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Full text of "Histoire de France : (livres X-XVII) : étude du manuscrit et examendes remaniements du texte de 1841 et 1ı44 à travers les rééditions"

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HISTOIRE 


DE   FRANCE 


AU  XVII*  SIÈCLE 


HENRI  IV  ET  RICHELIEU 


CHEZ     LES     KEïES     EDITECaS. 


OCVRACrES  DE   MICHELET. 

Là.  SiacTSBX.  1  vQiiiniit  fr.   a-ii  «sm  ...........    .!>• 

DK  L'Hry.t.Trrt.  i  TauiiBS  ^r.  inrl-»  ;«sœi .)  lu 


L&  Bt^nimie.  i  vai. 

La Liftti  4i  Bbic  LT.  I  vqi. 
Tiaes  11  I  I&.  Esîoin  ie  France  la  xrcr  «usde  ' 

BnaeiaMi  «C  a  Fnna«.  1  ▼'ji. 
Liius  XlT.  2  TiiL 

T'ine»  13  a  1T.  Hiauur*  it*  Fnm»  la  5. •  i—r  stice»  .nstra'i  a  ievri«> 

o-aia  Tiai':Lae  : 


IniP'-mer'.f  5  i-:-ne  ^:.-~irS  «i  .'.e.  t  5i*.a»-*i«aTi*»a- 


HISTOIRE 


DE  FRANCE 


PAB 


J.    MICHELET 


XVIP  SIÈCLE— HENRI  IV  ET  RICHELIEU 


NOUVELLE    ÉDITION,  REVUE  ET  AUGMENTÉE 


TOME    ONZIÈME 


PARIS 

LIBRAIRIE  INTERNATIONALE 

A.     LACROIX     ET    C  «•     ÉDITEURS 

13,  FAUBOUBO  MONTMARTRE,    13 

1874  • 

Tout  droits  «le  iraduclloa  *t  dt  r«prodttolion  vémrté». 


>• 


HISTOIRE 

DE   FRANCE 


AU  XVll*  SI&CLE 


CHAPITRE    PREMIER 


Ligae  de  U  cour  contre  Gabrieile.  1098. 


La  chanson  si  populaire  de  Charmante  Gabrieile^  la 
plainte  amoureuse  du  roi  sur  sa  cruelle  départie^  ne  fut 
pas,  comme  on  Ta  dit,  faite  au  départ  pour  la  guerre, 
mais,  au  contraire ,  au  retour ,  et  quinze  jours  après  la 
paix.  11  la  fit  et  l'adressa  dans  une  courte  séparation  qu'a- 
menèrent les  couches  de  son  Second  fils.  11  a  la  bonne  foi 
d'avouer  qu'il  n'est  pas  tout  à  fait  l'auteur.  «  J'ai  dicté, 
dit-il,  mais  lion  arrangé.  » 

L'air  tendre,  ému,  solennel,,  a  quelque  chose  de  reli- 
gieux et  semble  d'un  ancien  psaume.  Les  paroles,  peu 
poétiques,  riment  tant  bien  que  mal  un  sentiment  vrai, 
l'aimable  ressouvenir  des  maux  qu'on  ne  souffrira  plus. 
C'est  la  première  et  charmante  émotion  de  la  paix.  Parents, 
amis  ou  amants ,  on  se  retrouve  donc  enfin  i  el  pour  ne 

XT«  i 


2  LIGUE  DE  LA  COUR  CONTRE  GABRIELLE. 

plus  se  quitter.  Plus  de  cruelle  départie,  et  chacun  sûr  de 
ce  qu'il  aime.  Ce  sourire,  mêlé  4'une  larme ,  regarde 
encore  vers  le  passé. 

De  toute  Fàncienoe  monarchie,  il  reste  à  la  France  un 
nom,  Henri  IV,  plus,  deux  chansons.  La  première  est  Ga- 
brielle^  ce  doux  rayon  de.  la  paix  après  les  horreurs  de  la 
Ligue.  La  seconde  chanson,  c'est  Marlborough,  une  dérision 
de  la  guerre,  une  ironie  innocente  par  laquelle  le  pauvre 
peuple  de  Louis  XIV  se  revengeait  de  ses  revers. 

Henri  IV  croyait  à  la  paix^  espérait  soulager  le  peuple, 
rêvait  le  bonheur,  l'abondance.  Dans  ses  lettres,  il  est  tout 
homme,  tout  nature,  et  naïvement,  dit  la  pensée  du  mo- 
ment. H  semble  que  le  sobre  Gascon  soit  devenu  un  Gar- 
gantua I  a  Envoyez-moi  des  oies  grasses  duBéarn,  les  plus 
grasses  que  vous  pourrez ,  et  qu'elles  fassent  honneur  au 
pays.  »  C'est  la  première  lettre  qu'Henri  IV  ait  écrite 
depuis  le  traité  ;  la  paix  fut  signée  le  2  mai,  la  lettre  est 
du  5. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  Ton  avait  faim  depuis  qua- 
rante ans.  Si  longtemps  alimentée  de  mots  et  de  contro- 
verses, la  France  voulait  quelque  autre  chose.  Henri  IV 
parle  ici  pour  elle  et  la  représente.  Pour  lui ,  ses  goûts 
étaient  autres  ;  mais  en  cela  et  en  tout,  môme  en  amour, 
malgré  sa  réputation  populaire,  il  était  homme  de  paroles, 
bien  plus  que  de  réalité. 

Entre  lui  et  Gabrielle ,  le  contraste  était  parfait'.  Lui, 
maigre  et  vif,  infiniment  jeuTie  d*esprît  sous  sa  barbe  grise, 
quoique  très-fatigué  de  corps  et  très-entamé.  Elle,  extrê- 
mement positive,  déjà  replète  à  vingt-six  ans.  Dans  le 
deàsin  qui  doit  être  son  dernier  portrait  (dessin  de  la 
Bibliothèque) ,  sa  face  s'épanouit  comme  un  triomphal 
bouquet  der  lis  et  de  roses.  Adîeu  la  svelte  demoisdlc  (des- 
dessins  de  Sainte-Geneviève).  C'est  une  épouse,  une  mère, 
et  la  mère  des  gros  Vendôme.  Si  ce  n'est  la  reine  encore, 
c'est  bien  la  maîtresse  du  roi  de  la  paix ,  le  type  et  le 


F 


LIGUE  DK  LA  COUR  GC^NTRE  GABRIBLLR.  3 

brillant  augure»  des  sept  années  griuses  qui  devaient  sacacé-^ 
éer  aux  maigres,  mais  doM  à  peine  on  vit  i'aurore. 

Uae  réponse  d'Henri  IV  à  GabrieUe  nous  apprend 
qu'elle  kii  reprochait  alors  «  d'aimer  moins  qu'elle  n'ai-- 
mait,  9  en  d^utres  termes,  d'ajourner,  d'éluder  le  ma^* 
riage.  £He  poussait  sa  fortune  et  ne  désespérait  point  de 
franchir  le  dernier  pas.  A  chaque  eoucher  elle  gagnait  du 
terrain.  Le  roi  s'attachait  extrénement  aux  enfants,  il  n'y 
eut  jamais  un  père  si  faible,  dit  avec  raison  Richelieu.  Le 
dernier  traité  de  la  Ligue  avait  mis  oela  en  lumière  :  Mer*^ 
cœur  étart  aux  abois,  ia  Bretagne  se  livrait  au  roi;  mais 
les  dames  de  celte  fiMSÛUe  captk^ent  m  bien  GabrieUe  « 
que  le  roi  donna  à  MercosuiP  un  traité  ines|»éré  pour  marier 
deux  nourrissons,  son  Vendôme  de  trois  ou  quatre  ans,  à 
la  hlle  de  Mercœur.  11  en  est  honteux  Uû^méme,  et  s'en 
excuse  au  connétable  :  «  Vous  êtes  pare,  lui  ditr-il,  et  vous 
ne  me  blftmerez  pas.  » 

Le  roi  arrivait  à  Tâge  où  i*intérteuT,  l'entourage  intime^ 
les  affections  d'habitude,  dominent  le  caractère.  Il  voulait 
qu'on  le  crût  fort  libre  et  fort  absolu.  Dans  les  deux 
heures  qu'il  donnait  par  jour  aux  affaires ,  il  tranchait  et 
décidait  avec  la  vivacité  brève  du  eommandement  naili-» 
taire.  Mais  on  voyait  dans  mille  choses  qae  ce  roi,  tourr 
jours  capitaine,  avait  chez  lui  son  général,  et  qu'il  pro* 
nonçait  souvent  au  conseil  les  ordres  de  la  dbambreà 
coucher. 

Il  faisait  grande  illusion  à*  l'Europe.  Son  trioniphe  suf 
PEspagne ,  la  première  puissance  du  monde,  le  faisait 
célébrer,  redouter  jusqu'en  Orient.  On  croyait  le  voli 
toujours  monté  sur  le  cheval  au  grand  panache,  qui 
enfonça  à  Ivry  les  rangs  espagnols.  Son  extrême  activité 
le  maintenait  dans  l'opinion.  Jamais  les  ambassadeurs  ne 
pouvaient  le  voir  assis.  U  les  écoutait  en  jmarchant,  il 
tenait  conseil  en  marchant.  Puis  il  montait  à  cheval,  chaa* 
sait  jusqu'au  soir.  Il  jouait  alors,  et  avec  vivacité^  empor- 


4  LIGOK  DE  LA  OOUft  GONTRB  GABRULLB» 

tement,  jusqu'à  tricher,  voler,  dit-on  (mais  il  rendait). 
Couché  tard,  de  très-bonne  heure  il  était  levé,  aux  jar- 
dins, faisant  planter,  soigner  ses  arbres.  Avec  toute  cette 
activité,  après  la  paix,  il  fut  malade.  Il  en  était  de  lui 
comme  de  la  France.  Du  jour  que  l'esprit  fut  plus  libre, 
on  s'aperçut  tout  à  coup  des  maladies  que  l'on  avait. 
L'affaissement  moral  sa  traduisit  par  celui  du  corps.  Six 
mois  après  le  traité,  le  roi  eut  une  rétention  d'urine  dont 
il  crut  mourir ,  puis  la  goutte,  puis  des  diarrhées  et  de 
grands  affaiblissements. 

Les  médecins  l'avertirent  en  46^  que,  pour  l'amour, 
son  temps  était  fini,  et  qu'il  ferait  bien  de  renoncer  aux 
femmes.  Le  chancelier  Cheverny  nous  apprend  qu'il  lui 
était  survenu  une  excroissance  fort  gênante,  qui  faisait 
croire  que  désormais  il  n'aurait  plus  d'enfants. 

Cet  affaiblissement  d'une  santé  devenue  si  variable,  ne 
parait  pas  dans  les  mémoires,  mais  beaucoup  dans  ses 
lettres,  et  à  chaque  instant.  On  en  voit  des  signes  dans 
ses  vrais  portraits,  qui,  il  est  vrai,  sont  fort  rares.  Porbus 
même  s'est  bien  gardé  d*exprimer  cette  sensibilité  ner- 
veuse d'une  physionomie  souriante ,  mais  si  près  des 
.larmes,  cette  facilité  extrême  d'attendrissement  d'un 
homme  qui  avait  trop  vu,  trop  fait  et  souffert  1  Tout  se 
mêle  en  ce  masque  étrange,  trompeur  par  sa  mobilité. 
Elle  sembla  croître  avec  sa  vie.  Le  seul  point  vraiment 
fixe  en  lui,  c'est  qu'il  fut  toujours  amoureux.  Mais,  en  ses 
plus  légers  caprices,  le  cœur  était  de  la  partie.  Et  voilà 
pourquoi  ce  règne  ne  tomba  pas  aussi  bas  que  les  satires 
de  l'époque  pourraient  le  faire  croire.  Les  femmes,  dit 
madame  de  Motteville,  furent  plus  honorées  alors  qu'au 
temps  de  la  Fronde.  Pourquoi  cela?  Le  roi  aimait. 

Avec  ce  cœur  ouvert  et  facile ,  avec  cette  dépendance 
de  l'intérieur  et  ce  besoin  d'intimité ,  on  était  sûr  que, 
quelque  femme  qu'épousât  le  roi,  elle  aurait,  un  grand 
ascendant;  que,  fidèle  ou  non,  il  mettrait  en  elle  une 


UGDB  DB  LA  GOUB  GONTRB  GABRULLB.  D 

grande  confiance,  lui  cacherait  peu  de  choses,  et  qu'au 
moins  indirectement  elle  influerait  sur  les  destinées  de 
rÉtat. 

Sous  un  tel  roi,  la  grosse  affaire  était  certainement  le 
mariage. 

Et  c^était  le  point  par  lequel  l'étranger  espérait  bien  re- 
prendre ses  avantages.Peu  importait  que  le  soldat  espagnol 
eût  été  chassé,  si  une  reine  espagnole  (au  moins  espa- 
gnole d'esprit),  entrait  victorieusement,  en  écartant  6a- 
brielle,  et  mettait  la  main  sur  le  roi  et  le  royaume. 

La  paix  ne  fut  pas  une  paix,  mais  une  guerre  intérieure 
où  l'on  se  disputa  le  roi. 

La  crise  était  fort  instante.  Du  jour  même  où  l'Espagne 
fut  sûre  que  nous  désarmions,  elle  commença  une  guerre 
tout  autrement  vaste,  et  qui  ne  lui  coûtait  plus  rien,  non 
contre  la  Hollande  seulement,  mais  en  Àllemagae  ;  les 
bandes  dites  espagnoles  (des  voleurs  de  toute  nation  )  se 
mirent  à  manger  indifféremment  protestants  et  catholi- 
ques. C'est  le  vrai  commencement  de  l'horrible  demi- 
siècle  qu'on  appelle  la  Guerre  de  trente  ans.  Le  roi  de 
France,  le  seul  roi  qui  portât  l'épée,  allait  devenir 
rhomme  unique ,  le  sauveur  imploré  de  tous.  Chacun  le 
voyait,  le  sentait.  S'en  emparer  ou  s'en  défaire,  c'était 
l'idée  des  violents.  Le  dilemme  se  posait  pour  eux  :  Le 
tuer  au  le  marier. 

n  les  avait  amusés  par  l'abjuration,  amusés  encore  à  la 
paix.  Il  avait  fait  entendre  à  Rome  que  VÉdU  de  Nantes 
donné  aux  protestants  ne  serait  qu'une  feuille  de  papier; 
mais  on  voyait  qu'il  voulait  réellement  leur  donner  des 
garanties.  Il  avait  fiiit  espérer  le  rétablissement  des  Jé- 
suites; mais,  quand  on  le  pressa ,  il  dit  :  «  Si  j'avais  deux 
vies,  j'en  donnerais  volontiers  une  pour  satisfaire  Sa 
Sainteté.  N'en  ayant  qu'une,  je  dois  la  garder  pour  son 
service  et  l'intérêt  de  mes  sujets.  » 

Les  Jésuites  étaient  attrapés.  Ils  avaient  cru  tellement 


6  LIOUB  DI  LÀ  CODR  CONTRS  GABRIBMJi. 

rentrer,  gouverner,  confesser  le  roi,  que  là-dessus  Us^ 
bâtissaient  le  plan  d'une  Armada  nouTelle  contre  TAngle- 
terre.  Ce  roi  confessé,  ils  l'eussent  allié  avec  l'Espagnol,  et 
tous  deux,  bien  attelés,  auraient  été  conquérir  le  royaume 
d'Elisabeth. 

L'espoir  tron^péirriie  fort.  Deux  partis,  dans  ce  parti, 
travaillaient  diversenieat ,  mais  d'une  manière  active.  A 
Bruxelles,  le  légat  romain,  Halvezzi,  organisait  Tassassi* 
nat,  qui  était  son  but  depuis  six  années  (DeTbou).  A 
Paris  et  en  Toscane,  on  travaillait  le  mariage,  un  mariage 
italien.  C'est  ce  qu'eût  préféré  le  pape;  ce  mariage,  qui 
eût  amorti  et  romanisé  le  roi,  dispensait  de  le  tuer. 

Le  roi ,  dans  ses  grandes  misères  ,  avait  emprunté  de 
fortes  sommes  au  grand- duc  de  Toscane ,  qui  spéculait 
là-dessus  de  deux  manières  à  la  fois.  U  s'était  fait  par  ses 
agents,  les  Gondi  et  les  Zamet ,  percepteur  de  taxes  en 
France,  et  il  en  tirait  de  grosses  usures.  Beuxièmement, 
U  espérait,  avec  cet  argent  et  les  sommes  qu'il  pourrait  y 
ajouter,  faire  sa  nièce  reine  de  France.  Il  tenait  à  conti- 
nuer par  elle  Catherine  de  Médicis,  le  gouvernement  flo- 
rentin, comme  il  continuait  par  ses  financiers  l'exploita- 
tion pécuniaire  du  royaume.  Il  avait  envoyé  depuis  plu- 
sieurs années  le  portrait  de  cette  nièoe ,  rayonnant  de 
jeunesse  et  de  fraidieur^  un  parfait  soleil  de  santé  bour- 
geoise. Gabrielle  n'avait  pas  peur  du  portrait ,  mais  bien 
de  la  caisse,  attrayante  pour  un  roi  ruiné.  Elle  craignait 
ces  Italiens,  les  maîtres  de  nos  finances  et  les  agents  du 
mariage,  secrets  ministres  du  grand-duc.  £lle  leur  porta 
un  grand  coup  en  faisant  mettre  dans  le  conseil  des 
finances  un  homme  qu'elle  croyait  à  elle ,  le  protestant 
Sully. 

Quand  je  parle  de  Gabrielle,  je  parle  de  sa  Camille,  des 
Sourdis  et  des  d'Estréés.  Cette  belle  idole  n'avait  pas 
beaucoup  de  tète  et  ne  faisait  guère  que  suivre  leurs  avis. 
Mais  k  famille  elle-même,  la  taate  de  Sourdis,  qui  menait 


UGUS  DE  Là  COUB  CaNTRE  GAJWIËLLE.  7 

tout,  n'était  pas  bien  décidée  sur  la  ligne  h  suivre ,  et 
ménageait  tout  le  monde.  Elle  travaillait  à  Rome,  non- 
seulement  pour  ie  divorce  du  roi ,  mais  pour  faire  son  fils 
cardinal.  D'autre  part»  personnellement ,  Gabrielle  cares- 
sait les  huguenots.  EUe  les  plaçait  dans  sa  maison  comme 
serviteurs  de  confiance,  Ëtait-elle,  au  fond,  protestante, 
comme  l'affirme  d'Aubigné?  Non.  Du  moins,  elle  accom- 
plissait tous  ses  devoirs  catholiques.  Le  roi  chantant  un 
jour  des  psaumes,  pendant  qu'elle  était  malade,  elle  lui 
mit  la  main  sur  la  bouche,  au  scandale  des  huguenots. 
Mais  les  catholiques  croyaient  que  par  ce  geste  muet  elle 
disait  au  roi  :  <t  Pas  encore.  » 

Du  reste,  on  la  jugeait  moins  sur  ses  actes  que  sur  ses 
amitiés.  Elle  était  aimée ,  protégée  par  deux  grandes 
dames  protestantes,  l'une  la  princesse  Catherine,  sœur  du 
roi,  dont  elle  avait  le  portrait  précieusement  monté  ^\xr 
une  boîte  d'or.  (Fréyille,  Inv.  dt  Gabrielle.)  L'autie,  la 
princesse  d'Orange,  fille  de  Coligny,  veuve  de  Guillaume 
le  Taciturne,  et  belle-mère  de  Maurice,  le  grand  capitaine. 
Cette  dame,  aimée,  honorée  de  tous,  même  des  catholi- 
ques, donnait  une  grande  force  morale  à  la  eause  de  Ga- 
brielle. Elle  jugeait  évidemment  qu'un  attachement  si 
long  et  si  fidèle  se  purifiait  par  sa  durée,  que  Gabridie 
n'était  pas  liée  à  son  faux  mari  qu'elle  ne  vit  peut-étpe 
jamais ,  pas  plus  que  le  roi  ne  Tétait  à  sa  diffamée  Mar- 
guerite, qu'il  ne  voyait  plus  depuis  vingt  années. 

Gabrielle  avait  une  chose  en  sa  faveur  qui  pouvait  ré- 
pondre à  tout.  //  fallait  une  reine  française^  dans  ce  grand 
danger  de  l'Europe.  Elisabeth  mourait  ;  le  fils  de  Marie 
Stuart  allait  succéder.  Plus  d'appui  pour  la  Hollande. 
Comment  celle-ci,  délaissée  des  Anglais,  porterait-elle  le 
poids  immense  de  la  guerre  européenne?  Qu'arrivei^ait-il 
si  répée  sur  laquelle  tous  avaient  les  yeux,  Tépée  de  la 
France,  était  liée  par  une  reine  étrangère  ou  volée  de  son 
chevet  ? 


8  LIGUE  DB  Lk  COUR  GOirTRK  GABRIELLE. 

Pei'sonne  ne  voyait  cela, 'ou  du  moins  ne  le  disait.  On 
faisait  cent  objections  au  mariage  français. 

L'indignité  de  Gabrielle  d'abord.  Les  dames  de  la  no- 
blesse^ qui  crevaient  de  jalousie,  se  trouvèrent  toutes  plus 
sévères  et  plus  vertueuses  que  la  princesse  d*Orange.  Elles 
demandaient  quels  étaient  donc  ces  d'Estréespour  donner 
une  reine  à  la  France.  Les  bourgeoises,  encore  plus  sottes, 
disaient  qu'il  serait  bien  plus  beau,  plus  glorieux  pour  le 
royaume,  d'avoir  une  vraie  reine  de  naissance  et  de  sang. 
À  la  tète  de  toutes  les  femmes  se  signalait  Marguerite  de 
Valois,  qui,  l'autre  année  (24  février  1597),  pour  tirer 
quelque  grâce  de  Gabrielle,  descendait  jusqu'à  l'appeler 
«  sa  sœur  et  sa  protectrice  ;  »  mais  qui ,  en  1 598 ,  voyant 
cette  grande  ligue  contre  elle,  l'injuriait,  disait  qu'elle  ne 
céderait  jamais  «  à  cette  décriée  bàgasse.  » 

D'autre  part,  les  politiques,  sans  parler  de  sa  personne, 
objectaient  un  danger  fort  hypothétique,  la  crainte  que  le 
fils  de  Gabrielle,  n'étant  pas  suffisamment  légitimé  par  le 
mariage,  ne  trouvât  un  compétiteur  dans  un  frère  futur 
et  possible,  un  autre  fils  qu'elle  aurait  peut-être  après  le 
mariage  accompli.  Ces  fortes  têtes  voyaient  ainsi  le  péril 
fort  incertain  de  Tavenir,  et  ils  ne  voyaient  pas  le  péril 
présent,  celui  du  mariage  italien,  qui  mettrait  l'ennemi 
dans  la  maison,  l'invasion  d'une  nouvelle  cour,  de  traîtres, 
et,  qui  sait?  d'assassins... 

Malgré  cet  aveuglement  général  et  ces  obstacles  de  tout 
genre,  Gabrielle  aurait  vaincu  par  la  puissance  de  l'affec- 
tion et  des  habitudes,  si  elle  n'avait  eu  contre  elle  un 
homme  qui ,  à  lui  seul ,  pesait  autant  que  tous ,  Sully , 
qu'elle  avait  créé,  puis  mécontenté  maladroitement. 

Nous  parlerons  ailleurs  du  ministre ,  de  son  aimable 
dictature  des  finances,  qui  a  sauvé  le  royaume.  Un  mot 
ici  sur  rhomme  même. 

Il  était  né  justement  l'homme  qui  devait  déplaire  le  plus 
à  un  roi  comme  Henri  IV.  Celui-ci,  si  faible  pour  sa  cour 


LI6UB  DE  LA  COUR  CONTRS  GABRIELLB.  9 

et  son  entourage,  Teût  approuvé  dans  ses  réformes,  mais 
il  ne  Teût  pas  défendu,  s*il  ne  l'eût  trouvé  appuyé  par  un 
entourage  plus  intime  que  la  cour,  par  cette  femme  aimée, 
mère  de  ses  enfants. 

Maximilien  de  Béthune  (Rosny  par  sa  grand*mère,  et 
Sully  par  don  du  roi)  était  originaire  d'un  pays  qui  a 
donné  des  têtes  ardentes  sous  grande  apparence  de  froid, 
de  roideur.  Il  était  de  l'Artois,  du  pays  de  Maximilien  de 
Robespierre.  On  rattachait  ces  Béthune  aux  Beaton  d'E- 
cosse. Et,  en  effet,  celui-ci  avait  un  faux  air  britannique, 
par  le  contraste  déplaisant  d'un  teint  blanc  et  rosé  d'en- 
fant (à  cinquante  ans)  et  d'un  œil  du  bleu  le  plus  dur. 
c  n  portait  la  terreur  partout,  dit  Marbault  ;  ses  actes  et 
ses  yeux  faisaient  peur.  » 

Il  fit  une  chose  vigoureuse  et  très- agréable  à  sa  protec- 
trice, tes  notables  que  le  roi  assembla  dans  son  péril  de 
1596,  et  à  qui  il  dit  qu'il  a  se  remettait  à  eux  en  tutelle,  ». 
l'avaient  pris  au  mot.  Mais  leur  commission  gouvernante, 
présidée  par  un  des  Gondi,  ne  put  rien  et  ne  fit  rien. 
Sully  prit  Vafifaire  de  leurs  mains ,  renoncée  et  désespé- 
rée, et,  pour  premier  acte,  mit  hors  des  finances  les 
Gondi  et  les  Zamet,  les  partisans  italiens,  qui  percevaient 
ici  pour  le  grand-duc  de  Toscane  et  lui  faisaient  ses 
affaires. 

Tout  va  de  soi  où  va  l'argent.  Le  matériel  de  la  guerre 
et  bien  d'autres  choses  allèrent  se  centralisant  dans  la 
main  active,  énergique,  du  grand  financier.  Il  avait  fait  la 
guerre  toute  sa  vie.  11  voulait  être  grand  maître  de  l'artil- 
lerie. Les  d'Estrées  firent  la  sottise  de  prendre  la  place 
pour  eux ,  pour  le  père  de  Gabrielle ,  et  ils  donnèrent  à 
Sully  ce  qu'il. pouvait  désirer,  un  bonne  occasion  d'être 
ingrat. 

Disons  ici  que  ce  [restaurateur  admirable  de  la  fortune 
publique  avait  une  attention  extrême  à  la  sienne.  Non 
qui!  ait  volé;  mais  il  se  fit  donner  beaucoup;  il  ne  perdait 


10  UGUE  PB  Lk  COUR  CONTRE  GÀDRIBLLE. 

nulle  occasion  de  gagner,  se  fondait  surtout  et  s'affermis- 
sait pour  ravenlr.  On  ie  vit  dans  Tattenlion  (non  pas  dé- 
loyale, mais  indélicate)  qu'il  eut  de  se  rapprocher  de  la 
maison  de  Guise  et  de  s'allier  à  elle.  Elle  restait  ta  plus 
riche,  ayant  reçu  à  elle  seule  la  grosse  part  de  tant  de  mil- 
lions que  Sully  paya  aux  grands. 

Cet  homme  infiniment  prudent,  prévoyant,  vit  que  Ga- 
brielle  n'irait  pas  loin,  qu'elle  n'arriverait  pas  au  but,  et 
qu'il  ne  fallait  pas  lui  rester  attaché.  Elle  avait  pour  elle  le 
roi.  Mais  qu'est-ce  cela?  Les  rois  vivent,  sans  le  savoir, 
captifs,  nullement  maîtres  d'eux-mêmes. 

Au  conseil,  aucun  ministre  ne  parlait  pour  elle,  que  le 
vieux  chancelier  Cheverny  et  M.  de  Fresne,  rédacteur  ,de 
redit  de  Nantes  et  très-subalterne.  Villeroy  était  contre 
elle;  Espagnol  d'inclination,  il  aurait  voulu  une  fille  d'Es- 
pagne. De  même  Jeannm,  Tex-ligueur,  l'ex-factotum  de 
Mayenne.  Ces  vieux  ministres  tenaient  à  l'antique  tradi- 
tion, qu'un  roi  épousât  une  reine,  croyant  bien  à  tort  que 
ces  mariages  marient  les  Ëtats.  Au  défaut  de  TEspagnole , 
ils  désiraient  l'Italienne,  qui  apportait  de  l'argent.  Sully, 
en  ceci,  était  avec  eux.  Les  quatre  ou  cinq  cent  mille 
écus  qui  pouvaient  venir  de  Toscane  eussent  agréable- 
ment figuré  dans  le  trésor  qu'il  méditait  de  faire  dans  les 
caves  de  la  Bastille.  Ils  eussent  aidé  au  besoin  pour  quel- 
que coup  imprévu  qu'on  aurait  eu  à  frapper  sur  le  Rhin 
ou  la  Savoie. 

Une  question  toute  personnelle  pour  Sully,  .c'était  de 
savoir  si,  ayant  déjà  la  chose,  il  aurait  le  titre,  s'il  serait 
déclaré  surintendant  des  finances.  Il  lui  fallait  pour  cela 
l'appui  ou  la  connivence  de  ses  anciens  ennemis.  Quoique 
le  roi  eût  toujours  l'air  de  trancher  seul,  il  était  très-puis- 
samment influencé  et  par  ces  vieux  ministres  d'expérience 
et  par  les  valets  intérieurs.  Sully  avait  bravé  les  uns  et  les 
autres.  Il  avait  surtout  ces  derniers  à  craindre,  s'il  ne  se 
ralliait  à  eux  pour  le  mariage  italien  et  contre  sa  protectrice. 


UGUE  DB  LA  COUR  CONTRE  GABRIELLE.  4  ! 

Le  roi  avait  près  de  lui  trois  rieurs  en  titre  :  d'abord  le 
bouffon  Roguelaure,  ^ns  conséquence  et  le  meftleur  de 
tous;  jpuîs  Tentremetteur  Fouquet  laVarenne;  enfui  un 
baragouineur  italien^  trës-lacétleux,  M.  le  iinancier  Zamct, 
Toscan  et  agent  du  grand-duc. 

Les  rieurs  I  classe  dangereuse,  ^ous  avons  vu  dans  1*0- 
rient  le  rôle  sanglant  de  la  Rieuse  (Roxelane),  qui  mena 
Soliman  jusqu'à  étrangler  son  filslj 

La  Varenne,  ex-cuisinier,  et  Zamét,  ex-cordonnier, 
étaient  en  réalité  les  hommes  considérables  et  dangereux 
de  cette  cour.  Le  roi  les  savait  des  faquins  et  ne  pouvait 
se  passer  d'eux.  Quoique  moins  désordonné  qu'à  un  autre 
âge,  il  lui  fallaii;  toujours  des  gens  avec  qui  il  pût  s'ébau- 
dir,  parler  comme  au  temps  d'Henri  IIL 

La  Yarenne,  qu'Henri  lY  avait  ramassé  dans  la  cuisine 
de  sa  sœur  comme  un  drôle  à  toute  sauce,  était  gai,  vif  et 
hardi.  Le  roi  le  trouva  conimode  pour  ses  messages  ga- 
lants. Mais  cela  ne  dure  pas  toujours.  La  Yarenne,  sous 
un  roi  barbon,  menacé  d'un  long  chômage,  tourna  aux 
affaires,  s'y  insinua.  A  la  rétention  d'urine  il  crut  que  le 
roi  irait  baissant  et  se  donna  aux  Jésuites  ;  il  se  fit  leur 
protecteur,  les  appuya  constamment,  et  par  là  créa  à  un 
fils  enfant  qu'il  avait  une  énorme  fortune  d'Ëglise.  Le  se- 
cond fils  fut  grand  seigneur. 

Zamet,  de  race  mauresque,  cordonnier  de  Lucques» 
fort  adroit,  seul  de  tous  les  hommes  avait  réussi  à  chaus- 
ser le  délicieux  pied  d'Henri  III.  Ce  prince  reconnaissant 
le  fit  valet  de  garde-robe,  lui  confiant  ^les  petits  cabinets 
où  il  nourrissait  douze  enfants  de  chœur;  car  il  aimait 
fort  la  musique.  Zamet  ne  s'enorgueillit  point  de  ces  no- 
bles fonctions;  toute  grandeur  est  incertaine;  il  ne  rece- 
vait pas  un  sou,  pas  une  buona  viano,  qu^il  ne  plaçât  à 
l'instant  ;  il  était  né  obligeant,  il  prétait  à  tout  le  monde, 
et  il  s'arrondit  très-vite.  Dans  la  Ligue,  il  prêta  impartiale- 
ment aux  ligueurs,  aux  Espagnols,  au  roi  de  Navarre  ;  telle 


12  LIGUE  DB  LÀ  COUR  GONTRB  GÀBRIBLLB. 

était  sa  facilité,  la  générosité  de  son  cœur.  Il  devint  un 
gros  richard  ;  Henri  lY  jouait  chez  Zamet,  et  avec  l'argent 
de  Zamet,  qui  savait  bien  se  faire  payer.  Le  dogue  qui  gar- 
dait le  trésor  n'avait  pas  de  dents  pour  lui. 

Sully  connaissait  son  maître.  Il  crut  que  ces  gens-là, 
qui  avaient  des  rois  derrière  eux,  l'Espagne  et  le  pape,  fi- 
niraient par  l'emporter.  Il  brisa  avec  Gabrielle  au  baptême 
de  son  second  fils. 

Le  roi  avait  hautement  reconnu  ses  deux  fils,  exigeant 
pour  eux  des  titres  princiers  qui  annonçaient  clairement 
leur  légitimation  prochaine  par  le  mariage.  Il  les  faisait 
appeler  César  Monsieur ,  Alexandre  Monsieur.  Le  secrétaire 
d'État,  de  Fresne,  protestant  et  ami  de  Gabrielle,  envoya 
à  Sully  la  quittance  des  frais  de  la  fête  sous  ce  titre  : 
Baptême  des  enfants  de  France.  Sully  renvoya  la  quit- 
tance, en  disant  rudement  :  c  II  n'y  a  pas  d'enfants  de 
France.  » 

N'était-ce  pas  une  grande  vaillance?  On  le  croirait  en 
lisant  les  Œconomies  royales.  En  réalité,  cet  homme  péné« 
trant  avait  vu  ce  que  personne  ne  voyait  encore,  et  le  roi 
pas  plus  qu'un  autre  :  c'est  qu'il  n'aimait  pas  Gabrielle 
autant  qu'il  le  croyait  lui-même.  Tranchons  le  mot  :  [il  vit 
qu'elle  était  vieillie  dans  l'affection  du  roi,  et  que  lui , 
l'homme  d'argent  et  de  ressources,  il  y  était  jeune,  neuf 
et  dans  sa  fraîche  fleur. 

Ce  furent  deux  maltresses  en  présence,  le  roi  fut  mis  en 
demeure  de  choisir  entre  la  femme  et  l'argent.  Ajoutez 
que  cet  habile  homme  l'avait  encore  aiguillonné  en  lui 
donnant  à  entendre  qu'on  le  croyait  sous  le  joug,  tout  dé- 
pendant d'une  femme  ;  moyen  sûr  de  tirer  de  lui  quelque 
violente  boutade,  un  essai  d'affranchissement. 

Gabrielle  fut  très-maladroite.  Elle  se  souvint  beaucoup 
trop  de  ce  que  Sully  avait  d'abord  rampé  sous  elle,  «  fait 
le  bon  valet  »  (il  le  dit  lui-même).  Elle  l'appela  «  un  va- 
let. »  Et  le  roi  ne  se  souvint  plus  *qu11  voulût  la  faire 


UGDE  J>E  LA  COUR  CONTRE  GABRULLK.  43 

femme  et  reine  ;  il  l'appela  une  mattresse  :  «  J'aime  mieux 
on  tel  serviteur  que  dix  maîtresses  comme  vous.  » 

Elle  trembla,  frissonna,  se  composa  sur-le-champ  et  se 
remit  à  discrétion..  Elle  comprit  la  situation,  la  force  de 
Sully,  et  elle  ne  songea  plus  qu'à  apaiser  cet  homme  ter- 
rible. Elle  flatta  même  sa  femme.  En  vain.    , 

Le  mot  fatal  était  lancé.  Les  ennemis  de  Gabrielle  cru- 
rent que  cet  amour  d'habitude  ne  tenait  plus  qu'à  un  fil, 
qu'on  pouvait  tout  oser  contre  elle,  que  le  roi  la  pleure* 
rait,  mais  ne  la  vengerait  pas. 


CHAPITRE  II 


Mort  de  Gabrielle.  1599. 


Le  1 3  août  i  598,  Henri  IV,  chassant  dans  la  forêt  de  Fon- 
tainebleau, crut  entendre  un  bruit  de  meute^  des  cors,  des 
cris  de  chasseurs.  Il  trouva  bien  surprenant  qu'on  osât 
interrompre  ainsi  la  chasse  du  roi,  et  commanda  au  comte 
de  Soissons  d'aller  voir  quels  étaient  ces  téméraires.  Le 
comte  alla  et  revint,  rapportant  qu'il  avait  toujours  entendu 
le  même  bruit  et  vu  un  grand  homme  noir  qui,  dans  l'é- 
paisseur des  broussailles,  avait  crié  :  «  M'entendez-vous?  » 
ou  peut-être  :  «  M'attendez-vous?  »  et  qui  disparut.  Sur 
ce  rapport,  le  roi  rentra  au  château,  craignant  quelque 
embûche.  La  chose  fut  racontée  partout,  et  les  dévots  de 
Paris  ne  manquèrent  pas  d'assurer  que  l'homme  noir 
avait  dit  :  «  Amendez-vous,  »  c'est-à-dire  :  Devenez  sage 
et  quittez  votre  maîtresse. 

Dans  cette  paix  nullement  paisible,  les  esprits,  tout 
émus  encore,  accueillaient  volontiers  les  bruits  effrayants. 
Celui  du  jour  était  la  mort  de  madame  la  connétable  (de 
Montmorency).  C'était  une  jeune  femme  très-jolie  et  très- 
sage,  mais  qui  n'était  pas  de  naissance  à  épouser  le  conné- 
table de  France.  Elle  avait  fait,  disait-on,  un  pacte  pour  y 
parvenir.  Un  jour  qu'elle  siégeait  à  Chantilly  au  milieu  de 
ses  dames,  on  lui  dit  qu'un  gentilhomme  demandait  à  lui 


irORT  DE  GABRIELLB.  .    15 

parler.  Emue,  elle  demanda  comment  il  était.  «  D'assez 
bonne  mine,  lui  dit-on/  mais  de  teint  et  de  poil  noir.  » 
Elle  pâlit,  dit  :  «  Qu'il  s*en  aille,  revienne  une  autre  fois.  » 
Mais  rhomme  noir  insista,  et  dit  :  «  Tirai  la  chercher.  » 
Alors,  les  latmes  aux  yeux,  elle  dit  adieu  à  ses  amies  et 
s'en  alla  comme  à  la  mort.  Peu  après,  effectivement,  elle 
mourut,  chose  effroyable,  «  le  visage  sens  devant  derrière 
et  le  cou  tordu.  »       * 

En  cadence  avec  ces  récits,  des  prédications  terribles 
faisaient  trembler  les  églises;  ces  hardies  échappées  du 
diable  annonçaient,  selon  les  prédicateurs,  de  grandis  châ- 
timents. Les  péchçs  de  la  '  cour,  du  roi  (on  le  désignait 
clairement)  étaient  tels,  qu'il  fallait  des  mortifications  nou- 
velles, inouïes,  pour  soutenir  le  ciel  qui  aurait  tombé,  la 
foudre  qui  eût  tout  écrasé.  On  appelait  au  secours  un  ren- 
fort de  moines,  la  grande  armée  monastique,  de  toute 
robe  et  toute  couleur,  qui  vint  d'Espagne  et  d'Italie,  ca- 
puccini,  récollets,  feuillants,  carmes  et  augustmsr,  chms^ 
ses,  déchaussés.  Les  carmélites  espagnoles,  peu  aprSs, 
allaient  prendre  possession  de  leur  couvent  de  Paris  en 
'procession  solennelle  le  jour  de  la  Saînt-Barthélcnry.  Les 
capucines  firent  une  entrée  saisissante  et  dramatique,  por- 
tant chacune  une  couronne  d'épines,  et  conduites  par  le» 
princesses  de  la  maison  dé  Guise. 

Mais,  avant  l'entrée  de  ces  saintes  qui  apportaient  Fex- 
piation,  on  avait  eu  à  Paris  un  autre  spectacle.  Pas  moins 
que  le  diable  en  personne,  qui  avait  élu  domicile  dans  le 
corps  d'une  certaine  Marthe.  Un  homme  distingué  (des  la 
Rochefoucauld),  fort  dévot,  amî  des  Jésuites,  la  menait  et 
la  montrait,  d'abord  dans  les  villes  du  centre,  sur  la  Loire, 
enfin  à  Paris.  Tout  le  monde  allait  la  voir  à  Sainte-Gene- 
viève ;  on  assistait  avec  terreur  à  la  lutte  horrible  qni  se 
renouvefaft  chaque  jour  entre  le  démon  et  un  capucin  qui 
rexorcisait,  fort  et  ferme,  en  tirant  des  cris,  des  gambades, 
des  grimaces  à  faire  frémir.  Le  roi,  qui  avait  la  tête  dui^, 


46  MORT  DE  GABRISLLI. 

avait  peine  à  croire  la  chose;  il  y  envoya  ses  médecina  et 
les  adjoignit  aux  prêtres  pour  examiner. 

Il  n'était  que  trop  visible  qu'on  voulait  du  trouble,  qu'on 
espérait  exploiter,  exalter  le  mécontentement  de.Paris.  Les 
taxes  ne  diminuaient  pas  et  ne  pouvaient  diminuer,  quand 
Sully  payait  aux  grands  une  centaine  de  millions,  quand 
la  guerre  menaçait  toujours.  Des  souffrances  du  passé  res- 
tait un  cruel  héritage,  la  peste,  qui  éclatait  de  moment  en 
moment.  Un  peuple  nouveau  de  mendiants  se  montrait, 
les  gens  de  guerre  qu'on  avait  renvoyés  chês  etix,  mais  qui 
n'avaient  pas  de  chez  eux.  On  en  voyait  tous  les  jours  des 
bandes  dans  la  cour  du  Louvre,  a  Capitaines  déchirés, 
maîtres  de  camp  morfondus,  chevau'^légers  estropiés,  ca- 
nonniers  jambes  de  bois,  tout  cela  entre  en  troupes  par 
les  degrés  de  la  salle  des  Suisses,  en  déclamant  contre 
madame  l'Ingratitude.  L'oflBcier  portant  la  hotte  et  le  sol- 
dat le  boyau,  exaltent  leur  fidélité,  montrent  leurs  plaies , 
racontent  leurs  combats  et  leurs  campagnes  perdues,  me- 
nacent de  se  faire  croquants^  et  sur  la  monnaie  de  leur 
réputation  mendient  quelque  pauvre  repas.  » 

Henri  II  et  Henri  III  les  logeaient  dans  les  monastères.  « 
Henri  lY,  plus  tard,  leur  créa  l'hospice  de  la  Charité,  tard, 
bien  tard,  en  1606.  Jusque-là,  ces  ombres  errantes,  plain- 
tives, mais  redoutables,  donnaient  espoir  à  l'étranger,  à  la 
Ligue,  vivante  en  dessous.  Le  roi  voyait,  sentait  cela;  l'agi- 
tation continuait,  et  il  n'était  point  aimé, 

11  tomba  malade  en  octobre  ;  il  crut  mourir.  Ce  n'était 
qu'un  accès  assez  court  de  rétention  d'urine  ;  mais  il  en 
garda  la  fièvre.  Cet  homme,  jusque-là  si  gai,  devint  très- 
mélancolique.  «  Tout  me  déplaît,  »  disait-il.  Aveu  qui  ne 
fut  pas  perdu  et  fit  croire  que  Gabrielle  ne  suffisait  plus  à 
le  consoler. 

Deux  assassins  étaient  encore  venus  pour  tuer  le  roi, 
l'un  dominicain,  de  Flandre,  l'autre  capucin,  de  Lor- 
raine. 


MORT  DE  GABRIBLLE.  H 

Pourquoi  plutôt  à  ce  moment?  On  le  comprit  quand  on 
sut  que  les  Espagnols  avaient  fait  le  pas  hardi  de  se  jeter 
dans  TEmpire,  fourrageant,  mangeant  amis  et  ennemis  ; 
qu'enfin  vers  Clèves  ils  saisissaient  les  passages  du  Rhin, 

Rien  ne  les  eût  favorisés  plus  que  la  mort  d'Henri  et 
celle  de  Maurice  d'Orange.  Celui-ci  avait  aussi  son  homme 
qui  devait  le  tuer.  La  situation  était  la  même  qu'en  4584, 
quand  le  meurtre  de  Guillaume  ^sembla  briser  la  Hollande 
et  donna  carrière  aux  victoires  des  Espagnols. 

L*homme  que  le  légat  Malvezzi  dépécha  pour  tuer  le  roi 
était,  comme  Jacques  Clément,  un  pauvre  petit  misérable, 
un  Flamand  de  faible  tête  qu'on  grisait  de  la  légende  de 
Clément.  On  le  montra  à  un  Jésuite,  qui  haussa  les  épaules, 
et  dit  seulement  :  «  Il  est  trop  faible.  »  La  plus  grande 
difficulté  était  d'endurcir  cet  homme.  Il  était  en  route  déjà 
à  l'époque  de  l'abjuration  du  roi,  et,  quand  il  l'apprit,  il 
ne  voulut  plus  le  tuer  et  jeta  son  couteau.  Le  légat  eut 
beaucoup  de  peine  à  lui  faire  entendre  que  la  conversion 
était  fausse,  il  repartit  en  i  598,  mais  fut  arrêté,  amené  à 
Paris.  Le  roi  en  eut  pitié  ou  craignit  d'irriter  Rome,  le 
gracia.  Il  ne  retourna  pas  à  Bruxelles,  mais  alla  en  Italie. 
Là  on  l'endoctrina  encore  et  on  le  fit  rentrer  en  FraQce.  Il 
fut  arrêté,  condamné  à  mort  avec  l'autre  assassin^  le  ca- 
pucin de  Lorraine. 

Sismondi  croit  que  le  parlement  procéda  avec  acharne- 
ment. Singulier  anachronisme.  Le  parlement  d'alors  était 
mêlé  de  celui  de  la  Ligue  et  des  royalistes.  Mais  les  li- 
gueurs dominaient  encore,  et  si  bien,  qu'ils  modérèrent  la 
question,  de  peur  que  ces  accusés  ne  parlassent  trop  pour 
l'honneur  de  Rome. 

La  chose  n'était  que  trop  claire.  Elle  fit  voir  à  Henri  IV 
qu'il  ne  gagnait  rien  à  tous  ses  ménagements.  Jointe  à 
l'affaire  d'Allemagne,  elle  le  réveilla  fortement.  Il  semble 
qu'elle  l'ait  guéri  ;  il  fut  tout  à  coup  un  autre  homme.  La 
verte  vigueur  béarnaise  parut  revenue.  Il  fit  opérer  l'ex- 

XI.  2 


48  MORT  DE  GABBIBLLI. 

eroissance,  comme  pour  monter  à  cheval.  Use  moqua  des 
médecins,  et  Gabrielle  redevint  enceinte  en  décembre. 

Tout  ce  qui  traînait  au  conseil  et  traînait  au  parlement 
se  trouva  facile.  Le  roi  simplifia  tout,  supprimâtes  impos- 
sibilités. 

il  était  impossible  de  marier  Catherine,  sa  soeur,  pro- 
testante, avec  un  catholique,  le  duc  de  Bar.  Les  évéques 
refusaient.  Le  roi  fit  venir  son  frère  bâtard,  archevêque  de 
Rouen,  et  les  maria  d*autorité  dans  son  cabinet.     . 

11  était  impossible  de  décider  Marguerite  à  conseptir  au 
divorce.  On  la  menaça  d'un  procès  d'adultère,  et  elle  de- 
vînt docile« 

Il  était  impossible  de  faire  enregistrer  Tédit  de  Nantes. 
Le  roi  fit  venir  le  parlement  et  lui  lava  la  tète.  Ce  fut  ua 
discours  très-vif,  pour  la  France  et  pour  TEurope  : 

a  Avant  que  de  vous  parler  de  ce  pour  quoy  je  vous  ai 
mandésy  je  vous  conterai  une  histoire.  —  Après  la  Saint- 
Barthélémy,  nous  étions  quatre  à  jouer  aux  dés  sur  une 
table.  Nous  y  vimes  <les  gouttes  de  sang.  Nous  les  essuyâ- 
mes deux  fois,  et  elles  revenaient  pour  la  troisième.  Je  dis 
que  je  ne  jouais  plus,  que  c'était  un  mauvais  augure  con- 
tre ceux  qui  l'avaient  répandu,  M.  de  Guise  était  de  la 
troupe... 

«  Vous  me  voyez  en  mon  cabinet,  non  avec  la  cappe  et 
répéoi  mais  en  pourpoint,  comme  un  père  pour  parler  à 
ses  enfants...  Je  sais  qu'on  fait  des  brigues  au  parlement, 
que  Ton  a  suscité  des  prédicateurs  factieux  ;  je  donnerai 
ordre  à  ceux-là,  et  ne  m'en  attendrai  à  vous...  Ne  m'allé- 
guez pas  la  religion  catholique,  je  l'aime  plus  que  vous; 
vous  croyez  ôtre  bien  avec  le  pape,  et  moi  j'y  suis  mieux, 
et  je  vous  ferai  déclarer  hérétiques^*.  Est-ce  que  je  ne 
suis  pas  le  fils  aine  de  TËglise?  Pas  un  de  vous  ne  peut 
l'être.  » 

A  cette  bouffonnerie,  il  ajoutait  des  choses  fort  graves 
«  sur  les  criards  catholiques,  ecclésiastiques,  »  qui,  disait- 


I 


■ORT  DB  GABRULLS.  (9 

ily  élnoil  i  têndrË  ;  sur  tes  partementaires  eux-mêmes  et 
teor  «vidhé  cTargent  II  les  pîn^  sensiblement,  en  disant 
qu'il  HNikfpliarail  leurs  ehorges  (et  par  là  les  ruinait). 
Enfin  des  menaces  de  mort,  de  combat,  qui  étonnèrent  : 
«  C'esl  le  dMnia  qu'on  prit  pour  en  venir  aux  Barri-* 
oades,  à  l'assassinai  du  feu*  roi;  »iai&  j'y  dlonneraf  bon 
ordre.  Je  couperai  la  racine  aux  (factions  et  prédicafkms, 
en  fiûaaiQl  raccourcir  ceux  qui  les  suscitent...  Ah  !  vous  rne 
voulez  la  guerre,  et  que  je  fasse  la  guerre  à  ceux  de  la 
BeUgîoat  Mais  je  ne  la  leur  ferai  pas...  Vous  ires  tous 
avec  vos  robea,  comme  le»  capucins  de  la  Ligue,  quand 
lis  portaieiii  le  mousquet,  il  vous  fera  beau  voir...  fei 
sauté  sur  des  murs  de  ville  ;  je  sauterai  bien  sur  des  barri- 
cades^ « 

Le  parlemeDi  enr^isIrB. 

Mais  on  comprenait  trè^-bien  que  cet  éebt,  ces  me^ 
naces  de  guerre,  si  étrangers  aux  robes  longues,  avaient 
une  antre  portée.  Deux  dMses  visîMement  ranimaient  et 
lui  remuaient  son  épée  dans  le  fourreau  :  le  procès  des 
moines  assassins  et  la  guerre  de  rfimpire,  la  fureur  des 
Espagnols.  Ainsi,  point  de  paix  posûble  ni  au  dedans  ni 
au>  debora.  Toujours  le  couteau  suspendu.  Son  refuge  eftt 
été  Fépée.  Il  eàt  été  plus  s4r  de  sa  vie  en  pleine  guerre, 
et  il  se  fàt  moins  ennuyé.  Gabrielle,  la  chasse  et  le  jeu  ne 
suffisaient  pas»  Cet  accès  de  mélancolie  qu'il  avait  eu  un 
moment,  n'était-ce  pas  l'effet  de  la  paix?  Quand  il  cM  si 
vivement  qu'il  sauterait  sur  les  barricades^  beaucoup  déjà 
emecnt  le  voir  au  grand  poste  de  la  France,  sur  la  barri-- 
eade  du  Rhin. 

Il  avait  envoyé  le  protestant  Boogars  au  landgrave  et 
aux  princes  pour  les  encourager  à  se  défendre.  Les  mettre 
ainsi  es  avant,  c'était  s'engager  tacitement  à  les  soutenir. 
Maurice  d'Orange  portail  seul  le  poids  de  cette  guerre 
terrible  qui  débordait  maintenant  sur  l'Allemagne  et  de- 
venait immense.  Sa  beile^mère,  la  prineesse  d'Orange, 


20  MORT  DB  GABRISLLB. 

fille  de  Coligny,  sortit  de  sa  solitude  et  vint  à  Paris.  Elle 
se  déclara  hautement  pour  le  mariage  de  Gabrielle,  crai- 
gnant le  mariage  italien  et  croyant  rattacher  le  roi  à  l'in- 
térêt protestant. 

Il  faut  savoir  ce  qu'était  madame  la  princesse  d'Orange. 
Grâce  aux  mémoires  de  du  Maurier  (petit  livre  d'or},  nous 
connaissons  parfaitement  cette  personne  admirable,  en 
«gui  une  vertu  accomplie  apparaissait  dans  la  tragique  au- 
iréole  des  martyres. 

L*amîral  l'aimait,  entre  ses  enfants,  pour  sa  sagesse 
iprécoce,  sa  douceur  et  sa  modestie.  Il  la  maria  à  celui  qui 
«avait  les  mêmes  dons.  Quand  elle  demanda  à  son  pèi^e 
lequel  de  ses  prétendants  il  lui  conseillait  de  choisir,  il  lui 
répondit  :  «  Le  plus  pauvre.  »  Et  il  lui  donna  Télîgny,  ce 
jeune  homme  tant  aimé  que  pas  un  catholique  ne  put 
iuer  à  la  Saint-Barthélémy,  et  qui  ne  périt  que  par  ha- 
sard. 

Guillaume  d'Orange  se  décida  de  même.  Au  dernier 
moment  de  sa  vie,  à  l'apogée  de  sa  gloire,  au  lieu  de 
prendre  pour  femme  quelque  princesse  d'Allemagne  qu'il 
^ût  aisément  obtenue,  il  demanda,  épousa  <  la  plus  pau- 
vre, »  madame  de  Téligny,  restée  sans  aucune  fortune 
qu'un  petit  bien  dans  la  Beauce,  où  elle  vivait.  Ce  grand 
jiomme,  tout  près  de  la  mort  et  entouré  d'assassins,  dans 
la  fille  de  Coligny  sembla  appeler  à  lui  l'image  d'un  meil- 
leur monde.  Un  an  s'était  passé  à  peine,  qu'il  périt  presque 
sous  ses  yeux. 

Elle  avait  de  lui  un  fils,  qui  fit  ses  premières  armes 
sous  Maurice  d'Orange,  fils  aussi  de  Guillaume,  mais  du 
premier  lit.  Maurice,  sombre  et  sauvage  politique,  homme 
de  combat,  d'affaires  et  d'ambition,  ne  voulait  point  de 
famille,  point  de  femme  et  point  d'enfant,  de  sorte  que 
son  jeune  frère  devait  être  son  héritier.  11  crut,  pour  cette 
raison,  que  sa  belle-mère  l'aiderait  dans  ses  projets.  Dé- 
fenseur de  la  Hollande,  il  aurait  voulu  l'asservir.  L'obstn- 


-MORT  DE  GABRIBLLE.  24 

cle  était  Barneveldt,  grand  et  excellent  citoyen,  le  vieil 
ami  de  Guillaume  d'Orange,  Tami  de  Maurice,  son  tuteur 
et  son  bienfaiteur.  Maurice  ne  pouvait  se  faire  maître 
qu'en  lui  passant  sur  le  corps.  De  quel  côté  pencherait  la 
princesse  d*Orange?Eile  fut  pour  Barneveldt,  pour  le  droit 
et  la  liberté,  contre  sa  famille,  contre  son  beau-fils,  con- 
tre les  intérêts  de  son  jeune  fils,  seul  lien  qu'elle  eût  sur 
la  terre  et  qu'elle  aimait  uniquement. 

Cela  seul  en  dit  assez.  Mais  cette  vertu  si  haute,  sans 
faiblesse,  n'en  était  pas  moins  adoucie  et  embellie  d'un 
charmé  singulier.  Notre  ambassadeur  en  Hollande,  du 
Maurier,  vieux  politique,  qui  écrit  longues  années  après 
ces  événements,  ne  parle  de  cette  dame  qu'avec  une  émo- 
tion visible.  Madame  d'Orange  était,  dit-il,  une  petite 
femme  très-bien  faite,  d'un  teint  animé,  qui  avait  les  plus 
beaux  yeux  ;  une  parole  douce  et  charmante,  un  raison- 
nement persuasif,  un  parfum  d'honneur  et  d'estime  que 
Ton  sentait  autour  d'elle,  une  ahgélique  bonté,  la  ren- 
daient irrésistible.  Tout  d'abord,  elle  allait  au  cœur. 

Ajoutez  son  père,  son  mari,  ces  grands  morts  tant  re- 
grettés'qui  avaient  reposé  leur  esprit  en  elle  et  l'environ- 
naient de  leur  ombre  aimée  ;  tout  cela  en  faisait  comme 
une  chose  sainte  et  une  espèce  d'oracle,  une  autorité  de 
respect,  d'amour. 

Elle  n'apparut  guère  que  deux  fois  à  la  cour  de  France, 
et  dans  deux  moments  décisifs  pour  l'intérêt  du  royaume, 
la  première  fois  pour  aider  au  mariage  français. 

Grand  renfort  pour  Gabrielle,  véritable  réhabilitation, 
d'avoir  pour  soi  la  vertu  même,  de  trouver  que  la  plus 
pure  était  en  même  temps  la  plus  indulgente.  Seulement 
madame  d'Orange  mettait  l'affaire  bien  en  lumière.  Elle 
constatait  que  ce  mariage  était  l'intérêt  protestant,  elle 
finissait  l'incertitude.  Le  roi  allait  se  fixer,  désespérer  les 
catholiques,  qui  probablement  le  tueraient.  C'est  ce  qui 
faisait  désirer  à  beaucoup  d'amis  du  roi  une  solution  con- 


22  MORT  DE  jGABRIELLB. 

traire.  S'il  feltoit  que  quelqu'un  périt,  lU  consentaient  de 
grand  cœur  que  ce  quelqu'un  fût  Gabrielle. 
Toui  le  monde  payait,  prévoyait  â'événemaat,  «xcqpté 

le  roi. 

L'Espagne  devait  le  «avoir;  un  o#mmis  d«  Villeroy, 
comme  on  le  découvrit  plus  tard,  Jlenait  Madrid  au  cou- 
rant de  tous  les  secrets  du  conseil  et  de  la  cour^ 

Le  pape,  si  Ton  en  croit  Dupleix^  sut  la  mort  de  da- 
brielle  de  façon  surnaturelle  au  jour  et  à  l'heure  où  elie 

arriva. 

Nul  doute  que  le  grand-duc  n'ait  été  le  naieux  informé. 
Il  y  avait  intérêt.  C'était  l'homme  de  Gabrielle  qui  avait 
écarté  les  Italiens  de  nos  finances.  C'était  elle  qui  fermait 
le  trône  à  sa  nièc€.  Ce  prince  n'en  était  pas  à  son  premier 
assassinat  Encore  moins  l'empoisonnement,  plus  discret, 
lui  répugnait-iL 

Gabrielle  paraît  avoir  tcès-bien  senti  elle-même  qu'il  y 
avait  trop  de  gens  intéressés  à  sa  mort,  et  qu'elle  n'échap- 
perait pas.  Ses  astrologues  lui  disaient  ce  qu'on  pouvait 
lire,  du  reste,  sur  la  terre  aussi  bien  qu'aux  astres  : 
qu'elle  mourrait  jeune,  ne  serait  point  reine.  Au  milieu 
des  assurances  les  plus  tendres  que  lui  pouvait  donner  le 
roi,  elle  restait  pleine  die  crainte  et  inconsolable  ;  elle 
pleurait  toutes  les  nuits. 

Le  roi  lui  avait  donné  des  présents  tels  qu'une  reine 
pouvait  seule  les  recevoir,  ceux  qui  lui  avaient  été  offerts 
à  lui-même  par  nos  villes,  le  plat  d'or  oii  il  reçut  les  clafs 
de  Calais,  et  lès  offrandes  3oleanelles  de  Lyon,  de  Bar- 
deaux. 

On  lui  avait  fait  ses  habits  de  noces.  Et  ses  robes  cra- 
motaies  (couleur  réservée  tmx  reines)  raJLtendaieat  déjà 
chez  sa  tanie. 

Le  roi  lui  avait  donné  un  don  singulier,  l'anneau  même 
0  dont  il  avait  épousé  la  France  »  k  son  sncro.  (FrévUle, 
Inventaire.) 


Elle  avait  de  soa  hôtel  avec  le  Louvi^  une  commuAica^ 
^Q.  Elle  eut  h  faDtaUia  de^KH^ber  dans  le  Louvre  mèaie, 
^  If  roi  lui  dpqfia  le  grapd  appartement  que  les  Mîaea 
aeulea  avaient  occupé.  Elley  etnieba,  mai&ellu  a'oea  rester, 
soit  qu'elle  eût  peur  de  se  ouire  par  le  aoandale  de  cette 
audace,  soit  q^e  la  gramle  majùson  vide  oii  le  roi  ne  venait 
guère  que  poiur  affaire  offîcieUe,  palaia  déserté  des  Valois, 
4'effipayàt  de  sa  solitude^  et  qu'elle  ne  db»rmit  pas  bien  su? 
i'oreîUer  où  Catherine  médita  la  Saint-Barthélémy. 

Piquas  approchait,  moment  critique  pour  la  maîtresse 
du  roi»  L'arrangement  était  tel  dans  notre  ancienne  morr 
narebie  :  celle  semaine  était  la  part  du  confesseur.  La  wtaàr 
tresse  devait  s'éloigner,  les  amants  se  séparer,  faire  cette 
petite  pénitenee,  pour  se  réunir  après.  Le  confesseur 
dHenri IV,  TexH^uré de9 halles,  bonhomme  fort  modéré, 
insistait  i^pendant  pour  que  Gabrielle  partit  de  Fontaî-» 
oebleau,  all&t  à  P^ris.  C'était  d'usage,  et  lui-même,  d*ailr 
leurs»  avait  ses  raisons  pour  se  montrer  ferme.  On  le 
«croyait  protestant.  11  avait  publié  une  version  de  l'Ancien 
TestaiQoent  qu'on  disait  colle  de  Genève.  Le  roi  voulait  le 
faire  évéqua,  piais  Romi^  lui  refusait  les  bulles.  On  lui  fit 
croire  am^emi^ent  que  ses  bulles  n^  viendraient  jamais 
s'il  ne  donnait  eette  satisfaction  à  la  religion,  à  la  décence, 
de  les  empêcher  de  communier  en  péché  mortel,  et 
d'oUîger  Gabri^Ua  d'aller  k  Paris . 

Elle  résista  d0  son  mieux.  Paris  l'effrayait.  Elle  allait  y 
être  seule.  jUa  tante  n'y  était  pas.  La  soeur  du  roi  avak 
auivi  sop  nmri  d^»  son  ijkicbé.  La  princesse  d'Orange 
partait  ppur  jfair^  jia  aène  au  obàteau  de  itosny  et  tàeher 
did  gagpar  Mlff, 

La  ville  ^Aait  fort  émue.  Is  parleaient  avait  été  foreé 
d^ni'^istf^r  redit  ^  Naoiâs*  Le  roi  avait  menacé  de  roê- 
^urçir  t^s  pr^ek^rp  d'ji^assinat.  Le  samedi  %  avrM« 
l«eiUa  des  Qla^peam^,  w  Avait  a^^éouté  deux  moiaes  an 
Arivp»  la»  4ra^  ^mftsii»  du  toi.  Chose  pkts  grave,  sH4 


Si  MORT  DE  GABRIBLLE. 

est  possible,  dans  l'affaire  de  Sainte-Geneviève,  où  le  roi 
avait  mis  en  face  les  médecins  contre  les  prêtres^  les  mé- 
decins avaient  décidé  hardiment  que  l'affaire  de  la  pos- 
sédée n'était  point  surnaturelle.  Bien  plus,  ils  l'avaient 
fait  taire,  l'avaient  contenue,  si  bien  dompté  le  diable  en 
elle,  qu'elle  n'osa  plus  remuer,  devint  un  véritable  agneau, 
fit  ses  p&ques  comme  les  autres.  De  là  des  risées;  d'autre 
part,  une  rage  d'autant  plus  furieuse,  qu'elle  ne  pouvait 
s'exhalei^.  Les  choses  en  resteraient-elles  là?  le  diable  se 
tiendrait-il  pour  battu?  Il  n'y  avait  pas  d'apparence.  Il 
pouvait  se  revenger  par  quelque  coup  imprévu,  terrible, 
comme  avait  été  la  mort  de  madame  de  Montmorency  I 

«  Eh  quoi?  ne  suis-je  pas  roi?...  Qui  oserait?  »  C'est 
certainement  ce  qu'Henri  IV  répondait  aux  larmes,  aux 
terreurs  de  Gabrielle.  Dans  un  autre  temps,  elle  eût  op- 
posé une  invincible  résistance,  et  le  roi  eût  tout  bravé 
pour  lui  éviter  le  moindre  chagrin;  mais  alors,  quoique 
fort  aimée,  elle  doutait,  elle  craignait.  Elle  obéit,  en  épouse 
soumise,  avec  un  torrent  de  larmes.  Le  roi  expliquait  le 
tout  par  l'état  nerveux  de  faiblesse  où  sa  grossesse  (de 
quatre  mois)  la  mettait  probablement.  Elle  fit  un  adieu  en 
règle,  lui  recommandant  ses  enfants,  ses  serviteurs,  sa 
maison  de  Monceaux,  et  disant  ce  qu'elle  voulait  qu'on 
fit  après  sa  mort . 

Le  roi,  attendri  lui-môme,  la  quitta  le  plus  tard  possible. 
Il  la  suivit  jusqu'à  Melun  avec  toute  la  cour.  Il  se  tenait  à 
cheval  à  côté  de  la  litière  où  on  la  portait.  Elle  devait  s'y 
mettre  en  bateau,  pour  descendre  doucement  la  Seine.  Il 
y  eut  là  un  grand  combat  ;  ils  pleuraient,  se  séparaient, 
mais  se  rappelaient  toujours.  Enfin,  il  s'affermit  un  peu, 
la  confiant  à  son  fidèle  la  Varenne,  et  lui  donnant  de  plus 
Montbazon,  son  capitaine  des  gai*des,  qui  devait  la  suivre 
partout  et  en  répondre  corps  pour  corps.  Un  jeune 
homme,  Bassompierre,  rieur  et  quelque  peu  fou,  par  le 
droit  de  ses  vingt  ans,  sauta  aussi  dans  le  bateau ,  voulant 


MORT  Dl  GABRISLLE.  35 

ramuser,  la  distraire.  Moins  léger  toutefois  qu*il  ne  parais- 
sait, 11  ne  resta  pas  avec  elle.  11  la  laissa  à  la  Varenne  et 
revint  auprès  da  roi. 

C'était  le  lundi  5  avril,  premier  jour  de  la  semaine 
sainte.  Elle  descendit  près  l'Arsenal,  et,  sans  traverser 
Paris,  se  trouva  du  premier  pas  dans  la  maison  de  Zamet, 
qui  était  sous  la  Bastille,  dans  la  rue  de  la  Cerisaie.  Logis 
quelque  peu  étrange  pour  la  petite  pénitence  qu'elle  était 
censée  faire  dans  ce  moment  sérieux.  Mais  elle  n'osait 
descendre  à  son  hôtel  voisin  du  Louvre,  d'où  il  eût  fallu 
communier  en  grande  pompe  et  à*  grand  bruit,  au  milieu 
des  malveillants,  dans  la  paroisse  royale,  à  Saint-Germain- 
l'Àuxerrois.  De  chez  Zamet,  au  contraire,  la  paroisse 
était  Saint-Paul,  près  la  maison  professe  des  Jésuites. 
Là,  elle  pouvait  faire  sa  communion,  en  pleine  tranquil- 
litéret  hors  de  la  foule,  toutefois  au  su  du  public  et  dans 
une  notoriété  suffisante. 

SuUy  raconte  lui-même  qu'il  alla  la  voir  chez  Zamet 
avant  de  partir  pour  Rosny.  Elle  fut  fort  tendre  pour  lui, 
fort  touchante,  le  priant  de  croire  qu'elle  l'aimait  ;et  pour 
lui-même  et  pour  les  grands  services  qu'il  rendait  au  roi 
et  à  l'État,  l'assurant  qu'elle  ne  ferait  rien  désormais  que 
par  son  conseil.  11  fit  semblant  de  la  croire,  et  lui  envoya 
même  madame  de  Sully  pour  prendre  congé  d'elle,  ce  qui 
ne  fit  qu'envenimer  les  choses.  La  pauvre  créature,  voulant 
plaire,  lui  dit  qu'elle  serait  sa  meilleure  amie  et  la  verrait 
toujours  volontiers  à  ses  levers  et  couchers.  Mais  la  dame, 
toute  gonflée  de  sa  petite  noblesse  et  du  grand  crédit  de 
Sully,  arriva  à  son  château  de  Rosny  fort  en  colère.  Son 
mari  la  calma  et  la  rassura,  lui  disant  que  les  choses 
n'iraient  pas  comme  on  croyait,  c  qu'elle  verrait  un  beau 
jeu,  bien  joué,  si  la  corde  ne  rompait.  »  Il  savait  visible- 
ment ce  qui  allait  se  passer. 

Voyons  le  lieu  de  la  scène,  cette  maison  de  confiance 
où  Gabrielle  est  descendue. 


^6  MOUT  m  (UWIBUfi. 

C«  ^UQ  les  graïkl»  «e^asiu^  ont  plus  tarA  tant  pnliqiié, 
twt  prisé,  h  p^tU^  maison  de  pkiîsîr*  i&aMfll  snnbla  ia 
premier  l'avoir  conçu  et  organisé.  Ce  (ut  «te  Mféwà%tiim. 
Xu  milieu  du  Paris  4e  la  Ug^e^  d^e^u  r^e  9t  bf»ii4J»e, 
uo  logis  è  ri^alieuae,  4aQ&  la  tciiditioo  d'Himri  UI*  devaM 
avoir  uoe  graade  attracUon  sur  sm  suco^^useur*  Luxurieux 
et  économe,  Henri  lY  n'aurait  jajmis  idépeoiié  t^  q^% 
allait  pour  arranger  dans  ce  goût  de  volupté  raffinée  lea  - 
grands  appartements  du  Louvre  et  ses  g»k^a  ««leuwla. 
11  trouvait  fort  agréable  et  il  cxoyaH  moins  eoût^ux  d^ 
s'établir  par  moments  dans  ce  joyaux  Jbâtel  Zamet*  w  il 
jouait  et  fei^it  gratis  Aoutas  ses  Eintaifies;  ZiAiat  (tva^ 
trop  d'esprit  pour  jamais  demander  rien. 

Il  avait  bâti,  meublé,  paré  exprès  ce  bijou^  dans  w 
beau  quartier  à  la  mode,  étendu  et  aéré,  ^elui  que  ïw 
commençait  sur  l'emplacement  de  l'hôtel  Saiat-4^ol,  Tan^ 
<îien  Versailles  des  Valois.  La  CerisaU,  ou  veiner  de  uns 
anciens  rois,  qui  donna  son  nom  à  la  rue»  devint  en  partie 
le  jardin  de  Thôtel  Zamet. 

Ceux  qui  entraient  à  Paris  par  la  porte  Sw^^AiHt^iae, 
splendidement  ornée  par  Goi^ou,  dans  -çelAe  grande  rue 
des  tournois,  des  triomphes,  des  entrées  des  rois,  voyaient 
à  droite  se  bâtir  la  place  royale  d'Henri  IV,  à  gauche  uu 
haut  mur  en  contraste  avec  les  façades  brillMt^^  4es  hô^ 
tels  voisins.  Ce  mur  était  la  discrète  .fi^uç0ii^4u  jardi» 
ZaQ:tet,  dont  l'hâtel,  Msaez  reculé,  loiu  de  s*QUvrlr  sur  la 
beUe  rue,  lui  lournait  le  dos.  Ainsi  les  maisons  d'Orient 
et  certains  palais  d'Italie  ne  montrent  que  leurs  4éfenses 
et  cachent  leurs  charmes  intérieurs,  U  fallait  se  4éU>urner, 
passer  par  ujne  petite  rue  et  eixtrer  dans  wie  impayée.  I4« 
dans  uQ  Ueu  plein  de  silence  at  comité  h  ceiH  liftue^  de 
la  ville,  une  vaste  cour  laissait  voir  les  légers  pçn^iif  ues, 
les  galeries  du  joli  palais,  ses  ,terras^s  et  pmnftenadee 
aériennes  qui  dominaient  le  jardiu* 

Le  tout  petit  et  sans  emphase,  J^im,  i^(dvMt#«  h  fMlçllfu 


MOBT  M  GAMIBLtB.  37 

dea  cours  et  des  bàtimente  secondaires  donnaioiil  Ywbêl^ 
pleur  et  les  akanees  variées  d'«me  villa  de  Lombafdie, 
tandis  que  l'exquiee  coquetterie  des  af^rtemeitts  secrets 
rappehdt  la  recherehe  extoème  des  petits  palais  de  Yeiiiee. 
Tout  oe  que  la  vieille  Italie  a  su  des  arts  de  volupté  y 
éUit,  le  solide  aussi  des  }o«iissaiices  du  Nord.  Aux  sensua- 
lilés  4es  bai  os  et  des  étuves  parCpiinées,  lemattre  ajoutait 
l'attrait  d'une  savante  euisine-;  il  s'en  occupait,  il  la  sur*^ 
veillait,  il  servait  lui-même.  Sa  gloire  était  de  faire  dire  : 
<  Ofi  ne  sait  manfier  qae  chez  Zamet.  » 

Tel  fut  ce  lieu  de  pénîtenee  où  fiabrielle  fit  sa  retraite. 
0«  i^ut  eroire  que  Tàôte  empressé  n'oublia  rien  pour 
calmer,  rassurer  ce  coeur  ému.  Une  princesse  était  à 
Paris,  une  seule,  mademoiselle  de  fiuise,  qui  avait  cru 
quelque  temps  ^ouser  le  noi.  Elle  a'ahnait  guère  Ga*- 
hrielle,  et  elle  a  plus  tard  écrit  un  petit  roman  {Àlcandre) 
très-hostile  i  sa  mémoire.  Mais  alors  elle  espérait  que  la 
toate^uisaante  maîtresse  lui  leraii  trouver  par  le  roi  ce 
que  sa  conduite  légère  paraissait  rendre  introuvable  :  un 
mariage,  un  prince  assez  sot  pocir  la  couvrir  de  son  nom. 
Donc  elle  fiaUait  fort  Gd^rieUe,  jusqu'à  porter  de  préfé- 
rence des  robes  semblables  aux  siennes,  comme  si  elle  eût 
été  sa  sœur.  Elle  l'amusait  de  médisances.  Elle  vint  vite  à 
l'hdtel  Zamet,  s'empara  d'elle  pour  la  conduire  partout  et 
se  faire  surintendante  de  ses  dévotions.  Elle  voulait  être 
la  première  auprès  de  la  future  reine,  ou  peut-être  sur'- 
prendre  contre  elle  quelque  chose  qui  pût  lui  nuire  de  ses 
aBoeanes  galanteries. 

GabrieUe,  fiûfole,  triste,  enceinte,  se  laissa  faire,  trou- 
vaut  doux  4*étre  entourée  par  uue  femme.  Si  flottante  da 
croyance,  elle  allait  faire  encore  une  profesoion  solen* 
nelle  de  cetis  religion  à  laquelle  elle  émit  attachée  bien 
peu.  Et  d'autant  plus  faible  était-elle,  plus  charmée  de 
celte  compagnie  galante  et  mondaine  qui  ne  lui  permet- 
tait pas  UA  aeul  moment  sérieux. 


28  MORT  DE  GABRULLE. 

Elle  se  confessa  le  mercredi,  très-probablement,  et  dut 
communier  le  jeudi,  avec  son  édifiante  compagne.  Elle 
dîna  à  merveille,  dans  sa  satisfaction  d'être  quitte  de  ce 
devoir.  Zamet  empressé  lui  servit  toutes  les  friandises 
qu'il  savait  lui  plaire.  De  4à,  on  la  prit  en  litière,  de  peur 
qu'étant  en  carrosse  elle  ne  sentit  trop  les  secousses  du 
pavé.  Des  dames  suivaient,  mais  en  voiture.  À  côté  de  la 
litière  marchait  le  capitaine  des  gardes  qui  répondait  de  sa 
sûreté. 

Elle  n'alla  qu'à  deux  pas,  dans  la  rue  voisine,  à  une 
chapelle  de  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin,  qu'on 
appelait  le  Petit -Saint-Antoine.  Petite  église,  en  efiret,mais 
qui  attirait  la  foule  par  une  excellente  musique.  On  lui 
avait  arrangé  une  tribune  réservée,  pour  qu'elle  ne  fût 
pas  pressée.  Elle  y  entendit  ténèbres,  et,  sans  doute  pour 
que  ce  chant  sombre  ne  lui  fit  pas  d'impression^  mademoi- 
selle de  Guise  lui  montra  des  lettres  de  Rome  oii  l'on 
disait  que  le  divorce  allait  être  prononcé.  Elle  avait  même 
eu  l'adresse,  pour  mieux  faire  sa  cour,  de  prendre  au 
passage  deux  billets  fort  tendres  que  le  roi  avait  écrits  à 
Gabrielle  coup  sur  coup,  dans  un  même  jour.  Et  ce  fut 
dans  celte  tribune  qu'elle  lui  en  donna  l'aimable  sur- 
prise. 

Cependant  Gabrielle  se  sentait  un  peu  éblouie.  Elle  sor- 
tit, revint  chez  Zamet  et  fit  quelques  pas  au  jardin.  Mais  là, 
elle  tomba  frappée,  perdit  connaissance. 

Au  bout  d'une  heure  ou  rien  n'indique  qu'on  ait  essayé 
de  la  secourir,  ni  d'appeler  les  médecins,  elle  ouvrit  les 
yeux,  et  dit  violemment  :  «  Tirez-moi  de  cette  maison.  » 

Elle  voulait  se  faire  porter  chez  madame  de  Sourdis,  et 
de  là  au  Louvre  même,  se  réfugier  chez  le  roi,  —  appa« 
remment  pour  y  mourir,  puisqu'elle  n'avait  pas  pu 
y  vivre. 

Zamet  ne  la  suivit  pas.  Mademoiselle  de  Guise  ne  la 
«uivit  pas.  Nulle  femme.  La  tante  était  absente,  et  tout 


MORT  DB  4SÀBIUBLLE.  ^9 

s'éloignait  de  terreur.  Le  seul  qui  resta,  ayant  promis  au 
roi  de  ne  pas  la  quitter,  ce  fut  la  Varenne.  Il  se  trouva 
constitué,  dans  cette  maison  déserte,  seule  dame  et  seule 
garde-malade,  femme  de  chambre  et  sage-femme.  A 
chaque  convulsion  violente^  il  la  tenait  dans  ses  bras. 

Les  crises  forent  fréquentes,  terribles,  fi  fit  appeler  la 
Biviëre,  premier  médecin  du  roi,  astrologue,  homme  d'es- 
prit, qu'aimait  la  duchesse,  ni  protestant,  ni  catholique.  II 
avait  étudié  chez  les  Maures,  vécu  beaucoup  en  Espagne. 
On  le  tenait  pour  fort  suspect.  Il  venait  de  faire  une  chose 
hardie  en  déclarant,  comme  médecin,  que  Marthe  n'était 
pas  possédée.  On  aurait  été  charmé  de  le  perdre.  Il  le 
sentit,  et  n'osa  rien  ordonner  à  la  malade.  On  eût  tout 
rejeté  sur  lui  et  dît  qu'il  Tavait  tuée.  Il  s'excusa  sur  la 
grossesse,  ne  pouvant  rien  faire,  disait-il,  à  une  femme 
enceinte,  sans  blesser  ou  elle  ou  son  fruit.  Il  laissa  agir  la 
nature  et  la  regarda  mourir. 

Gela  fut  long.  En  pleine  force,  animée  d'un  désir  ter- 
rible et  désespéré  de  vivre,  elle  lutta  quarante  heures, 
avec  des  accès,  des  transports,  des  mieux,  des  rechutes 
cruelles.  Si  peu  soignée,  si  mal  gardée,  elle  appelait  son 
gardien  naturel,  son  unique  protecteur,  le  roi.  Trois  fois, 
dans  les  intervalles,  elle  fit  l'effort  de  lui  écrire.  Et  la  pre- 
mière lettre  parvint;  mais  on  ne  dit  rien  des  deux  autres. 
Comme  elle  avait  encore  sa  tête,  pour  porter  cette  pre- 
mière lettre  elle  s'était  procuré  un  homme  qu'elle  croyait 
sûr,  un  certain  Puypeyroux.  Elle  priait  le  roi  de  lui  per- 
mettre de  retourner  par  bateau  à  Fontainebleau,  pensant 
qn'il  viendrait  lui-même.  A  ce  mot,  la  Varenne  en  joignit 
un  de  sa  main,  mais  apparemment  peu  pressant,  puisque 
le  roi  crut  d'abord  qu'il  s'agissait  de  quelque  petit  acci- 
dent ordinaire  aux  femmes  enceintes.  Cependant  il  monta 
à  cheval,  ayant  dit  à  Puypeyroux  de  courir  devant  et  de 
lui  faire  tenir  prêt  le  bac  des  Tuileries,  pour  que,  sans 
entrer  dans  Paris,  il  passât  du  faubourg  Saint-Germain  au 


30  MORT  DE  G4BRIELLE. 

■ 

Louvre.  Il  parait  que  ce  Puypeyroux,  entre  le  roi  fort 
pressé  et  la  Varenne  peu  pressant,  commeiiça  à  réfléchir  ; 
il  craignit  de  déplaire  à  la  Yarenne,  et  alla  si  lentement, 
que  le  roi,  parti  plus  tard,  le  rejoignit  bientdt  en  route  et 
le  gronda  fort. 

Le  roi  était  à  quatre  lieues  ;  il  allait  être  à  Paris  en  une 
heure  de  galop  ou  une  heure  un  quarts  quand  il  reçut  à 
bout  portant  un  billet  qui  l'arrêta  court;  autre  billet  de 
la  Varenne...  Elle  est  morte,  et  tout  est  ûaL 

Foudroyé,  on  le  fit  entrer  dans  une  abbaiye  qui  était 
v(Hstne.  Il  se  jeta  sur  un  lit. 

Mais  Use  releva  Uentôt,  disant  avec  force  qu'au  moins  il 
voulait  la  voir  morte  et  la  serrer  dans  ses  bras. 

La  chose  avait  été  prévue.  Il  trouva  à  point  M.  Pom* 
ponne  de  Bellièvre,  grave  magistrat,  qui,  de  sa  parole  infi- 
niment froide  et  douce,  l'arrêta,  disant  que  la  chose  était 
malheureusement  inutile,  qu'il  ferait  causerie  publie^  que 
le  monde  avait  les  yeux  sur  lui..* 

Non  moins  à  point  était  là  un  carrosse  de  Paris,  envoyé 
exprès»  On  y  mit  le  roi.  Les  bons  serviteurs  crièrent  :  k 
Fontainebleau.  Et  il  tourna  le  dos  à  Paris,  pleurant  celle 
qui  vivait  encore. 

Elle  vivait.  S'il  eût  persisté,  il  la  revoyait,  recuetUaii  sa 
dernière  parole,  lui  promettait  de  faire  justice. 

D'où  savei&-vous  qu'elle  vécût?  dira-t-on»  De  la  Varenne 
même,  lequel  a  écrit  ces  deux  choses  :  {''  qu'il  dit  qu'elte 
était  morte  ;  2°  qu'elle  ne  l'était  pas. 

Lui-même  les  écrit  à  Sully,  donnant  ce  ridicule  pré- 
texte :  t  La  voyant  telleiaent  défigurée,  de  crainte  que  cette 
vue  ne  l'en  dégoûtât  pour  jamais,  si  elle  eu  revenoit,  je 
me  suis  hasardé  (pour  lui  éviter  trop  grand  déplakir) 
d'écrire  que  je  le  suppliois  de  ne  tenir  point,  d'ataant 
qu'cUe  êioU  morte.  » 

Certes,  les  coupableSi  qaeh  qu'ils  fussent^  evrent  à 
remercier  beaucoup  cette  prwieiiee  de  la  Varenne. 


MORT  M  6ABH1ELLK.  31 

11  ajoute  :  «  Et  mot,  je  rais  ici,  tenant  cette  pauvre 
femme  eemme  morte  entre  mes  bras,  né  cfoyanipûiqu'eUe 
vive  mêore  une  heure.  > 

Ce  qni  esi  curieux»  e^est  que  le  drôle,  peu  rasduré  toute* 

fois  sur  le  succè$  de  scm  audace^  et  craignaât  d*étre  enve-* 

loppé  dans  la  ponitioA  de  Zamet,  si  Ton  en  vient  à  une 

enquête,  ^rend  dé)à  ses  précautions  pour  se  séparer  de  son 

camarade.  Il  en  parie  même  asecK  ma),  remarquant  qu'à 

ce  bon  dîner  «  Zamet  Tavait  trailée  de  viandes  friandes 

et  délicates,  qu'il  savait  étret  le  {rtns  selon  son  go6t,  eé  que 

vous  remarquerez  avec  vtore  fntde^ee^  car  ki  mienne  n'est 

pas  assez  excellente  pour  préramer  des  choses  dont  il  ne 

m'est  point  apparu.  »  Cette  parole  le  oou vraît.  Si  on  le  disait 

oomjrfice  de  S^met,  il  pouvait  répondre  :  «  Au  contraire,  le 

premierj'ai  émis  dea  doutes  dans  une  lettre  à  M.  de  Sully.  » 

Cependant,  au  milieu  du  trouble,  dans  cette  maison 

sans  maître,  qui  voulait  entrait,  sortait*  On  voyait,  non 

sans  terreur  et  non  sans  signes  de  croix,  ce  spectacle  inat-^ 

tendu,  la  plus  belle  personne  de  France  devenue  tout  à 

coup  hi^râse,  effroyable,  les  yeux  tournés,  le  cou  tors  et 

retourné  sur  l'épaule.  Personne  n'avait  Tidée  que  ce  mal 

fût  naturel  ;  beaucoup  se  disaient  :  «  C'est  le  diable  !  v 

Explication  qui  venait  fort  à  point  pour  le  médecin,  à  point 

pour  tous  ceux  qu'on  eût  accusés.  Le  médecin  ne  manqua 

pas  d'en  profiter,  et,  s'en  allant,  jetant  au  cadavre  un 

dernier  regard,  il  dit  ce  mot  qui  lavait  tout  :  «  Hic  est 

manus  Dei.  » 

Elle  ne  fut  pas  administrée  et  «  mourut  comme  une 
ebienne,  »  mot  cruel  qu'en  pareil  cas  dit  toujours  le  peuple 
dévot.  Quelques^ns,  des  plus  charitables,  hasardaient 
pourtant  de  dire  que,  comme  elle  avait  communié  récem-^ 
naeni,  son  àme  était  en  boii  état.  Libre  à  ses  ennemis  de 
croire,  s'ils  voulaient,  que  cette  communion  en  péché  mor* 
tel  avait  tourné  à  sa  condamnation  et  l'avait  livrée  à  la 
fureur  meurtrière  du  malin  esprit. 


32  MORT  DE  GàBRIELLK. 

Elle  avait  été  ouverte,  et  on  lui  avait  trouvé  son  enfant 
mort.  Sa  tante  de  Sourdis^  arrivée  trop  tard^  ne  put  que  la 
rhabiller,  la  mettre  sur  un  lit  de  parade  en  velours  rouge 
cramoisi  à  passements  d*or  (ornement  propre  aux  seules 
reines),  avec  un  manteau  de  satin  blanc.  . 

Cruel  contraste  d^une  si  éblouissante  toilette  avec  cette 
face  terrible  qu'on  eût  crue  morte  d'un  mois.  Les  portes 
étaient  ouvertes  ;  vingt  mille  personnes  y  vinrent  et  défi- 
lèrent près  du  lit.  Plusieurs  furent  touchés  et  dirent  des 
prières.  Beaucoup  rêvaient  sur  cette  énigme  et  faisaient 
maintes  conjectures.  •  Les  parents  n'en  firent  pas  une. 
Muets  et  n*accusant  personne,  ils  craignirent  de  se  faire 
trop  forte  partie  et  laissèrent  cette  affaire  à  Dieu. 

Ceux  qui  s'étaient  attachés  à  elle,  à  cette  maison,  étaient 
fort,  tristes  et  se  voyaient  tomber  à  plat.  Le  vieux  Che- 
verny,  qui,  pour  plaire,  avait  fait  le  jeune  et  l'amant  auprès 
de  la  tante,  fut  inconsolable,  non  pas  de^a  mort,  mais  de 
sa  sottise  «t  de  son  imprévoyance.  Il  en  fait,  dans  ses 
mémoires,  une  froide  lamentation. 

Grande  joie  au  contraire  à  Rosny.  Elle  mourut  vers  le 
matin  du  samedi;  mais,  dès  le  vendredi  soir,  la  Varenne 
avait  envoyé  à  Sully  un  messager  qui  arriva  avant  le  jour. 
Sully  embrassa  sa  femme,  qui  était  au  lit,  et  lui  dit  :  «  Ma 
tille^  vous  n'irez  point  aux  levers  de  la  duchesse.  La  corde 
a  rompu...  Maintenant  que  la  voilà  morte,  Dieu  lui  donne 
bonne  vie  et  longue  1  »  Et  sur  cette  belle  plaisanterie,  il 
partit  pour  Fontainebleau. 

Le  roi,  rentrant,  vendredi  soir,  dans  ce  palais  tout  plein 
d'elle,  maintenant  désolé  et  désert,  avait  renvoyé  la  cour 
et  gardé  seulement  quelques  familiers.  Et  encore  par 
moments  il  s'enfermait  seul.  Cette  solitude  inquiétait.  En 
attendant  que  Sully  vint,  on  hasarda  des  tentatives  de 
consolation.  D'abord  un  vieux  camarade  de  guerre,  Fer* 
vacques,  braque  et  cerveau  brûlé,  fit  une  pointe  près  du 
roi  et  lança  ce  mot  hardi  :  t  Vous  voilà  bien  débarrassé!  > 


MOHT  DK  GABRIELLE.  33 

Alors  le  duc  de  Retz  (Gondi),  fin  et  spirituel,  sourit, 
soupira,  dit  avec  douceur  qu'après  tout,  en  songeant  à  ce  , 
que  Sa  Majesté  eût  fait  sans  cela,  on  était  obligé  de  dire 
que  Dieu  lui  avait  fait  là  une  grande  grâce.. 

Le  soir  enfin  (du  samedi),  à  six  heures,  Sully  arriva  dans 
toute  Taustérité  de  sa  figure  iiuguenote,  et,  quand  le  roi 
l'eut  embrassé,  sans  blesser  de  front  sa  douleur,  il  se  mit 
à  exalter  «  les  oeuvres  émerveillables  de  Dieu,  »  qui  (dit  le 
psaume),  en  sa  sagesse,  fait  bien  mieux  que  nous  ne  vou- 
lons. Mais  il  n'acheva  pas  le  psaume,  se  fiant  à  la  mémoire 
du  roi. 

Le  roi  écoutait  sans  rien  dire  et  le  regardai^  fixement; 
et  sans  doute  il  était  frappé  de  cet  accord  d'opinion,  tout  le 
nionde^  les  sages  et  les  fous,  le  félicitant  au  lieu  de  le 
plaindre.  Il  fit  quelques  pas  dans  la  galerie,  remercia  Sully 
cl  dit  qu'il  lui  savait  gré  de  ses  ménagements.  Ceux  qui  le 
virent  sortir  ensuite  de  la  galerie  te  trouvèrent  beaucoup 
moins  triste.  On  jugea  qu'une  douleur  si  résignée  et  si 
douce  ne  tournerait  pas  à  l'orage.  Les  intéressés  respi- 
rèrent. 

11  porta  le  deuil  en  noir»  contre  l'usage  des  rois,  qui  le 
portent  en  violet.  Il  le  garda  trois  mois  entiers.  Il  envoya 
toute  la  cour  au  service,  qui  se  fit  à  Saint-Germain- 
l'Auxerrois.  Il  reçut  les  compliments  de  condoléance  des 
ambassadeurs,  et,  ce  qui  étonna  le  plus,  ceux  du  parle- 
ment, qui  envoya  à  Fontainebleau  une  députation  solen- 
nelle. 

Mais  de  recherche,  d'enquête  sur  la  mort,  pas  le  moin- 
dre mot.  Soit  qu'il  eût  peur  de  trouver  plus  qu'il  ne  vou- 
lait, de  troubler  son  entourage,  et  craignit  l'ébranlement 
d'une  si  terrible  affaire,  il  reprit  ses  habitudes,  s'entoura 
des  mêmes  gens. 

Il  écrivait  peu  après  ce  mot  expressif  :  «  La  racine  de 
mon  cœur  est  morte  et  ne  rejettera  plus.  » 

Mot  vrai^  quoique  les  habiles  aient  trouvé  moyen  de  le 
XI.  3 


34  MOBT  fiE  ÇJMaUM. 

I 

relaacer  bteatât  dans  4e  nouvelles  gitenteries.  U  reprit  la 
pas»on  qui  était  sa  vie^  par  ses  poiaies^  ses  êgitatmis  ou 
ses^^éblomsseaoeuts»  Mais  ce  n'était  plus  GabrieHe,  ceUke 
pleine  saveur  d'anMMir  où  son  oœinr  s*étaît  reposé» 

On  bii  donna  une  maîtresse,  oa  lui  donna  wm  fiomnie, 
œtte  Marie  de  Médicis  que  les  papes,  l'Europe  let  la  coar 
avaient  voulu  lui  imposer.  Elle  arriva  belle  dlargent  et  des 
éous  de  son  onde.  Le  roi  (  sa  lettre  à  la  Cfaanibne  des 
Gom{>tes  ea  témoigne)  lui  donna,  par  éoûooinie,  les  dia  - 
mantsde  Gabrielle,  ce  qui,  dit-il  judioieuseiDeiit,  «vous  a 
^argné  autant  de  dépense.  » 

Que  devint  le  joyeux  Zamet?  Plus  que  janMÀsen  laveur, 
il  engraissa  notablement,  mais,  par  prudence,  n'acheta 
jamais  pcMir  un  sou  de  terre  en  France.  Jl  n'eut  d'autre  fief 
oue  sa  caisse,  qu'il  intitulait  hardiment  le  Mont-iô^^iéU 
eus  rois.  U  resia  toujours  léger,  mobile  et  le  ^d  levé. 

La  Yareone  s'inunortalisa  par  une  foiidation  pieuse. 
Devenu,  par  la  grâce  du  roi,  seigneur  dç  la  Elècbe,  il  fit 
de  cette  petite  ville  une  affaire  fort  importanie  et  fort  lu- 
crative par  l'église  et  le  collège  qu'il  obtint  pour  elle,  éta- 
blissements qui  y  attirèrent  du  monde  et  au  bon  seigneur 
de  gros  revenus.  Une  telle  cage  voulait  des  oiseaux.  La 
Yarenne  veillait  le  moment.  En  l'année  4603,  le  roi  étant 
très-affaibli,  malade  au  printemps,  malade  à  l'automne, et 
quelques  jours  seul  à  Rouen,  il  ne  manqua  pas  son  coup  : 
il  lui  fit  signer,  entre  deux  diarrhées,  le  rappel  des  iésuites 
en  France. 


CHAPITRE  III 


Hiortoltè  dTftitmiMt  «  MÊHt^  MMéM.  I8i».4«00. 


Le  grand  fMAêor  dm  Tépoque,  dont  k  Mtgi^pM  pinceau 
«ol  piNir  tàolie  de  di?!niier  les  raineB  ei  les  rois,  Rabens  • 
suoeonbé,  il  faut  le  dire,  devant  Merie  de  liédicis.  Dans 
le  galesie  tUégevMpie  ^'elle  lui  il  peindre  k  se  gloire,  il  a 
bem  se  détourner  vers  ses  rérea  fcvoris,  les  jeones  et  poé- 
tiques beentés  de  déenes  ou  de  sirènes  ;  il  lui  faut  bien 
retomber  au  pesant  modèle  qui  le  poursuit  de  tableau  en 
leUeao.  La  Grosm  Marehande  à  Florence,  oomme  nos  Fran* 
çaisBS  rappelaient,  fait  on  étrange  contraste  k  ces  fées  du 
moade  inconnu. 

La  Bsagnifique  DUcêrde,  palpitante  sous  ses  cheveux 
noirs,  dont  ie  corps  ému,  firémissant,  est  resté  à  jamais 
riaggigt  ;  la  Blende,  le  rAve  du  Nord ,  la  charmante  Né^ 
raéê^  pétrie  de  tendresse  et  d*aniour  :  toute  celte  poésie 
est  bien  étonnée  en  face  de  la  bonne  dame.  Assenit>iage 
splendide  et  boriesque.  La  fiction  y  est  animée,  et  d'une 
vie  écineelante;  l'histoire  et  la  réalité  n*y  sont  que  prose  et 
phtilnde,  n»  eamaval  d'histrions  et  de  ûm  dieux  ridicules, 
nn  empyvée  de  Scarron. 

Marie  de  Médicis,qui  avait  viogt-sept  ans  quand  Henri  IV 
l'épousa,  était  une  grande  et  grosse  femme,  fort  blanche, 
qui,  amf  de  beau  bras,  une  belle  gorge,  n'avait  rien  qae 


36  HBNRIBTTB  D'KNTRAGDBS 

de  vulgaire.  Sa  taille  élevée  ne  reni(>échait  pas  d'être  fort 
bourgeoise'et  la  digne  fille  des  bons  marchands  ses  aïeux. 
Même  son  père,  son  oncle  qui  la  maria,  tout  princes  qu'ils 
étaient  (par  diplôme),  n'en  faisaient  pas  moins  le  com- 
merce et  l'usure. 

D'italien,  elle  n'avait  que  la  langue;  de  goût,  de  mœurs 
et  d'habitudes,  elle  était  Espagnole  ;  de  corps,  Autrichienne 
et  Flamande.  Autrichienne  par  sa  mère,  Jeanne  d'Autri- 
che; Flamande  par  son  grand-père,  l'empereur  Ferdinand, 
frère  de  Charles-Quint.  Donc,  cousine  de  Philippe  11,  de 
Philippe  111,  de  ces  rois  blêmes  et  blondasse»,  aux  yeux  de 
faïence,  tristes  personnages  que  Titien  et  Vélasques  gar- 
dent encore  sur  leurs  toiles  dans  toute  la  triste  vérité. 

Elle  était  née  en  pleine  réaction  jésuitique.  Sa  mère, 
Jeanne  d'Autriche,  fut  une  de  ces  filles  de  l'Empereur  qui 
créèrent  et  patronnèrent  les  Jésuites  en  Allemagne,  fon- 
dèrent leurs  collèges,  leur  mirent  en  main  les  enfants  des 
princes  et  de  la  noblesse.  La  première  et  la  seule  chose 
que  Marie  demanda  au  roi,  à  son  débarqué  en  France^fut 
d'y  faire  rentrer  les  Jésuites. 

Deux  choses  la  rendaient  désirable,  non  au  roi,  qui  s'en 
souciait  peu,  mais  désirable  aux  ministres  :  c'était  l'argent, 
la  grosse  somme  que  son  oncle  Ferdinand  consacrait  à 
cette  affaire,  à  l'alliance  de  France;  et,  d'autre  part,  l'es- 
pérance que  cet  oncle  donnait  à  nos  politiques,  de  leur 
faire  un  pape  du  parti  français.  Les  Médicis,  qui  jadis 
avaient  fourni  à  l'Église  Léon  X  et  Clément  Vil,  récem- 
ment avaient  fait  deux  papes  par  leur  influence,.  Gré- 
goire XIII  et  Sixte-Quint.  Le  pape  régnant.  Clément  VUI, 
s'il  n'était  pas  homme  des  Médicis,  était  du  moins  Floren- 
tin, et  désignait  comme  son  successeur  probable  un  Mé- 
dicis, le  cardinal  de  Florence  (Léon  XI),  qui,  en  effet,  eut 
un  moment  la  tiare. 

Politique,  au  fond,  assez  pauvre,  qui  dëjà  avait  trompé 
François  1^'  quand,  pour  acquérir  l'alliance  viagère  de  Clé* 


BT  yUME  DE  MÉDICtS.  37 

ment  YII,  il  prit  sa  nièce,  Catherine.  Il  n'y  «vait  pas  de 
loterie  qui  trompftt  plus  que  celle-là.  Qu'apportait  le  pape 
k  nos  rois?  L'amitié  d'un  moribond  qui  leur  tournait  dans 
la  main.  On  fit  faire  la  même  faute  à  Henri  IV,  lui  impo* 
sant  cette  nièce  du  grand  fabricateur  de  papes.  On  lui  fit 
jeter  un  argent  immense  dans  la  préparation  coûteuse  de 
l'élection  d'un  Médicis,  qui  fut  pape  pendant  vingt  jours  ! 

Je  croirais,  en  conscience,  que  ce  mariage  italien  fut 
une  punition  de  Dieu  »pour  l'ingratitude  du  roi  à  l'égard 
de  l'Italie. 

Quelle  puissance  l'avait  reconnu  la  première  à  son  avè- 
nement douteux?  Venise,  qui  manifesta  pour  lui  tant  d'en- 
thousiasme et  vint  jusqu'en  France  témoigner  par  une 
solennelle  ambassade  l'estime  et  les  vœux  de  TElirope.  II 
n'en  tourna  pas  moins  le  dos  à  Venise,  quand  elle  le  priait 
de  soutenir  Ferrare  contre  le  pape,  qui  la  réunit  au  saint- 
siége.  Ferrare,  petite  puissance,  mais  fort  militaire,  renom- 
mée pour  l'artillerie.  Ses  ducs,  célébrés  par  le  Tasse, 
étaient  une  des  dernières  forces  qui,  la  France  aidant,  pût 
soutenir  l'Italie.  Ce  dernier  souffle  italien,  qui  l'éteignit? 
Hélas  1  la  France.  Henri  IV  paya  ainsi  son  absolution.  Il 
n'avait  pas  encore,  il  est  vrai,  la  paix  avec  les  Espagnols. 
Mais,  quelles  que  fussent  les  velléités  françaises  de  Clé- 
ment Vllf,  donner  un  Ëtat  à  la  papauté,  à  l'impuissance, 
à  la  mort,  c'était  en  réalité,  fortifier  les  Espagnols,  qui, 
bon  gré  mal  gré,  dominaient  le  pape.  Soutenir  Venise,  au 
contraire,  au  moins  de  parole  et  de  négociations,  lui  sauver 
son  alliée,  Ferrare,  c'était  faire  craindre  aux  Espagnols  les 
résistances  italiennes,  et  d'autant  plus  puissamment  leur 
faire  désirer  la  paix. 

Comment  fit-on  croire  ao  roi  que,  pour  être  fort  en  Ita- 
lie, il  lui  fallait  s'appuyer  sur  ce  qui  y  change  sans  cesse, 
sur  un  souverain  viager,  une  puissance  de  vieillards,  dont 
la  volonté  personnelle  était  par  moment  française,  mais 
dont  la  cour,  le  conseil  était  et  ne  pouvait  être  que  catho- 


38  HJUfRUm  B'EiriRAGUn 

lique,  donc  espagnol?  Un  ptpe  fraii^d'ÎBcUnftLioii  éteH 
un  trèa-maavais  pape,  dominé  par  io  tenpore)^  efc  diaposé 
à  a'arraelier  de  la  ferma  base  de  la  papftufé,  qui  élail  l'Ea^' 
pa^pne.  Qui  brûlait  encora?  L*Es|Wgne.  Qui  peraéeulait  les 
Maures,  jusqu'à  en  chasser  ua  nûlMon 9  L'Espagne.  Nul 
pays  n*eàt  été  aloars  asaez  fou  pour  Citre  cela. 

Cette  sottise  de  jeter  la  France  dans  une  i^oUkique  papale 
réussit  par  Tardent  concert  des  parvenus  de  Tépoque,  des 
abbés  gascons,  intrigants,  menteurs,  dont  la  cour  était  v^ 
festée,  qui  rêvaient  les  prélatures,  le  chapeau,  et  tous  tra«- 
vaiUaient,  d'accord  avec  h  finance  italiamie  et  lea  ban- 
quiers de  Florence,  à  mettre  dans  la  tète  du  roi  qu'il  ferait 
pape  un  Florentin,  et  par  lui  mènerait  l'Europe.  Lea  du 
Perron  et  les  d'Ossat  le  faisment  toujours  regarder  vers 
Florence  et  Rome.  Ëtait«il  dupe  ?  je  ne  sais*  Mais  eet  homme 
de  tant  d'esprit,  de  courage,  qui  ne  craignit  jamais  les 
épées,  craignait  le  couteau  ;  il  voulait  extrémemeiit  vivre^ 
et  s'imaginait  qu'il  serait  plus  en  sûreté  a^il  avait  le  pape 
pour  ami,  mi^ux  encore,  s'il  faisait  les  papes. 

Le  mariage  florentin  l'acheminait  vers  ce  but.  Que  le  roi 
Taimât  ou  non,  il  devenait  sûr.  C'était  une  affaire  de  tempe. 
Comment  employer  ce  temps?  Il  fallait  une  maltresse  qui 
fit  gagner  quelques  mois,  détournât  la  pensée  du  roi  et 
servît  comme  d'épongé  à  laver  et  faire  disparaître  limage 
de  Gabrielle. 

Fontainebleau,  plein  de  celle-d,  et  qui  l'eût  rappelée 
toujours,  n'était  pas  tenable.  Mais  le  Midi  remuait*  A  la^ 
grande  joie  des  courtisans,  le  roi  leur  dit  un  matin  :  t  Me»* 
sieurs,montons  à  cheval  ;  j'ai  envie  de  manger  cet  été  des 
melons  de  Blois.  » 

Dans  le  passage  ennuyeux  de  la  grande  plaine  de  Beauce, 
quelqu'un  lui  dit  qu'il  devrait  bien  s'arrêter  au  joyeux  chà« 
teau  de  Malesherbes,  où  M;  d'Entragues,  qu'on  appelait  le 
roi  d'Orléans  (successeur  de  Charles  IX,  comme  époux  de 
Marie  Touchet),  tenait  sa  petite  cour. 


\ 


ET  llAMt  DE  KÉBietS.  39 

Qui  dk  eda?  Seyez-èn  sèr,  nul  aa^e  que  Fouqaet  la 
TMeiwev  Ce  seratsn»  mcomfi0BiUt,  miqiie  eoaiine  cImb- 
aeur de fiBcrana» etdéaicfaemrdé  bcauOés,  avaU  trMWfé peur 
son  maître  la  plus  jolie  fille  de  France. 

Lft  mère,  \m  Mane'laiiehet,  unique  annoor  d»  roè  ira- 
gique^  qui,  dk-oit/dierclia  en  ette  retibU-  de  la  âiJii6»Bar- 
théleny,  Mirie  Teacbel  était  f  konannia  d'origine,,  mus 
tr軫affinée^  tFès-lettnée  ;  née  éiàs  1»  ville  de»  dispute^, 
Oriéao»,  p«Î6  Iransporttéei  lai  eoor  ilaMeiiiMide  Catherine 
de  Médicis»  Elle  lisait  (ehose  rave  alovs),  non  pas  telle  Irn- 
daeticMi  d'Amadis,  maie  ïe  Krf  e  de  Ctiarles  ïî,  les  Grnnâs 
Homme»  de  PiuUtrqiAê^  dans  la  beKe  version  d' Amyot« 

Cette  dame,  ière  de  ce*  grand  et  sombre  sooveniif, 
-quoiqae  peu  n<d>le  elle-HnéiDe,  non  sans  peine,  était  des^ 
cendue  à  épouser  un  seigneur,  le  premier  du  pays,  Entran 
goess  gowemenr  d'Orléans.  Soa  fils,  qu'elle  avait  en  de 
Charies  IX,  et  qui  se  trouvait  neveu  d^nri  IH,  h  rendait 
fort  ambitieiise.  Elle  visait  haut  penr  ses  filles,  les  ghrdait 
admirablemenl,  mieux  qu'eHe  ne  fit  pe«r  elle-méaoe.  Sa 
sévérité  maternelle  était  passée  en  légende.  On  contait 
q«'ua  de  ses  pages  s'étani  un  peo  émancipé  du  cèté  des 
^moiseUes,  elle  Tavait  virUeraant  poignardé  de  sa  propre 


besoin  d'être  bien  gardées,  nies  avaient 
reqyrit  du  diaUe.  L'aînée,  iMiriette,  était  wie  fiamma. 
Vive,  hardie,  an  bec  acéré.  Bes  rencontres  et  des  répli- 
ques à  faire  taire  tous  les  docteurs.  Elle  ne  lisait  pas  d*his- 
ioire  ;  eUe  étaîK  trap  fine  et  trop  disputeuse..  Ifc  hii  fidlait  de 
ta  théologie,  adaisaigae,  sablûe,  les  eoncêtti afiticaîna  de 
saint  AugmitaiK  Cette  dangereuse  créabm,  avec  cela,  était 
trèa-jeima,  saelte  et  légère,  en  paafast  contraste  avec  la 
•défunte,  avca  la  beauté  bonasse,  ample  déjà^  de  Gabt ielle. 
Qu'elle  fàà  belle,,  cela  ttîesli  pas  sÀr  ;  mais.  eUe  était  vîive 
«t  jolie.  Le  roi,  qai  era^nii  seatenrant  s'amaaer  et  lire»,  fat 
pris.  La  fine  langue,  maligne  et  rieuse,  ne  ménageait  rien, 


40  BENRUTFTB  d'BNTIUOUBS 

et  pas  plus  le  roi.  Son  cœur  malade,  blasé,  et  qui  se  croyait 
fini,  revécut  par  les  piqûres.  Il  la  trouva  amusante,  puis 
charmante*  En  réalité,  il  n'avait  rien  vu,  et  ne  vit  rien  de 
plus  français. 

La  perle  était  mal  encadrée.  Le  père  était  un  brouillon, 
un  homme  perdu,  et  le  frère  un  scélérat.  Le  roi  les  con- 
naissait si  bien,  qu'il  avait  chargé  Sully  de  les  chasser  .de 
Paris;  mais,  si  telle  était  la  famille,  c'était  le  malheur 
d'Henriette,  non  sa  faute  ;  elle  était  mineure,  et  n'avait  que 
dix-huit  ans.  Tout  le  monde  est  tombé  sur  cette  fille.  On 
verra  les  crimes  réels  où  l'entraîna  sa  famille.  Mais  les 
premières  noirceurs  qu'on  lui  attribue  ne  sont  guère  attes- 
tées, comme  les  fautes  de  Gabrielle,  que  par  leur  ex-rivale, 
mademoiselle  de  Guise^  princesse  de  Conti,  et  par  son  ro- 
man A'Alcandre. 

Je  m'en  tiendrai  uniquement  aux  letties  du  roi,  aux  mé- 
moires de  Sully^  à  la  correspondance  du  cardinal  d'Ossat. 

D'Entragues  exploita  honteusement  sa  fille  mineure,  la 
vendit,  le  41  août  4599,  pour  le  marquisat  de  Verneuil. 
Maïs  il  ne  la  livra  pas,  exigeant  encore  du  roi  une  somme 
de  cent  mille  écus.  L'argent  payé,  le  marchand  ne  la  livra 
pas  encore,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  fait  faire  au  roi  ce  bel 
écrit  :  «  M.  d'Entragues  nous  donnant  à  compagne  made- 
moiselle Henriette,  sa  fille,  en  cas  que,  dans  six  mois,  elle 
.devienne  grosse  [et  accouche  d*un  fils,  alors  et  à  l'instant 
nous  la  prendrons  à  femme.  De  Malesherbes,  4^**  octobre 
4599.  Henry.  » 

Nous  avons  l'acte  authentiqué  par  deux  secrétaires 
d'Ëtat  {Lettres^  Y,  p.  227).  Pour  le  courage  de  Sully,  qui 
prétend  Tavoir  déchiré,  je  le  trouve  bien  douteux. 

Nos  ministres  laissaient  le  roi  jouer  au  mariage  avec  sa 
maltresse,  mais  n'en  persévéraient  pas  moins  dans  l'idée 
du  mariage  politique  et  financier,  qui,  selon  eux,  outre 
Fargent,  allait  nous  créer  par  le  pape  et  le  grand-duc  une 
influence  en  Italie. 


La  grande  affaire  était  Saluées,  cette  porte  de  ritalie, 
que  le  duc  de  Savoie,  dans  la  crise  de  la  Ligue,  avait  en- 
levée à  la  France  :  atbire  religieuse  autant  que  politique, 
Sabices  ayant  été  jadis  un  refuge  des  Vaudois  et  des  pro- 
testants italiens.  Henri  IV,  puissant  et  vainqueur,  ne  pou- 
vait tolérer  cette  usurpation  qu'avait  dû  subir  Henri  111. 

En  décembre  .4  599,  le  duc  de  Savoie  fit  la  démarche 
inattendue  de  venir  à  Fontainebleau.  Ce  prince  inquiet, 
brouillon,  mal  fait,  malfaisant,  avait  un  démon  en  lui.  Sa 
personne  était  étrange,  comme  son  singulier  eibpire,  bossu 
de  Savoie,  ventru  de  t^iémont.  Et  l'esprit  :  comme  le 
corps  il  semblait  gonflé  de  malice,  travaillé  dans  sa  peti- 
tesse d'un  besoin  terrible  de  s'étendre,  de  grandir  et  de 
grossir.  Il  avait  hypothéqué  sa  fortune  sur  son  mariage, 
ayant  eu  l'insigne  honneur  d'épouser  une  .  fille  de  Phi- 
lippe U.  liais  celui-ci,  qu'on  n'eût  cru  aucunement  facé- 
tieux, joua  en  mourant  à  son  gendre  le  tour  de  ne  lui 
laisser  par  testament  qu'un  crucifix,  tandis  qu'à  son  autre 
fille  il  léguait  les  Pays-Bas. 

Donc  il  semblait  bien  payé  pour  haïr  les  Espagnols. 
Mais  ils  l'amusaient  toujours,  lui  disant  que  Philippe  tll 
n'avait  pas  de  fils  et  qu'il  était  l'héritier,  le  leurraitt  d'une 
viee-royauté  de  Portugal,  etc.  Son  favori,  un  Provençal, 
était  tout  Espagnol  de  cœur,  plein  de  fiel  contre  la  France; 
homme  noir,  d'ailleurs,  à  jeter  son  maître  dans  les  plus 
atroces  complots. 

Le  bossu  était  venu  pour  observer,  flairer,  tàter.  Mais, 
comme  il  arrive  dans  les  grands  désirs,  il  vit  ce  qu'il  dé- 
sirait. L'aspect  de  la  France  était  encore  pitoyable.  La  mi- 
sère continuait,  les  villes  regorgeaient  de  mendiants,  les 
routes  étaient  pleines  de  soldats  sans  pain.  D'autre  part, 
les  grands  seigneurs  étaient  maîtres  des  meilleures  places. 
Voilà  ce  qui  était  vrai  et  qui  se  voyait.  Mais  ce  qui  était 
non  moins  vrai  et  qui  ne  se  voyait  pas,  c'était  un  besoin 
immense  de  paix,  de  repos,  qui  rattachait  le  peuple  au  roi, 


4S  Hnmaam  d  bhiigob 

et  Uà  eàt  fait  mettre  ea pièces  de  ses  onglcB  eide  8»  dents 
(es  anteors  d*iiiie  Lij|«e  nouvelle.  Le  Saveysrd  se  ctut  fovt, 
peree  qu'il  firait  la  p«roèe  de  tel  el  tel  des  grends  set^ 
gneurs,  spéeialement  ceUe  de  Biroau  ii  ne  rcmlnà  plus 
traiter;  sottlemeiit  il  eDdemit  lè  m,  lui  prssmirwii  qse 
dans  trois  mois  il  Inî  rendrait  Saluées  ou  biett  hù  doitte» 
rait  la  Bresse  en  échange .  Sorti  de  Piwice  une  fois^  q«ind 
échut  le  terme  indiqué^  il  dértura  efiBroBléinent  €pL*il  flar- 
dait  la  Bresse  et  Saluées. 

La  guerre  était  infeiUîble.  Le  grand  marage  d'ar^eat 
renaît  d'autant  phis  à  propos^  Cette  belle  dot  de  Teacane 
allait  faire  les  frais  de  la  ciMnpagne,  permettre  de  fraipper 
un  grand  coup,  de  battre  les  Espagnols  sur  le  dos  du  Se^ 
Toyard.  Cela  était  spécieux.  La  pmvre  Henriette  d'Enlr»* 
gués,  et  la  promesse  du  roi,  qui  avait  ce  qu'il  voelait, 
pesèrent  peu  contre  ces  raisons. 

Le  9  mars  1600,  le  roi  écrivit  an  grand-due;  maisU 
voulait  une  dot  de  4,500,000  écus. 

Somme  épouvantable,  impossible.  Le  graed-doc  brisai 
On  marchanda,  on  baissa,  et  enfin  on  n'eut  pas  de  bonté 
ie  descendre  à  six  cent  mille.  Mais  iè  laHait  de  l'argent 
ser-le-'chagnip,  la  guerre  presaaît. 

On  sait  si  peu  en  ce  monde  ce  qu'on  doit  vraiment  te^ 
douter,  que  le  roi,  au  moment  de  se  lancer  dans  cette 
guerre,  ne  craignait  aucunement  la  sourde  consfrâration 
catholique,  et  craignait  extrêmement  la  bruyante,  Tinno- 
cente  conspiration  des  protestants,  qui  persistaient  à  ré- 
clamer Texécutioa  de  Tédît  de  Nantes*  Le  roi  était  parvenu 
à  le  faire  enregistrer,  mais  non  pas  exécuter.  On  pariait 
insolemment  qu'il  ne  Texécateraii  pas.  Les  protestants 
étaient  assemUés  chez  leur  pape.  Du  Plessis  Momay.  C'é- 
tait l'homme  le  plus  estimé  de  l'Europe,  tendrement  dé- 
voué au  roi,  à  qui  il  avait  cent  fois  donné  sa  vie,  mats 
dévoué  à  sa  foi,  dévoué  au  parti  des  victimes  qui  venaient 
naguère  eneore  d'être  maasacsées  près  As  Nantes.  «  S*  le 


ET  MAMB  DB  MÉDICIS.  43 

roi  était  immortel,  disait-il,  noos  serrons  tranqtiiKes;  mais, 
s'il  meurt,  que  deviendrons-nous?  i» 

Donc  il  insistait.  L'assembMe  refusait  de  se  séparer  tant 
qu'on  ne  tenait  pas  parole.  6f  ate  refus,  au  moment  de  la 
guerre. 

Le  nÀ  prit  un  parti  étrange  dans  une  affaire  si  sérieuse  : 
ce  lut  de  tuer  la  résistance  pretestante  par  le  ridicule.  Un 
complet  fut  oif  anisé  par  le  facétreuic  Du  Perron,  bouffon, 
évè^  et  cardinal,  que  nous  avons  vu  évéque  pour  les 
vers  à  Gakrielle,  cardfoiai  pour  Tabjuration. 

Le  plus  sèr  pour  déconcerter  les  protestants,  c'était 
d*hamiUer  leur  pape^  ée  turlupiner,  chansonner  le  plua 
honnéle  Homme  du  temps.  On  avait  déjà  fait  une  tentative 
tien  digne  de  la  brutale  insolence  ée  la  nobiesae  ligaeuse; 
un  Saiat^Ffaai,  sans  provocation,  osa  donner  k  ce  vieillard 
dnigé  d'années,  d'honneçrs  et  de  Messures,  des  coupa 
de  bâton l  Cela  n'avait  pas  réussi,  le  roi  et  tout  le  mondé 
s'étaient  indignés  ;  mais,  cette  fois,  on  se  contentait  d'une 
bastonnade  spirituelle.  Le  roi  entra  de  tout  son  cœur  dans 
reapièglerie. 

Cooune  rien  n'est  parfait  sur  la  terre,  le  bonhomme  Do 
Plems  avait  un  défaut,  celui  du  temps,  la  manie  de  la 
controverse.  Même  jeune,  au  milieu  des  guerres,  des 
voyages  périlleux  et  des  aventures,  sous  la  tente  ou  sous 
le  ciel,  dès  qu'il  avait  une  heure  à  lui,  il  tirait  plume  et 
papier,  et  il  écrivait  de  la  théologie.  Vieux,  il  venait  de 
poiftiier  ce  qu'il  croyait  son  chef-d'œuvre,  Y  Eucharistie. 
Du  Perron  annonce  à  grand  bnût  que  l'auteur  est  lin  fans* 
saire»  qu'il  a  fait  cinq  cents  faux,  cinq  cents  citations  coo-* 
traiivéea,  estropiées,  etc.  Il  se  charge  de  le  prouver. 

La  chose  était  bien  calculée,  k  ce  défi,  le  vieux  gentil* 
bomme,  bouillant  de  colère,  oublie  tout,  quitte  Fassem- 
Uée,  vole  à  la  cour  et  demande  le  combat  théologique* 
On  Tattendait  là.  Le  roi  donne  des  juges  hostiles  ou  sus^ 
pects.  11  assiste,  encourageant  Tun,  riant  et  se  moquant 


ii  HENRIETTE  s'bNTRIGUBS 

de  l'autre.  D'abord  il  dispense  Du  Perron  de  prouver  c  que 
ce  sobt  des  faux,  >  lui  ouvre  la  porte  de  retraite,  puis  il  le 
dispense  encore  d'indiquer  d'avance  quels  passages  il  at- 
taquera. Du  Plessîs  ne  sut  que  le  soir,  à  minuit,  les  huit 
textes  qu'on  voulait  d'abord  contester  le  lendemain.  Ces 
textes  étaient-ils  dans  les  Pères  de  l'Ëglise?  n'y  étaienMIs 
pas?  Ils  y  étaient,  mais  en  substance.  Du  Plessis  avait  cité 
en  abrégeant  et  résumant.  Donc  on  le  jugea  coupable. 
Huit  phrases  comptèrent  pour  les  cinq  cents.  Condamné, 
moqué,  écrasé,  —  surtout  accablé  de  la  'joie  du  roi  et  de 
son  défaut  de  cœur  et  de  l'amitié  trahie,  il  tomba  malade 
et  dut  se  faire  reporter  à  Saumur.  Le  plus  triste  pour 
l'humanité,  ce  fut -une  lettre  duroi.où,  pour  flatter  les 
catholiques,  il  écrivait  amicalement  h  un  homme  (qu'il 
délestait),  à  d'Ëpernon,  leur  victoire  et  la  part  qu'il  y  avait, 
comme  il  avait  pesé  sur  les  juges,  emporté  la  chose.  La 
lettre  fut  colportée  partout.  Extrême  fut  la  douleur  des 
protestants,  qui  le  croyaient  sans  retour  livré  à  leurs  en- 
nemis. 

Point  du  tout;  c'était  le  contraire.  Ayant  donné  aux 
catholiques  ce  triomphe  d'amour-propre,  il  hasarda  ce 
qu'autrement  il  n'aurait  jamais  osé.  Il  commença  sérieu- 
sement à  donner  aux  prolestants  découragés,  humiliés, 
les  garanties  de  l'édit  de  Nantes,  villes  d'asile,  tribunaux 
à  eux,  etc.,  etc. 

Quitte  ainsi  des  protestants,  le  roi  ne  l'était  nullement 
de  l'intrigue  catholique  ;  il  lui  venait  des  avis  sur  la  trahi- 
son de'  Biron.  Gouverneur  de  Bout^ogne,  voisin  de  la 
Bresse,  qui  était  au  Savoyard,  Biron  aurait  pu,  le  roi  une 
fois  entré  en  Savoie,  faire  entrer  la  Savoie  chez  nous. 
Pour  cela,  il  eât  fiillu  que  celle-ci  fût  aidée  h  temps  par 
les  Espagnols.  Mais  un  heureux  hasard  voulut  que,  juste- 
ment à  ce  moment,  ceux-ci  reçussent  à  Newport  de  la 
ince  Maurice  un  épouvantable  coup.  L'armée 
(hollandaise,  allemande,  anglaise  et  surtout 


ST  M4RIB  DB  MÉDICIS.  4S 

française)  ne  battit  pas  seulement  l'armée  espagnole,  mais 
elle  Tanéantit. 

