoir vu, en pas-
sant, des bûcherons jouer de la cognée, sait-on les travaux
et les mystères sylvestres? Pour avoir, avec plus ou moins
de bonheur, suivi son chien au long des terres labourées,
ou assisté à une battue de plaine ou de bois, se doute-t-on
de ce que sont les grandes chasses des fauves ou les émo-
tionnantes poursuites du chamois ou du highorn, de pic en
pic, an long des précipices? Pour avoir paciliquement tendu
1 hameçon aux hôtes des rivières ou exceptionnellement
accompagné des ])êcheiirs allant faire leur marée à proxi-
mité de la côte, quelle idée inlime n’a-t-on pas des mnt-
liples procédés de guerre faite aux habitants des eaux, et sur-
tout de la [)opulation sous-marine elle-même? Ici, tout cela
révèle aux yeux attentifs ses secrets, merveilleusement mis
en valeur par le talent d’organisateur de M. Dauhrée, con-
seiller d'Etat, délégué du Ministère de l'Agricnlture pour
présider, de concert avec l'architecte, aux installations.
« Cette installation, dans le Hall d'Entrce ou des Mouli-
neaux est tout entière de M. Tronchet. Elle est consacrée
aux Eorêts nationales, dont un grand diorama — au cadre
rustique à souhait, avec ses groupes d'animaux, son bû-
che ron géant taillé dans nn colossal tronc d’arbre, les deux
huttes ouvrant la vue sur le site escarpé — montre un coin
de forêt avant et après le reboisement. »
— Quand on pense que la Gaule n’était, pour ainsi dire,
qu'une immense forêt et que nous en sommes à être obligés
do reboiser pour faire face aux besoins Industriels, cela
donne une idée de la vie intense et de l'elfrayante somme
de travail humain dont la terre féconde de notre patrie a été
depuis deux mille ans le théâtre et le témoin! songe tout
haut Verdurot.
— Cela prouve tout simplement que. l'on a eu besoin do
beaucoup de bois de chauffage et de construction, riposte le
très terre à terre et antiphilosophique Bêchard.
LKS GRANfJS PALAIS DL MORIJ UK L KAK
21
— Pour sûr, mon gros, approuve péremptoirement sa
moitié.
]/officier de vaisseau de réserve poursuit :
— Dans ce Hall d'Entrée, tout est consacré à nos bois
métropolitains et coloniaux de torèts : bois ouvrés, mer-
rains, bois de fente, de teinture, lièges, écorces textiles,
matières tannantes, odorantes, résineuses, boisselleric,
sabots, bouclions, elc. C’e't une complète leçon de choses
que tous les forestiers s’accordent à trouver supérieurement
présentée... Si vous voulez bien, maintenant, descendre
avec moi dans le Grand Hall de la berge, nous allons y
trouver, au rez-de-cbaussée, d’une part ce qui concerne le
« Matériel et les Procédés des Exjdoitations et Industries
forestières », et, d’autre part les « Engins, Instruments et
Produits de la pèche ». Voyez ces aquariums, ces collections
de poissons, de cétacés, de mollusques... Et les perles, le
corail, la nacre, les éponges, avec scènes de pèche, sans
oublier le Pavillon de l'ostréiculture. Avec un peu d’ima-
gination, ne se croirait-on pas, tantôt à bord des A'aillantes
barques travailleuses, liàlant leur chalut ou leur lignes, en
bondissant lourdement dans la houle sombre, tantôt dans
les profondeurs de l’abîme des eaux, parmi toute cette popu-
lation si diverse et si étrange '?
— .le vois en ell’et quantité de choses inconnues ou mal
connues de profanes tels que nous et qui auraient besoin de
nous êtres expliquées.
— Vous avez raison, monsieur Verduret. IMais, sous peine
de dépenser ici notre journée je ne pourrai que vous dire, en
passant, quelques mots bien insulTisants. Pour que vous
appréciiez pleinement cette partie de l'Exposition, il me
faudrait faire votre éducation maritime, vous raconter les
mœurs de ces mille espèces de poissons, les habitudes de
pèche qui varient non seulement avec chaque espèce de
poisson, mais avec chaque région de pèche, et cela, je dois
malheureusement y renoncer pour aujourd’hui. Evidem-
ment, des visiteurs à qui on pourrait, ici et partout, tout
expliquer en détail, quitteraient l’Exposition — au bout do
combien de mois? — possesseurs de l’omniscience, si tou-
tefois leur mémoire et leur culture intellectuelle permet-
taient qu’ils se souvinssent de tout et fussent capables de
22
A TRAVERS l’eXPOSITION
tout comprendre. Mais, c’est un rêve irréalisable, vous le
comprenez. Ici, par exemple, ce serait pendant bien des
heures que je pourrais vous parler, rien qu'à propos des
éponges, ou des perles, ou du corail, car il me faudrait
étudier avec vous : pour les premières, les limites incer-
taines où, au sein des eaux, finit le règne animal pour
faire place, au règne végétal ; pour les deuxiemes, la consti-
tution des mollnsques, la maladie qui provoque la riche
secrétion et les lieux et procédés de l'industrie perlière ;
pour les troisièmes, le travail des madrépores qui nous en-
trainerait à parler de ces iles remplies de vie terrestre (jui,
un jour, oscillent sur leur base et s’elToudrent dans l'Océan...
Tenez, devant cette morue en son bocal d’esprit-de-vin, ne
devrais-je pas, pour être complet, après vous avoir édifié
sur les mœurs de ce poisson et les crises politiques dont sa
capture a été et sera cause, vous dire, avec combien moins
de talent que mon célèbre « ancien », Pierre Loti, dans
Pécheurs d'Islande, Lhistoire de la vie mathurinc sur les
Bancs et les côtes mauvaises, les drames des doris per-
dues dans les brouillards... etc. ?
— Dommage que ce ne soit pas possible, ce serait bien
intéressant.
— Ce n'est impossible, monsieur Verduret, que pour la
première visite, comme celle que je vous fais faire aujour-
d'hui. L'Exposition une fois vue d'ensemble, c'est alors que
l'on devrait revenir sur le détail, avec un cicerone qui
serait un spécialiste, et apprendre tontes ces choses.
— Oui, je comprends.
— Donc, vous m’excuserez de passer rapidement, et de
vous dire tout de suite et d’en bas que le premier étage de
ce Grand Hall de la berge est consacre à la chasse — peaux,
plumes, cornes, ivoires, musc, etc.; et les armes, matériel,
équipement, sans oublier les cueillettes, champignons,
trutTes, racines, herboristerie, caoutchouc, gomme, etc...,
tout un monde, comme vous voyez... — Mais, passons au
long Petit Hall de la berge. Ici, ce sont, réunies par pays,
les torèts, chasses et pèches des nations étrangères, c'est-à-
dire comme nn groupement d'instantanés do la nature, en sa
dore sylvestre et en sa faune terrestre, Iluviale et maritime,
des régions qui nous intéressent le plus dans notre univers.
Li;S ClîANDS PALAIS Di; DORll DE l'eaI,
23
Lest la Russie, avec ses ours, ses loups, scs rennes... cl son
caviar frais que chacun peut goûter; c’est l'Amcrique avec
les fauves de la « Prairie » ; c est — e.vposition superbe —
1 Autriclie-llongrie, avec la faune si riche (cerfs, isards, etc.)
des montagnes du Tyrol; c’est... mais je ii’en finirais pas
et vous verrez tout cela en detail au cours d’une autre
visite... Ah! j’ouhliais de vous uoter, au premier étage du
(irand Hall, la collection si hautement intéressante des
armes de chasse de l’empereur de Russie... (Juand vous
reviendrez, ce no sera pas trop de consacrer une pleine
après-midi à ce Palais dont l'c.xposition est tout un monde.
— Je le vois.
hd ce Palais si vaste, si curieux, si réussi, est un de
ceux qui ont le moins coi'ité à élever : son budget n'a été
que de 7()(),0()(| francs. A propos de sa construction, un
lait a noter : aucun entrepreneur parisien n’a osé se charger
d exécuter la cliarpeute, la trouvant trop audacieuse, et
c est IM. Ihorel, entrepreneur à Louviers, qui, eu la réussis-
sant de main de maître, a fait quelque peu honte à la
pusillanimité industrielle de la capitale... Eh bien, mon-
sieur Rèchard, je vous vois plongé depuis un moment dans
de bien profondes réllexions ; vmus allez sans doute résumer
1 impression que vous cause, contenant et contenu, la belle
œuvre de M. Tronche! ?
— Oui, répond gravement le farinier. Je me dis, en elfct,
d après les chilires que vmus nous avez donnés, que ce
Palais... couvre une superlicie de 6,780 mètres carrés en-
viron.
— Ahl... c’est là l’impression que?... C’est un point de
vue, en ellet, mais... particulier...
— C’est le mien, monsieur.
Il en est des points de vues comme des couleurs...
Donc, mailemoiselle, madame et messieurs, je n’ai plus
qu à vous prier de vouloir bien me suivre au Palais d’en
lace, c est-à-dire de l’autre côté de la tète du pont d’iéna
sur cette même rive gauche.
— Et quel est-il ?
— C’est celui de
ri
m-
Peu de minutes sui’lisenl à îmlre groupe provincial pour
sortir du grand Palais de M. Ti-onc'mt et, traversant la place
ou déijouchc le pont d léna, venir b'arrèter devant l’enti'éc
principale de I autre Palais du meme architecte, consacré à
la Marine du commerce.
— Si vous le permettez, dit à ses auditeurs l’olïicier de
vaisseau, nous procéderons, pour ce Palais, diiréremment
que pour le précédent. Je vais, avant d’entrer, vous en
donner une idée générale et, pendant que nous visiterons
l’intérieur, je vous documenterai, moins sur ce que vous
aurez sous tes yeux que sur la marine marchande elle-
même, ce que je considère comme le seul moyen de rendre
réellement intéressante pour des profanes cette exposition
maritime.
— l*ourtant, objecte Bèchard, je jtense que ce qui est
exposé là-dedans ne fera pas autre chose, justement, que
de nous indiquer l’état de cette marine marchande?
— Evidemment. Seulement, le langage que les modèles,
engins et instruments exposés peuvent d’eux-mèmes parler
A 7RAVEHS l’e.IPOSITION. — T. .\V. — 2 5(1
26
A TRAVERS l’eXPOSITION
n'est complètement compréhensible que pour les gens de
mer, et ne l'est sulTisamment pour intéresser les autres qu’à
condition que ceux-ci aient au moins quelques notions spé-
ciales...
— Voyons, Bècliard, laissez M. le baron diriger notre
instruction comme il l'entend. Que diable, c est ici « sa
partie » et nous n’y connaissons rien !
Le l'arinier se redresse, en une peso digne, et M. de Pil-
bou(-t, sentant la menace d'une discussion imminente, se
hâte do commencer :
— Pour vous donner l'idée générale préliminaire du
l'alais et de son exhibition, je ne puis mieux faire — et ce
sci-a gagner du temps — que de vous lire le court chapitre
fort bien résumé qu'y consacre le Guide Contij. Je n’y ajou-
terai que quelques mots et quelques chilfres.
Ce mot » chilfre » produit son etfet habituel sur le fari-
nier, dont il flatte la marotte. 11 daigne se calmer aussitôt et
consent à écouter.
« — Ce Palais (de la Navigation de Commerce) mesure
(( 12.') mètres de longueur; il se compose de deux grands
« halls, l'un carré situé côté léna, l'autre rectangulaire qui
« se greffe sur le premier.
(( Autour de ces halls régnent des galeries de 6 mètres de
<( largeur, tandis qu'à leurs extrémités se trouvent deux
« escaliers extérieurs, dont l’un (côté lona) est couronné
« par une proue de vaisseau formant motif principal de
(( décoration »... Ici, tout de suite, je complète et rectifie la
description et les chilfres.
— Ah ! ah ! fait Bcchard subitement intéressé.
— Uum ! voilà qui flatte votre faible? fait en souriant le
marin.
— Dites mon « fort», car rien n'est plus fort que les
chiffres.
— Soyez donc heureux. D’abord, le hall côté léna a
dp’’70 de long, en y comprenant les deux galeries de (i'‘'77
perpendiculaires à la Seine. H a de large, en y com-
prenant les deux galeries de ()'’CjO parallèles au fleuve, à ous
voyez, par conséquent, qu’il n'est qu à peu près carré. Le.
Grand Hall rectangulaire qui lui fait suite a 80 mètres de
long sur de large, y compris les deux galeries Ion-
IJOS (iKAM33 PALAIS DL KORD DK l'eAU
27
gitudinalcs du premier étage, qui ont chacune S^uO de
largeur.
— Attendez! N’allez pas si vite!... Je calcule, s’écrie Bê-
chard.
Apres un moment de recueillement et de silence qu’il im-
pose du geste, il annonce :
— Cela fait, pour le Grand Hall, une superücie de 2,(i8tl
mètres carrés, et, pour l’autre hall, l,lü2 mètres carrés 50.
Donc...
— Attendez, à votre tour, pour totaliser. Du côte léna,
ainsi que je viens de vous le lire, il y a un escalier... qui
est en rotonde; Or, cette rotonde se compose d’une petite
partie rectangulaire de 4 mètres de long sur l.’l mètres de
large, sur laquelle se soude la partie demi-circulaire de
0'"5Ü do rayon. Cola fait, pour la rotonde — car je crains
que, tout calculateur que vous soyez, vous n’ayez quelque
peine à résoudre l’aire du demi-cercle- — 118 mètres carrés.
— Soit, au total, pour tout le Palais et en chiffre rond,
4,0Ü0 mètres carrés.
Parlait. Je continue ma lecture : « La façade sur la
« Seine comprend douze arcades dont le style rappelle l'art
« mauresque (arc pl-cin cintre).
« Dans tes tympans de ces arcs se trouvent les ornomen-
<■ tâtions en proues de vaisseaux dont les formes se déta-
« chont en silhouettes sur la façade. Trois arcatures les
« surmontent couronnées par un oculus. Cet oculus rappelle
« les hublots d un navire; il est en briques de verre et con-
<( stitue un foyer lumineux puissant, grâce à sa forme, qui
« imite celle des lentilles de phare.
« Les arcatures, groupées trois par trois, sont coupées par
« des pylônes couronnés par des mats de pavois. Le motif
« principal (façade Seine) se compose d’un grand arc dont
« ta décoration, divisée en cinq, symbolise les cinq parties
« du monde. A droite cl à gauche de cet arc, deux grands
« pylônes surmontés chacun d’une galère antique armée de
« rames et surmontée d’une Renommée ailée. Le motif le
« plus original de ce Palais est la proue de vaisseau de
« 1 escalier (côté léna). Une grande sirène, se détachant de
« la guibre du navire, souille dans une conque marine,
« tandis qu’au-dessus d elle une lanterne monumentale se
Pl.AN DU Pavillon de la Navigation de Co.mmehce.
(( dresse élégante vers le ciel, digne couronnement d'une
K telle composition. Cela rappelle un peu le gem’e des
<( oeuvres marines du Cuget. Ce motif se termine sur la
« façade par deux figui’es décoratives représentant Neptune
« et une Naïade. Des rames complètent cet ensemble, qui,
« avec l'escalier à jour, forme une extrémité de Calais vrai-
« ment très intéressante.
(< L’autre extrémité du Palais consiste en un motif de
« lanterne, sorte de tourelle de signaux surmontée d'un
« mât de pavillon. Le Palais do la Navigation a la particu-
<( larité de se trouver sur la berge et d'avoir, vers la Seine,
« une iaçade avec soubassement, tandis que, sur le quai, il
« n’y a qu’un seul étage.
« A 1 intérieur, tout est construit en bois apparent; le
« dôme se compose de quatre grands arcs en bois mou-
« liiré et d'une tonalité rappelant celle, des aménagements
« de yacbts. Au rez-de-chaussée, la navigation française
« occupe sous le dôme la place d'honneur; la classe dd
« (matériel de la navigation de commerce, dessins et mo-
« dèles de bâtiments, canots, appai’eils moteurs, yacbts et
embarcations de plaisance, navigation sous-marine, etc.);
« 1 Allemagne, les Ltats-Unis, la Russie et suidout l'Angle-
0 terre y sont représentés, fbirmi les objets exposés dans ce
« palais, il iaut signaler les canots insubmersibles de dilfé-
« rents modèles et les engins de sauvetage dont on se sert
» actuellement, admirables inventions des hommes pour
« essayer d arracher aux Ilots leurs trop nombreuses victi-
« mes. Tout est intéressant, d'ailleurs, comme tout ce qui
« se rattache aux choses de la mer.
« Au premier étage, aux galeries du bail rectangulaire,
« les expositions étrangères de l’Italie, de l’Angleterre, des
« Pays-Bas, de l’Autriche et de l’Espagne.
« 11 est intéressant de remarquer que la décoration de
« toute la façade est essentiellement maritime : des cor-
« dages, des ancres, des agrès s’y mélangent et s’y enla-
u cent d heureuse façon ». Voilà l’explication du guide...
— Pourquoi avez-vous souri en lisant certains passages.
— 11 faut m’excuser, monsieur Verduret. Un marin ne
peut lire une description de choses maritimes écrite par...
un terrien sans être souvent amusé par des impropriétés de
30
A TRAVERS l’eXPOSITTON
termes qui lui semblent bizarres. Mais, passons, puisque
c’est à des terriens que j'ai riionneur de m'adresser et à
qui, autant que je le pourrai, je m’appliquerai à parler en...
terrien.
— Pardon — fait Bccliard qui a écouté à peine ces der-
niers détails, pour lui peu intéressants, et s’est absorbé,
depuis un moment, dans une méditation... chillrée — par-
don, mais le total des dimensions que vous nous avez indi-
quées pour les deux halls et la rotonde ne donne que
119"' 30 et non 12.3 mètres.
— Voyez ma négligence : j'ai oublié de vous dire que
l’escalier de l’extrémité opposée à la rotonde s avance de
.3"' .30 hors du Palais.
— ■ Voyons, mon cher, dit Verduret impatienté, laissez-
nous un peu tranquille avec vos chilTres. Je suis sûr que
M. le haron a à nous entretenir de choses moins... terre à
terre.
— J’ai à vous dire, en ell'et, que pour le style architcc-
lural de ce palais nautique, M. Tronche! s’est inspiré du
style norvégien — la charpente apparente do l’intérieur va
en faire foi à vos yeux — et aussi de l’architecture de
Venise. 11 suffira pour vous en convaincre de contempler
l’œuvre de l’autre rive du tlcuve ou bien en passant à bord
d'un bateau parisien; vous verrez si ces ogives des fenêtres
se réllétant dans les ondes — prcs{|ue clarifiées maintenant
— do la Seine n’évoiiuent pas l'idée d’un passage en gon-
dole au long du (irand Canal... Et maintenant, ce que j’ai
à vous dire surtout, c’est le pénible état do
§ n
L A V A 1 L r. A N T E -M A E A H E
— Qu'est-ce que c’est que ça?
— Hélas ! c’est notre marine marchande. De la visite que
vous allez faire avec moi de l’exposition technique contenue
dans ce Palais, cette vérité douloureuse — au courant de
laquelle tous les Français devraient être, car de la con-
ndissancc naîlrail 1 inLorct, et de 1 intérêt de tous peut-être
le remi'de de cette visite, dis-je, 1 état de notre marine
ne ressort pas pur la simple comparaison.
Alors, cette exposition est mal comprise.
Non pas, monsieur Bècliard. Et vous allez en ju^cr.
Cette exposition porte : E Sur Irs ma/ièros premières el ma-
lériaitx spécialemenL appropriés à la constraclion el àl' arme-
ment des navires e! haleaux. Sous ce rapport, vous verrez
que nous no le cédons en rien aux autres nations et pour-
tant notre marine marchande n occupe qu'un pauvre rano"
bien loin derrière l'Angleterre et l’xVllemagne. ^
— Je ne m’explique pas...
— Attendez,' monsieur Bêcliard. Cette exposition porte :
lE' Sur l outillage spécial pour chantiers de constructions
navales et pour ateliers de construction de machines marines.
Or, notre outillage est parfait, s’il est reslreint, les chan-
tiers étant rares et construisant peu de coques à la fois; et
en ce qui concerne nos machines marines, je n'ai besoin
(]uc de nommer les générateurs « Belleville », les chau-
diiies a([ uatu hu 1 aires « du leinple » et les généi’alcurs
inexplosihies « Niclaussc > , qui sont installés à bord d'un
gland nombri' do navires tie guerre et de commei’ce de
toutes les marines européennes, annudeaines et asiatiques,
pour montrer qu à ce point de vue encore nous tenons la
tête, sous le rapport de la (|nalité de* nos ingénieurs méca-
niciens.
Eh mais, lait Verduret, ce n’est déjà pas si mal, cela!
^ Attendez ! Cette exposition porte : Il b' Sur les dessins et
modèles de liaùments el haleaux en tous genres usités jjour
les transjjorts marilimes et fluviaux, et les spécimens d'amé-
nagement de ces hatimenls el haleaux. Si j’avais le temps
et surtout si ce n’était m’engager sur un terrain où votre
ignorance de 1 art des constructions navales vous empêche-
rait de me suivre, je vous parlerais en détail des superbes
voiliers à cinq nifiLs de la maison Bordes, du peu qui reste
de robustes barques de pêche non désarmées par la concur-
rence des barques à vapeur — ràcleuses dévastatrices des
fonds marins — et des qualités marines de nos grands
paquebots, ainsi que do nos excellents canots el emhar-
calions de service, à voile, à vapeur et à avirons. Je n'ai
32
A TRAVERS l’eXPOSUTON
rien à dire des remorqueurs et loueurs dont les modèles et
dessins sont exposés, ne m’étant jamais occupé de naviga-
tion fluviale, dans la métropole, du moins. INlais vous verrez
qu’en ce qui concerne les appareils moteurs des navires et
bateaux et leurs accessoires (générateurs, bouilleurs, éva-
porateurs, récupérateurs, liltres pour eaux alimentaires,
machines motrices, appareils do condensation, propulseurs,
machines auxiliaires, pompes, régulateurs du mouvement,
indicateurs du sens de la marche et de la vitesse, compteurs
détours, dispositions contre l'incendie, etc., etc. ), que pour
rarmement (treuils, palans, chaînes, ancres, aussières, gre-
lins, etc.; appareils cà gouverner, transmetteurs d’ordres,
mécanismes pour la manœuvre des voiles; leux de posiUon,
de signaux; distillateurs, appareils d'éclairage, de chaufl'age,
d’aérage, de venfilation ; ceux pour la production et l’em-
ploi de l'électricité à bord; appareils l'rigoriliques ; instru-
ments de précision et d'horlogerie marins ; pavillons et
signaux; mobilier spécial, etc.), nous n avons à nous guidci
sur personne. Je ne vous dis rien maintenant de la navi-
gation de plaisance, qui a exposé les modèles de quelques-
uns de ses racers, ainsi (pic des embarcations absolument
supérieures oi'i les trop rares Parisiens amateurs de sport
nautique vont occuper leurs loisirs a manier très finement
la barre et l'écoute ; nous en causerons tout à l'heure, à
propos de son « Port » sur la Seine. J ajouterai seulement
cfue notre matériel de sauvetage (bateaux, porte-amarres,
lignes, va-et-vient, lilagc de 1 huile a la mer, etc., etc.) est
de tout premier ordre et le prouve par le nombre de maiins
et de navires sauvetés chaque année par les postes semés
le long de nos côtes. J’ajouterai encore que nos marins du
commerce — que je connais bien, puisqu ils ont tous fait
leur (( service à l’Etat » — ne sont en rien inlcrieurs pio-
l'essionnellement aux fils d’Albion et leur sont pour beau-
coup supérieurs en qualités morales...
— iMais alors, encore une fois, je ne comprends pas, avec
tant de perfections de toutes sortes, le ton apitoyé que vous
avez pris en parlant de notre marine marchande ?
— Comment ne m’apitoyerais-je pas sur elle, monsieur
Hôchard, lorsque, avec tout ce qu il faut pour vivre, a\ec
toute sa vaillance, elle est malade au point que les cœuis
I-ES ghands palais du iiord dp [/pal
33
l'rançais se serrenl en consLatant l’ellroyalile rapidité de sa
niarclie vers l’ancantissemont relatif?
— A quoi voyez-vous cola ?
Ilelas! a ce simple fait que, si vous vous trouvez, au
moment du plein, sur la jetée d’un de nos grands ports de
commerce, sur dix navires qui entreront, il y en aura six
anglais, deux de nations diverses et tout juste deux français.
Ce sont les marines étrangères, surtout la marine anglaise.
A TRAVERS l’exposition
ai
qui nous apportent le fret d’importation et remportent pres-
que seules nos produits d’exportation.
— Et que font donc nos navires?
Ils disparaissent peu à peu, ne pouvant lutter contre
la concurrence.
— Mais, pourquoi ?
— Je vais vous expliquer : nos matières premières de
construction sont excellentes, mais chères; chère est aussi
la main-d’œuvre chez nous. En sorte, qu’un armateur qui
commande un navire à nos chantiers — qui travaillent très
bien, mais lentement, ne pouvant entretenir un nombreux
personnel pour do rares commandes — attend son navire
bien plus longtemps et le paye beaucoup plus cher que s’il
le fait faire sur un chantier anglais. Il s’ensuit que, pour
récupérer l’intérêt de son capital et en obtenir l’amortis-
sement, il est forcé de majorer le prix de la tonne de fret,
et que le commerçant, trouvant infiniment plus d’avantage
à faire transporter ses marchandises par des navires anglais,
s’adresse .à eux.
11 n’v a donc pas moyen de compenser cette concur-
rence?
— L’Etat, monsieur Verduret, alloue des primes à la
construction qui ramènent le prix d’un navire a un taux
pas trop supérieur à celui des chantiers anglais... ou alle-
mands. Mais, reste la durée du travail, qui se chiflre par
une perte d’intérêt du capital immobilisé, et reste aussi
l’excédent de frais provenant des exigences de solde de
l'équipage. Car, cher monsieur, nous nous trouvons en pré-
sence de cette anomalie bizarre : dix mille inscrits mari-
times français naviguent sur des hiitiments anglais, parce
qu’ils ont refusé de naviguer sous pavillon tricolore aux
prix que leur offraient les capitaines. Eh bien ! ces marins
— qui, en cas de guerre avec l’Angleterre, seraient dix mille
prisonniers tout trouvés — acceptent sur les navires anglais
une solde inférieure à celle qu’ils ont refusée de nos capi-
laines.
— C’est absurde !
— Les revendications ouvrières ne sont pas toujours mar-
quées au sceau du plus pur bon sens, vous devez vous on
être plus d'une fois aperçu au cours de votre carrière de
mamifacliirier. Toujours est-il que, on dépit de primes in-
suilisantes et qui, armateur et constructeur chercliant à
toujours tirer à soi la couverture, se trouvent aller ((ucl-
quefois à l’encontre du but proposé, notre marine marchande,
plus chargée de ti’ais — que j'appellerai d'exploitation —
que SOS concurrentes, continue à péricliter et marche vers
une disparition totale.
-Mais, à ce compte-là, que doit-on dire, dans le monde,
de voir do moins en moins le pavillon français sur les mers ?
— Rien de lavorahle à notre pays, évidemment. Et croyez
bien que le prestige que donne à l’Angleterre la vue de son
pavillon sur tous les points du globe produit un effet moral
(jui est pour beaucoup dans son omnipotence sur tant de
terres de notre planète.
Sapristi, il faut a tout prix empocher notre marine
marchande de disparaître ainsi ! C’est capital, cela! 11 n'y
a donc pas un moyen ?
— Si, monsieur Vorduret, il en est un qui eût été depuis
longtemps mis en œuvre si nos représentants, au lieu de
laire de la misérable politique d’intérét électoral, se don-
naient la peine d'éclairer leur ignorance et de faire de la
grande politique française.
— Que faut-il donc faire?
Donner à la hrance la flotte militaire Nécessaire et cela,
en vingt ou vingt-deux mois au plus, ce qui n’a rien d’uto-
pique, vous pouvez en croire un marin. Je vous en dirai un
mot quand nous serons à « l’Armée de mer ».
— Pardon, objecte Bèchard, mais vous sortez de la ques-
tion. 11 ne s’agit pas de la Hotte de guerre, mais de la ma-
rine marchande.
Celle-ci serait sauvée par ce grand effort militaire. La
plus grande cause de son mal est, je viens de vous le dire,
dans la cherté et la durée des constructions. Or, pour nous
donner en moins de deux ans tous les navires dont notre
marine militaire a besoin pour pouvoir parler haut quand
1 Angletej re crie, 1 I^tat serait forcé de confier la plus lourde
part de la tâche à l’industrie. Nos grands chantiers pren-
draient, du fait, un immédiat développement en matériel et
en personnel qui, la commande de l’Etat achevée, leur per-
mettrait de construire vite, beaucoup et à bien meilleur
3(i A TRAVERS l’exposition
marché pour les armateurs. Ceux-ci, dès lors, trouvant eiirm
l’emploi rémunérateur de leurs capitaux tout eu abaissant
le prix du fret de façon à entrer en concurrence avec les
GRAMI MO ril' IIKCORATIK DU l*AVll,l-ON DF, 1, \ MaRINF, ALI.EMANDE.
marines britannique et allemande, inomleraient les dits
chantiers de commandes, et la marine marchande, cette
pépinière indispensable du personnel de la Hotte, ainsi
IJ’S (iRANDS PALAIS DT lifIRD DK I, KAK
37
régénérée, montrerait de nouveau le pavillon tricolore à coté
du //r//.' d'Alldon dans tous les ports du monde. Hélas ! qui
donc pourra faire comprendre cette élémentaire véi'ité anx
maîtres actuels de notre bourse? 11 faudrait qu’elle ])éné-
Iràt le [lays et que l’opinion publique l’imposât... Mais ces
questions maritimes sont si étrangères aux Français de la
terre que je n’ose l’espérer... du moins avant qu’il soit trop
tard, c'est-à-dire avant que notre voisine insulaire, qui sait
le danger économique, au point de vue anglais, d’une
grande marine marcbande française, n’ait atteint son but
qui est de détruire au plus vite notre puissance navale
actuellement trop faible etd’empècher pour longtemps, par
contre-coup, le relèvement de notre Hotte de commerce.
— (le serait là un i-emède qui conterait cher !
— A peine plus d’un demi-milliard, s'il est a|)pliqué
avec énergie, rapidité et compétence. Mais, le diable, c'est
que, pour pi'escrire le remède et assurer son exacte applica-
tion, au lien d'un bon médecin sachant ce qu’il fait et le
voulant fermement, nous avons deux aréopages de docteurs
consultants qui ignorent le premier mot de la nature du mal,
de la complexion du malaile et qui sont, surtout en ce cas
particulier, au coui’ant de l'art qu’ils ont mission de prati-
quer autant qu'un cocher de tiacre que l'on ferait descendre
de son siî'ge pour le charger de conduire incontinent b'
rapide de Faris-llordeanx ! Dans des questions si graves et
si complexes où les amiraux, après s’être longinmient con-
sultés, éprouvent des hésitations, c’est un avoué du Midi,
joint à un viticulteur du Centre et à un drapier du Nord qui
décident souverainement : ne connaissant rien à ce qu'on
leur demande, ils décident le moins qu'ils peuvent pour
que leurs électeurs ne puissent les accuser de s’ètn' trop
engagés.
— Ibirdon, monsieur: la Chambre et le Sénat sont com-
posés d’hommes sages et pondérés qui...
M. de Pilbouët coupe la parole au pontiliant farinier et,
s’adressant à \"erdurct :
— Tenez, la preuve matérielle que le régime des assem-
blées aussi nombreuses que souveraines et des gouverne-
ments aussi durables que les brises folles et incertaines de
l'été est néfaste à une œuvre comme celle dont je parle,
A travers l exposition
.S8
cette preuve est à quelques pas de nous. Derrière le Palais
de la Navigation de commerce, voyez-vous ce phare?
— Là où on voit extérieurement, comme décorations
enluminées, des marins, dos bateaux, des cordages, des
ancres ?...
— Oui. C'est le
§ ni
P A V I L I. O N A N N E X E D E L A AI A RIXE AELE AI A N D E
— On ne pourra pas dire, à son sujet, que le Pavillon
trompe sur la marchaudise! s'écrie rondement l’oncle de
Bertrande qui, tout en s’intéressant vivement aux sérieuses
explications de l’aristocratique cicerone, ne laisse pas que
de regretter un peu les boutades du joyeux Bouscastrol et les
aperçus souvent piquants du centenaire.
Et il ajoute :
— Un phare, voilà qui est marin, ou je ne m’y connais
pas! .le m’étonne que iM. Tronchet, pour compléter l'orne-
mentation symbolique, proues, hublots, mâts de signaux,
avirons, etc., de son Palais de la Navigation de commerce,
n’ait pas eu l'idée, qui vraiment s’imposait, d’élever un
phare à la place de son dôme qui est on ne peut moins ma-
ritime.
— Aussi, l’a-t-il eue, cette idée, cher monsieur.
— Et il y a renoncé?
— Par politesse internationale. Le phare que comportait
son plan primitif eût masqué celui de M. Georges Thielen
et. comme à titre de Français, il était chez lui, il a eu la
délicatesse de se gêner pour ne pas déranger le projet de
l’architecte hambourgeois, notre hôte. Le Pavillon de la ma-
rine allemande, haut de 40 mètres, construit par M. Thie-
len, est une reproduction du phare de Rothesand, situé à l'ein-
houchure du Wéser... extérieurement, du moins, car les
trois étages de l’intérieur rappellent les vieilles habitations
des côtes de la Baltique.
î'
LES flRA^■DS PALAIS DU MORD DE l’eaL
3!)
— C’est absolu que c'est un vrai phare : il n’y a pas que la
tour; il y a bel cl bien une lanterne... réelle ou imitée, car,
à rCxposition on ne sait jamais.
— Toutee qu’il ya de plus réelle, monsieur Verduret. Elle
est munie d’un puissant loyer électrique qui lui permet, sinon
d’éclairer la route de navires absents, du moins de jouer
brillamment son rôle dans les féeriques illuminations noc-
turnes de celte grandiose fête du génie humain. xV l’inté-
rieur, ce qui appelle immédiatement les regards, c’est un
motif décoratif central de proportions géantes ; le dieu
1 hor soulenatil le Monde par son souffle. Cette gigantesque
composition de statuaire, exécutée par M. Bommer sur un
dessin de M. \\ enk, a été érigée dans ce Pavillon à la de-
mande expresse des exposants allemands... C’est l’ivresse
de la « grandeur », et cela porte, sans contredit, sur le pu-
blic cosmopolite. Dans le même ordre d’idées, une très re-
marquable (étant colossale pour un modèle) coupe du vapeur
« Deutscbland », de la Compagnie llambourgeoise-Améri-
caine. Ce qui est autrement instructif et... inquiétant,
quoique, a première vue, cela ressemble à un grand joujou,
c’est « la Hotte en miniature de la Compagnie “Norddeut-
schen Lloyd” ». Ouel elfrayant développement a pris depuis
quelques dix ans la (lotte allemande (les grands courriers
des mers. Les transatlantiques teutons viennent drainer
jusque dans nos ports les voyageurs et les marchandises
pour 1 Amérique. Dr„ la Hotte de commerce en général a
suivi une progression parallèle, prenant sur les océans, en
concurrence avec l’Angleterre, la place que de plus en plus
nous abandonnons... Et savez-vous pourquoi cette prospérité
croissante chez eux en regard de la non moins croissante
décadence chez nous?... Tout simplement parce que dans cet
emiiire fédéral où le parlementarisme n’existe que comme
garantie pour les royaumes annexés et comme régulateur
de la machine gouvernementale, il existe une volonté qui
est une et souveraine, et dont le but ne peut-être que la
grandeur de l'Empire dont dépend la puissance de l’Empe-
reur. Cette volonté, dont l’absence fait la faiblesse de notre
régime politique pour le bien du pays, est constamment
tendue — la force sur terre ayant atteint son maximum d’in-
tensité — ■ vers le développement maritime, militaire comme
■ -s'
i A
Cf
i.-o fi
i'
m
40
A TRAVERS l’eXPOSITION
commercial. Tant que nous n’aurons pas, chez nous, une
volonté similaire, res[)onsahle vis-à-vis de la Nation seule,
contre-balançant la souveraineté d'assemblées de fait irres-
I.E PaVII.I.ON de I.A MaHINE MAliCMANTlE Al.l.EMANHE.
ponsables et que dominent trop les calculs électoraux, l'eltort
marin militaire entraînant le réveil de l’industrie do la
construction navale pratique ne sera pas tait; tandis que
les Fasboda et le préjudiciable effacement dans les grandes
LIvS C.RANDS PARAIS DP liOliD DR I, EAU
41
crises loinlaincs, comme celle de Chine, se répclci'onl à
notre grande Immiliation, notre marine de commerce achè-
vera de descendre an rang de celles des petits états.
— Oh! fait ironiquement le farinier, réserve et espoir ,
d'nne future législature, je vois — ce qui était indiqué —
que monsieur le baron est réactionnaire !
— Monsieur, répond en souriant l’oflicier de vaisseau, un
militaire, même rendu partiellement à la vie civile, sc doit
de se tenir en dehors de toute politique intérieure. Il n’en
a que plus d’indépendance et de clairvoyance pour juger
des grands intérêts techniques et vitaux du pays. Je n'ai
fait que traduire la leçon de choses que nous donne, au
point de vue de la navigation de commerce, l’exemple alle-
mand fourni par cette Exposition.
— Cardon! Vous touchez à l'arche sainte de la représen-
tation nationale!
— J'indique simplement, preuve à l’appui, la nécessilé
])Our notre relèvement maritime, d’une volonté unique et
[lolitiquement forte, agissant avec une continuité d'effort et
avec line compétence technique personnelle ou acquise de
conseillers qualifiés. Je ne m’inquiète pas du nom, du titre
ni de l'habit de cette Volonté nécessaire — cela serait de la
politique. Je constate un fait, un mal, un remède et, si je
m'émeus, c'est qu’il est vraiment désolant do voir un pays
0(1 bouillonnent tant do forces vives user stérilement son
énergie et l'or né de son travail, sans que son laborieux ef-
fort, mal utilisé, l’élève dans le monde à la place qu’il mé-
rite et qui doit être... et fut sienne !.. . Mais voilà qu’entraîné
par le grave intérêt d'un tel sujet, je m’écarte du laconisme
dont je me suis fait une loi. Excusez-moi et, pour compen-
ser le temps que je me suis laissé aller à vous prendre, tra-
versons, sans nous arrêter, ce Palais de la Navigation du
commerce que maintenant vous visiterez à loisir et, j’espère,
avec le ferme propos de répandre autour do vous, une fois
rentrés en vos pénates, la vérité qu’il faut que chacun
sache concernant le triste état de notre marine marchande
et l'elfort d’oi'i doit naître sa renaissance.
Tandis que le groupe traverse longitudinalement le Palais,
tout en jetant de droite et de gauche des regards intéressés,
l’ofticier cicerone lui apprend :
42
A TRAVERS l'eXPOSITION
— H y a encore, voisines de celle de la marine allemande,
d’Hutres annexes étrangères d'où vous pourrez, par compa-
raison, tirer de sérieux enseignements. Telles sont, par
exemple, le Pavillon où la Peninsular and Orienal Coni-
pani/ montre orgueilleusement de beaux modèles de sa
Hotte de grands paquebots ; puis, l’annexe des Etats-Unis,
très curieuse avec, en dehors des modèles de navires
exposés, son service postal où Thnmour yankee va jusqu’à
nous montrer, au nombre des colis postaux tombés en rebut,
une oreille humaine ! A remarquer aussi le courrier indi-
gène conduisant, l’hiver, son traîneau attelé de trois chiens
et... le mail coach ayant servi au président Garfield. Dans
l’intérieur du Palais de la Navigation, la section américaine
fuit une large part au Yachting, en exposant les modèles
des yachts qui ont conquis — et jusqu’ici toujours gardé —
sur l'Angleterre la fameuse « Coupe de l’América ». Vous
verrez tout cela à votre temps. Sortons du Palais par la
porte opposée au côté léna et saluons...
— (Ju'cst-ce que c'est que cet immense dôme de fer?
— C'est, messieurs, la vaste coupole du Creusot, autre-
ment dit ;
CHAPITRE 111
LE PAVILLON SCHNEIDER
hv: DUEL DU CANO?.’ ET DE LA C ü I li A S S E
— üli! ah ! noire grande usine mélalhirgique de France !
— Oni, nionsienr Verdnret. Vous pouvez même vous
hasarder à dire /a prinuirre du luoiide — où elle n'a que
deux concurrenles, la maison Krupp, en Allemagne, et la
maison Armstrong, on Angleterre. Je la crois la première
au point de vue du chilTre d'allaii’cs, mais sans oser l’affir-
mer, n’ayant jamais songé à m'en informer; mais elle l’est
certainement sous le rapport des succès scientifiques.
— Ft sur quoi portent ces succès?
— Principalement sur les canons système Canot et sur les
plaques défensives de nos cuirassés... Ce sont, du moins,
les succès auxquels je Tue suis le plus directement intéressé,
en qualité de marin.
— C est donc cela. Je m’explique maintenant pourquoi
cette énorme calotte métallique s’élève entre les Palais des
Armées de Terre et do I\Ier et de la Navigation, malgré son
I aspect que je tz’ouve bien disparate.
— Vous voyez qu’elle touche presque au Palais où trô-
nent les marines do guerre, et c'est, en elfet, sa vraie place.
Le Creusot n’est-il pas le grand fournisseur des armes
I détensives de la Hotte militaire française, et olfensives et
défensives de presque toutes les autres. Les bouches à
A TRAVERS l’exposition
l'eu système Schiicider-Canet ont été livrées à la llussic, au
Danemark, à la Suède, à la Norvège, à la Grèce, aux Etats-
Unis, au Portugal, au Japon, au Chili, au Brésil, au Mexi-
que, à r Uruguay, à Haiti, au Maroc, à la Bulgarie, à
la Serbie, à l’Espagne^ à la Bépublique Argentine, au
Transvaal, on vous savez si les Anglais ont eu à s'en plain-
dre, à la Chine où, malheureusement pour les Européens,
elles ne sont pas assez mal servies. Quant aux cuirasses...
Mais je vous eu parlerai tout à l'heure. 11 faut, d'abord, que
je vous dise quelques mots du Pavillon lui-même. Comme
vous voyez, il se compose d'un dùme surmonté d'un cam-
panile, tous deux métalliques.
— Ce n’est jias du simili-métal, comme sont en simili-
pierre les murs des palais et pavillons de l’Exposition '?
— Vous le demandez, quand il s’agit du Creusot !
— Alors, reprend Verduret, si tout cela est en vrai lcr,
cela doit peser le diable.
— J’avoue n’avoir aucune indication sur ce que [)cut bien
peser Messire Belzébuth ; mais il n’en est pas de môme pour
ce pavillon-coupole. Le dôme de 43 mètres de diamètre,
formé par trente-quatre demi-fermes mesurant 27 mètres de
la base au sommet, plus le campanile qui a 12 mètres de
diamètre et dont le faite s’élève à 40 mètres au-dessus du
niveau de la berge de la Seine, représentent un poids de
400 tonnes ou 400,000 kilogrammes. De plus, la charpente
repose sur un plancher métallique recouvrant la tranchée
du chemin de fer des Moulineaux et pesant environ
300 tonnes.
— Bigre ! Voilà un pavillon que le vent n’emportera
pas !... Donc, dans cette coupole grossière, sont exposés des
canons et des cuirasses de navires ?
— Dans cette l’ougc carapace hérissée de canons — et
dont la coupole tournant sur pivot qui la surmonte donne
une idée do la disposition adoptée en fortilication perma-
nente en vue de donner aux grosses pièces tout I horizon
pour champ de tir — la colossale maison Schneider n expose
pas qu’à litre de fonderie de canons. Elle montre les pro-
duits de ses houillères, de ses aciéries, de ses forges, de ses
ateliers de construction et d’électricité. C’est ainsi que vous
y verrez une locomotive à vapeur do grande vitesse, sys-
vaux de lorce, etc... lîln ce qui concerne le matériel iraitil-
Icrie, les pièces les plus intéressantes à étudier sont pour
les artilleurs, un canon tie 75 millimètres.
— llcin ! fait i\l">“ Flore qui écoute, par hasai'd. Un canon
ième Thuile; une machine motrice du cuirassé Kh'-her. un
des trois moins forts des onze cuirassés à 21 mends de
vitesse actuellement sur chantier, machine de 17,1(10 che-
l.E Pavillon Sciineideh.
A TRAVERS L EXPOSITION
4 G
(le 7 centimètres et demi ! C’est donc im joujou pour les
enfants ?
— Un redoutable joujou, madame, en tout cas, fait en
riant l’officier de vaisseau. Votre bien excusable méprise
vient de ce que je n’ai pas dit : 75 millimètres de calibre^
c’est-à-dire de diamètre intérieur. Ce canon est monté sur
affût de campagne à frein hydropneumatique.
— Oh! oh! le frein dont il a été tant question, s’écrie
Verduret.
— Pour les marins, continue le technicien cicerone sans
paraître avoir entendu la remarque du manufacturier retiré,
il y a là des obusiers de bord de 15 et 34 centimètres; un
canon de 24 centimètres en tourelle barbette et un très
curieux canon double à tir rapide, de 15 centimètres et de
45 calibres sur affût double...
— Pas si vite, réclame Bèchard... Vous nous parlez d’un
canon qui aurait 15 centimètres de calibre et, en môme
temps 45 calibres... Voyons, c’est l’iin ou l’autre, 15 ou 45 !
— C’est bien 15 centimètres de calibre, avec une lon-
gueur de 45 calibres, c’est-à-dire de 45 fois 15 centimètres
ou G"‘73.
— Âh ! bien ! Mais vous avez des façons à vous, messieurs
les marins de rendre incompréhensibles les choses les plus
simples. Et, après cela, vous allez vous plaindre de ce que
les députés finissent, on désespoir de cause, par voter sans
comprendre... C’est de votre faute ! Vous devriez...
— Pardon si je vous interromps, mon cher Bèchard,
mais, tout à l’heure, en énumérant les nombreux pays qui
se fournissent de canons de marine du système Schneider-
Canet, M. le baron nous a nommé plusieurs Etats qui ne
sont pas le moins du monde maritimes. Que peuvent-ils
faire de ces pièces.
— S’en servir à terre, comme l’ont fait ces braves Boers
avec un si... éclatant succès, car ces canons sont étudiés en
vue d’etre utilisés à terre aussi bien qu’à bord. Je n’entre-
prendrai pas de vous expliquer en détail ces canons Schnei-
der-Canet; je deviendrais forcément trop technique pour
que vous puissiez me suivre. Je vous dirai seulement qu’ils
sont en acier forgé, trempé à l’huile et recuit, et que le
le tube de pièce est renforcé d’un ou deux rangs de frettes.
r,ES (IRAXDS PALAIS DP BflRD DE l’eAU
47
Uuant à la valeur (le ces armes, il me suffira de vous citer
l’exemple d’essais faits dès 1892 avec le lü centimètres de
80 calibres à tir rapide, et qui ont donné jusqu’à 1,020 mè-
tres de vitesse initiale, ce qui permet une tension de la tra-
jectoire entraînant une merveilleuse justesse de tir.
— Ça doit percer le diable!
Monsieur Verdurct, je vous assure de nouveau que
nous laissons bien tranquille Sa Majesté le Iloi des Enfers.
Ce n est pas lui, mais bien une cuirasse en fer forgé que
nous offrons aux coups à bout portant pour juger de la force
de pénétnition de nos pièces. Or, pour nous rendre compte
de la puissance de cette artillerie, je vous indiquerai que le
Scbneider-Canct de 30 centimètres et de 43 calibres perce
I 1 0 de cette cuirasse.
— C'est effrayant !
— C est pourtant moins que le 303 millimètres modèle
1893 de la londerie de Ruelle — qui, vous le savez, fabrique
les canons de la flotte — lequel perce l'‘'20 de cuirasse, avec
820 mètres de vitesse initiale.
— Brrr... donne chaud ! Mais alors, il n'y a plus de
cuirasse qui tienne devant de pareilles pénétrations.
Détrompez-vous. L’arme offensive progressant s’est
heurtée c est le cas de le dire — aux progrès de l'arme
défensive.
— Je serais curieux de savoir...
— Ce que vous me demandez, c’est de vous faire l’histo-
rique du tameux duel du « canon et de la cuirasse». Ce
sciait un peu long, mais je vais essayer de vous le
résumer en quelques phrases. En 1834, l’ingénieur fran-
çais Dupuy do Lôme imagina le premier de protéger à l’aide
de plaques enfer les lianes des navires de guerre à hauteur
de la flottaison, et le Creusot fabriqua des blindages pour
des batteries flottantes et la fameuse frégate cuirassée la
Gloire, que 12 centimètres de fer rendait invulnérable aux
canons de l’époque. L'artillerie se perfectionnant, il fallut
augmienter progressivement l’épaisseur de la cuirasse, qui
finissiiit par devenir désespérément lourde. En 187(),
MM. Schneider ont les premiers l’idée d’obvier à ce grave
inconvénient en remplaçant le fer par l’acier. Les Anglais se
contentent de plaques mixtes ou compound — acier coulé
48
A TRAVERS l’eXPOSITION
sur du i'er. — Inutile de dire que, partout triomphe l'acier
du Creusot, acier doux d’abord, puis, pour riposter aux
nouveaux progrès du canon, acier de plus en plus dur. Mais
bientôt l’acier pnr, si durci qu’il soit, devient insuffisant.
Alors, MM. Schneider — toujours en tète — inventent en
189fi, l’acier-nickel (auquel les usines de Saint-Chamond
ont ajouté du chrome) qui donne de merveilleux résul- ;
tais de résistance à la pénétration et a la rupture. Mais
voici qu’entrent en scène les obus à explosifs puissants, et .
il faut arriver non seulement à empêcher les fentes de la .
plaque, mais à briser le projectile par le durcissement île
la surface de cette plaque de blindage. C est la période •
actuelle dos blindages cémentés. Tamlis qu en Amérique,
Harvey invente le durcissement à l'aide d’un cément solide,
MM. Schneider triomphent encore en trouvant le moyen de
régler la cémentation à l’aide du gaz d’éclairage et obtien- -
lient, pour la surface d’impact, une trempe si merveilleuse ■
(pie les plus puissants projectiles s’y brisent comme verre.
Cette méthode est universellement adoptée. 4 oila où nous
en sommes. Attendons de part et d autre les progiès de ;
l'avenir.
— Et... les étrangers?
Après les cuirasses françaises du Creusot, puis celles
de Marrel, de Saint-Chamond, etc. — qui sont classées les
premières du monde entier — viennent les cuirasses an-
"laises de Brown, do Vickers, de Commell ; les cuirasses
allemandes de Krupp ; les américaines de Cornegie, de
Bethlchem et enfin les nouvelles cuirasses italiennes de
Terni.
Cet acier-nickel cémenté est donc de beaucoup plus
résistant que le fer ?
Jugez-en, monsieur Verduret : déjà, une plaque en
acier au nickel et chrome de 10 centimètres remplaçait une
plaque de fer de 15 centimètres 1/2; aujourd’hui, une plaque
en acier au nickel cémenté, également de 10 centimètres,
remplace une plaque de fer de près de 21 centimètres d’é-;
])aisseur... Mais ce sont là des aperçus bien techniques.
Voulez-vous que nous nous en reposions et changions le
thème de notre conversation en allant faire un tour au
”'ara“'e crée au <■< Port Debilly >>, auticment dit .
(’JiAPrniE IV
LE PÜHT DE LA NAMGATlON DE PLAISANCE
LE VACIIÏING
— Et, dit Bèchard, on le prenez-vous, ce port? Je ne le
vois pas.
— Juste en face de la coupole Schneider, de l’autre côté
de la Seine. Voyez-vous cette estacade — qui, d’ici, il est
vrai, se confond presque avec la rive opposée — et que
délimitent a 1 œil deux mats de pavois gréés chacun au
centre d un des deux musoirs qui en forment les extré-
milés? Eh bien, le port est compris entre la rive droite et
cette estacade.
Parhleu, c est assez visible, rien qu’à l’aspect des mâts
et des cheminées qui émergent de l’autre coté! proteste
maintenant le farinier grincheux. Seulement, il faudra que
vous nous en parliez de loin, car vous ne voudriez pas, pour
une visite présentant un si faible intérêt, pour un homme
sérieux, que celle d’une flottille de canotage, nous imposer,
par le pont d léna, une course de quelque six cents mètres!
— Je suis pour cela trop ménager de votre temps et de la
fatigue pour ces dames. Nous nous y rendrons, cependant,
et le plus commodément du monde.
A TRAVERS l’e.\PùSITION. — T. XV. — 3
ÜO
50
A TRAVERS L EXPOSITIOÎS
— Pas on iilanzane, je suppose?
Vous oubliez que j’ai une embarcation a ma ilisposi-
tion, et vous allez voir que mon mouchoir balancé un mo-
ment à bout de bras suffira pour la faire venir à nos pieds.
— Pas toute seule, je présume? demande Verdurct en
clignant finement dePœil.
— J’ai trop de respect pour mes auditeurs pour le pré-
tendre. Il n’en est pas moins vrai que vous allez la voir
venir tout à l’heure accoster à quai sans que vous puissiez
découvrir personne a son bord.
— C’est la gondole du mystère, décidément! s’écrie joyeu-
sement l’oncle de Bertrande.
C’est peut-être mieux, riposte sérieusement 1 ollicier
de vaisseau.
— Et quoi donc?
— L’embarcation idéale du vingtième siècle, monsieur!...
Mais, en attendant que notre véhicule nautique se rende a
mon appel, laissez-moi relever l'expression de « canotage
sans intérêt » dont M. Bèchard vient de quahner la Naviga-
tion de plaisance. Oui, notre ijciclüliui — pour employer
l’expression sportive britannique à laijuclle tiennent nos
amateurs marins, quoique le mot yacht ne soit pas du tout
d’origine anglaise — oui, dis-je, notre yachting est issu de ce
« canotage » de rivière qui, jadis, par scs allures grotesques,
s’est justement couvert de ridicule (1). Ce canotage a la
voile fit son apparition on Seine en 1822 et ne commença a
se développer qu’en 1838... Mais dans quelles conditions.
C’est aloi's que surgit le type du « llambart » qui hélas, ré-
gna vingt ans.
— Le Llambart? - i r
— C’est-à-dire le canotier terrible, dont je cède à la fan-
taisie de vous dessiner une des silhouettes aul lient iquci,.
Vers 1856, il y avait à Poitiers un homme d’âge sérieux et
d’occupalions plutôt graves, qui acceptait sans sourire le
titre d’ « amiral de Poitiers », parce qu’il était le promoteur
du canotage en cette ville. Lh bien, pour se rendre à son
(1) Historiquement, la Navigation de plaisance remonte aux Komams
ainsi que l’on pourra en trouver la preuve dans un article documente
publié par la Nouvelle llevuo (livraison du 1" septembre 18J-, page lb7).
r.i-;s (WîANü.s PAi.Ais Dr liouu I'E l eai:
I
ol
I hurd^ où l’aUendait un équipage d’amateurs vêtus en marins
d’opéra-comique, cet Jiomme, sérieux dans le cours habiluel
do sa vie, arborait un babil brodé et couvert d’aiguillettes,
une large ceinture où pendaient bacbe d’abordage, pistolets
et poignard damasquiné. A peine sur le pont de son bateau,
ilemboLicbait le porte-voix et, d’une voix de stentor, avec
des poses de lorban irrité, commandait l’appareillage. Dès
que les voiles commençaient à parler, et afin sans doute d’im-
pressionner les populations « terriennes », il mugissait dans
son instrument : « Feu tribord ! feu bâbord ! ! feu partout ! ! ! »
en s’adressant à deux domestiques qui, déguisés en marins-
canonniers, une niècbc allumée à la main, mettaient le
leu à deux pauvres petits canons-joujoux arrimés sur l’a-
vaiit.
— Pantins! prononce Bécbard avec mépris.
Ces sottises, approuve l’officier-cicerone, ont permis
jadis à un apologiste du canotage d’écrire — sans rire!
cette burlesque (lélinition ; « La cabine disposée à bord des
voiliers sert au patron pour y déposer son porte-voix, sa
bacbe d’abordage, tous les objets enfin dont il peut avoir
besoin dans sa promenade.
!.. est du dernier boutton!... Je ne comprends pas que,
dans une Ivxposition consacrée a ce que 1 industrie et... le
reste ont de pins génial, on admette de jiareilles pitreries !
— Voyons, ne vous indignez pas si fort, monsieur Bè-
cbard, et laissez-moi vous faire remarquer que ces enfan-
tillages momentanés ont cessé depuis quelque quarante
ans, c est-à-dire depuis que de l’œuf carnavalesque du cano-
tage flambart est sortie la Navigation de plaisance, élégante,
distinguée, savante, vaillante et utile.
— A quoi, je vous le demande?
Et vous laites bien, car je vais vmus répondre. Sacbez
il abord ce qu est devenu le yachting français. Au lieu des
quelques flambards du milieu du siècle, nous avons l.tiÛO
propriétaires de yacbts qui ont <à l’eau, sous voiles ou sous
liression, 1.98.3 vapeurs, goélettes, yawls, ketebs, côtres ou
sloops, bouaris ou latins, et embarcations diverses, repré-
sentant ensemble 38.190 tonneaux de jauge totale.
« Ces marins amateurs, cultivant la voile ou la navigation
à vapeur, se sont organisées en quatre-vingt-dix sociétés.
A TRAVERS l’eXPOSITION
52
dont la grande, 1’ « Union des Yachts français », a pour pré-
sident M. le vice-amiral Duperré ; pour vice-présidents:
MM. le baron Arthur de Rothschild, le comte Alain de Gué-
hriant, Henri Ménier, Demay, le contre-amiral Conrrejolles,
celui qui commande en ce moment dans les mers de Chine.
M. Bèchard trouve-t-il encore trop peu sérieuse pour figurer
dans cette Exposition une marine de plaisance qui compte
des amiraux à sa tête et nombre d anciens officiers de vais-
seau parmi ses membres ? »
— Je ne pouvais pas me douter...
— Alors, pour uu homme de votre gravité, avouez que
c’est bien de la légèreté de ne pas vous être informé avant
de porter un aussi méprisant jugement. D’ailleurs, le
Yachting n’est pas la seule institution qui soulTre en son dé-
veloppement d’ètre ignoré dn peuple souverain et de ses
maîtres. Mais, pardon ; pas de digression inutile. Ce yachting,
que M. Bèchard ne juge déjà plus autant méprisable, doit
pour une bonne part son importance actuelle à deux modestes
fervents de la navigation de plaisance qui dirigent en
apôtres, avec autant de dévouement que de conscience et
de prudence, le journal le Yacht, une des publications ma-
ritimes les plus prisées et qui est le parfait moniteur du
grand sport nautique. Ce vaillant journal compte aujourd’hui
vingt-deux années d’existence; cela reporte ses débuts —
difficiles comme ceux de tous les organes spéciaux à public
restreint — à une époque oii le sport do la voile était à peine
connu et n'était encore pratiqué que par une sélection bien
clairsemée d’amateurs. Il peut être fier aujourd hui de ses
larges progrès qui sont le critérium du développement du
Yachting français auquel il a laborieusement travaillé.
— Tout cela ne dit pas rutilité de...
— J’y arrive et vais vous le dire a bord de notre gondole
qui vient — toute seule — accoster le quai, et dans la
« chambre » de laquelle je vous prie de vouloir bien prendre
place... Nous voici installés. Nous allons traverser très dou-
cement le neuve, ce qui me donnera le temps d’éclairer
votre religion au sujet de 1 intérêt important que présente
la Navigation de plaisance pour notre... marine nationale.
