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HISTOIRE
DE FRANCE
AU XVII* SIÈCLE
HENRI IV ET RICHELIEU
CHEZ LES KEïES EDITECaS.
OCVRACrES DE MICHELET.
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IniP'-mer'.f 5 i-:-ne ^:.-~irS «i .'.e. t 5i*.a»-*i«aTi*»a-
HISTOIRE
DE FRANCE
PAB
J. MICHELET
XVIP SIÈCLE— HENRI IV ET RICHELIEU
NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE
TOME ONZIÈME
PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LACROIX ET C «• ÉDITEURS
13, FAUBOUBO MONTMARTRE, 13
1874 •
Tout droits «le iraduclloa *t dt r«prodttolion vémrté».
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HISTOIRE
DE FRANCE
AU XVll* SI&CLE
CHAPITRE PREMIER
Ligae de U cour contre Gabrieile. 1098.
La chanson si populaire de Charmante Gabrieile^ la
plainte amoureuse du roi sur sa cruelle départie^ ne fut
pas, comme on Ta dit, faite au départ pour la guerre,
mais, au contraire , au retour , et quinze jours après la
paix. 11 la fit et l'adressa dans une courte séparation qu'a-
menèrent les couches de son Second fils. 11 a la bonne foi
d'avouer qu'il n'est pas tout à fait l'auteur. « J'ai dicté,
dit-il, mais lion arrangé. »
L'air tendre, ému, solennel,, a quelque chose de reli-
gieux et semble d'un ancien psaume. Les paroles, peu
poétiques, riment tant bien que mal un sentiment vrai,
l'aimable ressouvenir des maux qu'on ne souffrira plus.
C'est la première et charmante émotion de la paix. Parents,
amis ou amants , on se retrouve donc enfin i el pour ne
XT« i
2 LIGUE DE LA COUR CONTRE GABRIELLE.
plus se quitter. Plus de cruelle départie, et chacun sûr de
ce qu'il aime. Ce sourire, mêlé 4'une larme , regarde
encore vers le passé.
De toute Fàncienoe monarchie, il reste à la France un
nom, Henri IV, plus, deux chansons. La première est Ga-
brielle^ ce doux rayon de. la paix après les horreurs de la
Ligue. La seconde chanson, c'est Marlborough, une dérision
de la guerre, une ironie innocente par laquelle le pauvre
peuple de Louis XIV se revengeait de ses revers.
Henri IV croyait à la paix^ espérait soulager le peuple,
rêvait le bonheur, l'abondance. Dans ses lettres, il est tout
homme, tout nature, et naïvement, dit la pensée du mo-
ment. H semble que le sobre Gascon soit devenu un Gar-
gantua I a Envoyez-moi des oies grasses duBéarn, les plus
grasses que vous pourrez , et qu'elles fassent honneur au
pays. » C'est la première lettre qu'Henri IV ait écrite
depuis le traité ; la paix fut signée le 2 mai, la lettre est
du 5.
Il ne faut pas oublier que Ton avait faim depuis qua-
rante ans. Si longtemps alimentée de mots et de contro-
verses, la France voulait quelque autre chose. Henri IV
parle ici pour elle et la représente. Pour lui , ses goûts
étaient autres ; mais en cela et en tout, môme en amour,
malgré sa réputation populaire, il était homme de paroles,
bien plus que de réalité.
Entre lui et Gabrielle , le contraste était parfait'. Lui,
maigre et vif, infiniment jeuTie d*esprît sous sa barbe grise,
quoique très-fatigué de corps et très-entamé. Elle, extrê-
mement positive, déjà replète à vingt-six ans. Dans le
deàsin qui doit être son dernier portrait (dessin de la
Bibliothèque) , sa face s'épanouit comme un triomphal
bouquet der lis et de roses. Adîeu la svelte demoisdlc (des-
dessins de Sainte-Geneviève). C'est une épouse, une mère,
et la mère des gros Vendôme. Si ce n'est la reine encore,
c'est bien la maîtresse du roi de la paix , le type et le
F
LIGUE DK LA COUR GC^NTRE GABRIBLLR. 3
brillant augure» des sept années griuses qui devaient sacacé-^
éer aux maigres, mais doM à peine on vit i'aurore.
Uae réponse d'Henri IV à GabrieUe nous apprend
qu'elle kii reprochait alors « d'aimer moins qu'elle n'ai--
mait, 9 en d^utres termes, d'ajourner, d'éluder le ma^*
riage. £He poussait sa fortune et ne désespérait point de
franchir le dernier pas. A chaque eoucher elle gagnait du
terrain. Le roi s'attachait extrénement aux enfants, il n'y
eut jamais un père si faible, dit avec raison Richelieu. Le
dernier traité de la Ligue avait mis oela en lumière : Mer*^
cœur étart aux abois, ia Bretagne se livrait au roi; mais
les dames de celte fiMSÛUe captk^ent m bien GabrieUe «
que le roi donna à MercosuiP un traité ines|»éré pour marier
deux nourrissons, son Vendôme de trois ou quatre ans, à
la hlle de Mercœur. 11 en est honteux Uû^méme, et s'en
excuse au connétable : « Vous êtes pare, lui ditr-il, et vous
ne me blftmerez pas. »
Le roi arrivait à Tâge où i*intérteuT, l'entourage intime^
les affections d'habitude, dominent le caractère. Il voulait
qu'on le crût fort libre et fort absolu. Dans les deux
heures qu'il donnait par jour aux affaires , il tranchait et
décidait avec la vivacité brève du eommandement naili-»
taire. Mais on voyait dans mille choses qae ce roi, tourr
jours capitaine, avait chez lui son général, et qu'il pro*
nonçait souvent au conseil les ordres de la dbambreà
coucher.
Il faisait grande illusion à* l'Europe. Son trioniphe suf
PEspagne , la première puissance du monde, le faisait
célébrer, redouter jusqu'en Orient. On croyait le voli
toujours monté sur le cheval au grand panache, qui
enfonça à Ivry les rangs espagnols. Son extrême activité
le maintenait dans l'opinion. Jamais les ambassadeurs ne
pouvaient le voir assis. U les écoutait en jmarchant, il
tenait conseil en marchant. Puis il montait à cheval, chaa*
sait jusqu'au soir. Il jouait alors, et avec vivacité^ empor-
4 LIGOK DE LA OOUft GONTRB GABRULLB»
tement, jusqu'à tricher, voler, dit-on (mais il rendait).
Couché tard, de très-bonne heure il était levé, aux jar-
dins, faisant planter, soigner ses arbres. Avec toute cette
activité, après la paix, il fut malade. Il en était de lui
comme de la France. Du jour que l'esprit fut plus libre,
on s'aperçut tout à coup des maladies que l'on avait.
L'affaissement moral sa traduisit par celui du corps. Six
mois après le traité, le roi eut une rétention d'urine dont
il crut mourir , puis la goutte, puis des diarrhées et de
grands affaiblissements.
Les médecins l'avertirent en 46^ que, pour l'amour,
son temps était fini, et qu'il ferait bien de renoncer aux
femmes. Le chancelier Cheverny nous apprend qu'il lui
était survenu une excroissance fort gênante, qui faisait
croire que désormais il n'aurait plus d'enfants.
Cet affaiblissement d'une santé devenue si variable, ne
parait pas dans les mémoires, mais beaucoup dans ses
lettres, et à chaque instant. On en voit des signes dans
ses vrais portraits, qui, il est vrai, sont fort rares. Porbus
même s'est bien gardé d*exprimer cette sensibilité ner-
veuse d'une physionomie souriante , mais si près des
.larmes, cette facilité extrême d'attendrissement d'un
homme qui avait trop vu, trop fait et souffert 1 Tout se
mêle en ce masque étrange, trompeur par sa mobilité.
Elle sembla croître avec sa vie. Le seul point vraiment
fixe en lui, c'est qu'il fut toujours amoureux. Mais, en ses
plus légers caprices, le cœur était de la partie. Et voilà
pourquoi ce règne ne tomba pas aussi bas que les satires
de l'époque pourraient le faire croire. Les femmes, dit
madame de Motteville, furent plus honorées alors qu'au
temps de la Fronde. Pourquoi cela? Le roi aimait.
Avec ce cœur ouvert et facile , avec cette dépendance
de l'intérieur et ce besoin d'intimité , on était sûr que,
quelque femme qu'épousât le roi, elle aurait, un grand
ascendant; que, fidèle ou non, il mettrait en elle une
UGDB DB LA GOUB GONTRB GABRULLB. D
grande confiance, lui cacherait peu de choses, et qu'au
moins indirectement elle influerait sur les destinées de
rÉtat.
Sous un tel roi, la grosse affaire était certainement le
mariage.
Et c^était le point par lequel l'étranger espérait bien re-
prendre ses avantages.Peu importait que le soldat espagnol
eût été chassé, si une reine espagnole (au moins espa-
gnole d'esprit), entrait victorieusement, en écartant 6a-
brielle, et mettait la main sur le roi et le royaume.
La paix ne fut pas une paix, mais une guerre intérieure
où l'on se disputa le roi.
La crise était fort instante. Du jour même où l'Espagne
fut sûre que nous désarmions, elle commença une guerre
tout autrement vaste, et qui ne lui coûtait plus rien, non
contre la Hollande seulement, mais en Àllemagae ; les
bandes dites espagnoles (des voleurs de toute nation ) se
mirent à manger indifféremment protestants et catholi-
ques. C'est le vrai commencement de l'horrible demi-
siècle qu'on appelle la Guerre de trente ans. Le roi de
France, le seul roi qui portât l'épée, allait devenir
rhomme unique , le sauveur imploré de tous. Chacun le
voyait, le sentait. S'en emparer ou s'en défaire, c'était
l'idée des violents. Le dilemme se posait pour eux : Le
tuer au le marier.
n les avait amusés par l'abjuration, amusés encore à la
paix. Il avait fait entendre à Rome que VÉdU de Nantes
donné aux protestants ne serait qu'une feuille de papier;
mais on voyait qu'il voulait réellement leur donner des
garanties. Il avait fiiit espérer le rétablissement des Jé-
suites; mais, quand on le pressa , il dit : « Si j'avais deux
vies, j'en donnerais volontiers une pour satisfaire Sa
Sainteté. N'en ayant qu'une, je dois la garder pour son
service et l'intérêt de mes sujets. »
Les Jésuites étaient attrapés. Ils avaient cru tellement
6 LIOUB DI LÀ CODR CONTRS GABRIBMJi.
rentrer, gouverner, confesser le roi, que là-dessus Us^
bâtissaient le plan d'une Armada nouTelle contre TAngle-
terre. Ce roi confessé, ils l'eussent allié avec l'Espagnol, et
tous deux, bien attelés, auraient été conquérir le royaume
d'Elisabeth.
L'espoir tron^péirriie fort. Deux partis, dans ce parti,
travaillaient diversenieat , mais d'une manière active. A
Bruxelles, le légat romain, Halvezzi, organisait Tassassi*
nat, qui était son but depuis six années (DeTbou). A
Paris et en Toscane, on travaillait le mariage, un mariage
italien. C'est ce qu'eût préféré le pape; ce mariage, qui
eût amorti et romanisé le roi, dispensait de le tuer.
Le roi , dans ses grandes misères , avait emprunté de
fortes sommes au grand- duc de Toscane , qui spéculait
là-dessus de deux manières à la fois. U s'était fait par ses
agents, les Gondi et les Zamet , percepteur de taxes en
France, et il en tirait de grosses usures. Beuxièmement,
U espérait, avec cet argent et les sommes qu'il pourrait y
ajouter, faire sa nièce reine de France. Il tenait à conti-
nuer par elle Catherine de Médicis, le gouvernement flo-
rentin, comme il continuait par ses financiers l'exploita-
tion pécuniaire du royaume. Il avait envoyé depuis plu-
sieurs années le portrait de cette nièoe , rayonnant de
jeunesse et de fraidieur^ un parfait soleil de santé bour-
geoise. Gabrielle n'avait pas peur du portrait , mais bien
de la caisse, attrayante pour un roi ruiné. Elle craignait
ces Italiens, les maîtres de nos finances et les agents du
mariage, secrets ministres du grand-duc. £lle leur porta
un grand coup en faisant mettre dans le conseil des
finances un homme qu'elle croyait à elle , le protestant
Sully.
Quand je parle de Gabrielle, je parle de sa Camille, des
Sourdis et des d'Estréés. Cette belle idole n'avait pas
beaucoup de tète et ne faisait guère que suivre leurs avis.
Mais k famille elle-même, la taate de Sourdis, qui menait
UGUS DE Là COUB CaNTRE GAJWIËLLE. 7
tout, n'était pas bien décidée sur la ligne h suivre , et
ménageait tout le monde. Elle travaillait à Rome, non-
seulement pour ie divorce du roi , mais pour faire son fils
cardinal. D'autre part» personnellement , Gabrielle cares-
sait les huguenots. EUe les plaçait dans sa maison comme
serviteurs de confiance, Ëtait-elle, au fond, protestante,
comme l'affirme d'Aubigné? Non. Du moins, elle accom-
plissait tous ses devoirs catholiques. Le roi chantant un
jour des psaumes, pendant qu'elle était malade, elle lui
mit la main sur la bouche, au scandale des huguenots.
Mais les catholiques croyaient que par ce geste muet elle
disait au roi : <t Pas encore. »
Du reste, on la jugeait moins sur ses actes que sur ses
amitiés. Elle était aimée , protégée par deux grandes
dames protestantes, l'une la princesse Catherine, sœur du
roi, dont elle avait le portrait précieusement monté ^\xr
une boîte d'or. (Fréyille, Inv. dt Gabrielle.) L'autie, la
princesse d'Orange, fille de Coligny, veuve de Guillaume
le Taciturne, et belle-mère de Maurice, le grand capitaine.
Cette dame, aimée, honorée de tous, même des catholi-
ques, donnait une grande force morale à la eause de Ga-
brielle. Elle jugeait évidemment qu'un attachement si
long et si fidèle se purifiait par sa durée, que Gabridie
n'était pas liée à son faux mari qu'elle ne vit peut-étpe
jamais , pas plus que le roi ne Tétait à sa diffamée Mar-
guerite, qu'il ne voyait plus depuis vingt années.
Gabrielle avait une chose en sa faveur qui pouvait ré-
pondre à tout. // fallait une reine française^ dans ce grand
danger de l'Europe. Elisabeth mourait ; le fils de Marie
Stuart allait succéder. Plus d'appui pour la Hollande.
Comment celle-ci, délaissée des Anglais, porterait-elle le
poids immense de la guerre européenne? Qu'arrivei^ait-il
si répée sur laquelle tous avaient les yeux, Tépée de la
France, était liée par une reine étrangère ou volée de son
chevet ?
8 LIGUE DB Lk COUR GOirTRK GABRIELLE.
Pei'sonne ne voyait cela, 'ou du moins ne le disait. On
faisait cent objections au mariage français.
L'indignité de Gabrielle d'abord. Les dames de la no-
blesse^ qui crevaient de jalousie, se trouvèrent toutes plus
sévères et plus vertueuses que la princesse d*Orange. Elles
demandaient quels étaient donc ces d'Estréespour donner
une reine à la France. Les bourgeoises, encore plus sottes,
disaient qu'il serait bien plus beau, plus glorieux pour le
royaume, d'avoir une vraie reine de naissance et de sang.
À la tète de toutes les femmes se signalait Marguerite de
Valois, qui, l'autre année (24 février 1597), pour tirer
quelque grâce de Gabrielle, descendait jusqu'à l'appeler
« sa sœur et sa protectrice ; » mais qui , en 1 598 , voyant
cette grande ligue contre elle, l'injuriait, disait qu'elle ne
céderait jamais « à cette décriée bàgasse. »
D'autre part, les politiques, sans parler de sa personne,
objectaient un danger fort hypothétique, la crainte que le
fils de Gabrielle, n'étant pas suffisamment légitimé par le
mariage, ne trouvât un compétiteur dans un frère futur
et possible, un autre fils qu'elle aurait peut-être après le
mariage accompli. Ces fortes têtes voyaient ainsi le péril
fort incertain de Tavenir, et ils ne voyaient pas le péril
présent, celui du mariage italien, qui mettrait l'ennemi
dans la maison, l'invasion d'une nouvelle cour, de traîtres,
et, qui sait? d'assassins...
Malgré cet aveuglement général et ces obstacles de tout
genre, Gabrielle aurait vaincu par la puissance de l'affec-
tion et des habitudes, si elle n'avait eu contre elle un
homme qui , à lui seul , pesait autant que tous , Sully ,
qu'elle avait créé, puis mécontenté maladroitement.
Nous parlerons ailleurs du ministre , de son aimable
dictature des finances, qui a sauvé le royaume. Un mot
ici sur rhomme même.
Il était né justement l'homme qui devait déplaire le plus
à un roi comme Henri IV. Celui-ci, si faible pour sa cour
LI6UB DE LA COUR CONTRS GABRIELLB. 9
et son entourage, Teût approuvé dans ses réformes, mais
il ne Teût pas défendu, s*il ne l'eût trouvé appuyé par un
entourage plus intime que la cour, par cette femme aimée,
mère de ses enfants.
Maximilien de Béthune (Rosny par sa grand*mère, et
Sully par don du roi) était originaire d'un pays qui a
donné des têtes ardentes sous grande apparence de froid,
de roideur. Il était de l'Artois, du pays de Maximilien de
Robespierre. On rattachait ces Béthune aux Beaton d'E-
cosse. Et, en effet, celui-ci avait un faux air britannique,
par le contraste déplaisant d'un teint blanc et rosé d'en-
fant (à cinquante ans) et d'un œil du bleu le plus dur.
c n portait la terreur partout, dit Marbault ; ses actes et
ses yeux faisaient peur. »
Il fit une chose vigoureuse et très- agréable à sa protec-
trice, tes notables que le roi assembla dans son péril de
1596, et à qui il dit qu'il a se remettait à eux en tutelle, ».
l'avaient pris au mot. Mais leur commission gouvernante,
présidée par un des Gondi, ne put rien et ne fit rien.
Sully prit Vafifaire de leurs mains , renoncée et désespé-
rée, et, pour premier acte, mit hors des finances les
Gondi et les Zamet, les partisans italiens, qui percevaient
ici pour le grand-duc de Toscane et lui faisaient ses
affaires.
Tout va de soi où va l'argent. Le matériel de la guerre
et bien d'autres choses allèrent se centralisant dans la
main active, énergique, du grand financier. Il avait fait la
guerre toute sa vie. 11 voulait être grand maître de l'artil-
lerie. Les d'Estrées firent la sottise de prendre la place
pour eux , pour le père de Gabrielle , et ils donnèrent à
Sully ce qu'il. pouvait désirer, un bonne occasion d'être
ingrat.
Disons ici que ce [restaurateur admirable de la fortune
publique avait une attention extrême à la sienne. Non
qui! ait volé; mais il se fit donner beaucoup; il ne perdait
10 UGUE PB Lk COUR CONTRE GÀDRIBLLE.
nulle occasion de gagner, se fondait surtout et s'affermis-
sait pour ravenlr. On ie vit dans Tattenlion (non pas dé-
loyale, mais indélicate) qu'il eut de se rapprocher de la
maison de Guise et de s'allier à elle. Elle restait ta plus
riche, ayant reçu à elle seule la grosse part de tant de mil-
lions que Sully paya aux grands.
Cet homme infiniment prudent, prévoyant, vit que Ga-
brielle n'irait pas loin, qu'elle n'arriverait pas au but, et
qu'il ne fallait pas lui rester attaché. Elle avait pour elle le
roi. Mais qu'est-ce cela? Les rois vivent, sans le savoir,
captifs, nullement maîtres d'eux-mêmes.
Au conseil, aucun ministre ne parlait pour elle, que le
vieux chancelier Cheverny et M. de Fresne, rédacteur ,de
redit de Nantes et très-subalterne. Villeroy était contre
elle; Espagnol d'inclination, il aurait voulu une fille d'Es-
pagne. De même Jeannm, Tex-ligueur, l'ex-factotum de
Mayenne. Ces vieux ministres tenaient à l'antique tradi-
tion, qu'un roi épousât une reine, croyant bien à tort que
ces mariages marient les Ëtats. Au défaut de TEspagnole ,
ils désiraient l'Italienne, qui apportait de l'argent. Sully,
en ceci, était avec eux. Les quatre ou cinq cent mille
écus qui pouvaient venir de Toscane eussent agréable-
ment figuré dans le trésor qu'il méditait de faire dans les
caves de la Bastille. Ils eussent aidé au besoin pour quel-
que coup imprévu qu'on aurait eu à frapper sur le Rhin
ou la Savoie.
Une question toute personnelle pour Sully, .c'était de
savoir si, ayant déjà la chose, il aurait le titre, s'il serait
déclaré surintendant des finances. Il lui fallait pour cela
l'appui ou la connivence de ses anciens ennemis. Quoique
le roi eût toujours l'air de trancher seul, il était très-puis-
samment influencé et par ces vieux ministres d'expérience
et par les valets intérieurs. Sully avait bravé les uns et les
autres. Il avait surtout ces derniers à craindre, s'il ne se
ralliait à eux pour le mariage italien et contre sa protectrice.
UGUE DB LA COUR CONTRE GABRIELLE. 4 !
Le roi avait près de lui trois rieurs en titre : d'abord le
bouffon Roguelaure, ^ns conséquence et le meftleur de
tous; jpuîs Tentremetteur Fouquet laVarenne; enfui un
baragouineur italien^ trës-lacétleux, M. le iinancier Zamct,
Toscan et agent du grand-duc.
Les rieurs I classe dangereuse, ^ous avons vu dans 1*0-
rient le rôle sanglant de la Rieuse (Roxelane), qui mena
Soliman jusqu'à étrangler son filslj
La Varenne, ex-cuisinier, et Zamét, ex-cordonnier,
étaient en réalité les hommes considérables et dangereux
de cette cour. Le roi les savait des faquins et ne pouvait
se passer d'eux. Quoique moins désordonné qu'à un autre
âge, il lui fallaii; toujours des gens avec qui il pût s'ébau-
dir, parler comme au temps d'Henri IIL
La Yarenne, qu'Henri lY avait ramassé dans la cuisine
de sa sœur comme un drôle à toute sauce, était gai, vif et
hardi. Le roi le trouva conimode pour ses messages ga-
lants. Mais cela ne dure pas toujours. La Yarenne, sous
un roi barbon, menacé d'un long chômage, tourna aux
affaires, s'y insinua. A la rétention d'urine il crut que le
roi irait baissant et se donna aux Jésuites ; il se fit leur
protecteur, les appuya constamment, et par là créa à un
fils enfant qu'il avait une énorme fortune d'Ëglise. Le se-
cond fils fut grand seigneur.
Zamet, de race mauresque, cordonnier de Lucques»
fort adroit, seul de tous les hommes avait réussi à chaus-
ser le délicieux pied d'Henri III. Ce prince reconnaissant
le fit valet de garde-robe, lui confiant ^les petits cabinets
où il nourrissait douze enfants de chœur; car il aimait
fort la musique. Zamet ne s'enorgueillit point de ces no-
bles fonctions; toute grandeur est incertaine; il ne rece-
vait pas un sou, pas une buona viano, qu^il ne plaçât à
l'instant ; il était né obligeant, il prétait à tout le monde,
et il s'arrondit très-vite. Dans la Ligue, il prêta impartiale-
ment aux ligueurs, aux Espagnols, au roi de Navarre ; telle
12 LIGUE DB LÀ COUR GONTRB GÀBRIBLLB.
était sa facilité, la générosité de son cœur. Il devint un
gros richard ; Henri lY jouait chez Zamet, et avec l'argent
de Zamet, qui savait bien se faire payer. Le dogue qui gar-
dait le trésor n'avait pas de dents pour lui.
Sully connaissait son maître. Il crut que ces gens-là,
qui avaient des rois derrière eux, l'Espagne et le pape, fi-
niraient par l'emporter. Il brisa avec Gabrielle au baptême
de son second fils.
Le roi avait hautement reconnu ses deux fils, exigeant
pour eux des titres princiers qui annonçaient clairement
leur légitimation prochaine par le mariage. Il les faisait
appeler César Monsieur , Alexandre Monsieur. Le secrétaire
d'État, de Fresne, protestant et ami de Gabrielle, envoya
à Sully la quittance des frais de la fête sous ce titre :
Baptême des enfants de France. Sully renvoya la quit-
tance, en disant rudement : c II n'y a pas d'enfants de
France. »
N'était-ce pas une grande vaillance? On le croirait en
lisant les Œconomies royales. En réalité, cet homme péné«
trant avait vu ce que personne ne voyait encore, et le roi
pas plus qu'un autre : c'est qu'il n'aimait pas Gabrielle
autant qu'il le croyait lui-même. Tranchons le mot : [il vit
qu'elle était vieillie dans l'affection du roi, et que lui ,
l'homme d'argent et de ressources, il y était jeune, neuf
et dans sa fraîche fleur.
Ce furent deux maltresses en présence, le roi fut mis en
demeure de choisir entre la femme et l'argent. Ajoutez
que cet habile homme l'avait encore aiguillonné en lui
donnant à entendre qu'on le croyait sous le joug, tout dé-
pendant d'une femme ; moyen sûr de tirer de lui quelque
violente boutade, un essai d'affranchissement.
Gabrielle fut très-maladroite. Elle se souvint beaucoup
trop de ce que Sully avait d'abord rampé sous elle, « fait
le bon valet » (il le dit lui-même). Elle l'appela « un va-
let. » Et le roi ne se souvint plus *qu11 voulût la faire
UGDE J>E LA COUR CONTRE GABRULLK. 43
femme et reine ; il l'appela une mattresse : « J'aime mieux
on tel serviteur que dix maîtresses comme vous. »
Elle trembla, frissonna, se composa sur-le-champ et se
remit à discrétion.. Elle comprit la situation, la force de
Sully, et elle ne songea plus qu'à apaiser cet homme ter-
rible. Elle flatta même sa femme. En vain. ,
Le mot fatal était lancé. Les ennemis de Gabrielle cru-
rent que cet amour d'habitude ne tenait plus qu'à un fil,
qu'on pouvait tout oser contre elle, que le roi la pleure*
rait, mais ne la vengerait pas.
CHAPITRE II
Mort de Gabrielle. 1599.
Le 1 3 août i 598, Henri IV, chassant dans la forêt de Fon-
tainebleau, crut entendre un bruit de meute^ des cors, des
cris de chasseurs. Il trouva bien surprenant qu'on osât
interrompre ainsi la chasse du roi, et commanda au comte
de Soissons d'aller voir quels étaient ces téméraires. Le
comte alla et revint, rapportant qu'il avait toujours entendu
le même bruit et vu un grand homme noir qui, dans l'é-
paisseur des broussailles, avait crié : « M'entendez-vous? »
ou peut-être : « M'attendez-vous? » et qui disparut. Sur
ce rapport, le roi rentra au château, craignant quelque
embûche. La chose fut racontée partout, et les dévots de
Paris ne manquèrent pas d'assurer que l'homme noir
avait dit : « Amendez-vous, » c'est-à-dire : Devenez sage
et quittez votre maîtresse.
Dans cette paix nullement paisible, les esprits, tout
émus encore, accueillaient volontiers les bruits effrayants.
Celui du jour était la mort de madame la connétable (de
Montmorency). C'était une jeune femme très-jolie et très-
sage, mais qui n'était pas de naissance à épouser le conné-
table de France. Elle avait fait, disait-on, un pacte pour y
parvenir. Un jour qu'elle siégeait à Chantilly au milieu de
ses dames, on lui dit qu'un gentilhomme demandait à lui
irORT DE GABRIELLB. . 15
parler. Emue, elle demanda comment il était. « D'assez
bonne mine, lui dit-on/ mais de teint et de poil noir. »
Elle pâlit, dit : « Qu'il s*en aille, revienne une autre fois. »
Mais rhomme noir insista, et dit : « Tirai la chercher. »
Alors, les latmes aux yeux, elle dit adieu à ses amies et
s'en alla comme à la mort. Peu après, effectivement, elle
mourut, chose effroyable, « le visage sens devant derrière
et le cou tordu. » *
En cadence avec ces récits, des prédications terribles
faisaient trembler les églises; ces hardies échappées du
diable annonçaient, selon les prédicateurs, de grandis châ-
timents. Les péchçs de la ' cour, du roi (on le désignait
clairement) étaient tels, qu'il fallait des mortifications nou-
velles, inouïes, pour soutenir le ciel qui aurait tombé, la
foudre qui eût tout écrasé. On appelait au secours un ren-
fort de moines, la grande armée monastique, de toute
robe et toute couleur, qui vint d'Espagne et d'Italie, ca-
puccini, récollets, feuillants, carmes et augustmsr, chms^
ses, déchaussés. Les carmélites espagnoles, peu aprSs,
allaient prendre possession de leur couvent de Paris en
'procession solennelle le jour de la Saînt-Barthélcnry. Les
capucines firent une entrée saisissante et dramatique, por-
tant chacune une couronne d'épines, et conduites par le»
princesses de la maison dé Guise.
Mais, avant l'entrée de ces saintes qui apportaient Fex-
piation, on avait eu à Paris un autre spectacle. Pas moins
que le diable en personne, qui avait élu domicile dans le
corps d'une certaine Marthe. Un homme distingué (des la
Rochefoucauld), fort dévot, amî des Jésuites, la menait et
la montrait, d'abord dans les villes du centre, sur la Loire,
enfin à Paris. Tout le monde allait la voir à Sainte-Gene-
viève ; on assistait avec terreur à la lutte horrible qni se
renouvefaft chaque jour entre le démon et un capucin qui
rexorcisait, fort et ferme, en tirant des cris, des gambades,
des grimaces à faire frémir. Le roi, qui avait la tête dui^,
46 MORT DE GABRISLLI.
avait peine à croire la chose; il y envoya ses médecina et
les adjoignit aux prêtres pour examiner.
Il n'était que trop visible qu'on voulait du trouble, qu'on
espérait exploiter, exalter le mécontentement de.Paris. Les
taxes ne diminuaient pas et ne pouvaient diminuer, quand
Sully payait aux grands une centaine de millions, quand
la guerre menaçait toujours. Des souffrances du passé res-
tait un cruel héritage, la peste, qui éclatait de moment en
moment. Un peuple nouveau de mendiants se montrait,
les gens de guerre qu'on avait renvoyés chês etix, mais qui
n'avaient pas de chez eux. On en voyait tous les jours des
bandes dans la cour du Louvre, a Capitaines déchirés,
maîtres de camp morfondus, chevau'^légers estropiés, ca-
nonniers jambes de bois, tout cela entre en troupes par
les degrés de la salle des Suisses, en déclamant contre
madame l'Ingratitude. L'oflBcier portant la hotte et le sol-
dat le boyau, exaltent leur fidélité, montrent leurs plaies ,
racontent leurs combats et leurs campagnes perdues, me-
nacent de se faire croquants^ et sur la monnaie de leur
réputation mendient quelque pauvre repas. »
Henri II et Henri III les logeaient dans les monastères. «
Henri lY, plus tard, leur créa l'hospice de la Charité, tard,
bien tard, en 1606. Jusque-là, ces ombres errantes, plain-
tives, mais redoutables, donnaient espoir à l'étranger, à la
Ligue, vivante en dessous. Le roi voyait, sentait cela; l'agi-
tation continuait, et il n'était point aimé,
11 tomba malade en octobre ; il crut mourir. Ce n'était
qu'un accès assez court de rétention d'urine ; mais il en
garda la fièvre. Cet homme, jusque-là si gai, devint très-
mélancolique. « Tout me déplaît, » disait-il. Aveu qui ne
fut pas perdu et fit croire que Gabrielle ne suffisait plus à
le consoler.
Deux assassins étaient encore venus pour tuer le roi,
l'un dominicain, de Flandre, l'autre capucin, de Lor-
raine.
MORT DE GABRIBLLE. H
Pourquoi plutôt à ce moment? On le comprit quand on
sut que les Espagnols avaient fait le pas hardi de se jeter
dans TEmpire, fourrageant, mangeant amis et ennemis ;
qu'enfin vers Clèves ils saisissaient les passages du Rhin,
Rien ne les eût favorisés plus que la mort d'Henri et
celle de Maurice d'Orange. Celui-ci avait aussi son homme
qui devait le tuer. La situation était la même qu'en 4584,
quand le meurtre de Guillaume ^sembla briser la Hollande
et donna carrière aux victoires des Espagnols.
L*homme que le légat Malvezzi dépécha pour tuer le roi
était, comme Jacques Clément, un pauvre petit misérable,
un Flamand de faible tête qu'on grisait de la légende de
Clément. On le montra à un Jésuite, qui haussa les épaules,
et dit seulement : « Il est trop faible. » La plus grande
difficulté était d'endurcir cet homme. Il était en route déjà
à l'époque de l'abjuration du roi, et, quand il l'apprit, il
ne voulut plus le tuer et jeta son couteau. Le légat eut
beaucoup de peine à lui faire entendre que la conversion
était fausse, il repartit en i 598, mais fut arrêté, amené à
Paris. Le roi en eut pitié ou craignit d'irriter Rome, le
gracia. Il ne retourna pas à Bruxelles, mais alla en Italie.
Là on l'endoctrina encore et on le fit rentrer en FraQce. Il
fut arrêté, condamné à mort avec l'autre assassin^ le ca-
pucin de Lorraine.
Sismondi croit que le parlement procéda avec acharne-
ment. Singulier anachronisme. Le parlement d'alors était
mêlé de celui de la Ligue et des royalistes. Mais les li-
gueurs dominaient encore, et si bien, qu'ils modérèrent la
question, de peur que ces accusés ne parlassent trop pour
l'honneur de Rome.
La chose n'était que trop claire. Elle fit voir à Henri IV
qu'il ne gagnait rien à tous ses ménagements. Jointe à
l'affaire d'Allemagne, elle le réveilla fortement. Il semble
qu'elle l'ait guéri ; il fut tout à coup un autre homme. La
verte vigueur béarnaise parut revenue. Il fit opérer l'ex-
XI. 2
48 MORT DE GABBIBLLI.
eroissance, comme pour monter à cheval. Use moqua des
médecins, et Gabrielle redevint enceinte en décembre.
Tout ce qui traînait au conseil et traînait au parlement
se trouva facile. Le roi simplifia tout, supprimâtes impos-
sibilités.
il était impossible de marier Catherine, sa soeur, pro-
testante, avec un catholique, le duc de Bar. Les évéques
refusaient. Le roi fit venir son frère bâtard, archevêque de
Rouen, et les maria d*autorité dans son cabinet. .
11 était impossible de décider Marguerite à conseptir au
divorce. On la menaça d'un procès d'adultère, et elle de-
vînt docile«
Il était impossible de faire enregistrer Tédit de Nantes.
Le roi fit venir le parlement et lui lava la tète. Ce fut ua
discours très-vif, pour la France et pour TEurope :
a Avant que de vous parler de ce pour quoy je vous ai
mandésy je vous conterai une histoire. — Après la Saint-
Barthélémy, nous étions quatre à jouer aux dés sur une
table. Nous y vimes <les gouttes de sang. Nous les essuyâ-
mes deux fois, et elles revenaient pour la troisième. Je dis
que je ne jouais plus, que c'était un mauvais augure con-
tre ceux qui l'avaient répandu, M. de Guise était de la
troupe...
« Vous me voyez en mon cabinet, non avec la cappe et
répéoi mais en pourpoint, comme un père pour parler à
ses enfants... Je sais qu'on fait des brigues au parlement,
que Ton a suscité des prédicateurs factieux ; je donnerai
ordre à ceux-là, et ne m'en attendrai à vous... Ne m'allé-
guez pas la religion catholique, je l'aime plus que vous;
vous croyez ôtre bien avec le pape, et moi j'y suis mieux,
et je vous ferai déclarer hérétiques^*. Est-ce que je ne
suis pas le fils aine de TËglise? Pas un de vous ne peut
l'être. »
A cette bouffonnerie, il ajoutait des choses fort graves
« sur les criards catholiques, ecclésiastiques, » qui, disait-
I
■ORT DB GABRULLS. (9
ily élnoil i têndrË ; sur tes partementaires eux-mêmes et
teor «vidhé cTargent II les pîn^ sensiblement, en disant
qu'il HNikfpliarail leurs ehorges (et par là les ruinait).
Enfin des menaces de mort, de combat, qui étonnèrent :
« C'esl le dMnia qu'on prit pour en venir aux Barri-*
oades, à l'assassinai du feu* roi; »iai& j'y dlonneraf bon
ordre. Je couperai la racine aux (factions et prédicafkms,
en fiûaaiQl raccourcir ceux qui les suscitent... Ah ! vous rne
voulez la guerre, et que je fasse la guerre à ceux de la
BeUgîoat Mais je ne la leur ferai pas... Vous ires tous
avec vos robea, comme le» capucins de la Ligue, quand
lis portaieiii le mousquet, il vous fera beau voir... fei
sauté sur des murs de ville ; je sauterai bien sur des barri-
cades^ «
Le parlemeDi enr^isIrB.
Mais on comprenait trè^-bien que cet éebt, ces me^
naces de guerre, si étrangers aux robes longues, avaient
une antre portée. Deux dMses visîMement ranimaient et
lui remuaient son épée dans le fourreau : le procès des
moines assassins et la guerre de rfimpire, la fureur des
Espagnols. Ainsi, point de paix posûble ni au dedans ni
au> debora. Toujours le couteau suspendu. Son refuge eftt
été Fépée. Il eàt été plus s4r de sa vie en pleine guerre,
et il se fàt moins ennuyé. Gabrielle, la chasse et le jeu ne
suffisaient pas» Cet accès de mélancolie qu'il avait eu un
moment, n'était-ce pas l'effet de la paix? Quand il cM si
vivement qu'il sauterait sur les barricades^ beaucoup déjà
emecnt le voir au grand poste de la France, sur la barri--
eade du Rhin.
Il avait envoyé le protestant Boogars au landgrave et
aux princes pour les encourager à se défendre. Les mettre
ainsi es avant, c'était s'engager tacitement à les soutenir.
Maurice d'Orange portail seul le poids de cette guerre
terrible qui débordait maintenant sur l'Allemagne et de-
venait immense. Sa beile^mère, la prineesse d'Orange,
20 MORT DB GABRISLLB.
fille de Coligny, sortit de sa solitude et vint à Paris. Elle
se déclara hautement pour le mariage de Gabrielle, crai-
gnant le mariage italien et croyant rattacher le roi à l'in-
térêt protestant.
Il faut savoir ce qu'était madame la princesse d'Orange.
Grâce aux mémoires de du Maurier (petit livre d'or}, nous
connaissons parfaitement cette personne admirable, en
«gui une vertu accomplie apparaissait dans la tragique au-
iréole des martyres.
L*amîral l'aimait, entre ses enfants, pour sa sagesse
iprécoce, sa douceur et sa modestie. Il la maria à celui qui
«avait les mêmes dons. Quand elle demanda à son pèi^e
lequel de ses prétendants il lui conseillait de choisir, il lui
répondit : « Le plus pauvre. » Et il lui donna Télîgny, ce
jeune homme tant aimé que pas un catholique ne put
iuer à la Saint-Barthélémy, et qui ne périt que par ha-
sard.
Guillaume d'Orange se décida de même. Au dernier
moment de sa vie, à l'apogée de sa gloire, au lieu de
prendre pour femme quelque princesse d'Allemagne qu'il
^ût aisément obtenue, il demanda, épousa < la plus pau-
vre, » madame de Téligny, restée sans aucune fortune
qu'un petit bien dans la Beauce, où elle vivait. Ce grand
jiomme, tout près de la mort et entouré d'assassins, dans
la fille de Coligny sembla appeler à lui l'image d'un meil-
leur monde. Un an s'était passé à peine, qu'il périt presque
sous ses yeux.
Elle avait de lui un fils, qui fit ses premières armes
sous Maurice d'Orange, fils aussi de Guillaume, mais du
premier lit. Maurice, sombre et sauvage politique, homme
de combat, d'affaires et d'ambition, ne voulait point de
famille, point de femme et point d'enfant, de sorte que
son jeune frère devait être son héritier. 11 crut, pour cette
raison, que sa belle-mère l'aiderait dans ses projets. Dé-
fenseur de la Hollande, il aurait voulu l'asservir. L'obstn-
-MORT DE GABRIBLLE. 24
cle était Barneveldt, grand et excellent citoyen, le vieil
ami de Guillaume d'Orange, Tami de Maurice, son tuteur
et son bienfaiteur. Maurice ne pouvait se faire maître
qu'en lui passant sur le corps. De quel côté pencherait la
princesse d*Orange?Eile fut pour Barneveldt, pour le droit
et la liberté, contre sa famille, contre son beau-fils, con-
tre les intérêts de son jeune fils, seul lien qu'elle eût sur
la terre et qu'elle aimait uniquement.
Cela seul en dit assez. Mais cette vertu si haute, sans
faiblesse, n'en était pas moins adoucie et embellie d'un
charmé singulier. Notre ambassadeur en Hollande, du
Maurier, vieux politique, qui écrit longues années après
ces événements, ne parle de cette dame qu'avec une émo-
tion visible. Madame d'Orange était, dit-il, une petite
femme très-bien faite, d'un teint animé, qui avait les plus
beaux yeux ; une parole douce et charmante, un raison-
nement persuasif, un parfum d'honneur et d'estime que
Ton sentait autour d'elle, une ahgélique bonté, la ren-
daient irrésistible. Tout d'abord, elle allait au cœur.
Ajoutez son père, son mari, ces grands morts tant re-
grettés'qui avaient reposé leur esprit en elle et l'environ-
naient de leur ombre aimée ; tout cela en faisait comme
une chose sainte et une espèce d'oracle, une autorité de
respect, d'amour.
Elle n'apparut guère que deux fois à la cour de France,
et dans deux moments décisifs pour l'intérêt du royaume,
la première fois pour aider au mariage français.
Grand renfort pour Gabrielle, véritable réhabilitation,
d'avoir pour soi la vertu même, de trouver que la plus
pure était en même temps la plus indulgente. Seulement
madame d'Orange mettait l'affaire bien en lumière. Elle
constatait que ce mariage était l'intérêt protestant, elle
finissait l'incertitude. Le roi allait se fixer, désespérer les
catholiques, qui probablement le tueraient. C'est ce qui
faisait désirer à beaucoup d'amis du roi une solution con-
22 MORT DE jGABRIELLB.
traire. S'il feltoit que quelqu'un périt, lU consentaient de
grand cœur que ce quelqu'un fût Gabrielle.
Toui le monde payait, prévoyait â'événemaat, «xcqpté
le roi.
L'Espagne devait le «avoir; un o#mmis d« Villeroy,
comme on le découvrit plus tard, Jlenait Madrid au cou-
rant de tous les secrets du conseil et de la cour^
Le pape, si Ton en croit Dupleix^ sut la mort de da-
brielle de façon surnaturelle au jour et à l'heure où elie
arriva.
Nul doute que le grand-duc n'ait été le naieux informé.
Il y avait intérêt. C'était l'homme de Gabrielle qui avait
écarté les Italiens de nos finances. C'était elle qui fermait
le trône à sa nièc€. Ce prince n'en était pas à son premier
assassinat Encore moins l'empoisonnement, plus discret,
lui répugnait-iL
Gabrielle paraît avoir tcès-bien senti elle-même qu'il y
avait trop de gens intéressés à sa mort, et qu'elle n'échap-
perait pas. Ses astrologues lui disaient ce qu'on pouvait
lire, du reste, sur la terre aussi bien qu'aux astres :
qu'elle mourrait jeune, ne serait point reine. Au milieu
des assurances les plus tendres que lui pouvait donner le
roi, elle restait pleine die crainte et inconsolable ; elle
pleurait toutes les nuits.
Le roi lui avait donné des présents tels qu'une reine
pouvait seule les recevoir, ceux qui lui avaient été offerts
à lui-même par nos villes, le plat d'or oii il reçut les clafs
de Calais, et lès offrandes 3oleanelles de Lyon, de Bar-
deaux.
On lui avait fait ses habits de noces. Et ses robes cra-
motaies (couleur réservée tmx reines) raJLtendaieat déjà
chez sa tanie.
Le roi lui avait donné un don singulier, l'anneau même
0 dont il avait épousé la France » k son sncro. (FrévUle,
Inventaire.)
Elle avait de soa hôtel avec le Louvi^ une commuAica^
^Q. Elle eut h faDtaUia de^KH^ber dans le Louvre mèaie,
^ If roi lui dpqfia le grapd appartement que les Mîaea
aeulea avaient occupé. Elley etnieba, mai&ellu a'oea rester,
soit qu'elle eût peur de se ouire par le aoandale de cette
audace, soit q^e la gramle majùson vide oii le roi ne venait
guère que poiur affaire offîcieUe, palaia déserté des Valois,
4'effipayàt de sa solitude^ et qu'elle ne db»rmit pas bien su?
i'oreîUer où Catherine médita la Saint-Barthélémy.
Piquas approchait, moment critique pour la maîtresse
du roi» L'arrangement était tel dans notre ancienne morr
narebie : celle semaine était la part du confesseur. La wtaàr
tresse devait s'éloigner, les amants se séparer, faire cette
petite pénitenee, pour se réunir après. Le confesseur
dHenri IV, TexH^uré de9 halles, bonhomme fort modéré,
insistait i^pendant pour que Gabrielle partit de Fontaî-»
oebleau, all&t à P^ris. C'était d'usage, et lui-même, d*ailr
leurs» avait ses raisons pour se montrer ferme. On le
«croyait protestant. 11 avait publié une version de l'Ancien
TestaiQoent qu'on disait colle de Genève. Le roi voulait le
faire évéqua, piais Romi^ lui refusait les bulles. On lui fit
croire am^emi^ent que ses bulles n^ viendraient jamais
s'il ne donnait eette satisfaction à la religion, à la décence,
de les empêcher de communier en péché mortel, et
d'oUîger Gabri^Ua d'aller k Paris .
Elle résista d0 son mieux. Paris l'effrayait. Elle allait y
être seule. jUa tante n'y était pas. La soeur du roi avak
auivi sop nmri d^» son ijkicbé. La princesse d'Orange
partait ppur jfair^ jia aène au obàteau de itosny et tàeher
did gagpar Mlff,
La ville ^Aait fort émue. Is parleaient avait été foreé
d^ni'^istf^r redit ^ Naoiâs* Le roi avait menacé de roê-
^urçir t^s pr^ek^rp d'ji^assinat. Le samedi % avrM«
l«eiUa des Qla^peam^, w Avait a^^éouté deux moiaes an
Arivp» la» 4ra^ ^mftsii» du toi. Chose pkts grave, sH4
Si MORT DE GABRIBLLE.
est possible, dans l'affaire de Sainte-Geneviève, où le roi
avait mis en face les médecins contre les prêtres^ les mé-
decins avaient décidé hardiment que l'affaire de la pos-
sédée n'était point surnaturelle. Bien plus, ils l'avaient
fait taire, l'avaient contenue, si bien dompté le diable en
elle, qu'elle n'osa plus remuer, devint un véritable agneau,
fit ses p&ques comme les autres. De là des risées; d'autre
part, une rage d'autant plus furieuse, qu'elle ne pouvait
s'exhalei^. Les choses en resteraient-elles là? le diable se
tiendrait-il pour battu? Il n'y avait pas d'apparence. Il
pouvait se revenger par quelque coup imprévu, terrible,
comme avait été la mort de madame de Montmorency I
« Eh quoi? ne suis-je pas roi?... Qui oserait? » C'est
certainement ce qu'Henri IV répondait aux larmes, aux
terreurs de Gabrielle. Dans un autre temps, elle eût op-
posé une invincible résistance, et le roi eût tout bravé
pour lui éviter le moindre chagrin; mais alors, quoique
fort aimée, elle doutait, elle craignait. Elle obéit, en épouse
soumise, avec un torrent de larmes. Le roi expliquait le
tout par l'état nerveux de faiblesse où sa grossesse (de
quatre mois) la mettait probablement. Elle fit un adieu en
règle, lui recommandant ses enfants, ses serviteurs, sa
maison de Monceaux, et disant ce qu'elle voulait qu'on
fit après sa mort .
Le roi, attendri lui-môme, la quitta le plus tard possible.
Il la suivit jusqu'à Melun avec toute la cour. Il se tenait à
cheval à côté de la litière où on la portait. Elle devait s'y
mettre en bateau, pour descendre doucement la Seine. Il
y eut là un grand combat ; ils pleuraient, se séparaient,
mais se rappelaient toujours. Enfin, il s'affermit un peu,
la confiant à son fidèle la Varenne, et lui donnant de plus
Montbazon, son capitaine des gai*des, qui devait la suivre
partout et en répondre corps pour corps. Un jeune
homme, Bassompierre, rieur et quelque peu fou, par le
droit de ses vingt ans, sauta aussi dans le bateau , voulant
MORT Dl GABRISLLE. 35
ramuser, la distraire. Moins léger toutefois qu*il ne parais-
sait, 11 ne resta pas avec elle. 11 la laissa à la Varenne et
revint auprès da roi.
C'était le lundi 5 avril, premier jour de la semaine
sainte. Elle descendit près l'Arsenal, et, sans traverser
Paris, se trouva du premier pas dans la maison de Zamet,
qui était sous la Bastille, dans la rue de la Cerisaie. Logis
quelque peu étrange pour la petite pénitence qu'elle était
censée faire dans ce moment sérieux. Mais elle n'osait
descendre à son hôtel voisin du Louvre, d'où il eût fallu
communier en grande pompe et à* grand bruit, au milieu
des malveillants, dans la paroisse royale, à Saint-Germain-
l'Àuxerrois. De chez Zamet, au contraire, la paroisse
était Saint-Paul, près la maison professe des Jésuites.
Là, elle pouvait faire sa communion, en pleine tranquil-
litéret hors de la foule, toutefois au su du public et dans
une notoriété suffisante.
SuUy raconte lui-même qu'il alla la voir chez Zamet
avant de partir pour Rosny. Elle fut fort tendre pour lui,
fort touchante, le priant de croire qu'elle l'aimait ;et pour
lui-même et pour les grands services qu'il rendait au roi
et à l'État, l'assurant qu'elle ne ferait rien désormais que
par son conseil. 11 fit semblant de la croire, et lui envoya
même madame de Sully pour prendre congé d'elle, ce qui
ne fit qu'envenimer les choses. La pauvre créature, voulant
plaire, lui dit qu'elle serait sa meilleure amie et la verrait
toujours volontiers à ses levers et couchers. Mais la dame,
toute gonflée de sa petite noblesse et du grand crédit de
Sully, arriva à son château de Rosny fort en colère. Son
mari la calma et la rassura, lui disant que les choses
n'iraient pas comme on croyait, c qu'elle verrait un beau
jeu, bien joué, si la corde ne rompait. » Il savait visible-
ment ce qui allait se passer.
Voyons le lieu de la scène, cette maison de confiance
où Gabrielle est descendue.
^6 MOUT m (UWIBUfi.
C« ^UQ les graïkl» «e^asiu^ ont plus tarA tant pnliqiié,
twt prisé, h p^tU^ maison de pkiîsîr* i&aMfll snnbla ia
premier l'avoir conçu et organisé. Ce (ut «te Mféwà%tiim.
Xu milieu du Paris 4e la Ug^e^ d^e^u r^e 9t bf»ii4J»e,
uo logis è ri^alieuae, 4aQ& la tciiditioo d'Himri UI* devaM
avoir uoe graade attracUon sur sm suco^^useur* Luxurieux
et économe, Henri lY n'aurait jajmis idépeoiié t^ q^%
allait pour arranger dans ce goût de volupté raffinée lea -
grands appartements du Louvre et ses g»k^a ««leuwla.
11 trouvait fort agréable et il cxoyaH moins eoût^ux d^
s'établir par moments dans ce joyaux Jbâtel Zamet* w il
jouait et fei^it gratis Aoutas ses Eintaifies; ZiAiat (tva^
trop d'esprit pour jamais demander rien.
Il avait bâti, meublé, paré exprès ce bijou^ dans w
beau quartier à la mode, étendu et aéré, ^elui que ïw
commençait sur l'emplacement de l'hôtel Saiat-4^ol, Tan^
<îien Versailles des Valois. La CerisaU, ou veiner de uns
anciens rois, qui donna son nom à la rue» devint en partie
le jardin de Thôtel Zamet.
Ceux qui entraient à Paris par la porte Sw^^AiHt^iae,
splendidement ornée par Goi^ou, dans -çelAe grande rue
des tournois, des triomphes, des entrées des rois, voyaient
à droite se bâtir la place royale d'Henri IV, à gauche uu
haut mur en contraste avec les façades brillMt^^ 4es hô^
tels voisins. Ce mur était la discrète .fi^uç0ii^4u jardi»
ZaQ:tet, dont l'hâtel, Msaez reculé, loiu de s*QUvrlr sur la
beUe rue, lui lournait le dos. Ainsi les maisons d'Orient
et certains palais d'Italie ne montrent que leurs 4éfenses
et cachent leurs charmes intérieurs, U fallait se 4éU>urner,
passer par ujne petite rue et eixtrer dans wie impayée. I4«
dans uQ Ueu plein de silence at comité h ceiH liftue^ de
la ville, une vaste cour laissait voir les légers pçn^iif ues,
les galeries du joli palais, ses ,terras^s et pmnftenadee
aériennes qui dominaient le jardiu*
Le tout petit et sans emphase, J^im, i^(dvMt#« h fMlçllfu
MOBT M GAMIBLtB. 37
dea cours et des bàtimente secondaires donnaioiil Ywbêl^
pleur et les akanees variées d'«me villa de Lombafdie,
tandis que l'exquiee coquetterie des af^rtemeitts secrets
rappehdt la recherehe extoème des petits palais de Yeiiiee.
Tout oe que la vieille Italie a su des arts de volupté y
éUit, le solide aussi des }o«iissaiices du Nord. Aux sensua-
lilés 4es bai os et des étuves parCpiinées, lemattre ajoutait
l'attrait d'une savante euisine-; il s'en occupait, il la sur*^
veillait, il servait lui-même. Sa gloire était de faire dire :
< Ofi ne sait manfier qae chez Zamet. »
Tel fut ce lieu de pénîtenee où fiabrielle fit sa retraite.
0« i^ut eroire que Tàôte empressé n'oublia rien pour
calmer, rassurer ce coeur ému. Une princesse était à
Paris, une seule, mademoiselle de fiuise, qui avait cru
quelque temps ^ouser le noi. Elle a'ahnait guère Ga*-
hrielle, et elle a plus tard écrit un petit roman {Àlcandre)
très-hostile i sa mémoire. Mais alors elle espérait que la
toate^uisaante maîtresse lui leraii trouver par le roi ce
que sa conduite légère paraissait rendre introuvable : un
mariage, un prince assez sot pocir la couvrir de son nom.
Donc elle fiaUait fort Gd^rieUe, jusqu'à porter de préfé-
rence des robes semblables aux siennes, comme si elle eût
été sa sœur. Elle l'amusait de médisances. Elle vint vite à
l'hdtel Zamet, s'empara d'elle pour la conduire partout et
se faire surintendante de ses dévotions. Elle voulait être
la première auprès de la future reine, ou peut-être sur'-
prendre contre elle quelque chose qui pût lui nuire de ses
aBoeanes galanteries.
GabrieUe, fiûfole, triste, enceinte, se laissa faire, trou-
vaut doux 4*étre entourée par uue femme. Si flottante da
croyance, elle allait faire encore une profesoion solen*
nelle de cetis religion à laquelle elle émit attachée bien
peu. Et d'autant plus faible était-elle, plus charmée de
celte compagnie galante et mondaine qui ne lui permet-
tait pas UA aeul moment sérieux.
28 MORT DE GABRULLE.
Elle se confessa le mercredi, très-probablement, et dut
communier le jeudi, avec son édifiante compagne. Elle
dîna à merveille, dans sa satisfaction d'être quitte de ce
devoir. Zamet empressé lui servit toutes les friandises
qu'il savait lui plaire. De 4à, on la prit en litière, de peur
qu'étant en carrosse elle ne sentit trop les secousses du
pavé. Des dames suivaient, mais en voiture. À côté de la
litière marchait le capitaine des gardes qui répondait de sa
sûreté.
Elle n'alla qu'à deux pas, dans la rue voisine, à une
chapelle de chanoines réguliers de Saint-Augustin, qu'on
appelait le Petit -Saint-Antoine. Petite église, en efiret,mais
qui attirait la foule par une excellente musique. On lui
avait arrangé une tribune réservée, pour qu'elle ne fût
pas pressée. Elle y entendit ténèbres, et, sans doute pour
que ce chant sombre ne lui fit pas d'impression^ mademoi-
selle de Guise lui montra des lettres de Rome oii l'on
disait que le divorce allait être prononcé. Elle avait même
eu l'adresse, pour mieux faire sa cour, de prendre au
passage deux billets fort tendres que le roi avait écrits à
Gabrielle coup sur coup, dans un même jour. Et ce fut
dans celte tribune qu'elle lui en donna l'aimable sur-
prise.
Cependant Gabrielle se sentait un peu éblouie. Elle sor-
tit, revint chez Zamet et fit quelques pas au jardin. Mais là,
elle tomba frappée, perdit connaissance.
Au bout d'une heure ou rien n'indique qu'on ait essayé
de la secourir, ni d'appeler les médecins, elle ouvrit les
yeux, et dit violemment : « Tirez-moi de cette maison. »
Elle voulait se faire porter chez madame de Sourdis, et
de là au Louvre même, se réfugier chez le roi, — appa«
remment pour y mourir, puisqu'elle n'avait pas pu
y vivre.
Zamet ne la suivit pas. Mademoiselle de Guise ne la
«uivit pas. Nulle femme. La tante était absente, et tout
MORT DB 4SÀBIUBLLE. ^9
s'éloignait de terreur. Le seul qui resta, ayant promis au
roi de ne pas la quitter, ce fut la Varenne. Il se trouva
constitué, dans cette maison déserte, seule dame et seule
garde-malade, femme de chambre et sage-femme. A
chaque convulsion violente^ il la tenait dans ses bras.
Les crises forent fréquentes, terribles, fi fit appeler la
Biviëre, premier médecin du roi, astrologue, homme d'es-
prit, qu'aimait la duchesse, ni protestant, ni catholique. II
avait étudié chez les Maures, vécu beaucoup en Espagne.
On le tenait pour fort suspect. Il venait de faire une chose
hardie en déclarant, comme médecin, que Marthe n'était
pas possédée. On aurait été charmé de le perdre. Il le
sentit, et n'osa rien ordonner à la malade. On eût tout
rejeté sur lui et dît qu'il Tavait tuée. Il s'excusa sur la
grossesse, ne pouvant rien faire, disait-il, à une femme
enceinte, sans blesser ou elle ou son fruit. Il laissa agir la
nature et la regarda mourir.
Gela fut long. En pleine force, animée d'un désir ter-
rible et désespéré de vivre, elle lutta quarante heures,
avec des accès, des transports, des mieux, des rechutes
cruelles. Si peu soignée, si mal gardée, elle appelait son
gardien naturel, son unique protecteur, le roi. Trois fois,
dans les intervalles, elle fit l'effort de lui écrire. Et la pre-
mière lettre parvint; mais on ne dit rien des deux autres.
Comme elle avait encore sa tête, pour porter cette pre-
mière lettre elle s'était procuré un homme qu'elle croyait
sûr, un certain Puypeyroux. Elle priait le roi de lui per-
mettre de retourner par bateau à Fontainebleau, pensant
qn'il viendrait lui-même. A ce mot, la Varenne en joignit
un de sa main, mais apparemment peu pressant, puisque
le roi crut d'abord qu'il s'agissait de quelque petit acci-
dent ordinaire aux femmes enceintes. Cependant il monta
à cheval, ayant dit à Puypeyroux de courir devant et de
lui faire tenir prêt le bac des Tuileries, pour que, sans
entrer dans Paris, il passât du faubourg Saint-Germain au
30 MORT DE G4BRIELLE.
■
Louvre. Il parait que ce Puypeyroux, entre le roi fort
pressé et la Varenne peu pressant, commeiiça à réfléchir ;
il craignit de déplaire à la Yarenne, et alla si lentement,
que le roi, parti plus tard, le rejoignit bientdt en route et
le gronda fort.
Le roi était à quatre lieues ; il allait être à Paris en une
heure de galop ou une heure un quarts quand il reçut à
bout portant un billet qui l'arrêta court; autre billet de
la Varenne... Elle est morte, et tout est ûaL
Foudroyé, on le fit entrer dans une abbaiye qui était
v(Hstne. Il se jeta sur un lit.
Mais Use releva Uentôt, disant avec force qu'au moins il
voulait la voir morte et la serrer dans ses bras.
La chose avait été prévue. Il trouva à point M. Pom*
ponne de Bellièvre, grave magistrat, qui, de sa parole infi-
niment froide et douce, l'arrêta, disant que la chose était
malheureusement inutile, qu'il ferait causerie publie^ que
le monde avait les yeux sur lui..*
Non moins à point était là un carrosse de Paris, envoyé
exprès» On y mit le roi. Les bons serviteurs crièrent : k
Fontainebleau. Et il tourna le dos à Paris, pleurant celle
qui vivait encore.
Elle vivait. S'il eût persisté, il la revoyait, recuetUaii sa
dernière parole, lui promettait de faire justice.
D'où savei&-vous qu'elle vécût? dira-t-on» De la Varenne
même, lequel a écrit ces deux choses : {'' qu'il dit qu'elte
était morte ; 2° qu'elle ne l'était pas.
Lui-même les écrit à Sully, donnant ce ridicule pré-
texte : t La voyant telleiaent défigurée, de crainte que cette
vue ne l'en dégoûtât pour jamais, si elle eu revenoit, je
me suis hasardé (pour lui éviter trop grand déplakir)
d'écrire que je le suppliois de ne tenir point, d'ataant
qu'cUe êioU morte. »
Certes, les coupableSi qaeh qu'ils fussent^ evrent à
remercier beaucoup cette prwieiiee de la Varenne.
MORT M 6ABH1ELLK. 31
11 ajoute : « Et mot, je rais ici, tenant cette pauvre
femme eemme morte entre mes bras, né cfoyanipûiqu'eUe
vive mêore une heure. >
Ce qni esi curieux» e^est que le drôle, peu rasduré toute*
fois sur le succè$ de scm audace^ et craignaât d*étre enve-*
loppé dans la ponitioA de Zamet, si Ton en vient à une
enquête, ^rend dé)à ses précautions pour se séparer de son
camarade. Il en parie même asecK ma), remarquant qu'à
ce bon dîner « Zamet Tavait trailée de viandes friandes
et délicates, qu'il savait étret le {rtns selon son go6t, eé que
vous remarquerez avec vtore fntde^ee^ car ki mienne n'est
pas assez excellente pour préramer des choses dont il ne
m'est point apparu. » Cette parole le oou vraît. Si on le disait
oomjrfice de S^met, il pouvait répondre : « Au contraire, le
premierj'ai émis dea doutes dans une lettre à M. de Sully. »
Cependant, au milieu du trouble, dans cette maison
sans maître, qui voulait entrait, sortait* On voyait, non
sans terreur et non sans signes de croix, ce spectacle inat-^
tendu, la plus belle personne de France devenue tout à
coup hi^râse, effroyable, les yeux tournés, le cou tors et
retourné sur l'épaule. Personne n'avait Tidée que ce mal
fût naturel ; beaucoup se disaient : « C'est le diable ! v
Explication qui venait fort à point pour le médecin, à point
pour tous ceux qu'on eût accusés. Le médecin ne manqua
pas d'en profiter, et, s'en allant, jetant au cadavre un
dernier regard, il dit ce mot qui lavait tout : « Hic est
manus Dei. »
Elle ne fut pas administrée et « mourut comme une
ebienne, » mot cruel qu'en pareil cas dit toujours le peuple
dévot. Quelques^ns, des plus charitables, hasardaient
pourtant de dire que, comme elle avait communié récem-^
naeni, son àme était en boii état. Libre à ses ennemis de
croire, s'ils voulaient, que cette communion en péché mor*
tel avait tourné à sa condamnation et l'avait livrée à la
fureur meurtrière du malin esprit.
32 MORT DE GàBRIELLK.
Elle avait été ouverte, et on lui avait trouvé son enfant
mort. Sa tante de Sourdis^ arrivée trop tard^ ne put que la
rhabiller, la mettre sur un lit de parade en velours rouge
cramoisi à passements d*or (ornement propre aux seules
reines), avec un manteau de satin blanc. .
Cruel contraste d^une si éblouissante toilette avec cette
face terrible qu'on eût crue morte d'un mois. Les portes
étaient ouvertes ; vingt mille personnes y vinrent et défi-
lèrent près du lit. Plusieurs furent touchés et dirent des
prières. Beaucoup rêvaient sur cette énigme et faisaient
maintes conjectures. • Les parents n'en firent pas une.
Muets et n*accusant personne, ils craignirent de se faire
trop forte partie et laissèrent cette affaire à Dieu.
Ceux qui s'étaient attachés à elle, à cette maison, étaient
fort, tristes et se voyaient tomber à plat. Le vieux Che-
verny, qui, pour plaire, avait fait le jeune et l'amant auprès
de la tante, fut inconsolable, non pas de^a mort, mais de
sa sottise «t de son imprévoyance. Il en fait, dans ses
mémoires, une froide lamentation.
Grande joie au contraire à Rosny. Elle mourut vers le
matin du samedi; mais, dès le vendredi soir, la Varenne
avait envoyé à Sully un messager qui arriva avant le jour.
Sully embrassa sa femme, qui était au lit, et lui dit : « Ma
tille^ vous n'irez point aux levers de la duchesse. La corde
a rompu... Maintenant que la voilà morte, Dieu lui donne
bonne vie et longue 1 » Et sur cette belle plaisanterie, il
partit pour Fontainebleau.
Le roi, rentrant, vendredi soir, dans ce palais tout plein
d'elle, maintenant désolé et désert, avait renvoyé la cour
et gardé seulement quelques familiers. Et encore par
moments il s'enfermait seul. Cette solitude inquiétait. En
attendant que Sully vint, on hasarda des tentatives de
consolation. D'abord un vieux camarade de guerre, Fer*
vacques, braque et cerveau brûlé, fit une pointe près du
roi et lança ce mot hardi : t Vous voilà bien débarrassé! >
MOHT DK GABRIELLE. 33
Alors le duc de Retz (Gondi), fin et spirituel, sourit,
soupira, dit avec douceur qu'après tout, en songeant à ce ,
que Sa Majesté eût fait sans cela, on était obligé de dire
que Dieu lui avait fait là une grande grâce..
Le soir enfin (du samedi), à six heures, Sully arriva dans
toute Taustérité de sa figure iiuguenote, et, quand le roi
l'eut embrassé, sans blesser de front sa douleur, il se mit
à exalter « les oeuvres émerveillables de Dieu, » qui (dit le
psaume), en sa sagesse, fait bien mieux que nous ne vou-
lons. Mais il n'acheva pas le psaume, se fiant à la mémoire
du roi.
Le roi écoutait sans rien dire et le regardai^ fixement;
et sans doute il était frappé de cet accord d'opinion, tout le
nionde^ les sages et les fous, le félicitant au lieu de le
plaindre. Il fit quelques pas dans la galerie, remercia Sully
cl dit qu'il lui savait gré de ses ménagements. Ceux qui le
virent sortir ensuite de la galerie te trouvèrent beaucoup
moins triste. On jugea qu'une douleur si résignée et si
douce ne tournerait pas à l'orage. Les intéressés respi-
rèrent.
11 porta le deuil en noir» contre l'usage des rois, qui le
portent en violet. Il le garda trois mois entiers. Il envoya
toute la cour au service, qui se fit à Saint-Germain-
l'Auxerrois. Il reçut les compliments de condoléance des
ambassadeurs, et, ce qui étonna le plus, ceux du parle-
ment, qui envoya à Fontainebleau une députation solen-
nelle.
Mais de recherche, d'enquête sur la mort, pas le moin-
dre mot. Soit qu'il eût peur de trouver plus qu'il ne vou-
lait, de troubler son entourage, et craignit l'ébranlement
d'une si terrible affaire, il reprit ses habitudes, s'entoura
des mêmes gens.
Il écrivait peu après ce mot expressif : « La racine de
mon cœur est morte et ne rejettera plus. »
Mot vrai^ quoique les habiles aient trouvé moyen de le
XI. 3
34 MOBT fiE ÇJMaUM.
I
relaacer bteatât dans 4e nouvelles gitenteries. U reprit la
pas»on qui était sa vie^ par ses poiaies^ ses êgitatmis ou
ses^^éblomsseaoeuts» Mais ce n'était plus GabrieHe, ceUke
pleine saveur d'anMMir où son oœinr s*étaît reposé»
On bii donna une maîtresse, oa lui donna wm fiomnie,
œtte Marie de Médicis que les papes, l'Europe let la coar
avaient voulu lui imposer. Elle arriva belle dlargent et des
éous de son onde. Le roi ( sa lettre à la Cfaanibne des
Gom{>tes ea témoigne) lui donna, par éoûooinie, les dia -
mantsde Gabrielle, ce qui, dit-il judioieuseiDeiit, «vous a
^argné autant de dépense. »
Que devint le joyeux Zamet? Plus que janMÀsen laveur,
il engraissa notablement, mais, par prudence, n'acheta
jamais pcMir un sou de terre en France. Jl n'eut d'autre fief
oue sa caisse, qu'il intitulait hardiment le Mont-iô^^iéU
eus rois. U resia toujours léger, mobile et le ^d levé.
La Yareone s'inunortalisa par une foiidation pieuse.
Devenu, par la grâce du roi, seigneur dç la Elècbe, il fit
de cette petite ville une affaire fort importanie et fort lu-
crative par l'église et le collège qu'il obtint pour elle, éta-
blissements qui y attirèrent du monde et au bon seigneur
de gros revenus. Une telle cage voulait des oiseaux. La
Yarenne veillait le moment. En l'année 4603, le roi étant
très-affaibli, malade au printemps, malade à l'automne, et
quelques jours seul à Rouen, il ne manqua pas son coup :
il lui fit signer, entre deux diarrhées, le rappel des iésuites
en France.
CHAPITRE III
Hiortoltè dTftitmiMt « MÊHt^ MMéM. I8i».4«00.
Le grand fMAêor dm Tépoque, dont k Mtgi^pM pinceau
«ol piNir tàolie de di?!niier les raineB ei les rois, Rabens •
suoeonbé, il faut le dire, devant Merie de liédicis. Dans
le galesie tUégevMpie ^'elle lui il peindre k se gloire, il a
bem se détourner vers ses rérea fcvoris, les jeones et poé-
tiques beentés de déenes ou de sirènes ; il lui faut bien
retomber au pesant modèle qui le poursuit de tableau en
leUeao. La Grosm Marehande à Florence, oomme nos Fran*
çaisBS rappelaient, fait on étrange contraste k ces fées du
moade inconnu.
La Bsagnifique DUcêrde, palpitante sous ses cheveux
noirs, dont ie corps ému, firémissant, est resté à jamais
riaggigt ; la Blende, le rAve du Nord , la charmante Né^
raéê^ pétrie de tendresse et d*aniour : toute celte poésie
est bien étonnée en face de la bonne dame. Assenit>iage
splendide et boriesque. La fiction y est animée, et d'une
vie écineelante; l'histoire et la réalité n*y sont que prose et
phtilnde, n» eamaval d'histrions et de ûm dieux ridicules,
nn empyvée de Scarron.
Marie de Médicis,qui avait viogt-sept ans quand Henri IV
l'épousa, était une grande et grosse femme, fort blanche,
qui, amf de beau bras, une belle gorge, n'avait rien qae
36 HBNRIBTTB D'KNTRAGDBS
de vulgaire. Sa taille élevée ne reni(>échait pas d'être fort
bourgeoise'et la digne fille des bons marchands ses aïeux.
Même son père, son oncle qui la maria, tout princes qu'ils
étaient (par diplôme), n'en faisaient pas moins le com-
merce et l'usure.
D'italien, elle n'avait que la langue; de goût, de mœurs
et d'habitudes, elle était Espagnole ; de corps, Autrichienne
et Flamande. Autrichienne par sa mère, Jeanne d'Autri-
che; Flamande par son grand-père, l'empereur Ferdinand,
frère de Charles-Quint. Donc, cousine de Philippe 11, de
Philippe 111, de ces rois blêmes et blondasse», aux yeux de
faïence, tristes personnages que Titien et Vélasques gar-
dent encore sur leurs toiles dans toute la triste vérité.
Elle était née en pleine réaction jésuitique. Sa mère,
Jeanne d'Autriche, fut une de ces filles de l'Empereur qui
créèrent et patronnèrent les Jésuites en Allemagne, fon-
dèrent leurs collèges, leur mirent en main les enfants des
princes et de la noblesse. La première et la seule chose
que Marie demanda au roi, à son débarqué en France^fut
d'y faire rentrer les Jésuites.
Deux choses la rendaient désirable, non au roi, qui s'en
souciait peu, mais désirable aux ministres : c'était l'argent,
la grosse somme que son oncle Ferdinand consacrait à
cette affaire, à l'alliance de France; et, d'autre part, l'es-
pérance que cet oncle donnait à nos politiques, de leur
faire un pape du parti français. Les Médicis, qui jadis
avaient fourni à l'Église Léon X et Clément Vil, récem-
ment avaient fait deux papes par leur influence,. Gré-
goire XIII et Sixte-Quint. Le pape régnant. Clément VUI,
s'il n'était pas homme des Médicis, était du moins Floren-
tin, et désignait comme son successeur probable un Mé-
dicis, le cardinal de Florence (Léon XI), qui, en effet, eut
un moment la tiare.
Politique, au fond, assez pauvre, qui dëjà avait trompé
François 1^' quand, pour acquérir l'alliance viagère de Clé*
BT yUME DE MÉDICtS. 37
ment YII, il prit sa nièce, Catherine. Il n'y «vait pas de
loterie qui trompftt plus que celle-là. Qu'apportait le pape
k nos rois? L'amitié d'un moribond qui leur tournait dans
la main. On fit faire la même faute à Henri IV, lui impo*
sant cette nièce du grand fabricateur de papes. On lui fit
jeter un argent immense dans la préparation coûteuse de
l'élection d'un Médicis, qui fut pape pendant vingt jours !
Je croirais, en conscience, que ce mariage italien fut
une punition de Dieu »pour l'ingratitude du roi à l'égard
de l'Italie.
Quelle puissance l'avait reconnu la première à son avè-
nement douteux? Venise, qui manifesta pour lui tant d'en-
thousiasme et vint jusqu'en France témoigner par une
solennelle ambassade l'estime et les vœux de TElirope. II
n'en tourna pas moins le dos à Venise, quand elle le priait
de soutenir Ferrare contre le pape, qui la réunit au saint-
siége. Ferrare, petite puissance, mais fort militaire, renom-
mée pour l'artillerie. Ses ducs, célébrés par le Tasse,
étaient une des dernières forces qui, la France aidant, pût
soutenir l'Italie. Ce dernier souffle italien, qui l'éteignit?
Hélas 1 la France. Henri IV paya ainsi son absolution. Il
n'avait pas encore, il est vrai, la paix avec les Espagnols.
Mais, quelles que fussent les velléités françaises de Clé-
ment Vllf, donner un Ëtat à la papauté, à l'impuissance,
à la mort, c'était en réalité, fortifier les Espagnols, qui,
bon gré mal gré, dominaient le pape. Soutenir Venise, au
contraire, au moins de parole et de négociations, lui sauver
son alliée, Ferrare, c'était faire craindre aux Espagnols les
résistances italiennes, et d'autant plus puissamment leur
faire désirer la paix.
Comment fit-on croire ao roi que, pour être fort en Ita-
lie, il lui fallait s'appuyer sur ce qui y change sans cesse,
sur un souverain viager, une puissance de vieillards, dont
la volonté personnelle était par moment française, mais
dont la cour, le conseil était et ne pouvait être que catho-
38 HJUfRUm B'EiriRAGUn
lique, donc espagnol? Un ptpe fraii^d'ÎBcUnftLioii éteH
un trèa-maavais pape, dominé par io tenpore)^ efc diaposé
à a'arraelier de la ferma base de la papftufé, qui élail l'Ea^'
pa^pne. Qui brûlait encora? L*Es|Wgne. Qui peraéeulait les
Maures, jusqu'à en chasser ua nûlMon 9 L'Espagne. Nul
pays n*eàt été aloars asaez fou pour Citre cela.
Cette sottise de jeter la France dans une i^oUkique papale
réussit par Tardent concert des parvenus de Tépoque, des
abbés gascons, intrigants, menteurs, dont la cour était v^
festée, qui rêvaient les prélatures, le chapeau, et tous tra«-
vaiUaient, d'accord avec h finance italiamie et lea ban-
quiers de Florence, à mettre dans la tète du roi qu'il ferait
pape un Florentin, et par lui mènerait l'Europe. Lea du
Perron et les d'Ossat le faisment toujours regarder vers
Florence et Rome. Ëtait«il dupe ? je ne sais* Mais eet homme
de tant d'esprit, de courage, qui ne craignit jamais les
épées, craignait le couteau ; il voulait extrémemeiit vivre^
et s'imaginait qu'il serait plus en sûreté a^il avait le pape
pour ami, mi^ux encore, s'il faisait les papes.
Le mariage florentin l'acheminait vers ce but. Que le roi
Taimât ou non, il devenait sûr. C'était une affaire de tempe.
Comment employer ce temps? Il fallait une maltresse qui
fit gagner quelques mois, détournât la pensée du roi et
servît comme d'épongé à laver et faire disparaître limage
de Gabrielle.
Fontainebleau, plein de celle-d, et qui l'eût rappelée
toujours, n'était pas tenable. Mais le Midi remuait* A la^
grande joie des courtisans, le roi leur dit un matin : t Me»*
sieurs,montons à cheval ; j'ai envie de manger cet été des
melons de Blois. »
Dans le passage ennuyeux de la grande plaine de Beauce,
quelqu'un lui dit qu'il devrait bien s'arrêter au joyeux chà«
teau de Malesherbes, où M; d'Entragues, qu'on appelait le
roi d'Orléans (successeur de Charles IX, comme époux de
Marie Touchet), tenait sa petite cour.
\
ET llAMt DE KÉBietS. 39
Qui dk eda? Seyez-èn sèr, nul aa^e que Fouqaet la
TMeiwev Ce seratsn» mcomfi0BiUt, miqiie eoaiine cImb-
aeur de fiBcrana» etdéaicfaemrdé bcauOés, avaU trMWfé peur
son maître la plus jolie fille de France.
Lft mère, \m Mane'laiiehet, unique annoor d» roè ira-
gique^ qui, dk-oit/dierclia en ette retibU- de la âiJii6»Bar-
théleny, Mirie Teacbel était f konannia d'origine,, mus
tr軫affinée^ tFès-lettnée ; née éiàs 1» ville de» dispute^,
Oriéao», p«Î6 Iransporttéei lai eoor ilaMeiiiMide Catherine
de Médicis» Elle lisait (ehose rave alovs), non pas telle Irn-
daeticMi d'Amadis, maie ïe Krf e de Ctiarles ïî, les Grnnâs
Homme» de PiuUtrqiAê^ dans la beKe version d' Amyot«
Cette dame, ière de ce* grand et sombre sooveniif,
-quoiqae peu n<d>le elle-HnéiDe, non sans peine, était des^
cendue à épouser un seigneur, le premier du pays, Entran
goess gowemenr d'Orléans. Soa fils, qu'elle avait en de
Charies IX, et qui se trouvait neveu d^nri IH, h rendait
fort ambitieiise. Elle visait haut penr ses filles, les ghrdait
admirablemenl, mieux qu'eHe ne fit pe«r elle-méaoe. Sa
sévérité maternelle était passée en légende. On contait
q«'ua de ses pages s'étani un peo émancipé du cèté des
^moiseUes, elle Tavait virUeraant poignardé de sa propre
besoin d'être bien gardées, nies avaient
reqyrit du diaUe. L'aînée, iMiriette, était wie fiamma.
Vive, hardie, an bec acéré. Bes rencontres et des répli-
ques à faire taire tous les docteurs. Elle ne lisait pas d*his-
ioire ; eUe étaîK trap fine et trop disputeuse.. Ifc hii fidlait de
ta théologie, adaisaigae, sablûe, les eoncêtti afiticaîna de
saint AugmitaiK Cette dangereuse créabm, avec cela, était
trèa-jeima, saelte et légère, en paafast contraste avec la
•défunte, avca la beauté bonasse, ample déjà^ de Gabt ielle.
Qu'elle fàà belle,, cela ttîesli pas sÀr ; mais. eUe était vîive
«t jolie. Le roi, qai era^nii seatenrant s'amaaer et lire», fat
pris. La fine langue, maligne et rieuse, ne ménageait rien,
40 BENRUTFTB d'BNTIUOUBS
et pas plus le roi. Son cœur malade, blasé, et qui se croyait
fini, revécut par les piqûres. Il la trouva amusante, puis
charmante* En réalité, il n'avait rien vu, et ne vit rien de
plus français.
La perle était mal encadrée. Le père était un brouillon,
un homme perdu, et le frère un scélérat. Le roi les con-
naissait si bien, qu'il avait chargé Sully de les chasser .de
Paris; mais, si telle était la famille, c'était le malheur
d'Henriette, non sa faute ; elle était mineure, et n'avait que
dix-huit ans. Tout le monde est tombé sur cette fille. On
verra les crimes réels où l'entraîna sa famille. Mais les
premières noirceurs qu'on lui attribue ne sont guère attes-
tées, comme les fautes de Gabrielle, que par leur ex-rivale,
mademoiselle de Guise^ princesse de Conti, et par son ro-
man A'Alcandre.
Je m'en tiendrai uniquement aux letties du roi, aux mé-
moires de Sully^ à la correspondance du cardinal d'Ossat.
D'Entragues exploita honteusement sa fille mineure, la
vendit, le 41 août 4599, pour le marquisat de Verneuil.
Maïs il ne la livra pas, exigeant encore du roi une somme
de cent mille écus. L'argent payé, le marchand ne la livra
pas encore, jusqu'à ce qu'il eût fait faire au roi ce bel
écrit : « M. d'Entragues nous donnant à compagne made-
moiselle Henriette, sa fille, en cas que, dans six mois, elle
.devienne grosse [et accouche d*un fils, alors et à l'instant
nous la prendrons à femme. De Malesherbes, 4^** octobre
4599. Henry. »
Nous avons l'acte authentiqué par deux secrétaires
d'Ëtat {Lettres^ Y, p. 227). Pour le courage de Sully, qui
prétend Tavoir déchiré, je le trouve bien douteux.
Nos ministres laissaient le roi jouer au mariage avec sa
maltresse, mais n'en persévéraient pas moins dans l'idée
du mariage politique et financier, qui, selon eux, outre
Fargent, allait nous créer par le pape et le grand-duc une
influence en Italie.
La grande affaire était Saluées, cette porte de ritalie,
que le duc de Savoie, dans la crise de la Ligue, avait en-
levée à la France : atbire religieuse autant que politique,
Sabices ayant été jadis un refuge des Vaudois et des pro-
testants italiens. Henri IV, puissant et vainqueur, ne pou-
vait tolérer cette usurpation qu'avait dû subir Henri 111.
En décembre .4 599, le duc de Savoie fit la démarche
inattendue de venir à Fontainebleau. Ce prince inquiet,
brouillon, mal fait, malfaisant, avait un démon en lui. Sa
personne était étrange, comme son singulier eibpire, bossu
de Savoie, ventru de t^iémont. Et l'esprit : comme le
corps il semblait gonflé de malice, travaillé dans sa peti-
tesse d'un besoin terrible de s'étendre, de grandir et de
grossir. Il avait hypothéqué sa fortune sur son mariage,
ayant eu l'insigne honneur d'épouser une . fille de Phi-
lippe U. liais celui-ci, qu'on n'eût cru aucunement facé-
tieux, joua en mourant à son gendre le tour de ne lui
laisser par testament qu'un crucifix, tandis qu'à son autre
fille il léguait les Pays-Bas.
Donc il semblait bien payé pour haïr les Espagnols.
Mais ils l'amusaient toujours, lui disant que Philippe tll
n'avait pas de fils et qu'il était l'héritier, le leurraitt d'une
viee-royauté de Portugal, etc. Son favori, un Provençal,
était tout Espagnol de cœur, plein de fiel contre la France;
homme noir, d'ailleurs, à jeter son maître dans les plus
atroces complots.
Le bossu était venu pour observer, flairer, tàter. Mais,
comme il arrive dans les grands désirs, il vit ce qu'il dé-
sirait. L'aspect de la France était encore pitoyable. La mi-
sère continuait, les villes regorgeaient de mendiants, les
routes étaient pleines de soldats sans pain. D'autre part,
les grands seigneurs étaient maîtres des meilleures places.
Voilà ce qui était vrai et qui se voyait. Mais ce qui était
non moins vrai et qui ne se voyait pas, c'était un besoin
immense de paix, de repos, qui rattachait le peuple au roi,
4S Hnmaam d bhiigob
et Uà eàt fait mettre ea pièces de ses onglcB eide 8» dents
(es anteors d*iiiie Lij|«e nouvelle. Le Saveysrd se ctut fovt,
peree qu'il firait la p«roèe de tel el tel des grends set^
gneurs, spéeialement ceUe de Biroau ii ne rcmlnà plus
traiter; sottlemeiit il eDdemit lè m, lui prssmirwii qse
dans trois mois il Inî rendrait Saluées ou biett hù doitte»
rait la Bresse en échange . Sorti de Piwice une fois^ q«ind
échut le terme indiqué^ il dértura efiBroBléinent €pL*il flar-
dait la Bresse et Saluées.
La guerre était infeiUîble. Le grand marage d'ar^eat
renaît d'autant phis à propos^ Cette belle dot de Teacane
allait faire les frais de la ciMnpagne, permettre de fraipper
un grand coup, de battre les Espagnols sur le dos du Se^
Toyard. Cela était spécieux. La pmvre Henriette d'Enlr»*
gués, et la promesse du roi, qui avait ce qu'il voelait,
pesèrent peu contre ces raisons.
Le 9 mars 1600, le roi écrivit an grand-due; maisU
voulait une dot de 4,500,000 écus.
Somme épouvantable, impossible. Le graed-doc brisai
On marchanda, on baissa, et enfin on n'eut pas de bonté
ie descendre à six cent mille. Mais iè laHait de l'argent
ser-le-'chagnip, la guerre presaaît.
On sait si peu en ce monde ce qu'on doit vraiment te^
douter, que le roi, au moment de se lancer dans cette
guerre, ne craignait aucunement la sourde consfrâration
catholique, et craignait extrêmement la bruyante, Tinno-
cente conspiration des protestants, qui persistaient à ré-
clamer Texécutioa de Tédît de Nantes* Le roi était parvenu
à le faire enregistrer, mais non pas exécuter. On pariait
insolemment qu'il ne Texécateraii pas. Les protestants
étaient assemUés chez leur pape. Du Plessis Momay. C'é-
tait l'homme le plus estimé de l'Europe, tendrement dé-
voué au roi, à qui il avait cent fois donné sa vie, mats
dévoué à sa foi, dévoué au parti des victimes qui venaient
naguère eneore d'être maasacsées près As Nantes. « S* le
ET MAMB DB MÉDICIS. 43
roi était immortel, disait-il, noos serrons tranqtiiKes; mais,
s'il meurt, que deviendrons-nous? i»
Donc il insistait. L'assembMe refusait de se séparer tant
qu'on ne tenait pas parole. 6f ate refus, au moment de la
guerre.
Le nÀ prit un parti étrange dans une affaire si sérieuse :
ce lut de tuer la résistance pretestante par le ridicule. Un
complet fut oif anisé par le facétreuic Du Perron, bouffon,
évè^ et cardinal, que nous avons vu évéque pour les
vers à Gakrielle, cardfoiai pour Tabjuration.
Le plus sèr pour déconcerter les protestants, c'était
d*hamiUer leur pape^ ée turlupiner, chansonner le plua
honnéle Homme du temps. On avait déjà fait une tentative
tien digne de la brutale insolence ée la nobiesae ligaeuse;
un Saiat^Ffaai, sans provocation, osa donner k ce vieillard
dnigé d'années, d'honneçrs et de Messures, des coupa
de bâton l Cela n'avait pas réussi, le roi et tout le mondé
s'étaient indignés ; mais, cette fois, on se contentait d'une
bastonnade spirituelle. Le roi entra de tout son cœur dans
reapièglerie.
Cooune rien n'est parfait sur la terre, le bonhomme Do
Plems avait un défaut, celui du temps, la manie de la
controverse. Même jeune, au milieu des guerres, des
voyages périlleux et des aventures, sous la tente ou sous
le ciel, dès qu'il avait une heure à lui, il tirait plume et
papier, et il écrivait de la théologie. Vieux, il venait de
poiftiier ce qu'il croyait son chef-d'œuvre, Y Eucharistie.
Du Perron annonce à grand bnût que l'auteur est lin fans*
saire» qu'il a fait cinq cents faux, cinq cents citations coo-*
traiivéea, estropiées, etc. Il se charge de le prouver.
La chose était bien calculée, k ce défi, le vieux gentil*
bomme, bouillant de colère, oublie tout, quitte Fassem-
Uée, vole à la cour et demande le combat théologique*
On Tattendait là. Le roi donne des juges hostiles ou sus^
pects. 11 assiste, encourageant Tun, riant et se moquant
ii HENRIETTE s'bNTRIGUBS
de l'autre. D'abord il dispense Du Perron de prouver c que
ce sobt des faux, > lui ouvre la porte de retraite, puis il le
dispense encore d'indiquer d'avance quels passages il at-
taquera. Du Plessîs ne sut que le soir, à minuit, les huit
textes qu'on voulait d'abord contester le lendemain. Ces
textes étaient-ils dans les Pères de l'Ëglise? n'y étaienMIs
pas? Ils y étaient, mais en substance. Du Plessis avait cité
en abrégeant et résumant. Donc on le jugea coupable.
Huit phrases comptèrent pour les cinq cents. Condamné,
moqué, écrasé, — surtout accablé de la 'joie du roi et de
son défaut de cœur et de l'amitié trahie, il tomba malade
et dut se faire reporter à Saumur. Le plus triste pour
l'humanité, ce fut -une lettre duroi.où, pour flatter les
catholiques, il écrivait amicalement h un homme (qu'il
délestait), à d'Ëpernon, leur victoire et la part qu'il y avait,
comme il avait pesé sur les juges, emporté la chose. La
lettre fut colportée partout. Extrême fut la douleur des
protestants, qui le croyaient sans retour livré à leurs en-
nemis.
Point du tout; c'était le contraire. Ayant donné aux
catholiques ce triomphe d'amour-propre, il hasarda ce
qu'autrement il n'aurait jamais osé. Il commença sérieu-
sement à donner aux prolestants découragés, humiliés,
les garanties de l'édit de Nantes, villes d'asile, tribunaux
à eux, etc., etc.
Quitte ainsi des protestants, le roi ne l'était nullement
de l'intrigue catholique ; il lui venait des avis sur la trahi-
son de' Biron. Gouverneur de Bout^ogne, voisin de la
Bresse, qui était au Savoyard, Biron aurait pu, le roi une
fois entré en Savoie, faire entrer la Savoie chez nous.
Pour cela, il eât fiillu que celle-ci fût aidée h temps par
les Espagnols. Mais un heureux hasard voulut que, juste-
ment à ce moment, ceux-ci reçussent à Newport de la
ince Maurice un épouvantable coup. L'armée
(hollandaise, allemande, anglaise et surtout
ST M4RIB DB MÉDICIS. 4S
française) ne battit pas seulement l'armée espagnole, mais
elle Tanéantit.
Ce fut le plus grand coup d'épée que le protestantisme
eût frappé depuis cinquante ans. L'Espagne fut assommée.
Il fut trop dair que, malgré toutes les fureurs de Fuentès,
gouverneur de Milan, qui poussait la Savoie; l'Espagna
ne perdrait pas ce moment pour rentrer dans la grande
guerre de France.
Dès lors plus d'hésitation. Le \h août, le roi, de Lyon,
lança son manifeste de guerre.
CHAPITRE IV
Guerre de SaToie. Mariage. t60l
Entre révénement de Newport et le manifeste, en un
mois, Sully, avec une activité et une énergie incroyable,
avait transporté de Paris à Lyon rénorme matériel qu'il
préparait depuis un an. L'artillerie étant placée dans la
main qui tenait déjà les finances, il y eut une formidable
unité d'action. Sully agit en dictateur; il suspendit les
payements par toute la France, tourna tout l'argent à la
guerre. Il destitua en une fois tous les nobles fainéants du
corps de Tartillerie et leur substitua des hommes capables.
La France eut toujours le génie de cette arme, dès qu'on
Ta laissée agir. D suffit de rappeler ce qu'on a dit dans
cette histoire et de Jeanne d*Arc et de Jean Bureau, de
Genouillac à Marignan. enfin des premiers essais d^arlil-
If rie volante dans les combats d'Arqués.
Le Savoyard se trouva pris au dépourvu. Avec tout son
esprit^ il n'aMiit pas prévu trois choses : d'abord cette
rapitîitè ; il croyait que Ton traim^rait jusqu'à Thiver, où
ses neiges l'aurait nt dofendu. Ensuite il ne devinait pas
que la guemf serait poussée eniiôremenl par lartiUerie.
qui abn^gt^mit à coups de foudre. Troisîèraoment, il pen-
sait que Bin>n pourrait trahir. Gste destitution de tant de
vieux oiicit^rs paralysa cjux^rcment sa mam^i^ volonté.
y^BUGE. 47
Il eommaada ; mats eatancéi surveillé par les hommes de
Sully, H ne put que marcher droit* el Je malheureux fut
eooiraÎBt d'aller de victoire eu victoire.
Le leadeiBaiii du mauttesiey le corps de Bvnm entra
dans la Bresse, «elui die Leadiguières eu Savoie. En vain
BiroB doma avis au gouverneur de Bourgren-Bresse de
ses procbaioes attaques, ses officiers Tentraloèrent, firent
sauter les portes, emportèrent h place avant Le temps in-
diqué.
Ceci le 13 août, deux jours après la déclaration. Le 47,
Lesdiguières, non moins rapide, enleva la forte place de
llontoiélian, qui «ouvrait toute la Savoie; la 4;itadelle tint
seule, mais il l'assiégea, la serra. Le roi arrivait, et le 20,.
S fut devant Chambéry, la capitale du pays, qui se rendit
sur4e-cliamp. L'épouvante était extrême d'une telle rapi-
dité, mais non moins l'admiration pour l'humanité du roi,.
qui disait qu'il ne faisait la guerre qu'au due, point aux
habitants. Voilà une guerre toute nouvelle, la première
guene d'hommes. Avaat, après Henri IV (surtout dan&
celle de Treaile aas)^ ce sont guerres de bétes féroces,
bien pis, des guerres de soldats traîtres, qui se ménagent
entre eux pour manger à leur aise le pauvre habitant
désarmé.
Le duc avait dit : « Il faudra quarante ans. » Il fallut
quarante jours, sinon pour tjerminâr la guerre, au moins
pour la décider.
Ses petits forts de Savoie, sur des pios^ sur des passes
étroites, semblaient imprenables. Et il y avait près du roi
plus d'un personnage douteux qui espérait qu'on échoue-
rait, liais Sully était là en personne, et autour de lui la
terreur de son pénétrant regard. Quels furent les instru-
ments habiles qu'il employa, les hommes de génie obscurs
qui vainquirent ces difficultés et menèrent si bien l'intré-
pide financier dans cette guerre inconnue des Alpes? On
ne le sait. Ce qui est sûr, c'est qu'en un moment or perça
48 GUERRE DE SAVOIE.
la longue vallée jusqu'au mont Cenis. Et, un pas de plus,
on descendait en Piémont.
Le roi avait passé en Bresse, pour voir de plus près
opérer Biron. Celui-ci était furieux d'avoir si bien réussi,
au point que, devant un fort, il voulut faire tuer le roi, et
avertit les assiégés pour qu'on le tirftt. Il n'était guère
moins en colère contre le duc de Savoie, qui était encore
à Turin, attendant que Biron trahit et qu'on lui ouvrit
Marseille^ qu'on lui promettait. Il avait tout perdu de ce
côté des Alpes, moins la citadelle de Montmélian, que
Sully tenait dans un cercle de foudroyantes batteries, et
qu'il allait bientôt raser, s'il ne la prenait. Biron fit dire
au Savoyard que, s'il ne passait les monts, il était désho-
noré, et qu'on ne pourrait plus rien pour lui. Donc II
passa, mais à sa honte, le roi l'approchant et le provo-
quant, sans le faire bouger.
La dot de la Florentine n'avait pas peu contribué à
rendre ces succès possibles. Le malheur, c'est qu'après
la dot il fallait recevoir la fille. Le roi y songeait si peu,
qu'il envoya à Henriette les premiers drapeaux pris sur la
Savoie (septembre). Il voulait la consoler. Par-dessus le
parjure du roi et la perte de ses espérances, elle avait eu
un grand malheur. Le tonnerre tomba dans sa chambre,
et elle accoucha, mais d'un enfant mort. Elle se fit pour-
tant porter jusqu'à Lyon, jusqu'à Chambéry, où était
Henri. II y vit l'état misérable de tristesse et de désespoir
oii cette fille, si jeune encore, vendue des siens, trahie
par lui, était tombée ; la pauvre rieuse ne faisait plus que
pleurer. Il était tendre, son cœur se souleva tout entier
pour elle et contre lui-même. Il voulût du moins la trom-
per, la calmer. Il lui dit que, s'il ne pouvait se tirer de son
mariage politique, il lui ferait épouser un prince du sang,
le duc de Nevers.
Le 1 9 octobre, il apprit que son mariage avait été célé-
bré à Florence (Lettres du roi, V, 325), et fit ordonner
aux Yilles de tout préparer pour l'arrivée de la reine. Mais,
ce même jour, le 49 (Lettres du cardinal d'Ossat, IV, 280),
il accorda k Henriette une lettre de créance pour un agent
spécial qu'il envoyait k Rome avec des pièces capables
d'invalider le mariage toscan et d'établir que le roi n'avait
pu canoniquement s'engager avec la Florentine, étant
engagé avec la Française.
L'agent de l'étrange négociation lui-même était fort
étrange. C'était un homme de rien, nommé Travail, un
protestant qui avait fait la guerre, s'était converti, comme
le roi, et s'était fait capucin. On l'appelait le père Hilaire.
Il avait beaucoup d'audace, de langue (et plus que de cer-
velle). II était bien auprès du roi, qui aimait les convertis,
et s'amusait des hardiesses cyniques et bouffonnes de ce
capucin. C'était un second Roquelaufe. De son droit de
Mendiant et de va-n^i-pieds, il se faisait l'ami du roi, le
tutoyait : « Mon bon roi, tu dois faire ceci, tu dois faire
cela... Toi, marquise de Verneuil, ceci, cela n'est pas
bien, » etc.
Travail était fort protégé par le jeune cardinal Sourdis,
le parent de Gabrielle, et sans doute il <était entré chez le
roi, dès le temps de Gabrielle, par cette porte du mariage
français. Il restait fidèle à cette cause, mais alors pour
Henriette. Le roi lui donna une lettre de créance pour le
cardinal d^Ossat, qui devait le mener au pape. Cela calma
Henriette, qui rentra en France. C'est ce que voulait le
roi. Il garda le capucin, qui ne partit pas encore.
Cependant Marie de Médicis, après de prodigieuses fêtes
qu'on fit à Florence, s'embarqua avec sa tante et sa sœur,
duchesses de Toscane et de Mantoue, sur la galère grand-
ducale tout incrustée de pierreries. Les Médicis (on le voit
à leur chapelle) eurent toujours ce luxe inepte des pierres
qui se passent d'art. Sa tante, Christine de Lorraine, ra-
vie d'être débarrassée, la remit aux Lorraines, aux Guises.
Elle venait avec trois flottes, de Toscane, du pape et de
XI. 4
50 GUBRRB X>K âA^OIE.
M^te, dix-fiept galèces» et elle n'amusait pa$ luoi^Srde
sept niUle hommes. Si L'avéneaiant d'Ifonin IV (utimAiur:
vasion de Gascons (comme dit le baron, de Fenesie)» L'a»*
véoement de Marie de Uédicis fut une invasion dltalieiMu
Elle alla de Marseille à Aix et à Avignon^ avec une petit»
axmée de deux mille chevaux, se repoaa en teipre papale.
Les Jésuites y avaient fait faire d'immensas préparatifs de
réception pour elle et le roi, qui ne put venir : théâtres,
arcs de triomphe, partout des emblèmes et devises. Selon
le goût de ces pères (si fins et si sots, admirables aux
choses puériles), tout était basé sur le nombre sept. Le roi
avait sept fois sept ans. Il était le neuf fois septième roi de
France depuis Pharamond. Il avait vaincu à Àrqqes, en
septembre, le 21 , le trois fois septième jour ; à Ivry, en
mars, au jour deux "fois sept,, et son armée y était divisée
en sept escadrons, etc., etc. Cela parut si joli, que le P. Va-
ladier, pou;* en garder la mémoire, en fit un livre, que la
reine voulut elle-'-méme offrir au roi.
L'esprit de cette princesse éclata dès Avignon. Le
P. Suarès, qui parlait au nom du clergé, lui ayant dit galam-
ment qu'on lui souhaitait d'avoir un enfant avant l'année
révolue, « cette 'princesse, hors d'elle-même, en témoi-
gna une envie égale au désir des peuples, et demanda
cette grâce à Dieu. » (De Thon.)
Gomme elle était fort dévote, elle avait fait, ea partant,
démander au pape d'entrer en tout monastère. Pour les
monastères de femmes, le pape i'accprda sans diffioulté,
mais refusa pour ceux d'hommes, « à moins» dit-il en
riant fort, que le roi ne le permette. » (D'Ossat.)
Elle dut attendre huit jours à Lyon, le roi s'arcétaiU ea-
core en Savoie. Enfin, le 9 décembre, il se pi*éfienta.aiUL
portes assez tard. Elles étaient fermées, et on l'y fit.at»
tendre une heure par une gelée fort rude. Grand réfrigé-
rant à ce peu d'amour qu'il avait pu apporter.
Ce premier refroidissement ne fut pas le senL Le
MARUGB. SI
cond et le plus fort, ce fut la princesse elle-même, toute
Htttre que sou portrait, qui datait de dix années. Il vit une
femme grande, grosse, avec des yeux ronds et fixes, Tain
triste et dur, Espagnole de mise» Autrichienne, d'aspect^
de taille et de poids. Elle ne savait pas le français, s'étant
toujours abstenue de cette langue d'hérétiques. En venant,
sur le vaisseau, on lui avait mis en main un mauvais ro-*
man français, Clprinde^ imjjlé du Tasae^* et elle en disait
quelques mots.
Ce qui ne dut pas être, non plus extrêmement agréable
au roi, c'est qu'elle n'arriva pas seule, mais avec armes et
bagages. Je veux dire, avec la cour complète de cavaliers
servants ou de sigisbées^ que to;ute dame italienne, selon
la nouvelle mode qui fleurit tellement en ce siècle, devait
avoir autour d'elle.
Le premier. l'ancieQ, l'officiel, l'accepté, le patenl», éuût
son cousin, Virginio Orsini, duc de Bracciano. G!était lui
qui avait, à table^ Je soin de lui donner à laver, et d'offrir
le bassin, la serviette, à ses blanches mains. Le second,
Paolo Orsini, moins avancé et moins posé, n'en était que
plus en faveur peut-être. Enfin, pour charmeç le roi, un
jeune homme de la figure la plus séduisante, ilsignorede
Concini, était auprès de sa femme. A eux trois, Virginio,
Paolo et Concini, ils faisaient une histoire muette de ce
cœur de vingt-sept ans, représentaient son passé, son
présent et son avenir.
Le roi n'en fut pas moins galant. Il arrivait botté, armé»
et s'il brillait peu, devant ces beaux Italiens, avec sa taille
mesquine et sa barbe ^rise, il était beau de sa conc|uête,
de la foudre dont il venait de renverser la Savoie. Peu sen*
sible à tout cela, la princesse s'en tint aux termes d'une
parfaite obéissance, se jeta à genoux, se dit sa servante
pour accomplir ses volontés. Le roi dit gaiement, en sol-
dat, qu'il était venu à cheval, et sans apporter de lit^ que,
par ce grand froid, il la priait de lui donner moitié du sien.
52 GUERRE DE SAVOIE.
Donc il entra dans sa chambre.
II faut savoir qu'à la porte de cette chambre, a toute
heure, si tard, si matin qu'on y vint, on trouvait une sorte
de naine noire, avec des yeux sinistres, comme des char-
bons d'enfer (V. à la bibliothèque de Sainte-Geneviève).
Cette figure, peu rassurante, n'était pourtant pas un dia-
ble. C'était, au fond, le personnage important de cette
cour, la sœur de lait delà reine, la signora Leonora Dosi,
fille d'un charpentier, qui se parait du noble nom em-
prunté de Galigaï. Elle avait beaucoup d'esprit, gouver-
nait la princesse comme elle le voulait, remuait à droite ou
à gauche cette pesante masse de chair.
Si Leonora faii>ait peur, elle était encore plus peureuse ;
elle rêvait en plein jour. Triste hibou, asphyxié de bonne
heure dans Tobscurité malsaine des alcôves et des cabi-
nets, elle croyait que quiconque la regardait lui jetait un
sort. Elle portait toujours un voile, de crainte du mauvais
œiL La France, maligne et rieuse, pays de lumière, lui
devait être odieuse. Elle devait ici s'assombrir et se per-
vertir, et de plus en plus devenir méchante.
Tel fut l'augure de la noce et Tagréable visage dont le
roi fut salué à la chambre nuptiale. Soit que cette noire
vision l'y ait poursuivie, soit que la mariée ne répondît
pas à son idéal, il fut très-sérieux le matin.
On vieillit vite en Italie, et surtout les Allemandes,
comme celle-ci l'était par sa mère. Rubens même, au char-
mant tableau où il la montre accouchée, au moment où
toute femme est souverainement poétique, n'a pu, tout
tlatteur qu'il était, dissimuler cette lourdeur mollasse. Un
bec de femme assez pointu (mademoiselle du Tiilet) disait
crûment d*elle et du fils : « Une vache qui fit un veau. >
Le roi fut obligé de rester près de l*épousée quarante
jours pour faire la paix ; paix surprenante. Il abandonna
Salaces, rendit toute la Savoie.
Ce traité, agréable au peuple, désespérait rUalie, que le
MARUGI. 53
roi abandonnait. Le i>ape y voyait l'avantage de pouvoir
continuer dans Saluces» l'ancien asile du protestantisme
italien, la persécution que les Jésuites y avaient organisée
par les bourreaux de la Savoie.
« Chacun chez soi, chacun pour soi : » c'est la politique
bourgeoise que Sully lit prévaloir et proclama par ce traité.
En échange de Saluées, le roi acceptait la Bresse, pro-
vince, il est vrai, importante, qui fermait le royaume à
Test et protégeait I^on.
Ce brusque traité effraya Biron. 11 crut que le roi en sa-
vait beaucoup, et il crut prudent d'avouer un peu. 11 vint
le trouver à Lyon*, lui dit que le Savoyard lui offrait sa fille
bâtarde et une grosse dot. Le roi, bon comme à l'ordinaire,
pardonna. Biron, rassuré, écrivit au Savoyard de ne pas
ratifier le traité, de dire qu'il gardait la Bresse, mais vou-
lait rendre Saluées, à coiidition que U roi y meurait un
gouverneur catholique^ et non le protestant Lesdiguières.
Si le roi eût accepté et mis là un catholique, il mécontentait
Lesdiguières; et, s'il lui tenait parole, lui donnait Saluées,
il mécontentait le pape. 11 trancha tout et sortit du filet oii
Biron voulait le mettre, en ne prenant pas Saluces et se
contentant de la Bresse.
Le roi était bon pour tous. 11 promit au légat et à la
reine le rétablissement des Jésuites. D^autre part, il avait
fait l'accueil le plus affectueux aux envoyés de Genève, à
leur vénérable doyen Théodore de Bèze, et il permit à
Sully« avant de signer le traité et de rendre les places pri-
ses, de livrer aux Genevois le fort de Sainte-Catherine à la
porte de leur ville ; ils le démolirent en un jour.
Sous un prétexte d'affaires, il prit enfin vacances de sa
femme, la laissa à Lyon. Marié le 17 janvier 4601 par le
légat, il partit le 18 en poste. Le 20, il était à Paris, rendu
à son Henriette.
Le 4 février, il revit la reine. Le 8, il écrit au conné-
table qu'elle eU enceinte.
54 GUERRE M SàVOIE.
Louis XIII, qui fût cet enfant, n'eut aucun trait de son
père. Il ne Ait pas seùlenvent différent, mai^ opposé en
Unrte et chacune chose, n'ayant vien Aftë Bourbon» (cdté
paternel d*Henri IV), et encore bien moins des Valois,
c^é maternel d*Henrî, qur si naïvement rappelait son
joyeux oncle François 1*^ et sa charmatrte grand'mère,
Marguerite de Navarre. Ce fils, nffture sèdhe et stérile,
véritable Arabie Déserte, n'avait rien non "plus de la
France. On Tnàrait cru bien plutôt un #pinola, un Orsini,
un de ces princes ruinés de la décadence italienne, venu
du désert des Màrennnes eu des chauves. Apennins.
Quoi qu'il en soit, le résultat voulu était obtenu.
Leroi était marié de la main du pape. (D'Ossat.)
Le sang italo-autridûen était dans le trône de France.
. la volonté du grand-duc, sa politique et son ordre
positif avaient été accomplis sur-le-champ et à la lettre.
Ce prince, se souvenant de Catherine de Médicis et du
danger où l'avait mise sa longue stérilité, n'avait dit qu'un
mot à sa nièce en la quittant : « Soyez enceinte. »
CHAWTRE V
Conspiration de Bmm. lQOl-1602.
Peu de temps a{Nrès cette guerre foudroyante de Sovoie,
ifûLx avertit si bien rEurope de la résarrection de hi
Pnooe, le rot montrait à Bi^on une statue oit on* r«7ak
fait en dieu Mars et couronné de lauriens. Il lui dit matf*
{Renient : « Couaki, que pensez-^ous que dirait mon
frète d'Espagne s'il me voyait de la-sorte?-^ Lui*! il ne
vous craindrait guère I »
Tollà comme on le traitait. Sa puissance si bien prou*
vée, sa renommée militaire, tant de vigueur, tantd'èspril^
tout cela n'empochait pas qu'on ne le triMit lesteneift,
sans ménagement, avec une légèreté bien près du mépm.
Lui-môme il en était cause. Personne n'avait moins de
tenue. Sa camaraderie étrange avec Bellegarde, Ba!Bsom««>
{rierre, les jeunes geiis qui riaieirt de lui. et qui lui souf-
flaient ses maltresses, semblait d'une débonnaireté phit
qu'humaine. On le trompait, on s'en moquait,* et il n'en
faisait pas plus mauvaise mine. Il se faisait lire les libelles,
ailail voir les farces où on le jouait, et riait plus que par-
Bonne. Sa première femme, Marguerite, avait illustré sa
patience. La seconde, Marie de Médicis, fut maîtresse dès
le premier jour, signifiant qu'elle garderait et ses oava*«
lieni servants et sa noii»e entremetteuse.
56 CONSPlRiTIOIf * DE BIRON.
L'inconsistance du roi dans la vie privée élait excessive,
il faut l'avouer.
Pendant que la reine voyageait lentement de Lyon à
Paris, il était auprès d'Henriette à Yemeuil» oii elle le re-
^ut dans son nouveau marquisat La vive et charmante
Française, gagnant par la comparaison avec la grosse
^tte Allemande, le ressaisit à ce point, que le capucin,
agent d'Henriette, fut enfin envoyé à Rome avec la lettre
de créance que le roi lui avait donnée. Il devait voir les
cardinaux, montrer l'engagement du roi avec elle et tAter
si l'on ne pourrait obtenir un second divorce. Ce pauvre
homme, qui n'était autorisé que du roi et non des mi-
nistres, fut reçu par notre agent, le cardinal d'Ossat, avec
mépris, avec haine et sans ménagement. Rome entièie fut
contre lui ; à grand'peine il put revenir en Fianee. On
voulait le retenir dans un couvent de son ordre, le mnrer
jusqu*à la mort dans un in pace d'Italie.
Le roi semble Tavoir oublié. On lui avait bit entoodre
qu'il M pouvait renvoyer Marie sans motif spécieux, ni
surtout sans rendre la dot. D'ailleurs, elle arrivait grosse.
Les ministres étaient pour elle, pour un Dauphin qui allait
simplifier la succession, assurer la paix; écarter toute
chaàc« de goenre civile. Mais il fiillait ua Dauphin;
malheur à elle si elle eût eu une fille. Henriette, qui un
mois apr^ eut un fils, l'aurait emporté. Le dm accueillit
le Dauphin avec la joie la plus touchante.
Cependant la reine ae faisait nul m> stère de son fidèle
attaeheuK^t pour Virginie Un manuscrit du fonds Bê-
thune qu^a copie M. Capefi^nie) nous apprend que« six
mois aprvs ses couches» le roî allant au Midi avec eile^ elle
s^arnHa à BK>:$, dit qu'rlle n*îniit pas plus loin, rvsotae
qu'elle était de nMourner à Foaiàioel4eau« ou Vtr^io
Tattendaît. Le roi« perdant patieoof^ eut encore Tidee de
la nNivxnvr. « G4a $<tuit Um, dû Suay« $i et«e a avait pas
un fi^ » Ikvx ou la ^r4a« criî^iMct dVmbrvHiùIer la
GONSnRATION DB BIRON. 57
saccession si la légitimité de ce fils devenait douteuse.
L'Espagne eût saisi cette prise.
Voilà ))ien des variations ; mais elles ne semblaient pas
moindres dans sa conduite publique.
Au moment où -son mariage. italien faisait croire qu'il
tenait fort' à se rattacher à Kltalie, brusquement il y re-
nonce, en rendant Sakices, et se ferme l'Italie. Le Yéni*
tien Gontarini dit que ce traité étrange et inattendu releva
l'Espagne (battue à Newport). Le parti espagnol à Rome
devint insolent. Ce mariage avec la nièce d'un prince qui
avait des enfants, avec une princesse sans droit à la suc-
cession de Toscane, n'eut pas même l'effet de nous assurer
l'alliance du grand-duc ; il se refit Espagnol.
Par l'abandon de Saluées, l'ancien et primitif asile du
protestantisme italien, le roi abdiquait le protectorat des
pauvres Vaudois qui s'étaient offerts à lui de -si grand
cœur en 1594, et ne décourageait pas moins les Grisons à
l'autre extrémité des Alpes. Le gouverneqr de Milan,
Fuentès, ne tarda pas à les murer dans leurs montagnes
(octobre 4603), en bâtissant aux passages qui communi*
quent en Italie un fort qui lui permettait de les affamer à
son gré. Us s'adressèrent au roi de France, qui leur con-
seilla de patienter. 11 avait, comme on a vu, abandonné
Ferrare au pape, malgré les prières de Venisd ; et plus
tard Venise elle-même, dans sa lutte avec le pape, n'eut
d'autre secours de lui que le conseil de s'arranger.
Je veux bien croire que, dès ce temps, il couvait l'inten-
tion de frapper l'Espagne et l'Autriche. De bonne heure il
y songea; mais toujours en protestant qaHl ne savait pas
s'il serait avec ou contre l* Espagne. (Y. Bassoropierre, 1609.)
Dissimulation utile qui pourtant eut l'inconvénient de
faire croire les Espagnols plus forts qu'ils n'étaient, lui
plus faible, de rendre tout le monde incertain, défiant, et
d'ôter l'espoir qu'on aurait eu dans la France.
L'Espagne, usée jusqu'aux os, et se sentant si peu de
58 GONBnEHirricHf db rkok.
force, hasardait les coups de loterie tes plus crknmels.
Tout en tâchant de soutenir ht ^ande guerre en^BoHande,
elle faisait ailleurs la guerre de f^avi et de coupe-Jarrets.
Philippe m était un pauvre homme, mais ses gens de
hardis coquins. Les Fuentès, les d'Ossuna, les Bedmar,
ayaieiît repris les moyens du irv* siècle, poison, meurtre
et incendie. On ne tarda pa« à les voir conapîrer avec des
forçats pour prendre^ piller, brûler Venise.
Dès 1 595, ils avaient visé en France un homme propre
au crime , Biron, un brave de peu de cervelle, sot glo-
rieux, que Ton pouvait pousser par Torgueil et le mécon-
tentement aux plus sinistres tentatives. Notez que cet im-
bécile, le jouet des intrigants, était un héros populaire.
Sa grande vigueur de poignet, sa forte encolure « lui
comptaient dans Vesprit des foules autant que ses trente
blessures et tous ses grands coups d'épée. Il semble qœ
les bonnes gens aient confondu ce Biron fils avec son
illustre père, aussi habile capitaine que le Gis fat bon soldat.
Du père, du fils, ainsi brouillés, on avait fait une légende ;
c'était un Achille, tin Roland. Le roi, sans hii, n'aorait
rien fait. Lui seul avait tout accompli par la force de ses
hras et de ses grosses épaules.
L'étranger avait trouvé son affaire pour troubler tout,
an mannequin et un drapeau.
Biron était un homme noir, gras, trapu, d'un visage trou-
ble, avecdes yeux incfuiels (figuresde fous qui vont au crime) .
Sa fortune conune sa personne, trouble, mal rangée. On
ne pouvait Tenrichir. Toufôurs aux expédients « Si je ne
meurs sur l'échafand, disait-il, je mourrai à Thôpital. »
Le roi Tavait fait amiral, maréchal, général en chef,
duc et pair, gouverneur du gouvernement qu'avait eu le
chef de la Ligue, M. de Mayenne, et qu'eurent les seuls
princes du sang, la Bourgogne, poste de confiance, contre
la Franche-Comté et la Savoie. Hais tout cela n'était rien,
se désespérait.
CORSnRATlON DE BIROI^. 59
Un danger très-grand était dans cet homme. Il avait en
lui le divorce et la discorde de la France , deux partis .
deux religions. Mais, par cela même , if pouvait être le
trait d'union des deux partis. Père catholique, mère pro-
testante. Par ceTïe-ci, îl était parent de tout ce qu'il y
avait de noblesse périgourdine ; par son père, il était cou-
sin de tous les barons de Gascogne. • *
Rangez autour tous les traîtres, un d'Épernon, qui tenait
la Charente à Touest , Metz à Test, et l'entrée des Alle-
mands. A côté, un antre homme double, M. de Bouillon,
fort en Limousin, plus fort au nord, où, par mariage, il
était prince de Sedan. Même le compère du roi, M. de
Montmorency, son connétable, son ami personnel, le roi
du Languedoc, avait un traité secret avec le duc de
Savoie.
Biron, en rapport direct avec Madrid et Milan , où il
envoya pitisieurs fois, n'avait fait son aveu à Lyon que
pour inspirer confiance et se faire donner Bourg-en-
Bresse^ par on il eût fait entrer le Savoyard et l'Espagnol.
Le roi refusa. Et Biron, plus que jamais, renoua ses tra-
mes par Tintermédiaire d'un La Fin, qu'on a prétendu
l'auteur de toute cette conspiration , commencée bien
avant qu'il s'en mélàt.
En juillet 1601 , le roi, comme toute l'Europe, était
attentif au siège d'Ostende. Il était à Calais, sur les murs,
écoutant tout le jour la canonnade lointame qui remplis-
sait le détroit. Elisabeth vint à Douvres, et elle eût bien
voulu, dans la peur du triomphe des Espagnols, contracter
avec le roi une alliance offensive. Il lui fit passer Sully,
qui lui dit la situation. Le sol lui treniblaît sous les pieds.
Les mécontents se seraient levés derrière lui, s'il se fût
engagé aux Pays-Bas. Soit pour les inquiéter et leur ren-
dre Biron suspect , soit par un reste d'amitié et dans
Fespoir que Fautorité de la grande Elisabeth le ferait ren-
trer dans la voie du bon sens et de l'honneur, il le lui
L.
60 CONSPIRATION DE BlEON.
envoya comme ambassadeur. La reine le prêcha fort, fit
grand éloge du roi, ne blâmant que sa clémence. Enfin,
pour plus d'impression, surmontant le grand chagrin qui,
dit-on, hâta sa n^ort , /elle lui montra de sa fenêtre un
objet lugubre , la tète d'Essex , du jeune homme qu'elle
avait aimé, et qui, au bout d'un an, était encore exposée à
la Tour : c Son orgueil Fa perdu, dit-elle. Il croyait qu'on
ne pourrait se passer de lui. Voilà ce qu'il y a gagné. Si le
roi mon frère m'en croit, il fera chez lui ce qu'on a fait à
Londres : il coupera la tête à ses traîtres. »
Vaines paroles. Biron , de retour, n'eut pas de repos
qu'il ne se perdit. 11 reprit ses trames avec la Savoie, mais
par un nouvel agent , s'étant brouillé avec La Fin , qui
avoit pourtant ses papiers. La Fin jasa, le roi le fit venir
et en tira tout. EflTroyable découverte. Tout le monde
semblait compromis, et il ne savait plus à qui se fier. Il
avança vers le Midi pour tàter Bouillon, d'Ëpernon ; mais
ils n'étaient pas décidés; ils vinrent se remettre à lui.
Montmorency restait tranquille, et non moins les hugue-
nots. Us n'avaient garde de traiter avec Biron, au moment
où il devenait si bon Espagnol , si bon catholique, s'affi-
chant tout à coup dévot, lui qui ne savait son Pater.
Une délibération secrète eut lieu. Le roi se voyait dans
les mains Bouillon, d'Ëpernon; Biron seul manquait.
Fallait- il arrêter ceux-ci , en attendant l'autre? Il posa
cette question en petit conseil ; quelqu'un voulait qu*on
arrêtât les deux qu'on avait. Sully s'y opposa : « Si vous
arrêtez ces deux-ci sans preuves , vous effarouchez les
vrais coupables, et vous les avertissez. »
Forte et courageuse parole qui sauva la France et tran-
cha le nœud.
Les grands avaient une prise sur le peuple. Un pesant
octroi aux portes des villes enchérissait les vivres. Il s'était
révolté contre. Le roi punit la révolte, mais il supprima
l'octroi.
CONSPIRATION DE BIRON. 61
C'était assurer le dedans. Mais, du dehors^ l'étranger
ne pouvait-il arriver, être introduit par Biron dans ses
places de Bourgogne? On trompa celui-ci^ on le rassura,
en lui faisant croire qu'on ne savait que ce qu'il avait
avoué. On parvint à le désarmer. Sully le pria d'envoyer
ses canons, qui étaient vieux, pour les remplacer par des
neufs. II n'osa les refuser.
Cela fait, le roi éprouva le plus vif besoin de le voir. Il
lui envoya Jeannin, l'ex-ligucur. La Fin écrivit à Biron.
Le roi lui-même écrivit : « Qu'il ne croyait pas un mot
de ce qu'on disait contre lui, qu'il lui remettrait ces accu-
sations mensongères, qu'il l'aimait, l'aimerait toujours
(U mai 4602). »
Cette lettre était-elle perfide? Je ne le crois pas. Il
l'aimait. Mais il voulait s'en assurer, le mettre hors d'état de
86 perdre, éclaircir tout, le gracier, l'annuler moralement,
et avec lui tous les ligués.
Biron ne vint que parce qu'on lui dit que le roi voulait
aller à lui tête baissée, l'enlever. 11 n'eût pu tenir dans
ses places désarmées. Rien ne lui restait à feire que de
fuir, ruiné, nu et mendiant. Il eût mieux aimé mourir. II
s'emporta furieusement, jura de poignarder Sully, mais
toutefois obéit et se mit en route.
Le duc de Savoie n'était guère moins effrayé que Biron.
Fuentès aussi devait être inquiet d'avoir compromis son
maître, au moment où le siège d'Ostende absorbait les
forces espagnoles. Ils avaient fort à souhaiter que Biron
ne les trahît point, qu'il mentit pour eux fort et ferme,
soutînt près du roi sa vertu , son innocence immaculée.
Tel il se montra en effet, menteur intrépide, et, jusque
dans Fontainebleau, Thomme de la Savoie, de l'Espagne,
contre l'étreinte du roi çon ancien ami.
Ce qui le cuirassait si bien, c'est, d'une part, que le
Savoyard gardait en charte privée, pour assurer son
silence, un garçon nommé Renazé, qui avait fait tous les
Ci coxshrahox de mm».
xr.t'ssj^ces. D'auLre part, Lft Fin, à rentrée de Foatûne-
bleau, lui a\ait soufilé ce mot : < Courage, moo niaitre !
courage, et boa bec !... Us ne savent rien. >
Beaucoup de gens avaient gagé que Biron ne viendrait
poinL Le roi même , le 13 juin , se promoiant de bonne
heure au jardin de Fontainebleau , disait : « 11 ne viendra
pas. » Et il le voit arriver. Il va à lui, il l'embrasse. « Vous
avez bien fait de venir, dit -il, j'allais vous chercher. »
Puis il le prend par la main, lui montre ses bâtiments.
Seul à seul, enfin, il lui demande ^'il n'a lien à dire :
« Moi ! dit Biron« je viens seulement pour connaître mes
accusateurs et les taire châtier. •
Le roi se croyait en péril, non sans cause, pour la rai-
son que Biron marquait lui-même dans se$ conseils an
duc de Savoie, à savoir : Que le roi avait man^e la dot de
sa femme, qu'il lui fallait du temps et de Tarant pour
lever des Suisses . que Tinfanterie française du temps de
la Ligue avait péri de misère, que la noblesse appelée se
réunirait lentement. Et cVtait là le meud même de la
question ; le roi de Xavarce , le roi genlilhouime , avait
disparu ; la noblesse catholique ou protestante regardait
ailleurs, pouvait suivre Biron ou Bouillon.
Le roi avait bien Biron, mais il n avait plus BoTiLiUon. Il
n'osait même lui écrire de venir, sentant qu'il désobéirait.
SuUy lui écrivit en vain 6 juillet^. U resta chez lui. C'était
une raison d'hésiter pour frapper Biron, ne pouvant frap-
per qu'un coup incomplet. Aussi le roi desirait très-5incè-
rement le sauver. 11 y lit ks plus grands eflurts, et par
lui-même, et par Sully. Le matin encore, au jardin fermé
de Fontainebleau j>etit jardin et si 4rand par la tenreur
des souvenirs), il le serra au plus près , et ne gagna rien.
On voyait Biron le suivre avec force ges^les, une panto-
mime hautaine de protestations d'innocence, relevant
fiènement la tête et se frappant la poitrine, yême soeoe
encore après diner.
COMSPlRAÏiON D£ BIRON. 63
Alors le roi, perdant espoir, s'enferma^ avec Sully, et la
reine, tira le verrou. Nul doute que ton» deux n'aient teoa
fortement contre Biron, SuUy pour la sûreté de TËtat, elle
pour celle de son fils et la tranquillité de sa régence
future.
La Force , beaur-frère de Biron , noua apprend deux
choses : l"" Que SuUy décida la mort; âP qu'elle était très-
juste. La Force écrit ce dernier mot à sa feiwme dans una
lettre conOMleati^Ue.
Sans Sully^ jamais le roi n'aurait eu la force de faire
justice. Et encore, ce aoir-ià> il décida seulement, commet
on croyait que Biron pouvait fuir, qu'il fallait bien le faire
arrêter.
On joua jusqu'à minuit. £t, le monde s'étant écoulé, le
roi lui parla de nouveau, le pressa au nom de Tancienne
amitié. Il resta see. Alors Henri rentra dans son cabinet.
Puis, saisi d'émotion, il rouvrit la porte, et lui dit d'un
ton à fendre le cœur : « Adieu, baroin de Binon 1 1 C'était
aoa nom.de jpunesse; dans cet effort désesp^é, le roicr'Ut
ramener d'un mot tout le passé, la vie commune des dan*
gers et des souffraifbes et vingt années de souvenirs.
Et il ajouta encore : « Vous savez ce que. j'ai 4it. «Sur
préme appel 1 si Biron eût avoué à cet instant, il pouvait
sauver sa vie.
Mais non, il sort. A Tanticbambre^ le capitaine deo gar-
des, Vitry, mit la main sur son épée, la lui4emanda : « Tu
railles 1 — * Non, moasieur, le roi le venl. — Ha! mon
épée, s-'écria-t-41, Tépée qui a fait tant' de bons services ! »
Le roi fit partir Sully pour préfyarer la Baatille et avertir
le Parlement. Biron et le comte d'Auvergne, son complice^
y funeat >menés le 45 juin.
Le roi même, le \Jo au soir, vint à Paris et entra par la
porte Saint-Marœau. Il y trouva une grande foule de
peuple aoeoucu pour le voir, pour s'assurer de sa vie, ce
obergagede la paix publique. Xûus.ae félicitaient «de la
64 CONSPIRATION DB BIRON.
découverte du complot et le couvraient d'acclamations.
(De Thou, llv. CXXVIIl.)
M. Capefigue avance, sans preuves, que Paris était dé-
solé. Chose vraisemblable, en effet, qu'on déplorât l'ayor-
tement d'un complot qui eût ramené le bel fige de la
Ligue, les douceurs du fameux siège, du temps où un rat
crevé se vendait vingt-quatre livres, où les mères man-
geaient les enfants.
Les acclamations dont parle De Thou disaient, au con-
traire .. que le peuple avait horreur de revoir la guerre
civile, la royauté des soldats, et qu'il savait bon gré au roi
de les réprimer vigoureusement. Sa justice, rarement
indulgente pour les brigandages des nobles , était popu-
laire. En ce moment , le Parlement , presque en même
temps que Biron, recevait le petit Fontenelles (des Beau-
manoir de Bretagne) et parent d*un maréchal. Ce garçon,
d'environ vingt ans, avait fait déjà mourir dans les tortures
des milliers de paysans. Par récréation, l'hiver, il ouvrait
des femmes vivantes pour chauffer ses pieds dans leurs
entrailles. Il fut, malgré tous ses parents , pris, jugé et
rompu en Grève, au milieu de la joie du peuple, qui en
bénissait le roi.
Les grands ne le bénissaient guère. Loin de là, pas un
des pairs ne voulut siéger au procès de Biron. Tous allé-
guèrent des prétextes.
C'était une raison plus forte de pousser la chose. Quand
les parents de Biron, tous considérables, vinrent trouver
le roi, tout près de Paris, à Saint-Maur, où il restait pour
surveiller l'affaire, il leur parla avec douceur, mais s'en-
veloppa de justice, de nécessité.
L'Espagne, mise au courant de tout par un commis de
Yilleroy (qu'on saisit plus tard), pouvait travailler les
juges, le public, l'accusé même. Et, en effet, celui-ci
trouva à point , dans la Bastille , un minime scrupuleux
qui lui dit qu'il ne pouvait pas révéler à la justice ce qu'il
CONSPIRATION DE BIRON. 65
avait promis de taire, c'est-à-dire qu'il devait couvrir la
Savoie, l'Espagne, d'une parfaite discrétion.
Pour émouvoir le public , on répandit une lettre que
Biron était censé écrire au roi pour rappeler ses services,
fiEiire ressortir l'ingratitude , soulever la pitié et Tindigna*
tion.
Le procès n'était que trop clair. De Thou nous a con-
servé en substance , mais avec détail , les quatre feuilles
écrites de sa main qui furent la pièce principale. Elles
témoignent que, faible et crédule pour les prédictions
politiques dont les charlatans'ie leurraient, il n'en est pas
moins fort net, lucide, exact et clairvoyant pour les affai-
res militaires. Les directions qu'il donna au duc de Savoie
ne sont pas de ces choses qu'on imaginerait d'avance pour
des cas hypothétiques (comme il prétendit le faire croire),
mais des indications précises pour telle situation, tel cas.
Il renseigne très-bien l'ennemi sur les forces actuelles du
roi, spécifiant les chiffres avec soin, et d'un jour à l'autre.
Il donne des conseils positifs sur un poste qu'il faut occu*
per, une attaque qu'il faut essayer. De tels avis, qui purent
être à l'instant traduits en boulets, ce ne sont pas, comme
il le dit, des paroles et des pensées, ce sont des actes
meurtriers, des massacres de Français et l'assassinat de la
France.
On assura , sans le prouver , qu'il avait averti tel fort
savoyard pour que, le toi venant sous les murs, on tirât
sur lui. Ce qui est sûr et avoué de lui, c'est qu'ille tuait
d'intention, par ces opérations magiques où l'on croyait
faire périr l'homme en détruisant son effigie. Il convient
qu'avec La Fëre il faisait des poupées de cire , auxquelles
on disait la formule : < Roi impie , tu périras. Et la cire
fondant, tu fondras. »
Il n'y avait qu'une circonstance atténuante, c'est qu'il
avait écrit, huit mois avant son arrestation, lorsque le
Dauphin naquit, en septembre 4604 : « Dieu a donné un
xz. 6
60 CONSPIRATION DB BIROlf.
fils au roi ; oublions nos visions. » -* Ce moi était-il
sérieux, on avait sujet d*en douter, parce qu'il récrivait à
La Fin, qu'il suspectait , et sans doute voulait tromper ,
tandis qu'il continuait de traiter avec l'ennemi par soo
nouveau confident, le baron de Lua « et par deux autres
encore.
Les juges firent une chose agréable aux hautes puis-
sances étrangères qui étaient aussi en cause. Us la firent,
il est vrai, par la volonté expresse du roi. Ce fut de
ne rappeler que des faits anciens, et d'igaorer parfaite-
ment les choses récentes* Le roi ne voulait pas trop appro-
fondir contre TEspagne et la Savoie.
Biron fut saisi d'un grand trouble quand on lui pré*
senta les pièces qu'il croyait brûlées, quand il vit devant
ses yeux son messager Renazé, qu'il croyait enfoui dans
un cbftteau de Savoie, il pâlit, dit les pièces fausses, con-
tfottvées, puis les avoua , mais soutint que c'étaient de
simples pensées, qu'il écrivait pour La Fin. Du reste, s'il
y avait du mal, le roi lui avait pardonné à Lyon.
Nombre de parlementaires (de la Ligue] auraient accepté
cela. Mais ils étaient sous les yeux du vrai Parlement
français, qui avait siégé à Tours.
Le Parlement avait à iaire ce que hasarda Richelieu» ce
que fit la Convention , se compromettre sans retour et
braver les futures vengeances des rois étrangers, et des
grands, et des parents de Biron, de ses cent cousins de
Gascogne, d*un monde de gens d epêe brutal et féroce.
Tellement que, peu de temps après, le révélateur La Fin
marehaut dans Paris, en plein midi» au milieu des gardes
qni le protégeaient, vingt sacripants tombèrent snr lai, ei
s'en allèrent au galop, sans qu'on les ait arrêtés.
Ces vengeances, faciles à prévoir, fiùsaient songer les
robes kMftgues. Le diancelier saignait du nez ei feig^nait
d'être embarrassé de Tabsence des pairs. Cela le il juil-
let, an dernier momenU Le roi se menlra immuable, soit
GONSPIIUTION DE WRON* 6"?
que SttHy le soutint, soit que sa grande amie ÉUsabetii
(une lettre de notre ambassadeur le prouve) l'exhortât à
ne pas lèdier. La vieille reine était une haute autorité, un
docteur en conspirations, en *ayant eu tant contre elle et
tant suscité ailleurs, récemment encore ayant frappé
d'Essex, c'est-à-^dire son propre cœur.
Donc le roi fut fort aussi. Il écrivit à son blême chan-
celier que l'on devait passer outre, (â juillet 4602.)
Le dianceller, ainsi mis en demeure de ne pas s'égarer,
empêcha aussi les autres de chercher quelque échappa-
toire. 11 les tint dans la voie-étroite de justice et de vérité.
Il demanda si à Lyon l'accusé avait confié au roi tous ses
arrangements avec la Savoie. — Non. — Alors le roi n'a
pu pardonner ce qu'il ignorait. (Além. de La Force.)
Ce mot conduisit Biron à la mort.
Le Parlement fut dès lors unanime (127 voix).
Dans tout k procès, le roi avait eu une crainte secrète,
c'était qu'on n'enlevât Biron, que l'agitateur de la Ligue,
l'Espagnol, l'ami des moines, le distributeur des soupes
en plein vent, n'essayât d'agir sur le peuple. Il resta, non
à Paris, mais à Saint-Maur ou Saint-Germain , prêt à
monter à cheval et le pied dans l'étrier. 11 écrivait à Sully
qu'il prit garde à lui, qu'on pensait, pendant qu'il ne
s'occupait que du prisonnier, à l'enlever, lui Sully, le
meoer en Franche- Comté. Il eût répondu pour Biron.
La vie de celui-ci, au reste, importait moins aux étran-
gers que son silence. Et ce silence fut maintenu jusqu'au
bout. Biron le dit le dernier jour : a II ne saura pas mon
secret. » Comment obtint-on cette persévérance? Par ce
moine dont j'ai parlé. Puis, il ne croyait pas sérieusement
à sa mort» imaginant toujours qu'il serait sauvé ou par
un coup de l'Espagne ou par la faiblesse du roi, qui fini-
rait par avoir peur.
Il ne croyait pas même que le Parlement aurait le cou-
rage de le condamner. Dans sa prison, il amusait ses
68 CONSPIRATION DB BIRON.
gardes à leur raconter l'audience et à contrefaire ses
juges.
Il ne fut pas peu étonné, le 34 juillet, de voir le chan-
celier, le greffier, une grande suite, arriver à la Bastille
en cérémonie; On le trouva occupé d'astrologie judiciaire,
de comparer quatre almanachs , d'étudier la lune , les
jours et les signes célestes, pour y pénétrer l'avenir. 11 n*y
avait plus d'avenir. Le chancelier lui demanda de rendre
l'ordre du roi, la croix du Saint-Esprit , et l'engagea à
faire preuve de son grand courage. Puis on lui lut son
arrêt, et radoucissement qu'y mettait le roi, de rendre ses
biens à ses parents et de ne pas le fiiire exécuter en Grère.
Ce coup venait frapper, non un homme faible, malade,
amorti par la prison, mais dans sa force, en pleine vîe.
La répugnance de la nature se montra aussi en plein ; il
laissa voir une (urieuse volonté de vivre. D'abord, des cris
contre le roi, si ingrat, qui laissait vivre d'fipemon, cent
fois traître, et qui lui, Biron^ innocent, le faisdt mourir...
Car il se disait innocent, soit que ses moines espagnok le
lui eussent persuadé, soit que, dans les idées d'alors et
Thabitude des révoltes, ce nef&t que peccadille.
Puis il retomba sur le chancelier, avec des risées terri-
bles, boufionnant sur sa figure, Pappdant groruifux, idole
sans Ci\Mir, figurt de plaire. H se promenait en kmg et en
large, le visage horriblement bouleversé, affreux, répètent
toujours : • Ha! minimèy minime! * {Non, non, encore
non î^
On hii dit doucement : € Monsieur, penseï à Tolre oon-
science* »
t Cest fait^ * dit-il. Et sans s'en mettre autrement en
poiue. il se jeta dans un torrent de discoors^sor ses afidres,
$e$ biens« si» dettes; on bà devait cect.ceb; il laiaanC une
fille gn>sse. à qui il Etls^tit tel don... Une mer de pnroks
T»^iie$ qui n'auraient jamais fini. On Tavertil. 3 revint un
peu à hii. et dicta son testament, clair et imne.
CONSPIRATION DK BIRON. 69
Il avait demandé SuUy pour le faire intercéder. Sully fit
dire qu'il n'osait.
il était quatre heures, et Biron passait le temps aux
choses de ce monde, sans souci dej'éternité. On le mena à
la chapelle, et, sa prière faite, il sortit. A la porte un
homme inconnu paraissait l'attendre : « Qui est celui-ci ? »
— Modestement, l'homme avoua qu'il était le bourreau,
c Ya-t'en, va-t'en I dit Biron. Ne me touche pas qu'il ne
soit temps!. •. Si tu approches, je t'étrangle I » Il jura aussi
qu'on ne le lierait point, qu'il n'irait pas comme un voleur,
Aux soldats qui gardaient la porte : « Mes amis, pour
m'obliger, cassez-moi la tète d'un coup de mousquet. »
Inutile de dire que les prêtres du roi n'en tirèrent rien,
pas un mot d'Espagne ou de Savoie, nulle confession de
sa faute. 11 suivit le mot des Jésuites, dont on a parlé
ailleurs : c Défense de rien révéler à la mort, sous peine
de damnation. »
A tous, il disait : « Messieurs, vous voyez un homme
que le roi fait mourir, parce qu'il est bon catholique. • —
Et, comme on lui rappelait sa mère : « Ne m'en parlez
pas, elle est hérétique. » (Lettres du roi, du 2 et 7 août.)
Il mourut ainsi, en pleine fureur, en pleine vengeance,
continuant d'intention son complot, et, de l'échafaud,
autant qu'il était en lui, attachant d'avance au roi la furie
de Ravaillac.
Sur les planches, il chicana fort, voulant d'abord être
debout. On lui dit que ce n'était pas l'usage. Puis il se
fâcha de voir dans cette cour une soixantaine d'assistants :
« Que font là ces marauds, ces gueux? Qui les a mis là? »
U ne voulut pas du mouchoir, prit le sien, qui était trop
court, reprit l'autre. Trois fois il se débanda les yeux,
c Tu m'irrites ! dit il au bourreau. Prends garde I je pour-
rais étrangler moitié de ceux qui sont ici. » Ils n'étaient
pas très-rassurés, voyant cet homme non lié^ si fort et si
furieux; plusieurs regardaient vers la porte.
19 œ^snkxivj^ bb
I>e ïioarrcan, rets cinq h^inres, pensant ne finir jamâs,
hii dit : « Monsu^ur, auparavant, ne fant-il pas qoe yoos
éish'Z votn; /n manus tuas. Domine? » Bîron se Ternît, et
rhorniTie, profitant de ce moment et prenant Vépée des
timj\% An valet, par nn rraî rairade de force et d'adresse,
lui trancha an toI son am gras» la tête s'en alla bonfis*
nnni au pied de IV^chafand.
On voulait le mettre aux Célestins, à côté des vieux
Vit loin. Mais ces moines furent politiques; on vit d^ reflet
du coup ; ils refusèrent. Et on le mit à Saint-Paul, paroisse
de la Bastille.
Pendant ce temps-là, une foule énorme se morfondait ft
la (îrèvc, où on l'attendait. Des fenêtres y étalent louées
Jtwqu*à dix écus.
La foule des amis de l^spagne, cagots, bigots, ligueurs.
Jésuites, et aussi des gens de haut vot qui Youiaîent braver
le roi, iillaient jetor do Tcau bénite, faire dire des messes k
mm lonibenu.
Le roi. nprfts Texécution, était sî défait, dit Fainbassa-
deur (rEspa;;no, qu'on l'eût cru l'exécuté. Hait jours après,
il ftit pri« d'un violent flux de ventre qui le tînt quelque
temps trt»8-fiiible.
Il n'en eut pas moins conscience d'avoir fait Jusfioe. Kn
f onv<'rsntioni il disait souvent et comme un proverbe :
« Aussi vrai que Biron fut traître. »
Il (\it tr^s<(--roronniùssant| pour l'homme inflexible qui
ruvnit soutenu dans cette rude circonstance ; il alla voir
SuHy» lui dit : « D'aujourd'hui, je n'aime que vous. »
tîrnud ttMuoîgna^ et mérité. L'un et l'autre, en ce
<^u^p ^tèvt'^rt^ qui senit tellement la France, et qui loi
d\M)niii>uil ans dert'pos, méritèrent d'elle ce jour-là antent
qu*(»Mt jours dWrques et d'Itry.
CHAPITRE Vi
to rétablissement des Jésuites. 1603- 160i.
La noire intrigue de Biron que le roi ne voulut pt8 per-
cer jusqu'au fond n'était qu'un petit accident de la grande
-conjuration qui minait l'Europe, qui d^à avait accompli la
partie la plus cachée de son œuvre souterraine, et qui
bientôt procéda à Texécution patente de cette œuvre, la
Guerre de Trente Ans.
Henri IV était Tobstacie, avec Maurice d'Orange, et
secondairement le roi d'Angleterre et d'Ecosse, Jacques VI,
successeur d'Elisabeth. Mais celai«€i avait donné grand
espoir aux catholiques. Il ne tarda guère à faire un traité
avec TEspagne. Pour le roi de France, on comptait en
venir à bout. On voyait qu'il était malade, atteint de cette
cruelle affaire de Kron. On pensait, non sans vraisem*
Uance, qu'il faiblirait de plus en plus. Les zélés qui déjà
avaient réussi à le marier à leur guise avec cette
fausse Italienne, d'Espagne et d'Autriche, voulaient pour
deuxième point faire rentrer les Jésuites en France et leur
feire confesser le roi. Le troisième qu'on devait gagner
sur le roi ou après lui, o*était un double mariage d'Espagne,
pour espagnoliser la France, la neutraliaer, l'hébéter. La
JPrance, cette tête de l'Europe, branlant, caduque, imbé«>
72 LE RÉTàBLISSEUKNT DBS JÉSUITES.
elle, comme elle fit sous Louis le bègue (Louis XIII), dans
ses quinze premières années, on pourrait alors s'attaquer
au ventre, je veux dire aux AUemagnes, ces profondes
entrailles du monde européen.
Ce n*est pas qu'avant 4 600 on n'ait travaillé rAlIemagne,
mais c'était en préparant les moyens de la grande guerre,
surtout en disciplinant Farmée ecclésiastique. Cette be-
sogne préalable était celle du Concile de Trente, la transe-
formation du clergé. Il fallait d'abord que ce corps eut
J*unité automatique d'un collège discipliné par la férule et
le fouet. L'àme du Concile de Trente, Lainez, ce cuistre
do génie, bien plus fondateur qu'Ignace, avait mis là son
empreinte. Toute la hiérarchie conçue comme une échelle
do classes, sixième, cinquième et quatrième, où des éco-
liers rapporteurs s'espionneraient les uns les autres et se
dénonceraient par trimestre.
Cet amortissement du clergé, plus facile que l'on n'eût
cru, encouragea à entreprendre une œuvre qui semblait
plus hardie : la traiisformatUm de la noblesse.
Nous devons à M. Ranke {Papauté^ liv. Y, S 9) U con*
naissance d'une pièce inestimaUe, tirée des manuscrits
Barboriui* C'est le plan que le nonce IGnaccio IGnucci
pr\>(x\so à la cour de Rome pour le remaniement moral de
rAUoiuagne« Son principe dominant est celm-ci : Cesl dé
U »9A^«>»)r ^uil faui s^ttTtparer. Il ne se fie pas au peuple.
Il veut : 1"* çuoH trMe Us enfants nofriies mieux que les
petits ÙMirpeois, pour attirer la noblesse aux collées;
t^' ^^^n ài^^r-ïe les €f:>khès mhx fuc-îes^ « qui seuls ont droit
d\ arriwr. > Point de bèneâoes aux bcnu^geioîs, qui pour-
niiotti doxvnir sa^^ants; il dut bi^» quelques savants, mais
peu. trà^vtt de sartnts: â^ on neiiptr^ pss de eus ncMes
fv\^.4:$ ^u\^ TTfiÀem: ians lettre èvècbes; ils seiv>Dt bien
plus uuk^à la <\¥ir et près des princes.
t>pfam lottt arisa«>cratiqiie |MMte sur cetie p«$M, très-
jiuft^. quo la noUes». (4«$ qai wcane auxrf classe^ po«-
LE BÉTABUSSKlODrr DIS lÉSUITBS. 73
vait être corrompue par les places et par l'argent, par le
plaisir 9 par sonliesoin absolu de vivre à la cour.
Justement, à cette époque, se formaient autour des
princes ces grands centres de vie galante et mondaine^ les
cours, et de moins en moins la noblesse pouvait vivre chez
elle. Dans plusieurs pays, les Jésuites n'eurent besoin que
d'une chose ; il suffit que les protestants ne fussent plus
admis chez les princes. En Pologne, l'effet fut terrible ; les
exclus furent désespérés et se refirent catholiques. En
France, il en fut peu à peu de même. Les protestants non
chassés furent du moins vus de mauvais œil ; il leur fallut
s'éloigner. Dans les châteaux commencèrent les lamen-
tations des femmes, les querelles domestiques. Le jour ne
fut qu'un bâillement et la nuit qu une dispute. Le mari y
échappait, tant qu'il pouvait, par la chasse; mais il y
retombait le soir. Hélas I malheureuse dame, exilée, per-
due au désert I Loin du roi, nouveau Dieu du monde, vous
ne verrez donc plus que Dieu ! Ce soleil vivant vous aurait
dorée d'un rayon ; à son aimable chaleur auraient éclos les
amours. Or, dans le monde monarchique, les amours font
les affaires : le mari eût fait fortune...
La noblesse fut vaincue. Tous les honniusgens se firent
catholiques. Des collèges magnifiques furent ouverts par
les Jésuites à la jeune noblesse; les enfants des princes
eux-mêmes s'y assirent avec les nobles. Ces princes^ élèves
des Jésuites, Bavarois et Autrichiens, vont être Tépée du
parti.
Du jour cil la France a faibli en abandonnant lltalie,
Ferdinand d'Autriche exécute chez lui l'opération violente
de chasser tous les protestants. Persécution que l'empe-
reur Rodolphe commence en Hongrie, en Bohême, et
généralement dans l'Empire, par la destruction des hauts
tribunaux qui maintenaient l'équilibre entre les deux
religions.
Tous les princes sont tentés par les domaines proies-
7i a KÉTASU«8XMnfT MS rtSOlTM.
tantSy ou oenx mâme des c&thoKques. Le pape trouve
bon que son fitvori le . Bavaroie s'approprie les biens des
couvents, et il le charge de corriger et de stimuler les
éféques.
L'artère du monde est le Rhin. Bade, Ihyence, Cologne
et Trêves^ les évôchés peu éloignés, Bamberg, Wurtz-
bourg et Paderbom, avaient chassé les protestants. Mais
la grande aiFaire était Clères, la porte de la Hollande et
de rAllemagne, ce bas Rhin commun h tous, qui touche
■aux trois nations.
Dès 4 598, l'Espagne s*y était jetée, et elle n'en fut dis-
traite que par le long stége d'Ostende. La Sotlande ne
sauva pas cette place. Elle s'épuisa en efforts, et chacun
prévit le moment où la France serait obligée de se raettie
de la partie, de soutenir les Hollandais^ ou de les laisser
périr, ce qui livrait rAUemagne, avec rAUemagne l'Eu-
rope. De sorte que l'Espagnol, ruiné, séché jusqu'à l'os,
un squelette, une ombre, se fût encore trouvé le tmltre à
la fin et le vainqueur des vainqueurs.
Donc, on regardait Henri IV, et tout retombait sur M.
Sa tête était au fond Fenjeu du grand combat de l'Europe.
La mort de Biron lui avait causé un terrible ébranle*
ment. L'on se demandait deux choses :
MowrraU'il tMureUememf Ce n'était pas impossible.
Dyssenterie au moment fatal, en juillet 4(M2. Mai I6ft3,
seconde crise de rétention d'urine. Dyssenterie en sep-
tembre, en décembre encore. En janvier et en avril 4604,
premières atteintes de goutte.
Mcurrait'il moralement^ d'inquiétude et de chagrin, de
tiraillement intérieur? La conjuration générale de bêtise
et de bigotisme vainorait-elle cet esprit si vif et si résis-
tant?
«
Il semble qu'il flkt alors très-bas et très-aflEussé. l'en
juge surtout par une chose. Sully ne parvenait pas à lui
iaire comprendre qu'Q n'avait à craindre jamais une
Li BtriBUssEiiEirr des iésititbs. T5
alliance du parti protestant avec l'Espagne. Et cependant
visiblement l'Espagne devait leur faire horreur. L'avéne-
ment de l'infante Gaire-Engénie à Bruxelles avait été
solennisé par une femme enterrée vive. Le conseil d'Es-
pagne songeait à chasser tous les Morisques. La seule diffi-
ealté était que le frère du premier ministre, grand inqui-
siteur, voulait, non qu'on les expulsât, mais qu'on les
passât au fil de Tépéè. Or c'était un million d'hommes!
L'Espagne faisait horreur. Le plus suspect des protes-
tants, le plus intrigant, Bouillon, n'osait traiter avec elle.
(De Tbott.) 11 se fât perdu chez les siens.
€e qu'il feisait réellement, c'était de calomnier le roi
dans VEurope protestante, jusqu'à dire qu'il méditait avec
le pape une seconde Saint-Barthélémy <Lettres, *VI, p. 49).
n sollicitait le roi d'Angleterre de prendre le protectorat
de nos réformés. Cela troublait fort le roi et le rap-
prochait des catholiques, le faisait même falMir dans la
question des Jésuites.
Moment d'obscurité profonde. Le roi ouvrait le bras à
l'ennemi, favorisait, sans le savoir, le grand complot fana-
tique organisé contre lui-même. Et les protestants se
déiSaient du roi, qui d^à, dans la Bastille, amassait l'ar-
gent, les armes, pour la grande guerre nécessaire «u
salut des protestants.
On ne pouvait agir de face contre un homme de tant
d'esprit, mais on le pouvait de côté par des moyens indi-
rects. L'Espagne trouvait à cela d'admirables facilités ; le
conseil, la cour était espagnole. Ce n'était pas seulement
des Tilleroy, des leannin, qui discouraient en ce sens,
mais les gens les plus innocents, des mondains^ des
étourdis, par exemple Bassompierre, le galant colonel des
Suisses. La reine, au lit même du roi, grondait, pleurait
pour rfispagne, pour ^alliance espagnole, pour le double
mariage. Et, si le roi se sauvait chez sa Française, Hen-
riette, il y retrouvait l'Espagne; Henriette voulait fj
76 LE RÉTABLISSEMENT DBS JBSOITES.
réfugier, si le roi venait à mourir. Donc l'Espagne en
tout et par tout ; on la sentait de tous côtés, on la respi-
rait. Ou, si ce n'était pas elle, c'était la Savoie, plus
adroite, une sorte d'Espagne française par où le poison
arrivait.
Au moment oii, de la Savoie, partait un agent secret
qui devait travailler les Guises, un Savoyard, très-aimable,
l'insinuanti le charmant François de Sales, venait prê-
cher devant le roi.
Celui-ci n'était pas Jésuite. Son maître, le P. Posse-
vino, le grand diplomate de l'ordre, avait senti qu'il ser-
virait bien mieux les Jésuites en ne Tétant pas. Leur but
alors étant, comme je l'ai dit, de s'approprier la noblesse,
il leur fallait des gentilshommes à eux, qui eussent les
grâces et l'élégance mondaines. Tel était François de
Sales, blond de barbe, de cheveux, d'un sourire d'enfant,
avec un charme féminin qui allait surtout aux dames, qui
ravit la cour, le roi. Le Crucifié, dans ses mains, perdant
toutes ses terreurs, devenu gai et aimable, n'aimant qu'oi-
selets, fleurettes des champs, avait pris la gentillesse du
rusé petit Savoyard.
Ce n'était pas Possevino, un pédant baroque (à en juger
par ses livres), qui avait pu faire ce charmant disciple.
C'était la cour, c'étaient les femmes, la douce conversa-
tion des Philothées et des Chantai. C'était la camaraderie
de l'aimable auteur d'Astrée^ le sire d'Urfé, ex-amant de
Marguerite^ réfugié en Savoie, qui, d'après les Espagnols,
faisait son roman de bergers.
Le confesseur de madame de Chantai, fort jaloux, dit de
saint François : « Ce berger. » Et, en effet, ses sermons,
ses petits livres dévots, sont des Àstrées spirituelles, des
bergeries ecclésiastiques.
Le roi, enchanté de voir une dévotion ai gaie, si peu
exigeante, en contraste si parfait avec le sombre, la roi-
«deur des huguenots, inclina fort de ce côté, et, sous cette
us RtfABLISSBIlENT DBS JÉSUITES. 77
séduction, se trouva tout préparé à laisser rentrer en
France les maîtres du doux prédicateur.
A.U voyage qu'il fit à Metz, en 4603, la Yarenne lui
présenta les Jésuites de Verdun, qui le prièrent de réta-
blir un ordre pauvre, disaient-ils, modeste, et surtout
point intrigant. Le roi dit avec bonté que, de retour à
Paris, il aviserait. Tout solliciteur a besoin de suivre son
juge ; ils obtinrent que deux seulement, deux humbles ,
deux tout petits Jésuites, les pères Ignace et Cotton, sui-
vraient raffaire, et par conséquent accompagneraient le
roi. Il consentit. Cotton s'attachaJi luiet ne le quitta plus
jamais. Jamais, quand il l'eût voulu, il n'eût pu arracher
de lui ce lierre tenace, ce plat, froid, indestructible lichen,
qui semblait collé à lui. Il s*en moquait tout le jour, mais
ne le traînait pas moins. Controversiste ridicule et prédi-
cateur grotesque, il était admirablement choisi pour un
roi rieur. C'était un trait de génie d'avoir mis chez lui
pour espion un fourbe sous la figure d'un sot.
Voilà l'humble commencement de cette grande dynastie
de confesseurs du roi, qui, sous la Chaise et le Tellier,
finiront par gouverner la France.
Le roi, au retour de Metz, fut malade deux fois, coup
sur coup, en un même été. En septembre, étant à Rouen,
les huîtres normandes lui rendirent son flux de ventre. Il
était faible, et isolé, la cour ne l'ayant pas suivi. Mais
Cotton et la Varenne ne le lâchaient pas. Ils tirèrent de
lui le rétablissement des Jésuites.
Sully assure qu'Henri IV lui avoua qu'il ne se décidait
à cela que pour sortir des angoisses oii le tenait constam-
ment la peur de l'assassinat, « vie misérable et langou-
reuse... telle qu'il me vaudroit mieux être déjà mort. »
Tels ils furent reçus, tels ils se maintinrent. Et c'est,
selon Saint-Simon, la raison même que le plus doux des
Jésuites, le P. la Chaise, donnait en mourant à Louis XIV,
pour qu'après lui il pilt toujours un confesseur jésuite :
78 LB RtTÀBLIS^BMEMT DES JÉSUITES.
c Dans toutes les compagnies il y a de mauvais sujets...
Un mauvais coup est bientôt fait, » etc.
Ce qui ne les aida pas peu, c'est qu'ils persuadèrent au
roi que l'Espagne les persécutait, et qu'ils n'avaient que
lui de protecteur au monde. Cela le toudia. 11 les reçut à
bras ouverts, et leur dit ce mot étonnant : « Aimez-moi,
car je vous aime. »
Pour rentrer, ils s'étaient faits sveltes, nrinces et bien
petits. Il leur suffisait d'une fente. D'abord, point de con-
fession, à moins que les évéques ne les y forçassent.
C'était asseï que Cotton Uki auprès du rou
Ils étaient hommes de collège, voués tout à fait aox
enfonts, n'aimant que l'enfance. A la Flèche, ils se chan-
geaient de leur enseigner le latin, laissant le roi y ajouter
tout l'enseignement mondain du siècle, quatre prof^seurs
de droit et quatre de médecine, deux d'anatomie. Les
Jésuites n'avaient aucun préjugé. Les bénéâees du c<rflége
devaient s'employer à doter chaque année douxe pauvres
filles, innocentes et vertueuses.
Tout ce que leur reconnaissance, leur tendresse pour
le roi, leur faisait demander, exiger de lui, c'était son
cœur qu'ils voulaient voir à jamais dans leur église.
Après sa mort, bien entendu. Et celui des rois et des
reines, à jamais^ voulant être un ordre essentiellement
royaliste.
Accordé. Les gallicans mêmes, des hommes du Parle-
ment (par exemple, le greffier Lestoile), se radoucirent
un peu pour eux, trouvant les sermons de Cotlon doux,
modestes, modérés, pacifiques et pas trop dévots, enfin
d*an homme du monde.
Ce qui toucha fort Paris pour ce pauvre père CoCton,
€*esl que, revenant le soir dans le carrosse de la Tarenne,
il y iul assassiné. Par les huguenots sans doute? Ce fitt le
cri généraL Mais qu'y auraient-ils gagné? Cotton mort^
on n'aurait pas manqué de Jésuites amsi saints et auasî
LK RÉTABLISSEMENT DBS JÉSUITES. 79
savants. Quoi qu'il en fût, heureusement le ciel avait
veillé sur lui; l'assassinat se réduisit à une invisible écor-
chure, que ces méchants huguenots crurent qu*il s'était
faite lui-même.
CHAPITRE VII
Lo roi se rapproche des protestants, leur accorde le temple
de CbarentOD. ieH)i-i606.
Richelieu nous a tracé de main de maître le portrait du
créateur originaire de sa fortune, qui fut son prédécesseur
dans les affections de Marie de Hédicis, du sîgnore de
Concini. Concini succédait lui-même à ces cousins de la
reine, lesOrsini, ses premiers cavaliers servants. Il rendit
au roi le service de les supplanter. Un homme de sa con-
dition était moins embarrassant, et pouvait servir la reine
avec moins d'éclat et de bruit.
Concini était né en pleine cour, fils du ministre diri-
geant de Côme de Médicis, mais cadet, troisième cadet,
d'une maison qui n'était pas riche. Il avait eu force aven-
tures, prison, fuite et bannissement. 11 avait été domes-
tique du cardinal de Lorraine; mais c'était un homme
charmant, un rieur, un beau joueur, un élégant cavalier.
La triste Léonora, si disgraciée de la nature, avait cepen-
dant osé regarder le brillant jeune homme. A leur départ
de Florence, elle l'aida de quelque argent; et l'usage
qu'il en fit, ce fut d'acReter un cheval de deux mille du-
cats, qu'il eut l'impertinence de donner à Henri IV.
Ce petit fait peint l'homme de la tête aux pieds. Il
n était que vanité, folie, insolence. Il passait tout le jour
u Ml €1 BAmocn m ftonsTAiiTS, irc. ftl
an jea comme wi grand sisigiiaiir. Il phii d'aatant plus à
la reine, qui le maria à «a Léooora, afin de le pooYoir
guder. Avec cet arrangement, Marie de Mëdicia pot être
sévère à son aise, jalouse de son mari, inexorable et ter-
rible pour la régolârilé de sa maison. Due de ses filles
ajmt, la nuit, reça un amant qnt se sanva en chemise, la
raine exigea qne le roi le ftt condamner à mort (par con«
tmnaee henreosonent) .
Lionora, modeste et sage, n'anrait risé qu*à l'argent.
Ha» Goncini, un (at, un fou, avec ses goûts de grandeur,
ne pouvait manquer de suivre le vent de la cour, qui était
toot à l'Espagne. Le grand-duc de Florence, son mettre»
s'était refait Espsgnol. Ihrie de Médicis ne rêvait que le
double mariage espagnol, qui était aussi toute la politique
de l'anden ligueur Villerof .
Un commis de Villeroy, qui déchiffrait les dépêches, en
donnail copie à Madrid. Goncini communiquait par une
voie plus détournée, par l'ambassadeur du grand-duc
auprès de Philippe III; ses lettres passaient par Florence,
pour être envuifées à Madrid.
Le roiavaît ainsi l'Bspagne tout autour de hii, chez lui.
En avril 4605, il apprit Taffiire du commis, que Viileroy
laissa fuir, et qu'on trouva dans la rivière, non pas noyé,
mais étrange.
Et, an même moment, un coup plus sensible lui était
porté. Les Espagnols avaient gagné Entragues, le père
d'Henriette, et son frère, le comte d'Auvergne, déjà mêlé
à Tafliire de Kron.
Elle-même étatt^elle innocente? Son père disait oui, son
frère disait non.
La taule en était au roi, qui n'avait pas su prendre un
parti avec elle, et l'avait exaspérée.
La reine, pour faire, digérer son nouveau cavalier ser*
faut, avait trouvé bon qu'Henriette eût un logement dans
le Louvre. Mais celle-ci croyait qu'elle ne la souflirait \k
XI. S
c}ue pom la ii1vetlipr:uiiiDaliiu Blb.aRr8itrpriétie>Boi de b.
marier^ oil d6 la laisaar paftir. Il sa fakail «i l'u» ni
rautrav lui disait 4|U'il k maiâttaH» efcge ëépîtaàt catter
cUe qaand atle chériiiaiiim mdri.
a la relefaii^ il la fabaitaait. Il* ttcûiulaiaftiîl mm tfSv
qu'elle apjpdaiimoa Ikmpkin. il ne poiKvaii se pàsaer d'riii^
et il empioyail rkonmid te plua gravie du rofauna^ Sally,
à négocier avec elle dans leurs brontllema. tloe kattra.
d*Heorkita à Sully iadiquo qua c'était iuslemtfil lAors
qu'il était plus amoureux et d'une impatiente exigeoce.
Elle étaii tièro et réifolté^ d'avoir à m soumettre aiaai. De
plus en plua, elle songeait à fuk en Espsgna, et aUe wtra
dans les projets de son père et de son finëfe.
Qu elle ait eu dès 4604 l'iéée de t«er le coi. cpa'elle ail
su le fond du complot; je ne le crois paa. Mai&caataine-
ment eUe voulait enlever son fils ea Espaga^, et le oaatfli-
tuer Dauphin coolre le Daupbia aaae l'appui dea Mê^
pagiuils*
deux-ei, ^ B'aa pouvaiaiit fiair avee. le gisari aîaga.
d'Osteude depuis trois années» avaieit meaté deiia oaa^
ehiaes «pii las aarawiii débanaaais d» ésox appua da la
HoUande. d lleftri IV^ de Jacfues VL.