Ce  fut  le  plus  grand  coup  d'épée  que  le  protestantisme 
eût  frappé  depuis  cinquante  ans.  L'Espagne  fut  assommée. 
Il  fut  trop  dair  que,  malgré  toutes  les  fureurs  de  Fuentès, 
gouverneur  de  Milan,  qui  poussait  la  Savoie;  l'Espagna 
ne  perdrait  pas  ce  moment  pour  rentrer  dans  la  grande 
guerre  de  France. 

Dès  lors  plus  d'hésitation.  Le  \h  août,  le  roi,  de  Lyon, 
lança  son  manifeste  de  guerre. 


CHAPITRE  IV 


Guerre  de  SaToie.  Mariage.  t60l 


Entre  révénement  de  Newport  et  le  manifeste,  en  un 
mois,  Sully,  avec  une  activité  et  une  énergie  incroyable, 
avait  transporté  de  Paris  à  Lyon  rénorme  matériel  qu'il 
préparait  depuis  un  an.  L'artillerie  étant  placée  dans  la 
main  qui  tenait  déjà  les  finances,  il  y  eut  une  formidable 
unité  d'action.  Sully  agit  en  dictateur;  il  suspendit  les 
payements  par  toute  la  France,  tourna  tout  l'argent  à  la 
guerre.  Il  destitua  en  une  fois  tous  les  nobles  fainéants  du 
corps  de  Tartillerie  et  leur  substitua  des  hommes  capables. 
La  France  eut  toujours  le  génie  de  cette  arme,  dès  qu'on 
Ta  laissée  agir.  D  suffit  de  rappeler  ce  qu'on  a  dit  dans 
cette  histoire  et  de  Jeanne  d*Arc  et  de  Jean  Bureau,  de 
Genouillac  à  Marignan.  enfin  des  premiers  essais  d^arlil- 
If  rie  volante  dans  les  combats  d'Arqués. 

Le  Savoyard  se  trouva  pris  au  dépourvu.  Avec  tout  son 
esprit^  il  n'aMiit  pas  prévu  trois  choses  :  d'abord  cette 
rapitîitè  ;  il  croyait  que  Ton  traim^rait  jusqu'à  Thiver,  où 
ses  neiges  l'aurait  nt  dofendu.  Ensuite  il  ne  devinait  pas 
que  la  guemf  serait  poussée  eniiôremenl  par  lartiUerie. 
qui  abn^gt^mit  à  coups  de  foudre.  Troisîèraoment,  il  pen- 
sait que  Bin>n  pourrait  trahir.  Gste  destitution  de  tant  de 
vieux  oiicit^rs  paralysa  cjux^rcment  sa  mam^i^  volonté. 


y^BUGE.  47 

Il  eommaada  ;  mats  eatancéi  surveillé  par  les  hommes  de 
Sully,  H  ne  put  que  marcher  droit*  el  Je  malheureux  fut 
eooiraÎBt  d'aller  de  victoire  eu  victoire. 

Le  leadeiBaiii  du  mauttesiey  le  corps  de  Bvnm  entra 
dans  la  Bresse,  «elui  die  Leadiguières  eu  Savoie.  En  vain 
BiroB  doma  avis  au  gouverneur  de  Bourgren-Bresse  de 
ses  procbaioes  attaques,  ses  officiers  Tentraloèrent,  firent 
sauter  les  portes,  emportèrent  h  place  avant  Le  temps  in- 
diqué. 

Ceci  le  13  août,  deux  jours  après  la  déclaration.  Le  47, 
Lesdiguières,  non  moins  rapide,  enleva  la  forte  place  de 
llontoiélian,  qui  «ouvrait  toute  la  Savoie;  la  4;itadelle  tint 
seule,  mais  il  l'assiégea,  la  serra.  Le  roi  arrivait,  et  le  20,. 
S  fut  devant  Chambéry,  la  capitale  du  pays,  qui  se  rendit 
sur4e-cliamp.  L'épouvante  était  extrême  d'une  telle  rapi- 
dité, mais  non  moins  l'admiration  pour  l'humanité  du  roi,. 
qui  disait  qu'il  ne  faisait  la  guerre  qu'au  due,  point  aux 
habitants.  Voilà  une  guerre  toute  nouvelle,  la  première 
guene  d'hommes.  Avaat,  après  Henri  IV  (surtout  dan& 
celle  de  Treaile  aas)^  ce  sont  guerres  de  bétes  féroces, 
bien  pis,  des  guerres  de  soldats  traîtres,  qui  se  ménagent 
entre  eux  pour  manger  à  leur  aise  le  pauvre  habitant 
désarmé. 

Le  duc  avait  dit  :  «  Il  faudra  quarante  ans.  »  Il  fallut 
quarante  jours,  sinon  pour  tjerminâr  la  guerre,  au  moins 
pour  la  décider. 

Ses  petits  forts  de  Savoie,  sur  des  pios^  sur  des  passes 
étroites,  semblaient  imprenables.  Et  il  y  avait  près  du  roi 
plus  d'un  personnage  douteux  qui  espérait  qu'on  échoue- 
rait, liais  Sully  était  là  en  personne,  et  autour  de  lui  la 
terreur  de  son  pénétrant  regard.  Quels  furent  les  instru- 
ments habiles  qu'il  employa,  les  hommes  de  génie  obscurs 
qui  vainquirent  ces  difficultés  et  menèrent  si  bien  l'intré- 
pide financier  dans  cette  guerre  inconnue  des  Alpes?  On 
ne  le  sait.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'en  un  moment  or  perça 


48  GUERRE  DE  SAVOIE. 

la  longue  vallée  jusqu'au  mont  Cenis.  Et,  un  pas  de  plus, 
on  descendait  en  Piémont. 

Le  roi  avait  passé  en  Bresse,  pour  voir  de  plus  près 
opérer  Biron.  Celui-ci  était  furieux  d'avoir  si  bien  réussi, 
au  point  que,  devant  un  fort,  il  voulut  faire  tuer  le  roi,  et 
avertit  les  assiégés  pour  qu'on  le  tirftt.  Il  n'était  guère 
moins  en  colère  contre  le  duc  de  Savoie,  qui  était  encore 
à  Turin,  attendant  que  Biron  trahit  et  qu'on  lui  ouvrit 
Marseille^  qu'on  lui  promettait.  Il  avait  tout  perdu  de  ce 
côté  des  Alpes,  moins  la  citadelle  de  Montmélian,  que 
Sully  tenait  dans  un  cercle  de  foudroyantes  batteries,  et 
qu'il  allait  bientôt  raser,  s'il  ne  la  prenait.  Biron  fit  dire 
au  Savoyard  que,  s'il  ne  passait  les  monts,  il  était  désho- 
noré, et  qu'on  ne  pourrait  plus  rien  pour  lui.  Donc  II 
passa,  mais  à  sa  honte,  le  roi  l'approchant  et  le  provo- 
quant, sans  le  faire  bouger. 

La  dot  de  la  Florentine  n'avait  pas  peu  contribué  à 
rendre  ces  succès  possibles.  Le  malheur,  c'est  qu'après 
la  dot  il  fallait  recevoir  la  fille.  Le  roi  y  songeait  si  peu, 
qu'il  envoya  à  Henriette  les  premiers  drapeaux  pris  sur  la 
Savoie  (septembre).  Il  voulait  la  consoler.  Par-dessus  le 
parjure  du  roi  et  la  perte  de  ses  espérances,  elle  avait  eu 
un  grand  malheur.  Le  tonnerre  tomba  dans  sa  chambre, 
et  elle  accoucha,  mais  d'un  enfant  mort.  Elle  se  fit  pour- 
tant porter  jusqu'à  Lyon,  jusqu'à  Chambéry,  où  était 
Henri.  II  y  vit  l'état  misérable  de  tristesse  et  de  désespoir 
oii  cette  fille,  si  jeune  encore,  vendue  des  siens,  trahie 
par  lui,  était  tombée  ;  la  pauvre  rieuse  ne  faisait  plus  que 
pleurer.  Il  était  tendre,  son  cœur  se  souleva  tout  entier 
pour  elle  et  contre  lui-même.  Il  voulût  du  moins  la  trom- 
per, la  calmer.  Il  lui  dit  que,  s'il  ne  pouvait  se  tirer  de  son 
mariage  politique,  il  lui  ferait  épouser  un  prince  du  sang, 
le  duc  de  Nevers. 

Le  1 9  octobre,  il  apprit  que  son  mariage  avait  été  célé- 
bré à  Florence  (Lettres  du  roi,  V,  325),  et  fit  ordonner 


aux  Yilles  de  tout  préparer  pour  l'arrivée  de  la  reine.  Mais, 
ce  même  jour,  le  49  (Lettres  du  cardinal  d'Ossat,  IV,  280), 
il  accorda  k  Henriette  une  lettre  de  créance  pour  un  agent 
spécial  qu'il  envoyait  k  Rome  avec  des  pièces  capables 
d'invalider  le  mariage  toscan  et  d'établir  que  le  roi  n'avait 
pu  canoniquement  s'engager  avec  la  Florentine,  étant 
engagé  avec  la  Française. 

L'agent  de  l'étrange  négociation  lui-même  était  fort 
étrange.  C'était  un  homme  de  rien,  nommé  Travail,  un 
protestant  qui  avait  fait  la  guerre,  s'était  converti,  comme 
le  roi,  et  s'était  fait  capucin.  On  l'appelait  le  père  Hilaire. 
Il  avait  beaucoup  d'audace,  de  langue  (et  plus  que  de  cer- 
velle). II  était  bien  auprès  du  roi,  qui  aimait  les  convertis, 
et  s'amusait  des  hardiesses  cyniques  et  bouffonnes  de  ce 
capucin.  C'était  un  second  Roquelaufe.  De  son  droit  de 
Mendiant  et  de  va-n^i-pieds,  il  se  faisait  l'ami  du  roi,  le 
tutoyait  :  «  Mon  bon  roi,  tu  dois  faire  ceci,  tu  dois  faire 
cela...  Toi,  marquise  de  Verneuil,  ceci,  cela  n'est  pas 
bien,  »  etc. 

Travail  était  fort  protégé  par  le  jeune  cardinal  Sourdis, 
le  parent  de  Gabrielle,  et  sans  doute  il  <était  entré  chez  le 
roi,  dès  le  temps  de  Gabrielle,  par  cette  porte  du  mariage 
français.  Il  restait  fidèle  à  cette  cause,  mais  alors  pour 
Henriette.  Le  roi  lui  donna  une  lettre  de  créance  pour  le 
cardinal  d^Ossat,  qui  devait  le  mener  au  pape.  Cela  calma 
Henriette,  qui  rentra  en  France.  C'est  ce  que  voulait  le 
roi.  Il  garda  le  capucin,  qui  ne  partit  pas  encore. 

Cependant  Marie  de  Médicis,  après  de  prodigieuses  fêtes 
qu'on  fit  à  Florence,  s'embarqua  avec  sa  tante  et  sa  sœur, 
duchesses  de  Toscane  et  de  Mantoue,  sur  la  galère  grand- 
ducale  tout  incrustée  de  pierreries.  Les  Médicis  (on  le  voit 
à  leur  chapelle)  eurent  toujours  ce  luxe  inepte  des  pierres 
qui  se  passent  d'art.  Sa  tante,  Christine  de  Lorraine,  ra- 
vie d'être  débarrassée,  la  remit  aux  Lorraines,  aux  Guises. 
Elle  venait  avec  trois  flottes,  de  Toscane,  du  pape  et  de 

XI.  4 


50  GUBRRB  X>K  âA^OIE. 

M^te,  dix-fiept  galèces»  et  elle  n'amusait  pa$  luoi^Srde 
sept  niUle  hommes.  Si  L'avéneaiant  d'Ifonin  IV  (utimAiur: 
vasion  de  Gascons  (comme  dit  le  baron,  de  Fenesie)»  L'a»* 
véoement  de  Marie  de  Uédicis  fut  une  invasion  dltalieiMu 

Elle  alla  de  Marseille  à  Aix  et  à  Avignon^  avec  une  petit» 
axmée  de  deux  mille  chevaux,  se  repoaa  en  teipre  papale. 
Les  Jésuites  y  avaient  fait  faire  d'immensas  préparatifs  de 
réception  pour  elle  et  le  roi,  qui  ne  put  venir  :  théâtres, 
arcs  de  triomphe,  partout  des  emblèmes  et  devises.  Selon 
le  goût  de  ces  pères  (si  fins  et  si  sots,  admirables  aux 
choses  puériles),  tout  était  basé  sur  le  nombre  sept.  Le  roi 
avait  sept  fois  sept  ans.  Il  était  le  neuf  fois  septième  roi  de 
France  depuis  Pharamond.  Il  avait  vaincu  à  Àrqqes,  en 
septembre,  le  21 ,  le  trois  fois  septième  jour  ;  à  Ivry,  en 
mars,  au  jour  deux  "fois  sept,,  et  son  armée  y  était  divisée 
en  sept  escadrons,  etc.,  etc.  Cela  parut  si  joli,  que  le  P.  Va- 
ladier,  pou;*  en  garder  la  mémoire,  en  fit  un  livre,  que  la 
reine  voulut  elle-'-méme  offrir  au  roi. 

L'esprit  de  cette  princesse  éclata  dès  Avignon.  Le 
P.  Suarès,  qui  parlait  au  nom  du  clergé,  lui  ayant  dit  galam- 
ment qu'on  lui  souhaitait  d'avoir  un  enfant  avant  l'année 
révolue,  «  cette 'princesse,  hors  d'elle-même,  en  témoi- 
gna une  envie  égale  au  désir  des  peuples,  et  demanda 
cette  grâce  à  Dieu.  »  (De  Thon.) 

Gomme  elle  était  fort  dévote,  elle  avait  fait,  ea  partant, 
démander  au  pape  d'entrer  en  tout  monastère.  Pour  les 
monastères  de  femmes,  le  pape  i'accprda  sans  diffioulté, 
mais  refusa  pour  ceux  d'hommes,  «  à  moins»  dit-il  en 
riant  fort,  que  le  roi  ne  le  permette.  »  (D'Ossat.) 

Elle  dut  attendre  huit  jours  à  Lyon,  le  roi  s'arcétaiU  ea- 
core  en  Savoie.  Enfin,  le  9  décembre,  il  se  pi*éfienta.aiUL 
portes  assez  tard.  Elles  étaient  fermées,  et  on  l'y  fit.at» 
tendre  une  heure  par  une  gelée  fort  rude.  Grand  réfrigé- 
rant à  ce  peu  d'amour  qu'il  avait  pu  apporter. 

Ce  premier  refroidissement  ne  fut  pas  le  senL  Le 


MARUGB.  SI 

cond  et  le  plus  fort,  ce  fut  la  princesse  elle-même,  toute 
Htttre  que  sou  portrait,  qui  datait  de  dix  années.  Il  vit  une 
femme  grande,  grosse,  avec  des  yeux  ronds  et  fixes,  Tain 
triste  et  dur,  Espagnole  de  mise»  Autrichienne,  d'aspect^ 
de  taille  et  de  poids.  Elle  ne  savait  pas  le  français,  s'étant 
toujours  abstenue  de  cette  langue  d'hérétiques.  En  venant, 
sur  le  vaisseau,  on  lui  avait  mis  en  main  un  mauvais  ro-* 
man  français,  Clprinde^  imjjlé  du  Tasae^*  et  elle  en  disait 
quelques  mots. 

Ce  qui  ne  dut  pas  être,  non  plus  extrêmement  agréable 
au  roi,  c'est  qu'elle  n'arriva  pas  seule,  mais  avec  armes  et 
bagages.  Je  veux  dire,  avec  la  cour  complète  de  cavaliers 
servants  ou  de  sigisbées^  que  to;ute  dame  italienne,  selon 
la  nouvelle  mode  qui  fleurit  tellement  en  ce  siècle,  devait 
avoir  autour  d'elle. 

Le  premier.  l'ancieQ,  l'officiel,  l'accepté,  le  patenl»,  éuût 
son  cousin,  Virginio  Orsini,  duc  de  Bracciano.  G!était  lui 
qui  avait,  à  table^  Je  soin  de  lui  donner  à  laver,  et  d'offrir 
le  bassin,  la  serviette,  à  ses  blanches  mains.  Le  second, 
Paolo  Orsini,  moins  avancé  et  moins  posé,  n'en  était  que 
plus  en  faveur  peut-être.  Enfin,  pour  charmeç  le  roi,  un 
jeune  homme  de  la  figure  la  plus  séduisante,  ilsignorede 
Concini,  était  auprès  de  sa  femme.  A  eux  trois,  Virginio, 
Paolo  et  Concini,  ils  faisaient  une  histoire  muette  de  ce 
cœur  de  vingt-sept  ans,  représentaient  son  passé,  son 
présent  et  son  avenir. 

Le  roi  n'en  fut  pas  moins  galant.  Il  arrivait  botté,  armé» 
et  s'il  brillait  peu,  devant  ces  beaux  Italiens,  avec  sa  taille 
mesquine  et  sa  barbe  ^rise,  il  était  beau  de  sa  conc|uête, 
de  la  foudre  dont  il  venait  de  renverser  la  Savoie.  Peu  sen* 
sible  à  tout  cela,  la  princesse  s'en  tint  aux  termes  d'une 
parfaite  obéissance,  se  jeta  à  genoux,  se  dit  sa  servante 
pour  accomplir  ses  volontés.  Le  roi  dit  gaiement,  en  sol- 
dat, qu'il  était  venu  à  cheval,  et  sans  apporter  de  lit^  que, 
par  ce  grand  froid,  il  la  priait  de  lui  donner  moitié  du  sien. 


52  GUERRE  DE  SAVOIE. 

Donc  il  entra  dans  sa  chambre. 

II  faut  savoir  qu'à  la  porte  de  cette  chambre,  a  toute 
heure,  si  tard,  si  matin  qu'on  y  vint,  on  trouvait  une  sorte 
de  naine  noire,  avec  des  yeux  sinistres,  comme  des  char- 
bons d'enfer  (V.  à  la  bibliothèque  de  Sainte-Geneviève). 
Cette  figure,  peu  rassurante,  n'était  pourtant  pas  un  dia- 
ble. C'était,  au  fond,  le  personnage  important  de  cette 
cour,  la  sœur  de  lait  delà  reine,  la  signora  Leonora  Dosi, 
fille  d'un  charpentier,  qui  se  parait  du  noble  nom  em- 
prunté de  Galigaï.  Elle  avait  beaucoup  d'esprit,  gouver- 
nait la  princesse  comme  elle  le  voulait,  remuait  à  droite  ou 
à  gauche  cette  pesante  masse  de  chair. 

Si  Leonora  faii>ait  peur,  elle  était  encore  plus  peureuse  ; 
elle  rêvait  en  plein  jour.  Triste  hibou,  asphyxié  de  bonne 
heure  dans  Tobscurité  malsaine  des  alcôves  et  des  cabi- 
nets, elle  croyait  que  quiconque  la  regardait  lui  jetait  un 
sort.  Elle  portait  toujours  un  voile,  de  crainte  du  mauvais 
œiL  La  France,  maligne  et  rieuse,  pays  de  lumière,  lui 
devait  être  odieuse.  Elle  devait  ici  s'assombrir  et  se  per- 
vertir, et  de  plus  en  plus  devenir  méchante. 

Tel  fut  l'augure  de  la  noce  et  Tagréable  visage  dont  le 
roi  fut  salué  à  la  chambre  nuptiale.  Soit  que  cette  noire 
vision  l'y  ait  poursuivie,  soit  que  la  mariée  ne  répondît 
pas  à  son  idéal,  il  fut  très-sérieux  le  matin. 

On  vieillit  vite  en  Italie,  et  surtout  les  Allemandes, 
comme  celle-ci  l'était  par  sa  mère.  Rubens  même,  au  char- 
mant tableau  où  il  la  montre  accouchée,  au  moment  où 
toute  femme  est  souverainement  poétique,  n'a  pu,  tout 
tlatteur  qu'il  était,  dissimuler  cette  lourdeur  mollasse.  Un 
bec  de  femme  assez  pointu  (mademoiselle  du  Tiilet)  disait 
crûment  d*elle  et  du  fils  :  «  Une  vache  qui  fit  un  veau.  > 

Le  roi  fut  obligé  de  rester  près  de  l*épousée  quarante 
jours  pour  faire  la  paix  ;  paix  surprenante.  Il  abandonna 
Salaces,  rendit  toute  la  Savoie. 

Ce  traité,  agréable  au  peuple,  désespérait  rUalie,  que  le 


MARUGI.  53 

roi  abandonnait.  Le  i>ape  y  voyait  l'avantage  de  pouvoir 
continuer  dans  Saluces»  l'ancien  asile  du  protestantisme 
italien,  la  persécution  que  les  Jésuites  y  avaient  organisée 
par  les  bourreaux  de  la  Savoie. 

«  Chacun  chez  soi,  chacun  pour  soi  :  »  c'est  la  politique 
bourgeoise  que  Sully  lit  prévaloir  et  proclama  par  ce  traité. 

En  échange  de  Saluées,  le  roi  acceptait  la  Bresse,  pro- 
vince, il  est  vrai,  importante,  qui  fermait  le  royaume  à 
Test  et  protégeait  I^on. 

Ce  brusque  traité  effraya  Biron.  11  crut  que  le  roi  en  sa- 
vait beaucoup,  et  il  crut  prudent  d'avouer  un  peu.  11  vint 
le  trouver  à  Lyon*,  lui  dit  que  le  Savoyard  lui  offrait  sa  fille 
bâtarde  et  une  grosse  dot.  Le  roi,  bon  comme  à  l'ordinaire, 
pardonna.  Biron,  rassuré,  écrivit  au  Savoyard  de  ne  pas 
ratifier  le  traité,  de  dire  qu'il  gardait  la  Bresse,  mais  vou- 
lait rendre  Saluées,  à  coiidition  que  U  roi  y  meurait  un 
gouverneur  catholique^  et  non  le  protestant  Lesdiguières. 
Si  le  roi  eût  accepté  et  mis  là  un  catholique,  il  mécontentait 
Lesdiguières;  et,  s'il  lui  tenait  parole,  lui  donnait  Saluées, 
il  mécontentait  le  pape.  11  trancha  tout  et  sortit  du  filet  oii 
Biron  voulait  le  mettre,  en  ne  prenant  pas  Saluces  et  se 
contentant  de  la  Bresse. 

Le  roi  était  bon  pour  tous.  11  promit  au  légat  et  à  la 
reine  le  rétablissement  des  Jésuites.  D^autre  part,  il  avait 
fait  l'accueil  le  plus  affectueux  aux  envoyés  de  Genève,  à 
leur  vénérable  doyen  Théodore  de  Bèze,  et  il  permit  à 
Sully«  avant  de  signer  le  traité  et  de  rendre  les  places  pri- 
ses,  de  livrer  aux  Genevois  le  fort  de  Sainte-Catherine  à  la 
porte  de  leur  ville  ;  ils  le  démolirent  en  un  jour. 

Sous  un  prétexte  d'affaires,  il  prit  enfin  vacances  de  sa 
femme,  la  laissa  à  Lyon.  Marié  le  17  janvier  4601  par  le 
légat,  il  partit  le  18  en  poste.  Le  20,  il  était  à  Paris,  rendu 
à  son  Henriette. 

Le  4  février,  il  revit  la  reine.  Le  8,  il  écrit  au  conné- 
table qu'elle  eU  enceinte. 


54  GUERRE   M  SàVOIE. 

Louis  XIII,  qui  fût  cet  enfant,  n'eut  aucun  trait  de  son 
père.  Il  ne  Ait  pas  seùlenvent  différent,  mai^  opposé  en 
Unrte  et  chacune  chose,  n'ayant  vien  Aftë  Bourbon»  (cdté 
paternel  d*Henri  IV),  et  encore  bien  moins  des  Valois, 
c^é  maternel  d*Henrî,  qur  si  naïvement  rappelait  son 
joyeux  oncle  François  1*^  et  sa  charmatrte  grand'mère, 
Marguerite  de  Navarre.  Ce  fils,  nffture  sèdhe  et  stérile, 
véritable  Arabie  Déserte,  n'avait  rien  non  "plus  de  la 
France.  On  Tnàrait  cru  bien  plutôt  un #pinola,  un  Orsini, 
un  de  ces  princes  ruinés  de  la  décadence  italienne,  venu 
du  désert  des  Màrennnes  eu  des  chauves.  Apennins. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  résultat  voulu  était  obtenu. 

Leroi  était  marié  de  la  main  du  pape.  (D'Ossat.) 

Le  sang  italo-autridûen  était  dans  le  trône  de  France. 
.  la  volonté  du  grand-duc,  sa  politique  et  son  ordre 
positif  avaient  été  accomplis  sur-le-champ  et  à  la  lettre. 
Ce  prince,  se  souvenant  de  Catherine  de  Médicis  et  du 
danger  où  l'avait  mise  sa  longue  stérilité,  n'avait  dit  qu'un 
mot  à  sa  nièce  en  la  quittant  :  «  Soyez  enceinte.  » 


CHAWTRE   V 


Conspiration  de  Bmm.  lQOl-1602. 


Peu  de  temps  a{Nrès  cette  guerre  foudroyante  de  Sovoie, 
ifûLx  avertit  si  bien  rEurope  de  la  résarrection  de  hi 
Pnooe,  le  rot  montrait  à  Bi^on  une  statue  oit  on*  r«7ak 
fait  en  dieu  Mars  et  couronné  de  lauriens.  Il  lui  dit  matf* 
{Renient  :  «  Couaki,  que  pensez-^ous  que  dirait  mon 
frète  d'Espagne  s'il  me  voyait  de  la-sorte?-^  Lui*!  il  ne 
vous  craindrait  guère  I  » 

Tollà  comme  on  le  traitait.  Sa  puissance  si  bien  prou* 
vée,  sa  renommée  militaire,  tant  de  vigueur,  tantd'èspril^ 
tout  cela  n'empochait  pas  qu'on  ne  le  triMit  lesteneift, 
sans  ménagement,  avec  une  légèreté  bien  près  du  mépm. 
Lui-môme  il  en  était  cause.  Personne  n'avait  moins  de 
tenue.  Sa  camaraderie  étrange  avec  Bellegarde,  Ba!Bsom««> 
{rierre,  les  jeunes  geiis  qui  riaieirt  de  lui. et  qui  lui  souf- 
flaient ses  maltresses,  semblait  d'une  débonnaireté  phit 
qu'humaine.  On  le  trompait,  on  s'en  moquait,*  et  il  n'en 
faisait  pas  plus  mauvaise  mine.  Il  se  faisait  lire  les  libelles, 
ailail  voir  les  farces  où  on  le  jouait,  et  riait  plus  que  par- 
Bonne.  Sa  première  femme,  Marguerite,  avait  illustré  sa 
patience.  La  seconde,  Marie  de  Médicis,  fut  maîtresse  dès 
le  premier  jour,  signifiant  qu'elle  garderait  et  ses  oava*« 
lieni  servants  et  sa  noii»e  entremetteuse. 


56  CONSPlRiTIOIf  *  DE  BIRON. 

L'inconsistance  du  roi  dans  la  vie  privée  élait  excessive, 
il  faut  l'avouer. 

Pendant  que  la  reine  voyageait  lentement  de  Lyon  à 
Paris,  il  était  auprès  d'Henriette  à  Yemeuil»  oii  elle  le  re- 
^ut  dans  son  nouveau  marquisat  La  vive  et  charmante 
Française,  gagnant  par  la  comparaison  avec  la  grosse 
^tte  Allemande,  le  ressaisit  à  ce  point,  que  le  capucin, 
agent  d'Henriette,  fut  enfin  envoyé  à  Rome  avec  la  lettre 
de  créance  que  le  roi  lui  avait  donnée.  Il  devait  voir  les 
cardinaux,  montrer  l'engagement  du  roi  avec  elle  et  tAter 
si  l'on  ne  pourrait  obtenir  un  second  divorce.  Ce  pauvre 
homme,  qui  n'était  autorisé  que  du  roi  et  non  des  mi- 
nistres, fut  reçu  par  notre  agent,  le  cardinal  d'Ossat,  avec 
mépris,  avec  haine  et  sans  ménagement.  Rome  entièie  fut 
contre  lui  ;  à  grand'peine  il  put  revenir  en  Fianee.  On 
voulait  le  retenir  dans  un  couvent  de  son  ordre,  le  mnrer 
jusqu*à  la  mort  dans  un  in  pace  d'Italie. 

Le  roi  semble  Tavoir  oublié.  On  lui  avait  bit  entoodre 
qu'il  M  pouvait  renvoyer  Marie  sans  motif  spécieux,  ni 
surtout  sans  rendre  la  dot.  D'ailleurs,  elle  arrivait  grosse. 
Les  ministres  étaient  pour  elle,  pour  un  Dauphin  qui  allait 
simplifier  la  succession,  assurer  la  paix;  écarter  toute 
chaàc«  de  goenre  civile.  Mais  il  fiillait  ua  Dauphin; 
malheur  à  elle  si  elle  eût  eu  une  fille.  Henriette,  qui  un 
mois  apr^  eut  un  fils,  l'aurait  emporté.  Le  dm  accueillit 
le  Dauphin  avec  la  joie  la  plus  touchante. 

Cependant  la  reine  ae  faisait  nul  m>  stère  de  son  fidèle 
attaeheuK^t  pour  Virginie  Un  manuscrit  du  fonds  Bê- 
thune  qu^a  copie  M.  Capefi^nie)  nous  apprend  que«  six 
mois  aprvs  ses  couches»  le  roî  allant  au  Midi  avec  eile^  elle 
s^arnHa  à  BK>:$,  dit  qu'rlle  n*îniit  pas  plus  loin,  rvsotae 
qu'elle  était  de  nMourner  à  Foaiàioel4eau«  ou  Vtr^io 
Tattendaît.  Le  roi«  perdant  patieoof^  eut  encore  Tidee  de 
la  nNivxnvr.  «  G4a  $<tuit  Um,  dû  Suay«  $i  et«e  a  avait  pas 
un  fi^  »  Ikvx  ou  la  ^r4a«  criî^iMct  dVmbrvHiùIer  la 


GONSnRATION  DB  BIRON.  57 

saccession  si  la  légitimité  de  ce  fils  devenait  douteuse. 
L'Espagne  eût  saisi  cette  prise. 

Voilà  ))ien  des  variations  ;  mais  elles  ne  semblaient  pas 
moindres  dans  sa  conduite  publique. 

Au  moment  où -son  mariage. italien  faisait  croire  qu'il 
tenait  fort'  à  se  rattacher  à  Kltalie,  brusquement  il  y  re- 
nonce, en  rendant  Sakices,  et  se  ferme  l'Italie.  Le  Yéni* 
tien  Gontarini  dit  que  ce  traité  étrange  et  inattendu  releva 
l'Espagne  (battue  à  Newport).  Le  parti  espagnol  à  Rome 
devint  insolent.  Ce  mariage  avec  la  nièce  d'un  prince  qui 
avait  des  enfants,  avec  une  princesse  sans  droit  à  la  suc- 
cession de  Toscane,  n'eut  pas  même  l'effet  de  nous  assurer 
l'alliance  du  grand-duc  ;  il  se  refit  Espagnol. 

Par  l'abandon  de  Saluées,  l'ancien  et  primitif  asile  du 
protestantisme  italien,  le  roi  abdiquait  le  protectorat  des 
pauvres  Vaudois  qui  s'étaient  offerts  à  lui  de  -si  grand 
cœur  en  1594,  et  ne  décourageait  pas  moins  les  Grisons  à 
l'autre  extrémité  des  Alpes.  Le  gouverneqr  de  Milan, 
Fuentès,  ne  tarda  pas  à  les  murer  dans  leurs  montagnes 
(octobre  4603),  en  bâtissant  aux  passages  qui  communi* 
quent  en  Italie  un  fort  qui  lui  permettait  de  les  affamer  à 
son  gré.  Us  s'adressèrent  au  roi  de  France,  qui  leur  con- 
seilla de  patienter.  11  avait,  comme  on  a  vu,  abandonné 
Ferrare  au  pape,  malgré  les  prières  de  Venisd  ;  et  plus 
tard  Venise  elle-même,  dans  sa  lutte  avec  le  pape,  n'eut 
d'autre  secours  de  lui  que  le  conseil  de  s'arranger. 

Je  veux  bien  croire  que,  dès  ce  temps,  il  couvait  l'inten- 
tion de  frapper  l'Espagne  et  l'Autriche.  De  bonne  heure  il 
y  songea;  mais  toujours  en  protestant  qaHl  ne  savait  pas 
s'il  serait  avec  ou  contre  l* Espagne.  (Y.  Bassoropierre,  1609.) 
Dissimulation  utile  qui  pourtant  eut  l'inconvénient  de 
faire  croire  les  Espagnols  plus  forts  qu'ils  n'étaient,  lui 
plus  faible,  de  rendre  tout  le  monde  incertain,  défiant,  et 
d'ôter  l'espoir  qu'on  aurait  eu  dans  la  France. 

L'Espagne,  usée  jusqu'aux  os,  et  se  sentant  si  peu  de 


58  GONBnEHirricHf  db  rkok. 

force,  hasardait  les  coups  de  loterie  tes  plus  crknmels. 
Tout  en  tâchant  de  soutenir  ht  ^ande  guerre  en^BoHande, 
elle  faisait  ailleurs  la  guerre  de  f^avi  et  de  coupe-Jarrets. 
Philippe  m  était  un  pauvre  homme,  mais  ses  gens  de 
hardis  coquins.  Les  Fuentès,  les  d'Ossuna,  les  Bedmar, 
ayaieiît  repris  les  moyens  du  irv*  siècle,  poison,  meurtre 
et  incendie.  On  ne  tarda  pa«  à  les  voir  conapîrer  avec  des 
forçats  pour  prendre^  piller,  brûler  Venise. 

Dès  1 595,  ils  avaient  visé  en  France  un  homme  propre 
au  crime  ,  Biron,  un  brave  de  peu  de  cervelle,  sot  glo- 
rieux, que  Ton  pouvait  pousser  par  Torgueil  et  le  mécon- 
tentement aux  plus  sinistres  tentatives.  Notez  que  cet  im- 
bécile, le  jouet  des  intrigants,  était  un  héros  populaire. 
Sa  grande  vigueur  de  poignet,  sa  forte  encolure  «  lui 
comptaient  dans  Vesprit  des  foules  autant  que  ses  trente 
blessures  et  tous  ses  grands  coups  d'épée.  Il  semble  qœ 
les  bonnes  gens  aient  confondu  ce  Biron  fils  avec  son 
illustre  père,  aussi  habile  capitaine  que  le  Gis  fat  bon  soldat. 
Du  père,  du  fils,  ainsi  brouillés,  on  avait  fait  une  légende  ; 
c'était  un  Achille,  tin  Roland.  Le  roi,  sans  hii,  n'aorait 
rien  fait.  Lui  seul  avait  tout  accompli  par  la  force  de  ses 
hras  et  de  ses  grosses  épaules. 

L'étranger  avait  trouvé  son  affaire  pour  troubler  tout, 
an  mannequin  et  un  drapeau. 

Biron  était  un  homme  noir,  gras,  trapu,  d'un  visage  trou- 
ble, avecdes  yeux  incfuiels  (figuresde  fous  qui  vont  au  crime) . 
Sa  fortune  conune  sa  personne,  trouble,  mal  rangée.  On 
ne  pouvait  Tenrichir.  Toufôurs  aux  expédients  «  Si  je  ne 
meurs  sur  l'échafand,  disait-il,  je  mourrai  à  Thôpital.  » 

Le  roi  Tavait  fait  amiral,  maréchal,  général  en  chef, 
duc  et  pair,  gouverneur  du  gouvernement  qu'avait  eu  le 
chef  de  la  Ligue,  M.  de  Mayenne,  et  qu'eurent  les  seuls 
princes  du  sang,  la  Bourgogne,  poste  de  confiance,  contre 
la  Franche-Comté  et  la  Savoie.  Hais  tout  cela  n'était  rien, 
se  désespérait. 


CORSnRATlON  DE  BIROI^.  59 

Un  danger  très-grand  était  dans  cet  homme.  Il  avait  en 
lui  le  divorce  et  la  discorde  de  la  France ,  deux  partis . 
deux  religions.  Mais,  par  cela  même  ,  if  pouvait  être  le 
trait  d'union  des  deux  partis.  Père  catholique,  mère  pro- 
testante. Par  ceTïe-ci,  îl  était  parent  de  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  noblesse  périgourdine  ;  par  son  père,  il  était  cou- 
sin de  tous  les  barons  de  Gascogne.     •         * 

Rangez  autour  tous  les  traîtres,  un  d'Épernon,  qui  tenait 
la  Charente  à  Touest ,  Metz  à  Test,  et  l'entrée  des  Alle- 
mands. A  côté,  un  antre  homme  double,  M.  de  Bouillon, 
fort  en  Limousin,  plus  fort  au  nord,  où,  par  mariage,  il 
était  prince  de  Sedan.  Même  le  compère  du  roi,  M.  de 
Montmorency,  son  connétable,  son  ami  personnel,  le  roi 
du  Languedoc,  avait  un  traité  secret  avec  le  duc  de 
Savoie. 

Biron,  en  rapport  direct  avec  Madrid  et  Milan ,  où  il 
envoya  pitisieurs  fois,  n'avait  fait  son  aveu  à  Lyon  que 
pour  inspirer  confiance  et  se  faire  donner  Bourg-en- 
Bresse^  par  on  il  eût  fait  entrer  le  Savoyard  et  l'Espagnol. 
Le  roi  refusa.  Et  Biron,  plus  que  jamais,  renoua  ses  tra- 
mes par  Tintermédiaire  d'un  La  Fin,  qu'on  a  prétendu 
l'auteur  de  toute  cette  conspiration ,  commencée  bien 
avant  qu'il  s'en  mélàt. 

En  juillet  1601 ,  le  roi,  comme  toute  l'Europe,  était 
attentif  au  siège  d'Ostende.  Il  était  à  Calais,  sur  les  murs, 
écoutant  tout  le  jour  la  canonnade  lointame  qui  remplis- 
sait le  détroit.  Elisabeth  vint  à  Douvres,  et  elle  eût  bien 
voulu,  dans  la  peur  du  triomphe  des  Espagnols,  contracter 
avec  le  roi  une  alliance  offensive.  Il  lui  fit  passer  Sully, 
qui  lui  dit  la  situation.  Le  sol  lui  treniblaît  sous  les  pieds. 
Les  mécontents  se  seraient  levés  derrière  lui,  s'il  se  fût 
engagé  aux  Pays-Bas.  Soit  pour  les  inquiéter  et  leur  ren- 
dre Biron  suspect ,  soit  par  un  reste  d'amitié  et  dans 
Fespoir  que  Fautorité  de  la  grande  Elisabeth  le  ferait  ren- 
trer dans  la  voie  du  bon  sens  et  de  l'honneur,  il  le  lui 


L. 


60  CONSPIRATION  DE  BlEON. 

envoya  comme  ambassadeur.  La  reine  le  prêcha  fort,  fit 
grand  éloge  du  roi,  ne  blâmant  que  sa  clémence.  Enfin, 
pour  plus  d'impression,  surmontant  le  grand  chagrin  qui, 
dit-on,  hâta  sa  n^ort ,  /elle  lui  montra  de  sa  fenêtre  un 
objet  lugubre ,  la  tète  d'Essex ,  du  jeune  homme  qu'elle 
avait  aimé,  et  qui,  au  bout  d'un  an,  était  encore  exposée  à 
la  Tour  :  c  Son  orgueil  Fa  perdu,  dit-elle.  Il  croyait  qu'on 
ne  pourrait  se  passer  de  lui.  Voilà  ce  qu'il  y  a  gagné.  Si  le 
roi  mon  frère  m'en  croit,  il  fera  chez  lui  ce  qu'on  a  fait  à 
Londres  :  il  coupera  la  tête  à  ses  traîtres.  » 

Vaines  paroles.  Biron ,  de  retour,  n'eut  pas  de  repos 
qu'il  ne  se  perdit.  11  reprit  ses  trames  avec  la  Savoie,  mais 
par  un  nouvel  agent ,  s'étant  brouillé  avec  La  Fin ,  qui 
avoit  pourtant  ses  papiers.  La  Fin  jasa,  le  roi  le  fit  venir 
et  en  tira  tout.  EflTroyable  découverte.  Tout  le  monde 
semblait  compromis,  et  il  ne  savait  plus  à  qui  se  fier.  Il 
avança  vers  le  Midi  pour  tàter  Bouillon,  d'Ëpernon  ;  mais 
ils  n'étaient  pas  décidés;  ils  vinrent  se  remettre  à  lui. 
Montmorency  restait  tranquille,  et  non  moins  les  hugue- 
nots. Us  n'avaient  garde  de  traiter  avec  Biron,  au  moment 
où  il  devenait  si  bon  Espagnol ,  si  bon  catholique,  s'affi- 
chant  tout  à  coup  dévot,  lui  qui  ne  savait  son  Pater. 

Une  délibération  secrète  eut  lieu.  Le  roi  se  voyait  dans 
les  mains  Bouillon,  d'Ëpernon;  Biron  seul  manquait. 
Fallait- il  arrêter  ceux-ci ,  en  attendant  l'autre?  Il  posa 
cette  question  en  petit  conseil  ;  quelqu'un  voulait  qu*on 
arrêtât  les  deux  qu'on  avait.  Sully  s'y  opposa  :  «  Si  vous 
arrêtez  ces  deux-ci  sans  preuves ,  vous  effarouchez  les 
vrais  coupables,  et  vous  les  avertissez.  » 

Forte  et  courageuse  parole  qui  sauva  la  France  et  tran- 
cha le  nœud. 

Les  grands  avaient  une  prise  sur  le  peuple.  Un  pesant 
octroi  aux  portes  des  villes  enchérissait  les  vivres.  Il  s'était 
révolté  contre.  Le  roi  punit  la  révolte,  mais  il  supprima 
l'octroi. 


CONSPIRATION  DE  BIRON.  61 

C'était  assurer  le  dedans.  Mais,  du  dehors^  l'étranger 
ne  pouvait-il  arriver,  être  introduit  par  Biron  dans  ses 
places  de  Bourgogne?  On  trompa  celui-ci^  on  le  rassura, 
en  lui  faisant  croire  qu'on  ne  savait  que  ce  qu'il  avait 
avoué.  On  parvint  à  le  désarmer.  Sully  le  pria  d'envoyer 
ses  canons,  qui  étaient  vieux,  pour  les  remplacer  par  des 
neufs.  II  n'osa  les  refuser. 

Cela  fait,  le  roi  éprouva  le  plus  vif  besoin  de  le  voir.  Il 
lui  envoya  Jeannin,  l'ex-ligucur.  La  Fin  écrivit  à  Biron. 
Le  roi  lui-même  écrivit  :  «  Qu'il  ne  croyait  pas  un  mot 
de  ce  qu'on  disait  contre  lui,  qu'il  lui  remettrait  ces  accu- 
sations mensongères,  qu'il  l'aimait,  l'aimerait  toujours 
(U  mai  4602).  » 

Cette  lettre  était-elle  perfide?  Je  ne  le  crois  pas.  Il 
l'aimait.  Mais  il  voulait  s'en  assurer,  le  mettre  hors  d'état  de 
86  perdre,  éclaircir  tout,  le  gracier,  l'annuler  moralement, 
et  avec  lui  tous  les  ligués. 

Biron  ne  vint  que  parce  qu'on  lui  dit  que  le  roi  voulait 
aller  à  lui  tête  baissée,  l'enlever.  11  n'eût  pu  tenir  dans 
ses  places  désarmées.  Rien  ne  lui  restait  à  feire  que  de 
fuir,  ruiné,  nu  et  mendiant.  Il  eût  mieux  aimé  mourir.  II 
s'emporta  furieusement,  jura  de  poignarder  Sully,  mais 
toutefois  obéit  et  se  mit  en  route. 

Le  duc  de  Savoie  n'était  guère  moins  effrayé  que  Biron. 
Fuentès  aussi  devait  être  inquiet  d'avoir  compromis  son 
maître,  au  moment  où  le  siège  d'Ostende  absorbait  les 
forces  espagnoles.  Ils  avaient  fort  à  souhaiter  que  Biron 
ne  les  trahît  point,  qu'il  mentit  pour  eux  fort  et  ferme, 
soutînt  près  du  roi  sa  vertu ,  son  innocence  immaculée. 
Tel  il  se  montra  en  effet,  menteur  intrépide,  et,  jusque 
dans  Fontainebleau,  Thomme  de  la  Savoie,  de  l'Espagne, 
contre  l'étreinte  du  roi  çon  ancien  ami. 

Ce  qui  le  cuirassait  si  bien,  c'est,  d'une  part,  que  le 
Savoyard  gardait  en  charte  privée,  pour  assurer  son 
silence,  un  garçon  nommé  Renazé,  qui  avait  fait  tous  les 


Ci  coxshrahox  de  mm». 

xr.t'ssj^ces.  D'auLre  part,  Lft  Fin,  à  rentrée  de  Foatûne- 
bleau,  lui  a\ait  soufilé  ce  mot  :  <  Courage,  moo  niaitre  ! 
courage,  et  boa  bec  !...  Us  ne  savent  rien.  > 

Beaucoup  de  gens  avaient  gagé  que  Biron  ne  viendrait 
poinL  Le  roi  même ,  le  13  juin ,  se  promoiant  de  bonne 
heure  au  jardin  de  Fontainebleau ,  disait  :  «  11  ne  viendra 
pas.  »  Et  il  le  voit  arriver.  Il  va  à  lui,  il  l'embrasse.  «  Vous 
avez  bien  fait  de  venir,  dit -il,  j'allais  vous  chercher.  » 
Puis  il  le  prend  par  la  main,  lui  montre  ses  bâtiments. 
Seul  à  seul,  enfin,  il  lui  demande  ^'il  n'a  lien  à  dire  : 
«  Moi  !  dit  Biron«  je  viens  seulement  pour  connaître  mes 
accusateurs  et  les  taire  châtier.  • 

Le  roi  se  croyait  en  péril,  non  sans  cause,  pour  la  rai- 
son que  Biron  marquait  lui-même  dans  se$  conseils  an 
duc  de  Savoie,  à  savoir  :  Que  le  roi  avait  man^e  la  dot  de 
sa  femme,  qu'il  lui  fallait  du  temps  et  de  Tarant  pour 
lever  des  Suisses .  que  Tinfanterie  française  du  temps  de 
la  Ligue  avait  péri  de  misère,  que  la  noblesse  appelée  se 
réunirait  lentement.  Et  cVtait  là  le  meud  même  de  la 
question  ;  le  roi  de  Xavarce  ,  le  roi  genlilhouime ,  avait 
disparu  ;  la  noblesse  catholique  ou  protestante  regardait 
ailleurs,  pouvait  suivre  Biron  ou  Bouillon. 

Le  roi  avait  bien  Biron,  mais  il  n  avait  plus  BoTiLiUon.  Il 
n'osait  même  lui  écrire  de  venir,  sentant  qu'il  désobéirait. 
SuUy  lui  écrivit  en  vain  6  juillet^.  U  resta  chez  lui.  C'était 
une  raison  d'hésiter  pour  frapper  Biron,  ne  pouvant  frap- 
per qu'un  coup  incomplet.  Aussi  le  roi  desirait  très-5incè- 
rement  le  sauver.  11  y  lit  ks  plus  grands  eflurts,  et  par 
lui-même,  et  par  Sully.  Le  matin  encore,  au  jardin  fermé 
de  Fontainebleau  j>etit  jardin  et  si  4rand  par  la  tenreur 
des  souvenirs),  il  le  serra  au  plus  près ,  et  ne  gagna  rien. 
On  voyait  Biron  le  suivre  avec  force  ges^les,  une  panto- 
mime hautaine  de  protestations  d'innocence,  relevant 
fiènement  la  tête  et  se  frappant  la  poitrine,  yême  soeoe 
encore  après  diner. 


COMSPlRAÏiON  D£  BIRON.  63 

Alors  le  roi,  perdant  espoir,  s'enferma^  avec  Sully,  et  la 
reine,  tira  le  verrou.  Nul  doute  que  ton»  deux  n'aient  teoa 
fortement  contre  Biron,  SuUy  pour  la  sûreté  de  TËtat,  elle 
pour  celle  de  son  fils  et  la  tranquillité  de  sa  régence 
future. 

La  Force ,  beaur-frère  de  Biron ,  noua  apprend  deux 
choses  :  l""  Que  SuUy  décida  la  mort;  âP qu'elle  était  très- 
juste.  La  Force  écrit  ce  dernier  mot  à  sa  feiwme  dans  una 
lettre  conOMleati^Ue. 

Sans  Sully^  jamais  le  roi  n'aurait  eu  la  force  de  faire 
justice.  Et  encore,  ce  aoir-ià>  il  décida  seulement,  commet 
on  croyait  que  Biron  pouvait  fuir,  qu'il  fallait  bien  le  faire 
arrêter. 

On  joua  jusqu'à  minuit.  £t,  le  monde  s'étant  écoulé,  le 
roi  lui  parla  de  nouveau,  le  pressa  au  nom  de  Tancienne 
amitié.  Il  resta  see.  Alors  Henri  rentra  dans  son  cabinet. 
Puis,  saisi  d'émotion,  il  rouvrit  la  porte,  et  lui  dit  d'un 
ton  à  fendre  le  cœur  :  «  Adieu,  baroin  de  Binon  1 1  C'était 
aoa  nom.de  jpunesse;  dans  cet  effort  désesp^é,  le  roicr'Ut 
ramener  d'un  mot  tout  le  passé,  la  vie  commune  des  dan* 
gers  et  des  souffraifbes  et  vingt  années  de  souvenirs. 

Et  il  ajouta  encore  :  «  Vous  savez  ce  que.  j'ai  4it.  «Sur 
préme  appel  1  si  Biron  eût  avoué  à  cet  instant,  il  pouvait 
sauver  sa  vie. 

Mais  non,  il  sort.  A  Tanticbambre^  le  capitaine  deo  gar- 
des, Vitry,  mit  la  main  sur  son  épée,  la  lui4emanda  :  «  Tu 
railles  1  — *  Non,  moasieur,  le  roi  le  venl.  — Ha!  mon 
épée,  s-'écria-t-41,  Tépée  qui  a  fait  tant'  de  bons  services  !  » 

Le  roi  fit  partir  Sully  pour  préfyarer  la  Baatille  et  avertir 
le  Parlement.  Biron  et  le  comte  d'Auvergne,  son  complice^ 
y  funeat  >menés  le  45  juin. 

Le  roi  même,  le  \Jo  au  soir,  vint  à  Paris  et  entra  par  la 
porte  Saint-Marœau.  Il  y  trouva  une  grande  foule  de 
peuple  aoeoucu  pour  le  voir,  pour  s'assurer  de  sa  vie,  ce 
obergagede  la  paix  publique.  Xûus.ae  félicitaient  «de  la 


64  CONSPIRATION  DB  BIRON. 

découverte  du  complot  et  le  couvraient  d'acclamations. 
(De  Thou,  llv.  CXXVIIl.) 

M.  Capefigue  avance,  sans  preuves,  que  Paris  était  dé- 
solé. Chose  vraisemblable,  en  effet,  qu'on  déplorât  l'ayor- 
tement  d'un  complot  qui  eût  ramené  le  bel  fige  de  la 
Ligue,  les  douceurs  du  fameux  siège,  du  temps  où  un  rat 
crevé  se  vendait  vingt-quatre  livres,  où  les  mères  man- 
geaient les  enfants. 

Les  acclamations  dont  parle  De  Thou  disaient,  au  con- 
traire ..  que  le  peuple  avait  horreur  de  revoir  la  guerre 
civile,  la  royauté  des  soldats,  et  qu'il  savait  bon  gré  au  roi 
de  les  réprimer  vigoureusement.  Sa  justice,  rarement 
indulgente  pour  les  brigandages  des  nobles ,  était  popu- 
laire. En  ce  moment ,  le  Parlement ,  presque  en  même 
temps  que  Biron,  recevait  le  petit  Fontenelles  (des  Beau- 
manoir  de  Bretagne)  et  parent  d*un  maréchal.  Ce  garçon, 
d'environ  vingt  ans,  avait  fait  déjà  mourir  dans  les  tortures 
des  milliers  de  paysans.  Par  récréation,  l'hiver,  il  ouvrait 
des  femmes  vivantes  pour  chauffer  ses  pieds  dans  leurs 
entrailles.  Il  fut,  malgré  tous  ses  parents ,  pris,  jugé  et 
rompu  en  Grève,  au  milieu  de  la  joie  du  peuple,  qui  en 
bénissait  le  roi. 

Les  grands  ne  le  bénissaient  guère.  Loin  de  là,  pas  un 
des  pairs  ne  voulut  siéger  au  procès  de  Biron.  Tous  allé- 
guèrent des  prétextes. 

C'était  une  raison  plus  forte  de  pousser  la  chose.  Quand 
les  parents  de  Biron,  tous  considérables,  vinrent  trouver 
le  roi,  tout  près  de  Paris,  à  Saint-Maur,  où  il  restait  pour 
surveiller  l'affaire,  il  leur  parla  avec  douceur,  mais  s'en- 
veloppa de  justice,  de  nécessité. 

L'Espagne,  mise  au  courant  de  tout  par  un  commis  de 
Yilleroy  (qu'on  saisit  plus  tard),  pouvait  travailler  les 
juges,  le  public,  l'accusé  même.  Et,  en  effet,  celui-ci 
trouva  à  point ,  dans  la  Bastille ,  un  minime  scrupuleux 
qui  lui  dit  qu'il  ne  pouvait  pas  révéler  à  la  justice  ce  qu'il 


CONSPIRATION  DE  BIRON.  65 

avait  promis  de  taire,  c'est-à-dire  qu'il  devait  couvrir  la 
Savoie,  l'Espagne,  d'une  parfaite  discrétion. 

Pour  émouvoir  le  public ,  on  répandit  une  lettre  que 
Biron  était  censé  écrire  au  roi  pour  rappeler  ses  services, 
fiEiire  ressortir  l'ingratitude ,  soulever  la  pitié  et  Tindigna* 
tion. 

Le  procès  n'était  que  trop  clair.  De  Thou  nous  a  con- 
servé en  substance ,  mais  avec  détail ,  les  quatre  feuilles 
écrites  de  sa  main  qui  furent  la  pièce  principale.  Elles 
témoignent  que,  faible  et  crédule  pour  les  prédictions 
politiques  dont  les  charlatans'ie  leurraient,  il  n'en  est  pas 
moins  fort  net,  lucide,  exact  et  clairvoyant  pour  les  affai- 
res militaires.  Les  directions  qu'il  donna  au  duc  de  Savoie 
ne  sont  pas  de  ces  choses  qu'on  imaginerait  d'avance  pour 
des  cas  hypothétiques  (comme  il  prétendit  le  faire  croire), 
mais  des  indications  précises  pour  telle  situation,  tel  cas. 
Il  renseigne  très-bien  l'ennemi  sur  les  forces  actuelles  du 
roi,  spécifiant  les  chiffres  avec  soin,  et  d'un  jour  à  l'autre. 
Il  donne  des  conseils  positifs  sur  un  poste  qu'il  faut  occu* 
per,  une  attaque  qu'il  faut  essayer.  De  tels  avis,  qui  purent 
être  à  l'instant  traduits  en  boulets,  ce  ne  sont  pas,  comme 
il  le  dit,  des  paroles  et  des  pensées,  ce  sont  des  actes 
meurtriers,  des  massacres  de  Français  et  l'assassinat  de  la 
France. 

On  assura ,  sans  le  prouver ,  qu'il  avait  averti  tel  fort 
savoyard  pour  que,  le  toi  venant  sous  les  murs,  on  tirât 
sur  lui.  Ce  qui  est  sûr  et  avoué  de  lui,  c'est  qu'ille  tuait 
d'intention,  par  ces  opérations  magiques  où  l'on  croyait 
faire  périr  l'homme  en  détruisant  son  effigie.  Il  convient 
qu'avec  La  Fëre  il  faisait  des  poupées  de  cire ,  auxquelles 
on  disait  la  formule  :  <  Roi  impie ,  tu  périras.  Et  la  cire 
fondant,  tu  fondras.  » 

Il  n'y  avait  qu'une  circonstance  atténuante,  c'est  qu'il 
avait  écrit,  huit  mois  avant  son  arrestation,  lorsque  le 
Dauphin  naquit,  en  septembre  4604  :  «  Dieu  a  donné  un 
xz.  6 


60  CONSPIRATION  DB  BIROlf. 

fils  au  roi  ;  oublions  nos  visions.  »  -*  Ce  moi  était-il 
sérieux,  on  avait  sujet  d*en  douter,  parce  qu'il  récrivait  à 
La  Fin,  qu'il  suspectait ,  et  sans  doute  voulait  tromper , 
tandis  qu'il  continuait  de  traiter  avec  l'ennemi  par  soo 
nouveau  confident,  le  baron  de  Lua  «  et  par  deux  autres 
encore. 

Les  juges  firent  une  chose  agréable  aux  hautes  puis- 
sances étrangères  qui  étaient  aussi  en  cause.  Us  la  firent, 
il  est  vrai,  par  la  volonté  expresse  du  roi.  Ce  fut  de 
ne  rappeler  que  des  faits  anciens,  et  d'igaorer  parfaite- 
ment les  choses  récentes*  Le  roi  ne  voulait  pas  trop  appro- 
fondir contre  TEspagne  et  la  Savoie. 

Biron  fut  saisi  d'un  grand  trouble  quand  on  lui  pré* 
senta  les  pièces  qu'il  croyait  brûlées,  quand  il  vit  devant 
ses  yeux  son  messager  Renazé,  qu'il  croyait  enfoui  dans 
un  cbftteau  de  Savoie,  il  pâlit,  dit  les  pièces  fausses,  con- 
tfottvées,  puis  les  avoua ,  mais  soutint  que  c'étaient  de 
simples  pensées,  qu'il  écrivait  pour  La  Fin.  Du  reste,  s'il 
y  avait  du  mal,  le  roi  lui  avait  pardonné  à  Lyon. 

Nombre  de  parlementaires  (de  la  Ligue]  auraient  accepté 
cela.  Mais  ils  étaient  sous  les  yeux  du  vrai  Parlement 
français,  qui  avait  siégé  à  Tours. 

Le  Parlement  avait  à  iaire  ce  que  hasarda  Richelieu»  ce 
que  fit  la  Convention ,  se  compromettre  sans  retour  et 
braver  les  futures  vengeances  des  rois  étrangers,  et  des 
grands,  et  des  parents  de  Biron,  de  ses  cent  cousins  de 
Gascogne,  d*un  monde  de  gens  d  epêe  brutal  et  féroce. 
Tellement  que,  peu  de  temps  après,  le  révélateur  La  Fin 
marehaut  dans  Paris,  en  plein  midi»  au  milieu  des  gardes 
qni  le  protégeaient,  vingt  sacripants  tombèrent  snr  lai,  ei 
s'en  allèrent  au  galop,  sans  qu'on  les  ait  arrêtés. 

Ces  vengeances,  faciles  à  prévoir,  fiùsaient  songer  les 
robes  kMftgues.  Le  diancelier  saignait  du  nez  ei  feig^nait 
d'être  embarrassé  de  Tabsence  des  pairs.  Cela  le  il  juil- 
let, an  dernier  momenU  Le  roi  se  menlra  immuable,  soit 


GONSPIIUTION  DE  WRON*  6"? 

que  SttHy  le  soutint,  soit  que  sa  grande  amie  ÉUsabetii 
(une  lettre  de  notre  ambassadeur  le  prouve)  l'exhortât  à 
ne  pas  lèdier.  La  vieille  reine  était  une  haute  autorité,  un 
docteur  en  conspirations,  en  *ayant  eu  tant  contre  elle  et 
tant  suscité  ailleurs,  récemment  encore  ayant  frappé 
d'Essex,  c'est-à-^dire  son  propre  cœur. 

Donc  le  roi  fut  fort  aussi.  Il  écrivit  à  son  blême  chan- 
celier que  l'on  devait  passer  outre,  (â  juillet  4602.) 

Le  dianceller,  ainsi  mis  en  demeure  de  ne  pas  s'égarer, 
empêcha  aussi  les  autres  de  chercher  quelque  échappa- 
toire. 11  les  tint  dans  la  voie-étroite  de  justice  et  de  vérité. 
Il  demanda  si  à  Lyon  l'accusé  avait  confié  au  roi  tous  ses 
arrangements  avec  la  Savoie.  —  Non.  —  Alors  le  roi  n'a 
pu  pardonner  ce  qu'il  ignorait.  (Além.  de  La  Force.) 

Ce  mot  conduisit  Biron  à  la  mort. 

Le  Parlement  fut  dès  lors  unanime  (127  voix). 

Dans  tout  k  procès,  le  roi  avait  eu  une  crainte  secrète, 
c'était  qu'on  n'enlevât  Biron,  que  l'agitateur  de  la  Ligue, 
l'Espagnol,  l'ami  des  moines,  le  distributeur  des  soupes 
en  plein  vent,  n'essayât  d'agir  sur  le  peuple.  Il  resta,  non 
à  Paris,  mais  à  Saint-Maur  ou  Saint-Germain ,  prêt  à 
monter  à  cheval  et  le  pied  dans  l'étrier.  11  écrivait  à  Sully 
qu'il  prit  garde  à  lui,  qu'on  pensait,  pendant  qu'il  ne 
s'occupait  que  du  prisonnier,  à  l'enlever,  lui  Sully,  le 
meoer  en  Franche- Comté.  Il  eût  répondu  pour  Biron. 

La  vie  de  celui-ci,  au  reste,  importait  moins  aux  étran- 
gers que  son  silence.  Et  ce  silence  fut  maintenu  jusqu'au 
bout.  Biron  le  dit  le  dernier  jour  :  a  II  ne  saura  pas  mon 
secret.  »  Comment  obtint-on  cette  persévérance?  Par  ce 
moine  dont  j'ai  parlé.  Puis,  il  ne  croyait  pas  sérieusement 
à  sa  mort»  imaginant  toujours  qu'il  serait  sauvé  ou  par 
un  coup  de  l'Espagne  ou  par  la  faiblesse  du  roi,  qui  fini- 
rait par  avoir  peur. 

Il  ne  croyait  pas  même  que  le  Parlement  aurait  le  cou- 
rage de  le  condamner.  Dans  sa  prison,  il  amusait  ses 


68  CONSPIRATION  DB  BIRON. 

gardes  à  leur  raconter  l'audience  et  à  contrefaire  ses 
juges. 

Il  ne  fut  pas  peu  étonné,  le  34  juillet,  de  voir  le  chan- 
celier, le  greffier,  une  grande  suite,  arriver  à  la  Bastille 
en  cérémonie;  On  le  trouva  occupé  d'astrologie  judiciaire, 
de  comparer  quatre  almanachs ,  d'étudier  la  lune ,  les 
jours  et  les  signes  célestes,  pour  y  pénétrer  l'avenir.  11  n*y 
avait  plus  d'avenir.  Le  chancelier  lui  demanda  de  rendre 
l'ordre  du  roi,  la  croix  du  Saint-Esprit ,  et  l'engagea  à 
faire  preuve  de  son  grand  courage.  Puis  on  lui  lut  son 
arrêt,  et  radoucissement  qu'y  mettait  le  roi,  de  rendre  ses 
biens  à  ses  parents  et  de  ne  pas  le  fiiire  exécuter  en  Grère. 

Ce  coup  venait  frapper,  non  un  homme  faible,  malade, 
amorti  par  la  prison,  mais  dans  sa  force,  en  pleine  vîe. 
La  répugnance  de  la  nature  se  montra  aussi  en  plein  ;  il 
laissa  voir  une  (urieuse  volonté  de  vivre.  D'abord,  des  cris 
contre  le  roi,  si  ingrat,  qui  laissait  vivre  d'fipemon,  cent 
fois  traître,  et  qui  lui,  Biron^  innocent,  le  faisdt  mourir... 
Car  il  se  disait  innocent,  soit  que  ses  moines  espagnok  le 
lui  eussent  persuadé,  soit  que,  dans  les  idées  d'alors  et 
Thabitude  des  révoltes,  ce  nef&t  que  peccadille. 

Puis  il  retomba  sur  le  chancelier,  avec  des  risées  terri- 
bles, boufionnant  sur  sa  figure,  Pappdant  groruifux,  idole 
sans  Ci\Mir,  figurt  de  plaire.  H  se  promenait  en  kmg  et  en 
large,  le  visage  horriblement  bouleversé,  affreux,  répètent 
toujours  :  •  Ha!  minimèy  minime!  *  {Non,  non,  encore 

non  î^ 
On  hii  dit  doucement  :  €  Monsieur,  penseï  à  Tolre  oon- 

science*  » 

t  Cest  fait^  *  dit-il.  Et  sans  s'en  mettre  autrement  en 
poiue.  il  se  jeta  dans  un  torrent  de  discoors^sor  ses  afidres, 
$e$  biens«  si»  dettes;  on  bà  devait  cect.ceb;  il laiaanC  une 
fille  gn>sse.  à  qui  il  Etls^tit  tel  don...  Une  mer  de  pnroks 
T»^iie$  qui  n'auraient  jamais  fini.  On  Tavertil.  3  revint  un 
peu  à  hii.  et  dicta  son  testament,  clair  et  imne. 


CONSPIRATION  DK  BIRON.  69 

Il  avait  demandé  SuUy  pour  le  faire  intercéder.  Sully  fit 
dire  qu'il  n'osait. 

il  était  quatre  heures,  et  Biron  passait  le  temps  aux 
choses  de  ce  monde,  sans  souci  dej'éternité.  On  le  mena  à 
la  chapelle,  et,  sa  prière  faite,  il  sortit.  A  la  porte  un 
homme  inconnu  paraissait  l'attendre  :  «  Qui  est  celui-ci  ?  » 
—  Modestement,  l'homme  avoua  qu'il  était  le  bourreau, 
c  Ya-t'en,  va-t'en  I  dit  Biron.  Ne  me  touche  pas  qu'il  ne 
soit  temps!. •.  Si  tu  approches,  je  t'étrangle  I  »  Il  jura  aussi 
qu'on  ne  le  lierait  point,  qu'il  n'irait  pas  comme  un  voleur, 
Aux  soldats  qui  gardaient  la  porte  :  «  Mes  amis,  pour 
m'obliger,  cassez-moi  la  tète  d'un  coup  de  mousquet.  » 

Inutile  de  dire  que  les  prêtres  du  roi  n'en  tirèrent  rien, 
pas  un  mot  d'Espagne  ou  de  Savoie,  nulle  confession  de 
sa  faute.  11  suivit  le  mot  des  Jésuites,  dont  on  a  parlé 
ailleurs  :  c  Défense  de  rien  révéler  à  la  mort,  sous  peine 
de  damnation.  » 

A  tous,  il  disait  :  «  Messieurs,  vous  voyez  un  homme 
que  le  roi  fait  mourir,  parce  qu'il  est  bon  catholique.  •  — 
Et,  comme  on  lui  rappelait  sa  mère  :  «  Ne  m'en  parlez 
pas,  elle  est  hérétique.  »  (Lettres  du  roi,  du  2  et  7  août.) 

Il  mourut  ainsi,  en  pleine  fureur,  en  pleine  vengeance, 
continuant  d'intention  son  complot,  et,  de  l'échafaud, 
autant  qu'il  était  en  lui,  attachant  d'avance  au  roi  la  furie 
de  Ravaillac. 

Sur  les  planches,  il  chicana  fort,  voulant  d'abord  être 
debout.  On  lui  dit  que  ce  n'était  pas  l'usage.  Puis  il  se 
fâcha  de  voir  dans  cette  cour  une  soixantaine  d'assistants  : 
«  Que  font  là  ces  marauds,  ces  gueux?  Qui  les  a  mis  là?  » 
U  ne  voulut  pas  du  mouchoir,  prit  le  sien,  qui  était  trop 
court,  reprit  l'autre.  Trois  fois  il  se  débanda  les  yeux, 
c  Tu  m'irrites  !  dit  il  au  bourreau.  Prends  garde  I  je  pour- 
rais étrangler  moitié  de  ceux  qui  sont  ici.  »  Ils  n'étaient 
pas  très-rassurés,  voyant  cet  homme  non  lié^  si  fort  et  si 
furieux;  plusieurs  regardaient  vers  la  porte. 


19  œ^snkxivj^  bb 

I>e  ïioarrcan,  rets  cinq  h^inres,  pensant  ne  finir  jamâs, 

hii  dit  :  «  Monsu^ur,  auparavant,  ne  fant-il  pas  qoe  yoos 
éish'Z  votn;  /n  manus  tuas.  Domine?  »  Bîron  se  Ternît,  et 
rhorniTie,  profitant  de  ce  moment  et  prenant  Vépée  des 
timj\%  An  valet,  par  nn  rraî  rairade  de  force  et  d'adresse, 
lui  trancha  an  toI  son  am  gras»  la  tête  s'en  alla  bonfis* 
nnni  au  pied  de  IV^chafand. 

On  voulait  le  mettre  aux  Célestins,  à  côté  des  vieux 
Vit  loin.  Mais  ces  moines  furent  politiques;  on  vit  d^  reflet 
du  coup  ;  ils  refusèrent.  Et  on  le  mit  à  Saint-Paul,  paroisse 
de  la  Bastille. 

Pendant  ce  temps-là,  une  foule  énorme  se  morfondait  ft 
la  (îrèvc,  où  on  l'attendait.  Des  fenêtres  y  étalent  louées 
Jtwqu*à  dix  écus. 

La  foule  des  amis  de  l^spagne,  cagots,  bigots,  ligueurs. 
Jésuites,  et  aussi  des  gens  de  haut  vot  qui  Youiaîent  braver 
le  roi,  iillaient  jetor  do  Tcau  bénite,  faire  dire  des  messes  k 
mm  lonibenu. 

Le  roi.  nprfts  Texécution,  était  sî  défait,  dit  Fainbassa- 
deur  (rEspa;;no,  qu'on  l'eût  cru  l'exécuté.  Hait  jours  après, 
il  ftit  pri«  d'un  violent  flux  de  ventre  qui  le  tînt  quelque 
temps  trt»8-fiiible. 

Il  n'en  eut  pas  moins  conscience  d'avoir  fait  Jusfioe.  Kn 
f  onv<'rsntioni  il  disait  souvent  et  comme  un  proverbe  : 
«  Aussi  vrai  que  Biron  fut  traître.  » 

Il  (\it  tr^s<(--roronniùssant|  pour  l'homme  inflexible  qui 
ruvnit  soutenu  dans  cette  rude  circonstance  ;  il  alla  voir 
SuHy»  lui  dit  :  «  D'aujourd'hui,  je  n'aime  que  vous.  » 

tîrnud  ttMuoîgna^  et  mérité.  L'un  et  l'autre,  en  ce 
<^u^p  ^tèvt'^rt^  qui  senit  tellement  la  France,  et  qui  loi 
d\M)niii>uil  ans  dert'pos,  méritèrent  d'elle  ce  jour-là  antent 
qu*(»Mt  jours  dWrques  et  d'Itry. 


CHAPITRE  Vi 


to  rétablissement  des  Jésuites.  1603- 160i. 


La  noire  intrigue  de  Biron  que  le  roi  ne  voulut  pt8  per- 
cer jusqu'au  fond  n'était  qu'un  petit  accident  de  la  grande 
-conjuration  qui  minait  l'Europe,  qui  d^à  avait  accompli  la 
partie  la  plus  cachée  de  son  œuvre  souterraine,  et  qui 
bientôt  procéda  à  Texécution  patente  de  cette  œuvre,  la 
Guerre  de  Trente  Ans. 

Henri  IV  était  Tobstacie,  avec  Maurice  d'Orange,  et 
secondairement  le  roi  d'Angleterre  et  d'Ecosse,  Jacques  VI, 
successeur  d'Elisabeth.  Mais  celai«€i  avait  donné  grand 
espoir  aux  catholiques.  Il  ne  tarda  guère  à  faire  un  traité 
avec  TEspagne.  Pour  le  roi  de  France,  on  comptait  en 
venir  à  bout.  On  voyait  qu'il  était  malade,  atteint  de  cette 
cruelle  affaire  de  Kron.  On  pensait,  non  sans  vraisem* 
Uance,  qu'il  faiblirait  de  plus  en  plus.  Les  zélés  qui  déjà 
avaient  réussi  à  le  marier  à  leur  guise  avec  cette 
fausse  Italienne,  d'Espagne  et  d'Autriche,  voulaient  pour 
deuxième  point  faire  rentrer  les  Jésuites  en  France  et  leur 
feire  confesser  le  roi.  Le  troisième  qu'on  devait  gagner 
sur  le  roi  ou  après  lui,  o*était  un  double  mariage  d'Espagne, 
pour  espagnoliser  la  France,  la  neutraliaer,  l'hébéter.  La 
JPrance,  cette  tête  de  l'Europe,  branlant,  caduque,  imbé«> 


72  LE  RÉTàBLISSEUKNT  DBS  JÉSUITES. 

elle,  comme  elle  fit  sous  Louis  le  bègue  (Louis  XIII),  dans 
ses  quinze  premières  années,  on  pourrait  alors  s'attaquer 
au  ventre,  je  veux  dire  aux  AUemagnes,  ces  profondes 
entrailles  du  monde  européen. 

Ce  n*est  pas  qu'avant  4  600  on  n'ait  travaillé  rAlIemagne, 
mais  c'était  en  préparant  les  moyens  de  la  grande  guerre, 
surtout  en  disciplinant  Farmée  ecclésiastique.  Cette  be- 
sogne préalable  était  celle  du  Concile  de  Trente,  la  transe- 
formation  du  clergé.  Il  fallait  d'abord  que  ce  corps  eut 
J*unité  automatique  d'un  collège  discipliné  par  la  férule  et 
le  fouet.  L'àme  du  Concile  de  Trente,  Lainez,  ce  cuistre 
do  génie,  bien  plus  fondateur  qu'Ignace,  avait  mis  là  son 
empreinte.  Toute  la  hiérarchie  conçue  comme  une  échelle 
do  classes,  sixième,  cinquième  et  quatrième,  où  des  éco- 
liers rapporteurs  s'espionneraient  les  uns  les  autres  et  se 
dénonceraient  par  trimestre. 

Cet  amortissement  du  clergé,  plus  facile  que  l'on  n'eût 
cru,  encouragea  à  entreprendre  une  œuvre  qui  semblait 
plus  hardie  :  la  traiisformatUm  de  la  noblesse. 

Nous  devons  à  M.  Ranke  {Papauté^  liv.  Y,  S  9)  U  con* 
naissance  d'une  pièce  inestimaUe,  tirée  des  manuscrits 
Barboriui*  C'est  le  plan  que  le  nonce  IGnaccio  IGnucci 
pr\>(x\so  à  la  cour  de  Rome  pour  le  remaniement  moral  de 
rAUoiuagne«  Son  principe  dominant  est  celm-ci  :  Cesl  dé 
U  »9A^«>»)r  ^uil  faui  s^ttTtparer.  Il  ne  se  fie  pas  au  peuple. 

Il  veut  :  1"*  çuoH  trMe  Us  enfants  nofriies  mieux  que  les 
petits  ÙMirpeois,  pour  attirer  la  noblesse  aux  collées; 
t^'  ^^^n  ài^^r-ïe  les  €f:>khès  mhx  fuc-îes^  «  qui  seuls  ont  droit 
d\  arriwr.  >  Point  de  bèneâoes  aux  bcnu^geioîs,  qui  pour- 
niiotti  doxvnir  sa^^ants;  il  dut  bi^»  quelques  savants,  mais 
peu.  trà^vtt  de  sartnts:  â^  on  neiiptr^  pss  de  eus  ncMes 
fv\^.4:$  ^u\^  TTfiÀem:  ians  lettre  èvècbes;  ils  seiv>Dt  bien 
plus  uuk^à  la  <\¥ir  et  près  des  princes. 

t>pfam  lottt  arisa«>cratiqiie  |MMte  sur  cetie  p«$M,  très- 
jiuft^.  quo  la  noUes».  (4«$  qai  wcane  auxrf  classe^  po«- 


LE  BÉTABUSSKlODrr  DIS  lÉSUITBS.  73 

vait  être  corrompue  par  les  places  et  par  l'argent,  par  le 
plaisir 9  par  sonliesoin  absolu  de  vivre  à  la  cour. 

Justement,  à  cette  époque,  se  formaient  autour  des 
princes  ces  grands  centres  de  vie  galante  et  mondaine^  les 
cours,  et  de  moins  en  moins  la  noblesse  pouvait  vivre  chez 
elle.  Dans  plusieurs  pays,  les  Jésuites  n'eurent  besoin  que 
d'une  chose  ;  il  suffit  que  les  protestants  ne  fussent  plus 
admis  chez  les  princes.  En  Pologne,  l'effet  fut  terrible  ;  les 
exclus  furent  désespérés  et  se  refirent  catholiques.  En 
France,  il  en  fut  peu  à  peu  de  même.  Les  protestants  non 
chassés  furent  du  moins  vus  de  mauvais  œil  ;  il  leur  fallut 
s'éloigner.  Dans  les  châteaux  commencèrent  les  lamen- 
tations des  femmes,  les  querelles  domestiques.  Le  jour  ne 
fut  qu'un  bâillement  et  la  nuit  qu  une  dispute.  Le  mari  y 
échappait,  tant  qu'il  pouvait,  par  la  chasse;  mais  il  y 
retombait  le  soir.  Hélas  I  malheureuse  dame,  exilée,  per- 
due au  désert  I  Loin  du  roi,  nouveau  Dieu  du  monde,  vous 
ne  verrez  donc  plus  que  Dieu  !  Ce  soleil  vivant  vous  aurait 
dorée  d'un  rayon  ;  à  son  aimable  chaleur  auraient  éclos  les 
amours.  Or,  dans  le  monde  monarchique,  les  amours  font 
les  affaires  :  le  mari  eût  fait  fortune... 

La  noblesse  fut  vaincue.  Tous  les  honniusgens  se  firent 
catholiques.  Des  collèges  magnifiques  furent  ouverts  par 
les  Jésuites  à  la  jeune  noblesse;  les  enfants  des  princes 
eux-mêmes  s'y  assirent  avec  les  nobles.  Ces  princes^  élèves 
des  Jésuites,  Bavarois  et  Autrichiens,  vont  être  Tépée  du 
parti. 

Du  jour  cil  la  France  a  faibli  en  abandonnant  lltalie, 
Ferdinand  d'Autriche  exécute  chez  lui  l'opération  violente 
de  chasser  tous  les  protestants.  Persécution  que  l'empe- 
reur Rodolphe  commence  en  Hongrie,  en  Bohême,  et 
généralement  dans  l'Empire,  par  la  destruction  des  hauts 
tribunaux  qui  maintenaient  l'équilibre  entre  les  deux 
religions. 

Tous  les  princes  sont  tentés  par  les  domaines  proies- 


7i  a  KÉTASU«8XMnfT  MS  rtSOlTM. 

tantSy  ou  oenx  mâme  des  c&thoKques.  Le  pape  trouve 
bon  que  son  fitvori  le .  Bavaroie  s'approprie  les  biens  des 
couvents,  et  il  le  charge  de  corriger  et  de  stimuler  les 
éféques. 

L'artère  du  monde  est  le  Rhin.  Bade,  Ihyence,  Cologne 
et  Trêves^  les  évôchés  peu  éloignés,  Bamberg,  Wurtz- 
bourg  et  Paderbom,  avaient  chassé  les  protestants.  Mais 
la  grande  aiFaire  était  Clères,  la  porte  de  la  Hollande  et 
de  rAllemagne,  ce  bas  Rhin  commun  h  tous,  qui  touche 
■aux  trois  nations. 

Dès  4  598,  l'Espagne  s*y  était  jetée,  et  elle  n'en  fut  dis- 
traite que  par  le  long  stége  d'Ostende.  La  Sotlande  ne 
sauva  pas  cette  place.  Elle  s'épuisa  en  efforts,  et  chacun 
prévit  le  moment  où  la  France  serait  obligée  de  se  raettie 
de  la  partie,  de  soutenir  les  Hollandais^  ou  de  les  laisser 
périr,  ce  qui  livrait  rAUemagne,  avec  rAUemagne  l'Eu- 
rope. De  sorte  que  l'Espagnol,  ruiné,  séché  jusqu'à  l'os, 
un  squelette,  une  ombre,  se  fût  encore  trouvé  le  tmltre  à 
la  fin  et  le  vainqueur  des  vainqueurs. 

Donc,  on  regardait  Henri  IV,  et  tout  retombait  sur  M. 
Sa  tête  était  au  fond  Fenjeu  du  grand  combat  de  l'Europe. 

La  mort  de  Biron  lui  avait  causé  un  terrible  ébranle* 
ment.  L'on  se  demandait  deux  choses  : 

MowrraU'il  tMureUememf  Ce  n'était  pas  impossible. 
Dyssenterie  au  moment  fatal,  en  juillet  4(M2.  Mai  I6ft3, 
seconde  crise  de  rétention  d'urine.  Dyssenterie  en  sep- 
tembre, en  décembre  encore.  En  janvier  et  en  avril  4604, 
premières  atteintes  de  goutte. 

Mcurrait'il  moralement^  d'inquiétude  et  de  chagrin,  de 
tiraillement  intérieur?  La  conjuration  générale  de  bêtise 
et  de  bigotisme  vainorait-elle  cet  esprit  si  vif  et  si  résis- 
tant? 
« 

Il  semble  qu'il  flkt  alors  très-bas  et  très-aflEussé.  l'en 
juge  surtout  par  une  chose.  Sully  ne  parvenait  pas  à  lui 
iaire  comprendre  qu'Q  n'avait  à  craindre  jamais  une 


Li  BtriBUssEiiEirr  des  iésititbs.  T5 

alliance  du  parti  protestant  avec  l'Espagne.  Et  cependant 
visiblement  l'Espagne  devait  leur  faire  horreur.  L'avéne- 
ment  de  l'infante  Gaire-Engénie  à  Bruxelles  avait  été 
solennisé  par  une  femme  enterrée  vive.  Le  conseil  d'Es- 
pagne songeait  à  chasser  tous  les  Morisques.  La  seule  diffi- 
ealté  était  que  le  frère  du  premier  ministre,  grand  inqui- 
siteur, voulait,  non  qu'on  les  expulsât,  mais  qu'on  les 
passât  au  fil  de  Tépéè.  Or  c'était  un  million  d'hommes! 

L'Espagne  faisait  horreur.  Le  plus  suspect  des  protes- 
tants, le  plus  intrigant,  Bouillon,  n'osait  traiter  avec  elle. 
(De  Tbott.)  11  se  fât  perdu  chez  les  siens. 

€e  qu'il  feisait  réellement,  c'était  de  calomnier  le  roi 
dans  VEurope  protestante,  jusqu'à  dire  qu'il  méditait  avec 
le  pape  une  seconde  Saint-Barthélémy  <Lettres,  *VI,  p.  49). 
n  sollicitait  le  roi  d'Angleterre  de  prendre  le  protectorat 
de  nos  réformés.  Cela  troublait  fort  le  roi  et  le  rap- 
prochait des  catholiques,  le  faisait  même  falMir  dans  la 
question  des  Jésuites. 

Moment  d'obscurité  profonde.  Le  roi  ouvrait  le  bras  à 
l'ennemi,  favorisait,  sans  le  savoir,  le  grand  complot  fana- 
tique organisé  contre  lui-même.  Et  les  protestants  se 
déiSaient  du  roi,  qui  d^à,  dans  la  Bastille,  amassait  l'ar- 
gent, les  armes,  pour  la  grande  guerre  nécessaire  «u 
salut  des  protestants. 

On  ne  pouvait  agir  de  face  contre  un  homme  de  tant 
d'esprit,  mais  on  le  pouvait  de  côté  par  des  moyens  indi- 
rects. L'Espagne  trouvait  à  cela  d'admirables  facilités  ;  le 
conseil,  la  cour  était  espagnole.  Ce  n'était  pas  seulement 
des  Tilleroy,  des  leannin,  qui  discouraient  en  ce  sens, 
mais  les  gens  les  plus  innocents,  des  mondains^  des 
étourdis,  par  exemple  Bassompierre,  le  galant  colonel  des 
Suisses.  La  reine,  au  lit  même  du  roi,  grondait,  pleurait 
pour  rfispagne,  pour  ^alliance  espagnole,  pour  le  double 
mariage.  Et,  si  le  roi  se  sauvait  chez  sa  Française,  Hen- 
riette, il  y  retrouvait  l'Espagne;  Henriette  voulait  fj 


76  LE  RÉTABLISSEMENT  DBS  JBSOITES. 

réfugier,  si  le  roi  venait  à  mourir.  Donc  l'Espagne  en 
tout  et  par  tout  ;  on  la  sentait  de  tous  côtés,  on  la  respi- 
rait. Ou,  si  ce  n'était  pas  elle,  c'était  la  Savoie,  plus 
adroite,  une  sorte  d'Espagne  française  par  où  le  poison 
arrivait. 

Au  moment  oii,  de  la  Savoie,  partait  un  agent  secret 
qui  devait  travailler  les  Guises,  un  Savoyard,  très-aimable, 
l'insinuanti  le  charmant  François  de  Sales,  venait  prê- 
cher devant  le  roi. 

Celui-ci  n'était  pas  Jésuite.  Son  maître,  le  P.  Posse- 
vino,  le  grand  diplomate  de  l'ordre,  avait  senti  qu'il  ser- 
virait bien  mieux  les  Jésuites  en  ne  Tétant  pas.  Leur  but 
alors  étant,  comme  je  l'ai  dit,  de  s'approprier  la  noblesse, 
il  leur  fallait  des  gentilshommes  à  eux,  qui  eussent  les 
grâces  et  l'élégance  mondaines.  Tel  était  François  de 
Sales,  blond  de  barbe,  de  cheveux,  d'un  sourire  d'enfant, 
avec  un  charme  féminin  qui  allait  surtout  aux  dames,  qui 
ravit  la  cour,  le  roi.  Le  Crucifié,  dans  ses  mains,  perdant 
toutes  ses  terreurs,  devenu  gai  et  aimable,  n'aimant  qu'oi- 
selets, fleurettes  des  champs,  avait  pris  la  gentillesse  du 
rusé  petit  Savoyard. 

Ce  n'était  pas  Possevino,  un  pédant  baroque  (à  en  juger 
par  ses  livres),  qui  avait  pu  faire  ce  charmant  disciple. 
C'était  la  cour,  c'étaient  les  femmes,  la  douce  conversa- 
tion des  Philothées  et  des  Chantai.  C'était  la  camaraderie 
de  l'aimable  auteur  d'Astrée^  le  sire  d'Urfé,  ex-amant  de 
Marguerite^  réfugié  en  Savoie,  qui,  d'après  les  Espagnols, 
faisait  son  roman  de  bergers. 

Le  confesseur  de  madame  de  Chantai,  fort  jaloux,  dit  de 
saint  François  :  «  Ce  berger.  »  Et,  en  effet,  ses  sermons, 
ses  petits  livres  dévots,  sont  des  Àstrées  spirituelles,  des 
bergeries  ecclésiastiques. 

Le  roi,  enchanté  de  voir  une  dévotion  ai  gaie,  si  peu 
exigeante,  en  contraste  si  parfait  avec  le  sombre,  la  roi- 
«deur  des  huguenots,  inclina  fort  de  ce  côté,  et,  sous  cette 


us  RtfABLISSBIlENT  DBS  JÉSUITES.  77 

séduction,  se  trouva  tout  préparé  à  laisser  rentrer  en 
France  les  maîtres  du  doux  prédicateur. 

A.U  voyage  qu'il  fit  à  Metz,  en  4603,  la  Yarenne  lui 
présenta  les  Jésuites  de  Verdun,  qui  le  prièrent  de  réta- 
blir un  ordre  pauvre,  disaient-ils,  modeste,  et  surtout 
point  intrigant.  Le  roi  dit  avec  bonté  que,  de  retour  à 
Paris,  il  aviserait.  Tout  solliciteur  a  besoin  de  suivre  son 
juge  ;  ils  obtinrent  que  deux  seulement,  deux  humbles , 
deux  tout  petits  Jésuites,  les  pères  Ignace  et  Cotton,  sui- 
vraient raffaire,  et  par  conséquent  accompagneraient  le 
roi.  Il  consentit.  Cotton  s'attachaJi  luiet  ne  le  quitta  plus 
jamais.  Jamais,  quand  il  l'eût  voulu,  il  n'eût  pu  arracher 
de  lui  ce  lierre  tenace,  ce  plat,  froid,  indestructible  lichen, 
qui  semblait  collé  à  lui.  Il  s*en  moquait  tout  le  jour,  mais 
ne  le  traînait  pas  moins.  Controversiste  ridicule  et  prédi- 
cateur grotesque,  il  était  admirablement  choisi  pour  un 
roi  rieur.  C'était  un  trait  de  génie  d'avoir  mis  chez  lui 
pour  espion  un  fourbe  sous  la  figure  d'un  sot. 

Voilà  l'humble  commencement  de  cette  grande  dynastie 
de  confesseurs  du  roi,  qui,  sous  la  Chaise  et  le  Tellier, 
finiront  par  gouverner  la  France. 

Le  roi,  au  retour  de  Metz,  fut  malade  deux  fois,  coup 
sur  coup,  en  un  même  été.  En  septembre,  étant  à  Rouen, 
les  huîtres  normandes  lui  rendirent  son  flux  de  ventre.  Il 
était  faible,  et  isolé,  la  cour  ne  l'ayant  pas  suivi.  Mais 
Cotton  et  la  Varenne  ne  le  lâchaient  pas.  Ils  tirèrent  de 
lui  le  rétablissement  des  Jésuites. 

Sully  assure  qu'Henri  IV  lui  avoua  qu'il  ne  se  décidait 
à  cela  que  pour  sortir  des  angoisses  oii  le  tenait  constam- 
ment la  peur  de  l'assassinat,  «  vie  misérable  et  langou- 
reuse... telle  qu'il  me  vaudroit  mieux  être  déjà  mort.  » 

Tels  ils  furent  reçus,  tels  ils  se  maintinrent.  Et  c'est, 
selon  Saint-Simon,  la  raison  même  que  le  plus  doux  des 
Jésuites,  le  P.  la  Chaise,  donnait  en  mourant  à  Louis  XIV, 
pour  qu'après  lui  il  pilt  toujours  un  confesseur  jésuite  : 


78  LB  RtTÀBLIS^BMEMT  DES  JÉSUITES. 

c  Dans  toutes  les  compagnies  il  y  a  de  mauvais  sujets... 
Un  mauvais  coup  est  bientôt  fait,  »  etc. 

Ce  qui  ne  les  aida  pas  peu,  c'est  qu'ils  persuadèrent  au 
roi  que  l'Espagne  les  persécutait,  et  qu'ils  n'avaient  que 
lui  de  protecteur  au  monde.  Cela  le  toudia.  11  les  reçut  à 
bras  ouverts,  et  leur  dit  ce  mot  étonnant  :  «  Aimez-moi, 
car  je  vous  aime.  » 

Pour  rentrer,  ils  s'étaient  faits  sveltes,  nrinces  et  bien 
petits.  Il  leur  suffisait  d'une  fente.  D'abord,  point  de  con- 
fession, à  moins  que  les  évéques  ne  les  y  forçassent. 
C'était  asseï  que  Cotton  Uki  auprès  du  rou 

Ils  étaient  hommes  de  collège,  voués  tout  à  fait  aox 
enfonts,  n'aimant  que  l'enfance.  A  la  Flèche,  ils  se  chan- 
geaient de  leur  enseigner  le  latin,  laissant  le  roi  y  ajouter 
tout  l'enseignement  mondain  du  siècle,  quatre  prof^seurs 
de  droit  et  quatre  de  médecine,  deux  d'anatomie.  Les 
Jésuites  n'avaient  aucun  préjugé.  Les  bénéâees  du  c<rflége 
devaient  s'employer  à  doter  chaque  année  douxe  pauvres 
filles,  innocentes  et  vertueuses. 

Tout  ce  que  leur  reconnaissance,  leur  tendresse  pour 
le  roi,  leur  faisait  demander,  exiger  de  lui,  c'était  son 
cœur  qu'ils  voulaient  voir  à  jamais  dans  leur  église. 

Après  sa  mort,  bien  entendu.  Et  celui  des  rois  et  des 
reines,  à  jamais^  voulant  être  un  ordre  essentiellement 
royaliste. 

Accordé.  Les  gallicans  mêmes,  des  hommes  du  Parle- 
ment (par  exemple,  le  greffier  Lestoile),  se  radoucirent 
un  peu  pour  eux,  trouvant  les  sermons  de  Cotlon  doux, 
modestes,  modérés,  pacifiques  et  pas  trop  dévots,  enfin 
d*an  homme  du  monde. 

Ce  qui  toucha  fort  Paris  pour  ce  pauvre  père  CoCton, 
€*esl  que,  revenant  le  soir  dans  le  carrosse  de  la  Tarenne, 
il  y  iul  assassiné.  Par  les  huguenots  sans  doute?  Ce  fitt  le 
cri  généraL  Mais  qu'y  auraient-ils  gagné?  Cotton  mort^ 
on  n'aurait  pas  manqué  de  Jésuites  amsi  saints  et  auasî 


LK  RÉTABLISSEMENT  DBS  JÉSUITES.  79 

savants.  Quoi  qu'il  en  fût,  heureusement  le  ciel  avait 
veillé  sur  lui;  l'assassinat  se  réduisit  à  une  invisible  écor- 
chure,  que  ces  méchants  huguenots  crurent  qu*il  s'était 
faite  lui-même. 


CHAPITRE  VII 


Lo  roi  se  rapproche  des  protestants,  leur  accorde  le  temple 

de  CbarentOD.  ieH)i-i606. 


Richelieu  nous  a  tracé  de  main  de  maître  le  portrait  du 
créateur  originaire  de  sa  fortune,  qui  fut  son  prédécesseur 
dans  les  affections  de  Marie  de  Hédicis,  du  sîgnore  de 
Concini.  Concini  succédait  lui-même  à  ces  cousins  de  la 
reine,  lesOrsini,  ses  premiers  cavaliers  servants.  Il  rendit 
au  roi  le  service  de  les  supplanter.  Un  homme  de  sa  con- 
dition était  moins  embarrassant,  et  pouvait  servir  la  reine 
avec  moins  d'éclat  et  de  bruit. 

Concini  était  né  en  pleine  cour,  fils  du  ministre  diri- 
geant de  Côme  de  Médicis,  mais  cadet,  troisième  cadet, 
d'une  maison  qui  n'était  pas  riche.  Il  avait  eu  force  aven- 
tures, prison,  fuite  et  bannissement.  11  avait  été  domes- 
tique du  cardinal  de  Lorraine;  mais  c'était  un  homme 
charmant,  un  rieur,  un  beau  joueur,  un  élégant  cavalier. 
La  triste  Léonora,  si  disgraciée  de  la  nature,  avait  cepen- 
dant osé  regarder  le  brillant  jeune  homme.  A  leur  départ 
de  Florence,  elle  l'aida  de  quelque  argent;  et  l'usage 
qu'il  en  fit,  ce  fut  d'acReter  un  cheval  de  deux  mille  du- 
cats, qu'il  eut  l'impertinence  de  donner  à  Henri  IV. 

Ce  petit  fait  peint  l'homme  de  la  tête  aux  pieds.  Il 
n  était  que  vanité,  folie,  insolence.  Il  passait  tout  le  jour 


u  Ml  €1  BAmocn  m  ftonsTAiiTS,  irc.        ftl 

an  jea  comme  wi  grand  sisigiiaiir.  Il  phii  d'aatant  plus  à 
la  reine,  qui  le  maria  à  «a  Léooora,  afin  de  le  pooYoir 
guder.  Avec  cet  arrangement,  Marie  de  Mëdicia  pot  être 
sévère  à  son  aise,  jalouse  de  son  mari,  inexorable  et  ter- 
rible pour  la  régolârilé  de  sa  maison.  Due  de  ses  filles 
ajmt,  la  nuit,  reça  un  amant  qnt  se  sanva  en  chemise,  la 
raine  exigea  qne  le  roi  le  ftt  condamner  à  mort  (par  con« 
tmnaee  henreosonent) . 

Lionora,  modeste  et  sage,  n'anrait  risé  qu*à  l'argent. 
Ha»  Goncini,  un  (at,  un  fou,  avec  ses  goûts  de  grandeur, 
ne  pouvait  manquer  de  suivre  le  vent  de  la  cour,  qui  était 
toot  à  l'Espagne.  Le  grand-duc  de  Florence,  son  mettre» 
s'était  refait  Espsgnol.  Ihrie  de  Médicis  ne  rêvait  que  le 
double  mariage  espagnol,  qui  était  aussi  toute  la  politique 
de  l'anden  ligueur  Villerof . 

Un  commis  de  Villeroy,  qui  déchiffrait  les  dépêches,  en 
donnail  copie  à  Madrid.  Goncini  communiquait  par  une 
voie  plus  détournée,  par  l'ambassadeur  du  grand-duc 
auprès  de  Philippe  III;  ses  lettres  passaient  par  Florence, 
pour  être  envuifées  à  Madrid. 

Le  roiavaît  ainsi  l'Bspagne  tout  autour  de  hii,  chez  lui. 
En  avril  4605,  il  apprit  Taffiire  du  commis,  que  Viileroy 
laissa  fuir,  et  qu'on  trouva  dans  la  rivière,  non  pas  noyé, 
mais  étrange. 

Et,  an  même  moment,  un  coup  plus  sensible  lui  était 
porté.  Les  Espagnols  avaient  gagné  Entragues,  le  père 
d'Henriette,  et  son  frère,  le  comte  d'Auvergne,  déjà  mêlé 
à  Tafliire  de  Kron. 

Elle-même  étatt^elle  innocente?  Son  père  disait  oui,  son 
frère  disait  non. 

La  taule  en  était  au  roi,  qui  n'avait  pas  su  prendre  un 
parti  avec  elle,  et  l'avait  exaspérée. 

La  reine,  pour  faire,  digérer  son  nouveau  cavalier  ser* 
faut,  avait  trouvé  bon  qu'Henriette  eût  un  logement  dans 
le  Louvre.  Mais  celle-ci  croyait  qu'elle  ne  la  souflirait  \k 
XI.  S 


c}ue  pom  la  ii1vetlipr:uiiiDaliiu  Blb.aRr8itrpriétie>Boi  de  b. 
marier^  oil  d6  la  laisaar  paftir.  Il  sa  fakail  «i  l'u»  ni 
rautrav  lui  disait  4|U'il  k  maiâttaH»  efcge  ëépîtaàt  catter 
cUe  qaand  atle  chériiiaiiim  mdri. 

a  la  relefaii^  il  la  fabaitaait.  Il*  ttcûiulaiaftiîl  mm  tfSv 
qu'elle  apjpdaiimoa  Ikmpkin.  il  ne  poiKvaii  se  pàsaer  d'riii^ 
et  il  empioyail  rkonmid  te  plua  gravie  du  rofauna^  Sally, 
à  négocier  avec  elle  dans  leurs  brontllema.  tloe  kattra. 
d*Heorkita  à  Sully  iadiquo  qua  c'était  iuslemtfil  lAors 
qu'il  était  plus  amoureux  et  d'une  impatiente  exigeoce. 
Elle  étaii  tièro  et  réifolté^  d'avoir  à  m  soumettre  aiaai.  De 
plus  en  plua,  elle  songeait  à  fuk  en  Espsgna,  et  aUe  wtra 
dans  les  projets  de  son  père  et  de  son  finëfe. 

Qu  elle  ait  eu  dès  4604  l'iéée  de  t«er  le  coi.  cpa'elle  ail 
su  le  fond  du  complot;  je  ne  le  crois  paa.  Mai&caataine- 
ment  eUe  voulait  enlever  son  fils  ea  Espaga^,  et  le  oaatfli- 
tuer  Dauphin  coolre  le  Daupbia  aaae  l'appui  dea  Mê^ 
pagiuils* 

deux-ei,  ^  B'aa  pouvaiaiit  fiair  avee.  le  gisari  aîaga. 
d'Osteude  depuis  trois  années»  avaieit  meaté  deiia  oaa^ 
ehiaes  «pii  las  aarawiii  débanaaais  d»  ésox  appua  da  la 
HoUande.  d  lleftri  IV^  de  Jacfues  VL. 

Contre  la  premier,  da  famenlèreai  ia  aoaiplal  tPJbt' 

OaiMMra  la  saoend»  ib  aoaueiUiraal»  aHaNsiagarait  Ils- 


Le  rv>i«  p%.Hir  être  plus  ferme  contre  Hiiuiliw  daaace 
pi^>è$^  av)ik  ptki  uma  aalra  maSyKasa,  phis  halla» 
iiKù$«>Ik'  de  BeuiL  qu'd  dota,  titra  à  ^r&nd  brait,  ai  fi 
taasiàda  lUr^  Mais  ceUe-«t  u'eteit  (fm*«a «arpacL^ 
était  une  àin^.  ui;il:^ni^  ai  aiechaasa»  d  ess  vai,  mm^  «aa 
iaiiai'»fiii>i&ea»^eiita*t$a|WMaHMacs^Seiipiseyasptes^ 
ftwm  <eaAniMiiiM>:  eai  aa^nayiit  de  l^nénav  ai  de  la» 
4lat  a«l  euMUs..  BW  w  a  eAnm  psa.  Efts  di( 


um  AfiQOflM*ii  imrfjtDe  csABmrrm.  SB 

l^rtvemenfc  qu'elbi  àvttt^ptfomosse^u  roi»  et  qto  sa»  evfaals 
étaient  les  seuls  légitimes;  que,  du  nitfe^,  n'ayutrietsB, 
•elle  na  damMudait  que  tmacbesos  :  pardon  p6«r  flon  père, 
^ne  corde  pour  son  &ère>  et  justioe  pour  eUo. 

Le  roi  gracia  le  pèra,  enferma  le  Crëre,  et  eUe,  Téloigna 
-un  mMnent  ihia  il  la  At  rorenir.  Insigne  ioi^iidfioce. 
EsamUiée,  et  sabissant  et  cette  gràee  et  ttt  amour,  désor- 
mais insupportable,  elle  devint  tout  à  fait  pcPTome  et  très- 
4aBgcf»a$6, 

IhMis.  Mlle  enifilk  affaim,  il  avait  aen ti  au  MMir  la  pokile 
du  poignard  eqpigainl.  On  rajvait  pris  par  sa  malteesse. 
Os  eberoha  une  auti»  onverton,  «a.  flÉAoBpMt  de  lui  dtèr 
aoo  grand  servitei»  Sully. 

Celui-ci  venait  de  pceadra  wie  gnvti  ioHiatrvau  M  m 
voyail  au  plus  haut  daM  k'amîlié  de  aoa  afiattre.  U  avait 
reçu  de  Imeonune  un  nanvean'ininistère,  la  sunreiiiaiieB 
dea  aflbîrea  éttaifgèrea  at  da  trèBr^Gaspeot  Vilitaoy*  (Lêù- 
We$^  Vi,  953«)  {1  vit  i|ae  le  roi  ne  pouvait  tarder  à  se  mtfcr 
directement  de  la  BoHaDde  et  du  Hhin  po«r  la  suceessioii 
de  Glèves  :  done  qu'il  aeraîÉ  obligé  de  revenir  aux  ppoées- 
4ant9.  Lol^^mâoie,  qui  léa  avait  font  naiéaoalenté^  sa  rap  - 
pirocha  d'eux.  La  mort  de  la  TrémouiUe,  «elai  de  lews 
4Aeb  qu'aimait  le  moins  Henri  IV,  permettait  la  rappro- 
cfaemenl.  Sully  maria  une  de  ses  iUlas  à  un  protesiaut 
illustre  et  le  chef  futur  du  parti,  la  jeune  due  de  Rohau. 
(43  février  4605.) 

Cela  eut  eiel.  EiL  un  aooine,  ehargé  d'eapfanner  les  gens 
qui  se  readaieet  aulemple  d'Àhlen,  d'eapieu  se  fit  i^rosé- 
lyte«  jeta  le  firoe,  et  tout  haut  sa  déclara  firotostant* 
De  là  un  curieux  duel  entre  Sully  et  Gotton* 
GoUmi  lâchait  de  la  noircir,  et  toute  la  cour  aidait  à  la 
ealoomie.  On  parvint  k  ialre  naître  entre  lui  et  le  roi  un 
ipetit  nuage  qui,  lieureusemosl  pour  la  France,  se  dissipa 
an  moment  même.  Lonque  déjà  on  croyait  Sully  disgra- 
cié aeas  remède,  le  roi  lui  ouvrit  les  bras.  Il  faut  IIm  dans 


84  LE  ROI  SS  RAPPROCBB  WS  FROTIfiTAliTS^ 

les  Œcùfiomies  cette  scène  touchante  dont  on  a  tant  parié 
et  qui  a  passé  en  légende. 

Par  représailles,  Sully  surprit,  montra  et  publia  une 
pièce  secrète  où  Cotton  avait  écrit  les  questions  qu'il  de- 
vait adresser  au  diable  qu'une  possédée  faisait  parler. 
Pièce  qu^on  trouva  ridicule,  mais  que  nous  trouvons  tra- 
gique, en  y  voyant  certains  noms  qui  vont  se  représenter 
à  la  mort  du  roi. 

Sully,  dès  lors  se  constituant  avocat  des  protestants,  se 
rendit  lui-même,  comme  gouverneur  du  Poitou,  à  leur 
assemblée  dé  Cbàtellerault.  La  confiance  se  rétablit.  Il  leur 
dit  que,  s'ils  tenaient  à  leurs  méchantes  petites  places  qui 
n'auraient  pu  se  défendre,  on  les  leur  laisserait  quelque 
temps  encore.  D'autre  part,  les  protestants  le  reçurent  à 
la  Rochelle.  Les  portes  lui  en  furent  ouvertes,  quoiqu'il 
eût  avec  lui  une  petite  armée,  de  douze  cents  chevaux. 
Ces  excellents  citoyens,  et  les  meilleurs  de  la  France,  qu'on 
disait  amis  de  l'Espagne,  ne  pensaient  qu'à  lui  faire  la 
guerre.  Us  régalèrent  Sully  d'un  combat  naval  où  vingt 
vaisseaux  fleurdelisés  battaient  vingt  vaisseaux  espagnols. 

Sully,  désormais  bien  sûr  qu'ils  ne  soutiendraient  pas 
Bouillon,  donna  au  roi  l'excellent  conseil  de  venir  lui- 
même  en  Limousin  et  en  Quercy.  Il  y  vint  avec  une  ar- 
mée (sept.  4605),  mais  elle  fut  inutile.  Bouillon  avait  donné 
ordre  qu'o'b  ouvrit  les  places  au  roi.  Une  enquête  contre 
les  agents  de  l'Espagne,  qui  voulaient  lui  livrer  des  villes, 
Marseille,  entre  autres,  révéla  des  coupables,  mais  géné- 
ralement catholiques.  La  grande  masto  protestante  était 
loyale  et  dévouée.  Revoir  leur  roi  de  Navarre  après  tant 
d'années,  retrouver  vieillie,  blanchie,  la  téie  chérie  des 
anciens  jours,  le  camarade  des  souffirances,  des  misères 
et  des  combats,  ce  fut  un  attendrissement  universel.  Les 
Rochelois  vinrent  lui  dire  qu'il  ne  passftt  pas  si  près  sans 
les  visiter;  qu'il  vint  avec  son  armée;  que  toutes  les  portes 
lui  seraient  ouvertes  ;  que,  si  elles  n'étaient  assez  larges, 


ils  abattraieat  encore  trois  cents  toises  de  mur.  c  Voas  les 
entendez?  »  dit  le  roi  à  toute  la  cour.  Et  alors  il  les  em-* 
brassa  par  trois  fois  en  versant  des  larmes» 

Second  jour  d'unanimité,  dans  ee  pays  si  divisé.  Je 
compte  pour  le  premier  jour»  non  moin^  mémorable,  celui 
où  l'armée  d'Henri  III  et  celle  d'Henri  de  Navarre,  la  ré-* 
Coimée,  la  catholique,  en  juin  4589,  s'étaient  reconnuesi 
embrassées. 

Le  roi  avait  pu  reconnaître  quels  étaient  véritablement 
ses  amis,  ses  ennemis,  et  combien  toutes  ses  faiblesses 
pour  ceux-ci  étaient  inutiles*  Il  ^tait  à  peine  revenu  à 
Paris,  qu'on  apprit  (novembre  4  605)  l'explosion  la  plu^ 
terrible,  le  complot  le  plus  scélérat,  dont  il  y  ait  eu  Jus^ 
que-là  exemple,  de  mémoire  d'homme. 

Rien  n'apaisait  les  fanatiques,  nulle  concession  ne  suffis 
sait.  Us  étaient  divisés  entre  eux.  Pendant  que  les  doux^ 
les  patients,  les  rusés,  vous  caressaient,  pendant  qu'jon 
François  de  Sales  charmait  et  touchait  le  cœur,  un  Parson, 
ou  un  Garnet,  pouvait  vous  frapper  par  derrière. 

Les  percées  hardies,  violente^»  que  faisaient  les  impa* 
tients,  trahissaient  leurs  souterrains.  Leur  Sigismond  III 
(de  Pologne),  emporté  par  les  Jésuites,  perdit  ainsi  la 
Suède.  Leur  jeune  Ferdinand  d'Autriche  et  les  princes  de 
sa  famille  poussaient  les  choses  si  vite,  que,  de  Bohême; 
de  Hongrie,  de  Moravie,  on  regardait  vers  la  FrancSi  et 
Ton  préparait  un  soulèvement.  Venise  se  plaignait  d'avoir 
une  inquisition  jésuitique,  plus  redoutable  déjà  que  l'In- 
quisition d'État.^  De  partout,  un  cri  s'élevait  :  c  L'Europe 
^t  minée  en  dessous.  » 

Ils  protestaient.  Plusieurs  même,  comme  Cotton,  sem- 
blaient des  simples,  des  crédules.  Pendant  qu'on  en  rit,  la 
nouvelle  se  répand  que  ces  doucereux  personnages  ont 
voulu  faire  sauter  le  roi  d'Angleterre,  sa  cour,  tout  le  par- 
lement • 

Les  Jésuites  jurèrent  que  la  conspiration  était  puritaine. 


M  4K  Kl  fti  BiiMKMMi  DM  «MMST. 


H  falMt,  potMT  eroiré  cela,  toft  piirililMél«Dt4é|à  i6  ntmi^ 
bTMx  au  Pariement)  Bdinettire  que  cet  sectaires  imitfni 
conspiré  pour  se  UAt&  sMtaf  wanutum. 

Les  pfttritaifii,  giwd  ffêtii,  qsi  wnâetkt  pmt  «irièfe- 
gftfde  toni  le  royaume  d'ficosîn,  «tqui  s»  voyiittHt  défor- 
mais aesaréft  dat»  le  Parlemeartf  n'àvataii  que  faire  d'n 
tel  erime.  CTëtatt  trop  ehiiNMiietit  ra«ttt  désespéré  tl^me 
minorité  minime  que  le  roi  avait  sottement  flattée,  etqvi, 
trompée  dans  ses  espératces,  ensiyaîi  emiper  d*«ii  seul 
coup  la  tète  de  TAngleter^e,  puis  régner  par  ies  E^gnois. 

Le  chef  réel  de  Taffisire,  Gartiei,  supérieur  des  Jésiniesi 
ne  fot  point  mis  à  la  torture;- le  soi  kflt  bien  tmiter*  Il 
nia»  puis  aroua  ;  mais  lA  etteore  il  se  coupait,  dlsaiit  qu'il 
avait  su  la  chose  mcâf^fêsfkm;  et^  plus  tard,  H  dit  i^rs-de 
tfmf^êêïon.  Quromqde  lira  son  pmcèe  {Sum  trkuki  I, 
S47-*840)  dim,  non  qu'il  fcl  eempHee)  iftaisqu'R  ftit  l'Ame 
vnAme  ^  la  «wnspiratioii. 

Le  monde  Ait  sttipéRé.  On  disoutail,  CfR  tfttaqmtt  Ma^ 
riana,  sa  théorie  sur  le  droit  de  loer  les  rois.  Ici  Ja  prsfti(|iie 
allaii  bien  autrement  loin.  11  s'agissait  d'anéaotirîndiètinc- 
Irnnent  le  roi,  les  princes,  te»  paitts^  les  oemnaiines,  les 
«ssSsiants,  tovt  ce  qu'ii  y  avait  de  oeiisidéMMe  dans  le 
pays;  ttAn,  pour  ainsi  parler,  4e  faire  saoter  tMtrn 
fteupie. 

Il  y  atait  tant  de  poudre  entassée  sous  la  salle  de  West- 
minster, qu^avec  le  palais,  sans  nul  doute,  toute  oeite 
partie  de  Londres  eM  sauté  en  l'air. 

Henri  IV  vit,  je  cix>is,  dès  lors  plus  clair  dttis  sa  fi«ltta« 
lion.  En  janvier  1606,  il  dit  toute  sa  peneée  à  Sully  :  Pré« 
psrer  la  grande  guerre,  en  divisant  Pennemi.  Hais  avant 
tout  il  fdilait,  en  France  même,  arracher  Tépine  qui  res« 
lait  encore,  r<^d«ire  le  duc  de  Bouillon. 

Le  rot  alla  k  lui,  avec  une  armée,  mais  t  es  liras  nu*^ 
verts.  »  Pas  un  protestant  ne  le  défendit.  En  reyanehe,  les 
mnemts  de  la  Franet\  les  bons  amis  de  l'Bapatgne,  la  terne,. 


^IfRoy^lMa  les  gruods  seif  qevr»  con&^îUmni  do  la  no(é<- 
nager.  Le  roi  le  fit  en  effet,  se  contentant  d'oQCi»|»er  Sedan 
picMfieqaaIre  ans,  par.uik  gouveraei»  lunguenot. 
:  BimÏUqii  était  fitti,  perdu,  surtout  dans  ropinion*  ayant 
démonti  sa  réputation  .  de  prévoyance,  ayaoi  môsérable^ 
jnmit  livré  ses  amis»  11  ne.  xteatautamaa  des  grands  qui  pftt 
aérieuaeBieiiA  résister. 

Maïs,  d'autant  plus  violedusent  reve&ail'Oii  aux  moyens 
du  fiioaiisne  populaire.  Il  se  trouvait  à  chaque  insAantdaB 
lotis  poor  tuer  le  roi.  Un,  tout  à  fait  aliéné,  raarrôta  sur  le 
poBi  Neuf,  le  tira  par  aan  .manteaii  ai  le  cintsoua  le  poir 
gnard.  Un  autre,  un  fou  béarnais^  se  mit  à  préekçr  sur  las 
plaeea  aanlre  las  huguenots.  Des  batailles  eonoBt  lieu  da^ 
Paria,  et  mm  sans  mort  d'hoiMM,  antre  les  deux  oommah 
nions.  Un  protestant  fut  attaqué  et  iufé  aur  le  chemin 
d'Âblon. 

Toui  neki  ne  pouvaiA  étonner,  quand  on  enteodaît  les 
sermons  violents,  lactieuiL,  assaasinSf  qu'où  faisait  eontne 
le  roi,  tout  eomtne  aux  temps  de  la  Ligue.  De  n^nibrenK 
eon^enta  surgissaient»  foyers  ardents  de  fanatisme,,  puis- 
santes macbiûes  à  faire  des  fous. 

Toutes  les  formes  de  la  péniteneefujrant  étalées,. afli^ 
chéea.  lies  Piepus,  les  Récoltets,  le» Augustins  déchaussés, 
les  Fràfes  de  la  oharité  (pour  la  caplattof»  dea  naïades), 
a'élablirent  i^tout  à  Paris,  soua  la  protaotion  dea  reines, 
de  Marguerite  et  de  Mmo  éè  Alédieis.  Le  â4  aoùft  IM», 
jour  même  de  la  Saint -Barthélémy,  ïm  princesses,  en 
grande  pompe,  menèrent  les  Garaaéliiaa  à  leur  célèbre 
aamvént  de  la  me  dfEnfèr^  réoale  de  Textaee  espagnole, 
fni  pulltthi  tellement)  que  cette  maison  jd'Ënfer  engendra 
aoîxanto-denx  maisons  qui  couvrireai  toute  la  France. 

Sn  jnillei  4606,.  autre  scèa/s^  et  plus-  dramatique.  Las 
Capucines  furent  menées  parmadama  de  Meroœur eiaatres 
prinaasaaa  de  Guisav  à  trave»  tout  Paris,  de  la  Roquette 
è  la  me  Saint<-Hoaoré  (la  future  place  Yenddrae).  N^i^pieds , 


88       LE  ROI  SS  RAFPROCflB  DSS  PROTSSTINTS, 

couronnées  d'épines,  ces  filles  de  la  Passion  émurent  vi- 
vement le  public. 

Ce  spectacle  de  cinq  ou  six  femmes  vouées  à  la  vie  la 
plus  dure,  à  une  mort  anticipée,  faisait  dire  aux  exaltés  : 
TK  A  quel  degré  donc  est  montée  l'abomination  publique, 
-qu'il  faille  une  telle  expia^on?...  Pourquoi  laisse-t-on  si 
longtemps  vivre  Tanathème  au  milieu  de  noua?  »  Ainsi  la 
pitié  tournait  en  colère,  arrachait  des  larmes  de  rage;  et 
<;es  larmesy  adressées  au  ciel,  demandaient  l'assassinat. 
'  Le  roi>  devant  ces  fureurs  ascétiques  et  monastiques  de 
gens  qui  se  frappaient  eux-mêmes  dans  Tespoir  de  le 
frapper,  fit  une  chose  courageuse,  que  lui  demandait  Sully 
depuis  près  d'un  an.  Il  mit  le  temple  des  réformés  à  deux 
lieues  de  Paris,  le  transportant  d'Ablon,  distant  de  cinq 
lieues,  à  Charenton,  c'est-à-dire  presque  aux  portes  de  la 
grande  ville. 

On  ne  peut  se  figurer  quelle  fut  la  violence  des  résis- 
tances. On  fit  réclamer  le  seigneur  du  lieu,  et  il  s'ensuivit 
un  procès  qui  dura  soixante  années.  Sans  en  attendre 
l'issue,  on  fit  arriver  au  roi  d'aigres  et  menaçantes  plaintes; 
l'Ëdit  de  Nantes,  disait-on,  n'avait  autorisé  le  temple  qu'à 
quatre  lieues  de  Paris.  «  Eh  bien,  dit  le  roi  gaiement, 
qu'on  sache  que  désormais  Charenton  est  à  quatre  lieues.  • 

Alors  on  essaya  de  la  violence  populaire,  des  batteries, 
des  coups  de  bâton.  Mais  le  roi,  sur  le  chemin,  fit  mettre 
une  belle  potence,  qui  avertit  suffisamment,  et  l'on  n'eut 
besoin  d'y  pendre  personne. 

Ce  simple  rapprochement  du  Temple,  mis  si  près  du 
centre,  presque  dans  Paris,  le  prêche  en  ce  lieu  sonore, 
d'où  tout  retentit  en  France,  l'éloquence  austère  des  mi- 
nistres, en  face  des  échos  de  la  Ligue,  des  sermons  en 
calembours,  en  rébus,  en  madrigaux,  où  brillait  l'esprit 
des  Jésuites,  ce  fut  un  grand  coup  de  parti. 

Chacun  se  tint  pour  averti.  Quoique  le  roi  continuât  un 
simulacre  de  bascule,  on  vit  bien,  dans  les  grandes  choses. 


LBUR  ACCORDE  Ut  TBMPtB  DE  CHARBMTON.      89 

qu'il  inclinait  aux  protestants.  Personne  ne  fut  élonné 
lorsque,  peu  après,  il  entraîna  l'Angleterre  dans  un  traité 
où  les  deux  puissances  couvraient  définitivement  la  Hol- 
lande de  leur  garantie. 

Les  protestants,  un  à  un,  lui  revinrent,  et  d'Aubigné 
même. 

La  guerre  d'Espagne,  raffranchissement  des  consciences, 
la  liberté  religieuse  de  l'Europe  que  pouvait  fonder 
Henri  IV,  c'était  l'idée  nouvelle  du  temps.  C'est  celle  qui 
lui  ramena  l'intraitable  d'Aubigné,  et  le  jeta  dans  ses 
bras  : 

<  Je  me  rendis  à  la  cour,  oii  le  roi,  sous  prétexte  de  me 
charger  de  l'inspection  des  joutes,  me  tint  deux  mois  sans 
me  parler  de  ce  qu'il  avoit  sur  le  cœur.  A  la  fin,  comme 
j'entrois  avec  lui  dans  un  bois  où  il  alloit  chasser,  il  me 
dit  :  c  D'Aubigné,  je  ne  vous  ai  point  parlé  de  vos  assem- 
blées, où  vous  avez  pensé  tout  gâter,  parce  que  vous  étiez 
de  bonne  foi,  et  que  j'étois  sûr  qu'il  ne  se  passeroit  rien 
contre  ma  volonté.  Un  des  vôtres,  et  des  meilleures  mai- 
sons, ne  m'a  coûté  que  cinq  cents  écus.  Que  de  fois  j'ai 
dit,  en  vous  voyant  si  rétif  : 

«  Oh  t  qae  si  ma  geut  eût  ma  yoix  oui, 

«  J'eosie  ea  moins  de  rien  pu  yainere  et  défaire,  etc.  • 

«  Je  répliquai  :  «  Sire,  je  savois  tout.  Mais,  nommé  par 
€  les  Ëglises,  j'ai  cru  devoir  les  servir,  d'autant  plus 
c  qu'elles  étoientplus  abaissées...  »  Le  roi  m'embrassa  et 
suivit  sa  chasse.  Mais,  courant  après  lui,  je  lui  dis  :  «  Sire, 
c  en  regardant  votre  visage,  je  reprends  mes  anciennes 
«  hardiesses.  Défaites  trois  boutons  de  votre  pourpoint, 
c  et  faites-moi  la  grâce  de  me  dire  ce  qui  vous  a  mû  à  me 
c  haïr...  »  Alors  il  pftiit,  comme  il  faisoit  quand  il  parloit 
d'aflection,  et  dit  :  t  Vous  avez  trop  aimé,  la  Trémouille; 
<  vous  saviez  que  je  le  haïssois...  » 


M  LE  ROI  Al  AàPNIOGBB  MS  PBOTBSZAHTS,  KT€. 

«  Sire,  repar4ifi*J6f  j'ai  été  nourri  aux  pieds  de  Voire 
«  Majesté»  et  j*y  ai  appri»  de  bonne  beure  à  ne  pas  dé- 
«  laisser  les  personnes  afiUgées  et  accablées  par  une  puis- 
«  sance  supérieure.  Approuvez  en  moi  cet  apprentissage 
«  de  vertu  que  j'ai  fait  aoprte  de  vous.  •  Cette  dernière 
réponse  fut  suivie  d'une  seconde  embrassade  que  me  fit 
raon  maître,  en  me  disant  de  me  retirer, 

«  .Sur  quoi  il  faut  que  je  dise  ici  que  la  France,;en  le 
perdaat,  perdit  un  des  plus  grands  rois  qu'elle  eût  encore 
eus  ;  il  n'étoit  pas  sans  deffautSi  mais  en  récon^)ense  il 
avoit  de  sublimes  vertus.  » 


CHAPITRE  Vm 


Qff«i«0Qr  d'JieiiH  IV. 


Les  firands  ^résultats  du  règnv  oommenQaieot  à  appa- 
raître. Toute  rjEurope  seotait  une  otM>Bei  e*eat  (fu'U  n'y 
aviDt  qu*u&  roi|  et  c'était  le  roi  de  France. 

Le  vœu  de  toua  sea  voisina  eût  été  d'être  conquis.  Les 
Fiamanda  écrivaient  aux  n6tres  :  «  Ah  !  si  nous  étions 
Français  1  »  Et  la  Hollande  elle-même,  dans  ses  embarras, 
recevant  saa  meilleur  secours  de  nos  volontaireSp  se  sur- 
prenait à  désirer  de  devenir  France.  Les  revers  du  prinee 
Maurice,  les  craintes  que  faisait  concevoir  sa  tragique  am- 
bâtionf  reportaient  vers  Henri  IV,  et  plasieurs,  déjà  fati- 
gués d'une  liberté  si  pénible,  eussent  voulu  être  ses  su- 
jets (1607,  SuUy). 