— Oh ! proteste ironiquement le farinier.
— Cet intérêt porte sur deux points : le personnel et le
lÆS r.RANDS PALAIS DL MOUD DE l’eaU
sSi ==îtir.i i-i:
embamuomLTTo”^ G'» moins et, par conséquent laisse sans
en b uqnement de nombreux marins. Ceux-ci se sont reietés
miein ‘^1'^'® les barques à vapeur avec
quelques liommes, pouvant traîner le chalut sans avoir I.p-
soin d attendre le vent, font à elles seules le travail de cinn
ou SIX voiliers, smon plus ; d où disparition progressifs
en S™ 7 '“'■>1 ‘l“'« les
l "": f''"P "'“‘■'‘'S cesseraieiil Jonc Je s'enlre^
mer si â'il-., l'I.alntude do la
les Inédon lÎVr'“'*‘'f "î‘™ .VlelHing, les Cllcïccii.v,
es (uKdon, les Snhuque, les Unillcmot, le UinJicelli elc
tiavaillant sans cesse au perfeclionnemcnl des l'orn eî nom’
O en,.. Iapl,.sg,.„.„,e vilesse sans nnice à la s a II é' ’
. , os t ir rr’ '
tonnages. ,1 le.,l .-esle d trata’ill': dts iTtl'sts't;!::
ittSL” ifeT tet' at- râ d:,:!'" "t'-
créèr'^'^'^f ®i''«»\-yachtsmen. Celte émnîationf
plusS^nhm ^ amateurs tendent de
ils achètent beS à vapeur que, malheureusement,
à cet faid en Angleterre, nos chantiers olfrant,
cet Cç,aid les memes infériorités pratiques qu’ils mon
de cbf*" "" construction de la marine marchande. Cet état
ai di luf f T que je vmus
yacbtinc eTsi commerce. L’intérêt dn
jacliUng est si évident que tous les gouvernements d’états
■na... lunes s'.ngénient à le favorise,- d“e tout let "tod.
A TRAVERS l’eXPOSITION
;r;“.rs;'K:5;ir;s^^^
précisément tlans le camp socialiste. ,
"S's.- .t, tien vil., romcic.. ae vais^u,.
évite une virulente riposte du grand citoyen en s éci c ^
\ttention, je vous prie, mesdames et messieurs, voie
II
paris P O R ï DE 11 E R
Fil ' mais, s’étonne Verduret, il est bien plus grand
„a7i .« ce povt! Qua.ul oa n’y est pas, cela a a
,„„.ue .Ie7i0 a,a.aee - e.actc^enl etS
fditlrbergr'sriaqueUe'a'éieeeal le l'alaie .ta Armées
le lmTé el de mer el le l'aville-'-eecapeee >lu Cre, so 1 e
non a donc sensiblement la forme d nn Irape/e doi^^
lieux bases seraient légèrement incurvées, et il a je il
cela pour M. licchard — une superficie d environ / 1- arcs,
-^rois quarts d'hectare, c’est une surface, proclame
suMisante (le géométrie élémentaire... n'a [m calculer.
Celte Ghtacade que nous longeons à petite vitesse on
reirruL ir"'""'* '*
eux files de pieux en sapin rond de 0-30 de diamètre
espaces de métrés daxe en axe. avec une dislàÛcè de
- mèhes entie chaque Ole, supportant un plancher de 3-30
de largeur. Chaque file de pieux porte une lisse de o-arde
corps lormant parapet à 0-90 au-dessus de la cote du
plancher. La tenue de l’ensemble est assurée par des moises
cehant es p.eux de cln.que file, par d’autres ^missant dlux
l ' P'"'’ contre-fiches
n madriers. Chaque extrémité de l’estacade est terminée
par un musoir de 3 mètres de rayon.
— Cous appelez musoir ces deux plates-formes circiihiirptc
au centre desquelles un màt est planté arhorTnt d
Ions de_ toutes les couleurs ? '
C est cela môme, monsieur C’erduret.
— C est que vous employez un tas de termes techniaues
qui, pour des prolaiies tels que nous
p.'e^e,
>nni. ^ ri . ‘ ingénieur en chef des
onts et Chaussées (et auteur, avec M. Alhy, du Pont
exandre III), et Lion, ingénieur des dits Ponts et Clrius
se^el dn-ecleucle la iXavigalion. Si qucli,™ te .n es 1
cllarpente ileja vous rein, lent, je crois que jt ferai l> e n I-
renoncer à vous parler du très intéressant Vavail evéedi
pai CCS messieurs pour refaire les (00 mètres du Port l)i-
1 lly. .lo,jt une moitié forme le mur du fond de ce gilraeo
Je tous d.rai seulement, grosso modo, que les trois sections
le ce mur lime centrale de .(3 mètres de développement et
“s "‘ràmm'r S' 20r„.è
tte.'-i r civeraine du trapèze que représente le
o.t de phusance), ont été construites à sec, Lee à un
jataideau (sorte de barricade provisoire contre^les eaux)
Cl mur de.) mètres de hauteur et presque vertical (u’avint
s“élm:::::'t"l1a"’ “-‘-"‘-r- clipire^r
s Cioi liant do la verticale que de cette quantité) est con
» r.nl sur des fondations faites de qnatre Lgs de pieùv cm
lonces a refus, coillès de cliapeaux (madi-icrs) dcl3«.3ë de
Construction des Quais.
LES (IRAN’DS PAT, MS DT linHD DE i/eaE
long sur0'"2i d épaisseur, lesquels supportent un planclier
a joints croisés de Ü'M3 d’épaisseur. C’est sur cette i-obuste
assise en chêne et pitchpin qu’a été élevé en maçonnerie de
moe lons hruts de Souppes et meulière ordinaire de la
. Haute-Seine, hourdie en mortier de chaux hydraulique et
sahie, le massif du mur de d-iO à la hase, contre lequel
1. . . . , - - - . V. uulilit; lequel
glissent maintenant les ondes du lleuve Séquana. Je n’in-
iisle. nn<2 cnp In ^ A.. • . ..
. . - i^vruuclUcl. Je 11 111-
siste pas sur le parement d(‘ pierre rejointé au ciment de
ùitland a raison de GÜÜ kilogrammes par mètre euhe de
sahie kimise, ni sur la hanquette qui couronne l’ouivre
— Je croîs que vous ferez bien, déclare Verdurct, qui, à
lorce d attention... vaine, commence à avoir mal aux mé-
ninges.
Oui, pour ces dames, rectifie le vaniteux farinier
— Donc, je reviens au Port de plaisance. Vous voyez qu’à
son intention le mur est illustré de fi échelles, 27 honcles
amarre et ;)2 champignons d’amarrage en fonte, les yachts
comme tous les bateaux, ayant besoin pour demeurer en
paix de fixer deux mains de chanvre ou de fil de fer sur un
point solide du sol.
Ils poui raient mouiller sur leurs ancres?
— Oui, dans le milieu du port où la profondeur est d'en-
viron h mètres et ~ ‘
(le
mi. Près du quai et de l'estacade, ils
mur est bien plus siir et commode de mettre deux amarres
les 3 oü d eau que ’on trouve à Paccore de la berge étant
suffisants piDur le plus grand nombre. Pourtant le.s yachts
de course a la voile, même les petits, devront s’éloigner du
hoid parce que, bulh-qmd pour la plupart — c’est-à-dire
étant armes d une immense fausse quille ou aileron métal-
lique au bas duquel est fixé un lourd cigare de plomb -
ils ont du «pied en mer» de façon exagérée. Vous vous en
rendrez compte en visitant l'Exposition du Yachting au Pa-
ais de la iNavigation de commerce, dans la rotonde d’entrée
(|ue nous n avons fait que traverser rapidement. Quand ie
dis que les plus grands yachts devront s’amarrer à l’esta-
cade ou mouiller à proximité, j’entends parler de ceux qui
peuvent remonter jusqu’à Paris. ^
— Hem, fait Bêchard en sursautant, vous ne voulez nas
dire, je pense, qu’il y a de ces petits bateaux d’amateurs qui
' I .
■ ! I:
A TRAVERS l’eXPOSITION
'* O
;)o
seraient trop importants ponr naviguer sur la Seine? 11 y ou
aurait donc, selon vous, de plus grands que... les bateaux
omnibus? . r
11 y a, cher monsieur, de ces « petits bateaux u ama-
teur » qiii jaugent 1 .550 tonneaux, comme la goélette à va- .
peur à 2 hélices Atmah, appartenant à M. le baron Edmond
de Rothschild. Comme l’énoncé de ce sérieux tonnage est
sans signification pour vous, voici les dimensions de ce joli
navire
longueur, l)d"M)0; bau ou plus grande largeur au
maître-couple, 10"’40; creux de la quille au pont, b'''oü; en-
fin ce yacht a n'” 10 de tirant d’eau, ce qm veut dire que e
dessous de sa quille est à cette profondeur au-dessous de la
surface de l'eau. Or, en été, un bateau qui cale 3 métrés au-
rait de sérieuses difficultés à franchir certains endroits peu
profonds du tleuve pour le remonter jusqu ici; a plus torte
raison est-ce impossible à Atmah qui cale 2'" 10 de plus .
En elfet, c’est Rà un beau navire, dit Verdiiret pensif.
Mais c’est sans doute le plus grand yacht.
— De la Hotte de plaisance française, oui ; quoique d autres
le suivent d’assez près comme Valhalla, trois-mâts à vapeur
de 1.490 tonneaux, à M. le comte Boni de Castcllane, long
de 73 mètres, large de 11'" 3o et creux de 0"'30; comme, en-
core Princesse-Aiicr, la goélette à vapeur de 1.2 /0 tonneaux,
S.’ A. S. le prince de. Monaco ( longueur 08"’40, largeur
10"’ 33 creux 6'" 10); comme le trois-mâts vapeur auxiliaire
— c’est-à-dire allant à la voile et à vapeur — de 973 ton-
neaux, Rarr/m/i/c, à M. Henri Ménier... ^ ^
— Celui qui s’est rendu propriétaire d’une île en Ame-
a
riqne'
De l’île Anticosti, à l’embouchure du Saint-Laurent,
une dépendance, géographique de Terre-Neuve, longue de
près de trois degrés et large de un degré, lui-memc, mon-
sieur Verdnrct. . x o
— Nous avons encore d’autres yachts importants .
— A foison. Tels Eros, de 820 tonneaux, an baron Arthur
de Rothschild; Alaroussia, de 812 tonneaux, à M. le baron
de la Grange; Vel/eda, de 615 tonneaux, à M. le De-
cazes; Chaza/ie, de 604 tonneaux, à M. le comte de Ual-
mas, etc., etc. Puis, dans un autre ordre d’idées, nous avons
les yachts qui sont surtout intéressants en raison de la per-
sonnahto de leur propriétaire, tel Pourquoi-Pas, la jolie
goeletto de 120 tonneaux, à.M, J. -B. Charcnt; la goélette à
vapeur Saqitta, de 503 tonneaux, àM. Maurice Ephrussi- la
goelette a vapeur de 571 tonneaux, cà M. Albert
Icnier, etc., etc., jusqu'au petit vapeur de i tonneaux, Gri-
soUchs, appartenant au grand pêclieur à la ligne, notre ex-
cellent tragédien Sylvain.
— Si nous possédons en France de pareils navires de plai-
sance, _que doit-cc être en Angleterre et en Amérique?
— Evidemment, ces deux pays nous sont supérieurs au
point de vue du yachting en général, supériorité d’ensemble
avec laquelle n’ont rien à voir les plus ou moins grandes
dimensions de quelques yachts qui ne prouvent., que la
lortune de leurs propriétaires. Il n’en est pas moins typique
de constater que si le plus grand yacht du monde — en
dehors des yachts impériaux ou royaux qui sont hors ,1e
~ au richissime
Américain M. Vanderhilt - et. après lui, Lqsistra^a, de
2.0S2 tonneaux, a M. Gordon Bennett - le plus grand na-
vire de plaisance anglais est Eriu, h Sir Thomas Lipton
qui ne jaup que l.'2'i-2 tonneaux, c’est-cà-dire moins que
es yachts du baron Ed. de Bothschild, du comte Boni de
Faste liane et du prince de Monaco. Albion, qui détenait le
record du tonnage, n arrive donc plus qu’en troisième, ce
qui ne 1 empecdie pas de posséder le premier yachting du
monde comme les premières flottes militaire et marchande
ni de , étenir notre « Coupe de France >, qu’a vainemeni
cl le de lui reprendre patriotiquement le comte Boni de
^ tonneaux, Anna, construit
I ci. 1 architecte naval, M.Maur. Le plus grand yacht autri-
L^BnirS tonneaux, au hcaron iAathaniel,
® tienne... Mais, voilà bien longtemps que
imp navigation de plaisance. Pendant
que notre gondole mystérieuse nous reconduit vers la rive
gauche avez-vous quelque dernière observation à me faire
— Eue seule, monsieur le baron : c’est l’étonnement
puisque nous en possédons tant, do voir ici relativement si’
peu de bateaux d amateurs.
— C’est que, vraiment, le séjour de l’Exposition manque
AtMAH ” AU BARON EdMOND DE ROTIISCHII.D.
resqiic et intime de sélecte réunion, des fêtes adroitement
composées pour eux, le contact fréquent de leur Giand
Maître l'amiral président et des membres du Bureau, du Con-
seil et des Commissions techniques de 1 « Union », le tout
dans un décor vraiment marin que permettait cette estacadc
et qui eût pu leur donner comme l’illusion d’être dans un
port, je crois qu'ils fussent venus en grand nombre, se don-
nant rendez-vous de tous les points du littoral pour se rece-
voir gaiement sur leurs bords réciproques et passer une
PO A TRAVERS l'EXPOSITION
pour eux d’attraits qui compensent le long voyage de la re-
montée de la Seine. Je connais MM. les yachtsmen et, si
j’avais été consulté sur la conception de ce port à eux ré-
servé, je me serais appliqué, pour les attirer, à en faire un
centre d’attraction maritimement mondain. Si cette, esta-
cade, développée un peu en largeur, eût été organisée en
casino nautique de 1’ « Union des \acbts Irançais », oii les
élégants amateurs marins eussent trouvé un centre pitto-
LES r. R AN’ ns PALAIS DI
quinzaine cordiale et charnianto tout en permettant à l’ccil
dn public de caresser une élégante (lotillc sans cesse renou-
velée, et d’assister chaque jour à des arrivées et à des appa-
reillages qui eussent donné un attrait tout particulier à ce
coin de la Seine... .Mais notre traversée dn tleuve s’est faite
grande allure et nous voici rendus au pied de la grande et
jiasserelle qui, à la liauteu
’extrémité ouest du
« Vieux l’aris » réunit les deux rives. Débarquons,
prie, étalions rendre visite au superbe
vous
CHAPITRE V
PALAIS DES ARMÉES DE TERRE ET DE MER
ET DE L’HAD}IÈNE
§ C
U N 13 X F A X T E K X T L A li 0 H I E F X
Tandis que VerJuret aide complaisament iM"'“ Flore à
débarquer — le farinier, par un reste de rancune à l'égard
de la gondole pourtant assagie, s’étant hiUé de mettre
pied à terre le premier — l’officier de vaisseau de réserve
od're galamment la main à Bertrande et, prévenant un léger
mouvement d’hésitafion de la jeune fille :
— Vous pouvez, mademoiselle, dit-il à mi-voix, accepter
sans crainte l’appui de ma main qui est celle d’un ami à
vous tout dévoué... bien longtemps avant d’avoir eu le
plaisir de faire votre connaissance.
La jeune fille sourit et... rougit, mais s'appuie franche-
ment sur le bras du marin. Celui-ci, aussitôt, s’adressant au
groupe de ses auditeurs :
— Je regrette que cette gondole — dont vous voyez que
je ne suis pas plus le conducteur sous mes apparences
réelles que sons l’avatar d’inexpert marinier — nous ait
reconduit sur la rive gauche. J’aurais voulu vous faire
arriver au Palais des Armées de Terre et de Mer par la pas-
serelle qui la relie à l’entrée Ouest du «Vieux Paris »
Nous en serons quittes, si vous le voulez bien, pour nous
6i
A TRAVERS l’eXPOSITION
rendre tout de suite sur cette passerelle, et en vous priant
de ne pas vous retourner pour ne pas escompter l’effet
que vous ressentirez, j’en suis convaincu, à la vue de face
du donjon central. Je n’ose pas vous proposer de vous bander
les yeux, et pourtant j'en aurais presque envie.
— Précaution inutile, monsieur le baron. Nous ue céde-
rons pas plus a la curiosité que vous excitez en nous que si
nous pouvions craindre qu'elle ne fût punie comme celle de
la femme de Loth ou de la femme d’Euée.
Uuand le groupe, observant religieusement la consigne, a
fait une vingtaine de pas sur la passerelle, son ciceroiie
commande :
— Demi-tour, maintenant, s’il vous plaît, et regardez !
— (Jue c est beau ! s écrie Bertrande. II n’est pas une
entrée monumentale de palais de l’Exposition, même ceux
des Champs-Elysées, qui procure une semblable impression
de grandeur et de sévère et prenante beauté !
— iVlagnifique et imposant, ce donjon, approuve Ver-
durret... Et si fier qu’il soit, il n’enlève rien au bel aspect
moyenâgeux de l'ensemble du Palais... Ah ! c’est là, certes,
un bien beau morceau d’architecture !
Oui, mademoiselle, oui, monsieur, vous avez tous deux
pleinement raison et je suis heureux de voir avec quelle
rapidité et quelle sûreté de goût vous comprenez. Ce donjon
de large envolée avec sa tribune, son trifarium, sa majes-
teuse décoration toute neuve d’idées et qui lui donne
l’aspect d’un immense arc de triomphe élevé à la gloire de
nos belles armées du passé et de notre si profondément
chère armée nationale du présent ; ce donjon qui, avec ses
deux escaliers à la décoration magnifique descendant ma-
gistralement vers la berge, cause à tout cœur français une
émotion forte et saine, est une inspiration d’art puissante
et, je n hésite pas à le dire, plus que supérieure.
C est vrai, dit Bertrande d une voix un peu tremblante,
on sent ici comme un souflle impressionnant de génie.
Dont, ajoute Verduret, l’honneur revient, la part faite
à ceux qui ont conçu l’œuvre, à cette Armée et à celte
Marine capables, par la seule évocation morale du drapeau
et du pavillon, d élever ainsi au-dessus d’clles-mèmes les
âmes des fils de Erance.
l’OItCllE DU l’AI.AlS DES All.MÉES DE TEIIKE ET DE .MER.
— M. Dobiecki?
— Est l'inspecteur des deux jeunes artistes qui se sont
montrés maîtres pour le coup d’essai qu’est ce vaste temple
des Armées. Homme d’expérience autant qu’aimable, archi-
tecte d’un goût mûri, praticien zélé et dévoué, il leur a
apporté nue. collaboration de tous les instants, mettant sans
réserve à leur service sa large part de connaissances acqui-
ses. En m’amenant à cette place où je viens de vous conduire
66
A TRAVERS l’exposition
pour jouir tlu captivant coup d'œil de l'œuvre, M. Dobiecki
m’expliquait, non sans une fine pointe d’esprit que souli-
gnait 1 intonation dont je regrette d’être trop mal disant pour
vous rendre ta jolie fantaisie :
» Cette exposition des Armées ne ressemble en rien à
celle du Ministère de la Guerre en 1889. Alors, la France
uft'tcielle montrait au public son artillerie, ses poudres et
tout son attirail militaire, tandis qu’en 1900 elle a cédé la
place à 1 Industrie — qui travaille avec un si bel entrain à
créer pour la patrie des outils et des moyens perfectionnés
de défense — ainsi qu’aux Nations étrangères. Mais, par-
lons tout d’abord des architectes et des incroyables tribula-
tions par eux subies avant de pouvoir donner un corps
à ce fils superbe de leur ardente et patriotique imagination.
Ces architectes sont MM. Auburtin et Umbdenstock dans
1 oi’dre alphabétique, et MM. Umbdenstock et Auburtin en
respectant leur rang d’ancienneté comme habitants de notre
planète. Comme leurs parts de collaboration se pénètreiit
avec une égalité absolument fraternelle, je préfère les nom-
mer par rang d’ancienneté, militairement, ainsi qu’il con-
vient pour les auteurs de ce palais guerrier.
« M. Gustave Umbdenstock, architecte diplômé par le
( rüuvernement, est né à Colmar en 1866. Alsacien, il a opté
pour la France. Elève de M. Guadet à l’Ecole des Beaux-
Arts où il a conquis nombre de récompenses, notamment le
prix (lodebeut en 1895. 11 est deuxieme Grand-Prix de Home
de 1896. Architecte-expert près le Tribunal civil de la
Seine, il a emporté au concours la construction du monu-
ment élevé, à Turckheim, à la mémoire de Grad, le grand
patriote alsacien, a exécuté différents travaux privés à Paris
et en province et... est officier d’Académie.
'< (Juant à M. .Marcel Auburtin, en changeant le nom du
maître (Pascal au lieu de Guadet i et en rajeunissant un peu
toutes les dates, sa carrière et scs succès sont si semblables
a ceux de son aîné ( prix Rougevin en 1895, deuxième Grand
Prix de Rome en 1898), qu’il semble lui avoir emboîté le pas
aussi exactement que les bons troupiers, dans la marche
par le liane, emboîtent celui de leur chef de lile. Pourtant,
un signe distinctif rarissime chez un artiste déjà aussi
<1 arrivé » ; il peut encore deux fois entrer en loge pour dé-
[.ES (IHAMJS PALAIS DU JiOHD UE L EAU
67
crocherle Premier Grand-Pri.x de Rome et, n’ayez pas peur,
c'est pour ses futurs concurrents et non pour lui que l’on
pourra fredonner comme dans l’opérette antique, la Tiinljale
d' Argent :
Encore un qui n' l’aura pas
La timbale, la timbale!...
Encore un qui glisse en bas
— Ail ! fait Ycrduret, je me rappelle: Judic! Peschard!
— Donc, poursuit l’officier, M. Düliiecki, passant à l'his-
torique... mouvementé de ce Palais des Armées, me dit :
« Voyez-vous, l'artiste, quel que soit son talent, n’arrivera
à rien chez nous, s’il n’est doublé d’un véritable héros de
patience, de lénacité, de volonté et s'il a la tare de modestie
outrée, c’est-à-dire le manque d’absolue condance en soi.
Pn 1897, on rêvait de convier le Monde à une inégalable
merveille pour clore le siècle... des merveilles. Chacun s’y
donnait de tout cœur, aussi bien dans les sphères gouver-
nementales que dans les sphères... travailleuses. C’est alors
que, emportés tlans le courant d'enthousiasme général, les
Ministères de la Guerre et de la Marine ouvrirent un concours
pour leur palais d’exposition, portant au programme que ce
bâtiment se terminerait aux deux extrémités en forme d'a-
vant et d’arrière de navire de guerre, concours où, en
novembre 1897, MM. Umbdenstock et Auburtin enlèvent le
premier prix, entraînant l’exécution du projet. Vite, ils se
mettent à l’œuvre pour satisfaire certaines exigences modi-
ficatrices des ministères: ils sont prêts, leurs dessins sont,
avec autorisation supérieure, publiés dans les « illustrés »,
on n’a plus qu’à procéder à l’adjudication des travaux...
quand, en juillet 1898, les ministères annoncent qu'il faut
faire sauter du plan les bateaux. Nos architectes se deman-
ilent si cette questioiu de « hateau » n’en comporte pas un à
leur intention. Mais non, c’est réel, et les voilà démolissant
leurs plans pour refondre un nouveau projet qui, en octobre,
est enfin délinitivement approuvé. Ils n’ont plus qu’à pro-
céder à la dernière mise au point et, cette fois on va pouvoir
mettre les ouvriers sur le chantier... Allons donc!... Et la
sainte guigne, pour qui la comptez-vous? M. de Freycinet
arrive rue Saint-Dominique et... supprime net la partici-
pation de la Guerre à l'Exposition de 1900 ! Fichtre, voir
68
A TRAVERS l’eXPOSITION
ainsi assassiner... avant sa naissance, l’enfant de ses rêves
ai tisticjiies et de tant de labeurs, le coup était un peu dur,
si cuirassés que fussent nos jeunes maîtres contre les houles
adverses qui avaient déjà englouti les cuirassés de leur
projet primitif! Recommencer l’œuvre à plusieurs reprises,
soit!... Mais avoir usé son imagination et surmené son
talent pour n’accoucher que d’un cadavre, c’était la petite
mort.
« Malgré tout, te dernier mot ne pouvait pas être dit.
I.e ministre français pouvait-il ainsi se dérober, après
que ses collègues de l’étranger avaient accepté l’invitation
de (imire
ec
ban
se (
au quai d Orsay en sa compagnie ? 11 y eut
le notes diplomatiques et l’on comprit chez nous
que l’on devait, tout au moins, assurer un gîte à nos hôtes.
G est, je pense — me dit en souriant M. Üobiecki — ce qui
a dû se passer, car, soudain, l’Administration de l’Expo-
sition de 1900, reprenant à son compte le projet abandonné,
en charge, qui?... les mêmes architectes, demeurés on
panne par le lait de la décision abstentionniste de notre dé-
partement de la Guerre, en les invitant à fournir de nou-
veaux plans. Or, remarquez que ces invraisemblables ter-
giversations avaient conduit jusqu’en avril 1899. Plus qu’un
an pour concevoir, mettre sur le papier, confier à l’entre-
prise, construire et inaugurer le palais que vous voyez.
MM. Lmbdenstock et Auburtin y ont réussi, mais je vous...
donne mon billet qu il leur a fallu marcber à un fantastique
pas de géant... Songez donc, le temps de faire les adjudica-
tions, ce n’est que lin juillet que l'on peut donner le pre-
mier coup de pioche, et il faut couvrir le chemin de fer des
Müulineaux et faire la plate-forme de 20,000 mètres super-
ficiels sur laquelle s’élèvera, non seulement la partie haute
de l’immense temple de Mars, mais aussi le Palais du Mexi-
que. Plus d un vieux praticien ne se fut pas chargé de l’œu-
vre dans ces conditions ; nos jeunes architectes n’hésitent
pas : Audaces fortuna juvat ! La plate-forme n’est terminée
qu en octobre. Ge Palais a donc été édifié en huit mois ! »
G est qu’il est immense ! remarque Verduret
11 a quelque 345 mètres de long sur 35 mètres de lar-
geur. Et cette rapidité vertigineuse de construction a été
obtenue sans que, dans 1 armée des travailleurs, on n’ait eu
à dôplorer un seul acculent mortel, pas même une chute
entraînant une incapacité de travail de plus de quinze
jours.
— (lomme celle de ce pauvre Bouscastrol au Grand Balais
des Champs-Elysées.
— Oui, répond en souriant énigmatiquement l'ofticicr-
cicerone au manuracturier retiré; on peut dire qu’en dehors
de la constante vigilance cà laquelle les architectes se sont
astreints, ils ont eu de la chance. 11 est vrai qu’ils ont été
secondés avec un rare dévouement, d’abord par M. Dobiecki,
dont je viens de vous traduire bien mal un fragment de la
longue conversation explicative dont il a bien voulu me
charmer, et qui, tâtent et expérience à part, fut pour eux le
modèle des inspecteurs. Puis par iM. Monnier, leur sous-
inspecteur, auxiliaire aussi modeste que précieux, dessina-
teur original, travailleur infatigable, prompt à saisir la
pensée de scs chefs et à l'interpréter, bref, un officier suhal-
tei ne parfait. Ensuite par M. Verray, sous-inspecteur du
chantier, qui a exercé une surveillance de tous les instants
avec une assiduité et une conscience exceptionnelles, chose
diflicile dans l’exécution d’une œuvre aussi vaste et m-an-
diose. Enfin par M. Guineheau, conducteur des travaux*^ par
les jeunes aspirants architectes MM. Deslandes et Berthier-
jaar M. Balloux, leur vérificateur, dont la probité égalait
I activité et qui, hélas! est mort... on peut dire sur le chamn
de bataille. *
« En dehors de ces aides techniques de leur agence ces
messieurs ont eu, au point de vue de la décoration aristi-
qiie de leur grande œuvre, des collaborateurs c/i primo car-
lello. Toute la décoration ornemaniste, si délicatement et
supérieurement réussie, est de M. Galy qui, étant de plus
statuaire, a si bellement planté les deux chevaliers qui gar-
dent 1 entrée de la passerelle. Le célèbre sculpteur russe
lourguenefï, collaborateur et ami de notre maître peintre
1 était e — qui a pris à celte exposition militaire une part
SI noble et SI importante dont je vous parlerai tout à l’heure
a généreusement fait don des deux statues équestres
que vous voyez là, devant vous, dans la tribune du Donion
central, et qui évoquent, en une si superbe allure, ces
deux preux dont la Erance est lière : Bayard et Duguesclin.
I.ES CRAXDS PALAIS llU HOIllJ DE l’eaü 69
70
A TRAVERS l’eXPOSITION
^ ous vcri’GZ, quand nous visitci’ons, à 1 Gxtréinité du I alais
voisine du Palais Mexicain, la « rotonde » qui dispute
au Donjon le titre de « clou » architectural, vous verrez,
dis-je, deux magnifiques chevaliers ornant le départ de
l’escalier extérieur; ils sont 1 œuvre de 1 émérite statuaire
M. Gcoiïroy. Je vous forai remarquer, au même endroit, la
grille de fer forgé qui ferme la Uotonde et est une œuvre
d'art tout à fait remarquahle du maître serrurier M. Robert.
Mais, avançons-nous plus près du Donjon central. »
— Nous entrons? demande M""’ More, qui commence a
s'impatienter, de cette nomenclature d’œuvres supérieures.
— Dans un instant, madame. Auparavant, j’ai le devoir
de vous faire admirer avec quelle belle hardiesse de pinceau
ont été brossés les murs et les voûtes des escaliers qui, de
la berge, conduisent au Donjon, peintures qui sont l’œuvre
dcM. Mangonot, artiste habile et inspiré. De lui encore est,
dans la tribune même du Donjon, cette si puissante apo-
théose militaire devant laquelle Bayard et Duguesclin, om-
bres illustres de pierre, semblent monter une faction
héroïque. Ab ! messieurs, tous ici, architectes, sculpteurs,
peintres, ont, avec émotion d’artistes et tilial amour, con-
couru à l’édification d’une œuvre de beauté, à la sévérité
grandiose, vraiment digne de cette armée modèle de dévoue-
ment, d’abnégation patriotique, de travail, de savoir et
d'honneur qu’est notre noble et chère armée de France !
Bèchard pince les lèvres. Non pas qu il soit hostile à 1 ar-
mée : il n’est pas assez inlellecluel pour donner dans cette
fronde politico-confessionnelle qui manquait à la bigar-
rure du xix® siècle et qui, malgré la puissance déprimante
de l’or qui est sienne, n’est pas viable parce quelle se heurte
au sens et au tempérament gallo-français. Mais la vaniteuse
pédanterie du farinier regimbe instinctivement contre tout
éloge passant un peu trop haut au-dessus de sa tète. Si l e
paillette, qui lui lire l’œil, le... cbillonne un peu parfois,
c’est parce qu elle est un insigne d autorité et de dignité
auquel il ne peut prétendre.
— Ilum! fait-il d’un ton gros d’intention, je ne m’atten-
dais pas à entendre la marine parler si chaudement de 1 ai-
mée de terre.
— Monsieur, il n'y a qu’une armée française scr\ant sui
LES C.RAKDS PAI.AIS IIU MORD DK l'kAL
71
(les sols (lillerents et dont la meme devise guide la valeur ;
(( Honneur et l’atrie! »
Oh ! je veux bien l’admettre pour l'armée active. 11 ne
faudrait pourtant pas dire que l'armée est une quand elle
comj)rond dans ses cadres ces myriades de porte-galons des
réserves qui ont, m’a-t-on assuré, un organe spécial où s'a-
moncelle leurs doléances et leurs récriminations.
— D’abord, répond un peu scellement l’officier de vais-
seau, ces officiers le sont au môme titre que les autres de
par leur lettre de service et leurs devoirs, à cela près que
leur dévouement et leur travail se donnent gratuitement à la
patrie... ce qui seul devrait leur attirer reconnaissance et
considération de la part do tous. S’ils n’ont pas toujours été
traités avec les égards qui leur sont dus et qu’ils méritent à
tant de titres, c’est que le haut commandement se souvient
trop des(.tébuts forcément peu sérieux de l’institution. ()n
n’improvise pas, comme on l’a fait il y a vingt-cinq ans,
un aussi formidable corps d’officiers qui ne sont pas de la
carrière, sans que le plus grand nombre soit de valeur tecb-
ni(|ue ti ès douteuse. IMais, a 1 user, une sélection s’est faite
naturellement et ce n’est plus maintenant que pour une
faible minorité que l’on peut appréhender qu’elle ne soit
pas tout a lait à la hauteur de sa tâche. Si plus d un grand
chef, encore prévenu défavorablement par les souvenirs
d un passé vu de près dans les grades subalternes, se rendait
exactement compte de ce que peut rendre mainlenant l’ar-
mée appelée de seconde ligne quoiqu'elle doive se trouver
un peu sur la même ligne que sa camarade active, ces
grands chefs témoigneraient un intérêt soudain très actif pour
ces cadres régénérés. Cela vous étonne qu’un marin parle
en connaissance de cause des réserves de l’armée de terre.
C'est (^uc, toujours préoccupé de l’état général des fdrees du
pays, je me suis sans cesse tenu très au courant de tout ce
qui concerne nos formations terrestres aussi bien que mari-
times. Le meilleur guide que j’aie trouvé pour me rensei-
gner sur nos armées de seconde ligne, est justement cette
ieuille à laquelle M. Bcchard vient de faire allusion et qui,
très militaire et d’ailleurs rédigée par des officiers supérieurs,
s appelle \ Année Terrilonale , nom très impropre donné
jadis par nos législateurs et dans un but un peu hypocrite, à
72
A TRAVERS l’eXPOSITION
des l’ormations qui, pour l’inlanterie, conslituent tout sim-
plement le triplement du régiment actif, déjà doublé par le
régiment dit de réserve. Cette feuille, indispensable atout
oflicierdes réserves soucieux de se maintenir constamment
au courant de ce qui concerne sa situation et son instruction.
Le Palais des Au.mées de TicitiiE et de meh.
a lo (Iroil de revendiquer une large part dans le grand per-
l'ectionnement de nos cadres de réserve terrestre ; sa voix
autorisée a retenu bien souvent l’autorité militaire sur des
pentes dangereuses et inainl(mu dans laligne du dévouement
et de l’abnégation bien des ofliciers, qu’elle a conservés à la
défense des pays; elle a le droit d’être fière de l’œuvre ac-
complie, de jmiser dans cette fierté l’énergie nécessaire aux
ellorts qui lui restent <T taire, et de compter sur l’appui elTec-
til de ceux dont elle défend si opiniâtrement les intérêts et
la dignité, et qu’elle dirige dans la noble voie du travail
pour le plus grand bien de la puissance de la patrie fran-
çaise... Allons, voilà une bien longue digression dont M. Bè-
chard est plus que moi lo grand coupable... J'y coupe court
en vous priant de me suivre dans. l’intérieur du Palais dont
il me loste à vous indiquer 1 exposition dans ses grandes
lignes.
Sur les pas du jeune baron de Pilbouét, notre groupe pé-
nètre dans le Palais, non sans une sensation de respect in-
stinctif, un peu comme on entre dans un temple. N’est-ce
pas, en ell'et, le Temple de la Force au service de la Civili-
sation et aussi, bêlas ! des appétits parfois voraces de la po-
litique internationale? JN est-ec pas le Tem|de du dieu ter-
rible et ici matérialisé des sanglantes hécatombes qui peut,
d un jour à l’autre, réclamer dans chaque famille des victi-
mes de belle jeunesse, de forte virilité, pour les sacrifier
dans la tourmente elfroyahlement perfectionnée du fer et
du fou? Dès l’entrée, la vue de canons monstrueux inquiète
un peu l’âme paisible de Verduret, fait courir un frisson
sous l’épiderme du très majestueux, mais fort peu belli-
queux farinier, et briller un éclair de curiosilé dans l'œil de
.M ' More et de Bertrande ; les dames ont un goût particu-
lier pour ces clioses terribles, des effets meurtriers des-
quelles leur sexe et leur mission créatrice les mot à l’abri.
,, 77 l’ez-de-chaussée de cet immense Palais, explique
1 otbeier de vaisseau, est, comme vous voyez, établi au dou-
ble niveau de la berge et du quai, ainsi que je vous Fai fait
remarquer pour les halls du Palais des Forêts, Chasses et
Pèches. M. Escalier, l’architecte si justement apprécié qui
a été chargé de la mise en scène... pardon ! de l’installation,
a réservé autant que possible le rez-de-chaussée haut 'à Par
A TRAVERS l’exposition. — T. XV. 4
A TRAVERS l’eXPOSITION
mée de terre et le rez-dc-chaussée has à la marine mili-
taire. Partant de ce principe général, l’Administration a
virtuellement séparé l'immense galerie en tranches où les
nations voisinent selon leurs affinités. Inutile de dire que
la France et la Russie se trouvent côte à côté. Nos mi-
nistères de la Guerre et de la Marine s’étant officiellement
dérobés derrière le prétexte des fameux secrets profession-
n.cls... ilont les quelques-uns, réeh, eussent été faciles a
préserver de curiosités intéressées, la section française ne
comporte qu’une exposition purement industrielle. Admira-
blement disposée, je vous assure qu’elle est sutfisante pour
faire faire de sérieuses réflexions sur les formidables arme-
ments modernes, et aussi consoler parla perfection de l’or-
o-anisation des ambulances. Je vous recommande, à ce sujet,
de ne pas manquer, lorsque vous visiterez en détail, d'aller
voir les petites annexes du Palais des Armées de terre et
de mer.
(( Là, en contemplant les émotionnantes salles d ex[U>si-
tion des trois grandes associations ; 1" des Dames françaises;
2" de Secours aux blessés militaires; d" des Femmes de
France, qui proclament la généreuse charité du cœur fémi-
nin, vous regretterez, mesdames, de ne pas avoir songé
encore à contribuer à étendre ces œuvres de noble solli-
citude et de dévouement, qui sont le cbamp de bataille
pour la vie, opposé à l’infernal champ de carnage où
régnent la souffrance et la mort. La, M. \ erduret s intéres-
sera au baraquement militaire démontable, en bois, de la
Société des Constructions portatives, ainsi qu’à la voilure
d’ambulance si bien comprise de Marcou. »
pourquoi \ erduret seul aurait-il le privilège de
s’intéresser à ces choses? 11 me semble que je suis autant
que lui capable de...
— Vous, monsieur Bèchard, vous y trouverez une grande
attraction professionnelle dans les fours de campagne démon-
tables pour les pays de montagnes et les colonies, et dans la
boulangerie militaire, système Schweizer... Mais, revenons au
Grand Palais où nous sommes. La section maritime fran-
çaise occupe le rcz-dc-cliaussée du bas. Guy voit des tou-
relles cuirassées, des pièces de canons qui n’en finissent plus,
des machines de croiseurs, etc., etc., le tout sorti des usines
I.liS (iKANiJS PALAIS Dc; MOHIJ DE l'eaE
/.)
rm,l"slrie, les f„„Jorios ol arsenaux de
I Ltcli U exposant pas.
— Aous allez nous expliquer eu maître ces choses que
VOUS connaissez SI bien, n’osl-co pas?
- .le mou garilcrai Lieu, monsieur A'erdurct, car nlu-
Mcurs seauces seraient tout juste suflisanles pour traiter à
on.l tel sujol, ol il esl Iden convenu ,,„e nius no Wsônà
CL. matin qu une visite d ensemble.
- Vous nous aviez pourtant promis de nous dire ici
qnelques mots de la question - inquiétante pour tous les
i ninçais ayant souci de la défense de la patrie - de la llo te
n 7^ ï temps. Telle qu’elle esl
bravLre l’i vfl supérieure, sa légendaire
Z iu nu'ic r l'Angleterre, .éventualité
. qui , jusqu ICI, ministres ni amirauté n’avaient voulu envi-
sagei. Vous avons, en ell’et, parmi les navires capables de
due campagne, grands cuirassés rapides cobre eûu//
1^01???? fZT ’” eux; voilà la
Z / 2 0 f ’T ^''-«l^eurs, nous en avons
Zins ? n I filant au
catéo-oide lï ? t’ pouvons montrer que 3 de cette
U^oiie. 11 est vrai que nous avons 188 torpilleurs alors
la\?oZ'?s*^?T^ Ponrrions-nous compter sur
mo tic des nôtres pour rendre sur Tbeure dc vrais ser-
Mces de gmerre en cas de soudaine mobilisation?
po^ ^pZrr:;Snc:""^^'’ ””
Savez-vous qu'un cuirassé coûte de :{;{ à d.d millions et
n?if à" elZirrZgiZrZ il nouslu
I i 3 -ilir ^ »/«»■* cl. <,„a.ul ,d,. s aurions
due LT ' sif “''■"'“‘"’t V'-dle soit possible cl
que nos agressifs «amis., nous en laissent le temns nous
nous trouverons en face d’une Hotte, chez eux auo-mentée
de moitié, ce qui leur sera d’autant plus facile qu'ils cou
sLruisent plus vite et à meilleur marché. ^
Alors, comment faire pour les tenir en respect.
ae,-. "w-i
76
A TRAVERS l'eVROSITION
Rappelez-vous le combat de Saiil contre Goliath. Le
jeune Hébreu n’aurait pas eu la force de brandir une épée
aussi lourde et longue que celle du géant. Que fait-il? se
sert d'une simple fronde qui lui permet de se tenir hors de
portée du bras terrible et dont la petite pierre habilement
maniée abat le, colosse. Notre budget, pesamment charge
par l’armée de terre indispensable, ne nous permet pas de
lutter contre Albion avec une arme pareille; ayons donc
l’habileté de lui opposer une autre arme efficace et de
moindre pri.v.
— La fronde? • . i
C’est-à-dire l’arme insaisissable et rapide qui évité la
lame formidable dans l’espèce, les escadres de grands cuiras-
sés et frappe l'adversaire au front, c’est-à-dire au siège de
la vie qui est, pour l’ Angleterre-usine, l’arrivée dans scs
ports des vivres et des matières premières. De plus, ména-
geons-nous la possibilité de tenir ces géants en respect, le ■
temps d(‘ débarquer cent mille hommes et aussi de les dé-
truire s’ils essaient des représailles sur nos eûtes, même
d’aller les faire sauter mystérieusement dans leurs propres
rades. Pour cela, nous aurions besoin d’ajouter à notre
tlotte : 24 croiseurs-corsaires (624 millions), dO avisos-moi-
tiers d’au moins dO nœuds de vitesse et lançant 1 obus a
grande capacité d’c.xplosif, type qui a fait scs preuves
(8h millions), 100 torpilleurs de 1™ classe à dO nœuds
(4d millions), 100 sous-marins (60 millions), et pour 10 mil-
lions de remorqueurs et chalands propres au débarquement
rapide de troupes de toutes armes. En faisant cette dépense
immédiate de seulement 520 millions, 1 Angleterre sera
obligée de devenir polie et conciliante, sous peine, prompte-
ment affamée, industriellement anihilée ou même envahie,
de regretter d’avoir imposé d’humiliants bashoda à autrui.
Telle "est l’opinion de la plus grande partie de \d. jeune ma-
rine, dont le titre ne veut pas dire quelle ne compte pas
dans ses rangs de vieux amiraux non inféodés au grand
parti métallurrjique. Elle dit, cette «jeune manne»:
« Puisque vous ne pouvez pas avoir l’équivalent similaire
d’Albion, créez l'arme bon marché à opposer utilement au
géant. » _ . ,
— H me semble qu’elle pourrait bien avoir raison.
LES (iRANDS PALAIS Dü liORD DE l'eaL
77
- l'.lle se conipose de la nuijorilé des olTiciers de vais-
seau et elle a la loi inébranlaLle (|iLelle est dans le vrai
IMais que voulez-vous que déci.lent dos députés ignorants de
ces questions spéciales? Ils font des cotes mal taillées et
nous dépensons sans résultat. II faudrait que ces vérités si
simples pénétrassent la nation; mais en supposant qu’on v
arrive, il y aurait beau jour que l’Angleterre nous auraft
prévenus en détruisant, sous le nombre, notre Hotte actuelle
liülin, répandez toujours autour de vous la bonne parole
pas nuire; mais, pour parvenir au but en temps
utile, il laudraitqu une personnalité surgît, en qui tout le
pays ait confiance, et qui se donnât la mission de nous
lendre forts sur mer comme nous le sommes sur terre Au-
rons-nous ce bonheur, je l’ignore. Ayant dit ce que je crois
de mon devoir de dire, fùt-cc inutilement, je reviens à cette
e.\po.sition en vous disant que les ex-positions militaires et
maritimes des autres lÀtats - ,jui, elles, sont franebement
olticie les -- sont du pins haut intérêt, en particulier celles
de la hussie et de 1 Angleterre. Maintenant, montons au
lence^*^*' le «clou.) français par excel-
— Et en quoi consiste-t-il?
- En une exposition rétrospeclivo militaire qui, sous la
bague te magique de noire grand peintre national, Edouard
Jetaille est deycniie non seulement un musée, mais un
temple de nos gloires guerrières depuis la Renaissance jus-
qu a nos jours. «Ab! me disait M. Dobiccki, le public ne se
doutei a jamais de la somme d’elforts que le. grand artiste a
consacrée au service de cette œuvre patriotique. Avec des res-
sources dérisoires, il s est mis en campagne, apôtre ardent
de son reve, écrémant avec une activité inlassable et un
impeccable goût les richesses des collectionneurs de glorieux
souvenirs et, de tous ces héroïques débris disparates, sachant
luire un tout classé avec un art prodigieux et qui fait re-
vivre, en une évocation parlante des reliques de iiotr.- su-
perbe passe militaire, la vaillance, la gloire, la générosité et
1 héroïsme de notre race. Ce sont des tableaux rares, .les
portraits .le nos grands capitaines : maréchal de Saxe, Condé
urcnne;Sucbet, par Horace Vernet; Bonaparte, par Davi.l
e^ tentures historiques, des armures moins tières sous les
78
A TRAVERS l’eXPOSITION
estocades (lue les braves qui les portaient, les habits brodés
d’or troués par la mitraille, un morceau du manteau bleu de
Bonaparte à Marengo, le petit chapeau et runiforme de chas-
seur de Napoléon, la lorgnette de Napoléon 111 à Sollérino,
etc., etc., et c’était le cœur de La Tour d’Auvergne, « Pre-
mier Grenadier de France», avant qu’on ne l’eut enlevé
pour en demander à la famille dn modeste héros le tiansfert
au Panthéon. Le maître Détaillé a présenté cette collection
unique avec un ordre et une harmonie incomparables, sous
l’inspiration ardente de sa grande àme de patriote; il en a
fait le but du pèlerinage ému des visiteurs Irançais, qui la
quittent avec une hère larme au.x yen.v, une noble cbaleui
sous la poitrine et... nn pli au front, car l’éclatant passé leur
fait sentir plus gris et plus terne encore un immérité pré-
sent. Honneur et merci à Edouard Détaillé, messieurs; il a
fait mieux que d’organiser patriotiquement une collection
glorieuse, il a fait communier les cœurs français dans un
élan de mâle amour pour cette patrie, mère de tant de héros.
(( Pour répondre à cette évocation des vaillances dn passe,
le syndicat des fournisseurs d’équipement de l’armée ont
organisé près de là, sous le titre de Panorama militaire, une
exposition — un peu toutfue en raison dn manque de place
Jes uniformes modernes qui attendent qu un inéluctable
avenir fasse d’eux un passé digne des glorieux débris des
ancêtres. A côté, voisine l’exposition militaire rétrospective
allemande; elle 'est très brillante, mais ne fait pas de tort
à la nôtre. » , at i
— Et la Russie, notre Grande Alliée, réclame Verduret,
est-elle, au moins bien représentée ici?... Elle ne s’est pas,
je pense, dérobée, comme la b rance... olficielle .
— Non certes, et, de toutes les sections étrangères, la
plus complète est
l’ EX l'O s 1 T l OiS MIEITAMl !■; DE DA R l S S 1 1'.
— Cette exposition a été organisée, sous la direction
supérieure de M. le conseiller privé Verkovtzow, par M. le
général Van der Hoven, pour l’artillerie; îil. le général
70
Li;S CRA.MiS PALAIS
nu HORD DK l’kai:
le génie
M. Kaptschevsky, pour le service
Falu'ilius, poui
l’intendance' secondés par
MA . les lieutenants LvolT et Winogradsky. J'ai en la horlne
ortune de visiter la section russe sous l'aimable conduite de
ce I ei-nier, courtoisement et bienveillamment mis à la dis-
position du camarade français par le général Van der Hoven
cl qui J en garde une respectueuse reconnaissance. Vatu-
lellement, entre militaires, nous nous sommes arrêtés à de
nombieux details techniques d’un intérêt capital, auxquels
.jo ne peux initier des dames et des profanes tels que vous
letes messieurs. Je ne puis donc que vous indic uer les
glandes lignes, en vous précisant seulement quelques
points tout particulièrement intéressants.
« La section russe occupe un vaste carré du re/-de-
chaussee, haut et bas, de ce Palais, à côté de la France et
une annexe construite par MM. les architectes Mclt/er de
fecVint-Pelersbourg, et Von llogcn, de l’Académie pétèrs-
J ingeoise. Dans le Palais, rez-de-chaussée haut, Vlnten-
dance expose ses draps, toiles et tissus imperméables d’urn-
|;e.s ance et d'une solidité de couleul- extraol^^kai!;:^
bab lemeiit et des mannequins équipés, les marmites et
gcimelles en a nminiiim, les vivres de^onserves de toutes
I es e outillage nécessaire à leur préparation, des photo-
^lapbies des etablissements de l’intendance, des magasins
et ateliers d habillement, des parcs du train militaire et une
lisir'cuhs n apprécier les
tissus, CHUS, objets métalliques, qualité des vivres etc
lout cela est exclusivement russe et révèle une organisation
avante de premier ordre. Là aussi, vous verrez tlit ce Z
conceine les troupes cosaques, hommes, uniformes, équipe-
imnt pays tourn.ssant ces nombreux contingents, reniolte
budget spécial. La encore tout co qui intéresse le service
ce santé, hôpitaux, matériel et personnel; sacs de méde-
cins, de ve ennaire, d'infirmier, de brancardier, poste de
secours de bataillon, ambulance de brigade, matériel de
pansemenl, médicaments en tablettes, laboratoires bacté-
lo^iques et hygiéniques, étuves à désinfection, oiitilla-e
de labrication de ces outils et produits, travaux, tableaux
ZfriZ •' co^P^te de l'état sani-
aiic, lit 1 hjgienc et de 1 organisation médicale dans l’armée
SI)
A TRAVERS l’eXPOSITION
russe. Làenlin, la majeure partie de rcxposilion du genie,
chez nos alliés; larme spéciale y élève, outre les bâtiments
militaires conslruits à l'usage de l'armée, des chapelles, des
éo-lises des monuments commémoratifs, tel celui baptisé
Aa Gloire », érigé à Saint-Pétersbourg en mémoire^de la
guerre d'Orient de 1877-78. Les troupes de chemin de fer
et les pontonniers, les officiers-étudiants de l’Academie du
o-énie et les élèves de l’école de l'arme, l'atelier de moulage,
etc etc , sont représentés par des travaux éminemment
intéressants pour les techniciens. Le service dn génie dé-
borde dans le rez-dc-cbanssée bas oii expose la marine de
l’Etat et V montre le ballon militaire la France!^ gréé
comme if l’était en 1897 pour son ascension libre exécutée
au camp de Erasnoié-Sélo, en présence du si représentalil,
cordial et regretté Président Félix Fanre...etc.
— Ft, dans l'annexe?... ■c i.
Sont d’abord, le service de l'artillerie qui lait, dans
les vastes Etats du Tzar, de si merveilleux progrès. M. le
lieutenant Winogradsky m'a guidé dans 1 etude d nn allut
à éclipse et à ressort pour le canon de côte de 9 pouces —
e.-est-à-dirc, povco russe de dix lignes mesurant t)'"02b t,
environ d'''28 de calibre — et d’un antre, pour canon de
11 ponces (Ü'’'28), muni d’appareils hydrauliqnes pour le
chargement et le pointage. Ces deux alfûts, placés au centre
du pavillon, construits sur les plans du colonel Donrlacher
à Saint-Pétersbourg, dans l’usine Nobel, qui est le Lreusot
slave, reposent sur le principe suivant: les servants, en
agissant sur une iiompe, font passer de l’huile de naphte d un
réservoir dans nn accumulateur mum de ressorts Belleville,
on ouvrant une soupape, riuiile sous pression passe dans
deux cylindres et fait monter l’affût ; le recul refoule le
liquide dans l'accumulateur, ce qui permet de replacer anto-
matiquement la pièce dans sa position sans avoir a charger
de nouveau l’accumulateur. Pour l’alTût du canon de
11 pouces, le principe de la manœuvre est le meme, t e
plus le chargement est lui-mème automatique comme le
pointage en hauteur et en direction, car une des quatre
presses actionne une grue qui amène le projectile devan
la culasse où le fait entrer une sorte de projecteur. 1 res c e
ces affûts sont des coupes verticales des projectiles en ser
LES GRANDS PARAIS DP liORD DK r’raI'
81
vice, y compris les obus éclairants inventés par le capitaine
iVilus. L arsenal <1 artillerie de Saint-lb’dersbonrg^ expose
un
La GOKi.Enp; 1 erhk-^kuvi: ” kt i.i: kateau AMiîui.A.NriEn.
aimt (le campagne, modèle I8!»b, munie d'une bêche de
crosse imagânée par le général-lieutenant Engelhard!, qui a
eu le premier l'idée d’employer du caoutchouc et des res-
82
A TRAVERS l’eXPOSITION
sorts pour immobiliser les pièces pendant le tir. Dn môme
savant officier est un affût pour mortier de campagne île
() pouces (O™ 152 1/2), qui montre comment la Russie a
résolu le problème des gros calibres pour l’artillerie de cam-
pagne... Mais, ]e n en finirais pas tant il y a, dans cotte
exposition, de choses curieuses aux points de vue les {)lus
divers.
— Techniques, toujours?
Non pas, monsieur Venluret. Ainsi la manufacture
d’armes de Toula, en exposant tous les types de fusils ayant
existé en Russie, depuis le fusil à pierre jusqu’à l’arme por-
tative actuelle, modèle 1891, qui est à répétition avec ma-
«asin de cinq cartouches, exhibe dans une vitrine des fusils
aux superbes incrustations artistiques d’ivoire et de métal :
ce sont les armes impériales, chaque empereur étant, en
quelque sorte, le parrain d’un fusil ; on voit le vieux fusil
à silex de Catherine 11, ceux des tzars Nicolas R’’,
Alexandre l'’’, Alexandre 11, Alexandre 111. Ailleurs, c est
un lingot d’acier en creuset pour canon de fusil, coulé sans
soufflure suivant le procédé spécial pratiqué à laciéiie de
Jjewsk. Plus loin, c'est un vieux canon du xiv" siècle en-
castré dans un tronc d’arbre; un du xvn« siècle z/?/? est rayé
(>t se charye par la culasse, une couleuvrine du même
temps, de même type, dont la fermeture à coin montre que
Krupp n’a fait que retrouver une idée en pratique deux
siècles avant lui ; et des roues d affût en bois courbe, sys-
tème du général Fischer.
— Très curieux, tout cela!
Dans ce Pavillon annexe sont représentés : le service
cartographique et topographique, où l’on voit les plans mê-
mes levés au Pamir, en Chine et au Thibet, par le capitaine
Kabarovky et le lieutenant Kozlow, au cours d’une des cent
sept explorations faites par l’état-major russe, en Asie cen-
trale ; et le service des écoles militaires, modèle d’habitation
d’un corps de cadets, leurs travaux, les règlements, les pro-
grammes, etc. En résumé, le Tzar a voulu faire bien et
complètement connaître au public français, son allié, 1 état
de la puissance militaire de la Russie. Son ministre de la
guerre a fait publier, dans le but de faciliter cette étude à
tous, un aperçu qui donne une idée générale de 1 organisa-
83
Li;s r.lUNDS PAF.AIS DU IIOPD DE u’uAU
lion (lo rarniÉe, de son recrulement, de son armement, de
ses services administralils, de son budget, etc. Cette liante
Irancluse est un avis qui portera ses fruits. En sortant de la
Section militaire russe, au Calais et dans l’annexe, les
français se sentent monter an cœur une vaillante chaleur
confiante, et les étrangers demeurent songeurs. Seuls les...
insulaires turbulents sourient à leur provisoire invu’lnéra-
bi itc. Ah ! SI nous avions la flotte nécessaire et la Russie
celle de 1 avenir, i’rance et Russie, la main dans la main
imposeraient la paix sans arrière pensée à l’Europe... et aii
monde, parle seul respect de leur puissance unie!
— Quand l’aurons-nous, cette flotte, hélas ?
— Rientôt peut-être, car il me semble impossible que le
pays et ses mandataires demeurent en contradiction d’opi-
nions et d idées Nous sommes un peuple logique où les
situations absurdes ne peuvent s’implanter... Oh! pardon.
Notre question me fait sortir de mon double rôle de soldat
voue au silence, et de cicerone. J'y rentre en vous invitant à
pgner 1 aile droite de ce Calais où s’abrite l'Hygiène, dont
exposition constitue un immense hommage de l’iiunianité
reconnaissante, un monumenl...
~ ')'esdames et messieurs, poursuit le guide titré, l’idée
est belle qui a fait placer l'OEuvre de vie sous le toit même
ou s afnrment les terribles et perfectionnés engins de mort
La les héca ombes farouches, ici la prolongation savante de
existence humaine ; là les fatigues qui déciment les coni-
baltants et les hideux charniers qui engendrent les conta-
gions; ici les decouvertes merveilleuses qui rendent peu à
peu 1 homme réfractaire aux maux et aux épidémies aux-
quels il payait un effroyable tribut. Cette classe bienfai-
sante a cte installée admirablement par les architectes
memes du Calais, MM. Umbdenstock et Auburtin, sous la
^5, A TRAVERS L EXPOSITION
présidence de l'cminent docteur Brouardel, doyen de la
Faculté de Médecine. En quittant l'exposition militaire
industrielle française et en nous dirigeant du côté Alma,
nous traversons les filtres — pardon, car ils auraient, en ce
cas les porcs un peu trop vastes pour notre sécurité — nous
traversons entre les liltres les plus ingénieux, pour arriver
dans une salle que voici et qui est vraiment charmante avec
ses arcades, sa voûte ajourée, ses vélums d'une teinte douce,
scs lo^'cttes Louis XV, où sont enfermés des dioramas, et sa
huveUe... que mépriserait, certes, le Irinquefort do la
vieille chanson si line de nos pères, car on n'y sert que de
l'eau. Nous sommes dans l'exposition des Eaux minérales,
dont la décoration de sculpture ornemaniste si élégante esl
due àM. Langevin. , , n , ,
« De cette salle nous descendons 1 escalier de la Uotomie,
au pied duquel est la belle grille de fer forgé dont je vous
ai parlé et nous voilà au rez-de-chaussée, où nous trouvons
le Salon Pasteur, décoré par M. Gally, comme le reste du
l'alais. Au centre vous voyez le monument sculpté avec une
idéale noblesse d'inspiration et de touche, iine^ pureté de
lignes et un charme inexprimable, par MM. Enderlin et
Block, en l'honneur de l'illustre savant. <( C'csl la salle des
Microiios, me disait M. Dohiecky, en me montrant ce beau
salon, mais ne vous clfrayez pas; MM. les docteurs Roux
et Camette, de l’Institut Pasteur, les ont maintenus prison-
niers dans des bocaux que la main ne peut approcher».