Contre la premier, da famenlèreai ia aoaiplal tPJbt'
OaiMMra la saoend» ib aoaueiUiraal» aHaNsiagarait Ils-
Le rv>i« p%.Hir être plus ferme contre Hiiuiliw daaace
pi^>è$^ av)ik ptki uma aalra maSyKasa, phis halla»
iiKù$«>Ik' de BeuiL qu'd dota, titra à ^r&nd brait, ai fi
taasiàda lUr^ Mais ceUe-«t u'eteit (fm*«a «arpacL^
était une àin^. ui;il:^ni^ ai aiechaasa» d ess vai, mm^ «aa
iaiiai'»fiii>i&ea»^eiita*t$a|WMaHMacs^Seiipiseyasptes^
ftwm <eaAniMiiiM>: eai aa^nayiit de l^nénav ai de la»
4lat a«l euMUs.. BW w a eAnm psa. Efts di(
um AfiQOflM*ii imrfjtDe csABmrrm. SB
l^rtvemenfc qu'elbi àvttt^ptfomosse^u roi» et qto sa» evfaals
étaient les seuls légitimes; que, du nitfe^, n'ayutrietsB,
•elle na damMudait que tmacbesos : pardon p6«r flon père,
^ne corde pour son &ère> et justioe pour eUo.
Le roi gracia le pèra, enferma le Crëre, et eUe, Téloigna
-un mMnent ihia il la At rorenir. Insigne ioi^iidfioce.
EsamUiée, et sabissant et cette gràee et ttt amour, désor-
mais insupportable, elle devint tout à fait pcPTome et très-
4aBgcf»a$6,
IhMis. Mlle enifilk affaim, il avait aen ti au MMir la pokile
du poignard eqpigainl. On rajvait pris par sa malteesse.
Os eberoha une auti» onverton, «a. flÉAoBpMt de lui dtèr
aoo grand servitei» Sully.
Celui-ci venait de pceadra wie gnvti ioHiatrvau M m
voyail au plus haut daM k'amîlié de aoa afiattre. U avait
reçu de Imeonune un nanvean'ininistère, la sunreiiiaiieB
dea aflbîrea éttaifgèrea at da trèBr^Gaspeot Vilitaoy* (Lêù-
We$^ Vi, 953«) {1 vit i|ae le roi ne pouvait tarder à se mtfcr
directement de la BoHaDde et du Hhin po«r la suceessioii
de Glèves : done qu'il aeraîÉ obligé de revenir aux ppoées-
4ant9. Lol^^mâoie, qui léa avait font naiéaoalenté^ sa rap -
pirocha d'eux. La mort de la TrémouiUe, «elai de lews
4Aeb qu'aimait le moins Henri IV, permettait la rappro-
cfaemenl. Sully maria une de ses iUlas à un protesiaut
illustre et le chef futur du parti, la jeune due de Rohau.
(43 février 4605.)
Cela eut eiel. EiL un aooine, ehargé d'eapfanner les gens
qui se readaieet aulemple d'Àhlen, d'eapieu se fit i^rosé-
lyte« jeta le firoe, et tout haut sa déclara firotostant*
De là un curieux duel entre Sully et Gotton*
GoUmi lâchait de la noircir, et toute la cour aidait à la
ealoomie. On parvint k ialre naître entre lui et le roi un
ipetit nuage qui, lieureusemosl pour la France, se dissipa
an moment même. Lonque déjà on croyait Sully disgra-
cié aeas remède, le roi lui ouvrit les bras. Il faut IIm dans
84 LE ROI SS RAPPROCBB WS FROTIfiTAliTS^
les Œcùfiomies cette scène touchante dont on a tant parié
et qui a passé en légende.
Par représailles, Sully surprit, montra et publia une
pièce secrète où Cotton avait écrit les questions qu'il de-
vait adresser au diable qu'une possédée faisait parler.
Pièce qu^on trouva ridicule, mais que nous trouvons tra-
gique, en y voyant certains noms qui vont se représenter
à la mort du roi.
Sully, dès lors se constituant avocat des protestants, se
rendit lui-même, comme gouverneur du Poitou, à leur
assemblée dé Cbàtellerault. La confiance se rétablit. Il leur
dit que, s'ils tenaient à leurs méchantes petites places qui
n'auraient pu se défendre, on les leur laisserait quelque
temps encore. D'autre part, les protestants le reçurent à
la Rochelle. Les portes lui en furent ouvertes, quoiqu'il
eût avec lui une petite armée, de douze cents chevaux.
Ces excellents citoyens, et les meilleurs de la France, qu'on
disait amis de l'Espagne, ne pensaient qu'à lui faire la
guerre. Us régalèrent Sully d'un combat naval où vingt
vaisseaux fleurdelisés battaient vingt vaisseaux espagnols.
Sully, désormais bien sûr qu'ils ne soutiendraient pas
Bouillon, donna au roi l'excellent conseil de venir lui-
même en Limousin et en Quercy. Il y vint avec une ar-
mée (sept. 4605), mais elle fut inutile. Bouillon avait donné
ordre qu'o'b ouvrit les places au roi. Une enquête contre
les agents de l'Espagne, qui voulaient lui livrer des villes,
Marseille, entre autres, révéla des coupables, mais géné-
ralement catholiques. La grande masto protestante était
loyale et dévouée. Revoir leur roi de Navarre après tant
d'années, retrouver vieillie, blanchie, la téie chérie des
anciens jours, le camarade des souffirances, des misères
et des combats, ce fut un attendrissement universel. Les
Rochelois vinrent lui dire qu'il ne passftt pas si près sans
les visiter; qu'il vint avec son armée; que toutes les portes
lui seraient ouvertes ; que, si elles n'étaient assez larges,
ils abattraieat encore trois cents toises de mur. c Voas les
entendez? » dit le roi à toute la cour. Et alors il les em-*
brassa par trois fois en versant des larmes»
Second jour d'unanimité, dans ee pays si divisé. Je
compte pour le premier jour» non moin^ mémorable, celui
où l'armée d'Henri III et celle d'Henri de Navarre, la ré-*
Coimée, la catholique, en juin 4589, s'étaient reconnuesi
embrassées.
Le roi avait pu reconnaître quels étaient véritablement
ses amis, ses ennemis, et combien toutes ses faiblesses
pour ceux-ci étaient inutiles* Il ^tait à peine revenu à
Paris, qu'on apprit (novembre 4 605) l'explosion la plu^
terrible, le complot le plus scélérat, dont il y ait eu Jus^
que-là exemple, de mémoire d'homme.
Rien n'apaisait les fanatiques, nulle concession ne suffis
sait. Us étaient divisés entre eux. Pendant que les doux^
les patients, les rusés, vous caressaient, pendant qu'jon
François de Sales charmait et touchait le cœur, un Parson,
ou un Garnet, pouvait vous frapper par derrière.
Les percées hardies, violente^» que faisaient les impa*
tients, trahissaient leurs souterrains. Leur Sigismond III
(de Pologne), emporté par les Jésuites, perdit ainsi la
Suède. Leur jeune Ferdinand d'Autriche et les princes de
sa famille poussaient les choses si vite, que, de Bohême;
de Hongrie, de Moravie, on regardait vers la FrancSi et
Ton préparait un soulèvement. Venise se plaignait d'avoir
une inquisition jésuitique, plus redoutable déjà que l'In-
quisition d'État.^ De partout, un cri s'élevait : c L'Europe
^t minée en dessous. »
Ils protestaient. Plusieurs même, comme Cotton, sem-
blaient des simples, des crédules. Pendant qu'on en rit, la
nouvelle se répand que ces doucereux personnages ont
voulu faire sauter le roi d'Angleterre, sa cour, tout le par-
lement •
Les Jésuites jurèrent que la conspiration était puritaine.
M 4K Kl fti BiiMKMMi DM «MMST.
H falMt, potMT eroiré cela, toft piirililMél«Dt4é|à i6 ntmi^
bTMx au Pariement) Bdinettire que cet sectaires imitfni
conspiré pour se UAt& sMtaf wanutum.
Les pfttritaifii, giwd ffêtii, qsi wnâetkt pmt «irièfe-
gftfde toni le royaume d'ficosîn, «tqui s» voyiittHt défor-
mais aesaréft dat» le Parlemeartf n'àvataii que faire d'n
tel erime. CTëtatt trop ehiiNMiietit ra«ttt désespéré tl^me
minorité minime que le roi avait sottement flattée, etqvi,
trompée dans ses espératces, ensiyaîi emiper d*«ii seul
coup la tète de TAngleter^e, puis régner par ies E^gnois.
Le chef réel de Taffisire, Gartiei, supérieur des Jésiniesi
ne fot point mis à la torture;- le soi kflt bien tmiter* Il
nia» puis aroua ; mais lA etteore il se coupait, dlsaiit qu'il
avait su la chose mcâf^fêsfkm; et^ plus tard, H dit i^rs-de
tfmf^êêïon. Quromqde lira son pmcèe {Sum trkuki I,
S47-*840) dim, non qu'il fcl eempHee) iftaisqu'R ftit l'Ame
vnAme ^ la «wnspiratioii.
Le monde Ait sttipéRé. On disoutail, CfR tfttaqmtt Ma^
riana, sa théorie sur le droit de loer les rois. Ici Ja prsfti(|iie
allaii bien autrement loin. 11 s'agissait d'anéaotirîndiètinc-
Irnnent le roi, les princes, te» paitts^ les oemnaiines, les
«ssSsiants, tovt ce qu'ii y avait de oeiisidéMMe dans le
pays; ttAn, pour ainsi parler, 4e faire saoter tMtrn
fteupie.
Il y atait tant de poudre entassée sous la salle de West-
minster, qu^avec le palais, sans nul doute, toute oeite
partie de Londres eM sauté en l'air.
Henri IV vit, je cix>is, dès lors plus clair dttis sa fi«ltta«
lion. En janvier 1606, il dit toute sa peneée à Sully : Pré«
psrer la grande guerre, en divisant Pennemi. Hais avant
tout il fdilait, en France même, arracher Tépine qui res«
lait encore, r<^d«ire le duc de Bouillon.
Le rot alla k lui, avec une armée, mais t es liras nu*^
verts. » Pas un protestant ne le défendit. En reyanehe, les
mnemts de la Franet\ les bons amis de l'Bapatgne, la terne,.
^IfRoy^lMa les gruods seif qevr» con&^îUmni do la no(é<-
nager. Le roi le fit en effet, se contentant d'oQCi»|»er Sedan
picMfieqaaIre ans, par.uik gouveraei» lunguenot.
: BimÏUqii était fitti, perdu, surtout dans ropinion* ayant
démonti sa réputation . de prévoyance, ayaoi môsérable^
jnmit livré ses amis» 11 ne. xteatautamaa des grands qui pftt
aérieuaeBieiiA résister.
Maïs, d'autant plus violedusent reve&ail'Oii aux moyens
du fiioaiisne populaire. Il se trouvait à chaque insAantdaB
lotis poor tuer le roi. Un, tout à fait aliéné, raarrôta sur le
poBi Neuf, le tira par aan .manteaii ai le cintsoua le poir
gnard. Un autre, un fou béarnais^ se mit à préekçr sur las
plaeea aanlre las huguenots. Des batailles eonoBt lieu da^
Paria, et mm sans mort d'hoiMM, antre les deux oommah
nions. Un protestant fut attaqué et iufé aur le chemin
d'Âblon.
Toui neki ne pouvaiA étonner, quand on enteodaît les
sermons violents, lactieuiL, assaasinSf qu'où faisait eontne
le roi, tout eomtne aux temps de la Ligue. De n^nibrenK
eon^enta surgissaient» foyers ardents de fanatisme,, puis-
santes macbiûes à faire des fous.
Toutes les formes de la péniteneefujrant étalées,. afli^
chéea. lies Piepus, les Récoltets, le» Augustins déchaussés,
les Fràfes de la oharité (pour la caplattof» dea naïades),
a'élablirent i^tout à Paris, soua la protaotion dea reines,
de Marguerite et de Mmo éè Alédieis. Le â4 aoùft IM»,
jour même de la Saint -Barthélémy, ïm princesses, en
grande pompe, menèrent les Garaaéliiaa à leur célèbre
aamvént de la me dfEnfèr^ réoale de Textaee espagnole,
fni pulltthi tellement) que cette maison jd'Ënfer engendra
aoîxanto-denx maisons qui couvrireai toute la France.
Sn jnillei 4606,. autre scèa/s^ et plus- dramatique. Las
Capucines furent menées parmadama de Meroœur eiaatres
prinaasaaa de Guisav à trave» tout Paris, de la Roquette
è la me Saint<-Hoaoré (la future place Yenddrae). N^i^pieds ,
88 LE ROI SS RAFPROCflB DSS PROTSSTINTS,
couronnées d'épines, ces filles de la Passion émurent vi-
vement le public.
Ce spectacle de cinq ou six femmes vouées à la vie la
plus dure, à une mort anticipée, faisait dire aux exaltés :
TK A quel degré donc est montée l'abomination publique,
-qu'il faille une telle expia^on?... Pourquoi laisse-t-on si
longtemps vivre Tanathème au milieu de noua? » Ainsi la
pitié tournait en colère, arrachait des larmes de rage; et
<;es larmesy adressées au ciel, demandaient l'assassinat.
' Le roi> devant ces fureurs ascétiques et monastiques de
gens qui se frappaient eux-mêmes dans Tespoir de le
frapper, fit une chose courageuse, que lui demandait Sully
depuis près d'un an. Il mit le temple des réformés à deux
lieues de Paris, le transportant d'Ablon, distant de cinq
lieues, à Charenton, c'est-à-dire presque aux portes de la
grande ville.
On ne peut se figurer quelle fut la violence des résis-
tances. On fit réclamer le seigneur du lieu, et il s'ensuivit
un procès qui dura soixante années. Sans en attendre
l'issue, on fit arriver au roi d'aigres et menaçantes plaintes;
l'Ëdit de Nantes, disait-on, n'avait autorisé le temple qu'à
quatre lieues de Paris. « Eh bien, dit le roi gaiement,
qu'on sache que désormais Charenton est à quatre lieues. •
Alors on essaya de la violence populaire, des batteries,
des coups de bâton. Mais le roi, sur le chemin, fit mettre
une belle potence, qui avertit suffisamment, et l'on n'eut
besoin d'y pendre personne.
Ce simple rapprochement du Temple, mis si près du
centre, presque dans Paris, le prêche en ce lieu sonore,
d'où tout retentit en France, l'éloquence austère des mi-
nistres, en face des échos de la Ligue, des sermons en
calembours, en rébus, en madrigaux, où brillait l'esprit
des Jésuites, ce fut un grand coup de parti.
Chacun se tint pour averti. Quoique le roi continuât un
simulacre de bascule, on vit bien, dans les grandes choses.
LBUR ACCORDE Ut TBMPtB DE CHARBMTON. 89
qu'il inclinait aux protestants. Personne ne fut élonné
lorsque, peu après, il entraîna l'Angleterre dans un traité
où les deux puissances couvraient définitivement la Hol-
lande de leur garantie.
Les protestants, un à un, lui revinrent, et d'Aubigné
même.
La guerre d'Espagne, raffranchissement des consciences,
la liberté religieuse de l'Europe que pouvait fonder
Henri IV, c'était l'idée nouvelle du temps. C'est celle qui
lui ramena l'intraitable d'Aubigné, et le jeta dans ses
bras :
< Je me rendis à la cour, oii le roi, sous prétexte de me
charger de l'inspection des joutes, me tint deux mois sans
me parler de ce qu'il avoit sur le cœur. A la fin, comme
j'entrois avec lui dans un bois où il alloit chasser, il me
dit : c D'Aubigné, je ne vous ai point parlé de vos assem-
blées, où vous avez pensé tout gâter, parce que vous étiez
de bonne foi, et que j'étois sûr qu'il ne se passeroit rien
contre ma volonté. Un des vôtres, et des meilleures mai-
sons, ne m'a coûté que cinq cents écus. Que de fois j'ai
dit, en vous voyant si rétif :
« Oh t qae si ma geut eût ma yoix oui,
« J'eosie ea moins de rien pu yainere et défaire, etc. •
« Je répliquai : « Sire, je savois tout. Mais, nommé par
€ les Ëglises, j'ai cru devoir les servir, d'autant plus
c qu'elles étoientplus abaissées... » Le roi m'embrassa et
suivit sa chasse. Mais, courant après lui, je lui dis : « Sire,
c en regardant votre visage, je reprends mes anciennes
« hardiesses. Défaites trois boutons de votre pourpoint,
c et faites-moi la grâce de me dire ce qui vous a mû à me
c haïr... » Alors il pftiit, comme il faisoit quand il parloit
d'aflection, et dit : t Vous avez trop aimé, la Trémouille;
< vous saviez que je le haïssois... »
M LE ROI Al AàPNIOGBB MS PBOTBSZAHTS, KT€.
« Sire, repar4ifi*J6f j'ai été nourri aux pieds de Voire
« Majesté» et j*y ai appri» de bonne beure à ne pas dé-
« laisser les personnes afiUgées et accablées par une puis-
« sance supérieure. Approuvez en moi cet apprentissage
« de vertu que j'ai fait aoprte de vous. • Cette dernière
réponse fut suivie d'une seconde embrassade que me fit
raon maître, en me disant de me retirer,
« .Sur quoi il faut que je dise ici que la France,;en le
perdaat, perdit un des plus grands rois qu'elle eût encore
eus ; il n'étoit pas sans deffautSi mais en récon^)ense il
avoit de sublimes vertus. »
CHAPITRE Vm
Qff«i«0Qr d'JieiiH IV.
Les firands ^résultats du règnv oommenQaieot à appa-
raître. Toute rjEurope seotait une otM>Bei e*eat (fu'U n'y
aviDt qu*u& roi| et c'était le roi de France.
Le vœu de toua sea voisina eût été d'être conquis. Les
Fiamanda écrivaient aux n6tres : « Ah ! si nous étions
Français 1 » Et la Hollande elle-même, dans ses embarras,
recevant saa meilleur secours de nos volontaireSp se sur-
prenait à désirer de devenir France. Les revers du prinee
Maurice, les craintes que faisait concevoir sa tragique am-
bâtionf reportaient vers Henri IV, et plasieurs, déjà fati-
gués d'une liberté si pénible, eussent voulu être ses su-
jets (1607, SuUy).
Vœu déraisonnable pourtant. On en jugera ainsi, si Ton
songe à la si courte durée de ce règne, à ses résultats
éphémères, aux calamités si longues qui suivirent.. « Tel
fut, tel est le caractère du gouvernement viager. Marc-
Aurèle ai^ourd'hui, et demain Commode.
£aft*ce à dire que la voix publique a eu tort de vanter
ce règne? La légende est -elle vaine? Non, le peuple a eu
raison de consacrer la mémoire du roi singulier, unique,
qui fit désirer à tous d'être Franji^, qui paya ses deIXes,
92 GRANDEUR D'HKNRI 1T.
prépara la guerre sans grever la paix et laissa la caisse
pleine.
Il n'y a aucune comparaison à faire entre lui et Louis XIV,
entre ce règne réparateur et ce règne exterminateur. Le
bel accord, si heureux, d'Henri lY et de Sully ne se re-
trouve point du tout entre Louis et Colbert. Les dépenses
d'Henri IV, pour son jeu et ses maîtresses, que je n'éxcuse
nullement, ne sont rien en comparaison de la furieuse
prodigalité, de la Saint-Barthélémy d'argent qui signala
le grand règne.
Celui-ci est vraiment grand. Avec peu il fit beaucoup.
Sully n'était pas ce que fut Colbert. Henri IV n'avait qu'un
petit pouvoir, en comparaison de l'épouvantable puissance
de Louis XIV, qui trouva tout aplati.
La situation d*Henrl IV, relativement, Ait misérable. Il
dut racheter la royauté et combler ses ennemis.
Les Guises restèrent grands et devinrent plus riches.
Leur chef, Mayenne, était gouverneur de l'Ile-de-France,
et il enserrait Paris. Son neveu. Guise, avait la Provence,
Marseille, la porte par où entra Charles-Quint. M. de
Montmorency était roi de Languedoc. L'homme le plus
dangereux, d'Épernon, gouverneur de la Saintonge, de
l'Angoumois et du Limbusin, l'était encore, à l'est, des
Trois Ëvôchés. Le duc de Longueville avait la Picardie,
c'est-à-dire nos frontières du Nord. Le duc de Nevers
avait la Champagne, Mézières et Sainte-Ménehould, la
route ordinaire des invasions allemandes.
Sous ces hauts tyrans subsistait la foule des petits ty-
rans, gouverneurs de villes, commandants de places; en-
fin les seigneurs, moins forts comme seigneurs alors,
mais plus lourds peut-être encore comme gros proprié-
taires de terres, que dis-je ? comme propriétaires d'hom-
mes. Malgré les rachats innombrables et les adoucis-
sements de nos coutumes, la servitude subsistait dans
nombre de nos provinces.
GBANDKOR D^HKECia I?. 93
Un des fléanz de l'époque, c'est que les grands s'appro-
priaient et foumaient à leur avantage la puissance du roi
et des parlements qui devaient les réprimer. Us n'avaient
plusJiesoHi, comme autrefois, de combattre ; il leur suffi-
sait de plaider. La lâcheté des hommes de robe mettait la
justice à leurs pieds. Les parlementaires, si gourmés, si
gonflés dans leur robe rouge, tcHnbaient à l'état de valets
quand un de ces dieux de la cour leur faisait l'insigne hon-
neur de les visiter. Chapeau bas, courbés jusqu'à terre,
recondmsant le grand seigneur jusqu'à la rue, jusqu'au
carrosse; le magistrat promettait tout. La court un homme
de eour / A. ce mot, la loi s'eGraçait, le droit s'évanouissait.
Le courage du président tombait, et, le plus souvent, la
vertu de madame la présidente.
Les grands,» alors aussi avares qu'autrefois ambitieux,
visaient à l'absorptiou de toutes les fortunes de France. Ils
y marchaient par deux voies, d'abord par leur toute-puis-
sance sur les tribunaux, par des proc^ toujours heureux;
deuxièmement par des mariages, en s'adjugeant, bon gré
mal gré, toutes les riches héritières.
Le roi se mit en travers et les arrêta. 4 "* Il rendit les ma-
gistrats pins indépendants en leur permettant, pour un
léger droitf de rendre leurs charges héréditaires, et de
n'avoir plus à compter à chaque vacance avec les rois de
province ou les influences de cour; Sf" il interdit aux fa-
milles trop puissantes, spécialement à cielle d^ Guises, les
grands mariages, qui les auraient encore fortifiées. C'est
ce qu'ils ne supportèrent pas, et ce qui leur fit désirer ar-
demment sa mort.
Ce règne leur apparut comme une dure tyrannie, une
cruelle révolution.
C'était là, en efiet, son caractère profond, qu'entravé
encore à l'extérieur, il avait en lui la force vive d'une ré-
^ volutioa sociale qui poussait la royauté^ qui la trouvait
trop timide^ et qui lui disait d*oser.
^1 GBiiaoBB o mm iv.
SuUy, qui tYait quelque ehofi9 (tes gnads févolution*
naires, sembie avoir fiCHli cela. Rien de plua^dramatiqoe
que l'intrépide percée de ce* hooMie de guerre, jusque-là
étranger à ces diosee, dans répUsse forêt dei abw, où il
entre i'épée à la meîn. Mus oes abas* entrelacés comme
iin ehaos inextrieabie de ronces, peur les çonper, il AdUit
«vant toutiles démêler^ Là se fdace le travail prodigieux da
grand liomme, sa vie sauvage au milieu de f^eois, seïï nuits
d'écriture et de chifires, sa rudesse împlaeaUe. pour les
courtisans.
U se iMMJtotuât les oreilles pour ne pas entendre l'eltaa-
drbsenie plaiatci des abus qu^ CaiUnt trandier* A, chèque
ebup, ils oriaiesit' loOs, ùomme oes arbres animés 4es fo-
rêts du Tasse. Mais quoi 1 la badie de révotutten ne res^
pecte rien.
Révolotion contre ^hypothèque sacrée de a<w «réan-
-oiers étrangers, et nos isapéts dégagés ée Texploîtation flo-
rentine, des mains pures, tivéprochables, desfiondt et des
Zamet.
Révolution contre les oAloes achetés ou si bien gagnés,
•contre oes honorables receveurs, contrôleurs, eorapta-
bles de toutes sortes, qui trouvaient moyen 4e ne (kmqI
-compter, tous couverts du patronage des grsnds de le
cour.
Révolution contre les gouverneurs de prévinees, qui
virent mettre à cAté d'eux un lieutenant général du roi.
Révolutien plus hardie contre la seigneurie, essai (non
^s de raser encore les châteaux), mais d'empêcher qu'on
n'y fit des fortifications nouvelles.
Après ce$ révolutions, notons te$ tyrannies de cette
iidministration.
EHe exigea que les seigneuns laïques ou ecetésf astiques
qui levaient péages sur les routes et rivières à condition
de lee entroteutr, ecconiplissent cette oenditien, «ous
peine de déchéance. «SuMy, comme grand voyer, poussa
contré eux cette' guetire si yivmiêiil, (ffa'eû pèu4*sfnRëes
tou9 finirent par dl>éif . Le commerce otrcola, et aussi 1»
fcrce publique. Cies routes qoe vefirent îe» seigneurs^ elles
scrvirentii l6i viÂier, à ieS'StrrvéiHer. '
Les Ibrèts et le* eonrs 4'eeux timnt pour k pretnîèm
foie gardés et adminislrés Arutre g»erre îmcnense. Guerre
aox braeemiîers, aux seMate démenas votevrs, aux rôdeurs
annés»
Les poissons furent protégés ; des rivières furent repeur
pléee, etjdéfense de pécker aii tempe du frai. Snlty fit ce
qve demande et attend eneevc^ la pnckmittîre.
*
L'indvstrie <late de ce règne. Le roi même réncoura-»
gea; moins Sully, tout préoceupé de I^lgriculture. Le
monde de l'ouvrier, tout autrement mobile et Kbre que
celui fjhx èÉltivâteiÉr, eurgit tout à coupv Les soi^ies, les
drapsi lea verreriee, Ies4nanufactnres de glaces, etc., (vh
reni etéé^s eu immensément étendues par 9eori IV. H
planta partout des mûriers. Il ordonna qu'en chaque^dlooèsé
en en élewàldfatnriîle. Il en n^it dans les Tuileriee, à Fen-
IflRnéUoaii et parlout. Cette dispositîeii si sfi^e de mettre à
profil lee jardins paMies potr les cultures d'utilfté a été
tMmé» en- rldievle par les nyjriilîstes û\jt temps Ae la Rè^
irohnion, raaia «Ile remontie à Henif IV.
Sully ne goAiait guère non plus les fondations de colo^
iiiei. Le Ni, (rfus fidèle en eed aux thidKions de Coligny,
Jugeait q«^n gnmd peuple inquiet, tant d'esprits aventu^
reiiZ) ont besoin d'un tel débouché. Il encouragea les
Champlain, les de Monts^ fondateurs de cette France amé^
rieabie qui n'embrassait pas seulement le Canada, mais
on empive de mille Heues de côtes. Regrettables colonies
oh i» sdeiabiMé de k France adoptait lea indigènes et les
asaimMC; La Pr«aee épousait l'Amérique, m Reu de Tex*
termimr po«r y substituer une Europe, comme -put tait
iee cotoM anglais.
Cevègne, ai grand par ce qu^ fit, est plus grand parée
94 GRANMOR d'HINRI Vh,
qu'il voulut y commença ou projeta. Ainsi le canal de
Briare, Tune de ses belles créations, et qui fut un mo-
dèle pour r£urope» devait être suivi du canal des deux
mers et d'un vaste réseau de voies analogues qui eussent
en tous sens ouvert à la France ses vives artères. Ce sys-
tème (si bien exposé par M. Poirson) avait jailli du génie
des Crappone, des Grosnier, des Louis de Foix» des Yiète.
Ce dernier, immortel par l'application de l'algèbre-à la
géométrie.
Henri IV s'occupa fort de la Seine et lui créa d'abord sa
route d'an bas. Il voulait en rectifier le cours et en assurer
la navigation entre Rouen et le Havre ; ce qui en eût fait la
rivale de la Tamise et posé Rouen comme émule et anta-
goniste de Londres.
Tout ce. qu'on fit pour la guerre, en dix ans, est in-
croyable. L'artillerie fut créée. Une ceinture de places
fortes, chose énorme, fut improvisée, surtout pour cou-
vrir le Nord. .
Le roi, qui, toute sa vie, avait fait le coup de pislolei
avec sa cavalerie de gentilshommes, et avait vu, pendant
la Ligue, l'infanterie faire piètre figure, se fiait peu à
celle-ci. U n'avait pas la patience vertueuse de Goligny»
ce martyr de la vie militaire^ qui usa la meilleure partie
de la sienne à nous faire une infanterie. Cependant,
à sa dernière guerre , Henri 1 Y voulait sérieusement en
essayer, et peu à peu se passer des mercenaires. U ne
louait que six mille Suisses et levait ving mille fantassins
français.
Infatigable chasseur, vrai gentilhomme de campagne ,
d'aspect, d'habitudes et de goûts, il n'en aima pas moins
Paris, qui ne le lui rendait pas trop. he$ grands, le clergé,
les corporations, la robe, restaient chagrins ,et hostiles. Il
n'en fut pas moins, on peut le dire, un des créateurs de la
ville. Un Paris immense se bâtit sous lui. Toutes les rues
du Marais, qu'il nomma du nom des provinces où U Atait
GRâNDBDR D fllNRI IT. 97
tant voyagé, souSért, combattu, les mes (de Berri, Tou-
raine, Poitou, SaintoDge, Périgord, Bretagne, etc.) de-
vaient aboutir à une grande place qu'on eût appelée Place
LapJoce Roya/e, qu'il bAtit à l'iastar des villes de Alpes,
avec des portiques commodes, et qui ne servit, après lui,
qu'aux Têtes, aux tournois ridicules de Marie de Médicis ,
devait, dans son idée première, recevc4r une imnlènse ma-
nufacture de soieries.
Dans le quartier Saiot-Harceau, il forma l'autre gronde
manufacture, celle des tapisseries des Gobelins, qui existe
encore.
C'est lui qui relia Paris et en fil un tout. La ville cen-
trale, l'Ile de la Cité et du Palais-de- Justice, tenait à peine
au Paris méridional de l'Université et au Paris septentrio-
nal du Commerce. Pour suite au vieux pont Saint-Michel,
il bâtit le poni au Change, et à la pointe de l'ile le vaste et
magnifique poni JVau^ l'un des plus grands de l'Europe.
Celui-ci rendit nécessaire la rue Daup/tine, par laquelle
l'ancien faubourg protestant, le faubourg Saint-Germain,
est en rapport avec la ville.
'^ ' gravures de Calfot nous mon-
trent p d'alors, tel que le lit Henri iV.
■*^ '* quai de la place Dauphine, le
^^yfo s, qui donne à la Seine sa prin-
cipale ispect mo^jumental ; au centre
«"fi»' * figure aimable et aimée, statue
la plus légitime qu'on ait dressée à aucun roi, quand
tous les peuples l'appelaient comme arbitre ou comme
maître.
Le Louvre fut sa passion. Dès qu'il entra à Paris, il y
employa une foule d'ouvriers qui mouraient de faim et
en trois ans (1594-1596) il fit U partie admirable de' la
grande galerie qui va du Louvre au pavillon de Lesdi-
guières. Catberine de Uédicis, il est vrai, avait fait le rez-
98 GRANDEUR D'Bnmi ff.
de-ohaussée. Cependant l'œtiTre est immefise. Un etita»-^
sèment pgantesqtre d'étages fut superposé ! t Ossa sitr
Pélion , Olympe sur Otssa. )» Les ehiffres de Gabrielie que
porte ce bâtiment, méiés à ceux d'Henri IV, disent assee
l'élan de passion, d'espoir, où H fut créé.
Ce qui charme dans ce bfttîment, ce qui est bien
d'Henri IV, ce qui est tout différent du Louvre de Frao*
çoh 1*% c'est l'attention d'y créer beaucoup de petits loge-
ments, une hospitalité facile. Les premiers hôtes devaient
être les arts et les sciences, dont les emblèmes sérieux or-
nent les frontons, avec les jeux de la chasse, les amours
de la renaissance. Le Louvre continué et uni aux ToUeries
eût été en mémo temps un palais et un musée de toute
activité humaine. En haut^ à côté du logement du roi et
de son conseil, son long promenoir avec ses tableaux. Aux
deux étages intermédiaires, un vaste dépôt de machines ,
l'histoire des inventions (en petits modèles.) De plus, des
logements pour les artistes ou artisans supérieurs, pour les
inventeurs qui, sortant de la routine des corporations,
eussent été entravés par elles.
Il n'avait pu détruire les corporations de métiers , si
puissantes encore. Mais quiconque éttfbfissait devant on
jury du roi qu'il était capable, était dispensé des épreuves
et des épines sans noml»re dont ces corporations fer-
maient l'entrée de leurs arts. Entre ces ouvriers libres,
les plus inveatife eussent été logés chez le roi. Celui-d ,
qui ne rougissait d'aucune chose bonne et utile, leur ou-
vrait des boutiques au rei-de-chaussée, pour noonlrer
leurs oMivres au publîc.
Ce que j'admire le plus dans cette idée originale, ce qm
est à mille lieues des rois d*arvant et d'après, c'est qu'il
n ait point séparé l'artiste de Taitisaii, qui, dans tant de
prof^ssiotts^ n'est pas moins artiste. Â la Gûleriê des Anti^
quis^ que Catherine avait créée, eèt été joint deplùii-pled
la i>Haf nNtfotrr éts art$ «f w^Mm.
ORÂN0SUR D'flmtn nr. 99
li ne voulait rien pour kn qu'il ne communiquât aux
autres. Par luî^ la Bibliothèqxie rcyah , mise à Paris, aa^
verte à tons, devint vraiment celle du peuple, eomrae eâl
été le Musée des nxéHers et le Jardii^ des Planies qu'il voulait
créer.
Le roi, le peuple, logeant désormais sous le même toit,
dans le Louvre, cet homme curieux, bienveillant^ avide
du bien, du nouveau et des belles choses, eût<ie8oenda de
son musée aux ateliers, eût assisté aux progrès industriels,
eût causé avec l'ouvrier, comme il fiiisait avec le paysan,
et se fàt incessamment informé du soit du peuple.
Quand parut la Maison rustique, le beau Théâtre d'agri*
culture d'Olivier de Serres, Henri IV le lut religieusement
une demi-heure par jour.
« Pâturage et labourage, deux mamelles de l'Êlat. » Cet
axiome de Sully était au cœur d'Henri IV. Il aurait voûta
que les seigneurs^ au lieu de mendier à la cour, allassent
vivre sur leurs domaines, les vivifier.
« On sent dans Olivier de Serres (dit si bien M. Doniol^
Classes rurales, 332) l'idéal qui animait Sully. C'est la tra-
dition des laboureurs de Bernard de Palissy qu'Olivier
transporte au domaine seigneurial, et que Sully met dans
l'Ëtat. Une société assise sur le travail de la terre on
l'homme aurait cette vigueur morale que donne la vie rus-
tique, où le travail, accepté comme un devoir, fonderait
seul la richesse, oh la richesse rurale dominerait Técono-
mie politique, c'est la grande et sainte pensée de ces trois
grands huguenots. »
Sous Louis XIV, Je vois qu'un bon citoyen, Vauban,
nilustre ingénieur qui fortifia toutes nos places, dans les
longs et tristes loisirs qu'il avait des mois entiers sous les
murs de ces citadelles, sUnformait avec sollicitude des
causes de la misère, interrogeait le paysan , compatissait
à son sort et cherchait les moyens de l'améliorer. Sous le
règne d'Henri IV, ce curieux, ce citoyen, c'est le roi lui-
100 GRANDEUR D'HXNRI IV.
même. Notez qu*ici ce n'e$t pas un solitaire comme Vau-
ban , mais un homme tiraillé de mille influences, et d'af-
faires et de passions; mais son cœur restait tout entier.
Après cette vie mêlée et d'efforts et de misères (j'y com-
prends surtout ses vices), qui auraient blasé, endurci tout
autre, il gardait la même chaleur,* le même amour du bien
public.
« Quand il alloit par pays, dit Matthieu, il s'arrétoit pour
parler au peuple, s'informoit des passants, d'où ils ve-
noient, où ils alloient, quelles denrées ils portoient, quel
étoit le prix de chaque chose. Et, remarquant qu'il sembloit
à plusieurs que cette facilité populaire offensoit la gravité
royale, il disoit : <r Les rois tenoient à deshonneurs de sa-
voir combien valoit un écu; et moi, je voudrois savoir ce
que vaut un liard, combien de peine ont ces pauvres gens
pour l'acquérir, afin qu'ils ne fussent chargés que selon
leur portée. »
CHAPITRE IX
La conspiratîoD ds roi et la conspiration de la ooar, 1605-1006.
Deux conspirations commencent en 1606, qui marchent
parallèlement pendant trois années : *
Celle du roi pour sauver l'Europe ;
Celle de la cour pour tuer le roi.
La première, celle du roi, se motivait, nous l'avons dit,
par le succès effrayant des catholiques en Allemagne, par
la discorde et la faiblesse des protestants^ qui déjà avaient
perdu pied dans dix États considérables. La maison d'Au-
triche, malgré ses divisions intérieures, la vieille Espagne
ruinée, se trouvaient relevées par là, et on les voyait venir
pour s'emparer du bas Rhin (Clèves, Julîers). Déjà le haut
Rhin presque entièrement était redevenu catholique. Cette
situation effrayait les catholiques mêmes, et tous, du fond
même du Nord ou de l'Est (Hongrie, Moravie), regardaient
du côté du prince qu*on croyait impartial, non protestant,
non catholique, mais homme et bienveillant pour tous. Sa
victoire, qu'on le dit ou non, se serait trouvée, par le fait,
Favénement du droit nouveau, du droit humain^ extérieur
et supérieur au principe religieux du moyen âge.
Tous les opprimés de la terre se tournaient vers lui,
non-seulement les chrétiens, mais les mahométans mêmes.
Les Morisques d'Espagne, tenus plusieurs années sous le
102 LA CONSPIRATION DV BOI
couteau, n'ignorant pas qu'on discutait leur massacre gé^
néral, s'adressaient à Henri lY dès 1603. Occasion admi--
rabie qui le faisait pénétrer aux entrailles de l'Espagne
mémo. Mais occasion embarrassante, qui aurait mis en
lumière Timpartialité réelle du nouveau principe politique,
humain^ et sa parfaite indifférence à Tidée religieuse. Elle
l'aurait trop démasqué, et lui eftt àié le pouvoir de diviser
les catholiques. 11 ne pouvait Tespérer qu'en restant demi-
catholique.
La fortune l'embarrassait ainsi, à force de le bien servir.
La coah'tion future qui se. préparait pour lui était véritable-
ment immense, mais hétérogène, monstrueuse^ se compo-
sant d'hommes de toutes religions.
Quelles que fussent ses réserves et ses dissimula tio&s,
cette monstruosité ne laissait pas d'apparaître, Lds zélés la
lui imputaient et n'étaient pas loin de l'envisager comme
un perfide et un traître, un Janus à double face, un Judas.
Un peuple inunense de simples, de dévots aveugles, sincè-
res, désiraient sa mort, et la denvandaient à Dieu, s'accor-
danl très-bien en cela avec l'Espagne et ce qui restait de
la Ligue, avec les grands et la cour, la famÛle môme du
roi et son plus intime intérieur. Mais qui exécuterait, qui
ferait le coup?U fallait un fanatique; c'est ce qui retarda
la chose. Si nombreux dans l'autre siècle, ils étaient rares
dans celui'-ci, et l'cko a'avait que des bigots.
La danger réel du parti, c'est que lescalholiquies n'étaient
pas sirs eux-*méme3 de rester fixement fidèles à l'intéiét
catholique. Le roi pouvait les diviser. Le pape même,
Paul V^ fort peu Français d'inclination, n'aurait pas été
fâché que son bon ami le Roi Catholique fût éreinté en
Italie par le mécréant Henri IV. Le bigot par excellence, 1^
Bavarois, égalé ou surpassé par son émule Ferdinand d'Aui-
triche, eùtlaisaé faire le roi en Allemagne pour l'abaisee-
ment de ses cher» alliés, les Auiricbieos. Le Savoyard, si
Espagnol et inarî d'uoe Espagnole, n'espéraut plus la suc^
BT Lib ÇOQfSPUUTICIN DC LA COUH. tû3
cession d'Espagoe quand Philippe UL eul des enfants, cher-
cha à faire ses affaires d'un autre côté, et oflrit de tourner
pour la France contre son beau-frère.
Le parti catholique, si peu sûr de lui, et certidn d'être
vaincu, avait en revanche une chose pour lui et un avan-
tage; c'est que le faisceau terrible de forces qui le mena-
çait n'avait encore qu'un lien très- fragile, la vie d'un
individu.
L'espoir du parti de l'avenir (qui n'est point un parti,
maïs l'Aumam^e elle-même) était alors en un homme. Digne
ou non, celui-ci seul le représentait, et, lui mort, pour
longtemps il restait dissous. Un rhume suffisait pour tran-
cher la question générale du monde» ou bien un couteau
de deux sous.
En l'année 1606, le roi d'une part, et de l'autre les en-
nemis du roi, mirent les fers au feu.
Le roi s'accorda avec Sully sur ce qu'il voulait et se mit
dès lors en lutte avec la reine et la cour qui voulait la chose
contraire. « Entamons par l'Allemagne, dit-il, offrons
VEmpire à la Bavière ; puis au duc de Savoie la royauté
de Lombardie, avec ma fille pour son fils... Maintenant,
comme la reine me fait un cas de conscience de m écarter
de Rome et de la maison d'Autriclie d'oii elle est sortie,
comme elle veut nous joindre k l'Espagne p^ un double
mariage, j< la laisserai en doute du côté vers lequel je penche.^)
Voilà ce qu'on peut appeler la conspiration du roi. Elle
reposait sur plusieurs négociations, trës-cachées, pour di-
viser les catholiques et les armer contre eux-mêmes. Elle
impliquait une bascule peu glorieuse pour le roi, force ca-
resses aux Jésuites, etc. Etat trouble qui dura longtemps
par l'hésitation de la Savoie et par la fatigue de la Hol-
lande, qui fit trêve avec l'Espagne sans le roi, et le força
d'ajourner les projets de guerre, de s'associer à ses négo-
ciations, de se faire au moins l'arbitre du traité qu'elle eût
fait sans lui.
104 LA CONSPIRATION DU ROI
Dans cette même année 4606 où le roi, à t^Àrsenal, arrê-
tait avec Sully sa grande pensée, à l'église de Saint-Jean ^n
Grève, pendant un sermon, deux personnes, qui semblaient
venues par hasard, arrêtèrent une alliance entre d'anciens
ennemis, qui s'unirent et se liguèrent pour tramer la mort
du roi.
Quoiqu'on ait brusqué, étouffé, le procès de Ravaillac,
quoiqu'on ait assassiné le témoin Lagarde et muré aux
oubliettes la demoiselle d'Escoman (autre témoin plus ter-
rible), là voix du sang a parlé! Et il est clair aujourd'hdi
que le complot partit du Louvre, que la reine en eut con-
naissance, qu'on n'eut pas besoin de chercher, de payer
nn assassin, parce que, trois années durant, on en fit un,
exalté par des sermons meurtriers et chauffé à blanc par
les moines.
Les deux personnes qui se trouvèrent au sermon de
Saint-Jean, et qui complotèrent sous les yeux de la foule,
étaient un grand seigneur, une grande dame ; le duc d'É-
pernon et Henriette d'Entragues. C'est la déposition ex-
presse de cette femme infortunée qu'on mura, qui ne se
démentit point et mourut pour la vérité.
D'Ëpernon avait vu tomber Biron et Bouillon. 11 sentait
que son tour venait. Le roi l'avait déjà frappé dans son
revenu, lui interdisant des taxes arbitraires, et dans sa
puissance, ayant mis sous sa main la place de Metz.
Henriette voyait dans le roi l'obstacle à un grand mariage
qu'elle voulait se faire chez les Guises. Le roi l'avait tour
à tour mise haut et bas, fait presque reine, éloignée. Cette
ambition exaltée, rabaissée, tournait en fureur ; elle su-
bissait son amour avec dépit, avec injures. Elle ne lui ca-
chait point sa haine. Tout ce que les anecdotiers, les Talle-
mant et autres , ont recueilli de dégoûtant sur les infirmités,
vraies ou fausses, d'Henri IV, ce sont les reproches mênies
et les dérisions par lesquelles la petite furie se vengeait de
ses caresses. Lui, il la trouvait plus charmante, et peu
ET LA CONSPIRATION DB ÏJL COUR. 105
^néreusement jouissait de ce triste jeu avec une créature
féline qui du chat passait au tigre.
Les Guises s'amusaient d'elle, s'en moquaient au fond,
car toute leur pensée était d'avarice. Ils auraient voulu que
le roi mourût, non pour épouser Henriette, mais au con-
traire pour avoir la grande et très-grande, héritière, ma-
demoiselle de Montpensier, et pour ne pas donner au
bàtalrd du roi une autre grosse fortune qui allait leur
échapper avec mademoiselle de Mercœur.
D'Èpemon avait été le mortel ennemi des Guises, et c'est
pour les rapprocher et t conclure une alliance » qu'Hen-
riette traita avec lui à Saint-Jean en Grève.
Bientôt à ses alliés un autre s'unit, celui qui dispo-
sait absolument de Tesprit de la reine, son chevalier,
Concini.
Concini^ non content d'avoir le réel de la faveur, en avait
voulu l'éclat, le scandale. De ses petites épargnes, il allait
acheter, pour un million, une terre princière, la Ferté. Le
roi, si patient, eut peur cependant du bruit que cela ferait,
et il prit la liberté, non de dire (il n'eût osé), mais de faire
dire à la reine, par madame de Sully, que cela lui ferait du
tort et qu'on pourrait en jaser.
Cet avis timide, ménagé par la dame autant qu'elle put,
jeta le signore Concini dans une épouvantable fureur. Une
telle révolte du mari contre le cavalier servant était dans
les mœurs italiennes chose inoufe, intolérable. Le roi s'était
méconnu; on le lui fit voir. Non-seulement Concini lava
la tète à la dame, mais dit qu'il se moquait du roi, qu'il
n'avait pas peur du roi, et que, si le roi bougeai^, il lui
arriverait malheur.
Le roi n'aimait pas les disputes. Il craignait un peu la
reine, acariâtre^ têtue, qui, une fois qu'elle boudait, restait
intraitable, et des mois entiers. Il la ménageait aussi, parce
qu'elle était toujours grosse. Sa fécondité était admirable.
De prime abord, en arrivant, elle eut deux enfants en deux
406 LA CONSSIEUTIÛN SU ROI
ans, et rinterrupiion fut courte : à partir de 1605, elle ne
manqua jamais d'avoir un enfaut par aanée.
Use remeteilement fëcoadene craignait aucun divorce.
Aussi n'avait-elle pour le roi aucun ménagement. Comme
elle avait peu d'esprit et qu'un fou la gouvernait» il en ad-
vint un scandale plus grand que n'aurait été l'acquisition
de la Ferté.
Concini, dont le grand mérite, outre sa jolie figure» 4tait
sa bonne grâce à cheval, voulut, exigea qu'on lui arran-
geât une fête où il pût se montrer solennellement. U ne
prit pas un lieu obscur,, mais royalement la place histori-
que du fameux tournoi d'Henri il,, les lices de la grande
rue Saint-Antoine devant la Bastille* Du moins, ce n'était
pas cette fois un combat bien dangereux, mais tout bonne-
ment une course de bague. Du reste la môme dépense, et
guère moins d'émotion. Les vives rivalités des hommea, la
faveur des dames pour celui-ci ou celui-là, leurs palpita-
tions, tout était de même, — et pour un jeu puéril de
sauteurs et d'écuyers.
L'heureux faquin, brillant d'audace, tint la partie contre
les princes et tous les grands de France, envié et admiré,
sous les yeux de la reine, qui siégeait là comme juge et
dame du tournoi, et qui, de sa faveur visible, l'avouait pour
son cavalier.
U fut très-amer au roi qu'on se gênât si peu pour lui ;
eela touchait à l'outrage public. Il n'en parla qu'à Sully,
mais d'autres le devinèrent, et quelqu'un lui demanda s'il
voulait qu'on tuât Concini.
11 était à cent lieues d'une telle chose, et cependant il
croyait que ces gens, épargnés par lui, ne l'jépargneraient
pas lui-même. Il en était convaincu et le disait à Sully,
c Cet hommelà me menace... U adviendra quelque mal-
heur... Vous le verrez, ils me tueront. »
Cette prévision qu'il avait de sa mort lui fit désirer dau-
tant plus de régler les affaires des siens. U insista auprès
.1
ST LA GONSFIRàTION DE LÀ COUR. 40T
des Guises pour qu'on accomplit enfin le traité de mariage
qa'eux-mémes avaient sollicité, obtenu par Gabrielle,
entre César de Vendôme et mademoiselle de Mercœur.
Mais les temps étaient changés; madame de Mercœur
voulait éluder; elle ne voulait donner ni la fille ni un dédit
considérable d*argent que le traité atipulait en cas de refus.
On fit jouer à la fille itae (^raade eamédie d'effet popu-
laire, qui. devait indigner les simples et leur faire détester
le roi. Cette enfant, comme d'elle-même, se sauva aux
Capucines, dit qu'elle aimait mieux cet ordre si dur, jeû-
ner et marcher pieds nus. Le rot étant fort mécontent de
ce violent coup de théâtre, la mère aggravait en disant :
« Prenez mon bien, prenez ma vie. »
A tous ces éléments de haine» de conjuration, à ces
vœiUL de mort, un centre manquait. Il vint. Un ambassa-
deur d*£spagne, superbe, grave et rusé, don Pèdre, vint
attiser le feu et Jeter, surtout au Louvre, entre le roi et
la reine, la pomme de discorde, l'offre du double mariage
espagnol. La condition eût été la chose impossible et fu-
neste, l'abandon de la Hollande, que le roi venait de
garantir par un solennel traité.
Ce don Pèdre devint le héros du jour. Les dames n'a-
vaient d'yeux que pour lui. On répétait tous ses mots noble-
ment espagnols et castillans. La reine lui faisait la cour et se
disait sa parente. Le roi, contre son habitude, fut net et fer-
me, ne lui donna nul espoir et rabattit ses bravades. Alors
il changea de style et le flatta bassement. Un jour qu'un
valet, dans le Louvre» passait en portant l'épée d'Henri IV,
l'Espagnol l'arrête, la prend, la tourne et retourne, la re-
garde bien, la baise : « Heureux que je suis, dit-il, d'avoir
tenu la brave épée du plus brave roi du monde I »
11 resta huit mois ici, traînant et gagnant du temps,
faisant le malade, tàtant nos plaies, les irritant, travaillant
le vieux levain du CatboUcon, donnant courage à tous nos
traîtres, aux futurs assassins du roi.
CHAPITRE X
Le dernier amour d'Henri IV. 1609.
La Hollande fatiguée voulait, exigeait la paix, au moment
où tout annonçait le réveil de la grande guerre. Le roi
travaillait au traité qui ajournait tous ses projets. En
attendant, il s'ennuyait. Le Louvre n'était plus tenable.
On eût dit que la régence avait déjà commencé. La cour,
visiblement, était d'un côté, et le roi de l'autre. A une
entrée du Dauphin, tout le monde se précipita au-devant
de lui ; le roi resta seul.
Le jour, ses courses à l'Arsenal ; au soir, le jeu, c'était sa
vie. Ajoutez-y la lecture des romans de chevalerie. Le
livre de Cervantes n'en arrêtait pas le cours. Le torrent
des Amadis (cinquante volumes in-folio 1} continuait. Le$
Parisiens disaient a que toute sa Bible était Y Amadis de
Gaule. »
Au printemps de 1609, on lui mit en main VAstrée^
livre doux, ennuyeux, où les chevaliers ne sont plus que
de langoureux bergers. Le tout faiblement imité des pasto-
rales espagnoles.
Du moins la tendance était pure, la réaction de Tamour.
Le nouveau roman put être loutS de saint François de
Sales. Et l'auteur lui-même, d'Urfé, compare son inno-
cente Astrée à la dévote PMlothée.
LE DKBNIER AMOUR D HSNRI IV. 109
La grande réputation d'un livre si faible étonne, mais
elle tient à la surprise qu'elle causa, étant en contraste
avec rimpureté du temps. Beaucoup paraissaient excédés
des femmes; ils les fuyaient, retournaient aux mœurs
d'Henri 111. Ils haïssaient la nature, la lumière, l'amour^
11 leur fallait l'obscurité, des plaisirs sauvages, égoïstes.
Le jeune Condé, à vingt ans, était déjà sombre et avare
comme un vieux sénateur do Gènes, ou comme ces nobles
de Venise, lucifuges et fils de la nuit. Henri IV, qui avait
prêché d'exemple l'amour des femmes, était indigné de
voir son petit Vendôme à quinze ans avoir tous les goûts
d'un page italien.
Pour lui,, on le voit dans ses lettres à Corisande, à
Gabrielle, il gardait sous l'homme d'affaires une étincelle
poétique. Il était tendre à la nature, sensible à toute
beantéy et même (chose rare alors) au charme des lieux.
Sur la Loire, sur Fontainebleau, il a des paroles émues.
Après une longue vie d'épreuves et tant de misères
morales, dans cet homme indestructible, l'étincelle était la
même, plus vive encore, en finissant.
Le romanesque projet que lui attribue Sully, de vouloir
fonder la paix éternelle^ de créer, par une guerre courte
et vive, on état nouveau de tolérance universelle, d'an^itié
entre les Ëtats^ est-il d'un fou? Je ne sais; sans nul doute
il est d'un poète.
Mais c'était surtout par l'amour que ce sens devait écla-
ter en lui. Le voilà, à cinquante-huit ans, qui un matin se
retrouve lancé, comme il ne fut jamais, dans la poésie et
dans le rêve.
En janvier 1 609, la reine organisait un ballet des JVyrn-
phes de Diane. Le roi et elle étaient (comme toujours) en
discorde; ils ne pouvaient s'entendre sur le choix des
dames qui feraient les nymphes. Et, comme toujours
aussi, la reine l'avait emporté et en faisait à sa tète, de
sorte que le roi, de mauvaise humeur, pour ne pas voir
110 LE DSRKIER AMOUR d'HBNRI IT.
aller aux répétitions, avait fait fermer sa porte. Une fois
pourtant, en passant, il jette un regard dans la salle. Il se
trouve juste au moment où Tune de ces nymphes armées
levait son dard et semblait le lui adresser au coeur. Le coop
jTorta, et si bien, que le roi s'évanouit presque... C'était
mademoiselle de Montmorency.
Elle était presque encore enfant; elle avait à peine
quinze ans. Mais elle avait le cœur haut, ambitieux; elle
^'it le roi, et sans doute se plut à porter le coup.
11 explique très-bien à Sully ce qu'il avait éprouvé. Cette
enfant, qui devait un jour être mère du grand Coudé, lui
parut, dans ce regard, non -seulement unique en beauté,
mais en courage^ dit-il. Il y vit ce dont rien encore ne lui
avait donné l'idée^ une lueur héroïque, etd^avanoe Téelair
de Rocroy.
La figure du grand Coudé, si triste dans les poftraits,
fait pourtant conjecturer par son sauvage nez d'aîgie et ses
yeux d'oiseau de proie, ce que put avoir de vainqueur le
sourire, la menace enjotrée de son irrésistible mère.
Mademoiselle de Montmorency, dès sa naissance, avait
été une merveille, une légende. Sa mère, plus belle que
noble, s*était, dit-on, donnée au diable. De là son grand
mariage et deux enfants admirables; cette fille de beauté
fantastique, telle qu'on croyait que l'autre naonde (angeoa
diable) y avait passé.
Le terrible pour le roi, c'était l'âge : elle, quinze ou
seize ans ; et hn, cinquante-huH. Un monde de faits, de
batailles, d'émotions, était lisible sur ce visage, où This-
toire du temps pouvait s'étudier. Ses ruses y avaient laissé
trace, et aussi ses larmes, sa sensibilité facile ; barbe grise;
lui-même disait : » Le vent de mes adversités a soufRé
dessus. 1»
L'irrécusable docun\ent que nom arvons de ce visage,
c'est le plâtre pris sur lui en 93, quand on le trouva si
bien conserré. Sauf une légère convulsion qtti suivît le coup
LE DERNIER AVOUR D*1IENRI IV. 441
de couteau et qui a fait remonter un com de la bouclie,
rien n'est alléré. La tête est forte pour un homme de' sa
taOIe. Le profil ressemble à François 1*"% mais II est bien
plus arrêté et surtout plus spirituel; il est d'un homme,
Fautre d'on grand enfant. Le nez, moins long et tombant,
semble ferme et courageux. Il incline un peu à gauche,
soit par l'effet de la convulsion, soit que dans la vie il ait
été tel. Le front est extrêmement beau, non pas d'un vaste
génie, mais d'un esprit vif, intelligent et rapide, sensible à
tontes choses. Les yeux sont dans une arcade marquée, non
profonde. Ils ne sont pas très-grands, mais doux, char-
mants, infiniment aimables.
Llncertain dans cette figure, c'est la bouche moins visi-
ble sous la barbe, et un peu tirée de côté. Autant qu'on
peut entrevoir, elle ne rassurerait pas trop; elle semble
fuyante et flottante. Ajoutez ce nez indirect qui semble
d'on homme incertain.
Le masque, selon le jour et l'aspect, a des expressions
tfèa-dîverses. Vu de haut, il est funèbre. Face à lace et
de niveau, il est douloureux. Tu d'au-dessus, il sourit, et
paraît comique, sceptique ; il dit : oui et non.
Ce qui sftr et certain en cet homme, ce qui est visible,
c'est Tamour . Les yeux fermés couvent de tendres pen-
sées et continuent toujours leur rêve.
La folie croit par les obstacles. D'une part, à l'Arsenal,
rhomme positif et sage, lliomme de la grande confiance,
mootmit l'Impossibilité, l'absurdité, le ridicule. D'autre
part, an Louvre, on disait qu'elle était engagée, promise;
Biais c'était justement ce qui piquait le roi, qu'un mariage
de ccfte importance eût été réglé par son compère, le vieux
connétable, sans qu'il n'en sût rien. D'Ëpemon avait tra-
vaillé le vieilhud, lui avait persuadé de la marier brus-
quement à leur ami de jeu, le beau Bassompierre, colo-
nd 4eB Suisses, issu des cadets de Clèves, mais qui n'eût
jamais aspiré si haut. Ce fat, qui, trente ans après, a écrit
442 LE DERNIER AMOUR D*flENRI IV.
ses Mémoires, ne manque pas de faire croire que son
mérite avait fait tout.
M. de Bouillon, parent de la demoiselle, à qui on n'avait
rien dit du mariage, s'en vengea en donnant au roi le
conseil de la donner à son neveu, le jeune prince de
Condé. C'était l'avis de Sully et de tous les gens raison- .
nables. Le roi fut forcé d'avouer que c'était le meilleur
parti.
La passion est si rusée, que, dans son for intérieur, il
calculait, il espérait que ce mariage ne serait pas un ma-
riage, Condé détestant les femmes.
Ce personnage sournois, taciturne alors (plus tard il
devint beau diseur), se tenait près du roi, tout petit et
fort servile. Il attendait tout de lui. Il était trës^pauvre,
sa naissance même était contestée. Était-il sûr qu'il fût
Condé? Les Condés, jusque-là rieurs, à partir de celui-
ci, ont tous des mines tragiques. 11 était né, il est vrai,
dans un moment fort sérieux, sa mère éta'nt en prison
pour empoisonnement. Un petit page gascon, son amant,
avait pris la fuite, et le mari brusquement était mort.
Les tribunaux huguenots la jugèrent coupable et la
mirent pour toujours entre quatre murs. Mais elle se fit
catholique; d'autres tribunaux la lavèrent, ce qui refit
légitime cet enfant né en prison. Les Bourbons le reniè-
rent, protestèrent. Le roi, par pitié, n'ayant point d'ail-
leurs d'autre héritier alors, le soutint Condé, le maintint
Condé. 11 ne lui donna pas grand^chose, comptant l'en-
richir par un mariage. Lui, docile, modeste, attendait, et,
en attendant, se liait sous main avec les parlementaires
pour qu'ils le soutinssent si sa naissance était contestée, ou,
après le roi, l'aidassent à bouleverser le royaume.
Mariée à celte face de pierre, à cet ennemi des femmes,
mademoiselle de Montmorency devait s'ennuyer, chercher
des c^jnsolateurs. Et, comme elle était haute et fière, pour
chevalier qui prendrait-elle? le plus haut placé, le roi.
LI DERNIBR AMOOR D'HKNRI IY. 443
C etiiH le calcul de celui-ci, peu moral, mais selon le
temps. Il lui fallait^ au préalable, avaler l'amëre médecine
du mariage. Il essaya de la tourner en gaieté, en y menant
Bassompierre et s'amusant de la figure désespérée qu'il y
fit. Mais, malgré cette malice, le rieur, qui avait plutdt envie
de pleurer, rentra comme frappé au Louvre ; la goutte le
prit et le mit au lit. Lié là et immobile, d'autant plus Ima-
ginatif, sous la griffe de sa passion, il n'avait plus la force
de la cacher, la disait à tout le monde. On se relayait jour
et nuit pour lui lire VAstrée.
Le mariage eut lieu le 3 mars, et Condé savait si bien
pourquoi on l'avait marié, qu'il se contenta de palper
l'immense dot (deux cent mille écus), mais se tint loin de
sa femme, comme d'un objet sacré, réservé et défendu.
La mariée semblait déjà veuve, et cela alla ainsi jusqu'à
ce que des événements politiques qui survinrent enhardi-
rent Condé, deux mois et demi après le mariage, à ne plus
ménager le roi.
Le coup que Ton attendait depuis des années éclata à la
fin de mars. Le 25, le duc de Clèves mourut, et la question
du Rhin fut posée, le duel ouvert entre les maisons de
France et d'Autriche.
Dès 4604, le roi avait dit : < Je ne tolérerai pas à Clèves
l'Espagnol ni l'Autrichien, i
Cependant cette chose prévue fut comme « un ton-
nerre : » c'est le mot dont Villeroy se servit.
Jeannin, qui négociait, rendit à l'Espagne l'essentiel
service de brusquer la trêve avec la Hollande, qui fut
signée deux jours après (mars 4609).
Le roi ne s'en déclara pas moins tout prêt à agir. 11 se
dit guéri, se leva et se montra dans Paris d*abord. Il alla
au Pré-aux-Clercs, et s'amusa aune chasse de malade que
les bourgeois aimaient fort, la chasse à la pie.
Il ordonna qu'on lui fit une belle et riche cotte de
mailles, fleurdelisée d'or, pour porter un jour de bataille,
XI. s
414 LS Duuim AMOCR d'iuih 1T.
s'il pouvait avoir le bonheur d'y amner SpîaoU, ie géné-
ral des Eapagnels.
Du reste, dom Pèdre avait dit qu'il avait le diaUe ao
corps. Il semblait que le Béaraais eât, de race, apporté,
gardé la verdeur de la moutagw, ee «yslèie de chaude
vie que les Pyrénées versent dans leurs eavx. 11 g«rda ceb
au tombeau. Sa dépoulle, pendant deux cents ans, y resta
teUe qu'au premier jour.
N'eûtr-il pas eu cette vie forte, rfinrope le priait à ge-
noux de la prendre, de se refaire jeune.
Venise, dit un contemporain, adorait ce soleil levant ;
quand on voyait un Français, tous les Vénitiens oonraient
après lui, criant comme les Papimanes de Rabelais :
« L'avez- vous vu? »
A la cour de l'Empereur, on disait : « Qu'il ait TEmpire,
qu'il soit vrai roi des Romains, et réduise le pape à son
évéché! »
L'électeur de Saxe faisait prêcher devant lui sur l'évi-
dente analogie entre Henri IV et David.
La Suisse avait imprimé un livre, intitulé : Résurrection
de Charlemagne,
L'affaissement de l'Espagne et de l'Angleterre elle-
même, depuis la mort d'ÉlisabeUi, avait mis le roi si
haut, que, si on le voyait agir, on l'eût salué de toutes
parts pour chef de la chrétienté.
Plus que de la chrétienté même: Les nmbométans d'Es-
pagne voulaient être ses sujets.
Position unique, qu'il devait moins à sa puissance qu'a
sa renommée de bonté, de modération et de tolérance.
CHAPITRE XI
Progrès de la coDspirafion. •» Fuite de Condë. 1609.
On «vait vendu, en 4 607, à la grande foire de Franc**
fort, plusieurs livres d'astrologie où l'on disait que le roi
de Kranee périrait dans la cinquante-neuvîènie année de
ses à^ft, c'est-à-dire en 4640, qu'il ne serait pas heureux
dftDS son second mariage, qu'il mourrait de la main des
neas, ne laisserait pas d'enfants légitimes, mais seulement
des bâtards. Ces livres vinrent à Paris, et chacun les lut.
Le Parlement les fit saisir.
Lestoiie, qui les vit, raconte que, la même année 4607,
«n prieur de Montargis trouva plusieurs fois sur l'autel des
ams anonymes de la prochaine mort du roi. Il fit passer
ces avi^'aa diancelier, qui n'en tint compte. Le même
prieur le contait plus tard à Lestoile en pleurant.
En 4609, le docteur en théologie Olive, dans un livre
MBprimé avec privilège et dédié à Philippe lU, annonçait
pour 4640 la mort du roi de France. (Mém. de Richelieu.)
On pouvait prédire qu'il serait tué. Chacun le croyait,
le pensait et s'arrangeait en conséquence. La prédiction,
en réalité» préparait l'événement ; elle affermissait les fin-
natiqoeB dam Tidée et l'espoir d'accomplir la chose fatale
qui éteit écrite Ik-haut |
À rentrée de D. Pèdre à Paris, le roi, étant en voiture
446 PROGRÈS DE LA CONSPIRATION.
•
avec la reine, se rappela qu'on lui avait prédit qu'il serait
tué en voiture, et, le carrosse ayant penché, il se jeta brus-
quement sur elle, si bien qu'il lui enfonça au front les poin-
tes des diamants qu'elle avait dans ses cheveux. {NeeersJ)
Ces craintes n^étaient pas vaines. Au départ de D. Pèdre
(février 4 609), on put voir qu'il n'avait pas perdu son
temps. Le vent d'Espagne, le souffle de haine et de dis-
corde, souffla de tous côtés. D'abord au Louvre; la reine
trouvait impardonnable le refus des mariages espagnols.
Ces glorieux mariages, qui (dans ses petites idées de petite
princesse italienne) étaient l'Olympe et l'Ëmpyrée, man-
ques, perdus par son mari ! et les basses idées d'Henri IV
de marier ses enfants en Lorraine, en Savoie! Cette fer-
meté toute nouvelle dans un homme qui cédait toujours,
c'était entre elle et lui un plein divorce. Le roi crut, ce
mois même (février 4609), l'apaiser et la regagner, lui of-
frant de renoncer à toute femme, si elle renvoyait Concini.
Sans s'arrêter aux rebuffades, il se rapprocha d'elle, et elle
devint enceinte (d'une fille, la reine d'Angleterre) ; mais
le cœur resta le même, la rancune plus grande d'être in-
fidèle à Concini.
Celui-ci, loin d'être chassé, était si fort chez elle, si ab-
solu à ce moment, qu'un oncle de la reine, Juan de
Médicis, lui ayant déplu, il le fit chasser, quoiqu'il fût fort
aimé du roi. Concini et Léonora, plus tard accusés, non
sans cause, de l'avoir ensorcelée, l'avaient certainement
assotie au point de lui faire croire qu'il faisait jour la nuit;
ils lui persuadèrent que son mari (et Henri IV I) au mo-
ment même où il se rapprochait d'elle, voulait l'empoi-
sonner. Elle le crut si bien, qu'elle ne voulut plus dîner
avec lui, affichant la défiance, mangeant chez elle ce que
sa Léonora apprêtait, refusant les mets de son goût que le
roi choisissait de sa table et lui envoyait galamment.
Ces brouilleries publiques enhardirent tout le monde
contre le roi. Les jésuites jouèrent double rôle, le flattant
FUITB DE CONDà. 147
par Cotton, l'attaquant par un P. Gauthier. On devinait
fort bien que, tant que le roi n'entamerait pas la grande
guerre, il endurerait tout des catholiques. Ce Gauthier,
en pleine chaire, ouvre la croisade contre les huguenots,
contre le roi môme. Les sermons de la Ligue recommen-
cent à grand bruit. On ne s'en tient pas ^ux paroles, on
les traduit en actes. En Picardie, un temple rasé par un
prince du sang, le comte de Saint-Pol. A Orléans, un
cimetière des huguenots menacé, violé, s'ils ne fussent
accourus en armes. A Paris, sous les yeux du roi, le che«
min de Charenton infesté par le peuple, le bon peuple des
sacristies ; les gens qui vont au prêche insultés à coups de
pierre, entre autres un malheureux infirme sur qui on lâ-
chait les enfants ; ils le tiraient, ils le battaient; n'y voyant
pas, il ne résistait guère. La foule appelait ce pauvre
homme V Aveugle de la Charenton.
La Rochelle se fortifia, à tout événement.
Le roi ne faisait rien. Les Guises impunément tentèrent
plusieurs assassinats. Le jour même où le roi défendit les
duels, un des Guises en cherche un. Ils se succédaient près
d'Henriette, moins par amour, ce semble, que pour faire
pièce au roi. Toute sa vengeance fut de leur faire exécuter
le traité de mariage ; l'héritière de Mercœur fut donnée
enfin à Vendôme. Larmes, fureur et résistance. Les jeunes
Guises s'en allèrent à Naples, au foyer des plus noirs com-
plots, où le secrétaire de Bifon, où les assassins de la Ligue
avaient pris domicile, et (d'accord avec les jésuites) orga-
nisaient l'assassinat.
Le roi en eut nouvelle. Il lui arriva d'Italie un Lagarde,
homme de guerre normand, qui, revenant des guerres des
Turcs, s'était arrêté à Naples, et y avait vécu avec Hébert,
secrétaire de Biron, et autres Ligueurs réfugiés. Lagarde
raconta au roi qu'un jour, dînant chez Hébert, il avait vu
entrer un grand homme en violet, qui se mit à table et dit
qu'en rentrant en France il tuerait le roi. Lagarde en de-
118 PROGRÈS DE LÀ CONSPIRATION.
munda le nom ; on lui dit : t M. Ravaillac, qui appartieat
k M. le duc d'Ëpernoa» et qui apporte ici ses lettres. » La*
garde ajoute qu'on le mena chez un jésuite, qui était oncle
du premier ministre d'Espagne, le Père Ala^on. Ce Père
l'engagea fort à tuer le roi à la chasse, et dit : « Ravaillac
frappera à pied, et vous à cheval. » Lagarde n'object^L
rien, mais partit, et revint en France. Sur la route, il reçut
une lettre de Naples oii on l'engageait encore à tuer le
roi. Reçu par lui à Paris, il lui montra cette lettre. Le roi
dit à Lagarde : « Mon ami, tranquillise-toi; garde bien ta
lettre ^ j'en aurai besoin. Quant aux Espagnols, vois-tu? je
les rendrai si petits, qu'ils ne pourront nous faire du nul.»
Il avait entrevu plus qu'il n'eût voulu, que d'Éperaon
n'était pas seul là dedans. Il ne devina pas Henriette, mais
bien les entours de la reine. 11 sentit que Naples et Madrid
étaient au Louvre, près de sa femme, que la noire sorcière
Léonora avec l'insolent Concini pervertissaient, endurcis-
saient. Ils l'avaient décidée à faire venir une dévote, la
nonne Pasithée (c'était son nom mystique), que déjà on
trouve nommée dans les Q^^stions de Collon au Diable :
« Est-il bon que la mère Pasithée soit appelée? » Cette
mère avait des visions, et savait par ses visions qu'il était
urgent de sacrer la reine, pour qu'on pût sans doute se
passer du çoi et trouver au jour de sa mort une régtmce
déjà préparée.
Le roi fut bouleversé de ces idées, n'en parla à per-
sonne. Il garda huit jours ce cruel secret, quitta la cour,
resta seul à Livry et dans une petite maison de son capi-
taine des gardes. Puis, n'y tenant plus et ne dormant plus,
il vint à l'Arsenal tout dire à Sully (chap. <89, 180): « Que
Concini négociait avec l'Espagne, que la Pasithée, mise
par Concini auprès de la reine, la poussait à se faire sa-
crer, qu'il voyait très-bien que leurs projets ne pouvaient
réussir que par sa mort, qu'enfin il avait un avis précis
qu'on devait l'assassiner. »
mn »B COUD*. 119
Il se senlMl «i mal «a LoUfte, qu'il pria Sully de lui faire
arranger à T Arsenal un tout pelit logement ; qoetre cham-
hresy c*étaii asaec. Aiasi ce iiriBoe redeuté de toute TEu-
rope e» éteil àse plue ceMcket dam sa propre maison. Le
aignore ConekK TaTail k peu pièa mis éebors^ à la porte de
chez lui.
SoA nulheur, soa iaoksoieat, fea<U0«at à sa passion «ne
furieuse ioree. Il araii cru devenir pève de là priaeesse
« e4 en faire la eemglaliea de sa vieillesse. » Mais il se
relieava amant, aaaoureux fou. SUe en était un peu cou-
pable; ^e reacowrageait. Sans doute, elle ea avût pitié.
Un tel horame, ua. tel roi, œlui dont FEspagnol baisaii
répée à genoux, et si petséeuié cbea lui, entouré de tral*
très el d'embâebes, c'était sans doute de quoi attendrir un
>euae coiur. Sa vieillesse a'était qu'un malheur de phis.
Elle le comparait à son triste Coadé, sournois, avare^ A
pressé pour la dot, si peu pour la peisonae. Elle était dans
une situatioB singulière, mariée, toujours fille. EUe com-
mença à se dire que le roi pomrrait divorcer encore. Bt
son pèffe» le ednnétoble, peu satisfait sans doute de voir ce
naaiiage sans mariage, eut les mèinee pensées.
Dans cette fmnentatioBf la jeune fille fit un coup de
tète. Elle fit fûre son portrait seerètemMyt et l'envoya au
roi. Ck>upk suprême qui le foudroya et le rendit tout à fait
fou.
Il se troave, poor rendre la aituation ptus tragique, que,
justameal à ce moment (47 mai), Gondése ravise, revient
Au bout de dût semaîaes^ il se souviea* qu'il a épousé la
princesse el fait valoir ses droits d'époux. Ëolairé par sa
mère, qvû baissait le roi (ma tûeafaileivr), Condé avait
con^iris tout la parti qu'il pouvait tirer de l'aventuca,
qu'elle allait le poser eonuie adversaire du roi et l'exhauar
s6f énorménasal, le rsAdre précieux pour les ligueurs
et pour les Esp^gaols. Bonc il vint, ptîl possession de sa
jeune femme, justement irritée de cet oubli de six semaines,
120 PROGRÈS 0B LA CONSPIRATIOll*
et, d'autorité, l'enleva, la cacha à Saint-Valery, bien sûr
qu'on viendrait Ty chercher.
II est probable qu'elle avertit le roi. Il en perdit l'esprit.
Son désespoir lui fit faire une folie près de laquelle Don
Quichotte, sur la Roche pauvre^ jouant le beau Ténébreux
et faisant ses cabrioles, aurait passé pour un^sage.
Il part à peu près seul et déguisé. A mi-chemin, un
prévôt le prend pour un voleur, l'arrête. II lui iaut dire :
« Je suis le roi. » Il arrive. Condé, averti, enlève encore.
sa femme, sûr que le roi suivra et s'avilira d'autant plus.
Le secret n'en était pas un ; les dames de la princesse
l'avaient bien reconnu. Mais le roi, éperdu d'amour, ne
leur demandait rien que de la laisser voir. Son rêve était
de la contempler « à sa fenêtre, entre deux flambeaux,
échevelce. j> £IIe eut cette complaisance, et l'effet fut si
fort, qu'il tomba presque à la renverse. Elle*même dit :
« Jésus ! qu'il est fou I »
Le lendemain, elle partant, il alla se mettre au passage,
sous la jaquette d'un postillon, s'étant appliqué, pour
mieux s'embellir, un emplâtre sur l'œil. Elle souffrit de
le voir si abaissé, laid et ridicule à ce point. Soit colère,
soit pitié, pour lui donner une parole, elle cria du carrosse :
a Je ne vous pardonnerai jamais ce tour-là ! »
Grand succès pour Condé. La partie était belle pour
lui. Il en pouvait tirer deux avantages : ou de l'argent,
beaucoup d'argent, et il inclinait à cela ; ou bien (chose
plus agréable à sa mère) une rupture avec le roi, qui le
constituerait candidat de l'Espagne au trône de France.
Si les Espagnols avaient désiré avoir en main le petit
bâtard d'Entragues, combien celui-ci valait mieux! La
guerre venant, ils l'opposaient au Béarnais, faux converti,
relaps, apostat, renégat. Et, même après la mort du roi,
ils lui offrirent, en effet, de déclarer Louis XIII illégi-
time, bâtard adultérin, et de le porter au trône.
Cependant la petite femme, qui brûlait d'être reine.
FUITE DK COSDÈ. 424
avait signé secrètement une demande de divorce. Mais la
mère et le fils l'enlèvent. Ayant pris de Tor espagnol
qu'un médecin leur apporta, malgré ses pleurs, ses cris,
ils la mènent d'un trait à Bruxelles.
Toute la situation était changée au profit de TEspagne.
Maintenant, si le roi commençait la guerre préparée
depuis dix ans, on 'allait rire; vieux chevalier errant, il
aurait Tair seulement de courir après sa princesse. Tout
le monde serait contre lui . Sa cruauté à l'égard de son
épouse infortunée, sa tyrannie dans sa famille, sa violence
effrayante qui forçait son pauvre neveu de fuir^ n'ayant
nul autre moyen de soustraire sa femme aux derniers
affronts, tout cela éclatait dans l'Europe, au profit du roi
catholique, protecteur des bonnes mœurs et défenseur de
l'opprimé.
L'Espagne, en si bonne cause, ne pouvait manquer
d'assistance. Le ciel devait se déclarer, et, ne fit-il plus de
miracles, il en devait un cette fois pour la punition du
tyran et la vengeance de Dieu.
CHAPITRE XH
Mort d'Henri FV. 1010.
Il y avait à AQgoulém«« place du duc d'fip«ffaoo« ua
liomme fort exemplaire, qui nourrissait sa mère die aon
iravail et vivait avec elle en grande dévotion. Où la aom-
mait Ravaillac. Malheureusement pour lui, U avait une
mine sinistre qui mettait en déliance, semblait dm sa
race maudite, celle des Ckicanous de Rabelais, eu oeUe
des Chats fourrés, hypocrites et assassins. Le père était
une espèce de procureur, ou^ comme on disait, soUicUeur
de procès. Le fils avait été valet d'un conseiller au Parle-
ment, et ensuite homme d'affaires. Mais, quand les pro-
cès manquaient, il avait des écoliers qui le payaient en
denrées. Bref, il vivait honnêtement.
11 avait eu de grands malheurs, son père ruiné, le père
et la mère séparés. Enfin, un meurtre s'élant fait dans la
Tille, on s'en prit à lui, uniquement parce qu'il avait mau-
vaisQ mine. On le tint un an en prison. Il en sortit hono-
rablement acquitté, mais endetté, ce qui le remit en pri-
son. Là, seul et faisant maigre chère, il advint que son
cerveau creux commença à s'illuminer. Il faisait de mau-
vais vers, plats, ridicules, prétentieux. Du poète au fou,
la distance est minime. Il eut bientôt des visions. Une fois
^u'il allumait le feu, 1| tète penchée, il vit un sarment de
%n
d changer de
pjkt em aCûras de torotUme; im
cnûu une îUasioa d« diahle. Ifais
orgiieillaoi«yTît«i ainde de Diett. Ce sâimesl
dercBo olie trooipe sacrée d'archaages qui lui $<»•
tak de la bo«ehe d lo— ril h fueire ; la guerre saiaie,
car de sa bouche, à droîle et à gauche, s'échappaient des
torrents d'hoatiea»
B Yît biea fa*il était destiné à une grande choee. U avait
été jnsqiie*là étranger à la théologie, il s*y aût, lut, éta*
dia. ania nae seule et unique question, le droit que tout
cfaicdea a de tuer un roi ennemi du pape. Mariana et
aulies faiaaient grand bruit alors. Qui les lui prélat qui le
dirigea? c*est ce qu'on n'a pas voulu trop êclaircir au pro-
ces. Tout an moins il en avait bien proité, et était forr<^
À sa sortie de prison, il confia ses visions, et le bruit
s'en répandit On fit savoir au duc d*Épernon qu'il y avait
dans sa ville d'Ângooléme un homme favorisé du ciel,
chose rare alors. 11 l'apprécia, s'intéressa à Ravaillac, et le
changea d'aUer iotticiur un procès qu'il avait à Paris. Il
devait, sur son chemin, passer d'abord près d*Oriéans, au
ch&teau de Malesherbes, où il eut des lettres du père En*
tragaes et d'Henriette. Us lui donnèrent leur valet de
chambre, qui le fit descendre à Paris, chez la dame d'Ea-
comas, confidente d'Henriette.
Celk^ci fut un peu effrayée de cette figure. C'était un
homme grand et fort, charpenté vigoureusementi de gros
bras et de main pesante, fort bilieux, roux de cheveux
comme de barbe, mais d'un roux foncé et noirâtre qu'on
ne voit qniaux chèvres. Cependant, il le fallait, elle le logea,
le nourrit, le trouva très-doux, et, se repentant de son
jugement sur ce bon personnage, elle le chargea môme
d'une petite affaire au Palais.
Il resta deux mois à Paris; que fit*il ensuite? Lagarde
124 MORT D'flXNRl IV.
nous l'apprend ; il alla à Naples pour le duc d'Ëpernon ;
il y mangea chez Hébert, et lui dit qu'il tuerait le roi*
C'était le moment, en effet, où le roi avait garanti la Hol—
lande et refusé le double mariage d'Espagne. 11 ne restait
qu'à le tuer. Ravaillac, de retour à Paris; vit la d'Esco—
man, à l'Ascension et à la Fête-Dieu de 4609. U lui dit
tout, mais avec larmes; plus près de l'exécution, il sentait
d*étranges doutes et ne cachait pas ses perplexités.
Cette d'Escoman, jusque-là digne confidente d'Henriette,
femme galante et de vie légère, était pourtant un bon
cœur, charitable, humain. Dès ce jour, elle travailla à
sauver le roi ; pendant une année entière, elle y fit d'éton-
nants efforts, vraiment héroïques, jusqu'à se perdre elle-
même.
Le roi pensait à toute autre chose. Sa grande affaire
était la fuite de Condé. En réalité, et, toute passion à part,
on ne pouvait laisser tranquillement dans les mains des
Espagnols un si dangereux instrument. Le manifeste qu'il
lança visait droit à la révolte. Pas un mot de ses griefs : il
ne s'occupait que du peuple ; il n'avait pu rester témoin des
souffrances du peuple. C'était dans Tintérét du peuple
qu'il s'était réfugié chez nos ennemis, et qu'il donnait des
prétextes pour la guerre et la guerre civile.
Ce manifeste eut de l'écho. Condé avait fort caressé les
parlementaires, spécialement M. De Thou. Dans la no-
blesse mécontente, quelques-uns se mirent à dire que, pas
un enfant du roi ne venant de lui, Condé lui succéderait.
Au Louvre même, on répandait un quatrain prophétic[ue
qu'on disait de Nostradamus, où le lionceau fugitifieysiit
trancher les jours du lion.
L'Autriche prit du courage quand elle vit ainsi le roi
tellement menacé par les siens. L'Empereur décida hardi-
ment la question du Rhin, déclara Clèves et Juliers en
séquestre, et les fit saisir par son cousin Léopold. Il fallait
de grands calmants et force opium pour faire avaler cela ;
MORT D'HENRI IV. 125
Cotton n'en désespérait pas, le roi paraissant distrait,
affolé par sa passion, et TEspagne lui jetant l'appât de lui
rendre la princesse. Un homme dévoué aux jésuites lui
fut présenté par Cotton pour être envoyé à Clèves. Le roi
leur en donna Tespoir, mais en envoya un autre, qui con^,
dut (40 février 4610) avec les princes protestants le traité
de guerre. Par trois armées à la fois, et trois généraux
protestants, Sully, Lesdiguières et La Force, il allait entrer
en Allemagne, en Espagne et en Italie. Ses canons étaient
partis, une armée déjà en Champagne.
Les jésuites étaient joués. Leur homme, le duc d'Ëper-
non, colonel général de Tinfanterie, était laissé à Paris.
Nul doute que ce titre même ne lui échappât. Le roi le
caressait fort, mais il venait de faire couper la tête à un de.
ses protégés qui avait fait la bravade, au moment de
redit contre les duels, de se battre et de tuer un homme ;
d*Ëpemon pria en vain, supplia, le roi tint ferme.
Plus cruellement encore la reine fut humiliée dans son
chevalier Concini. Ce fat, qui n'avait jamais guerroyé que
dans l'alcôve, posaittomme homme de guerre. Il affectait
grand mépris pour les hommes de robe longue. Dans
un jour de cérémonie, le Parlement défilant en robes
rouges, seul des assistants, Concini restait couvert. Lq pré-
sident Séguier, sans autre façon, prend le chapeau, le
met par terre. Cela ne le corrigea pas. Peu après, affec-
tant de ne pas savoir le privilège du Parlement, où l'on
n'entrait qu'en déposant ses armes à la porte, notre
homme, en bottes, éperons dorés, Tépée au côté, et sur la
tête le chapeau à panache, entre dans une chambre des
enquêtes. Les petits clercs qui étaient là courent à lui,
abattent le chapeau. Concini avait cru qu'on n'oserait,
parce qu'il avait avec lui une dizaine de domestiques.
Grande bataille, un page de la reine vient à son se-
cours. Hais les clercs ne connaissent rien. Concini reçoit
force coups , est tiré , poussé , houspillé. On le sauva à
. 4^6 MORT I>*Hn(RI IT.
grand'peine en le fourrant dans wi trou, d'où on le tira
le soir. .
La reine aratt le cœnr cre^é, non le roi. Lorsque Con-
cini se plaignît d'une injure telle pour un honume d'épée
comme lui, les parlementaires étaient là aussi pour se
plaindre, et le roi, toujours rieur : t Prenez garde, dit-il,
leur plume a le fil plus que votre épée. »
Cette fetale plaisanterie fut, sans nul doute, unedes cboees
qui endurcirent le plus la reine. BUe se crut avilie, voyant
son cavalier servant, son brillant vainqueur des joutes, q«
avait éclipsé les prinoes, battu par les clercs, moqué par le
roi. Elle avait le cœur très-haut, magaaMOie, dit Bassooi»
pierre; ce qui veut dire qu'elle était altière et vindicative.
• Pour la vendetta italienne, cen'eftt pas été trop qu'une Saint-
Barthélémy générale des clercs, des juges, etc. Mais plus
coupable était le roi. La reine se boucha les oreilles aux
avis que la d'Escoman s'efiorçail de faire arriver. Ceile^ci
arvait été au Louvre, lui avait fait dire, par une de ses
femmes, qu'elle avait à lui donner un avis essentiel au
salut du roi; et, pour assurer d'aval^ee qu'il ne s'agissait
pas de choses en l'air, elle offrait, pour le Undemam^
de faire saisir certaines lettres envoyées en Espagne. La
reine dit qu'elle Tëcouterait, et la fit languir trois jours,
puis partit pour la campagne.
Bien étonnée d'une si prodigieuse insouciance de la
reine, la pauvre femme pensa que le confesseur du roi
peut-être aurait plus de zèle. Elle alla demander Gotton
aux jésuites de la rue Saint-Antoine. Elle fut assez mal
reçue. On lui dit que le Père n'y était pas, rentrerait tard,
et partn*ait de grand matin pour Fontainebleau. Désolée,
elle s'expliqua avec le père procureur, qui ne s'émut pas,
fut de glace, ne promit pas même d'avertir Gotton, dit :
c Je demanderai au €iel ce que je dois faire... Allez en
pah, et priez Dieu. — Mais, mon père, si l'on tue le roî ?...
îlêlez-vous de vos affaires. »
Alors elle le meiMça. Il se radouoit : t J'irai, dit-il, à
^ Fontainebleaii. » — T aUa-tr-il? on l'ignore. Ce qu'on sait,
c'esl que Tobsiiaée révélatrice fut arrêtée le lendemain.
Incroy^e coup d'audace l ceux qui donnèrent Tordre
étaient donc bien appuyés de la reine, ou bien sûrs que le
roi mourrait avant que l'affaire vint à ses oreilles?
La d'Escomah était si aveugle, que, du fond de sa pri-
son, d'où elle ne devait plus sortir que pour être mise en
terre, elle s'adressa encore à la reine. Elle trouva moyen
d'avertir un domestique intime/ qui alors n'était qu'une
espèce de valet de garde-robe, mais approchait de bien
près (l'apothicaire de l'a reine). Sans nul doute, l'avis pé-
nétra, mais trouva fermée la porte du cœur.
Ravaillac a dit, dans &es interrogatoires^ qu'il se serait
fait scrupule de frapper le roi, avant que la reine fût sa-
crée et qu'une régence préparée eût garanti la paix pu-
blique. C'était la pensée générale de tous ceux qui ma-
chinaient, désiraient la mort du roi. Le premier était
Concini. 11 mit toute son industrie à hâter ce jour. Ni nuit,
ni jour, la reine ne laissa au roi de repos qu'il n'eût con-
senti. Elle disait que, s'il refusait^ on verrait bien qu'il
voulait lui préférer la princesse, divorcer pour l'épouser.
Le roi objectait la dépense. Il lui fallut pourtant céder.
Elle fit une entrée magnifique, fut sacrée à Saint-Denis.
Le roi, au fond assez triste, plaisantait plus qu'à Tordi-
nwke, Quaad elle rentra dans le Louvre, couronnée, en
grande pompe, il s'amusa à lui jeter, du balcon, quelques
gouttes d'eau. Il l'appelait aussi, en plaisantant, madame
la régente. Elle prenait tout cela fort mal* En réalité, il lui
avait témoigné peu de confiance, la faisant, non pas ré-
gente, mais membre d'un conseil de régence sans qui elle
ne pouvait rien, où elle n^avait qu'une voix qui ne devait
peser pas phas que celle de tout autre membre.
Sully dit expressément que le roi attendait de ce sacre
les derniers malheurs.
128 MORT D'flXNRI IV.
Il était dans un abattement qui étonne quand on songe
^ux grandes forces qu'il avait, aux grandes choses qu'il
était près d'accomplir. La Savoie l'avait retardé, il est
vrai. Le pape tournait contre lui et travaillait pour 1* Au-
triche. Cependant il était si fort, il avait tant de vœux
pour lui, tant d'amis chez Tennemi, qu'il ne risquait rien
d'avancer.
<2ui lui manqua ? son propre cœur.
C'est un dur, mais un haut jugement de moralité, une
instruction profonde, que cet homme aimable, aimé, in-
voqué de toute la terre, mais faible et changeant, qui n'eut
jamais l'idée du devoir, tomba à son dernier moment,
s'affaissa et défaillit.
Il avait eu toujours besoin de plaire à ce qui l'entourait,
de voir des visages gais. Toute la cour était sombre, ma-
nifestement contre lui.
Il avait eu besoin de croire qu'il était aimé du peuple.
Il l'aimait; il le dit souvent dans ses lettres les plus inti-
mes. Malgré des dépenses trop fortes de femmes et de
jeux, l'administration était sage, et au total économe.
L'agriculture avait pris un développement immense. Le
roi croyait le peuple heureux. En réalité, tout cela ne
profitait guère encore qu'aux propriétaires du sol, aux
seigneurs laïques, ecclésiastiques. Ils vendaient leur blé à
merveille, mais le pain restait très-cher, et le salaire aug-
mentait peu. On vivait avec deux sols en 1500; en 1640,
on ne vivait plus avec vingt, qui font six francs d'aujour-
d'hui ; l'ambassadeur d'Espagne les donnait à chacun de
ses domestiques, et ils se plaignaient de mourir de faim.
Quand le roi, en 4609, aux approches de la guerre,
ordonna quelques impôts, le président de Harlay, véné-
rable par son âge et par son courage au temps de la Ligue,
opposa la plus vive résistance. Le roi s'indignait, mais les
mêmes choses lui furent dites par le vieil Ornano, gou-
verneur de Guyenne, qui vint mourir à Paris ; il lui assura
MORT d'hxnri IV. 439"
qoe le Midi ne pouvait payer, succombait sous le fardeau.
Il fut touché, retira deux de ses édits fiscaux. Mais en*
même temps il faisait (toujours dans sa triste bascule) une
concession au clergé qui désespéra le Midi ; pour le Béarn,
tout protestant, le rétablissement forcé des églises catho-
liques et la rentrée des jésuites; pour nos Basques, une
commission contre les sorciers, qui les jugeait tous sor-
ciers et qui eût voulu brûler le pays.
Sans savoir tout le détail de ces maux, il entrevoyait
cette chose triste , que le peuple souffrait, gémissait, et
qu'il n'était pas aimé.
Une scène hii fit impression. Un mendiant vient prendre
le roi aux jambes, lui dît que sa sœur, ruinée par Timpdt
et désespérée, s'est pendue avec ses enfants. Forte scène,
et qui aurait mérité d'être éclaircie. Le roi venait au mo-
ment même de retirer deux impôts. On n^en dit pas moins
dans Paris qu'il était dur et sans pitié.
Un jour que le roi passait près des Innocents, un
homme en habit vert, de sinistre et lugubre mine, lui cria
lamentablement : « Au nom de Notre-Seigneur et de la
très-sainte Vierge, sire, que je parle à vous ! > On le re-
poussa.
Cet homme était Ravaillac. Il s'était dit qu'il était mal
de tuer le roi sans l'avertir, et il voulait lui confier son
idée fixe, qui était de lui donner un coup de couteau.
De plus, il lui eût demandé si vraiment il allait faire la
guerre au pape. Les soldats le disaient partout, et, de plus,
qu'ils ne feraient jamais guerre dont ils fussent si aises.
Troisièmement, Ravaillac voulait savoir du roi même ce
que lui assuraient les moines, que les huguenots préparaient
le massacre des bons catholiques.
Tout cela faisait en lui une incroyable tempête. Une
▼iolente plaidoirie se faisait dans son cœur, un débat in-
terminable. 11 semblait que le diable y tint sa cour plé-
nière. Souvent il n'en pouvait plus, était aux abois. Une
XI. 9
A9i m^RîT a «ir<iii jlv^
Cm^ il <}uitto. son étcole, $a oaère, 8'aUa réfog^ridws «n
couvent de Ff»iilUiH$; maU ils n'osèrent le garder. Ilieût
voulut 66 foire jésuite. les Jiésuites lerefu^èreat, s/^u» ^drà-
leVite^qu*]! avait été tlans un couvent de Feuiltenls*
11 ne cachait guèse sa'fteafiée., demandait 4:wfi9iU U
piffla à un auinônier, à un feuillant, à un jésuite, liais
tous luisaiantla sourde oreille et ne voulaient pas com-
prendre. Au feuillant, il avait demandé : «i Un bommequi
voudrait tueir un roi, devrait-il s'en confesser? » Un cor-
délier auquel il parla en confession de cei homicide voton-'
taire (sans rien expliquer) ne lui demanda pas môme oe
qoe ce mot signifiait. C'est une chose effrafaate de iroir
que, sur la mort du roi, tous entendaient à denû-mot, ae
se compromettaient pas, mais laissaient aller le fou.
Ainsi rejeté, livré à lui-même, il eût fiût le coup, saas
une idée qui lui vint et qu'il ajourna. 11 songea .^ue c'était
le temps de Pâques, et que c'était le devoir de tout ca-
tholique de communier à sa paroisse. La sienne était à
Angoulôme. U quitta Paris^ et y retourna. Hais là, à la
communion, il sentit qu'mi coBur tout plein d'homicide ae
pouvait pas recevoir Dieu. Il voyait d'ailleurs sa dévote
mère, bien plus agréable au ciel et plus digne, qui €4Mtt-
muniait. Il s'en remit à elle de ce devoir, laissa le ciel à sa
mère et garda Tenfer pour lui.
Lui-même a raconté cela plus tard, avec d'abondantes
larmes.
Au pied même de l'autel, pendant la communion, sa
résolution lui rentra au cœur, et U s'y sentit fortifié. U
revint droit à Paris. C'était en avril (1640). I>ans son tu-
l>orge, il empoigna un couteau, le cacha sur Inî. Mais, dès
qu'il Feut, il hésita. Il reprit machiBaiement lechenûn de
son pays. Une charrette, sur la route, allait devant hri. Il
y épointa son couteau, en cassa la longueur d'un ponoe.
Arrivé ainsi à Êiampes, un calvaire qui était aux porloi
lui montrait un Ecce Homo^ dont la lamentable figure lui
uoBT d'hjsnbi IV. 431
« É
rappela que la religion était cruci&ée par le roi. Il revint
plein de fureur, et dès lors n'hésita plus.
De peur pour lui-même, aucune, un chanoine d'Au-
gouiéme lui avait donné un cœur de coton qui, disait-il^
contenait im morceau de la vraie croix. Il est probable
qvi'on voulait raffermir, le rassurer. Un homme armé de la
vraie croix pouvait croire qu'invisible ou ,défendu par le
ciel, U traverserait tout danger.
Ravaiilac, si indiscret, était fort connu, et, de même
qu'on avait su fort longtemps qqe Maurevert, Tassas^u
gagé des Guises, devait tirer sur Ck)ligny, on n'ignorait
nullement que le tueur du roi fût dans Paris. Le dimanche,
un ancien prêtre, devenu soldat, rencontrant près de Cha*
renton la, veuve de son capitaÎAe qui allait au prêche, lui
dit de quitter Paris, qu'il y avait plusieurs bandits apostés
par r£spagne pour tuer le roi, l'un entre autres babUié de
vert, qu'il y aurait grand trouble dans la viUe, et danger
pour les huguenots.
Il parait que, même en prison^ ees bruits circulaient, et
parvinrent à Ja d'Ëscoman. Acharnée à sauver le roi, elle
décida une dame à avertir un ami de Sully à l'Arsenal^
cette dame était mademoiselle de Gournay, fille adoptive
de Montaigne. Sully, sa femme et l'an^i, reçurent l'avisi
mais délibérèrent, le transmirent au roi, enôtantles noms
(sans doute de d'Ëpernon» de Concini et de la reine) : « Si
le roi en veut savoir davantage, dirent-ils, on le fera parier
aux deux femmes^la Gournay et la d'Escoman. » L'avis
devenait dès lors fort insignifiant. Le roi, qui en avait reçu
tant d'autres, n'y fit aucune attention.
il était si incertain, si flottant, si trouble, qu'il ne dis-
tinguait guère ses amis de ses ennemis. Il montra de la
confiance à Henriette d'£ntragues, lui renvoyant à elle-»
même un homme qui l'accusait ; et il montra de la dé-
fiance à Sully, ne voulant pas qu'il fit d'avance un traité
avec une compagnie qui eût assuré les vivres.
432 MORT d'hinri iy.
Ce renversement d'esprit semblait d'un homme perdu
qui va à la mort. Tout en se moquant de l'astrologie, il
craignait ce moment prédit, le passage du 13 au 1 4. Il de-
vait partir dans trois jours, justement comme Coligny,
quand il fut tué. La nuit du 43, ne pouvant trouver de re-
pos, cet homme si indîflérent se souvint de la prière, et il
essaya de prier.
Le matin du vendredi 14, son fils Vendôme lui dit que,
d'après un c-ertain Labrosse, ce jour lui serait fatal, qu'il
prtt garde à lui. Le roi affecta d'en rire. Vendôme en
parla à la reine, qui, plus ébranlée qu'on n'eût cru, par
une contradiction naturelle, supplia le roi de ne pas sor-
tir. Il dîna, se promena, se jeta sur son lit, demanda
l'heure. Un garde dit : « Quatre heures, d et familière-
ment^ comme tous étaient avec le roi, lui dit qu'il devrait
prendre Tair, que cela le réjouirait. — « Tu as raison....
Qu'on apprête mon carrosse. »
Quand la voiture sortit du Louvre, il ne dit pas d'abord
cil il allait, et il né voulut pas de gardes, pour ne pas at-
tirer l'attention. Il allait à l'Arsenal, voir Sully malade.
Mais, selon une tradition, il eût eu l'idée de passer d'a-
bord chez une beauté célèbre, la fiile du financier Paulet,
une rousse qu'on appelait la Lionne, pleine d'esprit, et de
voix charmante. Un jour qu'elle chantait, trois rossignols,
disait-on, en moururent de jalousie. Le roi avait pensé à
elle pour en faire la maîtresse de son fils Vendôme, une
maîtresse qui l'eût relevé, qui en aurait fait un homme, un
Français, qui Teût retiré de ses vilains goûts italiens.
11 faisait beau temps, le carrosse était tout ouvert. Le
roi était au fond, entre M. de Montbazon et le duc d*£per-
non. Celui-ci occupait le roi à lire une lettre. A la rue de
la Féronnerie, il y eut un embarras, une voiture de foin
et une de vin. Ravaillac, qui suivait depuis le Louvre, re-
joignit, monta sur une borne, et frappa le roi... « Je suis
blessé! > En jetant ce cri, le roi leva le bras, ce qui per-
MORT d'hsnri IV. ^ 433
mit le second coup qui lui perça le cœur. Il mourut au
moment même. D'Ëpernon jeta dessus un manteau, et,
disant que le roi n'était que blessé, il ramena le corps au
Louvre.
Une tradition veut qu'au moment où le coup fut fait
Cencini ait entr'ouvert la chambre de la reine, et lui ait
jeté ce mot par la porte : « È ammazzato. i
Nous n'aurions pas rappelé cette tradition, si la reine
elle-même n'eût redit ce mot avec un accent de remords,
de reproche, lorsque Concini fut à son tour assassiné.
CHAPITRE Xm
Louis XIII. — Rëgencc. — Rayaillac et la d'Escomao. 1610-1614.
La terrible instabilité du gouvernement monarchique
éclate à la mort d'Henri IV. Ce qui succède, c'est l'envers
de ce qu'il a voulu : la France retournée comme un gant.
Au dehors, tout ce grand système d*aUiances, cette toile
longuement ourdie, emporté d'un seul coup. Le double
mariage espagnol (vraie cause de la mort d*Henri IV) va se
faire. La guerre de Trente ans redevient possible, et la
France espagnolisèe gravite en moins d'un siècle aux
grandes guerres du grand roi, à la Révocation de Tédilde
Nantes, à l'expulsion de six cent mille hommes, à la su-
blime banqueroute de deux milliards cinq cents millions.
Le trésor que Sully avait amassé, défendu, est gaspillé
en un moment. Le domaine qu'il dégageait, est rengage,
les propriétés de TÉtat vendues. Tous les établissements
de ce règne abandonnés, les bâtiments interrompus, les
canaux délaissés. Les manufactures de soieries, de glaces,
la Savonnerie, les Gobelins, fermés et les ouvriers ren-
voyés. Le Louvre, qui allait s'encanailler en logeant les
grands inventeurs, le Louvre reste aux courtisans. Adieu
le Musée des métiers et le Jardin des plantes ; ces folies
du roi, et mille autres, dorment aux cartons de Sully.
Des Tuileries, de TArsenal, on arrache ses arbres cbé*
ràvâillac et Là d'esgoiun. tâlk
xi% les mùrïcra'd^IieQri IV. On eût vok>Dtier6 jeté bas ses
■Hmamants^MBiB ou eut pe«ir dp peupie. Par uq reviro-
mnitiiiatleBifai, la peuple s*aperçai qu'il aimait neiv*i IV.
La légande commence le jo«r de la mort ; elle va grau*-
diiwt par la comparaison, de ce qui est et de ce qui fut.
Ce qui doaîna éatm Paris, au moment, ce fut une ler-
Be«r extraordinaire. On se crut perdu. Leafarames aarra*
dbaient les cheveux,, moins de deuil enoore que de peu0.
H en« fut de même partout L'hormur de la Li^ue revint à
Vesprit, ei oa en iiïssonBa» De là, un calme suifirenaût,
je dirai eflhayaot. Car cette grande sagesse tenaii à une
ehoae^ o'^atque la France, n'ayant plus. ni idée, ni passion,
Bî intéoét moral, ne se sentait plus vivre. Elle était toute
dans le rot^ dans un homme qu'on avait tué. fit il en rcsr*
teît quoi.? un marmot de huit ans, qui, le 45, romii io
rtijiBume à sa mère, et qui, le 2d, eut la fouet. (Leatoiie,
p. ism.)
La royauté, nulle en 89, à la mort d'Henri lU, devant
bu TÎe forte et furieuse qu'avait alors la Eranoe, est tout.ce
fiiî reale k la mort d'Henri IV. On se demande oe qu'est
Mtenfaat, au physique, au moral. Heureaaement, son mé-
decin nous éclaire parfaitement : ne le quittant ni nuit, ni
jaur, il a écrit (en six énormes volumes in-folio) le journal.
de ses fonctions, tout le menu de ses diners, et chaque
soir les résultats de aa digestion. Si le moral procède du
physique, on peut étudier là-dessus. {V.la note.)
La sagesse accomplie du peuple, son calme et son in»-
différence, l'aplatissement des factions, des anciennes
fuTOurs, étonna bien l'Espagne. On avait cru tout aUf
moins .qu'il y aurait un petit massacre des huguenots^ et
lia Curent avertis de fuir. U se trouva un Jésuite qui osa
dire' en chaire cette parole meurtrièro : a Nous n'en au—
«ione pas pour un. déjeuner. » Mais rien ne bougea. Au
oontraûe, à Paris et partout, les catholiques disaient qu'ils
protégeraient les huguenots.
136 LOUIS XIIU — RiGXNCB.
Le roi fut tué à quatre heures. Jusqu*à neuf, on fit dire
partout qu'il n*était que blessé. Mais, à six heures et de-
mie, on avait proclamé l'étrangère (qui parlait enocMre
italien), rAutrichicnne, petite-nièce de Charles-Quint et
cousine de Philippe II. Et l'ennemi gouvernait au Louvre.
Les princes étaient absents. Et on eût peu gagné à leur
présence. Soissons était un sot ; et son neveu Gondé, que
Soissons et tous les Bourbons disaient adultérin et fils d'un
page gascon, avait l'esprit brouillon de la Garonne, la
faim d'argent d'un cadet de Gascogne, tenu très-long-
temps au pain sec. II eût sucé la France à mort.
D'Épernon, qui avait rapporté le roi au Louvre, prit sa
place en quelque sorte, s'y logea militairement, et donna
tous les ordres, comme colonel général de l'infanterie. Les
gouverneurs de province étaient à Paris, et tous trè»*
maniables; la mort du roi les faisait rois. D'Ëpemon prit
avec lui l'ombre de la Ligue, M. de Guise, le fils du
Balafré, et l'homme le plus riche de France, du reste'
homme de peu, petit galant camus. Guise saluait de toutes
ses forces, mais personne n'y prenait garde, et les femmes
haussaient les épaules. D'Ëpemon, piaffant à cheval, ra-
jeuni de dix ans, occupe par les gardes le pont Neuf et
tous les abords du Palais de Justice. Il entre au Parlement
avec Guise. Mais celui-ci se tint modestement debout.
D'Ëpernon s'assied, prend séance, et, furieux sans cause,
se met à menacer les magistrats. Quoique Condé y eût
quelques amis, ces hommes de justice, très-agréablement
flattés qu'on leur demandât la régence, et d'ailleurs serfs
des précédents, n'avaient garde de s'élever contre la reine.
L'heureuse régence de Catherine de Médicis frayait la voie
à Marie de Médicis. Une étrangère? d'accord, mais c*est
l'essence même du droit monarchique. Le roi étant l'État,
le salut corporel du roi est toute l'affaire. Or la mère et
nourrice est la meilleure gardienne de cet enfant qui Gon->
tient tout.
RAYAILLAC BT LA D*B8C0IIAN. 137
A ces gens tout gagnés, le furieui, frappant sur son
épée (son secrétaire l'assure lui-mérae), dit : < Elle est au
fourreau... Mais, si la* reine n'est déclarée régente à
l'instant, il y aura carnage ce soir... » Cette éloquence
éblouit le Parlement, qui déclara sur l'heure, envoya à la
reine. La chose alla si vite, que les gardes non avertis ar-
rêtèrent honteusement ces envoyés au passage, constatant
la captivité du corps qui donnait la régence.
L'enfant royal ayant fort bien dtné le jour de la mort de
son père, le lendemain matin, s'étant levé gaiement, bien
déjeuné et bu un bon coup de vin blanc ; alors (dit son
médecin), intrepidiu, il monta sur une jolie petite haque-
née blanche, alla au Parlement, et donna à sa mère l'au*
torité que le Parlement lui avait déjà donnée la veiRe. Il
ordonna, de sa petite voix, que sa mère serait régente pour
avoir soin de son éducation ; en d'autres termes, il com-
manda qu'elle lui commandAt, Téduquât, le chàtiAt. Le
29^ il disait : < Du moins, ne frappez pas trop fort. »^
Une chose, très-indécente, dans la séance royale, et qui
fit voir oii on était jombé, c'est qu'après les premières
harangues Concini, qui était là avec son plumet et son
importance, oubliant les horions dont il avait la marque,
se met à dire d'une voix claire : « La reine doit mainte-
nant descendre. » A quoi le premier président, octogé-
naire, Harlay, de sa voix creuse et du fond de son deuil,
lui dit : « Ce n'est pas à vous de parler ici. » Chacun fut
accablé en voyant à qui une femme étrangère et la mo-
querie de la fortune venaient de jeter la France.
Le peuple, dans les rues, criait en pleurant : « Vive le
roi I » Ce qui eût fait pleurer bien plus, ce fut de voir au
Louvre Sully, qui, le 44, s'était tenu clos à l'Arsenal, mais
qui, le 15, fut traîné à la cour par le duc de Guise, pour
faire la révérence aux assassins du roi. Chose lamentable !
pour sauver sa fortune, il lui fallut embrasser d'Èpernon.
Celui-ci fut miraculeux de sang-froid, d'impudence, il
t38 LOUIS XUI.. -^ RteBKGK.
avait enipAché qu'on ne tuât RavaiUae. Ce qui lai fit
beaucoup d'honneur, et fort peu de danger ; ear ce ter--
rible fou n'avait pas eu dlindialion directe ; Avec ua
homme ai bien né pouff la cbose et si naivemient meap-
trier, il suffisait de rentourer de peisoniaea bien peiif
saatea, intelligentes,, et de aennons indirectemeot provo-
cants.
On l'avait traîné au Loavre et mis H'abord à l'hôtel de
Retz, qui était eootigu. Là, qui voulait venait le voir et lui
parler. Cotton vint entre autres, et lui dît : « Mon ami^
prenez bien garde de faire inquiéter les- gens de bien. >
RavaiUae en rit, s'en moqua.. U était d*un eaime extreor-
dinaire« comme un. homme qui a peu à craindre et se
sent bien appuyé.
Il semblemit pourtant que d*fipemon s'inquiétât* et eà(
pevr qu'il ne jasât trop,, et qu'il le mit chez lui, à l'Htol
d'Épernon. C'est de là qu'on le (ira, le 47, pour le mener
à la Conciergerie. (Lestoile, éd. Michaud, H, 598*)
Dès le 47, on put voir que personne n'avait envie de
s'exposer pour Henrt IV, et qu'il n'y jurait pas dé justice.
Le comte de Soissons, qui avait dit, juré qu'il le venge*
rait, arriva à Parts, accompagné de beaucoup de gentils-
hommes. Mais quand il vit d'£pernon si fort au Louvre,
quand il eut parlé à la reine, qui lui ferma la bouche,
en lui doimant la Normandie, il avoua en sortant que
c'était une grande princesse, et d'Épemon fut son meilleur
ami.
Le parlement fut plus embarrassé. Le peuple était fu»
rieux, insensé de fureur, à^mesure qu'il se rassurait. On
le voyait devant la Conciergerie, . oii était RavaiUae, qui
jetait des pierres au prisonnier à travers un mur épais de
dix pieds» On examina d'abord- à quelle tortune il serait
mis, et l'on écarta la plus dure. On ne chercha nul éclair-
cissement ni à Àngouléme, où on pouvait prendre les
prêtres qui l'avaient armé de la vnûe croix, ni à Paris, où
RAVAILLAC ET LA û'ESCOMAN. 1 39
on avait sons fa main le soldat qui, d'avance, avait tout
dU, jusqu'à la conteur de l'habit de Ravaillac. Le vîeut
Hariay* eut l'idée de faire venir les parents de Tassassin»
et il ne le fit pas, soit que le Parlement y fût contraire ou'
que lui-même ait pensé qu'un trop grand éclat amènerait
la guerre crvîTe.
Les Jésuites, appelés par le bonhomme Barlay, se tirè-
rent d'affaire lestement, disant qu'ils ne se souvenaient de
rien, et que de pauvres religieux comme eux ne se mê-
laient pas des grandes affaires. Leur unique affaire, c'était
leuir maison ; le jour même de la mort du roi, ils y mirent
cinquante ouvriers pour l'agrandir et TembeUîr, comme
on la voit aujourd'hui (collège Charlemagne), avec un ga-
lant petit dôme ; et, pour l'église, la façade à la mode, à
trois étages de colonnes, avec consoles et pots de fleurs.
Ils ne tinrent pas quitte Henri IV. On lui tira son cœur,
dont les Jésuites s'emparèrent. Dans je ne sais combien
de carrosses, ils s'en allèrent le portant à la Flèche, peti
rassurés pourtant et craignant que le peuple ne leur fît
un mauvais parti. Pour cette cérémonie, ils prirent
rheure insolite de cinq heures du matin, et tous leurs
bons amis de la noblesse montèrent à cheval pour les
rassurer.
Cependant Ravaillac ne dénonçait personne. Il voulait
mourir seul, et avait dit d'abord qu'il ne regrettait rien,
ayant réussi. Plus tard, il parut ébranlé et avoua que
c'était un mauvais acte; mais que cependant il l'avait fait
pour Dieu, et qu'il espérait dans sa grande miséricorde.
11 montra une extrême douceur, quand le Jésuite auquel
il s'était adressé lui dit avec injures qu'il ne l'avait jamais
vo. Au nom de sa mère, il pleura. Il dit qu'il avait fait la
dépense de trois voyages pour avertir le roi, et que, s'il
aTalt pu hii parler, ifeàt échappé à la tentation.
On lui dit qu'on lui refuserait la communion, et it
répondit : t J'ai agi d'un mouvement humain et contre
140 LOUIS XllI. ^ RÉGENCE.
Dieu. Je n'ai pu résister (rhomme ne peut s'empêcher du
mal)^ mais Dieu me pardonnera , et il me fera participer
aux communions que les religieux, religieuses, et tous
bons catholiques font par toute la terre. »
Ce qui lui fut terrible, ce fut qu'on lui montra que ce
petit reliquaire dont les prêtres l'avaient armé à Angou-
léme, en lui disant qu'il contenait un fragment de la vraie
croix, ne contenait rien du tout, et qu'ils s'étaient moqués
de lui. 11 dit vivement: « L'imposture retombera sur les
imposteurs. » (De Thou.)
. Il nia toujours que personne lui eût conseillé le meur-
tre. Mais poi^r les excitations indirectes, que devait-on
croire? Il n'indiqua que les sermons. Du reste, l'extrait
du procès-verbal qu'on a publié porte : < Ce qui se passa
à la question est sous le secret de la cour. »
La chose ainsi limitée, circonscrite , resserrée sur une
même tête, le Parlement combina un supplice pour satis-
faire le peuple et soûler sa vengeance* Pour le crime de
lèse-majesté au premier chef on avait un supplice horri-
ble, l'ccartèlement, précédé et assaisonné du tenaille-
ment. On s'en fût tenu là. Mais M. de Guesle, procureur
du roi, un magistrat bavard et insupportable érudit, tinta
orner ce jugement des petits agréments qu'il avait lus
dans les vieux livres, ajoutant aux tenailles le plomb
fondu, l'huile et la poix bouillantes, et un ingénieux mé-
lange de cire et de soufre. Le tout voté d'enthousiasme.
Si on eût laissé faire la foule, l'homme aurait été mis
en pièces à la porle de la prison. Ce fut une scène hor-
rible, plus cuisante pour Ravaillac que le fer et le feu. U
s'éleva une si épouvantable tempête de malédictions, que
le pauvre misérable, qui avait cru le peuple pour lui,
tombant dans cette mer de rage, s'abandonna entière-
ment. 11 vit à quel point on l'avait trompé. Sur l'échafaud
encore, il se tourna lamentablement vers le peuple, de-
mandant en grâce qu'on donnât à l'àme du patient qui
RAVAILL4C ST LA D*SSGOMAN. 444
allait tant souffrir la consolation d'une prière , un Salve
Regina ; mais la Grève tout entière hurla : a Judas à la
damnation I >
Les princes et tout ce qu'il y avait de grands person-
nages avaient des fenêtres et se montraient fort curieux.
Ils n'étaient pas rassures , Tusage exigeant qu'entre les
tortures on lui demandât des révélations.
* A l'un des entr'actes , ce spectre effroyable , qui n'était
plus qu'une plaie , mais gardait une âme , déclara qu'il
parlerait. Le greffier, qui était là, fut bien obligé d'écrire.
Quand on se remit de nouveau à écarteler Ravaillac, la
chose allant lentement , un gentilhomme , envoyé sans
doute pour abréger, offrit un cheval vigoureux qui, d'un
élan, emporta une cuisse. Dès lors, le tronc tiraillé, pro^
mené de tous côtés, allait battant contre les pieux. Cepen-
dant il vivait encore. Le bourreau voulait l'achever, mais
il n'y eut pas moyen : les laquais sautèrent la barrière, et,
comme ils portaient l'épée , ils plongèrent cent fois ces
nobles épées dans ce tronc défiguré. La canaille prit les
lambeaux; le bourreau resta, n'ayant plus en main que la
chemise. On brûla la viande à tous les carrefours. La reine
put voir du Louvre les Suisses qui, sous son balcon, en
rôtissaient une pièce.
Le procès, que devint-il? Je l'avais cherché eh vain aux
registres du Parlement. La place y est vide. Une note des
papiers Fontanieu (Bibl.), qu'a copiée M. Capefigue, nous
apprend que le rapporteur le mit dans une cassette et le
cacha chez lui dans l'épaisseur d'un mur; que la feuille
écrite sur l'échafaud fut gardée par la famille Joly de
Fleury, qui la laissa voir à quelques savants, et que, quoi-
qu'elle fût peu lisible, on y distinguait le nom du duc
d'Épemon et même celui de la reine.
Les voilà tous bien rassurés. Ravaillac en cendres vole
dans l'air, et pas un atome n'en reste. La curée peut com-
mencer :
m WUIS Xm. — RKGENÇÇ.
4^ L'Espagne eut lepo^vqi^. L'ambassadeur d'E^pagae
avec le nonce , Cmcinj et d'Épernon , forment le conseil
secret qui dicte à la reine ce qu'elle dira aux ministres; on
garde les vieux ministres d'Henri IV, Yilleroy, Jeannin,
Sillery;
2^" Le trésor de la Bastille est partagé entre la liande.
Guise eut deux cent mille écus ; Côndé, deux cent mille
livres de rentes, etc., etc.;
3° Le mariage qu'avait le plus craint Henri IV, celui de
Uuise avec la grande héritière de France, madenioiselle
de Montpeausier, 3'accompliL Henriette d'Ëntcagues cria^
réclama; mais la reine^ devenue sa meilleure amie, lui fit
entendre raison ;
4"" Concinl en prit de l'émulation . 11 voulut donner sa
fille au ù\s du premier prince du sang. Pourquoi pas? Vi-
siblement, il succédait à Henri IV. Outi^e le niarquisat
d'Ancre, il s'était fait donner les places du Nord, les villes
de la Somme, Péronne, Amiens, et il voulait au Midi^ avoir
Bourg-en-Bresse, la barrière contre la Savoie. Ainsi le
royaume n'avait rien perdu ; sous l'épée de Concini, au
défaut de celle du roi, il pouvait dormir en paix.
Concini ne couchait pas , il est vrai , dans le lit du roi,
mais il occupait un hôtel qui , par un pont jeté sur les
fossés du palais , Vy faisait entrer à toute heure de nuit ;
les Parisiens, sans ambages, l'appelaient le ponl d'amour.
La reine avait eu la faiblesse d'accorder ce grand mariage
qui eût proclamé sa honte et la royauté de Concini. Mais
elle ne tint pas parole, soit qu'alors le beau Bellegarde
eût fait du tort à Concini, soit qu'elle eût quelques re-
mords et fût plus froide pour lui, ne lui pardonnant pas
sans doute de l'avoir trop bien instruite du crime qu'on
allait faire pour elle.
L'argent s'en allait si vite, que, pour ralentir un peu la
débâcle, Villeroy lui-même proposa de rappeler le grand
refuseur, Sully. A peine y fut-il que personne ne le sup-
RAVèlttAC ET LA iO'BKOllàN. HB
.porta, moJM Ja reine que tout ««Ire. fille Vèuleit tirer
de la caisie «D'miUieo antidaté» corame dépensé ^ar 8én*
ri lY. Cette firaude était. haiûtueUe. Et le chatieelier enn
ploya, cioq années diu^ant ie soeeni du feu .roi pourfalasaer
iee dates. Sully refusa le miliieii et se retira cii^ lui, ne
voMlâDt caMUvrâ les voleurs.
Pour eodormîr ropinion, on avait laissé Robaii> gendre
île Sully, mener au Rhin quelques troupes. On avait omi-
firme rËdUt de Nantes, diminué la gabelle, et retiré quel*-
ques édits. Ainsi le gouvernement, de trois manières à la
fois« 'fondait, S'évanouissait , recevant moins et donnant
plue ; enfio, gaspiUant ea réserve. On licencia les troupes»
à la grande joie de TEspagae.
Jottt'le Aiettde restait arsaé, excepté TËlat L'insolence
des jeunes nobles était incroyable. Ils bétonnaient les
Diagisti»ts. Xa nuit, ils couraient à grand brait, réveil-
iakot toute la viMe; Les plus grands ennemis d'Hwwi i¥
la regrettaiani. -flenriette, eUe^méme, disait de ces jum^
reurs de nuit : « Oh ! si notre petit homme pouvait rêve*
BÎrl GomsDe il .empoignerait le iaoet pour chasser ces
petits galants et tous les marchands du Temple I »
• La ime, poussée è bout, . surmenée parCkmcini, qui
n'ataitiû sens ni mesure, fut maintes fois vue se retirant
daos utteemlirasure de fenêtre, et le mouchoir à la mMU.
Elle pfeorait, en pensant à VatUre^ si bon, qui la suppor-
tai «anti ^
Le mouveuient emportait tout. L'Université et le Parie*
ment avaient accusé les Jésuites ; d'JÊpemcm les appuya ,
aUanl à tous leurs sermons , et finit par dire : f Qui les
attâiqiie m'altaque. » Le Parlement se re^tita sur un livre
éa irsnrdioal Bellarmin « qui faisait des rois les sujets de
Le président dit que cela revenait à canoniser Ea-
BHac. Mais le roi fit défense expresse à son Parlement de
Liemr ies dnoits de la royauté et la sàreté des rois.
L'iunune populaire du moment, c'était ce Gondé (vrai
444 LOUIS XIU. — RAIBNCS.
OU faux). Popularité bien injuste. En caressant le Parle-
ment et.les huguenots» il n'en était pas moins le partisan
avoué des Jésuites, le serviteur de l'Espagne dans l'affaire
des deux mariages. On crut, fort à la légère, que Condé
ou Soissons, son oncle, abandonnerait d'Ëpernon, et on
laissa échapper contre celui-ci la voix du cachot, celle de
cette dame d'Escoman qui s'était montrée si hardie à
vouloir sauver Henri IV. Notre chroniqueur Lestoile est
ici grand historien. On voit bien qu'il va mourir, et qu'il
a plus que jamais le respect de la vérité.
« Gomme un de mes amis disait au président de Harlay
que cette femme parlait sans preuves, ce bon homme
levant les yeux et les deux bras au ciel : ■ 11 .n'y en a que
« trop, dit-il, il n'y en a que trop! Et plût à Dieu que
« nous n'en vissions point tanti »
D'Ëpernon alla le voir et lui demander nouvelles du
procès : « Je ne suis pas yotre rapporteur ; je suis votre
juge* » Il insista effrontément comme ami : c Je n'ai point
d'amis. »
D'Ëpernon ne cachait point qu'il voulait la mort de la
d'Escoman.
Ce méchant homme avait pour maîtresse la plus mé-
chante femme de France, une bourgeoise fort laide, d'un
bec infernal, la Du Tillet. C'est celle que Tallemant
admire, et dont il ramasse l'ordure. On jeta cette femme
à la d'Escoman, pour la dévorer de paroles. Moyen d'amu-
ser le public, deux filles qui se chantent pouille, se jettent
au nez leurs scandales, se gourment, se roulent. La d'Es-
coman, galante ou non, mais si dévouée, si courageuse,
n'en reste pas moins à jamais un martyr de l'humanité.
D'Ëpernon se serait défait de Harlay , de manière ou
d'autre. Mais il avait quatre-vingts ans. On lui fit entendre
qu'il devrait se retirer, vendre sa charge, ce qui serait un
beau denier pour sa famille. Ce qui le décida aussi, c'est
qu'il réfléchit que si on poussait la chose, si on déshôno^
RAVAILUG ET LA D'ESGOMàN. 445
rait la reine , toute autorité périssait. Le 5 mars 4612,
Harlay étant encore là, un étrange arrêt fut porté, qui ne
déchargeait personne, mais qui, vu la qualité des accusés^
ajournait tout, élargissait quelques subalternes, et ne rete-
nait en prison que la d'Esconian, dont l'accusation sub-
sistait, et qui, à ce titre, eût dû être d'abord élargie.
Harlay avait cru avoir pour successeur son ami De
Thou, l'illustre historien. Mais la reine s'écria : « Nan fard
maj, > Harlay fut obligé de vendre à une âme damnée des
Jésuites.
Paris jugea ce jugement. Lestoile dit tristement de la
dame d'Escoman : c A se bander contre les grands pour le
bien public, on ne gagne que coups de bâton. »
Ce gouvernement ne descendait pas, il se précipitait,
tombait comme une pierre au fond d'un puits. 11 était
grand temps qu'il eût l'appui de l'Espagne. Le 30 avril
1642, Yilleroy signa le double mariage et le traité de
secours; l'Espagnol y promettait d'entrer au besoin avec
une armée pour appuyer la reine. Le trône, isolé de tous,
n'avait d'ami que Tennemi.
Concini avait irrité à la fois les princes, les grands, les
ministres même. Un homme fort intrigant, ancien agent
de Biron, le vieux de Luz, lui conseillait d'ôter la Bour-
gogne à Bellegarde. Les Guises, amis de Bellegarde et de
d'Épernon, assassinèrent ce de Luz aux portes du Louvre.
La reine se sentit insultée, eut l'idée de faire tuer les
Guises et d*Ëpernon« Pour oser une telle chose, il fallait
l'appui de Condé, et, pour l'obtenir, Concini voulait qu'on
lui donnât le château de Bordeaux. Cela tourna la gi-
rouette. Elle s'emporta contre Condé, se donna toute aux
Guises, leur fit don de cent mille écus, et le chevalier de
Guise, qui avait tué de Luz, et tué encore son fils , eut de
cette femme insensée la lieutenance de Provence. Belle-
garde, première origine du débat, se fit donner les places
des deux assassinés,
XI. 10
446 LOCIS Xtfl. — RKGEKCK.
Concini, jaloux de Bellegarde , complotait (contre la-
reine t) ayec Condé et Bouillon. Elle le calma en lui doa*-
dant le bâton de maréchal q«*ii avait si bien gagné.
La reine s'avilissant ainsi, les princes, Condé et Ven«»
dôme, espéraient en profiter. Ils prennent les armes. La
reine jette tout à leurs pieds , promet tout. Ils se croient
maîtres, mais personne ne les soutient. La reine n'a qu'à
montrer son petit roi à cheval. Le peuple se rallie à l'in-
nocence de Tenfant. Elle se sent usée cependant, et se
retire derrière son fils, en le déclarant majeur.
Elle frémissait sous cet abri. Celui qu'elle craignait le
plus, ce n'était aucun des vivants. Pour qui aurait été \c
peuple? pour le sigiiore Concini ou pour le prétendu
Condé?
Le vrai vivant, c'était le mort. Henri lY risquait de res-
susciter. Par la voix de la d'Ëscoman, il réclamait, accu-
sait du fond de la Conciergerie.
Et, à côté de cotte femme, un témoin terrible arrivait,
im homme assassiné , Lagarde , assassiné par d'Ëpernon
pour avoir averti le roi et d'avance nommé Ravaiilac.
Lagarde venait montrer 5es ploies de%-ant la France, man-
dée aux États généraux.
CHAPlTliE XIV
Étais généraux. i614.
Le contraste était beau en 1 614 entre la cour et la France.
Si la seconde était desséchée jusqu'aux os, l'autre, au con-
traire, splendide, éclipsait les jours d'Henri lY, humiliait
TEspagne, notre amie, à qui nous demandions Tinfaute.
Le grand cœur de la reine éclatait aux tournois de la
place Royale, où tous, pour dépasser les folies espagnoles, se
ruinaient en chevaux, en costumes. Cette mascarade coûta
plus qu'une campagne. Bassompierre, héros de la fête, n'y
suffit qu'avec un cadeau de la reine, un office de haute
magistrature, qu'elle lui donna à vendre.
Mareuil reproche à Henri IV d'avoir été éconojne en
amour. A tort, certainement. Mais c'est qu'apparemment
il le compare à sa femme, qui fut si généreuse. Elle n'était
pas à elle-même; son amour était une guerre où Concini
ne la ménageait pas, et, à chaque traité, elle payait les
frais de la guerre, en femme de quarante ans.
Lui-même, de fat à fat, raconte à Bassompierre tout ce
qu'il a tiré de la grosse dame. Les vastes terres d'Ancre et de
Lésigny, deux hôtels dans Paris, le bâton de maréchal de
France, la charge d'intendant de la maison de la reine, les
gouvernements d'Amiens, Péronne, etc. Un argent fabu-
leux, cinq cent mille écus à Florence et à Rome, six cent
U8 ÉTATS GÉNBRADX.
mille placés chez un financier, et un million ailleurs. Il
était en mesure d'acheter pour sa vie la souveraineté de
Ferrare. J'oubliais le meilleur, la boutique que tenait la
Léonora, son trafic de places, d'offices, d'ordonnances
même !
La reiiîe lâchant tout, qui se fût fait scrupule de deman-
der, d'exiger et de prendre ? Mais, quoi qu'on tirât d'elle,
on ne lui en savait nul gré. Chacun volait fièrement, et
restait mécontent. Qu^avaient eu les Condé? Rien que cinq
millions. Aussi leur mécontentement était au comble. Et
les Guises? Rien que six millions, sans parler des gouver-
nements, des places, du mariage énorme de Montpensier.
Les princes, Nevers, Venddme et Longueville, les sei-
gneurs, Épernon, Bouillon, n'ayant guère eu chacun qu'un
petit million, voulaient extorquer davantage, grondaient
et menaçaient. Toute la noblesse se faisait pensionner, et
n'en criait pas moins. Cependant le fameux trésor de la
Bastille avait tari. La France tarissait. L'argent d'alors va-
lait, comme métal, trois fois plus qu*aujourd*hui, dix fois
plus comme moyen d'acheter les denrées. Il fallait le tirer
d'un peuple trois fois moins nombreux, iiutant qu*on peut
conjecturer, et peut-être vingt fois plus pauvre.
Ce peuple, si on l'eût protégé, serait encore, à force de
travail, parvenu à payer. Mais, lorsque tous les gensd'épée
pillaient noblement le pays, il était difficile de lever pour
eux en argent ce qu'ils avaient déjà pris ou détruit en den-
rées. Ces pensions qu'ils exigeaient, d'où les eût-on tirées?
De la terre dévastée par eux, des récoltes foulées, mangées
parleurs chevaux?
Malheur aux gens du roi qui se fussent permis de rap-
peler son autorité I Un trésorier de France fut assez fou
pour vouloir empêcher les taxes de guerre que le duc de
Nevers levait en Champagne contre le roi. 11 fut enlevé,
mené chez le duc, condamné à mort par ses juges.
Le duc ne daigna le faire pendre ; il l'habilla en fou,
ÉTATS GÉKÉHAUX. U9
avec le bonnet à grelots et la marotte en main, vous le mit
sur un âne, et le promena partout, pour qu'on vtt bien le
cas qu'il faisait du roi de France.
Ces princes, qui avaient exigé les États, dès qu'ils furent
accordés, n'en voulaient plus. Quand le bailli du roi en
Nivernais hasarda de faire crier la convocation, la duchesse
fit arrêter ses crieurs. Les nobles trouvèrent au-dessous
d'eux d'aller aux élections, et n'y figurèrent que par leurs
valets. En réalité, ces Ëtats ne leur semblaient qu'un trou-
ble-fête, qui pouvait éplucher de trop près la liste des
pensions.
Le Tiers n'élut, n envoya que des juges, avec des avocats
et des officiers de finances. Gens fort capables d'examiner
de près. Quand ils se trouvèrent réunis, tous en robe noire
et en bonnet carré, ils avaient l'air d'un tribunal pour ju-
ger les nobles et la cour.
La passion ne leur manquait pas pour tenter de sévères
réformes. L'hérédité des charges les constituait depuis dix
ans en une sorte de noblesse haïe et insultée de l'autre.
Noblesse, il est vrai, achetée et sortie de l'argent, mais qui,
dans ces familles, était relevée par des habitudes graves,
et encore plus par leur nouvelle indépendance. Ils n'avaient
plus à solliciter les grands à chaque vacance. Ils ne sen-
taient plus trembler la balance dans leurs mains. La justice,
devenue un fief patrimonial, marchait forte devant le fief,
et la robe égalait l'épée.
Ce qui malheureusement leur faisait tort, c'était bien
moins l'achat des charges, bien moins le droit annuel qu'ils
acquittaient pour les perpétuer dans leurs familles, que les
émoluments variables qu'ils liraient de la justice. Payés
pa)r les plaideurs, et sur chaque procès prélevant des êpices,
ce misérable casuel les abaissait, les empêchait de prendre
une grande attitude, ni de fortes racines dans la nation.
Que dis-jeî quoique très- vaniteux, à les prendre en eux-
mêmes et dans le secret de leur cœur, ils n'étaient pas bien
150 ÉTATS GÉNÉltAUI.
fermes. Ces profits variables, trop généralement arbitrat<-
res, contestés des plaideurs, leur abaissaient le coeur. Leit rs
charges étant toute leur fortune, ils s'en croyaient compta-
bles à leur (aniille. tls craignaient fort qu'on n'y touchât.
Ils étaient, avant tout, pères et pi'opriétaîrcs. Le nom le
plus illustre, le vieux Harlay, par feitrfcsse pour les siens,
venait de donner un triste exemple ; il avait vendu (ce qui
jnsque-là ne se faisait pas encore) une charge de premier
président.
Nos évêques, valets ou parents des maltresses, de Gt-
bi iolle, d'Henriette, fils de Zamct et de La VareiMie, etc.,
n'en méprisaient pas moins les ma^nstrats, les appelant
« une espèce mécanique et épkière. » Plusieurs, comme
Sourdis, nommé par GabiMelle arclievèque deBordeaoxet
cardinal, cumulaient l'insolence de la pourpre et de la no-
blesse, piaffaient en matamores, marchaient sur les pieds
à tout le monde. Ce Sourdis alla «n jovr, avec ses estaûers,
briser la porte des prisons de Bordeaux, en tirer des hooi-
nnes qui étaient là sous arrêt du Parlement, sous la main
de la Loi.
Gallot a imnH>rtalisé les nobles gueux de cour, ces capi-
tans râpés, traînant leur inutile épée autour du Louvre,
mendiant une aumône ou flairant un repas aux cuisieies
de monseigneur d'Ancre. Celui-ci leur crachait dessus, et
les appelait faquins à mille francs pièce. C'était le taux
d'un gentilhomme.
Gibiers de recors et d'huissiers, ils n'en étaient pas
moins hardis contre les juges, vaillants à bon marché oontre
les hommes de plume, parfois de main légère et proiDpte
aux voies de fait. Si l'on voulait poursuivre, point de té-
moins. Peu de gens se souciaient de se mettre sur les bras
tous ces ferrailleurs qui se soutenaient entre eux.
À ces insultes accidentelles joignez -en une permanente.
Les nobles de robe étaient soumis à la gabelle du sel. Les
nobles d'épée s'en nK>quaient. Les gabeleux, qui fouillaient
HTATS GÉNÉRAUX. AM
les maisons pour constater le sel acheté illicitement, n'eas-
sent pas osé entrer chez eux. Ils fouillaient chez les jugesu
£ii septembre 1613, la Cour des aides avait eu la hardiesse
d^ordonner qu'on irait partout, et qne tous payeraient, en
proportion du nombre des personnes. Essai audacieux qui
n'allait pas moins qu'à Végalilâ en maûère d*vnp6U, La
chose fut écrite, non fatle, rcsla sur le papier.
Voilà donc deux noblesses qui arrivent, deux armées,
front à front. Toutes deux so caractérisent, lu noblesse par
sa pétulance (au point que le vieux maréchal La Châtre ne
pat la supporter et se retira). Le Tiers marqua par son
humilité; quoiqu'il eût le cœur bien gros, il alla faire com-
pliment aux nobles et au clergé. A l'ouverture, il parla à
genoux.
Ce n'était point du tout le Tiers Ëtat du xvi'' siècle, comme
il avait paru si fièrement à Poissy, mêlé d'esprits divers et
de classes diverses, vrai représentant de la France. En
1614, ce n'était qu'une classe, tous juges et gens de loi. Et
cependant plus de jurisconsultes. Des praticiens, point
d'administrateurs, si du moins Ton en juge par Tinforme
chaos qu'offrent les cahiers des Ëtats. 11 est visible qu'à
juger des procès, ces gens-là ne sont pas devenus de
grands politiques. Cependant il y avait quelques hommes
de talent, le lieutenant civil de Mesmes, éloquent, vif,
hardi; le prévôt des marchands^ Miron, frère du Hiron
célèbre qui changea tant Paris sous Henri IV. Dans les
magistrats de provinces, quelques-uns brillèrent Nommons
par gratitude l'estimable chroniqueur dos États, Flori-
moud Rapine, avocat du roi au présidial de Saint-Pierra.
Nommons surtout et désignons à la reconnaissance du
pays le héros de l'assemblée, Savaron^ président au pré-
sidial de Clermont. Jeune, il avait porté les armes ^ magis-
trat phis tard, émdit, il se bamait à la petite gloire d'éditer
son compatriote, le vieux Sidoine Apollinaire. La grajideur
^e la situation, l'amoiir de la justice et le sentiment d«s
452 iTATS GÉNÉRAUX.
misères du peuple tirèrent de sa poitrine des paroles
inouïes, qui alors purent tomber par terre, mais poar
revenir foudroyantes par Sieyès et par Mirabeau.
Les voleurs avaient peur. Tout en faisant les fiers, au
nom du roi qu'ils avaient dans les mains, ils avaient vu
l'agitation, la fureur de Paris au procès de Ravaillac, et
savaient par où on pouvait les prendre. Celui qui eût eu
le courage de relever la chemise sanglante d'Henri lY l'eût
trouvée chaude encore, à brûler le Louvre.
On ne pouvait faire une réforme, mais bien une révo-
lution. C'était au Tiers État à y regarder et savoir ce qu'il
voulait. Il était tout de magistrats, lié avec le Parlement.
La révolution se fût faite par la voie judiciaire.
Le grand secret n'était pas un secret. Le vieux Harlay,
qui avait tout étouffé quand la régence donnait encore
espoir, était retiré, mais non mort. Le rapporteur de
Ravaillac existait, et ses dépositions, reçues sous le secret de
la cour, n'avaient pas encore été détruites. Elles existaient
dans la cassette, murée à l'angle des rues Saint-Honoré et
des Bons-Enfants, avec la feuille dictée par Ravaillac sur
l'échafaud, entre les tenailles et le plomb fondu, et l'on
pouvait y lire les noms d'Épernon et de la reine.
Le témoin Dujardin Lagarde, assassiné par Ëpernon,
Lagarde vivait pourtant; il était à Paris, et demandait
réparation. Pour réparation, il eut la Bastille.
La dame d'Escoman, ajournée, non vraiment jugée,
était à la Conciergerie, toujours dans la main du Par-
lement, qui, par elle, avait une hypothèque terrible sur
le Louvre. Si, par Lagarde, on mettait Ëpernon à jour,
derrière lui, par la d'Escoman, on allait à la reine. Le
duc en trois jours eût été en Grève, et elle fût partie pour
Florence.
Le jugement d'Ëpernon, qui eût frappé les grands d'une
impuissance constatée, aurait sauvé cent millions d'hom-
mes qui sont morts de misère par la perpétuité du régime
JBTÀTS GÉNÉRAUX* 1b' 3
•quasi féodal, que la monarchie n'a nullement fini» mais
continué par la noblesse jusqu'en 89.
Pour cela, il fallait tenir Paris et savoir s'en servir. 11
fallait que le Tiers État, au lieu de venir avec toutes les
petites jalousies de la province, se jetât de cœur dans la
grande ville, où est la chaude vie de la France, qui n'est
que la France même, incessamment filtrée par un brûlant
organe. Paris n*avait jamais élé tant ligueur qu*on croyait.
Et d'ailleurs il ne l'était plus. Au contraire, il saluait de
ses vœux la guerre d'Henri IV, qu'il croyait une « guerre
contre le pape. » Paris protégea Charenton.
La cour étourdiment avait assigné au Tiers de siéger
à l'Hôtel de Ville. Il y aurait trôné et serait devenu un
centre. Par sotte jalousie de Paris, il aima mieux être
rayon, un rayon pâle dans la gloire de la noblesse et du
clergé. Il alla se loger sous les pieds de ses ennemis.
Tandis que les deux ordres privilégiés siégeaient pompeu-
sement dans les salles hautes et décorées du couvent des
Grands-Âugustins, le pauvre Tiers vint se cacher au
réfectoire humide des moines, dans un rez-de-chaussée
sale et noir, oii personne n'allait le chercher. Paris n'eût
su où le trouver.
Ils se laissèrent donner pour président un homme mixte,
ni chair, ni poisson, le prévôt Miron, que la cour appuyait
comme propre à donner des paroles, en éludant les actes.
On put le juger dès l'entrée. Quand ce malheureux tréso-
rier, pîlorié, promené sur un âne par le duc de Nevers,
apporta sa requête, Taffaire ne fut pas mise en délibéra-
tion, sous ce prétexte étrange que l* heure était sonnée
(d'aller dtner). L'homme, il est vrai, s'était présenté seul,
les autres trésoriers n'ayant osé le soutenir, t l'ayant
désavoué de Vinjure qu'il avait faite au duc, » en faisant
son devoir, et suivant les ordres du roi I
Je ne vois pas non plus dans le gros livre de Rapine que
le président ait saisi rassemblée de la réclamation de
154 tTATS GÉNÉRAUX.
Lagarde. Pas un mot d'une affaire si grave que Lagarte
Jui-mômc dit avoir présentée aux Etats.
Ce livre de Rapine est bien étrange, quelquefois hu-di
dans la forme, mais très-timide an fond. Les choses capi-
tales sont cachées dans des parenthèses. On apprend en
passant, et par occasion, en une ligne^ « que tous les
•cahiers des députés deroandoient la suppression des pas-
sions. » C'était la guerre à la noblesse que le Tiers appor-
tait. Rien n'indique qu'il ait suivi ce mandat des provinces.
II procéda obliquement, demandant l"" svrséanoe, pen-
dant la duréo des États, aux levées d'argent extraordi-
naires; 2° suppression des trésoriers qui payaient les
pensions. La reine se récria sur ce dernier aitide, disant
que les offices des trésoriers étaient à elle, un don qu'elle
avait reçu du feu roi. Le Tiers État, non moins galant,
maintint ces trésoriers des pensions. Cela devait faire
croire qu'il respecterait les pensions elles-mêmes.
Cependant ce seul mot de pensions avait fuit frémir k
noblesse. Ce même jour, 13 novembre, un homme à eUe,
un député du sauvage Forest, sans consulter ses collègues
de même province, vint, commode sa tôte, avec les sem-
blants de sa liberté montagnarde, proposer d'abolir ie
droit annuel qui assurait aux magistrats l'hérédité des
charges.
Guerre pour guerre. Si le Tiers touchait aux pensions
des nobles, les nobles leur jetaient cette pierre, les meaa-
caiont dans leurs fortunes.
Mais tout cela était trop lent. Le duc d'Épernon, qui
sans doute craignait que, dans cette dispute entre les
ordres, l'aigreur ne donnât du courage, «t qu'on ne ralt
sur le tapis l'affaire de Lagarde et de Ravaillac pour 1'
Yoyer au Parlement, d'Épernon résolut de frapper
coup de terreur sur celui-ci, qui effrayât le Tiers, bridât
les langues sur ce sujet sacré. ProbaUemeot il était averti
de ce qu'on voulait faire par l'espion et le traître qu'on
ÉTATS GÉîîÉnACX. 455
avait mis pour successeur de Harlay, le président Verdun,
ràinc damnée de la reine, de d*Épernon et des Jésuites.
Le coup fut monté ainsi. Un soidat du duc défia un
homme et le tua, fut emprisonné par le bailli de Saint-
Germain. DÉpemon, comme colonel général de Tinfan-
lerîe, réclame le prisonnier, prend des garnies au Louvre,
et force la prison (1 4 décembre).
Lo 45, la noblesse, exaltée, enhardie par Toutrage foit
aux lois et aux magistrats, déclare au Tiers qu'elle deman-
dera au roi qu'il ne lève point le droit annuel, c'est-à-
dire ne garantisse pins Thèrèditè des charges achetées. Ces
charges, non garanties, tombaient dès lors au dixièmo de
leur valeur. Les magistrats, qui y avaient mis tout leur
patrimoine, étaient ruinés.
Cette menace, apportée au Tiers, eut un eflTet inattendu.
On vît alors une chose qu'on ne voit guère qu'en France,
où les hommes, mis en demeure, s'élèvent parfois tout à
coup au-dessus d'eux-mêmes. Un noble éclair passa sur
l'assemblée. Ces magistrats accueillirent avec enthou-
siasme la proposition qui les ruinait. Plusieurs s'écrièrent
qu'il fallait abolir cette honteuse vénalité des charges, fer-
mer la porte aux richesses ignorantes, et ne l'ouvrir qu'à
la vertu.
La proposition fut formulée par le lieutenant général
du bailliage de Saintes, président du gouvernement de
Guyenne. Cette province si misérable, rasée, exterminée
par l'atrocité des impôts, et qui n'avait plus que des
larmes, avait ému son cœur, et elle lui inspira de grandes
paroles, dignes de la Nuit du 4 août.
Ce magistrat demande trois choses : 1* qu'on ne paye
plus le droit qui garantissait l'hérédité des charges; 2"* que
la taille soit réduite à celle d'Henri III ; S** que le roi, s'il se
trouve trop appauvri par les demandes, sursoie au paye-
ment des pensions.
L'enthousiasme alla montant. Et la majorité adopta le
456 ÉTATS GÉNÉRAUX.
sacrifice complet, proposé par M. de Mesmes, YabolUion
expresse de la vénalité des charges.
Deux députés, au moment mémo, s'échappèrent et
coururent aux chambres du clergé et de la noblesse, qui«
surpris de cette vigueur, essayèrent de gagner du temps,
admirant, exaltant un si beau sacrifice, mais demandant
qu'on Vajoumdt avec l'affaire des pensiojis, qu'on n'occu-
pât le roi que de l'affaire du sel et de la suspension du
droit annuel. On ne fut pas. pris à ce piège, et on leur
envoya l'homme le plus ferme de l'assemblée, Savaron,
président de Clcrmont, qui leur dit : « Laissons là le droit
annuel ; allons à la racine du mal. La noblesse dit que la
vénalité lui ferme l'entrée aux charges... Que la vénalité
périsse I
a Les pensions en sont à ce point que le peuple, déses*
péré, pourra bien faire comme ses aïeux les Francs, qui
brisèrent le joug des Romains. . . Dieu veuille que je sois
faux prophète!... Mais, enfin, c'est ce brisement qui a
fondé la monarchie... »
Ceci à l'adresse des nobles. Et l'hypocrisie du cierge, sa
secrète entente avec la noblesse, il la nota d'un mot :
a Tous vos discours sucrés ne réussiront pas à nous faire
avaler la chose... Vous craignez pour le roi s'il perd un
million et demi que lui rapporte le droit des magistrats.
Et vous ne craignez pas de lui laisser la charge des pen-
sions, qui est de cinq millions I »
Et au roi : « Sire, soyez le roi très-chrétien. , . Ce ne
sont pas des insectes, des vermisseaux, qui réclament votre
justice et votre miséricorde. C'est votre pauvre peuple, ce
sont des créatures raisonnables ; ce sont les enfants dont
vous êtes le père et le tuteur... Prêtez-leur votre main
pour les relever de l'oppression I... Que diriez-vous, Sire,
si vous aviez vu en Guyenne et en Auvergne les hommes
paître l'herbe à la manière des bétes?... Cela est tel-
lement véritable, que je confisque à Votre Majesté mon .
ÉTATS GÉNÉRAUX. 157
bien et mes offices, si je suis convaincu de mensonge! »
Cette voix, sortie du cœur du peuple, donnait courage
au Parlement. Dès le premier discours, qui fut du 45, il
avait procédé contre le duc d'Épernon. Celui-ci joua le
tout fK)ur le tout. Le 49, le Parlement, à sa sortie, trouva
le duc avec ses bandes qui remplissaient la Grand'Salie et
la longue galerie des Merciers, fort obscure en cette sai-
son. Ces bravi, qui, sans nul scrupule, eussent fait un
carnage de toute la Justice de France, commencèrent par
des cris, des risées, des menaces. Puis ils passèrent aux
gestes, et Ton ne sait si réellement il y eut des coups. Ce
qui est sûr, c'est qu'ils ruaient des éperons à travers les
robes, les accrochaient et les tiraient pour faire tomber les
magistrats. Ceux-ci retournèrent sur leurs pas, s'enfer-
mèrent dans leurs salles. Le duc resta maître du champ de
bataille. La Justice, créée pour donner la chasse aux bri-
gands, fut chassée par eux cette fois ; les voleurs enfer-
mèrent leurs juges.
Que fit le Parlement le lendemain? Rien du tout. Et
rien encore pendant cinq jours. Ce corps certainement
était neutralisé par la trahison de son président.
La noblesse ne douta pas que le Tiers ne fût effrayé do
l'aventure du Parlement. Le 20, par le clergé et directe-
ment par un de ses membres, elle demanda, exigea que
Savaron lui fit excuse. A quoi il répondit fièrement : c J'ai
porté les armes cinq ans, et j'ai moyen de répondre à tout
le monde en l'une et l'autre profession. •
Mais les nobles n'eussent daigné croiser l'épée avec un
homme de robe longue. Un d'eux, Clermont d'Entragucs,
dit que Savaron devait être fouetté par les pages, berné
par les laquais.
Le clergé, au nom de la paix, voulait que le Tiers ava-
lât ceci, et fit excuse à la noblesse de l'injure qu'il n'avait
pas faite. De Mesmes fut envoyé effectivement aux nobles,
mais ce fut pour poser la question sur un terrain plus
458 ÉTATS GKNKRAIX.
haut : « Les trois ordres sont trois frères, eafaats de la
France. Au clergé, la bénédiction de Jacob et le droit
d* aînesse. À la noblesse, les Qefs et dignités. Au Tiers Était
la justice. Le Tiers, dernier des frères, reconnaît son aine
au-dessus de lui. Mais la noblesse doit voir un frère en
lui. Elle donne la paix à la France, nous aux particuliers...
a Au reste^ n'a-t-on pas vu souvent dans les familles que
les aines ravalaient les maisons, que les cadets les rele-
vaient? »
Ce fut un coup do poignard pour la noblesse. Pour la
première fois, Tég^ilité timide avait réclamé ce nom de
frères, de cadets, de frères inférieurs, mais déjà en rap-
pelant que les aines pouvaient déchoir, les cadets sauver la
famille...
a Des fils de savetiers nous appeler frères ! » Ce fut le
cri des nobles. Ils crièrent en tumulte jusqu'à neuf heures
du soir. Et alors, quoiqu'il fut si tard, ils allèrent deoiaa-
der vengeance au roi. Ils trouvèrent porte close, les ponts
kvés, le roi couché.
Ce ménr&e jour 24 décembre, le Faiblement, enfm ré-
veillé, sétoit souvenu de Tinjure du 49, et s'était mis n
procéder. Le Tiers déclara, le 27, que de Mesmes avait
bien parlé, et qu'on l'avouait de tout.
Au point où étaient les choses, Condé avait la partie
belle. Cette popularité qu'il cherchait jusque-là par de
mauvais moyens, il pouvait la gagner par le salut de la
France. S'il eût été le 27 aux États et au Parlement, il eût
entraîné tout. Il n'osa, et resta chez lui.
La reine ne perdit plus de temps pour faire jouer la
grande machine, le roi, — pour comprimer par lui le
Tiers, le Parlement, sauver d'Épernon, relever la noblesse.
Jour mémorable. Le roi fut posé, ce jour-là, roi des
nobles contre le peuple.
C'est le sens de tout ce qui suit pour deux cents ans»
Nous attendons 89.
il AÏS 6ÉNËRAUX. \'ô^
Le 38, ce petit garçon de treize ans et demi, en son Lou-
vre, répétant sa leçon apprise, ordonne au Tiers État de
faire excuse à la noblesse.
Et il ordonne au Parlement de cesser les poursuites contre
son cousin le due d'Épemon.
Le prînee de Condé, làcbeœent, fit semblant de croire
que le Tie» avait l'intention de s'excuser et lui conseilla de
le faire.
Le Parlement, battu, bloqué chez lui par d'Épernon, ne
fut pas quitte pour cela. Il lui fallut endurer sa présence.
Cet homme, qui portail le meurtre au front et Je sang
d'Henri IV, au lieu de figurer sur la sellette, comme il
devait, vint trôner comme duc et pair. Ceux qu'il avait
bafoués et outragés le soir, il les brava de jour. Il n'excusa,
n'expliqua, ne regretta rien. La tète haute, en quelques
mots brefs, il assura la cour de sa protection.
Le Tiers fut traité de oiéme. Le petit roi ne daigna lire
ses trois propositions et les renvoya à ses gens. Il n'avait
qu'uft im^t, et sa mère an mot : a Faites au plus tôt votre
cahier. » C'est-à-dire : Partez au plus vite.
On avait été jusqu'à écrire d'avance les excuses que
devait faire le Tiers. Celui-ci, exaspéré, n'en tint compte,
dit qu'il ne s'expliquerait pas devant la noblesse, mais de-
vant le roi. Il prit même un rôle agressif. Il menaça d'écnre
aux provinces si on ne donnait prompte réponse à ses pro-
positions. Enfin, il demanda qu'on lui communiquât l'état
des finances.
Cette demande, si simple et si prévue, jeta un trouble
extrême à ia cour et aux chambres du clergé et de la no-
blesse. On put juger alors de la parfaite entente, de l'union
de tous les voleurs. Le clergé envoya au Tiers JËtat le dou-
cereux évoque de Bclley, Camus, l'auteur fadasse de tant
de plats romans de bergeries dévotes, mêlés de VAstrée
de d'UrCé et de la Philothée mignarde de saint François de
Saies, a Les finavees, dit-il, sont rArche sainte de l'an-
160 ÉTATS GtoÉRADX.
cienne Loi... Gardons-nous d'y toucher... » — A. quoi un
membre du Tiers dit vivement : « Mais nous sommes sous
la Loi nouvelle, qui veut le jour et la lumière, b
Le ministre Jeannin, très-fidèle à Tancienne Loi, voulut
bien apporter cette Arche, mais non l'ouvrir. On commu-
niqua quelques chilTres incomplets, inexacts et faux. Et
encore on défendit de les copier. Le Tiers enfin fut obligé
de dire qu'une telle communication lui était superflue,
qu il n*en prendrait pas connaissance.
Jeannin, pour rester au pouvoir, avait pris la tâche hon-
teuse de mentir pour la cour et de couvrir ses vols. 11 dit
effrontément que le trésor des quarante millions de la
Bastille n'était que de cinq ; il supposa que la dépense
avait augmenté de neuf millions, et la recette diminué de
huit ! Chiffre impossible et ridicule ; car, alors, on n'eût
pas vécu. Enfin, pour embrouiller complètement, et dé*
router tout examen, à l'article des levées d'argent, il ad-
ditionne péle-méle la recette avec la dépense I
Malgré les défenses expresses, le Tiers copia ce chaos,
et renvoya dans les provinces.
Cependant on cherchait, on trouvait contre lui, on lui
jetait aux jambes des barres pour l'arrêter et des pierres
pour le faire tomber.
Les magistrats qui composaient le Tiers sortaient en
grande partie de familles de finances. La noblesse crut les
embarrasser en proposant une chambre de justice qui
examinerait et poursuivrait les financiers (5 décembre).
Les nobles, débiteurs de ceux-ci, se fussent, acquittés
à bon compte, en les payant d'une corde. Le Tiers se
montra ferme encore; malgré ses rapports de famille,
il dcclnra trouver très -bon qu'on recherchât les finan-
ciers.
La seconde pierre qu'on lui jeta fut une réforme de la
Justice, dont on le menaça, et la troisième (lancée par le
clergé), une réduction des conseillers d'Ëtat. Le Tiers, en
BTÀTS GiNÉRAUX: 164
vrai Romain, vota ceHe réduction, qui fermait aux ma-
gistrats leur plus belle perpective.
La seule vengeance qu'il prit, ce fut d'écrire en tète de
son cahier, comme premier article et loi fondamentale^ la
défense du roi contre le clergé, la condamnation des doc-
trines qui avaient armé Ravaillac, l'indépendance du pou-
voir civil, l'injonction à tous ceux qui auraient des offices
ou des bénéfices de signer cette doctrine, eùûn la proscrip-
tion des souteneurs de l'autorité étrangère.
Les historiens, qui ne voient là qu'une bassesse, une
flatterie, n'ont aucun sentiment de la situation ni du mo«
ment. Le sang du roi fumait encore.
Ces souteneurs du pape, qui étaient-ils? Les bons amis
de Ravaillac, ceux qui l'avaient poussé, regardé faire, et
qui profitaient de son crime. Qui? D'Épernon et Concini, *
les Jésuites, les mauvais Français, nos Espagnols de France
et les excréments de la Ligue.
L'article les marquait tous. On ne pouvait pas encore les
mettre en Grève ; on les piloriait dans la Loi.
Quand Samson mit le feu à la queue des trois cents re*
nards, qui s'en allèrent criant, brûlant les blés des Philis-
tins, ces animaux ne firent pas phis de bruit que les 'dé-
fenseurs des Jésuites et les prélats ultramontains.
Ils vinrent, l'un après l'autre, déclamer, pleurer et crier
au sein du Tigrssur le malheureux sort de la Religion. Ils
y jetèrent l'incident pathétique des catholiques cruelle-
ment persécutés, disaient-ils, en Béarn par les huguenots.
Le président Miron, prenant rôle dans la comédie, appuya
cette lamentation de ses sanglots et de ses larmes.
Le Tiers n'en fut pas dupe. Peu favorable aux protes-
tants, il tint ferme contre les Jésuites. Contre la cour,
c'était la même chose. On put le voir à la peur de celle-ci^
. qui se fit tout à coup bienveillante pour les magistrats, leur
fit dire que les charges- non-seulement passeraient aux
fils, mais aux héritiers quelconques et aux veuves.
XX. il
46â ÉTATS QÎKiRAUX.
Ce miel intempestif, donné si lâchement et par peur^
n'adoucit rien. Les magistrats en sentirent mieux leur
force, et le Parlement, adoptant Tarticle, en fit un arrêt,
et lui donna la force judiciaire (34 décembre).
Il ne restait qu'à mettre les noms dans cet arrêt pour
en faire la condamnation des grands coupables qui bra-
vaient la Justice.
Leur arme, leur ressource suprême, cossue dans la
première dispute, ce fut encore le roi. Avec le petit man-
nequin, ils pouvaient assommer la raison et la loi. Cette
fois encore le Tiers, le Parlement, furent accablés par le
roi même, qui évoqua Tarticle à lui, et leur interdit de
défendre sa royauté, sa vie ! prenant parti pour ceux qui
tuaient les rois, pour les assassins de son père !
C'étaient eux justement qui le liaient; il n'était pas
libre. La complicité de la cour et de la reine même dans
la mort d'Henri iV enhardissait tellement le parti jésuite,
que le cardinal Du Perron, son organe, dit au roi en per-
sonne que, s'il ne cassait l'arrêt du Parlement, le clergé
en concile excommunieraU ceux qui refusent au pape le
droit de déposer les rois.
Cent vingt membres du Tiers protestèrent pour que
Tarticle restât écrit au cahier, malgré l'ordre du roi. Ils
protestèrent de vive voix, mais tous ne signèrent pas la
protestation. Ce. qui permit au président M^ron-dc nier la
majorité. £n vain Savaron monta sur un banc. Un étouffa
sa voix. Le président cria que le roi le voulait ainsi, et
Tavait dit luinnéme) de sa bouche et sans interprète. On
prit un moyen terme. On effaça sans effacer, en écrivant
l'article pour dire qu'on ne Tarirait pas.
Tout le débat finit sur ce premier article, qui fut en
même temps le dernier. La comédie honteuse finit oomme
ces ariequinades où le Deus tx mechind qui fait le déooù-.
ment est tout simplement le bâton.
Un sieur de Bonneval, membre de la noblesse, sans
ÉTATS GÉNÉRAUX. 463
cause Ai préterxte» bMoime nu magistrat du Tiers. Et,
d'autre pmt, Gondé, furieux contre la reine, qui lui fait
intimer de ne point faire Visite au Tiers, fait b&tonner par
m des siensun gentilhomme deia reine. De là, entre la
reine et hii, une basse et grossière dispute, a Je n'ai pas
peur de vous, disait Condé. Que me fere2-vous ?» te toi
le9 sépara. La reine avait mande pour la défendre toutes
les bande? de M. de-Gmse.
Ceiidé alla apo Parlement, et dft fkîidement qu'il avouait
son (rentilhomme d'avoir assommé l'homme de la reine,
cfoece n'était que représailles. « MM. de Guise, dit-iI,
ont bien assassiné de Luz. Et le maréchal d'Ancre a bien
fait assas»ner Rubempré. M. d^pernon a bien... » Condé
acheva- t^i? dit^il que d'Kpemon avait assassiné Lagarde,
le dénonciateur de Ravaillac? Nous savons seulement
qu'il nomma d'Ëpemon. Cela suffit : la reine, tout à. coup
sovple cemme un gant, fît tout ce que voulait Condé. Il
eut poar son homme des lettres d'abolition, et l'homme
de la reine garda ses coups de bâton. Le Tiers, plus ferme,
fit condamner, au moins par contumace, le député de la
noiiea^e qni avait bâtonné an de ses membres, et il fut
exécQté en effigie.
Voilà un pas de fait, Concini, Guise et d'Épernon ont
été nommés assassins. Le peuple ajoutait d'Henri IV.
Que serait-il arrivé si le Parlement n'avait fait la sourde
oreîHe? S'il eût relevé la chose", il eût eu Paris pour auxi-
liaire, et son glaive innocent, dont riaient les bandits,
aaraît en le fil et la pointe. La cour^ devant un tel procès,
eût été trop heureuse de recevoir les conditions du Tiers.
Une politique nouvelle eût commencé, antieléricale,
antîespagnole. Le cahier du Tiers l'indiquait.
Le président y avait glissé une demande des mariages
d^Espagne. On effaça le mot Espagne.
Le cffbîer contcnait'une révolution contre le clergé. Il
demandait :
164 ÉTATS GÉNÉRAUX.
4"" Qu'il y eût une justice sérieuse pour les prêtres,
qu*ils fussent jugés, n^^n par les leurs, intéressés à les
blanchir toujours, mais par les juges laïques ;
^ Que la justice d*Église fût gratuite, qu'elle parlât
français, qu'elle n'arrétftt personne sans l'intervention de
la justice laïque ;
3"* Que le curé ne fit plus payer pour les baptêmes, ma-
riages et sépultures, et qu'il en remit les registres au greffe;
4"" Que les villes reprissent l'administration des hôpi-
taux, et que leurs administrateurs reçussent les aumônes
dues par les évéchés et couvents ; que tout ecclésiastique
qui aurait plus de six cents livres par an en payât un
«quart pour les pauvres; que chaque monastère nourrit un
^dat invalide ; les autres invalides nourris aux Hôtels-
Dieu, partie aux frais des hôpitaux et partie aux frais du
dergé ;
5° Que le clergé n'acquit plus d'immeubles (sauf un
«as), et ne reprit point par rachats forcés ses anciens im-
meubles aliénés qui avaient passé de main en main.