Vœu  déraisonnable  pourtant.  On  en  jugera  ainsi,  si  Ton 
songe  à  la  si  courte  durée  de  ce  règne,  à  ses  résultats 
éphémères,  aux  calamités  si  longues  qui  suivirent.. «  Tel 
fut,  tel  est  le  caractère  du  gouvernement  viager.  Marc- 
Aurèle  ai^ourd'hui,  et  demain  Commode. 

£aft*ce  à  dire  que  la  voix  publique  a  eu  tort  de  vanter 
ce  règne?  La  légende  est -elle  vaine?  Non,  le  peuple  a  eu 
raison  de  consacrer  la  mémoire  du  roi  singulier,  unique, 
qui  fit  désirer  à  tous  d'être  Franji^,  qui  paya  ses  deIXes, 


92  GRANDEUR  D'HKNRI  1T. 

prépara  la  guerre  sans  grever  la  paix  et  laissa  la  caisse 
pleine. 

Il  n'y  a  aucune  comparaison  à  faire  entre  lui  et  Louis  XIV, 
entre  ce  règne  réparateur  et  ce  règne  exterminateur.  Le 
bel  accord,  si  heureux,  d'Henri  lY  et  de  Sully  ne  se  re- 
trouve point  du  tout  entre  Louis  et  Colbert.  Les  dépenses 
d'Henri  IV,  pour  son  jeu  et  ses  maîtresses,  que  je  n'éxcuse 
nullement,  ne  sont  rien  en  comparaison  de  la  furieuse 
prodigalité,  de  la  Saint-Barthélémy  d'argent  qui  signala 
le  grand  règne. 

Celui-ci  est  vraiment  grand.  Avec  peu  il  fit  beaucoup. 
Sully  n'était  pas  ce  que  fut  Colbert.  Henri  IV  n'avait  qu'un 
petit  pouvoir,  en  comparaison  de  l'épouvantable  puissance 
de  Louis  XIV,  qui  trouva  tout  aplati. 

La  situation  d*Henrl  IV,  relativement,  Ait  misérable.  Il 
dut  racheter  la  royauté  et  combler  ses  ennemis. 

Les  Guises  restèrent  grands  et  devinrent  plus  riches. 
Leur  chef,  Mayenne,  était  gouverneur  de  l'Ile-de-France, 
et  il  enserrait  Paris.  Son  neveu.  Guise,  avait  la  Provence, 
Marseille,  la  porte  par  où  entra  Charles-Quint.  M.  de 
Montmorency  était  roi  de  Languedoc.  L'homme  le  plus 
dangereux,  d'Épernon,  gouverneur  de  la  Saintonge,  de 
l'Angoumois  et  du  Limbusin,  l'était  encore,  à  l'est,  des 
Trois  Ëvôchés.  Le  duc  de  Longueville  avait  la  Picardie, 
c'est-à-dire  nos  frontières  du  Nord.  Le  duc  de  Nevers 
avait  la  Champagne,  Mézières  et  Sainte-Ménehould,  la 
route  ordinaire  des  invasions  allemandes. 

Sous  ces  hauts  tyrans  subsistait  la  foule  des  petits  ty- 
rans, gouverneurs  de  villes,  commandants  de  places;  en- 
fin les  seigneurs,  moins  forts  comme  seigneurs  alors, 
mais  plus  lourds  peut-être  encore  comme  gros  proprié- 
taires de  terres,  que  dis-je  ?  comme  propriétaires  d'hom- 
mes. Malgré  les  rachats  innombrables  et  les  adoucis- 
sements de  nos  coutumes,  la  servitude  subsistait  dans 
nombre  de  nos  provinces. 


GBANDKOR  D^HKECia  I?.  93 

Un  des  fléanz  de  l'époque,  c'est  que  les  grands  s'appro- 
priaient et  foumaient  à  leur  avantage  la  puissance  du  roi 
et  des  parlements  qui  devaient  les  réprimer.  Us  n'avaient 
plusJiesoHi,  comme  autrefois,  de  combattre  ;  il  leur  suffi- 
sait de  plaider.  La  lâcheté  des  hommes  de  robe  mettait  la 
justice  à  leurs  pieds.  Les  parlementaires,  si  gourmés,  si 
gonflés  dans  leur  robe  rouge,  tcHnbaient  à  l'état  de  valets 
quand  un  de  ces  dieux  de  la  cour  leur  faisait  l'insigne  hon- 
neur de  les  visiter.  Chapeau  bas,  courbés  jusqu'à  terre, 
recondmsant  le  grand  seigneur  jusqu'à  la  rue,  jusqu'au 
carrosse;  le  magistrat  promettait  tout.  La  court  un  homme 
de  eour  /  A.  ce  mot,  la  loi  s'eGraçait,  le  droit  s'évanouissait. 
Le  courage  du  président  tombait,  et,  le  plus  souvent,  la 
vertu  de  madame  la  présidente. 

Les  grands,»  alors  aussi  avares  qu'autrefois  ambitieux, 
visaient  à  l'absorptiou  de  toutes  les  fortunes  de  France.  Ils 
y  marchaient  par  deux  voies,  d'abord  par  leur  toute-puis- 
sance sur  les  tribunaux,  par  des  proc^  toujours  heureux; 
deuxièmement  par  des  mariages,  en  s'adjugeant,  bon  gré 
mal  gré,  toutes  les  riches  héritières. 

Le  roi  se  mit  en  travers  et  les  arrêta.  4  "*  Il  rendit  les  ma- 
gistrats pins  indépendants  en  leur  permettant,  pour  un 
léger  droitf  de  rendre  leurs  charges  héréditaires,  et  de 
n'avoir  plus  à  compter  à  chaque  vacance  avec  les  rois  de 
province  ou  les  influences  de  cour;  Sf"  il  interdit  aux  fa- 
milles trop  puissantes,  spécialement  à  cielle  d^  Guises,  les 
grands  mariages,  qui  les  auraient  encore  fortifiées.  C'est 
ce  qu'ils  ne  supportèrent  pas,  et  ce  qui  leur  fit  désirer  ar- 
demment sa  mort. 

Ce  règne  leur  apparut  comme  une  dure  tyrannie,  une 
cruelle  révolution. 

C'était  là,  en  efiet,  son  caractère  profond,  qu'entravé 
encore  à  l'extérieur,  il  avait  en  lui  la  force  vive  d'une  ré- 
^  volutioa  sociale  qui  poussait  la  royauté^  qui  la  trouvait 
trop  timide^  et  qui  lui  disait  d*oser. 


^1  GBiiaoBB  o  mm  iv. 

SuUy,  qui  tYait  quelque  ehofi9  (tes  gnads  févolution* 
naires,  sembie  avoir  fiCHli  cela.  Rien  de  plua^dramatiqoe 
que  l'intrépide  percée  de  ce*  hooMie  de  guerre,  jusque-là 
étranger  à  ces  diosee,  dans  répUsse  forêt  dei  abw,  où  il 
entre  i'épée  à  la  meîn.  Mus  oes  abas*  entrelacés  comme 
iin  ehaos  inextrieabie  de  ronces,  peur  les  çonper,  il  AdUit 
«vant  toutiles  démêler^  Là  se  fdace  le  travail  prodigieux  da 
grand  liomme,  sa  vie  sauvage  au  milieu  de  f^eois,  seïï  nuits 
d'écriture  et  de  chifires,  sa  rudesse  împlaeaUe.  pour  les 
courtisans. 

U  se  iMMJtotuât  les  oreilles  pour  ne  pas  entendre  l'eltaa- 
drbsenie  plaiatci  des  abus  qu^  CaiUnt  trandier*  A,  chèque 
ebup,  ils  oriaiesit'  loOs,  ùomme  oes  arbres  animés  4es  fo- 
rêts du  Tasse.  Mais  quoi  1  la  badie  de  révotutten  ne  res^ 
pecte  rien. 

Révolotion  contre  ^hypothèque  sacrée  de  a<w  «réan- 
-oiers  étrangers,  et  nos  isapéts  dégagés  ée  Texploîtation  flo- 
rentine, des  mains  pures,  tivéprochables,  desfiondt  et  des 
Zamet. 

Révolution  contre  les  oAloes  achetés  ou  si  bien  gagnés, 
•contre  oes  honorables  receveurs,  contrôleurs,  eorapta- 
bles  de  toutes  sortes,  qui  trouvaient  moyen  4e  ne  (kmqI 
-compter,  tous  couverts  du  patronage  des  grsnds  de  le 
cour. 

Révolution  contre  les  gouverneurs  de  prévinees,  qui 
virent  mettre  à  cAté  d'eux  un  lieutenant  général  du  roi. 

Révolutien  plus  hardie  contre  la  seigneurie,  essai  (non 
^s  de  raser  encore  les  châteaux),  mais  d'empêcher  qu'on 
n'y  fit  des  fortifications  nouvelles. 

Après  ce$  révolutions,  notons  te$  tyrannies  de  cette 
iidministration. 

EHe  exigea  que  les  seigneuns  laïques  ou  ecetésf  astiques 
qui  levaient  péages  sur  les  routes  et  rivières  à  condition 
de  lee  entroteutr,  ecconiplissent  cette  oenditien,  «ous 
peine  de  déchéance.  «SuMy,  comme  grand  voyer,  poussa 


contré  eux  cette' guetire  si  yivmiêiil,  (ffa'eû  pèu4*sfnRëes 
tou9  finirent  par  dl>éif .  Le  commerce  otrcola,  et  aussi  1» 
fcrce  publique.  Cies  routes  qoe  vefirent  îe»  seigneurs^  elles 
scrvirentii l6i  viÂier,  à ieS'StrrvéiHer. ' 

Les  Ibrèts  et  le*  eonrs  4'eeux  timnt  pour  k  pretnîèm 
foie  gardés  et  adminislrés  Arutre  g»erre  îmcnense.  Guerre 
aox  braeemiîers,  aux  seMate démenas  votevrs,  aux  rôdeurs 
annés» 

Les  poissons  furent  protégés  ;  des  rivières  furent  repeur 
pléee,  etjdéfense  de  pécker  aii  tempe  du  frai.  Snlty  fit  ce 
qve  demande  et  attend  eneevc^  la  pnckmittîre. 

* 

L'indvstrie  <late  de  ce  règne.  Le  roi  même  réncoura-» 
gea;  moins  Sully,  tout  préoceupé  de  I^lgriculture.  Le 
monde  de  l'ouvrier,  tout  autrement  mobile  et  Kbre  que 
celui  fjhx  èÉltivâteiÉr,  eurgit  tout  à  coupv  Les  soi^ies,  les 
drapsi  lea  verreriee,  Ies4nanufactnres  de  glaces,  etc.,  (vh 
reni  etéé^s  eu  immensément  étendues  par  9eori  IV.  H 
planta  partout  des  mûriers.  Il  ordonna  qu'en  chaque^dlooèsé 
en  en  élewàldfatnriîle.  Il  en  n^it  dans  les  Tuileriee,  à  Fen- 
IflRnéUoaii  et  parlout.  Cette  dispositîeii  si  sfi^e  de  mettre  à 
profil  lee  jardins  paMies  potr  les  cultures  d'utilfté  a  été 
tMmé»  en-  rldievle  par  les  nyjriilîstes  û\jt  temps  Ae  la  Rè^ 
irohnion,  raaia  «Ile  remontie  à  Henif  IV. 

Sully  ne  goAiait  guère  non  plus  les  fondations  de  colo^ 
iiiei.  Le  Ni,  (rfus  fidèle  en  eed  aux  thidKions  de  Coligny, 
Jugeait  q«^n  gnmd  peuple  inquiet,  tant  d'esprits  aventu^ 
reiiZ)  ont  besoin  d'un  tel  débouché.  Il  encouragea  les 
Champlain,  les  de  Monts^  fondateurs  de  cette  France  amé^ 
rieabie  qui  n'embrassait  pas  seulement  le  Canada,  mais 
on  empive de  mille  Heues  de  côtes.  Regrettables  colonies 
oh  i»  sdeiabiMé  de  k  France  adoptait  lea  indigènes  et  les 
asaimMC;  La  Pr«aee  épousait  l'Amérique,  m  Reu  de  Tex* 
termimr  po«r  y  substituer  une  Europe,  comme  -put  tait 
iee  cotoM  anglais. 

Cevègne,  ai  grand  par  ce  qu^  fit,  est  plus  grand  parée 


94  GRANMOR  d'HINRI  Vh, 

qu'il  voulut  y  commença  ou  projeta.  Ainsi  le  canal  de 
Briare,  Tune  de  ses  belles  créations,  et  qui  fut  un  mo- 
dèle pour  r£urope»  devait  être  suivi  du  canal  des  deux 
mers  et  d'un  vaste  réseau  de  voies  analogues  qui  eussent 
en  tous  sens  ouvert  à  la  France  ses  vives  artères.  Ce  sys- 
tème (si  bien  exposé  par  M.  Poirson)  avait  jailli  du  génie 
des  Crappone,  des  Grosnier,  des  Louis  de  Foix»  des  Yiète. 
Ce  dernier,  immortel  par  l'application  de  l'algèbre-à  la 
géométrie. 

Henri  IV  s'occupa  fort  de  la  Seine  et  lui  créa  d'abord  sa 
route  d'an  bas.  Il  voulait  en  rectifier  le  cours  et  en  assurer 
la  navigation  entre  Rouen  et  le  Havre  ;  ce  qui  en  eût  fait  la 
rivale  de  la  Tamise  et  posé  Rouen  comme  émule  et  anta- 
goniste de  Londres. 

Tout  ce.  qu'on  fit  pour  la  guerre,  en  dix  ans,  est  in- 
croyable. L'artillerie  fut  créée.  Une  ceinture  de  places 
fortes,  chose  énorme,  fut  improvisée,  surtout  pour  cou- 
vrir le  Nord. . 

Le  roi,  qui,  toute  sa  vie,  avait  fait  le  coup  de  pislolei 
avec  sa  cavalerie  de  gentilshommes,  et  avait  vu,  pendant 
la  Ligue,  l'infanterie  faire  piètre  figure,  se  fiait  peu  à 
celle-ci.  U  n'avait  pas  la  patience  vertueuse  de  Goligny» 
ce  martyr  de  la  vie  militaire^  qui  usa  la  meilleure  partie 
de  la  sienne  à  nous  faire  une  infanterie.  Cependant, 
à  sa  dernière  guerre ,  Henri  1 Y  voulait  sérieusement  en 
essayer,  et  peu  à  peu  se  passer  des  mercenaires.  U  ne 
louait  que  six  mille  Suisses  et  levait  ving  mille  fantassins 
français. 

Infatigable  chasseur,  vrai  gentilhomme  de  campagne , 
d'aspect,  d'habitudes  et  de  goûts,  il  n'en  aima  pas  moins 
Paris,  qui  ne  le  lui  rendait  pas  trop.  he$  grands,  le  clergé, 
les  corporations,  la  robe,  restaient  chagrins  ,et  hostiles.  Il 
n'en  fut  pas  moins,  on  peut  le  dire,  un  des  créateurs  de  la 
ville.  Un  Paris  immense  se  bâtit  sous  lui.  Toutes  les  rues 
du  Marais,  qu'il  nomma  du  nom  des  provinces  où  U  Atait 


GRâNDBDR  D  fllNRI  IT.  97 

tant  voyagé,  souSért,  combattu,  les  mes  (de  Berri,  Tou- 
raine,  Poitou,  SaintoDge,  Périgord,  Bretagne,  etc.)  de- 
vaient aboutir  à  une  grande  place  qu'on  eût  appelée  Place 

LapJoce  Roya/e,  qu'il  bAtit  à  l'iastar  des  villes  de  Alpes, 
avec  des  portiques  commodes,  et  qui  ne  servit,  après  lui, 
qu'aux  Têtes,  aux  tournois  ridicules  de  Marie  de  Médicis , 
devait,  dans  son  idée  première,  recevc4r  une  imnlènse  ma- 
nufacture de  soieries. 

Dans  le  quartier  Saiot-Harceau,  il  forma  l'autre  gronde 
manufacture,  celle  des  tapisseries  des  Gobelins,  qui  existe 
encore. 

C'est  lui  qui  relia  Paris  et  en  fil  un  tout.  La  ville  cen- 
trale, l'Ile  de  la  Cité  et  du  Palais-de- Justice,  tenait  à  peine 
au  Paris  méridional  de  l'Université  et  au  Paris  septentrio- 
nal du  Commerce.  Pour  suite  au  vieux  pont  Saint-Michel, 
il  bâtit  le  poni  au  Change,  et  à  la  pointe  de  l'ile  le  vaste  et 
magnifique  poni  JVau^  l'un  des  plus  grands  de  l'Europe. 
Celui-ci  rendit  nécessaire  la  rue  Daup/tine,  par  laquelle 
l'ancien  faubourg  protestant,  le  faubourg  Saint-Germain, 
est  en  rapport  avec  la  ville. 

'^  '  gravures  de  Calfot  nous  mon- 

trent p  d'alors,  tel  que  le  lit  Henri  iV. 

■*^  '*  quai  de  la  place  Dauphine,  le 

^^yfo  s,  qui  donne  à  la  Seine  sa  prin- 

cipale ispect  mo^jumental  ;  au  centre 

«"fi»'  *  figure  aimable  et  aimée,  statue 

la  plus  légitime  qu'on  ait  dressée  à  aucun  roi,  quand 
tous  les  peuples  l'appelaient  comme  arbitre  ou  comme 
maître. 

Le  Louvre  fut  sa  passion.  Dès  qu'il  entra  à  Paris,  il  y 
employa  une  foule  d'ouvriers  qui  mouraient  de  faim  et 
en  trois  ans  (1594-1596)  il  fit  U  partie  admirable  de'  la 
grande  galerie  qui  va  du  Louvre  au  pavillon  de  Lesdi- 
guières.  Catberine  de  Uédicis,  il  est  vrai,  avait  fait  le  rez- 


98  GRANDEUR  D'Bnmi  ff. 

de-ohaussée.  Cependant  l'œtiTre  est  immefise.  Un  etita»-^ 
sèment  pgantesqtre  d'étages  fut  superposé  !  t  Ossa  sitr 
Pélion  ,  Olympe  sur  Otssa.  )»  Les  ehiffres  de  Gabrielie  que 
porte  ce  bâtiment,  méiés  à  ceux  d'Henri  IV,  disent  assee 
l'élan  de  passion,  d'espoir,  où  H  fut  créé. 

Ce  qui  charme  dans  ce  bfttîment,  ce  qui  est  bien 
d'Henri  IV,  ce  qui  est  tout  différent  du  Louvre  de  Frao* 
çoh  1*%  c'est  l'attention  d'y  créer  beaucoup  de  petits  loge- 
ments, une  hospitalité  facile.  Les  premiers  hôtes  devaient 
être  les  arts  et  les  sciences,  dont  les  emblèmes  sérieux  or- 
nent les  frontons,  avec  les  jeux  de  la  chasse,  les  amours 
de  la  renaissance.  Le  Louvre  continué  et  uni  aux  ToUeries 
eût  été  en  mémo  temps  un  palais  et  un  musée  de  toute 
activité  humaine.  En  haut^  à  côté  du  logement  du  roi  et 
de  son  conseil,  son  long  promenoir  avec  ses  tableaux.  Aux 
deux  étages  intermédiaires,  un  vaste  dépôt  de  machines , 
l'histoire  des  inventions  (en  petits  modèles.)  De  plus,  des 
logements  pour  les  artistes  ou  artisans  supérieurs,  pour  les 
inventeurs  qui,  sortant  de  la  routine  des  corporations, 
eussent  été  entravés  par  elles. 

Il  n'avait  pu  détruire  les  corporations  de  métiers ,  si 
puissantes  encore.  Mais  quiconque  éttfbfissait  devant  on 
jury  du  roi  qu'il  était  capable,  était  dispensé  des  épreuves 
et  des  épines  sans  noml»re  dont  ces  corporations  fer- 
maient l'entrée  de  leurs  arts.  Entre  ces  ouvriers  libres, 
les  plus  inveatife  eussent  été  logés  chez  le  roi.  Celui-d , 
qui  ne  rougissait  d'aucune  chose  bonne  et  utile,  leur  ou- 
vrait des  boutiques  au  rei-de-chaussée,  pour  noonlrer 
leurs  oMivres  au  publîc. 

Ce  que  j'admire  le  plus  dans  cette  idée  originale,  ce  qm 
est  à  mille  lieues  des  rois  d*arvant  et  d'après,  c'est  qu'il 
n  ait  point  séparé  l'artiste  de  Taitisaii,  qui,  dans  tant  de 
prof^ssiotts^  n'est  pas  moins  artiste.  Â  la  Gûleriê  des  Anti^ 
quis^  que  Catherine  avait  créée,  eèt  été  joint  deplùii-pled 
la  i>Haf nNtfotrr  éts  art$  «f  w^Mm. 


ORÂN0SUR  D'flmtn  nr.  99 

li  ne  voulait  rien  pour  kn  qu'il  ne  communiquât  aux 
autres.  Par  luî^  la  Bibliothèqxie  rcyah ,  mise  à  Paris,  aa^ 
verte  à  tons,  devint  vraiment  celle  du  peuple,  eomrae  eâl 
été  le  Musée  des  nxéHers  et  le  Jardii^  des  Planies  qu'il  voulait 
créer. 

Le  roi,  le  peuple,  logeant  désormais  sous  le  même  toit, 
dans  le  Louvre,  cet  homme  curieux,  bienveillant^  avide 
du  bien,  du  nouveau  et  des  belles  choses,  eût<ie8oenda  de 
son  musée  aux  ateliers,  eût  assisté  aux  progrès  industriels, 
eût  causé  avec  l'ouvrier,  comme  il  fiiisait  avec  le  paysan, 
et  se  fàt  incessamment  informé  du  soit  du  peuple. 

Quand  parut  la  Maison  rustique,  le  beau  Théâtre  d'agri* 
culture  d'Olivier  de  Serres,  Henri  IV  le  lut  religieusement 
une  demi-heure  par  jour. 

«  Pâturage  et  labourage,  deux  mamelles  de  l'Êlat.  »  Cet 
axiome  de  Sully  était  au  cœur  d'Henri  IV.  Il  aurait  voûta 
que  les  seigneurs^  au  lieu  de  mendier  à  la  cour,  allassent 
vivre  sur  leurs  domaines,  les  vivifier. 

«  On  sent  dans  Olivier  de  Serres  (dit  si  bien  M.  Doniol^ 
Classes  rurales,  332)  l'idéal  qui  animait  Sully.  C'est  la  tra- 
dition des  laboureurs  de  Bernard  de  Palissy  qu'Olivier 
transporte  au  domaine  seigneurial,  et  que  Sully  met  dans 
l'Ëtat.  Une  société  assise  sur  le  travail  de  la  terre  on 
l'homme  aurait  cette  vigueur  morale  que  donne  la  vie  rus- 
tique, où  le  travail,  accepté  comme  un  devoir,  fonderait 
seul  la  richesse,  oh  la  richesse  rurale  dominerait  Técono- 
mie  politique,  c'est  la  grande  et  sainte  pensée  de  ces  trois 
grands  huguenots.  » 

Sous  Louis  XIV,  Je  vois  qu'un  bon  citoyen,  Vauban, 
nilustre  ingénieur  qui  fortifia  toutes  nos  places,  dans  les 
longs  et  tristes  loisirs  qu'il  avait  des  mois  entiers  sous  les 
murs  de  ces  citadelles,  sUnformait  avec  sollicitude  des 
causes  de  la  misère,  interrogeait  le  paysan ,  compatissait 
à  son  sort  et  cherchait  les  moyens  de  l'améliorer.  Sous  le 
règne  d'Henri  IV,  ce  curieux,  ce  citoyen,  c'est  le  roi  lui- 


100  GRANDEUR  D'HXNRI  IV. 

même.  Notez  qu*ici  ce  n'e$t  pas  un  solitaire  comme  Vau- 
ban ,  mais  un  homme  tiraillé  de  mille  influences,  et  d'af- 
faires et  de  passions;  mais  son  cœur  restait  tout  entier. 
Après  cette  vie  mêlée  et  d'efforts  et  de  misères  (j'y  com- 
prends surtout  ses  vices),  qui  auraient  blasé,  endurci  tout 
autre,  il  gardait  la  même  chaleur,* le  même  amour  du  bien 
public. 

«  Quand  il  alloit  par  pays,  dit  Matthieu,  il  s'arrétoit  pour 
parler  au  peuple,  s'informoit  des  passants,  d'où  ils  ve- 
noient,  où  ils  alloient,  quelles  denrées  ils  portoient,  quel 
étoit  le  prix  de  chaque  chose.  Et,  remarquant  qu'il  sembloit 
à  plusieurs  que  cette  facilité  populaire  offensoit  la  gravité 
royale,  il  disoit  :  <r  Les  rois  tenoient  à  deshonneurs  de  sa- 
voir combien  valoit  un  écu;  et  moi,  je  voudrois  savoir  ce 
que  vaut  un  liard,  combien  de  peine  ont  ces  pauvres  gens 
pour  l'acquérir,  afin  qu'ils  ne  fussent  chargés  que  selon 
leur  portée.  » 


CHAPITRE  IX 


La  conspiratîoD  ds  roi  et  la  conspiration  de  la  ooar,  1605-1006. 


Deux  conspirations  commencent  en  1606,  qui  marchent 
parallèlement  pendant  trois  années  :   * 

Celle  du  roi  pour  sauver  l'Europe  ; 

Celle  de  la  cour  pour  tuer  le  roi. 

La  première,  celle  du  roi,  se  motivait,  nous  l'avons  dit, 
par  le  succès  effrayant  des  catholiques  en  Allemagne,  par 
la  discorde  et  la  faiblesse  des  protestants^  qui  déjà  avaient 
perdu  pied  dans  dix  États  considérables.  La  maison  d'Au- 
triche, malgré  ses  divisions  intérieures,  la  vieille  Espagne 
ruinée,  se  trouvaient  relevées  par  là,  et  on  les  voyait  venir 
pour  s'emparer  du  bas  Rhin  (Clèves,  Julîers).  Déjà  le  haut 
Rhin  presque  entièrement  était  redevenu  catholique.  Cette 
situation  effrayait  les  catholiques  mêmes,  et  tous,  du  fond 
même  du  Nord  ou  de  l'Est  (Hongrie,  Moravie),  regardaient 
du  côté  du  prince  qu*on  croyait  impartial,  non  protestant, 
non  catholique,  mais  homme  et  bienveillant  pour  tous.  Sa 
victoire,  qu'on  le  dit  ou  non,  se  serait  trouvée,  par  le  fait, 
Favénement  du  droit  nouveau,  du  droit  humain^  extérieur 
et  supérieur  au  principe  religieux  du  moyen  âge. 

Tous  les  opprimés  de  la  terre  se  tournaient  vers  lui, 
non-seulement  les  chrétiens,  mais  les  mahométans  mêmes. 
Les  Morisques  d'Espagne,  tenus  plusieurs  années  sous  le 


102  LA  CONSPIRATION  DV  BOI 

couteau,  n'ignorant  pas  qu'on  discutait  leur  massacre  gé^ 
néral,  s'adressaient  à  Henri  lY  dès  1603.  Occasion  admi-- 
rabie  qui  le  faisait  pénétrer  aux  entrailles  de  l'Espagne 
mémo.  Mais  occasion  embarrassante,  qui  aurait  mis  en 
lumière  Timpartialité  réelle  du  nouveau  principe  politique, 
humain^  et  sa  parfaite  indifférence  à  Tidée  religieuse.  Elle 
l'aurait  trop  démasqué,  et  lui  eftt  àié  le  pouvoir  de  diviser 
les  catholiques.  11  ne  pouvait  Tespérer  qu'en  restant  demi- 
catholique. 

La  fortune  l'embarrassait  ainsi,  à  force  de  le  bien  servir. 
La  coah'tion  future  qui  se.  préparait  pour  lui  était  véritable- 
ment immense,  mais  hétérogène,  monstrueuse^  se  compo- 
sant d'hommes  de  toutes  religions. 

Quelles  que  fussent  ses  réserves  et  ses  dissimula tio&s, 
cette  monstruosité  ne  laissait  pas  d'apparaître,  Lds  zélés  la 
lui  imputaient  et  n'étaient  pas  loin  de  l'envisager  comme 
un  perfide  et  un  traître,  un  Janus  à  double  face,  un  Judas. 
Un  peuple  inunense  de  simples,  de  dévots  aveugles,  sincè- 
res, désiraient  sa  mort,  et  la  denvandaient  à  Dieu,  s'accor- 
danl  très-bien  en  cela  avec  l'Espagne  et  ce  qui  restait  de 
la  Ligue,  avec  les  grands  et  la  cour,  la  famÛle  môme  du 
roi  et  son  plus  intime  intérieur.  Mais  qui  exécuterait,  qui 
ferait  le  coup?U  fallait  un  fanatique;  c'est  ce  qui  retarda 
la  chose.  Si  nombreux  dans  l'autre  siècle,  ils  étaient  rares 
dans  celui'-ci,  et  l'cko  a'avait  que  des  bigots. 

La  danger  réel  du  parti,  c'est  que  lescalholiquies  n'étaient 
pas  sirs  eux-*méme3  de  rester  fixement  fidèles  à  l'intéiét 
catholique.  Le  roi  pouvait  les  diviser.  Le  pape  même, 
Paul  V^  fort  peu  Français  d'inclination,  n'aurait  pas  été 
fâché  que  son  bon  ami  le  Roi  Catholique  fût  éreinté  en 
Italie  par  le  mécréant  Henri  IV.  Le  bigot  par  excellence,  1^ 
Bavarois,  égalé  ou  surpassé  par  son  émule  Ferdinand  d'Aui- 
triche,  eùtlaisaé  faire  le  roi  en  Allemagne  pour  l'abaisee- 
ment  de  ses  cher»  alliés,  les  Auiricbieos.  Le  Savoyard,  si 
Espagnol  et  inarî  d'uoe  Espagnole,  n'espéraut  plus  la  suc^ 


BT  Lib  ÇOQfSPUUTICIN  DC  LA  COUH.  tû3 

cession  d'Espagoe  quand  Philippe  UL  eul  des  enfants, cher- 
cha à  faire  ses  affaires  d'un  autre  côté,  et  oflrit  de  tourner 
pour  la  France  contre  son  beau-frère. 

Le  parti  catholique,  si  peu  sûr  de  lui,  et  certidn  d'être 
vaincu,  avait  en  revanche  une  chose  pour  lui  et  un  avan- 
tage; c'est  que  le  faisceau  terrible  de  forces  qui  le  mena- 
çait n'avait  encore  qu'un  lien  très- fragile,  la  vie  d'un 
individu. 

L'espoir  du  parti  de  l'avenir  (qui  n'est  point  un  parti, 
maïs  l'Aumam^e  elle-même)  était  alors  en  un  homme.  Digne 
ou  non,  celui-ci  seul  le  représentait,  et,  lui  mort,  pour 
longtemps  il  restait  dissous.  Un  rhume  suffisait  pour  tran- 
cher la  question  générale  du  monde»  ou  bien  un  couteau 
de  deux  sous. 

En  l'année  1606,  le  roi  d'une  part,  et  de  l'autre  les  en- 
nemis du  roi,  mirent  les  fers  au  feu. 

Le  roi  s'accorda  avec  Sully  sur  ce  qu'il  voulait  et  se  mit 
dès  lors  en  lutte  avec  la  reine  et  la  cour  qui  voulait  la  chose 
contraire.  «  Entamons  par  l'Allemagne,  dit-il,  offrons 
VEmpire  à  la  Bavière  ;  puis  au  duc  de  Savoie  la  royauté 
de  Lombardie,  avec  ma  fille  pour  son  fils...  Maintenant, 
comme  la  reine  me  fait  un  cas  de  conscience  de  m  écarter 
de  Rome  et  de  la  maison  d'Autriclie  d'oii  elle  est  sortie, 
comme  elle  veut  nous  joindre  k  l'Espagne  p^  un  double 
mariage,  j<  la  laisserai  en  doute  du  côté  vers  lequel  je  penche.^) 

Voilà  ce  qu'on  peut  appeler  la  conspiration  du  roi.  Elle 
reposait  sur  plusieurs  négociations,  trës-cachées,  pour  di- 
viser les  catholiques  et  les  armer  contre  eux-mêmes.  Elle 
impliquait  une  bascule  peu  glorieuse  pour  le  roi,  force  ca- 
resses aux  Jésuites,  etc.  Etat  trouble  qui  dura  longtemps 
par  l'hésitation  de  la  Savoie  et  par  la  fatigue  de  la  Hol- 
lande, qui  fit  trêve  avec  l'Espagne  sans  le  roi,  et  le  força 
d'ajourner  les  projets  de  guerre,  de  s'associer  à  ses  négo- 
ciations, de  se  faire  au  moins  l'arbitre  du  traité  qu'elle  eût 
fait  sans  lui. 


104  LA  CONSPIRATION  DU  ROI 

Dans  cette  même  année  4606  où  le  roi,  à  t^Àrsenal,  arrê- 
tait avec  Sully  sa  grande  pensée,  à  l'église  de  Saint-Jean  ^n 
Grève,  pendant  un  sermon, deux  personnes,  qui  semblaient 
venues  par  hasard,  arrêtèrent  une  alliance  entre  d'anciens 
ennemis,  qui  s'unirent  et  se  liguèrent  pour  tramer  la  mort 
du  roi. 

Quoiqu'on  ait  brusqué,  étouffé,  le  procès  de  Ravaillac, 
quoiqu'on  ait  assassiné  le  témoin  Lagarde  et  muré  aux 
oubliettes  la  demoiselle  d'Escoman  (autre  témoin  plus  ter- 
rible), là  voix  du  sang  a  parlé!  Et  il  est  clair  aujourd'hdi 
que  le  complot  partit  du  Louvre,  que  la  reine  en  eut  con- 
naissance, qu'on  n'eut  pas  besoin  de  chercher,  de  payer 
nn  assassin,  parce  que,  trois  années  durant,  on  en  fit  un, 
exalté  par  des  sermons  meurtriers  et  chauffé  à  blanc  par 
les  moines. 

Les  deux  personnes  qui  se  trouvèrent  au  sermon  de 
Saint-Jean,  et  qui  complotèrent  sous  les  yeux  de  la  foule, 
étaient  un  grand  seigneur,  une  grande  dame  ;  le  duc  d'É- 
pernon  et  Henriette  d'Entragues.  C'est  la  déposition  ex- 
presse de  cette  femme  infortunée  qu'on  mura,  qui  ne  se 
démentit  point  et  mourut  pour  la  vérité. 

D'Ëpernon  avait  vu  tomber  Biron  et  Bouillon.  11  sentait 
que  son  tour  venait.  Le  roi  l'avait  déjà  frappé  dans  son 
revenu,  lui  interdisant  des  taxes  arbitraires,  et  dans  sa 
puissance,  ayant  mis  sous  sa  main  la  place  de  Metz. 

Henriette  voyait  dans  le  roi  l'obstacle  à  un  grand  mariage 
qu'elle  voulait  se  faire  chez  les  Guises.  Le  roi  l'avait  tour 
à  tour  mise  haut  et  bas,  fait  presque  reine,  éloignée.  Cette 
ambition  exaltée,  rabaissée,  tournait  en  fureur  ;  elle  su- 
bissait son  amour  avec  dépit,  avec  injures.  Elle  ne  lui  ca- 
chait point  sa  haine.  Tout  ce  que  les  anecdotiers,  les  Talle- 
mant  et  autres ,  ont  recueilli  de  dégoûtant  sur  les  infirmités, 
vraies  ou  fausses,  d'Henri  IV,  ce  sont  les  reproches  mênies 
et  les  dérisions  par  lesquelles  la  petite  furie  se  vengeait  de 
ses  caresses.  Lui,  il  la  trouvait  plus  charmante,  et  peu 


ET  LA  CONSPIRATION  DB  ÏJL  COUR.  105 

^néreusement  jouissait  de  ce  triste  jeu  avec  une  créature 
féline  qui  du  chat  passait  au  tigre. 

Les  Guises  s'amusaient  d'elle,  s'en  moquaient  au  fond, 
car  toute  leur  pensée  était  d'avarice.  Ils  auraient  voulu  que 
le  roi  mourût,  non  pour  épouser  Henriette,  mais  au  con- 
traire pour  avoir  la  grande  et  très-grande,  héritière,  ma- 
demoiselle de  Montpensier,  et  pour  ne  pas  donner  au 
bàtalrd  du  roi  une  autre  grosse  fortune  qui  allait  leur 
échapper  avec  mademoiselle  de  Mercœur. 

D'Èpemon  avait  été  le  mortel  ennemi  des  Guises,  et  c'est 
pour  les  rapprocher  et  t  conclure  une  alliance  »  qu'Hen- 
riette traita  avec  lui  à  Saint-Jean  en  Grève. 

Bientôt  à  ses  alliés  un  autre  s'unit,  celui  qui  dispo- 
sait absolument  de  Tesprit  de  la  reine,  son  chevalier, 
Concini. 

Concini^  non  content  d'avoir  le  réel  de  la  faveur,  en  avait 
voulu  l'éclat,  le  scandale.  De  ses  petites  épargnes,  il  allait 
acheter,  pour  un  million,  une  terre  princière,  la  Ferté.  Le 
roi,  si  patient,  eut  peur  cependant  du  bruit  que  cela  ferait, 
et  il  prit  la  liberté,  non  de  dire  (il  n'eût  osé),  mais  de  faire 
dire  à  la  reine,  par  madame  de  Sully,  que  cela  lui  ferait  du 
tort  et  qu'on  pourrait  en  jaser. 

Cet  avis  timide,  ménagé  par  la  dame  autant  qu'elle  put, 
jeta  le  signore  Concini  dans  une  épouvantable  fureur.  Une 
telle  révolte  du  mari  contre  le  cavalier  servant  était  dans 
les  mœurs  italiennes  chose  inoufe,  intolérable.  Le  roi  s'était 
méconnu;  on  le  lui  fit  voir.  Non-seulement  Concini  lava 
la  tète  à  la  dame,  mais  dit  qu'il  se  moquait  du  roi,  qu'il 
n'avait  pas  peur  du  roi,  et  que,  si  le  roi  bougeai^,  il  lui 
arriverait  malheur. 

Le  roi  n'aimait  pas  les  disputes.  Il  craignait  un  peu  la 
reine,  acariâtre^  têtue,  qui,  une  fois  qu'elle  boudait,  restait 
intraitable,  et  des  mois  entiers.  Il  la  ménageait  aussi,  parce 
qu'elle  était  toujours  grosse.  Sa  fécondité  était  admirable. 
De  prime  abord,  en  arrivant,  elle  eut  deux  enfants  en  deux 


406  LA  CONSSIEUTIÛN  SU  ROI 

ans,  et  rinterrupiion  fut  courte  :  à  partir  de  1605,  elle  ne 
manqua  jamais  d'avoir  un  enfaut  par  aanée. 

Use  remeteilement  fëcoadene  craignait  aucun  divorce. 
Aussi  n'avait-elle  pour  le  roi  aucun  ménagement.  Comme 
elle  avait  peu  d'esprit  et  qu'un  fou  la  gouvernait»  il  en  ad- 
vint un  scandale  plus  grand  que  n'aurait  été  l'acquisition 
de  la  Ferté. 

Concini,  dont  le  grand  mérite,  outre  sa  jolie  figure»  4tait 
sa  bonne  grâce  à  cheval,  voulut,  exigea  qu'on  lui  arran- 
geât une  fête  où  il  pût  se  montrer  solennellement.  U  ne 
prit  pas  un  lieu  obscur,,  mais  royalement  la  place  histori- 
que du  fameux  tournoi  d'Henri  il,,  les  lices  de  la  grande 
rue  Saint-Antoine  devant  la  Bastille*  Du  moins,  ce  n'était 
pas  cette  fois  un  combat  bien  dangereux,  mais  tout  bonne- 
ment une  course  de  bague.  Du  reste  la  môme  dépense,  et 
guère  moins  d'émotion.  Les  vives  rivalités  des  hommea,  la 
faveur  des  dames  pour  celui-ci  ou  celui-là,  leurs  palpita- 
tions, tout  était  de  même,  —  et  pour  un  jeu  puéril  de 
sauteurs  et  d'écuyers. 

L'heureux  faquin,  brillant  d'audace,  tint  la  partie  contre 
les  princes  et  tous  les  grands  de  France,  envié  et  admiré, 
sous  les  yeux  de  la  reine,  qui  siégeait  là  comme  juge  et 
dame  du  tournoi,  et  qui,  de  sa  faveur  visible,  l'avouait  pour 
son  cavalier. 

U  fut  très-amer  au  roi  qu'on  se  gênât  si  peu  pour  lui  ; 
eela  touchait  à  l'outrage  public.  Il  n'en  parla  qu'à  Sully, 
mais  d'autres  le  devinèrent,  et  quelqu'un  lui  demanda  s'il 
voulait  qu'on  tuât  Concini. 

11  était  à  cent  lieues  d'une  telle  chose,  et  cependant  il 
croyait  que  ces  gens,  épargnés  par  lui,  ne  l'jépargneraient 
pas  lui-même.  Il  en  était  convaincu  et  le  disait  à  Sully, 
c  Cet  hommelà  me  menace...  U  adviendra  quelque  mal- 
heur... Vous  le  verrez,  ils  me  tueront.  » 

Cette  prévision  qu'il  avait  de  sa  mort  lui  fit  désirer  dau- 
tant  plus  de  régler  les  affaires  des  siens.  U  insista  auprès 


.1 


ST  LA  GONSFIRàTION  DE  LÀ  COUR.  40T 

des  Guises  pour  qu'on  accomplit  enfin  le  traité  de  mariage 
qa'eux-mémes  avaient  sollicité,  obtenu  par  Gabrielle, 
entre  César  de  Vendôme  et  mademoiselle  de  Mercœur. 
Mais  les  temps  étaient  changés;  madame  de  Mercœur 
voulait  éluder;  elle  ne  voulait  donner  ni  la  fille  ni  un  dédit 
considérable  d*argent  que  le  traité  atipulait  en  cas  de  refus. 
On  fit  jouer  à  la  fille  itae  (^raade  eamédie  d'effet  popu- 
laire, qui.  devait  indigner  les  simples  et  leur  faire  détester 
le  roi.  Cette  enfant,  comme  d'elle-même,  se  sauva  aux 
Capucines,  dit  qu'elle  aimait  mieux  cet  ordre  si  dur,  jeû- 
ner et  marcher  pieds  nus.  Le  rot  étant  fort  mécontent  de 
ce  violent  coup  de  théâtre,  la  mère  aggravait  en  disant  : 
«  Prenez  mon  bien,  prenez  ma  vie.  » 

A  tous  ces  éléments  de  haine»  de  conjuration,  à  ces 
vœiUL  de  mort,  un  centre  manquait.  Il  vint.  Un  ambassa- 
deur d*£spagne,  superbe,  grave  et  rusé,  don  Pèdre,  vint 
attiser  le  feu  et  Jeter,  surtout  au  Louvre,  entre  le  roi  et 
la  reine,  la  pomme  de  discorde,  l'offre  du  double  mariage 
espagnol.  La  condition  eût  été  la  chose  impossible  et  fu- 
neste, l'abandon  de  la  Hollande,  que  le  roi  venait  de 
garantir  par  un  solennel  traité. 

Ce  don  Pèdre  devint  le  héros  du  jour.  Les  dames  n'a- 
vaient d'yeux  que  pour  lui.  On  répétait  tous  ses  mots  noble- 
ment espagnols  et  castillans.  La  reine  lui  faisait  la  cour  et  se 
disait  sa  parente.  Le  roi,  contre  son  habitude,  fut  net  et  fer- 
me, ne  lui  donna  nul  espoir  et  rabattit  ses  bravades.  Alors 
il  changea  de  style  et  le  flatta  bassement.  Un  jour  qu'un 
valet,  dans  le  Louvre»  passait  en  portant  l'épée  d'Henri  IV, 
l'Espagnol  l'arrête,  la  prend,  la  tourne  et  retourne,  la  re- 
garde bien,  la  baise  :  «  Heureux  que  je  suis,  dit-il,  d'avoir 
tenu  la  brave  épée  du  plus  brave  roi  du  monde  I  » 

11  resta  huit  mois  ici,  traînant  et  gagnant  du  temps, 
faisant  le  malade,  tàtant  nos  plaies,  les  irritant,  travaillant 
le  vieux  levain  du  CatboUcon,  donnant  courage  à  tous  nos 
traîtres,  aux  futurs  assassins  du  roi. 


CHAPITRE  X 


Le  dernier  amour  d'Henri  IV.  1609. 


La  Hollande  fatiguée  voulait,  exigeait  la  paix,  au  moment 
où  tout  annonçait  le  réveil  de  la  grande  guerre.  Le  roi 
travaillait  au  traité  qui  ajournait  tous  ses  projets.  En 
attendant,  il  s'ennuyait.  Le  Louvre  n'était  plus  tenable. 
On  eût  dit  que  la  régence  avait  déjà  commencé.  La  cour, 
visiblement,  était  d'un  côté,  et  le  roi  de  l'autre.  A  une 
entrée  du  Dauphin,  tout  le  monde  se  précipita  au-devant 
de  lui  ;  le  roi  resta  seul. 

Le  jour,  ses  courses  à  l'Arsenal  ;  au  soir,  le  jeu,  c'était  sa 
vie.  Ajoutez-y  la  lecture  des  romans  de  chevalerie.  Le 
livre  de  Cervantes  n'en  arrêtait  pas  le  cours.  Le  torrent 
des  Amadis  (cinquante  volumes  in-folio  1}  continuait.  Le$ 
Parisiens  disaient  a  que  toute  sa  Bible  était  Y  Amadis  de 
Gaule.  » 

Au  printemps  de  1609,  on  lui  mit  en  main  VAstrée^ 
livre  doux,  ennuyeux,  où  les  chevaliers  ne  sont  plus  que 
de  langoureux  bergers.  Le  tout  faiblement  imité  des  pasto- 
rales espagnoles. 

Du  moins  la  tendance  était  pure,  la  réaction  de  Tamour. 
Le  nouveau  roman  put  être  loutS  de  saint  François  de 
Sales.  Et  l'auteur  lui-même,  d'Urfé,  compare  son  inno- 
cente Astrée  à  la  dévote  PMlothée. 


LE  DKBNIER  AMOUR  D  HSNRI  IV.  109 

La  grande  réputation  d'un  livre  si  faible  étonne,  mais 
elle  tient  à  la  surprise  qu'elle  causa,  étant  en  contraste 
avec  rimpureté  du  temps.  Beaucoup  paraissaient  excédés 
des  femmes;  ils  les  fuyaient,  retournaient  aux  mœurs 
d'Henri  111.  Ils  haïssaient  la  nature,  la  lumière,  l'amour^ 
11  leur  fallait  l'obscurité,  des  plaisirs  sauvages,  égoïstes. 
Le  jeune  Condé,  à  vingt  ans,  était  déjà  sombre  et  avare 
comme  un  vieux  sénateur  do  Gènes,  ou  comme  ces  nobles 
de  Venise,  lucifuges  et  fils  de  la  nuit.  Henri  IV,  qui  avait 
prêché  d'exemple  l'amour  des  femmes,  était  indigné  de 
voir  son  petit  Vendôme  à  quinze  ans  avoir  tous  les  goûts 
d'un  page  italien. 

Pour  lui,,  on  le  voit  dans  ses  lettres  à  Corisande,  à 
Gabrielle,  il  gardait  sous  l'homme  d'affaires  une  étincelle 
poétique.  Il  était  tendre  à  la  nature,  sensible  à  toute 
beantéy  et  même  (chose  rare  alors)  au  charme  des  lieux. 
Sur  la  Loire,  sur  Fontainebleau,  il  a  des  paroles  émues. 
Après  une  longue  vie  d'épreuves  et  tant  de  misères 
morales,  dans  cet  homme  indestructible,  l'étincelle  était  la 
même,  plus  vive  encore,  en  finissant. 

Le  romanesque  projet  que  lui  attribue  Sully,  de  vouloir 
fonder  la  paix  éternelle^  de  créer,  par  une  guerre  courte 
et  vive,  on  état  nouveau  de  tolérance  universelle,  d'an^itié 
entre  les  Ëtats^  est-il  d'un  fou?  Je  ne  sais;  sans  nul  doute 
il  est  d'un  poète. 

Mais  c'était  surtout  par  l'amour  que  ce  sens  devait  écla- 
ter en  lui.  Le  voilà,  à  cinquante-huit  ans,  qui  un  matin  se 
retrouve  lancé,  comme  il  ne  fut  jamais,  dans  la  poésie  et 
dans  le  rêve. 

En  janvier  1 609,  la  reine  organisait  un  ballet  des  JVyrn- 
phes  de  Diane.  Le  roi  et  elle  étaient  (comme  toujours)  en 
discorde;  ils  ne  pouvaient  s'entendre  sur  le  choix  des 
dames  qui  feraient  les  nymphes.  Et,  comme  toujours 
aussi,  la  reine  l'avait  emporté  et  en  faisait  à  sa  tète,  de 
sorte  que  le  roi,  de  mauvaise  humeur,  pour  ne  pas  voir 


110  LE  DSRKIER  AMOUR  d'HBNRI  IT. 

aller  aux  répétitions,  avait  fait  fermer  sa  porte.  Une  fois 
pourtant,  en  passant,  il  jette  un  regard  dans  la  salle.  Il  se 
trouve  juste  au  moment  où  Tune  de  ces  nymphes  armées 
levait  son  dard  et  semblait  le  lui  adresser  au  coeur.  Le  coop 
jTorta,  et  si  bien,  que  le  roi  s'évanouit  presque...  C'était 
mademoiselle  de  Montmorency. 

Elle  était  presque  encore  enfant;  elle  avait  à  peine 
quinze  ans.  Mais  elle  avait  le  cœur  haut,  ambitieux;  elle 
^'it  le  roi,  et  sans  doute  se  plut  à  porter  le  coup. 

11  explique  très-bien  à  Sully  ce  qu'il  avait  éprouvé.  Cette 
enfant,  qui  devait  un  jour  être  mère  du  grand  Coudé,  lui 
parut,  dans  ce  regard,  non -seulement  unique  en  beauté, 
mais  en  courage^  dit-il.  Il  y  vit  ce  dont  rien  encore  ne  lui 
avait  donné  l'idée^  une  lueur  héroïque,  etd^avanoe  Téelair 
de  Rocroy. 

La  figure  du  grand  Coudé,  si  triste  dans  les  poftraits, 
fait  pourtant  conjecturer  par  son  sauvage  nez  d'aîgie  et  ses 
yeux  d'oiseau  de  proie,  ce  que  put  avoir  de  vainqueur  le 
sourire,  la  menace  enjotrée  de  son  irrésistible  mère. 

Mademoiselle  de  Montmorency,  dès  sa  naissance,  avait 
été  une  merveille,  une  légende.  Sa  mère,  plus  belle  que 
noble,  s*était,  dit-on,  donnée  au  diable.  De  là  son  grand 
mariage  et  deux  enfants  admirables;  cette  fille  de  beauté 
fantastique,  telle  qu'on  croyait  que  l'autre  naonde  (angeoa 
diable)  y  avait  passé. 

Le  terrible  pour  le  roi,  c'était  l'âge  :  elle,  quinze  ou 
seize  ans  ;  et  hn,  cinquante-huH.  Un  monde  de  faits,  de 
batailles,  d'émotions,  était  lisible  sur  ce  visage,  où  This- 
toire  du  temps  pouvait  s'étudier.  Ses  ruses  y  avaient  laissé 
trace,  et  aussi  ses  larmes,  sa  sensibilité  facile  ;  barbe  grise; 
lui-même  disait  :  »  Le  vent  de  mes  adversités  a  soufRé 
dessus.  1» 

L'irrécusable  docun\ent  que  nom  arvons  de  ce  visage, 
c'est  le  plâtre  pris  sur  lui  en  93,  quand  on  le  trouva  si 
bien  conserré.  Sauf  une  légère  convulsion  qtti  suivît  le  coup 


LE  DERNIER  AVOUR  D*1IENRI  IV.  441 

de  couteau  et  qui  a  fait  remonter  un  com  de  la  bouclie, 
rien  n'est  alléré.  La  tête  est  forte  pour  un  homme  de' sa 
taOIe.  Le  profil  ressemble  à  François  1*"%  mais  II  est  bien 
plus  arrêté  et  surtout  plus  spirituel;  il  est  d'un  homme, 
Fautre  d'on  grand  enfant.  Le  nez,  moins  long  et  tombant, 
semble  ferme  et  courageux.  Il  incline  un  peu  à  gauche, 
soit  par  l'effet  de  la  convulsion,  soit  que  dans  la  vie  il  ait 
été  tel.  Le  front  est  extrêmement  beau,  non  pas  d'un  vaste 
génie,  mais  d'un  esprit  vif,  intelligent  et  rapide,  sensible  à 
tontes  choses.  Les  yeux  sont  dans  une  arcade  marquée,  non 
profonde.  Ils  ne  sont  pas  très-grands,  mais  doux,  char- 
mants, infiniment  aimables. 

Llncertain  dans  cette  figure,  c'est  la  bouche  moins  visi- 
ble sous  la  barbe,  et  un  peu  tirée  de  côté.  Autant  qu'on 
peut  entrevoir,  elle  ne  rassurerait  pas  trop;  elle  semble 
fuyante  et  flottante.  Ajoutez  ce  nez  indirect  qui  semble 
d'on  homme  incertain. 

Le  masque,  selon  le  jour  et  l'aspect,  a  des  expressions 
tfèa-dîverses.  Vu  de  haut,  il  est  funèbre.  Face  à  lace  et 
de  niveau,  il  est  douloureux.  Tu  d'au-dessus,  il  sourit,  et 
paraît  comique,  sceptique  ;  il  dit  :  oui  et  non. 

Ce  qui  sftr  et  certain  en  cet  homme,  ce  qui  est  visible, 
c'est  Tamour .  Les  yeux  fermés  couvent  de  tendres  pen- 
sées et  continuent  toujours  leur  rêve. 

La  folie  croit  par  les  obstacles.  D'une  part,  à  l'Arsenal, 
rhomme  positif  et  sage,  lliomme  de  la  grande  confiance, 
mootmit  l'Impossibilité,  l'absurdité,  le  ridicule.  D'autre 
part,  an  Louvre,  on  disait  qu'elle  était  engagée,  promise; 
Biais  c'était  justement  ce  qui  piquait  le  roi,  qu'un  mariage 
de  ccfte  importance  eût  été  réglé  par  son  compère,  le  vieux 
connétable,  sans  qu'il  n'en  sût  rien.  D'Ëpemon  avait  tra- 
vaillé le  vieilhud,  lui  avait  persuadé  de  la  marier  brus- 
quement à  leur  ami  de  jeu,  le  beau  Bassompierre,  colo- 
nd  4eB  Suisses,  issu  des  cadets  de  Clèves,  mais  qui  n'eût 
jamais  aspiré  si  haut.  Ce  fat,  qui,  trente  ans  après,  a  écrit 


442  LE  DERNIER  AMOUR  D*flENRI  IV. 

ses  Mémoires,  ne  manque  pas  de  faire  croire  que  son 
mérite  avait  fait  tout. 

M.  de  Bouillon,  parent  de  la  demoiselle,  à  qui  on  n'avait 
rien  dit  du  mariage,  s'en  vengea  en  donnant  au  roi  le 
conseil  de  la  donner  à  son  neveu,  le  jeune  prince  de 
Condé.  C'était  l'avis  de  Sully  et  de  tous  les  gens  raison- . 
nables.  Le  roi  fut  forcé  d'avouer  que  c'était  le  meilleur 

parti. 

La  passion  est  si  rusée,  que,  dans  son  for  intérieur,  il 
calculait,  il  espérait  que  ce  mariage  ne  serait  pas  un  ma- 
riage, Condé  détestant  les  femmes. 

Ce  personnage  sournois,  taciturne  alors  (plus  tard  il 
devint  beau  diseur),  se  tenait  près  du  roi,  tout  petit  et 
fort  servile.  Il  attendait  tout  de  lui.  Il  était  trës^pauvre, 
sa  naissance  même  était  contestée.  Était-il  sûr  qu'il  fût 
Condé?  Les  Condés,  jusque-là  rieurs,  à  partir  de  celui- 
ci,  ont  tous  des  mines  tragiques.  11  était  né,  il  est  vrai, 
dans  un  moment  fort  sérieux,  sa  mère  éta'nt  en  prison 
pour  empoisonnement.  Un  petit  page  gascon,  son  amant, 
avait  pris  la  fuite,  et  le  mari  brusquement  était  mort. 
Les  tribunaux  huguenots  la  jugèrent  coupable  et  la 
mirent  pour  toujours  entre  quatre  murs.  Mais  elle  se  fit 
catholique;  d'autres  tribunaux  la  lavèrent,  ce  qui  refit 
légitime  cet  enfant  né  en  prison.  Les  Bourbons  le  reniè- 
rent, protestèrent.  Le  roi,  par  pitié,  n'ayant  point  d'ail- 
leurs d'autre  héritier  alors,  le  soutint  Condé,  le  maintint 
Condé.  11  ne  lui  donna  pas  grand^chose,  comptant  l'en- 
richir par  un  mariage.  Lui,  docile,  modeste,  attendait,  et, 
en  attendant,  se  liait  sous  main  avec  les  parlementaires 
pour  qu'ils  le  soutinssent  si  sa  naissance  était  contestée,  ou, 
après  le  roi,  l'aidassent  à  bouleverser  le  royaume. 

Mariée  à  celte  face  de  pierre,  à  cet  ennemi  des  femmes, 
mademoiselle  de  Montmorency  devait  s'ennuyer,  chercher 
des  c^jnsolateurs.  Et,  comme  elle  était  haute  et  fière,  pour 
chevalier  qui  prendrait-elle?  le  plus  haut  placé,  le  roi. 


LI  DERNIBR  AMOOR  D'HKNRI  IY.  443 

C  etiiH  le  calcul  de  celui-ci,  peu  moral,  mais  selon  le 
temps.  Il  lui  fallait^  au  préalable,  avaler  l'amëre  médecine 
du  mariage.  Il  essaya  de  la  tourner  en  gaieté,  en  y  menant 
Bassompierre  et  s'amusant  de  la  figure  désespérée  qu'il  y 
fit.  Mais,  malgré  cette  malice,  le  rieur,  qui  avait  plutdt  envie 
de  pleurer,  rentra  comme  frappé  au  Louvre  ;  la  goutte  le 
prit  et  le  mit  au  lit.  Lié  là  et  immobile,  d'autant  plus  Ima- 
ginatif, sous  la  griffe  de  sa  passion,  il  n'avait  plus  la  force 
de  la  cacher,  la  disait  à  tout  le  monde.  On  se  relayait  jour 
et  nuit  pour  lui  lire  VAstrée. 

Le  mariage  eut  lieu  le  3  mars,  et  Condé  savait  si  bien 
pourquoi  on  l'avait  marié,  qu'il  se  contenta  de  palper 
l'immense  dot  (deux  cent  mille  écus),  mais  se  tint  loin  de 
sa  femme,  comme  d'un  objet  sacré,  réservé  et  défendu. 
La  mariée  semblait  déjà  veuve,  et  cela  alla  ainsi  jusqu'à 
ce  que  des  événements  politiques  qui  survinrent  enhardi- 
rent Condé,  deux  mois  et  demi  après  le  mariage,  à  ne  plus 
ménager  le  roi. 

Le  coup  que  Ton  attendait  depuis  des  années  éclata  à  la 
fin  de  mars.  Le  25,  le  duc  de  Clèves  mourut,  et  la  question 
du  Rhin  fut  posée,  le  duel  ouvert  entre  les  maisons  de 
France  et  d'Autriche. 

Dès  4604,  le  roi  avait  dit  :  <  Je  ne  tolérerai  pas  à  Clèves 
l'Espagnol  ni  l'Autrichien,  i 

Cependant  cette  chose  prévue  fut  comme  «  un  ton- 
nerre :  »  c'est  le  mot  dont  Villeroy  se  servit. 

Jeannin,  qui  négociait,  rendit  à  l'Espagne  l'essentiel 
service  de  brusquer  la  trêve  avec  la  Hollande,  qui  fut 
signée  deux  jours  après  (mars  4609). 

Le  roi  ne  s'en  déclara  pas  moins  tout  prêt  à  agir.  11  se 
dit  guéri,  se  leva  et  se  montra  dans  Paris  d*abord.  Il  alla 
au  Pré-aux-Clercs,  et  s'amusa  aune  chasse  de  malade  que 
les  bourgeois  aimaient  fort,  la  chasse  à  la  pie. 

Il  ordonna  qu'on  lui  fit  une  belle  et  riche  cotte  de 
mailles,  fleurdelisée  d'or,  pour  porter  un  jour  de  bataille, 
XI.  s 


414  LS  Duuim  AMOCR  d'iuih  1T. 


s'il  pouvait  avoir  le  bonheur  d'y  amner  SpîaoU,  ie  géné- 
ral des  Eapagnels. 

Du  reste,  dom  Pèdre  avait  dit  qu'il  avait  le  diaUe  ao 
corps.  Il  semblait  que  le  Béaraais  eât,  de  race,  apporté, 
gardé  la  verdeur  de  la  moutagw,  ee  «yslèie  de  chaude 
vie  que  les  Pyrénées  versent  dans  leurs  eavx.  11  g«rda  ceb 
au  tombeau.  Sa  dépoulle,  pendant  deux  cents  ans,  y  resta 
teUe  qu'au  premier  jour. 

N'eûtr-il  pas  eu  cette  vie  forte,  rfinrope  le  priait  à  ge- 
noux de  la  prendre,  de  se  refaire  jeune. 

Venise,  dit  un  contemporain,  adorait  ce  soleil  levant  ; 
quand  on  voyait  un  Français,  tous  les  Vénitiens  oonraient 
après  lui,  criant  comme  les  Papimanes  de  Rabelais  : 
«  L'avez- vous  vu?  » 

A  la  cour  de  l'Empereur,  on  disait  :  «  Qu'il  ait  TEmpire, 
qu'il  soit  vrai  roi  des  Romains,  et  réduise  le  pape  à  son 
évéché!  » 

L'électeur  de  Saxe  faisait  prêcher  devant  lui  sur  l'évi- 
dente analogie  entre  Henri  IV  et  David. 

La  Suisse  avait  imprimé  un  livre,  intitulé  :  Résurrection 
de  Charlemagne, 

L'affaissement  de  l'Espagne  et  de  l'Angleterre  elle- 
même,  depuis  la  mort  d'ÉlisabeUi,  avait  mis  le  roi  si 
haut,  que,  si  on  le  voyait  agir,  on  l'eût  salué  de  toutes 
parts  pour  chef  de  la  chrétienté. 

Plus  que  de  la  chrétienté  même:  Les  nmbométans  d'Es- 
pagne voulaient  être  ses  sujets. 

Position  unique,  qu'il  devait  moins  à  sa  puissance  qu'a 
sa  renommée  de  bonté,  de  modération  et  de  tolérance. 


CHAPITRE  XI 


Progrès  de  la  coDspirafion.  •»  Fuite  de  Condë.  1609. 


On  «vait  vendu,  en  4  607,  à  la  grande  foire  de  Franc** 
fort,  plusieurs  livres  d'astrologie  où  l'on  disait  que  le  roi 
de  Kranee  périrait  dans  la  cinquante-neuvîènie  année  de 
ses  à^ft,  c'est-à-dire  en  4640,  qu'il  ne  serait  pas  heureux 
dftDS  son  second  mariage,  qu'il  mourrait  de  la  main  des 
neas,  ne  laisserait  pas  d'enfants  légitimes,  mais  seulement 
des  bâtards.  Ces  livres  vinrent  à  Paris,  et  chacun  les  lut. 
Le  Parlement  les  fit  saisir. 

Lestoiie,  qui  les  vit,  raconte  que,  la  même  année  4607, 
«n  prieur  de  Montargis  trouva  plusieurs  fois  sur  l'autel  des 
ams  anonymes  de  la  prochaine  mort  du  roi.  Il  fit  passer 
ces  avi^'aa  diancelier,  qui  n'en  tint  compte.  Le  même 
prieur  le  contait  plus  tard  à  Lestoile  en  pleurant. 

En  4609,  le  docteur  en  théologie  Olive,  dans  un  livre 
MBprimé  avec  privilège  et  dédié  à  Philippe  lU,  annonçait 
pour  4640  la  mort  du  roi  de  France.  (Mém.  de  Richelieu.) 

On  pouvait  prédire  qu'il  serait  tué.  Chacun  le  croyait, 
le  pensait  et  s'arrangeait  en  conséquence.  La  prédiction, 
en  réalité»  préparait  l'événement  ;  elle  affermissait  les  fin- 
natiqoeB  dam  Tidée  et  l'espoir  d'accomplir  la  chose  fatale 
qui  éteit  écrite  Ik-haut  | 

À  rentrée  de  D.  Pèdre  à  Paris,  le  roi,  étant  en  voiture 


446  PROGRÈS  DE  LA  CONSPIRATION. 

• 

avec  la  reine,  se  rappela  qu'on  lui  avait  prédit  qu'il  serait 
tué  en  voiture,  et,  le  carrosse  ayant  penché,  il  se  jeta  brus- 
quement sur  elle,  si  bien  qu'il  lui  enfonça  au  front  les  poin- 
tes des  diamants  qu'elle  avait  dans  ses  cheveux.  {NeeersJ) 

Ces  craintes  n^étaient  pas  vaines.  Au  départ  de  D.  Pèdre 
(février  4  609),  on  put  voir  qu'il  n'avait  pas  perdu  son 
temps.  Le  vent  d'Espagne,  le  souffle  de  haine  et  de  dis- 
corde, souffla  de  tous  côtés.  D'abord  au  Louvre;  la  reine 
trouvait  impardonnable  le  refus  des  mariages  espagnols. 
Ces  glorieux  mariages,  qui  (dans  ses  petites  idées  de  petite 
princesse  italienne)  étaient  l'Olympe  et  l'Ëmpyrée,  man- 
ques, perdus  par  son  mari  !  et  les  basses  idées  d'Henri  IV 
de  marier  ses  enfants  en  Lorraine,  en  Savoie!  Cette  fer- 
meté toute  nouvelle  dans  un  homme  qui  cédait  toujours, 
c'était  entre  elle  et  lui  un  plein  divorce.  Le  roi  crut,  ce 
mois  même  (février  4609),  l'apaiser  et  la  regagner,  lui  of- 
frant de  renoncer  à  toute  femme,  si  elle  renvoyait  Concini. 
Sans  s'arrêter  aux  rebuffades,  il  se  rapprocha  d'elle,  et  elle 
devint  enceinte  (d'une  fille,  la  reine  d'Angleterre)  ;  mais 
le  cœur  resta  le  même,  la  rancune  plus  grande  d'être  in- 
fidèle à  Concini. 

Celui-ci,  loin  d'être  chassé,  était  si  fort  chez  elle,  si  ab- 
solu à  ce  moment,  qu'un  oncle  de  la  reine,  Juan  de 
Médicis,  lui  ayant  déplu,  il  le  fit  chasser,  quoiqu'il  fût  fort 
aimé  du  roi.  Concini  et  Léonora,  plus  tard  accusés,  non 
sans  cause,  de  l'avoir  ensorcelée,  l'avaient  certainement 
assotie  au  point  de  lui  faire  croire  qu'il  faisait  jour  la  nuit; 
ils  lui  persuadèrent  que  son  mari  (et  Henri  IV I)  au  mo- 
ment même  où  il  se  rapprochait  d'elle,  voulait  l'empoi- 
sonner. Elle  le  crut  si  bien,  qu'elle  ne  voulut  plus  dîner 
avec  lui,  affichant  la  défiance,  mangeant  chez  elle  ce  que 
sa  Léonora  apprêtait,  refusant  les  mets  de  son  goût  que  le 
roi  choisissait  de  sa  table  et  lui  envoyait  galamment. 

Ces  brouilleries  publiques  enhardirent  tout  le  monde 
contre  le  roi.  Les  jésuites  jouèrent  double  rôle,  le  flattant 


FUITB  DE  CONDà.  147 

par  Cotton,  l'attaquant  par  un  P.  Gauthier.  On  devinait 
fort  bien  que,  tant  que  le  roi  n'entamerait  pas  la  grande 
guerre,  il  endurerait  tout  des  catholiques.  Ce  Gauthier, 
en  pleine  chaire,  ouvre  la  croisade  contre  les  huguenots, 
contre  le  roi  môme.  Les  sermons  de  la  Ligue  recommen- 
cent à  grand  bruit.  On  ne  s'en  tient  pas  ^ux  paroles,  on 
les  traduit  en  actes.  En  Picardie,  un  temple  rasé  par  un 
prince  du  sang,  le  comte  de  Saint-Pol.  A  Orléans,  un 
cimetière  des  huguenots  menacé,  violé,  s'ils  ne  fussent 
accourus  en  armes.  A  Paris,  sous  les  yeux  du  roi,  le  che« 
min  de  Charenton  infesté  par  le  peuple,  le  bon  peuple  des 
sacristies  ;  les  gens  qui  vont  au  prêche  insultés  à  coups  de 
pierre,  entre  autres  un  malheureux  infirme  sur  qui  on  lâ- 
chait les  enfants  ;  ils  le  tiraient,  ils  le  battaient;  n'y  voyant 
pas,  il  ne  résistait  guère.  La  foule  appelait  ce  pauvre 
homme  V Aveugle  de  la  Charenton. 

La  Rochelle  se  fortifia,  à  tout  événement. 

Le  roi  ne  faisait  rien.  Les  Guises  impunément  tentèrent 
plusieurs  assassinats.  Le  jour  même  où  le  roi  défendit  les 
duels,  un  des  Guises  en  cherche  un.  Ils  se  succédaient  près 
d'Henriette,  moins  par  amour,  ce  semble,  que  pour  faire 
pièce  au  roi.  Toute  sa  vengeance  fut  de  leur  faire  exécuter 
le  traité  de  mariage  ;  l'héritière  de  Mercœur  fut  donnée 
enfin  à  Vendôme.  Larmes,  fureur  et  résistance.  Les  jeunes 
Guises  s'en  allèrent  à  Naples,  au  foyer  des  plus  noirs  com- 
plots, où  le  secrétaire  de  Bifon,  où  les  assassins  de  la  Ligue 
avaient  pris  domicile,  et  (d'accord  avec  les  jésuites)  orga- 
nisaient l'assassinat. 

Le  roi  en  eut  nouvelle.  Il  lui  arriva  d'Italie  un  Lagarde, 
homme  de  guerre  normand,  qui,  revenant  des  guerres  des 
Turcs,  s'était  arrêté  à  Naples,  et  y  avait  vécu  avec  Hébert, 
secrétaire  de  Biron,  et  autres  Ligueurs  réfugiés.  Lagarde 
raconta  au  roi  qu'un  jour,  dînant  chez  Hébert,  il  avait  vu 
entrer  un  grand  homme  en  violet,  qui  se  mit  à  table  et  dit 
qu'en  rentrant  en  France  il  tuerait  le  roi.  Lagarde  en  de- 


118  PROGRÈS  DE  LÀ  CONSPIRATION. 

munda  le  nom  ;  on  lui  dit  :  t  M.  Ravaillac,  qui  appartieat 
k  M.  le  duc  d'Ëpernoa»  et  qui  apporte  ici  ses  lettres.  »  La* 
garde  ajoute  qu'on  le  mena  chez  un  jésuite,  qui  était  oncle 
du  premier  ministre  d'Espagne,  le  Père  Ala^on.  Ce  Père 
l'engagea  fort  à  tuer  le  roi  à  la  chasse,  et  dit  :  «  Ravaillac 
frappera  à  pied,  et  vous  à  cheval.  »  Lagarde  n'object^L 
rien,  mais  partit,  et  revint  en  France.  Sur  la  route,  il  reçut 
une  lettre  de  Naples  oii  on  l'engageait  encore  à  tuer  le 
roi.  Reçu  par  lui  à  Paris,  il  lui  montra  cette  lettre.  Le  roi 
dit  à  Lagarde  :  «  Mon  ami,  tranquillise-toi;  garde  bien  ta 
lettre  ^  j'en  aurai  besoin.  Quant  aux  Espagnols,  vois-tu?  je 
les  rendrai  si  petits,  qu'ils  ne  pourront  nous  faire  du  nul.» 

Il  avait  entrevu  plus  qu'il  n'eût  voulu,  que  d'Éperaon 
n'était  pas  seul  là  dedans.  Il  ne  devina  pas  Henriette,  mais 
bien  les  entours  de  la  reine.  11  sentit  que  Naples  et  Madrid 
étaient  au  Louvre,  près  de  sa  femme,  que  la  noire  sorcière 
Léonora  avec  l'insolent  Concini  pervertissaient,  endurcis- 
saient. Ils  l'avaient  décidée  à  faire  venir  une  dévote,  la 
nonne  Pasithée  (c'était  son  nom  mystique),  que  déjà  on 
trouve  nommée  dans  les  Q^^stions  de  Collon  au  Diable  : 
«  Est-il  bon  que  la  mère  Pasithée  soit  appelée?  »  Cette 
mère  avait  des  visions,  et  savait  par  ses  visions  qu'il  était 
urgent  de  sacrer  la  reine,  pour  qu'on  pût  sans  doute  se 
passer  du  çoi  et  trouver  au  jour  de  sa  mort  une  régtmce 
déjà  préparée. 

Le  roi  fut  bouleversé  de  ces  idées,  n'en  parla  à  per- 
sonne. Il  garda  huit  jours  ce  cruel  secret,  quitta  la  cour, 
resta  seul  à  Livry  et  dans  une  petite  maison  de  son  capi- 
taine des  gardes.  Puis,  n'y  tenant  plus  et  ne  dormant  plus, 
il  vint  à  l'Arsenal  tout  dire  à  Sully  (chap.  <89,  180):  «  Que 
Concini  négociait  avec  l'Espagne,  que  la  Pasithée,  mise 
par  Concini  auprès  de  la  reine,  la  poussait  à  se  faire  sa- 
crer, qu'il  voyait  très-bien  que  leurs  projets  ne  pouvaient 
réussir  que  par  sa  mort,  qu'enfin  il  avait  un  avis  précis 
qu'on  devait  l'assassiner.  » 


mn  »B  COUD*.  119 

Il  se  senlMl  «i  mal  «a  LoUfte,  qu'il  pria  Sully  de  lui  faire 
arranger  à  T  Arsenal  un  tout  pelit  logement  ;  qoetre  cham- 
hresy  c*étaii  asaec.  Aiasi  ce  iiriBoe  redeuté  de  toute  TEu- 
rope  e»  éteil  àse  plue  ceMcket  dam  sa  propre  maison.  Le 
aignore  ConekK  TaTail  k  peu  pièa  mis  éebors^  à  la  porte  de 
chez  lui. 

SoA  nulheur,  soa  iaoksoieat,  fea<U0«at  à  sa  passion  «ne 
furieuse  ioree.  Il  araii  cru  devenir  pève  de  là  priaeesse 
«  e4  en  faire  la  eemglaliea  de  sa  vieillesse.  »  Mais  il  se 
relieava  amant,  aaaoureux  fou.  SUe  en  était  un  peu  cou- 
pable; ^e  reacowrageait.  Sans  doute,  elle  ea  avût  pitié. 
Un  tel  horame,  ua.  tel  roi,  œlui  dont  FEspagnol  baisaii 
répée  à  genoux,  et  si  petséeuié  cbea  lui,  entouré  de  tral* 
très  el  d'embâebes,  c'était  sans  doute  de  quoi  attendrir  un 
>euae  coiur.  Sa  vieillesse  a'était  qu'un  malheur  de  phis. 
Elle  le  comparait  à  son  triste  Coadé,  sournois,  avare^  A 
pressé  pour  la  dot,  si  peu  pour  la  peisonae.  Elle  était  dans 
une  situatioB  singulière,  mariée,  toujours  fille.  EUe  com- 
mença à  se  dire  que  le  roi  pomrrait  divorcer  encore.  Bt 
son  pèffe»  le  ednnétoble,  peu  satisfait  sans  doute  de  voir  ce 
naaiiage  sans  mariage,  eut  les  mèinee  pensées. 

Dans  cette  fmnentatioBf  la  jeune  fille  fit  un  coup  de 
tète.  Elle  fit  fûre  son  portrait  seerètemMyt  et  l'envoya  au 
roi.  Ck>upk  suprême  qui  le  foudroya  et  le  rendit  tout  à  fait 
fou. 

Il  se  troave,  poor  rendre  la  aituation  ptus  tragique,  que, 
justameal  à  ce  moment  (47  mai),  Gondése  ravise,  revient 
Au  bout  de  dût  semaîaes^  il  se  souviea*  qu'il  a  épousé  la 
princesse  el  fait  valoir  ses  droits  d'époux.  Ëolairé  par  sa 
mère,  qvû  baissait  le  roi  (ma  tûeafaileivr),  Condé  avait 
con^iris  tout  la  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  l'aventuca, 
qu'elle  allait  le  poser  eonuie  adversaire  du  roi  et  l'exhauar 
s6f  énorménasal,  le  rsAdre  précieux  pour  les  ligueurs 
et  pour  les  Esp^gaols.  Bonc  il  vint,  ptîl  possession  de  sa 
jeune  femme,  justement  irritée  de  cet  oubli  de  six  semaines, 


120  PROGRÈS  0B  LA  CONSPIRATIOll* 

et,  d'autorité,  l'enleva,  la  cacha  à  Saint-Valery,  bien  sûr 
qu'on  viendrait  Ty  chercher. 

II  est  probable  qu'elle  avertit  le  roi.  Il  en  perdit  l'esprit. 
Son  désespoir  lui  fit  faire  une  folie  près  de  laquelle  Don 
Quichotte,  sur  la  Roche  pauvre^  jouant  le  beau  Ténébreux 
et  faisant  ses  cabrioles,  aurait  passé  pour  un^sage. 

Il  part  à  peu  près  seul  et  déguisé.  A  mi-chemin,  un 
prévôt  le  prend  pour  un  voleur,  l'arrête.  II  lui  iaut  dire  : 
«  Je  suis  le  roi.  »  Il  arrive.  Condé,  averti,  enlève  encore. 
sa  femme,  sûr  que  le  roi  suivra  et  s'avilira  d'autant  plus. 

Le  secret  n'en  était  pas  un  ;  les  dames  de  la  princesse 
l'avaient  bien  reconnu.  Mais  le  roi,  éperdu  d'amour,  ne 
leur  demandait  rien  que  de  la  laisser  voir.  Son  rêve  était 
de  la  contempler  «  à  sa  fenêtre,  entre  deux  flambeaux, 
échevelce.  j>  £IIe  eut  cette  complaisance,  et  l'effet  fut  si 
fort,  qu'il  tomba  presque  à  la  renverse.  Elle*même  dit  : 
«  Jésus  !  qu'il  est  fou  I  » 

Le  lendemain,  elle  partant,  il  alla  se  mettre  au  passage, 
sous  la  jaquette  d'un  postillon,  s'étant  appliqué,  pour 
mieux  s'embellir,  un  emplâtre  sur  l'œil.  Elle  souffrit  de 
le  voir  si  abaissé,  laid  et  ridicule  à  ce  point.  Soit  colère, 
soit  pitié,  pour  lui  donner  une  parole,  elle  cria  du  carrosse  : 
a  Je  ne  vous  pardonnerai  jamais  ce  tour-là  !  » 

Grand  succès  pour  Condé.  La  partie  était  belle  pour 
lui.  Il  en  pouvait  tirer  deux  avantages  :  ou  de  l'argent, 
beaucoup  d'argent,  et  il  inclinait  à  cela  ;  ou  bien  (chose 
plus  agréable  à  sa  mère)  une  rupture  avec  le  roi,  qui  le 
constituerait  candidat  de  l'Espagne  au  trône  de  France. 
Si  les  Espagnols  avaient  désiré  avoir  en  main  le  petit 
bâtard  d'Entragues,  combien  celui-ci  valait  mieux!  La 
guerre  venant,  ils  l'opposaient  au  Béarnais,  faux  converti, 
relaps,  apostat,  renégat.  Et,  même  après  la  mort  du  roi, 
ils  lui  offrirent,  en  effet,  de  déclarer  Louis  XIII  illégi- 
time, bâtard  adultérin,  et  de  le  porter  au  trône. 

Cependant  la  petite  femme,  qui  brûlait  d'être  reine. 


FUITE  DK  COSDÈ.  424 

avait  signé  secrètement  une  demande  de  divorce.  Mais  la 
mère  et  le  fils  l'enlèvent.  Ayant  pris  de  Tor  espagnol 
qu'un  médecin  leur  apporta,  malgré  ses  pleurs,  ses  cris, 
ils  la  mènent  d'un  trait  à  Bruxelles. 

Toute  la  situation  était  changée  au  profit  de  TEspagne. 
Maintenant,  si  le  roi  commençait  la  guerre  préparée 
depuis  dix  ans,  on 'allait  rire;  vieux  chevalier  errant,  il 
aurait  Tair  seulement  de  courir  après  sa  princesse.  Tout 
le  monde  serait  contre  lui .  Sa  cruauté  à  l'égard  de  son 
épouse  infortunée,  sa  tyrannie  dans  sa  famille,  sa  violence 
effrayante  qui  forçait  son  pauvre  neveu  de  fuir^  n'ayant 
nul  autre  moyen  de  soustraire  sa  femme  aux  derniers 
affronts,  tout  cela  éclatait  dans  l'Europe,  au  profit  du  roi 
catholique,  protecteur  des  bonnes  mœurs  et  défenseur  de 
l'opprimé. 

L'Espagne,  en  si  bonne  cause,  ne  pouvait  manquer 
d'assistance.  Le  ciel  devait  se  déclarer,  et,  ne  fit-il  plus  de 
miracles,  il  en  devait  un  cette  fois  pour  la  punition  du 
tyran  et  la  vengeance  de  Dieu. 


CHAPITRE   XH 


Mort  d'Henri  FV.  1010. 


Il  y  avait  à  AQgoulém««  place  du  duc  d'fip«ffaoo«  ua 
liomme  fort  exemplaire,  qui  nourrissait  sa  mère  die  aon 
iravail  et  vivait  avec  elle  en  grande  dévotion.  Où  la  aom- 
mait  Ravaillac.  Malheureusement  pour  lui,  U  avait  une 
mine  sinistre  qui  mettait  en  déliance,  semblait  dm  sa 
race  maudite,  celle  des  Ckicanous  de  Rabelais,  eu  oeUe 
des  Chats  fourrés,  hypocrites  et  assassins.  Le  père  était 
une  espèce  de  procureur,  ou^  comme  on  disait,  soUicUeur 
de  procès.  Le  fils  avait  été  valet  d'un  conseiller  au  Parle- 
ment, et  ensuite  homme  d'affaires.  Mais,  quand  les  pro- 
cès manquaient,  il  avait  des  écoliers  qui  le  payaient  en 
denrées.  Bref,  il  vivait  honnêtement. 

11  avait  eu  de  grands  malheurs,  son  père  ruiné,  le  père 
et  la  mère  séparés.  Enfin,  un  meurtre  s'élant  fait  dans  la 
Tille,  on  s'en  prit  à  lui,  uniquement  parce  qu'il  avait  mau- 
vaisQ  mine.  On  le  tint  un  an  en  prison.  Il  en  sortit  hono- 
rablement acquitté,  mais  endetté,  ce  qui  le  remit  en  pri- 
son. Là,  seul  et  faisant  maigre  chère,  il  advint  que  son 
cerveau  creux  commença  à  s'illuminer.  Il  faisait  de  mau- 
vais vers,  plats,  ridicules,  prétentieux.  Du  poète  au  fou, 
la  distance  est  minime.  Il  eut  bientôt  des  visions.  Une  fois 
^u'il  allumait  le  feu,  1|  tète  penchée,  il  vit  un  sarment  de 


%n 


d  changer  de 
pjkt  em  aCûras  de  torotUme;  im 
cnûu  une  îUasioa  d«  diahle.  Ifais 
orgiieillaoi«yTît«i  ainde  de  Diett.  Ce  sâimesl 
dercBo  olie  trooipe  sacrée  d'archaages  qui  lui  $<»• 
tak  de  la  bo«ehe  d  lo— ril  h  fueire  ;  la  guerre  saiaie, 
car  de  sa  bouche,  à  droîle  et  à  gauche,  s'échappaient  des 
torrents  d'hoatiea» 

B  Yît  biea  fa*il  était  destiné  à  une  grande  choee.  U  avait 
été  jnsqiie*là  étranger  à  la  théologie,  il  s*y  aût,  lut,  éta* 
dia.  ania  nae  seule  et  unique  question,  le  droit  que  tout 
cfaicdea  a  de  tuer  un  roi  ennemi  du  pape.  Mariana  et 
aulies  faiaaient  grand  bruit  alors.  Qui  les  lui  prélat  qui  le 
dirigea?  c*est  ce  qu'on  n'a  pas  voulu  trop  êclaircir  au  pro- 
ces.  Tout  an  moins  il  en  avait  bien  proité,  et  était  forr<^ 


À  sa  sortie  de  prison,  il  confia  ses  visions,  et  le  bruit 
s'en  répandit  On  fit  savoir  au  duc  d*Épernon  qu'il  y  avait 
dans  sa  ville  d'Ângooléme  un  homme  favorisé  du  ciel, 
chose  rare  alors.  11  l'apprécia,  s'intéressa  à  Ravaillac,  et  le 
changea  d'aUer  iotticiur  un  procès  qu'il  avait  à  Paris.  Il 
devait,  sur  son  chemin,  passer  d'abord  près  d*Oriéans,  au 
ch&teau  de  Malesherbes,  où  il  eut  des  lettres  du  père  En* 
tragaes  et  d'Henriette.  Us  lui  donnèrent  leur  valet  de 
chambre,  qui  le  fit  descendre  à  Paris,  chez  la  dame  d'Ea- 
comas,  confidente  d'Henriette. 

Celk^ci  fut  un  peu  effrayée  de  cette  figure.  C'était  un 
homme  grand  et  fort,  charpenté  vigoureusementi  de  gros 
bras  et  de  main  pesante,  fort  bilieux,  roux  de  cheveux 
comme  de  barbe,  mais  d'un  roux  foncé  et  noirâtre  qu'on 
ne  voit  qniaux chèvres.  Cependant,  il  le  fallait,  elle  le  logea, 
le  nourrit,  le  trouva  très-doux,  et,  se  repentant  de  son 
jugement  sur  ce  bon  personnage,  elle  le  chargea  môme 
d'une  petite  affaire  au  Palais. 

Il  resta  deux  mois  à  Paris;  que  fit*il  ensuite?  Lagarde 


124  MORT  D'flXNRl  IV. 

nous  l'apprend  ;  il  alla  à  Naples  pour  le  duc  d'Ëpernon  ; 
il  y  mangea  chez  Hébert,  et  lui  dit  qu'il  tuerait  le  roi* 
C'était  le  moment,  en  effet,  où  le  roi  avait  garanti  la  Hol— 
lande  et  refusé  le  double  mariage  d'Espagne.  11  ne  restait 
qu'à  le  tuer.  Ravaillac,  de  retour  à  Paris;  vit  la  d'Esco— 
man,  à  l'Ascension  et  à  la  Fête-Dieu  de  4609.  U  lui  dit 
tout,  mais  avec  larmes;  plus  près  de  l'exécution,  il  sentait 
d*étranges  doutes  et  ne  cachait  pas  ses  perplexités. 

Cette  d'Escoman,  jusque-là  digne  confidente  d'Henriette, 
femme  galante  et  de  vie  légère,  était  pourtant  un  bon 
cœur,  charitable,  humain.  Dès  ce  jour,  elle  travailla  à 
sauver  le  roi  ;  pendant  une  année  entière,  elle  y  fit  d'éton- 
nants efforts,  vraiment  héroïques,  jusqu'à  se  perdre  elle- 
même. 

Le  roi  pensait  à  toute  autre  chose.  Sa  grande  affaire 
était  la  fuite  de  Condé.  En  réalité,  et,  toute  passion  à  part, 
on  ne  pouvait  laisser  tranquillement  dans  les  mains  des 
Espagnols  un  si  dangereux  instrument.  Le  manifeste  qu'il 
lança  visait  droit  à  la  révolte.  Pas  un  mot  de  ses  griefs  :  il 
ne  s'occupait  que  du  peuple  ;  il  n'avait  pu  rester  témoin  des 
souffrances  du  peuple.  C'était  dans  Tintérét  du  peuple 
qu'il  s'était  réfugié  chez  nos  ennemis,  et  qu'il  donnait  des 
prétextes  pour  la  guerre  et  la  guerre  civile. 

Ce  manifeste  eut  de  l'écho.  Condé  avait  fort  caressé  les 
parlementaires,  spécialement  M.  De  Thou.  Dans  la  no- 
blesse mécontente,  quelques-uns  se  mirent  à  dire  que,  pas 
un  enfant  du  roi  ne  venant  de  lui,  Condé  lui  succéderait. 
Au  Louvre  même,  on  répandait  un  quatrain  prophétic[ue 
qu'on  disait  de  Nostradamus,  où  le  lionceau  fugitifieysiit 
trancher  les  jours  du  lion. 

L'Autriche  prit  du  courage  quand  elle  vit  ainsi  le  roi 
tellement  menacé  par  les  siens.  L'Empereur  décida  hardi- 
ment la  question  du  Rhin,  déclara  Clèves  et  Juliers  en 
séquestre,  et  les  fit  saisir  par  son  cousin  Léopold.  Il  fallait 
de  grands  calmants  et  force  opium  pour  faire  avaler  cela  ; 


MORT  D'HENRI  IV.  125 

Cotton  n'en  désespérait  pas,  le  roi  paraissant  distrait, 
affolé  par  sa  passion,  et  TEspagne  lui  jetant  l'appât  de  lui 
rendre  la  princesse.  Un  homme  dévoué  aux  jésuites  lui 
fut  présenté  par  Cotton  pour  être  envoyé  à  Clèves.  Le  roi 
leur  en  donna  Tespoir,  mais  en  envoya  un  autre,  qui  con^, 
dut  (40  février  4610)  avec  les  princes  protestants  le  traité 
de  guerre.  Par  trois  armées  à  la  fois,  et  trois  généraux 
protestants,  Sully,  Lesdiguières  et  La  Force,  il  allait  entrer 
en  Allemagne,  en  Espagne  et  en  Italie.  Ses  canons  étaient 
partis,  une  armée  déjà  en  Champagne. 

Les  jésuites  étaient  joués.  Leur  homme,  le  duc  d'Ëper- 
non,  colonel  général  de  Tinfanterie,  était  laissé  à  Paris. 
Nul  doute  que  ce  titre  même  ne  lui  échappât.  Le  roi  le 
caressait  fort,  mais  il  venait  de  faire  couper  la  tête  à  un  de. 
ses  protégés  qui  avait  fait  la  bravade,  au  moment  de 
redit  contre  les  duels,  de  se  battre  et  de  tuer  un  homme  ; 
d*Ëpemon  pria  en  vain,  supplia,  le  roi  tint  ferme. 

Plus  cruellement  encore  la  reine  fut  humiliée  dans  son 
chevalier  Concini.  Ce  fat,  qui  n'avait  jamais  guerroyé  que 
dans  l'alcôve,  posaittomme  homme  de  guerre.  Il  affectait 
grand  mépris  pour  les  hommes  de  robe  longue.  Dans 
un  jour  de  cérémonie,  le  Parlement  défilant  en  robes 
rouges,  seul  des  assistants,  Concini  restait  couvert.  Lq  pré- 
sident Séguier,  sans  autre  façon,  prend  le  chapeau,  le 
met  par  terre.  Cela  ne  le  corrigea  pas.  Peu  après,  affec- 
tant de  ne  pas  savoir  le  privilège  du  Parlement,  où  l'on 
n'entrait  qu'en  déposant  ses  armes  à  la  porte,  notre 
homme,  en  bottes,  éperons  dorés,  Tépée  au  côté,  et  sur  la 
tête  le  chapeau  à  panache,  entre  dans  une  chambre  des 
enquêtes.  Les  petits  clercs  qui  étaient  là  courent  à  lui, 
abattent  le  chapeau.  Concini  avait  cru  qu'on  n'oserait, 
parce  qu'il  avait  avec  lui  une  dizaine  de  domestiques. 
Grande  bataille,  un  page  de  la  reine  vient  à  son  se- 
cours. Hais  les  clercs  ne  connaissent  rien.  Concini  reçoit 
force  coups ,  est  tiré ,  poussé ,  houspillé.  On  le  sauva  à 


.  4^6  MORT  I>*Hn(RI  IT. 

grand'peine  en  le  fourrant  dans  wi  trou,  d'où  on  le  tira 
le  soir.    . 

La  reine  aratt  le  cœnr  cre^é,  non  le  roi.  Lorsque  Con- 
cini  se  plaignît  d'une  injure  telle  pour  un  honume  d'épée 
comme  lui,  les  parlementaires  étaient  là  aussi  pour  se 
plaindre,  et  le  roi,  toujours  rieur  :  t  Prenez  garde,  dit-il, 
leur  plume  a  le  fil  plus  que  votre  épée.  » 

Cette  fetale  plaisanterie  fut,  sans  nul  doute,  unedes  cboees 
qui  endurcirent  le  plus  la  reine.  BUe  se  crut  avilie,  voyant 
son  cavalier  servant,  son  brillant  vainqueur  des  joutes,  q« 
avait  éclipsé  les  prinoes,  battu  par  les  clercs,  moqué  par  le 
roi.  Elle  avait  le  cœur  très-haut,  magaaMOie,  dit  Bassooi» 
pierre;  ce  qui  veut  dire  qu'elle  était  altière  et  vindicative. 
•  Pour  la  vendetta  italienne,  cen'eftt  pas  été  trop  qu'une  Saint- 
Barthélémy  générale  des  clercs,  des  juges,  etc.  Mais  plus 
coupable  était  le  roi.  La  reine  se  boucha  les  oreilles  aux 
avis  que  la  d'Escoman  s'efiorçail  de  faire  arriver.  Ceile^ci 
arvait  été  au  Louvre,  lui  avait  fait  dire,  par  une  de  ses 
femmes,  qu'elle  avait  à  lui  donner  un  avis  essentiel  au 
salut  du  roi;  et,  pour  assurer  d'aval^ee  qu'il  ne  s'agissait 
pas  de  choses  en  l'air,  elle  offrait,  pour  le  Undemam^ 
de  faire  saisir  certaines  lettres  envoyées  en  Espagne.  La 
reine  dit  qu'elle  Tëcouterait,  et  la  fit  languir  trois  jours, 
puis  partit  pour  la  campagne. 

Bien  étonnée  d'une  si  prodigieuse  insouciance  de  la 
reine,  la  pauvre  femme  pensa  que  le  confesseur  du  roi 
peut-être  aurait  plus  de  zèle.  Elle  alla  demander  Gotton 
aux  jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine.  Elle  fut  assez  mal 
reçue.  On  lui  dit  que  le  Père  n'y  était  pas,  rentrerait  tard, 
et  partn*ait  de  grand  matin  pour  Fontainebleau.  Désolée, 
elle  s'expliqua  avec  le  père  procureur,  qui  ne  s'émut  pas, 
fut  de  glace,  ne  promit  pas  même  d'avertir  Gotton,  dit  : 
c  Je  demanderai  au  €iel  ce  que  je  dois  faire...  Allez  en 
pah,  et  priez  Dieu.  —  Mais,  mon  père,  si  l'on  tue  le  roî  ?... 
îlêlez-vous  de  vos  affaires.  » 


Alors  elle  le  meiMça.  Il  se  radouoit  :  t  J'irai,  dit-il,  à 
^  Fontainebleaii.  »  —  T  aUa-tr-il?  on  l'ignore.  Ce  qu'on  sait, 
c'esl  que  Tobsiiaée  révélatrice  fut  arrêtée  le  lendemain. 

Incroy^e  coup  d'audace  l  ceux  qui  donnèrent  Tordre 
étaient  donc  bien  appuyés  de  la  reine,  ou  bien  sûrs  que  le 
roi  mourrait  avant  que  l'affaire  vint  à  ses  oreilles? 

La  d'Escomah  était  si  aveugle,  que,  du  fond  de  sa  pri- 
son, d'où  elle  ne  devait  plus  sortir  que  pour  être  mise  en 
terre,  elle  s'adressa  encore  à  la  reine.  Elle  trouva  moyen 
d'avertir  un  domestique  intime/  qui  alors  n'était  qu'une 
espèce  de  valet  de  garde-robe,  mais  approchait  de  bien 
près  (l'apothicaire  de  l'a  reine).  Sans  nul  doute,  l'avis  pé- 
nétra, mais  trouva  fermée  la  porte  du  cœur. 

Ravaillac  a  dit,  dans  &es  interrogatoires^  qu'il  se  serait 
fait  scrupule  de  frapper  le  roi,  avant  que  la  reine  fût  sa- 
crée et  qu'une  régence  préparée  eût  garanti  la  paix  pu- 
blique. C'était  la  pensée  générale  de  tous  ceux  qui  ma- 
chinaient, désiraient  la  mort  du  roi.  Le  premier  était 
Concini.  11  mit  toute  son  industrie  à  hâter  ce  jour.  Ni  nuit, 
ni  jour,  la  reine  ne  laissa  au  roi  de  repos  qu'il  n'eût  con- 
senti. Elle  disait  que,  s'il  refusait^  on  verrait  bien  qu'il 
voulait  lui  préférer  la  princesse,  divorcer  pour  l'épouser. 
Le  roi  objectait  la  dépense.  Il  lui  fallut  pourtant  céder. 
Elle  fit  une  entrée  magnifique,  fut  sacrée  à  Saint-Denis. 

Le  roi,  au  fond  assez  triste,  plaisantait  plus  qu'à  Tordi- 
nwke,  Quaad  elle  rentra  dans  le  Louvre,  couronnée,  en 
grande  pompe,  il  s'amusa  à  lui  jeter,  du  balcon,  quelques 
gouttes  d'eau.  Il  l'appelait  aussi,  en  plaisantant,  madame 
la  régente.  Elle  prenait  tout  cela  fort  mal*  En  réalité,  il  lui 
avait  témoigné  peu  de  confiance,  la  faisant,  non  pas  ré- 
gente, mais  membre  d'un  conseil  de  régence  sans  qui  elle 
ne  pouvait  rien,  où  elle  n^avait  qu'une  voix  qui  ne  devait 
peser  pas  phas  que  celle  de  tout  autre  membre. 

Sully  dit  expressément  que  le  roi  attendait  de  ce  sacre 
les  derniers  malheurs. 


128  MORT  D'flXNRI  IV. 

Il  était  dans  un  abattement  qui  étonne  quand  on  songe 
^ux  grandes  forces  qu'il  avait,  aux  grandes  choses  qu'il 
était  près  d'accomplir.  La  Savoie  l'avait  retardé,  il  est 
vrai.  Le  pape  tournait  contre  lui  et  travaillait  pour  1* Au- 
triche. Cependant  il  était  si  fort,  il  avait  tant  de  vœux 
pour  lui,  tant  d'amis  chez  Tennemi,  qu'il  ne  risquait  rien 
d'avancer. 

<2ui  lui  manqua  ?  son  propre  cœur. 

C'est  un  dur,  mais  un  haut  jugement  de  moralité,  une 
instruction  profonde,  que  cet  homme  aimable,  aimé,  in- 
voqué de  toute  la  terre,  mais  faible  et  changeant,  qui  n'eut 
jamais  l'idée  du  devoir,  tomba  à  son  dernier  moment, 
s'affaissa  et  défaillit. 

Il  avait  eu  toujours  besoin  de  plaire  à  ce  qui  l'entourait, 
de  voir  des  visages  gais.  Toute  la  cour  était  sombre,  ma- 
nifestement contre  lui. 

Il  avait  eu  besoin  de  croire  qu'il  était  aimé  du  peuple. 
Il  l'aimait;  il  le  dit  souvent  dans  ses  lettres  les  plus  inti- 
mes. Malgré  des  dépenses  trop  fortes  de  femmes  et  de 
jeux,  l'administration  était  sage,  et  au  total  économe. 
L'agriculture  avait  pris  un  développement  immense.  Le 
roi  croyait  le  peuple  heureux.  En  réalité,  tout  cela  ne 
profitait  guère  encore  qu'aux  propriétaires  du  sol,  aux 
seigneurs  laïques,  ecclésiastiques.  Ils  vendaient  leur  blé  à 
merveille,  mais  le  pain  restait  très-cher,  et  le  salaire  aug- 
mentait peu.  On  vivait  avec  deux  sols  en  1500;  en  1640, 
on  ne  vivait  plus  avec  vingt,  qui  font  six  francs  d'aujour- 
d'hui ;  l'ambassadeur  d'Espagne  les  donnait  à  chacun  de 
ses  domestiques,  et  ils  se  plaignaient  de  mourir  de  faim. 

Quand  le  roi,  en  4609,  aux  approches  de  la  guerre, 
ordonna  quelques  impôts,  le  président  de  Harlay,  véné- 
rable par  son  âge  et  par  son  courage  au  temps  de  la  Ligue, 
opposa  la  plus  vive  résistance.  Le  roi  s'indignait,  mais  les 
mêmes  choses  lui  furent  dites  par  le  vieil  Ornano,  gou- 
verneur de  Guyenne,  qui  vint  mourir  à  Paris  ;  il  lui  assura 


MORT  d'hxnri  IV.  439" 

qoe  le  Midi  ne  pouvait  payer,  succombait  sous  le  fardeau. 

Il  fut  touché,  retira  deux  de  ses  édits  fiscaux.  Mais  en* 
même  temps  il  faisait  (toujours  dans  sa  triste  bascule)  une 
concession  au  clergé  qui  désespéra  le  Midi  ;  pour  le  Béarn, 
tout  protestant,  le  rétablissement  forcé  des  églises  catho- 
liques et  la  rentrée  des  jésuites;  pour  nos  Basques,  une 
commission  contre  les  sorciers,  qui  les  jugeait  tous  sor- 
ciers et  qui  eût  voulu  brûler  le  pays. 

Sans  savoir  tout  le  détail  de  ces  maux,  il  entrevoyait 
cette  chose  triste ,  que  le  peuple  souffrait,  gémissait,  et 
qu'il  n'était  pas  aimé. 

Une  scène  hii  fit  impression.  Un  mendiant  vient  prendre 
le  roi  aux  jambes,  lui  dît  que  sa  sœur,  ruinée  par  Timpdt 
et  désespérée,  s'est  pendue  avec  ses  enfants.  Forte  scène, 
et  qui  aurait  mérité  d'être  éclaircie.  Le  roi  venait  au  mo- 
ment même  de  retirer  deux  impôts.  On  n^en  dit  pas  moins 
dans  Paris  qu'il  était  dur  et  sans  pitié. 

Un  jour  que  le  roi  passait  près  des  Innocents,  un 
homme  en  habit  vert,  de  sinistre  et  lugubre  mine,  lui  cria 
lamentablement  :  «  Au  nom  de  Notre-Seigneur  et  de  la 
très-sainte  Vierge,  sire,  que  je  parle  à  vous  !  >  On  le  re- 
poussa. 

Cet  homme  était  Ravaillac.  Il  s'était  dit  qu'il  était  mal 
de  tuer  le  roi  sans  l'avertir,  et  il  voulait  lui  confier  son 
idée  fixe,  qui  était  de  lui  donner  un  coup  de  couteau. 

De  plus,  il  lui  eût  demandé  si  vraiment  il  allait  faire  la 
guerre  au  pape.  Les  soldats  le  disaient  partout,  et,  de  plus, 
qu'ils  ne  feraient  jamais  guerre  dont  ils  fussent  si  aises. 

Troisièmement,  Ravaillac  voulait  savoir  du  roi  même  ce 
que  lui  assuraient  les  moines,  que  les  huguenots  préparaient 
le  massacre  des  bons  catholiques. 

Tout  cela  faisait  en  lui  une  incroyable  tempête.  Une 
▼iolente  plaidoirie  se  faisait  dans  son  cœur,  un  débat  in- 
terminable. 11  semblait  que  le  diable  y  tint  sa  cour  plé- 
nière.  Souvent  il  n'en  pouvait  plus,  était  aux  abois.  Une 

XI.  9 


A9i  m^RîT  a  «ir<iii  jlv^ 

Cm^  il  <}uitto.  son  étcole,  $a  oaère,  8'aUa  réfog^ridws  «n 
couvent  de  Ff»iilUiH$;  maU  ils  n'osèrent  le  garder.  Ilieût 
voulut  66  foire  jésuite.  les  Jiésuites  lerefu^èreat,  s/^u»  ^drà- 
leVite^qu*]!  avait  été  tlans  un  couvent  de  Feuiltenls* 

11  ne  cachait  guèse  sa'fteafiée.,  demandait  4:wfi9iU  U 
piffla  à  un  auinônier,  à  un  feuillant,  à  un  jésuite,  liais 
tous  luisaiantla  sourde  oreille  et  ne  voulaient  pas  com- 
prendre. Au  feuillant,  il  avait  demandé  :  «i  Un  bommequi 
voudrait  tueir  un  roi,  devrait-il  s'en  confesser?  »  Un  cor- 
délier  auquel  il  parla  en  confession  de  cei  homicide  voton-' 
taire  (sans  rien  expliquer)  ne  lui  demanda  pas  môme  oe 
qoe  ce  mot  signifiait.  C'est  une  chose  effrafaate  de  iroir 
que,  sur  la  mort  du  roi,  tous  entendaient  à  denû-mot,  ae 
se  compromettaient  pas,  mais  laissaient  aller  le  fou. 

Ainsi  rejeté,  livré  à  lui-même,  il  eût  fiût  le  coup,  saas 
une  idée  qui  lui  vint  et  qu'il  ajourna.  11  songea  .^ue  c'était 
le  temps  de  Pâques,  et  que  c'était  le  devoir  de  tout  ca- 
tholique de  communier  à  sa  paroisse.  La  sienne  était  à 
Angoulôme.  U  quitta  Paris^  et  y  retourna.  Hais  là,  à  la 
communion,  il  sentit  qu'mi  coBur  tout  plein  d'homicide  ae 
pouvait  pas  recevoir  Dieu.  Il  voyait  d'ailleurs  sa  dévote 
mère,  bien  plus  agréable  au  ciel  et  plus  digne,  qui  €4Mtt- 
muniait.  Il  s'en  remit  à  elle  de  ce  devoir,  laissa  le  ciel  à  sa 
mère  et  garda  Tenfer  pour  lui. 

Lui-même  a  raconté  cela  plus  tard,  avec  d'abondantes 
larmes. 

Au  pied  même  de  l'autel,  pendant  la  communion,  sa 
résolution  lui  rentra  au  cœur,  et  U  s'y  sentit  fortifié.  U 
revint  droit  à  Paris.  C'était  en  avril  (1640).  I>ans  son  tu- 
l>orge,  il  empoigna  un  couteau,  le  cacha  sur  Inî.  Mais,  dès 
qu'il  Feut,  il  hésita.  Il  reprit  machiBaiement  lechenûn  de 
son  pays.  Une  charrette,  sur  la  route,  allait  devant  hri.  Il 
y  épointa  son  couteau,  en  cassa  la  longueur  d'un  ponoe. 
Arrivé  ainsi  à  Êiampes,  un  calvaire  qui  était  aux  porloi 
lui  montrait  un  Ecce  Homo^  dont  la  lamentable  figure  lui 


uoBT  d'hjsnbi  IV.  431 

«  É 

rappela  que  la  religion  était  cruci&ée  par  le  roi.  Il  revint 
plein  de  fureur,  et  dès  lors  n'hésita  plus. 

De  peur  pour  lui-même,  aucune,  un  chanoine  d'Au- 
gouiéme  lui  avait  donné  un  cœur  de  coton  qui,  disait-il^ 
contenait  im  morceau  de  la  vraie  croix.  Il  est  probable 
qvi'on  voulait  raffermir,  le  rassurer.  Un  homme  armé  de  la 
vraie  croix  pouvait  croire  qu'invisible  ou  ,défendu  par  le 
ciel,  U  traverserait  tout  danger. 

Ravaiilac,  si  indiscret,  était  fort  connu,  et,  de  même 
qu'on  avait  su  fort  longtemps  qqe  Maurevert,  Tassas^u 
gagé  des  Guises,  devait  tirer  sur  Ck)ligny,  on  n'ignorait 
nullement  que  le  tueur  du  roi  fût  dans  Paris.  Le  dimanche, 
un  ancien  prêtre,  devenu  soldat,  rencontrant  près  de  Cha* 
renton  la,  veuve  de  son  capitaÎAe  qui  allait  au  prêche,  lui 
dit  de  quitter  Paris,  qu'il  y  avait  plusieurs  bandits  apostés 
par  r£spagne  pour  tuer  le  roi,  l'un  entre  autres  babUié  de 
vert,  qu'il  y  aurait  grand  trouble  dans  la  viUe,  et  danger 
pour  les  huguenots. 

Il  parait  que,  même  en  prison^  ees  bruits  circulaient,  et 
parvinrent  à  Ja  d'Ëscoman.  Acharnée  à  sauver  le  roi,  elle 
décida  une  dame  à  avertir  un  ami  de  Sully  à  l'Arsenal^ 
cette  dame  était  mademoiselle  de  Gournay,  fille  adoptive 
de  Montaigne.  Sully,  sa  femme  et  l'an^i,  reçurent  l'avisi 
mais  délibérèrent,  le  transmirent  au  roi,  enôtantles  noms 
(sans  doute  de  d'Ëpernon»  de  Concini  et  de  la  reine)  :  «  Si 
le  roi  en  veut  savoir  davantage,  dirent-ils,  on  le  fera  parier 
aux  deux  femmes^la  Gournay  et  la  d'Escoman.  »  L'avis 
devenait  dès  lors  fort  insignifiant.  Le  roi,  qui  en  avait  reçu 
tant  d'autres,  n'y  fit  aucune  attention. 

il  était  si  incertain,  si  flottant,  si  trouble,  qu'il  ne  dis- 
tinguait guère  ses  amis  de  ses  ennemis.  Il  montra  de  la 
confiance  à  Henriette  d'£ntragues,  lui  renvoyant  à  elle-» 
même  un  homme  qui  l'accusait  ;  et  il  montra  de  la  dé- 
fiance à  Sully,  ne  voulant  pas  qu'il  fit  d'avance  un  traité 
avec  une  compagnie  qui  eût  assuré  les  vivres. 


432  MORT  d'hinri  iy. 

Ce  renversement  d'esprit  semblait  d'un  homme  perdu 
qui  va  à  la  mort.  Tout  en  se  moquant  de  l'astrologie,  il 
craignait  ce  moment  prédit,  le  passage  du  13  au  1 4.  Il  de- 
vait partir  dans  trois  jours,  justement  comme  Coligny, 
quand  il  fut  tué.  La  nuit  du  43,  ne  pouvant  trouver  de  re- 
pos, cet  homme  si  indîflérent  se  souvint  de  la  prière,  et  il 
essaya  de  prier. 

Le  matin  du  vendredi  14,  son  fils  Vendôme  lui  dit  que, 
d'après  un  c-ertain  Labrosse,  ce  jour  lui  serait  fatal,  qu'il 
prtt  garde  à  lui.  Le  roi  affecta  d'en  rire.  Vendôme  en 
parla  à  la  reine,  qui,  plus  ébranlée  qu'on  n'eût  cru,  par 
une  contradiction  naturelle,  supplia  le  roi  de  ne  pas  sor- 
tir. Il  dîna,  se  promena,  se  jeta  sur  son  lit,  demanda 
l'heure.  Un  garde  dit  :  «  Quatre  heures,  d  et  familière- 
ment^ comme  tous  étaient  avec  le  roi,  lui  dit  qu'il  devrait 
prendre  Tair,  que  cela  le  réjouirait.  —  «  Tu  as  raison.... 
Qu'on  apprête  mon  carrosse.  » 

Quand  la  voiture  sortit  du  Louvre,  il  ne  dit  pas  d'abord 
cil  il  allait,  et  il  né  voulut  pas  de  gardes,  pour  ne  pas  at- 
tirer l'attention.  Il  allait  à  l'Arsenal,  voir  Sully  malade. 
Mais,  selon  une  tradition,  il  eût  eu  l'idée  de  passer  d'a- 
bord chez  une  beauté  célèbre,  la  fiile  du  financier  Paulet, 
une  rousse  qu'on  appelait  la  Lionne,  pleine  d'esprit,  et  de 
voix  charmante.  Un  jour  qu'elle  chantait,  trois  rossignols, 
disait-on,  en  moururent  de  jalousie.  Le  roi  avait  pensé  à 
elle  pour  en  faire  la  maîtresse  de  son  fils  Vendôme,  une 
maîtresse  qui  l'eût  relevé,  qui  en  aurait  fait  un  homme,  un 
Français,  qui  Teût  retiré  de  ses  vilains  goûts  italiens. 

11  faisait  beau  temps,  le  carrosse  était  tout  ouvert.  Le 
roi  était  au  fond,  entre  M.  de  Montbazon  et  le  duc  d*£per- 
non.  Celui-ci  occupait  le  roi  à  lire  une  lettre.  A  la  rue  de 
la  Féronnerie,  il  y  eut  un  embarras,  une  voiture  de  foin 
et  une  de  vin.  Ravaillac,  qui  suivait  depuis  le  Louvre,  re- 
joignit, monta  sur  une  borne,  et  frappa  le  roi...  «  Je  suis 
blessé!  >  En  jetant  ce  cri,  le  roi  leva  le  bras,  ce  qui  per- 


MORT  d'hsnri  IV.  ^  433 

mit  le  second  coup  qui  lui  perça  le  cœur.  Il  mourut  au 
moment  même.  D'Ëpernon  jeta  dessus  un  manteau,  et, 
disant  que  le  roi  n'était  que  blessé,  il  ramena  le  corps  au 
Louvre. 

Une  tradition  veut  qu'au  moment  où  le  coup  fut  fait 
Cencini  ait  entr'ouvert  la  chambre  de  la  reine,  et  lui  ait 
jeté  ce  mot  par  la  porte  :  «  È  ammazzato.  i 

Nous  n'aurions  pas  rappelé  cette  tradition,  si  la  reine 
elle-même  n'eût  redit  ce  mot  avec  un  accent  de  remords, 
de  reproche,  lorsque  Concini  fut  à  son  tour  assassiné. 


CHAPITRE  Xm 


Louis  XIII.  —  Rëgencc.  —  Rayaillac  et  la  d'Escomao.  1610-1614. 


La  terrible  instabilité  du  gouvernement  monarchique 
éclate  à  la  mort  d'Henri  IV.  Ce  qui  succède,  c'est  l'envers 
de  ce  qu'il  a  voulu  :  la  France  retournée  comme  un  gant. 

Au  dehors,  tout  ce  grand  système  d*aUiances,  cette  toile 
longuement  ourdie,  emporté  d'un  seul  coup.  Le  double 
mariage  espagnol  (vraie  cause  de  la  mort  d*Henri  IV)  va  se 
faire.  La  guerre  de  Trente  ans  redevient  possible,  et  la 
France  espagnolisèe  gravite  en  moins  d'un  siècle  aux 
grandes  guerres  du  grand  roi,  à  la  Révocation  de  Tédilde 
Nantes,  à  l'expulsion  de  six  cent  mille  hommes,  à  la  su- 
blime banqueroute  de  deux  milliards  cinq  cents  millions. 

Le  trésor  que  Sully  avait  amassé,  défendu,  est  gaspillé 
en  un  moment.  Le  domaine  qu'il  dégageait,  est  rengage, 
les  propriétés  de  TÉtat  vendues.  Tous  les  établissements 
de  ce  règne  abandonnés,  les  bâtiments  interrompus,  les 
canaux  délaissés.  Les  manufactures  de  soieries,  de  glaces, 
la  Savonnerie,  les  Gobelins,  fermés  et  les  ouvriers  ren- 
voyés. Le  Louvre,  qui  allait  s'encanailler  en  logeant  les 
grands  inventeurs,  le  Louvre  reste  aux  courtisans.  Adieu 
le  Musée  des  métiers  et  le  Jardin  des  plantes  ;  ces  folies 
du  roi,  et  mille  autres,  dorment  aux  cartons  de  Sully. 

Des  Tuileries,  de  TArsenal,  on  arrache  ses  arbres  cbé* 


ràvâillac  et  Là  d'esgoiun.  tâlk 

xi%  les  mùrïcra'd^IieQri  IV.  On  eût  vok>Dtier6  jeté  bas  ses 
■Hmamants^MBiB  ou  eut  pe«ir  dp  peupie.  Par  uq  reviro- 
mnitiiiatleBifai,  la  peuple  s*aperçai  qu'il  aimait  neiv*i  IV. 
La  légande  commence  le  jo«r  de  la  mort  ;  elle  va  grau*- 
diiwt  par  la  comparaison,  de  ce  qui  est  et  de  ce  qui  fut. 
Ce  qui  doaîna  éatm  Paris,  au  moment,  ce  fut  une  ler- 
Be«r  extraordinaire.  On  se  crut  perdu.  Leafarames  aarra* 
dbaient  les  cheveux,,  moins  de  deuil  enoore  que  de  peu0. 
H  en«  fut  de  même  partout  L'hormur  de  la  Li^ue  revint  à 
Vesprit,  ei  oa  en  iiïssonBa»  De  là,  un  calme  suifirenaût, 
je  dirai  eflhayaot.  Car  cette  grande  sagesse  tenaii  à  une 
ehoae^  o'^atque  la  France,  n'ayant  plus. ni  idée,  ni  passion, 
Bî  intéoét  moral,  ne  se  sentait  plus  vivre.  Elle  était  toute 
dans  le  rot^  dans  un  homme  qu'on  avait  tué.  fit  il  en  rcsr* 
teît  quoi.?  un  marmot  de  huit  ans,  qui,  le  45,  romii  io 
rtijiBume  à  sa  mère,  et  qui,  le  2d,  eut  la  fouet.  (Leatoiie, 

p.  ism.) 

La  royauté,  nulle  en  89,  à  la  mort  d'Henri  lU,  devant 
bu  TÎe  forte  et  furieuse  qu'avait  alors  la  Eranoe,  est  tout.ce 
fiiî  reale  k  la  mort  d'Henri  IV.  On  se  demande  oe  qu'est 
Mtenfaat,  au  physique,  au  moral.  Heureaaement,  son  mé- 
decin nous  éclaire  parfaitement  :  ne  le  quittant  ni  nuit,  ni 
jaur,  il  a  écrit  (en  six  énormes  volumes  in-folio)  le  journal. 
de  ses  fonctions,  tout  le  menu  de  ses  diners,  et  chaque 
soir  les  résultats  de  aa  digestion.  Si  le  moral  procède  du 
physique,  on  peut  étudier  là-dessus.  {V.la  note.) 

La  sagesse  accomplie  du  peuple,  son  calme  et  son  in»- 
différence,  l'aplatissement  des  factions,  des  anciennes 
fuTOurs,  étonna  bien  l'Espagne.  On  avait  cru  tout  aUf 
moins  .qu'il  y  aurait  un  petit  massacre  des  huguenots^  et 
lia  Curent  avertis  de  fuir.  U  se  trouva  un  Jésuite  qui  osa 
dire'  en  chaire  cette  parole  meurtrièro  :  a  Nous  n'en  au— 
«ione  pas  pour  un.  déjeuner.  »  Mais  rien  ne  bougea.  Au 
oontraûe,  à  Paris  et  partout,  les  catholiques  disaient  qu'ils 
protégeraient  les  huguenots. 


136  LOUIS  XIIU  —  RiGXNCB. 

Le  roi  fut  tué  à  quatre  heures.  Jusqu*à  neuf,  on  fit  dire 
partout  qu'il  n*était  que  blessé.  Mais,  à  six  heures  et  de- 
mie, on  avait  proclamé  l'étrangère  (qui  parlait  enocMre 
italien),  rAutrichicnne,  petite-nièce  de  Charles-Quint  et 
cousine  de  Philippe  II.  Et  l'ennemi  gouvernait  au  Louvre. 

Les  princes  étaient  absents.  Et  on  eût  peu  gagné  à  leur 
présence.  Soissons  était  un  sot  ;  et  son  neveu  Gondé,  que 
Soissons  et  tous  les  Bourbons  disaient  adultérin  et  fils  d'un 
page  gascon,  avait  l'esprit  brouillon  de  la  Garonne,  la 
faim  d'argent  d'un  cadet  de  Gascogne,  tenu  très-long- 
temps au  pain  sec.  II  eût  sucé  la  France  à  mort. 

D'Épernon,  qui  avait  rapporté  le  roi  au  Louvre,  prit  sa 
place  en  quelque  sorte,  s'y  logea  militairement,  et  donna 
tous  les  ordres,  comme  colonel  général  de  l'infanterie.  Les 
gouverneurs  de  province  étaient  à  Paris,  et  tous  trè»* 
maniables;  la  mort  du  roi  les  faisait  rois.  D'Ëpemon  prit 
avec  lui  l'ombre  de  la  Ligue,  M.  de  Guise,  le  fils  du 
Balafré,  et  l'homme  le  plus  riche  de  France,  du  reste' 
homme  de  peu,  petit  galant  camus.  Guise  saluait  de  toutes 
ses  forces,  mais  personne  n'y  prenait  garde,  et  les  femmes 
haussaient  les  épaules.  D'Ëpemon,  piaffant  à  cheval,  ra- 
jeuni de  dix  ans,  occupe  par  les  gardes  le  pont  Neuf  et 
tous  les  abords  du  Palais  de  Justice.  Il  entre  au  Parlement 
avec  Guise.  Mais  celui-ci  se  tint  modestement  debout. 
D'Ëpernon  s'assied,  prend  séance,  et,  furieux  sans  cause, 
se  met  à  menacer  les  magistrats.  Quoique  Condé  y  eût 
quelques  amis,  ces  hommes  de  justice,  très-agréablement 
flattés  qu'on  leur  demandât  la  régence,  et  d'ailleurs  serfs 
des  précédents,  n'avaient  garde  de  s'élever  contre  la  reine. 
L'heureuse  régence  de  Catherine  de  Médicis  frayait  la  voie 
à  Marie  de  Médicis.  Une  étrangère?  d'accord,  mais  c*est 
l'essence  même  du  droit  monarchique.  Le  roi  étant  l'État, 
le  salut  corporel  du  roi  est  toute  l'affaire.  Or  la  mère  et 
nourrice  est  la  meilleure  gardienne  de  cet  enfant  qui  Gon-> 
tient  tout. 


RAYAILLAC  BT  LA  D*B8C0IIAN.  137 

A  ces  gens  tout  gagnés,  le  furieui,  frappant  sur  son 
épée  (son  secrétaire  l'assure  lui-mérae),  dit  :  <  Elle  est  au 
fourreau...  Mais,  si  la* reine  n'est  déclarée  régente  à 
l'instant,  il  y  aura  carnage  ce  soir...  »  Cette  éloquence 
éblouit  le  Parlement,  qui  déclara  sur  l'heure,  envoya  à  la 
reine.  La  chose  alla  si  vite,  que  les  gardes  non  avertis  ar- 
rêtèrent honteusement  ces  envoyés  au  passage,  constatant 
la  captivité  du  corps  qui  donnait  la  régence. 

L'enfant  royal  ayant  fort  bien  dtné  le  jour  de  la  mort  de 
son  père,  le  lendemain  matin,  s'étant  levé  gaiement,  bien 
déjeuné  et  bu  un  bon  coup  de  vin  blanc  ;  alors  (dit  son 
médecin),  intrepidiu,  il  monta  sur  une  jolie  petite  haque- 
née  blanche,  alla  au  Parlement,  et  donna  à  sa  mère  l'au* 
torité  que  le  Parlement  lui  avait  déjà  donnée  la  veiRe.  Il 
ordonna,  de  sa  petite  voix,  que  sa  mère  serait  régente  pour 
avoir  soin  de  son  éducation  ;  en  d'autres  termes,  il  com- 
manda qu'elle  lui  commandAt,  Téduquât,  le  chàtiAt.  Le 
29^  il  disait  :  <  Du  moins,  ne  frappez  pas  trop  fort.  »^ 

Une  chose,  très-indécente,  dans  la  séance  royale,  et  qui 
fit  voir  oii  on  était  jombé,  c'est  qu'après  les  premières 
harangues  Concini,  qui  était  là  avec  son  plumet  et  son 
importance,  oubliant  les  horions  dont  il  avait  la  marque, 
se  met  à  dire  d'une  voix  claire  :  «  La  reine  doit  mainte- 
nant descendre.  »  A  quoi  le  premier  président,  octogé- 
naire, Harlay,  de  sa  voix  creuse  et  du  fond  de  son  deuil, 
lui  dit  :  «  Ce  n'est  pas  à  vous  de  parler  ici.  »  Chacun  fut 
accablé  en  voyant  à  qui  une  femme  étrangère  et  la  mo- 
querie de  la  fortune  venaient  de  jeter  la  France. 