Les vitrines qui entourent le buste de 1 inventeur de la
méthode microbienne résument ses beaux travaux : îhssi/-
métrie rnolécidaire préparés par Un dans les bacons
originaux avec étiquettes de sa main, et ce manuscrit est
sa thèse de physique présentée à la Faculté des Sciences
en 18i7); Fermen/alion (ballon et microscope ayant sei\i
au maître); Généra/ ions spontanées (ballon ayant servi aux
expériences sur les matières organisées de 1 atmosphère —
nos insaisissables empoisonneuses — et ballon présente
à l'Académie des Sciences lors de la fameuse discus-
sion sur ces générations spontanées); Maladie des vins H
de (a bière : Maladies des vers à soie; Appareils de slerdi-
saiion; Maladies virulentes (choléra des poules, vaccination
charbonneuse, vaccination contre le rouget des porcs); enlin
LES r.UAKDS PALAIS DU liORD DE L EAU
85
Etudes sur la rage, avec la spatule de platine dont se ser-
vait Pasteur pour ses inoculations. La statistique annexée
nous dit que, sur 24,631 personnes mordues et traitées à
l’Institut de 1886 a 1898, c’est-à-dire en treize années,
99 seulement sont mortes, ce qui équivaut à dire que, pen-
dant cette période, ce Génie bienfaisant a sauvé de la plus
horrilile mort 99 1/2 "/o des malades qui ont eu recours à sa
méthode. Ce Salon Pasteur — qui sert de vestibule à l’expo-
sition de l’Hygiène et où tous les ingénieurs et construc-
teurs d’appareils, tous les fabricants français de produits
pouvant contribuer à l’amelioration de l'habitation ou au
large bien-être de l’existence semblent offrir leurs ell'orts
comme un hommage à l’illustre savant — est entouré, tel
une escorte d’honneur, par les petits salons do l’Autriche,
de l’Allemagne, do 1 Italie, de la Suisse et du Ministère de
1 Intérieur français; le Monde avec la France honorent res-
pec-tueusemement la Science bienfaitrice dont la patrie
morale ne connaît pas de frontières ! »
— Mais, remarque Verduret, cette partie du Palais des
Armées consacrée à l’ilygiène, n’a donc pas, comme le reste,
de rez-de-cbaussée bas?
— Le rez-de-cbaussée haut, ici, s’étend en effet jusqu'à
la façade sur la Seine. 11 forme ainsi, au-dessus de la berge,
comme un vaste sous-sol qui est occupé par l’exposition du
cbaullage et de la ventilation, très intéressante pour tous,
mais en particulier pour les propriétaires, monsieur Ver-
duret. Nous allons y descendre, si vous le voulez bien, pour
rembarquer dans notre gondole qui va nous faire faire un
lour de Seine_, de façon que je puisse vous présenter :
...■5Sn?Ç-
LES SERRES DE L’IIORTICELTE RE ET LE PALAIS
DES CONGRÈS
Notre groupe expositionniste vient à peine de quitter le
l'cilais des Armées et de l'IIj-giènc, que l’extraordinaire embar-
cation accourt toute seule se ranger au long du quai, à ses
pieds.
Bizarre tout de même! fait Verduret, avec un sourire
incrédule. Je ne vois pourtant pas à ce « Diable d’eau » le
fameux œil de ces jonques de guerre que les doux Chinois
ont si bien remplacées par des cuirassés modernes !
11 embarque, suivi aussitôt de ses compagnons, car Bè-
chard commence h s’habituer, et la présence de l’officier de
vaisseau le rassure. La forte et rapide embarcation s'élance
a vive allure, franchissant le pont de l'Alma, dans la direc-
tion du pont des Invalides. Avant de l’atteindre, elle vire de
bord, vient ranger la rive droite du fieuve à quelques mè-
tres, et se met à descendre le' courant avec une vitesse infi-
nitésimale, beaucoup moindre certainement, que celle du
courant lui-même.
Nous voici, dit alors le baron de PilbouëL devant le
Pavillon de la Ville de Paris...
^ Que nous avons visité, vous le savez bien, puisque
c est vous qui nous y avez conduits... pas très sagement!
Et je vous y ai donné un guide qui n’a pas dû vous
intéresser beaucoup.
— Oui, le gardien-catalogue.
■Il
H ' ■
88
A TRAVERS l’EXPOSITION
— C’est un brave garçon que j’ai eu jadis à mon service,
comme valet de chambre...
— Pardon! intervient Bccbard, il s’agit...
De vous dire un mot des serres de l’horticnlture et de
l’arboriculture, devant lesquelles nous allons passer. Pour
pouvoir vous en parler convenablement, j’avais demandé à
M. Gautier, rarchitccle, un rendez-vous qu’il n’a pu me
donner en temps o|)portun...
— Ab ça ! interrompt Verduret, vous saviez donc devoir
nous les montrer, monsieur le baron ? Savez-vous que vous,
Bouscastrol, et même le vénérable centenaire, vous me
faites l’eiret d’une véritablo bande, dont nous n’avons qu’à
nous louer, certes, mais (pril est étrange de voir s'occuper
ainsi de nous dès notre arrivée! Je serais curieu.v de savoir
ennn.. .
— Ce qu’il ne m’appartient pas de vous expliquer, mon-
sieur Verduret. Daignez prendre patience: elle ne sera pas
soumise maintenant à une longue épreuve — et, comme je
n’en sais pas plus, sur ces serres, que le commun des mor-
tels, permettez-moi de vous lire, en passant devant elles,
le résumé descriptif du (uiidp Contrj :
« Placé sur le bord de la Seine, le Palais de l’Horticul
turc et de l’Arboriculture se compose de trois grandes ser-
res placées en triangle, et parallèles au cours de la Seine.
Les deu.x premières, sur le boi’d de 1 eau, sont absolument
identiques. Formées toutes deux d un batiment lectangu-
laire, terminé à l’extrémité par une autre serre de forme
elliptique, elles mesurent cbacune 83"' io de longueur to-
tale, sur 28 mètres de largeur et 18 mètres de hauteur. Dis-
tantes l’une de l’autre de 70 mètres, elles laissent aperce-
voir la troisième grande serre rectangulaire, adossée aux
clôtures de l’Exposition sur une longueur de 100 mètres
avec une largeur de 12 mètres et Id mètres de hauteni .
K La sei're de gauche, en regardant la Seine, a été destinée
à l’exposition des Heurs françaises; tandis qne celle de dioite
contient les Heurs étrangères.
« Le grand bâtiment du fond a été construit pour les expo-
sitions do plans et jardins, les outils et le petit matériel de
jardinage.
lÆS (;RAMiS )'A1,AIS IU' üOUD liE E EAi;
89
« Les trois serres sont séparées par une vaste terrasse
aménagée en grand jardin français dont le séjour est parti-
culièrement agréable. Des pelouses et des corbeilles de
Heurs ravissantes y ont été installées, permettant aux visi-
teurs de se promener jusqu’à la berge à laquelle on accède
par un grand escalier de dO mètres, au bas duquel un pro-
menoir permet de longer le lleuveet de se reposer dans des
pièces en sous-sol, dont la fraicheur est exquise.
A TUAVERS l’exposition
•JH
« Les deux premières serres comportent chacune une
grande porte d’entrée. Les deux entrées se font vis-à-vis.
Les serres sont construites en briques de verre qui ne per-
mettent à la lumière d'arriver jusqu’au.x fleurs qu’après
avoir été tamisée.
(( Tout le long des façades, des «Windows» formant en
saillie des demi-rotondes, permettant aux visiteurs de s’a-
vancer en dehors des serres pour jouir du coup d’œil mer-
veilleux qu’oifrent la Seine et les Palais de la rive gauche.
« La serre du fond, décorée dans sa partie haute de motifs
en treillages, surmontés de petits clochetons de fantaisie,
complète admirablement l’ensemble des deux autres.
« L’arcbitecte de cet ouvrage, iM. Gautier, a été bien inspiré
dans sa composition; la place qui lui était imposée étant
relativement restreinte augmentait les diflicultés à vaincre.
« Ajoutons, pour terminer, que de chaque côté et au pied
du grand escalier, des passages disposés en souterrains ac-
cèdent à l’Aquarium de Paris. »
Et, rofficier-cicerone, reprenant la parole :
— Let aquarium d’eau de mer, montrant les fonds ma-
rins, leurs hôtes à nageoires et des mano'uvres de scaphan-
driers à bord de navires coulés pour être entrés en collision,
est nue intéressante attraction, derrière laquelle, du pont
.des Invalides au pont de l'Alma, s’allonge la Rue de Paris
où ce ne sont que spectacles fort joyeux: Cadets de Gas-
cogne, Pbono-Cinéma-Tliéàtre, Maison du Rire, Tableaux
vivants. Jardin de la Chanson, Roulotte, Grand Guignol,
Ronshommes Guillaume, Auteurs gais. Palais de la Danse
et Manoir à l’envers. Un peu en retrait, sur l’avenue Mon-
taigne, il y a à voir la belle exposition du grand sculpteur
Rodin.
Puis, il ajoute :
— Guantau Palais de l’blconomic sociale et des Congrès,
cet imposant édifice', aux formes carrées et tout blanc que
nous relevons, par l’avant, à la suite des serres, je puis vous
en parler pei'sonnellement, ayant eu le plaisir de le visiter
en compagnie du très distingué architecte qui en est l’au-
teur. Cet architecte est M. Charles-Erédéric Méwès, né à
Strasbourg le JU janvier 1858, et qui a opté pour la natio-
I.ES CRANDS PALAIS DU liORD DE l’eAU
nalité IVani^aise en 1872; il est donc deux fois Français.
Bachelier ès sciences, il est entré à l’Ecole des Beaux-Arts en
1878 et a é^té logiste, avec le numéro deux, pour le concours
du Grand Prix de Rome en 1885. Ses états de services artisti-
ques marquent ; diplômé par le Gouvernement en 1881);
membre de la Société centrale des Architectes en 1892; ar-
chitecte de la Société de protection des Alsaciens-Lonains
demeurés français; grande médaille d'argent de la Société
centrale d’Architecture privée en 1894; mention honorable
au Salon de 1895; arbitre prés le fribunal de Commerce;
quai] icme piime au Concours d ensemble pour l'Exposition
de 1900; quatrième prime pour le Petit Palais des Champs-
Elysées au concours suivant, primes qui lui ont valu d’ètrc
désigné pour la construction de ce Palais des Congrès. Offi-
cier d’académie cl de l’Ordre de Saint-Jacques, il est archi-
tecte du Gi'and Hôtel et du Bitz Hôtel de la place Vendôme,
a 1 aiis, ainsi que du chaleau de Bochefort, à\velines. H a
construit nombre d'hôtels particuliers, des châteaux, des
villas, des banques, etc , etc. Inutile d’ajouter, après cette
nomenclature, qu il est artiste et praticien de premier ordre.
(( Son Palais de l'Economie sociale et des Congrès, qui
couvre une sui'face de 4üU mètres carrés, est une œuvre
éminemment... socialiste, non seulement dans son objet,
mais dans sa conception et dans son exécution. Il se com-
pose de deux parties bien distinctes: le rez-de-chaussée
allecté à 1 Economie sociale, et le premier étage, auquel on
accède par deux escaliers monumentaux, réservé aux
Congrès. » ♦
— Qui sont on nombre respectable, je crois?
— A la lin do l’Exposition, cent vingt-sept congrès s’y
seront réunis, dont les principaux sont ceux : de l’Agricul-
ture, de l’Alpinisme, des Américanistes, d’Assistance pu-
blique et de Bienfaisance privée, de l’Automobilisme, d’Elec-
tricité, de l’Enseignement des langues vivantes, de l’Ensei-
gnement primaire, du secondaire, du supérieur, de la con-
dition et des droits do la femme, du Matériel théâtral, de
Médecine, (le Physique, de la Propriété littéraire et artisti-
que, des Voyageurs de commerce, etc., etc. Le directeur des
Congrès est M. Jai'iel, ingénieur en cbei des Ponts et Chaus-
sées... Mais je reviens au Palais. L’Economie sociale, au
92
A TRAVERS l’eXPOSITION
rez-de-chaussée, forme un grand ensemble séparé par des
cloisons et où se trouvent les sections françaises et étran-
gères, ainsi qu’un musée centennal. On peut étudier là les
questions de l’apprentissage, de la protection de l'enfance
ouvrière, des associations coopératives et syndicats profes-
sionnels, du règlement du travail, du développement intel-
lectuel et moral des ouvriers, « eniin, me disait M. i\lé\vè.s,
du développement du socialisme et de ses bons ellets ». La
classe lOC), qui n’a pu trouver normalement sa place dans
cette partie du Palais, a dû aller édifier à Viucennes son
petit village d'habitations ouvrières. Le premier étage com-
prend : une grande galerie des Pas-Perdus, ornée des bustes
des plus célèbres économistes, longue de 100 mètres et
large de 12™d0, sur laquelle s’ouvre la grande salle des Con-
grès, avec tribune et orgues, pouvant contenir de 800 a
1,000 personnes. De chaque côté de cette salle principale se
trouvent quatre salles de moindre importance : deux de
2.t0 personnes et deux pouvant en grouper 150 environ.
Puis viennent les salles de commissions et les petites pièces
indispensables, lavabos, etc. « De la grande galerie qui,
m'a dit M. iMéwès, doit servir de salon de réception des
souverains et personnages de marque à l’occasion des lètes
de nuit, la vue embrasse tout le merveilleux panorama de
la Seine. »
— Vous ne nous dites rien du style architectural mon-
sieur le baron?
— J'y arrive, monsieur Verduret. L’artiste émérite qui a
conçu ce Palais a adopté, pour l’extérieur, un style inspiré
de l’époque Louis XVl..., qui fut la période du réveil de
l’esprit de liberté, ainsi que celle du grand mouvement éco-
nomiste.
— ()b! ob! du symbole socialiste!
— Je vous ai prévenu. Je continue. La sobriété et le
calme de cette construction destinée à abriter des groupe-
ments si sérieux et un public d’études sont voulus. La
façade sur la Seine est ornée de deux pylônes, sur lesquels
des ligures dues au ciseau de l’habile statuaire M. baivre,
symbolisent la Science et la Uenommée. Un puissant sou-
bassement décoré d’attributs marins — et qui contient,
entre parenthèses, un restaurant des plus fréquentés — vient
asseoir le bàlimout jusqu’au niveau de la Seine. M. iMéwès
estime que ce caractère d austérité est indispensable à un
grave édilice où s'agitent les importantes questions du tra-
vail et du bien-être des ouvi’iers. Et voyez où s’affirme l’idée
socialiste de 1 arcbitcct<', dont les collaborateurs sont
-MM. Bliault, inspecteur, Tcmipliei-, sous-inspecteur, Aubrée,
vérificateur, et illiam, dessinateur-couducteui’ du tas :
1 exécution du Palais a été confiée exclusivement aux asso-
ciations ouvi'ières : « Gbarpeutiers de Paris», «Maçons de
l’aris», (( Menuisiers de Paris », « Union des ouvriers serru-
riers », «Société coopérative des ouvriers parqueteurs »,
Association d ouvriers peintres « Le Travail », « Association
des ouvriers plombiers, couvreurs et zingueurs », « Société
coopérative des sculpteurs, décorateurs et ornemanistes »,
dont M. Langevin est le directeur. Toutes ces sociétés ont,
d ailleurs, si bien rivalisé de zèle, que ce l*alais, commencé
le U' février lb9!), a été terminé fin décembre, le premier de
toute 1 Exposition... Ivt maintenant, mesdames et messieurs,
il ue me reste plus qu à vous soubaiter bon plaisir et bon
voyage.
— Comment, vous nous quittez?
\ oyez, la gondole se rapproche déjà du quai pour m'v
déposer. ■ i i
Xous ne vous reverrons [)lus?
Si, mais je ne crois pas que, à moins d’ordres con-
traires, ce soit comme cicerone, rôle pour moi terminé, à
moins d’improbable imprévu.
Mais... nous débarquons avec vous?
Non pas, s’il vous plaît : on vous attend au Trocadéro
pour vous montrer un des grands « clous » de 1900, l’abso-
lu ment superbe exposition des Colonies françaises...
— Et... qui donc nous attend ?
vous avoue en toute sincérité que je l’ignore com-
plètement. Je sais seulement qu’il m’est enjoint de débar-
quer ici et que vous serez accueillis en débarquant au pont
d’Iéna. ^ ‘
Ma parole, s écrie en riant Verdui'et, nous sommes
au.x mains dune véritable société secrète. Parbleu, je vou-
drais bien dire un mot à son chef mystérieux.
Cela ne tardera pas, monsieur Verduret.
A TRAVERS L EXPOSITIOIN
!»4
Et, galamment, l'officier de vaisseau de réserve s'incline
devant Bertrande et iM”"' Flore, salue Verduret et Bèchard,
et, l’embarcation arrivant près de la berge, saule légère-
ment à terre.
— 11 nous laisse seuls dans ce bateau du diable ! s'écrie
Bèchard alarmé. Jamais de la vie, par exemple! Bestcz si
vous voulez, moi, je m'en vais à pied.
Espoir aussitôt déçu. Le farinier n'a pas eu le temps de
poser le pied sur le petit plat bord pour, de là, sauter sur
la terre ferme, que la gondole s’est brusquement éloignée de
la berge et se met à descendre le fleuve avec une vitesse
vertigineuse.
Le prochain volume aura pour titre :
LES COLUNIES EBANLAISES
et comprendra :
1" Palais du Ministère des Colonies;
2° Algérie, Tunisie, Cambodge, Indo-Cbine, (iuyane, Guadeloupe,
lie de la Itéunion, Tonkin ;
3® Dioramas de l'Océanie, de Mayotte, de la côte Somalis, (’e
Saint-Pierre-et-Miquelon ;
4'^ Guinée, Côte d'ivoire, Dahomey, Ouest Africain, Soudan,
Sénégal ;
b" Palais de la Colonisation, etc., etc.
TABLE DES CHAPITRES
Chapitre I". — Forêts, Chasses,
§ I. L’arni de Kouscastrol.
Chapitre II. — |,a Naviga
§ I. Cluide en main
§ II. La vaillante malade
§ 111. Pavillon anne.xe de la Marine allemande
Le duel du canon et de la cuirasse
Chapitre IV. — Le port de i. \ .N'.wiu.crio.N de i>l.\isance
§ I. Le Yachting
§ IL Paris port de mer
: .1
•1^
Pages
. . 5
i .
■Il
1
. . 38
■ i
û:'
f j
'M
. . 49
. . 54
Chapitre V. — P u..
■ aïs des ARMEES DE TERRE ET DE .MER ET DE
E'ÜYGIÈ.NE
§ 1. Un enfantement laborieux Og
§ IL L’exposition militaire de la Russie. . 78
§ III. A la gloire du grand Pasteur 83
Chapitre VI.
Les serres de l'Horticulture et le Palais des
Cu.NGRÈS
87
Pans. — I.up. MICHELS et Fils, 6, 8 et lo, rue d’.Uexaudrie.
( ,. !•
EN VENTE :
r
I. L’Exposition à vol d’oiseau 1 vol. illustré
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais . —
III. Le Grand Palais —
IV. Le Vieux Paris —
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris —
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques
VII. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau • “
VIII. Les Pavillons des Puissances étrangères.
IX. Les Palais des Hôtes de la France. ... —
X. La Rue des Puissances au Quai d’Orsay. —
XL L’Avenue des Nations
XII. Promenade au Quai d’Orsay —
XIII. Les moyens de locomotion à l’Exposition.
Le Mexique ~
XIV. Au Trocadéro ~
XV. Les Grands Palais du bord de l’eau ... —
» 60
« 60
! 60
1. 60
» 60
» 60
» 60
B 60
B 60
I 60
» 60
» 60
B 60
B 60
» 60
A
':£’M
G. DE WAILLY
A TRAVERS
L'EXPOSITION DE 1900
XVI
LES COLONIES FRANÇAISES
PARIS
FAYARD FRÈRES, ÉDITEURS
78, Boulc\\ud Sainl-Micliel, 78
CHAPITRE PREMIER
NOTRE EMPIHE COLONIAL
U M, Cil EF TOUAREG
L’oflicier de vaisseau n’a pas fait quatre pas sur la
berge, se dirigeant vers l’entrée du Palais des Congrès, que
l’einbarcation énigmatique, la gondole sans gondolier, s’é-
lance à une allure endiablée, franchissant comme un trait
1 arche dn pont de l'Alma voisine de la rive droite du fleuve.
Avec un cri, M'''“ Flore se cramponne au bras de son
époux, dont la tête de héron se dresse inquiète. Bertrande,
6
A TRAVERS l’eXPOSITION
selon sa coutume, rit aux éclats, tandis que Vci’duret, sou-
riant, tire prestement sa montre.
Nos navigateurs longent ainsi le « Vieux Paris », passent
sons la passerelle des Armées de Terre et de Mer, glissent
comme un météore à quelques mètres de l’estacade du Port
de la Navigation de plaisance, et viennent stopper contre la
berge avant de s'engager sous le pont dTéna. Et Verdnret,
débarquant tranquillement le dernier, constate :
— Une minute vingt-sept secondes de ti’aversée. Cela
s’appelle de la vitesse. 11 est dommage que M. le baron de
Pilbouèt ait dû nous quitter : il nous aurait dit ce que cela
représente, maritimement.
— Du vingt nœuds ou milles à rheiire, la distance par-
courue étant d’environ 900 mètres; c’est simplement une
vitesse de transatlantique et dont rougirait un torpilleur
qui se respecte, mais qui n’en est pas moins anormale et
défendue en Seine... Aussi votre bateau, Sidi, se hàte-t-il
de s’éloigner dans la direction d’Auteuil.
La voix qui répond ainsi à la question du manufacturier
retiré sort, à la fois voilée et gutturale, de dessous le turban
de poil de cbameau d’un Arabe immobile à quelques pas du
point de débarquement de notre groupe provincial. Enve-
loppé dans un grand burnous blanc, le lils du Désert ne
montre de sa noire ligure guère plus ([ne deux yeux vils au
regard lixe, le bas du visage disparaissant derrière un voile
léger et opaque et le turban venant afilenrer les sourcils.
Verdnret et ses compagnons le regardent avec curiosité,
mais sans surprise. C’est d’un ton un peu narquois que le
chef de la petite bande lui dit :
• — ]\lerci du renseignement, monsieur l’Arabe, renseigne-
ment qui, sans doute, ne sera pas le dernier, car, j imagine
que vous êtes ici à notre intention?
— Allab défend le mensonge. Mohammed Abdullah ben
Mockarah, chef renommé au Grand Désert, a bien été
envoyé par le vieux Maître blanc pour recevoir et guider
les étrangers apportés par le llenve.
— Allons donc, je savais bien. Vous êtes Algérien?...
.Marocain?...
— Touareg.
— Ah bah!... Vous parlez joliment bien le irançais?
7
Mit tribu ma onvoyc, eni'ant, apprendre la science
des Rouniis au collège d’Alger.
C est donc cela! dit \ erduret avec le linaud sourire
d un homme tpii entend bien ne croire que ce qu’il lui plaît
fie ce qu on lui raconte. Eh bien, seigneur Touare
nous
sommes à vos ordres.
■ — Une les blancs veuillent me suivre.
— Où cela?
Au 1 alais du .Ministère des Colonies, ou iMohammed
Abdullah ben Mockarah leur dira ce qu’ils doivent savoir
pour visiter avec fruit l’e.xposition coloniale de la France,
une des plus belles parties de l’Exposition de 1900 et, je
crois pouvoir dire, la mieux comprise et la plus e.xcellem-
ment organisée.
Ee louareg, immobile jusqu’alors, tourne majestueuse-
ment sur les talons do bottes à tige rouge assez peu saha-
riennes et, a larges pas rythmés, se dirige vers les bassins
du Irocadéro. Sans s’inquiéter des olqurgations haletantes
de M""^ lièchard qui, remorquée par le farinicr, s’ossoullle à
le suivre, il continue à gravir la pente raille, prenant à
gauche des bassins, et atteint enfin
11 on gravit les marches, traverse la terrasse où s’élève
le plaire du monument de Barrias consacré au gloricu.x
souvenir des soldats morts en opérant la conquête de .Ma-
dagascar et, pénétrant dans une salle, s’installe dans un
lauteuil qu il a poussé devant une banquette où, du geste,
il invite nos deu.x couples a s asseoir. Sur cette ban(|uette,
s’etfondre avec une satisfaction non déguisée .M'"‘' Flore,
(|ui s’écrie :
— fhil ! il était temps!... Je suis quasiment eu fondue !
Ee fait est que la très rondelette dame est obli
prunier à son mari un mouchoir de j-ccbange pour achever
d’em
ee
LES COLONIES FR.INÇAISES
A TRAVERS L EXPOSITION
(le s’éponger. Le Touareg, avec le flegme des Orientaux,
laisse à Bêchard le temps de se remettre, puis, d’une
voix calme, un peu rauque, il commence :
— Sidi, par la Barbe du Brophète, je jure que je u’ai
jamais pémflré dans ce Balais officiel des Colonies sans un
profond sentiment de
respect pour le génie
puissant de la l’rance
et d'admiration in-
tense pour les hommes
de ce grand pays qui
ont su, avec tant de
clarté lumineuse, et
de gont artiste, rendre
])alpable pour tous
l'empire extérieur des
Français, et créer le
mei'veilleux champ
d'initiation coloniale
qu’est celte captivante
exposition des Colo-
nies et des pays de
jirotectorat du Troca-
déro. Cette exposition,
iM. CHARLES ROUX. qyj est un modèle et à
laquelle le public fait
un succès exceptionnel, aussi légilime que mérité, est l’œuvre
de M. Jules-Charles Boux, ancien dé[)nté, administrateur de
la Banque de France, dn Canal de Suez, etc., Brésident de la
Société de Céographic, Délégué des Ministères des Aflaires
F.trangères et des Colonies à l’Exposition de 1900, une des
[)lus hautes compétences qui soit sur toutes les questions
coloniales, commerciales et économiques. Esprit très net,
sachant grouper le pins complexe ensemble dans un maître
coup d’œil qui ne néglige aucun détail, volonté courtoise-
ment ferme, constance qui triomphe de toutes les difficultés
et énergie qui brise les olistacles, il est un de ceux dont la
France tient en réserve la rare valeur et l’expérience pour
l’avenir do son beau domaine exotique. Nul n’était plus
apte que lui à succéder à M. Dislère à la tête de l’organi-
LES COLONIES FRANÇAISES
salion si déliciite do l'Exposition dos Eolonios. M. Disière
avait préparé le terrain, réuni les éléments sur et avec
Icsqinds (;iiarl(‘s lîonx a, do toutes pièces, créé son
(oiivro, (ouvre qui tient toute dans ce laconique, complet et
limpide pi'ogramnK' :
(( Vulgarisation praligtie, utilitaire et 'pittoresque des
( olonies françaises . » Lcuiiinenl et éclaiia* spécialiste est
parti de celte conslalation, Indas! indénialilc, (|u'en France,
saul un gi'oiipe — clmque jour plus nomlireux, il est vrai
— d ('s|ti’ils oiuR'rls (d stn(li('nx, la mass(^ et ménu' une cer-
taine élite, ignorent les colonies... comme, dn r('sle, le fond
d(' ce qui laxiste hoi’s des Irontic'u'es. L liunuuir casanière
— [larlant aniicoloniale d(' lait — ■ qiu' Ton reproche au
iM’aiu'.ais cadr(' Irop mal avec sou tempérament audacieux
el son gYiùt des giaindes av(mliires pour n oire pas superli-
cielle.
« Elle |)rovi('nt d(' sou séi‘i('nx fonds d(' hon sens. 11
ne laquigne nnllonnmt à aller faire fortiim' sous d'autres
cieux, mais il veni savoir préalablement ce qu’il fait, ou il
va et quelles sont se.s chances de l'éussite. (Jr, comme il
ignore aulroment que de nom — (d encore! — ses pos-
sessions d onire-mer, il la'ste prudemment au grand foy('r
d(' la Meiropole ; il n est anticadonial que par ignorance. Eli
biim, c'est celle ignorance que M. Eliarles Roux a voulu
laire cesser aillant que possible im prolilant, pour cida, de
I (‘xcellent insirunient d(‘ vulgarisation qu'est une Exposi-
tion universidle. Il a organisé S(^n exbibition spéciab' dans
le but, si bien atteint, qu'aucun visiteur consciencieux ne
la puisse quitter sans posséder une nolion exacte et ibdai I lée,
non pas seulement des réalités géograpliiqiu's du domaine
colonial Irançais, mais de sa valeur productrice, industrielle,
commerciale, pratique dans le présent et dans l’avenir.
Rour parlaire son but vulgarisateur, M. Charles Roux s’est
bien gardé de négliger le côté pittoresque : l’etlinographie,
les vues vivantes de pays occupent une place importante
dans son organisation si savante, car il n’est tel, pour com-
pléter et fixer l’instruction du public, cjue de savoir parler
éloquemment à ses yeux, en même temps que l’on éclaire
son intelligence. »
— Comment, s’étonne Verdnret en ouvrant de grands
10
A TRAVERS L EXPOSITION
y(Mix, cVsl iM. (-harlos Houx qui a org'aiiisé (ouïe colle
inoilic' (lu Trocadéco? C’csI l’aiilasl ique !
— Non, i\l. Charles Roux a été l'àme, la direction et le
contrôle, à la fois, de cette immense inslallation dont les
détails incombaient aux Commissaires spéciaux de chaque
colonie, disposant et travaillant toujours guidés par Vidre
du Délégué dos ministères. Et même cette tâche de direction
et de dispositions d’ensemble, si complexe, eût dépassé
les forces matérielles d'une seule tète, si actif que soit le
cerveau de M. Charles Roux. Aussi a-t-il eu un collabo-
rateur précieux, un collahoraleur d’aptitudes, de savoir et
de capacité hors ligne, en la personne du Directeur adjoint
au Délégué, M. Marcel Saint-Germain, sénateur. d’Oran. Un
des plus jeunes membres de la Chambre Haute, il a cet
accueil franc, cette simplicité spirituelle et primesautière
f|ui conviennent si bien aux supériorités. Venu à Oran en
USiSf, oflicier ministériel, sa valeur aussitôt remarquée ne
devait pas tarder à le faire sortir du rang. Adjoint au maire,
il n’attendit pas longtemps dans cette fonction municipale
la faveur du sulfrago universel qui l'envoya roprésenler la
province algérienne à la Chambre des Députés. Ce ca|U’i-
cieux souverain qui aime à jouer avec ses idoles, sans
égards pour les services rendus, ayant eu une velléité d’inli-
délité à l’endroit du mandataire dont Oran était justement
lier, le sulfrago restreint vengea bien vite M. Saint-Germain
en l’envoyant siéger au Luxembourg. 11 est membre du Con-
seil général du département africain, où il a pour collègue
M. Etienne, député actuel d’Oran, ancien sous-secrétaire
d’Etat aux Colonies avant qu’elles ne fussent devenues un
ministère.
« IM. Charles Roux et son éminent collaborateur ont trouvé
en MM. Y van Rroussais, sous-directeur, Victor Maurel, secré-
taire général de leur administration, et Ercbléric Rasset,
chef de cabinet du délégué, des aides aussi experts que
(b'-voués.
<( .Ictons maintenant un coup d’œil sur ce Palais du Mi-
nistère des Colonies dont M. Charles Roux a voulu faire la
O synildse » de sou exposition coloniale. Par Allah ! mes
meilleures lieurcs d’ami ardent de la puissance française,
je puis dire que je les ai pass('es ici, dans ce Pavillon de
r,ES cnr.ONTKs françaises
H
scrieusc clcgancc qiio ses belles lignes arcliitoctiirales font
paraître vaste comme un palais; sous cette coupole (l'entia-e
où le maître peintre Cormon a reprcsenti' les quatre parties
(lu monde colonial : l’Asie, 1 Afrique, l AnKù’ique et
rüc('anie; dans ces belles galeries on, sous le plafond dû au
pinceau du même grand artiste, se dressent, en hommage
reconnaissant, les statues de ces hommes qui donnèrent,
en ce dernier quart de sif'cle, leur labeur — et comtden leur
vie — à Fujuvre de la « plus grande France », les Jules Ferry,
les Courbet, les (îarnier, les Lavigcric et toute la pbuac'le
des héros de l’expansion coloniale; dans cos deux vastes
salles et les quatre autres plus petites où, parmi les visi-
teurs recueillis, j ai appris a juger l’ensemble du superbe
elfort de la France, cà apprécier, par leurs travaux, la haute
valeur des enfants do la vieille Gaule parcourant l’univers, «
les trois couleurs nationales à la main, pour partir au loin
persuadant autant (pie combattant — la giùiéreusi’ et
cbùnento civilisation d’un peuple libre, bon et )nste. C’est
dans ce pavillon, feidi, ipie sont on ellet, clairement,
oflorts a 1 instruction de tous, tous les documents qui disent
1 umvrc de la colonisation Irançaise, au point de vue histo-
rique et à celui des résultats acquis. Incomparable biblio-
thèque coloniale, publications g(‘Ographiqucs oflicielles, .
travaux des ofliciers en colonne, des ingénieurs et dos
hardis pionniers de la pénétration émancipatrice, statisti-
ques de toutes sortes, tout est ici réuni pour que le public
studieux puisse se rendre compte de ce qui a été fait et de
ce cpii reste à faire encore. Et quelles lei^ons d’ordre supé-
rieur on trouve cà chaque pas, si l’on sait regarder! Voyez
cette immense carte du réseau tidégrapbique sous-marin
supprimant la distance pour la pensee et les (b'cisions en-
traînant 1 action : les câbles de chaque nation y sont indi-
ques par une couleur spéciale. Ce tableau ne crie-t-il pas
à tous les Framjais qui le contemplent, que les représeu-
lants de la nation n’ont pas compris qu’un empire colonial
lran(,‘ais im rosie, sons pente de presque le livrer d'avance à
rennemi éventuel, un réseau (le communications télégra-
phiques com|)let exclusivement français! Voilà la premîère
(euvre a taii'c sans délai, la lacune à combler sur l’iieure,
et chaque jour que lait perdre la politique pour entre-
12
A TRAVERS l’eXPOSITION
prendre ce travail d’urgence effroyable, est un crime envers
le pays ». Tenez, Sidi, voici une place spéciale réservée
aux travaux de la mission Marchand, qui évoque immé-
diatement le souvenir de Fachoda. Eh bien, deux choses,
nous ont conduit à éviter à tout prix — et quel prix! —
une lutte contre Albion ; l'abandon de nos colonies elles-
mêmes par le fait de l’impossibilité de communiquer avec
elles et d’ôtre renseigné sur les opérations navales de Tad-
vorsaire, et le manque de points d’appui suffisamment
défendus et outillés pour notre Hotte.
(( Dans ce pavillon, on ne sait vraiment où ne pas s’in-
téresser puissamment. Ici sont les documents montrant les
beaux résultats obtenus sur le Niger, au Soudan, au Sahara,
en Guinée, au Congo ; là, ce sont ceux de la mission Pavie,
en Indo-Chine, des lieutenants de vaisseau Simon et Maze-
raud sur le Mé-Kong, de la mission d’étude du chemin de
fer de pénétration du Tonkin au Yun-Nam, les superbes
levés géographiques de Madagascar dus à l’initiative du
général Gallieni, etc., qui éclatent aux regards... Et puis
le grand atlas colonial, les tableaux statistiques avec gra-
phiques, etc.
(( Trois salles ont été réservées à « l’office colonial », inno-
vation administrative du plus haut intérêt pour faciliter la
colonisation. Ce sont : un salon de réception-bibliothèque
où 8,000 volumes et toutes les publications ayant trait aux
colonies sont à consulter ; un bureau où des fonctionnaires'
donnent tons les renseignements commerciaux et de toute
autre nature que Ton peut désirer, salle dont des peintures
murales indiquent les gisements honilliers, les concessions
agricoles occupées et libres ; une salle contenant des échan-
tillons de tous les principaux produits coloniaux... Et,
semées de toutes parts parmi toutes ces choses graves, des
œuvres d'art qui font de ce palais d’étude un séjour char-
mant... »
— Comme synthèse, il faut avouer que voilà une merveil-
leuse synthèse !
— Pourtant, M. Charles Roux l’eût trouvée ainsi encore
incomplète. 11 a voulu qu’aux échantillons des produits
vinssent s’ajouter ceux de la flore coloniale, afin que le pu-
blic ne puisse dire que quoi que se soit ayant trait aux colo-
LES COLONIES FRANÇAISES
13
nies ait été enlevé à sa possibilité d’instruction complète.
Il a chargé M. Itybowski, directeur du Jardin d'Essai des
Cultures Coloniales, à Vincennes, d'installer dans les
serres qui font suite à la galerie iine''e.\position de plantes
exotiques qui est une simple merveille...
(< Et maintenant que je vous ai indiqué décrit le
Palais synthèse, nous allons — sommairement, bêlas ! car
les limites d’une conférence sont restreintes — voir pour
chaque colonie le résultat (parlait, je vous le dis d'avance)
qu’a donné l’application scrupuleuse du programme pra-
tique, utilitaire et pittoresque de M. Charles Ifoux. Avec votre
permission, Sidi, je commence par...
L’ALGÉRIE ET LA TL'NISIE
Et, s’adressant avec une impertnrbahlc solennité et une
délerence inarcjnée à l’oncle de llertrande, le noble Africain,
de sa voix gutturale et monotone, poursuivit, scandant les
mots :
— Sidi, il vous semble peut-être que, entrant dans le dé-
tail des nombreuses colonies francaist's, je devrais commen-
cer par c('ttc splendide Algérie, si enviée à la In’ance, et
qui occupe, dans cette exposition du Trocadéro, la place
d’honneur au premier plan. Je m’abstiendrai cepinnlant de
vous en entrct('nir.
— Bah !.., Pourquoi ?
— Pour deux raisons : la première est que ce serait vous
faire injure ([ue de prétendre vous apprendre ce qu’est cette
vaste extension du tei’ritoirc métropolitain par delà le grand
lac méditerranéen. Rien de ce (|ui concerne l’ancienne Nnmi-
dic des Romains ne peut être ignoré de ses maîtres mo-
d('rnes, alors que chaque année les cheiks de la capitale (ui
élaborent longuement la gestion à la tribune du grand con-
seil tumultueux dos cadis réunis dans le tempb' gr('can(|uol
conduit l’allée de pierre du pont de la Eoncorde. Ea s('conde
raison est qu’en réalité l’Algérie a depuis longtemps cessé
d'ôtr(' une colonie, an sens complet du mot, i»mir devenir
partie intégrante du territoire delà Métropole. Alger, Oran,
r.KS COLONIES FRANÇAISES
Conslantino, sont dos départemonts français licanconp mieux
conmis dnp,Tand {inidic (|no nombre do ddpartonionts do la
branco contimmlab' enropooniio, ot ils sont si pon t(‘rros co-
loiiialos qu’ils ndôvont dn Minisièro de rintériour ot non
do C(dni des Colonies. Le représentant dn Gonvornomont
Il est pas nn gonvornenr colonial, mais provincial, une sorte
de prélet supérieur, comme il y en aurait de ce côté de la
Méihterrance si la centralisation administrative de la France
avait laissé subsister la division en provinces en y ajoutant
le secliminement en départements. Vous visilère/ donc
l’exposition algérienne comme vous le feriez de celles do la
Ficardie, de la Guyenne, du Béarn on de la Savoie... si elles
existaient sous cette forme.
« G est en évoquant les souvenirs bistoriques de cette belle
partie du Nord-Africain — Nnmidie occidentale au temps de
la Bépiibln|ue Komaino, Mauritanie Césarienne et iMauri-
lanie Sititienne. sous la domination des empereurs de limno,
Boyaume des Vandales au iv" siècle de l’ère ebrétienne’
•Mabgreb de l’immense empire des Arabes an temps on
(diarlemagnc groupait la l'rance, la Germanie et l’Italie
sous son seiqitre puissant, Fiat des Almoravides au xC siècle,
centre dn Boyaume des Maures à l’époque des croisades’
Boyaume de Tlemcen au temps du moyen Age miropéen’
Begence barbaresiiue au xvC siècle (où Cliarles-( tuint fut dé-
ait par Barberousse et les éléments coniurés), jusqu’à ce que
la brance moderne ait, en 1830, commencé la con(|uétc qui
a translormé en province française le somptueux repaire des
terribles pirates qui furent si longtemps les maîtres de la
J(‘ditcrranee qu il faut gravir les marches de l’escalier
monumental (lu Balais ofliciel de l’.Vlgérie. C'est aussi, sons
peine d èlri' ingrats envers vos héros, en évoquant b>s hères
ligures des soldats lameux aux(|nels les races guerrières peu-
plant l('s villes et les douars ont pu rendre les armes sans
honte ni sans déclnhinco dans leur propre estime, (pi’il faut
pénétrer ici. Les vaincus de vaillants génies tels qui' les
Clanzid, les Bugeaini, Nalèe. Bedeau, Lamoricière, Mac-
Mabon, Caiindu-rt, Changarnier, d’Aumale, etc., conser-
vaient le droit de se dire des guerriers par tons autres invin-
cibles et d(‘ devenir les frères d’armes de leurs intrépides
et génért'ux vaiinjuenrs.
A TRAVERS l’eXPOSTTION
k;
(( Si los (‘hors qui ont guc'rroyo penilant la longue période
de conquèle vivaient — S. A. R. le dnc d’Aumale a fermé la
marche funi'lire de ces immortels vers la tombe — la vue du
Palais officiel de l’Algérie raviverait leurs glorieux souve-
nirs d'Algériens, (l’est la mosquée du sultan Bacha qu'ils
retrouveraient dans le minaret
orné de faïences qui s'élève à
la droite do l’escalier monu-
mental; c'est de la mosquée
de la Pêcherie que leur parle-
rait la grande coupole cen-
trale; ils se sou viendraient
avoir vu, rue de rEtat-Major,
à Alger, l'auvent qui termine le C(jté oppose do l’édifice;
surtout, ils retrouveraient une intéressante partie de la
IMosquéc d A bd-el-Kader , a Mascara, dans la jolie salle voûti'c
où sont exposés, dans un décor de tableaux représentant des
scènes agricoles indigènes, les produits du sol algérien. Le
reste du Palais, dû à Part savant de l'habile architecte,
M. Albert Ballu, est de fantaisie en même temps que du
plus pur style mauresque.
<( C'est bien toute l’Algérie francane qui se détaille dans
18
A TRAVERS l’eXPOSITION
cc Palais, avec juste ce qu’il faut d’arabe pour indiquer
le cadi’c africain dans lequel se meut la vie européenne
élargie et calmée par le contact de la vie orientale et musul-
mane. La grande cour mauresque du sous-sol, couvrant
124 métrés carrés et qui est une reproduction d’une salle de
l’ancien Musée d’Alger, montre l’Algérie antique, il est vrai,
avec ses ruines de Timgad, de Tébessa, de ïlemcem, ses
statues des musées de Cherchel et d’Alger, mais, aussitôt,
une galerie contiguë expose les vins do nos crus transmédi-
terranéens. Au premier étage, les mines, travaux publics,
enseignement, salles de la presse, de l'iiivernage sous ce
délicieux climat, des eaux thermales, des forêts, des Beaux-
Arts, des Tabacs, de l’exploitation agricole, disent bien vite
à quel point l’européenisation a fait son œuvre, et, sur le
grand plan en relief de b métrés sur 4, incurvé selon la
sphéricité de la terre, on voit combien on doit, quittant le
Tell, s’enfoncer dans le Sud, pour trouver, par delà les
monts et aux conlins du désert, cette vie arabe que plus
d’un touriste s’imaginait rencontrer presque en descendant
du paquebot.
(< Pour compléter l’exacte sensation d’Algérie moderne
que donne le Palais officiel si savamment réussi par M. Ballu,
il est intéressant de faire une visite au Pavillon parallèle
des attractions algériennes, construit par le môme éminent
architecte. Ce Pavillon a donné asile à certaines exhibitions
un peu bien foraines ; mais, laissant celles-ci de côté, il en
reste trois .qui sont do premier ordre; le Stéréorama qui,
très ingénieusement, donne l’illusion parfaite d’un pitto-
resque voyage au long des côtes d’Algérie de Bône à üran,
en passant par le superbe golfe de Bougie et la rade d’Alger
et par tous les effets de lumière compris entre l’aurore et
le crépuscule sur ces bords où la lumière infante des téeries ;
le ïhorama de .MM. Noiret et Galand qui emmène le visiteur
émerveillé dans l’intérieur, au col de Sfa avec Biskra au
lointain, au désert non loin de Sidi-Boum-Eddhim, au ravin
lie Constantine témoin de tant d’actes d’béroïsmcs, aux
gorges imposantes du Bummel, eu un coin sauvage du
Pjurjura, enliu à Alger même; la l\ae d’Alger^ qui est une
reproduction lidèle d’une des voies tortueuses, restées bien
arabes, de la Casbah, avec ses cchopes de marchands et
LISS COLONIES FIÎ AN(,; A I SES
19
SCS milisous à moiicliarabics. nniconque a su Ijien voir le
Palais olficiel et le Pavillon des atlraclions, ne forme plus
qu’un vu'u...
— C’esl d’aller s’assurer de visu île rexaclitudo de ces
diverses reproduclions.
— Oui, Sidi. Kt quiconque a une fois de rAlgcric
y revient et y entraîne plus d’un touriste qui deviendra un
Algérien, pour son plus grand bonheur et pour le plus grand
bien de la France d’Afrique, qui regrette que ses beautés et
ses avantages attirent tant de Latins des deux presqu’îles
méditerranéennes et relativement si peu de fils de la grande
patrie!... Mais, je ne veux pas m’étendre davantage sur cette
province Irançaisc, je vous en ai dit les raisons. Je passe à
a Tunisie voisine.
Un moment, s’écrie llcchard. Je vous ferai observer...
Le louareg, sans faire un geste, mais en grossissant ta
voi.x et lui donnant un ton d’autorité absolue, interrompt
le farinier interloqué.
■ IM moi, je vous ferai observer que, si j’ai été instruit
par les Koumis et suis un patriote framgiis beaucoup plus
brançais et patriote que trop de Fram;ais de France, j('
n en ai pas moins gardé toujours — etrepris plusprofondément
que jamais en rejoignant ma tribu — les sentiments de
respect biérarchique qui sont, avec le respect d’Allah, la
force d'un peuple et qui s’est perdu dans la grande France,
saul dans 1 armée. Or, an désert, quand un cbeick parle, de
meme que qnand un vieillard raconte la sagesse, on se tait
et on écoute. Je sais que dans vos assemblées de cadis il est
devenu d usage de couper d’iri'évérencieuses interruptions les
discours do vos cboicks et des autres cadis, surtout si leurs
paroles sont empreintes de la sagnsse inspirée par Allah.
Commeces perfectionnements n’ont pas franchi les immenses
vagues d’alfa pour gagner les oasis, îles du Sahara, je m’oii
tiens a nos coutumes du liesert et je vous prie, Sidi iii'oyeur
de couscous, d attendre pour parler que j’aie volontaire-
numt cessé de le faire : sinon, je quitterai la place pour aller
cborclu'r la dignité et la déférenci' parmi mes Touaregs, che-
valiers des sables sans limites! Je poursuis donc.
L année LScSl où, |)ii' b‘ ti'aité du Bardo (m'gocié, ajii'ès
une facile campagne, par le général Bréard), le bey Sidi-
20
A TRAVERS l’eXPOSITION
Essadok recoTiniil le protectorat bienfaisant de la France et
la souveraineté sur la régence de Tunis, doit être mai'qnée
d'une houle hlanclie. Grâce à Jules Fej'i'y, qui paya de l'iin-
popularilé le haut mérite d’avoir su pi-eiidre la tète du grand
inouveme)it colonial vers lequel toute l’Fui'ope allait faire
dériver ses forces immobilisées dans la paix formidablement
Lr, Pavillon des AiTiiACTiONS algiîiiiennes.
armée, la patrie française, qni a recueilli bbéritage de l'an-
cienne Rome comme ccmtre moral de la race latine, moll-
irait avec (iiielle vigueur elle, s’était relevée d’uu récent
(b'sastre. Fa prise eu suzeraineté de I ancien empire de Car-
thage, aiuiuel une sage adminisli'atiou a su rendre déjà
pres(|ue toute sou antique prospérité, est mieux qu un coup
de maître; c’était pour la France reprendre le cours de son
histoire, un moment suspendu, et atténuer un peu la pusilla-
LES COEOIS lES Elï ANÇAISES 2 I
iiiiiiil(‘ C(*iip(ibl(‘ (jiu îH L iiuss(* All)i(ni l(M)(lr(^ soiil(‘ vc^rs
l'J^gypIc, il(Hil Hoiiaparlo avail. ('h* la » Siillaii Jiislo ». ima
inaiii... qui s osl vilo l'olcriiiéa. La Frauca, (l('|)iiis nu siècla,
r(un])lil, la niissioii, |)résafvali'ic(' j)Oui' la niuuda clinditui
aiilaiil (jua da Idanrail liuniain, da pânalrcr da plus au plus
la iu()ud(‘ uiiisuluiau du pi'asliga da ses aiauas, de sa, civilisa-
lion al. de sa juslice. (ii'àca à ella, la l'analisma de rishuu
aiail place, (ui I iulausa luyai- i'(d igieiix afi'ica iu , à uii modus
Wemr/t eulrcî rEvaugila al le Coran, qui deviajidra, avec
1 exlensiou de, sou acliou, uu cousauliuiienl paciru|ua à la
jiixlaposiliou des ctillas siij- la sol de l'auciau l’oyauuia d('s
Maures. L uuivre coimuaucée par Boiiaparle aux l*yramid(3s
(où noire iiilluauca, souvenir seculaiia', n'a pu èlra aiilièra-
uu'ul supplatilée) s'esi poursuivie eu Algérie, eu Tunisie,
au Soudan, eL péuàtni !(' Sahara.
« La luuisia, ou la Coran avait deLi'uil las anlu|uas et
hrillanlas civilisations carthaginoise, romaine et Ityzantina,
asl un beau al saluhra pays ollVaul, comiua rAlgérie sa voi-
sina, (las plaines au nord, de hauts |daleau.x luonlagnanx an
centre, la zone des sablas au sud. An nord, à l'est et au
canli'e, la cliiuat, lanqx'ré jiar h‘s brisas marinas ou h's
alliludas, est tia'-s siipporlahla, mèiiK' en (d(', et las hivers y
sont d’une grande doucaur. La llora an est mervaillamsa :
las oraiigai’s, les (diviei's, la vigiu' y viennent aliondainnianl,
(d la paluiier-dalliei' tidoiuplu' dans la la'giiui vedsinc du
dasert. Le sous-sol est lâche eu giseiuaiits de phosphates, (>n
minas da jilomb, an carrièi’es tie marhi'as lamomimis. La
faune oIVra aux chasseurs la pei'drix, la gazcdla, le lièvre, et,
pour les vaillants munrods, h‘ sanglier, le chacal, etc. Un’
compte actuellement 20, OUI) colons IVai^aiis, nombre (|ni a
ele (d ira croissant d’amnie en année. Dans h‘s souhs ou
marches, iré(|uenlant les corporations indigènes : cordoii-
ni('i s, tissan rs, la i Ihuirs, h rodan rs, hi jou li(*rs, chaud r(;)n n iers,
potiers, etc. .h' n ai [),is besoin da vous parler d(‘s tapis, (jui
sont appréciés dans l'iMii’ope entière, et des essences pré-
cieuses.
<( Ce si llorissant Drotectoi'at, dont la budget s'élève à
2i millious sans rien coûter à la Mélrojiole, et (jui |)ossèdc
(lualj-e grands beaux ports : Tunis, Sousse, Sfax et Jiizeide
ce dernier port militaire de prenii('r ordre et un solide
22
A ÏUAVEIIS l’exposition
point trappui pour notre année navale lorsque ses travaux
(le défense seront eiilin terniinés — est relié à rÂl(>érie par
le chemin de fer. Il est un d('s pins beaux llenrons (h' la
coni'onne de r('mpire colonial des Hoinnis de Fi'ance, et a
tonjonrs été excelleniincnt administré par tes résidents f;é-
mh'anx (jni gon vernenL au nom de la l{épubli(|nc, sous l'au-
torité noiniuahî du la'y. Le résident ^('iiéi'al actnel est,
(hqniis M. M i I let, ministre [dénipotentiaire de classe,
anci(‘n clnd' de cabinet de M. Bartiiéicmy-Saint-Ililaire, puis
ministre de France à Stockholm. C’est nn gouverneur ben-
l'enx dans nn benrenx ])ays, oii la vie est larg(‘ et oti le tra-
vail int(d I ig('nt assure l'aisance en altendant la rortune.
« La Tunisie méritait une jilace d'honneur dans cette
exj,»osition coloniale dn Trocaub'ro. File l’a, (d cette place
est superbement rempTn', gràc(' à l’habile organisation dont
rbonucur revient (à M. le Commissaire, docteur Loir, aid('‘
de collaborateurs tels ()ue : M. Roger Martin, inspecteur de
l’exposition des Colonies fran(^.aises en t(S8!), Commissaire
adjoint; M. lJugon, directeur de l'Agricultiire et dn Com-
UK'rce, (|ui a centralisé les divers services conliés à :
.M.M. .Macbmd, diiaudenr général de l'Fnseiguement juiblic;
Buisson, dirt'cleur du colb''g(' Alaoui (Ecfde normale de
Tunis); Bavillier, directeur des Travaux publics; Ganckbd
et Ladonx, directeur et inspecteur des Arts et Anti([uit(''s;
Boy, secrétaire général du Cou vernement tunisien; .lacqnes,
directenr de l’Oftice postal, et Dncrocquet, directeur des
l’inances.
« A tout scigueur, tout honneur : un mot s|)écial est dû
à M. le lt‘' Loir, Commissaire du Couvernement tnnisien à
l'Expositiou de tltüO, ([ui est tout simplement le neveu de
l'illustre Bastenr, cet autre «Grand IGançais». Né à Lyon,
eu 18t)2, le tJ’’ Loir a (dé successivement préparateur de
(diimie à la Faculté des sciences de sa ville natale, dont son
père était le doyen, puis, à partir de 1882, préparateur de
son oncle Ikistenr Ini-mème. fin 1881), il est chargé de
rinstallatiou de l lnstitut Bastenr de Saint-Bétersboiirg et
tait, deux ans après, [lartie de la nii-;sion envoyée en Au-
stralie [)Our procéder à la deslruction des lapins... que h“s
s)|natters préférèrent conserve)' pour les exporter en Eu-
rope dans les frigoriliqucs, ce qui ieu.'’ procure de gros béné-
LUS COLO.MUS FllANÇALSLS
lices. .M . l^oir siiL lircj’ ])ai'li de sa ])i'éseiice à Sydney pour
y ci'éi'i' lin Insliliil l‘as(eiir qii il dii i^c'a pendant qiialri' ans.
Il qnilla, imi iNü.i, I Australie', y laissant la niai'(|ii(‘ liien-
l'aisanle de la supériorité de la science française et vint
fondei' un Institut si'iiililable à ïnnis. il installa siicci'ssive-
inent élans li' l'roli'clorat un Inslitiit raliie|ne, un cenli'c vac-
cinoj^ène oèi l'on produit li' vaccin pour conibaltre le lléaii
de la variide, e'iilin un Inslilut antiel i pli tcriqiu', tandis ijiie,
dans son laboratoire, il éliidiail les aniélioi’alions à apporb'r
a la vinilication dans ce pays ofi la vi^ne est un de's grands
ani'iils d(' ioi'tiiiie pour les lîiUropéens. La Tunisie saeanti'
niar(|ua au 1)' Loir sa re'connaissance jioui' tant de* belles
ei'iivj'cs accomplies au |)i-ix di's plus laborieux ell'orls en raj)-
pelant, en LSIMi, a la préside-nce de Ta liistilut de Liirlba^e »,
docle association lu n isienne des Lellres, eles Sciences e't ele.s
Arls. C’est l'ii celte' (|nalité eju'il ivalisa son proji't de la ir-
ce'ption ejiie lit la liinisii'àl Associalion li'aiiçais pourravan-
e'i'ini'iit (b's science's, lors du Conj^i'ès de' Carlha!;i'. Oj', b'
|u•ésid('nt de' ce' Ceuq-rès eitait ,M. Dislè're', leréelée-e'sseiir' eb'
-M . (diaib's Leuix élans b', peiste' eb' Itéb'giié eb'S Ceibuiie'S èi
ILxpeesilion (b* ItJOÜ. t, e'st lui ejiii, lrap|)i' ele la su périe'ii re
e)i i;a n isa I ieui eb' I l'^xposiliem ineliistrielle e]u aeail orj^auisée,
|>our cette ci rceuistaïu'e, rinstiliil eb' Carlluque', eb'nianela ;i
Seul Altesse le lii'y, sur la jeroposilieui eb' ^'l. .Millet, Uési-
eb'iil p,éuéi'al, eb' lui ilonne'r le 1)'' Loir conimi' sou collalio-
l'ateiir, en ce qui coimerne la Tunisie, pour la i;raiule T'éte
la lin élu siè'cli'. Du ri'ste, les edectenrs Iraïupiis élu
’ro-
le'eloiat a\aie'nt eléja, e'ii e|uele[ue' sorte', ]U‘is les devants en
en\e))ant le ji'iine et si actil saAant sie\yo_'r à la Conl'érence
cemsiiltali ve de lunisio. Voilà riieemnie. Voyenis Tœiivre
maintenant.
« Le Leibiis el exposiliejii ele la Tunisie, e|ui couvre eine sur-
lace ele 5,00(1 mètres carrés, est un ense'iiible liarmon ieiix
ele reconslilutiems habiles et ele pur style arabe eles plus
curieux édilices de la Ue-^o'iice. C’est i\L 'Sahulin, l’éminemt
arcbiU'cle eirienlaliste, déjà chargé ele loger la 'l’nnisie
en IbS.t, ejiii, a\e'c un geuit stivant eaù hi liilélité sci'iqni-
leuse le elisjnite an |)ilte.re'sque, a l'éiini en un teint, qui
est eine petite ville arabe, en minialui'e, la .Mose|uée ele
Sidi-Ma/ire:, à lunis; la Mosquée du Barbier du Prophcle,
24
A TRAVERS L’EXPOSITIO^•
à Koi’oiiaii; inic porte de Monasiri, avec ses inscriptions an-
ciennes; une cnriense ladite maison de Sidi-Bon-Saïd cneillie
sur la côt(‘, près de Bizerle; le pavillon de la Manouha,
situé à Tunis, près dn Bardo, et qn'entonre nn jardin; le
minaret àv Sfax, enlin, dont rélégance élancée domine le
composite édirice.