Ces actes terribles qui perçaient le cœur du clergé lui
iirent craindre extrêmement que le Parlement ne lançât le
grand procès qui eût donné la force au Tiers. Il se serra
tremblant sous la cour et sous la noblesse. Les trois puis-
sances furent d'accord pour mettre le Tiers à la porte,
iinir brusquement les États. Le roi exigea le cahier et
fit la clôture le 23 février. Et quand, le lendemain,
le Tiers crut pouvoir revenir pour achever les affaires,
oomme il l'avait demandé, il trouva porte close, et déjà
les bancs enlevés, les tapisseries détachées. Le chroniqueur
Rapine, ^ans sa douleur naïve, s'écrie qu'en effet les
voleurs avaient sujet de craindre « une assemblée nou-
velle, où peut-être Dieu et notre mère, notre douce Pa-
trie, rinnocence de notre roi, auroient suscité quelqu'un
pour nous tirer de ce sommeil qui nous assoupit qua-
lr<3 mois.
iTATS GiNifUUX. 465
« Et que deviendrons -nous? Nous venons tous les
jours battre le pavé de ce clottre, pour savoir ce qu'on
veut faire de nous.' L'un plaint l'État, l'autre s'en prend
au chancelier. Tel frappe sa poitrine, accuse sa lâcheté ;
un autre abhorre Paris, et désire revoir sa maison, sa
famille, oublier la liberté mourante...
c Et pourtant, après tout, dit-il en se relevant avec
force, sommes-nous autres que ceux qui entrèrent hier à
la salle des Augustins? »
Ce mot a attendu deux cents ans sa réponse, c Nous
sommes, a dit Sieyès, ce que nous étions hier. » — « Et
nous jurons de l'être. » C'est le serment du Jeu de
Paume.
CHAPITRE XV
Prison de Coniié. — Mort de Cancini. MI5-I617.
Plus d'assemblées pendant deux siècles. Mais celles du
clergé continueront, poursuivant un but fixe, la proscrip^
tion progressive des protestants^ dont il fait au roi l'expresse
condition de ses secours d'argent, et V extermination des
libres penseurs y sous le nom d'athées.
Le Tiers restait cependant à Paris, et il fut tout un mois,
du 24 février au 24 mars. Tout dissous qu il était, sa pré-
sence eût donné une grande force au Parlement. Il semble
que l'un et l'autre se soient attendus. Ils ne firent rien
du tout. Et ce fut seulement le 28, lorsque le Tiers était
parti, que le Parlement prit la parole, et par arrêt invita
les princes et les pairs à venir siéger. Arrêt opposé du
Conseil. Le Parlement tient bon, et, le 22 mai, vient lire
ses remontrances au Louvre.' C'étaient celles des États,
sur la ruine des finances. Mais, de plus, le Parlement,
entrant dans la politique même, priait le roi de revenir aux
alliances de son père^ donc, de ne point s'allier à l'Espagne.
Il censurait Taudace insolente du clergé et des amis du
pape. Il demandait qu'on fit rendre gorge « à des gens
sans mérite qui avaient reçu des dons immenses, b et
qu'on no confiât plus les grandes charges aux étrangers,
qu'on ne peuplât plus le royaume de moines italiens,
MORT DS CONaNI. .4Q7
'eapagQûIs, qu'oa fit recherche dos juifs, m«giei6n$ et
empoisonneurs, qui, dejMiis peu d'anuées, se coulaient aux
maisons des grands. C'était désigner Concixii et sa femme,
qui s*entouraient de cas gens. £t, si cette désignation
semblait obscure, le Parlement aurait nommé.
JLes ministres furent atterrés ; mais Gui^e at d'£pernon
offirirent leur épée à la reine. Il e4t £illu, pour soutenir le
Paiement, que Condé fût ici, mais il était parti avec les
princes, aimant mieux faire la guerre de loin. Il s'adressa
h la fois au pape et aux huguenots, et, en réponse aux
prières de la reine, qui l'invitait à aller avec le roi au-
devant de l'infante, îl lança un manifeste où il nommait
CSoncini, comme capital auteur des maux publics.
Oa n*a pas répondu au Tiers, dit-il. On a fait rayer de
ses cahiers l'article qui défendait la vie des rois, raf/er
celui qui demandaU la recherche du parricide commis sur
le feu roi. On a voulu tuer Condé et les princes. On pré-
cipite les mariages d'Espagne, ce qui fait croire aux
huguenots qu'on veut les exterminier. Le clergé, malgré
le roi, a juré le concile de Trente (la royauté du pape).
Le roi est prié de ne pas partir sans répondre aux États et
aans chasser les Italiens.
Conoini, mort de peUrj aurait voulu cédar^ D'&pemon
ne le permit pas ; il fit entendre à la reine qu'il fallait
faire sur l'heure le mariage d'£spagne, et s'assurer par là
du secour» de l'étranger. Du moment qu'on tenait le roi,
on tenait tout. En le mariant, on le précipitait vers l'Es-
pagne et vers Rome, et l'on tranchait tout Tavanir.
Les princes, trpp faibles, n'empdchàrent non. Condé,
tout à la fois ami des jésuites et des huguenots, n'eut
aucune force populaire. L'assistance que ses derniers lui
prêtèrent ne 'fit que les oompromaltra. La reine, malgré
tout, mena le roi à la frontière.
L'infante Anne d'Autriche entra en/rance pour épouser
l^nis XIII; BUsabetb de France passa en Espagne pour
468 PRISON DE CONDÉ.
épouâer Philippe IV (9 novembre 1615). Dès lors, la reine
avait vaincu. Condé négocia, s'arrangea pour un million
et demi, et la position de chef du conseil. 11 traita pour
lui seul, sans dire un mot des autres.
Le peuple, qui avait cru que son retour entraînait le
départ du favori, et qui le vit plus puissant que jamais
créer un Jiouveau ministère, entra en grande fureur. Elle
éclata. Concini avait fait bàtonner par deux valets un cer-
tain cordonnier nommé Picard, qui, sergent de la garde
bourgeoise, [avait refusé^ de le laisser entrer à la porte
Bucy sans passe-port.' La foule saisit les deux va]ets et les
pendit à la porte du cordonnier. Picard devint le héros
du peuple.
Condé, rentrant, fut reçu en triomphe (juillet 4646).
Il n'y fut pas longtemps sans dire à son nouvel ami, Con-
cini, qu'il ne pouvaitle protéger contre la haine universelle.
Lui parti, Condé restait mattre, et il ne manquait pas de
gens autour de lui pour lui dire que, Louis XIII étant
bâtard adultérin, il était le seul héritier légitime du trône.
Il semblait avoir tout pour lui, la noblesse, Paris, le
Parlement. 11 se trouva pourtant quelqu'un au Louvre
(était-ce le nouveau ministre Barbin, ou la créature de
Barbin, le jeune Richelieu ?) qui osa croire qu'ayant le
roi, on pouvait braver tout, même arrêter Condé. Cela
s'exécuta, sans coup férir. Le faux lion, pris comme un
agneau, descendit à cette bassesse d'offrir de dénoncer
les siens (4 «'sept. 4646).
Paris remua peu. Seulement la populace pilla l'hôtel
de Concini ; mais, quand on vit le roi, la reine, aller au
Parlement, avec les amis mêmes de Condé, quand on sut
qu'il voulait s'emparer du trône, on rentra dans l'indiffé-
rence. Le jeune Richelieu, l'auteur probable de ce con-
seil hardi, quoique évêque, eut un ministère. .
Une nouvelle pri$e d'armes des princes menaçait Con-
cini. Et l'on parlait de plus d'une étrange ligue oii
MORT DE CONaNI. 169
Sully, Lesdiguières, se seraient armés avec d'Épernon .
Le Louvre était-il sûr? Avant même l'arrestation de
Gondé, Goncini et la reine avaient cru entrevoir que Tenfant'
roi leur échappait. Il était triste et sombre. La reine, deux
ou trois fois, lui offrit de lui remettre le pouvoir. Timide
au dernier point, il la pria dé le garder.
Le changement du roi tenait à l'action secrète d'un cer-
taîD Luynes qu'on avait mis auprès de lui pour la volerie
des faucons. Il avait des goûts fort sauvages, de combats
d'animaux, d'escrime et de chasse, de petits métiers mé-
caniques. Nulle attention aux femmes, si bien que, trois
ans durant, ayant à côté de lui sa petite reine, fort jolie
alors, il ne songea pas seulement qu'il fût marié. Ce soli*
taire n'avait besoin que d'un camarade.
Luynes était Provençal, d'origine allemande, d'humeur
douce, de parole aimable. Son grand-oncle était un Albert,
joueur de luth allemand, musicien de François V', dont
il obtint pour son frère, qui était prêtre, un canonicat de
Marseille. Le chanoine eut deux b&tards; l'un fut un très-
bon médecin , attaché à la mère d'Henri IV, et qui lui
prêta dans ses malheurs tout ce qu'il avait , douze mille
écus. L'autre suivit les armes, fut archer du roi , et se
battit devant Charles IX et toute la cour en champ clos k
Vincennes ; il tua son adversaire. Montmorency se l'atta-
cha, et le fit gouverneur de Beaucaire.
Ce gouverneur, en considération des douze mille écus
qu'Henri IV ne rendit jamais, obtînt de faire entrer son
fils comme page d'écurie chez le roi. L'enfant, qui est
notre Luynes, était si joli, qu'on le fit page de la chambre.
Il arrivait sous d'excellents auspices, avec cette charmante
figure et la réputation d'une famille admirable en fidélité.
Luynes et ses frères, fort agréables aussi, n'imitèrent
point la cour, qui ne voyait que le présent, suivait Con-
dni, oubliait le roi. Us visèrent à l'avenir, et ils s'atta-
chèrent à l'enfant. Luynes se tint si bas, si doux , parat
179 PBiaoïi j>i coMDi.
si médiocre, que la reine nen prit aucuoe défiance.
Ce ne fui qu'au v^age de BayMne qu'on vit 4K)mbiea
il tenait le roi, Celuiwû, qui ne parlait ««ère, né oom-
mandait jamais, dit qu'il voulait que ce ^ Luyoes qui
allftt oomplknenter riniante. Haute inîwou pour un
homme qui n'avait près du Iroi d'autre oharge « que de
lui siffler la linotte. » Coacini fut jaloux. Trop tard.
Luynes, qui se sentit en péril, acheta la capitainerie du
Louvre, afin de demeurer jour et nuit près du roi.
.11 y avait dans le Louvre un autre ennemi de GoBoini,
un ^omme qui n'avait jamais voulu le saluer, le jewie
Vitry, capitaine des gardes. Vitry le père , fort ami de
Sully, fut le seul, au jour de la mort du roi , qui n'adora
pas le soleil levant. Quand il mourut lui-mâme et que son
fils eut sa charge, Concini dit : t Per Dio / • il ne me piatt
guère que ce Vitry soit maître du Louvre. Cet homme-là
peut faire un mauvais coup I »
Le jeune roi, par Luynes ou Vitry, dut savoir de bonne
heure les tristes mystères de la mort de son père. 8i la
reine avait laissé tuer son mari , elle pouvait fort bien
encore, obsédée des mêmes gens, les laisser détrôner son
fils. Il était fort jalouK de son frère Monsieur, bien plus
aimable, né dans une heure plus galCj Ji la première
aurore de Concini, et qui avait toutes les grâces féminines
d'un jeune Italien. Ce frère,. aimé de la mère et de tous,
avait le mérite, d'ailleurs, d'être fort jeune, et, s'il eût été
-roi, une seconde régence eût oominencé. Tout cela n'était
pas absurde. Et , quand on voyait , dans la chambre la
plus voisine de la reine, à peine séparée par un mur, sa
sorcière Léonora entourée de médecine juifs , de magi-
ciens, troublée de plus en plus, et comme agitée des furies,
n'y avait-il rien à craindre? Le roi ayant été malade jaste
au moment où il avait sa petite femme, on le crut, il se
erut lui-même peut-être ensorcelé. 11 commençait à se doe
eomme Henri IV : « Ces gens ont besoin de ma mort. »
MOBT BK GOXGINI. 174
Luyoes^ qui avait trente ans, avec ses frères, heiuines
d'épée, n'était pas seulement un camarade complaisait
pour cet enfant seul et iaquiet ; c'était comme un garde
du corps qui le rassurait. Mais Luynes même était fort
timide, dit Richelieu. Il pensa que le roi, si jeune, ne le
défendrait pas, et il voulait traiter. Il fit demander à Con-
ciai de lui donner une de ses nièoes en mariage. Concini
l'aurait accordée, pour se remettre bien avec le roi et pour
en obtenir , à son prochain veuvage , une fille naturelle
d'Henri IV. Il agissait d^à comme si sa femme Léonora
était morte. Elle n'était pas si folJe qu'elle ne devin&t tout
cela. Elle y. mit son veto et empéoba tout rapprochement
avec Luynes*
Celui-ci, rebuté, visa moins haut; il s'adressa aux mi-
nistres de Concini. Il demanda la nièce de Tun d'eux pour
son frère, et Richelieu conseillait fort ce mariage. Mais on
refusa encore. Et Luynes, ayant tout épuisé, et bien sûr
qu'on voulait le perdre, agit pour perdre Concini.
La reine avait fait une chose ou coupable ou bien im-
prudente. Elle avait envoyé les gardes du roi à l'armée, et
lui avait donné ses propres gardes^ Luynes montra au roi
qu'il se trouvait prisonnier de sa mère.
Mais que faire? l'enfant royal n'avait personne à lui.
Deux gentilshommes d'assez mauvais renom, qui soi-
gnaient ses oiseaux, un commis, un soldat, un jardinier,
ajoutez-y Travail ou le Père Hilaire, le huguenot capucin
(V. plus haut), voilà les conjurés illustres avec qui le roi
de France conspira pour sa liberté. Il n'y avait pas, dans
tout cela, un homme d'exécution. Le jeune Montpouillan,
camarade du roi, disait qu'il poignarderait bien Concini,
mais dans le cabinet du roi. C'était mettre celui-ci en
péril. On s'adressa à Vitry, capitaine des gardes, pour
l'arrèur, ou le tuer^ s'il faisait résistance.
On avait bien arrêté le prince de Condé, dit Richelieu;
on aurait pu en faire autant pour Concini. Étrange oubli
472 PRISON DB GONDi.
des circonstances : le roi n'avait personne^ et son homme,
Vitry, capitaine des gardes , n'avait point les gardes avec
lui. Concini, au contraire, ne marchait qn'entouré d'une
trentaine de gentilshommes. A grand*peine Vitry en réunit
quinze, les cacha, les arma de pistolets sous leurs habits.
Il le prit au moment où il venait le matin faire sa visite
ordinaire à la reine. 11 , était sur le pont du Louvre avec
cette grosse escorte. Vitry était si effiaré, qu'il le passa,
sans le voir, l'ayant devant les yeux. Averti , il retourne :
• Je vous arrête !... — Amil (k moi !) »• — Il n'avait pas
fini, que trois coups, quatre coups de pistolet partaient,
lui brûlaient la cervelle... c C'est par ordre du roi, » dit
Vitry. Un seul des gens de Concini avait mis l'épée à la
main (44 a?riH647).
Le Corse Omano prit le roi, le souleva dans ses bras, le
montra aux fenêtres. Le peuple ne comprenait pas. On
avait dit d'abord que Concini avait blessé le roi. Mais,
quand on sut,- au contraire, que c'était *lui qui était tué, il
y eut une explosion de joie dans toute la ville.
La reine mère était très-eif rayée. Son seul cri fut : « P(h
veretta di me ! * Cependant qu'avait-elie à craindre?
Quelque antipathie qu'eût son fils pour elfe, il ne pouvait
songer à la mettre en jugement. On se contenta de lui
ôter ses gardes. On mura, moins une seule , les portes de
son appartement.
Elle ne montra nulle pitié pour Concini ou sa veuve.
Quelqu'un disant : < Madame , Votre Majesté peut seule
lui apprendre la inort de son mari. — Ah I j'ai bien autre
chose à faire!... -Si on ne peut la lui dire, qu'on la lui
chante... qu'on lui crie aux oreilles : VHanno ammaz--
xato. »
Mot terrible, c'était celui même que €oncini «vait dit à
la reine, au jour de la mort d'Henri IV, en lui apprenant
la nouvelle qu'elle ne connaissait que trop bien !
Léonora tremblante lui demandait asile. Elle refusa.
uaaT DE coNciNi. 173
Alors cette femme, chez qui la reine tenait les diamants
de la couronne (comme ressource eti cas de malheur), se
déshabflla et se toit au lit , en cachant ces diamants sous
elle. On la tira du lit ; on fouilla tout, on mit la chambre
au pillage, on hi mena à la Conciergerie. Pans était en
fête. La foule cherchait et déterrait le cadavre de son
mari , qu'on brûla solennellement devant la statue
d'Henri IV, en signe d'expiation. On dit qu'un forcené
lui mordit dans le cœur, et en dévora un morceau.
La vie de la reine mère ne tenait qu'à un fil. Parmi les
meurtriers, plusieurs l'auraient voulu tuer,' pensant qu'elle
pourrait bien se relever plus tard et venger son amant.
Mais Luynes n'eût osé ni conseiller un tel acte à Tenfant
royal, ni le faire faire sans ordre. Il la sauva en l'entou-
rant des gardes du roi. Le capucin Travail, le P. Hilaire,
qui jadis avait intrigué contre le mariage de Marie de
Médicis, et qui fut acteur et exécuteur dans le meurtre de
son favori, croyait que rien n'était fait si elle ne périssait.
Il s'adressa à un homme qui était à elle et entrait chez
elle à volonté, son écuyer Bressieux, l'engageant à la tuer.
L'écuyer refusait : c N'importe , dit Travail; je ferai en
sorte que le roi aille à Vincennes, et alors ;e la ferai
déchirer par le peuple. » (Revue rétrospective, II, 3d5.)
De Luynes, qui avait promis au capucin l'archevêché
de Bourges s'il aidait à tuer Concini, et qui, la chose faite,
ne voulait paa tenir parole, profita des mots sanguinaires
que ce bavard avait jetés par folie et bravade, le fit juger
et rompre vif.
Pour revenir , le roi avait fait dire au Parlement qu'il
avait ordonné d'arrêter Concini, qui, ayant fait résistance,
avait été tué. 11 ne parlait de sa mère qu'avec respect ,
disant « qu'il avait supplié sa dame et lYière de trouver bon
qu'il prit le gouvernail de TËtat. » Le Parlement vint le
/élieiter.
Le procès si facile qu'on pouvait faire à Concini et & sa
474 PEISOR Dl COUDÉ.
femme (spécialement pour certaines intelligeiices avec
lennemiy que la reine avait pardonnées) , ee procès fut
habilcmisnt étouffé, détourué. On en fil ua procès desor^
cellerie. C*était l'usage, au reste, de ce siècle. Les tyran-
nies libidifiettsesdes prêtres dans les couvents de femmes,
quand par hasard elles éclatent , toament en sorcallerie,
et le Diable e$l chargé de tout.
Léonora elle-même se croyait le Diable au corps, et elle
s'était fait exorciser par des prêtres qu'elle fit venir d'Italie,
dans régUse des Àuguslins . Gomme elle souffrait omelle-
ment de la tête, Montalte , son médecin juif, fit tuer un
coq , et le lui S4>pliqua tout chaud , ce qu'on interpréta
comme un sacrifice à l'Enfer. On trouva aussi ches die
une pièce astrologique , la nativité de la reine et de ses
enfants^ Il n'est nullement improbable 'qu'elle ait cherché,
quand son crédit fut ébranlé, à retenir la reine par la
sorcellerie. C'était la folie générale du temps. Luynes y
croyait aussi. Il avait fait venir, dit Richelieu, deux magi-
ciens piémontais pour lui trouver des poudres à mettre
dans les habits du roi et des herbes dans ses souliers.
Quoi qu'il en fut de la sorcellerie de Léonora, tout cela
ne valait pas la mort. £t ses vols mêmes, ses ventes effron-
tées de places et d'ordonnances, n'auraient méfilé que le
fouet.
La tradition de la cour^ très-favoraUe à ces gans-Ià,
comme ennemis d'Henri IV, n'a pas manqué d'inventer,
de prêter à Léonora des paroles fières, insolemment
hardies, par exemple : « Mon charme fut celui de l'es-
prit sur la bêtise. » Elle fut décapitée en Grève, et puis
brûlée.
La reine se retira quelque temps à Bloîs.
D'Épernon, dont Luynes avait peur, ne fut pas inquiété.
Seulement on garda contre lui le témoin Dujardin La-
garde, à qui on donna pension , en le priant toutefois de
tenir prisoUy le roi n'étant pas sàr autreniMitde ie samier
MORT DE. CONCINI. i75
des assassins. Il y écrivit, et fit imprimer, publier son
factum. (4619, Archives curieuses y XV, 4 45.)
L'infortunée dame d'Escoman semblait devoir enfin
triompher, dans de telles circonstances. Mais Luynes mé-
nageait trop la raine ; il craignait son retour. Il lui accorda
en 4649 une faveur signalée. C'était que la sentence de
4643, qui arrêtait tout, a vu la qualité des accusés I » fût
réformée, au profit de la reine, Taccusation déclarée
calomnieuse, la reine et d'Ëpernon innocentés, et la
d'Escoman condamnée.
Le Parlement se prêta à cette volonté de la cour, se
payant de Tidée du repos public , voulant relever Tauto-
litéy réhabiliter la reine exilée, qu'on chansonnait par
tout Paris. La d'Escoman fut condamnée à finir ses jours
entre quatre murs, au pain et à Teau.
11 y avait un égout dans Paris, les Filles repenties, où
l'on entassait les coquines ramassées dans les mauvais
lieux, lesquelles y continuaient leur métier avec des prê-
tres. (Lestoile, 4640, édit. Micheud, p. 564.) C*esHlt qu'on
mit la pauvre d'Escoman. On lui bâtit dans la cour du
couvent une loge murée, sauf un petit trou gt*illé. Elle
gisait ià par terre et dans l'ordure, grelottante, affietmée,
pleuraotponr le rebut des chiens.
Ce fut la récompense de la personne humaine et intré-
pide qui s'était dévouée povr sauver Henri IV, et qui
seule en France demanda justice de sa mort.
CHAPITRE XVI
Des mdburs. — Stérilité physique, morale et (ittéraire.
Je ne pouvais interrompre le fil de l'histoire politique
tant qu'Henri iV n'était pas vraiment fini et clos dans le
tombeau. Maintenant qu'il a sur la tète la pesante pierre
des mariages espagnols, il ne bougera plus. La France est
liée à la politique catholique. Elle fera la guerre à TEs-
pagne, mais pour lui succéder en marchant dans le même
esprit.
C'est le moment de regarder les grands faits moraux de
rëpoque, plus importants qu'aucun fait politique.
Ils sont tous en trois mots : sorcellerie^ couvents^ ca-
suisiique. £t ces trois n'en font qu'un; ils signifient :
stérilité.
On a surfait énormément ce temps. Cette vaine agita-
tion de cour, d'intrigues, de duels, ces raffinés du point
d'honneur, ces fondations de couvents, tout cela, regardé
à la loupe, a paru important. Des esprits fins, ingénieux
et d'agréable érudition, des Ranke, des Cousin, des Sainte-
Beuve, ont mis en relief les moindres curiosités de la vie
religieuse d'alors, les disputes d'ordres et de cloîtres, les
conversions célèbres, et il n est pas une ligne, une parole
SrtRILlrt PHTSIUM, MORALK ET IITTÉ8AIRK. 477
d« belles pénitentes d'alors qui n'ait été notée et célé-
«i^!ï%'® microscope, et je m'en sers. Nous lui devons
Tdaes En histoire, il a ses dangers. C'est de faire croire
que des mousses et des moisissures sont de hautTforéu
de voir le moindre insecte et l'imperceptible in?u^i^ Ua'
grosseur des Alpes. Tous les petits pprsonnaR^ de i*
pauTre temps-là se sont amplifiés dans'^nos micfoLph'
histonques Les Borromée et les Possevin sont Zld
hommes, l'oralorien Bérulle est un «-«nH h" ^
gentil saint François de Sa^u"; tràlt^w'
mus et Saint-Cyran. Gens de mérite certa nement ™„
^tran^ment grandis par les coteries SeZr 'em^
rexagération du nôtre. P' *'
Eh bien, qu'ils soient grands hommp« M»;, i
rons ce titre à Shakspeàre et à CeXl^ïV • *'*"■' •"'"-
semble alors. 23 avriH6l6) FermTns le Ir IT"','"'
«n. là sa forte et âpre bisiire ^1^ ie d'A T^"'' ^''"■
l'honnête platitude de MatS Non, 1 ^'*^"^' P^"""
verve étincelante (par quT^l" ureT^'^l^ "
pmssant Matburin Régnier; étouffons- ë^t à al' j'
jm^nuons sur le Parnasse le vide inca^él c'est'£:
^^:z^sz, t rn^":ir cri" ''---
Dain sec Si 1» i:»»^. . aeaans. L est la muse au
pain sec. bi la littérature représente la société ie reoon
2mm?l«J ? '"!*"*'* P'*«'«» *•"«' '« ™»«'re I quelle
Ï™„î? "^" "' "^""'"^ ' Tout au moins le tem-
pémmeot, la pointe et l'aiguillon du mâle.
i78 Wi» MEURS.
L'étincelle s*en trouve aux lettres d'Henri IV» 8i vives et
si charmantes. Mais tout est fini dans Malherbe. La bru-
talité sotte avec laquelle il triomphe diune fémmey qui,
dit-il, Ta comblé, montre assez qu'il n'aima jamais* (Ode
de 4-596.)
Cette défaillance en amour, en poésie, tient à une chose,
l'aplatissement moral, Tavénement de la prose, du positif
et de l'argent. Du moment qu'on perdit l'idéal de li-
. * berté qui avait apparu au xvr siècle, du moment où les
sages, un Du Plessis-Hornay^ découragèrent les hautes
pensées, chacun, protestants» catholiques, se rangea et se
fit petit ; chacun commença à s'occuper de ses petites
affaires. Le charme d'Henri lY, sa> séduction, sa oorrup-
tion, n'y firent pas peu. 11 avait trop souffert, Une voulait
que le repos, le plaisir. Il n'estimait personne, croyait fort
peu aux hommes, plus à l'argent. On a vu. qu'à la fin il se
méfiait de Sully. D'Aubigné raconte un foit triste. Le roi,
rêvassant toujours son épouvantail, la république calvi-
niste, voulait décidément le mettre à la Bastille. Le bu-
guenot, qui le connaissait, pour avoir enfin son repoa, loi
demande pour la première fois réconq)en8e de ses longs
services, de l'argent, une pension. Dès lors, la roi est sûr
de lui ; il le fait venir, il l'embrasse ; les voilà Inins amis.
Le même soir, d'Aubigné soupait avec deux dames da
noble cœur. Tout à coup l'une d'elles, sans parler, se mit
à pleurer et versa d'abondantes larmes. Avec tnq> de
raison I Le jour oii d'Aubigné avait été forcé de prendre
pension et de demander de l'argent, le grand xvi^ aiède
était fini, et l'autre était inauguré.
On a vu un homme héroïque, le président Haday, à son
âge de quatre-vingts ans, feire une triste affaire d'argent.
On verra les Arnauld, famille d'Auvergnats trèa-honnétes,
de huguenots convertis^ la vraie fleur de la rébe^ em- '
ployer pourtant des moyens équivoques pour mettre deux
abbayes dans leur famille.
STÉRILITÉ PHYSIQWy MOBjUB ST EITTÉRÀIRE. 479
Malgré Teffori sîocère,dd clévotioo qui les trompait oux-
mêmes, c'est, en réalité, un temps très-pauvre, de grande
sécheresse, où toutes choses ont baissé^ les moyens, le
eceur et l'espoir, c un temps serré, transi et morfondu. »
Cela ne se voit bien qu'en entrant dans une maison.
Voyons celle du greffier JLestoile, honorable bourgeois de
Paris. 11 n*aîme guère les protestants, et, d'autre part, il
n'est guère catholique. Il crok que Rome, c'est Sodome,
et toutefois il veut se tenir à ce tronc fMurri.de la papauté.
Iblade, il fait venir un moiae, ratiis pour disputer avec
lui.
Sa fortune a baissé, son àme aussi. En 4606, il achetait ;
€t, en 4640, il vend. Son cabinet, ses livres, ses médailles,
ses chères petites curiosités, il faut qu'il s'en sépare. Cela
ne suffit pas ; il lui faut emprunter. Vieux tout à coup, il
tousse, il ressent l'âge qu'il avait oublié ; il entend môme
un peu le léger bruit qui se fait à la porte... peu de chqse^
la mort qui frappe à petits coups, liais il a des enfants, et
il s'aperçoit qu'il est pauvre. 11 a pour ses enfants de
pauvres ambitions; l'un, il veut le fourrer dans la ferme
d0t sels (une caverne de voleurs, dit«il) ; l'autre pourrait
étte page, et où ? dans la maison de Guise ! On voit que le .
cœur s'apetisse... Nous cinglons à pleines voiles dans les
temps de la platitude.
Voilà ce que c'est que d'avoir été imprévoyant, géné-
reux, charitable, comme Ta été Lestoile. Voilà ce c'est que
d'avoir des enfants. Un suffirait, ou deux, etc*est beau-
coup. Songez d'ailleurs que la. bonne bourgeoisie qui
achète souvent une terre noble ou une charge qui ano^
blit a grand intérêt à faire un aine ou un ftls unique qui
ait tout et fasse un gros mariage.
On touche là aux pensées secrètes qui vont déterminer
les mœurs du siècle.
Pendant que la terre devient stérile et que la subsis-
lanee vn toujovfs tarissant, Ihommt aasÊÎ veuê êlr$ stérile.
Et je ne parle pas seulement du paysan. afTaméel écrasé
d'impôts, mais du noble qui n'eu paye pas, du boai^eoi5,
qui, comme magistrat, en est exempt, ou, comme éhi,
syndic, etc., répartit l'impôt sur les antres de façon à ne
rien payer.
Il est bien juste que l'on vienne au secours de tous ces
pauvres riches, de gens aisés, exempls.de charges, Lear
second fils sera d'Église, riche- de bénéfices, léger d'en-
fanls (du moins connus). Les Biles mourront en religion.
L'œuvre monumentale du siècle, c'est de bfttir partout ces
vastes abris mortuaires oii l'ennui les tuera sans bruit.
Cependant, dit le père, il est bien dur d'avoir des filles
qu'il faut doter pour les couvents. Pourquoi engendrer
des enfiinls, s'il faut ainsi les faire mourir? Béflexion ju-
dicieuse que l'on soumet h son père spirituel. C'est à
celui-ci de chercher, d'imaginer. On ne le i&cheni pas.
Demain, après-demain, toujours, on lui demandera d'in-
venter quelque moyen subtil de faire que la stérilité vo-
lontaire ne soit plus péché. C'est l'origine principale de li
casuistique.
On ne veut pas pécher. Ou, s'il y a péclié, on veut qu'il
soit au confesseur, qui doit, non pas l'absoudre, mais le
légitimer d'avance. Qu'il y prenne garde. S'il veut que son
confessionnal be soit pas déserté, reste k la mode, il faui
qu'il trouve des receltes pour qu'on fraude le mariage eo
conscience.
Sinon, qu'arriverait-il ? j'ose k peine le dire. Hais je
crois qu'on foirait l'église. Car ces gens-^i, au fond, sont
moins dévola qu'ils ne le croient eux-mêmes.
Dans certaines ccmUées, le noble commençait déjà à
fréquenter l'église du Diable, l'assemblée du saÛiat,
l'o^ie stérile où le peuple des campagnes était guidé par
les sorcières dans les arts de l'avortemeat.
t le, eo réalité, la cause principale qui éleod si pro-
sem«)t l'action des sorcières en ce siècle. Les vines
STÉRILITÉ PHTSIQUX, MORALE BT LITTÉRAIRB. 181
ont enchéri horriblement, et la rente pèse infiniment plus
qu'aux temps féodaux. On ne peut plus nourrir d'en-
fants.
Le roman d'Henri IV, de Sully, d'OUivier de Serres, ne
s*est pas vérifié. C'était le bon seigneur vivant sur ses
terres, et traitant paternellement son paysan, par intérêt
bien entendu. Us avaient supposé que le loup se ferait
berger. Mais le contraire arrive. Ce seigneur ne veut plus
vivre qu'à la cour ; il tratne là, à mendier une pension,
pendant que sa terre dépérit et que ses gens jeûnent,
maigrissent. La paysan se donne au Diable.
Et la paysanne encore plus. Écrasée de grossesses, d'en-
fants qui ne naissaient que pour mpurir, elle portait, plus
que l'homme encore, le grand poids de la misère. J'ai dit
au XV* siècle le triste cri qui lui échappait dans l'amour :
< Le fruit en soit au Diable I » Et que lui servait, en efiet,
de faire des morts? ou, s'ils vivaient, d'élever pour le
seigneur un misérable, un maladif, qui maudirait la vie
et mourrait de faim à quarante ans?
Lorsque la femme disait cela vers 1 500, on vivait pour
deux sous par jour. Combien plus le dira-t-elle en 4600,
où on ne vit plus avec vingt sous I La mort devient un
vœu dans cette misère. Mais il vaut mieux encore ne pas
naître ; c'est par tendresse pour l'enfant qu'on ne veut
plus qu'il vienne au monde. La stérilité, qu'on pourrait
appeler une mort préventive avant la naissance, est toute
la pensée de ce temps.
Cela rend au Diable, vieilli, aSaibri, discuté, une force
immense d'expansion. Il est, avec les casuistes et les cou-
vents, et en concurrence avec eux, le maître de la stéri-
lité. Ce ne sont plus de sauvages bergers, de misérables
serfs, qui viennent à lui timidement. C'est une foule mêlée,
même des nobles et des belles dames (aux Pyrénées sur-
tout) qui figurent à ses assemblées. L'évéque du sabbat est
un seigneur avec qui le Diable, qui sait son monde, ouvre
182 DES MOEURS.
la danse. Prêtres et femmes de prêtres n*y manquent pas,
et toate classe enfin y est représentée. Une de ces réu-
nions, près Bayonne, compta douze mille âmes. Dès kirs,
plus de mystère. Tout le peuple était au safobat.
CHAPPniE XVll
Du sabbat an moyen âge, et da sabbat an xvti« siècle,
* L'alcool et le tabac.
Je ne pméire avec préeision oe que fat le sabôat ftbà<-
Urdi Ai xm" siècle sans poser d'abord, dans sm earaotère
origîMil, le sabbat du moyen âge, tel que je le vois en
Fraftoe. On sentira akurs Topposiiion, et on (lourra mesw^r
le dkàtugoateoL
J'ai dit ailleurs {Renaissance) ce que fut la aorcière, une
création du désespoir. L'assemblée des sorcières^ le sabbat,
est la svite ou la reprise de Vwrgie païenne par un peuple
qui a désespéré du cbHstianisme. C'est une rinoke «teclurne
dé terfs contre le JOiau du préire et du aeifineur.
Le Diable avaitea toii)ours une grande attraction , comoM
dieu des morts, qui pouvait rendre à l'homme tout ce qa'iÉ
regrettait. De là l'évocation magique, l'appel aux morts
(qa'on voit déjà dans la Bible). Le noîr/esprit apparaissait
ici cooame un consolatear qui, tout au moins pour un
momeDl, pouvait rendre la félicité. La more revoyait, en*
tendait le fils qu'elle avait tant pleuré. La flancée perdve
sortait de son oeroueil pour dire: • Je t'aime encore, * et
pour être heureuse une nuit.
B(Oi 4e la mort, Satan devint roi de la liberté sous la
grande Terrenr eodéeiastiqne, quand tout flamboya de
481 DU SlBBiT AU MOYSN ÀGB,
bûchers, quand un ciel de plomb s'abaissa sur les popu-
lations tremblantes, et que le monde se sentît abaDdooné
de Dieu. ■
Je veux dire du Dieu de l'Église. Les dieux de la forêt,
de la lande ou de la fontaine, reprenaient force. Contraint,
le jour, d'adorer ce qu'on détestait, ou de répéter du latin,
la nuit on rentrait dans la via. Le cœur serré et l'esprit
contracté se détendaient vers la nature. Uais ces ftmes de
serfs, déformées de leurs chaînes, même alors restaient
fort bizarres. La nature leur semblait charmée. < Pourquoi,
dit-on à un berger, ton grand amour de la prairie? — Le
Diable prit la figure d'un veau quand il voulut plaire à nu
mère. > Une femme possédée retournait toutes les pierres :
« Ces pauvres pierres, dit-elle, furent si longtemps sur
un cêté, qu'elles prient de les tourner sur 1,'autre. ■
Cette femme donne aux pierres la vraie pensée de
l'homme. Comme ËEéchiel, qui coucha des années sur le
même cdté, le peuple, rendu de lassitude, ne voulait que
se retourner. La règle du sabbat, c'est que tout serait fait à
rebours, à l'envers.
Mais décrivons d'abord la scène.
On s'assemblait de préférence autour d'une pierre drui-
dique, sur quelque grande lande. Une musique étrange,
■ surtout de certaines clochettes, y chatouillait ■ les nerfs,
peut-être à la manière des vibrations pénétrantes de l'har-
monica. Nombre de torches résineuses qui couraient çk et
jetaient une lumière jaune, en opposition aux brasiers
flamme rouge. Ajoutez une lumière bleue qui ne sem-
ait pas de ce monde. Ces sons et ces lueurs troubUienl
sprit, transfiguraient la mouvante réalité, les ombres
il allaient et venaient, les démons dans leurs peaux de
mes. ■ Les honmies y devenaient des bétes et les bétes y
■riaient, i
Une colonne de vapeur fantastique divisait la scène, ^
isait un demi-rideau. ■ Derrière trdnait le Diable, eo
KT on SABBAT AU XVII* SIÈCLE. 485
figure ténébreuse qui ne veut être vue clairement. Ce qu'on
y distinguait le mieux, c'étaient les attributs virils du dieu
Priape, dont il avait les cornes et le velu, étant couvert
d'une peau de bouc noir. Il faisait grand'peur aux nou-
veaux venus, aux enfants qu'on amenait. A cela près, le
Diable (en France) est plus burlesque^ que terrible. Par*
fois, espiègle, on le voyait sauter du fond d'une grande
cruche. Aux deux cornes du Priape antique dont son cbef
était décoré, on en ajoutait volontiers une troisième, qui
était une lanterne pâle. Et, pour que ce seigneur des serfs
ne cédât en rien aux autres seigneurs, pour qu'il fut aussi
UD monsieur^ ses cornes honorablement étaient surmon-
tées d'un chapeau.
L'esprit des vieux noêls et la gaieté rustique étaient dans
tout cela. Ce peuple, dans ce court moment de liberté,
jouait ses tyraus, se jouait lui-même. Le sabbat était une
farce violente, en quatre ou .cinq actes, oii il se régalait de
la contrefaçon hardie de son cruel tyran, l'Église, et de
son vampire féodal.
Tout était-il critique ? y avait-il un culte positif? et le
Diable, en effet, était-il vraiment Dieu, père et roi de cette
foule? Je ne vois pas cela clairement. Quoi qu'en disent
les juges, sa primatie est biçn plus apparente que réelle.
Il semble moins une divinité vivante qu'un symbole éman-
cipateur. Un mannequin, un arbre, un tronc sans branche,
faisait souvent ce r61e, et il suffisait d'un Satan de bois.
On avait si cruellement abusé de l'idée de paternité et
de divinité, que le serf n'avait nulle tendance à la repro-
duire au sabbat. La fraternité seule y dominait visiblement.
Une fraternité, il est vrai, barbare et sensuelle, un grossier
communisme.
Ce comfmunisme, du reste, n'était guère plus au sabbat
qu'ailleurs; il était partout. Les serviteurs mêmes du châ-
teau vivaient pêle-mêle entassés dans les galetas. Les corn--
muns succédèrent, où tout était mêlé encore. Le logis à
486 DC SâBlAT AD MOTIX ÂGC,
part ne oonunenoe qse fort tard, et par la inmiarde, c'est*
à-dire soas Louis UV.
Pour les serfs roraiix, l'iolérèt du maître n'était pas do
les isoler par familles, mak de les tenir réunis eo une tilia
on vaste métairie où un seul toit abritût, avee les bêles,
une tribu de même sang, un cousinage on parentage d'une
centaine de personnes. Quoique parents, le maître les con-
sidérait comme simples associés, et pouvait àcbafoe décès
reprendre les profits de tous. De famille ou mariage qm
eftt autorisé l'hérédité, il ne daignait s'en informer. La fih-
milie pour tan, c'était cette masse de gens qui mangeaient
« à un pain et à un pot, » qui « lêTuient et cooebaîent en-
semble. >
L'Église cependant exigeait le mariage. Mais c'était une
dérision. Pendant cpae le prêtre Msait sonner haut le sa-
enmBaU multipliait les empêchements et les difficnllés de
parenté, il absolvait, faisait communier le baron, dont le
premier droit était le mépris du sacrement. Je parle du
Droit du seigneur (si impudemment nié de nos jours).
L'exigeait-il lui-même? Qu'importe? Forcée de monter au
diàleaupour offrir le denier eu le plat de noces 'T. Grimm
et toutes les coutumes), la mariée, dédaignée du se^;nenr,
était le jouet des pages.
Faut-il s*étonner, après cela, de cette dérision univer-
selle du mariage, qui est le fiMid de nos vieilles meemn?
L'Église n'en tenait compte, ne le fusant pas respecter.
La noblesse n'avait d'autre roman que l'adnttère, ni les
bourgeois d'autre sujet de faUiau. Le serf n'y songeait
même pas, mais il tenait beanconp è la famille, à cette
grande &mille ou cousinage ou tout étttt à peu près com-
mun. Il n'était jaloux que de Tétranger.
Le sabbat du moyen âge, réunion peu nombreuse, n'était
souvent que l'assemblée d'un partncn^ On ne se fiait
guère auQL voisins, et on ne lasefit pas admis à la compli-
cité de ces orgies de révolte. Cela aide à oooqwendre l'ex-
IT MX SAttBAT AU X?U* SIÂCLI. 4S7
tréme liberté qui y régnaît Tout semblait permis en fa-
mille.
Premier ode. Dérision du mariage et contrefaçon du
Droit du seigneur, tout à fait semblable, du reste, au début
des orgies de Baochus et de Priape. La nouvelle mariée
s'offrait au Diable, qui l'épousait pour l'assemblée. On la
fais^ reine du sabbat.
Antre eomédie. Les enfants, les simples, qu'on amenait
poar la première fois, et qui étaient fort effrayés, rendaient
hommage au seigneur Diable. Mais tout, au sabbat, devait
se faire à rebours, à l'envers. Donc on les contraignait à
bire hommage la tète en bas, les pieds en l'air et en tour--
nnnt le dos.
L'osclage, le baiser du vassal au seigneur, ou du novice
Ml supérieur, qui symbolisait Toffrande de la personne,
devait se faire aussi à rebours, au dos du Diable, lequel, en
netoqr, étonnait parfois le tremblant récipiendaire en lui
8on£Bant l'esprit par une dérision indécente dont on riait
beaucoup. Puis il lui remettait une gaule pour bàtom pas-*
toral, et lui disait : « Pais mes ouailles, i Et TouaiLle était
un crapaud proprement habillé de vert.
Deuxième acte* Tout ceci n'était que pour rire. Mais voici
le solide. Ce peuple famélique, jeûnant presque toujours,
chose rare, ce jour-là, il mangeait. Ceci n'était pas le
nxMndre des miracles du Diable. Il n'y avait aucun^eouteau
sur la table, de peur que le repas ne fût ensanglanté.
Avant les danses, on avait soin de renvoyer les enfants, en
leur enjoignant d'aller paître les crapauds an ruisseau
voisin.
Ces danses, vives, violentes, étaient le |>rélttde de la fa-
mense ronde du sabbat, qui, de tous ces couples, emportés
dans un tourbillon, faisait un élément, une force aveugle.
Ils tournaient dosa dos, les bras en arrière, sans se voir,
ne regardant que la nuit, la fumée, le brouillard de la
prairie fuy&nte. Bientôt personne ne connaissait plus soq
18B DU SABBAT AU MOYBN AGE,
voisin, ni soi-même. Par moments, les dos se touchaient,
se heurtaient de façon rustique. On ne se sentait que dans
l'ensemble, et comme membre du grand corps, confus,
haletant, qui tourbillonnait.
Troinème acte. Cette unité brutale, confuse et de vertige,
en préparait une autre. La société communiait.
Et de quoi? Non pas de Dieu, mais d'eUe*méme. Elle se
mangeait, et était son hostie. C'est la donnée de toutes les
sociétés secrètes du moyen ftge, fondées sur la fraternité,
en haine de la paternité.
Mais comment se mangeait-tUe? Les juges font semblant
de croire que c'était au sens propre. Il est trop évident que
des réunions si fréquentes, qui se renouvelèrent pendant
des siècles, ne mangeaient pas de chair humaine.
La chMtr dont on communiait était (fictivement) celle
d'un enfant de la société et de son dernier mort.
La cérémonie, du reste, était gaie et combinée pour
faire rire la foule, pour venger le peuple du prodigieux
ennui des offices dont on Tassommait. C'était la messe à
l'envers, la messe noire. Le célébrant, à l'élévation, se te-
nait la tête en bas, les pieds en l'air, avec une hostie de
dérision, une rave noire, qu'il mangeait lui-même.
Il y avait là beaucoup de jongleries. Des diables agiles
sautaient à travers les flammes, montrant aux nouv^ux
venus stupéfiés comment il fallait mépriser les feux
d'enfer.
Les sorcières de profession efTrayaient les simples. Elles
baptisaient un crapaud, rhabillaient comme un en&nt, et,
après cette espèce d'adoption, ces tendres mères simu*
laient l'infanticide, en attaquant, démembrant l'animal
avec les dents. Elles lui coupaient la tête avec un couteau,
en roulant les yeux effroyablement, défiant le ciel, et lui
disant : « Ahl Philippe, si je te tenais!... »
Oualrième acte. Dieu ne répondant pas au défi par la
foudre, on le croyait vaincu, anéanti. Toutes tes lois que
ET DU SABBAT AU XVir SIECLE. ' 489
l'Eglise imposait en son nom semblaient avoir péri, spé-
cialement celles qui troublaient le plus la famille rustique,
les empêchements canoniques de mariages entre parents.
Le paysan n'aime que les siens, point du tout l'étrangère.
Sous ce rapport, il garde Tesprit des tribus primitives. Il
préfère sa parente, et, s'il y a quelque bien, il désire qu'il
reste en famille. Dès Tenfance, la petite femme qu'il a en
▼ue, c'est la compagne des premiers jeux, la cousine, la
nièce, parfois la jeune tante. L'Église, qui interdisait la
cousine au sixième degré, était directement hostile aux
attractions naturelles. Dans la liberté du sabbat, on y re-
venait violemment, avec fureur. Le cousinage équivalait
au mariage, et la petite société, dans un mélange aveugle,
cherchait sa communion dernière, son rêve absolu d'unité.
Est-iLvrai que le frère s'untt même à la sœur, comme
en Egypte, à Sparte et à Athènes? Il est diflScile de savoir
si le fait est réel, ou une de ces fables répétées tant de fois
pour donner l'horreur des sociétés secrètes.
Cinquième acte. Au départ de la foule, la clôture du
sabbat se faisait par la mort du Diable. Lui aussi, il devait
périr. Habilement il s'escamotait, laissait tomber au feu sa
peau de bouc, et semblait s'évanouir aux flammes.
La foule s'éeoulait, les lumières s'éteignaient. Sur la
lande redevenue solitaire, tout semblant détruit, et Satan
el Dieu, la sorcière restait victorieuse, et seule se faisait
son sabbat réservé.
Seule? Elle l'était toujours, sans époux, sans famille.
Objet d'horreur pour tous, et faisant peur à tous, môme
aux uiBliés du sabbat, qui eût voulu en approcher? Et elle-
même k qui se fùt-elle confiée? A qui eût-elle voulu trans-
mettre ses dangereux secrets ? Son fils, enfant sans père,
était le seul à qui elle se livrât. Contre la haine universelle
du monde et cet accablement de malédiction monstrueuse,
elle opposait un monstrueux amour. C'était celui du mage
d*Orient ; il ne se renouvelait qu'en épousant sa mère. De
490 IHJ SABB4T XV MOYEN AGE.
môme, disait-on, pwn perpétuer la sorcière, il fallait ce
mystère impie. A ce moment douteux où p&lissent les
dernières étoiles, la mère et son jeune hibou, élixir de
malice, accomplissaient leur triste fête. La lune fuyait oa
ae cachait.
Ces sauvages horreurs, si elles furent réelles, semb'laîeat
•avoir disparu au xvi* siècle. Je vois, au xvii*, des familles
régulières de sorciers, pères, mères, fils, filles. Ils ren-
trent dans la classe des hommes. Le Diable n*y perd rien.
. Et rimpiété peut-être augmente. Si le fils n'est plua un
monstre d^amour, il l'est souvent de haine, d'horrible ia-
gratitode et de perfidie. Il n'est pas rare, dans les f^ocès,
de voir l'enfant, gagné, corrompu par les juges, leur ser-
vir d'instrument contre les siens, et parfois feire brûler sa
mère.
Au sabbat, comme ailleurs, Tintérét domine tout. C'est
Tavénement de l'argent. Satan ne se contente plus de sa
rude pierre druidique, il prend un trône doré. Les sor*
bières, sous leurs haillons, apportent au banquet de la
vaisselle d'argent. Il n'est pas jusqu'aux crapauds qui ne
ileviennent élégants; j'en vois qui, comme de petits sei-
gneurs, sont vêtus de velours vert.
Le sabbat, pour les sorcières, devenait vraiment une
affaire. Elles faisaient payer un droit de présence ; elles
tiraient amende des absents. Elles vendaient leurs drogues
ce qu'elles voulaient à tous ceux qui avaient pour d'elles.
Ce que la cérémonie avait perdu en terreur, en attrait
d'imagination, elle le regagnait en plaisanterie. Le bur*
lesque dominait. Au début du premier acte, la personne
qui ouvrait le sabbat subissait une abhition très-froide,
saisissante, qui devait faire faire mainte amusante grîmaee.
C'était un divertissement dans le genre de Pourceaugnac.
On ne peut en douter, d'après la description de l'iBStra-
ment du supplice, « qui est long d'environ deux pieds, en
partie de métal, puis tortillé et sinueux. » L'emploi d'une
BT 011 aàBBAT AU XVU* SltCLE. 49|
telle inacliiae est un trail tout mederne. Du reste, c& di-
vertissement était grossier, indécent, mais non impudique.
Les enfants y aesistadent et n'étaient renvoyés qu'aux
danses^
Bn point plus gr^ve, c'est le quatrième acte. Les fem-
mes disent unanimement que l'amour des démon» lear
élaii pénîliie, désagréable et douloureux, et qu'elles n'y
étaient que victimes. La question capitale de savoir si
ramour dnabolique est fécond avait fort occupé le moyen
âge. Peu d'auteurs croient à la fécondité. Nos Français,
Sféeialement Boguet au Jura, Lancre au pays basque, qui
0Oi la plus vaste expérience dans ces contrées où tous
allaient au sabbat, affirment que l'amour y était stérile, et
« que jamais femme n*en revint enceinte. »
Cela jette un jour triste sur le sabbat de ce temps.
Froide, égoïste orgie ! L'amour non partagé!... Cela seul
aurait dn, ce semble, convertir toutes les femmes, les
éloigner. Et, au contraire, elles s'y précipitent toutes.
Pour<|uoi? Il faut le dire, dans ces grandes misères,
hélas! e*est que l'on y mangeait. Les veuves, chargées
d'enfentSy trouvaient, en les offrant au Diable, un patron
large et généreux qui régalait les pauvres avec l'argent des
riches.
Les fiUed j cherchaient les danses. Elles étaient foHes
aoftoui des danses moresques, dramatiques, amoureuses.
Si la foi aa Diable était faible, si l'imagination tarissait,
<m y suppléait par d'autres moyens. La phajrmacie venait
au seeoura. De tout temps, les sorcières avaientwemployé
les breuvages du trouble et de la folie, les sucs de la bella*
done, et peutr-étre du datura, rapporté de l'Asie Mineure.
Le roi du vertige, l'herbe terrible dont le Vieux de la Mon-
tagne tirait le haschich de ses Hassassins, ce fameux Pan-
tagiuéKon de Rabelaie, ou, pour dire simplement, le
chanvre» fut certainement de bonne heure un puissant
afent da sabbat.
192 DU SABBAT AU MOYEN' AGK.
A répoque où nous sommes, l'appât du gain avait con-
duit les apothicaires à préparer toutes ces drogues. Nous
l'apprenons par Leloyer. Ce bon homme est terrifié de
voir que Ton vend maintenant le Diable en bouteilles :
a Et plût au ciel, dit-il, qu'il ne fût pas si commun dans
le commerce ! »
Mot instruclif et triste. A partir de cette époque, on re-
courut de plus en plus à cette brutalité de prendre Tillu-
sion en breuvages, la rêverie en fumigation. Deux nou-
veaux dénions étaient nés : l'alcool et le tabac.
L'alcool arabe, l'eau- de-vie distillée chez nous au
XHi* siècle, et qui, au xvi*, est encore un remède assez
cher pour les malades, va se répandre, offrir à tous les
tentations de la fausse énergie, la surexcitation barbare,
un court moment de furie, la flamme suivie du froid mor-
tel, du vide, de l'aplatissement.
D'autre part, les narcotiques; le pétun ou nicotiane (on
J'appelle maintenant le tabac) substitue à la pensée sou-
cieuse l'indifiérente rêverie, fait oublier les maux, mais
oublier les remèdes. Il fait onduler la vie, comme la fumée
légère dont la spirale monte et s'évanouit au hasard. Vaine
vapeur où se fond l'homme, insouciant de lui-même, des
autres, de toute affection.
Deux ennemis de l'amour, deux démons de la solitude,
antipathiques aux rapprochements sociaux, funestes à la
génération. L'homme qui fume n'a que faire de la femme;
son amour, c'est cette fumée où le meilleur de lui s'en
va. Veuf dans le mariage même, qu'il le fuie, il fera
mieux.
Cet isolement fatal commence précisément avec le
xvn* siècle, à l'apparition du tabac. Nos marins de Bayonne
et de Saint-Jean-de-Luz, qui l'apportaient à bon marché,
se mirent à fumer sans mesure, trois et quatre fois par
jour. Leur insouciance naturelle en fut étrangement aug-
mentée. Ils restaient à part des femmes, et elles s'élor-
KT D0 SABBAT AU XYII' SIÈCLE. 193
gnaient encore plus. Dès le déb^t de cette drogue, on put
prévoir son effet. Elle a supprimé le baiser.
Les jolies femmes de Bayonne, fières, hardies, cyni-
ques, déclaraient au juge Lancre que cette infâme habi-
tade des hommes leur faisait quitter la famille et les reje-
tait vers le sabbat, disant, en femmes de marins : « Mieux
vaut le derrière du Diable que la bouche de nos maris. »
Ceci en i 64 0. Date fatale qui ouvre les routes oii l'homme
et la femme iront divergents.
Si celle-ci est solitaire, dépourvue du soutien de l'homme,
je crains pour elle un amant. C'est ce consolateur sauvage,
ce mari de feu et de glace, le démon des spiritueux. C'est
lui qui, de plus en plus, sera le vrai roi du sabbat.
Cela rendra, dans quelque temps, le sabbat même inu-
tile. La sorcière, en son grenier, seule avec le diable
liquide qui la brûle et qui la trouble, se fera la folle orgie»
toutes les hontes du sabbat.
Les femmes, dans tout le Nord, ont cédé aux spiritueux.
Et les hommes partout au tabac. Deux déserts et deux so-
litudes. Des natione, des races entières, se sont déjà affais-
sées, perdues dans ce gouffre muet, dont le fgnd est Tin-
différence au< plaisir générateur et l'anéantissement de
l'amour.
En vain les femtpes de nos jours se sont tristement sou-
mises pour ramener l'homme à elles. Elles ont subi le
tabac et enduré le fumeur, qui leur est antipathique. Lâche
faiblesse et inutile. Ne voient-elles donc pas que cet
homme, si parfaitement satisfait de son insipide plaisir,
ne peut, ne veut guère ? Le Turc a fermé son .harem.
Laissez que celui-ci de même s'en aille par le sentier où
nos aines d'Orient nous ont précédés dans la mort.
x. U
GHAPITHE XVUl
Géographie de la sorceUerie, par naUens et provioosa»
Les sorcières basques.
Nous sommes lôiti du xv* siècle; on ne voit plus au xvii*
le cas terrible avoué au livré du « Marteau des sorcières, »
quand le juge, tenant la sorcière liée à ses pieds, se sen-
tait prié par son regard, ensorcelé au tribunal, défaillait
sur son siège. Nos juges maintenant, il est vrai, sont d'une
autre classe, non plus moines, mais juristes. Le Diable est
né juriste, et ceux-ci le combattent avec ses propres ar-
mes, de procureur à procureur.
Le brouillard uniforme qui couvrait c6s procès e,l les
lendait presque semblables, tant que le juge fut un moine
(un homme sans patrie), s'éclaircit quelque peu avec les
juges laïques, et Ton commence à entrevoir les différences
nationales, provinciales, qu'offrait la sorcellerie.
Il y eut peu de sorciers en Italie, beaucoup d*astrologues
et de magiciens. On ne s'arrêtait pas à ce semblant du
culte diabolique. On était tout d'abord athée.
En Allemagne, au contraire (K. Mythologie de Grîmm),
la sorcellerie reste chargée d'un vaste et sombre paga-
nisme. Par l'amour de la nature propre à Tâme alle-
mande, déguisant en fées ou démonsles antiques dieux de
la contrée, elle leur garde un amour fidèle.
GÉOGRAPHIE DE LA SORCELLERIE, ETC. 495
L'£spagae,en cela et en tout, offre un étrange combat.
Les Juifs, les Maures, s'y mêlaient de magie, et avaient
leurs pratiques propires. Le centre et la capitale 4e la
magie européenne, en <596 (F. Lancre, Incréd., 781),
aurait été Tolède. C'était une grande école de magiciens,
sous les yeux de l'Inquisition.
Magie blanche, si on veut les croire, innocente, comme
celle du célèbre médecin Torralba (1500), guidé par un
esprit tout bienGaisant, le blanc, blond, rose Zôquiel, qui
sauva la vie à un pape (Llorente, II, 6âi). Llnquisition lui
fit son procès trente années et eut à peine la force de le
condamner. L^écote de Tolède avait un chapitre de treize
docteurs et soixante-treize élèves. Us obtenaient, disent*
ils, puissance sur le Diable par les œuvres de Dieu, jeûnes
pèlerinages, offrandes à Notre-Dame.
Mais, à c<Sté de cette magie bâtarde qui mariait l'enfer
et le ciel, se propageait dans les campagnes la magie dia-
bolique ou sorcellerie. L*£spagne devient alors une soli-
tude, et, ^ mesure que le désert gagne par Tépuisement de
la terre, par Vémigration, par la ruineuse liberté des
troupeaux, le peuple se réduit au berger. Si ce pàtro ne
chausse la sandale et ne se fait moine mendiant, il n'en
reste pas moins sans femme ni famille. La femme, en .ce
pays, nait veuve et de bonne heure sorcière (on en voit de
vingt ans). Sur la lande sauvage, la lane du iouc^ comme
ils disent^ la sorcière, le berger, se retrouvent. Voilà le
sabbat.
Mais la grande puissance d'imagination pour cela et
pour* tout se trouve aux montagoes, à la côte, au pays
même de Texcentricité, chez les Basques de Navarre et
Biscaye. Ces fous hardis, amoureux des tempêtes, du même
élan qui les poussait aux mers du nouveau monde, se plon-
gent dans le monde outre^tombe et découvrent des terres
nouvelles au royaume du Diable. Leur supériorité est si
bien reconnue^ que des deux côtés des monts ils font des
496 GÉOGRAPHIE DE LA SORCELLERIE,
conquêtes. La sorcellerie, basque envahit la Castille, et,
tandis qu'elle pousse ses colonies en Aragou jusqu'aux
portes de Saragosse, d'autre part, à travers les Landes, elle
va faire le sabbat à JBordeaux, au nez du Parlement, dans
le palais Gallien.
Dans nos autres provinces, la sorcellerie semble indi-
gène, un triste fruit du sol. Elle devient une maladie con-
tagieuse dans les pays misérables surtout où les hommes
n'attendent plus de secours du ciel. En Lorraine, par
exemple, deux démons sévissaient, une cruelle féodalité
militaire, et, par-dessus, un passage continuel de soldats,
de bandits et d'aventuriers. On ne priait plus que le Diable.
Les sorciers entraînaient le peuple. Maints villages, effrayés,
entre deux terreurs, celle des sorciers et celle des juges,
avaient envie de laisser là leurs terres et de s'enfuir, si
Ton en croit Remy, le juge de Nancy. Dans son livre dédié
au cardinal de Lorraine (1596), il assure avoir brûlé en
seize années huit cents sorcières. « Ma justice est si bonne,
dit-il, que, l'an dernier, il y en a eu seize qui se sont tuées
pour ne pas passer par mes mains. »
Les prêtres étaient humiliés. Auraient-ils pu faire mieux
que ce laïque? Aussi les moines seigneurs de Saint-Claude,
contre leurs sujets, adonnés à la sorcellerie, prirent pour
juge un laïque, Thonnéte Boguet. Dans ce triste Jura, pzys
pauvre de maigres pâturages et de sapins, le serf sans
espoir se donnait au Diable. Tous adoraient le chat noir.
Le livre de Boguet (4602) eut une autorité immense.
Messieurs des Parlements étudièrent, comme un manuel,
ce liv;*e d'or du petit* juge de Saint-Claude. Boguet, en
réalité, est un vrai légiste, scrupuleux même, à sa manière.
Il blâme la perfidie dont on usait dans ces procès ; il ne
veut pas que l'avocat trahisse son client ni que le juge
promette grâce à l'accusé pour le faire mourir. Il blâme les
épreuves si peu sûres auxquelles on soumettait encore les
sorcières. La torture, dit- il, est superflue; elles n'y cèdent
PAR NATIONS ET PROVINCES. 497
jamais. Enfin il a l'humanité de les faire étrangler avant
qu'on les jette au feu, sauf toutefois les loups-garous,
« qu'il faut avoir soin de brûler vifs. » 11 ne croit pas que
Salan veuille faire pacte avec les enfants : « Satan est fin ;
il sait trop bien qu'au-dessous de quatorze ans ce marché
avec un mineur pourrait étire cassé pour défaut d'âge et
de discrétion. » Voilà donc les enfants sauvés? Point du
tout; il se contredit; ailleurs, il croit qu'on ne purgera
cette lèpre qu'en brûlant tout jusqu'aux berceaux. Il en fût
venu là s'il eût vécu. Il fit du pays un désert. 11 n'y eut
jamais un juge plus consciencieusement exterminateur.
Tous les juges maintenant écrivent, et l'on peut croire
que déjà ils éprouvent le besoin de s'expliquer devant le
public. Ils sont, en effet, en présence de deux sortes d'ad-
versaires : les prêtres et les médecins.
Ceux-ci disent, comme Agrippa, Wyer, comme le minis-
tre Lavatier, que, si ces misérables sorcières sont le jouet
du Diable, il faut s'en prendre au Diable plus qu'à elles,
et ne pas les brûler. Quelques médecins de Paris, sous
Henri lY, poussent l'incrédulité (K. plus haut) jusqu'à pré-
tendre que les possédées sont des fourbes, ou des folles
poussées par les fourbes.
Les prêtres disent qu'eux seuls ont droit de procéder
contre le Diable, dont ils sont les ennemis naturels et la
partie contraire. Â quoi les légistes répondent : « Ne soyez
pas juges et partie. » En réalité, la connivence du prêtre
avec les filles possédées, surprise fréquemment, brise son
tribunal et rend victorieuse la juridiction des laïques, gens
mariés, qui risquent moins d'être ensorcelés par les
femmes.
Nos légistes d'Angers, le célèbre Bodin (1578), le savant
Leioyer (4605), sont tout entiers dans cette polémique. Ils
ne se fient pas aux prêtres pour lutter contre Timmense
sorcellerie de l'Ouest, qui en semble le pays classique.
N'est-ce pas là, aux «portes du Poitou et de la Bretagne,
498 géoôràphib de lx sorcellbkib,
que Gilles de Retz (Barbe-Bleûe) fit ses horribles sacri-
fices?
Les mendiants incendiaires, les bergers équivoques, les
sorcières obstinées, c'était tout un peuple aux Marches de*
Maine et d'Anjou, au Marais, au Bocage. La diablerie y
sévissait avec Tâpreté vendéenne.
Mais c'est au Parlement de Bordeaux qu'est poussé le
cri de victoire de la juridiction laïque dans le livre de
Lancre : Incanstance des démons (4 6! 0 et 1613). L'auteur,
homme d'esprit, conseiller de ce Parlement, raconte en
triomphateur sa bataille contre le Diable au pays basque,
où, en moins de trois mois, il a expédié je ne sais combien
de sorcières, et, ce qui est plus fort, trois prêtres. Il re-
garde en pitié l'Inquisition d'Espagne, qui, près de là, à
Logroilo (frontière de Navarre et Castille), a traîné deux
ans un procès et fini maigrement par un petit auto-da-fé
en relâchant tout un peuple de femmes.
Cette vigoureuse exécution de prêtres indique assez que
M. de Lancre est un esprit indépendant. It Test en poli-
tique. Dans son livre Du Prince (1617), il déclare sans
ambages que « la Loi est au-dessus du roi. »
Jamais les Basques ne furent mieux caractérisés que dans
le livre de VInconstance. Chez nous, comme en Espagne,
leurs privilèges les mettaient quasi en république. Les
nôtres no devaient au roi que de le servir en armes ; au pre-
mier coup de tambour, ils devaient armer deux mille
hommes, sous leurs capitaines basques. Le clergé ne pesait
guère; il poursuivait peu tes sorciers, l'étant lui-même.
Le prêtre dansait, portait l'épée, menait sa maîtresse au
sabbat. Cette maîtresse était sa sacristine ou bénédicte, qui
arrangeait l'église. Le cure ne se brouillait avec personne,
disait à Dieu sa messe blanche le jour, la nuit au Diable la
messe noire, et parfois dans la même église (Lancre).
Les Basques de Bayonneet de Saint-Jean-de-Luz, têtes^
hasardeuses et excentriques, d'une fabuleuse audace, qui
PAR WATlOIfS ET PROVINCBS. #9»
fr'eh alhient en barque aux mers les pins sauvages har-
ponner la baleine, faisaient nombre de veuves. Ils se jetè-
rent en niasse dans les colonies d'Henri IV^ l'enipire du
Canada, laissant leurs femmes à Dieu ou au Diable. Quant
aux enfants, ces marins, fort honnêtes et probes, y auraient
songé davantage, s'ils en eussent été sûrs. Maïs, au retour
de leurs absences, ils calculaient, comptaient les mois, et
ne trouvaient jamais leur compte.
Les femmes, très-jolies, très-hardies, Imaginatives^
passaient le jour, assises aux cimetières sur les tombes, à
jaser du sabbat, en attendant qu'elles y allassent le soifî*
Cétait leur rage et leur furie.
Nature les fait sorcières : ce sont les filles de la mer et
de Filhision. Elles nagent comme des poissons, jouent dans
les flots. Leur maître naturel est le Prince de l'air, roi des
vents et des rêves, celui qui gonflait la sibylle et lui souf-
flait l'avenir.
Leur juge qui les brûle est pourtant charmé d'elles :
• Quand on les voit, dit-il, passer les cheveux au vent et
sur les épaules, elles vont, dans cette belle chevelure, si
parées et si bien armées, que, le soleil y passant comm« à
travers une nuée, l'éclat en est violent et forme d'ardents
éclairs... De là, la fascination de leurs yeux, dangereux en
amour, autant qu'en sortilège. »
Ce Bordelais, aimable magistrat, le premier type de ces
juges mondains qui ont égayé la robe au xvn* siècle, joue
du luth dans les entr'actes, et fait même danser les sor*-^
cières avant de les faire brûler. H écrit bien ; il est beau^
coup plus clair que tous les autres. Et cependant on démêle
chez lui une cause nouvelle d'obscurité, inhérente h l'é-
poque. C'est que, dans un si grand nombre de sorcières,
que le juge ne peut brûler toutes, la plupart sentent fine-
ment qu'i! sera indulgent pour celles qui entreront le
mîeux dans sa pensée et dans sa passion. Quelle passionf
&*abar], une passion populaire, l'amour du merveilleux
200 GÉOGRAPHIE DE LA SORCELLERIE,
horrible, le plaisir d'avoir peur, et aussi, s'il faut le dire,
ramusement des choses indécentes. Ajoutez une affaire de
vanité : plus ces femmes habiles montrent le Diable ieiv
rible et furieux, plus le juge est flatté de dompter un tel
adversaire. Il se drape dans sa victoire, trône dans sa sot^
tise, triomphe de ce fou bavardage.
La plus belle pièce, en ce genre, est le procès -verbal
espagnol de l'auto-da-fé de Logroâo (9 novembre 4640),
qu'on lit dans Llorente. Lancre, qui le cite avec jalousie et
voudrait le déprécier, avoue le charme infini de la fête, la
splendeur du spectacle, l'effet profond de la musique. Sur
un échafaud étaient les brûlées, en petit nombre, et sur un
autre, la foule des relâchées. L'héroïne repentante, dont
on lut la confession, a tout osé. Rien de plus fou. Au sab-
bat, on mange des enfants en hachis, et, pour second
plat, des corps de sorciers déterrés. Les crapauds dansent,
parlent, se plaignent amoureusement de leurs maîtresses,
les font gronder par le Diable. Celui-ci reconduit poliment
les sorcières, en les éclairant avec le bras d'un enfant mort
sans baptême, etc.
La sorcellerie, chez nos Basques, avait l'aspect moins
fantastique. 11 semble que le sabbat n'y fût qu'une grande
fête où tous, les nobles mêmes, allaient pour Tamusement.
Au premier rang y figuraient des personnes voilées, mas^
quées, que quelques-uns croyaient des princes, c On n'y
voyait autrefois, dit Lancre^ que des idiots des Landes.
Aujourd'hui, on y voit des gens de qualité. » Satan, pour
fêter ces notabilités locales, créait parfois en ce cas un
iviqtie du sabbat. C'est le titre que reçut de lui le jeune
seigneur Lancinena, avec qui le Diable en personne voulut
bien ouvrir la danse.
Si bien appuyées, les sorcières régnaient. Elles exer-
çaient sur le pays une terreur d'imagination incroyable.
Nombre de personnes se croyaient leurs victimes, et réelle*
ment devenaient gravement malades. Beaucoup étaient
PAR NATIONS BT PROViNCBS. 304
frappés d*épilepsi6 et aboyaient comme des chiens. La
seale petite ville d'Acqs comptait jusqu'à quarante ide ces
malheureux aboyeurs. Une dépendance effrayante les liait
à la sorcière, si bien qu'une dame appelée comme témoin,
aux approches de la sorcière qu'elle ne voyait même pas,
se mît à Uboyer furieusement, et sans pouvoir s'arrêter.
Ceux à qui l'on attribuait une si terrible puissance étaient
maîtres. Personne n'eût osé leur fermer sa porte. Un n)afi;is«
trat même, l'assesseur criminel deBayonne, laissa faire le
sabbat chez lui. Le seigneur de Saint-Pé, Urtubi, fut obligé
de faire la fête dans son château. Mais sa tête en fut ébran"
lée au point qu'il s'imagina qu'une sorcière lui suçait le
sang. La peur lui donnant du courage, avec un autre sei-
gneur, il se rendit à Bordeaux, s'adressa au Parlement,
qui obtint du roi que deux de ses membres, MM. d'Espa-
gnet et Lancre, seraient commis pour juger les sorciers du
pays basque. Commission absolue, sans appel, qui procéda
avec une vigueur inouïe, jugea en quatre mois soixante ou
quatre-vingts sorcières, et en -examina cinq cents, égale-
ment marquées du signe du Diable, mais qui ne figurèrent
au procès que comme témoins (mai-août 4609). *
Ce n'était pas une chose sans péril pour deux hommes
et quelques soldats d'aHer procéder ainsi au milieu d'une
population violente, de tête fort exaltée, d'une foule de
femmes de marins, hardies et sauvages. L'autre danger
c'étaient les prêtres, dont plusieurs étaient sorciers, et que
les commissaires laïques devaient juger, malgré la yive
(^position du clergé.
Quand les juges arrivèrent^ beaucoup de gens se sau-
vèrent aux montagnes. D'autres hardiment restèrent,
disant que c'étaient les juges qui seraient brûlés. Les sor-
cières s'effrayaient si peu, qu'à l'audience elles s'endor-
maient du sommeil sabbatique, et assuraient au réveil
avoir joui, au tribunal même, des béatitudes de Satan.
Plusieurs disent : « Nous ne souffrons que de ne pouvoir
202 GÉOGRAPHIE DE LA SORCELLERIE,
Ini témoigner que nous brûlons de souffrir pour lui, »
Celles que i*on interrogeait disaient ne pouvoir parler.
Satan obstruait leur gosier, et leur montait à la gorge.
Le plus jeune des commissaires, Lancre, qui écrit cette
histoire, était un homme du monde. Les sorcières entre-
virent qu'avec un pareil homme il y avait des moyens de
salut. La ligue fut rompue. Une mendiante de dix-sept
ans, la Murgui (Margarita) qui avait trouvé lucratif de se
faire sorcière, et qui, presque enfant, menait et offi*ait des
enfants au Diable, se mit avec sa compagne (une Lisalda
de même âge) à dénoncer toutes les autres. Elle dit tout,
décrivit tout, avec la vivacité, la violence, Temphase espa*
gnole, avec cent détails impudiques, vrais ou faux. Elle
effraya, amusa, empauma les juges, les mena comme des
idiots. Ils confièrent à cette fille corrompue, légère, enra-
gée, la charge terrible de chercher sur le corps des filles
et garçons l'endroit oii Satan aurait mis sa marque. Cet
endroit se reconnaissait à ce qu'il était insensible, et qu'on
pouvait impunément y enfoncer des aiguilles. Un chirur-
gien martyrisait les vieilles, elle les jeunes, qu'on appelait
comme témoins, mais qui, si elle les disait marquées,
pouvaient être accusées. Chose odieuse que cette fille
effrontée, devenue maîtresse absolue du sort de ces infor-
tunés, allât leur enfonçant l'aiguille, et pût à volonté dési-
gner ces corps sanglants à la mort 1
Elle avait pris un tel empire sur Lancre, qu'elle lui fait
croire que, pendant qu'il dort à Saint-Pé, dans son h^tel,
entouré de ses serviteurs et de son escorte, le Diable est
entré la nuit dans sa chambre, qu'il y a dit la messe noire,
que les sorcières ont été jusque sous ses rideaux pour
l'empoisonner, mais qu'elles l'ont trouvé bien gardé de
Dieu. La messe noire a été servie par la dame de Lanci-
nena, à qui Satan a fait l'amour dans la chambre même
du juge. On entrevoit le but probable de ce misérable
conte : la mendiante en veut à la dame, qui était jolie, et
PAR NATIONS KT (ROYINGES. ' 20^
qui eût pu, sans cette calomnie, prendre aussi' quetqne
ascendant sur le galant commissaire.
Lancre et son confrère, effrayés, avancèrent, n'osant
reculer. Ils firent planter leurs potences royales sur les
places même où Satan avait tenu le sabbat. Cela effraya,
on les sentit forts et armés du bras du roi. Les dénoncia-
tions plurent comme grêle. Toutes les femmes^ à la queue,
vinrent s'accuser l'une l'autre. Puis on fît venir les en-
fants, pour leur faire dénoncer les mères. Lancre juge,
dans sa gravité, qu'un témoin de huit ans est bon, suffi--
sant et respectable.
H. d'Espagnet ne pouvait donner qu'un moment à cette
affaire^ devant se rendre bientôt aux fitats de Béarn.
Lancre, poussé à son insu par la violence des jeunes ré-
vélatrices qui seraient restées en péril si elles n'eussent
fait brûler les vieilles, mena le procès au galop, bride
abattue. Un nombre suffisant de sorcières furent adjugées
au bûcher. Se voyant perdues, elles avaient fini par parler
aussi, dénoncer. Quand on mena les premières au feu, if
y eut une scène horrible. Le bourreau, l'huissier, les ser-
gents, se crurent à leur dernier jour. La foule s'acharna
aux charrettes, pour forcer ces malheureuses de rétracter
leurs accusations. Des hommes leur n)irent le poignard à
la gorge; elles faillirent périr sous les ongles de leurs
compagnes ftirieuses.
La justice s'en tira pourtant à son honneur. Et alors les
commissaires passèrent au plus difficile, au jugement de
huit prêtres qu'ils avaient en main. Les révélations des
filles avaient mis ceux-ci à jour. Lancre parle de leurs
moeurs comme un homme qui sait tout d'original. Il leur
reproche non-seulement leurs galants exercices aux nuits
du sabbat, mais surtout leurs sacristines, bénédicles ou
marguiltières. Il répète même des contes : que les prêtres
ont envoyé les maris à Terre-Neuve, et rapporté du Japon
les fiables qui leur livrent les femmes.
204 GÉOGRAPHIE DB LA SORCELLERIE,
Le clergé était fort ému. L*évéque de Bayonne aurait
voulu résister. Ne Tosant, il s*absenta, et désigna son vt-
caire général pour assister au jugement. Heureusement
le Diable secourut les accusés mieux que Tévéque. Comme
il ouvre toutes les portes, il se trouva, un matin, que cinq
des huit échappèrent. Les commissaires, sans perdre de
temps, brûlèrent les trois qui restaient.
Cela vers août 1609. Les inquisiteurs espagnols qui fai-
saient à Logrofio leur procès n'arrivèrent à Tauto-da-fé
qu'au 8 novembre 1610. Ils avaient eu bien plus d'eai—
barras que les nôtres, vu le nombre immense, épouvan—
table, des accusés. Comment brûler tout un peuple ? Ils
consultèrent le pape et les plus grands docteurs d'Espagne.
La reculade fut décidée. Il fut entendu qu'on ne brûlerait
que les obstinés, ceux qui persisteraient à nier, et que
ceux qui avoueraient seraient relâchés. C'est la méthode
qui déjà sauvait tous les prêtres dans les procès de liber—
tinage. On se contentait de leur aveu, et d'une petite pé-
nitence. (K. Llorente.)
L'inquisition, exterminatrice pour les hérétiques, cruelle
pour les Maures et les juifs. Tétait bien moins pour les
sorciers. Ceux-ci, bergers en grand nombre, n'étaieat
nullement en lutte avec TËglise. Les jouissances fort
basses, parfois bestiales, des gardeurs de chèvres, inquié-
taient peu les ennemis de la liberté de penser.
Le livre de Lancre a été écrit surtout en vue de montrer
combien la justice de France, laïque et parlementaire, est
meilleure que la justice de prêtres. II est écrit légèrement
et au courant de la plume, fort gai. On y sent la joie d'un
homme qui s'est tiré à son honneur d'un grand danger.
Joie gasconne et vaniteuse. Il raconte orgueilleusement
qu'au sabbat qui suivit la première exécution des sorcières,
leurs enfants vinrent en faire des plaintes à Satan. Il ré-
pondit que leui*s mères n'étaient pas brûlées, mais vi-
vantes, heureuses. Du fond de la nuée, les enfants crurent
PAR NATIONS IT PROVINCES. S05
en effet entendre les voix des mères, qui se disaient en
pleine béatitude. Cependant Satan avait peur. Il s*absenta
quatre sabbats, se substituant un diablotin de nulle im-
portance. Il ne reparut qu'au 22 juillet. Lorsque les sor-
ciers lui demandèrent la cause de son absence, il dit :
« J'ai été plaider votre cause contre Janicot (Petit-Jean, il
nomme ainsi Jésus). J*ai gagné l'affaire. Et celles qui sont
encore en prison ne seront pas brûlées. »
Le grand menteur fut démenti. Et le magistrat vain-
queur assure qu'à la dernière qu'on brûla on vit une nuée
de crapauds sortir de sa tête. Le peuple se rua sur eux à
coups de pierres, si bien qu'elle fut plus lapidée que brû-
lée. Mais, avec tout cet assaut, ils ne vinrent pas à bout
d*un crapaud noir, qui échappa aux flammes, aux bâtons,
aux pierres^ et se sauva, comme un démon qu'il était, en
lieu où on ne sut jamais le trouver.
". "» ' •- .
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CHAPITRE XIX
L«6 conrenti» •* iA. sorcellerie 4a&s tel convenu. — Le Priaca
des magiciens.
Le Parlement de Provence n'eut rien à envier aux suc-
cès du Parlement de Bordeaux. La juridiction laïque saisit
de nouveau l'occasion d'un procès de sorcellerie pour se
faire la réformatrice des mœurs ecclésiastiques. Elle jeta
un regard sévère dans le monde fermé des couvents. Rare
occasion. 11 y fallut un concours singulier de circonstan-
ces, des jalousies furieuses, des vengeances de prêtre à
prêtre. Sans ces passions indiscrètes, que nous verrons
plus tard encore éclater de moments en moments, nous
n'aurions nulle connaissance de la destinée réelle de ce
grand peuple de femmes qui meurt dans ces tristes mai-
sons, pas un mot de ce qui se passe derrière ces grilles et
ces grands murs que le confesseur franchit seul.
Le prêtre basque que Lancre montre si léger, si mon-
dain, allant, l'épée au côté, danser la nuit au sabbat, où il
conduit sa sacristine, n'était pas un exemple à craindre.
Ce n'était pas celui-là que l'Inquisition d'Espagne prenait
tant de peine à couvrir, et pour qui ce corps si sévère se
montrait si indulgent. On entrevoit fort bien chez Lancre,
au milieu de ses réticences, qu'il y a encore autre chose.
Et les États généraux de I6U, quand ils disent qu'il ne
La sorcellbruç dans lcs couvents. ^07
faut pas que 1(Q prêtre Juge le pfétre, pensent aussi à autre
chose. Cest précisément ce mystère qui se trouva déchiré
par le Parlement de Provence. Le directeur de religieuses,
maitre d'elles, et disposant de leur corps et de leur âme,
les ensorcelant : y(Mlà ce qui apparut au procès de Gauf-'
fridi, plus tard aux affaires terribles de Loudun et de
Louviers^ dans celles. que Llorente, que Ricci et autres
nous ont fait connaître.
La tactique fut la même pour atténuer le scandale, dé-
sorienter le public, l'occuper de la forme en cachant le
fond. Au procès d'un prêtre sorcier, on mit e(i saillie le
sorciert et Ton escamota le prêtre, de manière à tout rcr
jeter sur les arts magiques et faire oublier la fascination
naturelle d'un homme maître d'un troupeau àe femmes
qui lui sont abandonnées.
D n'y avait aucun mpyen d'étouffer la première affaire.
«Elle avait iéolâta en pleine Provence, dans ce pays de hi-
nûère où le soleil perce tout à jour. Le théâtre principal
fut non-seulement Aix et Marseille^ mais le lieu célèbre
de la Sainte-Baume, pèlerinage fréquenté oii une foule de
curieux vinrent de toute la France assister ^\i duel à mort
de deux religieuses possédées et de leurs démons. Les Do-
minicains» qui entamèrent la chose comme inquisiteurs,
s'y compromirent fort par Téclat qu'ils lui donnèrent et
par leur partialité pour telle de ces religieuses. Quelque
soin que le Parlement mtt ensuite à brusquer la conclu-
sion, ces moines eurent grand besoin de s'expliquer et de
s'excuser. Se là le livre important du moine Michaëlis,
nièlé de vérités, de fables, où il érige Gauffridi, le prêtre
qu'il fit brûler, en Prince des magiciens^ non-seulement
de France^ mais d'Espagne, d'Allemagne, d'Angleterre et
de Turquie, de toute la terre habitée.
Gauffridi semble avoir été un homme agréable et de
mérite. Né aux montagnes de Provence, il avait beaucoup
voyagé dans les Pays-Bas et dans l'Orient. II avait la meil-
SOS LES COUVENTS.
leure réputation à Marseille, où il était prêtre à l'église des
Acoules. Son évéque en faisait cas^ et les dames les plus
dévotes le préféraient pour confesseur. Il avait, dit-on, un
don singulier pour se faire aimer de toutes. Néanmoins il
aurait gardé une bonne réputation si une dame noble de
Provence, aveugle et passionnée, n'eût poussé l'infatuatlon
jusqu*à lui confier (peut-être pour son éducation religieuse)
une charmante enfant de douze ans, Madeleine de la Pa-
lud, blonde et d'un caractère doux. Gauffridi y perdit
l'esprit, et ne respecta pas l'âge ni la sainte ignorance,
l'abandon de son élève.
' Elle grandit cependant, et la jeune demoiselle noble
s'aperçut de son malheur, de cet amour inférieur et sans
espoir de mariage. Gauffridi, pour la retenir, dit qu*il
pouvait l'épouser devant le Diable, s'il ne le pouvait de-
vant Dieu. Il caressa son orgueil en lui disant qu'il était le
Prince des magicienSy et qu'elle en deviendrait la reine. U
lui mit au doigt un anneau d'argent, marqué de carac-
tères magiques. La mena*t-il au sabbat ou lui fit-il croire
qu'elle y avait été, en la troublant par des breuvages, des
fascinations magnétiques ? Ce qui est sûr, c'est que l'en-
fant, tiraillée entre deux croyances, pleine d^agitation et
de peur, fut ^ès lors par moments folle, et certains accès
la jetaient dans Tépilepsie. Sa peur était d'être enlevée
vivante par le Diable. Elle n'osa plus rester dans la mai-
son de son père, et se réfugia au couvent des Ursulines de
Marseille.
C'était le plus calme des ordres et le moins déraison-
nable. Elles n'étaient pas oisives, s'occupant un peu à éle-
ver des petites filles. La réaction catholique, qui avait
commencé avec une haute ambition espagnole d'extase,
impossible alors, qui avait follement b&ti force couvents
de carmélites, feuillantines et capucines, s'était vue bien-
tôt au bout de ses, forces. Les filles qu'on murait là si du-
rement pour s'en délivrer mouraient tout de suite, et, par
LA SORCELLERIE DANS LES COUVENTS. 209
ces morts si promptes, accusaient horriblement Tinhu-
inanité des familles. Ce qui les tuait, ce n'étaient pas les
mortifications, mais l'ennui et le désespoir. Après le pre-
mier moment de ferveui:, la terrible maladie des cloîtres
(décrite dès le v*" siècle par Cassicn), Tcnnui pesant, l'en-
nui mélancolique des après-midi, Tennui tendre qui égare
en d'indéfinissables langueurs, les minait rapidement. D'au-
tres étaient comme furieuses; le sang trop fort les étouffait.
Une religieuse, pour mourir décemment sans laisser
trop de remords à ses proches, doit y metti^ environ dix
ans (c'est la vie moyenne des cloîtres). Il fallut donc en
rabattre, et des hommes de bon sens et d'expérience sen-
tirent que, pour les prolonger, il fallait les occuper quel-
que peu, ne pas les tenir trop seules. Saint François de
Sales fonda les Yisitandines, qui devaient, deux à deux, vi-
siter les malades. César de Bus et Romillion, qui avaient
créé les Prêtres de la doctrine (en rapport avec l'Oratoire),
fondèrent ce qu'on eût pu appeler les filles de la Doctrine,
les Ursulînes, religieuses enseignantes^ que ces prêtres di-
rigeaient. Le tout sous la haute inspection des évéques, et
peu, très-peu monastique; elles n'étaient pas cloîtrées en-
core. Les Yisitandines sortaient ; les Ursulines recevaient
(au moins les parents des élèves). Les unes et les autres
étaient en rapport avec le monde, sous des directeurs es-
timés. L*écueilde tout cela, c*était la médiocrité. Quoique
les Oratoriens et Doctrinaires aient eu des gens de grand
mérite, l'esprit général de l'ordre était systématiquement
moyen, modéré, 'attentif à ne pas prendre un vol trop
haut. Le fondateur des Ursulines, Romillion, était un
homme d'âge, un protestant converti, qui avait tout tra-
versé, et était revenu de tout. 11 croyait ses jeunes Pro-
vençales déjà aussi sages^ et comptait tenir ses petites
ouailles dans les maigres pâturages d'une religion ora-
torienne, monotone et raisonnable. C'est par là que l'en-
nui rentrait. Un matin, tout échappa.
XI. 14
210 LES COUVENTS.
Le montagnard provençal, le voyageur, le mystique,
rhomme de trouble et de passion, Gauffridi, qui venait là
comme directeur de Madeleine, eut une bien autre action.
nies sentirent une puissance, et,- sans doute par les échap-
pées de la jeune folle amoureuse, elles -surent que ce n'é-
tait rien moins qu'une puissance diabolique. Toutes sont
saisies de peur, et plus d'une aussi d'amour. Les imagi-
nations s'exaltent; les têtes tournent. En voilà cinq ou six
qui pleurent, qui crient et qui hurlent, qui se sentent
saisies du démon.
Si les Ursultnes eussent été cloîtrées, murées, Gauffridi,
leur seul directeur, eût pu les mettre d'accord de manière
ou d'autre. Il aurait pu arriver, comme en un cloître du
Quesnoy en 1490, que le Diable, qui prend volontiers la
figure de celui qu'on aime, se fût constitué, sous la figure
de Gauffridi, Tamant commun des religieuses. Ou bien,
comme dans ces cloîtres espagnols dont parle Llorente, il
leur eût persuadé que le prêtre sacre de prêtrise celles à
qui il fait l'amour, et que le péché avec lui est une sancti-
fication. Opinion répandue en France, et à Paris même,
où ces maltresses de prêtres étaient dites « les consacrées »
(Lestoile, édit. Mich., 561).
Gauffridi, maître de toutes, s'en tint-il à Madeleine? Ne
passa-t-il pas de l'amour au libertinage? On ne sait.
L'arrêt indique une religieuse qu'on ne montra pas au
procès, mais qui reparait à la fin, comme s'étant donnée
au Diable et à lui.
Les Ursulines étaient une maison toute à jour, où cha-
cun venait, voyait. Elles étaient sous la garde de leurs
Doctrinaires, honnêtes, et d'ailleurs jaloux. Le fondateur
même était là, indigné et désespéré. Quel malheur pour
l'ordre naissant, qui, à ce moment même, prospérait,
s'étendait partout en France ! Sa prétention était la sa-
gesse, le bon sens, le calme. Et tout à soup il délire ! Ro-
million eût voulu étouffer la chose. II fit secrètement
LA SORCSLLUtai ftàlfS LBS COUVENTS. 2 1 4
exorciser ees ttle$ par un de se» prêtres. Mais les diables
ne twAÎeni compte d'exorcistes doctrinaires. Celui de la
petite Monde, Diable noble» qui était Beizébub, démon de
l'oiipieil» ne daigna desserrer les denta*
11 y avait, parmi ces possédées, une fille, particulière-
ment adoptée de Bomillioa, fiUe de vingt à vingt-cinq
ans, fort cultivée et nourrie dans la coniroverse, née pro-
testente, mais qui, n'ayant père ni mère, était tombée aux
luains du Père, comme elle, protestant converti. Son nom
de LemeCapeau semble roturier. C'était, comme il parut
trop, une fille d'un prodigieux esprit, d'une passion en-
ragée. Ajoutez-y une épouvantable force. £lle soutint trois
mois» outre son orage infernal» une lutte désespérée qui
eût tué l'homme le plua fort en buit jours.
Elle dit qu'elle avait trois diables : Verrine^ bon diable
catholique, léger, un des démons de l'air; Léviathan,
mauvais diable, raisonneur et protestant ; enfin un autre
qu'elle avoue être celui de l'impureté. Mais eUe en oublie
un, le démon de la jalousie.
Elle haïssait cruellement la petite, la blonde, la préfé-
rée , To^neilleuse demoiselle noble. Celle-ci , dans ses
accès, avait dit qu'elle avait été au sabbat, et qu'elle y
avait été reine, et qu'on l'y avait adorée, et qu'elle s'y était
livrée, mais au Prince... «*- Quel prince? — Louis Gauf-
fridi, le Prince des magiciens.
Cette Louise, à qui une telle révélation avait enfoncé un
poignard, était trop furieuse pour en douter. Folle, elle
crut la folle, afin de la perdre. Son démon fut soutenu de
tous les démons des jalouses. Toutes crièrent que Gàuf-
fridi était bien le roi des sorciers. Le bruit se répandit
partout qu'on avait fait une grande capture, un prêtre roi
des magiciens, le Prince de la magie, pour tous les pays,
Tel fut l'affreux diadème de fer et de feu que ces démons
femelles lui enfoncèrent au front.
Tout le monde perdit la tète, et le vieux Romillion
242 LBS goAyents.
même. Soit haine de Gauffiridî, soit peur de Tlnquisition,
il sortit l'affaire des mains de Tévêque, et mena ses deux
possédées, Louise et Madeleine, au couvent de la Sainte-
Baume, dont le prieur dominicain était le Père Uichaëlis,
propre inquisiteur du pape en terre papale d'Avignon et
qui prétendait l'être pour toute ia Provence. 11 s'agîssaft
uniquement d'exorcismes. Mais, comme les deux filles de-
vaient accuser Gaufi^ridi, celui-ci allait par le fait tomber
nux mains de Tlnquisition .
Michaëlis devait prêcher TAdvent à Aîx, devant le Par-
lement. 11 sentit combien cette affaire dramatique le relè^
verait. Il la saisit avec Tempressement de nos avocats de
<:ours d'assises quand il leur vient un meurtre dramatique
ou quelques cas curieux de conversation criminelle.
Le beau, dans ce genre d'affaires, c'était de mener le
drame pendant l'Advent, Noél et le Carême, et de ne
brûler qu'à la Semaine sainte, la veille du grand moment
de Pâques. Michaélis se réserva pour le dernier acte, et
confia le gros de la besogne à un Dominicain flamand qu'il
avait, le docteur Dompt, qui venait de Louvain, qui avait
déjà exorcisé, était ferré en ces sottises.
Ce que le Flamand d'ailleurs avait à faire de mieux,
c'était de ne rien faire. On lui donnait en Louise un auxi-
liaire terrible, trois fois plus zélé que Flnquisition, d'une
inextinguible fureur, d'une brûlante éloquence, bizarre,
baroque parfois, mais à faire frémir, une vraie torche in-
fernale.
La chose fut réduite à un duel entre les deux diables,
entre Louise et Madeleine, par-devant le peuple.
Des simples qui venaient là au pèlerinage de la Sainte-
Baume, un bon orfèvre par exemple et un drapier, gens
de Troyes en Champagne, étaient ravis de voir le démon
de Louise battre si cruellement les démons et fustiger les
magiciens. Ils en pleuraient de joie, et s'en allaient en -^
merciant Dieu.
LA SORCBLLBRIK DANS LES COUVSffTS. 843
Spectacle bien terrible cependant (même dans la lourde
rédaction des procès-verbaux du Flamand) de voir ce
combat inégal; cette fille, plus âgée et si forte, robuste
Provençale, vraie race des cailloux de la Crau, chaque
jour lapider, assommer, écraser cette victime, jeune et
presque enfant , déjà suppliciée par son mal , perdue
d'anaour et de honte, dans les crises de l'épilepsie. . •
Le volume du Flamand, avec l'addition de Micbaélis, en
tout quatre cents pages, est un court extrait des invectives,
injures et menaces que cette- fille vomit cinq mois, et de
ses sermons aussi, car elle prêchait sur toutes choses, sur
les sacrements, sur la venue prochaine de T Antichrist, sur
la fragilité des femmes, etc., etc. De là, au nom de ses
Diables, elle revenait à la fureur, et deux fois par jour re-
prenait l'exécution de la petite, sans respirer, sans sus-
pendre une minute Taffreux torrent, à moins que l'autre,
éperdue, « un pied en enfer, » dit-elle elle-même, ne
tombât en convulsion, et ne frappât les dalles de ses ge-
noux, de son corps, de sa tète évanouie.
Louise est bien au quart folle, il faut l'avouer ; nulle
fourberie n'eût suffi à tenir cette longue gageure. Mais sa
jalousie lui donne, sur chaque endroit où elle peut crever
le cœur à la patiente et y faire entrer l'aiguille, une hor-
rible lucidité.
C'est le renversement de toute chose. Cette Louise, pos-
sédée du Diable, communie tant qu'elle veut. Elle gour-
mande les personnes de la plus haute autorité. La vénérable
Catherine de France, la première des Ursulines, vient voir
cette merveille, Tinterroge, et tout d'abord la surprend en
flagrant délit d'erreur, de sottise. L'autre, impudente, en
est quitte pour dire, au nom de son Diable : « Le Diable
est le père du mensonge. »
Un minime, homme de sens, qui est là, relève ce mot,
et lui dit : « Alors, tu mens. » Et aux exorcistes : c Que
ne faites- vous taire cette femme ?» Il leur cite l'histoire
m UrS GOOVBNTS.
de Marthe, la fausse possédée de Paris. Pour râpoDse, on
la fait communier devant hri. Le Diable communiant, le
Diable recevant le corps de Dieu!... Le pauvre iMimme
est stupéfait... 11 s*humilie devant ilnquisition. Il a trop
forte partie, ne dit plus iin mot.
Un des moyens de Louise, e'eat de terrifier l'assistance,
disant : « Je Tois des magiciens... » Chacun tremble pour
soi-même.
Victorieuse de la Sainte-Baume, elle frappe jusqu'à
Marseille. Son exorciste flamand, réduit à l'étrange râle
de secrétaire et confident du Diable, écrit soas sa dictée
cinq lettres :
Aux Capucins de Marseille pour qu'ils somment Gauf-
fridi de se convertir; *- aux mêmes Capucins pour qu'ils ar-
rêtent Gauffridi, le garrottent avec uoa étole et le tiennent
prisonnier dans telle maison qu'elle indique; — plusieurs
lettres aux modérés, à Catherine de France, aux Prêtres
de la Doctrine, qui eux-mêmes se déclaraient contre elle.
— Enfin, cette femme effrénée, débordée, insulte sa propre
supérieure : a Vous m'avez dit au départ d'être humble et
obéissante... Je vous rends votre conseil. »
Yerrine, le Diable de Louise, démon de l'air et du yent,
lui soufflait des paroles folles, légères et d'orgueil insensé,
blessant amis et ennemis, Tlnquisition même* Un jour,
elle se mit à rire de Micbaélis, qui se morfondait à Âix à
prêcher dans le désert, tandis que tout le monde venait
l'écouter à la Sainte-Baume. « Tu prêches, ô Michaélis!
tu dis vrai, mais avances peu... Et Louise, sans étudier, a
atteint, compris le sommaire de la perfection. »
Cette joie sauvage lui venait surtout d'avoir brisé Made-
leine. Un mot y avait fait plus que cent semons. Mot bar-
bare : n Tu seras brûlée » (H décembre)', ta petite fille,
éperdue, dit dès lors tout ce qu'elle voulait et la soutint
bassement.
Elle s'humilia devant tous, demanda pardon à sa mère.
LA SORCBLLSaiB PAIfS LBS COUVENTS. 1245
à son supérieur RomiUioii, à rassistance, à Louise. Si nous
en eroyoBS oelle-ci, la peureuse la prit à part, la pria
d'avoir pilié d'elle, de ne pas trop la châtier.
L'autre, tendre comnie un roc, clémente comme un
éeueil, sentit qu'elle était à elle, pour en faire ce qu'elle
voudrait. Elle la prit, l'enveloppa, l'étourdit et lui ôta le
peu qui lui restait d'&me. Second ensorcellement, mais à
l'envers de Gauffridi, voï^poisession par la terreur. La créa-
ture anéantie murchant sous la verge et le fouet, on la
pooBsa jonr par jour dans cette voie d'exquise doideur
d'accuser, d'aasaasiner celui qu'elle aimait encore.
Si Madeleine avait résisté, Gau&ridi eût échappé. Tout
le monde était contre Louise.
Michaêlis même, à Âix^ éclipsé par elle dans ses.prédi-
ealions, traité d'el\f^ si légèrement, eût tout arrêté plutôt
qae d'en laisser Thonneur à cette fille.
Marseille défendait Gauffridi, étant effrayée de voir l'in-
quisition d'Avignon pousser jusqu'à elle, et chez elle
prendre un Marseillais.
L'évéque smrtout et le chapitre défendaient leur prêtre.
Ils soutenaient qu'il n'y avait rien en tout cela qu'une ja-
lousie de confesseurs, la haine ordinaire des moines contre
les prêtres séculiers.
Les Doctrinaires auraient voulu tout finir. Ils étaient
désolés du hruit. Plusieurs en eurent tant de chagrin,
qu'ils étaient près de tout laisser et de quitter leur maison.
Las daœea étaient indignées, surtout madame Libertat,
la dame du chef des royalistes, qui avait rendu Marseille
aa roi. Toutes pleuraient pour Gauffridi et disaient que le
déflaon seul pouvait attaquer cet agneau de Dieu.
Lm Capucine, à qui Louise si impérieusement ordonnait
de le lurendre au corps, étaient (comme tous les ordres
de Saint-François) ennemis des Dominicains. Us furent
jaloux du relief que ceux-ci tiraient de leur possédée. La
vie errante d'ailleurs qui mettait les Capucins en rapport
216 LES COOVENTS.
I continuel avec les femmes leur faisait souvent des aflaires
de mœurs. Ils n*aimaiei)t pas qu'on se mit à regarder de
si près la vie des ecclésiastiques. Ils prirent parti pour
Gauffridi. Les possédés n'étaient pas chose si rare^u'on
ne pût s'en procurer; ils en eurent un à point nommé. Son
Diable, sous Tinfluence du cordon de Saint-François, dit
tout le contraire du Diable de Saint-Dominique. Il dit, et
ils écrivirent en son nom : € Que Gauffridi n'était nulle-.
ment magicien, qu'on ne pouvait l'arrêter. »
On ne s'attendait pas à cela, à la Sainte «Baume. Louise
parut interdite. Elle trouva à dire seulement qu'appa-
remment les Capucins n'avaient pas fait jurer à leur
Diable de dire vrai. Pauvre réponse , qui fut pourtant
appuyée par la tremblante Madeleine.
Comme un chien qu'on a battu et»qui craint de l'être
encore, elle était capable de tout, même de mordre et de
déchirer. C'est par elle qu'en cette crise Louise horrible-
ment mordit.
Elle-même dit seulement que l'évéque, sans le savoir,
affensait Dieu. Elle cria « contre les sorciers de Marseille,»
sans nommer personne. Mais le mot cruel et fatal, elle le
fit dire par Madeleine. Une femme qui depuis deux ans
avait perdu son enfant fut désignée par celle-ci comme
rayant étranglé. La femme , craignant les tortures, s'en-
fuit ou se tint cachée. Son mari, son père, en larmes,
vinrent à la Sainte-Baume , sans doute pour fléchir les
inquisiteurs. Mais Madeleine n'eût jamais osé se dédire;
elle répéta l'accusation.
Qui était en sûreté? Personne. Du moment que le Dia-
ble était pris pour vengeur de Dieu, du momenl qu'on
écrivait sous sa dictée les noms de ceux qui pouvaient
passer par les flammes, chacun eut de nuit et de jour le
cauchemar affreux du bûcher.
Marseille, contre une telle audace de l'Inquisition pa-
pale, eût dû s'appuyer du Parlement d'Aix. Malheureu-
LA SORCBLLBRIB DANS LBS G0U7KNTS. SI 7
sèment elle savait qu'elle n'était pas aimée à Aix. Celle-ci,
la petite ville oflScielle de magistrature et de noblesse , a
toujours été jalouse de l'opulente splendeur de Marseille,
cette reine du Midi. Ce fut tout au contraire l'adversaire
de Marseille, l'inquisiteur papal, qui, pour prévenir l'appel
de Gauffridi au Parlement , y eut recours le premier.
C'était un corps très-fanatique dont les grosses tètes
étaient des nobles enrichis dans l'autre siècle au massacre
des Vaiidois. Comme juges laïques, d'ailleurs, ils furent
ravis de voir un inquisiteur du pape créer un tel précé-
dent, avouer que, dans l'affaire d'un prêtre , dans une
affaire de sortilège, l'Inquisition ne pouvait procéder que
pour l'instruction préparatoire. C'était comme une dé-
mission que donnaient les inquisiteurs de toutes leurs
vieilles prétentions. Un côté flatteur aussi où mordirent
ceux d'Aîx, comme avaient fait ceux de Bordeaux, c'était
qu'eux laïques, ils fussent érigés par TËglise elle-même
en censeurs et réformateurs des mœurs ecclésiastiques.
Dans cette affaire, oii tout devait être étrange et mira-
culeux, ce ne fut pas la moindre merveille de voir un
démon si furieux devenir tout à coup flatteur pour le Par-
lement, politique et diplomate. Louise charma les gens du
roi par un éloge du feu roi. Henri IV (qui l'aurait cru?)
fut canonisé par le Diable. Un matin, sans à-propos, il
éclata en éloges « de ce pieux et saint roi qui venait de
monter au ciel. »
Un tel accord des deux anciens ennemis, le Parlement
et l'Inquisition, celle-ci désormais sûre du bras séculier,
des soldats et du bourreau, une commission parlemen-
taire envoyée à la Sainte-Baume pour examiner les pos-
sédées, écouter leurs dépositions, leurs accusations, et
dresser des listes , c'était chose vraiment effrayante.
Louise, sans ménagement, désigna les Capucins, défen-
seurs de Gauffridi, et annonça « qu'ils seraient punis t^m-
parellement » dans leur corps et dans leur chair.
il 8 LES GOUYENTS.
Les pauvres Pères furent brisés. Lear Diable ne souffla
plus mot. Ils allèrent trouver l'évèque, et lui direat qu'ea
efiet on ne pouvait guère refuser de représenter GauflEridi
à la Sainte-Baume, et de faire acte d'obéissance; mais
qu'après cela Tévéque et le chapitre le réclameraient, le
replaceraient sous la protection de la justice épiscopale.
On avait calculé aussi sans doute que la vue de cel
homme aimé allait fort troubler les deux filles, que la
terrible Louise elle-même serait ébranlée des réclamations
de son cœur.
Ce cœur^ en efiet, s'éveilla à l'approche du coupable;
la furieuse semble avoir eu un moment d'attendrissement
Je ne connais rien de plus brûlant que sa prière pour que
Dieu sauve celui qu'elle a poussé à la mort : < Grand Dien,
je vous offre tous les sacrifices qui ont été offerts depuis
l'origine du monde et le seront jusqu'à la fin... le tout
pour Louis!... Je vous offre tous les pleurs des saints,
toutes les extases des anges.;, le tout pour Louis I Je vou-
drais qu'il y eût plus d'âmes encore pour que l'oblation
fût plus grande... le tout pour Louis I Pater de cœlis Deus,
miserere Ludovici I Fili redemptor mundi Deus, miserere
Ludovicil... » etc.
Vaine pitié I funeste d'ailleurs!... Ce qu'elle eût voulu,
c'était que l'accusé ne s'eiidurùU pas^ qu'il s'avoufit cou-
pable. Auquel cas il était sûr d'être brûlé, dans notre
jurisprudence.
Elle-même, du reste, était finie, elle ne pouvait plus
rien. L'inquisiteur Michaélis^ humilié de n'avoir vaincu
que par elle, irrité contre son exorciste flamand, qui s'était
tellement subordonné à elle et avait laissé voir à tous les
secrets ressorts de la tragédie, Michaëlis venait justement
pour briser Louise , sauver Madeleine et la lui substituer,
s'il se pouvait, dans ce drame populaire. Ceci n'était pas
maladroit et témoigne d une certaine entente de la scène.
L'hiver et l'Advent avaient été remplis par la terrible sibylle,
LA SORCBLLBBIE DANS V^ COUVBNTS» 249
la bacchante furieuse. Dans une saison plus douce, dans
tm printemps de Provence, au Carême, aurait figuré un
personnage plus Couchant, un démon tout féminin dans
une enfont malade et dans une blonde timide. La petite
demoiselle appartenant à une famille distinguée, la no*
blesse s'y intéressait, et le Parlement de Provence.
MicbaêUs , loin d'écouter son Flamand , l'homme de
Louise, lorsqu'il voulut entrer au petit conseil des Parle-
menâiires, lui ferma la porte. Un Capucin , venu aussi,
au premier mot de Louise, cria : « Silence, Diable mau-
dit ! »
Gauffridi cependant était arrivé à la Sainte-Baume, où
il fiusait triste figure. Homme d'esprit, mais faible et cou*
pable, il ne pressentait que trop la fin d'une pareille tra-
gédie populaire^ et, dans sa plus cruelle catastrophe, il se
voyait abandonné, trahi de l'enfant qu*il aimait. Il s*aban-
donna lui-même, et, quand on le mit en face de Louise,
elle apparut comme un juge, un de ces vieux juges
d'église, cruels et subtils scolastiques. Elle lui posa les
questions de doctrine, et à tout il répondait oui, lui accor-
dant même les choses les plus contestables, par exemple,
« que le Diable peut .être cru en justice sur sa parole et
sou serment 1 1
Cehi ne dura que huit jours (du I •' au 8 janvier). Le
clergé de Marseille le réclama. Ses amis, les Capucins,
dirent avoir visité sa chambre et n'avoir rien trouvé de
Hiagique. Quatre chanoines de Marseille vinrent d'autorité
le i^rendre et le ramenèrent chez lui.
Gauffiridi était bien bas. Mais ses adversaires n'étaient
pas bien haut. Même les deux inquisiteurs, Michaêlis et le
Flamand, étaient honteusement en discorde. La partialité
du second pour Louise , du premier pour Madeleine ,
dépassa les paroles mêmes, et l'on en vint aux voies de fait.
Ce chaos d'accusations, de sermons, de révélations, que
le Diable avait dicté par la bouche de Louise, le Flamand,
320 LES COUVENTS.
qui Tavait écrit, soutenait que tout cela était parole de
Dieu, et craignait qu'on n'y touchftt. Il avouait une grande
défiance de son chef Michaëlis, craignait que, dans Fin—
térêt de Madeleine, il n'altérât ces papiers de manière à
perdre Louise. Il les défendit tant qu'il put, s'enferma
dans sa chambrei et soutint un siège. Michaélis, qui avait
les parlementaires pour lui , ne put prendre le manuscrit
qu'au nom du roi et en enfonçant la porte.
Louise, qui n'avait peur de rien, voulait au roi opposer
le pape. Le Flamand porta appel contre son chef Mtchaêlîs
à Avignon , au légat. Mais la prudente cour papale fut
effrayée du scandale de voir un inquisiteur accuser un
inquisiteur. Elle n'appuya pas le Flamand , qui n'eut plus
qu'à se soumettre. Michaêlis, pour le faire taire, lui res-
titua les papiers.
Ceux de Michaêlis, qui forment un second procès*
verbal assez plat et nullement comparable à l'autre, ne
sont remplis que de Madeleine. On lui fait de la musique
pour essayer de la calmer. On note très*soigneusement
si elle mange ou ne mange pas. On s'occupe trop d'elle
en vérité, et souvent de façon peu édifiante. On lui adresse
des questions étranges sur le magicien, sur les places de
son corps qui pouvaient avoir la marque du Diable. Elle-
même fut examinée. Quoiqu'elle dût l'ôtre à Aix par
les médecins et chirurgiens du Parlement (p. 70), Mi—
chaëlis, par excès de zèle, la visita à la Sainte-Baume, et
il spécifie ses observations (p. 69). Point de matrone appe-
lée. Les juges, laïques et moines, ici réconciliés et n'ayant
pas à craindre leur surveillance mutuelle , se passèrent
apparemment ce mépris des formalités.
Ils avaient un jugé en Louise. Cette fille hardie stigma-
tisa ces indécences au fer chaud : « Ceux qu'engloutit le
Déluge n'avaient pas tant fait que ceux-ci t.. . Sodome, rien
de pareil n'a jamais été dit de toi I... »
Elle dit aussi: «Madeleine est livrée à l'impureté! »
LA SORCELLERIE DANS LES GOCVENTS. S21
C'était, en effet, le plus triste. La pauvre folle , par une
joie aveugle de vivre, de n'être pas brûlée, ou par un sen-
timent confus que c'était elle maintenant qui avait action
sur les juges, chanta, dansa par moments avec une liberté
honteuse, impudique et provocante. Le prêtre de la Doc-
trine, le vieux Romillion , en rougit pour son Ursuline,
Choqué de voir ces hommes admirer ses longs cheveux, il
dit qu'il fallait les couper, lui ôter cette vanité.
Elle était obéissante et douce dans ses bons moments.
Et on aurait bien voulu en faire une Louise. Mais ses
Diables étaient vaniteux, amoureux, non éloquents et
farieux, comiiie ceux de l'autre. Quand on voulut les faire
prêcher, ils ne dirent que des pauvretés. Michaêlis fut
obligé de jouer la pièce tout seul. Comme inquisiteur eu
cbefy tenant à dépasser de loin son subordonné Flamand,
il assura avoir déjà tiré de ce petit corps une armée de
six mille six cent soixante diables ; il n'en restait qu'une
centaine. Pour mieux convaincre le public , il lui fit reje-
ter le charme ou sortilège qu'elle avait avalé, disait-il, et
le lui tira de la bouche dans une matière gluante. Qui eût
refusé de se rendre à cela? L'assistance demeura stupé-
faite et convaincue.
Madeleine était en bonne voie de salut. L'obstacle était
elle*méme. Elle disait à chaque instant des choses impru-
dentes qui pouvaient irriter la jalousie de ses juges et leur
faire perdre patience. Elle avouait que tout objet lui
représentait Gaufiridi, qu'elle le voyait toujours. Elle ne
cachait pas ses songes erotiques, a Cette nuit, disait-elle,
j'étais au sabbat. Les magiciens adoraient ma statue toute
dorée. Chacun d'eux, pour Thonorer, lui offrait du sang,
qu'ils tiraient de leurs mains avec des lancettes. Lui, il
était là , à genoux , la corde au cou, me priant de revenir
à, lui et de ne pas le trahir... Je résistais... Alors il dit :
c Y a-t-il quelqu'un ici qui veuille mourir pour elle? —
c Moi, dit un jeune homme, » et le magicien l'immola. «
222 LES COUVENTS.
Dans un autre moment, elle le voyait qui lui demandait
seulement un seul de ses beaux cheveux blonds, c Et,
comme je refusais, il dit : c La moitié au moins d'un
cheveu. »
Elle assurait cependant qu'eHe résistait toujours. Mais
un jour, la porte se trouvant ouverte, voilà notre con-
vertie qui courait à toutes jambes iponr rejoindre Gaof*
fridi.
On la reprit» au moins le corps. Vais l'ftme? Michaêlis
ne savait comment la reprendre. 11 avisa heureusement
son anneau magique. Il le tira, le coupa, le détruisit, le
brûla. Supposant aussi que Tobstînation de cette personne
si douce venait des sorciers invisibles qui s'introduisaient
dans la chambre, il y mit un homme d'armes, bien solide,
avec une épée, qui frappait de tous les côtés, et taillait
les invisibles en pièces.
Mais la meilleure médecine pour convertir Madeleine,
c'était la mort de Gauffridi. Le 5 février, l'inquisiteur alla
prêcher le Carême à Âix, vit les juges et les anima. Le
Parlement, docile à son impulsion, envoya prendre à
Marseille l'imprudent, qui, se voyant si bien appuyé de
révéque, du chapitre, des Capucins, de tout le monde,
avait cru qu'on n'oserait.
Madeleine d'un côté, Gauffridi de l'autre, arrivèrent à
Aix. Elle était si agitée, qu'on fut contraint de la lier.
Son trouble était épouvantable, et l'on n'était plus sûr de
rien. On avisa un moyen bien hardi avec cette enfant si
malade, une de ces peurs qui jettent une femme dans les
convulsions et parfois donnent la mort. Un vicaire générai
de l'archevêché dit qu'il y avait en ce palais un noir et
étroit charnier, ce qu'on appelle en Espagne un pourris-
soir (comme on en voit à rÈscurial) . Anciennement on y
avait mis se consommer d'anciens ossements de morts
inconnus. Dans cet antre sépulcral, on introduisit la fille
tremblante. On ^exorcisa en lui appliquant au visage ces
LA SORCILLERn DANS LES COUTEXTS. 223
froids ossements. Elle ne mourut pas d'horreur, mais
elle fut dès lors à discrétion, et Ton eut ce qu'on voulait,
la mort de la conscience, Textermination de ce qui restait
de sens moral et de volonté.
Elle devint un instrument souple, à faire tout ce qu'on
voulait, flatteuse, cherchant à deviner ce qui plairait à ses
maîtres. On lui montra des huguenots, et elle les injuria.
On la mit devant Gauffridi, et elle lui dit par cœur les
griefs d'accusation, mieux que n'eussent fait les gens du
roi. Cela ne l'empêchait pas de japper en furieuse quand
on la menait à Téglise, d'ameuter le peuple contre Gauffridi
en faisant blasphémer son Diable au nom du magicien.
Belzébub disait par sa bouche : « Je renonce à Dieu au
nom de Gauffridi, je renonce au Fils de Dieu , » etc. Et au
moment de l'élévation : « Retombe sur moi le sang du
Juste, de la part de Gauffridi I »
Horrible communauté. Ce Diable à deux damnait l'un
parles paroles de l'autre ; tout ce qu'il disait par Madeleine,
on l'imputait à Gauffridi. Et la foule épouvantée avait
hâte de voir brûler le blasphémateur muet dont l'impiété
rugissait par la voix de cette fille.
Les exorcistes lui firent cette cruelle question, à laquelle
ils eussent eux-mêmes pu répondre bien mieux qu'elle :
c Pourquoi, Belzébub, parles-tu si mal de ton grand ami? »
— Elle répondit ces mots affreux : « S'il y a des traîtres
entres les hommes, pourquoi pas entre les démons?
Quand je me sens avec Gauffridi, je suis à lui pour faire
tout ce qu'il voudra. Et quand vous me contraignez, je
le trahis et m'en moque I »
Elle ne soutint pas pourtant cette exécrable risée. Quoi-
que le démon de la peur et de la servilité semblât l'avoir
toute envahie, il y eut place encore pour le désespoir.
Elle ne pouvait plus prendre le moindre aliment. Et ces
gens qui depuis cinq mois l'exterminaient d'exorcismes et
prétendaient l'avoir allégée de six mille ou sept mille
22 i LES COUVENTS.
diables, sont obligés de convenir qu'elle ne voulait plus que
mourir et cherchait avidement tous les moyens de suicide.
Le courage seul lui manquait. Une fois, elle se piqua
avec une lancette, mais n'eut pas la force d'appuyer.
Une fois, elle saisit un couteau, et, quand on le lui ôta,
elle tâcha de s'étrangler. Elle s'enfonçait des aiguilles,
enfin essaya follement de se faire entrer dans la tôte une
longue épingle par l'oreille.
Que devenait Gauffridi 7 L'inquisiteur, si long sur les
deux filles, n'en dit presque rien. Il passe comme sur le
feu. Le peu qu'il dit est bien étrange. Il conte qu'on lui
banda les yeux, pendant qu'avec des aiguilles on cherchait
sur tout son corps la place insensible qui devait être la
marque du Diable. Quand on lui ôta le bandeau, il apprit
avec étonnement et horreur que, par trois fois, on avait
enfoncé l'aiguille sans qu'il la sentit; donc il était trois
fois marqué du signe d'Enfer. Et l'inquisiteur ajouta : < Si
nous étions en Avignon, cet homme serait brûlé demain. •
Alors Gauffridi se sentit perdu, et ne se défendit plus.
11 regarda seulement ci quelques ennemis des Dominicains
ne pourraient lui sauver la vie. Il dit vouloir se confesser
aux Oratoriens. Hais ce nouvel ordre, qu'on aurait pu
appeler le juste milieu du catholicisme, était trop froid et
trop sage pour prendre en main une telle affaire, si avan-
cée d'ailleurs et désespérée.
Alors il se retourna vers les moines Mendiants, se con-
fessa aux Capucins, avoua tout et plus que la vérité, pour
acheter la vie par la honte. En Espagne, il aurait été relaxé
certainement, sauf une petite pénitence dans quelque
couvent. Mais nos parlements étaient plus sévères; ils
tenaient à constater la pureté supérieure de la juridiction
laïque. Les Capucins, eux-mêmes peu rassurés sur l'ar-
ticle des mœurs, n'étaient pas gens à attirer la foudre sur
eux. Ils enveloppaient Gauffridi, le gardaient, le conso-
laient jour et nuit, mais seulement pour qu'il s'avouât ma-
Lk 60RCILLBRIS DANS LBS COUYINTS. S25
giden, et que, la magie restant le chef d'accusation, on
pftt laisser au second plaa la séduction d'un directeur, qui
eompromettatt le clergé.
Donc ses amis, les Capucins, par obsession, caresses et
tendresses, tirent de lui raven mortel, qui, disaient-ils^
sauvait son âme, mais qui bien certainement livrait son
corps an bûcher.
L'homme étant perdu, fini, on en finit avec les filles,
qu'on ne devait pas brûler. Ce fut une facétie. Dans une
grande assemblée du clergé et du Parlement, on fit venir
Madeleine, et, parlant à elle, on somma son Diable, Beizé*
bob, de vider les lieux, sinon de donner ses oppositions.
Il n'eut garde de le faire, et partit honteusement.
Puis, on fit venir Louise, avec son Diable Yerrine, mais
avant de chasser un esprU si ami de l'Ëglise, les moines
régalèrent les parlementaires, novices en ces choses, du
savoir-fiiire de ce Diable, en lui faisant exécuter une cu-
rieuse pantomime. « Comment font les Séraphins, les Ché-
rabins, les Trônes, devant Dieu? — Chose difficiie, dit
Louise, ils n'ont pas de corps. > Mais, comme on répéta
Tordre, elle fit effort pour obéir, imitant le vol des uns^ le
brûlant désir des autres, et enfin l'adoration, en se cour-
bant devant les juges, prosternée et la tête en bas. On vit
cette fameuse Louise, si fière et si indomptée, s'humilier,
baiser le pavé, et, les bras étendus, s'y appliquer de tout
son long.
Singulière exhibition, frivole, indécente, par laquelle on
lui fit expier son terrible succès populaire. Elle gagna en-
core l'assemblée par un cruil coup de poignard qu'elle
frappa sur Gauffridi, qui était là garrotté : « Maintenant,
lai dit-on, où est Beizébub, le Diable sorti de Madeleine?
— Je le vois distinctement à Toreilie de Gauffridi. »
Est-ce assez de honte et d*horreurs? Resterait à savoir
ce que cet infortuné dit à la question. On lui donna l'or-
dinaire et l'extraordinaire. Tout ce qu'il y dut révéler
J^ LSSCOjJVgNTS.
*• * ' ■ ' .
éclairerait sans nul doute la curieuse histoire des couveois
de femmes. Les parlementaires recueillaient avidemoRt
ces choses-là, comme armes qui pouvaient servir» mmis
ils les tenaient « sous le secret de la cour, j
L'inquisiteur Hiehaêlis, fbri attaqué dans le public pouF
tant d'animosilé qui ressemblait fort a la jalousie, lut ap-
pelé par son ordre, qui s'assemblait à Paris, et ne vit pas
le supplice de Gauffridi, brûlé vif àÀix quatre joues après
(30avriM6H)-
La réputation des Dominicains, entamée par ce procès,
ne fut pas fort relevée par une autre affaire de jwueinsn
qu'ils arrangèrent à Beauvais (novembre) de manière à ae
donner tous les honneurs de la guerre, et qu'ils impri-
mèrent à Paris. Comme on avait reproché surtout au
Diable de Louise de ne pas parler latin, la nouvelle
possédée, Denise Lacaille. ea jargonnait quelques oftois.
Ils en firent grand bruit, la montrèrent souvent en proces-
sion, la promenèrent même de Beauvais à Notre-Dame de
Liesse. Mais Tafiaire resta assez froide. Ce pèlerinage pi-
card n*eut pas Teffet dramatique, les terreurs de la Sainte-
Baume. Cette Lacaille^ avec son latin, n'eut pas la brft-
lante éloquence de la Provençale,^ ni sa fougue, ni sa
fureur. Le tout n'aboutit à rien qu'à amuser les biigua-
nots.
Qu'advint- il des deux rivales, de Madeleine et de
Louise? La première, du moins son ombre, fut tenue en
terre papale^ de peur qu'on ne la fit parler sur cette fu-
nèbre affaire. On ne la montrait en public que coqfinie
exemple de pénitence. On la menait couper avec de pau-
vres femmes du bois qu on vendait pour aumônes. Ses
parents, humiliés d'elle, l'avedent répudiée et aban-
donnée.
Pour Louise, elle avait dit pendant le procès :'t Je ne
m'en glorifierai pas... Le procès fini, j*en mourrai 1 » Mais
cela n'arriva point. Elle ne mourut pas; elle tua encore.
LA SORCBLLERIB DANS LBS COUVENTS. 227
Le Diable meurtrier qui était en elle était plus furieux que
jamais. Elle se mit à déclarer aux inquisiteurs par noms,
prénoms et surnoms, tous ceux qu'elle imaginait affiliés. à
la magie, entre autres une pauvre fille, nommée Honorée,
c aveugle des deux yeux, » qui fut brûlée vive.
« Prions Dieu, dit en finissant le bon P. Michaêlis, que
le tout soit à sa gloire et à celle de son Église. »
CHAPITRE XX
Luynes et le P. Amom. -> Penécviion des piotettanu.
1618-1610.
N'avons-nous pas outre mesure appuyé sur une anec-
dote, sur un fait individuel? Nous ne le croyons nullement.
Nous regardons ce procès comme jetant une grande
lumière sur un fait collectif immense, sur l'existence in-
térieure des ordres religieux tellement multipliés à cette
époque. Ce qui se passa dans un ordre modéré et raison-
nablCy soumis à la discipline Oratorienne et Doctrinaire,
aidera à faire comprendre le* drame que recelaient les
autres, et qui, pendant tout le siècle, par de tragiques
lueurs, continue de se révéler.
L'attention très-méritée qu'on a donnée de nos jours à
Port- Royal, portée exclusivement sur cette rare excep-
tion, a fait oublier un peu trop la généralité des faits. Mal-
gré l'effort incroyable avec lequel les divers partis religieux
ont travaillé à étouffer ce qui transpirait de la vie des
cloîtres, elle s'est montrée suffisamment, et l'on peut fort
bien y suivre \E\&io\Tt de la Direction.
On vit aussi dans cette affaire la puissance terrible de
publicité dont disposaient les ordres religieux. Les révéla-
tions de l'Ursuline Louise, acceptées des Dominicains, se
répandirent avec l'autorité d'un livre de prophéties. Même
piRsicimoif DBS PROTBSTÂirrs. 229
de très-libres esprits, non influencés par les moines, Jan-
sénius et SaintrCyran, longtemps après, admettaient que
Gauffridi avait été le Prince des magiciens, et, d'après
Louise, en auguraient la prochaine venue de TAnti-Christ.
Maintenant il faut savoir qu'en un siècle (à peu près de
1 620 à 4720) les couvents, ces puissantes machines d'in-
trigue, multiplièrent à l'infini. Précisons les chiffres^ au
moins pour deux ordres nouveaux.
Les Ùrsulines formèrent trois cent cinqtÂante congréga-
tions enseignantes, divisées chacune en plusieurs maisons
d'éducation ou pensionnats (peut-être mille maisons en
tout).
Les Visitandines, en trente années seulement, avaient
déjà cent couvents. J'ignore le nombre ultérieur. Mais Ton
sait qu'à la fin du siècle une seule branche des Visitandines,
43elle du Sacré-Cœur, ./ofuifa en vingt années plus de quatre
cents couvents.
Ursulines et Visitandines, dirigées d'abord par les prêtres
doctrinaires et par les évéques, le furent bientôt par les
Jésuites, et devinrent, sous leur main habile, un vaste cla-
vier qu*on put faire résonner d'ensemble quand on voulut
obtenir de grands effets d'opinion.
L'influence de la Presse, ses voix divergentes, son froid
papier, où la foule épelle le noir sur du blanc, tout cela en
vérité est faible à côté des vives paroles, des chaudes, tendres
«tcaressantes insistances de toutes ces religieuses sur les da-
mes, et même les hommes, qui fréquentaient leurs parloirs.
Ces dames, mères de leurs élèves, ou parentes et amies des
religieuses, ou amenées par la dévotion, recevaient d'elles
le mot d'ordre, venu des Jésuites, et s'en faisaient à la
cour, à la ville, les zélées propagatrices. Ce mot, parti du
Louvre, du P. Cotton, du P. Àrnoux, ou de la maison pro-
fesse des Jésuites (rue Saint-Antoine), tombé dans ce
monde inflammable de femmes ardentes et dociles, cou-
rait comme une traînée de poudre, et en un moment il
i3é LntirES st lk f. arnoux.
était panout. Hoins rapides les eWsts du télégraphe élec—
trique.
Notez qa'avee ces religieuses sédentaires travaillaient,
d'ensemble, tout un monde de prêtres et dé moines. Les
of dres anciens, jatonx des lésaites, eomme les Mendiants,
dans les grandes occasitms, n'agissaient paa moins daas le
même sens. S'il s'agissait, par exemple, d'un coup décisif
à frapper sur les protestants ou les jansénistes, la machine
épouvantable de deux on trois mille pa'rloira répétant la
chose et la faisant répéter par leurs visite«tses imiombra*
blés, était appuyée en dessous jusqu'aux demie» rangs du
peuple* par les religieux infimes, spécialement par quaire
(Têntf bandes errantes de Capucins.
Soit qu'il s'agit de peser en haut sur la cour par une
fdroe d'opinion qu'on faisait monter d'en bas, soit qu'il
s'agit de répandre un faux bruit, une panique, une peur
qui soulevât la foule et la rendit furieuse, on jouait de la
machine. Si l'on ne disposait pas d un peuple aussi inflam-
mable qu'au temps de la Saint-Barthélémy, en reyanche,
un art nouveau et un nouvel instrument étaient créés dont
on pouvait tirer autant de résultats. C'est ce qui explique
pourquoi, et dans rAllemagne catholique, et en France,
un parti tombé du grand fanatisme aux platitudes de la
dévotion intrigante, n'en eut pas moins l'action énorme ^
la guerre de Trente ans, put faire la France compliee de
FAutriche contre l'Europe, contre elle-même, et fit ici en
petit l'essai des futures Dragonnades.
Le changement de favoris ne changea absolument rien
au grand courant des choses. Concini appartenait aux Es-
pagnols, et voulait les appeler à son secours (Ridielieu) .
Lifynes ne fut pas moins Espagnol. Au moment de la crise,
il s'offrait à l'Espagne pour une modique pension {Areh. de-
Simancas, ap. Capefigue).
Tout ce qu'il voulait, c'était de l'argent. Il prit pour lui
l'énorme fortune de Concini, et bientôt impudemment
PERSiCCTnOK DBS PnOTK8TÀ(«TS . 234
fil connétabléj Sësirères, Branles et CadeneC, se déguisent
an IL de Luxembourg etii. le duc de Chanlnes. Tous deux
■AaiMnux'de Fnmee.
Hi0D an dedans, rien au debors. A granâ'peine Lesdi-»
guières, atarmé dans son Dauphiné par l'Espagne, qui gueiv
raie ematre la Savoie, obtient de faire une légère démens-
tmtîoa anfafaur du Savoyard. Au dedans, Luynes promît
ées wéSùnae9^n*tmûi point, et^ tout an eontraire, créa pour'
aident oombre cPofBces nouveaux (arec exemption d'hn-
pAtaat droit de vexer te peuple). La kingoe ne snffli plue
a«x titres ridicules que le fise inventa : aun^ura éé drap,
veûdeurade poisson, élevée de récritoire, etc.
Le vrai changement au Louvre fut oelui du Confesseur.
Lvynes osa prier le P. Gotton de se retirer. Mais ce fut pour
demander aux Jésuites «n autre confesseor du rot. Ils hi}
fournirent le P. Arnoux, bien plus propre que Gotton à les
servir dans les circonstances noaveltes. Cotton avait été
rhomme des temps d^Henri IV, des temps de ruse et de
tnnsaclion. Il avait connu saint Charles Borromée, et il
élak aimé de saint Francis de Sales. Sa fortune fut sîn^
g«lière. La fille de Lesdiguières l'avait employé d'abord
pour tMrmenter doucement son père et l'amener à k con-
version. Le vieux soldat, qui voulait se faire marchander
phia longtemps, ^ont^na, mais il appuya le Jésuite auprès
d'Henri IV : < Si Vous voulez un bon Jésuite, dit-il, prener
le F. Cotton. »
On a vu comment Cotton se ligua avec la cour pour
faire saater Sully. Il échoua, et cependant se maintint par
le parti espagnol, par la reine et par Goncîni. Mars il fallait
un Jésuite plus hardi, plus violent, au moment oii éclatait
la grande guerre d'Allemagne, pour otcuper le roi, la*
Frasée, d'une petite guerre inférieure contre nos protes-
tants. Ce guerrier fut le P. Arnenx.
La persécution protestante^ c'est le point où s'accor-
daieut tons les rivaux d'influenee. Concini Tavaît cenv-
^32 LUTNBS BT LE P. ÀRNOUX.
mencée, et Luynes la continua. Le clergé la demandait, le
P. Arnoux imposait à son pénitent; le favori espérait y
occuper son jeune roi à une petite guerre sans péril. Il
n'était pas jusqu'aux exilés, aux gens de la reine mère, tels
que* Richelieu, qui ne poussassent en ce sens.
Il est fort intéressant de voir l'art persévérant» ingénieux
et varié, dont ces Pères, depuis 4610, travaillaient les pro-
testants. Ils n'y employaient plus la pointe, comme en
l'autre siècle, mais plutôt le tranchant du fer, un tranchant
mal affilé qu'ils promenèrent, douze ans durant, à la gorge
des victimes, voulant préalablement terrifier, démoraliser,
abêtir et désespérer. Les huguenots ne furent plus bruta-
lement massacrés, mais lentement égorglllés, saignés d'un
petit coutelet. Et les excellents bouchers ne mirent le fer
dans le cœur que quand le patient, déjà affaibli, défaillait
et tournait les yeux.
Les protestants étaient l'objet d'une antipathie crois-
sante. Ils faisaient tache en ce temps dans une France
toute nouvelle. Us avaient l'air d'une ombre arriérée du
XVI* siècle. Ils étaient tristes et peu galants, faisant excep-
tion à la loi générale du xvii*' : Vuniversalité de Vadultère,
aux mœurs loyales où chacun se pique de tromper son
intime ami.
Autre défaut. Seuls, ils gardaient qu6l(iue esprit public,
un reste d'attachement pour le gouvernement collectif, le
gouvernement de soi par soi (self government). La France,
qui avait abdiqué, s'ennuyait de les voir encore attachés à
ces vieilleries. Elle ne voulait plus qu'un bon maître.
Troisième défaut. Les protestants avaient le tort de voir
clair, de voir que l'Espagne gouvernait la France, que
Marie, Concini, Luynes, n'étaient qu'une cérémonie. Ils
distinguaient très-bien derrière ces ombres changeantes
un petit nombre d'étrangers, de vieux ligueurs et de Jé-
suites; pour âme, le confesseur du roi. Le jour de la mort
d'Henri lY, chacun croyait qu'il y aurait massacre à Paris.
PBRSiCOTIOll DBS PROTESTAIH^. 233
Un Jésuite même» en chaire, le conseilla ou regretta qu'il
n'eût pas eu lieu. Dès Tannée suivante (4644), on com-
mença à organiser dans les villes catholiques du Poitou et
da Limousin, et aussi à Saintes, à Orléans, à Chartres, de
vives paniques, en criant : < Voilà les huguenots qui ar^
ment et qui vont vous massacrer ! » Furieux de peur, les
catholiques armaient et voulaient tuer tout. Toujours le
^kéme moyen qui avait réussi dans toutes les Saint- Barthé-
lémy du zvi' siècle.
En celui-ci-ci, ^on n'allait pas si vite. Cependant les
protestants auraient été fous s'ils n'avaient pris des pré-
cautions. Us n'avaient auUe protection à attendre d'un
gouvernement dominé par l'Espagnol qui eût voulu le
massacre. Ils recoururent à eux-mêmes, rétablirent les
institutions de défense qui seules les avaient sauvés autre*
fois. La principale, c'était que, dans l'intervalle entre leurs
assemblées générales, dans ces entr'actes assez longs oii
on pouvait les surprendre, il restât quelqu'un pour faire
sentinelle. Dans chaque province, un conseil permanent
devait rester réuni pour i:ecevoir les avis et faire convo-
quer, s'il le fallait, une assemblée de province^ qui , uu
besoin, s'adjoindrait plusieurs provinces voisines pour
former une assemblée de cercle^ ou qui même provoque-
rait une assemblée générale.
Cette organisation de défense; quoique fort mal exécu-
tée, imposa au parti massacreur. Mais elle lui donna une
bien belte occasion de calomnier les protestants et de les
faire prendre en haine. Ils voulaient une république , ils
faisaient un État dans VÈtat, etc., etc. C'est ce qu'on ré-
pète encore, sans aucune réflexion sur la nécessité terri-
ble qui fit et exigea cela. Chose monstrueuse, en effet,
coupable, horriblement coupable 1 Ils voulaient vivre , ils
voulaient sauver leurs femmes et leurs enfants.
Les voyant en garde, on essaya de moyens de ruse. La
reine mère (4642) tâcha d'avoir un maire à elle dans leurs
places qoi pût les tfièiif , par example à Sanl-Jeen fkm^
géiy, même àbiRoeheMe N'y pâ¥f eoMt^elle MToya^ pour
SDumeUre celte derniëie TîUe au Parlement de Paris, un
cdnseUier protestant sons le titre oouveMi à'mundanti éê
jumioê» Cet escaflMta^e , contraire à tosa les traitée, «m
serments des rois, ne réussit pas. Le peuple prit les armes
et faillit faire )wlio& à eet intendani, qui pcurtani sertit
eBYie«
Dans le petit pays de Gex, on essaya d*vite cbose ab la
main jésuite éclate admirablement. On leur dta leurs tem-
ples et leurs revenus, en leur permettant de se rebâtir des
temples awc les démoli^i&ni dm toiâventB et avec TargeaC
qme fea eaiioliqws jmfmimt pour réparer k» A^iû«f ea^
th»iiques. Mayen excelient de ks fcîre esécrer et map
sacrer.
Comme leurs diefe les traèissaient , eoanne Lesdi-
galères et Bouillon les rendaicfit tout le jour, coohêê» le
peiit-iils de Coligny, Chàtillon, marchandait sous main wam
traité avee iai œur, la lutte, si elle atvait Kc», devait être
leur ruina II feilait les y amener, le^r rendre la vie feHe-
ment impossible et intolérable, c^'ils aimassent mieux en
finir, se jetassent sur l'épée en aveugles^ en désâspévés»
Pour en venir là, il fallait chaque j>oar les piqner, leur
planter à la peau mille épingles et mille aîgnilles. LesJe*^
suites y réussissaient, en les faisant destituer, fiaortifterde
toutes manières, en le«r ôtant leurs domesticfaes, préce|>-
tenrs, etc., et faisant, par la terreur, conftme u» désert
autour d'eux. Mais mieux encore, on le faisait par les Gal-
licans. Ceux-*ci, dans leurs petites audaces contre les ié**
suites et Rome, ne se rassusaîent eux-mêmes et ne se
croyaient catholiques qu'en pourchassant les huguenots,
c'est-à-dire se iaisant bourreaux pour* Rome et pour les
Jésuites. Misérable eerde vicieux où tourna la noogistiii-
ture, et qui la poussa ridicule sons le pied de la papaefté
et le f juet de Louis XIV.
PERsActrrroN tSES PROTEsrAins. 239
Les fameuses chambres, mi-partîes de protestants et de
catholiques, ne protégeaient pas 'les premiers. On éludait
de cent manières leur juridiction.
Dans les cas prévdtaux, aceusations de violences , de
crimes, un peth tribunal décidait de la compétence et
renvoyait au prévôt, qui pendait provisoirement.
Au moindre délit qui pouvait toucher une église catho-
lique, le huguenot était frappé par un petit juge, puis le
Parlement empoignait Taffaire. Elle se jugeait uniquement
par les [catholiques, non par les tribunaux mixtes.
Ceux-ci, tribunaux martyrs , vivaient sous la tyrannie
des plus furieux conseillers catholiques, que le Parlement
ne manquait pas de déléguer pour y siéger. El ce corps,
par une contradiction monstrueuse, tout en consentant
à y déléguer ses membres, ne consentait pas que les
notaires, huissiers ou sergents agissent pour les chambrées
mixtes.
Malheur au nouveau protestant ! Pendant les six mois
qui suivaient sa conversion, il restait justiciable des tri-
bunaux catholiques. On lui faisait un procès, où il était
sûr d'être condamné. Pour passer au protestantisme,
il fallait d'avance faire son testament, être résigné au
martyre.
Enfin, les conflits éternels de juridictiotis, les lenteurs,
les échappatoires, les opiniâtres dénis de justice, immor-
taKsaient les procès et faisaient du protestant un misé-
rable plaideur, nourri de déceptions, d'espoir trompeur,
de vaine attente, usant.au Palais son argent, sa vie,
faisant à jamais pied de grue dans la salle des Pas-
Perdus.
Je ne doute pas que, dès cette époque, fe clergé, inti-
mement uni avec ta noblesse qui y mettait ses cadets et
s*y nourrissait en grande partie, n*ait projeté, calculé la
grande affaire territoriale de la Révocation, qui refit les
fortunes nobles par la confiscation énorme du bien patrt-
236 LUYNES ET LE P. ARNOUX.
monial d'un demi-million de protestants. Terrible appât
pour la noblesse, et qui la rendit en ce siècle énergique-
ment catholique.
Le premier pas, c'était que le clergé reprit, dans les
pays devenus protestants, les terres que la révolution reli—
gieuse avait affectées au culte calviniste. Cela datait de
soixante ans (1 562). C'était la même opération qu'on ferait
en France aujourd'hui [si Ton dépossédait les acquéreurs
des biens nationaux pour les restituer au clergé. Notez,
pour achever la similitude, qu'en ces pays, spécialement
dans le Béarn, le clergé avait reçu une indemnité en pen-
sions annuelles qui le dédommageait des terres.
Ce grand procès territorial constituait Je clergé la
partie des protestants. Pouvait-il être leur juge? C'est
cependant le moment (16f 4) où les prélats demandent à
redevenir hauts justiciers, à pouvoir condamner aux galères!
Une demande non moins grave qu'ils font aux Ëtats de
1614, c'est qu'on poursuive les parents qui empêcheraient
leurs enfants de se faire catholiques. Premier mot qui ou-
vrit la voie aux enlèvements d'enfants. Ceux qu'on enle-
vait, on assura qu'ils voulaient se faire catholiques. Ce fut
a pour les a/franchir de la tyrannie des familles » qu'on les
emprisonna au fond des couvents. Bientôt à Lectoure» le
Jésuite Regourd vola un enfant de dix ans. A Royan, à
Embrun, à Milhaud, autres rapts semblables. À Paris,
sous les yeux du roi, un maître des comptes, appelé Le
Maître, étant mort, on prit ses enfants pour en faire des
catholiques (Élie Benoît, II, 277). \jtï protestant de Nor-
mandie ayant eu l'imprudence àe mettre un de ses deux
fils au collège des Jésuites à Paris, et voulant le leur retirer,
on enlève l'enfant avec son frère; on les cache aux Jé-
suites de Pont-à-Mousson. Procès. On fait comparaître
les enfants (de treize et onze ans), on leur fait déclarer
qu'ils veulent être catholiques et parler contre leur père.
{Ibidem, 365.)
PBRSBCCJTION DKS PROTESTANTS. 237
La mort n'était pas un asile. Les enterrements des cal-
vinistes étaient poursuivis, hués, siffles par des femmes,
des enfants qu'on excitait. On avait fait des chansons que
ces enfants chantaient en dérision des psaumes et des
-pleurs de^ protestants. Cela donna lieu à Tours h une
scène épouvantable. Au convoi d'un certain Martin, ceux
qui accompagnaient son corps perdirent patience, et ap-
pliquèrent un soufflet à Tun de ces petits chanteurs. On
cria par toute la ville : t Ils ont tué un enfant I »
Alors tout le peuple accourt, on brûle le Temple, on
bouleverse le cimetière, on arrache le corps à peine en-
terré, on le traîne, on le déchire. Le désordre s'apaisa au
Ix>ut de trois jours. Il fut puni. Mais à Poitiers on [répéta
la même scène, puis à Mauzé, puis au Croisic. Les cime-
tières protestants furent indignement bouleversés.
A Paris même, des garçons de pieux marchands et de
dévotes boutiques lapidèrent le cercueil d'un petit enfant
que le père, un huguenot, conduisait au cimetière. Dès
lors, les enterrements ne se firent plus en plein jour. Et il
en résulta un autre malheur pour les protestants. La po-
pulace (du Midi surtout) les appela parpaillots^ papillons
de nuit, les comparant aux sinistres et misérables pha-
lènes qui se cachent tout le jour et ne paraissent que la
nuit. Chose fatale, dans les cas de persécutions popu-
laires, d*endosser un sobriquet I d'être désigné, poursuivi
par un mot proverbial que la masse inepte répète au ha-
sard, y attachant d'autant plus de haine et d'horreur,
qu'elle en oublie l'origine et ne comprend plus bientôt
l'injure qu'elle a inventée I
Jusqu'à ce qu'un Anglais, le poète Toung, se soit plaint
de ces choses lamentables, la France les voyait, les sup-
portait depuis [deux cents ans. Young, pour soustraire le
corps de sa fille Narcissa aux insultes, aux curiosités im-
pies, l'emporte de nuit furtivement et la met lui-même en
terre dans une place inconnue. Tout le monde s'est récrié.
«238 LtYN£S BT LE, P. iJtNOUX.
Maiscela arrivaii tou3les jours. La.terre ne gardait plu& les
morts; nul res^ct pour le mystère et la pudeur du tQm-
boau.
Quel remède? Les plaintes deis assemblées? On les
^t^uffait. On disait qu'elles ne devaient se réunir que pour
nwum^T dos députés au roi. lilt, en même temps, on don-
nait pleine carrière à leurs ennemis. Les solennelles as-
semblées du clergé demandaient, tous les deux ans» leur
ruine. On faisait jurer aii roi, à son sacne, c Textermination
de rfcérésie. » Â son mariage aveo l'infantef les Jésaûtes
prêchèrent que cçtte union aveo l'Espagne n'avait d'autre
i>ut que c l'extirpation de l'hérésie. »
Avec tout cela, nulle sédition, sauf un mouvement à
ililhaud. . Lpîn de là. En 1 64 i/ils s'empressèrent d'ouvrir
leurs plaoÈs aux troupes du roi qui allaient dans le Midi.
Quarante ans martyrs, quarante ans héros, les protes-
AaïUs, très- fatigués, refroidis, et généralement paisibles,
auraient désiré le repos. Us étaient chrétiens, donc obéis-
«a^ts. Et cela énervait toutes leurs résistances. Quand une
nécessité terrible les força d*armer» ils résistaient sans ré-
sister, alléguant quelque prétexte, comme « que le roi était
jeune, qu'on le trompait, » etc. C'étaient des révoltes à
genoux. £t, au milieu, survenait le plus honnête de tous et
le plus fatal, Du Plessis-Mornay, pour détremper tous les
courages. ,
Cet état d'indécision et de froideur les livrait aux po-
litiques, qui leur conseillaient de prendre tel misérable
appui humain, Condé, par exemple, ami des Jésilites, la
reine mère, leur ennemie !
Le seul de leurs chefs qui ne trahit point, Rohan, gen-
dre de Sully, un politique, un capitaine, un caractère
âpre et austère, d'indomptable résistance, eut cependant
le tort de croire qu'il fallait chercher à la cour des patrons
pour les huguenots, lis étaient un parti nombreux et très-
fort encore. Quand ils arrêtèrent le roi tout court et lui
PÇHQÉOPVION MBS ffKonsriHTS. 990
firent laver la siège de Hontauban, 'wnkuitèèrM'Ui^l&mgfU
de leurs fore» avait ^ris les «rmeâ. Hs ëcNraîënt nesler à
part,. n'eutner: dans aucune. intrigue. Lesipolitiques les ra^
menèrent à la routine de l'autre siècle^ 4ey«ppayér sut
lin Coudé* le Condé.gasoott les exfkk)il«, -en- lire »n traité
^i le réndreduHtabiè, etiMl que la-cevr o(Mnple avec lut.
Aiovs 11 les pbnta là (I64«).
Ils ne coAuai^sajent'pae ienrs forcée, et,' oèmine des
.^eas ^ui oroîeoA l^ujoura ee neiyer» tb .empoignëient au
baaardla looîudre.filâBohfepaiirrAe. Ijeu«>héiH>Iquè Rêfran,
^oicMpreux des eaiices ^eniues, s'attaehe à la reine mère au
immcot où elle ^it no»fseulenient -eirilée, mais si com<-
promise d'j^nneur^ foroée de.8*aT>ltr par une de ces dé-
jnac^hee ^'^m Bt fait p6inl 8i.ron n'a contre soi sa propre
«onacience. Il suffilK^ue de Lnynes fit arrêter ta Du Tîilet,
rex-rmaitfeaae de d'tpoROon^ e» rappert avec Ittfraillac,
pour qm )a jneine mère, aux.aboîs, écrivît ui» honteux ser^
jiieiitded^rK^er «et comeUUn s'ils vioulaient la tirer de
aa xéctusian /de Bkiis (novembre 4618)» Est-ce à de teTles
Ceo» que les p«>ele$tants devaient s'aNier, eu^i qui, dans
toutes leurs plaînAes, demandaient qu'on At justice de la
iDort d'Henri iV?
Im feîoe^niAre n'était pas encore raasuaée^ On pouvait
topîeors lui. fiura son ppooès. EHe se aanavu de Btois, en
descendant à grand péril d'une tour haute de cent pieds
(flétvner 4M9). La voilà à la tête d'un pnrti étrangement
hétéfogàne» D'£pemon, le plus mortel ennemi des protes-
lanla, en est le chef avoué» Et les preteatants-se préparent
k raider,' faii prêtant d'abord leur appui moral, venant
complimenter la reine mère et se recommander à elle.
Conclusion. Ia mare est battue par le fils aux portes
d'Àngera^ On s'arrange, l'on s'embrasse. Tonle la gueire
retombe sur les pnoiestanta.
lia n'avaiem pas encore pris les armes, et ne craignaient
rien. Leur aaaemUée générale, qui se tenait à Loudun,
240 LUYNBS ET LB P. ARNOUX.
avait parole du roi qu'on redresserait ses griefs si elle se
séparait. Promesse^ il est vrai, verbale, non écrite, mab
garantie par Gondé, Lesdiguières et Chàtillon, reçue par
Du Plessis^Momay.
Ce fut justement leur Gondé qui alla au nom du roi les
déclarer au Parlement criminels de lèse-majesté. L'armée,
dont le roi n'avait plus besoin contre sa mère, il la mène
droit en Béam. Les protestants» sur le chemin, humble-
ment, lui font observer qu'il leur a donné six mois pour
plaider l'affaire de Béam. Le roi avance toujours. Les pro-
testants se contentent de prendre le ciel à témoin. Ib as*
semblent un synode de Languedoc, qui craint pour lui-
même, et laisse passer par-dessus sa tête l'orage qui va
aux Pyrénées. La saison était avancée. La moindre résis-
tance eût forcé le roi de faire en hiver une guerre de
montagne. Les Béarnais disposaient d'une redoutable
milice de trente mille paysans, bons soldats. Ihis leur
gouverneur, La Force, n'osa rien ; les chefs populaires, les
ministres, n'osèrent rien. Le roi et le P. Amoux, vain-
queurs sans combat, entrent à Pau. Le roi jure les privi-
lèges du pays et les viole le même jour. Tous les vieux
traités sont biffés. La langue même du Béam proscrite; ce
grand changement, qui n'eût dû se faire qu'à* la longue,
est imposé à l'heure même. La justice ne se rendra pas en
deux langues, mais seulement en français.
Depuis soixante -ans, un tiers des biens ecclésiastiques
était employé à l'entretien du culte des protestants. 11 y
avait dix protestants en Béam contre un catholique. Et
ceux-ci, si peu nombreux, gardaient les deux tiers des
biens.
La révolution ne s'en fit pas moins, et avec de^ violences
furieuses que ce pays si soumis ne provoquait nullement.
Le jeune roi, dur et sans pitié, ferma les yeux sur les bar-
bares gaietés du soldat. Elles consistaient à mener les
gens k la messe à coups de bâton, à faire jurer aux femmes
ir
pBRsicanoN des protestants. S4I
enceintes de faire leurs enfants catholiques, ^lus d'une
n'en fut pas quitte pour si peu. Ces pieux soldats n'en ,
étaient pas. moins galants, et tiraient l'épée contre les
maris qui ne prêtaient pas leurs femmes.
Dieu! pitié! justice! sainteté de la parole! Tout cela
risée. Le roi assura n^nvoir rien promis. Alors Mornay, qui
avait reçu la promesse, mentait donc ? Le beau-père de
Luynes, qui avait transmis à Morna^ la parole du roi, avoua
lui-même que ce n'était pas le vieux protestant qui
mentait.
Une assemblée générale des huguenots se fît à la Ro^
chelle, et elle ordonna d'armer. Mais tous les grands du
parti disaient le contraire. Mornay même voulait qu'on se
soumit. Quelques paroles d& la cour, une petite Justice
^'on fit de l'excès de Tours, désarma la résistance. Le
Béam, qui se relevait, fut écrasé par d-Ëpernon. On acheta
Cbàtillon, et enfin La Force. On escamota Saumur au
pauvre Mornay, qui, du reste, le méritait bien par le tort
que ses conseils avaient fait è son parti.
Chose remarquable ! la reine et Condé, ces bons patrons
dès-protestants^ insistaient vivement pour qu'on les acca»
blât. Et ils étaient en cela appuyés des Espagnols.
Nos grands historiens politiques, qui disent que l'anéan-
tissement du parti qui gardait un peu de vie morale fut le
salut de la France, devraient considérer pourtant que nos
ennemis les Espagnols ne demandaient pas autre chose.
L'écrasement des protestants français était un cAté du plan
général qu'on étendait sur TEurope, et qui eût rendu la
suprématie à l'Espagne et à l'Autriche.
A quoi s'amuse donc l'histoire de nous donner la réu*
nion de l'imperceptible Béarn, et la petite guerre protes-
tante qu'on pouvait apaiser d'un mot, pour compensation
de l'Europe entière que la France, occupée à ces misères,
livrait à ses ennemis ?
Il est vrai qu'avec le Béarn on gagpf it eao^e autre
». 10
%i2 LUTNS6 £1 LE P. ARNOUX*
chose. De Luynes fondait sa maison, non- seulement en
JPrance, mais en Flandre, chez le roi d'Espagne. Son frère
Cadenet, en 46i9, était à Bruxelles^ et recevait de ^in-
fante le prix de la trahison. De- la comtesse de Ghaulnes,
uniqtie héritière de sa famille, et du baron de Péquigny,
était née une fille qui réunit tout et resta encore unique
kéritière. L'Espagne la tenait, relevait dans le palais de
rinbinte, qui la donna, .avec cette fortune immense, à
l'heureux petit Cadenet.
Luynes, que donna-t-il en échange? bien peu de chose
et;pen coûleuse, mais d'inappréciable résultat : une am-
bassade pacifique qui, ^visitant les protestants d'Allemagne,
a.ve€ l'évangile de la paix, leur montrant gu'îls n'auraient
aeoours ni des Français ni des Anglais, les jeta dans
Finertie et dans un désespoir stapide, de sorte qu'ils lais-
sèrent écraser le «Palatin, leur chef, par les armes de
l'Autriche. Alors la même ambassade leur moyenna un
bon traité avec TAulrichien, mais qui ne liait nullenoent
les alliés de celui-oi, l'Ëspagaol et le Bavarois, qui les
écrasèrent à leur aise. L'Allemagne, engourdie par la
Erance, tendit doucement la gor^e au couteau (1620).
OHAMTR/E XXI
Ricbelien et Bénllle. 1621-1624.
.Un .peiBire, énnnanimaDt /fidèk, consDisndlcax tl«BS
Fart et dans la vie, le.Fianiaid iPhil^ipe de (ïianipaniie,
BOttSia.fmB sur tla'loileJMi vcai i8ifiBe,«fovte et «èohenfignre
du oerdinaldedlielielieu (^datie du Louvre).
Ce pmalre janaéniatejaetaerak fiiit aerapole d'égayer,
d'enrichir ia éprise liroaged'un rayon de»iomièare, oonmie
«osait fait>&aben8 au.Muvilto. Juaiaiiyet, triste ^fingiat, eèt
obtmgé de Mture..L'Qul aùt été Oattéeti l'art pins satisfait,
mais il eût menti à l'histoire.
Songez que^D^eat l'époquaoii la grisaille «xnmanœ à se
répandre, où «la f vitre incolore nnplace iês Tttraux ^du
xvi*«îècle.:Sn Sraneenpérialementy ie/goât de la^oouknr
aéteîttt.^
Grisaille en tout* Grisaille littéraire en Malherbe jGfî^
saille tff«Kginnae idans BétuUe >et dans. rOntoire. Pcort**
Bofil naissant vise au^sec, et yallaisidôre mu médioore*
Paseal pardltradans:lrenÉe ans.
La GOUlear*estiici .taès-bonne, mais mesurée • dans la
«éiilé'vraie..iBi«ndejpli]8,'tien>de moins. Mettre aarant
entre las maltraa, .le 'bon .Philippe < s'est icapandent tenu
leUement à . la natuxe et* y est entré si avant, qu'il • répond
à la fois aux pensées de l'histoire et atti impaassions po-
244 hlCHELIEU ET BÉRULLE.
pulaires. L'histoire, en ce fantôme à barbe grise, à l'œil
gris terne, aux fines mains maigres, reconnaît le petit-
fils du prévôt d'Henri III qui brûla Guise, le fourbe de
génie, qui fit notre vaine balance européenne et l'équilibre
entre les morts.
Il vient à vous. On n'est pas rassuré. Ce personnage-là
a bien les allures de la vie. Mais, vraiment, est-ce un
homme? Un esprit? Oui, une intelligence à coup sûr,
ferme, nette, dirai-je lumineuse? ou de lueur sinistre.
S'il faisait quelques pas de plus, nous serions face à face.
Je ne m'en soucie point. J'ai peur que cette forte tête n'ait
rien du tout dans la poitrine, point de cœur, point d'en-
trailles. J'en ai trop vu, dans mes procès de sorcellerie, de
ces esprits mauvais qui ne veulent point se tenir là-bas,
mais reviennent, et remuent le monde.
Que de contrastes en luil Si dur, si souple, si entier, si
brisé ! Par combien ds tortures doit-il avoir été pétri,
formé et déformé, disons mieux, désarticulé, pour être
devenu cette chose éminemment artificielle qui marche
sans marcher, qui avance sans qu'il y paraisse et sans
faire bruit, comme glissant sur un tapis sourd..., puis,
arrivé, renverse tout.
Il vous regarde du fond de son mystère, le sphinx à
robe rouge. Je n'ose dire du fond de sa fourberie. Car, au
rebours du sphinx antique, qui meurt si on le devine,
celui-ci semble dire : « Quiconque me devine en
mourra, v
Si l'on veut ignorer solidement et à fond Richelieu, il
faut lire ses Mémoires. Tous les gens de cette race, Sylla,
Tibère et d'autres, ont fait ou fait faire des Mémoires ou
des Mémoriaux pour rendre l'histoire difficile, pour
épaissir les ombres et pour désorienter le public, surtout
pour arranger le commencement de leur vie avec la fin,
et déguiser un peu les fâcheuses contradictions de leurs
difiërents âges.
RICHBLIK0 KT BARULLE. 245
Richelieu est Espagnol jusqu'à quarante ans, et, depuis,
anti-Espagnol. Faut-il croire que, dans la première pé«
riode, il ait obstinément menti ? ou bien qu'ayant été sin-
cère il changea tout à coup si tard et fut décidément
Français ?
Sa mauvaise fortune le (força de bonne heure d'avoir
du mérite. Il était le dernier de trois frères. Sa famille
n'était pas riche, et elle s'allia en roture. Le frère aîné,
qui était à la cour, dépensait tout. Le second, qui avait
l'évéché de Luçon, se fit chartreux. Et, pour que cet
évéché ne sortit pas de la famille, il fallut que le troi-
sième, notre Richelieu, se fit homme d*£glise, malgré ses
goûts d'homme d'épée. L'alné Tut tué en duel, trop tard
pour son cadet, qui aurait pris sa place, et n'aurait jamais
été prêtre.
Jl n'était peut-être pas né enragé, mais le devint. La
contradiction de son caractère et de sa robe lui donna ce
ridie fonds de mauvaise humeur d'où sort le grand effort,
c l'àcreté dans le sang, qui seule fait gagner les batailles. »
Ses batailles de prêtre ne pouvaient être que théolo-
giques* De bonne heure, il passa ses thèses, à grand bruit,
en Sorbonne, les dédia à Henri IV, s'offrant au roi pour
les grandes affaires. Puis il alla à Rome se faire sacrer,
s'oflrir au pape. Ni le roi ni le pape ne répondirent à l'im-
patience du jeune et ardent politique.
Alors il retomba tristement sur l'évéché de Luçon,
assez pauvre, et dans un pays de disputes, à deux pas de
la Rochelle et des huguenots. Ce voisinage lui mettait
martel en tête. Malgré de violentes migraines, il écrivait
contre eux.
11 n'est pas sans talent. Sa plume est une épée, courte*
et vive, à bien ferrailler. Il ne pèse pas lourdement sur
l'absurde. S'il écrit des sottises, il ne le fait pas comme
un sot. Il a des insolences heureuses, des pointes hardies,
des reculades altières, oii il fait fort bonne mine.
AvâT tout cala^ il fût resié bien obscur à Luçou .s'il n'eût
ea ({|1A sa. controverse.. Mais il était joli garçon, ua« fioa
<^fiéatus da porcelaine.. Gonoini était da laienca;. Le bfiaiL
Sellegandej.beau depuis Hfinrilll, se faisailmucCes coïkr
sidérations agirent sur la reine mère, et elle le papous
a]UQânier.(i646)..
ILa;Kaife viagt.aas,da moins qu'eUe. Sa. fontaine. euL des
ailes«. A.L^nstanfc.consaiUend'Ëtat.(.mars),. secrétaire des
couunandements (juillet.),, ambassadeur, en Espagne (il
n!eui garde d'y aller}.. Déj^ aut 3Û novembre,, il. a. saisi
deux portefeuilles, la guerre, les affainss étrangères;,
cellttSMilde moitié avec, le viem. Yilieroyv <W^ vajxiouxix..
HufiOt.sit violente est la partialité: de la.rsine mère, ,qu'.eUe
lui donne, sans cause ni pcétexte, la préséance dAn&.ie
conseil des ministres, où siégeait encore VillerQy,,sl.àgp,
un siècle. d'affaires et .d'expérience.
Pendant oe puremier ministère.,, qu'il tàcbe d'excuser
dansi ses Mémoires, n!ayaat d'appui.qua la reine mèra,.il
ne piit.étre qu'EspagnoL.Sa.dépâcbe à Scbombecg», écrite
pour amadouer les protestants d'Allemagne,. ne peut. faire
illusion. Clétait cbose probablement, autorisée par Tanirr
bassadeur d'Espagne pour empécben qj^e. ces ÂJlaouinds
ajappuyassentles princes .en. révolte.
Hicbeliea assure que, sans lui, Concini, qui se. senlait
périr, eût appelé les Espagnols. Grand service qu'il, rendit
àXuynes. ,Concini s*en défiait fort^ et l'aurait pecdu^sMl Jie
fût tombé. Il fut le seul de ce ministère qu'^qf^cgna.
Luynes. Là, il donna un exemple de fulélité, rare à Isj
cour^ si rare, qu*on n'y crut pas. U demanda^ obtint ■ da
s*exiler, de suivre la reine mère à Blois pour laxonseiller.
(l'observer ? ). Mais Luynes ne se reposait pas sur nnJiomme
sidouble. 11 l'obligea de s'exilenpius loin^ à Avignon».
Làv il ne perd .pas de temps.. 11 s'enferme amc.un dcNH-
taur}de.Louvain,iait labourer. ce boeuf, 6t,.sBr.se6 notûB^.