Le  peuple,  dans  les  rues,  criait  en  pleurant  :  «  Vive  le 
roi  I  »  Ce  qui  eût  fait  pleurer  bien  plus,  ce  fut  de  voir  au 
Louvre  Sully,  qui,  le  44,  s'était  tenu  clos  à  l'Arsenal,  mais 
qui,  le  15,  fut  traîné  à  la  cour  par  le  duc  de  Guise,  pour 
faire  la  révérence  aux  assassins  du  roi.  Chose  lamentable  ! 
pour  sauver  sa  fortune,  il  lui  fallut  embrasser  d'Èpernon. 

Celui-ci  fut  miraculeux  de  sang-froid,  d'impudence,  il 


t38  LOUIS  XUI..  -^  RteBKGK. 

avait  enipAché  qu'on  ne  tuât  RavaiUae.  Ce  qui  lai  fit 
beaucoup  d'honneur,  et  fort  peu  de  danger  ;  ear  ce  ter-- 
rible  fou  n'avait  pas  eu  dlindialion  directe  ;  Avec  ua 
homme  ai  bien  né  pouff  la  cbose  et  si  naivemient  meap- 
trier,  il  suffisait  de  rentourer  de  peisoniaea  bien  peiif 
saatea,  intelligentes,,  et  de  aennons  indirectemeot provo- 
cants. 

On  l'avait  traîné  au  Loavre  et  mis  H'abord  à  l'hôtel  de 
Retz,  qui  était  eootigu.  Là,  qui  voulait  venait  le  voir  et  lui 
parler.  Cotton  vint  entre  autres,  et  lui  dît  :  «  Mon  ami^ 
prenez  bien  garde  de  faire  inquiéter  les- gens  de  bien.  > 
RavaiUae  en  rit,  s'en  moqua..  U  était  d*un  eaime  extreor- 
dinaire«  comme  un.  homme  qui  a  peu  à  craindre  et  se 
sent  bien  appuyé. 

Il  semblemit  pourtant  que  d*fipemon  s'inquiétât*  et  eà( 
pevr  qu'il  ne  jasât  trop,,  et  qu'il  le  mit  chez  lui,  à  l'Htol 
d'Épernon.  C'est  de  là  qu'on  le  (ira,  le  47,  pour  le  mener 
à  la  Conciergerie.  (Lestoile,  éd.  Michaud,  H,  598*) 

Dès  le  47,  on  put  voir  que  personne  n'avait  envie  de 
s'exposer  pour  Henrt  IV,  et  qu'il  n'y  jurait  pas  dé  justice. 
Le  comte  de  Soissons,  qui  avait  dit,  juré  qu'il  le  venge* 
rait,  arriva  à  Parts,  accompagné  de  beaucoup  de  gentils- 
hommes. Mais  quand  il  vit  d'£pernon  si  fort  au  Louvre, 
quand  il  eut  parlé  à  la  reine,  qui  lui  ferma  la  bouche, 
en  lui  doimant  la  Normandie,  il  avoua  en  sortant  que 
c'était  une  grande  princesse,  et  d'Épemon  fut  son  meilleur 
ami. 

Le  parlement  fut  plus  embarrassé.  Le  peuple  était  fu» 
rieux,  insensé  de  fureur,  à^mesure  qu'il  se  rassurait.  On 
le  voyait  devant  la  Conciergerie, .  oii  était  RavaiUae,  qui 
jetait  des  pierres  au  prisonnier  à  travers  un  mur  épais  de 
dix  pieds»  On  examina  d'abord- à  quelle  tortune  il  serait 
mis,  et  l'on  écarta  la  plus  dure.  On  ne  chercha  nul  éclair- 
cissement ni  à  Àngouléme,  où  on  pouvait  prendre  les 
prêtres  qui  l'avaient  armé  de  la  vnûe  croix,  ni  à  Paris,  où 


RAVAILLAC  ET  LA  û'ESCOMAN.  1 39 

on  avait  sons  fa  main  le  soldat  qui,  d'avance,  avait  tout 
dU,  jusqu'à  la  conteur  de  l'habit  de  Ravaillac.  Le  vîeut 
Hariay*  eut  l'idée  de  faire  venir  les  parents  de  Tassassin» 
et  il  ne  le  fit  pas,  soit  que  le  Parlement  y  fût  contraire  ou' 
que  lui-même  ait  pensé  qu'un  trop  grand  éclat  amènerait 
la  guerre  crvîTe. 

Les  Jésuites,  appelés  par  le  bonhomme  Barlay,  se  tirè- 
rent d'affaire  lestement,  disant  qu'ils  ne  se  souvenaient  de 
rien,  et  que  de  pauvres  religieux  comme  eux  ne  se  mê- 
laient pas  des  grandes  affaires.  Leur  unique  affaire,  c'était 
leuir  maison  ;  le  jour  même  de  la  mort  du  roi,  ils  y  mirent 
cinquante  ouvriers  pour  l'agrandir  et  TembeUîr,  comme 
on  la  voit  aujourd'hui  (collège  Charlemagne),  avec  un  ga- 
lant petit  dôme  ;  et,  pour  l'église,  la  façade  à  la  mode,  à 
trois  étages  de  colonnes,  avec  consoles  et  pots  de  fleurs. 

Ils  ne  tinrent  pas  quitte  Henri  IV.  On  lui  tira  son  cœur, 
dont  les  Jésuites  s'emparèrent.  Dans  je  ne  sais  combien 
de  carrosses,  ils  s'en  allèrent  le  portant  à  la  Flèche,  peti 
rassurés  pourtant  et  craignant  que  le  peuple  ne  leur  fît 
un  mauvais  parti.  Pour  cette  cérémonie,  ils  prirent 
rheure  insolite  de  cinq  heures  du  matin,  et  tous  leurs 
bons  amis  de  la  noblesse  montèrent  à  cheval  pour  les 
rassurer. 

Cependant  Ravaillac  ne  dénonçait  personne.  Il  voulait 
mourir  seul,  et  avait  dit  d'abord  qu'il  ne  regrettait  rien, 
ayant  réussi.  Plus  tard,  il  parut  ébranlé  et  avoua  que 
c'était  un  mauvais  acte;  mais  que  cependant  il  l'avait  fait 
pour  Dieu,  et  qu'il  espérait  dans  sa  grande  miséricorde. 
11  montra  une  extrême  douceur,  quand  le  Jésuite  auquel 
il  s'était  adressé  lui  dit  avec  injures  qu'il  ne  l'avait  jamais 
vo.  Au  nom  de  sa  mère,  il  pleura.  Il  dit  qu'il  avait  fait  la 
dépense  de  trois  voyages  pour  avertir  le  roi,  et  que,  s'il 
aTalt  pu  hii  parler,  ifeàt  échappé  à  la  tentation. 

On  lui  dit  qu'on  lui  refuserait  la  communion,  et  it 
répondit  :  t  J'ai  agi  d'un  mouvement  humain  et  contre 


140  LOUIS  XllI.   ^  RÉGENCE. 

Dieu.  Je  n'ai  pu  résister  (rhomme  ne  peut  s'empêcher  du 
mal)^  mais  Dieu  me  pardonnera ,  et  il  me  fera  participer 
aux  communions  que  les  religieux,  religieuses,  et  tous 
bons  catholiques  font  par  toute  la  terre.  » 

Ce  qui  lui  fut  terrible,  ce  fut  qu'on  lui  montra  que  ce 
petit  reliquaire  dont  les  prêtres  l'avaient  armé  à  Angou- 
léme,  en  lui  disant  qu'il  contenait  un  fragment  de  la  vraie 
croix,  ne  contenait  rien  du  tout,  et  qu'ils  s'étaient  moqués 
de  lui.  11  dit  vivement:  «  L'imposture  retombera  sur  les 
imposteurs.  »  (De  Thou.) 

.  Il  nia  toujours  que  personne  lui  eût  conseillé  le  meur- 
tre. Mais  poi^r  les  excitations  indirectes,  que  devait-on 
croire?  Il  n'indiqua  que  les  sermons.  Du  reste,  l'extrait 
du  procès-verbal  qu'on  a  publié  porte  :  <  Ce  qui  se  passa 
à  la  question  est  sous  le  secret  de  la  cour.  » 

La  chose  ainsi  limitée,  circonscrite  ,  resserrée  sur  une 
même  tête,  le  Parlement  combina  un  supplice  pour  satis- 
faire le  peuple  et  soûler  sa  vengeance*  Pour  le  crime  de 
lèse-majesté  au  premier  chef  on  avait  un  supplice  horri- 
ble, l'ccartèlement,  précédé  et  assaisonné  du  tenaille- 
ment.  On  s'en  fût  tenu  là.  Mais  M.  de  Guesle,  procureur 
du  roi,  un  magistrat  bavard  et  insupportable  érudit,  tinta 
orner  ce  jugement  des  petits  agréments  qu'il  avait  lus 
dans  les  vieux  livres,  ajoutant  aux  tenailles  le  plomb 
fondu,  l'huile  et  la  poix  bouillantes,  et  un  ingénieux  mé- 
lange de  cire  et  de  soufre.  Le  tout  voté  d'enthousiasme. 

Si  on  eût  laissé  faire  la  foule,  l'homme  aurait  été  mis 
en  pièces  à  la  porle  de  la  prison.  Ce  fut  une  scène  hor- 
rible, plus  cuisante  pour  Ravaillac  que  le  fer  et  le  feu.  U 
s'éleva  une  si  épouvantable  tempête  de  malédictions,  que 
le  pauvre  misérable,  qui  avait  cru  le  peuple  pour  lui, 
tombant  dans  cette  mer  de  rage,  s'abandonna  entière- 
ment. 11  vit  à  quel  point  on  l'avait  trompé.  Sur  l'échafaud 
encore,  il  se  tourna  lamentablement  vers  le  peuple,  de- 
mandant en  grâce  qu'on  donnât  à  l'àme  du  patient  qui 


RAVAILL4C  ST  LA  D*SSGOMAN.  444 

allait  tant  souffrir  la  consolation  d'une  prière ,  un  Salve 
Regina  ;  mais  la  Grève  tout  entière  hurla  :  a  Judas  à  la 
damnation  I  > 

Les  princes  et  tout  ce  qu'il  y  avait  de  grands  person- 
nages avaient  des  fenêtres  et  se  montraient  fort  curieux. 
Ils  n'étaient  pas  rassures ,  Tusage  exigeant  qu'entre  les 
tortures  on  lui  demandât  des  révélations. 
*  A  l'un  des  entr'actes ,  ce  spectre  effroyable ,  qui  n'était 
plus  qu'une  plaie  ,  mais  gardait  une  âme ,  déclara  qu'il 
parlerait.  Le  greffier,  qui  était  là,  fut  bien  obligé  d'écrire. 

Quand  on  se  remit  de  nouveau  à  écarteler  Ravaillac,  la 
chose  allant  lentement ,  un  gentilhomme ,  envoyé  sans 
doute  pour  abréger,  offrit  un  cheval  vigoureux  qui,  d'un 
élan,  emporta  une  cuisse.  Dès  lors,  le  tronc  tiraillé,  pro^ 
mené  de  tous  côtés,  allait  battant  contre  les  pieux.  Cepen- 
dant il  vivait  encore.  Le  bourreau  voulait  l'achever,  mais 
il  n'y  eut  pas  moyen  :  les  laquais  sautèrent  la  barrière,  et, 
comme  ils  portaient  l'épée ,  ils  plongèrent  cent  fois  ces 
nobles  épées  dans  ce  tronc  défiguré.  La  canaille  prit  les 
lambeaux;  le  bourreau  resta,  n'ayant  plus  en  main  que  la 
chemise.  On  brûla  la  viande  à  tous  les  carrefours.  La  reine 
put  voir  du  Louvre  les  Suisses  qui,  sous  son  balcon,  en 
rôtissaient  une  pièce. 

Le  procès,  que  devint-il?  Je  l'avais  cherché  eh  vain  aux 
registres  du  Parlement.  La  place  y  est  vide.  Une  note  des 
papiers  Fontanieu  (Bibl.),  qu'a  copiée  M.  Capefigue,  nous 
apprend  que  le  rapporteur  le  mit  dans  une  cassette  et  le 
cacha  chez  lui  dans  l'épaisseur  d'un  mur;  que  la  feuille 
écrite  sur  l'échafaud  fut  gardée  par  la  famille  Joly  de 
Fleury,  qui  la  laissa  voir  à  quelques  savants,  et  que,  quoi- 
qu'elle fût  peu  lisible,  on  y  distinguait  le  nom  du  duc 
d'Épemon  et  même  celui  de  la  reine. 

Les  voilà  tous  bien  rassurés.  Ravaillac  en  cendres  vole 
dans  l'air,  et  pas  un  atome  n'en  reste.  La  curée  peut  com- 
mencer : 


m  WUIS  Xm.   —  RKGENÇÇ. 

4^  L'Espagne  eut  lepo^vqi^.  L'ambassadeur  d'E^pagae 
avec  le  nonce ,  Cmcinj  et  d'Épernon ,  forment  le  conseil 
secret  qui  dicte  à  la  reine  ce  qu'elle  dira  aux  ministres;  on 
garde  les  vieux  ministres  d'Henri  IV,  Yilleroy,  Jeannin, 
Sillery; 

2^"  Le  trésor  de  la  Bastille  est  partagé  entre  la  liande. 
Guise  eut  deux  cent  mille  écus  ;  Côndé,  deux  cent  mille 
livres  de  rentes,  etc.,  etc.; 

3°  Le  mariage  qu'avait  le  plus  craint  Henri  IV,  celui  de 
Uuise  avec  la  grande  héritière  de  France,  madenioiselle 
de  Montpeausier,  3'accompliL  Henriette  d'Ëntcagues  cria^ 
réclama;  mais  la  reine^  devenue  sa  meilleure  amie,  lui  fit 
entendre  raison  ; 

4""  Concinl  en  prit  de  l'émulation .  11  voulut  donner  sa 
fille  au  ù\s  du  premier  prince  du  sang.  Pourquoi  pas?  Vi- 
siblement, il  succédait  à  Henri  IV.  Outi^e  le  niarquisat 
d'Ancre,  il  s'était  fait  donner  les  places  du  Nord,  les  villes 
de  la  Somme,  Péronne,  Amiens,  et  il  voulait  au  Midi^ avoir 
Bourg-en-Bresse,  la  barrière  contre  la  Savoie.  Ainsi  le 
royaume  n'avait  rien  perdu  ;  sous  l'épée  de  Concini,  au 
défaut  de  celle  du  roi,  il  pouvait  dormir  en  paix. 

Concini  ne  couchait  pas  ,  il  est  vrai ,  dans  le  lit  du  roi, 
mais  il  occupait  un  hôtel  qui ,  par  un  pont  jeté  sur  les 
fossés  du  palais ,  Vy  faisait  entrer  à  toute  heure  de  nuit  ; 
les  Parisiens,  sans  ambages,  l'appelaient  le  ponl  d'amour. 
La  reine  avait  eu  la  faiblesse  d'accorder  ce  grand  mariage 
qui  eût  proclamé  sa  honte  et  la  royauté  de  Concini.  Mais 
elle  ne  tint  pas  parole,  soit  qu'alors  le  beau  Bellegarde 
eût  fait  du  tort  à  Concini,  soit  qu'elle  eût  quelques  re- 
mords et  fût  plus  froide  pour  lui,  ne  lui  pardonnant  pas 
sans  doute  de  l'avoir  trop  bien  instruite  du  crime  qu'on 
allait  faire  pour  elle. 

L'argent  s'en  allait  si  vite,  que,  pour  ralentir  un  peu  la 
débâcle,  Villeroy  lui-même  proposa  de  rappeler  le  grand 
refuseur,  Sully.  A  peine  y  fut-il  que  personne  ne  le  sup- 


RAVèlttAC  ET  LA  iO'BKOllàN.  HB 

.porta,  moJM  Ja  reine  que  tout  ««Ire.  fille  Vèuleit  tirer 
de  la  caisie  «D'miUieo  antidaté»  corame  dépensé  ^ar  8én* 
ri  lY.  Cette  firaude  était. haiûtueUe.  Et  le  chatieelier  enn 
ploya,  cioq  années  diu^ant  ie  soeeni  du  feu  .roi  pourfalasaer 
iee  dates.  Sully  refusa  le  miliieii  et  se  retira  cii^  lui,  ne 
voMlâDt  caMUvrâ  les  voleurs. 

Pour  eodormîr  ropinion,  on  avait  laissé  Robaii>  gendre 
île  Sully,  mener  au  Rhin  quelques  troupes.  On  avait  omi- 
firme  rËdUt  de  Nantes,  diminué  la  gabelle,  et  retiré  quel*- 
ques  édits.  Ainsi  le  gouvernement,  de  trois  manières  à  la 
fois«  'fondait,  S'évanouissait ,  recevant  moins  et  donnant 
plue  ;  enfio,  gaspiUant  ea  réserve.  On  licencia  les  troupes» 
à  la  grande  joie  de  TEspagae. 

Jottt'le  Aiettde  restait  arsaé,  excepté  TËlat  L'insolence 
des  jeunes  nobles  était  incroyable.  Ils  bétonnaient  les 
Diagisti»ts.  Xa  nuit,  ils  couraient  à  grand  brait,  réveil- 
iakot  toute  la  viMe;  Les  plus  grands  ennemis  d'Hwwi  i¥ 
la  regrettaiani.  -flenriette,  eUe^méme,  disait  de  ces  jum^ 
reurs  de  nuit  :  «  Oh  !  si  notre  petit  homme  pouvait  rêve* 
BÎrl  GomsDe  il  .empoignerait  le  iaoet  pour  chasser  ces 
petits  galants  et  tous  les  marchands  du  Temple  I  » 
•  La  ime,  poussée  è  bout, .  surmenée  parCkmcini,  qui 
n'ataitiû  sens  ni  mesure,  fut  maintes  fois  vue  se  retirant 
daos  utteemlirasure  de  fenêtre,  et  le  mouchoir  à  la  mMU. 
Elle  pfeorait,  en  pensant  à  VatUre^  si  bon,  qui  la  suppor- 
tai «anti    ^ 

Le  mouveuient  emportait  tout.  L'Université  et  le  Parie* 
ment  avaient  accusé  les  Jésuites  ;  d'JÊpemcm  les  appuya , 
aUanl  à  tous  leurs  sermons ,  et  finit  par  dire  :  f  Qui  les 
attâiqiie  m'altaque.  »  Le  Parlement  se  re^tita  sur  un  livre 
éa  irsnrdioal  Bellarmin  «  qui  faisait  des  rois  les  sujets  de 
Le  président  dit  que  cela  revenait  à  canoniser  Ea- 

BHac.  Mais  le  roi  fit  défense  expresse  à  son  Parlement  de 
Liemr  ies  dnoits  de  la  royauté  et  la  sàreté  des  rois. 

L'iunune  populaire  du  moment,  c'était  ce  Gondé  (vrai 


444  LOUIS  XIU.  —  RAIBNCS. 

OU  faux).  Popularité  bien  injuste.  En  caressant  le  Parle- 
ment et.les  huguenots»  il  n'en  était  pas  moins  le  partisan 
avoué  des  Jésuites,  le  serviteur  de  l'Espagne  dans  l'affaire 
des  deux  mariages.  On  crut,  fort  à  la  légère,  que  Condé 
ou  Soissons,  son  oncle,  abandonnerait  d'Ëpernon,  et  on 
laissa  échapper  contre  celui-ci  la  voix  du  cachot,  celle  de 
cette  dame  d'Escoman  qui  s'était  montrée  si  hardie  à 
vouloir  sauver  Henri  IV.  Notre  chroniqueur  Lestoile  est 
ici  grand  historien.  On  voit  bien  qu'il  va  mourir,  et  qu'il 
a  plus  que  jamais  le  respect  de  la  vérité. 

«  Gomme  un  de  mes  amis  disait  au  président  de  Harlay 
que  cette  femme  parlait  sans  preuves,  ce  bon  homme 
levant  les  yeux  et  les  deux  bras  au  ciel  :  ■  11  .n'y  en  a  que 
«  trop,  dit-il,  il  n'y  en  a  que  trop!  Et  plût  à  Dieu  que 
«  nous  n'en  vissions  point  tanti  » 

D'Ëpernon  alla  le  voir  et  lui  demander  nouvelles  du 
procès  :  «  Je  ne  suis  pas  yotre  rapporteur  ;  je  suis  votre 
juge*  »  Il  insista  effrontément  comme  ami  :  c  Je  n'ai  point 
d'amis.  » 

D'Ëpernon  ne  cachait  point  qu'il  voulait  la  mort  de  la 
d'Escoman. 

Ce  méchant  homme  avait  pour  maîtresse  la  plus  mé- 
chante femme  de  France,  une  bourgeoise  fort  laide,  d'un 
bec  infernal,  la  Du  Tillet.  C'est  celle  que  Tallemant 
admire,  et  dont  il  ramasse  l'ordure.  On  jeta  cette  femme 
à  la  d'Escoman,  pour  la  dévorer  de  paroles.  Moyen  d'amu- 
ser le  public,  deux  filles  qui  se  chantent  pouille,  se  jettent 
au  nez  leurs  scandales,  se  gourment,  se  roulent.  La  d'Es- 
coman, galante  ou  non,  mais  si  dévouée,  si  courageuse, 
n'en  reste  pas  moins  à  jamais  un  martyr  de  l'humanité. 

D'Ëpernon  se  serait  défait  de  Harlay ,  de  manière  ou 
d'autre.  Mais  il  avait  quatre-vingts  ans.  On  lui  fit  entendre 
qu'il  devrait  se  retirer,  vendre  sa  charge,  ce  qui  serait  un 
beau  denier  pour  sa  famille.  Ce  qui  le  décida  aussi,  c'est 
qu'il  réfléchit  que  si  on  poussait  la  chose,  si  on  déshôno^ 


RAVAILUG  ET  LA  D'ESGOMàN.  445 

rait  la  reine ,  toute  autorité  périssait.  Le  5  mars  4612, 
Harlay  étant  encore  là,  un  étrange  arrêt  fut  porté,  qui  ne 
déchargeait  personne,  mais  qui,  vu  la  qualité  des  accusés^ 
ajournait  tout,  élargissait  quelques  subalternes,  et  ne  rete- 
nait en  prison  que  la  d'Esconian,  dont  l'accusation  sub- 
sistait,  et  qui,  à  ce  titre,  eût  dû  être  d'abord  élargie. 

Harlay  avait  cru  avoir  pour  successeur  son  ami  De 
Thou,  l'illustre  historien.  Mais  la  reine  s'écria  :  «  Nan  fard 
maj,  >  Harlay  fut  obligé  de  vendre  à  une  âme  damnée  des 
Jésuites. 

Paris  jugea  ce  jugement.  Lestoile  dit  tristement  de  la 
dame  d'Escoman  :  c  A  se  bander  contre  les  grands  pour  le 
bien  public,  on  ne  gagne  que  coups  de  bâton.  » 

Ce  gouvernement  ne  descendait  pas,  il  se  précipitait, 
tombait  comme  une  pierre  au  fond  d'un  puits.  11  était 
grand  temps  qu'il  eût  l'appui  de  l'Espagne.  Le  30  avril 
1642,  Yilleroy  signa  le  double  mariage  et  le  traité  de 
secours;  l'Espagnol  y  promettait  d'entrer  au  besoin  avec 
une  armée  pour  appuyer  la  reine.  Le  trône,  isolé  de  tous, 
n'avait  d'ami  que  Tennemi. 

Concini  avait  irrité  à  la  fois  les  princes,  les  grands,  les 
ministres  même.  Un  homme  fort  intrigant,  ancien  agent 
de  Biron,  le  vieux  de  Luz,  lui  conseillait  d'ôter  la  Bour- 
gogne à  Bellegarde.  Les  Guises,  amis  de  Bellegarde  et  de 
d'Épernon,  assassinèrent  ce  de  Luz  aux  portes  du  Louvre. 
La  reine  se  sentit  insultée,  eut  l'idée  de  faire  tuer  les 
Guises  et  d*Ëpernon«  Pour  oser  une  telle  chose,  il  fallait 
l'appui  de  Condé,  et,  pour  l'obtenir,  Concini  voulait  qu'on 
lui  donnât  le  château  de  Bordeaux.  Cela  tourna  la  gi- 
rouette. Elle  s'emporta  contre  Condé,  se  donna  toute  aux 
Guises,  leur  fit  don  de  cent  mille  écus,  et  le  chevalier  de 
Guise,  qui  avait  tué  de  Luz,  et  tué  encore  son  fils ,  eut  de 
cette  femme  insensée  la  lieutenance  de  Provence.  Belle- 
garde,  première  origine  du  débat,  se  fit  donner  les  places 
des  deux  assassinés, 

XI.  10 


446  LOCIS  Xtfl.   —  RKGEKCK. 

Concini,  jaloux  de  Bellegarde ,  complotait  (contre  la- 
reine  t)  ayec  Condé  et  Bouillon.  Elle  le  calma  en  lui  doa*- 
dant  le  bâton  de  maréchal  q«*ii  avait  si  bien  gagné. 

La  reine  s'avilissant  ainsi,  les  princes,  Condé  et  Ven«» 
dôme,  espéraient  en  profiter.  Ils  prennent  les  armes.  La 
reine  jette  tout  à  leurs  pieds ,  promet  tout.  Ils  se  croient 
maîtres,  mais  personne  ne  les  soutient.  La  reine  n'a  qu'à 
montrer  son  petit  roi  à  cheval.  Le  peuple  se  rallie  à  l'in- 
nocence de  Tenfant.  Elle  se  sent  usée  cependant,  et  se 
retire  derrière  son  fils,  en  le  déclarant  majeur. 

Elle  frémissait  sous  cet  abri.  Celui  qu'elle  craignait  le 
plus,  ce  n'était  aucun  des  vivants.  Pour  qui  aurait  été  \c 
peuple?  pour  le  sigiiore  Concini  ou  pour  le  prétendu 
Condé? 

Le  vrai  vivant,  c'était  le  mort.  Henri  lY  risquait  de  res- 
susciter. Par  la  voix  de  la  d'Ëscoman,  il  réclamait,  accu- 
sait du  fond  de  la  Conciergerie. 

Et,  à  côté  de  cotte  femme,  un  témoin  terrible  arrivait, 
im  homme  assassiné ,  Lagarde ,  assassiné  par  d'Ëpernon 
pour  avoir  averti  le  roi  et  d'avance  nommé  Ravaiilac. 
Lagarde  venait  montrer  5es  ploies  de%-ant  la  France,  man- 
dée aux  États  généraux. 


CHAPlTliE  XIV 


Étais  généraux.  i614. 


Le  contraste  était  beau  en  1 614  entre  la  cour  et  la  France. 
Si  la  seconde  était  desséchée  jusqu'aux  os,  l'autre,  au  con- 
traire, splendide,  éclipsait  les  jours  d'Henri  lY,  humiliait 
TEspagne,  notre  amie,  à  qui  nous  demandions  Tinfaute. 

Le  grand  cœur  de  la  reine  éclatait  aux  tournois  de  la 
place  Royale,  où  tous,  pour  dépasser  les  folies  espagnoles,  se 
ruinaient  en  chevaux,  en  costumes.  Cette  mascarade  coûta 
plus  qu'une  campagne.  Bassompierre,  héros  de  la  fête,  n'y 
suffit  qu'avec  un  cadeau  de  la  reine,  un  office  de  haute 
magistrature,  qu'elle  lui  donna  à  vendre. 

Mareuil  reproche  à  Henri  IV  d'avoir  été  éconojne  en 
amour.  A  tort,  certainement.  Mais  c'est  qu'apparemment 
il  le  compare  à  sa  femme,  qui  fut  si  généreuse.  Elle  n'était 
pas  à  elle-même;  son  amour  était  une  guerre  où  Concini 
ne  la  ménageait  pas,  et,  à  chaque  traité,  elle  payait  les 
frais  de  la  guerre,  en  femme  de  quarante  ans. 

Lui-même,  de  fat  à  fat,  raconte  à  Bassompierre  tout  ce 
qu'il  a  tiré  de  la  grosse  dame.  Les  vastes  terres  d'Ancre  et  de 
Lésigny,  deux  hôtels  dans  Paris,  le  bâton  de  maréchal  de 
France,  la  charge  d'intendant  de  la  maison  de  la  reine,  les 
gouvernements  d'Amiens,  Péronne,  etc.  Un  argent  fabu- 
leux, cinq  cent  mille  écus  à  Florence  et  à  Rome,  six  cent 


U8  ÉTATS    GÉNBRADX. 

mille  placés  chez  un  financier,  et  un  million  ailleurs.  Il 
était  en  mesure  d'acheter  pour  sa  vie  la  souveraineté  de 
Ferrare.  J'oubliais  le  meilleur,  la  boutique  que  tenait  la 
Léonora,  son  trafic  de  places,  d'offices,  d'ordonnances 
même  ! 

La  reiiîe  lâchant  tout,  qui  se  fût  fait  scrupule  de  deman- 
der, d'exiger  et  de  prendre  ?  Mais,  quoi  qu'on  tirât  d'elle, 
on  ne  lui  en  savait  nul  gré.  Chacun  volait  fièrement,  et 
restait  mécontent.  Qu^avaient  eu  les  Condé?  Rien  que  cinq 
millions.  Aussi  leur  mécontentement  était  au  comble.  Et 
les  Guises?  Rien  que  six  millions,  sans  parler  des  gouver- 
nements, des  places,  du  mariage  énorme  de  Montpensier. 
Les  princes,  Nevers,  Venddme  et  Longueville,  les  sei- 
gneurs, Épernon,  Bouillon,  n'ayant  guère  eu  chacun  qu'un 
petit  million,  voulaient  extorquer  davantage,  grondaient 
et  menaçaient.  Toute  la  noblesse  se  faisait  pensionner,  et 
n'en  criait  pas  moins.  Cependant  le  fameux  trésor  de  la 
Bastille  avait  tari.  La  France  tarissait.  L'argent  d'alors  va- 
lait, comme  métal,  trois  fois  plus  qu*aujourd*hui,  dix  fois 
plus  comme  moyen  d'acheter  les  denrées.  Il  fallait  le  tirer 
d'un  peuple  trois  fois  moins  nombreux,  iiutant  qu*on  peut 
conjecturer,  et  peut-être  vingt  fois  plus  pauvre. 

Ce  peuple,  si  on  l'eût  protégé,  serait  encore,  à  force  de 
travail,  parvenu  à  payer.  Mais,  lorsque  tous  les  gensd'épée 
pillaient  noblement  le  pays,  il  était  difficile  de  lever  pour 
eux  en  argent  ce  qu'ils  avaient  déjà  pris  ou  détruit  en  den- 
rées. Ces  pensions  qu'ils  exigeaient,  d'où  les  eût-on  tirées? 
De  la  terre  dévastée  par  eux,  des  récoltes  foulées,  mangées 
parleurs  chevaux? 

Malheur  aux  gens  du  roi  qui  se  fussent  permis  de  rap- 
peler son  autorité  I  Un  trésorier  de  France  fut  assez  fou 
pour  vouloir  empêcher  les  taxes  de  guerre  que  le  duc  de 
Nevers  levait  en  Champagne  contre  le  roi.  11  fut  enlevé, 
mené  chez  le  duc,  condamné  à  mort  par  ses  juges. 

Le  duc  ne  daigna  le  faire  pendre  ;  il  l'habilla  en  fou, 


ÉTATS    GÉKÉHAUX.  U9 

avec  le  bonnet  à  grelots  et  la  marotte  en  main,  vous  le  mit 
sur  un  âne,  et  le  promena  partout,  pour  qu'on  vtt  bien  le 
cas  qu'il  faisait  du  roi  de  France. 

Ces  princes,  qui  avaient  exigé  les  États,  dès  qu'ils  furent 
accordés,  n'en  voulaient  plus.  Quand  le  bailli  du  roi  en 
Nivernais  hasarda  de  faire  crier  la  convocation,  la  duchesse 
fit  arrêter  ses  crieurs.  Les  nobles  trouvèrent  au-dessous 
d'eux  d'aller  aux  élections,  et  n'y  figurèrent  que  par  leurs 
valets.  En  réalité,  ces  Ëtats  ne  leur  semblaient  qu'un  trou- 
ble-fête,  qui  pouvait  éplucher  de  trop  près  la  liste  des 
pensions. 

Le  Tiers  n'élut,  n  envoya  que  des  juges,  avec  des  avocats 
et  des  officiers  de  finances.  Gens  fort  capables  d'examiner 
de  près.  Quand  ils  se  trouvèrent  réunis,  tous  en  robe  noire 
et  en  bonnet  carré,  ils  avaient  l'air  d'un  tribunal  pour  ju- 
ger les  nobles  et  la  cour. 

La  passion  ne  leur  manquait  pas  pour  tenter  de  sévères 
réformes.  L'hérédité  des  charges  les  constituait  depuis  dix 
ans  en  une  sorte  de  noblesse  haïe  et  insultée  de  l'autre. 
Noblesse,  il  est  vrai,  achetée  et  sortie  de  l'argent,  mais  qui, 
dans  ces  familles,  était  relevée  par  des  habitudes  graves, 
et  encore  plus  par  leur  nouvelle  indépendance.  Ils  n'avaient 
plus  à  solliciter  les  grands  à  chaque  vacance.  Ils  ne  sen- 
taient plus  trembler  la  balance  dans  leurs  mains.  La  justice, 
devenue  un  fief  patrimonial,  marchait  forte  devant  le  fief, 
et  la  robe  égalait  l'épée. 

Ce  qui  malheureusement  leur  faisait  tort,  c'était  bien 
moins  l'achat  des  charges,  bien  moins  le  droit  annuel  qu'ils 
acquittaient  pour  les  perpétuer  dans  leurs  familles,  que  les 
émoluments  variables  qu'ils  liraient  de  la  justice.  Payés 
pa)r  les  plaideurs,  et  sur  chaque  procès  prélevant  des  êpices, 
ce  misérable  casuel  les  abaissait,  les  empêchait  de  prendre 
une  grande  attitude,  ni  de  fortes  racines  dans  la  nation. 
Que  dis-jeî  quoique  très- vaniteux,  à  les  prendre  en  eux- 
mêmes  et  dans  le  secret  de  leur  cœur,  ils  n'étaient  pas  bien 


150  ÉTATS    GÉNÉltAUI. 

fermes.  Ces  profits  variables,  trop  généralement  arbitrat<- 
res,  contestés  des  plaideurs,  leur  abaissaient  le  coeur.  Leit rs 
charges  étant  toute  leur  fortune,  ils  s'en  croyaient  compta- 
bles à  leur  (aniille.  tls  craignaient  fort  qu'on  n'y  touchât. 
Ils  étaient,  avant  tout,  pères  et  pi'opriétaîrcs.  Le  nom  le 
plus  illustre,  le  vieux  Harlay,  par  feitrfcsse  pour  les  siens, 
venait  de  donner  un  triste  exemple  ;  il  avait  vendu  (ce  qui 
jnsque-là  ne  se  faisait  pas  encore)  une  charge  de  premier 
président. 

Nos  évêques,  valets  ou  parents  des  maltresses,  de  Gt- 
bi  iolle,  d'Henriette,  fils  de  Zamct  et  de  La  VareiMie,  etc., 
n'en  méprisaient  pas  moins  les  ma^nstrats,  les  appelant 
«  une  espèce  mécanique  et  épkière.  »  Plusieurs,  comme 
Sourdis,  nommé  par  GabiMelle  arclievèque  deBordeaoxet 
cardinal,  cumulaient  l'insolence  de  la  pourpre  et  de  la  no- 
blesse, piaffaient  en  matamores,  marchaient  sur  les  pieds 
à  tout  le  monde.  Ce  Sourdis  alla  «n  jovr,  avec  ses  estaûers, 
briser  la  porte  des  prisons  de  Bordeaux,  en  tirer  des  hooi- 
nnes  qui  étaient  là  sous  arrêt  du  Parlement,  sous  la  main 
de  la  Loi. 

Gallot  a  imnH>rtalisé  les  nobles  gueux  de  cour,  ces  capi- 
tans  râpés,  traînant  leur  inutile  épée  autour  du  Louvre, 
mendiant  une  aumône  ou  flairant  un  repas  aux  cuisieies 
de  monseigneur  d'Ancre.  Celui-ci  leur  crachait  dessus,  et 
les  appelait  faquins  à  mille  francs  pièce.  C'était  le  taux 
d'un  gentilhomme. 

Gibiers  de  recors  et  d'huissiers,  ils  n'en  étaient  pas 
moins  hardis  contre  les  juges,  vaillants  à  bon  marché  oontre 
les  hommes  de  plume,  parfois  de  main  légère  et  proiDpte 
aux  voies  de  fait.  Si  l'on  voulait  poursuivre,  point  de  té- 
moins. Peu  de  gens  se  souciaient  de  se  mettre  sur  les  bras 
tous  ces  ferrailleurs  qui  se  soutenaient  entre  eux. 

À  ces  insultes  accidentelles  joignez -en  une  permanente. 
Les  nobles  de  robe  étaient  soumis  à  la  gabelle  du  sel.  Les 
nobles  d'épée  s'en  nK>quaient.  Les  gabeleux,  qui  fouillaient 


HTATS    GÉNÉRAUX.  AM 

les  maisons  pour  constater  le  sel  acheté  illicitement,  n'eas- 
sent  pas  osé  entrer  chez  eux.  Ils  fouillaient  chez  les  jugesu 
£ii  septembre  1613,  la  Cour  des  aides  avait  eu  la  hardiesse 
d^ordonner  qu'on  irait  partout,  et  qne  tous  payeraient,  en 
proportion  du  nombre  des  personnes.  Essai  audacieux  qui 
n'allait  pas  moins  qu'à  Végalilâ  en  maûère  d*vnp6U,  La 
chose  fut  écrite,  non  fatle,  rcsla  sur  le  papier. 

Voilà  donc  deux  noblesses  qui  arrivent,  deux  armées, 
front  à  front.  Toutes  deux  so  caractérisent,  lu  noblesse  par 
sa  pétulance  (au  point  que  le  vieux  maréchal  La  Châtre  ne 
pat  la  supporter  et  se  retira).  Le  Tiers  marqua  par  son 
humilité;  quoiqu'il  eût  le  cœur  bien  gros,  il  alla  faire  com- 
pliment aux  nobles  et  au  clergé.  A  l'ouverture,  il  parla  à 
genoux. 

Ce  n'était  point  du  tout  le  Tiers  Ëtat  du  xvi''  siècle,  comme 
il  avait  paru  si  fièrement  à  Poissy,  mêlé  d'esprits  divers  et 
de  classes  diverses,  vrai  représentant  de  la  France.  En 
1614,  ce  n'était  qu'une  classe,  tous  juges  et  gens  de  loi.  Et 
cependant  plus  de  jurisconsultes.  Des  praticiens,  point 
d'administrateurs,  si  du  moins  Ton  en  juge  par  Tinforme 
chaos  qu'offrent  les  cahiers  des  Ëtats.  11  est  visible  qu'à 
juger  des  procès,  ces  gens-là  ne  sont  pas  devenus  de 
grands  politiques.  Cependant  il  y  avait  quelques  hommes 
de  talent,  le  lieutenant  civil  de  Mesmes,  éloquent,  vif, 
hardi;  le  prévôt  des  marchands^  Miron,  frère  du  Hiron 
célèbre  qui  changea  tant  Paris  sous  Henri  IV.  Dans  les 
magistrats  de  provinces,  quelques-uns  brillèrent  Nommons 
par  gratitude  l'estimable  chroniqueur  dos  États,  Flori- 
moud  Rapine,  avocat  du  roi  au  présidial  de  Saint-Pierra. 
Nommons  surtout  et  désignons  à  la  reconnaissance  du 
pays  le  héros  de  l'assemblée,  Savaron^  président  au  pré- 
sidial de  Clermont.  Jeune,  il  avait  porté  les  armes  ^  magis- 
trat phis  tard,  émdit,  il  se  bamait  à  la  petite  gloire  d'éditer 
son  compatriote,  le  vieux  Sidoine  Apollinaire.  La  grajideur 
^e  la  situation,  l'amoiir  de  la  justice  et  le  sentiment  d«s 


452  iTATS  GÉNÉRAUX. 

misères  du  peuple  tirèrent  de  sa  poitrine  des  paroles 
inouïes,  qui  alors  purent  tomber  par  terre,  mais  poar 
revenir  foudroyantes  par  Sieyès  et  par  Mirabeau. 

Les  voleurs  avaient  peur.  Tout  en  faisant  les  fiers,  au 
nom  du  roi  qu'ils  avaient  dans  les  mains,  ils  avaient  vu 
l'agitation,  la  fureur  de  Paris  au  procès  de  Ravaillac,  et 
savaient  par  où  on  pouvait  les  prendre.  Celui  qui  eût  eu 
le  courage  de  relever  la  chemise  sanglante  d'Henri  lY  l'eût 
trouvée  chaude  encore,  à  brûler  le  Louvre. 

On  ne  pouvait  faire  une  réforme,  mais  bien  une  révo- 
lution. C'était  au  Tiers  État  à  y  regarder  et  savoir  ce  qu'il 
voulait.  Il  était  tout  de  magistrats,  lié  avec  le  Parlement. 
La  révolution  se  fût  faite  par  la  voie  judiciaire. 

Le  grand  secret  n'était  pas  un  secret.  Le  vieux  Harlay, 
qui  avait  tout  étouffé  quand  la  régence  donnait  encore 
espoir,  était  retiré,  mais  non  mort.  Le  rapporteur  de 
Ravaillac  existait,  et  ses  dépositions,  reçues  sous  le  secret  de 
la  cour,  n'avaient  pas  encore  été  détruites.  Elles  existaient 
dans  la  cassette,  murée  à  l'angle  des  rues  Saint-Honoré  et 
des  Bons-Enfants,  avec  la  feuille  dictée  par  Ravaillac  sur 
l'échafaud,  entre  les  tenailles  et  le  plomb  fondu,  et  l'on 
pouvait  y  lire  les  noms  d'Épernon  et  de  la  reine. 

Le  témoin  Dujardin  Lagarde,  assassiné  par  Ëpernon, 
Lagarde  vivait  pourtant;  il  était  à  Paris,  et  demandait 
réparation.  Pour  réparation,  il  eut  la  Bastille. 

La  dame  d'Escoman,  ajournée,  non  vraiment  jugée, 
était  à  la  Conciergerie,  toujours  dans  la  main  du  Par- 
lement, qui,  par  elle,  avait  une  hypothèque  terrible  sur 
le  Louvre.  Si,  par  Lagarde,  on  mettait  Ëpernon  à  jour, 
derrière  lui,  par  la  d'Escoman,  on  allait  à  la  reine.  Le 
duc  en  trois  jours  eût  été  en  Grève,  et  elle  fût  partie  pour 
Florence. 

Le  jugement  d'Ëpernon,  qui  eût  frappé  les  grands  d'une 
impuissance  constatée,  aurait  sauvé  cent  millions  d'hom- 
mes qui  sont  morts  de  misère  par  la  perpétuité  du  régime 


JBTÀTS   GÉNÉRAUX*  1b' 3 

•quasi  féodal,  que  la  monarchie  n'a  nullement  fini»  mais 
continué  par  la  noblesse  jusqu'en  89. 

Pour  cela,  il  fallait  tenir  Paris  et  savoir  s'en  servir.  11 
fallait  que  le  Tiers  État,  au  lieu  de  venir  avec  toutes  les 
petites  jalousies  de  la  province,  se  jetât  de  cœur  dans  la 
grande  ville,  où  est  la  chaude  vie  de  la  France,  qui  n'est 
que  la  France  même,  incessamment  filtrée  par  un  brûlant 
organe.  Paris  n*avait  jamais  élé  tant  ligueur  qu*on  croyait. 
Et  d'ailleurs  il  ne  l'était  plus.  Au  contraire,  il  saluait  de 
ses  vœux  la  guerre  d'Henri  IV,  qu'il  croyait  une  «  guerre 
contre  le  pape.  »  Paris  protégea  Charenton. 

La  cour  étourdiment  avait  assigné  au  Tiers  de  siéger 
à  l'Hôtel  de  Ville.  Il  y  aurait  trôné  et  serait  devenu  un 
centre.  Par  sotte  jalousie  de  Paris,  il  aima  mieux  être 
rayon,  un  rayon  pâle  dans  la  gloire  de  la  noblesse  et  du 
clergé.  Il  alla  se  loger  sous  les  pieds  de  ses  ennemis. 
Tandis  que  les  deux  ordres  privilégiés  siégeaient  pompeu- 
sement dans  les  salles  hautes  et  décorées  du  couvent  des 
Grands-Âugustins,  le  pauvre  Tiers  vint  se  cacher  au 
réfectoire  humide  des  moines,  dans  un  rez-de-chaussée 
sale  et  noir,  oii  personne  n'allait  le  chercher.  Paris  n'eût 
su  où  le  trouver. 

Ils  se  laissèrent  donner  pour  président  un  homme  mixte, 
ni  chair,  ni  poisson,  le  prévôt  Miron,  que  la  cour  appuyait 
comme  propre  à  donner  des  paroles,  en  éludant  les  actes. 
On  put  le  juger  dès  l'entrée.  Quand  ce  malheureux  tréso- 
rier, pîlorié,  promené  sur  un  âne  par  le  duc  de  Nevers, 
apporta  sa  requête,  Taffaire  ne  fut  pas  mise  en  délibéra- 
tion, sous  ce  prétexte  étrange  que  l* heure  était  sonnée 
(d'aller  dtner).  L'homme,  il  est  vrai,  s'était  présenté  seul, 
les  autres  trésoriers  n'ayant  osé  le  soutenir,  t  l'ayant 
désavoué  de  Vinjure  qu'il  avait  faite  au  duc,  »  en  faisant 
son  devoir,  et  suivant  les  ordres  du  roi  I 

Je  ne  vois  pas  non  plus  dans  le  gros  livre  de  Rapine  que 
le  président  ait  saisi  rassemblée  de  la  réclamation  de 


154  tTATS    GÉNÉRAUX. 

Lagarde.  Pas  un  mot  d'une  affaire  si  grave  que  Lagarte 
Jui-mômc  dit  avoir  présentée  aux  Etats. 

Ce  livre  de  Rapine  est  bien  étrange,  quelquefois  hu-di 
dans  la  forme,  mais  très-timide  an  fond.  Les  choses  capi- 
tales sont  cachées  dans  des  parenthèses.  On  apprend  en 
passant,  et  par  occasion,  en  une  ligne^  «  que  tous  les 
•cahiers  des  députés  deroandoient  la  suppression  des  pas- 
sions. »  C'était  la  guerre  à  la  noblesse  que  le  Tiers  appor- 
tait. Rien  n'indique  qu'il  ait  suivi  ce  mandat  des  provinces. 
II  procéda  obliquement,  demandant  l""  svrséanoe,  pen- 
dant la  duréo  des  États,  aux  levées  d'argent  extraordi- 
naires; 2°  suppression  des  trésoriers  qui  payaient  les 
pensions.  La  reine  se  récria  sur  ce  dernier  aitide,  disant 
que  les  offices  des  trésoriers  étaient  à  elle,  un  don  qu'elle 
avait  reçu  du  feu  roi.  Le  Tiers  État,  non  moins  galant, 
maintint  ces  trésoriers  des  pensions.  Cela  devait  faire 
croire  qu'il  respecterait  les  pensions  elles-mêmes. 

Cependant  ce  seul  mot  de  pensions  avait  fuit  frémir  k 
noblesse.  Ce  même  jour,  13  novembre,  un  homme  à  eUe, 
un  député  du  sauvage  Forest,  sans  consulter  ses  collègues 
de  même  province,  vint,  commode  sa  tôte,  avec  les  sem- 
blants de  sa  liberté  montagnarde,  proposer  d'abolir  ie 
droit  annuel  qui  assurait  aux  magistrats  l'hérédité  des 
charges. 

Guerre  pour  guerre.  Si  le  Tiers  touchait  aux  pensions 
des  nobles,  les  nobles  leur  jetaient  cette  pierre,  les  meaa- 
caiont  dans  leurs  fortunes. 

Mais  tout  cela  était  trop  lent.  Le  duc  d'Épernon,  qui 
sans  doute  craignait  que,  dans  cette  dispute  entre  les 
ordres,  l'aigreur  ne  donnât  du  courage,  «t  qu'on  ne  ralt 
sur  le  tapis  l'affaire  de  Lagarde  et  de  Ravaillac  pour  1' 
Yoyer  au  Parlement,  d'Épernon  résolut  de  frapper 
coup  de  terreur  sur  celui-ci,  qui  effrayât  le  Tiers,  bridât 
les  langues  sur  ce  sujet  sacré.  ProbaUemeot  il  était  averti 
de  ce  qu'on  voulait  faire  par  l'espion  et  le  traître  qu'on 


ÉTATS    GÉîîÉnACX.  455 

avait  mis  pour  successeur  de  Harlay,  le  président  Verdun, 
ràinc  damnée  de  la  reine,  de  d*Épernon  et  des  Jésuites. 

Le  coup  fut  monté  ainsi.  Un  soidat  du  duc  défia  un 
homme  et  le  tua,  fut  emprisonné  par  le  bailli  de  Saint- 
Germain.  DÉpemon,  comme  colonel  général  de  Tinfan- 
lerîe,  réclame  le  prisonnier,  prend  des  garnies  au  Louvre, 
et  force  la  prison  (1 4  décembre). 

Lo  45,  la  noblesse,  exaltée,  enhardie  par  Toutrage  foit 
aux  lois  et  aux  magistrats,  déclare  au  Tiers  qu'elle  deman- 
dera au  roi  qu'il  ne  lève  point  le  droit  annuel,  c'est-à- 
dire  ne  garantisse  pins  Thèrèditè  des  charges  achetées.  Ces 
charges,  non  garanties,  tombaient  dès  lors  au  dixièmo  de 
leur  valeur.  Les  magistrats,  qui  y  avaient  mis  tout  leur 
patrimoine,  étaient  ruinés. 

Cette  menace,  apportée  au  Tiers,  eut  un  eflTet  inattendu. 
On  vît  alors  une  chose  qu'on  ne  voit  guère  qu'en  France, 
où  les  hommes,  mis  en  demeure,  s'élèvent  parfois  tout  à 
coup  au-dessus  d'eux-mêmes.  Un  noble  éclair  passa  sur 
l'assemblée.  Ces  magistrats  accueillirent  avec  enthou- 
siasme la  proposition  qui  les  ruinait.  Plusieurs  s'écrièrent 
qu'il  fallait  abolir  cette  honteuse  vénalité  des  charges,  fer- 
mer la  porte  aux  richesses  ignorantes,  et  ne  l'ouvrir  qu'à 
la  vertu. 

La  proposition  fut  formulée  par  le  lieutenant  général 
du  bailliage  de  Saintes,  président  du  gouvernement  de 
Guyenne.  Cette  province  si  misérable,  rasée,  exterminée 
par  l'atrocité  des  impôts,  et  qui  n'avait  plus  que  des 
larmes,  avait  ému  son  cœur,  et  elle  lui  inspira  de  grandes 
paroles,  dignes  de  la  Nuit  du  4  août. 

Ce  magistrat  demande  trois  choses  :  1*  qu'on  ne  paye 
plus  le  droit  qui  garantissait  l'hérédité  des  charges;  2"*  que 
la  taille  soit  réduite  à  celle  d'Henri  III  ;  S**  que  le  roi,  s'il  se 
trouve  trop  appauvri  par  les  demandes,  sursoie  au  paye- 
ment des  pensions. 

L'enthousiasme  alla  montant.  Et  la  majorité  adopta  le 


456  ÉTATS    GÉNÉRAUX. 

sacrifice  complet,  proposé  par  M.  de  Mesmes,  YabolUion 
expresse  de  la  vénalité  des  charges. 

Deux  députés,  au  moment  mémo,  s'échappèrent  et 
coururent  aux  chambres  du  clergé  et  de  la  noblesse,  qui« 
surpris  de  cette  vigueur,  essayèrent  de  gagner  du  temps, 
admirant,  exaltant  un  si  beau  sacrifice,  mais  demandant 
qu'on  Vajoumdt  avec  l'affaire  des  pensiojis,  qu'on  n'occu- 
pât le  roi  que  de  l'affaire  du  sel  et  de  la  suspension  du 
droit  annuel.  On  ne  fut  pas.  pris  à  ce  piège,  et  on  leur 
envoya  l'homme  le  plus  ferme  de  l'assemblée,  Savaron, 
président  de  Clcrmont,  qui  leur  dit  :  «  Laissons  là  le  droit 
annuel  ;  allons  à  la  racine  du  mal.  La  noblesse  dit  que  la 
vénalité  lui  ferme  l'entrée  aux  charges...  Que  la  vénalité 
périsse  I 

a  Les  pensions  en  sont  à  ce  point  que  le  peuple,  déses* 
péré,  pourra  bien  faire  comme  ses  aïeux  les  Francs,  qui 
brisèrent  le  joug  des  Romains. . .  Dieu  veuille  que  je  sois 
faux  prophète!...  Mais,  enfin,  c'est  ce  brisement  qui  a 
fondé  la  monarchie...  » 

Ceci  à  l'adresse  des  nobles.  Et  l'hypocrisie  du  cierge,  sa 
secrète  entente  avec  la  noblesse,  il  la  nota  d'un  mot  : 
a  Tous  vos  discours  sucrés  ne  réussiront  pas  à  nous  faire 
avaler  la  chose...  Vous  craignez  pour  le  roi  s'il  perd  un 
million  et  demi  que  lui  rapporte  le  droit  des  magistrats. 
Et  vous  ne  craignez  pas  de  lui  laisser  la  charge  des  pen- 
sions, qui  est  de  cinq  millions  I  » 

Et  au  roi  :  «  Sire,  soyez  le  roi  très-chrétien. , .  Ce  ne 
sont  pas  des  insectes,  des  vermisseaux,  qui  réclament  votre 
justice  et  votre  miséricorde.  C'est  votre  pauvre  peuple,  ce 
sont  des  créatures  raisonnables  ;  ce  sont  les  enfants  dont 
vous  êtes  le  père  et  le  tuteur...  Prêtez-leur  votre  main 
pour  les  relever  de  l'oppression  I...  Que  diriez-vous,  Sire, 
si  vous  aviez  vu  en  Guyenne  et  en  Auvergne  les  hommes 
paître  l'herbe  à  la  manière  des  bétes?...  Cela  est  tel- 
lement véritable,  que  je  confisque  à  Votre  Majesté  mon  . 


ÉTATS    GÉNÉRAUX.  157 

bien  et  mes  offices,  si  je  suis  convaincu  de  mensonge!  » 

Cette  voix,  sortie  du  cœur  du  peuple,  donnait  courage 
au  Parlement.  Dès  le  premier  discours,  qui  fut  du  45,  il 
avait  procédé  contre  le  duc  d'Épernon.  Celui-ci  joua  le 
tout  fK)ur  le  tout.  Le  49,  le  Parlement,  à  sa  sortie,  trouva 
le  duc  avec  ses  bandes  qui  remplissaient  la  Grand'Salie  et 
la  longue  galerie  des  Merciers,  fort  obscure  en  cette  sai- 
son. Ces  bravi,  qui,  sans  nul  scrupule,  eussent  fait  un 
carnage  de  toute  la  Justice  de  France,  commencèrent  par 
des  cris,  des  risées,  des  menaces.  Puis  ils  passèrent  aux 
gestes,  et  Ton  ne  sait  si  réellement  il  y  eut  des  coups.  Ce 
qui  est  sûr,  c'est  qu'ils  ruaient  des  éperons  à  travers  les 
robes,  les  accrochaient  et  les  tiraient  pour  faire  tomber  les 
magistrats.  Ceux-ci  retournèrent  sur  leurs  pas,  s'enfer- 
mèrent dans  leurs  salles.  Le  duc  resta  maître  du  champ  de 
bataille.  La  Justice,  créée  pour  donner  la  chasse  aux  bri- 
gands, fut  chassée  par  eux  cette  fois  ;  les  voleurs  enfer- 
mèrent leurs  juges. 

Que  fit  le  Parlement  le  lendemain?  Rien  du  tout.  Et 
rien  encore  pendant  cinq  jours.  Ce  corps  certainement 
était  neutralisé  par  la  trahison  de  son  président. 

La  noblesse  ne  douta  pas  que  le  Tiers  ne  fût  effrayé  do 
l'aventure  du  Parlement.  Le  20,  par  le  clergé  et  directe- 
ment par  un  de  ses  membres,  elle  demanda,  exigea  que 
Savaron  lui  fit  excuse.  A  quoi  il  répondit  fièrement  :  c  J'ai 
porté  les  armes  cinq  ans,  et  j'ai  moyen  de  répondre  à  tout 
le  monde  en  l'une  et  l'autre  profession.  • 

Mais  les  nobles  n'eussent  daigné  croiser  l'épée  avec  un 
homme  de  robe  longue.  Un  d'eux,  Clermont  d'Entragucs, 
dit  que  Savaron  devait  être  fouetté  par  les  pages,  berné 
par  les  laquais. 

Le  clergé,  au  nom  de  la  paix,  voulait  que  le  Tiers  ava- 
lât ceci,  et  fit  excuse  à  la  noblesse  de  l'injure  qu'il  n'avait 
pas  faite.  De  Mesmes  fut  envoyé  effectivement  aux  nobles, 
mais  ce  fut  pour  poser  la  question  sur  un  terrain  plus 


458  ÉTATS    GKNKRAIX. 

haut  :  «  Les  trois  ordres  sont  trois  frères,  eafaats  de  la 
France.  Au  clergé,  la  bénédiction  de  Jacob  et  le  droit 
d* aînesse.  À  la  noblesse,  les  Qefs  et  dignités.  Au  Tiers  Était 
la  justice.  Le  Tiers,  dernier  des  frères,  reconnaît  son  aine 
au-dessus  de  lui.  Mais  la  noblesse  doit  voir  un  frère  en 
lui.  Elle  donne  la  paix  à  la  France,  nous  aux  particuliers... 

a  Au  reste^  n'a-t-on  pas  vu  souvent  dans  les  familles  que 
les  aines  ravalaient  les  maisons,  que  les  cadets  les  rele- 
vaient? » 

Ce  fut  un  coup  do  poignard  pour  la  noblesse.  Pour  la 
première  fois,  Tég^ilité  timide  avait  réclamé  ce  nom  de 
frères,  de  cadets,  de  frères  inférieurs,  mais  déjà  en  rap- 
pelant que  les  aines  pouvaient  déchoir,  les  cadets  sauver  la 
famille... 

a  Des  fils  de  savetiers  nous  appeler  frères  !  »  Ce  fut  le 
cri  des  nobles.  Ils  crièrent  en  tumulte  jusqu'à  neuf  heures 
du  soir.  Et  alors,  quoiqu'il  fut  si  tard,  ils  allèrent  deoiaa- 
der  vengeance  au  roi.  Ils  trouvèrent  porte  close,  les  ponts 
kvés,  le  roi  couché. 

Ce  ménr&e  jour  24  décembre,  le  Faiblement,  enfm  ré- 
veillé, sétoit  souvenu  de  Tinjure  du  49,  et  s'était  mis  n 
procéder.  Le  Tiers  déclara,  le  27,  que  de  Mesmes  avait 
bien  parlé,  et  qu'on  l'avouait  de  tout. 

Au  point  où  étaient  les  choses,  Condé  avait  la  partie 
belle.  Cette  popularité  qu'il  cherchait  jusque-là  par  de 
mauvais  moyens,  il  pouvait  la  gagner  par  le  salut  de  la 
France.  S'il  eût  été  le  27  aux  États  et  au  Parlement,  il  eût 
entraîné  tout.  Il  n'osa,  et  resta  chez  lui. 

La  reine  ne  perdit  plus  de  temps  pour  faire  jouer  la 
grande  machine,  le  roi,  —  pour  comprimer  par  lui  le 
Tiers,  le  Parlement,  sauver  d'Épernon,  relever  la  noblesse. 

Jour  mémorable.  Le  roi  fut  posé,  ce  jour-là,  roi  des 
nobles  contre  le  peuple. 

C'est  le  sens  de  tout  ce  qui  suit  pour  deux  cents  ans» 
Nous  attendons  89. 


il  AÏS    6ÉNËRAUX.  \'ô^ 

Le  38,  ce  petit  garçon  de  treize  ans  et  demi,  en  son  Lou- 
vre, répétant  sa  leçon  apprise,  ordonne  au  Tiers  État  de 
faire  excuse  à  la  noblesse. 

Et  il  ordonne  au  Parlement  de  cesser  les  poursuites  contre 
son  cousin  le  due  d'Épemon. 

Le  prînee  de  Condé,  làcbeœent,  fit  semblant  de  croire 
que  le  Tie»  avait  l'intention  de  s'excuser  et  lui  conseilla  de 
le  faire. 

Le  Parlement,  battu,  bloqué  chez  lui  par  d'Épernon,  ne 
fut  pas  quitte  pour  cela.  Il  lui  fallut  endurer  sa  présence. 
Cet  homme,  qui  portail  le  meurtre  au  front  et  Je  sang 
d'Henri  IV,  au  lieu  de  figurer  sur  la  sellette,  comme  il 
devait,  vint  trôner  comme  duc  et  pair.  Ceux  qu'il  avait 
bafoués  et  outragés  le  soir,  il  les  brava  de  jour.  Il  n'excusa, 
n'expliqua,  ne  regretta  rien.  La  tète  haute,  en  quelques 
mots  brefs,  il  assura  la  cour  de  sa  protection. 

Le  Tiers  fut  traité  de  oiéme.  Le  petit  roi  ne  daigna  lire 
ses  trois  propositions  et  les  renvoya  à  ses  gens.  Il  n'avait 
qu'uft  im^t,  et  sa  mère  an  mot  :  a  Faites  au  plus  tôt  votre 
cahier.  »  C'est-à-dire  :  Partez  au  plus  vite. 

On  avait  été  jusqu'à  écrire  d'avance  les  excuses  que 
devait  faire  le  Tiers.  Celui-ci,  exaspéré,  n'en  tint  compte, 
dit  qu'il  ne  s'expliquerait  pas  devant  la  noblesse,  mais  de- 
vant le  roi.  Il  prit  même  un  rôle  agressif.  Il  menaça  d'écnre 
aux  provinces  si  on  ne  donnait  prompte  réponse  à  ses  pro- 
positions. Enfin,  il  demanda  qu'on  lui  communiquât  l'état 
des  finances. 

Cette  demande,  si  simple  et  si  prévue,  jeta  un  trouble 
extrême  à  ia  cour  et  aux  chambres  du  clergé  et  de  la  no- 
blesse. On  put  juger  alors  de  la  parfaite  entente,  de  l'union 
de  tous  les  voleurs.  Le  clergé  envoya  au  Tiers  JËtat  le  dou- 
cereux évoque  de  Bclley,  Camus,  l'auteur  fadasse  de  tant 
de  plats  romans  de  bergeries  dévotes,  mêlés  de  VAstrée 
de  d'UrCé  et  de  la  Philothée  mignarde  de  saint  François  de 
Saies,  a  Les  finavees,  dit-il,  sont  rArche  sainte  de  l'an- 


160  ÉTATS    GtoÉRADX. 

cienne  Loi...  Gardons-nous  d'y  toucher...  »  —  A.  quoi  un 
membre  du  Tiers  dit  vivement  :  «  Mais  nous  sommes  sous 
la  Loi  nouvelle,  qui  veut  le  jour  et  la  lumière,  b 

Le  ministre  Jeannin,  très-fidèle  à  Tancienne  Loi,  voulut 
bien  apporter  cette  Arche,  mais  non  l'ouvrir.  On  commu- 
niqua quelques  chilTres  incomplets,  inexacts  et  faux.  Et 
encore  on  défendit  de  les  copier.  Le  Tiers  enfin  fut  obligé 
de  dire  qu'une  telle  communication  lui  était  superflue, 
qu  il  n*en  prendrait  pas  connaissance. 

Jeannin,  pour  rester  au  pouvoir,  avait  pris  la  tâche  hon- 
teuse de  mentir  pour  la  cour  et  de  couvrir  ses  vols.  11  dit 
effrontément  que  le  trésor  des  quarante  millions  de  la 
Bastille  n'était  que  de  cinq  ;  il  supposa  que  la  dépense 
avait  augmenté  de  neuf  millions,  et  la  recette  diminué  de 
huit  !  Chiffre  impossible  et  ridicule  ;  car,  alors,  on  n'eût 
pas  vécu.  Enfin,  pour  embrouiller  complètement,  et  dé* 
router  tout  examen,  à  l'article  des  levées  d'argent,  il  ad- 
ditionne péle-méle  la  recette  avec  la  dépense  I 

Malgré  les  défenses  expresses,  le  Tiers  copia  ce  chaos, 
et  renvoya  dans  les  provinces. 

Cependant  on  cherchait,  on  trouvait  contre  lui,  on  lui 
jetait  aux  jambes  des  barres  pour  l'arrêter  et  des  pierres 
pour  le  faire  tomber. 

Les  magistrats  qui  composaient  le  Tiers  sortaient  en 
grande  partie  de  familles  de  finances.  La  noblesse  crut  les 
embarrasser  en  proposant  une  chambre  de  justice  qui 
examinerait  et  poursuivrait  les  financiers  (5  décembre). 

Les  nobles,  débiteurs  de  ceux-ci,  se  fussent,  acquittés 
à  bon  compte,  en  les  payant  d'une  corde.  Le  Tiers  se 
montra  ferme  encore;  malgré  ses  rapports  de  famille, 
il  dcclnra  trouver  très -bon  qu'on  recherchât  les  finan- 
ciers. 

La  seconde  pierre  qu'on  lui  jeta  fut  une  réforme  de  la 
Justice,  dont  on  le  menaça,  et  la  troisième  (lancée  par  le 
clergé),  une  réduction  des  conseillers  d'Ëtat.  Le  Tiers,  en 


BTÀTS    GiNÉRAUX:  164 

vrai  Romain,  vota  ceHe  réduction,  qui  fermait  aux  ma- 
gistrats leur  plus  belle  perpective. 

La  seule  vengeance  qu'il  prit,  ce  fut  d'écrire  en  tète  de 
son  cahier,  comme  premier  article  et  loi  fondamentale^  la 
défense  du  roi  contre  le  clergé,  la  condamnation  des  doc- 
trines qui  avaient  armé  Ravaillac,  l'indépendance  du  pou- 
voir civil,  l'injonction  à  tous  ceux  qui  auraient  des  offices 
ou  des  bénéfices  de  signer  cette  doctrine,  eùûn  la  proscrip- 
tion des  souteneurs  de  l'autorité  étrangère. 

Les  historiens,  qui  ne  voient  là  qu'une  bassesse,  une 
flatterie,  n'ont  aucun  sentiment  de  la  situation  ni  du  mo« 
ment.  Le  sang  du  roi  fumait  encore. 

Ces  souteneurs  du  pape,  qui  étaient-ils?  Les  bons  amis 
de  Ravaillac,  ceux  qui  l'avaient  poussé,  regardé  faire,  et 
qui  profitaient  de  son  crime.  Qui?  D'Épernon  et  Concini,  * 
les  Jésuites,  les  mauvais  Français,  nos  Espagnols  de  France 
et  les  excréments  de  la  Ligue. 

L'article  les  marquait  tous.  On  ne  pouvait  pas  encore  les 
mettre  en  Grève  ;  on  les  piloriait  dans  la  Loi. 

Quand  Samson  mit  le  feu  à  la  queue  des  trois  cents  re* 
nards,  qui  s'en  allèrent  criant,  brûlant  les  blés  des  Philis- 
tins, ces  animaux  ne  firent  pas  phis  de  bruit  que  les  'dé- 
fenseurs des  Jésuites  et  les  prélats  ultramontains. 

Ils  vinrent,  l'un  après  l'autre,  déclamer,  pleurer  et  crier 
au  sein  du  Tigrssur  le  malheureux  sort  de  la  Religion.  Ils 
y  jetèrent  l'incident  pathétique  des  catholiques  cruelle- 
ment persécutés,  disaient-ils,  en  Béarn  par  les  huguenots. 
Le  président  Miron,  prenant  rôle  dans  la  comédie,  appuya 
cette  lamentation  de  ses  sanglots  et  de  ses  larmes. 

Le  Tiers  n'en  fut  pas  dupe.  Peu  favorable  aux  protes- 
tants, il  tint  ferme  contre  les  Jésuites.  Contre  la  cour, 
c'était  la  même  chose.  On  put  le  voir  à  la  peur  de  celle-ci^ 
.  qui  se  fit  tout  à  coup  bienveillante  pour  les  magistrats,  leur 
fit  dire  que  les  charges- non-seulement  passeraient  aux 
fils,  mais  aux  héritiers  quelconques  et  aux  veuves. 

XX.  il 


46â  ÉTATS    QÎKiRAUX. 

Ce  miel  intempestif,  donné  si  lâchement  et  par  peur^ 
n'adoucit  rien.  Les  magistrats  en  sentirent  mieux  leur 
force,  et  le  Parlement,  adoptant  Tarticle,  en  fit  un  arrêt, 
et  lui  donna  la  force  judiciaire  (34  décembre). 

Il  ne  restait  qu'à  mettre  les  noms  dans  cet  arrêt  pour 
en  faire  la  condamnation  des  grands  coupables  qui  bra- 
vaient la  Justice. 

Leur  arme,  leur  ressource  suprême,  cossue  dans  la 
première  dispute,  ce  fut  encore  le  roi.  Avec  le  petit  man- 
nequin, ils  pouvaient  assommer  la  raison  et  la  loi.  Cette 
fois  encore  le  Tiers,  le  Parlement,  furent  accablés  par  le 
roi  même,  qui  évoqua  Tarticle  à  lui,  et  leur  interdit  de 
défendre  sa  royauté,  sa  vie  !  prenant  parti  pour  ceux  qui 
tuaient  les  rois,  pour  les  assassins  de  son  père  ! 

C'étaient  eux  justement  qui  le  liaient;  il  n'était  pas 
libre.  La  complicité  de  la  cour  et  de  la  reine  même  dans 
la  mort  d'Henri  iV  enhardissait  tellement  le  parti  jésuite, 
que  le  cardinal  Du  Perron,  son  organe,  dit  au  roi  en  per- 
sonne que,  s'il  ne  cassait  l'arrêt  du  Parlement,  le  clergé 
en  concile  excommunieraU  ceux  qui  refusent  au  pape  le 
droit  de  déposer  les  rois. 

Cent  vingt  membres  du  Tiers  protestèrent  pour  que 
Tarticle  restât  écrit  au  cahier,  malgré  l'ordre  du  roi.  Ils 
protestèrent  de  vive  voix,  mais  tous  ne  signèrent  pas  la 
protestation.  Ce. qui  permit  au  président  M^ron-dc  nier  la 
majorité.  £n  vain  Savaron  monta  sur  un  banc.  Un  étouffa 
sa  voix.  Le  président  cria  que  le  roi  le  voulait  ainsi,  et 
Tavait  dit  luinnéme)  de  sa  bouche  et  sans  interprète.  On 
prit  un  moyen  terme.  On  effaça  sans  effacer,  en  écrivant 
l'article  pour  dire  qu'on  ne  Tarirait  pas. 

Tout  le  débat  finit  sur  ce  premier  article,  qui  fut  en 
même  temps  le  dernier.  La  comédie  honteuse  finit  oomme 
ces  ariequinades  où  le  Deus  tx  mechind  qui  fait  le  déooù-. 
ment  est  tout  simplement  le  bâton. 
Un  sieur  de  Bonneval,  membre  de  la  noblesse,  sans 


ÉTATS    GÉNÉRAUX.  463 

cause  Ai  préterxte»  bMoime  nu  magistrat  du  Tiers.  Et, 
d'autre  pmt,  Gondé,  furieux  contre  la  reine,  qui  lui  fait 
intimer  de  ne  point  faire  Visite  au  Tiers,  fait  b&tonner  par 
m  des  siensun  gentilhomme  deia  reine.  De  là,  entre  la 
reine  et  hii,  une  basse  et  grossière  dispute,  a  Je  n'ai  pas 
peur  de  vous,  disait  Condé.  Que  me  fere2-vous  ?»  te  toi 
le9  sépara.  La  reine  avait  mande  pour  la  défendre  toutes 
les  bande?  de  M.  de-Gmse. 

Ceiidé  alla  apo  Parlement,  et  dft  fkîidement  qu'il  avouait 
son  (rentilhomme  d'avoir  assommé  l'homme  de  la  reine, 
cfoece  n'était  que  représailles.  «  MM.  de  Guise,  dit-iI, 
ont  bien  assassiné  de  Luz.  Et  le  maréchal  d'Ancre  a  bien 
fait  assas»ner  Rubempré.  M.  d^pernon  a  bien...  »  Condé 
acheva- t^i?  dit^il  que  d'Kpemon  avait  assassiné  Lagarde, 
le  dénonciateur  de  Ravaillac?  Nous  savons  seulement 
qu'il  nomma  d'Ëpemon.  Cela  suffit  :  la  reine,  tout  à. coup 
sovple  cemme  un  gant,  fît  tout  ce  que  voulait  Condé.  Il 
eut  poar  son  homme  des  lettres  d'abolition,  et  l'homme 
de  la  reine  garda  ses  coups  de  bâton.  Le  Tiers,  plus  ferme, 
fit  condamner,  au  moins  par  contumace,  le  député  de  la 
noiiea^e  qni  avait  bâtonné  an  de  ses  membres,  et  il  fut 
exécQté  en  effigie. 

Voilà  un  pas  de  fait,  Concini,  Guise  et  d'Épernon  ont 
été  nommés  assassins.  Le  peuple  ajoutait  d'Henri  IV. 
Que  serait-il  arrivé  si  le  Parlement  n'avait  fait  la  sourde 
oreîHe?  S'il  eût  relevé  la  chose",  il  eût  eu  Paris  pour  auxi- 
liaire, et  son  glaive  innocent,  dont  riaient  les  bandits, 
aaraît  en  le  fil  et  la  pointe.  La  cour^  devant  un  tel  procès, 
eût  été  trop  heureuse  de  recevoir  les  conditions  du  Tiers. 

Une  politique  nouvelle  eût  commencé,  antieléricale, 
antîespagnole.  Le  cahier  du  Tiers  l'indiquait. 

Le  président  y  avait  glissé  une  demande  des  mariages 
d^Espagne.  On  effaça  le  mot  Espagne. 

Le  cffbîer  contcnait'une  révolution  contre  le  clergé.  Il 
demandait  : 


164  ÉTATS    GÉNÉRAUX. 

4""  Qu'il  y  eût  une  justice  sérieuse  pour  les  prêtres, 
qu*ils  fussent  jugés,  n^^n  par  les  leurs,  intéressés  à  les 
blanchir  toujours,  mais  par  les  juges  laïques  ; 

^  Que  la  justice  d*Église  fût  gratuite,  qu'elle  parlât 
français,  qu'elle  n'arrétftt  personne  sans  l'intervention  de 
la  justice  laïque  ; 

3"*  Que  le  curé  ne  fit  plus  payer  pour  les  baptêmes,  ma- 
riages et  sépultures,  et  qu'il  en  remit  les  registres  au  greffe; 
4""  Que  les  villes  reprissent  l'administration  des  hôpi- 
taux, et  que  leurs  administrateurs  reçussent  les  aumônes 
dues  par  les  évéchés  et  couvents  ;  que  tout  ecclésiastique 
qui  aurait  plus  de  six  cents  livres  par  an  en  payât  un 
«quart  pour  les  pauvres;  que  chaque  monastère  nourrit  un 
^dat  invalide  ;  les  autres  invalides  nourris  aux  Hôtels- 
Dieu,  partie  aux  frais  des  hôpitaux  et  partie  aux  frais  du 
dergé  ; 

5°  Que  le  clergé  n'acquit  plus  d'immeubles  (sauf  un 
«as),  et  ne  reprit  point  par  rachats  forcés  ses  anciens  im- 
meubles aliénés  qui  avaient  passé  de  main  en  main. 

Ces  actes  terribles  qui  perçaient  le  cœur  du  clergé  lui 
iirent  craindre  extrêmement  que  le  Parlement  ne  lançât  le 
grand  procès  qui  eût  donné  la  force  au  Tiers.  Il  se  serra 
tremblant  sous  la  cour  et  sous  la  noblesse.  Les  trois  puis- 
sances furent  d'accord  pour  mettre  le  Tiers  à  la  porte, 
iinir  brusquement  les  États.  Le  roi  exigea  le  cahier  et 
fit  la  clôture  le  23  février.  Et  quand,  le  lendemain, 
le  Tiers  crut  pouvoir  revenir  pour  achever  les  affaires, 
oomme  il  l'avait  demandé,  il  trouva  porte  close,  et  déjà 
les  bancs  enlevés,  les  tapisseries  détachées.  Le  chroniqueur 
Rapine,  ^ans  sa  douleur  naïve,  s'écrie  qu'en  effet  les 
voleurs  avaient  sujet  de  craindre  «  une  assemblée  nou- 
velle, où  peut-être  Dieu  et  notre  mère,  notre  douce  Pa- 
trie, rinnocence  de  notre  roi,  auroient  suscité  quelqu'un 
pour  nous  tirer  de  ce  sommeil  qui  nous  assoupit  qua- 
lr<3  mois. 


iTATS   GiNifUUX.  465 

«  Et  que  deviendrons -nous?  Nous  venons  tous  les 
jours  battre  le  pavé  de  ce  clottre,  pour  savoir  ce  qu'on 
veut  faire  de  nous.'  L'un  plaint  l'État,  l'autre  s'en  prend 
au  chancelier.  Tel  frappe  sa  poitrine,  accuse  sa  lâcheté  ; 
un  autre  abhorre  Paris,  et  désire  revoir  sa  maison,  sa 
famille,  oublier  la  liberté  mourante... 

c  Et  pourtant,  après  tout,  dit-il  en  se  relevant  avec 
force,  sommes-nous  autres  que  ceux  qui  entrèrent  hier  à 
la  salle  des  Augustins?  » 

Ce  mot  a  attendu  deux  cents  ans  sa  réponse,  c  Nous 
sommes,  a  dit  Sieyès,  ce  que  nous  étions  hier.  »  —  «  Et 
nous  jurons  de  l'être.  »  C'est  le  serment  du  Jeu  de 
Paume. 


CHAPITRE   XV 


Prison  de  Coniié.  —  Mort  de  Cancini.  MI5-I617. 


Plus  d'assemblées  pendant  deux  siècles.  Mais  celles  du 
clergé  continueront,  poursuivant  un  but  fixe,  la  proscrip^ 
tion  progressive  des  protestants^  dont  il  fait  au  roi  l'expresse 
condition  de  ses  secours  d'argent,  et  V extermination  des 
libres  penseurs  y  sous  le  nom  d'athées. 

Le  Tiers  restait  cependant  à  Paris,  et  il  fut  tout  un  mois, 
du  24  février  au  24  mars.  Tout  dissous  qu  il  était,  sa  pré- 
sence eût  donné  une  grande  force  au  Parlement.  Il  semble 
que  l'un  et  l'autre  se  soient  attendus.  Ils  ne  firent  rien 
du  tout.  Et  ce  fut  seulement  le  28,  lorsque  le  Tiers  était 
parti,  que  le  Parlement  prit  la  parole,  et  par  arrêt  invita 
les  princes  et  les  pairs  à  venir  siéger.  Arrêt  opposé  du 
Conseil.  Le  Parlement  tient  bon,  et,  le  22  mai,  vient  lire 
ses  remontrances  au  Louvre.'  C'étaient  celles  des  États, 
sur  la  ruine  des  finances.  Mais,  de  plus,  le  Parlement, 
entrant  dans  la  politique  même,  priait  le  roi  de  revenir  aux 
alliances  de  son  père^  donc,  de  ne  point  s'allier  à  l'Espagne. 
Il  censurait  Taudace  insolente  du  clergé  et  des  amis  du 
pape.  Il  demandait  qu'on  fit  rendre  gorge  «  à  des  gens 
sans  mérite  qui  avaient  reçu  des  dons  immenses,  b  et 
qu'on  no  confiât  plus  les  grandes  charges  aux  étrangers, 
qu'on  ne  peuplât  plus  le  royaume  de  moines  italiens, 


MORT  DS  CONaNI.  .4Q7 

'eapagQûIs,  qu'oa  fit  recherche  dos  juifs,  m«giei6n$  et 
empoisonneurs,  qui,  dejMiis  peu  d'anuées,  se  coulaient  aux 
maisons  des  grands.  C'était  désigner  Concixii  et  sa  femme, 
qui  s*entouraient  de  cas  gens.  £t,  si  cette  désignation 
semblait  obscure,  le  Parlement  aurait  nommé. 

JLes  ministres  furent  atterrés  ;  mais  Gui^e  at  d'£pernon 
offirirent  leur  épée  à  la  reine.  Il  e4t  £illu,  pour  soutenir  le 
Paiement,  que  Condé  fût  ici,  mais  il  était  parti  avec  les 
princes,  aimant  mieux  faire  la  guerre  de  loin.  Il  s'adressa 
h  la  fois  au  pape  et  aux  huguenots,  et,  en  réponse  aux 
prières  de  la  reine,  qui  l'invitait  à  aller  avec  le  roi  au- 
devant  de  l'infante,  îl  lança  un  manifeste  où  il  nommait 
CSoncini,  comme  capital  auteur  des  maux  publics. 

Oa  n*a  pas  répondu  au  Tiers,  dit-il.  On  a  fait  rayer  de 
ses  cahiers  l'article  qui  défendait  la  vie  des  rois,  raf/er 
celui  qui  demandaU  la  recherche  du  parricide  commis  sur 
le  feu  roi.  On  a  voulu  tuer  Condé  et  les  princes.  On  pré- 
cipite les  mariages  d'Espagne,  ce  qui  fait  croire  aux 
huguenots  qu'on  veut  les  exterminier.  Le  clergé,  malgré 
le  roi,  a  juré  le  concile  de  Trente  (la  royauté  du  pape). 
Le  roi  est  prié  de  ne  pas  partir  sans  répondre  aux  États  et 
aans  chasser  les  Italiens. 

Conoini,  mort  de  peUrj  aurait  voulu  cédar^  D'&pemon 
ne  le  permit  pas  ;  il  fit  entendre  à  la  reine  qu'il  fallait 
faire  sur  l'heure  le  mariage  d'£spagne,  et  s'assurer  par  là 
du  secour»  de  l'étranger.  Du  moment  qu'on  tenait  le  roi, 
on  tenait  tout.  En  le  mariant,  on  le  précipitait  vers  l'Es- 
pagne et  vers  Rome,  et  l'on  tranchait  tout  Tavanir. 

Les  princes,  trpp  faibles,  n'empdchàrent  non.  Condé, 
tout  à  la  fois  ami  des  jésuites  et  des  huguenots,  n'eut 
aucune  force  populaire.  L'assistance  que  ses  derniers  lui 
prêtèrent  ne  'fit  que  les  oompromaltra.  La  reine,  malgré 
tout,  mena  le  roi  à  la  frontière. 

L'infante  Anne  d'Autriche  entra  en/rance  pour  épouser 
l^nis  XIII;  BUsabetb  de  France  passa  en  Espagne  pour 


468  PRISON  DE  CONDÉ. 

épouâer  Philippe  IV  (9  novembre  1615).  Dès  lors,  la  reine 
avait  vaincu.  Condé  négocia,  s'arrangea  pour  un  million 
et  demi,  et  la  position  de  chef  du  conseil.  11  traita  pour 
lui  seul,  sans  dire  un  mot  des  autres. 

Le  peuple,  qui  avait  cru  que  son  retour  entraînait  le 
départ  du  favori,  et  qui  le  vit  plus  puissant  que  jamais 
créer  un Jiouveau  ministère,  entra  en  grande  fureur.  Elle 
éclata.  Concini  avait  fait  bàtonner  par  deux  valets  un  cer- 
tain cordonnier  nommé  Picard,  qui,  sergent  de  la  garde 
bourgeoise,  [avait  refusé^ de  le  laisser  entrer  à  la  porte 
Bucy  sans  passe-port.'  La  foule  saisit  les  deux  va]ets  et  les 
pendit  à  la  porte  du  cordonnier.  Picard  devint  le  héros 
du  peuple. 

Condé,  rentrant,  fut  reçu  en  triomphe  (juillet  4646). 
Il  n'y  fut  pas  longtemps  sans  dire  à  son  nouvel  ami,  Con- 
cini, qu'il  ne  pouvaitle  protéger  contre  la  haine  universelle. 
Lui  parti,  Condé  restait  mattre,  et  il  ne  manquait  pas  de 
gens  autour  de  lui  pour  lui  dire  que,  Louis  XIII  étant 
bâtard  adultérin,  il  était  le  seul  héritier  légitime  du  trône. 
Il  semblait  avoir  tout  pour  lui,  la  noblesse,  Paris,  le 
Parlement.  11  se  trouva  pourtant  quelqu'un  au  Louvre 
(était-ce  le  nouveau  ministre  Barbin,  ou  la  créature  de 
Barbin,  le  jeune  Richelieu  ?)  qui  osa  croire  qu'ayant  le 
roi,  on  pouvait  braver  tout,  même  arrêter  Condé.  Cela 
s'exécuta,  sans  coup  férir.  Le  faux  lion,  pris  comme  un 
agneau,  descendit  à  cette  bassesse  d'offrir  de  dénoncer 
les  siens  (4  «'sept.  4646). 

Paris  remua  peu.  Seulement  la  populace  pilla  l'hôtel 
de  Concini  ;  mais,  quand  on  vit  le  roi,  la  reine,  aller  au 
Parlement,  avec  les  amis  mêmes  de  Condé,  quand  on  sut 
qu'il  voulait  s'emparer  du  trône,  on  rentra  dans  l'indiffé- 
rence. Le  jeune  Richelieu,  l'auteur  probable  de  ce  con- 
seil hardi,  quoique  évêque,  eut  un  ministère.     . 

Une  nouvelle  pri$e  d'armes  des  princes  menaçait  Con- 
cini. Et  l'on  parlait   de  plus  d'une  étrange  ligue  oii 


MORT  DE  CONaNI.  169 

Sully,  Lesdiguières,  se  seraient  armés  avec  d'Épernon . 

Le  Louvre  était-il  sûr?  Avant  même  l'arrestation  de 
Gondé,  Goncini  et  la  reine  avaient  cru  entrevoir  que  Tenfant' 
roi  leur  échappait.  Il  était  triste  et  sombre.  La  reine,  deux 
ou  trois  fois,  lui  offrit  de  lui  remettre  le  pouvoir.  Timide 
au  dernier  point,  il  la  pria  dé  le  garder. 

Le  changement  du  roi  tenait  à  l'action  secrète  d'un  cer- 
taîD  Luynes  qu'on  avait  mis  auprès  de  lui  pour  la  volerie 
des  faucons.  Il  avait  des  goûts  fort  sauvages,  de  combats 
d'animaux,  d'escrime  et  de  chasse,  de  petits  métiers  mé- 
caniques. Nulle  attention  aux  femmes,  si  bien  que,  trois 
ans  durant,  ayant  à  côté  de  lui  sa  petite  reine,  fort  jolie 
alors,  il  ne  songea  pas  seulement  qu'il  fût  marié.  Ce  soli* 
taire  n'avait  besoin  que  d'un  camarade. 

Luynes  était  Provençal,  d'origine  allemande,  d'humeur 
douce,  de  parole  aimable.  Son  grand-oncle  était  un  Albert, 
joueur  de  luth  allemand,  musicien  de  François  V',  dont 
il  obtint  pour  son  frère,  qui  était  prêtre,  un  canonicat  de 
Marseille.  Le  chanoine  eut  deux  b&tards;  l'un  fut  un  très- 
bon  médecin ,  attaché  à  la  mère  d'Henri  IV,  et  qui  lui 
prêta  dans  ses  malheurs  tout  ce  qu'il  avait ,  douze  mille 
écus.  L'autre  suivit  les  armes,  fut  archer  du  roi ,  et  se 
battit  devant  Charles  IX  et  toute  la  cour  en  champ  clos  k 
Vincennes  ;  il  tua  son  adversaire.  Montmorency  se  l'atta- 
cha, et  le  fit  gouverneur  de  Beaucaire. 

Ce  gouverneur,  en  considération  des  douze  mille  écus 
qu'Henri  IV  ne  rendit  jamais,  obtînt  de  faire  entrer  son 
fils  comme  page  d'écurie  chez  le  roi.  L'enfant,  qui  est 
notre  Luynes,  était  si  joli,  qu'on  le  fit  page  de  la  chambre. 
Il  arrivait  sous  d'excellents  auspices,  avec  cette  charmante 
figure  et  la  réputation  d'une  famille  admirable  en  fidélité. 

Luynes  et  ses  frères,  fort  agréables  aussi,  n'imitèrent 
point  la  cour,  qui  ne  voyait  que  le  présent,  suivait  Con- 
dni,  oubliait  le  roi.  Us  visèrent  à  l'avenir,  et  ils  s'atta- 
chèrent à  l'enfant.  Luynes  se  tint  si  bas,  si  doux ,  parat 


179  PBiaoïi  j>i  coMDi. 

si  médiocre,  que  la  reine  nen  prit  aucuoe  défiance. 

Ce  ne  fui  qu'au  v^age  de  BayMne  qu'on  vit  4K)mbiea 
il  tenait  le  roi,  Celuiwû,  qui  ne  parlait  ««ère,  né  oom- 
mandait  jamais,  dit  qu'il  voulait  que  ce  ^  Luyoes  qui 
allftt  oomplknenter  riniante.  Haute  inîwou  pour  un 
homme  qui  n'avait  près  du  Iroi  d'autre  oharge  «  que  de 
lui  siffler  la  linotte.  »  Coacini  fut  jaloux.  Trop  tard. 
Luynes,  qui  se  sentit  en  péril,  acheta  la  capitainerie  du 
Louvre,  afin  de  demeurer  jour  et  nuit  près  du  roi. 

.11  y  avait  dans  le  Louvre  un  autre  ennemi  de  GoBoini, 
un  ^omme  qui  n'avait  jamais  voulu  le  saluer,  le  jewie 
Vitry,  capitaine  des  gardes.  Vitry  le  père ,  fort  ami  de 
Sully,  fut  le  seul,  au  jour  de  la  mort  du  roi ,  qui  n'adora 
pas  le  soleil  levant.  Quand  il  mourut  lui-mâme  et  que  son 
fils  eut  sa  charge,  Concini  dit  :  t  Per  Dio  /  •  il  ne  me  piatt 
guère  que  ce  Vitry  soit  maître  du  Louvre.  Cet  homme-là 
peut  faire  un  mauvais  coup  I  » 

Le  jeune  roi,  par  Luynes  ou  Vitry,  dut  savoir  de  bonne 
heure  les  tristes  mystères  de  la  mort  de  son  père.  8i  la 
reine  avait  laissé  tuer  son  mari ,  elle  pouvait  fort  bien 
encore,  obsédée  des  mêmes  gens,  les  laisser  détrôner  son 
fils.  Il  était  fort  jalouK  de  son  frère  Monsieur,  bien  plus 
aimable,  né  dans  une  heure  plus  galCj  Ji  la  première 
aurore  de  Concini,  et  qui  avait  toutes  les  grâces  féminines 
d'un  jeune  Italien.  Ce  frère,. aimé  de  la  mère  et  de  tous, 
avait  le  mérite,  d'ailleurs,  d'être  fort  jeune,  et,  s'il  eût  été 
-roi,  une  seconde  régence  eût  oominencé.  Tout  cela  n'était 
pas  absurde.  Et ,  quand  on  voyait ,  dans  la  chambre  la 
plus  voisine  de  la  reine,  à  peine  séparée  par  un  mur,  sa 
sorcière  Léonora  entourée  de  médecine  juifs ,  de  magi- 
ciens, troublée  de  plus  en  plus,  et  comme  agitée  des  furies, 
n'y  avait-il  rien  à  craindre?  Le  roi  ayant  été  malade  jaste 
au  moment  où  il  avait  sa  petite  femme,  on  le  crut,  il  se 
erut  lui-même  peut-être  ensorcelé.  11  commençait  à  se  doe 
eomme  Henri  IV  :  «  Ces  gens  ont  besoin  de  ma  mort.  » 


MOBT  BK  GOXGINI.  174 

Luyoes^  qui  avait  trente  ans,  avec  ses  frères,  heiuines 
d'épée,  n'était  pas  seulement  un  camarade  complaisait 
pour  cet  enfant  seul  et  iaquiet  ;  c'était  comme  un  garde 
du  corps  qui  le  rassurait.  Mais  Luynes  même  était  fort 
timide,  dit  Richelieu.  Il  pensa  que  le  roi,  si  jeune,  ne  le 
défendrait  pas,  et  il  voulait  traiter.  Il  fit  demander  à  Con- 
ciai  de  lui  donner  une  de  ses  nièoes  en  mariage.  Concini 
l'aurait  accordée,  pour  se  remettre  bien  avec  le  roi  et  pour 
en  obtenir ,  à  son  prochain  veuvage ,  une  fille  naturelle 
d'Henri  IV.  Il  agissait  d^à  comme  si  sa  femme  Léonora 
était  morte.  Elle  n'était  pas  si  folJe  qu'elle  ne  devin&t  tout 
cela.  Elle  y. mit  son  veto  et  empéoba  tout  rapprochement 
avec  Luynes* 

Celui-ci,  rebuté,  visa  moins  haut;  il  s'adressa  aux  mi- 
nistres de  Concini.  Il  demanda  la  nièce  de  Tun  d'eux  pour 
son  frère,  et  Richelieu  conseillait  fort  ce  mariage.  Mais  on 
refusa  encore.  Et  Luynes,  ayant  tout  épuisé,  et  bien  sûr 
qu'on  voulait  le  perdre,  agit  pour  perdre  Concini. 

La  reine  avait  fait  une  chose  ou  coupable  ou  bien  im- 
prudente. Elle  avait  envoyé  les  gardes  du  roi  à  l'armée,  et 
lui  avait  donné  ses  propres  gardes^  Luynes  montra  au  roi 
qu'il  se  trouvait  prisonnier  de  sa  mère. 

Mais  que  faire?  l'enfant  royal  n'avait  personne  à  lui. 
Deux  gentilshommes  d'assez  mauvais  renom,  qui  soi- 
gnaient ses  oiseaux,  un  commis,  un  soldat,  un  jardinier, 
ajoutez-y  Travail  ou  le  Père  Hilaire,  le  huguenot  capucin 
(V.  plus  haut),  voilà  les  conjurés  illustres  avec  qui  le  roi 
de  France  conspira  pour  sa  liberté.  Il  n'y  avait  pas,  dans 
tout  cela,  un  homme  d'exécution.  Le  jeune  Montpouillan, 
camarade  du  roi,  disait  qu'il  poignarderait  bien  Concini, 
mais  dans  le  cabinet  du  roi.  C'était  mettre  celui-ci  en 
péril.  On  s'adressa  à  Vitry,  capitaine  des  gardes,  pour 
l'arrèur,  ou  le  tuer^  s'il  faisait  résistance. 

On  avait  bien  arrêté  le  prince  de  Condé,  dit  Richelieu; 
on  aurait  pu  en  faire  autant  pour  Concini.  Étrange  oubli 


472  PRISON  DB  GONDi. 

des  circonstances  :  le  roi  n'avait  personne^  et  son  homme, 
Vitry,  capitaine  des  gardes ,  n'avait  point  les  gardes  avec 
lui.  Concini,  au  contraire,  ne  marchait  qn'entouré  d'une 
trentaine  de  gentilshommes.  A  grand*peine  Vitry  en  réunit 
quinze,  les  cacha,  les  arma  de  pistolets  sous  leurs  habits. 

Il  le  prit  au  moment  où  il  venait  le  matin  faire  sa  visite 
ordinaire  à  la  reine.  11 ,  était  sur  le  pont  du  Louvre  avec 
cette  grosse  escorte.  Vitry  était  si  effiaré,  qu'il  le  passa, 
sans  le  voir,  l'ayant  devant  les  yeux.  Averti ,  il  retourne  : 
•  Je  vous  arrête  !...  —  Amil  (k  moi  !)  »•  —  Il  n'avait  pas 
fini,  que  trois  coups,  quatre  coups  de  pistolet  partaient, 
lui  brûlaient  la  cervelle...  c  C'est  par  ordre  du  roi,  »  dit 
Vitry.  Un  seul  des  gens  de  Concini  avait  mis  l'épée  à  la 
main  (44  a?riH647). 

Le  Corse  Omano  prit  le  roi,  le  souleva  dans  ses  bras,  le 
montra  aux  fenêtres.  Le  peuple  ne  comprenait  pas.  On 
avait  dit  d'abord  que  Concini  avait  blessé  le  roi.  Mais, 
quand  on  sut,- au  contraire,  que  c'était  *lui  qui  était  tué,  il 
y  eut  une  explosion  de  joie  dans  toute  la  ville. 

La  reine  mère  était  très-eif rayée.  Son  seul  cri  fut  :  «  P(h 
veretta  di  me  !  *  Cependant  qu'avait-elie  à  craindre? 
Quelque  antipathie  qu'eût  son  fils  pour  elfe,  il  ne  pouvait 
songer  à  la  mettre  en  jugement.  On  se  contenta  de  lui 
ôter  ses  gardes.  On  mura,  moins  une  seule ,  les  portes  de 
son  appartement. 

Elle  ne  montra  nulle  pitié  pour  Concini  ou  sa  veuve. 
Quelqu'un  disant  :  <  Madame  ,  Votre  Majesté  peut  seule 
lui  apprendre  la  inort  de  son  mari.  —  Ah  I  j'ai  bien  autre 
chose  à  faire!...  -Si  on  ne  peut  la  lui  dire,  qu'on  la  lui 
chante...  qu'on  lui  crie  aux  oreilles  :  VHanno  ammaz-- 
xato.  » 

Mot  terrible,  c'était  celui  même  que  €oncini  «vait  dit  à 
la  reine,  au  jour  de  la  mort  d'Henri  IV,  en  lui  apprenant 
la  nouvelle  qu'elle  ne  connaissait  que  trop  bien  ! 

Léonora  tremblante  lui  demandait  asile.  Elle  refusa. 


uaaT  DE  coNciNi.  173 

Alors  cette  femme,  chez  qui  la  reine  tenait  les  diamants 
de  la  couronne  (comme  ressource  eti  cas  de  malheur),  se 
déshabflla  et  se  toit  au  lit ,  en  cachant  ces  diamants  sous 
elle.  On  la  tira  du  lit  ;  on  fouilla  tout,  on  mit  la  chambre 
au  pillage,  on  hi  mena  à  la  Conciergerie.  Pans  était  en 
fête.  La  foule  cherchait  et  déterrait  le  cadavre  de  son 
mari ,  qu'on  brûla  solennellement  devant  la  statue 
d'Henri  IV,  en  signe  d'expiation.  On  dit  qu'un  forcené 
lui  mordit  dans  le  cœur,  et  en  dévora  un  morceau. 

La  vie  de  la  reine  mère  ne  tenait  qu'à  un  fil.  Parmi  les 
meurtriers,  plusieurs  l'auraient  voulu  tuer,'  pensant  qu'elle 
pourrait  bien  se  relever  plus  tard  et  venger  son  amant. 
Mais  Luynes  n'eût  osé  ni  conseiller  un  tel  acte  à  Tenfant 
royal,  ni  le  faire  faire  sans  ordre.  Il  la  sauva  en  l'entou- 
rant des  gardes  du  roi.  Le  capucin  Travail,  le  P.  Hilaire, 
qui  jadis  avait  intrigué  contre  le  mariage  de  Marie  de 
Médicis,  et  qui  fut  acteur  et  exécuteur  dans  le  meurtre  de 
son  favori,  croyait  que  rien  n'était  fait  si  elle  ne  périssait. 
Il  s'adressa  à  un  homme  qui  était  à  elle  et  entrait  chez 
elle  à  volonté,  son  écuyer  Bressieux,  l'engageant  à  la  tuer. 
L'écuyer  refusait  :  c  N'importe  ,  dit  Travail;  je  ferai  en 
sorte  que  le  roi  aille  à  Vincennes,  et  alors  ;e  la  ferai 
déchirer  par  le  peuple.  »  (Revue  rétrospective,  II,  3d5.) 

De  Luynes,  qui  avait  promis  au  capucin  l'archevêché 
de  Bourges  s'il  aidait  à  tuer  Concini,  et  qui,  la  chose  faite, 
ne  voulait  paa  tenir  parole,  profita  des  mots  sanguinaires 
que  ce  bavard  avait  jetés  par  folie  et  bravade,  le  fit  juger 
et  rompre  vif. 

Pour  revenir ,  le  roi  avait  fait  dire  au  Parlement  qu'il 
avait  ordonné  d'arrêter  Concini,  qui,  ayant  fait  résistance, 
avait  été  tué.  11  ne  parlait  de  sa  mère  qu'avec  respect , 
disant  «  qu'il  avait  supplié  sa  dame  et  lYière  de  trouver  bon 
qu'il  prit  le  gouvernail  de  TËtat.  »  Le  Parlement  vint  le 
/élieiter. 

Le  procès  si  facile  qu'on  pouvait  faire  à  Concini  et  &  sa 


474  PEISOR  Dl  COUDÉ. 

femme  (spécialement  pour  certaines  intelligeiices  avec 
lennemiy  que  la  reine  avait  pardonnées) ,  ee  procès  fut 
habilcmisnt  étouffé,  détourué.  On  en  fil  ua  procès  desor^ 
cellerie.  C*était  l'usage,  au  reste,  de  ce  siècle.  Les  tyran- 
nies libidifiettsesdes  prêtres  dans  les  couvents  de  femmes, 
quand  par  hasard  elles  éclatent ,  toament  en  sorcallerie, 
et  le  Diable  e$l  chargé  de  tout. 

Léonora  elle-même  se  croyait  le  Diable  au  corps,  et  elle 
s'était  fait  exorciser  par  des  prêtres  qu'elle  fit  venir  d'Italie, 
dans  régUse  des  Àuguslins .  Gomme  elle  souffrait  omelle- 
ment  de  la  tête,  Montalte ,  son  médecin  juif,  fit  tuer  un 
coq ,  et  le  lui  S4>pliqua  tout  chaud ,  ce  qu'on  interpréta 
comme  un  sacrifice  à  l'Enfer.  On  trouva  aussi  ches  die 
une  pièce  astrologique ,  la  nativité  de  la  reine  et  de  ses 
enfants^  Il  n'est  nullement  improbable  'qu'elle  ait  cherché, 
quand  son  crédit  fut  ébranlé,  à  retenir  la  reine  par  la 
sorcellerie.  C'était  la  folie  générale  du  temps.  Luynes  y 
croyait  aussi.  Il  avait  fait  venir,  dit  Richelieu,  deux  magi- 
ciens piémontais  pour  lui  trouver  des  poudres  à  mettre 
dans  les  habits  du  roi  et  des  herbes  dans  ses  souliers. 

Quoi  qu'il  en  fut  de  la  sorcellerie  de  Léonora,  tout  cela 
ne  valait  pas  la  mort.  £t  ses  vols  mêmes,  ses  ventes  effron- 
tées de  places  et  d'ordonnances,  n'auraient  méfilé  que  le 
fouet. 

La  tradition  de  la  cour^  très-favoraUe  à  ces  gans-Ià, 
comme  ennemis  d'Henri  IV,  n'a  pas  manqué  d'inventer, 
de  prêter  à  Léonora  des  paroles  fières,  insolemment 
hardies,  par  exemple  :  «  Mon  charme  fut  celui  de  l'es- 
prit sur  la  bêtise.  »  Elle  fut  décapitée  en  Grève,  et  puis 
brûlée. 
La  reine  se  retira  quelque  temps  à  Bloîs. 
D'Épernon,  dont  Luynes  avait  peur,  ne  fut  pas  inquiété. 
Seulement  on  garda  contre  lui  le  témoin  Dujardin  La- 
garde,  à  qui  on  donna  pension ,  en  le  priant  toutefois  de 
tenir  prisoUy  le  roi  n'étant  pas  sàr  autreniMitde  ie  samier 


MORT  DE.  CONCINI.  i75 

des  assassins.  Il  y  écrivit,  et  fit  imprimer,  publier  son 
factum.  (4619,  Archives  curieuses  y  XV,  4  45.) 

L'infortunée  dame  d'Escoman  semblait  devoir  enfin 
triompher,  dans  de  telles  circonstances.  Mais  Luynes  mé- 
nageait trop  la  raine  ;  il  craignait  son  retour.  Il  lui  accorda 
en  4649  une  faveur  signalée.  C'était  que  la  sentence  de 
4643,  qui  arrêtait  tout,  a  vu  la  qualité  des  accusés  I  »  fût 
réformée,  au  profit  de  la  reine,  Taccusation  déclarée 
calomnieuse,  la  reine  et  d'Ëpernon  innocentés,  et  la 
d'Escoman  condamnée. 

Le  Parlement  se  prêta  à  cette  volonté  de  la  cour,  se 
payant  de  Tidée  du  repos  public ,  voulant  relever  Tauto- 
litéy  réhabiliter  la  reine  exilée,  qu'on  chansonnait  par 
tout  Paris.  La  d'Escoman  fut  condamnée  à  finir  ses  jours 
entre  quatre  murs,  au  pain  et  à  Teau. 

11  y  avait  un  égout  dans  Paris,  les  Filles  repenties,  où 
l'on  entassait  les  coquines  ramassées  dans  les  mauvais 
lieux,  lesquelles  y  continuaient  leur  métier  avec  des  prê- 
tres. (Lestoile,  4640,  édit.  Micheud,  p.  564.)  C*esHlt  qu'on 
mit  la  pauvre  d'Escoman.  On  lui  bâtit  dans  la  cour  du 
couvent  une  loge  murée,  sauf  un  petit  trou  gt*illé.  Elle 
gisait  ià  par  terre  et  dans  l'ordure,  grelottante,  affietmée, 
pleuraotponr  le  rebut  des  chiens. 

Ce  fut  la  récompense  de  la  personne  humaine  et  intré- 
pide qui  s'était  dévouée  povr  sauver  Henri  IV,  et  qui 
seule  en  France  demanda  justice  de  sa  mort. 


CHAPITRE   XVI 


Des  mdburs.  —  Stérilité  physique,  morale  et  (ittéraire. 


Je  ne  pouvais  interrompre  le  fil  de  l'histoire  politique 
tant  qu'Henri  iV  n'était  pas  vraiment  fini  et  clos  dans  le 
tombeau.  Maintenant  qu'il  a  sur  la  tète  la  pesante  pierre 
des  mariages  espagnols,  il  ne  bougera  plus.  La  France  est 
liée  à  la  politique  catholique.  Elle  fera  la  guerre  à  TEs- 
pagne,  mais  pour  lui  succéder  en  marchant  dans  le  même 
esprit. 

C'est  le  moment  de  regarder  les  grands  faits  moraux  de 
rëpoque,  plus  importants  qu'aucun  fait  politique. 

Ils  sont  tous  en  trois  mots  :  sorcellerie^  couvents^  ca- 
suisiique.  £t  ces  trois  n'en  font  qu'un;  ils  signifient  : 
stérilité. 

On  a  surfait  énormément  ce  temps.  Cette  vaine  agita- 
tion de  cour,  d'intrigues,  de  duels,  ces  raffinés  du  point 
d'honneur,  ces  fondations  de  couvents,  tout  cela,  regardé 
à  la  loupe,  a  paru  important.  Des  esprits  fins,  ingénieux 
et  d'agréable  érudition,  des  Ranke,  des  Cousin,  des  Sainte- 
Beuve,  ont  mis  en  relief  les  moindres  curiosités  de  la  vie 
religieuse  d'alors,  les  disputes  d'ordres  et  de  cloîtres,  les 
conversions  célèbres,  et  il  n  est  pas  une  ligne,  une  parole 


SrtRILlrt  PHTSIUM,  MORALK  ET  IITTÉ8AIRK.  477 

d«  belles  pénitentes  d'alors  qui  n'ait  été  notée  et  célé- 
«i^!ï%'®  microscope,  et  je  m'en  sers.  Nous  lui  devons 

Tdaes  En  histoire,  il  a  ses  dangers.  C'est  de  faire  croire 
que  des  mousses  et  des  moisissures  sont  de  hautTforéu 
de  voir  le  moindre  insecte  et  l'imperceptible  in?u^i^  Ua' 
grosseur  des  Alpes.  Tous  les  petits  pprsonnaR^  de  i* 
pauTre  temps-là  se  sont  amplifiés  dans'^nos  micfoLph' 
histonques  Les  Borromée  et  les  Possevin  sont  Zld 
hommes,  l'oralorien  Bérulle  est  un  «-«nH  h"       ^ 
gentil  saint  François  de  Sa^u";  tràlt^w' 
mus  et  Saint-Cyran.  Gens  de  mérite  certa  nement  ™„ 
^tran^ment  grandis  par  les  coteries  SeZr  'em^ 
rexagération  du  nôtre.  P'  *' 

Eh  bien,  qu'ils  soient  grands  hommp«  M»;,  i 
rons  ce  titre  à  Shakspeàre  et  à  CeXl^ïV  •  *'*"■'  •"'"- 
semble  alors.  23  avriH6l6)  FermTns  le  Ir  IT"','"' 
«n.  là  sa  forte  et  âpre  bisiire  ^1^  ie  d'A  T^"''  ^''"■ 
l'honnête  platitude  de  MatS  Non,  1  ^'*^"^'  P^""" 
verve  étincelante  (par  quT^l"  ureT^'^l^  " 
pmssant  Matburin  Régnier;  étouffons- ë^t  à  al' j' 
jm^nuons  sur  le  Parnasse  le  vide  inca^él  c'est'£: 

^^:z^sz,  t  rn^":ir  cri"  ''--- 

Dain  sec    Si  1»  i:»»^.  .  aeaans.  L  est  la  muse  au 

pain  sec.  bi  la  littérature  représente  la  société  ie  reoon 

2mm?l«J  ?  '"!*"*'*  P'*«'«»  *•"«'  '«  ™»«'re  I  quelle 
Ï™„î?  "^"  "'  "^""'"^  '  Tout  au  moins  le  tem- 
pémmeot,  la  pointe  et  l'aiguillon  du  mâle. 


i78  Wi»  MEURS. 

L'étincelle  s*en  trouve  aux  lettres  d'Henri IV»  8i  vives  et 
si  charmantes.  Mais  tout  est  fini  dans  Malherbe.  La  bru- 
talité sotte  avec  laquelle  il  triomphe  diune  fémmey  qui, 
dit-il,  Ta  comblé,  montre  assez  qu'il  n'aima  jamais*  (Ode 

de  4-596.) 

Cette  défaillance  en  amour,  en  poésie,  tient  à  une  chose, 
l'aplatissement  moral,  Tavénement  de  la  prose,  du  positif 
et  de  l'argent.  Du  moment  qu'on  perdit  l'idéal  de  li- 
.  *  berté  qui  avait  apparu  au  xvr  siècle,  du  moment  où  les 
sages,  un  Du  Plessis-Hornay^  découragèrent  les  hautes 
pensées,  chacun,  protestants»  catholiques,  se  rangea  et  se 
fit  petit  ;  chacun  commença  à  s'occuper  de  ses  petites 
affaires.  Le  charme  d'Henri  lY,  sa>  séduction,  sa  oorrup- 
tion,  n'y  firent  pas  peu.  11  avait  trop  souffert,  Une  voulait 
que  le  repos,  le  plaisir.  Il  n'estimait  personne,  croyait  fort 
peu  aux  hommes,  plus  à  l'argent.  On  a  vu.  qu'à  la  fin  il  se 
méfiait  de  Sully.  D'Aubigné  raconte  un  foit  triste.  Le  roi, 
rêvassant  toujours  son  épouvantail,  la  république  calvi- 
niste, voulait  décidément  le  mettre  à  la  Bastille.  Le  bu- 
guenot,  qui  le  connaissait,  pour  avoir  enfin  son  repoa,  loi 
demande  pour  la  première  fois  réconq)en8e  de  ses  longs 
services,  de  l'argent,  une  pension.  Dès  lors,  la  roi  est  sûr 
de  lui  ;  il  le  fait  venir,  il  l'embrasse  ;  les  voilà  Inins  amis. 
Le  même  soir,  d'Aubigné  soupait  avec  deux  dames  da 
noble  cœur.  Tout  à  coup  l'une  d'elles,  sans  parler,  se  mit 
à  pleurer  et  versa  d'abondantes  larmes.  Avec  tnq>  de 
raison  I  Le  jour  oii  d'Aubigné  avait  été  forcé  de  prendre 
pension  et  de  demander  de  l'argent,  le  grand  xvi^  aiède 
était  fini,  et  l'autre  était  inauguré. 

On  a  vu  un  homme  héroïque,  le  président  Haday,  à  son 
âge  de  quatre-vingts  ans,  feire  une  triste  affaire  d'argent. 
On  verra  les  Arnauld,  famille  d'Auvergnats  trèa-honnétes, 
de  huguenots  convertis^  la  vraie  fleur  de  la  rébe^  em-  ' 
ployer  pourtant  des  moyens  équivoques  pour  mettre  deux 
abbayes  dans  leur  famille. 


STÉRILITÉ  PHYSIQWy  MOBjUB  ST  EITTÉRÀIRE.  479 

Malgré  Teffori  sîocère,dd  clévotioo  qui  les  trompait  oux- 
mêmes,  c'est,  en  réalité,  un  temps  très-pauvre,  de  grande 
sécheresse,  où  toutes  choses  ont  baissé^  les  moyens,  le 
eceur  et  l'espoir,  c  un  temps  serré,  transi  et  morfondu.  » 

Cela  ne  se  voit  bien  qu'en  entrant  dans  une  maison. 
Voyons  celle  du  greffier  JLestoile,  honorable  bourgeois  de 
Paris.  11  n*aîme  guère  les  protestants,  et,  d'autre  part,  il 
n'est  guère  catholique.  Il  crok  que  Rome,  c'est  Sodome, 
et  toutefois  il  veut  se  tenir  à  ce  tronc  fMurri.de  la  papauté. 
Iblade,  il  fait  venir  un  moiae,  ratiis  pour  disputer  avec 
lui. 

Sa  fortune  a  baissé,  son  àme  aussi.  En  4606,  il  achetait  ; 
€t,  en  4640,  il  vend.  Son  cabinet,  ses  livres,  ses  médailles, 
ses  chères  petites  curiosités,  il  faut  qu'il  s'en  sépare.  Cela 
ne  suffit  pas  ;  il  lui  faut  emprunter.  Vieux  tout  à  coup,  il 
tousse,  il  ressent  l'âge  qu'il  avait  oublié  ;  il  entend  môme 
un  peu  le  léger  bruit  qui  se  fait  à  la  porte...  peu  de  chqse^ 
la  mort  qui  frappe  à  petits  coups,  liais  il  a  des  enfants,  et 
il  s'aperçoit  qu'il  est  pauvre.  11  a  pour  ses  enfants  de 
pauvres  ambitions;  l'un,  il  veut  le  fourrer  dans  la  ferme 
d0t  sels  (une  caverne  de  voleurs,  dit«il)  ;  l'autre  pourrait 
étte  page,  et  où  ?  dans  la  maison  de  Guise  !  On  voit  que  le . 
cœur  s'apetisse...  Nous  cinglons  à  pleines  voiles  dans  les 
temps  de  la  platitude. 

Voilà  ce  que  c'est  que  d'avoir  été  imprévoyant,  géné- 
reux, charitable,  comme  Ta  été  Lestoile.  Voilà  ce  c'est  que 
d'avoir  des  enfants.  Un  suffirait,  ou  deux,  etc*est  beau- 
coup. Songez  d'ailleurs  que  la.  bonne  bourgeoisie  qui 
achète  souvent  une  terre  noble  ou  une  charge  qui  ano^ 
blit  a  grand  intérêt  à  faire  un  aine  ou  un  ftls  unique  qui 
ait  tout  et  fasse  un  gros  mariage. 

On  touche  là  aux  pensées  secrètes  qui  vont  déterminer 
les  mœurs  du  siècle. 

Pendant  que  la  terre  devient  stérile  et  que  la  subsis- 
lanee  vn  toujovfs  tarissant,  Ihommt  aasÊÎ  veuê  êlr$  stérile. 


Et  je  ne  parle  pas  seulement  du  paysan. afTaméel  écrasé 
d'impôts,  mais  du  noble  qui  n'eu  paye  pas,  du  boai^eoi5, 
qui,  comme  magistrat,  en  est  exempt,  ou,  comme  éhi, 
syndic,  etc.,  répartit  l'impôt  sur  les  antres  de  façon  à  ne 
rien  payer. 

Il  est  bien  juste  que  l'on  vienne  au  secours  de  tous  ces 
pauvres  riches,  de  gens  aisés,  exempls.de  charges,  Lear 
second  fils  sera  d'Église,  riche- de  bénéfices,  léger  d'en- 
fanls  (du  moins  connus).  Les  Biles  mourront  en  religion. 
L'œuvre  monumentale  du  siècle,  c'est  de  bfttir  partout  ces 
vastes  abris  mortuaires  oii  l'ennui  les  tuera  sans  bruit. 

Cependant,  dit  le  père,  il  est  bien  dur  d'avoir  des  filles 
qu'il  faut  doter  pour  les  couvents.  Pourquoi  engendrer 
des  enfiinls,  s'il  faut  ainsi  les  faire  mourir?  Béflexion  ju- 
dicieuse que  l'on  soumet  h  son  père  spirituel.  C'est  à 
celui-ci  de  chercher,  d'imaginer.  On  ne  le  i&cheni  pas. 
Demain,  après-demain,  toujours,  on  lui  demandera  d'in- 
venter quelque  moyen  subtil  de  faire  que  la  stérilité  vo- 
lontaire ne  soit  plus  péché.  C'est  l'origine  principale  de  li 
casuistique. 

On  ne  veut  pas  pécher.  Ou,  s'il  y  a  péclié,  on  veut  qu'il 
soit  au  confesseur,  qui  doit,  non  pas  l'absoudre,  mais  le 
légitimer  d'avance.  Qu'il  y  prenne  garde.  S'il  veut  que  son 
confessionnal  be  soit  pas  déserté,  reste  k  la  mode,  il  faui 
qu'il  trouve  des  receltes  pour  qu'on  fraude  le  mariage  eo 
conscience. 

Sinon,  qu'arriverait-il  ?  j'ose  k  peine  le  dire.  Hais  je 
crois  qu'on  foirait  l'église.  Car  ces  gens-^i,  au  fond,  sont 
moins  dévola  qu'ils  ne  le  croient  eux-mêmes. 

Dans  certaines  ccmUées,  le  noble  commençait  déjà  à 
fréquenter  l'église  du  Diable,  l'assemblée  du  saÛiat, 
l'o^ie  stérile  où  le  peuple  des  campagnes  était  guidé  par 
les  sorcières  dans  les  arts  de  l'avortemeat. 

t  le,  eo  réalité,  la  cause  principale  qui  éleod  si  pro- 
sem«)t  l'action  des  sorcières  en  ce  siècle.  Les  vines 


STÉRILITÉ  PHTSIQUX,  MORALE  BT  LITTÉRAIRB.  181 

ont  enchéri  horriblement,  et  la  rente  pèse  infiniment  plus 
qu'aux  temps  féodaux.  On  ne  peut  plus  nourrir  d'en- 
fants. 

Le  roman  d'Henri  IV,  de  Sully,  d'OUivier  de  Serres,  ne 
s*est  pas  vérifié.  C'était  le  bon  seigneur  vivant  sur  ses 
terres,  et  traitant  paternellement  son  paysan,  par  intérêt 
bien  entendu.  Us  avaient  supposé  que  le  loup  se  ferait 
berger.  Mais  le  contraire  arrive.  Ce  seigneur  ne  veut  plus 
vivre  qu'à  la  cour  ;  il  tratne  là,  à  mendier  une  pension, 
pendant  que  sa  terre  dépérit  et  que  ses  gens  jeûnent, 
maigrissent.  La  paysan  se  donne  au  Diable. 

Et  la  paysanne  encore  plus.  Écrasée  de  grossesses,  d'en- 
fants qui  ne  naissaient  que  pour  mpurir,  elle  portait,  plus 
que  l'homme  encore,  le  grand  poids  de  la  misère.  J'ai  dit 
au  XV*  siècle  le  triste  cri  qui  lui  échappait  dans  l'amour  : 
<  Le  fruit  en  soit  au  Diable  I  »  Et  que  lui  servait,  en  efiet, 
de  faire  des  morts?  ou,  s'ils  vivaient,  d'élever  pour  le 
seigneur  un  misérable,  un  maladif,  qui  maudirait  la  vie 
et  mourrait  de  faim  à  quarante  ans? 

Lorsque  la  femme  disait  cela  vers  1 500,  on  vivait  pour 
deux  sous  par  jour.  Combien  plus  le  dira-t-elle  en  4600, 
où  on  ne  vit  plus  avec  vingt  sous  I  La  mort  devient  un 
vœu  dans  cette  misère.  Mais  il  vaut  mieux  encore  ne  pas 
naître  ;  c'est  par  tendresse  pour  l'enfant  qu'on  ne  veut 
plus  qu'il  vienne  au  monde.  La  stérilité,  qu'on  pourrait 
appeler  une  mort  préventive  avant  la  naissance,  est  toute 
la  pensée  de  ce  temps. 

Cela  rend  au  Diable,  vieilli,  aSaibri,  discuté,  une  force 
immense  d'expansion.  Il  est,  avec  les  casuistes  et  les  cou- 
vents, et  en  concurrence  avec  eux,  le  maître  de  la  stéri- 
lité. Ce  ne  sont  plus  de  sauvages  bergers,  de  misérables 
serfs,  qui  viennent  à  lui  timidement.  C'est  une  foule  mêlée, 
même  des  nobles  et  des  belles  dames  (aux  Pyrénées  sur- 
tout) qui  figurent  à  ses  assemblées.  L'évéque  du  sabbat  est 
un  seigneur  avec  qui  le  Diable,  qui  sait  son  monde,  ouvre 


182  DES   MOEURS. 

la  danse.  Prêtres  et  femmes  de  prêtres  n*y  manquent  pas, 
et  toate  classe  enfin  y  est  représentée.  Une  de  ces  réu- 
nions, près  Bayonne,  compta  douze  mille  âmes.  Dès  kirs, 
plus  de  mystère.  Tout  le  peuple  était  au  safobat. 


CHAPPniE  XVll 


Du  sabbat  an  moyen  âge,  et  da  sabbat  an  xvti«  siècle, 
*  L'alcool  et  le  tabac. 


Je  ne  pméire  avec  préeision  oe  que  fat  le  sabôat  ftbà<- 
Urdi  Ai  xm"  siècle  sans  poser  d'abord,  dans  sm  earaotère 
origîMil,  le  sabbat  du  moyen  âge,  tel  que  je  le  vois  en 
Fraftoe.  On  sentira  akurs  Topposiiion,  et  on  (lourra  mesw^r 
le  dkàtugoateoL 

J'ai  dit  ailleurs  {Renaissance)  ce  que  fut  la  aorcière,  une 
création  du  désespoir.  L'assemblée  des  sorcières^  le  sabbat, 
est  la  svite  ou  la  reprise  de  Vwrgie  païenne  par  un  peuple 
qui  a  désespéré  du  cbHstianisme.  C'est  une  rinoke  «teclurne 
dé  terfs  contre  le  JOiau  du  préire  et  du  aeifineur. 

Le  Diable  avaitea  toii)ours  une  grande  attraction ,  comoM 
dieu  des  morts,  qui  pouvait  rendre  à  l'homme  tout  ce  qa'iÉ 
regrettait.  De  là  l'évocation  magique,  l'appel  aux  morts 
(qa'on  voit  déjà  dans  la  Bible).  Le  noîr/esprit  apparaissait 
ici  cooame  un  consolatear  qui,  tout  au  moins  pour  un 
momeDl,  pouvait  rendre  la  félicité.  La  more  revoyait,  en* 
tendait  le  fils  qu'elle  avait  tant  pleuré.  La  flancée  perdve 
sortait  de  son  oeroueil  pour  dire:  •  Je  t'aime  encore,  *  et 
pour  être  heureuse  une  nuit. 