(( (l'est liien, scdon la pensée directrice de M. Charles
Roux, toute la Tunisie qui vit dans ce décor excellemment
tunisien. La Mosquée de Sidi-Mahrez partage ses 12,000 mè-
tres de superlicie entre les ex])ositions des administrations
d'état; agricnltnre et commerce, CRseignement ptddic, tra-
vaux publics et mines, direction des antiquités et des arts,
dont les fouilles font si superbement revivre le lointain passé
punicine. Les exposants particnliei's si noinlirenx montrent,
dans le reste du Palais, quel beau développement a pris
rindnstrie dans la Régence depuis qu’y commandent ces
LES COLONIES FIÎANCAISES
l'rançais qui s’cii vont rdpélaiil naïvomiMil, parce que les
étrangers le (lisent, qn’ils ne sont pas colonisateurs.. . alors
cju à chaque pas l'IIisloire s’inscrit en l'an x contre cet anto-
• Cnigrement (|ni é‘|„ig,ie trop «rinteltigences et de capitaux
(les ('iitrejn-ises coloniales on ils trouveraient tant do suc-
cès... Ht l’étranger de sourire en occupant la place laissée
vacante. Comment celte patrie de la pensée, de la logique
(lu travail, des grands élans de justice et de générosité, cetti-
Hrance qui a moralement colonisé l’Europe continentale eu
a [lénétrant de son esprit, se. trouverait-elle taire moins
lonne figure que d autres nations heaucoiip moins sympa-
thiques vis-a-vis des races de civilisation intérieure ou de
culture moins avanc(>e? Un disait jadis, de qui entreprenait
une cenvre considérée comme impossible, qu’il « voulait ma-
rier le Crand Turc avec la Hi^puldiqiie de Venise » ; la France
a lait plus fort: elle a marié le croissant de l'Islam à ses
trms couleurs chréliennes catholiques, et de cette, union
naissent cIukjuc jour de nouveaux fruits.
n-T lunisiimne? ohjecte timidement
IJechard.
Le loiiareg lance au farinier un regard sévère et nonr-
— La partie la plus pittoresque de l’exhildtion de la mo-
derne Carthage trançaise est la reproduction vivante, tidèle
reidle des Souks, ou marchés arabes. Cette longue rue se-
nieiyle petites houtiqiies bizarres où l’on voit travailler et
vendre leurs produits si divers : le potier de Nahéral, le tis-
•serand de Galsa, le tapissier et le chaudronnier de Kérouaii
e cordonnier de Béza, l’émaillenr de Moknin, marchands de
honhoiLs d epices, de parfumerie, de bijouterie, d’ébéniste-
Jie d (jrfcM-erie, de burnous, et l’éventailliste, et le barbier
et le (lecorateur de gargoulettes, etc., est un coin qui, au
cie pies, lait du voyage au Trocadéro un résumé piciuant
dum^ p'ande excursion à Itizerte, Tunis, Soiisse, Sfax, etc.
J ai dit. Maintenant, vous pouvez parler
— Cosi po„s<. Bècl,»nl qMi, pou,, pmlilc,' aus-
■ ot ( C la ])ermission selon son goût dominant, demande:
tour que ces Souks tunisiens puissent offrir quehiiie
Maisemblance, il doit falloir tout un personnel indigène?
— Aussi, sont-ils cent quarante, dont ]dusieurs femmes.
A TRAVERS l’exposition. — T. XVI. -
26
— Tous jnusuliiiiias? inlcri'ogC u sou loin' Ncrduicl.
Li(>s (loux ('léiuciils (Joui SC coiu|)i.)sç la popiilalioii imli-
p,ciu' sont ici l'ciu'csculcs : les inusiiliuaus (l'iicc laulicic cl
?acc mam'(‘).cl les israélilcs, ([ui oui conserve les mœurs cl
mainleiiu le Ivpr des sémiles oi'iealaux.
— Un derii'ier mol. D'après loul le liien que vous , nous
diles de la Tunisie, il sei'ail iuléressaut de voir s y rendre
lant de pauvres diables qui véf'èlenl eu b rance !
Oui, Sidi, sui'loul pour s'y adoumu' à 1 ap,riciilliire.
Sur 21,000 Français insLallés eu Tunisie, 16 "A. senlemeiil,
soit de 31 à 32,000 se partag’enl la possession el le Iravail
(les 310.000 lieclares de lerres ap[)ai'leuanL à vos nalionaux.
Ce n'esl pas assez, loin de là, élaul donné le bel avenir (|ni
alLend les C(doiis laboi'ieux. Aussi Ions les loualdes ellorls
de rAdminislralion sonl-ils lonrnés vers le peiiplemenl
l'rançais. l’assons à
('IIAI'ITh’E 111
LA NUUVEI.LE-CALÉDOMH
— Ail! iili! liiil Bècliard, la Luikmiso (( Nonvclli' », à liu|iic|l(‘
‘""l’"'''"*' '< (1(! r(‘((Mii- » (iiin l’on voil ces
«■xnclk'iils cscai'ix's cli(Tcli(‘r à inasiirci- la iiorléa piMialc de
Iciirs iiiaiivais coiijis de ra(j(m, au cas où ils soraieiil pris c'i
SC lairc l•cl.'‘^llcr dans ccl eden des mall'ailcni's !
— Avouez, dil, Verdnrel en s'adressant à .Mahoined Ali-
dnllali ben .Mockarali (|ne vous autres. Africains du Deseid
vous vous ùlonnez de voir expddier nos chenapans dans nii
pays de. climat iiiMvilegick aloj's (pne nos hraves et honnêtes
lietits soldats sont envoyés sur les côtes où régnent ta
dysentmae ou la fièvri! pinne?
— Je m en etnnnerais, Sidi, si j'avais moins ajijiris à con-
naître les hrançais. Ce que vous sif-nalez est un excès de
v()s mei lenres qualités : la honte généreuse .le la ra.^e gau-
loise et la vivacité d impression que lui causent les imaires
ovo.|nees par les mots. Cuvoyer à la mort possihle un cou-
puhle qui nest condamné qu'aux travaux forcés lui semhie
m,|iisliceet .^nmauté. Le hrav.> petit sohlat peni, lui, courir
losris.,nes du trépas, pui8.|u'il emporte l’honneur sous le
plastron d.' sa varmise et (|u’il aura celui de siiccomher
nohlemenl eu se dévouant au s.'rvice de la [latrie et à la
gloire du drajieaii. lai soci.'d.' qui approuve le sacrifice géné-
reux es hiessée par l'idée d'aggraver la peine de ceux
qu elle brise sous ses lois de défenses nécessaire.
28
A TRAVERS l’EXPOSITIOIS
— llum! p(Mise Verdurel, voilà 'k' la psycliologio bionsiil)-
lile pour 1111 ]iriiice du Déserl!
El il l'ogardc curicusenic'ut le singulier Touareg (jui, ler-
maut la [larenllicsc :
Oui, Sidi, celte ile de la Nouvelle-Calédonie, située
entre 20 et 21 degrés de latitude dans raulre héiuistilière
et, en longitudes (101», 30 et 164», 10), aux antipodes de la
Métropole, longue de 400 kilomètres et large de 50 a 60 ki-
lomètres, possède nu merveilleux climat; la température
u'y descend jias au-dessous de 13 degrés et n'y monte qu ex-
ee[)tionnellemeul, et pendant quelques jours à 36 degrés; la
salubrité y est parlai te, pas Tombre de maladies cndémi-
(|ues ni épidémiques. On s'y porte beaucoup mieux qu'à
Pai'is et on y souffre beaucoup moins de la chaleur, toujours
lem|HU’éc par les lirises de 1 Océan, et a laquelle, dailleuis,
on se dispense de s'exposer pendant les heures chaudes de
la journée, àlais, ne nous écartons pas du sujet dont j ai leçu
mission de vous entreleuir...
De ([ui cette mission? interrogé' curieusement Vei'-
dui'el.
— De (|ueb|n'un, Sidi, (jui vous porte t'u haut inléi'èl,
mais (jui désire se faire lui-même connaitre à vous.
— C'est donc un bien grand secret?
Le discret Touareg fait un geste évasif et poursuit :
— Eu Erance, on est rempli d'égards pour les chefs du
Désert que l'on sait dévoués, comme moi, à la cause fran-
çaise, et c’est M. le Commissaire de l’Exposition calédonienne
fni-mème, qui a bien voulu m’en faire les honneurs.
M. Louis Simon, délégué de la iNouvelle-Calédouie au Conseil
supérieur des Colonies, chevalier de la Légion d honneur,
lté à Metz, le 15 décembre 1835, est aucicn officier d'ar-
tillerie. Aimable autant que distingué, il a gardé du mili-
taire la concision de parole et la prompte nelleté de vue,
et du polytechnicien la pensée précise accoutumée à se hâter
vers la solution mathématique. Aux premiers mots échangés,
il a saisi mou secret désir et m’a dit :
„ _ Quesliounez-moi, de la parole ou même seulement
dn gesli', si vous voulez, et je vous douucrai le maximum
d'indications eu un minimum d'expression.
« J’approuvai de la tète et dis, comme il me montrait le
LES COLONIES FRANÇAISES
29
Pavillon de la Nonvelle-Caledoiiio, dont il est le très expert
organisa te ni- :
« — Pavillon?...
“ — Construction rectangnlaire en fer et briques sans
style — 23 mètres de longueur sur 12 de largeur avec
perron d’en lire couvert et, sur t’nn des grands côtés, nne
véranda de 3 mètres.
« — Architecte?
« — M. Brey, ancien élève de l'J'xole des Beanx-Arts.
« — Nouvelle-Calédonie, beau pays?
0 — Snpei'be.
« — Produits du sol ?
« Ions les fruits des Tj'opiqnes, tons les légnnies d’En-
rope et des Trojiiipies; café, vanille, caontcbonc, textiles,
indigo, etc.; loi'èls de liois précieux très nombreux et très
varies; un |)(mi de bois ib' santal.
« — Produits dn sons-sol?
« — Minej'aisde tontes sortes — |»rinci|)alenient nickel,
enivre et fer en qnanlilé inépuisable — chrome, cobalt,’
plomb argentifère, zinc, antimoine, or, mercure, etc... et
de la Inmille. ’
« — Flore?
liés 1 iche, leprésentei' an Pavillon iiar un magni-
fiqne. herbier.
« — Panne?
« — Pauvre. Pas de gibier à poil indigène; deux races
de cerfs ont été importées de Java. Pas de bêtes malfaisantes.
Comme gibier à plnme ; li-ois variétés de pigeons, tourte-
relles, canards, pei-rnches, poules sultanes, râles, corneilles,
oiseaux de proie, merles et nne certaine quantité de iietits
oiseaux. '
« — Industries?
« Minoterie, tannei'ie, labrique de chaussures, hnile-
iie, savonnerie, distillerie, fabrique de glace, conserves de
Mandes, fabriques de tabac, exploitation des mines et des
iorêts, huîtres nacrières et [lerlières.
« — Depuis quand française ?
® Depuis 1833. C’est l’amiral Février-Despointes, qui,
le 24 septemlire de cette année-là, a pris possession de là
Aouvelle-Calédonie au nom de la France.
30
A TRAVERS l’eXPOSITION
« — Le gouvoiTKnir acluel?
„ _ ]\l. Paul F('illei, hoiiuiK! suix'rieur, goii venieiir de
|u'euii(‘i’ ordre, ([uaraiilc'-li’ois uns. A ele (dnd de caldiiet d(‘
INI. Poubelle à la PiadVetiiiT' île la Seine, puis sons-pn'd'et
à l)nnker(|ne, directeur de l’Interienr à la Gnadeloniie, gon-
vernenr de Sainl-Pierri' et Miipielon. Est gouverneur de la
Calédonie depuis 1894.
« — Combii'u coiHe celle colonie?
„ _ A la .Métropole? Rien. Son budget, de 3.400.000
l'rancs, est enlièreuienl Ibnrni par la colonie.
« — l'opniatiou uoinbreiise ?
« — I)(, onze à donzi* mille Européens libri'S, y compris
la garnison; de sept à buit mille libéi'és et relégués ; de trois
à (|nalre mille pensionnaires du bague; de vingt a viugt-
ciin] mille indigènes Canaipies; pins den.x on ti'ois mille tra-
vailleurs im[)ortés lies Nouvelles-lléltrides, du Innkin (d de
Java.
« — Ces indigènes?...
« — An point de xni' pliysi(|n(‘ ; de race undanesiimne,
laids — snidouL les remmes — mais bien bâtis et rolnisles.
An itoinl de vue moral : essentiellement païusseux, mais
iimirensil's si on les empêche de s’inlnxiipier d'alcools, dont
ils sont très friands. t)n peut en tiirr bon parti avec de la
fermeté id de la doncenr. Chez les Cana(|nes, point de reli-
gion ; ils vivent à rétat sauvage et sont fétichisti'S. Il n’est pas
bien sur que ceux qui se sont laisse évangéliseraient, poni
la majeure partie, compris la valeur de leur acte. La qilupait
u’agissent (pi’en vue d’intérêts très... matériels.
K — bdorissaiite, la colonie ?
(, — En belle voie de prospérité. Les cultures de café s’y
développent ; celles dn caoutchouc, du taljac, du manioc poui
tapioca y sont entreprises avec succès. Les mines de nickel,
de cuivre, do chrome et de cobalt sont en pleine ex[)loita-
tion ; l’extraction de la houille sera commencée dès que l’on
pourra disposer de 3.'i kilomètres de chemin de 1er.
K — Colonie d’avenir ?
« — 1)^1 plus grand avenir : les capitan.x commencent a
s’y intéresser. Ciette exposition, d ordonnancement si pia-
lujiie, y orientera certainement des colons, qui manquent
TÆS COLONIES FllANCAlSES
31
actiiollemeiit. La question des travailleurs, qui l'ont défaut,
esl plus délicate, mais est eu bonne voie de solution.
« — fait-on d’importants travaux?
« — Un bon réseau de routes est créé et entretcmu ; Nou-
méa possède et agrandit de bons quais. D’ailleurs, le déve-
loppement, sous le rapport des travaux publics, est prochain.
Il y a encore beaucoup à lairc; mais un emprunt de dix mil-
lions que la colonie est sur le point d’opérer va permettre
d outiller sérieusement le port de Nouméa, en le dotant d’un
wbarl, d’un bassin de radoub et d’une drague, et en iier-
niettant de commencer enfin le chemin do fer partant de la
ca[)itale pour s’élever vers le nord de l’ilo.
“ .Mais revenons à l’exposition...
« — Comme je vous l’ai dit. Pavillon rectangulaire sans
pretenlion, iormant salle unique de 2o mètres sur 12 et 8
niètres de hauteur, éclairée par des châssis vitrés occupant
la partie supeneure des . murs sur tout le pourtour. Ces
murs sont revêtus d étoile bleutée, et un immense vélum
blanc garni en étoile pareille à la tenture forme le plafond
Le long dos murs, vitrines, étagères, consoles en bois dil
pays. Uiiati-o portes de 2"'oU, également en bois calédoniens :
a une d elles on accèd.e jiar le perron couvert; deux autres
s ouvrent sur la véranda de 3 mètres de largeur que j'ai
déjà indiquée. '
" — Du y a-t-il de plus intéressant à voir ?
" — - La très révélatrice collection de minerais qui appelle
les industriels avec promesse do fortune ; les cafés de 230
exposants, dont la jiroduction est annuellement de 300 tonnes
et augmente sans cesse ; les textiles, coprah, résines, gom-
mes, produits agricoles et leurs dérivés (huiles, indigo ta-
bacs’ etc.), bien faits pour faire réllécbir les agriculteurs de
la Métropole; les bois, aux essences variées et précieuses,
e es matières laniiantes ; un plan en relief au quarante
millième de la colonie et un plan au cent millième de la
c.donisalion, 1 lierbier, les ois.>aux empaillés, les travaux des
enlanis des ecoh's, cajiabb s de rassurer les pèri's de famille
sur 1 éducation de leur progéniture; les [iroduilsdc l’Indus-
trie (larmes, conserves de viandes, cuirs, cliaussures, ta-
jUoca, ‘'U-,); Ions ces (d.jets exposés ont été accompagnés en
1 lance par M. 1 ani Dislère, attaché au service des mines eu
32
A TRAVERS l’eXPOSITION
Nouvollo-Calédonie, cl qui a été envoyé à Paris avec le titre
de Commissaire adjoint pour aider au classement.
,< — Je ne vois pas d’indigènes.
« Ils sont encore trop sauvages, nos Canaques !
(( — En résumé ?
,< — En participant àCExposition dans un Pavillon spécial,
dont elle a fait tous les frais, la Nouvelle-Calédouic, a eu
surtout pour but de mettre en évidence les progrès qu’elle a
accomplis depuis quelques auuées, et surtout depuis qu en
KS'.ti -M. Eeillet en a été nommé gouverneur. Grâce à
lui, la Nouvelle-Calédonie a cessé d’être presque exclusive-
ment un lien de relégation pour devenir nne véritable et
magniliqiic colonie, dans laquelle l’élément indigène et 1 ad-
ministration pénitentiaire n’ont plus que le rôle qui leur ap-
partient, celui d'auxiliaires de la population libre, r
Et Mohammed Abdullah ben Mockarab conclut .
— Voilà, Sidi, ce que m’a dit, en termes aussi concis
qu’excellents, M. le Commissaire Eouis Simon. Cet aimrçu
d’ensemble, si catégorique et précis, vaut selon moi un livre :
il donne comme nne vision présente et d’avenir de cette si
intéressante., et très enviée colonie. Au cours de votre vi-
site, ne manquez pas de déguster, dans le kiosque place a
l’extérieur du 1‘avillon, une tasse de l’exqnis café calédonien,
et passons maintenant au groupement séduisant que Ion
nomme :
CHAPITRE IV
LI>: 1)1 OR AM A COLONIAL
— Si, de la iXouvclIe-Calédonio, qui avoisine le Palais du
JMiuistère des Colonies où je vous retiens coiumodémenl
assis à l’ombre, on saute jusqu’à la partie centnile do l’ex-
posiLion coloniale française du Trocadéro, on trouve, en
liordure de l’avenue Delcssert, un vaste bàliment auquel
deux pavillons teriuinaux, coidés de coupoles d’nne gra-
cieuse fantaisie, et un double escalier à palier de 4 mètres
de large et d’un joli dessin, donnent un caractère de sérieuse
élégance. Ce pavillon, long de 6G mètres, large de 14 (sans
compter les escaliers d accès de la façade principale, liant
d’un pou plus de Id mètres jusqu’à la rampe de la balus-
trade décorée d’unies qui on contourne le faîlc et dont l’al-
titude, au sommet des coupoles, atteint près do 211 mètres),
est l’ieuvre distinguée do M. Scellier de (iisors, inspecteur
général du Service des bâtiments nationaux, officier de la
Légion d’bonneur, architecte en chef de l’Exposition colo-
niale de 1900. Cet édifice est intérieurement divisé on quatre
•salles principales, réservées à quatre colonies n’ayant pas cru
devoir se permettre le pavillon spécial, étant donné leur faible
importance... géographique — car vous verrez, Sidi, que cer-
taines ne sont pas sans une très sérieuse importance poli-
tique. Les colonies groupées en cet endroit sont : Sai/U-
34
A TRAVERS l’eXPOSITIOIN
Pierre el Miquelon, Côtes des HumaHs, Mayotte et Océanie.
(Iliaque salle oITre le grand atlrail d'un vaste diorama qui,
donnant une image exacte et pour ainsi dire vivante d'un
paysage animé de la colonie, est, au milieu de l'exposition
particulière de cette colonie, une excellente leçon ilc chose.
Le public, en môme temps qu'il se rend compte du pays
par l’exposition des produits, en a sous les yeux une vision
parliellc d'éclalante réalité qui l’impressionne et se grave
en son esprit. 11 vous intéressera peut-être, Sidi, de con-
naître les dimensions et de savoir comment sont disposés
ces dioramas, en leurs cages de 7 mètres ilc prolondenr sur
5 mètres de hauteur. Voici un plan en conpo transversale du
Pavillon entier c[ni, tout en vous révidant les dessous, caclu's
par le plâtre et le stalï, de ce palais éphémère, vous |)er-
mettra de vous rendre com|)to de la laçon dont s obtient
l'illusion dioramique.
Tandis que Yerduret et ses compagnons considèrent le
plan qn’il lenr a soumis. Mohammed Ahilullah continue ;
— .le vais, maintenant, vous dire queh|ues mots sur cha-
cune de ces petites colonies, .le commence par
îi P'-
SAIXT-PIF.RIiE ET V I Q U E E O iX
De Saint-Pierre et des petits îlots rocheux qui l’enlourcnt
(ile aiix Chiens, qui forme la rade; Grand Colombier, mon-
tagne seule fréquentée par des myriades d’oiscanx de mer;
r//e a}ix Vainqueurs et Pile Massacre), do môme que de la
Grande et de la Petite .Miquelon, réunies maintenant par un
banc de sable, je ne vous occuperai que très pou fl'instants.
Ce groupe, lilliputien en comparaison do la seule île Anti-
costi — récemment achetée par M. Henri .Ménior, et comme
elle située à l'cmhoucliure du grand llonvc canadien, le
Saint-Laurent — n’est pas, à proprement parler, une
colonie : c’est un entrepèit de pêcheries. Non pas que
cela lui retire de l’importance; il en a assez, avec sa tren-
taine de millions de trafic, pour que, depuis l’an ITti.l qu il
35
LES COEONIES FTlAN’ÇAiSES
ost notre ])ossession, l'Angletcrr»' s’on soit emparé doux fois
pour (les périodes de quel(|ues années. Vous jugerez de sa
taille en sachant (pie Saint-I'ierre, ipii est de heaucoup la
plus grande des trois îles, n’a qu(‘ 2(i kilonu'dres de tour, el
de son liahitahilité par le fait que seule la Petite Mi(piel()ii,
ou Lauglade, est assez irrigui'e. par un petit ruisseau pom-
pcusemenl qnalilie de (( Belh' Rivii'u’c » pour que ([uclqucs
lermcs aient pu y être installées. Ces îles ne sont (pie des
rocs nus, à ce point arides que, dans la petite capitale de
Sainl-Pi('i‘r(', construit(' eu bois (sauf (pi(d(pi('s édifices ad-
minislralils et mililaires, ainsi (jue l église, ejui arboreni
somptuaireinent la brique ), il a lallii rapporterdes teri'os jiour
pouvoir fair(' pousser (pielqiu's maigres légunn-s.
Mais alors, c ('st un jiays désolé et inhabile ! s’écrie
Heebard, transgressant la délense d interrompre.
.Mohammed Abdullab ben IMockarah regarde lixemenl le
farini(‘r ; puis, excusant sans doiile ce manque de déférenl
silence de la part d un lionmi, consent à ri'pondre :
Un pays n est pas d('solé quand il possi'ale une ville
longue (1 un kilonndre en constante activité industrielle
pendant buil mois de 1 année; il ne saurait èlri' trait(‘ d’in-
habil(‘ lorsqu’il possède une garnison, une populalion fixe
(b‘ plus de trois mille liabilants, et une population flollante
(dans tonte 1 (dendin^ du mol, puistpi’il s’agit de marins)
(1 une vingtaine (b‘ mille âmes. L induslrie uni(pic est celle
du « brench shore » de Terre-Neuve ; la pèche et la jna'pa-
lalion de la morue, qui pullule dans ses eaux comme dans
celles de sa grande voisine Terre-Neuve. Les vivres et objets
de consommation nsnelle y sont importés. La ville s’allonge
au long de l’excellente rade formé(' par l’île aux Chiens,
d niK' lieue de circonférence. La plage est louée aux pécheurs
.hivernants qui, dans des baraquements, pia'parcnt la morue
(sèche, verte ou Iraîche), 1 huile de foie de morue, les lan-
gues, la rogne (œufs (jui servent d’appat pour la pèche de
la saidine). C est cette scène que montre le diorama, avec la
rade où se pressent les goélettes venues de France ou con-
struites dans les chantiers des îles. L’exposition de la salle
com jirend tous les engins employés par les pêcheurs : piqnois,
galles, aulx à morue, cuillers à énocter, blets, mannes à
boettes, hottes, colfres, etc. Si vous voulez vous faire une
36
A TRAVERS l’eXPOSITION
idée de la vie et de la nature, de tous les colons marins qui
animent les îles de mi-avril à mi-novembre, lisez Pêcheurs
d'islaurle, du capitaine de frégate académicien Pierre Loti.
Islande et Terre-Neuve ne font qu’un au point de vue de
l’existence rude des chasseurs du gibier marin. Vous savez
Le Dioiîam.\ colonial. — Coupe tkansveusale.
quelle est l’importance commerciale de cette pèche de la
morue et son intérêt capital pour la formation et 1 entretien
d’excellents marins pour les équipages de la Hotte. Gela
suftit à établir l’importance de ces îles minuscules, sans
aborder le terrain politico-géographique. Mais je quitte bien
vite cette contrée de brumes et de frimats pour passer à la
salle contiguë et vous présenter
38
A TRAVERS L EXPOSITION
Il
LA CÔTE D ES S O M A L I S
Et Mahommod AIkIuIIciIi, de sa meme voix assourdie et
monotone, mais avec une clarté plus yivc dans le regard,
explique :
— Des îles froides, brumeuses en été, couvertes d’un
linceuil de neige en liiver et qu’illuminent les aurores boréa-
les, de ces cenlres de rude industrie morutière, nous voici
Iransporlés sans transition dans la zone torride de la Mer
Uouge, dans ce golfe de Tadjoura proche du détroit de Bab-
el-Moudel, et oi'i la France est en train de créer le principal
débouché de la riche Abyssinie méridionale sur l’Dcéan
Indien, primant l’ciTort italien et meme l’ellort anglais dans
celte anivre commerciale de premier ordre.
« En 18.38, noire agent consulaire à Adeu, M. Ilcuri Lam-
hert, afin d’avoir un port à la sortie de la iNh'r Bouge, en
prévision de l’ouverture du Fanal de Suez, acheta du chef
Ibrahim Ahou-Bckr, l’étroit territoire d’Dhock. Ce premier
pionnier de l’étahlissemcnt français dans ces hrùlauts para-
ges ayant été assassiné l’année suivante, le capitaine de
vaisseau Fleuriot de Lauglc reprit r(ruvre, et ce coin de
côte passa délinitivement sous l’autorih' de votre patrie par
le traité du 11 mars 18(i2. Ce poste — sur une terre calcinée
par une tempérai lire qui atteint jusqu’à .30 degrés lorsipi’y
souille le leterrible « iioroit» du Désert — ne trouva
sa première utilisation pratique, comme dépôt de charhon
et de vivres, que lors de la guerre franco-chinoise de
1883-83, où s’immortalisa l’amiral Courbet. Mais, Obock
n'étail qu'une création artilicielbg incapable de vie propre,
sans communications commerciales sérieuses possibles
avec riuléi-ieui', muré qu’il est de vastes étendues désolées,
dominées par de hautes montagnes difticilemcnt accessibles,
b’allait-il, la guerre finie, en continuer l’occupation pénible
et sans bénéfices, ou l’abandouner? Son gouverneur.
LES COLONIES FIIANÇAISES 39
M. Laganio, trouva au problùmo, unp solution niagniPique
pour les interets de la l'rance. Il créa la llorissante colonie
actuelle de la « (tùte des Somalis », et voici comment. Kn
lace d’Oijock, de l’autre coté du golfe de Tadjoura, est le
plateau de Djibouti, où la température est presque clémente,
et qui est tète d’étapes de caravanes se rendant directement,
à travers le Désert, à llarrar, la riche province méridionale
occupée, en 1887, parles troupes du Négus Ménélick. Par
une série de traités, M. Lagarde acquit à son [laÿs les terri-
toires baignés par le golfe de Tadjoura, et établit un poste
a un endroit ou les eaux prolondes font une excellente
rade. Ce fut l’embryon de la ville de Djibouti, bon port de
ravitaillement et d'cscalc, qui conqite aujourd bui |)lus de
13,000 habitants, de grandes maisons de commerce, la gare
du chemin de fer de Djibouti à llarrar, dont MO kilomètres
sur 290 sont aebevés et qui sera en pleine exploitation dans
dix-bnit mois. De llarrar, la voie ferrée se dirigera sur Addis-
Ababa, capitale de l’Ethiopie, faisant du port de Djibouti,
appelé à détrôner les ports anglais d’vXden et de l’érim,
une des plus importantes escales de paquebots de toute
l’Afrique.
« Des merveilleux progrès de l’établissement de la « Côte
française des Somalis », dont le territoire — tant en Dana-
kils et Somalis qu’en Callas beaucoup moins nombreux —
est habité par quoique 200,000 imligénes (de qui le commerce
général, sans chemin de fer encore, atteint quatre millions
et demi par an), prouve combien, en dépit du préjugé, la race
Irançaiso est liabilcment colonisatrice, malgré l'infériorité
dans l’elfort que lui inllige son régime politique. C'est main-
tenant le moment de donner à cette colonie tout son essor,
en y dirigeant capitaux et colons de la Métropole. .»
— Colonie d’avenir, alors?
— Immense, Sidi. Djibouti sera le grand port de l’Abys-
sinie, ce pays ami, si riche et jusqu'ici inexploité faute de
sérieux moyens de communication. Ce poiT anglais de
Zeylali, qui est actuellement centre privilégié de transit avec
llarrar (grâce à 1 ancienneté de son organisation et quoique
déjà actuellement l'importation pour llarrar économise
12 1/2 de Irais par la voie de Djibouti en raison de la
modicité des droits de douane), sera déchue de ses avantages
40
A TRAVERS L EXPOSITION
dès que le chemin de^fer français fera courir ses premiers
trains à travers le Désert.
— Et... l’exposition? hasarde timidement Bèchard.
— J'y viens, acquiesce sévèrement le peu traitable Toua-
reg. 1.0 Commissaire
de cette colonie est-
africaine de transit,
.M. Boucard, ancien
inspecteur général des
Forets, administra-
teur du Canal de Suez
— ofi il a fait toutes
les plantations desti-
nées à fixer les sables
au long' des berges de
1 ' œ U V r e du ( 1 r a n d
Français b’erdinam
de Fesstqis — secondé
par .M. Vigneras, ré-
f Ataÿottl^ Une
JIayotte.
dacteur au .Ministère des Colonies, C.ommissaire adjoint,
et par .M. Suricaud, Commissaire adjoint en second, a
dirigé son exposition dans le sens éminemment pratique ,
satisfaisant ainsi pleinement à l’idée générale de M. Charles
Boux. Sur la pelouse, eu dehors du joli palais do .M. S. de
LES COLONIES FRANÇAISES
41
Gisors, il a dispose deux tentes où est installé le matériel de
campement nécessaire, pour la traversée du Désert, au
voyageur fjui se rend acluellcmenl de Djiliouti en Aliyssinie.
Dans l’intérieur du palais, deux salles sont consacrées à la
GhOUI’E d’AuJOUANXAI.S a la I’OKTE d’üN l’ALAIS.
colonie de la « Côte des Somalis ». La première, à laquelle
on accède par un escalier monumental décoré de dél'cnses
d’éléphant, contient, entre autres choses intéressantes, des
groupes ethnographiques (Abyssins, Somalis, Danakils, ces
deux derniers peuples en état d’hostilité permanente), un
A TRAVERS l'eXPOSIÏION
^2
énorme bloc de sel, et de nombreuses collections rapportées
par le comte LéojiiielT. Oaiis la seconde pièce, tout est dis-
posé pour l'rapper les yeux et inontrer la colonie. Concur-
remment avec les produits d’im|)ortation et d’exportation,
ce sont : une collection ethnographique de M. Ilg, le conseil-
ler de .Ménélick, lequel s’intéresse an ]ilus haut degré an i)ro-
gi'ès de cette côte qui procurera franchement, à la fran(;aise,
tantde bien-être dans scs Etats ; une carte dioramiqne, peinte,
qui rend l’effet d'une vision du pays j)erçuc de la nacelle
d’un ballon... apocaly})tique ()ui planerait à une altitude de
près de ()0 kilomètres; des vues du Désert des Somalis,
situé entre la côte et l’empire d’Ethiopie, et dues à M. Tris-
tan Lacroix; nu graphique du chemin de fer de Djibouti à
llarrar ; des tableaux-documents de Al. Bulfet, faisant
saisir d’un coup d’œil l’œuvre accomplie en dix ans, en
montrant ce qu’étaient et ce que sont aujourd’hui Obock,
Djiljoucket Tadjourah; enlin le diorama impressionnant oii
le pinceau lidèle de Al. Henry d’Estienne a, d’a[)rès la ma-
(inelte de Al. Alarins Perret, mis en parallèle le présent et
l’avenir sons la double forme d’une caravane en marcluï
|)Our l’Abyssinie longeant, dans le désert, les premières
constructions delà voie ferrée de Djibouti à llarrar. (Juand
vous quitterez l’exposition de la « Côte française des Sonia-
lis II, vous aurez et vous conserverez dans votre souvenir
une connaissance très complète de cette colonie qui ne fait
que naître, mais avec quelle vigueur, à la vie et au plus bel
avenir. Je passe à la partie ouest du Palais du Diorama, et
nous voici dans des pays aussi curieux qu’ignorés de la plu-
[lart :
^ 111
-MWOTI'E irr LE l’ROTECrORAT DES COMOHES
— Ilnm! fait A’erduret en se grattant jovialement
l’oreille de l'imlex, on dialde perchent-elles donc, les Co-
mores?... Pour Alayotte, il me semble vaguement me sou-
venir avoir ajipris dans mon enfance que cette ile se trouve
du côté de Aladagascar...
LES COLONIES EllANCAISES
— Silli, votre hésitation est, hélas ! tro]) naturelle, .l’ai
vu (|ue dans les écoles des Uouinis, on passe hcancoup plus
de temps à apprendre aux enfants quelles étaient les colo-
nies des Phéniciens, des (Irccs et des Romains, peuples qui
n’existent plus, que la géog’ra[)hic, l’Iiistoirc et la valeur
intrinsèque des possessions d’ontre-mer de leur patrie, quel-
ques-unes très importantes exceptées. Je suis donc obligé
de vous dire tout d'abord que Mayotte, la Grande Gomore,
Aujouan, Mohéli constituent un môme archipel situé au
nord du canal de Mozambique. Si on nomme Mayotte à
[lart, c'est en raison de sa situation politique de colonie
annexée par le gouverneur de la Réunion en icSil, et celle
des trois autres îles sur lesquelles, en 1885 et 1886, la
h’rance établit son protectorat. Ce protectorat est dû, pour
la (îrande Gomore, à M. llnmhlot, naturaliste eu mission
([ui, voyant rAllemagnc venir faire des offres au sultan de
Pile, n’hésita [las à sortir do son modeste r<Me de savant et
l’emiiorta sur ses concurrents germaniques. C’était en 1885.
L'année suivante, M. Gerville Réache, gouverneur de
Mayotte, vint à bord d'un croiseur sanctionner le traité et
en passer de semblables avec les îles voisines d’Aujonan et
de .Mohéli. A ce groupement colonial il convient d’ajouter
les deux petites îles Glorieuses, situées relativement à
proximité dans l’océan Indien et qui ont été placées en
1892 sous la dcpendanco de Mayotte. La plus grande terre
tie cet archipel est la Grande Gomore, qui compte environ
65 kilomètres de longueur sur 26 kilomètres de large.
Mayotte vient ensuite avec 40 kilomètres sur 20 kilomètres
de plus grande largeur; Aujouan, la « perle de l’archipel »
et Mohéli sont do dimensions plus petites. Vous voilà,
Sidi, éclairé au point de vue de la situation géographique
de ces possessions françaises.
— J’en remercie Mohammed Ahdullali, tout en demeu-
rant saisi qu’un (ils du Sahara, tout instruit qu’il ait été à
Alger, soit aussi ferré sur...
— Je vous promets, Sidi, que votre surprise à cet égard
prendra lin très prochainement, mais je ne m’engage pas à
ce (pi’elle ne soit pas remplacée par une antre d’ordre
dillérent et, je crois, plus intense... Ne m’interrogez pas :
il m’est interdit de vous répondre plus explicitement.
•'■J:
4i
A TRAVERS l’eXPOSITION
Veuillez donc continuer à.., écouter. Pour bien faire, au
sujet de cet archipel, je devrais vous parler séparément de
chacune des îles qui le composent. Elles le méritent ; mais
le temps me manquerait et j'aurai le regret de m’en tenir
aux généralités d’en-
semble. Pour le dé-
tail, puissamment
intéressant, je vous
renvoie à l’excellente
et si complète notice
qu’a écrite ]\l. Emile
Vienne, rédacteur au
Ministère des Colo-
nies, officier d’Acadé-
mie et Commissaire
de Mayotte et des pro-
tectorats des Comores
à l’Exposition de 1900.
C'est lui qui a organisé
les salles que vous vi-
siterez tout à l’heure
et il l’a fait avec un
savoir et un goût par-
faits. 11 est en même
temps Commissaire
adjoint de la Guinée
française et membre
du jury international
des récompenses pour
la classe 59. Un Com-
missaire adjoint de
haute valeur, M. Castelneau, ingénieur civil des mines et
vicc-consiil de Perse, l’a aidé dans son œuvre, et cette
œuvre, la voici : Une petite salle expose, dans des vitrines
et sur des étagères, les produits manufacturés indigènes de
l’archipel, tels que nattes coloriées et ustensiles de ménage,
line vannerie, tables et tabourets en bois sculptés, poterie
artistique, cordages en fibres de coco, bijoux indigènes d’or
et d’argent, armes de luxe, coquillages merveilleux, étoffes
souples et brillantes, instruments de musique, etc.
M. ÉMILE VIENNE
COMMISSAIRE DE MAYOTTE ET DES PROTECTORATS
DES COMORES.
LES COLOiMES FRANÇAISES
45
— Diahle!... Mais, dites donc, ce ne sont pas précisément
des sauvages, les gens de ces pays-là?
— Gel archipel, Sidi, croit pouvoir faire remonter sa ci-
vilisation au temps de Salomon, époque ofi des Induméens
ou des vVrahes d’avant l’Egire l'occupcrent. La population
actuelle, de (So.OOO habitants environ, est plus panachée ;
tandis que 1 élément arabe s'est renforcé d’originaires de
Platta, de Zanzibar, de 1’^ émen, etc.; que des Hindous y sont
venus de Bombay et de la cote de Malabar, et que des Cafres y
étaient importés comme esclaves, des expéditions nialgaclies y
introduisaient l’élément Sakalave. Les Antalotcs, qui consti-
Le Uiohama de Mayotte, par M. de IMarsac.
tuent la seule race purement indigène, proviennent du croise-
ment des Sémites avec les premiers Africains venus dans ces
îles. Le typeau teint jaunâtre et au nez arqué légère ment montre
que le sang sémitique domine chez les Antalotes de la Grande
Comore et que c’est la race éthiopique, au teint foncé et au
uez épaté qui prime chez ceux de Mayotte et surtout de
Mobéli. Sauf les ^lalgacbes, qui ont conservé les mœurs et
coutumes de la grande île maintenant bien définitivement
française — si la politique du Gouvernement de Paris n'en-
trave pas par trop les efforts de vaillants soldats pour la bien
délendre après Lavoir conquise, pacifiée et splendidement
préparée pour la colonisation — les habitants des Comores
ont adopté la religion et les usages des Arabes. Depuis le
protectorat, ces îles se repeuplent; mais elles sont, sous ce
A TRAVERS L EXPOSITION
i()
rapport, loin encore de ce qu'elles étaient au coininencinneut
du siècle, époque on la (Irande Coinore seule comptait 100. (JOÜ
haintants. Je reviens à l'Exposition. Dans ses deux salles on
trouve les produits agricoles, rliuni, vanille, canne à sucre.
riz, bananes, cacao, ignames, calé, tabac, poivre, girolle,
etc., etc.; une carte dé l'arcbipel, de d mètres sur 2, occupant
tout un mur; une quantité de petits tableaux faisant connaître
les sites et les types indigènes; enfin, un superbe diorama
né du pinceau alerte et scrupuleux du peintre des Départe-
iiK'iils delà Marine et des Colonies, .M. Marsac. Ce diorama
re|)résenle l’ancienne source de richesse dn pays, anjonr-
d’iini liien Loml)ée en raison des savants projirès de l’indiis-
Irie : une exploitation de sucre de cannes. Devant iin
panorama do montagnes, on voit un groupe de travailleurs,
lihrcs faisant la récolte, tandis qu’au premier plan se trouve
l'iisine avec scs ap[)arcils et ses ouvriers. Au point de
vue commercial, les indigènes commencent seulement à
s’adresser pour leurs approvisionnements à vos grands ma-
gasins modèles du l>ouvre,du Bon-lMarché et du Printemps,
et rurgent de la colonie, autrefois draine par les Indes et
Zanzibar, reste mainUmant à Mayotte. Là encore, les colons
curoj)éens, suitont français, sont loin d’cire assez nom-
breux. Il y a, sous ce rapport, un courant de progrès,
mais ti'op faible et qu'il importe d’activer. Ce sera le rôle
lie cette ex[)osition, si ses hauts enseignements sont bien
compris. Il est dommage que quelques Comoréens ou An-
gouannais n’aient pu faire le voyage du Trocadero : ces lidèles
sectateurs d’Ali — avec leur longue robe blanche ou jaune
tombant jusqu’aux chevilles, à manclies, boulonnée sur la
poitrine, recouvrant le sinibou roulé de la ceinture au genou.
souvent recouvert d’un gilet ou du long pardessus Jioir,
rouge et vert, richement brodé, avec le turban, les sandales
plates et b' chapelet, plus la large ceinture où, les jours de
cérémonie, est jiassé un l'iche kandjiar à lame reconrbée —
auraient en ici un succès tie curiosité qui eut altiré l’atten-
tion sur buirs si agréables patries insulaires. .Mais les re-
grets sont supcrilus: c’était écrit. Pour terminer votre visite
au l’alais du Uioi'ama, vous passerez, Sidi, à l’Exposition de
l’ücéanie, représentée principalement par celle de
1 AU ITI
— Taliili, les îles du Vent, tout cela est trop connu pour
que je vous y arrête longuement. Chacun sait que la reine
Pomaré IV mit, grâce à l’amiral Dupetit-Thouars, son insu-
LES COLONIES EnANC. AISES
A TRAVERS L EXPOSITION
laire royaume sous le protectorat de la France en 1842, pro-
tectorat qui depuis s’est transformé en annexion coloniale.
Chacun sait que Tahiti, notre plus lointaine possession et la
plus rapprocliée du continent Sud-Américain dans le Grand
.Océan, jouit d'un climat merveilleux et d'une exception-
uclle fertilité, du moins au long des rivages où se déversent
une multitude do torrents descendant des superbes monta-
gnes pittoresquement sauvages de l’intérieur. Nul n’ignore...
JlOlIliLlE.NNES.
OU uedevrait ignorer, puisqu’il s’agit d’une colonie ancienne
et à Thisloire de la possession de laquelle sont liés les noms
célèbres de marins tels que les amiraux Dumont d'Urville,
Bruat, Cecille, Laplace, La Boncière, que c’est encore une
terre lointaine enlevée, comme la Nouvelle-Calédonie, à la
barbe de Tomni-accapareur impérialisme anglais ; que dans
la rade de Papeete, la capitale, nous entretenons une sta-
tion navale — qui, même, compte parmi ses petits navires
de guerre (avisos sous les ordres d’un capitaine de frégate)
la dernière goélette exclusivement à voile (110 tonneaux et
2(j hommes d’équipage] inscrite sur le tableau de notre'
l-i:s r.OLOMKS francaisks
49
OolLc; que c'est uii pays de Cocagne t(d, que les iiuligèncs
engraissent paresseusement à vivre en sybarites des produits
qu une terre généreuse leur donne sans leur demander de
travail. Les nneurs voluptueuses des hal)itanls lui ont
même fait donner le nom de Nouvelle-Gythère. Tahiti pos-
sède des plantalions prospères et s’otTrc le luxe d'un produit
somptuaire, la perle. G est une scène de pêche de rhuilre
perlière que montre le Diorama que, j'en suis certain, ancune
Parisienne ne manquera d aller voir. Quant aux autres pro-
duits de lahiti et à ceux des auti’es îles françaises de Poly-
lU'sie (qui sont, avec les îles qui s’ajoutent à Tahiti pour for-
mer I archipel des Ih's de la Société, les arcliipels des (Mar-
quises, Pomotou, les îles Gaml)ier, Touhouaï, Wallis, etc.),
vous les verrez vous-mêmes exposés daits cette salle de
de rOcéauie cl expliqués dans la notic(' concernant les pos-
sessions é])arses dans celte grande division du vaste Paci-
fique. J ai halo de vous conduire — virtuellement, comme
dirait un lils d Albion — dans des contrées d'outre-mer plus...
a 1 ordi'e du joui'. Quitlous donc ce si intéressant Piorama
colonial pour un des Pavillons on court la foule, dans cette
captivante exhibition des coloni('s françaises qui n'est (ju’un
groupemeni d’attractions plus attrayantes les unes qm; les
autres. Je |)rends au hasard...
A TIIAVERS l’e.XPOSITION. — T. XVI. — 3
6-1
CHAPITRE Y
L’INDO-CHINE ET LES INDES FRANÇAISES
P"
1 N D O - C II! Mi
Après avoir réfléchi un couiT moment, Mohammed Ali-
dnlliili lien Moekarah repreml :
— Je croirais faire injure à un liomme de votre âge, Sidi,si
je me permettais de faire, à votre intention, nn liistoriqiie
do la con(|nèt(' jn’ogressive de ITmlo-Chine. comprenani la
Gochinchiiie, le Camhodge, le Laos, l'Annam et le Tonkin.
C’est pour vous de khistoire contemporaine. Je me conten-
terai de vous rappeler, car vous étiez jenne homme alors,
comment commença celle immense colonie asiatique par la
])rise de possession de Saïgon, puis dn reste de la Cochin-
chine. L'empercnr d'Annam, Tn-Dnc, ayant, après tant d'an-
Ires missionnaires, fait on laissé mettre à moi't monsei-
gneur Diaz, évêque espagnol, une llollille franco-espagnole,
sons les ordres de l'amiral lliganlt de Cenonilly, vint, en
1838, s’empari'r de ïonrane ; puis, ayant tro]) peu de troupes
de déliarqnement pour aller châtier le souverain annamite
dans sa capitale de Hué, il s'empara de Saïgon, la seconde
ville de l'Empire. Pékin ayant été pris deux ans pins tard
par le général Consin-iMonianhan, comte de Palikao, le
traité de Tion-Tsin assura à la France la possession des trois
LES COLONIES FUANCAISES
51
|n'oviiiC('s iiuM’idionalcs de l'Aiinani : Saïf>'on, Uioi-lloa, cl.
iMyllio. J(‘ UC vous l'appellerai, au siijel: de la eampague de,
1883-1(S85, (|ui lions douua Iliié el. llauoï, c’est-à-dii'O l'Aii-
iiaiu et le Toukin, que les iiouis de si's héi’oïques jirepai'a-
teiirs, Garnier, le coiuiuaiidaul Rivière et celui du uolili' uiariu
(|ui la, dirig-ea eu grande partie, Courhet. Cette évocaliou
La Coloniiî CAMnonr.iENNE.
sufüt à vous rappider tous les dcMails de celle rude caiii-
pag'ue, et, coiume vous n'iguorez pas la prospérili' de l'eiii-
pire l'raïupiis iiido-cliitiois, je m'empresse d’aliorder.. . sou ex-
position .
<( Vous savez ((ue M. Doumer, gouverueur eu Extrème-
Orii'ul, a travaillé avec la jilus éuergiijiu' conslaiice àruuité
de rJndo-Gliiue trançaise et l'a, complèlement réalisée. C’est
de cette unité qui! s’est iuspiié l’aucieu chef de cabinet de
M. Doumer, M. Pierre Nicolas, Commissaire de l'Indo-Cliiue
52
A TRAVERS l’eXPOSITION
à l'Exposilion. Il a fa4 uni' exposition do rcnsomble de ces
étals au point de vue adniinislratif, ne nian[nant guère les
nuances historiques et géographiques que dans la rcconsti-
tiitioTi de mounincnls servant de Ihivillons d’exposition et
qui sont au noinhre de, quatre, plus un tluaitre indo-chinois.
« G est d ahord le Palais des Produits de l' Indo-Chine,
pour lequel a été reconstituée la pagode de Cho-Loii, nue des
merveilles de la Gochinchiue, située là-has, dans nue vieille
Pavillo.v du i.'Annam. — Le Gong.
ville pittoresque, aux rues étroites et toi'tni'uses, à quel-
ques kilomèti'i's de Saigon. Et voyez toujours l’idée direc-
trice de .M. Charles Roux : les murs intéiâeurs, sur toute
l’éh'ndne qu’en ont laissé libre les moulages des sculpliires
originales, sont occupés par d’immenses « ])lans perspectifs »
des quatre capitales indo-ebinoises : Saigon, Pnom-Penh,
Hué et Hanoï, brossés de main di' maitre par le peintre
jMerwarl, du .Ministère des Colonies, et par deux grandes
caries évo(|uant grapb iquement, rune les progrès réalisés
depuis l’origine de l’occupation française, avec itinéraires des
F
f
I
VlillICL'I.ES ISlrÉS EN iNI.O-ClIINf:.
LES COLONIES FRANÇAISES , 53
cxplornioiirs; l’aiiiro, l’élal iiidiislriol o( agricole, les voies
(le cominiinicalioii, etc. Puis, c’esl le « Palais dès Arts in-
diisPaels .) logo dans une reprodnclion du Palais de Co-Loa,
au lonkin, d andiileclure compliquée selon la manière des
J*iXlrôme-Orientaux, avec triple |)orte cinln'e en fac^ade,. un
escalier conduisant à des galeries où Pou pénètre en franchis-
sant de noinadles porles en bois sculpté. Il contient une su-
perbe exhibition d’objets d'art, de meubles si prisAs des col-
leclionueurs, d’étolTos cambodgiimnes, de merveilleuses in-
ci ustatioiis de nacre de IMam-])iub, etc. Ifnsuite, c est le
« Pavillon Forestier une maison annamite, conslriiite à
Jbudaumot et appoidée démoulée par la rivière de Saigon
jusqu au paquebot qui l'a lransporté(‘ eu France, dette expo-
silion montre à quiconque se doute du commerce des bois
quelles alfaires élonnemment romunéralrices seraient là bas
(1 intelligentes explorations forestières. Fnsuite, « clou » de
première grandeur, c’est le Pnom, reconstitution di' la col-
line et de la Pagode royale de Pnom-Penb, au Cambodge.
54
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Pardon si je vous interromps, mais, qu’est-ce que c’est
que cela, le Pnom‘1
— Laissez-moi continuer, Sidi, et vous allez l’apprendre.
Celle reconstitution, exécutée avec autant de fidélité que
Le Village Laotien et le Pno.m-Penh.
d’haldlelé par l’architecle M. iMarcel, est d'un ciTet pitto-
resque an possible. Figurez-vous une minuscule montagne
aux pentes raides, dont le flanc est gravé, comme avec un
burin de géant, des longs traits parallèles d’un immense es-
calier aux marches blanches, hautes l't courtes, bordé de
COLONIES
FRANÇAISES
LES
faliiili'iix dragons et sur les di'grés duquel sc tieniienl, si'u-
tinelles l'arme au pied, quelques hommes de la milici' cam-
hodgienne. Au haut d(‘ cet escalier la croupe aplanii' de la
colline forme un vaste terre-plein, également orné de fan-
tastiques hèles de bronze et d'or, et d’où la vue est étonnée
d’embrasser le superbe panorama do l’Itxposition au lieu
des toits contournés se rollétant dans les eaux du Mé-Kong.
Sur ce terre- plein s’é-
lève, éclatante, la belle
Pagode royale, prosqu’au
seuil de laquelle res-
plendit la masse dorée
il un colossal Houddha
de () mètres de hauteur.
Cette Pagode, d’une in-
croyable richesse, est
coilfée d’un grand Pnom
en forme do cloche al-
longée, atteignant une
altitude de 47 mètres.
— J’y suis : on ap-
pelle pnoms CCS sortes
de dômes orienta u x ,
étroits et montant si
haut... comme une lon-
gue pomme, de pin dont Le Bouddha Janus.
on aurait scié l’extrôme
base! 11 n’en manque pas dans l’architecture hindoue.
— Ajoutez-y une base dont les bords se recourbent comme
les lèvres d’une cloche, et vous aurez le pnom cambodgien.
L’escalier monumental est flanque de pnoms plus petits, qui
complètent le caractère d’intérêt si pittoresque de cette
reconstitution charmante qui attire le visiteur, tel le miroir
l’allouctte, et qui le garde — car la somptueuse Pagode royale
(exposition de Part religieux bouddhique) traversée, une
surprise l'attend, surprise délicieuse par les grandes cha-
leurs de l’été. Lu sortant de la Pagode par la façade oppo-
sée à la façade principale, 'on sc trouve en présence d’un
immense trou assombri, une sorte de vaste puits aux parois
incrustées de ligures étranges, où l'on descend par un esca-
lier circulaire. Quand oi\ est au fond, on découvre l’entrée
dune immense grotte vaguement éclairée à l'électricité,
aux hautes voûtes supportées par des piliers. On se trouve, là,
I’avili.on de l’Annam. — Peintres annamites.
IM. Dumoulin, du .Ministère de la Marine, rauleur du graud
l'anorama du Four du Monde, au Champ de Mars. Ces dio-
ramas (auxquels s'ajoute un cinématographe donnant l'illu-
sion de la vio indo-chinoise) transportent le visiteur en Ex-
sous la l’agode; carie tertre en ciment armé qui simule la
colline, est creux. Celle grotte esl une attraction des plus in-
ti'ressanles, car elle est entourée de dioramas peints par
I.KS COLOMES FRANÇAISES
4
h
."8
A TRAVERS l’eXPOSITION
trènie-Orient, en lui montrant la me Catinat, à Saigon, les
bords du Alé-Kong', à Mytbo, le tombeau de Tu-Duc, ii Hué,
la baie d’Along et un grand chantier du Pont Doumer, à
Hanoï. Les galeries qui conduisent directement de l’exté-
rieur dans cette grotte sont occupées par la belle exposition
de la mission Pavie : portraits, groupes ethnographiques en
cire, etc. Sur le liane de la colline de la Pagode royale est
une case cambodgienne servant d'écurie à un cadeau fait par
iM. Doumer, gouverneur de rindo-Ghine, au iMuséum du
Jardin des Plantes; c’est un éléphant blanc... qui n’est pas
plus blanc que les pachidermes sacrés du Siam, mais d'un
gris l’osé r(‘sultant d'une all'ection maladive qui leur déco-
lore le cuir. Vous terminerez votre visite à l’Extrême-
Orient... du Trocadéro, en assistant ii une représentation du
« Théâtre Indo-Chinois, oii joue la troupe annamite du
théâtre du Phn, â Gbo-Lon, et où dansent les gracieuses pe-
tites poupées féminines cambodgiennes, artistes du corps de
ballet du roi Norodom. Ce théâtre indo-chinois est une con-
struction de très harmonieuse et élégante fantaisie exotique
avec beau fi'ontispice sculpte et riches aménagements inté-
rieurs, de l’architecte de talent délicat et sûr, âl. Du Houx
de Brossard , qui déjà appartenait à l'agence de l’Expo-
sition coloniale de 1889, ce qui fait de lui un jeune et émé-
rite vétéran. Vous ferez ensuite un tour an « Village Tonki-
nois », où vous verrez les indigènes an travail dans leurs
cases... et vous pourrez vous imaginer avoir fait un splen-
dide et lointain voyage, sans crainte de la traversée torride
de la .Mer Rouge ni des fièvres et insolations.
« Maintenant, tout comme si vous reveniez d'ExIrôme-
Orient en France, nous allons, si vous le voulez liien, Sidi,
faire une courle escale aux
Il
1 X b E s I- R A N e AISES
— Ah! oui, s'écrie Verduret, l’Inde!... La Compagnie
française des Indes Orientales... Cela date de... de...
LES COLONIES FRANÇAISES
59
■ D(‘ 16G4 (le I èi'o (l('s Ilouuiis, Sidi. Celli^ coiiipogiiie ac-
([iiiL alors Pondichéi-y, qiK' plus lard Dujilcux d(;f(Uidit ho-
l'OïquoiiKuil coulrc' les Anglais (9- ([ue dut lauidrc' sou sucos-
s(nir. Oui, les Frau(,:ais lurent les pionniers d(Oriude, qui eût
été leur tout enti(''re, si Théidlier de Louis XIV eût été digne
de son aïeul. iNlais nos liraAa's uncêti’os, ahaudonués par la
Métropoh', ont dû laisser r.\ngletein c leui' ravir riiiudoustan
si j'iclîo, I AugL'tcu're dont 1 aduiinistralion n’eu a pas encoi'e,
(U'puis si lougtcni[)s, chassé le spectre liideux de la famine.
Ce que Ion ajipidle les Indes Iraïujaises, c’est les (|uelques
bouts de lerritoire — Poudiclnûy. Mahé, KarikaI, Yauaon
et Chandernagor — eu tout 250'.0ü() hahitauls dont 1.500
Lui'opéeus, ue faisant |)as poui' 500.000 fi’aucs d'alfaires par
an, qu’Alhion laisse dédaigneus(uneut à la France au bord
d(' son iniinense empire asiatiipu'. INIais, malgré tout, ces
lambeaux de terre sont l’imle, le pays de r(jv(!, et prennent
leur jiart de la beaulé de ces vastes conlrées sur les([uelles
John Bull éteiul sa main pesante... Et cette petite Inde fran-
çaise — moralement nue tristesse et un ri'gret — tient an
Trocadéro une place proportionnée, non pas à sou étendue et
à sa valeui" commerciale, mais au prestige qui fait que son
seul nom transporte la pensée dans la féerie des <( iMille et
une Nuits ». Cette exjiosition présente aux visiteurs un « Pa-
lais officiel » on voisinent ses produits et ses travailleurs
hindous; un fastueux lemple de Brahma, reproduction extrê-
mement inléressaute ; un « Théâtre » où rivalisent d’adresse
les fameux prestidigitateurs du Pays des Jungles, et de lan-
gueur lascive et de vertigineuse soujilesse des bayadères; eu-
tiu une « Bue hindoue », avec boutiques et attractions di-
vers('s. Cette Inde française est si peu de ebose dans le vaste
domaine colonial de la France, que vous me [lermettrez, tout
en vous promettant grand plaisir de la visite que vous allez
lui faire dans 1 eucciiite de 1 Exposition, de vous occuper de
quelqn’autre gi’amle coiiquôte. d’au-delà des mers. Tenez sans
quitter l’Océan Indien, passons à...
CHAPITRE Y1
MADAGASCAR
— Eh ! oh ! fait Verduret intéressé;, la grande conquête
récente de la France !
— Dites, Sidi, que l’annexion totale et définitive de cette
île — qui est presque un petit continent, puisque sa super-
ficie de 600,000 kilomètres carrés dépasse celle de la France,
de la Belgique’et de la Hollande réunies — est en effet
récente, n’clant âgée que de quatre ans ; mais rappelez-vous
que Fœuvre de la conquête est commencée depuis deux
siècles et demi, car c'est en 1642 que le iJieppois Rigault
fonda Fort-Dauphin, sur la côte sud-est, et que le grand
cardinal de Richelieu autorisa à son sujet la création d’une
Compagnie commerciale qui fut l’embryon de la Compagnie
des Indes Orientales créée par Colbert en 1664. Un mas-
sacre de colons fit abandonner l’île — non complètement
croient certains qui affirment retrouver dans ces parages,
à l’état demi-sauvage, des descendants des premiers occu-
pants français. L’établissement de Fort-Dauphin est rétabli
en 1767 et, en 1773, Benyowski, envoyé du Gouvernement
français, parvient à se faire peu à peu accepter comme chef
suprême par tous les habitants do la région du nord-est de
File. Sous la République, la France y a des commissaires
spéciaux. Napoléon F*' y envoie, en 1804, Sylvain Roux,
comme sous-gouverneur de Tamatave, et ce n’est qu’en 181 1
A TRAVERS l’eXPOSITION
(i2
que, [)i)ur 1 uni(|ue fois, paraissent les Anglais qui s emparent
de ce port... que Sylvain Roux fait rendre à son pays en
tStG. Il étend progressivement son autorité sur des terri-
toires de plus en plus vastes, mais se heurte, avec des
chances diverses, aux Hovas, travaillés et soutenus par
l’Angleterre. Une expédition avortée sous Charles X en-
traîne l'évacuation sous le régne de son successeur, Louis-
Philippe. L’œuvre de deux siècles va-t-elle être perdue?