écrit de sa prose^ viveun livre quisurglt à point pous se>^
«ourir le confesseur du roi, en guerre oontre les hugue»-
noU* Le P. Adrnoux, créé par Luyne», travaiUaîl sous tem
contre Luyaes*à. faire un autoe miniBtère. .Hichelîea« saM
servilité, s'offrait. Misàia portas» il revenait par la feoétiVr
Le Jésuite reconnaissant ne pouvait moins que de nB&ire
ministre Tbomaie qui, de boiKie gv&ce, en ce duel, tôait
l'épée pour lui.
Une influence encore aida aie &îre reveair. Ce fut ceUs
du.P. de BéruUe,.aniide Lujnesv ami de la reine mère et
de tout le iiiende« Quandv ^délivrée par d'Spernon, eUe
commença la guerre civile, Luynes,. inquiet, lui dépécha
Bérulle, qui avait été conlésseuD de d'Épemon, ou du
moins son ami, étant, par sa mère, des* Séguier. cUenti
du duc à la cour, et ses soutiens au Parlement.
Bérulle fut charmé de s'entremettre. Et il n'a fait autre
chose toute sa vie, toujours oourant de l'un à l'autne. Les
mauvaises» languee du temps l'appellent un « teigasd
rasé ; » nous dirions un. intrigant niats«
Cela est dur* Il fonda rOratoire. Il avait beaucoup' de
mérite,, et représente même un des meilleurs oôtés-cathei-
liques avant PortrBoyal. Mais, comme de père et de* mèce
41 prooédait de juges et d'avoeats , il exeellait dans le
moyen, dans le parlage, n'ayant ni dMis les théories, m
plua haa sur le terrain» des affaireti la vigueur de justesse,
le tact, le point pcécis.
Sa mère Séguier, toute jésuite, le fit saint au meièbly et
il fit à sept ans le vmu de virginité. Un. autre fèt resté
imbécile. Mais lui. ne le fut point. Ce fut un hemmeiii^
telligent, laborieux,, aotif (et. beaueoup trop), d'un eertna
bon sens relatif. Fort ami des Jésuîtesvdans leur exil; il
leur joua un tour avee très-^Kinne intention* U leur fit des
rivaux. U prit un mot de Tltalie^ Qramtio, un peu à*.Bst,
de belle musique, innocent appât des mondain»; tout eek
pour un institut antir^ilatiea, qui ne serait point serf de
Borne,, mais. travaiUessîi pour les évéqun, leur formerait
Si8 filCHSLISU ET BÉRULLR.
des prêtres et ne dépendrait que d'eux. Point de vœux.
De petites conférences, quelque peu libres, sur la religion.
Des doctrines peu systématiques, saint Augustin tout pur,
ce qui rendit plus tard TOratoire suspect de jansénisme,
de calvinisme, etc.
Cela réussit fort. C'était chose sortie d'une tète parle*
mentaire et à la mesure des parlementaires. Cinquante
maisons s'élèvent en peu d'années.
Les Jésuites, furieux contre leur ami, le pincèrent bien-
tôt à l'endroit faible. Cet homme de modération n'était
pas tel en tout. Sa maladie était d'être un ardent, violent,
passionné convertisseur et directeur de femmes. Et cela
avec un emportement de zèle qu'on pouvait mal inter-
préter. Tout jeune encore (4604), il avait été en Espagne
enlever les Carmélites aux Carmes, leurs directeurs, vou-
lant les diriger par lui, ou ses Oratoriens, qu'il fonda
bientôt à Paris, d'abord en face des Carmélites (rue Saint-
Jacques). Ces religieuses Espagnoles n'étaient pas trop
dociles. Elles se divisèrent. Plusieurs, à Bordeaux, à
Bourges, à Saintes, restèrent fidèles aux Carmes, et se
barricadèrent contre Bérulle, qui invoqua la force armée
pour les confesser malgré elles. Les Jésuites exploitèrent
cette situation ridicule. Bérulle disgracié ou mort, ils
mirent d'accord les Carmes et les Oratoriens, donnèrent
aux plaideurs les écailles de l'huître, s'adjugèrent la proie
disputée.
Autre défaut de Bérulle. Il se croyait grand politique.
Mais, comme son humilité lui défendait de s'avouer qu'il
eût tant de génie, il rapportait ses grandes vues à quel-
que inspiration céleste.
En 4604^ ce fut sainte Thérèse qui lui dit, dans une vi-
sion, d'aller en Espagne chercher les Carmélites, mais
aussi de préparer le double mariage espagnol, seul moyen
d'amener l'extermination de l'hérésie.
De même, en 4649, quand il réconcilia la mère et le fils.
MCHBLnU R BVRDLUr. 249
il agil avec le Jésuite Arnoux pour envoyer l'armée contre
les protestants, et, comme il passait par la Rochelle,
priant dans une petite église, la seule qui y fût catholique,
une révélation lui apprit que toute la ville le deviendrait.
En foi de quoi, depuis ce temps, il poussa de toute ma-
nière pour qu'on s'alliât à TEspagne et qu'on assiégeât la
Rochelle.
Ce fut comme auxiliaire dans cette œuvre et comme
ami des Espagnols que ce sagace et pénétrant Bérulle fit
rappeler Richelieu. Il n'en avait nulle défiance. Richelieu
était maladif, tout occupé de controverse, et il venait d'é-
aire à son église bien-aimée de Luçon sur le bonheur
qu'il aurait de se réunir à elle. Mais Bérulle lui fit violence,
le (ratna à la cour, pensant, avec son aide, rétablir le pou-
voir de la reine mère, à mesure que Luynes s'userait, i.
Celui-ci allait vite. Sans portée et sans prévoyance, il
entassait sur lui tout ce qui pouvait Técraser :'en une fois
il prit i'épée de connétable et les sceaux, c'est-à-dire la
paix et la guerre.
11 triomphait de ce que, dans une campagne contre les
protestants, il enleva une cinquantaine de bicoques qui ne
se défendaient pas. H amena ainsi le roi élourdiment de-
vant Montauban, qui l'arrêta court, et se défendit. Le roi
ne le pardonna pas à Luynes. Assiégés, assiégeants, tous
se moquaient de lui. Les pluies, les maladies, aggravèrent
sa situation^ Il leva le siège et s'en alla malade à une pe-
tite ville qui l'arrêta aussi bien que la grande. Mourant,
il eut encore le temps de chasser le P. Arnoux, sa créature
ingrate, et il avait bonne envie de se défaire de Richelieu,
qui minait aussi le sol sous ses pieds.
Celui-ci était poussé au ministère par la reine mère ;
mais auparavant il avait voulu se munir d'un paraton-
nerre, du chapeau de cardinal, qui d'ailleurs lui donne-
rait la préséance au conseil. L'affaire traîna deux ans. En
septembre 4622, Richelieu étant à Lyon, elle se fit. Un
9&0 waaum bt bérolul
^ntilhomm^t qui Vwmt désoUi^ et déttcait b% vappro^
cher de lui, apprend, la premier^ à Paris^ la< bonoa nouH*
veUe^ sauta à.difivai) d'ua tnait court ài LycOn. 11 forée l'bâ^
iei dâ. r.évéqua, sa cbaoabi^ tomba àsesi piada: «. YatM
émiflence est. cardinal! I »
GetboHuno si contenu. na tint pas à ce eoup de. foudce*.
Comme tous les mélancoliques, il avait, en ces occasiims^
des accès de joie folle, sauvage, furôause (U a^ait un ficère
fou). Le voilà qui se met à danser dans lachambue devant
le gentiifaomme épouvanlé. Fuis, cette folie, donnée à la
nature^ le.nouveau cardinal) rassis, froid^autuit que ja*-
mais, lui fit pcomettre» sur aa téta, de na rien dire da;Qa
qu'il aurait vu..
Le favori qui. succéda à Luynes,.PuiâieuX) aussi bea B&-
pagnol,,nous mit encore pluabas. Le roi. s'épuisait àideux
sièges, Montpellier, la Rochelle,, et ne s*en tii-a^qua par
une fausse paix, oii l'on. trompa ceux qu'on ne pouvait
vaincre. Et pendant ce temps-là les plus grands événe<-
ments avaient lieu en Europe, sans qu'on eût L'air d!aa
savoir rien.
La France semblait avoir donné sa démission [des aCr
faires humaines. Cloîtrée dans sa.petite guerre pnolear-
tante, elle avait laissé consommer la ruine de son allié le
Palatin, transférer le Palatinat à la Bavière. LesBavaroia,
les Espagnols, étaient maîtres du Rhin sur toute la. riva
-qui nous touche, de Stcasbourg jusqu'-à. la Hollande^ Et
nottS'étions cernés à Pest.
D'autre part, la vallée des Alpes,, qui mène du Milanais
au Tyrol, la Valteline^. jusque-là soumise à noa alliés pro*
testants les Grisons, avait passé, sous ombre d'une névoiur
tion. populaire, aux Espagnols duMalanais, etceux^cldéao^
mais communiquaient, à volonté avec leurs ocuaim
autricbiens. Petit lieu, petit fait, mais d'importance im-
mense, qiai serrait le canoan de l'Italie. Déj^ YanJse.n!eD
xespicait.plua^ Un pas encore, eUe étouffait;
RIGHEUBU ET BJlinLLK. tSii
L'Italie' cria à la. France, qui commença à ouviûi lea
yeux, le %\ janvier 4623, nos Espagnols du Lou^re^^ les
Puisieux, les. Bérutia, furent obligées de laisser entrer au
consul un nrilitaire breton^ laiVieuviUe, qui prit les finanoeaf
et apporta au ministère ce qu'on a appelé leupolitiqua.dô^
Ridieiieu. C'était, celle du; boa sens, celle du péril, de la
situation*. Depuis treize ans on trahissait la France. IL a'y
avait pas* une minute à perdre, pour s'arrêter dans cetls
fatale carrière, pour tourner bride et la sauver.
Le 7 février, la. Vieuville traita, avec la Savoie et Venise
contre l'Espagne, leur promit vingt mille bommes; cbem-
cane d'elles en donnait. douze mille. L'Espagne recula à
l'instant. Cette grande et terrible-maison d'Autriche, qui,
à. ce moment même-, bouleversait l'Empire de fond en
GOBible, voici qu'elle se* cache, derrière le pape. Lepape^
son compère, déclare qu!il pr^nd en garde les forts de la
Valteline. L'Espagne, au fond, avait tout ce qu'elle voulait^
le passaga commode de Milan en. Autriche.
La chose n'en reste pas moins ;glorieuse pour la Yieu?-
ville^ malgré tous les soins de Richelieu pour nous trom-
per là-dessus. C'est lui, c'est ce Breton, qui montra le
premier combien on avait tort d'avoir peur de l'Espagne.
Les succès, de celle-ci aux Pays-Bas avaient tenu à ce
qu'elle n'y guerroyait pas eUcr-méme, mais par le Génois
Spinola, entrepreneur de guerre^ qui opérait avec des trou^
pes à lui et des finances à lui, et de plus avec son génie
d'âpre brava de Gènes, fia, froid, rusé, s'affranchissent de
la pesanteur impuisçanle de l'administralion^ espagnole.
Partout oii celle-ci agissait directement, tout allait mal,
tout manquait, maigrissait et dépérissait.
La Vieuville eût voulu r^rendre ia.politique d'Henri iV,
donner. Henriette au prince de. Galles, aider le roi d'An-
gleterre à rétablir le Palatin,, son gendre. Comment le
aavons-BOus? par Bichelieu, son ennemi, qui nous ap-
prend que la Vieuville, ayant tout le momie contre luit
252 mCBELiBU BT BÉRULLE.
abandonna à la fin ces projets et rassura les Espagnols^
La concession essentielle qu'il fit à leur parti, ce fut d*ap-
peler au conseil l'homme de lu reine-mère, Tami de
Bérulle, Richelieu même (24 avril 4624). Celui-ci, qui
ja'était connu que par son premier ministère, et comme
ex-aumônier de notre jeune reine espagnole, en gardait la
réputation d'un bon sujet qui ne contrarierait en rien
Madrid et mériterait toujours l'éloge qu'en avait fait l'am-
bassadeur d'Espagne : « Il n'y en a pas deux en France
aussi zélés pour le service de Dieu, pour notre couronne
et le bien public. »
Appelé par Yieuville, il ne perdit pas de temps pour le
mettre à la porte. Ce fut fait en trois mois (12 août).
La Yieuville n'avait eu ni la tête forte, ni la suite, ni le
caractère qui pouvaient soutenir l'audace de sa première
démarche, ce changement radical dans la politique de la
France, Richelieu en avait la force et le génie. Mais, en
revanche, tous ses précédents lui rendaient une telle révo-
lution plus difficile qu'à personne. S'il y entrait, il allait
faire une chose surprenante, étourdissante, monstrueuse.
Car de quoi procédait-il, avec son ministère et son cha-
peau, et tout son être, sinon primitivement de Concini et
de la reine mère, c'est-à-dire de l'Espagne? Et il fallait
maintenant se tourner contre l'Espagne I Mais celle-ci dis-
posait de Rome. Il faudrait donc aussi se tourner contre
Rome, dont on recevait le chapeau?
Que diraient alors la reine mère et Bérulle? Agirait-on
contre eux?... Terrible scandale d'ingratitude! Renier ses
auteurs, et méfaire à ses créateurs, et « faire passer son
char sur le corps de son père I »
Un homme qui dérivait de la reine mère, et qui allait
s'en détacher^ devait trouver en elle un point où ellé-méme
flottât et fût, pour ainsi dire, contre elle-même. Et il fal-
lait encore qu'en cela on n'eût point contre soi l'homme
- qu'elle consultait, Bérulle. Ce point fut le mariage de sa
RICULIBO ET BBRULLB. 253
fille Henriette. Le seul grand mariage qu'on pût lui faire en
Europe, c'était celui du fils de Jacques I*'. L'orgueil royal et
maternel était pris là. Et quant à Bérulle, la chose lu^ allait
aussi. Avec toutes ses petites prudences et ses petites ruses,
il perdait terre dès qu'on le lançait dans la vision donqui-
chottique d'une grande conquête religieuse de l'Angleterre.
Les jésuites y avaient échoué 1 Mais les oratoriens, si
modérés, si sages !... ils ne pouvaient manquer de réussir.
Quelle gloire pour l'institution nouvelle I
Voilà Bérulle pour l'alliance anglaise. .
Mais il ne fallait pas s'y tromper. On ne pouvait épouser
l'Angleterre qu'en se brouillant (au moins pour quelque
temps) avec l'Espagne, qui avait désiré ce mariage pour
elle*méme. On ne pouvait gagner le roi Jacques qu'en
aidant au rétablissement de son gendre le Palatin. Et,
pour cela, il fallait deux choses, aider d'argent l'armée
que Jacques envoyait en Allemagne, et subventionner la
Hollande, qui devait agir de concert. Pour créer une diver*
sion, on emprunterait des vaisseaux hollandais qui aide-
raient le duc de Savoie à s'emparer de Gènes.
La reine mère et Bérulle, pour Tamour du grand ma-
riage, et le salut des âmes anglaises, avalaient assez bien
cela. Mais l'affaire de la Valteline était plus compliquée.
Là, devant l'Espagne, on trouvait le pape, qui la masquait,
la défendait, et ne permettait de rien faire.
Heureusement Richelieu trouva une belle prise dans la
passion même de Bérullç. Au moment pii la France allait
rendre à la religion un tel service, la conversion de l'An-
gleterre, était-il possible que le Père des fidèles conservât
pour l'Espagne une odieuse partialité?... Non, le bon
Bérulle était sûr qu'Urbain VIU serait aisément éclairé. Il
se chargea d'aller à Rome et de faire d'une pierre deux
coups, en obtenant du pape la dispense nécessaire au
mariage, et un arrangement raisonnable de l'affaire de la
Valteline. Il répondit de finir dans un mois.
«•
854 RICBJLUBO «r BtKULLB.
Le roi laoques, fils de Mme Stuart, ai»it toujours eu
un cerlaia faible pourries catholiques, et il était en termes
de grande .petitesse avec le pape. Lafbrle épreuve de la
Conspiratiaa des poudres, où il faillit sauter Avec, le parie-
ment et Westminster, avait quelque peu ralenti, non
arrêté ce doux penchant vers Rome. Non sans cause. Une
idée fort juste frappait Jacques, o'est que le catholicisme
est la religion du despotisme. Son fils Charles I*', quoique
bon anglican, était dans cette idée. Le père, le fils, con-
trariés par le parlement, qui les. tenait aifamés d'argent,
regardaient avec envie, .avec. admiration, la jnonarohie
espagnole. JËpouser une infante, s'attacher foriement les
catholiques anglais et s'en faire une armée contre la cons-
titution, c'était leur rêve. .Mais l'affaire était dangereuse.
Le favovi de Jacques, Tétourdi Buokingham, la fait éclater.
Il part pour l'Espagne avec le jeune Charles. Ces cheva*
liers errants vont à Madrid demander la princesse. Us
accordent tout à i'£spagne, qui^ ravie,.aanonce partout le
mariage, en faft les fétCsS, lorsqu'un matin les oiseaux
voyageurs, le prince et Buckingham, se trouvent brusque-
ment envolés.
Ce dernier, pour une a£Eûre de .galanterie, s'était piqué,
avait rompu. C'est ce qui rejeta Jacques versia France, et
amena Bérulle à Rome. Mais le pauvre homme y trouva des
difficultés imprévues, au lieu d'un mois, y resta cinq, et
n'arriva à rien. Soit par .ménagement pour l'Espagne, «oit
par ignorance de 1 état de l'Angleterre, la cour papale
trouva mille et mille chicanes pour la dispense. Pour la
Yakeline c'était encore pis. Là le pape n'entendait plus
rien, il était complètement sourd. En réalité, son- neveu
Barberini (le plus gras des 'neveux, et qui tira de l'ottoleia
somme invraisemblable et constatée de œnt millions
d'écusl), ce Barberini, dis-je, trouvait fort bon de rester
garni de ce gage, et ne désespérait 'pas de^e faire là quel^
que jolie principauté.
neSBUEU ET «ÊRULLB. 2b&
Bérnlle puait, pressmt, pleurait. Hftis le pape allait
prcfidre Vair à Frescatî.Il cherchait, ^en novembre , la frat-
.cheur et r<NDbre des bois. L'orutorieii invoquait tons les
saints, eooniit dans Rome d'église en église.
La conduite du pape .était inexcusable. D'abord, il avait
pris le gage pour trois bioîs, et le gardait depuis deux ans.
Snsuite, il refusait même de le remettre aux Espagnols.
Bien plus, il refusait de restituer la Yaltelineaux Yaltelins.
Cette paralysie extraordinaire^ qui l'empéchah de rien
faire, de rien dire, dès qu'on le sommait de rendre un
dépôts était chose honUust. On récrivit de Franee à Rome. .
£t l'on ajoutait chou impie^ quand la France rouvrait
l'Angleterre au catholicisme, quand la situation pressait,
devait- donner des ailes ! Le pape apparaissait le mortel
ennemi de la papauté.
Le fend n'était que trop visible. Ses neveux, les Barbe-
rini, banquiers de Florence, n'y voyaient qu'une affaire.
Outre la Valteline, ils couvraient de Yml Urbîno, où s'étei-
gnait Ja famille régnante. Us voulaient reprendre ce fief
du Saint-Siège, et avaient grand besoin de la faveur des
Espagnols.
D'oiileur venait tant de sécurité, et, tFancbonslejnot,
d'impudence? De la position extraordinaire c^e les mai-
sons d'Autriehe et de Aavière faisaient au pape dans l'Em-
pire. En Bohème, en Allemagne, régnait le légat Garaffa.
Entouré d'une armée de moines, il -eommençait dans
Prague la terrible persécutioii qui a fait ^du pays le désert
' que l'oD voit encore.
Le cardinal de Richelieu semble avoir prévu qu'il aurait
fotrt à faire oontrele pape. Outre l'influence que, de longue
date, il avait prise dans les assemblées du clergé de France,
il se fit faine proviseur de Sorbonne. dès qu'il entra au
miaifitère, il négocia avec les Turcs, et obtint d'eux de
relenrer Tégliaede Bethléem. Lo cuhe Franc obtint par lui
à Jérusalem des libertés, un éclat tout nouveau. Enfin, il
â56 RICHELIKU ET B^RULLE.
se lia avec les catholiques anglais, leur écrivant que, pour
leur cause, il donnerait jusqu'à sa vie.
Tout cela lui créait une force religieuse. Et il en avut
une, politique, dans la colère du roi, furieux du m^ris
que le pape faisait de lui. Louis XIII était capable de tout
dès qu'il s'agissait de Vkùnneur de la couronne. C'est sur
ce mot d'honneur que Richelieu concentra la délibération,
sûr de vaincre par là; il n'y eût pas eu de sûreté à contre-
dire. Mahdtenant le roi^, l'enfant colère, ne changerait*il
pa$ le lendemain? Gela pouvait bien être. Richelieu brava
ce danger. U montra, ce jour-là, infiniment d'audace et
de prévoyance, devinant que le pape ne ferait, rien et les
Espagnols rien.
D'abord il envoya en Suisse , non pas Bassompierre,
colonel des Suisses, l'homme de la reine mère, qui eût
fait manquer tout , mais son séide à lui, Cœuvres ou
d'Estrées, frère de Gabriélle. D.'Estrées emporta près d'un
million, ce qui attendrit tout de suite et les Bernois pro-
testants, et le Valais catholique, qui s'offrirent à marcher.
Zurich donna des armes. La présence de l'ambassadeur
rendit du courage aux Grisons. Dès qu'il eut planté son
drapeau à Coire, tous les bannis des vallées accourent ,
demandent à combattre. Une explosion morale se fit
d'abord dans le coin des Grisons dont les Autrichiens
s'étaient emparés. Le peuple les chassa. D'Estrées n'eut
plus qu'à y entrer et leur fermer la porte sur le dos en
fortifiant le pont du Rhin du côté du Tyrol.
Restait la Yalteline môme, et ce grand épouvantail des
clefs de saint Pierre qui flottaient sur les Alpes avec le
drapeau romain. Là, il fallait prendre un parti. Dernières
sommations. En vain. L'amlrnssadeur change d'habit; le
voilà général. Une petite armée française, trois mille hom-
mes et cinq cents chevaux se trouvaient là^ sans qu'on ait
su comment, pour appuyer les Suisses. II ne manquait que
des canons.
BICHKUBO R BÉRDLU. 257
I^ soldate du pape, dans leurs nids d'aigles, contre on
ennemi sans artillerie, n'avaient qu'une chose à faire :
être tranquilles, n'avoir pas peur. C'est ce qu'ils ne firent
pas. La peur dispensa de canon. Quoiqu'ils eussent avec
eux nombre d'Espagnols, ils n'attendirent pas de voir, il
leur suffit de savoir que le drapeau de la France venait à
eux par la vallée. A la grande surprise des Suisses, qui ne
pouvaient le croire, ils abandonnèrent le premier fort et
le brûlèrent. Tel fut généralement l'adieu qu'ils laissèrent
au pays, brûlant ce qu'ils pouvaient, et faisant main basse
sur cette population catholique qui les avait appelés.
Cela donna la meilleure grâce à l'entrée des Français
qui semblaient n'arriver que pour empêcher l'incendie*
Le général pontifical, le marquis de Bagni, poussé jus-
qu à Tirano, reçut les ordres d'accommodement qu'on
voulait bien lui faire encore, il espérait gagner du temps
avoir quelque secours. Mais rien ne vint alore. Il tira sur
nous en pleine négociation. Cela força d'Estrées à latla-
qucr et le battre, avec tout le respect possible, La ville fut
emportée sans peine, voulant l'être et tout le peuple étant
pour nous. Bagni, réfugié au château , se rendit deux
jours après et fut honorablement renvoyé avec ses dra-
peaux. On ne lui garda que les blessés pour les soigner et
les nus pour les habiller; tous auraient voulu se faire
prendre (décembre 1624).
XI. „
CHAPITRE XXII
L'Europe en dt'com position. — Richelieu forcé de Rétrograder.
1625-1026.
Galilée, en 1610, avait eu sur le ciel son coup d*œil de
génie. Richelieu eut le sien sur la terre en 4624.
Que vit ce Galilée de la situation politique? Des étoiles
nouvelles? Non pas, mais une étoile qui filait.
Il comprit le néant de Rome.
Et cela au moment où les événements donnaieut au
pape une énorme importance dans l'opinion, au moment
où les vainqueurs de la Bohême et de rAllemagoe dres-
saient le trône du légat romain , le constituant maître et
des âmes et des biens, le dictateur de la victoire.
Le beau neveu de Grégoire XV, monsignor Ludovisio,
prince élégant, favorisé des dames, venait d*élever le Gesù
et la Propagande, Sous Urbain VIH, poëte agréable et
anacréontique, ces deux maisons fleurirent de plus en
plus, et furent le double Capitole de la Rome d'Ignace.
Dans Tune, on organisa la police du globe; dans l'autre,
ses conquêtes. Le grand mensonge des missions aux terres
païennes commença là. Voyez les gasconnades du Tite-
Live de la Gascogne, le grand Fiorimond de Raemond.
Tendres pour les Chinois, terribles pour l'Europe, sorti-
rent de là tous ces prêcheurs qui allaient derrière les
armées de Waldstein avec les loups et les vautours.
RlCHJBUiU rOBCÉ DE RÊTfiOGRADER. 259
Ce qu'il y eut d'habileté dans tout cela ue doit pourtant
pas faire oublier ce qui facilitait les choses. Je veux dire
le grand côté financier de l'affaire. Si ces charnoants Jé^
suites furent si persuasifs, gagnèrent les rois, les cours,
les belles dames, jusqu'aux laquais, c'est qu'ils s*adres^
saient à des gens qui comprenaient très-bien qu'il s'agis-
sait d'une translation de la propriété. Arrêtez donc une
révolution qui marche par la furie des lois agraires!
Maintenant je laisse nos critiques apprécier Ja littéra-
ture des Jésuites. Elle est forte en rébus, incomparable
em acrostiches , subliuie en calembours. J'admire Posse^
vin, j'admire Gotton, j'admire Vlniag^ prinii sxculL Mais
l'éloquence de ces Pères bien autrement éclate dans VKdit
de restitution^ qui ruine moitié de TÀUemagne au pi\ofiit
de l'autre, dans la liévocation de redit de Nantes , qui fit
pleuvoir la manne des confiscatioiis protestantes dan$ les
poches trouées de la noblesse catholique.
En conscience, Tilly , Waldstein, etc., avaient bon
temps, quand tous les princes protestants avaient peur du
protestantisme, voyant la république au fond. L'Angle-
terre ne fit rien. Pourquoi? Parce que son roi protestant
adorait les Espagnols, estimait les Autrichiens. Les princes
luthériens d'Allemagne se gardèrent de s'associer à la
Hollande, ce qui les eût sauvés, craignant que leurs sujets
ne se fissent Hollandais, qu'ils ne fussent tentés piir ia
grandeur subite et renricbissement prodigieux de la nou^
\éUe république.
Tout cela, en réalité, rendait ces intrigues et ces car-
nages assez faciles, et la papauté n'eut pas beaucoup à
suer. Le curieux , c'est qu'elle fut très -souvent l'obstacle
de ce qu'on faisait pour elle. A travers toute cette fantas-
magorie de Propagande et de Gesii, de conquête univer-
selle, etc., on voit au fond du Vatican, quoi? Un petit
yieillard chagrin , Italien avant tout , prince avant tout,
oncle avant tout, qui emploie vite le peu de temps qu'il a
360 l'europe bn décomposition.
à acquérir un morceau de terre pour le Saint-Siège ou ses
neveux. Les trois papes florentins n*ont pas fait autre
chose. Paul IV appelait jusqu'aux Turcs pour sa petite
affaire de Parme. Sixle-Quint tourne le ,dos à la grande
Armada^ à la Ligue; il ne regarde quo VAgro romano.
Clément VIII veut Ferrare ; Urbain VIII, Urbino. L'Eu-
rope est pour eux secondaire.
Richelieu vit ces misères à fond, de part en part.
Il vit cette politique tremblotante, qui ne tirait plus
de force de la religion , mais d*un reflet de la royauté.
L'Autrichien, TËspagnol, exhaussaient et surexhaussaient,
pour leur intérêt propre, la casuelle idole qui ne se sen-
tait pas bien en sûreté sur leurs épaules et s'effrayait de
la hauteur.
Il vit qu'on pouvait aller à eux, et qu'ils reculeraient.
Il vit qu'on pouvait donner ce coup au pape, et qu'il le
garderait.
Que la France pouvait risquer contre l'Espagnol ce
qu'avait risqué la Savoie. Le petit prince des marmottes
avait par deux fois embarrassé ce fastueux empire, c où
ne se couchait jamais le soleil. »
L'Espagne d'alors, avec ses grands mots, ses grand airs,
était un gouvernement de loterie, d'aventure et d'aventu-
riers. Une fois, ils s'entendent avec des voleurs pour brû-
ler Venise. Leur bonheur, en Hollande, c'est Spinola, un
aventurier Italien. Et, s'il leur faut un diplomate dans la
plus grande affaire, ils vont chercher un peintre, le Fla-
mand Rubens.
Richelieu n'opinait pas mieux de l'Autrichien, Ferdi-
nand H, qui tombait tout à plat si on détachait la Bavière.
Richelieu y travaillait, et, d^autre part, regardait quel
secours la France pouvait tirer des princes protestants
contre la maison d'Autriche. Lui, leur ennemi, qui écri-
vait contre eux . il voyait bien que, sans eux, on était
perdu.
RICHELIEU FORGE DE RÉTROGRADER. 261
Malheureusement la Hollande était toute désorientée,
divisée contre elle- même. Le chef des modérés, le conti-
nuateur du tolérant esprit de Guillaume, Barneveldt, ami
de la liberté, de la paix et protecteur des catholiques,
avait adouci Tesprit public, trop tôt, en plein péril. Le
parti de la guerre s'était réfugié dans une doctrine de
guerre, le sombre calvinisme, qui jadis Tavait fait vaincre.
C'est tout à fait l'histoire de la Gironde et de la Montagne.
Barneveldt ne trahissait point (pas plus que la Gironde),
mais ses molles doctrines livraient le pays, il se trouvait
à la télé du parti que nous dirions fédéraliste, du parti
des provinces qui n'obéissait point aux Ëtats généraux,
qui soutenait la division, la non-centralisation , la fai-
blesse, devant l'ennemi. Barneveldt meurt, comme héré-
tique et traître. Mais Fauteur de sa mort, Maurice, n'en
réussit pas mieux. Les provinces repoussent l'unité. Ceux
qui l'aidèrent à perdre Barneveldt le regrettent mainte-
nant, détestent le tyran. Maurice, qui avait sauvé dix fois
la Hollande, ne pouvait croire qu'il fût haï. Un jour qu'il
passait à Gorcum, à midi et en plein marché, il salue, et
personne ne met la main au chapeau ; tous le regardaient
de travers. On vit alors une chose grande, morale, ter-
rible. Cet homme, immuable aux fatigues, aux périls,
avait eu toujours le sommeil profond; il était gras (Spi-
nola maigre). Tout à coup il changea, il n'avait vécu que
d'honneur, de popularité. Il maigrit et mourut (avril
4625). La Hollande en fut-elle relevée ? Point du tout Elle
avait eu deux têtes, et les avait coupées. Elle resta un
moment très-faible.
L'Angleterre n'était guère moins malade. Lisez les son-
nets de Shakspeare, si beaux et si bizarres. Vous y entre-
voyez la décomposition d'un monde . Et il y en a aussi
quelque chose dans ses comédies. Ses hommes femmes et
ses femmes hommes, ce dévergondage d'esprit montre
un pays bien fatigué. Tristes équivoques d'imaginations
262 l'ECKOPE en DÉCOMPOSItlO^.
maladives (historiques pourtant, \oyet le bean Cinq-Mars
et le beau fiuckinghani, etc.), elles disent la fin d'ane so-
ciété qui ne veut plus de la nature. Où est dans tout cela
la tradition pure de la Merry England, cette joyeuse An-
gleterre de Drake, qui se moqua de Y Armada? Une autre
naît, je le sais, sombre et forte, qui donnera Cromwell et
les États-Unis. Mais elle naît lentement, sous le poids
écrasant de YÉglise établie. Richelieu s'aidera peu là-Las
des Puritains, contre lesquels il lui faudra combattre en
France.
L'Angleterre enrichie était devenue prodigieusement
économe pour TÉtat. Elle s'en excusait en disant que
ni Jacques ni Buckingham ne lui inspiraient confiance.
Buckingham, il est vrai, sorti d'une famille de fous enfer-
més, mérita plusieurs fois de Tétre. Dans son étonnant
voyage en Espagne, où il mène le jeune Charles 1^' aux
pieds de Tinfante, lui il prend pour infante la femme du
premier ministre, Olivarès. Celui-ci avait dit : « L'Espa-
gne ne refusera rien à l'Angleterre. » L'Anglais le prit au
mot, et crut que sa femme en était. Mais l'altière doîia,
indignée de cette sottise insolente qui croyait vaincre en
un quart d'heure, mit une fille à elle au rendez-vous.
Cette iille-Ià sauva l'Europe d'un extrême danger. Buckin-
gham, conspué, n'eut qu'à s'enfuir. L'Angleterre, qui
allait s* unir à l'Espagne , se tourna dès lors vers la
France.
Événement heureux pour Richelieu, s'il avait pu en pro-
fiter, comme eût fait Henri IV. Mais il n'était pas roi, il
n'était même pas encore le Richelieu qu'il fut plus tard.
Le pape et les Bérulle l'obligèrent de faire aux Stuarts des
conditions terribles de mariage qui ébranlaient leur dy-
nastie, rendaient l'alliance française odieuse, partant sté-
rile. Un évéque, qui revenait d'Angleterre, avait donné à
nos dévots des espérances exagérées. Jacques l'avait laissé
offlcier en plein Londres , confirmer en un jour dix-huit
RICHSLIEU FOBCS DE RETROGRADER. tt3
mille catholiques devant la foule curieuse , irritée, mais
juuette.
Les ndtres, qui ne oonnaissaient pas la profondeur de
haine que TÀngleterre garde au papisme, crurent, d'après
cela, qu'on pouvait tout oser. On exigea « que les enfants,
même catholiques^ succéderaient, et que la mère les élève-
rait jusqu'à treize ans. » On exigea « que la jeune reioe
amenât un évéque, que cet évêque et son clergé parussent
dans les rues sous leur costume, » Même, pour triompher
des résistances trop raisonnables du prince de Galles, •etn
fit cette chose inconvenante de lui faire denumder^r
Henriette « de dispenser les catholiques du serment, » ser-
ment modéré, politique» dont Jacques avait déjà écarté
tout ce qui pouvait alarmer les consciences. Henriette ai^
rivait là de façon bien sinistre ! Avant de s'embarquer, eJte
exigeait que Charles préparât son procès, jetât la première
pierre de son échafaud de Whitehall !
Comment voulait-on que Jacques et Charles fissent digé-
rer cela au Parlement? Il eût fallu du moins que Richelieu
pût leur accorder un signe qui honorât le mariage devant
l'Angleterre et fit espérer un secours puissant pour le
gendre de Jacques et les protestants d'Allemagne. 11 ne le
pouvait pas. Nos dévots ne l'eussent pas permis. Il se serait
perdu près du clergé de France, qu'il opposait au pape. Il
n'eût pu continuer ses négociations pour séparer la Ba-
vière de l'Autriche. N'osant donner des hommes, il donna
de l'argent. Il promit pour six mois un subside au partisan
Mansfeld , que Jacques envoyait en Allemagne , et en-
core à condition que Mansfeld ne passerait pas par la
France. Enfin, il subventionna le roi de Danemark, que
les protestants d'Allemagne se donnèrent pour chef (mars
4625).
Qu'il ait osé tout cela dans les tremblants commence-
ments d'un pouvoir disputé, cela étonne, et surtout au
moment oii le vent du midi lui apportait de Rome une
264 L'fiOROPfi EN DÉCOMPOSITION.
tempête à le déraciner. Après raffaîre de Valteline, le pape
avait eu peur d*abord. Il crut voir monter aux murailles
Bourbon, Frondsbcrg. Et il pria BéruUe d'aller vite apai-
ser le roi. Puis, ne voyant rien venir, la peur fit place à la
colère. Ses Barberini ne parlaient que d'excommunier,
foudroyer, écraser. Le neveu régnant supposa que le
bonhomme BéruUe ne parlerait pas assez haut. Lui-même,
de sa personne, se mit en route ; armé des pouvoirs de
rËglise, les poches pleines de bulles, il s'achemina vers la
France, curieux de voir si Richelieu l'attendrait de pied
ferme, ou plutôt sûr de le trouver à la frontière, repentant
et la corde au cou.
Celui-ci, en réalité, avait à soutenir d'étranges assauts.
Louis Xiil ne s'habituait pas à cette situation nouvelle de
faire la guerre au pape. La reine mère lui en faisait hontei
et BéruUe sans doute, de ses soupirs et de ses larmes, re-
muait sa conscience. Un matin, le roi brusquement dit à
Richelieu : « Il faut en finir. » (Mars 1625.)
Mais, bien loin d*en finir, celui-ci s'endurcissait telle-
ment, que, le 25 encore, il signa le traité du Nord avec
les ennemis du pape, le Danois et les Allemands.
Quel était donc cet homme qui violentait ainsi la cons-
cience de son roi? Grand problème qui m'a souvent ab-
sorbé, et je n'en serais jamais sorti, si je n'avais lu dans
la belle publication de M. Avenel (t. Il, p. 207) une pièce
écrite un peu plus tard, mais qui explique tout. On voit
que Richelieu avait ensorcelé le roi*
Par talisman, philtre ou breuvage? par l'anneau en-
chanté qui, dit-on, troubla Cbarlemagnc? Non, par la
caisse des finances.
Louis XIII n'avait jamais vu d'argent, et Richelieu lui
en fit voir.
Ce fut un coup de théâtre analogue à celui de Sully, cet
autre magicien, quand du pied il frappa la terre, et que
l'argent jaiUit pour Henri IV émerveUlé.
RICHBLIBU FORCÉ DE RÉTROGRADER. 265
Le revenu, qui diminuait tous les ans, augmenta tout à
coup. Indépendamment d'une enquête contre les finan-
ciers, ressource passagère, Richelieu alla droit aux sources
régulières, aux comptables, aux receveurs, et il se mit à
compter avec eux. Ils furent bien étonnés. Quand on leur
demandait de l'argent, ils prétendaient toujours avoir fait
des avances, disaient qu'on leur devait plutôt , offraient
de prêter et prêtaient au roi à usure l'argent même du roi.
Ce jeu cessa avec un homme sérieux , qui ne plaisantait
pas, qui tira tout à clair lui-même. Homme net, avant
tout, et, bien plus, d'une générosité altière, qui, par exem-
ple, en prenant la marine, gagna un profit de cent mille
écus, et en fit cadeau à l'État.
Louis XIII n'aimait pas ce visage pointu, mais il restait
persuadé que le disgracier, c'était rentrer dans l'indigence
où Concini l'avait tenu, dans la honte où le mit deLuynes,
sous les sifflets de Montauban.
Donc, ferme sur sa caisse, Richelieu attendit le légat et
la foudre.
Cette sécurité stoïcienne allait si loin, qu'il s'obstinait à
ne pas vouloir armer contre nos protestants, qui avaient
fait une prise d'armes maladroite et malencontreuse au
niomcnt même où Richelieu faisait la guerre au pape.
Leur conduite, à ce moment, a indigné la France. Voici
pourtant comment la chose se passa.
Les deux frères, Soubise et Rohan, ne pouvaient pas sa-
voir, le 17 janvier, dans la Charente, que du 1" au 40 jan-
vier on eût chassé des Alpes les garnisons pontificales. Ils
ne voyaient point cela. Ce qu'ils voyaient, croyaient, c'é-
taient les mensonges politiques de Richelieu, qui, voulant
se faire pardonner ses alliances protestantes, disait par-
tout qu'il soudoyait Anglais et Hollandais' pour isoler la
Rochelle, que tôt ou tard il attaquerait. Et, pour mieux le
faire croire, il avait dans la Charente quelques petits vais-
seaux.
266 l'evrwk en décomposition.
Si tous nos catholiques du Louvre, Bérulle» la reine
mère, qui vivaient avec Richelieu, se trompaient à cela,
combien plus nos huguenots 1 Lui-même, en ses Hémoires,
avec colère, il se demande comment ils purent l'attaquer
dans un tel moment. Il est facile de le lui dire. Parce que
la fausse paix de 4622 avait été une guerre; parce qu'on
en avait profité pour bâtir une citadelle à Montpellier;
parce qu'aux portes de la Rochelle, dans l'Ile de Rhé, on
élevait un fort pour la tenir sous le canon ; parce qu'on
avait mis là un homme altéré de leur sang, Tex-protestant
Arnaud ; parce qu'en Rhé on avait brûlé vif un pauvre tis-
serand; parce qu on avait lancé le peuple pour les massa-
crer à Lyon, et pour brûler ici ,leur temple de Charenton;
parce que le magistrat allait chez les mourants les sommer
de se confesser; enfin parce qu'en toute la France la
grande chose qui était leur joie, leur force et, disons
mieux, leur âme, leur avait été retirée : la liberU du
chant, et la consolation des psaumes!
Les raisons certes d'armer ne manquaient pas. Le mo-
ment était mal choisi. Richelieu le fit dire à Rohan par
Lesdiguières. Mais celui-ci, qui tant de fois avait trompé,
ne fut pas cru le jour quïl disait vrai. Rohan et Soubise
persistèrent^ malgré la majorité des protestants, qui ne
voulaient pas bouger, malgré la Rochelle, qui, étouffée,
ruinée dans son commerce, s'obstina pourtant dans la
paix. À grand'peine, Rohan souleva un coin du Lan-
guedoc.
Ce qui devait l'affermir dans la guerre, c'est que le ma-
riage d'Angleterre, loin de favoriser les protestants, fut
fastueusemenl arrangé comme une invasion catholique.
Buckingham, qui était venu à Paris, y recommençait ses
folies espagnoles. Il faisait l'amour à Anne d'Autriche,
qui, n'ayant que les restes de madame d'Olivarès, eût dû
£6 trouver peu flattée ; mais point : elle fut très-attea-
drie. Tout le monde sait comment le fat se mit à la noode;
RICHKUI0 FORCÉ DE RÉTROGRADER. ^7
liistoire qui cote la cour à sa valeur, et la bassesse du
temps. Il parut en habit brodé de perles mai cousues, qui
se semaient sur les chemins pour tenter l'assistance, k
Madrid, on se serait cru insulté I Ici, on le trouva trè»-
bon ; les plus huppés ramassaient dans la crotte.
Retz dit que Buckingham brusqua son succès près de la
reine, qu'à peine arrivé il vainquit. Aux adieux, à Amiens,
ce fou furieux se porta publiquement sur elle aux der-
nières entreprises. 11 outragea la France, et il trahissait
r Angleterre, livrant ses vaisseaux protestant» pour faire la
guerre aux protestants.
Ce fut un Guise, pour bien renouveler là-bas le fatal
souvenir de la parenté des Guises avec les Sluarts, qui
épousa la petite reine Henriette à Notre-Dame de Paris et
la mena à Londres. Superbe cavalcade de prêtres, et
moines, et religieuses sur leurs mules, toute une Armada
eeclésiastique.
La reine trouva triste et sauvage le pays et le peuple,
odieuse la simplicité grave des insulaires. Son sérieux
époux, Charles P% figure roide et altière, où respirait le
froid du Nord (par sa mère, il était Danois), lui plut très-
médiocrement. Et elle commença tout de suite la petite
guerre. Elle était bien stylée d'avance, et Bérulie ne la
quittait pas. Charles se trouva avoir dans son lit une zélée
catéchiste, triste, sèche, disputeuse, qui ne donnait rien
pour rien, et mettait Tamour aux jeûnes de la contro-
verse.
Elle n'avait nul égard an temps^ au danger de son mari,
qui n'achetait les subsides du Parlement que par des sévé-
rités religieuses. Elle avait droit d'avoir vingt-huit cha-
pelles dans les châteaux. Mais le plus scabreux était celle
de Londres. Elle exigea d'y réunir les catholiques. Ils
vinrent en foule. Alors elle voulut une église.
Cependant c'était elle qui se plaignait et se faisait plain-
dre. Tout retombait sur Richelieu. Le légat Barberini
268 l'borope en décomposition.
était à Paris, et le ministre dans un extrême péril. U parut
là dans sa grandeur, mit bas Thabit de fourbe sous lequel
il avait grandi. A chaque demande du légat, il opposa un
non respectueux, mais ferme, fort clair et sans ambages.
Barberini avait commencé par une demande naïvement
espagnole : « une suspension d*armes, » pour que l'Es-
pagne pût réunir ses forces. Et Richelieu répondit : Non.
Barberini se retira sur la simple demande de la liberté
du passage pour les troupes espagnoles, avec satisfaction
au pape pour la forme impolie avec laquelle ses hommes
avaient été mis à la porte. Mais Richelieu dit encore :
Non.
Alors Barberini jeta sa barrette et pleura.
Ce qui l'humiliait le plus, c'est qu'il ne trouvait aucune
prise dans le public. Tout le monde paraissait ravi de ce
coup reçu par le pape. Par cette seule petite affaire (qui
ne coûta pas un million, ni, je crois, un seul homme),
Richelieu avait conquis une grande position nationale. On
a vu, en 1620, que les soldats disaient à Ravaillac qu'ils
croyaient faire bientôt la guerre au pape, et en étaient
charmés. Cela permet d'apprécier ce qu'on veut nous faire
croire de la grande dévotion du temps. Quand Henri IV
mourut, le peuple de Paris dit qu'il défendrait Charenton,
protégerait les huguenots. M. de Guise, ce jour-là, avait
beau saluer la foule ; personne n'y faisait attention. Puis,
dix années après, quand on lança sur Charenton une
bande de laquais et de mendiants, quand les Jésuites de
la rue Saint-Antoine se tenaient sur leur porte pour passer
la bande en revue et lui mettre du cœur au ventre, l'his-
toire nous assure gravement que ces drôles étaient tout
Paris, que la ville de Paris était encore ligueuse h cette
époque, et que ce grand bruit eut lieu pour l'amour de je
ne sais quel Guise tué dans la guerre des protestants à
deux cents lieues de là. S'il en est ainsi, qu'on ni'explique
comment, trois ans après, ce légat, à Paris, n'en reste pas
R1CHKLI£U FORCÉ DE RÉTROGfiADBR. 269
moins seul. Ce bon peuple dévot qui vient de brûler Cha-
renton, où donc est-il? Et ne devrait-il pas faire tous les
jours des feux de joie devant Thôtel de M. le légat? Mais
c'est tout le contraire. S'il y a joie, c'est pour le soufflet
qoe vient de recevoir le pape. Richelieu s'en soucie si peu
et croit tenir si bien le roi et tout, qu'il prend le temps
d'être malade, s'en va à la campagne. Le légat solitaire
n'a de consolateur qu'un autre solitaire, oublié dans Paris,
Tambassadeur d'Espagne, H. de Mirabel.
L'homme de Rome était aux abois. La reme mère ne
soufflait plus, ayant son &me à Londres. On la rappela en
hâte» cette âme saintement intrigante. BéruUe saute le
détroit. Ni Buckingham là-bas, ni Richelieu ici, n'avaient
prévu ce coup. Le saint homme, pour piquer le roi, prit
justement la pointe dont usait si bien Richelieu, ï honneur
de la couronne. 11 lui montra l'Anglais qui se moquait de
lui, maltraitant Henriette , persécutant les catholiques.
Pourquoi les ménagerait-il lorsque, chez le roi très-chré-
tien, un cardinal persécute le pape?... Cela agit. Le roi
jura que son beau-frère s'en repentirait, et, pour l'affaire
du pape que traînait Richelieu, il dit à Bérulle d'en finir.
Avec celui-ci, la chose alla vite. Pendant que Richelieu
se met en route pour revenir, déjà tout est fini. Bérulle a
bftclé un traité, plein d'équivoques, c Les Grisons restent
souverains, sauf le cas où les Yaltelins se croiraient lésés
comme catholiques. Le roi de France aura seul les pas-
sages, sauf le cas d'une guerre des Turcs, oii l'Espagnol
voudrait aller secourir l'Autrichien. » Or, ce cas était tout
trouvé, l'Autriche étant alors aux prises avec le Transyl-
vain, allié des Turcs. Les Espagnols, sous ce prétexte,
eussent à l'instant même repris les passages.
Guéri par la colère, Richelieu revient, déchire le traité,
en appelle à la France (il demande une assemblée de no-
tables) et au clergé même de France. Sa prise sur le
clergé, c'était une victoire qu'il venait de gagner sur le
270 l'ecrop£ en décomposition.
protestant Soubise avec les vaisseaux protestants d'Angle-
terre et de Hollande (15 septembre 4625).
Les Notables, princes, ducs et pairs, cardinaux, inaré-»
ohaux, délégués des Parlements, membres de rAssemblée
du clergé (qui siégeait déjà à Paris), votèrent comme, ua
seul homme pour Richelieu.
La reine mère, Bérulle et le légat faisaient triste figure,
restant seuls pour la paix, seuls bons et fidèles Espagnols,
devant une assemblée toute française. L'abandon du clergé
surtout outrait le légat. « Et toi aussi, mon fils! » il fii un
ooup désespéré. Sans dire adieu, il part (23 septembre),
tirant décidément Tépée, et résolu de faire des levées de
troupes, pour qu'on vit qui remporterait de la maison dLe
France ou de celle des Barberini.
Richelieu fit courir après par politesse ', maïs il ne s*ea
souoiak guère, ayant la France avec lui. 11 amusait alors
les Notables d*un projet superbe de réforme utopique, de
ces choses agréables et vaines dont se régalent \iotoiitiers
oes grandes assemblées. 11 est curieux de voir Tidéal de
RicheHeu.
Cela commence d'abord de façon pastorale, le rot vent
imiter saint Louis jugeant sous un chêne; cha«^ diman-
che et fôte, à rissue de la messe, il donnera audience à
tout venant, et recevra toute requête, que reprendra le
demandeur, a avec réponse au pied, s le dimanche suivant.
La généralité des affaires se traitera par quatre hauts
conseils. Mtîs k tout seigneur tout honneur : au plus haat
conseil, trône le clergé; quatre prélats et deux laïques
seulement le forment pour aider le roi à nommer aux bé^
Délices, et, t en général, pour tout ce qui peut intéresser
sa conscience, t Voilà la conscience du roi administrée en
république, et en république d*Égtise.
Le même esprit républicain perce dans l'organisation
régulière qu'il veut donner aux conciles provinciaux. Ils
deviendront les juges du clergé en dernier ressort.
RICHBLIEO FORCÉ DE RÉTROGRADER. 274
A tout curé au moins trois cents livres par an, équiva-
lant aux douze cents que leur donne la Constituante de 89.
— Moins d'ordres mendiants, moins de Capucins. — Clot-
trer les monastères de filles.
ha roi réduit tellement sa maison, qu'il reviendra à la
dépense d'Henri III. — Plus de vénalité d'offices. — Plus
d'acquits au comptant; le roi se ferme le Trésor.— Plus de
vagabondage, taxes des pauvres. — Moins de collèges,
moins de lettrés pauvres (d'abbés faiseurs de vers, de
prestolets solliciteurs, etc.). — Moins de luxe. Chacun,
rédaisant sa dépense, supprimant les clinquants italiens et
passements de Milan, n*aura plus à chercher de mauvaises
votes pour se refaire. Quelles voies? Le bon roi Jacques dit
havt ce que Richelieu pense : que le gentilhomme ruiné
venait en cour spéculer sur sa femme.
Cet âge d'or sur le papier charma tellement le publie,
que trois corps à la fois, l'Assemblée du clergé, la Sor-
bonne et le Parlement, poursuivirent vivement les pam-
phlets papistes, espagnols, qu'on lançait contre Richelieu.
Et le Parlement avec tant de violence, que Richelieu n*eut
qu'à le contenir.
Il n'avait pris tant d'ascendant sur le clergé qu'en le
leurrant dune chose qu'il ne voulait pas faire, d*une
guerre contre la Rochelle. Qu'aurait fait cette guerre? Elle
aurait forcé FAngleterre à se déclarer contre lui ; elle eût
disloqué sa ligue du Nord (Hollande, Suède, Danemark,
Allemagne). Les amis de TEspagne, RéruUe^ la reine mère,
ne désiraient pas autre chose. Ils le poussaient à la victoire
fatale qui brisait tous ses plans, le brouillait avec les
Anglais.
Richelieu tremblait de vaincre. Et lui-même, en no-
vembre, il oifrit la paix aux huguenots, ce qui mécontenta
le clergé et lui fit retirer en partie l'adhésion étourdie qu'il
lui avait donnée contre le pape.
Il désirait avoir la main forcée par les Anglais, pouvoir
$72 L'EUROPE EN DSCO)l POSITION.
dire qu'il n'avait pu leur refuser de traiter avec les hugue-
nots. Il fit venir en décembre des ambassadeurs d'Angle-
terre^ qui prirent l'affaire en main et avancèrent la chose.
Mais d'autant plus BéruUe, le parti espagnol, voulait brus-
quer la paix avec l'Espagne. Us remuaient le roi par le
scrupule de pousser cette guerre d'Espagne que le pape
maintenant faisait sienne et voulait reprendre en son nom.
Us crurent le roi pour eux sur quelques mots d'aigreur
qui lui échappèrent contre Richelieu, et ils en prirent Tau-
dace de faire la paix sans pouvoir. La reine mère dit à la
femme de notre ambassadeur, Fargis de Rochepot (ennemi
de Richelieu), qu'il pouvait signer le traité in ogni modo.
Le traité que signa Fargis, c'est justement cet amas d'équi-
voques que Bérulle avait minuté trois mois avant» et que
Richelieu avait déchiré, a Les Grisons restaient souve-
rains, à moins que les Yaltelins ne se disent lésés dans leur
religion. » Et ils l'auraient dit à coup sûr.
Ce beau traité, conclu (disons plutôt comploté, conspiré)
entre Olivarès et Fargis, vient en janvier au Louvre. On
s'est passé du roi, on s'est passé de Richelieu. Celui-ci
tombe à la renverse. Il se trouvait que nos amis et alliés,
les Anglais, alors à Paris, sans lesquels on traitait ainsi
avec l'Espagne, allaient passer pour traîtres à Londres.
Quelle force donnée au procès que déjà les Communes
commençaient contre Buckingham? Charles I*' était forcé
de devenir le mortel ennemi de la France. Le but de Rome
était atteint.
Qu'allait dire tout le Nord? Qu'allait dire l'Italie? Venise
ne s'était compromise que pour avoir quelque sûreté con-
tre l'Autriche, et la Savoie ruinée que pour s'indemniser
sur Gènes. Et tous étaient sacrifiés. La France traitait pour
elle seule.
Le panégyriste de Bérulle, l'abbé Tabaraud (d'après
d'autres plus anciens, et non plus sages), assure que
c'était Richelieu même qui avait poussé Fargis, sauf à le
RICHELIBU FORCB DE RÉTROGRADER. 273
démentir, que lui-niémc voulait ce traité qui lui troublait
tous ses plans. Heureusement ses lettres sont là, et son
très-sérieux éditeur, M. Avenel, d'après les pièces, a re-*
mis l'affaire en lumière (t. If, p. 90).
On lava la tête à Fargis. On raccommoda le traité, mais
comment? On en laissa tout le venin, les Grisons ne gar-
dant de leur souveraineté qu*un petit souvenir, un cens de
vingt-cinq mille livres par an que leur payerait la Valte-
Une. Celle^i, petite république catholique, eût laissé, à
coup sûr, passer et repasser les Espagnols tant qu'ils au-
raient voulu.
Deux choses décidèrent Richelieu à accepter cette œuvre
de ses ennemis. D*abord, il avait su faire consacrer le
droit des Grisons par les Suisses, qui se firent fort de les
remettre en possession de la Yalteline.
Deuxièmement, le pape armait contre la France. Son
drapeau, avec l'Espagnol, reparaissait aux Alpes. Et, quel-
que ridicule que cela fut, Richelieu en était embarrassé.
Qu*eût dit le confesseur du roi? et comment la conscience
de Louis XIIl se fût-elle arrangée de cette guerre obstinée
contre le pape?
Donc, il céda, et endossa Tindignation et le mépris dt*
TEurope, proclamé traître par tous ses alliés.
La chose aujourd'hui est plus claire. En celte singu-
lière affaire, il y avait un fourbe et un saint. Le fourbe,
Richelieu (à juger par les précédents); le saint, Bérulle^
Mais ce fut le saint qui mentit.
Xf. 18
CHAPITRE XXIII
Ligue des reines contre Richelieu. — Complot de Ghabls. i6ti(.
Dans la terrible solitude où cette paix traîtresse mit Ri*
«helieu, brouillé avec tous ses amis (Angleterre et Hol-
lande, Savoie, Venise et Grisons même), haï du pape, qui
gardait son soufflet, amorti en Europe, affaibli à la cour,
mystiM par un sot (Rérulle), il commença à regarder in-
quiètement sur quoi il s'appuierait , et il eut une idée
lâche, dont il se confesse lui-môme.
Ce fut de s'adresser à la Bavière, à la ligue catholique
d^Allemagne, d'obtenir du Bavarois même, du vainqueur,
le rétablissement du vaincu, le Palatin. Mais quel réta-
blissement I A quelles conditions I II demanderait pardon
à l'Empereur, il payerait trois millions^ il laisserait son
titre d'électeur au Bavarois, à moins que lui Palatin» ie
chef des calvinistes, ne se fit Catholique. Et, tout cela fait,
quel en serait le fruit? Le Palatinat gardcrait-il la liberté
de religion? Point du tout. Dans ce pays tout calviniste,
le calvinisme ne serait que toléré, et encore dans une ville^
résiijlence du Palatin I Ce bel arrangement ne déplut pas
au Bavarois. Seulement il eût voulu un article de plus :
c'était que Richelieu désarmât le Danois ef la ligue pro-
testante, que le lion se fit arracher dents et ongles préala-
COHFLOT m CHALAIS. 275
Mement, apffe quoi on eût pu rassommer h coups de bâton.
Bicliefieu conte lui-même ]a honteuse négociation, et
paraft ée féliciter d^avoir trouvé ce vain expédient. Ce qui
taii bien sentir que ce mécanicien, qui rftvait la balance,
les poids et contre-poids, enfin toute la pauvre machine
de la politique moderne^ eut peu le sentiment des forces
vives, des passions dont vit l'humanité.
Qui ne voyait la réaction catholique, cette terrible armée
en marche, qui allait engloutir le Nord, avançant comme
un élément, avec les forces aveugles non-seulement du
fanatisme, mais, ce qui est bien pis, d'un changement
g[énéral de la propriété ? G>ntre un tel phénomène, contre
la création d'une armée de cent mille voleurs qu*à ce mo-
ment rAutriche opérait par Waldstein, on se fût amusé à
bâtir cette petite digue !... Triste conception ! Le Bavarois,
Vainqueur parce qu'il avait servi jusque-là la révolution,
eût été impuissant le jour qu'il lui eût (ait obstacle.
' Lui-même, Richelieu, personnellement, n'avait nul ar-
rangement possible, haï du parti espagnol comme apostat
et renégat, et du parti anti-espagnol pour sa récente tra*
hison.
En 1626, il était arrivé au point où parvint Henri IV en
4606. De toutes parts, on conspirait sa mort. Ses livres
contre les protestants, ses tendresses pour lés Jésuites,
ses ménagements pour les demi-jésuites (Oratoriens), ne
lui regagnaient personne. Toutes les cours étaient tra-
vaillées contre lui. Le grand parti dévot, cette année 46i6,
pour le faire sauter, opéra une ligue universelle des reines,
La reine de France entra directement dans un complot
pour le tuer.
La reine d'Angleterre lui brisa l'alliance anglaise.
La r^ine mère, Marie de Médicis, sa fille la reine d'Es-
pagne, et l'infante des Pays-Bas, voulaient lui faire faire,
malgré lui, l'entreprise insensée d'une descente en An-
gleterre.
S76 LIGUE DBS REINES CONTRE RICHELIEU,
Commençons par Anne d'Autriche. Elle était arrivée à
treize ans. Et pendant trois ans son mari avait oublié
qu'elle existât. En 4619, on avait à grand bruit imprimé
dans le Mercure^ pour la joie de la France, que le roi
commençait enfin à faire l'amour à la reine. L'ambassa-
deur d'Espagne écrivait à Madrid leurs moindres rappro-
chements. Tout le monde s'en était entremis, Espagnols
et Français. C'est un spectacle étrange de voir deux mo-
narchies suer, travailler à cela, pousser ces amants l'un
vers Tautre... Hélas 1 avec peu de succès.
Anne était pourtant assez jolie. Quoiqu'elle n'eût que de
petits traits, un méchant petit nez sans caractère, la
blanche peau de cette blonde dynastie lui donnait alors
de l'éclat. Altière et colérique, elle ne faisait rien qu'à sa
tête, riait de tout. Et c'est surtout ce rire qui faisait peur
au triste Louis XIIL La rieuse s*était donnée à une autre,
plus légère encore, mais perverse et dévergondée, le type
des coureuses de la Fronde, la duchesse de Chevreuse.
Sous cette bonne direction, elle eut deux ou trois fausses
couches. L'Espagne était désespérée. Elle voyait bien que
le mariage ne mettrait pas la France sous son influence.
Mais, s'il n'y avait guère à attendre de Louis XIII, on
pouvait être plus heureux avec son frère Gaston. L'am-
bassade espagnole y songea et poussa la reine. Un matin ,
de sa part, quelqu'un dit à Gaston « qu'elle ne veut pas
qu'il se marie. »
Le roi et Richelieu songeaientàlui faire épouser une Guise
pour reprendre à cette famille une part de l'héritage de
Montpensier qu'ils avaient escamoté à la mort d'Henri IV.
Mais le mot de la reine, d'une reine de vingt-quatre ans,
à un prince de dix-huit, était bien sûr d'être obéi. Pour
affermir Gaston, on prit son gouverneur Ornano par la
princesse de Condé qu'il aimait. Le roi était déjà mort,
au moins dans leur pensée ; la reine se croyait veuve. Ri-
chelieu en fut averti. Par qui ? Par le roi même, dont on
COVPLOT DE CHALAIS. 277
arrangeait la succession (Lettres de Richelieu, II, 232).
Voilà nos étourdis qui commencent à écrire de toutes
parts et à chercher des alliés. Ils signifient leur prochain
avènement aux Espagnols, au Savoyard. Ils tàtent le fils
de d'Ëpernon pour avoir Metz, et le père mâme ; mais le
vieux coquin voulut voir venir les choses.
Gaston avait exigé qu'on l'admit au conseil, et il voulait
encore y faire entrer Ornano. Le roi fait arrêter celui-ci le
5 mai. Grand étonnement de Monsieur» cris, fureur. De -
vant les ministres, il demande d'une voix hautaine qui a
osé donner un tel conseil, a Moi, monseigneur, » dit Ri-
chelieu.
Gaston, vraie poule mouillée, eût avalé cela. Mais on le
piqua là-dessus. Pouvait-il bien, devant sa belle-sœur qui
Youiait le traiter en homme, se laisser traiter en enfant ?
L'affaire fut ainsi envenimée par la Chevreuse, par son
amant Chalais (Talleyrand), qui dit que, puisqu'on ne
pouvait se battre avec un prêtre, on pouvait bien l'assas-
siner.
Les faiseurs de Mémoires, qui écrivent trente ans après,
pour rendre plus joyeuse cette sanglante affaire, ont sup-
posé que Richelieu lui-même était amoureux d'Anne
d'Autriche, jaloux de Buckingham et de Monsieur, qu'il
avait eu l'impudence de proposer à la reine de sup-
pléer Louis XIII, que la reine avait exigé qu'il dansât de-
vant elle, etc., etc. Histoire stupide. Anne d'Autriche, si
douce pour les autres, ne l'aurait pas été pour lui ; elle
l'eût fait jeter par les fenêtres. Il le savait et n'était pas si
sot. Notez qu'il avait quarante cinq ans, était très-mala-
dif, enfin avait chez lui sa nièce, qu'il aimait sans trop de
mystère.
L^assassinat en question, qu'on a traité comme un ha-
sard, un coup de tête de cette folle jeunesse, fut, je crois,
autre chose. Il est impossible d'y méconnaître la continua-
tion des entreprises de ce genre que l'Espagne faisait, ou
â38 LIGUE DES REINES CONTRE RICHELIEU.
faisait fajre, depuis environ soixante ans. Assassinats à
point, et toujours quand il fallait simplifier une situation
difficile par la mort de rhomme influent. Ainsi Coligfiy,
ainsi Guillauma, ainsi Henri III, ainsi Henri IV. Procédé
monotone. Mais, quoique peu varié, il avait toujoucss sqd
effet.
Le plan, fort simple, était que Gaston, avec sou Chalais
et toute sa maison, irait diner chez Richelieu au château
de Fleury, et que là, à sa table^ profitant de sa oonfianœ
et de son hospitalité, les gens d*épée, commodément,
tueraient l'homme sans armes. Les dames (Anne d* Au-
triche et madame de Chevreusc) goûtaient ce plan che*
valeresque, et tout se fût réalisé si Chalais n'eût confié son
secret à un ami de cour, qui lui dit : « Si tu ne.dénonc6S,
je le ferai moi-même. » Chalais a peur, dit tout au car-
dinal, au roi. Cependant, dans la nuit, dès trois hearea,
arrivent à Fleury les officiers du prince c pour lui apprê-
ter son diner. » Richelieu leur cède la place, et le matin
vient chez Gaston lui reprocher avec douceur de ne pas
l'avoir prévenu de Thonneur qu'il voulait lui faire.
I Cependant il supplie le roi de le laisser se retirer. Le
I roi dit : « Je vous défendrai et vous avertirai de ce qu'on
I dira contre vous. »
L'affiire était immense, épouvantable, le pendant de
Taffaire Biron. Les deux fils d'Henri IV, le gouverneur de
Bretagne, Vendôme, et le grand prieur, en étaient, et le
duc de Longiieville. Même le comte de Soissons^ à qui
Ton se fiait, à qui Richelieu laissa Paris pendant qu'il
menait le roi en Bretagne ; Soissons eût enlevé la grande
héritière qu'on voulait donner à Monsieur. Découvert, il
s'enfuit et quitta le royaume.
Richelieu attira et arrêta les deux Vendôme. II fit signer
à Monsieur une sorte de confession où il abandonnait ses
amis, et le maria de sa main. Il Tétouffa dans l'or. Avec
ce riche mariage et l'apanage d'Orléans qu'on lui donna,
COMPLOT DE caAuis. 378
il eut de rente un million d'alors (cinq ou six d'aujour-
d'hui, un capital de cent millions).
MoBsieur se laissa marier le 5 août ; mais cela ne sauva
pas Ctialais, qu'on décapita le 49, comme ayant conspiré
la mort du roi, ce qui était faux. Mais son vrai crime, le
complot contre l'État, et contre la vie de Richelieu, aurait
paru trop peu dé chose. Une seule tète paya pour toutes*
On pria, supplia ; mais le roi resta ferme.
L'Espagne dut renoncer à faire de La reine un centre
•d'intrigues. On la mit presque en chartre privée. Humi-
liée, pardonnée, séparée de la Chevreuse , qu'on exila,
■elle ne reçut plus que des femmes. Le roi défendit de
laisser entrer les hommes, que quand il y serait.
Mesures très-vigoureuses. Cette afiCaire de Chalais com-
mençait la grande œuvre de Richelieu, le nettoiement de
la cour et le balayage des princes. 11 avait frappé sur eux
en même temps de trcûs côtés : sur les bâtards royaux
{Vendôme), sur les Condé (Soissons en fuite) , sur les
Guise (exil de la Chevreuse). L'héritier même enfin du
trône. Monsieur, humilié, marié, eniichi et déshonoré.
Chacun sentait que celui qui frappait de tels coups don-
nai! sa tête pour enjeu. La vie de Richelieu tenait à ce fil
^ec, qui pouvait tous les jours casser, un roi fiévreux et
valétudinaire.
11 n'était pas sorti d'afi'aire, qu'en ce même mois d'août
1626, deux coups viennent le frapper.
1<» La grande défaite du Danois, notre allié, chef des
protestants d'Allemagne (27 août), que Richelieu aidait
d'argent, et qui se fait battre à Lutter. Loin de protéger
les autres maintenant, il va être lui-même envahi par
l'Autriche.
2"" L'autre coup , en apparence minime , et en réalité
terrible, c'est la brouille complète d'Henriette et de Char*
les V\ Celui-ci, en moins de six mois, sera forcé d'armer
€oatre la France.
280 LIGUE DBS REINES CONTRE RICHELIEU.
Henriette était une petite brunette, vive, agréable. Elle
était d'fîcnri lY et non de Concinl. Elle naquit du raccom-
modement de 1608, vrai du côté d'Henri, très-faux du
côté de Marie. L'enfant ne rappela que trop cet étrange
moment. Sensuelle et galante, violemment brouillonne et
têtue. Quand elle passa en Angleterre, elle se fit dévote,
prit ce mariage comme pénitence. BéruUe lui propose
pour modèle la pécheresse Madeleine. Qu'une princesse
de dix-sept ans eût déjà tant à expier, c'était de quoi faire
réfléchir Charles 1" et le refroidir. Mais il n'y parut pas.
Le roi était triste, grondeur, violent, mais honnête homme
et régulier; il revenait toujours. C'est ce qui donna tant
d'audace à la jeune femme.
Par une belle matinée de printemps, d'une chaleur rare
en Angleterre, la reine, emmenant tout son monde, son
évéque et ses aumôniers, ses reh'gieuses, tout cela en cos-
tume et en grande pompe papiste, à travers Londres
émerveillée, se rend au gibet deTyburn, où furent pen-
dus les saints jésuites de la Conspiration des poudres^ et
là, agenouillée, elle fait sa prière à ces célèbres assas-
sins.
Outrage solennel, non-seulement à la religion de l'An-
gleterre, mais à la morale, à la conscience de l'humanité.
Charles P% qui déjà périssait, qui en était réduit à dis-
soudre son parlement, à tenter des emprunts forcés, dans
sa terrible misère, reçut de la main de sa femme cette
pierre pesante pour l'enfoncer dans sa noyade.
La scène fut violente contre les prêtres et les femmes
de la reine. « Chassons -les, écrit-il, comme des bêtes
sauvages. » Le 9 août, lui-même lui prononça cette sen-
tence. Elle pria, pleura, cria. Des cris lui répondirent^
ceux de ses femmes qu'on emmenait. Elle se jette aux
barreaux des fenêtres pour les voir encore et leur dire
adieu. Sanglots, clameurs, etc., une scène publique sur-
prenante dans les mœurs anglaises, où tout se passe sans
COMPLOT DE CHALAIS. 28 f
bruit. Le roi était mal à son aise, se sentant posé dans ce
drame comme l'indigne et barbare tyran. Pour abréger,
il arracha des barreaux les mains de la reine , qui s'éva-
nouît furieuse, et fit écrire partout que ses mains étaient
déchirées.
Texte excellent. C'était celui même de la terrible Marie
Stuart, si heureusement exploité par les papes. Urbain YIII,
à rinstant, saisit la légende d'Henriette, épouse infor-
tunée de ce Barbe- Bleue britannique. Sur la donnée
un peu maigre , il est vrai, de l'écorchure douteuse, il
rebâtit le grand roman pontifical de Tautre siècle, la con->
quête de l'Angleterre par l'Espagne et la France. Il dit
expressément à l'ambassadeur espagnol : « En conscience,
votre maître, comme bon chevalier, est tenu de tirer
l'épée pour une princesse affligée. »
La jeune reine d'Espagne, sœur d'Henriette et fille de
Marie de Médicis, écrivit de sa main au cardinal de Ri-
chelieu, invoquant son secours et sa galanterie pour sou--
tenir les reines opprimées.
Autant en écrivait l'infante de Bruxelles. Autant en
disait au Louvre la reine mère. Bérulle s'adressait au cœur
du cardinal, à sa piété, bien sûr qu'en cette grande occa-
sion il agirait comme prince de l'Ëglise.
Ces instances touchantes, unanimes, eurent un grand
effet sur le roi, qui regardait Texpulsion de ces Français
comme un outrage à sa couronne. De sorte que Richelieu,
n'étant plus même soutenu par le roi, et se trouvant tout
seul, dit qu'il goûtait l'entreprise, mais qu'il fallait d'abord,
pour mettre Charles V^ dans son tort, lui envoyer une
ambassade.
On envoya à Londres le beau Bassompierre, l'homme
de la reine mère, et avec lui celui de tous les prêtres ren-
voyés que les Anglais détestaient le plus , le P. Harlay de
Sancy. Bon moyen de brouiller encore. Bassompierre
cependant crut accommoder tout. Mais il y avait une con-
282 LIGUE DES REINES CONTRE RICBEUEU.
dition : c'était que Buckingham reviendrait ici fiiire sa
cour à la reine. Refus du roi. La guerre va éclater.
Du reste, à part cette folie, la fatalité emportait à la
guerre le roi et le ministre. Le Parlement poursuivait
Buckingham avec une colère méritée, mais aveugle pour-
tant, avec la ténacité du bouledogue, qui ne voit plus,
n*entend plus, ne sent plus. L'Angleterre ne s'informait
plus des grands intérêts de TEurope. Elle voulait la peau
de Buckingham, et rien de plus. Celui-ci n'avait chance
d'échapper que par cette diversion de la guerre,
Richelieu eût eu grand besoin de ne pas rompre avec
l'Angleterre. L'espoir qu'il témoignait au roi (juin 4626}
de relever nos finances était déjà trompé et ses ressources
insuffisantes. La grande défaite du Danois et de l'Allema-
gne protestante (en août] rendait l'Autriche et la B»^
vière maltresses de la situation. Les Espagnols tenaient le
Rhin. Dans le conflit maritime des Ëtats de l'ouest, devant
les grandes puissances navales d'Angleterre, Hollande et
Espagne, nous seuls nous n'étions pas en garde. Il fallait
sans retard organiser Tarmée, créer la flotte. Et cela, avec
une France ruinée, chargée d'un déficit annuel de dix
millions, d'une dette exigible de cinquante-deux millions,
avec un pauvre peuple qui (il le dit lui-même) « ne con-
tribuait plus de sa sueur, mais de son sang. »
Il n'avait pas fait cette situation. Il n*aurait osé même
la caractériser nettement. Il eût fallu dresser l'accusation
de la reine mère, de tous les favoris, Concini,Luynes, etc.,
<îette perpétuité des désordres et de vols ai soutenue,
et j'allais dire, si régulière, qu'une telle accusation eût
été celle de la royauté, du gouvernement monarchique.
Qu'eût-ce été si une assemblée sérieuse eût regardé au
fond? si la voix nationale de 4614 se fût élevée? Le pou-
voir eût été frappé de faiblesse , au moment oii il devait
ramasser sa force contre le grand orage d'Allemagne. Ri-
chelieu s'en tint à une comédie de Notables , une petite
COMPLOT DE CHAUIS. ^83
assemblée en famille de fonctionnaires et de magistrats.
Devant des gens si bien appris, tout décidés d'avance à
approuver, il y fallait peu de façon. 11 eût pu s'épargner
des frais d'hypocrisie, qu'il fit pourtant (par habitude),
réduisant Vimpôt de six cent mille livres, pendant qu'il
Vaugmentail de plusieurs millions.
L'assemblée vota d*un élan la dépense colossale d'une
création immédiate de l'armée et de la flotte , dépense
ainsi répartie : un tiers sur le trésor , deux tiers sur les
provinces. A elles d'y pourvoir par les moyens qui leur
seront plus agréables et par des impôts à leur choix. Avec
cela, la réduction de six cent mille francs semblait une
plaisanterie. On les ôtait, il est vrai , sur la taille, impôt
des roturiers, des pauvres. Mais les riches^ les nobles et
les prêtres, qui allaient, en chaque province , établir le
nouvel impôt, sur qui le mettraient-ils? sur le roturier à
coup sÙTf sur le pauvre, non point sur eux^ sur les riches
et privilégiés.
Là se révèle la situation réelle de Richelieu. /{ ne pou-
vait demander aux deux classes riches. Prêtre, il ne pou-
vait prendre aux prêtres. A peine, sur l'espoir d'exterminer
les protestants, put-il tirer trois millions du clergé. Il osa^
en 4631 , lui demander les titres de ses biens, et n'eut qu'un
refus sec. 11 n'eût pu davantage faire contribuer la noblesse.
Loin de donner, elle mendiait, mais mendiait avec fierté,
menaces, presque l'épée au poing. Elle signifiait, en 1626,
que l'État et l'église devaient la nourrir, l'État élever ses
enfants, TËglise lui réserver le tiers des bénéfices et faire
les frais d'un ordre militaire de Saint-Louis qui apanage-
rait ses nobles membres. A ces mendiants riches et armés,
l'État répondit par la voix du roi qu'on aurait bien soin
d'eux, et l'Église leur remplit la bouche dans le courant
du siècle avec les biens des protestants.
Donc, Richelieu ne pouvait prendre l'argent où il était,
et devait le chercher où il n'était pas. Où? chez les pau-
â34 LIGUE DES REINES CONTRE RIGOEUEU.
vre$, dans les entrailles du peuple, dans sa substance
môme ; de sorte que le pauvre irait toujours s'appauvris-
sant et maigrissant. Il réduisit la taille de six cent mille
livres en 4626, et l'augmenta de dix- neuf millions en
quatre ans. Pourquoi? parce qu*il ne pouvait prendre
qu'aux taillables, aux roturiers, aux pauvres.
A la première proposition sérieuse, Richelieu recula.
Un magistrat qui n^avait pas le mot de cette comédie,
s*avisa de dire qu'on devrait rendre la taille réelle, non
personnelle^ faire payer tous les biens, y compris Us biens
nobles, Richelieu n'aurait pas été ministre vingt -quatre
heures s'il eût appuyé ce mot. Il le laissa tomber. U n'y
eut que trois membres pour appuyer la vaine propo-
sition.
Mais lui, que disait-il? II feignait un espoir qu'un esprit
aussi positif ne pouvait avoir nullement : « Qu'on ferait
face à tout, si on faisait une réduction sur la maison du
roi, et si l'on pouvait racheter le domaine qui, en six ans,
augmenterait le revenu de vingt millions. » Ressource hy-
pothétique, qui supposait la paix, quand la guerre furieuse
allait grandissant par l'Europe.
Ajoutez une autre espérance, le futur rétablissement du
commerce! Le. roi voulait qu'on honorât le marchand, au
moins le marchand en gros (comme si le roi pouvait dans
une chose d'opinion). II voulait que les nobles pussent
commercer sans déroger. Ils le demandaient, il est vrai,
par envie, ignorance, mais ils ne le désiraient pas au fond,
étant si impropres au commerce ; au vol, à la bonne heure,
et à la piraterie.
Si Richelieu eût pris aux privilégiés, il tombait. Et,
s'il eût réduit les dépenses, s'il n'eût ruiné la France pour
faire l'arniée et la flotte, le monstre double qui mangeait
l'Allemagne (l'armée jésuite et Tarniée mercenaire) nous
aurait dévorés, comme elle.
Il dut tomber sur Tua ou l'autre écueil. Sorti de la
COMPLOT DB CUALAIS. iH5
ruine et d'une situation gâtée et insoluble, il ne put nuus
sauver que par la ruine. 11 m*apparait dès le premier jour
ce qa*il fut et resta, ce que dit sa figure lugubre : le die-*
tateur du désespoir.
En toute chose, il ne pouvait faire le bien que par le
mal, souvent en employant les plus mauvaises passions
de son temps. Celle du clergé, c'était la mutilation de la
France, la destruction ou l'expulsion de la France protes-
tante, à l'imitation de ce que l'Espagne faisait des Mores-
ques, l'Autriche des Bohémiens et de tant d'autres. Beau-
coup de catholiques pensaient de même, par l'impatience
française qui brise les obstacles, éreinte et bétes et gens,
ne sachant les conduire; enfin, par une autre passion
nationale, le goût de l'unité matérielle, brutale et mé*
canique, insoucieuse des libertés morales qui diversifient
la nature.
La France, en se coupant son meilleur bras, allait de
plus compromettre le corps, parce qu'elle se brouillait
avec ses ami^, se livrait à ses ennemis, Autrichiens,
Espagnols.
Richelieu le savait, il lui fallait pourtant leurrer cette
passion mauvaise, et parfois il en tirait parti. Elle l'aida
dans une chose excellente qu1l présenta aux Notables :
le rasement des forteresses inutiles^ et leur démolition con-
fiée aux communes mômes. Dans la liste qu'il donna des
forteresses à démolir, la grande majorité étaient protes-
tantes, celles du Dauphiné, du Languedoc et du Poitou.
Cela fut salué avec enthousiasme des parlements, des
communes qui y gagnaient en tout sens, de la petite no-
blesse, envieuse de la grande, et bien plus encore du
clergé.
Si deux provinces calholiques, deux gouverneurs, Guise
et d'£pernon, étaient frappés aussi et se plaignaient,
Richelieu avait à leur dire que, comme bons catholiques,
986 LIGUE DES REINES CONTRE RlCHELIEa.
ils devaient accepter une ordonnance si favorable à la
religion, qui, mettant bas les forts de Poitou, de Saititonge,
faisait tomber les ouvrages avancés, les bastions de la
Rochelle.
CHAPITRE XXIV
Stége de la Rochelle. IM7-16t8.
Les défections de la France sont les agonies de TEu»
rope. La paix traîtresse, entre Olivarës et Bérnlle, que
signa Richelieu (mars 1626), suivie bientôt de la déroute
des Danois (août 4626), a commencé le grand déborde*
ment des persécutions catholiques. Le général massacre
de Bohême (onze mille communes exterminées sur trente
mille) s'ouvre le jour de Saint-Ignace, en 1637. L'ordre
d'abjurer ou mourir court TAutriche, les terres autri-
chiennes. Pendant que l'armée sainte, bandits, moines et
boarreaux, pèse vers l'Adriatique, elle déborde, au nord,
sur la Saxe, s' extravase en Brandebourg, jusqu^en Pomé^
ranie, de façon que les sables mêmes et les écueils de la
Baltique ne pourront cacher les proscrits.
La France pouvait entendre ,1a désolation du Rhin, la
clameur du Palatinat, ruiné, saccagé, violé, un jour par
les Croates et un jour par les Espagnols. Là Lorraine sui-
vait ce mouvement; elle allait armer contre nous, bien
plus, donner passage. à la grande armée des brigands or-
ganisés par rÊmpereur.
La France le souffrait, pourquoi 7 pour une raison que
Richelieu se garde bien de dire. 11 était encore serf; il ne
^88 SIÈGE DE LA BfCHELLB.
se maintenait qu'en suivant la reine mère et Bérulle cl
les Espagnols. Ils l'obligeaient de faire un traité avec Ma-
drid pour l'invasion de TÀngleterre, c'est-à-dire pour le
renversement de la politique de Richelieu. Le pape avait
le mérite de l'idée première, et Bérulle celui de la foi. Bé-
rulle dictait, Richelieu écrivait , Olivarès corrigeait le
traité. Ce qui occupait le plus Bérulle, c'était de savoir s'il
valait mieux prendre la flotte anglaise, ou bien la brûler
dans le port.
Les Espagnols tirèrent de nous cette pièce (20 avril
16i7), et, sans perdre un moment, la communiquèrent
au\ Anglais, afin qu'ils nous prévinssent, envahissent la
France et descendissent à la Rochelle.
Les lettres de Richelieu prouvent qu'il était dupe. Ce
traité imposé et contraire à ses plans, il l'avait adopté
pourtant. Lo 6 octobre encore, il croyait que les Espagnols
lui donneraient une flotte, et qu'il pourrait les occuper à
ce vain projet de descente.
Ils le jouèrent toute l'année. Ces friponneries miséra-
bles peuvent parfois tromper le génie qui ne peut croire
qu'on tombe si bas.
C'était la catholique Espagne qui mêlait contre nous,
dans une coalition étrange, nos alliés l'Angleterre, la Sa-
voie et Venise ; d'autre part, la Lorraine^ l'Empereur, tout
péle-méle, protestants, catholiques.
Elle nous jetait l'Anglais au visage, et bientôt l'Empe-
reur dans le dos I
Tout cela fut connu enfin, lu, révélé dans le^ papiers
qu'on saisit en novembre.
Buckingbam n'avait nul principe, mais beaucoup d'ima-
gination. En 1625, il avait prêté des vaisseaux contre
la Rochelle (V. sa lettre, Lingard). En 4627, le voilà dé-
fenseur, protecteur de la Rochelle, de tous nos protes-
tants, il tire Fépée pour Dieu.
En réalité, il voulait prendre la Rochelle ou au moins
SIÉGB m tk ROCHELLE. 289
Rhé. C'eût été un nouveau Calais, entre Nant^ et Bor-
deaux, à' cinq heures de TEspagne. Les flottes anglaises
n*étaient plus prisonnières nu détroit. Libres des servi-
tudes du vent, elles se tenaient là, comme l'aigle de mer
sur son roc, tombant sur les vaisseaux français ou sur les
galions espagnols, et pillant sur deux monarchies.
Tous les protestants de France allaient refaire à Buckin-
gham l'ancien empire aquitanique d'Edouard III. Ce vain-
queur et ce conquérant, qui donc alors pourrait parler de
lui faire son procès? Merveilleux coup qui, du fond de
l'abime, le faisait remonter au ciel I Vainqueur en France,
despote en Angleterre, et adoré au Louvre I Le roi, em-
barrassé, eût été trop heureux que la reine intervint. Lui,
Bucklngham, alors, son chevalier fidèle, mettait tout à ses
pieds. Elle s'attendrissait, et les vœux de la France étaient
comblés, il naissait un Dauphin.
Dans cet emportement de passion, il écrivit, en France,
au duc de Rohan qu'il allait arriver avec trois flottes et
trois armées, trente mille hommes. Triple attaque, par la
Rochelle au centre, aux ailes par Bordeaux et par la Nor-
mandie. Pendant ce temps, le duc de Savoie eût agi sur le
Rhône, le comte de Soissons en Dauphiné.
De tout ce merveilleux poème de guerre, on n'eut qu'un
épisode, la descente de dix mille Anglais à l'île de Rhé.
C'était assez pour prendre la Rochelle, si la Rochelle vou-
lait être prise. Mais elle ne le voulut pas.
On avait tant reproché aux huguenots d*aimer TAngle^
terre, que celle ci se croyait sûre d'être reçue à bras
ouverts. Mais point. Les huguenots furent avant tout
Français.
La Rochelle d'ailleurs, notre Amsterdam, forte de com-
merce et de guerre, un petit monde complet, original»
qui avait son pavillon à'elle, renommé sur toutes les mers,
que serait-elle devenue dans les mains anglaises? Un
triste port militaire, comme notre Rochefort d'aujour-
zi. i9
290 SIÈGE DE LA ROCHELLE.
d'hui. Ses marins avaient horreur d*une pareille (ransfor*
mation. Et ses ministres ne redoutaient guère moins le
joug des demi-catholiques, épiscopaux et anglicans.
La mauvaise foi de Buckingham était frappante. S'il
eût voulu délivrer la Rochelle , il eût descendu sur terre
ferme et Teût aidée à prendre et démolir son entrave, le
fort Louis. Mais il resta en mer pour prendre Tile deRhé,
où il se fût établi, que les Rochelois le voulussent ou non,
devant eux, à leur porte. Captifs d'un côté par la France,
de l'autre ils l'eussent été par TAngleterre.
il n'écouta en rien les conseils de Soubise, qui venait
avec lui, et pondant que Soubise était allé à la Rochelle,
contre leurs conventions, il descendit dans Rhé. Non sans
perte. Le gouverneur Thoiras, avec le régiment de Cham-
pagne et force noblesse , lui fit un tel accueil à l'arrivée,
le cribla tellement, qu'il resta inactif cinq jours à se re-
faire, au lieu de marcher droit au fort.
Soubise, voulant entrer à la Rochelle, avec un secrétaire
anglais, fut arrêté tout court, et ne serait pas entré si sa
vieille mère, femme d'antique vigueur, ne fût venue et ne
l'eût fait passer. On écouta l'Anglais, mais on resta très-
froid.
Ce scrupule de nos huguenots fut ce qui sauva Riche-
lieu, et qui sauva la France. Si Buckingham eût mis
seulement cent hommes à la Rochelle, l'effet moral était
produit et Richelieu sautait. L'Angleterre se retournait
violemment vers la guerre, sa révolution était ajournée; les
cent ans de la guerre anglaise recommençaient pour nous.
Richelieu , loin d'avoir des vaisseaux , n'avait pas d'ar-
gent pour en faire. Il espérait dans la flotte d'Espagne !
En cette détresse, il imagina de se servir de son ennemi
BéruUe. Il le fit agir pour obtenir à Rome un secours d'ar-
gent à prendre sur le clergé. Lenteur, mauvaise volonté.
Richelieu prie le clergé même, lui extorque quelques mil-
lions.
Sltel DE LA ROGflSLLB. 294
•
Que serait-il devenu, sans la lenteur de Buckingham ?
Mais celui-ci attendit, pour assiéger le fort, qu'il fût bien
approvisionné. Il garda mal la mer. Nos Basques de
Bayonne, habitués à faire l'improbable^ réussirent à pas-
ser; le fort, qui n'avait de vivres que pour cinq jours, fiit
ravitaillé pour deux mois.
Heureusement, car le roi qui venait, tomba malade, son
frère le remplaça, avec le ferme désir de ne rien faii*e.
L'armée qu'il commandait, pillant, ravageant et coupant
les arbres, faisait ce qu'il fallait pour que la ville se donnât
aux Anglais. Outre le fort Louis, on en commença d'au-
tres évidemment pourj'assiéger.
Grande dispute dans la ville. Les juges sont pour le roi
quand même^ s'en vont, passent au camp royal. Les mi-
nistres et le corps de ville prennent la résolution hardie
de se défendre, mais seuls, et sans recevoir Buckingham.
Loin de là, dans leur manifeste, ils rappellent, comme
leur plus beau titre, d'avoir jadis chassé TAnglais. Ils of-
firent, si le roi veut mettre le fort Louis entre les mains de
la Trémouille ou de la Force, de s'unir à lui pour chasser
deRbé leur défenseur suspect.
Pour réponse, on mit des canons en batterie devant
leurs pentes. Il fallait ouvrir ou combattre (10 septembre).
Us combattirent, mais ce ne fut que cinq semaines encore
après (45 octobre) qu'ils se décidèrent à traiter avec Buc-
kingham.
Sans cette extrême répugnance de la Rochelle pour
TAnglais, l'ardeur, l'activité de Richelieu n'aurait servi
de rien. Thoiras était malade, découragé; la noblesse du
fort perdait patience ; on parlait de se rendre. Comment
leur envoyer secours? Il fallait un miracle. Les Rayonnais
et Olonnais le firent par un coup tel que ceux qu'ont faits
leurs flibustiers. Le mot fut : c Passer ou mourir. > On y
serait mort, si on avait suivi le plan ordonné. Buckingham
était' averti, et ses chaloupes en mer pour couler ces
S9S SI^GB DE LA ROCHBLLB.
coques de noix. A mi-chemin, celui qui menait l'avant-
garde, le jeune la Richardière, dit le capitaine Maupas,
dit aux autres : « Us nUmaginent pas qu'on traverse leur
flotte. Et c'est par là qu'il faut passer. Nous sommes très-
petits et très-bas ; nous passerons sous les boulets. » Gela
se fit ainsi. De trente-cinq barques, vingt-neuf passèrent,
le reste fut coulé. Le fort reçut des vivres en abondance.
Buckingham, avec qui Thoiras parlementait, et qui croyait
déjà le tenir, vit, le matin du 9 octobre, les soldats qui,
du haut des murs, lui montraient au bout de leurs piques
« des jambons, chapons et coqs d'Inde. 9 Dès lors, sa
perspective était de rester là l'hiver, de périr dans l'eau
sous les pluies.
Les Rochelois, qui jusque-là avaient peur de lui autant
que de l'armée royale, le crurent dès lors moins redou-
table, et ne refusèrent plus de traiter. Ils le trouvèrent
moins haut, et il signa ce qu'ils voulurent (15 octobre).
Celui qui fit l'arrangement, Guiton, un de leurs grands
marins, y réserva, non-seulement les libertés de la ville,
mais les droits de la province même, stipulant que, si
l'Anglais prenait l'île de Rhé, il ne la démembrerait pas
du pays pour la faire anglaise, qu'il ne profiterait pas des
forts bâtis depuis huit ans sur la côte, mais les démolirait.
Admirable traité, d'un patriotisme obstiné, mais qui dut
refroidir entièrement les Anglais, leur faire peu désirer de
vaincre, puisque d*avance on exigeait qu'ils ne profitassent
point de la victoire.
Le roi, enfin guéri, était arrivé le 12 octobre. Toutes les
forces militaires dont le royaume pouvait disposer étaient
devant la Rochelle, trente mille hommes d'élite et un ma-
tériel immense. Tous nos ports, du Havre à Rayonne,
avaient fourni des hommes et des embarcations. Richelieu,
en trois mois, par un mortel efibrt de volonté, d'activité,
avait précipité la France entière sur cet unique point. Le
succès n^étnit guère douteux. La Rochelle avait vingt-huit
JSliGK DE LA ROCHELLE, 293
mille âmes, donc quatorze mille mâles, donc au plus sept
mille hommes armés. Des dix mille de Buckingham, il
n'en restait que quatre mille. Ni l'Angleterre ni la Hol-
lande ne bougeaient. L'Espagne seule eut quelque envie
d'employer ses vaisseaux promis à Richelieu pour lui dé-
truire ses barques et sauver la Rochelle. C'était l'avis de
Spînola; il conseillait nettement de trahir, Madrid n'y
répugnait pas ; mais trahir pour les hérétiques, combattre
dans les rangs protestants, c'eût été pour l'Espagne une
solennelle abdication du rôle qu'elle jouait depuis cent
ans, l'aveu le plus cj^nique de sa perfidie hypocrisie.
Si Buckingham eût bien gardé la mer, la France man-
quant de vaisseaux, il était maître encore de la situation.
Hais on fit l'imprudence heureuse de mettre six mille
hommes d'élite dans des barques. Ils passèrent, et il fut
perdu.
Perdu en France, perdu en Angleterre. Le 6 novembre,
avant de s'embarquer, il joua sa dernière carte, donna au
fort un assaut désespéré. Il y perdit beaucoup de monde.
11 en perdit encore plus à rembarquement. Il n'avait rien
prévu. Il lui fallut faire défiler ce qui lui restait de troupes
sur une étroite chaussée ; on le coupa, à moitié passé, et
on lui tua deux mille hommes (7 novembre 1627).
Il n'en avait plus que deux mille, mais sa flotte était
tout entière, et il était encore maître de la mer. Les Ro-
chellois le supplièrent de rester là. Plus il y avait d'hom-
mes dans rile, plus vite ils seraient affamés. Le roi aurait
TU du rivage ses meilleures troupes forcées de se livrer,
de se rendre à discrétion. Mais Buckingham avHit perdu
la tête. H avait l'oreille pleine du grondement terrible de
l'Angleterre ; il avait hâte d'être à Londres pour répondre
aux accusations.
Il part, ayant mangé les vivres de la Rochelle, ayant
rendu aux assiégeants le service de l'affamer. Cette misé-
rable ville, abandonnée de celui qui Ta compromise, la
394 SIEGE rat LA ROCHILLK.
voilà en présence d'une monarchie. Six mille hommes
sans secours et à peu près sans vivres, vont se défendre
un an encore contre une grande armée qui a tout k
royaume pour arrière-garde, qui y puise indéQmment,
répare à volonté ses {lertes.
La France est admirable dans ces oocasions où il s'agit
de coaper un niembre, de pratiquer sur soi quelque
cruelle opération. Dès qu'il lui faut se mutiler, «e tronquer,
se décapiter, elle est forte, elle est rk^hc. Elle n*avait pas
eu d'argent pour payer exactement le Danois en 4626,
lorsqu'il combattait pour elle, pour les libertés de l'Eu-
rope. Elle eut énormément d'argent en 1627 pour détruire
son premier port, la terreur de l'Espagne, l'envie de la
Hollande. On jeta les millions dans des constructions iin*
menses qui devaient servir un moment. Tels de ces forts,
bâtis uniquement pour prendre la ville, étaient aussi im-
portants que la ville tmâme. Ils étaient reliés entre eux par
une prodigieuse circonvallation de trots ou quatre Ueues
qui enveloppait le pays. On avait fait une Rochelle mons*
trueuse pour étouffer la petite I pour urne occasion d'une
année i des murs babyloniens et des monuments de
Ninive !
Tout cela n'était rien si on ne fermait la mer. On l'avait
essayé en vain en 16ââ. Un Italien célèbre n'y pouvait
réussir. L'architecte français Métézeau, et Tiriot» maçon
de Paris, en indiquèrent les vrais moyens, et avec tant de
simplicité, qu'on crut qu'on le ferait sans eux. On les
paya, et on les renvoya. M. de Marillac, un courtisan sus-
pect, grand ami de BéruUe, se chargea de construire la
digue. Désirait-il y réussir? BéruUe, qui avait tant de-
mandé le siège pour bouleverser les plans de Richelieu,
en craignait maintenant le succès dont Richelieu eût en
l'honneur. On voulak à tout prix sa chute, un politique
nous dit pourquoi : Parce qu'on savait qu'une fois la viU^
prise, les huguenots n'étant plus dangereux, Richelieu s'abS'
SIÈGE DE LA ROCHELLE. 295
tiendrait de les persécuter. Or les saints de l'époque, copis-
tes de TEspagne, voulaient absolument qu'on en fit comme
-des Moresques, qu'on les chassât ou les exterminât (Fou-
taine-Mareuil).
Harillac, substituant son génie à celui des inventeurs,
ne fit pas la digue en talus, comme ils l'avaient prescrit ;
il la fit droite. Si bien que le travail fut emporté au bout
de trois mois. Mais la puissante volonté de Richelieu vain-
quit tous les mauvais vouloirs à force d'argent. L'armée
entière voulait travailler à la digue ; on payait aux soldats
chaque bottée de pierres qu*il apportait. La solde en outre
fut énormément augmentée. De bons et chauds habifle-
ments distribués, des vivres abondants. L'argent ne pas-
sait plus par les mains infidèles des capitaines, mais par
des agents sûrs, tout droit de la caisse au soldat.
Il y avait cent à parier contre un qu'on ne pourrait
achever. Richelieu^ qui le 6 octobre encore comptait sur
la flotte espagnole, apprit en novembre par des papiers de
Buckingham, et par ceux d'un agent anglais qu'on saisit
en Lorraine, que l'Espagne était contre lui, que depuis un
an elle organisait une coalition pour envahir la France.
Découverte et bien mise à jour, l'Espagne persévéra dans
une hypocrisie ridicule, nous envoyant à la Rochelle sa
flotte (qu'on remercia), tandis qu'elle nous assiégeait dans
Casai, où nous soutenions un Français, Nevers, héritier de
Mantoue (27 décembre 1627).
L'Italie appelait la France, clouée à la Rochelle. L'Allei*
magne et le Nord l'appelaient. Notre envoyé en Suède,
M. de Charnacé, nous fut renvoyé par Gustave-Adolphe
pour dire à Richelieu que, si la France ne venait au secottrs
par hommes ou par argent, c'était fait de l'Europe, et que
la France périrait la première. Effectivement^ on préparait
chez l'Empereur le terrible Édit de restitution qui allait dé-
posséder ^Allemagne protestante, transférer la propriété
aux catholiques, offrir des primes monstrueuses aux ban-
296 SIÈGE DB LA ROCHBLLB.
des des assassins à vendre, donner des ailes à la guerre,
à la mort. Que pouvait Richelieu? rien du tout. S'il lâchait
le siège, il perdait son crédit et périssait. 11 devait rester
là, et tous les millions de la France, si nécessaires ailleurs,
il devait les jeter en plâtras dans la boue de ce port. Ces
marins rochellois qui eussent si utilement aidé contre les
Espagnols, il devait les faire mourir de faim. Les flottes
anglaises, ses alliées naturelles, et celles de Gustave et des
protestants d'Allemagne, Richelieu devait les combattre et
les détruire, s'il se pouvait!
En février, le roi brusquement lui échappe. Il s'ennuie,
retourne à Paris. Coup monté, très-probablement. On
supposait que Richelieu suivrait, ou que, si le roi partait
seul, il s'émanciperait de son ministre. Bérulle et la reine
mère y comptaient bien ; les Guises y travaillaient, fort
mécontents de ce que Richelieu, surintendant de la navi-
gation, avait subordonné leur amirauté de Provence. Au
bout de quinze jours passés à Paris (Fontaine-Mareuil), k
roi avait oublié et la Rochelle et Richelieu. Celui-ci ne le
ramena qu'en donnant une place à un petit ami du roi qui
lui sonnait du cor, le chevalier de Saint-Simon.
Ce grand homme, si mal appuyé, était resté là indomp-
table sur cette triste côte, pouvant chaque matin apprendre
son naufrage, soit qu'une tempête emportât sa digue et
délivrât la ville, soit qu'un vent capricieux soufflât de la
cour sur le faible esprit de ce roi qui le soutenait seul
contre la haine universelle.
Nul en réalité n'aidait bien Richelieu que la Rochelle
elle-même, l'intraitable vigueur qu'elle opposait aux An-
glais. Qui empêcha ceux-ci de la ravitailler? (F. Mareuil.)
Le refus que les Rochelois qui demandaient secours leur
firent pourtant d'ouvrir la ville. « Qu'offrez- vous? disait
Buckingham. Quels dédommagements pour nos dépen-
ses? » — « Nous n'offrons que nos cœurs, » dirent obsti-
nément ces héros.
SliGB DE LA ROCfiELLS. 297
Cette résistance immortelle est garantie par un catho-
lique, par un oratorien, Arcère, qui avait tous les manus-
crits, depuis détruits ou dispersés.
Qui ne pleurerait en voyant la France anéantir ce qu'elle
eut de meilleur? L'imperceptible république se maintenait
contre deux rois. Ses marins traversaient la digue ; ses
cavaliers défiaient l'armée royale. Vingt-huit bourgeois de
la Rochelle attaquent un jour cinquante gentilshommes.
En tête des vingt-huit était le tisserand La Forêt, qui se fit
tuer et à qui on fit des funérailles triomphales. Un autre
sortit seul des portes pour demander un combat singulier.
Accepté par la Meilleraie, cousin de Richelieu, qui eut son
cheval tué et fut blessé. Mais on courut à son secours.
A Pâques (4628), les marins l'emportèrent sur les bour-
geois proprement dits; le parti violent gouverna, et la
mairie devint une dictature. Le capitaine Guiton fut élu,
malgré lui. « Vous ne savez ce que vous faites en me nom-
mant, dit-il; songez bien qu'avec moi il n'y a pas à parler
de se rendre. Qui en dit un mot, je le tue. ^n 11 posa son
poignard sur la table de THôlel de Ville, et le laissa en
permanence.
< Guiton était petit, mais je fus ravi de voir un homme
si grand de courage, il était meublé magnifiquement, et
son hôtel plein de drapeaux qu'il aimait à montrer, disant
quand il les avait pris, sur quels rois, dans quelles mers. ■
^ém. de Pontis.)
Il fallait un Guiton pour soutenir la ville contre l'horrible
coup qu'elle reçut, en voyant les Anglais, tant attendus,
paraître et disparaître, sans rien tenter pour elle. Le 1 1 mai,
on les vit en mer; le 18, ils étaient partis. Denbigh,
beau- frère de Ruckingham, pressé par les réfugiés qui
étaient avec lui de forcer le passage (la digue étant encore
inachevée), dit qu'il leur en laissait Thonneur; qu'il avait
ordre seulement de croiser, de faciliter l'entrée des se-
cours, mais de bien ménager sa flotte.
298 SIÈGE DE LA ROCHEUSE.
Dans un tel désespoir, le fanatisme de la patrie mou-
rante poussa un homme à se dévouer pour tuer Richelieu.
II voulait seulement qu'on lui dit « que ce n'était pas uj)
péché. 9 Guiton, qu'il consulta, répondit froidement : « On
ne conseille pas dans ces sortes d'affaires. » Les ministres,
auxquels il alla aussi, lui défendirent cet acte , disant :
« Si Dieu nous sauve, ce ne sera pas par un forfait, » (ir-
eère, II, 295.)
La famine pressait. On avait mangé tout, jusqu'aux cuios
qu'on faisait bouillir. Un chat se vendit quarante--cinq li^
vres. Il fallut faire une chose barbare qu'on avait toujours
différée : chasser les pauvres, les vieux« les infirmes, les
femmes veuves et sans secours, les envoyer aux assiégeants,
c'est-à-dire à la mort. Quiconque voulait passer les lignes
était pendu. Cette misérable foule, s'y présentant, fut reçue
h coups de fusil. Elle revint suppliante à la Rochelle
et y trouva visage de pierre, les portes closes et mornes,
inexorables. 11 leur fallut mourir de faim dans rentre-
deux; dont les soldats du cardinal profitaient honteuse-
ment ; les femmes agonisantes se livraient pour un peu de
pain.
Étrange armée française I employée ainsi, sans com-
battre, à cette fonction d^ bourreaux, d'étouffer lente-
ment une ville. Du reste, régulière, bien ordonnée, silen-
cieuse. Richelieu dit avec orgueil : « C'était comme un
couvent. » Le soldat gagnait gros et engraissait. Sauf les
jours qu'il était maçon, portait la hotte, il n'avait rien à
faire qu'à entendre la messe des minimes et des capucins,
«e confesse)*, communier.
Sur la ligne, à cheval, voltigeaient les évéques. Ceux de
Maillerais, de Nîmes, de Mende, étaient les lieutenants du
cardinal. Les maréchaux en sous-ordre. Tous allaient
prendre le mot dans une petite maison où Richelieu s'était
logé sur le rivage. C'était là la vraie cour; l'église et Tépée
affluaient, mais avec cette différence : les prélats le poing
SIÈGE DE LA ROCHELLE. 299
sur la hanche, enfonçant leurs chapeaux, les officiers cour-
bés et faisant le gros dos.
Que devenait cependant l'honneur de TAngleterre?
On dit que Charles P^ en laissait parfois tomber de grosses
larmes. Mais deux choses le ralentissaient. Des protestants
mêmes, la Hollande et le Danemark, lui reprochaient cette
protection de la Rochelle^ cette guerre avec la France qui
empêchait celle-ci de les secourir. D'autre part, sa jeune
femme, vive, ardente et jolie, gagnait de plus en plus sur
lui; elle le priait jour et nuit de ne pas faire la guerre à
son frère Louis XIII et à sa famille. Aux heures où l'homme
est faible, elle lui disait sur l'oreiller les propres mots de
chaque lettre qu'elle avait reçue de la France.
Le Parlement anglais avait pourtant rougi à la longue, et
s'éUil réveillé. 11 vota un très-fort subside pour sauver la
Rochelle. Buckingham mit la flotte en mer. Mais lente-
ment; car on assure que sa divinité, Anne d'Autriche, lui
avait écrit de trahir. Du moins, les puritains le crurent; un
d'eux, Felton, l'assassina.
Nouveau retard. Cette troisième flotte ne partît qu'en
septembre, trop tard pour délivrer la ville, assez tôt pour
la voir périr.
Richelieu avait fait offres sur offres aux assiégés, jusqu'à
se réduire à faire entrer seulement le roi avec deux cents
hommes, pour dire qu'il y était entré ; on eût, pour la
forme, abattu l'angle extérieur d*un bastion. Mais les cho-
ses étaient à ce point qu'on ne pouvait plus se rendre. Le
Olagh^irat qui eût signé, eût été tué comme traître. Ils se
trainaient, ne soutenaient plus leurs armes, ne marchaient
qu'avec un bâton; on trouvait le matin des sentinelles
mortes de faim à leur poste. Et, avec tout cela, on ne se
rendait point. Guiton disait : a Nous y passerons bientôt,
nous aussi. 11 suffit qu'il en reste un vivant pour fermer la
porte. 9
Le 28 septembre, devant cette ville morte, quatre-vingts
300 SIÈGE DE LA ROCQELLE.
vaisseaux anglais apparaissent, plusieurs très-forts. Les
Français n'en avaient que quarante-cinq petits, il est vrai,
défendus par toutes les batteries du rivage.
Ce fut un grand spectacle. Tous à leur poste, le cardinal
à la digue, le roi partout. Des dames en carrosses regar-
daient du haut des chaussées. Les Anglais, envoyés ea
avant, la sonde à la main, s'arrêtent bientôt, trouvant peu
d'eau. Les gros vaisseaux n'arriveraient pas, disent -ils, et
les petits ne serviraient à rien. Les réfugiés français qui
étaient sur la flotte anglaise, demandent alors à conduire
les brûlots, à aller de leur main les attacher à l'estacade.
Ils voyaient de la mer les pauvres gens de la Rochelle qui
avaient bravement ouvert le petit port intérieur, et qui de
leur côté, malgré la marée et le vent, poussaient un brûlot
sur la digue. L'Anglais ne donna pas à nos Français Thon-
neur qu'ils demandaient. Il poussa ses brûlots lui-même,
très-mal et de travers. Tout avorta honteusement.
Que venait donc faire cette flotte? négocier. Milord Mon-
taigu, en partant, avait dit à Londres aux Français de
faire ses compliments au cardinal. Celui-ci, le voyant en
mer à la Rochelle, lui renvoya des compliments. Tant on
complimenta, que Montaigu se chargea d'aller dire à
Londres que la digue décidément était infranchissable et
qu'il fallait traiter.
Cela tua la Rochelle et finit tout. Le coup moral en fut
si fort, qu'on courut se jeter aux genoux de Richelieu. Si
les Anglais n'étaient pas venus mettre le comble au décou*
ragement, si l'on eût tenu huit jours de plus, la digue était
détruite, emportée par une tempête, la ville à même de
se ravitailler et de tenir longtemps encore.
Richelieu, qui voulait ramener nos protestants de France,
calmer les protestants d'Europe, ne fut point dur pour la
Rochelle. Après tout^ que lui eût-il fait, en comparaison
de ce qu'elle s'était fait elle-même? Nos soldats, en entrant,
donnèrent leur pain à tout ce qui se présenta, et le roi en
SIÈGE DE LA ROCHELLE. 301
fil distribuer douze mille. C'était le nombre mémo du
peuple qui restait; tous les autres étaient morts de faim.
Le cardinal de Richelieu entra, pour faire enlever les
cadavres, nettoyer les rues, et, le temple étant redevenu la
cathédrale, il y dit la messe le matin du jour de la Tous-
saint (4" nov. 4628). Le roi entra le soir, avec quelques
troupes dans le plus grand ordre. Le père Suffren, Jésuite,
confesseur du roi, y fit la fête des Morts.
Les oratoriens, les minimes, force moines, y entrèrent,
s*emparèrent de différents lieux pour faire chapelle. Les
habitants perdirent leurs temples et n'eurent de culte que
dans un lieu déterminé plus tard.
L'héroïque Guiton, qu'un ennemi généreux eût accueilli,
ne fut pas reçu du roi. Le cardinal le regarda de travers et
le fit interner dans je ne sais quel village.
Les villes innocentes de Saintes, Niort, Fontenay, qui
n'avaient pas bougé, toutes les vieilles places de Poitou, de
Saintonge, perdirent leurs murs, et bientôt peu à pou
tous ceux de leurs habitants qui purent passer en Suisse
et en Hollande.
Le Poitou, afors Tun des pays les plus avancés de la
France, devint le plus barbare, plus sauvage et plus
superstitieux que la Bretagne. Les Poitevins, derrière
leurs haies, toujours seuls à la queue des bœufs, sans
rapport social qu'avec des curés rustres, restèrent étran-
gers à tous les progrès dû temps, et gardèrent au vieux
fanatisme celte précieuse réserve de Vendée, qui, en 92,
quand nous eûmes l'Europe à combattre, nous assassina
par derrière.
Le petit pays d'Aulnis, si riche jusque-là, et si maigre
aujourd'hui, fut comme anéanti. Plus de Rochelle. Tous se
firent Hollandais. Cette ville aujourd'hui est une espèce
d'Herculanum ou de Pompéies. Chose bizarre! les insectes,
qui ont le sens très-vif des choses condamnées à la mort,
s'en sont emparés en dessous. Les termites rongent les
302 SIÈGE DE LA ROCHELLE.
charpentes. Telles maisons, jusqu'ici solides en apparence,
s'afTaisseront un matin.
Image trop naïve de cette France du xvii® siècle, sou-
vent brillante et luisante en dessus, et dessous chaque jour
plus vide.
Un vieux secrétaire de Sully, qui s'était enfermé au
siège et vit cette désolation, dit ce mot prophétique :
a Voici les huguenots à la merci des puissances qui les
détruiront. On en fera autant des peuples qui ne sont pas
huguenots. » La richesse en effet, la subsistance même,
iront toujours diminuant en ce siècle. La France, sous
Richelieu, maigrira de sa gloire, et n'engraissera pas sous
Colbert. En 1709 je la cherche, et ne vois plus qu'un os
rongé.
Est-ce à dire qu'il n'y aura aucun progrès ? On aurait
tort de le croire. En ce pays de violence, le progrès s'ac-
complit par des voies d'extermination. Une France meurt
avec la Rochelle et l'émigration de l'Ouest. Une France
meurt par les dragonnades et la banqueroute. Une en 93.
Une en 1815. Et il y a toujours des Frances à dévorer.
Puis, toujours des sophistes pour la complimenter à
chaque destruction. Quelle belle chose que ce pays, au
moment de lutter contre l'Autriche et l'Espagne, se soit
retranché son meilleur membre et détruit ses meilleurs
marins ! Cela s'appelle se couper une jambe, afin de mieux
courir. Ou bien le mot de Molière (s'il est permis de citer
la comédie en chose si triste) : « Croyez-m'en, crevez-vous
un œil; vous y verrez bien mieux de l'autre. »
Du reste, j'accuse moins Richelieu que son temps, sa
fatalité monarchique. Quoi qu'il en dise dans un air de
bravoure (son fitmeux Teslament), on voit fort bien, par
ses lettres et ses actes, qu'il fut poussé, traîné. L'Espagne-
Autriche lui fit commencer en France l'œuvre de mort
qu'elle accomplissait chez elle. Elle avait fait le désert
d'Espagne par l'expulsion des Moresques. Elle faisait en
SliOB DE LA ROCHËLLB. 303^
ce moment le désefrt de Bohême (sur trente mille villages
onze mille égorgés). Elle allait faire bientôt les déserts de
Lorraine et du Rhin (où disparurent six cent mille hom-
mes vers 1637). En 1628 Richelieu fut forcé de faire le
désert de TÂulnis par la destruction de la Rochelle, le
premier ébranlement des émigrations qui continuent dans
tout le siècle.
Il dit en 1626 qu'il voulait, en finances, « revenir aux
états de 1 608 » (à Henri IV et à Sully). Pour y revenir en
finances, il eût fallu y revenir en politique.
Quoiqu'un si lumineux esprit dût généralement préférer
le bien, il ne l'aimait pas de cœur. 11 n'était pas bon. 11
eut un sentiment élevé de l'honneur de la France, mais,
comme prêtre et noble, un grand mépris du peuple. H
répète dans son Testament la vieille maxime qu'un peuple
qui s'enrichirait deviendrait indocile. Ls peuple est un
mulet qui doit porter la charge; seulement, pour qu'il
porte mieux^ dit-il, il ne faut trop le maltraiter.
Richelieu fut haï et de la nation qu'il sauva de l'inva-
sion, et de l'Europe dont il aida la délivrance. Henri IV,
qui n*eut le temps de rien faire, fut adoré de tous. La
charmante auréole de la France en ce temps, la puissante
attraction qui lui jetait l'Europe dans les bras, hélas I que
devient-elle alors ? Qui désirait sous Henri IV de devenir
Français? Tout le monde. Et qui sous Richelieu? Personne.
Comment s'était-il fait qu'Henri IV, sans tirer Tépée,
eût tant retardé la guerre de Trente ans ? Contre la ré-
volution jésuitique du Midi et de l'Allemagne, il avait dans
la main la révolution protestante, affaiblie, mais vivante
encore, dont il restait armé. A sa mort, en 4610, il atta-
quait l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, par trois généraux
protestants, Rohan, la Force et Lesdiguières. Ses armées
étaient mixtes des deux religions. Les catholiques eux-
mêmes gardaient le souffle du grand siècle, son âme for-
midable.
304 MÉOB DB LA ROCHELLE.'
Trois choses allaient en résulter : 4o Les huguenots^
sous un roi catholique, étant menés à la guerre des libertés
du monde, se seraient de plus en plus fondus dans le tout.
Ni protestants, ni catholiques, mais des citoyens, des
Français ;
2"* Contre des passions, on envoyait des passions, et non
des automates. La guerre eût été vive, mais courte, la
France ayant pour elle les sympathies des nations ;
30 Et elle aurait été relativement économique. On n'eût
pas fait ce tour de force d'inventer des armées ou d*aUer
en acheter au poids de Tor jusque sous le pôle, lorsqu'on
avait chez soi des hommes tout aussi militaires qui eussent
servi niôme pour rien et remercié en versant tout leur
sang.
La France, sous Richelieu, Mazarin et Louvois, avance
dans la voie mécanique. La machine est intronisée, et la
personne exterminée. L'homme, de fortune et d'âme,
arrivera au dernier aplatissement. Et le xviir siècle, qui
doit tout recommencer, ne trouve, en 1700, que des la-
quais spirituels.
Le mot m'est échappé, et je ne l'effacerai pas, mais je
m'arrêterai. Bien des fois, j'ai rougi en écrivant ce vo-
lume, mais je rougirais encore davantage si je mettais ici
en face la France étique de Louis Xlil, et la riche, la
grasse, la triomphante Hollande, l'heureuse condition de
ses citoyens devant la misère des sujets français. La répu-
blique nouvelle couvre alors les mers de son papillon tri-
colore, elle apparaît sur tous les points du globe. Son
malheur de 4649 lui fait détester les factions, et bientôt
commence Tâge de sagesse et de tolérance oii elle fut
l'exemple du monde. Elle devient l'asile universel des
persécutés de la terre, des penseurs, des grands inven-
teurs. Elle abrite les malheurs, les libertés, les arts, bien
plus, le sentiment moral; et la grande exilée, l'âme, elle
la garde, afin qu'on la retrouve un jour.
SifcB DE LA RO€HBLLE. 305
Allez à la Bibliothèque, prenez Callot, prenez Rem-^
brandt. Rapprochement ridicule, direz-vous, et vous au-
rez raison, c'est mettre le sable et le caillou d'un petit
torrent sec, en présence d'un océan. N'importe, regardez,
étudiez, interrogez.
Le Français, que dit-il de sa fine pointe^ de son burin
microscopique ? 11 dit ce qu'il a vu dans sa vie de bohème :
la cour, les fêtes et la famine, les estropiés, les bossus et
les gueux, les ruses de la misère, l'universelle hypocrisie,
des engagements de soldats, des tueries et des scènes
inouïes de pillage, des supplices surtout, la potence et la
corde, les grâces du pendu, ce sujet éternel oii ne tarit pas
la gaieté française.
Ah ! pauvre peuple gai, que je te voudrais donc un peu
de l'intérieur, du doux foyer aux chaudes lueurs que j'a-
perçois chez l'autre, les dQux bonheurs de la Hollande, la
famille, la libre pensée. Je ne te souhaite pas môme la
chaumière hollandaise, si confortable, ni le beau moulin
de Rembrandt. Non, la grosse lourde barque de commerce
où vogue incessamment la famille amphibie, d'Amsterdam
dans les mers du Nord, cette arche de Noé où vous voyez
ensemble femmes, enfants, chiens et chats, oiseaux, qui
naviguent en si grande paix : c'est un abri où je voudrais
réfugier mon pauvre Français, au mauvais temps qui va
venir.
Le marin était libre, le bourgeois était libre; bien plus,
le paysan, ce malheureux souffre-douleur, sur qui partout
alors on marche et on trépigne. Le paysan, comme en
Hollande il se sentait fort sous la loi 1 quelle noble fierté
d'homme I et quels égards il exigeait des autres! Un tout
petit fait le dira. Je le tire des Mémoires de Du Maurier, le
fils de notre ambassadeur.
c Mon père nous ayant loué une petite maison de no-
blesse près de la Haye, et nous y ayant placés mon frère
et moi avec notre précepteur et deux valets, un jour le roi
XI. so
306 SIÈGM W U ROCHELLE.
de Bohême, réfugié en Hollande, étant i la chasse, et par
hasard ayant entré, suivant un lièvre, avec des chiens et
des chevaux dans un petit champ joignant cette maison
qu'on avait semé de quenoiles (navets), le fermier du lieu,
en son habit de fête de drap d'Espagne noir, avec une ca-
misole de ratine de Florence, à gros boutons d'argent
massif» courant avec un grand valet qu'il avait, à la ren-
contre du prince, ayant chacun une grande fourche ferrée
à la main, et sans le saluer, lui dit en grondant : Konig van
Behenien! Konig van Behemen! (roi de Bohême! roi de Bo-
hème) ! pourquoi viens-tu perdre mon champ de que-
nelles, que j'ai eu tant de peine à semer?
« Ce qui fit retirer le roi tout court, lui faisant des ex-
cuses, et lui disant : a Que ses chiens l'avaient mené là
malgré lui. »
Vous auriez couru loin en Europe pour trouver pareille
chose, cette liberté» cette audace à défendre le fruit du
travail. Partout ailleurs elle eût été punie. Ce paysan, en
France, eût été aux galères. Et le roi, en Allemagne, l'eût
fait dévorer de ses chiens.
Ilélas ! pauvre homme de la guerre de Trente ans, qui
te protégera et quelle fourche de fer te défendra contre
Waldstein et ses cent mille voleurs?
La France n*y suflSrait pas, mutilée, comme elle est,
épuisée par les grands efforts qu'en doit exiger Richelieu.
Et l'on désespérerait de l'Europe même si l'on ne voyait à
l'horizon une aurore boréale, le drapeau de Gustave-
Adolphe.
NOTES
woTi I. — Li snis DO voiun.
Les trente années que contient oevoioaie me sont venues obs-
cures, profondément énigmatiques. Y ai-je introduit la clarté?
Knlle œuvre de critique ne m*a coûté davantage. Je ne trou-
vais plus là la netteté et la franchise de mes hommes du
xvi« siècle (que Je regretterai toujours). Les figures dominantes
qui ouvrent le xvii^ le roi-homme et le grand ministre, sont des
caractères infiniment mixtes, qui demandent constamment k
être examinés de près, discutés et interprétés. Les situations
aussi sont compliquées et troubles. I^i les hommes, ni les
choses, ne se prêtent aux solutions absolues et systématiques
que l'on a données jusqu'ici.
Il faut, dans cette époque, plus que dans aucune autre, dîs^
tinguer, spécifier, marcher la sonde à la main. L'histoire, de
la place publique, du grand jour des révolutions, tombe aux
cabinets des princes ou des ministres-rois. Elle doit aller douce-
ment et tftler dans l'obscivrité.
Mais, cela fait et cet objet obscur une fois bien saisi et
serré y il faut le mettre en pleine lumière sans tergiversa-
tion.
Trois questions dominantes, à la fin de cette enquête , se
308 ROTES.
sont posées d'elles-mêmes , et les réponses sont sorties des
faits, sans que je m'en mêlasse, par la force de la vérité.
I. Henri IV resta-l-il flottant jusqu'à la mort? S'arréta-t-il
au système de balance et d'équilibre, qui fut réellement l'idée
de Ricbelieu, et que les Mémoires de Sully, écrits sous Ricbe-
lieu, nous donnent comme l'idée d'Henri IV?
A quoi, je réponds : Non, A partir de i606, sous une appa*
rente fluctuation, Henri lY est fixé, les faits disent assez dans
quel sens. Au départ de 1610, ses trois armées en marcbe ont
trois généraux protestants.
II. La seconde question, le mystère de sa mort^ par ceci
même est résolue. A partir de 1606, dans ses quatre dernières
années, ses ennemis, de leur côié, ne flottèrent plus; ils Ti-
rent très-bien en lui, sous son masque indécis, leur ruine cer.
taine si on le laissait vivre, et ils ne perdirent pas un jour
pour conspirer sa mort. Le Louvre y travailla, autant que l'Es-
curial.
III. La politique d'Henri IV fut-elle reprise en France et
continuée?
Nullement. La cour du Louvre, principale ennemield'UeDrilV,
déjà toute espagnole de son vivant, fut de plus en plus la cliente
de l'Espagne après sa mort. Richelieu, qui heureusement nous
arrêta sur cette pente, trouvant la situation gâtée et la France
rivée dans cette fatalité d'intolérance qui la menait à la ca*
tastrophc de la fin du siècle, ne lutta contre l'Espagne qu'en
l'imitant, en écrasant les dissidents, au lieu de les employer
contre elle.
Enfin, pour résumer, Henri IV et Ricbelieu allaient tous deux
à l'unité nationale (suprême condition de salut), mais par des
moyens différents, le premier par l'emploi, le second par la
destruction des forces vives.
Je sais la différence qu'on établît, il les écrasa, politiquement,
les ménagea religieusement. Belle distinction, bonne pour les
esprits qui ignorent que la vie est une, et qui en séparent
idéalement les manifestations. De quelque façon que ce fût, les
protestants périrent moralement; l'émigration commença, et
ceux qui n'émigraient pas furent tranquilles, il est vrai, ne
HOTBS. 309
contrarièrent point Richelieu» Mazarin, personne. Pourquoi T
ils étaient morts.
Est-ce à dire qu'il fallait laisser en France une république
protestante? Non, on pouvait l'éteindre» mais par d*&utres
moyens. Si Richelieu eût été libre, quoiqu'il hait les protes-
tants» il les eût ménsgés, calmés et rassurés. Il les aurait tour-
nés vers la mer, la guerre maritime, la guerre d'Espagne-
Antriche. Enrégimentés sur le Rhin, dispersés sur les mers
à la poursuite dea galions, revenant chargés de dépouilles,
on fondant une France Tépée à la main dans l'Amérique espa-
gnole, ils ne se seraient guère souvenus de leurs assemblées
Inutiles, ni des masures qu'ils appelaient places de sûreté.
Richelieu ne put rien faire de tout cela. Après un petit mo-
ment d'andace contre le pape, ses ennemis le ramenèrent par
sa chaîne, robligèrent de ruiner |la Rochelle, les marins qu'il
eût employés contre eux, les finances qu'il commençait à réta»
blir.Jls le tinrent là près de deux ans, pendant quMls faisaient
tout ce qu'ils voulaient en Allemagne.
Il se garde bien d'avouer que ces fuules lui furent imposées.
U les dit siennes, et veut avoir toujours régné, fait tout et mené
tout. Les historiens docilement l'ont pris au mot, et accepté la
glorification testamentaire qu'il fait de sa politique. Il convient
à ces grands acteurs de faire aiosi leur portrait héroïque, de
se couronner de lauriers, de ramener, s'ils peuvent, toutes
leurs courbes à une droite idéale. Mais c'est à l'histoire de re-
trouver leur marche sinueuse, leurs tours et leurs détours sous
la pression des événements, sans tenir grand compte de? sys-
tèmes arrangés après coup par lesquels ils voudraient dominer
encore l'opinion et duper la postérité*
NOTB M. — MBS CONTBADICTIOllS.
En voici encore une que je livre à la critique. J'ai dit du bien
et du mal d'Henri IV dans le volume précédent et dans celui-
ci. Je maintiens l'un et l'autre; le mal, le bien, sont vrais et
310 NOTES.
méril^s. Ce caractère est tel, méié, varié, inconsistant et don-
ble, double de natare ei de volonlë. Il a cela même de ca-
rîettx que c'est quand il se fixe au bien qti*il se masque le
plus , et sa meilleure époque est toute enveloppée de men-
songe.
Beaucoup de gens y étaient pris, ses amis surtout (bien
moins ses ennemis, qui ne furent pas dupes et le tuèrent). En
1600, lorsqu'il veut agir sérieusement en faveur des hugue-
nots, il les mystifie et les humilie dans la dispute dcMornay et
Du Perron, flatte le clergé catholique. De môme, lorsqu'il vient
de leur accorder le temple de Cbarenton (1606) et d'arrêter
avec Sully sa guerre pour secourir les protestants d'Allemagne,
il caresse les Jésuites plus que jamais, et fait au ministre Cha-
rnier une réception sèche et dure, qui dut charmer Cotton et
tous les catholiques. La brochure de M. Read (sur Charnier)
peint au vif Henri IV. Elle fait comprendre comment les pro-
testants durent méconnaître, tant qu'il vécut, un ami qui*crai-
gnait tant de paraître tel. Dans le fond, il était pour eux (sur-
tout dans les dernières années). C'est le témoignage que lui
rend un grand historien, non suspect : c Les Réformés avoieot
vu mourir avec lui deux choses : Tune Vaffeclion qu'il étoit
certain qu'il avoit pour eux; l'autre étoit la bonne foy dont il
se piquoit plus que nul autre prince, et qui le rendoit s! exa<^
observateur de sa parole, qu'on trouvoit plus de faveur dans
l'effet qu'il n'en avoit fait espérer par la promesse. ■ (Ëlie Be-
noit, Histoire de l'Édit de Nantes, II, p. 4.)
La critique peut continuer d'imputer à mon injustice, ï ma
légèreté, les inconsistances et les variations de la nature hu-
maine.
J'ai dit et j'ai dû dire que Louis Xil fut en France bon et
honnête, perfide en Italie; qu'Henri III, infâme à vingt ans,
maïs épuisé à trente, était alors probablement moins libertio
qu*on ne l'a dit. Quelle contradiction y a-t-il en cela?
NOTES^ d44
irOTB III. — LSS SODRGBS DB L HISTOIRB D HB2f RI iV .
Le livre 4e M. Pomoo a paru en janvier 1857 ; le nûen ar-
rive es mai. J'ai admiré plus que personne C3 livre rare,, û
eenaeieiieieiiseiiieni élaboré, en contraste parfait avec tant
d'eettvrea de légère ioiprotisation. J'en ai peu pro&ié. Painr-
^oei ? Parce qne le grave historien, en racontant si bien le roi,
m presque partent caché l'homme, cel homme f ondoyant et
fuyant, » comme aurait dit Montaigne. L'ostéologia d'Henri lY,
ei ses muscles aussi, sont au complet ; j'y voudrais encore son
aang, les battements de son coeur, sa vie nerveuse et ses sail-
lies. 11 fut homme autant que personne, et les faiblesses hu-
aiaines ont influa ser lui, comme sur tous. Une ligne sur Ga-
briellc,. e'esl pe«, trop peu, eu vérité»
Pédié d'omission. Mais de commission, je crois qu'il u'y en
» gUière. C'est un livre bâti en quinae ans à chaux et à ciment
qui restera et ne bougera point.
« Le iîlre est bien modeste. 11 ne promet que VHigtoire d'un
régnât maisil donne en réalité un immense tableau de l'époque.
Sciences, letires, arts, inventions, tout le développement de la
civilisation y est étudié, creusé, fouillé à fond, autant que la po-
litjqoev l'administration, les finances, la diplomatie. C'est TeB-
cyelopédie du temps (environ an quart de siècle). L'auteur est
gallican, partisan de la tolérance et de la liberté veligieuse. Je
ne partage ni son admiration sans limites pour Henri iV, ni ses
sévérités peur les protestants. Hais je n'en fais pas moins un
cas infini de son livre» Tout le monde sera frappé de l'exoel-
lente critique et de la vigueur d'esprit avec laquelle il a jugé
l'Espagne et le parti espagnol, la Ligue. Il a montré parfaite-
ment tout ce que celie-ci avait d'artificiel. — La construction
fantasque de M. Capcfiguc est rasée, et il n'en reste pas une
pieire. •
A ces lignes, que je publiais en janvier même, uneétu^e
allentinre me ferait ajouter beaucoup. Gbacun de ces chapitres
(sur lea bàtimenta, par exemple, sur les canaux, etc.) est un
3t8 NOTES.
travail soigné, achevé, plus complet et plus instnictif q«e
les grands ouvrages spéciaux qu'on a écrits sur les mêmes
matières.
La France d'alors y est sous tous les aspects. Ce qui y man-
que un peu, c'est Henri IV, l'Henri IV que nous connaissons..
Quoi! Henri IV a été ce grave politique, ce roi accompli, pres-
que un saint? Quoi! Il faudrait biffer toute la tradition ? Il fau-
drait eff'acer, entre autres témoignages, le plus beau livre du
temps, les Mémoires de d*Aubigaé? M. Poirson n'y voit qu'une
satire. Et sans doute le vieillard chagrin, dans son triste exil de
Genève, sous la bire du Rhône, a été aigre. Il aura, je le croîs,
exagéré, défiguré, sans s'en apercevoir, quelques détails; mais
sciemment menti? jamais. Ce livre reste, comme un jugement
héroïque du noble xvi« siècle sur son successeur le xvii«, di-
plomatiquement aplati.
M. Poirson, honnête, ausière et décidé à être juste, n'a nul-
lement négligé les sources protestantes, telles que du Plessis-
Mornay et la Force. Je voudrais seulement que, dans les édi-
tions subséquentes, il mit en meilleur jour les griefs des protes-
tants, griefs si graves et qui excusent entièrement Vetprit
inquiet et l'incessante agitation qu'on leur a tant reprochée.
S'ils se montrèrent si difficiles au moment de l'Ëdit de Nantes,
on le comprend fort bien quand on voit qu'ils venaient d'avoir
encore un massacre en Bretagne. Manquèrent-ils an siège d'A-
miens, comme on l'a dit? Point du tout. D'Aubigné (Histoire,
p. 455) assure qu'on y vit 1,500 gentilshommes huguenots. H
faut lire leurs griefs dans les procès-verbaux de leurs assem-
blées, soigneusement extraits par Ëlie Benoli^ Histoire de l'Édit
de Nantes (6 vol. in-4o). Ce grand et important ouvrage est de
la fin du siècle, mais il est tiré entièrement des pièces origi-
nales.
Encore uu point de dissidence. Je ne vois nullement que
Villeroy et Jeannln aient suivi constamment une politique
anti-espagnole.
A cela près, nos études communes sur les mêmes sources
nous conduisent aux mêmes jugements. Sur les lettres
d'Henri IV, sur Angoulême, de Thou, Nevers, Chevemy, Les-
toile, etc., j'adopte et signerais ses judicieuses notices.
Je le remercie surtout peur ce qu'il dit de Sully. Il a senti à
merveille que les Économies roytHes ne sont pas seulement un
des bons livres du temps, mais l'ouvrage capital et, d'un seul
mot^ le livre. C'est un vrai fleuve de vie historique, qui donne
tout, et le matériel, et le moral, la politique et les finances,
les caractères et les passions, les choses et les hommes, enfin
Tàme. Persistance admirable du xvie siècle, qui^ si tard, dans
une époque ingrate, dure, vit, palpite encore, en ce livre
aair et fort, jeune de verve et vieux de sagesse, admirable de
plénitude.
Par d'Aubigné et par Sully, je sors du grand xvi^ siècle, quo
j'étudiai et enseignai tant d'années. Le profond changement
•qui se fait au passage est marqué bien naïvement par d'Aubigné.
Rode cascade ! Sous Henri lY, il rêve les martyrs et Coligny,
médit du roi hftbleur. Mais, Henri IV frappé, il l'est lui-
même, il tombe de la chute à la chute!... Cela ne s'arrê-
tera pas. Les temps mêmes de Richelieu, tant glorieux qu'on
les veuille faire politiquement, seront encore une chute
morale.
C'est le 12 décembre dernier (1856) que j'écrivais ceci, par
un temps doux et maladif, en présence des notes nombreuses
que mon père m'avait copiées de d'Aubigné, avant sa mort
(1846). Ces notes, d'une écriture forte et pesante de vieillard,
consciencieusement exacte, monumentale et pourtant très-
vivante, plus digne des pensées qu'aucune impression ne sera
jamais, m'ont fait entrer bien loin dans le cœur le xrie siècle, A
grand'peine, je leur dis adieu.
Chaque lettre de cette écriture, accentuée de l'amour et de
la religion de mon livre futur (qu'il ne devait pas lire), me
frappait d'un double regret, de laisser cette histoire, et de
laisser ces manuscrits.
Je ne vois plus là*bas, à cette table près de la fenêtre, ce vé-
nérable auxiliaire si ardemment zélé pour l'œuvre qui m'é-
chappe aujourd'hui. Nous passâmes ensemble trente années de
travail entre l'étude solitaire et les pensées do la patrie, parmi
les bruits publics de la tribune et de la presse, toutes ces voix
de la France qui parlaient et se répondaient. Oe temps n'est
plus, et après l'avoir quitté, quitté cette personne qui éuit
314 Nons.
moi, je dois qaiiler ec qui en reste, ces papiers, les mettre socs
la clef» — avec un fragment de mon cœar .
KOTB If. — SDR U lARIAeS KT U MORT D BBITRI IT.
Tous louent Sully et peu le suivent. Moi, j'ai osé le suivre
dans ses assertions les plus graves, dans celles où il s'est mon-
tré un courageux historien, un homme et un Français. En pré-
sence des montagnes de mensonges que bâtissaient tant d'an-
tres à la gloire de Marie de Médicis, Sully a peint fidèlement le
déplorable intérieur du roi, Tinsolence de Concini, les offres
fréquentes d'Henri IV de renoncer à ses maltresses si on ren-
voyait cet homme, l'attente où il était de sa mort et sa convic-
tion que la mort lui viendrait de là.
c Est-ce clair? > On peut dire ce mot à chaque ligne.
Ou le mot de Harlay, levant les mains au ciel: « Des prenves?
des preuves?... Il u'y a que trop de preuves. >
Sur la lutte du mariage français et du mariage étranger
(V. p. 40), j'ai suivi uniquement Sully, les lettres du roi et
celles du cardinal d'Ossat. Sur les cavaliers servtmts (p. 54, 96),
je suis Sully encore, avec le mss. du fonds Béthune qu'a copié
M. Capefigue. Tout cela extrêmement cohérent, de cette vrai-
semblance frappante et saisissante qui fait qu'on crie : • C'ait
vrai! t
L'étonnante fluctuation où le roi se trouvait alors, entre ses
deux mariages et ses deux religions, renvoi du capucin Travail
(le P. Hilaire) à Rome pour défaire le mariage florentin au
moment où il se faisait, tout cela est fort clair, même à travers
la mauvaise volonté^ l'obscurité calculée, de d'Ossat.
La Conspiration des poudres et autres petites affaires de ce
genre dorent faire douter Henri IV de l'avantage qu*il y avait!
tant caresser ses ennemis. Le nonce romain de Bruxelles se
trouva compromis dans cette affaire anglaise, comme il l'avait
été dans le complot de 1599 pour assassiner Henri IV. Lai-
même, allant en Poitou, vît s'évanouir tout ce que le elergé lai
NOTBS. 315
faisait eroire de l'opposition protestante. Le roi et la Hocbelle
s^embrassèrent en 1605 (p. 85). Et le roi (août i606, p. 8S)
accorda aux huguenots le temple de Charenton. La belle histoire
«pie H. Read nous a donnée de ce temple indique toute l'im-
portance d'un tel fait, qui, à lui seul, était une révolution. 11
disait assex haut ce que le^roi voulait faire en Europe.
C'est à cette année 1606 que la dame d'Escoman, dans sa
déposition, rapporte le pacte conclu pour tuer le roi entre
sa furieuse maltresse et d'fipernon, seigneur d'Angoulôme et
patron de Ravatllac, quMl employait à Paris à solliciter ses
procès.
Quoi de plus vraisemblable? C'est cette année que l'on sut
définitivement que le mariage italien ne retiendrait pas Henri IV,
comme on Vavait cru d'abord. Le tuer ou le marier^, tel avait été
le dilemme en 1600. Le mariage étant inutile, on résolut de le
tuer.
Il faut être sourd, aveugle et se crever les yeux ^pour ne pas
Toir, entendre cela/
Le recueil de mensonges qu'on appelle Mercure français part
da procès de Ravaillac, qu'on voulait mutiler et fausser, et de
U déposition de la d'Eseoman, qu'on voulait étouffer en la défi-
gurant.
La réfutation que ce Mercure fait de la d'Eseoman est bien
plaisante. On ne doit pas la croire, car elle est bossue et boiteuse.
On ne doit pas la croire, car elle est pauvre, et elle a un enfant
à motel-Dieu. Elle a été condamnée pour adultère, le crime uni-
Yersel alors. Elle a pris pour Ravaillac un autre homme. Qui
raiBrme?0n ne le dit pas; apparemment ce sont les gens que
la reine envoya pourvoir la d'Eseoman et la déconcerter chez
la reine Marguerite. Le Mercure' est pourtant forcé d'avouer
qae Marguerite était frappée de la déposition de cette femme,
qui ne se démentait pas, ne variait pas, • répétait de mot en
mot. »
Peu m'importe que la d'Eseoman ait été boiteuse, pauvre, etc.
Elle n'en est pas moins un témoin grave quand elle se concilie
m bien avec Sully. Elle s'accorde également avec le factotum
do Dujardin-Lagarde, qui fut pensionné par le roi pour Taris
Téndiqu« donné à Henri IV (Archives curieuses, XV, 150).
34 6 NOTES,
Le peuple crut la d'E&coman et Lagarde. Il crol que d'Êper-
noD, Guise, Concini (Henriette, et la reine même), avaient
trempé dans le complot, ou du moins en avaient connaissance.
On put savoir dans tout Paris la profonde douleur qu'exprima
le président Harlay devant les amis de Lestoile quand il vit que
la première personne du royaume, l'autorité elle-même» était
tellement compromise. La confiance qu'exprime Lestoile dans
la déposition de la d'Escoman, c'était le sentiment populaire.
J'en juge par un mot foudroyant du capucin Travail, le P. Hi-
laire, Tun des meurtriers de Concini, qui crut qu'en réalité rien
ne changerait si l'on ne tuait aussi la reine mère, et qui en fit
la proposition à Bressieux, écuyer de Marie de Médicis. Celui-ci
refusant : c N'importe, dit Travail, je ferai en sorte que le roi
ira à Vincennes, et, pendant ce temps-là, je la ferai déchirer
par le peuple'. « Le peuple la croyait donc complice de la mort
d'Henri IV. (Revue rétrospective^ IF, 505.)
Cela fait comprendre les craintes de d'Ëpcrnon et sa tenta-
tive pour terroriser les États et le Parlement en 1614, quand
le témoin Lagarde se présenta aux États (p. 152, 154), — et les
craintes de la reine mère, sa fuite de Blois en novembre 1618
(p. 239), quand elle apprit que de Luynes avait fait arrêter
la Du Tillet, maîtresse de d'Épernon, compromise dans l'affaire
de Ravaillac (V. les Mémoires de Richelieu) • Elle crut certaine-
ment que de Luynes, instruit de ses menées secrètes, allait lui
faire faire son procès.
P. 109. Projet de république chrétienne ^ grand dessein
d'Henri IV, etc.
M. Poirson a très-bien dis\ingné qu'il y a là deax choses:
lo le système positif des alliances d'Henri IV avec les ennemis
de la maison d'Autriche, système qui se faisait de lui-même
sous rim pression de terreur que cette maison inspirait; toute
l'Europe se serrait du côté de son défenseur. 2^ Un plan tout
utQpique de Sully pour la fédération européenne. M. Poirson
est trop indulgent pour ce plan ridicule. Cela a été écrit par
les secrétaires de Sully (ils le disent eux-mêmes) en 1627 pen-
dant le siège de la Rochelle, et déjà aous la royauté du cardl-
NOTES. 317
nal. Richelieu, l'année précédente, avait proposé, comme type
de l'ordre financier, Tannée 1608, c'esl-à-dire Tapogée de Tad-
ministralion do Sully. Celui-ci put en concevoir le vague espoir
d'être rappelé aux affaires par le cardinal. De là peut-ôtre ces
idées (si étranges chez un protestant) de faire une république
italienne vassale du pape. Ce qu'il propose aussi pour les élec-.
lions de Hongrie et Bohême est ridicule et quasi fou. On re-
grette de trouver cette tache dans ce beau livre des Économies,
P. 135. Le journal des digestions de Louis XIIL Dans un gou-
Teroement idôUtrique, fondé sur la divinité de l'individu, ce
point est grave. Je n'y insiste pas. On rirait, et rien n'est plus
triste. — L'historien, le politique, le physiologiste et le cuisi-
nier étndieront avec profit ce monument immense, 6 vol. in-
folio d'une fine écriture: Ludovico-trophie, par.Hérouard, méde*
cin du roi, seigneur de Yaugrineuse (mss. Colbert, 2601-2606).
l'en eite une seule journée, qui donne l'impression qu'eut l'en-
fant royal de la mort de son père :
c M. le Dauphin, l'ayant sceu, en pleura, et dit : Ha! si je y
eusse esté avec mon espée, je l'eusse tué. Chacun se vint offrir
à loi de la chambre de la royne. — Raisins de Corinthe et à l'eau
rose, asperges et salade, potage, hachis de chapon... deux cor-
nets d'onblies, quatre prunes de Brignolle, figues sèches, du
pain, bu de la ptisane, dragée de fenouil, puis mené, etc. Et
cbea Ini à nenf heures : pissé jaune-paille^puis desvestn,mis an
lit. Ponls solide, égal, pause. Chaleur doulce. Prié Dieu. Dit
vouloir ooncher avec M. de Souvré : • Pour ce qu'il me vient
c des songes. > La royne l'envoie quérir pour le faire coucher
dans sa chambre...
■ Le XV, esveillé à six heures et demie... A sept heures un
quart, levé, bon visage, guay, pissé jaune, peigné. Yestu d'un
habillement bleu. A huit heures et demie, déjeuné, ne sceut
mangé, beu de la ptisane. Il avoil du ressentiment, et si Tinno-
cenee de son asge lui donnoit par intervalles quelque gaieté.
Menée la messe. A neuf heures et demie, disné; raisins de Co-
31 8 NOTES.
rinihe, asperges, silade, potage, chapon bouilli; pris an pen
d'un gasleau fcuillelé, bu du vin blanc... In trf|)û2tM. »
A ces notes curieuses sur le caractère de l'enfant royal, on
peut joindre les lettres du nonce, qui font (rès-bien connaître
la mère. Elles racontent, entre autres choses, les violenies
scènes qui eurent lieu (en 1622) entre elle et le prélat Ruccel*
laU, un Italien qu'elle avait favorisé beaucoup, et qui avait été
supplanté dans sa faveur par le jeune Richelieu. Pour obtenir
de Louis XIII qu'il chasse Ruccellai, elle soutient qu'il a fait
semblant d'être amoureux d'elle; que, sous prétexte d'admirer
ses dentelles, il s'est émancipé, etc. C'est la scène de TarUife
et d'Elmirc, msis plus comique, la reine étant d'âge très-mûr,
très-lourde d'embonpoint. Tout cela est écrit eu chiffres, comme
le plus terrible mystère. (V. nos Archives^ exîraiU du Vatican,
Nonciatures^ carton t, 389.)
P. i8i. Le roman d'Henri IV, de StUly, d'OUiot^ de Sêrm
le Bon Seigneur, etc. Ce beau fllTre d'Ollivier, le ThèdHe d**-
gricullure et ménage des champs, est beaucoup plus économique
que patriarcal ei philanthropique. Les journaliers n'y sont pas
trop favorisés. Le seul conseil de mettre les deux tien da do-
maine en forêts et prairies, s'il eût été suivi, eût eonaidérable*
ment réduit le travail des cultivateurs salariés. — • Voir sur la
condition des paysans le grand travail de M. Bonaamère, qai
doono tons les textes, l'ingénieux ouvrage de M. Domol, ea
les rapprochant de l'exoellenle histoire de l'administration da
M. Chérael, etc., etc. Us font toucher au doigt comment la ri-
chesse, et la subsistai. ce même, vont diminuant dans toutes
siècle. Quelle terrible distance des ÛBeonomies de Sully an livre
de Vauban, si triste, à ceux de Boisgoillebert, si croellemeDi
désespérés !
P. 176-227. Je reviendrai sur la casuistique et les couvents;
et, quant à la sorcellerie, je donnerai mes sources et nu
critique, quand le Diable expire à Loudnn sous l'horreur et le
^OTBS. 819
TidUnle. — Svr le tabae, V. la brocbHrè de M. Lâvrieu et la
IcUre, si insimclive, que M. Ferdînand Denis a jointe à l'opus-
cale de M.Oemersey (1854). Oviedo, Thëvet, Cartier, Léril» sont
les premiers qni en fassent mention. Le Portugais Goes avait
rapporté le tabac à Lisbonne ; il le donna & notre ambassadeur
Nicot, qui l'apporta en France comme une herbe propre à dé-
lerger et calmer les blessures. Elle fut présentée à Catherine
de Médicis, qui accepta d'en éirc la marraine, et voulut bien
qa'on l'appelAt Cathirinaire, ou Médieéê. On a vu sa vogue déjà
&lale en 1610. Le fisc s'en empara bieniôt. Richelieu dit en
1635 (Lettres, II, 165) qu'on en apporte deux millions de li-
vres, qu'on en déclare moins de la moitié, et que l'État peut en
tirer par an quatre cent mille livres. Il a rapporté jusqu'à nous
aa milliard et demi. Mais qui calculerait ce qu'il nous a fait
perdre par la vaine rêverie, l'inaction et l'énervation 1 C'est un
secours pour le travailleur en plein air dans des lieux humides,
pour le marin peut-être; mais pour tous les autres un fléau,
«ne source de nombreuses maladies du cerveau , de la moelle
et de la poîtrine» d'une entre autres, la plus triste, do cracher
toujours et partout.
P. 244. — Si Jon veut ignorer Richelieu^ ii faut lire ses Me-
moirêi, Gete est dur et peut paraître exagéré. Mais, en réalité,
ils sont fréquemment contredits par ses lettres, par les écrits
contemporains, par les faits même. C'est en réalité un très-
long factum marqué souvent d'une grande hauteur de vues et
4e raison, mais calculé, pénible, artificieux, qui veut harmo-
Bsaer pour la postérité uoc vie fort peu d'accord avec ellc-
méne. On dit qu'au siège de la Rochelle, dans ce long blocus
d'hiver où il sa consumait, il commença à vouloir qu'on écrivit
ses actes, c'est-à-dire qu'on les expliquât. C'est là sans doute
roHgroe des Mémoires, 'qu'il a inspirés, presque dictés, revus
avec soin. Le premier point, c'était de faire croire qu'à son pre-
■rier ministère, sous Concini, il était déjà anti-espagnol. Chose
sbsol ornent impossible; les pièces deSimamar, citées par Ca-
pefigue, montrent que Concini et sa femme étaient intimes
avec l'Espagne; ils venaient de faire le double mariage espa-
SSO NOTKS.
gnol; la dépêche de Richelieu à Schomberg n^esl qu'un leurre
pour amuser les Allemands. Le second point, c'élait d'éreinter
la Vieuville, celui qui rappela Richelieu an ministère et que
Richelieu fit chasser; c'était de lui ôler l'honneur d'avoir en
l'initiative d'une politique française. Le troisième point, c'est
celui où il se donne l'honneur d'avoir voulu le siège de la Ro-
chelle. Sans doute comme prêtre, comme controversiste, il
haïssait les protestants; cela est sûr. Et il est sûr encore que
ses instincts de gentilhomme et d*homnie d'épée lui auraient
faitdéiiirer d'imiter les fameuses croisades de Ximenès, la con-
quête de Grenade» les ciploits de Lépante. Tel fat le fond de
sa nature. Mais son très-luinineux esprit (et dirai-je, son ftme
française) le firent vouloir, contre sa nature, l'alliance avec
l'Angleterre, la Hollande, le Danemark et les protestants d'Al-
lemagne, ce qui impliquait des ménagements pour les protes-
tants de France. Les papiers de Bérulle, extraits par Tabaraud,
montrent très-bien (et les offres continuelles de Richelieu aux
protestants montrent encore mieux) qu'il leur fit, malgré lui,
cette guerre demandée par Bérulle et tous nos Français espa-
gnols, guerre qui détruisait ses projets, irritait l'Angleterre, la
Hollande, ses alliés naturels. Tabaraud est précieux ici. Pa-
négyriste de Bérulle, il prouve innocemment, mais prouve
que Bérulle eut Thonneur principal de cette énorme sottise,
d'avoir travaillé, préparé la destruction de la Rochelle, Ta-
mortissement des protestants qui eussent si bien servi contre
l'Espagne. Le duc de Rohan put tirer quelque argent des Espa-
gnols, et même en 1628, quand on le traqua avec six armées,
il fit un misérable et coupable traité avec l'Espagne. Mais, dans
celte grande faute, il était seul ou presque seul, nullement suivi
de son parti. Je parlerai plus tard de tout cela. Je dois l'ajour-
ner, n'ayant pas encore le troisième volume des Lettres de Ri-
chelieu que publie M. Avenel. Excellent et rare éditeur. Son
inlroduclion est écrite dans une sage mesare que les biogra-
phes ne gardent presque jamais pour leur héros. Il dit très*
bien que Richelieu, si actif au dehors, ne put faire réellement
que peu de choses à Tintérieur, qu'il n'avait point d'entrailles,
qu'il n'aimait point le peuple. Les note,|Snon moins judicieuses,
par lesquelles M. Aveoel éclaire et interprète les pièces, cod-
NOTES. 324
tiennent, outre les renseignements, de précieuse» remarques
de critique. En 1626, par exemple, il observe sur la forme môme
des lettres de Richelieu qu'alon il n* était pas maître encore, fnais
ie premier entre les ministres, ce qui confirme ce que les papiers
de Bérulle nous apprennent de l'importance qu'avait celui-ci
et de la sourde lutte qu'il soutenait contre Richelieu à la cour,
an conseil (par Marillac et autres).
PIN DO TOME ONZIÈME
xr. S!
TABLE DES MATIÈRES
GoAFitBi PRinn. — Ligue de la cour contre Gabrielle, 1598. i
Faiblesse d'Henri IV daas son iotérieur Ibid,
Le dilemme du temps : Le tuer ou le marier 5
Gabrielle craint le mariage florentin (
Snlly, créé par elle, travaille contre elle 8
CniPiTiK IL * Mort de Gabridle. 1999 14
Le diable et les possédés Ibid,
Maladie du roi; assassins 16
Le roi décidé pour Gabrielle 18
Les protestants désirent le mariage français 21
La mort tiolenle 28
Coamai 111. — Henriette d^Entroffuee et Marie de Mèdicie.
1599-1600 35
La galerie de Rnbens Ibid,
Politiqne papale et florentine de la France 36
Double négociation de mariage 40
CaA»iTRi IV. — Guerre de Savoie, Mariage. 1604 46
Conquête de la Savoie 47
Marie déplaît au roi, il prépare son divorce à Rome. 49
324 TABLE DBS HATIÈRBS.
Chapitre V. — Conspiration de Biron. 1601-1602 55
Les amants de la reine ^ S6
Biron traite avec l'ennemi S9
Son procès, 15 jain-31 juillet 63
Chapitbb VI. — Le rétablUsement des Jésuites. 1603-1604. 71
Réaction. Transformation dn clergé et de la no-*
blesse 72
François de Sales» Cotton 76
Chapitbb VU. — Le roi se rapproche des protestants. 1604-
1606 80
Concini, favori de la reine Urid.
Conspiration d'Entragues 9ï
Conspiration des poudres • 85
Le roi donne aux protestants le temple de Cba-
renton •.... 88
Chapiirb VIll. — Grandeur d'Henri IV 91
Difficultés qu'il rencontrait ifrûL
Réformes de Sully 93
Ce que le roi fit malgré Sully 95
U Paris d'Henri IV v97
Chapitre IX, — La conspiration du roi et la conspiration
delà cour. 1606-1608 , 101
L'Europe se précipitait dans les bras de la France. Ibid^
La cour conspire la mort du roi 104
Insolence et haine de Concini 107
Chapitre X. •* Le dernier amour d'Henri IV. 1609 108
L'iistrée de DUrfé Ibid.
Mademoiselle de Montmorency 109
Masque d'Henri IV 110
Mariage du prince de Gondé. 113
Chapitre XI. ~ Progrès de la conspiration. Fuite de Condi.
1609 115
TaBLB DBS lUTIÈBIS. 325
CiiPniiXlL— Jforf (Tireiin/F. 1610 122
Ravaillac Ibid.
Avis de la d'Escoman, négligé de la Reine 124
Abattement d'Henri IV 128
Il est toé^ 14 mai 1610 132
CiiFiTBi XIII. ~ Louis XIIL Régence. RavaUlae et la d^Et-
amum. 1610-1611 134
Changement complet. Teirenr du peuple Ibid,
Violence de d'Ëpernon 136
On précipite le procès de Ravaillac 138
La enrée 142
On étouffe la voix de la d'Escoman 144
Mépris et révolte des grands 145
CëifinMWy. -^ ÉtaU ginéraux. 1614 147
Les magistrats représentent le Tiers État 149
D'Épemon terrorise le parlement et les États 154
Noble sacrifice du Tiers 156
Le roi se déclare contre le Tiers 158
Comment on cache les vols de la cour. • • 160
Le roi accable 'encore le Tiers 161
Réforme que le Tiers demande dans l'Ëglise 163
Le Tiers bfttonné et renvoyé 162*164
CiAnm XV. ^ Priion de Condé. Mort de CondnL 1615-
1617 166
Fortune de Luynes. Il est poussé à tuer Concini ,
mais ménage la reine mère et lui accorde Tem-
prisonnement de la d'Escoman 170
CHAm» XVI. — Des mœurs. StèrUité physique^ morale et
mUraire 176
Abaissement des esprits. Casuistique, couvents,
sorcellerie 179
Ca&nni XYII. — Du sabbat au moyfH Age^ et du sabbat au
zvii* sièeU, L'akool et le tabac 183
326 TAftLB DIS MATIÈRES.
Chapitre XYlil. — Géographie de la sorcellerie^ par ruUUm$
et provinces. Les sorcières basques^ 19i
Le livre de H. de Lancre, i610« 19S
Cbapitrb XIX. — Les couvents. La sorcellerie dans les coi»-
vents. Le Prince des magiciens 206
Procès de Gauffridi. 1610-1611 210
Chapitre XX. — Luynes et le P, Amoux. Persécution des
protestants. 1618-1620 228
Statistique des contents 229
On prépare la rëyolution territoriale du siècle. ... 236
Catastrophe du Bdarn 240
La France trahit les protestants d'Allemagne 242
Chapitre XXI. — Richelieu et Bèrulle. 1621-1624 24S
Richelieu jusqu'à quarante ans fut dans le parti
espagnol' « .••..«•.. 246
Politique nationale de la Vieuville 251
Il élève Richelieu qui le chasse 252
Partialité du pape pour les Espagqols qu'il couvre
en Valleline 254
Richelieu en chasse le pape. Dec. 1624 257
Chapitre XXII. — L'Europe en décomposition. Richelieu
forcé de rétrograder. 1625-1626 258
La révolution territoriale en Allemagne Ibid.
Révolutions de Hollande et d'Angleterre 261
Richelieu essaye de rétablir les finances 265
Mariage d*AngIeterre 267
Fermeté de Richelieu contre le légat 268
11 s'appuie sur les notables 270
On le force de traiter avec r£spagoe 273
Chapitre XXIII. — Ligue des reines contre Richelieu. Coin-
plot de ChcUais. 1626 274
On pousse l'Angleterre à rompre avec nous 281
Embarras financiers de Richelieu, irrémédiables.. 283
TABLE DBS MATIÈRES. 327
Chapithb XXIV. - Siège de la Rochelle. 1627-4628 287
L'Espagne nous trahit et appelle l'invasion anglaise. 288
La Rochelle refuse de recevoir l'Anglais 290
Buckingham échoue dans Tllc de Rhé, juillet-no-
vembre i627 291
Richelieu bloque la Rochelle, sa digue 294
La Rochelle refuse encore de se livrer aux Anglais. 296
Elle ouvre ses portes à Richelieu, novembre 1628. 300
Ruine du pays; émigrations protestantes 301
Richelieu, ayant étouffé la révolution religieuse, ne
fera la guerre à la maison d'Autriche qu'à force
d'argent 303
Catlot et Rembrandt, la France et la Hollande 305
NOTES.
Note l. — Le sens du volume 307
Note IL — Mes contradictions 309
Note IIL — Sources de l'histoire d'Henri IV 311
Note IV. — Mariage et mort d'Heari IV 314
Note V. — Projet de république européenne 316
Note VI. — Journal des digestions de Louis XIII 317
Note VII. — Condition du paysan 318
Note Vlïl. — Du tabac 319
Note IX.— Mémoires de Richelieu, histoire de Bérulle, etc. Ibid,
FIN DE LA TABLE DU TOEB OEZIÈHB.
Imprimerie Eugène HEUTTB et C*, k Saint-Germain.
"i^
HISTOIRE
DE FRANCE
AD XVII* SIÈCLE
RICHELIEU ET LA FRONDE
CHEZ LBS MÊMBS àDITSURS,
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La Sorciâbs. i TOlame gr. in-18 jésos 390
Nos Fils, i Yolnme gr. m«i8 jésus 3 SO
La Montaqne. 1 Tolame gr. in-18 jésos 350
La Bible de l'Humanité. 1 Yolume gr. in-i8 jésas 3 50
Histoire de France. 17 beaux yolumes in-8» à 6 francs :
Tomes 1^6. Lbs Celtes..— Ues Gwilifis. — iM Ifripes. —
jHiitoire 4e Frapoe dara^t le moj^ Age jusqa'ao
XYi* siècle. -^ 6 Yolumes in-8«.
Tomes 7 à 10. Histoire de France an xyi* siècle :
La Renaissanee. 1 yoI.
La Réforme. 1 yoI.
Les Guerres de religion. 1 yoI.
La Ligne et Henri IV. 1 Yol.
Tomes 11 à 14» Hiilpi^e^e Friyice ap xtqp «îMe :
' "^ Henri IV et Richelieu. 1 yoI.
Richelieu et la Fronde. 1 yoI.
Louis XIV. 2 Yol.
^ Tomes 15 à 17. Histoire de France an XYin* siècley jusqu'à la RéYO-
lution française :
La Régence. 1 yoI.
Louis XV et Louis XVL 2 yoI.
Histoire de la Rêyolution française. 6 beaux yoL in-8*. 36 •
Histoire du xix« siàole. 3 yoI. in-8* • 18 •
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HISTOIRE
DE FRANCE
PA.R
J. MICHELE!
XVU' SIÈCLE — RICHEUEU ET LA FRONDE
MODTBLLB ÉDITION, REVDB ET AUGHBMT&B
TOME DOUZIÈME
LIBSAIBIE INTERNATIONALE
A. LACROIX ET C". ÉDITEURS
13, PAUBOUBO UOMTIUBTIUI, 13
HISTOIRE
DE FRANCE
AU IVIl- SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
La goene de Trente ans. — Les marches d*hoinmes.
JàŒ bonne aventure.
L'histoire humaine semble finie quand on entre dans la
guerre de Trente ans. Plus d'hommes et plus de nations,
mais des choses et des éléments. Il faut raconter barbare-
ment un âge barbare, et prendre un cœur d'airain, mettre
en saillie ce qui domine tout, la brutalité de la guerre, et
son rude outil, le soldat.
Il y avait trois ou quatre marchés de soldats, des comp-
toirs militaires où un homme désespéré, et qui ne voulait
plus que tuer, pouvait se vendre.
I<* L'ancien marché de TEst, ou de Hongrie, des mar-
ches turques. Le vieux Betlem Gabor, qui avait pris part
à quarante-deux batailles rangées, se maintenait contre
deux empires par la double force d'une résistance natio-
ZII. i
3 LA GUERRE DE TRENTE ANS.
nale et des aventuriers de toute nation. Tous les costumes
de guerre, les déguisements par lesquels on essaye de se
faire peur les uns aux autres, ont été trouvés là. Le mons-
trueux bonnet à poil pour rivaliser avec Tours, l'absurde
et joli costume du hussard qui porte des fourrures pour ne
pas s'en servir, et, pour sabrer, jette la manche aux vents,
toutes ces comédies, fort bien imaginées contre la terreur
turque^ furent partout servilement copiées dans les lieux
et les circonstances qui les motivent le moins.
Au total, la Hongrie, le Danube, étaient la grande école,
le grand enrôlement de la cavalerie légère. Là, point de
solde et point de vivres, une guerre très-cruelle, nulle loi,
rinfini du hasard, le pillage, la bonne aventure.
%"* Exactement contraire en tout était le petit marché de
la Hollande. Peu d'hommes, et très-choisis, très-bien
payés et bien nourris. Une guerre lente, savante. Le plus
souvent il s'agissait de sièges. On restait là un an, deux
ans, trois ans, le pied dans Teau, à bloquer scientifique-
ment une méchante place. Il fallait la vertu de nos réfugiés
huguenots, ou l'obstination britannique des mercenaires
d'Angleterre et d'Ecosse qu'achetait la Hollande, pour en-
durer un tel ennui. Plusieurs eussent mieux aimé se faire
tuer. Mais ce gouvernement économe ne le permettait pas.