B(Oi  4e  la  mort,  Satan  devint  roi  de  la  liberté  sous  la 
grande  Terrenr  eodéeiastiqne,  quand  tout  flamboya  de 


481  DU  SlBBiT  AU  MOYSN  ÀGB, 

bûchers,  quand  un  ciel  de  plomb  s'abaissa  sur  les  popu- 
lations tremblantes,  et  que  le  monde  se  sentît  abaDdooné 
de  Dieu.  ■ 

Je  veux  dire  du  Dieu  de  l'Église.  Les  dieux  de  la  forêt, 
de  la  lande  ou  de  la  fontaine,  reprenaient  force.  Contraint, 
le  jour,  d'adorer  ce  qu'on  détestait,  ou  de  répéter  du  latin, 
la  nuit  on  rentrait  dans  la  via.  Le  cœur  serré  et  l'esprit 
contracté  se  détendaient  vers  la  nature.  Uais  ces  ftmes  de 
serfs,  déformées  de  leurs  chaînes,  même  alors  restaient 
fort  bizarres.  La  nature  leur  semblait  charmée.  <  Pourquoi, 
dit-on  à  un  berger,  ton  grand  amour  de  la  prairie?  — Le 
Diable  prit  la  figure  d'un  veau  quand  il  voulut  plaire  à  nu 
mère.  >  Une  femme  possédée  retournait  toutes  les  pierres  : 
«  Ces  pauvres  pierres,  dit-elle,  furent  si  longtemps  sur 
un  cêté,  qu'elles  prient  de  les  tourner  sur  1,'autre.  ■ 

Cette  femme  donne  aux  pierres  la  vraie  pensée  de 
l'homme.  Comme  ËEéchiel,  qui  coucha  des  années  sur  le 
même  cdté,  le  peuple,  rendu  de  lassitude,  ne  voulait  que 
se  retourner.  La  règle  du  sabbat,  c'est  que  tout  serait  fait  à 
rebours,  à  l'envers. 
Mais  décrivons  d'abord  la  scène. 
On  s'assemblait  de  préférence  autour  d'une  pierre  drui- 
dique, sur  quelque  grande  lande.  Une  musique  étrange, 
■  surtout  de  certaines  clochettes,  y  chatouillait  ■  les  nerfs, 
peut-être  à  la  manière  des  vibrations  pénétrantes  de  l'har- 
monica. Nombre  de  torches  résineuses  qui  couraient  çk  et 
jetaient  une  lumière  jaune,  en  opposition  aux  brasiers 
flamme  rouge.  Ajoutez  une  lumière  bleue  qui  ne  sem- 
ait pas  de  ce  monde.  Ces  sons  et  ces  lueurs  troubUienl 
sprit,  transfiguraient  la  mouvante  réalité,  les  ombres 
il  allaient  et  venaient,  les  démons  dans  leurs  peaux  de 
mes.  ■  Les  honmies  y  devenaient  des  bétes  et  les  bétes  y 
■riaient,  i 

Une  colonne  de  vapeur  fantastique  divisait  la  scène,  ^ 
isait  un  demi-rideau.  ■  Derrière  trdnait  le  Diable,  eo 


KT  on  SABBAT  AU  XVII*  SIÈCLE.  485 

figure  ténébreuse  qui  ne  veut  être  vue  clairement.  Ce  qu'on 
y  distinguait  le  mieux,  c'étaient  les  attributs  virils  du  dieu 
Priape,  dont  il  avait  les  cornes  et  le  velu,  étant  couvert 
d'une  peau  de  bouc  noir.  Il  faisait  grand'peur  aux  nou- 
veaux venus,  aux  enfants  qu'on  amenait.  A  cela  près,  le 
Diable  (en  France)  est  plus  burlesque^  que  terrible.  Par* 
fois,  espiègle,  on  le  voyait  sauter  du  fond  d'une  grande 
cruche.  Aux  deux  cornes  du  Priape  antique  dont  son  cbef 
était  décoré,  on  en  ajoutait  volontiers  une  troisième,  qui 
était  une  lanterne  pâle.  Et,  pour  que  ce  seigneur  des  serfs 
ne  cédât  en  rien  aux  autres  seigneurs,  pour  qu'il  fut  aussi 
UD  monsieur^  ses  cornes  honorablement  étaient  surmon- 
tées d'un  chapeau. 

L'esprit  des  vieux  noêls  et  la  gaieté  rustique  étaient  dans 
tout  cela.  Ce  peuple,  dans  ce  court  moment  de  liberté, 
jouait  ses  tyraus,  se  jouait  lui-même.  Le  sabbat  était  une 
farce  violente,  en  quatre  ou  .cinq  actes,  oii  il  se  régalait  de 
la  contrefaçon  hardie  de  son  cruel  tyran,  l'Église,  et  de 
son  vampire  féodal. 

Tout  était-il  critique  ?  y  avait-il  un  culte  positif?  et  le 
Diable,  en  effet,  était-il  vraiment  Dieu,  père  et  roi  de  cette 
foule?  Je  ne  vois  pas  cela  clairement.  Quoi  qu'en  disent 
les  juges,  sa  primatie  est  biçn  plus  apparente  que  réelle. 
Il  semble  moins  une  divinité  vivante  qu'un  symbole  éman- 
cipateur.  Un  mannequin,  un  arbre,  un  tronc  sans  branche, 
faisait  souvent  ce  r61e,  et  il  suffisait  d'un  Satan  de  bois. 

On  avait  si  cruellement  abusé  de  l'idée  de  paternité  et 
de  divinité,  que  le  serf  n'avait  nulle  tendance  à  la  repro- 
duire au  sabbat.  La  fraternité  seule  y  dominait  visiblement. 
Une  fraternité,  il  est  vrai,  barbare  et  sensuelle,  un  grossier 
communisme. 

Ce  comfmunisme,  du  reste,  n'était  guère  plus  au  sabbat 
qu'ailleurs;  il  était  partout.  Les  serviteurs  mêmes  du  châ- 
teau vivaient  pêle-mêle  entassés  dans  les  galetas.  Les  corn-- 
muns  succédèrent,  où  tout  était  mêlé  encore.  Le  logis  à 


486  DC  SâBlAT  AD  MOTIX  ÂGC, 

part  ne  oonunenoe  qse  fort  tard,  et  par  la  inmiarde,  c'est* 
à-dire  soas  Louis  UV. 

Pour  les  serfs  roraiix,  l'iolérèt  du  maître  n'était  pas  do 
les  isoler  par  familles,  mak  de  les  tenir  réunis  eo  une  tilia 
on  vaste  métairie  où  un  seul  toit  abritût,  avee  les  bêles, 
une  tribu  de  même  sang,  un  cousinage  on  parentage  d'une 
centaine  de  personnes.  Quoique  parents,  le  maître  les  con- 
sidérait comme  simples  associés,  et  pouvait  àcbafoe  décès 
reprendre  les  profits  de  tous.  De  famille  ou  mariage  qm 
eftt  autorisé  l'hérédité,  il  ne  daignait  s'en  informer.  La  fih- 
milie  pour  tan,  c'était  cette  masse  de  gens  qui  mangeaient 
«  à  un  pain  et  à  un  pot,  »  qui  «  lêTuient  et  cooebaîent  en- 
semble.  > 

L'Église  cependant  exigeait  le  mariage.  Mais  c'était  une 
dérision.  Pendant  cpae  le  prêtre  Msait  sonner  haut  le  sa- 
enmBaU  multipliait  les  empêchements  et  les  difficnllés  de 
parenté,  il  absolvait,  faisait  communier  le  baron,  dont  le 
premier  droit  était  le  mépris  du  sacrement.  Je  parle  du 
Droit  du  seigneur  (si  impudemment  nié  de  nos  jours). 
L'exigeait-il  lui-même?  Qu'importe?  Forcée  de  monter  au 
diàleaupour  offrir  le  denier  eu  le  plat  de  noces 'T.  Grimm 
et  toutes  les  coutumes),  la  mariée,  dédaignée  du  se^;nenr, 
était  le  jouet  des  pages. 

Faut-il  s*étonner,  après  cela,  de  cette  dérision  univer- 
selle du  mariage,  qui  est  le  fiMid  de  nos  vieilles  meemn? 
L'Église  n'en  tenait  compte,  ne  le  fusant  pas  respecter. 
La  noblesse  n'avait  d'autre  roman  que  l'adnttère,  ni  les 
bourgeois  d'autre  sujet  de  faUiau.  Le  serf  n'y  songeait 
même  pas,  mais  il  tenait  beanconp  è  la  famille,  à  cette 
grande  &mille  ou  cousinage  ou  tout  étttt  à  peu  près  com- 
mun. Il  n'était  jaloux  que  de  Tétranger. 

Le  sabbat  du  moyen  âge,  réunion  peu  nombreuse,  n'était 
souvent  que  l'assemblée  d'un  partncn^  On  ne  se  fiait 
guère  auQL  voisins,  et  on  ne  lasefit  pas  admis  à  la  compli- 
cité de  ces  orgies  de  révolte.  Cela  aide  à  oooqwendre  l'ex- 


IT  MX  SAttBAT  AU  X?U*  SIÂCLI.  4S7 

tréme  liberté  qui  y  régnaît  Tout  semblait  permis  en  fa- 
mille. 

Premier  ode.  Dérision  du  mariage  et  contrefaçon  du 
Droit  du  seigneur,  tout  à  fait  semblable,  du  reste,  au  début 
des  orgies  de  Baochus  et  de  Priape.  La  nouvelle  mariée 
s'offrait  au  Diable,  qui  l'épousait  pour  l'assemblée.  On  la 
fais^  reine  du  sabbat. 

Antre  eomédie.  Les  enfants,  les  simples,  qu'on  amenait 
poar  la  première  fois,  et  qui  étaient  fort  effrayés,  rendaient 
hommage  au  seigneur  Diable.  Mais  tout,  au  sabbat,  devait 
se  faire  à  rebours,  à  l'envers.  Donc  on  les  contraignait  à 
bire  hommage  la  tète  en  bas,  les  pieds  en  l'air  et  en  tour-- 
nnnt  le  dos. 

L'osclage,  le  baiser  du  vassal  au  seigneur,  ou  du  novice 
Ml  supérieur,  qui  symbolisait  Toffrande  de  la  personne, 
devait  se  faire  aussi  à  rebours,  au  dos  du  Diable,  lequel,  en 
netoqr,  étonnait  parfois  le  tremblant  récipiendaire  en  lui 
8on£Bant  l'esprit  par  une  dérision  indécente  dont  on  riait 
beaucoup.  Puis  il  lui  remettait  une  gaule  pour  bàtom  pas-* 
toral,  et  lui  disait  :  «  Pais  mes  ouailles,  i  Et  TouaiLle  était 
un  crapaud  proprement  habillé  de  vert. 

Deuxième  acte*  Tout  ceci  n'était  que  pour  rire.  Mais  voici 
le  solide.  Ce  peuple  famélique,  jeûnant  presque  toujours, 
chose  rare,  ce  jour-là,  il  mangeait.  Ceci  n'était  pas  le 
nxMndre  des  miracles  du  Diable.  Il  n'y  avait  aucun^eouteau 
sur  la  table,  de  peur  que  le  repas  ne  fût  ensanglanté. 
Avant  les  danses,  on  avait  soin  de  renvoyer  les  enfants,  en 
leur  enjoignant  d'aller  paître  les  crapauds  an  ruisseau 
voisin. 

Ces  danses,  vives,  violentes,  étaient  le  |>rélttde  de  la  fa- 
mense  ronde  du  sabbat,  qui,  de  tous  ces  couples,  emportés 
dans  un  tourbillon,  faisait  un  élément,  une  force  aveugle. 
Ils  tournaient  dosa  dos,  les  bras  en  arrière,  sans  se  voir, 
ne  regardant  que  la  nuit,  la  fumée,  le  brouillard  de  la 
prairie  fuy&nte.  Bientôt  personne  ne  connaissait  plus  soq 


18B  DU  SABBAT  AU  MOYBN  AGE, 

voisin,  ni  soi-même.  Par  moments,  les  dos  se  touchaient, 
se  heurtaient  de  façon  rustique.  On  ne  se  sentait  que  dans 
l'ensemble,  et  comme  membre  du  grand  corps,  confus, 
haletant,  qui  tourbillonnait. 

Troinème  acte.  Cette  unité  brutale,  confuse  et  de  vertige, 
en  préparait  une  autre.  La  société  communiait. 

Et  de  quoi?  Non  pas  de  Dieu,  mais  d'eUe*méme.  Elle  se 
mangeait,  et  était  son  hostie.  C'est  la  donnée  de  toutes  les 
sociétés  secrètes  du  moyen  ftge,  fondées  sur  la  fraternité, 
en  haine  de  la  paternité. 

Mais  comment  se  mangeait-tUe?  Les  juges  font  semblant 
de  croire  que  c'était  au  sens  propre.  Il  est  trop  évident  que 
des  réunions  si  fréquentes,  qui  se  renouvelèrent  pendant 
des  siècles,  ne  mangeaient  pas  de  chair  humaine. 

La  chMtr  dont  on  communiait  était  (fictivement)  celle 
d'un  enfant  de  la  société  et  de  son  dernier  mort. 

La  cérémonie,  du  reste,  était  gaie  et  combinée  pour 
faire  rire  la  foule,  pour  venger  le  peuple  du  prodigieux 
ennui  des  offices  dont  on  Tassommait.  C'était  la  messe  à 
l'envers,  la  messe  noire.  Le  célébrant,  à  l'élévation,  se  te- 
nait la  tête  en  bas,  les  pieds  en  l'air,  avec  une  hostie  de 
dérision,  une  rave  noire,  qu'il  mangeait  lui-même. 

Il  y  avait  là  beaucoup  de  jongleries.  Des  diables  agiles 
sautaient  à  travers  les  flammes,  montrant  aux  nouv^ux 
venus  stupéfiés  comment  il  fallait  mépriser  les  feux 
d'enfer. 

Les  sorcières  de  profession  efTrayaient  les  simples.  Elles 
baptisaient  un  crapaud,  rhabillaient  comme  un  en&nt,  et, 
après  cette  espèce  d'adoption,  ces  tendres  mères  simu* 
laient  l'infanticide,  en  attaquant,  démembrant  l'animal 
avec  les  dents.  Elles  lui  coupaient  la  tête  avec  un  couteau, 
en  roulant  les  yeux  effroyablement,  défiant  le  ciel,  et  lui 
disant  :  «  Ahl  Philippe,  si  je  te  tenais!...  » 

Oualrième  acte.  Dieu  ne  répondant  pas  au  défi  par  la 
foudre,  on  le  croyait  vaincu,  anéanti.  Toutes  tes  lois  que 


ET  DU   SABBAT  AU  XVir  SIECLE.  '    489 

l'Eglise  imposait  en  son  nom  semblaient  avoir  péri,  spé- 
cialement celles  qui  troublaient  le  plus  la  famille  rustique, 
les  empêchements  canoniques  de  mariages  entre  parents. 
Le  paysan  n'aime  que  les  siens,  point  du  tout  l'étrangère. 
Sous  ce  rapport,  il  garde  Tesprit  des  tribus  primitives.  Il 
préfère  sa  parente,  et,  s'il  y  a  quelque  bien,  il  désire  qu'il 
reste  en  famille.  Dès  Tenfance,  la  petite  femme  qu'il  a  en 
▼ue,  c'est  la  compagne  des  premiers  jeux,  la  cousine,  la 
nièce,  parfois  la  jeune  tante.  L'Église,  qui  interdisait  la 
cousine  au  sixième  degré,  était  directement  hostile  aux 
attractions  naturelles.  Dans  la  liberté  du  sabbat,  on  y  re- 
venait violemment,  avec  fureur.  Le  cousinage  équivalait 
au  mariage,  et  la  petite  société,  dans  un  mélange  aveugle, 
cherchait  sa  communion  dernière,  son  rêve  absolu  d'unité. 

Est-iLvrai  que  le  frère  s'untt  même  à  la  sœur,  comme 
en  Egypte,  à  Sparte  et  à  Athènes?  Il  est  diflScile  de  savoir 
si  le  fait  est  réel,  ou  une  de  ces  fables  répétées  tant  de  fois 
pour  donner  l'horreur  des  sociétés  secrètes. 

Cinquième  acte.  Au  départ  de  la  foule,  la  clôture  du 
sabbat  se  faisait  par  la  mort  du  Diable.  Lui  aussi,  il  devait 
périr.  Habilement  il  s'escamotait,  laissait  tomber  au  feu  sa 
peau  de  bouc,  et  semblait  s'évanouir  aux  flammes. 

La  foule  s'éeoulait,  les  lumières  s'éteignaient.  Sur  la 
lande  redevenue  solitaire,  tout  semblant  détruit,  et  Satan 
el  Dieu,  la  sorcière  restait  victorieuse,  et  seule  se  faisait 
son  sabbat  réservé. 

Seule?  Elle  l'était  toujours,  sans  époux,  sans  famille. 
Objet  d'horreur  pour  tous,  et  faisant  peur  à  tous,  môme 
aux  uiBliés  du  sabbat,  qui  eût  voulu  en  approcher?  Et  elle- 
même  k  qui  se  fùt-elle  confiée?  A  qui  eût-elle  voulu  trans- 
mettre ses  dangereux  secrets  ?  Son  fils,  enfant  sans  père, 
était  le  seul  à  qui  elle  se  livrât.  Contre  la  haine  universelle 
du  monde  et  cet  accablement  de  malédiction  monstrueuse, 
elle  opposait  un  monstrueux  amour.  C'était  celui  du  mage 
d*Orient  ;  il  ne  se  renouvelait  qu'en  épousant  sa  mère.  De 


490  IHJ  SABB4T  XV  MOYEN  AGE. 

môme,  disait-on,  pwn  perpétuer  la  sorcière,  il  fallait  ce 
mystère  impie.  A  ce  moment  douteux  où  p&lissent  les 
dernières  étoiles,  la  mère  et  son  jeune  hibou,  élixir  de 
malice,  accomplissaient  leur  triste  fête.  La  lune  fuyait  oa 

ae  cachait. 

Ces  sauvages  horreurs,  si  elles  furent  réelles,  semb'laîeat 
•avoir  disparu  au  xvi*  siècle.  Je  vois,  au  xvii*,  des  familles 
régulières  de  sorciers,  pères,  mères,  fils,  filles.  Ils  ren- 
trent dans  la  classe  des  hommes.  Le  Diable  n*y  perd  rien. 
.  Et  rimpiété  peut-être  augmente.  Si  le  fils  n'est  plua  un 
monstre  d^amour,  il  l'est  souvent  de  haine,  d'horrible  ia- 
gratitode  et  de  perfidie.  Il  n'est  pas  rare,  dans  les  f^ocès, 
de  voir  l'enfant,  gagné,  corrompu  par  les  juges,  leur  ser- 
vir d'instrument  contre  les  siens,  et  parfois  feire  brûler  sa 

mère. 

Au  sabbat,  comme  ailleurs,  Tintérét  domine  tout.  C'est 
Tavénement  de  l'argent.  Satan  ne  se  contente  plus  de  sa 
rude  pierre  druidique,  il  prend  un  trône  doré.  Les  sor* 
bières,  sous  leurs  haillons,  apportent  au  banquet  de  la 
vaisselle  d'argent.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  crapauds  qui  ne 
ileviennent  élégants;  j'en  vois  qui,  comme  de  petits  sei- 
gneurs, sont  vêtus  de  velours  vert. 

Le  sabbat,  pour  les  sorcières,  devenait  vraiment  une 
affaire.  Elles  faisaient  payer  un  droit  de  présence  ;  elles 
tiraient  amende  des  absents.  Elles  vendaient  leurs  drogues 
ce  qu'elles  voulaient  à  tous  ceux  qui  avaient  pour  d'elles. 

Ce  que  la  cérémonie  avait  perdu  en  terreur,  en  attrait 
d'imagination,  elle  le  regagnait  en  plaisanterie.  Le  bur* 
lesque  dominait.  Au  début  du  premier  acte,  la  personne 
qui  ouvrait  le  sabbat  subissait  une  abhition  très-froide, 
saisissante,  qui  devait  faire  faire  mainte  amusante  grîmaee. 
C'était  un  divertissement  dans  le  genre  de  Pourceaugnac. 
On  ne  peut  en  douter,  d'après  la  description  de  l'iBStra- 
ment  du  supplice,  «  qui  est  long  d'environ  deux  pieds,  en 
partie  de  métal,  puis  tortillé  et  sinueux.  »  L'emploi  d'une 


BT  011  aàBBAT  AU  XVU*  SltCLE.  49| 

telle  inacliiae  est  un  trail  tout  mederne.  Du  reste,  c&  di- 
vertissement était  grossier,  indécent,  mais  non  impudique. 
Les  enfants  y  aesistadent  et  n'étaient  renvoyés  qu'aux 
danses^ 

Bn  point  plus  gr^ve,  c'est  le  quatrième  acte.  Les  fem- 
mes disent  unanimement  que  l'amour  des  démon»  lear 
élaii  pénîliie,  désagréable  et  douloureux,  et  qu'elles  n'y 
étaient  que  victimes.  La  question  capitale  de  savoir  si 
ramour  dnabolique  est  fécond  avait  fort  occupé  le  moyen 
âge.  Peu  d'auteurs  croient  à  la  fécondité.  Nos  Français, 
Sféeialement  Boguet  au  Jura,  Lancre  au  pays  basque,  qui 
0Oi  la  plus  vaste  expérience  dans  ces  contrées  où  tous 
allaient  au  sabbat,  affirment  que  l'amour  y  était  stérile,  et 
«  que  jamais  femme  n*en  revint  enceinte.  » 

Cela  jette  un  jour  triste  sur  le  sabbat  de  ce  temps. 
Froide,  égoïste  orgie  !  L'amour  non  partagé!...  Cela  seul 
aurait  dn,  ce  semble,  convertir  toutes  les  femmes,  les 
éloigner.  Et,  au  contraire,  elles  s'y  précipitent  toutes. 

Pour<|uoi?  Il  faut  le  dire,  dans  ces  grandes  misères, 
hélas!  e*est  que  l'on  y  mangeait.  Les  veuves,  chargées 
d'enfentSy  trouvaient,  en  les  offrant  au  Diable,  un  patron 
large  et  généreux  qui  régalait  les  pauvres  avec  l'argent  des 
riches. 

Les  fiUed  j  cherchaient  les  danses.  Elles  étaient  foHes 
aoftoui  des  danses  moresques,  dramatiques,  amoureuses. 

Si  la  foi  aa  Diable  était  faible,  si  l'imagination  tarissait, 
<m  y  suppléait  par  d'autres  moyens.  La  phajrmacie  venait 
au  seeoura.  De  tout  temps,  les  sorcières  avaientwemployé 
les  breuvages  du  trouble  et  de  la  folie,  les  sucs  de  la  bella* 
done,  et  peutr-étre  du  datura,  rapporté  de  l'Asie  Mineure. 
Le  roi  du  vertige,  l'herbe  terrible  dont  le  Vieux  de  la  Mon- 
tagne tirait  le  haschich  de  ses  Hassassins,  ce  fameux  Pan- 
tagiuéKon  de  Rabelaie,  ou,  pour  dire  simplement,  le 
chanvre»  fut  certainement  de  bonne  heure  un  puissant 
afent  da  sabbat. 


192  DU  SABBAT  AU  MOYEN' AGK. 

A  répoque  où  nous  sommes,  l'appât  du  gain  avait  con- 
duit les  apothicaires  à  préparer  toutes  ces  drogues.  Nous 
l'apprenons  par  Leloyer.  Ce  bon  homme  est  terrifié  de 
voir  que  Ton  vend  maintenant  le  Diable  en  bouteilles  : 
a  Et  plût  au  ciel,  dit-il,  qu'il  ne  fût  pas  si  commun  dans 
le  commerce  !  » 

Mot  instruclif  et  triste.  A  partir  de  cette  époque,  on  re- 
courut de  plus  en  plus  à  cette  brutalité  de  prendre  Tillu- 
sion  en  breuvages,  la  rêverie  en  fumigation.  Deux  nou- 
veaux dénions  étaient  nés  :  l'alcool  et  le  tabac. 

L'alcool  arabe,  l'eau- de-vie  distillée  chez  nous  au 
XHi*  siècle,  et  qui,  au  xvi*,  est  encore  un  remède  assez 
cher  pour  les  malades,  va  se  répandre,  offrir  à  tous  les 
tentations  de  la  fausse  énergie,  la  surexcitation  barbare, 
un  court  moment  de  furie,  la  flamme  suivie  du  froid  mor- 
tel, du  vide,  de  l'aplatissement. 

D'autre  part,  les  narcotiques;  le  pétun  ou  nicotiane  (on 
J'appelle  maintenant  le  tabac)  substitue  à  la  pensée  sou- 
cieuse l'indifiérente  rêverie,  fait  oublier  les  maux,  mais 
oublier  les  remèdes.  Il  fait  onduler  la  vie,  comme  la  fumée 
légère  dont  la  spirale  monte  et  s'évanouit  au  hasard.  Vaine 
vapeur  où  se  fond  l'homme,  insouciant  de  lui-même,  des 
autres,  de  toute  affection. 

Deux  ennemis  de  l'amour,  deux  démons  de  la  solitude, 
antipathiques  aux  rapprochements  sociaux,  funestes  à  la 
génération.  L'homme  qui  fume  n'a  que  faire  de  la  femme; 
son  amour,  c'est  cette  fumée  où  le  meilleur  de  lui  s'en 
va.  Veuf  dans  le  mariage  même,  qu'il  le  fuie,  il  fera 
mieux. 

Cet  isolement  fatal  commence  précisément  avec  le 
xvn*  siècle,  à  l'apparition  du  tabac.  Nos  marins  de  Bayonne 
et  de  Saint-Jean-de-Luz,  qui  l'apportaient  à  bon  marché, 
se  mirent  à  fumer  sans  mesure,  trois  et  quatre  fois  par 
jour.  Leur  insouciance  naturelle  en  fut  étrangement  aug- 
mentée. Ils  restaient  à  part  des  femmes,  et  elles  s'élor- 


KT  D0  SABBAT  AU  XYII'  SIÈCLE.  193 

gnaient  encore  plus.  Dès  le  déb^t  de  cette  drogue,  on  put 
prévoir  son  effet.  Elle  a  supprimé  le  baiser. 

Les  jolies  femmes  de  Bayonne,  fières,  hardies,  cyni- 
ques, déclaraient  au  juge  Lancre  que  cette  infâme  habi- 
tade  des  hommes  leur  faisait  quitter  la  famille  et  les  reje- 
tait vers  le  sabbat,  disant,  en  femmes  de  marins  :  «  Mieux 
vaut  le  derrière  du  Diable  que  la  bouche  de  nos  maris.  » 

Ceci  en  i  64  0.  Date  fatale  qui  ouvre  les  routes  oii  l'homme 
et  la  femme  iront  divergents. 

Si  celle-ci  est  solitaire,  dépourvue  du  soutien  de  l'homme, 
je  crains  pour  elle  un  amant.  C'est  ce  consolateur  sauvage, 
ce  mari  de  feu  et  de  glace,  le  démon  des  spiritueux.  C'est 
lui  qui,  de  plus  en  plus,  sera  le  vrai  roi  du  sabbat. 

Cela  rendra,  dans  quelque  temps,  le  sabbat  même  inu- 
tile. La  sorcière,  en  son  grenier,  seule  avec  le  diable 
liquide  qui  la  brûle  et  qui  la  trouble,  se  fera  la  folle  orgie» 
toutes  les  hontes  du  sabbat. 

Les  femmes,  dans  tout  le  Nord,  ont  cédé  aux  spiritueux. 
Et  les  hommes  partout  au  tabac.  Deux  déserts  et  deux  so- 
litudes. Des  natione,  des  races  entières,  se  sont  déjà  affais- 
sées,  perdues  dans  ce  gouffre  muet,  dont  le  fgnd  est  Tin- 
différence  au<  plaisir  générateur  et  l'anéantissement  de 
l'amour. 

En  vain  les  femtpes  de  nos  jours  se  sont  tristement  sou- 
mises pour  ramener  l'homme  à  elles.  Elles  ont  subi  le 
tabac  et  enduré  le  fumeur,  qui  leur  est  antipathique.  Lâche 
faiblesse  et  inutile.  Ne  voient-elles  donc  pas  que  cet 
homme,  si  parfaitement  satisfait  de  son  insipide  plaisir, 
ne  peut,  ne  veut  guère  ?  Le  Turc  a  fermé  son  .harem. 
Laissez  que  celui-ci  de  même  s'en  aille  par  le  sentier  où 
nos  aines  d'Orient  nous  ont  précédés  dans  la  mort. 


x.  U 


GHAPITHE  XVUl 


Géographie  de  la  sorceUerie,  par  naUens  et  provioosa» 

Les  sorcières  basques. 


Nous  sommes lôiti  du  xv*  siècle;  on  ne  voit  plus  au  xvii* 
le  cas  terrible  avoué  au  livré  du  «  Marteau  des  sorcières,  » 
quand  le  juge,  tenant  la  sorcière  liée  à  ses  pieds,  se  sen- 
tait prié  par  son  regard,  ensorcelé  au  tribunal,  défaillait 
sur  son  siège.  Nos  juges  maintenant,  il  est  vrai,  sont  d'une 
autre  classe,  non  plus  moines,  mais  juristes.  Le  Diable  est 
né  juriste,  et  ceux-ci  le  combattent  avec  ses  propres  ar- 
mes, de  procureur  à  procureur. 

Le  brouillard  uniforme  qui  couvrait  c6s  procès  e,l  les 
lendait  presque  semblables,  tant  que  le  juge  fut  un  moine 
(un  homme  sans  patrie),  s'éclaircit  quelque  peu  avec  les 
juges  laïques,  et  Ton  commence  à  entrevoir  les  différences 
nationales,  provinciales,  qu'offrait  la  sorcellerie. 

Il  y  eut  peu  de  sorciers  en  Italie,  beaucoup  d*astrologues 
et  de  magiciens.  On  ne  s'arrêtait  pas  à  ce  semblant  du 
culte  diabolique.  On  était  tout  d'abord  athée. 

En  Allemagne,  au  contraire  (K.  Mythologie  de  Grîmm), 
la  sorcellerie  reste  chargée  d'un  vaste  et  sombre  paga- 
nisme. Par  l'amour  de  la  nature  propre  à  Tâme  alle- 
mande, déguisant  en  fées  ou  démonsles  antiques  dieux  de 
la  contrée,  elle  leur  garde  un  amour  fidèle. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  SORCELLERIE,  ETC.       495 

L'£spagae,en  cela  et  en  tout,  offre  un  étrange  combat. 
Les  Juifs,  les  Maures,  s'y  mêlaient  de  magie,  et  avaient 
leurs  pratiques  propires.  Le  centre  et  la  capitale  4e  la 
magie  européenne,  en  <596  (F.  Lancre,  Incréd.,  781), 
aurait  été  Tolède.  C'était  une  grande  école  de  magiciens, 
sous  les  yeux  de  l'Inquisition. 

Magie  blanche,  si  on  veut  les  croire,  innocente,  comme 
celle  du  célèbre  médecin  Torralba  (1500),  guidé  par  un 
esprit  tout  bienGaisant,  le  blanc,  blond,  rose  Zôquiel,  qui 
sauva  la  vie  à  un  pape  (Llorente,  II,  6âi).  Llnquisition  lui 
fit  son  procès  trente  années  et  eut  à  peine  la  force  de  le 
condamner.  L^écote  de  Tolède  avait  un  chapitre  de  treize 
docteurs  et  soixante-treize  élèves.  Us  obtenaient,  disent* 
ils,  puissance  sur  le  Diable  par  les  œuvres  de  Dieu,  jeûnes 
pèlerinages,  offrandes  à  Notre-Dame. 

Mais,  à  c<Sté  de  cette  magie  bâtarde  qui  mariait  l'enfer 
et  le  ciel,  se  propageait  dans  les  campagnes  la  magie  dia- 
bolique ou  sorcellerie.  L*£spagne  devient  alors  une  soli- 
tude, et,  ^  mesure  que  le  désert  gagne  par  Tépuisement  de 
la  terre,  par  Vémigration,  par  la  ruineuse  liberté  des 
troupeaux,  le  peuple  se  réduit  au  berger.  Si  ce  pàtro  ne 
chausse  la  sandale  et  ne  se  fait  moine  mendiant,  il  n'en 
reste  pas  moins  sans  femme  ni  famille.  La  femme,  en  .ce 
pays,  nait  veuve  et  de  bonne  heure  sorcière  (on  en  voit  de 
vingt  ans).  Sur  la  lande  sauvage,  la  lane  du  iouc^  comme 
ils  disent^  la  sorcière,  le  berger,  se  retrouvent.  Voilà  le 
sabbat. 

Mais  la  grande  puissance  d'imagination  pour  cela  et 
pour*  tout  se  trouve  aux  montagoes,  à  la  côte,  au  pays 
même  de  Texcentricité,  chez  les  Basques  de  Navarre  et 
Biscaye.  Ces  fous  hardis,  amoureux  des  tempêtes,  du  même 
élan  qui  les  poussait  aux  mers  du  nouveau  monde,  se  plon- 
gent dans  le  monde  outre^tombe  et  découvrent  des  terres 
nouvelles  au  royaume  du  Diable.  Leur  supériorité  est  si 
bien  reconnue^  que  des  deux  côtés  des  monts  ils  font  des 


496         GÉOGRAPHIE  DE  LA  SORCELLERIE, 

conquêtes.  La  sorcellerie,  basque  envahit  la  Castille,  et, 
tandis  qu'elle  pousse  ses  colonies  en  Aragou  jusqu'aux 
portes  de  Saragosse,  d'autre  part,  à  travers  les  Landes,  elle 
va  faire  le  sabbat  à  JBordeaux,  au  nez  du  Parlement,  dans 
le  palais  Gallien. 

Dans  nos  autres  provinces,  la  sorcellerie  semble  indi- 
gène,  un  triste  fruit  du  sol.  Elle  devient  une  maladie  con- 
tagieuse dans  les  pays  misérables  surtout  où  les  hommes 
n'attendent  plus  de  secours  du  ciel.  En  Lorraine,  par 
exemple,  deux  démons  sévissaient,  une  cruelle  féodalité 
militaire,  et,  par-dessus,  un  passage  continuel  de  soldats, 
de  bandits  et  d'aventuriers.  On  ne  priait  plus  que  le  Diable. 
Les  sorciers  entraînaient  le  peuple.  Maints  villages,  effrayés, 
entre  deux  terreurs,  celle  des  sorciers  et  celle  des  juges, 
avaient  envie  de  laisser  là  leurs  terres  et  de  s'enfuir,  si 
Ton  en  croit  Remy,  le  juge  de  Nancy.  Dans  son  livre  dédié 
au  cardinal  de  Lorraine  (1596),  il  assure  avoir  brûlé  en 
seize  années  huit  cents  sorcières.  «  Ma  justice  est  si  bonne, 
dit-il,  que,  l'an  dernier,  il  y  en  a  eu  seize  qui  se  sont  tuées 
pour  ne  pas  passer  par  mes  mains.  » 

Les  prêtres  étaient  humiliés.  Auraient-ils  pu  faire  mieux 
que  ce  laïque?  Aussi  les  moines  seigneurs  de  Saint-Claude, 
contre  leurs  sujets,  adonnés  à  la  sorcellerie,  prirent  pour 
juge  un  laïque,  Thonnéte  Boguet.  Dans  ce  triste  Jura,  pzys 
pauvre  de  maigres  pâturages  et  de  sapins,  le  serf  sans 
espoir  se  donnait  au  Diable.  Tous  adoraient  le  chat  noir. 

Le  livre  de  Boguet  (4602)  eut  une  autorité  immense. 
Messieurs  des  Parlements  étudièrent,  comme  un  manuel, 
ce  liv;*e  d'or  du  petit*  juge  de  Saint-Claude.  Boguet,  en 
réalité,  est  un  vrai  légiste,  scrupuleux  même,  à  sa  manière. 
Il  blâme  la  perfidie  dont  on  usait  dans  ces  procès  ;  il  ne 
veut  pas  que  l'avocat  trahisse  son  client  ni  que  le  juge 
promette  grâce  à  l'accusé  pour  le  faire  mourir.  Il  blâme  les 
épreuves  si  peu  sûres  auxquelles  on  soumettait  encore  les 
sorcières.  La  torture,  dit- il,  est  superflue;  elles  n'y  cèdent 


PAR  NATIONS  ET  PROVINCES.  497 

jamais.  Enfin  il  a  l'humanité  de  les  faire  étrangler  avant 
qu'on  les  jette  au  feu,  sauf  toutefois  les  loups-garous, 
«  qu'il  faut  avoir  soin  de  brûler  vifs.  »  11  ne  croit  pas  que 
Salan  veuille  faire  pacte  avec  les  enfants  :  «  Satan  est  fin  ; 
il  sait  trop  bien  qu'au-dessous  de  quatorze  ans  ce  marché 
avec  un  mineur  pourrait  étire  cassé  pour  défaut  d'âge  et 
de  discrétion.  »  Voilà  donc  les  enfants  sauvés?  Point  du 
tout;  il  se  contredit;  ailleurs,  il  croit  qu'on  ne  purgera 
cette  lèpre  qu'en  brûlant  tout  jusqu'aux  berceaux.  Il  en  fût 
venu  là  s'il  eût  vécu.  Il  fit  du  pays  un  désert.  11  n'y  eut 
jamais  un  juge  plus  consciencieusement  exterminateur. 

Tous  les  juges  maintenant  écrivent,  et  l'on  peut  croire 
que  déjà  ils  éprouvent  le  besoin  de  s'expliquer  devant  le 
public.  Ils  sont,  en  effet,  en  présence  de  deux  sortes  d'ad- 
versaires :  les  prêtres  et  les  médecins. 

Ceux-ci  disent,  comme  Agrippa,  Wyer,  comme  le  minis- 
tre Lavatier,  que,  si  ces  misérables  sorcières  sont  le  jouet 
du  Diable,  il  faut  s'en  prendre  au  Diable  plus  qu'à  elles, 
et  ne  pas  les  brûler.  Quelques  médecins  de  Paris,  sous 
Henri  lY,  poussent  l'incrédulité  (K.  plus  haut)  jusqu'à  pré- 
tendre que  les  possédées  sont  des  fourbes,  ou  des  folles 
poussées  par  les  fourbes. 

Les  prêtres  disent  qu'eux  seuls  ont  droit  de  procéder 
contre  le  Diable,  dont  ils  sont  les  ennemis  naturels  et  la 
partie  contraire.  Â  quoi  les  légistes  répondent  :  «  Ne  soyez 
pas  juges  et  partie.  »  En  réalité,  la  connivence  du  prêtre 
avec  les  filles  possédées,  surprise  fréquemment,  brise  son 
tribunal  et  rend  victorieuse  la  juridiction  des  laïques,  gens 
mariés,  qui  risquent  moins  d'être  ensorcelés  par  les 
femmes. 

Nos  légistes  d'Angers,  le  célèbre  Bodin  (1578),  le  savant 
Leioyer  (4605),  sont  tout  entiers  dans  cette  polémique.  Ils 
ne  se  fient  pas  aux  prêtres  pour  lutter  contre  Timmense 
sorcellerie  de  l'Ouest,  qui  en  semble  le  pays  classique. 
N'est-ce  pas  là,  aux  «portes  du  Poitou  et  de  la  Bretagne, 


498  géoôràphib  de  lx  sorcellbkib, 

que  Gilles  de  Retz  (Barbe-Bleûe)  fit  ses  horribles  sacri- 
fices? 

Les  mendiants  incendiaires,  les  bergers  équivoques,  les 
sorcières  obstinées,  c'était  tout  un  peuple  aux  Marches  de* 
Maine  et  d'Anjou,  au  Marais,  au  Bocage.  La  diablerie  y 
sévissait  avec  Tâpreté  vendéenne. 

Mais  c'est  au  Parlement  de  Bordeaux  qu'est  poussé  le 
cri  de  victoire  de  la  juridiction  laïque  dans  le  livre  de 
Lancre  :  Incanstance  des  démons  (4 6! 0  et  1613).  L'auteur, 
homme  d'esprit,  conseiller  de  ce  Parlement,  raconte  en 
triomphateur  sa  bataille  contre  le  Diable  au  pays  basque, 
où,  en  moins  de  trois  mois,  il  a  expédié  je  ne  sais  combien 
de  sorcières,  et,  ce  qui  est  plus  fort,  trois  prêtres.  Il  re- 
garde en  pitié  l'Inquisition  d'Espagne,  qui,  près  de  là,  à 
Logroilo  (frontière  de  Navarre  et  Castille),  a  traîné  deux 
ans  un  procès  et  fini  maigrement  par  un  petit  auto-da-fé 
en  relâchant  tout  un  peuple  de  femmes. 

Cette  vigoureuse  exécution  de  prêtres  indique  assez  que 
M.  de  Lancre  est  un  esprit  indépendant.  It  Test  en  poli- 
tique. Dans  son  livre  Du  Prince  (1617),  il  déclare  sans 
ambages  que  «  la  Loi  est  au-dessus  du  roi.  » 

Jamais  les  Basques  ne  furent  mieux  caractérisés  que  dans 
le  livre  de  VInconstance.  Chez  nous,  comme  en  Espagne, 
leurs  privilèges  les  mettaient  quasi  en  république.  Les 
nôtres  no  devaient  au  roi  que  de  le  servir  en  armes  ;  au  pre- 
mier coup  de  tambour,  ils  devaient  armer  deux  mille 
hommes,  sous  leurs  capitaines  basques.  Le  clergé  ne  pesait 
guère; il  poursuivait  peu  tes  sorciers,  l'étant  lui-même. 
Le  prêtre  dansait,  portait  l'épée,  menait  sa  maîtresse  au 
sabbat.  Cette  maîtresse  était  sa  sacristine  ou  bénédicte,  qui 
arrangeait  l'église.  Le  cure  ne  se  brouillait  avec  personne, 
disait  à  Dieu  sa  messe  blanche  le  jour,  la  nuit  au  Diable  la 
messe  noire,  et  parfois  dans  la  même  église  (Lancre). 

Les  Basques  de  Bayonneet  de  Saint-Jean-de-Luz,  têtes^ 
hasardeuses  et  excentriques,  d'une  fabuleuse  audace,  qui 


PAR  WATlOIfS  ET  PROVINCBS.  #9» 

fr'eh  alhient  en  barque  aux  mers  les  pins  sauvages  har- 
ponner la  baleine,  faisaient  nombre  de  veuves.  Ils  se  jetè- 
rent en  niasse  dans  les  colonies  d'Henri  IV^  l'enipire  du 
Canada,  laissant  leurs  femmes  à  Dieu  ou  au  Diable.  Quant 
aux  enfants,  ces  marins,  fort  honnêtes  et  probes,  y  auraient 
songé  davantage,  s'ils  en  eussent  été  sûrs.  Maïs,  au  retour 
de  leurs  absences,  ils  calculaient,  comptaient  les  mois,  et 
ne  trouvaient  jamais  leur  compte. 

Les  femmes,  très-jolies,  très-hardies,  Imaginatives^ 
passaient  le  jour,  assises  aux  cimetières  sur  les  tombes,  à 
jaser  du  sabbat,  en  attendant  qu'elles  y  allassent  le  soifî* 
Cétait  leur  rage  et  leur  furie. 

Nature  les  fait  sorcières  :  ce  sont  les  filles  de  la  mer  et 
de  Filhision.  Elles  nagent  comme  des  poissons,  jouent  dans 
les  flots.  Leur  maître  naturel  est  le  Prince  de  l'air,  roi  des 
vents  et  des  rêves,  celui  qui  gonflait  la  sibylle  et  lui  souf- 
flait l'avenir. 

Leur  juge  qui  les  brûle  est  pourtant  charmé  d'elles  : 
•  Quand  on  les  voit,  dit-il,  passer  les  cheveux  au  vent  et 
sur  les  épaules,  elles  vont,  dans  cette  belle  chevelure,  si 
parées  et  si  bien  armées,  que,  le  soleil  y  passant  comm«  à 
travers  une  nuée,  l'éclat  en  est  violent  et  forme  d'ardents 
éclairs...  De  là,  la  fascination  de  leurs  yeux,  dangereux  en 
amour,  autant  qu'en  sortilège.  » 

Ce  Bordelais,  aimable  magistrat,  le  premier  type  de  ces 
juges  mondains  qui  ont  égayé  la  robe  au  xvn*  siècle,  joue 
du  luth  dans  les  entr'actes,  et  fait  même  danser  les  sor*-^ 
cières  avant  de  les  faire  brûler.  H  écrit  bien  ;  il  est  beau^ 
coup  plus  clair  que  tous  les  autres.  Et  cependant  on  démêle 
chez  lui  une  cause  nouvelle  d'obscurité,  inhérente  h  l'é- 
poque. C'est  que,  dans  un  si  grand  nombre  de  sorcières, 
que  le  juge  ne  peut  brûler  toutes,  la  plupart  sentent  fine- 
ment qu'i!  sera  indulgent  pour  celles  qui  entreront  le 
mîeux  dans  sa  pensée  et  dans  sa  passion.  Quelle  passionf 
&*abar],  une  passion  populaire,  l'amour  du  merveilleux 


200  GÉOGRAPHIE  DE  LA  SORCELLERIE, 

horrible,  le  plaisir  d'avoir  peur,  et  aussi,  s'il  faut  le  dire, 
ramusement  des  choses  indécentes.  Ajoutez  une  affaire  de 
vanité  :  plus  ces  femmes  habiles  montrent  le  Diable  ieiv 
rible  et  furieux,  plus  le  juge  est  flatté  de  dompter  un  tel 
adversaire.  Il  se  drape  dans  sa  victoire,  trône  dans  sa  sot^ 
tise,  triomphe  de  ce  fou  bavardage. 

La  plus  belle  pièce,  en  ce  genre,  est  le  procès -verbal 
espagnol  de  l'auto-da-fé  de  Logroâo  (9  novembre  4640), 
qu'on  lit  dans  Llorente.  Lancre,  qui  le  cite  avec  jalousie  et 
voudrait  le  déprécier,  avoue  le  charme  infini  de  la  fête,  la 
splendeur  du  spectacle,  l'effet  profond  de  la  musique.  Sur 
un  échafaud  étaient  les  brûlées,  en  petit  nombre,  et  sur  un 
autre,  la  foule  des  relâchées.  L'héroïne  repentante,  dont 
on  lut  la  confession,  a  tout  osé.  Rien  de  plus  fou.  Au  sab- 
bat, on  mange  des  enfants  en  hachis,  et,  pour  second 
plat,  des  corps  de  sorciers  déterrés.  Les  crapauds  dansent, 
parlent,  se  plaignent  amoureusement  de  leurs  maîtresses, 
les  font  gronder  par  le  Diable.  Celui-ci  reconduit  poliment 
les  sorcières,  en  les  éclairant  avec  le  bras  d'un  enfant  mort 
sans  baptême,  etc. 

La  sorcellerie,  chez  nos  Basques,  avait  l'aspect  moins 
fantastique.  11  semble  que  le  sabbat  n'y  fût  qu'une  grande 
fête  où  tous,  les  nobles  mêmes,  allaient  pour  Tamusement. 
Au  premier  rang  y  figuraient  des  personnes  voilées,  mas^ 
quées,  que  quelques-uns  croyaient  des  princes,  c  On  n'y 
voyait  autrefois,  dit  Lancre^  que  des  idiots  des  Landes. 
Aujourd'hui,  on  y  voit  des  gens  de  qualité.  »  Satan,  pour 
fêter  ces  notabilités  locales,  créait  parfois  en  ce  cas  un 
iviqtie  du  sabbat.  C'est  le  titre  que  reçut  de  lui  le  jeune 
seigneur  Lancinena,  avec  qui  le  Diable  en  personne  voulut 
bien  ouvrir  la  danse. 

Si  bien  appuyées,  les  sorcières  régnaient.  Elles  exer- 
çaient sur  le  pays  une  terreur  d'imagination  incroyable. 
Nombre  de  personnes  se  croyaient  leurs  victimes,  et  réelle* 
ment  devenaient  gravement  malades.  Beaucoup  étaient 


PAR  NATIONS  BT  PROViNCBS.  304 

frappés  d*épilepsi6  et  aboyaient  comme  des  chiens.  La 
seale  petite  ville  d'Acqs  comptait  jusqu'à  quarante  ide  ces 
malheureux  aboyeurs.  Une  dépendance  effrayante  les  liait 
à  la  sorcière,  si  bien  qu'une  dame  appelée  comme  témoin, 
aux  approches  de  la  sorcière  qu'elle  ne  voyait  même  pas, 
se  mît  à  Uboyer  furieusement,  et  sans  pouvoir  s'arrêter. 

Ceux  à  qui  l'on  attribuait  une  si  terrible  puissance  étaient 
maîtres.  Personne  n'eût  osé  leur  fermer  sa  porte.  Un  n)afi;is« 
trat  même,  l'assesseur  criminel  deBayonne,  laissa  faire  le 
sabbat  chez  lui.  Le  seigneur  de  Saint-Pé,  Urtubi,  fut  obligé 
de  faire  la  fête  dans  son  château.  Mais  sa  tête  en  fut  ébran" 
lée  au  point  qu'il  s'imagina  qu'une  sorcière  lui  suçait  le 
sang.  La  peur  lui  donnant  du  courage,  avec  un  autre  sei- 
gneur, il  se  rendit  à  Bordeaux,  s'adressa  au  Parlement, 
qui  obtint  du  roi  que  deux  de  ses  membres,  MM.  d'Espa- 
gnet  et  Lancre,  seraient  commis  pour  juger  les  sorciers  du 
pays  basque.  Commission  absolue,  sans  appel,  qui  procéda 
avec  une  vigueur  inouïe,  jugea  en  quatre  mois  soixante  ou 
quatre-vingts  sorcières,  et  en -examina  cinq  cents,  égale- 
ment marquées  du  signe  du  Diable,  mais  qui  ne  figurèrent 
au  procès  que  comme  témoins  (mai-août  4609).  * 

Ce  n'était  pas  une  chose  sans  péril  pour  deux  hommes 
et  quelques  soldats  d'aHer  procéder  ainsi  au  milieu  d'une 
population  violente,  de  tête  fort  exaltée,  d'une  foule  de 
femmes  de  marins,  hardies  et  sauvages.  L'autre  danger 
c'étaient  les  prêtres,  dont  plusieurs  étaient  sorciers,  et  que 
les  commissaires  laïques  devaient  juger,  malgré  la  yive 
(^position  du  clergé. 

Quand  les  juges  arrivèrent^  beaucoup  de  gens  se  sau- 
vèrent aux  montagnes.  D'autres  hardiment  restèrent, 
disant  que  c'étaient  les  juges  qui  seraient  brûlés.  Les  sor- 
cières s'effrayaient  si  peu,  qu'à  l'audience  elles  s'endor- 
maient du  sommeil  sabbatique,  et  assuraient  au  réveil 
avoir  joui,  au  tribunal  même,  des  béatitudes  de  Satan. 
Plusieurs  disent  :  «  Nous  ne  souffrons  que  de  ne  pouvoir 


202  GÉOGRAPHIE  DE  LA   SORCELLERIE, 

Ini  témoigner  que  nous  brûlons  de  souffrir  pour  lui,  » 
Celles  que  i*on  interrogeait  disaient  ne  pouvoir  parler. 
Satan  obstruait  leur  gosier,  et  leur  montait  à  la  gorge. 

Le  plus  jeune  des  commissaires,  Lancre,  qui  écrit  cette 
histoire,  était  un  homme  du  monde.  Les  sorcières  entre- 
virent qu'avec  un  pareil  homme  il  y  avait  des  moyens  de 
salut.  La  ligue  fut  rompue.  Une  mendiante  de  dix-sept 
ans,  la  Murgui  (Margarita)  qui  avait  trouvé  lucratif  de  se 
faire  sorcière,  et  qui,  presque  enfant,  menait  et  offi*ait  des 
enfants  au  Diable,  se  mit  avec  sa  compagne  (une  Lisalda 
de  même  âge)  à  dénoncer  toutes  les  autres.  Elle  dit  tout, 
décrivit  tout,  avec  la  vivacité,  la  violence,  Temphase  espa* 
gnole,  avec  cent  détails  impudiques,  vrais  ou  faux.  Elle 
effraya,  amusa,  empauma  les  juges,  les  mena  comme  des 
idiots.  Ils  confièrent  à  cette  fille  corrompue,  légère,  enra- 
gée, la  charge  terrible  de  chercher  sur  le  corps  des  filles 
et  garçons  l'endroit  oii  Satan  aurait  mis  sa  marque.  Cet 
endroit  se  reconnaissait  à  ce  qu'il  était  insensible,  et  qu'on 
pouvait  impunément  y  enfoncer  des  aiguilles.  Un  chirur- 
gien martyrisait  les  vieilles,  elle  les  jeunes,  qu'on  appelait 
comme  témoins,  mais  qui,  si  elle  les  disait  marquées, 
pouvaient  être  accusées.  Chose  odieuse  que  cette  fille 
effrontée,  devenue  maîtresse  absolue  du  sort  de  ces  infor- 
tunés, allât  leur  enfonçant  l'aiguille,  et  pût  à  volonté  dési- 
gner ces  corps  sanglants  à  la  mort  1 

Elle  avait  pris  un  tel  empire  sur  Lancre,  qu'elle  lui  fait 
croire  que,  pendant  qu'il  dort  à  Saint-Pé,  dans  son  h^tel, 
entouré  de  ses  serviteurs  et  de  son  escorte,  le  Diable  est 
entré  la  nuit  dans  sa  chambre,  qu'il  y  a  dit  la  messe  noire, 
que  les  sorcières  ont  été  jusque  sous  ses  rideaux  pour 
l'empoisonner,  mais  qu'elles  l'ont  trouvé  bien  gardé  de 
Dieu.  La  messe  noire  a  été  servie  par  la  dame  de  Lanci- 
nena,  à  qui  Satan  a  fait  l'amour  dans  la  chambre  même 
du  juge.  On  entrevoit  le  but  probable  de  ce  misérable 
conte  :  la  mendiante  en  veut  à  la  dame,  qui  était  jolie,  et 


PAR  NATIONS  KT  (ROYINGES.     '  20^ 

qui  eût  pu,  sans  cette  calomnie,  prendre  aussi'  quetqne 
ascendant  sur  le  galant  commissaire. 

Lancre  et  son  confrère,  effrayés,  avancèrent,  n'osant 
reculer.  Ils  firent  planter  leurs  potences  royales  sur  les 
places  même  où  Satan  avait  tenu  le  sabbat.  Cela  effraya, 
on  les  sentit  forts  et  armés  du  bras  du  roi.  Les  dénoncia- 
tions plurent  comme  grêle.  Toutes  les  femmes^  à  la  queue, 
vinrent  s'accuser  l'une  l'autre.  Puis  on  fît  venir  les  en- 
fants, pour  leur  faire  dénoncer  les  mères.  Lancre  juge, 
dans  sa  gravité,  qu'un  témoin  de  huit  ans  est  bon,  suffi-- 
sant  et  respectable. 

H.  d'Espagnet  ne  pouvait  donner  qu'un  moment  à  cette 
affaire^  devant  se  rendre  bientôt  aux  fitats  de  Béarn. 
Lancre,  poussé  à  son  insu  par  la  violence  des  jeunes  ré- 
vélatrices qui  seraient  restées  en  péril  si  elles  n'eussent 
fait  brûler  les  vieilles,  mena  le  procès  au  galop,  bride 
abattue.  Un  nombre  suffisant  de  sorcières  furent  adjugées 
au  bûcher.  Se  voyant  perdues,  elles  avaient  fini  par  parler 
aussi,  dénoncer.  Quand  on  mena  les  premières  au  feu,  if 
y  eut  une  scène  horrible.  Le  bourreau,  l'huissier,  les  ser- 
gents, se  crurent  à  leur  dernier  jour.  La  foule  s'acharna 
aux  charrettes,  pour  forcer  ces  malheureuses  de  rétracter 
leurs  accusations.  Des  hommes  leur  n)irent  le  poignard  à 
la  gorge;  elles  faillirent  périr  sous  les  ongles  de  leurs 
compagnes  ftirieuses. 

La  justice  s'en  tira  pourtant  à  son  honneur.  Et  alors  les 
commissaires  passèrent  au  plus  difficile,  au  jugement  de 
huit  prêtres  qu'ils  avaient  en  main.  Les  révélations  des 
filles  avaient  mis  ceux-ci  à  jour.  Lancre  parle  de  leurs 
moeurs  comme  un  homme  qui  sait  tout  d'original.  Il  leur 
reproche  non-seulement  leurs  galants  exercices  aux  nuits 
du  sabbat,  mais  surtout  leurs  sacristines,  bénédicles  ou 
marguiltières.  Il  répète  même  des  contes  :  que  les  prêtres 
ont  envoyé  les  maris  à  Terre-Neuve,  et  rapporté  du  Japon 
les  fiables  qui  leur  livrent  les  femmes. 


204         GÉOGRAPHIE  DB  LA  SORCELLERIE, 

Le  clergé  était  fort  ému.  L*évéque  de  Bayonne  aurait 
voulu  résister.  Ne  Tosant,  il  s*absenta,  et  désigna  son  vt- 
caire  général  pour  assister  au  jugement.  Heureusement 
le  Diable  secourut  les  accusés  mieux  que  Tévéque.  Comme 
il  ouvre  toutes  les  portes,  il  se  trouva,  un  matin,  que  cinq 
des  huit  échappèrent.  Les  commissaires,  sans  perdre  de 
temps,  brûlèrent  les  trois  qui  restaient. 

Cela  vers  août  1609.  Les  inquisiteurs  espagnols  qui  fai- 
saient à  Logrofio  leur  procès  n'arrivèrent  à  Tauto-da-fé 
qu'au  8  novembre  1610.  Ils  avaient  eu  bien  plus  d'eai— 
barras  que  les  nôtres,  vu  le  nombre  immense,  épouvan— 
table,  des  accusés.  Comment  brûler  tout  un  peuple  ?  Ils 
consultèrent  le  pape  et  les  plus  grands  docteurs  d'Espagne. 
La  reculade  fut  décidée.  Il  fut  entendu  qu'on  ne  brûlerait 
que  les  obstinés,  ceux  qui  persisteraient  à  nier,  et  que 
ceux  qui  avoueraient  seraient  relâchés.  C'est  la  méthode 
qui  déjà  sauvait  tous  les  prêtres  dans  les  procès  de  liber— 
tinage.  On  se  contentait  de  leur  aveu,  et  d'une  petite  pé- 
nitence. (K.  Llorente.) 

L'inquisition,  exterminatrice  pour  les  hérétiques,  cruelle 
pour  les  Maures  et  les  juifs.  Tétait  bien  moins  pour  les 
sorciers.  Ceux-ci,  bergers  en  grand  nombre,  n'étaieat 
nullement  en  lutte  avec  TËglise.  Les  jouissances  fort 
basses,  parfois  bestiales,  des  gardeurs  de  chèvres,  inquié- 
taient peu  les  ennemis  de  la  liberté  de  penser. 

Le  livre  de  Lancre  a  été  écrit  surtout  en  vue  de  montrer 
combien  la  justice  de  France,  laïque  et  parlementaire,  est 
meilleure  que  la  justice  de  prêtres.  II  est  écrit  légèrement 
et  au  courant  de  la  plume,  fort  gai.  On  y  sent  la  joie  d'un 
homme  qui  s'est  tiré  à  son  honneur  d'un  grand  danger. 
Joie  gasconne  et  vaniteuse.  Il  raconte  orgueilleusement 
qu'au  sabbat  qui  suivit  la  première  exécution  des  sorcières, 
leurs  enfants  vinrent  en  faire  des  plaintes  à  Satan.  Il  ré- 
pondit que  leui*s  mères  n'étaient  pas  brûlées,  mais  vi- 
vantes, heureuses.  Du  fond  de  la  nuée,  les  enfants  crurent 


PAR  NATIONS  IT  PROVINCES.  S05 

en  effet  entendre  les  voix  des  mères,  qui  se  disaient  en 
pleine  béatitude.  Cependant  Satan  avait  peur.  Il  s*absenta 
quatre  sabbats,  se  substituant  un  diablotin  de  nulle  im- 
portance. Il  ne  reparut  qu'au  22  juillet.  Lorsque  les  sor- 
ciers lui  demandèrent  la  cause  de  son  absence,  il  dit  : 
«  J'ai  été  plaider  votre  cause  contre  Janicot  (Petit-Jean,  il 
nomme  ainsi  Jésus).  J*ai  gagné  l'affaire.  Et  celles  qui  sont 
encore  en  prison  ne  seront  pas  brûlées.  » 

Le  grand  menteur  fut  démenti.  Et  le  magistrat  vain- 
queur assure  qu'à  la  dernière  qu'on  brûla  on  vit  une  nuée 
de  crapauds  sortir  de  sa  tête.  Le  peuple  se  rua  sur  eux  à 
coups  de  pierres,  si  bien  qu'elle  fut  plus  lapidée  que  brû- 
lée. Mais,  avec  tout  cet  assaut,  ils  ne  vinrent  pas  à  bout 
d*un  crapaud  noir,  qui  échappa  aux  flammes,  aux  bâtons, 
aux  pierres^  et  se  sauva,  comme  un  démon  qu'il  était,  en 
lieu  où  on  ne  sut  jamais  le  trouver. 


".    "»  '     •-  . 


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CHAPITRE  XIX 


L«6  conrenti»  •*  iA.  sorcellerie  4a&s  tel  convenu.  —  Le  Priaca 

des  magiciens. 


Le  Parlement  de  Provence  n'eut  rien  à  envier  aux  suc- 
cès du  Parlement  de  Bordeaux.  La  juridiction  laïque  saisit 
de  nouveau  l'occasion  d'un  procès  de  sorcellerie  pour  se 
faire  la  réformatrice  des  mœurs  ecclésiastiques.  Elle  jeta 
un  regard  sévère  dans  le  monde  fermé  des  couvents.  Rare 
occasion.  11  y  fallut  un  concours  singulier  de  circonstan- 
ces, des  jalousies  furieuses,  des  vengeances  de  prêtre  à 
prêtre.  Sans  ces  passions  indiscrètes,  que  nous  verrons 
plus  tard  encore  éclater  de  moments  en  moments,  nous 
n'aurions  nulle  connaissance  de  la  destinée  réelle  de  ce 
grand  peuple  de  femmes  qui  meurt  dans  ces  tristes  mai- 
sons, pas  un  mot  de  ce  qui  se  passe  derrière  ces  grilles  et 
ces  grands  murs  que  le  confesseur  franchit  seul. 

Le  prêtre  basque  que  Lancre  montre  si  léger,  si  mon- 
dain, allant,  l'épée  au  côté,  danser  la  nuit  au  sabbat,  où  il 
conduit  sa  sacristine,  n'était  pas  un  exemple  à  craindre. 
Ce  n'était  pas  celui-là  que  l'Inquisition  d'Espagne  prenait 
tant  de  peine  à  couvrir,  et  pour  qui  ce  corps  si  sévère  se 
montrait  si  indulgent.  On  entrevoit  fort  bien  chez  Lancre, 
au  milieu  de  ses  réticences,  qu'il  y  a  encore  autre  chose. 
Et  les  États  généraux  de  I6U,  quand  ils  disent  qu'il  ne 


La  sorcellbruç  dans  lcs  couvents.  ^07 

faut  pas  que  1(Q  prêtre  Juge  le  pfétre,  pensent  aussi  à  autre 
chose.  Cest  précisément  ce  mystère  qui  se  trouva  déchiré 
par  le  Parlement  de  Provence.  Le  directeur  de  religieuses, 
maitre  d'elles,  et  disposant  de  leur  corps  et  de  leur  âme, 
les  ensorcelant  :  y(Mlà  ce  qui  apparut  au  procès  de  Gauf-' 
fridi,  plus  tard  aux  affaires  terribles  de  Loudun  et  de 
Louviers^  dans  celles. que  Llorente,  que  Ricci  et  autres 
nous  ont  fait  connaître. 

La  tactique  fut  la  même  pour  atténuer  le  scandale,  dé- 
sorienter le  public,  l'occuper  de  la  forme  en  cachant  le 
fond.  Au  procès  d'un  prêtre  sorcier,  on  mit  e(i  saillie  le 
sorciert  et  Ton  escamota  le  prêtre,  de  manière  à  tout  rcr 
jeter  sur  les  arts  magiques  et  faire  oublier  la  fascination 
naturelle  d'un  homme  maître  d'un  troupeau  àe  femmes 
qui  lui  sont  abandonnées. 

D  n'y  avait  aucun  mpyen  d'étouffer  la  première  affaire. 
«Elle  avait  iéolâta  en  pleine  Provence,  dans  ce  pays  de  hi- 
nûère  où  le  soleil  perce  tout  à  jour.  Le  théâtre  principal 
fut  non-seulement  Aix  et  Marseille^  mais  le  lieu  célèbre 
de  la  Sainte-Baume,  pèlerinage  fréquenté  oii  une  foule  de 
curieux  vinrent  de  toute  la  France  assister  ^\i  duel  à  mort 
de  deux  religieuses  possédées  et  de  leurs  démons.  Les  Do- 
minicains»  qui  entamèrent  la  chose  comme  inquisiteurs, 
s'y  compromirent  fort  par  Téclat  qu'ils  lui  donnèrent  et 
par  leur  partialité  pour  telle  de  ces  religieuses.  Quelque 
soin  que  le  Parlement  mtt  ensuite  à  brusquer  la  conclu- 
sion, ces  moines  eurent  grand  besoin  de  s'expliquer  et  de 
s'excuser.  Se  là  le  livre  important  du  moine  Michaëlis, 
nièlé  de  vérités,  de  fables,  où  il  érige  Gauffridi,  le  prêtre 
qu'il  fit  brûler,  en  Prince  des  magiciens^  non-seulement 
de  France^  mais  d'Espagne,  d'Allemagne,  d'Angleterre  et 
de  Turquie,  de  toute  la  terre  habitée. 

Gauffridi  semble  avoir  été  un  homme  agréable  et  de 
mérite.  Né  aux  montagnes  de  Provence,  il  avait  beaucoup 
voyagé  dans  les  Pays-Bas  et  dans  l'Orient.  II  avait  la  meil- 


SOS  LES   COUVENTS. 

leure  réputation  à  Marseille,  où  il  était  prêtre  à  l'église  des 
Acoules.  Son  évéque  en  faisait  cas^  et  les  dames  les  plus 
dévotes  le  préféraient  pour  confesseur.  Il  avait,  dit-on,  un 
don  singulier  pour  se  faire  aimer  de  toutes.  Néanmoins  il 
aurait  gardé  une  bonne  réputation  si  une  dame  noble  de 
Provence,  aveugle  et  passionnée,  n'eût  poussé  l'infatuatlon 
jusqu*à  lui  confier  (peut-être  pour  son  éducation  religieuse) 
une  charmante  enfant  de  douze  ans,  Madeleine  de  la  Pa- 
lud,  blonde  et  d'un  caractère  doux.  Gauffridi  y  perdit 
l'esprit,  et  ne  respecta  pas  l'âge  ni  la  sainte  ignorance, 
l'abandon  de  son  élève. 

'  Elle  grandit  cependant,  et  la  jeune  demoiselle  noble 
s'aperçut  de  son  malheur,  de  cet  amour  inférieur  et  sans 
espoir  de  mariage.  Gauffridi,  pour  la  retenir,  dit  qu*il 
pouvait  l'épouser  devant  le  Diable,  s'il  ne  le  pouvait  de- 
vant Dieu.  Il  caressa  son  orgueil  en  lui  disant  qu'il  était  le 
Prince  des  magicienSy  et  qu'elle  en  deviendrait  la  reine.  U 
lui  mit  au  doigt  un  anneau  d'argent,  marqué  de  carac- 
tères magiques.  La  mena*t-il  au  sabbat  ou  lui  fit-il  croire 
qu'elle  y  avait  été,  en  la  troublant  par  des  breuvages,  des 
fascinations  magnétiques  ?  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  l'en- 
fant, tiraillée  entre  deux  croyances,  pleine  d^agitation  et 
de  peur,  fut  ^ès  lors  par  moments  folle,  et  certains  accès 
la  jetaient  dans  Tépilepsie.  Sa  peur  était  d'être  enlevée 
vivante  par  le  Diable.  Elle  n'osa  plus  rester  dans  la  mai- 
son de  son  père,  et  se  réfugia  au  couvent  des  Ursulines  de 
Marseille. 

C'était  le  plus  calme  des  ordres  et  le  moins  déraison- 
nable. Elles  n'étaient  pas  oisives,  s'occupant  un  peu  à  éle- 
ver des  petites  filles.  La  réaction  catholique,  qui  avait 
commencé  avec  une  haute  ambition  espagnole  d'extase, 
impossible  alors,  qui  avait  follement  b&ti  force  couvents 
de  carmélites,  feuillantines  et  capucines,  s'était  vue  bien- 
tôt au  bout  de  ses,  forces.  Les  filles  qu'on  murait  là  si  du- 
rement pour  s'en  délivrer  mouraient  tout  de  suite,  et,  par 


LA  SORCELLERIE  DANS  LES  COUVENTS.        209 

ces  morts  si  promptes,  accusaient  horriblement  Tinhu- 
inanité  des  familles.  Ce  qui  les  tuait,  ce  n'étaient  pas  les 
mortifications,  mais  l'ennui  et  le  désespoir.  Après  le  pre- 
mier moment  de  ferveui:,  la  terrible  maladie  des  cloîtres 
(décrite  dès  le  v*"  siècle  par  Cassicn),  Tcnnui  pesant,  l'en- 
nui mélancolique  des  après-midi,  Tennui  tendre  qui  égare 
en  d'indéfinissables  langueurs,  les  minait  rapidement.  D'au- 
tres étaient  comme  furieuses;  le  sang  trop  fort  les  étouffait. 
Une  religieuse,  pour  mourir  décemment  sans  laisser 
trop  de  remords  à  ses  proches,  doit  y  metti^  environ  dix 
ans  (c'est  la  vie  moyenne  des  cloîtres).  Il  fallut  donc  en 
rabattre,  et  des  hommes  de  bon  sens  et  d'expérience  sen- 
tirent que,  pour  les  prolonger,  il  fallait  les  occuper  quel- 
que peu,  ne  pas  les  tenir  trop  seules.  Saint  François  de 
Sales  fonda  les  Yisitandines,  qui  devaient,  deux  à  deux,  vi- 
siter les  malades.  César  de  Bus  et  Romillion,  qui  avaient 
créé  les  Prêtres  de  la  doctrine  (en  rapport  avec  l'Oratoire), 
fondèrent  ce  qu'on  eût  pu  appeler  les  filles  de  la  Doctrine, 
les  Ursulînes,  religieuses  enseignantes^  que  ces  prêtres  di- 
rigeaient. Le  tout  sous  la  haute  inspection  des  évéques,  et 
peu,  très-peu  monastique;  elles  n'étaient  pas  cloîtrées  en- 
core. Les  Yisitandines  sortaient  ;  les  Ursulines  recevaient 
(au  moins  les  parents  des  élèves).  Les  unes  et  les  autres 
étaient  en  rapport  avec  le  monde,  sous  des  directeurs  es- 
timés. L*écueilde  tout  cela,  c*était  la  médiocrité.  Quoique 
les  Oratoriens  et  Doctrinaires  aient  eu  des  gens  de  grand 
mérite,  l'esprit  général  de  l'ordre  était  systématiquement 
moyen,  modéré,  'attentif  à  ne  pas  prendre  un  vol  trop 
haut.  Le  fondateur  des  Ursulines,  Romillion,  était  un 
homme  d'âge,  un  protestant  converti,  qui  avait  tout  tra- 
versé, et  était  revenu  de  tout.  11  croyait  ses  jeunes  Pro- 
vençales déjà  aussi  sages^  et  comptait  tenir  ses  petites 
ouailles  dans  les  maigres  pâturages  d'une  religion  ora- 
torienne,  monotone  et  raisonnable.  C'est  par  là  que  l'en- 
nui rentrait.  Un  matin,  tout  échappa. 

XI.  14 


210  LES  COUVENTS. 

Le  montagnard  provençal,  le  voyageur,  le  mystique, 
rhomme  de  trouble  et  de  passion,  Gauffridi,  qui  venait  là 
comme  directeur  de  Madeleine,  eut  une  bien  autre  action. 
nies  sentirent  une  puissance,  et,- sans  doute  par  les  échap- 
pées  de  la  jeune  folle  amoureuse,  elles  -surent  que  ce  n'é- 
tait rien  moins  qu'une  puissance  diabolique.  Toutes  sont 
saisies  de  peur,  et  plus  d'une  aussi  d'amour.  Les  imagi- 
nations s'exaltent;  les  têtes  tournent.  En  voilà  cinq  ou  six 
qui  pleurent,  qui  crient  et  qui  hurlent,  qui  se  sentent 
saisies  du  démon. 

Si  les  Ursultnes  eussent  été  cloîtrées,  murées,  Gauffridi, 
leur  seul  directeur,  eût  pu  les  mettre  d'accord  de  manière 
ou  d'autre.  Il  aurait  pu  arriver,  comme  en  un  cloître  du 
Quesnoy  en  1490,  que  le  Diable,  qui  prend  volontiers  la 
figure  de  celui  qu'on  aime,  se  fût  constitué,  sous  la  figure 
de  Gauffridi,  Tamant  commun  des  religieuses.  Ou  bien, 
comme  dans  ces  cloîtres  espagnols  dont  parle  Llorente,  il 
leur  eût  persuadé  que  le  prêtre  sacre  de  prêtrise  celles  à 
qui  il  fait  l'amour,  et  que  le  péché  avec  lui  est  une  sancti- 
fication. Opinion  répandue  en  France,  et  à  Paris  même, 
où  ces  maltresses  de  prêtres  étaient  dites  «  les  consacrées  » 
(Lestoile,  édit.  Mich.,  561). 

Gauffridi,  maître  de  toutes,  s'en  tint-il  à  Madeleine?  Ne 
passa-t-il  pas  de  l'amour  au  libertinage?  On  ne  sait. 
L'arrêt  indique  une  religieuse  qu'on  ne  montra  pas  au 
procès,  mais  qui  reparait  à  la  fin,  comme  s'étant  donnée 
au  Diable  et  à  lui. 

Les  Ursulines  étaient  une  maison  toute  à  jour,  où  cha- 
cun venait,  voyait.  Elles  étaient  sous  la  garde  de  leurs 
Doctrinaires,  honnêtes,  et  d'ailleurs  jaloux.  Le  fondateur 
même  était  là,  indigné  et  désespéré.  Quel  malheur  pour 
l'ordre  naissant,  qui,  à  ce  moment  même,  prospérait, 
s'étendait  partout  en  France  !  Sa  prétention  était  la  sa- 
gesse, le  bon  sens,  le  calme.  Et  tout  à  soup  il  délire  !  Ro- 
million  eût  voulu  étouffer  la  chose.  II  fit  secrètement 


LA  SORCSLLUtai  ftàlfS  LBS  COUVENTS.  2 1 4 

exorciser  ees  ttle$  par  un  de  se»  prêtres.  Mais  les  diables 
ne  twAÎeni  compte  d'exorcistes  doctrinaires.  Celui  de  la 
petite  Monde,  Diable  noble»  qui  était  Beizébub,  démon  de 
l'oiipieil»  ne  daigna  desserrer  les  denta* 

11  y  avait,  parmi  ces  possédées,  une  fille,  particulière- 
ment adoptée  de  Bomillioa,  fiUe  de  vingt  à  vingt-cinq 
ans,  fort  cultivée  et  nourrie  dans  la  coniroverse,  née  pro- 
testente,  mais  qui,  n'ayant  père  ni  mère,  était  tombée  aux 
luains  du  Père,  comme  elle,  protestant  converti.  Son  nom 
de  LemeCapeau  semble  roturier.  C'était,  comme  il  parut 
trop,  une  fille  d'un  prodigieux  esprit,  d'une  passion  en- 
ragée. Ajoutez-y  une  épouvantable  force.  £lle  soutint  trois 
mois»  outre  son  orage  infernal»  une  lutte  désespérée  qui 
eût  tué  l'homme  le  plua  fort  en  buit  jours. 

Elle  dit  qu'elle  avait  trois  diables  :  Verrine^  bon  diable 
catholique,  léger,  un  des  démons  de  l'air;  Léviathan, 
mauvais  diable,  raisonneur  et  protestant  ;  enfin  un  autre 
qu'elle  avoue  être  celui  de  l'impureté.  Mais  eUe  en  oublie 
un,  le  démon  de  la  jalousie. 

Elle  haïssait  cruellement  la  petite,  la  blonde,  la  préfé- 
rée ,  To^neilleuse  demoiselle  noble.  Celle-ci ,  dans  ses 
accès,  avait  dit  qu'elle  avait  été  au  sabbat,  et  qu'elle  y 
avait  été  reine,  et  qu'on  l'y  avait  adorée,  et  qu'elle  s'y  était 
livrée,  mais  au  Prince...  «*-  Quel  prince?  —  Louis  Gauf- 
fridi,  le  Prince  des  magiciens. 

Cette  Louise,  à  qui  une  telle  révélation  avait  enfoncé  un 
poignard,  était  trop  furieuse  pour  en  douter.  Folle,  elle 
crut  la  folle,  afin  de  la  perdre.  Son  démon  fut  soutenu  de 
tous  les  démons  des  jalouses.  Toutes  crièrent  que  Gàuf- 
fridi  était  bien  le  roi  des  sorciers.  Le  bruit  se  répandit 
partout  qu'on  avait  fait  une  grande  capture,  un  prêtre  roi 
des  magiciens,  le  Prince  de  la  magie,  pour  tous  les  pays, 
Tel  fut  l'affreux  diadème  de  fer  et  de  feu  que  ces  démons 
femelles  lui  enfoncèrent  au  front. 

Tout  le  monde  perdit  la  tète,  et  le  vieux  Romillion 


242  LBS  goAyents. 

même.  Soit  haine  de  Gauffiridî,  soit  peur  de  Tlnquisition, 
il  sortit  l'affaire  des  mains  de  Tévêque,  et  mena  ses  deux 
possédées,  Louise  et  Madeleine,  au  couvent  de  la  Sainte- 
Baume,  dont  le  prieur  dominicain  était  le  Père  Uichaëlis, 
propre  inquisiteur  du  pape  en  terre  papale  d'Avignon  et 
qui  prétendait  l'être  pour  toute  ia  Provence.  11  s'agîssaft 
uniquement  d'exorcismes.  Mais,  comme  les  deux  filles  de- 
vaient accuser  Gaufi^ridi,  celui-ci  allait  par  le  fait  tomber 
nux  mains  de  Tlnquisition . 

Michaëlis  devait  prêcher  TAdvent  à  Aîx,  devant  le  Par- 
lement. 11  sentit  combien  cette  affaire  dramatique  le  relè^ 
verait.  Il  la  saisit  avec  Tempressement  de  nos  avocats  de 
<:ours  d'assises  quand  il  leur  vient  un  meurtre  dramatique 
ou  quelques  cas  curieux  de  conversation  criminelle. 

Le  beau,  dans  ce  genre  d'affaires,  c'était  de  mener  le 
drame  pendant  l'Advent,  Noél  et  le  Carême,  et  de  ne 
brûler  qu'à  la  Semaine  sainte,  la  veille  du  grand  moment 
de  Pâques.  Michaélis  se  réserva  pour  le  dernier  acte,  et 
confia  le  gros  de  la  besogne  à  un  Dominicain  flamand  qu'il 
avait,  le  docteur  Dompt,  qui  venait  de  Louvain,  qui  avait 
déjà  exorcisé,  était  ferré  en  ces  sottises. 

Ce  que  le  Flamand  d'ailleurs  avait  à  faire  de  mieux, 
c'était  de  ne  rien  faire.  On  lui  donnait  en  Louise  un  auxi- 
liaire terrible,  trois  fois  plus  zélé  que  Flnquisition,  d'une 
inextinguible  fureur,  d'une  brûlante  éloquence,  bizarre, 
baroque  parfois,  mais  à  faire  frémir,  une  vraie  torche  in- 
fernale. 

La  chose  fut  réduite  à  un  duel  entre  les  deux  diables, 
entre  Louise  et  Madeleine,  par-devant  le  peuple. 

Des  simples  qui  venaient  là  au  pèlerinage  de  la  Sainte- 
Baume,  un  bon  orfèvre  par  exemple  et  un  drapier,  gens 
de  Troyes  en  Champagne,  étaient  ravis  de  voir  le  démon 
de  Louise  battre  si  cruellement  les  démons  et  fustiger  les 
magiciens.  Ils  en  pleuraient  de  joie,  et  s'en  allaient  en  -^ 
merciant  Dieu. 


LA  SORCBLLBRIK  DANS  LES  COUVSffTS.  843 

Spectacle  bien  terrible  cependant  (même  dans  la  lourde 
rédaction  des  procès-verbaux  du  Flamand)  de  voir  ce 
combat  inégal;  cette  fille,  plus  âgée  et  si  forte,  robuste 
Provençale,  vraie  race  des  cailloux  de  la  Crau,  chaque 
jour  lapider,  assommer,  écraser  cette  victime,  jeune  et 
presque  enfant ,  déjà  suppliciée  par  son  mal ,  perdue 
d'anaour  et  de  honte,  dans  les  crises  de  l'épilepsie. .  • 

Le  volume  du  Flamand,  avec  l'addition  de  Micbaélis,  en 
tout  quatre  cents  pages,  est  un  court  extrait  des  invectives, 
injures  et  menaces  que  cette-  fille  vomit  cinq  mois,  et  de 
ses  sermons  aussi,  car  elle  prêchait  sur  toutes  choses,  sur 
les  sacrements,  sur  la  venue  prochaine  de  T  Antichrist,  sur 
la  fragilité  des  femmes,  etc.,  etc.  De  là,  au  nom  de  ses 
Diables,  elle  revenait  à  la  fureur,  et  deux  fois  par  jour  re- 
prenait l'exécution  de  la  petite,  sans  respirer,  sans  sus- 
pendre une  minute  Taffreux  torrent,  à  moins  que  l'autre, 
éperdue,  «  un  pied  en  enfer,  »  dit-elle  elle-même,  ne 
tombât  en  convulsion,  et  ne  frappât  les  dalles  de  ses  ge- 
noux, de  son  corps,  de  sa  tète  évanouie. 

Louise  est  bien  au  quart  folle,  il  faut  l'avouer  ;  nulle 
fourberie  n'eût  suffi  à  tenir  cette  longue  gageure.  Mais  sa 
jalousie  lui  donne,  sur  chaque  endroit  où  elle  peut  crever 
le  cœur  à  la  patiente  et  y  faire  entrer  l'aiguille,  une  hor- 
rible lucidité. 

C'est  le  renversement  de  toute  chose.  Cette  Louise,  pos- 
sédée du  Diable,  communie  tant  qu'elle  veut.  Elle  gour- 
mande les  personnes  de  la  plus  haute  autorité.  La  vénérable 
Catherine  de  France,  la  première  des  Ursulines,  vient  voir 
cette  merveille,  Tinterroge,  et  tout  d'abord  la  surprend  en 
flagrant  délit  d'erreur,  de  sottise.  L'autre,  impudente,  en 
est  quitte  pour  dire,  au  nom  de  son  Diable  :  «  Le  Diable 
est  le  père  du  mensonge.  » 

Un  minime,  homme  de  sens,  qui  est  là,  relève  ce  mot, 
et  lui  dit  :  «  Alors,  tu  mens.  »  Et  aux  exorcistes  :  c  Que 
ne  faites- vous  taire  cette  femme  ?»  Il  leur  cite  l'histoire 


m  UrS  GOOVBNTS. 

de  Marthe,  la  fausse  possédée  de  Paris.  Pour  râpoDse,  on 
la  fait  communier  devant  hri.  Le  Diable  communiant,  le 
Diable  recevant  le  corps  de  Dieu!...  Le  pauvre  iMimme 
est  stupéfait...  11  s*humilie  devant  ilnquisition.  Il  a  trop 
forte  partie,  ne  dit  plus  iin  mot. 

Un  des  moyens  de  Louise,  e'eat  de  terrifier  l'assistance, 
disant  :  «  Je  Tois  des  magiciens...  »  Chacun  tremble  pour 
soi-même. 

Victorieuse  de  la  Sainte-Baume,  elle  frappe  jusqu'à 
Marseille.  Son  exorciste  flamand,  réduit  à  l'étrange  râle 
de  secrétaire  et  confident  du  Diable,  écrit  soas  sa  dictée 
cinq  lettres  : 

Aux  Capucins  de  Marseille  pour  qu'ils  somment  Gauf- 
fridi  de  se  convertir;  *-  aux  mêmes  Capucins  pour  qu'ils  ar- 
rêtent Gauffridi,  le  garrottent  avec  uoa  étole  et  le  tiennent 
prisonnier  dans  telle  maison  qu'elle  indique;  —  plusieurs 
lettres  aux  modérés,  à  Catherine  de  France,  aux  Prêtres 
de  la  Doctrine,  qui  eux-mêmes  se  déclaraient  contre  elle. 
—  Enfin,  cette  femme  effrénée,  débordée,  insulte  sa  propre 
supérieure  :  a  Vous  m'avez  dit  au  départ  d'être  humble  et 
obéissante...  Je  vous  rends  votre  conseil.  » 

Yerrine,  le  Diable  de  Louise,  démon  de  l'air  et  du  yent, 
lui  soufflait  des  paroles  folles,  légères  et  d'orgueil  insensé, 
blessant  amis  et  ennemis,  Tlnquisition  même*  Un  jour, 
elle  se  mit  à  rire  de  Micbaélis,  qui  se  morfondait  à  Âix  à 
prêcher  dans  le  désert,  tandis  que  tout  le  monde  venait 
l'écouter  à  la  Sainte-Baume.  «  Tu  prêches,  ô  Michaélis! 
tu  dis  vrai,  mais  avances  peu...  Et  Louise,  sans  étudier,  a 
atteint,  compris  le  sommaire  de  la  perfection.  » 

Cette  joie  sauvage  lui  venait  surtout  d'avoir  brisé  Made- 
leine. Un  mot  y  avait  fait  plus  que  cent  semons.  Mot  bar- 
bare :  n  Tu  seras  brûlée  »  (H  décembre)',  ta  petite  fille, 
éperdue,  dit  dès  lors  tout  ce  qu'elle  voulait  et  la  soutint 
bassement. 

Elle  s'humilia  devant  tous,  demanda  pardon  à  sa  mère. 


LA  SORCBLLSaiB  PAIfS  LBS  COUVENTS.  1245 

à  son  supérieur  RomiUioii,  à  rassistance,  à  Louise.  Si  nous 
en  eroyoBS  oelle-ci,  la  peureuse  la  prit  à  part,  la  pria 
d'avoir  pilié  d'elle,  de  ne  pas  trop  la  châtier. 

L'autre,  tendre  comnie  un  roc,  clémente  comme  un 
éeueil,  sentit  qu'elle  était  à  elle,  pour  en  faire  ce  qu'elle 
voudrait.  Elle  la  prit,  l'enveloppa,  l'étourdit  et  lui  ôta  le 
peu  qui  lui  restait  d'&me.  Second  ensorcellement,  mais  à 
l'envers  de  Gauffridi,  voï^poisession  par  la  terreur.  La  créa- 
ture anéantie  murchant  sous  la  verge  et  le  fouet,  on  la 
pooBsa  jonr  par  jour  dans  cette  voie  d'exquise  doideur 
d'accuser,  d'aasaasiner  celui  qu'elle  aimait  encore. 

Si  Madeleine  avait  résisté,  Gau&ridi  eût  échappé.  Tout 
le  monde  était  contre  Louise. 

Michaêlis  même,  à  Âix^  éclipsé  par  elle  dans  ses.prédi- 
ealions,  traité  d'el\f^  si  légèrement,  eût  tout  arrêté  plutôt 
qae  d'en  laisser  Thonneur  à  cette  fille. 

Marseille  défendait  Gauffridi,  étant  effrayée  de  voir  l'in- 
quisition d'Avignon  pousser  jusqu'à  elle,  et  chez  elle 
prendre  un  Marseillais. 

L'évéque  smrtout  et  le  chapitre  défendaient  leur  prêtre. 
Ils  soutenaient  qu'il  n'y  avait  rien  en  tout  cela  qu'une  ja- 
lousie de  confesseurs,  la  haine  ordinaire  des  moines  contre 
les  prêtres  séculiers. 

Les  Doctrinaires  auraient  voulu  tout  finir.  Ils  étaient 
désolés  du  hruit.  Plusieurs  en  eurent  tant  de  chagrin, 
qu'ils  étaient  près  de  tout  laisser  et  de  quitter  leur  maison. 

Las  daœea  étaient  indignées,  surtout  madame  Libertat, 
la  dame  du  chef  des  royalistes,  qui  avait  rendu  Marseille 
aa  roi.  Toutes  pleuraient  pour  Gauffridi  et  disaient  que  le 
déflaon  seul  pouvait  attaquer  cet  agneau  de  Dieu. 

Lm  Capucine,  à  qui  Louise  si  impérieusement  ordonnait 
de  le  lurendre  au  corps,  étaient  (comme  tous  les  ordres 
de  Saint-François)  ennemis  des  Dominicains.  Us  furent 
jaloux  du  relief  que  ceux-ci  tiraient  de  leur  possédée.  La 
vie  errante  d'ailleurs  qui  mettait  les  Capucins  en  rapport 


216  LES   COOVENTS. 

I  continuel  avec  les  femmes  leur  faisait  souvent  des  aflaires 


de  mœurs.  Ils  n*aimaiei)t  pas  qu'on  se  mit  à  regarder  de 
si  près  la  vie  des  ecclésiastiques.  Ils  prirent  parti  pour 
Gauffridi.  Les  possédés  n'étaient  pas  chose  si  rare^u'on 
ne  pût  s'en  procurer;  ils  en  eurent  un  à  point  nommé.  Son 
Diable,  sous  Tinfluence  du  cordon  de  Saint-François,  dit 
tout  le  contraire  du  Diable  de  Saint-Dominique.  Il  dit,  et 
ils  écrivirent  en  son  nom  :  €  Que  Gauffridi  n'était  nulle-. 
ment  magicien,  qu'on  ne  pouvait  l'arrêter.  » 

On  ne  s'attendait  pas  à  cela,  à  la  Sainte  «Baume.  Louise 
parut  interdite.  Elle  trouva  à  dire  seulement  qu'appa- 
remment les  Capucins  n'avaient  pas  fait  jurer  à  leur 
Diable  de  dire  vrai.  Pauvre  réponse ,  qui  fut  pourtant 
appuyée  par  la  tremblante  Madeleine. 

Comme  un  chien  qu'on  a  battu  et»qui  craint  de  l'être 
encore,  elle  était  capable  de  tout,  même  de  mordre  et  de 
déchirer.  C'est  par  elle  qu'en  cette  crise  Louise  horrible- 
ment mordit. 

Elle-même  dit  seulement  que  l'évéque,  sans  le  savoir, 
affensait  Dieu.  Elle  cria  «  contre  les  sorciers  de  Marseille,» 
sans  nommer  personne.  Mais  le  mot  cruel  et  fatal,  elle  le 
fit  dire  par  Madeleine.  Une  femme  qui  depuis  deux  ans 
avait  perdu  son  enfant  fut  désignée  par  celle-ci  comme 
rayant  étranglé.  La  femme ,  craignant  les  tortures,  s'en- 
fuit ou  se  tint  cachée.  Son  mari,  son  père,  en  larmes, 
vinrent  à  la  Sainte-Baume ,  sans  doute  pour  fléchir  les 
inquisiteurs.  Mais  Madeleine  n'eût  jamais  osé  se  dédire; 
elle  répéta  l'accusation. 

Qui  était  en  sûreté?  Personne.  Du  moment  que  le  Dia- 
ble était  pris  pour  vengeur  de  Dieu,  du  momenl  qu'on 
écrivait  sous  sa  dictée  les  noms  de  ceux  qui  pouvaient 
passer  par  les  flammes,  chacun  eut  de  nuit  et  de  jour  le 
cauchemar  affreux  du  bûcher. 

Marseille,  contre  une  telle  audace  de  l'Inquisition  pa- 
pale, eût  dû  s'appuyer  du  Parlement  d'Aix.  Malheureu- 


LA  SORCBLLBRIB  DANS  LBS  G0U7KNTS.       SI  7 

sèment  elle  savait  qu'elle  n'était  pas  aimée  à  Aix.  Celle-ci, 
la  petite  ville  oflScielle  de  magistrature  et  de  noblesse ,  a 
toujours  été  jalouse  de  l'opulente  splendeur  de  Marseille, 
cette  reine  du  Midi.  Ce  fut  tout  au  contraire  l'adversaire 
de  Marseille,  l'inquisiteur  papal,  qui,  pour  prévenir  l'appel 
de  Gauffridi  au  Parlement ,  y  eut  recours  le  premier. 
C'était  un  corps  très-fanatique  dont  les  grosses  tètes 
étaient  des  nobles  enrichis  dans  l'autre  siècle  au  massacre 
des  Vaiidois.  Comme  juges  laïques,  d'ailleurs,  ils  furent 
ravis  de  voir  un  inquisiteur  du  pape  créer  un  tel  précé- 
dent, avouer  que,  dans  l'affaire  d'un  prêtre ,  dans  une 
affaire  de  sortilège,  l'Inquisition  ne  pouvait  procéder  que 
pour  l'instruction  préparatoire.  C'était  comme  une  dé- 
mission que  donnaient  les  inquisiteurs  de  toutes  leurs 
vieilles  prétentions.  Un  côté  flatteur  aussi  où  mordirent 
ceux  d'Aîx,  comme  avaient  fait  ceux  de  Bordeaux,  c'était 
qu'eux  laïques,  ils  fussent  érigés  par  TËglise  elle-même 
en  censeurs  et  réformateurs  des  mœurs  ecclésiastiques. 

Dans  cette  affaire,  oii  tout  devait  être  étrange  et  mira- 
culeux, ce  ne  fut  pas  la  moindre  merveille  de  voir  un 
démon  si  furieux  devenir  tout  à  coup  flatteur  pour  le  Par- 
lement, politique  et  diplomate.  Louise  charma  les  gens  du 
roi  par  un  éloge  du  feu  roi.  Henri  IV  (qui  l'aurait  cru?) 
fut  canonisé  par  le  Diable.  Un  matin,  sans  à-propos,  il 
éclata  en  éloges  «  de  ce  pieux  et  saint  roi  qui  venait  de 
monter  au  ciel.  » 

Un  tel  accord  des  deux  anciens  ennemis,  le  Parlement 
et  l'Inquisition,  celle-ci  désormais  sûre  du  bras  séculier, 
des  soldats  et  du  bourreau,  une  commission  parlemen- 
taire envoyée  à  la  Sainte-Baume  pour  examiner  les  pos- 
sédées, écouter  leurs  dépositions,  leurs  accusations,  et 
dresser  des  listes ,  c'était  chose  vraiment  effrayante. 
Louise,  sans  ménagement,  désigna  les  Capucins,  défen- 
seurs de  Gauffridi,  et  annonça  «  qu'ils  seraient  punis  t^m- 
parellement  »  dans  leur  corps  et  dans  leur  chair. 


il  8  LES  GOUYENTS. 

Les  pauvres  Pères  furent  brisés.  Lear  Diable  ne  souffla 
plus  mot.  Ils  allèrent  trouver  l'évèque,  et  lui  direat  qu'ea 
efiet  on  ne  pouvait  guère  refuser  de  représenter  GauflEridi 
à  la  Sainte-Baume,  et  de  faire  acte  d'obéissance;  mais 
qu'après  cela  Tévéque  et  le  chapitre  le  réclameraient,  le 
replaceraient  sous  la  protection  de  la  justice  épiscopale. 

On  avait  calculé  aussi  sans  doute  que  la  vue  de  cel 
homme  aimé  allait  fort  troubler  les  deux  filles,  que  la 
terrible  Louise  elle-même  serait  ébranlée  des  réclamations 
de  son  cœur. 

Ce  cœur^  en  efiet,  s'éveilla  à  l'approche  du  coupable; 
la  furieuse  semble  avoir  eu  un  moment  d'attendrissement 
Je  ne  connais  rien  de  plus  brûlant  que  sa  prière  pour  que 
Dieu  sauve  celui  qu'elle  a  poussé  à  la  mort  :  <  Grand  Dien, 
je  vous  offre  tous  les  sacrifices  qui  ont  été  offerts  depuis 
l'origine  du  monde  et  le  seront  jusqu'à  la  fin...  le  tout 
pour  Louis!...  Je  vous  offre  tous  les  pleurs  des  saints, 
toutes  les  extases  des  anges.;,  le  tout  pour  Louis I  Je  vou- 
drais qu'il  y  eût  plus  d'âmes  encore  pour  que  l'oblation 
fût  plus  grande...  le  tout  pour  Louis  I  Pater  de  cœlis  Deus, 
miserere  Ludovici  I  Fili  redemptor  mundi  Deus,  miserere 
Ludovicil...  »  etc. 

Vaine  pitié  I  funeste  d'ailleurs!...  Ce  qu'elle  eût  voulu, 
c'était  que  l'accusé  ne  s'eiidurùU  pas^  qu'il  s'avoufit  cou- 
pable. Auquel  cas  il  était  sûr  d'être  brûlé,  dans  notre 
jurisprudence. 

Elle-même,  du  reste,  était  finie,  elle  ne  pouvait  plus 
rien.  L'inquisiteur  Michaélis^  humilié  de  n'avoir  vaincu 
que  par  elle,  irrité  contre  son  exorciste  flamand,  qui  s'était 
tellement  subordonné  à  elle  et  avait  laissé  voir  à  tous  les 
secrets  ressorts  de  la  tragédie,  Michaëlis  venait  justement 
pour  briser  Louise ,  sauver  Madeleine  et  la  lui  substituer, 
s'il  se  pouvait,  dans  ce  drame  populaire.  Ceci  n'était  pas 
maladroit  et  témoigne  d  une  certaine  entente  de  la  scène. 
L'hiver  et  l'Advent  avaient  été  remplis  par  la  terrible  sibylle, 


LA  SORCBLLBBIE  DANS  V^   COUVBNTS»       249 

la  bacchante  furieuse.  Dans  une  saison  plus  douce,  dans 
tm  printemps  de  Provence,  au  Carême,  aurait  figuré  un 
personnage  plus  Couchant,  un  démon  tout  féminin  dans 
une  enfont  malade  et  dans  une  blonde  timide.  La  petite 
demoiselle  appartenant  à  une  famille  distinguée,  la  no* 
blesse  s'y  intéressait,  et  le  Parlement  de  Provence. 

MicbaêUs ,  loin  d'écouter  son  Flamand ,  l'homme  de 
Louise,  lorsqu'il  voulut  entrer  au  petit  conseil  des  Parle- 
menâiires,  lui  ferma  la  porte.  Un  Capucin ,  venu  aussi, 
au  premier  mot  de  Louise,  cria  :  «  Silence,  Diable  mau- 
dit !  » 

Gauffridi  cependant  était  arrivé  à  la  Sainte-Baume,  où 
il  fiusait  triste  figure.  Homme  d'esprit,  mais  faible  et  cou* 
pable,  il  ne  pressentait  que  trop  la  fin  d'une  pareille  tra- 
gédie populaire^  et,  dans  sa  plus  cruelle  catastrophe,  il  se 
voyait  abandonné,  trahi  de  l'enfant  qu*il  aimait.  Il  s*aban- 
donna  lui-même,  et,  quand  on  le  mit  en  face  de  Louise, 
elle  apparut  comme  un  juge,  un  de  ces  vieux  juges 
d'église,  cruels  et  subtils  scolastiques.  Elle  lui  posa  les 
questions  de  doctrine,  et  à  tout  il  répondait  oui,  lui  accor- 
dant même  les  choses  les  plus  contestables,  par  exemple, 
«  que  le  Diable  peut  .être  cru  en  justice  sur  sa  parole  et 
sou  serment  1 1 

Cehi  ne  dura  que  huit  jours  (du  I  •'  au  8  janvier).  Le 
clergé  de  Marseille  le  réclama.  Ses  amis,  les  Capucins, 
dirent  avoir  visité  sa  chambre  et  n'avoir  rien  trouvé  de 
Hiagique.  Quatre  chanoines  de  Marseille  vinrent  d'autorité 
le  i^rendre  et  le  ramenèrent  chez  lui. 

Gauffiridi  était  bien  bas.  Mais  ses  adversaires  n'étaient 
pas  bien  haut.  Même  les  deux  inquisiteurs,  Michaêlis  et  le 
Flamand,  étaient  honteusement  en  discorde.  La  partialité 
du  second  pour  Louise ,  du  premier  pour  Madeleine , 
dépassa  les  paroles  mêmes,  et  l'on  en  vint  aux  voies  de  fait. 
Ce  chaos  d'accusations,  de  sermons,  de  révélations,  que 
le  Diable  avait  dicté  par  la  bouche  de  Louise,  le  Flamand, 


320  LES  COUVENTS. 

qui  Tavait  écrit,  soutenait  que  tout  cela  était  parole  de 
Dieu,  et  craignait  qu'on  n'y  touchftt.  Il  avouait  une  grande 
défiance  de  son  chef  Michaëlis,  craignait  que,  dans  Fin— 
térêt  de  Madeleine,  il  n'altérât  ces  papiers  de  manière  à 
perdre  Louise.  Il  les  défendit  tant  qu'il  put,  s'enferma 
dans  sa  chambrei  et  soutint  un  siège.  Michaélis,  qui  avait 
les  parlementaires  pour  lui ,  ne  put  prendre  le  manuscrit 
qu'au  nom  du  roi  et  en  enfonçant  la  porte. 

Louise,  qui  n'avait  peur  de  rien,  voulait  au  roi  opposer 
le  pape.  Le  Flamand  porta  appel  contre  son  chef  Mtchaêlîs 
à  Avignon ,  au  légat.  Mais  la  prudente  cour  papale  fut 
effrayée  du  scandale  de  voir  un  inquisiteur  accuser  un 
inquisiteur.  Elle  n'appuya  pas  le  Flamand ,  qui  n'eut  plus 
qu'à  se  soumettre.  Michaêlis,  pour  le  faire  taire,  lui  res- 
titua les  papiers. 

Ceux  de  Michaêlis,  qui  forment  un  second  procès* 
verbal  assez  plat  et  nullement  comparable  à  l'autre,  ne 
sont  remplis  que  de  Madeleine.  On  lui  fait  de  la  musique 
pour  essayer  de  la  calmer.  On  note  très*soigneusement 
si  elle  mange  ou  ne  mange  pas.  On  s'occupe  trop  d'elle 
en  vérité,  et  souvent  de  façon  peu  édifiante.  On  lui  adresse 
des  questions  étranges  sur  le  magicien,  sur  les  places  de 
son  corps  qui  pouvaient  avoir  la  marque  du  Diable.  Elle- 
même  fut  examinée.  Quoiqu'elle  dût  l'ôtre  à  Aix  par 
les  médecins  et  chirurgiens  du  Parlement  (p.  70),  Mi— 
chaëlis,  par  excès  de  zèle,  la  visita  à  la  Sainte-Baume,  et 
il  spécifie  ses  observations  (p.  69).  Point  de  matrone  appe- 
lée. Les  juges,  laïques  et  moines,  ici  réconciliés  et  n'ayant 
pas  à  craindre  leur  surveillance  mutuelle ,  se  passèrent 
apparemment  ce  mépris  des  formalités. 

Ils  avaient  un  jugé  en  Louise.  Cette  fille  hardie  stigma- 
tisa ces  indécences  au  fer  chaud  :  «  Ceux  qu'engloutit  le 
Déluge  n'avaient  pas  tant  fait  que  ceux-ci  t.. .  Sodome,  rien 
de  pareil  n'a  jamais  été  dit  de  toi  I...  » 

Elle  dit  aussi:  «Madeleine  est  livrée  à  l'impureté!  » 


LA  SORCELLERIE  DANS  LES  GOCVENTS.       S21 

C'était,  en  effet,  le  plus  triste.  La  pauvre  folle ,  par  une 
joie  aveugle  de  vivre,  de  n'être  pas  brûlée,  ou  par  un  sen- 
timent confus  que  c'était  elle  maintenant  qui  avait  action 
sur  les  juges,  chanta,  dansa  par  moments  avec  une  liberté 
honteuse,  impudique  et  provocante.  Le  prêtre  de  la  Doc- 
trine, le  vieux  Romillion ,  en  rougit  pour  son  Ursuline, 
Choqué  de  voir  ces  hommes  admirer  ses  longs  cheveux,  il 
dit  qu'il  fallait  les  couper,  lui  ôter  cette  vanité. 

Elle  était  obéissante  et  douce  dans  ses  bons  moments. 
Et  on  aurait  bien  voulu  en  faire  une  Louise.  Mais  ses 
Diables  étaient  vaniteux,  amoureux,  non  éloquents  et 
farieux,  comiiie  ceux  de  l'autre.  Quand  on  voulut  les  faire 
prêcher,  ils  ne  dirent  que  des  pauvretés.  Michaêlis  fut 
obligé  de  jouer  la  pièce  tout  seul.  Comme  inquisiteur  eu 
cbefy  tenant  à  dépasser  de  loin  son  subordonné  Flamand, 
il  assura  avoir  déjà  tiré  de  ce  petit  corps  une  armée  de 
six  mille  six  cent  soixante  diables  ;  il  n'en  restait  qu'une 
centaine.  Pour  mieux  convaincre  le  public ,  il  lui  fit  reje- 
ter le  charme  ou  sortilège  qu'elle  avait  avalé,  disait-il,  et 
le  lui  tira  de  la  bouche  dans  une  matière  gluante.  Qui  eût 
refusé  de  se  rendre  à  cela?  L'assistance  demeura  stupé- 
faite et  convaincue. 

Madeleine  était  en  bonne  voie  de  salut.  L'obstacle  était 
elle*méme.  Elle  disait  à  chaque  instant  des  choses  impru- 
dentes qui  pouvaient  irriter  la  jalousie  de  ses  juges  et  leur 
faire  perdre  patience.  Elle  avouait  que  tout  objet  lui 
représentait  Gaufiridi,  qu'elle  le  voyait  toujours.  Elle  ne 
cachait  pas  ses  songes  erotiques,  a  Cette  nuit,  disait-elle, 
j'étais  au  sabbat.  Les  magiciens  adoraient  ma  statue  toute 
dorée.  Chacun  d'eux,  pour  Thonorer,  lui  offrait  du  sang, 
qu'ils  tiraient  de  leurs  mains  avec  des  lancettes.  Lui,  il 
était  là  ,  à  genoux ,  la  corde  au  cou,  me  priant  de  revenir 
à,  lui  et  de  ne  pas  le  trahir...  Je  résistais...  Alors  il  dit  : 
c  Y  a-t-il  quelqu'un  ici  qui  veuille  mourir  pour  elle?  — 
c  Moi,  dit  un  jeune  homme,  »  et  le  magicien  l'immola.  « 


222  LES   COUVENTS. 

Dans  un  autre  moment,  elle  le  voyait  qui  lui  demandait 
seulement  un  seul  de  ses  beaux  cheveux  blonds,  c  Et, 
comme  je  refusais,  il  dit  :  c  La  moitié  au  moins  d'un 

cheveu.  » 

Elle  assurait  cependant  qu'eHe  résistait  toujours.  Mais 
un  jour,  la  porte  se  trouvant  ouverte,  voilà  notre  con- 
vertie qui  courait  à  toutes  jambes  iponr  rejoindre  Gaof* 

fridi. 

On  la  reprit»  au  moins  le  corps.  Vais  l'ftme?  Michaêlis 
ne  savait  comment  la  reprendre.  11  avisa  heureusement 
son  anneau  magique.  Il  le  tira,  le  coupa,  le  détruisit,  le 
brûla.  Supposant  aussi  que  Tobstînation  de  cette  personne 
si  douce  venait  des  sorciers  invisibles  qui  s'introduisaient 
dans  la  chambre,  il  y  mit  un  homme  d'armes,  bien  solide, 
avec  une  épée,  qui  frappait  de  tous  les  côtés,  et  taillait 
les  invisibles  en  pièces. 

Mais  la  meilleure  médecine  pour  convertir  Madeleine, 
c'était  la  mort  de  Gauffridi.  Le  5  février,  l'inquisiteur  alla 
prêcher  le  Carême  à  Âix,  vit  les  juges  et  les  anima.  Le 
Parlement,  docile  à  son  impulsion,  envoya  prendre  à 
Marseille  l'imprudent,  qui,  se  voyant  si  bien  appuyé  de 
révéque,  du  chapitre,  des  Capucins,  de  tout  le  monde, 
avait  cru  qu'on  n'oserait. 

Madeleine  d'un  côté,  Gauffridi  de  l'autre,  arrivèrent  à 
Aix.  Elle  était  si  agitée,  qu'on  fut  contraint  de  la  lier. 
Son  trouble  était  épouvantable,  et  l'on  n'était  plus  sûr  de 
rien.  On  avisa  un  moyen  bien  hardi  avec  cette  enfant  si 
malade,  une  de  ces  peurs  qui  jettent  une  femme  dans  les 
convulsions  et  parfois  donnent  la  mort.  Un  vicaire  générai 
de  l'archevêché  dit  qu'il  y  avait  en  ce  palais  un  noir  et 
étroit  charnier,  ce  qu'on  appelle  en  Espagne  un  pourris- 
soir  (comme  on  en  voit  à  rÈscurial) .  Anciennement  on  y 
avait  mis  se  consommer  d'anciens  ossements  de  morts 
inconnus.  Dans  cet  antre  sépulcral,  on  introduisit  la  fille 
tremblante.  On  ^exorcisa  en  lui  appliquant  au  visage  ces 


LA  SORCILLERn  DANS  LES  COUTEXTS.       223 

froids  ossements.  Elle  ne  mourut  pas  d'horreur,  mais 
elle  fut  dès  lors  à  discrétion,  et  Ton  eut  ce  qu'on  voulait, 
la  mort  de  la  conscience,  Textermination  de  ce  qui  restait 
de  sens  moral  et  de  volonté. 

Elle  devint  un  instrument  souple,  à  faire  tout  ce  qu'on 
voulait,  flatteuse,  cherchant  à  deviner  ce  qui  plairait  à  ses 
maîtres.  On  lui  montra  des  huguenots,  et  elle  les  injuria. 
On  la  mit  devant  Gauffridi,  et  elle  lui  dit  par  cœur  les 
griefs  d'accusation,  mieux  que  n'eussent  fait  les  gens  du 
roi.  Cela  ne  l'empêchait  pas  de  japper  en  furieuse  quand 
on  la  menait  à  Téglise,  d'ameuter  le  peuple  contre  Gauffridi 
en  faisant  blasphémer  son  Diable  au  nom  du  magicien. 
Belzébub  disait  par  sa  bouche  :  «  Je  renonce  à  Dieu  au 
nom  de  Gauffridi,  je  renonce  au  Fils  de  Dieu ,  »  etc.  Et  au 
moment  de  l'élévation  :  «  Retombe  sur  moi  le  sang  du 
Juste,  de  la  part  de  Gauffridi  I  » 

Horrible  communauté.  Ce  Diable  à  deux  damnait  l'un 
parles  paroles  de  l'autre  ;  tout  ce  qu'il  disait  par  Madeleine, 
on  l'imputait  à  Gauffridi.  Et  la  foule  épouvantée  avait 
hâte  de  voir  brûler  le  blasphémateur  muet  dont  l'impiété 
rugissait  par  la  voix  de  cette  fille. 

Les  exorcistes  lui  firent  cette  cruelle  question,  à  laquelle 
ils  eussent  eux-mêmes  pu  répondre  bien  mieux  qu'elle  : 
c  Pourquoi,  Belzébub,  parles-tu  si  mal  de  ton  grand  ami?  » 
—  Elle  répondit  ces  mots  affreux  :  «  S'il  y  a  des  traîtres 
entres  les  hommes,  pourquoi  pas  entre  les  démons? 
Quand  je  me  sens  avec  Gauffridi,  je  suis  à  lui  pour  faire 
tout  ce  qu'il  voudra.  Et  quand  vous  me  contraignez,  je 
le  trahis  et  m'en  moque  I  » 

Elle  ne  soutint  pas  pourtant  cette  exécrable  risée.  Quoi- 
que le  démon  de  la  peur  et  de  la  servilité  semblât  l'avoir 
toute  envahie,  il  y  eut  place  encore  pour  le  désespoir. 
Elle  ne  pouvait  plus  prendre  le  moindre  aliment.  Et  ces 
gens  qui  depuis  cinq  mois  l'exterminaient  d'exorcismes  et 
prétendaient  l'avoir  allégée  de  six  mille  ou  sept  mille 


22 i  LES  COUVENTS. 

diables,  sont  obligés  de  convenir  qu'elle  ne  voulait  plus  que 
mourir  et  cherchait  avidement  tous  les  moyens  de  suicide. 
Le  courage  seul  lui  manquait.  Une  fois,  elle  se  piqua 
avec  une  lancette,  mais  n'eut  pas  la  force  d'appuyer. 
Une  fois,  elle  saisit  un  couteau,  et,  quand  on  le  lui  ôta, 
elle  tâcha  de  s'étrangler.  Elle  s'enfonçait  des  aiguilles, 
enfin  essaya  follement  de  se  faire  entrer  dans  la  tôte  une 
longue  épingle  par  l'oreille. 

Que  devenait  Gauffridi  7  L'inquisiteur,  si  long  sur  les 
deux  filles,  n'en  dit  presque  rien.  Il  passe  comme  sur  le 
feu.  Le  peu  qu'il  dit  est  bien  étrange.  Il  conte  qu'on  lui 
banda  les  yeux,  pendant  qu'avec  des  aiguilles  on  cherchait 
sur  tout  son  corps  la  place  insensible  qui  devait  être  la 
marque  du  Diable.  Quand  on  lui  ôta  le  bandeau,  il  apprit 
avec  étonnement  et  horreur  que,  par  trois  fois,  on  avait 
enfoncé  l'aiguille  sans  qu'il  la  sentit;  donc  il  était  trois 
fois  marqué  du  signe  d'Enfer.  Et  l'inquisiteur  ajouta  :  <  Si 
nous  étions  en  Avignon,  cet  homme  serait  brûlé  demain.  • 

Alors  Gauffridi  se  sentit  perdu,  et  ne  se  défendit  plus. 
11  regarda  seulement  ci  quelques  ennemis  des  Dominicains 
ne  pourraient  lui  sauver  la  vie.  Il  dit  vouloir  se  confesser 
aux  Oratoriens.  Hais  ce  nouvel  ordre,  qu'on  aurait  pu 
appeler  le  juste  milieu  du  catholicisme,  était  trop  froid  et 
trop  sage  pour  prendre  en  main  une  telle  affaire,  si  avan- 
cée d'ailleurs  et  désespérée. 

Alors  il  se  retourna  vers  les  moines  Mendiants,  se  con- 
fessa aux  Capucins,  avoua  tout  et  plus  que  la  vérité,  pour 
acheter  la  vie  par  la  honte.  En  Espagne,  il  aurait  été  relaxé 
certainement,  sauf  une  petite  pénitence  dans  quelque 
couvent.  Mais  nos  parlements  étaient  plus  sévères;  ils 
tenaient  à  constater  la  pureté  supérieure  de  la  juridiction 
laïque.  Les  Capucins,  eux-mêmes  peu  rassurés  sur  l'ar- 
ticle des  mœurs,  n'étaient  pas  gens  à  attirer  la  foudre  sur 
eux.  Ils  enveloppaient  Gauffridi,  le  gardaient,  le  conso- 
laient jour  et  nuit,  mais  seulement  pour  qu'il  s'avouât  ma- 


Lk   60RCILLBRIS  DANS  LBS  COUYINTS.       S25 

giden,  et  que,  la  magie  restant  le  chef  d'accusation,  on 
pftt  laisser  au  second  plaa  la  séduction  d'un  directeur,  qui 
eompromettatt  le  clergé. 

Donc  ses  amis,  les  Capucins,  par  obsession,  caresses  et 
tendresses,  tirent  de  lui  raven  mortel,  qui,  disaient-ils^ 
sauvait  son  âme,  mais  qui  bien  certainement  livrait  son 
corps  an  bûcher. 

L'homme  étant  perdu,  fini,  on  en  finit  avec  les  filles, 
qu'on  ne  devait  pas  brûler.  Ce  fut  une  facétie.  Dans  une 
grande  assemblée  du  clergé  et  du  Parlement,  on  fit  venir 
Madeleine,  et,  parlant  à  elle,  on  somma  son  Diable,  Beizé* 
bob,  de  vider  les  lieux,  sinon  de  donner  ses  oppositions. 
Il  n'eut  garde  de  le  faire,  et  partit  honteusement. 

Puis,  on  fit  venir  Louise,  avec  son  Diable  Yerrine,  mais 
avant  de  chasser  un  esprU  si  ami  de  l'Ëglise,  les  moines 
régalèrent  les  parlementaires,  novices  en  ces  choses,  du 
savoir-fiiire  de  ce  Diable,  en  lui  faisant  exécuter  une  cu- 
rieuse pantomime.  «  Comment  font  les  Séraphins,  les  Ché- 
rabins,  les  Trônes,  devant  Dieu?  —  Chose  difficiie,  dit 
Louise,  ils  n'ont  pas  de  corps.  >  Mais,  comme  on  répéta 
Tordre,  elle  fit  effort  pour  obéir,  imitant  le  vol  des  uns^  le 
brûlant  désir  des  autres,  et  enfin  l'adoration,  en  se  cour- 
bant devant  les  juges,  prosternée  et  la  tête  en  bas.  On  vit 
cette  fameuse  Louise,  si  fière  et  si  indomptée,  s'humilier, 
baiser  le  pavé,  et,  les  bras  étendus,  s'y  appliquer  de  tout 
son  long. 

Singulière  exhibition,  frivole,  indécente,  par  laquelle  on 
lui  fit  expier  son  terrible  succès  populaire.  Elle  gagna  en- 
core l'assemblée  par  un  cruil  coup  de  poignard  qu'elle 
frappa  sur  Gauffridi,  qui  était  là  garrotté  :  «  Maintenant, 
lai  dit-on,  où  est  Beizébub,  le  Diable  sorti  de  Madeleine? 
—  Je  le  vois  distinctement  à  Toreilie  de  Gauffridi.  » 

Est-ce  assez  de  honte  et  d*horreurs?  Resterait  à  savoir 
ce  que  cet  infortuné  dit  à  la  question.  On  lui  donna  l'or- 
dinaire et  l'extraordinaire.  Tout  ce  qu'il  y  dut  révéler 


J^  LSSCOjJVgNTS. 

*•  *       '  ■    '  . 

éclairerait  sans  nul  doute  la  curieuse  histoire  des  couveois 
de  femmes.  Les  parlementaires  recueillaient  avidemoRt 
ces  choses-là,  comme  armes  qui  pouvaient  servir»  mmis 
ils  les  tenaient  «  sous  le  secret  de  la  cour,  j 

L'inquisiteur  Hiehaêlis,  fbri  attaqué  dans  le  public  pouF 
tant  d'animosilé  qui  ressemblait  fort  a  la  jalousie,  lut  ap- 
pelé par  son  ordre,  qui  s'assemblait  à  Paris,  et  ne  vit  pas 
le  supplice  de  Gauffridi,  brûlé  vif  àÀix  quatre  joues  après 

(30avriM6H)- 
La  réputation  des  Dominicains,  entamée  par  ce  procès, 

ne  fut  pas  fort  relevée  par  une  autre  affaire  de  jwueinsn 
qu'ils  arrangèrent  à  Beauvais  (novembre)  de  manière  à  ae 
donner  tous  les  honneurs  de  la  guerre,  et  qu'ils  impri- 
mèrent à  Paris.  Comme  on  avait  reproché  surtout  au 
Diable  de  Louise  de  ne  pas  parler  latin,  la  nouvelle 
possédée,  Denise  Lacaille.  ea  jargonnait  quelques  oftois. 
Ils  en  firent  grand  bruit,  la  montrèrent  souvent  en  proces- 
sion, la  promenèrent  même  de  Beauvais  à  Notre-Dame  de 
Liesse.  Mais  Tafiaire  resta  assez  froide.  Ce  pèlerinage  pi- 
card n*eut  pas  Teffet  dramatique,  les  terreurs  de  la  Sainte- 
Baume.  Cette  Lacaille^  avec  son  latin,  n'eut  pas  la  brft- 
lante  éloquence  de  la  Provençale,^  ni  sa  fougue,  ni  sa 
fureur.  Le  tout  n'aboutit  à  rien  qu'à  amuser  les  biigua- 

nots. 

Qu'advint- il  des  deux  rivales,  de  Madeleine  et  de 
Louise?  La  première,  du  moins  son  ombre,  fut  tenue  en 
terre  papale^  de  peur  qu'on  ne  la  fit  parler  sur  cette  fu- 
nèbre affaire.  On  ne  la  montrait  en  public  que  coqfinie 
exemple  de  pénitence.  On  la  menait  couper  avec  de  pau- 
vres femmes  du  bois  qu  on  vendait  pour  aumônes.  Ses 
parents,  humiliés  d'elle,  l'avedent  répudiée  et  aban- 
donnée. 

Pour  Louise,  elle  avait  dit  pendant  le  procès  :'t  Je  ne 
m'en  glorifierai  pas...  Le  procès  fini,  j*en  mourrai  1  »  Mais 
cela  n'arriva  point.  Elle  ne  mourut  pas;  elle  tua  encore. 


LA  SORCBLLERIB  DANS  LBS  COUVENTS.        227 

Le  Diable  meurtrier  qui  était  en  elle  était  plus  furieux  que 
jamais.  Elle  se  mit  à  déclarer  aux  inquisiteurs  par  noms, 
prénoms  et  surnoms,  tous  ceux  qu'elle  imaginait  affiliés. à 
la  magie,  entre  autres  une  pauvre  fille,  nommée  Honorée, 
c  aveugle  des  deux  yeux,  »  qui  fut  brûlée  vive. 

«  Prions  Dieu,  dit  en  finissant  le  bon  P.  Michaêlis,  que 
le  tout  soit  à  sa  gloire  et  à  celle  de  son  Église.  » 


CHAPITRE  XX 


Luynes  et  le  P.  Amom.  ->  Penécviion  des  piotettanu. 

1618-1610. 


N'avons-nous  pas  outre  mesure  appuyé  sur  une  anec- 
dote, sur  un  fait  individuel?  Nous  ne  le  croyons  nullement. 
Nous  regardons  ce  procès  comme  jetant  une  grande 
lumière  sur  un  fait  collectif  immense,  sur  l'existence  in- 
térieure des  ordres  religieux  tellement  multipliés  à  cette 
époque.  Ce  qui  se  passa  dans  un  ordre  modéré  et  raison- 
nablCy  soumis  à  la  discipline  Oratorienne  et  Doctrinaire, 
aidera  à  faire  comprendre  le*  drame  que  recelaient  les 
autres,  et  qui,  pendant  tout  le  siècle,  par  de  tragiques 
lueurs,  continue  de  se  révéler. 

L'attention  très-méritée  qu'on  a  donnée  de  nos  jours  à 
Port- Royal,  portée  exclusivement  sur  cette  rare  excep- 
tion, a  fait  oublier  un  peu  trop  la  généralité  des  faits.  Mal- 
gré l'effort  incroyable  avec  lequel  les  divers  partis  religieux 
ont  travaillé  à  étouffer  ce  qui  transpirait  de  la  vie  des 
cloîtres,  elle  s'est  montrée  suffisamment,  et  l'on  peut  fort 
bien  y  suivre  \E\&io\Tt  de  la  Direction. 

On  vit  aussi  dans  cette  affaire  la  puissance  terrible  de 
publicité  dont  disposaient  les  ordres  religieux.  Les  révéla- 
tions de  l'Ursuline  Louise,  acceptées  des  Dominicains,  se 
répandirent  avec  l'autorité  d'un  livre  de  prophéties.  Même 


piRsicimoif  DBS  PROTBSTÂirrs.  229 

de  très-libres  esprits,  non  influencés  par  les  moines,  Jan- 
sénius  et  SaintrCyran,  longtemps  après,  admettaient  que 
Gauffridi  avait  été  le  Prince  des  magiciens,  et,  d'après 
Louise,  en  auguraient  la  prochaine  venue  de  TAnti-Christ. 
Maintenant  il  faut  savoir  qu'en  un  siècle  (à  peu  près  de 
1 620  à  4720)  les  couvents,  ces  puissantes  machines  d'in- 
trigue, multiplièrent  à  l'infini.  Précisons  les  chiffres^  au 
moins  pour  deux  ordres  nouveaux. 

Les  Ùrsulines  formèrent  trois  cent  cinqtÂante  congréga- 
tions enseignantes,  divisées  chacune  en  plusieurs  maisons 
d'éducation  ou  pensionnats  (peut-être  mille  maisons  en 
tout). 

Les  Visitandines,  en  trente  années  seulement,  avaient 
déjà  cent  couvents.  J'ignore  le  nombre  ultérieur.  Mais  Ton 
sait  qu'à  la  fin  du  siècle  une  seule  branche  des  Visitandines, 
43elle  du  Sacré-Cœur,  ./ofuifa  en  vingt  années  plus  de  quatre 
cents  couvents. 