Non. Un hon et vaillant Français, Jean Lahorde, établi
dans File depuis 1831, y a acquis une telle influence en ren-
dant de grands services au gouvernement hova, qu il sait
persuader au roi Radama II de conclure avec FEmpire fran-
çais, en 1868, un traité de commerce donnant droit à vos
nationaux de posséder et de transmettre leurs biens meu-
bles et immeubles à leurs héritiers. C’est ce traité qui est
l’origine de l’annexion de 181)(), car, étant éludé par la reine
Ranavalona 11 à l’égard des héritiers mômes de Jean La-
horde, et les Hovas prétendant de plus rendre la vie intolé-
rable aux colons de France et asservir les peuplades Saka-
laves placées depuis 1840 sous le protectorat du drapeau
tricolore, le Gouvernement républicain de 1882 se voit obligé
d’envoyer l'amiral Pierre pour imposer le respect des
traités. La Hotte prend Tamatave, mais votre diplomatie se
laisse amuser par d’interminables négociations où se sentent
les influences britanniques, et ce n est qu à la fin de 1885,
après une action plus vigoureuse de l'amiral Miot, qu’est
signé l’abandon à la France du terr'itoire de Diégo-Suarez et
sur le reste de File un protectorat un peu vague, mais qui
n’en impose pas moins au Gouvernement hova de ne traiter
avec aucune nation que par l’intermédiaire d’un résident
général envoyé de Paris. Cette clause détruisant les espé-
rances britanniques, la cour d’imérina, s’empresse de jouer
sur l’ambiguïté des termes de l’acte diplomatique, pour en
susciter de continuels conllits que nos résidents s ingénient
bénévolement à apaiser. Enfin, en 1893, le premier ministre,
époux de la reine Ranavalo-Maujaka III, Rainilaiarivony, jetle
le masque en méconnaissant brutalement le droit du Résident
de donner Vrxequatur aux consuls étrangers. M.Xe Myre de
Vil ers, envoyé pour exiger 1 application du traité de 1885,
essuyo un refus ; il évacue aussitôt la colonie sur les ports
LES COLONIES FRANÇAISES
63
occiipc'‘s de lamatave et de Majunga et la parole est donnée
anx canons ci aux Lebcl. Vous savez te reste. Un corps
expéditionnaire de 13,000 hommes et OoO ofliciers débar-
(pie à .Majunga sous les ordres du général Ducliesnc et
marche sur lananarive, péniblement, en raison de la néces-
sité de construire une route tout en combattant. Pour en
linir, le général en chef fomn* une colonne volante de
4,000 hommes sous les ordres du général Voyron et, chas-
sant l'ennemi la baïonnette dans les reins, sè rend maître
de la capitale. L’ensemble do la marche en avant a duré
moins de cinq mois, depuis le 2 mai 1893, où l’avant-garde
du général .Metzinger enlève .Marovoay, jusqu’au 30 sep-
tembre, où le drapeau blanc est hissé sur le palais de la
reine. (Lest une rapidité rare si l’on songe, outre la route à
construire, aux immenses espaces à parcourir dans cette île
sans chemin, qui mesure 1,380 kilomètres du nord au sud
et 430 kilomètres de l’est à l'ouest, et dont la population est
do 3,000,000 d’habitants.
(( La valeur stratégique de Madagascar est grande et sa
valeur coloniale, elle est immense. Grâce surtout à la mer-
veilleuse administration, si ferme, si raisonnée, si métho-
dique, si ingénieuse, si conforme aux intérêts généraux
et particuliers comme aux nécessités ethniques, du général
Gallieni un homme que la Rome antique eût comblé
d honneurs et qui a droit à la reconnaissance sans fin de
tous les Français — la nouvelle grande colonie jouit déjà
d’une puissante prospérité; elle crée de toutes parts des
voies de communication, gage un emprunt de (iO millions,
voit affluer les colons et les capitaux justement confiants
en une pacification aussi sûre qu’elle a été prompte, triomphe
partout de 1 iniluence anglaise implantée depuis si long-
temps et avec tant <1 activité par les pasteurs politiques de
Londres, proiRigc l'instruction oflicielle neutre et assiste
avec satisfaction — l’anticléricalisme n’étant pas article
d’exportation, comme l'a si sagement proclamé Gamhetta
au peuplement en masse, par les enfants malgaches,
des merveilleux centres de trancisation que sont les nom-
hreuses écoles des brères de la doctrine chrétienne, sous
la, haute, habite et ferme impulsion dirigeante du frère
Benoit-Constant, une des lumières de l’Institut, cœur déli-
64
A TRAVERS l’eXPOSITION
eut, Français ardent, esprit rempli de finesse, de savoir,
de foi et de zèle énergique. Allez, Sidi, par tons, généraux,
officiers, soldats, administrateurs, fonctionnaires, colons,
religieux, la France est bien servie sur la grande terre
malgache et le drapeau aux trois couleurs y Hotte fièrement !
Tous savent qu’ils sont à un poste d’honneur, au grand
point d’appui de défense des intérêts coloniaux de la patrie
dans l’océan Indien et en Extrême-Orient, et ils sont prêts
à tout sacrifier pour bien garder ce superbe lleuron de la
couronne coloniale de la France... Puisse le gouverne-
ment de la Métropole les aider efficacement dans leur noble
tdclie ! »
— Et... l’exposition? hasarde encore Bêchard... tout sur-
pris de ne pas se voir rabrouer aussitôt par un noir regard
tout chargé de dédaigneux courroux.
— Votre ami le broyeur de couscous a raison, Sidi. Si
je ne contenais ma pensée, je vous parlerais pendant des
heures de chaque grande ou importante colonie, au premier
rang desquelles se place Madagascar..., et votre désir est
légitime de voir se clore ma conférence pour aller juger par
vous-mêmes des charmes et de l’extrême intérêt de cette ex-
ceptionnellement belle exposition coloniale. J’abrège donc.
Le soin de présenter la grande île africaine au public cos-
mopolite et surtout au public français réunis en ce moment
à Paris, a été confiée à un Commissaire — M. Crosclaude,
jadis humoriste du plus joyeux talent, aujourd’hui conquis
aux hauts et grands intérêts de l’empire colonial de la France,
et qui, de Madagascar on il est allé aussitôt la conquête, a
rapporté un excellent livre rempli de choses graves racontées
avec la plus charmante fantaisie primesautière — aidé de
deux Commissaires adjoints, M. Clément Delhorhe, secrétaire
général du Comité de Madagascar (constitué en vue de tra-
vailler au développement de la colonisation dans File), mem-
bre du Conseil supérieur des Colonies, et41. François Crozier,
consul de France, ancien attaché à la Résidence générale à
Tananarive avant que Madagasgar n’eût cessé d’être un
protectorat et que la reine Ranavolo n’eùt été priée d’al-
ler... apprendre le piano dans une coquette villa des envii’ons
d’Alger. L’emplacement du bassin de la place du Trocadéro
ayant été attribué à l’exposition madégasque, 4L Antony
LES COLONIES ERANÇAISES
1)5
La Colonie de JlAD.Ar.AscAii.
cet endroit une vaste construction circulaire comme le ter-
rain concédé, d’un diamètre de Sii mètres. Ce pavillon cylin-
drique relie au Palais du Trocadéro par une vaste plate-
66
A TRAVERS l’EXPOSITION
forme) est traité dans le style arabe, dont de curieux vestiges
ont été mis au jour, dans bile, par les travaux de M. -lully.
Trois portes rnonumenlalcs en relèvent la façade, et un cam-
panile de 4i mètres de haut, au sommet duquel déploie ses
ailes le vahoro mahery ou vautour royal de Madagascar,
conduit à une belle saÜe de conférences, au niveau du pre-
mier étage, c’est-à-dire au milieu de ce pavillon-tour,
([ui possède rcz-de-cbausséc, premier et second étages.
(( L’Idée — essentiellement logique et pratique qui
a présidé à l’organisation de cette exposition est celle-ci :
b’rapper l’imagination des visiteurs par le pittoresque, retenir
leur curiosité intéressée par l'enchainement raisonné des
notions principales concernant le pays, indiquer aux esprits
attentifs les moyens de se renseigner utilement et pratique-
ment sur tout, tel a été le plan qui a fait diviser 1 exposition
madégasque en trois régions :
« 1" Le rez-de-chaussée, spectacle mouvementé de Mada-
gascar, sites. Ilore, faune, existence indigène, l ne lie centi ale
montre en sa saisissante réalité la liante et profonde forêt
malgache, avec ses singes, ses oiseaux, ses serpents et,
parmi les rochers, dans la rivière circulaire qui l'enlourc,
des crocodiles — tous ces êtres, imporlés de la Grande lie,
et vivant en lilierté. Deux dioramas font voir les aspects et
les phases de l’agriculture malgache; des jardinets de
plantes artificielles font connaître les procédés de cultures
exotiques, café, vanille, cacao, caoutchouc, thé, tabac, et
le travail des bombyx, des tapias et de la fameuse araignée
de Madagascar, lilant la soie précieuse... Auprès de là.
dans leurs cases originales, travaillent à leurs métiers
des représentants des principales peuplades indigènes; ils
confectionnent des rabanes, tissent des lamhas, tressent des
sabikas de roseaux ou des sacs en raphia, font de la poterie,
de la dentelle, de la vannerie fine, travaillent les bois et
métaux précieux, et même « lavent de l’or » à la battée ou
au sluice, ou surveillent, dans un parc minuscule, les zébus
ou bu'ufs à bosse qui servent là-bas de bêtes de trait, de
somme cl aussi de montures.
— Les indigènes sont nombreux ? ^
— Lent vingt-quatre, se décomposant comme suit : 2i-
tirailleurs armés de Lebel ; lu milicieus armés du fusil (iias ,
LES COLONIES FRANÇAISES
35 musiciens hovas, qui formaient autrefois la musique de
la Keine et constituent une exellente fanfare militaire ; 20
Hovas (dont 8 femmes) souples, intelligents, adroits aux arts
industriels, les anciens maîtres du pays ; i Hetsiléo (dont
2 femmes), race équivalente, mais moins turbulente; 4 Sia-
hanaka (dont 1 femme et 2 enfants) pêcheurs habitant des
villages lacustres; 4 lankarona (dont 2 lemmes) des envi-
rons de Diego, colonisés jadis par les Arabes des Comores
dont ils ont les mœurs et le costume; 2 Sakalava du Nord-
Ouest (Nossi-Héens) aux mumrs dissolues, mais excidlents
marins, pépinière de nos équipages indigènes; 3 Sakalava
de 1 Ouest (Maintirano), dont I iemme, sau\ages, nomades,
pillards, (|ui ne se sont soumis qu 'après de sanglants com-
liats; 3 Mahalaly (dont 2 iemmes) de la région encore presque
inconnue des euphorbiacées, produisant le caoutchouc; 2
lanosy (dont 1 femme), beau peuple guerrier et éleveur de
rCst qui a longuement lutté, au xvu" siècle, contre Flacourt,
établi au bort-Daupbin ; 3 Taimorona (dont 1 Iemme), popu-
lation arabe de la côt(‘ Est, travailleurs, les meilleurs ter-
. ' -J--..
rassiers pour la construction des voies de pénétration ;
Betsimisaraka (dont 2 femmes) pécheurs et bûcherons de' la
côte Est, malheureusement alcooliques et paresseux, race
([ui décroît rapidement ; 1 Tambaboaka, représentant une
petite principauté de métis arabes, relativement récenls,
gi oupés autour de Mananjary. I ous ces indigènes sont placés
sous le commandement de 41. le capitaine Laporte, de l'in-
tanterie de marine.
2” Le premier étage réunit renseignement élémenlain' des
choses de Madagascar. Un plan de l’ile en relief, des caries
detaillees, des reliels de la baie de Diego-Sinwez, de' ïana-
narive (ce dernier exéculc sous la direction des IC-ères des
Ecoles cbrétbmnes par leurs élèves), carl(> murale des lignes
de commun icat ions avec la, Métropob' (Ab'ssageries mari-
limes, Chargeurs réunis. Péninsulaire havraisc), équipement
et outillage colonial, le lilanzane (gi’onpe). ethnographie, etc.
3" />c second etage, où sont gronpi's tons hss doenmeuts
de nalure a laire connaître I île bisloriqni'menl et gi'ogra-
pbi(|uemenl. Objets provenant du palais de la reine lîana-
volo, musée commercial de la cajiilale, vitrines des expo-
•sants, spécimens de rindnstrie locale et des ails nouveaux
A TRAVERS L EXPOSITION
que les Français oui introduils (loi celui du vitrail), collec-
tions d'hisloire iialundle et de paleonthologi(' vraiment
extraordinaires, le tout eu un cadre, inummse de tuiles niu-
i-alcs dont les sujets sont tous eiupruniés à la vie des iudi-
g’èucs et des colous, à la faune et à la dore de 1 ile, ainsi
qu'à qmdques paysages caractéristiques.
Le Palais d’Argent et les tombealx royau.x
A Tananarive.
— Vrailueul, cher monsieur M<diaiumed Abdullali lien
Mockarah, je ne m'attinulais pas à ce que Madagascar ait pu
réunir une exposition aussi vaste, complète et instructive.
— Fl pourtant, Sidi, je ne vous ai i)as encore parlé de la
grande atlractiou artistique cl en même temps glorieusement
iiislori([uc, du superlie Panorama où se résume, avec une
\isiou d(' File (d une vérité si intense que cimx qui y ont
vécu y croient revivre, eu respiiR'r la chaude atmosphère si
limpide, devant les horizons connus, aux teintes bleuâtres,
violacées ou roses), où se résume, dis-je, 1 histoire de la cou-
LES colonies eh ANC
AISES
69
e k le"',' V» Pi>issa„l,. ,1,.
né ' '"“y™- ' l«■ir.l,■k,l,.ss;Mal,.n^ nllaelié.
P l.iiil les opcralioiis. a I elal-niajni' ,lii eé,in,'iil Diiclicsii,'
P ‘“'"P'«y pai'lins: 1" llnil ,|iora,„aa nionlranl l,.5
(Inerscs plias, 'S ilo la eaiiipagno. ,l,,piiis !,■ ,l,,|,an|i„., ,,
'î'”'” '* '''
1,1 An.lnlia pour lana.iarivo, 2" Le grainl panorama i„-
I liai I les posilionsj^l,-.a Iroiipes de eetle vaillanle eolon,,,,
V. i H L"l'l '' ' '■ "''i’!™''"'' 'S'-'S- O"»!"' Jioran.as
-> Ihiti&anl u'inrc de |mci(ica(ion du général Galieni (Ta-
iijalave vue du large, hi gra.ule rorèl de 40 kiloinèlres vlx-
dune ruine d'or, nue enirée du général-gouver-
neur a lananarive). Voyez-vous, Sidi, la vraie façon de
gouliT cmnnic elle le inénle celte magislrale et si conscien-
cieuse œu\re de Louis Tinayre, il serait de l'aller admirer
ion e I s h conire le cliinal autant que
soldats qui ont noblement montré au monde, après le
lOWn'ni:;"; î '-dui'ioot
J nitrcpi dite sont .les vertus guerrières qui ne sauraient d.i-
cioilie dans la belle armée de France. Alors, vous pourri.v,
lis cîiamns ^'o^'q^^ète, reconnaissant
les champs de bataille, saluant les cbefs dont le nom main-
tenant appartnmt a 1 Histoire. Faites ainsi et vous décuplerez
e poignant inleretqu ins])irenl aux ernurs fi'auçais ces toiles
] 1 sem ) eut Mvre et où l’on croit senlir le souffle de brise
tinjiicale taisant ondoyer au loin le drapeau tricolore Vous
nuirez uue prolonde sensalion .le même ordre en allanl voT
doenmenté, le Panorama
« Avant de quitter l’exposition de la Grande lie, laissez-
coloniale intitulée le
«Comité de .Madagascar» - M. Charles Roux en esl IVm
nent presnlent-trésorier et MM. Etienne et Chaillej-Bert les'
-m ne, d enti amer les lorc.-s inutilisés do la nation vers la
colonesation s, productive de Madagascar, d’en défendre lis
70
A TRAVERS l’eXPOSITION
iiitérèls p;énéraux et d'y aider puissamment les intérêts
particuliers... » • i .-u i.
A ce moment, M'"'' Flore ne peut contenir un bâillement
un peu indiscret. Le Touareg-conférencier s'incline avec une
gravité ironique.
Je compr('nds, dit-il. Sous peine de bientôt parkr pour
des yeux clos, il me faut me hâter. Comme on dit, je crois,
en bAance, je vais donc metlrc les « bouchées doidiles ».
Pour commencer, je vais vous présenter d’un seul coup ;
SEM^IGAL ET SOUDAN, DAHOMEY, COTE D’IVOIRE
GUINÉE ET CONGO
— C’est-à-dirc, résume Vcrduret, tout le lot énorme <le
nos possessions africaines, moins l’Algérie, la Tunisie et la
Côte des Somalis sur lesquelles nous sommes déjà édifiés !
Le Touareg approuve du turban et commence :
S
LE DA II 0 n !•: Y
— I.a Côte du Dahomey, ou Côte des Esclaves, a été visi-
tée dés le xiiC siècle, par les navigateurs dieppois... Mais,
que la iemme du liroyeiir de couscous se rassure, je ne
vais pas remonter au Déluge. Je saute d’un seul bond au
temps de la dernière grande Exposition de Paris. En 1889
quand M. Etienne prit la direction des affaires coloniales
comme sous-secrétaire d’Etat, la France ne possédait sur la
côte de la portion du golfe de Guinée, appelée golfe do
Bonin, que quelques comptoirs dont la légitime possession
lui était constestée, par l’Angleterre, du côté des lagunes de
Torto-Novo, et par le roi du Dahomey, qui prétendait ne
tenir aucun compte des traités par lesquels il avait cédé la
plage inhospitalière de Cotonou. Mais, M. Etienne pressent
l’importance et la richesse de ce pays, dont le tyran sangui-
naire inspirait de l’horreur à tout le inonde civilisé; il régie
72
A TRAVERS l’exposition
le conllit avec rAiiglcterro et, ayant brisé cette entrave,
envoie an Bénin M. Ballot, aujourd’hui encore le Gouver-
neur si apprécié du Bahomey, avec mission de parler haut
aux cahacères représentant le cruel Béhanzin. Getle heu-
reuse initiative provoque la hclle campagne que vous savez
et qui a rendu fameux et si populaire le nom du général
Bodds. M. Etienne, iM. Ballot et le brillant et énergique offi-
cier général, ont donné à la h’rance une superbe colonie qui,
bornée par le Lagos anglais à l'Est, le Togo allemand à
rOuest, étend son hinterland jusqu’au Soudan faisant, de ce
côte sud, communiquer la région du Niger à la mer, union
que fera tout à fait intime un chemin de fer sur le point
d’ètre construit. Bien n'est intéressant comme le fort volu-
me qu’a écrit, sous le trop modeste titre de : Notice sur le
Dahomey, .M. Jean Foussagrive, administrateur des Golonics,
sous la direction de M. Pierre Pascal, Secrétaire général
(^et gouvernenr par intérim) du Dahomey. Cette lecture,
qu'il faudra faire, vous montrera par les merveilleux résul-
tats rapidement obtenus, de combien d habileté, d’énergie,
et d'esprit colonisateur sont doués ces Erançais qui, sur la
foi d’adversaires intéressés, nient leurs propres qualités
qui sont dos qualités de race cent fois prouvées sous tous
les cieux de l'univers.
« L’exposition si originale dn Dahomey, que l'architecte,
M. Louis Silfert, a si scrupuleusement habillée de « couleur
locale », est l'auivre de M. Médard-Béraud, ancien négociant
en cette contrée. Commissaire, assisté de son Commissaire
adjoint, M. J.-L. Brunet, secrétaire du Syndicat de la Presse
coloniale. Ces messienrs, de concert avec leur haliile archi-
tecte.et toujours d’après Vidée directrice deiM. Charles Roux,
ont donné à leur section, qui forme un îlot de 2, Un mètres
superficiels qu’entoure un mnr rustique a demi ruiné, 1 as-
pect d’un village dahoméen avec ses constructions imitant
la « terre de barre » et recouvertes de chaume. Seules, les
deux principales, situées au centre, ne sont pas des reproduc-
tions exactes, en raison du souci artistique de 1 ensemldc
et des nécessités de la circulation. La principale construc-
tion est le « Tata »;, avec haut porche d’entrée, et surmonté
d’une tour de 2!J mètres, que le public (qui, ignorant peut-
être la position exacte du Dahomey, sait dans leurs moin-
LES COLONIES ERANÇAISES
73
I (ires détails, les terribles cérémonies qui délectaient le tyran,
I sa cour et ses amazones) a tout de suite baptisée la « Tour
y des Sacriliçes >i. Le toit de chaume de ce Tata est hérissé de
I piques supportant les crânes memes des esclaves décapités
f sous les yeux de Béhanzin. Le Tata contient deux salles;
^ une fraude laisant suite à l’entrée où est (exposé tout ce qui
5 concerne rethnograjihie et la géographie du pays, avec orne-
1 mentation d art indigène, et une [ilus jietite contenant les
) cxhiljitioiis dos ex])osants. Helié au Tata par un escalier est
I le «Musée des Beligions l'étichistes », ou de vrais gnol.s ou
I prêtres donnent de temps eu temps de sauvages séances.
« Autour do ces constructions sont disséminées de nom-
I breuses [(aillotes terrestres, dont le poste de 10 hommes do
1 la garde civile indigène (la plupart anciens tirailleurs haous-
' sas, ayant comhattu au Dahomey et à Madagascar) avec les
I trois femmes du sous-brigadier et de doux gardes — ou pail-
I lûtes lacustres avec leurs curieuses pirogues, réduites on
L raison do 1 exiguïté de la minuscule rivière qui les porte.
! Des artisans, au nombre de sept, avec deu.x femmes et (jua-
: tre enfants, excr(;ent leurs industries dans ces primitives
' demeures. Je ne vous parle pas, Sidi, des objets contenus
1 dans cette ex[)osition du Daliomey (que l’on devrait écrire
Dahumé, signifiant mot à mot de Dan, appellation
j justifiée par une curieuse h'gende historique). Les choses
■ originales y abondent : trônes royaux, collection du général
! Dodds, une carte du pays datant de 159.'i, la colossale
il défense d’éléphant, dont le poids dépasse 9Ü kilos et qui est
“ la propriété de .M. le (iouverneur Ballot, tam-tams mons-
tres, table des sacrifices humains, etc., etc. Vous verrez tout
I cela, ainsi que le buste du roi Tolfa, notre allié, à qui nous
1 avons donne une parlie île l’ancien royaume de Béhanzin.
louten vous renvoyant au si complet travail deâl. b’oussa-
j grive, je veux, en terminant, vous donner cette seule et
I explicite indication de la prospérité de cette jeune colonie :
I l’année dernii'u-e, les importations et les exportations réu-
I nies (les dernières dépassant les premières) se sont élevées
i à un chillrc supérieur à 25 millions de francs. Pour cette
I meme année 1899, les recettes prévues du budget local
I étaient de 1 ,9()ù,hüh Irancs ; or, les recettes réalisées se sont
I clevces de 2,790,000 Inancs, soit un excédent inattendu de
A TRAVERS L’E.XPOSITION.
T. .\VI. — 4
65
74
A TRAVERS l’eXPOSITION
830.000 francs. J’ajoute que la superficie du Dahomey est do
210.000 kilomètres carrés et sa population indigène de
1.200.000 âmes.
Il
s !•; N É (’. A I. E T SOUDAN
— L’heure s’avance et je n’ai plus le temps de vous par-
ler longuement de cJiaque colonie. Je vous rappellerai seu-
lement que le Sénégal, où les marins de Dieppe fondèrent
un premier comptoir en I3G0, est une des plus anciennes
colonies modernes de la France, son établissement sérieux,
datant de 18.30. Inutile de faire un retour sur les pages guer-
rières de son histoire ; trop de généraux contemporains ou
presque, comme Faidherbe, dont vous verrez au Trocadéro
la statue, y ont conquis la célébrité pendant que le récit do
leurs hauts faits instruisait la métropole sur ces contrées de
l’Ouest africain qui s’étendent de l’Atlantique au lac Tchad.
Je ne vous dirai quelques mots que de l’exposition sénégalo-
soudanaise, dont M. Milhe Pontingon est le Commissaire et
pour laquelle M. Seillier de Gisors, l’architecte en chef des
constructions coloniales françaises du Trocadéro et l’auteur,
ainsi que je vous l’ai dit, du Palais où nous sommes, a con-
struit un pavillon très monumental, couvrant 000 et quelques
mètres carrés, et dont l’architecture est inspirée des mos-
quées et des résidences des chefs du Sénégal et du Soudan.
Ce Pavillon, qui est un véritable petit palais, a pour disposi-
tion intérieure une vaste salle de 20 mètres sur 7, entourée
de galeries. C’est au-dessus do l’entrée principale que vous
verrez la statue de Faidherbe, le plus illustre parmi tant de
gouvernenrs, administrateurs et conquérants dont les noms
ont passé à la postérité. Tout autour on a édifié des cases,
reproductions très exactes, dans lesquelles travaillent sous
les yeux du public, des indigènes du Sénépl : tisserands,
forgerons, bijoutiers, etc. Inutile de vous dire que l’exposi-
tion sénégalo-soudanaise est aussi belle que réconfortante
pour les amis dévoués de l’empire colonial. Le Sénégal est
une colonie laite et en plein rapport, ainsi qu en atteste le
grand mouvement commercial des ports de Saint-Louis et
LES COLONIES FRANÇAISES
75
(le Dakar, l.’immcnso Soudan n’est, à liien prendre, que
riiinlcrland géant de la Sénégambio, et la côte ([ui lui sert
de débouché direct s’étend du Cap Blanc, frontière des dé-
serts rivages continentaux dépendant des espagnoles Cana-
ries, jus(|u'à Dorto-Novo au Dahomey, moins les emprises
anglaises de l’étroit territoire de la Gambie, de Sierra-Leone,
do la Côte d’Or (Acbanti), de l’embouchure portugaise du
Geba, de la Képuhlique do Libéria et du Togo germanique.
L’avenir amènera-t-il des évictions amiables qui permet-
traient Tiinité du grand domaine français de l’Ouest africain
à l’Occident de la ligne frontière qui déjà réunit le golfe
«méditérranéen de Gabès au lac Tchad et celui-ci au golfe
de Bénin?.., C’est son secret. Avec ses débouchés actuels,
le Sénégal-Soudan fait un énorme commerce maritime :
par an, la production de la gomme seule s’exporte pour
4,500,000 francs, le caoutchouc pour plus d’un million...
Ah lino (ihcp. omnea.
— Hum ! pense Verduret en souriant intérieurement, un
Touareg (|ui parle latin !
— Les organisateurs de l’exposition de cette colonie an-
cienne n ont eu, contrairement à ce qui a eu lieu pour la
colonie neuve de Madagascar, qu'à en montrer les produits
de toute nature; ceux du sol : mil, riz, manioc, coton, in-
digo, etc; et, dans les forêts profondes, le baobab, le faux-
acajou, le fromager, etc, etc; ceux de l’industrie et de l’art
indigènes: armes, bijoux, tissus, cuirs ouvrés, poteries, in-
struments de musi([ue, etc. Des peintures aux sujets spéciaux
et des ligures de cire donnent de complets aperçus ethnolo-
giques, taudis que des dépouilles d’animaux représentent la
laune de ces immenses et si variées régions.
« Gc n’est pas quitter le Soudan que de vous parler main-
tenant de la
§ 111
CÔTE D ’ I V O I 11 E
— Les établissements de Grand-Bassam et d’Assinie furent
fondés dès le xiv“ siècle, toujours par les Dieppois, pour
l’achat de l’ivoire (dont la côte a gardé le nom quoique les
Vii.i.ACiE Dahoméen
LES COLONIES ERANCAISES
77
précieuses défenses en aient totalement disparu), de la pou-
dre d’or et de la gomme arabique. Ces comptoirs durèrent
quatre siècles sans faire parler d’eux. La côte, évacuée on
1870, il n’y resta plus (}ue les deux comptoirs de la maison
\erdier, de La Itochelle, et les cartes, jusqu’en ne
mentionnèrent même plus l’existence de cette possession
quadriséculaire, lors(|ue, cette année-là, iM. Binger, alors
ca|)itaine, y descendit, venant d’explorer la bouche du Niger.
La publication de ses travaux attira sur elle l'attention,
et, dès lors, elle reçut des visites de missions qui la firent
j'evivre et accrurent sans cesse son territoire ; maintenant,
elle est intimement liée au Soudan par les routes décou-
V(U’tcs par les explorateurs. En réalité, elle date des décrets
de 1(S!)2 et LSfi.fi qui fixèrent ses limites et lui rendirent son
autonomie. En 1890, les comptoirs existants faisaient |)our
2,800,000 fr. d’alfaires; aujourd’hui, le commerce extérieur
de la colonie atteint, eu ebitfre rond, 12,000,000 de francs :
de tels cliillres disent clairement son dévelopj)ement.
— Ob ! les cbilfres ! a|)j)rouve tout bas Bôchard.
— Cette colonie si vieille et... si jeune, poursuit le chef
touareg, se suffit à soi-mème avec sou budgetde 1 ,i00,000 fr.,
sur lequed, cette année, elle a |)rélevé 25,000 fr. pour frais
de partiel |)atiün à l’Exposition Universelle. Près de la mer, de
(Irand Lalion à la Côte d'Or anglaise (Acbanti), le |)ays n’est
(|u’une lagune, au-delà de la(|uclle, sur toute la longueur
de la côte, règne une colossale forêt s'étendant sur 500 kilo-
métrés, avec 000 kilomètres de profondeur. Cette abondance
de futaie géante ne va pas sans ])luies intenses : il tombe
fi mètres cubes d’eau au mètre carré, avec une température
moyenne de 50". Le caoutchouc, l’acajou, les ])almes à huile
sont les ])roduits indiqués, auxquels il faut ajouter le café,
le cacao, et... l’or. 11 y a beaucoup d’ur, dont on fait d'admi-
rables bijoux. Les mines sont prospectées, mais elles atten-
dent encore une ex|)loitation rationelle comme celle qui a
fait la fortune du pays anglais voisin des Acbantis. La forêt
équatoriale et 1 or préparent à cette colonie un avenir d'une
richesse exceptionnelle lors(|ue, en 190fi, sera terminé le che-
min de fer de pénétration de 280 kilomètres, dont le capitaine
lloudaille a achevé le tracé. La voie ferrée traversant la
forêt mettra l’hinterland, c’est-à-dire le Baoulé et, plus haut.
78
A TRAVERS L EXPOSITION
le pays de Kong, en relation directe et rapide avec la côte.
Nul doute que les Français ne laissent pas autrui — comme
cela arrive trop souvent — exploiter ces richesses ; mais la
colonie de la Cote d Ivoire n'oll'rc pas l’établissement à bon
marché, quoique les concessions y soient gratuites ; inutile
de s'y avcntui'cr sans un ca|)ital minimum de 2dü,0()() t'r.,
nécessaire ])o,ur établir des jilantations et y adjoindre, en
attendant qu'elles ra|»portent, des factories pour l’exporta-
tion de l’acajou.
— Et 1 Exjiosition ? répète à voix basse IJcchard, avec une
régularité de chronomètre.
D('rccbcr, le Touareg h' satisfait, tout en feignant d(' n’avoir
pas entendu.
— ■ Le Pavillon, dil-il, a été construit par M. Eoiirlois-
Suflit, sur le modèle hygiénique des grandes factories du
pays. Il mesure li mètres sur 8, est entouré d’une véranda
spacieuse et doté d’un mirador. Il répond si excellemment
aux conditions d’haldtabilité sons le climat chaud et humide
de la colonie que M. Roberdeau — le gouverneur actuel,
successeur de M. Moiittet, lequel succédait lui-mémo à M.
Binger — l’a voulu démontable, pour qu'après l'Exposition il
puisse être réédifié là-bas. Le Eommissaire, M. Pierre Mille
(auteur de Texcellentc notice sur la colonie, travail concis,
clair et complet), a organisé son exposition de la façon la
plus intéressante et la plus commodément instructive. C'est,
à l'intérieur du hall, la collection Houdaille, c'est-à-dire
tous les ])lans et dessins relatifs au chemin de fer et à la
création du port et de la ville nouvelle ( Bingerville) qui rem-
placera Grand Bassam ; des cartes murales où M. Pierre
.Mille a su, par une méthode particulière, faire ressortir la
constitution géographique et botanique de la colonie ainsi
que ses ressources en tous genres ; des collections de
produits (plantations et acajou) ; des collections ethnogra-
phiques réunies par .M. Clozel, secrétaire général, et M. Lam-
blin, administrateur de la Cote d’ivoire ; les quatre cents
aquarelles, si artistiquement fidèles, de M. Thoiré — l'admi-
nistrateur qui se montra si énergique lors de la répression
do la révolte des Boubouris, en 18!t8 — et qui représentent
la faune et la llore de cette contrée; enlin, le « clou d'or »
do cette exposition, la collection de bijoux indigènes faits
LES COLOÎSIES FRAiNLAlSES
avec cet or, dont l’exploitation européenne ultérieure prou-
vera que la « Côte d'Or » fraïu^aise ne le cède en rien à la
Cote (l’Or britanni({ue... d’ii C(jté. Francliissons maintenant
le grand golfe africain, pour nous rendre dans la
— Est-ce qu’il y en a encore beaucoup de ces colonies?
demande lamentablement la farinière, tirée d’une demi-
somnolence par l'annonce plus forte de ces deux mots :
« Guinée franejaise », comme détachés par le noir confé-
rencier de la monotonie des jihrascs précédentes.
— Ne vous en plaignez pas, chère madame, se récrie pa-
triotiquement Yerduret. Notre empire colonial est la riche
parure de la France, et regrett(vt-on jamais qu'une i)arure
ait trop de brillants?
— Je ne dis pas... mais c’est qu’il me semble que nous
sommes ici depuis...
— J’abrège, interrompt laconiquement et d’un ton brus-
que de mécontentement le Touareg, qui reprend, en style
presque télégraphique... du moins pour quelques moments ;
■ — Guinée, colonie à la vapeur, exemple de merveilleux
élans décolonisation rapide dont sont capables les Français
quand ils s’y mettent. 11 y a sept ans, capitale Konakri, quel-
({ues cases indigènes éparses autour du Palais du gouver-
neur, de l’hôpital, de l’école et de deux ou trois factoreries;
en la presqu’île qu’elle occupe, un vapeur sur rade ('galait
sensationnel événement; sur la grande terre, à quelques
kilomètres de la cote, plus de route, des sentiers. Aujour-
d'hui, Konakri, ville importante, maisons d’habitations et
de commerce, bâtiments administratifs, rade peuplée de na-
vires; la Sierra Leone des Anglais enrage d’y voir passer
une grande partie de son trafic; grande terre défraîchie,
larges et belles routes pénétrant loin dans l'intérieur, bien-
tôt chemin de fer reliant capitale au Niger. Progrès super-
bes dus à l'intelligent gouvernement du docteur Balay. Quand
b’rance s’y met, enfante des miracles. Exposition duc à
80
A TRAVERS l’eXPOSITION
M. Vienne, Commissaire, etCaboriau, Commissaire adjoint,
digne de cette étonnante colonie. Pavillon est reproduction
de deux cases indigènes à étage, réunies par galerie à toit
conique chaume, style Soussou. Rez-de-chaussée, exposition
administrative : produits, industrie locale, cartes en relief
comparatives de Konakri il y a dix ans et maintenant, explo-
rations, renseignements de toutes natures; premier étage, ex-
position des colons : noix de kola, caoutchouc, arachide et
poudre d'or, ivoire, sparterie. Autour, cases indigènes; un
(a(a, modèle de poste de milice du pays, dans une enceinte
fortitiée; type de l’ancien sentier, aujourd’hui transformé en
helle route ; un jardin, devant la porte, contient spécimens de
cultures du pays ; dans un petit hois, case où sorciers fout
leurs incantations. J’ai dit. Madame contente, je pense.
Passe à
V
COXGO
— Oh ! je vous en prie, mon cher vioimeur Touareg, s’é-
crie Verduret, dût notre compagne s’en désoler, soyez, de
grâce, moins laconique. Ces choses des colonies, si elles
n'ont pas le tlon de plaire à -M'"= Bèchard, m’iiitéi'cssent fort,
moi !
— Bien, Sidi, consent Mohammed Abdullah, j’irai vite
tout en arrondissant les formes de langage. D’abord, un mot
d'historique.
— Parbleu ! fait le farinier vexé de l’épigramme adressée
à sa « moitié » et encouragé par les façons adoucies à son
égard du narrateur à la peau noire, ce Congo a été conquis
pacifiquement par M. Savorgnan de Brazza, chacun sait
cela !
— C’est vrai, mais c'est un peu plus simple que la réalité,
déclare le » chevalier du Désert » eu reprenant le ton sé-
vère qui impressionne tant Bôchard. A grands traits, voici
ta vérité. Oui, c’est le lieutenant de vaisseau hors cadre de
Brazza qui a été l'apôtre et le grand ouvrier de l’acquisition
de ce vaste domaine qui, appuyé sur les rives droites de
LE.S COLONIES FRANÇAISES
SI
l’Oubangui et du Congo, pari, du quatrième degré au-dessous
de l’équateur pour étendre sa sphère d'inlluence jusqu'à
1 Algérie, et dont les territoires actuellement occupés sont
trois fois grands comme la hVance, leur superficie pouvant être
évaluée à S, 000, 000
de kilomètres car-
rés. Mais, M. de
Brazza est loin d’a-
voii' élé le premier
à tenter l’étahlisse-
meut dans ces ré-
gions, s’il a le grand
mérite d’avoir été
le premier à y com-
plètement réussir.
Ce Gabon a com-
mencé à être occupé
par le commandant
B O U t - Willaumez
dès 1838, et Libre-
ville a été fondée
on 1849. De 1851
à 1805 ont lieu les
belles e.vplorations
de Paul du Chaillu,
puis celles des
lieutenants de vais-
seau Braouzec, Ser-
val, Genoyer et du
docteur Griffon du
Bellay; en 1807,
c’est le lieutenant
de vaisseau Aymés, et en 1872, MM. Marche et de Com-
piègne. Tous acquièrent sans cesse des territoires sur la
rivière Ogooué; le Gabon était définitivement acquis. Enfin,
imraît M. de Brazza, tourmenté par l’idée congolaise, dès
1 Ecole navale. En 1872, à vingt ans, faisant partie de
rétat-major de la division de l'Atlantique, il fait son
premier voyage au Gabon et, profitant d’une courte per-
mission, se met en relation avec les indigènes en remon-
M. DE LAMOTHE
COMMISSAIRE GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT
AU CONGO ERANÇAIS.
(Cliché Eugène Pirou.J
82
A TRAVERS l’eXPOSITION
tant le Komo, une des rivières du Gabon. En 1874, il
oblicuL d'etre envoyé on mission vers les sources do
rOgôoné et fait une première, belle et diflicile explora-
tion, de 187.0 à 1878. A peine de retour, il repart pour
un deuxieme voyage, qui devait avoir des résultats consi-
dérables. bin 1880, il fonde Erancevillo, traite avec le roi
IMakoko, fonde Brazzaville et voit son univre aidée, alors
qu'il revient vers la côte, par l’exploration de M. renseigne
de vaisseau .Mizon ( 1880-1 88.8), et du docteur Ballay (1882).
A la lin de 1882, il entreprend un troisième voyage, occupe
la rive gauche du Congo. 11 est nommé Commissaire géné-
ral du Congo français en 1886 et, dès lors, dirige les explo-
rations de ses collaborateurs vers le haut Oubangui et le lac
Tchad, no se réservant que les raids les plus importants.
Ses collaborateurs sont légions, les JNlizon, les Maistre, de
Béhaglc (perdu récemment, hélas!), Bonel, Gentil, Liotard,
Dybowsky, Paul Campel, Fourreau, de Boumayrac, assas-
siné, duc d’Uzès, mort au champ d’honneur, et cent autres
fameux, dont le plus célèbre. Marchand, qui nous avait con-
(juis le llaut-Nil, abandonné par le Gouvernement français
sur un ordre d’Albion. Comlnon d’cnlre eux ont payé de
leur vie l’acquisition de ce Congo qui est è lui seul un im-
mense empire. Le Gabon, détaché en 1886 de la colonie de
(iuinéo, a été normalement réuni au Congo, où il fait chaud
(entre 20" et 8o"), puisque c’est sous ré(|uateur, mais dont
les côtes seules sont malsaines; il faut, pour s’y acclimater,
une saine et bonne constitution, une. grande sobriété et une
suflisantc énergie morale pour ne pas se laisser déprimer
par le climat équatorial. Du reste, vous n’aurez qu’à lire le
volume-notice rédigé sous la direction de i\l. Marcel Guille-
met, Commissaire adjoint du Congo à l’Exposition : c’est un
véritable livre d’or résumé de l’héroïsme et des ijelles
facultés coloniales des Français. Le Commissaire général du
gouvernement au Congo est maintenant iM. de Lamothe,
Ceci dit, je passe à l’exposition pour ne pas ahuser de votre
temps, Sidi, non plus que de la patience de madame,
l)aticnce déjà mise à une rude épreuve, je le reconnais.
Verduret fait un geste de protestation, mais le grave
Touareg poursuit :
— L’exposition congolaise a été préparée par M. Ponol,
LKS COr.OMKS FUANC.AISKS
Commissilire ; mais comme, le pavillon arrêté, il a dû
repartir pour réunir divers produits et renseignements
nécessaires, c’est M. (ïnillemot qui en a poursuivi rexéeu-
tion et l’organisation intérieure aidé de Bourdon, second
Commissaire adjoint. Le Bavillon est un type de maison
coloniale, en fer, carreaux de plâtre, couvci-t de tôle on-
dulée, monté sur infra-structure en liois, et <lémontal:)lc,
devant être transporté à la colonie pour y servir de poste.
11 a été constimit sur les plans de M. Scellier de Cisors et
mesure 20 mètres sur 10 mètres. 11 contient deux salles su-
pei'posées : dans celle du bas sont les bois, campements,,
tentes, etc.; dans celle du liant, les produits classés par
régions : bois, ivoire, caoutchouc, cafés, cacaos, tissus,
collection botanique (à remarquer surtout la belle collec-
tion réunie par .M. Autran, chef d’exploration, et celle de
lianes à caoutcbouc et lat('x de .M. Vesser, directeur de la
plantation du lac Cayo) et minéralogique ; puis, des
armes, des fétiches, des étolfes d’importation, des photo-
graphies, des cartes, des meubles en bois et peaux du pays.
^’ous y verrez de beaux dioramas instructifs, dont trois dus
au maître pinceau de iM. Lastellani, deux de .M. Noël Dor-
ville et le portrait de .M. flentil, par Merwart; vous assis-
terez au travail de l’ivoire par deux indigènes et, sous la
véranda, deux belles cartes — 3 mètres sur 4 mètres — vous
diront, au premier coup d’œil, ce qu’était le Congo français
en 18(S9 et ce qu’il est devenu aujourd’bui; c’est une su-
perbe leçon do fait. Devant le Pavillon est une pièce d’ean
sur laquelle. Hotte nue très curieuse pirogue, et, à côté du
Pavillon, est une case circulaire copiée sur celles des indi-
gènes de la région du Chari... Espérant avoir satisfait à la
fois Sidi et la compagne de son ami, je franchis l’Atlanti-
que pour présontei' — en y ajoutant la Réunion dont j’ai
omis do vous parler lorsque nous étions dans l’océan Indien
— le domaine de la France en Amérique :
Mii
C'IIAfMTIîE YIIl
GUYANE FRANÇAISE, GUADELOUPE, MARTINIQUE
R É UN ION
— ^ oic! le lot des vieilles colonies. Que niadanie prenne
courage, c’est par lui que je termine. La Luyane (502
kilomètres de côtes et 1,200 d(^ prolondcnr) reçut fiés 1004
la visile de La Revardière, envoyé dans un but de colo-
nisation par Henri IV, et ces! dès 1020 ([ue vingt-six
colons roucnnais s'élablirent à Cayamne ; la Guadeloupe,
séparée en deux tei’res par un canal appelé la Hivih'e mire
(snperlicie 109,235 bectcires et 310 kilomètres de développe-
ment de côtes), découverte par Colomb en 1 493, a été
occupée par le gouverneur français de Saint-Christophe,
rOlive, aidé d’un gentilhomme du nom de Du Plessis, en
1035; la Vlartinique (siiperncic 98,783 hectares), découverte
au même voyage que la Cuadeloupe, devint en môme temps
qu’elle française; enfin, quittant les Antilles pour l'Océan
Indien, bile Bourbon ou de la Réunion (snperlicie 200,980
hectares et 215 kilomètres de côtes), voisine de Maurice
que les Anglais ont pris à la France, découverte en 1545 par
le Portugais Dom Pedro Mascarenhas (d’oii le nom de Mas-
careignes que porte le groupe Maurice-Réunion), a été
mise sons la domination du drapeau fleurdelysé par Proius,
commandant de Madagascar, en 1042. De meme que la Loi
avec les myriades d’articles de ses codes, des colonies aussi
anciennes, aussi séculaires doivent être supposées connues
de tous les Français, ce qui était en partie vrai pendant la
LES COLONIES ERANÇAISES
_ _ _ S5
prcmitrc mollit ,1,, ce siPcIc, ,ln moins au point cIc vue des
nnnrs dn paysage cl du pitlorcsqne, les auteurs rmnan!
lupies d alors ayant souvenl pris pour héros et Inn-oïnes ,1,.
langoureuses créoles de la Martinique, de plus ou moins
ciue s planteurs de Bourbon, de poéliques (?) eselaves de h
(.uadelonpe ou ,les hèles, générale, ncnl innocents, du bagne
■ te la manifestation lie ces douairières coloniales eu
pées! ÎSr!r" Srou-
l a OUA- ANE
— M. Maurice rxoïirljoil, le Commissaire <lo celte colonie
française .lu Sml-Améri<|i,e, a organisé - excellemment
comme tous ses collègues — son exIiihiUon particulière
.VMnV'hiri 'V '*'''!''''* " ■'"■''^■‘■*'1^ 'a tonne
I me habitafion du pays. L installation, dans les .leux
salles separ.«es par nue galerie vitna^ (,ui contient un joli
^tc^upe doisniiix de mammileres, de reptiles et .rinsecles’
mdig(?nes naturalises, est des plus co.piettes avec sa ten-
lure d etamine bleue, coupée par des madras gu3'anuais et
ses meubles dacajou tiré des grandes forêts"...^ qui sont
avec les requins du large, la meilleure digue conJ, les éva-
un neî. b^ T" f agricole, celte vaste contrée
un peu bien abandonnée et qui, en attendant son bel avenir
ogi.]uement assuré, se soutient par son importante produc-
tion aurilere C est incroyable ce que le mouvement colonial
métaïTnrtr "l gisements du précieux
irnAal eans tous les coins du monde! Mais, cette fièvre
jaune du sous-sol passera avec l'épuisement des placers
et les produits naturels de la surface resteront, donnant
U valeur vraie aux établissements coloniaux. Dans la
« f.rande Salle » du l>avillon, contenant les expositions
riout VeeD '} s'intéresseront
suitout a cette derniere ou 1 abondante variété des essences
86
A travers l’exposition
est simplemont merveilleuse. Pour lor, on a procédé
comme au Transvaal : en outre des éeliantilloTis très
beaux, une pyramide de cubes dores montre le rendement
par année et ensemble la quantité extraite depuis dix
ans. Dans la « Petite Salle » sont réunis les produits
alimentaires (cafés, cacaos, fruits, couscous, riz, etc., et
conserves diverses ainsi que liqueurs) et de très intéres-
santes collections d’objets pittoresques ou artistiques, ün y
voit serrées par le manque do place, des armes, des pote
ries 'indigènes, des vues de pays ; une superbe toile du pein-
tre Merwart, panorama de l’entrée de Cayenne, appelle et
retient l’attention, et les esprits studieux méditent devant
les grandes cartes murales qui, avec les tableaux statisti-
ques apprennent en peu d’instants plus que de longues lec-
tures. Par les chaleurs, le public achève sa visite par une
station des plus agréables — le Proplu'te le lui pardonne!
au comptoir de dégustation.
Les yeux de iM""’ Flore, bien près de se clore déliiutive-
ment, se rouvrent brillants à cette annonce ; mais le grave
Touareg est au-dessus de ces petits péchés occidentaux si
ingénument avoués et, tranquillement, poursuit:
gu.vdeloupe
— Cette belle île, si souvent éprouvée par les cata-
clysmes, a construit un pavillon de 120 mètres carrés qui,
d’une simplicité distinguée, semble sortir d un massit de
plantes tropicales et de vertes pelouses bordées do coquil-
kmes o-éants. Type gracieux d’habitation de créoles, avec sa
véranda qui entoure la salle d’exposition et à laquelle don-
nent accès deux escaliers peuplés de fougères arborescentes.
M. L. Guesde, Commissaire, et M. Maurice Huet, Commis-
saire adjoint, ont très habilement exposé, dans ce Pavillon ;
1“ les sucres fameux do cette Antille et l outillage per ec-
tionné de sa fabrication; 2° les cultures (avec le sucre, les
fruits incomparables, ananas, bananes, mangues, etc.), qui
LKS COI^ONIES Fil ANC.AISRS
commoncpnt à venir en P rance dans des frigoriiiqiies ; le
Hinm ilonl 1 eloge est siiperOn ; 4'' les procédés variés et
lesnltats inslriictiis du commerce local, sans oublier les
armes antu|iios et la faune terrestre et marine. C’est une
tes expositions particulières les plus fournies (140 expo-
sants) et les plus heurensement présentées. Je la quitte
pourtant bien vite ~ ce en quoi vous ne m’imiterez proba-
“n'ri:^^" ™piao
Fiîconiiatio.n artificielle de la vanille.
§ H
51 V UT 1. MOLE
— Bon ! s’écrie Verduret, le pays du café.
1 ^ SOUS toutes ses formes dans
le I avillon que vous reconnaîtrez à son large perron llanqué
de deu.v constructions légères et donnant accès à un assez
vaste bâtiment aux ailes surmontées chacune d’une tourelle
Ce qui le distingue plus encore de ses voisins, ce sont les
trois grandes ouvertures vitrées de la façade, lesquelles éclai-
icnt la « Salle des calés », et les deux rotondes également et
88
A TRAVERS l’eXPOSITION
complètement vitrées formant les ailes. Comme vous le de-
viniez, Sidi, c'est le café qui y occupe la plus large place,
distançant sensiblement la canne à sucre et la vanille qui
sont les doux coproduits principaux de la plus peuplée dos
colonies relativement à sa superficie... Ce qui n’empôchc
pas les rhums, tafias, cacaos, cotons, fruits des tropiques,
échantillons minéralogiques, ethnographiques, etc., dy
trouver leur petit coin, et même la fameuse hamhoula exé-
cutée par des ligures de cire, de façon toute immobile,
mais non silencieuse, un phonographe redisant au public
les lentes mélodies créoles... Comme je m'aperçois que votre
compagne est définitivement partie pour le pays des songes,
je n'insiste pas, et je termine cet exposé des colonies au
Trocadéro en vous disant un mot de la
IV
R É r X 1 T) X
Son fhivillon, frère jumeau de celui de la Guadeloupe, a
cependant en plus, et au sous-sol, un har très fréquenté. Les
produits exposés sont les mêmes que ceux des Antilles, plus
le quinquina, le caoutchouc et la vigne, récemment impor-
tée et exploitée avec grand succès. Ce qu’il y a de. plus pitto-
resque et qui intéresse particulièrement le visiteur, c est 1 é-
tonnantc variété de types composant la population de file.
(In y trouve naturellement des Malgaches de la grande l'ie
voisine et aussi des Cafres du continent le plus proche, mais
et en grand nombre, des Hindous, des Chinois et en outre
plusieurs races océaniennes, (j est une colonie qui atteint le
joli chitfre de 40,000,000 d'affaires, tant en exportations
qu’eu importations.
« Voilà, Sidi, les indications toutes sommaires que je crois
suflisantes sur les quatre vieilles colonies, d’abord parce
qu en raison de l’ancienneté même de leurs rapports avec la
Mère-Latrie, elles sont aussi intimement connues que bien
des départements métropolitains, et aussi parce qu’avant de
vous rendre votre liberté, je voudrais vous dire un mot du
ClIAl^lTHE IX
palais de la colonisation
[Pavillon des Missions)
~ Qu entendez-vous par Palais de la Colonisation'^ i'aü
trduret. 11 me scmWe que cela doit l'aire double cmnloi
avec celui du Ministère des Colonies, qui donne à ce si et
tous les renseignements'? J
- Sidi, vous commettez une erreur que ic vais vous f'iir.>
une revue ou se trouveraient réunies des délégations do
tous es corps de toutes les armes de l’armée française et
naître lei lieux de '^milin eul iimpotuioiirs MsM
^orv io r -I 1 ^ '"''S'^ïiisation, l’administration, les
^ vices auxiliaires les sources d’approvisionnement en vi-
vres, armes, munitions, matériel, e.i un mot, les éléments
qui dans 1 ombre permettent à cette armée de se mouvoir
Ion irt -tte Expositmn ci:
du Tiocadero, chaque exposition particulière est
comme une délégation d’nn des corps de troupes de la o-rande
armée coloniale; le Palais du Ministère des Colonies est cet
annuaire ou le public trouve toutes les indicatîmis su^
I emplacement la composition, le rendement des colonies
etc., etc. 11 reste à connaître dans le détail l’outillage dJ
90
A TRAVERS l'eXPOSITION
colon et de l’explorateur, les matériaux de pénétration et
d'exploitation, les produits fournis par la Métropole pour
soutenir l’existeucc et le labeur lointain des colons, etc.
C’est là l'objet de ce complément indispensable de l’exposi-
tion coloniale désigné sous le nom de Colonisation. Son im-
portance est si grande que, dans le plan primitif de 1 Expo-
sition, ou avait réservé un emplacement de 2,400 mètres
carrés dans le Jardin du ïrocadéro pour construire à ce
groupe XVlluu vaste Palais. Mais les Pavillons coloniaux,
trop à l'étroit, obtinrent peu à peu des agrandissements de
leurs concessions respectives et envahirent les dits jardins
au point d'en exclure le Palais projeté, au grand et bien lé-
gitime dépit tle l’architecte désigné, M. Deperthes fils...
Attendez doue!... Mais je connais ce nom-là! On nous
a déjà parlé de ce nom ; M. Deperthes!
— A propos du Grand Palais dos Champs-Elysées, évi-
demment, Sidi, puisque, en même temps qu’architecte chef
d’agence du Palais de la Colonisation, M. Deperthes a été le
premier inspecteur, le collaborateur de M. Louvet pour la
construction de la partie intermédiaire du Grand Palais.
C’est bien l’homme le plus charmant en môme temps que
travailleur infatigable et artiste doué. Sous ce dernier rap-
port, il a de qui tenir, étant le fils do M. li-d. Deperthes, le
maître qui reconstruisit l’Hôtel de 4 illo de Pa.ris, avec
M. Ballu. Parisien, né en mai 18ü4, entré à l'Ecole des
Beaux-Arts en 1883, où il a obtenu six médailles, presque
tous les prix que décerne l’Ecole, et été quatre fois logiste,
il est Premier Grand Prix de Borne de 1892.
(( Il est de ceux dont le surmenage développe de façon
intensive les hautes facultés. Son exposition a. du être frac-
tionnée en cinq parties logées : 1“ dans la galerie portique est
du vieux Palais du Trocadéro, fermée par un vitrage, et où
sont réunis les produits alimentaires et pharmaceutiques ex-
portés dans les colonies, la parfumerie et les tissus spéciale-
ment fabriqués dans ce dessein, la banque indo-ch moïse,
etc.; 2^ dans la galerie partique ouest du Palais du Troca-
déro où sont groupés, centre d'intérêt d ordre supérieur et
combien captivant, les « Moyens de propopagande colo-
niale »; ce sont : l’exposition du Comité Dupleix dont le
célèbre explorateur, M. Bonvalot, est le président (con é-
LES COLO^’^T•;S FliANÇAlSES
91
•lo Mm>l la colonisation, livres export.^s, tableau de la mort
e uple.x, etc.), les missions protestantes, la méthode .le
Hcilit/ pour la propagation de la langue française, des sou-
venirs provenant des explorations au Soudan (entre autres
comn!o^^r 1^^"’ ‘^‘■'•’Anthonay et qui
^ mr ! " ^■««'■onno, tant d'objets et bijoux dlir
raw 11 e de grande valeur), les voies ferrées de pénétration
aux colonies e leurs corollaires (plans de cbeniins do fer
le la cïviî I ' ‘^^^'^;;f(onnages du Tonkin), la propagation
c la CIV, isation par 1 instruction des petits indigènes ( 1ns-
Fco es"'l ï'’"' 'los hcoles chrétiennes; photographies des
xo os de Saigon, llaimi, Rangoon, etc., des lavis remar-
quables^ exécutés par de jeunes élèves annamites), etc.;
d e « 1 avillon annexe » de 20 mètres sur 12 et de 7 mètres
« e hauteur ayant au sous-sol un laboratoire photographique
a la .lisposition des nombreux visiteurs photographes ama-
t,3urs, et qui, au rez-de-chaussée, expose les produits expor-
tes dans nos calonies (on y voit des pianos, des cantines
1 explorateurs legeres en aluminium, des pharmacies por-
tatives, SI précieuses, la malle qui a suivi M. de Brazza à
travers les territoires du Congo et de l'Oubanghi;, etc. ;
a le<< I d\illon des Collectivités », omvre principale de Pen-
a>ant -r mètres de haut, un véritable petit palais. M. De-
perthes, pour l'aspect général de ces deux Pavillons, s’est
inspiré des constructions coloniales : toits on tuiles avec
gramle saillie supportée par des consoles, principe du bois
apparent avec décoration peinte. La Prise du Pavillon des
Co lectivites, .lue a M. Rousseau, l’auteur de la célèbre
toile « l a boupe aux Halles », achetée par laVille de Paris,
icpie^ente d un cite « Les colonies apportant leurs produits
a la franco » de l’autre côté « La Métropole venant olfrir à
1 exposition de l.lOO ses produits et objets .l’exportation
coloniale. » j i ^
— Pardon si je vous interromps, moitsieur Mohamme.l
mais .jiie peut-on bien cnten.lre par ce titre de Pavillon des
— Simplement .les groupements, en vue de l'exportation
coloniale de plusieurs commerçants de dilférentes villes de
l’ rance. (. est ainsi que l’on y voit la vitrine du musée colo-
92
A TRAVERS l’eXPOSITION
niai de Lille, etc., etc... Je note, en passant, que toutes les
vitrines sont en nikado, un nouveau bois. Vous remarquerez
que le Pavillon si élégamment réussi et si artistique des
Collectivités se soude à un antre Pavillon dû à M. Montar-
nal et qui est celui des Missions. C’est le cardinal Richard
qui a eu l’initiative de cette participation des umvres catho-
liques à l’Exposition et en a confié l’organisation à un
comité présidé par le vice-amiral Lafont. La, on se rend
compte de la splendeur civilisatrice de l’action des mission-
naires, parmi lesquels il y eut et il y a encore chaque année
tant de martyrs. Les plus hostiles à l’idée religieuse ne peu-
vent qu’admirer les résultats civilisateurs, éducateurs,
artistiques, de science pure, de propagation de l’inllnence
Irançaise obtenus jusqu’au fond des plus barbares et sau-
vages régions par ces hommes généreux et si simplement
héroïques, qui parcourent le monde n ayant pour arme que
la croix, embleme du sacrifice, et la parole persuasive pour
bouclier contre les glaives et les zagaies... Mais revenons a
la colonisation laïque si bien logée par M. Deperthes. 11 reste
une cinquième partie dont je ne vous ai pas encore paxlé,
c’est celle qui s’étend derrière l’aile gnuche du Palais du
Trocadéro, au long de l’avenue du dit Trocadéro, et qui,
quoique reléguée bien loin, n est pas, à beancoup près, la
moins intéressante. Dans une suite de constructions en bois,
parmi lesquelles un tyjie très pratique de maison coloniale
démontable de M. Cornilz, est exposé tout le grand et le
[)etitoulillage dont se servent nos explorateurs, nos colonnes
en expédition, nos corps de troupes de conquête et d’occu-
pation (installalions, campements, moyens de transport, etc.,
etc.). Cette partie de l’exposition de la Colonisation est peu-
plée de choses curieuses et ingénieuses, comme cette sorte
de grande guérUe en métal, avec liublots, pouvant servira
la fois de poste pour la chasse à 1 allât, de chambie, de
chapelle portative pour les missionnaires, etc.; comme tout
le matériel si divers du grand constructeur 11. Lefebvre...