11 leur disait : « Vous nous coûtez trop cher. »
3o Ceux qui ne possédaient pas ce tempérament aqua-
tique perdaient patience, et s'en allaient aux aventures du
Nord. Ainsi fit un certain La Gardie, de Carcassonne,
homme d'un vrai génie, qui, ayant su, par les Coligny, les
Maurice, tout ce qu'on savait alors, alla s'établir en Suède,
et sur le vaste théâtre de Pologne et de Russie, trouva la
grande guerre, la haute et vraie tactique. Son fils forma
Gustave- Adolphe.
4o Enfin, le grand, l'immense, le monstrueux marché
d'hommes, était l'Allemagne, lequel marché, vers 4628,
faillit absorber tous les autres et concentrer tout ce qu'il y
LES MARCHÉS d'HOMMES.
avait de soldats en Europe^ de tout peuple H toute reli-
gion.
Danger épouvantable. Si cela s'était fait, il n'y avait
nulle part à espérer de résistance sérieuse. C'est ce qu'a-
vait très-bien calculé le spéculateur Waldstein, qui ouvrit
ce marché. Les anciens condottieri avaient fait cela en pe-
tit; plus récemment le Génois Spinola, sous drapeau es-
pagnol, fit la guerre à son compte. Waldstein reprit la
chose en grand, avec ce raisonnement bien simple : Si j'ai
quelques soldats, je puis être battu; mais, si je les ai tous,
je ferai la guerre h coup sûr, n'ayant affaire qu'aux non-
soldats, aux paysans mal aguerris, aux moutons... Et j'au-
rai les loups 1
Maintenant quel fiit donc le secret de ce grand mar-
chand d'hommes, de ce puissant accapareur, l'appât qui
leur faisait quitter les meilleurs services et les mieux
payés, le gras service de la Hollande? Comment se faisait-
il que toutes les routes étaient couvertes de gens de guerre
qui allaient se vendre à Waldstein? Quels furent ses attraits
et ses charmes pour leur plaire et les gagner tous, les atta-
cher à sa fortune?
C'était un grand homme maigre, de mine sinistre, de dou-
teuse race. 11 signait Waldstein pour faire le grand seigneur
allemand. D'autres l'appellent Waltenstein, Walstein. Sa
téta ronde disait : « Je suis Slave. » Tout était double
et trouble en lui. Ses cheveux demi-roux l'auraient ger-*
manisé, si son teint olivâtre n'eût désigné une autre ori-
gine. Il était né à Prague, parmi les ruines, les incendies
et les massacres, et comme une furie de la Bohême pour
écraser l'Allemagne. Quand on parcourt ce pays volcani*
que, ses roches rouges semblent encore trempées de sang.
De telles révolutions tuent l'âme. Celui-ci n'eut ni foi ni
Dieu; il ne regardait qu'aux étoiles, au sort et à l'argent.
Protestant, il se convertit pour une riche dot, qu'il réalisa
en fausse monnaie d'Autriche, et acheta pour rien des con-
4 LA GUERRE DE TRENTE ANS.
fiscationSy puis des soldats, des régiments, des corps d'ar-
mée, des armées. L'avalanche allait grossissant.
Sombre, muet, inabordable, il ne parlait guère que pour
desordres de mort, et tous venaient à lui. Miracle?... Non,
la chose était naturelle.. Il établît le règne du soldat, et lui
livra le peuple, biens et vie^ âme et corps, hommes, fem-
mes et enfants. Quiconque eut au côté un pied de fer fut
roi et fit ce qu'il voulut.
Donc, plus de crimes, et tout permis. L'horreur du sac
des villes, et les affreuses joies qui suivent lassaut, re-
nouvelés tous les jours sur des villages tout ouverts et des
familles sans défense. Partout l'homme battu, blessé, tué.
La femme passant de main en main. Partout des cris, des
pleurs. Je ne dis pas des accusations. Comment arriver à
Waldstein, inaccessible dans son camp? Le spectre était
aveugle et sourd.
Les âmes furent brisées, aplaties, éteintes, anéanties.
Quand le roi de Suède vint venger l'Allemagne et voulut
écouter les plaintes, il trouva tout fini. Ces gens, pillés,
battus, outragés, violés, dirent que tout allait bien. Et per-
sonne ne se plaignait plus 1
Un fort bon tableau hollandais qui est au Louvre montre
aux genoux d'un capitaine en velours rouge une miséra-
ble paysanne qui a Tair de demander grâce. Elle a le teint
si plombé et si sale, elle a visiblement déjà tant enduré,
qu'on ne sait pas ce qu'elle peut craindre. On lui a tué
son mari, ses enfants. Eh! que peut-on lui faire? Je vois
là- bas au fond des soldats qui jouent aux dés, jouent quoi?
La femme peut-être, l'amusement de la faire souffrir. Elle
a encore une chair, la malheureuse, et elle frisonne. Elle
sent que cette chair, qui n'est plus bonne à rien, ne peut
donner que la douleur, les cris et les grimaces, la comédie
de l'agonie.
Le pis, dans ce tableau funèbre, c'est que ce capi-
taine, enrichi par la guerre et en manteau de prince, n a
LBS MARCHÉS D'HOHMSS. 5
l'air ni ému ni colère. 11 est indifférent. Il me rappelle
un mot terrible par lequel Richelieu, dans son portrait de
Waldstein, termine Téloge qu*il fait de cet homme diabo-
lique : « Et avec cela, point méchant. »
Waldstein fut un joueur. Il spécula sur la furie du
temps^ celle du jeu. Et il laissa le soldat jouer tout, la vie,
rhonneur, le sang. C'est ce que vous voyez dans les noirs
et fumeux tableaux de Valentin, de Salvator.
Sort, fortune, aventure, hasard, chance, ce je ne siis
quoi, cette force brutale qui va sans cœur, sans yeux, voilà
l'idole d'alors. Le dieu du monde est la Loterie.
« Il est des moments, dit Luther, où Notre-Seigneur a
l'air de s*ennuyer du jeu et de jeter les cartes sous la
table. V
Waldstein réussit justement parce qu'il fut la loterie
vivante. Il se constitua l'image du sort. Pour rien il faisait
pendre un homme ; mais pour rien il le faisait riche. Selon
qu'il vous regardait, vous étiez au haut, au bas de la roue ;
vous étiez grand, vous étiez mort. Et voilà aussi pourquoi
tout le monde y allait. Chacun voulait savoir sa chance.
La loterie proprement dite, aussi bien que les cartes,
nous étaient venues d'Italie. Les gouvernements italiens
étaient généralement des loteries où les noms mis au sac,
imbursati^ jouaient aux magistratures. La ville de l'usure,
de la grosse usure maritime. Gènes, imagina la première
de mettre sur ces bourses d'élections des lots d'argent que
l'on tirait. De là des fortunes subites, des ruines aussi, de
grosses pertes, des batailles financières, des morts et des
suicides de gens qui survivaient^ mais pauvres, non plus
hommes, mais ombres^ des millionnaires devenus facchini;
comme un carnaval étemel ; bref, une société mouvante,
et toute en grains de sable, que la Fortune d*un souffle
drolatique s'amusait à souffler sans cesse, à faire lever,
baisser, tourbillonner.
François I*', qui rapporta plusieurs maladies d'Italie,
6 LÀ eOBRAB DI TRENTE JLNS.
n'oublia pas celle-là. Il trouva la loterie d'un bon rapport,
et l'établit en .France. Mais, à tpart l'intérêt du .fisc, elle
répondait à un besoian de cette société. La grande loterie
du bon plaisir se tirant en haut pour les .places, le caprice
des dames faisant les généraux, .les juges et les évèqves,
il était bien juste que les petits aussi eussent lesamuse-
ments du hasard, l'émotion des surprises, la facilité de se
ruiner.
Un mot entre alors dans la langue, un titre qui Tait pas-
ser partout et qui tient lieu de tout, gui dispense de tout
autre mérite : Un beau joueur. Les, portes s'ouvrent toutes
grandes à celui qu'on annonce ainsi. Des aventuriers
étrangers entrent par là, sou^vent sans esprit, sans ialent,
même grossiers, mal faits, malpropres et malotrus. Le
joueur d'Henri IV, sa partie ordinaire, est un gros Portu-
gais ventru, le sieur de Pimentel, dont le mérite principal
est de voler au roi cent mille francs ^par soirée. C'est en-
core là un des mérites du faquin Goncini. Son audace hé-
roïque à jouer ce qu'il n'avait pas étonna et charma la
reine presque autant que sa grâce équestre, son talent
de voltige. Dans la Fronde, un valet, Gourville, marche de
front avec tous les seigneurs, lit la grande Xortune d'alors
est celle d'un fripon de Calabre, fils du.fripon.Mazarino.
Le général bigot Tilly, ie tueur de la Guerre de Trente
ans, entre ses messes et ses jésuites, n'est pas tellement
dévot à la Vierge Marie, qu'il ne -songe encore plus à cette
fille publique, la Fortune. Au «moment solennel où il lui
faut marcher contre Gustave-Adolphe,. quel xnot lui vient
à la bouche? où prend-ii son espoir? « La guerre est un
jeu de hasard I Le gagnant veut gagner, s'acharne; le
perdant veut regagner, «'acharne aussi. JEnfin, tourne la
chance ; le gagnant perd son gain, jusqu'à sa .première
mise. » C'était là son augure, pour croire qu'il vaincrait .le
vainqueur.
L'homme le plus sérieuK du temps, le calculateur poli-
LES MARCHÉS d'hOMMES. 7
tique qui s'efforça de ne remettre que peu à la Fortune,
Richelieu cependant semble envisager la vie en général,
comme un jeu de hasard, f La vie de l'homme, dit-il,
surtout celle d'un souverain, est bien proprement com-
parée à un jeu de dés, auquel, pour gagner, il faut que le
jeu en die, et que le joueur sache bien user de sa chance. »
Lui-même, entraîné par la force des circonstances hors
des voies de réforme qu'il avait jannoncées en 1626, jeté
dans les dépenses énormes du fatal siège, et d'une armée,
d'une marine indispensables, où allait-il? qu'espérait-il?
Il jouait un gros jeu. L'affaire de la Rochelle aurait man-
qué, faute d'argent; elle tint à un fil. Richelieu, au der-
nier moment, emprunta un million en son nom et sur sa
fortune. Son passage des Alpes, dont nous allons parler,
iur«it manqué aussi, et il serait resté au pied des monts,
s'il n'eût encore trouvé au moment des ressources impré-
vues. Bref, il était lancé dans l'aventure, dans les hasards
d'une roulette M il mettait surtout sa vie.
CHAPITRE II
i
La sHutUoD de Riehelien. i0i9.
La grande victoire catholique sur la Rochelle et ThérA-
sie fut fêtée à Paris d'un triomphe païen. Selon le goût
allégorique du siècle, Richelieu exhiba Louis XIII déguisé
en Jupiter Stator, tenant à la main un foudre doré.
Que menaçait le Dieu, et qui devait trembler? l'Espagne
apparemment, rAutriche. L'Empereur voulait nous ex-
clure de la succession de Mantoue, nous fermer l'Italie.
Et l'Italie, Venise, Rome, dans lattente terrible des ban-
des impériales, criait à nous, nous appelait, envo]fait
courrier sur courrier.
Donc Louis XIU allait lancer la foudre, mais on pou-
vait se rassurer. Ce maigre Jupiter à moustaches pointues,
s'intitulant Stator (qui arrête), disait assez lui-même qu'il
ne voulait rien qu'arrêter, qu'il n'irait pas bien loin, s'ar-
rêterait aussi bien que les autres, et foudroierait modéré-
ment, jusqu'à un certain point.
Le foudre était de bois. 11 y manquait les ailes dont
l'antiquité a soin de décorer celui de Jupiter. Ces ailes
aujourd'hui, c'est l'argent. Le déficit énorme, accusé en
4626, l'aggravation d'emprunts faits pour le siège, sem-
blaient rendre impossible le secours d'Italie. Chaque effort
LA SITUAIION DB RIGHBLIBD. 9
de ce genre demandait un miracle, un coup de génie. Et
encore, les miracles n'eurent pas d'effet quant au but
principal. Gustave- Adolphe le dit et le prédit à notre am-
bassadeur, qui faisait fort valoir la puissance de son
maître : « Vous ne pourrez sauver Mantoue. »
L'histoire de Richelieu est obscure quant au point essen-
tiel, les ressources, les voies et moyens. De quoi vivait-il,
et comment? on ne le voit ni dans les mémoires ni dans
les pièces. Un ouvrage estimable, qu'on vient de publier
sur son administration, et qui s'étend fort sur le reste, ne
dit presque rien des finances. Comment le pourrait-il?
Tout ce qu'on a des comptes de Richelieu (3 vol. manu^
scritSf BibLy fonds S. G. 354-355-356) ne comprend que
quatre années (1636-38-39-40), et donne fort confusé-
ment les recettes ordinaires, poussées à 80 millions. Pas
un mot de l'extraordinaire.
En 4636, quand la France fut envahie, on créa (ou plu-
tôt on régularisa) la taxe des gens aisés^ et les intendants
mis partout en 4637, avec triple pouvoir de justice, police
et finances, la levèrent en toute rigueur. Mais on ne peut
douter que bien auparavant quelque chose d'analogue
n'ait existé, surtout dans les passages d'armées par cer-
taines provinces. Autrement, on ne peut comprendre
comment, avec un tel déficit sur Tordinaire, on put faire
chaque année des dépenses (de guerres ou de subsides
aux alliés) extraordinaires et imprévues.
De là une action variable, intermittente, quelques
pointes brillantes, et des rechutes pour cause d'épuise-
ment. On ne pouvait avoir une armée vraiment perma*
nente. Cela est frappant en 4629, quand Richelieu finit
l'afbire des huguenots; mais, celle d'Italie restant en
pleine crise, il licencie trente régiments pour en lever
d'autres six mois après. De même en 4636, il licencie sept
régiments en janvier « pour les refaire en juin. » Économie
de cinq mois, forcée peut-être, mais qui faillit perdre la
40 LA SITUATION Dfi BICHELIEU.
France; en juillet, rien n'était refait, et Tennemi arriva à
vingt lieues de Paris.
La souffrance du grand homnie d'affaires qui menait
cette machine poussive à mouvements saccada devait
être cruelle. Et Ton comprend très-bien qu'il fût toujours
malade. L'insuffisance des ressources, l'effort continuel
pour inventer un argent impossible, d'autre part, l'intri-
gue de cour et je ne sais combien de pointes d!invisibles
insectes dont il était piqué, c'était de quoi le tenir dans
une agitation terrible. Mais ce n'était pas assez encore ;
vingt autres diables hantaient cette âme inquiète, comme
un grand logis ravagé, la guerre des femmes, la galanterie
tardive, plus la théologie et la rage d'écrire, de faire des
vers, des tragédies!
Quelle tragédie plus sombre que sa personne même î
Auprès, Macbeth est gai. Et il avait des accès de violence
où ses furies intérieures l'eussent étranglé, s'il n eût,
comme Ilamlet, massacré ses tapisseries à coups de poi-
gnard. Le plus souvent il ravalait le fiel et la fureur, cou-
vrait tout de respect, de décence ecclésiastique. L'impuis-
sance, la passion rentrée, s'en prenaient à son corps; le
fer rouge lui brûlait au ventre, lui exaspérait la vessie, et
il était près de la mort.
Son plus grand mal encore était le roi, qui, d'un mo-
ment à l'autre, pouvait lui échapper. L'Espagne, la cour,
attendaient la mort de Louis XllI. Sa femme, son frère,
chaque matin, regardaient son visage et espéraient. Valé-
tudinaire à vingt-huit ans, fiévreux, sujet à des abcès qui
faillirent l'emporter en 1630, il avait beau se dire en vie,
agir parfois et montrer du courage, on soutenait qu'il était
mort, du moins qu'il ne s'en fallait guère.
C'était un curieux mariage de deux malades. Le roi au-
rait cru le royaume perdu, si Bicheiieu lui eût manqué.
Et Richelieu savait que, le roi mort, il n'avait pas fleux
jours à vivre. Haï tellement, surtout du frère du roi, il de-
LA SITUATION DE AICH£UEU« U
vait s'arraqger paiir mourir avec Louis XIII. Et c'est par
là peut-être qu'il plaisait le ,plus au roi, triste, défiant et
malveillaot, et qui ne l'aimait guère, mais qui toujours
pouvait se dire* « Si je meurs, cet homme est pendu. »
Celte double chance de mort où ses ennemis avaient
leur espoir fut justement ce qui le rendit fori et terrible. U
avait des moments où il parlait et agissait comme en pré-
sence de la mort; et alors le sublime qu'il cherche si la-
borieusement ailleurs arrivait de lui-même.
Il y touche, en réalité, dans tels passages de l'allocution
qu'il tint au roi au retour de la Rochelle, par-devant ses
ennemis^ la reine mère et le confesseur du roi, le douce-
reux jésuite Suifren.
U y dit tout, sa situation vraie, ce qu'il a fait et ce qu'il
a reçu, ce qu'il possède, ce qu'il a refusé. U a de patri-
moine vingt-cinq mille livres de rente, et le roi lui a donné
six abbayes. U «est obligé à de grandes dépenses, surtout
pour payer des gardes, étant entouré de poignards. U a
refusé vingt mille écus de pension, refusé les appointe-
ments de l'amicauté (iOi,OOÛ francs), refusé un droit d'a-
miral (cent mille écus), refusé un .million que les fmancieos
lui offraieot pour ne pas être poursuivis.
Jl demande saretraite, .non définitive, mais momenta*
née,; on le rappeUera plus tard, s'il est encore vivant et ai
on a besoin de lui. Il explique très-bien qu'il est en^rand
danger, et qu'il a ^oin de se mettre quelque Xamps à
oouvert. Veut-il se rendre nécessaire, se constater indis-
pensable^ et s'assurer d'autant mieux le pouvoir? Si son
but est tel, on doit dire qu'étrange est la méthode, bien
iéméffaire. U parle avec la franchise d'un homme qui' n'a
rien à ménager. 11 ose donner à son maître, peut-être
comme dernier service, l'énumération des défauts dont le
roi doit se corriger. Et oe n'est pas là une de ces satires
flatteuseB où l'on montre un petit défaut, une ombre, un
repoussoir habile pour Caire valoir les beautés du portrait.
42 LA SITUATION DB RICHELIEU.
Non, c*est un jugement ferme et dur, fort étudié, comme
d*un La Bruyère, d*un Saint-Simon qui fouillerait à fond
ce caractère cent ans après, un jugement des morts, et par
un mort. Promptitude et légèreté, soupçons et jalousie,
nulle assiduité, peu d*application aux grandes choses,
aversions irréfléchies, oubli des services et ingratitude. II
n'y manque pas un trait.
La reine mère dut frémir d*indignation, et aussi de ter-
reur peut-être, sentant que l'homme qui osait une telle
chose oserait tout; et que, si ferme du haut de la mort, il
comptait peu la mort des autres.
Le jésuite dut tomber à la renverse, s'abîmer dans le
silence et l'humilité.
Le roi sentit cela, et le reçut comme parole testamen-
taire d'un malade à un malade, et d'un mourant à un
mourant.
Richelieu, prié, supplié, resta au ministère. 11 était dif-
ficile qu'il se retirât en pleine crise. La guerre des hugue-
nots durait en Languedoc, et la guerre dltalie s'ouvraiL
Richelieu, appelé par lé pape, autant que par le duc de
Mantoue, avait là une belle chance, qui pouvait le sortir
de tous ses embarras. Vainqueur de la Rochelle, s'il sau-
vait l'Italie, il devait espérer que le pape le nommerait en
France légat à vie, comme l'avaient été Wolsey et Georges
d'Amboise. Vrais rois et plus que rois, puisqu'ils unirent
les deux puissances, temporelle et spirituelle.
Les concessions énormes que le pape avait faites sur les
biens ecclésiastiques à l'Espagne, à la Bavière, à TÀutri-
che, qui en usait si mal et qui allait lâcher ses bandes en
Italie, les refuserait-il à celui qui venait le défendre de
l'invasion des barbares? Ces bandes, menées par leurs
soldats, n'auraient pas plus ménagé Rome que celles du
luthérien Frondsberg et du connétable de Bourbon.
La grande question du monde alors était celle des biens
ecclésiastiques. L'événement de TÀIIemagne, cette année,
LA SITUATION DE RIGHELIEa. 43
c*est YÈdit de restUxUion^ qui les transmet partout des pro-
testants aux catholiques. En France, le clergé, le seul
riche, ne donnait presque rien . En viendrait-on à le faire
Gnancer malgré le pape ou par le pape? C'était fout le
problème.
Richelieu, très-probablement, en 4626, eut la première
idée. Mais, en 4629, les circonstances changées l'amenè-
rent à la seconde.
11 délaiss^a brusquement la politique gallicane qu'il avait
suivie dans la grande ordonnance que son garde des
sceaux, Marillac, avait compilée de toutes les ordonnances
gallicanes du xvi^ siècle.
C'est une question débattue de savoir si Richelieu, qui
abandonna cette ordonnance en 4629, l'avait conçue et
provoquée en 4627. Je le croirais. Il ne ménageait guère le
pape alors. Il n'excepta point le nonce de la défense géné-
rale faîte aux particuliers de visiter les ambassadeurs. Le
nonce en jeta les hauts cris ; c'était la première fois qu'on
défendait aux prêtres de communiquer avec l'homme du
pape.
Notez que l'auteur de lordonnance, le garde des sceaux,
Marillac, et son frère, depuis ennemis de Richelieu, étaient
ses créatures, et alors ses agents, à ce point que le frère
fut chargé de l'affaire qui lui importait le plus, la digue
de la Rochelle. On ne peut guère admettre que Marillac
ait fait à cette époque une si importante ordonnance à
l'insu ou contre le gré de son protecteur Bichelieu.
Cette ordonnance aurait été une grande révolution.
Elle fait pour les curés justement ce que fit l'Assemblée
constituante ; elle dote le bas clergé aux dépens du haut.
Elle entreprend de couper court à Therbe fatale et stérile
qui germait partout, d'arrêter Textension des couvents,
la multiplication des moines. On réforme les monastères.
On désarme le clergé en lui défendant de procéder par
censures contre les juges laïques. On ordonne aux juges
44 LA SITUATION DE BICHELIEU.
d'église de procéder en français. — Dans un acte du même
temps, Richelieu, sans oser retirer au clergé les registres
de morts, naissances et mariages, lui adjoint des contre-
leurs laïques, qui, de leur côté, publieront les bans à tu
porte des églises.
Que devait attendre Richelieu de son ordonnance galli-
cane? Qu'apparemment les gallicans, pleins d'enthou-
siasme, les parlementaires saisis de reconnaissance, se
déclareraient pour lui, et qu'à la faveur de ce beau mou-
vement il entrerait aux Hespérides qui avaient fait tout
le rêve du xvr siècle, la participation de l'État aux biens
ecclésiastiques.
Mais, en réformant le clergé, il entreprenait aussi de
réformer la justice. Opposition des parlements. Résis-
tance des gallicans au projet le plus gallican.
Richelieu, à ce moment, était au comble de la gloire.
En réalité, la victoire lui appartenait à lui seul. Il avait
vaincu non-seulement la Rochelle et les huguenots, mais
les ennemis des huguenots, la cour, les parlements, les
grands seigneurs, la reine mère. Tous l'avaient poussé à
la chose, et tous l'y avaient délaissé. Le clergé même, en
cette guerre qui était proprement la sienne, donna peu,
et recula vite. Les saints, le trop ardent Bérulle, qui, par
visions, prophéties, par raisons et par déraisons, avaient
travaillé dix ans la croisade, l'entravèrent précisément
quand elle fut engagée.
Nos jésuites français, qui d'abord attaquaient Richelieu
(par le fou Garasse), de concert avec ceux de Vienne, se
rattachèrent bien vite à lui, au succès et à la victoire. La
haute direction du Gesù de Rome vit sans peine cette dis-
sidence apparente de l'ordre, et trouva bon d'avoir des
jésuites dans les deux camps, chez l'Empereur et contre
l'Empereur. Ceux d'Autriche guerroyèrent avec l'épée
impériale et inondèrent l'Allemagne de sang. Ceux de
France conquirent pacifiquement, avec l'appui de Riche-
Là situation de RICHELIEU. 45
lieu ; ils confessèrent et enseignèrent partout. Il étrangla
pour eux la défaillante université de Paris.
Nos jésuites, moins guerriers d'action que ceux d'Aile -
magne, Tétaient autant d'esprit. L'âme d'Ignace, roma-
nesquement aventurière autant que patiente et rusée,
vivait toujours dans Tordre. Plusieurs^ dans leurs cham-
brettes de la maison professe rue Saint-Antoine, créaient
des flottes, des armées sur papier. D'autres, au grand
collège de la rue Saint Jacques, la verge en main, faisaient
la guerre aux hérétiques absents, sur le dos de leurs éco-
liers. Rome répondait peu à cette ardeur guerrière. Sa
piètre politique de neveux ne menait pas à grand'chose.
Quand Sixte-Quint lui-même avait pris de si mauvaise
grâce l'invincible Armada, que pouvaient espérer ces bel-
liqueux Jésuites du Barberino Urbain Yill et des neveux
Barberini? Richelieu, au contraire, après le coup de la
Rochelle, était exactement Tidéal, le messie de leur désir,
le prêtre militant, le prêtre cavalier, n'ayant d'aides de
camp que des prêtres, et pour arrière-garde et réserve
mettant partout des régiments jésuites. Par lui, ils firent
leur entrée triomphale à la Rochelle, plus tard dans toutes
les villes huguenotes de Languedoc et de Poitou. Il les
fourra aux armées mêmes, « pour donner des remèdes et
des bouillons aux soldats. »
11 s'imaginait avoir conquis Tordre. A tort. Les jésuites
confesseurs du roi furent presque toujours contre lui.
Dans les jésuites écrivains, il eut quelques fanatiques, qui
l'auraient voulu à tout prix chef de TÉglise de France ,
légat du pape à latere, à \ie. Un ou deux poussèrent si
loin cette passion, qu'ils écrivirent que Paris pouvait avoir
un patriarche, aussi bien que Constantinople (1638).
Vers 1629, tous les ordres religieux, moins un (l'Ora-
toire, créé par Bérulle), semblaient ralliés au cardinal
ministre. Les carmélites elles-mêmes, amenées ici et diri-
gées par Bérulle, à sa mort, prièrent Richelieu d'être leur
46 LA SITUATION DE RICHELIEU.
protecteur. H devint en réalité celui des bénédictins de
Cluny, de Citeaux, de Saint-Maur; celui des Prémontrés.
Il s'occupait très-spécialement des Mendiants, des Domi-
nicains et des Carmes, les favorisait fort dans leurs affaires.
Plusieurs de ses meilleurs espions, aux crises décisives,
lui furent fournis par ces deux derniers ordres.
Grande tentation pour un ministre si attaqué, si menacé,
à qui les fonds manquaient pour organiser l'a police, que
de trouver dans tous ces moines une police oflScîeuse !
Partout, leur confessionnal devint pour Richelieu un vrai
trésor d'informations.
Les ordres voyageurs, ceux qui, sous vingt prétextes
(mendicité, prédication, missions, etc.), couraient, rô-
daient, vaguaient, étaient les diverses familles encapu-
chonnées de saint François, Mineurs, Minimes, Capucins.
En eux, il trouva des agents pour les affaires extérieures,
pour son espionnage d'Espagne, de Méditerranée. Le
chef de cette administration équivoque était le fameux
Du Tremblay, le capucin Joseph, vieilli dans la diplo-
matie , homme très - dangereux , qui servit longtemps
Richelieu, mais qui faillit le perdre. 11 avait le goût, le
talent de la police ; tous les espions lui rendaient compte,
et par son frère, gouverneur de la Bastille, le capucin avait
sous la main les prisonniers d'État. Sans admettre la part
exagérée que ses biographes lui donnent dans la destinée
de Richelieu, il est certain que Joseph avait contribué à
son élévation, et qu'il eut longtemps sous lui un grand
pouvoir. Les apparences pauvres et austères du capucin
imposaient fort à la simplicité de Louis XIII, qui même lui
confia quelquefois ses petites affaires personnelles. Riche-
lieu , dont les mœurs furent souvent attaquées , tirait
quelque avantage de cette couleur monastique d'un gou-
vernement de capucins, et par-devant l'Europe catho-
lique et surtout près du roi.
Dès 1625, Joseph fut l'auxiliaire de Richelieu, vivant
LA SITUATION DE RICHELIBO. 47
dans son palais^ et dans son appartement même. En 4634,
il fut tout à fait sous-ministre, ayant quatre capucins pour
chefs des quatre divisions de son département.
Le curieux, c*estque ce politique avait eu pour vocation
primitive IMdée d'une poétique croisade d*Orient, qu'il fit
du moins en vers, sous le titre baroque de la Turciade,
La croisade eût été exécutée par un nouvel ordre de che*
Valérie, qui, chemin faisant, eût conquis rAUemagne.
Toute cette chevalerie aboutit à une simple mission de
capucins espions, que dirigeait le pare Joseph vers l'Orient
et dans tous les pays ennemis de la maison d'Autriche.
Par une alliance bizarre de tendances contradictoires ,
sous rhomme de police, il restait du poète, du rêveur
chimérique. Le père Joseph avait grande confiance dans
un fou de génie, le dominicain de Calabre, Campanella,
qui, tenu vingt-sept ans dans les prisons espagnoles de
Naples, écrivit là sa Cité du soleil, plan de communisme
ecclésiastique. Campanelia, élargi en mai 4626, mais
toujours en danger et poursuivi des Espagnols, fut révéré
des nôtres comme ennemi capital de TEspagne, et comme
oracle d'une politique nouvelle, plus hardiment machia-
vélique que Machiavel. Il se mêlait aussi d'astrologie.
Quand Richelieu fut près de marier Monsieur à mademoi-
selle de Montpensier (origine première de la grande for-
tune des maisons d'Orléans), il hésitait^ sentant qu'un tel
colosse de propriété ferait ombre au trône même et divi-
serait la France. Le père Joseph, dit-on, obtint de lui de
consulter Campanelia, alors à Rome. Et l'oracle aurait
répondu : Non guslabii imperium in xlernumy II ne sera
pas roi de toute l'éternité.
Richelieu dit que Campanelia lui fit donner en 4631 un
avis essentiel à sa sûreté. Il vint en France en 4635. 11 y
vécut trois ans dans son cloître des Jacobins de la ruê^
Saint-Honoré, et y fut visité, consulté de Richelieu, pio-
bablement vers 4638, au moment où le ministre aux abois
XII. S
48 LA SITUATION DB RIGHBUSU.
sembla près de se jeter dans une politique révolation-
naire.
Mais tout cela est loin encore, et c'est à tort qu'on
montre le cardinal comme déjà entré dans ces idées auda-
cieuses dix ans plus 46t, en 4628. Vainqueur de la Ro-
chelle à cette époque, très-vivement adopté des moines^
comptant être légat (pour prix de la campagne qui allait
sauver Tltalie), il fut réellement et sincèrement dans une
politique catholique. Le chef qu'il eût voulu à l'Allemagne,
c'était le catholique duc de Bavière, s'il avait pu l'opposer
k l'Autriche. Il fallut deux années pour qu'il se décidât a
l'alliance du protestant Gustave, qui servit de prétexte à
Rome pour lui refuser tout. La politique qu'il suivit ces
deux ans, malgré l'éclat do deux pointes brillantes en
Italie, n'aboutit pas. Le Bavarois craignait trop de se
compromettre. Et la prophétie de Gustave- Adolphe finit
par se vérifier : « Vous ne pourrez sauver Mantoue. >
CHAPITRE III
Là Franee ne peQl sasTar Maotoue.* i629-i630.
L'éclipsé de la France, pendant deux ans qu'elle passa
en maçonnage à murer la Rochelle, profita à nos ennemis.
Le Danois et la ligue protestante succombèrent. Le vieux
chef héroïque des marches turques, Bethlem Gabor, mou-
rot bientôt. Leurs meilleurs hommes passèrent, des deux.
armées dissoutes, dans Tarmée impériale. L'Espagne,
notre alliée menteuse qui daignait nous tromper en i 627,
n'en prend même plus la peine. De concert avec TEmpe-
remr, elle travaille à force ouverte à déposséder un Fran-
çais, le duc de Nevers, très-légitime héritier de Mantoue
et du Montferrat .
Petits pays, mais grandes positions militaires. La seconde
(et sa forteresse Casal)^ une clef des Alpes. La première, je
veux dire Mantoue, la capitale des Gonzague, Tune des
plus importantes places fortes de TEurope, couvrait à la
ois le pape, la Toscane et les Vénitiens. Le déluge bar-
bare des armées mercenaires qui, d'un moment à l'autre,
pouvait inonder lltalie, devait d'abord heurter Man-
toue, renverser cette digue. Ajoutez, ce qu'on ne voit
guère dans les places fortes, que celle-ci, sous les Gon-
zague, profitant de toutes les ruines, abritant les arts
fugitif, concentrant les chefs-d'œuvre ainsi que les
20 LA FBANGE NB PEUT SAUTER MANTOUE.
richesses, était devenue un trésor, un musée; c'était, avec
Venise, ie dernier nid de l'Italie.
L'Espagne avait certes le temps et la facilité de prendre
Casai et Hantoue. Richelieu et ie roi étaient à la Rochelle.
Et qui était au Louvre en 4628? Qui régnait effectivement?
L'intime alliée de TEspagne, la reine mère, son conseiller
BéruUe, qui voulait qu'on livrât Casai. Ajoutez la jeune
reine espagnole, Anne d'Autriche, Vinamorata de Buckin-
ghani, galante et naresseuse, que ses dames intrigantes
avaient mise pourtant dans la coalition d'Espagne et d'An-
gleterre, de Savoie et Lorraine, en 4 627. Les deux reines
étaient pour l'Espagne ; si elles n'osaient agir, elles pou-
vaient paralyser tout.
Richelieu, sans quitter le siège, ni seconder encore di-
rectement le duc de Nevers, avait favorisé ses efforts
personnels. Nevers était parvenu à lever en France douze
mille hommes qu'on lui menait en Italie (août 4628).
"Mais le pieux BéruUe, qui rêvait avant tout un bon accord
entre le roi catholique et le roi très-chrétien^ craignit
qu'un succès de Nevers ne fâchât trop les Espagnols et
n'empêchât la paix. 11 fit écrire par la reine mère à Cré-
qui, gendre et successeur du roi du Dauphiné (Lesdi-
guières), de faire manquer l'expédition. Créqui refusa les
vivres et les facilités que Nevers espérait. La désertion se
mit dans cette armée trahie. Elle fut surprise à la fron-
tière par les Espagnols et le Savoyard, beau-frère de
Louis XliL Bref, elle rentra, se débanda. Richelieu n'y
put rien. La Rochelle le tint jusqu'en novembre. Tout fut
remis à l'autre année.
Ainsi Marie de Médicis donna une année à 1 Espagne
pour écraser la France en Italie.
Richelieu, revenu si fort, fut prié par le roi de rester au
pouvoir; la reine mère ne souffla mot. Elle attendit qu'il
fût aux prises en Italie pour agir encore par derrière. Il
l'avait bien prévu, compris qu'on empêcherait tout, s il
LA FRANCS NE PEUT SAUVER MANTOUE. 94
n'emmenait le roi avec lui. Il l'enleva, pour ainsi dire, le
4 janvier 4629, en plein hiver^ l'enleva seul, sans souffrir
que personne raccompagnât, pas un courtisan, pas un
conseiller qui pût lui travailler l'esprit.
Il remettait beaucoup à la fortune. La peste était sur
toute la route ; le froid très-vif. Si ce roi de santé si faible
tombait malade, quelle responsabilité I Ajoutez que l'ar-
gent manquait. Il n'avait que deux cent mille francs qu'il
envoya de Paris. Est-ce avec cela qu'on nourrit une ar-
mée? Toute sa richesse était le roi. Il supposait que la
présence du roi, son danger personnel à passer les Alpes
en hiver, arracheraient des provinces voisines les secours
nécessaires. Créqui en Dauphiné, Guise en Provence,
devaient tout préparer : Créqui aider le passage des monts,
Guise amener la flotte. Il y eut entre eux une entente
admirable pour ne rien faire, pour obéir, non pas au vou
mais à sa mère, c'est-à-dire à l'Espagne. Les intendants
n'agirent pas davantage. Le parlement de Dauphiné mit
ce qu'il put d'obstacles aux approvisionnements. Point de
vivres, point de mulets, point de canons, point de muni-
tions. Chaque soldat n'avait que six coups à tirer. Et
Richelieu persévéra. Il ramassa le peu qu'il put de vivres,
et se présenta au passage. Il avait deviné d'un sens juste
et hardi que le Savoyard prendrait peur et qu'il n'y aurait
rien de sérieux.
Le fourbe croyait nous amuser. Il était pour nous,
disait-il, mais il lui fallait du temps pour se dégager des
Espagnols. Ce temps, il l'employait à élever des barricades
k Suse, de fortes barricades, large fossé, gros mur.
Derrière, trois mille hommes, bien armés. Une saison
encore très-mauvaise ; partout la neige (6 mars 4629). On
attaqua gaillardement de face ; et, ce qui fit plus d'effet,
c'est que les Savoyards virent derrière eux les pics cou-
verts de montagnards français.
Cela finit tout, et le roi passa. Il envoya dire poliment
22 Li FRANCE m renr s*oykr mahtoïïe.
au duc, son bon parent, qu'il avHÎt été désolé de le battre,
qu'il ne demandait que da passer, d'avoir des vÎTres ea
payant, de pouvoir ravitailler Casai. Ce qui se fit en effet.
L'aRaire surprit l'Europe et fît honneur au roi, qui, de
sa personne et en cette saison, avait frappé ce covp,
tandis qu'aucun roi (moins un, Gustave) ne sortait de son
repos. L'empereur et le roi d'Espagne, par exemide, qiu
guerroyaient toujours, partout et si cruellement, ne bmi-
geaient de leur prie-Dieu.
L'effet moral aurait été très-grand si le roi avait pa
rester en Italie. Mais il n'y laissa que cinq mille hotnmes,
et en sortît. Ce fiirent, au contraire, les impériaux qui ;
entrèrent à ce moment (Si mai 4639]. Ces bandes bar-
bares tant redoutées, contre lesqueDes le pape noss avait
appelés d'avance, ce fut, tout au contraire, notre courte
apparition de six semaines qaî accéléra leur invasion. Ils
saisirent les Grisons, les passages essentiels qui liaient tes
États autrichiens avec le Milanais des Espagnols.
Le roi était rentré en France dès le 28 avril pour
achever la guerre protestante. On concentra cinquante
mille hommes autour de Rohan aux abois, qui n'en avait
pas douze mille, et qui tomba (3 mai (629) à l'expédient
misérable, criminel, inutile, de conclure avec l'Espagne
un traité d'argent qu'on ne paya point. Les victoires de
l'armée royale se bornèrent au massacre de la garnison
de Privas, qui offrait de se rendre, et qu'on égoi^a. Des
bourgeois mêmes, bon nombre furent pendus, tous dé-
pouillés, leurs biens confisqués. Cet exemple bsrtnre eàt
été répété sur d'antres villes si l'aSâire d'Italie, plue
brouillée que jamais, n'eût donné hfkte de ânir la guerre.
Elle fut conclue le 24 juin 1629, sous la condition de dé-
manteler toutes les villes protestantes.
Richelieu, en quittant le Languedoc, recommanda la
)n. Mais en même temps il établît partout d'ar-
vertisseurs qui suivirent bien peu ce conseil, des
LA fKÀNCE NB PEUT SAUVER MANTOUE. 23
jésuites surtout, des capuciqs. Cette paix victorieuse, ces
fondations de missions, le irent à ce moment Tidole du
parti. Les évéques (une fois il en eut jusqu'à douze) ve-
naient sur toute la route lui faire leur cour, et recon-
naître leur chef et le futur légat.
Tout cela n'empêchait pas les îmrpériaux de réussir en
Italie. En Allemagne, la situation était chaque jour plus
^Brayante. Le Danois n'avait eu la paix qu'en sacrifiani
honteusement ses alliés ; notre envoyé n'y vint que pour
être témoin de ce traité qui désarmait l'Allemagne. Riche*-
lîea se moque de nous en prétendant que ce fut le roi de
France qui eut Vhonmur de cette honte.
On sent ici, comme partout, que ce lent, lourd, prolixe
échafaudage de sagesse diplomatique qui caractérise ses
Mémoires, comme tant d'autres monuments de ce siècle
bavard, n'a rien de sérieux. Un hasard immense plane sur
les choses.
Il obscurcit à force de paroles des faits très-simples,
4fBà sautent aux yeux et dominent tout.
Waldstein grossissait d'heure en heure et ne pouvait
|dii8 s'arrêter. Du Danois détruit, du Hongrois fini, d'im-
lacnses recrues lui étaient venues, et plus qu'il ne pou-
vait nourrir. Son armée, pleine d'armées, allait crever.
Pour allégement, on avait envoyé un corps en Italie, on
eft prêtait un à la Pologne, et on faisait sans cesse filer
des troupes sur le Rhin. La grosse masse restait vers la
Baltique, comme une baleine énorme sur le rivage. Mai3
cette situation ne pouvait pas se prolonger. En mangeant
un pays maagé» on ne trouvait plus rien. Et le grand mar-
chand d'hommes allait être forcé d'être un conquérant,
ou de pérûr. Cette superbe comédie d'un esprit ou d'un
diaUe, invisible et muet, dans ce camp silencieux, il fal-
lait qu'elle finit. IL était resté deux an3 sans rien Caire
^'un siège qui manqua (Stralsund). Il avait eu le temps
d'étudier à fond la Grande Oum^ les étoiles du Nord. La
L
24 LÀ FRA^XE NE PEUT SAUVER MANTOUK.
faim, irrémissiblement, allait le tirer de sa contemplatioD,
et, quoiqu'on dit qu'il voulait passer la Baltique, comme
il n'aurait trouvé là-bas rien à manger que rocs et neiges,
il eût fallu toujours qu'après une pointe en Suède il re-
tombât sur les pays qui pouvaient le nourrir, sur le Rhin,
sur les riches villes impériales, sur Strasbourg et le gras
évéché de Metz qui le menait en France. Un fou bril-
lant, le duc de Lorraine (à qui nos reines envoyèrent un
bonnet de fou), épris de la vie d'aventures, appelait le
fléau sur son pays. Et les scélérats étourdis qui menaient
Monsieur, frère du roi, l'avaient mis en rapport de lettres
avec Yaldstein lui-même, jouant au jeu horrible de ra-
mener en France dans les champs de Chàlons cette armée
d'Attila.
Que faisait la France pendant que les bandes alle-
mandes occupaient Worms, Francfort, la Souabe, puis
les environs de Strasbourg, puis même un fort dans l'é-
vêché de Metz? La France désarmait. Richelieu, en août
4629, licencie trente régiments, faute d'argent apparem-
ment.
Il s'indigne de la démarche qu'on fit faire au rai près
de l'Empereur, pour obtenir de sa bonne grftce l'investi-
ture de Mantoue. Mais cette démarche n'était-elle pascon*
séquente, au moment oii Ton désarmait?
Qu'arriva-t-il ? L'effet du Pas de Suse se trouva telle-
ment perdu, que l'Empereur exigea que le roi, avant de
savoir sa sentence, quittât Tenjeu d'abord, livrât ce qu'il
tenait,. Casai. Et, d'autre part, ceux qui voyaient nos mi-
sérables variations, qui voyaient Richelieu occupé de sa
guerre intérieure contre sa vieille amante Marie de Mé-
dicis, occupé d'apaiser Monsieur à force d'argent, enfin le
pauvre roi pleurant à chaudes larmes entre son ministre
et sa mère, ceux, dis-je, qui voyaient ce tableau d'inté-
rieur^ n'avaient garde de s'avancer pour nous, pour être
abandonnés demain. L'Italie n'osa rien. Le pape n'osa
I
LA FRANCS NB PEUT SAUVER MANTeUE. 95
rien. La Bavière n'osa rien. Et, pas même les Suisses,
pour protéger leurs propres membres, les Grisons. Qui
donc ralentissait les barbares en Italie? La peste seule.
Je dis les barbares, et non les impériaux. Car, avec leur
drapeau impérial, ces bons alliés et cousins de l'Espagne
s'en allèrent tout droit piller la terre d'Espagne, le Mila-
nais. De là, méthodiquement, ils devaient manger les
États vénitiens, le Mantouan, s'assouvir sur Mantoue. Le
duc et Venise, notre pauvre unique alliée, agonisaient de
peur^ et demandaient au roi du moins une parole, la pro-
messe qu'il les défendrait. Le roi ne disait mot.
Richelieu prétend avoir pris de grandes précautions,
mais quelles? I^ Menacer la Savoie pour qu'elle menaçât
l'Espagne. Mais l'Espagne n'eût pu arrêter les barbares ;
2* Pousser la Bavière à organiser contre l'Empereur une
résistance catholique. Mais qu'eût fait l'Empereur? Il
n'eût pu arrêter ni Waldstein vers la France, ni les bri-
gands qui allaient à Mantoue ; 3^ Ménager la paix au
Suédois et le mettre en état d'agir. La Hollande y travaillait
aussi, et une victoire de Gustave sur les Polonais y fit plus
que nos négociations. Une trêve fut signée le 15 septem-
bre 1629. Gustave put dès lors songer à intervenir dans les
affaires d'Allemagne. Ses préparatifs prirent huit mois
(jusqu'en juin 4630). Et, pour huit mois encore, il n'agit
qu'au bord de la Baltique. Donc, les impériaux eurent
plus d'un an pour inonder la France, saccager l'Italie.
Quelles forces avait la France? Six régiments de re-
crues en Champagne (8,000 hommes), et neuf (12,000) de
vieux soldats que Richelieu mena aux Alpes.
Waldstein avait 160,000 hommes, les plus aguerris du
monde; et cela seulement sous sa main. Mais toutes les
bandes campées sur le Rhin, même en Pologne, même en
Italie, lui seraient venues à coup sûr, s'il eût signalé une
grosse proie, comme la France à ravager, le pillage de
Paris.
26 LA FRANGE NB PEUT SAUVER MANTODB.
Aussi, cette fois, le roi resta au nord, et Richelieu,
nommé son lieutenant, alla, connétable en soutane et gé*
néralissime, frapper encore un petit coup aux Alpes. U en
était comme dans ces éducations de prince où, cbaipie
fois que le prince manquait, on fouettait son camarade. Si
TEspagne ou l'Empereur agissaient mal en Italie, on
fouettait le Savoyard qu'on avait sous la main. On se
gardait bien d'aller chercher en plaine des batailles do
Pavîe.
Richelieu improvisa encore Thiver cette campagne avec
une activité, une vigueur admirables. Il y était intéressé.
S*il eût pu cette fois, par quelque moyen indirect, et sans
quitter les Alpes, faire rétrograder les barbares, le pape
lui eût sans doute (il l'espérait du moins) donné ce titre
bienheureux de légat à vie, qui Teût fait roi de TËglise de
France, et consolidé, éternisé dans les ministères. Aussi,
son premier soin, en décembre, avant le départ, fut de
forcer Richer, le célèbre doyen de l'Université, à se sou-
mettre au pape et renier sa foi gallicane. U était îcxri âgé.
Le père Joseph alla, dit-on , pour terroriser le pauvre
homme, jusqu'à la comédie de montrer des poignards, de
dire qu'il fallait signer ou mourir.
Richelieu emmenait, comme hommes d'exécution, des
généraux qu*il ci-oyait sûrs, Montmorency, Schomberg.
Comme le vieux ducde Savoie, notre parent et ennemi, était
toujours la pierre d'achoppement, le cardinal avaitimaginé
d'abréger tout en le prenant au corps, le faisant enlever
dans sa villa de Rivoli. L'affaire manqua par la chevalerie
de Montmorency, qui devait faire le coup et qui avertit le
duc. Alors on fit des sièges, on prit Pignerol, et plus lard
Saluces, deux bonnes petites places. Mais on ne put entrer
bien loin dans l'Italie.
Ce n'était pas ces petits succès-là qui pouvaient sauver
Mantoue, et l'honneur de la France. Nos ainemis étaient
aidés admirablement par la ligue des trois reines, de
a
UL FRANCE NE PEOT SAUVER MANTOUE. 37
France et d'Angleterre. Henriette, de plus en plus mat-
tresse de Charles P% le livrait à TEspagne, lui faisait de-
mander la paix aux Espagnols, dès lors d'autant plus fiers
et plus insolents pour la France. Au Louvre, Marie de
Médicis avait repris son fils, et, lorsque Richelieu obtint
que le roi viendrait à l'armée, Marie et Anne d'Autriche
le suivirent, s'établirent à Lyon, pour ralentir et paralyser
la guerre.
Le prétexte des reines était très-bon. Elles craignaient
pour la vie du roi. Une peste épouvantable avait éclaté en
Italie (celle que Manzoni peint dans les Promesi Sposi),
Elles priaient, suppliaient le médecin Bouvard de garder
son malade contre Richelieu qui l'entraînait. Louis XIII
poussa à Chambéry, à Saint -Jean de Maurienne ; la Savoie
fut prise, comme toujours. Mais tout cela ne sauvait pas
ritalie. Les reines et le conseil, leur homme, le garde
des -sceaux Marillac, vieux dévot, amoureux, qui tradui-
sait Y Imitation et couchait avec la Fargis (la confidente
d'Anne d'Autriche), toute cette cour travailla si bien, que
le roi revint de Savoie. On lui rappela le danger de la
Champagne, danger fort diminué pourtant, Gustave ayant
débarqué le 20 juin en Allemagne et inquiétant les impé-
riaux. N'importe^ avec cela, on fit traîner les choses. L'ar-
mée du roi ne passa en Italie que le 6 juillet, trop tard
pour y rien faire de grand, assez tôt pour apprendre la
prise de Mantoue (48 juillet 4630).
Richelieu rejette sur Venise la faute du honteux et hor-
rible événement. Cependant par deux fois elle avait ravi*
taillé la ville assiégée. Mais qu'était*ce que Venise alors?
et comment lui reproche-t-on de n'avoir pu ce que le roi
de France lui-même ne pouvait? Il y avait fait passer fur-
tivement trois cents hommes. Voilà un beau secours I II
est évident qu'au milieu de la peste et de tant de misères
les nôtres se serrèrent aux Alpes, et n'allèrent pas voir au
visage les vieux soldats, les brigands redoutables, qui
28 LA FRANCE NE PEUT SAUVER MANTOUE.
tenaient Mantoue à la gorge. Les Vénitiens y allèrent,
furent battus, ("était le sort des Italiens. Leurs Spinola,
leurs Piccolomini, leurs Montecuculli, firent, en ce siècle,
la gloire des armées étrangères. Mais, en Italie même, ils
ne pouvaient plus rien, sur cette terre de désorganisation
et de désespoir.
11 y avait quinze mois que les brigands avaient pris
possession de l'Italie, qu'ils mangeaient en long et en
large, sans distinction d'amis ou d'ennemis. Ils avaient
désolé les Alpes des Grisons et la Valteline, cruellement
écorché au passage le Milanais, les États vénitiens; et
alors ils étaient à sucer lentement l'infortuné pays de
Mantoue, la campagne de Virgile. Altringer et Gallas,
deux chefs de partisans, savants maîtres en ruines, qui
déjà avaient longuement pillé l'Allemagne, appliquaient
leurs arts effroyables aux populations plus désarmées
encore de l'Italie. Le paysan endura tout ; les pillages, les
coups et les hontes, et souvent la mort par-dessus, pour
une larme ou pour un soupir. Le grand vengeur des
guerres, la peste, impartiale, était venue ensuite, fauchant
et les uns et les autres, les tyrans, les victimes. Le canjp
barbare se dépeuplait, et d'autre part Mantoue perdit
vingt- cinq mille âmes. Les vivres n'y manquaient plus
pour une population tant diminuée. La peste avait fait
l'abondance. Mais, en revanche , il y avait peu, bien peu
de soldats pour garder son enceinte immense. Le lac cou-
vrait, il est vrai, la ville, et ses longues chaussées étroites
où l'on n'arrive qu'un à un. Mais, le M juillet 1630, les
assiégeants, apprenant que notre armée , le 6, était enfin
en Italie, voyant le roi derrière et croyant (bien à tort)
que ce nouveau François I" irait en plaine se joindre aux
Vénitiens, sortirent de leur torpeur; ils quittèrent leur
camp, un cimetière, pour attaquer l'autre cimetière, qui
était la ville. La nuit, par une belle lune, ils passent en
barques, attaquent sur un point, en surprennent un autre,
LA FRANCE NE PEUT SAUVER MANTOUE. 29
mal gardé. Le duc de Mantoue capitule, se sauve , lui et
sa fille, laisse son peuple.
Y avait-il un peuple encore? Trop nombreux malheu-
reusement. Si les rues paraissaient désertes, c'est que les
familles malades, ou dans Tagouie de la peur, s'étaient
blotties aux greniers ou aux caves , dans les coins des
palais. Les brigands surent bien les trouver. On fit la
chasse aux hommes. Les pauvres généralement avaient
déjà échappé par la mort. Ce furent les riches, les nobles,
des gens heureux longtemps, d'autant plus vulnérables,
qui endurèrent le long supplice. La molle délicatesse de
ritalie , les hommes de VAminte et du Pastor fido , les
princesses du Tasse, s'évanouirent devant la face atroce
d'un rustre roux, endurci vingt ans à tuer. Que dire à ces
bourreaux? Les madones vivantes furent aussi maltraitées
que celles des musées que ces stupides jouèrent à mettre
en pièces, au lieu d'en tirer des millions. La religion ne
sauva rien. Les églises furent violées. Tout cela sous le
drapeau catholique de l'Empereur, qui avait épousé une
princesse de Mantoue.
Une singularité d'horreur qui ne s'est vue nulle part,
c'est que cela ne se passa pas sur une ville résistante, ni
même sur une ville vivante^ mais sur la population dis-
persée, gisante , immobile, d'une capitale demi-déserte.
Tout se fit en grande paix, dans le calme et le silence,
sauf quelques cris de femmes ou ceux du patient qu'on
chauffait pour qu'il dit où était son argent. Ils eurent
toute sécurité et tout le temps, trois longs jours, trois
affreuses nuits, pour torturer lentement, outrager à loisir.
£t, quand on croyait avoir épuisé tout, d'autres venaient,
bourreaux tout neufs, pour recommencer de plus belle.
lis ne respectèrent rien, pas même la peste , et désespé-
rèrent les mourantes, au risque de mourir demain.
CHAPITRE IV
Lutte de Richelien contre les deux reines. Jaiilet -octobre 1690.
Richelieu, trop évidemment, dans VEarope catholique
et le monde des honnêtes gens, seul était l'ennemi. Sans
lui, tout était paix profonde, ou du moins on ne deman-
dait qu'à se réconcilier. C'est ce que le duc de Savoie fit
dire au roi. C'est ce qu'insinuait le pape, devenu le com-
père des Espagnols et de l'Empereur, depuis leur horri-
ble succès de Mantoue. C'est enfin ce que vint dire à
Louis XIII l'envoyé des deux reines, Valençay, un homme
très-brave, fort bien choisi pour un conseil de lâcheté.
Tous étaient pour la paix. Thoiras, qui défendait Casai,
disait qu'il .ne pouvait plus tenir. Nos généraux, d'Effiat,
Montmorency, sauf un brillant combat, ne purent et ne
firent rien. D'Ëfiiat était malade. Montmorency était,
disait-il. ruiné. Il eût voulu devenir connétable. Hais,
s'il le devenait, Créqui, le roi du Dauphiné, eût brisé son
épée. D'autre part^ Guise était en pleine guerre avec Ri-
chelieu pour son amirauté de Provence, Bellegarde pour
un droit qu'il prétendait comme gouverneur de Boulo-
gne, etc. Toutes ces plaintes , ces disputes , ce procès
général entre la cour et Richelieu , retentissaient au roi
dans cette triste solitude des montagnes, et il en était
LUTT8 1>B RICHELIEU CONTRE LES DEUX REINES. 3t
accablé. Une forle tête, un homme bien portant, eût suc-
combé ; combien plus Louis Xill !
II faut ici avoir pitié de lui, et dire ce qu*il était.
Plusieurs de ses très-bons portraits (surtout celui de
Philippe de Champagne à Fontainebleau) le montrent au
vrai, une longue figure de teint très-brun, à moustaches
noires. Rien d'Henri lY, rien de Marie de Médicis. Les
Espagnols, à son avènement, disaient que ce faux Louis
éiait fils d'un des Orsini. Quoi qu'il en soit, il avait tous
les goûts d'un prince italien de la décadence, bon musi-
cien et même compositeur passable, peintre , réussissant
dans je ne sais combien de petits arts et de métiers. La
prodigieuse idolâtrie de la royauté et de lui-même où on
réleva pouvait en faire un vrai tyran. Il n'avait pas beau-
coup de aeur, était sec, dur, parfois cruel. Petitement
dévot, sans tomber cependant à l'idiotisme des rois espa-
gnols ni de Ferdinand II, le terrible mannequin des Jé-
suites. Louis XIII avait une conscience, n'était pas insen-
sible à l'idée du devoir. Sa gloire de roi, V honneur de
la couronne et l'honneur de la France se confondaient
dans son esprit. Richelieu tira parti de cela admirable-
ment, et de son vice lui fît plusieurs vertus.
Le malheur était qu'on ne pouvait compter sur rien
avec une créature si maladive, qui déjà trois ou quatre
fois avait touché à la mort, que l'ennui consumait, que
les soucis minaient, que les médecins ruinaient, extermi-
naient, par la médecine du temps, implacablement pur-
gative, acharnée à chasser cette humeur noire, qui était
sa vie même ; chassée, elle eût emporté tout.
Le premier médecin, Bouvart, de dévotion tout espa-
gnole et vivant aux églises, l'homme des reines , leur
organe, ordonna le retour à Lyon (7 août), l'oubli des
pensées de la guerre. À quoi les reines ajoutèrent de
vives prières pour que le malade se réconciliât avec ses
bons parents, l'Espagnol et le Savoyard, avec l'Empereur.
32 LUTTE DE RICHELIEU CONTRE LES DEUX REINES.
Quoi de plus chrétien? Les rois de l*Europe, en réalité,
sont une famille. On le fit consentir à une trêve qui, le
\^^ septembre, devait livrer Casai aux Espagnols. Les
Français n'y gardaient qu'un fort, qu'encore ils devaient
livrer du 15 au 31 octobre s'ils ne recevaient secours.
Le roi promit de plus à sa mère, à sa femme, qu'il
chasserait Richelieu^ mais seulement « après la paix. »
Brulart et le père Joseph la négociaient à Ratisbonne.
Richelieu, arrivant à Lyon, trouva la situation toute
gâtée et malade autant que le roi. Le roi était encore de-
bout; mais il avait si mauvaise mine, qu'on voyait qu'il
allait tomber. Le bon courtisan Bassompierre, homme de
la reine mère, Guise, Longueville, le vieux d'Ëpernon, ne
perdirent pas de temps pour s'assurer du roi. Lequel?
Celui qui était à Paris , le frère de Louis XIII. Le roi de
Lyon déjà ne comptait plus.
Ils saluèrent la royauté nouvelle, prirent les ordres de
Monsieur pour Tarrestalion de Richelieu. Les dames
eussent voulu davantage. La sœur de Guise (princesse de
Conti) eût préféré sa mort, et elle fit acheter des poi-
gnards. Les Espagnols y avaient toujours songé. Et Cam-
panella en avait fait avertir Richelieu. La reine Anne
d'Autriche n'y répugnait pas trop. Elle disait seulement:
a II est prêtre. »
Dans ses Mémoires, tout politiques , Richelieu couvre
tout cela de respect, de silence. Il ménage les deux reines,
ménage les princes étrangers. Mais, dans le petit journal,
écrit par lui, pour lui, chaque soir, et qui donne une
mention des avis, des rapports d'espions , de toutes les
informations qui lui venaient , on y voit bien plus clair.
Ces témoignages, du reste, sont pour la plupart confirmés
par tous les mémoires, actes et lettres publiés depuis.
Or voici le dessous des cartes. L'intrigue et la guerre
politique couvraient une guerre de femmes.
Richelieu avait été l'amant de Marie de Médicis, plus
LOTTE DE RICHELIEU CONTRE LES DEIX REINES. 33
âgée de vingt ans. Et il ne Tétait plus. Ses ennemis ont
fait mille contes ridicules sur le libertinage de cet homme
si occupé, si maladif, si espionné, observé spécialement
par un roi très-sévère.
Dans la vérité, Richelieu avait alors une vie sombre et
prudente, très-réservée. Comme tant d'autres ecclésias*
tiques, il ne se fiait qu'à une parente, une espèce de fille
adoptive, sa nièce, madame de Combalet, qui tenait sa
maison et avait soin de lui. C'était une jeune femme, jolie,
modeste, austère. Quand elle avait eu le bonheur d'être
quitte d'un fort pauvre mari, pour ne plus y être reprise,
elle fit vœu de se faire carmélite, s'habilla comme à cin-
quante ans, prit une robe d'étamine et ne montra plus ses
cheveux. Seulement, comme son oncle aimait fort les
bouquets, elle ne manquait guère, en Fallant voir, d'avoir
des fleurs au sein.
Tout était singulier dans cette jeune femme. On la disait
malade secrètement. Nul galant. Mais elle avait un grand
attrait. Des dames en étaient éprises et folles, jusqu*à
quitter mari, famille et tout, pour s'établir chez elle, la
soigner et faire ses affaires. Pour elle, elle semblait uni-
quement occupée de son oncle, qui eut longtemps la pru-
dence de ne point lui faire de dons excessifs. Ce ne fut que
peu avant sa mort qu'il fit tout d'un coup sa fortune, la fit
duchesse d'Aiguillon.
Il l'aimait fort. En 16'i6, quand la mort de Chniais exas-
péra la cour, on pinça Richelieu à cet endroit sensible.
On fit scrupule à sa nièce de vivre avec ce damne prêtre,
cet homme de sang. Elle eut honte, elle eut peur, renou-
vela son vœu. Le cardinal, troublé, consulta et s'enquit si
le vœu était valable. Ses docteurs lui répondirent Non.
Mais elle n'était pas plus tranquille, elle voulait se mettre
au couvent. L'oncle n'y sut remède que dans une étrange
démarche. Quoique fort mal avec le pnpe alors, il chargea
notre ambassadeur d'obtenir de Sa Sainteté un bref qui
Zii. 3
34 LUTTE DK RICHELIEU CONTRE LES DEUX REINES.
interdit le couvent à sa nièce. Elle n'en garda pas mcûns
à la cour, où elle était dame de la reine mère, une tenue
de carmélite , toujours fort sérieuse et ne levant jamais
les yeux.
Les reines la haïssaient, et pour son oncle, et comme
espion, enfin comme contraste à leur vie et reprocha
muet. Elles Tabreuvaient de fiel et la mortifiaient tcMU le
jour.
Une autre carmélite régnait, fleurissait à la cour, ma-
dame Du Fargis, née Hochepot, qui avait été trois ans au
couvent de la rue Saint-Jacques, mais, il est vrai, sans
faire de vœu. Elle s'était liée (là sans doute) avec la nièce
du ministre, quoique connue déjà par maints scandales.
On lui fit épouser ce Du Fargis, notre ambassadeur en
Espagne, qui y signa la paix contre ses instructions, en
i6Ï6. Quand on chassa les dames complaisantes qui, aa
Louvre et ailleurs, avaient si mai gardé la jeune reine
contre Buckingham,on leur substitua la Fargis, plus corn-
plaisante encore et bien plus dangereuse. Elle était jolie,
ardente, effrontée, tout à fait propre à aguerrir la reine
par ses exemples. Agent de l'Espagne, elle lui faisait des
amis de tous ses amants. C'était Créqui, c'était Cramail,
c'était le vieux garde des sceaux, etc. Tel était, dans l'ab-
sence de la Chevreuse, le Mentor de la jeune reine.
La vieille reine, non moins honteusement, était menée
par un Provençal d'Arles , un musicien aventurier, qui,
pour mieux gouverner la dame, s*était fait médecin, et,
pour l'assotir tout à fait, étudiait en astrologie. Dans le
petit journal de Richelieu, on voit toute l'importance du
docteur. Le rival du grand homme , son antagoniste en
Europe, "ce n'est pas Spinola, ni Waldstein, ni Olivarès.
C'est Vaultier. La reine mère crie et pleure pour Yaultier.
La question suprême est de savoir si Vaultier remplacera
Richelieu, d'abord dans la maison de la reine mère, puis
dans l'Etat, dans le gouvernement.
LCTTE DE RICHBLIEU CONTRE LES DEUX REINES. 3^
Le roi s'alita le 2â septembre, et le 30 fut à la mort. Au
dedans, au dehors, on agit vivement. On écrivit en Bre-
tagne, en Bourgogne, pour que des deux bouts de la
France il y eût explosion contre Richelieu. On écrivit au
prince de Condé qu'il se hâtât de quitter celui que tous
<|uittaient et qui allait périr.
Voyons un peu chez le roi comment les choses se pas-
sent. Du 20 au 30, ce fut le plus grand trouble. La méde-
cine la plus violente, les remèdes les plus héroïques, ne
pouvaienf guérir Louis XIIL 11 allait à la selle quarante
fois par jour et rendait le sang pur. L'intrépide Bouvart
était à bout et consterné. Saignée sur saignée, médecine
sur médecine, rien n'y faisait. La maladie semblait, mali-
gnement moqueuse , augmenter d'heure en heure pour
humilier la Faculté..
C'était un spectacle lamentable de voir ce moribond,
tant de selles, tant de sang. La cour était fort mal logée,
et rétiquette au diable. Chacun entrait, venait, voyait. Tel
priait, tel pleurait. Le 1*' octobre, il y eut une grande
scène. Le roi mourant communia et demanda pardon à
tout le monde.
C'est de ce mot chrétien que Brienne voudrait abuser
pour nous faire croire que le roi fit satisfaction à sa femme.
Et il ajoute, comme un sot, que le mourant même promit
de se guider par ses conseils /... Conseils d'une telle étour-
die, si compromise et le jouet visible de son entourage
éhonté !
Tous les autres témoins nous disent le contraire. Ils
attestent que le malade était plus défiant que jamais, qu'il
démêlait très-bien l'intérêt qu'on avait à sa mort. Â ce
point, qu'il refusait tout, sauf ce qu'il recevait directement
de la main de son premier valet de chambre, un bon homme
allemand, Béringhen.
Ce Béringhen devenait extrêmement important. Et, si
quelqu'un pouvait in extremis tirer quelque chose de la
36 LUTTIS DE RICHELIEU CONTRE LES DKOX REINES.
main mourante, vraisemblablement c'était lui. Ni le con-
fesseur Suffren, ni le médecin Bouvart, n'exerçait d'ascen-
dant.
Monsieur croyait succéder à coup sûr. Cependant un
homme plusieurs fois gracié, noté en des actes publics
comme lié aux ennemis de TËtat, aurait été aisément con-
testé, spécialement de Richelieu, sûr de périr si Monsieur
était roi.
Une autre personne craignait cet avènement : c'était la
jeune reine, jadis bien avec Monsieur, alors mal/ parce que
le prince rieur et ses bouffons s'égayaient sur les petites
aventures de la reine et ses fausses couches. Que n'étaît-
elle enceinte I Elle eût été régente, et Monsieur était écarté^
Mais, si elle ne l'était pas, il ne lui restait qu'à épouser cet
homme méprisé^ et qui riait d'elle tout le jour. C'était le
plan de la reine mère, laquelle comptait bien gouverner.
La reine Anne serait restée dépendante et petite fille.
On dit qu'une chose violemment voulue et désirée se
réalise, qu'un véhément désir parfois crée son objet. J'i-
gnore ce qui en est. Ce qui me semble sûr^ c'est que la
reine, qui avait tant d'intérêt à être grosse, le devint en
eifet.
Elle ne le déclara point. Mais, quatre mois après, la chose
étant visible pour tous, le confident médecin Bouvart n'osa
la nier. Elle avorta en mars 4 631 , par un moyen artificiel,
comme on verra, et probablement à six mois.
Le roi l'avait quittée en mai 4630; il la revit à la fin
d'août, étant déjà malade et en pleine fièvre. Ils se récon-
cilièrent le jour où il crut mourir, se brouillèrent encore,
restèrent brouillés. Je ne vois pas quand il put être père.
N'importe. Qu'elle fût grosse au jour de la mort, elle
était sauvée. Elle restait reine régente, ou du moins pré-
sidant le conseil de régence. Elle subordonnait la reine
mère et Monsieur, qui n'était plus que son premier sujet.
11 suffisait pour cela que le roi, s'il testait en forme or-
LUTTE DB RIGHSLIBU CONTRE LES DEUX REINES. 37
dinaire, tout en reconnaissant son frère, laissât ajouter la
petite réserve naturelle, qui était de style^ quand le mou-
rant était un homme marié : < Sauf le cas oii notre très-
chère épouse seroit enceinte. >
Mais, si le roi n'aimait pas son frère, il n'aimait guère
non plus sa femme. Défiant, comme il était, il aurait bien
pu être assez malicieux pour effacer ce mot.
Il était bien essentiel qu'on s'assur&t de l'homme qui
seul en ce moment paraissait lui inspirer un peu de con-
fiance, de Béringhen, non pas pour qu'il agît directement,
mais seulement pour veiller les moments oii la haine du
roi pour son frère serait plus forte que sa malveillance
pour sa femme. Ce moment de lui-même allait se présen-*
ter. A grand bruit, de Paris, arrivait une armée, les amis
de Monsieur avec tous leurs amis, les Guise, les Créqui et
les Bassompierre. Déjà ils étaient sûrs du gouverneur de
Lyon, de sorte qu'ils tenaient le roi dans leurs mains. Si
le 2 ou le 3, le 4 octobre, dans leur impatience d'héritiers,
ils venaient le troubler et le faire tester pour Monsieur, les
deux gardes du lit, Béringhen et la veuve, n'avaient qu'à
surveiller le testament, et le mourant, plus que jamais
irrité contre Monsieur, n'eût point fait à la reine l'injure
de lui biffer la réserve naturelle en tout héritage.
Comment acquit-on Béringhen? Comme on acquiert un
jeune homme, faible et doux, fort galant, sans défense
contre les femmes. Celle qui menait l'intrigue, la confi-
dente d'Anne, la Fargis, s'en saisit par un coup d'audace.
La cour était campée à Lyon dans un hôtel étroit> Chacun
couchait où il pouvait. Béringhen, dans les rares moments
oii la fatigue l'obligeait de prendre un peu de repos, se
jetait sur un matelas, à deux pas de son maître, dans une
pièce de passage où on allait et venait. La Fargis n'hésita
pas. Sans crainte des passants, sans pudeur du mourant,
qui aurait pu entendre^ elle alla s'établir dans le lit du
valet de chambre, et on les vit entre deux draps.
38 LUTTE M HICHBLISD CtHiTRI LES SIUX REIIIBS.
Il ne nianquaH ptiu qu'uaâ chose, c'était que le roi se
b&tât de mourir. Les deux partis étaient ea [trésence. La
reine Anne tenait la chambre. Et les amis de Monsieur
tenaient la ville. Quel que fût le vainqueur, Richelieu pé-
rissait. Il se trouva tout a coup seul. Il avait parié àBas-
sompierre. En vain. Il parla à M. de Montmorency, à qui
il avait donné espoir de le faire copnétable. Mais tout ce
qu'il lira de son caractère généreux, œ fut l'offre de le faire
sauver de Lyon ; offre très-dangereuse , car c'était le pous-
ser à s'accuser lui-même. En le sauvant ainsi, il le pwdait.
Les médecins avaient saigné sii ftus eo six jours eel
homme p&le qui n'avait point de sang. Us essayèrent encore
de lui en tirer le 2 octobre. K ce moment, la nature le
sauva. La vraie cause du mal, ignorée des docteurs, un
abcès k l'anus, creva. Tout fut fiai. Quoique très-faible, il
sa mit sur aoa séant, parla de se lever.
La jour même arrivaient Guise, Créqui, fiassonapisiTe,
représentants du aouveau roi. Ils furent oonsteroés, ter-
rifiés, de trouver cet homme mort qui se levait de soti
tombeau. Richelieu était près de lui. U lui mootnit que
les impériaux se jouaient de lui à Ratisboune. Il ta tin,
le 2, un ordre ferme qui semblait annoncer In résurrectioi
de la France, ordre à l'ambassadeur Brulart de revenir; le
père Joseph, son auxiliaire, pouvait rester, n'ayant pas
caractère pour signer un arrangement. Du reste, Ricbehen
se croyait bien sûr de ioseph, son trës-intima confidwt.
L'Empereur, qui jusqoe-U empêchait la paix en n'offiranl
qu'un traité impossible, avaithftte alors de la faire, d'abord
parce que Gustave avançait, dauxièmement parce qu'il sa-
vait que Louis XIII avait promis, dès la paix faite, de
cbasser Richelieu. Joseph et Brularl, fort pressés des im-
pùriaiix et sans doute de dos deux reines, étaient dans un
""•^ —"banras. Il y a loin de Lyon à Rntisbonne. Joseph
s nouvelles du i" octobre, la commsaicui du roi
ou eelles du-3, sa réturreetioD?On l'ipaaie.
LOm DI RICOIUBIJ CONTRK LES DEUX RUNES. 39
liais, quand il eût eu les dernières, même le roi vivant,
Richelieu pouvait périr si Joseph consommait le traité de
parx qui devait faire son expulsion.
Donc, au total, Joseph semblait tenir le fil des destinées
de Kichelieu. C'était son homme, mais il ne l'aimait pas.
Joseph croyait l'avoir créé, et avoir créé un ingrat. Le mi«
Bistre ne faisait pas ce qu'il voulait pour sa fortune. Avec
ses sandales de capucin, sa ceinture de corde, cette comé-
die d'humilité, il visait au chapeau, qui sans doute lui eût
donné moyen de supplanter son ami. Richelieu, qui le
voyait venir» essaya, dès 1628, de s'en débarrasser, de le
clafpiemurer dans une ville morte, à la Rochelle, dont il
il l'eût fait évoque. Mais Joseph, non moins fin, déclina
rhonneur de cet enterrement, et s'obstina à rester ca«
pucin.
En acceptant le traité de l'Empereur contre les instruc-
tions de Richelieu, il avait deux chances pour une. Si le
roi mourait, le nouveau roi Tapprouvait, le louait. Et, si
le roi ne mourait pas, les deux reines montraient au con-
valescent le traité de Joseph, et, la paix éiant faile^ lui fai-
saient chasser Richelieu. Qui succéderait à celui-ci? U n'y
avait qu'un homme capable, Joseph encore. Il devenait
ministre, et, de plus, cardinal. Le pape se joignait à l'Efn*
pereur pour le presser de faire la paix.
Le fameux capucin était un homme aimable, obligeant,
qui, tout agent qu'il fut de Richelieu, avait trouvé moyen
de rester bien avec tout le monde. C'est lui qui, en 4626,
fonda l'énorme fortune d'Orléans, en décidant Richelieu,
malgré sa répugnance, à donner à Monsieur mademoiselle
de llontpensier. Monsieur l'aimait, et dit avec regret à la
mort de Joseph : « C'était l'ami des princes. »
11 mérita ce titre à Ratisbonne. Pressé, prié, il consentit
que Brulart, son collègue, signât la paix. Lui, capucin in-
digne, il déclinait un tel honneur. Mais on lui mit la plutne
en main, et sans doute on lui dit que le pape le voulait,
40 LUTTB DB RICHELIEU CONTRE LES DEUX REUŒS.
qu'en s'abstenant il perdrait pour jamais le chapeau. Il
signa (4 3 octobre 4 630).
Cet acte, œuvre de Vienne, était un monstre d'équivo*
ques et de pièges qui compromettait tout: 4® V honneur»
En Italie, le commissaire de l'Empereur entrait à Casai ;
les Français et les Espagnols sortaient, mais avec grande
différence, les Espagnols pour rester à deux pas; notre doc
de Mantoue, sans protection et tout seul, restait comme un
mouton à la garde des loups. 2® Ce beau traité compromet^
tait la France^ lui interdisant Talliance avec les ennemis
de l'Empereur (dès. lors avec Gustave); il ouvrait le
royaume, il y avait une phrase qui eût pu faire rendre à
TEmpire les Trois évéchés. 3"^ La paix n'était pas pour la
seule affaire dJtalie, mais générale, donc comprenant VE$^
pagne, qui n'avait rien demandé, et qui restait tout à fait
libre de signer ou ne pas signer. Le traité nous liait les
mains et n'obligeait pas l'ennemi.
Joseph a dit qu'il avait signé pour gagner du temps;
que le roi pouvait, après tout, ne pas ratifier. Très-mauvaise
raison. Dans le désir général de la paix, dans les rapides
entraînements de la France, ce chiffon de traité une fois
répandu et connu» tout devait aller à la dérive, son premier
et son grand effet étant justement d'écarter la main forte
qui tenait la corde tendue.
Le tant désiré parchemin s'envole à Lyon, comme la
colombe de l'Arche. Saisi et baisé des deux reines, il est
ébruité dans toute la ville, célébré à cor et à cris. La paix!
la paix I... Les feux de joie s'allument. Les reines au bal-
con, croyant, dans la fumée, voir s'évanouir Richelieu.
Cela le 20. Et, le 26, le même effet en Italie, sous Casai,
effet décisif et terrible sur notre armée. Richelieu, du 2 au
26, avait obtenu du roi réveillé un effort désespéré; il avait
de ses mains arraché aux intendants, envoyé Targent
nécessaire. Plus, des renforts. Plus, Tordre précis du roi
de donner la bataille, et, si on la gagnait, de ne pas s'amu-
LUTTE DE RICHELIEU CONTRE LES DEUX REINES. 41
ser à ménager l'Espagne, mais de finir ces comédies et
d'entrer dans le Milanais. Cette armée était sous trois
maréchaux, Schomberg et d'Effiat, deux hommes de
talent et très-sûrs^ le troisième suspect (l'agent des reines),
Marillac, frère du garde des sceaux. Mais ce Marillac dut
marcher. Schomberg, ayant Tordre précis et répété^ ne
voulut plus attendre une heure, et mena Tarmée à Ten-
nemi. Les Espagnols étaient perdus. Leur grand général
Spinola venait de mourir, et leur courage aussi. Les Fran-
çais, pleins d'élan, allaient leur passer sur le corps, et
d'autant plus sûrement, qu'ils avaient carte blanche, non
plus pour secourir une méchante ville de Piémont, mais
pour s'en aller voir Milan, la Lombardie.
A ce moment, comme du ciel, un secours vient aux
Espagnols, l'envoyé du pape, l'abbé Mazarino. C'était le SS6,
et, depuis plusieurs jours^ le traité fait le 13 avait été
apporté en Piémont; une semaine entière, probablement,
Mazarin le garda en poche, devinant bien, le rusé comé-
dien, le parti qu'il en tirerait. Aux premières salves, faites
de loin, sans danger encore, notre abbé se présente aux
rangs français, court, se démène, fait signe d'un mouchoir
le long des premiers rangs; il va, vient, voltige à cheval,
criant : La paix ! la paix 1
Ce n'était pas assez pour arrêter Schomberg, qui, le
matin encore, dans une dernière lettre du roi, avait lu
qu'il ne reconnaissait pas cette paix. Mais c'était assez pour
détremper ceux (il y en a en toute armée) qui ne marchent
pas volontiers. C'était assez pour faire crier à Marillac que
tout était fini. Schomberg lui-même se rangea à cet avis,
tant il vit les esprits changés et l'armée refroidie.
Le résultat de cette farce était de finir la résistance de
Casai. Assiégeants, assiégés, Espagnols et Français s'en
vont. Mais les impériaux (pires qu'Espagnols) y entrent, un
commissaire de l'Empereur, avec une armée de domes-
tiques allemands.
43 LUTTS BS RICHILIEU OONTRB LES DEUX RBINIS.
Ce joli trait de Mtzaria commença la carrière de ce
grand Mascarille. Tout le parti espagnol en Europe, et nos
reines surtout, en firent, en ornèrent la légende. Et quoi
de plus touchant? Entre deux armées engagées, dans la
première furie, sous une grêle de balles, ce jeune hœnmo
intrépide (mousquetaire avant d'être prêtre) se précipite,
brave mille morts, pour arrêter Teffusion du sang. Tant de
courage, d'humanité, de charité chrétienne... Tout à la
fois la légende d'un saint et celle d'un héros de romani-
Telle fut la noble et charmante auréole sous laquelle fut
bientôt présenté à notre Espagnole Anne le sauveur de
Tarmée d'Espagne. Admirable rencontre I mystérieuse pré-
destination I On fit remarquer à la reine que cet ange de
paix avait des traits du beau, du noble Buckingham, du
héros qu'elle avait aimé.
CHAPITRE V
ia«ffBé6 éa da^A. ^ Vkcoira de Richeliini sur les lemea et MoMieur.
(De novembre 1630 à jmiUet lôn.)
L'effort du grand ministre, les nobles velléités du roi à
son réveil» avaient donc avorté. On devait croire le roi
indigné contre ceux qui lui avaient enlevé une victoire
eertaine, une con()uéte probable. Or le contraire advint.
En gardant encore son ministre,, il assura de nouveaa au
reines que, a la paix faite,, il le renverrait. » (Fin d'oe-
U>bre463(>.)
Par quelle prite avaient-elles ressaisi le roi? Par la plaa
imprévue : une Csrame,. un amour.*. Cet insensible, ce
nudade saigné à. blajac, si pâle, q/M faisait presc|Qe peur,
en trouva Tart de le rendre amoureux !
L'aventurier VauUier, musicien de la reine nère, qui
s'était fait son médecin et astrologue, était un esprit péo^
trant. On lui doit cet honunage. 11 devina que ce moment
où un homme échappe à la mort, oiu les cierges de l'exf
irème-onction s'éteignant, il voit la vraie lumière, se croit
vené, il est infiniment sensible par sa faiblesse même,
enlanft, tendre et poète, sous renchantement de sa ttevb*
Telle aurore.
Doue, il advint que celte aurore, cette belle iuaiîère de
Tie dont la nature se pare pour un mourant ressuscité.
44 JOURNÉE DBS DDPBS.
Louis XIII la vit un matin tout animée, charmante, dans
une demoiselle de quinze ans, une blonde du Midi. L'avisé
Provençal avait cherché, trouvé la petite fille au Fond du
Périgord, l'avait fait venir avec sa grand*mère, qu*il gagna
en lui promettant de devenir dame d'atours de la mère du
• roi.
On savait parfaitement par quel concert d'éloges, orga-
nisé et concordant comme par hasard, on pouvait faire
aimer quelqu'un de Louis XIII. On lui donnait de temps à
autre un favori, un camarade d'amusement ou de chasse.
En hommes, c'était assez facile, plus diflBcile en femmes.
Le sentiment qu'il avait de son insuffisance le rendait plus
timide. Mais ici le grand intérêt que les reines avaient à la
chose leur donna de l'adresse. On prépara le roi à voir cette
jeune merveille, et, quand il fit ses relevailles (pour ainsi
dire) et alla rendre grâces à Saint- Jean de Lyon, le coup
désiré fut frappé.
Le roi, plein de reconnaissance, ayant bien remercié
Dieu, resta encore à entendre un sermon. Là, les yeux
errants du convalescent tombèrent sur la nouvelle venue,
mademoiselle de Hautefort. L'Aurore, comme l'appelaient
ses compagnes pour son teint rose, ses cheveux rutilants,
illuminée sans doute du reflet des vitraux, apparut un
rayon d'en haut et la résurrection elle-même à ce Lazare.
Il eut honte d'avoir un carreau sous les genoux quand elle
n'en avait pas, et, sans s'inquiéter de ce qu'on en dirait, il
suivit son sentiment poétique et lui fit porter son carreau.
Une fille du Nord eût été abîmée d'étonnement et d'em-
barras, eût fait quelque gaucherie. Mais celle-ci, d'une
légère rougeur, du vif éclat de ses yeux bleus, transfigurée,
prit le carreau, et, sans s'en servir, le posa près d'elle avec
respect. Et tout cela d'un si grand air, d'une telle noblesse
virginale, que tout le monde en fut ébahi.
Voilà le roi, dès ce jour, sorti de la vie sauvage où l'a-
vaient tenu ses favoris de chasse et autres, Luynes, Bara-
VICTOIRE DE RICHELIEU SUR LES REINES ET MONSIEUR. 45
das, récemment Saint-Simon. Le voilà assidu désormais
chez les reines sans cacher aucunement qu'il y va pour
mademoiselle de Hautefort. 11 fait pour elle des vers, de
la musique, lui parle de sa chasse comme à un camarade,
de ses ennuis et même des affaires du royaume, parfois de
son ministre. Elle, sans rechercher l'honneur de ces con-
fidences, elle y répond modestement, avec adresse et
présence d'esprit. Parfaitement dévouée aux reines, à sa
chère maîtresse, Anne d'Autriche (si innocente et si perse*
cutée), elle dit à merveille^ d'une vivacité naïve et gasconne,
les petits mots qu'on lui fait dire, du reste ne parlant qu'en
chrétienne^ pour l'union de la famille royale, pour le sou-
lagement du pauvre peuple et la fin de la guerre.
Richelieu se noyait. Et voilà que cette enfant, inno-
cente et charmante, presque sans s'en douter, lui met la
pierre au cou.
Le naufragé imagina de se reprendre à une vieille plan-
che, la reine mère, à son ancien attachement. Puisque,
de toutes parts, le vent était à l'amour et que l'amour lui
faisait la guerre, il entreprit d'y recourir lui-môme. Il avait
fort vieilli, il est vrai; il avait déjà les joues creuses, le
poil gris, l'air fantôme qu'on lui voit au portrait du Louvre.
Mais enfin la bonne dame avait toujours vingt ans de plus.
Un homme de tant d'esprit, et qui avait cet esprit dans
les yeux, ne pouvait-il, à force de tendres respects, de
mensonges, réveiller au vieux cœur l'étincelle des beaux
jours passés? Un Yaultier tiendrait-il contre Richelieu en
présence? Celui- ci prit un parti héroïque, ce fut de s'éta-
blir sur le terrain de Yaultier même, dans le propre ba-
teau, l'appartement et l'alcôve mouvante où la reine des-
cendait la Loire pour aller à Paris. Elle passait les jours
au lit ; lui à ses pieds, agenouillé sur des coussins, comme
on faisait alors.
Spectacle intéressant! Et quel dommage que Saint-
Simon ne fût pas né ! La passion première parut revenue
46 JOURNÉB DES DUPES.
tout à fait. C'était un doux concert de mots charmants en
italien entre la vieille haineuse et le prêtre enfiellé. Amieo
del cor miol disait-elle. Lui, il était ému, rêveur, visible*
ment fervent et plein de religion; mais troublé sans doute
de tant de beauté.
Qui tromperait et mendrait le mieux? C'était la ques-
tion. La Florentine avait l'émulation de Catherine de
Médicis. Mais, parmi ses douceurs, telle venimeuse œillade
put révéler au grand observateur la plaie qui lui restait et
que rien ne guérit. La Fargis avait eu soin de lui dire que
le cardinal et sa nièce (qui, comme tous les caractères
sombres, avaient des échappées bouffonnes) égayaient
leurs ébats à faire la comédie des galants transports de la
vieille en baragouinage italien.
Long et pénible fut ce tête-à-iéte du bateau. Dès qu'elle
en descendit, le cardinal partit grand train et rejoignît le
roi à Auxerre. Le roi, loin des beaux yeux d'Aurore, avait
quelque peu réfléchi. Une chose le rendait soucieux, c'é-
tait d'apprendre peu à peu comme on avait travaillé aux
huit jours où il était mort et dans quelle tendre intimité
on était avec l'homme de l'Espagne, Mirabel, alors à
Bruxelles, qu'on fit revenir. Il «avoua à Richelieu que la
reine mère était toujours contre lui et n'oubliait rien pour
le perdre.
La bataille était pour Paris. Le champ de bataille était le
Luxembourg, où la reine mère promenait sa fureur dans
sa galerie de Rubens. Quoique le roi n'eût rien promis
qu'après la paix, elle voulait sur l'heure qu'il chassât Riche-
lieu (H novembre 4630). Celui-ci, averti, accourt, veut
entrer, se défendre ; mais la porte est fermée ; îl entre par
une autre. Il s'explique, il prie et il pleure. Une effroyable
averse d'injures est la réponse. Le roi s'enfuit et se sauve
à Versailles.
On a dit que Richelieu, en ce moment, se crut perdu,
qu'il fallut le conseil, la fermeté du cardinal de la Valette,
r
VICTOIRE DE RICHELIEU SUR LES REINES ET MONSIEUR. 47
pour lui rendre le courage et le faire aller aussi à Ver-
sailles. J*en doute fort. Sa ténacité indomptable est bien
prouvée. 11 avait près du roi un ami, il est vrai, un petit
ami, Saint-Simon, ex-page que le roi avait fait premier
écuyer. Ce favori obscur, sans grande action, avait pour-
tant cela d*étre près du roi à toute heure. Il n'avait pas les
charmes et les heureux moments de mademoisetle de Hau-
teffort, mais en revanche l'assiduité ; nuit et jour, il était le
très-discret écho, sourd, non retentissant, des plaintes du
roi. Il faisait profession de ne se mêler de rien, de n'avoir
aucune initiative. Il savait dire : « Oui, Sire, » donner la
réplique simple, indispensable. Le roi, s'affligeant de son
abandon et du fardeau d'affaires qu'allait lui laisser Riche-
lieu, aurait dit d'un ton de regret : « Où est-il maintenant?»
A ce mot, qui n'était pas une demande, l'autre répondit
cependant : « Mais, Sire, il est ici. »
Richelieu, comme de dessous terre, reparut et changea
le roi. Il lui montra avec respect, mais lui montra pour-
tant qu'en France, en Italie, partout, on se moquait de lui;
qu'il avait perdu à Casai les résultats de deux campagnes,
que l'Empereur en était maître, donc l'Espagnol (c'était
nuéme chose); que le pape était devenu tout impérial, que
Venise demandait grâce à l'Empereur, qu'ici l'homme des
reines, le vieux garde des sceaux, Marillac, là-bas son
frère le général, étaient excellents Espagnols ; que sa cour,
son conseil, n'avaient pour chef réel que l'ambassadeur
Mirabel, appelé secrètement par la reine Anne à Paris.
Le Paris de la Ligue avait eu pour roi Mendoza. Il ne
tenait pas à Mirabel qu'il ne jouât le même rôle. R trou-
vait dans le Parlement force têtes pointues pour l'écouter,
ou des sots importants, on des fous imprudents qui auraient
joué au jeu insensé de s'appuyer sur Tennemi « dans l'in-
térêt des libertés publiques. » Le roi eut honte, eut peur
d'une telle situation. Il reprit les sceaux au vieux Marillac,
l'exila, fit arrêter l'autre Marillac à l'armée. Mais il était
48 JOURNÉE DES DOPES.
encore si incertain, qu'il lui fallut du temps pour se déci-
der à donner les sceaux à Chàteauneuf, un homme éner-
gique et capable que lui désignait Richelieu. 11 s'assura de
Paris et de la police du Parlement en nommant Lejay
premier président.
Mais comment la reine mère allait-elle prendre tout
cela? C'était Tinquiétude du roi. 11 envoya quelqu'un, à
deux heures de nuit, de Versailles à Paris, pour réveiller
le père Suffren, au noviciat des Jésuites, et le prier d'in-
tervenir et de calmer sa mère.
Cette journée, qu'on appela journée des dupes (\ 1 no-
vembre 4630], ne fut point décisive au fond, comme on
Ta dit. Richelieu n'était sûr de rien; le roi restait chagrin
de voir que lui seul eût raison.
Il n'avait pas eu assez peur. On n'avait pu, sur des preu-
ves certaines, lui faire voir, lire, loucher le complot. Heu-
reusement pour Richelieu, en surveillant la Lorraine, le
centre ordinaire des intrigues, il saisit sur la route (décem-
bre 4630) un médecin du roi, Senelle, chargé et surchargé
de lettres pour la reine Anne, pour la Fargis et autres.
Que contenaient ces lettres? On ne le sait pas trop. Dans
le procès qu'on fit, on n'ose lever qu'un coin du voile. On
parle de complots contre la vie du roi, sans en alléguer
d'autres preuves que des recherches astrologiques qu'on
faisait pour savoir l'époque de sa mort. Curiosité, il est
vrai, mauvaise et très-sinistre. On a vu que les pronostics
de la mort d'Henri IV y avaient très-réellement contri-
bué, encouragé les meurtriers, qui se crurent sûrs de le
tuer au jour prédit, marqué là-haut.
Les deux reines et Monsieur ne souhaitaient qu'une
mort, celle de Richelieu. On en avait souvent parlé, mais
toujours on disait que, si Monsieur faisait tuer Richelieu,
le roi le ferait mourir. Cela aurait pu arriver. Louis Xlll,
malade, comme Charles IX, avait sous les yeux son his-
toire. Dès son enfance, endoctriné par de Luynes, il tenait
VICTOIRB DB RICHELIED SUR LES REINES ET MONSIEUR. 49
de lui cette opinion que Charles IX fut empoisonné par
Catherine, et qu'il n'eût pas péri s'il eût fait périr son
frère.
Donc, Monsieur devait y songer, attendre encore. La
mort de Richelieu exigeait la mort préalable du roi, qui,
du reste, semblait ne devoir tarder ; il ne se rétablissait
point. Mais les valets parfois sont plus impatients que les
maîtres; il se pouvait que ceux de Monsieur ou des reines
perdissent patience et donnassent au roi malade quelque
suprême médecine. L'Ëglise y eût gagné, et Tâme aussi
de Louis XIIL Car il allait se perdre, faire le grand péché
d'Henri IV qui lui coûta la vie, Talliance protestante. On
le disait partout depuis un an pour irriter les catholiques,
quoiqu'en réalité il ne traita que Tannée suivante.
Dans la riche collection de lettres qu'on saisit» parmi
celles qui étaient écrites à la reine, aux grands person-
nages, il y en avait une pour une vieille bourgeoise, de
nom fort significatif, mademoiselle du Tillet.
Cette vieille était un vrai bijou du Diable, dont elle avait
Tesprit. Une destinée tout à rebours. Pour sa laideur, elle
avait été adorée du duc d'Ëpernon. Et, pour sa roture de
petite bourgeoise, elle régnait dans la maison de Guise,
faisait la pluie et le beau temps. Il y avait quelque chose
là-dessous. Elle ne bougeait du Luxembourg, oii la reine
mère la tVaitait avec grande considération. C'était une
sibylle, une espèce d'oracle ; on répétait et on retenait ses
mots. On la consultait en affaires, comme on fait des
grands hommes qui, en leur temps, ont accompli des
choses ardues et hasardeuses. Comment s'en étonner?
Elle passait pour avoir été dans le secret de Ravaillac.
Mais elle était très-fine, et cette fois, pas plus que
l'autre, on ne put la prendre. Interrogée, elle plut à Ri-
chelieu en parlant outrageusement de la Fargis.
La découverte des lettres mit les trois cabales en dé-
route et en division. Chacun sacrifia les deux autres.
XII. 4
5« JOattHSI DES DDPBS.
MoDsieur traita, promit d'âtre l'ami de Richelieu, qui
acheta ses favoris. 11 promit à la reine de parler pour elle,
et parla plutôt contre.
La reine mère traita aussi pour sauver bob Yaultier.
£lle envoya le nonce du pape à Richelieu lui dire qu'il y
avait moyen de s'arranger. Puis, inquiète, elle lui envoya
encore le père SufTren pour le ^prier de venir, et, quand
il fut venu, très-douce, elle lui dit qu'elle avait réfléchi ti
qu'elle sentait bien que tes afiiaires du roi ne pouvaient se
passer de luL Elle consentit à aller au c(Hiseil, et là, di-
sant bon marché de la Jeune reine, sa belle-61le, elle
trouva fort bon qu'on punit la Fargis, qui ne pouvait
guère l'être sans qu'Anne en demeurât taobée.
Mais la plus embftrrassée était la jeune reine, dont la
grossesse apparaissait Elle ne fit pas beaucoup d'effort
pour la Fargis; eUe pensa à elle-même, et, avec la fai-
blesse d'une femme eu cet étal, chargea et dénonça sa
grande amie. Elle dit cette chose ridicule, trop visible-
ment improbable, qu'elle (la reine Anne) avait défendu le
e«-dinal, refusé de ^ perdre, et que cette méchante Fargis
avait forgé les lettres pour l'en punir et la perdre elle-
même.
Richelieu, absolument maître de la situation, montra
pour la reioe une grande douceur. 11 craignit de déchirer
le rideau de gaze légère qui couvrait le triste intérieur de
la famille royale. Il craignit de rendre ie roi ridicule. Il
craignit peut-être pour Anne elie-méme. Car cet homme,
qui semblait si sec, aimait les femmes pourtant. Il croyait
la reine fragile; il la voyait tombée jusqu'à l'avilissante
faiblesse d'accuser son amie. Il espéra dans cette mollesse
de nature, et crut qu'un jour ou l'autre, dans quelque
embarras où l'étourdie se jetterait encore, il l'aurait à
discrétion.
')onc, il se contenta d'éloigner cette Fargis. Il la laissa
ifuir, ce qui rendait le procès impossible. Mais, coatrs
VICTOIRE DE RICHEUBU SUR LES REINES ET MONSIEUR. 5i
âon attente, la Fargis partie (30 décembre 4630), la reine
se désola et s'emporta; elle montra pour la perte de celle
qu'elle venait d*accuser un inexplicable désespoir. Elle
disait tantôt qu'elle savait qu'on voulait la renvoyer en
Espagne, tantôt la faire mourir pour que la nièce du car-
dinal pût épouser le roi. Elle priait, pleurait aussi, pour
conserver un valet d'intérieur auquel elle tenait d'une
manière étonnante, son apothicaire. Elle en fit une affaire
d'Ëtat. De couronne à couronne, TEspagne demanda à la
France, par son ambassadeur, que cet indispensable ser-
viteur fût rendu à la reine. On le lui rendit pour deux
mois, et avec cette clause, qu'il ne la verrait qu'au Louvre
et en présence d*une dame très-sûre.
Son embarras tenait à l'éloignemcnt de sa garde-malade
et de l'homme qui pouvait simplifier son état. Il devenait
visible. Richelieu, malicieusement, envoyait voir souvent
comment elle se portait. Exaspérée, elle dit : « Mais qu'il
vienne lui-même I... U sera le très-bienvenu I x>
Cet état ne l'empêchait pas de s'agiter, de recevoir des
agents de Lorraine ou de trotter aux Carmélites pour voir
Mirabel en cachette, ou un Anglais papiste,. lord Montaigu,
agent de sa belle-sœur Henriette, et mêlé dans tous les
complots.
Intrigues misérables^ sans résultat possible. L'Espagne
n'avait aucune chance de soulever le peuple en ce mo^
ment. Le seul complot qui eût pu réussir, c'était de pro-
fiter de la passion du roi pour mademoiselle de Uautet'ort,
de le faire succomber, et par elle de s'emparer de lui
entièrement. Innocente, mais dévouée, passionnée pour
sa maltresse, cette enfant (de seize ans) eût donné sa vie
pour la reine, et peut-être un peu plus encore. L'intérêt ^
de l'Ëglise^ d'ailleurs, eût tout couvert. Quel beau texte
pour les casuistes ! une douce faiblesse qui empêchait un
crime (l'alliance protestante), qui chassait Richelieu, le
démon de la guerre, qui rendait la paix à l'Europe et ré-
53 JOURNÉE DES DUPES.
conciliait la grande famille chrétienne!... Près d'un tel
dévouement, qu'était-ce que celui de Judith, qui ne sauva
que Béthulie ?
La jeune victime était toute leur ressource en ce nau-
frage. Vaultier le dit dès Lyon. Son collègue, le pieux
médecin Bouvart, à Saint- Germain, quand la reine fut
visiblement grosse, n'osa plus tarder, mit les fers au feu.
Il se jeta un jour dans un long discours à la Sganarelle,
que le roi ne pouvait comprendre. Le sens qu'il démêla
à la fin, c'est qu'il n'était malade que de chasteté (comme
un de ses aïeux qui en mourut, diton) ; mais que loi, ce
serait grand dommage s'il en mourait. Et, comme le roi
s'impatientait, demandait où il en voulait venir, à quel
remède, saignée, médecine ou lavement..., Bouvart, em-
barrassé, insinua que la vraie médecine, c'était made-
moiselle de Hautefort.
Bouvart était un sot. Un homme que lui-même pur-
geait, dit-on, deux cents fois dans un an, était bien à l'a-
bri de ces basses tentations. Il fut scandalisé. C'est tout ce
qu'on gagna.
Cependant les choses pressaient. On fit un essai plus
direct. Le fait est très-connu, mais de date incertaine. Je
n'hésite pas à le placer au moment où la reine, dans une
situation urgente, eut besoin d'emporter la chose.
Un jour, en souriant, mademoiselle de Hautefort tenait,
laissait voir un petit billet. Voilà le roi curieux. Il veut sa*
voir ce que c'est. En badinant toujours, elle recule, et le
roi avance, curieux et intrigué de plus en plus. Il la prie
de le laisser lire, avance la main pour le prendre. Elle le
cache dans son sein. Le roi est arrêté tout court et ne sait
plus que faire. Cela se passait devant la reine. Elle fit une
chose hardie^ et qui pouvait avoir de grandes consé-
quences. Elle prit les mains de la jeune fille, et la tint pour
que le roi pût la fouiller.
Mais Louis XIII fut plus embarrassé encore. Il recourut
TICTOIRB DE RICHELIEU SUR LES REINES ET MONSIEUR. 53
à Texpédient (ridicule, excellent) de prendre de petites
pinces d'argent qui étaient là, et, chastement, de ce lieu
délicat, sans contact, enleva la lettre.
Que serait'il arrivé si les choses s'étaient passées au-
trement? On rira si Ton veut, oh se moquera de ceux qui
donnent aux petites causes une grande portée. Il n'y a rien
de petit au gouvernement monarchique.
Si les pincettes ne s'étaient trouvées là, si Louis XIII
n'eût pas été homme à les prendre, il serait arrivé que le
roi eût senti la débonnaireté de la reine, goûté sa com-
plaisance, compris ce que dit madame de Motteville :
« Que la reine désirait qu'il aimât mademoiselle de Haute-
fort. » Enfin sa conscience dévote eût cédé étouffée par
cette connivence de la personne intéressée.
Mademoiselle de Hautefort ne se fût pas sacrifiée pour
n'en retirer rien. Aussi ardente et résolue qu'elle avait été
▼ertueuse, le pas fait, elle aurait mené bien loin le roi
dans le sens de la reine. Victoire complète de l'Espagne et
du pape. Chute et procès de Richelieu. Nulle alliance avec
Gustave - Adolphe.
Hais Louis XIII ne fut pas assez inintelligent pour ne
pas comprendre. Il méprisa ceux qui l'entouraient, et se
donna solidement et fortement à Richelieu.
Celui-ci, qui connaissait mieux son homme et son ma-
lade, en contraste avec l'impuissante corruption de la
cour, réussit par l'austérité. Le roi aimait le capucin Jo-
seph. Richelieu, non-seulement rappela Joseph, mais lui
organisa un ministère de capucins. Joseph eut quatre
principaux secrétaires de son ordre, un état de maison,
des chevaux, des voitures, des logements aux résidences
de la cour. Mais rien ne fit meilleur effet auprès du roi que
de voir le ministère peuplé de ces robes grises. Rien n'af-
fermit mieux sa conscience et dans ses sévérités pour sa
mère, et dans ses résistances au pape, dans l'alliance avec
Gustave. Il crut que beaucoup de choses étaient per-
54 JOURNÉE DBS DUPBS.
mises à un roi qui faisait aller les capucins eu earrosse.
Du reste, Richelieu, qui connaissait Joseph et Tavait ex-
périmenté le premier fourbe de la terre, tout eu le gran-
dissant ainsi, le mit parfaitement dans sa main. Il dit ai-
mer tant ce cher frère, qu'il ne le logerait qu'avec lui. Lui
et ses capucins, ses employés, son petit ministère, tout
fut établi chez le cardinal, au même étage, dans son ap*
parlement et sous ses. yeux, de sorte qu'il put toujours lui-
même espionner ce chef des espions.
Le tenant de si près, il l'employa à dire au roi certaines
choses difficiles, à ouvrir certains avis violents, se réser-
vant pour lui des dehors de modération. Le capucin, né
homme d'épée, passait pour en garder Tesprit, et on ei
faisait cent histoires plaisantes. On disait, par exemple,
€|tt'un jour, disant sa messe, il reçut un ofiicier qui venait
prendre un ordre pressé pour une surprise de place :
« Mais^ s'ils font résistance ? » dit l'officier. « Alors tuez
tout, » dit le bon père^ et il reprit sa messe inter-
fompue.
Richelieu ne pouvait, sans une mauvaise couleur d'in-
gratitude, parler contre son ancienne protectrice, la
reine mère. Peut-être fit- il parler Joseph, et par lui
enleva la grande njesure de la séparation de la mère et
du fils.
Monsieur, le B1 janvier, ayant repris la guerre par une
sortie furieuse et une bravade qu'il vint faire chez le car-
dinal, on acheva de persuader au roi, excédé de ces orages,
qu'avec sa mère et son frère il n'aurait jamais de repos. U
alla à Compiègne avec toute la cour, mais partit, y laissa
sa mère sous la garde de M. d'Ëstrées, lui faisant dire
qu'il la priait d'aller à Moulins, d'y rester. On lui enleva
Yaultier, pour le lui rendre, disait- on, dès qu'elle aérait à
Moulins.
Le lendemain (25 février 4634), on mit son fidèle Bas-
sompierre à la Bastille. La sœur de Guise, princesse de
VICTOIRE DE RICHELIEU SUR LES' BniTES ET MONSIEUR. SS
Conti, fui exilée avec trois duchesses, dont deux étaient
aussi de la (naison de Guise.
Monsieur s'enfuit en Franche-Comté, sur terre espa^
gnole, le 4 4 mars, avec le secours de sa mère, qui lui re-
mit les pierreries de sa défunte femme. £lle-méme^ lais-
sée sans gardes à Compiègne, sur je ne sais quel avis qu'on
lui donna, s'enfuit aux Pays-Bas (18 juillet 1631). C'est ce
que voulait Richelieu.
Trois gouverneurs de provinces, Guise, Elbeuf et Belle-
garde, avaient quitté la France. 'On les fit condamner à
mort par le parlement de Dijon, ainsi que la Fargis, et
Senelle aux galères. Le roi lui-même avait été à Dijon
pour assurer la Bourgogne, gouvernement du fugitif
Bellegai'de.
Le roi lit ce voyage en mars, et partit de Dijon le 2 avril,
pour revenir. Ce fut en mars que la reine avorta.
Richelieu avait eu la complaisance de laisser revenir
près d'elle la Chevreuse, qui promettait de le servir désor-
mais. Monsieur en plaisanta. Il dit dans son exil « qu'on
avait fait revenir la Chevreuse pour donner plus de moyens
à la reine de faire un enfant. » {Journal de RiclielieUy Arch.
cur,, t. V, p. 71.)
On lit dans le môme journal, p. 41 , cette note curieuse :
« Madame Bellier a dit au sieur Cardinal, en grandissime
secret, comme la reine avoit été grosse dernièrement,
qu'elle s'étoit blessée, que la cause de cet accident étoit un
emplâtre qu'on lui avoit donné, pensant faire bien. De-
puis, Patrocle (écuyer de la reine) m'en a dit autant, et le
médecin ensuite. »
Le roi ignora-t-il cette grossesse? Et Richelieu fut-il
tellement magnanime pour sa belle ennemie, jusqu'à la
couvrir de son silence? Je ne l'imagine pas.
Je crois plutôt qu'il laissa ce triste secret arriver au roi«
pensant ne pouvoir s'afiTerniir sur une meilleure base que
sur le mépris de la reine.
56 JODRNÉB DBS DDPES.
Ce qui est sûr, c'est qu'Anne d'Autriche avorta en mars,
et que Richelieu, définitivement vainqueur et maître, osa,
au mois d'avril, clore et signer son traité avec Gustave,
dressé dès le mois de janvier.
CHAPITRE VI
GasUTe-Adolphe. 1631.
Voilà quatre-vingts pages pour le récit de trois années.
Et qu'ai-je raconté? Rien du tout.
Ce rien est quelque chose. Car c'est le fond du temps.
La grandeur de l'effort, le sérieux des tentatives, la com-
plexité des combinaisons, l'ostentation savante d'une
grosse machine politique et diplomatique, entravée par la
moindre chose, qu'il faut raccommoder sans cesse, et qui
crie, gémit, grince pour donner un minime effet, voilà ce
qu'on a vu. Les infortunés machinistes, Sully et Richelieu,
par une force très-grande de sagesse et de volonté, attei-
gnent de petits résultats éphémères.
Que reste-t-il de Sully, à cette époque, des bonnes vo-
lontés d'Henri IV? Et ce retour que Richelieu en 4626
comptait faire aux économies de Sully, cet espoir de ré-
forme, que sont-ils devenus? Louis XII et François I«'
conquirent la Lombardie avec moins de labeur que Riche-
lieu ces deux petites places de Pignerol et de Saluées qu'il
nous fait tant valoir. Le résultat unique et réel qu'on ait
obtenu, c'est l'amortissement définitif d'une grande force
vive par où jadis la France fut terrible à l'Espagne ; je
parle du parti protestant, de la marine protestante.
58 GUSTAVE-ADOLPHE.
Du reste, l'impuissance est le trait marqué de l'époque.
Chacun sent nettement que quelque chose meurt, et on ne
sent pas ce qui vient.
Les vigoureux génies qui, dans ce siècle, ont un moment
prolongé Tautre, Shakspeare et Cervantes, ont une intui-
tion fort nette de ces pensées de mort. Us jouent avec la
leur et ne regrettent rien.
« Pleurez-moi seulement ce moment où la cloche tin-
tera pour dire que je vais loger avec les vers. . • Oubliez-
moi, et ne répétez point ce pauvre nom de Shakspeare. i
L'Espagnol est plus triste, car il s'obstine à rire. Après
une histoire fort plaisante : « Je sens bien à mon pouls
que dimanche il ne battra plus. Adieu, gaieté! adieu, plai-
santerie! Adieu, amis! A l'autre monde! »
C'est la fantaisie, direz-v^us, qui part avec Shakspeare
et Cervantes. Une sérieuse renaisBafice v«- commencer, de
prose et de boa sens. Voici venir les gens de Port-Rayal,
l'austérité du jansénisme, des efforts méritoires pour
mettre la raison dans la foi. Il est curieux de voir pour-
tant comment les fondateurs eux-mêmes jugmîcnt de k
situation. Jansénius et Saint-Cyran, jeunes en 4613, à
l'occasion de Gauffridi, prince tûs magiciens (V. le volume
précédent), concluaient que le temps de l' An tichnst était
venu, le dernier temps du monde. Vers 4653, Saiat-Gy-
ran, au principe môme de la réforme de Port-Hoyâi,
montre infiniment peu d'espoir. Il dit en propres termes à
Angélique Arnauld : « 11 se fera une réfonottion daas
l'JKglise... Elle aura de l'éclat et éblouira. Mais ce sea. un
éclat qui ne durera pas longtemps et qui passera. »
En résumé, ce siècle même, à sa bonne époque^ daos
ses vigoureux commencements jusqu'à Pascal, manqueda
haut et fécond caractère qui marqua le xh* siècle à son
aurore. Je parle de V espoir^ du signe décisif où le héros se
reconnaît, la jeie.
J'en ai parlé fortement pour Luther, qui^ parai se»tem-
gustàyie-adolphe. 89
pétes, offire pourtant ce signe, la grande joie révolution-
naire, destructive et féconde, et la charmante joie des
enfants.
J*en ai parlé pour le sublime fou de la Renaissance,
l*engendreur du Ckirgantua, qu'on range avec les fantai-
sistes, et qui, tout au contraire, eut la conception pre-
mière du monde positif, du monde vrai de la Foi profonde^
identique à la science.
Je ne vois au xvn* siècle que deux hommes gais, Galilée
et Gustave-Adolphe.
Galileo Galilei, fils du musicien qui trouva Topera, et
musicien lui-même, élève des grands anatomistes de Pa-
done, qui lui apprirent à fond le mépris de l'autorité,
professait les mathématiques. En littérature, son livre,
c'était r Arioste ; il laissait là le Tasse et les pleureurs.
Deux choses un matin lui tombent dans les mains, un
gros livre d*Allemagne et un joujou de Hollande. Le livre,
c'était VAstronomia nova de Keppler (4609), et le joujou,
c'était un essai amusant pour grossir les objets avec un
verre double.
Keppler avait trouvé les mouvements des planètes,
affermi Copernic et pressenti Nei^ton . Galilée, au moyen
de l'instpument nouveau qu'il organise, suit la voix de
Keppler, et, derrière ses planètes, il voit la profondeur des
cieiix(1610).
Foudroyé et ravi, saisi d'un rire divin, il communique
au monde la joie de sa découverte. 11 en fait un journal :
Messager des éunks.
Puis les célèbres dialogues. Nulle pompe, nulle em-
phase; la grftce de Voltaire et le style le plus enjoué.
Voilà la vraie grandeur.
Nous la trouvons la même dans le mattre de l'art mili-
taire, Gustave- Adolphe, créateur de la guerre moderne.
Si Ton veut eroire ce qu'il disait, qu'il Tapprit d'un Fran-
çais, il testera du moins le héros qui la démontra.
60 GUSTAVE-ADOLPHE.
Vrai héros et grand cœur, dont ses ennemis, terrassés,
ne bénirent pas moins la douceur et l'inaltérable clé-
mence.
Ce qui étonnait le plus en lui, c'était surtout son éton-
nante sérénité, son sourire en pleine bataille. La omcep-
tion du bon Pantagruel, du géant qui voit de haut les
choses humaines, semblait s'être réalisée dans ce véritable
guerrier. U n'eut ni le génie morose de notre Coligny, ni
le froid sérieux du Taciturne, ni Tàpreté farouche du
prince Maurice. Tout au contraire, une humeur gaie, des
traits de bonhomie héroïque.
Cet enjouement de Galilée et de Gustave-Adolphe, des
deux hommes vraiment supérieurs, est un trait fort spé«
cial, fort étranger au temps, et qui n'y a nulle influence.
Le temps est sec, et triste, sombre.
Gustave n'apparut que pour un jour, pour montrer une
science nouvelle, vaincre, périr. Galilée, pendant très-
longtemps, influa peu; vingt ans après sa découverte, le
jeune Descartes, qui va en Italie, ne le visite point et
semble ignorer qu'il existe. La révolution de Luther, en
l'autre siècle, a couru en un mois par toute l'Europe, et
jusqu'en Orient Celle de Galilée est négligée vingt ou
trente ans, comme serait un badinage astrologique. Per^
sonne n'en sent l'énorme portée, morale et religieuse.
Avant de faire connaître la révolution militaire qu'opéra
Gustave- Adolphe, il n'est pas mal de le montrer lui-même.
C'était un homme de taille très-haute (quelques-uns
disent le plus grand de l'Europe). Très-large front. Nez
d'aigle. Des yeux gris clair (assez petits, si j'en crois les
gravures), mais pénétrants. U avait pourtant la vue basse,
et il eut de bonne heure, étant Allemand par sa mère,
beaucoup d'embonpoint. Sa grande force d'âme et de
corps, sa paix profonde dans le péril où il passait sa vie,
et l'absence absolue de trouble, n'avaient pas peu contri-
bué à le faire gras. Cela le gênait un peu ; on ne trouvait
GDSTàYB- ADOLPHE. 6(
guère de chevaux assez forts de reins pour le porter. Mais
cela le servait aussi. Une balle, qui eût tué un homme
maigre, se logea dans sa graisse.
11 était fort sanguin, et il avait parfois de petits mo-
ments de colère, fort courts, après lesquels il se mettait à
rire. Il s'avançait aussi trop en bataille, comme un soldat.
Sans ces défauts, les seuls qu'on lui reproche, on aurait
pu le croire plus haut que la nature humaine.
Il était étonnamment juste, et trouvait bon que ses tri-
bunaux suédois le condamnassent en ses affaires privées.
Il apparut dans cette horrible guerre de Trente ans , où
il n'y avait plus ni loi ni Dieu, comme un divin vengeur,
un juge, la Justice elle-même.
L'approche seule de son camp, irréprochablement
austère, était une révolution. Un de ses hommes, qui ve-
nait de prendre les vaches d'un paysan, sent une main
pesante qui pose sur son épaule. Se retournant, il recon-
naît le bon géant Gustave, qui lui adresse avec douceur
ces fortes paroles : « Mon (ils, mon fils, il te faut t'aller
faire juger. » Ce qui voulait dire : Te faire pendre.
Il était le représentant du principe opprimé, le protes-
tantisme, celui de la liberté de l'Europe. Car son père ne
fut roi de Suède que par la ruine du catholique Jean. II
fut le roi de la défense nationale contre la Pologne et les
Jésuites. Son père le désignait, enfant, comme le vengeur
de cette cause. « Je n'achèverai pas, disait-il; ce sera
celui-ci. > L'Allemagne le comprit ainsi. Et, quand il eut
vingt ans (16U), les grandes villes impériales, si éclairées,
Strasbourg, Nuremberg, Uim, voulaient déjà le nommer
leur défenseur contre la maison d'Autriche. Le landgrave
de Hesse l'appelait aussi.
Il avait eu une éducation trcs-forte. 11 écrivait et par-
lait l'allemand et le hollandais, le latin, l'italien et le fran-
çais. Il entendait le polonais et le russe. Mais ce qui était
plus Important, c'est que, dans la trêve de douze ans
62 GUSTÀYA-ÀDeLPfiB.
entre la Hollande et l'Espagne, nombre d*ofiiciers de toale
nation qui vinrent servir en Suède lui apprirent à fond
toute cette savante guerre de Hollande. Situation très- fa-
vorable. 11 se trouva, en réaiilé, le successeur du prince
Maurice.
C'était la guerre des sièges, des canaux, des marais.
Mais, pour la stratégie proprement dite, la guerre des
grandes manœuvres en plaine, le mattre était en Suède.
Pontus de la Gardie (de Garcassonne) l'avait entrevue, et
son fils Jacques la trouva tout entière, la réalisa, l'ensei-
gna à Gustave.
Né en 4585, Jacques avait dix ans de plus que lui. La
nécessité de faire face avec une petite infanterie à l'im-
mense cavalerie polonaise et aux profondes masses russes
le força d'avoir du génie et d'inventer. 11 pénétra jusqu'à
Moscou. Et ce qui prouve que l'homme en lui fut aussi
grand que Thonime de guerre, c'est que les Russes, battus
par lui, eussent voulu le canoniser.
La Suède parut quelque temps irrésistible. Elle reprit
Calmar sur le Danemark. Elle conquit la Finlande, imposa
la paix à la Russie. Elle conquit la Courlande, la Livonie,
la Prusse polonaise, imposa la paix à la Pologne.
En Pologne déjà, Gustave se trouva en face des impé-
riaux, venus comme alliés. Il allait les retrouver en Alle-
magne, sur la côte du Nord, pour l'empêcher d'accom-
plir, ce qui semblait le mouvement naturel de sa conquête,
le tour de la Baltique.
Ce n'était pas une querelle accidentelle,, mais natu-
relle, essentielle et fondamentale. La Baltique, visiblement,
allait appartenir à quelqu'un; à Gustave? à Waldstein?
Celui-ci assiégeait Stralsund, et Gustave la lui fît manquer
(1628).
Dès 4625, la Suède, sous Jacques la Gardie et Gustave,
avait planté le drapeau de la réforme militaire, foit hardi-
ment (elle si pauvre !) son plan pour une armée de quatre-
GUSTAYS-ÀBOLPHiB. 63
vingt mille hooimes. Et quelle prime offrait-dlel Un code
d'une sévérité extraordinaire. De plus^ elle supprimait
presque les armes défensives.
Un Français avait trouvé un principe de guerre opposé
aux trois guerres d'alors. On peut le formuler ainsi : que
ce qu'il y avait de plus fort, ce n'était pas l'élan des Turcs,
la tempête de cavalerie, ce n'était pas la pesanteur des
cuirassiers impériaux, ni même les murs et les savantes
fortifications de la Hollande, — mais bien les murs hu-
mains, le ferme fantassin en plaine et la poitrine de
l'honune.
£t, bien loin de faire des carrés épais comme ceux des
Espagnols, des Janissaires, des rangs serrés contre les
ran^ qui, une fois rompus, s'embrouillaient de plus en
plus» il mit ses hommes en files simples, et du vide der-
rière, disant : a Si la cavalerie vous rompt^ laissez passer,
et reformez-vous à deux pas. »
Cette confiance extraordinaire à la force morale eut son
effet. Et cette belle tactique suédoise tenta les braves au
point que beaucoup quittaient des services lucratifs, et la
Hollande même, pour venir prendre part à la guerre hasar-
deuse où, pour rempart, on n'avait que le cceur.
Ainsi apparut dans la guerre le vrai génie moderne qui
méprise les sens et la platitude du sens commun, qu'on
appelle souvent le bon sens, et qui, le plus souvent, est la
routine. Les sens, le sens commun, avaient dit que le ciel
était une voûte de cristal à clous d'or. Galilée n'en crut
rien, y vit et y montra un abîme infini. Les mêmes sens
^disaient que le plus sûr en guerre était de se mettre der-
rière des cuirasses et des murs. Gustave n'en crut rien, et
il crut, d'après la Gardie, que le vrai mur, c'est l'homme
ferme, et que cette fermeté mobile, dégagée des armures
de Knaçon sous lesquelles on traînait, est le secret de la
victoire.
Dans ces hardis joueurs qui venaient à cette noble lote-
64 gustàvb-adolphe.
rie, on voyait un bon nombre de nos Français réfugiés de
Hollande. L'armée suédoise était surtout, avant tout, Tar^
mée protestante. L'alliance française, qui eût été désirable
à Gustave en 4627, quand Richelieu faisait la guerre au
pape en Yalteline, lui fut extrêmement antipathique en
4629, quand Richelieu, vainqueur de la Rochelle, appelé
par le pape en Italie, était chanté et célébré par tout le
parti catholique. Et, d'autre part, le ministre, qui alors
comptait sur Rome, et déjà se croyait légat, n'eût eu garde
de tout gâter par une telle alliance. 11 tenait cependant
près de Gustave un militaire distingué, Charnacé, qui né-
gociait, semblait vouloir traiter, se mêlait fort des affaires
de Gustave (de sa trêve avec la Pologne). Ce qu'il voulait
surtout, c'était d'inquiéter l'Empereur, de i*etenir Wald-
stein au Nord, tandis que le duc de Lorraine et Monsieur
l'appelaient en France.
Une alliance que préférait Gustave était celle de Betlem
Gabor, son beau-frère, le chef des Marches turques, qui
tenait l'Empereur par derrière. Mais il mourut en no-
vembre 4629. Gustave eût volontiers pris des subsides du
roi d'Angleterre, directement intéressé aux affaires d'Alle-
magne pour la spoliation de son parent le Palatin. Mais
Charles, en lutte avec sa nation, et sous l'influence de sa
femme Henriette, n'était nullement ennemi de la maison
d'Autriche. Gustave ne l'ignorait pas; il jugeait déjà
Charles comme aurait fait Cromwell, et voyait dans son
employé Yane un traître, un agent de Madrid.
Quant au Danois, la terreur de sa défaite l'avait mis si
bas, que, pour se sauver seul, il sacrifiait tous ses alUés'
protestants. Bien plus, il entrait (en dessous) dans un
honteux traité avec l'aventurier, le grand marchand de
meurtres, Waldstein, et il allait mêler le sang de cet
homme au sang royal en épousant sa fille, riche des pleurs
de l'Allemagne 1
Donc, Gustave était seul.
gustàvi-adolphe. 65
Richelieu ne vint sérieusement à lui que fort tard, le
i4 décembre 4629. Ayant alors vaincu la cour par la dé*
couverte des lettres qui dévoilaient les trois cabales, à cette
époque aussi décidément désabusé du pape, il offrait de
l'argent à Gustave pour qu il passât en Allemagne. A
quelles conditions? En promettant de respecter l'usurpa-
tion que la Bavière avait faite du Palatinat. Or c'était le
point grave dans les affaires de TAUemagne. L'électorat
du Palatin, transmis à la catholique Bavière, était le signe
suprême de la victoire des catholiques. En respectant cela,
quoi qu'on f!t, on ne faisait rien. Richelieu n'appelait
Gustave en Allemagne qu'en l'entravant, voulant qu'il
s'abdiquât et s'énervât d'avance.
Et cela pour trois cent mille francs I... Richelieu offrait
cette somme pour chaque année. Mais y aurait -il plusieurs
années? La première, dans une si grande et si terrible
lutte, ne seraitr-elle pas la victoire ou la mort?
La question fut décidée par le sénat de Suède, indé-
pendamment de la France. Le chancelier Oxenstiern était
contre le passage. Le roi et le sénat furent pour : l*" parce
qu'on avait déjà un pied en Allemagne, Stralsund, qu'on
avait défendu contre Waldstein et qu'on voulait garder ;
2® pour garder (chose grave pour un pays pauvre comme
la Suède) le gros revenu de la douane de Dantzig qu'on
venait d'acquérir; 3<> pour garder surtout la Baltique.
Waldstein s'y établissait décidément, comme maître du
Mecklembourg. Il s'intitulait follement propriétaire des
mers du Nord. Mais l'Espagne, mais la Hollande, avec
leurs grandes flottes, ne l'auraient pas laissé paisible. Elles
seraient venues se battre dans la Baltique, s'y faire des
établissements. Et le Suédois n'eût plus été chez lui.
Donc» on résolut le passage. Le 20 mai 1630, Gustave
apporta aux États de Suède son unique enfant dans ses
bras (la petite Christine), la leur remit, leur fit ses adieux,
et il chanta son psaume (le quatre-vingt-dixième) : « Ras-
XII. 5
66 GUSTAVl-àDOtPHS.
sasie-nous, le matin, de ta Grâce... Nous serons joyeax
tout le jour ! »
Le i4 juin, il débarqua en Allemagne, près de nie
Rngen, avec quinze mille hommes. Il écrivit ses griefs à
l'Empereur, rappelait sans souci de l'étiquette, dans sa
bonhomie de soldat : « Notre ami et cher oncle. » A quoi
Ferdinand, exaspéré, ne répondit pas moins avec une
douceur jésuitique « qu'ail ne se rappelait pas avoir fiiit de
la peine au roi de Suède. »
Celui-ci, en touchant ce rivage désolé de l'Allemagne,
fut bien surpris de voir que ce peuple, qui l'appelait de-
puis si longtemps, qui semblait vouloir l'appuyer, le nour-
rir, « qui lui aurait donné son cœur même à manger, * ne
bougea plus, se recula plutôt de lui avec terreur. Tant la
tyrannie exécrable de Waldstein les avait brisés. Le Po-
méranien, obligé de recevoir Grustave à Stettin et ne pou-
vant lui résister, en fît à Vienne les plus basses excuses.
Les électeurs de Saxe, de Brandebourg, en qui il espérait,
ne lui envoyèrent personne. Ils envoyèrent à l'Empereur,
à sa diète de Ratisbonne. Bref, Gustave n'eut ni ami ni
ennemi sérieux. H eut beau laisser tout ouvertes les portes
dé âtettin pour inviter les impériaux à venir Tattaquer.
Us restèrent à distance. Il prit des villes, il prit l'embou-
chure de rOder, et n'en fut pas plus fort. Sa guerre était
toute autre que celle des impériaux. Ils prenaient tout et
affamaient les villes. Lui, il leur apportait du pain.
Cette situation dura presque une année (de juin en
juin). Les princes protestants, au lieu de se joindre à
Gustave, exploitèrent seulement sa présence en Aile»
magne pour faire peur à l'Empereur à Ratisbonne, et
obtenir de lui la destitution de Waldstein.
Cette affaire fut poussée d'ensemble et par les protes-
tants (Saxe et Brandebourg) et par le catholique duc de
Bavière, qui espérait succéder à Waldstein comme gé-
néral des forces de l'Empire. Mais la destitution de celui-
GUSTAVE-ADOLPHE. 67
ci n'était qae nominiJe. Simple particulier, il n'en restait
pas moios le chef secret de ces loups effrénés qui n'eus*
sent jamais trouvé un si bon maître, c'est-à-dire si cruel
ni si tolérant pour le crime.
On a dit à la légère que le père Joseph avait fait son
beao traité à Ratisbonne pour obtenir de l'Empereur la
destitotion. Chose prouvée fausse par les dates. Waldstein
fîit destitué en septembre, le traité signé en octobre (4630).
En décembre, Gustave était encore fort seul dans le
nord de l'Allemagne, dans un affreux désert. Il croyait y
périr. Le 4, il écrit à son ami Oxenstiern en lui donnant
courage^ mais sans cacher qu'il espère peu, et il lui re-
commande son enfant, sa mémoire. C'est peu de jours
après qu'il reçut l'offre de Richelieu, un subside, une
entrave, un très- faible subside, avec la condition de
s'abstenir des plus riches pays de TÀllemagne, des gras
électorats ecclésiastiques du Rhin, et de respecter la Ba^
vîère. De janvier en mars, dans sa grande misère, il ré-
sista encore, dit Non. Cependant il avait contre lui Tarniée
da Tilly. Et l'Empereur songeait à rappeler Waldstein en
lui donnant la dictature militaire de TAUeniuigne. Deux
armées catholiques allaient se former contre lui, tandis
que les princes protestants tergiversaient. Il prit enfin la
plume, signa et reçut Targent catholique, secours mi-
nime et illusoire, trois cent mille livres pour la première
année, et lit>éralement un million pour disque année sui-
vante, probablement après sa mort.
11 signa. Et pourquoi? Pour avoir le nom de la France.
Il rendit public, imprima cet acte que Richelieu voulait
secret. L'dfet en fut immense. Ce nom, réellement, donna
des ailes à sa fortune .
Avril 4634 est mémorable par les traités contraires que
fit la France en même temps.
Le S2 avril fut ratifié le traité avec Gustave-A dolphe
contre l'Empereur.
68 GnSTàYK^ADOLPBB.
Le 6 avril, avait été conclu à Chérasco un traité de la
France avec l'Empereur. Ce traité pour l'Italie seule, il esl
vrai, mais qui permettait à Ferdinand de retirer une ar*
mée d'Italie et de l'envoyer contre Gustave.
Troisièmement, en mai, Richelieu fit un traité secret
avec la Bavière (rival secret de l'Empereur, ennemi public
de Gustave), que la France eût voulu faire respecter du rot
de Suède pendant que le Bavarois envoyait contre lui Tilly.
Honteuse politique et misérable imbroglio. Mais les
événements déchirèrent les fils brouillés de cette toile
d'araignée.
D'abord le cabinet jésuite de Ferdinand, très-sottement
rusé pour ne tromper personne, déclare aux protestants
qu'il renonce à leur faire des procès religieux pour les
restitutions ; on ne fera que des procès doits; les gens de
loi de l'Empereur vont s'établir chez chaque prince et
s'immiscer partout dans le régime intérieur des Ëlats. En
réalité, plus de princes, plus de gouvernements ; la )ustioe
impériale aurait remplacé tout.
Il s'éleva un cri d'indignation contre une telle hypo-
crisie. Et, au môme moment, un fait horrible perça le
cœur de l'Allemagne, Magdebourg brûlé et quarante mille
hommes égorgés par Tilly au cri de Jésus t Mariât Lui^
même écrit paisiblement : « On n'a rien vu de tel depuis
la ruine de Jérusalem. »
Ce fut le fruit des hésitations de l'ivrogne électeur de
Saxe, qui, parmi les brouillards du vin, croyait tenir la
balance entre Gustave et l'Empereur, ne faisait rien et
paralysait tout.
Tilly marcha vers lui, et, dans sa peur, il fallut bien
alors que le Saxon se réfugiât sous la main de Gustave.
Celui-ci entraîna encore le Brandebourg, et il avait déjà
le Mecklembourg, la Poméranie. Le courageux landgrave
de Hesse, si loin de sa protection, seul sur le Rhin, se dé-
clarait aussi pour lui.
OUSTATB-ADOLPHE. 69
L'approche de Tilly s'annonça à la Saxe par l'incendie
de deux cents villages. Il n'était pas loin des armées sué-
doises et saxonnes. Mais il voulait attendre l'armée des
bourreaux de Mantoue pour en fortifier celle des bour-
reaux de Magdebourg. Notre traité de Ghérasco lui faisait
espérer ce gros renfort. Gustave ne lui donna pas le temps
de le recevoir. Le 7 septembre, il le défit et l'anéantit à
Leipzig. Ce fut le solennel essai de la tactique nouvelle.
Gustave fit un usage habile, heureux, d'une rapide et
mobile artillerie légère. Il dit aux fantassins : « Ne tirez
pas avant d'être assez près pour voir le blanc des yeux. »
Et, comme la masse pesante des cuirassiers impériaux
pouvait les alarmer, il dit : « Poignardez les chevaux. »
Les vieux régiments de Tilly combattirent avec une
fureur inexprimable, d'autant qu'ils perdaient leur mé-
tier, que dès lors la chance était aux Suédois. Mais ils
forent écrasés. Leur fuite fut plus sanglante encore que la
bataille. Car la terre délivrée, la terre se souleva, les mon-
tagnes du Hartz fondirent sur eux, et les pierres sur tout
le chemin semblèrent s'être changées en paysans armés
pour consommer cette juste vengeance et cette punition
de Dieu.
Il n'y eut jamais victoire si belle. C'était celle du peuple,
celle de l'humanité, de la pitié, de la justice.
Gustave pouvait faire ce qu'il voulait, aller où bon lui
semblerait, à droite ou à gauche ; — ou tout droit au
midi, par la Bohême ruinée, aller frapper FAutriche à
Vienne ; — ou bien, au sud-ouest, aller s'établir et se re-
fUre dans les pays non ruinés, dans les bonnes terres de
prêtres sur le Rhin, et, s'il le fallait, en Bavière.
Le chancelier Oxenstiern, qui était loin, eût voulu qu'on
allât à Vienne. Gustave, qui était près, jugea qu'il fallait
aller vers le Rhin.
Tous l'en blâment. Moi, non. Ce misérable Empereur,
qui avait fait de ses mains une Arabie de la Bohême, qui
70 GOSTATI-IDOLPHB.
avait épuisé ses Ëtats patrimoniaux et bu leur siDg, d'où
tirait-il un peu de moelle encore? Des pays de l'ouest, des
pnnceit-prétres qui l'aidaient malgré eux. La main mise
sar cenx~cî, et la perfidie bavaroise étant neutralisée, d'an
seul revers à gauche Gustave eût abattu l'Autriche.
Il chargea donc la Saxe d'envahir le désert de BofaAme,
et il s'en alla vers le Rhin, guerroyant Ji son aise , méns-
geant tout le monde, riant avec les prêtres, dont ses Sné-
dois buvaient le vin. Il était sbr de réassir sHI D'avait
d'obstacle que ses ennemis.
Mais il pouvait aussi trouver obstacle en ses amis, en
ses alliés malveillants. En approchant du Rhin , il allait
loucher Richelieu.
CHAPITRE VII
Oonmeot Riebebaa pro4|a de» Tietoifes de Gustave. iâ32.
Quand Ricbelieu vit son ami Guatave venir à lui à tra-
vers tottle rAilemagne, fidre sans obstacle deux cents
lieues vers Touiésl et arriver au Rhin, ii fut étonné, j'aUets
dire effrayé. Quel dérangement de l'équilibre I quelle
énorme prépondérance du parti protestant I II n'avait de-
yiné en rien ce roi de Suède. U Tavait mesuré à la mesure
de Spinola, ée quelque autre bon général, et il avait
eomplé sur une guerre boUfindaise où les deux partis^
faâsaai pied de grue, restaient des dix ans à se regarder.
Aoatave était bien plus qu'un général. C^ait une révo-
loâioa»
Bien vite Richelieu fit trois choses :
U pousse son roi en Lorraine dès le lendemain de la
bataille de Leipzig, pour profiter, happer quelque dé-
pouille (octobre 1634). Chose peu difficile dans ce grand
moment de terreur.
Deuxièmement, il avertit les catholiques, et en général
les princes d'Allemagne, de as véiigier tous sous la
garantie du traité de France, dans une neutralité armée,
de n'aider ai Gustave al l'Empereur. Neutralité qui, pks
$6i aurait éié bvocable à Gustave, mais qui, lorsqu'il éiait
7S COMIIKNT RICBRUXO PROFITI
vainqueur, devenait son obstacle. S'avançant seul et si
loin, il avait besoin d'être atdé si l'on voulait que sa vic-
toire fût sérieuse, durable, fatale à la maison d'Autriche.
Enfin Hichelieu invita Gustave même à ne pas profiter
de son succès, à laisser ces prétendus neutres garder leurs
forces entières et se tenir armés, au profit réel de L'\u~
triche, dont ils restaient les secrets alliés, et deniaia les
auxiliaires actifs, au premier revers du Suédois.
Il semble qu'il eût cru, pour ses trois cent mille francs,
avoir acquis Gustave pour le diriger, l'arrêter, le mener
ici et là. Voilà que, sans avoir rien fait, on voudrait limi-
ter, détourner la conquête de cet Alexandre le Grand. U
ne touchera pas à la Bavière, évitera l'Alsace, tournera
Trêves, respectera Mayence , n'ira pas en Lorraine, dont
le duc était aller le provoquer et se faire battre.
Gustave eut la bonté de répondre qu'il ne lui était pas fa-
cile d'épargner tous ces princes amis de l' Autriche; que le
Bavarois jouait double, armait en faisant négocier; qu'on
savait ses pensées, et par lui-même , ayant intercepté ses
lettres; que l'ennemi, d'ailleurs, qui venait de lui disputer
l'Allemagne à Leipzig, était le Bavarois Tilly.
Gustave n'avait pas la moindre idée de se détourner en
Lorraine. La protection dont Richelieu couvrait un pays
que l'on n'attaquait pas n'était qu'un prétexte pour y
prendre des gages, s'y établir comme protecteur. Quant à
l'Alsace, Gustave pensait certainement à Strasboui^, qui
l'avait appelé, c^mme bien d'autres villes. Richelieu n'y
pouvait trouver à redire, lui qui, aux derniers dangers de
Strasbourg, n'avait osé lui donner de secours que l'auto-
risation d'emprunter quelque argent aux marchands de
Paris!
La protection que Richelieu offrait aux catholiques
^d|AIle|naene n'était pas sérieuse. Il n'était pas armé en-
^^^^. quoiqu'il se vante d'avoir eu au printemps soi-
^^^ '^ niilie hommes , on a peine à le croire. Eo
DBS VICTOIRKS DB 6USTAVB. 73
comptant bien les trois armées qu'il eut, on n'en trouve
que cinquante mille. Mais alors, à la fin de 1634, il n'avait
encore presque aucune- force. C'était par le nom seul du
roi qu'il voulait arrêter Gustave et lui faire respecter ces
petits princes. Tous leurs ambassadeurs vinrent se grou-
per auprès de Louis XIIL Us en tirèrent une sotte con-
fiance. Les moindres en prirent une assurance ridicule
pour chicaner, marchander avec une force irrésistible.
On le vit à Francfort. Les Francfortois le prièrent de
passer son chemin, disant que, s'il leur faisait manquer à
la fidélité qu'ils devaient à l'Empereur, ils pourraient bien
être privés du privilège de leurs foires.- Ce qui leur valut
la verte semonce qu'on va lire : « Vous ne parlez que de
vos foires, mais vous ne parlez pas de conscience et de
liberté... Si j'ai trouvé la clef des places, de la Baltique au
Rhin, je trouverai bien encore celle de Francfort... Suis-je
venu ici pour moi-même? Non, c'est pour vous et pour
les libertés publiques. — Que Votre Majesté nous per-
mette du moins de consulter monseigneur l'archevêque
de Hayence... — C'est moi qui suis monseigneur de
Mayence. Et, comme tel, je vais vous donner une bonne
absolution qui vaudra bien la sienne... Pour la Bavière,
n'y pensez pas; j'ai déjà pris de ses canons que je pour-
rais vous faire entendre... » — Là, les voyant tout blê-
mes, il reprit sur un ton plus gai : « Je ne suis pas votre
ennemi. Mais j'ai besoin de votre ville... Votre Allemagne
est un vieux corps malade ; il faut des remèdes héroïques.
S'ils sont un peu forts, ayez patience. Moi, j'en ai bien.
Je ne suis pas ici pour me divertir. Je couche sur la dure
avec mes hommes, tandis que j'ai là-bas une belle jeune
femme avec qui je n'ai pas couché depuis longtemps...
Bref^ Messieurs de Francfort, vous me tendez le bout du
doigt; moi, je veux votre main entière pour vous donner
la main. Je vois bien la manœuvre... mieux que je ne vois
celles de vos braves soldats. Pour des paroles , la seule à
.74 .GOMMBKT RIGSILIBU PROriTÂ
quoi je me fie» c'est celle de Dieu ; il est ma garantie, avec
ma propre prévoyance. »
Il avait dit : a Je sais éiectemr de Mayenee et due de
Franconie. » D jugeait avec raison que rÉmptre était fini.
On le voyait crouler à la première impulsion.
Les deux mensonges s'en allaient.
Le mensonge autrichien (de tant de peuples unis d'esx*
mêmes, disait-on) était violemment démenti , et par la
Bohème, qui, en deux mois, passa à la Saxe, et par la
Hongrie, denri-soulevée, et par rA.tttriebe elle-même qui
voulait armer contre T Autrichien.
Et le grand mensonge allemand, la fiction du saint-
empire, la sotte comédie d'élire un prince règlement
héréditaire, tout cela finisisait aussi. Tous ces princes et
principicules, valets-nés du {dus fort, qui, sous l'ombre du
grand vautour, mangeaient , suçaient le plus patient des
peuples, il leur fallait quitter le jeu. Un vengeur et un
protecteur arrivait à TAllemagne pour hriser à la fois et
ses faux protecteurs, et le fléau de l'armée des Mgaods.
Il avait été droit à Francfort, au champ d'éleeiion^ pov
eouper court avant tout à la vieille farce qu'ils aUnient
jouer encore, de faire un faux roi des Romaine dans le fils
de l'Autriche. Gustave, avec son titre de prince des Goths
que portent les rois de Suède, assurait ne eonnattra rien
au vieux droit de l'Empire. Son droit, c'était Leipzig, la
vengeance et la délivrance de rAUemagne, prouvée à
incapable de se délivrer elle-même.
Nul doute qu'en présence du fléau exécrable qui Na-
geait le pays, l'armée générale des voleurs qui se refaisait
sous Waldstein, il ne fallût un gardien de T Allemagne qai
campât, l'épée nue, non pas sur la Baltiqae au petit becd,
mais au cœur, sur le Rhin. Un grand reyauBM armé da
Rhin était la seule condition de salut pour celte rwe infor-
tunée, si Dieu avait assez pitié d'elle pour conserver Gus^
tave-Adolpbe.
Vm VICTOIUS DE 6USTAVB. 75
La Suède lui est-elle étrangère? Elle parle un dialecte
germanique, et Gustave spécialement était Alleniand par
sa mère. D'où vînt donc cette répulsion, cette antipathie,
cette froideur? D*elle-m^iie, rAllemagne est jalouse. Si
grande et si féconde, matrice et cerveau de l'Europe en
plusieurs de ses grandes crises, elle ne devrait rien jalou-
ser. Et le Suédois encore moins qu'autre chose. Grand
▼ainqueui", mais très-petit prince, très-pauvre, une force
passagère qui ne pouvait tirer consistance et durée que
d'une extrême bonne volonté de FAUemagne. Elle lui
maiHfua réellement. Les princes, ceux du moins qui ne
furent pas forcés par la présence de Gustave, suivirent de
leur mieux le conseil de Richelieu, de rester impartiaux
€l de garder une juste balakioe entre Dieu et le Diablq,
entre leur sauveur et leur exterminateur. La bourgecMste
des villes impériales, qui, quinze années plus tôt, avait
appelé Gustave, lui venu , se montra prudente , fine et
avisée, politique, aidant le moins possible celui qui com-
battait pour tous, chicanant au libérateur ce que le lende-
main elle donna généreusement aux brigands.
U me faut bien ici laisser l^s grandes c&oses pour conf-
ier les petites, voir maintenant comment Richelieu, en
eatravant Gustave, profita de ses victoires, exploita habi-
lement la terreur de son nom et grappilla sur sa conquête.
L'histoire est identique ici à l'histoire naturelle. L'astu-
cieux corbeau suit l'aigle ou va devant, attentif à se faire
aa part, s'invitant au repas et relevant-les restes même
mmA la fin du feslin.
L'attention qu'il a dans ses Mémoires à brouiller son
récit, à intervertir les dates de mois et jours, empêche
d'obsarver que chaque pas de Louis XIII suit chaque vie-
toîre de Gustave; que nos succès sont les contre- coups
naturels des grands succès de là-bas. U est bien entendu
que la plupaort des auteurs de mémoires et historiens ont
reproduit soigneusement ce désordre. Rétablisaons le syn-
76 GOMMENT RICBILIEU PROFITA
chronisme des affaires d'Allemagne et de celles de France
qui en étaient les résultats.
Richelieu ne bougea avant que Gustave eût gagné sa
bataille de Leipzig (7 septembre 4631). A l'instant, il em-
mena le roi avec quelques troupes qu'ail avait en Champa-
gne (33 octobre), et fondit sur la Lorraine allemande,
investit Moyenvic, petite forteresse de l'évéché de Metz,
que les soldats de l'Empereur occupaient et fortifiaieot.
Le drapeau impérial flottant sur Moyenvic n'empêcha pas
le roi d'y entrer (27 décembre 4634). Après la déchirure
qu'y venait de faire à Leipzig l'épée du roi de Suède, ce
drapeau n'était qu'un lambeau.
L'étourdi duc de Lorraine avait pris justement ce temps
pour provoquer à la fois les deux rois. D'une part, il avait
chez lui le frère de Louis Xlll et le mariait secrètement à
sa sœur. De l'autre, il s'en allait, dans ce moment terrible
où le torrent de Suède emportait tout, se mettre devant.
Ëreinté et jeté au loin, il ne rentra chez lui que pour y
voir le roi de France. Le roi eut pourtant la bonté de le
recevoir, de lui dire qu'il le protégerait contre Gustave
(qui ne songeait guère à l'attaquer), mais que, pour ras-
surer Gustave sur les intentions du duc de Lorraine, loi
Louis XIII prendrait en dépôt sa ville de Marsal et ses
salines, le meilleur de son revenu (6 janvier 463S).
Le duc de Lorraine méritait cela, et pis. On ne peut
qu'applaudir à une ruine si méritée. Cependant Richeliea
mit à sa spoliation successive, qui dura deux ans, un laxe
de ruse et d'astuce absolument inutile avec ce petit prince
qui ne pouvait ni se défendre ni se faire défendre par les
LoQpériaux ou Espagnols. Il prit la Lorraine en trois fois,
par trois cessions successives, tenant, ce semble, à ne rien
prendre que par le consentement forcé du spolié, et non
comme conquête, mais comme amende et punition. Enfin
il le désespéra au point qu'il alla se faire rettre.
Le second grand coup de Gustave, la défaite, la mort
BB YfCrOIll» M GCTSTATI. 77
de Tilly (5 avril 463S), donna à Richelieu une force inouïe
au dehors, au dedans, pour frapper ici les amis, le les
alliés de l'Espagne.
L'Espagne, battue sur le Rhin par un petit parti suédois,
tombait dans le ridicule. Et ses malheurs la faisaient
radoter. Elle en était à faire sa cour au pape pour qu'il
tirât le glaive spirituel, octroyât la croisade contre le
prince des Goths. Elle priait Venise et la Toscane de vou-
loir bien faire avec elle une ligue italienne. Venise s*en
moquait et soudoyait Gustave^Adolphe.
On comprend le mépris avec lequel Richelieu reçut
Tintervention des deux protégés de l'Espagne, la reine
mère et Gaston, dans le procès qu'il faisait faire au maré-
chal Marillac. Ils avaient cru faire peur aux juges, effrayer
la commission qui procédait. Richelieu prit sur lui le dan-
ger possiUe et fotur. Il rassura les juges en leur laissant
l'excuse de pouvoir dire plus tard, s'il le fallait, qu'il les
avait forcés. II fit faire le procès chez lui*méme à Ruel.
Marillac, comme général, s'était fort mal conduit, avait
montré une inertie perfide dans les moments critiques .
La trahison pourtant était diflBcile à prouver. Il fut con-
damné comme voleur, ayant détourné de l'argent, l'argent
des vivres, gagné sur la vie du soldat. Sa condamnation
et sa mort, malgré les menaces insolentes qu'on faisait de
Bruxelles, furent une victoire sur l'Espagne, sur ses alliés,
la mère et le fils (10 mai 4632).
L'Espagne ne désespérait pas d'opérer ici par nos traî-
tres une petite diversion. En mettant Gaston à la tète
d^une bande de deux mille coquins de toute nation (qu'on
disait espagnols), on le lançait en France , oix les Guise,
les Créqui, les Èpernon, et autres, même Montmorency,
faisaient espérer de le soutenir. Les Espagnols promet-
taient tout, une armée aux Pyrénées, une flotte en Pro-
vence, etc. Et cela au moment où de toutes parts ils
étaient enfoncés, battus, perdus, ne pouvaient plus se
78 COmilNT RICHSUIU PROFITA
reconnatlre. Louis XIU en fut si peu inquiet» qu'il prit ce
moment pour mordre encore un bon morceau dans k
Lorraine. Alléguant que Gaston avait fait en Lorraine sa
petite armée, il passa au fil de l*épée deux régiments lor-
rains, campa devant Nancy (23 juin). Le duc, non secouru,
est réduit encore à traiter, et cette fois cède trois forte-
resses.
Lui et Gaston avaient agi comme des en&nts. Au dé£ui(
de TEspagne, ils comptaient sur Waldstein ; ils appelaient
Waldstein, comme s'il eût pu bouger, étant alors en &oe
et sops répée de Gustave. Seulement, comme œlui-ci
était obligé de se concentrer devant Waldstein, il était
faible sur le Rhin, presque autant que les Espagnols. Cela
permettait à Richelieu d'avancer entre les uns et les
autres, de profiter de la terreur des princes-prêtres et de
se garnir. les mains. Les Suédois avaient préparé, Riche-
lieu recueillait. 11 arrivait, comme protecteur des eathoJi-
ques, pour escamoter les conquêtes, le prix du sang des
Suédois. C'est ainsi que ceux-ci, ayant battu les Espa-
gnols dans rarchevêcl^ de Trêves, et croyant avoir pris
CoblentE, virent sur la forteresse flotter le drapeau d'une
garnison française que Tarchevéque y mit lui-même.
Telle était Tunion de ces bons alliés. Mais Tefiet moral
de Talliance n*en était pas moindre. « Ces deux puis-
sances jointes ensemble, dit Richelieu, onaentoit qu'il
n'y avoit rien en terre qui pût résister, a Donc le pauvre
Gaston put continuer en France son pèlerinage solitaire.
Pas une province ne bougea, pas une ville n'ouvrit ses
portes. Les gouverneurs qui avaient donné espoir, d'&per-
non, Gréqui, se gardèrent bien de se déclarer. Une seule
chose était dangereuse, c'est que Yalençay, qui tenait
Calais, avait promis de l'ouvrir à l'Espagne. Mais l'Espagne
n'y Alt' pas plus à temps qu'elle ne le fut aux Pyrénées
pour soutenir Montmorency, gouverneur du Languedoc.
Celui-ci s'était brouiUé avec Richelieu, fort maladroite-
JD8S VICTOIRES BB GUSTAVE. 79
ment, pour un chevalier comme il était, sur une ques-
tion d*argent. Bichelieu et d'Effiat, son surintendant des
finances, avaient fait l'entreprise d'introduire en Langue-
doc, comme dans tous les pays d'états, fimpât réglé par les
élus. Impôt, il est vrai, ncm voté, donc d'un arbitraire
élastique, mais en revanche dégagé des surcharges insen-
sées, honteuses et uxNistrueuses, que les états votaient
pour dons aux gouverneurs et autres grosses têtes de
l'assemblée. Montmorency y perdait cent mille francs.
Belle et noble occasion pour faire la guerre civile !
Montmorency n'entraîna les états que par la force en
emprisonnant les récalcitrants. Hais il n'entraîna pas du
tout nos protestants des Cévennes, ni ceux des villes, Nar*
bonne, Nîmes, Montpellier. Us n'avaient garde d'armer
ecmtre Richelieu, qu'ils croyaient ami de Gustave.
Qui croirait que Gaston, Montmorency, ces pitoyables
fous, eurent l'idée ridicule d'écrire à Gu^ve, d'imaginer
que, n'étant pas content de Richelieu, il leur enverrait des
secours? autrement dit, que Gustave coopérerait avec les
Espagnols?
Gaston n'était qu'un page, et nie méritait que le fouet
Son frère, pour châtier ou ramener cet enfont prodigue,
lui envoya, pour pédagogues, deux protestants, la Force
et Schomberg, avec quelques mille hommes. Leur besogne
fut peu difficile. Gaston était plus fort que Schomberg,
comn«B nombre. Mflis, comme forée morale, il était nul ;
il apportait à la bataille le découragement de l'Espagne, sa
reculade universelle et l'entrain des défaites. Schomberg
avait tout au contraire la France et le roi derrière lui, plus
ralliance du redouté vainqueur, la lointaine terreur et
riii¥incibilité de Gustave. Gaston le sentait bien. Mont*
morency peut-être aussi. Mais il n'osa pas reculer, et, les
jeux fermés, à peine suivi, ce vaillant fou plongea dans
les rangs de Schomberg. Il n'eut pas le bonheur d'être
tué ; il fut Messe et pris {\^ septembre 4 632).
80 oHiiiKifT Mceiuio pRonri
Schomberg élait trop politique pour faire prisoanî»
l'héritier du trAne. Gaston pouvait s'enfuir. S'il eût Tait
retraite vers la mer, il aurait reçu au rivage six mille
Napolitains que l'Espagne lui disait passer. Hais Schom-
berg négocia avec lui, lui Bt espérer que, s'il ne fuyait
pas, il aurait de bonnes conditions. Il l'esta, les posa lui-
même, comme s'il eût été vainqueur, exigeant des choses
excessives, qui auraient été la honte du roi, des places de
sûreté pour lui, le rétablissement des condamnés, entre
autres celui de le Fargis près de la reine Anne. Pendaal ce
temps, on le tournait, on l'enveloppait, on passait au midi
entre lui et l'Espagne. Il lui fallut baisser de ton. BuIIîod,
homme de Richelieu, arriva, et lui dit qu'il n'avait de
salut que dans une soumission complète. Hais quelle?La
plus déshonorante, avec deux clauses terribles : promesse
de dénoncer à l'avenir les complots qu'on fera pour lui,
engagement de ne prendre aucun intérêt à ceux qui l'ont
suivi et de ne pas se plaindre s'ils subissent ce qu'ils
méritent.
Gaston (à en croire ses lettres et ses mémoires écrit:i
par un des siens) avait peur et horreur d'avaler cette
infâme médecine. On lui dit que c'était la seule chance
d'apaiser son frère et de sauver Montmorency. La femme
du prisonnier pria Gaston elle-même de trahir sod mari
on paroles pour le sauver en acte. Le roi pourtant ne fiil
pas engagé, Buliion n'ayant pouvoir ni caractère pour
promettre la grâce en son nom.
La situation était analogue à celle d'Henri IV dans l'af-
faire de Biron, avec cette différence que Honlmoreocjr
n'avait rien de la noirceur de l'autre, qu'il était aimé de
tout le monde et méritait de l'être pour ses charmantes
qualités. C'était un pauvre esprit, léger et indécis (comme
même, il bredouillait un peu), mais le cœur sur
un attrait tout particulier de naïveté chevale-
foute la cour, toute la noblesse de France, étaient
DBS VICTOIRBS DB GUSTAVE. 81
à genoux devant le roi et priaient pour lui. Faire périr un
tel homme, et dans son Languedoc même, où il était adoré,
et dont lui et ses pères étaient gouverneurs depuis si long-
temps, cela paraissait un horrible coup. Et un coup qui
serait vengé. Monsieur avait dit que, si Ton touchait à cette
tète, il connaissait plus de trente gentilshommes qui poi-
gnarderaient Richelieu.
Celui-ci nous a conservé la délibération. On y voit qu'il
donna les raisons pour et cohtre, faisant valoir surtout les
raisons pour la mort, l'avantage de décourager à jamais le
parti de Monsieur, la grande difficulté de garder un tel
prisonnier; puis se démentant tout à coup, et concluant à
le garder comme otage.
11 est trop évident qu'il voulait que le roi eût seul la
responsabilité d'un pareil acte. Mais le roi n'avait rien de
spontané, nulle initiative. On avait beau lui arranger la
chose, lui bien montrer la question. Il fallait que quel-
qu'un le poussât par un avis exprès, lui fit signer la mort.
Le panégyriste du père Joseph, écrivain ailleurs très-peu
grave, mérite ici quelque attention quand il affirme, « d'a-
près des mémoires sûrs, » que le capucin eut l'honneur de
la chose, qu'il mena toute l'affaire, d*abord la trahison de
Bullion, l'espoir dont il leurra Monsieur,, puis le conseil de
mort. Richelieu mit Joseph en avant et le fit parler avant
lui. 11 le connaissait vain, aimant à se faire fort d'énergie
machiavélique et à faire blanc de son cpéi;. Joseph parla
d'autant plus ferme, qu'il sentait trouver faveur et appui
dans le cœur de Louis Xlil, porté de sa nature à la sévé-
rité. Montmorency, condamné au Conseil, le fut immé-
diatement par le Parlement de Toulouse, décapité le même
jour (30 octobre 4 632).
L'étonnement fut extrême en France et en Europe. On
ne l'eût jamais cru, et personne ne l'aurait prévu. Chacun
baissa la tête, et sentit bien qu'après ce coup il n'y avait
de grftce à attendre pour personne. L'effet fut plus terrible
xn. 6
gC GOMIfnfT KICHIUBIT PRORTA
que celui de la mert de Biron. Montmorency était ni aîné,
que ce fat pour beaucoup comme une perte de famSle,
un coup tout personnel, l'effet d'un frère décapité.
On flt comme pour Biron. On calma les pareotB en leur
donnant les biens du mort. Le mari de sa sœur, le prinos
de Condé, le plus avare homme de France, tendit la maÎB,
reçut. Principale origine de cette énorme fortune des
Condé. Celui-ci en 4609 n'avait pas dix mille fraaca de
rente. Sa femme Tenridiit, puis la mort de son beau*
frère, qui lui valut Ëcouen, Saint-Maur et ChantiUj.
Richelieu, déjà malgré lui, avait fondé les Orléans (4626),
et fonda encore les Condé.
Montmorency 9 qui mourut comme un saint, laaçt
pourtant, par testament, une rude pierre au front de
Richelieu. 11 lui fit un don, lui légua un tableau de prix.
Plusieurs des amis de Montmorency, de ses principaux
gentilshommes, furent mis è mort, et leur fidélité punie.
Chose nouvelle qui scandalisa, indigna. Elle brieah les
vieux attachements de vassal à seigneur, de cUent à
patron, de domestiqtAe à maître. Nul mettre désormais que
le roi et l'Ëtat.
Sévérité terrible, mais nécessaire. C'était le commen-
cement du règne de la loi. Et, dans les mœurs, dans l'opi-
nion d'alors^ il y avait à oser cela et péril et grandeur.
L'eifet voulu fut obtenu. Pour longtemps les partis res»
tèrent décapités, la guerre civile impossible, et TEspagne
n'eut plus de prise. Les complots furent réduits aux chao*
ces de Tassassinat.
Dès ce jour, beaucoup désirèrent violemm^at la mort
de Richelieu. Et cela, il faut le dire, moins encore pour
son audace que pour le mélange d'une basse cnianté de
robe longue qu'on crut y voir mêlé. On trouva monstrueux
qu'un des gentilshommes de Montmorency fM envoyé aux
galères ramer avec les forçats. Pour Téchafaud, à la
bonne heure. On trouvait même que l'acte hardi de la
1»9» VICXÛIRBS J>e OUSTJWVg. 83
mort 'de MontmoFenoy avait été fait Iftcheoient. 11 Tavait
voulue sana nul doute, et a'avait pas osé Ja .çouseiUer. II
y avait montré le oonrage d'une, àme de .prêtre, ue ,frap«^
pant pas lui-même, luais poussant le couteau.
Il se sentit trës^seul. ,Le spectacle de cette cour terrifiée.
mais désolée, était effrayant pour lui- môme, te roi avait
tenu b<Mi au moment décisif. Mais a'aurait-il pas de
retour? Par un revirement surprenant et qu'on put croire
timide, à ce moment de grande audace, Richelieu envoya
à Madrid et fit des ouvertures aux Espagnols.
Gustave^ Adolphe avait pâli, et Richelieu, par un seus
froid, exact, de la destinée du héros, jugeait qu'il était
temps de Tabandonner. Waldstein et l'armée des brigands
avaient ressuscité, et rAllemagoe ne secondait pas sérieu-
sement son libérateur. Quand Gustave vint contre Wald-
stein défendre Nuremberg, la capitale du commerce et
l'arche sainte du génie allemand, on le laissa deux mois
languir, s'épuiser là de misère et de maladies.
Richelieu calcula qu'il fallait profiter d'uae situation
eneore entière et de l'efiEBt moral qu'allait avoir ce coup de
vigueur sur Montmoreuey^ Avant l'exécution, il fit partir
Beautru (le bouffou, ï esprit fort et l'excellent espion), de
manière qu'il fût à Madrid quand la nouvelle de la mort
arriverait, à temps pour voir la mine piteuse des Espagnols
et pour en profiter. Beautru les trouva en effet abattus,
détrempés, d'autant plus tendres aux avances imprévues
de Richelieu. 11 saisit ce moment pour dire qu'après tout
on n'était pas ennemi, et il présenta les prisonniers espa-
gnols que renvoyait le cardinal. On s'arrangea, d'abord
pour l'Italie.
Chose agréable à l'Espagne, qui pourrait en tirer des
forces pour agir sur le Rhin contre les Suédois. Agréable,
iMuiorable au pape, qui, depuis quatre .aps, s entremettait
fort pour la paix, faisait trotter son Mararin et jouait son
.pelit r^Uet. Enfin chos# agréable à notre jeune reine
8t . COKHBIIT nlCBELIBU PROFITA
espagnole, à sa cour, qui, par mademoiselle de Haulefort,
n'était pas sans influence sur le roi. La bonne entente avec
Rome et l'Espagne allait peut-être atténuer l'effet du sang
versé, adoucir quelque peu les haines, faire rentrer le
cardinal dans le concert des honnéles gens.
11 semblera bien étonnant, bizarre, absurde, que juste-
ment alors Richelieu, couvert d'un tel sang, voulût plaire
à la reine t On ne peut pourtant en douter. Ce qu'on a dit
du goût qu'il avait pour Anne d'Autriche et de ses tenta-
tives près d'elle est incertain pour le temps qui précède et
démenti pour le temps qui v^ suivre. Mais, pour ce moment
où nous sommes, la chose est stlre cl constatée.
On l'a vu en avril 1631 l'espionner, la désespérer, en
suneillant sa grossesse. On le verra en 1635 demander son
divorce à Rome et vouloir la chasser. Mais aujourd'hui
(novembre 1 633) il est galant près d'elle, lui t'ait sa cour,
semble en être amoureux.
Tyrannique esprit de cet homme, de précipitation sau-
vage et sans respect du temps. La tôle de Montmorency
vient de tomber le 30 octobre, presque sous les yeux de la
reine. Et il lui faut sourire et accepter des fêtes, descendre
avec lui la Garonne, se laisser promener en France, et
loger et coucher chez lui I
Il semblait espérer justement dans le deuil de la reine,
dans sa terreur et son abaissement. Depuis l'avorteraent
d'avril 1631, sa situation était fort humble. Le roi n'en
tenait pas le moindre compte, et venait tous les soirs chei
elle pour mademoiselle de Hautefort sans lui dire un seul
mot. On l'avait amenée au voyage du Midi, moins comme
reine que comme otage, comme une prisonnière suspectée
qu'on ne pouvait laisser & Paris. Elle semblait n'être venue
que pour aller d'exécution en exécution, sur le Rbdne
d*abord, puis en Languedoc. L'étrange demande de Gas-
: la Fargis à la reine disait assez qu'il restait
|ue lien entre la reine et son beau-frère.
DES VICTOIRES DE GUSTAVE. 85
L'iDdifférence haineuse du roi dut s'en accroître. Il la laissa
aux mains de Richelieu, et s'en alla droit à Paris.
A celui-ci d'en faire ce qu'il voudrait, de la régaler et
fêter dans l'intérêt du traité espagnol. C'est le prétexte
qui couvrit son changement à l'égard de la reine. Chan-
gement inespéré, douce surprise pour elle, rassurée
tout à coup. Surprise forte pour un cœur de femme. Elle
pouvait défaillir et mollir, laisser prendre de grands
avantages à l'audace d'un homme tout-puissant, d'un
vainqueur, disons d'un maître, et qui voulait ce qu'il
voulait.