Ursulines  et  Visitandines,  dirigées  d'abord  par  les  prêtres 
doctrinaires  et  par  les  évéques,  le  furent  bientôt  par  les 
Jésuites,  et  devinrent,  sous  leur  main  habile,  un  vaste  cla- 
vier qu*on  put  faire  résonner  d'ensemble  quand  on  voulut 
obtenir  de  grands  effets  d'opinion. 

L'influence  de  la  Presse,  ses  voix  divergentes,  son  froid 
papier,  où  la  foule  épelle  le  noir  sur  du  blanc,  tout  cela  en 
vérité  est  faible  à  côté  des  vives  paroles,  des  chaudes,  tendres 
«tcaressantes  insistances  de  toutes  ces  religieuses  sur  les  da- 
mes, et  même  les  hommes,  qui  fréquentaient  leurs  parloirs. 
Ces  dames,  mères  de  leurs  élèves,  ou  parentes  et  amies  des 
religieuses,  ou  amenées  par  la  dévotion,  recevaient  d'elles 
le  mot  d'ordre,  venu  des  Jésuites,  et  s'en  faisaient  à  la 
cour,  à  la  ville,  les  zélées  propagatrices.  Ce  mot,  parti  du 
Louvre,  du  P.  Cotton,  du  P.  Àrnoux,  ou  de  la  maison  pro- 
fesse des  Jésuites  (rue  Saint-Antoine),  tombé  dans  ce 
monde  inflammable  de  femmes  ardentes  et  dociles,  cou- 
rait comme  une  traînée  de  poudre,  et  en  un  moment  il 


i3é  LntirES  st  lk  f.  arnoux. 

était  panout.  Hoins  rapides  les  eWsts  du  télégraphe  élec— 
trique. 

Notez  qa'avee  ces  religieuses  sédentaires  travaillaient, 
d'ensemble,  tout  un  monde  de  prêtres  et  dé  moines.  Les 
of dres  anciens,  jatonx  des  lésaites,  eomme  les  Mendiants, 
dans  les  grandes  occasitms,  n'agissaient  paa  moins  daas  le 
même  sens.  S'il  s'agissait,  par  exemple,  d'un  coup  décisif 
à  frapper  sur  les  protestants  ou  les  jansénistes,  la  machine 
épouvantable  de  deux  on  trois  mille  pa'rloira  répétant  la 
chose  et  la  faisant  répéter  par  leurs  visite«tses  imiombra* 
blés,  était  appuyée  en  dessous  jusqu'aux  demie»  rangs  du 
peuple*  par  les  religieux  infimes,  spécialement  par  quaire 
(Têntf  bandes  errantes  de  Capucins. 

Soit  qu'il  s'agit  de  peser  en  haut  sur  la  cour  par  une 
fdroe  d'opinion  qu'on  faisait  monter  d'en  bas,  soit  qu'il 
s'agit  de  répandre  un  faux  bruit,  une  panique,  une  peur 
qui  soulevât  la  foule  et  la  rendit  furieuse,  on  jouait  de  la 
machine.  Si  l'on  ne  disposait  pas  d  un  peuple  aussi  inflam- 
mable qu'au  temps  de  la  Saint-Barthélémy,  en  reyanche, 
un  art  nouveau  et  un  nouvel  instrument  étaient  créés  dont 
on  pouvait  tirer  autant  de  résultats.  C'est  ce  qui  explique 
pourquoi,  et  dans  rAllemagne  catholique,  et  en  France, 
un  parti  tombé  du  grand  fanatisme  aux  platitudes  de  la 
dévotion  intrigante,  n'en  eut  pas  moins  l'action  énorme  ^ 
la  guerre  de  Trente  ans,  put  faire  la  France  compliee  de 
FAutriche  contre  l'Europe,  contre  elle-même,  et  fit  ici  en 
petit  l'essai  des  futures  Dragonnades. 

Le  changement  de  favoris  ne  changea  absolument  rien 
au  grand  courant  des  choses.  Concini  appartenait  aux  Es- 
pagnols, et  voulait  les  appeler  à  son  secours  (Ridielieu) . 
Lifynes  ne  fut  pas  moins  Espagnol.  Au  moment  de  la  crise, 
il  s'offrait  à  l'Espagne  pour  une  modique  pension  {Areh.  de- 
Simancas,  ap.  Capefigue). 

Tout  ce  qu'il  voulait,  c'était  de  l'argent.  Il  prit  pour  lui 
l'énorme  fortune  de  Concini,  et  bientôt  impudemment 


PERSiCCTnOK  DBS  PnOTK8TÀ(«TS .  234 

fil  connétabléj  Sësirères,  Branles  et  CadeneC,  se  déguisent 
an  IL  de  Luxembourg  etii.  le  duc  de  Chanlnes.  Tous  deux 
■AaiMnux'de  Fnmee. 

Hi0D  an  dedans,  rien  au  debors.  A  granâ'peine  Lesdi-» 
guières,  atarmé  dans  son  Dauphiné  par  l'Espagne,  qui  gueiv 
raie  ematre  la  Savoie,  obtient  de  faire  une  légère  démens- 
tmtîoa  anfafaur  du  Savoyard.  Au  dedans,  Luynes  promît 
ées  wéSùnae9^n*tmûi point,  et^  tout  an  eontraire,  créa  pour' 
aident  oombre  cPofBces  nouveaux  (arec  exemption  d'hn- 
pAtaat  droit  de  vexer  te  peuple).  La  kingoe  ne  snffli  plue 
a«x  titres  ridicules  que  le  fise  inventa  :  aun^ura  éé  drap, 
veûdeurade  poisson,  élevée  de  récritoire,  etc. 

Le  vrai  changement  au  Louvre  fut  oelui  du  Confesseur. 
Lvynes  osa  prier  le  P.  Gotton  de  se  retirer.  Mais  ce  fut  pour 
demander  aux  Jésuites  «n  autre  confesseor  du  rot.  Ils  hi} 
fournirent  le  P.  Arnoux,  bien  plus  propre  que  Gotton  à  les 
servir  dans  les  circonstances  noaveltes.  Cotton  avait  été 
rhomme  des  temps  d^Henri  IV,  des  temps  de  ruse  et  de 
tnnsaclion.  Il  avait  connu  saint  Charles  Borromée,  et  il 
élak  aimé  de  saint  Francis  de  Sales.  Sa  fortune  fut  sîn^ 
g«lière.  La  fille  de  Lesdiguières  l'avait  employé  d'abord 
pour  tMrmenter  doucement  son  père  et  l'amener  à  k  con- 
version. Le  vieux  soldat,  qui  voulait  se  faire  marchander 
phia  longtemps,  ^ont^na,  mais  il  appuya  le  Jésuite  auprès 
d'Henri  IV  :  <  Si  Vous  voulez  un  bon  Jésuite,  dit-il,  prener 
le  F.  Cotton.  » 

On  a  vu  comment  Cotton  se  ligua  avec  la  cour  pour 
faire  saater  Sully.  Il  échoua,  et  cependant  se  maintint  par 
le  parti  espagnol,  par  la  reine  et  par  Goncîni.  Mars  il  fallait 
un  Jésuite  plus  hardi,  plus  violent,  au  moment  oii  éclatait 
la  grande  guerre  d'Allemagne,  pour  otcuper  le  roi,  la* 
Frasée,  d'une  petite  guerre  inférieure  contre  nos  protes- 
tants. Ce  guerrier  fut  le  P.  Arnenx. 

La  persécution  protestante^  c'est  le  point  où  s'accor- 
daieut  tons  les  rivaux  d'influenee.  Concini  Tavaît  cenv- 


^32  LUTNBS  BT  LE  P.   ÀRNOUX. 

mencée,  et  Luynes  la  continua.  Le  clergé  la  demandait,  le 
P.  Arnoux  imposait  à  son  pénitent;  le  favori  espérait  y 
occuper  son  jeune  roi  à  une  petite  guerre  sans  péril.  Il 
n'était  pas  jusqu'aux  exilés,  aux  gens  de  la  reine  mère,  tels 
que*  Richelieu,  qui  ne  poussassent  en  ce  sens. 

Il  est  fort  intéressant  de  voir  l'art  persévérant»  ingénieux 
et  varié,  dont  ces  Pères,  depuis  4610,  travaillaient  les  pro- 
testants. Ils  n'y  employaient  plus  la  pointe,  comme  en 
l'autre  siècle,  mais  plutôt  le  tranchant  du  fer,  un  tranchant 
mal  affilé  qu'ils  promenèrent,  douze  ans  durant,  à  la  gorge 
des  victimes,  voulant  préalablement  terrifier,  démoraliser, 
abêtir  et  désespérer.  Les  huguenots  ne  furent  plus  bruta- 
lement massacrés,  mais  lentement  égorglllés,  saignés  d'un 
petit  coutelet.  Et  les  excellents  bouchers  ne  mirent  le  fer 
dans  le  cœur  que  quand  le  patient,  déjà  affaibli,  défaillait 
et  tournait  les  yeux. 

Les  protestants  étaient  l'objet  d'une  antipathie  crois- 
sante. Ils  faisaient  tache  en  ce  temps  dans  une  France 
toute  nouvelle.  Us  avaient  l'air  d'une  ombre  arriérée  du 
XVI*  siècle.  Ils  étaient  tristes  et  peu  galants,  faisant  excep- 
tion à  la  loi  générale  du  xvii*'  :  Vuniversalité  de  Vadultère, 
aux  mœurs  loyales  où  chacun  se  pique  de  tromper  son 
intime  ami. 

Autre  défaut.  Seuls,  ils  gardaient  qu6l(iue  esprit  public, 
un  reste  d'attachement  pour  le  gouvernement  collectif,  le 
gouvernement  de  soi  par  soi  (self  government).  La  France, 
qui  avait  abdiqué,  s'ennuyait  de  les  voir  encore  attachés  à 
ces  vieilleries.  Elle  ne  voulait  plus  qu'un  bon  maître. 

Troisième  défaut.  Les  protestants  avaient  le  tort  de  voir 
clair,  de  voir  que  l'Espagne  gouvernait  la  France,  que 
Marie,  Concini,  Luynes,  n'étaient  qu'une  cérémonie.  Ils 
distinguaient  très-bien  derrière  ces  ombres  changeantes 
un  petit  nombre  d'étrangers,  de  vieux  ligueurs  et  de  Jé- 
suites; pour  âme,  le  confesseur  du  roi.  Le  jour  de  la  mort 
d'Henri  lY,  chacun  croyait  qu'il  y  aurait  massacre  à  Paris. 


PBRSiCOTIOll  DBS  PROTESTAIH^.  233 

Un  Jésuite  même»  en  chaire,  le  conseilla  ou  regretta  qu'il 
n'eût  pas  eu  lieu.  Dès  Tannée  suivante  (4644),  on  com- 
mença à  organiser  dans  les  villes  catholiques  du  Poitou  et 
da  Limousin,  et  aussi  à  Saintes,  à  Orléans,  à  Chartres,  de 
vives  paniques,  en  criant  :  <  Voilà  les  huguenots  qui  ar^ 
ment  et  qui  vont  vous  massacrer  !  »  Furieux  de  peur,  les 
catholiques  armaient  et  voulaient  tuer  tout.  Toujours  le 
^kéme  moyen  qui  avait  réussi  dans  toutes  les  Saint- Barthé- 
lémy du  zvi'  siècle. 

En  celui-ci-ci,  ^on  n'allait  pas  si  vite.  Cependant  les 
protestants  auraient  été  fous  s'ils  n'avaient  pris  des  pré- 
cautions. Us  n'avaient  auUe  protection  à  attendre  d'un 
gouvernement  dominé  par  l'Espagnol  qui  eût  voulu  le 
massacre.  Ils  recoururent  à  eux-mêmes,  rétablirent  les 
institutions  de  défense  qui  seules  les  avaient  sauvés  autre* 
fois.  La  principale,  c'était  que,  dans  l'intervalle  entre  leurs 
assemblées  générales,  dans  ces  entr'actes  assez  longs  oii 
on  pouvait  les  surprendre,  il  restât  quelqu'un  pour  faire 
sentinelle.  Dans  chaque  province,  un  conseil  permanent 
devait  rester  réuni  pour  i:ecevoir  les  avis  et  faire  convo- 
quer, s'il  le  fallait,  une  assemblée  de  province^  qui ,  uu 
besoin,  s'adjoindrait  plusieurs  provinces  voisines  pour 
former  une  assemblée  de  cercle^  ou  qui  même  provoque- 
rait une  assemblée  générale. 

Cette  organisation  de  défense;  quoique  fort  mal  exécu- 
tée, imposa  au  parti  massacreur.  Mais  elle  lui  donna  une 
bien  belte  occasion  de  calomnier  les  protestants  et  de  les 
faire  prendre  en  haine.  Ils  voulaient  une  république ,  ils 
faisaient  un  État  dans  VÈtat,  etc.,  etc.  C'est  ce  qu'on  ré- 
pète encore,  sans  aucune  réflexion  sur  la  nécessité  terri- 
ble qui  fit  et  exigea  cela.  Chose  monstrueuse,  en  effet, 
coupable,  horriblement  coupable  1  Ils  voulaient  vivre ,  ils 
voulaient  sauver  leurs  femmes  et  leurs  enfants. 

Les  voyant  en  garde,  on  essaya  de  moyens  de  ruse.  La 
reine  mère  (4642)  tâcha  d'avoir  un  maire  à  elle  dans  leurs 


places  qoi  pût  les  tfièiif ,  par  example  à  Sanl-Jeen  fkm^ 
géiy,  même  àbiRoeheMe  N'y  pâ¥f eoMt^elle  MToya^  pour 
SDumeUre  celte  derniëie  TîUe  au  Parlement  de  Paris,  un 
cdnseUier  protestant  sons  le  titre  oouveMi  à'mundanti  éê 
jumioê»  Cet  escaflMta^e ,  contraire  à  tosa  les  traitée,  «m 
serments  des  rois,  ne  réussit  pas.  Le  peuple  prit  les  armes 
et  faillit  faire  )wlio&  à  eet  intendani,  qui  pcurtani  sertit 
eBYie« 

Dans  le  petit  pays  de  Gex,  on  essaya  d*vite  cbose  ab  la 
main  jésuite  éclate  admirablement.  On  leur  dta  leurs  tem- 
ples et  leurs  revenus,  en  leur  permettant  de  se  rebâtir  des 
temples  awc  les  démoli^i&ni  dm  toiâventB  et  avec  TargeaC 
qme  fea  eaiioliqws  jmfmimt  pour  réparer  k»  A^iû«f  ea^ 
th»iiques.  Mayen  excelient  de  ks  fcîre  esécrer  et  map 
sacrer. 

Comme  leurs  diefe  les  traèissaient ,  eoanne  Lesdi- 
galères  et  Bouillon  les  rendaicfit  tout  le  jour,  coohêê»  le 
peiit-iils  de  Coligny,  Chàtillon,  marchandait  sous  main  wam 
traité  avee  iai  œur,  la  lutte,  si  elle  atvait  Kc»,  devait  être 
leur  ruina  II  feilait  les  y  amener,  le^r  rendre  la  vie  feHe- 
ment  impossible  et  intolérable,  c^'ils  aimassent  mieux  en 
finir,  se  jetassent  sur  l'épée  en  aveugles^  en  désâspévés» 
Pour  en  venir  là,  il  fallait  chaque  j>oar  les  piqner,  leur 
planter  à  la  peau  mille  épingles  et  mille  aîgnilles.  LesJe*^ 
suites  y  réussissaient,  en  les  faisant  destituer,  fiaortifterde 
toutes  manières,  en  le«r  ôtant  leurs  domesticfaes,  préce|>- 
tenrs,  etc.,  et  faisant,  par  la  terreur,  conftme  u»  désert 
autour  d'eux.  Mais  mieux  encore,  on  le  faisait  par  les  Gal- 
licans. Ceux-*ci,  dans  leurs  petites  audaces  contre  les  ié** 
suites  et  Rome,  ne  se  rassusaîent  eux-mêmes  et  ne  se 
croyaient  catholiques  qu'en  pourchassant  les  huguenots, 
c'est-à-dire  se  iaisant  bourreaux  pour*  Rome  et  pour  les 
Jésuites.  Misérable  eerde  vicieux  où  tourna  la  noogistiii- 
ture,  et  qui  la  poussa  ridicule  sons  le  pied  de  la  papaefté 
et  le  f  juet  de  Louis  XIV. 


PERsActrrroN  tSES  PROTEsrAins.  239 

Les  fameuses  chambres,  mi-partîes  de  protestants  et  de 
catholiques,  ne  protégeaient  pas 'les  premiers.  On  éludait 
de  cent  manières  leur  juridiction. 

Dans  les  cas  prévdtaux,  aceusations  de  violences ,  de 
crimes,  un  peth  tribunal  décidait  de  la  compétence  et 
renvoyait  au  prévôt,  qui  pendait  provisoirement. 

Au  moindre  délit  qui  pouvait  toucher  une  église  catho- 
lique, le  huguenot  était  frappé  par  un  petit  juge,  puis  le 
Parlement  empoignait  Taffaire.  Elle  se  jugeait  uniquement 
par  les  [catholiques,  non  par  les  tribunaux  mixtes. 

Ceux-ci,  tribunaux  martyrs ,  vivaient  sous  la  tyrannie 
des  plus  furieux  conseillers  catholiques,  que  le  Parlement 
ne  manquait  pas  de  déléguer  pour  y  siéger.  El  ce  corps, 
par  une  contradiction  monstrueuse,  tout  en  consentant 
à  y  déléguer  ses  membres,  ne  consentait  pas  que  les 
notaires,  huissiers  ou  sergents  agissent  pour  les  chambrées 
mixtes. 

Malheur  au  nouveau  protestant  !  Pendant  les  six  mois 
qui  suivaient  sa  conversion,  il  restait  justiciable  des  tri- 
bunaux catholiques.  On  lui  faisait  un  procès,  où  il  était 
sûr  d'être  condamné.  Pour  passer  au  protestantisme, 
il  fallait  d'avance  faire  son  testament,  être  résigné  au 
martyre. 

Enfin,  les  conflits  éternels  de  juridictiotis,  les  lenteurs, 
les  échappatoires,  les  opiniâtres  dénis  de  justice,  immor- 
taKsaient  les  procès  et  faisaient  du  protestant  un  misé- 
rable plaideur,  nourri  de  déceptions,  d'espoir  trompeur, 
de  vaine  attente,  usant.au  Palais  son  argent,  sa  vie, 
faisant  à  jamais  pied  de  grue  dans  la  salle  des  Pas- 
Perdus. 

Je  ne  doute  pas  que,  dès  cette  époque,  fe  clergé,  inti- 
mement uni  avec  ta  noblesse  qui  y  mettait  ses  cadets  et 
s*y  nourrissait  en  grande  partie,  n*ait  projeté,  calculé  la 
grande  affaire  territoriale  de  la  Révocation,  qui  refit  les 
fortunes  nobles  par  la  confiscation  énorme  du  bien  patrt- 


236  LUYNES  ET  LE  P.   ARNOUX. 

monial  d'un  demi-million  de  protestants.  Terrible  appât 
pour  la  noblesse,  et  qui  la  rendit  en  ce  siècle  énergique- 
ment  catholique. 

Le  premier  pas,  c'était  que  le  clergé  reprit,  dans  les 
pays  devenus  protestants,  les  terres  que  la  révolution  reli— 
gieuse  avait  affectées  au  culte  calviniste.  Cela  datait  de 
soixante  ans  (1 562).  C'était  la  même  opération  qu'on  ferait 
en  France  aujourd'hui  [si  Ton  dépossédait  les  acquéreurs 
des  biens  nationaux  pour  les  restituer  au  clergé.  Notez, 
pour  achever  la  similitude,  qu'en  ces  pays,  spécialement 
dans  le  Béarn,  le  clergé  avait  reçu  une  indemnité  en  pen- 
sions annuelles  qui  le  dédommageait  des  terres. 

Ce  grand  procès  territorial  constituait  Je  clergé  la 
partie  des  protestants.  Pouvait-il  être  leur  juge?  C'est 
cependant  le  moment  (16f  4)  où  les  prélats  demandent  à 
redevenir  hauts  justiciers,  à  pouvoir  condamner  aux  galères! 

Une  demande  non  moins  grave  qu'ils  font  aux  Ëtats  de 
1614,  c'est  qu'on  poursuive  les  parents  qui  empêcheraient 
leurs  enfants  de  se  faire  catholiques.  Premier  mot  qui  ou- 
vrit la  voie  aux  enlèvements  d'enfants.  Ceux  qu'on  enle- 
vait, on  assura  qu'ils  voulaient  se  faire  catholiques.  Ce  fut 
a  pour  les  a/franchir  de  la  tyrannie  des  familles  »  qu'on  les 
emprisonna  au  fond  des  couvents.  Bientôt  à  Lectoure»  le 
Jésuite  Regourd  vola  un  enfant  de  dix  ans.  A  Royan,  à 
Embrun,  à  Milhaud,  autres  rapts  semblables.  À  Paris, 
sous  les  yeux  du  roi,  un  maître  des  comptes,  appelé  Le 
Maître,  étant  mort,  on  prit  ses  enfants  pour  en  faire  des 
catholiques  (Élie  Benoît,  II,  277).  \jtï  protestant  de  Nor- 
mandie ayant  eu  l'imprudence  àe  mettre  un  de  ses  deux 
fils  au  collège  des  Jésuites  à  Paris,  et  voulant  le  leur  retirer, 
on  enlève  l'enfant  avec  son  frère;  on  les  cache  aux  Jé- 
suites de  Pont-à-Mousson.  Procès.  On  fait  comparaître 
les  enfants  (de  treize  et  onze  ans),  on  leur  fait  déclarer 
qu'ils  veulent  être  catholiques  et  parler  contre  leur  père. 
{Ibidem,  365.) 


PBRSBCCJTION  DKS  PROTESTANTS.  237 

La  mort  n'était  pas  un  asile.  Les  enterrements  des  cal- 
vinistes  étaient  poursuivis,  hués,  siffles  par  des  femmes, 
des  enfants  qu'on  excitait.  On  avait  fait  des  chansons  que 
ces  enfants  chantaient  en  dérision  des  psaumes  et  des 
-pleurs  de^  protestants.  Cela  donna  lieu  à  Tours  h  une 
scène  épouvantable.  Au  convoi  d'un  certain  Martin,  ceux 
qui  accompagnaient  son  corps  perdirent  patience,  et  ap- 
pliquèrent un  soufflet  à  Tun  de  ces  petits  chanteurs.  On 
cria  par  toute  la  ville  :  t  Ils  ont  tué  un  enfant  I  » 

Alors  tout  le  peuple  accourt,  on  brûle  le  Temple,  on 
bouleverse  le  cimetière,  on  arrache  le  corps  à  peine  en- 
terré, on  le  traîne,  on  le  déchire.  Le  désordre  s'apaisa  au 
Ix>ut  de  trois  jours.  Il  fut  puni.  Mais  à  Poitiers  on  [répéta 
la  même  scène,  puis  à  Mauzé,  puis  au  Croisic.  Les  cime- 
tières protestants  furent  indignement  bouleversés. 

A  Paris  même,  des  garçons  de  pieux  marchands  et  de 
dévotes  boutiques  lapidèrent  le  cercueil  d'un  petit  enfant 
que  le  père,  un  huguenot,  conduisait  au  cimetière.  Dès 
lors,  les  enterrements  ne  se  firent  plus  en  plein  jour.  Et  il 
en  résulta  un  autre  malheur  pour  les  protestants.  La  po- 
pulace (du  Midi  surtout)  les  appela  parpaillots^  papillons 
de  nuit,  les  comparant  aux  sinistres  et  misérables  pha- 
lènes qui  se  cachent  tout  le  jour  et  ne  paraissent  que  la 
nuit.  Chose  fatale,  dans  les  cas  de  persécutions  popu- 
laires, d*endosser  un  sobriquet I  d'être  désigné,  poursuivi 
par  un  mot  proverbial  que  la  masse  inepte  répète  au  ha- 
sard, y  attachant  d'autant  plus  de  haine  et  d'horreur, 
qu'elle  en  oublie  l'origine  et  ne  comprend  plus  bientôt 
l'injure  qu'elle  a  inventée  I 

Jusqu'à  ce  qu'un  Anglais,  le  poète  Toung,  se  soit  plaint 
de  ces  choses  lamentables,  la  France  les  voyait,  les  sup- 
portait depuis  [deux  cents  ans.  Young,  pour  soustraire  le 
corps  de  sa  fille  Narcissa  aux  insultes,  aux  curiosités  im- 
pies, l'emporte  de  nuit  furtivement  et  la  met  lui-même  en 
terre  dans  une  place  inconnue.  Tout  le  monde  s'est  récrié. 


«238  LtYN£S  BT  LE,  P.   iJtNOUX. 

Maiscela  arrivaii  tou3les  jours.  La.terre  ne  gardait  plu&  les 
morts;  nul  res^ct  pour  le  mystère  et  la  pudeur  du  tQm- 

boau. 

Quel  remède?  Les  plaintes  deis  assemblées?  On  les 
^t^uffait.  On  disait  qu'elles  ne  devaient  se  réunir  que  pour 
nwum^T  dos  députés  au  roi.  lilt,  en  même  temps,  on  don- 
nait pleine  carrière  à  leurs  ennemis.  Les  solennelles  as- 
semblées du  clergé  demandaient,  tous  les  deux  ans»  leur 
ruine.  On  faisait  jurer  aii  roi,  à  son  sacne,  c  Textermination 
de  rfcérésie.  »  Â  son  mariage  aveo  l'infantef  les  Jésaûtes 
prêchèrent  que  cçtte  union  aveo  l'Espagne  n'avait  d'autre 
i>ut  que  c  l'extirpation  de  l'hérésie.  » 

Avec  tout  cela,  nulle  sédition,  sauf  un  mouvement  à 
ililhaud. .  Lpîn  de  là.  En  1 64  i/ils  s'empressèrent  d'ouvrir 
leurs  plaoÈs  aux  troupes  du  roi  qui  allaient  dans  le  Midi. 

Quarante  ans  martyrs,  quarante  ans  héros,  les  protes- 
AaïUs,  très- fatigués,  refroidis,  et  généralement  paisibles, 
auraient  désiré  le  repos.  Us  étaient  chrétiens,  donc  obéis- 
«a^ts.  Et  cela  énervait  toutes  leurs  résistances.  Quand  une 
nécessité  terrible  les  força  d*armer»  ils  résistaient  sans  ré- 
sister, alléguant  quelque  prétexte,  comme  «  que  le  roi  était 
jeune,  qu'on  le  trompait,  »  etc.  C'étaient  des  révoltes  à 
genoux.  £t,  au  milieu,  survenait  le  plus  honnête  de  tous  et 
le  plus  fatal,  Du  Plessis-Mornay,  pour  détremper  tous  les 
courages.  , 

Cet  état  d'indécision  et  de  froideur  les  livrait  aux  po- 
litiques, qui  leur  conseillaient  de  prendre  tel  misérable 
appui  humain,  Condé,  par  exemple,  ami  des  Jésilites,  la 
reine  mère,  leur  ennemie  ! 

Le  seul  de  leurs  chefs  qui  ne  trahit  point,  Rohan,  gen- 
dre de  Sully,  un  politique,  un  capitaine,  un  caractère 
âpre  et  austère,  d'indomptable  résistance,  eut  cependant 
le  tort  de  croire  qu'il  fallait  chercher  à  la  cour  des  patrons 
pour  les  huguenots,  lis  étaient  un  parti  nombreux  et  très- 
fort  encore.  Quand  ils  arrêtèrent  le  roi  tout  court  et  lui 


PÇHQÉOPVION  MBS  ffKonsriHTS.  990 

firent  laver  la  siège  de Hontauban,  'wnkuitèèrM'Ui^l&mgfU 
de  leurs  fore»  avait  ^ris  les  «rmeâ.  Hs  ëcNraîënt  nesler  à 
part,. n'eutner: dans  aucune. intrigue.  Lesipolitiques  les  ra^ 
menèrent  à  la  routine  de  l'autre  siècle^  4ey«ppayér  sut 
lin  Coudé*  le  Condé.gasoott  les  exfkk)il«, -en- lire  »n  traité 
^i  le  réndreduHtabiè,  etiMl  que  la-cevr  o(Mnple  avec  lut. 
Aiovs  11  les  pbnta  là  (I64«). 

Ils  ne  coAuai^sajent'pae  ienrs  forcée,  et,'  oèmine  des 
.^eas  ^ui  oroîeoA  l^ujoura  ee  neiyer»  tb  .empoignëient  au 
baaardla looîudre.filâBohfepaiirrAe.  Ijeu«>héiH>Iquè Rêfran, 
^oicMpreux  des  eaiices  ^eniues,  s'attaehe  à  la  reine  mère  au 
immcot  où  elle  ^it  no»fseulenient  -eirilée,  mais  si  com<- 
promise  d'j^nneur^  foroée  de.8*aT>ltr  par  une  de  ces  dé- 
jnac^hee  ^'^m  Bt  fait  p6inl  8i.ron  n'a  contre  soi  sa  propre 
«onacience.  Il  suffilK^ue  de  Lnynes  fit  arrêter  ta  Du  Tîilet, 
rex-rmaitfeaae  de  d'tpoROon^  e»  rappert  avec  Ittfraillac, 
pour  qm  )a  jneine  mère,  aux.aboîs,  écrivît  ui» honteux  ser^ 
jiieiitded^rK^er  «et  comeUUn  s'ils  vioulaient  la  tirer  de 
aa  xéctusian /de  Bkiis  (novembre  4618)»  Est-ce  à  de  teTles 
Ceo»  que  les  p«>ele$tants  devaient  s'aNier,  eu^i  qui,  dans 
toutes  leurs  plaînAes,  demandaient  qu'on  At  justice  de  la 
iDort  d'Henri  iV? 

Im  feîoe^niAre  n'était  pas  encore  raasuaée^  On  pouvait 
topîeors  lui.  fiura  son  ppooès.  EHe  se  aanavu  de  Btois,  en 
descendant  à  grand  péril  d'une  tour  haute  de  cent  pieds 
(flétvner  4M9).  La  voilà  à  la  tête  d'un  pnrti  étrangement 
hétéfogàne»  D'£pemon,  le  plus  mortel  ennemi  des  protes- 
lanla,  en  est  le  chef  avoué»  Et  les  preteatants-se  préparent 
k  raider,'  faii  prêtant  d'abord  leur  appui  moral,  venant 
complimenter  la  reine  mère  et  se  recommander  à  elle. 

Conclusion.  Ia  mare  est  battue  par  le  fils  aux  portes 
d'Àngera^  On  s'arrange,  l'on  s'embrasse.  Tonle  la  gueire 
retombe  sur  les  pnoiestanta. 

lia  n'avaiem  pas  encore  pris  les  armes,  et  ne  craignaient 
rien.  Leur  aaaemUée  générale,  qui  se  tenait  à  Loudun, 


240  LUYNBS  ET  LB  P.  ARNOUX. 

avait  parole  du  roi  qu'on  redresserait  ses  griefs  si  elle  se 
séparait.  Promesse^  il  est  vrai,  verbale,  non  écrite,  mab 
garantie  par  Gondé,  Lesdiguières  et  Chàtillon,  reçue  par 
Du  Plessis^Momay. 

Ce  fut  justement  leur  Gondé  qui  alla  au  nom  du  roi  les 
déclarer  au  Parlement  criminels  de  lèse-majesté.  L'armée, 
dont  le  roi  n'avait  plus  besoin  contre  sa  mère,  il  la  mène 
droit  en  Béam.  Les  protestants»  sur  le  chemin,  humble- 
ment, lui  font  observer  qu'il  leur  a  donné  six  mois  pour 
plaider  l'affaire  de  Béam.  Le  roi  avance  toujours.  Les  pro- 
testants se  contentent  de  prendre  le  ciel  à  témoin.  Ib  as* 
semblent  un  synode  de  Languedoc,  qui  craint  pour  lui- 
même,  et  laisse  passer  par-dessus  sa  tête  l'orage  qui  va 
aux  Pyrénées.  La  saison  était  avancée.  La  moindre  résis- 
tance eût  forcé  le  roi  de  faire  en  hiver  une  guerre  de 
montagne.  Les  Béarnais  disposaient  d'une  redoutable 
milice  de  trente  mille  paysans,  bons  soldats.  Ihis  leur 
gouverneur,  La  Force,  n'osa  rien  ;  les  chefs  populaires,  les 
ministres,  n'osèrent  rien.  Le  roi  et  le  P.  Amoux,  vain- 
queurs sans  combat,  entrent  à  Pau.  Le  roi  jure  les  privi- 
lèges du  pays  et  les  viole  le  même  jour.  Tous  les  vieux 
traités  sont  biffés.  La  langue  même  du  Béam  proscrite;  ce 
grand  changement,  qui  n'eût  dû  se  faire  qu'à*  la  longue, 
est  imposé  à  l'heure  même.  La  justice  ne  se  rendra  pas  en 
deux  langues,  mais  seulement  en  français. 

Depuis  soixante -ans,  un  tiers  des  biens  ecclésiastiques 
était  employé  à  l'entretien  du  culte  des  protestants.  11  y 
avait  dix  protestants  en  Béam  contre  un  catholique.  Et 
ceux-ci,  si  peu  nombreux,  gardaient  les  deux  tiers  des 
biens. 

La  révolution  ne  s'en  fit  pas  moins,  et  avec  de^  violences 
furieuses  que  ce  pays  si  soumis  ne  provoquait  nullement. 
Le  jeune  roi,  dur  et  sans  pitié,  ferma  les  yeux  sur  les  bar- 
bares gaietés  du  soldat.  Elles  consistaient  à  mener  les 
gens  k  la  messe  à  coups  de  bâton,  à  faire  jurer  aux  femmes 


ir 


pBRsicanoN  des  protestants.  S4I 

enceintes  de  faire  leurs  enfants  catholiques,  ^lus  d'une 
n'en  fut  pas  quitte  pour  si  peu.  Ces  pieux  soldats  n'en , 
étaient  pas. moins  galants,  et  tiraient  l'épée  contre  les 
maris  qui  ne  prêtaient  pas  leurs  femmes. 

Dieu!  pitié!  justice!  sainteté  de  la  parole!  Tout  cela 
risée.  Le  roi  assura  n^nvoir  rien  promis.  Alors  Mornay,  qui 
avait  reçu  la  promesse,  mentait  donc  ?  Le  beau-père  de 
Luynes,  qui  avait  transmis  à  Morna^  la  parole  du  roi,  avoua 
lui-même  que  ce  n'était  pas  le  vieux  protestant  qui 
mentait. 

Une  assemblée  générale  des  huguenots  se  fît  à  la  Ro^ 
chelle,  et  elle  ordonna  d'armer.  Mais  tous  les  grands  du 
parti  disaient  le  contraire.  Mornay  même  voulait  qu'on  se 
soumit.  Quelques  paroles  d&  la  cour,  une  petite  Justice 
^'on  fit  de  l'excès  de  Tours,  désarma  la  résistance.  Le 
Béam,  qui  se  relevait,  fut  écrasé  par  d-Ëpernon.  On  acheta 
Cbàtillon,  et  enfin  La  Force.  On  escamota  Saumur  au 
pauvre  Mornay,  qui,  du  reste,  le  méritait  bien  par  le  tort 
que  ses  conseils  avaient  fait  è  son  parti. 

Chose  remarquable  !  la  reine  et  Condé,  ces  bons  patrons 
dès-protestants^  insistaient  vivement  pour  qu'on  les  acca» 
blât.  Et  ils  étaient  en  cela  appuyés  des  Espagnols. 

Nos  grands  historiens  politiques,  qui  disent  que  l'anéan- 
tissement du  parti  qui  gardait  un  peu  de  vie  morale  fut  le 
salut  de  la  France,  devraient  considérer  pourtant  que  nos 
ennemis  les  Espagnols  ne  demandaient  pas  autre  chose. 
L'écrasement  des  protestants  français  était  un  cAté  du  plan 
général  qu'on  étendait  sur  TEurope,  et  qui  eût  rendu  la 
suprématie  à  l'Espagne  et  à  l'Autriche. 

A  quoi  s'amuse  donc  l'histoire  de  nous  donner  la  réu* 
nion  de  l'imperceptible  Béarn,  et  la  petite  guerre  protes- 
tante qu'on  pouvait  apaiser  d'un  mot,  pour  compensation 
de  l'Europe  entière  que  la  France,  occupée  à  ces  misères, 
livrait  à  ses  ennemis  ? 

Il  est  vrai  qu'avec  le  Béarn  on  gagpf  it  eao^e  autre 
».  10 


%i2  LUTNS6  £1  LE  P.   ARNOUX* 

chose.  De  Luynes  fondait  sa  maison,  non- seulement  en 
JPrance,  mais  en  Flandre,  chez  le  roi  d'Espagne.  Son  frère 
Cadenet,  en  46i9,  était  à  Bruxelles^  et  recevait  de  ^in- 
fante le  prix  de  la  trahison.  De-  la  comtesse  de  Ghaulnes, 
uniqtie  héritière  de  sa  famille,  et  du  baron  de  Péquigny, 
était  née  une  fille  qui  réunit  tout  et  resta  encore  unique 
kéritière.  L'Espagne  la  tenait,  relevait  dans  le  palais  de 
rinbinte,  qui  la  donna,  .avec  cette  fortune  immense,  à 
l'heureux  petit  Cadenet. 

Luynes,  que  donna-t-il  en  échange?  bien  peu  de  chose 
et;pen  coûleuse,  mais  d'inappréciable  résultat  :  une  am- 
bassade pacifique  qui,  ^visitant  les  protestants  d'Allemagne, 
a.ve€  l'évangile  de  la  paix,  leur  montrant  gu'îls  n'auraient 
aeoours  ni  des  Français  ni  des  Anglais,  les  jeta  dans 
Finertie  et  dans  un  désespoir  stapide,  de  sorte  qu'ils  lais- 
sèrent écraser  le  «Palatin,  leur  chef,  par  les  armes  de 
l'Autriche.  Alors  la  même  ambassade  leur  moyenna  un 
bon  traité  avec  TAulrichien,  mais  qui  ne  liait  nullenoent 
les  alliés  de  celui-oi,  l'Ëspagaol  et  le  Bavarois,  qui  les 
écrasèrent  à  leur  aise.  L'Allemagne,  engourdie  par  la 
Erance,  tendit  doucement  la  gor^e  au  couteau  (1620). 


OHAMTR/E  XXI 


Ricbelien  et  Bénllle.  1621-1624. 


.Un  .peiBire,  énnnanimaDt  /fidèk,  consDisndlcax  tl«BS 
Fart  et  dans  la  vie,  le.Fianiaid  iPhil^ipe  de  (ïianipaniie, 
BOttSia.fmB  sur tla'loileJMi  vcai  i8ifiBe,«fovte  et  «èohenfignre 
du  oerdinaldedlielielieu  (^datie  du  Louvre). 

Ce  pmalre  janaéniatejaetaerak  fiiit  aerapole  d'égayer, 
d'enrichir  ia  éprise  liroaged'un  rayon  de»iomièare,  oonmie 
«osait  fait>&aben8  au.Muvilto.  Juaiaiiyet, triste ^fingiat,  eèt 
obtmgé  de  Mture..L'Qul  aùt  été  Oattéeti l'art  pins  satisfait, 
mais  il  eût  menti  à  l'histoire. 

Songez  que^D^eat  l'époquaoii  la  grisaille  «xnmanœ  à  se 
répandre,  où  «la  f  vitre  incolore  nnplace  iês  Tttraux  ^du 
xvi*«îècle.:Sn  Sraneenpérialementy  ie/goât  de  la^oouknr 
aéteîttt.^ 

Grisaille  en  tout*  Grisaille  littéraire  en  Malherbe  jGfî^ 
saille  tff«Kginnae  idans  BétuUe  >et  dans.  rOntoire.  Pcort** 
Bofil  naissant  vise  au^sec,  et  yallaisidôre  mu  médioore* 
Paseal  pardltradans:lrenÉe  ans. 

La  GOUlear*estiici  .taès-bonne,  mais  mesurée  •  dans  la 
«éiilé'vraie..iBi«ndejpli]8,'tien>de  moins.  Mettre  aarant 
entre  las  maltraa,  .le  'bon  .Philippe <  s'est  icapandent  tenu 
leUement  à .  la  natuxe  et*  y  est  entré  si  avant,  qu'il  •  répond 
à  la  fois  aux  pensées  de  l'histoire  et  atti  impaassions  po- 


244  hlCHELIEU  ET  BÉRULLE. 

pulaires.  L'histoire,  en  ce  fantôme  à  barbe  grise,  à  l'œil 
gris  terne,  aux  fines  mains  maigres,  reconnaît  le  petit- 
fils  du  prévôt  d'Henri  III  qui  brûla  Guise,  le  fourbe  de 
génie,  qui  fit  notre  vaine  balance  européenne  et  l'équilibre 
entre  les  morts. 

Il  vient  à  vous.  On  n'est  pas  rassuré.  Ce  personnage-là 
a  bien  les  allures  de  la  vie.  Mais,  vraiment,  est-ce  un 
homme?  Un  esprit?  Oui,  une  intelligence  à  coup  sûr, 
ferme,  nette,  dirai-je  lumineuse?  ou  de  lueur  sinistre. 
S'il  faisait  quelques  pas  de  plus,  nous  serions  face  à  face. 
Je  ne  m'en  soucie  point.  J'ai  peur  que  cette  forte  tête  n'ait 
rien  du  tout  dans  la  poitrine,  point  de  cœur,  point  d'en- 
trailles. J'en  ai  trop  vu,  dans  mes  procès  de  sorcellerie,  de 
ces  esprits  mauvais  qui  ne  veulent  point  se  tenir  là-bas, 
mais  reviennent,  et  remuent  le  monde. 

Que  de  contrastes  en  luil  Si  dur,  si  souple,  si  entier,  si 
brisé  !  Par  combien  ds  tortures  doit-il  avoir  été  pétri, 
formé  et  déformé,  disons  mieux,  désarticulé,  pour  être 
devenu  cette  chose  éminemment  artificielle  qui  marche 
sans  marcher,  qui  avance  sans  qu'il  y  paraisse  et  sans 
faire  bruit,  comme  glissant  sur  un  tapis  sourd...,  puis, 
arrivé,  renverse  tout. 

Il  vous  regarde  du  fond  de  son  mystère,  le  sphinx  à 
robe  rouge.  Je  n'ose  dire  du  fond  de  sa  fourberie.  Car,  au 
rebours  du  sphinx  antique,  qui  meurt  si  on  le  devine, 
celui-ci  semble  dire  :  «  Quiconque  me  devine  en 
mourra,  v 

Si  l'on  veut  ignorer  solidement  et  à  fond  Richelieu,  il 
faut  lire  ses  Mémoires.  Tous  les  gens  de  cette  race,  Sylla, 
Tibère  et  d'autres,  ont  fait  ou  fait  faire  des  Mémoires  ou 
des  Mémoriaux  pour  rendre  l'histoire  difficile,  pour 
épaissir  les  ombres  et  pour  désorienter  le  public,  surtout 
pour  arranger  le  commencement  de  leur  vie  avec  la  fin, 
et  déguiser  un  peu  les  fâcheuses  contradictions  de  leurs 
difiërents  âges. 


RICHBLIK0  KT  BARULLE.  245 

Richelieu  est  Espagnol  jusqu'à  quarante  ans,  et,  depuis, 
anti-Espagnol.  Faut-il  croire  que,  dans  la  première  pé« 
riode,  il  ait  obstinément  menti  ?  ou  bien  qu'ayant  été  sin- 
cère il  changea  tout  à  coup  si  tard  et  fut  décidément 
Français  ? 

Sa  mauvaise  fortune  le  (força  de  bonne  heure  d'avoir 
du  mérite.  Il  était  le  dernier  de  trois  frères.  Sa  famille 
n'était  pas  riche,  et  elle  s'allia  en  roture.  Le  frère  aîné, 
qui  était  à  la  cour,  dépensait  tout.  Le  second,  qui  avait 
l'évéché  de  Luçon,  se  fit  chartreux.  Et,  pour  que  cet 
évéché  ne  sortit  pas  de  la  famille,  il  fallut  que  le  troi- 
sième, notre  Richelieu,  se  fit  homme  d*£glise,  malgré  ses 
goûts  d'homme  d'épée.  L'alné  Tut  tué  en  duel,  trop  tard 
pour  son  cadet,  qui  aurait  pris  sa  place,  et  n'aurait  jamais 
été  prêtre. 

Jl  n'était  peut-être  pas  né  enragé,  mais  le  devint.  La 
contradiction  de  son  caractère  et  de  sa  robe  lui  donna  ce 
ridie  fonds  de  mauvaise  humeur  d'où  sort  le  grand  effort, 
c  l'àcreté  dans  le  sang,  qui  seule  fait  gagner  les  batailles.  » 

Ses  batailles  de  prêtre  ne  pouvaient  être  que  théolo- 
giques* De  bonne  heure,  il  passa  ses  thèses,  à  grand  bruit, 
en  Sorbonne,  les  dédia  à  Henri  IV,  s'offrant  au  roi  pour 
les  grandes  affaires.  Puis  il  alla  à  Rome  se  faire  sacrer, 
s'oflrir  au  pape.  Ni  le  roi  ni  le  pape  ne  répondirent  à  l'im- 
patience du  jeune  et  ardent  politique. 

Alors  il  retomba  tristement  sur  l'évéché  de  Luçon, 
assez  pauvre,  et  dans  un  pays  de  disputes,  à  deux  pas  de 
la  Rochelle  et  des  huguenots.  Ce  voisinage  lui  mettait 
martel  en  tête.  Malgré  de  violentes  migraines,  il  écrivait 
contre  eux. 

11  n'est  pas  sans  talent.  Sa  plume  est  une  épée,  courte* 
et  vive,  à  bien  ferrailler.  Il  ne  pèse  pas  lourdement  sur 
l'absurde.  S'il  écrit  des  sottises,  il  ne  le  fait  pas  comme 
un  sot.  Il  a  des  insolences  heureuses,  des  pointes  hardies, 
des  reculades  altières,  oii  il  fait  fort  bonne  mine. 


AvâT  tout  cala^  il  fût  resié  bien  obscur  à  Luçou  .s'il  n'eût 
ea  ({|1A  sa.  controverse.. Mais  il  était  joli  garçon,  ua«  fioa 
<^fiéatus  da  porcelaine..  Gonoini  était  da  laienca;.  Le  bfiaiL 
Sellegandej.beau  depuis  Hfinrilll,  se  faisailmucCes  coïkr 
sidérations  agirent  sur  la  reine  mère,  et  elle  le  papous 
a]UQânier.(i646).. 

ILa;Kaife  viagt.aas,da  moins  qu'eUe.  Sa.  fontaine.  euL  des 
ailes«.  A.L^nstanfc.consaiUend'Ëtat.(.mars),.  secrétaire  des 
couunandements  (juillet.),,  ambassadeur,  en  Espagne  (il 
n!eui  garde  d'y  aller}..  Déj^  aut  3Û  novembre,,  il.  a.  saisi 
deux  portefeuilles,  la  guerre,  les  affainss  étrangères;, 
cellttSMilde  moitié  avec,  le  viem.  Yilieroyv  <W^  vajxiouxix.. 
HufiOt.sit violente  est  la  partialité:  de  la.rsine  mère,  ,qu'.eUe 
lui  donne,  sans  cause  ni  pcétexte,  la  préséance  dAn&.ie 
conseil  des  ministres,  où  siégeait  encore  VillerQy,,sl.àgp, 
un  siècle. d'affaires  et  .d'expérience. 

Pendant  oe  puremier  ministère.,,  qu'il  tàcbe  d'excuser 
dansi  ses  Mémoires,  n!ayaat  d'appui.qua  la  reine  mèra,.il 
ne  piit.étre  qu'EspagnoL.Sa.dépâcbe  à  Scbombecg», écrite 
pour  amadouer  les  protestants  d'Allemagne,. ne  peut. faire 
illusion.  Clétait  cbose  probablement,  autorisée  par  Tanirr 
bassadeur  d'Espagne  pour  empécben  qj^e.  ces  ÂJlaouinds 
ajappuyassentles  princes  .en.  révolte. 

Hicbeliea assure  que,  sans  lui,  Concini,  qui  se.  senlait 
périr,  eût  appelé  les  Espagnols.  Grand  service  qu'il,  rendit 
àXuynes.  ,Concini  s*en  défiait  fort^  et  l'aurait  pecdu^sMl  Jie 
fût  tombé.  Il  fut  le  seul  de  ce  ministère  qu'^qf^cgna. 
Luynes.  Là,  il  donna  un  exemple  de  fulélité,  rare  à  Isj 
cour^  si  rare,  qu*on  n'y  crut  pas.  U  demanda^  obtint  ■  da 
s*exiler,  de  suivre  la  reine  mère  à  Blois  pour  laxonseiller. 
(l'observer  ?  ).  Mais  Luynes  ne  se  reposait  pas  sur  nnJiomme 
sidouble.  11  l'obligea  de  s'exilenpius  loin^  à  Avignon». 

Làv  il  ne  perd  .pas  de  temps..  11  s'enferme  amc.un  dcNH- 
taur}de.Louvain,iait  labourer. ce  boeuf,  6t,.sBr.se6  notûB^. 
écrit  de  sa  prose^  viveun  livre  quisurglt  à  point  pous  se>^ 


«ourir  le  confesseur  du  roi,  en  guerre  oontre  les  hugue»- 
noU*  Le  P.  Adrnoux,  créé  par  Luyne»,  travaiUaîl  sous  tem 
contre  Luyaes*à.  faire  un  autoe  miniBtère.  .Hichelîea«  saM 
servilité,  s'offrait.  Misàia  portas»  il  revenait  par  la  feoétiVr 
Le  Jésuite  reconnaissant  ne  pouvait  moins  que  de  nB&ire 
ministre  Tbomaie  qui,  de  boiKie  gv&ce,  en  ce  duel,  tôait 
l'épée  pour  lui. 

Une  influence  encore  aida  aie  &îre  reveair.  Ce  fut  ceUs 
du.P.  de  BéruUe,.aniide  Lujnesv  ami  de  la  reine  mère  et 
de  tout  le  iiiende«  Quandv  ^délivrée  par  d'Spernon,  eUe 
commença  la  guerre  civile,  Luynes,.  inquiet,  lui  dépécha 
Bérulle,  qui  avait  été  conlésseuD  de  d'Épemon,  ou  du 
moins  son  ami,  étant,  par  sa  mère,  des*  Séguier.  cUenti 
du  duc  à  la  cour,  et  ses  soutiens  au  Parlement. 

Bérulle  fut  charmé  de  s'entremettre.  Et  il  n'a  fait  autre 
chose  toute  sa  vie,  toujours  oourant  de  l'un  à  l'autne.  Les 
mauvaises»  languee  du  temps  l'appellent  un  «  teigasd 
rasé  ;  »  nous  dirions  un.  intrigant  niats« 

Cela  est  dur*  Il  fonda  rOratoire.  Il  avait  beaucoup'  de 
mérite,,  et  représente  même  un  des  meilleurs  oôtés-cathei- 
liques  avant  PortrBoyal.  Mais,  comme  de  père  et  de*  mèce 
41  prooédait  de  juges  et  d'avoeats ,  il  exeellait  dans  le 
moyen,  dans  le  parlage,  n'ayant  ni  dMis  les  théories,  m 
plua  haa  sur  le  terrain»  des  affaireti  la  vigueur  de  justesse, 
le  tact,  le  point  pcécis. 

Sa  mère  Séguier,  toute  jésuite,  le  fit  saint  au  meièbly  et 
il  fit  à  sept  ans  le  vmu  de  virginité.  Un.  autre  fèt  resté 
imbécile.  Mais  lui.  ne  le  fut  point.  Ce  fut  un  hemmeiii^ 
telligent,  laborieux,,  aotif  (et.  beaueoup  trop),  d'un  eertna 
bon  sens  relatif.  Fort  ami  des  Jésuîtesvdans  leur  exil;  il 
leur  joua  un  tour  avee  très-^Kinne  intention*  U  leur  fit  des 
rivaux.  U  prit  un  mot  de  Tltalie^  Qramtio,  un  peu  à*.Bst, 
de  belle  musique,  innocent  appât  des  mondain»;  tout  eek 
pour  un  institut  antir^ilatiea,  qui  ne  serait  point  serf  de 
Borne,,  mais. travaiUessîi  pour  les  évéqun,  leur  formerait 


Si8  filCHSLISU  ET  BÉRULLR. 

des  prêtres  et  ne  dépendrait  que  d'eux.  Point  de  vœux. 
De  petites  conférences,  quelque  peu  libres,  sur  la  religion. 
Des  doctrines  peu  systématiques,  saint  Augustin  tout  pur, 
ce  qui  rendit  plus  tard  TOratoire  suspect  de  jansénisme, 
de  calvinisme,  etc. 

Cela  réussit  fort.  C'était  chose  sortie  d'une  tète  parle* 
mentaire  et  à  la  mesure  des  parlementaires.  Cinquante 
maisons  s'élèvent  en  peu  d'années. 

Les  Jésuites,  furieux  contre  leur  ami,  le  pincèrent  bien- 
tôt à  l'endroit  faible.  Cet  homme  de  modération  n'était 
pas  tel  en  tout.  Sa  maladie  était  d'être  un  ardent,  violent, 
passionné  convertisseur  et  directeur  de  femmes.  Et  cela 
avec  un  emportement  de  zèle  qu'on  pouvait  mal  inter- 
préter. Tout  jeune  encore  (4604),  il  avait  été  en  Espagne 
enlever  les  Carmélites  aux  Carmes,  leurs  directeurs,  vou- 
lant les  diriger  par  lui,  ou  ses  Oratoriens,  qu'il  fonda 
bientôt  à  Paris,  d'abord  en  face  des  Carmélites  (rue  Saint- 
Jacques).  Ces  religieuses  Espagnoles  n'étaient  pas  trop 
dociles.  Elles  se  divisèrent.  Plusieurs,  à  Bordeaux,  à 
Bourges,  à  Saintes,  restèrent  fidèles  aux  Carmes,  et  se 
barricadèrent  contre  Bérulle,  qui  invoqua  la  force  armée 
pour  les  confesser  malgré  elles.  Les  Jésuites  exploitèrent 
cette  situation  ridicule.  Bérulle  disgracié  ou  mort,  ils 
mirent  d'accord  les  Carmes  et  les  Oratoriens,  donnèrent 
aux  plaideurs  les  écailles  de  l'huître,  s'adjugèrent  la  proie 
disputée. 

Autre  défaut  de  Bérulle.  Il  se  croyait  grand  politique. 
Mais,  comme  son  humilité  lui  défendait  de  s'avouer  qu'il 
eût  tant  de  génie,  il  rapportait  ses  grandes  vues  à  quel- 
que inspiration  céleste. 

En  4604^  ce  fut  sainte  Thérèse  qui  lui  dit,  dans  une  vi- 
sion, d'aller  en  Espagne  chercher  les  Carmélites,  mais 
aussi  de  préparer  le  double  mariage  espagnol,  seul  moyen 
d'amener  l'extermination  de  l'hérésie. 

De  même,  en  4649,  quand  il  réconcilia  la  mère  et  le  fils. 


MCHBLnU  R  BVRDLUr.  249 

il  agil  avec  le  Jésuite  Arnoux  pour  envoyer  l'armée  contre 
les  protestants,  et,  comme  il  passait  par  la  Rochelle, 
priant  dans  une  petite  église,  la  seule  qui  y  fût  catholique, 
une  révélation  lui  apprit  que  toute  la  ville  le  deviendrait. 
En  foi  de  quoi,  depuis  ce  temps,  il  poussa  de  toute  ma- 
nière pour  qu'on  s'alliât  à  TEspagne  et  qu'on  assiégeât  la 
Rochelle. 

Ce  fut  comme  auxiliaire  dans  cette  œuvre  et  comme 
ami  des  Espagnols  que  ce  sagace  et  pénétrant  Bérulle  fit 
rappeler  Richelieu.  Il  n'en  avait  nulle  défiance.  Richelieu 
était  maladif,  tout  occupé  de  controverse,  et  il  venait  d'é- 
aire  à  son  église  bien-aimée  de  Luçon  sur  le  bonheur 
qu'il  aurait  de  se  réunir  à  elle.  Mais  Bérulle  lui  fit  violence, 
le  (ratna  à  la  cour,  pensant,  avec  son  aide,  rétablir  le  pou- 
voir de  la  reine  mère,  à  mesure  que  Luynes  s'userait,     i. 

Celui-ci  allait  vite.  Sans  portée  et  sans  prévoyance,  il 
entassait  sur  lui  tout  ce  qui  pouvait  Técraser  :'en  une  fois 
il  prit  i'épée  de  connétable  et  les  sceaux,  c'est-à-dire  la 
paix  et  la  guerre. 

11  triomphait  de  ce  que,  dans  une  campagne  contre  les 
protestants,  il  enleva  une  cinquantaine  de  bicoques  qui  ne 
se  défendaient  pas.  H  amena  ainsi  le  roi  élourdiment  de- 
vant Montauban,  qui  l'arrêta  court,  et  se  défendit.  Le  roi 
ne  le  pardonna  pas  à  Luynes.  Assiégés,  assiégeants,  tous 
se  moquaient  de  lui.  Les  pluies,  les  maladies,  aggravèrent 
sa  situation^  Il  leva  le  siège  et  s'en  alla  malade  à  une  pe- 
tite ville  qui  l'arrêta  aussi  bien  que  la  grande.  Mourant, 
il  eut  encore  le  temps  de  chasser  le  P.  Arnoux,  sa  créature 
ingrate,  et  il  avait  bonne  envie  de  se  défaire  de  Richelieu, 
qui  minait  aussi  le  sol  sous  ses  pieds. 

Celui-ci  était  poussé  au  ministère  par  la  reine  mère  ; 
mais  auparavant  il  avait  voulu  se  munir  d'un  paraton- 
nerre, du  chapeau  de  cardinal,  qui  d'ailleurs  lui  donne- 
rait la  préséance  au  conseil.  L'affaire  traîna  deux  ans.  En 
septembre  4622,  Richelieu  étant  à  Lyon,  elle  se  fit.  Un 


9&0  waaum  bt  bérolul 

^ntilhomm^t  qui  Vwmt  désoUi^  et  déttcait  b%  vappro^ 
cher  de  lui,  apprend,  la  premier^  à  Paris^  la<  bonoa  nouH* 
veUe^  sauta  à.difivai)  d'ua  tnait  court  ài  LycOn.  11  forée  l'bâ^ 
iei  dâ.  r.évéqua,  sa  cbaoabi^  tomba  àsesi  piada:  «.  YatM 
émiflence  est.  cardinal!  I  » 

GetboHuno  si  contenu. na  tint  pas  à  ce  eoup  de.  foudce*. 
Comme  tous  les  mélancoliques,  il  avait,  en  ces  occasiims^ 
des  accès  de  joie  folle,  sauvage,  furôause  (U  a^ait  un  ficère 
fou).  Le  voilà  qui  se  met  à  danser  dans  lachambue  devant 
le  gentiifaomme  épouvanlé.  Fuis,  cette  folie,  donnée  à  la 
nature^  le.nouveau  cardinal)  rassis,  froid^autuit  que  ja*- 
mais,  lui  fit  pcomettre»  sur  aa  téta,  de  na  rien  dire  da;Qa 
qu'il  aurait  vu.. 

Le  favori  qui. succéda  à  Luynes,.PuiâieuX)  aussi  bea  B&- 
pagnol,,nous  mit  encore  pluabas.  Le  roi.  s'épuisait  àideux 
sièges,  Montpellier,  la  Rochelle,,  et  ne  s*en  tii-a^qua  par 
une  fausse  paix,  oii  l'on. trompa  ceux  qu'on  ne  pouvait 
vaincre.  Et  pendant  ce  temps-là  les  plus  grands  événe<- 
ments  avaient  lieu  en  Europe,  sans  qu'on  eût  L'air  d!aa 
savoir  rien. 

La  France  semblait  avoir  donné  sa  démission  [des  aCr 
faires  humaines.  Cloîtrée  dans  sa.petite  guerre  pnolear- 
tante,  elle  avait  laissé  consommer  la  ruine  de  son  allié  le 
Palatin,  transférer  le  Palatinat  à  la  Bavière.  LesBavaroia, 
les  Espagnols,  étaient  maîtres  du  Rhin  sur  toute  la.  riva 
-qui  nous  touche,  de  Stcasbourg  jusqu'-à.  la  Hollande^  Et 
nottS'étions  cernés  à  Pest. 

D'autre  part,  la  vallée  des  Alpes,,  qui  mène  du  Milanais 
au  Tyrol,  la  Valteline^.  jusque-là  soumise  à  noa  alliés  pro* 
testants  les  Grisons,  avait  passé,  sous  ombre  d'une  névoiur 
tion.  populaire,  aux  Espagnols  duMalanais,  etceux^cldéao^ 
mais  communiquaient,  à  volonté  avec  leurs  ocuaim 
autricbiens.  Petit  lieu,  petit  fait,  mais  d'importance  im- 
mense, qiai  serrait  le  canoan  de  l'Italie.  Déj^  YanJse.n!eD 
xespicait.plua^  Un  pas  encore,  eUe  étouffait; 


RIGHEUBU  ET  BJlinLLK.  tSii 

L'Italie'  cria  à  la.  France,  qui  commença  à  ouviûi  lea 
yeux,  le  %\  janvier  4623,  nos  Espagnols  du  Lou^re^^  les 
Puisieux,  les.  Bérutia,  furent  obligées  de  laisser  entrer  au 
consul  un  nrilitaire  breton^  laiVieuviUe,  qui  prit  les  finanoeaf 
et  apporta  au  ministère  ce  qu'on  a  appelé  leupolitiqua.dô^ 
Ridieiieu.  C'était,  celle  du;  boa  sens,  celle  du  péril,  de  la 
situation*.  Depuis  treize  ans  on  trahissait  la  France.  IL  a'y 
avait  pas*  une  minute  à  perdre,  pour  s'arrêter  dans  cetls 
fatale  carrière,  pour  tourner  bride  et  la  sauver. 

Le  7  février,  la.  Vieuville  traita,  avec  la  Savoie  et  Venise 
contre  l'Espagne,  leur  promit  vingt  mille  bommes;  cbem- 
cane  d'elles  en  donnait. douze  mille.  L'Espagne  recula  à 
l'instant. Cette  grande  et  terrible-maison  d'Autriche,  qui, 
à.  ce  moment  même-,  bouleversait  l'Empire  de  fond  en 
GOBible,  voici  qu'elle  se*  cache,  derrière  le  pape.  Lepape^ 
son  compère,  déclare  qu!il  pr^nd  en  garde  les  forts  de  la 
Valteline.  L'Espagne,  au  fond,  avait  tout  ce  qu'elle  voulait^ 
le  passaga  commode  de  Milan  en. Autriche. 

La  chose  n'en  reste  pas  moins  ;glorieuse  pour  la  Yieu?- 
ville^  malgré  tous  les  soins  de  Richelieu  pour  nous  trom- 
per là-dessus.  C'est  lui,  c'est  ce  Breton,  qui  montra  le 
premier  combien  on  avait  tort  d'avoir  peur  de  l'Espagne. 
Les  succès,  de  celle-ci  aux  Pays-Bas  avaient  tenu  à  ce 
qu'elle  n'y  guerroyait  pas  eUcr-méme,  mais  par  le  Génois 
Spinola,  entrepreneur  de  guerre^  qui  opérait  avec  des  trou^ 
pes  à  lui  et  des  finances  à  lui,  et  de  plus  avec  son  génie 
d'âpre  brava  de  Gènes,  fia,  froid,  rusé,  s'affranchissent  de 
la  pesanteur  impuisçanle  de  l'administralion^  espagnole. 
Partout  oii  celle-ci  agissait  directement,  tout  allait  mal, 
tout  manquait,  maigrissait  et  dépérissait. 

La  Vieuville  eût  voulu  r^rendre  ia.politique  d'Henri  iV, 
donner.  Henriette  au  prince  de.  Galles,  aider  le  roi  d'An- 
gleterre à  rétablir  le  Palatin,,  son  gendre.  Comment  le 
aavons-BOus?  par  Bichelieu,  son  ennemi,  qui  nous  ap- 
prend que  la  Vieuville,  ayant  tout  le  momie  contre  luit 


252  mCBELiBU  BT  BÉRULLE. 

abandonna  à  la  fin  ces  projets  et  rassura  les  Espagnols^ 

La  concession  essentielle  qu'il  fit  à  leur  parti,  ce  fut  d*ap- 
peler  au  conseil  l'homme  de  lu  reine-mère,  Tami  de 
Bérulle,  Richelieu  même  (24  avril  4624).  Celui-ci,  qui 
ja'était  connu  que  par  son  premier  ministère,  et  comme 
ex-aumônier  de  notre  jeune  reine  espagnole,  en  gardait  la 
réputation  d'un  bon  sujet  qui  ne  contrarierait  en  rien 
Madrid  et  mériterait  toujours  l'éloge  qu'en  avait  fait  l'am- 
bassadeur d'Espagne  :  «  Il  n'y  en  a  pas  deux  en  France 
aussi  zélés  pour  le  service  de  Dieu,  pour  notre  couronne 
et  le  bien  public.  » 

Appelé  par  Yieuville,  il  ne  perdit  pas  de  temps  pour  le 
mettre  à  la  porte.  Ce  fut  fait  en  trois  mois  (12  août). 

La  Yieuville  n'avait  eu  ni  la  tête  forte,  ni  la  suite,  ni  le 
caractère  qui  pouvaient  soutenir  l'audace  de  sa  première 
démarche,  ce  changement  radical  dans  la  politique  de  la 
France,  Richelieu  en  avait  la  force  et  le  génie.  Mais,  en 
revanche,  tous  ses  précédents  lui  rendaient  une  telle  révo- 
lution plus  difficile  qu'à  personne.  S'il  y  entrait,  il  allait 
faire  une  chose  surprenante,  étourdissante,  monstrueuse. 
Car  de  quoi  procédait-il,  avec  son  ministère  et  son  cha- 
peau, et  tout  son  être,  sinon  primitivement  de  Concini  et 
de  la  reine  mère,  c'est-à-dire  de  l'Espagne?  Et  il  fallait 
maintenant  se  tourner  contre  l'Espagne  I  Mais  celle-ci  dis- 
posait de  Rome.  Il  faudrait  donc  aussi  se  tourner  contre 
Rome,  dont  on  recevait  le  chapeau? 

Que  diraient  alors  la  reine  mère  et  Bérulle?  Agirait-on 
contre  eux?...  Terrible  scandale  d'ingratitude!  Renier  ses 
auteurs,  et  méfaire  à  ses  créateurs,  et  «  faire  passer  son 
char  sur  le  corps  de  son  père  I  » 

Un  homme  qui  dérivait  de  la  reine  mère,  et  qui  allait 
s'en  détacher^  devait  trouver  en  elle  un  point  où  ellé-méme 
flottât  et  fût,  pour  ainsi  dire,  contre  elle-même.  Et  il  fal- 
lait encore  qu'en  cela  on  n'eût  point  contre  soi  l'homme 
-  qu'elle  consultait,  Bérulle.  Ce  point  fut  le  mariage  de  sa 


RICULIBO  ET  BBRULLB.  253 

fille  Henriette.  Le  seul  grand  mariage  qu'on  pût  lui  faire  en 
Europe,  c'était  celui  du  fils  de  Jacques  I*'.  L'orgueil  royal  et 
maternel  était  pris  là.  Et  quant  à  Bérulle,  la  chose  lu^  allait 
aussi.  Avec  toutes  ses  petites  prudences  et  ses  petites  ruses, 
il  perdait  terre  dès  qu'on  le  lançait  dans  la  vision  donqui- 
chottique  d'une  grande  conquête  religieuse  de  l'Angleterre. 

Les  jésuites  y  avaient  échoué  1  Mais  les  oratoriens,  si 
modérés,  si  sages  !...  ils  ne  pouvaient  manquer  de  réussir. 
Quelle  gloire  pour  l'institution  nouvelle  I 

Voilà  Bérulle  pour  l'alliance  anglaise.    . 

Mais  il  ne  fallait  pas  s'y  tromper.  On  ne  pouvait  épouser 
l'Angleterre  qu'en  se  brouillant  (au  moins  pour  quelque 
temps)  avec  l'Espagne,  qui  avait  désiré  ce  mariage  pour 
elle*méme.  On  ne  pouvait  gagner  le  roi  Jacques  qu'en 
aidant  au  rétablissement  de  son  gendre  le  Palatin.  Et, 
pour  cela,  il  fallait  deux  choses,  aider  d'argent  l'armée 
que  Jacques  envoyait  en  Allemagne,  et  subventionner  la 
Hollande,  qui  devait  agir  de  concert.  Pour  créer  une  diver* 
sion,  on  emprunterait  des  vaisseaux  hollandais  qui  aide- 
raient le  duc  de  Savoie  à  s'emparer  de  Gènes. 

La  reine  mère  et  Bérulle,  pour  Tamour  du  grand  ma- 
riage, et  le  salut  des  âmes  anglaises,  avalaient  assez  bien 
cela.  Mais  l'affaire  de  la  Valteline  était  plus  compliquée. 
Là,  devant  l'Espagne,  on  trouvait  le  pape,  qui  la  masquait, 
la  défendait,  et  ne  permettait  de  rien  faire. 

Heureusement  Richelieu  trouva  une  belle  prise  dans  la 
passion  même  de  Bérullç.  Au  moment  pii  la  France  allait 
rendre  à  la  religion  un  tel  service,  la  conversion  de  l'An- 
gleterre, était-il  possible  que  le  Père  des  fidèles  conservât 
pour  l'Espagne  une  odieuse  partialité?...  Non,  le  bon 
Bérulle  était  sûr  qu'Urbain  VIU  serait  aisément  éclairé.  Il 
se  chargea  d'aller  à  Rome  et  de  faire  d'une  pierre  deux 
coups,  en  obtenant  du  pape  la  dispense  nécessaire  au 
mariage,  et  un  arrangement  raisonnable  de  l'affaire  de  la 
Valteline.  Il  répondit  de  finir  dans  un  mois. 


«• 


854  RICBJLUBO  «r  BtKULLB. 

Le  roi  laoques,  fils  de  Mme  Stuart,  ai»it  toujours  eu 
un  cerlaia  faible  pourries  catholiques,  et  il  était  en  termes 
de  grande  .petitesse  avec  le  pape.  Lafbrle  épreuve  de  la 
Conspiratiaa  des  poudres,  où  il  faillit  sauter  Avec,  le  parie- 
ment  et  Westminster,  avait  quelque  peu  ralenti,  non 
arrêté  ce  doux  penchant  vers  Rome.  Non  sans  cause.  Une 
idée  fort  juste  frappait  Jacques,  o'est  que  le  catholicisme 
est  la  religion  du  despotisme.  Son  fils  Charles  I*',  quoique 
bon  anglican,  était  dans  cette  idée.  Le  père,  le  fils,  con- 
trariés par  le  parlement,  qui  les. tenait  aifamés  d'argent, 
regardaient  avec  envie,  .avec. admiration,  la  jnonarohie 
espagnole.  JËpouser  une  infante,  s'attacher  foriement  les 
catholiques  anglais  et  s'en  faire  une  armée  contre  la  cons- 
titution, c'était  leur  rêve.  .Mais  l'affaire  était  dangereuse. 
Le  favovi  de  Jacques,  Tétourdi  Buokingham,  la  fait  éclater. 
Il  part  pour  l'Espagne  avec  le  jeune  Charles.  Ces  cheva* 
liers  errants  vont  à  Madrid  demander  la  princesse.  Us 
accordent  tout  à  i'£spagne,  qui^  ravie,.aanonce  partout  le 
mariage,  en  faft  les  fétCsS,  lorsqu'un  matin  les  oiseaux 
voyageurs,  le  prince  et  Buckingham,  se  trouvent  brusque- 
ment envolés. 

Ce  dernier,  pour  une  a£Eûre  de  .galanterie,  s'était  piqué, 
avait  rompu.  C'est  ce  qui  rejeta  Jacques  versia  France,  et 
amena  Bérulle  à  Rome.  Mais  le  pauvre  homme  y  trouva  des 
difficultés  imprévues,  au  lieu  d'un  mois,  y  resta  cinq,  et 
n'arriva  à  rien.  Soit  par  .ménagement  pour  l'Espagne,  «oit 
par  ignorance  de  1  état  de  l'Angleterre,  la  cour  papale 
trouva  mille  et  mille  chicanes  pour  la  dispense.  Pour  la 
Yakeline  c'était  encore  pis.  Là  le  pape  n'entendait  plus 
rien,  il  était  complètement  sourd.  En  réalité,  son-  neveu 
Barberini  (le  plus  gras  des 'neveux,  et  qui  tira  de  l'ottoleia 
somme  invraisemblable  et  constatée  de  œnt  millions 
d'écusl),  ce  Barberini,  dis-je,  trouvait  fort  bon  de  rester 
garni  de  ce  gage,  et  ne  désespérait 'pas  de^e  faire  là  quel^ 
que  jolie  principauté. 


neSBUEU  ET  «ÊRULLB.  2b& 

Bérnlle  puait,  pressmt,  pleurait.  Hftis  le  pape  allait 
prcfidre  Vair  à  Frescatî.Il  cherchait,  ^en  novembre ,  la  frat- 
.cheur  et  r<NDbre  des  bois.  L'orutorieii  invoquait  tons  les 
saints,  eooniit  dans  Rome  d'église  en  église. 

La  conduite  du  pape  .était  inexcusable.  D'abord,  il  avait 
pris  le  gage  pour  trois  bioîs,  et  le  gardait  depuis  deux  ans. 
Snsuite,  il  refusait  même  de  le  remettre  aux  Espagnols. 
Bien  plus,  il  refusait  de  restituer  la  Yaltelineaux  Yaltelins. 
Cette  paralysie  extraordinaire^  qui  l'empéchah  de  rien 
faire,  de  rien  dire,  dès  qu'on  le  sommait  de  rendre  un 
dépôts  était  chose  honUust.  On  récrivit  de  Franee  à  Rome. . 
£t  l'on  ajoutait  chou  impie^  quand  la  France  rouvrait 
l'Angleterre  au  catholicisme,  quand  la  situation  pressait, 
devait-  donner  des  ailes  !  Le  pape  apparaissait  le  mortel 
ennemi  de  la  papauté. 

Le  fend  n'était  que  trop  visible.  Ses  neveux,  les  Barbe- 
rini,  banquiers  de  Florence,  n'y  voyaient  qu'une  affaire. 
Outre  la  Valteline,  ils  couvraient  de  Yml  Urbîno,  où  s'étei- 
gnait Ja  famille  régnante.  Us  voulaient  reprendre  ce  fief 
du  Saint-Siège,  et  avaient  grand  besoin  de  la  faveur  des 
Espagnols. 

D'oiileur  venait  tant  de  sécurité,  et,  tFancbonslejnot, 
d'impudence?  De  la  position  extraordinaire  c^e  les  mai- 
sons d'Autriehe  et  de  Aavière  faisaient  au  pape  dans  l'Em- 
pire. En  Bohème,  en  Allemagne,  régnait  le  légat  Garaffa. 
Entouré  d'une  armée  de  moines,  il  -eommençait  dans 
Prague  la  terrible  persécutioii  qui  a  fait  ^du  pays  le  désert 
'  que  l'oD  voit  encore. 

Le  cardinal  de  Richelieu  semble  avoir  prévu  qu'il  aurait 
fotrt  à  faire  oontrele  pape.  Outre  l'influence  que,  de  longue 
date,  il  avait  prise  dans  les  assemblées  du  clergé  de  France, 
il  se  fit  faine  proviseur  de  Sorbonne.  dès  qu'il  entra  au 
miaifitère,  il  négocia  avec  les  Turcs,  et  obtint  d'eux  de 
relenrer  Tégliaede  Bethléem.  Lo  cuhe  Franc  obtint  par  lui 
à  Jérusalem  des  libertés,  un  éclat  tout  nouveau.  Enfin,  il 


â56  RICHELIKU  ET  B^RULLE. 

se  lia  avec  les  catholiques  anglais,  leur  écrivant  que,  pour 
leur  cause,  il  donnerait  jusqu'à  sa  vie. 

Tout  cela  lui  créait  une  force  religieuse.  Et  il  en  avut 
une,  politique,  dans  la  colère  du  roi,  furieux  du  m^ris 
que  le  pape  faisait  de  lui.  Louis  XIII  était  capable  de  tout 
dès  qu'il  s'agissait  de  Vkùnneur  de  la  couronne.  C'est  sur 
ce  mot  d'honneur  que  Richelieu  concentra  la  délibération, 
sûr  de  vaincre  par  là;  il  n'y  eût  pas  eu  de  sûreté  à  contre- 
dire. Mahdtenant  le  roi^,  l'enfant  colère,  ne  changerait*il 
pa$  le  lendemain?  Gela  pouvait  bien  être.  Richelieu  brava 
ce  danger.  U  montra,  ce  jour-là,  infiniment  d'audace  et 
de  prévoyance,  devinant  que  le  pape  ne  ferait,  rien  et  les 
Espagnols  rien. 

D'abord  il  envoya  en  Suisse ,  non  pas  Bassompierre, 
colonel  des  Suisses,  l'homme  de  la  reine  mère,  qui  eût 
fait  manquer  tout ,  mais  son  séide  à  lui,  Cœuvres  ou 
d'Estrées,  frère  de  Gabriélle.  D.'Estrées  emporta  près  d'un 
million,  ce  qui  attendrit  tout  de  suite  et  les  Bernois  pro- 
testants, et  le  Valais  catholique,  qui  s'offrirent  à  marcher. 
Zurich  donna  des  armes.  La  présence  de  l'ambassadeur 
rendit  du  courage  aux  Grisons.  Dès  qu'il  eut  planté  son 
drapeau  à  Coire,  tous  les  bannis  des  vallées  accourent , 
demandent  à  combattre.  Une  explosion  morale  se  fit 
d'abord  dans  le  coin  des  Grisons  dont  les  Autrichiens 
s'étaient  emparés.  Le  peuple  les  chassa.  D'Estrées  n'eut 
plus  qu'à  y  entrer  et  leur  fermer  la  porte  sur  le  dos  en 
fortifiant  le  pont  du  Rhin  du  côté  du  Tyrol. 

Restait  la  Yalteline  môme,  et  ce  grand  épouvantail  des 
clefs  de  saint  Pierre  qui  flottaient  sur  les  Alpes  avec  le 
drapeau  romain.  Là,  il  fallait  prendre  un  parti.  Dernières 
sommations.  En  vain.  L'amlrnssadeur  change  d'habit;  le 
voilà  général.  Une  petite  armée  française,  trois  mille  hom- 
mes et  cinq  cents  chevaux  se  trouvaient  là^  sans  qu'on  ait 
su  comment,  pour  appuyer  les  Suisses.  II  ne  manquait  que 
des  canons. 


BICHKUBO  R  BÉRDLU.  257 

I^  soldate  du  pape,  dans  leurs  nids  d'aigles,  contre  on 
ennemi  sans  artillerie,  n'avaient  qu'une  chose  à  faire  : 
être  tranquilles,  n'avoir  pas  peur.  C'est  ce  qu'ils  ne  firent 
pas.  La  peur  dispensa  de  canon.  Quoiqu'ils  eussent  avec 
eux  nombre  d'Espagnols,  ils  n'attendirent  pas  de  voir,  il 
leur  suffit  de  savoir  que  le  drapeau  de  la  France  venait  à 
eux  par  la  vallée.  A  la  grande  surprise  des  Suisses,  qui  ne 
pouvaient  le  croire,  ils  abandonnèrent  le  premier  fort  et 
le  brûlèrent.  Tel  fut  généralement  l'adieu  qu'ils  laissèrent 
au  pays,  brûlant  ce  qu'ils  pouvaient,  et  faisant  main  basse 
sur  cette  population  catholique  qui  les  avait  appelés. 

Cela  donna  la  meilleure  grâce  à  l'entrée  des  Français 
qui  semblaient  n'arriver  que  pour  empêcher  l'incendie* 
Le  général  pontifical,  le  marquis  de  Bagni,  poussé  jus- 
qu  à  Tirano,  reçut  les  ordres  d'accommodement  qu'on 
voulait  bien  lui  faire  encore,  il  espérait  gagner  du  temps 
avoir  quelque  secours.  Mais  rien  ne  vint  alore.  Il  tira  sur 
nous  en  pleine  négociation.  Cela  força  d'Estrées  à  latla- 
qucr  et  le  battre,  avec  tout  le  respect  possible,  La  ville  fut 
emportée  sans  peine,  voulant  l'être  et  tout  le  peuple  étant 
pour  nous.  Bagni,  réfugié  au  château ,  se  rendit  deux 
jours  après  et  fut  honorablement  renvoyé  avec  ses  dra- 
peaux. On  ne  lui  garda  que  les  blessés  pour  les  soigner  et 
les  nus  pour  les  habiller;  tous  auraient  voulu  se  faire 
prendre  (décembre  1624). 


XI.  „ 


CHAPITRE   XXII 


L'Europe  en  dt'com position.  —  Richelieu  forcé  de  Rétrograder. 

1625-1026. 


Galilée,  en  1610,  avait  eu  sur  le  ciel  son  coup  d*œil  de 
génie.  Richelieu  eut  le  sien  sur  la  terre  en  4624. 

Que  vit  ce  Galilée  de  la  situation  politique?  Des  étoiles 
nouvelles?  Non  pas,  mais  une  étoile  qui  filait. 

Il  comprit  le  néant  de  Rome. 

Et  cela  au  moment  où  les  événements  donnaieut  au 
pape  une  énorme  importance  dans  l'opinion,  au  moment 
où  les  vainqueurs  de  la  Bohême  et  de  rAllemagoe  dres- 
saient le  trône  du  légat  romain ,  le  constituant  maître  et 
des  âmes  et  des  biens,  le  dictateur  de  la  victoire. 

Le  beau  neveu  de  Grégoire  XV,  monsignor  Ludovisio, 
prince  élégant,  favorisé  des  dames,  venait  d*élever  le  Gesù 
et  la  Propagande,  Sous  Urbain  VIH,  poëte  agréable  et 
anacréontique,  ces  deux  maisons  fleurirent  de  plus  en 
plus,  et  furent  le  double  Capitole  de  la  Rome  d'Ignace. 
Dans  Tune,  on  organisa  la  police  du  globe;  dans  l'autre, 
ses  conquêtes.  Le  grand  mensonge  des  missions  aux  terres 
païennes  commença  là.  Voyez  les  gasconnades  du  Tite- 
Live  de  la  Gascogne,  le  grand  Fiorimond  de  Raemond. 
Tendres  pour  les  Chinois,  terribles  pour  l'Europe,  sorti- 
rent de  là  tous  ces  prêcheurs  qui  allaient  derrière  les 
armées  de  Waldstein  avec  les  loups  et  les  vautours. 


RlCHJBUiU  rOBCÉ  DE  RÊTfiOGRADER.  259 

Ce  qu'il  y  eut  d'habileté  dans  tout  cela  ue  doit  pourtant 
pas  faire  oublier  ce  qui  facilitait  les  choses.  Je  veux  dire 
le  grand  côté  financier  de  l'affaire.  Si  ces  charnoants  Jé^ 
suites  furent  si  persuasifs,  gagnèrent  les  rois,  les  cours, 
les  belles  dames,  jusqu'aux  laquais,  c'est  qu'ils  s*adres^ 
saient  à  des  gens  qui  comprenaient  très-bien  qu'il  s'agis- 
sait d'une  translation  de  la  propriété.  Arrêtez  donc  une 
révolution  qui  marche  par  la  furie  des  lois  agraires! 

Maintenant  je  laisse  nos  critiques  apprécier  Ja  littéra- 
ture des  Jésuites.  Elle  est  forte  en  rébus,  incomparable 
em  acrostiches ,  subliuie  en  calembours.  J'admire  Posse^ 
vin,  j'admire  Gotton,  j'admire  Vlniag^  prinii  sxculL  Mais 
l'éloquence  de  ces  Pères  bien  autrement  éclate  dans  VKdit 
de  restitution^  qui  ruine  moitié  de  TÀUemagne  au  pi\ofiit 
de  l'autre,  dans  la  liévocation  de  redit  de  Nantes ,  qui  fit 
pleuvoir  la  manne  des  confiscatioiis  protestantes  dan$  les 
poches  trouées  de  la  noblesse  catholique. 

En  conscience,  Tilly ,  Waldstein,  etc.,  avaient  bon 
temps,  quand  tous  les  princes  protestants  avaient  peur  du 
protestantisme,  voyant  la  république  au  fond.  L'Angle- 
terre ne  fit  rien.  Pourquoi?  Parce  que  son  roi  protestant 
adorait  les  Espagnols,  estimait  les  Autrichiens.  Les  princes 
luthériens  d'Allemagne  se  gardèrent  de  s'associer  à  la 
Hollande,  ce  qui  les  eût  sauvés,  craignant  que  leurs  sujets 
ne  se  fissent  Hollandais,  qu'ils  ne  fussent  tentés  piir  ia 
grandeur  subite  et  renricbissement  prodigieux  de  la  nou^ 
\éUe  république. 

Tout  cela,  en  réalité,  rendait  ces  intrigues  et  ces  car- 
nages assez  faciles,  et  la  papauté  n'eut  pas  beaucoup  à 
suer.  Le  curieux ,  c'est  qu'elle  fut  très -souvent  l'obstacle 
de  ce  qu'on  faisait  pour  elle.  A  travers  toute  cette  fantas- 
magorie de  Propagande  et  de  Gesii,  de  conquête  univer- 
selle, etc.,  on  voit  au  fond  du  Vatican,  quoi?  Un  petit 
yieillard  chagrin ,  Italien  avant  tout ,  prince  avant  tout, 
oncle  avant  tout,  qui  emploie  vite  le  peu  de  temps  qu'il  a 


360  l'europe  bn  décomposition. 

à  acquérir  un  morceau  de  terre  pour  le  Saint-Siège  ou  ses 
neveux.  Les  trois  papes  florentins  n*ont  pas  fait  autre 
chose.  Paul  IV  appelait  jusqu'aux  Turcs  pour  sa  petite 
affaire  de  Parme.  Sixle-Quint  tourne  le  ,dos  à  la  grande 
Armada^  à  la  Ligue;  il  ne  regarde  quo  VAgro  romano. 
Clément  VIII  veut  Ferrare  ;  Urbain  VIII,  Urbino.  L'Eu- 
rope  est  pour  eux  secondaire. 

Richelieu  vit  ces  misères  à  fond,  de  part  en  part. 

Il  vit  cette  politique  tremblotante,  qui  ne  tirait  plus 
de  force  de  la  religion ,  mais  d*un  reflet  de  la  royauté. 
L'Autrichien,  TËspagnol,  exhaussaient  et  surexhaussaient, 
pour  leur  intérêt  propre,  la  casuelle  idole  qui  ne  se  sen- 
tait pas  bien  en  sûreté  sur  leurs  épaules  et  s'effrayait  de 
la  hauteur. 

Il  vit  qu'on  pouvait  aller  à  eux,  et  qu'ils  reculeraient. 

Il  vit  qu'on  pouvait  donner  ce  coup  au  pape,  et  qu'il  le 
garderait. 

Que  la  France  pouvait  risquer  contre  l'Espagnol  ce 
qu'avait  risqué  la  Savoie.  Le  petit  prince  des  marmottes 
avait  par  deux  fois  embarrassé  ce  fastueux  empire,  c  où 
ne  se  couchait  jamais  le  soleil.  » 

L'Espagne  d'alors,  avec  ses  grands  mots,  ses  grand  airs, 
était  un  gouvernement  de  loterie,  d'aventure  et  d'aventu- 
riers. Une  fois,  ils  s'entendent  avec  des  voleurs  pour  brû- 
ler Venise.  Leur  bonheur,  en  Hollande,  c'est  Spinola,  un 
aventurier  Italien.  Et,  s'il  leur  faut  un  diplomate  dans  la 
plus  grande  affaire,  ils  vont  chercher  un  peintre,  le  Fla- 
mand Rubens. 

Richelieu  n'opinait  pas  mieux  de  l'Autrichien,  Ferdi- 
nand H,  qui  tombait  tout  à  plat  si  on  détachait  la  Bavière. 

Richelieu  y  travaillait,  et,  d^autre  part,  regardait  quel 
secours  la  France  pouvait  tirer  des  princes  protestants 
contre  la  maison  d'Autriche.  Lui,  leur  ennemi,  qui  écri- 
vait contre  eux .  il  voyait  bien  que,  sans  eux,  on  était 
perdu. 


RICHELIEU  FORGE  DE  RÉTROGRADER.  261 

Malheureusement  la  Hollande  était  toute  désorientée, 
divisée  contre  elle- même.  Le  chef  des  modérés,  le  conti- 
nuateur du  tolérant  esprit  de  Guillaume,  Barneveldt,  ami 
de  la  liberté,  de  la  paix  et  protecteur  des  catholiques, 
avait  adouci  Tesprit  public,  trop  tôt,  en  plein  péril.  Le 
parti  de  la  guerre  s'était  réfugié  dans  une  doctrine  de 
guerre,  le  sombre  calvinisme,  qui  jadis  Tavait  fait  vaincre. 
C'est  tout  à  fait  l'histoire  de  la  Gironde  et  de  la  Montagne. 
Barneveldt  ne  trahissait  point  (pas  plus  que  la  Gironde), 
mais  ses  molles  doctrines  livraient  le  pays,  il  se  trouvait 
à  la  télé  du  parti  que  nous  dirions  fédéraliste,  du  parti 
des  provinces  qui  n'obéissait  point  aux  Ëtats  généraux, 
qui  soutenait  la  division,  la  non-centralisation ,  la  fai- 
blesse, devant  l'ennemi.  Barneveldt  meurt,  comme  héré- 
tique et  traître.  Mais  Fauteur  de  sa  mort,  Maurice,  n'en 
réussit  pas  mieux.  Les  provinces  repoussent  l'unité.  Ceux 
qui  l'aidèrent  à  perdre  Barneveldt  le  regrettent  mainte- 
nant, détestent  le  tyran.  Maurice,  qui  avait  sauvé  dix  fois 
la  Hollande,  ne  pouvait  croire  qu'il  fût  haï.  Un  jour  qu'il 
passait  à  Gorcum,  à  midi  et  en  plein  marché,  il  salue,  et 
personne  ne  met  la  main  au  chapeau  ;  tous  le  regardaient 
de  travers.  On  vit  alors  une  chose  grande,  morale,  ter- 
rible. Cet  homme,  immuable  aux  fatigues,  aux  périls, 
avait  eu  toujours  le  sommeil  profond;  il  était  gras  (Spi- 
nola  maigre).  Tout  à  coup  il  changea,  il  n'avait  vécu  que 
d'honneur,  de  popularité.  Il  maigrit  et  mourut  (avril 
4625).  La  Hollande  en  fut-elle  relevée  ?  Point  du  tout  Elle 
avait  eu  deux  têtes,  et  les  avait  coupées.  Elle  resta  un 
moment  très-faible. 

L'Angleterre  n'était  guère  moins  malade.  Lisez  les  son- 
nets de  Shakspeare,  si  beaux  et  si  bizarres.  Vous  y  entre- 
voyez la  décomposition  d'un  monde .  Et  il  y  en  a  aussi 
quelque  chose  dans  ses  comédies.  Ses  hommes  femmes  et 
ses  femmes  hommes,  ce  dévergondage  d'esprit  montre 
un  pays  bien  fatigué.  Tristes  équivoques  d'imaginations 


262  l'ECKOPE  en  DÉCOMPOSItlO^. 

maladives  (historiques  pourtant,  \oyet  le  bean  Cinq-Mars 
et  le  beau  fiuckinghani,  etc.),  elles  disent  la  fin  d'ane  so- 
ciété qui  ne  veut  plus  de  la  nature.  Où  est  dans  tout  cela 
la  tradition  pure  de  la  Merry  England,  cette  joyeuse  An- 
gleterre de  Drake,  qui  se  moqua  de  Y  Armada?  Une  autre 
naît,  je  le  sais,  sombre  et  forte,  qui  donnera  Cromwell  et 
les  États-Unis.  Mais  elle  naît  lentement,  sous  le  poids 
écrasant  de  YÉglise  établie.  Richelieu  s'aidera  peu  là-Las 
des  Puritains,  contre  lesquels  il  lui  faudra  combattre  en 
France. 

L'Angleterre  enrichie  était  devenue  prodigieusement 
économe  pour  TÉtat.  Elle  s'en  excusait  en  disant  que 
ni  Jacques  ni  Buckingham  ne  lui  inspiraient  confiance. 
Buckingham,  il  est  vrai,  sorti  d'une  famille  de  fous  enfer- 
més, mérita  plusieurs  fois  de  Tétre.  Dans  son  étonnant 
voyage  en  Espagne,  où  il  mène  le  jeune  Charles  1^'  aux 
pieds  de  Tinfante,  lui  il  prend  pour  infante  la  femme  du 
premier  ministre,  Olivarès.  Celui-ci  avait  dit  :  «  L'Espa- 
gne ne  refusera  rien  à  l'Angleterre.  »  L'Anglais  le  prit  au 
mot,  et  crut  que  sa  femme  en  était.  Mais  l'altière  doîia, 
indignée  de  cette  sottise  insolente  qui  croyait  vaincre  en 
un  quart  d'heure,  mit  une  fille  à  elle  au  rendez-vous. 
Cette  iille-Ià  sauva  l'Europe  d'un  extrême  danger.  Buckin- 
gham, conspué,  n'eut  qu'à  s'enfuir.  L'Angleterre,  qui 
allait  s* unir  à  l'Espagne ,  se  tourna  dès  lors  vers  la 
France. 

Événement  heureux  pour  Richelieu,  s'il  avait  pu  en  pro- 
fiter, comme  eût  fait  Henri  IV.  Mais  il  n'était  pas  roi,  il 
n'était  même  pas  encore  le  Richelieu  qu'il  fut  plus  tard. 
Le  pape  et  les  Bérulle  l'obligèrent  de  faire  aux  Stuarts  des 
conditions  terribles  de  mariage  qui  ébranlaient  leur  dy- 
nastie, rendaient  l'alliance  française  odieuse,  partant  sté- 
rile. Un  évéque,  qui  revenait  d'Angleterre,  avait  donné  à 
nos  dévots  des  espérances  exagérées.  Jacques  l'avait  laissé 
offlcier  en  plein  Londres ,  confirmer  en  un  jour  dix-huit 


RICHSLIEU  FOBCS  DE  RETROGRADER.  tt3 

mille  catholiques  devant  la  foule  curieuse ,  irritée,  mais 
juuette. 

Les  ndtres,  qui  ne  oonnaissaient  pas  la  profondeur  de 
haine  que  TÀngleterre  garde  au  papisme,  crurent,  d'après 
cela,  qu'on  pouvait  tout  oser.  On  exigea  «  que  les  enfants, 
même  catholiques^  succéderaient,  et  que  la  mère  les  élève- 
rait jusqu'à  treize  ans.  »  On  exigea  «  que  la  jeune  reioe 
amenât  un  évéque,  que  cet  évêque  et  son  clergé  parussent 
dans  les  rues  sous  leur  costume,  »  Même,  pour  triompher 
des  résistances  trop  raisonnables  du  prince  de  Galles,  •etn 
fit  cette  chose  inconvenante  de  lui  faire  denumder^r 
Henriette  «  de  dispenser  les  catholiques  du  serment,  »  ser- 
ment modéré,  politique»  dont  Jacques  avait  déjà  écarté 
tout  ce  qui  pouvait  alarmer  les  consciences.  Henriette  ai^ 
rivait  là  de  façon  bien  sinistre  !  Avant  de  s'embarquer,  eJte 
exigeait  que  Charles  préparât  son  procès,  jetât  la  première 
pierre  de  son  échafaud  de  Whitehall  ! 

Comment  voulait-on  que  Jacques  et  Charles  fissent  digé- 
rer cela  au  Parlement?  Il  eût  fallu  du  moins  que  Richelieu 
pût  leur  accorder  un  signe  qui  honorât  le  mariage  devant 
l'Angleterre  et  fit  espérer  un  secours  puissant  pour  le 
gendre  de  Jacques  et  les  protestants  d'Allemagne.  11  ne  le 
pouvait  pas.  Nos  dévots  ne  l'eussent  pas  permis.  Il  se  serait 
perdu  près  du  clergé  de  France,  qu'il  opposait  au  pape.  Il 
n'eût  pu  continuer  ses  négociations  pour  séparer  la  Ba- 
vière de  l'Autriche.  N'osant  donner  des  hommes,  il  donna 
de  l'argent.  Il  promit  pour  six  mois  un  subside  au  partisan 
Mansfeld ,  que  Jacques  envoyait  en  Allemagne ,  et  en- 
core à  condition  que  Mansfeld  ne  passerait  pas  par  la 
France.  Enfin,  il  subventionna  le  roi  de  Danemark,  que 
les  protestants  d'Allemagne  se  donnèrent  pour  chef  (mars 

4625). 

Qu'il  ait  osé  tout  cela  dans  les  tremblants  commence- 
ments d'un  pouvoir  disputé,  cela  étonne,  et  surtout  au 
moment  oii  le  vent  du  midi  lui  apportait  de  Rome  une 


264  L'fiOROPfi  EN  DÉCOMPOSITION. 

tempête  à  le  déraciner.  Après  raffaîre  de  Valteline,  le  pape 
avait  eu  peur  d*abord.  Il  crut  voir  monter  aux  murailles 
Bourbon,  Frondsbcrg.  Et  il  pria  BéruUe  d'aller  vite  apai- 
ser le  roi.  Puis,  ne  voyant  rien  venir,  la  peur  fit  place  à  la 
colère.  Ses  Barberini  ne  parlaient  que  d'excommunier, 
foudroyer,  écraser.  Le  neveu  régnant  supposa  que  le 
bonhomme  BéruUe  ne  parlerait  pas  assez  haut.  Lui-même, 
de  sa  personne,  se  mit  en  route  ;  armé  des  pouvoirs  de 
rËglise,  les  poches  pleines  de  bulles,  il  s'achemina  vers  la 
France,  curieux  de  voir  si  Richelieu  l'attendrait  de  pied 
ferme,  ou  plutôt  sûr  de  le  trouver  à  la  frontière,  repentant 
et  la  corde  au  cou. 

Celui-ci,  en  réalité,  avait  à  soutenir  d'étranges  assauts. 
Louis  Xiil  ne  s'habituait  pas  à  cette  situation  nouvelle  de 
faire  la  guerre  au  pape.  La  reine  mère  lui  en  faisait  hontei 
et  BéruUe  sans  doute,  de  ses  soupirs  et  de  ses  larmes,  re- 
muait sa  conscience.  Un  matin,  le  roi  brusquement  dit  à 
Richelieu  :  «  Il  faut  en  finir.  »  (Mars  1625.) 

Mais,  bien  loin  d*en  finir,  celui-ci  s'endurcissait  telle- 
ment, que,  le  25  encore,  il  signa  le  traité  du  Nord  avec 
les  ennemis  du  pape,  le  Danois  et  les  Allemands. 

Quel  était  donc  cet  homme  qui  violentait  ainsi  la  cons- 
cience de  son  roi?  Grand  problème  qui  m'a  souvent  ab- 
sorbé, et  je  n'en  serais  jamais  sorti,  si  je  n'avais  lu  dans 
la  belle  publication  de  M.  Avenel  (t.  Il,  p.  207)  une  pièce 
écrite  un  peu  plus  tard,  mais  qui  explique  tout.  On  voit 
que  Richelieu  avait  ensorcelé  le  roi* 

Par  talisman,  philtre  ou  breuvage?  par  l'anneau  en- 
chanté qui,  dit-on,  troubla  Cbarlemagnc?  Non,  par  la 
caisse  des  finances. 

Louis  XIII  n'avait  jamais  vu  d'argent,  et  Richelieu  lui 
en  fit  voir. 

Ce  fut  un  coup  de  théâtre  analogue  à  celui  de  Sully,  cet 
autre  magicien,  quand  du  pied  il  frappa  la  terre,  et  que 
l'argent  jaiUit  pour  Henri  IV  émerveUlé. 


RICHBLIBU  FORCÉ  DE  RÉTROGRADER.  265 

Le  revenu,  qui  diminuait  tous  les  ans,  augmenta  tout  à 
coup.  Indépendamment  d'une  enquête  contre  les  finan- 
ciers, ressource  passagère,  Richelieu  alla  droit  aux  sources 
régulières,  aux  comptables,  aux  receveurs,  et  il  se  mit  à 
compter  avec  eux.  Ils  furent  bien  étonnés.  Quand  on  leur 
demandait  de  l'argent,  ils  prétendaient  toujours  avoir  fait 
des  avances,  disaient  qu'on  leur  devait  plutôt ,  offraient 
de  prêter  et  prêtaient  au  roi  à  usure  l'argent  même  du  roi. 

Ce  jeu  cessa  avec  un  homme  sérieux ,  qui  ne  plaisantait 
pas,  qui  tira  tout  à  clair  lui-même.  Homme  net,  avant 
tout,  et,  bien  plus,  d'une  générosité  altière,  qui,  par  exem- 
ple, en  prenant  la  marine,  gagna  un  profit  de  cent  mille 
écus,  et  en  fit  cadeau  à  l'État. 

Louis  XIII  n'aimait  pas  ce  visage  pointu,  mais  il  restait 
persuadé  que  le  disgracier,  c'était  rentrer  dans  l'indigence 
où  Concini  l'avait  tenu,  dans  la  honte  où  le  mit  deLuynes, 
sous  les  sifflets  de  Montauban. 

Donc,  ferme  sur  sa  caisse,  Richelieu  attendit  le  légat  et 
la  foudre. 

Cette  sécurité  stoïcienne  allait  si  loin,  qu'il  s'obstinait  à 
ne  pas  vouloir  armer  contre  nos  protestants,  qui  avaient 
fait  une  prise  d'armes  maladroite  et  malencontreuse  au 
niomcnt  même  où  Richelieu  faisait  la  guerre  au  pape. 

Leur  conduite,  à  ce  moment,  a  indigné  la  France.  Voici 
pourtant  comment  la  chose  se  passa. 

Les  deux  frères,  Soubise  et  Rohan,  ne  pouvaient  pas  sa- 
voir, le  17  janvier,  dans  la  Charente,  que  du  1"  au  40  jan- 
vier on  eût  chassé  des  Alpes  les  garnisons  pontificales.  Ils 
ne  voyaient  point  cela.  Ce  qu'ils  voyaient,  croyaient,  c'é- 
taient les  mensonges  politiques  de  Richelieu,  qui,  voulant 
se  faire  pardonner  ses  alliances  protestantes,  disait  par- 
tout qu'il  soudoyait  Anglais  et  Hollandais'  pour  isoler  la 
Rochelle,  que  tôt  ou  tard  il  attaquerait.  Et,  pour  mieux  le 
faire  croire,  il  avait  dans  la  Charente  quelques  petits  vais- 
seaux. 


266  l'evrwk  en  décomposition. 

Si  tous  nos  catholiques  du  Louvre,  Bérulle»  la  reine 
mère,  qui  vivaient  avec  Richelieu,  se  trompaient  à  cela, 
combien  plus  nos  huguenots  1  Lui-même,  en  ses  Hémoires, 
avec  colère,  il  se  demande  comment  ils  purent  l'attaquer 
dans  un  tel  moment.  Il  est  facile  de  le  lui  dire.  Parce  que 
la  fausse  paix  de  4622  avait  été  une  guerre;  parce  qu'on 
en  avait  profité  pour  bâtir  une  citadelle  à  Montpellier; 
parce  qu'aux  portes  de  la  Rochelle,  dans  l'Ile  de  Rhé,  on 
élevait  un  fort  pour  la  tenir  sous  le  canon  ;  parce  qu'on 
avait  mis  là  un  homme  altéré  de  leur  sang,  Tex-protestant 
Arnaud  ;  parce  qu'en  Rhé  on  avait  brûlé  vif  un  pauvre  tis- 
serand; parce  qu  on  avait  lancé  le  peuple  pour  les  massa- 
crer à  Lyon,  et  pour  brûler  ici  ,leur  temple  de  Charenton; 
parce  que  le  magistrat  allait  chez  les  mourants  les  sommer 
de  se  confesser;  enfin  parce  qu'en  toute  la  France  la 
grande  chose  qui  était  leur  joie,  leur  force  et,  disons 
mieux,  leur  âme,  leur  avait  été  retirée  :  la  liberU  du 
chant,  et  la  consolation  des  psaumes! 

Les  raisons  certes  d'armer  ne  manquaient  pas.  Le  mo- 
ment était  mal  choisi.  Richelieu  le  fit  dire  à  Rohan  par 
Lesdiguières.  Mais  celui-ci,  qui  tant  de  fois  avait  trompé, 
ne  fut  pas  cru  le  jour  quïl  disait  vrai.  Rohan  et  Soubise 
persistèrent^  malgré  la  majorité  des  protestants,  qui  ne 
voulaient  pas  bouger,  malgré  la  Rochelle,  qui,  étouffée, 
ruinée  dans  son  commerce,  s'obstina  pourtant  dans  la 
paix.  À  grand'peine,  Rohan  souleva  un  coin  du  Lan- 
guedoc. 

Ce  qui  devait  l'affermir  dans  la  guerre,  c'est  que  le  ma- 
riage d'Angleterre,  loin  de  favoriser  les  protestants,  fut 
fastueusemenl  arrangé  comme  une  invasion  catholique. 
Buckingham,  qui  était  venu  à  Paris,  y  recommençait  ses 
folies  espagnoles.  Il  faisait  l'amour  à  Anne  d'Autriche, 
qui,  n'ayant  que  les  restes  de  madame  d'Olivarès,  eût  dû 
£6  trouver  peu  flattée  ;  mais  point  :  elle  fut  très-attea- 
drie.  Tout  le  monde  sait  comment  le  fat  se  mit  à  la  noode; 


RICHKUI0  FORCÉ  DE  RÉTROGRADER.  ^7 

liistoire  qui  cote  la  cour  à  sa  valeur,  et  la  bassesse  du 
temps.  Il  parut  en  habit  brodé  de  perles  mai  cousues,  qui 
se  semaient  sur  les  chemins  pour  tenter  l'assistance,  k 
Madrid,  on  se  serait  cru  insulté  I  Ici,  on  le  trouva  trè»- 
bon  ;  les  plus  huppés  ramassaient  dans  la  crotte. 

Retz  dit  que  Buckingham  brusqua  son  succès  près  de  la 
reine,  qu'à  peine  arrivé  il  vainquit.  Aux  adieux,  à  Amiens, 
ce  fou  furieux  se  porta  publiquement  sur  elle  aux  der- 
nières entreprises.  11  outragea  la  France,  et  il  trahissait 
r Angleterre,  livrant  ses  vaisseaux  protestant»  pour  faire  la 
guerre  aux  protestants. 

Ce  fut  un  Guise,  pour  bien  renouveler  là-bas  le  fatal 
souvenir  de  la  parenté  des  Guises  avec  les  Sluarts,  qui 
épousa  la  petite  reine  Henriette  à  Notre-Dame  de  Paris  et 
la  mena  à  Londres.  Superbe  cavalcade  de  prêtres,  et 
moines,  et  religieuses  sur  leurs  mules,  toute  une  Armada 
eeclésiastique. 

La  reine  trouva  triste  et  sauvage  le  pays  et  le  peuple, 
odieuse  la  simplicité  grave  des  insulaires.  Son  sérieux 
époux,  Charles  P%  figure  roide  et  altière,  où  respirait  le 
froid  du  Nord  (par  sa  mère,  il  était  Danois),  lui  plut  très- 
médiocrement.  Et  elle  commença  tout  de  suite  la  petite 
guerre.  Elle  était  bien  stylée  d'avance,  et  Bérulie  ne  la 
quittait  pas.  Charles  se  trouva  avoir  dans  son  lit  une  zélée 
catéchiste,  triste,  sèche,  disputeuse,  qui  ne  donnait  rien 
pour  rien,  et  mettait  Tamour  aux  jeûnes  de  la  contro- 
verse. 

Elle  n'avait  nul  égard  an  temps^  au  danger  de  son  mari, 
qui  n'achetait  les  subsides  du  Parlement  que  par  des  sévé- 
rités religieuses.  Elle  avait  droit  d'avoir  vingt-huit  cha- 
pelles dans  les  châteaux.  Mais  le  plus  scabreux  était  celle 
de  Londres.  Elle  exigea  d'y  réunir  les  catholiques.  Ils 
vinrent  en  foule.  Alors  elle  voulut  une  église. 

Cependant  c'était  elle  qui  se  plaignait  et  se  faisait  plain- 
dre. Tout  retombait  sur  Richelieu.  Le  légat   Barberini 


268  l'borope  en  décomposition. 

était  à  Paris,  et  le  ministre  dans  un  extrême  péril.  U  parut 
là  dans  sa  grandeur,  mit  bas  Thabit  de  fourbe  sous  lequel 
il  avait  grandi.  A  chaque  demande  du  légat,  il  opposa  un 
non  respectueux,  mais  ferme,  fort  clair  et  sans  ambages. 

Barberini  avait  commencé  par  une  demande  naïvement 
espagnole  :  «  une  suspension  d*armes,  »  pour  que  l'Es- 
pagne pût  réunir  ses  forces.  Et  Richelieu  répondit  :  Non. 

Barberini  se  retira  sur  la  simple  demande  de  la  liberté 
du  passage  pour  les  troupes  espagnoles,  avec  satisfaction 
au  pape  pour  la  forme  impolie  avec  laquelle  ses  hommes 
avaient  été  mis  à  la  porte.  Mais  Richelieu  dit  encore  : 
Non. 

Alors  Barberini  jeta  sa  barrette  et  pleura. 

Ce  qui  l'humiliait  le  plus,  c'est  qu'il  ne  trouvait  aucune 
prise  dans  le  public.  Tout  le  monde  paraissait  ravi  de  ce 
coup  reçu  par  le  pape.  Par  cette  seule  petite  affaire  (qui 
ne  coûta  pas  un  million,  ni,  je  crois,  un  seul  homme), 
Richelieu  avait  conquis  une  grande  position  nationale.  On 
a  vu,  en  1620,  que  les  soldats  disaient  à  Ravaillac  qu'ils 
croyaient  faire  bientôt  la  guerre  au  pape,  et  en  étaient 
charmés.  Cela  permet  d'apprécier  ce  qu'on  veut  nous  faire 
croire  de  la  grande  dévotion  du  temps.  Quand  Henri  IV 
mourut,  le  peuple  de  Paris  dit  qu'il  défendrait  Charenton, 
protégerait  les  huguenots.  M.  de  Guise,  ce  jour-là,  avait 
beau  saluer  la  foule  ;  personne  n'y  faisait  attention.  Puis, 
dix  années  après,  quand  on  lança  sur  Charenton  une 
bande  de  laquais  et  de  mendiants,  quand  les  Jésuites  de 
la  rue  Saint-Antoine  se  tenaient  sur  leur  porte  pour  passer 
la  bande  en  revue  et  lui  mettre  du  cœur  au  ventre,  l'his- 
toire nous  assure  gravement  que  ces  drôles  étaient  tout 
Paris,  que  la  ville  de  Paris  était  encore  ligueuse  h  cette 
époque,  et  que  ce  grand  bruit  eut  lieu  pour  l'amour  de  je 
ne  sais  quel  Guise  tué  dans  la  guerre  des  protestants  à 
deux  cents  lieues  de  là.  S'il  en  est  ainsi,  qu'on  ni'explique 
comment,  trois  ans  après,  ce  légat,  à  Paris,  n'en  reste  pas 


R1CHKLI£U  FORCÉ  DE  RÉTROGfiADBR.  269 

moins  seul.  Ce  bon  peuple  dévot  qui  vient  de  brûler  Cha- 
renton,  où  donc  est-il?  Et  ne  devrait-il  pas  faire  tous  les 
jours  des  feux  de  joie  devant  Thôtel  de  M.  le  légat?  Mais 
c'est  tout  le  contraire.  S'il  y  a  joie,  c'est  pour  le  soufflet 
qoe  vient  de  recevoir  le  pape.  Richelieu  s'en  soucie  si  peu 
et  croit  tenir  si  bien  le  roi  et  tout,  qu'il  prend  le  temps 
d'être  malade,  s'en  va  à  la  campagne.  Le  légat  solitaire 
n'a  de  consolateur  qu'un  autre  solitaire,  oublié  dans  Paris, 
Tambassadeur  d'Espagne,  H.  de  Mirabel. 

L'homme  de  Rome  était  aux  abois.  La  reme  mère  ne 
soufflait  plus,  ayant  son  &me  à  Londres.  On  la  rappela  en 
hâte»  cette  âme  saintement  intrigante.  BéruUe  saute  le 
détroit.  Ni  Buckingham  là-bas,  ni  Richelieu  ici,  n'avaient 
prévu  ce  coup.  Le  saint  homme,  pour  piquer  le  roi,  prit 
justement  la  pointe  dont  usait  si  bien  Richelieu,  ï honneur 
de  la  couronne.  11  lui  montra  l'Anglais  qui  se  moquait  de 
lui,  maltraitant  Henriette ,  persécutant  les  catholiques. 
Pourquoi  les  ménagerait-il  lorsque,  chez  le  roi  très-chré- 
tien, un  cardinal  persécute  le  pape?...  Cela  agit.  Le  roi 
jura  que  son  beau-frère  s'en  repentirait,  et,  pour  l'affaire 
du  pape  que  traînait  Richelieu,  il  dit  à  Bérulle  d'en  finir. 

Avec  celui-ci,  la  chose  alla  vite.  Pendant  que  Richelieu 
se  met  en  route  pour  revenir,  déjà  tout  est  fini.  Bérulle  a 
bftclé  un  traité,  plein  d'équivoques,  c  Les  Grisons  restent 
souverains,  sauf  le  cas  où  les  Yaltelins  se  croiraient  lésés 
comme  catholiques.  Le  roi  de  France  aura  seul  les  pas- 
sages, sauf  le  cas  d'une  guerre  des  Turcs,  oii  l'Espagnol 
voudrait  aller  secourir  l'Autrichien.  »  Or,  ce  cas  était  tout 
trouvé,  l'Autriche  étant  alors  aux  prises  avec  le  Transyl- 
vain, allié  des  Turcs.  Les  Espagnols,  sous  ce  prétexte, 
eussent  à  l'instant  même  repris  les  passages. 

Guéri  par  la  colère,  Richelieu  revient,  déchire  le  traité, 
en  appelle  à  la  France  (il  demande  une  assemblée  de  no- 
tables) et  au  clergé  même  de  France.  Sa  prise  sur  le 
clergé,  c'était  une  victoire  qu'il  venait  de  gagner  sur  le 


270  l'ecrop£  en  décomposition. 

protestant  Soubise  avec  les  vaisseaux  protestants  d'Angle- 
terre et  de  Hollande  (15  septembre  4625). 

Les  Notables,  princes,  ducs  et  pairs,  cardinaux,  inaré-» 
ohaux,  délégués  des  Parlements,  membres  de  rAssemblée 
du  clergé  (qui  siégeait  déjà  à  Paris),  votèrent  comme,  ua 
seul  homme  pour  Richelieu. 

La  reine  mère,  Bérulle  et  le  légat  faisaient  triste  figure, 
restant  seuls  pour  la  paix,  seuls  bons  et  fidèles  Espagnols, 
devant  une  assemblée  toute  française.  L'abandon  du  clergé 
surtout  outrait  le  légat.  «  Et  toi  aussi,  mon  fils!  »  il  fii  un 
ooup  désespéré.  Sans  dire  adieu,  il  part  (23  septembre), 
tirant  décidément  Tépée,  et  résolu  de  faire  des  levées  de 
troupes,  pour  qu'on  vit  qui  remporterait  de  la  maison  dLe 
France  ou  de  celle  des  Barberini. 

Richelieu  fit  courir  après  par  politesse  ',  maïs  il  ne  s*ea 
souoiak  guère,  ayant  la  France  avec  lui.  11  amusait  alors 
les  Notables  d*un  projet  superbe  de  réforme  utopique,  de 
ces  choses  agréables  et  vaines  dont  se  régalent  \iotoiitiers 
oes  grandes  assemblées.  11  est  curieux  de  voir  Tidéal  de 
RicheHeu. 

Cela  commence  d'abord  de  façon  pastorale,  le  rot  vent 
imiter  saint  Louis  jugeant  sous  un  chêne;  cha«^  diman- 
che et  fôte,  à  rissue  de  la  messe,  il  donnera  audience  à 
tout  venant,  et  recevra  toute  requête,  que  reprendra  le 
demandeur,  a  avec  réponse  au  pied,  s  le  dimanche  suivant. 

La  généralité  des  affaires  se  traitera  par  quatre  hauts 
conseils.  Mtîs  k  tout  seigneur  tout  honneur  :  au  plus  haat 
conseil,  trône  le  clergé;  quatre  prélats  et  deux  laïques 
seulement  le  forment  pour  aider  le  roi  à  nommer  aux  bé^ 
Délices,  et,  t  en  général,  pour  tout  ce  qui  peut  intéresser 
sa  conscience,  t  Voilà  la  conscience  du  roi  administrée  en 
république,  et  en  république  d*Égtise. 

Le  même  esprit  républicain  perce  dans  l'organisation 
régulière  qu'il  veut  donner  aux  conciles  provinciaux.  Ils 
deviendront  les  juges  du  clergé  en  dernier  ressort. 


RICHBLIEO  FORCÉ  DE  RÉTROGRADER.  274 

A  tout  curé  au  moins  trois  cents  livres  par  an,  équiva- 
lant aux  douze  cents  que  leur  donne  la  Constituante  de  89. 
—  Moins  d'ordres  mendiants,  moins  de  Capucins.  —  Clot- 
trer  les  monastères  de  filles. 

ha  roi  réduit  tellement  sa  maison,  qu'il  reviendra  à  la 
dépense  d'Henri  III.  —  Plus  de  vénalité  d'offices.  —  Plus 
d'acquits  au  comptant;  le  roi  se  ferme  le  Trésor.—  Plus  de 
vagabondage,  taxes  des  pauvres.  —  Moins  de  collèges, 
moins  de  lettrés  pauvres  (d'abbés  faiseurs  de  vers,  de 
prestolets  solliciteurs,  etc.).  —  Moins  de  luxe.  Chacun, 
rédaisant  sa  dépense,  supprimant  les  clinquants  italiens  et 
passements  de  Milan,  n*aura  plus  à  chercher  de  mauvaises 
votes  pour  se  refaire.  Quelles  voies?  Le  bon  roi  Jacques  dit 
havt  ce  que  Richelieu  pense  :  que  le  gentilhomme  ruiné 
venait  en  cour  spéculer  sur  sa  femme. 

Cet  âge  d'or  sur  le  papier  charma  tellement  le  publie, 
que  trois  corps  à  la  fois,  l'Assemblée  du  clergé,  la  Sor- 
bonne  et  le  Parlement,  poursuivirent  vivement  les  pam- 
phlets papistes,  espagnols,  qu'on  lançait  contre  Richelieu. 
Et  le  Parlement  avec  tant  de  violence,  que  Richelieu  n*eut 
qu'à  le  contenir. 

Il  n'avait  pris  tant  d'ascendant  sur  le  clergé  qu'en  le 
leurrant  dune  chose  qu'il  ne  voulait  pas  faire,  d*une 
guerre  contre  la  Rochelle.  Qu'aurait  fait  cette  guerre?  Elle 
aurait  forcé  FAngleterre  à  se  déclarer  contre  lui  ;  elle  eût 
disloqué  sa  ligue  du  Nord  (Hollande,  Suède,  Danemark, 
Allemagne).  Les  amis  de  TEspagne,  RéruUe^  la  reine  mère, 
ne  désiraient  pas  autre  chose.  Ils  le  poussaient  à  la  victoire 
fatale  qui  brisait  tous  ses  plans,  le  brouillait  avec  les 
Anglais. 

Richelieu  tremblait  de  vaincre.  Et  lui-même,  en  no- 
vembre, il  oifrit  la  paix  aux  huguenots,  ce  qui  mécontenta 
le  clergé  et  lui  fit  retirer  en  partie  l'adhésion  étourdie  qu'il 
lui  avait  donnée  contre  le  pape. 

Il  désirait  avoir  la  main  forcée  par  les  Anglais,  pouvoir 


$72  L'EUROPE  EN  DSCO)l POSITION. 

dire  qu'il  n'avait  pu  leur  refuser  de  traiter  avec  les  hugue- 
nots. Il  fit  venir  en  décembre  des  ambassadeurs  d'Angle- 
terre^ qui  prirent  l'affaire  en  main  et  avancèrent  la  chose. 
Mais  d'autant  plus  BéruUe,  le  parti  espagnol,  voulait  brus- 
quer la  paix  avec  l'Espagne.  Us  remuaient  le  roi  par  le 
scrupule  de  pousser  cette  guerre  d'Espagne  que  le  pape 
maintenant  faisait  sienne  et  voulait  reprendre  en  son  nom. 
Us  crurent  le  roi  pour  eux  sur  quelques  mots  d'aigreur 
qui  lui  échappèrent  contre  Richelieu,  et  ils  en  prirent  Tau- 
dace  de  faire  la  paix  sans  pouvoir.  La  reine  mère  dit  à  la 
femme  de  notre  ambassadeur,  Fargis  de  Rochepot  (ennemi 
de  Richelieu),  qu'il  pouvait  signer  le  traité  in  ogni  modo. 
Le  traité  que  signa  Fargis,  c'est  justement  cet  amas  d'équi- 
voques que  Bérulle  avait  minuté  trois  mois  avant»  et  que 
Richelieu  avait  déchiré,  a  Les  Grisons  restaient  souve- 
rains, à  moins  que  les  Yaltelins  ne  se  disent  lésés  dans  leur 
religion.  »  Et  ils  l'auraient  dit  à  coup  sûr. 

Ce  beau  traité,  conclu  (disons plutôt  comploté,  conspiré) 
entre  Olivarès  et  Fargis,  vient  en  janvier  au  Louvre.  On 
s'est  passé  du  roi,  on  s'est  passé  de  Richelieu.  Celui-ci 
tombe  à  la  renverse.  Il  se  trouvait  que  nos  amis  et  alliés, 
les  Anglais,  alors  à  Paris,  sans  lesquels  on  traitait  ainsi 
avec  l'Espagne,  allaient  passer  pour  traîtres  à  Londres. 
Quelle  force  donnée  au  procès  que  déjà  les  Communes 
commençaient  contre  Buckingham?  Charles  I*'  était  forcé 
de  devenir  le  mortel  ennemi  de  la  France.  Le  but  de  Rome 
était  atteint. 

Qu'allait  dire  tout  le  Nord?  Qu'allait  dire  l'Italie?  Venise 
ne  s'était  compromise  que  pour  avoir  quelque  sûreté  con- 
tre l'Autriche,  et  la  Savoie  ruinée  que  pour  s'indemniser 
sur  Gènes.  Et  tous  étaient  sacrifiés.  La  France  traitait  pour 
elle  seule. 

Le  panégyriste  de  Bérulle,  l'abbé  Tabaraud  (d'après 
d'autres  plus  anciens,  et  non  plus  sages),  assure  que 
c'était  Richelieu  même  qui  avait  poussé  Fargis,  sauf  à  le 


RICHELIBU  FORCB  DE  RÉTROGRADER.  273 

démentir,  que  lui-niémc  voulait  ce  traité  qui  lui  troublait 
tous  ses  plans.  Heureusement  ses  lettres  sont  là,  et  son 
très-sérieux  éditeur,  M.  Avenel,  d'après  les  pièces,  a  re-* 
mis  l'affaire  en  lumière  (t.  If,  p.  90). 

On  lava  la  tête  à  Fargis.  On  raccommoda  le  traité,  mais 
comment?  On  en  laissa  tout  le  venin,  les  Grisons  ne  gar- 
dant de  leur  souveraineté  qu*un  petit  souvenir,  un  cens  de 
vingt-cinq  mille  livres  par  an  que  leur  payerait  la  Valte- 
Une.  Celle^i,  petite  république  catholique,  eût  laissé,  à 
coup  sûr,  passer  et  repasser  les  Espagnols  tant  qu'ils  au- 
raient voulu. 

Deux  choses  décidèrent  Richelieu  à  accepter  cette  œuvre 
de  ses  ennemis.  D*abord,  il  avait  su  faire  consacrer  le 
droit  des  Grisons  par  les  Suisses,  qui  se  firent  fort  de  les 
remettre  en  possession  de  la  Yalteline. 

Deuxièmement,  le  pape  armait  contre  la  France.  Son 
drapeau,  avec  l'Espagnol,  reparaissait  aux  Alpes.  Et,  quel- 
que ridicule  que  cela  fut,  Richelieu  en  était  embarrassé. 
Qu*eût  dit  le  confesseur  du  roi?  et  comment  la  conscience 
de  Louis  XIIl  se  fût-elle  arrangée  de  cette  guerre  obstinée 
contre  le  pape? 