Ah! oui, fait ironiquement Bêchard, les trop lameuses
voitures Lefebvre de Madagascar.
Le Touai’cg prend un air attristé et hausse légèrement
les épaules.
— Ah! Français! dit-il, vonlez-vous donc que Ion vous
LES COLONIES FRANÇAISES
93
croie (oojours, ,lai,s le monde, les liommes au iuKenienl I, ^.ci-
ra rin'i'd-.'N'" »l.|.arcncesa'ns'’v„ s r, ;
a pemo d aller au foud des choses? l'our „ bêcher » ce ma^
CT ici, comme ce IttI un moment la mode... de loin et dans
lignoranee ,les ,liniculles réelles à smam, nier, avelvlu^rsln
■II] g'i *'1" °i 'le commandanls de eidoiines ■
ciii ooudiiii; ciilone] (inlif'rni i lvioc i i la
Areliim.rd ( I.ijlN) à coioiid' RumbcVl'riS iSr’e
ea e Vi I v veé " la c„ii<|ueie de .Madliias-
car \,), s y vouiez que les voilures Lefebvre onf na-lout
“ <1- l'Vai" .r;:
éuv mil II i“'‘"™‘"' “ 1'"' lesanires ualiniis leur
uviciil. .\l ez voir dans celle Ex|)üsilinn _ outre les voilures
cainnues j|ui servent excellemment de bateaux |,o,ir je |1
Tl o,ms îes'lrl r' “7'’“'""“' «l-argie, les lu'ancards
les .Tu l’ campagne, les teiUes irambulanee
ié. I Xibilde ala-' 'Hoiliez les eaum”:
nicys ,1. mont, lies en alumiimim, le „ .Iules lliivoiisl
Çomide sur la liste de la llolte et à le lienlei’e
de va^seiii: lloiirsl .a lui, sa verllKineiise' cx.dor.:,;,,;, “
^MriCi , boiivenez-vous que des mêmes nhdl,. ^
d’cTrTval sur les.juellesa\larcd.aTl"lraversa
I cil oyables marécages pour s’immortaliser à Ibiclioda .«t
mêTile hi "" T"™® ‘1”" l’iiivciiteiir .le tous ces engins
tn dn pays, el que cette exposition de la Colonisa
ou éi ,1°,".““ fr 'i“ ''"'''■’"■i'-■ll" 'la llui"
moins ;.b:;. .7ie "r;,'"
lab er que sui' le modeste cliilli-c de ■«.Uni) francs ’
lh-us;|uen,enl, le O.ef Touareg se lève et déclare ■
...ydif .i;L^te;;:;uir™;.s*;;:^e:S'‘'“
Mohammerv:;is'’lvmz'™d«,T^^^^^^^
ami M Bêchard ^ appelé mon
anu M. ivecliaid « broyeur de couscous Vous cou n ait;
5iez donc sa profession Lonnais-
oaÇbiJ^ir ie"'t":e:,ro’‘„s''di,î^
th SI . mon cher, puisque c’est une claire périphrase
■ Î(l-î
9i-
A TRAVERS l’eXPOSITION
arabe équivalant à farinier. Mais jo me demande comment
notre savant conférencier a pu l’apprendre au Désert, par
exemple ?
— Sidi, c’est le Cadi, vieux de plus de douze cents lunes,
qui m’en a instruit.
— Encore cet excellent centenaire! Je ne l'ignorais pas,
mais je voulais vous le faire dire. Savez-vous que sa bien-
veillance à notre égard commence à faire plus que m’intri-
guer et que je donnerais beaucoup pour le revoir et... lui
arracher enfin son masque. Je voudrais bien lui faire com-
prendre que, tout en étant pénétré de reconnaissance à son
égard, je trouve un peu... comment dire?... un peu torte la
comédie où il nous force à jouer des personnages qui ne
cadrent guère avec nos âges respectables...
— Prenez patience encore quelques heures, Sidi. Le Cadi
ou chef blanc m’a dit qu’il vous verrait ce soir, à l’issue de
la fête de nuit. En attendant, voici l’homme qui va vous
conduire à travers les colonies dont je viens de vous parler
et est chargé ensuite de vous faire faire le tour de 1 Espla-
nade des Invalides et du Champ de Mars... Allah! vous
garde, Sidi !
Le Chef Touareg s’éloigne majestueusement, tandis qu un
jeune homme inconnu et qui vient d entrer dans la salle,
'salue cérémonieusèment notre groupe de visiteurs provin-
ciaux.
l-i:S COLONIES ERANCAISES
Le prochain (cl dernier] volume aura pour titre :
LA DERNIÈRE PROMENADE
et contiendra :
Le Palais des Manufactures nationales.
— des Industries diverses.
— de la Décoration et Mobilier des édifices publics et des
habitations.
— des Mines et Métallurgie.
— des Fils, Tissus et Vêtements.
— de la Mécanique.
de l'Agriculture (Salle des Féte.s).
— des Industries chimiques.
— du Génie civil.
des Lettres, Sciences et .\rts.
de l’Optique.
— Lumineux.
Etc., etc.
TABLE DES CHAPITRES
l’ciyes
Chapitre — Notre Empire colonial
§ I. Un chef Touareg
g II. Le Palais du Ministère des Colonies
Chapitre II. — L’Algérie et i.a Tunisie
Chapitre III. — L.\ Nouvelle-Calédonie
Chapitre IV. — Le Diorama coloniai
g 1. Saint-Pierre et Miiiuelon . .
^ II. La Côte des Soinalis
§ 111. MayoUe et le Protectorat des Comores
55 1\'. Taiiiti
Chapitre V. — LTndo-Ciiine et les Indes Françaises
§ 1. Indo-Chine
g 11. Indes Françaises. •
Chapitre VI. - Madagascar
Chapitre VII. — Sénégal et Soudan, Dahomey, Côte dTvoire,
Gulnée et Congo
55 1. Le Dahomey
^ 11. Sénégal et Soudan
§ III. Côte d'ivoire
§ IV. Guinée Française
§ V. Congo
Chapitre VIII. — Guyane Française, Guadeloupe, Martinioue ,
llÉUNION
§ 1. La Guyane •
§ IL Guadeloupe
g 111. Martinique
g IV. Réunion
Chapitre IX. — Palais de la Colonisation (Pavillon des Mis-
sions]
5
5
7
14
27
313
34
38
42
47
ôU
30
38
00
71
71
74
75
79
80
84
85
SO
87
88
89
Palis. — lmp. MICHELS et Fils, 6, 8 et lo, rue d’Alexandrie.
EN VENTE ;
1. L’Exposition à vol d’oiseau
II. La Porte Monumentale et le Petit Palais .
III. Le Grand Palais
IV. Le Vieux Paris
V. Le Pont Alexandre III et le Pavillon de
la Ville de Paris
VI. La Tour Eiffel et les Spectacles pitto-
resques
VII. Le Palais de l’Électricité et le Château
d’Eau
VIII. Les Pavillons des Puissances étrangères.
IX. Les Palais des Hôtes de la France. . . .
X. La Rue des Puissances au Quai d’Orsay.
XI. L’Avenue des Nations
XII. Promenade au Quai d’Orsay
XIII. Les moyens de locomotion à l’Exposition.
Le Mexique
XIV. Au Trocadéro
XV. Les Grands Palais du bord de l’eau . . .
XVI. Les Colonies Françaises
vol. illustré » GO
— « GO
— .GO
— » GO
— . GO
— . GO
— .GO
— I GO
— » GO
— . GO
— » GO
— » GO
— .GO
— . GO
. CO
— » GO
A TRAVERS
L'EXPOSITION DE 1900
XVII
LA DERNIÈRE PROiyiENADE
CHAPITRE PREMIER
iiL I ii’ocADjirjo A l’esflaxade des invalides
p'‘'
E X 1> R E s s - L K I V E U s li L S P É C 1 A I S T E
Le jeune homme qui, dans cette galerie du Palais du
Ministère des Colonies, salue — avec la grâce exquise qui
est 1 apanage des voyageurs de commerce — notre groupe
provincial assez brusquement abandonné par le chef Toua-
reg, est un petit brun, à la fois compassé et frétillant, à la
chevelure cosinétiquée, et qui remplace volontiers par des
appels du pied — tel un prévôt... d’avant-scène — les éclats
0 A TRAVERS L EXPOSITION
absents d’un organe ingrat qui se désespère de totalement
manquer de conquérante ampleur.
Comme, avant même de desserrer les lèvres, c est par un
de ces doubles battements de semelle qu’il achève sou geste
de révérentieuse introduction, More se réveille en sui-
S3ll.lt et S GCriG »
Ah ! pardon... Excusez-moi... Nous étions aux An-
tilles, je crois... Tiens, le Noir du Désert... qui met sa voi-
lette sur le bas de la figure... n’est plus là?
— 11 a terminé sa contércnce, chère madame, et a été
remplacé auprès de nous par monsieur...
— Théobald Trottecourt, pour vous servir.
— Et qui vient sans doute aussi, ajoute Yerduret d'un
air finaud, de la part de notre extraordinairement obligeant
centenaire ?
— Un centenaire? Connais pas!
Allons donc ! insiste, incrédule, le manufacturier
retiré.
— Ah ! non, alors, riposte le nouveau venu avec une
pirouette qui sent d'une lieue son « talon rouge »... de
Montparnasse ou des Cobelins. Vous ne m’avez donc pas
regardé ? A mon âge avoir pour connaissances des émules
dc^feu Mathusalem ?... Ça ne serait pas à faire !
Alors, je ne comprends plus, (jomment êtes-vous ici ?
Parce qu’on a de la notoriété sur la place, monsieur.
Depuis l’ouverture de l’Exposition que je me suis établi sur
mon pliant, à l’entrée du Trocadéro, à main droite en sor-
tant, je suis connu pour ma spécialité.
. — Votre?...
Tel que vous me voyez, messieurs et dames, je suis
U l’Express-univcrsel spécialiste ».
Daignez m’excuser... Je vais peut-être vous paraître
bien obtus, mais... je ne comprends pas.
— Je m'explique, homme d'âge !
Verduret fait la grimace et le jeune monsieur si hicn
peigné poursuit :
— Ce ne sont pas les guides cpii manquent ici, pour peu
qu'on sache les découvrir. On a même londé une école pour
en former, parce que cette Exposition de 19Ü0 est si im-
mense et si compliquée, de fait, pour le visiteur non initié.
malgrô la simplicité raisonnée de sa conception, que ceux
qui s’y aventurent sans « lil d’Ariane » sont exposés à y
passer des semaines, voguant à l’aventure sans voir grand’-
chose. Or, parmi tous ces guides, il n'en est qu’un
qui ait résolu le problème de faire voir à la vapeur toute
l’Exposition aux honorables provinciaux et étrangers qui
ont l’inappréciable chance de se confier à ma direction. Je
suis unique de mon espèce... uaicxua sub sole!... c’est-à-dire
« l’unique homme sous le soleil » pour ceux et celles qui
ne sont pas lamiliarisés avec la langue des anciens Julius et
autres Césars. Je suis « l’Express-universel spécialiste »,
chacun sait ça, le seul qui ait résolu le problème de faire
voir complètement en deux journées de douze heures, à qui
s en remet à mon ingénieuse direction, toute cette immense
Exposition que beaucoup peuvent parcourir maladroitement
pendant quinze jours sans la connaître entièrement!
.\u boniment débité sans reprendre baleine, Bertrande,
retrouvant sa gaieté qui semble envolée,, comme sons l'em-
pire de quelque grande préoccupation intime, lance vers le
plalond si bautement artistique du Balais du Ministère îles
Colonies, les notes joyeuses de son rire si jeune et si franc.
S(ju oncle, souriant de la faconde du nouveau venu, dit
à celui-ci :
— Je ne doute jias, monsieur, de vos exceptionnels
talents de ciccrone; mais je vous ferai observer que nous
ne saurions les utiliser en leur rapide plénitude, car, depuis
six jours que nous sommes à Baris, nous avons déjà vu
quantité de palais, de pavillons, et de merveilles en cette
sjilendide Exposition.
— Je sais. Aussi n’est-ce pas « l Express-iiniversel spé-
cialiste » que l’on dépêche vers vous, mais celui que l’on a
également Inijitisé : « l’Ariane de la dernière promenade »...
— Comment, de la dernière promenade ?
— A l’ivxposition, bien entendu.
— Barl.)len, je le comprends ainsi; mais je ne vois pas
pourquoi la visite que nous allons faire serait la dernière!
Nous n avons nullement décidé de reprendre le train !
— Il huit pourtant bien que cela soit, puisqu’on s’est
adressé à moi poiii’ vous piloter. Voyez-vous, il arrive géné-
ralement, celte E.xposition étant disposée de façon, en dissé-
■r»~c
LA DEIUMLRE PRO.MEXADE
8
A TRAVERS l’eXPOSITION
minant sur un immense espace, l’intérêt du visiteur, que
les personnes qui se sont accorde un nombre tle jours fixé à
1 avance pour la visiter, musent au début parmi les mer-
veilles et arrivent au ierme de leur séjour ayant encore un
lot considérable de choses à voir. Ma notoriété de spécialiste
déjà si bien établie tait que nombre de ces personnes sur-
prises par le manque de temps me sont adressées pour que
je me charge, en une dernière promenade habilement com-
binée et vélocement conduite, d’empêcher quelles ne
quittent Paris avec une connaissance incomplète de la
CTrandc Universelle. Jamais ceux « qui ont le temps » ne
s adressent ni se sont adressés à moi. Donc, puisque I on a
obtenu que je consentisse, malgré le nombre de mes clients,
a vous taire parcourir les Colonies françaises — ■ que m’a-
t-on dit, vous ne connaissez que théoriquement — puis
1 Esplanade des Invalides et le Champs de Mars que vous
ignorez encore, c’est qu’evidemment vous devez être sur
votre très imminent départ.
— \ oilà qui est un peu fort ! gronde Bèchard. Se permet-
trait-on, par hasard, de disposer de nous sans notre assenti-
ment?
— Dame, c’est vrai, appuie Verduret un peu fâché. Je
serais curieux de savoir qui a bien pu aller vous chercher
à notre intention ?
— Ca, messieurs et dames, impossible de vous le dire.
J’étais allé taire une manille, histoij-e de me délasser un
moment de mes courses absorbantes où l’intellect travaille
presque autant que les jambes, et c’est à mon secrétaire
que l’on s’est adressé.
— Vous avez un secrétaire? fait Bèchard, non sans une
nuance de respect.
— Oui... Oui garde mon pliant... je veux dire, mon
hureau. C’est lui qui est accouru me prévenir que l’on me
demandait dare dare pour des clients que je trouverais dans
la galerie du Palais du Ministère des Colonies, et me voilà.
— Comment avez -vous pu savoir qu’il s’agissait de
nous?
— On avait donné votre signalement à mon secrétaire :
un monsieur chauve et gros, l’air bon enfant, avec une
jolie demoiselle, sa nièce, plus un autre monsieur à barbe
LA dernière PROJIENADE
noire, grave comme un ministre... qui aurait égaré son
mai'oquin, avec sa dame, encore très bien et coilTée d’un.,
remarquable chapeau à Heurs.
, ^ons a dit cela? disent en même temps les
epoux Bèchard intimement flattés.
Lt, ajoute le farinier, à ce signalement si exact vous
nous avez reconnus tout de suite?
— lout de suite, d autant plus que l'on m’avait fait pré-
venir que vous étiez en compagnie d’un Arabe.
— Allons, pense avec impatience Verduret, la myslifica-
lion aimable se poursuit, et si l’on se met à y faire jouer un
rôle a des élrangers à la bande. Je crois, malgré les belles
promesses, que nous serons longtemps à avoir le mot de
I imigme, si même nous y arrivons.
1 T Touareg a dit ; « ce soir! » souffle à l’oreille
de 1 oncle la mutine nièce qui, à l’expression de son visage
a deviné la pensée avunculaire. ’
Verduret répoml par un soulèvement des épaules, syno-
Ti résignation et, s’adressant à
I héobald Irofteconrt:
— Monsieur, nous .sommes îi votre disposition, faites
votre office.
— l'n moment! intervient le prudent farinier. Monsieur
nest ni un vieux propriétaire d’automobile, ni un artiste
baroque taisant, par pose et pour la galerie, mine de faire
Il de I argent ni un fou s’imaginant posséder sans doute
line iortune de boyard avec le titre de prince russe, ni un
ollicier de marine mystificateur et titré ; monsieur est un
guide professionnel, et, par conséquent ne doit pas offrir
ses services gmlts pro deo... Avant qu’il ne se mette à notre
tete, J estime qu’il n’est pas sans intérêt de savoir ce que
nous coûtera sa compagnie?
— Bien.
\ous travaillez donc pour la gloire?
— Ah ! non pas, fichtre! Si je dis que cette promenade ne
t'oiLç contera rien, c’est parce que mon temps et mes peines
ont ete rétribuées d’avance entre les mains de mon secré-
taire... et J ai trop de probité commerciale pour proliter de
votre Ignorance de ce détail et me faire payer deux fois.
10
A TRAVERS l’eXPOSITIOÎS
— C’est humiliant, à la On, d’ôtro tonjonvs l’obligé forcé
d’inconnus ! fait-il.
— Bah ! mon oncle, riposte Bertrande, laissez-vous laire
puisque vous ne pouvez l’empêcher.
p:h ! appuie le tri's serré Bèchard, si c’est son idée, à
ce centenaire, de nous éviter tous débours, nous serions
bien sots de nous insurger contre sa manie !
— Allons ! conclut laconiquement le chef et doyen de la
petite troupe.
Mais, entre ses dents, il murmure :
gi je le retrouve, comme il 1 a promis, nous auions
un fameux compte à régler ensemble !
Bertrande sourit en regardant de coté et drôlement son
oncle.
Il
D E s s I ■ s E r D E s s O U S
.'indalousie au temps des Maures. — Monde souterrain.
Houillères de France. — Les Phares.
Le Palais de l’Égypte.
Théohald Trottecourt lève un léger stick qu’il tient à la
main- trop courte pour une canne, cette mince baguette
fait entre ses doigts office de régie de magister et de bâton
do commandement, à la façon de celles que brandissent cer-
tains agents conducteurs de Cook' s and C°.
A CG signal, le provincial quator sc met en marche sur les
traces, combien fugaces, de son nouveau guide. Malgré les
objurgations de M'"" IMore, cramponnée air liras de son
mari c’est alors, à travers la foule toujours compacte
qui se presse à l’exposition si _ instructive, pittoresque et
excollenient organisée des Colonies françaises, une véritab e
course au clocher. rp, , . i i t f
— Sapristi, remarque Verduret an jeune Tbéobald I rot-
teconrt, vous êtes le bien nommé : à pas menus^ comme
ceux d’une Parisienne, vous couvrez de la route à rendre
1,A DER^’IKRI•: PROMENARE
11
jilloiix un cycliste... licnronscmont ((uo le Touareg nous a
(uJifies sur loules ces choses si intéressaTiles que vous nous
faites traverser à une allure de fantômes emportés par les
hrises profondes du Tartare ! Votre baguette saute d'un
objet à un autre comme prise de la danse de Saint-Gui : à
peine si nos regards ont le temps de se fixer.
— Monsieur, je ne suis pas pour rien le « Spécialiste-
oxprf'ss ». Mais vous constaterez que ma vélocité ne manque
pas de méthode, et la méthode que j’applique aux visites
rapides de l’Exposition est tout simplement celle de lierlitz,
qui vous apprend une langue étrangère en un tour de main.
Gue fait Herlitz, en somme? 11 montre les objets et tes
nomme : je ne fais pas autre chose. C’est au public-élève à
s'arranger pour retenir... Voihà.
Et la lu-omenade continue, rapide, vertigineuse; les colo-
nies succèdent aux colonies en nn raid fantastique qui rend
\erduret et Bèchard ahuris, liertramle très amusée et M”"'
hloie haletante et... ecarlate. En sortant de 1 Inde française,
le groupe passe devant 1 entrée de !’(( Andalousie on temps
des Maures ».
— Créât attraction ! proclame le guide. La main à la
poche !... C’est aujourd’hui deux francs par personne. Nous
n’allons faire que traverser..., atlaire du sept minutes!
^ — Et ça nous coûterait dix francs ! Jamais de la vie !
s'écrie llèchard.
— Tant mieux : économie de temps pour tous. Vous y
auriez vu . la porte de 1 Alcazar de Séville; le portique de
l’Alhamhra de Grenade (la fameuse Cour des Lions); la
grande tour de Giralda, h Grenade ; un gourbi arabe du
moyen àgr en terre d’Espagne; la Porte de Justice, tou-
jours a (irenade ; une line de village espagnol d’autrefois,
près do Tolède ; et le théâtre avec gitanes dansant le boléro
ou les manchegas, la piste avn^c tantasias mauresques, un
musée do peintures, une exposition tauromachique...
— Tout cela en sept minutes !
— Gui, un instantané... iMais passons. 11 vaut mieux aller
voir « i.E Monde Socierrain ».
— 1 iens, on ne nous en avait pas parlé.
11 ne nous a donc rien dit, votre arhicot? Là, ça ne
conte (jn’un franc.
A'vINlSTEi^B DU COMMFRpL
D£ [, INDUSTR^IE DES PoSTES ET DES TÉLEOR^^PHES
Exposition Universelle de I900
Direiction Cener-ale de l Exploitation
Service des Installations Générales
PLAN DE
l’a?
Anmexe deViNGENNES
Plan Général
plan «pprou^ le 31 AodL 1899 par le Miriiiiee ^
du I oniTntree de I IrtduiVo PotUt K tti 1<Ie()r4p><u
fUf 1* pfupoBUSB iîuCanm)t«ir« Ceawildei E.»poi>l.u,n a« l*M
Echelle de o*ooo1^ p‘Metre
ri
DE VINCENNES
1 4
TRAVETIS L EXPOSITION
Bècliard l'ait la grimace.
l^t nu’v voit-on? demande-t-il, méliant.
— Les mystères de tontes sortes du sons-sol terrestre. Dans
les anciennes carrières dont est creusée la colline du Iro-
cadéro,et dont les galeries s'étendent loin hors de 1 enceinte
de l'Exposition — mais pas de danger qn’on entre par a,
nas vrai ? — est organisée une superbe leçon des choses in-
connues des humains de la surtace du globe. Dans es j,a c
ries et les nombreuses excavations formant salles, ce sont
d’abord, après la figuration de la structure géologique de
l'écorce de la planète, les rep> è.ealation, archro ogique. :
une mine .le fer, telle quelle était au temps des 1 bciiiciens,
puis ou moyen âge; le fameux tombeau d Agamemnon a
iVlycènes, avec les revêtements et masques d or des lois, ■
que les ont montrées les fouilles pratiquées par Scblieman ,
une nécropole à Memphis, représentation (par le grand artiste
Eimèiie tlniraud ) d'une chambre funéraire decouverte a ba-
kam; la salle étrusque, etc. Puis, c'est le spectacle du monde
géologiiiuo ancien ; ici on assiste à la formation progressive
de la vie terrestre et à ses préhistoriques mamies ations ,
aspects de la terre à l’époque houillère (un beau diorama
do M. Toussaint montre un torrent amenant des lougeres,
des siiïillaires, des lycopodiacées géantes iiiii viennent s en-
vaser pour i'ormer le charbon que nous bru ons; on y voit,
scientifiquement reconstitués, les animaux d alors et les vé-
gétations fantastiques, dans la lumière bleuâtre qui traver-
sait péniblementune atmosphère chargée de vapeurs); aspi cts
à l’époiiue i iirassique, à l’époque tortiaire(oîi vivaient ces ani-
maux-colois.s qui le vulgaire appelle -‘W/'-ena e ,
comparaison desquels nos éléphants ne semhleraien que K
petits moutons: le Paléothérium, le grand Elan etc.). Ei m.
en arrivant à l’époque quaternaire qui es celle I MM - '
rition de notre humanité, « le Monde Souterrain » f^'t
mirer aux visiteurs les curiosités naturelles auprès desquel es
les touristes globe-trotters passent souvent sans y dcscen. m
lia (frotte d'A/ur, à Capri, reconstitution prestigieuse,
diorama de M. Suraud représentant un couvent Pfrchc si
un pic escarpé de .ludéo; les célèbres ^’ottes des trousse -
cellede Padirac, dans le Lot-avecrivière et lacsouteriain
stalactites et stalagmites, etc; les grottes de marbre de An-
LA DERMÈRE PROMENADE
15
nam, montrant, dans un décor d’antiques pagodes, l’extrac-
tion du riche calcaire, etc., etc.).
— Vous direz tout ce que vous voudrez, Bèchard, il faut
aller voir cela ! s’écrie Verduret.
Mais l’excellent doyen compte, cotte fois, sans l’épouse du
farinier. Celle-ci proteste ;
— C’est cela, aller dans des caves, dans l’état de transpi-
ration où m’a mise cette course folle ! Je n’ai pas envie d’at-
traper une pleurésie !
— Passons! soupire. Verduret avec résignation.
— Il y a encore le « Pavillon des Houillères de France »,
mais vous avez dû le voir si vous avez visité les Colonies
étrangères.
— Ah hicn oui ! grogne le farinier : le guide hors d’âge
que nous avions était bien trop préoccupé de jouer à cache-
cache avec certain Anglais... que nous n’avons pas revu
aujourd’hui, d’ailleurs.
— Vous n’avez donc même pas consulté le moindre guide
de l’I'ixposition ■? Vous y auriez vu que — sinon le Pavillon
des Houillères, malgré son grand intérêt, avec toute la ma-
chinerie des mines, au rez-de-chaussée, et les ingénieuses
maquettes du premier étage représentant les types des prin-
cipales houillères de France, l’histoire dos Puits de mine et
l’exploitation do tous les systèmes d’appareils — du moins
la galerie de mine de six conls mc/res est un des « clous »
les plus curieux de toute l’Exposition, où pourtant les « clous »
abondent.
— Alors, c’est une réédition du « Monde Souterrain » '?
— A cela près que la galerie (toujours prise dans les an-
ciennes carrières) est beaucoup plus longue, qu’elle est exclu-
sive au monde minier et que le public y voit pratiquer sous
ses yeux tout le travail des mineurs : mineurs proprement
dits procédant au havage et cà l’abatage do grandes masses de
houille, les bouteurs et les serveurs qui déblayent le char-
bon abattu et amènent les bois dont on étaye la partie supé-
rieure des couches, les remhlayeurs et les roculeurs qui
exécutent le travail de soutènement en arrière, les hos-
seyeurs qui font les voies et les boisent ; et les puits secon-
daires, et les machines perforatrices électriques, et le chemin
de fer électrique qui va des salles d’accrochage jusqu’au fond
16
A TRAVERS L EXPOSITION
des galeries, etc... Sans compter qu’en pins de la mine de
houille, il y a une mine de fer, une de sel gemme, une de
zinc et — en revenant sous la concession dn Transvaal, après
avoir été sons Tavenne de jMagdebonrg — une mine d’or
communiquant avec l’usine de l’Exposition des Républiques
du Sud de l’Afrique, üh! messiein’s, c’est à voir, cela, et ça
ne coûte que vingt sous.
— Il faut donc toujours payer, dans cette Exposition ?
grommèle le farinier.
— D’ailleurs, proteste son épouse, c’est encore une cave
et.. . j’ai trop cbaud.
— Passons donc encore pour aujourd’hui, soupire de
rechef Verduret.
— 11 y a aussi au Trocadéro TExposition des Phares (entre
les Houillères et le Pavillon colonial français des Collecti-
vités), formée de deux tours de phares réunies par une passe-
relle, contenant tous les modèles de grands fanaux marins
depuis l'antiquité jusqu’aux phares et feux flottants mo-
dernes, avec leurs modes, systèmes et mécanisme d’éclai-
rage. On n’a pas dû davantage vous conduire à cette Expo-
sition qui eût été mieux h sa place annexée à celle de la
marine, car je comprends qu’on s’en est tenu à vous mon-
trer exclusivement les exhibitions exotiques.
— D’ailleurs, quel intérêt peut présenter pour nous qui
ne sommes pas marins l’Exposition des systèmes de phares?
articule le farinier du haut de sa présomptueuse ignorance.
— .le n’ai garde d’insister, déclare avec empressement le
très |)ressé Théobald Trottecourt, quoiqu’il ne soit pas tout
à fait indifférent d’y apprendre que les côtes française^ par
exemple, sont éclairées la nuit par quatre cent quatre-vingt-
trois phares et feux de port, pins huit feux flottants, treize
feux permanents dont l’on n’a besoin d’alimenter la flamme
qui brûle sans cesse que tout les quelques semaines on
même les quelques mois, et soixante-seize bouées lumi-
neuses. Il ne nous reste donc plus qu’à quitter le Troca-
déro, puisque vous y avez maintenant visité entièrement les
Colonies françaises et étrangères.
— Sauf, parmi ces dernières, l’Er.vPTE que le vénérable
centenaire qui nous guidait, nous a dit n’etre pas une expo-
sition officielle.
LA DERiMKRE promenade
17
n’.r. *^t*^^*^ d’organisalion priveo elle
tn esl pas moins nationale et très intéressante se co’mno-
sant dii (ilont la façade principale est celle du Temple
de Daudourt eiA Nubie, et les laces latérales des copies .les
(ba/m^lrab^fai^ Kaniak), de l'Oua/.a/a
(Ta/di ai abc fait de rangées de maisons avec moiicharabies
voussures peintes et terrasses, avec, au fond du patio l i
icpioductmn du Salon du Ministre de France au ciirc aux
mieux plafonds et à la coupole en forme du ruche) ênlin
d^tm attractions, baiiMs^
tenm I 1 rr"" ^ ''^ir main-
^ie nVm ‘ '/ëTl^e ; cela nous prendrait du temps
Ltje nen ai guère a vous donner pour pouvoir remplir
mon piogramme-express. Je mécontente de vous direîiue
1 avant-porlique du forme un vestibule qui conduit
a uuegYilene rectangulaire où sont exposés et où Ton vend
les produits manufacturiers et agricoles, objets d'art, bijoux
IVri/c'eT’"' '«oderues de l’Fgypte ; quau-dessoiis du
raireflp '""i i-e|'roduisant les chambres funé-
raucs de diverses dynasties ; enfin que le rez-de-cbaussée de
Ouakala est naturellement peuplé d'un grand nombre de
1 oiitiques ou des tellahs vendent aux visiteurs toutes sortes
d objets du pays, et que la troupe du théâtre, dont la scène
Gvnn‘e?r''"’ U d’Arabes et de Soudanais, de
k^imuM r T' traversons vite
c pon d lena, gagnons la gauche du Champ de Mars et pre-
iiuelm ^' -' 'T'? ' f«‘’/dectrique qui va nous conduire en
luelques instants jusqu a hauteur du pont Alexandre 111
<ifm que je vous montre ’
• i;
VetI
r-T
CHAPITRE II
LES PALAIS DE L’ESPLANADE
§ c-
\ P K II 1’ os O K l’annexe IIE \INC, ENNK S
Théobalil Trottcncourt lève son stick, puis le projette en
.^vant — tel, un début de la campagne Sud-Africaine, un
o-éncral anglais enlevant sècbcmcnl sa brigade pour l’envoyer,
cible compacte, se faire décimer par les adroites balles des
Mausers boers... Et voilà, sur ce geste de commandement,
notre minuscule caravane expéditionniste s’élançant a petits
pas précipités dans le sillage de son guide.
Naturellement, la face ronde de M- Flore, que le pi'C-
cédent arrêt avait ramenée à la teinte de peclie... bien mûre,
recommence à vouloir rendre des points à la pivoine ruti-
lante sous la rosée. ...
Elle réclame, l'excellente dame ; mais son mari, impi-
toyable parce qu’il ignore les inconvénients d’une nature
trop généreusement rebondie, l’entraîne toujours.
A la tin — c’est-à-dire comme le groupe s’engage sur le
pont d’iéna — la farinière se révolte. A mots entrecoupés par
l’oppression, elle s écrie :
— Aristide, je n’en peux plus!...
— Tais toi, tu vas nous faire remarquer.
(ja, mon gros, ça m’est bien égal. Je n ai pas envie
A
LA DLRMÈHE PHO.MENArjE
19
(I avoir une. attaque d’apoplexie... Continue si tu veux, moi,
je m’arrête.
Cnergiquement, elle dégage son bras de dessous celui de
son seigneur ci maître et se campe, souillante, au milieu du
pont.
Théobald Trottecourt qui, en bon cbef de troupe, à
1 œil à tout... même derrière lui, se retourne et, d'un ton
net :
— Madame, ma mission de guide-express, m’interdit d’ad-
mettre les arrêts.
— Allez au diable! riposte M™'' Bèchard hors d’elle. Je me
moque de votre mission, et je sais bien que je ne ferai pas
un pas de plus à cette allure.
L’ « Ariane des dernières promenades » prononce :
11 le laut, pourtant, et nous avons beureusement le
moyen de vous contraindre à ne pas nous retarder.
11 lève et agite au-dessus de sa tète son bâtonnet de com-
mandement et cric :
— Ln « roulant!... » Preste?
l n des nombreux pousse-pousse parisiens, qui regagne
à vide son poste de la tète du pont, se bâte d'amener son
lauteuil roulant, désireux île ne pas laisser échapper l’au-
baine... plutôt rare d’un client.
— Comme ça, je veux bien, déclare la farinière d’Es-
sonnes.
fdle s'installe, un peu... pesamment, dans l’étroit véhi-
cule, sans égards pour les protestations... économiques de
son époux et, sur un nouveau geste du bras armé de l’irré-
sistible stick, la petite troupe reprend sa marche interrompue
à peine l’espace d’une minute.
Brusquement, sans cesser d’avancer à la même allure,
I rottecourt crie à nos provinciaux acharnés sur ses traces ;
— .\vez-vuus été à Vincennes?
l’ourquoi lairc, demande Vc'rduret dont la respiration
non plus, commence à ne plus être très libre.
\ oir 1 Annexe. Naturellement, c'est toujours comme
cela, ^oila uue partie très intéressante de l Exposition, et,
saul les spécialistes, ou ne songe à s’y rendre que lorsque
rbeure du prochain départ n’en laisse plus le loisir!
Mais, je compte bien que nous irons un de ces jours!
20
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Ouand, puisque vous partez?
— C’est trop fort! Parce qu’il a plu à je ne sais qui de
vous charger de nous guider aujourd’hui et que vous avez
la spécialité de diriger les promenades in extremis, vous
voulez absolument que ce soit notre cas !
— .l’en suis d'autant plus sûr que mon secrétaire m’a
affirmé qii’o» lui avait dit que vous partiez ce soir.
— Ce soir! Ah! par exemple, c'est un comble! proteste
Verdiiret. iMoi qui, pour rien au monde, ne consentirais à
voyager de nuit ! Mais j’ai tort de m'enllammer ainsi pour
un malentendu ou une afiirmation en l'air. Supposons donc
que nous quittons Ihiris ce soir, puis(]ue vous le voulez ab-
solument, etdites-nous ce que l'on voit dans cette fameuse
Annexe de Vincennes.
Théohald Trottecourt n’a pas le temps de se rendre à
cette invitation. Ue son fauteuil roulant, Flore clame :
— Eh! dites donc, monsieur Verduret, il est midi et de-
mi passé, vous savez! J’ai un estomac qui n’ouhlic pas
l’heure, et je pense bien que, avant de suivre monsieur, nous
allons déjeuner quelque part.
— Prendre le temps de déjeuner, je le défends bien !
déclare le guide-express. Dans ces conditions-là, il me serait
impossible de remplir mon programme.
Veriluret, devant cette prétention, })rend le parti de
rire
— Vous n’auriez pas l’audace de nous condamner à la
diète, après avoir décrété notre départ nocturne de l*aris ?
dit-il.
— Messieurs et dames, on n’en meure pas pour se sus-
tenter en marchant. J’en suis la preuve, moi qui ne procède
jamais autrement. Voici un kiosque de débitant de victuailles
froides; je vais vous approvisionner et, d’ici à l’fisplanade
vous aurez le temps de satisfaire sans perdre de temps aux
exigences naturelles.
— Hein, fait Verduret interloqué, vous nous invitez à
déjeuner... sur le pouce? Cela ne rentre pas dans le marché
conclu avec vous à notre sujet et à irotre insu !
— Parfaitement : le cas est prévu.
Le manufacturier retiré a grande envie, cette fois, de se
fâcher tout rouge. Mais il est oblige de réfréner sa mau-
LA DEHNIKRE PRO.UENADE
21
valse luimcur - que ne partagent, «railleurs, ni le prati-
que couple Bèchard ni Bertrande, que ces excentncSs
amusent comme une petite folle: sans attendre de permis-
sion, le jeune Irottecourt a couru au kiosque d’où il rap-
por e, instant d après, une corbeille Londée de sand-
\yclis et estee de quelques bouteilles, qu’il pose sur le fau-
teuil loiiknt, aux pieds de dame Flore. 11 tire de sa pocbc
une demi-douzaine de gobelets de cuir - irréprochable-
ment neufs et les distribue en disant :
— Madame sera l’hôtesse. Veuillez puiser à la ronde et...
nicirclions .
Verduret lait une mine fort dépitée, mais se résiane et
tout bon ‘^^'ipagnons. 11 linit même, étant avant
tout bon enlant, par trouver la chose amusante.
endant que le groupe déjeune ainsi tout en avançant
« 1 kxpress-spéciahste » explique : ’
- Evidemment, c’est navrant que l’on ait dû aller cher-
dmTs'ue di;!f surtout
ans U tt( diiec ion de A inccnues sans moyens de transports
*1 iccts le iant 1 Annexe à l’Exposition. On n’y va auère
alors qu il devrait y avoir foule, d’une part, parce que rien
exposition en plein bo\s perce
ciei x l u au loin autour de ce déli-
c eux lac 1 aumesnil, d autre part et surtout parce que les
choses que I on voit là, dans l’ampleur du plein aii, son!
d m interet et d une actualité saisissants. D’abord une exhi-
bition internationale des chemins de fer comme on n’en a
jamais mi avec sa gare commune où s’alignent vingt voies
bordées de quais. Ce ne sont plus quelques locomotives
c types de vsagons epars ou entassés, ce sont des trains com-
ple s qui permettent de curieuses comparaisons. C’est el
sui e un véritable Palais américain des machines ; la Société
philanthropique; un hameau montrant les dilférents types
de maisons ouvrières en tous pays; l’exposition si compte
des machines agricoles; un tir à l’arc; un grand vélodrome
municipal (car, la-bas, règne la bicyclette, royauté qu’elle
paitageavec I automobilej; et le Pavillon de l’Acétylène et
ux des Cyc es de la Fauconnerie, des Forêts, de FAnnéxe
d s Armees de Terre et de Mer. C’est encore le grand ilro
dAerostation. C est enlin l’horticulture, la viticulture,' les
22
A TRAVERS l’eXPOSITION
animaux reproducteurs; et la Section allemande de sauve-
taj^e; et la Meunerie belge, etc.; car je n’en finirais pas... Si
seulement ce bois de ^ incennes, au lieu d être égaré à 1 est
de Paris, logeait à la sortie ouest du lleuve s’échappant de
la capitale, là où un service de bateaux et de chemins de
lcr le mettrait à quelques minutes du Champ de Mars, je
vous assure bien que I’Annexe ne désemplirait pas. Hélas!
comment voulez-vous que le public exclusivement prome-
neur et curieux aille la chercher aux antipodes? Elle auiait
été tout aussi Iréqucntée dans les plaines de la Beaucc ou
dans les Landes ! Enfin, n’en parlons plus et hàtons-nous
d’atteindre la gare du chemin de fer électrique que voici
devant nous, car il y a ibule ici... à l'encontre de là-bas.
Notre quatuor, après avoir arrosé d'une rasade d excellent
Bordeaux son sommaire et nomade repas, abandonne les
reliefs de celui-ci dans le fauteuil roulant abandonné a
contre-cœur par M'”'-’ Elore, et ne tarde pas à prendre place
dans un des petits trains qui l’emporte vers
L ' A E M' E UES PARAIS
Comme le train léger stoppe a la station qui, à la hautem
du Pont des Invalides, précède la courbe de la voie s’enga-
geant dans la rue Fabcrt, Trottccourt love son stick et
commande :
— Attention : tout le monde descend !
Verduret et Bertrande, Bèchard et sa lemme tout en
achevant de dévorer un petit pain au jambon, supplément
que cette précautionnée personne avait glissé dans sa poche
en quittant son fauteuil roulant — descendent de vvapn et,
se hâtant à la suite de leur guide, suivent le quai jusqu a
la hauteur du Pont Alexandre 111. Arrivés là, ils s arrêtent
à l’exemple de Théobald qui, prenant un air d’autorité in-
spiré, s’écrie, la baguette étendue dans la direction du dôme
des Invalides ;
— Ici^ messieurs et dames, nous sommes dans la fameuse
perspective... en plein, meme. En tournant le dos aux
LA DKK.MKUI'; l’IlO.M ICN ADIO
2;:!
Cliamps-lîllysées, nous voyons s’onvrir devant nous l'avennc
de vinf^t-cinq mètres de large, que j’appelle l'Avenue des
l’alais et qui, faisant siiite an Pont de l’Alliance, va se ter-
miner an seuil de 1 llùtcd des Invalitles. \ ons comprenez que
cette partie de l’Exposition, ayant un objet esthétique aussi
important, ne pouvait se contenter, comme en 1889, de
présenter une suite de galeries quelconques et simplcinent
utilitaires. Il fallait particulièrement soigner le point de vue
architectural, résidant principalement dans les façades, pour
laire un cortège digne, à la fois, de l'œuvre de Mansart,
du 1 ont et des i’alais délinitifs des Cliamps- Elysiœs.
De là, double préoccupation pour les architectes. En cll'et,
quand on construit des batiments d e.xposition, il faut se
piéoccuper de loger lacilement et avantageusement les
objets exposés, c’est-à-dire de donner aux vitrines de Pair
et de la lumière pour que la circulation, même intensive,
soit partout aisée et que jiersonnc ne puisse se plaindre que
ses [iroduits sont, ou relégués hors de ce courant circnla-
toire, ou placés dans une jiénombre défavoralde à l'obser-
vation attentive du public. Croyez que ce ne n’est déjà pas
un mince souci pour les auteurs des plans. Mais, ici, une
autre préoccupation d ordre hautement artistique est venue
se grctfer sur la première. Ces palais d’exposition de l’Es-
planade des Invalides font partie du décor de la « Grande
perspective ». An sens pratique, il fallyiit ajouter une esthé-
tique appropriée à la situation, laire beau, tout en faisant
bien, et mettre de la grandeur sans toutefois tomber dans
une exagération préjudiciable à l’ensemble. Voilà elfecti-
vement des palais éphémères qui, servant de liaison archi-
tecturale entre les beaux Palais définitifs des Champs-
Elysées et la façade de l’IIôtel des Invalides dont ils
doivent encadrer et faire valoir la puissante beauté de ligne,
sont tenus de procéder de ces imposants édiliccs, tout en
s interdisant 1 irréalisable et dangereuse prétention d'entrer
en rivalité avec eux. Ajoutez à cela que, cette Exposition de
1 JOO étant par e.xcellence la grande Eète paciri([ue essayant
do couronner dans la joie fraternelle dos peuples conviés à
ce prodigieux xix'-' siècle — ce ne sera pas de la faute
de la Nation irancaise si des égoïsmes étrangers empêchent
cette noble conception d être réalisée — cette avenue des
24
A TRAVERS l’eXPOSITION
Palais devait, à la Ijeaiilé et à réclat joindre une sensation
joyeuse, brillaminent ^aie, proscrire toute sévérité, ruser
Lk Palais de la Danse (kle de Pairs).
avec runiformilé c|ue seinljle devoir forcénrent engendrer la
disposition de deux immenses façades parallèles.
Dites donc, iail Verdurcl, le problème n’était pas pré-
cisément commode à résoudre ! ^
I qu'à jeter les yeux sur cette perspective
(le 1 l'.splanade pour vous rendre compte qu’il a été superbe-
ment résolu, et que les arcbitectes — MM. Tondoire et
I radelle, M. Esquié, MM. Larché et Naebon, M. Trapev-
Bailly — qui ont exécuté les diverses paidics de cette œuvre
mentent que leurs noms survivent à leurs palais, bêlas»’
sans lendemains, et prennent rang apres ceux des auteurs
dos Grand et Petit Palais des Champs-Elysées et du Pont
Alexcindie. Ceci dit, longeons l’avenue centrale et entrons
-- sommairement parce que rapidement — dans le détail
de ces belles façades.
— Nous vous écoutons.
^ cl'alj(5nt, vous voyez au premier plan le
l alms (les Mann/acUires Na/ionales, dù à MM. Tondoire et
radelle. C est, au point de vue de la responsablité artisti-
que, le morceau capital de-PEsplanade. Le public y arrive
alors (^111 il vient d être imjiressionné par la magnificence des
« loux I alais de 1 avenue Nicolas 11 et la vaste élégance du
1 01 monumental; ce sont des yeux déjà remplis de mer-
veilles qui doivent s’arrêter sur cette entrée d’avenue sans
feubir la moindre désillusion. Ce Palais qui, occupant les
j eux cotés de rEsplanadc, enserre une place délimitée latéra-
ement par des porLques construits par les mêmes arclii-
iaçades. Col es-ci s allongent sur 730 mètres, alors que la
supcificie totale des constructions n’est que de 8.000 mètres
trjr'; est décora-
, a\ec ses coloncttes, ses voussures en cintres, ses
glandes peintures décoratives, scs...
^onc? demande Verduret en voyant
éobald Irottecourt louiller fébrilement ses poches et pa^lper
comme avec angoisse toutes les parties de son vètemLl
- Ce que je cherche?... Ce sont mes notes... Sacrebleu
.10 es ai oubliées sur la table du café où je faisais ma ma-
nille !... Je sms parti si vite .. Me voilà obligé de faire mon
boniment de mémoire et... je ne garantis le^s pas les trm"
et l oùs P*'® ‘"««sieurs et dames,
et ions pouvez bien avoir un peu d’indulgence pour les
A TRAVERS L EXPOSITION. T, XVII. 2
67
tu
n
I?
I;
m
l;-
26
A ÏRAVKRS l’eXPOSIÏIOM
manques de mémoire, piiisqu'aussi bien ce n est pas vous
qui payez.
— Ce n'est pas une raison! commence à protester aigre-
ment Bèchard.
— Comme c'est vrai, ce que vous ditcs-là-, remarque
mélocoliquement le guide-e.vpress ; il n’y a pas comme les
(( billets de faveur » pour être mauvais public. Voulez-vous
m’attendre ici, pendant que j'irai tâcher de remettre la
main sur mes précieux papiers?
— Mais non, refuse Yerduret avec bonhomie. Nous sup-
[)16erons par nos impressions propres aux quelques lacunes
qui pourraient se glisser dans votre démonstiation... Allez.
A la lionne heure, vous êtes un bon type, vous. Ce
que j'ai note sur ce Palais des Manufactures Nationales me
reviendra peut-être tout à l’iieure. Cn attendant, laissez-moi
vous dire un mot, que j’omettais, sur la disposition générale
de l’Esplanade. Celle-ci, île meme ([uc le Grand Palais des
Beaux-Arts, peut être divisée cn trois : la partie antérieure,
voisine de la Seine, et comprenant, à droite et à gauche de
l’avenue centrale, les poidiqucs sur la gare et le Palais des
Manufactures proprement dit; la partie médiane, a\cc ses
deux palais jumeaux se faisant vis à vis et contenant les
expositions des liulvslrics flirerscs et une partie de celles de
la Dccuralion ot du Mobilier des Edifices publics et Habita-
tions; eniin la partie postérieure, ou du fond, consacrée
enlièrement à cette exposition de la Décoration et du Mobi-
lier. Dans le sens de la longueur, la dite Esplanade est par-
tagée en deux par l’avenue centrale, à gauche de laquelle
(côté de la rue de Cons tan tine) sont toutes les sections fran-
çaises, tandis qu’à droite (côté de la rue Eabert) sont paral-
lèlement les sections étrangères. Maintenant, si vous le
voulez bien, suivons le conseil du bon curé de campagne au
chantre qui, s’ari'ètant net de chanter, lui crie du lutrin
qu’il y a un trou dans la page ; sautons par dessus... mais
pas comme le dit chantre qui s’est empressé de mettre le
grand livre par terre et de le franchir d’un bond de ses gros
souliei's ferrés. E)-aucli issons le trou au moral. Cette enjam-
bée que j’obtiens de voire complaisance nous conduit aux
palais de la partie médiane, au sujet desquels ma mémoire
est moins rebelle.
I.A DEI1Î\'U>UE l’RO.MENADE
■n
— Ail! ah! voyons cela.
— \ oici (lahord, à droite, en regardant le dôme des
nvalides, le Palais de MM. Larché et Nachon, élevé pour
abriter les expositions .PArt décoratif des Paissances étran-
gères. lai hclle et artistique façade sur l’avenue centrale à
-la métrés île long, hdlc est élevée d'un re/.-de-chanssée et
' lin premier i-tagc. A la fois gracieuse et majestueuse est
entree monumentale occupant le centre de la faeade et
laupant jusqu au laite son arc d'une si belle vernie, surmonté
'I un splendide motif sculptural représentant la France
Irwinphanie, tenant à la main des fleurs, symbole de ara-
ciense bienvenue envers scs hôtes, et acclamée nar une
t/loire aüee De chaque côté de l’arc, que .lécorent deux
bloiics lorales aux lignes très pures, un portique en loggia
réunit 1 entrée monumentale à doux campaniles élégants
.lont le couronnement sert de piédestal à deux genres de
M.ji;e de grande beauté. J-!nlin, les deux campaniles sont
.■eli.‘s aux deux pavillons d’about par de jolis porti-
ques a re/.-de-cbaiisséc lormant terrasse au ])remicr étage.
. ur ce te liMTasse les deux porches couverts que vous vove/
servent d entree aux camjianiles et aux pavillons d'about.
I ans les tympans de ces derniers, les artistes déclarent
parla.ls ces deux morceaux de sculpture qui représentent,
1 un 1 Art du bron/e, l’autre l’Art du bois. Tous les motifs
d(. decoiation (le cette delicieuse faijade répandent sur elle,
a profusion discrète et exclusive, des Heurs et des fruits :
marguerites, pavots, lion tons d’or, volubilis, lys. Heurs de
liüiiimier, etc. Les dessous des portiques, murs et iilafonds
son couverts de peinture imitant la fresque et dont les divers
médaillons et compositions symbolisent les Arts décoratifs
— Lt, en dehors de la façade? réclame lîèchard.
— Le Palais, d’une superficie do 1 1 ,:{!).’i mètres carrés
(rectangle de mètres sur -13 mètres de largeur), est divisé
en tiois atriuins entourés de galeries. Au centre du eraiid
atrium central (Ni mètres sur 23 mètres) est un superbe
escalier monnmental de 32 mètres de développement uni
par une montée droite et deux circulaires, conduit au pre-
mier etage. La construction intérieure est entièrement en
acier et se compose d’une série de fermes circulaires repo-
sant sur des piliers carrés. ‘
28
A TRAVERS l’eXPOSITIOK
— Comment, s’étonne M'’'= Flore, ce n’est pas construit en
üicrrc ?
p]n pierre d’exposition, c’est-à-dire en plâtre cachant
l’armature d’acier, avec l’ornementation et les sculptures
en staff. L’architecte en chef de ce Palais est M. Edomml
Larché, un Gascon de Saint-André-de-Cuhzac, aussi aimable
homme qu’artiste émérite; déjà titulaire de deux secondes
primes aux concours pour la reconstruction de la Sorbonne
et de l'Opéra-Comique, c’est une première prime au concours
pour le plan d’ensemble de l’Exposition de 1900 qui lui a
valu d’être chargé de la construction de ce Palais. (Juant aux
figures sculpturales (groupes et hauts reliefs) que vous
venez d’admirer, elles sont tontes dues à 1 habile ciseau d un
jeune sculpteur du plus brillant passe — il est membre du
jury des Salons — et du plus haut avenir, M. Raoul Larché,
dont le grand talent a su donner aux figures un caractère
très personnel et convenant excellemment à la décoration
^’’6nércil6. . .
_ Allons, fait en souriant Verduret, je vois avec [ilaisir
que la mémoire vous est revenue, monsieur Trottecoiirt!
— Oh ! je ne garantis pas les manques ultérieurs, car...
— Et, interrompt Bêchard, qn’est-cc que cela a hien pu
coûter à construire, un palais comme celui-la?
P)e même que pour son pendant d en face, d identiques
dimensions sinon de pareil aspect, ce n’est que sur un
budget de 1,200,000 francs, tout compris, qu'ont pu tabler
les architectes. Ce palais médian d’en face, réservé aux arts
décoratifs français, est de M. Esquié, presque plus méri-
dional que son collègue Larché, piiisqu il est né a_ roulouse
en 1853. Grand Prix de Rome, lauréat dans plusieurs con
cours, ayant construit, entre autres morceaux d’importance
l’établissement thermal de Dax, dans les Landes, i es
arcliitccte dn Gouvernement (service des Batiments civils)
et professeur libre d'architecture. Je vous ai dit que son
Palais que voici a les mêmes proportions que celui ( e
m\. Larché et Nachon, y compris la hauteur qui est de
18 mètres du sol à la corniche. Je ne vous parlerai
donc que de la façade, moins sobre de dessin que celle qui
lui fait face, mais plus osée et plus fantaisiste avec es
grandes baies et les hauts pignons qui la composent.
LA LiEUMÈRE PROMENADE
29
M. l^squié avisé la modernisation des styles anciens. Dans
la façade se distinguent trois parties, symétriques d’ailleurs
avec celles de son vis-à-vis: le corps central et les deux por-
tions extrêmes, qui sont séparés les uns des autres par des pa-
villons avancés dont les pignons hauts de 3ü mètres mai’-
quent 1 importance dans le plan de 1 auteur. Le porche cen-
tidl, coupé par un balcon comme celui du Dôme central de
M. lîouvard, en 1N89, est moins monumental que celui de
M. Larché et de conception toute dillerente. Le rez-de-
chaussée est une immense galerie couverte; le premier
étage est un passage couvert sur la partie centrale et décou-
vei t et entièrement a air libre en approchant des ailes. Des
balcons, avançant sur le plan de construction, font des fenê-
tres des loggias qui rompent très heureusement la mono-
tonie d une si grande laçade. La ilécoration est aussi abon-
dante qu artistique et lait autant d’honneur aux collahora-
leurs de 1 œuvre que le Palais proclame le grand talent de
l'architecte.
Hum! un peu plus de vague dans les souvenirs, mur-
mure ironiquemenl Verdure!, qui ajoute :
Lt maintenant, cher monsieur, le Palais du fond?
— Lst de M. Trapey-Bailly et occupe tout le fond de l’Es-
planade, moins une cour elliptique et surélevée de P";)Ü,
niénagée au centre pour la perspective du dôme des Inva-
lides. Cela lait que ce palais se trouve symétriquement par-
tagé en deux corps de bâtiment absolument iilentiques. La
p()sition extrême du palais oblige chacune de ses deux par-
ties a avoir deux iaçades, une principale sur la cour ellep-
tique de l’Esplanade, l’autre sur la rue de Grenelle. Très
gaie et très intéressante autant que mouvementée la com-
position toute éclectique de M. Trapey-Bailly; pas de style
déterminé, mais nn mélange de différents styles qui, se
tenant bien et joliment fondu dans un harmonieux ensemble,
en font un tout absolument agréable et llattenr an regard!
C’est aiœsi qne les arêtes inclinées des pavillons latéranx
lleuient 1 architecture orientale, tout en encadrant très heu-
reusement des haies très Benaissance ; que les clochetons
sont composés d’éléments François P"' et que les trois
grandes ouvertures de la façade pourraient presque être
signées du nom d un des maîtres du temps du Boi-Soleil,
30
A TRAVERS l’eXPOSITION
tel le jNIansart de 1 Hùtel giicrriei' voisin... si, soudain, on ne
découvrait dans le fond de la partie centrale une porte carrée
rappelant de très près la porte d’amphithéâtre de l’Opéra-
Garnier.
— Alors, c’est du style... panaché.
— Mais charmant par cela même, en meme temps que
très exposition, c’est-à-dire de fantaisie savante.
— Et la façade sur la rue de Grenelle ?
— Naturellement plus unie, avec les grandes lignes plus
marquées. Des clochetons en forment le motif central au
lieu de terminer les ailes comme du côté Esplanade. Le rc/.-
de-chaiissée, fait de petites haies en plein cintre, supporte
des murs pleins oii s’étale joyeusement de la peinture poly-
chrome, et deux robustes pavillons arrêtent nettement les
extrémités. En résumé, une immense somme d’art a été dé-
pensée dans la conception et rexécution de ces palais éphé-
mères, dont les plans ont été si scrupuleusement étudiés que
les architectes n’auraient rien eu à y changer si on les avait
tout à coup avertis qu’ils devaient construire en pierre leurs
palais soudain destinés à survivre à la Eète dont la ferme-
ture sera leur arrêt de mort... Dois-je maintenant vous dé-
tailler les groupes et classes qui exposent dans ces palais ^
Non. n’est-ce pas? Nous allons ensemble les parcourir un
guide en main, ce qui nous permettra de ne nous arret('i'
qu’aux choses principales... Âh ! j’onhliais de vous signaler
que, derrière ces palais, sous les vieux arijres respectés de
l’antique Esplanade des Invalides, ont été organisés, en |)lus
de dilfércntes annexes, nombre de centres charmants d at-
traction, tels que : dans l’allée de la rue de Gonstantinc, ics
frtes locales, l’e-rpusUioii Itrelonne (dont le comité est présidé
par iM. Guyesse, l’ancien ministre), avec sa cliaumière finis-
térienne, scs monuments mégalityqucs, etc. etc., la Maison
poitevine, la Maison arlés/en/ie, le Mas provençal ; et, du
côté de la rue Eabert, la Vteille Auvertjnc, qui ne ilésemplit
pas, le Carré russe et le Pavillon des anivres de C impératrice
Marie et dame, j’ai dit. Nous allons passer vivement dans
tout cela, puis nous prendrons le trottoir roulant qui nous
Iransportera jusqu’aux
r'IfAlMTI.’E III
l'ALAlS DU CHAMP DE MARS
§ I'-''
CO T K LA ItO L It D(l A N A I S
Mines et Métallurgie. — Fils et Ti.ssus.