Richelieu n'était beau ni jeune, et ne ressemblait pas à
Buckingham. £n revanche, il l'avait battu; le brillant
fanfaron était mort ridicule. Richelieu, au contraire, né-
cessaire aux Suédois, et désiré des Espagnols, semblait
l'arbitre de l'Europe, grandi des victoires de Gustave, des
succès de Lorraine, de la défaite de Monsieur. Même la
tragédie de Toulouse, pour laquelle on avait pleuré, elle
le servait peut-être au fond. Les femmes aiment qui frappe
fort, et parfois ceux qui leur font peur.
Donc ce triomphateur, menant la cour vaincue, la
reine souriante et tremblante, descendait doucement de
Garonne en Gironde. A Bordeaux, sa victoire devait dou-
bler encore par la mortification, le désespoir du vieux
gouverneur, le duc d'Épernon. Il touchait aux quatre-
vingts ans. La fête eût été belle si la rage remontée l'eût
expédié et que le cardinal eût pu l'enterrer en passant.
Vain espoir ! A Bordeaux, tout change.
Vicissitude étrange de la destinée qui s'amuse à nous
prendre au plus beau moment, en pleine fête et couron-
nés de fleurs, pour nous tordre le cou!... Les violentes
émotions de Richelieu, sa préoccupation terrible, l'effort
qu'il avait fait, son audace craintive, enfin, par-dessus
tout, le tourment de l'espoir, tout cela fut plus fort que
lui. Et il fut frappé à Bordeaux.
Il n'y avait pa» à lutter avec; 66 mal. L*înritatioft de k
vessie, rimpos^ibilité d'uriner, semblent en. premier oooj^
Tapproeher de kl mort. L'augure fâcheux d'une mort
subite vient le firappe», Sdiomberg mort en soupanf. A
déjà, en Allemagne, il n perdu d'Effiat, général, feiander,
homme universel^ son autre bras droit. Tout s'assombrit.
La reine part en avant. Les ffites qu'il lui préparait chez hd
(à Brouage) et dans sa conquête* sur son champ de gloire
à la Rochei4e, tout se fera sans hii. Pour comble, le vieux
coquin d'Épernon, insolent d^étrc en vie", vient chaque
matin, à grand bruit, avec toute une armée de spaxhs-
sins, pour lui tftter le pouls^et lé voir au visage, lui aigris-
sant son mal par ees^ accès dé peur. Qui rempèefaê, ea
effet, d'enlever le malade, de le mettre' auf chMeauf Trom-
pette, sinon* dan» Tautre mondb ? Le roi eût été en eirfère,
mais on feût entouré, calmé, félicité, el, dans ta joîe uni-
versefle, il eût accepté les faits accomplis.
La reine, quitte à si bon marché, continuait jofetse^
ment son* voyage; profitait pleinement des féces' du cardi-
nal, que sa présence aurait gfttées. Il y eut à la Rochdfe
des magnificences incroyables, arcs de triomphe, joutes,
comttov naval^ des danses et des com^erts. Une extrâme
gaieté, car on disait quMl était mort ou quil allait mou-
rir. On dansait. Cependant Va reine*, qui palpitait d'espoir,
imfpatienté, envoya son* bon* La ^rte, un confiéent valet
ée chambre, pour' s'assurer de l'heureux événement, c h
le trouvai, dit La Porter, entre deut petits lits, sur «se
chaise où on le pansait. Et on me donna le bougeoir pour
Taider à lire les lettres que je lui apportais^. » B interrogea
fort La Porte pour savoir ce que* faisait la reine, si M. de
Chftteauneuf, le garde dei» sceaux, y aKaiit sotfvent, ei s'U
f restait tard, sll nr'aihiît pas ordinairenfieuf cfaes^ aoêdame
de Chevreuse, etc. Mais il ne* s^eu rapporta pu» au valet
dis chamlMre, et recueillit des notes exactea sui^ ceux qui
avaient ri et sur ceux qui avHient èM&&.
DBS VICTOIRES DE GUSTAVE. 87
Le bal ne dura pas, et la joyeuse cour revint au sé-
rieux tout à coup, apprenant deux nouvelles qui chan*
geaient le monde. Richelieu avait uriné, et Gustave-Adolphe
était mort (46 novembre 1632).
CHAPITRE VIII
Richelieu, chef des prolestants. — Ses revers. — La France envahie.
1633-1636.
— A/â/
Le monde a vu et perdu une chose bien rare, un vrai
héros, et, avec lui, une admirable chance de salut. Si Gus-
tave-Adolphe eût vécu, on arrivait dix ans, quinze ans
plus tôt, à la paix de Westphalie.
Il ne fit qu'apparaître, et n'en reste pas moins un bien-
faiteur du genre humain. Sa victoire eut deux résultats
qu'on n'a pas assez remarqués. Elle sauva les villes impé-
riales, non-seulement Nuremberg, mais Strasbourg, mais
Augsbourg et toutes, que l'armée des brigands aurait cer-
tainement visitées. La sienne, la primitive armée libéra-
trice, s'épuisa devant Nuremberg et y laissa ses os ; mais
elle y eut le succès admirable de détruire en même temps
le monstre militaire, l'armée de Waldstein. Celui-ci, à
Lutzen, ayant perdu ses hommes de confiance, fut ea
réalité éreinté pour jamais. Il ne les remplaça que par de
petits officiers, brigands de troisième ordre, parmi lesquels
l'Autriche trouva sans peine un assassin.
Répétons-le, Gustave ne mourut pas en vain. Il fit 1^
grande chose pour laquelle il était né. Il coupa la tète au
dragon^ au gouvernement de soldats qui eût anéanti li
civilisation de l'Europe.
RICHELIEU, CHEF DES PROTESTANTS, 89
La menue monnaie de Waldstein, toute cette populace
de bons généraux qui continueront la guerre de Trente
ans, perpétuent les misères^ mais ne renouvellent pas le
danger du monde.
Chaque fois que j'entre dans Strasbourg ou Francfort,
dans Nuremberg, ce grand musée, dans la splendide
Augsbourg, dans ces puissants foyers du génie allemand
d'oùjaillirent Gœthe et Beethoven et tant d'autres lumières,
je me remémore avec un sentiment de religion le grand
soldat Gustave, qui sauva T Allemagne, et qui sait? la
France peut être.
Et je dis à ces villes : a Où seriez-vous sans lui?...
Dans les ruines et les décombres, les cendres où finit
Magdebourg. »
Tout ce que l'histoire fabuleuse avait conté du héros fut
accompli ici et à la lettre : Sauver le monde, mourir jeune
et trahi.
On sait sa mort. À cette furieuse bataille de Lutzen, il
accable Waldstein, le bat, le blesse, le crible, le renverse,
lui tue ses fameux chefs, Thomme surtout qui fut la guerre
même, ce Pappenheim, qui, en naissant, eut au front deux
épées sanglantes. Il revenait, paisible et pacifique, con-
fiant comme à Tordinaire, de la terrible exécution. Il
n'avait avec lui qu*un Allemand, un petit prince qui avait
passé, repassé plus d'une fois d'un parti à l'autre. Un coup
part, et Gustave tombe. L'homme suspect qui l'accompa-
gnait s'enfuit et alla droit à Vienne (16 novembre 1632).
Il avait fait beaucoup, et beaucoup lui restait à faire.
S'il eût vécu quelques années de plus, non-seulement il
eût imposé, forcé la paix, mais il eût obtenu un résultat
moral immense ; il eût imprimé au cœur abaissé de l'Eu-
rope un idéal grand, fort, fécond.
L'allégresse héroïque qui fit ce bon géant calme et
serein, et « joyeux tout le jour, » elle eût été comme une
aurore morale dans cette sombre époque. C'est Tefifet d'une
90 KKBMtaO, CHEF SBS mOIBSTANIS.
tetlfl force de tout rsHéréoer et de tout élever k 9cn. Ght-
cnn regarde, admire, et gnadit d'avoir regai4é. La
moyeane générale chaoge. Tôt» gafoenl un degré ; même
les moindres sont moins petits. Le vrai héros, de lora, eC
là foèate où il n'agit pu, par cela tenl qu'il est, imprâne
k tous une gravitatioD pw en hcut ; le moade aapire el
iDoate, hausse vers le niveau de son cœur.
Le polkiqae, le grand hotoaie d'aOaires, comoie fit
Hichetiea, ou tel grand mtlitaiFe, tel BCH-dÉ»nt héros,
n'ont point du tout cette influence. Leur forte temioD, et
le bras d'airain, par lesquels ils- serrent les ressorts, ban-
dent la machine à casser presque, n'ont apràs, pour efet
définitif, qu'une détente dépkmbte, une énerration géaé<
raie. £t le monde en reste aplati.
L'idée de Richetien, celle de l'équilibre et du babnee- _
ment des forées, était-elle une idée vitale qui renoovelit
l'esprit européen? Point du tout. L'équilibre peut avoir
lieu eatre vivants on entre oiorts. Le trés-bux semUnt
d'équilibre qu'on obtint k la longae par le traité de West-
phalie, on ne l'eut réellemeid que par l'^uisemenldéi-
Ditîf et par voie d'extermination.
Maintenant, osons la dire, Richeliea se méprit sur le
fond de son idée même. En cherchant l'équilibre entre
protestants et catholiques, il ne s'aperçul pas que les pr»-
teatants isolés, débandés, n'étaient pas mtoie un parti,
tandi» que tes catholiques avaient la force et l'unité d'ioe
foction.
Quand Rome, Vienne, Madrid, les Jésuites, iDaminè-
rent et firent des fêles pour la bataille de Lutsen, ce n'état
pas SMUement pour la mort de GusUve, mais ponr h
ruine de Waldslein, qui, rendu et fini, bientdt toé, allait
restituer à l'Empereur son rdle de dief des armée» caUio-
Uques et donner à ce parti, lié si fortement, l'unité absolue.
Qtà dit l'Empereur dit les JésaRes. Ils sont les vais-
ttenra des vainqueoES.
sm lunmft. -^ lm nAncM rivahie. 91
La guerre, meikée par des homnies de paix, par dés
hooiaiea cpm n'y ▼ont pas, ne peut manquer d'être éter-
nelle. La médiocrilé, ki plaiitude et la tMiesease, centrali-
sée au cabinet jésuite, vont de Vienne s'étendre partout
comme un pesant bfouîUard de plomb.
Ou est le général en chef i^rès Waldstein ? Au prie-
IMeu, ealre deux jésuites. E» réponse à cette question,
eeux-ci avec satisfaction vous auraient montré là leur
owrrage, leur créalure et leur propriété, un petit homoie
gras, qu'ils tiennent jour et nuit, gardent à vue, mènent,
ramènent de l'oratoire à. la chapelle. Créature étonnanlel
11 serait curitus d'expliquer comment ces pères ont couvé,
fait éeloret cette espèce jusque-là inconnue en histoire
naturelle. On avait bien le fanatique, mais on n'avait pas
le big9$. Heureux mélange du sot, du furieux, combinai-
son savante d'aveugle docilité et de slupîdiilé sanvage. Le
fanatique était terrible ; mais enfin il avait des yeux } il
risquait par moments' d'entrevoir des lueurs. Hais rien
ici; le sen» de^ la vue manque. Aussi quelle fèvce et queHe
rdtdeurt Nulle eourbe ; une droite U^e de fiéroeîté sette
€|tt'en n'eût imaginée jamai».
On ne peut contester qu'il n'y ait là une puiesance téeXh-
L'absence de doule et de scrupule,, la parSaite^ unité auto-
matique, gards eel être à part de» tergiversations bumai-
nea. En lui est scellée l'unité du part» catholique. Parti
très- fort, qui m peut se disjoindre. Que le p«pe ail des
velléités peur la France, que l'Espagne parfois soît tentée
de traiter à part^ ce» petites inconséquences n'ont ancvne
portée. L'un et l'autre essentieUenMnt souft unis à l'Au-
triche. Même le Bavarois^ rival jaloux, de l'Autrichien,
comment s'e» séparerait'- il? Ridielieu^ bien à tori, a
bâti sur cette espérance. Comment ne voit* il paa la
Mate unité, l'indissolubilité de ce parti, m la Bavière
et toua, par la grande questioa de speliation territe-
riftie, sont Kés, attachés, coUéaet dmentéa ensemUe.
92 RBCHELIfiU, CBEF DES PROTESTANTS.
Le drapeau de l'Empereur, c'est YÉdit de restitution.
Les protestants, qu'étaient-nls en substance? La transi-
tion du christianisme à la liberté, la liberté naissante,
sous forme encore chrétienne.
La liberté, c'est la variété spontanée du génie humain.
Elle arrivait avec vingt masques qui ne se reconnaissaient
pas encore dans leur unité intime. Les calvinistes, à cha-
que instant, étaient maudits, trahis par les luthériens et les
anglicans. Le grand traître, c'était l'Angleterre de Char-
les P% au jugement de Gustave. Entre les luthériens, le
Danemark frappé, effrayé, laissa les autres; la Saxe,
même le Brandebourg, ne furent pas plus fidèles. L'Alle-
magne luthérienne, en masse, était jalouse des Suédois,
applaudissait peu leurs victoires.
Les protestants, si faibles par leur division nécessaire,
furent un moment liés par un miracle. Ce miracle est
Gustave-Adolphe.
11 fallait le laisser aller. Richelieu ne le pouvait pas avec
son roi dévot. Et il ne le voulait pas non plus, étant prêtre,
cardinal, légat de Rome en espérance, il soutint, fortifia
moralement les catholiques, c'est-à-dire les plus forts.
Voilà quel fut son équilibre en 4632.
Somme toute, ce grand homme d'affaires ne montra
pas beaucoup de prévoyance. Il ne prévit pas le rapide
succès de Gustave, puis se l'exagéra. Il ne prévît pas la
mort de Gustave, et agit comme s'il devait vivre toujours,
comme si un homme mortel, un héros toujours en bataille,
était le danger futur de l'Europe plus que la faction dura-
ble de Vienne. Il ne prévit pas la fidélité forcée de là
Bavière à TAutriche. Il ne prévit pas l'infidélité de Saxe et
de Brandebourg, qui le poussèrent à la guerre, et puis le
plantèrent là.
Frappé par la mort de Gustave, par la mort de Walds-
tein, qui unifiait le parti catholique et lui restituait sa
prépondérance intrinsèque, il fallut bien alors, tellement
SES REVERS. — LA FRANCE ENVAHIE. 93
quellement, qu'il suppléât Gustave, qu'il entreprit le rôle
étrange et impossible de chef des protestants, lui cardinal;
que d'abord il payât la guerre, puis la fit. Avec quoi? Avec
des officiers tellement ses ennemis, qu'ils aimaient mieux
les Espagnols et désiraient être battus.
En janvier 1633, quand on le rapporta de Bordeaux, et
que Louis XIII alla dix lieues au-devant du malade, il pa-
raissait très-fort. Il frappa ses ennemis, frappa ses faux
amis. Mais maintenant quels seront les vrais? Nous avons
vu comment le P. Joseph l'avait trahi à Ratisbonne. Mont-
morency, naguère ami à Lyon dans la crise de 4630, a
tourné et péri. Châteauneuf, son ami à la Journée des
dupes, mais depuis gagné par les dames, a dansé pour sa
mort; il le fait arrêter. Son instrument, d'Estrées, qui, en
1631, se fit pour lui garde, presque geôlier de la reine
mère, d'Estrées même, cette fois, est du complot. Il a peur
et se cache. Richelieu est forcé do le chercher, de le ras-
surer, de le reprendre; à quel autre se fierait-il mieux?
Il est trop évident que personne ne croit que Richelieu
puisse durer. It mourra, ou le roi mourra. Et d'ailleurs le
roi peut changer. Comment lui reste-t-il? C'est ce qu'on a
peine à comprendre. Comment supporte-t-il la vie que lui
fait Richelieu ?
Premièrement, celui-ci lui a chassé sa mère, la tient
dehors, et ferme solidement la porte, lui faisant, pour ren-
trer, la condition impossible de livrer son confesseur, qui,
dit-on, veut faire tuer le cardinal.
Deuxièmement, il maintient le roi en défiance de Tuni-
que personne qu'il aime, lui démontrant sans peine que.la
gracieuse Hautefort est au fond l'espion de la reine, et lui
redit tout ce qu'il dit.
Au moins ce roi dévot s'épanchera-t-il au confessionnal?
Point du tout. On lui prouve que le jésuite Suffren appar-
tient à sa mère, et tout à l'heure que Caussin, Tun de ceux
qui succèdent, intrigue pour Anne d'Autriche.
%i RKHEUEU, CHEF DBS PROnBTAMTB.
Voilà un roi bien seul, bien ennuyé. De moins en
sa santé lui permet la chasse. Et Richelieu, de jAqm ca
plus, lui interdit d'aller à la guerre.
Par quoi donc le tient-il ? Serait-ce par le douteux Joseph,
si peu sûr en lui-même, par le ministère capucÎD?
La nécessité politique le pousse à chaque instant k des
choses qui devraient être intolérables à la conscience éa
roi. En janvier 1633, pour l'affaire Montmorency, il lai
faut proscrire cinq évéques. Il lui faudra bientôt agir
tre le pape, qui approuve le mariage de Monsieur avec
Lorraine, qui accorde à TEspagneles moyens de la guwie,
l'argent de l'église espagnole, en refusant à Richelieu de
faire payer le clergé français^
Richelieu ménagea au roi l'amusement d'achever l'af-
faire de Lorraine en entrant lui-même à Nancy.
La conquête fut menée comme une saisie judiciaire ; le
prétexte en justice, passablement grotesque, fut le rapt
commis sur Gaston, un homme de trente ans, par la |eaae
princesse de Lorraine, qui en avait dix-huit.
En réalité, le roi était mené par la force des choses à se
saisir de la Lorraine, comme chemin de l'Allemagne, où
il devenait le chef réel du parti protestant.
Il avait travaillé l'hiver à refaire l'unité discordante de
ce pauvre parti, qui paraissait s'abandonner Ini-méme. En
avril 1633, il signa une ligue avec quatre cercles d'Alle-
magne, et avec les Suédois, à qui il promettait un miUioa
par année. Secours insuffisant. On le lui dit. Et il y parut
bientôt à Nordlingen, où Bernard de Weîmar, général
allemand des Suédois, fut battu par les Impériaux (août
1634). L'Allemagne, à la discrétion de rEmp»etir, priait
Richelieu de prendre Brisach, Philipsboivrg, le haut Rhin,
mais d'armer et d'intervenir, de descendre «en champ clos,
de remplacer Gustave.
Ainsi l'attraction fatale de cette guerre terrible, affamée
d'hommes, entratnak là Prance. Et personnellement Ri^
SES REVERS. — LÀ FRANCE ENVAHIE. 95
eheUeu, par son intérêt de ministre et ses passions d'homme,
n'y était pas moins attiré. L'Espagne le minait au Louvre.
Serait-ce toujours impunément que le roi irait chaque soir
chez la reine écouter cette fiUe dévote, dangereuse et char*
mante, qui lui parlait pour sa maîtresse? Le plus fort levier
de l'Espagne était à Paris même. Richelieu lui avait déji
ôté la prise de la reine mère. Il devait lui ôter encore celle
que lui donnait la petite cour de la reine Anne. Cette cour,
qu'on voudrait croire délicate, élégante, n'en était pas
moins la fabrique des plaisanteries fort sales et fort gros-
sières qui couraient sur le ministre, sur sa vessie, ses uri-
nes, sur un ulcère caché qu'aurait eu, disait-on, sa nièce.
On n'y épargnait rien pour faire arriver au roi cent contes
ridicules sur ses mauvaises mœurs., ses déclarations à la
reine, ses visites à Marion Delorme, les escapades invrai-
semblables d'un malade de cinquante ans, et si souvent an
lit. Ces sottises, lors même qu'on les prouve fausses et
controuvées, diminuent un homme à la longue, l'avilissent,
fatiguent ceux qui le défendent ; ils finissent par croire
que, dans tant de choses fausses, il y a un peu de vérité.
En 4634, Richelieu avait pris enfin deux grandes déci-
sions : rupture ouverte avec l'Espagne, renvoi de la reine
espagnole.
Celte dernière mesure eût été un grand coup en Europe.
Elle eût indiqué qu'on faisait peu de cas des forces de l'Es-
pagne, puisqu'on ne craignait pas de rompre sans retour
avec elle, par un outrage personnel, d'homme à homme
et de roi à roi.
Une dépèche de Philippe lY (areh. Simancas, ap. Cape*
figue) montre qu'il fut extrêmement eflVayé. Elle nous
apprend que Louis XllI était tout décidé, qu'il voulait faire
entendre raison à la reine par l'ambassade même d'Espa-
gne, en lui faisant craindre un procès scandaleux qui l'eût
couverte de honte, et qui l'eût perdue en Espagne même,
dans sa CuniUe humiliée. Cette terreur agit si bien sur
96 RICHELIEU CHEF DBS PROTESTANTS.
Philippe IV, qu'il charge son ambassadeur d'une démarche
assez basse près de Richelieu, voulant l'apaiser par tous Us
moyens, lui offrant tout, lui faisant dire qu'un esprit si
vaste, si avide de gloire, ne pouvait trouver un champ digne
de lui qu'auprès du roi d'Espagne et dans les moyens in-
finis de la monarchie espagnole.
La même dépêche nous apprend que M. de Créqui, le
gouverneur du Dauphiné, homme si important^ et influent
en Italie, était envoyé à Rome pour le divorce. Vaine am-
bassade. Il était évident que le pape, même sous la pression
du parti français, n'en viendrait jamais à faire une telle
injure au roi d'Espagne, à la maison d'Autriche, avec qui
ses rapports secrets étaient bien plus intimes.
En tout, sur tout, à ce moment, le pape était contre la
France. H lui refusait l'argent qu'il donnait à TEspagne.
Richelieu, pour obtenir un don du clergé de France sans
l'autorisation de Rome, fit valoir aux évéques qu'il n'allait
commencer la guerre que pour délivrer un évéque, l'élec-
teur de Trêves, enlevé par TEspagne et prisonnier à Vienne.
Cette pieuse croisade devait s'exécuter par l'épée protes-
tante des Suédois et des Hollandais. Par son traité avec
ceux-ci, Richelieu leur donnait moitié des Pays-Bas, s'ad-
jugeait l'autre.
Richelieu accuse Henri IV d'avoir imprudemment voulu
la guerre au moment de sa mort. Henri y était pourtant
mieux préparé, plus en état d'y frapper de grands coups.
Il dit à tort qu'il avait assez d'argent, de troupes, des places
en bon état. Fontaine-Mareuil et autres disent le contraire,
et l'événement ne prouva que trop bien qu'ils avaient
raison.
Il ne vit pas, ne prévit pas. Ce qu'il aurait pu voir, c'était
son isolément réel, combien il était haï^ et le profond bon-
heur que tout le monde aurait à le faire échouer. Et il ne
prévit pas que l'argent manquerait dès la seconde année,
que la France, au lieu d'envahir, serait elle-même envahie.
SES RBYERS. — LA FRANCE ENVAHIE. 97
Il y avait du jeune homme en ce grand homme, et de
fortes chaleurs de cœur. Deux fois l'audace en choses im-
probables lui avait réussi , et dans la tentative de dompter
la mer à la Rochelle (n'ayant pas de marine encore), et
dans celle de forcer les Alpes au Pas de Suse (n'ayant pas
même de poudre). Donc, il se remit à la chance, dans cette
guerre contre l'Espagne, guerre contre la reine, guerre
contre la cour, contre tous ses ennemis.
Pour leur crever le cœur, le jour même où il envoya la
déclaration de guerre à Bruxelles, il exigea que l'on rît à
Paris. Il fit représenter une comédie sur son théâtre dont
il fit l'ouverture (16 avril 1635). il voulut voir la mine que
ferait cette cour ennemie, et si elle oserait ne pas rire. La
pièce, les Tuileries, avait été esquissée par luimôme, écrite
par Rotrou, Corneille et trois autres. Mais le drame était
l'auditoire, et les spectateurs étaient le spectacle. Devant
la &ce pâle du pénétrant esprit, du revenant qu'on voyait
au fond de sa loge et qui surveillait tout, on travaillait à
être gai.
Plus d'un de ses applaudisseurs se vengèrent de leur
lâcheté de courtisans par leur perfidie à l'armée. Ils y vin-
rent impatients de se faire battre et prêchant la désertion
Il y avait bientôt quarante ans que la France n'avait fait
la grande guerre. Et personne ne la savait plus. Nos gentils
hommes duellistes n'étaient pas du tout des soldats Pas
un général sérieux, sauf Rohan, Thoiras, qui moururent
sauf peut-être le jeune Feuquières et le très-vieux La
Force. Turenne est encore un enfant. Personne qui mérite
confiance. Richelieu, en 1630, avait trois généraux à
l'armée d'Italie, qui commandaient chacun son jour En
1635, il suit une méthode moins absurde, mais mauvaise
encore, deux généraux à chaque armée, et l'un d'eux un
parent ou ami du ministre qui observe l'autre, l'empêche
de trahir. Au nord, ce fut Brézé, son beau-frère, et sur le
Rhm le cardinal la Valette. Prétexte pour ne point obéir
XII. y
98 BICHBLIEU, CBBF WSS MOTISTjUfrS.
Lft noblesse De veut prendre Tordre d'un géaéral ppétqe.
L-Mrmée, arrivée à Mayence, lui signifie qu eUe n entmfa
pas en Allemagne. A quoi bon? Le parti prolestaat qp!uB
veut secourir est dissous, puisque Saxe et Brandebourg «ot
traité avec TEmpereur. Loin de pouvoir rejoindre les Sué-
dois, la Valette est forcé de faire une retraite désastreuse.
Adx nouveaux corps qu'on envoie, les anciens préchenl la
révolte. L'a rrière-ban, convoqué, vient ajouter l'insolence
féodale d'une chevauchée de gentilshommes qui veulent
bien servir le roi en France, n^is non ailleurs, et encore
faire seulement leurs quarante jours, le petit service de
Vosi, d'après les us de saint Louis. Ni guet, ni garde; tout
cela est au-deséous de la noble gendarmerie. Charger, à U
bonne heure; une bataille, et aujourd'hui, sinon ils re-
tournent chez eux.
Tout manqua de tous les côtés. La grande invasion des
Pays-Bas n'eut d'autre effet que la ruine d'une vilie,
l'horrible saccagement de Tirlemont. En Ualie, quoiqu'on
eût pour soi le Savoyard, on resta, on échoua devant nne
bicoque.
Bref, la première campagne resta de tout point ridicule.
Madrid dut être satisfaite. Mais le Louvre l'était bien plus,
et la cour nageait dans la joie.
Richelieu réussirait-il mieux en 4636? 11 n'y avait pas
d'apparence. L'argent manquait. Il avait entrepris, en
commençant la guerre, une chose hardie, et révolution-
naire alors, d'alléger quelque peu là taille du peuple en
faisant payer quelques exemptés, les gros bourgeois pour
une partie de leurs ficfs, les ecclésiastiques propriétaires
pour ce qu'ils possédaient d'étranger à r£glise. Très-vive
irritation. Elle ne fut pas moindre dans les geus d'épée
quand, pour punir l'armée du Rfain, il déclara dégradés
de noblesse ceux qui quittaient l'armée ; les officiels dod
nobles envoyés aux galères, et les soldats punis de mort.
Il hii avait fallu licencier cette armée. Et, d'autre part^
SBS REVKirS. ^ LA FRANCK X^IYAliU. 93
edle du Nord était retenue en Hollande au service des
Hollandais, qui ne la renvoyèrent qu'en plein été. Donc
la France était découverte. Une invasion n'était pas iin«*
probable. Le divorce. demandé à Rome, le plan pour par-
tager les Pays-Bas, c'étaient deux crimes, deux injures
personnelles que la maison d'Autriche brûlait certainement
de venger.
Richelieu fit visiter nos places du Nord par un homme
qu'il croyait très«sûr, par Sublet Du Noyer. C'était un pe-
tit homme, de méchante mine cagote et d'àme pire, mais
un bœuf de labour, qui ni jour ni nuit n'arrêtait, qui sa-
tisfaisait le maître de quelque charge dont on- chargeât
son dos. 11 faisait toujours plus, il faisait toujours trop.
Un ministre homme d'esprit, à qui les affaires n'ôtaient
nullement l'ambition littéraire, trouvait bien doux de
trouver là toujours les grosses épaules voûtées de ce
Sublet pour y mettre tout ce qu'il voulait. La facilité plate
d'expédier passablement une foule de matières qu'il ne
connaissait point rendait ce terrible commis en état de
suffire à tout. On lui mit dessus la marine oti il ne savait
rien, et il: s'en tira assez bien. On ajouta la guerre, et tout
alla très-mal ; mais était-ee sa faute f
Par Tentrainement des affaires, peu à peu, tout alla à
lui. Il avait deux choses pour lui : son énorme travail,
qui semblait consciencieux, et sa bassesse de nature,
peinte en sa face de hibou, qui empêchait de croire qu'il
pût avoir aucune prétention élevée. Au total, un homme
ténébreux, haineux et dangereux, qui ruinait sourdement
•et concurrents, et qui, à la longue, eût bien pu oser mi-
ner Richelieu même, car il plaisait au roi par sa dévotion,
et secrètement il était aux Jésuites.
Ce commis ne connaissait rien aux places de guerre. 11
rapporta à Richelieu ce que désirait le ministre, que tout
était en bon état. Et celui-ci, tranquille sur le Nord, re-
garda au sud-est, oii le prince de Condé, gouverneur de
100 RICBELIED, CHEF DES PROTESTANTS.
Bourgogne, lai proposait d'envahir la Franche Comté. . Le
prince le flattait de Tespoir qu'en celte campagne la Heil*
leraie, un bon soldat, parent du cardinal, éclaterait sous
lui, justifierait la faveur singulière du ministre qui venait
d'obtenir du vieux Sully sa démission de grand maître de
l'artillerie pour donner cette haute charge au brave et peu
capable la Meilleraie.
Pour faire réussir celui-ci, on met dans cette armée
deux officiers solides, très-fermes et très-forts sur^leurs
reins, déjà vieux dans la guerre de Trente ans, soldats du
grand Gustave, que le roi venait d'acquérir. L'un l'Alle-
mand Rantzau; l'autre, le Béarnais Gassion. On croyait
surprendre, emporter D6\e; elle prise, la province eût
suivi ; la Meilleraie revenait couvert de gloire, le premier
général du siècle.
Pendant ce temps, une chose facile à prévoir est arrivée
au nord. La France est envahie.
L ambassadeur d'£spagne, en ce' moment, gouvernait
ceux qui gouvernaientFerdinandll. Il obtint qu'à vingt mille
fantassins espagnols qui iraient vers Liège (sous prétexte
d'une révolte), l'Empereur joindrait quinze mille cavaliers
sous Piccolomini et Jean de Werth. Pendant ce temps, le
duc de Lorraine entrait en Bourgogne, et Gallas, autre
général de l'Empereur, allait parla Franche-Comté. Union
pour la première fois, parfaite entente, accord actif de
l'Espagne et de l'Autriche.
Le gouverneur des Pays-Bas, le cardinal infant, menait
l'armée du Nord en France (1«' juillet 1636).
Il assiège et prend la Capelle. Nul obstacle. Des places
non approvisionnées, démantelées. Des gouverneurs trem-
blants, que les habitants forcent de se rendre. Un indicible
effroi dans les campagnes. Toute la barbarie des guerres
turques ; incendie, pillage et massacre. Jean de Werth
remplissant tout de son nom et de sa terreur. La grande
masse espagnole s'arrête à assiéger Corbie, qui est prise
SES REVERS. — LA FRANCE ENYAHIE. 404
(45 août). Le torrent roule vers Paris. Les Croates vont
jusqu'à Pontoise. Paris, épouvanté, déménage, fuit vers
Orléans.
Richelieu, ce génie si sérieux et si attentif, à qui Ton
supposait le don de prescience, souffrait ici plus qu'un
revers; il semblait convaincu d'étourderie. C'était l'astro-
nome tombé dans un puits, c'était le prophète aveugle qui
se voit avalé au ventre de la baleine. Il avait cru prendre,
et il était pris. II sentait les risées du Louvre, la joie sour-
noise du monde de la reine. On dit que le cœur lui man-
qua, qu'il fut troublé de voir un peuple immense qui
remplissait les rues, qui, pour la première fois, parlait.
Ce fut, dit- on encore, le capucin Joseph qui le releva, le
ranima. J'en doute. A ce moment, ce personnage double
s'était fait l'avocat de la mère du roi, le doucereux récon-
ciliateur de la famille royale. Loin d'encourager son ami
à rester et tenir ferme, il l'eût plutôt poussé à bas et
aidé à sa ruine.
Richelieu, comme tout homme d'imagination, en telle
rencontre, était très-agité. Mais, homme d'esprit avant
tout, il comprit bien qu'en ce pays de France, sous les
croisées moqueuses du Louvre, il fallait de l'aplomb et une
belle contenance. Il sortit en voiture, à peu près seul,
traversa en tous sens cette foule qui jusque-là le maudis-
sait et qui ne sut plus qu'applaudir.
Paris, en ce moment, fut très-beau. 11 y a toujours
d'étranges ressources avec ce peuple. Les métiers, reçus
par le roi dans la grande galerie du Louvre, montrèrent
un noble enthousiasme et promirent une armée. On la
leva réellement avec l'aide du Parlement et de toute la
bourgeoisie, qui donna sans compter.
Nos troupes grossissaient. Et celles de l'ennemi fon-
daient chaque jour. Les cavaliers d'Allemagne, enrichis de
pillage, laissaient le camp et s'évanouissaient chaque nuit.
Voilà pourquoi le cardinal infant traînait et hésitait pour
403 RICUeUBD, CHV DES PtlOTtSriNTS.
s'enfoncer en France. Il ne profita pas des perfidies se-
crètes de nos généraux princes du sang, le comte de Sois-
sons et Monsieur, qui craignaient de trop réus^ contre
les Espagnols et tramaient un complot pour tuer Riche-
lieu. 11 ne tenait qu'à eux, et sa vie était dans leurs mains.
Uonsieur, se rappelant sans doute ce qu'on disait, que,
Htchelieu tué, le roi pourrait bien le tuer lui-même, lloo-
sieur, dis-je, cette fois encore, saigna du nez, tourôa le
dos au moment où les conjurés le regardaient et atten-
daient son ordre.
En six semaines, Richelieu et le roi reprirent Corlùe,
une méchante petite place qu'on aurait pu enlever en
vingt-quatre heures, et à qui on fit les honneurs d'un
Biége.
La lempéte du Nord dissipée, celle de l'Est eut pu nous
emporter encore si le duc de Lorraine et Gallas, qui arri-
vaient par deux chemins, eussent combiné ieurinviisîoo.
Hais (îallas, affaibli aussi par la désertion des pillards,
vint s'aheurtcr au siège d'une petite place, Saint-Jean de
Losne, dont la population, attendant les dernières hor-
reurs des brigands impériaux, fit une résistance in-
croyable, les femmes comme tes b<Mnmes. Rantziu par-
vint à s'y jeter, et dès lors régala les Alleminds de sortit»
furieuses. La SaAne se mit de la partie et déborda. Les
assiégeants étaient dans l'eau, et ne réchappaient qu'à la
DBge. Cette ville fut délivrée le jour oii Corbic fut reprise
(U novembre )636).
On peut dire que la France s'était sauvée ell^ménie. Ce
gouvernement, fort, dur, pesant; s'était vu désarmé, et,
loin de protéger, c'est lui qui, dans la crise, fut protégé
par la nation.
s comment la nation le put-eile, appauvrie qu'elle
t déshabituée de la guerre ? Il faut l'avouer franche'
parce que l'invasion n'était pas sérieuse, et que let
érants se souciaient peu de conquérir. L«s bandes
SES BBYISS. '. LA.rRANCC SSIVARE. .40B
qui entrèrent ptr le Nord, par la Lorraine et la F rancbê*-
Goarté, âoiis le drapeau de i'Espegne et de TËmperettr^ ne
se battaient ni paur l'un ni pour l'autre ; elles ne vmih-
laîent rien que piller. C'est ce qu'elles firent à leur aisâ,
Bon^^eulenient en France, mais en Franche- Comté sur
terre espa^^nole^ Puis, chargées, surchargées, ayant démé-
watgé, vidé, ruiné le pays de fond en comble, elles plan-
tèrent là leurs généraux. Nous pûmes triompher à notre
aise de leur départ que nous n'avions pas fait, mais triom-
plier dans le désert sur nos propres ruines.
La Franehe*Comté, jusque-là protégée par une neutra-
lité tolérée, était pleine de biens. £ile périt alors, et ne
s'en est jamais bien relevée. La Picardie entra dans le ter-
rible crescendo de famine que Ton verra plus tard. La
Lorraine resta rasée comme la main, et tout le pays à
l'Est. L'invasion des Barbares, attendue depuis dix ans,
retardée par Gustave quand il brisa Waldstein, ne fut pas
une conquête, comme elle l'eût été sous ce chef, mais un
grand pillage anarchique. Tous retournèrent à leurs camps
d'Allemagne, ramenant chacun sa charge de vol, qui un
cheval, qui un âne, qui une grosse charrette pleine. Ils ne
laissèrent à manger que les pierres. On assure qu'en deux
ans, dans l'Est seulement, un demi-million d'hommes
mourut de misère et de faim (V. l'historien jésuite et
autres, rapprochés par Bonnemère, Histoire des Paysans),
Donc Richelieu n'empêcha rien. Sa petite combinaison
d'opposer la Bavière à l'Autriche ayant échoué complète-
ment, tous les princes allemands se soumirent, et firent
roi des Romains le fils de l'Empereur, consolidèrent la
couronne impériale dans la maison d'Autriche. En France
même, les Espagnols prirent à notre barbe et gardèrent
longtemps nos lies de Provence, tenant nos côtes en crainte
et nos flottes en échec.
En remontant à la cause première de nos revers de
4636, on trouvait que Richelieu^ privé de son armée du
404 RICHBLIKU, CHEF DBS PROTESTANTS.
Rhin et ne) pouvant ravoir celle de Hollande, employant le
peu qu'il avait de forces en Franche-Comté, n'avait pas eu
à temps Targent qu'il eût fallu pour recruter l'année du
Nord.
Donc, l'argent, l'argent, et de suite, c'était le seul moyen
pour éviter de grands malheurs en 4637. Mais, Timpât
étant augmenté, la Guyenne ruinée prit les armes. Devant
ce désespoir d'une misère trop réelle, le parlement de
Toulouse faiblit, dispensa de payer.
Un certain Boismaiilé offrit à Richelieu de lui apprendre
à faire de l'or, et de lui faire trouver deux cent mille écus
par semaine. Tels étaient sa détresse, son abattement et
son inquiétude, que, tout sérieux qu'il fût, il ne repoussa
pas cette chimère, et se mit au creuset pour travailler en
alchimie.
CHAPITRE IX
La trilogie diabolique sous Louis XIIL — Les religieuses de Loudun.
1633-1634.
La terrible année de CorbU (on appela ainsi 1 636) et
l'année encore qui suivit ne donnent nul autre résultat
que de démontrer la faiblesse d'un gouvernement forcé
qui paraissait fort. Retournons un peu en arrière, et re-
gardons dessous. Nous serons étonnés de voir les dis-
cordes morales, les ténébreux abîmes, les gouffres,
crevasses et fondrières, dont la plane unité de cette mo-
narchie catholique était minée réellement.
La formule acceptée et répétée de plus en plus en ce
siècle, c'est que la France est une, depuis la prise de la
Rochelle. Les protestants, s'ils ne sont pas convertis, vont
se convertir. Richelieu en est convaincu, et y travaille par
de grosses sommes qu'on fait passer par les mains des
jésuites et qui gagnent quelques ministres. Il y travaille
encore par ses œuvres de controverse qu'il étend, fortifie,
perfectionne jusqu'à la mort. Il emploie volontiers les
protestants à l'armée, et ailleurs, comme oflBciers ou gens
de lettres. C'est à ce dernier titre qu'il accueille les mi-
nistres et leur donne sa protection. L'Académie française,
ouverte chez un protestant (Courart), fut, dans les idées
du ministre, un honorable asile et une douce tentation
406 LA TRILOGIE DIABOLIQUE SOUS LOUIS Xin.
aux littérateurs convertis, comme un hôpital du protes-
tantisme.
Un zèle si patient ne plaît pas à Aubry, son historien:
Il veut faire croire que le grand cardinal, s*il eût vécu,
eût égalé la gloire de Louis le Grand, employant le fer et
le feu pour exterminer Thérésie ; qu'il eût môme, avec
une armée, converti l'Angleterre. Da reste, pas la moindre
preuve. Avec bien plus de vraisemblance, d'autres auteurs
du même siècle attribuent ce zèle véhément, cette préci-
pitation guerrière au fougueux père Joseph, romanesque
et violent) autant que rusé.
Du reste, la matière manquait à la persécution.
Les protestants étaient alors les plus fidèles sujets du
roi ; il y avait paru dans l'affaire de Montmorency. Les
missions violentes, insolentes, qu'on faisait parmi eux,
comme on eût fait en pays turc, ne parvenaient pa» à
lasser leur admirable patience. Les jésuites, les capucins
et moines de toute sorte avaient en vain orgaimé contre
eux une machine populaire très^pnovoquante. On yofiit
fréquemment l'artisan paresseux, menuisier, perruquier,
laisser là son métier, se faire apôtre ; emporté d'un exeès
de zèle, il allait dresser son tréteau dans telle ville, et puis
dans une autre, et prêcher en plein vent contre les hugue-
nots. Ils étaient la bourgeoisie riche dans plusieurs lie«n,
et presque partout le commerce; ces sermons étaient (art
goûtés comme appel au pillage, au massacre pevt-étre,
sous un gouvernement plus faiUe. Mats Richelieu ne
l'aurait pas souffert ; il eût fait pendre les apôtres.
Donc, c'était d'un autre côté que devait se tourner le
zèle ardent du capucin.
Les philosophes, athées et esprits feirts, q«e Ton brftiait
de temps à autre, étaient trop peu nombreux, des iwfi-
Tidus isolés. Une af&ire de ce genre ne pouvait faire la
fortune d'un homme. La dernière, la persécuifona de
Théophile, chassé à mort en 4^23 par le jé^ite Arneult
LES RBLI61B0SJSS DK LOUDUN. 407
et par tous les curés de France, n'avait pas grandi le jé«
suite. Pour que Joseph éclatât et brillât conune vengeur
de rËglise, pour que Rome fût forcée de 4ui donner le
désiré chapeau, il lui aurait fallu une classe nombreuse à
persécuter, quelque grande, nouvelle, dangereuse hérésie,
qui motivât une croisade de capucins.
La dévotion du roi y eût mordu, et, Richelieu n'osant
y contredire, Ja France entière devenait un théâtre où ces
bruyants acteurs eussent paradé devant les foules, rempli
tout du tumulte de leurs enquêtes dramatiques, terrorisé
les simples. Un pouvoir nouveau se fut constitué, une in-
quisition capucine, un grand inquisiteur, Joseph.
D'abord Torquemada, mais bientôt Ximénès, il eût jeté
bas Richelieu.
Pour bien pousser cette guerre à l'intérieur^ il eût fallu
finir la guerre extérieure et s'arranger, sacrifier la petite
question politique et la balanee de r£urope à la grande
question de la foi. Pour cela, il fallait replacer près du roi
le bon conseil d'Espagne, la reine mère. Et c'est à quoi
Joseph commençait à travailler timidement. Il recevait
les lettres de Marie de Médicis, ses prières pour rentrer, et
les montrait au roi.
Le capucin avait plus d'une chance près de Louis XIU
et dans le public même. Ce qui tuait le roi et tout le
monde sous Richelieu, c'était 1 ennui. L'éternelle guerre
d'Allemagne oii la France épuisée entrait, la nûsère éter-
nelle (avec certitude de croître), c'était toute la situation.
L'air, d'année en année, plus pesant et moins respirable.
Un brouillard monotone couvrait la scène où l'on ne dis-
tinguait qu'un »e\\l acteur, cette grande figure de plomb.
Joseph aurait bien autrement occupé le théâtre. L'intérêt
dramatique eût tenu chacun éveillé. Les tragédies de
l'autre siècle auraient recommencé, ineidentées par le
génie burlesque, italien, des cappuccini.
Dans les Mémoires dÉlat qu'avait écrits Joseph, qu!on
108 LA TRILOGK DIABOUOUB SODS LOUIS XIII.
ne connaît que par extraits, et que l'on a sans doute pru-
demment supprimés comme trop instructifs, ce bon père
expliquait qu'en 1633 ou 4634 il avait eu le bonheur de
découvrir une hérésie, une hérésie immense, où trem-
paient un nombre infini de confesseurs et de directeurs.
Les capucins, légion admirable des gardiens de l'Église,
bons chiens du saint troupeau, avaient flairé, surpris, non
pas dans If^s déserts, mais en pleine France, au centre, à
Chartres, en Picardie, partout, un terrible gibier, les
alumbrados de l'Espagne (illuminés ou quiétistes), qui,
trop persécutés là-bas, s'étalent réfugiés cbet nous, et qui,
dans le monde des femmes, surtout dans les couvents,
glissaient le doux poison qu'on appela plus tard du nom
deMolinos. ,
La merveille, c'était qu'on n'eût pas su plus tât la chose.
Elle ne pouvait guère être cachée, étant si étendue. Les
capucins juraient qu'en la Picardie seule (pays où Jes
filles sont faibles et le sang plus chaud qu'au Hidi) cette
folie de l'amour mystique avait soixante mille professeurs.
Tout le clergé en était-il? tous les confesseurs, directeurs?
Il faut sans doute entendre qu'aux directeurs officiels
, nombre de laïques s'adjoignirent, brillant du même lèle
pour le salut des ftmes féminines. Un de ceux-ci qui éclati
plus tard avec talent, audace, est l'auteur des Dilicts spiri-
tneUes, le trop fameux Desmarets de Satnt-Sortin.
Que les couvents fussent corrompus, ce n'était pas li
une grande nouvelle. Il n'était nécessaire de supposer que
la corruption vint d'Espagne, qu'elle fiït un fruit propre i
tel pays, à telle époque. Au temps de saint Louis, l'un de
ses confidents, Eudes Rigault, homme, très-austère, qu'il
avait fait archevêque de Rouen, ayant entrepris la visite
des couvents de Normandie, écrivait chaque soir ce qu'il
avait vu dans le jour. Son journal fait frémir. Il trouva
les moines toute la violence féodale, un libertinage
:né, leurs nonnes pleines, et sans pudeur, sans ré-
LBS RELIGIEUSES DE LOUDUN. 409
serve, publiquement, n'imaginant pas même qu'il y eût
là rien à cacher.
Qui ramena quelque décence? Surtout la satire héré-
tique, la concurrence des Églises nouvelles, et le vis-à-vis
du protestantisme. Il fallut un peu de tenue en face de
celte austérité. Les confesseurs s'abstinrent, mais le
Diable ne s'abstint pas. C'était un de ses jeux au xvi*" siè-
cle de prendre la figure du pauvre confesseur pour le ca-
lomnier et le perdre, de faire sous son visage et sa parfaite
ressemblance l'amour aux religieuses. Dans le fameux
procès des Augustines du Quesnoy, l'une d'elles avoua que
cette ruse du Diable l'avait trompée quatre cent trente-»
quatre fois, et dans l'église môme. Le père était en fuite.
Tout retomba sur elle; jetée pour toujours à Vin pace, elle
n'y languit pas du moins : elle y mourut au bout de quel-
ques jours (V. Massée, i 540). Nous retrouvons ceci au cou-
.ventKieLouviers exactement un siècle après.
Au xvu% l'intervention du Diable est bien moins né-
cessaire. Toujours puissant dans les campagnes, il n'est
appelé dans les couvents que comme un auxiliaire fort
accessoire. Dans les trois grands procès d'Aix, Loudun et
Louviers (Gauflfridi, Grandier et Pinart), le Diable arrive
pour donner l'intérêt dramatique, l'effet de la finale. Mais
on voit trop qu'avant qu'on produise cet acteur popu-
laire la pièce était bien avancée, quoiqu'on ait eu l'alten-
tion de laisser dans un demi- jour les premiers actes, trop
naturels, pour faire valoir la fin surnaturelle et dia-
bolique.
On ne peut comprendre la toute-puissance du directeur
sur les religieuses, cent fois plus maître alors qu'il ne le
fut dans les temps antérieurs, si l'on ne se rappelle les
circonstances nouvelles.
La réforme du concile de Trente pour la clôture des
monastères, fort peu suivie sous Henri lY, où les reli-
gieuses recevaient le beau monde, donnaient des bah,
i^O î.k TRILOGIE DIABOLIQUE SOUS LOUIS XIII.
dansaient, etc., cette réforme commença sérieiisenr>ent
sous Louis XIU. Le cardinal de la Rochefoucauld, ou plu-
tôt les jésuites qui le menaient, exigèrent une grande
décence extérieure. Est-ce à dire que Ton n'entrât plos
aux couvents? Un seul homme y entrait chaque jour, et
non-seulement dans la maison^ mais à volonté dans cha-
que cellule (on le voit dans plusieurs affaires, surtout par
David à Louvîers). Cette réforme austère et cette clôture
ferma la porte au monde, aux rivaux incommodes, donna
le tête-à-tête au directeur et l'influence unique.
Qu'en résulterait-il? Les spéculatifs en feront un pro-
blème, non les hommes pratiques, non les médecins. Dès
le xvi*^ siècle, le médecin Wyer nous l'explique par des
histoires fort claires. 11 cite dans son livre IV nombre de
religieuses qui devinrent furieuses d'amour. Et, dans son
livre m, un prêtre espagnol estimé qui, à Rome, entré
par hasard dans un couvent de nonnes, en sortit foU|
disant qu'épouses de Jésus, elles étaient les siennes, celles
du prêtre, vicaire de Jésus. Il faisait dire des messes pour
que Dieu lui donnât la grâce d'épouser bientôt ce couvent.
(Wyer, lib. JII, c. vu.)
Si cette visite passagère eut cet eflTet, on peut corn*
prendre quel put être l'état du directeur des monastères
de femmes quand il fut seul chez elles, et profita delà clô-
ture, put passer le jour avec elles, recevoir à chaque
heure la dangereuse confidence de leurs langueurs, de
leurs faiblesses.
Les sens ne sont pas tout dans l'état de ces filles. Jl faut
compter surtout l'ennui, le besoin absolu de varier l'exis-
tence, de sortir d'une vie monotone par quelque écart on
quelque rêve . Que de choses nouvelles à cette époque !
Les voyages, les Indes, la découverte de la terre ! l'impri-
merie t les romans surtout!... Quand tout cela roule au
dehors, agite les esprits, comment croire qu'on suppor-
tera la pesante uniformité de la vie monastique, Tennai
LES RELIGIEUSES DE LOUDUN. \H
des longs offices, sans assaisonnement que de quelque ser-
mon nasillard?
Les laïques même, au milieu de tant de distractions,
veulent, exigent de leurs confesseurs la variété du plaisir.
L'absolution de l'inconstance.
Le prêtre est entraîné, forcé de proche en proche. Une
littérature immense, variée, érudite, se fait de la casuis-
tique, de Tart de tout permettre. Littérature très-progres-
sive^ oii rindulgence de la veille paraîtrait sévérité le len-
demain. Courbés sur Navarro, Sanchez, Ovando, Escobar
et autres, les confesseurs pâlissent à scruter ces mines
immenses d'expédients, de fmes et subtiles ressources pour
exterminer le péché, je veux dire pour le nier, en suppri-
mer partout ridée. Des hommes si charitablement occupés
nuit et jour à trouver des moyens pour autoriser le plai-
sir, ne garderont-ils pas pour eux une part de tant d'abso-
lutions ?
Les mondains exigeaient de Tart ; ils n*acceptaient pas
l'indulgence^ à moins que le confesseur ne Tassaisonnàt
d'un sophisme. Mais était-ce la peine de ruser, de faire
tant de frais avec les pauvres religieuses, faibles et con-
vaincues d'avance ?
La casuistique fut pour le monde, la mystique pour les
couvents.
Les fines recettes et les distinguo de la première ne sont
pas nécessaires ici. La mystique n'a que faire de ces
pointes d'aiguille, ayant la flamme d'amour pour brouiller,
brûler tout, dans sa dévorante équivoque.
L'anéantissement de la personne et la mort de la volonté,
c'est le grand principe mystique. Desmarets nous en
donne très-bien la vraie portée morale. Ces dévoués, dit-il,
immolés en eux et anéantis, n'existent plus qu'en Dieu.
Dès lors ils ne peuvent mal faire. La partie supérieure est
tellement divine, qu'elle ne sait plus ce que bit l'autre.
Doctrine très-ancienne qui reparaît souvent dans le
U2 LA TRILOGIE DIABOLIQUE SOUS LOUIS XIII.
moyen âge. Au xvii^, elle est commune dans les couvents
de France et d'Espagne, nulle part plus claire et plus
naïve que dans les leçons d'un ange normand à une reli-
gieuse (affaire de Louviers).
L'ange enseigne à la nonne premièrement « le mépris
du corps et l'indifférence à la chair. Jésus l'a tellemeDt
méprisée, qu'il l'a exposée nue à la flagellation, et laissé
voira tous... »
Il lui enseigne « l'abandon ^e l'âme et de la volonté, la
sainte, la docile, la toute passive obéissance. Exemple, la
sainte Vierge, qui ne se défia pas de Gabriel, mais obéît,
conçut. »
a Courait^Ue aucun risque? Non. Car un esprit ne peut
causer aucune impureté. Tout au contraire^ il purifie. »
A Louviers, cette belle doctrine fleurit dès 1623, pro-
fessée par un directeur âgé, autorisé, David. Le fond de
son enseignement était « de faire mourir le pécbé par le
péché, pour mieux rentrer en innocence. Ainsi firent nos
premiers parents. »
On devait croire que le zélé Joseph, qui avait poussé si
haut le cri d'alarme contre ces corrupteurs^ ne s'en tien-
drait pas là, qu'il y aurait une grande et lumineuse en-
quête; que ce peuple innombrable, qui, dans une seule
province, comptait soixante mille docteurs, serait connu,
examiné de près. Mais non, ils disparaissent, et l'on n'en
a pas de nouvelles. Quelques-uns, dit-on, furent empri-
sonnés. Mais nul procès, un silence profond. Selon toute
apparence, Richelieu se soucia peu d'approfondir la chose.
Sa tendresse pour les capucins ne l'aveugla pas au point de
les suivre dans une affaire qui eût mis dans leurs mains
l'inquisition sur tous les confesseurs.
En général, le moine jalousait, haïssait le clergé sécu-
lier. Maître absolu des femmes espagnoles, il était peu
goûté de nos Françaises pour sa malpropreté; elles allaient
plutôt au prêtre, ou au jésuite, confesseur amphibie, demi-
LES REMGIEUSES DE LODDUN. 113
moine et demi -mondain. Si Richelieu avait lâché la meute
des capucins, récollets, carmes, dominicains, etc., qui eût
été en sûreté dans le clergé? Quel directeur, quel prêtre,
même honnête, n'avait usé et abusé du doux langage des
quiétistes près de ses pénitentes? Leur grand accusateur,
Bossuet, dans ses lettres à une femme qu'il mène parfois
durement (la veuve Cornuau), ne peut lui-même s'abstenir
des molles douceurs, des équivoques malsaines, des mots
à double entente.
Richelieu se garda de troubler le clergé lorsque déjà il
préparait rassemblée générale où il demanda un don pour
la guerre. Un procès fut permis aux moines, un seul, con-
tre un curé, mais contre un curé magicien, ce qui per-
mettait d'embrouiller les choses (comme en l'affaire de
Gauffridi), de sorte qu'aucun confesseur, aucun direc-
teur, ne s'y reconnût^ et que chacun, en sécurité pleine,
pùl toujours dire : a Ce n'est pas moi. »
Gr&ce à ces soins tout prévoyants, une certaine obscu-
rité reste en effet sur Taifaire de Grandier. Son historien,
le capucin Tranquille, prouve à merveille qu'il fut sorcier,
bien plus un diable, et il est nommé dans le procès (comme
on aurait dit d'Àstaroth) Grandier des dominations. Tout au
contraire, Ménage est près de le ranger parmi les grands
hommes accusés de magie, dans les martyrs de la libre
pensée.
Pour voir un peu plus clair, il ne faut pas prendre
Grandier à part, mais lui garder sa place dans la trilogie
diabolique du temps, dont il ne fut qu'un second acte,
réclairer par le premier acte qu'on a vu en Provence dans
l'affaire terrible de la Sainte-Baume où périt Gauffridi,
l'éclairer par le troisième acte, par l'affaire de Louviers,
qui copia Loudun (comme Loudun avait copié), et qui eut
à son tour un Gauffridi et un Urbain Grandier.
Les trois affaires sont unes et identiques. Toujours U)
prêtre libertin, toujours le moine jaloux et la nonne fu-
XII 8
4U LA TRILOGIE DUBOLIQOB SOUS LOUIS Xllh
rieuse par qui on fait parler le Diable, et le prêtre brûlé k
]a fin.
Yoilà ce qui fait la lumière dans ces affaires, et qui per-
met d'y mieux voir que dans la fange obscure des monas-
tères d'Espagne et d'Italie. Les religieuses de ces «pays de
paresse méridionale étaient étonnamment passives, subis-
saient la vie de sérail, et pis encore (F. Del Rio, Lloreote,
Ricci, etc.) Nos Françaises, au contraire, d'une person-
nalité forte, ardente, exigeante, furent terribles ifi jalousie
et terribles de haine, vrais diables (et sans figure;), partant
indiscrètes, bruyantes, accusatrices. Leurs révélations fu-
rent très-claires, et si claires vers la fin, que tout le monde
en eut honte et qu'en trente ans, en trois affaires, la chose,
commencée par Thorreur, s'éteignit dans la platitude, les
sous sifflets et le dégoût.
Ce n'était pas à Loudun, en plein Poitou, parmi les
huguenots, sous leurs yeux et leurs railleries, dans la ville
même où ils tenaient leurs grands synodes nationaux,
qu'on eût attendu une affaire scandaleuse pour les caibo-
liqves. Mais justement ceux-ci, dans les vieilles villes pro-
.testantes^ vivaient comme en pays conquis, en liberté
•très- grande, peneant avec raison que de» gens souvent
massacrés, tout récemment vaincus, ne dinaient mot. La
Loudun catholique (magistrats, prêtres, moines, un peu
de noblesse et quelques artisans) vivait à part de l'autre, en
vraie colonie conquérante. La colonie se divisa, coaiaie on
pouvait le deviner, par l'opposition du prêtre et du
moine.
Le moine, nombreux et altier, comme missionnaire con-
vertisseur, tenait le haut du pavé contre les protestants, et
confessait les dames catholiques, lorsque, de Bordeaux,
arriva un jeune curé, élève des Jésuites, lettré et agréaUe,
écrivant bien et parlant mieux, il éclata en chaire, et bien-
tôt dans le monde. Il était Manceaude naissance iat dispu-
teur, mais méridional d'éducation, de facilité bordelaise,
LBS RBUGUDHS 0E LOUDUN. 445
hâbleur, léger camfme un Gascon. En peu de temps, il sut
bvoinHer à fendioufte la petite ville, 9yant les femmes pour
lui, les hommes contre (du moins presque tous). 11 devint
nnagniiqiie, insolent et insupportable, ne respectantiplus
nea. 11 crîbUit de ^roasmes les carmes, déblatérait en
idiaire contre les «loines en général. On s'étouffait à ses
semons. Majestueax et fastueux, ce personnage apparais-
sait dans les rues de Loudun comme un père de TËglise,
tandis qae la nuit, moins bruyant, il glissait aux allées ou
par les portes de derrière.
Touias lui furent à discrétion. La femme de Tavocat du
roi fut sensible pour lui, mais plus encore la fille du pro«
curear royal, qui en eut un enfent. Ce n'était pas assez. Ce
conquérant, maître des dames, poussant toujours son
avantage, en venait aux religieuses. Il y avait partout alors
des Ursttlines, sœurs vouées à l'éducation, missionnaires
femelles en pays protestant, qai caressaient, charmaient
les mères, attiraient les petites fiUes. Celles de Loudnn
étaient un petit couvent de demoiselles nobles et pauvres.
Pauvre couvent lui-même; en les fondant, on ne leur
donna guère que la maison, ancien collège huguenot. La
supérieure, dame de bonne noblesse et bien apparentée^
brûlait d'élever son couvent, de l'amplifier, de l'enrichir
et de le faire oonnaltre. Elle aurait pris Grandier peut-être,
l'homme à la mode, si déjà elle n'eût eu pour directeur un
prêtre qui avait de bien autres racines dans le pays, étant
proche parent des deux principaux magistrats. Le cha-
noine Mignon, comme on l'appelait, tenait la supérieure.
Elle et hii en confession (les dames supérieures confes-
saient), tous deux apprirent avec fureur que les jeunes
nonnes ne rêvaient que de ce Grandier dont on parlait
Doac, le directeur menacé, le mari trompé, le père
outragé (trais affronts en même famille !), unirent leurs
jalousies et jurèrent la perte de Grandier. Pour réussir,
116 U TRILOGIE DUBOtIQUR SOUS LOCTIS SIU.
il suffisait de le laisser aller. Il se perdait asseï lui-même.
Une affaire éclata qui fit un bruit à faire presque écrouler
la ville.
Les religieuses, en cette vieille maison huguenote où
on les avait mises, n'étaient pas rassurées. Leurs peusioD-
naires, enfants de la ville, et peut-être aussi de jeunes
nonnes, avaient trouvé plaisant d'épouvanter les autres en
jouant a\i\ revenants, aux fanlAmes, aux apparitions. Il
n'y avait pas trop d'ordre en ce mélange de petites Biles
riches que l'on g&tait. Elles couraient la nuit les coni>
dors. Si bien qu'elles s'épouvantèrent elles-mêmes. Quel-
ques-unes en étaient malades, ou malades d'esprit. Hais,
ces peurs, ces illusions, se mêlant aux scandales de ville
dont on leur parlait trop le jour, le revenant des nuits, ce
futGrandier. Plusieurs dirent l'avoir vu, senti la nuit près
d'elles, nudacieux, vainqueur, et s'être réveillées trop
tard. Ëtait-ce illusion? Étaient-ce plaisanteries de novices?
Ëtait-ce réellement Grandier qui avait acheté la portière
ou risqué l'escalade? On n'a jamais pu l'éclaircir.
Les trois dès lors crurent le tenir. Ils suscitèrent d'abord
dans les petites gens qu'ils protégeaient deux bonnes Ames
qui déclarèrent ne pouvoir plus garder pour leur curé un
débauché, un sorcier, un démon, un esprit fort, qui, à
l'église, < pliait un genou et non deux; • enfin qui se
moquait des règles, et donnait des dispenses contre les
droits de l'évéque. — Accusation habile qui mettait contre
lui l'évéque de Poitiers, défenseur naturel du prêtre, et
livrait celui-ci à la rage des moines.
Tout cela monté avec génie, il faut l'avouer. En le fai-
sant accuser par deux pauvres, on trouva très-utile de le
batonner par un noble. En ce temps de duel, l'homnie,
impunément b&lonné, perdait dans le public; il baissait
chez les femmes. Grandier sentit la profondeur du coup.
Comme en tout il aimait l'éclat, il alla au roi même, se jeta
à ses genoux, demanda vengeance pour sa robe de prêtre.
LBS RELIGIEUSES DE LOUDUN. 447
Il l'aurait eue d'un roi dévot ; mais il se trouva là des
gens qui dirent au roi que c'était affaire d'amour et fureur
de maris trompés.
Au tribunal ecclésiastique de Poitiers, Grandier fût
condamné à pénitence et à être banni de Loudun, donc
déshonoré comme prêtre. Mais le, tribunal civil reprit la
chose et le trouva innocent. Il eut encore pour lui l'auto-
rité ecclésiastique dont relevait Poitiers^ l'archevêque de
Bordeaux, Sourdis. Ce prélat belliqueux, amiral et brave
marin, autant et plus que prêtre, ne fit que hausser les
épaules au récit de ces peccadilles. 11 innocenta le curé,
mais en même temps lui conseilla sagement d'aller vivre
partout, excepté à Loudun.
C'est ce que l'orgueilleux n*eut garde de faire. Il voulut
jouir du triomphe sur le terrain de la bataille et parader
devant les dames. Il rentra dans Loudun au grand jour,
à grand bruit; toutes le regardaient des fenêtres ; il mar-
chait tenant un laurier.
Non content de cette folie, il menaçait^ voulait répara-
tion. Ses adversaires, ainsi poussés, à leur tour en péril,
se rappelèrent l'affaire de Gauffridi, oii le Diable, le père
du mensonge, honorablement réhabilité, avait été accepté
en justice comme un bon témoin véridique, croyable pour
l'Église et* croyable pour les gens du roi. Désespérés, ils
invoquèrent un Diable, et ils l'eurent à commandement.
Il parut chez les Ursulines.
Chose hasardeuse. Mais que de gens intéressés au
succès 1 La supérieure voyait son couvent, pauvre^ obscur,
attirer bientôt les yeux de la cour, des provinces, de toute
la terre. Les moines y voyaient leur victoire sur leurs
rivaux, les prêtres. Ils retrouvaient ces combats popu-
laires livrés au Diable en l'autre siècle, souvent (comme à
Soissons) devant la porte des églises, la terreur et la joie
du peuple à voir triompher le bon Dieu, l'aveu tiré du
Diable « que Dieu est dans le Sacrement, » l'humi-
H 8 LA TRILOGIK SflABOLIQUr SOOS LO0fS XUI.
liation des huguenots convaîncns par le démon même.
Dans cette comédie tragique , Texorciste représentait
Dieu, ou tout au moins c'était l'archange terrassant le
dragon. Il descendait dès échafauds, épuisé, ruisselant de
sueur, mais triomphant, porté dans les bras de la foule,
béni des bonnes feinrmes qui en pleuraient' de joie.
Voilà poui^quoi il fallait toujours un peu de sorcellerie
dans les procès. On ne s'intéressait qu'au DiaUe. On ne
pouvait pas toujours le voir sortir du corps en cvapaod
noir (comme à tordeaux en 161 0). Mais on était du meiDS
dédommagé par une grande , superbe mise en scène.
L*ùpre désert de Madeleine, l'horreur de la Sainte-Bmime,
dans l'affaire de Provence, firent une bonne partie du
succès. Loudun eut pour hii le tapage et la bacclMnieJe
furieuse d^nne grande armée d'exorcistes divisés en plu-
sieurs églises. Enfin Loùviers, que nous verrons, ponr
raviver un peu ce genre usé, imagina des scènes de nuit
oii les diables en religieuses, à la lueur des torches, ereu*-
saient, tiraient des fosses les charmes qu'on y avait
cachés.
L'affaire commença par Ih supérieure et par une sceor
converse à elle. Elles eurent des convulsions, jargoonè-
rent diaboliquement. D'autres nonnes les imitèrent, une
surtout, hardie^ reprit le rôle de la Louise de Marseille, le
même diable Léviathan, le démon supérieur de chicane
et d'accusation.
Toute la petite ville entre en Hranlew Les moines de
toutes couleurs s'emparent des nonnee, les divisent, les
exorcisent par trois, par quatre. Ils se partagent les ég:li-
ses. Les capucins à eux seuls en occupent deux. La: fbule
y court, toutes les femmes, et, dans cet auditoire efilrayé,
palpitant, plus d'une crie qu'elle sent aussi des diables ;■
six fUIos de la ville sont possédées. Et le simple récit de
CS8 choses effroyables fait deux possédées à Chinon.
On' en parla partout, à Paris, à la cour. Notre reine*
LBS REUGIBUSBSv DK LÛUOUN. 449-
•espagnole, imaginative et dévote, envoie son aumônier ;
bien plus, lord Montaigu, Tanciea papiste^ son fidèle set-*
viteur, qui vit tout et crut tout, ri^porta tout au pape^
Miracle constaté. Il avait vu les plaies d'une nonne*, les
stigmates marqués par le Diable sur les mains de la supé-
rieure*
Qu'en dit le roi de France? Toute sa dévotion était
tournée au Diable^ à Tenfer, à la orainte. On dit que Ri*
•ckelieu fut charmé de Ty entretenir. J'en doute ; les dia*
blés étaient essentiellement espagnols et du parti d'Espa-
gne ; s'ils pariaient politique, c'eût été contre Richelieu.
Peut être en eut-il peur. Il leur rendit hommage, et envoya
sa nièee pour témoigner intérêt à la chose.
La ûour croyait. Mais Loudun même ne croyait pee. Ses
dtttblesi, pauvres imitateurs des démons de Marseille^
répétaient le matin ce qu'on leur apprenait le soir d'après
.le manuel connu du père Michaëlis. Us n'auraient s» que
dire si des exorcismes secrets, répétition soignée de la
farce du jour, ne les eussent chaque nuit préparés et
stylés à Qgurer devant le peuple.
Un ferme- magistrat, le. bailli de la ville^ écktta, vibt
lui«>mêaie trouver les fourbes, les menaça, les dénonça.
Ce fut- aussi le jugement tacite de l'archevéqu» de Bor-r.
deaiix auquel Grandier en appelait. Il envoya ua pègle**--
menib pour diriger du moins les exorciatoe, finir leuo
arbitraire ;- de plus, son chirargie»» qui visita les llllesi ne
les trouva point possédées^ ni folles^ ni malades. Qu'é-
taiea^Helles? Fouri>e3 à coup sûr.
Ainsi continue dans ce siècle oe beau duel du médeoin
contre le Diable, de la science et de la lumière- cooère le-
ténébrem mensonge. Nous Favons vu commeMer par
Agrippa, Wyer. Certain docteur Duncan oontinnft bra^e^^
méat à Loodun, et sew crainte imprima que cette aiEiice
n^était que ridicule.
Le Dén^n, qu'on dit si rdiieHe, eut peur, ae tut, ptrdil
420 LA TRILOGIE DUBOLIQDB SOUS LOUIS XIIU
la voix. Mais les passions étaient trop animées pour que
la chose en restât là. Le flot remonta pour Grandier avec
une telle force, que les assaillis devinrent assaillants. Un
parent des accusateurs, un apothicaire, fut pris à partie
par une riche demoiselle de la ville qu'il disait être mal-
tresse du curé. Comme calomniateur, il fut condamné à
l'amende honorable.
La supérieure était perdue. On eût aisément constaté
ce que vit plus tard un témoin, que ses stigmates étaient
une peinture, rafraîchie tous les jours. Mais elle était pa-
rente d'un conseiller du roi, Laubardemont^ qui la sauva.
Il était justement chargé de raser les forts de Loudun. Il
se fit donner une commission pour faire juger Grandier.
On fit entendre au cardinal que l'accusé était curé et ami
de la Cordonnière de Loudun, un des nombreux agents de
Marie de Médicis; qu'il s'était fait le secrétaire de sa
paroissienne, et, sous son nom, avait écrit un ignoble
pamphlet.
Du reste, Richelieu eût voulu être magnanime et mé*
priser la chose, qu'il l'eût pu diflScilement» Les capudns,
le Père Joseph, spéculaient là-dessus. Richelieu lui aurait
donné une belle prise contre lui près du roi s'il n'eût
montré du zèle. Certain M. Quillet, qui avait observé
sérieusement, alla voir Richelieu et l'avertit. Mais celui-ci
craignit de Técouter, et le regarda de si mauvais œil, que
le donneur d'avis jugea prudent de se sauver en Italie.
Laubardemont arrive le 6 décembre 4633. Avec lui la
terreur. Pouvoir illimité. C'est le roi en personne. Toute
la force du royaume, une horrible massue, pour écraser
une mouche.
Les magistrats furent indignés, le lieutenant civil aver-
tit Grandier qu'il l'arrêterait le lendemain. li n'en tint
compte et se fit arrêter. Enlevé à l'instant, sans forme de
procès, mis aux cachots d'Angers. Puis ramené, jeté oii ?
dans la maison et la chambre d'un de ses ennemis qui en
LES RELIGIEUSES DE LOUDUiV. 42i
fait murer les fenêtres pour qu'il étouffe. L'exécrable
examen qu'on fait sur le corps du sorcier en lui enfonçant
des aiguilles pour trouver la marque du Diable est fait par
les mains mêmes de ses accusateurs, qui prennent sur lui
d'avance leur vengeance préalable , l'avant-goût du sup-
plice !
On le traîne aux églises en face de ces filles, à qui Lau-
bardemont a rendu la parole. Il trouve des bacchantes
que l'apothicaire condamné soûlait de ses breuvages, les
jetant en de telles furies^ qu'un jour Grandier fut près
de périr sous leurs ongles.
Ne pouvant imiter l'éloquence de la possédée de Mar-
seille, elles suppléaient .par le cynisme. Spectacle hideux I
des filles, abusant des prétendus diables, pour lâcher de-
vant le public la bonde à la furie des sens ! C'est justement
ce qui grossissait l'auditoire. On venait ouïr là, de la
bouche des femmes, ce qu'aucune n'osa dire jamais.
Le ridicule, ainsi que l'odieux, allaient croissant. Le
peu qu'on leur soufilait de latin, elles le disaient tout de
travers. Le public trouvait que les diables n'avaient pas fait
leur quatrième. Les capucins, sans se déconcerter, dirent
que, si ces démons étaient faibles en latin, ils parlaient à
merveille l'iroquois, le topinambour.
La farce ignoble, vue de soixante lieues, de Saint-Ger-
main, du Louvre, apparaissait miraculeuse, effrayante et
terrible. La cour admirait et tremblait. Richelieu (sans
doute pour plaire) fit une chose lâche. 11 fit payer les exor-
cistes, payer les religieuses.
Une si haute faveur exalta la cabale et la rendit tout à
fait folle. Après les paroles insensées vinrent les actes
honteux. Les exorcistes, sous prétexte de la fatigue des
nonnes, les firent promener hors de la ville, les prome-
nèrent eux-mêmes. Et l'une d'elles en revint enceinte.
L'apparence du moins était telle. Au cinquième ou sixième
mois, tout disparut, et le démon qui était en elle avoua la
4^ LA TRILOGIiS DIABOLIQUE SOOS LOUIS XIII.
malice qu'il avait eue de calomnier la pauvre religieuse par
cette illusion de grossesse. C'est rhistoriea de Louvters
qui nous apprend cette histoire de Loudun (Esprit, p. 435).
On assure que le père Joseph vint secrètement, mais
vit TaiFaire perdue, et s'en tira sans bruit. Les Jésuites
vinrent aussi, exorcisèrent, firent peu de chose, flairèrent
Topinion, se dérobèrent aussi.
Mais les moines, les capucins, étaient st engagés, qu*il
ne leur restait plus qu'à se sauver par la terreur. Ils
tendirent des pièges perRdes au courageux bailli, à la
baillive, voulant les faire périr, éteindre la future réaction
de la justice. Enfin ils pressèrent la commission d^expédter
O'randier. Les choses ne pouvaient plus aller. Les nonnes
mômes leur échappaient. Après cette terrible orgie de fu-
reurs sensuelles et de cris impudiques pour faire couler
le- sang humain, deux ou trois défaillirent, se prirent en
dégoût, en horreur; elles se vomissaient elles-mêmes.
Malgré le sort affreux qu'elles avaient à attendre si elles
parlaient, malgré la certitude de finir dans une basse^^fosse
(o*était l'usage encore, voir Mabillon), eUes dirent dans
Téglise qu'elles étaient damnées, qu'elles avaient joué le
Diable, que Grandier était innocent.
Elles se perdirent, mais n'arrêtèrent rien. Une réclama-
tion générale de la ville au roi n'arrêta rien. On condamna
Grandier à être brûlé (18 août 4634). Telle était la rage
de ses ennemis,-qu* avant le bûcher ils exigèrent, pour la
seconde fois, qu on lui plantât partout Taiguille pour
chercher la marque du Diable. Un des. juges eût vouhi
qu'on lui arrachât même les ongles, mais le chirciiigien
refusa.
On craignait l*échaftiud, les dernières* paroles du pa*
tient. Comme on avait trouvé dans- ses papiers un écrj!"
contre le célibat des prêtres, ceux qui le disaient sorcier
le croyaient eux-mêmes esprit fbrt. On- se souvenait d^
paroles hardies que les martyrs de la libre pensée avaient
LES RELIGIEUSES DE LOUDUff. 423
lancées contre leurs juges, on se rappelait le mot suprême
de Bruno, la bravade de Vanini. On composa avec Gran-
dier. On lui dit que, s'il était sage, on lui sauverait la
flamme, qu'on Tétranglerait préalablement. Le faible
prêtre, homme de chair, donna encore ceci à la chair, et
promit de ne point parler. H ne dit rien sur le chemin et
rien sur l'échafaud. Quand on te vit bien lié au poteau,
toute chose prête, et le feu disposé pour l'envelopper brus-
quement de flamme et de fumée, un moine, son propre
confesseur, sans attendre le bourreau, mit le feu au bû-
cher. Le patient, enragé, n'eut que le temps de dire : c Ah I
vous m'avez trompé! » Mais les tourbillons s'élevèrent et
la fournaise de douleurs... On n'entendit plus que des
cria.
Hiohdjeu» dan» ses Mémoires^ parle peu de cette affaire
et avi0c nm honte viaible» U fait entendre qu'il suivit les.
rapporte qui lui viarentt la voix de l'opinion. 11 n'en avait
pa0 Dftoina» en soudoyant les exorcistes, en lâchant bride-
aux capucins» ea les laissant triompher par la France^ aa-»
courage» tenté ht fourberie. GauSk*idi, renouvelé pee
Grandier, va reparaître encore plu&sale, dans l'affaire é»
Louviers.
C'est justement en i634 que les diables, chassés de
Poitou» passent en Normandie, oopiaot, recopiant leucs
sottises de la Sainta-Baume, sans invention- et sans talent*»
sans imagination. Laftirieuxi Léviathan de Provence, con'»
trafait àLoudum, perd son aiguillon du Midi, et ne se tins
d^affaire qn'en. faisaot parier couramment aux. vierges les
langues de Sodome. Hélas I tout à l'heitre, à Louviers, il:
perd son audace mèae; ilpread la pesanteur d» Nord» et
devûeot un pauvre* d'esprit
CHAPITRE X
Les Carmélites. — Succès du Cid. 1636- 1Ô37.
Nous ne sortons pas des couvents ni du surnaturel.
L'histoire de ce temps va de miracle en miracle. Au cloî-
tre se fait et se défait par voie occulte le nœud brouillé
des plus grands intérêts. Le fil qu'une politique savante
croit diriger aux cabinets des princes, une "main ignorante
de femme le coupe en se jouant. Richelieu propose; la
Vierge dispose. Tous les calculs du Palais-Cardinal sont
bafoués par le Val-de-Grâce.
Un mot d'avance qui contient tout, qui enveloppe le
siècle même.
La question du siècle, c'est le mariage espagnol^ redouté
d'Henri IV, accompli par sa femme, presque brisé par Ri-
chelieu. A l'intérieur, à l'extérieur, Richelieu sue à com-
battre l'Espagne et la maison d'Autriche. Mais, malgré
lui, le mariage espagnol porte décidément son fruit. Une
grossesse miraculeuse met dans le trône de France le sang
de Charles-Quint, Dieudonné^ ou Louis XIV, lequel ne
combattra l'Espagne que pour prendre son rôle et la con-
tinuer par la ruine de la Hollande et de la France protes-
tante.
C'est la victoire d'un mort sur un vivant, celle de lEs-
pagne sur la France; l'esprit espagnol, en un siècle, mène
LES CARMiLlTBS. — SUCCÈS DU CID. 125
celle-ci à sa mutilation et à sa banqueroute de trois mil-
liards.
Est-ce à dire que ce mort, ce blême et faible revenant,
ait eu directement cette victoire sur les puissances de la
vie? Non, TEspagne n'aurait pas eu prise si la France
elle-même ne s'était ouverte et livrée par l'admiration de
cette vieille ruine, employant la vivacité d'un réveil de
génie à relever l'Espagne dans l'opinion. Il y fallut Cor-
neille, il y fallut le Cid et son succès national ; événement
énorme, d'une portée qui n'a jamais été sentie jusqu'ici.
Examinons. En 1635, à la rupture, lorsque Tambassa-
deur d'Espagne, Mirabel, partit de Paris, où resta le foyer
de l'intrigue espagnole? Aux Carmélites de la rue Saint-
Jacques. « C'est alors, dit Laporte, valet de chambre de
la reine, qu'elle renoua correspondance avec son frère
Philippe lY. » Elle écrivait dans ce couvent.
Cette colonie de carmélites avait été, sous Henri IV, une
vraie invasion espagnole. On a vu leur entrée triomphale
à Paris sous les auspices des Guises. Elles établirent rue
Saint-Jacques leur dévot ermitage, leur désert extatique,
au lieu le plus peuplé et sur la grande route du Midi, la
plus fréquentée de France. Ce fut un autre Escurial à un
quart d'heure du Louvre.
Nous devons à M. Cousin de connaître les pieuses ori-
gines de ces solitaires. 11 est heureux. Au revers du cri-
tique qui croyait dénicher des saints, il a trouvé, rétabli
dans leur niche, je ne sais combien de saintes, acceptant
de confiance ce que les religieuses elles-mêmes ont écrit de
leur propre sainteté, leur donnant la publicité de ses livres
charmants, écrits sur les femmes et pour elles.
Moi, je suis moins heureux. Sur ma route, je vois sortir
de là d'étranges réputations, la Fargis, par exemple. J'y
vois que les saintes elles-mêmes, fort occupées du monde,
mirent toute leur ferveur h avancer les affaires de l'Es-
pagne.
ISfi LBS CARHiUTK.
Richelieu y avait l'œil. 41 avait cm m donner «ne prise
sur l'ordreen se faisant nommer prolecteur des carmélitas,
et sur la maison de Paris en lut donnant pour supérieure
une de ses parentes. Parente ou non, elle était femme, «t,
•comme telle, dans la ligue universelle des femnes contre
Richelieu. La reine trouva U une sAreté qu'elle n'avait
nulle part. Elle put y écrire tout le jour à ion aise. £Ue
put y voir à la grille qui elle voulait, des iocoanus, de
faux pauvres, les agents que Mirabel «nvoyait de Bmxdles,
le lord papiste Hontaîgu; un joli cavalier sossi, qui, daas
ses grandes crises, lui veiHÎt à propos p«ur lui donner
courage. Le cavalier n'était autre que le Cfaerreose, qui
vint parfois de son exil, faisant trente liMies an ooe
nuit.
Entrait-on dans ce monastère ? Un paisage ouieax de
mademoiselle de Montpenaier nous apprend que les coa-
venlâ defcmdation royale n'avaient point de «Idlane pour
les officiers des princesses. Elle-ménae, ï douxe ans, en-
trant dans un monastère, tous les hommes de sa suite y
entraient sans difficulté.
Que pouvait-elle donc tant écrire, n'entrant pas su con-
seil et tenue hors des affaires ? La réponse n'est pas diffi-
cile. Le couvent, mêlé de noblesse, de boui^eoisîe ligneuse,
«t visité par tant de gens, était un grand eentre d'infor-
mations. Et plus directement encore, la reine, par made-
moiselle de Huutefort, savait chaque matin oe que le roi
avait dit le soir. Mus d'un secret d'État pouvait, par cette
voie, aller droit à Madrid.
Il faut bien se rappeler ta situation. L'Espagne épuisée
se voyait faire la guerre par la France épKÎaéa. A chaque
année, elle espérait que Richelieu n'en pourrait plus, se-
rait tari, fini. Elle le crut en 1636, où, faute d'argent, il
ne put refaire à temps son armée du Rhia et du Nord. La
Ttolente dictature des intendants qu'il mit partout alors hU
donna des ressources, mais à l'instant provoqua des ré-
SUCCES DU CiD. 427
vottes. L'Espagne comptait là -dessus, le guettait, Tat-
tendait.
Mais les temps étaient bien changés. Les révoltes, iso-
lées, partielles et sans concert, ne rappelaient en rien la
Ligue. Les insurrections de paysans qui éclatèrent ici et
là en 4638, la sournoise résistance (de bourgeoisie sur-
tout) qui se fit sous forme religieuse et s'appela le jansé-
nisme, n'auraient pas fait grand'ohose. L'homme tant
détesté n'en fût pas moins resté fort et haut dans l'opinion.
On voyait sa terrible route à travers tant d'obstacles, et les
résultats (médiocres au fond) qu'il obtenait étaient loués
avec raison pour la grandeur de volonlé, Tinvincibilité
que l'on sentait en lui. Mais voici qu'un matin, sous forme
littéraire, sans pouvoir être arrêté, réprimé, un cottp
moral inattendu lui est porté par la main d'un enfant, la
main innocente et aveugle du bonhomme Corneille. Coup
oblique, indirect, qui entra d'autant mieux. Tout fut
changé, et le public, et peut-être Richelieu lui-même. I!
n'ffld est jamais relevé.
Il faut dire que ce coup fut asséné au jour le plus cri-
tique, en 4636, le lendemain de l'invasion, quand la France
entamée douta du génie du ministre et l'accusa d'impré*
voyance. Elle eut à ce moment un accès fou qu'elle a par-
fois, celui d'admirer l'ennemi. Et, par un terrible à*propos
(que l'auteur^ certes, n'avait pas calculé), l'Espagne éclata
au théâtre et y fut glorifiée.
Richelieu, essentiellement homme de lettres, aimait,
nourrissait ses confrères, qui alors ne pouvaient vi\Te de
-leur pluma. Malgré la déirasse publique, il soutenait les
bons éerivains'du temps, 4a Mothe le Vayer, Rotrou, Cor-
Mfila, Benaerade, Aenaudot, l'historien Mézeray, l'amu-
aant ^Boiftiiobert, l'hMméle «t savant Chapelain. 11 faisait
plus que de les payer, il «les iionorait. Par exemple, il ne
souffrait pas que Desmarets lui parlât découvert; il Je fai-
sait coOTrir, as^âeoir. NétfnniK>ins sa nature violente et la
128 LES CARUÉLITBS.
violence de son gouvernement, quil le voulût ou non,
étouffait la littérature. Sa manie de faire faire des pièces,
doQt il faisait le plan et rimait quelques scènes, était des-
potique, irritante; ces pauvres rimeurs à grand*peîne
tiraient la charrue sous Taiguillon de ce terrible camarade.
Un petit juge de Rouen, Pierre Corneille, avait, dès
i629, relevé, ou plutôt créé le théâtre, par une mauvaise
pièce, Mélite, qui eut un succès immense. La liberté d*es-
prit, chassée du monde réel, sembla vouloir se réfugier
dans celui des fictions, dans le drame d*intrigue. Trois
théâtres surgirent. Richelieu eut l'ambition de conquérir
encore cet asile de la fantaisie et de la libre opinion. A son
confident Boisrobert il attela quatre hommes, Corneille,
Rotrou, l'Étoile et Colletet, et les regarda travailler. Le
plus indépendant fut Colletet (de pauvreté proverbiale) ;
il repoussa le plan du tout* puissant ministre. Corneille
essaya de résister, puis obéit et fit ce qu*il voulut, mais
se retira à Rouen (1635).
Là, un vieux secrétaire de Marie de Médicis, grand ad-
mirateur de l'Espagne, lui montra, lui recommanda une
pièce espagnole, le Ctd, de Guilain de Castro; il l'engagea
à porter ce beau sujet sur notre scène. Il y avait une diffi-
culté ; la pièce était la glorification du duel, si sévèrement
puni par les édits, à ce point qu'on y sacrifia en 4626 la
tête même d'un Montmorency. Sévérité, du reste, qui
indigna et fut prise dans l'opinion comme un trait des
plus odieux de ce gouvernement de prêtre. « Plus de géné-
ral prêtre! » Ce fut le cri de la noblesse en 4635.
. Glorifier le duel, c'était, dans les idées du temps, atta-
quer, détrôner le prêtre et relever le gentilhomme.
Dans une pièce, du reste, médiocre^ Médéej que Cor-
neille venait de faire jouer Tannée même de rinvasioo, on
avait admifé et applaudi ces vers :
Dans un si grand revers, que vous reste>t-il ? — Moi,
Moi, dis-je, et c*est assez*
SUCCÈS DU ao. 4 29
Mot fort et très-profond, bien plus que ne le sentit
Tauteur. Le sort, la pensée de la France et son état moral
étaient dans cette formule. La tempête d'idées et d'opi-
nions qui battit le xvr siècle avait laissé un calme morne ;
plus de protestantisme; le catholicisme stérile (sauf un
fruit sec, le jansénisme). Il ne restait guère que Tin-
dividu.
Des mœurs religieuses en dessus, fort gâtées en des-
sous. Et, avec tout cela, cette France gardait une étincelle,
d*idées? Non, d'énergie, une certaine pointe du moins, la
langue acérée, Tépée prompte. Un brillant coup d'épée, à
cela véritablement se réduit l'idéal du temps.
« Que vous reste-t-il ? — Moi. » Ce mot n'était que
le duel.
Précisément la chose que le ministre poursuivait, punis-
sait de mort.
Comment ce pauvre petit juge de Rouen, fonctionnaire
craintif, bourgeois de mœurs et d'habitudes, s'emporta-t-il
à cet excès d'audace? Et fut-ce bien le vieux secrétaire
de la reine mère qui fit cette malice de relever par là nos
ennemis les Espagnols? Non, à coup sûr. Il y a une autre
explication, meilleure, je crois. C'est que Corneille était
dans un moment où les hommes ne se connaissent plus,
et font parfois, sans savoir ce qu'ils font, de sublimes im-
prudences. Il aimait, aimait sans espoir. Sans cette folie-là,
il n'eût jamais fait l'autre.
Une autre chose à expliquer, c'est de savoir comment
cet homme de robe, ce juge de Rouen, eut la pensée des
gentilshommes, l'âme de la noblesse plus qu'elle ne l'avait
elle-même. L'esprit bourgeois était très-belliqueux. Des
Arnauld, avocats, nous voyons surgir cet Arnauld, capi-
taine, qui fit le fort Louis contre la Rochelle et forma le
renommé régiment de Champagne. Du parlement de Pau
sortit l'homme que Richelieu appelait la Guerre^ le fameux
Gassion. Le fils du président de Thou, cet Auguste de
XII. 0
430 LES CARMÉLin»*
ThoQ qui doit périr, va comme aiiiateur à la guerre, en
partie de plaisir, avec ses amis de la cour^ aux endroits
les plus dangereux, et s'amuse à se faire blesser.
Corneille amoureux fit Chimènc. GorneîUa escrimeur fit
Rodrigue. Je veux dire escrimeur d'esprit et disputeur
normand. Ses drames, sauf les moments sublimes, ne
sont qu'escrime et polémique.
Le Cid, présenté comme une imitation de respagnol,
allait droit à la reine. 11 fut représenté chez elle au Louvre.
Richelieu fut surpris. Cet incident si grave échappa à sa
surveillance.
Le coup parti, tout fut fini ; impossible d'y revenir. Dès
la première représentation, les applaudissements, les tré-
pignements, les cris, les pleurs^ un frénétique enthou-
siasme . Joué au Louvre, joué à Paris, joué chez le cardi-
nal même, qui le subit sur son théâtre, supposant très-
probablement que sa désapprobation souveraine, toujours
si redoutée, tuerait la pièce, ou tout au moins verserait
aux acteurs, aux spectateurs, une averse de glace; que,
las uns n'osant bien jouer ni les autres applaudir, le Cid
périrait morfondu. .
Phénomène terrible ! Chez le cardinal même et devant
lui, le succès fut complet. Acteurs et spectateurs avaient
pris l'âme du Cid. Personne n'avait, plus peur de rien. Le
ministre resta le vaincu de la pièce, aussi bien que don
Sanche, Tamant dédaigné de Chimène.
Contre cette erreur du public, le tout-puissant ministre,
n'ayant nulle ressource en la force, fut obligé de faire
appel au public môme, au public des lettrés contre celui
des illettrés^ aux^ écrivains contra la cour et la ville igno-
rantes. Une compagnie littéraire, à l'instar des académies
italiennes, s était formée vers 4629. Chapelain et autres
bons esprits se réunissaient chez un' protestant aimé de
Richelieu, le savant Courart. En 46t34, le ministce eut
ridée d'en faire une. socrété qui s'occupât de mots (jainab
SCGCfcS DU CID. 131
d'idée»); qui consacrât ses soins à polir notre langue. Ce
fal TAcwlémie fhinçatse. Nul péril. L'innocente et honnête
soetété devait la protection du cardinal à son fou Bois-
robert, un bouffon de beaucoup d'esprit. Et elle avait
poupohanoelier un homme qui était tout à lui, Desmarets
d» Saint-Sorlin.
Le 10 juillet 16S7, au moment où Richelieu recommen-
çait encore contre l'Espagne une campagne laborieuse, au
rooment^on la cour l'entourait de complots, son ànie lit-
téraire, plus occupée encore du succès de Corneille, éclata
toute dans une solennelle ouverture qu'il fit chez lui de
l'Académie française contre le Cid et le public.
L'Académie naissante ne se souciait nullement de débu-
ter par contredire l'opinion. Il fallut les ordres précis, et
même une menace brutale du ministre, pour qu'elle obéit :
« Je voaa aimerai comme vous m'aimerez, » dit-il. Évi-
demmentll menaçait de supprimer leurs pensions;
Ont sait le jugement, faible et froid, médiocre, parfois
judicieux, parfois timidement complaisant, que l'Académie
publia, et Tinsultante critique du ridicule capitan Scudéry,
et les lâches injures de Mairet, jusque-là maître de la
scène, qui s'avoua jaloux et releva encore par là le succès
de Corneille.
Aurait-on pu en 1637, après le Cid y ce qu'on avait pu
en 1626, punir de mort l'obstiné duelliste revenu pour se
battre sous les croisées du roi? Non, l'édit était aboli, la
scène avait vaincu les lois; sur Richelieu planait Cor-
neille.
La campagne s'ouvrait. De quel cœur la noblesse allait-
elle se battre contre les descendants du Cui, ces Espagnols
aimés et admirés? Français et Espagnols allaient penser
également que l'ennemi n'était qu'à Paris, l'ennemi com-
mun, Richelieu.
Tout en voulant apaiser le ministre et lui demandant
pardon d'avoir réussi, Corneille allait de crime en crime.
432 LIS (URMcuns.
Pas une de ses piècer qui ii*eùt I*effet d'ane conspiration.
E:rac€^ quoique dédié an cardinal, fut avidement saisi par
les Ro<nains du parlement, les Cassius de la grand'chambre
et les Brutus de la basoche. Cinna^ la Clémence d'Auguste^
sous cet homme inclément. parut une sanglante satire.
Po]tf*.\c:i fut représenté au moment où le ministre venait
de mettre à la Bistiile le Polyeucte janséniste, l'abbé de
Saint-C> ran. Les femmes de Corneille sont déjà les fron-
deuses, et ce sont elles qui firent celles-ci. La Palatine se
croyait Ê:uilie. Madame de Longueville disait de sang-
froid, à Coligny, à la Rixrhefoucauld, ce que Chimène dit,
dans son transp<3rt. ne se connaissant plus :
S<r» TaiD-^«ar duo combi: dont Chimène est le prix.
Mais la Chim^ae surtout, ce fut la reine. Avec ses
trente-sept ans, notre reine espagnole, oubliée, peu
comptée, un peu moquée pour ses couches douteuses,
refleurit jeune et pure par la vertu du Cid. Sur elle, aux
représentations, se fixent tous les yeux, à elle reviennent
les bravos et l'enthousiasme public. Tout imite l'Espagne,
se drape à Tespagnole, pour être bien vu de Chimène.
Elle accepte ce rôle, et. quoique l'auteur inquiet ait dédié
le Cid à la nièce du cardinal, la reine se pose sa patronne.
Elle demande, obtient de Richelieu qu'on donne la no-
blesse au père de Corneille, et il n'ose refuser. Contradic-
tion flagrante. Il le fait honorer, il le fuit condamner,
subissant maliïré lui Tarrèt de l'opinion, si bien formulé
par Balzac : « Si Platon le met hors de sa cité, il ne peut
le chasser que couronné de fleurs. »
CHAPITRE XI
Danger de la reine. Août 1037.
La reine Anne d'Autriche, en 4637, n'était plus jeune.
Elle était à peu près de Tàge du siècle. Mais elle avait tou-
' jours une grande fraîcheur. Ce n'était que lis et que roses.
Née blonde et Autrichienne, elle brunissait un peu de
cheveux, était un peu plus Espagnole. Mais, comme elle
était grasse, son incomparable blancheur n'avait fait
qu'augmenter. Flore devenait Cérès, dans l'ampleur et la
plénitude, le royal éclat de l'été.
Elle fut plus tard fort lourde. Retz la trouve, à quarante-
huit ans, c une grosse Suissesse. » Mais nous sommes
encore en 1 637.
Elle nourrissait un peu trop sa beauté, mangeait beau-
coup et se levait fort tard, soit paresse espagnole, soit
pour avoir le teint plus reposé. Elle entendait une ou
deux messes basses, dînait solidement à midi, puis allait
voir des religieuses. Sanguine, orgueilleuse et colère, elle
n'en était pas moins faible ; ses domestiques la disaient
toute bonne. Elle avait eu (jeune surtout) un bon cœur
pour les pauvres. Cœur amoureux, crédule et ne se gar-
dant guère. La Chcvreuse, qui la connaissait, disait à
Retz : c Prenez un air rêveur; oubliez-vous à admirer sa
434 DANGER DE LA REINE.
belle peau et sa jolie main ; vous ferez ce que tous vou-
drez. »
Sa parfaite ignorance et son esprit borné la livraient
infailliblement aux amants par spéculation et aux rusées
friponnes qui s'en faisaient un instrument.
Par deux fois, dans deux grands dangers de la France,
on la mit en rapport avec l'ennemi. En 1628, quand Fal-
liance monstrueuse de l'Angleterre et de l'Espagne se fai-
sait sous main contre nous, et qu'on poussait Waldstein à
l'invasion de la France, elle sollicita je duc de Lorraine
de nous abandonner, c'est-à-dire d'ouvrir la porte à
Waldstein (chose avouée par un des Guises). Et, quand
l'invasion se réalisa, en effet, dans l'année 4636, où la
grande armée des voleurs impériaux entra par le Nord et
par l'Est, où commença en Lorraine et au Rhin l'immense
destruction dont nous avons parlé, nous retrouvons notre
grosse étourdie aux Carmélites, écrivant aux Espagnols,
qui viennent à dix lieues de Paris I...
Elle trahissait et elle flattait. Elle s'était rapprochée de
Richelieu. Elle lui demandait des grâces. Elle se laissa
même aller, pour Tenivrer et l'aveugler, jusqu'à aller le
voir chez lui à Ruel, où elle accepta ses fêtes galantes et
ses collations, les concerts et les vers qu'il faisait faire
pour elle.
Il n'était pas tout à fait dupe. Un si grand changement
l'inquiétait plutôt. Et, à ce moment même, il accoeSlatt
ridée d'un petit complot qui eût écarté mademoiselle de
Hautefort , l'avocat de la reine, son vertueux espion.
Saint-Simon et quelques autres avaient entrepris de
changer les platoniques amours du roi et de lui faire aimer
une fille plus jeune, Lafayette, moins jolie, toute brune,
mais nature tendre, amoureuse, élevée, de celles qui ra-
vissent les cœurs. Le confesseur du roi, le jésuite Caussin,
que Ton croyait un simple, entrait dans cette intrigue. Le
fond du fond, ce semble, que Richelieu n'aperçut que
XUNQER J>I XA RUNI. «435
plus tard, élait .gue, Laf^eite étant proche pareotedu
père Joseph, .aon succès pvàs du roi eût fait rélévation du
fameux .oapuciu, donc la.abute de Richelieu.
Les choses allèrent très-loin. La haine de la reine, un
assai foct^ossier.gu!elle fit pour humilier la pauvre fille
«n âttiiprasaatiiatte. nymphe idéale dans nos basses fonc-
tions <demaittca, ne firent qu'irriter, échauffer le roii Sa
réserve, aa dévotion, cédèrent une fois dans sa vie. Il eut
un vjrai tran^port^ et proposa à Lafayette de venir s'établir
chez. lui fJoanB son petit Versaillea, et d'ôtre toute à lui.
Elle Aurait fort bien pu être reine de France. Le roi ne
.pouvait .avoir qu'une épouse, non une concubine. Tous
furent saisis, surpris, épouvantés.
Richelieu commençait à voir à qui l'affaire profiterait.
Et les parents de Lafayette commencèrent à prendre peur,
à craindre d'être ^sacrifiés, si le roi, toi^ours incertain,
n'allait pas jusqu!au bout. Ils abandonnèrent Lafayette,
firent dire .par Ja jaune fille qu'elle voulait se retirer à la
Visitation. Le roi pleura, mais, de toutes .parts, on éveilla
.aes «oriipules, 'X)n fit appel à sa dévotion. Lafayette pleura
encore pluis, mais s'en alla (19 mai 4637). .Le père Gaus-
.ain, qui me lâchait pas prise, insinua au pénitent ro>yal
qu'il «pouvait sans péché continuer de la voir à la grille.
Religieuse et toujours aimée, elle n'en -eût été que plus
puissante peut-être pour amener le roi oii l'on voulait.
La reine tsiomphaitidu départ de Lafayette. Cependant,
au mois d'août, elle fut frappée à son tour. Un avis positif
npermit à .Richelieu de saisir enfin sa correspondance. On
4irrôta Laporie, qui ne la trahit pas. Ce fut elle qui trahit
iLapocte,. avoua, et, de plus, ee laissa dicter unelettre pour
lui .ordonner de tout dire, amené devant le ministre, iil
Jiia fermement. On ne poussa pas trop. Aichelieu te
montra doux et courtois jusqirià jenvayer de ^argent à
«madame de Chevreuae, qui s'enfuyait ^et partait peur l'Es-
pagne. 11 fit visiter le couvent, ne trouva cîanque'baires.
436 DAIfGSR Dl Li Rimi.
cilices et disciplines. Il est faux et absurde qu'en cette
visite le chancelier ait fouillé la reine efirontément, niis
la main dans son sein. Elle n'était pas même à Paris, mais
à Chantilly, près. du roi.
A quoi tint son salut ? A ce qu'on ne trouva pas les
pièces essentielles? A ce que mademoiselle de Hautefort
alla déguisée à la Bastille, et avertit Laporte de ce qa*U
devait dire ? Il v eut tout cela, mais encore autre chose.
La douceur de Richelieu pour Laporte (qui ne fat pas
mis à la question), les éloges même que le ministre donna
à sa résistance, à sa fidélité, montrent assez qu'alors il
ménagea la reine. Pourquoi ? Elle était à ses pieds et elle
avait demandé grâce.
Il l'avait terrifiée d'abord, lui faisant croire qu'il avait
trouvé tout. Et alors, perdant la tète, elle l'avait prié d'é-
loigner les témoins et de rester seul avec elle. Le manus-
crit cité par Capefigue, quoique de la main du cardinal^
est si naïf^ qu'on n'y peut méconnaître ce que dut sentir
la femme effrayée. Par sa trahison de Laporte, par celle
qu'elle fit (plus haut) de la Fargîs, on voit comme elle
était peureuse. Elle fut d'autant plus caressante, plus
qu'une reine, plus qu'une femme ne pouvait l'ôtre avec
sûreté : «r Quelle bonté faut- il que vous ayez, monsieur
le cardinal 1... Tirez-moi de là ; je ne ferai plus de faute à
l'avenir. » Elle avançait, offrant sa main tremblante.
C'était fait de la fière Chimène. Au vainqueur de dicter
les conditions.
Au grand étonnement de la reine, Richelieu recula. 11
ne prit point cette main, s'inclina humblement et dit qu'il
allait demander les ordres du roi. Que dire des contradic-
tions humaines? La faveur que, cinq ans plus tôt, en no-
vembre 1632, il avait cherchée, désirée, il la décline en
1637. ¥ vit-il une perfidie, un piège féminin pour le
perdre? Ou peut-être, malade, vieilli, il se jugea, se con-
tenta de tout pouvoir.
DANGER DB LA RBINB. 437
Revenu, rapportant Tordre du roi, il la retrouve humi-
liée, anéantie. Gomme une petite fille, elle écrit devant lui
une confession de ses rapports avec TEspagne, une pro-
messe de ne plus récidiver, de se conduire selon son de-
voir, de ne rien écrire qu*<m ne tioye, de ne* plus aller aux
couvents, du moins seule, et de n'entrer dans les cellules
qu'avec telle dame qui en répond au roi.
Pièce grave, qui pouvait servir si Ton allait jusqu'au
divorce. Mais, même en donnant cet acte contre elle, elle
n*eut pas grâce entière du roi. Il ne lui parla plus. Tout le
monde s'éloigna d'elle. Les courtisans qui entraient dans
la cour de Chantilly tenaient les yeux baissés, afin qu'on
ne pût dire qu'ils regardaient les fenêtres de la reine. Elle
étouffait de honte et de douleur, et, les deux jours qui suivi-
rent son pardon, chose inouïe pour elle, elle ne put manger.
Trois personnes lui restaient fidèles et travaillaient pour
elle en dessous; d'abord deux femmes généreuses, Haute-
fort par dévouement, Lafayeite par dévotion ; enfin le père
Gaussin, qui, sous son air béat, saisissait adroitement
toute occasion de faire scrupule au roi de vivre mal avec
sa femme, de tenir sa mère en exil et de continuer la
guerre. Pour s'amender des trois péchés, une chose suffi-
sait : renvoyer Richelieu.
Les Jésuites, qu'on croit de si grands politiques, satis-
font peu ici. Ils se montrent flottants et peu d'accord. Plu-
sieurs étaient pour Richelieu. Plusieurs, un père Honod,
qui gouvernait la régente de Savoie et qui influait sur
Caussin, Caussin même et d'autres sans doute voulaient
renverser Richelieu. Mais qui eussent-ils mis à la place ?
On a dit le vieux AngoOlême, bâtard (fort méprisé) de
Charles IX ; j'ai grand'peine à les croire si sots. Angou-
lême peut-être aurait suffi comme drapeau et mannequin ;
mais dessous, très-probablement, était en embuscade le
seul homme capable, le père Joseph, que sa parente La-
fayette eût mis sans peine au ministère.
4 S8 j)ykNaBB J>8 là rbine.
Quoi qull en soit, ces souiecrains, ces mines, poussés
d'aoûten décembre, avaient réussi chez le roL 11 était pris.
On le voit par une lettce craintive de fiichelieu oii il loi
explique quUi iort le.pèreCaus&in dit gu'U désire «e relirtr;
aïd fevsL quand. la faiwjêra, faite, Humbleiniuiiere.de coa-
juver Torage et de gagner du temps.
Il arriva pour Angoulôme ce qui était arrivé pouries
parents de Lafayette. Il s'efEraya de cet honneur de suecé-
der à Richelieu. Laierrible réputation du cardinal le servit
•encore cette fiais. Angauléme lui dénonça tout Aicheliea
le mena lui-rmème au roi, demanda si vraiment c'était lui
qui le remplaçait. Le roi balbutiât s'âxousa. £t Richelieu
jresta .plus maître que jamais*
C'était le .8 ou le 9 décembre. Tous des fils laborieuse-
ment ourdis par la cabale se trouvaient à la .fois iron^pns.
Tous les moyens humains, Caussin^HauteCoct et Lafayette,
les avertissements, les prières, les suggestions de iUuDoar
et de la dévotioo, avaient échoué. U fallait un .eo^p d'en
haut pom* trancher le nœud, un miracle, il se fit.
CHAPITRE XII
La ntûnnoe de Loais XIV. 1036^i637.
Les origines des ^andes choses ne sont pas tot^anrs
claires. Le Nil cache sa source, et l'on peut disputer. aur
celles du Danube et du Rhin. Ne nous étonnons pas si tes
vraies origines du Messie de la monarchie sont restées i«n
peu troubles;, si son fameux Noël n'en est pas moins louche.
Pour bien y voir, il manque l'étoile d'Orient.
Ce qui nous permet Texamen et môme l'encourage, c'est
la conduite du roi, gui se montra tellement désintérené
de la chose, subit patiemment le miracle, mais n'en fut
pas mieux pour la reine, ne s'émut point de. ses souffcao-
ees, enfin ne l'embrassa pas, comme c'était l'usage, ify>rès
Faccoucbemeni.
Le sceptique Henri IV s'était montré bien autre à la
naissance de Louis UII. Tout en le proclamant aussi i«n
don de Dieu, il avait prouvé par sa joie qu'il se jugeait
l'instrument du miracle ; il avait embrassé la mère, versé
des larmes paternelles.
Mais ici rien pour Ja nature. Dieudonné reat .le fils de la
raison d'£tat.
La date est importante et très^délieate à fixer. Si l'on en
croyait la dame qui écrit la vie de mademâiselle de Haute-
UO U NIISSÀNCI DB LOUIS HT.
Tort, celle-ci eût fait parler le confesseur au roi et décidé
le rapprochement des époux la veille d'utif grande ftu,
évidemment Noël (9;5 décembre 4638). Date improbable,
qui, admise, ferait naître l'enfaDt avant terme, ce qu'on
n'a jamais dit. Date plutât certainement fausse ; au 25, le
confeiiseurCaussiaétait chassé; son successeur, donné par
Richelieu, n'aurait pas conseillé au roi de se rapprocher
de la reine.
Le calcul eiact des neuf mois (V. la note] nous reporte,
au contraire, à une date bien plus vraisemblable, au 9-10
décembre, au moment de la grande crise, au jour où Ri-
chelieu vainquit Caussin et dut le faire partir le len-
demain.
Il en advint à Paris en 1637 comme à Lyon en 1630.
L'enfant apparut au moment oii la mère se croyait p»due
si elle n'était enceinte. Il vint exprès pour la sauver. C'est
YUUima ratio des femmes, c'est le Dtus eas machind, qui
vient trancher le nœud qu'on ne peut dénouer.
Rappelons- nous les terribles secousses par lesquelles elle
avait passé dans cette seule année 1637. Nous en compren-
drons mieux l'extrémité où elle se trouva en décembre.
Elle s'était vue tour à tour très-haut, très-bas. D'espoirs
en désappointements et de triomphes en chutes, elle avait
trouvé finalement le fond du désespoir.
Le Cid en janvier a remis l'Espagne en honneur, k la
mode. Chimène a glorifié, relevé Anne d'Autriche.
Mais un astre nouveau s'est levé, plus qu'une maîtresse, —
une reine possible, la jeune Lafayette. Cela dure quatre
mois. Volontairement l'astre s'éteint. La reine est rassurée
(mai).
A tort. L'affaire du Val-de-Grftce la met à deux doigts
de sa perte (août). Pardonnée, écrasée, elle a chance encore
helieu, si Caussin, si les dames peuvent réusur
roi. Hais Richeheu l'emporte.
u, irrité de nouveau en décembre, poussera son
LA NAISSANCE DB LOUIS XIT. 441
avantage, fera valoir pour le divorce les aveux qu*elle a
faits, les pièces qu'elle a données contre elle.
Elle était descendue où peut descendre une femme. Elle
s'était humiliée (et j'allais dire offerte), avait tendu la main.
On avait reculé.
Cruel affront au sang d'Autriche I L'âge aussi, pour la
première fois, dut lui venir à l'esprit, et la quarantaine
imminente ; surprise inattendue, amère...
Plus jeune, elle avait dit à ceux qui parlaient de le tuer:
« Mais il est prêtre. » L'eùt-elle dit alors après un si cruel
dédain?
Peut-être, elle s'en fût tenue, comme faible femme, au
chagrin et aux pleurs. Mais ceux qui la poussaient (je parle
des agents espagnols), ceux-là, dis-je, ne pouvaient s'en
tenir là. Ils la voyaient bientôt à quarante ans sans avoir
encore pris racine en France. Chose honteuse pour l'habi-
leté du cabinet de Madrid d'avoir eu si longtemps ici une
infante et de n'en avoir tiré aucun parti. La Fargis n'était
plus là, comme à Lyon, pour pousser la reine aux aven-
tures. Mais madame de Chevreuse, de son exil de Tours,
venant au Val-de-Gràce, y venait-elle en vain? Le mot fort
et amer de Gaston (Y. \ 634 ) indique assez que la Chevreuse
lui disait ce que l'oncle de Marie de Médicis lui dit au dé-
part : « Sois enceinte. »
On sait que bien souvent des femmes condamnées à
mort usèrent de ce remède pour gagner temps. Celle «ci
risquait plus que la mort. Elle risquait non-seulement de
ne plus être reine de France et de rentrer dans Tennui de
Madrid, mais, par un procès scandaleux, d'irriter sa fa-
mille, déshonorée par elle, et de se trouver perdue même
à Madrid. Si les confidents de la reine en mars 4634 n'o-
sèrent cacher à Richelieu ni son avortement ni ce qui le
provoqua, l'auraient-ils soutenue, couverte jusqu'au bout
dans un procès poussé à mort par le ministre tout-puis-
sant? Que de choses ont eût sues ! Quelle eût été Tindi-^
442 LA NàlSftàMCB DB LQOlfi- XIY.
gnation de la prude maison d'Àulriche contre son impm-
dente infante, quand on eût vu combien la dévotion espa*
gnole était une gardienne peu sûre, une duègne infid^e
de la vertu des reines 1
C'était justement cette duègne qui meyennait ici les cho-
ses. De quoi s'agissait-il? De sauver TËglise en Europe,
rintérét catholique, aussi bien qu'espagnol. Un tel bui
sanctiGait les moyens. Le jésuite Gaussin n'était nullement
étranger à coup sûr à l!art que les grands casuistes pro-
fessaient depuis quarante ans. L'ingénieux Navarre, le
savant et complet Sanchez, les nombreux éclectiques,
comme Escobar et autres, avaient creusé et raffiné. En
cent cas, l'adultère, pour une femme mal mariée, était un
péché véniel.
Il est curieux de savoir quels serviteurs de confiance
entouraient notre reine à ce moment. Son éeu3rer Patro-
cle la trahissait; elle ne l'ignorait pas. Laporte était k la
Bastille. Bouvart, le médecin dévot, peu scrupuleux (qui
ordonnait au roi une maîtresse), n'était pas très^sùr pour
la.reine ; il avait avoué l'avortement (4631).
Au total, l'homme sûr à qui la reine pouvait se fier était
Guitaut, capitaine de ses gardes. Guitaut n'était pas jeune,
et il avait souvent la goutte. Il devait être suppléé dans
ces moments par celui qui avait la survivance de sa charge,
son neveu Comminges, un beau jeune homme, brave et
spirituel) vrai héros de roman (V. Arnauld d'AndiUy).
C'est lui, pendant la Fronde, à qui la reine donna la pé-
rilleuse commission d'arrêter l'idole du peuple, le con-
seiller Broussel. Mais Mazarin (jaloux sans doute) ne le
laissa pas près de la reine, et l'envoya mourir en Italie.
La familiarité royale avec ces hauts Idomestiques était
extrême alors. La disposition même] des appartements
était telle, que les princes et princesses, à tout moment
en évidence et dans les choses que nous cachons le plus,
f^. ^ vivaient (tranchons le mot) dans un étrange péle-mtf e.
LÂé NAItfiàlfCB DR LOOIfr XIV. H à
L'exbauasemrat méine de la royauté, la divinisation des
personnes royales, qui eut lieu en ce siècle , le» enhardis**
saient fort, et leur faisaient aecorder aux simples mortels
qui les entouraienl une trop humaine intimité.
Mais laissons tout ceci. Sortons des conjectures, voyons
le» faits, les dates précises»
Le H déeembre, Caussin fit près du roi la démarche
dernière et le suprême effort contre Richelieu. Àngouléme
avertit celui-ci, qui, le matin du 9, vit le roi, le reprit,
exigea la promesse qu'il renverrait Caussin. La roi, re-
conquis et forcé, rentrant en esclavage, pour fliir la cour
peut-être et les reproches muets de mademoiselle de
Hautefort, pour s'excuser aussi à mademoiselle de La-
fayette, partit de Saint^Germaîn, se proposant de la voir
à Paris à la Visitation, mais de ne pas revenir, de conti-
nuer le faubourg Saint-Antoine, et d'aller coucher à
Saint-Ihur, chez les Coudé, amis de Richelieu.
Tout cela ne fut pas si prompt, qu'on ne pût faire
avertir Lafayette pour qu'elle retint le roi, l'eropéchàt
d'aller s'endurcir et s'obstiner dans ee désert, pour qu'en-
fin, dana oe jour suprême, s'il se pouvait, elle fmdlt son
ccnir.
L» reine courut après le roi. Sous je ne sais quel
prétexte d'afiaires ou de dévotion, elle vint au Louvre
attendre, souper, coucher et profiter peut-être de ce
qu'aurait fait La&yette.
La partie était extraordinairement montée. La reine
n'avait pas caché sa vive inquiétude. Des couvents étaient
en prières (on le sut le lendemain).
La jeune Lafayette, innocente complice d'une affaire si
peu innooente, fit d'autant mieux ce qu'on voulait. Elle
tint le roi longtemps, très-longtemps, deux heures» trois
heures, quatre heures, tant que oe fut le soir. On devine
bien ee qu'elle dit. Elle pria pour la reine, supplia, et
peur le roi-néme, peur sa* conscience et son salut. Noël
444 LA NAISSANCE DB LOUIS XIV.
allait venir. Pourrait-il bien, dans un tel jour où Christ
vient apporter la paix, ne pas donner la paix à sa femme
et à sa famille, à la France en péril s'il ne lui venait un
Dauphin ? Dernier point délicat oii cette enfant de dix sept
ans ne put ne pas rougir. Une jeune sainte charaiante,
demandant, implorant un Dauphin pour la France, belle
de sa honte et de son trouble, de son effort suprême pour
obéir et dire ce qu'on lui faisait dire, c'était une scène plus
forte que celle des pinces d'argent.
Louis XIII, qui semblait de bois, sortit pourtant si ani-
mé, qu'il s'en allait éperdu à Saint-Mpur par une nuit
glacée, un effroyable temps d'hiver. Le bonhomme Gui-
tant, qui, depuis quatre heures, se morfondait là à Tat-
tendre, lui demanda lamentablement s'il était d'un roi
chrétien de faire courir ses gens par ce temps-là. Le roi
n'entendait rien. Deux fois, trois fois, il fit la sourde
oreille, quoiqu'on lui dit et répétât que la reine, avec un
bon feu, était au Louvre, qui bien volontiers lui donnerait
à souper, à coucher. Enfin l'obstination de Guitaut rem-
porta. Tout entier à ce rêve, à ces brûlantes paroles, à
cette image d'ange enflammée du rayon de Dieu, il se
laissa mener au Louvre. Tout était prêt, et il soupa. Le
journal de son médecin malheureusement ne va pas jus-
que-là; nous saurions quel fut le menu, quel le dessert,
si les fameux diavoletli y furent servis, ou les breuvages
d'illusion qu'on donnait au sabbat. Quoi qu'il en soit, le
roi coucha, au Louvre dans le lit de la reine, s'en alla le
matin. Quand elle se leva pour dîner, un supérieur de
moines se trouva sur sa route pour lui annoncer que la
nuit un simple, un bon frère lai, avait su par révélation
ce bonheur de la France. Et il lui dit en souriant : « Votre
Majesté est enceinte. »
Toute la cour était pour la reine. On entoura le roi, on
le félicita, on le persuada. Eh ! que ne peut la sainte
Vierge ? N'était-ce pas elle-même que ce jour-là il avait
LA NAISSANCX DE LOUIS XIT. U5
▼U6 dans mademoiselle Lafayette, toute divine et transfi-
gurée? De là Tacte célèbre. Le 13 janvier, par un élan de
chevalerie extatique qui revient, je crois, tout entier à la
gloire de la jeune religieuse, il mit le royaume de France
80U8 la protection de la Vierge.
Neuf mois sont longs. La reine avait à craindre qu'en
ces neuf mois un mot, une plaisanterie calculée de Gaston
(qui, après tout, perdait le trône), n'assombrit fort le roi
et n'éclairât les souvenirs confus qui lui restaient de cette
nuit. La fille de Gaston, alors enfant, nous apprend que la
reine la faisait venir, ne se lassait pas de la caresser, lui
disant et lui répétant : « Tu seras reine, tu seras ma belle-
fille. » Ou bien : t C'est ton petit mari, s
Cela calma Gaston, lui fit avaler l'amère pilule. Il avait
fait une protestation secrète contre la légitimité de l'en-
faut. Mais il n'éclata pas, ne troubla pas le doux concert
des félicitations dont on flattait l'amour-propre du roi.
Lafayette soutenait sa foi, et, d'une bouche pure et non
menteuse, affirmait, célébrait le miracle de la Vierge.
Mais, plus directement encore, mademoiselle de Hautefort
reprit et empauma le roi. Audacieuse de son dévouement,
sûre d'ailleurs de ne risquer guère, la vive périgourdine
lui fit des avances innocentes. Elle le refit son chevalier.
11 se remit à faire pour elle des vers, de la musique. 11
aimait à la voir manger avec les autres demoiselles ; il
les servait à table; il parlait mal du cardinal. Bref, il
n'oubliait rien pour plaire.
De temps à autre, pour l'éveiller un peu, elle le piquait,
le querellait; il passait tout le temps à écrire ces petites
disputes, les dits et les répliques.
On gagna ainsi les neuf mois. Enfin, le jour venu (5
septembre 1638), on aurait voulu que le roi fût ému, qu'il
montrât des entrailles de père. La Hautefort ne s'épargna
pas pour l'ébranler, le mettre en mouvement. Elle y per-
dit son temps. La reine eut beau crier. On eut beau mt^me
xn. iO
n 6 LA NAISSANCE DB LOOI^ XI?.
dire, à tort ou à raison-, qn^élfeétant en dkngeR fcë
resta calme et paisible. It ne fut pas' pourtant itthmamm.
pour l*enfant. La Hautefort, pleurant- et iliireproelninr aK>
froideur : « Qu'on sauve le petit, lui'dft-4i. YbuffauM»
lieu de vous consoler de la mère. »
Si je ne craignais de faire tort à ce pauvre roi, je 'dirais
que, malgré ses sentiments chrétiens, ii sa ffilt consolé^saaar*
peine de voir crever son Espagnole. La Française était là
(non plus Lafayette impossible), mais cette vive Gasconne
qui le tenait alors. La dame qui écrit son bistoire assors
que toute la nuit, pendant que la reine criait, il se fiiisait
lire rhistoire des rois veufé, qui, comme Assuérus, ^mui-
sèrent leurs sujettes.
CffAPITRE XIII
Misère. — Révoltes. — La question des biens da clergé. 1038-1640.
L'enfant fut un garçon, donc nn roi. Gaston perdit le
trône. La France en fut folle de joie. Heureuse d'échapper
ànn autre Henri III, eUe acceptait aveuglément tes chan-
ces d'une royauté de- femme, fa sinistre loterie d'une ré*
gence étrangère où elle avait déjà gagné deux Médicis.
Richelieu demeura sans voix. Sa fataKté était désormais
d'avoir pour maîtres Tinfent de la maison d'Autriche, la
régente espagnole. Dans le compliment sec, en dçfmc Kgnes,
qu'il (ait à la reine, les paroles hii restent à la gorge :
« Madame, les grandes joies ne parlent pas... •
L'avenir était très-obscur. Richelieu, il est vrai, n'avah
plus à craindre Gaston. Hais quels* seraienf les amants de
la reine?' (Tétait !a question. Haï d'elle à ce pomt, pour-
rait*il lui faire accepter un homme à lui? Un homme sans
famille et sans racine aucune^ un étranger, un prêtre, un
nventorier smis naissance, hri valait raiem qn'uft autre.
Cest, si je m» me trompe, la raison principale qui hii fit
adopter bientôt un Italien que lat>-méme hn présenta
eoimne ressemblant à Buckingham^ le fin, le délié, le
beau nvzarini.
ir avait apparu en t630, comme on a vu, pour sauver
Tannée' espagnole. Cependant le père Joseph l'avait fut
U8 MISiRE. — RÉVOLTES.
accepter de Richelieu comme pouvant être utile à Rome,
Mazarin étant domestique de celui des neveux du pape qui
tenait le parti français. La mort du père Joseph, en dé-
cembre 4638, rendit sa place vide; bientôt Mazarin suc-
céda.
Joseph, cette année même, appuyé par sa jeune parente
Lafayette, avait hardiment travaillé contre Richelieu. II
avait tiré du roi promesse de rappeler sa mère, et la de-
mande au pape de le faire cardinal. Le pape n*osait. Il
savait que Richelieu, sous main, contre Joseph, poussait le
client de Joseph, ce Mazarin, qu'il croyait à lui mainte-
nant, et qu'il voulait faire cardinal. Joseph vit bien qu'on
l'amusait. Le désespéré capucin sentit que le chapeau,
l'ambition de toute sa vie, ne lui viendrait jamais, et com-
prit que son Mazarin le lui soufflait.
Il étouffa, il étrangla; une attaque d'apoplexie le frappe
en mai. Et chacun dit : t II est empoisonné. > Il conGrm^L
ce bruit tant qu'il put en quittant l'hôtel du cardinal et se
réfugiant à son couvent.
Richelieu l'y calma un peu en lui faisant venir la {>ro-
messe tant désirée pour la première vacance. Mais le pape
était averti. Joseph fut joué jusqu'au bout. Le roi seul
était sérieux dans l'affaire, il insistait contre le ministre.
Ordre aujourd'hui et contre-ordre demain. Le pauvre
martyr n'y tint pas. Une mauvaise nouvelle qui vint do
Rome l'acheva, et il mourut deux heures après (48 dé-
cembre 1638).
Entre la naissance du Dauphin et la mort de Joseph,
Richelieu régala la cour d'une grande fête. 11 fit danser le
ballet de la félicité publique. Chose hardie au moment où
de toutes parts il avait des revers. Impuissance complète
en Italie. En Espagne, un honteux échec. Condé, Sourdis
en fuite. Au Nord, nouveau projet de conquérir les Pays-
Ras avec le prince d'Oraiige, et, pour tout résultat, la re-
prise d'une petite place. Richelieu n'avait réussi que là ou
LA QUESTION DES BIENS DD CLERGÉ. 4 49
il n'était pas. Le général aventurier, Weimar, qui guer-
royait aidé de quelque argent de la France, battu, battant,
avait pourtant à la fin quatre fois défait Tennemi, pris Bri-
sach. 11 songeait à se faire, entre nous et l'Empire, un pe-
tit royaume d'Alsace.
Richelieu assurait qu'il avait pris Brisach pour nous.
Mais Weimar montra le contraire. Il garda sa conquête,
et il allait devenir un danger pour la France quand une
fièvre nous en délivra (18 juillet 4639). On admira encore
que les ennemis de Richelieu mourussent ainsi toujours à
temps.
L'invincible ennemi dont on ne pouvait se défaire, c'était
l'épuisement du royaume, Tabime de la misère publique
qui se creusait de plus en plus. Le gouvernement était
sérieux, nullement dilapidateur, le ministre économe, le
roi avare. Il avait réduit à rien les libéralités royales. Les
grands revenus de Richelieu ne paraîtront pas excessifs si
Ton songe que sa maison était réellement un ministère des
arts qui pensionnait les gens de lettres (nullement nour-
ris par leurs ouvrages alors). Àjoutez-y les fêtes et diver-
ses dépenses de représentation que Richelieu prenait sur
lui. Au milieu de cette guerre dévorante, de cet effort
immense pour refaire l'armée chaque année, il avait réussi
pourtant à créer une marine. Dans tout cela, il y avait
certes beaucoup à admirer, et les éloges de Balzac et tant
d'autres ne sont pas entièrement déraisonnables. Madame
de Motteville, comparant Richelieu à Mazarin, le voleur,
le prodigue, si justement méprisé et haï, a été jusqu'à dire
cette parole excessive et absurde : « Richelieu était
adoré. »
Il dit dans ses Mémoires qu'il avait augmenté l'impôt
modérémenL Cela est vrai relativement^ eu égard à Tim-
mensité des dépenses. D'année en année se succèdent des
édits sages pour mieux régler la répartition des taxes.
Mais toute cette sagesse devait échouer contre ce que nous
450 ififlÉRK. — «Érouns.
a^ons dît aiUaura : // ne p^wfait iMicfar ou -ffrund sarpt
richôf BU clergé^ pas davanta^fe à fai nableese, tobésée,
ruinée, mendiante. U s'>eftirçait ^'atteindre ia honrgaaiaîe
par sa taxe des gms miés^ et par un «xaiaen sévèro des
exemptions sans titre et de la fausse iiràlesse,
La bourgeoisie propriétaire se ttevengeak snr ses fer-
BÙers, métayers, paiysans, JMvssait les baux, suçait ut
resuçait la terre. En dernière analyse, c'était sur le <sqÏ&-
vateur que i'imp^t retombait d'aplomb.
En 4635 et 4689, les parlements de Tmlosse et de
Rouen révélèrent le cruel mystère de ce gouvemeoMSit.
Même quand le cbiffine cfes taxes n'augmentait pa&« elles
devenaient chaque année plus pesantes. Paarqaoi ? Pttice
«(n'en chaque commune, ee que nepayaîeat pasl^ inaat-
vables, tes rainés, les pauvres gens en fuite, ceux ipii
restaient sokables le payaient, liais, écrasés par eetle
a(4idarité désolante, ils devenaient peu à peu moiss fiûl-
«ables, grossifisaient le nombre des minés et des gens «n
•fuite. Des villages devenaient déserte.
On saisissait, on prenait, vendait tout, jusqv'anx jupes
4es femmes. Le parlement <le Normandie dit qu'elles ne
vont plus à la messe, n'osant Yttontuer leur triale nodité« Ia
saisie principale, malgré les ordoonanceB d'Henri IV,
ti^mbait généralement sur les bestiaux. On eolewaît le
troupeau du village. £t dès lors plus d'engrais; la tane
feûnait, ainsi qne r>bonime^ oe se r^arait plus. Le maigre
kibovreur semait chaque année dans un sol plus épuisé,
plus maigre. Voilà la route où nous^eulpons, oirnoiisii
de plus en phis. Yauben et BoîsguîHiert 'la déplovent
Louis XIV. Mais on n'y va pas moins jusqu'en 89.
Cne guerre tsans élan moral, et faite à oeiitJBe<<œiir, ne
M eoutenait qu'à force d'argent. <to n'entrait en campagne
que par lempioi mwveau «de^qucAqne «nqiédieat «violaiit,
une fcMS en saisissant la rente et ne payant point les rm-
tîers, 4)ui s'ameutèrent et qu'on empriscmna. fine mtre
LA QUESTION I>KS BIENS lUJ CLERGÉ. 451
Cdîs, ûa fait croîie aux provinces, mangées, foulées par
les Jogemeuts de troupes, qu'en payant elles seront quittes
da ces misères. £lles payent, et les soldats n'en sont pas
tuauis loigâs «bez l'habitant.
La taxe des gens aisés, acceptée au mofiient de Tinva-
laioD comuàe une rigueur passagère, subsista, s'étendit, et
toole la bourgeoisie fut tenue sous la terreur d'un arbi-
4jRaire indéfiniment élastique, qui croissait ou baissait à la
volonté des commis. Ces commis gouvernèrent en \ 637
«ous le nom d* intendants, armés d'un pouvoir triple de
justice, police et finances, suspendant, entravant et les
aacieBS pouvoirs de Gouverneurs, d'États, de Parlements,
supprimanl brusquement les élus par qui Richelieu avait
voulu d'abord régler l'impôt, mais dont l'action lente ne
donnait pas les rentrées sûres, rapides, que demandait la
guerre. Un seul roi reste en France, armé des trois pou-
. voirs, c'est l'Intendant, l'envoyé du ministre ; un homme
.généralement inconnu et de peu de poids, un cadet de
&mille de juges ou de la cpur des aides, de la chambre des
comptes. Petit jeune homme en habit court,' qui fera faire
taire les robes longues, menacera les parlements, qui sait?
par une accusation, fera mener à la Bastille monseigneur
le Gottvecneur même de U province et les plus grands
noms de la monarchie.
Il est curieux de voir la versatilité de ce gouvernement.
BioheUeu, pendant six années, de 4630 à 1636, emploie
toute sa vigueur à introduire partout Vimpôl levé par les
HuSy par irois mille notables de France. Il brise, pour y
réussir;, les résistances des Etats provinciaux et des par-
lements.
La guerre venue, il quitte -brusquement ce système et
fait lever l'impôt (révolutionnairement, on peut le dire)
par Ifente-cinq dictateurs sous le nom d'Intendants.. L'or-
ûâe y gagne; les pouvoirs locaux sont écrasés. Mais Tac-
iioB violente, précipitée, d'un gouvernement si terrible^
152 MISÈRE. — REVOLTES.
décide Texplosion du désespoir. Révoltes, non contre le
roi» mais contre le lise. Les croquants du Midi sont massa-
crés par la Valette, et les nu-pieds normands sont massa-
crés par Gassion, beaucoup pendus, plusieurs roués vils à
Rouen (1639-4640).
Tout ceta fait, rien de changé. L'impossibilité de payer
est la même. Et le roi, dans une ordonnance de novem-
bre 1641, avoue, c les larmes aux yeux, • ce sont ses
termes, précisément les mêmes maux dont se plaignaient
les insurgés, précisément l'horreur de cette solidarité de
ruine qu'ont accusée les parlements. Mais quel remède
propose-t-il? Il n*ose articuler le seul qui serait efficace.
La grande queistion du monde en ce siècle et aux trois
derniers, c'est celle des biens ecclésiastiques. Elle domine
toute la guerre de Trente ans. En Allemagne, en France,
partout, c'est la question, plus ou moins formulée, ici par-
lante et là muette.
Il était évident que les biens donnés à TËglise servaient
au moyen âge diverses utilités publiques, écoles, h6pi*
taux, entretien des pauvres, etc. L'Ëtat n'existant pas alors
(à proprement parler), l'Ëtat réel, sérieux, était dans l'É-
glise. Celle-ci, peu à peu, se dégagea des charges, garda
les avantages, s'enfonça dans son repos, donnant pour
tout secours à l'Ëtat... ses prières.»
L'Ëtat, chargé de plus en plus par l'organisation de tous
les services publics, et frémissant de faim, tournait fout
autour du clergé, et rencontrait de toutes parts une mer-
veilleuse clôture. Les grands sièges dont on parle depuis
celui de Troie, l'Anvers du prince de Parme et l'Alesia de
César, sont tort peu de chose à côté.
François P' crut pénétrer dans la place par la conni-
vence du pape. Ce fut le Concordat. Le roi mit les siens
dans i'Ëglise, paya en bénéfices des emplois, des retraites.
Mais on put voir la vertu singulière des terres d'Église
pour transformer les hommes. A peine mis dessus, les ser-
LA QUESTION DBS BIENS DU CLERGÉ. 4^
viteurs du roi n'étaient que prêtres et défendaient les biens
sacrés.
Au premier mot que l'Hôpital risqua pour deman-
der un état de ces biens (mai 4561), le clergé appela l'Es-
pagne. Mais les huguenots étaient là. 11 eut peur, il jeta un
os, une rente d'un million à peu près pour la dette du roi
à THôtel de Ville. Somme minime au siècle suivant, oii
toute valeur avait changé.
Henri II et Henri IV imaginaient avoir trouvé une
fente, une étroite fissure. Au nom de la charité, ils priaient
que les abbayes reçussent, comme frères convers^ de vieux
soldats mutilés. Les pauvres diables y furent reçus si
mal, qu'ils aimaient mieux s'en aller et tendre la main aux
passants. Leurs places n'en furent pas moins remplies.
Les grands abbés y mettaient leurs domestiques en retraite,
leurs favoris, les parents de Jeannette.
Aux assemblées qui précédèrent le siège de la Rochelle,
puis la rupture avec l'Espagne « pour délivrer l'arche-
vêque de Trêves, » le clergé donna quelque chose, comme
une subvention de croisade. En 1638, Richelieu, aux
abois, les dents aiguisées par la faim, et peut-être poussé
par les conseils hardis du moine révolutionnaire Campa-
nella, sembla déterminé à exiger davantage. On peut
croire toutefois que, de longue date, il avait prévu ce
moment, ayant encouragé un long travail, l'immense com-
pilation des Libertés gallicanes de Pierre Du Puy. Ce savant
archiviste, excellent instrument de guerre que possédait le
cardinal, l'avait armé de pièces pour prendre la Lorraine.
Et il lui prépara un arsenal d'actes et de vieux livres, réim-
primés en trois in-folios, pour battre le clergé en brèche.
Le sens total fut résumé hardiment par Du Puy dans ce
grand axiome : « L'Église ne peut pas posséder. »
Contradiction étrange. En 1629, quand Richelieu crut
devenir légat, il obligea le doyen de Sorbonne d'abjurer
les doctrines gallicanes. Il les ressuscite aujourd'hui, en
454 MISÈRE. — RÉYOLTES.
4638. Il les pousse à leur dernière conséquenoe. On«<ni-
cluait à Rome qu'il voulait se faire patriarche. J'en con-
clus seulement qu'il périssait faute d*argent, et qu'il vou-
lait rançonner le clergé. La dévotion du roi ne permettait
pas une révolution sérieuse. Richelieu, pour gagner le roi,
trouva un jésuite, Cellot, qui appuya Du Puy; un autre,
Rabardeau, pour soutenir et autoriser cet épouvantail du
patriarcat. Mais tout cela rassurait peu la conscience de
Louis X|n.
Ce qu'on pouvait lui faire entendre, c'est que ce clergé
économe, qui disputait une aumône à l'État, était effroya-
blement riche. Son revenu de trois cents millions d'alors
a été évalué très- mal douze cents millions d'aujourd'hui.
C'est s'arrêter au pur rapport des valeurs métalliques.
Mais il faut tenir compte aussi de l'avilissement des den-
rées (personne ne pouvant acheter dans cette misère),
tenir compte de la position du seul riche, du seul ache-
teur, du seul qui eût de l'argent pour faire toute bonne
affaire et pouvoir s'enrichir encore.
Pour parer le coup, Rome avait choisi pour nonce le
doux, le charmant Mazarin. Celui-ci obtint en effet de
Richelieu une surprenante reculade, un arrêt du conseil
contre son propre livre, le livre qu'il avait commandé à
Du Puy. Mazarin, par ce grand service, croyait 'cbarmer le
pape, enlever le chapeau. Mais, en même temps, 'pour
plaire à Richelieu, il l'engagea à envoyer à Home un
ambassadeur militaire qui poussât le pape, Rome 'étant du
tempérament des belles qui ne haïssent pas une douce
contrainte. Richelieu envoya d 'Estrées, l'homme même qui
avait chassé le pape de la Valteline. Enhardie par l'Espa-
gne, Rome manqua à d'Estrées et rappela Mazarin. En
octobre 4639, l'ambassadeur interrompit ses relaitions^aivec
le saint-siége.
Donc la petite guerre commença. Déjà Richelieu avait
créé des procureurs du roi dans les tribunaux ecclésiâ»-
LA QUESnOR «B BlBNft WC 'CLERGÉ. <<S5
tiquos pour les surveiUer. il fk «décider par le parlement
que renqiiéte<or(UnaiBe aar les mœurs des nouveaux béné-
ficiés se ferait par les évéques, non ^par les inonces de
ROOML
Enfin le modéré Marca, jusque-là «onlraîra à Du Puy,
dépassa Du Puy en un point ; il ensei^^ que les églises,
ayant droit «d'élm leurs évéqnes, pouYaient donner ce droit
au roL Louis XIll anrak eu les pouvoics d'Henri VJiU. Ces
évéqnes royaux, ^n oondle, enisent pu enéer un /pa-
triarebe.
Le roi (te û% avril 4689), aooe|Aant, profanant -^Mnome
siennes les bardiesses*de Du Puy qu'aie désavouées, dé-
clare « que le 'Clergé tst incapable de postéder et peut être
contraint de vider ttout^tmineuble un an après Tacquisi-
4ÎOD. Mais âl«veut bien ne (pas le dessaisir; il se^Oûdortentera
-d'etîger les droits •d'amont îasemenL »
f ière et redantaUe menace, mais bien rpeu soutanœ.
Le 7 janmr 4610, «on avoue platement que le roi is'en
tiendrait à un petit don de trois millions.
Le roi est «donc vaincu? Du Puy ne l'est pas, et il <eon-
tinue la bataille, aidé surtout par l'ennenaî, par les pam-
phlets papistes qui indignent le public, relèvent le courage
du ministre. Trois millions ne sont plus assez ; il lui faut
le sixième du reveiiu pendant deux ans {cent millions de ce
temps'là)^ 6 octobre 1640. Une commission, créée par
Richelieu pour établir ce droit, sur le refus des pièces,
fait enfoncer les portes des archives que lui fermaient les
agents du clergé. La bataille est bien engagée.
Et, à ce moment même, Richelieu fait décidément le
plongeon. Il se résigne à demander cinq millions et demi,
une fois payés (1641).
Il marqua sa mauvaise humeur en faisant renvoyer dans
leurs diocèses les cinq ou six évéques dont la résistance
avait tout arrêté. Ils partent, mais vainqueurs. La ques-
tion, dès ce jour, est finie pour jamais.
456 MISÈRE. — RÉVOLTES.
Le clergé sera quitte^dès lors pour donner peu ou rien.
Dès lors, le grand riche est exempt, et Ton ne prendra
rien qu'aux pauvres.
Si Richelieu veut soutenir la guerre, si le gouvernement
a des besoins croissants de toute sorte, qu'il demande à
ceux qui n'ont rien.
Si Ton est obligé d'organiser la charité publique, en
présence du nombre effroyable de ceux qui demandent
l'aumône, les biens d'Église, fondés pour cet usage, ne
contribueront pas. Vincent de Paul et autres chercheront
des ressources fortuites pour les établissements nouveaux.
Ni Richelieu pour le gouvernement, ni Vincent pour la
charité, ne feront rien de grand ni de solide.
Résumons en trois mots les trois chapitres précédents.
Richelieu, vaincu dans l'opinion par le drame espagnol
et le succès du Cid, vaincu dynastiquement par la gros-
sesse de la reine et l'enfant du miracle , reste vaincu
encore dans la question d'argent par la résistance du
clergé.
D'autant plus pesant il retombe sur le peuple, et d'au-
tant plus maudit.
CHAPITRE XIV
Richelieu relevé par les réfolutions étrangères. — Les Favoris,
Maz^rin, Cinq-Mars. 16^-1641.
L'Europe, épuisée, haletante, se mourait du désir de la
paix. Mais la France malade, l'Espagne agonisante, l'Em-
pire exterminé, ne s'y décidaient pas. Pourquoi? Nulle
question essentielle n'avançait, ni la question de propriété,
Dî la question religieuse. Pas un de ceux qui avaient pris
ne voulait rendre. Le pape demandait un congrès, et lui-
même le rendait impossible, en refusant d'y paraître si
Ton admettait un seul protestant. On passa sept années à
discuter la forme du congrès, à régler l'étiquette, les pas-
se-ports, etc.
Notre campagne de 1639 ne valut guère mieux que les
autres. Richelieu n'aboutit, avec sa principale armée et le
roi en personne, qu'à donner à la Meilleraye, son parent,
le petit succès de prendre Uesdin. Et l'on n*y arriva qu'au
prix d'une diversion très-malheureuse à l'Est, où on força
le brave Feuquières d'attaquer sans avoir des forces ,
c'est-à-dire de se faire tuer.
Le favori de Richelieu, Condé, en Catalogne, eut échec
sur échec. Si nous réussîmes en Savoie par la bravoure
d'Harcourt et du jeune Turenne, ce petit succès fut terni
par la spoliation de la duchesse de Savoie, fille d'Henri IV
458 RICHSLIBU RELEVÉ PAR LES RÉVOLUTIONS ÉTRANGÈRES.
et sœur de Louis XIII, que l'on protégea comme on avait
protégé la Lorraine» en occif^nt ses places qu'on prit et
qu'on garda.
La scène change en 4640. Mais comment? Par des cir-
constances extérieures^ où, quoi que l'on ait dit, Richelieu
eut bien peu de part.
L'Angleterre, allié timide, mais efficace , de l'Espagne,
tombe en pleine révolution. Le jugement commence sur
le grand traître du parti protestant, déjà dénoncé par
Gustave.
L'Empire espagnol tombe en pièces, la France n'aura
qu'à ramasser.
Je ne crois pas ce que dit Temple , que Richelieu ait
donné deux millions aux Convenantaires pour renverser
Charles P'. II n'avait guère d'argent. Mais la faveur mar-
quée de ce roi pour TEspagne, mais son opposition à
notre invasion des Pays-Bas espagnols, jeta certainement
Richelieu dans les résolutions les plus smistres. Ses échecs
au dehors, au dedans, l'avaient aigri*. B encouragea par-
tout la révolution, employant désormais contre ses enne-
mis des moyens désespérés.
Notre succès en Catalogne fiit très- étrange. If eus réns-»
stmes à force d'être battus. La résistance nationale que
nous avaient faite les Catalans méritait des couronnes; à
la place, ils reçurent d'Oiivarès des gamisaires. 11 mit en
logement chez eux une armée de brigands qur venaient
d'Italie, habitués à tout prendre et tout faire. Les Cata-
lans tuèrent leur vice-roi, appelèrent les Français, qu'ils
craignaient d'autant moins qu'ils venaient de les battre.
Il n'y avait pas à marchander avec ce peuple, dans un
si grand bonheur et si inespéré. C'est ce qu'on fit pour-
tant. Louis Xin accepta, non ta protection d'un« républi-
que catalane qu'ils auraient désirée, mais la )*oyauté du
pays, alléguant que fa Catalbgne avait appartenu aux
Francs de Charlemagne.
LES FAVORU, MAZÂRIN, CDIQ-IUIIS. 459
La révolatiiHi de Portugal suivit de près. Elle fut toute
spontanée. Richelieu y avait pensé, et il cherchait un pré»
tendant. Mais l'explosion se fit d'elle-^méme et pour Bra*
gance (1 *' décembre 4640).
Elle nous valut le gain de dix batailles. L*Bspagne,
étranglée désormais entre deux révolutions , nous laissa
faire partout. Bile ne put empêcher ni Harcourt de pren-
dre Turin, ni la Meilleraye de prendre Arras. Cette der-
nière affaire traîna pourtant et nous mit en péril. Pendant
qu'on fait le siège en règle, à la façon de la Rochelle, en
entourant la place d'une circonvallation de cinq lieues,
les Espagnols ont le temps de ramasser des forces et
d'assiéger les assiégeants. Enfin, sans la lenteur qu'ils
mirent de leur côté à attaquer le secours qu'on envoya ,
il ne serait pas arrivé, et, malgré tant de circonstances
favorables, nous aurions échoué encore.
L'intérieur change aussi bien que l'Europe. Richelieu
met en scène deux acteurs nouveaux qu'il croit siens. Il
donne au roi pour favori un joli page, un écolier à lui, le
jeune Cinq-Mars. Et en même temps il établit en France
le beau Mazarin, le futur mari de la reine.
La vengeance que l'Italie a tirée de la France pour
avoir tant de fois trompé sa confiance a été d*y mettre la
peste qui s'exhalait de son tombeau. Les plus grands cor-
rupteurs des mœurs et de l'opinion nous sont venua
toujours d'Italie, nombre d'aventuriers funestes, de bravi
scélérats, de séduisants coquins. Les uns réussissent, et
les autres avortent. Mais tous nous pervertissent. Concini
règne ici sept ans, Mazarin quinze. Et le Corse Ornano,
gouverneur de Gaston, s'il ne fût mort k temps, peut<-étre
lui aussi eût été roi de France.
La France du xvii* siècle procède de deux caducités, de
la vide enflure espagnole, de la pourriture italienne. Aussi,
dans la littérature, le moment vigoureux du siècle, son
milieu est marqué des rides de la décadenœ. La préoe*
160 RICHELIEU RELEVÉ PAR LES RÉVOLUTIONS ÉTRANGÈRES.
cupatîon ridicule de la forme dépare, non- seulement les
Balzac et autres rhéteurs, mais les plus sérieux écrivains.
Richelieu, si net et si fort, n'en est pas moins souvent
burlesque. Saint-Cyran, ingénieux, parfois profond , se
noie fréquemment dans un galimatias énigmatique. Qui
pourrait lire Corneille, sauf ses quatre chefs-d'œuvre? Le
grand succès de Tépoque est Clélie, long, ennuyeux
roman, écrit par une Sicilienne, mademoiselle Scudéry.
Et la dictature littéraire est au salon d'une Romaine, née
Pisani, madame de Rambouillet.
L'opéra nous vient d'Italie cette année même ; ses ma-
chines d*abord pour les fêtes de Ruel ; puis la musique
tout à l'heure, sous la régente et Mazarin.
Richelieu connut-il celui qu'il mettait en France? Par-
faitement. Il le crut un faquin, et c'est pour cela qu'il le
prit. 11 l'avait vu double et ingrat pour l'homme qui
l'avait introduit, le père Joseph. Il le savait très-bas, pro-
pre aux coups de bâton. Il raille sa bravoure et ses recu-
lades subites dans une lettre spirituelle (1639). A Paris,
Jules Mazarin avait donné des conseils de vigueur et fait
le Jules César, enhardi Richelieu à envoyer d'Estrées et
menacer le pape. Mais, rappelé à Rome, il eut grand'peur.
Richelieu l'en plaisante, voudrait qu'il prit cœur, qu'il
restât. « Convenons, dit-il, qu'il n'y a que les Italiens pour
savoir faire les choses, pour jeter en paix les parfums, les
poudres odoriférantes, les fulminantes en guerre, » etc.
Mazarin, dans sa poltronnerie, voulait que Richelieu
cédât et reculât brusquement. Mais Richelieu persiste.
Alors Mazarin n'y tient pas. Il se sauve de Rome sans
dire adieu, se réfugie en France.
La peur était mêlée d'espoir et de spéculation. Le rusé
avait calculé que son bon protecteur, le père Joseph, étant
près de mourir, il fallait se trouver là, prendre la place
chaude et s'y fourrer. Il élut domicile chez son intiiue
ami, Chavi^ny, qu'il trahit plus tard , comme Joseph.
LES FAVORIS, MAZARIN, CfKQ-MARS, 464
Chavigny, fils de Bouthilier, passait pour fils du cardinal.
Ce ténébreux jeune homme ^ sombre reiet de Richelieu,
malgré sa défiance et sa pénétration, accueillit le fourbe
Italien. II venait, disait-il, se donner corps et âme au
grand maître de la politique, étudier sous un tel profes*
seur. Richelieu, qui, dans sa grandeur, n'avait pas moins
des cAtés de pédant, le prit au mot sur cette éducation,
l'accepta pour élève. Lui-même le disait à sa nièce un
jour qu'elle sortait du théâtre : « Pendant que vous êtes à
la comédie, je forme un ministre d'État. »
Quand Mazarin réfugié vint ainsi se mettre à l'école,
Richelieu sentit le parti qu'on en pouvait tirer. Lui qui
voyait tant d'hommes, il n'avait jamais vu un homme ni
si fin ni si bas. S'il ne s'y fia pas, il crut du moins qu'avec
un tel valet il n'y avait du moins pas grand danger de
révolte , qu*on le tiendrait tout au moins par la peur. Il
résolut de le pousser , de le mettre au plus haut, insista
près du pape, et tant qu'à la longue il arracha pour lui le
chapeau, liais je crois qu'il fit plus. Il y avait six mois à
peu près qu'il avait donné au roi son joujou , le petit
Cinq-Mars. Répugna-t-il à ce que Mazarin, bien vu dès
longtemps de la reine, intéressant alors par son malheur,
son dévouement pour nous, s'avançât, réussit près d'elle?
Les fêtes de décembre et janvier, les repas qu'on y fait,
sont des temps d'attendrissement pour les dames qui
aiment la table. Ce qui est sûr, c'est qu'elle fut enceinte
de la nuit de Noël (4 639), et qu'au 22 septembre suivant
elle accoucha de son second fils , d'un prince tout à fait
italien. C'est le frère de Louis XIV.
On a dit que ce roi fut fils de Mazarin ; à tort certaine-
ment; il fut Français, lesté d'Autriche. Mais son frère, le
duc d'Orléans, tout comme le premier, Gaston, ne fut rien
qu'Italie, pour l'esprit, pour les mœurs. Il fut tout aussi
Mazarin que Gaston était Concini.
Je sais bien les difficultés. Les contemporains croient
xir. 1 1
k
\ a RICHELIEU BÏLBVÉ PAR LS6 RÉVOUmONS ÉTRANGÈRES.
qu'allé Bie sa ddaoaà lui que plus twpd. U y eut ftaMar
moins uo entr'aete dans sa faveur. Richelieu l'avait pré-
seatà « coiww re«semWautàBuckinghaûi, » et p©ur ^a'il
réussit. Ressemblance invincible , oiais présantadon Uop
suspecte. 11 put être favorisé d'amour phi^que de cou-
tliMaee. Lui-même fut peut être effrajfé du suecài , «i
recula vers Richelieu.
Mais reveuo0s au roi et à Cinq-Ahrs, histoire plus ndàr-
cule iuicore.
Louis XUI, on l'a dit, n'étail pas Henri 111. Je le crois
bien. C'est un temps bien plus vieux. La virilité baisse
encore. Tous les rois de l'Europe n'en peuvent plus, et, si
Anne d'Autriche n'eut vigoureusement relevé la race, les
nôtrt's en seraient venus au rachitisme de Charles II
d'Espagne.
Cette misère physique et cet épuisement général se
marque par l'usage très-grand des excitants, vieux ou
nouveaux. Les écrivains du siècle buvaient beaucoup de
vin; la plupart se grisaient (V. le diner connu d'Auteuil).
Le café va bientôt donner Tivresse sobre. Le scoeolalo
espagnol.est reproché par Richelieu au cardinal son frère,
comme une drogue nouvelle et funeste qu'il a apportée
de Rome.
Mais, si les forces baissent, les passions restent, ou du
moins les velléités. L'admiration de la beauté (admira-
tion non pure, mais abstinente) est le vice singulier des
princes du temps, tous Italiens dégénérés. Le faible et
gras Jacques l^' (fils éreinté du chanteur Rizzio) n'a aucua
besoin de maîtresse. 11 lui suffit d'aimer une jeme àme,
docile et iraparGaite encore, que lui» maître Jacques, for-
ment, rendra parfaite; cette àme est Buckingham. Le cas-
tQkmenl (comme dit le moyen âge) , le plaisir , non de
châtier avec des coups, mais de gronder, de conriger,
d'humilier, de faire pleurer, de se brouiHer toujours peur
se raccommoder sans cesse, c'est tout l'amusemant de ces
LBg FAVORIS) MACARtNy GINQ-XARS. 463
rois. Louis XIU (Orsini?) n'avait d*autre plaisir. Jusque-
là peu heureuserneiiU S;)n preuitor ami, Boradas, jeune
homme grand et fort, était un rustre qu'on »e pouvait
mener ainsi» Saint-Simon Ait trop nul. Et mademoiselle
de Hautefort, aa contraire, eut trop d'esprit gascon, de
nerf et de saillie; il n'y avait pas plaisir à U gronder; elle
rendait les coups; elle ne pleurait pas; el4e riait. Kt
c'était le roi qui s'en allait pleurer chez Richelieu%
Celui-ci, grand admirateur des Jésuites, et spécialement
de leur pédagogie, n'ignorant nullement le secret de leurs
succès, comprit qu'au goût du roi c'était un vrai écolier
qu'il fallait* 11 le fallait joli, fantasque, vicieux, mais sus-
ceptible de réforme, tel que le roi entreprît de le castoyer
et de le refaire. Son ami d'Effiat, en mourant, avait, laissé
un enfant charmant, le jeune Cinq-Mars, et une fille qui
épousa la Meilleraye, parent de Richelieu. Cinq-Mars était
presque allié de celui-ci. Il arrivait à dix-sept ans. Il allait
porter l'épée et entrer dans les grades. Nouvel amusement
pour le roi, né caporal, et qui ne parlait que de soldats,
même à mademoiselle de Hautefort. La vive demoiselle
endurait cet excès d'ennui assez patiemment. Mais com-
bien mieux le roi pouvait-il parler d'armes, de chasse et
de tout à un jeune militaire 1 Donc, le cardinal le lança,
bien instruit, bien stylé, pour observer le roi d'abord, et
peu à peu pour lui plaire s'il pouvail.
Le roi vit bien venir la chose, et, trouvant eet enfant
qui dormait ou faisait semblant dans les coins des appar-
tements, Il devina qu'il dormait pour le cardinal, pour
écouter et rapporter. Cela même lui donna pitié de la
jeune âme qu'on corrompait ainsi, et qni, logeant dans ce
beau corps, devait être mieux douée do Dieu, appelée par
lui à autre chose. De là une tentation naturelle de con-
vertir Cinq-Mars et d'en faire un honnête garçon, an par^
fait gentilhomme. Il était tard» Car l'étourdi était déjà fort
engagé dans la jeune société noble du temps, le monde du
46i RICHELIEU RELEVÉ PAR LES RÉYOLOTIONS ÉTRANGÈRES.
Marais, comme on disait, autrement dit des élégants, des
esprits forts, des gens qui ne croyaient à rien et ne se
gênaient guère.
Cette préoccupation du roi commence vers juin 1639
au siège d'Hesdin, oii mademoiselle de Hautefort n*avaît
pu venir. Il y prit habitude d'avoir toujours là Cinq-Mars
pour le prêcher. Et voilà qu'il ne pouvait plus s'en passer.
A la moindre absence , il criait : « Où est Cinq-Mars? s
Richelieu usa sur-le-champ de cette première fleur de
passion. L'enfant gâté dit qu'il aimait le roi, mais voulait
êlre seul, c'est-à-dire qu'il n'aimât plus la Hautefort. Cela
promis, ce ne fut plus assez. Pria-t-il? pleura-t-il? On ne
sait; mais le roi, pour l'apaiser, eut la faiblesse de pro-
mettre qu'il la chasserait de la cour. Chose plus facile à
promettre qu'à faire. Car nulle précaution n'y servit; elle
se mit, malgré tous les ordres, sur le passage du roi, et
fît rougir le pauvre Sire.
Le cardinal, vainqueur, ayant un si bon instrument, et
sachant que ces choses-là durent peu, poussait son petit
homme au grand galop. Il l'engageait à exiger, faire le
difficile et se faire valoir. Le roi, ayant voulu lui donner
la place qu'avaient eue Saint-Simon , Baradas, le jeune
insolent dit : « C'était bon pour eux , de petits gentilhom*
mes. s II fallut que le roi négociât avec le vieux M. de
Bellegarde pour satisfaire sa volonté , qui fut d'abord
d'être grand écuyer. Dans la langue de cour , ce petit
polisson fut appelé Monsieur le Grand.
Louis XIII avait jusque-là paru un homme sec, mais
assez raisonnable. Il avait eu deux lueurs poétiques,
Tapparition première de mademoiselle de Hautefort et la
transfiguration de Lafayette. Mouvements excusables de
cœur, courts élans de jeunesse dans un homme né vieux,
mais enfin tout cela était d'humanité, de nature, donc non
ridicule. Un côté de son caractère qui Tétait davantage,
c'est qu'il avait du temps pour tout , sauf pour la royauté.
LBS FAVORIS, MAZARUf, CINQ-MARS. 465
11 écrivait des plans de campagne, envoyait de petits arti-
cles à la Gazette de France^ faisait de petits airs et des
chansons en bouts rimes. Son extrême désœuvrement lui
donna parfois des curiosités peu royales, celle, par exem-
ple, d'apprendre la cuisine ; il prit des leçons pour savoir
larder.
Pauvretés, ennui, innocence. L'excuse, c'était Riche-
lieu, un autre roi, qui, en le consultant toujours avec res-
pect, n'eût pas souffert qu'il fit rien de sérieux.
Ce qui le mit plus bas que sa lardoire, ce fut son rado-
tage pour un enfant qui se moquait de lui. 11 donna là
des signes d'imbécillité caduque, à quarante ans. Les froi-
deurs de Cinq-Mars, ses rebuffades, un simple oubli
d'écrire dans les absences, faisaient pleurer le roi. Mais,
quand on voit ses lettres à Richelieu pour faire chapitrer
l'écolier, lettres si pesantes et si sottes, on est du parti de
l'enfant, on trouve qu'à bon droit il fuyait l'étemelle gron-
derie et plus encore les burlesques tendresses de son
royal jésuite. Mieux valaient les verges et le fouet.
Il échappait tant qu'il pouvait. Parfois, aux anticham-
bres, ce garçon, que le roi eût voulu maréchal de France,
passait le temps à lire le roman de Cyrus avec les valets.
Parfois, la nuit, il se sauvait de Saint-Germain, galopait
à Paris, au quartier élégant, à la place Royale, dans les
belles ruelles et les conversations galantes. On l'y travail-
lait fort. Les dames politiques n'épargnaient rien pour le
gâter, lui brouiller la cervelle, le rendre fou et traître.
L'intrigante Marie de Gonzagueen faisait son Petit Jean de
Saintrè, et par le roman le menait à l'histoire (la plus
triste). Le roi avait beau le tenir, le garder, le coucher
dans son lit, avec lui ; il fuyait, s'évanouissait.
Cependant l'influence occulte se révéla. 11 ne se tint pas
satisfait d'un grand titre ni de la faveur. 11 prétendit avoir
part aux affaires. Richelieu fut bien étonné lorsque, le roi
tenant conseil chez lui (il était malade à Ruel), Cinq-Mars
466 RICHELIEC mnMVÈ PAR LIS RVVOLimDflS ÉTRANGÈRES.
resta, siégea. Le cardinal reiusa de parler devant hn, et le
lendemain le tança fort de son outrecuidance. Mais ceox
qui menaient te jeune homme, loin de reculer, aTancèrent,
lui firent demander... quoi? un bijou? une armée! et dans
}e moment le plus difficile pour secourir notre cantp d*Ar-
ras, menacé par les Espagnols. Le roi était si faible, que,
sans Richelieu, il cédait. Du moins il lui donna à conduire
le coips des volontaires, toute la jeune noblesse de France.
Il eut un cheval tué, se crut Alexandre le Grand. Le roi ne
souffrit plus qu'il se hasardât davantage.
Les Espagnols battus regagnaient par l'intrigue ce que
perdaient leurs armes. La ligue universelle des femmes
était pour eux. Marie de Médicis en Angleterre, aux Pays-
Bas, la Chevreuse à Madrid, à Londres, les filles d'Henri iV,
Henriette, Christine, ne travaillaient pas seules, Le duc de
Lorraine avait épousé (sa femme vivant encore) une Itak>-
Flamande, qui le mena aux genoux du roi poor rentrer
chez lui et trahir. Le jeune Guise, archevêque de Reîms^
un brillant duelliste, s'était marié deux ou trois fois, et
suivait la sagesse de la Palatine. Le duc de Bouillon^ long-
temps général de Hollande, et qui passait pour une forte
tête, ayant vieilli dans les affaires, avait épousé sur le lard
une catholique qui le fit catholique, le jeta dans tous les
casse-cous.
En ^641, la partie fut liée à merveille. Madame de
Bouillon fit de son vieux mari goutteox le centre, la clef de
voûte d'une ligue universelle. L'Empereur fournit des
troupes, et l'Espagne en promît. Mais, pour donner à
l'invasion étrangère un air national, un prince du sang, le
comte de Soissons, réfugié chez Bouillon, prit le comman-
dement de l'armée. Les émigrés français, de tout parti,
devaient partir de Londres et fahre une descende en
France. Il leur semblait faire la guerre à coup sûr, ayant
Paris d'avance où le jeune Gondi eût surpris la Bastille,
ayant la cour, les vœux de la reine, ayant le cabinet du
noi «t 601» secpel par 0on enfant gftté, Cimf-Mars, à cfoi îl
dimîl tant. L'armée même qoe Richelieu leur opposait
étaià en gr-ande partie pour e«R. L'armée, la Pranoe, toat
le inonde était gagné par le mot séducteur que Tennemî
airaît mis sur son drapeau : La parx.
Miefaeliai, eu si grand péril, fit d'abord procéder le
parlement contre Guise et Bouillon Soissons étant prince
du sang, en ne pouvait le juger, mais bien le faire tuer. Le
dérot et scrupuleux Dunoyer, hommie très*discret, se
chargea, ditHin, de négocier l'affaire. U partit, emporta
nme forte somme pour payer Fassassin.
Des deux cAtés, les choses se passèrent comme on pou-
Tait le prévoir. Soissons battit sans peine wie armée ffui
Toufaiit être battoe. Mais, d'autre part, pendant 4fue ce
vainqueur, autre Gustave-Adolphe, regardait la déroute,
il lui advint comme à Gustave, il fut frappé à mort sans
que l'on sût par qui (6 juillet 4641).
Jamais mort d'homme n'eut un plus grand effet. Le gé-
néral français étant tué, l'affaire changeait de caractère ;
elle reparaissait tout à fait étrangère, c'était une invasion,
et elle manquait. Sept mille impériaux pour conquérir la
France, ce n'était pas assez. Les Espagnols n'arrivaient
pas. Et la descente des émigrés de Londres ne se fit pas
non plus. Bref, Bouillon demanda pardon, et jura au roi
une fidélité éternelle. Richelieu fit semblant d'y croire, et,
pour l'éloigner de France, lui promit le commandement de
l'armée d'Italie.