Donc,  il  céda,  et  endossa  Tindignation  et  le  mépris  dt* 
TEurope,  proclamé  traître  par  tous  ses  alliés. 

La  chose  aujourd'hui  est  plus  claire.  En  celte  singu- 
lière affaire,  il  y  avait  un  fourbe  et  un  saint.  Le  fourbe, 
Richelieu  (à  juger  par  les  précédents);  le  saint,  Bérulle^ 
Mais  ce  fut  le  saint  qui  mentit. 


Xf.  18 


CHAPITRE  XXIII 


Ligue  des  reines  contre  Richelieu.  —  Complot  de  Ghabls.  i6ti(. 


Dans  la  terrible  solitude  où  cette  paix  traîtresse  mit  Ri* 
«helieu,  brouillé  avec  tous  ses  amis  (Angleterre  et  Hol- 
lande, Savoie,  Venise  et  Grisons  même),  haï  du  pape,  qui 
gardait  son  soufflet,  amorti  en  Europe,  affaibli  à  la  cour, 
mystiM  par  un  sot  (Rérulle),  il  commença  à  regarder  in- 
quiètement  sur  quoi  il  s'appuierait ,  et  il  eut  une  idée 
lâche,  dont  il  se  confesse  lui-môme. 

Ce  fut  de  s'adresser  à  la  Bavière,  à  la  ligue  catholique 
d^Allemagne,  d'obtenir  du  Bavarois  même,  du  vainqueur, 
le  rétablissement  du  vaincu,  le  Palatin.  Mais  quel  réta- 
blissement I  A  quelles  conditions  I  II  demanderait  pardon 
à  l'Empereur,  il  payerait  trois  millions^  il  laisserait  son 
titre  d'électeur  au  Bavarois,  à  moins  que  lui  Palatin»  ie 
chef  des  calvinistes,  ne  se  fit  Catholique.  Et,  tout  cela  fait, 
quel  en  serait  le  fruit?  Le  Palatinat  gardcrait-il  la  liberté 
de  religion?  Point  du  tout.  Dans  ce  pays  tout  calviniste, 
le  calvinisme  ne  serait  que  toléré,  et  encore  dans  une  ville^ 
résiijlence  du  Palatin  I  Ce  bel  arrangement  ne  déplut  pas 
au  Bavarois.  Seulement  il  eût  voulu  un  article  de  plus  : 
c'était  que  Richelieu  désarmât  le  Danois  ef  la  ligue  pro- 
testante, que  le  lion  se  fit  arracher  dents  et  ongles  préala- 


COHFLOT  m  CHALAIS.  275 

Mement,  apffe  quoi  on  eût  pu  rassommer  h  coups  de  bâton. 

Bicliefieu  conte  lui-même  ]a  honteuse  négociation,  et 
paraft  ée  féliciter  d^avoir  trouvé  ce  vain  expédient.  Ce  qui 
taii  bien  sentir  que  ce  mécanicien,  qui  rftvait  la  balance, 
les  poids  et  contre-poids,  enfin  toute  la  pauvre  machine 
de  la  politique  moderne^  eut  peu  le  sentiment  des  forces 
vives,  des  passions  dont  vit  l'humanité. 

Qui  ne  voyait  la  réaction  catholique,  cette  terrible  armée 
en  marche,  qui  allait  engloutir  le  Nord,  avançant  comme 
un  élément,  avec  les  forces  aveugles  non-seulement  du 
fanatisme,  mais,  ce  qui  est  bien  pis,  d'un  changement 
g[énéral  de  la  propriété  ?  G>ntre  un  tel  phénomène,  contre 
la  création  d'une  armée  de  cent  mille  voleurs  qu*à  ce  mo- 
ment rAutriche  opérait  par  Waldstein,  on  se  fût  amusé  à 
bâtir  cette  petite  digue  !...  Triste  conception  !  Le  Bavarois, 
Vainqueur  parce  qu'il  avait  servi  jusque-là  la  révolution, 
eût  été  impuissant  le  jour  qu'il  lui  eût  (ait  obstacle. 
'  Lui-même,  Richelieu,  personnellement,  n'avait  nul  ar- 
rangement possible,  haï  du  parti  espagnol  comme  apostat 
et  renégat,  et  du  parti  anti-espagnol  pour  sa  récente  tra* 
hison. 

En  1626,  il  était  arrivé  au  point  où  parvint  Henri  IV  en 
4606.  De  toutes  parts,  on  conspirait  sa  mort.  Ses  livres 
contre  les  protestants,  ses  tendresses  pour  lés  Jésuites, 
ses  ménagements  pour  les  demi-jésuites  (Oratoriens),  ne 
lui  regagnaient  personne.  Toutes  les  cours  étaient  tra- 
vaillées contre  lui.  Le  grand  parti  dévot,  cette  année  46i6, 
pour  le  faire  sauter,  opéra  une  ligue  universelle  des  reines, 

La  reine  de  France  entra  directement  dans  un  complot 
pour  le  tuer. 

La  reine  d'Angleterre  lui  brisa  l'alliance  anglaise. 

La  r^ine  mère,  Marie  de  Médicis,  sa  fille  la  reine  d'Es- 
pagne, et  l'infante  des  Pays-Bas,  voulaient  lui  faire  faire, 
malgré  lui,  l'entreprise  insensée  d'une  descente  en  An- 
gleterre. 


S76  LIGUE  DBS  REINES  CONTRE  RICHELIEU, 

Commençons  par  Anne  d'Autriche.  Elle  était  arrivée  à 
treize  ans.  Et  pendant  trois  ans  son  mari  avait  oublié 
qu'elle  existât.  En  4619,  on  avait  à  grand  bruit  imprimé 
dans  le  Mercure^  pour  la  joie  de  la  France,  que  le  roi 
commençait  enfin  à  faire  l'amour  à  la  reine.  L'ambassa- 
deur d'Espagne  écrivait  à  Madrid  leurs  moindres  rappro- 
chements. Tout  le  monde  s'en  était  entremis,  Espagnols 
et  Français.  C'est  un  spectacle  étrange  de  voir  deux  mo- 
narchies suer,  travailler  à  cela,  pousser  ces  amants  l'un 
vers  Tautre...  Hélas  1  avec  peu  de  succès. 

Anne  était  pourtant  assez  jolie.  Quoiqu'elle  n'eût  que  de 
petits  traits,  un  méchant  petit  nez  sans  caractère,  la 
blanche  peau  de  cette  blonde  dynastie  lui  donnait  alors 
de  l'éclat.  Altière  et  colérique,  elle  ne  faisait  rien  qu'à  sa 
tête,  riait  de  tout.  Et  c'est  surtout  ce  rire  qui  faisait  peur 
au  triste  Louis  XIIL  La  rieuse  s*était  donnée  à  une  autre, 
plus  légère  encore,  mais  perverse  et  dévergondée,  le  type 
des  coureuses  de  la  Fronde,  la  duchesse  de  Chevreuse. 
Sous  cette  bonne  direction,  elle  eut  deux  ou  trois  fausses 
couches.  L'Espagne  était  désespérée.  Elle  voyait  bien  que 
le  mariage  ne  mettrait  pas  la  France  sous  son  influence. 
Mais,  s'il  n'y  avait  guère  à  attendre  de  Louis  XIII,  on 
pouvait  être  plus  heureux  avec  son  frère  Gaston.  L'am- 
bassade espagnole  y  songea  et  poussa  la  reine.  Un  matin , 
de  sa  part,  quelqu'un  dit  à  Gaston  «  qu'elle  ne  veut  pas 
qu'il  se  marie.  » 

Le  roi  et  Richelieu  songeaientàlui  faire  épouser  une  Guise 
pour  reprendre  à  cette  famille  une  part  de  l'héritage  de 
Montpensier  qu'ils  avaient  escamoté  à  la  mort  d'Henri  IV. 
Mais  le  mot  de  la  reine,  d'une  reine  de  vingt-quatre  ans, 
à  un  prince  de  dix-huit,  était  bien  sûr  d'être  obéi.  Pour 
affermir  Gaston,  on  prit  son  gouverneur  Ornano  par  la 
princesse  de  Condé  qu'il  aimait.  Le  roi  était  déjà  mort, 
au  moins  dans  leur  pensée  ;  la  reine  se  croyait  veuve.  Ri- 
chelieu en  fut  averti.  Par  qui  ?  Par  le  roi  même,  dont  on 


COVPLOT  DE  CHALAIS.  277 

arrangeait  la  succession  (Lettres  de  Richelieu,  II,  232). 

Voilà  nos  étourdis  qui  commencent  à  écrire  de  toutes 
parts  et  à  chercher  des  alliés.  Ils  signifient  leur  prochain 
avènement  aux  Espagnols,  au  Savoyard.  Ils  tàtent  le  fils 
de  d'Ëpernon  pour  avoir  Metz,  et  le  père  mâme  ;  mais  le 
vieux  coquin  voulut  voir  venir  les  choses. 

Gaston  avait  exigé  qu'on  l'admit  au  conseil,  et  il  voulait 
encore  y  faire  entrer  Ornano.  Le  roi  fait  arrêter  celui-ci  le 
5  mai.  Grand  étonnement  de  Monsieur»  cris,  fureur.  De  - 
vant  les  ministres,  il  demande  d'une  voix  hautaine  qui  a 
osé  donner  un  tel  conseil,  a  Moi,  monseigneur,  »  dit  Ri- 
chelieu. 

Gaston,  vraie  poule  mouillée,  eût  avalé  cela.  Mais  on  le 
piqua  là-dessus.  Pouvait-il  bien,  devant  sa  belle-sœur  qui 
Youiait  le  traiter  en  homme,  se  laisser  traiter  en  enfant  ? 
L'affaire  fut  ainsi  envenimée  par  la  Chevreuse,  par  son 
amant  Chalais  (Talleyrand),  qui  dit  que,  puisqu'on  ne 
pouvait  se  battre  avec  un  prêtre,  on  pouvait  bien  l'assas- 
siner. 

Les  faiseurs  de  Mémoires,  qui  écrivent  trente  ans  après, 
pour  rendre  plus  joyeuse  cette  sanglante  affaire,  ont  sup- 
posé que  Richelieu  lui-même  était  amoureux  d'Anne 
d'Autriche,  jaloux  de  Buckingham  et  de  Monsieur,  qu'il 
avait  eu  l'impudence  de  proposer  à  la  reine  de  sup- 
pléer Louis  XIII,  que  la  reine  avait  exigé  qu'il  dansât  de- 
vant elle,  etc.,  etc.  Histoire  stupide.  Anne  d'Autriche,  si 
douce  pour  les  autres,  ne  l'aurait  pas  été  pour  lui  ;  elle 
l'eût  fait  jeter  par  les  fenêtres.  Il  le  savait  et  n'était  pas  si 
sot.  Notez  qu'il  avait  quarante  cinq  ans,  était  très-mala- 
dif, enfin  avait  chez  lui  sa  nièce,  qu'il  aimait  sans  trop  de 
mystère. 

L^assassinat  en  question,  qu'on  a  traité  comme  un  ha- 
sard, un  coup  de  tête  de  cette  folle  jeunesse,  fut,  je  crois, 
autre  chose.  Il  est  impossible  d'y  méconnaître  la  continua- 
tion des  entreprises  de  ce  genre  que  l'Espagne  faisait,  ou 


â38  LIGUE  DES  REINES  CONTRE  RICHELIEU. 

faisait  fajre,  depuis  environ  soixante  ans.  Assassinats  à 
point,  et  toujours  quand  il  fallait  simplifier  une  situation 
difficile  par  la  mort  de  rhomme  influent.  Ainsi  Coligfiy, 
ainsi  Guillauma,  ainsi  Henri  III,  ainsi  Henri  IV.  Procédé 
monotone.  Mais,  quoique  peu  varié,  il  avait  toujoucss  sqd 
effet. 

Le  plan,  fort  simple,  était  que  Gaston,  avec  sou  Chalais 
et  toute  sa  maison,  irait  diner  chez  Richelieu  au  château 
de  Fleury,  et  que  là,  à  sa  table^  profitant  de  sa  oonfianœ 
et  de  son  hospitalité,  les  gens  d*épée,  commodément, 
tueraient  l'homme  sans  armes.  Les  dames  (Anne  d* Au- 
triche et  madame  de  Chevreusc)  goûtaient  ce  plan  che* 
valeresque,  et  tout  se  fût  réalisé  si  Chalais  n'eût  confié  son 
secret  à  un  ami  de  cour,  qui  lui  dit  :  «  Si  tu  ne.dénonc6S, 
je  le  ferai  moi-même.  »  Chalais  a  peur,  dit  tout  au  car- 
dinal, au  roi.  Cependant,  dans  la  nuit,  dès  trois  hearea, 
arrivent  à  Fleury  les  officiers  du  prince  c  pour  lui  apprê- 
ter son  diner.  »  Richelieu  leur  cède  la  place,  et  le  matin 
vient  chez  Gaston  lui  reprocher  avec  douceur  de  ne  pas 
l'avoir  prévenu  de  Thonneur  qu'il  voulait  lui  faire. 
I  Cependant  il  supplie  le  roi  de  le  laisser  se  retirer.  Le 

I  roi  dit  :  «  Je  vous  défendrai  et  vous  avertirai  de  ce  qu'on 

I  dira  contre  vous.  » 

L'affiire  était  immense,  épouvantable,  le  pendant  de 
Taffaire  Biron.  Les  deux  fils  d'Henri  IV,  le  gouverneur  de 
Bretagne,  Vendôme,  et  le  grand  prieur,  en  étaient,  et  le 
duc  de  Longiieville.  Même  le  comte  de  Soissons^  à  qui 
Ton  se  fiait,  à  qui  Richelieu  laissa  Paris  pendant  qu'il 
menait  le  roi  en  Bretagne  ;  Soissons  eût  enlevé  la  grande 
héritière  qu'on  voulait  donner  à  Monsieur.  Découvert,  il 
s'enfuit  et  quitta  le  royaume. 

Richelieu  attira  et  arrêta  les  deux  Vendôme.  II  fit  signer 
à  Monsieur  une  sorte  de  confession  où  il  abandonnait  ses 
amis,  et  le  maria  de  sa  main.  Il  Tétouffa  dans  l'or.  Avec 
ce  riche  mariage  et  l'apanage  d'Orléans  qu'on  lui  donna, 


COMPLOT  DE  caAuis.  378 

il  eut  de  rente  un  million  d'alors  (cinq  ou  six  d'aujour- 
d'hui, un  capital  de  cent  millions). 

MoBsieur  se  laissa  marier  le  5  août  ;  mais  cela  ne  sauva 
pas  Ctialais,  qu'on  décapita  le  49,  comme  ayant  conspiré 
la  mort  du  roi,  ce  qui  était  faux.  Mais  son  vrai  crime,  le 
complot  contre  l'État,  et  contre  la  vie  de  Richelieu,  aurait 
paru  trop  peu  dé  chose.  Une  seule  tète  paya  pour  toutes* 
On  pria,  supplia  ;  mais  le  roi  resta  ferme. 

L'Espagne  dut  renoncer  à  faire  de  La  reine  un  centre 
•d'intrigues.  On  la  mit  presque  en  chartre  privée.  Humi- 
liée, pardonnée,  séparée  de  la  Chevreuse ,  qu'on  exila, 
■elle  ne  reçut  plus  que  des  femmes.  Le  roi  défendit  de 
laisser  entrer  les  hommes,  que  quand  il  y  serait. 

Mesures  très-vigoureuses.  Cette  afiCaire  de  Chalais  com- 
mençait la  grande  œuvre  de  Richelieu,  le  nettoiement  de 
la  cour  et  le  balayage  des  princes.  11  avait  frappé  sur  eux 
en  même  temps  de  trcûs  côtés  :  sur  les  bâtards  royaux 
{Vendôme),  sur  les  Condé  (Soissons  en  fuite) ,  sur  les 
Guise  (exil  de  la  Chevreuse).  L'héritier  même  enfin  du 
trône.  Monsieur,  humilié,  marié,  eniichi  et  déshonoré. 
Chacun  sentait  que  celui  qui  frappait  de  tels  coups  don- 
nai! sa  tête  pour  enjeu.  La  vie  de  Richelieu  tenait  à  ce  fil 
^ec,  qui  pouvait  tous  les  jours  casser,  un  roi  fiévreux  et 
valétudinaire. 

11  n'était  pas  sorti  d'afi'aire,  qu'en  ce  même  mois  d'août 
1626,  deux  coups  viennent  le  frapper. 

1<»  La  grande  défaite  du  Danois,  notre  allié,  chef  des 
protestants  d'Allemagne  (27  août),  que  Richelieu  aidait 
d'argent,  et  qui  se  fait  battre  à  Lutter.  Loin  de  protéger 
les  autres  maintenant,  il  va  être  lui-même  envahi  par 
l'Autriche. 

2""  L'autre  coup ,  en  apparence  minime ,  et  en  réalité 
terrible,  c'est  la  brouille  complète  d'Henriette  et  de  Char* 
les  V\  Celui-ci,  en  moins  de  six  mois,  sera  forcé  d'armer 
€oatre  la  France. 


280  LIGUE  DBS  REINES  CONTRE  RICHELIEU. 

Henriette  était  une  petite  brunette,  vive,  agréable.  Elle 
était  d'fîcnri  lY  et  non  de  Concinl.  Elle  naquit  du  raccom- 
modement de  1608,  vrai  du  côté  d'Henri,  très-faux  du 
côté  de  Marie.  L'enfant  ne  rappela  que  trop  cet  étrange 
moment.  Sensuelle  et  galante,  violemment  brouillonne  et 
têtue.  Quand  elle  passa  en  Angleterre,  elle  se  fit  dévote, 
prit  ce  mariage  comme  pénitence.  BéruUe  lui  propose 
pour  modèle  la  pécheresse  Madeleine.  Qu'une  princesse 
de  dix-sept  ans  eût  déjà  tant  à  expier,  c'était  de  quoi  faire 
réfléchir  Charles  1"  et  le  refroidir.  Mais  il  n'y  parut  pas. 
Le  roi  était  triste,  grondeur,  violent,  mais  honnête  homme 
et  régulier;  il  revenait  toujours.  C'est  ce  qui  donna  tant 
d'audace  à  la  jeune  femme. 

Par  une  belle  matinée  de  printemps,  d'une  chaleur  rare 
en  Angleterre,  la  reine,  emmenant  tout  son  monde,  son 
évéque  et  ses  aumôniers,  ses  reh'gieuses,  tout  cela  en  cos- 
tume et  en  grande  pompe  papiste,  à  travers  Londres 
émerveillée,  se  rend  au  gibet  deTyburn,  où  furent  pen- 
dus les  saints  jésuites  de  la  Conspiration  des  poudres^  et 
là,  agenouillée,  elle  fait  sa  prière  à  ces  célèbres  assas- 
sins. 

Outrage  solennel,  non-seulement  à  la  religion  de  l'An- 
gleterre, mais  à  la  morale,  à  la  conscience  de  l'humanité. 

Charles  P%  qui  déjà  périssait,  qui  en  était  réduit  à  dis- 
soudre son  parlement,  à  tenter  des  emprunts  forcés,  dans 
sa  terrible  misère,  reçut  de  la  main  de  sa  femme  cette 
pierre  pesante  pour  l'enfoncer  dans  sa  noyade. 

La  scène  fut  violente  contre  les  prêtres  et  les  femmes 
de  la  reine.  «  Chassons -les,  écrit-il,  comme  des  bêtes 
sauvages.  »  Le  9  août,  lui-même  lui  prononça  cette  sen- 
tence. Elle  pria,  pleura,  cria.  Des  cris  lui  répondirent^ 
ceux  de  ses  femmes  qu'on  emmenait.  Elle  se  jette  aux 
barreaux  des  fenêtres  pour  les  voir  encore  et  leur  dire 
adieu.  Sanglots,  clameurs,  etc.,  une  scène  publique  sur- 
prenante dans  les  mœurs  anglaises,  où  tout  se  passe  sans 


COMPLOT  DE  CHALAIS.  28  f 

bruit.  Le  roi  était  mal  à  son  aise,  se  sentant  posé  dans  ce 
drame  comme  l'indigne  et  barbare  tyran.  Pour  abréger, 
il  arracha  des  barreaux  les  mains  de  la  reine ,  qui  s'éva- 
nouît furieuse,  et  fit  écrire  partout  que  ses  mains  étaient 
déchirées. 

Texte  excellent.  C'était  celui  même  de  la  terrible  Marie 
Stuart,  si  heureusement  exploité  par  les  papes.  Urbain  YIII, 
à  rinstant,  saisit  la  légende  d'Henriette,  épouse  infor- 
tunée de  ce  Barbe- Bleue  britannique.  Sur  la  donnée 
un  peu  maigre ,  il  est  vrai,  de  l'écorchure  douteuse,  il 
rebâtit  le  grand  roman  pontifical  de  Tautre  siècle,  la  con-> 
quête  de  l'Angleterre  par  l'Espagne  et  la  France.  Il  dit 
expressément  à  l'ambassadeur  espagnol  :  «  En  conscience, 
votre  maître,  comme  bon  chevalier,  est  tenu  de  tirer 
l'épée  pour  une  princesse  affligée.  » 

La  jeune  reine  d'Espagne,  sœur  d'Henriette  et  fille  de 
Marie  de  Médicis,  écrivit  de  sa  main  au  cardinal  de  Ri- 
chelieu, invoquant  son  secours  et  sa  galanterie  pour  sou-- 
tenir  les  reines  opprimées. 

Autant  en  écrivait  l'infante  de  Bruxelles.  Autant  en 
disait  au  Louvre  la  reine  mère.  Bérulle  s'adressait  au  cœur 
du  cardinal,  à  sa  piété,  bien  sûr  qu'en  cette  grande  occa- 
sion il  agirait  comme  prince  de  l'Ëglise. 

Ces  instances  touchantes,  unanimes,  eurent  un  grand 
effet  sur  le  roi,  qui  regardait  Texpulsion  de  ces  Français 
comme  un  outrage  à  sa  couronne.  De  sorte  que  Richelieu, 
n'étant  plus  même  soutenu  par  le  roi,  et  se  trouvant  tout 
seul,  dit  qu'il  goûtait  l'entreprise,  mais  qu'il  fallait  d'abord, 
pour  mettre  Charles  V^  dans  son  tort,  lui  envoyer  une 
ambassade. 

On  envoya  à  Londres  le  beau  Bassompierre,  l'homme 
de  la  reine  mère,  et  avec  lui  celui  de  tous  les  prêtres  ren- 
voyés que  les  Anglais  détestaient  le  plus ,  le  P.  Harlay  de 
Sancy.  Bon  moyen  de  brouiller  encore.  Bassompierre 
cependant  crut  accommoder  tout.  Mais  il  y  avait  une  con- 


282  LIGUE  DES  REINES  CONTRE  RICBEUEU. 

dition  :  c'était  que  Buckingham  reviendrait  ici  fiiire  sa 
cour  à  la  reine.  Refus  du  roi.  La  guerre  va  éclater. 

Du  reste,  à  part  cette  folie,  la  fatalité  emportait  à  la 
guerre  le  roi  et  le  ministre.  Le  Parlement  poursuivait 
Buckingham  avec  une  colère  méritée,  mais  aveugle  pour- 
tant, avec  la  ténacité  du  bouledogue,  qui  ne  voit  plus, 
n*entend  plus,  ne  sent  plus.  L'Angleterre  ne  s'informait 
plus  des  grands  intérêts  de  TEurope.  Elle  voulait  la  peau 
de  Buckingham,  et  rien  de  plus.  Celui-ci  n'avait  chance 
d'échapper  que  par  cette  diversion  de  la  guerre, 

Richelieu  eût  eu  grand  besoin  de  ne  pas  rompre  avec 
l'Angleterre.  L'espoir  qu'il  témoignait  au  roi  (juin  4626} 
de  relever  nos  finances  était  déjà  trompé  et  ses  ressources 
insuffisantes.  La  grande  défaite  du  Danois  et  de  l'Allema- 
gne protestante  (en  août]  rendait  l'Autriche  et  la  B»^ 
vière  maltresses  de  la  situation.  Les  Espagnols  tenaient  le 
Rhin.  Dans  le  conflit  maritime  des  Ëtats  de  l'ouest,  devant 
les  grandes  puissances  navales  d'Angleterre,  Hollande  et 
Espagne,  nous  seuls  nous  n'étions  pas  en  garde.  Il  fallait 
sans  retard  organiser  Tarmée,  créer  la  flotte.  Et  cela,  avec 
une  France  ruinée,  chargée  d'un  déficit  annuel  de  dix 
millions,  d'une  dette  exigible  de  cinquante-deux  millions, 
avec  un  pauvre  peuple  qui  (il  le  dit  lui-même)  «  ne  con- 
tribuait plus  de  sa  sueur,  mais  de  son  sang.  » 

Il  n'avait  pas  fait  cette  situation.  Il  n*aurait  osé  même 
la  caractériser  nettement.  Il  eût  fallu  dresser  l'accusation 
de  la  reine  mère,  de  tous  les  favoris,  Concini,Luynes,  etc., 
<îette  perpétuité  des  désordres  et  de  vols  ai  soutenue, 
et  j'allais  dire,  si  régulière,  qu'une  telle  accusation  eût 
été  celle  de  la  royauté,  du  gouvernement  monarchique. 

Qu'eût-ce  été  si  une  assemblée  sérieuse  eût  regardé  au 
fond?  si  la  voix  nationale  de  4614  se  fût  élevée?  Le  pou- 
voir eût  été  frappé  de  faiblesse  ,  au  moment  oii  il  devait 
ramasser  sa  force  contre  le  grand  orage  d'Allemagne.  Ri- 
chelieu s'en  tint  à  une  comédie  de  Notables ,  une  petite 


COMPLOT  DE  CHAUIS.  ^83 

assemblée  en  famille  de  fonctionnaires  et  de  magistrats. 

Devant  des  gens  si  bien  appris,  tout  décidés  d'avance  à 
approuver,  il  y  fallait  peu  de  façon.  11  eût  pu  s'épargner 
des  frais  d'hypocrisie,  qu'il  fit  pourtant  (par  habitude), 
réduisant  Vimpôt  de  six  cent  mille  livres,  pendant  qu'il 
Vaugmentail  de  plusieurs  millions. 

L'assemblée  vota  d*un  élan  la  dépense  colossale  d'une 
création  immédiate  de  l'armée  et  de  la  flotte ,  dépense 
ainsi  répartie  :  un  tiers  sur  le  trésor ,  deux  tiers  sur  les 
provinces.  A  elles  d'y  pourvoir  par  les  moyens  qui  leur 
seront  plus  agréables  et  par  des  impôts  à  leur  choix.  Avec 
cela,  la  réduction  de  six  cent  mille  francs  semblait  une 
plaisanterie.  On  les  ôtait,  il  est  vrai ,  sur  la  taille,  impôt 
des  roturiers,  des  pauvres.  Mais  les  riches^  les  nobles  et 
les  prêtres,  qui  allaient,  en  chaque  province ,  établir  le 
nouvel  impôt,  sur  qui  le  mettraient-ils?  sur  le  roturier  à 
coup  sÙTf  sur  le  pauvre,  non  point  sur  eux^  sur  les  riches 
et  privilégiés. 

Là  se  révèle  la  situation  réelle  de  Richelieu.  /{  ne  pou- 
vait demander  aux  deux  classes  riches.  Prêtre,  il  ne  pou- 
vait prendre  aux  prêtres.  A  peine,  sur  l'espoir  d'exterminer 
les  protestants,  put-il  tirer  trois  millions  du  clergé.  Il  osa^ 
en  4631 ,  lui  demander  les  titres  de  ses  biens,  et  n'eut  qu'un 
refus  sec.  11  n'eût  pu  davantage  faire  contribuer  la  noblesse. 
Loin  de  donner,  elle  mendiait,  mais  mendiait  avec  fierté, 
menaces,  presque  l'épée  au  poing.  Elle  signifiait,  en  1626, 
que  l'État  et  l'église  devaient  la  nourrir,  l'État  élever  ses 
enfants,  TËglise  lui  réserver  le  tiers  des  bénéfices  et  faire 
les  frais  d'un  ordre  militaire  de  Saint-Louis  qui  apanage- 
rait  ses  nobles  membres.  A  ces  mendiants  riches  et  armés, 
l'État  répondit  par  la  voix  du  roi  qu'on  aurait  bien  soin 
d'eux,  et  l'Église  leur  remplit  la  bouche  dans  le  courant 
du  siècle  avec  les  biens  des  protestants. 

Donc,  Richelieu  ne  pouvait  prendre  l'argent  où  il  était, 
et  devait  le  chercher  où  il  n'était  pas.  Où?  chez  les  pau- 


â34  LIGUE  DES  REINES  CONTRE  RIGOEUEU. 

vre$,  dans  les  entrailles  du  peuple,  dans  sa  substance 
môme  ;  de  sorte  que  le  pauvre  irait  toujours  s'appauvris- 
sant  et  maigrissant.  Il  réduisit  la  taille  de  six  cent  mille 
livres  en  4626,  et  l'augmenta  de  dix- neuf  millions  en 
quatre  ans.  Pourquoi?  parce  qu*il  ne  pouvait  prendre 
qu'aux  taillables,  aux  roturiers,  aux  pauvres. 

A  la  première  proposition  sérieuse,  Richelieu  recula. 
Un  magistrat  qui  n^avait  pas  le  mot  de  cette  comédie, 
s*avisa  de  dire  qu'on  devrait  rendre  la  taille  réelle,  non 
personnelle^  faire  payer  tous  les  biens,  y  compris  Us  biens 
nobles,  Richelieu  n'aurait  pas  été  ministre  vingt -quatre 
heures  s'il  eût  appuyé  ce  mot.  Il  le  laissa  tomber.  U  n'y 
eut  que  trois  membres  pour  appuyer  la  vaine  propo- 
sition. 

Mais  lui,  que  disait-il?  II  feignait  un  espoir  qu'un  esprit 
aussi  positif  ne  pouvait  avoir  nullement  :  «  Qu'on  ferait 
face  à  tout,  si  on  faisait  une  réduction  sur  la  maison  du 
roi,  et  si  l'on  pouvait  racheter  le  domaine  qui,  en  six  ans, 
augmenterait  le  revenu  de  vingt  millions.  »  Ressource  hy- 
pothétique, qui  supposait  la  paix,  quand  la  guerre  furieuse 
allait  grandissant  par  l'Europe. 

Ajoutez  une  autre  espérance,  le  futur  rétablissement  du 
commerce!  Le. roi  voulait  qu'on  honorât  le  marchand,  au 
moins  le  marchand  en  gros  (comme  si  le  roi  pouvait  dans 
une  chose  d'opinion).  II  voulait  que  les  nobles  pussent 
commercer  sans  déroger.  Ils  le  demandaient,  il  est  vrai, 
par  envie,  ignorance,  mais  ils  ne  le  désiraient  pas  au  fond, 
étant  si  impropres  au  commerce  ;  au  vol,  à  la  bonne  heure, 
et  à  la  piraterie. 

Si  Richelieu  eût  pris  aux  privilégiés,  il  tombait.  Et, 
s'il  eût  réduit  les  dépenses,  s'il  n'eût  ruiné  la  France  pour 
faire  l'arniée  et  la  flotte,  le  monstre  double  qui  mangeait 
l'Allemagne  (l'armée  jésuite  et  Tarniée  mercenaire)  nous 
aurait  dévorés,  comme  elle. 

Il  dut  tomber  sur  Tua  ou  l'autre  écueil.  Sorti  de  la 


COMPLOT  DB  CUALAIS.  iH5 

ruine  et  d'une  situation  gâtée  et  insoluble,  il  ne  put  nuus 
sauver  que  par  la  ruine.  11  m*apparait  dès  le  premier  jour 
ce  qa*il  fut  et  resta,  ce  que  dit  sa  figure  lugubre  :  le  die-* 
tateur  du  désespoir. 

En  toute  chose,  il  ne  pouvait  faire  le  bien  que  par  le 
mal,  souvent  en  employant  les  plus  mauvaises  passions 
de  son  temps.  Celle  du  clergé,  c'était  la  mutilation  de  la 
France,  la  destruction  ou  l'expulsion  de  la  France  protes- 
tante, à  l'imitation  de  ce  que  l'Espagne  faisait  des  Mores- 
ques, l'Autriche  des  Bohémiens  et  de  tant  d'autres.  Beau- 
coup de  catholiques  pensaient  de  même,  par  l'impatience 
française  qui  brise  les  obstacles,  éreinte  et  bétes  et  gens, 
ne  sachant  les  conduire;  enfin,  par  une  autre  passion 
nationale,  le  goût  de  l'unité  matérielle,  brutale  et  mé* 
canique,  insoucieuse  des  libertés  morales  qui  diversifient 
la  nature. 

La  France,  en  se  coupant  son  meilleur  bras,  allait  de 
plus  compromettre  le  corps,  parce  qu'elle  se  brouillait 
avec  ses  ami^,  se  livrait  à  ses  ennemis,  Autrichiens, 
Espagnols. 

Richelieu  le  savait,  il  lui  fallait  pourtant  leurrer  cette 
passion  mauvaise,  et  parfois  il  en  tirait  parti.  Elle  l'aida 
dans  une  chose  excellente  qu1l  présenta  aux  Notables  : 
le  rasement  des  forteresses  inutiles^  et  leur  démolition  con- 
fiée aux  communes  mômes.  Dans  la  liste  qu'il  donna  des 
forteresses  à  démolir,  la  grande  majorité  étaient  protes- 
tantes, celles  du  Dauphiné,  du  Languedoc  et  du  Poitou. 
Cela  fut  salué  avec  enthousiasme  des  parlements,  des 
communes  qui  y  gagnaient  en  tout  sens,  de  la  petite  no- 
blesse, envieuse  de  la  grande,  et  bien  plus  encore  du 
clergé. 

Si  deux  provinces  calholiques,  deux  gouverneurs,  Guise 
et  d'£pernon,  étaient  frappés  aussi  et  se  plaignaient, 
Richelieu  avait  à  leur  dire  que,  comme  bons  catholiques, 


986  LIGUE  DES  REINES  CONTRE  RlCHELIEa. 

ils  devaient  accepter  une  ordonnance  si  favorable  à  la 
religion,  qui,  mettant  bas  les  forts  de  Poitou,  de  Saititonge, 
faisait  tomber  les  ouvrages  avancés,  les  bastions  de  la 
Rochelle. 


CHAPITRE  XXIV 


Stége  de  la  Rochelle.  IM7-16t8. 


Les  défections  de  la  France  sont  les  agonies  de  TEu» 
rope.  La  paix  traîtresse,  entre  Olivarës  et  Bérnlle,  que 
signa  Richelieu  (mars  1626),  suivie  bientôt  de  la  déroute 
des  Danois  (août  4626),  a  commencé  le  grand  déborde* 
ment  des  persécutions  catholiques.  Le  général  massacre 
de  Bohême  (onze  mille  communes  exterminées  sur  trente 
mille)  s'ouvre  le  jour  de  Saint-Ignace,  en  1637.  L'ordre 
d'abjurer  ou  mourir  court  TAutriche,  les  terres  autri- 
chiennes. Pendant  que  l'armée  sainte,  bandits,  moines  et 
boarreaux,  pèse  vers  l'Adriatique,  elle  déborde,  au  nord, 
sur  la  Saxe,  s' extravase  en  Brandebourg,  jusqu^en  Pomé^ 
ranie,  de  façon  que  les  sables  mêmes  et  les  écueils  de  la 
Baltique  ne  pourront  cacher  les  proscrits. 

La  France  pouvait  entendre  ,1a  désolation  du  Rhin,  la 
clameur  du  Palatinat,  ruiné,  saccagé,  violé,  un  jour  par 
les  Croates  et  un  jour  par  les  Espagnols.  Là  Lorraine  sui- 
vait ce  mouvement;  elle  allait  armer  contre  nous,  bien 
plus,  donner  passage. à  la  grande  armée  des  brigands  or- 
ganisés par  rÊmpereur. 

La  France  le  souffrait,  pourquoi  7  pour  une  raison  que 
Richelieu  se  garde  bien  de  dire.  11  était  encore  serf;  il  ne 


^88  SIÈGE  DE  LA  BfCHELLB. 

se  maintenait  qu'en  suivant  la  reine  mère  et  Bérulle  cl 
les  Espagnols.  Ils  l'obligeaient  de  faire  un  traité  avec  Ma- 
drid pour  l'invasion  de  TÀngleterre,  c'est-à-dire  pour  le 
renversement  de  la  politique  de  Richelieu.  Le  pape  avait 
le  mérite  de  l'idée  première,  et  Bérulle  celui  de  la  foi.  Bé- 
rulle dictait,  Richelieu  écrivait ,  Olivarès  corrigeait  le 
traité.  Ce  qui  occupait  le  plus  Bérulle,  c'était  de  savoir  s'il 
valait  mieux  prendre  la  flotte  anglaise,  ou  bien  la  brûler 
dans  le  port. 

Les  Espagnols  tirèrent  de  nous  cette  pièce  (20  avril 
16i7),  et,  sans  perdre  un  moment,  la  communiquèrent 
au\  Anglais,  afin  qu'ils  nous  prévinssent,  envahissent  la 
France  et  descendissent  à  la  Rochelle. 

Les  lettres  de  Richelieu  prouvent  qu'il  était  dupe.  Ce 
traité  imposé  et  contraire  à  ses  plans,  il  l'avait  adopté 
pourtant.  Lo  6  octobre  encore,  il  croyait  que  les  Espagnols 
lui  donneraient  une  flotte,  et  qu'il  pourrait  les  occuper  à 
ce  vain  projet  de  descente. 

Ils  le  jouèrent  toute  l'année.  Ces  friponneries  miséra- 
bles peuvent  parfois  tromper  le  génie  qui  ne  peut  croire 
qu'on  tombe  si  bas. 

C'était  la  catholique  Espagne  qui  mêlait  contre  nous, 
dans  une  coalition  étrange,  nos  alliés  l'Angleterre,  la  Sa- 
voie et  Venise  ;  d'autre  part,  la  Lorraine^  l'Empereur,  tout 
péle-méle,  protestants,  catholiques. 

Elle  nous  jetait  l'Anglais  au  visage,  et  bientôt  l'Empe- 
reur dans  le  dos  I 

Tout  cela  fut  connu  enfin,  lu,  révélé  dans  le^  papiers 
qu'on  saisit  en  novembre. 

Buckingbam  n'avait  nul  principe,  mais  beaucoup  d'ima- 
gination. En  1625,  il  avait  prêté  des  vaisseaux  contre 
la  Rochelle  (V.  sa  lettre,  Lingard).  En  4627,  le  voilà  dé- 
fenseur, protecteur  de  la  Rochelle,  de  tous  nos  protes- 
tants, il  tire  Fépée  pour  Dieu. 

En  réalité,  il  voulait  prendre  la  Rochelle  ou  au  moins 


SIÉGB  m  tk  ROCHELLE.  289 

Rhé.  C'eût  été  un  nouveau  Calais,  entre  Nant^  et  Bor- 
deaux, à'  cinq  heures  de  TEspagne.  Les  flottes  anglaises 
n*étaient  plus  prisonnières  nu  détroit.  Libres  des  servi- 
tudes du  vent,  elles  se  tenaient  là,  comme  l'aigle  de  mer 
sur  son  roc,  tombant  sur  les  vaisseaux  français  ou  sur  les 
galions  espagnols,  et  pillant  sur  deux  monarchies. 

Tous  les  protestants  de  France  allaient  refaire  à  Buckin- 
gham  l'ancien  empire  aquitanique  d'Edouard  III.  Ce  vain- 
queur et  ce  conquérant,  qui  donc  alors  pourrait  parler  de 
lui  faire  son  procès?  Merveilleux  coup  qui,  du  fond  de 
l'abime,  le  faisait  remonter  au  ciel  I  Vainqueur  en  France, 
despote  en  Angleterre,  et  adoré  au  Louvre  I  Le  roi,  em- 
barrassé, eût  été  trop  heureux  que  la  reine  intervint.  Lui, 
Bucklngham,  alors,  son  chevalier  fidèle,  mettait  tout  à  ses 
pieds.  Elle  s'attendrissait,  et  les  vœux  de  la  France  étaient 
comblés,  il  naissait  un  Dauphin. 

Dans  cet  emportement  de  passion,  il  écrivit,  en  France, 
au  duc  de  Rohan  qu'il  allait  arriver  avec  trois  flottes  et 
trois  armées,  trente  mille  hommes.  Triple  attaque,  par  la 
Rochelle  au  centre,  aux  ailes  par  Bordeaux  et  par  la  Nor- 
mandie. Pendant  ce  temps,  le  duc  de  Savoie  eût  agi  sur  le 
Rhône,  le  comte  de  Soissons  en  Dauphiné. 

De  tout  ce  merveilleux  poème  de  guerre,  on  n'eut  qu'un 
épisode,  la  descente  de  dix  mille  Anglais  à  l'île  de  Rhé. 
C'était  assez  pour  prendre  la  Rochelle,  si  la  Rochelle  vou- 
lait être  prise.  Mais  elle  ne  le  voulut  pas. 

On  avait  tant  reproché  aux  huguenots  d*aimer  TAngle^ 
terre,  que  celle  ci  se  croyait  sûre  d'être  reçue  à  bras 
ouverts.  Mais  point.  Les  huguenots  furent  avant  tout 
Français. 

La  Rochelle  d'ailleurs,  notre  Amsterdam,  forte  de  com- 
merce et  de  guerre,  un  petit  monde  complet,  original» 
qui  avait  son  pavillon  à'elle,  renommé  sur  toutes  les  mers, 
que  serait-elle  devenue  dans  les  mains  anglaises?  Un 
triste  port  militaire,  comme  notre  Rochefort  d'aujour- 
zi.  i9 


290  SIÈGE   DE  LA  ROCHELLE. 

d'hui.  Ses  marins  avaient  horreur  d*une  pareille  (ransfor* 
mation.  Et  ses  ministres  ne  redoutaient  guère  moins  le 
joug  des  demi-catholiques,  épiscopaux  et  anglicans. 

La  mauvaise  foi  de  Buckingham  était  frappante.  S'il 
eût  voulu  délivrer  la  Rochelle ,  il  eût  descendu  sur  terre 
ferme  et  Teût  aidée  à  prendre  et  démolir  son  entrave,  le 
fort  Louis.  Mais  il  resta  en  mer  pour  prendre  Tile  deRhé, 
où  il  se  fût  établi,  que  les  Rochelois  le  voulussent  ou  non, 
devant  eux,  à  leur  porte.  Captifs  d'un  côté  par  la  France, 
de  l'autre  ils  l'eussent  été  par  TAngleterre. 

il  n'écouta  en  rien  les  conseils  de  Soubise,  qui  venait 
avec  lui,  et  pondant  que  Soubise  était  allé  à  la  Rochelle, 
contre  leurs  conventions,  il  descendit  dans  Rhé.  Non  sans 
perte.  Le  gouverneur  Thoiras,  avec  le  régiment  de  Cham- 
pagne et  force  noblesse ,  lui  fit  un  tel  accueil  à  l'arrivée, 
le  cribla  tellement,  qu'il  resta  inactif  cinq  jours  à  se  re- 
faire, au  lieu  de  marcher  droit  au  fort. 

Soubise,  voulant  entrer  à  la  Rochelle,  avec  un  secrétaire 
anglais,  fut  arrêté  tout  court,  et  ne  serait  pas  entré  si  sa 
vieille  mère,  femme  d'antique  vigueur,  ne  fût  venue  et  ne 
l'eût  fait  passer.  On  écouta  l'Anglais,  mais  on  resta  très- 
froid. 

Ce  scrupule  de  nos  huguenots  fut  ce  qui  sauva  Riche- 
lieu, et  qui  sauva  la  France.  Si  Buckingham  eût  mis 
seulement  cent  hommes  à  la  Rochelle,  l'effet  moral  était 
produit  et  Richelieu  sautait.  L'Angleterre  se  retournait 
violemment  vers  la  guerre,  sa  révolution  était  ajournée;  les 
cent  ans  de  la  guerre  anglaise  recommençaient  pour  nous. 

Richelieu ,  loin  d'avoir  des  vaisseaux ,  n'avait  pas  d'ar- 
gent pour  en  faire.  Il  espérait  dans  la  flotte  d'Espagne  ! 

En  cette  détresse,  il  imagina  de  se  servir  de  son  ennemi 
BéruUe.  Il  le  fit  agir  pour  obtenir  à  Rome  un  secours  d'ar- 
gent à  prendre  sur  le  clergé.  Lenteur,  mauvaise  volonté. 
Richelieu  prie  le  clergé  même,  lui  extorque  quelques  mil- 
lions. 


Sltel  DE  LA  ROGflSLLB.  294 

• 

Que  serait-il  devenu,  sans  la  lenteur  de  Buckingham  ? 
Mais  celui-ci  attendit,  pour  assiéger  le  fort,  qu'il  fût  bien 
approvisionné.  Il  garda  mal  la  mer.  Nos  Basques  de 
Bayonne,  habitués  à  faire  l'improbable^  réussirent  à  pas- 
ser; le  fort,  qui  n'avait  de  vivres  que  pour  cinq  jours,  fiit 
ravitaillé  pour  deux  mois. 

Heureusement,  car  le  roi  qui  venait,  tomba  malade,  son 
frère  le  remplaça,  avec  le  ferme  désir  de  ne  rien  faii*e. 
L'armée  qu'il  commandait,  pillant,  ravageant  et  coupant 
les  arbres,  faisait  ce  qu'il  fallait  pour  que  la  ville  se  donnât 
aux  Anglais.  Outre  le  fort  Louis,  on  en  commença  d'au- 
tres évidemment  pourj'assiéger. 

Grande  dispute  dans  la  ville.  Les  juges  sont  pour  le  roi 
quand  même^  s'en  vont,  passent  au  camp  royal.  Les  mi- 
nistres et  le  corps  de  ville  prennent  la  résolution  hardie 
de  se  défendre,  mais  seuls,  et  sans  recevoir  Buckingham. 

Loin  de  là,  dans  leur  manifeste,  ils  rappellent,  comme 
leur  plus  beau  titre,  d'avoir  jadis  chassé  TAnglais.  Ils  of- 
firent,  si  le  roi  veut  mettre  le  fort  Louis  entre  les  mains  de 
la  Trémouille  ou  de  la  Force,  de  s'unir  à  lui  pour  chasser 
deRbé  leur  défenseur  suspect. 

Pour  réponse,  on  mit  des  canons  en  batterie  devant 
leurs  pentes.  Il  fallait  ouvrir  ou  combattre  (10  septembre). 
Us  combattirent,  mais  ce  ne  fut  que  cinq  semaines  encore 
après  (45  octobre)  qu'ils  se  décidèrent  à  traiter  avec  Buc- 
kingham. 

Sans  cette  extrême  répugnance  de  la  Rochelle  pour 
TAnglais,  l'ardeur,  l'activité  de  Richelieu  n'aurait  servi 
de  rien.  Thoiras  était  malade,  découragé;  la  noblesse  du 
fort  perdait  patience  ;  on  parlait  de  se  rendre.  Comment 
leur  envoyer  secours?  Il  fallait  un  miracle.  Les  Rayonnais 
et  Olonnais  le  firent  par  un  coup  tel  que  ceux  qu'ont  faits 
leurs  flibustiers.  Le  mot  fut  :  c  Passer  ou  mourir.  >  On  y 
serait  mort,  si  on  avait  suivi  le  plan  ordonné.  Buckingham 
était'  averti,  et  ses  chaloupes  en  mer  pour  couler  ces 


S9S  SI^GB  DE  LA  ROCHBLLB. 

coques  de  noix.  A  mi-chemin,  celui  qui  menait  l'avant- 
garde,  le  jeune  la  Richardière,  dit  le  capitaine  Maupas, 
dit  aux  autres  :  «  Us  nUmaginent  pas  qu'on  traverse  leur 
flotte.  Et  c'est  par  là  qu'il  faut  passer.  Nous  sommes  très- 
petits  et  très-bas  ;  nous  passerons  sous  les  boulets.  »  Gela 
se  fit  ainsi.  De  trente-cinq  barques,  vingt-neuf  passèrent, 
le  reste  fut  coulé.  Le  fort  reçut  des  vivres  en  abondance. 
Buckingham,  avec  qui  Thoiras  parlementait,  et  qui  croyait 
déjà  le  tenir,  vit,  le  matin  du  9  octobre,  les  soldats  qui, 
du  haut  des  murs,  lui  montraient  au  bout  de  leurs  piques 
«  des  jambons,  chapons  et  coqs  d'Inde.  9  Dès  lors,  sa 
perspective  était  de  rester  là  l'hiver,  de  périr  dans  l'eau 
sous  les  pluies. 

Les  Rochelois,  qui  jusque-là  avaient  peur  de  lui  autant 
que  de  l'armée  royale,  le  crurent  dès  lors  moins  redou- 
table, et  ne  refusèrent  plus  de  traiter.  Ils  le  trouvèrent 
moins  haut,  et  il  signa  ce  qu'ils  voulurent  (15  octobre). 
Celui  qui  fit  l'arrangement,  Guiton,  un  de  leurs  grands 
marins,  y  réserva,  non-seulement  les  libertés  de  la  ville, 
mais  les  droits  de  la  province  même,  stipulant  que,  si 
l'Anglais  prenait  l'île  de  Rhé,  il  ne  la  démembrerait  pas 
du  pays  pour  la  faire  anglaise,  qu'il  ne  profiterait  pas  des 
forts  bâtis  depuis  huit  ans  sur  la  côte,  mais  les  démolirait. 
Admirable  traité,  d'un  patriotisme  obstiné,  mais  qui  dut 
refroidir  entièrement  les  Anglais,  leur  faire  peu  désirer  de 
vaincre,  puisque  d*avance  on  exigeait  qu'ils  ne  profitassent 
point  de  la  victoire. 

Le  roi,  enfin  guéri,  était  arrivé  le  12  octobre.  Toutes  les 
forces  militaires  dont  le  royaume  pouvait  disposer  étaient 
devant  la  Rochelle,  trente  mille  hommes  d'élite  et  un  ma- 
tériel immense.  Tous  nos  ports,  du  Havre  à  Rayonne, 
avaient  fourni  des  hommes  et  des  embarcations.  Richelieu, 
en  trois  mois,  par  un  mortel  efibrt  de  volonté,  d'activité, 
avait  précipité  la  France  entière  sur  cet  unique  point.  Le 
succès  n^étnit  guère  douteux.  La  Rochelle  avait  vingt-huit 


JSliGK  DE  LA  ROCHELLE,  293 

mille  âmes,  donc  quatorze  mille  mâles,  donc  au  plus  sept 
mille  hommes  armés.  Des  dix  mille  de  Buckingham,  il 
n'en  restait  que  quatre  mille.  Ni  l'Angleterre  ni  la  Hol- 
lande ne  bougeaient.  L'Espagne  seule  eut  quelque  envie 
d'employer  ses  vaisseaux  promis  à  Richelieu  pour  lui  dé- 
truire ses  barques  et  sauver  la  Rochelle.  C'était  l'avis  de 
Spînola;  il  conseillait  nettement  de  trahir,  Madrid  n'y 
répugnait  pas  ;  mais  trahir  pour  les  hérétiques,  combattre 
dans  les  rangs  protestants,  c'eût  été  pour  l'Espagne  une 
solennelle  abdication  du  rôle  qu'elle  jouait  depuis  cent 
ans,  l'aveu  le  plus  cj^nique  de  sa  perfidie  hypocrisie. 

Si  Buckingham  eût  bien  gardé  la  mer,  la  France  man- 
quant de  vaisseaux,  il  était  maître  encore  de  la  situation. 
Hais  on  fit  l'imprudence  heureuse  de  mettre  six  mille 
hommes  d'élite  dans  des  barques.  Ils  passèrent,  et  il  fut 
perdu. 

Perdu  en  France,  perdu  en  Angleterre.  Le  6  novembre, 
avant  de  s'embarquer,  il  joua  sa  dernière  carte,  donna  au 
fort  un  assaut  désespéré.  Il  y  perdit  beaucoup  de  monde. 
11  en  perdit  encore  plus  à  rembarquement.  Il  n'avait  rien 
prévu.  Il  lui  fallut  faire  défiler  ce  qui  lui  restait  de  troupes 
sur  une  étroite  chaussée  ;  on  le  coupa,  à  moitié  passé,  et 
on  lui  tua  deux  mille  hommes  (7  novembre  1627). 

Il  n'en  avait  plus  que  deux  mille,  mais  sa  flotte  était 
tout  entière,  et  il  était  encore  maître  de  la  mer.  Les  Ro- 
chellois  le  supplièrent  de  rester  là.  Plus  il  y  avait  d'hom- 
mes dans  rile,  plus  vite  ils  seraient  affamés.  Le  roi  aurait 
TU  du  rivage  ses  meilleures  troupes  forcées  de  se  livrer, 
de  se  rendre  à  discrétion.  Mais  Buckingham  avHit  perdu 
la  tête.  H  avait  l'oreille  pleine  du  grondement  terrible  de 
l'Angleterre  ;  il  avait  hâte  d'être  à  Londres  pour  répondre 
aux  accusations. 

Il  part,  ayant  mangé  les  vivres  de  la  Rochelle,  ayant 
rendu  aux  assiégeants  le  service  de  l'affamer.  Cette  misé- 
rable ville,  abandonnée  de  celui  qui  Ta  compromise,  la 


394  SIEGE  rat  LA  ROCHILLK. 

voilà  en  présence  d'une  monarchie.  Six  mille  hommes 
sans  secours  et  à  peu  près  sans  vivres,  vont  se  défendre 
un  an  encore  contre  une  grande  armée  qui  a  tout  k 
royaume  pour  arrière-garde,  qui  y  puise  indéQmment, 
répare  à  volonté  ses  {lertes. 

La  France  est  admirable  dans  ces  oocasions  où  il  s'agit 
de  coaper  un  niembre,  de  pratiquer  sur  soi  quelque 
cruelle  opération.  Dès  qu'il  lui  faut  se  mutiler,  «e  tronquer, 
se  décapiter,  elle  est  forte,  elle  est  rk^hc.  Elle  n*avait  pas 
eu  d'argent  pour  payer  exactement  le  Danois  en  4626, 
lorsqu'il  combattait  pour  elle,  pour  les  libertés  de  l'Eu- 
rope. Elle  eut  énormément  d'argent  en  1627  pour  détruire 
son  premier  port,  la  terreur  de  l'Espagne,  l'envie  de  la 
Hollande.  On  jeta  les  millions  dans  des  constructions  iin* 
menses  qui  devaient  servir  un  moment.  Tels  de  ces  forts, 
bâtis  uniquement  pour  prendre  la  ville,  étaient  aussi  im- 
portants que  la  ville  tmâme.  Ils  étaient  reliés  entre  eux  par 
une  prodigieuse  circonvallation  de  trots  ou  quatre  Ueues 
qui  enveloppait  le  pays.  On  avait  fait  une  Rochelle  mons* 
trueuse  pour  étouffer  la  petite  I  pour  urne  occasion  d'une 
année  i  des  murs  babyloniens  et  des  monuments  de 
Ninive  ! 

Tout  cela  n'était  rien  si  on  ne  fermait  la  mer.  On  l'avait 
essayé  en  vain  en  16ââ.  Un  Italien  célèbre  n'y  pouvait 
réussir.  L'architecte  français  Métézeau,  et  Tiriot»  maçon 
de  Paris,  en  indiquèrent  les  vrais  moyens,  et  avec  tant  de 
simplicité,  qu'on  crut  qu'on  le  ferait  sans  eux.  On  les 
paya,  et  on  les  renvoya.  M.  de  Marillac,  un  courtisan  sus- 
pect, grand  ami  de  BéruUe,  se  chargea  de  construire  la 
digue.  Désirait-il  y  réussir?  BéruUe,  qui  avait  tant  de- 
mandé le  siège  pour  bouleverser  les  plans  de  Richelieu, 
en  craignait  maintenant  le  succès  dont  Richelieu  eût  en 
l'honneur.  On  voulak  à  tout  prix  sa  chute,  un  politique 
nous  dit  pourquoi  :  Parce  qu'on  savait  qu'une  fois  la  viU^ 
prise,  les  huguenots  n'étant  plus  dangereux,  Richelieu  s'abS' 


SIÈGE  DE  LA  ROCHELLE.  295 

tiendrait  de  les  persécuter.  Or  les  saints  de  l'époque,  copis- 
tes de  TEspagne,  voulaient  absolument  qu'on  en  fit  comme 
-des  Moresques,  qu'on  les  chassât  ou  les  exterminât  (Fou- 
taine-Mareuil). 

Harillac,  substituant  son  génie  à  celui  des  inventeurs, 
ne  fit  pas  la  digue  en  talus,  comme  ils  l'avaient  prescrit  ; 
il  la  fit  droite.  Si  bien  que  le  travail  fut  emporté  au  bout 
de  trois  mois.  Mais  la  puissante  volonté  de  Richelieu  vain- 
quit tous  les  mauvais  vouloirs  à  force  d'argent.  L'armée 
entière  voulait  travailler  à  la  digue  ;  on  payait  aux  soldats 
chaque  bottée  de  pierres  qu*il  apportait.  La  solde  en  outre 
fut  énormément  augmentée.  De  bons  et  chauds  habifle- 
ments  distribués,  des  vivres  abondants.  L'argent  ne  pas- 
sait plus  par  les  mains  infidèles  des  capitaines,  mais  par 
des  agents  sûrs,  tout  droit  de  la  caisse  au  soldat. 

Il  y  avait  cent  à  parier  contre  un  qu'on  ne  pourrait 
achever.  Richelieu^  qui  le  6  octobre  encore  comptait  sur 
la  flotte  espagnole,  apprit  en  novembre  par  des  papiers  de 
Buckingham,  et  par  ceux  d'un  agent  anglais  qu'on  saisit 
en  Lorraine,  que  l'Espagne  était  contre  lui,  que  depuis  un 
an  elle  organisait  une  coalition  pour  envahir  la  France. 
Découverte  et  bien  mise  à  jour,  l'Espagne  persévéra  dans 
une  hypocrisie  ridicule,  nous  envoyant  à  la  Rochelle  sa 
flotte  (qu'on  remercia),  tandis  qu'elle  nous  assiégeait  dans 
Casai,  où  nous  soutenions  un  Français,  Nevers,  héritier  de 
Mantoue  (27  décembre  1627). 

L'Italie  appelait  la  France,  clouée  à  la  Rochelle.  L'Allei* 
magne  et  le  Nord  l'appelaient.  Notre  envoyé  en  Suède, 
M.  de  Charnacé,  nous  fut  renvoyé  par  Gustave-Adolphe 
pour  dire  à  Richelieu  que,  si  la  France  ne  venait  au  secottrs 
par  hommes  ou  par  argent,  c'était  fait  de  l'Europe,  et  que 
la  France  périrait  la  première.  Effectivement^  on  préparait 
chez  l'Empereur  le  terrible  Édit  de  restitution  qui  allait  dé- 
posséder ^Allemagne  protestante,  transférer  la  propriété 
aux  catholiques,  offrir  des  primes  monstrueuses  aux  ban- 


296  SIÈGE  DB  LA  ROCHBLLB. 

des  des  assassins  à  vendre,  donner  des  ailes  à  la  guerre, 
à  la  mort.  Que  pouvait  Richelieu?  rien  du  tout.  S'il  lâchait 
le  siège,  il  perdait  son  crédit  et  périssait.  11  devait  rester 
là,  et  tous  les  millions  de  la  France,  si  nécessaires  ailleurs, 
il  devait  les  jeter  en  plâtras  dans  la  boue  de  ce  port.  Ces 
marins  rochellois  qui  eussent  si  utilement  aidé  contre  les 
Espagnols,  il  devait  les  faire  mourir  de  faim.  Les  flottes 
anglaises,  ses  alliées  naturelles,  et  celles  de  Gustave  et  des 
protestants  d'Allemagne,  Richelieu  devait  les  combattre  et 
les  détruire,  s'il  se  pouvait! 

En  février,  le  roi  brusquement  lui  échappe.  Il  s'ennuie, 
retourne  à  Paris.  Coup  monté,  très-probablement.  On 
supposait  que  Richelieu  suivrait,  ou  que,  si  le  roi  partait 
seul,  il  s'émanciperait  de  son  ministre.  Bérulle  et  la  reine 
mère  y  comptaient  bien  ;  les  Guises  y  travaillaient,  fort 
mécontents  de  ce  que  Richelieu,  surintendant  de  la  navi- 
gation, avait  subordonné  leur  amirauté  de  Provence.  Au 
bout  de  quinze  jours  passés  à  Paris  (Fontaine-Mareuil),  k 
roi  avait  oublié  et  la  Rochelle  et  Richelieu.  Celui-ci  ne  le 
ramena  qu'en  donnant  une  place  à  un  petit  ami  du  roi  qui 
lui  sonnait  du  cor,  le  chevalier  de  Saint-Simon. 

Ce  grand  homme,  si  mal  appuyé,  était  resté  là  indomp- 
table sur  cette  triste  côte,  pouvant  chaque  matin  apprendre 
son  naufrage,  soit  qu'une  tempête  emportât  sa  digue  et 
délivrât  la  ville,  soit  qu'un  vent  capricieux  soufflât  de  la 
cour  sur  le  faible  esprit  de  ce  roi  qui  le  soutenait  seul 
contre  la  haine  universelle. 

Nul  en  réalité  n'aidait  bien  Richelieu  que  la  Rochelle 
elle-même,  l'intraitable  vigueur  qu'elle  opposait  aux  An- 
glais. Qui  empêcha  ceux-ci  de  la  ravitailler?  (F.  Mareuil.) 
Le  refus  que  les  Rochelois  qui  demandaient  secours  leur 
firent  pourtant  d'ouvrir  la  ville.  «  Qu'offrez- vous?  disait 
Buckingham.  Quels  dédommagements  pour  nos  dépen- 
ses? »  —  «  Nous  n'offrons  que  nos  cœurs,  »  dirent  obsti- 
nément ces  héros. 


SliGB  DE  LA  ROCfiELLS.  297 

Cette  résistance  immortelle  est  garantie  par  un  catho- 
lique, par  un  oratorien,  Arcère,  qui  avait  tous  les  manus- 
crits, depuis  détruits  ou  dispersés. 

Qui  ne  pleurerait  en  voyant  la  France  anéantir  ce  qu'elle 
eut  de  meilleur?  L'imperceptible  république  se  maintenait 
contre  deux  rois.  Ses  marins  traversaient  la  digue  ;  ses 
cavaliers  défiaient  l'armée  royale.  Vingt-huit  bourgeois  de 
la  Rochelle  attaquent  un  jour  cinquante  gentilshommes. 
En  tête  des  vingt-huit  était  le  tisserand  La  Forêt,  qui  se  fit 
tuer  et  à  qui  on  fit  des  funérailles  triomphales.  Un  autre 
sortit  seul  des  portes  pour  demander  un  combat  singulier. 
Accepté  par  la  Meilleraie,  cousin  de  Richelieu,  qui  eut  son 
cheval  tué  et  fut  blessé.  Mais  on  courut  à  son  secours. 

A  Pâques  (4628),  les  marins  l'emportèrent  sur  les  bour- 
geois proprement  dits;  le  parti  violent  gouverna,  et  la 
mairie  devint  une  dictature.  Le  capitaine  Guiton  fut  élu, 
malgré  lui.  «  Vous  ne  savez  ce  que  vous  faites  en  me  nom- 
mant, dit-il;  songez  bien  qu'avec  moi  il  n'y  a  pas  à  parler 
de  se  rendre.  Qui  en  dit  un  mot,  je  le  tue.  ^n  11  posa  son 
poignard  sur  la  table  de  THôlel  de  Ville,  et  le  laissa  en 
permanence. 

<  Guiton  était  petit,  mais  je  fus  ravi  de  voir  un  homme 
si  grand  de  courage,  il  était  meublé  magnifiquement,  et 
son  hôtel  plein  de  drapeaux  qu'il  aimait  à  montrer,  disant 
quand  il  les  avait  pris,  sur  quels  rois,  dans  quelles  mers.  ■ 
^ém.  de  Pontis.) 

Il  fallait  un  Guiton  pour  soutenir  la  ville  contre  l'horrible 
coup  qu'elle  reçut,  en  voyant  les  Anglais,  tant  attendus, 
paraître  et  disparaître,  sans  rien  tenter  pour  elle.  Le  1 1  mai, 
on  les  vit  en  mer;  le  18,  ils  étaient  partis.  Denbigh, 
beau- frère  de  Ruckingham,  pressé  par  les  réfugiés  qui 
étaient  avec  lui  de  forcer  le  passage  (la  digue  étant  encore 
inachevée),  dit  qu'il  leur  en  laissait  Thonneur;  qu'il  avait 
ordre  seulement  de  croiser,  de  faciliter  l'entrée  des  se- 
cours, mais  de  bien  ménager  sa  flotte. 


298  SIÈGE  DE  LA  ROCHEUSE. 

Dans  un  tel  désespoir,  le  fanatisme  de  la  patrie  mou- 
rante poussa  un  homme  à  se  dévouer  pour  tuer  Richelieu. 
II  voulait  seulement  qu'on  lui  dit  «  que  ce  n'était  pas  uj) 
péché.  9  Guiton,  qu'il  consulta,  répondit  froidement  :  «  On 
ne  conseille  pas  dans  ces  sortes  d'affaires.  »  Les  ministres, 
auxquels  il  alla  aussi,  lui  défendirent  cet  acte ,  disant  : 
«  Si  Dieu  nous  sauve,  ce  ne  sera  pas  par  un  forfait,  »  (ir- 
eère,  II,  295.) 

La  famine  pressait.  On  avait  mangé  tout,  jusqu'aux  cuios 
qu'on  faisait  bouillir.  Un  chat  se  vendit  quarante--cinq  li^ 
vres.  Il  fallut  faire  une  chose  barbare  qu'on  avait  toujours 
différée  :  chasser  les  pauvres,  les  vieux«  les  infirmes,  les 
femmes  veuves  et  sans  secours,  les  envoyer  aux  assiégeants, 
c'est-à-dire  à  la  mort.  Quiconque  voulait  passer  les  lignes 
était  pendu.  Cette  misérable  foule,  s'y  présentant,  fut  reçue 
h  coups  de  fusil.  Elle  revint  suppliante  à  la  Rochelle 
et  y  trouva  visage  de  pierre,  les  portes  closes  et  mornes, 
inexorables.  11  leur  fallut  mourir  de  faim  dans  rentre- 
deux;  dont  les  soldats  du  cardinal  profitaient  honteuse- 
ment ;  les  femmes  agonisantes  se  livraient  pour  un  peu  de 
pain. 

Étrange  armée  française  I  employée  ainsi,  sans  com- 
battre, à  cette  fonction  d^  bourreaux,  d'étouffer  lente- 
ment une  ville.  Du  reste,  régulière,  bien  ordonnée,  silen- 
cieuse. Richelieu  dit  avec  orgueil  :  «  C'était  comme  un 
couvent.  »  Le  soldat  gagnait  gros  et  engraissait.  Sauf  les 
jours  qu'il  était  maçon,  portait  la  hotte,  il  n'avait  rien  à 
faire  qu'à  entendre  la  messe  des  minimes  et  des  capucins, 
«e  confesse)*,  communier. 

Sur  la  ligne,  à  cheval,  voltigeaient  les  évéques.  Ceux  de 
Maillerais,  de  Nîmes,  de  Mende,  étaient  les  lieutenants  du 
cardinal.  Les  maréchaux  en  sous-ordre.  Tous  allaient 
prendre  le  mot  dans  une  petite  maison  où  Richelieu  s'était 
logé  sur  le  rivage.  C'était  là  la  vraie  cour;  l'église  et  Tépée 
affluaient,  mais  avec  cette  différence  :  les  prélats  le  poing 


SIÈGE  DE  LA  ROCHELLE.  299 

sur  la  hanche,  enfonçant  leurs  chapeaux,  les  officiers  cour- 
bés et  faisant  le  gros  dos. 

Que  devenait  cependant  l'honneur  de  TAngleterre? 
On  dit  que  Charles  P^  en  laissait  parfois  tomber  de  grosses 
larmes.  Mais  deux  choses  le  ralentissaient.  Des  protestants 
mêmes,  la  Hollande  et  le  Danemark,  lui  reprochaient  cette 
protection  de  la  Rochelle^  cette  guerre  avec  la  France  qui 
empêchait  celle-ci  de  les  secourir.  D'autre  part,  sa  jeune 
femme,  vive,  ardente  et  jolie,  gagnait  de  plus  en  plus  sur 
lui;  elle  le  priait  jour  et  nuit  de  ne  pas  faire  la  guerre  à 
son  frère  Louis  XIII  et  à  sa  famille.  Aux  heures  où  l'homme 
est  faible,  elle  lui  disait  sur  l'oreiller  les  propres  mots  de 
chaque  lettre  qu'elle  avait  reçue  de  la  France. 

Le  Parlement  anglais  avait  pourtant  rougi  à  la  longue,  et 
s'éUil  réveillé.  11  vota  un  très-fort  subside  pour  sauver  la 
Rochelle.  Buckingham  mit  la  flotte  en  mer.  Mais  lente- 
ment; car  on  assure  que  sa  divinité,  Anne  d'Autriche,  lui 
avait  écrit  de  trahir.  Du  moins,  les  puritains  le  crurent;  un 
d'eux,  Felton,  l'assassina. 

Nouveau  retard.  Cette  troisième  flotte  ne  partît  qu'en 
septembre,  trop  tard  pour  délivrer  la  ville,  assez  tôt  pour 
la  voir  périr. 

Richelieu  avait  fait  offres  sur  offres  aux  assiégés,  jusqu'à 
se  réduire  à  faire  entrer  seulement  le  roi  avec  deux  cents 
hommes,  pour  dire  qu'il  y  était  entré  ;  on  eût,  pour  la 
forme,  abattu  l'angle  extérieur  d*un  bastion.  Mais  les  cho- 
ses étaient  à  ce  point  qu'on  ne  pouvait  plus  se  rendre.  Le 
Olagh^irat  qui  eût  signé,  eût  été  tué  comme  traître.  Ils  se 
trainaient,  ne  soutenaient  plus  leurs  armes,  ne  marchaient 
qu'avec  un  bâton;  on  trouvait  le  matin  des  sentinelles 
mortes  de  faim  à  leur  poste.  Et,  avec  tout  cela,  on  ne  se 
rendait  point.  Guiton  disait  :  a  Nous  y  passerons  bientôt, 
nous  aussi.  11  suffit  qu'il  en  reste  un  vivant  pour  fermer  la 
porte.  9 

Le  28  septembre,  devant  cette  ville  morte,  quatre-vingts 


300  SIÈGE  DE  LA  ROCQELLE. 

vaisseaux  anglais  apparaissent,  plusieurs  très-forts.  Les 
Français  n'en  avaient  que  quarante-cinq  petits, il  est  vrai, 
défendus  par  toutes  les  batteries  du  rivage. 

Ce  fut  un  grand  spectacle.  Tous  à  leur  poste,  le  cardinal 
à  la  digue,  le  roi  partout.  Des  dames  en  carrosses  regar- 
daient du  haut  des  chaussées.  Les  Anglais,  envoyés  ea 
avant,  la  sonde  à  la  main,  s'arrêtent  bientôt,  trouvant  peu 
d'eau.  Les  gros  vaisseaux  n'arriveraient  pas,  disent -ils,  et 
les  petits  ne  serviraient  à  rien.  Les  réfugiés  français  qui 
étaient  sur  la  flotte  anglaise,  demandent  alors  à  conduire 
les  brûlots,  à  aller  de  leur  main  les  attacher  à  l'estacade. 
Ils  voyaient  de  la  mer  les  pauvres  gens  de  la  Rochelle  qui 
avaient  bravement  ouvert  le  petit  port  intérieur,  et  qui  de 
leur  côté,  malgré  la  marée  et  le  vent,  poussaient  un  brûlot 
sur  la  digue.  L'Anglais  ne  donna  pas  à  nos  Français  Thon- 
neur  qu'ils  demandaient.  Il  poussa  ses  brûlots  lui-même, 
très-mal  et  de  travers.  Tout  avorta  honteusement. 

Que  venait  donc  faire  cette  flotte?  négocier.  Milord  Mon- 
taigu,  en  partant,  avait  dit  à  Londres  aux  Français  de 
faire  ses  compliments  au  cardinal.  Celui-ci,  le  voyant  en 
mer  à  la  Rochelle,  lui  renvoya  des  compliments.  Tant  on 
complimenta,  que  Montaigu  se  chargea  d'aller  dire  à 
Londres  que  la  digue  décidément  était  infranchissable  et 
qu'il  fallait  traiter. 

Cela  tua  la  Rochelle  et  finit  tout.  Le  coup  moral  en  fut 
si  fort,  qu'on  courut  se  jeter  aux  genoux  de  Richelieu.  Si 
les  Anglais  n'étaient  pas  venus  mettre  le  comble  au  décou* 
ragement,  si  l'on  eût  tenu  huit  jours  de  plus,  la  digue  était 
détruite,  emportée  par  une  tempête,  la  ville  à  même  de 
se  ravitailler  et  de  tenir  longtemps  encore. 

Richelieu,  qui  voulait  ramener  nos  protestants  de  France, 
calmer  les  protestants  d'Europe,  ne  fut  point  dur  pour  la 
Rochelle.  Après  tout^  que  lui  eût-il  fait,  en  comparaison 
de  ce  qu'elle  s'était  fait  elle-même?  Nos  soldats,  en  entrant, 
donnèrent  leur  pain  à  tout  ce  qui  se  présenta,  et  le  roi  en 


SIÈGE  DE  LA  ROCHELLE.  301 

fil  distribuer  douze  mille.  C'était  le  nombre  mémo  du 
peuple  qui  restait;  tous  les  autres  étaient  morts  de  faim. 

Le  cardinal  de  Richelieu  entra,  pour  faire  enlever  les 
cadavres,  nettoyer  les  rues,  et,  le  temple  étant  redevenu  la 
cathédrale,  il  y  dit  la  messe  le  matin  du  jour  de  la  Tous- 
saint (4"  nov.  4628).  Le  roi  entra  le  soir,  avec  quelques 
troupes  dans  le  plus  grand  ordre.  Le  père  Suffren,  Jésuite, 
confesseur  du  roi,  y  fit  la  fête  des  Morts. 

Les  oratoriens,  les  minimes,  force  moines,  y  entrèrent, 
s*emparèrent  de  différents  lieux  pour  faire  chapelle.  Les 
habitants  perdirent  leurs  temples  et  n'eurent  de  culte  que 
dans  un  lieu  déterminé  plus  tard. 

L'héroïque  Guiton,  qu'un  ennemi  généreux  eût  accueilli, 
ne  fut  pas  reçu  du  roi.  Le  cardinal  le  regarda  de  travers  et 
le  fit  interner  dans  je  ne  sais  quel  village. 

Les  villes  innocentes  de  Saintes,  Niort,  Fontenay,  qui 
n'avaient  pas  bougé,  toutes  les  vieilles  places  de  Poitou,  de 
Saintonge,  perdirent  leurs  murs,  et  bientôt  peu  à  pou 
tous  ceux  de  leurs  habitants  qui  purent  passer  en  Suisse 
et  en  Hollande. 

Le  Poitou,  afors  Tun  des  pays  les  plus  avancés  de  la 
France,  devint  le  plus  barbare,  plus  sauvage  et  plus 
superstitieux  que  la  Bretagne.  Les  Poitevins,  derrière 
leurs  haies,  toujours  seuls  à  la  queue  des  bœufs,  sans 
rapport  social  qu'avec  des  curés  rustres,  restèrent  étran- 
gers à  tous  les  progrès  dû  temps,  et  gardèrent  au  vieux 
fanatisme  celte  précieuse  réserve  de  Vendée,  qui,  en  92, 
quand  nous  eûmes  l'Europe  à  combattre,  nous  assassina 
par  derrière. 

Le  petit  pays  d'Aulnis,  si  riche  jusque-là,  et  si  maigre 
aujourd'hui,  fut  comme  anéanti.  Plus  de  Rochelle.  Tous  se 
firent  Hollandais.  Cette  ville  aujourd'hui  est  une  espèce 
d'Herculanum  ou  de  Pompéies.  Chose  bizarre!  les  insectes, 
qui  ont  le  sens  très-vif  des  choses  condamnées  à  la  mort, 
s'en  sont  emparés  en  dessous.  Les  termites  rongent  les 


302  SIÈGE  DE  LA   ROCHELLE. 

charpentes.  Telles  maisons,  jusqu'ici  solides  en  apparence, 
s'afTaisseront  un  matin. 

Image  trop  naïve  de  cette  France  du  xvii®  siècle,  sou- 
vent brillante  et  luisante  en  dessus,  et  dessous  chaque  jour 
plus  vide. 

Un  vieux  secrétaire  de  Sully,  qui  s'était  enfermé  au 
siège  et  vit  cette  désolation,  dit  ce  mot  prophétique  : 
a  Voici  les  huguenots  à  la  merci  des  puissances  qui  les 
détruiront.  On  en  fera  autant  des  peuples  qui  ne  sont  pas 
huguenots.  »  La  richesse  en  effet,  la  subsistance  même, 
iront  toujours  diminuant  en  ce  siècle.  La  France,  sous 
Richelieu,  maigrira  de  sa  gloire,  et  n'engraissera  pas  sous 
Colbert.  En  1709  je  la  cherche,  et  ne  vois  plus  qu'un  os 
rongé. 

Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  aura  aucun  progrès  ?  On  aurait 
tort  de  le  croire.  En  ce  pays  de  violence,  le  progrès  s'ac- 
complit par  des  voies  d'extermination.  Une  France  meurt 
avec  la  Rochelle  et  l'émigration  de  l'Ouest.  Une  France 
meurt  par  les  dragonnades  et  la  banqueroute.  Une  en  93. 
Une  en  1815.  Et  il  y  a  toujours  des  Frances  à  dévorer. 

Puis,  toujours  des  sophistes  pour  la  complimenter  à 
chaque  destruction.  Quelle  belle  chose  que  ce  pays,  au 
moment  de  lutter  contre  l'Autriche  et  l'Espagne,  se  soit 
retranché  son  meilleur  membre  et  détruit  ses  meilleurs 
marins  !  Cela  s'appelle  se  couper  une  jambe,  afin  de  mieux 
courir.  Ou  bien  le  mot  de  Molière  (s'il  est  permis  de  citer 
la  comédie  en  chose  si  triste)  :  «  Croyez-m'en,  crevez-vous 
un  œil;  vous  y  verrez  bien  mieux  de  l'autre.  » 

Du  reste,  j'accuse  moins  Richelieu  que  son  temps,  sa 
fatalité  monarchique.  Quoi  qu'il  en  dise  dans  un  air  de 
bravoure  (son  fitmeux  Teslament),  on  voit  fort  bien,  par 
ses  lettres  et  ses  actes,  qu'il  fut  poussé,  traîné.  L'Espagne- 
Autriche  lui  fit  commencer  en  France  l'œuvre  de  mort 
qu'elle  accomplissait  chez  elle.  Elle  avait  fait  le  désert 
d'Espagne  par  l'expulsion  des  Moresques.  Elle  faisait  en 


SliOB  DE  LA  ROCHËLLB.  303^ 

ce  moment  le  désefrt  de  Bohême  (sur  trente  mille  villages 
onze  mille  égorgés).  Elle  allait  faire  bientôt  les  déserts  de 
Lorraine  et  du  Rhin  (où  disparurent  six  cent  mille  hom- 
mes vers  1637).  En  1628  Richelieu  fut  forcé  de  faire  le 
désert  de  TÂulnis  par  la  destruction  de  la  Rochelle,  le 
premier  ébranlement  des  émigrations  qui  continuent  dans 
tout  le  siècle. 

Il  dit  en  1626  qu'il  voulait,  en  finances,  «  revenir  aux 
états  de  1 608  »  (à  Henri  IV  et  à  Sully).  Pour  y  revenir  en 
finances,  il  eût  fallu  y  revenir  en  politique. 

Quoiqu'un  si  lumineux  esprit  dût  généralement  préférer 
le  bien,  il  ne  l'aimait  pas  de  cœur.  11  n'était  pas  bon.  11 
eut  un  sentiment  élevé  de  l'honneur  de  la  France,  mais, 
comme  prêtre  et  noble,  un  grand  mépris  du  peuple.  H 
répète  dans  son  Testament  la  vieille  maxime  qu'un  peuple 
qui  s'enrichirait  deviendrait  indocile.  Ls  peuple  est  un 
mulet  qui  doit  porter  la  charge;  seulement,  pour  qu'il 
porte  mieux^  dit-il,  il  ne  faut  trop  le  maltraiter. 

Richelieu  fut  haï  et  de  la  nation  qu'il  sauva  de  l'inva- 
sion, et  de  l'Europe  dont  il  aida  la  délivrance.  Henri  IV, 
qui  n*eut  le  temps  de  rien  faire,  fut  adoré  de  tous.  La 
charmante  auréole  de  la  France  en  ce  temps,  la  puissante 
attraction  qui  lui  jetait  l'Europe  dans  les  bras,  hélas  I  que 
devient-elle  alors  ?  Qui  désirait  sous  Henri  IV  de  devenir 
Français?  Tout  le  monde.  Et  qui  sous  Richelieu?  Personne. 

Comment  s'était-il  fait  qu'Henri  IV,  sans  tirer  Tépée, 
eût  tant  retardé  la  guerre  de  Trente  ans  ?  Contre  la  ré- 
volution jésuitique  du  Midi  et  de  l'Allemagne,  il  avait  dans 
la  main  la  révolution  protestante,  affaiblie,  mais  vivante 
encore,  dont  il  restait  armé.  A  sa  mort,  en  4610,  il  atta- 
quait l'Allemagne,  l'Espagne  et  l'Italie,  par  trois  généraux 
protestants,  Rohan,  la  Force  et  Lesdiguières.  Ses  armées 
étaient  mixtes  des  deux  religions.  Les  catholiques  eux- 
mêmes  gardaient  le  souffle  du  grand  siècle,  son  âme  for- 
midable. 


304  MÉOB  DB  LA  ROCHELLE.' 

Trois  choses  allaient  en  résulter  :  4o  Les  huguenots^ 
sous  un  roi  catholique,  étant  menés  à  la  guerre  des  libertés 
du  monde,  se  seraient  de  plus  en  plus  fondus  dans  le  tout. 
Ni  protestants,  ni  catholiques,  mais  des  citoyens,  des 
Français  ; 

2"*  Contre  des  passions,  on  envoyait  des  passions,  et  non 
des  automates.  La  guerre  eût  été  vive,  mais  courte,  la 
France  ayant  pour  elle  les  sympathies  des  nations  ; 

30  Et  elle  aurait  été  relativement  économique.  On  n'eût 
pas  fait  ce  tour  de  force  d'inventer  des  armées  ou  d*aUer 
en  acheter  au  poids  de  Tor  jusque  sous  le  pôle,  lorsqu'on 
avait  chez  soi  des  hommes  tout  aussi  militaires  qui  eussent 
servi  niôme  pour  rien  et  remercié  en  versant  tout  leur 
sang. 

La  France,  sous  Richelieu,  Mazarin  et  Louvois,  avance 
dans  la  voie  mécanique.  La  machine  est  intronisée,  et  la 
personne  exterminée.  L'homme,  de  fortune  et  d'âme, 
arrivera  au  dernier  aplatissement.  Et  le  xviir  siècle,  qui 
doit  tout  recommencer,  ne  trouve,  en  1700,  que  des  la- 
quais spirituels. 

Le  mot  m'est  échappé,  et  je  ne  l'effacerai  pas,  mais  je 
m'arrêterai.  Bien  des  fois,  j'ai  rougi  en  écrivant  ce  vo- 
lume, mais  je  rougirais  encore  davantage  si  je  mettais  ici 
en  face  la  France  étique  de  Louis  Xlil,  et  la  riche,  la 
grasse,  la  triomphante  Hollande,  l'heureuse  condition  de 
ses  citoyens  devant  la  misère  des  sujets  français.  La  répu- 
blique nouvelle  couvre  alors  les  mers  de  son  papillon  tri- 
colore, elle  apparaît  sur  tous  les  points  du  globe.  Son 
malheur  de  4649  lui  fait  détester  les  factions,  et  bientôt 
commence  Tâge  de  sagesse  et  de  tolérance  oii  elle  fut 
l'exemple  du  monde.  Elle  devient  l'asile  universel  des 
persécutés  de  la  terre,  des  penseurs,  des  grands  inven- 
teurs. Elle  abrite  les  malheurs,  les  libertés,  les  arts,  bien 
plus,  le  sentiment  moral;  et  la  grande  exilée,  l'âme,  elle 
la  garde,  afin  qu'on  la  retrouve  un  jour. 


SifcB  DE  LA  RO€HBLLE.  305 

Allez  à  la  Bibliothèque,  prenez  Callot,  prenez  Rem-^ 
brandt.  Rapprochement  ridicule,  direz-vous,  et  vous  au- 
rez raison,  c'est  mettre  le  sable  et  le  caillou  d'un  petit 
torrent  sec,  en  présence  d'un  océan.  N'importe,  regardez, 
étudiez,  interrogez. 

Le  Français,  que  dit-il  de  sa  fine  pointe^  de  son  burin 
microscopique  ?  11  dit  ce  qu'il  a  vu  dans  sa  vie  de  bohème  : 
la  cour,  les  fêtes  et  la  famine,  les  estropiés,  les  bossus  et 
les  gueux,  les  ruses  de  la  misère,  l'universelle  hypocrisie, 
des  engagements  de  soldats,  des  tueries  et  des  scènes 
inouïes  de  pillage,  des  supplices  surtout,  la  potence  et  la 
corde,  les  grâces  du  pendu,  ce  sujet  éternel  oii  ne  tarit  pas 
la  gaieté  française. 

Ah  !  pauvre  peuple  gai,  que  je  te  voudrais  donc  un  peu 
de  l'intérieur,  du  doux  foyer  aux  chaudes  lueurs  que  j'a- 
perçois chez  l'autre,  les  dQux  bonheurs  de  la  Hollande,  la 
famille,  la  libre  pensée.  Je  ne  te  souhaite  pas  môme  la 
chaumière  hollandaise,  si  confortable,  ni  le  beau  moulin 
de  Rembrandt.  Non,  la  grosse  lourde  barque  de  commerce 
où  vogue  incessamment  la  famille  amphibie,  d'Amsterdam 
dans  les  mers  du  Nord,  cette  arche  de  Noé  où  vous  voyez 
ensemble  femmes,  enfants,  chiens  et  chats,  oiseaux,  qui 
naviguent  en  si  grande  paix  :  c'est  un  abri  où  je  voudrais 
réfugier  mon  pauvre  Français,  au  mauvais  temps  qui  va 
venir. 

Le  marin  était  libre,  le  bourgeois  était  libre;  bien  plus, 
le  paysan,  ce  malheureux  souffre-douleur,  sur  qui  partout 
alors  on  marche  et  on  trépigne.  Le  paysan,  comme  en 
Hollande  il  se  sentait  fort  sous  la  loi  1  quelle  noble  fierté 
d'homme I  et  quels  égards  il  exigeait  des  autres!  Un  tout 
petit  fait  le  dira.  Je  le  tire  des  Mémoires  de  Du  Maurier,  le 
fils  de  notre  ambassadeur. 

c  Mon  père  nous  ayant  loué  une  petite  maison  de  no- 
blesse près  de  la  Haye,  et  nous  y  ayant  placés  mon  frère 
et  moi  avec  notre  précepteur  et  deux  valets,  un  jour  le  roi 
XI.  so 


306  SIÈGM  W  U  ROCHELLE. 

de  Bohême,  réfugié  en  Hollande,  étant  i  la  chasse,  et  par 
hasard  ayant  entré,  suivant  un  lièvre,  avec  des  chiens  et 
des  chevaux  dans  un  petit  champ  joignant  cette  maison 
qu'on  avait  semé  de  quenoiles  (navets),  le  fermier  du  lieu, 
en  son  habit  de  fête  de  drap  d'Espagne  noir,  avec  une  ca- 
misole de  ratine  de  Florence,  à  gros  boutons  d'argent 
massif»  courant  avec  un  grand  valet  qu'il  avait,  à  la  ren- 
contre du  prince,  ayant  chacun  une  grande  fourche  ferrée 
à  la  main,  et  sans  le  saluer,  lui  dit  en  grondant  :  Konig  van 
Behenien!  Konig  van  Behemen!  (roi  de  Bohême!  roi  de  Bo- 
hème) !  pourquoi  viens-tu  perdre  mon  champ  de  que- 
nelles, que  j'ai  eu  tant  de  peine  à  semer? 

«  Ce  qui  fit  retirer  le  roi  tout  court,  lui  faisant  des  ex- 
cuses, et  lui  disant  :  a  Que  ses  chiens  l'avaient  mené  là 
malgré  lui.  » 

Vous  auriez  couru  loin  en  Europe  pour  trouver  pareille 
chose,  cette  liberté»  cette  audace  à  défendre  le  fruit  du 
travail.  Partout  ailleurs  elle  eût  été  punie.  Ce  paysan,  en 
France,  eût  été  aux  galères.  Et  le  roi,  en  Allemagne,  l'eût 
fait  dévorer  de  ses  chiens. 

Ilélas  !  pauvre  homme  de  la  guerre  de  Trente  ans,  qui 
te  protégera  et  quelle  fourche  de  fer  te  défendra  contre 
Waldstein  et  ses  cent  mille  voleurs? 

La  France  n*y  suflSrait  pas,  mutilée,  comme  elle  est, 
épuisée  par  les  grands  efforts  qu'en  doit  exiger  Richelieu. 
Et  l'on  désespérerait  de  l'Europe  même  si  l'on  ne  voyait  à 
l'horizon  une  aurore  boréale,  le  drapeau  de  Gustave- 
Adolphe. 


NOTES 


woTi  I.  —  Li  snis  DO  voiun. 


Les  trente  années  que  contient  oevoioaie  me  sont  venues  obs- 
cures, profondément  énigmatiques.  Y  ai-je  introduit  la  clarté? 

Knlle  œuvre  de  critique  ne  m*a  coûté  davantage.  Je  ne  trou- 
vais plus  là  la  netteté  et  la  franchise  de  mes  hommes  du 
xvi«  siècle  (que  Je  regretterai  toujours).  Les  figures  dominantes 
qui  ouvrent  le  xvii^  le  roi-homme  et  le  grand  ministre,  sont  des 
caractères  infiniment  mixtes,  qui  demandent  constamment  k 
être  examinés  de  près,  discutés  et  interprétés.  Les  situations 
aussi  sont  compliquées  et  troubles.  I^i  les  hommes,  ni  les 
choses,  ne  se  prêtent  aux  solutions  absolues  et  systématiques 
que  l'on  a  données  jusqu'ici. 

Il  faut,  dans  cette  époque,  plus  que  dans  aucune  autre,  dîs^ 
tinguer,  spécifier,  marcher  la  sonde  à  la  main.  L'histoire,  de 
la  place  publique,  du  grand  jour  des  révolutions,  tombe  aux 
cabinets  des  princes  ou  des  ministres-rois.  Elle  doit  aller  douce- 
ment  et  tftler  dans  l'obscivrité. 

Mais,  cela  fait  et  cet  objet  obscur  une  fois  bien  saisi  et 
serré  y  il  faut  le  mettre  en  pleine  lumière  sans  tergiversa- 
tion. 

Trois  questions  dominantes,  à  la  fin  de  cette  enquête ,  se 


308  ROTES. 

sont  posées  d'elles-mêmes ,  et  les  réponses  sont  sorties  des 
faits,  sans  que  je  m'en  mêlasse,  par  la  force  de  la  vérité. 

I.  Henri  IV  resta-l-il  flottant  jusqu'à  la  mort?  S'arréta-t-il 
au  système  de  balance  et  d'équilibre,  qui  fut  réellement  l'idée 
de  Ricbelieu,  et  que  les  Mémoires  de  Sully,  écrits  sous  Ricbe- 
lieu,  nous  donnent  comme  l'idée  d'Henri  IV? 

A  quoi,  je  réponds  :  Non,  A  partir  de  i606,  sous  une  appa* 
rente  fluctuation,  Henri  lY  est  fixé,  les  faits  disent  assez  dans 
quel  sens.  Au  départ  de  1610,  ses  trois  armées  en  marcbe  ont 
trois  généraux  protestants. 

II.  La  seconde  question,  le  mystère  de  sa  mort^  par  ceci 
même  est  résolue.  A  partir  de  1606,  dans  ses  quatre  dernières 
années,  ses  ennemis,  de  leur  côié,  ne  flottèrent  plus;  ils  Ti- 
rent très-bien  en  lui,  sous  son  masque  indécis,  leur  ruine  cer. 
taine  si  on  le  laissait  vivre,  et  ils  ne  perdirent  pas  un  jour 
pour  conspirer  sa  mort.  Le  Louvre  y  travailla,  autant  que  l'Es- 
curial. 

III.  La  politique  d'Henri  IV  fut-elle  reprise  en  France  et 
continuée? 

Nullement.  La  cour  du  Louvre,  principale  ennemield'UeDrilV, 
déjà  toute  espagnole  de  son  vivant,  fut  de  plus  en  plus  la  cliente 
de  l'Espagne  après  sa  mort.  Richelieu,  qui  heureusement  nous 
arrêta  sur  cette  pente,  trouvant  la  situation  gâtée  et  la  France 
rivée  dans  cette  fatalité  d'intolérance  qui  la  menait  à  la  ca* 
tastrophc  de  la  fin  du  siècle,  ne  lutta  contre  l'Espagne  qu'en 
l'imitant,  en  écrasant  les  dissidents,  au  lieu  de  les  employer 
contre  elle. 

Enfin,  pour  résumer,  Henri  IV  et  Ricbelieu  allaient  tous  deux 
à  l'unité  nationale  (suprême  condition  de  salut),  mais  par  des 
moyens  différents,  le  premier  par  l'emploi,  le  second  par  la 
destruction  des  forces  vives. 

Je  sais  la  différence  qu'on  établît,  il  les  écrasa,  politiquement, 
les  ménagea  religieusement.  Belle  distinction,  bonne  pour  les 
esprits  qui  ignorent  que  la  vie  est  une,  et  qui  en  séparent 
idéalement  les  manifestations.  De  quelque  façon  que  ce  fût,  les 
protestants  périrent  moralement;  l'émigration  commença,  et 
ceux  qui  n'émigraient  pas  furent  tranquilles,  il  est  vrai,  ne 


HOTBS.  309 

contrarièrent  point  Richelieu»  Mazarin,  personne.  Pourquoi  T 
ils  étaient  morts. 

Est-ce  à  dire  qu'il  fallait  laisser  en  France  une  république 
protestante?  Non,  on  pouvait  l'éteindre»  mais  par  d*&utres 
moyens.  Si  Richelieu  eût  été  libre,  quoiqu'il  hait  les  protes- 
tants» il  les  eût  ménsgés,  calmés  et  rassurés.  Il  les  aurait  tour- 
nés vers  la  mer,  la  guerre  maritime,  la  guerre  d'Espagne- 
Antriche.  Enrégimentés  sur  le  Rhin,  dispersés  sur  les  mers 
à  la  poursuite  dea  galions,  revenant  chargés  de  dépouilles, 
on  fondant  une  France  Tépée  à  la  main  dans  l'Amérique  espa- 
gnole, ils  ne  se  seraient  guère  souvenus  de  leurs  assemblées 
Inutiles,  ni  des  masures  qu'ils  appelaient  places  de  sûreté. 

Richelieu  ne  put  rien  faire  de  tout  cela.  Après  un  petit  mo- 
ment d'andace  contre  le  pape,  ses  ennemis  le  ramenèrent  par 
sa  chaîne,  robligèrent  de  ruiner  |la  Rochelle,  les  marins  qu'il 
eût  employés  contre  eux,  les  finances  qu'il  commençait  à  réta» 
blir.Jls  le  tinrent  là  près  de  deux  ans,  pendant  quMls  faisaient 
tout  ce  qu'ils  voulaient  en  Allemagne. 

Il  se  garde  bien  d'avouer  que  ces  fuules  lui  furent  imposées. 
U  les  dit  siennes,  et  veut  avoir  toujours  régné,  fait  tout  et  mené 
tout.  Les  historiens  docilement  l'ont  pris  au  mot,  et  accepté  la 
glorification  testamentaire  qu'il  fait  de  sa  politique.  Il  convient 
à  ces  grands  acteurs  de  faire  aiosi  leur  portrait  héroïque,  de 
se  couronner  de  lauriers,  de  ramener,  s'ils  peuvent,  toutes 
leurs  courbes  à  une  droite  idéale.  Mais  c'est  à  l'histoire  de  re- 
trouver leur  marche  sinueuse,  leurs  tours  et  leurs  détours  sous 
la  pression  des  événements,  sans  tenir  grand  compte  de?  sys- 
tèmes arrangés  après  coup  par  lesquels  ils  voudraient  dominer 
encore  l'opinion  et  duper  la  postérité* 


NOTB  M.  —  MBS  CONTBADICTIOllS. 


En  voici  encore  une  que  je  livre  à  la  critique.  J'ai  dit  du  bien 
et  du  mal  d'Henri  IV  dans  le  volume  précédent  et  dans  celui- 
ci.  Je  maintiens  l'un  et  l'autre;  le  mal,  le  bien,  sont  vrais  et 


310  NOTES. 

méril^s.  Ce  caractère  est  tel,  méié,  varié,  inconsistant  et  don- 
ble,  double  de  natare  ei  de  volonlë.  Il  a  cela  même  de  ca- 
rîettx  que  c'est  quand  il  se  fixe  au  bien  qti*il  se  masque  le 
plus ,  et  sa  meilleure  époque  est  toute  enveloppée  de  men- 
songe. 

Beaucoup  de  gens  y  étaient  pris,  ses  amis  surtout  (bien 
moins  ses  ennemis,  qui  ne  furent  pas  dupes  et  le  tuèrent).  En 
1600,  lorsqu'il  veut  agir  sérieusement  en  faveur  des  hugue- 
nots, il  les  mystifie  et  les  humilie  dans  la  dispute  dcMornay  et 
Du  Perron,  flatte  le  clergé  catholique.  De  môme,  lorsqu'il  vient 
de  leur  accorder  le  temple  de  Cbarenton  (1606)  et  d'arrêter 
avec  Sully  sa  guerre  pour  secourir  les  protestants  d'Allemagne, 
il  caresse  les  Jésuites  plus  que  jamais,  et  fait  au  ministre  Cha- 
rnier une  réception  sèche  et  dure,  qui  dut  charmer  Cotton  et 
tous  les  catholiques.  La  brochure  de  M.  Read  (sur  Charnier) 
peint  au  vif  Henri  IV.  Elle  fait  comprendre  comment  les  pro- 
testants durent  méconnaître,  tant  qu'il  vécut,  un  ami  qui*crai- 
gnait  tant  de  paraître  tel.  Dans  le  fond,  il  était  pour  eux  (sur- 
tout dans  les  dernières  années).  C'est  le  témoignage  que  lui 
rend  un  grand  historien,  non  suspect  :  c  Les  Réformés  avoieot 
vu  mourir  avec  lui  deux  choses  :  Tune  Vaffeclion  qu'il  étoit 
certain  qu'il  avoit  pour  eux;  l'autre  étoit  la  bonne  foy  dont  il 
se  piquoit  plus  que  nul  autre  prince,  et  qui  le  rendoit  s!  exa<^ 
observateur  de  sa  parole,  qu'on  trouvoit  plus  de  faveur  dans 
l'effet  qu'il  n'en  avoit  fait  espérer  par  la  promesse.  ■  (Ëlie  Be- 
noit, Histoire  de  l'Édit  de  Nantes,  II,  p.  4.) 

La  critique  peut  continuer  d'imputer  à  mon  injustice,  ï  ma 
légèreté,  les  inconsistances  et  les  variations  de  la  nature  hu- 
maine. 

J'ai  dit  et  j'ai  dû  dire  que  Louis  Xil  fut  en  France  bon  et 
honnête,  perfide  en  Italie;  qu'Henri  III,  infâme  à  vingt  ans, 
maïs  épuisé  à  trente,  était  alors  probablement  moins  libertio 
qu*on  ne  l'a  dit.  Quelle  contradiction  y  a-t-il  en  cela? 


NOTES^  d44 


irOTB  III.   —  LSS  SODRGBS  DB  L  HISTOIRB  D  HB2f  RI  iV . 


Le  livre  4e  M.  Pomoo  a  paru  en  janvier  1857  ;  le  nûen  ar- 
rive es  mai.  J'ai  admiré  plus  que  personne  C3  livre  rare,,  û 
eenaeieiieieiiseiiieni  élaboré,  en  contraste  parfait  avec  tant 
d'eettvrea  de  légère  ioiprotisation.  J'en  ai  peu  pro&ié.  Painr- 
^oei  ?  Parce  qne  le  grave  historien,  en  racontant  si  bien  le  roi, 
m  presque  partent  caché  l'homme,  cel  homme  f  ondoyant  et 
fuyant,  »  comme  aurait  dit  Montaigne.  L'ostéologia  d'Henri  lY, 
ei  ses  muscles  aussi,  sont  au  complet  ;  j'y  voudrais  encore  son 
aang,  les  battements  de  son  coeur,  sa  vie  nerveuse  et  ses  sail- 
lies. 11  fut  homme  autant  que  personne,  et  les  faiblesses  hu- 
aiaines  ont  influa  ser  lui,  comme  sur  tous.  Une  ligne  sur  Ga- 
briellc,.  e'esl  pe«,  trop  peu,  eu  vérité» 

Pédié  d'omission.  Mais  de  commission,  je  crois  qu'il  u'y  en 
»  gUière.  C'est  un  livre  bâti  en  quinae  ans  à  chaux  et  à  ciment 
qui  restera  et  ne  bougera  point. 

«  Le  iîlre  est  bien  modeste.  11  ne  promet  que  VHigtoire  d'un 
régnât  maisil  donne  en  réalité  un  immense  tableau  de  l'époque. 
Sciences,  letires,  arts,  inventions,  tout  le  développement  de  la 
civilisation  y  est  étudié,  creusé,  fouillé  à  fond,  autant  que  la  po- 
litjqoev  l'administration,  les  finances,  la  diplomatie.  C'est  TeB- 
cyelopédie  du  temps  (environ  an  quart  de  siècle).  L'auteur  est 
gallican,  partisan  de  la  tolérance  et  de  la  liberté  veligieuse.  Je 
ne  partage  ni  son  admiration  sans  limites  pour  Henri  iV,  ni  ses 
sévérités  peur  les  protestants.  Hais  je  n'en  fais  pas  moins  un 
cas  infini  de  son  livre»  Tout  le  monde  sera  frappé  de  l'exoel- 
lente  critique  et  de  la  vigueur  d'esprit  avec  laquelle  il  a  jugé 
l'Espagne  et  le  parti  espagnol,  la  Ligue.  Il  a  montré  parfaite- 
ment tout  ce  que  celie-ci  avait  d'artificiel.  —  La  construction 
fantasque  de  M.  Capcfiguc  est  rasée,  et  il  n'en  reste  pas  une 
pieire.  • 

A  ces  lignes,  que  je  publiais  en  janvier  même,  uneétu^e 
allentinre  me  ferait  ajouter  beaucoup.  Gbacun  de  ces  chapitres 
(sur  lea  bàtimenta,  par  exemple,  sur  les  canaux,  etc.)  est  un 


3t8  NOTES. 

travail  soigné,  achevé,  plus  complet  et  plus  instnictif  q«e 
les  grands  ouvrages  spéciaux  qu'on  a  écrits  sur  les  mêmes 
matières. 

La  France  d'alors  y  est  sous  tous  les  aspects.  Ce  qui  y  man- 
que un  peu,  c'est  Henri  IV,  l'Henri  IV  que  nous  connaissons.. 
Quoi!  Henri  IV  a  été  ce  grave  politique,  ce  roi  accompli,  pres- 
que un  saint?  Quoi!  Il  faudrait  biffer  toute  la  tradition  ?  Il  fau- 
drait eff'acer,  entre  autres  témoignages,  le  plus  beau  livre  du 
temps,  les  Mémoires  de  d*Aubigaé?  M.  Poirson  n'y  voit  qu'une 
satire.  Et  sans  doute  le  vieillard  chagrin,  dans  son  triste  exil  de 
Genève,  sous  la  bire  du  Rhône,  a  été  aigre.  Il  aura,  je  le  croîs, 
exagéré,  défiguré,  sans  s'en  apercevoir,  quelques  détails;  mais 
sciemment  menti?  jamais.  Ce  livre  reste,  comme  un  jugement 
héroïque  du  noble  xvi«  siècle  sur  son  successeur  le  xvii«,  di- 
plomatiquement aplati. 

M.  Poirson,  honnête,  ausière  et  décidé  à  être  juste,  n'a  nul- 
lement négligé  les  sources  protestantes,  telles  que  du  Plessis- 
Mornay  et  la  Force.  Je  voudrais  seulement  que,  dans  les  édi- 
tions subséquentes,  il  mit  en  meilleur  jour  les  griefs  des  protes- 
tants, griefs  si  graves  et  qui  excusent  entièrement  Vetprit 
inquiet  et  l'incessante  agitation  qu'on  leur  a  tant  reprochée. 
S'ils  se  montrèrent  si  difficiles  au  moment  de  l'Ëdit  de  Nantes, 
on  le  comprend  fort  bien  quand  on  voit  qu'ils  venaient  d'avoir 
encore  un  massacre  en  Bretagne.  Manquèrent-ils  an  siège  d'A- 
miens, comme  on  l'a  dit?  Point  du  tout.  D'Aubigné  (Histoire, 
p.  455)  assure  qu'on  y  vit  1,500  gentilshommes  huguenots.  H 
faut  lire  leurs  griefs  dans  les  procès-verbaux  de  leurs  assem- 
blées, soigneusement  extraits  par  Ëlie  Benoli^  Histoire  de  l'Édit 
de  Nantes  (6  vol.  in-4o).  Ce  grand  et  important  ouvrage  est  de 
la  fin  du  siècle,  mais  il  est  tiré  entièrement  des  pièces  origi- 
nales. 

Encore  uu  point  de  dissidence.  Je  ne  vois  nullement  que 
Villeroy  et  Jeannln  aient  suivi  constamment  une  politique 
anti-espagnole. 

A  cela  près,  nos  études  communes  sur  les  mêmes  sources 
nous  conduisent  aux  mêmes  jugements.  Sur  les  lettres 
d'Henri  IV,  sur  Angoulême,  de  Thou,  Nevers,  Chevemy,  Les- 
toile,  etc.,  j'adopte  et  signerais  ses  judicieuses  notices. 


Je  le  remercie  surtout  peur  ce  qu'il  dit  de  Sully.  Il  a  senti  à 
merveille  que  les  Économies  roytHes  ne  sont  pas  seulement  un 
des  bons  livres  du  temps,  mais  l'ouvrage  capital  et,  d'un  seul 
mot^  le  livre.  C'est  un  vrai  fleuve  de  vie  historique,  qui  donne 
tout,  et  le  matériel,  et  le  moral,  la  politique  et  les  finances, 
les  caractères  et  les  passions,  les  choses  et  les  hommes,  enfin 
Tàme.  Persistance  admirable  du  xvie  siècle,  qui^  si  tard,  dans 
une  époque  ingrate,  dure,  vit,  palpite  encore,  en  ce  livre 
aair  et  fort,  jeune  de  verve  et  vieux  de  sagesse,  admirable  de 
plénitude. 

Par  d'Aubigné  et  par  Sully,  je  sors  du  grand  xvi^  siècle,  quo 
j'étudiai  et  enseignai  tant  d'années.  Le  profond  changement 
•qui  se  fait  au  passage  est  marqué  bien  naïvement  par  d'Aubigné. 
Rode  cascade  !  Sous  Henri  lY,  il  rêve  les  martyrs  et  Coligny, 
médit  du  roi  hftbleur.  Mais,  Henri  IV  frappé,  il  l'est  lui- 
même,  il  tombe  de  la  chute  à  la  chute!...  Cela  ne  s'arrê- 
tera pas.  Les  temps  mêmes  de  Richelieu,  tant  glorieux  qu'on 
les  veuille  faire  politiquement,  seront  encore  une  chute 
morale. 

C'est  le  12  décembre  dernier  (1856)  que  j'écrivais  ceci,  par 
un  temps  doux  et  maladif,  en  présence  des  notes  nombreuses 
que  mon  père  m'avait  copiées  de  d'Aubigné,  avant  sa  mort 
(1846).  Ces  notes,  d'une  écriture  forte  et  pesante  de  vieillard, 
consciencieusement  exacte,  monumentale  et  pourtant  très- 
vivante,  plus  digne  des  pensées  qu'aucune  impression  ne  sera 
jamais,  m'ont  fait  entrer  bien  loin  dans  le  cœur  le  xrie  siècle,  A 
grand'peine,  je  leur  dis  adieu. 

Chaque  lettre  de  cette  écriture,  accentuée  de  l'amour  et  de 
la  religion  de  mon  livre  futur  (qu'il  ne  devait  pas  lire),  me 
frappait  d'un  double  regret,  de  laisser  cette  histoire,  et  de 
laisser  ces  manuscrits. 

Je  ne  vois  plus  là*bas,  à  cette  table  près  de  la  fenêtre,  ce  vé- 
nérable auxiliaire  si  ardemment  zélé  pour  l'œuvre  qui  m'é- 
chappe aujourd'hui.  Nous  passâmes  ensemble  trente  années  de 
travail  entre  l'étude  solitaire  et  les  pensées  do  la  patrie,  parmi 
les  bruits  publics  de  la  tribune  et  de  la  presse,  toutes  ces  voix 
de  la  France  qui  parlaient  et  se  répondaient.  Oe  temps  n'est 
plus,  et  après  l'avoir  quitté,  quitté  cette  personne  qui  éuit 


314  Nons. 

moi,  je  dois  qaiiler  ec  qui  en  reste,  ces  papiers,  les  mettre  socs 
la  clef»  —  avec  un  fragment  de  mon  cœar . 


KOTB  If.  —  SDR  U  lARIAeS  KT  U  MORT  D  BBITRI IT. 


Tous  louent  Sully  et  peu  le  suivent.  Moi,  j'ai  osé  le  suivre 
dans  ses  assertions  les  plus  graves,  dans  celles  où  il  s'est  mon- 
tré un  courageux  historien,  un  homme  et  un  Français.  En  pré- 
sence des  montagnes  de  mensonges  que  bâtissaient  tant  d'an- 
tres à  la  gloire  de  Marie  de  Médicis,  Sully  a  peint  fidèlement  le 
déplorable  intérieur  du  roi,  Tinsolence  de  Concini,  les  offres 
fréquentes  d'Henri  IV  de  renoncer  à  ses  maltresses  si  on  ren- 
voyait cet  homme,  l'attente  où  il  était  de  sa  mort  et  sa  convic- 
tion que  la  mort  lui  viendrait  de  là. 

c  Est-ce  clair?  >  On  peut  dire  ce  mot  à  chaque  ligne. 

Ou  le  mot  de  Harlay,  levant  les  mains  au  ciel:  «  Des  prenves? 
des  preuves?...  Il  u'y  a  que  trop  de  preuves.  > 

Sur  la  lutte  du  mariage  français  et  du  mariage  étranger 
(V.  p.  40),  j'ai  suivi  uniquement  Sully,  les  lettres  du  roi  et 
celles  du  cardinal  d'Ossat.  Sur  les  cavaliers  servtmts  (p.  54, 96), 
je  suis  Sully  encore,  avec  le  mss.  du  fonds  Béthune  qu'a  copié 
M.  Capefigue.  Tout  cela  extrêmement  cohérent,  de  cette  vrai- 
semblance frappante  et  saisissante  qui  fait  qu'on  crie  :  •  C'ait 
vrai!  t 

L'étonnante  fluctuation  où  le  roi  se  trouvait  alors,  entre  ses 
deux  mariages  et  ses  deux  religions,  renvoi  du  capucin  Travail 
(le  P.  Hilaire)  à  Rome  pour  défaire  le  mariage  florentin  au 
moment  où  il  se  faisait,  tout  cela  est  fort  clair,  même  à  travers 
la  mauvaise  volonté^  l'obscurité  calculée,  de  d'Ossat. 

La  Conspiration  des  poudres  et  autres  petites  affaires  de  ce 
genre  dorent  faire  douter  Henri  IV  de  l'avantage  qu*il  y  avait! 
tant  caresser  ses  ennemis.  Le  nonce  romain  de  Bruxelles  se 
trouva  compromis  dans  cette  affaire  anglaise,  comme  il  l'avait 
été  dans  le  complot  de  1599  pour  assassiner  Henri  IV.  Lai- 
même,  allant  en  Poitou,  vît  s'évanouir  tout  ce  que  le  elergé  lai 


NOTBS.  315 

faisait  eroire  de  l'opposition  protestante.  Le  roi  et  la  Hocbelle 
s^embrassèrent  en  1605  (p.  85).  Et  le  roi  (août  i606,  p.  8S) 
accorda  aux  huguenots  le  temple  de  Charenton.  La  belle  histoire 
«pie  H.  Read  nous  a  donnée  de  ce  temple  indique  toute  l'im- 
portance  d'un  tel  fait,  qui,  à  lui  seul,  était  une  révolution.  11 
disait  assex  haut  ce  que  le^roi  voulait  faire  en  Europe. 

C'est  à  cette  année  1606  que  la  dame  d'Escoman,  dans  sa 
déposition,  rapporte  le  pacte  conclu  pour  tuer  le  roi  entre 
sa  furieuse  maltresse  et  d'fipernon,  seigneur  d'Angoulôme  et 
patron  de  Ravatllac,  quMl  employait  à  Paris  à  solliciter  ses 
procès. 

Quoi  de  plus  vraisemblable?  C'est  cette  année  que  l'on  sut 
définitivement  que  le  mariage  italien  ne  retiendrait  pas  Henri IV, 
comme  on  Vavait  cru  d'abord.  Le  tuer  ou  le  marier^,  tel  avait  été 
le  dilemme  en  1600.  Le  mariage  étant  inutile,  on  résolut  de  le 
tuer. 

Il  faut  être  sourd,  aveugle  et  se  crever  les  yeux  ^pour  ne  pas 
Toir,  entendre  cela/ 

Le  recueil  de  mensonges  qu'on  appelle  Mercure  français  part 
da  procès  de  Ravaillac,  qu'on  voulait  mutiler  et  fausser,  et  de 
U  déposition  de  la  d'Eseoman,  qu'on  voulait  étouffer  en  la  défi- 
gurant. 

La  réfutation  que  ce  Mercure  fait  de  la  d'Eseoman  est  bien 
plaisante.  On  ne  doit  pas  la  croire,  car  elle  est  bossue  et  boiteuse. 
On  ne  doit  pas  la  croire,  car  elle  est  pauvre,  et  elle  a  un  enfant 
à  motel-Dieu.  Elle  a  été  condamnée  pour  adultère,  le  crime  uni- 
Yersel  alors.  Elle  a  pris  pour  Ravaillac  un  autre  homme.  Qui 
raiBrme?0n  ne  le  dit  pas;  apparemment  ce  sont  les  gens  que 
la  reine  envoya  pourvoir  la  d'Eseoman  et  la  déconcerter  chez 
la  reine  Marguerite.  Le  Mercure'  est  pourtant  forcé  d'avouer 
qae Marguerite  était  frappée  de  la  déposition  de  cette  femme, 
qui  ne  se  démentait  pas,  ne  variait  pas,  •  répétait  de  mot  en 
mot.  » 

Peu  m'importe  que  la  d'Eseoman  ait  été  boiteuse,  pauvre,  etc. 
Elle  n'en  est  pas  moins  un  témoin  grave  quand  elle  se  concilie 
m  bien  avec  Sully.  Elle  s'accorde  également  avec  le  factotum 
do  Dujardin-Lagarde,  qui  fut  pensionné  par  le  roi  pour  Taris 
Téndiqu«  donné  à  Henri  IV  (Archives  curieuses,  XV,  150). 


34  6  NOTES, 

Le  peuple  crut  la  d'E&coman  et  Lagarde.  Il  crol  que  d'Êper- 
noD,  Guise,  Concini  (Henriette,  et  la  reine  même),  avaient 
trempé  dans  le  complot,  ou  du  moins  en  avaient  connaissance. 
On  put  savoir  dans  tout  Paris  la  profonde  douleur  qu'exprima 
le  président  Harlay  devant  les  amis  de  Lestoile  quand  il  vit  que 
la  première  personne  du  royaume,  l'autorité  elle-même»  était 
tellement  compromise.  La  confiance  qu'exprime  Lestoile  dans 
la  déposition  de  la  d'Escoman,  c'était  le  sentiment  populaire. 
J'en  juge  par  un  mot  foudroyant  du  capucin  Travail,  le  P.  Hi- 
laire,  Tun  des  meurtriers  de  Concini,  qui  crut  qu'en  réalité  rien 
ne  changerait  si  l'on  ne  tuait  aussi  la  reine  mère,  et  qui  en  fit 
la  proposition  à  Bressieux,  écuyer  de  Marie  de  Médicis.  Celui-ci 
refusant  :  c  N'importe,  dit  Travail,  je  ferai  en  sorte  que  le  roi 
ira  à  Vincennes,  et,  pendant  ce  temps-là,  je  la  ferai  déchirer 
par  le  peuple'.  «  Le  peuple  la  croyait  donc  complice  de  la  mort 
d'Henri  IV.  (Revue  rétrospective^  IF,  505.) 

Cela  fait  comprendre  les  craintes  de  d'Ëpcrnon  et  sa  tenta- 
tive pour  terroriser  les  États  et  le  Parlement  en  1614,  quand 
le  témoin  Lagarde  se  présenta  aux  États  (p.  152, 154),  —  et  les 
craintes  de  la  reine  mère,  sa  fuite  de  Blois  en  novembre  1618 
(p.  239),  quand  elle  apprit  que  de  Luynes  avait  fait  arrêter 
la  Du  Tillet,  maîtresse  de  d'Épernon,  compromise  dans  l'affaire 
de  Ravaillac  (V.  les  Mémoires  de  Richelieu) •  Elle  crut  certaine- 
ment que  de  Luynes,  instruit  de  ses  menées  secrètes,  allait  lui 
faire  faire  son  procès. 


P.  109.  Projet  de  république  chrétienne  ^  grand  dessein 
d'Henri  IV,  etc. 

M.  Poirson  a  très-bien  dis\ingné  qu'il  y  a  là  deax  choses: 
lo  le  système  positif  des  alliances  d'Henri  IV  avec  les  ennemis 
de  la  maison  d'Autriche,  système  qui  se  faisait  de  lui-même 
sous  rim pression  de  terreur  que  cette  maison  inspirait;  toute 
l'Europe  se  serrait  du  côté  de  son  défenseur.  2^  Un  plan  tout 
utQpique  de  Sully  pour  la  fédération  européenne.  M.  Poirson 
est  trop  indulgent  pour  ce  plan  ridicule.  Cela  a  été  écrit  par 
les  secrétaires  de  Sully  (ils  le  disent  eux-mêmes)  en  1627  pen- 
dant le  siège  de  la  Rochelle,  et  déjà  aous  la  royauté  du  cardl- 


NOTES.  317 

nal.  Richelieu,  l'année  précédente,  avait  proposé,  comme  type 
de  l'ordre  financier,  Tannée  1608,  c'esl-à-dire  Tapogée  de  Tad- 
ministralion  do  Sully.  Celui-ci  put  en  concevoir  le  vague  espoir 
d'être  rappelé  aux  affaires  par  le  cardinal.  De  là  peut-ôtre  ces 
idées  (si  étranges  chez  un  protestant)  de  faire  une  république 
italienne  vassale  du  pape.  Ce  qu'il  propose  aussi  pour  les  élec-. 
lions  de  Hongrie  et  Bohême  est  ridicule  et  quasi  fou.  On  re- 
grette de  trouver  cette  tache  dans  ce  beau  livre  des  Économies, 


P.  135.  Le  journal  des  digestions  de  Louis  XIIL  Dans  un  gou- 
Teroement  idôUtrique,  fondé  sur  la  divinité  de  l'individu,  ce 
point  est  grave.  Je  n'y  insiste  pas.  On  rirait,  et  rien  n'est  plus 
triste.  —  L'historien,  le  politique,  le  physiologiste  et  le  cuisi- 
nier étndieront  avec  profit  ce  monument  immense,  6  vol.  in- 
folio  d'une  fine  écriture:  Ludovico-trophie,  par.Hérouard,  méde* 
cin  du  roi,  seigneur  de  Yaugrineuse  (mss.  Colbert,  2601-2606). 
l'en  eite  une  seule  journée,  qui  donne  l'impression  qu'eut  l'en- 
fant royal  de  la  mort  de  son  père  : 


c  M.  le  Dauphin,  l'ayant  sceu,  en  pleura,  et  dit  :  Ha!  si  je  y 
eusse  esté  avec  mon  espée,  je  l'eusse  tué.  Chacun  se  vint  offrir 
à  loi  de  la  chambre  de  la  royne.  —  Raisins  de  Corinthe  et  à  l'eau 
rose,  asperges  et  salade,  potage,  hachis  de  chapon...  deux  cor- 
nets d'onblies,  quatre  prunes  de  Brignolle,  figues  sèches,  du 
pain,  bu  de  la  ptisane,  dragée  de  fenouil,  puis  mené,  etc.  Et 
cbea  Ini  à  nenf  heures  :  pissé  jaune-paille^puis  desvestn,mis  an 
lit.  Ponls  solide,  égal,  pause.  Chaleur  doulce.  Prié  Dieu.  Dit 
vouloir  ooncher  avec  M.  de  Souvré  :  •  Pour  ce  qu'il  me  vient 
c  des  songes.  >  La  royne  l'envoie  quérir  pour  le  faire  coucher 
dans  sa  chambre... 

■  Le  XV,  esveillé  à  six  heures  et  demie...  A  sept  heures  un 
quart,  levé,  bon  visage,  guay,  pissé  jaune,  peigné.  Yestu  d'un 
habillement  bleu.  A  huit  heures  et  demie,  déjeuné,  ne  sceut 
mangé,  beu  de  la  ptisane.  Il  avoil  du  ressentiment,  et  si  Tinno- 
cenee  de  son  asge  lui  donnoit  par  intervalles  quelque  gaieté. 
Menée  la  messe.  A  neuf  heures  et  demie,  disné;  raisins  de  Co- 


31 8  NOTES. 

rinihe,  asperges,  silade,  potage,  chapon  bouilli;  pris  an  pen 
d'un  gasleau  fcuillelé,  bu  du  vin  blanc...  In trf|)û2tM.  » 

A  ces  notes  curieuses  sur  le  caractère  de  l'enfant  royal,  on 
peut  joindre  les  lettres  du  nonce,  qui  font  (rès-bien  connaître 
la  mère.  Elles  racontent,  entre  autres  choses,  les  violenies 
scènes  qui  eurent  lieu  (en  1622)  entre  elle  et  le  prélat  Ruccel* 
laU,  un  Italien  qu'elle  avait  favorisé  beaucoup,  et  qui  avait  été 
supplanté  dans  sa  faveur  par  le  jeune  Richelieu.  Pour  obtenir 
de  Louis  XIII  qu'il  chasse  Ruccellai,  elle  soutient  qu'il  a  fait 
semblant  d'être  amoureux  d'elle;  que,  sous  prétexte  d'admirer 
ses  dentelles,  il  s'est  émancipé,  etc.  C'est  la  scène  de  TarUife 
et  d'Elmirc,  msis  plus  comique,  la  reine  étant  d'âge  très-mûr, 
très-lourde  d'embonpoint. Tout  cela  est  écrit  eu  chiffres,  comme 
le  plus  terrible  mystère.  (V.  nos  Archives^  exîraiU  du  Vatican, 
Nonciatures^  carton  t,  389.) 


P.  i8i.  Le  roman  d'Henri  IV,  de  StUly,  d'OUiot^  de  Sêrm 
le  Bon  Seigneur,  etc.  Ce  beau  fllTre  d'Ollivier,  le  ThèdHe  d**- 
gricullure  et  ménage  des  champs,  est  beaucoup  plus  économique 
que  patriarcal  ei  philanthropique.  Les  journaliers  n'y  sont  pas 
trop  favorisés.  Le  seul  conseil  de  mettre  les  deux  tien  da  do- 
maine en  forêts  et  prairies,  s'il  eût  été  suivi,  eût  eonaidérable* 
ment  réduit  le  travail  des  cultivateurs  salariés.  — •  Voir  sur  la 
condition  des  paysans  le  grand  travail  de  M.  Bonaamère,  qai 
doono  tons  les  textes,  l'ingénieux  ouvrage  de  M.  Domol,  ea 
les  rapprochant  de  l'exoellenle  histoire  de  l'administration  da 
M.  Chérael,  etc.,  etc.  Us  font  toucher  au  doigt  comment  la  ri- 
chesse, et  la  subsistai. ce  même,  vont  diminuant  dans  toutes 
siècle.  Quelle  terrible  distance  des  ÛBeonomies  de  Sully  an  livre 
de  Vauban,  si  triste,  à  ceux  de  Boisgoillebert,  si  croellemeDi 
désespérés  ! 