Itii moins (l-nno heure el demie, le yuide bien nommé
« e.\'|)res.s » Iroiive moyen (h‘ l’aire passer en revue — au ga-
lop, il est vrai, tout comme au II Juillet à Longcliamp
par notre petit groupe de visiteurs la plupart des merveilles
entassées dans le l'alais des Invalides |)ar les grands artistes,
grandes manuraetures, grands magasins, fabricants fameux’
tapissiers renommés du .Monde entier. A peine leur a-t-ii
été permis de consacrer exceptionnellement quelques mi-
nutes H la carte de France en marbre, pieiTcs précieuses,
diamant, or et platine, cadeau somptuaire de S. iM. l'Empe-
reur de Russie, que les voilà embarqués sur le trottoir, pour
arriver, sur le coup de deux heures et demie, au seuil du
Champ de .Mars.
loujours trottinant, Trottecourt fait passer son monde
smis la lotir hdllel et 1 arrête aussitôt que celle-ci est
déqiasséi*.
— bicoutez, commande-t-il en tendant sa baguette vers le
premier Calais de gauebe, qui (>st celui des Mlxls lt ue lv
IMltalllucie.
32
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Un carillon ! s’écrie M™ Flore en tendant l’oreille,
geste bien inutile, car, quoique le vent souflle léger de l’Ouest,
entraînant le son dans la direction des Invalides, le jeu de
cloches retentit avec une puissance à peine adoucie.
— Ce carillon, déclare le guide, est placé dans le campa-
nile que vous voyez au-dessus du porche en pan coupé du
Palais des Mines et de la Métallurgie. 11 se compose de
32 notes, c’est-à-dire de 32 cloches, dont la plus petite a
1!) centimètres de diamètre et pèse i kilos, alors que la plus
grosse atteint le poids respectable de 840 kilos, avec un dia-
mètre de 1 12.
Oh ! sollicite M™“ Flore, que c’est joli à entendre ! F.st-
ce que nous n’allons pas rester là pour écouter quehjues
airs ?
— Impossible, madame : mon programme interdit toute
perte de temps. Aussi ai-je, sans surseoir, l’honneur do vous
présenter ce Palais, œuvre de M. Varcollier, jeune et émi-
nent architecte, né à Paris en 1804, de M. Varcollier, qui
est le fils de son père.
Naturellement! s’écrie Bertrande en éclatant de rire,
hilarité que Fonde d'icelle partage de tranche manière.
— Je comprends parfaitement ce que monsieur veut dire,
déclare avec gravité le solennel farinier. Le père de cet ar-
chitecte est sans doute architecte lui-même, et...
— Etait, hélas ! monsieur, poursuit impertuablement le
guide-spécialiste, car le lils en deuil a dû achever la magni-
fique mairie parisienne du 18™“ arrondissement que con-
struisait le père, un des maîtres du grand art architectural.
M. Varcollier, Fauteur de ce Palais d'exposition, est un an-
cien élève de l’Ecole des Beau.x-Arts, Second Grand Prix de
Borne en 181)0, pour lequel il fut quatre fois logisfe. Il a ob-
tenu une 2™“ médaille au Salon de 181).o. 11 s’est vu attribuer
une 4™“ prime au concours pour l’ensemble de l’Exposition
et a remporté une première prime, avec M. Louvet, au con-
cours pour le Grand Palais des Champs-Elysées. Choisi par
M. Bouvard, en mars 189.'), pour collaborer au plan délinitif
de la Grande Fête du Travail du Génie humain, il a été
chargé d’élever ce Palais des Mines et de la Métallurgie. 11
est, de plus, attaché au Service d’Architecturc de la Ville
de Paris.
LA DLRMÈnE PROMENADE
33
— Mes compliments, monsieur, pour votre excellente
mémoire.
— Il y a, comme cela, certaines biographies que je retiens
très bien. Cela donne du mat ù apprendre, maisj une fois
que c'est su... Hum !... si
je fais des digressions, je
n'arriverai pas en temps
au bout de mon chapelet.
Donc, passons à rouivrc
que vous avez sous les
yeux.
— Cela me paraît très
lieau. Cela a quelque chose
du grand air des basiliques.
— .l'allais vous le dire.
La façade, qui a !J6 mètres
sur le Champ de Mars et
7b mètres sur la Seine, est
imposante en sa grande
sobrié té d'ornementation.
Le porche monumental, par
exemple, est très orné : ce
ne sont, sur le cintre du
portait vitré, que blasons et
lleui'ons ; des rosaces, des
trèdes, des spirales courent
noblement siir toute la longueur de la frise. Les tourelles que
vous voyez de chaque côté du porche servent de logement
aux escaliers, et un dôme massif, d'une ligne lièi'o, coiffe le
porche comme d'une tiare. C’est un cadre digne de la belle
exposition d'ordre sévère qui y est contenue... Avançons,
je vous prie.
— Cour voir le Palais voisin?
Oui. C'est celui des « Fils, Tissus et Vêtements ». 11
M. RLAVEÏTE
ARCHITECTE DU PALAIS DES FILS,
TLSSUS ET VÊTEMENTS.
est immense, ayant 281'>'4Ü de façade sur 130 mètres de
profondeur...
Total : 3b, .582 mètres carrés de supeiTicie, calcule
triomphalement Bêchard.
I héobahl rrottecourt s’incline, émerveillé d’une si grande
faculté calculatrice, et se hâte de poursuivre, pour... ne pas
A TRAVERS l’eXPOSITION
:n
perdre le fil, ce qui eùL été douldemeni ironique à propos
du temple industriel élevé eux fils et à leurs succédanés les
tissus et les vélorneuts.
— L’élaboration et la construction de ce gigantesque
palais ont été confiées [)ar l'Administration de l’Lxposilion
à l'un des architectes les plus haut côtés de Paris, M. Victor-
Auguste Blavette, né à Brains (Sarthe), le 4 octobre VStiO,
Grand Prix de Borne de 1871), architecte des Bàliments
civils, artiste Hors Concours, étant titulaire d’une deuxième
et d’une première médaille au Salon, médaille d’or de l'Ex-
position Universelle de 1881), enlin chevalier de la Légion
d’IIonneni' depuis onze ans et ol'licier de l’Instruction Publi-
que. fiomo !
— Voilà de beaux états de services, constate avec admi-
ration Verduret, ce qui tait hausser d’impatience les épanh's
de Bècbard à qui l’éloge d’autrui, meme par simple consta-
tation d(' mérités succès, est toujours désagréable.
— Ce Palais des Fils, Tissus et Vêtements, poursuit
hâtivement le ciceroiie, est travei'sé dans toute sa largeur
par le Vestibule' Bapp, donnant sur la porte du môme nom,
une des |)lns tréquontées par le public de 11)00 comme par
celui de 1881). Le Palais comprend à l’intérieur. sept galeries
parallèles à l'axe longitudinal. La galerie centrale et le Ves-
tibule Bapp SC rencontrent dans un pavillon carré, de
4u mètres de côté et de hauteur scnsiblenKmt égale,
qui abrite les deux escaliers principaux. L’ensemble d(' la
construction est on acier, resté apparent à l’intérieur ainsi
que la charpente légère soutenant la couverture, tandis qu’à
l’extérieur elle est recouverte d’une décoration en plâtre et
stair. La façade présente sur le Champ de j\Iars un porti(jue
à deux étages servant de promenoir couvert et donnant
accès aux restaurants installés entre le promenoir et les
galeries. Le rez-de-chaussée est recouvert par un immense
plancher en acier et ciment armé; le premier étage l’est
par des voûtes entièrement illustrées de maîtresses pein-
tures. iM. Blavette s’est de préférence appliqué à décorer les
deux portes du Vestibule Rapp qui donnent l’une sur l'ave-
mie de La Bourdonnais, l'antre sur le Jardin du Champ de
Mars, ainsi que le pavillon circulaire qui se trouve sur ce
jardin, à la jonction du l^alais avec celui des Mines et de la
É1
LA DERN’ILUL PROMENADE
Mélalliirgio ; mallKiurouscmpiil, la décoralion do la porlc
Happ osl, prosqiie complMcmonl, nias(|ii('‘(' par les coiislriic-
lions do la Compagnie d(!s Transports l'declriqnes. L’en-
semlde de la décoration est inspiré du style Louis XV, et le
l’alais, en général, a un grand caractère' de simplicité: les
travées courantes, sur le Chani|) d(; Mars et sur l’avenue de
La liourdomiais ont etc traitées avec la plus grande soLriété,
et le ton de pierre a été adoplé pour toutes les parties en
plâtre. La décoration ext('rieure est uniquemeiit rehauss(a>
luardes inscriptions en lettres dorées. Il ne s ensuit pas que
M. |{lav('tte, n ait pas eu le |)lus heureux et le plus judicieux
l’ecours au talent des statuaires : c’est à M. Caly qu’il a
dmnandé les deux ligures de haut goût qui accompagnent le
Irontondu pavillon circulaire; àM. Houssin, les deux autres
des campanih‘s de la porte centrale sur le jardin ; à M. Chré-
tien les deux micore des campaniles semhlaldes situés sur
l’avenue de La Bourdonnais ; les ligures des cartouches cou-
ronnant les grandes portes sont de M. Leysalle; l’exti'rieur
du pavillon circulaire a été ornementé ])ar M. Aimeras et
rintérieur par M. Millet; M. Lemesie s’est chargé des tra-
vées courantes et du motif central sur le jardin, et, avec
M. Milhd, de la porte Bapp. La décoration picturale des
voûtes est de M. Tayau sur le jardin et de M. l'oèllcux-
Saiiit-Ange pour la jiorte Bapp. .l'ajouterai, messieurs et
danu's, que I éminent architecte auteur de ce très heau palais
a eu pour collaborateurs directs, travaillant avec h' plus
entier et le jilus artistique dévouement sous ses ordres,
M. Henri (uiutier, son inspecteur, et ses sous-inspecteurs,
MM. Bousseau, .larlac et Lihuite/... et aussi que la dépense
totale du Palais s’élève à la somnn' de :t,.’i00,00() francs, ce
qui équivaut a peu près à !J.'i francs par mètre superticiel de
construction.
Mais, c’est pour rien, même pour une construction
provisoire! s’écrie tout ébahi Verdurct qui, en qualité de
propriétaire, sait le prix des choses.
Je ne suis pas compétent sous ce rapport, déclare mo-
ilestemcnt I’ « Exjmess-universel spécialiste » qui, évidem-
ment, n a jamais tait bâtir... Mais laissez-moi finir en vous
indiquant (|ue les principales installations françaises dans ce
Palais sont l’œuvre di '
-s
m
«
r
^ Le Palais des Fils, Tisses et Vi-'tements.
les Fils (le soie, lame et coton; Pascalon, enfin, pour l’Fx-
position lyonnaise. Ceci dit, messieurs et dames, passons
JO vous prie an
Pai.ais des Fils, Tissus et VÈTEME^'l■s.
§ Il
FOND DF en AMI’ DF M A I! S
Salle des Illusions. — Palais de la Mécanique. — Salle des Fêtes.
Palais des Industries cliindques.
— Ce qui tout d’abord tire l’ndl du visiteur, nu fond du
(.liamp de Mars, c’est le Château d’biau.
— Un aimable centenaire nous en a dit à ce sujet certai-
LA DERMÉni-: l'ROMENADE
39
71 on
savez A'Ous-mème.
noniont lioaiiconp plus que vous
Doue, là aali’e chose.
De Palais de l’iÀlectricilé...
— l.oiht ceuteuaii-e, docte et couihien couplaisaut, nous
I a explique eu détaiD
eoiupris la « Sat.i.e des Ii.i.esioxs? d
Je ue me souviens pas...
— Oh! il faudra voi7-c.da. Une salle polygonale, toute eu
J, <7ces, ou I Dnehautcur lleuaial, par le ieu de milliei's de
lampes a lucaudesceuce de tous les tons' de la gamme des
cou cui’s, fait pousser aux spectateurs euthousi;istes des cla-
meurs d .admiiaitiou à l’apparition de successifs Palais de
magie, t<ds qoe u’eùt pu les 7-èver rimagiuatiou de dix
Sh(hera/,ade i-u dix lois nulle et une nuits. C’est l’idéale
leiu'ie de la science.
veille emitenaire ne nous a pas monti’é cette mei'-
— Ihir la^ iaiison majeiii-e qu’en ces joui’s voisins de l’ou-
vei ture de Dxposilion, cett(> merveille, ce « clou » de pre-
.i.7é7'e grau, eur n est pas encore accessible au public. Si je
vems en paiJe c est que j’ai pu assister hier à u,l essai qui a
01.^771 triomphe Le public y srn-a admis sons peu de jours
farinier" mi peu aigrement le
— Abus rien, puisque c’est une. « alti-action officielle »
entiu îr^tr' vouiez-vous que l’on s’y 7>econnaisse
mtift les atti-actions qui sont oflicielles et celles ,7ui ne
1 etant^pas, sont payantes!... Tout est inélaiigcî!
— Pardon monsieur, mais si nous discutons nous n’au-
lons pins le t.mips ,1e remplir mon programme, et j’y mets
— Non.
— Eh bien, sachez que ce Palais, œuvre de M. Paulin
L architecte ,lu Château d’Eau? (»n nous a parlé de lui
a propos de son Palais des Ondes lumineuses.
— Parfait. Je n’ai donc plus à vous faire remarquer que
1 S 'i'" hgauL
façade' est 1 "7’ servent ,1e
ta.,a,le, est le plus eleve de tous, si son éten,lue est bien
A TRAVERS l’eXPOSITION
10
moindre que celle de la célMjro (lalerie des Machines
de IS(S!). 11 se compose de deux longues galeries ahmüissant
à l’avenne de lai Bourdonnais, et deux beaux escaliers cou-
le Palais iik i.a Mécanhjliî.
dnisantau premier étage. Ba décoration en est simple, toute
en lignes courbes et voussures, et... dame, puisqu on vous
a déjà parlé de la façade, je vois plus trop...
— Je vois, moi, fait en souriant Vcrduret que vous voda
LA 1)1':MN1]CRK PIIOMKNAIIE
uu boni (1 un tles fumeux u Irons » que vous appj'éhemlioz
tout a I heure. Suivons doue le conseil dn curé : sautons !
I>t ce saut nous conduit, monsieur — qui voulez bien
ctre SI aimablement indulgent — à cette galerie géante et
^ 'iiiracle de 188!), la Tour
Jnllcl étant le premier, ce saut umis conduit, dis-je à ce
majestueux tour de force de M. Dutert, auquel a collabore
A TRAVERS l' EXPOSITION
Ï2
M. llénard, c'est-à-dire à l'immense ancien Palais des i\la-
chines, devenue le Parais de e’Aoricultlre et de l’Alimenv
TATION.
— OÙ se trouve la Salle des Fêtes?
— Précisément. Le grand artiste chargé de la translor-
mation — intérieure, car rextériciir est masqué par le
l'alais de l’Electricité et ses dépendances — de l’ancien
Palais des Machines, est lui-même nn Ancien de l'architec-
ture et des expositions. C’est M. Gustave Raulin qu’il se
nomme, nn Parisien de Paris, arborant « à l’artiste » la che-
velure mérovingienne, la forte moustache retroussée sur
une belle barbe se séparant, sur sa poitrine, en deux poin-
tes. C’est un probe et nn modeste : chevalier de la Légion
d’honneur depuis l’Exposition de 1878, ce n’est qu’au mois
d’avril 1899 qu’il a vu son ruban se changer en rosette; il
en est ainsi des talents qui se contentent dignement d’être
de grands talents. Brillant élève de l’Ecole des Beaux-Arts,
dont il est maintenant un des professeurs les plus estimés,
il a été inspecteur à l’Opéra, puis premier inspecteur au
Trocadéro. C’est lui qui- a construit le Palais des Produits
alimentaires de 1889, et il était tout indiqué qu il fit partie,
en 19Ü0, de la plupart des jurys et comités pour les con-
cours de cette présente ex|»osition universelle.
— A la bonne heure, enfin, approuve Bcchard : jusqu’ici
vraiment, il semblait qn’on ait fait la gageure de ne s'adres-
ser qu’à des architectes n’ayant pas dépassé la quarantaine,
autant dire des talents au maillot? C’était révoltant à penser
quand on a quelque peu contourné ce promontoire de la
vie, comme dirait mon ami Verduret, qui aime tant a iaire
des phrases !
— Fi ! fait en riant Bertrande, des pierres dans le jardin
de mon oncle !... 11 n’est pourtant pas tout à lait un de ces
jeunes hommes dont vous vous déclarez l’ennemi... Mais,
voici qu’à mon tour je désespère monsieur notre cicerone.
Continuez, monsieur ïrottecourt : je me tais.
— Vous connaissez, poursuit le dit Théohald, les énormes
dimensions de cet cx-Palais des Machines, une salle gigan-
tesque de i2(l mètres de long sur 14ô mètres de large et i-i
mètres de hauteur. M. Raulin 1 a partagée en trois sections
inégales. Les deux sections formant les ailes, un peu plus
t/A DKKNIKnii l’RO.AIEXADE
petites, n ont siilii que les peu imporlunts cliungements né-
cessites par les installations de riAxposition très pittorcsiiue
< e 1 af^Ticnlture et de l'alimentalion (l-Vancc, côté La Bour-
donnais ~ Etranger, côte Suirren), telles que la Pavillon du
\ in de Llianipagnc, le diorama d'un vignoble, le .Musée ré-
trospectil, le Pavillon de la Brasserie, les l'roinagerics, le
chalet de 1 induslrie laitière, les curieux Pavillons des Puis-
sances étrangères, les scènes avec décors de l’.-Vssistance
ubliquc aux champs, etc., etc. Il n'en a pas été de même
i c la partie centrale, où JM. Baulin a aménagé sa superbe
. ALU-: UES Eètes, véritable tour do force architectural. Dans
un rectangle de 1115 mètres sur 142 de côtes, est inscrite
une colossale voûte circulaire de 9Ü mètres de diamètre
sujiportée par huit grands pylônes en fer (poids lü,0ü() kilos)
et huit pi lers de moitié plus légers. Sous la voûte, d’où
tombe la lumière, est une piste planchéiée de même dia-
mètre, autour de laquelle s’élèvent des gradins et les loges
emplissant 1 espace compris entre le cercle et le rectangle
Le te salle, qui peut contenir 14,000 personnes et dont la
richesse (1 ornementation est inouïe, est décorée par les
•miutres du jnnceau apportant le concours de leur haut talent
a I œuvre d un maître de l’équerre. Les triptyques de la
voûte sont de .M.M . Lormon, bda meng, .Maignan et Boebegrosse
.jui dans des compositions de plus de 20 mètres de hauteur
lu le premier : la
bee l'dectricité, le Génie Civil, les modes do transport et de
ücomotion, le labeur dos mines, l'histoire du charbon et le
ravail de la mélallurgio ; le deuxième: les industries
(meuble, velement) h travers les siècles, et l’histoire du lil
de^la soie, du coton, du tissu, de l'étolfe, ainsi que des
muustnes cliinuques; le troisième : l’agriculture et l’horti-
culture, en même temps que les forcis, chasses et pêches
en un paysage sylvestre où vivent puissamment fauve, dore'
chasseurs et pêcheurs, sous un doux soleil do fructidor; lé
quatrième :1 économie sociale, la l’rance lointaine, l’Em-
pire colonial, 1 armée nationale, c'est-à-dire la Nation armée
pour la c elense du Droit et de la Justice, et représentée
pal le soldat et par le marin.
iMais, c est toute l’Exjiosition !
— lout à 1 heure, vous direz que c’est tout l’Enivers :
A TRAVERS l’eXPOSITION
écoutez. Dans les quatre grandes voussures sont des panneaux
desquatre saisons, de MM. Maillard (été), Hirsch (printemps),
Surand (automne) et Thirion (hiver). Dans les voussures
secondaires, les mois : H'' trimestre, M. Mengin ; M.
Berges; 3™®, )M. Tournier; 4"’'^, M. Sauvage. Puis, c’est, dans
les retombées de la voûte, les usages des peuples anciens, au-
dessus des tribunes des quatre points cardinau.x, les contrées
arctiques, de M. Motte (le Nord), le désert et la brousse,
de MM. Biessy et Bégaux (le Sud), les montagnes d'Asie, des
deux Laurens (l'Est), la mer et la prairie américaine, de
M.M. Thibaudeau et Courtois (TDuest)... Puis tout le reste,
ornant tribunes et vestibules, par une pléiade de beaux
talents. Et la sculpture donc! Les bas-reliefs de M. Barreau
(la mécanique); de (M. Leroux (éducation, enseignement,
littérature, philosophie); de M. Massiglier (peinture, sculp-
ture, architecture, gravure) ; deM. Bolard (matliématliiques,
science des sons, médecine, chirurgie, reproduction scien-
litiquc). Aux escalici's, les groupes de rensemcncement et
de la récolte (M. Debric) ; du laitage et de la vendange
(M. Aube). Sur les styles des pylônes, la bière, le vin, les
liqueurs et les i)lantcs cultivées, symbolysées par M"® Basse,'
MM. Hubert, Pallez et Salières. Enfin, le clou sculptural
pittoi'csque, la représentation par trente-six statues de 2'" 50,
des trente-six nations exposantes. J ajouterai qu exteriein e-
ment trois groupes, de MM. Perrin, Dubois et Captier, dé-
corent la façade, et que la salle est éclairée par 4,500 lampes
à incandescence... Voilà.
— C’est merveilleux ! s’écrie Verduret, justement enthou-
siasmé i)ar cette description... Et tous mes compliments,
cette fois, à la mémoire du cicerone.
— Ah bien ! fait celui-ci, si je ne savais pas sur le bout
du doigt ma Salle des Pètes, je n aurais qu à rendre ma ba-
guette, pas vrai? Ça, dépêchons, je vous prie; laissez-moi
vous dire un mot du Palais des Ixdlsiries ciiimiocies, que
j’envisage comme faisant partie du tond du Champ de Mars
(comme le Palais de la Mécanique, son pendant d en face),
parce qu il a pour façade les loggias de droite du Château
d Eau, qu’on ne peut pas accuser de ne pas appartenir a la
région « du fond ». C’est une idée à moi, histoire de ne pas
être de l’avis de tout le monde. Donc ce Palais, symétrique
ki^ÊÊL:
LA DERNIÈRE PROMENADE
45
de celui de la .Mécanique, est également du meme auteur.
Ces deux Palais en vis-à-vis, dépendant on somme du Château
(FEau, devaient naturellement être construits par M. Paulin,
liien, donc, a vous dire de rextéricur, puisque sa façade est
identique a 1 autj'c ; et quant à l’intérieur, vous savez ce
(]ue. c’est... construction en fermes d’acier... des galeries...
des...
— Hrcf, il nous faut encore
— Oui, s’il vous plaît, au
.ii I
.s
C 0 T É S E E r’ R E X
Palai.s du Génie civil. — Palais des Arts libéraux.
De ce côté, messieurs et dames, en continuant de des-
cendre vers la Seine, voici deux Palais faisant pendant à
ceux du côté La Bourdonnais : un grand, celui du Génie
civil, symétrique du Palais des Fils, Tissus et Vêtements
dont je vous ai parlé tout a l'heure, et, plus petit, celui de
1 lAuseignement, Lettres, Sciences et Arts, autrement et plus
commodément dit « des Arts libéraux », symétjaquc du
Palais des IMines et de la Métallurgie où perche le carillon.
Parlons d’abord du Palais du Génie civil et des Moyens
DE Tra.nsport. . .
- Oue laites-vous donc.^ demande \ erduret en voyant
h.xpress-universel spécialiste » chercher liévreusement
dans toutes scs jioches.
Attendez... il me semble me souvenir que j’avais mis
à part, a propos de ce Palais du Génie civil...
— Des notes?
Non, un article de M. Badin, [uiblié tout récemment
dans le Momleur de PJOü, et qui m’éviterait d'avoir à faire
do nouveaux etforts de mémoire.
Et à nous, probablement, le désagrément d’avoir ù
suivre uîie lois de plus le « conseil du curé »...
vous ?
f
46
A TRAVEUS l’exposition
— Le voici : voyez.
— jMais, cet article a huit colonnes ! Est-ce que vous
allez nous le lire en entier?
— Ce serait contiTiire à mes principes de célérité. Je vais
simplement vous le résumer, le texte sous les yeux. Le.
Palais du Génie civil et des iMoycns de lrans[)ort est de
iM. Jacques llermant, si hautement apprécié de quiconque a.
suivi le mouvement artistique depuis l’Exposition de LSSit
où, débutant alors, il avait construit le ravissant Pavillon
Louis XV des Pashdlistes. Depuis, on le reti-ouvc dans tou-
tes les expositions universelles étrangères, en particulier
celle de Chicago où il a installé toute la Section française
qui y eut tant de succès. C’est en étudiant comparativement
aux nôtres les procédés de construction américaine qu’il
s’est fait de l’emploi du fer une conception 1res 'j)ersonrielle
qui fait de ce Palais du Génie civil un modèle presque
aussi intéressant, là des titres divers, que la fameuse Gale-
rie des iNlachines de LS81J. Il s'est servi de petites fermes
comme point d'appui pour lancer les fermes des galeries
de 27 mètres, absolument dans le vide, en porte-à-faiix et
non seulement ne se rejoignant pas, mais supportant sur
leurs exirémités sur[)lombantes le poids d'un lanterneau.
Sa construction est une dentelle de fer, d'une légèi’eté
inouïe, et reposant sur le principe de bras de levier égaux
jetés dans le vide et se faisant contrepoids par rapport au
point d'appui axial, procédé absolument nouveau et excel-
lemment scientifique. Son Palais, élevé pour abriter des
pièces de la dimension de locomotives, vagons, teuf-teufs —
que l'on a relégués ultérieurement à l’Annexe de Vincen-
nes — devait allier à l’élégance de l’ensemble l'idée de
force et de massivité en rapport avec les masses qu’il
était destiné à l'occvoir. C'est à ce souci que répond
le porche central, haute silhouette carrée, bien assise, en
avant-corps sur les deux ailes du Palais et les dépassant en
hauteur, creusée d'un arc géant, de 20 mètres de haut, dont
le fond s'arrondit en niche. Deux pieds-droits légers, cou-
ronnés de campaniles à loggia, calcul^ pour employer
l'expression d’ateliers, ce motif central si joliment illuminé
le soir. De chaque côté, deux files de portiques superposés,
rez-dc-chausscc et premier, selon la règle commune pour
tous les Palais du Champ do Mars et que M. llcrmant a mo-
dernisée on décorant les pieds-droits (h's arcades de has-
reliels rej)résentant les (c ouvriers dn penie civil et de tous
les mo^ ens tle transport ». La destination du moiuiment
est accusée encore par la frise du sculpteur André Allai-,
tlont le thème est Lhistorique intéressant des moyens de
transport.
Les laqades sont
èrement polychi'omos... ]/une des
parties auxquelles rarchitectc attachait, je, crois, le plus
d importance, en raison de la dilïiculté vaincue, c’était la
lantei-uo ou tonj'ello d’angle qui raccorde son Palais au
Palais voisin des Arts, Sciences et Lettres, et qui donne à
la lois accès aux deux monnments. Quant aux autres motifs
sculpturaux, voici, sur le Pavillon d’angle, deux heaiix
groupes de M. llaniiaux montrant d'une part « rintelligence
conduisant 1 homme a la lortune », d’antre part c l’Instruc-
tion révélant à riiomme son intelligence ». Sur les tympans,
les ligures de la Vapeur et de la Chimie, encadrant la date
LSOÜ, symbolisant le xviiP siècle, i-t les hgures de la Méca-
nique et de 1 LIccti'icité personnitiaiit, autour de la, date
l'JhO, les merveilleux jirogrès scienliliques du xix'^’ siècle.
M. Jacques llermant, qui a eu pour dévoués et savants colla-
horateurs ses inspecteurs, MM. les architectes Daydé, et
l'illé, est un artiste complet, dans tonte l'étendue du mol.
car, à line science consommée, il ajoute l’art d’exjirimer la
horce comme la Grâce et comme la Heanté. De ce triple
don, il n avait prouvé que les deux derniers jnsqu’an jour
où il a construit ce monument impeccable et (l'nne si mâle
imissance d expression qnest, à Paris, la superbe Caserne
des Célestiiis... Et il n a pas encore atteint l’àge mûr si
piopice à 1 enfantement des chcls-d’œiivre ! »
Le larinier quiii(|nagénaire hausse les yeux vers le ciel,
comme pour le prendre à lémoin de sa jalouse (irotestation
contre l'armée de jeunes gloires artistiques qui triomphe en
cette Exposition de PtOO.
Le <( gu ide-ex[iress » poursuit :
— Et maintenant, je termine le croquis des grands palais
d exposition du Champ de Mars en vous racontant le Palais
im L EuUCATIOX, ENSLmXÇ.MEXT, IxSTHLME.M'S KT PliOCÉllÉS UÉXÉ-
HAUX IJES LeTTUES, DES SciEXCES E'I DES ArTS.
ff
ùi K
^11
50
A TRAVERS l’eXPOSITION
— Diable de titre, récriniiiie Bècliard ; il est aussi long’
que la route de Paris à Essonnes.
— Aussi le public, grand simplilicateur, rappcllc-t-il le
(( Palais des Arts libéraux », puisque aussi bien il a le
même objet que celui qui portait ce nom en 1889. Donc,
messieurs et dames, ce palais si joliment fantaisiste, oîi fra-
ternisent de façon si harmonieuse et audacieusement co-
quette presque tous les styles architecturaux, depuis l'anti-
que grec, le grave et religieux gothique jusqu’aux genres
Uenaissance, liococo et Moderne, est de M. Louis Sortais,
un Parisien ayant vu le jour en la Grand'Ville le 8 no-
vembre 1800.
— Encore un qui n’a pas quarante ans ! ronchonne
Bcchard.
— k défaut d’ans — qu’il ne réclame probablement pas
— il pourrait vous dire, monsieur, que si les années de
campagnes et de succès artistiques comptent double, il
aurait des droits à se considérer presque comme un doyen
moral, lui clfet, entré à l’Ecole des Bcau.x-Arts en 1881, il
commence par collectionner les médailles et les récom-
penses lie l’Institut et de la Société centrale d’Architecture.
Trois fois il est logistc, et c’est pour remporter successive-
ment: le deuxième Second Grand Prix de Borne en 1881), le
SecoTul Grand Prix en 1888, enfin le Grand Prix de Borne en
189U. Muni de tant de diplômes, il passe quatre ans en
Italie... et à voyager à travers l'Europe, faisant chaque
année des envois qui attirent sur lui la plus louangeuse
attention. Bentré à Paris, il conquiert une mention hono-
rable, puis une deuxième médaille au Salon des Artistes
français, et est fait officier d’Académie en 189G. Dès lors,
travaux sur travaux naissent sons le compas de ce laborieux
infatigable : usine et hôtel de « la Salamandre » (ne pas
confondre, je vous prie, avec la Porte Monumentale, à
laquelle l’éternel esprit de fantaisiste gouaillerie des l*ari-
siens a donné ce nom, motivé par quelque similitude de
forme avec le dit appareil de chauffage), et la maison de
Poste à Sceaux, et des villas au bord de la mer, et un
supcidje mausolée à Senavezza, près de Garrare, et, en
collaboration avec le statuaire M. Desvergnes, la commande
d’un vase pour la Manufacture de Sèvres, et le Musée
I.A UKIIMKHIO l‘llO:\ri;.NADK
ni
l>0(lin, place de 1 Alma... (Juant aux concours public, c’est
api'ès les monuments. le Carnot, à Lyon, et .1.* Pasteur, à Cliar-
Ires, une troisi.'mie prime au concours pour rensomble de
cette exposition de 1900, qui vaut <à cet ancien audit.mr au
Conseil general des Hàtimenls civils, architecte du Couver-
lU'mcnt, dV-tre nommé, en ISOn, inspecteur [.rincipal du
^eivice central d architecture de la Crande Fctte de 190(1.
Comme tel, il collabore à tous les plans, construit tous les
. kiosques à musique et divers bâtiments d’administration,
b.nlin, en 1897, il est cliarg.i d'éditier ce Palais d’entrée du
Champ de Mars et s'en acquitte de l’artistique façon dont
vous pouvez juger.
Mais dont nous jugerions infiniment mieux en étant
|)eu guidés, si toutelois madame votre mémoire est en dis-
jiosition de nous apporter cette ai.le, dit Verduret de son
ton le plus bonhomme.
- Ma mémoire est ici tout à votre service : écoutez-moi
ça. Je commence par me débarrasser des chillrcs la
lorme générale du Palais est un rectangle presque carré
I l.i.l mètres sur 120 métrés), dont un des angles est abattu
l’entrée principale qui fait face à là
lour Cillcl.
- Superficie : environ 10,000 nnOrcs carrés, calcule
orgueilleusement Pccbard.
— Oui, en ne tenant pas compte de l'angle amputé,
(.omme la superficie du premier étage est de 11,400 mètres
carres, cela lait, au tolal environ 27,000 mètres d’exno-
sition.
— C'est énorme!
— Et t(3ut à fait insufrisant, à preuve que l'on a été obligé
de loger la plus grande partie de l'Enseignement et de
Education dans le Palais du Génie civil. Mais ce n’est pas
la laute de 1 architecte si on ne lui a pas accordé plus de
terrain, bm raison du pan coujié, ce Palais a quatre façades
'< La pr.?miere, qui lunge le jardin du Champ .le Mars, se
compose de deux portiques ouverts superposés, servant de
promenoirs; le portique .lu rez-.le-cliaussée (90 mètres de
ong sur / mètres de large), percé alternativement de
deux gran.les arcades el d'une petite, est décoré de peintures
lormant jeu de fond mordoré, et surmonté d'une frise où
A TRAVERS L EXPOSITION
52
le peintre décorateur M. Delmotte a jeté une suite de car-
touches et d’eul’ants sur foud rouge ; le portique du premier
étage comprend trois grands motifs à voussures intérieures,
avec vaste ajouré décoratif supporté par trois arcades avec
colouuettcs, 'et grand balcon (en encorbellement de 3 mè-
tres') soutenu par une ligure de femme dont rébauchoir
savant de M. Allar a tracé les purs contours; les trois grands
motifs sont encadrés par quatre pavillons avec arcades à
jour et balcons secondaires. L'ensemble de cette intéres-
sante façade ressemble à une vaste loggia de théâtre qui,
douuaiit^ur le jardin, permet au public de voir tout le
Lhamp de Mars... et aussi d'entendre la musique du kiosque
qui' vous voyez placé juste ou lace.
La deuxième façade, celle du pan coupé, est la princi-
pale, quoique de bien moindre développement que les
autres. Là est la grande porte d'entrée, haute arcature a
deux éta'^es, avec balcon central, llampiée de deux tourelles
à dômes surélevés. Les statues de la porte et les figures des
tourelles sont de l'habile statuaire .M. Loiseau Bailly. Le
o-rand groupe de sculiilure qui surmonte la porte, liant
relief absolument remarquable et qui symbolise les Procef/e.s
f/rs l/'/v SOUS la forme d'une cliaiue dansante de iemmes
cutourant Apollon, dieu des Arts, est do rémiueut Ch. Des-
verouos. Grand Drix de Borne de ISSh; de lui aussi le groupe
inférieur de gauche, représentant les Procédés des Sciences.
(tuant à celui de droite, les Procédés des Lellres, il est du a
rexcellcut ciseau do M. Houssin. 11 y a, dans cette taçade,
et exécutée par le peintre Barbin, une curieuse application de
peinture en relief encadrant la grande et belle verrière ((.aro
[ecit, d’après cartons de Lerolle et Besnard) qui éclairé la
salle’ d'auditions musicales située à l’étage du grand baicon.
Entre parenthèses, cette salle, longue de 2/ métrés, large
de 1->"’5(I haute de 21 mètres et qui a la forme bizarre
d'uiië moitié de tore, est décorée de haut en lias de pein-
tures maroLillées du peintre de décors bien connu, iM. Lha-
peron. Elle possède, de plus, une tribune et un orgue Abbey
ide Versailles). »
Bardou, s’il vous phiit. ôous avez dit que cette saltc
revêt la forme d’une moitié de « tore » '? . _
J'ai été comme vous. Je me suis renseigne . on
A TRAVERS l’ EXPOSITION
appelle tore, en architecture, ces anneaux de pierre ornant
le bas des colonnes et qui ne sont autres qu’un souvenir des
Ircttes dont les anciens garnissaient le pied de leurs colonnes
en bois pour quelles ne se tendent pas. En géométrie, on
appelle ainsi une surface engendrée par un cercle tournant
autour d'une droite située dans son plan. Il paraît — si vous
comprenez quelque chose à la géométrie, ce qui n est pas
mon cas, ayant ([uitté l'école à treize ans — que les deux
définitions sont équivalentes. l\loi,je me suis appliqué à les
apprendre par cœur et je les redis sans me chargei de les
expliquer davantage. . . Donc, je continue. La troisième larade,
qui fait face à la Seine est en tout symétrique à la première,
sauf que tontes les arcatures sont fermées par des verrières
au lieu d'être à jour. Enfin, la quatrième façade, qui longe
l'avenue Suifren est traitée avec la simplicité ([110 comporte
sa situation... extérieure par rapport à l'Exposition; elle est
en fer et verre.
<( La tonalité générale dos façades dans l’Exposition est,
vous le voyez, blanche avec mosaïque d'or et toitures
bleu et or, ce qui donne une teinte d’imsemble cà la tois
très douce et très brillante, sur laquelb' se détachent en
vigueur les vertes frondaisons du jardin. Ces laçades, très
découpées de silhouette, font naître un contraste voulu avec
b's grandes lignes horizontales îles Palais voisins et engen-
drent du mouvement et de la gaîté... ÏNlais, c est surtout le
soir qu’il faut venir voir ce Palais de l Education, Ensei-
gnement, etc... (c’est trop long!), alors qn il est tout illu-
miné par les bouquets de lampes a incandescence et les
deux grands lustres éclairant la porte et le pan coupé, lis
rampes de gaz courant sur les façades latérales, et surtout
l'éclairage des porti(|ues par çles lampes électriques dissimu-
lées qui donne à ceux-ci un aspect mystérieusement féeri-
que, dans une tonalité douce où dominent le rose et le jaune
pâle... Ça, c'est « chic », vous savez !
— Je" n’en doute pas, fait Verduret en souriant débonnai-
rement à ce terme... si'irennmt improvisé par le guide-réci-
tant. Alors, c’est tout ce (|ue vous avez à nous apprendre sur
ce Palais.
Attendez donc: j'en ai encore dans mon sac. Laissez
(]ue je vous parle de la construction. L intérieur des galeiies
I.A DERMiniE l'IiOMENADi:
esl en fer, cl les galeries extérieures en cliarponle de bois,
mêlai déployé et plâtre. Le pbmclier du pi’ciuier (itage est
en ci ment ai'uié, ainsi (juc les balcons (|ui, ])onr uiu' avancée
de .3 mètres nont (jne 10 cenlimètrcs d V[)aiseur. Tout
ça repose sur des poteaux en ciment armé de dO/iO. Toute
la décoration ornemaniste est en stall', par MM. Devècbe et
hagon. J^a construction — quia, (dé entièrement cx(H'utéc
do janvier 1899 à avril 190(1 — présentait trois diflicultés
[U'incipales doTit M. Louis Sortais s'est tiré tout à son hon-
neur. D’abord, le raccordement de Taxe biais à ib" du |)an
coupe avec les grandes galcines; ce biais est dissimulé par la
forme octogonale donnée cà la Salle centrale de l'Lxposition
(.eiiteninde, salle a laquelle conduit un superbe escalier mo-
nunn'utal à double révolution, dont les voussures ont ét(^
peintes par M. Le Dielic, Prix de lionic de 1888. Lusuite,
l’exécution du porche d’entrée (hauteur, .bO mètres) avec sa
lorme particulière de double carapace iidérieure et exté-
rieure dont les deux parois ne sont dislanl(>s que de
8(» centimètres, et qui doit supporter un campanile hexa-
gonal de 20 mètres de liauteuT avec carcasse en fer repo-
sant sur le mili('u même de la voûte. Entiu, surtout, la fai-
hlesse du crédit de 1,787,000 francs, soit un peu plus de
100 fi'ancs le mètre carré, mis à la disposition de l’archi-
tect(', alors que les matériaux avaient doublé de [irix, et (|ue
les grèves, le mam|uc ordinaire d’ouvriers et le mauvais
temj)s rendaient si dispendieuse une construction (jui repré-
sente 1,000 mètres cub(‘s. M. Sortais a trouvé moyen de ne
pas dépasser sou crédit et cela constitue tout simpiement un
tour de force. Je termine, messieurs et dames, en vous disant
(jue 1 architecte a été secondé avec un dévouement parfait
par les |)rincipaux collaborateurs de son agence, tous, d’ail-
leurs, architectes di|)bnnés par le Gouvernement; MM. Du-
ménil, premier inspecteur, Michelet et Bertrand de Kont-
violant, sous-mspectours, sans oublier le vérificateur, *M. Le-
maire. J ajoute qu en visitant l’exposition qui « est là-
dedans », vous ne vous ennuierez pas: sans parler de la
Idbrairie ou il y a, des publications (( épatantes », il y a, à la
l’botograpliie, celle en couleurs Lumière ; à la Typographie
les nouvelles machines des journaux et les affiches en cou-
leurs ; dans le vestibule d’entrée (instruments de précision)
56
A TRAVERS l’eXPOSITION
la frappe des médailles de l'Exposilion ; à la Médecine et
Chirurgie les fameux rayons X ; à la Géographie et Cosmo-
graphie les grandes cartes de l’Etat-Major et de 1 Intérieur;
aux Instruments de musique des Eleyel à double clavier et
des harpes nouvelles à donl)les cordes, sans compter les
concerts et les phonographes ; mais c’est surtout a 1 Art
théâtral, avec maquettes de décors, souvenirs de lalma,
llachel. Mars, trois scènes complètes, machinées... et le
Théàtrophone. . . Il faut dire que Sara h Bernhardt, Bartet, etc.,
y ont mis la main... Cour abriter tout cela, on peut bien se
payer un Balais (lui s’élance, en son plus haut point, a
65 mèlres vers le ciel. N’est-ce pas voire avis?
— Vous ôtes amateur de théâtre, hein?
— Tiens!... Je suis parisien !... Mais ce n’est pas tout ça.
Nous allons, dare dare, visiter l’intérieur de tous ces Palais
— le tour du Champ de Mars, quoi ! — pour qu’après je vous
fasse un peu promener...
V
ClIAriTHE IV
TOUT AUTOUR DK K A TOUR
L i\ COL'P l»’(]-ll, A 11 A UC II E
Palais du Costume, Pavillon du Club Alpin, Chalet Suisse, \'illage
Suisse, Panorama du Tour du Monde, Pavillon de Siain, Palais
Lumineux, Pavillon de la République de Saint-Marin, etc.
Après uiio course haletaule et qui ne dure pas moins de
deux heures à travers toutes les galeries aussi nombreuses
qu immenses des Palais du Champ de Mars, notre provincial
qnatuorsort, pnAédéde son « Itxpress-universel spécialiste »,
par la porte du Palais des Mines, sous le carillon qui chante
justement, comme pour saluer son exode, ironiquement
sans doute, l’air du Cliah^l :
Arrêtons-nous ici... etc...
Au même instant, le jeune guide, toujours vaillant quoi-
que à bout de salive, dit à Yerduret fourbu, à Bôchard de qui
la lassitude courbe un cou que l’on eût pu croire, jusque-là,
rigide comme un manche à balai, à Bertrande dont les
vingt ans mômes daignent avouer la fatigue, et à M""' Flore
qui, littéralement, s’écroule épuisée :
Ça, presto, nous allons un peu nous promener parmi
O. s
A thavers l’exposition
les environs île la Tour, on j’ai quantité de choses à vous
montrer.
— Ah! ça, non, par exemple! proteste M'"'’ lîêchard en
rassemhlant tout ce qui lui reste d'énergie. C’est miracle
que j’aie |)u arriver jusqu’ici, mais je déclare bien qu’on ne
me fera pas faire un pas de plus! Je suis exténuée... Je ne
demande qu’un fauteuil et le reste m’est bien égal.
Le guide sourit complaisamment.
— Ce cas est prévu, dit-il. C’est assez l’habitude que nos
clients, arrivés ici, me tiennent un semblable langage.
Aussi ai-je passé un forfait avec quelques pousse-pousse qui
viennent ici prêts fà recueillir les découragés... Et, tenez,
les voici. Messieurs et dames, prenez place!
— Comment, nous aussi? s’étonne et s’inquiète llècbard
en désignant son ami le manufacturier retiré à Malesherbcs.
— Caissez-vous donc faire violence : ça no conte rien,
pnis(|ue c’est prévu dans mon prix et que ce n’est pas vous
qui l'acquittez.
— C’est justement pour cela, proteste ^ erduiad, que je ne
saurais soulfrir...
— Bah! vous ferez des manières demain, crie à son ami
le farinicr, en s’installant dans un des fauteuils roulants,
à l’exemple de Bertrande et de dame b’iore, déjà en pos-
session de deux des précieux véhicules.
Verdurct cesse de se défendre, occupe un quatrième fau-
teuil et, sur un siftlement de la bagnette de Théobald Trotte-
conrt, qui prend pédestrement la tète, la petite caravane,
désormais montée sur roues, se met en marche.
— Messieurs et dames, annonce le guide, nous allons
d’abord jeter un coup d'udl à gauche... Je veux dire ; a gau-
che de ia Tour de 300 mètres. Nous avons d’abord, de ce
coté, le Palais du Costume, organisé par le’ grand couturier
Félix. C’est, dans des décors appropriés, une reconstitution
à l’aide de ligures do cire grandeur naturelle et groupées de
façon à former des scènes que l’on croirait animées, 1 his-
toire du Costume de tout l'Uccitlent civilisé depuis les temps
les plus reculés jusqu’à nos jours... Et ça ne coûte que vingt
sous...
— Nous n’entrons pas! déclare péremptoirement Becbard.
— Ce chapitre toilette intéresserait pourtant bien
I.A DKIlMKliE PROjrENADI-:
ri!)
nia,l;niio voiro épouse; car, aux Fils et Tissus, je Fai vue
s arrêter, loule lasse qu’elle était, à la vitrine teiitatricc du
« jUomleur</e la Mode ». N’est-il pas vrai, madauie?
Mais M- More ne répond pas. A peine assise dans son
lanteiiil, les jiavôts de Morphéc ont appesanti ses paupières
et, dans le bercement de la promenade, elle... dort du
sommeil prolond de l innocence.
Théubald salue cette opulence assoupie et fait poursui-
vre la marche.
— Voici, annonce-t-il derechef, le P.wira.ox m: Cnun
Amun, qui comprend deux parties: 1» Le Châle l où sont
reunis tous les objets et collections intéressant les ascen-
sionnistes des Pyrénées ou des Alpes, depuis le piolet ferré
jusqu’aux refuses construits sur les hautes cimes; 2“ le
l'avillon des panoramas où l’on voit : des dioramas’ de la
Grotte de Dargillens (Lozère), du lac do Rctournemer et de
Lonjremer (Vosges), de la haute vallée du Var, des gorges
du larn, du Cirque de Gavarnie (Pyrénées), des Alpes du
Dauiihino, et le grand panorama du Mont Blanc C’est la
céléhralion inslrnctive et artistique de la « Montagne fran-
çaise » .
— Passons, dit Verduret : ne réveillons pas cette pauvre
M'”'' Bechard. *
T à côté, le CiiAi.KT Si issE, ravis-
sant l avillon de 1 exposition oflicielle de la Bépublique
liolvetiqiio... A ce propos, si par hasard et contre toute évi-
dence, vous prolongiez votre séjour ou si vous revenez à
1 l'.xposition, ne manquez pas de rendre visite au Vili..vgic
bmssE qui, situé hors du Champ de Mars, à hauteur de l’an-
cien l alais des Machines, est l’attraction complémentaire
de ce avillon Helvétique; les deux ingénieurs de Genève,
MA . Henneherg et Allemand, en ont fait un véritable coin
de la . lusse, avec sa vie et ses habitants, montagne, vallée
Yi e, village,^ etc., transporté miraculeusement en plein
I ans, et ça n a coilté que d millions. Vous trouverez cette
jolie attraction juste derrière la Grande Boue de Paius, une
tantaisie d’ingénieur, bien pille après la Tour Eilfel et où ce
sonlplutül les attractions accessoires qui attirent le public...
Mais revenons à notre promenade. Voici maintenant, en
bordure du quai d’Ursay, à l’angle du Champ de Mars, le
02
A TRAVERS l’eXPOSITION
Paaosara d[' Torii du Monde, de M. Louis Dumoulin, pein-
tre de la marine. C’est, en réalité, le Panorama de la grande
Compagnie des Messageries Marithiies (concurrente de la
Transatlantique) qui montre ici an public — par le pinceau
(panoramas et dioramas), par des scènes animées dont les
indigènes jaunes, noirs ou blancs, sont les acteurs et dont le
panorama est le décor, enfin par un théâtre où s’exhibe les
troupes exotiques — qui montre, dis-je les principales esca-
les des parcours de ses beaux, confortables et excellents
navires. La vaste, superbe et si curieuse construction ovale
qui sert de temple à ces évocations lointaines ou proches
procède de la même intention : c’est ainsi que la porte
principale de ce Panorama est la porte même du temple de
I okio (toute en bois rehaussée de dorures et décorée ilc dra-
gons aux yeux d’émail enchâssés d’or) transportée et réédi-
liée ici; que la tour à droite de l’entrée, toute de halcons
soutenus par des divinités bouddhiques, avec son dôme en
forme de mitre ciselée, est la grosse Tour Canil)o<lgienne ■
(|ue la tour chinoise qui est à gauche, avec ses toit? comme
empilés les uns au-dessus des autres ainsi que des oublies
dans la boîte d un marchand de « plaisirs », est la haute et
curieuse tour des Jardins de Nilo; que la troisième tour, à
l'autre extrémité de l’édifice, et tout à fait à l’angle du
Champ de Mars, est de pur style portugais. M. Dumoulin — à
la valeur artistique de qui a été confiée la mission ue jiein-
dre l’entrevue historique de Cronstadt pour le Musée do
\ ersailles — fait bien faire ici, dans son œuvre, le Tour du
iMonde aux visiteurs, rien qu’en s’arrêtant aux escales des
Messageries Maritimes, car les lignes de paquebots de cette
compagnie desservent, comme vous savez, tous les grands
ports d’Extrême-Orient, de l’Océan Indien, de la Mer Rouge,
de la Méditerranée et, dans l’Atlantique, le Sud-Amérique
avec les côtes européennes. En un mot, c’est le tour du
momie réduit à une promenade autour dos plates-formes
intérieures de ce curieux Palais : c’est Yédo (Japon), le Jar-
din de Niko et Shanga'î (Chine), les ruines d’Angkor, Suez,
le Canal, Port-Saïd, le Bosphore avec Constantinople, la
Corne d’Or et le cimetière Turc, Athènes et l’Acropole, et
I l‘,spagne avec Eontarabie, et... Mais je n’en linirais plus et
il est temps de descendre de voiture si vous Aoulez visiter...
r.A ÎÆnNIKIlE promena DK
— < >11 paie ?
— I)cux francs le grand jcn : c’est pour rien.
— Vous trouvez cela, vous? Allons, roulez : je ne veux
pas réveiller ma femme.
— Compris. Je vous présente donc le Pavillon du royaume
DI. biAM, lequel, c est facile à voir, se compose de deux Pavil-
lons ,1 architecture K'mer réunis par une jolie passerelle
clancee : P le Pavillon officiel, fait de deux corps de loo-is
avec porche unique orné des Lions de Siain à l’angle cen-
tral, et coillé (1 un toit de pagode surmonté d’nn hardi clo-
cheton de dO métrés, portant, étagés jusqu’aux nues, les
sept couronnes de la royauté siamoise. Dans ce pavillon
dont le très hahile et érudit architecte est M. Chaste! S p’
IMiya Snrip, ministre de Siani en France et Commissaire
général, aidé de ,M. Alhert Gréhan, Consul à Paris, Com-
missaire adjoint, ont accumulé d'inomhrables richesses ar-
tistiques siamoises qui n’ont, contrairement à ce que croient
la pluparÇ que do très lointains rapports avec les arts jano-
nais et chinoH. 2" Le Petil Pavillon, très coquet quoique
moins orne et ou, au restaurant, pu peut déguster tous les
mets et toutes les boissons dont se délectent les sujets du roi
de biam.
— On ne paie pas, là, au moins ! Si nous y allions'^ pro-
pose Bcchard. ' ^
Hé, mou cher, vous ne craignez donc plus de réveiller
votre iemme? Ma foi, je me frouve trop bien d’ètre assis,
l'mtrez si vous voulez ; nous vous attendrons.
-— Je ne vais pas y aller tout seul, vous pensez bien.
Monsieur le guide, en roule pour autre chose.
— Pour le Palais llmineix, alors; c’est en remontant
vers le Palais des Mmes et de la Métallurgie, d’où nous ve-
non.s. ()}ez-le d ici, ce Palais, vision idéale imaginée par le
maître verrier Ponsin, que la mort est venue prendre, hélas!
avant qii il ait pu jouir de son univre. C'est un reve des IMille
et une nuits, tout en verre et en cristal, une féerie de teintes
opalines, de llamhoiements de diamants, de rubis, d’amé-
t listes, etc... las grand, mais une pure merveille qui est
un « clou .) étincelant, quelque chose, parmi les construc-
tions luttoresques de ce proscéninm du Champ de Mars
comme Jupiter ou comme Siriiis parmi les mondes du ciel.’
LA ULliNlKUL l'IlOAl LN ADP; ()5
Le (l('erire est lacile; sur son rocher, au haut bout d'une
ravissante pièce d'eau, c'est un iiall central coill'é d’une
coupole que surmonle, comme détachée dans l’espace, la
statue d l'dectryone, fille du Soleil (u'uvre de la jeune com-
I’anok.uia du Touu du Monde.
tesse polonaise d’Alhazzi-Kwiatkowska). Or, la coupole, la
statue, le hall et tout ce qui le mcuhlc et le décore, depuis
le tapis et les tentures jusqu’au.x meubles, tout est en verre.
C’estdélicieux le jour, mais c’est le soir que c’est un prodige,
lorsque (le toutes parts la lumière électrique se reflète aux
mille facettes de ce diamant fantaisiste et en traverse les
parois pour taire tout autour une auréole, une Gloire, pro-
portions gardées, comme celle du Soleil. Aussi, quoicpi’il y
ait à voir dans le sous-sol le si intéressant travail de la fabri-
l'YHc (lu ^Jonde et de Paris, c’est alors seulement
qu'il y faudra venir pour connaître ce Palais irréel dans
toute sa splendeur. Longeant le lac en miniature oii vous le
verrez ce soir se relléter, je vous emmène donc au Pavu-
LON DK I.A llÉPl Iir.Kjl K DK SaUNT-M ARI.N .
— Décidément, pense Verduret rêveur, il y tient à son
idée que c’est notre derniiire journée à rEx})ositiüii. iMa pa-
LA DKRNIKRE PRfXMlùNADL
G 7
rôle, a force de 1 entendre dire ainsi, je finirais presque par
le croii'e ! Gela tourne à l’obsession !
Lt, visiblement fatigué, mais n’en montrant que pins de
bâte fievrense, « 1 Expi'ess-universel spécialiste » airnonce, la
gorge sèche :
— iMessienrs et dames, ce petit Pavillon de style llo-
rentin, avec sa crête crénelée et sa tour d'angle qui a des
airs redon tables de forteresse de Lilliput, est celui de la
minuscule liépnblique de Saint-Marin (8,000 habitants pour
02 kilomètres carrés de territoire) qui est, vous l’avez peut-
être oublié, enclavée dans le royaume d’Italie, à 85 kilo-
mètres de Florence et à quatre lieues de l’Adriatique. La
fac^ade a trois portiques on ogives, les écussons, la grande
baie vitrée et tout le reste de la construction très jolie, tout
cela est une imitation du Palais du Conseil souverain do
cette patrie heureuse d’ôtre si petite et qui, dans Punique
salle et sa galerie que contient son pavillon, se décrit de son
mieux a la curiosité des visiteurs... Je vous fais maintenant
passer devant les pavillons des A/v/oü/rm- de
1 Aulomolnle-Cliil)^ de la Matenutd ha/ge^ sans vous y arrêter,
car j’ai hâte de jetej' avec vous et pour linir :
H
i; .N CüLl’ U Uill. A URori'E
Pavillon du .Maroc, Palais de I Optique, le Globe céleste, \'enise à Paris,
Maréoraina, Cinéoraina, Pavillon de la République de l'Equateur’
Palais de la Eeniine, etc. ’
... f- est-a-dire sur le louillis de pavillons et rPattractions
qui se trouve de 1 autre côté de la Tour.
Sur un signe de la laineuse baguette de commandement,
les pousse-pousse traversent sous ta Tour en longeant les
piliers postérieurs et s’arrêtent devant le Paviixon ue
IMaroc. Üe grands murs blancs, une vaste porte en ogive, la
reproduction d'un des pins élégants minarets de Télouan,
des coupoles a boules d or de la mosquée sainte de Ka-
68
A TRAVERS l’eXPOSITION
raoLiin (la Mecque de l’AlViquc et point de départ de toutes
les guerres contre les Rouniis). Hez-de-chauss6e : une cour
intérieure d'une riche demeure marocaine, avec colonnade
légère, mosaïque et tontaine, oi'i sont exposés les produits
et objets artistiques de ce pays encore terme, mais plus
Li; I’avii.i.u.n de SAi.\i-ilAiii;\. — La .Suciété GÉ.NÉiiAi.E.
pour bien longtem[)s très probablement. Des indigènes
somnolents sont accroupis auprès des étalages de leurs
bazars. Ou y admire les cuirs célèbres et les riches étoiles,
et lies pholographies do notre consul général M. de La Mar-
tinière permettent de se faire une idée exacte du pays. Au
premier étage, un l'estaurant et un café indigènes. Telle est
en quelque sorte le résumé de la desci'iption du guide, qui
I.A ntiRMKKE PMO.MKiNADK
69
entraîne aussitôt les « équipages » devant le Palais ul
l'()[TIOl;K.
— C’est ici, messieurs et dame — je dis dame an singu-
lier et devrais dire : mademoiselle, puisque le sommeil
réparateur prive votre eomjiagno aînée de mes intéressantes
explications — qu’une immense construction de forme
bizarre, dont l’entrée symbolique est un énorme poidique
décoré des douze lignes du Zodiaque et qui est surmonté
dbine coupole (|ue domine un puissant projecteur électrique
elevé de 42 mètres au-dessus du sol, sert de temple et de...
gaine à la (Irande Lunel/e de 60 mètres de longueur qui vous
rajiproche la lune à...
— lin mètre, aebève Bccbard avec toute la gravité de
1 absolue cei'ti tilde.
— \ oyons, vous no voudriez pas! fait en souriant le
guide, avec une indexion d'ironie gavroebe. Alors, autant
vous la servir sur un plat en vous invitant à étendre la
main pour y toucher!
— Pourtant, c est ce que tout le monde dit! riposte le
larinier d’un air vexé. »
lout le monde dit bien d’autres bêtises sans qu’on
soit obligé de les croire. Je ne suis pas bien fort en astro-
nomie...
Dommage, murmure \erduret, que nous ne soyons
pas, pour la circonstance, en compagnie, du savant cente-
naire . c est lui qui nous dirait à ce sujet des eboses inté-
ressantes.