Il savait tout. Il les avait tous sous la main, et, s'il ne
frappait pas, c'est qu'il n'y avait guère de témoins ni de
preuves. Tous s'entendaient et tous étaient coupables. Le
roi même l'était en un sens, par ses plaintes, ses protesta-
tions d*être excédé de Richelieu.
Cinq-Mars était dans l'affaire de Soissons. La reine en
était-elle? On ne peut en douter quand on voit la subite,
la violente irritation que Richelieu montra alors contre
168 RICBBLUU BILEVi PAR LIS BÉTOLimONS ÂTUNCkltlS.
elle, et que n'explique aucun auteur du temps. U St écrire
(et écrivit, dit-on) la pièce de Mirame, pleine d'allusions i
la situation, à sa victoire sur tous ses ennemis, insultante
surtout pour la reine qu'on y reconnaissait dans mille
traits injurieux. Il avait b&ti tout exprès, au Palais-Cardi-
nal, un théâtre qui ouvrit par Mirame, et qui resta le
Théâtre Français.
La reine y assista, la cour y assista, et personne n'osait
y manquer. On subît le ministre, mais on punit l'auteur.
Un silence de glace, un ennui calculé, lui revinrent de
toute la salle et le morfondirent dans sa li^e. On traita le
malade comme étant mort déjà. 11 sentit le froid du lin-
ceul, frissonna dans sa bière. Supplice inouï et cruel pour
une àme brûlante, affamée d'immortalité : on affecta de
l'oublier vivant.
CHAPITRE XV
Conspiration de Cinq-Mars et de De Thoa. 1642.
Les choses inclinaient vers leur terme (janvier 4642). Le
cardinal était toujours malade, mais le roi beaucoup plus.
Les médecins ne lui donnaient pas six mois à vivre. Pour
une solution si prochaine, chacun songeait à se pourvoir.
C'était fait des ménagements. Richelieu fit exclure Cinq-
Mars de tout conseil, et engagea le roi à retirer le Dauphin
des mains de la reine. Laisser le roi futur danis une main
espagnole, c'était risquer de revoir l'étranger régner encore
au Louvre, comme Henri Y aux temps de Charles VL
Le très-intelligent Fontrailies, notre auteur principal
ici, assure que la reine en péril désirait qu'il y eût un com-
plot, et y contribuait de son mieux, ne pouvant qu'y ga-
gner^ quel que fût celui qui périt, Richelieu ou Gaston,
l'un ou l'autre de ceux qui pouvaient à la mort du roi lui
dter la régence.
Etait-elle capable d'un si grand machiavélisme? Par elle-
même? Non, mais peut-être par la Chevreuse, qui lui
donna alors un homme à elle, non pas pour conspirer,
mais pour lier entre elles les conspirations différentes,
s'entremettre de l'une à l'autre, et, du moins indirecte-
ment, pousser à l'action.
Bouillon, pardonné, exilé au généralat d'Italie, était plus
170 CONSPIRATION DB CINQ-MARS ET DB DE TfiOD.
que iamais poussé par sa femme orgueilleuse à se venger
de Richelieu.
CÎDq-Mars, chassé par lui du conseil, et avec outrage,
pleurait et sanglotait, ne songeait qu'à le faire tuer.
Gaston allait être emmené par Richelieu i la guerre du
Midi, mais sans emploi, sans titre. Il disait à Fontrailles :
( Ne le tuera-t-on pas? s — On lui répondait': <t Oui, de-
vant vous, sur votre ordre, mais non autrement. >
Il n'était pas jusqu'au roi qui ne parût contre lui. Il ne
cessait de dire qu'il voudrait s'en défaire. Mol équivoque,
traduit diversement. A. tout ce qu'on disait, il n'objectait
qu'une chose : < Comment le renvoyer? Il est maître de
tout... — Hais, Sire, on le tuera... — Un prétrel un car-
dinal l... Je serais flieomiiuuHél » — A quoi « de ses
mousquetaires, Troisvîlle (homme estimé qui fut plnctard
de Port<Royal), répondait en riant : ■ OvdonMa seule-
ment^ Uîssez-nioî &iffe... Je an'eo irai à Borne, eà j'aurai
mon absolution. >
L'homme de la Cbevvevse;, qui devint oelui de la re»e,
rintermédiaire des mécoatenls et le trait d'uMcn drs
partis, était an homme de naérïte, kb fond sans nipoi^
tance, mais parent du duc de fianillon, familier de ciof-
Han, Ké avec Fontrailles et les hommts (ie Monsieur.
Auguste de Thou, fils de l'illuslK Iwstaineii, était jeuM,
candÂde, dévoaà, hoouéle, non smib élévation, «l ïm
»'étODDe de le reneontrer avec ces gens-là. C'était un o»-
vant, comme son père; il était oonsàUev etfaiblietÉKQaire
du roi, mais, de plus, intendant d'armée, ce qsi le mAli
aux gruids seignears, k la jeime aoblesse, avec qui vafcn-
tiers il s'ezpogait en amateur. Oe sature tendre et géné>
reus, il ae recula point devant l'oocBsion MnBaaas^oede
se hasarder « pour une grande reine, » si nalhanniae, à
ooi OD voulait dler ses enfants. Il fia Cinq-AlarsieliSoniUan,
. sans rapport, alla, vint, s'enliemit, porta del'uB
le» fkamlee, da pn^outions.
«OHSPHMTION VE €mQ->MànS SI JDB M TBOU. I71
De Thon nf'éteît nuMeiiMnt inléressé, point ambitieux.
Mais c'était an homme déclassé, hers de tout, hors de la
robe sans élre ée Cépée, «n'ayant le pied lerme nulle part.
11 était fils de Vimparlialité historique et de l'indéeision.
LoHméme, s'itétait quelque chosevîk était Tagitatioii môme.
Ses amis TappeMent en riam : • Votre inquiélude. »
Ce n'est pas un tel homme qai pouTait penser à un as*
sassinat. Que iruulait'il? Rien que sauver la reine, finir la
guerre européenne. Or on oroyak à tort que la guerre,
c'était Rîdielieu, que TEspagne voulait la paix.
La pan F quelie belle parole t dit Jean Gerson, comme
elle emplit la bouche 4e mielî... Il faut se souvenir des
terribles malheurs qui avaient dépeufrfé des provinces en*
tières. Cinq cent mille hommes étaient morts de misère en
Lorraine et au Rhin. C'était ie tour de la France du Nord.
Les familles les phis honorables (et c'étaient les parlem6i>-
taires, la bonne bourgeoisie) ressentaient cette douleur.
Des femmes charmantes, excellentes, femmes de prési*
dents, de simptes conseillers, se réunirent bientôt autour
d'un petit homme (resté si grand), Vincent de Paul, et elles
envoyaient fjnelques secours, héiasl bien peu de chose,
une goutte d'eau surun grand incendie. La paix seule pou-
vait atténuer oes maux. Mais pouvait-on la faire? Cétait la
question.
Telle fut riflusion de De Thou et d'autresparlementarres.
Je ne leur reproche rien. Quoique leur conduite ait été
tantôt ceupaUe et tantôt ridicule, je comprends leur fluc-
tuation. Ils ne sentirent pas assez, sans doute, que la
France eût pét*i sans cette violente dictature, qu^elle eAt été
engloutie pu* Waldstern, puis par les menus brigands, les
Galiae et les Jean de Weith ; ils ne virent pas que Riche-
lieu, mattieureux à la guerre, nous aguerrit pourtant et
prépara Rocroy. D'autre part, quand on sait, par Thorrible
affaire de Loudun, la force et la forie que les tyrannies se-
condaires déployaient avec les pouvoirs de hi grande ty*-
172 CONSPIRATION DE CINQ-MARS ET DE DE THOU.
rannie centrale, ou excuse les parlementaires d*avoir
(sans droit, sans mission, n'importe) tenté de suppléer les
garanties publiques qui n'existèrent jamais dans ce misé-
rable pays.
Pour revenir, le pauvre de Thou se vit mené plus loin
qu'il ne croyait. Les hommes de Gaston, spécialement
Fontrailles, homme d'esprit, sans conscience, un furieux
bossu, dont Richelieu s'était moqué, organisaient deux
choses. D'abord, le cardinal devant suivre le roi qui par-
tait pour la guerre d'Espagne, il fut réglé qu'on le tuerait
à Lyon; Gaston devait y aller tout exprès, et, brave cette
fois, donner lui-même le signal. Mais Richelieu tué, res-
taient ses hommes et ses parents, tant de gens qu'il avait
placés, les Rrézé, les la Meilleraye, les Chavigny, en tête
les Conde, dont le fils venait d'épouser sa nièce. Les grands
militaires de l'époque, Guébriant, Harcourt, Fabert, Gas-
sion, tenaient personnellement à Richelieu, et se seraient
ralliés aux Condés pour faire face à Gaston. Celui-ci, mé-
prisé, n'avait pas grande chance hors de l'assistance étran-
gère. M. de Bouillon l'exigeait. Fontrailles tira de Gaston
une lettre où il s'engageait à faire livrer aux Espagnols
une place forte (c'était Sedan) pour les enhardir à entrer
en France. La reine ne donna point de lettre, ne signa
rien, resta derrière.
Les Espagnols hésitaient fort; pour cette raison. Ils
voyaient la régence qui allait leur venir par Anne d'Au-
triche. Avaient-ils besoin de Gaston ? Et, s*il réussissait
par eux, ne publierait-il pas sa secrète protestation pour
détrôner le fils de leur infante? Cependant les succès de
Richelieu en Allemagne, une bataille qu'il gagna sur le
Rhin, le voyage du roi pour prendre Perpignan, le Rous-
sillon, la Catalogne, les décidèrent, et le traité se fit. Ils
promirent secours à Gaston (mars 4642).
Comment de Thou resta-t-il dans l'affaire lorsqu'elle
devenait si criminelle? Une lettre qu'il écrivit à sa mort
CONSPIRATION DE CINO-MARS ET DE DE THOU. 473
nous le fait deviner. 11 était alors amoureux d'une dame
trës-aimée de la reine, jolie petite princesse à tôte lé-
gère, madame de Guémené. Elle était janséniste, et refu-
sait tout à de Thou. Il était roux, il était homme de
robe, etc. Elle fut vertueuse pour lui, mais non pour Retz.
Elle prodigua au prêtre libertin (et fort laid) ce qu'elle
avait refusé à l'amour, au culte d'un homme supérieur
qui, dans un meilleur temps, eût été peut-être un grand
homme, qui avait ^lis son idéal en elle, et dont elle fut la
suprême pensée.
Ce fut, je crois, le vain espoir de fléchir les rigueurs de
cette cruelle qui aveugla de Thou, lui cacha Ténormité de
sa faute, et le rendit, non pas témoin seulement, comme
on a dit, mais acteur très-actif dans cette affaire coupable
qu'il croyait celle de la reine.
Gaston, à son ordinaire, manqua de parole. Les con-
jurés l'attendaient à Lyon ; il resta à Blois. Les deux ma-
lades, le roi en avant, le cardinal derrière à quelques
lieues, continuèrent d'avancer au Midi. Mais, àNarbonne,
le dernier, craignant, sur les rapports qu'il recevait, que
le roi ne permit sa mort, dit ne pouvoir aller plus loin.
Son incertitude était grande; tout en se disant incapable
de bouger, il partit de Narbonne sans trop savoir où il
irait. Le gouverneur de Provence le reçut dans un abri
sûr, au château de Tarascon, d'où il pouvait toujours
s'embarquer et gagner la mer, puis, en tournant l'Es-
pagne, aller s'enfermer à Brouage qu'il avait fortifié.
Dans sa mortelle inquiétude^ il fit prier le prince d'Orange
d'intercéder pour lui, et fit dire au vaillant colonel Gas-
sion que le moment venait où il faudrait çu'on se déclarât,
qu'on distinguât ses amis de ses ennemis.
Le roi n'était pourtant nullement décidé contre lui.
L'impertinence de Cinq-Mars, qui bravait, démentait les
meilleurs officiers, provoqua une explosion. Le roi lui dit :
c Je vous vomis. » Souvent il lui ferma sa porte. Une dé-
r
Ki\ CONSPIRATION DE GN<^-Màil8 Br DB OB TBOU.
faite éprouvée dans le Nord, ^i jeta la panique jusqu'à
Paris, fit vivement sentir rabsence de Richelieu.
Cependant le roi semblait si malade, qu'on se croyaii
au moment décisif. De Thou, qui était à l'armée, pensa
qu'il était bon que la reine s'assurât des chefs, et, cumne
il était difficile de deviner de loin quelles conditions ils fe*
raient, il la priait de lui envoyer des blancs seîags qu'il
pût remplir selon les circonstances* Elle laurait &it
étoundiment. Brienne se donne l'honneur de len avoir
empêchée. Je crois qu'auprès de Richelieu même elle eut
un autre conseiller qui la renseigna et la dirigea. Mazarin
très-probablement. U put lui faire entendre que les choses
n'en étaient pas où on le lui disait» que le roi vivait, que
Richelieu vivait et tenait encore les armées, que le danger
d'ailleurs de la future régente était Gaston bien plus que
Richelieu, que Gaston se noyait dans une entreprise man-
quée, qu'au lieu de se lier à lui il fallait l'enfoncer plul<)t
et aider au naufrage.
Selon Fontrailles, selon Voiture et autres, ce fut la reine
qui fu trouver le- traité. Ghavigny, sans le dire, fit un jour
entendre la même chose.
Elle envoya un homme sûr au cardinal (dit Monglat), et,
sans doute par cette voie, lui donna connaissance du
traité. La paix se fit entre eux à ce prix, fille garda ses en*
fants.
Le roi malade avait quitté le siège et était revenu à
Narbonne quand l'homme de Richelieu, son ombre, Gha-
vigny, vint le trouver et lui dévoila tout. Le roi saute au
plancher. Quelle preuve cependant? Ghavigny ne lui
donnait pas le traité (comme on Ta dit à tort) ; il appor-
tait seulement l'affirmation de Richelieu. Le roi hésitait
fort. U fallut que l'on s'adressât à sa conscience. Ghavi-
gny alla trouver le confesseur, le pdre Sirmoad, le fit
parier.
Sirmond, le cas posé, décida qu'en un grand |>âril de
i
CONSPIRATION DB CINQ-MàaS BT Dl Dl THOU. 475
rÉtat uo roi ne pouvait se dispenser d'agir préventive-
ment, d'arrêter l'accusé.
Cinq-Mars eut un jour pour s'enfuir et n'en profita pas.
En voyant Chavigny, il avait deviné sa perte. 11 eut Hdée,
à tout hasard, de le faire poignarder avant qu'il pût parler
au roi. Mais déjà il était trop tard. 11 aurait pu encore, en
sautant à cheval, passer les portes de Narbonne. Mais il
perdit la tète, et on eut le temps de les fermer.
On fit crier peine de mort pour qui cacherait Cinq-Mars.
Une femme l'avait caché dans son lit même. Mais le mari
alla le dénoncer. On arrête Cinq-Mars et de Thou. Ordre
envoyé à l'armée d'Italie, où commandait Bouillon, pour
l'arrêter et l'envoyer en France (43 juin 4642).
Ce qu'on craignait le plus, c'était que Gaston ne s'enfutt
et qu'on n'eût pas son témoignage. Le roi, pour le trom-
per, lui écrivit que c c'était pour ses insolences » que
Cinq-Mars était arrêté.
Richelieu était en péril peut-être autant que Cinq-Mars
même. On voit, par ses notes écrites à Tarascon le 5 et le
7 juillet, qu'il faisait commencer le procès sans preuves
ni témoins, donc sur la simple révélation verbale qui lui
venait de la reine. Mais il ne pouvait avouer cette source.
11 parle dans ces notes comme s'il eût deviné l'existence
du traité. 11 dit qu'il faut l'avoir, l'acheter à tout prix
d'un confident de Gaston.
Avec un homme moins peureux que Gaston on n'eût
rien obtenu, et Richelieu, n'ayant nulle pièce, eût été
conspué, chassé pour calomnie, poursuivi à son tour.
Mais Chavigny, qu'il lui envoya, le terrifia en assurant
qu'on avait le traité, une copie du moins, « trouvée par
des pêcheurs dans une barque échouée en Catalogne. * A
lui, Gaston, de mériter sa grâce en délivrant l'original.
C'est ce qu'il ne pouvait plus faire; dans sa peur, il l'avait
brûlé. Mais il offrit d'y suppléer pav ht eonfetaion la phn
oomplète ; eoafeaBioa terrible, meurtrière, oii il allait dire
176 CONSPIRATION DE CINQ-MARS ET DK DB TBOd.
les péchés des autres, ne risquant pour lui que la honte ;
un fils de France ne peut aller en Grève.
Le roi avait comblé sa terreur en écrivant que, si sa
confession était incomplète, on le poursuivrait avec des
troupes et qu'on Renfermerait ; mais que, s'il disait tout,
on le laisserait aller libre à Venise en lui faisant une pen-
sion.
Il parla tout au long, et chacun de ses mots tuait, —
d'abord Cinq-Mars, Bouillon, Fontrailles, puis de Thou
même.
La reine, sans le vouloir ni le savoir peut-être, en met*
tant Richelieu sur la voie de tout découvrir, avait perdu
de Thou. 11 fallait bien au moins une tète à la justice. Or
Gaston ne pouvait périr. Bouillon, arrêté, eut sa grâce
en livrant sa place, Sedan. Fontrailles était en fuite. Si le
roi sauvait Cinq-Mars, un seul mourait : c'était de Thou.
Pour elle, elle n'avait rien à craindre. Elle pouvait dor-^
mir paisiblement, attendre la régence. On la croyait
perdue. Madame de Lansac, que Richelieu avait faite gou-
vernante du Dauphin, vint triomphante le matin lui dire
qu'on tenait Cinq-Mars et de Thou. Elle faisait la dor-
meuse entre ses rideaux. La Lansac les tira, mais la
trouva fort calme. Elle connaissait bien de Thou, savait
qu'il mourrait sans parler.
Quant à Gaston, ce qui aurait fait son supplice, c'eût été
qu'on le mit en face de ceux qui s'étaient immolés pour
lui et qu'il faisait périr. Mais les magistrats complaisants
assurèrent qu'il n'y avait nul exemple qu'un fils de France
fût confronté. On le fit venir à deux lieues de Lyon, et
comme à la porte du tribunal, pour en tirer au besoin ce
que demanderait le procès. Principal accusé, il ne figura
que comme témoin, et ce témoin dispensa des pièces
mêmes, puisqu'on n'avait que des copies, des chiffons de
papier, et sans caractère authentique.
Cinq-Mars essaya de nier, et attesta Bouillon qu'il
CONSPIRATION DK CINQ -MARS ET DE DE TflOU. 4Î7
croyait loin. Â l'instant même, on le lui présenta pour le
démentir. On Tavait pris caché dans une meule de foin et
amené à Lyon, oii Mazarin lui conseilla en ami de faire
comme Gaston, de se sauver par la lâcheté. Le roi lui lais-
serait sa tôte et ne lui prendrait que Sedan.
De Thou montra du courage, mais il aurait plus honoré
sa mort s'il eût moins chicané sa vie par des fins de non-
recevoir de procureur. Il se retrancha trop habilement sur
un chose fausse^ qu'il avait eu une simple connaissance de
la chose, n'avait pu trahir ses amis. En réalité, il avait agi,
•dirigé même, indiquant tous les rendez-vous, y condui-
sant les conjurés, les Aiisant entrer, sans entrer lui-même,
et restant à la porte.
Amené, dit-on, devant Richelieu, il prétendit « avoir
ordre du roi. > Nul écrit, à coup sûr ; des paroles vagues,
à la bonne heure.
De Thou fut bien jugé. Un cœur comme le sien ne pou-
vait manquer de le reconnaître. Lorsque Cinq -Mars et lui
allèrent à la mort, leurs juges (dont était l'illustre Marca)
étaient sur leur passage, et les condamnés les remerciè-
rent de la juste sentence qui, lavés el purifiés, allait les
envoyer à Dieu.
Cinq-Mars, si beau, si jeune, de Thou, si estimé jusque-
là, si pur (moins une erreur), excitèrent dans la foule un
intérêt extraordinaire. La maladresse d'un bourreau no-
vice qu'on employa ajouta encore à l'émotion. Quand la
tète de Cinq-Mars tomba, il s'éleva de toute la place un
horrible cri de douleur. De Thou, manqué d'abord et trcs-
cniellement égorgé, jeta la foule dans un accès de fureur
frénétique. Des pierres volèrent sur l'échafaud. Ce bon
peuple de France maudit cette justice qu'il appelait ven-
geance, et pleura amèrement les coupables qui l'avaient
trahi.
x:i. 1)
476 CONSPIRATION DB CINQ-MARS ST \^^
les péchés des autres, ne risquant paV;
un fils de France ne peut aller en G""- '"
Le roi avait comblé sa terreuv
confession était incomplète, o^^
troupes et qu'on Cenfermerait .
on le laisserait aller libre à ^' ',
sion.
Il parla tout au long,
d*abord Cinq-Mars, Bo
même. .-làU.
La reine, sans le «
tant Richelieu sur
de Thou. Il fallai'
Gaston ne pou- ''}^ ^ dernière maladie. Par
en livrant sa ^ supprimé un flux dliémorrboîdes,
roi sauvait f "^^^ P'^ graves, qui le tenait en vie.
Pour ell ''° abcès parut à la main, bu bras, d'au-
mir paÎF* -'^ '^^'^ ^^^ ^'y servit; il eut beau faire; il
perdue
verna' <^ u^n. Cinq-Mars l'avait tué. Son miltrele
quV ^^ . fUSenBÛs sans retour. L'auteur primitif du oom-
xjif '<^ M W roi. Tout avait commencé par ses paroles
t' ^m!f^^^ qui semblaient demander qu'on le délivrât
^^ mi»b(re. il «vait été décxmvert par les «feu ^
^^.^à^ H» lorsque, revenant au Nord, il loi (allât à
,,4rii«;«tt cv>aipafaftre devant Richelieu, il y Tint comne
^i»>Jhr. on le mit sur un lit en faee du naalade, ^.
^^i|«ir9(Kin que pilt le cardinal delenosoper, de lai
4«)4r«HNr W* cinmge, ni Vun ni l'autre dès lors ne s^ tranpt-
•r».V«iK'«l ^ux ennemis.
1^ r\M rf vint 90»! à Paris vrec les mêmes iiomnies qai>
f^W^MV «\«ut l'affaire Cinq-Mars, offraient, au pmùr
^^Vx \W lo défaire de Richelieu.
^Vm^ ee triste château de Tarascon, plus tard fameux
m *
S
^nr BT MOBT DE MCHIUKI. 470
^..^ *iit moû0k)ae du Hot .qui fianglota
< ^ , * cardÛMil avait été ua momem
I «inpjKMnis pour le quittar «i-
'us^nûoiatres, Clavigoy,
ôtait bien aûr; seul
olonté. Dunoyei;,
^ ou tard, par
i^st-à'dire à fe
uo, le piusdottteuic
^ espionner Cinq^Mars,
aiarcbait droit sous l'œil du
^ arent, son patelinage italien» son
.^e, n'inspiraient pas^ comme on tb
.iiance à RichelÂeu.
Ane personnage, sur lequel il fiiut s'arrêter,
i bonHiie de vingt ans qui n'avait rien de jeun^.
>-«iiiistjre figure d'oiaeau de piroie, la pitfs bigarre du
siècle. Point de front etnezide vaut<Nir; des yeux ^au^
^va^es^etfbrtbrîiktDls; rien d'honnie, quelque choae de
tnoiiis on de phiB, et d'une. espèce différente. Animal fé-
roce et doeile, aervile an ses débuis, plus servile à la fin.
Ce personnage étrange, nourri par Riêhelieu dans sa mé^
DBgerie, va éclater dans Thistoire. C'est Gondé.
Ces Ceodés étaient sombres et bas, et semblaient tou-
jours inquiets. Frappant contraste avec les Coudés d'autre-
fois, avec oelui des guerres civiles, celui de la chansqn
(le Petit Homme tant joli, qui toujours chante et toujours
rit...), liais ceux-ci étaient contestés. On a vu la terj;ibie
afctrc du père du grand Condé, né en prison d'une oièce
•ociisée d'empoisconenaent. On le disait l'œuvre iuatlve
d'un liage gaaoM qui se sauva. Beari IV, aaw anfiant
«lavB, -fit refermer le jugenant de la mère* prit ie .petit
pour vrai Gondé et lui fit sa iortuaeanhii donnant jnade-
maiselle de MoflÉmorency.
Les éavs époui ae détestaient, il ai'aknait pas ila» Ibm-
CHAPITRE XVI
Isolemeot et mort de Richelieu. — Mort de Louis Xni. 1641- I6i3,
BicfaeKeu avait fait lui-même sa dernière maladie. Par
propreté galante, il avait supprimé un flux dlîémorrtioîdes,
dérivatif utile de maux plus graves, qui le tenait en vie.
Immédiatement un abcès parut à la main, au bras, d'au-
tres ailleurs. Dès lors rien n'y servit; il eut beau faire; il
étiiit mort.
De toute façon, Cinq-Mars l'avait tué. Son mitoele
baissait désormais sans retour. L'auteur primitif àa com-
plot avait été le roi. Tout avait commencé par ses paroles
imprudentes qui semblaient demander qu'on le délivrât
de son ministre. 11 avait été découvert par les aveux des
accusés; et, lorsque, revenant au Nord, il lui fallut à
Tarasoen compafattre: devant Richelieu, il y vint comme
mn accusé.
Malade, on le mit sur un Ht en faee du malade, et,
quelque soin que prit le cardinal de le niSMrer, de lui
donner le change, ni l'un ni l'autre dès lors ne s^ trompa.
C'étaient deux emiemfis.
Le roi revint seorl ii Paris «Tec les mêmes facnmneB qai,
même avant l'affaire Cinq-Mars, offraient, au pranier
ordre, de le défaire de Richelieu.
Dans ce triste château de Tarascon, plus tard fameux
WT 8T MORT M fUCBIUllI. 470
les imasaem, <an bruit moasiOBe du ilot^qui sanglote
«D {MSSMiC, te petite eour du cairdÛMtl avait été ui mom^Dt
«réduite à quatre hoamies trop oompi!oiiii8 pour le qui ttar iti-
Tsnt. Ses instrumeale d'abord etAous-^nùoistres, Clavigny,
Dunoyer, Macarân. Le premier seul était bien aûr; seul
il représentait, exéeuftait sa vieiente volonté. Dunojfei;,
le i)seaf, le jésuite, ne pouvait manquer tôt ou taid, par
ss dévoUon, de tounier à i'Sspagne, c'est-à-dire à fe
reîse; (fest ce qai arriva. Bourilazario, le plus douteux
de tous, il avait bien servi pour espionner Cinq^Mars,
pour 'foire parler Bouitton ; il rmarcbait droit sous Tûail du
makre ; mais son zèle apparent, son patelinage italien» son
caressant baragouinage, n'inspiraient pas^ comme on va
voir, grande confiance à Ricbeliau.
Le quatrième personnage, sur lequel il fout 5*arréter,
était un homme de vingt ans qui n'avait .rien de jeune.
Très-sinistre figure d'oiseau de proie, la plus bigarre du
siècle. Point de front et nés <de vautour; des yeux ^au-
'«a^eS'Otfortbnllaiits; rien d'bomme, quelque ebose de
moins on de plus, et d'une. espèce différente. Animal fé-
roce et docile, servile en ses débuts, plus servile à la fin.
Ce personne^ étrange, nourri par Richelieu dans sa mé^
nagerie, va éclater dans Thistoire. C'est Gondé.
Ces Csindés étaient sombres et bas, et semblaient tou-
jours inquiets. Frappant contraste avec les Coudés d'autre-
fois, av«c celui des guerres civiles, eelui de la chansqn
(le Petit Homme tant joli, qui toujours chante et toujovurs
rit...). Mais ceux-ci étaient contestés. On a vu la terrible
nflure do père du grand Condé, né en prison d'une n)ère
■censée d'empoisonnement. On le disait l'oeuvre imrtiwe
d'un page gnaonn qui se sauva. Henri IV, sans anfiNUt
alors, IH réformer le juganmiÉ de la mère, prit Jie .pâlit
pour wai Gondé et lui fit sa iortunenuini donnant ^made-
moiselle de Monlmorency.
Les éens époux ee déteataîenL II n'aimait pas ilos lem-
180 ISOLBHSNT KT MORT DB RlCHBLIBIf.
mes ; tous ses amours étaient dans l'Université de Bourges
(Lenet). Cependant, quand il fut mis à la BastUIe par le
maréchal d'Ancre, il joua à sa femme le tour de dire iju'il
ne pouvait se passer d'elle. Elle, glorieuse, mit son hon-
neur à accepter, et elle s'enferma avec lui. Homme d'es-
prit, mais bas, sale, avare, portant sur le visage son âme
d'usurier, il avait tout ce qu'il fallait pour éloigner une
femme. Mais la prison, l'ennui, firent un miracle. Elle
devint enceinte, et fit toute à sa ressemblance la très-jolie
madame de Longueville, la future reine de la Fronde.
Puis un garçon, cette figure crochue du grand Condé;
enfin Conti, prêtre et bossu, que sa sœur fit général de
Paris.
Les deux garçons naquirent amoureux de leur sœur.
Condé, éperdument, jusqu'à lui passer tout, adopter ses
amants, puis jusqu'à la haïr. Conti, sottement, servile-
ment, se faisant son jouet, ne voyant rien que ce qu'elle
lui faisait voir, dupé, moqué par ses rivaux.
Condé le père maria son atné, qu'on appelât alors
Enghien, à une nièce du cardinal, croyant que le ministre
allait à sa Bourgogne ajouter je ne sais combien de gou-
vernements, refaire en lui Charles le Téméraire. 11 lui
devait déjà la dépouille de son beau-frère. Montmorency,
décapité. Puissance merveilleuse des maris sur les femmes.
Condé dressa la sienne à faire sa cour au cardinal, à lui
faire visiter, pour aiTaire et pour intérêt, les juges qui
avaient envoyé son frère à la mort.
Le serviteur du grand Condé, Lenet, nous apprend que
cette famille, si mendiante auprès de Richelieu, tâchait
pourtant à tout hasard de se créer contre lui des moyens
de résistance. De temps à autre, sous différents prétextes,
ils ajoutaient aux fortifications d'une bonne place qu'ils
avaient en Bourbonnais au carrefour des routes de quatre
provinces. Madame la princesse, par tout moyen, attirait
la noblesse à sa cour. Quand le petit prince monta à che-
MORT DE LOUIS XUl, 481
val, on ouvrit h portée de la résidence un marché de
chevaux pour que, sous ombre d*achats, les gentils-
hommes vinssent, montassent au chftteau pour faire leurs
hommages, devinssent clients de la maison.
L'enfant fut élevé d'une manière populaire et ambi-
tieuse. On le mit au collège à Bourges, sous un jésuite,
parmi nombre d*enfants de gentilshommes qui s*atta-
chèrent à lui. Il eut l'éducation variée, littéraire, que
donnaient les Jésuites, sans fond moral^ mais bien com-
binée pour l'effet; les langues, les exercices publics, des
thèses où l'écolier brillait. Mais, après le collège, son père
voulut encore qu'il sût un peu d'histoire, de mathéma-;
tiques. On entendait par là siurtout la fortification, l'art de
l'ingénieur. Son couronnement d'éducation fut d'être en-
voyé par son père pour tenir sa place en Bourgogne, pour
s'informer de tout, et du militaire, et de la justice, pour
caresser le parlement.
11 fut du premier coup très-brave (campagne d'Arras,
4640). Son père voulait le pousser au commandement et
lui faire avoir une armée. C'est pour cela surtout qu'il lui
fit épouser malgré lui mademoiselle de Brézé . Il avait vingt
ans, elle douze. Il fut très-dur pour elle, vivant à côté
d'elle sans en tenir compte et tout à fait à part. En réalité,
mriladif (il fut un moment à la mort), ambitieux comme
ça mère, avare comme son père, il visait de loin la grande
héritière, mademoiselle de Montpensier, l'énorme fortune
d'argent que feraient les biens d'Orléans par-dessus les
biens des Condé et des Montmorency. Seulement le roi y
consentirait-il? Ce jeune homme d'aspect si sauvage, mais
excellent calculateur, trouva moyen d'aller au cœur du roi
en s'associant à sa mère, à sa sœur, dans leur zèle pour
les carmélites. Il quêta pour leur faire avoir un reliquaire
fort riche. Chose rare qu'un jeune militaire eût une dévo-
tion si précoce.
Richelieu le voyait venir, et il en était indigné. Cette
à
m ISOLEMENT Vf MOKT DE. HeHELIEU.
chasteté persérérante, ce divorce dans le mariage pour en
préparer un plna riche, montraient en eelui-ci un hamoie
qui passerait son père. Il y avait là averieev insoleiiee,
l'orgueil et la haine secrète qu'il avait suoés de sa mère,
sœur de Montmorency. Quoi ! le- sang de Ricbelien> était-
il donc si vil, qu'un prinee d'une princerie fort, douteuse
dédaignât d y mêler le sien? Qa'avail-elie fait» cetta enbnt
imiocente?' Était-ce sa feute si elle était nièce du plus
grand homme de TEuropev el si le prévoyant ministre re-
ftisait d'anner les Condés de ces moyens de guerre civile
dont tant de princes en notre histoire ont sLcrueUement
aimé?'
Les cardKmrax sont pnolecteucs des trôner RicheUeu.,
comme cardinal, avait la prétention de ceux d'Espagne et
d'Italie, qui passent devant les princes. Visité par la reine,
il restait assis devant elle. La pourpre qu'il partait, loi et
son frère, l'archevêque de Lyon, lui semblait l'égaler aux
rois.
Haï de Richelieu et le lui rendant bien, Enghien eut
pourtant la prudence de se garden de L'affaire de Cinq-
Mars. U ne' varia pas^ ne douta pasiun moment de la vicr-
torre du cardinal, à ce point qu'il quitta le siégs, laissa le
roi et vint à Tarascom
C'était s'offrir à Richelieu. Maisi celui-ci n'en était pas
moins enveminé. L'injure faîte à son sang lui cuisait d'au;
tant plus*, qu'il se sentait mourir. Que serait-ce apsès lui
si, lui vivant, on méprisait les siens? Il voulut à bout prix
que le rang supérieur des cardinaux, admis par les (SoBriés^
les menât à avouer qu'il n'y avait pedot mésallianee du
sang d^un cardinal au sang d'un prince. Pour ia naéne
raison, Enghion se réservait eette cause de divonee;. QfHind
il passa- à'Lyoni, il évita de voir Farohevéque, frère de Ri-
chelieu et cardinal, n'accepta pas la fête qu'il avait poépa-
rée, ne coucha pas chez lui. Richelieu, porté aux eaux de
Bburbon^ semblait pnès de sa fin. Il n'en fut queplos fu-
II0BT DB LOOISr XIH. 183
rieux» ne put se contenir; devant ses domestiqiœs, « il
jura si terriblement^ qa*ils en eurent horreur. >
Le père d'Enghîen cependant avait pris peur. Il envoia
son fils demander pardoa. Mais nul moyen, d'apaiser le
cardinal. Il en était à regretter Gastcm. Il ne le laissa pas
aller à. Venise, lui fit dire qu'il pouvait rester à aotre. fron-
tière: de Savoie. Visiblement il ainoai t. mieux son mortel
ennemi que les Condés ingrats.
Engbiea. désespéré, faisait sa cour à madame d'Ajguit-
Ion, la très-puissante nièce, la priait de dicter ce qu'il
avait à faire» Elle lui dit : a Aimez votre femme. » 11 obéit
sur rheure, vole à Paris» et aime. La petite femme fut
enceinte.
Biais ce n'était p^a toui. Il fallut boire le fond du vase,
le plus amer. Bicbelieu ne le tint pas quitte qu'il n'allât
faire excuse à Lyon au cardinal, et, pour mieux mater le
jeune homme, le rancuneux ministre envoya son frère en
Provence, afin que d'Enghîen^ qui courait après, eût tout
le royaume à traverser.
TcJi est le chemin de la gloire. A ce prix, d'Enghiea
espérait obtenir une armée. Mais on pouvait sans peine
augurer qu'un jeune homme, chaste par avarice et servile
par ajabition, ne ménagerait rien^ et que, s'il avait des
succès, lien aJboserait cruellement pour brouiller, trour
Mer le royaume*
C'est dans ces pensées sombres que Richelieu revenait
vers Paris, rapporté par ses gardes, revenait vers la mort.
Il rapportait ce sentiment amer que le roi dont il avait
tant honoré le règne était son plus, grand ennemi, entouré
da ses ennemie, et peut-être de ses assassins.
léd roi n'allait guère à Ruel, et Bichelieu n'osait aller à
Saint-Germain.. Il voyait le roi ratcniré préeisémeat des
officiers qui avaient olect de le tuer à Lyon. Il priaîl,
insistait, pour qu*on les éloignât, déclarant qu'autrement
iL ne pouixaii ^itmr qu'iuvec ses propres gardes*. Rréc^ur
{84 ISOLEMENT ET MORT DE RICHELIEU.
tion fort raisonnable, mais que le roi trouvait injurieuse.
Longue fut cette négociation. Elle fut poussée à bout par
l'insistance de Chavigny, que le roi n^aimait pas, mais que-
dès lors il prit en grippe, et qui décidément, comme on
verra, fut perdu pour tout l'avenir.
Chavigny, fils de Bouthilier et d'une mère aimée de
Richelieu, passait pour fils du cardinal, et il était la seule
personne à qui il se fiât. Il le méritait en réalité, l'ayant
servi en ce dernier moment, comme il avait besoin de
l'être, avec un âpre dévouement, sans réserve, sans con-
sidération de l'avenir ni de sa fortune. Richelieu le croyait
un grand esprit, « et le plus grand du monde, > dit Tal-
lemant. En réalité , c'est lui qui lui donna le conseil de
ménager Gaston, de le garder contre la reine et les Condés,
de le retenir à portée pour pouvoir, au jour nécessaire,
les neutraliser les uns par les autres.
Quant à Mazarin, le rusé s'est posé, donné à l'hîstoîre
comme l'élève chéri de Richelieu, une espèce de fils adop-
tif. Le croire serait faire peu d'honneur à la pénétration du
grand ministre, à son expérience des hommes. Il voyait,
comprenait très-bien où visait cette glissante couleuvre
dans ses douces ondulations et son frétillement. Mais il
était tellement seul ! Il ne voyait guère mieux autour de
lui. Il flottait entre deux pensées, l'éloigner, l'employer.
Parfois il voulait l'envoyer au pape, le tenir hors de
France ; il demanda aux commis de la marine s'il y avait
un vaisseau prêt. « Pas encore, mais bientôt, » db*ent-iis.
D'autre part, le sachant si lâche, il crut le gouverner
encore après sa mort, et le tenir par Chavigny. Il voyait
celui-ci antipathique au roi, et pensait que peut-être,
Mazarin (créé par Chavigny) lui demeurant uni, l'un ferait
passer l'autre, que l'Italien compenserait la roideur du
Français par ses grâces et par sa bassesse.
Dans les instructions qu'il laissait par écrit au roi, et où
il lui formait son conseil, il y donna place à Mazarin, maïs
MORT DE LOUIS XIII. 485
en réalité Chavigny aurait dominé, ayant deux voix, celle
de son père Bouthilier et la sienne. On pouvait croire que
rhomme de travail, l'universel commis, Dunoyer, qui
faisait la grosse besogne dans une docilité servile, conti-
nuerait de labourer sous Chavigny et Mazarin, qui, ayant
besoin l'un de l'autre, continueraient d'ensemble la pensée
de Richelieu.
Voilà tout ce que le mourant put prévoir, arranger dans
l'intérêt public. Il ne lui restait plus qu'à s'acquitter de la
grande et commune fonction humaine. Il s'en tira fort
honorablement, Qiourut d'une manière conséquente à sa
vie, en théologien catholique et en controversiste, faisant
honneur à ses livres (qu'il aimait plus que chose au
monde) par la fermeté de sa foi. Assisté du curé de Saint-
Eustache, qui l'engageait à pardonner à ses ennemis, il
dit cette parole noble et, je crois, vraie : « Je n'en eus pas
d'autres que les ennemis de l'Ëtat. »
Que ses actes le jugent. Ne nous amusons pas à ces
portraits où, pour concentrer les grands traitSy on fait
abstraction des détails nombreux et complexes oii est jus-
tement la vie propre, l'intime individu. Encore moins
nous jetterons-nous dans les vagues comparaisons qui
obscurcissent en voulant éclaircir. Richelieu, quoiqu'on
Tait tant dit, ne ressemble guère à Louis XI. Et combien
moins au dernier roi de France qu'on appelle la Con-
vention !
Qu'il ait eu un génie systématique et centralisateur,
cela est vrai. Moins pourtant qu'on n'a dit, car ce qu'il fit
de plus grand dans ce sens (la création des intendants) ,
cela, dis-je, se fit le lendemain de l'invasion , sous l'em-
pire d'un besoin pressant, non d'après une idée prémé-
ditée. Celle-ci même était contraire à celle que Richelieu
essayait de faire prévaloir depuis plusieurs années (la
levée de l'impôt par les élus).
En cela , comme en bien d'autres choses, il fit toute
486 ISOLEMENT ET MORT DB RICHELIEU.
autre chose que ce qu'il avait projeté. Mais la grandeur
visible de son àme et de sa forte volonté, rinunensité da
son labeur^ la dignité sinistre de sa fière attitude» cou-
vraient, sauvaient les siauoaitàs, lesi mêèxes infinies da
SB& contradictions fatales^
Le premier homme é'un mauvais temps ne peut guère
être que mauvais. En celui-ci, il y eut des laidfiurs^ des
caricatures, le prêtre cavalier, les ridicules d'un pédant
de Sorbonne, d'un rimeur pitoyabk; plus, des échappées
libertines, communes chez les prélats d'alors, mais plu$
choquantes dans un hoaune d'un si terrible, sérieux.
Il eut des àcretés de prêtre. U eut, coBune poUtiqua,
des furies de joueur adbarné à gagner quand mêmej qui
iwt sa vie sur une carte, la vie des. autres aussi. Et cepen-
dant fut-il vraiment cruel? Rien ne l'indique. Les qua-
rante condamnés qui périrent sous lui, en vingt ans ,
furent mal jugés sans doute (comme on Tétait alors, par
des commissions), mais n'en étaient pas mokins coupables,
et la plupart étaient des trattnes qui nous, livraiant à
rétranger.
11 ne pardonna guèrew Maia il n'eût, pacdonné qu'aux
dépens de la France.
Il aimait fort oeux qu'il ûmait. U n'oublia jamais un
bienfait, et il n'y eut jamaifi un meilleur ami. Mtoie à
l'égard de ceux qu'il n'aimaii pas,. il essayait parfais de se
dominer à force de justice. Fontenelle cite de lui uja Eût
tràs-beau et curieux.
Richelieu, comme auteur, avait une misàrable jalousie
de Corneille, ety comme, politique (on l'a vu), ii avait reçu
de lui, au jour de sea reveis, le plus senmble coup» VB&-
pagne glorifiée par le Cid.
Toutea les pièces de Corneille semUaîent dea déaoft»
ciaiions» indirectes de guerre au.touHrpuisaanA mitùstre.
Il le pensionnait cependant et le- recevait même.. Un lour,
il U. voit arrive]? d'un air fort ab«tttt,.tcifi&a» rêveur. « Yous
MORT DB LO<ns Xtfl. 487
travaillez, CcNnieille ? — Hélas ! je ne puis plus, monsei-
gneur, le suis amoureux. » £i il explique qu'il aime, mais
une personne si haut, si haut placée,^ qu'il n'a aucun
espoir. • £t qui.eneove? — La fille d'un, lieutenant puerai
(dêe finances) de la. ville d*Andely.
« N'esti-oe que cela.? » dit. Richelieu. C'était justement
le.monent où. l'on venait déjouer Cmna.. Richelieu prit
l'àme d'Auguste. 11 fit écrire au père de venir sur L'heure
à Pai*is. Le bonhomme, étonné,, effrayé, se présente. Et
le ministre lui fait honte de refuser sa fille au grand Coc-
neille. CeluwGi fut marié de la maia de son ennemi.
Il mourut tellement redouté, qu'on n'osait nulle part
dire qu'il fût mort, même dans les pays étrangers (Mon-
glal). On aurait cralot que^ par dépit, par un. terrible
eflbrt de volonté, il ne s'avisât de revenir.
Le roi le haïssait. Et il eut même, à sa dernière visite
oit, Richelieu mourant lui renouvela le don du Palais-
Cacdinaly l'indignité de. s'en emparer sur-le-champ et.d'y
mettre sas gardes. Et,, avec, tout cela, il lui. obéit de point
en point ^^èsi sa mort^ refusant tout aux, prisonnier&i
auK exilés,. si durement, que, madame de Vendôme priant
pour son mari,, il lui. dit.: «t Sî vous n'étiez femme,. ]e vous
mfittnaia à la Bastille. »
De toutes les personnes persécutées, la plus suspecte au
roi, c'était la reine. Des trois ministres, Dunoyer,,Mazacia,
Chavigny, le premier se crut fort por les prédilections
dévotes du roi pour sa dévotion ; il commença à travailler
sourdement pour ' la reine. Il comptait arriver par elle à
l'archevêché de Paris. Cela le perdit près du roi, qui le
traita si mal, qu'il lui fallut demander sa retraite.
Mazarin, Chavigny, ne se maintinrent qu'en paraissant
très-contraires à la reine. Monsieur, flétri naguère, dé-
claré incapable de toute charge et mal voulu du roi, n'eût
pu songer à la régence.
488 ISOLEMENT ET MORT DE RIGHELIEa.
Ils dirent au roi habilement que, si on la faisait régente,
il fallait la lier et la subordonner, lui mettre sur la tête un
conseil souverain, et non desHtuable : Monsieur, Condé,
Mazarin, et le père et le fils, Bouthilier , Chavigny. Toat
se déciderait à la pluralité des voix. Le tout, ordonné par
le roi, formulé en déclaration, enregistré au parlement.
Mais, en même temps, Mazarin faisait dire à la reine ,
par le nonce Grimaldi , que cette ordonnance, si sévère
pour elle, en réalité la sauvait, lui assurait le point essen-
tiel : que son mari mourant ne l'écarldt pas de la régence^
parût l'en juger digne. Avec cela, elle allait être mai-
tresse et ferait ce qu'elle voudrait.
Le flot montait si fort pour elle, que le roi, vers la fin,
n'eut plus la force de soutenir la digue. Les prisonniers
sortirent, les exilés revinrent, toute la vieille cabale à la
file. On fit scrupule au mourant de persister jusqu'à
la fin.
Tout d'ailleurs le fuyait, lui échappait. Enghien, k qui
il venait de donner la grande armée du Nord, s'oflPre
secrètement à la reine. A Saint-Germain et à Paris , on
travaille pour elle les gardes suisses et les gardes fran-
çaises. On lui offre d'occuper le Palais avant même que le
roi expire, de crainte que Monsieur n'y soit le premier.
Quand le roi enfin meurt (U mai 1643), le château où il
meurt est déjà à la reine, et le parlement, et la ville. Le
roi femelle occupe tout.
CHAPITRE XVII
Louis XIV. — Eoghien. -* Bataille de Rocroy. Mai 1643.
La régente espagnole ouvre son règne de quinze ans
par un chemin de fleurs. Ce peuple singulier, qui parle
tant de loi salique, est tout heureux de tomber en que-
nouille. Sans qu'on sache pourquoi ni comment cette
étrangère est adorée.
Elle est femme et elle a souflert. Les cœurs sont atten-
dris d'avance. Elle est faible. Chacun espère en profiter.
Ce sera un règne galant. Mais oii sera la préférence? Cette
loterie d'amour autorise l'infini des rêves. Quel qu'il soit,
le nouveau Concini ira plus loin que l'autre avec une
Espagnole fort mûre qui va tourner à la dévotion , aux
scrupules, à la fixité des attachements légitimes. Que
sera*ce si elle finit par devenir fidèle, pour la ruine de la
France?
En attendant, tout tourne à son profil. Les favoris du
dernier règne, les Condés, gagnent une bataille à point
pour elle, et font à Rocroy la brillante préface du règne
emphatique de Louis XIV. C'est l'enfant qui en a la gloire,
c'est la sage régente. Heureuse reine qui gagne des ba-
tailles en berçant son filsl
Le jeune duc d'Enghien, nous l'avons vu, assez mal vers
la fin avec Richelieu, avait, par sa dévotion, gagne le
490 LOUIS XIV. ^ BNGfilEN.
cœur de Louis XIII, celui du grand commis Dunoyer, si
avant dans le parti dévot, qui, seul avec le roi, faisait le
travail de la guerre. On avait tout Thiver arrangé ce tra-
vail de manière à préparer une campagne au duc d'Ea-
ghien. 11 en fut justement comme en 1638, où l'on avait
grandi la Meilleraye à' l'armée du Nord, en immolant Feu-
quières à l'armée de Lorraine. De même , cette fois , on
mit toutes les forces à Tarmée royale que menait Enghien.
Aucun renfort à l'armée d'Allemagne , où Rantzau^ Gué-
briant venaient de gagner des batailles, de sauver les
Suédois, de résister aux efforts combinés des impériaux
et Bavarois. La fameuse armée de Weimar, achetée par
nous et si bien menée par Guébriant, s'usa, tomba à six
mille honmies qui«e maintinrent à grand'peineea Alsace.
Enghien eut seize mîMe fantassins , sept mille cèevanx,
suctout desmentors admirables, vieux BoMbts deG«slafv«-
Adolphe. Le succès était vraisemblable. Il était néoessam.
C'était réellement la seule forte armée de la France, la
ïeale qui la couvrit del'ememi.
La France, qu'on dit si ÎTicrédule, ai soeptique «t si
-positive, a pourtant toujours besoin il*an oriraele, du mi-
racle humain, le héros. Il lui faut adorer quelqu^m ou
quelque chose qui hri semble au-dess« de rhomme. Nous
avons déjà, pour François de Guise à Metz et à Calais,
observé la fabrique, les recettes pour feire des héros.
'Quand ce royaume énorme, qui s'est fait de douze royaa-
mes, centralise sa force pour un général favori, il ne peai
guère manquer defrapper un grand «oup. Le miraole se
fait.
•Un héros est tombé du ciel. Le peuple esté geooui:.
Si un malencontreux critique tÂertfte las cordas et les
machines qui, par derrière, ont aidé au miraele , c'est on
envieux, un dénigreur; on lui en «ait très-mauvais gré.
Lisez le grand Bossuet , lisez l'htotmen de faanlle,
l'homme d'affaires des Coudé, Lenet, vous^ems qv'En-
YâTAILLE DE BOGROY. 491
ghien seul nous fit la victoire de Rocroy. Lenet craint tel-
lement que ses lieutenants y aient la moindre part, qu'il
les note en passant de stigmates fSkcheux. Il voudrait flé-
trir même la probité de Gassion.
Nous avons ailleurs heureusement des sources plus
sûres, des détails plus exacts, plus dignes de Thistoire.
Les Espagnols, sachant le roi à rextrémité, crurent que
le moment était bon, laissèrent là la Hollande, tet, ramas-
sant toutes leurs forces sous deux excellents généraux,
D. Francisco de Mello et le vieux comte de Fontaine, firent
nme d'entrer en Picardie, mais tournèrent, percèreat les
Ardennes, enveloppèrent Rocroy.
Le roi et Dunoyer, qui devaient mêler à tout leur mé-
diocrité, avaient eu soin, en lançant le duc d'Ëngliien, de
le paralyser. Us lui avaient adjoint un sage général (frère
de Vttry, qui tua l'Ancre), camarade fort Aimé du roi qu'il
Youlut feire maréchal avant sa mort, Hallier ou Lbospitai.
Son sage conseil était qu'on s'afiaiblit en mettant des
secours âans cette méchante petite plaee , qu'on jetât là
des gens pMir les faire prendre, et cpi'Mi évitât la bataille.
On eût été ensuite poussé à reculons par TEspagiAol, qui,
avançant toujours, ayant sur nous l'avantage de Tofien-
sfve, nous eût de pnocfae en proche découragés, décon-
eertés, battus.
Un conseil fut tenu, et heureusement les maréchaux de
camp qui avaient fait les guerres d*Allemagiie et vu Gus-
tave-Adolphe, le très-avisé GassioiL, le ferme et fort Siiot,
4veDt qu'il iaUut combattre.
Unmotdeoes deux iiomaaes. Lonscpie ie grand Gustave
débarqua en Allemagne, le premier homme qu'il vit au
rivage fut ce petit gascsn, Gassion, qui venait se dminer à
toi. Il .fut le pfais ardent de tous lés amoureux de ce géant
tfm revissait les ctmrs et les {prandissiût à sa taiUe.
il flut fort à Gustave, « Va-t'en k Paris, lui dit-il,
•ebète-OMi des Français. » Gassion en ramena une cen-
492 LOUIS XIY. — KNGHIBN.
taine qui firent bonne figure au sublime moment de
Leipzig.
Quant au bourguignon Sirot, un peu vantard, quoique
si brave, il contait volontiers qu'il avait fait le coup de
pistolet avec trois rois, et même avec celui que personne
n'osait i*egardait. Il avait rois, disait-il, une balle dans le
chapeau de Gustave, ramassé ce chapeau que Gustave
laissa derrière lui.
Richelieu, qui connaissait les hommes, prit à lui ces
deux -ci, et en môme temps un brave ivrogne allemand, le
célèbre Rantzau, qui se ménageait peu et laissait un mem-
bre à chaque bataille.
Pour revenir, ces hommes d'expérience, et qui ne s'é-
tonnaient de rien, comprirent que cette armée, comme
ordinairement celles d'Espagne, n'était pas espagnole,
sauf quelques milliers d'hommes, un petit bataillon. C'était
un mélange italien, allemand, wallon, flamand. Us insis-
tèrent pour la bataille. £t le ducd'£nghien se mit avec eux.
Un nouveau règne commençait, celui de la reine, point du
tout amie des Condés. Il y avait à parier qu'on ne donne-
rait plus à celui-ci une occasion pareille. L'Hospital se
trouva tout seul de son avis. Le roi, son protecteur, étaat
mort, son autorité n'était pas forte. Le maréchal d'hier
eût eu mauvaise grâce de s'obstiner contre des gens qui
avaient tant vu et tant fait.
Le roi avait laissé carte blanche à THospital et au con-
seil du prince. Mourant, il avait eu, dit-on, pressentiment
de la bataille. Il crut la voir. Il dit agonisant : c Ils sont
aux mains. Enghien les bat... Apportez-moi mes pb-
tolets. »
Il meurt le 14 mai. La bataille a lieu le 49.
Les Espagnols étaient fort tranquilles autour de Rocroy,
leurs corps dispersés, et bien loin de croire que la France,
malade et alitée sans doute avec le roi, vînt les déranger
là. Du reste, ils étaient couverts de tous côtés par ces bois
BATAILLE DE ROGROT. 493
inKnis de petits chênes qu*on appelle la forêt des Ardennes,
et dont le triste Rocroy, sur sa basse colline, est une clai-
rière peu étendue. Pour y venir, par où qu'on vienne, îi
faut arriver à la file par les étroites avenues de ces bois.
Opération assez scabreuse. Gassion se la réserva, passa le
premier avec quinze cents chevaux. Pendant que les Espa^
gnols, un peu étonnés, s'appellent, se réunissent, Enghien
passe, et tout passe, si bien que, quand l'armée d'Espagne
se trouve enfin en ligne, la française lui fait vis-à-vis.
Autre surprise pour eux. Ils avaient cru d'abord que Gas-
sion venait seulement pour se jeter dans la place. Mais
voici l'armée tout entière. On se canonne, on se salue
(48 mai).
La nuit, un transfuge nous apprit que, le lendemain
matin, les Espagnols, déjà plus forts que nogus, recevraient
de surcroît une petite armée de mille cavaliers, trois mille
fantassins. Nouvel argument pour Gassion, et décisif pour
la bataille.
Le 19, vers trois ou quatre heures, à l'aube, Enghien,
fort gai, passa au front des troupes, n'ayant que sa cui-
rasse, sur la tête force plumes blanches. Pour mot d'ordre
de la bataille, il donna son nom même, Enghien.
Les Espagnols ne bougeaient. Nous marchâmes. Et la
bataille fut en un moment gagnée à la droite, perdue à la
gauche.
A droite, Gassion et le duc marchèrent vers un petit
rideau d'arbres où les Espagnols avaient caché mille mous-
quetaires pour nous fusiller en flanc quand nous irions à
eux. Gassion les tailla en pièces, et, ce bois bien purgé,
tomba sur la cavalerie ennemie, enfonçant le premier rnng,
le renversant sur le second et mettant tout en fuite.
Grande tentation pour le prince d'imiter l'autre Engliien
^e Cérisoles, de se lancer à la poursuite. Gassion ne le
permit pas, n'alla que bride en main, se rallia, se
ramassa.
XII. 13
494 LOUIS XIV. — KNGHUN.
A Tautre aile, Lhospital fut battu, blessé, son lieutenant
pris, et, chose plus grave, notre canon aussi.
Cette aile paraissait si malade, quTnghien, qui vit de
loin le désastre, envoya dire à la réserve que Sirot com-
mandait de marcher au secours. Le vieux soldat comprit
que, s'il obéissait, si ses troupes venaient à la file, il ne
ferait qu'ajouter au désastre et serait battu en détail. Il
dit : « il n'est pas temps. »
Un oflScier de cette aile battue vint pour la seconde fois
ébranler Sirot : « Monsieur, la bataille est perdue... Beti-
rons-nous. . . — Monsieur, rien n'est perdu. Car Sîrol reste
encore. »
A ce moment, l'ennemi fondit sur lui, le trouva tout
entier et ferme. Sans reculer d'une semelle, il tint, étant
bien sûr que Gassion venait. Celui-ci, en efièt, ayant ter-
miné sa besogne, c'est-à-dire passé sur le corps de toute
la fausse Espagne (l'infanterie d'autres nations), revint en
face de Sirot, et chargea par derrière ceux qui le char-
geaient par devant. Ces vainqueurs de notre gauche furent
vaincus à leur tour.
Restait la vraie Espagne, la fameuse infanterie^ eomme
un gros hérisson de piques, où on ne mordait pas. On y
donna de tous côtés, et, pour l'entamer sûrement, on y fit
sur un flanc une percée à coups de canon, par où on y
entra. D. Francisco échappa. Mais le vieux comte de Fon-
taine, qui avait la goutte et qui se faisait porter id et là
dans sa chaise l'épée à la main, ne la posa pas, fut tué.
On ne fit pas la faute de Ravenne, où Gaston de Foix
s'obstina à massacrer et périt. Nos Français, qui, dès ce
jour, avaient pris l'avantage et pour jamais, respedèrent,
admirèrent ces pauvres diables, qui avaient la mort dans
le cœur.
L'iufanterie française resta, reste la première du monde.
Et cela indépendamment de ses généraux. Il y parut bien-
tôt. Quiconque l'eut avec soi vainquit. Harcourt, un bon
BATAILLE DE ROCROY. 195
soldat et général passable, fut assez pour battre Condé
dès que celui-ci n'eut plus avec lui Tinvincible infanterie.
Dans la comédie de la Fronde, on vit, chose plus comique
encore, Mazarin général et vainqueur de Turenne. L'es-
piègle avait volé Tépée de la France endormie.
CHAPITRE XVIII
L'avènement de Maxarin. 1643.
Ce grand bonheur fit deux malheurs. 11 créa un héros
insatiable et insupportable, monté sur des échassesetprét
à tout tuer pour la moindre prétention d'orgueil on d'in-
térêt. D'autre part, il glorifia Tavénement de Mazarin.il
sacra le roi des fripons.
C'est une grande simplicité de croire qu'un événement
aussi prévu que la mort du roi ait trouvé la reine au
dépourvu, qu'elle n'ait su où donner de la tête, qu'elle ait
sérieusement offert le pouvoir à celui-ci, à celui-là. Toute
l'affaire était certainement réglée d'avance. Et par quoi?
Par son indolence qui lui disait qu'un lit tout fait lui valait
mieux pour s'allonger, dormir, qu'un arrangement nou-
veau qui l'obligerait de vouloir, de penser.
Elle voyait prêts à partir de Londres, de Bruxelles ou
Madrid, je ne sais combien d'exilés, se disant tous martyrs
de la cause de la reine, et venant exiger la couronne de
ce martyre. Comment les satisfaire? Son oreille était tout
ouverte à celui qui lui enseignait les douceurs de l'in-
gratitude.
Mazarin ici était admirable. Il a bien varié, mais jamais
sur ce point. Son caractère offre la beauté d'un type bien
â
t'AYÉNEMENT DI MAZARIIi. 497
soutenu qui ne se dément pas. Ingrat pour ses auteurs,
Joseph et Chavigny qui le créèrent en France, il se tira
d'afl'aire deux fois pendant la Fronde par le même moyen,
ingrat pour Condé, puis pour Retz. Enfin il couronne sa
vie par le plus fort, Tingratitude pour la reine, sa vieille
amoureuse.
Rappelons ses précédents. En 4631, il plut; Richelieu,
en Je présentant, fit valoir qu'il ressemblait à Ruckingham.
En 4639, réfugié et fixé en France, il fut favorisé, ce sem-
ble, au moins un moment. En 1642, il devint maître de la
reine, après le traité d'Espagne^ dit Tallemant, ce qui
signiiSe, selon moi, quand il lui conseilla de révéler le traité^
pour obtenir de garder ses enfants.
Les hommes de Richelieu, odieux, détestés, les Cha-
vigny, les Routhilier, se trouvaient impossibles. Mazarin
était étranger, sans racine ici et prêt à partir dès qu'il
aurait mis la reine au courant. Il faisait ses paquets. Ron
moyen pour rester.
Mais que n'eût-on pas dit si l'on eût prévu Mazarin? La
reine parut fort incertaine. Elle consulta beaucoup, hésita
beaucoup, alla jusque dans l'Oratoire demander à Gondi,
père de Retz, s'il voulait le ministère. En attendant, elle
suivait les avis d'un simple, un vieux bonhomme d'évèque
deReauvais.
Une concurrence plus sérieuse pour Mazarin fut celle de
la maison de Vendôme, de leur cadet Reaufort. Ce petit-
fils de Gabrielle en avait la beauté II était jeune, brave,
tout fleuri, en longs cheveux d'or, un Phébus Apollon.
Cest celui qui bientôt sera le roi des halles, dont les pois-
sardes raffolaient.
Facilité brillante pour le galimatias, éloquence gro-
tesque, un torrent de non- sens. Il ne lui manquait rien
pour charmer une sotte.
Femme avant tout et tendre, la reine eut un moment
pour lui. Le jour même de l'avènement, elle l'avait près
498 L^kYàtammr ds ha^amn.
d'elle» et, povr faire retirer la {Me qui l'étoaffût, elle
employa Beaufort, qui, pour sen ooup d'essai 4le «aie»
djresse, parla conutte le maître de la mataon, et se fit une
affaire avec le vieux Condé. Ce fut eDcore à hii qu'elle ae
reoût pour aviser à la sûreté du roi et ramener à PaiM
dans ce moment douteux où elle pouvait craindre eacere
les tentatives du paitU d'Orléans.
Donc, Seaufort, un moment, eut l'attitude et l'appa-
rence du favori» du préféré. Deux dioses i'empécâièreiit
d'en avoir le réel. D'abond, H fiit oonqins à grand bmit
par Venus» la Vénus effi*ontée du temps, madame de
MoBlbazoo, beauté superbe et colossale, qui reoomMrt
bientôt les petits moyens de Beaufort, et dit partout qse,
pour les dames, ut innocent a'avait aucun danger.
Moiifi jeune, Mazarin valait mieux. Mais il ne parut pas
d'abord, et resta derrière le rideau jusqu'à ce que la
reine fut régente absolue.
Gaston, assez piteusement, puis Condé, renoncerait à
l'autorité que ieur donnait le feu roi; les autres à fins
ibrte raison. M. TaloA, Avocat gteérai, reçoU qu'elle fût
régente, mab libre de se isire assister par qui elle won-
drait, et c sans être obligée de mixte la plumiité des
voix, »
Donc, le tour était fait. Deux heures après, Condé Tint
dire à liaaarîn, « prêt à partir, » que la reine le fiaisait
chef du 'Conseil, ^rdant aussi Chavtgay «it son père, le
cbaAcelier Sëguier^ le même qui avait fait contre elle l'en-
qttôtede1637.
Coup mortel pour Beaufert et les Vendômes, les amis
de la reine. Quand ils lui demandèrent explicelioB, elle
dit que Mazarin ne lui ferait point oublier ses ami6,«qi'il
était au courant des choses, étranger, dmic peu deage-
reux, qu'il était amusant, mais surtout dmetéreuê.
Ce désietéressement alla au point, et oe pmvre bomme
resta si pauvre, qu'au bout de peu d'années, quand on le
L'AYKNKIIBIfT PB MAKAItlN. 199
chassa et qu'il voulut rentrer, il put lever une armée de son
argent.
Pour revenir à Tavénement, Ma^arin commença dès
lors l'éducation de la reine, enfermé toutes les soirées
avec elle pour lui apprendre les affaires. La cour, la ville*
ne jasaient d'autre chose.
La nouvelle de Rocroy, qui arriva deux jours après
pour iaire une fête publique, était à point pour Mazarin.
11 se serrait sous les Condé. Il écrivit au jeune vainqueur
qu'il ne serait que son chapelain, et ferait tout ce qu'il
voudrait. Le vieux Condé, sa femme, lui rendaient le ser-*
vice d'exclure du ministère le seul homme quMI craignit
pour concurrent, le très^apable ChÀteauneuf, prisonnier
si longtemps pour la cause de la reine. Lorsque madame
de Chevreuse, l'ancienne amie de cœur, revint, proposa
Chàteauneuf, Mazarin répondit que la princesse de Condé
ne laisserait jamais arriver celui qui avait foit couper la
tète à son frère, M. de Montmorency.
Il y avait un autre homme que Mazarin brûlait de pef'-
dre, celui naturellement à qui il devait le plus, son bien^
faiteur fils de son bienfaiteur, Chavigny (fils de Riche^
lieu?). On l'entama par son père officiel, Bouthilter, que
l'on renvoya du conseil. Puis madame de Chevreuse
imposa à Mazarin d'éloigner Chavigny, et, quoique sod
cœur en saignât, il lui fallut immoler son ami.
Four avoir un ministère harmonique et bien homogène,
il fit bientôt contrôleur des finances un Italien, Emeri de
Particelli, homme d'esprit, d'expédients, qui, jeune, atalt
eu le malheur d'avoir affaire avec la justice et d'être peitdtl
à Lyon (en efHgie). C'était le temps où Mazarin^ alors sol->
dat du pape, commençait ses campagnes en pipant et vo-
lant au jeu.
Pour faire accepter ce gouvernement de Trivelinô prifi"
eipe, il y eut une profusion de grâces extraordinaire, un
détx>rdement de faveurs, un déchaînement de prodiga-
\
200 L'AVfafBMKNT DK MAZARIN.
lités. Les admirateurs des faits accomplis appellent cela la
détente naturelle du règne tendu de Richelieu ; ils diraieol
presque légitime. Nul doute cependant que, si la reine
n'eût pas pris son amant si bas, si elle n'eût pas appelé
nu suprême pouvoir ce bouffon italien, elle eût eu moins
à faire et à donner pour se faire pardonner son choix.
Chàteauneuf, à meilleur marché, eût été chefdu ministère.
Il ne déplaisait pas aux ennemis de Richelieu, et il avait
été jadis l'ami du grand ministre ; il avait sa tradition.
Mais il faut avouer que la reine fut embarrassée pour
excuser son choix, et qu'il lui fallut l'expier, l'excuser,
l'acheter^ en jetant tout à tous, livrant la France en proie.
Mazarin n'y eût pas suffi s*il n'eût trouvé moyen de se
débarrasser de tous les amis de la reine. C'est à quoi le
servit admirablement leur imprudence, celle de fieaufort
et de sa Montbazon, qui irritèrent à plaisir les Condë,
surtout la sœur du héros, madame de Longuevilie. £f
cela au moment où Rocroy faisait le frère et la sœur rois
de la cour, rois de l'opinion, où la reine et Mazarin étaient
leurs protégés. Madame de Longuevilie, la belle, la prude,
la précieuse, une déesse de l'Empyrée, du haut de son
nuage, favorisait fort Coligny. La Montbazon eut la malice
de se procurer deux lettres de cette divinité où elle des-
cendait de l'autel, s'humanisait pour son adorateur. Dès
lors, explosion. Les écritures confrontées chez la reine, à
l'honneur de madame de Longuevilie (cependant un ami
de celle-ci crut prudent de brûler les lettres). La Montba-
zon, condamnée aux excuses par la reine (donc, par
Mazarin). De là une rage extraordinaire. Je ne sais com-
bien de gentilshommes, jusqu'à quatorze princes, viennent
offrir leur épée à la Montbazon contre le ministre.
Non pas que cette belle eût vraiment tant de chevaliers.
Mais on était déjà assommé, de la tyrannie des Condé et
de leur ami Mazarin, de la vertu immaculée de madame
de Longuevilie, de sa princerie prétentieuse. Dans sa mo-
l'avènement de M4Z4RIN. 204
destie fausse, on sentait déjà Tinsoience du héros que l'on
attendait.
L'ancienne cabale de Monsieur, abandonnée par lui, les
Fontrailles et les Montrésor, maintenant'amis de Beaufort,
et que la cour appelait les importants^ avaient, dès Riche-
lieu, leurs traditions violentes, la politique d'exécution pour
trancher les nœuds embrouillés. Ils furent d'avis de tuer
ce nouveau C!oncini, sûrs que la chose serait reçue avec
applaudissement. D'accord avec les dames de Chevreuse
et de Montbazon, ils mirent cela en tête de l'innocent
Beaufort. L'affaire était très-bien montée et infaillible.
Elle manqua par madame de Chevreuse, qui, pour éviter
un combat, avertit un intime ami qui commandait au
Louvre de faire le sourd s'il y avait du bruit aux portes.
Mazarin averti obtint de la reine qu'elle fit arrêter Beaufort
et ses amis. Elle obéit, et donna l'ordre, en pleurant à
chaudes larmes sur Beaufort, comme sur un amant sacri*-
fié. Mais déjà Mazarin avait le pouvoir d'un mari (2 sep-
tembre 4643).
CHAPITRE XIX
Gloire et victoires. — Traité de We8t|»halie. 1643-1648.
Puer triomphaior. (Test la devise d*ane médaiHe qui
ouvre le grand règne. Le nonrrisson royal reçoit les clefs
de trente villes ou villages du Rhin, où Ton n'entra que
pour sortir. C'est de cette fumée que Mazarin nourrit la
France et la tint cinq longues années immobile pendant
qu'il la saignait à blanc.
Sous Richelieu, on n*en pouvait plus ; son sage et éco-
nome surintendant Rullion ne savait comment vivre. Mais
l'homme de Mazarin, Emeri, le sait ; Fouquet tout à Theure
le saura en doublant, triplant les dépenses. Des emprunts
usuraires, l'impôt vendu d'avance, toutes les i^essources
de l'avenir compromises ou détruites, un gouvernement
de joueur qui ne ménage rien, de joueur furieux, mais
non pas tant aveugle, qu'en jetant l'or par les fenêtres il
ne remplisse aussi ses poches.
Ce gouvernement trouve', en pleine famine, cinq cent
mille écus pour créer TOpéra. Quel besoin plus urgent? 11
faut en effet des surprises, des changements à vue, des
rêves et des illusions, tous les mensonges de la scène,
pour distraire d'une réalité désespérée.
La grande scène du temps, le triomphe du faux, c'est la
guerre. Le machiniste, c'est Condé.
1
TRAITÉ DB WBSTPHALn. âOS
«
Sans Gondé, Mazarin n'eût pu se sovtenir. II fût mort
èiaaSè daas le mépris publie. La bassesse frappante dans
sa figure de beau laquais, son langage grotesque, son in-
solence alteniée de tristes reculades, ses petites noirceurs
de femme pour brouiller les gens entre eux, tout cela l'eût
bientôt perdu, malgré la reine. On savait trop comment
il fallait lui parler. Miossens, à qui il avait promis de le
faire maréchal, le rencontre sur le pont Neuf, l'arrête,
l«i promet cent coups de bâton. « À la bonne heure, dit-
il, voilà qui est parler I » Il signe sa nomination. Miossens
est maréchal d'Albr^.
Pour qu'il durât, il fallait qu'on pût dire : c €'est un
lâche, on fripon, un escroc. Mais il réussit, » Lui-môme
n'eut pas d'autre idéal. Quand on lui proposait un géné-
ral, il ne demandait pas s'il était brave, habile, mais seu-
lement : « Est-il hourous (heureux) ? »
£tre heureux, c'était chaque année frapper un coup
briUant qui saisit l'opinion. A quel prix? Peu importe. En
coBoentrant tout sur un point, dans une seule armée, et
laissant le reste au hasard, par un grand sacrifice d'hom-
mes, chaque année, on frappait ce coup. Une bataille san*
glaole, de nom sonore, occupait l'opinion. Qu'elle restât
stérile, sans résultat, qu'elle fût même suivie de revers,
cela n'y faisait rien. On avait le coup de trompette, le
changement à vue, et le miracle d'opéra.
La chose était plus facile qu'il ne semble. Il était arrivé
en petit à Richeliev ce qui arriva plus tard en grand à la
Révolotkm, de Mourîr à la peine, mais en mourant de
laisser uneépée, l'épée enchantée, infiiillible, pour gagner
les batailles. En 4635, au début de la guerre, Richelieu
n'avait eu permine. Mais, en huit ans, par les plus dures
épreuves et de tan^nts revers, un personnel s'était créé
d'officiers admirables et de passables généraux, plus, le
maître des nwttres, le modeale, le grand Turenne.
U était jeoaeoQCore et en sous-ordre. Ce n'était point
204 GLOIRE BT VICTOIRI.
du tout rhomme qu'il fallait à Mazaria. Il lui fallait non-
seulement un heureux capitaine, mais un très-grand ac-
teur, qui, dlnstinct, de passion, avec une terrible àpreté,
jouât chaque printemps la scène émouvante que l'on at-
tendait
A vingt-deux ans, Condé avait déjà tout de la guerre, le
brillant, le sérieux, Télan et la réflexion ; de plus, la chose
rare, très-rare dans un jeune homme, une ténacité in-
domptable, une résolution fixe et forte qui l'enracinait au
champ de bataille. Tout cela parut à Fribourg.
Néanmoins la justice exige qu*on fasse une distinction
quand on le compare aux maîtres de la guerre de Trente
ans, aux persévérants militaires qui, toute leur vie, res-
tèrent sur le terrain, et créèrent l'art de la guerre; je parie
des Mercy, des Turenne. Il fut un général d'été.
Je m'explique. Ces savants généraux, les martyrs de
leur art, avec des armées peu nombreuses qu'il leur fallait
industrieusement nourrir, abandonnés pendant de longs
hivers, firent face à des difficultés incroyables, et souvent,
à force de vertu militaire, de talent, de génie, n'arrivèrent
qu'à être battus. N'importe, en suivant bien leurs cam-
pagnes, leur science profonde, leur divination surprenante
des pensées de l'ennemi, étonnent, remplissent de res-
pect. On admire jusqu'à leurs revers.
Telle ne fut pas la carrière de Ck>ndé. On le lançait aux
beaux moments^ à l'instant favorable de la belle saison,
avec de grands moyens, qui, amenés par lui subitement,
jetés sur le terrain, emportés dans sa fougue, relevaient
tout, opéraient la victoire.
Il ne faut pas dire seulement que les Condé étaient en
faveur. Ils étaient maîtres, et se donnaient les moyens
qu'ils voulaient. Le vieux Condé profitait des victoires de
son fils pour grossir, gonfler sans mesure sa monstrueuse
fortune. Sous Richelieu, au moment oii il attrapa la dé-
pouille de Montmorency, il demandait humblement, à ge-
TRÀlTi DB WJSSTPHALIB. i05
DOUX, des terres, des abbayes, toute espèce de choses
lucratives. Sous Mazarin, Condé, mendiant fier et redou-
table, exigea qu'à sa Bourgogne on joignit le Berry et
rénorme gouvernement de Champagne, long de cinquante
lieues. Son gendre, Longueville, avait la riche Normandie.
Mais ce n'était pas assez. 11 rêvait le Midi, rêvait l'amirauté,
la mer aussi bien que la terre. Il n'y avait pas à marchan-
der; il avançait toujours, il voulait tout.
La grosse armée, l'armée privilégiée, celle qu on nour-
rissait (les autres jeûnaient), était chaque année celle du
ducd'Enghien.En|mai ou juin, emmenant une troupe leste,
un gros renfort, parfois de huit ou dix mille hommes, plus
un tourbillon de noblesse, tous les jeunes volontaires de
France, il partait de Paris, volait à l'ennemi. Une telle mise
en scène exigeait un succès immédiat. Donc» sans tourner
ni rien attendre, souvent par le point difficile, on attaquait
sur l'heure, et on l'emportait à force de sang.
C'est l'histoire uniforme deFribourg, de Nordlirigen, de
Lens.
La boucherie de Fribourg dura trois jours. Condé, qui
avait en face la très-petite armée du très-grand général
Mercy, voulut attaquer par le côté le plus glorieux, c'est-
à-dire par l'inaccessible. 11 refusa, comme indigne d'un
prince, Voffve qu'on faisait de le conduire derrière et de
lui faire tourner l'ennemi. Il amena tout son monde heur-
ter aux palissades impénétrables de Mercy, qui, derrière,
tuait à Taise. Des masses énormes périrent là (3 août
1644). La nuit, Mercy se déroba, et avec une habileté, un
ordre admirable, se posta mieux encore sur la Montagne-
Noire, qui domine Fribourg . Nouvelle attaque infructueuse.
Condé revient tout seul à petits pas, tous ses amis tués. À
l'un deux qui vivait encore : « Ce n'est rien, dit-il, nous
allons recommencer, et nous y prendre mieux. » Alors,
sept fois de suite, on charge, quoi?.,, du bois, les abatîs
dont Mercy s'était entouré, et l'on se retire à grand'peine.
£06 GLOmi IT YieTOBIIS.
Mercy était si bien oà il éhût, qu'il n'en cbi boogé de sa
vie. 11 laiasait les Français triompher de leur éehee et s'em-
pester de leuvs propres naotta. ▲ la loBgne, craignant pour
ses vivres, B marcha, mais si bien, ehoiaissanl son tetniB
si habîiemeni, qu'on ne pouvait le joindre qa'e» Bnurchaal
à la file. On le fit.. On reçut de oe prétendu fiigilif mm
charge terrible, oii il noua prit piusienrs drapeaas«
Cela s'appelle la victoire d» Fribourg.
Nous perdîmes bien plus qae Mercy. Mai» il j e«t un
vésultat moral. L'Europe fut effirayée de kt doeiUté di
soldat français qui avait obéi à ee poini-là, a*aheurluit
sans murmure à une chose împosaiUe. Et en^ Sot efrayé
du courage tenace, froid et furieux, impitoyaUeneot eniri,
de cet homme de vingt ans qui enterrait là on monde de
soldats, de noblesse, tous ses amis, plujiût c^ae de Ueber
prise. Toutes les petites villes du Rhin, dans cette terreur,
ouvrirent, et Mayence même, qu'oa rendit, il eal vni^
bientôt.
Pendant ce temps, échec en Italie, échec en Catalogne.
On ne parla que de Fribourg.
L'anniversaire de la bataille, le 3 août (4645), même
histoire à Nordlingen. Turenne languissait très-faible et
venait d'avoir un revers quand le secours lui vint, mais
conduit par celui qu'on chargeait tous les ans de gagner la
bataille. Mercy, cette fois encore, sut nous faire combattre
quand et où il lui plut. Une fois, à Timproviste, il nous
eoupe la route, nous canonne derrière un marais. Une
autre fois, trompés encore,, noue le voyons qui nous attend
dans un poste très-fort, sur une colline. On l'attaque sot
l'heure, de peur qu'il ne se fortifie. Le terrain est mal re-
connu. Enghien, vepoussé à gauchev tire des troupes de
aa droite, et tant, que la droite afiaiblie entre en pleine
déeottte. Noa cavaliers coururent jusqu'à deux lieues. La
gauehe^ formée de nos Ailemandftt restait seule entière
mm* Tutenne. Enghîen^ désespéré, la prend, et chaige
THAtrt DB WBSTPiULIB. 907
avec succès. Mercy était tué. On ne sait autrement comme
eût tourné l'affaire (3 août 1645).
La perte fut égale, quatre mille hommes de chaque eèté»
Et l'ennemi s'en alla fièrement, sans être molesté» ayant
détruit nombre de nos canons. Tous nos officiers gêné*
raux tués ou blessés. On n'en fut pas moins joyeux à la
cour, la reine surtout. Mazarin fut plus grave. Chaque
victoire de Coudé augmentait sa servitude, l'exigence et la
rapacité de cette famille. On ne savait plus trop, à força
de donner, s'il resterait au roi quelque chose.
Enghien était un maître insupportable, même pour ceux
qui l'avaient fait, qui avaient commencé sa gloire. Sur une
observation de Gassiou, il lui adressa devant toute l'armée
ces paroles brutales qui resteront sur sa mémoire : « Ce
n'est pas à vous à raisonner, mais à obéir» Je suis votre
général, et j'en sais plus que vous. Je vous apprendrai à
obéir comme au dernier goujat. »
La vengeance de Gassion, qui lui avait donné sa victoire
de Aocroy, fut de le faire vaincre encore. Dans la campa-
gne de Flandres, que le duc d'Orléans commença et où
Enghien eut l'adresse de le remplacer, Gassion prit Furnes
pour lui et l'aida à prendre Dunkerque (i 4 octobre 1 646)
en le couvrant de sa personne contre les Espagnols qui
venaient dégager la place.
Un an après, il fut tué. Ce grand homme de guerre,
Bullemeni courtisan, et protestant jusqu'à la moit, n'en
avait pas moins été honoré de Richelieu. Il l'appelait la
Guerre. Il ne fut, ne voulut jamais être autre chose. Sa vie
passa comme un boulet de fer, n'ayant molli jamais. Il
n'eut aucune connaissance des femmes^ ne fut jamais
amoureux que du grand Gustave. Quelqu'un voulait le
marier. « Je n'estime pas assex la vie, dii-il, pour vouloiv
kl donner à personne. »
Puisque Mua soromea à parler de grands guerriers,
parlons de Mazann. Ancien soldat du pape, voici qu'il hià
208 GLOIRE ET TICTOIRBS.
la gaerre au pape (Innocent X). Non sans cause, vraioient.
Le pape ne veut pas faire cardinal un sot moine, frère de
Mazarin. Celui-ci, qui n'a pas d'argent pour nourrir nos
arnaées, en trouve pour une si belle cause. Il arme une
grande flotte à Toulon, il y met six mille hommes, et ex-
pédie le tout, non pas à Rome même, il est vrai, mais à
côté, sur un point que tenaient les Espagnols. Quelle joie
d'effrayer Rome ! quelle gloire pour les Mazarini rest^ là-
bas I Malheureusement tout manque. L'amiral est tué. Le
vent éloigne les vaisseaux. La petite armée mazarine s'en-
fuit par la Toscane. Énorme dépense perdue.
Croyez-vous que cela l'arrête? Que fait l'argent à an
grand cœur? Il recommence, et il en vient à bout. La si-
gnora Olympia, qui régnait pour le pape, apaise ce conqué-
rant à bon marché, lui jette le chapeau.
L'amiral tué était beau-frère d'Enghien. Celui-ci de-
mande sa succession comme chose due^ Faminiuté et la
Rochelle. Mazarin, fort embarrassé, ne trouve qu'un ex-
pédient, c'est de faire la reine amirale. Enghien, devenu
Condé alors, ne se paye point de cela. Il insiste, il exige.
La brouille est imminente.
Mazarin timidement avait imaginé de lui créer un con-
current. Il avait envoyé en Catalogne Harcourt, illustré
par Turin. Bien armé et bien appuyé, il eut quelques suc-
cès, mais vint échouer devant le roc de Lérida, place déjà
funeste aux Français. Les amis des Condé crièrent qu'il y
fallait Condé II se laissa persuader. Mazarin malicieuse-
ment l'y envoya. Il y avait plus d'un obstacle. Le principal,
c'est que les Catalans ne voulaient plus de nous. Ils
savaient qu'au congrès de la paix européenne Mazann
offrait tous les jours de les livrer, voulait les vendre. Donc,
la Catalogne tourna. L'Âragon arma contre nous. Coudé,
avec sa confiance ordinaire, ouvre la tranchée avec
des violons. Le commandant de Lérida, aussi poli que
brave, envoie au prince des glaces pour le bal et des
TRAITÉ DB WBSTPHALIB. 209
oranges tous les jours. D'autres oranges toutefois pleu-
vaient comme grêle, et Ton n'avançait pas. Le fer de nos
mineurs rebroussait sur ce roc. L'armée d'Aragon s'avan-
çait. Bref, la chaleur venait, les maladies. Condé. déses-
péré fîit obligé de s'en aller, et, pour se soulager le cœur,
égorgea tout dans une petite ville qu'il prit sur son pas-
sage. Il eût bien mieux aimé égorger Mazarin.
Avec nos fameuses victoires, il était évident que l'Es-
pagne avait pourtant l'avantage. Deux ou trois fois, nous
nous étions heurtés à cette porte redoutable, Lérida, et
toujours en vain. Nous ne nous relevâmes que par les ré-
volutions imprévues de Naples et de Sicile, dont l'Espagne
vint pourtant à bout. Résurrections tardives des nationa-
lités antiques. Le sublime corroyeur de Sicile, qui menait
tout, périt. Et de même, Masaniello, le pécheur roi de
Naples. Elle appela les Français, qui y coururent sous
Guise, plus fou que le pécheur. Mazarin promit tout, ne
tint rien, et fit le plongeon.
Ce grand ministre, aussi longtemps qu'il eut un sou,
voulut la guerre européenne, la continuation du gâchis
militaire où il pouvait, de cent façons, escroquer, faire sa
main. Mais enfin Emeri lui dit qu'il avait tout vendu, que
personne, à aucun prix, ne voulait plus prêter, qu'il fal-
lait s'arranger. Mazarin, dès ce jour, se sentit pour la paix
un cœur humain, chrétien. Il l'avait jusque-là effronté-
ment retardée de toutes ses forces. Nous avions fait atten-
dre tout le monde au congrès, où nous siégeâmes les
derniers, et fîmes mille insolences calculées pour rompre
tout. Nous y suivîmes la maxime admirable que notre am-
bassadeur rappela à celui de Suède : « Qu'on était con-
venu de se relâcher sur l'intérêt public, à proportion qu'on
serait satisfait sur ses intérêts particuliers. »
Je reviendrai sur ce grand replâtrage où tout le monde,
excédé et lassé, se désista de ce qu'il avait si longtemps
défendu. Nous gardâmes les conquêtes de Richelieu sur
XII. i\
240 OLOIRB n* VICTOIRBS*
l'Empire, quelques morceaux d'Àlsaoe. MaimB reste m
grand homme et un politique profond qui avak finnlcmil
étendu le royaume.
Mais pouvait-on garder ce qu'on avait pris à TBapagna?
La question restait tout entière. Elle ne fut mHaniflai
tranchée par la bataille de Lens, vae des meilleuBea de
Condé qui firent admirer le plus et son tact militaire» at
son hérofque intrépidité.
Avec cela, il avait le cœur gros, et il en voulait oiorteUe-
ment à Mazarin, croyant qu'il l'avait perfidement envoyé
contre ce roc de Lérida pour 8*y casser le nei. *
Un soir, à je ne sais quelle comédie où était le prince,
un impertinent siffle. On voulait l'empoigner. U s'évanouit
dans la foule en décochant ce trait : t On ne me prend
pas.. . Je suis Lérida. »
Cette rage de Condé n'a pas peu aidé à la Froade.
CHAPITRE XX
Le Jansénisme. — ta Fronde. 10.48.
La France de Mazarin, décorée au dehors des drapeaux
de Rocroy, et au dedans dévastée, ruinée, me rappelle
ces vieux palais délabrés de Venise dont le perron triom*
pbal de vingt marches de marbre et dont la porte aussi me
semblaient faire bonne figure sous leurs armes héroïques.
Mais au rez-de-chaussée, jadis plein d'amiraux, de vaiU
lants capitaines, vous ne trouviez que trois coquins qui y
prenaient le frais. Par un escalier magnifique, vous mon-
tiez, Todorat saisi (chaque palier servant de latrtne). Et,
dans cette saleté, sous des toiles d*araignée^ quelque bon
vieux tableau pourtant, tout noirci, se montrait encore. En
cherchant bien, vous trouviez dans un bouge un escroc
d'intendant avec un brocanteur, vendant les derniers
meubles. À force de monter, vous auriez découvert dans
quelque galetas l'héritier, le jeune maître, joli garçon
malpropre et mal peigné, vautré tout le jour sur un lit
dont les draps passent à l'état de dentelle, à quoi travaille
de son mieux le jeune seigneur, prenant plaisir à agrandir
les trous, y passant le pied ou la jambe, ou enfin se levant
le soir pour s'amuser à quelque Caroe où il jouera Masca-
rille ou Scapin. On travaille du reste à son éducation.
Vabbate le régale de contes gras, et le soir l'intendant, s'il
212 LB JÂNSiNISME.
ne lui fait courir les filles, le travestit en fille et le mèoe
je n'ose dire où.
Nous venons presque de redire, mot à mot, ce que La-
porte, valet de chambre dévoué, confident de la reine,
raconte de l'éducation que Mazarin donnait au jeune roi,
de l'abandon, de la misère où il était, du plaisir qu'il avait
à jouer les valets, etc., etc.
La reine disait en 4643 que Mazarin n'était pas dange-
reux pour les femmes, qu'il avait d'autres mœurs. Deux
ans après, elle lui confie son fils.
La lutte du pauvre valet de chambre pour garder cet
enfant (dans Tabandon dénaturé où le laisse sa mère)
pour en faire un honnête homme, malgré tout le monde,
est une chose très-belle à lire.
Laporte essaye d'apprendre un peu d'histoire de France
au roi de France ; il lui lit Mézeray. Mais Mazariq se fâche.
On verra ce qu'il lui apprit.
Le jeune roi était très-beau, bien né et bien doué, sans
grand éclat d'esprit, mais d'un bon jugement. 11 préférait
Laporte, malgré toutes ses sévérités. Il leur fallut chasser
cet honnête homme pour que l'enfant cédât aux vices.
On verra, Laporte chassé, comment allèrent les choses,
et dans quel bourbier allait tomber l'enfant si de bonne
heure il n'eût eu des maîtresses. Les femmes le sauvèrent
de Teffroyable éducation de Mazarin.
La révolution de la Fronde, songeons-y bien, fut une
révolution morale. On a fort obscurci ceci. Mais il faut le
tirer à clair. Plus on était dévot au culte, à l'idolâtrie
royale, moins on pouvait laisser cette innocente idole, sur
qui portait la destinée d'un peuple, aux mains d'un homme
dont la reine elle-même ne contestait pas l'infamie.
La Fronde, au total, fut la guerre des honnêtes gens
contre les malhonnêtes gens.
Lenet, l'homme des princes et l'ennemi des parlemen-
taires, qui ne déguise pas leurs sottises, déclare pourtant
LA FRONDE. ^13
quHIs furent en général t des hommes de grande vertu. »
Que la corruption d'idées entrât dans ces familles, même
celle de mœurs chez les jeunes magistrats qui imitaient
la cour, je ne le nie pas. Mais les habitudes étaient hon«
nétes et régulières, et la vie sérieuse, laborieuse. Et tran-
chons tout d'un mot dont on sentira la portée : la vie noble^
la fainéantise, avait tout envahi; les magistrats seuls tra--
vaillaient.
Regardez sur la Seine, au quai de la Cité, en vue de la
Grève, une vieille maison triste et tournée au nord. Là
demeurait celui dont les Mémoires se moquent, le coura-
geux Broussel^ un bon, digne et grand citoyen.
Harlay et Mole, intrépides, n'en ont pas moins molli, on
l'a vu et on va le voir, au vent corrupteur de la cour. Leurs
enfants en furent cause, et leurs mauvaises affaires, et
leur besoin d'argent. Ils avaient cent mille francs par an.
Broussel n'eut pas de tels besoins ; il avait quatre mille
livres de rente, et ne voulut point davantage. Avec cela,
il éleva une grosse famille et vécut honorablement.
Ce n'était plus le temps des grands jurisconsultes. On
n'aurait plus vu des princes d'Empire régler des succes-
sions d'États indépendants sur la consultation d'un avocat
de Paris. Un radotage immense d'ordonnances non exé-
cutées entravait, embrouillait le champ légal, laissait aux
juges un arbitraire sans bornes. Pauvres, ils donna'ent à
qui ils voulaient des millions, et voyaient la cour à leur
porte. Jamais le parlement n'eut plus besoin de probité,
Broussel ferma sa porte, ou ne l'ouvrit qu'aux pauvres.
11 avait alors soixante-quatorze ans, dont trente*six en
1610, à la mort d'Henri IV. Il en garda l'impression, et
pour toujours resta l'adversaire de la cour, l'ennenii des
ennemis de la France. À sept heures du matin, ce doyen
des grondeurs venait siéger au parlement, auprès du
rêveur Blancménil, pur, utopiste et fou, non loin de Tam-
bitieux et très-dissimulé Longueil, du président Charton,
2U LR UHSbflSIfK.
honnête, borné et vk^ni, d^une vulgarité pcaverbiale,
qui finissait toujours par. un mot attendu et dsible :
c ï dis ça. »
Broussel n*était pas ridicule. Tous ses avis étaient mar*
qués d'un caractèra de simplicité forte et courageuse, nul-
lement exagérée, quoi qu'on ait dit. C'est le défaut con«
traire qui le fit écbouer, lui et le parlement. Les révolutions
étrangères qui avaient lieu alors, loin d'enhardir, terri-
fièrent ces pauvres gens de bien. Celle d'Angleterre leur
fit horreur en leur montrant le billot de Charles P'. Celles
de Naples et de Sicile leur firent peur; ils crurent voir de
la Grève ou de la Grenouillère sortir un llazaniello. Bref,
leur modération les mena, par une voie étrange, au ter-
rorisme ; quand les princes égorgèrent Paris, ils sie trou«
vèrent sans force, sans espoir ni ressource que de subir
le Mazarin.
Broussel était-41 janséniste ? Je ne le vois pas. lUds ik
Tétait de mœurs. L'austérité du jansénisme^ sinon son
dogme, avait fait d'honorables progrès dans le parle-
ment.
Cette fronde religieuse avait précédé la fironde politique,
et indirectement y aida forL Le jansénisme était Tainà
Déjà alors il était constitué. Il avait son Pathmos au ma*
nastère des vertueuses et disputeuses dames de Port-Royal.
Son saint Jean fut le graiid martyr Duvergier de Hau-
ranne, le prisonnier de Richelieu, Sa nuit de Pentecôte
est celle où» le corps du martyr étant encore exposé à
Saint-Jacques, la mère Angélique arme son chapelain
d'un rasoir, et. lui dit ; t Je veux> je veux les mains de
M. de Hauranne, les mains qui oonsacraitint le pain de
Dieu pour moi. » Il obéit. Le sacrilège pieux s'accomplit
dans l'église. Et, du moment que la rcdique est déposée à
Port-Royal, les langues se délient, le génie polémique,
jusque-là contenu dans les énigmes de Du Bburanne,
éclate» strident et provocant, par la voix des Aroauid.
Le manifeste fut le beau livre, grave et bxvl, incisif,
eontra I» Fréqwente communion^ centre la prostitution
^oticKeniie que les Jésuites faisaient de Thostie, faisant
lkièi?e du eorps de Jésus et le prodiguant aux pourceaux.
L'effet {ut saisissant, le contraste violent et terrible, le
Calvaire retrouvé pour Teffroi des marchands du Temple,
1» pèle tête du Crucifié et sa sainte maigreur foudroyant
l'embonpoint ventru du père Douillet. Les Jésuites tombent
à la renverse. Éperdus, sachant trop que leur galimatias
ne les sauvera pas de ce livre, ils trottent à Saint-Ger-
main, vont pleurer chez la reine, chez le bon cardinal. De
fripons à fripons, on s'aide et on s'entend. Ce Mazarin, qui
fui la guerre au pape pour que son frère ait le chapeau,
dès qu'il ne s'agit que de Dieu, est plus Romain que Rome;
M lâche et cède touL Scandaleuse ignorance de la tradition
de la Fraace dans un homme qui ta gouvernait. Il fait
décider par U. reine qu'un Français doit aller à Rome, et
soumettre sa doctrine au pape, c'est-à-dire aux Jésuites,
contre qui son livre est écrit.
La Sorbonne réclame. Le parlement réclame, toutes les
chambres du parlement veulent s'unir, s'assembler. Alors
notre homme prend peur. Vite il s'explique, excuse sa
sottise par une sottise : il n'a pas voulu soumettre un
Français au jugement de l'étranger, mais éclaircir à V amia-
ble un point de théologie (4644).
Il faut là. guerre pour pécher en eau trouble. Mazarin
vivait de la guerre et d'une victoire annuelle de Condé,
qui lui donnait hi force^ à l'intérieur, de faire la guerre*
aux bourses :
1^ Guerre aux propriétaires. Il trouve un vieil édit fait
le lendemain de l'invasion de Charles-Quint quand on
venait de craindre un siège, lequel défend d'étendre les
faubourgs. Mais Paris, en cent ans, avait grossi, grandi,
débordé de tous câtés. Les pauvres logeaient dans cette
banlieue, sous des maisonnettes de boue qu'ils se faisaient
316 LE JANSÉNISME,
eux-mêmes. Un matin, les gens du roi, avec des troupes,
viennent toiser ce Paris nouveau qu'on va abattre si l'on
ne paye sur l'heure. L'effet fut si terrible, que Maxarin
d'abord eut peur et recula. Gondé lui mit du cœur au
ventre par sa bataille de Nordiingen. Mazarin reprend le
marteau. Tous ces infortunés accourent au parlement,
pleurent, se mettent à genoux, prient qu'on ne les jette
pas dans la rue pour camper l'hiver sous le ciel. Un homme
s'attendrit, le président Barillon, vieil ami et défenseur de
la reine dans ses adversités. Il plaide pour ces pauvres
propriétaires mendiants, et le soir il est enlevé avec
quatre ou cinq autres, enfermé, non en France, mais à
Pinerolo, sous la neige et le vent des Alpes, et il y meurt
dans quelques jours (1645).
On se le tint pour dit. Le parlement, tout à coup rai-
sonnable, enregistre devant le roi, non-seulement la ruine
de Paris, mais une fournée de dix-huit autres édi'ts.
2<» Cet impôt et dix autres, spécialement un emprunt
forcé, ayant mis à sec les propriétaires, on passe aux tuni''
propriétaires. On frappe une entrée' sur les vivres (4646).
Bel impôt, disait Emeri (l'homme de Mazarin), impôt é^l
pour tous, qui fait payer les riches. Comme si c'était même
chose pour celui qui n'a rien et qui cherche chaque jour
le pain qu'il mettra sous la denti La Sicile avait armé
pour l'impôt des farines, Naples pour celui des fruits, le
dernier aliment du pauvre (4647). Paris, sans un pareil
motif, n'eût pas eu le mouvement universel et violent qui
décida les Barricades. Ventrée sur les consommations
rendit la tyrannie sensible, expliqua la révolution. Paris,
sans idée, sans parti, dans la torpeur de la misère, se
réveilla par l'estomac.
Mazarin, cette fois, ne craignit pas le parlement. Il
croyait tenir les magistrats par leur fortune môme et l'ave-
nir de leurs enfants. La Paulette, la garantie qui leur
assurait la succession des charges achetées , expirait le
LÀ FRONDE. 217
4^ janvier 1648. Ils avaient tout à craindre. Ils n'en dé-
fendirent pas moins courageusement toute une année le
pain du peuple.
L'inquiétude était générale dans une classe nombreuse,
et vraiment la plus respectable. Il y avait en France qua-
rante-cinq mille familles qui, directement ou indirecte-
ment (veuves, enfants, parents, alliés), pouvaient être
ruinées par le refus de cette garantie. Mazarin employa ce
moyen de terreur, il refusa la garantie, envoya le roi au
parlement, et fit enregibtrer de force sept édits qui
créaient de nouveaux magistrats ou bien affamaient les
anciens. On ne leur continuait les charges achetées qu'en
les empêchant d'en vivre, les laissant quatre années sans
gages. Beaucoup ne vivaient d'autre chose; on leur ordon-
nait de mourir de faim.
Toutes les compagnies souveraines de Paris^ soumises
au même retranchement, les Aides, les Comptes et le
Grand Conseil, envoient demander au parlement associa*
tion, union. Une assemblée générale se formera par dé-
putés dans la Chambre de Saint-Louis, et l'on y appellera
les députés du Corps de ville. Le but est posé nettement :
la réformation de l'Ëtat (43 mai 4648).
Que la Chambre des Comptes, celles des Aides, ces
compagnies paisibles, eussent quitté leurs dossiers, leurs
calculs, pour commencer la guerre; que Tinstrument de
la cour, le Grand Conseil, s'untt avec le parlement! cela
renversait toute idée, c'était la fin du monde. Les choses
mortes elles-mêmes, les papiers et les chiffres, s'étaient
levés d'indignation et avaient pris la voix.
CHAPITRE XXi
L& premier âge de la Fronde. — Les barricade». — > La ooor,
wppvjét par la Wnmée, arrête CaaAé. i648-1649.
Une chose grave à observer dans l'histoire des révolu-
tions, c*est de savoir si les acteurs parlent avant ou après
le repas. Â.ux assemblées publiques, les séances da soir,
pour cette raison, sont toujours orageuses, ànne d*ka-
triche dînait à midi, et dînait fort (Mottevill/;). Delà, ses
paroles violentes, ses hasardeux sproposiU^ qui, dans une
révolution plus sérieuse, l'eussent mise sur la voie de
Charles I»'.
Au début de la Fronde, elle lança, à l'étourdie, un mot
qui pouvait faire crouler le trône, faire regarder en face
rinfaillibilité royale : a Dites-moi, avant tout, prétendez-
vous borner les volontés du roi ? »
Qu'eût répondu Cromwell? Heureusement pour elle,
elle avait affaire à Talon. Ce bon avocat général, au nom
des magistrats, recula ; il frémit « à*enirer en jugement
avec le souverain... Ils ne peuvent, ils ne doivent décider
une telle question, pour laquelle il faudrait oauri'r les
iceaux et les cachets de la royauté, pénétrer dans le secret de
la majesté du mystère de l* Empire. »
Le galimatias de Talon couvrit Timprudence de la reine.
Elle put, à son aise, braver, gourmer le parlement, lui
LES BARBICjUttg. 219
donner des nasardes. Un jour, elle voulait le faire pendre.
Et quand? Précisément au jour où peutr-étre, sans lui, le
peuple aurait forcé le Louvre.
On dit que le parleotent fit la Fronde. 11 serait bien plus
vrai de dire qu'il Tempécha et la fit avorter. La question,
sans lui, se serait posée autrement. La reine, allant tous
les lundis ouïr la messe à Notre-Dame, y trouvait à la porte
un peuple de femmes qui lui criaient : « A Naples! » la
menaçant d'une révolution radicale et napolitaine. La
presse fut tout d'abord très-franche et très-sincère. Nom-
bre de petits livres racontèrent la vie intime de la reine
sous Louis XIII. Mais le parlement tint pour elle et tâcha
de la protéger. En laissant courir les mazarinades, il châ-
tia, et même de mort, les écrits trop sincères. Il voulut à
tout prix sauver le secret de la majeslé du mystère de VEm-
pire. Deux imprimeurs auraient péri en Grève si le peuple
ne les eût sauvés*
Donc, contemplons, sans trop nous émouvoir, une révo-
lution sans issue, sans résultat possible, dont la stérilité
confirma la France dans l'amour du repos quand mime,
la résignation à la mort, que dis- je? Tamour pour la mon
môme et pour l'anéantissement. Rien autre chose qu'une
répétition un peu vive de la danse éternelle, du triste me*
Buet, que le parlement exécute devant la royauté, s'avan-
çant deux pas, reculant de trois, enfin tournant le dos.
Le parlement, sans bien s'en rendre compte, trahit le
peuple, lui-mômc^ amusé et trahi par ses chefs, le président
Mole, et le très-remuant, très-brouillon Retz, coadjuteur
4e l'arclievéqtte de Paris. Le vieux Mole, mené par ses
enfants, jouait sa compagnie en parlant fort et haut pour
elle, mais, en toute cboae grave, suivant l'intérêt delà
cour.
Mazarin attendait l'armée. Après un petit essai de vio-
lence qui ne réussit pas, il sentit qu'il n'y avait rien à taire
qa'à mentir et plier^ gagner du temps. La reine eut beau
220 LE PREMIER AGE DI LÀ FRONDE.
pleurer toute une nuit. Il céda, toléra l'arrêt d'untan, per-
mit aux compagnies de s'assembler, de réformer TËtaL
Le pouvaient-elles réellement? Une constitution » bâtie
en l'air, sans base (ni élection, ni jury, etc.), écrite sur le
sable par des gens qui avaient f^cheté leurs charges, serait-
elle sérieuse?
Ils y écrivirent, il est vrai, les deux garanties principales,
celle de la personne (nul arrêté sans être interrogé dans les
vingt-quatre heures) ; celle des àiens^ nul impôt sans véri-
fication parlementaire.
Mais, même dans les choses bonnes, leur incapacité
parut. En vertu du dernier article, ils firent précisément
ce que désirait Mazarin, annulèrent ses traités avec les
financiers. La cour n'osait faire la banqueroute. Le parle-
ment la fait pour elle, la sanctifie, la canonise par le grand
mol du bien public. Mazarin avait emprunté à tout le
monde, et ne pouvait ni ne voulait payer. Le parlement)
tête baissée, se jette sur les financiers, sans voir que der-
rière eux se trouve la masse des petites gens qm, par leurs
mains, ont prêté à l'Ëtat. Dispense de les rembourser.
Bref, le gouvernement est libéré, et la reine, plus douce,
commence à croire qu'il y a quelque bien dans la révo-
lution.
Une autre faute insigne du parlement, c'est de vouloir
supprimer les intendants^ la grande création du dernier
règne. Ces rois commis, il est vrai, étaient lourds, ett
sous Mazarin, aussi voleurs que leur mattre. Cependant,
en les supprimant, qui eût pris le pouvoir? Les gouver^
neurs de provinces, les vieilles puissances féodales qu'avait
écrasées Richelieu.
Avec quelques concessions, Mazarin endormait le parle-
ment, quand la question suprême fut précisée, formulée
par le vieux conseiller Broussel : 4o remise au peuple d'un
qrmrt des taiUes; ^ Vintérit de tous les parlements mèU^ et
soutenu par le parlement de Paris; refus de celui-ci d'être
LKS BARRICADES. 2^1
seul garanti pour la possession de ses charges (4 août 1 6i8).
La ruse était vaincue par la sincérité. Mazarin fit le mort.
Il attendit son salut de l'armée. Quoiqu'il fût mal avec
Condé, une victoire de Condé le relevait. On pouvait l'es-
pérer. Car l'Espagne, accablée par ses quatre révolutions
(Portugal, Catalogne, Naples, Sicile), obligée de faire face
de tous côtés, n'avait pas grande force en Flandre. L'ar-
chiduc, étant sans argent, sans vivres, sans munitions, fut
lent à se mouvoir. Condé put faire une marche hasardeuse
en défilant par les marais ; il eut le temps de faire six lieues
de circonvallation pour prendre une ville. L'archiduc ce-
pendant, lui ayant pris Lens, l'avait obligé (19 août) aune
retraite difficile qui fut près d'être une déroute. Le 20, il
l'attaqua. Condé certainement était prié, pressé par la cour
de livrer bataille. Voyant les Espagnols quitter leur bonne
position et venir à lui, il hasarda de faire ce que fit le roi
de Suède à Lutzen ; il commanda aux Français de recevoir
le feu et de ne pas donner à l'ennemi le temps de rechar-
ger. Notre infanterie égala la suédoise. La première ligne
fut rompue. Lui-même attaqua la seconde dix fois de suite,
et fut admirable de valeur et de présence d'esprit. Victoire
complète, cinq mille prisonniers, trois mille morts.
La reine, ivre de joie, ayant reçu soixante-treize dra-
peaux espagnols, ne daigna plus rien ménager et se mo-
qua des peurs de Mazarin. Celui-ci voulut toutefois que,
si on se jetait dans les hasards de violence, on ne le fit
que sur l'avis de l'homme qu'il détestait le plus, Chavigny
(fils de Richelieu ?), sur qui il pût se rejeter si la chose
tournait mal.
Chavigny avait soufflé le feu de son mieux dans le par-
lement. Consulté pour l'éteindre, il fut pourtant fidèle aux
traditions violentes de l'autre règne, et dit, ce que voulait
la reine, qu'il fallait arrêter les chefs.
Cela était très-hasardeux. La reine en chargea non le
vieux Guitaut, mais son neveu, un jeune homme à elle,
222 . LE PREMIER AGE DE LA FRONDE.
Comminges (dont nous avons parlé), et le chargea de lui
donner, au péril de sa vie, cette jouissance et cette ven-
geance personnelle. En sortant à midi du Te Deum^ elle lui
dit d'un voix émue : « Va, et que Dieu t'assiste I >
Il n'y avait pas loin à aller. Des six qu'on devait arrêter,
le plus populaire, Broussel, demeurait à deux pas, sur la
Seine, au port Saint-Landry. Il n'avait pas été au Te Detm
de la bataille {De profundis des libertés publiques). Il ve-
nait de faire son sobre repas ; il était au milieu de sa fa-
mille, cinq enfants, dont deux jeunes demoiselles à marier.
Comminges entre et montre son ordre; il faut partir,
Broussel doit le suivre tel qu'il est, en pantoufles. L'aînée
des demoiselles prie en vain. Comminges n'entend rien et
l'enlève.
Il était fort aimé ; ses domestiques poussèrent des cris
affreux. Il n'en avait que deux : une vieille servante, qui,
par la croisée sur la Seine, appela les mariniers, et un
petit clerc, qui se mit à courir après la voiture de Com-
minges, criant : « Aux armes ! aux armes I on enlève
M. Broussel ! » Kue des Marmousets^ un banc de notaire
fut jeté par la fenêtre, et ailleurs autre chose, si bien
qu'au quai des Orfèvres le carrosse tomba en pièces.
Comminges prit celui d'une dame qui passait. Le maré-
chal de la Meilleraye, soldat brutal à qui ce gouvernement
d'Arlequin venait de donner les finances, craignant les
pierres, fit tirer aux fenêtres. Une femme et deux hommes
furent tués. Alors ce fut une grélc. La Meilleraye ne s'en
tira qu'en tuant encore un crocheteur d'un coup de pis-
tolet.
A point se trouvait là le coadjuteur de Tarchevêque,
Gondi (ou Retz), qui confessa le crocheteur agonisant
dans le ruisseau. Le peuple fut touché, et pria le prélat
d'aller au Louvre et de demander Broussel.
C'est justement ce qu'il voulait. 11 s*était mis là tout
exprès, dans ses habits pontificaux, devant la statue
LES BARRICADES. 2^
d'Henri iV, pour bénir et prêcher la foule. Les Gondî,
créés par Catherine et conseillers principaux de la Saint-
Barthélémy, durent à ce grand exploit d'être & peu près
héréditaires dans l'archevêché de Paris. Mais ce dernier
Gondi eût voulu davantage, être en même temps gouver-
neur de Paris, unir les deux puissances. Il travaillai! la
ville par les curés, qui, dans cette grande misère, maîtres
absolus de l'aumône, distributeurs de pains, de soupes,etc.,
traînaient après eux des masses affamées. Avec un arche-
vêque gouverneur de Paris, ils croyaient y régner, comme
au temps de la Ligue. Cela les rendait aveugles et sourds
quant aux mœurs du petit prélat. Fanfaron, duelliste,
plus que galant, basset à jambes torses, laid, noiraud; un
nez retroussé. Mais les yeux faisaient tout passer, étin-
celants d'esprit, d'audace et de libertinage. Peu furent
cruelles à ce fripon ; il supprimait les préalables et sauvait
Tennui des préfaces.
Il croyait qu'au Palais-Royal on solliciterait son secours.
Mais la reine se moqua de lui. Il eut le chagrin et la rage
de prêcher la paix en s*en allant, quand il voulait la guerre.
Il calma un moment le peuple, mais pour mieux l'exciter
la nuit.
La cour avait fait dire que les bourgeois s'armassent.
Ils arment le 27, contre la cour. Malheur à ceux qui ne
l'eussent fait 1 Le peuple était levé, et il fit un ouvrage
énorme, douze cents barricades en douze heures. Il n'avait
guère besoin de Retz. Ce fut toutefois une de ses mat-
tresses, la sœur d'un président, femme d'un capitaine
bourgeois, qui, ayant chez elle le tambour du quartier, le
fit battre et donna l'exemple. Un des amis de Retz, capi-
taine aussi de quartier, le maître des comptes Miron,
battit le tambour de son côté. La journée fut lancée.
Le parlement, la veille, avait décrété contre Comminges.
Le 27, à six heures, la cour, audacieuse et timide, prenant
l'heure matinale et croyant que Paris n'est pas levé en-
224 LE PREMIER AGE DE LA FRONDE.
core, envoie le chancelier casser Tarrét. La foule est déjà
là. On le poursuit, on le pousse. II se cache. 11 était mort
s'il ne se fût jeté dans un hôtel ; le chef de la justice fut
trop heureux d'entrer dans une armoire.
La Meilleraye le dégage. Poussé lui-même, en grand
péril, le maladroit, d'un coup de pistolet, tua une femme
qui portait" une hotte. Le peuple s'empara, au quai de la
Ferraille, de tout ce qui tomba sous sa main.
Cependant le parlement en corps va au Palais-Royal
redemander ses membres à la reine. Elle venait de diner.
Rouge, emportée^ elle dit avec un geste de furie : « Je les
rendrai, mais morts. > Et elle passe dans sa chambre
grise, claquant la porte au nez du parlement.
Us reçurent cela tête basse. Mais il fallait retourner.
Pour faire ouvrir la première barricade, ils mentirent,
dirent que la reine donnait espoir, et ils mentirent aussi
à la seconde. A la troisième, un garçon rôtisseur, mettant
sa broche au ventre du président Mole, lui dit : « Re-
tourne, traître ! Tu seras massacré si tu ne nous ramènes
Broussel ou Mazarin ! »
Vingt ou trente conseillers s'enfuirent par les ruelles.
Le reste retourna. Mais cette femme insensée, pleine de
viande (et peut-être de vin), parlait de faire accrocher aux
fenêtres cinq ou six des parlementaires qui venaient la
sauver. Les princesses, qui se mouraient de peiir, se mi-
rent à genoux devant elle, et Monsieur même. Mazarin
tremblait et priait. Ce qui la décida, ce fut la reine d'An-
gleterre, qui avait déjà vu de pareilles fêtes à Londres, et
dit que Mazarin touchait au destin de Strafford.
11 se le tint pour dit, fit sceller une lettre de cachet pour
délivrer Broussel. Et, pendant que le peuple était tout oc-
cupé de cette lettre et de sa victoire, notre homme, dé-
guisé sous la perruque et l'habit gris, avec des bottes de
campagne, alla respirer hors Paris.
Le 28, à dix heures, ramené dans le carrosse du roi.
LES BARRICADES. SâS
Broussel fit son entrée. Les barricades tombaient devant
lui, et le peuple attendri baisait ses mains et ses habits. Le
bon vieillard pleurait à chaudes larmes. Il reprit place au
parlement, en grande modestie, et proposa qu'on décrétât
la suppression des barricades.
Funeste excès de confiance. Le peuple, tout en obéis-
sant, sentait trop que rien n'était fait. Mazarii) ôta dix
millions de tailles. Mais l'armée revenait. Quand il l'au-
rait en main, que ferait-il? Au moment même, le peuple
prît une masse de poudre qu'on tirait de la Bastille. La
cour arme pendant qu'il désarme, et déjà prépare au jour
de la paix le moyen de le massacrer.
Les scrupules des parlementaires faisaient obstacle à
tout. Blancmesnil, mandé par Retz à un conciliabule de
résistance, vint, mais dit : « Les ordonnances veulent qu'un
magistrat n'opine que sur les fleurs de lis, en public, et
sans consulter, y^
Mazarin avait tout rejeté sur Chavigny. Il le fit arrêter
(13 septembre). Cela étonna, effraya Jes amis qu'il avait au
parlement, et le président Viole, renvoyant terreur pour
terreur, demanda qu'on renouvelât l'ordonnance contre
CoDcini pour défendre aux étrangers de se mêler du gou-
vernement.
Le parlement sortit comme d'un songe. Il saisit, il corn-
prit enfin ce que la foule disait depuis un mois : « Il faut
aller au Mazarin. »
Le peuple des barricades, le 28 août, avait manqué d'un
chef. Mole, Retz, l'avaient amusé. Cette révolution, aveugle
et sans yeux, n'ayant de chef sincère qu'un pauvre octo-
génaire, détournée de son but par l'intrigue des curés,
ayant pour centre un avorton de prêtre, ne pouvait qu'être
une triste contre-épreuve d'un triste original, la tragi-
comédie de la Ligue. L'ascendant des donneurs d'au-
mônes la baptisait assez de son vrai nom, une insurrec-
tion de misèire et la révolution du ventre.
xiz. 15
*
»
\ 286 LB PRBMISR kGE DB Lk FRONDB.
Cependant le jour même un élément nouveau surgit. Le
parlement, apportant à la reine ses remontrances, trouve
près d'elle Tinsolence, la violence, la brutalité militaire.
Ce jour, 22 septembre^ Condé était revenu. Il menace le
parlement. H suivait son instinct» la haine de la loi. Car
lui-même ne savait pa&. encore ce qu'il ferait. D'une part, il
avait besoin deMazarin pour dépouilla son frère Conti, en
hériter, le jeter dans l'église et lui<lonner le chapeau. L'ava-
rice le mettait du côté de la cour. Mws l'ambition lui faisait
écouter les paroles de Retz, qui le tirait auparJementt.etle
mena la nuit chez Brousse!. Enfin le prince- à double face
comprit que, pour forcer le pariement à accepter un chef
militaire^ pour s'emparer de la révolution,, vieiige encore
et' trop scrupuleuse, il fallait d'abord être du parti delà
reine, assiéger et forcer Paris.
C'est le vrai sens de la conduite de Coudée Maziu*in eût
voulu éviter la violence. Il traita à Munster, 24 octobre, et,
le même. jour, il fit«aceepterles articles du. parlement.
Mai&le premier était la diminution de rimpât» ladéfenjie
de le vendre d'avance aux partisans.
Article violé aussitôt qu'accq>té« Dono^ point de paix.
L'armée enveloppe Paris, insultant, ravageant comme en
pays ennemi. La reine, à trois heures du matin, le 6 jan«v
vier 4649, emmène le roi hors de sa capitale* SUe est
libre, elle est gaie et toute à sa vengeance. Oitire au par-
lement d'aller siéger à Montargis.
Le parlement, toujours inconséquent^ n'ouvre point la
lettre royale, et il envoie au roi. Il protestede sa soumis^
sion, et il arrête qu'on se munira d'armes, et^ de subsis-
tances. 11 en obarge l'Hôtel de Ville, dévoué àlaoouTi prêt,
à ttehir Pari»;
Comment résister à Condé? La première idée de ReU
fut d'appeler contre lui les Espagnols; la seconde fut de lui
opposer sa sœur même, madame de Longueville, qui te-
nait sous la main, gouvernait Contij son j^me^ fràre, for*-
J
LES BARRICADES, 227
temeirtéprisd'elle.— Idée sotte. La sœur et Conti n'avaient
de- crédit; d'Importantîe; que comme un reflet de Condé.
N'importe; Le généralissime sera le bossu Conti, oa
biefi) plut6t ak sœur, al^rs enceinte, qui campe et accouche
à rHôtel de Ville.
Cet hôtel, fort' petit alors, entasse et réunit je ne sais
combien de puiissaiices contraires, — d'abord la trahison,
le prévôt des marchands ; -> madame de Longueville, le
roman et le bel esprit; •» madame de Bouillon, ou l'in-
trigue espagnole; — enfin le pauvre vieux B^oussel et
quelque»' conseillers chargés de surveiller. Ce sera bien
merveille* si ces influences- opposées ne s'annulent Tune
par l'antre. Nojis sommes sûrs d'avoir une révolution par-
leuse et sans action.
La fuite du roi avait effrayé le paribment, mais point le
peuple. Il n'eut que de la fureur, nul abattement. Donc,
on pouvait- tourner bien autrement lès choses, briser
l'Hôtel de- Ville d'abord, y mettre une autorité sûre, au
lieu de le remplir de femmes, et; tout en armant Paris,
acheter l'armée allemande que commandait Turenne. Pa-
ris l'eût eue pour un million (et qu'est-ce qu'un million
pour Paris?). Il n'en coûta pas la moitié à Condé et à Ma -
zarin pour la débaucher.
Lé parlement, en tout cela, agit faiblement, gauche-
ment. Le blâme en est surtout au vrai chef de Paris, à son
petit prélat, son tribun tonsuré, qui, sous sa calotte, cou-
vrait plus d'esprit que de sens, plus de saillies que de
cervelle.
Leur langage à tous est curieux dès qu'on parle du
peuple; Condé dit : « Si je ne m'appelais Louis de Bour-
bon... Mais je suis prince du sang, et je dois ménagerie
trône. »Bet2 dit : a Si je n'étais le chef du clergé de pa-
ris... »'Ila peur évidemment d'aller trop loin et de faire tort
à l'hérédité épiscopale de la dynastie des Gondi, surtout de
manquer le chapeau.
228 LE PREMIBR ÂGE DE LA FRONDE.
Le siège de Paris dura trois mois (janvier, février, mars).
Peu de combats, beaucoup d'intrigues. Le peuple, au dé-
but, avait reçu, adopté avec enthousiasme le beau et blond
Beaufort, échappé de prison, brave et sot, étourdi, ba-
vard, ne sachant couvrir sa nullité de discrétion et de si-
lence. Ses non-sens et son ineptie ne déplurent pas au
peuple. La candeur apparente lui fait pardonner tout.
Paris était trahi dans les deux sens, pour la cour, pour
l'Espagne. Le prévôt des marchands et autres'étaient pour
Mazarin. Madame de Bouillon, souveraine absolue de l'es-
prit de son mari, ne voulait rien que recouvrer Sedan, et
cpoyait l'obtenir en faisant peur des Espagnols. Elle obtint
de Bruxelles, non un ambassadeur, mais un moine qu'elle
habilla en cavalier et fit recevoir du parlement (49 fé-
vrier 1649). Cet envoyé assura hardiment que le.roi d'Es-
pagne avait tant de respect pour le parlement de Paris,
qu'il le voulait arbitre de la paix générale, juge entre les
couronnes. Le parlement ne mordit pas à cet excès de flat-
terie. Il était inquiet. Huit jours auparavant, la cour avait
déclaré qu'on se passerait de lui, que les tribunaux infé-
rieurs jugeraient sans appel, et que l'on convoquerait Us
Étals généraux. Cet épouvantai! des États, la menace de la
suppression des charges qui faisaient leur fortune, décou-
rageaient fort les parlementaires.
Le héros, d'autre part, Condé^ qui n'avait pas fait grand
exploit, inclinait lui-même à la paix. Le 5 mars, on ouvre
des conférences. Et, brusquement, le 41, le président
Mole déclare au parlement qu'il a signé le traité.
II avait signé sans pouvoir. Avec un autre maître plus
sérieux que le parlement, il l'aurait payé de sa tête. Il
était évident qu'en précipitant les choses on livrait tout.
Mazarin, qui tenait le roi, n'avait qu'à donner des paroles ;
nulle garantie ; la Fronde étant dissoute, il allait se moquer
de la crédulité des négociateurs.
Il eût fallu attendre encore. Les provinces plus lentes se
LIS BÀRRICADBS. 239
décidaient, suivaient Paris. Les parlements accédaient un
à un. M. de la Trémouille promettait d'envoyer du Poitou
dix mille hommes, et Longueville autant de la Normandie.
On eût pu, par cette terreur, obtenir quelques garanties.
Ce traité finit tout. L*armée de Turenne, voyant mollir
Paris, traita avec la cour et s'arrangea pour quelque argent
avec Mazarin et Condé.
La France put savoir alors ce qu'il en coûte d'avoir fait
un héros, un prince à la Corneille, vivant dans le sublime,
ne parlant aux mortels que du haut des trophées. Sa sœur^
madame de Longueville, de même était passée à l'état de
déesse. L'un et l'autre, dans l'Empyrée, ne distinguaient
plus les humains de si haut qu'avec un sourire de mépris.
Les grands attendaient à leur porte, et des heures. Quand
on était reçu, c'était avec des bâillements.
En réalité, que voulait Condé? Se faire le chef de la
noblesse contre la cour? Les nobles trouvaient dur d'être
traités ainsi. Commencer une nouvelle Fronde? Il eût fallu
ménager les parlements ; il menaça les députés de celui
d' Aix de les faire périr sous le bâton . Visait-il à une prin-
cipauté indépendante, comme plus tard il la voulut des
Espagnols? ou bien songeait-il à enlever à Monsieur la
lieuCenance générale? Il est difScile de deviner ce qui pas-
sait dans cette télé bizarre. H ne tenait à rien. On vit plus
tard qu'il eût très- volontiers changé de religion, s*offrant
alors d'une part à Cromwell pour se faire protestant et
avoir une armée anglaise, de l'autre au pape pour qu'il
l'aidât à se faire élire roi de Pologne.
Les Condés en 4609 avaient dix mille livres de rente, et
en 4649, outre les terres de Montmorency, ils tenaient une
partie énorme de la France : l"" par le grand Condé, ils
avaient la Bourgogne, le Berri, les marches de Lorraine,
une place dominante en Bourbonnais qui surveillait quatre
provinces ; â^" par Conti, la Champagne; 3« par Longue-
ville, mari de leur sœur, la Normandie ; i"" enfin l'ami-
I
S30 LB PREMIER ÂQM 1» Lk FRONDE.
rauté, et Saumur, place dominante d'Anjou, étaient au
frère de la femme de Condé; ils vaquèrent par aaimwt et
furent revendiqués j)ar eux comme un bécitage -de fa-
mille.
Plus tacd, ils négocièrent pour la Guienne et la Pf ovenoe.
Cette furieuse faim des Condés, qu'on ne savait jconunfiot
apaiser, servît d'excuse à Mazarin pour se créer auaaî quel-
que établissement, La reine comprit bien qu'un eonire-
poids devenait nécessaire, qu*à la dynastie des Condés il
fallait qpposer la dynastie des Mazarins. Jusque-là c'était
un bomme seul, sans famille^ sans racine en f rance. On
matin, il fait arriver sept nièces à la fois. La première seca
pourltfercœur, l'un des Yendômes; la seconde, pour Je
fils du duc d'Ëpemon. Ce pauvre bomme pour doter J'uoe
trouve six cent mille livres. Pour l'autre, il s'attire aor. les
bras la baine de tout le Midi que foulait d'Ëpernon, il
hasarde la guerre civile.
Condé lui fit beau jeu, allant de sottise en sottise. Pour
une question de tabourets, il ble^e toute la noblesse.
Pour faire donner une place àLongueville, il met lajnaîn
sur Mazarin, lui tire la barbe et lui dit : «.Adieu, Mars, »
'Enfin il se fait fort de donner un amant à la. reine. J'oblige
par menace de recevoir uniat, Jaraay, qui lui fait sa décla-
ration. Brouillé avec la cour, le sage prince se brouille
encore avec la fronde. Muzarin lui fait croire gue les fron-
deurs veulent l'assassiner. Condé accuse Retz et Beaufort,
sur ce prétexte absurde, au moment oii ils .aucaiant pa
l'appuyer contre Mazarin (décembre 4649).
On croit écrire l'histoire de Charentoa, maia moins /elle
encore que honteuse. Le prooèsde Condé tombe .a««Bilifia
d'un soulèvement des rentiers, contre lesquels Je parle-
ment autorise une suspension de payement, ftoeipseoès
révèle une création nouvelle de Mazariu, qui d^uis a
fleuri, celle des agents. provocateurs et des témoins «gagés*
Condé ^vâit «tenu, dans L'affaire de Jarsay, laconduite
k
LES BARRICADES. 23i
d'un fou furieux. 11 dit : « Je le ramènerai, le tenant par
le poing; je forcerai la reine à le recevoir. » Cet excès
d'insolence la décida. Elle écrivit à Retz de venir la trou-
ver la nuit. Elle lui offrit le cardinalat, s'appuya de cette
Fronde, tant détestée^ contre le tyran commun. On résolut
d'arrêter les trois princes, Condé^ Conti et Longueville.
On y fit consentir Monsieur.
Hais Mazarin n'eût pas trouvé la pièce bonne s'il n'y
eût mêlé une farce. 11 tira de Condé, sous un prétexte, sa
signature pour une arrestation, s'amusa à lui faire ordon-
ner sa captivité.
Ce grand acte se fit fort aisément et sans cérémonie. Les
princes vinrent d'eux-mêmes se mettre dans la souri-
cière. Arrêtés par Guitaut et Comminges, ils furent menés
la nuit pîir une petite escorté de Vingt 'hommes à Vin-
cennes (48 janvier 1650).
La sœur de Condé, la 'fière madame de Longueville,
naguère si populaire, fiit trop heureuse de se sauver. Mais,
avant de partir, elle eut le temps de voir l'allégresse
*ptlblique, les tt&nsports du peuple et les feux de joie.
CHAPITRE XXII
Second âge de la Fronde. — La cour, appuyée par la Fronde,
chasse Gondë. — 1650-1651.
Le héros sorti de la scène, elle appartient aux héroïnes.
Nous allons voir les femmes, à peu près seules, mener la
guerre civile, gouverner, intriguer, combattre. Grande
expérience pour l'humanité. Belle occasion d'observer cette
translation galante de tout pouvoir d'un sexe à l'autre.
Les hommes traînent derrière, menés, dirigés, en seconde
ou troisième ligne. A la tôte de chaque parti, je vois ces
nobles amazones, les Clorindes et les Herminies.
S'il n'y a pas beaucoup de suite, si tout remue, varie, ne
vous étonnez pas. Elles sont filles d'Éole et tournent volon-
tiers au vent de la passion. Ne les blâmons. pas trop. Le
vrai tort est à la nature. Ces brillantes guerrières n'en
sont pas moins soumises aux révolutions de Phébé. La
femme la plus héroïque est pourtant sous le poids d'une
fatalité naturelle; délicate de corps^ d'imagination vive,
faible souvent, et parfois lunatique.
La première héroïne, comme toujours, est madame de
Cbevreuse, mère complaisante, qui, fournissant sa fille au
jeune prélat de Paris, plus que personne mène la Fronde.
A elle l'honneur principal de cet acte hardi, l'arrestation
du grand Condé.
5
SECOND AGE DB Lk FRONDE. S33
Hais la plupart des femmes sont du parti de celui-ci.
Son malheur, un roman tout fait, remue les cœurs géné-
reux et sensibles. La gloire sous les verrous ! Le héros pris
en trahison et prisonnier de qui? De l'abbate Mazarini.
Toute la dépouille des Condés distribuée aux sbires du
favori, la Normandie à Harcourt, la Champagne à L'Hos-
pital, etc. Une alliance monstrueuse entre le roi et le peu-
ple. La reine maintient la Bastille dans les mains du fils de
Broussel; elle donne aux magistrats les hauts emplois^ et,
ce qui est plus fort, aux rentiers même la surveillance des
rentes I Renversement de toutes choses! La noblesse de
France ne va-t-elle pas se soulever?
Mais rien ne bouge. Ni les clientèles militaires de Condé,
ni ses nombreuses seigneuries, ni ses places, ses gouver-
nements, ne prennent parti. Bien loin de là, madame de
Longueville, qui croit remuer la Normandie, y est repous-
sée partout. Elle fuit aux Pays-Bas, tourne à Test ; elle
englue Turenne, mais ni lui ni elle ne peuvent rien qu'en
s'adressant aux Espagnols, pour qui madame de Bouillon
travaille de son mieux à Paris.
Pendant que la belle amazone perd son temps, che-
vauche et parade, un secours plus direct et bien plus
énergique fut donné à Condé du côté oii il eût espéré le
moins, de sa maison de Chantilly. Il y avait laissé sa
vieille mère et sa jeune femme, son fils âgé de sept ans.
Mazarin hésitait à faire arrêter ces deux femmes, crai-
gnant Topinion. La mère vint se cacher à Paris, et, un
matin, apparut dans le parlement, suppliante, versant
force larmes, descendant aux prières, aux flatteries et
jusqu'aux bassesses.
Mats le plus étonnant fut le courage inattendu de la
femme de Condé, cette jeune nièce de Richelieu, tant mé-
prisée, avec qui il coucha par ordre, et dont l'enfant fut
fils des volontés absolues du ministre. Elle s'était confiée
à un homme de capacité, l'auteur des beaux Mémoires,
S3i S8G0ND AGE BB UL PRONiMS.
Lenet. Il la sauva de Chantilly avec son fils, la mena
d'abord à Montrond, forte place des Condés, puis, crat-
^ant d'y être assiégé, droit à Bordeaux. Le parlement de
Guienne était brouillé à mort avec le Mazarin, qui soute-
nait le gouverneur, cet Épernon à qui il s'obstinait d^ailier
sa famille. Grande fut l'émotion de la ville et du parle-
ment de voir cette dame de vingt-deuK ans, sous les ha-
bits de deuil, cet enfant innocent, qui, porté dans les
bras, les prenait par la barbe de ses petites mains, leur
demandant secours pour la liberté de son père. Le cor-
tège de la princesse n'y gâtait rien, formé de grandes
dames, jeunes pour la plupart et charmantes.
L'explosion fut vive, comme -toujours, dans les foules
du Midi. Mais le récit même de Lenet laisse voir parfaite-
ment le peu de fond qu'avait ce semblant de révolution
populaire. 'Le peuple misérable espérait avoir |>ar les
princes des débouchés à l'étranger qui (erêieot mieux
vendre les vins et l'aideraient à vivre. Il domina Ae ^rle-
ment, eniporta tout par la terreur. Bouillon et la Roche-
foucauld, les conseillers de la princesse, étaient d^vis de
laisser mettre en pièces un envoyé du roi. Lenet <»aignit
que cet acte, un peu vif, ne la rendit moins populaire.
Deux ou trois fois le peuple faillit égorger le parlement,
dont la minorité -fut «tenue sous le couteau. L'Espagne
promettait de l'argent, et l'on avait la simplicité de la
croire. Elle donnaà peine une petite aumône. Cepen^ttit
Mazarin, ayant paisiblement^occupé et la Normandîe*et la
Bourgogne, les gouvernements des Condés, s'iMshemiiiait
vers la Guienne avec l'armée royale. Les Bordelais se
montrèrent intrépides, un peu troublés pourtant de ¥oir
que les soldats «allaient vendanger à leur >place. Tout se
mit à la paix. La jtrincesse ne se mainteimt filus que ^par
fappui des va^nu-pieds, qu'elle «fiiisait boire et danser la
nuit, et qui lui hurlaient ai* oreilles cent choses sates
contre le Mazarin.; il les «lui faisaient répéter^ à^elle^et^
Là cour, APPCTÉB par la FRONDE) CHASSE CONDÉ. 285
son fils. Cet avilissement où elle tombait lui fit désîfer la
jpaix à elle-même, accepter la permission de sortir de la
ville qu'on lui donnait, avec de vagues promesses Ae la
liberté de Condé (3 octobre 1650).
Bien loin de les tenir, Mazarin, au contraire, éloigna ses
prisonniers de Paris, les .transporta au Havre. La fortune
semblait travailler pour cet homme. Dans cette année où
il avait tout oublié, tout négligé pour l'affaire de Bor-
deaux, presque perdu la Catalogne, compromis la Cham-
pagne même, délaissée sans défense, il fut sauvé de Vin-
vasion par un événement fortuit, Febstination héroïque
d'un certain Marois, qui arrêta quarante jours les Eapa*-
gnols devant Mouzon, une mauvaise place, à peine for-
tifiée. Ils rentrèrent en quartier d'hiyer. Mazarin eut beau
jeu pour guerroyer seul à coup sûr. Maître de tout, rien
ne l'arrête. Il ramasse en décembre tout ce qu'il a de force
au Nord, avec son armée de Guienne. Son homme, Du
Plessîs, entraînant sous ses yeux cette grosse avalanche,
fond sur Rethel, la prend avant que les Espagnols eussent
remué. Turenne, qui était avec eux, ne venait pas à bout
de leur lenteur. Ils viennent tard et mal. Mazarin veul,
exige que Du Piessis attaque; iMui faut, à tout prix, rap-
porter à Paris une belle bataille contrôles amis de Condé.
Dérision de la fortune : c'est Turenne qui est battu. Maza-
. rin a défait Turenne (45 décembre 1650) I
Ingrat de sa nature, Mazarin s'était méconnu, avait
tourné le dos aux frondeurs dès qu'il eut mis ses prison-
niers loin de Paris. Son succès de Bordeaux, sa viotoire<de
Rethel, lui portèrent à la tête. Il crut décidément qu'il
n'avait que faire d'eux. Qui cependant avait gardé Paris
pendant sa longue absence, qui, sinon les chefs de la
Fronde, sinon Retz, la Cbevreuse ? Ils avaient endormi et
trahi la révolution, sur l'espoir du cardinalat promis par
Mazarin à l'iunant de mademoiselle de Ghevrensa.
Une chose parut cependant, c'est qu'à ce moment même
336 SECOND AGE DE LA FRONDE.
OÙ Mazarin paraissait le plus fort, rapportait dans Paiis
les drapeaux espagnols, il n'y avait de force réelle que
dans la Fronde, trahie, vendue, tournant au vent des in-
térêts de ses chefs.
En un mois, ce vainqueur, ce héros monté sur sa vic-
toire, a perdu pied ; il glisse, il enfonce, il se noie.
Le 30 janvier 1651 , sur quelques mots hardis du parle-
ment, notre homme, se croyant très-fort, compare cette
compagnie au parlement de Londres ; il s'emporte devant
Monsieur, parle de Cromweli et de Fairfax. La reine, vio-
lente d'elle-même et violente de servilité pour son heu-
reux vainqueur, folle de son laurier de Rethel, met les
ongles au nez de Monsieur, qui se sauve éperdu, jure qu'il
ne remettra jamais les pieds <e chez cette furie. >
On saisit ce moment. Retz et les amis de Condé s'étaient
réconciliés. Contî devait payer la liberté que lui rendrait
la Fronde en prenant une fille salie, la jeune Chevreuse,
avec qui vivait le coadjuteur. La vieille Fronde deKetz et
des Chevreuse adopte la nouvelle Fronde des amis de
Condé, des gens d'épée, des nobles. Ce monstre des deux
Frondes, associant deux choses hostiles et inassociables,
naquit dans le lit de mademoiselle de Chevreuse, par les
soins de sa mère, qui la livrait et faisait de sa honte le lien
des partis.
Quoi qu'il en soit, le monstre hétérogène n'en éclata
pas moins avec une invincible forme. Les gens d'épée, en
nombre, s'assemblent. Au parlement, sur cette injure de
Cromweli et Fairfax', s*élève l'aigre cri des Enquêtes, et
bientôt le tonnerre du peuple. Mazarin, sans savoir com-
ment, se sent levé de terre, et si léger, qu'il ne tient plus
à rien. Bref, le 6 février, il perd la tête, il part seul du
Palais-Royal; seul, lorsqu'il pouvait sans obstacle em-
mener le roi. Les portes étaient ouvertes, nul obstacle.
Par excès de prudence, il jugea qu'une femme, un enfant,
retarderaient sa fuite, en rendraient le succès douteux.
LA COUR, APPDTÉB PAR LA FRONDE, CH4SSE CONDÉ, 237
Comme on admire toujours ce qui réussit, plusieurs
sont parvenus à trouver dans cette lâcheté une politique
profonde. Qui ne voyait pourtant que les portes, ouvertes
le 6, pourraient être fermées le 9, le jour où il avait remis
la fuite de la reine et du petit roi?
En contant cette belle histoire, on est tenté de croire
qu'il n'y a plus de mâles en France, plus de virilité que
sous la jupe. Il faut une femme pour dire qu*on doit fer-
mer les portes de Paris; c'est la jeune Chevreuse. Il faut
une femme, celle de Monsieur, pour signer Tordre; il
n*ose le faire. On s'agite, on s'éveille, on s^arme la nuit
du 9 ; on pénètre au Palais-Royal. Mais une femme suflBt
pour finir tout et endormir le peuple. La reine, avertie, a
le temps de débotter Tenfant royal, de ]e remettre au lit.
Il dort ou fait semblant. Les innocents bourgeois admirent
ce bel enfant, leur roi (déjà si bon acteur) ; ils retiennent
leur souffle, s'en veulent d'avoir troublé ce sommeil d'in*
nocence, et, s'écoulant sur la pointe du pied, maudissent
ceux qui les ont trompés et leur font passer la nuit blanche
(9 février 4654).
Mazarin courait vers le Havre, voulant devancer les fron-
deurs, et lui-même délivrer les princes. A quoi bon?
Ceux-ci voyaient bien qu'il agissait contraint, forcé. Ils
rentrent dans Paris, et ils le trouvent charmé de les re-
voir. Condé sortait refait et rajeuni par son malheur, em-
belli du roman de sa vaillante petite femme. Les plus
hardis des siens lui parlaient d'enfermer la reine et de se
faire régent, roi. Mais Mazarin en fuite avait, comme les
Parthes, décoché derrière lui un trait aigu qui vint passer
à travers les partis, les disjoindre, les affaiblir tous.
Deux assemblées -existaient à Paris, dont on pouvait
tirer parti contre le parlement. La noblesse était réunie
aux Cordeliers^ et le clergé aux Augustins. La première
assemblée comptait huit cenls messieurs des plus gros
bonnets du royaume, princes, ducs, seigneurs. Les voilà
238 aiGom> agbde là fkoiidk^
qui raisonnent^ qui cherehent aux vieux temps, qui se
rappellent les^haittS' plaid& féodaux qui goui^rnaient jadis,
qui se demandent oomment le gou^mement est mainte^
nant aux mains^ sales des gens de chicane, des proGureurr
crottés. Ils en viennent à cet axiome : « Laloi estau-des-
susdu roi, au-dessus de la- loi les Ëtats généraux. »
Chose admirablci Le* clergé fait éebo. II* adopte, sans-
sourciller, le principe révolutionnaire. Ëvideminent la fk*
cilité des États de 464i, le peu de peine que les privilégiés
avaient eue à les^ éluder, les enhardirent^ cette fois^ et ils*
n'hésitèrent pas à prononcer le mot qui, dans un autre
temps, leur eût fait dresser les dieveux;
Mort, bien mort était donc le mettre (nous voulons dire
le peuple, nous voulons dire la France), pour que les va-
lets orgueilleux, les dilapidateurs de cette pauvre maison
ruinée, risquassent de prononcer le nom redouté du dé-
funt et de danser sur son tombeau I
L'effet fut excellent. Le faquin l'avait bien prévu de la
frontière, quand il envoya ce mot d'ordre. Le parlement
informe sur les injures de la noblesse. La noblesse veut
jeter le parlement à l'eau (mars 4654).
La reine prisonnière se retrouve si bien maîtresse,
qu'elle ne daigne consulter Monsieur, et seule change le
ministère (3 avril). Qui pourra y trouver à dire? Elle
prend justement pour ministres les ennemis de Mazarin,
entre autres Chavigny, un ami de Condé. Elle lâche aux
Coudés la Guyenne, tout à l'heure la Provence. Elle lâche*
rait le royaume pour brouiller Monsieur et Condé, briser
l'unité des deux Frondes.
Condé, sorti de sa prison tel qu'il y est entré, borné,
brutal, aveugle, aide à cela, bien loin d'y mettre obstacle.
Il oublie que la vieille Fronde lui a seule ouvert la prison.
11 ne veut plus que son frère paye la rançon convenue, qui
était d'épouser la maîtresse du coadjuteur. On rompt
brusquement et avec outrage avec les deux Lorraines, les
LA COUR, iPPDYÉB PAR LA rR(»«>B, CBASSB CONDÉ. 239
Cbevreuse, mare et fille. Les valets, les agents populaires
du parti Condé, un savetier. Maillard, à' la vue de ces deux
infantes, crient dans les rues ce que Paris savait. La de-
moiselle s'évanouit presque. Du sang, il faut du sang, et
« le sang de Bourbon n'est pas trop pour laver l'affront
fait au sang de Lorraine. » Il eût fallu que le coadjutcur
pût faire assassiner Condé. 11 répugnait au guet-apens.
Toute la réparation qu'il imagine, c'est de remplir le par-
lement, de gens armés à lui et de coupe-jarrets, qui, au
besoin, pourraient faire un massacre. Les Condés filèrent
doux. Les deux dames aux tribunes purent à leur aise
trîonapber. Conti plia les épaules en passant devant elles.
Son savetier reçut quelques coups de bâton. Retz, en.
contant cet exploit immortel, termine par ce grotesque
mot : « L'événement pouvait être cruel, me perdre de
fortune et de réputation... Je ne m'en suis pourtant pas
fait reproche. Car ce sont de ces choses que la politique
condamne et qtée jmtifie la morale. »
Ce prélat respectable était alors de nouveau recherché
par la reine, qui le caressait fort dans sa jeune Chevreuse,
« qu'elle baisait sur les deux joues. » Il allait la nuit au
palais en cavalier et en plumet. On le rattrapait par l'es-
poir du chapeau, et par une idée qu'on lui croyait fort
agréable, comme devant venger les Chevreuse, l'assassi-
nat du grand Condé. La reine n'était pas moins altérée de
vengeance. Condé la jetait dans le désespoir en l'attaquant
sur Mazarin, révélant ses correspondances, la montrant
gouvernée par lui dans &es actes et dans ses paroles, ca-
chant ses envoyés aux greniers du Palais-Royal.
Jusque-là, Mazarin n'avait jamais paru féroce, il sem-
blait moins violent que la reine. Cependant la persévé-
ranoe avec laquelle celle-ci négocia la mort de Condé avec
la Fronde fait croire qu'il n'en repoussait pas l'idée. Elle
ne faisait rien do sa tète, rien sans l'ordre du maître ab-
solu. Ne pouvant vaincre les répugnances de Retz, elle lui
240 SECOND AGB DB LA FRONDE.
envoya, pour le convertir, d'abord ceux qui s'offraient
pour faire le coup, Hocquincourt et Plessis, enfin M. de
Lyonne, agent direct de Mazarin, qui lui fit honte de sa
timidité. Ces braves n'osaient agir, à nioins que Retz n'as-
surât que son peuple, le peuple frondeur, les sauverait du
peuple des Condés.
Au total, la manœuvre générale de la cour atteste la di-
rection du grand maître en friponnerie, qui du Rhin me-
nait le Palais-Royal. La reine avait d'abord tout lâché à
Condé pour le perdre auprès de la Fronde ; puis, tourné
aux frondeurs, pour tuer ou arrêter Condé. Retz ayant re-
fusé, on fit croire à Condé que c'était Retz qui demandait
sa mort.
D'autre part, celui-ci nous explique à merveille qu'il
n'était guère moins faux et guère moins hypocrite. Il était
prélat populaire tout le jour et frondeur; la nuit, il était
cavalier empanaché et royaliste, conseillant au Palais^
Royal les mesures qui devaient le lendemain annuler tout
l'effet des mensonges et du bavardage qu'il allait faire au
parlement.
J'ai trop grand mal au cœur à conter tout cela. Il faut
lire les Mémoires du prélat, levoir triompher de sa honte,
dire comment, sous les yeux de sa Chevreuse, il disputait
le pavé à Condé. Où cela, je vous prie? Au sanctuaire de
la Justice même, dans la première cour du royaume et sur
les fleurs de lis. Le prince, retiré à Saint-Maur et ne se
sentant plus appuyé dans Paris que par des criaiileurs
gagés, revient pourtant avec ses gentilshommes menacer
le coadjuteur. Celui-ci est en force. Il ne craint pas de
pousser aux dernières épreuves la patience de Condé.
Quatre mille épées sont tirées. Les amis de Condé es-
sayent d'étouffer, d'étrangler le petit prélat entre un mur
et une porte. Enfin, par un miracle, les épées rentrent au
fourreau. Le galant prêtre peut retourner vainqueur à
Notre-Dame et triompher chez la Chevreuse.
LA COUR, APPUTÉB PAR LA FRONDB,. CHASSE CONDÉ. 244
Gondé a perdu terre. Il ne lui reste plus que la guerre
civile, l'appel aux révoltes de provinces, déjà manquées et
improbables, Tappel à TEspagne impuissante^ à l'Empe-
reur, à Cromwell ou au Diable.
La Fronde ayant rendu à Mazarin le service de chasser
Gondé, il pouvait à son aise se moquer de la Fronde, man-
quer aux paroles données, bafouer Retz et le parlement,
rire du public, à qui on a promis les Ëtats généraux.
Ces tours de gobelet n'étaient pas difficiles. La fatigue
était excessive. La France, accablée, alourdie, ne sentait
plus sa tête, n'avait plus conscience d'elle-même, et de
bon cœur consentait à être trompée. Jamais escamoteur
n'eut spectateurs si débonnaires.
A treize ans et un jour, le roi était majeur et capable de
gouverner. Précocité miraculeuse de la dynastie des Ca-
petsl Louis XIV, né le 5 septembre 1638, a atteint ses
treize ans. il entend régner désormais. Quel besoin d'États
généraux? Un bon roi, pour son peuple, est la première
des libertés.
Le 8 septembre 4651, grande fête. Amples distributions
de vivres. Le vin pleut sur les places, et les saucissons
pieu vent; on se bat pour les ramasser. Le beau jeune roi,
à cheval, ayant son petit frère à côté (un joli visage de
fille), s'en va au parlement avec la reine. Monsieur, toute,
la cour. Il remercie la reine, la fait chef du conseil, inno-
cente Condé (absent cependant par prudence), mais dé-
clare Mazarin coupable et seul coupable. Lui seul a fait le
mal dans la régence. Défense au susdit Mazarin de revenir
jamais dans le royaume. Le roi entend qu'il soit banni et
proscrit éternellement.
Le second acte de la Fronde finit en 1651, comme le
premier en 1649.
Impuissante deux fois, la cour n'a garrotté le lion à la
première, ne l'a chassé à la seconde, que par le secours
xii. 16
242 «ECOND AGE DB LA TROIIM.
des frondeurs, Cest la révolution, quoique avortée au
premier ncte et agonisante au second, qm fwéc enoore
phis forte et plus vivace, plus prête à raction. Cert par
elle que Tenfant royal peut rentrer éom Paris, et, par
ordre de Maearin, amuser les frondeurs d« la pnaaeription
de Mazarîn. ^
Douce siluatton pour celui-cî, «qui, d'avmoe, par la
force du peuple, a brisé Tépée de Condé. Que hri reste-t-JI,
sinon de faire encore comme il a toujours fait pour ceux
qui font servi, de perdre HetE et d'être ingrat?
GHAPITHE XXIJI
Fin de la Fronde. — Combat da fanbonrg Salot-Antoine. 1051.
La Fronde est réputée, non sans cause, pour une des
périodes les plus amusantes de l'histoire de France, les
plus, divertissantes, celle où brille d'an inexprimable co-
mique la vivacité légère et spirituelle du caractère natio*
nal. Cent volumes de plaisanteries! toute une littérature
pour rire! Des bibliothèques entières de facéties ! n'est-ce
pas régalant? Et on en retrouve tous les jours. En voîei
quelques-unes qu'un jeune savant, M. Feillel^ vient de
retrouver à la Bibliothèque :
« Il n'y a point de langue qui puisse dire, point de plume
qui puisse exprimer, point d'oreille qui puisse entendre
ce que nous avons vu (à Reims, à Chàlons, Rethe), etc.).
Partout la famine et la mort, les corps sans séputture.
Ceux qui restent numassent aux champs des brins d'avoine
pourrie, en font m pain de boue. Leurs visages sont noirs^
ce ne sont plus des hommesi, mais des fantômes... La
guerre a mis l'égalité partout; la noblesse sur la paille
n'ose mendier et meurt... On mange les lézards, des
chieBS HKMTts de huit jours... a — Attteurs, en Ftcardie, on
rencontre un troupeau de cinq cents enfants orphelins et
de moins de sept ans. — Ea Lorraine, les religieuses affa-
244 FIN DE LA FRONDE.
mées quittent leur couvent pour mendier. Les pauvres
créatures se donnent pour un morceau de pain (4654).
Nulle pitié. Une guerre exécrable, acharnée, sur les
faibles. Une chasse épouvantable aux femmes. En pleine
ville de Reims, une belle fille chassée par les soldats dix
jours de rue en rue; et, comme ils ne l'attrapent pas, ils
la tuent à coups de fusil. Près d'Angers, à Alais, à Con-
dom, sur toutes les routes de Lorraine, tout violé, femmes
et enfants, et par des bandes entières, à mort t Elles expi-
rent, noyées dans leur sang.
Quoi de plus gai? Le duc de Lorraine, ce chevalier
errant qui préféra la guerre au trône, régale les nobles
dames de ces récits honnêtes ; son armée galante, dit-il,
est la providence des vieilles, etc. (V. Haussonville).
Condé, sur un grand champ de mort, avait montré aussi
une étrange gaieté : c Bah I ce n'est qu'une nuit de Paris. •
Qui donne les détails de famine que l'on a vus plus
haut? Principalement les missionnaires envoyés de Paris
par Vincent de Paul pour porter à ce pauvre peuple les
aumônes des dames charitables. Secours minimes, en
tout, six cent mille livres en six années.
En Picardie, on donne trois cents livres par mois pour
dix- huit cents personnes ; donc, pour chacune , trois sous
et demi par mois.
Vincent fut admirable, quelque peu qu'il ait fait. Ce qui
étonne seulement, c'est qu'ayant tant de cœur, dans ces
extrémités qui font tout oublier, il n'oublie pas son carac-
tère de prêtre, et fait de la confession catholique une con-
dition de^l'aumône. À sa recette des soupes économiques
que Ton distribuera aux pauvres, il ajoute qu'en distri-
buant on leur lira des prières en latin, des Pater^ des Coti-
fiteor, des Ave^ des Credo^ et qu'on les leur fera c répéter
et apprendre par cœur. » Mais quoi ! si cet homme affamé
est luthérien, calviniste, anglican, faut-il qu'il meure?
faut-il qu'il abjure pour manger?
COMBAT DU FAUBOURG SAINT-ANTOINB. 245
Les dames continuent glorieusement leur généralat.
Elles remontent à cheval , et elles donneront des que-
nouilles aux hommes lassés ou pacifiques, entre autres au
grand Condé. L*intrigue de Paris, Tennui du parlement,
ses duels ridicules avec le petit prêtre, tout cela Tavait
rendu malade : « J'ai assez, disait-il, de la guerre des pots
de chambre. » Il était réellement un sauvage officier de
la guerre de Trente ans , et il se fût déprincisé pour s'en
aller, comme le duc de Lorraine, avec une bonne bande
de voleurs aguerris batailler en Allemagne. Ne le pouvant,
tenu^ lié par sa maîtresse, madame de Chfttillon, qui mu-
selait ce dogue, il eût accepté volontiers l'offre de Maza-
rin, de le laisser, roi du Midi , dormir tranquillement en
Guyenne. Mais sa sœur ne le voulait pas. Il eût fallu que
madame de Longueville sortit du roman, tombât au réel,
rentrât en puissance de mari, dans l'ennui de la Norman-
die. Donc, quand Condé fut en campagne, sa sœur et ses
amis firent entre eux un traité où ils l'abandonnaient, s'il
faiblissait, et lui substituaient, comme général, son petit
frère bossu, Conti, élevé pour l'Ëglise, uniquement dévot
aux beaux yeux de sa sœur.
Condé céda, et madame de Longueville emmena triom-
phante ses deux frères, la Rochefoucauld, enfin ses lieute-
nants, à la conquête du Midi .
Mais, contre son drapeau de couleur Isabelle, la reine,
au nord, déploie le drapeau blanc, et, favorisée par la
Fronde, mène une armée au delà de la Loire. Elle n'avait
que. quatre mille soldats, il est vrai, aguerris , de plus le
roi, la jeune et blonde image de la royauté pacifique, et
du repos futur pour lequel soupirait la France. Condé vit
aller en fumée tout ce que ses amis lui promettaient pour
l'entraîner. Tout sur la route suivit l'enfant royal. Les
recrues ne tinrent pas devant notre vieille infanterie de
Rocroy qu'alors menait Harcourt. Condé n'eut un petit
secours des Espagnols qu'en leur livrant une place près
Bordeaux et se brouillaat avec ce pâriem^ni. Celui de
Paris n'osa refuser d'enregistrer la déclaration qui la
disait traître et Tallié de l'étranger.
Ceei le 4 décembre \ 654 . Et, ie 48, le parlement apprend
par une lettre polie de Mazarin que, pour reconnaître les
obligations qu'il a au roi et à la reme, il vient les délivrer ;
il a levé une bonne armée de dix mille hommes el la con-
duit en France.
](^evé? avec quoi, s'il vous platt? Avec son argent per^
sonnel, sur la fortune d'un homme arrivé sans un sou en
4639. L'examen des registres de son banquier Cantârini
venait d'établir qu'il avait volé neuf millions (quarante,
tout au moins, d'aujourd*huiX
L'homme qui offrait d^assassiner Condé, BoequiBcoint,
avait levé et conduisait cette bande, sous la noble écharpt
virte de Giulio Mazarino.
Le parlement a condamné Gondé le 4. Le 3(h, il con-
damne Mazarin, qui vient faire la guerre à Condé. Le
parlement veut qu*on arme les communes pour arrêter
le Mazarin, mais défend de prendre l'argent nécessaire
pour cet armement. 11 ordonne aux troupes de marcher,
et prohibe les moyens de pourvoir à leur subsistance, etc.
Sous sa grande fureur (simulée? ou sincère?), un senti-
ment contraire va se fortifiant, le désir de la paix. Cn
serviteur de Monsieur ayant hasardé le simple petit mot
d'union entre Monsieur et le parlement, ce mot, qui rap-
pelait la Ligue, eut un efifet terrible. « La tendresse de
coeur pour l'autorité royale» » la pensée de ces temps
maudits, firent repousser, détester I'ummi.
Pour achever la Fronde, en étouffer le faible souQe»
un pesant éteignoir toaibe dessus, le chapeau rouge,
qui coiffa Reti, l'anéantit. Mazarin avait cru en fidre
la feinte seulement pour le perdre dans ie peuple. Mais
le pape haïssait Mazarin. U fit ReU cardinal, pensaat
la faire plus fort ; et ce fut le contraire, il le tua deux
COMBAT DU FiiJAOURa SAINT-ANTOINE. 24*7
fois : dans la cour, dans le peuple (18 février 1652).
Le héros» le vainqueur de ce moment, c*est Mazarin. Il
va de succès en succès, Condé de revers en revers. On se
dispute en France la main de ses nièces ; ses pas victo-
rieux sont marqués par des maiiages. Les Épernon déjà
sont à lui. Les Yendômes ont ambitionné de mêler le sang
d'Henri IV au sang des Mancini. M. de Bouillon, pour son
alné« pour Théritier de sa principauté , recherche une
autre nièce ; ce qui donnera au Mazarin le frère de M. de
Bouillon, Turenne, pour arrêter Condé. Celui-ci, perdu
en Guyenne , ne se voyant au nord qu'une petite armée
d'Espagnols que conduisaient fort mal deux étourdis,
Beaufort et Nemours, traverse toute la France et reprend
son armée. Voilà Condé devant Turenne.
Condé avait trouvé une auxiliaire inattendue. Une
femme encore avait pris la grande initiative. Mademoiselle
de Montpensier, fille de Monsieur, mais fort indépendante
de son père par sa fortune immense, était dépitée à vingt-
cinq ans de n'être pas mariée. Elle avait le cœur haut, la
grande émulation des reines célèbres, les Christine de
Suède et les Henriette d'Angleterre. Elle voulait un trône,
et d'abord elle s'était proposée à l'Empereur. A la rigueur,
elle eût descendu à prendre l'archiduc pour régner sur
les Pays-Bas. Mais son rêve favori , c'était le mot d'Anne
d'Autriche sur Louis XIV, avant sa naissance et pendant
la grossesse : « C'est ton petit mari. » L'enfant avait qua-
torze ans, elle vingt-cinq. Et cette grosse différence allait
encore augmentant; Mademoiselle perdait de sa première
fleur ; son teint rougissait trop, son grand nez devenait
rosé. Donc, elle imagina, dans sa sagesse, que le meilleur
moyen d'épouser le roi, c'était de le battre; que Condé,
chassant Mazarin, payerait sa vaillante alliée en la faisant
asseoir sur le trône de France.
Pour mettre les choses au pis, la princesse de Condé,
souvent malade, ouvrait une autre chance; si Condé était
248 FLN DB LA FRONDE.
veuf, qui épouserait le héros, sinon Théroîne qui Taurait
soutenu? Donc, en se jetant dans la guerre, cette intelli-
gente Clorinde pouvait y gagner deux maris.
C'est dans ses Mémoires qu'il faut lire la grotesque épo-
pée, son intrépidité dans une occasion sans péril. Elle y
montra du moins que, pour vouloir, oser et se mettre en
avant, il suffit de ne rien savoir, de ne rien voir, de peu
comprendre. Elle ferma les portes d'Orléans, et donna à
Louis XIV, pour premier début de son règne, la mortifi-
cation de reculer devant une femme , la chance d'être
vaincu, peut-être enlevé par Condé, ce qui fut très-près
de se faire (Laporte).
Condé eut un grand avantage, il entra à Paris. Il croyait
dès lors tenir, dominer, entraîner Monsieur et le parle-
ment. Mais son étonnement fut grand en voyant, au Par-
lement, et à la Cour des aides, où il alla, les magistrats lui
reprocher en face et son traité avec l'Espagne, et Vargent
de l'Espagne qu'il venait de recevoir, et son audace à se
représenter devant les tribunaux qui venaient de le dé-
clarer coupable de lèse-majesté. Il se troubla, s'emporta,
mais ne put rien nier. Un simple président des Aides
l'accabla, lui parlant de par la loi, de par la France, bra-
vant la sinistre figure qui respirait le meurtre. Il fut bien
clair dès lors que les magistrats sentaient derrière eux la
bourgeoisie armée, qu'ils repousseraient Mazarin, mais
n'adopteraient pas Condé, et que, si celui-ci mettait dans
Paris sa petite armée étrangère, ce serait à force de sang.
C'est ce qui rendait si bonne et si forte la position de
Mazarm. Le ministre italien semblait encore, ayant le roi
de son côté, contre Tallié de l'Espagne et l'armée espa-
gnole, représenter le vrai parti français. La question de
nationalité , mise en jeu , prime toujours et domine la
question de liberté. Plus d'un frondeur sincère , plutôt
que d'ouvrir Paris aux drapeaux de Philippe fV, l'aurait
ouvert au Mazarin.
COMBAT DU FAUBOURG SAINT-ANTOINE. 249
Celui-ci était fort tranquille. Il avait sous la main Tu-
renne, et plus loin la Ferté avec une seconde armée. Le
duc de Lorraine vint un moment aider les princes, mais
' fut aisément renvoyé , ou par terreur ou par argent.
N'ayant de bien que son armée , il hésitait beaucoup à la
risquer en agissant contre Turenne. Il partit le 46 juin.
Condé, désespéré, retomba sur Paris, son unique res-
source, étant sûr de périr s'il n'en venait à maîtriser la
ville, à s'y loger militairement, à l'exploiter à fond par sa
fausse Fronde, mi-canaille et mi-gentilshommes, faux
savetiers, faux maçons qu'il jetait dans le peuple, et qui,
sous cet habit, étaient de vieux soldats, nés et habitués
dans le sang, et tout prêts aux plus mauvais coups.
Déjà cette terreur avait réussi contre Monsieur. Un de
ces maçons de Condé tira sur lui deux coups de pistolet
par-devant tout le peuple aux portes du Palais de Justice.
Monsieur s'enfuit à toutes jambes. Depuis ce temps, il
aima fort Condé et ne put lui rien refuser.
Monsieur dompté , il fallait dompter le parlement.
Le 25 juin, une foule immense assiège le Palais. Le
peuple veut qu'on en finisse. D'abord , malentendu
entre des compagnies bourgeoises, qui tirent l'une sur
l'autre. Les gens de Condé en profitent. Us nettoient le
grand escalier à coups de pistolet, tuent trente personnes,
en blessent un nombre infini dans cette foule compacte.
Les magistrats veulent sortir. On leur saute à la gorge. On
les fait rentrer pour voter. On bat , on gourme, on traîne
les conseillers plus morts que vifs. Les arrêts désormais
seront rendus dans le désert^ sans président ni conseillers,
par quelques jeunes gens des Enquêtes.