— (tn vous en dira tout de même, monsieur, car, si l'on
n est pas astronome, on a un ami qui a causé de la lunette
avec le neveu d un astronome et l’on sait à quoi s’en tenir
réplique iièrement Tbéobald Trottccourt. Moi aussi, j’ai
répété avec tout le monde: la lune à I mètre!... Si vous
saviez ce que mon ami s’est « gondolé ! » 11 m’a fait rcmar-
distaiice moyenne de la lune étant de
96,000 houes, ou plus de 380 millions de mètres, il faudrait,
pour la voir à 1 mètre, une lunette qui grossisse 380 mil-
lions de lois...
~ Eli bien? fait le farinier avec l'aplomb imperturbable
des Ignorants.
— Eh bien, nous n’en sommes pas là — et si nous en
70
A TRAVERS l’eXPOSITION
étions là, on ne verrait rien du tout, car les molécules de
l’atmosplière grossis 380 millions de fois formeraient comme
nn mur opaque devant la rétine. Nous en sommes si loin
que la plus puissante lunette astronomique antérieure
à celle-ci, celle de Yerkes, exposée à Chicago en 1893, ne
grossit que 4,000 fois et, par conséquent, amène la lune
à 22 lieues et demie. Un grossissement de (i,000 lois rap-
proche le satellite à 17 lieues et un de 10,000 fois à 9 lieues.
Or, cette grande tunefte de Paris, installée grâce aux ell'orts
de iM. Deloncle (ancien député), offre au minimum ce
grossissement de 0,000 fois, soit le rapprochement à
17 lieues, ce qui est splendide en l’état actuel de l’optique
pratique, mais est quelque peu supérieur à 1 mètre, n’est-
ce pas? Pour obtenir ce résultat, il a fallu: un tuhe de
00 mètres en tôle d’acier; des verres de 1"’2.3 de diamètre
qui reviennent chacun à plus de 000,000 Jrancs, sans
compter le pri.x des ratés à la tonte ; un sidérostat de hou-
cault au miroir de 2 mètres de diamètre mù par un mou-
vement d’horlogerie alin de toujours amener l’image dans le
champ de la lunette immobile, sidérostat dont le verre seul
j)èsc 3,<)00 kilogrammes. Ce sidérostat qui, avec son pied, a
10 mètres de hauteur, pèse en tout 14^000 kilogrammes!
Ajoutez la lunette qui pèse 20 tonnes, et vous vous ren-
drez compte que, pour amener la luue à moins de 17 lieues,
11 en a déjà coûté, depuis huit ans qu’on y travaille, plus
d’un million et demi. 11 ne faut pas le regretter puisque,
grâce à rénergique constance de 1\1. Deloncle, la h’rance
possède maintenant un instrument qui laisse loin en arrière
les plus puissants de l’univers, et avec lequel ont été obte-
nues des photographies du momie cosmique qui révolution-
nent celui des astronomes.
— Alors, ce Palais de l'Optique est simplement le loge-
ment do la Grande Lunette et du Sidérostat?
— Ce sei'ait se borner là à l’attraction d’ordre trop gra-
vement scientifique et la foule ne s’y presserait pas autant
qu’elle le fait. A côté de la Grande Lunette, il y a le laby-
rinthe de miroirs avec scs si curieux ellets de réllexion; un
panorama du monde sous-marin absolument merveilleux et
étonnant ; sans compter les conlérenccs sur 1 électricité,
l’électromagnétisme, la l’adioscopic, etc.
A DKHMÉliK PRO.AIE^'AÜE
71
A la Jjonnc licurc, s’écrie Béchanl, voilà au moins .les
spectacles dignes des esprits sérieux. Nous allons voir cela
n est-ce pas, Vcrduret? J’en serai quitte pour laisser ma
lemme achever sou somme à la porte.
— Vous savez que c’est deux francs par personne ? insi-
nue le guide, non sans une pointe d'ironie.
Le larmier réintègre vivement sa curnie... qui roule
hors de laquelle il avait déjà fait un pas.
to,^. y i’«yiendrons un jour que nous aurons plus de
temps a nous, dit-il, sous lorme d’e.xplication de son brus-
que mouvement de retraite.
Et il ajoute :
— \ous aviez raison, Verduret; c’est dommage que le
centenaire ne soit pas avec nous; il nous aurait eu d(!s en-
trées, comme pour l’ascension de la Tour Eilfel
— Parfaitement, réplique avec dignité le farinier
— Je ne vous lais pas faire le tour du Palais de l’dptinue
— Il n y a rien derrière?
m.ml f-lilo T-'"'"' '■«^o«sL-tution si adroite-
iit faite que 1 .iii se croirait transporte sur les lagunes
-le 1 A.lriatujue ; . y a le P.vxoiia.m.v de i.a Compaoxie Tiiaxs-
A. LAN 1 1.. LE, dont le panorama proprement dit représente la
flotte fl ançaise en ra.le d Alger, et les dioranias onze beaux
Mtes et scenes d Algérie et de Tunisie ; il v a le Gioi.r
LecESTE, une boule de 46 mètres de diamètre, où l’on
it une leproduction extraordinairement réduite et de
mouvement lantastiquement accéléré du système planétaire
mais qui donne a qui a des notions suflisantes de cosmo-
giaphie, une sensation approchée et très curieuse de la
sublime mécanique céleste ; il y a le Maréora.va où des
mies qui se déroulent font faire le tour de la Méditerranée
au public place sur un demi-pont de paquebot dont les oscil-
la ions singent les mouvements d’un bateau dans la houle,
a donner le mal de mer aux entrailles sensibles; il y a le
^ î'wP'e qu’un immense cinématographe
.... con enrs qui lait revivre des scènes .le tous pavs avmc i.ne
peiicclion rare... Mais, .lans tous ces en.Iroits-ià, dame...
72
A TRAVERS l’exposition
— C'est bien: nous irons une autre fois, car je ne vou-
drais pas priver nia femme do ces spectacles laits surtout
pour amuser, et j’estime qu’il serait cruel de la l’évcillcr eu
ce moment.
— C’est tout juste ce que je pensais, approuve le guide
avec une intlexion comique qui en masque la gouaillerie.
Donc, eu longeant I Histoire de la Céraiuqce^ je vous con-
duis au P AATLLON DE [.A RÉPLIiLlOrE DE L b.,nUATEl R.
— C’est CO pavillon à deux étages tlanqués d’une tour que
surmonte une coupole'?
I,A liIJIiMlillIi l'UOMIONAUE
73
— Oui. Slylt' Oouis XIV, avec, sur la façade, un grand
vitrail roprésenUint un paysage du cru entourant les armes
de la lÀépuljlique, et, de chaque côté de l’entrée, les bustes
Le Pai.ais de la Fe.mme.
de littérateurs du pays, Almondo et JMontalvo. Ce pavillon
a été construit démontable et ira faire les beaux jours d'une
place de Guayaquil où il servira de bibliotbèque.
A TRAVERS l’e.XPOSITION.
T. .\VÜ. — 4
69
A TRAVERS l’eXPOSITION
— G'cst le pourquoi des deux bustes de la porte, observe
Yerdiirct.
— Ce minuscule palais contient l’exposition dn groupe
de républiques du Centre-Amérique: Equateur, Nicaragua,
Guatémala, Costa-lîica, Honduras et Salvator. Au rez-de-
chaussée sont montrés les produits du sol; au premier étage,
ceux de l’iiulustrie, et vous y voyez un bar où l'on déguste
un café délicieux et un chocolat sans pareil.
— Cassons vite, demande en souriant le mannt'actnrier
retiré : si liécbard s'éveillait et vous entendait, nous ne
délogerions plus d’ici.
Bècbard approuve do la tête... économiquement.
— Voici, tout près, poursuit le guide, pendant que les
ponssc-pousse se remettent en marche, le Pavu.loiX des
Alcooi.s Hisses.
— Merci. Hegarder suffit : le centenaire nous en a parlé
en nous montrant le merveilleux Calais Sibérien du Tro-
cadéro.
— Alors, voici, derrière, le Ciiat’eau TraoEiEx...
— Très joli... Nous savons : le mémo obligeant vieillard
nous a édifiés à son sujet tandis qu’il nous faisait voir le
Cavillon do l’Autricbc de la « rue des Nations ».
— Si l’on a déjà fait une si gramle part de ma besogne,
je ne vois plus à vous présenter, à Centrée du Champ de
Mars en arrivant du [»ont d’iéna, que le Calais de la
Ee.mme... à moins qu'on ne vous en ait déjà parlé aussi.
— Le >1 Palais <le la Femme ? » fait Verduret en clignant
de Cmil de façon gaillarde... Non, on ne nous en a rien dit
encore... Mais je me doute, d’après ce que j’ai entendu en
prêtant l’oreille aux propos de la foule... llcin?... les poses
plastiques?... les danses capiteuses ?...
— Cb ! vous n’y èb’s pas, mon cher monsieur. Vous ne
songez qu'à la femme... comment dirai-je ?. .. à la femme
<( plastique », pour employer votre propre expression. Cette
« femme-là » a de nombreux temples en cette enceinte, et
en particulier, pour entrer dans votre ordre d’idées, le Calals
DE LA Danse au Cours-la-Heinc, là oii l’on voit, avec le [iré-
texlc d’un peu de danses antiques ou modernes de carac-
tère, du cancan débraillé et surtout les danses lumineuses
de la Loïc Fullcr, qui étaient récentes en... 1889. Ici, sachez-
I.A DIORMKRIO l'UOM I :.\ ADI: 75
. le, messieurs, c’est de la femme morale et laborieuse, de la
l(!mmo « c{i;alc » qu il s agit. G est vous dire (|ue nous som-
mes, en CO Palais du Champ de Mars, eu plein féminisme,
mais en léminisme élevé et sensé, qui appuie les droits logi-
,(]ucs sur les devoirs, le travailles facultés et les capacités
(bnnontrées par le passé et par les preuves matérielles comme
moj‘ales. Ici, c’est l'histoire de la Fhm.me, depuis les temps
les plus recules jusqu’à l’époque présent(.', dans toutes les
conditions de sa vie sociale et aussi de sa vie Jiaturelle; elh;
y est étudic'c a, travers les siècles dans toutes h's branches
d(i son vaste l'olc et dans ses aspirations, comme femme de
loyer, comme ouvrière, comme mère, comme éducatrice,
comme inspiratrice de l’éjtoux qu elle veut compagnon pro-
tecteni et non pins maîtia' arbitraire. G est dans ce com|)lexe
j ordre de claires idées que le rez-de-chaussée du Palais
féminin contient une r/ii travail où sont représentés,
i avec l'econstilution des costumes locaux, les dilférents mé-
tiers de tous temps réservés à la femme en Franco et à
1 l'trangcr , (jue les quatre pavillons d’angle sont consacrés
aux méticrsnouveanxqnclcs progrès scientiliques modernes
ont donnés au sexe féminin, tels que le téléphone, la typo-
giaphic, etc.; (|ue dans le grand hall central sont J’eproduits,
a laide de ligures de cire comme celles du Musée Grévin,
les épisodes li istori(|nes dont la /cnnac Int 1 héroïne; ce sont
des scènes de la vie de Jeanne d'Arc, de Gatherinc de llussie,
(l’Flisahcth d’Angleterre, d’isahcllc de Castille, de Maric-
I hérèse d’Autriche et, parmi les héroïnes do 1 ordre intel-
lecluol, M""* Beecher Itowc, etc. Au premier étage sont,
avec l'exposition des travaux féminins, une salle de théâtre
et une salle de conférences on prennent seules la parole des
représentantes du féminisme dans tons les pays.
xVlors, Ihéohahl Irotteconrt, << Fxpress-nnivcrsel sjiécia-
liste )), recule de deux pas et saluant plus particulièrement
\'erdnret :
Messieurs et dames, il va être six heures et demie et...
j’ai rempli mon programme, à votre entière satisfaction j'es-
père. 11 ne me reste qu'à vous souhaiter bon retour en vos
pénates, et à me retirer avec le légitime orgueil du devoir
accompli. Avant de \ous quitter pour aller prendre un ra-
fraîchisse ment hien gagné, j’ai l'honneur de vous prévenir
A TRAVERS l’eXPOSITION
7()
que, selon les indications qui m’ont etc données à votre sujet,
les liommcs des fauteuils roulants vont vous conduire de
l'autre coté de l’eau, au restaurant des Congrès, oti votre dî-
ner vous attend à une table réservée.
— Mais, comment la reconnaîtrons-nous ?
— • Vous n'aurez qu’à demander, m’a-t-on fait dire, la table
« des passagers de la gondole », et il paraît, d’ailleurs, que
vous serez reçus au seuil du restaurant par quelqu’un
de votre connaissance... Ne me demandez pas qui, je l’ignore
absolument et ne fais que répéter comme un perroquet les
indications que l’on m’a recommandé de vous fournir. Sur
ce, messieurs et dames, je vous tire ma révérence.
Et le jeune Théobald, sur un nouveau salut, s’éloigne hâ-
tivement pendant que les pousse-pousse poussent, à bonne
allure, leurs fauteuils roulants dans la direction du pont de
l’Alma.
A ce moment, M""^ Flore se réveille sur ce cri... de l’esto-
mac :
— Est-ce que nous n’allons pas bientôt dîner ?
— Nous nous y rendons, chère madame, répond Verdu-
ret; mais, comme c’est un peu loin, vous feriez bien de
reprendre votre somme : qui dort dîne.
d’outàcoup, Bertrande*, jette, clleaussi, un petiteri. Devant le
groupe voituré vient de surgir... James-Cregory Duzzling en
personne. 11 marche, la pipe aux dents, d’un air triompha-
teur. Sans saluer ])crsonne, il s’approche du fauteuil roulant
de Bertrande et, en passant, lance ces mots à la jeune fille :
— Toute, il été prêt .. Le nouit qui venait, à dix heures,
vous aurez donné un gi’and victory à mon pétrie. Le secret
il pouvait pas échapper à moà. llip! hip I hnrrah ! pour le
Angleterre !
Bertrande pâlit, soudain inquiète... et l’Anglais dispai’ait
parmi la foule.
CIIAIMTKE V
LK MA SQL’ K TOM H H
1. A I' K T li \’ K iN I '1' I ]■: A N !■;
(rcsl silencieusement que le cortège l'ait le parcours,
long (le prt's d’un kilonn'Tre, qui sépare le Champ de Mars
du l’alais des Congrès. Outre ([u’il est dil'licile de causer de
iauteuil à lauieuil parmi la foule qui ne commence à être
moins compacte qu après la |)asserelle de ravenue Happ fran-
chie, nos personnages ne sont nullement enclins au havar-
dage. Une inquiétude qui croît à mesure (]uc la nuit ap|)ro-
che met de la pâleur au .v joues de la gentille Bertrande et
un petit pli vertical à la hase de son front pur, entre ses longs
sourcils linement arqués. M""' Flore, encore somnolente,
écoute anxieusement les réclamations de plus en plus in-
stantes de son estomac si peu complaisant. L’oncle Verduret,
reconnaissant certainement du mal qu'on s’est donné pour
lui expliquer l'Exposition, mais vexé intimement du sans-
la(;on dont on prolonge à son égard un incognito qui, pense-
t-il, n’a plus raison d’étre depuis qu’il a fait voir qu’il com-
prenait que ses divers ciceroni s'entendaient comme aimables
larrons en loire... superbe de 1!K)0, Verduret, donc, contrarié
par dessus tout de la liberté prise d'imposer à sa situation de
propriétaire, l’humiliation de ne pas acquitter les menues dé-
penses de la visite, laisse un peu pendre une lèvre mécon-
tente. (Juant au farinier Bèchard, sa préoccupation est op-
78
A TRAVERS l'eXPOSITION
posée ; il s’enqiièle elc l’élévation possible des prix d;.i res-
taurant assigné, et ne sait s'il doit pencher vers le regret
qu'on ne laisse pas à lui et à ses amis la lilicrté de choisir un
restaurant à prix lixes et doux, ou vers l'espoir que là où on
les appelle, ils trouveront une fois de plus l'addition soldée.
Enlin, nos quatre provinciaux descendent de... fauteuil
devant le sous-sol du Palais des Congres, et voient aussitôt
s'avancer vers eux, comme s'il n’eût pas quitté la place de-
puis son presque furtif débarquement de la matinée, M. ren-
seigne de vaisseau de réserve, baron Gaétan de Pilbouét.
— Vous voyez, mademoiselle, madame et messieurs, dit
celui-ci en saluant d’un geste de simple élégance, que j’avais
auguré juste en vous laissant à penser que peut-être mon
adieu de ce matin ne serait qu'un au revoir. Si, en moi, le
guide a disparu, vous y retrouvez l'hote qui a Phonneurde
vous inviter à venir bien vite réparer vos forces, avant qu'il
n’ait le plaisir d'assister avec vous à la fête de nuit.
— Monsieur le baron, répond Verduret d’un ton qui n'est
qu’à demi gracieux, nous vous sommes mille fuis obligé
d'avoir préparé notre rupture de jeûne; mais, eii ce qni me
concerne, je n'accepte qn’à une condition qui, si elle pas ad-
mise, me forcera à vous fausser immédiatement compagnie.
— Vous ne feriez pas cela, mon oncle! s’écrie Bertrande
d'une voix subitement altén'e.
— Dites vite quelle condition, monsieur, supplie d'un ton
presque angoissé le jeune officier de marine.
Verduret, stupéfait de l’effet extraordinaire et inattendu
que produisent ses paroles, regarde tour à tour sa nièce et le
baron, et un point d'interrogation traverse brusquement sa
pensée.
— Ah ! ça, se dit-il, est-ce qu’il y aurait quelque chose
entre eux pour qu'ils soient en même temps si troublés à
l'idée que je pourrais emmener Bertrande dîner ailleurs?
Tou t préoccupé lu i-mème, c'est machinalement qu'il achève
sa réponse à l'invitalien du baron :
— C’est à condition, dil-il, que vous permettiez à notre
petite société voyageuse de solder la dépense de ce dîner,
comme il est convenable, car, enfin, à l'égard de personnes
de notre âge et dans notre sitnatio7i, cette prétention de nous
défi’ayer devient d'autant plus intolérable que, sauf en ce qui
r.A ni'inMKHE iMiOMENAur;
7!»
^ vous concenio personnellement, nous devons subir des g6-
* nérosités inas(ju6cs !
<Jii il cela ne tienne, s’écrie le jeune officier avec un vi-
sible soulagement. Vous payerez l’addition, cher monsieur,
et SI vous ne la trouvez pas sufasamment corsée, eb ! bien,
je ferai venir le champagne au dessert.
Je suis sur que le menu n’a pas besoin, lui, d’addition,
lait ^ erdiiret rasséréné, [lonr rassurer Hécbard qui lui fait
des signes désespérés.
- (Jiianl aux masques que vous desirez si légitimement
voir tomber, je no vous demande que de patienter encore
deux beuros.
Bertrande adresse an jeune homme un regard de surprise
interrogatrice auquel celui-ci répond par une presque imper-
ccptible-aflirmation de la tète.
— Décidément, pense Verdurct, ces cnfants-là sont de
^ connivence, mais ils auraient tort de s’imaginer que je suis
un bon « père Cassandre » aveugle de la Farce Italienne.
Hum! enseigne de vaisseau... démissionnaire et titré, c’est
tiès pdi, sans doute, mais les galons ni le blason ne me fe-
ront pas revenir sur mon projet /ovyVc.- il faut que je découvre
pour ma Bertrande un jeune génie, un futur graml homme
dont la gloire rejaillisse a son heure sur l’oncie par alliance
de qui la lortune roturière de labricantso sera aristocratiséc
en aidant a 1 éclosion d un cliet-d ouivre. Donc, monsieur b'
le baron, ne chassez pas sur nos terres, car je vous liens à
l’mil! Puisiiue l’on m’annonce (|ue je vais enlin revoir mon
centenaire et savoir pourquoi il fait de nous des visiteurs pri-
vilégics — car c’est lui Fàme de ce complot, cela est de
toute évidence — je lui demanderai de me trouver l’oiseau
rare que je cbcridie . un savant comme lui, un homme (|ui
sait tout, doit pourvoir me dénicher mon merle blanc. D’ail-
leurs, je mettrai cette condition expresse à l'cxcnse de la
(letite comédie, si peu digne do gens sérieux, dont il s’est
amusé vis-a-*vis de nous. Flirtez donc, mes tourtereaux, mais
de loin, si le cœur vous en dit ; b' jeu aura duré trop peu
pour que la petite s'y brûle les ailes!
Satisfait de sa clairvoyance et caressant l’espoir de réaliser
bientôt son rêve aviinculairi', le manufacturier retiré fait le
plus gland honneur au repas abondant et délicat commandé
1
80
A TRAVERS L EXPOSITION
par le jeune oHicier de vaisseau. Mais sa fourchette ne pai-^
vient pus à égaler en ardeur celle du tariuier d Essonnes,
dont la physionomie hargneuse semijle dire, entre chaque
bouchée:
— Ihiisque cet imbécile de Verduret nous met par ridi-
cule amour-propre la note sur le dos, au moins j en auiai
pris pour mon argent.
Et il pousse à copieusement manger et boire sa moitié...
qui n’a pourtant pas besoin d’encouragement. Seuls I3er-
trandeet Gaëtan de Pilbouët ne font que très peu honneur
aux mets choisis: la jeune fille est visiblement de plus en
plus troublée et le jeune oflicier, taisant presque seul les
frais de la conversation, se donne grand'pcine — d’ailleurs'
avec succès — pour intéresser, charmer et rendre le bon-
homme Verduret de franche bonne humeur.
Celui-ci n’est pas dupe du manège, tout en en subissant
volontiers les elfcts.
— Le gaillard, pense-t-il, me fait la cour on règle. 11
veut me séduire : c est dans la règle et, comme il est in-
slruit et spiriruel, la partie est trop attrayante pour que je
ne m'y prête pas de bonne grâce, .le suis désolé qii il doive
en être pour scs frais d'éloquence, mais comme il est cliar-
mant j’en profile pour passer vraiment de fort agréaldes
instants.
On s’était mis à table passé sept heures, il est plus de huit
heures un quart lorsque les deux couples, guides par de
Pilbomd, quittent le restaurant pour embarquer dans la
gondole venue se ranger à quelques pas au long du quai. 11
a été convenu que l’otficier de vaisseau ferait d abord
assister son monde à la fête vénitienne dont la Seine va,
dans peu de temps, être le lumineux théâtre. C est sur le
neuve et ses berges que réside, ce soir-là, la magie des
illuminations, le Cbateau d Eau ayant subi les atteintes
d’un incendie qui, pour être peu important, ne lui interdit
pas moins pour quelques jours de faire jouer les ondes
cnllammées.
— ^ Vous voyez, fait remarquer le marin, en désignant un
homme en vareuse de molleton et en casquette américaine
qui attend à bord de la gondole, que nous commençons à
trahir nos secrets. (Juand, ce matin, la dite gondole vous a
LA DLRNIKRE PROMENADE 81
onImeuDS au Trocadéro, c’est que le mécauicion
que vous voyez se tenait caclié dans sou petit poste placé
i sous le gaillard d avant. Quant à la A'ilesse de l’euibarcatiou,
elle est due au système de propulseurs à turliiues, Lieu
connu dans la marine où il remplacera riiclice presque
i séculaire, pour les bateaux b'gers et ultra j'apidos. Pour ce
qui est du moteur, vous p('nsez bien qu’il est électrique,
ainsi que vous alb'z en avoir la preuve dans un instant.
Lentement, la belle embarcation, sous ses seuls feux
l’églemeutaircs, promène d’un bouta l’autre de l’Lxpositiou
ses passagers, eu attendant le signal de l’illuminai ion géné-
rale. Somiain, rembrasement se fait partout à la fois sur
les deu.x lives et sur les Ilots ; la Tour Eillel resplendit
j comme un immense joyau d'or constellé de diamants; les
Pavillons des Puissances étrangères dessinent eu traits de
llammes leurs contours, leurs porebes; les Palais du Lours-
la-Reiue répondent en lignes de feu; le Pont Alexandre III
I étincelle entre les llamboyements dos Palais des Champs-
Elysées et ceux de l’Esplanade des Invalides; de toutes parts
b^ ci(d se raye des traînées d’argent subtil des projecteurs
électriques, et, sur l’eau assombrie, des centaines de yachts
et de barques promènent la lueur multicolore et mouvante
de leurs pavois de lanternes vénitiennes, dessinant parfois
dans la nuit dos formes gracieuses ou fantastiques de
cygnes, de tritons, de monstres marins... -Et, de toutes
parts, les lumées ardentes des feux de bengalc font flotter
dans 1 air, à la surface du sol ou des ondes des nuages
d’eufer et de paradis. Le spectacle est féerique et la foule des
rives applaudit, pousse des clameurs d’admiration joyeuse.
L’enthousiasme général saisit nos passagers.
Et vous? demande \ erduret à 1 oflicier de vaisseau,
vous n avez pas eu l'idée de jouer votre rôle dans cette fête
de la lumière. C’est pitié de voir cette belle gondole errer
sombre parmi toutes ces clartés !
L omission est réparable, répond en souriant de
1 ilboui't, et il suffit que vous en e.xprimiez le désir pour...
11 n’achève pas. Bertrande, dame Flore, Verduret et môme
le plus imperturbablement grave des fariniers de France et
de Navarre poussent un cri de surprise et d’admiration ; ils
se sentent soudain entourés d'une nappe lumineuse faite
82
A TRAVERS l’eXPOSITION’
(i’iinc muUituile d'immpnsos aigreltes électriques, bleiies
vers l’avant, blanches an centre et rouges sur l’arriére, et
dont rintensité est telle que la lueur doit, de part et d’autre,
enllammer tes visages pressés sur les berges. Les passagers
entendent cette foule répondre à leur cri de surprise par des
honrrahs frénétiques, des trépignements, puis un fantas-
tique : « Vive la France ! » poussé par vingt mille poitrines
à la vue de cet éblouissant drapeau tricolore surgissant ii
l'improviste de la surface des eaux.
Verduret se sent remué d’une émotion profonde. 11
bégaye :
— C’est beau!... C'est magnilique !... C’est sublime!....
Et il tend d’un geste spontané, ses deux mains qui trem-
blent à l'enseigne de vaisseau en s’écriant :
— Ab ! monsieur le Ijarou, ou u a jamais l’ien vu de
pareil à ce bateau sui'humain... efvous pouvez être fier de
voire (cuvre.
— Monsieur Vcu’durid, je ne suis [)as plus 1 auteur de
ceUu gondole, (|U(‘ vous pouvez sans crainte d'iiyperboby
(|ualilier d(' merveilleusi', (ju'un capitaim* de vaisseau u’esl
c(dui du cuirassé qu’il commande. C’i'st donc à un antre
(|in' vont vos sinci'res éloges.
— ■ A (|ui donc?
— A c(dui vers lequel j(' vous mène (d (|ui vous attend.
Soudain, la gondob' redi'vient somlua', ayant éteiul jus-
qu’à ses fi'ux réglementaires, (d, en même temps, tiadnis-
saut toute sous l’ellort, elle s’élance à uiu' vitesse vertigi-
mmse dans la direction d’aval... taudis (|u’uue clameur d(‘
désappointement accueil le, des idves, sa brusque disparition.
S n
P R O T l'; E
Franchissant en quelques minutes les ponts de 1 Alma,
d’iéna, de l'assy, de Grenelle et iMirabeau, la gondole-
é(dair viimt stopper avec ses passagers contre le qnai de la
rive gaucluy à liaul('ui'de la rue des Cévennes.
I.A DEIIMÈIIF, PliO.MENADE
83
|jOl(ici(‘i’ (l<“ A'aiss(“iiii santé h terre, ('t invite ses conipa-
f-'nons non encore revenus de leur surpris(', a le suivre sur
ce quai désert, (ialanmn'nt il lend la main à Bertrande qu
s y appuie fortement, toute tremblante qu’elle est d’émotion
— Allons, courage, mademoisidle ; tout ira bimi, lui
soullle-t-il à rorcille.
— Dieu vous entende! répond la jmine iilb' en un mnr-
muri' grave de fervente jirière.
Sur les ti'acos de son guide ai'islocratique, le groupe pro-
vincial, assez peu rassui'é, s’engage dans la rue des Céven-
nes, où il n’a pour compagnie que son ombre quadruple
projetée sur le Irotloir pai' la blancbe clarlé lunaire. An
bout d’iiiu' centaine do pas, l’oflicier s’arrête devant uni'
porte de planebi's, et poidant un mignon sifllet d’argent à scs
lèvri's, (Ml tire un triple appel doucement modulé.
— Brrr! fait Veialuret en riant un peu fort pour tromper
la vague iminiélude qui lui fait courir un b'ger frisson au
long de l’épine dorsale, on dirait que nous jouons un cba-
pitre de Xavier de i\Iontépin !
Ba porte s’est ouverb' sur un profond trou noir qui doit
être un vaste bangar, et oii Gaidan d(‘ Bilbomù invite scs
compagnons à se jilonger.
Verdnret obéit, entraîné par .sa nièce et puiiille; mais
Becbard, que sa moitié tonte apeurée retient par le bnis, no
paraît nnllement déci(b‘ à franebir le pas qui le sépare d’nn
in()niétant inconnu.
— Où nous conduisez-vous? demanda-t-il au jeune ofli-
cier qui le presse d’entrer.
V. Tr'V niasques tombent et où l’on attend
l\l. verduret.
— Pas de mauvaise plaisantei'io, hein! (ja m’a tout l’air
il un coupe-gorge, ici !
I.e baron GaCdan de PilbomÙ se redresse et, d’un ton
blessé;
— Viaus oubliez, monsieur, qui je suis. Sous la sauve-
garde d un officier français, il n’est permis à personne de
supposer une traîtrise.
Becbard se décide ; il entraîne de force sa farinièro qui se
raulit et proteste en vain, et sur le groupe plongé dans les
temdjres, la porte se referme.
8i
A TRAVERS l’exposition
Alors, un point luniineux jaillit à quelque distance: c est
nne porte intérieure qui s’ouvre peu a peu, et, de loin, une
voix aiguë et chevrotante crie taiblcniont .
— Par ici !... Venez ! . • . , ■ i
Vcrdurct a tressailli et soudain tonte son inquiétude s est
envolée. Cette voix, il la reconnaît bien : c’est celle du cen-
tenaire. ,
Le manufacturier retire et ses compagnons entrent dans
une petite pièce aux murs nus, faits de planches grossière-
ment jointes, meublée de quelques sièges recouverts de nm-
Icsquine, d'une table habillée du traditionnel tapis de serge
verte et éclairée par l’ampoule suspendue d’une lampe a
incandescence. Ce petit baraquement est bien le « liureau
sans luxe d'une usine de dixième ordre. Au fond, une por-
tière algérienne aux couleurs passées masque une étroite
baie que le nottement mou de la tenture annonce veuve de
sa iiorte. A la grande surprise de Verduret, la pièce exigim
oii il vient d’entrer le premier est déserte. t)ù est donc le
centenaire dont il vient (rentendre la voix bien connue?
Comme il cherche du regard et tombe en arrêt devant la
portière llottante, une voix rogomme sans cesser d iHrc dis-
tinguée, une voix jeune mais cassée qui éveille en
souvenir précis, cause d’un nouveau tressaillement, lui dit :
— One Son excellence, ainsi que M. le Grand Panetier
de Sa^Majesté le Tzar et leurs compagnes veuillent bien
l)rendre la peine de s’asseoir, .le suis à eux dans un instant.
— Bon, pense Verduret, ce pauvre diable de toque de
LaiirentielV est avec le centenaire; c’était à prévoir. '
Gaëtan do Pilbouid, qui a refermé à clef la porte d’entrée
du bureau, fait asseoir le groupe de visiteurs et, s adres-
sant... à la tenture hors d’àge :
— Conformément cà votre avis, voici ces messieurs et ces
dames au rendez-vous près de trois quarts d’heure avant le
moment primitivement indiqué.
Té! c’est bien ainsi, cadédis ! répond un organe toni-
truant bien connu, qui fait sursauter d’aise l’oncle de Ber-
trande. I l •) .'
— C’est ce bon Bouscastnd !... Ils y sont tous . dit-il a
Béchard, qui dissimule son ahurissement sous une attitude
de dignité grotesque à force^d’ètre rigidement oulree.
LA OLFIMÈHE PÜOAIENADE
8o
Dci’riore le rideau, le généreux organe barytone de nou-
veau ;
— Cornebiou ! grâce à cette exactitude que je ne puis pas
plus su|)erbemcnt qualilier que de toulousaine, nous allons
l'aii-e la pige, té, à ce farceur morne de Pu/zling, James-
(ir('gory pour les ladies, et hononrvhcnl agent de l’uniAU'rsel
agrippement britannique... Et vive la France 1 mon bon.
Nord et Midi, troun de l’air bagasse, comme ils disent à
Marseille !
— C’était écrit : Allah protège les lioumis français,
répond au Toulousain une autre voix couverte.
— Parbleu, le Touareg, maintenaut : la bande est au
complel. Nous allons nous amuser, n’est-ce pas, lillette?
Mais Ibu-lrande ne paraît nullement disposée à confirmer le
pi’onostic d('. son oncle. Les yenx baissés et comme renlermée
toute en elle-même, ses doigts féliriles tordent à le décliirer
sou fragile moucboir de batiste.
loutà coup, la j)ortière algérienne brnsquemenl s’écarte
et, dans l’encadrement de la port(' parait — à Timb'scrip-
tible stupélaction de \crduret — ^ un inconnu.
C’est un jeune homme de moins de trente ans, à la mous-
tache brune, trop légère [)our cacher une houche à l’arc
(h'ciilé. 11 est correctement vêtu d’une rcalingote noire dessi-
nant un buste élégant, aux épaules larges sans excès et bien
assises sur la cbarperite thoracique. Li's cheveux coupés ras,
a la militaire, dégagenl un front élevé au-dessous duquel
deux yeux noirs brillent d’un éclat intense. Très calme, il
s avance vers le cercle de scs visiteurs, salue avec une grâce
un peu froide, va prendre place à la table au tapis vert et.
(1 une voix dont la douceur, chantante et bien timbrée,
trahit une réserve de puissance qui juge inutile de se dé-
penser sans utilité, il dit simplcmcut:
— Je vous remercie tous d’être venu à mou appel.
— Comment, à votre appel? fait Verduret interloqué.
C’est M. le baron qui nous a amenés, lions promettant qu’oyi
se déciderait à jeter enfin le masque.
— C’est moi qui suis ce: un.
— Pardon, mais... je suis venu voir ici le centenaire
que...
— C’est moi qui suis le centenaire,
A TRAVERS l’eXPOSITION
8(i
ITein?... Je viens de l'entendre parler al instant, ainsi
qnc ce pauvre mécanicien déséquilibré qui se prétend prince
l^aurentielT.
— ('/est moi qui suis Laurentiell.
— Par exemple !... Et Bouscastrol! et le touareg Moham-
med (jui viennent de parler, là, dans cette pièce voisine!...
— Nbmillc/. vous rendre compte par vous-même. Mon
clier de Pelbouët, accompagnez, je vous prie, M. Verduret.
Accompagné de 1 officier de vaisseau, 1 oncle tout décon-
tenancé de Bertrande pénètre dans la pièce voisine qu il
constate être une sorte de cabinet sans issue et absolument
vide. 11 revient vers l'inconnu, en balbutiant, interrogateur.
— Je... je ne comprends pas !
Jo, vous répète que vous ne pouvez trouver ceux que
vous cherchez et qui ne sont que des mythes ou, si vous
préférez, des avatars diilcrents d'un seul et môme individu...
qui n'est autre que moi-nièmc.
— (/'est prodigieux !
— Cela prouve simplement que je possède quelque talent
en Part des transformations.
— Mais, la science consommée et la sagesse de ce vieil-
lard, le savoir de cet Arabe, 1 esprit alerte et la belle bu-
ineur do l'artiste toulousain, le génie fantasque de ce prince
mécanicien, et l’éloquence de tous ainsi fjuo leur étonnante
documentation seraient donc, en ce cas, l'apanage de votre
seule personnalité, à vous qui paraissez si jeune?... C est
imjmssible,
— Dame, il faut pourtant bien l'admettre.
Mais alors, vous qui savez, nouveau Protée, être tour
à tour sage, fou, artiste, chef noir, et toujours si érudit
vulgarisateur, qui doue êtes-vous ?
— (Jui je suis?
— Oui.
Le jeune inconnu se lève et, regardant \ erdurct bien en
face :
— Je suis votre neveu à la mode de Bretagne et quel-
que peu cousin de votre nièce...
— Hein?
— Je suis Fernand Bobert, cecrt/cqui vous a vu déchirer
sa photographie avec tant do colère, de rancune et de mé-
i.A riEiiMi':i!i-: pitoMENAnic
SI
pris, ot qui a I honneur, mon oncle, de vous demander, de-
vant témoins, la main de Bertrande.
Verdnret n’en peut entendre davantage. D’abord, il
s’écroule sur sa chaise en proie à une stupéfaction d'une
violence ahurissante... Buis soudain, il se repiend, une
poussée de sang empourpre sou visag.q il bondit sur ses
courtes jambes en s’écriant ;
loi !... (, est toi, misérable, qui t’es b ce point joué do
moi ?
— iM’eussiez-vous permis, sans déguisement — nécessité,
d ailleurs par un motif plus grave — de faire tranquille-
ment devant vous la preuve que le m/r n’est pourtant pas
dénué de quelque savoii"? Ce n’est pas de ma faute si vos
yeux n’ont pas eu la pénétration de ceux de Bertrande, qui
n’a pas mis deux fois vingt-quatre heures à lire sous mon
masque.
— Ab! la petite gueuse!... Vous étiez do connivence
pour me bafouer.
— Noyons, pas de colère, mon oncle, et daignez avouer
qu il me fallait bien avoir recours à mes talents scéniques
jiour combler le plus cher de aos vœux.
— De plus cher do mes vœux? questionne le manufacturier
retire en lovant vers le ciel deux poings exaspérés.
-- Mon Dieu, oui. Votre rêve — le bon curé de .Males-
berbes m’anrail-il trompé? — n’est-il pas de découvrir,
pour lunir b Bertrande, celui qui vous permettra de con-
sacrer une part de votre aisance b quelque grande œuvre
dont le retentissement dans le monde anoblira votre for-
tune que vous estimez, on votre noble ambition, entachée
de trop de prosaïsme mercantile et banal ? Eb bien, j’estime
que ce n était pas me jouer de vous, la lin justiiiant les
moyens, que de vous aider b découvrir l’homme qui fera en
môme temps le bonheur de la nièce et la gloire de
oncle.
sans que, par parti pris, vous ne commenciez par eO'arou-
cber l’oiseau rare.
Et tu prétends que cet oiseau rare?...
Je prétends, té, qu’il est devant vos yeux, cadédis !
— Eb bien, tu as du toupet ! Je ne nie pas que, en nous
expliquant 1 Exposition de façon si intéressante et... diverse,
tu U aies fait preuve de supérieur bagout et de quelque mé-
88
A TRAVERS e’eXPOSITION
rite peut-être plus appai'cnt que réel... Car je n oublie pas
que tu as été cabotin, et j'incline à croire maintenant que,
si tu as merveilleusement joué tes rôles, rien ne prouve
que l'actenr soit l'auteur, en sorte que je pourrais très bien
n’ètre en présence que d'un tour de torce de mémoire,
hiiaut à ta prétention d'obtenir de moi la main de Ibu-
trande, je la trouve si plaisante que je ne m'en fâche minnc
pas. Je me contente de prendre ma nièce à mon bras et de
sortir de ce traquenard manqué en haussant les épaules.
Voilà ma réponse. Allons, viens, Bertrande.
— Mon oncle! supplie la jeune tille qui joint les mains
on fondant en larmes.
— Ah ! pas de simagrées, je te prie. Si tu as eu la sottise
de t'amouracher de ce godelureau... que je veux bien re-
connaitre avoir fait quelque progrès à sou avantage, tu en
seras quitte pour remiser cette sotte passioiuu'ttc au ma-
gasin des fantaisies irréalisables. Lu route !
^ _ Mon oncle, vous ne voudre/ pas me désespérer ainsi,
avant même de savoir iiiiel i-st l'homme de génie que vous
ose/ repousser !
_ IMh' lui donne du génie, maintenant, pour avoir su
réciter avec beaucoup d'art un rôle bien appris !... C’est du
génie cabotin, cela, et il ne peut que faire rougir de honte
des gens sérieux et moraux !
— Mais, ce n’est pas...
— Allons, assez ! Je t’ordonne de prendre mon bras pour
sortir d’ici !
Comment, l'eruand, tu m abandonnes.
Obéis à notre oncle, ma chère Bertrande; il ne t em-
mènera pas loin.
— ( lu'est-ce à dire, môssieur ?
— One j’avais prévu cette belle colère qui, elle, est beau-
coup moins documentée que mes explications de ces loiirs
passés, et... que l’unique porte par où l’on puisse sortir de
ce bureau est fermée. . .
— Tu aurais l’audace de vouloir me retenir prisonnier .
C’est donc un guet-apens? s’écrie Verduret en se retournant,
pâle maintenant de fureur, vers Fernand Bobert impassible,
à qui il montre le poing.
— Guet-apens si vous voulez, mais vous demeurerez mou
LA DLIiMKliL PllO.M ILN A DL
.S9
pi-isoimicr ce que j’aie achevé de dire... ce que j’ai
a vous dire. (Juand j’avance une chose je la prouve et il
Il est ni lorce ni colère au monde qui m'empêcheraient de faire
cette preuve si toile est ma volonté. Je vous ai dit, mon
oncle, que je suis celui que vous rêvez pour llertrande et —
soitdit sans pensée malicieuse — pour vous-même. Dans cinq
minutes je 1 aurai démontré et alors, mais alors seulement,
vous me relusorez la main de celle que j’aime (;t qui m’ai-
me... si vous l’osez !
— (Jiiel toupet !
^ — Ah ! pas d’injures inutiles! A mon tour je dis ; assez !
Vous allez me suivre tous, car je veux dos témoins. Et vous,
mon cher de Dilhouët, vous mon vaillant second, vous qui
avez eu loi en moi et avez sacrifié à mon œuvre votre ave-
nii marin et votre lortune, veuillez donner des onlrcs pour
que la porte, la-has, soit au besoin bien défendue et que
1 Angleterre ne vienne pas trop tôt Iroulder cet entretien
duquel ilépcud le bonheur de ma vie.
— IdAngleterre ?... murmure machinalement Verduret
huit abasourdi par le ton d'impressionnante solennité el
daiilorité magistrale dont l’ernand Robert, la tête haute,
grave et comme trausiiguré, a prononcé ces paroles.
Lejeune homme, d’un geste tranquille et irrésistible, écarte
sou oncle de son chemin, éloigne Bèchard et sa femme de-
meurés, au tond de la pièce, les témoins ahuris de celte
scène do familhq repousse les chaises que le couple farinier
occupait, et appuie la main contre la muraille do planche...
lil
l’ill vu l
Sous la pression, un déclict se fait entendre et une partie
de la muraille de bois s'enfonce, tandis qu’nne boulfée d'air
pénètre dans le bureau. Dans la demi-obscurité de l’ouver-
ture, les visiteurs vespérau.x devinent, plus qu’ils ne voient,
un vaste hangar au milieu duquel apparaît vaguement une
A TRAVERS l’eXPOSITIOM
90
grande macliinc renvoyant on rcOcts nnvtulliqnes très blancs
la lueur lointaine d’une lanterne pendue au toit. L ouver-
ture Iranchie par tous, Fernand Uobert commande :
— Le projecteur !
Ausssitôt,' un faisceau de lumière électrique partant de
rextremité du hangar vient frapper nnc machine étrange,
d'iin blanc d’argent, an pied de laquelle se tiennent cinq
jcvincs hommes jiortant le pantalon et la veste de toile bleue
des mécaniciens, mais dont la correction de tenue indique,
sinon font à fait des gentlemen, du moins ces maîtres ou-
vriers qui sont une classe très intellectuellement supciicnie
de travailleurs.
— Mes dévoués collaborateurs, tonnant mon équipage
d'élite, annonce Fernand Robert, qui, d un ton ferme et ami-
cal, leur demande :
— Tout est paré ?
— ( )ui, commamlant.
— Merci. Prenez les ordres de M. de Pilbouèt.
Les cinq hommes accoururent vers 1 enseigne de vaisseau
de réserve.
Verduret, chez qui toute colère a lait place à une prolondc
sur[)risc admirativc, croit rêver. Tandis que ses oreilles sont
frappées du ton de respect atlcctucux dont on parle a celui
qu'il vient de traiter de si haut, ses regards ne peuvent se.
détacher de la machine étrange qu'il a sons les yeux. F est
d'une voi.x o[)prcsséc d’émotion instinctive qu il demande
presque timidement :
— Ou'est-ce que c’est que cela?
— Cela, répond Robert, c'est l’œuvre de mes veilles. Si je
l'avais voulu mettre à l’Exposition, mon nom serait fameux
d’un bout à l’autre tlu monde. Mais c’eût été faire perdre a .
mon pays nnc partie ries avantages que lui donne le secret
gardé de ma création. Cela, cest la net de I avenir qui, répé-
tée seulement quelque cinquante ou soixante fois assurerait
la suprématie de la France sur scs rivales, en supprimant
pour elle la distance, tes frontières, en rendant inutiles les
fortilications de scs adversaires. Fêla, c est le torpilleur îles
airs. Veuillez y pénétrer, je vais, autant ([u il convient, et a
vous les premiers en dehors de mes collaborateurs, vous
l’expliquer.
r.A urctiMKitr; PRO.Mr-;>’AnK
91
^ Le jeune J.omme sapproclic de la macliine qui ressemble
a une lono-ue embarcation très plate, surmontée de trois ma-
meaux au sommet desquels sont engrenées de grandes hé-
lices aux longues ailes légères, ctdont l’avant ctl’arrière sont
armes de propu seurs semblables. 11 fait sortir du liane en
aluminium de la machine une mince et solide échelle et
un ité A crduret et Berirande à le suivre « à bord ». Bèchard
leste a terre avec sa lemme qui ne peut se résoudre cà gravir
CCS étroits échelons métalliques, et le fariuier est enchanté
. ce pietcxtc qui évite a sa couardise méOante de s’avenlii-
ler sur le, monstre inconnu.
A bord le jeune homme reprend, s’adresantau manufac-
turier retire :
,„7'| lielices à rotation contrariée qui sont aii-des-
eenl ° Tv seulement à l’ascension et à la des-
a les u,r!l I l’ S'-iee à deux grandes
jUlcs qu il déploie, une de chaque hord, et qui lui font fendre
I au huri/outalement sous la propulsion des hélices verti-
ç. es des extrémités. C’est simplement le « plus lourd que
l ^u » et une imitatioii ralionuelle du vol de l’oiseau. Ce
1 chut laque la partie très secondaire du problème ; la prin-
c pale était de trouver le moteur puissant et léger cailable
■ivec’'unè' ”'ic torce durable pour faire mouvoir' les hélices
tlvcU T propulseurs marins, sans
siiichaigci I esquil aerien. J y suis arrivé grâce à la décou-
verte qiiej al laite, heaucoup par hasard, je l’av.uie, de l’ac-
dër,d insigniliant. Par lui, les lois
de la physique électrique se trouvent renversées, maisn’est-
tale ous la poussée du progrès ? Cette partie fondamentale
ma decouverte ne permet pas seulement la navigation
ai lionne pratique, elle permettra d'actionner les arbres de
couche des navires marins qui, pouvant (plus heureux en
ce a que mon aero-nef) opérer le rechargement en cours de
route, auront ! empire des mers par le seul fait que leur rayon
.1 action sera illimité... Voilà mon œuvre, l’ouivre du « vlu-
nen, du propre a rien, du vagabond, du dépensier, du pares-
seux qm n a meme pas su être bachelier comme... tout le
monde, et qui devait linir comme un va-nu-pattes » selon
vos propres paroles dites, le jour de votre arrivée à l'Expo-
92
A TRAVERS l’eXPOSITION
sition, en présence de ce pauvre centenaire qui na meme
pas pris matlélensc. Estimez-vous que cette u'uvre me rende
digne de la tendre et charmante récompense que vous revez
réserver à l'inventeur d’avenir que vous veniez chercher a
l'Exposition sur l'avis que je vous ai l'ait mystérieusement
parvenir'? . ^ , i
— Ah! Fernand, tu es un génie! s’écria bertrande en
s’élançant vers son cousin.
.Alais Verdurct la relient énergiiinement.
— Un instant, commande-t-il. Je connais le jeune homme
pour être un monteur de coup de première lorcc et je ne
m'emhalle qu'à bon escient. Je vois bien la machine dont je
suis absolument stupéfait ainsi que de tout ce qui v'Ciü ce
m’être dit. .Mais les imaginations d’inventeurs ou soi-disan
t(ds vont souvent plus vite que la réalité. Le nombre est
.-■rand des inventions destinées à bouleverser le monde et
qui, mises en demeure de prendre leur essor, ne toui-
nent... qu’à la confusion de leur inventeur : les ailes
d’ieare iie sont pas nnc légende créée d’hier! 1res curieuse
sûrement ton allairc ; mais marche-t-elle? . .
— \h! monsiimr, s’écrie l’enseigne de vaisseau qui vient
de reioindre Fernand llobcrt à son bord, vous ôtes plus in-
crédule que saint Thomas et surtout que les Anglais. Far
mon génial ami ne vous dit pas (lu’il m’a emmené au cours
d’uuc expérience dont le champ a été une partie de l Europe,
mais que notre passage, dont par point d honneur <le pa-
triote il a voulu laisser des traces, lui a suscite cm Albion
de terribles ennemis. 11 ne vous dit pas que ce Puzzhng que
vous connaissez est un agent acharné à la découverte de
cette machine merveilleuse pour en surprendre les secrets
ou, s’il ne peut, la détruire, puisque son inven eur refuse
de la vendre contre un monceau de livres sterling. 11 ne
vous dit pas qu’en ce moment nos hommes sont en armes
près du seuil de cet asile pour empêcher 1 invasion attendue
des ennemis d’Outre-Manchc et nous donner le temps d al-
ler mettre cette œuvre miraculeuse, cette machine en com-
paraison de laquelle tout ce que vous avez vu dans 1 Exposi-
tion n’est qu’enfantillage, dans un abri ignoré ou ne pour-
ront l’atteindre ceux qui outtant d’intérêt, ayant surpris son
existence, à l’anéantir s’ils ne peuvent la voler.
* .
I.A 1JEHMKI;E l'IîOMENADE
93
— Allons, ne vous lâchez pas, inonshuii' le baron. Je coni-
inence à croire qnennj// neveu pourrait bien tout de meme
être un grand lionimc. ÎMais, vous venez de le dire, je suis
coin inc saint I honias. Je ne donne pas ma nièce sur de belles
[laiolcs. Que bernand Itobertaillc dé|)oser, avec saniacbine,
le couteau que voici sur le toit de nia maison de Males-
berbes, pendant que je tclégrapbierai à mon jardinier de
me dire par dépècbc s il l’a trouvé et, cette preuve banale
et matérielle laite, je tiendi’ai pour vrais ses dires et les
vôtres.
— Et vous m’accorderez la main de ma cousine.
— Uni.
— Vous le jurez?
— Je le jure.
— Eb bien, descendez. Avant une bciire, l'objet sera où
vous voulez qu il soit; avant le jour, j’aurai caidié provi-
soirement mon navire aérien hors des atteintes de l'étranger
et je reviendrai, par le premier train du matin, réclamer à
votre hôtel 1 accomplissement de vmtre promesse.
Soit, pacte conclu. Ta superbe assurance me ferait
piesiiuc croire déjà à la réalité pratique de ton invraisem-
Idalde invention, et j avoue que, pour l'iionneur de la
lamille, je souhaiterais (|ue ta réussite vînt confondre le
jugement que j ai porté sur toi. Pars donc, mon gaillard, et
tâche de sortir
. . . Vainqueur d'un combat dont Bertrande est le prix !
A ce moment, un vacarme de coups et de cris éclate
|)rès de la porte du hangar... Un homme accourt haletant :
Ùommandant ! . . . Le sont les xVnglais! Ils sont plus de
trente et démolissent la porte... Eaut-il faire fen?
— Non, pas même pour notre légitime défense, (luvrcz
les panncau.x.
— ün y est... Voyez. La mananivre est commencée. Dans
di.v secondes on pourra partir... Ab! la porte cède!... Les
voici, les misérables!
— -Alon oncle, dit vivement Fernand Robert, si vous vou-
lez que je vous mette à terre ainsi que Bertrande, je n’aurai
plus le temps de m échapper... Je le ferai pourtant, si...
A TRAVERS l’ëXPOSITIOIN
!)i
^ — ■ Non!... L acliai’ncnn'nt de ces Anglais me donne la
loi. .l'ii'ai moi-nième déposer mon couteau là-bas!...
^ — Em bart| Lie ! commande llobert d'une voix de stenlor
oîi Verduret retrouve le beau baryton de Bonscastrol.
Los cinq bommes, qui reculaient devant Pn/zling et ses
hommes, pénétrant dans le hangar, bondissent et s accro-
client à la macliinc merveillensi', an moment oii celle-ci,
son commandant ayant appuyé sur nu levier, commence a
s'élever au-dessus du sol.
Les Anglais envahissent le hangar en hurlant cb's Ivurrabs
de victoire... qui leur expirent soudain dans la gorge .
l’aéro-nef sort par la large brèche du toit, et ce sont, tom-
bant du ciel, les voix dcliranles d’enthousiasme de Verduret
transfiguré et do Bertrande, folle de bonheur, qui crient à
pleins poumons :
— Vive Lcrnand !... Vive la Lranco.
— Aob ! fait, en bas, Puz/ding consterné, je été raoiilé
un second fois.
I.e lendemain, des cris d appel attirèrent des [lassants
dans le hangar et... on délivra !M. et iM""’ Bècbai'd qui y
avaient passé la nuit, enfermés [lar Puzzling qui, battant en
l'etraili' avec ses bommes, on avait claqué de rage derrière
lui la porte... encore trop solide pour les lorccs réunies (lu
cou[)lc farinier — le([U(d se hâta de réintégrer le moulin
d’Essonnes.
(J U inze jours après, ils étaient invités à Malesherbes.. . pour
nn dîner de contrat.
I N
TABLE DES CHAPITRES
Pages
. 5
§ 1. lixpross-universel Rpécialiütc
§ II. Dessus et dessous. (.Vndalousic au temps des Maures
Le Monde souterrain, Houillères de France, Les
Phares, Le Palais de l’Lgypte.)
Chapitre II. — Les Pai.ais de e'Espi.a.naüe
§ 1. A propos de 1 annexe de \inceniies
§ H. L’Avenue des Palais
Chapitre III. — Les Pai.\is dp Ciiami' de Mars
§ 1. Côté La liourdonnais. (Mines et Métallur'
'l’issus.) ‘
urgie, l’ils et
§ II. Fond du Champ de Mars. (Salle des Illusions^ Palais
de la Mécanniue, Salle des Fêtes, Palais des Indus-
tries chimiques.)
§ HL Côté Sulîren. (Palais du Génie civil. Palais des’ Arts
hbéraux.)
Chapitre IV. — 'Fout autopr de la Tour
§ 1. Un coup d'œil à gauche. (Palais du Costume, Pavillon
fin r’lnK_ A t'..- . TT.,. ...
du Club-Alpin, Chàlet Suisse, Village Suisse, Pano-
rama du Tour du Monde, Pavillon de Siam, Palais
Lumineux, Pavillon de la République de Saint-
Marin, etc. )
n coup d'œil à droite. (Pavillon du Maroc, Palais de
lOptique, Globe Céleste, Venise à Paris, Maréorama
Cinéorama, Pavillon de la République de l'Equateur'
Palais de la l'emme, etc.) ’
Chapitre V. — Le .mas(,(ue tombe
§ 1. La fête vénitienne
§ IL Protéc
§ 111. .L’œuvre
S
§
§
8-2
811
77
/ /
Pans. — lmp. MICHELS et Fils, 6. S et lo, rue d'Alexandrie
fl TRAVERS b’EXPOSITIOR DE 1900 ^
Tout montrer, tout expliquer, intéresser à tout, sciences, arts, industrie, attrac-
tions de toutes sortes, dans cette merveilleuse Exposition de 1900, sans rivales
dans le passé et très probablement dans l’avenir, tel est le but très large qua
poursuivi M. G. de Wailly, l’auteur de
A TRAVERS L’EXPOSITION
Cet ouvrage s’adresse à tous, lettrés et simples curieux, techniciens et visiteurs
peu au fait des connaissances savantes ou artistiques, aussi bien aux jeunes falles
qu’aux jeunes hommes. C’est le grand public tout entier, en un mot, quil veut
intéresser en le documentant, et cela sans elforts, sans aucune tension d esprit,
bien plus même, en l’amusant, en le faisant sourire et rire aussi.
L’universalité des lecteurs, jointe à l’universalité des sujets a traitei, rendait la
solution 'du complexe problème malaisée à obtenir. L auteur de
A TRAVERS L’EXPOSITION
l’a très heureusement trouvée en donnant à son explication detaillee de la Grande
Fête de la Science, de l’Art, de l'Industrie et de rHumanité, la forme si vivante,
si attrayante du roman vécu. . , ' • i i i
Dans toute l’œuvre court la trame légère d un véritable roman a la Jules Verne,
avec ses péripéties tour à tour captivantes et réjouissantes, toujours intimement
liées à la * Vie dans l’Exposition .. Mais cette action alerte et pleine de surprises,
qui cependant suffirait à faire dévorer curieusement ses pages, par le lecteur,
n’est pour l’auteur qu'un prétexte et un moyen des plus ingénieux dans son
oeuvre savamment vulgarisatrice. , . . , u- i o
Rien ne vaut, en effet : l'action pour exprimer la vie et les sensations multiples
des visiteurs; le dialogue et surtout le dialogue serré de l’auteur dramatique, pour
expliquer clairement, pour faire comprendre complètement et sans fatigue
aucune toutes les merveilles, fussent-elles d’ordre abstrait, qui sont exposees a
l’admiration du public.
Habilement voilée sous cette forme facile et riante, se cache une etude abso-
lument sérieuse, scientifique, exacte et profonde, de tout ce que le génie, humain
rassemble à l’Exposition de beaux progrès, d’inventions étonnantes, de beautés
de toutes sortes, dans toutes tes branches de la science, de 1 art et de 1 industrie.
Tel est cet ouvrage tout de vie, de mouvement et de gaieté, auquel te public
intéressé — et charmé de tout apprendre de graves choses sans que te sourire
quitte tes lèvres — donnera lui-méme pour devise : ,
IL INSTRUIT EN AMUSANT. ^
Imprimé sur papier de luxe et orné de nombreuses illustrations, portraits,
vues, photographies, ainsi que de grandes planches hors texte, 1 ouvrage est digne
de figurer dans tes meilleures bibliothèques. Il sera te couronnement de tout
ce qui s’est fait en ce genre en librairie, comme l’Exposition elle-meme est le
couronnement du Siècle.
En venle le 1- .olume : L’EXPOSITION A UOL D’OISEAU
60 centimes le volume broclié (80 centimes franco)
IL PAR.AlTRA UN VOLUME TOUS LES QUINZE JOURS
L* S”-* volume sera intitulé :
LE GRAND PALAIS
et contiendra, en plus de nombreux dessins, bbe Lithographie
hors tçxte, mesurant GCxbO, représentant LE GRAND PALAIS.
On souscrit dès à présent en envoyant 80 centimes en timbres
à MM. TATARD Frères, éditeurs, 78, boulevard Saint-Michel, Pans.
Paris. — Imr MICHELS ii Fils. 6, 8 et lo. tue d'Alexandrie.