Ce qui rend ceci plus horrible, c'est ce qu'explique fort
bien Mademoiselle, la grande alliée de Condé. En frappant
ce coup sur le parlement pour l'empêcher dfi traiter, il
voulait traiter lui-même. Il prêtait une oreille crédule aux
vaines propositions dont l'amusait le Mazarin. Mais celui-ci
S50 FIN DX LL FBONÛE»
employait ce temps; de tous côtés, il rassemblait des
troupes» fortifiait Turenne.
Uae révélation curieuse nous montre qu'à ce moment
il était occupé de l'intérieur de la petite cour, autant et
plus que de Paris. Le >eune roi avait quatorze ans. Un
pouvait le croire assez près d'une crise de nature qui
donnerait prise sur lui. Sa mère le garderait-elle? ou Ma-
zarin s'en emparerait-il? C'était déjà la question.
Mazarin avait hontettseinent, indignement négligé Ven-
fant, et il portait la mère sur ses épaules. 11 était excédé
des assiduités d'une grosse femme de cinquante ans. Ten-
dre, en réalité trop tendre, elle avait pris dans son absence
assez patiemment les galanteries hypocrites du facétieux
Retz. Cela eût été loin si elle n'eût su qu'on en répétait
tous les soirs la comédie chez les Chevreuse. Bref, Maza*
rin, à son retour, ne fut plus le doux, le charmant cardi-
nal, l'ancien Mazarin, mais un rude et brusque mari, ne
daignant même ménager les convenances du rang, et
disant à la pauvre reine devant témoins : « Il vous sied
bien, à vous, de me donner des avis ! »
Il n'avait rien fait jusque-là pour gagner le jeune roi. Il
le laissait sans argent dans la poche, ne renouvelait pas
même ses habits, si bien qu'à quatorze ans il avait ceux de
douze, beaucoup trop courts. Il n'aimait que sa mère,
était très-caressant pour elle. A vrai dire, elle achetait cela
par une complaisance sans bornes, faible et molle, soumise
à ses moindres caprices. On pouvait croire qu'elle voulait
le garder dépendant, à force de tendresse. La grande affaire
de cour tant disputée entre les dames, la question de sa-
voir laquelle donnait la chemise au lever, avait été tran-
chée ; elle ne la prenait que des mains de son fils. Déjà
grand, il voulait, exigeait qu'elle le baignât avec elle. Il le
voulut un jour, ayant très-chaud, au risque de sa vie, et,
sans le médecin, elle hasardait la chose, plutôt que de lui
résister.
COMBAT D(J fAOBOURfi SAIlfT* ANTOINE. SS1
Déjà il recherchait les daines, se plaisait au mitien des
filles de la reine. Il y a?ait à parier qu'il eboisiraii bientôt,
qu'il aurait quelque favorite. Mais s'il avait un favori ? C'est
à quoi songea Mazarin. A la Saint-Jean (précisément la
veille du massacre fait au pariemeait), Mazarin invite l'en*
fant à dîner. On dînait vers midi. Il revint à sept heures
du soir. Que se passa-t-il dans cette longue fôte? On ne le
sait; mais il revint triste, dit Laporte; il voulut se baigner,
et Laporte « vit bien de quoi il étoit triste. >
Laporte sut les choses, mais non pas les personnes*
L'enfant ne dénonça pas « l'auteur du fait, » cetaii avec
qui le pervers avait cru le lier par une complicité de honte.
Je ne vois près de Mazarin de jeunes gens que ses neveux.
L'un fort petit, élevé aux Jésuites, dans leur collège de
Clermont. L'autre, déjà hors de pages, n'avait que deux
ans de plus que le roi, et pouvait être un camarade. Il
était fort aimé de tout le monde pour sa douce et jolie
figure, et pour un charme d'esprit et de bonté. Ces deux
neveux périrent très-nusérablement. Le petit, que son oncle
avait mis au collège pour se populariser, fut berné par ses
camarades sur uiie couverture, mais tomba par terre, fut
tué. L'autre, cette brillante fleur d'Italie par laquelle ii
orojait tenir le roi, périt victime de l'impatienoe qu'il avait
de l'avancer. Il l'exposa au combat du faubourg Saint-»
Antoine, l'y fit lieutenant général à dix-sept ans, et au mo-
mmt il fut tué.
Pour revenir, Laporte comprit bien que, de toute façon,
il était perdu, qu'il parlât ou ne pariât pas. Mais cet homme
honnéteetconregeux, qui avait risqué sa vie pour la reine,
s*imroola encore, l'avertit U était sur que, dans sa misé-
rable servilité pour Mazarin, elle ne garderait pas le secret.
Et, et effet, bientôt Laporte fut diassé en perdant (sans
indemnité) la petite charge qui était Tuiiique patrimoine
desaiamiUe.
£Ue profitnda l'avis ioiilefois. L'enfant, fort différent de
252 rm de ia frondb.
son jeune frère, aimait les femmes et n'aimait qu'elles. Sa
mère parait l'avoir confié de bonne heure à la maternité
galante d'une dame fort laide, madame de Beauvais, sa
première femme de chambre, pas jeune et qui n'avait
qu'un œil. Elle n'en fut pas moins, dit Saint-Simon, ia
première aventure du roi.
Voilà donc la situation à la Saint-Jean. Admirable de
tous côtés. Sodome à Saint-Germain. Et au Palais, l'avant-
goût du carnage qui eut lieu quelques jours après. Ici la
boue, et là le sang.
Pendant qu'un prêtre, puis un chartreux, et encore une
belle dame, maîtresse de Condé, négocient pour lui à la
cour, Mazarin a enfin ses deux armées et peut agir. Condé
va se trouver à Saint-Cloud pris entre les deux. Il entre-
prend de filer sous les murs et d'allel* se poster au con-
fluent de Charenton. Opération scabreuse devant un
général aussi attentif que Turenne, qui, de Montmartre^
de Ménilmontant, de Charenton, pouvait à chaque pas le
foudroyer. Condé remit tout à la chance, et compta sur
son danger môme, pensant qu'il déciderait Paris à le rece-
voir. Mais le contraire advint. Il frappa à toutes les portes.
Aucune n'ouvrit. A la porte Saint-Denis, Turenne était
là, pouvait récraser de boulets. Il lui tua peu d*hommes
d'arrière-garde, et le laissa passer jusqu'à la porte Saint*
Antoine.
Condé envoyait coup sur coup presser, prier Monsieur.
Sa fille aussi priait, pleurait. Monsieur faisait, le malade,
et tous les gens de sa maison riaient, pensant que Condé
serait tué. Cependant Monsieur, sentant bien qu'il se com-
promettait par son inaction, sans agir, -écrivit. Il donna
une lettre vague à Mademoiselle pour l'autoriser à deman-
der à THôtel de Ville les choses nécessaires. Avec ce mot,
l'audacieuse princesse pouvait ce qu'elle voulait. Le gou-
verneur de Paris L'Hospital et le prévôt des marchands
lui étaient fort contraires. Ils voulurent ajourner. Leur
COMBAT DU FAUBOURG SAINT-ANTOINE. 253
«
résistance ne dura pas le temps d'une messe basse qu'elle
prit en passant par morceaux. La Grâce agit, surtout par
les cris de la Grève, où Ton entendait nettement : c En-
trons, noyons ces Mazarins. »
Donc Mademoiselle emporta ce qu'elle voulait^ un
secours pour Condé, et, le plus difficile, sa retraite à tra-
vers Paris. Elle avance bravement au bruit des canon-
nades dans la rue Saint-Antoine, rencontrant des morts,
des blessés, la plupart ses amis. Elle s'émeut, mais sans
se troubler.
Condé a fait des efforts surhumains, mais fait des pertes
énormes. 11 trouve Mademoiselle établie dans une maison
tout près de la Bastille. Elle lui offre de lui ouvrir Paris.
Il refuse de reculer. « Il était dans un état pitoyable. Deux
doigts de poussière sur le visage, ses cheveux mêlés, sa
chemise sanglante, sa cuirasse pleine de coups, Tépée nue
à la main (ayant perdu le fourreau)... II pleurait... » Made-
moiselle, pendant qu'il retourne au combat, lui envoie des
renforts, fait filer les bagages, reçoit, fait soigner les bles-
sés. Mais tout cela ne suffisait pas. Une seule chose pou-
vait sauver celui-ci, c'était que la Bastille prit parti, tirât
de ses tours et le reçût sous son canon.
Les Broussel tenaient la Bastille. Un fils du vieux Brous -
sel en était gouverneur. Se décida-t-il en ce jour sans
l'aveu de son père, sans l'aveu des frondeurs, des Miron,
Charton, Blancmesnil, de la vieille et pure Fronde? Je ne
le pense pas. La désertion du cardinal de Retz, qui s'était
fait ermite à Notre-Dame depuis qu'il avait le chapeau,
n'avait pas enterré avec lui le parti. 11 existait disloqué,
discordant. On le voit bien, malgré l'ombre fatale que
jette ici la partialité des Mémoires. A croire ceux-ci,
Mademoiselle a tout fait. Qui lui permit de faire? Celui qui
lui baissa le pont-levis et qui la mit dans la Bastille. Et
qui celui-là? C'est la Fronde.
La vieille Fronde avait à choisir entre la brutalité mili-
254 FIN DK Lk raoNDS.
taire du parti de Condé et l'infamie de Mazarin. Eila diAÎ-
sit, et sauva Condé.
Il était temps. Car on voyait la seconde armée royaliste
qui, de la Seine, venait pour prendre en flanc Coudé,
déjà trop faible contre ceÛe de Turenne. Encore dix mi-
nutes, il était perdu.
On voyait tout cela des tours distinctement. Et le fils de
Broussel fui trop heureux quand Mademoiselle lui mon-
tra Tordre» faux ou Yrai, de Monsieur pour tirer sur
Vennemi.
Quel ennemi?
Les canons braqués sur la ville furent tournés vers Cha-
ronne, où était le roL Qui allait tirer sur le roi?
Ce fut un conseiller nommé Portail, donc le Parlementy
qui tira.
Il n'y eut que trois volées et trois petits boulets. Mais, si
la Fronde n'eût été déjà divisée et morte par l'abandon de
Retz^ ce n'était plus la Fronde, mais la révolution d'kngle-
terre. Et c'était le Long Parlement.
CHAPITRE XXIV.
Fin de la Fronde. — Le terrorisme de Gondë. — Massacre
de l'Hôtel-de- Ville. 1652.
Au messager qui porta la nouvelle et lui montra les tours
couronnées de fumée, Condé dit : « Tu me donnes la vie. »
Et il faillit Tétouffer de ses embrassements.
Ce feu ne pouvait guère pourtant intervenir de près
dans le combat. Il n'eût pas empêché Condé d'être écrasé
au pieds des tours. Il ne portait qu'au loin. 11 était admi-
rable pour frapper à Gharonne sur le roi et sur Mazarin.
Cela même effraya. On le prit comme la voix de Paris,
comme menace de la grande ville, eomme signification
définitive que la Fronde adoptait Condé, que la révolution
ne reculerait plus, mais se transformerait et frapperait la
royauté.
Mazarin fut surpris, atterré. A toutes les portes, il avait
cru avoir des gens à lui. Il était sûr d'entrer, et ne songeait
qu'à amener la reine et les dames en triomphe. Il resta
aplati, ne profita pas de ses forces. S*il eût permis à Tu-
renne de droite, à la Ferté de gauche, de pousser leurs
armées, de s'unir en formant un coin, ils entraient infail-
liblement; ils perçaient à travers Condé, perçaient jusqu'à
Paris, ayant de moins en moins à craindre les boulets
qui volaient parnlessns leurs têtes. Ils auraient ri sous
256 FIN DE LA FRONDE.
ces canons tirés dans les nuages, et trouvé à la porte
Saint-Antoine un monde de gens impatients de la leur
ouvrir. Mais Mazarin perdit la tête. Turenne, je croîs,
garda la sienne. Pour la seconde fois, il épargna Condé.
Froid, calme et prévoyant, il se soucia peu, pour faire
triompher Mazarin, de marquer dans l'avenir sa maison,
celle de Bouillon, du sang d'un prince, et du carnage hor-
rible où allaient périr péle-méle nombre des grands sei-
gneurs de France.
La porte Saint-Antoine s'ouvrit, non sans peine, à Condé.
Il y fallut des prières, des menaces, et l'intérêt aussi qu'ex-
citait sa bravoure héroïque. « Voulez- vous faire périr M. le
Prince? » Cela emporta tout.
Mais, à la porte Saint- Denis, on n'entra que de force et
en cassant la tête à l'oflScier bourgeois qui commandait,
d'un coup de pistolet.
L'entrée ne fut pas gaie. C'étaient des vaincus qui en-
traient et qpi venaient chercher asile. Une aimée moUié
espagnole, et des faux Espagnols de Flandre. Des files de
bagages infinis et des blessés sans nombre, un encombre-
ment désolant. Rien de moins rassurant, d'ailleurs, que de
mettre dans une ville si riche tant d'hommes de pillage et
de sang. On les logea entre Saint- Victor et Saint-Marcel,
dans un faubourg muré, gardé par la Seine et la Bièvre ;
on pouvait dire qu'ils étaient dans Paris et qu'ils n'y étaient
pas. Mais les bourgeois ne s'aperçurent que trop du voisi-
nage de ces troupes mal disciplinées, battues, mais impu-
dentes et de mauvaise humeur, qui n'auraient pas mieux
demandé que d'avoir sur leurs hôtes le succès qu'elles n'a-
vaient pas eu sur l'ennemi.
Condé trouva la ville fort changée et fort partagée. La
Fronde même, qui venait de le sauver, n'était nullement
d'accord pour lui. Sans parler de la Fronde inerte du car-
dinal de Retz, caché à Notre-Dame, il y avait la Fronde
orléaniste, attachée à Monsieur; la Fronde royaliste, qui
LB TBRRORISIfS DB GONDB. 257
voulait le retour du roi et de la cour, et n'excluait que Ma-
zarin. Celle-ci, c'était vraiment presque toute la ville. Peu
voulaient Mazarin, et peu voulaient Condé.
Condé n'avait qu'une chance, frapper un coup sanglant,
se relever par la terreur, compromettre Monsieur. Qui
donna ce conseil sinistre? Qui fit croire à Condé que cet
excès d'ingratitude de frapper qui l'avait sauvé, de punir
Paris, son asile, de sa généreuse hospitalité, lui porterait
bonheur? On l'ignore. Peut-être un sot et dur soldat, de
ces ignorants capitaines, bornés comme un boulet. Ou
bien serait-ce Thomme de Richelieu, élevé aux choses
violentes, le malencontreux Chavigny, un fils de la fata-
lité, né pour aller de faute en faute, de malheur en mal-
heur, qui mourut peu après, fort pénitent, fort janséniste?
Il serait mort, dit-on, des reproches que lui fit Condé
d'avoir traité pour lui ; mais, qui sait? ces reproches avaient
peut-être un autre sens.
Le prévôt des marchands avait convoqué à l'Hôtel de
Ville une assemblée pour le 4 juillet, six magistrats et six
bourgeois de chaque quartier, de plus tous les curés, re-
devenus, comme Retz, grands amis de la paix. Les ma-
gistrats frondeurs étaient sûrs d'y être envoyés, et l'on
pouvait prédire que la majorité serait frondeuse. Mais
frondeuse de quelle nuance ? De celle qui voulait le roi
sans Mazarin.
Cette Fronde-là avait sauvé Condé, mais elle ne voulait
pas éterniser pour lui la guerre.
Le 3 juillet, Condé prit son parti, et chargea ses soldats
de faire peur à cette assemblée. Il fit louer le soir chez les
fripiers deux cents habits d'ouvrie!*s dont il affubla pareil
nombre de ses tueurs les plus déterminés. On loua à la
Grève quelques chambres, où l'on pratiqua dans les murs
des meurtrières qui répondraient juste aux fenêtres de la
salle de l'Hôtel de Ville, qui étaient en face. On jeta un mot
d'ordre dans la population misérable du quartier, les ma-
xu, i 7
f 68 riN DB LA FMMiftI.
çoffs sans ouvrage, les baleUers qui ne navîgmûent plus :
on dit partout la nuit qu'il fimait en finir avec ies Mau*
rins. La chaleur était grande. Pour donner rélao à Tafiaife^
on eut soin d'amener en Grève cinquante pièces de lin à
défoncer.
Talon ) un honnête homme et un consciencieux magî»»
trat, affirme qu'un des amis du prince, M. de ftokaa, sot
la nuit cet affreux secret ; que, le 4 au matin, il pria, sup-
plia Condé de ne point faire cette chose insensée et horri-
ble. Elle devait lui donner un jour de force, mais le lende-
main rhorreur universelle, la haine de Paris, qui s'ouvrinic
au Mazarin. Pouvait-il bien d'ailleurs envelopper dans ce
carnage les plus ardents frondeurs, les gens de son parti,
du parti qui venait de lui sauver la vie en le couvrant du
feu de la Bastille?
Le second de Broussel, Charton, allait se trouver là.
L'aîné des barricades, Miron, celui qui le premier fit baUre
le tambour au jour où naquit la Fronde,. Miron, allant aussi
en aveugle à la mort. Mais, outre ces frondeurs, il y avait
des gens, le conseiller Ferrand, Téchevin Fournier, qui
étaient purement et simplement amis des princes et des
séides de Condé. N'élait-ce pas une chose énorme et
monstrueuse de ne pas les avertir? On eût ébruité le se^
cret, dira-t-on. Mais il était déjà communiqué à tant dfi
gensi Rohan ne fut pas écouté. Apparemment les conseil-
lers du prince jugèrent qu'en cette vieillesse des partis
les amis trop anciens sont tièdes, cependant exigeants, et
qu'on est trop heureux de ces purgations fortuites qui
expulsent un sang refroidi.
Soit que le secret transpirât, soit pi^ssentiment vague,
plusieurs hésitaient d'y aller. Un marchand de la rue
Saint-Denis, fort estimé, aimé, était retenu par sa femme.
U dit : « Je suis nommé ; c'est mon devoir d'aller. » Mais il
se confessa et communia, pensant aller à la mort.
Les deux princes arrivèrent fort tard à l'assemblée (Gon-
LE TCNNOMSaiE M COI^DÉ. iiSO
Tsrt dit à six hetrres). Condé s^ns dotfté pthh, poussait
tlès le matin Monsieur, fied cnrieux de cette fête. Vntrcfm-
pette du roi arriva eit même temps pour demande^ qu'on
remit FassemMée. Ette s^'insufgea contre, et parut très-
frondeuse, mais mm dans Fintérét des princes^ demandant
seulement c que le roi fentràt sans Macarin. » Les princes
mécontents se levèrent, descendirent.
Est-il sûr qu'ils aient dit à la foule : « Ce sont des Ma-
zarins, faitesken ce que vocrs voudrez? » On Ta dit, mais
j'en doute. Ce signal de m^rt était superflu. Condé,
croyant peut-être se laver les mains de la chose en la re-
jetant sur un autre, avait logé le roi des halles, le manne-
quin Beaufort, dans une boutique des ruelles qui vont à la
Grève pour surveiller Texécution. Chose curieuse qu'atteste
Conrart, malgré les cinquante tonneaux de vin, l'afliiire
ne prenait pas. Quelques coups de fusil partirent bien de
la Grève, tirés en haut, donc innocents. Le peuple était
plutôt triste, et plus sombre que furieux. « Les plus n)é-
chants n'attaquaient point. » Qui voulut fuir d'abord
échappa sans grande peine.
Mais il se trouvait là aussi des gens moins incertains,
venus de chez Condé, et de ses propres domestiques. Ses
soldats déguisés, qui buvaient depuis le matim avec les
bateliers, ne souffrirent pas non plus que la chose avortât.
Ils attaquèrent en hommes d'expérience, d'une part tirant
d'en face par les trous faits exprès sur les larges fenêtres
de la salle de l'Hôtel de Ville ; d'autre part attaquant d'en
bas, de près et du plus grand courage les défense^ impro-
visées que les archers de la ville avaient faites au vestibule
et à l'entrée du fameux escalier. Ces archets, peu nom-
breux, et n'ayant guère de poudre, firent cependant une
très-»belle résistance, tirant quatre par quatre, et chaque
fois tuant quatre soldats. Ceux-ci étaient désespérés ; ils
entrèrent en fureur. L'un d*eux, ayant déjà trois balles,
s'acharnait de son bras mourant à arracher un pieu ; il fut
260 FIN DB LA FRONDB.
tué dessus à coups de hallebardes, d*épéesetde poignards.
Le gouverneur de Paris, L'Hospital^ le prévôt, tous les
royalistes, craignaient beaucoup, mais non pas les fron*
deurs. Des hommes idolâtrés du peuple, le président Tdis
ça (Charton), le bouillant colonel et maître des comptes
Miron, n'imaginèrent pas un moment qu'on voulût s'atta-
quer à eux. Charton se mit sur une fenêtre, cria qu^on
s'arrêtât, qu'il répondait de tout ; mais on tira sur lui. 11
descendit, il s'offrit pour otage. En un moment, il fut coiffé
de cinq cents coups, s'arracha à grand'peine et se cacha
aux lieux d'aisance. Miron fut moins heureux encore. 11
entreprit de se faire jour pour aller faire armer ses gens
et délivrer l'Hôtel de Ville. « Vous périrez I lui dit-on. —
11 n'importe! que je périsse en faisant mon devoir. » A
peine sur la Grève, il crie : « Je suis Miron. » 11 est jeté à
terre par un savetier qu'il avait naguère empêché de tuer
un magistrat. Un cuisinier et un petit laquais de Condé
frappent dessus; il est percé de coups.
Les amis que Condé avait dans l'assemblée, fort éton-
nés de voir massacrer les frondeurs, se hâtent de faire un
écriteau en grosses lettres, y écrivent Union^ espérant
désarmer Témeute. Mais l'émeute était ivre de vin, de
sang, n'y voyait plus. Ferrand, l'un d'eux, qui descendit,
fut tué à côté de Miron.
Cependant Condé et Monsieur étaient entourés de per-^
sonnes qui priaient, suppliaient, pleuraient pour qu'on
envoyât au secours. Le laquais d'un des partisans dévoués
de Monsieur, qui était â l'Hôtel de Ville, arriva jusqu'au
prince. 11 le trouva paisible qui sifflait. « Monseigneur, ils
vont tuer mon maître! » Le voyant sourd^ paralytique,
aveugle, il perdit tout respect, l'empoigna par le bras,
croyant le faire lever... Mais toujours ce bras retombait...
Un homme cependant arrive essoui&é. a Le feu est à
l'Hôtel de Ville! » Monsieur dit à Condé : « Mon cousin, ne
pourriez-vous pas aller mettre ordre k cela? — Monsei-
LB TERRORISME DE GONDÉ. 261
gneur, dit Condé, je ne m'y entends point. Je me sens
poltron pour ces choses. — Eh bien^ dit Mademoiselle,
J'irai. U faut sauver le gouverneur et le prévôt. — J'irai
avec vous, v dit Condé. Mademoiselle l'en empêcha. Elle
n'alla pas jusqu'au bout. Au pont Notre-Dame, on lui dit
qu'ils étaient enragés à ce point qu'ils avaient tiré sur le
Saint-Sacrement qu'un curé apportait en Grève. Ses gens
la supplièrent de ne pas avancer.
Le feu n'avait pas pris. Il n'y eut qu'une grande fumée
dont les enfermés étouffaient. D'autre part, un curé parvint
jusqu'à Beaufort, et lui fit honte de ce mélange horrible
oii il confondait ses amis. Il avança alors, sauva quelques
personnes. Mais ce qui fut plus efficace, c'est que, les furieux
soldats de Condé ayant été tués ou blessés en grand nombre,
il ne restait guère sur la Grève que de la canaille. Ces meurt*
de-faim, fort peu passionnés, imaginèrent qu'il y avait là
une grosse affaire pour eux à dépouiller les richards qui
seraient trop heureux de n'être que volés. Ils montèrent,
trente d'abord d'un même flot. Et ils trouvèrent l'affaire
encore meilleure. Ces gens, qui n'attendaient que la mort,
non-seulement se laissèrent voler très-volontiers, mais leur
proposèrent des traités, deux cents francs, trois cents
francs, pour être ramenés chez eux. Ce commerce hon-
teux, misérable, des vies humaines, qui s'était fait à la
Saint-Barthélémy, se revit dans Paris. Les défenseurs
payés se croyaient si autorisés d'en haut, qu'ils ne faisaient
difficulté de dire leurs noms, leurs métiers, leur adresse,
et venaient froidement toucher le lendemain le prix con-
venu de la veille.
Mademoiselle, qui, dans tout cela, montre un cœur de
princesse, et point du tout de femme, donne la belle excuse
qu'elle fit chercher un trompette pour l'envoyer devant et
obtenir passage, mais qu'il ne s'en trouva pas dans tout
Paris. Elle était revenue au Luxembourg. Son père, après
avoir eu peur d'agir, commençait à avoir peur de n'agir
A3 iw Di Là wuomm.
pas. Il roblig8t ée Mtoitfner* Il était minuit, et tout fini.
Elle ne veneontra guère de vivants, mais des morts empilés
dans une charrette» et si négligemment jetés, qae les jam*
bas et les bras roidis passaient d'ici éi de là. c le ne fis que
changer de portière, dit-elle, de crainte que les pieds oit
les mains ne me donnassent par le nez. » La nuit étùl
très^belle, fort chaude. Cette fille sensible rit fort en ren*^
contrant des marchandes en chemise qui causaient sur le
porte avec leurs bons amis en costume plus simple encore.
La Grève était moins gaie. « Je ne vis jamais, dit^elle, un
lieu plus solitaire. > Beaufort la fit passer sur les poulMs
Aimantes. EUe trouva dans un cabinet le prévôt» et ks sauva
d'un danger qui n'existait phis.
Il était presque jour. Paris se neconnaissait. On oom*-
mençail part<Hit à raconter la ehoae. Et tout petembait sur
Condé. « Il y eut un mouvement.d'horreur, » dit idy» -*•
Et Mademoiselle elle-même : i Ce fut le coup de m^sgoa
pour le parti, v Et le prudent Orner Talon ne ftttpaa difip*
culte de dire : « Le eoup le plus barbare, le plus sauvage
qui se soit {ait depuis l'origine de la monarchie. »
Condé fit Texpérienee du changement terrible qui s'était
fiiit pour lui. Son partisan, le eonseiller Leboult, vint tmNif
ver le%deux princes à la tête de phisieurs des vietimes
échappées, et, quand Us la pressèrent d'articuler qui Von
croyait coupable, il dit fermement : « Youa^ > A quoi Condé
ne dit rien autre obose, sinon % que personne ne dirait
cela qu'il ne le fit périr. »
Un autre de ses partisans, le conseiiler Croissy> se déclara
hardiment contre lui quand il voulut faire recevoir soB
ami Rohap duc et pair. Coudé evt vint è bout par la igke-
nuce^ et, comme il raillait Croiwy en sortant et disait
qu'après tout il n'agissait que pour qhasaer les Massurin^»
Çroissy, en levant les épiiules, lui dit : « le voudrais 91e
personne n'eût pas plus d'intelligence que moi avec loi, »
Mot wnglant qui notait cette duplicité eiéoraMe : un me»-
LE XKRROfiISMS DE GOfCDÉ. S68
sacre o^^éré pour traiter plus facilement, et la Fronde
égorgée pour pouvoir mieux trahir la Fronde.
L'indignation, Tfaorreur de son propre parti, l'obligé-
nenC de donner quelque satisfaction à Topinion. Il fit dire
anx églises qu'on révélât ce qu*on saurait des auteurs du
massacre. Ils n'étaient pas difficiles à trouver. Oi^ prit tout
d'abord Le petit laquais et le cuisinier jde Gondé. On les
avait vus frapper Miron à terre. Le rapporteur de l'affaire
trouve un maàin écrit sur sa porte : « Si vous les faites
moiurir, vous êtes mort I »
Ibis, en ies défendaai, Gondé ae fût séparé de la Fronde.
L^assemblée, chargée de nommer un nouveau prévôt,
oonama Broussel à l'unanimité, et l'une des victimes
échappées du 4, Charton, J>rouillé avec les prmces et
désormais leur ennemi, eut presque autant de voix que
Browsael. Gelni-^ci^ octogénaire, maladif et de plus ea
plus, était incapable d'agir. Sa fermeté, aa probité con-
nue, portent à croire capendaot qu'il n'accepta qu'HU^
tant que l'on ferait justice. Les .deux meurtriers furent
pendus.
La désertion avait réduit Gondé de cinq mille hooames à
deux mille cinq cents. £t il n'osa plus même les tenir cam-
pés à SaânA^-Victor, oit les bourgeois, piUés et irrités, eus-
sent fini par les assommer. Les bouchers et jJQmhre
d'iMmmea |iareils^ pour garantir Retz, disaient-ils, avaient
fait da cloître Notre-Dame une place d'anmes. Les itours
étaient pleines de poudres, de bailles -et de grenades. La
tevreur, ^lanoée par Condé, lui revint à lui-même. Il offrit
aux bûEfgeois de faire pendre ceux qu'ils voudraienl, et
finaleioeiit «éloigna seà soldats et les mit bons Paris en
qu'ils ne prendi»ient fias nm épi de blé.
CEependant Ae massacre avait eu son «effet. Les négocia-
Ainent phu facilea. MaEarin se «prit platement à
que Gosdé était fort, qu'il était maître de la ville,
«t, oomine to prétexte «nique et denaier de la résistance
S64 FIN DE LA FRONDE.
était sa présence à la cour, il fit encore la comédie de se
retirer pour un temps.
Condé semblait fou de fureur, de dégoût de lui-même.
Pendant que la grande folle Mademoiselle essaye de le
soutenir d'argent, il se rue dans Torgie avec une corné*
dienne, si bien qu'il en tombe malade. On croit relire l'his-
toire de Charles IX, qui se tue sur Marie Touchct.
Il put s'apercevoir que le respect était perdu. Rieux, on
de ses partisans, lui résistant en face, il lui donne un souf-
flet, reclaqué sur-le-champ à la joue de Condé. On les
prit tous les deux au corps, ce qui n' empêcha pas qu'ils
ne pussent encore échanger les gourmades.
Tout le monde, sous ses yeux, avait quitté la pailk^
signe de son parti, pour mettre au chapeau le papier^ le
signe royaliste. Paris et lui étaient las l'un de l'autre. Les
Espagnols avaient payé le duc de Lorraine pour venir le
secourir. 11 partit de bon cœur pour aller le rejoindre. Il
enviait la vie errante de ce massacreur mercena\re,)oyeux9
plaisant dans les horreurs d'une guerre anthropophage.
Voilà Condé et Mazarin partis. Et Condé est perdu.
Mazarin même, quoique, tenant le roi, il tienne tout,
aurait peine à se relever (comme on verra) sans l'épée de
Turenhe.
Que reste-t-il de la Fronde? Rien matériellement
qu'une prodigieuse misère. Et moralement? Pis encore :
le dégoût de l'action, l'horreur d'agir jamais.
Est-ce tout? Oui, pour le présent. Pour l'avenir et pour
l'effet lointain, une chose reste : une langue^ un esprit.
Si l'on nous passe une comparaison un peu trop fami*
Hère, et basse, si l'on veut, mais nette, et qui explique tout,
la France avait eu jusque-là comme ce frein charnu de la
langue qu'on coupe quelquefois aux enfants pour leur
donner la liberté d'organe. La Fronde nous coupa le filet.
On put croire que la France allait être lancée cent ans
LE TERRORISME DE CONDÉ. S65
plus tôt dans une audace extraordinaire d'esprit. Mazarîno
et son baragouinage avaien t déchaîné la verve comique,
et le burlesque même. L'idolâtrie royale fut atteinte un
moment, et ce fut un fou rire d|avoir vu les visages sous
les masques, surpris les dieux dans la bassesse humaine,
rOiympe sur la chaise percée. On ne s'arrêta pas au mari
de la reine. La reine elle-même, v la bonne Suissesse, »
comme dit Retz, que le peuple appelait sans façon Madame
i4nne, elle fut chansonnée, et^ bien plus, racontée. Le
Rideau du lit de la reine^ c'est le titre d'un de ces pam-
phlets. Mais voici le plus fort. Richelieu sort de son tom-
beau. Son petit journal (d'une authenticité terrible, signé
de la griffe du lion) dit au nom de l'histoire la comédie
intime, bien plus forte et bien plus comique que n'auraient
pu rimaginer le faible Marigny et le bonhomme Scarron.
L'autel n'impose pas beaucoup plus que le trône. Les
esprits forts^ brûlés naguère, sont en faveur dans la Fronde,
hors la Fronde. Ils se prélassent au Louvre. L'intime ami
du cardinal de Retz, le joyeux Brissac, qui, la nuit, court
les rues avec ses amis, las de battre le guet, trouve plus
amusant de battre Dieu. Voyant le Crucifix, il y court l'é-
pée haute, en criant : a Voilà l'ennemi I »
Le favori de Richelieu^ Beautru l'athée, n*en est pas
moins toujours chez la dévote reine, comme un animal
domestique, chien ou chat favori. Ses bons mots sont
célèbres. Un jour, à la procession, il ôte son chapeau de-
vant le Crucifix. «Quoil dit-on, vous, Beautru? — Oh I
dit-il, nous nous saluons, mais nous ne nous parlons
pas. »
Est-ce Vanini qui ressuscite ? ou bien déjà Diderot? Rien
de tel? Les grandes révoltes sont ajournées. La petite
affaire janséniste va absorber les plus hardis.
Tant d'agitations inutiles ont excédé l'esprit public. C'en
est fait de la comédie pour quelque temps. On souffle les
chandelles, et la farce est jouée. L'auditoire est heureux
266 fOi M LA mosBUÊ*
à'èUe mis à ta porte. Il bàitte et i^a se Bieltre eu Ik. Les
bottffens de la pièce, psmphléiaipes, aaliriqiiea, neuis
gagés, n'y gagnant pins leur vie, toument laMAldt m
madrigal, plus lucratif, soupirent à tant par vers^ ei riaient
pour les ballets du roi.
Ce roi jeune et galant, qui danse le Zéphfr^ qui à lui
seul joue les Jeux et les m, qui imà k Tlieupe sera Phébus
ou le Soleil {soleil d'amour des Manctai^ des La Hothe et
des La Vallière), voîlà Tidole de èa paix, le culte nouTean
de la France. Si elle est vraiment amouresKc, elle est
femme, et ne rira plus.
Qui trouviera-t-on qui rie •encore? qui garde l'eqiril de
la Fronde? Un seul homme pent-èire. Dans un triste
bôtd du Marais, non loin de Marion fieloroDe et de la
jeune Ninon, l'Homère grotesque, le Virgile aal-de-iaile,
Scarron, fait le Boman o^migue. Bieur obstiné, intrépide,
il rit sur son grabat, sur ses profires ruines, sur les mines
du monde. Il se divertit à conter la vie aventureose d'une
société de carnaral, aussi morale, aussi rangée que Fad*
miniatration de Mazarin et 4e Fouqoet. Peinture diver*
tissante et basse, liais plus basse, de beaucoup, est
la réalité de ce temps «-là, lorsque BiagoÉin trône an
Louvre»
La meilleure force, an reste, de Scarron, c'est celle qu'il
a faite sans en deviner la portée. Je paiile de son naariage.
La jeune Âubigné, qu'il nourrit, qu'A élève QoUe petite
prude qu'il prend, ma foi^ pour lui), comme il rirait s'H
prévoyait qu'il la prépare pour le gruid roi I Tant pis pour
celui-ci, qui n'y pense que trente ans trop tard. Seamon
doit passer avant Ini.
Qae fAt-il devem, le pauvre bomme, si d'avance il eftt
lu les deux inscriptions qu'on Toitamx veAtes «de la nhn-
pelle de Versailles, et qui disent si bien les deua reUgions
de l'époque : le rot le «dieu du qpei^)le, M madame Aiorron
4ien du roi !
LE TBRRORISMK DB GONDÉ. 267
IfUrabit in templum suum dominator. Le roi entrera dans
son temple.
Rex concupiscet decorem tuum. Ta beauté remplira le roi
de désir et de concupiscence.
Voilà pourquoi la foule, en ces derniers temps de
Louis XIV, s'obstinait^ dit Racine, à demander et faire
jouer les farces de Searroa. On révoquait pour voir cette
vengeance de la Fronde. Scarron ne revint pas. Il eût trop
ri. Il eût eu l'aventure de TArétin, qui, dans un tel accès,
tomba k la renverse et se cassa la tête. U fût mort une
seconde fois.
CHAPITRE XXV
Turenne relôve Mazarin. — Hôgne de Mazarin. i6t$i-i<>37.
Les Mémoires véridiques du modeste Turenne et ceux
de son jeune lieutenant Yorck (depuis Jacques II) nous
apprennent que, sans la fermeté de ce grand militaire, la
cour et Mazarin lâchaient pied, cédaient tout. N'étant reçus
ni à Paris, ni à Rouen, ni dans aucune viUt de France,
sans lui, ils fuyaient jusqu'à Lyon.
C'est-à-dire que Paris^ que la France, qui vomissait
Condé, ne voulait pas pour cela ravaler Mazarin. Excessif
était le dégoût, et la nausée mortelle. Pour qu'on subit
cette odieuse médecine, il fallut un peu d*aide. Il fallut
la douce contrainte d'une exécution militaire par trois
armées (de Turenne, de Condé et des Lorrains), qui fit
de la banlieue, à dix lieues à la ronde, un désert compa-
rable à ceux de Picardie et de Lorraine.
Turenne, qui s*effâce partout ailleurs, dit ici nette-
ment (et je le crois) qu'il eut les grandes initiatives du
temps :
1° Il arrêta la cour, effrayée de l'entrée des Espa-
gnols qui venaient secourir Condé ; il Vempicha de fuir
(juillet 4652).
2^ Mazarin, s' éloignant encore pour apaiser et faire
céder les résistances de Paris (août), Turenne prit toute
RÈGNE DE MAZARIN. 269
précaution pour que cet éloignement ne fût pas définitif
et pour assurer son retour,
30 11 inquiéta les Espagnols, qui n'allèrent pas plus loin
que Laon. 11 prit une bonne position à Yilleneuve-Saint-
Georges, et y tint un mois en échec Condé et les Lorrains
(septembre).
4"" Enfin, il donna à ia cour, à la reine et au jeune roi
le courage de rentrer dans Paris, qu'ils redoutaient tou-
jours. A ce point qu'arrivés aux portes, et sachant que
Monsieur y était encore, la peur qu'ils eurent de ce peu-
reux leur eût fait rebrousser chemin si Turenne n'avait
insisté, se mettant au môme carrosse, et les couvrant de
la présence du redoutable général qui venait de primer
Condé (21 octobre).
La chose réussit. Le peuple applaudit fort le roi. Déjà
le clergé de Paris, Retz en tête, les corps de métier,
l'avaient prié de revenir. Le 22, le parlement est mandé
au'Louvre, dans une salle pleine de soldats et sous l'œil
de Turenne. Là, ce beau jeune roi, qui la veille avait été
si près de rebrousser chemin, fait lire aux magistrats,
vaincus sans combat, la défense de se mêler d'aucune
affaire publique,- ni spécialement de ses finances, ni en-
treprendre contre ceux à qui il confie l'administration.
C'est la proclamation solennelle et définitive de la monar-
chie absolue, du grand règne, et de l'âge d'or, qui, parti
de la banqueroute, aboutit en un demi-siècle à la sublime
banqueroute des trois milliards qui rasa le pays.
Le cardinal de Retz, qui, dès septembre, a reçu le cha-
peau, est accueilli, caressé et choyé. La reine lui déclare
que lui seul a mis le roi dans Paris (éloge vrai, il divisa la
Fronde). Et lui seul aussi est frappé. Le 18 décembre, on
le met à Vincennes. Alors Mazarin, rassuré, hasarde de
rentrer à Paris (février < 653) .
Ce qui rend dans tout cela l'initiative de Turenne bien
étonnante, c'est que seul à la cour il s'obstina pour Maza-
d70 TURBnfK RELÈVE XA2ARIN.
riiir La reine était enlovrée de gens tassé» et excééi» ée
lui. Elle avait sous la main im homme digse et capable,
€hftteMmen£, qui Veài remplacé. L'ammit-elle eneore té-
ritablemewt? Elle venait de sentir soa iagralitudey sa per*
versité (d«is la tentative de kii enlever le jevne toi paar
le goût des plaisirs honteux). Dès son prenrier voyage,
elle avait paru vacillante. Combien plus au second ! Par
quoi la tenait-il ? Trës-probaMement par le mariage* Man-
geuse et fort sanguine, sensuelle et dévote, le tempéra-
ment, les scrupules, la ramenaient k cet homme méprisé,
odieux, dont elle avait besoin. Elle le dit nettement daiK
une lettre, comme les femmes n'en écrivent guère (V.
Ravenel, Walckenaër, Séoigné, et Cousin, Uauiefori). Elle
y avoue « qu'elle n'en peut plus... Et lisait bien de quoi, i
Turenne, très^bon observateur, vit cda,. et conclut que,
de toute façon,. Mazarin finirait par revenir. II craignit de
compliquer la résistance militaire par une révolution
de cour.
Cela semblait d'un esprit positif, d'une politique pru-
dente, basse, il est vrai, mais sûre. Si ce coquin était in-
dispensable, si le salut, la paix, étaient en lut, il fallait
bien le prendre. Mais on eût pu cependant objecter que
Turenne, en portant si haut le drapeau de Maiarin, en
voulant même, à son départ, qu*on déclarât qu'ii reinm-
draUf se créait, par la force de ce nom détesté, une dif-
ficulté très-réelle et au roi un obstacle. Il n'y parut pas
dans le Nord, mais beaucoup dans le Centre, et encore
plus dans le Midi. Tandis qu'on avait si peu de foroes
devant l'invasion espagnole, il fallut employer des troupes
en Bourbonnais, et -bien plus en Guyenne, où la résis*
tance contre Mazarin dura un an encore. Pourquoi? H
s'obstinait, dans ce grand péril de la France, à faire rece-
voir à Bordeaux le fils du duc d'Épernon» plus détesté que
Mazarin même, mais qui devait épouser sa nièce !
Hors de la guerre, Turenne était un très-pauvre homme,
RÈGIIB Dl MAZARIN. S74
tout à taii terre à terre, et, s'il ne fit jamais de mauvaise
manœuvre, il fit bien des fausses démarcbes*
k lire ce qui précède, on le croirait un Maehiatvel, un
égCNlste et hardi courtisan, qui eût calculé que, cadet et
pauvre, simple vicomte de Turenne, il arriverait plutôt
au commandement général des armées en se donnant
pour maitre un étranger isolé, méprisé. Mais ce n'est pas
cela. Ses vrais motifs furent autres, tout militaires. Pour
les comprendre, il faut connaître les hommes de la guerre
de Trente ms»
Turenne et sa petite armée étaient une même personne,
presque autant que l'armée de Lorraine et son duc, l'aven-
turier célèbre. Chacun des avis de Turenne et de ses con-
seils à la cour fut absolument relatif à la position et au
salut de cette armée. Quand il empêcha en juillet la cour
de fuir à Lyon, on allait l'affaiblir encore, lui prendre une
escorte de deux mille hommes; et cette armée, ainsi
mutilée, frappée moralement par l'abandon du roi, eût
bientôt cessé d'exister. Quand il exigea en octobre que le
roi hasardât de rentrer à Paris, ce fut, dit-il, parce que,
sans cela, il n'y eût eu pour l'armée « ni argent ni quar-
tier d'hiver. Les ofiiciers quittoient déjà tous les jours,
faute de subsistances. »
Comprenons bien ce que c'est que Turenne.
Les très-bons portraits qu'on en a donnent une tète
assez forte, médiocre, bourgeoise, où personne ne devine-
rait le descendant des Turenne du Midi, ni le frère de
M. de Bouillon* C'est un terne visage hollandais (il l'était
de mère et d'éducation), qui tournerait au bonasse s'il
n'avait la bouche fort arrêtée, réservée, mais très-ferme.
Cet homme de si grande résolution était hésitant de pa-
role, trivial, ennuyeux, filandreux. L'état d'infériorité où
il fut longtemps, comme cadet et bas ofiicier dans les ar-
mées de la Hollande, resta en lui toute sa vie. 11 était fort
modeste, fort serré, non avare, mais extrêmement éco*
272 TURBNNB RELÈVE MAZARIN.
«
nome. Ses lettres de jeunesse le disent assez. Il y parle et
reparie de son habit qui passe. Lui- môme il était né râpé.
Son flegme était extraordinaire, et rien, pas même la
plus brusque surprise, ne l'en faisait sortir. Tout le monde
sait l'anecdote suivante, qui, du reste, lui fait honneur. Il
se levait de fort bonne heure. Un matin qu'il prenait Tair
à la fenêtre, un de ses gens, voyant un homme accoudé là
en bonnet de coton, le prend pour son camarade, et lui
applique amicalement un énorme soufflet au bas du dos.
L'homme se retourne, et c'est Turenne. « Monseigneur,
s'écrie le frappeur à genoux, j'ai cru que c'était Georges..,
— Mais, quand c'eût été Georges^ dit Turenne en se frot-
tant, il ne faut pas frapper si fort. »
'L'homme était excusable. Et tout le monde croira voir
Georges si vous mettez à ses portraits un bonnet de coton.
En ce temps d'emphase espagnole et de héros à la Cor-
neille, la prose apparut dans Turenne. On vit que la guerre
était chose logique, mathématique et de raison, qaM\e ne
demandait pas grande chaleur, tout au contraire, un froid
bon sens, de la fermeté, de la patience, beaucoup de cet
instinct spécial du chasseur et du chien de chasse, parfai-
tement conciliable avec la médiocrité de caractère.
Les Mémoires de Turenne n'indiquent pas qu'il ait jamais
eu une émotion, jamais aim^, jamais haï. On dira que ce
sont des Mémoires militaires, et qu'il n'a voulu qu'expli-
quer ses opérations. Cependant il est surprenant de voir
que même les maîtres de son art, le grand Gustave, l'ha-
bile et savant général Merci (son vrai maître en réalité),
n'obtiennent à leur mort, d'un écrivain si prolixe, pas un
mot de sympathie. Une ligne pour Gustave dans une lettre,
une pour Merci dans les Mémoires, et voilà tout. Cepen-
dant, à Nordlîngen, si Merci n'eût été tué, Turenne n'eût
pas sauvé Condé, et la bataille était perdue.
Il est bien entendu que les effroyables événements qu'il
traverse, l'état du peuple que son armée dévore, lui sont
RÈGNE DE MAZARIN. 273
parfaitement indifTérents. Il y a de temps en temps une
ligue funèbre, mais rien de plus. « Pas un paysan dans les
vUlages » (d'Alsace, p. 363). — « On passe cent villages
sans rencontrer un homme » (en Palatinat, p. 342). —
« Dans ce pays (de Moselle), il n'y a pas de quoi nourrir
quatre hommes » (p. 399).
Quant aux environs de Paris, on sait, mais non par lui,
dans quel état ils se trouvaient, pillés et repillés, ravagés,
affamés, outragés par les trois armées, puis empestés des
cadavres innombrables d'hommes et de chevaux. Les
belles dames de Paris s'en vont, en se bouchant le nez, à
travers les charognes, faire collation dans ces armées, et
Turenne fait taire le canon quand Mademoiselle va visiter
Condé. Mais ces galanteries ne diminuent point l'horreur
de la guerre. « Depuis cinq ans, ni moisson ni vendange
(V. Feillet). Nous rencontrons des hommes si faibles,
qu'ils rampent comme des lézards sur les fumiers. Ils s'y
enfouissent la nuit comme des hôtes, et s'exposent le jour
au soleil, déjà remplis et pénétrés de vers. On en trouve
gisant péle-méle avec leurs morts, dont ils n'ont pas la
force de s'éloigner. Ce que nous n'oserions dire, si nous
ne l'avions vu, ils se mangent les bras et les mains, et
meurent dans le désespoir. »
Le duc de Lorraine, en ces ciioses, était admirable, li
disait que son armée ne pouvait manquer de vivres, parce
qu'au besoin elle mangeait les morts ou les blessés. Il était
bon et indulgent pour les jeux du soldat. Un de ces jeux,
à Lagny, c'est de rôtir un enfant dans un four ; ailleurs^
de voir lequel du mari ou de la femme, tous deux fouettés
d'épines à mort, mourra le premier dans son sang. Cette
armée était gaie, comme son chef, et facétieuse. On s'y
amusait fort. Une des raisons décisives qui firent quitter
Paris à Condé, nous assurent les plus graves témoins, c'est
qu'il s'amusait beaucoup plus dans cette vie d'agiéable
aventure.
XII. £8
274 TURENNB RKLÈVK «AZARIN.
Turenne n'aimait pas les gaietés ei^eMi^fiB, non pa»
souci du peuple, mais parce qu'acnés ensauvagent le soÛol
et le rendent indîscipKnable. Il aimait les hommes rangés^
laborieux, patients, à son image, et il kes fliisiiil lels peur
llntérét du service. Aux batailles et aux eampemeofii, il
ne se fiait pas aux bas officiers, comme tes Espagnols, ni
dans les sièges aux ingénieurs, comme les HoUendeis. Il
allait le matin à la tranchée; il y allait le seîr, et il yr^^
tournait pour la troisième fois après souper. Lui-ménue, il
instruisait sans cesse les capitaines de ce qu'il y avait à
faire. C'était un maître autant qu'un général. Il les formait
soigneusement, ne les traitait nullement comme des ma-
chines. Parfois même, cet homme serré, économe, pour
s'assurer d'un officier qui pouvait être utile, allait jusqu'à
ouvrir sa bourse personnelle et le remontait de son
argent.
Il connaissait parfaitement Tennemi, et devÎMÎf heure
par heure ce qu'il faisait ou voulait fliive. M eomprit en
juillet 1652, quand, avec sept mille hommes, il nvarcba
contre trente mille, que les Espagnols ne voulaient pas
sérieusement l'invasion, qu'ils ne voulaient pas faire Condé
roi de France, qu'ils ne s'amuseraient pas à conquérir ici
pour rendre bientôt, et qu'ils tenaient bien plus à repren*
dre leurs places de Flandre. Il savait qu'au moment où
ils faisaient Condé leur général, ils s'en défiaient^ et que
l'assurance même de Turenne à marcher si faible contre
eux au^'mcnlerait leurs soupçons. Ce qui pouvait y ajou-
ter, c'est que tous deux entretenaient (par pur amour de
l'art) une currespondance. Turenne n'avait pas un succès
que respectueusement il ne fît juge son ancien général des
soins qu'il prenait pour le battre.
Si Condé n)éritait d'être puni pour avoir passé aux Es-
pagnols, il le fut à coup sûr. Ils le firent générai, mais en
le liant, l'entravant. Des lieutenants comme un gouver-
neur des Pays-Bas, ou un duc de Lorraine, ne pouvaient
RÉGNE 0B MÀ7ARm. 275
obéir. Et d'ailleurs la vieille tactique espagnole des temps
de Charies-Quint, leur méthode^les campements romains,
retranchés chaqve soir, mettait obstacle à tout. La hiérar-
chie était inflexibie, l'étiquette immuable, à l'armée tout
comme à Madrid. Un jour que Turenne observait leur
camp de très-près, ses lieutenants s'étonnèrent de voir un
homme si sage se hasarder ainsi. Il répondit : c Soyez
tranquille. Le commandant de ce quartier, Fernand de
Solis, n'entreprendra rien de son chef. Il enverra deman-
der permission au général Fuensaidgne, lequel ne fera
rien sans en avertir l'Archiduc. Mais TArchidUc a tant
d'égards pour le prince de Condé, qu'il le fera prier de
décider avec lui en conseil de guerre sur ce qu'on pourrait
faire. Donc, nous avons le temps d'observer. Nous ne ris-
quons rien, sauf peut-être un coup de canon, v
Ce fut encore bien pis quand Dun Juan d'Autriche, le
fils du roi d'Espagne, vint succéder à l'Archiduc. A chaque
campement, en arrivant, il se mettait au lit. L'occasion la
plus favorable de livrer bataille fut perdue une fois, parce
qu'on n'osa pas l'éveiller.
Turenne crut qu'en combattant des gens si sages on
pouvait être hardi. En 1653-1654, n'ayant encore que des
moyens très- faibles, il prit les places de Champagne que
possédait Condé, et qui étaient le vrai chemin de l'inva-
sion, comme il l'explique. Puis, lorsque Condé, fortifié de
deux armées, espagnole et lorraine, essaya par la Picar-
die ce qu'il ne pouvait plus par la Champagne, Turenne
audacieusement (et seul de son avis) ne couvrit point
Paris. Il passa derrière l'ennemi, et se mit entre lui et les
Pays-Bas. Cependant, à Péronne, Condé crut pouvoir
l'accabler. Mais le général espagnol, qui avait peut-être
défense de livrer bataille, exigea un conseil de guerre. Or,
pendant le conseil, Turenne, qui avançait toujours, était
déjà en sûreté.
Ses misères n'étaient pas finies. Dans les années qui
276 TURUINB RELÈVE MAZàRIN.
suivent, il opéra avec des armées bien plus fortes. Hais
son indigne maître, Mazarin, comprit si peu le signadé
bonheur qu'il avait eu d'être sauvé par un tel homme,
qu'il lui donna toujours pour égaut dans le commande-
ment le médiocre La Ferté, qui arrivait toujours trop tard,
s'étonnait, s'embrouillait. Bien plus, le brutal Hocquin-
court, un soldat inepte et perfide^ dont le mérite unique
était d'avoir offert d'assassiner Ck>ndé et d'avoir ramené
Mazarin .
On voit très-bien, dans les récits, quoique modestes et
fort doux de Turenne, jamais accusateur, combien ces
généraux de Mazarin lui furent embarrassants et dange-
reux. En 1654, la grande armée des Espagnols voulant
reprendre Arras, Turenne exigea, décida qu'on forcerait
leurs lignes. La Ferté, Hocquincourt, ne s'en souciaient
pas, et croyaient la chose impossible. Us s'y prirent de
manière qu'elle le devint presque en effet. L'attaque gé-
nérale devait se faire la nuit; ils n'arrivèrent qu'au iour.
Mais déjà Turenne seul avait forcé les lignes et défait Ten-
nemi.
Cela ne décourage pas Mazarin. Il maintient La Ferté
pour commander avec Turenne. Il en résulte à Valencien-
nés (1656), qu'ils assiégeaient, le plus terrible événement.
Les Espagnols, ayant rompu la nuit les écluses des marais
voisins, attaquent, à la faveur de cette inondation, le
corps de La Ferté, ne rencontrent nulle garde avancée,
prennent le général, tous les officiers, tuent quatre mille
hommes. Tout cela en un quart d'heure. Jamais le sang-
froid de Turenne ne parut davantage. Lui seul^ il n'eut
pas peur, n'éprouva aucun trouble, retira son canon, et
s'en alla au petit pas. L'armée croyait rentrer en France,
et déjà le bagage en avait pris la route. Mais Turenne Je
fit arrêter, resta en pays ennemi, campa près du Quesnoy.
Les ennemis, ayant eu du renfort, semblaient devoir venir
à lui. Les nôtres étaient d'avis de ne pas les attendre. Tu-
RÈGNE DE MAZAROf. 277
renne ne bougea, attendit. Les Espagnols respectèrent son
repos.
Notons un fait piquant. Dans une occasion (Mém.
d'Yorck, p. 589), Turenne a peur, Mazarin n'a pas peur.
Les prêtres et les femmes ne craignent rien. Il s'agis-
sait de passer une rivière sous le feu de l'ennemi ; mais
devant la rivière il y avait encore des marais et des re-
tranchements, des fossés, et l'on n'arrivait au passage
que par une étroite chaussée. Mazarin soutenait que, le
roi étant là en personne, on devait braver tout, passer.
Turenne objecta qu'on perdrait trop de monde. Mais cela
n'eût guère arrêté s'il n'eût montré la chose comme abso-
lument inutile, parce qu'on pouvait passer plus bas.
Ëtait-ce humanité? Non, prudence et bon sens. Des
romanciers ont travesti Turenne en je ne sais quel phi-
lanthrope, un Fénelon guerrier. Il n'y a rien du tout de
cela. La réalité est que la guerre de Trente ans, ayant
perdu ses fureurs, ses chaleurs, ayant usé cinq ou six
générations de généraux, de plus en plus indifférents,
sans passions et dégagés d'idées, a fini par produire
l'homme technique ou l'art incarné, lumière, glace et
calcul. Nulle émotion ne reste plus. C'est la guerre quasi
pacifique, mais non moins meurtrière.
Un froid mortel saisit; une Sibérie à geler le mercure.
On voyage dans la nuit des pôles, plus lumineuse que le
jour, où l'on voit des batailles de glaces heurtant les
glaces, de cristaux brisant des cristaux. Un grand désert.
Plus d'hommes, et pas même de morts. Et même on ne
s'en souvient plus.
CHAPITRE XXVI
Paix «nirersellQ. •» Tnonphe cft mort de Su arÎD. t<KIS-t689.
llazarin, oa l'a vu avaat k Fnoade, aTail pendent eioq
IBS exploité le royaume par la force d'opinion qoe hri
donnait alors un€ victoire aAauelle de Condé. Pandant sept
ans (après la Fronde), il se releva, brilla, graiicUt par les
solides résultats des succès de Titrenne. Il eo tira cette
gloire qu'à la dernière campagne TEapagne, aérieusemest
menacée de la perte des Pays-Bas, reobevcha, deaunda
(i658) la paix que Mazarin avait d*abord offerte^
Donc, par deux fois le géaie militaire eoïKvrii éenmi
r£urope la honte d'un gouverneoient vil, trompa sur son
habileté.
Ce qAii est évident, c'est qa'au tenais du plas grand pé-
ril (4652), et constamment dans les années qui suivent,
Mauurin subordonna entièroinont les afhires de la France :
1® au placement de sa famille, au mariait de ses nièoea ;
^ à son avarice, à la création d'une énorme fortune, la
plus monstrueuse qu'aucun ministre eût eue jamais. Ni
Concini, ni Luynes, ne sont rien à côté.
Pour faire cardinal son frère, il avait presque fait la
guerre au pape, et ce frère, un moine imbécile, il le fit
vice-roi de Catalogne. Pour cette position si importante.
TRI0MPU8 KT MORT DB MAZARIIf. 879
si précieuse, qui ikjus mettait au cœur de l'Espagne, on
enttt dû ménager le peuple catalan à tout prix.
Pour marier une nièce au tils du duc d'Épernon, il ai--
grit, prolongea la guerre de Guyenne, la résistance de
Bordeaux,
Pour décider le prince de Gonti à épouser une autre
Mancini, il donna à ce prince, élevé pour l'Église, contre-
fak, qui, d'ailleurs, n'avait point vu la guerre, l'armée
des Pyrénées, celle qui, parla Catalogne et TAragon, de-
vait prendre TEspagne corps à corps.
Une autre nièce épouse le frère du duc de Modène, qui,
awec la Savoie, nous fait attaquer et manquer Pavie. C'est
par un mariage semblable que le prince Thomas de Sa-
voie gagne le cœur de Mazarin. Son fils, le comte de Sois-*
sons, épouse Olympe Mancini, dont il aur^ le prince Eu-
gène, le futur fléau de la France.
Au total, il avait sept nièces, qui toutes eurent des dots
énormes, la moindre six cent mille livres (d'alors) et le
gouvernement d'Auvergne. La plus riche, dont le mari
s'appela duc de Mazarin, eut, à la mort de Toncle, un
million et demi de rentes (six millions de rentes d'aujour-
d'hui).
M. de Sismondi, savant économiste, s'efforce d'expli-
quer comment la France, après la guerre civile, put u
remettre sous Mazarin. Vaines explications. Les faits mon-
trent qu'eiie iu s^ remit pas du tout.
Huit ans après la Fronde, l'année même où meurt Ma-
zarin (4660), les rapports, cités par M. Feillet, nous ap-
prennent celte chose lamentable que non-seulement aux
provinces frontières (Bourgogne, Picardie, Champagne,
Lorraine), mais dans celles de l*intérieur, par exemple dans
l'Afigoumois, la misère était la même qu'aux environs de
Paris. Lee pauvres mangeaient encore, comme au temps
de la Fronde, les bêtes jetées à la voirie, les disputaient
aux chiens.
280 PAIX UNIVERSELLE.
On a vu l'impuissance, l'insuffisance et la misère des
secours qu'essaya d'organiser l'excellent Vincent de Paul,
les trois sous par mois qu'on donna dans l'année la plus
dure aux populations les plus affamées. Ajoutez-y les
soupes économiques (d^herbe et d'eau claire, c'était à peu
près tout), les magasins charitables^ oii chacun doit porter
ce qui ne lui sert pas. La liste des objets donnés est cu-
rieuse; on rirait si l'on ne pleurait : « Dix-neuf lanternes,
vingt-six douzaines de chapelets, des vieux peignes, vingt-
trois seringues, etc., etc. » (Feillet.)
Du jour où Richelieu voulut toucher aux biens d'J^lise,
ne put et recula, la Charité, aussi bien que l'État, devait
perdre à jamais l'espoir. Et les petites aumônes tirées par
cette Église si riche du bon cœur de nos dames et de leurs
petites économies, ne purent être que ridicules devant le
monstrueux fléau qui peu à peu but le sang de la France.
Quel fléau? Deux pompes aspirantes d'incalculable
force.
1° La grande pompe centrale du fisc, l'exploitation vio-
lente de la France par un coquin pour un coquin. Je
parle de Mazarin et de Fouquet, à qui il confia les finances.
2'' La pompe universelle de toutes les tyrannies locales.
Elles ressuscitent sous un gouvernement faible et fripon,
qui se sent trop coupable pour accuser aucun coupable ;
les campagnes livrées aux seigneurs, avides, nécessiteux
et luxueux. Nous aurons pour TAuvergncle récit aimable
et badin du jeune abbé Fléchier, qui montre en ce pays la
sauvage horreur du temps féodal, aggravée des caprices
d'une tyrannie malicieuse, dont les temps barbares n'eu-
rent jamais l'idée.
Que les peuples soient exploités, volés, c'est la chose
ordinaire. On n'y ferait pas attention s'il n'y avait eu ici
dans.Ie vol une lâche audace, une intrépidité de bassesse,
qu'on nous passe ces mots, toute nouvelle et originale,
qui ne s'est peut-être vue qu'une fois.
TRIOMPHE KT MORT DB MAZARIN. 2H
On vit en huit ans cette chose surprenante, miraculeuse,
absurde : un homme qui était maitre et roi, prenait ce qu'il
voulait, et qui pourtant volait le rot, c'est-à-dire se volait
lui-même.
Il était rËtat en réalité (autant que le fut jamais
Louis XIV). Et en même temps il faisait des affaires avec
rÉtat, s'était fait financier, partisan, munilionnaire. 11
trafiquait des vivres, spéculait sur l'artillerie, gagnait sur
la marine. Il avait pris à son compte la maison du roi.
Quoiqu'il eût tant d'esprit pour Tintrigue et le ravau-
dage (dît si bien Retz), il n'avait ni intelligence ni connais-
sance de la France qu'il exploitait. De sorte qu'à chaque
instant, sans tact ni pudeur, à l'aveugle, il faisait des
choses immondes. Il avilit les charges, les dignités, en les
vendant et les multipliant. < Il aimait mieux faire dix ducs
et pairs que donner dix écus. •
Peu avant sa mort, il promet un siège de président à un
homme aimé de la reine. L'homme vient le remercier :
« Oui, mais j'en veux cent mille écus. » La reine eut beau
faire et beau dire; il n'en démordit pas^ disant toujours :
f J'en veux cent mille écus. » Tout en disant cela, il
mourut. Et on l'eut pour rien (Montglat).
On ne pouvait arriver à lui, à moins d'être joueur. Il
était fort adroit aux tours de carte, et n'avait jamais pu se
corriger d'avoir la main trop vive et trop habile. On dit
qu'il choisissait les pièces fausses ou rognées pour les
passer au jeu.
Il inventa un jeu nouveau, la spéculation sur la guerre.
Il ne comprenait pas d'abord grand'chose aux affaires mi-
litaires. Ce qui le prouve, ce sont ces choix ridicules et
d'avoir égalé un Hocquincourt au premier général du
siècle. A mesure cependant qu'il aperçut qu'il avait en
Turenne un génie infaillible, un joueur qui gagnait tou-
jours, il voulut être de la partie ; il joua sur Turenne,
s'associa d'avance à ses victoires, se fit son fournisseur de
382 PAIX UNITmSBLLK.
vivres, réalisa snr ses conquêtes de gigantesques béoéfiees.
Vers la fin, il avait fait encore un pas. Il avait pris un
intérêt dans lentreprise 'honnête des pirates et des flibus-
tiers qui faisaient la course sur le commerce des HoUan-
dais, nos alliés. Excellente spéculation. On prit en moins
de rien trois cents vaisseaux. La Hollande indignée envo3fa
le grand Ruyter, qui prit tout simplement une petite
représaille, deux vaisseaux seulement. Mazarin redevint
souple, aimable, offrit satisfaction, promit mille «huses
qu'il ne donna jamais.
On a parlé beaucoup de Thabileté de Mazarin, de sa
subtile politique, de sa fine diplomatie, de sa persévérance
à continuer la tradition d'Henri IV et de Ricbelieuu On k
redit, parce qu*on Ta dit. Ge sont choses convenues que
tout le monde répète. Examinons pourtant. Henri IV et
Richelieu cultivèrent, ménagèrent, se rallièrent les petites
puissances, lé premier s'assura des Suisses, et fut étroite-
ment uni avec les Hollandais. C'est avec oeux*ci que Ri-
chelieu eût voulu partager les Pays-Bas. Mazarin se
brouilla avec les uns et les autres.
Dans la crise si grave où la rivalité maritime commen-
çait entre l'Angleterre et la Hollande, c'était le moment
ou jamais de s'attacher celle-oi. Mazarin ne voit là qu'une
facilité de pirater. Noble commencement de cette longue
série de sottises par lesquelles Louis XIV réussît à valta-
oher solidement la Hollande à l'Angleterre.
Cromv^ell, tout Cromwell qu'il pût être, avec sa répu-
blique viagère, n'avait pas fait grand'ohose, tant que l'ta-
vincible Ruyter promenait sur les mers le paviUon de
Hollande. Cromveell était près de sa mort, et Charles II de
sa restauration. L'Angtoterre allait retomber* Qui fenda
sa grandeur? La politique profonde de Mazarin , hostile à
la Hollande, la politique profonde de Louis XIV, qui fait
de notre ancienne et de notre tneilleure alliée une cha*
laape à laramorque du vaisseau britannique.
TRIOMPHK ST MORT DE MAZARCN. 288
Litlérakreoientf à coup sûr, la diplomatie française est
charmante. Les4é()éehe6 de Mazarîa^ de Lyonne, etc., ne
sont guère au-dessous des lettres de madasDe de Sévigné.
Est-ce assez pour justifier radmiratîoiisans bcM*nes qu'on
a montrée pour celte diplomatie aux derniers temps? Re-
gardons, je vous prie, surtout les résultats.
On pouvait s'y tromper en avril 1657, à la mort de Teai-
pereur Ferdinand 111. La France ne put faire élire son
candidat, le duc de lavière. Mais les princes du Rhin et
autres, s'aUlaut à la France et à la Suède, n'élurent l'Au-
trichien Léopold qu'en lui fiaisant signer l'engagement
c de ne donner aucune aide aux Espagnols. •
Ce succès de k France, pofussant ceux-ci au déses-
poir, pouvait les décider à Talliaiiee monstrueuse de
Cronwell, à unir le drapeau de TÉtat catlwlique entre
tous à celui de la république puritaine. On assure qu'ils
offraient au Protecteur d'assiéger avec lui Calais pour
y faire rentrer les Anglais, les rétablir on France, gué-
rir la plaie dont Torgaeil britannique saignait depuis
eent ana.
CroTOweli,. dont le ferme -et froid regard voyait très-
bien, malgré les succès de Turenne, l'épuisemeBt réel de
la France, la faiblesse misérable d'un gouvernement dila^
pidateur, demande à Maearin ce qu'ii lui donnera à la
place. Et oeltti-ci est trop heureux que l'Aoglaîs accepte
BuiA«rque, MardidL et Gravelines, irais ports pour un,
que Masarin se fait toti de conquérir sur TËspagne pour
les lui donner.
Traité, a« fond, fort triste, qui faisait de la France la
servante de l'Angleterre , lui Âî&ait employer aon sang
à oonquérir pour sa rivale. Avec quel résultat? 0'étal)lir
les Anglais sur le contioeot. — Kdu pas à Calais, il est
rrai, mais à deux pas de Calais.
Qui ne voit que Dunkerquf , en Flandre, mais si près
de la France, n'était guère moins dangeresx, permettant
284 PAIX UNIVBRSBLLI.
également la descente d'une armée qui pouvait à son
choix tomber sur nous ou sur les Pays-Bas?
Le but de Mazarin, dit-on, était d'abaisser à la fois
l'Espagne et la Hollande, Son traité avec l'Angleterre eût
eu le résultat d'humilier la première sur terre^ la seconde
sur mer. Politique admirable, zélée pour la marine an-
glaise I
Turenne eut des succès rapides. 11 gagna sur les Espa-
gnols la bataille des Dunes (U juin 1658), qui nous donna
le bel avantage de mettre les Anglais dans Dunkerque.
Puis, on prit Gravelines, Tpres, Oudenarde, Menin. On
était maître du chemin de Bruxelles. Si l'on y eût été, si
Ton eût procédé sérieusement à la conquête des Pays-
Bas, on aurait vu bien vite les résultats du traité qui met-
tait l'Anglais à Dunkerque. Il eût fait volte-face, n'eût
jamais permis un tel agrandissement de la France , et,
profitant de la descente qu'il avait par nous sur le conti-
nent, notre excellent ami nous eût pris par derrière.
La mort de Cromwell qui survint (septembre 1658) put
rassurer sur ce danger. Et, d'autre part, une victoire du
Portugal sur l'Espagne encourageait notre conquête. La
grande barrière des Pays-Bas avait été brisée par la prise
de tant de places. Mais ce fut alors qu*on traita.
La France, naguère alliée de Cromwell, retomba dans
ses attractions catholiques, dans le vieux rêve de ses rei-
nes, toujours le mariage espagnol. Marie de Médicis y
avait tout sacrifié. Combien plus Anne d'Autriche, Espa-
gnole elle-même, et dont le fils était Espagnol par sa
mère I La femme née de Louis XIY, prédestinée et légi-
time, était l'infante, sa cousine.
Autant Anne le désirait, autant Philippe IV. 11 aurait fait
ce mariage à tout prix. On pouvait croire qu'une telle
union fortifierait l'ascendant moral, déjà si fort, des Es-
pagnols, tant moqués des Français, mais toujours copiés.
Du reste, cet excellent père, pour procurer ce grand ma-
TRIOMPHE ET MORT DE MAZARIN. 285
riage à sa fille, faisait bon marché de l'Espagne même.
N'ayant qu'un fils à la mamelle, très-fréle et maladif, il
envisageait sans effroi l'hypothèse où sa fille (malgré la
renonciation qu'elle fit) hériterait de l'empire espagnol.
Cette nation si fière n'eût plus été qu une dépendance de
la France (Motte ville).
Les Castillans haïssaient moins celle-ci. Leur haine et
leur furie était toute contre les Portugais, leurs vaillants
frères qui les battaient. Us croyaient, le lendemain de la
paix avec la France, exterminer le Portugal, comme ils
avaient déjà soumis les Catalans.
Mazarin, par une suite de fautes, avait perdu la Cata-
logne. 11 sacrifia le Portugal. C'est la base réelle de son
Traité des Pyrénées (7 novembre 4659).
Encore un sacrifice du faible au fort, le sacrifice d'un
allié aussi précieux contre l'Espagne, que l'était la Hol-
lande contre les Pays-Bas espagnols.
L'abandon de la Catalogne et du Portugal, celui de
Naples et de la Sicile dans leur grande crise de 1647,
c'étaient les solides services par lesquels Mazarin pouvait
se vanter d'avoir ressuscité l'Espagne^ si elle ressuscitait
jamais.
Il prévoyait, dit-on, que l'infante ou ses enfants hérite-
raient. — Oui, soixante ans après et au prix*d'effroyables
guerres. Les deux pays étant quasi exterminés, un des
morts se coucha sur Tautre. Résultat si lointain, si coû-
teux, d'avantage si contestable , qu'on a tort d'en tant
triompher. Que l'Espagne devint si française, cela n'a
guère paru en 4 808, et depuis.
Ce qui poussa Mazarin à abandonner le Portugal, et à
précipiter le mariage (plus que les Espagnols qui le dési-
raient tant), c* était la pénurie d'argent. On avait touché
le fonds et le tuf. Le financier de Mazarin, le petit Fouquet,
son noir diablotin (qu'on voit à Versailles], était à bout de
ses tours. Un nouveau gouffre s'était ouvert, qui mangeait
286 FAIX UNIflRSBLLB.
•
autant que la guerre. Ce gouffre était le jeune roi. Depuis
deux ou trois ans, ses divertissements, fêtes, bals, con-
certs, carrousels, avaient pris un vol effréné. Le colossd
recuail des dessins des Ballets du roi que possède la bîMio-
thèqne, fait deviner c onibien il en coûtait pour ces Mies
représentations.
Mazarin le tenait par cet étourdissement des fêtes. Ses
nièces en faisaient Tornement. L'une d'elles. Olympe
Mancini, qui avait pris le cœur du roi, en était l'àme et
la di'esse. Mazarin, nous dit-on, en fut très a£Bigé. le ne
le pense pas. A cette même époque , il faisait les phis
grands efforts pour en faire une (Hortense) reine d* Angle-
terre, tentant le vénal Charles H par une dot de six mil-
lions. Et Ton veut qu1i n'ait pas saisi l'espoir de faire
Olympe reine de France I L'obstacle réel fut Anne d'Au-
triche. Il avait tout fait pour éloigner d'elle son fils, et lui
êter toute influence. Elle le punit, ce jour-là, de son ingra-
titude. Sa fierté espagnole se releva. Elle dit : « Si mon
fils est assez bas pour faire cela, je me mettrai contre lui
avec mon second fils, à la tête de tout le royaume. >
Il ne resta à Mazarin qu'à faire le magnanime. Il écrivit
au roi, contre ce mariage, les belles lettres de désintéres*
sèment austère qu'on a tant admirées.
Jo laisse les amateurs de négociations s'amuser à celles
du mariage d'Espagne, qui était fait d'avance par la
violente envie que les deux partis avaient de le faire à
tout prix. La France y garda les conquêtes de Richelieui
l'Artois, le Roussillon, mais peu ou rien des conquêtes de
Mazarin. Elle rendit les places fortes de Flandre, le prix
des victoires de Turenne.
Condé rentra et recouvra ses biens, mais non pas ceux
de ses amis, qui restèrent sacrifiés. Il se retrouva prince
du sang, gouverneur de Bourgogne, mais perdu pour
tout l'avenir.
On assure que Mazarin, en rendant tant de places de
TRIOMPHE RT MORT DB MAZÀRIN. 287
l'intérieur des Pays-Bas, eût pu obtenir de garder Cam-
brai, mais que L'Espagne le gagna en lui donnant l'espoir
de le soutenir au premier conclave, de lui donner la pa-
pauté. Rien d'invraisemblable en cela. L'habitude si lon-
gue qu*il avait de tromper, de mentir et trahir, put le
rendre prenable à ce vain leurre qui, dans son état de
santé, devenait pourtant ridicule.
Aien de plus gai que Mazarin au moment où il signe le
grand traité à la Bidassoa. Il écrit à Paris : a Tout va être
fini. Je ne ferai pas grand séjour dans le pays basque, à
moins que je ne m'amuse à leur voir pécher la baleine, à
apprendre le basque ou à sauter comme eux. »
Cependant le sauteur, au milieu de ces joies, est pincé
par la goutte. La poitrine se prend. Il continue au lit sa
vie habituelle. Le lit du moribond, couvert de cartes, est
la table du jeu, le comptoir à vendre les places. Cartes et
sacrements allaient pèle- mêle. La seule réparation de ses
vols qu'il imagina, ce fut de tout offrir au roi, bien sûr
qu'il refuserait. Ce refus le tranquillisa entièrement, et il
continua en toute sécurité son jeu et ses dévotions. Tous
en furent édifiés, et trouvèrent qu'il faisait une bonne fin.
Du moins, conséquente à sa vie. Il vécut, mourut en tri-
chant (9 mars 166t).
11 croyait tricher l'avenir. Heureux joueur, il avait eu la
partie toute faite. L'augure de sa jeunesse s'était trouvé
rempli. Il avait apparu, à vingt-cinq ans, sur un champ
de bataille, criant : La Paix I la Paix ! ce qui fut le premier
escamotage de sa vie. Aux grands et sérieux travailleurs
qui sont morts à la peine en lut préparant tout, il esca-
mote encore la gloire de la paix triomphante de West-
phalie, des Pyrénées. Richelieu travailla, Mazarin recueil-
lit. L'un fit l'administration, l'armée, la marine et mourut
justement la veille de Rocroy. L'autre gâta tout et réussit
en tout. Grand par Condé et plus grand par Turenne,
affermi par l'orage même et l'avortemcnt de la Fronde,
288 PAIX UNIVERSELS.
il a ce dernier bonheur qu'on fait honneur à son génie de
la paix forcée et fatale où l'on tomba par lassitude. Ce
piédestal lui reste. Il garde, après la mort, ce masque de
l'ange de la paix.
Vraiment, est-ce une paix? Elle arrivait trop tard.
L'Allemagne, agonisant sur ses ruines, ne trouva pas \a
paix dans le traité de Westphalie. L'Espagne, finie et
défunte, n'était plus en état de ressentir la Paix des Pyré-
nées. Et la France elle-même, qui entre par là dans un
procès de cinquante ans pour la succession d'Espagne, la
France va trouver dans cette paix et la guerre fiscale au
dedans et la guerre sanglante au dehors .
J'ai dit ailleurs (p. 90, 92) ce que| je pensais du pré-
tendu système d'équilibre au xvii* siècle. J'ai hasardé de
dire aussi que Richelieu n'y comprit rien, croyant que les
protestants, si faiblement liés (par Ies\ idées), faisaient
un contre-poids au parti catholique^ fortement hé (par
les intérêts). Du reste, quand on voit dans ses Mémoires
les conditions misérables, accablantes, quHl fait au Palatin
pour le rétablir sur le Rhin, sa partialité pour la Bavière,
on sent qu'une telle paix n'eût été qu'une amende hono-
rable des Protestants demandant grâce à genoux, la corde
au cou, et que, bien loin d'établir l'équilibre, elle aurait
fait dans l'avenir leur irrémédiable déchéance.
On peut prévoir que, si ce grand, ce ferme Richelieu
se tient si peu dans l'équilibre, la France des Louvois,
des Chamillart, etc., ira de plus en plus gauchissant d'un
côté, jusqu'à verser tout à fait dans l'ornière de la Révo-
cation. Louis XIV succède à Philippe II, et la France à
l'Espagne. Elle marche à la même ruine.
Cela se voit de loin, et, dès le commencement. Le beau
roi de seize ans, revenant de la chasse, en bottes à l'écu vère
et le fouet à la main, défend au parlement de demander
jamais aucune économie. Il commence la guerre à l'ar-
gent. Avec Fouquet, plus tard avec Louvois (malgré les ef-
TRIOMPHE ET MORT DE MàZàRIN. 389
forts de Colbert), il ouvre contre la France la campagne
victorieuse oii il vint à bout définitivement de la fortune
publique, emportant pour dernier trophée l'immortelle
banqueroute de trois milliards à Saint-Denis.
Toute autre nation, après les Mazarin, les Pouquet, les
Louvois, tant de guerres, tant de gloire, tant de héros, tant
de fripons, resterait assommée à ne se jamais relever. Et
celle-ci pourtant dure encore.
Ce brevet d'immortalité, cette Jouvence nationale, com-
ment les expliquer? Le pauvre Sismondi se gratté ici la
tête, et ne trouve rien, sinon que peut-être, à force de
tuer, les hommes étant plus rares, le salaire croissait pour
les survivants, qui souffraient un peu moins. Je ne vois
point cela. Vauban et Boisguilbert semblent dire plutôt le
contraire dans les lugubres épitaphes qu'ils font de la
France de Louis XIY.
La seule explication, je Tai trouvée dans un auteur an-
glais du XVII* siècle, qui, traversant nos plaines à cette
époque, vit, non sans peur, une grande foule dégue-
nillée de gens étiques, une ronde de vingt ou trente
mille gueux, qui dansaient de tout leur cœur. Ces sque-
lettes, n'ayant pas soupe, au lieu de se désespérer, faisaient
un bal le soir. C'était une armée de Louis XIV.
Oublier, rire de tout, souffrir sans chercher de remède,
se moquer de soi-même et mourir en riant, telle fut cette
France d'alors. La chanson continue, et la comédie vient.
Les grands consolateurs sont nos comiques.
Leur instrument, la nouvelle langue française, née des
Maxarinades^ y 'est déjà étincelante. Elle est dans le Roman
comique. Elle est dans les Mémoires de Retz^ qu'il com-
mença certainement à Yincennes (1652). Elle va éclater
dans le pamphlet mordant, puissant, victorieux, de la
Fronde religieuse, les Provinciales (1657). Et déjà aux
portes est Tartufe (1 664).
kdiea le gaulois. Salut au français.
XII. 19
âlN) FAIX UNIYnSKLU.
La belle forte langue du xvi* siècle, qui si souvent vibre
du cœur, était un peu pédante. Elle s'accrochait dans les
plis de sa robe, se retardait dans les aspérités (pittores-
ques, admirables) dont elle est hérissée. Ce n'était pas
langue de gens pressés, de gens d'affaires, de combattants
qui visent à frapper vite, et ne demandent à la parole que
vigueur et célérité.
C'est là le sérieux de la Fronde. Elle ne laisse nul ré-
sultat visible, palpable, matériel. Elle laisse un esprit, et
cet esprit, logé dans un véhicule invincible, ira, pénétrera
partout. Elle a fait, pour l'y mettre, une étrange machine,
la nouvelle langue française.
Cette langue a subi comme une transformation chi-
mique. Elle était solide, et devient fluide. Peu propre k la
circulation, elle marchait d'une allure rude et forte. Mais
voici que, liquéfiée, elle court légère, rapide et chaude^
admirablement lumineuse. Si quelques capricieux (des
Montesquieu, des La Bruyère) en exploitent surtout Tétin-
celle, le grand courant, facile et pur, n'en va pas moins
d'une fluidité continue, de Rets en Sévigné, et de là en
Voltaire.
La Fronde a fait cette langue. Cette langue a fait Voltaire,
le gigantesque journaliste. Voltaire a fait la Presse et le
journalisme moderne.
Mais faut-il dire que cette puissance soit celle d'une
langue nationale ? Non, c'est la langue européenne, ac-
ceptée par la diplomatie de tous les peuples, reine hier par
Voltaire et Rousseau, et aujourd'hui si absolue, que les
autres langues vaincues subissent peu à peu sa gram-
maire.
Ce terrible engin d'analyse éclaire tout, dissout tout et
peut tout mettre en poudre, broyer tout formalisme, lois,
dogmes et trônes. Son nom, c'est : La raison parlée.
Un si fort dissolvant, que je ne suis pas sûr que même,
pendant le beau et solennel récitatif de Bossuet, on n'ait
TRIOMPHE ET MORT DE MAZARIN 291
pas ri sous cape. La France était, n'était pas dupe. Les
deux choses sont peut-être vraies, et pourraient bien se
soutenir. L'enfant est grave en berçant sa poupée (sincère
même), la baise et Tadore, mais il sait bien qu'elle est de
bois.
m
Fatalité de la lumière I Elle va pénétrant, par cette mau-
dite langue française, qu'on n'arrêtera pas. Plus d'asile
aux ténèbres. Plus de mystère, et plus de sanctuaire
obscur. La Nuit divine (d'Homère) est supprimée. Une
telle langue, c'est la guerre aux dieux.
NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS
Les trente années pénibles que Je traverse en ce volume sont
cependant illuminées par deux grandes lumières, des plus
pures et des plus sublimes, Galilée et Gustave-Adolphe. (Voir
le chapitre VI.) De rilalie, du Nord, cette consolation me venait
en débrouillant l'énigme laborieuse de la politique française el
de la guerre de Trente ans, et elle m'a bien soutenu. Par un
contraste singulier, dans cette époque pâlissante où l'homme,
de moins en moins estimé et compté, semble s'anéantir dans la
centralisation politique, ces deux figures subsistent pour témoi-
gner de la grandeur humaine , pour la relever par-dessus les
âges antérieurs.
Leur originalité commune, c'est que chacun d'eux est au
plus haut degré le hèros^ le miracle, le coup d'en haut, ce
semble, la révolution imprévue. Et, d'autre part, ce qui est
bien diiérent, 1$ grand homm$ karmoniquê, où toutes les puis-
sances humaines apparaissent au complet jdans une douce et
belle lumière.
Chacun d'eux vient de loin, et le monde s'y est longtemps
préparé.
Toutes les nations d'avance avaient travaillé pour Galilée. La
Pologne (par Kopernic) avait donné le mouvement; rAllema-
gne, la loi du mouvement (Keppier); la Hollande, l'instrumenl
d'observation, et la France celui du calcul (Viète). Florence
294 NOTES ET ÉCLA[RaSSEIIENTS.
fournit l'homme , le génie qui prend tout, se sert de ionl en
maître. El Venise donna le courage et la liberté.
Jamais homme ne réalisa une chose plus complète. Ordinai-
rement il faut une succession d'hommes. Ici le même trouva
en môme temps: i» La méthode^ entrevue par les médecins,
mais que Descartes ei Bacon cherchent encore vingt ans plus
tard. Galilée la proclame par le plus grand triomphe qu'elle
ait eu dans le cours des siècles. — 1<^ La icieuce\ une masse
énorme défaits, an agrandissement subit des connaissances,
une enjambée de compas qui alla de la petite terre et du petit
système solaire aux milliards de milliards de lieues de la voie
lactée. — 30 Le calcul des faits, la mesure des rapports de ces
astres entre eux. —40 Les applications pratiques. Il montra tout
de suite le parti qu'en tirerait la navigation.
Mais ces résultats scientifiques étaient moins importants en-
core que les conséquences morales et religieuses. L'homme et
ia ietre:n'élaicnt pivatononde. Mène le système solaire n^était
4>liiB te nouée. Tout cela désormais mibêràotmê, nesqvin, mî-
^iérable et mAioM. Qee nolra iwtit globe ebsetir tféddft, par
MSilaila et gestes, en sort de tous lee inondes, eehi derenalt
idnr àcf être. Du (M aoeîen, pi«s de neaveHe. Sa vodte de cris-
M était cvevée, et elle avait Fait plae<^ à la merreilfe d'une mer
iaeondàble, é'mn monfemeot infiniment varré^'^mais infinî-
tmmà réguKer. -^ TbéelogieTÎsible! Bible de Va lamière], ra-
viaseaipai de la oertilvde 1 VaniveneTle Raîsen révélée dans
FinéabitaMe et sopprknaat le dowte. La promesse de la lie-
naissance s'accomplissait déjà : t Fondation de fa Fbt pro"
Da Teste« an fiveinier mienient, persenne n'y pfit garde, ex*
ceplé le boa et gnaaA Keppler, «elai qai avait le plus servi
et préparé Galilée, et qui îe reaBeraia pear k genre bamaîn.
Gustave -Adolphe fut-il le Galilée de la guerre ? Non, pas pré-
ebément. II en renvere l'honneur à son maître, Jacques de la
Gardie, originaire de Carcassonne. Mais, dans cet art, celui qa!
optique avec génie, dans des circonstances toutes nouvelles
et iroiyrévues, n'est guère moins inventeur qne celui qui a
«roQVé ridée première. Donc, nous n'hësîtons pas & 'proclamer
K0TS8 BT ÉCUWCIMEUBNTS. M5
Gustave un héros très*coinplet en quise reneontra tout ce qui est
grand dans l'homme : io l'invention, on du moins un pcrffctîon-
neneiil inventif et original de la vraie guerre moderne, guerre
spiritnaliaie où tout est âme, audace ei mouvement.— ^i^ L'ot-
Hon^ l'hérolquo application de l'idde noavelle, applioation heu-
reuse et éolatantc, du plus déeîsif résultat. — 3^ L'admirable
beauté du but, la guerre pour la paix, la vietoîre pour la déli-
vrance, rintorvention d'un juste juge pour le salut de tous.
««• 40 El, pour eouronaecMot subltee, l'auréole d'un oaraotère
plus haut encore, plus grand que la victoire.
ii est intéressant de voir le double eourant qui fait le héros,
qui harmonise cette grande force individuelle avec le mouve-
ment du monde, de sorte qu'il n'est pas excentrique, et qu'il
est libre rependant, non dépendant de la force centrale. C'est
sa beauté profonde d'avoir cette daaiité. *- Celui-ci est Sué-
dois. 11 est homme d^aveniures. Son rêve n'est pas l'Allemagne,
mais la profonde Russie qu'il voulait conquérir, et le chemin
de rOrieat. C'est bien là, en effet, la propre guerre suédoise.
Petit peuple, si grand I Le seul qui ait le nerf du Nord (et bien
plus que les Russes, population légère, d'origine et de oacac-
tère méridional). Le vrai monument de la gloire suédoise, ee
sont ces entassements de terre au pied des forteresses rusées
qufout bAties les prisenuiers suédors. Les Russes, qui eonnaia-
saieut ces hommes, n'osèrent jamais en rendre un aeul, ren-
dant ville», provinces, et tout ce qu'on voulait, plutôt qu'un
aeul Suédob. Les oa des prisonniers y sont restée, et témoi-
gnent encore de la terreur des Russes. -* Mais, pour être Snié-
dois. Gustave n'en est pas moins Allemand (pur sa mère), pro-
teatant (de religion et de mission spéciale), enfin Français par
rédneatioa miUtaire. Nul doute que notre Languedocien, qui
forma dix années Gustave dans les guerres de Pologne, de
Russie^ de Danemark, n'ait influé beaucoup sur son can*otère
même, L'étinœlle méridionale n'est pas nîécounaiasable dans
ses actes et dans ses paroles. C'est la bontés l'esprit dHenri 1?,
sa parfaite douceur. Du resta, tout cela transfiguré daus le «•-
blime austère du plus grand capitaine, qui donna toat à l'aetlon,
rien au plaisir, et qui toujours fut grand. Un seul défaut (et
d'Henri IV aussi), d'avancer toujours le premier, de donner sa
296 NOTES ST ÉCUIRCtSSBMENTS.
vie en soldat, par exemple, le jour où, contre l'avis de toni le
monde, il passa seul le Rhin.
On prodigue le nom de héros, de grands hommes, à beaneonp
d'hommes éminents , à la vérité, mais pourtant secondaires.
Cette confusion tient à la pauvreté de nos langues et à un dé-
faut de précision dans les idées. Du reste, les hommes supé-
rieurs ne s'y trompent pas, et n'ont garde d'aller sottement se
comparer au vrai héros. Turenne, Tillustre stratégiste, Condé,
qui, par moments, eut l'illumination des batailles, le péaéirant
et judicieux Merci, le froid et habile Marlborongb, le brilianl
prince Eugène, auraient cru qu'on se moquait d'eux si on les
eût comparés au grand Gustave. Au nom du roi de Suéde, ils
ôtaient leur chapeau. C*éiait un mot habituel entre eux : c Le
roi de Suède lui-même n'eût pas réussi à cela... 11 aurait fait
ceci, ■ etc., etc. On voit que la grande ombre planait sur toutes
leurs pensées.
Chapitre I^r, p. 7. Richdieu envisage la vie (de celui qui gou-
verne) comme un jeu de hasard. Il faut qu'il ait de la ekanee^ et
qu*il sache usêr de sa chance. — Cette parole eût dû rester pré-
sente à ceux qui admirent avec raison les monuments de la
politique d'alors, mais s'en exagèrent la portée systématique,
la suite, la conséquence. Nous avons fait effort dans ce volume
pour faire apprécier dans son vrai caractère la volonté très-
forte, mais non pas fixe, de Richelieu, et les variations fatales
que lui imposèrent les éirénements. — Hazarin va plus loin.
Tout en passant sa vie à calculer son jeu, à négocier, ravauder
(comme dit Retz), il attribue tous ses succès à sa bonne for-
tune. Il se moquait de ceux qui se creusaient la tête pour en
chercher les causes et croyaient qu'il avait des secrets, des re-
cettes à lui. Il ne réclamait qu'un mérite, d'être heureux.
D'autre part, nous lisons dans les Mémoires de Retz^ qu'un
jour la reine lui disant : c La pauvre cardinal Mazarin est bien
embarrassé, > il aurait répondu : c Donnez-moi le Roi pour
deux jours^ vous verrez si je le serai. »
Retz a raison. Avoir le Roi en main et jouer sur cette carte,
c'est dans ce temps être heureux à coup sûr, et d'avance gagner
la partie. Donc il faut que l'histoire suive attentivement Vheu-
NOTES BT ÉCLAIRCISSUIBNTS. 297
rêux joaetir, n'onblie jamais Tinlrigne de cour qui est alors le
point principal, s'y place, regarde de là et l'administration in-
tërienre, et la politique extérieure, s'attache au Roi, à la cham-
bre du Roi, c aux douze pieds carrés qui, disait Richelieu, lui
ont donné plus de besogne que toute TEurope. »
Cette méthode, absurde en d'autres siècles, comme nous
l'avons dit ailleurs, est au xtiio, non-seulement la meilleure^
mais la seule possible. Elle en est la boussole. Autrement on
se noiera dans l'océan des actes et des paroles, dans la richesse
souvent stérile des vaines négociations, des dits et contredits
sans résultat, des longs efforts pour de petits effets, d'essais et
d'idées avortées. Ces récits, ces écrits, ces dépêches, vous ten-
tent trop souvent par le mérite littéraire, la forme agréable, le
charme, la clarté du détail. L'ensemble n'en est pas moins
obscur. On est porté à chaque instant à se méprendre et à
donner aux choses une valeur propre, une portée qu'elles n'ont
pas. Heureusement une éclaircie se fait du côté de la cour, un
rayon du Soleil (le Roi), et Ton voit que l'œuvre compliquée,
laborieuse d'en bas, n'est qu'un petit reflet capricieux de l'O-
lympe d'en haut.
Csà?. I*'. Les marchés d'hommes, la loterie, les joueurs, p. i,
2, 5.— Nous possédons une curieuse histoire de la Loterie : Del
giueo del Lotto, opéra del conte Pefitti di Roreto. 8o 1853. Torino,
Elle commence en Italie au x(v« siècle, en Flandre en 1519, en
France en 1539. L'auteur, admirateur des gouvernements pro-
tecteurs de la loterie, etc., n'en donne pas moins les faits les
plus intéressants sur les résultats moraux de cette institution
fiscale. En Lombardie, à Venise, les boulangers cuisent moins
de pain la veille du tirage. — Y. aussi Delamare, Police, Savary,
Dict. du Commerce, VEncyclopédie (par matières), le répertoire
de Favart-Langlade, et Boulatignier, de la Fortune publique, Sa-
vary nous apprend que Saint-Sulpice, les Théatins, les Filles-
Saint-Thomas, furent bâtis à l'aide des loteries ecclésiastiques.
Le nom originaire de la loterie à Gènes est Giuco del Seminario.
— Quant à l'histoire du Jeu en général, j*ai eu un moment la
tentation de la faire en recueillant les textes innombrables que
me fournissaient surtout les Mémoires du xvn« siècle, le grand
298 NOTES £T ÉCLAIBCIS8E1IINT6.
«iècle dtt Jett. Gourviile apécialemenl est ici inappréciable.
Qo'il est fier l qu'il est Doble 1 Comme iL sent bien sa^digniié de
beau joueur^ de croupier, d'homme de tripoit Son mssarajiee
impose. La vertu, la probité, la morale des petites ftos, sont
honteuses et baissent les yeux.
Chaf. I et lU, p. 5 ai 23, etc. IFa/dsIein.- Quelle pitié de voir
Schiller poser ce spéculsteur en face de GosiavonAdolphe!
Waldatein est grand comme fléau, mais sa spéealatioo était
fort simple, et la prime effro^ble qu'il donna an aoldal de-
irait lai aiiirer tons las aoldats de la terre. Gualave» le naUve i
tous, trop grand pour dénigrer persOQoe, ne faisait passas des
talents militaires de ce Waldstein. 11 fit de peiitas cîmies avec
des moyens énormes. Son attitude d'aeieur, sa tragi*comédîade
solitude dans ia foule, de taotiurnité, etc., fait rm le grand
Gustave. Il l'appelle sans façon : (*< ftU (Marren)? ou peni-étre
le ioê. Mais tout cela Imprime «ne respeetuense Urveur «a
pauvre dramaturge. U copie avec une admiration banigr^îae
les vieux récits allemands sar les magnifieencaa de J'iiiaaAria-
sime coquin. Sa table était de cent couverts; il avait Wukide
carrosses. Son maître d'hôlel était de première qualité, etc. —
Pauvretés pitoyables. Ce |qui est pire dans le livre de Scbiller,
ce qui fausse l'histoire à chaque instante c'est un déplorable
effort d'impartialité entre le bien et le mal. Reproche, an reste,
qu'on peut faire 4 plus d'un Allemand, entre autres à noue
aimable, savant, ingénieux, Eanke, qui nous a tant appris. Son
Histoire de la pspauté (je parle de l'originai, et non, bien en-
tendu, de la perfide traduction), avec tant de mérites divers, a
le tort de grossir énormément beaucoup de petites choses.
Rome d'abord. Dans sa pitoyable décadence, elle redevient le
centre du monde. C'est comme un cadran solaire en bois de
sapin qui dirait : « Le soleil tourne à cause de mai. > Vais,
non^ Rome ne s'y trompe pas. Elle est moins occupée des vi-
sions ambitieuses des jésuites, ou du grand mensonge des mia-
sions, que de son piètre intérêt iuiien, — Les jésuites, de
même, sont surfaiu psr Ranke. Leurs rêves d Armada, de con-
quêtes d'Angleterre, etc., les montrent constamment chiméri-
<tues. La dissidence de ceux d'Allemagne et de France, celle
NOTES £T KCLAIRCIS6BI1BNT8. 299
des jésuites français entre eu , qae je note dans ee volume,
n'est pas propre non pins à nous faire admirer la sagesse de
l'ordre. Possevin , leur rusé sa vantasse , ^e parait , en cons-
cience, nn bien petit héros. -* Les jésniies ont une chose dont
on doit tenir compte : c'est la lente et paiienie préparation de
la guerre de Trente ans par la captation des familles nobles et
princières, par la séduction dos mères et la conquête des eu*
lants. Ils obtinrent nne variété imprévue dé Tespèce humaine,
le higoi^ vrai coup de génie, comme celui de rhoriicuUeur qui
a trouvé la rose noire, sans parfum ni feuilles , un bàtoa. Ce
bAton, c'est Ferdinaud 11. On ne savait pas bien en détail com-
ment ils s'en servirent. L'archiviste de Vienne, Hormayar
(V. les intéressants BxiraiU d'Alfred MickUU, SièeU de i85&),
nous l'a complètement révélé. Nous savons maictenani eem-
ment ces Pères, tenant en haut l'Empereur, leur terrible ma-
rionnette, purent faire en bas de la démocratie pour l'exier-
mination du peuple. Leurs apôtres, dans le carnage de Bohême,
étaient des bouchers bien pensants, de pieux laquais, de dé-
vots tailleurs, etc. On massacrait, d'une manière intelligente,
jamais dans des lieux coniigus, mais éloignés les uns des an-
tres, toujours aux moments imprévus. Cela désorientait la résis-
tance. Chacun, abattu, inquiet, se disait cependant: c Le mal est
encore loin. > Chacun croyaitavoirun meilleur numéro dans cette
loterie de la mort. 11,000 communes sur 30,000 périrent en liè-
remeni; les autres à moitié. Le pays offrait une profonde soli-
tude. Les gens armés qui se hasardaient à le traverser rencon-
traient parfois sur le soir des paysans autour du feu, préparant
leur souper, et un homme dans la marmite. Hormayér^ Tas^
ehenbuch fur die vaterlandische getchickte^ 1836.
Toilà des gens féroces, direz-vous, mais en^n bien habiles.
Atiendcz. Ceci n'est que le premier acte de la guerre de Trente
ans, le moment du Bigot. Voici venir le second acte; c'est le
Marchand d^hommei^ Waldsiein, le spéculateur en armées. Tout
échappe aux jésuites. Ils n'avaient pas prévu cela. Les voilà
étonnés, effarés, comme un hibou qui aurait couvé un vautour.
Lorsque Waldstein aéié éreinté paiGusiave, ils le font assas-
siner. Et alors ils reprennent force. Par grande habileté? ils
n*en ont pas besoin, ayant pour eux la miraculeuse vertu
800 NOTES BT ÉCLàlRClSSBMBNTS.
d'une rëvolation territoriale qai offre à chacao le bien du
TOisin.
Chap. II, p. 9. De quoi vivait Richelieu f — La ^belle publi-
cation de M. Avenel (Lettrée de Richelieu) étant peu ayaneée
encore, c'estàlui-méoae que j*ai demandé des renseignements.
Personne , à coup sûr, ne connaît mieux cette époque. Mais
nous n'avons pas de document qui éclaîrcisse ce point. i*ai été
réduit aux trois volumes manuscrits de la Bibliothèque, tellement
insuffisants. — L'ouvrage estimable but V Administration de fii-
chelieUt dont je parle dans le texte, est celui de M. Caillet.
M* Caillet est savant, exact, judicieux (sauf le chapitre de l'é-
ducation auquel je reviendrai}. — Du reste, ce qui fait sentir
partotft les embarras financiers de Richelieu, ce sont ces licen-
ciements de troupes aux moments les plus graves^ mesures ab-
surdes si elles n'avaient été commandées par la nécessité.
Chap. II, p. 14. Sa grande ordonnance gallicane, rédigée en
1627, abandonnée en i629. — Quand il la fit faire par Marillac,
elle était tout à fait en harmonie avec ses actes d*alors, l'inva-
sion de la Valteline, la reconstruction de la Sorboone, la dé-
fense de communiquer avec le nonce, etc. En janvier 1629,11 la
fit recevoir au Parlement, voulant montrer encore les dents au
pape, lorsqu'il allait le secourir, afin de le convaincre d'autant
mieux de la nécessité de gagner un homme à la fois si niile et
si redoutable; qui, dans un pli de sa robe, apportait la guerre
et la paix. Le sens était : c Je maintiens l'ordonnance, prêt à
la sacrifier si l'on me fait légal à vie. » Il parait que la cour de
Rome sut le leurrer un an de plus, et tirer de lui un démenti
de l'ordonnance gallicane, la démarche violente contre Richer,
vieux chef des gallicans. Celte démarche publique semblait ri-
ver pour toujours Richelieu dans rultramontanisme. Rome alors
se moqua de lui, croyant qu'il ne pourrait changer. Hais il
changea encore en 1638, quand il lança Du Puy et son livre
des Libertés gallicanes. Court moment, il est vrai. Il ne pouvait
lutter sérieusement contre Rome sans troubler la conscience
d'un roi si maladif, craintif de la mort, de l'enfer. — Tinsiste
sur ces contradictions successives de Richelieu, et aussi sur ses
NpTBS BT KGUIRCISSBMEMTS. 301
eontradiciionê simuUanèit (par exemple, ses trois traités en sens
contraires d'avril 1631, V. p. 67). Personne n'a cherché davan-
tage à sanver l'apparence,' à garder la fière attitude d'un homme
tout d'une pièce et d'immuable volonté. Le fameux Testameni^
les longs et laborieux Mémoires, sont combinés pour cet effet.
Us réussissent à donner l'admiration et le recpectdu grand la-
beur, de l'effort soutenu d'un homme qui fait route à travers
tant d'obstacles; mais ils ne trompent nullement sur la fixité
de sa politique. — Les Mémoirest bien examinés , discutés et
serrés de près, faiblissent spécialement en trois points essen-
tiels : 1» ils exagèrent les fort petits succès des campagnes d'I-
talie, si misérables en comparaison des conquêtes du xvi« siè-
cle. Ici, quels résultats? On secourt Casai, on prend Pignerol,
on laisse périr Nanloue, et on se coule à fond dans l'opinion
des Italiens. L'effet du Pas de Susj eût été grand, si Ton n'eût,
sur-le-champ, rentré en France et bientôt licencié trente régi-
ments. » 2o Les Mémoires feraient croire que Richelieu de
bonne heure agit sérieusement avec Gustave (ce qui est faux,
il ne pensait alors qu'au Bavarois). Ils feraient croire du moina
qu'il lui procura sa trêve de Pologne. Mais tout le monde y
travaillait, surtout la Hollande; et le seul qui réussit, ce fut
Gustave, par une victoire qui découragea les Polonais. — 3o Ri-
chelieu s'efforce d'obscurcir, d'abréger, d'effacer ce qui, au
fond, est le plus admirable en lui, sa lutte désespérée contre
l'intrigue espagnole des deux reines.
Chap. IV. LfUie de Richelieu contre Us deux reines, maladie de
Ljfon, journée des dupes, etc., p. 30-2^. — La sécheresse d?s
Mémoires est ici surprenante. Richelieu court comme sur du
feu. Basaompierre, Brienne, Nareuil, Gaston, donnent quelques
détails accessoires, extérieurs, et point du tout le fond. Nul
moyen de comprendre la crise de Lyon ni la journée des dupes.
Après cette journée (10 novembre 1630), on tire le rideau, on
fait semblant de croire qu'elle finit tout, et Ton ne dit plus
rien pendant cinq mois^ sauf la fuite de Gaston et le traité de
Suède. Ce traité sert de remplissage ; on le place en janvier,
quoiqu'il n'ait été alors que rédigé , projeté ; il ne fut
conclu qu'en avril. Ce silence de cinq mois, d'une demi^
302 NOTES KT ÉCLAIlICISSBMSIfTS.
année ffruquê^ est évidemment eonrenn. (Test un mystère
d'Ëifti.
Par on arrangenment tacite , chacun a mieux aimé éluder,
esquiver. Cela rend curieux. Mais, très-probablement, ce sont
choses terribles et périlleuses.
- Richelieu 'cependant avait la mauvaise habitude d'écrire,
d'écrire toujours. Il ne rédigeait pas tous les soirs exactement,
oomme Mazarin, une note des faits de la journée. Il s'est fié
généralement à la grosse compilation de ses Mémoires qu'il
faisait faire. Mais , ponr celte période si grave dont ses Mé-
moires parient à peine, il ne s'est fié qu'à lui-même. Un Cer>
rlble petit journal , écrit par loi, en est resté. Il a été poblîé
en 1649.
Gomment cette pièce fut-elle déterrée, publiée? Je suppose
qu'au moment où Condé se brouilla avec la cour, à la fin de
16^9, et se lia intimement avec l'héritier de Richelieu (en le
mariant), qu'à ce moment, dis-je, Condé reçut de ce jt'one due
le redoutable manuscrit de famille, et le lança dans le public
par les imprimeurs hardis de la Fronde.
Son authenticité ne peut pas être contestée, i^ Quoique ce
soient de simples notes sèches <t brèves, parfois obscures, quand
on a beaucoup lu Richelieu, il est impossible de l'y méconnaî-
tre. Les faiseurs de la Fronde eussent fait un livre plus pi-
quant; mais, entre eux tous, ils eussent travaillé des années
sans rien faire qui^ de près ou loin, rappelât ce terrible petit
livre. — 2o C'est un mémento personnel, extraordinairement
sérieux, d'un homme d'action qui se parle à lui seul ; il est si
occupé du fond, si inattentif à la forme, qu'il en oublie la
grammaire; souvent il commence par la première personne^
il dit J0, puis il continue par la troisième, et dit U cardimmL ~
3o Les rapports d'espions et de gens gagnés qui lui révèlent les
détails d'intérieur font penser aux pièces de police qu'on trouva
au 9 thermidor chez Robespierre. Mais ce qui ajoute aux i^é*
lations qu'obtient Richelieu un caractère bien plus naïf, ini»
mitable et impossible à feindre, ce sont les mots imprudents
de la reine, ses échappées colères, ses petites bouderies, les
faiblesses, les violences par lesquelles elle se perdait. — 4* Non-
seulement les faits dominants y sont fortement indiqués, mais
NOTES KT ÉCLAIRaSSBMSirrs. 30S
on y trouve marquées de lé^^ères inaanees, peu importantes
pour le résultat total de l'histoire, fort importantes pour la cri*
tique qui y seot le détail vivant et le trait précis de la vérité
(par exemple, la malveillance qne les reines, lignées contre
Richelieu, gardaient l'nne pour Tautre, p. 34 de l'éd. des
Archives ciir., t» V). — 5o Enfin, ce qui est bien pins décisif qne
tout détail* c'est la force ave > laquelle cette pièce essentielle
vient juste s'encastrer dans la lacune, et s'adapter par tous ses
angles aux angles précis du lieu vide, lequel^ si vous ne Ty
mettez, restera comme un trou impossible à combler, et, bien
plus, une énigme irrémédiablement obscure.
Maintenant la reine avorta • t - elle réellement, comme les
médecins et les femmes de la reine le dirent à Richelieu, ou
l'enfant vécut-il? Dans cette dernière hypothèse, il faudrait
faire remonter bien plus haut le commencement de la gros*
sesse. Cet aine de Louis XIV aurait pu être alors le fameux
Matque de fer. L'histoire de celai-ci restera probablement à
jamais obscure. Des écrivains, du reste fort légers, de peu d'au-
torité (Delort, madame de Gampan, etc.), en ont parlé, je crois,
pour l'obscurcir et pour donner le change. On en pensera ce
qu'on voudra. Mais on ne me fera pas croire aisément qu'on
eût pris des précautions tellement extraor Jinairos, qu*on eût
gardé à ce point le sccrel (toujours transmis du roi au roi, et
à nul autre) si le prisonnier n'avait été qu'un agent du duc de
Mantoue I Cela est insoutenable. Si Louis XVI dit à Marie-Antoi*
nelte qu'on n'en savait plus rien, c'est que, la connaissant
bien, il se souciait peu d'envoyer ce secret à Vienne. ^ Il est
même douteux que, si le prisonnier eût été, comme d'autres
pensent, un cadet de Louis XIV, un fils de la reine et do Maza-
rin, les rois qui succédèrent eussent gardé si bien le secret;
mats très- probablement l'enfant fut un aine, et sa naissance
obscurcissait la question (capitale pour eux) de savoir si
Louis XIV, leur au eur, avait régné légitimement.
Chap. IV, p. 39. Joseph tenait le fil des destinées de Riche-
lieu. — Le véritable père Joseph^ de Richard, est un livre léger,
fait un demi siècle après, et qui, dans certains points, mérite
peu de confiance. Cependant l'auteur écrivait d'après des ma-
304 NOTIS ST ÉCLÀlRCi8SiaiKNT&
nvscriU que nous n'avons plus, sortoui d'après les MétÊoiru
d*ÉUU de Joseph. Il y a nombre de faits fort Traîsenibiables,
ailleurs obscurs el à peine indiqués, ici très-clairs et mis en
pleine lumière. Au reste, quoiqu*à l'exemple de tons les bio-
graphes il donne à son héros une importance exagérée, il ce
surfait pas du moins sa verlu. Richard est amusant. Il semble
nous promettre de beaux secrets de la politique du temps :
c On voit bien l'aiguille au cadran, dit- il; mais, si Ton vojmit
les roues et les ressorts cachés! > Le dessous est beau en effet.
Il montre son Joseph marchant toute sa vie de trahison en
trahison. Il trahit Ornano. Il décide Gaston à trahir Chalais. Il
habille un jeune comte en capucin pour aller à Bruxelles
et surprendre les lettres qui mèneront Chalaià à la mort.
En 1632, il conseille de faire mourir Montmorency, de ne
pas tenir parole à Gaston. Il trahit deux fois Richellen» et
en signant le traité de Ratisbonne (1630), et en tirant
parole du roi de faire revenir sa mère, malgré le ministre
(|i638).
Sur tout cela, Richard le croit le grand homme du temps. —
L'ouvrage n'est pas moral, mais il est curieux. Richard, q«i
probablement copie le plus souvent Joseph, éclaire beaucoup de
choses sans le savoir, sans soupçonner la portée de ce qu'il dit.
On suit très-bien chez lui la lutte discrète, la haine cachée des
deux grands amii l'un pour l'autre, la duplicité de Joseph, qui,
comme ministre de Richelieu, conseille des choses violentes et
hasardeuses, mais qui, en dessous, travaille souvent le roi en
sens contraire^ qui parle pour et contre Gaston, pour et contre
Marie de Médicis, etc.
Chap. VI, p. 57. Gustave,-^ C'était ici le lieu d'en parler;
mais j'ai dû à ce grand homme le respect de commencer par
lui mes Éclaircissements. Je ne pouvais d^ailleurs, dans une
histoire do iFrance^ l'envisager que de profil. La vieille his-
toire d'Arkenholz, sortie des pièces et des récits oi iginaux,
est toujours excellente. Elle nous a sauvé beaucoup de pièces
importantes qui, je crois, n'existent plus ailleurs. Je parle
de celles qui racontent la [mort de Gustave, le sac de Magde*
bourg, etc.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 305
Chip. VIII, p. 90. Mort de Waldstein. — Un récit curieux et
inédit de cet événement est celui que l'abbé Fonlana écrit à
monseigneur Panzirole la même année 1634. Il l'appelle Fa-
U$tayn, Mais le célèbre général signait lui-même Waldstein,
— 11 y donne d'abord la version officielle des impériaux, avec
des circonstances nouvelles, puis il ajoute : c Plusieurs répan-
dent que la trahison de Waldstein n'est point avérée; que ce
sont ses ennemis^ les Espagnols et Bavière (sans doute le duc
de Bavière), qui ont tout fait pour le faire paraître coupable. »
{Extraits des Archives du Vatican, conservés à nos Archives de
France, carton L, 386.)
Chip. X, p. 125. Les Carmélites, — Ici, et plus haut, p. 43»
50, je suis la Vie anonyme de madame de Uaulefort, publiée
par M. Cousin. --On lui a très-amèrement et très-justement
reproché son culte pour les Chevreuse , les Longueville, etc.
Il est triste, en eflPet, de voir cet ancien et illustre maître, élo-
quent initiateur de la jeunesse au stoïcisme de Kant et de
Fichte, de le voir, dis-je, aux genoux de ces coureuses dont
les intrigues noyèrent la France de sang. Elles avaient de l'es-
prit, je le veux bien. Qui n'en avait? Elles parlaient à mer-
veille, c Celui qui parlerait mal à la cour, dit La Bruyère, au*
rait le mérite d'un savant dans les langues étrangères. » —
Avec tout cela, M. Cousin a publié des textes inédits dont on
doit profiler, révélé des faits curieux. On ne connaissait bien
ni madame de Haulefort, ni mademoiselle Lafayette, ni même
la reine Anne. La fameuse affaire du Val>de-Gràce n'était pas
bien éclaircie. On sait maintenant (Chevreuse, p. 52) que, le
jour de l'Assomption, la reine communia et jura par VEucha»
ristie qu'elle avait dans Testomac qu'elle n'avait pas corres^
pondu avec f Espagne. Puis elle avoua qu'elle avait menti et s'était
parjurée, qu'elle avait averti son frère de l'envoi d'un espion
français en Espagne, nt des tiaités que l'Angleterre elle duc de
Lorraine allaient faire avec la France pour que l'Espagne pût
les empêcher.
Partout ailleurs, la partialité de M. Cousin pour la galante
reine est bien naïve. Il doute du succès de Bnckingham auprès
d'elle. Et pourquoi? Parce que Tallemant n'en a rien dit (il a
xu. 10
QAg NOTES IT ÉCUURaSSBIENTS.
omis bien d'autres cboset^ parce que la RocUfoucauld n'en a
rien dil. Mais la Rochefoucauld, le chevalier p -rsonnel de la
reine, si dévoué, quelle voulait se faire enlever par lui i
Bruielles. n'avait garde de parler d'une telle avenure. Reu.
nui la conte, la tenait de la meilleure source, de la Chcvreuse.
de celle même qui livra la reine à BucUngham dans le jardiu
du Louvre. - M. Cousin, dans un autre passage {HauUfort.
D 28 etc.). dénaiure les faits et les obscurcit par une simple
inierversion chronologique. H parle d.- la retraite de Uf-yeUe
delà grossesse de la tcine.de la naissance deUuisXlV(iM8)
a«antde varier du danger de la reine, de l'affaire du Val-de-
Grftce de l'expulsion de Caussin, etc. C'est placer les cause»
après les effets. On n'y comprend plus rien. Dès que l'on réia-
blilles dates dan» leur ordre sévère, la clarté reparaît. Ce»l
parce qu'en 1637 clic se crut perdue par deux fois (en août au
Val-de-Gr«ice. et le 9 décembre par l'échec de Caus-Mu). c est
pour cela qu'on fil le 9 la lenlalivc extrême. Sa grossesse, qui
date de celle nuit, fit son salut et lui donna quin.e ans de
règne — Une chose singulière, et qu'on peut vérifier à West-
minster sur l'effigie de Buckingham, c'est que Louis XIV res-
semblait (un peu lourdement, i! est vrai, à ce bel Anglais, mort
dix ans avant sa naissance. Dira-t-on que la reine, qui touU
sa vie garda ce souvenir, l'eut présent à Tespril au moment de
la conception? Du resie, si elle fui enceinie en 16Î8 du fait
de Buckingham . comme elle le craignit (V. Retz), il ne serait
pas étonnant que l'enfant de 1638 lui eût ressemblé. Le pre-
mier amant (dit M. Lucas, Hérédité) détermine souvent le lype
des enfants futurs qui naîtront de ses successeurs.
Chap. Vlll, p. 99, 100. // fut trompé par le jéiuile Sublet. —
Richelieu doii être jugé relalivemenl aux difficultés infinies de
sa position. La dévotion du roi, ses roénagemenis pour Rome,
l'espoir de devenir légat, lièrent le ministre aux jésuites, et
l'empêchèrent d'ôire ce que la fierlé de son génie l'aurait fait
être, un gallican, un sorbonisle (lui, fondateur de la Sorbonne
nouvelle). Ce qui élonnc le plus, c'est que dans sa politique «»
son intérieur môme, il les subit par l'ascendant croissant d'un
homme affilié à la Société, d'un sot fieffé, dangereux, haineux.
NOTES IT ÉCLAmaSSEMENTS. 307
Tenimenx, ma» le scribe des scribes ei d'uu travail éeorme :
Sublet de Noyers. Richelieu le fil, en 1633, secrétaire d'Ëiat de
la guerre, le chargea fort imprudemment d'inspecter nos places
en 1636, crut aux rapports de l'ignorant, ce qui nous valut
rinvasion et les faciles succès de l'ennemi qui vint presque à
Paris. Cette bévue, qui devait le faire chasser, fut au contraire
récompensée. Il fut chargé de fortifier des places, de diriger
des sièges^ d'organiser la marine : il eut la surinte idance des
bâtiments et manufactures, la surveillance de l'imprimerie
royale, etc. Richelieu, accabli, malade, ne s'occupait plus que
de l'extérieur, et bien plus encore des complots dont il était
environné. Sublet régna, à tort et à travers; il a laissé partout
des marques de son génie, Téreciion des églises jésuites à pots
de Ûeurs, la destruction des œuvres les plus hautes de la Re-
naissance, spécialement de la sublime Léda de Michel-Auge,
l'unique tableau qu'il eût peinte l'huile, qui était à Fontaine-
bleau. Cet animal, chargé de recevoir le Poussin que Richelieu
appelait de Rome et logeait aux Tuileries, eut l'i m pertinence.
de lui tailler la besogne, exigeant qu'il lui fit tant de chefs-
d'œuvre par mois. Le Poussin t>e i^auva à Rome. — L'attraction
des sots pour les sots rendait Sublet très-cher au roi. Us di-
saient leur rosaire ensemble. Cela enhardit fort le petit homme,
SI bien qu'en dessous il commençait tout doucement à trahir
le roi pour la reine, croyant être par elle archevêque de
Paris. Le mourant le mit à la porte. £t la reine, une fois ré-
gente, ne se souvint plus de Sublet, qoi prit la chose à cœur,,
et, comme le pauvre père Joseph, creva d'ambiiion rentrée
(1645) .
Chap. XII, p. 140. Le calcul des neuf moi$. — Louis XIV naî-
tra le 5 septembre 1638. Anne d'Autriche a-l-elle conçu le 5 4^
cembre 1637? Non. Les mois n'out pastoustrenteJours.il faut
ajouter six jours pour les six mois qui ont trente et un jours ;
mais, comme le mois de février n'en a que 28, il faut 6ter deux
de ces six jours, c'est-à-dire n'en ajouter que quatre au calcul
total. — Donc, en ajoutant au 5 décenribre quitre jours, oo ob-
tient le 9 décembre, la veille de l'exil du jésuite Caussin, le
jour même où Richelieu lui fit prononcer son exil, et où la reine.
308 NOTES BT ÂCLAIRCISSBMBNTS.
ayant échoué dans celte dernière intrigue, n'eut plu» de salai
que dans une grossesse.
Chap XllI, p. 1*7. Mùèr» du peuple. Révolus. Richette dm
dergè '- Les tableaux de l'administration de Richelieu, que
nous "trouvons dans les ouvrages généraux de MM. Avcnel
(Introd.), Chéruel, Bailly, Doniol, Dareste. etc., ne pouvaient
être que sommaires. Pour la première fois, les fans, les date»,
ont été réunis et donnés au complet avec de nombreuses ciu-
lions d«8 actes, dans l'ouvrage spécial de M. CaiUel. Je 1 ai eu
constamment sous les yeux, en écrivant ce chapitre. On y su.l
à merveille les tergiver!=ations et les conlradiciions de Riche-
lien et pour la levée de l'impôt (par élus, par trésoriers, par
inleidanls). et pour ses" tentatives de faire aider l'Etat par le
clergé M Caillet ne tire aucune conclusion. Celle qui ressort
de» faits, c'est que. Richelieu étant définitivement repoussé, cl
le clergé (le grand propriétaire de France) ne donnant nen
qu'un don gratuit minime, ni l'État, ni la Charité, ne pourront
w constituer. Richelieu mourra à la peine. Vincent de Paul
fera très-peu de chose (six cent mille livres en six années pour
des millions d'affamés). Puis, va venir Colbert qui mourra à .a
peine L'État s'enfonce dans la mendicité. U bureaucratie pro-
aresse.dans l'extermination du peuple. Mais, ce n'est pas
assez C'est quand la terre elle-même semble extcrmmt'e et ne
produit plus, qu'arrive par les grandes famines la révolution
de 89. — Sur les révoltes des va nu-pieds de Normandie, des
eroquanls de Guyenne, voyez les textes intéressants réunis par
M Bonnemère, HUloire des paysans. Gassion, qui extermina les
premiers, ne put s'empêcher d'admirer leur valeur héroïque.
Voir aussi l'importante Histoire du Parlement de Norman<li^,
par M. Floquel, et spécialement son Diaire du voyage du ehan-
eelier Séguier, à Rouen.
Chap. XIV, p. 163. Richelieu admirateur de la pidagogie da
jésuites. — Et cependant il ne sr.il pas leur plan d'études dans
son collège. On disait, et on dit encore, qu'ils enseignaient les
sciences aussi bien qur les langues Les langues, c'est-à-dire le
latin (peu ou point de grec), s'enseignaient en six classes et au
1
NOTES ET ÉGLÀRCISSEMENTS. 309
moins en six ans; et, dans uneieule, entre la rhétorique et la
théologie, ils enseignaient un peu de philosophie, de mathéma-
tiques et de physique. Le plan que Richelieu traça pour son
collège modèle de Richelieu dififère essentiellement, en ce qu'à
chaque classe et chaque année^ de la sixième à la philosophie^
les sciences sont toujours enseignées et en français. A la classe
du matin, quand Tatiention des enfants est neuve et fraîche
encore^ on leur eoseigne l'histoire, la gi^ographie, la physique,
la géométrie, la musique, la mécanique^ l'optique, l'astronomie,
la politique el la métaphysique. A la classe du soir, ils se dé-
lassent par les poètes et les orateurs, les auteurs épistolaires,
les livres de dialogues, la prosodie et la grammaire. Enseigne-
ment tout à fait différent de celui des jésuites; celui de Riche-
lieu y donne la grande part, plus de la moitié, aux sciences, qui^
dans les collèges de La Flèche ou de Clermoni, n'entraient au
total que pour un douzième»
L'originalité réelle de leur collège de Clermont (rue Saint-
Jacques) était surtout en ceci, qu'il y avait à peu près autant
de maîtres que d'élèves, trois cents jésuites, profès ou aspi-
rants, pour quatre cents écoliers. Je parle des écoliers internes
seulement, des seuls auxquels on fit attention, et qui (Haient
les enfants des plus grandes familles. La mécanique de leurs
cUéges était très-forte, en ce sens que le môme professeur
suivait l'enfant de classe eu classe, le prenait en sixième et le
menait en rhétorique. L'élève maltraité'ne pouvait dire : « Dans
un an, je suis quitte de ce professeur. > S'il déplaisait malhen*
reusement^ si son maître le prenait en grippe, on le fouettait
six aus de suite. Cela rendait peureux, flatteur; on craignait
extrêmement un maître à perpétuité. Les enfants pauvres, les
boursiers, sous cette perspective, et suivis ainsi de la verge,
devaient travailler ou périr. La vieille Université de Paris, qui
fouettait tant, reproche cependant aux jésuites de ne fouetter
que les pauvres, ces malheureux boursiers, tenus au collège
par leur subsistance.
« Voilà qui est bien dur, diront les mères. Et comment tant
de grandes dames confiaient-elles à ces terribles Pères leur
douce progéniture? » Rassurez-vous. Autant leur mécanique,
vue par là, était dure, autant, d'un autre côté, elle était douce.
310 NOnS KT iCLAIftOSSBlfENTS.
Tous les jésuites n'étaient pas professeurs, beancoiip étaient
amie. L'amitié était là une position, un métier, une profession
spéciale. Parmi ces jésviles non enseign<ints, mais amateurs,
q«î causaient, conseillaient, observaient, se promenaient, fai-
saient de )a lîtiérature, Tenfant pouvait se choisir «m «mit.
Qsoi de plus rassurant pour ia pauvre mère qui amenait son
Mnirrisson et s'en allait en larmes, que de le confier à ce bon
Père qui en faisait son pupHle, se diargesH de le recomman-
der, d'intervenir pour lui, d'adoucir le pédant], de sauver un
enfant si tendre! c N'ayez pas peur, madame. Tout cela est pour
nos boursiers, des enfants rudes qui ne vont que par là... Mars
ce beau cher petit seigneur! j'en réponds, et rassorev-voua,
disait le Père. — Un père? bien mieux, une mère tendre qui
partageait ses jeux mieux que n'eût faitaa n^re, l'aidait dans
aen devoir, le menait au jarJin, et cueillait avec lui des fleurs.
Inutile de dire que cet homme charmant devenait pour Ten-
fantun confident aimé, indispensable; l'écolier le«berehail,
•éès^qu'il était libre, lui disait toutes ses pensées. Vami savah
le fond du fond, dix fois plus que le confesseur. Il renseiguni
parfaitement la Compagnie, et sur l'enfant, ses qualités, ses
viees, ses tendances, son caractère, et sur tout ce que l'enfant
pewaii savoir ou entrevoir des secrets de sa famille. Le con*
Mvssant à ce point-là, il avait sur lui les plus fortes prises, s'en
emparait de plus en pins. Tellement, qu'au grand étonnement
de H mère, quand elle venait voir son enfant, il était froid,
Dèv«nr, distrait, visiblement ennuyé d'elle, et foit impatient
d'allef joiMT avec son ami. Mais on jouait bien moins qu'on ne
aanaait. Les jésuites étaient fort caillettes, commères intaris-
sables, aussi bavards que curieux. — Il y avait, en cette hislH
tntîon, du bien, du mal. Sans nul dovte, la société donee et
bonne d'un homme d'esprit ]>e«t afiner bien vite; c'est ce
qu'il y a 4e plus fort ^ur mûrir en serre cbsnde et donner de
prompts Tésallals. La eoncnrrence était extrême et poossée par
tous les moyens. On faisait de petits parleurs, des académiciens
de douze ans , et des acteurs de treize pour les comédies de
eoHége.
¥oilà le bien, si c'en est un. Le mal était ceci : Ihins fédn-
eation ordinaire, un même homme étant obKgé d'alterner la ri*
NOTES BT BGLAIRC18SBVBKTS. 3 H
gvenr el rindulgenoe, eumulani les deux rôles de Gr&cc et de
Justice, neulralise parTune lèse (Tels de l'autre; il influe moins
comme homme que comme doctrine el ue prend d*aulorHé que
celle de la raison. Mais ici, Tbomme de la Grâce n'ayant point
à sévir jamais, étant toajoars un cfimtrade atnable, un aide
^uiile, an protecteur surtout, défendant l'enfant de la peur, in-
fttillibleraent gagnait tofii le cœur de (a petite créature. Ce qui
en advenait, on le sait trop.
Si des réauttatb moraux et de l'éducation nous passons à
rinstnieiîon. Examinons quelle était la valeur réelle de leur
enseignement. On le devine par leurs très-médiocres cormnen-
taires sur les auteurs anciens. Grande chute! quand on arrive
li en sortant de ta vigoureuse et mâle érudition du xvi* siècle,
qui retrouva fmrfois Tàme même de l'Antiquilé. A qui fera-t-on
croire que de plats écrivains , grotesques et ridicules, comme
ils furent généralement, ont pu être de vrais interprètes du
noble génie antique? Cent ans avant Pascal, Rabelais noie d'un
trait vigoureux l'aurore de cette belle littérature (la Savatte de
pénitence, la Pantonffle d'humilité, etc.). Elle fleurit de plms
en plos. N'inventant plus rien, on édite, on ramasse, on ba-
laye, on compile. Les gros Tecneils commencent avec Je ne
sais combien de mauvaîa livres de classe. Dans ces catacombes
4e l'ennui, l*on recueille religieusement tout Tinutile, le de-
Pritui et le tajmt martuum. A côté fourmille, frétille la fausse
vie plus morte encore, les épigrammes galantes, la dévoiion en
madrigal, etc. Pour écarter les sottises honteuses et ne parler
qve 4es dioses fades, qui peut lire sans nausée une seule page
4ii livre capital et triomphant de la Société, si somptueuse-
ment édité, Vlmofù prmi $œouH Sôeieîatis Jesu, 1640? ^ Ma-
riana eoofesee que son ordre est très-oorrompu. Bh l>iea , la
«corruption morale se réié<:hit dane celle du goût. Leurs d«e-
trinea et leara mœurs irent leur littérature, et celle-ci qui anb-
aiete, témoigne contre leur enseignement. 1. Caltlet a tort de
suivre ici, les yeun fermés, M. Êmond, dans son Hist9irt du
C<iêUg9 Louit û Grand. W a tort aussi (p. Ut) de révoquer en
doute Tassertion de ranivensité : < que les jésuites iraiiaimî
mal Im 6eiirfft>rf, lê$ écoliers pauvres {Msê. de la BihL Maxariné).
Cela parait bien vraisemblable quand on lit dans Ranke (Pa-
312 NOUS BT ÉCLÀlRaSSEMENTS.
paulé) l'expresse recommandation du légat de mieux traiter les
écoliers nobles et riches.
Chap. XIV, p. 167. La reine était du complot du comte de Sois-
sons. — Campîon le dit eipressémenl. Le 15 août 1641, il ras-
sure la Chevrease en loi disant qu'il a brûlé les lettres de la
reine. M. Cousin, le défenseur ordinaire de ces dames, nons
apprend pourtant, el dans sa Hautefort^ et dans sa Chevreuse^
toute la gravité du complot et la part qu'y prenait la reine. La
Hautefort, par l'ordre d'Anne, y éiait entrée. La Cbevreuse, à
Londres, avait formé l'association dos émigrés français et dis
royalistes d'Angleterre (Holland , général de Charles l*^**. Mon-
tai gu, conseiller d'Henriette, ardent papiste), et la ligne des
uns et des autres avec l'Espagne et le pape, A Bruxelles, elle y
associa encore le duc de Lorraine et le comte de Soissons.
Complot trop vaste, trop mêlé d'éléments nombreux et com-
plexes, qui devaient marcber mal ensemble. Cette grande poli-
tique, la Chevreuse, était un esprit romanesque, nullement po-
sitif. Ceci rappelle les complots fous et visionnaires des jésuites
avant l'Armada. On échoua. Puis on reprit la chose plus folle-
ment encore par le petit Cinq-Mars. Le sérieux de l'échafaud a
trop relevé ce favori ridicule, si outrecuidant, si absurde. Il
voulait, lui, ce garçon de vingt ans, que le roi le laiss&t tuteur
du dauphin. Cela fit connaître le personnage comme mannequin
de la cabale, et dégoûta entièrement Louis XIII.
Chap. XV, p. 169. La reine, dit FontrailUs, désirait un com-
plot, — Et on peut dire que, pour son compte, elle en tramait
un elle-même. Son plan était d'enlever ses enfanta, à la mort
dé Louis XIII. Elle chargea de Tbou de demander an due de
Bouillon de la mener à Sedan (Cousin, Chevreuse, p. 101).
Bouillon, comme on le voit dans toute la Fronde, appartenait
essentiellement aux Espagnols. La reine ne voulait pas moins
que mettre le roi de France entre les mains du roi d'Espagne.
Quoi de plus criminel? — De Thou fut très-coupable. Richelieu
venait de lui pardonner déjà sa participation à un complot de
la Chevre.use. — M. Cousin se trompe (avec bien d'autres, il est
vrai), en disant, p. 105 de sa Chevreuse, que Richelieu eut le
NOTES ET iCLÀlRCISSEIlKNTS. 3t3
traité le il juin. Les notes écrites à Tarascon par Richelieu
même établissent que, le 7 juillet, il n'avait pas encore celte
pièce essentielle.
Chap. XYII, p. 189. Bataille de Rocroy. ^ Condé n*est pas
sans droit à cette gloire ; car, sans lui, Gassion et les autres
officiers inférieurs eussent été paralysés par L'Hospital. Il y a
droit encore par son allégresse héroïque qui anima les troupes,
et par la part qu'il prit à la vigoureuse exécution. L'excellent
historien militaire Montglat, mestre de camp du régiment de
Navarre, contemporain (mort en 1675) très-capable et très-
informé, explique parfaitement que la bataille fut gagnée par
Gastion, qui agit et s'arrêta à point dans raction, et par Sirot,
qui refusa d'agir à contre-temps, et désobéit à un ordre im-
prudent du prince. — Le récit de Lenet, serviteur des Coudés,
n'est que ridicule. — La vie de Si rot, fort romanesque en cer-
tains points, est fort sérieuse ici où elle s'accorde arvec Mont-
glat. Du reste, elle n'est pas, comme on Ta dil^ un roman mo-
derne. Elle est citée par l'abbé Arnaud (fils d'Arnaud d'Andilly),
qui fut carabinier sous Louis XIII.
Chap. XVIII, p. 201 • Déjà Maxarin atait le pouvoir d'un mari.
^Le mariage secret de la reine et de Mazarin n'est affirmé
positivement que par la duchesse d'Orléans, mère du Régent.
Cependant il me semble à peu près certain. La reine, déjà fort
dévote, A de plus en plus, n'eût pas tellement montré sa pas-
sion si elle ne l'eût crue légitime. Elle l'affiche pendant la
Fronde avec une assurance extraordinaire. Elle l'avoue dans
ses lettres à Mazarin absent avec refifusion toute chamelle
d'une épouse entièrement asservie par l'exigence du tempéra-
ment. Ravenel, Lettres; Walckenaèr, Sétignè, deuxième partie,
p. 471; Cousio, Hautefort, p. 95, et 471-482. Voir aussi dans
les Appendices de SanUSimon, t. XII, édition de Chéruel. ^ Les
Mémoires témoignent que Mazarin se conduisait avec elle, nul-
lement avec les égards d'un amant, mais avec la rudesse d'un
mari indélicat, brutal. — Reste à expliquer comment Mazarin,
cardinal, a pu l'épouser. Mais il y a des exemples de princes
cardinaux que Rome a décardinalisés, lorsqu'une nécessité poli-
tique les obligeait de se marier. Il est très-possible que l'atta-
314 1I0TB8 IT ÉCLURCISSniMTS.
ebement dévoué et fidèle de Mezarin pour les Barberini Vtmi tu
secret de celte dispense «qu'ils lui avaient sans doute oblene
de leur oncle. Du reste , il n'est pas nécessaire d'être prêtre
pour devenir cardinal. Mazarin, d'abord officier dans l'armée
du pape, puis négociateur, était alors un abbate. Mais ce titre
n'engage à rien en Italie. « Je ne pense pas qu'il y ait preuve
que Mazaria ait jamais été prêtre, le n'en trouve aucune
trace. » Cette assertion «fit grave; elle est du savant et exact
V. €héruel, l'éditeur de Saint-Simon, Combien noas avons à
regretter que sa grande publication des Lettre* de Mazarin n'ait
point paru encore 1
Chap. XIX, p. 206. A Nordlingen, notre gaudie r$sta âiuU en-
tière $ous Turenne. — Le beau et modeste récit des Mémoires
de Turenne indique fort bien cependant qu'avec le corps Hes-
sois qu'il commandait, il sauva toui. Dans sa lettre à sa sceurt
il lui annonce avec une satisfaction contenue que Gondé, dans
reflfosion de sa reconnaissance, le remercia solennellement de-
vant l'armée. Coudé n'en reste pas moins dans l'histoire « le
vainqueur de Nordlingen. i
Cbap. XIX, p. 209. Maiarin enaii reiardi (a paix §tnéraU.^
ftuand on n'aurait pas Jà-deasus le témoigttSfe de Brienae et
«utnes oonlemporains, on jugerait très-bien que les rMeadesos
plénipotemiaires airaient été «rranfés, que 4e« inpertioeaees
du belliqueux 8ervien,en opposition avec la pacifique dAvaux,
étaient voulues ipsr Maaarin pour gagner leovps et sUendie
quoique booœ cireonatanee. €elle qni vint, ce fut la poralisie
financière, la ruine, la banqnaronie, qni le mit hors d'tet de
profiler des Dévolationa de NapAeaet de.Stcike. Puis, par«deoB«a,
loeaba le Fronde, ta révolntiea de Paris. Mazarin n'avait rien
prévu. — La guerre avuli duré ai lottgteaips qu'on en anpiaii on*
blié la «canae, la apoliiÉion d« PataMti, l'oppreasion dm AUn <«
panadis devenu nn désert. Y. Tvreone peafàn), rexéenblo ex*
tormination de la êohéme. Tout fiit appromë, aanetioBnd as
profit de l'AnCriehe et de la Baivièro. Victoive réelle doa catho-
lâqnea allemande «ur nos alliés proiesianla. -Qoe sigaiie ioac
ee aot enthonaiasme de quelquee^ne aar l'impartiflUté do
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 318
traité de Westphalie, sur cette fondation de l'équilibre de l'Eu-
rope, sur la gloire de la France, etc.T II n'y eut aucun équili-
bre. Le parti catholique resta le plus fort en Europe, jusqu'à
ce que l'Angleterre eût fini sa longue trahison, Jusqu'à ce que
la France, ruinée par Louis XIY, eût cédé l'ascendant aux
puissances protestantes.
Ghap. XIX. p. 209. Traité de Westphalie. — Mazarin conti-
nuait la guerre, mais la reine eût fort désiré s'arranger a-vee
TEipagne. Cela ressort des lettres inédites et fort amusantes
d'un général des capucins, Innocent de Calatagiron, qui se
charge de rétablir la paix de l'Europe. Il explique lui-même
aTCC beaucoup d*audace et de forfanterie comment il se glisse
partout et fait la Irçon aux reines et aux rois. Il s'adresse au
duc d'Orléans, à sa fille Mademoiselle, aux dames d'honneur, etc.
Il croit les avoir toutes remplies du saint désir de la vengeance
de la religion en Allemagne et de la nécessité de la paix géné-
rale. Les moyens de cette paix sont peu pacifiques. Il en faut
d^ extraordinaires et de terribles^ il faut exterminer ce qui n'est
pas catholique. La reine Anne d'Autriche lui dit qu'elle ne de-
manderait pas mieux que de faire la paix et de se rapprocher
des Espagnols. « Alors, mon caractère, mon habit, me firent tout
oser; je lui dis qu'il ne suffisait pas de le désirer, qu'il fal-
lart le faire, l'ordonner à ses ministres, > etc. Ailleurs, la reine
lui dit qu'elle a donné ses ordres à ses plénipotentiaires: c Jb
me mis alors à genoux pour rendre grâce au ciel. Elle s'agenouilla
aussi et ne voulut se relever qu'après moi. > Le capucin croit alors
avoir tout fait. Il finit fièrement en disant: < Ego plantavi.,,
Uluitrissmus dominus Nuntius rigabit.» — Ce capucin infatiga-
ble court et va partout, en Bretagne, à Bordeaux, en Espagne.
La foule le suit, l'environne comme un messager de paix, l'é-
touffe presque : « C'est sans doute en punition de mes péchés,
mais ils devinent toujours où je vais passer. > Ce conooun
de monde est chose hicroyabie, effrayante : c'est «omme une
iBrarreetion. c El n y en aura une, si on fait trop attendre la
paix. > (E, 1035.) Extraits des Art^ives du Vatican, conservés à
nos Archives de France, earton L, 386.
316 HOTES IT iCLAIBOSSEUINTS.
Chaf. XX, p. 21 i. — Ce qae je dis ici de Venise est un soQTenîr
bien ancien, de ma première jeunesse. Grâce à Dieu, ce peuple
héroïque t*esl bien relevé. La Venise de Manin n'a guère res-
semblé à celle-là.
Chap. XX, p. 211, etc. Le Jantèniime, La Fronde. La Promit
fut la guerre des honnêtes gens contre les malhonnêtes gens, — Par
quelle faiblesse d'esprit, par quelle impuissance de critique,
nos contemporains ont-ils été admirateurs exagérés de Port-
Royal, etc., et dénigreurs méprisants de la Fronde? Et qui ne
voit que c'est la môme chose ? Il y eut des deux côtés de bonnes
intentions, de rhoonéleté, des vertus (vertus intrigantes, caba-
leusea, disputeuses, si Ton veut). Au total, un médiocre génie.
La grande fureur d'Arnauld contre les calvinistes est ridicule,
avec tant de côtés communs. Le jansénisme, faible résurrection
de saint Paul, de saint Augustin, et, en plusieurs points, de
Calvin et Luther, a nui beaucoup, en ce qu'il a donné une pe-
tite porte à l'espritde liberté qui s'est fait tout petit pour passer
là. Un seul, bizarre et contrefait, mais grand, Pascal, s'est fait
écraser au passage. — Du reste, il faut appliquer à toute l'Église
du xviio siècle ce que j'ai dit en parlant de la guerre, au sujet
des petits grands hommes comparés aux vrais géants. Qn'esl-ce
que c'est que ses prédicateurs illustres, ses éloquents contro-
versistes, devant Newton et Galilée ? Gloire, gloire aux inven-
teurs! Les autres doivent rester bien loin derrière et en grande
modestie.
Chap. XX, p. 216. Les parlementaires, qui avaient toutàeram-
dre pour leurs familles et leurs fortunes^ n'en défendirent pas
moins toute une année le pain du peuple, — Voilà la moralité de
la Fronde parlementaire, et la gloire de nos magistrats. MM. les
rieurs peuvent rire à leur aise. Cela est très-beau et très-sé-
rieux, et cela est incontestable. Il faut seulement bien remar-
quer les dates. Nos pauvres magistrats ne montrèrent pas beau-
coup de génie, dans toute l'affaire, mais une incontestable
honnêteté. Retz ne montre ni l'un ni l'autre, quand il se moque
du bon président Blancmesnil, qui, admis au conciliabule et
voyant sur la table le traité avec l'Espagne, « crut voir Tholo-
NOTES ET iCLAIRCISSEUBNTS. 317
eanste du Sabbat. > Le niais ici, c'est Retz. Gomment ne voit- il
pas quA TEspagnol se moquait de lui? Si la conscience ne lui
dit rien, le bon sens devrait lui dire que le chat emploie sa
patte de singe pour tirer les marrons du feu. Il est curieux de
TOir un homme d'autant d'esprit être le jouet de tous, surtout
des femmes. Madame de Bouillon (avec permission de son
mari) l'amuse et le captive, lui lie le pouce, lui lire dusang,etc.
Madame de Lon^ueville se joue de lui aussi, dans l'intérêt de
ses amants. Il n'est pas jusqu'à la grosse Suistesse (Anne d'Au-
triche) qui ne fasse de la coquetterie avec lui, dans leurs noc-
turnes rendez- vous, au profit de Mazarin. C'est le plus spirituel
de tous dont justement rit tout le monde.
Chap. XXIII, p. 243. Fin de la Fronde. -- Pourquoi ai-je
abrégé la Fronde ? Pour l'éclaircir. Jusqu'ici elle reste obscure,
parce que l'histoire y est restée l'humble servante des faiseurs
de mémoires et des anecdotiers. L'histoire a été éblouie de tant
d'esprit, de ce feu d'artifice de bons mots, de sail'ics ; et moi,
j'en levais les épaules. Un fléau me poursuit dans cette Fronde,
le vrai fléau de la France, dont elle ne peut se défaire, la race
des sots spirituels. Dans la très-vieille France, il n'y avait que
certains terroirs, surtout nos hâbleurs du Midi, qui nous four-
nissaient des plaisants ; mais, depuis Henri IV et l'invasion gas-
conne, tout pays en abonde. Toui le royaume, dans la Fronde,
se met à hàbler. Le plus triste, c'est que, de nos jours, les his-
toriens de la Fronde^ de ses héros et de ses héroïnes, admi-
rant, copiant ce torrent de sottises bien dites et bien tournée?,
égayant ces gaietés ineptes de leurs légèretés assez lourdes,
ont réussi à faire croire à l'Europe que la France, plus vieille
de deux siècles, et moins amusante, à coup sûr, n'a pas beau-
coup plus de cervelle.
Chap. XXI, p. 223. Le peuple fit un ouvrage énorme^ douze
cents barricades en vingt-quatre heures. — Cela est sérieux et
suppose une redoutable unanimité. Rien d'analogue jusqu'au
grand jour de la prisa de la Bastille. Qucserait il arrivé si Relz
et le Parlement avaicnl réellement lâché la Révolution, la presse,
non contre le faquin étranger, mais contre la reine, de manière
318 NOTXS ET ÉCLAinaSSBHE.NTS.
jl établir ses iraliisoos, se» avis donnés & l'eaDemi, etc. On leniil
âPirisdeui femmes qui savaient toul et auraient lont dit. ma-
dame de Cbevreosi? et madame de Gu^méué La reine n'avait in-
cline idée de la p' isequ'on avaitsurelie. Tandis que la Fronde mel-
lail des (lanls pour la combatirc, elle montra une violence, nie
férocité quesavie antérieure n'eût pas fait deviner. Elle insiita
pinsirors Jours pour faire moarirle premlerqu'onfit prisonnier.
Elle l'eût fait. Hils les siens avertirent ceax de Paris, qai prife-
renl la reine d'é|iargDer ce malheureux, en faisant enltiidre
pourtaot loutdoncpmenl qu'eux aussi ils avaient des prisonniers
qu'ils pourraient faire mourir. (Relz, p. 400.J - Elle aanit k
qui elle avait affaire. Ni Reix, ni le Parlement, ni Condé, oe
voulaient d'Ëlals généraux, ni de révolution sérieuse. Crom-
well, qni avait envoyé à Retz un homme sdr, vit bien vite qae
toute l'affaire était ridicule. Ce Catilina ecclésiastique, mené
par les femmes, a\aii pour agents des curés et des bedeani,
des h.ibiluiSs ilc paroisse, 11 veut relever les libertés de France;
avec quoi? avec un clergé et une assemblée du clergé qui, par
■on obstination à fermer sa liourse, s'est montré et déclaré le
véritable enoemi de l'Ëlal. Au moment de l'cxplosioo, Reix ne
sait ce qu'il fera, il l'avoue. 11 allait écrire k rEspa{;ne, dit-il;
mais it allend Condr; puis, sur quelques coquetteries de ma>
dame de Longnevillo, il sf jette de ce cé!é là, ei croit, contre
Condé, pouvoir créer l'automate Conli. Et c'est dans celte icdé-
cisioD pitovable qu'il fait le fier contre Cromwell, le mèpTîie,
dit-il. Cromwell avait dil un mot fort et profond, modeste, qni
semblait un aveu: lOn ne monte jamais si haut que quand on ne
sait où l'on va. ■ Ce mot, dil Rciz, à l'borreur que j'avais pour
lui ajouta It tnéjjrù. — Lui, le petit bonhomme, il sait bien oA
il monte et ce qu'il veut : il veut monter d'abord i devenir
gouverneur de Paris. Première chule; l'iiaiien rusé, au premier
pas, lui fait donner du oez ù terre. Puis, ce profond ambitieux
veut être cardinal de Rome, et c'e^it pour cela qu'il fait l'amour
& Anne d'Autriche. Seconde chuic : ce rhapeau, pour lequel il
trahit laFronle.lui tnmbesur ta tête et l'écrase définitivement.
On le fait cardinal, mais c'est pour le meure t Vini^ennes. —
Tous ces ridicules de conduite et cette petitesac de nature n'em-
pêchent pas que ses confessions (c'est pins que des Hémotres)
NOTES BT SGUlRCISSmENT& 349
ne soienl le livre capital et primordial de la nouvelle langue
française. Ce piètre politique eat nn admirable écrivain.
Chaf. IXIV, p. 262. Le coup U pliu barbare^ le pins sauvage
qui se stni fait depuis l'origine de Im monarchie. ~ J'adopte ce
mot de Talon. Il est incontestable. Le massacre de la Saint-
Barthélémy s'explique (sans se justifier) par un horrible accès
de fanatisme, celui de septembre de 93 par la panique de Tin-
vasion et la furie de la peur. Mais celui du 4 juillet 4652 n'est
évidemment qu'un acte de scélératesse et de calcul. -— Peu im*
porte qu'il y ait eu peu ou beaucoup de morts. Il n'y ont que
trente morts considérables, et cent en tout, à ce qu'il parait,
du côté des assiégés. Les assaillants perdirent bien plus de
monde par la résistance héroïque des archers de la Ville. —
Gondé négociait, et c'était pour aider aux négociations, et amé-
liorer son traité en se faisant croire maître de Paris, qu'il orga-
nisa le massacre, — > Mademoiselle elle-même ne dii pas non,
— Talon et Conrart affirment positivement. Leur récit est con-
firmé par celui des Registres de l'Hôtel de Ville, t. 111, p. 51-73.
Le procureur du roi, Germain Piètre, veut qu'on le rappelle
dans Paris. L'assemblée murmure an départ des princes, leurs
partisans disent dans la foule qu'il n'y a rien à espérer de l'as-
semblée, et déchaînent la Grève contre l'Hôtel de Ville, etc.
Chap. XXV et XXXI, p. 273. 280, etc. Les rapports cités par
M' Feillet sur la détresse publique^ les faibles secours que Vincent
de Paul lira de la charité des dames, etc. — M. Feillet a donné
dans la Revue de Paris (15 aoôt 1856) un très- précieux ei trait
de {'Histoire du paupérisme qu'il pr<5pare. Get extrait résume
les enquêtes et rapports, manuscrits ou imprimés, que firent
sur reéroy«ble état de la France, pendant la Fronde, etjwqu'à
la mort de Matarin, les envoyés de Vincent de Paul et autres
personnes charitables. — Rien de plus douloureux. On peut
juger, par cette lecture, si M. de Saint- Aulaire est excusable
d'appeler les plaintes de ce temps de vaines déclamations!
Chap. XXV, p. 274. Mazarin donna à Turenue pour égaux
dans le commandement des généraux médiocres ou incapables, —
310 NOTES ST ÉCLAIRCISSBMBNTS.
Tnrenne le dit, dans ses Mémoires, d'une manière indirecte,
avec beaucoup de douceur et de finesse, c M de Tu.enîie pria
M. de la Ferté... pria M. Hocquincouri. « etc. Il constate ainsi
qu'il ne pouvait leur commander ^ et par conséquent qu*il n'est
pas responsable de leurs lenteurs, de leurs revers. — No5 Àr-
ehivet générales possèdent plusieurs autographes de Tnrenne
(ancienne section M), et plusieurs pièces fort intéressantes
pour rhistoire de son frère, le duc de Bouillon, spécialement
des lettrrs éloquentes et touchantes de sa mère, fille de Guil-
laume le Taciturne. Dans l'une, elle le prie de ne pas se per-
dre par ses intrigues. Dans plusieurs autres, elle rampe aux
pieds de Richelieu pour sauver la tète de son fils. — Arekipes,
K, carton i%3, no 29.
Ghap. XXVI, p. 288. V Europe agonisante ne trouva pas là une
paix. — Un génie pénétrant, le sorcier hollandais Rembrandt,
qui sut tout deviner, dans son tableau lugubre, daté de la
grande joie du traité de Westphalie (4648), a p»rlé mieux ici
que tous les politiques, tous les historiens (le Christ à Emmaût,
que nous avons au Louvre). — On oublie la peinture. On en-
tend un soupir. Soupir profond, et tiré de si loin I Les pleurs
de dix millions de veuves y sont entrés, et celte mélodie funè-
bre flotte et pleure dans l'œil du pauvre homme, qui rompt le
pain du peuple. — Il est bien entendu que la tradition du
Moyen ftge ost finie et oubliée, déjà à cent lieues de ce tableau.
Un autre chose déjà est à la place, un océan dans la petite
toile. Et quoi?... L'âme moderne. — La merveille, dans cette
œuvre profonde, d'altendrissemenl et de pitié, c'est qu'il n'y a
rien pour l'espérance, c Soigneur, dit-il, muliipLez ce pain!...
Us sont si affamés! > Mais il ne l'attend guère, et tout indique
ici que la faim durera. — Ce misérable poisson sec qu'apporte
le fiévreux hôtelier n'y fera pas grand'cliose. C'est la maison du
jeûne, et la table de la famine. Dessous, rit, grince et gronde
un affreux dopue, le Diable, si l'on veut, une bétc robuste,
aussi forte, aussi grasse que ces pauvres gens-là sont maigres.
Il a sujet de rire, car le monde lui appartient. — V. la descrip-
tion de ce tableau dans La Foi nouvelle cherchée dans VArl^ par
Alfred Damcsnil.
NOTIS ET ÉCLAIRaSSBMKNTS. 324
De eeite paix date la f^aerre qui nous divise et en France et
aillevrs. Les deux peuples qui sont en ce peuple conservaient
jusque-là un reste d'unité. Mais la dualité éclate. D'une part,
un petit peuple français, petit monde de cour, brillant, lettré
et parlant à merveille. D'autre part, très-bas^ plus bas que ja-
mais, la grande masse gauloise des campagnes, noire, hâve, à
quatre pattes, conservant les patois. L'écartement augmente ,
le divorce s'achève, par le progrès mène de la haute France.
Elle se trouve si loin de la basse^ qu'elle ne la voit plus, ne la
connaît plus, n'y distingue plus rien de vivant, et pas même
des ombres, mais quelque chose de vague^ comme un zéro en
chiffre. Des mots nouveaux commencent, d'abstraction terri-
ble, meurtrière, où disparaît tout sentiment de la vie. — Plus
d'hommes, mais àespartieulier$, — tout à l'heure des individuê.
€hàp. XXVI et dernier. — J'ajourne au volume suivant les
visites de Christine et plusieurs faits des dernières années de
Mazarin. Us ne peuvent être bien éclairés que par ses lettres
mémos, que l'excellent éditeur de Saint-Simon, M. Chérael, pro-
met de donner au public. J'ai eu recours plusieurs fois à son
obligeance, dans le cours de ce travail, pour l'éclaircissement
de quelques points obscurs. Pour d'autres^ il vaut mieux atten-
dre son importante publication.
fllf DU T0« DOOZIÈMB.
xzi. tl
TABLE DES MATIÈRES
f t"w^—"»"
liBÂFiiix««iBm« — La Gu$rrêd&^ TrfUU&'mm. — Letmar-
éhèpfdéûnmis. — La'bofm& aMHfiire i
JLes «laf^chés d'hommes.^,. <» • ,^ •• », •«•..••.«. . 1
rWAldst^in • <« ..••^•.^•^ •■«•••• •.». . .i*^*>.««,««« • •• 3
Laloterie, le jeu «.«.r..^.-. 5
CHiriTmi II. -- La situation de Biehelieu. 1629 •«.•.. 8
. il .^écut d'expédienU 9
Son allocution an roi ^.. ....... • ..•^•..^•t.* ii
Changement de sa politique en 1629 ^ . . • 13
11 rallie le clergé. Sa .police de jB^ncins^..^,. ••««•• 14
OBiimmi lU. ^ ùaFnmeê'm pmU'tamver Snntow. i^K*
1630,. 19
.Le £a8 de Snse» 6 maro i6S9«^.*^..^.....«.M...«... M
Paix des bi^gnetota. •••.«•. •....• n
Les impériaux en Italie. Sac de Mantoue. 18 Juillet
Uao Î5
ÙumM IV. ^ iiich$Hm ûmUrêki dimx fràMf,.l62Q.^.,. . 30
• Le roi. LamiladieduTOi 31
^11'eit à la.mott'(l«r'oetobre). Intrigues des reines. 35
Joseph traite è Ratisbonne 39
Masarin-staTe Karraée espagnole 40
324 TABLI DBS MATliRKS.
Chipitib y. — Joumie dêt Dupes, — Vktoirê de
1630-1631 13
Mademoiselle de Htntefort 41
La journée des Dupet ne décida rien (iO noTembre),
mais Rieheliea saiiil les lettres des reines (dé-
cembre •. 48
Fuite de Gaston et de la reine mère. 1631 .•••*••• S8
CEJ^mR Vl. ^ GutUm-Adolphe. i&^i S7
Tristesse de Cenrantès et de Shakspeare 58
Joie héroïque de Gastave et de Galilée 9è
Gnstave comme juste juge 61
Son maître Jacques de la ,Gardie, créateur de la
guerre moderne 6S
Richelieu s'entend avec Gustave, peu, tard et mal. 65
84 juin 1631 , Gustave débarque en Allemagne. • . 66
7 septembre, sa victoire à Leipxig, délivrance de
l'Allemsgne 69
Ceapitib YII. — Riehilieu profite des victoires de Gustave.
163i 71
Gustave ne pouvait sauver TAllemagne qu'an s'y
établissant 74
Richelieu envahit la Lorraine 76
Richelieu bat et décapite Montmorency. 79
Son amour, sa maladie 8i
Ghapubb YilL — Richelieu chef des protestants. ^ Ses r^
vers, -^ La France ^vahie. 1635-1636 88
Mort de GusUve, 16 novembre 1638 89
Mort de Waldstein, 1634 90
Richelieu eut-il une vraie notion de TÉquilibre?. 91
Il est forcé de succéder à Gustave, 1633 94
Il veut rompre avec l'Espagne et renvoyer la reine. 95
Ëchecsdel635 97
La France envahie, 1636 100
TABLE DBS MATIÈRBS. 325
CHiriTAi IX. — La trilogie diabolique sout Loui$ XIIL —
Religieuses de Loudun. 1633-1639 105
De la direetion des mystiques 108
Le diable et les cootents 109
Proeès et mort d'Urbain Grandier 113
Chapitib X. * Les CarmHiies. ~ Suceis du Cid. 1636-
1637 m
Le centre de l'intrigue espagnole • • • • 126
Le Cid, glorification de l'Espagne et du dvel 1S8
L'Académie ; 131
CHinni XL — Danger de la reiue. Août 1637 133
Lafayette et le PèreCanssin 134
Chapitii Xll. -^ ConcêpiUm et naissance de Louis XIV.
1637-1638 139
Sit nation désespérée de la reine en décembre 1637. 140
Lafayette sanve la reine (9 décembre 1637) 143
L'acconchement^ 5 septembre 1638 145
Chapitbb XIIL * Misère, » Révoltes. — - La ^HMltoii des
liens du clergé. iKS-lM) 147
Solidarité de mine 149
Va^nu-pieds et Croquants • 15S
Ricbelien menace le clergé, n'en tire rien, recnle. 154
CninTiB XIY. » Ridielieu relevé par Us révolutUms élytm-
gères. — Les favoris^ MaMarin^ Cinq-JUars. 1638-
1641 157
Le Portogal et la Catalogne contre l'Espagne 158
Influence italienne. Fortune de Mazarin 159
Naissance de Monsieur (1639) 161
Ricbelieu donne au roi Cinq-Mars qui le trabit.. . • 163
Conspiration de Soissons. 1641 167
386 TABUS BBS MATIÈBIS.
La reiqe et Gabion 1^ .ImbiMmlu.. . • ..«^ . -. « •« — i74
CvAPinii XVI. — /«oJmMit M,m^A MrRicMitu. -^M^rt
dtf LottM X/ir. 1642-1643 178
Ingratitude des tlondés ponr Richelieu ....•..««..• i79
Les deux mourants voudraient lier la future ré-
C«jipini XVII. -. Louù Xir. — £fi9fcîen. ^ BaàaOUii
Rocroy. 1643 W^
'Gasiion et'Sirot gagnent la bataille 19^
CiAPiTaB XVni. — Lavénement de Maxarin. 1643 1^
*LaTeîne,pouT le garder, donne tout à touf» em-
prisonne aesaniia.
(99
GiAPiTRi 'XIX. — Vlovre et Victoire. ^'Traité déWettfkh
Ki. 1643^1648 - ÎW
Mazarin vécut de Téclat d'une victoire annuelle cpie
IHm'amiigeait povrQoQdé ^^
Ses efforts pour -empêélier ha paix ^
GaiPiTRiXX.— l0^afi«0ffMfiiM. — La Fy«Rli«.'164B 2fl
J[A^nDade^ul,{U^'lié^l«4ion.(niorale, wwiiblin
que la Fronde religieuse du jansénisme ^^^
Jt^iSûûaiMmli^qnmqfÊC flMii8cé,.(léfe«id te peuple. ^
CpÀPiTmx XXI. — 7> premier âge de la Fronde, ~ Ise^Bar-
rieades, — La Caur^ appuyée par la Fronde, em"
'Le 'Parlement pose la. «garantie ,dea ^ecsjojuies ust
des. propriétés. . ^ . . . .^ , ,^^^. ^^,^^,p' ^
Gbndi (depuis icardiwû^de Retxj. «... ^^., **...»p^.- ^
TABLK DBS MAT1ÂRI9. 'agi
Paris deux fois trahi 228
Folie de Coadé.Sapriaoo..^ •« 229
Chipitib XXn. — Second âge de la Fronde, — Ixt Cour,
appuyée par la- Fronde^ ekoMas- Condê; — i<0SO-
I6B1 232
Les hëf oints. . « « 233
MazarîD bat Tureiiné; * . ^ 235
Personne ne yei^t des iÉlats géBéram. « . 237
Cmapitu XXm. ^ Fin de la Prondey — Cambai de /ott-
bourg Saini^Antoim, i65i, 243
Horreur et plaisanieries. 244
Massacre à Paris, Sodome à la conr. ..... ^ 249
Condé sauYé par la Eronde* ^ . ..««. «....«.•.»•. 253
Cbapitbi XXIV. — Pin de la Fronde. — Le terrorisme de
Condé. ^ Second massacre (à V Hôtel de Ville),
1652 255
CEàPiTaz XXV. — Turenne relève Mazarin. — Régne de
Mazarin. 1652-1657 268
Mazarin était perdu sans Ttflrenne Ibid.
Froide et in faillible habileté de Turennov 271
La guerre antkropopbage 273
€bapitbe XXVI. — Paix des Pyrénées, — » Triomphe et mort
de Mazarin, 1658-1661 «8
La misère et la famine jusqu'à la mort de Masarin. 279
Sa politique contraire à celle de Richelieu. 282
L'Espagne ambitionne un second traité de mariage
avec la France. 1659 285
Mort de Mazarin, 1661 287
Cette paix n'est pas une paix 288
Essor de la nouvelle langue française 290
328 XABLS DES MATIÉRSS.
#
NOTES ET eCLAIRCISSBMENTS.
Galilée et Gustave-Adolphe 293
La bonne aventure, la loterie, les marchés d'hom-
mes.. 296
Waldsteîn. jésuites; Schiller, Ranke, Bonnayer. . . 298
Richelieu, le petit Journal de Richelieu 300
Le PèreJoseph 303
Les Carmélites et la grossesse. . /. 305-307
Le jésuite Sublet de Noyers 305
Vadminittration de Rirhdlieu, par V. CailleU 308
L'éducation des jésuites ^^'
La reine, son mariage avec Mazsrin , le masque de
fer 31Ï-313
Rocpoy, Nordliogen, traité de Westphalie.^..*. 313-315
U Fronde 3W-318
VHiito'.re du paupérisme, par M. Feillet 319
LeCbnstde Rembrandt (16^8) ^20
Lettres de Maxarin, éditées par M Chéruel
m
m -DB LÀ TâBLB »U «OMB DOUllftVA
Imprimerie BogèDe Ueutti et G* ,à Saint-GermâiB*
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