P.  176-227.  Je  reviendrai  sur  la  casuistique  et  les  couvents; 
et,  quant  à  la  sorcellerie,  je  donnerai  mes  sources  et  nu 
critique,  quand  le  Diable  expire  à  Loudnn  sous  l'horreur  et  le 


^OTBS.  819 

TidUnle.  —  Svr  le  tabae,  V.  la  brocbHrè  de  M.  Lâvrieu  et  la 
IcUre,  si  insimclive,  que  M.  Ferdînand  Denis  a  jointe  à  l'opus- 
cale  de  M.Oemersey  (1854).  Oviedo,  Thëvet,  Cartier,  Léril»  sont 
les  premiers  qni  en  fassent  mention.  Le  Portugais  Goes  avait 
rapporté  le  tabac  à  Lisbonne  ;  il  le  donna  &  notre  ambassadeur 
Nicot,  qui  l'apporta  en  France  comme  une  herbe  propre  à  dé- 
lerger  et  calmer  les  blessures.  Elle  fut  présentée  à  Catherine 
de  Médicis,  qui  accepta  d'en  éirc  la  marraine,  et  voulut  bien 
qa'on  l'appelAt  Cathirinaire,  ou  Médieéê.  On  a  vu  sa  vogue  déjà 
&lale  en  1610.  Le  fisc  s'en  empara  bieniôt.  Richelieu  dit  en 
1635  (Lettres,  II,  165)  qu'on  en  apporte  deux  millions  de  li- 
vres, qu'on  en  déclare  moins  de  la  moitié,  et  que  l'État  peut  en 
tirer  par  an  quatre  cent  mille  livres.  Il  a  rapporté  jusqu'à  nous 
aa  milliard  et  demi.  Mais  qui  calculerait  ce  qu'il  nous  a  fait 
perdre  par  la  vaine  rêverie,  l'inaction  et  l'énervation  1  C'est  un 
secours  pour  le  travailleur  en  plein  air  dans  des  lieux  humides, 
pour  le  marin  peut-être;  mais  pour  tous  les  autres  un  fléau, 
«ne  source  de  nombreuses  maladies  du  cerveau ,  de  la  moelle 
et  de  la  poîtrine»  d'une  entre  autres,  la  plus  triste,  do  cracher 
toujours  et  partout. 


P.  244.  —  Si  Jon  veut  ignorer  Richelieu^  ii  faut  lire  ses  Me- 
moirêi,  Gete  est  dur  et  peut  paraître  exagéré.  Mais,  en  réalité, 
ils  sont  fréquemment  contredits  par  ses  lettres,  par  les  écrits 
contemporains,  par  les  faits  même.  C'est  en  réalité  un  très- 
long  factum  marqué  souvent  d'une  grande  hauteur  de  vues  et 
4e  raison,  mais  calculé,  pénible,  artificieux,  qui  veut  harmo- 
Bsaer  pour  la  postérité  uoc  vie  fort  peu  d'accord  avec  ellc- 
méne.  On  dit  qu'au  siège  de  la  Rochelle,  dans  ce  long  blocus 
d'hiver  où  il  sa  consumait,  il  commença  à  vouloir  qu'on  écrivit 
ses  actes,  c'est-à-dire  qu'on  les  expliquât.  C'est  là  sans  doute 
roHgroe  des  Mémoires,  'qu'il  a  inspirés,  presque  dictés,  revus 
avec  soin.  Le  premier  point,  c'était  de  faire  croire  qu'à  son  pre- 
■rier  ministère,  sous  Concini,  il  était  déjà  anti-espagnol.  Chose 
sbsol ornent  impossible;  les  pièces  deSimamar,  citées  par  Ca- 
pefigue,  montrent  que  Concini  et  sa  femme  étaient  intimes 
avec  l'Espagne;  ils  venaient  de  faire  le  double  mariage  espa- 


SSO  NOTKS. 

gnol;  la  dépêche  de  Richelieu  à  Schomberg  n^esl  qu'un  leurre 
pour  amuser  les  Allemands.  Le  second  point,  c'élait  d'éreinter 
la  Vieuville,  celui  qui  rappela  Richelieu  an  ministère  et  que 
Richelieu  fit  chasser;  c'était  de  lui  ôler  l'honneur  d'avoir  en 
l'initiative  d'une  politique  française.  Le  troisième  point,  c'est 
celui  où  il  se  donne  l'honneur  d'avoir  voulu  le  siège  de  la  Ro- 
chelle. Sans  doute  comme  prêtre,  comme  controversiste,  il 
haïssait  les  protestants;  cela  est  sûr.  Et  il  est  sûr  encore  que 
ses  instincts  de  gentilhomme  et  d*homnie  d'épée  lui  auraient 
faitdéiiirer  d'imiter  les  fameuses  croisades  de  Ximenès,  la  con- 
quête de  Grenade»  les  ciploits  de  Lépante.  Tel  fat  le  fond  de 
sa  nature.  Mais  son  très-luinineux  esprit  (et  dirai-je,  son  ftme 
française)  le  firent  vouloir,  contre  sa  nature,  l'alliance  avec 
l'Angleterre,  la  Hollande,  le  Danemark  et  les  protestants  d'Al- 
lemagne, ce  qui  impliquait  des  ménagements  pour  les  protes- 
tants de  France.  Les  papiers  de  Bérulle,  extraits  par  Tabaraud, 
montrent  très-bien  (et  les  offres  continuelles  de  Richelieu  aux 
protestants  montrent  encore  mieux)  qu'il  leur  fit,  malgré  lui, 
cette  guerre  demandée  par  Bérulle  et  tous  nos  Français  espa- 
gnols, guerre  qui  détruisait  ses  projets,  irritait  l'Angleterre,  la 
Hollande,  ses  alliés  naturels.  Tabaraud  est  précieux  ici.  Pa- 
négyriste de  Bérulle,  il  prouve  innocemment,  mais  prouve 
que  Bérulle  eut  Thonneur  principal  de  cette  énorme  sottise, 
d'avoir  travaillé,  préparé  la  destruction  de  la  Rochelle,  Ta- 
mortissement  des  protestants  qui  eussent  si  bien  servi  contre 
l'Espagne.  Le  duc  de  Rohan  put  tirer  quelque  argent  des  Espa- 
gnols, et  même  en  1628,  quand  on  le  traqua  avec  six  armées, 
il  fit  un  misérable  et  coupable  traité  avec  l'Espagne.  Mais,  dans 
celte  grande  faute,  il  était  seul  ou  presque  seul,  nullement  suivi 
de  son  parti.  Je  parlerai  plus  tard  de  tout  cela.  Je  dois  l'ajour- 
ner, n'ayant  pas  encore  le  troisième  volume  des  Lettres  de  Ri- 
chelieu que  publie  M.  Avenel.  Excellent  et  rare  éditeur.  Son 
inlroduclion  est  écrite  dans  une  sage  mesare  que  les  biogra- 
phes ne  gardent  presque  jamais  pour  leur  héros.  Il  dit  très* 
bien  que  Richelieu,  si  actif  au  dehors,  ne  put  faire  réellement 
que  peu  de  choses  à  Tintérieur,  qu'il  n'avait  point  d'entrailles, 
qu'il  n'aimait  point  le  peuple.  Les  note,|Snon  moins  judicieuses, 
par  lesquelles  M.  Aveoel  éclaire  et  interprète  les  pièces,  cod- 


NOTES.  324 

tiennent,  outre  les  renseignements,  de  précieuse»  remarques 
de  critique.  En  1626,  par  exemple,  il  observe  sur  la  forme  môme 
des  lettres  de  Richelieu  qu'alon  il  n* était  pas  maître  encore,  fnais 
ie  premier  entre  les  ministres,  ce  qui  confirme  ce  que  les  papiers 
de  Bérulle  nous  apprennent  de  l'importance  qu'avait  celui-ci 
et  de  la  sourde  lutte  qu'il  soutenait  contre  Richelieu  à  la  cour, 
an  conseil  (par  Marillac  et  autres). 


PIN  DO  TOME  ONZIÈME 


xr.  S! 


TABLE  DES  MATIÈRES 


GoAFitBi  PRinn.  —  Ligue  de  la  cour  contre  Gabrielle,  1598.     i 

Faiblesse  d'Henri  IV  daas  son  iotérieur Ibid, 

Le  dilemme  du  temps  :  Le  tuer  ou  le  marier 5 

Gabrielle  craint  le  mariage  florentin ( 

Snlly,  créé  par  elle,  travaille  contre  elle 8 

CniPiTiK  IL  *  Mort  de  Gabridle.  1999 14 

Le  diable  et  les  possédés Ibid, 

Maladie  du  roi;  assassins 16 

Le  roi  décidé  pour  Gabrielle 18 

Les  protestants  désirent  le  mariage  français 21 

La  mort  tiolenle 28 

Coamai  111.  —  Henriette  d^Entroffuee  et  Marie  de  Mèdicie. 

1599-1600 35 

La  galerie  de  Rnbens Ibid, 

Politiqne  papale  et  florentine  de  la  France 36 

Double  négociation  de  mariage 40 

CaA»iTRi  IV.  —  Guerre  de  Savoie,  Mariage.  1604 46 

Conquête  de  la  Savoie 47 

Marie  déplaît  au  roi,  il  prépare  son  divorce  à  Rome.      49 


324  TABLE  DBS  HATIÈRBS. 

Chapitre  V.  —  Conspiration  de  Biron.  1601-1602 55 

Les  amants  de  la  reine ^ S6 

Biron  traite  avec  l'ennemi S9 

Son  procès,  15  jain-31  juillet 63 

Chapitbb  VI.  —  Le  rétablUsement  des  Jésuites.  1603-1604.  71 

Réaction.  Transformation  dn  clergé  et  de  la  no-* 

blesse 72 

François  de  Sales»  Cotton 76 

Chapitbb  VU.  —  Le  roi  se  rapproche  des  protestants.  1604- 

1606 80 

Concini,  favori  de  la  reine Urid. 

Conspiration  d'Entragues 9ï 

Conspiration  des  poudres • 85 

Le  roi  donne  aux  protestants  le  temple  de  Cba- 

renton •....  88 

Chapiirb  VIll.  —  Grandeur  d'Henri  IV 91 

Difficultés  qu'il  rencontrait ifrûL 

Réformes  de  Sully 93 

Ce  que  le  roi  fit  malgré  Sully 95 

U  Paris  d'Henri  IV v97 

Chapitre  IX,  —  La  conspiration  du  roi  et  la  conspiration 

delà  cour.  1606-1608 , 101 

L'Europe  se  précipitait  dans  les  bras  de  la  France.  Ibid^ 

La  cour  conspire  la  mort  du  roi 104 

Insolence  et  haine  de  Concini 107 

Chapitre  X.  •*  Le  dernier  amour  d'Henri  IV.  1609 108 

L'iistrée  de  DUrfé Ibid. 

Mademoiselle  de  Montmorency 109 

Masque  d'Henri  IV 110 

Mariage  du  prince  de  Gondé. 113 

Chapitre  XI.  ~  Progrès  de  la  conspiration.  Fuite  de  Condi. 

1609 115 


TaBLB  DBS  lUTIÈBIS.  325 

CiiPniiXlL— Jforf  (Tireiin/F.  1610 122 

Ravaillac Ibid. 

Avis  de  la  d'Escoman,  négligé  de  la  Reine 124 

Abattement  d'Henri  IV 128 

Il  est  toé^  14  mai  1610 132 

CiiFiTBi  XIII.  ~  Louis  XIIL  Régence.  RavaUlae  et  la  d^Et- 

amum.  1610-1611 134 

Changement  complet.  Teirenr  du  peuple Ibid, 

Violence  de  d'Ëpernon 136 

On  précipite  le  procès  de  Ravaillac 138 

La  enrée 142 

On  étouffe  la  voix  de  la  d'Escoman 144 

Mépris  et  révolte  des  grands 145 

CëifinMWy.  -^  ÉtaU  ginéraux.  1614 147 

Les  magistrats  représentent  le  Tiers  État 149 

D'Épemon  terrorise  le  parlement  et  les  États 154 

Noble  sacrifice  du  Tiers 156 

Le  roi  se  déclare  contre  le  Tiers 158 

Comment  on  cache  les  vols  de  la  cour.  •  • 160 

Le  roi  accable  'encore  le  Tiers 161 

Réforme  que  le  Tiers  demande  dans  l'Ëglise 163 

Le  Tiers  bfttonné  et  renvoyé 162*164 

CiAnm  XV.  ^  Priion  de  Condé.  Mort  de  CondnL  1615- 

1617 166 

Fortune  de  Luynes.  Il  est  poussé  à  tuer  Concini , 
mais  ménage  la  reine  mère  et  lui  accorde  Tem- 

prisonnement  de  la  d'Escoman 170 

CHAm»  XVI.  —  Des  mœurs.  StèrUité  physique^  morale  et 

mUraire 176 

Abaissement  des  esprits.  Casuistique,  couvents, 

sorcellerie 179 

Ca&nni  XYII.  —  Du  sabbat  au  moyfH  Age^  et  du  sabbat  au 

zvii*  sièeU,  L'akool  et  le  tabac 183 


326  TAftLB  DIS  MATIÈRES. 

Chapitre  XYlil.  —  Géographie  de  la  sorcellerie^  par  ruUUm$ 

et  provinces.  Les  sorcières  basques^ 19i 

Le  livre  de  H.  de  Lancre,  i610« 19S 

Cbapitrb  XIX.  —  Les  couvents.  La  sorcellerie  dans  les  coi»- 

vents.  Le  Prince  des  magiciens 206 

Procès  de  Gauffridi.  1610-1611 210 

Chapitre  XX.  —  Luynes  et  le  P,  Amoux.  Persécution  des 

protestants.  1618-1620 228 

Statistique  des  contents 229 

On  prépare  la  rëyolution  territoriale  du  siècle. ...  236 

Catastrophe  du  Bdarn 240 

La  France  trahit  les  protestants  d'Allemagne 242 

Chapitre  XXI.  —  Richelieu  et  Bèrulle.  1621-1624 24S 

Richelieu  jusqu'à  quarante  ans  fut  dans  le  parti 

espagnol' « .••..«•..  246 

Politique  nationale  de  la  Vieuville 251 

Il  élève  Richelieu  qui  le  chasse 252 

Partialité  du  pape  pour  les  Espagqols  qu'il  couvre 

en  Valleline 254 

Richelieu  en  chasse  le  pape.  Dec.  1624 257 

Chapitre  XXII.  —  L'Europe  en  décomposition.  Richelieu 

forcé  de  rétrograder.  1625-1626 258 

La  révolution  territoriale  en  Allemagne Ibid. 

Révolutions  de  Hollande  et  d'Angleterre 261 

Richelieu  essaye  de  rétablir  les  finances 265 

Mariage  d*AngIeterre 267 

Fermeté  de  Richelieu  contre  le  légat 268 

11  s'appuie  sur  les  notables 270 

On  le  force  de  traiter  avec  r£spagoe 273 

Chapitre  XXIII.  —  Ligue  des  reines  contre  Richelieu.  Coin- 

plot  de  ChcUais.  1626 274 

On  pousse  l'Angleterre  à  rompre  avec  nous 281 

Embarras  financiers  de  Richelieu,  irrémédiables..  283 


TABLE  DBS  MATIÈRES.  327 

Chapithb  XXIV.  -  Siège  de  la  Rochelle.  1627-4628 287 

L'Espagne  nous  trahit  et  appelle  l'invasion  anglaise.  288 

La  Rochelle  refuse  de  recevoir  l'Anglais 290 

Buckingham  échoue  dans  Tllc  de  Rhé,  juillet-no- 
vembre i627 291 

Richelieu  bloque  la  Rochelle,  sa  digue 294 

La  Rochelle  refuse  encore  de  se  livrer  aux  Anglais.  296 

Elle  ouvre  ses  portes  à  Richelieu,  novembre  1628.  300 

Ruine  du  pays;  émigrations  protestantes 301 

Richelieu,  ayant  étouffé  la  révolution  religieuse,  ne 
fera  la  guerre  à  la  maison  d'Autriche  qu'à  force 

d'argent 303 

Catlot  et  Rembrandt,  la  France  et  la  Hollande 305 


NOTES. 


Note  l.  —  Le  sens  du  volume 307 

Note  IL  —  Mes  contradictions 309 

Note  IIL  —  Sources  de  l'histoire  d'Henri  IV 311 

Note  IV.  —  Mariage  et  mort  d'Heari  IV 314 

Note  V.  —  Projet  de  république  européenne 316 

Note  VI.  —  Journal  des  digestions  de  Louis  XIII 317 

Note  VII.  —  Condition  du  paysan 318 

Note  Vlïl.  —  Du  tabac 319 

Note  IX.— Mémoires  de  Richelieu,  histoire  de  Bérulle,  etc.  Ibid, 


FIN  DE  LA   TABLE  DU   TOEB  OEZIÈHB. 


Imprimerie  Eugène  HEUTTB  et  C*,  k  Saint-Germain. 


"i^ 


HISTOIRE 


DE    FRANCE 


AD  XVII*  SIÈCLE 


RICHELIEU  ET  LA  FRONDE 


CHEZ     LBS     MÊMBS     àDITSURS, 


OUVRAGES  DE   MICHELET. 

La  Sorciâbs.  i  TOlame  gr.  in-18  jésos 390 

Nos  Fils,  i  Yolnme  gr.  m«i8  jésus 3  SO 

La  Montaqne.  1  Tolame  gr.  in-18  jésos 350 

La  Bible  de  l'Humanité.  1  Yolume  gr.  in-i8  jésas 3  50 


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XYi*  siècle.  -^  6  Yolumes  in-8«. 

Tomes  7  à  10.  Histoire  de  France  an  xyi*  siècle  : 

La  Renaissanee.  1  yoI. 
La  Réforme.  1  yoI. 
Les  Guerres  de  religion.  1  yoI. 
La  Ligne  et  Henri  IV.  1  Yol. 

Tomes  11  à  14»  Hiilpi^e^e  Friyice  ap  xtqp  «îMe  : 
'    "^  Henri  IV  et  Richelieu.  1  yoI. 

Richelieu  et  la  Fronde.  1  yoI. 
Louis  XIV.  2  Yol. 

^    Tomes  15  à  17.  Histoire  de  France  an  XYin*  siècley  jusqu'à  la  RéYO- 

lution  française  : 
La  Régence.  1  yoI. 
Louis  XV  et  Louis  XVL  2  yoI. 

Histoire  de  la  Rêyolution  française.  6  beaux  yoL  in-8*.    36    • 
Histoire  du  xix«  siàole.  3  yoI.  in-8* •    18    • 


Imprimerie  Eugène  HEUTTE  etCie,  \  Stint-Germtio. 


HISTOIRE 

DE  FRANCE 

PA.R 

J.    MICHELE! 


XVU'  SIÈCLE  —  RICHEUEU  ET  LA  FRONDE 


MODTBLLB    ÉDITION,  REVDB  ET  AUGHBMT&B 


TOME    DOUZIÈME 


LIBSAIBIE  INTERNATIONALE 

A.     LACROIX     ET    C".     ÉDITEURS 

13,  PAUBOUBO  UOMTIUBTIUI,   13 


HISTOIRE 


DE   FRANCE 


AU  IVIl-  SIÈCLE 


CHAPITRE    PREMIER 


La  goene  de  Trente  ans.  —  Les  marches  d*hoinmes. 

JàŒ  bonne  aventure. 


L'histoire  humaine  semble  finie  quand  on  entre  dans  la 
guerre  de  Trente  ans.  Plus  d'hommes  et  plus  de  nations, 
mais  des  choses  et  des  éléments.  Il  faut  raconter  barbare- 
ment  un  âge  barbare,  et  prendre  un  cœur  d'airain,  mettre 
en  saillie  ce  qui  domine  tout,  la  brutalité  de  la  guerre,  et 
son  rude  outil,  le  soldat. 

Il  y  avait  trois  ou  quatre  marchés  de  soldats,  des  comp- 
toirs militaires  où  un  homme  désespéré,  et  qui  ne  voulait 
plus  que  tuer,  pouvait  se  vendre. 

I<*  L'ancien  marché  de  TEst,  ou  de  Hongrie,  des  mar- 
ches turques.  Le  vieux  Betlem  Gabor,  qui  avait  pris  part 
à  quarante-deux  batailles  rangées,  se  maintenait  contre 
deux  empires  par  la  double  force  d'une  résistance  natio- 

ZII.  i 


3  LA   GUERRE  DE  TRENTE   ANS. 

nale  et  des  aventuriers  de  toute  nation.  Tous  les  costumes 
de  guerre,  les  déguisements  par  lesquels  on  essaye  de  se 
faire  peur  les  uns  aux  autres,  ont  été  trouvés  là.  Le  mons- 
trueux bonnet  à  poil  pour  rivaliser  avec  Tours,  l'absurde 
et  joli  costume  du  hussard  qui  porte  des  fourrures  pour  ne 
pas  s'en  servir,  et,  pour  sabrer,  jette  la  manche  aux  vents, 
toutes  ces  comédies,  fort  bien  imaginées  contre  la  terreur 
turque^  furent  partout  servilement  copiées  dans  les  lieux 
et  les  circonstances  qui  les  motivent  le  moins. 

Au  total,  la  Hongrie,  le  Danube,  étaient  la  grande  école, 
le  grand  enrôlement  de  la  cavalerie  légère.  Là,  point  de 
solde  et  point  de  vivres,  une  guerre  très-cruelle,  nulle  loi, 
rinfini  du  hasard,  le  pillage,  la  bonne  aventure. 

%"*  Exactement  contraire  en  tout  était  le  petit  marché  de 
la  Hollande.  Peu  d'hommes,  et  très-choisis,  très-bien 
payés  et  bien  nourris.  Une  guerre  lente,  savante.  Le  plus 
souvent  il  s'agissait  de  sièges.  On  restait  là  un  an,  deux 
ans,  trois  ans,  le  pied  dans  Teau,  à  bloquer  scientifique- 
ment une  méchante  place.  Il  fallait  la  vertu  de  nos  réfugiés 
huguenots,  ou  l'obstination  britannique  des  mercenaires 
d'Angleterre  et  d'Ecosse  qu'achetait  la  Hollande,  pour  en- 
durer un  tel  ennui.  Plusieurs  eussent  mieux  aimé  se  faire 
tuer.  Mais  ce  gouvernement  économe  ne  le  permettait  pas. 
11  leur  disait  :  «  Vous  nous  coûtez  trop  cher.  » 

3o  Ceux  qui  ne  possédaient  pas  ce  tempérament  aqua- 
tique perdaient  patience,  et  s'en  allaient  aux  aventures  du 
Nord.  Ainsi  fit  un  certain  La  Gardie,  de  Carcassonne, 
homme  d'un  vrai  génie,  qui,  ayant  su,  par  les  Coligny,  les 
Maurice,  tout  ce  qu'on  savait  alors,  alla  s'établir  en  Suède, 
et  sur  le  vaste  théâtre  de  Pologne  et  de  Russie,  trouva  la 
grande  guerre,  la  haute  et  vraie  tactique.  Son  fils  forma 
Gustave- Adolphe. 

4o  Enfin,  le  grand,  l'immense,  le  monstrueux  marché 
d'hommes,  était  l'Allemagne,  lequel  marché,  vers  4628, 
faillit  absorber  tous  les  autres  et  concentrer  tout  ce  qu'il  y 


LES  MARCHÉS  d'HOMMES. 


avait  de  soldats  en  Europe^  de  tout  peuple  H  toute  reli- 
gion. 

Danger  épouvantable.  Si  cela  s'était  fait,  il  n'y  avait 
nulle  part  à  espérer  de  résistance  sérieuse.  C'est  ce  qu'a- 
vait très-bien  calculé  le  spéculateur  Waldstein,  qui  ouvrit 
ce  marché.  Les  anciens  condottieri  avaient  fait  cela  en  pe- 
tit; plus  récemment  le  Génois  Spinola,  sous  drapeau  es- 
pagnol, fit  la  guerre  à  son  compte.  Waldstein  reprit  la 
chose  en  grand,  avec  ce  raisonnement  bien  simple  :  Si  j'ai 
quelques  soldats,  je  puis  être  battu;  mais,  si  je  les  ai  tous, 
je  ferai  la  guerre  h  coup  sûr,  n'ayant  affaire  qu'aux  non- 
soldats,  aux  paysans  mal  aguerris,  aux  moutons...  Et  j'au- 
rai les  loups  1 

Maintenant  quel  fiit  donc  le  secret  de  ce  grand  mar- 
chand d'hommes,  de  ce  puissant  accapareur,  l'appât  qui 
leur  faisait  quitter  les  meilleurs  services  et  les  mieux 
payés,  le  gras  service  de  la  Hollande?  Comment  se  faisait- 
il  que  toutes  les  routes  étaient  couvertes  de  gens  de  guerre 
qui  allaient  se  vendre  à  Waldstein?  Quels  furent  ses  attraits 
et  ses  charmes  pour  leur  plaire  et  les  gagner  tous,  les  atta- 
cher à  sa  fortune? 

C'était  un  grand  homme  maigre,  de  mine  sinistre,  de  dou- 
teuse race.  11  signait  Waldstein  pour  faire  le  grand  seigneur 
allemand.  D'autres  l'appellent  Waltenstein,  Walstein.  Sa 
téta  ronde  disait  :  «  Je  suis  Slave.  »  Tout  était  double 
et  trouble  en  lui.  Ses  cheveux  demi-roux  l'auraient  ger-* 
manisé,  si  son  teint  olivâtre  n'eût  désigné  une  autre  ori- 
gine. Il  était  né  à  Prague,  parmi  les  ruines,  les  incendies 
et  les  massacres,  et  comme  une  furie  de  la  Bohême  pour 
écraser  l'Allemagne.  Quand  on  parcourt  ce  pays  volcani* 
que,  ses  roches  rouges  semblent  encore  trempées  de  sang. 
De  telles  révolutions  tuent  l'âme.  Celui-ci  n'eut  ni  foi  ni 
Dieu;  il  ne  regardait  qu'aux  étoiles,  au  sort  et  à  l'argent. 
Protestant,  il  se  convertit  pour  une  riche  dot,  qu'il  réalisa 
en  fausse  monnaie  d'Autriche,  et  acheta  pour  rien  des  con- 


4  LA  GUERRE  DE  TRENTE  ANS. 

fiscationSy  puis  des  soldats,  des  régiments,  des  corps  d'ar- 
mée, des  armées.  L'avalanche  allait  grossissant. 

Sombre,  muet,  inabordable,  il  ne  parlait  guère  que  pour 
desordres  de  mort,  et  tous  venaient  à  lui.  Miracle?... Non, 
la  chose  était  naturelle..  Il  établît  le  règne  du  soldat,  et  lui 
livra  le  peuple,  biens  et  vie^  âme  et  corps,  hommes,  fem- 
mes  et  enfants.  Quiconque  eut  au  côté  un  pied  de  fer  fut 
roi  et  fit  ce  qu'il  voulut. 

Donc,  plus  de  crimes,  et  tout  permis.  L'horreur  du  sac 
des  villes,  et  les  affreuses  joies  qui  suivent  lassaut,  re- 
nouvelés tous  les  jours  sur  des  villages  tout  ouverts  et  des 
familles  sans  défense.  Partout  l'homme  battu,  blessé,  tué. 
La  femme  passant  de  main  en  main.  Partout  des  cris,  des 
pleurs.  Je  ne  dis  pas  des  accusations.  Comment  arriver  à 
Waldstein,  inaccessible  dans  son  camp?  Le  spectre  était 
aveugle  et  sourd. 

Les  âmes  furent  brisées,  aplaties,  éteintes,  anéanties. 
Quand  le  roi  de  Suède  vint  venger  l'Allemagne  et  voulut 
écouter  les  plaintes,  il  trouva  tout  fini.  Ces  gens,  pillés, 
battus,  outragés,  violés,  dirent  que  tout  allait  bien.  Et  per- 
sonne ne  se  plaignait  plus  1 

Un  fort  bon  tableau  hollandais  qui  est  au  Louvre  montre 
aux  genoux  d'un  capitaine  en  velours  rouge  une  miséra- 
ble paysanne  qui  a  Tair  de  demander  grâce.  Elle  a  le  teint 
si  plombé  et  si  sale,  elle  a  visiblement  déjà  tant  enduré, 
qu'on  ne  sait  pas  ce  qu'elle  peut  craindre.  On  lui  a  tué 
son  mari,  ses  enfants.  Eh!  que  peut-on  lui  faire?  Je  vois 
là- bas  au  fond  des  soldats  qui  jouent  aux  dés,  jouent  quoi? 
La  femme  peut-être,  l'amusement  de  la  faire  souffrir.  Elle 
a  encore  une  chair,  la  malheureuse,  et  elle  frisonne.  Elle 
sent  que  cette  chair,  qui  n'est  plus  bonne  à  rien,  ne  peut 
donner  que  la  douleur,  les  cris  et  les  grimaces,  la  comédie 
de  l'agonie. 

Le  pis,  dans  ce  tableau  funèbre,  c'est  que  ce   capi- 
taine, enrichi  par  la  guerre  et  en  manteau  de  prince,  n  a 


LBS  MARCHÉS  D'HOHMSS.  5 

l'air  ni  ému  ni  colère.  11  est  indifférent.  Il  me  rappelle 
un  mot  terrible  par  lequel  Richelieu,  dans  son  portrait  de 
Waldstein,  termine  Téloge  qu*il  fait  de  cet  homme  diabo- 
lique :  «  Et  avec  cela,  point  méchant.  » 

Waldstein  fut  un  joueur.  Il  spécula  sur  la  furie  du 
temps^  celle  du  jeu.  Et  il  laissa  le  soldat  jouer  tout,  la  vie, 
rhonneur,  le  sang.  C'est  ce  que  vous  voyez  dans  les  noirs 
et  fumeux  tableaux  de  Valentin,  de  Salvator. 

Sort,  fortune,  aventure,  hasard,  chance,  ce  je  ne  siis 
quoi,  cette  force  brutale  qui  va  sans  cœur,  sans  yeux,  voilà 
l'idole  d'alors.  Le  dieu  du  monde  est  la  Loterie. 

«  Il  est  des  moments,  dit  Luther,  où  Notre-Seigneur  a 
l'air  de  s*ennuyer  du  jeu  et  de  jeter  les  cartes  sous  la 
table.  V 

Waldstein  réussit  justement  parce  qu'il  fut  la  loterie 
vivante.  Il  se  constitua  l'image  du  sort.  Pour  rien  il  faisait 
pendre  un  homme  ;  mais  pour  rien  il  le  faisait  riche.  Selon 
qu'il  vous  regardait,  vous  étiez  au  haut,  au  bas  de  la  roue  ; 
vous  étiez  grand,  vous  étiez  mort.  Et  voilà  aussi  pourquoi 
tout  le  monde  y  allait.  Chacun  voulait  savoir  sa  chance. 

La  loterie  proprement  dite,  aussi  bien  que  les  cartes, 
nous  étaient  venues  d'Italie.  Les  gouvernements  italiens 
étaient  généralement  des  loteries  où  les  noms  mis  au  sac, 
imbursati^  jouaient  aux  magistratures.  La  ville  de  l'usure, 
de  la  grosse  usure  maritime.  Gènes,  imagina  la  première 
de  mettre  sur  ces  bourses  d'élections  des  lots  d'argent  que 
l'on  tirait.  De  là  des  fortunes  subites,  des  ruines  aussi,  de 
grosses  pertes,  des  batailles  financières,  des  morts  et  des 
suicides  de  gens  qui  survivaient^  mais  pauvres,  non  plus 
hommes,  mais  ombres^  des  millionnaires  devenus  facchini; 
comme  un  carnaval  étemel  ;  bref,  une  société  mouvante, 
et  toute  en  grains  de  sable,  que  la  Fortune  d*un  souffle 
drolatique  s'amusait  à  souffler  sans  cesse,  à  faire  lever, 
baisser,  tourbillonner. 

François  I*',  qui  rapporta  plusieurs  maladies  d'Italie, 


6  LÀ  eOBRAB  DI  TRENTE  JLNS. 

n'oublia  pas  celle-là.  Il  trouva  la  loterie  d'un  bon  rapport, 
et  l'établit  en  .France.  Mais,  à  tpart  l'intérêt  du  .fisc,  elle 
répondait  à  un  besoian  de  cette  société.  La  grande  loterie 
du  bon  plaisir  se  tirant  en  haut  pour  les  .places,  le  caprice 
des  dames  faisant  les  généraux,  .les  juges  et  les  évèqves, 
il  était  bien  juste  que  les  petits  aussi  eussent  lesamuse- 
ments  du  hasard,  l'émotion  des  surprises,  la  facilité  de  se 
ruiner. 

Un  mot  entre  alors  dans  la  langue,  un  titre  qui  Tait  pas- 
ser partout  et  qui  tient  lieu  de  tout,  gui  dispense  de  tout 
autre  mérite  :  Un  beau  joueur.  Les, portes  s'ouvrent  toutes 
grandes  à  celui  qu'on  annonce  ainsi.  Des  aventuriers 
étrangers  entrent  par  là,  sou^vent  sans  esprit,  sans  ialent, 
même  grossiers,  mal  faits,  malpropres  et  malotrus.  Le 
joueur  d'Henri  IV,  sa  partie  ordinaire,  est  un  gros  Portu- 
gais ventru,  le  sieur  de  Pimentel,  dont  le  mérite  principal 
est  de  voler  au  roi  cent  mille  francs  ^par  soirée.  C'est  en- 
core là  un  des  mérites  du  faquin  Goncini.  Son  audace  hé- 
roïque à  jouer  ce  qu'il  n'avait  pas  étonna  et  charma  la 
reine  presque  autant  que  sa  grâce  équestre,  son  talent 
de  voltige.  Dans  la  Fronde,  un  valet,  Gourville,  marche  de 
front  avec  tous  les  seigneurs,  lit  la  grande  Xortune  d'alors 
est  celle  d'un  fripon  de  Calabre,  fils  du.fripon.Mazarino. 

Le  général  bigot  Tilly,  ie  tueur  de  la  Guerre  de  Trente 
ans,  entre  ses  messes  et  ses  jésuites,  n'est  pas  tellement 
dévot  à  la  Vierge  Marie,  qu'il  ne -songe  encore  plus  à  cette 
fille  publique,  la  Fortune.  Au  «moment  solennel  où  il  lui 
faut  marcher  contre  Gustave-Adolphe,. quel xnot  lui  vient 
à  la  bouche?  où  prend-ii  son  espoir?  «  La  guerre  est  un 
jeu  de  hasard  I  Le  gagnant  veut  gagner,  s'acharne;  le 
perdant  veut  regagner,  «'acharne  aussi.  JEnfin,  tourne  la 
chance  ;  le  gagnant  perd  son  gain,  jusqu'à  sa  .première 
mise.  »  C'était  là  son  augure, pour  croire  qu'il  vaincrait  .le 
vainqueur. 

L'homme  le  plus  sérieuK  du  temps,  le  calculateur  poli- 


LES  MARCHÉS  d'hOMMES.  7 

tique  qui  s'efforça  de  ne  remettre  que  peu  à  la  Fortune, 
Richelieu  cependant  semble  envisager  la  vie  en  général, 
comme  un  jeu  de  hasard,  f  La  vie  de  l'homme,  dit-il, 
surtout  celle  d'un  souverain,  est  bien  proprement  com- 
parée à  un  jeu  de  dés,  auquel,  pour  gagner,  il  faut  que  le 
jeu  en  die,  et  que  le  joueur  sache  bien  user  de  sa  chance.  » 
Lui-même,  entraîné  par  la  force  des  circonstances  hors 
des  voies  de  réforme  qu'il  avait  jannoncées  en  1626,  jeté 
dans  les  dépenses  énormes  du  fatal  siège,  et  d'une  armée, 
d'une  marine  indispensables,  où  allait-il?  qu'espérait-il? 
Il  jouait  un  gros  jeu.  L'affaire  de  la  Rochelle  aurait  man- 
qué, faute  d'argent;  elle  tint  à  un  fil.  Richelieu,  au  der- 
nier moment,  emprunta  un  million  en  son  nom  et  sur  sa 
fortune.  Son  passage  des  Alpes,  dont  nous  allons  parler, 
iur«it  manqué  aussi,  et  il  serait  resté  au  pied  des  monts, 
s'il  n'eût  encore  trouvé  au  moment  des  ressources  impré- 
vues. Bref,  il  était  lancé  dans  l'aventure,  dans  les  hasards 
d'une  roulette  M  il  mettait  surtout  sa  vie. 


CHAPITRE  II 


i 


La  sHutUoD  de  Riehelien.  i0i9. 


La  grande  victoire  catholique  sur  la  Rochelle  et  ThérA- 
sie  fut  fêtée  à  Paris  d'un  triomphe  païen.  Selon  le  goût 
allégorique  du  siècle,  Richelieu  exhiba  Louis  XIII  déguisé 
en  Jupiter  Stator,  tenant  à  la  main  un  foudre  doré. 

Que  menaçait  le  Dieu,  et  qui  devait  trembler?  l'Espagne 
apparemment,  rAutriche.  L'Empereur  voulait  nous  ex- 
clure de  la  succession  de  Mantoue,  nous  fermer  l'Italie. 
Et  l'Italie,  Venise,  Rome,  dans  lattente  terrible  des  ban- 
des impériales,  criait  à  nous,  nous  appelait,  envo]fait 
courrier  sur  courrier. 

Donc  Louis  XIU  allait  lancer  la  foudre,  mais  on  pou- 
vait se  rassurer.  Ce  maigre  Jupiter  à  moustaches  pointues, 
s'intitulant  Stator  (qui  arrête),  disait  assez  lui-même  qu'il 
ne  voulait  rien  qu'arrêter,  qu'il  n'irait  pas  bien  loin,  s'ar- 
rêterait aussi  bien  que  les  autres,  et  foudroierait  modéré- 
ment, jusqu'à  un  certain  point. 

Le  foudre  était  de  bois.  11  y  manquait  les  ailes  dont 
l'antiquité  a  soin  de  décorer  celui  de  Jupiter.  Ces  ailes 
aujourd'hui,  c'est  l'argent.  Le  déficit  énorme,  accusé  en 
4626,  l'aggravation  d'emprunts  faits  pour  le  siège,  sem- 
blaient rendre  impossible  le  secours  d'Italie.  Chaque  effort 


LA  SITUAIION  DB  RIGHBLIBD.  9 

de  ce  genre  demandait  un  miracle,  un  coup  de  génie.  Et 
encore,  les  miracles  n'eurent  pas  d'effet  quant  au  but 
principal.  Gustave- Adolphe  le  dit  et  le  prédit  à  notre  am- 
bassadeur, qui  faisait  fort  valoir  la  puissance  de  son 
maître  :  «  Vous  ne  pourrez  sauver  Mantoue.  » 

L'histoire  de  Richelieu  est  obscure  quant  au  point  essen- 
tiel, les  ressources,  les  voies  et  moyens.  De  quoi  vivait-il, 
et  comment?  on  ne  le  voit  ni  dans  les  mémoires  ni  dans 
les  pièces.  Un  ouvrage  estimable,  qu'on  vient  de  publier 
sur  son  administration,  et  qui  s'étend  fort  sur  le  reste,  ne 
dit  presque  rien  des  finances.  Comment  le  pourrait-il? 
Tout  ce  qu'on  a  des  comptes  de  Richelieu  (3  vol.  manu^ 
scritSf  BibLy  fonds  S.  G.  354-355-356)  ne  comprend  que 
quatre  années  (1636-38-39-40),  et  donne  fort  confusé- 
ment les  recettes  ordinaires,  poussées  à  80  millions.  Pas 
un  mot  de  l'extraordinaire. 

En  4636,  quand  la  France  fut  envahie,  on  créa  (ou  plu- 
tôt on  régularisa)  la  taxe  des  gens  aisés^  et  les  intendants 
mis  partout  en  4637,  avec  triple  pouvoir  de  justice,  police 
et  finances,  la  levèrent  en  toute  rigueur.  Mais  on  ne  peut 
douter  que  bien  auparavant  quelque  chose  d'analogue 
n'ait  existé,  surtout  dans  les  passages  d'armées  par  cer- 
taines provinces.  Autrement,  on  ne  peut  comprendre 
comment,  avec  un  tel  déficit  sur  Tordinaire,  on  put  faire 
chaque  année  des  dépenses  (de  guerres  ou  de  subsides 
aux  alliés)  extraordinaires  et  imprévues. 

De  là  une  action  variable,  intermittente,  quelques 
pointes  brillantes,  et  des  rechutes  pour  cause  d'épuise- 
ment. On  ne  pouvait  avoir  une  armée  vraiment  perma* 
nente.  Cela  est  frappant  en  4629,  quand  Richelieu  finit 
l'afbire  des  huguenots;  mais,  celle  d'Italie  restant  en 
pleine  crise,  il  licencie  trente  régiments  pour  en  lever 
d'autres  six  mois  après.  De  même  en  4636,  il  licencie  sept 
régiments  en  janvier  «  pour  les  refaire  en  juin.  »  Économie 
de  cinq  mois,  forcée  peut-être,  mais  qui  faillit  perdre  la 


40  LA  SITUATION   Dfi   BICHELIEU. 

France;  en  juillet,  rien  n'était  refait,  et  Tennemi  arriva  à 
vingt  lieues  de  Paris. 

La  souffrance  du  grand  homnie  d'affaires  qui  menait 
cette  machine  poussive  à  mouvements  saccada  devait 
être  cruelle.  Et  Ton  comprend  très-bien  qu'il  fût  toujours 
malade.  L'insuffisance  des  ressources,  l'effort  continuel 
pour  inventer  un  argent  impossible,  d'autre  part,  l'intri- 
gue de  cour  et  je  ne  sais  combien  de  pointes  d!invisibles 
insectes  dont  il  était  piqué,  c'était  de  quoi  le  tenir  dans 
une  agitation  terrible.  Mais  ce  n'était  pas  assez  encore  ; 
vingt  autres  diables  hantaient  cette  âme  inquiète,  comme 
un  grand  logis  ravagé,  la  guerre  des  femmes,  la  galanterie 
tardive,  plus  la  théologie  et  la  rage  d'écrire,  de  faire  des 
vers,  des  tragédies! 

Quelle  tragédie  plus  sombre  que  sa  personne  même  î 
Auprès,  Macbeth  est  gai.  Et  il  avait  des  accès  de  violence 
où  ses  furies  intérieures  l'eussent  étranglé,  s'il  n  eût, 
comme  Ilamlet,  massacré  ses  tapisseries  à  coups  de  poi- 
gnard. Le  plus  souvent  il  ravalait  le  fiel  et  la  fureur,  cou- 
vrait tout  de  respect,  de  décence  ecclésiastique.  L'impuis- 
sance, la  passion  rentrée,  s'en  prenaient  à  son  corps;  le 
fer  rouge  lui  brûlait  au  ventre,  lui  exaspérait  la  vessie,  et 
il  était  près  de  la  mort. 

Son  plus  grand  mal  encore  était  le  roi,  qui,  d'un  mo- 
ment à  l'autre,  pouvait  lui  échapper.  L'Espagne,  la  cour, 
attendaient  la  mort  de  Louis  XllI.  Sa  femme,  son  frère, 
chaque  matin,  regardaient  son  visage  et  espéraient.  Valé- 
tudinaire à  vingt-huit  ans,  fiévreux,  sujet  à  des  abcès  qui 
faillirent  l'emporter  en  1630,  il  avait  beau  se  dire  en  vie, 
agir  parfois  et  montrer  du  courage,  on  soutenait  qu'il  était 
mort,  du  moins  qu'il  ne  s'en  fallait  guère. 

C'était  un  curieux  mariage  de  deux  malades.  Le  roi  au- 
rait cru  le  royaume  perdu,  si  Bicheiieu  lui  eût  manqué. 
Et  Richelieu  savait  que,  le  roi  mort,  il  n'avait  pas  fleux 
jours  à  vivre.  Haï  tellement,  surtout  du  frère  du  roi,  il  de- 


LA  SITUATION  DE  AICH£UEU«  U 

vait  s'arraqger  paiir  mourir  avec  Louis  XIII.  Et  c'est  par 
là  peut-être  qu'il  plaisait  le  ,plus  au  roi,  triste,  défiant  et 
malveillaot,  et  qui  ne  l'aimait  guère,  mais  qui  toujours 
pouvait  se  dire*  «  Si  je  meurs,  cet  homme  est  pendu.  » 

Celte  double  chance  de  mort  où  ses  ennemis  avaient 
leur  espoir  fut  justement  ce  qui  le  rendit  fori  et  terrible.  U 
avait  des  moments  où  il  parlait  et  agissait  comme  en  pré- 
sence de  la  mort;  et  alors  le  sublime  qu'il  cherche  si  la- 
borieusement ailleurs  arrivait  de  lui-même. 

Il  y  touche,  en  réalité,  dans  tels  passages  de  l'allocution 
qu'il  tint  au  roi  au  retour  de  la  Rochelle,  par-devant  ses 
ennemis^  la  reine  mère  et  le  confesseur  du  roi,  le  douce- 
reux jésuite  Suifren. 

U  y  dit  tout,  sa  situation  vraie,  ce  qu'il  a  fait  et  ce  qu'il 
a  reçu,  ce  qu'il  possède,  ce  qu'il  a  refusé.  U  a  de  patri- 
moine vingt-cinq  mille  livres  de  rente,  et  le  roi  lui  a  donné 
six  abbayes.  U  «est  obligé  à  de  grandes  dépenses,  surtout 
pour  payer  des  gardes,  étant  entouré  de  poignards.  U  a 
refusé  vingt  mille  écus  de  pension,  refusé  les  appointe- 
ments de  l'amicauté  (iOi,OOÛ  francs),  refusé  un  droit  d'a- 
miral (cent  mille  écus),  refusé  un  .million  que  les  fmancieos 
lui  offraieot  pour  ne  pas  être  poursuivis. 

Jl  demande  saretraite,  .non  définitive,  mais  momenta* 
née,;  on  le  rappeUera  plus  tard,  s'il  est  encore  vivant  et  ai 
on  a  besoin  de  lui.  Il  explique  très-bien  qu'il  est  en^rand 
danger,  et  qu'il  a  ^oin  de  se  mettre  quelque  Xamps  à 
oouvert.  Veut-il  se  rendre  nécessaire,  se  constater  indis- 
pensable^  et  s'assurer  d'autant  mieux  le  pouvoir?  Si  son 
but  est  tel,  on  doit  dire  qu'étrange  est  la  méthode,  bien 
iéméffaire.  U  parle  avec  la  franchise  d'un  homme  qui' n'a 
rien  à  ménager.  11  ose  donner  à  son  maître,  peut-être 
comme  dernier  service,  l'énumération  des  défauts  dont  le 
roi  doit  se  corriger.  Et  oe  n'est  pas  là  une  de  ces  satires 
flatteuseB  où  l'on  montre  un  petit  défaut,  une  ombre,  un 
repoussoir  habile  pour  Caire  valoir  les  beautés  du  portrait. 


42  LA  SITUATION  DB  RICHELIEU. 

Non,  c*est  un  jugement  ferme  et  dur,  fort  étudié,  comme 
d*un  La  Bruyère,  d*un  Saint-Simon  qui  fouillerait  à  fond 
ce  caractère  cent  ans  après,  un  jugement  des  morts,  et  par 
un  mort.  Promptitude  et  légèreté,  soupçons  et  jalousie, 
nulle  assiduité,  peu  d*application  aux  grandes  choses, 
aversions  irréfléchies,  oubli  des  services  et  ingratitude.  II 
n'y  manque  pas  un  trait. 

La  reine  mère  dut  frémir  d*indignation,  et  aussi  de  ter- 
reur peut-être,  sentant  que  l'homme  qui  osait  une  telle 
chose  oserait  tout;  et  que,  si  ferme  du  haut  de  la  mort,  il 
comptait  peu  la  mort  des  autres. 

Le  jésuite  dut  tomber  à  la  renverse,  s'abîmer  dans  le 
silence  et  l'humilité. 

Le  roi  sentit  cela,  et  le  reçut  comme  parole  testamen- 
taire d'un  malade  à  un  malade,  et  d'un  mourant  à  un 
mourant. 

Richelieu,  prié,  supplié,  resta  au  ministère.  11  était  dif- 
ficile qu'il  se  retirât  en  pleine  crise.  La  guerre  des  hugue- 
nots durait  en  Languedoc,  et  la  guerre  dltalie  s'ouvraiL 
Richelieu,  appelé  par  lé  pape,  autant  que  par  le  duc  de 
Mantoue,  avait  là  une  belle  chance,  qui  pouvait  le  sortir 
de  tous  ses  embarras.  Vainqueur  de  la  Rochelle,  s'il  sau- 
vait l'Italie,  il  devait  espérer  que  le  pape  le  nommerait  en 
France  légat  à  vie,  comme  l'avaient  été  Wolsey  et  Georges 
d'Amboise.  Vrais  rois  et  plus  que  rois,  puisqu'ils  unirent 
les  deux  puissances,  temporelle  et  spirituelle. 

Les  concessions  énormes  que  le  pape  avait  faites  sur  les 
biens  ecclésiastiques  à  l'Espagne,  à  la  Bavière,  à  TÀutri- 
che,  qui  en  usait  si  mal  et  qui  allait  lâcher  ses  bandes  en 
Italie,  les  refuserait-il  à  celui  qui  venait  le  défendre  de 
l'invasion  des  barbares?  Ces  bandes,  menées  par  leurs 
soldats,  n'auraient  pas  plus  ménagé  Rome  que  celles  du 
luthérien  Frondsberg  et  du  connétable  de  Bourbon. 

La  grande  question  du  monde  alors  était  celle  des  biens 
ecclésiastiques.  L'événement  de  TÀIIemagne,  cette  année, 


LA  SITUATION  DE  RIGHELIEa.  43 

c*est  YÈdit  de  restUxUion^  qui  les  transmet  partout  des  pro- 
testants aux  catholiques.  En  France,  le  clergé,  le  seul 
riche,  ne  donnait  presque  rien .  En  viendrait-on  à  le  faire 
Gnancer  malgré  le  pape  ou  par  le  pape?  C'était  fout  le 
problème. 

Richelieu,  très-probablement,  en  4626,  eut  la  première 
idée.  Mais,  en  4629,  les  circonstances  changées  l'amenè- 
rent à  la  seconde. 

11  délaiss^a  brusquement  la  politique  gallicane  qu'il  avait 
suivie  dans  la  grande  ordonnance  que  son  garde  des 
sceaux,  Marillac,  avait  compilée  de  toutes  les  ordonnances 
gallicanes  du  xvi^  siècle. 

C'est  une  question  débattue  de  savoir  si  Richelieu,  qui 
abandonna  cette  ordonnance  en  4629,  l'avait  conçue  et 
provoquée  en  4627.  Je  le  croirais.  Il  ne  ménageait  guère  le 
pape  alors.  Il  n'excepta  point  le  nonce  de  la  défense  géné- 
rale faîte  aux  particuliers  de  visiter  les  ambassadeurs.  Le 
nonce  en  jeta  les  hauts  cris  ;  c'était  la  première  fois  qu'on 
défendait  aux  prêtres  de  communiquer  avec  l'homme  du 
pape. 

Notez  que  l'auteur  de  lordonnance,  le  garde  des  sceaux, 
Marillac,  et  son  frère,  depuis  ennemis  de  Richelieu,  étaient 
ses  créatures,  et  alors  ses  agents,  à  ce  point  que  le  frère 
fut  chargé  de  l'affaire  qui  lui  importait  le  plus,  la  digue 
de  la  Rochelle.  On  ne  peut  guère  admettre  que  Marillac 
ait  fait  à  cette  époque  une  si  importante  ordonnance  à 
l'insu  ou  contre  le  gré  de  son  protecteur  Bichelieu. 

Cette  ordonnance  aurait  été  une  grande  révolution. 
Elle  fait  pour  les  curés  justement  ce  que  fit  l'Assemblée 
constituante  ;  elle  dote  le  bas  clergé  aux  dépens  du  haut. 
Elle  entreprend  de  couper  court  à  Therbe  fatale  et  stérile 
qui  germait  partout,  d'arrêter  Textension  des  couvents, 
la  multiplication  des  moines.  On  réforme  les  monastères. 
On  désarme  le  clergé  en  lui  défendant  de  procéder  par 
censures  contre  les  juges  laïques.  On  ordonne  aux  juges 


44  LA  SITUATION  DE  BICHELIEU. 

d'église  de  procéder  en  français.  —  Dans  un  acte  du  même 
temps,  Richelieu,  sans  oser  retirer  au  clergé  les  registres 
de  morts,  naissances  et  mariages,  lui  adjoint  des  contre- 
leurs  laïques,  qui,  de  leur  côté,  publieront  les  bans  à  tu 
porte  des  églises. 

Que  devait  attendre  Richelieu  de  son  ordonnance  galli- 
cane? Qu'apparemment  les  gallicans,  pleins  d'enthou- 
siasme, les  parlementaires  saisis  de  reconnaissance,  se 
déclareraient  pour  lui,  et  qu'à  la  faveur  de  ce  beau  mou- 
vement il  entrerait  aux  Hespérides  qui  avaient  fait  tout 
le  rêve  du  xvr  siècle,  la  participation  de  l'État  aux  biens 
ecclésiastiques. 

Mais,  en  réformant  le  clergé,  il  entreprenait  aussi  de 
réformer  la  justice.  Opposition  des  parlements.  Résis- 
tance des  gallicans  au  projet  le  plus  gallican. 

Richelieu,  à  ce  moment,  était  au  comble  de  la  gloire. 
En  réalité,  la  victoire  lui  appartenait  à  lui  seul.  Il  avait 
vaincu  non-seulement  la  Rochelle  et  les  huguenots,  mais 
les  ennemis  des  huguenots,  la  cour,  les  parlements,  les 
grands  seigneurs,  la  reine  mère.  Tous  l'avaient  poussé  à 
la  chose,  et  tous  l'y  avaient  délaissé.  Le  clergé  même,  en 
cette  guerre  qui  était  proprement  la  sienne,  donna  peu, 
et  recula  vite.  Les  saints,  le  trop  ardent  Bérulle,  qui,  par 
visions,  prophéties,  par  raisons  et  par  déraisons,  avaient 
travaillé  dix  ans  la  croisade,  l'entravèrent  précisément 
quand  elle  fut  engagée. 

Nos  jésuites  français,  qui  d'abord  attaquaient  Richelieu 
(par  le  fou  Garasse),  de  concert  avec  ceux  de  Vienne,  se 
rattachèrent  bien  vite  à  lui,  au  succès  et  à  la  victoire.  La 
haute  direction  du  Gesù  de  Rome  vit  sans  peine  cette  dis- 
sidence apparente  de  l'ordre,  et  trouva  bon  d'avoir  des 
jésuites  dans  les  deux  camps,  chez  l'Empereur  et  contre 
l'Empereur.  Ceux  d'Autriche  guerroyèrent  avec  l'épée 
impériale  et  inondèrent  l'Allemagne  de  sang.  Ceux  de 
France  conquirent  pacifiquement,  avec  l'appui  de  Riche- 


Là  situation  de  RICHELIEU.  45 

lieu  ;  ils  confessèrent  et  enseignèrent  partout.  Il  étrangla 
pour  eux  la  défaillante  université  de  Paris. 

Nos  jésuites,  moins  guerriers  d'action  que  ceux  d'Aile  - 
magne,  Tétaient  autant  d'esprit.  L'âme  d'Ignace,  roma- 
nesquement  aventurière  autant  que  patiente  et  rusée, 
vivait  toujours  dans  Tordre.  Plusieurs^  dans  leurs  cham- 
brettes  de  la  maison  professe  rue  Saint-Antoine,  créaient 
des  flottes,  des  armées  sur  papier.  D'autres,  au  grand 
collège  de  la  rue  Saint  Jacques,  la  verge  en  main,  faisaient 
la  guerre  aux  hérétiques  absents,  sur  le  dos  de  leurs  éco- 
liers. Rome  répondait  peu  à  cette  ardeur  guerrière.  Sa 
piètre  politique  de  neveux  ne  menait  pas  à  grand'chose. 
Quand  Sixte-Quint  lui-même  avait  pris  de  si  mauvaise 
grâce  l'invincible  Armada,  que  pouvaient  espérer  ces  bel- 
liqueux Jésuites  du  Barberino  Urbain  Yill  et  des  neveux 
Barberini?  Richelieu,  au  contraire,  après  le  coup  de  la 
Rochelle,  était  exactement  Tidéal,  le  messie  de  leur  désir, 
le  prêtre  militant,  le  prêtre  cavalier,  n'ayant  d'aides  de 
camp  que  des  prêtres,  et  pour  arrière-garde  et  réserve 
mettant  partout  des  régiments  jésuites.  Par  lui,  ils  firent 
leur  entrée  triomphale  à  la  Rochelle,  plus  tard  dans  toutes 
les  villes  huguenotes  de  Languedoc  et  de  Poitou.  Il  les 
fourra  aux  armées  mêmes,  «  pour  donner  des  remèdes  et 
des  bouillons  aux  soldats.  » 

11  s'imaginait  avoir  conquis  Tordre.  A  tort.  Les  jésuites 
confesseurs  du  roi  furent  presque  toujours  contre  lui. 
Dans  les  jésuites  écrivains,  il  eut  quelques  fanatiques,  qui 
l'auraient  voulu  à  tout  prix  chef  de  TÉglise  de  France , 
légat  du  pape  à  latere,  à  \ie.  Un  ou  deux  poussèrent  si 
loin  cette  passion,  qu'ils  écrivirent  que  Paris  pouvait  avoir 
un  patriarche,  aussi  bien  que  Constantinople  (1638). 

Vers  1629,  tous  les  ordres  religieux,  moins  un  (l'Ora- 
toire, créé  par  Bérulle),  semblaient  ralliés  au  cardinal 
ministre.  Les  carmélites  elles-mêmes,  amenées  ici  et  diri- 
gées par  Bérulle,  à  sa  mort,  prièrent  Richelieu  d'être  leur 


46  LA  SITUATION  DE  RICHELIEU. 

protecteur.  H  devint  en  réalité  celui  des  bénédictins  de 
Cluny,  de  Citeaux,  de  Saint-Maur;  celui  des  Prémontrés. 
Il  s'occupait  très-spécialement  des  Mendiants,  des  Domi- 
nicains et  des  Carmes,  les  favorisait  fort  dans  leurs  affaires. 
Plusieurs  de  ses  meilleurs  espions,  aux  crises  décisives, 
lui  furent  fournis  par  ces  deux  derniers  ordres. 

Grande  tentation  pour  un  ministre  si  attaqué,  si  menacé, 
à  qui  les  fonds  manquaient  pour  organiser  l'a  police,  que 
de  trouver  dans  tous  ces  moines  une  police  oflScîeuse  ! 
Partout,  leur  confessionnal  devint  pour  Richelieu  un  vrai 
trésor  d'informations. 

Les  ordres  voyageurs,  ceux  qui,  sous  vingt  prétextes 
(mendicité,  prédication,  missions,  etc.),  couraient,  rô- 
daient, vaguaient,  étaient  les  diverses  familles  encapu- 
chonnées de  saint  François,  Mineurs,  Minimes,  Capucins. 
En  eux,  il  trouva  des  agents  pour  les  affaires  extérieures, 
pour  son  espionnage  d'Espagne,  de  Méditerranée.  Le 
chef  de  cette  administration  équivoque  était  le  fameux 
Du  Tremblay,  le  capucin  Joseph,  vieilli  dans  la  diplo- 
matie ,  homme  très  -  dangereux ,  qui  servit  longtemps 
Richelieu,  mais  qui  faillit  le  perdre.  11  avait  le  goût,  le 
talent  de  la  police  ;  tous  les  espions  lui  rendaient  compte, 
et  par  son  frère,  gouverneur  de  la  Bastille,  le  capucin  avait 
sous  la  main  les  prisonniers  d'État.  Sans  admettre  la  part 
exagérée  que  ses  biographes  lui  donnent  dans  la  destinée 
de  Richelieu,  il  est  certain  que  Joseph  avait  contribué  à 
son  élévation,  et  qu'il  eut  longtemps  sous  lui  un  grand 
pouvoir.  Les  apparences  pauvres  et  austères  du  capucin 
imposaient  fort  à  la  simplicité  de  Louis  XIII,  qui  même  lui 
confia  quelquefois  ses  petites  affaires  personnelles.  Riche- 
lieu ,  dont  les  mœurs  furent  souvent  attaquées ,  tirait 
quelque  avantage  de  cette  couleur  monastique  d'un  gou- 
vernement de  capucins,  et  par-devant  l'Europe  catho- 
lique et  surtout  près  du  roi. 

Dès  1625,  Joseph  fut  l'auxiliaire  de  Richelieu,  vivant 


LA  SITUATION  DE  RICHELIBO.  47 

dans  son  palais^  et  dans  son  appartement  même.  En  4634, 
il  fut  tout  à  fait  sous-ministre,  ayant  quatre  capucins  pour 
chefs  des  quatre  divisions  de  son  département. 

Le  curieux,  c*estque  ce  politique  avait  eu  pour  vocation 
primitive  IMdée  d'une  poétique  croisade  d*Orient,  qu'il  fit 
du  moins  en  vers,  sous  le  titre  baroque  de  la  Turciade, 
La  croisade  eût  été  exécutée  par  un  nouvel  ordre  de  che* 
Valérie,  qui,  chemin  faisant,  eût  conquis  rAUemagne. 
Toute  cette  chevalerie  aboutit  à  une  simple  mission  de 
capucins  espions,  que  dirigeait  le  pare  Joseph  vers  l'Orient 
et  dans  tous  les  pays  ennemis  de  la  maison  d'Autriche. 

Par  une  alliance  bizarre  de  tendances  contradictoires , 
sous  rhomme  de  police,  il  restait  du  poète,  du  rêveur 
chimérique.  Le  père  Joseph  avait  grande  confiance  dans 
un  fou  de  génie,  le  dominicain  de  Calabre,  Campanella, 
qui,  tenu  vingt-sept  ans  dans  les  prisons  espagnoles  de 
Naples,  écrivit  là  sa  Cité  du  soleil,  plan  de  communisme 
ecclésiastique.  Campanelia,  élargi  en  mai  4626,  mais 
toujours  en  danger  et  poursuivi  des  Espagnols,  fut  révéré 
des  nôtres  comme  ennemi  capital  de  TEspagne,  et  comme 
oracle  d'une  politique  nouvelle,  plus  hardiment  machia- 
vélique que  Machiavel.  Il  se  mêlait  aussi  d'astrologie. 
Quand  Richelieu  fut  près  de  marier  Monsieur  à  mademoi- 
selle de  Montpensier  (origine  première  de  la  grande  for- 
tune des  maisons  d'Orléans),  il  hésitait^  sentant  qu'un  tel 
colosse  de  propriété  ferait  ombre  au  trône  même  et  divi- 
serait la  France.  Le  père  Joseph,  dit-on,  obtint  de  lui  de 
consulter  Campanelia,  alors  à  Rome.  Et  l'oracle  aurait 
répondu  :  Non  guslabii  imperium  in  xlernumy  II  ne  sera 
pas  roi  de  toute  l'éternité. 

Richelieu  dit  que  Campanelia  lui  fit  donner  en  4631  un 
avis  essentiel  à  sa  sûreté.  Il  vint  en  France  en  4635.  11  y 
vécut  trois  ans  dans  son  cloître  des  Jacobins  de  la  ruê^ 
Saint-Honoré,  et  y  fut  visité,  consulté  de  Richelieu,  pio- 
bablement  vers  4638,  au  moment  où  le  ministre  aux  abois 
XII.  S 


48  LA  SITUATION  DB  RIGHBUSU. 

sembla  près  de  se  jeter  dans  une  politique  révolation- 
naire. 

Mais  tout  cela  est  loin  encore,  et  c'est  à  tort  qu'on 
montre  le  cardinal  comme  déjà  entré  dans  ces  idées  auda- 
cieuses dix  ans  plus  46t,  en  4628.  Vainqueur  de  la  Ro- 
chelle à  cette  époque,  très-vivement  adopté  des  moines^ 
comptant  être  légat  (pour  prix  de  la  campagne  qui  allait 
sauver  Tltalie),  il  fut  réellement  et  sincèrement  dans  une 
politique  catholique.  Le  chef  qu'il  eût  voulu  à  l'Allemagne, 
c'était  le  catholique  duc  de  Bavière,  s'il  avait  pu  l'opposer 
k  l'Autriche.  Il  fallut  deux  années  pour  qu'il  se  décidât  a 
l'alliance  du  protestant  Gustave,  qui  servit  de  prétexte  à 
Rome  pour  lui  refuser  tout.  La  politique  qu'il  suivit  ces 
deux  ans,  malgré  l'éclat  do  deux  pointes  brillantes  en 
Italie,  n'aboutit  pas.  Le  Bavarois  craignait  trop  de  se 
compromettre.  Et  la  prophétie  de  Gustave- Adolphe  finit 
par  se  vérifier  :  «  Vous  ne  pourrez  sauver  Mantoue.  > 


CHAPITRE  III 


Là  Franee  ne  peQl  sasTar  Maotoue.*  i629-i630. 


L'éclipsé  de  la  France,  pendant  deux  ans  qu'elle  passa 
en  maçonnage  à  murer  la  Rochelle,  profita  à  nos  ennemis. 
Le  Danois  et  la  ligue  protestante  succombèrent.  Le  vieux 
chef  héroïque  des  marches  turques,  Bethlem  Gabor,  mou- 
rot  bientôt.  Leurs  meilleurs  hommes  passèrent,  des  deux. 
armées  dissoutes,  dans  Tarmée  impériale.  L'Espagne, 
notre  alliée  menteuse  qui  daignait  nous  tromper  en  i  627, 
n'en  prend  même  plus  la  peine.  De  concert  avec  TEmpe- 
remr,  elle  travaille  à  force  ouverte  à  déposséder  un  Fran- 
çais, le  duc  de  Nevers,  très-légitime  héritier  de  Mantoue 
et  du  Montferrat . 

Petits  pays,  mais  grandes  positions  militaires.  La  seconde 
(et  sa  forteresse  Casal)^  une  clef  des  Alpes.  La  première,  je 
veux  dire  Mantoue,  la  capitale  des  Gonzague,  Tune  des 
plus  importantes  places  fortes  de  TEurope,  couvrait  à  la 
ois  le  pape,  la  Toscane  et  les  Vénitiens.  Le  déluge  bar- 
bare des  armées  mercenaires  qui,  d'un  moment  à  l'autre, 
pouvait  inonder  lltalie,  devait  d'abord  heurter  Man- 
toue, renverser  cette  digue.  Ajoutez,  ce  qu'on  ne  voit 
guère  dans  les  places  fortes,  que  celle-ci,  sous  les  Gon- 
zague, profitant  de  toutes  les  ruines,  abritant  les  arts 
fugitif,  concentrant  les  chefs-d'œuvre   ainsi  que  les 


20        LA  FBANGE  NB  PEUT  SAUTER  MANTOUE. 

richesses,  était  devenue  un  trésor,  un  musée;  c'était,  avec 
Venise,  ie  dernier  nid  de  l'Italie. 

L'Espagne  avait  certes  le  temps  et  la  facilité  de  prendre 
Casai  et  Hantoue.  Richelieu  et  ie  roi  étaient  à  la  Rochelle. 
Et  qui  était  au  Louvre  en  4628?  Qui  régnait  effectivement? 
L'intime  alliée  de  TEspagne,  la  reine  mère,  son  conseiller 
BéruUe,  qui  voulait  qu'on  livrât  Casai.  Ajoutez  la  jeune 
reine  espagnole,  Anne  d'Autriche,  Vinamorata  de  Buckin- 
ghani,  galante  et  naresseuse,  que  ses  dames  intrigantes 
avaient  mise  pourtant  dans  la  coalition  d'Espagne  et  d'An- 
gleterre, de  Savoie  et  Lorraine,  en  4  627.  Les  deux  reines 
étaient  pour  l'Espagne  ;  si  elles  n'osaient  agir,  elles  pou- 
vaient paralyser  tout. 

Richelieu,  sans  quitter  le  siège,  ni  seconder  encore  di- 
rectement le  duc  de  Nevers,  avait  favorisé  ses  efforts 
personnels.  Nevers  était  parvenu  à  lever  en  France  douze 
mille  hommes  qu'on  lui  menait  en  Italie  (août  4628). 
"Mais  le  pieux  BéruUe,  qui  rêvait  avant  tout  un  bon  accord 
entre  le  roi  catholique  et  le  roi  très-chrétien^  craignit 
qu'un  succès  de  Nevers  ne  fâchât  trop  les  Espagnols  et 
n'empêchât  la  paix.  11  fit  écrire  par  la  reine  mère  à  Cré- 
qui,  gendre  et  successeur  du  roi  du  Dauphiné  (Lesdi- 
guières),  de  faire  manquer  l'expédition.  Créqui  refusa  les 
vivres  et  les  facilités  que  Nevers  espérait.  La  désertion  se 
mit  dans  cette  armée  trahie.  Elle  fut  surprise  à  la  fron- 
tière par  les  Espagnols  et  le  Savoyard,  beau-frère  de 
Louis  XliL  Bref,  elle  rentra,  se  débanda.  Richelieu  n'y 
put  rien.  La  Rochelle  le  tint  jusqu'en  novembre.  Tout  fut 
remis  à  l'autre  année. 

Ainsi  Marie  de  Médicis  donna  une  année  à  1  Espagne 
pour  écraser  la  France  en  Italie. 

Richelieu,  revenu  si  fort,  fut  prié  par  le  roi  de  rester  au 
pouvoir;  la  reine  mère  ne  souffla  mot.  Elle  attendit  qu'il 
fût  aux  prises  en  Italie  pour  agir  encore  par  derrière.  Il 
l'avait  bien  prévu,  compris  qu'on  empêcherait  tout,  s  il 


LA  FRANCS  NE  PEUT  SAUVER  MANTOUE.        94 

n'emmenait  le  roi  avec  lui.  Il  l'enleva,  pour  ainsi  dire,  le 
4  janvier  4629,  en  plein  hiver^  l'enleva  seul,  sans  souffrir 
que  personne  raccompagnât,  pas  un  courtisan,  pas  un 
conseiller  qui  pût  lui  travailler  l'esprit. 

Il  remettait  beaucoup  à  la  fortune.  La  peste  était  sur 
toute  la  route  ;  le  froid  très-vif.  Si  ce  roi  de  santé  si  faible 
tombait  malade,  quelle  responsabilité  I  Ajoutez  que  l'ar- 
gent manquait.  Il  n'avait  que  deux  cent  mille  francs  qu'il 
envoya  de  Paris.  Est-ce  avec  cela  qu'on  nourrit  une  ar- 
mée? Toute  sa  richesse  était  le  roi.  Il  supposait  que  la 
présence  du  roi,  son  danger  personnel  à  passer  les  Alpes 
en  hiver,  arracheraient  des  provinces  voisines  les  secours 
nécessaires.  Créqui  en  Dauphiné,  Guise  en  Provence, 
devaient  tout  préparer  :  Créqui  aider  le  passage  des  monts, 
Guise  amener  la  flotte.  Il  y  eut  entre  eux  une  entente 
admirable  pour  ne  rien  faire,  pour  obéir,  non  pas  au  vou 
mais  à  sa  mère,  c'est-à-dire  à  l'Espagne.  Les  intendants 
n'agirent  pas  davantage.  Le  parlement  de  Dauphiné  mit 
ce  qu'il  put  d'obstacles  aux  approvisionnements.  Point  de 
vivres,  point  de  mulets,  point  de  canons,  point  de  muni- 
tions. Chaque  soldat  n'avait  que  six  coups  à  tirer.  Et 
Richelieu  persévéra.  Il  ramassa  le  peu  qu'il  put  de  vivres, 
et  se  présenta  au  passage.  Il  avait  deviné  d'un  sens  juste 
et  hardi  que  le  Savoyard  prendrait  peur  et  qu'il  n'y  aurait 
rien  de  sérieux. 

Le  fourbe  croyait  nous  amuser.  Il  était  pour  nous, 
disait-il,  mais  il  lui  fallait  du  temps  pour  se  dégager  des 
Espagnols.  Ce  temps,  il  l'employait  à  élever  des  barricades 
k  Suse,  de  fortes  barricades,  large  fossé,  gros  mur. 
Derrière,  trois  mille  hommes,  bien  armés.  Une  saison 
encore  très-mauvaise  ;  partout  la  neige  (6  mars  4629).  On 
attaqua  gaillardement  de  face  ;  et,  ce  qui  fit  plus  d'effet, 
c'est  que  les  Savoyards  virent  derrière  eux  les  pics  cou- 
verts de  montagnards  français. 

Cela  finit  tout,  et  le  roi  passa.  Il  envoya  dire  poliment 


22  Li  FRANCE  m  renr  s*oykr  mahtoïïe. 

au  duc,  son  bon  parent,  qu'il  avHÎt  été  désolé  de  le  battre, 
qu'il  ne  demandait  que  da  passer,  d'avoir  des  vÎTres  ea 
payant,  de  pouvoir  ravitailler  Casai.  Ce  qui  se  fit  en  effet. 

L'aRaire  surprit  l'Europe  et  fît  honneur  au  roi,  qui,  de 
sa  personne  et  en  cette  saison,  avait  frappé  ce  covp, 
tandis  qu'aucun  roi  (moins  un,  Gustave)  ne  sortait  de  son 
repos.  L'empereur  et  le  roi  d'Espagne,  par  exemide,  qiu 
guerroyaient  toujours,  partout  et  si  cruellement,  ne  bmi- 
geaient  de  leur  prie-Dieu. 

L'effet  moral  aurait  été  très-grand  si  le  roi  avait  pa 
rester  en  Italie.  Mais  il  n'y  laissa  que  cinq  mille  hotnmes, 
et  en  sortît.  Ce  fiirent,  au  contraire,  les  impériaux  qui  ; 
entrèrent  à  ce  moment  (Si  mai  4639].  Ces  bandes  bar- 
bares tant  redoutées,  contre  lesqueDes  le  pape  noss  avait 
appelés  d'avance,  ce  fut,  tout  au  contraire,  notre  courte 
apparition  de  six  semaines  qaî  accéléra  leur  invasion.  Ils 
saisirent  les  Grisons,  les  passages  essentiels  qui  liaient  tes 
États  autrichiens  avec  le  Milanais  des  Espagnols. 

Le  roi  était  rentré  en  France  dès  le  28  avril  pour 
achever  la  guerre  protestante.  On  concentra  cinquante 
mille  hommes  autour  de  Rohan  aux  abois,  qui  n'en  avait 
pas  douze  mille,  et  qui  tomba  (3  mai  (629)  à  l'expédient 
misérable,  criminel,  inutile,  de  conclure  avec  l'Espagne 
un  traité  d'argent  qu'on  ne  paya  point.  Les  victoires  de 
l'armée  royale  se  bornèrent  au  massacre  de  la  garnison 
de  Privas,  qui  offrait  de  se  rendre,  et  qu'on  égoi^a.  Des 
bourgeois  mêmes,  bon  nombre  furent  pendus,  tous  dé- 
pouillés, leurs  biens  confisqués.  Cet  exemple  bsrtnre  eàt 
été  répété  sur  d'antres  villes  si  l'aSâire  d'Italie,  plue 
brouillée  que  jamais,  n'eût  donné  hfkte  de  ânir  la  guerre. 
Elle  fut  conclue  le  24  juin  1629,  sous  la  condition  de  dé- 
manteler toutes  les  villes  protestantes. 

Richelieu,  en  quittant  le  Languedoc,  recommanda  la 
)n.  Mais  en  même  temps  il  établît  partout  d'ar- 
vertisseurs  qui  suivirent  bien  peu  ce  conseil,  des 


LA  fKÀNCE   NB  PEUT  SAUVER  MANTOUE.        23 

jésuites  surtout,  des  capuciqs.  Cette  paix  victorieuse,  ces 
fondations  de  missions,  le  irent  à  ce  moment  Tidole  du 
parti.  Les  évéques  (une  fois  il  en  eut  jusqu'à  douze)  ve- 
naient sur  toute  la  route  lui  faire  leur  cour,  et  recon- 
naître leur  chef  et  le  futur  légat. 

Tout  cela  n'empêchait  pas  les  îmrpériaux  de  réussir  en 
Italie.  En  Allemagne,  la  situation  était  chaque  jour  plus 
^Brayante.  Le  Danois  n'avait  eu  la  paix  qu'en  sacrifiani 
honteusement  ses  alliés  ;  notre  envoyé  n'y  vint  que  pour 
être  témoin  de  ce  traité  qui  désarmait  l'Allemagne.  Riche*- 
lîea  se  moque  de  nous  en  prétendant  que  ce  fut  le  roi  de 
France  qui  eut  Vhonmur  de  cette  honte. 

On  sent  ici,  comme  partout,  que  ce  lent,  lourd,  prolixe 
échafaudage  de  sagesse  diplomatique  qui  caractérise  ses 
Mémoires,  comme  tant  d'autres  monuments  de  ce  siècle 
bavard,  n'a  rien  de  sérieux.  Un  hasard  immense  plane  sur 
les  choses. 

Il  obscurcit  à  force  de  paroles  des  faits  très-simples, 
4fBà  sautent  aux  yeux  et  dominent  tout. 

Waldstein  grossissait  d'heure  en  heure  et  ne  pouvait 
|dii8  s'arrêter.  Du  Danois  détruit,  du  Hongrois  fini,  d'im- 
lacnses  recrues  lui  étaient  venues,  et  plus  qu'il  ne  pou- 
vait nourrir.  Son  armée,  pleine  d'armées,  allait  crever. 
Pour  allégement,  on  avait  envoyé  un  corps  en  Italie,  on 
eft  prêtait  un  à  la  Pologne,  et  on  faisait  sans  cesse  filer 
des  troupes  sur  le  Rhin.  La  grosse  masse  restait  vers  la 
Baltique,  comme  une  baleine  énorme  sur  le  rivage.  Mai3 
cette  situation  ne  pouvait  pas  se  prolonger.  En  mangeant 
un  pays  maagé»  on  ne  trouvait  plus  rien.  Et  le  grand  mar- 
chand d'hommes  allait  être  forcé  d'être  un  conquérant, 
ou  de  pérûr.  Cette  superbe  comédie  d'un  esprit  ou  d'un 
diaUe,  invisible  et  muet,  dans  ce  camp  silencieux,  il  fal- 
lait qu'elle  finit.  IL  était  resté  deux  an3  sans  rien  Caire 
^'un  siège  qui  manqua  (Stralsund).  Il  avait  eu  le  temps 
d'étudier  à  fond  la  Grande  Oum^  les  étoiles  du  Nord.  La 


L 


24  LÀ  FRA^XE  NE  PEUT  SAUVER  MANTOUK. 

faim,  irrémissiblement,  allait  le  tirer  de  sa  contemplatioD, 
et,  quoiqu'on  dit  qu'il  voulait  passer  la  Baltique,  comme 
il  n'aurait  trouvé  là-bas  rien  à  manger  que  rocs  et  neiges, 
il  eût  fallu  toujours  qu'après  une  pointe  en  Suède  il  re- 
tombât sur  les  pays  qui  pouvaient  le  nourrir,  sur  le  Rhin, 
sur  les  riches  villes  impériales,  sur  Strasbourg  et  le  gras 
évéché  de  Metz  qui  le  menait  en  France.  Un  fou  bril- 
lant, le  duc  de  Lorraine  (à  qui  nos  reines  envoyèrent  un 
bonnet  de  fou),  épris  de  la  vie  d'aventures,  appelait  le 
fléau  sur  son  pays.  Et  les  scélérats  étourdis  qui  menaient 
Monsieur,  frère  du  roi,  l'avaient  mis  en  rapport  de  lettres 
avec  Yaldstein  lui-même,  jouant  au  jeu  horrible  de  ra- 
mener en  France  dans  les  champs  de  Chàlons  cette  armée 
d'Attila. 

Que  faisait  la  France  pendant  que  les  bandes  alle- 
mandes occupaient  Worms,  Francfort,  la  Souabe,  puis 
les  environs  de  Strasbourg,  puis  même  un  fort  dans  l'é- 
vêché  de  Metz?  La  France  désarmait.  Richelieu,  en  août 
4629,  licencie  trente  régiments,  faute  d'argent  apparem- 
ment. 

Il  s'indigne  de  la  démarche  qu'on  fit  faire  au  rai  près 
de  l'Empereur,  pour  obtenir  de  sa  bonne  grftce  l'investi- 
ture de  Mantoue.  Mais  cette  démarche  n'était-elle  pascon* 
séquente,  au  moment  oii  Ton  désarmait? 

Qu'arriva-t-il  ?  L'effet  du  Pas  de  Suse  se  trouva  telle- 
ment perdu,  que  l'Empereur  exigea  que  le  roi,  avant  de 
savoir  sa  sentence,  quittât  Tenjeu  d'abord,  livrât  ce  qu'il 
tenait,.  Casai.  Et,  d'autre  part,  ceux  qui  voyaient  nos  mi- 
sérables variations,  qui  voyaient  Richelieu  occupé  de  sa 
guerre  intérieure  contre  sa  vieille  amante  Marie  de  Mé- 
dicis,  occupé  d'apaiser  Monsieur  à  force  d'argent,  enfin  le 
pauvre  roi  pleurant  à  chaudes  larmes  entre  son  ministre 
et  sa  mère,  ceux,  dis-je,  qui  voyaient  ce  tableau  d'inté- 
rieur^ n'avaient  garde  de  s'avancer  pour  nous,  pour  être 
abandonnés  demain.  L'Italie  n'osa  rien.  Le  pape  n'osa 


I 


LA  FRANCS  NB  PEUT  SAUVER  MANTeUE.        95 

rien.  La  Bavière  n'osa  rien.  Et,  pas  même  les  Suisses, 
pour  protéger  leurs  propres  membres,  les  Grisons.  Qui 
donc  ralentissait  les  barbares  en  Italie?  La  peste  seule. 

Je  dis  les  barbares,  et  non  les  impériaux.  Car,  avec  leur 
drapeau  impérial,  ces  bons  alliés  et  cousins  de  l'Espagne 
s'en  allèrent  tout  droit  piller  la  terre  d'Espagne,  le  Mila- 
nais. De  là,  méthodiquement,  ils  devaient  manger  les 
États  vénitiens,  le  Mantouan,  s'assouvir  sur  Mantoue.  Le 
duc  et  Venise,  notre  pauvre  unique  alliée,  agonisaient  de 
peur^  et  demandaient  au  roi  du  moins  une  parole,  la  pro- 
messe qu'il  les  défendrait.  Le  roi  ne  disait  mot. 

Richelieu  prétend  avoir  pris  de  grandes  précautions, 
mais  quelles?  I^  Menacer  la  Savoie  pour  qu'elle  menaçât 
l'Espagne.  Mais  l'Espagne  n'eût  pu  arrêter  les  barbares  ; 
2*  Pousser  la  Bavière  à  organiser  contre  l'Empereur  une 
résistance  catholique.  Mais  qu'eût  fait  l'Empereur?  Il 
n'eût  pu  arrêter  ni  Waldstein  vers  la  France,  ni  les  bri- 
gands qui  allaient  à  Mantoue  ;  3^  Ménager  la  paix  au 
Suédois  et  le  mettre  en  état  d'agir.  La  Hollande  y  travaillait 
aussi,  et  une  victoire  de  Gustave  sur  les  Polonais  y  fit  plus 
que  nos  négociations.  Une  trêve  fut  signée  le  15  septem- 
bre 1629.  Gustave  put  dès  lors  songer  à  intervenir  dans  les 
affaires  d'Allemagne.  Ses  préparatifs  prirent  huit  mois 
(jusqu'en  juin  4630).  Et,  pour  huit  mois  encore,  il  n'agit 
qu'au  bord  de  la  Baltique.  Donc,  les  impériaux  eurent 
plus  d'un  an  pour  inonder  la  France,  saccager  l'Italie. 

Quelles  forces  avait  la  France?  Six  régiments  de  re- 
crues en  Champagne  (8,000  hommes),  et  neuf  (12,000)  de 
vieux  soldats  que  Richelieu  mena  aux  Alpes. 

Waldstein  avait  160,000  hommes,  les  plus  aguerris  du 
monde;  et  cela  seulement  sous  sa  main.  Mais  toutes  les 
bandes  campées  sur  le  Rhin,  même  en  Pologne,  même  en 
Italie,  lui  seraient  venues  à  coup  sûr,  s'il  eût  signalé  une 
grosse  proie,  comme  la  France  à  ravager,  le  pillage  de 
Paris. 


26  LA  FRANGE  NB  PEUT  SAUVER   MANTODB. 

Aussi,  cette  fois,  le  roi  resta  au  nord,  et  Richelieu, 
nommé  son  lieutenant,  alla,  connétable  en  soutane  et  gé* 
néralissime,  frapper  encore  un  petit  coup  aux  Alpes.  U  en 
était  comme  dans  ces  éducations  de  prince  où,  cbaipie 
fois  que  le  prince  manquait,  on  fouettait  son  camarade.  Si 
TEspagne  ou  l'Empereur  agissaient  mal  en  Italie,  on 
fouettait  le  Savoyard  qu'on  avait  sous  la  main.  On  se 
gardait  bien  d'aller  chercher  en  plaine  des  batailles  do 
Pavîe. 

Richelieu  improvisa  encore  Thiver  cette  campagne  avec 
une  activité,  une  vigueur  admirables.  Il  y  était  intéressé. 
S*il  eût  pu  cette  fois,  par  quelque  moyen  indirect,  et  sans 
quitter  les  Alpes,  faire  rétrograder  les  barbares,  le  pape 
lui  eût  sans  doute  (il  l'espérait  du  moins)  donné  ce  titre 
bienheureux  de  légat  à  vie,  qui  Teût  fait  roi  de  TËglise  de 
France,  et  consolidé,  éternisé  dans  les  ministères.  Aussi, 
son  premier  soin,  en  décembre,  avant  le  départ,  fut  de 
forcer  Richer,  le  célèbre  doyen  de  l'Université,  à  se  sou- 
mettre au  pape  et  renier  sa  foi  gallicane.  U  était  îcxri  âgé. 
Le  père  Joseph  alla,  dit-on ,  pour  terroriser  le  pauvre 
homme,  jusqu'à  la  comédie  de  montrer  des  poignards,  de 
dire  qu'il  fallait  signer  ou  mourir. 

Richelieu  emmenait,  comme  hommes  d'exécution,  des 
généraux  qu*il  ci-oyait  sûrs,  Montmorency,  Schomberg. 
Comme  le  vieux  ducde  Savoie,  notre  parent  et  ennemi,  était 
toujours  la  pierre  d'achoppement,  le  cardinal  avaitimaginé 
d'abréger  tout  en  le  prenant  au  corps,  le  faisant  enlever 
dans  sa  villa  de  Rivoli.  L'affaire  manqua  par  la  chevalerie 
de  Montmorency,  qui  devait  faire  le  coup  et  qui  avertit  le 
duc.  Alors  on  fit  des  sièges,  on  prit  Pignerol,  et  plus  lard 
Saluces,  deux  bonnes  petites  places.  Mais  on  ne  put  entrer 
bien  loin  dans  l'Italie. 

Ce  n'était  pas  ces  petits  succès-là  qui  pouvaient  sauver 
Mantoue,  et  l'honneur  de  la  France.  Nos  ainemis  étaient 
aidés  admirablement  par  la  ligue  des  trois  reines,  de 


a 


UL   FRANCE  NE  PEOT  SAUVER  MANTOUE.        37 

France  et  d'Angleterre.  Henriette,  de  plus  en  plus  mat- 
tresse  de  Charles  P%  le  livrait  à  TEspagne,  lui  faisait  de- 
mander la  paix  aux  Espagnols,  dès  lors  d'autant  plus  fiers 
et  plus  insolents  pour  la  France.  Au  Louvre,  Marie  de 
Médicis  avait  repris  son  fils,  et,  lorsque  Richelieu  obtint 
que  le  roi  viendrait  à  l'armée,  Marie  et  Anne  d'Autriche 
le  suivirent,  s'établirent  à  Lyon,  pour  ralentir  et  paralyser 
la  guerre. 

Le  prétexte  des  reines  était  très-bon.  Elles  craignaient 
pour  la  vie  du  roi.  Une  peste  épouvantable  avait  éclaté  en 
Italie  (celle  que  Manzoni  peint  dans  les  Promesi  Sposi), 
Elles  priaient,  suppliaient  le  médecin  Bouvard  de  garder 
son  malade  contre  Richelieu  qui  l'entraînait.  Louis  XIII 
poussa  à  Chambéry,  à  Saint -Jean  de  Maurienne  ;  la  Savoie 
fut  prise,  comme  toujours.  Mais  tout  cela  ne  sauvait  pas 
ritalie.  Les  reines  et  le  conseil,  leur  homme,  le  garde 
des  -sceaux  Marillac,  vieux  dévot,  amoureux,  qui  tradui- 
sait Y  Imitation  et  couchait  avec  la  Fargis  (la  confidente 
d'Anne  d'Autriche),  toute  cette  cour  travailla  si  bien,  que 
le  roi  revint  de  Savoie.  On  lui  rappela  le  danger  de  la 
Champagne,  danger  fort  diminué  pourtant,  Gustave  ayant 
débarqué  le  20  juin  en  Allemagne  et  inquiétant  les  impé- 
riaux. N'importe^  avec  cela,  on  fit  traîner  les  choses.  L'ar- 
mée du  roi  ne  passa  en  Italie  que  le  6  juillet,  trop  tard 
pour  y  rien  faire  de  grand,  assez  tôt  pour  apprendre  la 
prise  de  Mantoue  (48  juillet  4630). 

Richelieu  rejette  sur  Venise  la  faute  du  honteux  et  hor- 
rible événement.  Cependant  par  deux  fois  elle  avait  ravi* 
taillé  la  ville  assiégée.  Mais  qu'était*ce  que  Venise  alors? 
et  comment  lui  reproche-t-on  de  n'avoir  pu  ce  que  le  roi 
de  France  lui-même  ne  pouvait?  Il  y  avait  fait  passer  fur- 
tivement trois  cents  hommes.  Voilà  un  beau  secours  I  II 
est  évident  qu'au  milieu  de  la  peste  et  de  tant  de  misères 
les  nôtres  se  serrèrent  aux  Alpes,  et  n'allèrent  pas  voir  au 
visage  les  vieux  soldats,  les  brigands  redoutables,  qui 


28         LA  FRANCE  NE  PEUT  SAUVER  MANTOUE. 

tenaient  Mantoue  à  la  gorge.  Les  Vénitiens  y  allèrent, 
furent  battus,  ("était  le  sort  des  Italiens.  Leurs  Spinola, 
leurs  Piccolomini,  leurs  Montecuculli,  firent,  en  ce  siècle, 
la  gloire  des  armées  étrangères.  Mais,  en  Italie  même,  ils 
ne  pouvaient  plus  rien,  sur  cette  terre  de  désorganisation 
et  de  désespoir. 

11  y  avait  quinze  mois  que  les  brigands  avaient  pris 
possession  de  l'Italie,  qu'ils  mangeaient  en  long  et  en 
large,  sans  distinction  d'amis  ou  d'ennemis.  Ils  avaient 
désolé  les  Alpes  des  Grisons  et  la  Valteline,  cruellement 
écorché  au  passage  le  Milanais,  les  États  vénitiens;  et 
alors  ils  étaient  à  sucer  lentement  l'infortuné  pays  de 
Mantoue,  la  campagne  de  Virgile.  Altringer  et  Gallas, 
deux  chefs  de  partisans,  savants  maîtres  en  ruines,  qui 
déjà  avaient  longuement  pillé  l'Allemagne,  appliquaient 
leurs  arts  effroyables  aux  populations  plus  désarmées 
encore  de  l'Italie.  Le  paysan  endura  tout  ;  les  pillages,  les 
coups  et  les  hontes,  et  souvent  la  mort  par-dessus,  pour 
une  larme  ou  pour  un  soupir.  Le  grand  vengeur  des 
guerres,  la  peste,  impartiale,  était  venue  ensuite,  fauchant 
et  les  uns  et  les  autres,  les  tyrans,  les  victimes.  Le  canjp 
barbare  se  dépeuplait,  et  d'autre  part  Mantoue  perdit 
vingt- cinq  mille  âmes.  Les  vivres  n'y  manquaient  plus 
pour  une  population  tant  diminuée.  La  peste  avait  fait 
l'abondance.  Mais,  en  revanche ,  il  y  avait  peu,  bien  peu 
de  soldats  pour  garder  son  enceinte  immense.  Le  lac  cou- 
vrait, il  est  vrai,  la  ville,  et  ses  longues  chaussées  étroites 
où  l'on  n'arrive  qu'un  à  un.  Mais,  le  M  juillet  1630,  les 
assiégeants,  apprenant  que  notre  armée ,  le  6,  était  enfin 
en  Italie,  voyant  le  roi  derrière  et  croyant  (bien  à  tort) 
que  ce  nouveau  François  I"  irait  en  plaine  se  joindre  aux 
Vénitiens,  sortirent  de  leur  torpeur;  ils  quittèrent  leur 
camp,  un  cimetière,  pour  attaquer  l'autre  cimetière,  qui 
était  la  ville.  La  nuit,  par  une  belle  lune,  ils  passent  en 
barques,  attaquent  sur  un  point,  en  surprennent  un  autre, 


LA  FRANCE  NE  PEUT  SAUVER  MANTOUE.        29 

mal  gardé.  Le  duc  de  Mantoue  capitule,  se  sauve ,  lui  et 
sa  fille,  laisse  son  peuple. 

Y  avait-il  un  peuple  encore?  Trop  nombreux  malheu- 
reusement. Si  les  rues  paraissaient  désertes,  c'est  que  les 
familles  malades,  ou  dans  Tagouie  de  la  peur,  s'étaient 
blotties  aux  greniers  ou  aux  caves ,  dans  les  coins  des 
palais.  Les  brigands  surent  bien  les  trouver.  On  fit  la 
chasse  aux  hommes.  Les  pauvres  généralement  avaient 
déjà  échappé  par  la  mort.  Ce  furent  les  riches,  les  nobles, 
des  gens  heureux  longtemps,  d'autant  plus  vulnérables, 
qui  endurèrent  le  long  supplice.  La  molle  délicatesse  de 
ritalie ,  les  hommes  de  VAminte  et  du  Pastor  fido ,  les 
princesses  du  Tasse,  s'évanouirent  devant  la  face  atroce 
d'un  rustre  roux,  endurci  vingt  ans  à  tuer.  Que  dire  à  ces 
bourreaux?  Les  madones  vivantes  furent  aussi  maltraitées 
que  celles  des  musées  que  ces  stupides  jouèrent  à  mettre 
en  pièces,  au  lieu  d'en  tirer  des  millions.  La  religion  ne 
sauva  rien.  Les  églises  furent  violées.  Tout  cela  sous  le 
drapeau  catholique  de  l'Empereur,  qui  avait  épousé  une 
princesse  de  Mantoue. 

Une  singularité  d'horreur  qui  ne  s'est  vue  nulle  part, 
c'est  que  cela  ne  se  passa  pas  sur  une  ville  résistante,  ni 
même  sur  une  ville  vivante^  mais  sur  la  population  dis- 
persée, gisante ,  immobile,  d'une  capitale  demi-déserte. 
Tout  se  fit  en  grande  paix,  dans  le  calme  et  le  silence, 
sauf  quelques  cris  de  femmes  ou  ceux  du  patient  qu'on 
chauffait  pour  qu'il  dit  où  était  son  argent.  Ils  eurent 
toute  sécurité  et  tout  le  temps,  trois  longs  jours,  trois 
affreuses  nuits,  pour  torturer  lentement,  outrager  à  loisir. 
£t,  quand  on  croyait  avoir  épuisé  tout,  d'autres  venaient, 
bourreaux  tout  neufs,  pour  recommencer  de  plus  belle. 
lis  ne  respectèrent  rien,  pas  même  la  peste ,  et  désespé- 
rèrent les  mourantes,  au  risque  de  mourir  demain. 


CHAPITRE  IV 


Lutte  de  Richelien  contre  les  deux  reines.  Jaiilet -octobre  1690. 


Richelieu,  trop  évidemment,  dans  VEarope  catholique 
et  le  monde  des  honnêtes  gens,  seul  était  l'ennemi.  Sans 
lui,  tout  était  paix  profonde,  ou  du  moins  on  ne  deman- 
dait qu'à  se  réconcilier.  C'est  ce  que  le  duc  de  Savoie  fit 
dire  au  roi.  C'est  ce  qu'insinuait  le  pape,  devenu  le  com- 
père des  Espagnols  et  de  l'Empereur,  depuis  leur  horri- 
ble succès  de  Mantoue.  C'est  enfin  ce  que  vint  dire  à 
Louis  XIII  l'envoyé  des  deux  reines,  Valençay,  un  homme 
très-brave,  fort  bien  choisi  pour  un  conseil  de  lâcheté. 

Tous  étaient  pour  la  paix.  Thoiras,  qui  défendait  Casai, 
disait  qu'il  .ne  pouvait  plus  tenir.  Nos  généraux,  d'Effiat, 
Montmorency,  sauf  un  brillant  combat,  ne  purent  et  ne 
firent  rien.  D'Ëfiiat  était  malade.  Montmorency  était, 
disait-il.  ruiné.  Il  eût  voulu  devenir  connétable.  Hais, 
s'il  le  devenait,  Créqui,  le  roi  du  Dauphiné,  eût  brisé  son 
épée.  D'autre  part^  Guise  était  en  pleine  guerre  avec  Ri- 
chelieu pour  son  amirauté  de  Provence,  Bellegarde  pour 
un  droit  qu'il  prétendait  comme  gouverneur  de  Boulo- 
gne, etc.  Toutes  ces  plaintes ,  ces  disputes ,  ce  procès 
général  entre  la  cour  et  Richelieu ,  retentissaient  au  roi 
dans  cette  triste  solitude  des  montagnes,  et  il  en  était 


LUTT8  1>B  RICHELIEU  CONTRE  LES  DEUX  REINES.  3t 

accablé.  Une  forle  tête,  un  homme  bien  portant,  eût  suc- 
combé ;  combien  plus  Louis  Xill  ! 

II  faut  ici  avoir  pitié  de  lui,  et  dire  ce  qu*il  était. 

Plusieurs  de  ses  très-bons  portraits  (surtout  celui  de 
Philippe  de  Champagne  à  Fontainebleau)  le  montrent  au 
vrai,  une  longue  figure  de  teint  très-brun,  à  moustaches 
noires.  Rien  d'Henri  lY,  rien  de  Marie  de  Médicis.  Les 
Espagnols,  à  son  avènement,  disaient  que  ce  faux  Louis 
éiait  fils  d'un  des  Orsini.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  avait  tous 
les  goûts  d'un  prince  italien  de  la  décadence,  bon  musi- 
cien et  même  compositeur  passable,  peintre  ,  réussissant 
dans  je  ne  sais  combien  de  petits  arts  et  de  métiers.  La 
prodigieuse  idolâtrie  de  la  royauté  et  de  lui-même  où  on 
réleva  pouvait  en  faire  un  vrai  tyran.  Il  n'avait  pas  beau- 
coup de  aeur,  était  sec,  dur,  parfois  cruel.  Petitement 
dévot,  sans  tomber  cependant  à  l'idiotisme  des  rois  espa- 
gnols ni  de  Ferdinand  II,  le  terrible  mannequin  des  Jé- 
suites. Louis  XIII  avait  une  conscience,  n'était  pas  insen- 
sible à  l'idée  du  devoir.  Sa  gloire  de  roi,  V honneur  de 
la  couronne  et  l'honneur  de  la  France  se  confondaient 
dans  son  esprit.  Richelieu  tira  parti  de  cela  admirable- 
ment, et  de  son  vice  lui  fît  plusieurs  vertus. 

Le  malheur  était  qu'on  ne  pouvait  compter  sur  rien 
avec  une  créature  si  maladive,  qui  déjà  trois  ou  quatre 
fois  avait  touché  à  la  mort,  que  l'ennui  consumait,  que 
les  soucis  minaient,  que  les  médecins  ruinaient,  extermi- 
naient, par  la  médecine  du  temps,  implacablement  pur- 
gative, acharnée  à  chasser  cette  humeur  noire,  qui  était 
sa  vie  même  ;  chassée,  elle  eût  emporté  tout. 

Le  premier  médecin,  Bouvart,  de  dévotion  tout  espa- 
gnole et  vivant  aux  églises,  l'homme  des  reines ,  leur 
organe,  ordonna  le  retour  à  Lyon  (7  août),  l'oubli  des 
pensées  de  la  guerre.  À  quoi  les  reines  ajoutèrent  de 
vives  prières  pour  que  le  malade  se  réconciliât  avec  ses 
bons  parents,  l'Espagnol  et  le  Savoyard,  avec  l'Empereur. 


32     LUTTE  DE  RICHELIEU  CONTRE  LES  DEUX  REINES. 

Quoi  de  plus  chrétien?  Les  rois  de  l*Europe,  en  réalité, 
sont  une  famille.  On  le  fit  consentir  à  une  trêve  qui,  le 
\^^  septembre,  devait  livrer  Casai  aux  Espagnols.  Les 
Français  n'y  gardaient  qu'un  fort,  qu'encore  ils  devaient 
livrer  du  15  au  31  octobre  s'ils  ne  recevaient  secours. 

Le  roi  promit  de  plus  à  sa  mère,  à  sa  femme,  qu'il 
chasserait  Richelieu^  mais  seulement  «  après  la  paix.  » 
Brulart  et  le  père  Joseph  la  négociaient  à  Ratisbonne. 

Richelieu,  arrivant  à  Lyon,  trouva  la  situation  toute 
gâtée  et  malade  autant  que  le  roi.  Le  roi  était  encore  de- 
bout; mais  il  avait  si  mauvaise  mine,  qu'on  voyait  qu'il 
allait  tomber.  Le  bon  courtisan  Bassompierre,  homme  de 
la  reine  mère,  Guise,  Longueville,  le  vieux  d'Ëpernon,  ne 
perdirent  pas  de  temps  pour  s'assurer  du  roi.  Lequel? 
Celui  qui  était  à  Paris ,  le  frère  de  Louis  XIII.  Le  roi  de 
Lyon  déjà  ne  comptait  plus. 

Ils  saluèrent  la  royauté  nouvelle,  prirent  les  ordres  de 
Monsieur  pour  Tarrestalion  de  Richelieu.  Les  dames 
eussent  voulu  davantage.  La  sœur  de  Guise  (princesse  de 
Conti)  eût  préféré  sa  mort,  et  elle  fit  acheter  des  poi- 
gnards. Les  Espagnols  y  avaient  toujours  songé.  Et  Cam- 
panella  en  avait  fait  avertir  Richelieu.  La  reine  Anne 
d'Autriche  n'y  répugnait  pas  trop.  Elle  disait  seulement: 
a  II  est  prêtre.  » 

Dans  ses  Mémoires,  tout  politiques ,  Richelieu  couvre 
tout  cela  de  respect,  de  silence.  Il  ménage  les  deux  reines, 
ménage  les  princes  étrangers.  Mais,  dans  le  petit  journal, 
écrit  par  lui,  pour  lui,  chaque  soir,  et  qui  donne  une 
mention  des  avis,  des  rapports  d'espions ,  de  toutes  les 
informations  qui  lui  venaient ,  on  y  voit  bien  plus  clair. 
Ces  témoignages,  du  reste,  sont  pour  la  plupart  confirmés 
par  tous  les  mémoires,  actes  et  lettres  publiés  depuis. 

Or  voici  le  dessous  des  cartes.  L'intrigue  et  la  guerre 
politique  couvraient  une  guerre  de  femmes. 

Richelieu  avait  été  l'amant  de  Marie  de  Médicis,  plus 


LOTTE  DE  RICHELIEU  CONTRE  LES  DEIX  REINES.  33 

âgée  de  vingt  ans.  Et  il  ne  Tétait  plus.  Ses  ennemis  ont 
fait  mille  contes  ridicules  sur  le  libertinage  de  cet  homme 
si  occupé,  si  maladif,  si  espionné,  observé  spécialement 
par  un  roi  très-sévère. 

Dans  la  vérité,  Richelieu  avait  alors  une  vie  sombre  et 
prudente,  très-réservée.  Comme  tant  d'autres  ecclésias* 
tiques,  il  ne  se  fiait  qu'à  une  parente,  une  espèce  de  fille 
adoptive,  sa  nièce,  madame  de  Combalet,  qui  tenait  sa 
maison  et  avait  soin  de  lui.  C'était  une  jeune  femme,  jolie, 
modeste,  austère.  Quand  elle  avait  eu  le  bonheur  d'être 
quitte  d'un  fort  pauvre  mari,  pour  ne  plus  y  être  reprise, 
elle  fit  vœu  de  se  faire  carmélite,  s'habilla  comme  à  cin- 
quante ans,  prit  une  robe  d'étamine  et  ne  montra  plus  ses 
cheveux.  Seulement,  comme  son  oncle  aimait  fort  les 
bouquets,  elle  ne  manquait  guère,  en  Fallant  voir,  d'avoir 
des  fleurs  au  sein. 

Tout  était  singulier  dans  cette  jeune  femme.  On  la  disait 
malade  secrètement.  Nul  galant.  Mais  elle  avait  un  grand 
attrait.  Des  dames  en  étaient  éprises  et  folles,  jusqu*à 
quitter  mari,  famille  et  tout,  pour  s'établir  chez  elle,  la 
soigner  et  faire  ses  affaires.  Pour  elle,  elle  semblait  uni- 
quement occupée  de  son  oncle,  qui  eut  longtemps  la  pru- 
dence de  ne  point  lui  faire  de  dons  excessifs.  Ce  ne  fut  que 
peu  avant  sa  mort  qu'il  fit  tout  d'un  coup  sa  fortune,  la  fit 
duchesse  d'Aiguillon. 

Il  l'aimait  fort.  En  16'i6,  quand  la  mort  de  Chniais  exas- 
péra la  cour,  on  pinça  Richelieu  à  cet  endroit  sensible. 
On  fit  scrupule  à  sa  nièce  de  vivre  avec  ce  damne  prêtre, 
cet  homme  de  sang.  Elle  eut  honte,  elle  eut  peur,  renou- 
vela son  vœu.  Le  cardinal,  troublé,  consulta  et  s'enquit  si 
le  vœu  était  valable.  Ses  docteurs  lui  répondirent  Non. 
Mais  elle  n'était  pas  plus  tranquille,  elle  voulait  se  mettre 
au  couvent.  L'oncle  n'y  sut  remède  que  dans  une  étrange 
démarche.  Quoique  fort  mal  avec  le  pnpe  alors,  il  chargea 
notre  ambassadeur  d'obtenir  de  Sa  Sainteté  un  bref  qui 

Zii.  3 


34  LUTTE  DK  RICHELIEU  CONTRE  LES  DEUX  REINES. 

interdit  le  couvent  à  sa  nièce.  Elle  n'en  garda  pas  mcûns 
à  la  cour,  où  elle  était  dame  de  la  reine  mère,  une  tenue 
de  carmélite ,  toujours  fort  sérieuse  et  ne  levant  jamais 
les  yeux. 

Les  reines  la  haïssaient,  et  pour  son  oncle,  et  comme 
espion,  enfin  comme  contraste  à  leur  vie  et  reprocha 
muet.  Elles  Tabreuvaient  de  fiel  et  la  mortifiaient  tcMU  le 
jour. 

Une  autre  carmélite  régnait,  fleurissait  à  la  cour,  ma- 
dame Du  Fargis,  née  Hochepot,  qui  avait  été  trois  ans  au 
couvent  de  la  rue  Saint-Jacques,  mais,  il  est  vrai,  sans 
faire  de  vœu.  Elle  s'était  liée  (là  sans  doute)  avec  la  nièce 
du  ministre,  quoique  connue  déjà  par  maints  scandales. 
On  lui  fit  épouser  ce  Du  Fargis,  notre  ambassadeur  en 
Espagne,  qui  y  signa  la  paix  contre  ses  instructions,  en 
i6Ï6.  Quand  on  chassa  les  dames  complaisantes  qui,  aa 
Louvre  et  ailleurs,  avaient  si  mai  gardé  la  jeune  reine 
contre  Buckingham,on  leur  substitua  la  Fargis,  plus  corn- 
plaisante  encore  et  bien  plus  dangereuse.  Elle  était  jolie, 
ardente,  effrontée,  tout  à  fait  propre  à  aguerrir  la  reine 
par  ses  exemples.  Agent  de  l'Espagne,  elle  lui  faisait  des 
amis  de  tous  ses  amants.  C'était  Créqui,  c'était  Cramail, 
c'était  le  vieux  garde  des  sceaux,  etc.  Tel  était,  dans  l'ab- 
sence de  la  Chevreuse,  le  Mentor  de  la  jeune  reine. 

La  vieille  reine,  non  moins  honteusement,  était  menée 
par  un  Provençal  d'Arles ,  un  musicien  aventurier,  qui, 
pour  mieux  gouverner  la  dame,  s*était  fait  médecin,  et, 
pour  l'assotir  tout  à  fait,  étudiait  en  astrologie.  Dans  le 
petit  journal  de  Richelieu,  on  voit  toute  l'importance  du 
docteur.  Le  rival  du  grand  homme  ,  son  antagoniste  en 
Europe,  "ce  n'est  pas  Spinola,  ni  Waldstein,  ni  Olivarès. 
C'est  Vaultier.  La  reine  mère  crie  et  pleure  pour  Yaultier. 
La  question  suprême  est  de  savoir  si  Vaultier  remplacera 
Richelieu,  d'abord  dans  la  maison  de  la  reine  mère,  puis 
dans  l'Etat,  dans  le  gouvernement. 


LCTTE  DE  RICHBLIEU  CONTRE  LES  DEUX  REINES.  3^ 

Le  roi  s'alita  le  2â  septembre,  et  le  30  fut  à  la  mort.  Au 
dedans,  au  dehors,  on  agit  vivement.  On  écrivit  en  Bre- 
tagne, en  Bourgogne,  pour  que  des  deux  bouts  de  la 
France  il  y  eût  explosion  contre  Richelieu.  On  écrivit  au 
prince  de  Condé  qu'il  se  hâtât  de  quitter  celui  que  tous 
<|uittaient  et  qui  allait  périr. 

Voyons  un  peu  chez  le  roi  comment  les  choses  se  pas- 
sent. Du  20  au  30,  ce  fut  le  plus  grand  trouble.  La  méde- 
cine la  plus  violente,  les  remèdes  les  plus  héroïques,  ne 
pouvaienf  guérir  Louis  XIIL  11  allait  à  la  selle  quarante 
fois  par  jour  et  rendait  le  sang  pur.  L'intrépide  Bouvart 
était  à  bout  et  consterné.  Saignée  sur  saignée,  médecine 
sur  médecine,  rien  n'y  faisait.  La  maladie  semblait,  mali- 
gnement moqueuse ,  augmenter  d'heure  en  heure  pour 
humilier  la  Faculté.. 

C'était  un  spectacle  lamentable  de  voir  ce  moribond, 
tant  de  selles,  tant  de  sang.  La  cour  était  fort  mal  logée, 
et  rétiquette  au  diable.  Chacun  entrait,  venait,  voyait.  Tel 
priait,  tel  pleurait.  Le  1*'  octobre,  il  y  eut  une  grande 
scène.  Le  roi  mourant  communia  et  demanda  pardon  à 
tout  le  monde. 

C'est  de  ce  mot  chrétien  que  Brienne  voudrait  abuser 
pour  nous  faire  croire  que  le  roi  fit  satisfaction  à  sa  femme. 
Et  il  ajoute,  comme  un  sot,  que  le  mourant  même  promit 
de  se  guider  par  ses  conseils  /...  Conseils  d'une  telle  étour- 
die, si  compromise  et  le  jouet  visible  de  son  entourage 
éhonté  ! 

Tous  les  autres  témoins  nous  disent  le  contraire.  Ils 
attestent  que  le  malade  était  plus  défiant  que  jamais,  qu'il 
démêlait  très-bien  l'intérêt  qu'on  avait  à  sa  mort.  Â  ce 
point,  qu'il  refusait  tout,  sauf  ce  qu'il  recevait  directement 
de  la  main  de  son  premier  valet  de  chambre,  un  bon  homme 
allemand,  Béringhen. 

Ce  Béringhen  devenait  extrêmement  important.  Et,  si 
quelqu'un  pouvait  in  extremis  tirer  quelque  chose  de  la 


36  LUTTIS  DE  RICHELIEU  CONTRE  LES  DKOX  REINES. 

main  mourante,  vraisemblablement  c'était  lui.  Ni  le  con- 
fesseur Suffren,  ni  le  médecin  Bouvart,  n'exerçait  d'ascen- 
dant. 

Monsieur  croyait  succéder  à  coup  sûr.  Cependant  un 
homme  plusieurs  fois  gracié,  noté  en  des  actes  publics 
comme  lié  aux  ennemis  de  TËtat,  aurait  été  aisément  con- 
testé, spécialement  de  Richelieu,  sûr  de  périr  si  Monsieur 

était  roi. 

Une  autre  personne  craignait  cet  avènement  :  c'était  la 
jeune  reine,  jadis  bien  avec  Monsieur,  alors  mal/ parce  que 
le  prince  rieur  et  ses  bouffons  s'égayaient  sur  les  petites 
aventures  de  la  reine  et  ses  fausses  couches.  Que  n'étaît- 
elle  enceinte  I  Elle  eût  été  régente,  et  Monsieur  était  écarté^ 
Mais,  si  elle  ne  l'était  pas,  il  ne  lui  restait  qu'à  épouser  cet 
homme  méprisé^  et  qui  riait  d'elle  tout  le  jour.  C'était  le 
plan  de  la  reine  mère,  laquelle  comptait  bien  gouverner. 
La  reine  Anne  serait  restée  dépendante  et  petite  fille. 

On  dit  qu'une  chose  violemment  voulue  et  désirée  se 
réalise,  qu'un  véhément  désir  parfois  crée  son  objet.  J'i- 
gnore ce  qui  en  est.  Ce  qui  me  semble  sûr^  c'est  que  la 
reine,  qui  avait  tant  d'intérêt  à  être  grosse,  le  devint  en 
eifet. 

Elle  ne  le  déclara  point.  Mais,  quatre  mois  après,  la  chose 
étant  visible  pour  tous,  le  confident  médecin  Bouvart  n'osa 
la  nier.  Elle  avorta  en  mars  4  631 ,  par  un  moyen  artificiel, 
comme  on  verra,  et  probablement  à  six  mois. 

Le  roi  l'avait  quittée  en  mai  4630;  il  la  revit  à  la  fin 
d'août,  étant  déjà  malade  et  en  pleine  fièvre.  Ils  se  récon- 
cilièrent le  jour  où  il  crut  mourir,  se  brouillèrent  encore, 
restèrent  brouillés.  Je  ne  vois  pas  quand  il  put  être  père. 
N'importe.  Qu'elle  fût  grosse  au  jour  de  la  mort,  elle 
était  sauvée.  Elle  restait  reine  régente,  ou  du  moins  pré- 
sidant le  conseil  de  régence.  Elle  subordonnait  la  reine 
mère  et  Monsieur,  qui  n'était  plus  que  son  premier  sujet. 
11  suffisait  pour  cela  que  le  roi,  s'il  testait  en  forme  or- 


LUTTE  DB  RIGHSLIBU  CONTRE  LES  DEUX  REINES.  37 

dinaire,  tout  en  reconnaissant  son  frère,  laissât  ajouter  la 
petite  réserve  naturelle,  qui  était  de  style^  quand  le  mou- 
rant était  un  homme  marié  :  <  Sauf  le  cas  oii  notre  très- 
chère  épouse  seroit  enceinte.  > 

Mais,  si  le  roi  n'aimait  pas  son  frère,  il  n'aimait  guère 
non  plus  sa  femme.  Défiant,  comme  il  était,  il  aurait  bien 
pu  être  assez  malicieux  pour  effacer  ce  mot. 

Il  était  bien  essentiel  qu'on  s'assur&t  de  l'homme  qui 
seul  en  ce  moment  paraissait  lui  inspirer  un  peu  de  con- 
fiance, de  Béringhen,  non  pas  pour  qu'il  agît  directement, 
mais  seulement  pour  veiller  les  moments  oii  la  haine  du 
roi  pour  son  frère  serait  plus  forte  que  sa  malveillance 
pour  sa  femme.  Ce  moment  de  lui-même  allait  se  présen-* 
ter.  A  grand  bruit,  de  Paris,  arrivait  une  armée,  les  amis 
de  Monsieur  avec  tous  leurs  amis,  les  Guise,  les  Créqui  et 
les  Bassompierre.  Déjà  ils  étaient  sûrs  du  gouverneur  de 
Lyon,  de  sorte  qu'ils  tenaient  le  roi  dans  leurs  mains.  Si 
le  2  ou  le  3,  le  4  octobre,  dans  leur  impatience  d'héritiers, 
ils  venaient  le  troubler  et  le  faire  tester  pour  Monsieur,  les 
deux  gardes  du  lit,  Béringhen  et  la  veuve,  n'avaient  qu'à 
surveiller  le  testament,  et  le  mourant,  plus  que  jamais 
irrité  contre  Monsieur,  n'eût  point  fait  à  la  reine  l'injure 
de  lui  biffer  la  réserve  naturelle  en  tout  héritage. 

Comment  acquit-on  Béringhen?  Comme  on  acquiert  un 
jeune  homme,  faible  et  doux,  fort  galant,  sans  défense 
contre  les  femmes.  Celle  qui  menait  l'intrigue,  la  confi- 
dente d'Anne,  la  Fargis,  s'en  saisit  par  un  coup  d'audace. 
La  cour  était  campée  à  Lyon  dans  un  hôtel  étroit>  Chacun 
couchait  où  il  pouvait.  Béringhen,  dans  les  rares  moments 
oii  la  fatigue  l'obligeait  de  prendre  un  peu  de  repos,  se 
jetait  sur  un  matelas,  à  deux  pas  de  son  maître,  dans  une 
pièce  de  passage  où  on  allait  et  venait.  La  Fargis  n'hésita 
pas.  Sans  crainte  des  passants,  sans  pudeur  du  mourant, 
qui  aurait  pu  entendre^  elle  alla  s'établir  dans  le  lit  du 
valet  de  chambre,  et  on  les  vit  entre  deux  draps. 


38  LUTTE  M  HICHBLISD  CtHiTRI  LES  SIUX  REIIIBS. 

Il  ne  nianquaH  ptiu  qu'uaâ  chose,  c'était  que  le  roi  se 
b&tât  de  mourir.  Les  deux  partis  étaient  ea  [trésence.  La 
reine  Anne  tenait  la  chambre.  Et  les  amis  de  Monsieur 
tenaient  la  ville.  Quel  que  fût  le  vainqueur,  Richelieu  pé- 
rissait. Il  se  trouva  tout  a  coup  seul.  Il  avait  parié  àBas- 
sompierre.  En  vain.  Il  parla  à  M.  de  Montmorency,  à  qui 
il  avait  donné  espoir  de  le  faire  copnétable.  Mais  tout  ce 
qu'il  lira  de  son  caractère  généreux,  œ  fut  l'offre  de  le  faire 
sauver  de  Lyon  ;  offre  très-dangereuse ,  car  c'était  le  pous- 
ser à  s'accuser  lui-même.  En  le  sauvant  ainsi,  il  le  pwdait. 
Les  médecins  avaient  saigné  sii  ftus  eo  six  jours  eel 
homme  p&le  qui  n'avait  point  de  sang.  Us  essayèrent  encore 
de  lui  en  tirer  le  2  octobre.  K  ce  moment,  la  nature  le 
sauva.  La  vraie  cause  du  mal,  ignorée  des  docteurs,  un 
abcès  k  l'anus,  creva.  Tout  fut  fiai.  Quoique  très-faible,  il 
sa  mit  sur  aoa  séant,  parla  de  se  lever. 

La  jour  même  arrivaient  Guise,  Créqui,  fiassonapisiTe, 
représentants  du  aouveau  roi.  Ils  furent  oonsteroés,  ter- 
rifiés, de  trouver  cet  homme  mort  qui  se  levait  de  soti 
tombeau.  Richelieu  était  près  de  lui.  U  lui  mootnit  que 
les  impériaux  se  jouaient  de  lui  à  Ratisboune.  Il  ta  tin, 
le  2,  un  ordre  ferme  qui  semblait  annoncer  In  résurrectioi 
de  la  France,  ordre  à  l'ambassadeur  Brulart  de  revenir;  le 
père  Joseph,  son  auxiliaire,  pouvait  rester,  n'ayant  pas 
caractère  pour  signer  un  arrangement.  Du  reste,  Ricbehen 
se  croyait  bien  sûr  de  ioseph,  son  trës-intima  confidwt. 
L'Empereur,  qui  jusqoe-U  empêchait  la  paix  en  n'offiranl 
qu'un  traité  impossible,  avaithftte  alors  de  la  faire,  d'abord 
parce  que  Gustave  avançait,  dauxièmement  parce  qu'il  sa- 
vait que  Louis  XIII  avait  promis,  dès  la  paix  faite,  de 
cbasser  Richelieu.  Joseph  et  Brularl,  fort  pressés  des  im- 
pùriaiix  et  sans  doute  de  dos  deux  reines,  étaient  dans  un 
""•^  —"banras.  Il  y  a  loin  de  Lyon  à  Rntisbonne.  Joseph 
s  nouvelles  du  i"  octobre,  la  commsaicui  du  roi 
ou  eelles  du-3,  sa  réturreetioD?On  l'ipaaie. 


LOm  DI  RICOIUBIJ  CONTRK  LES  DEUX  RUNES.  39 

liais,  quand  il  eût  eu  les  dernières,  même  le  roi  vivant, 
Richelieu  pouvait  périr  si  Joseph  consommait  le  traité  de 
parx  qui  devait  faire  son  expulsion. 

Donc,  au  total,  Joseph  semblait  tenir  le  fil  des  destinées 
de  Kichelieu.  C'était  son  homme,  mais  il  ne  l'aimait  pas. 
Joseph  croyait  l'avoir  créé,  et  avoir  créé  un  ingrat.  Le  mi« 
Bistre  ne  faisait  pas  ce  qu'il  voulait  pour  sa  fortune.  Avec 
ses  sandales  de  capucin,  sa  ceinture  de  corde,  cette  comé- 
die d'humilité,  il  visait  au  chapeau,  qui  sans  doute  lui  eût 
donné  moyen  de  supplanter  son  ami.  Richelieu,  qui  le 
voyait  venir»  essaya,  dès  1628,  de  s'en  débarrasser,  de  le 
clafpiemurer  dans  une  ville  morte,  à  la  Rochelle,  dont  il 
il  l'eût  fait  évoque.  Mais  Joseph,  non  moins  fin,  déclina 
rhonneur  de  cet  enterrement,  et  s'obstina  à  rester  ca« 
pucin. 

En  acceptant  le  traité  de  l'Empereur  contre  les  instruc- 
tions de  Richelieu,  il  avait  deux  chances  pour  une.  Si  le 
roi  mourait,  le  nouveau  roi  Tapprouvait,  le  louait.  Et,  si 
le  roi  ne  mourait  pas,  les  deux  reines  montraient  au  con- 
valescent le  traité  de  Joseph,  et,  la  paix  éiant  faile^  lui  fai- 
saient chasser  Richelieu.  Qui  succéderait  à  celui-ci?  U  n'y 
avait  qu'un  homme  capable,  Joseph  encore.  Il  devenait 
ministre,  et,  de  plus,  cardinal.  Le  pape  se  joignait  à  l'Efn* 
pereur  pour  le  presser  de  faire  la  paix. 

Le  fameux  capucin  était  un  homme  aimable,  obligeant, 
qui,  tout  agent  qu'il  fut  de  Richelieu,  avait  trouvé  moyen 
de  rester  bien  avec  tout  le  monde.  C'est  lui  qui,  en  4626, 
fonda  l'énorme  fortune  d'Orléans,  en  décidant  Richelieu, 
malgré  sa  répugnance,  à  donner  à  Monsieur  mademoiselle 
de  llontpensier.  Monsieur  l'aimait,  et  dit  avec  regret  à  la 
mort  de  Joseph  :  «  C'était  l'ami  des  princes.  » 

11  mérita  ce  titre  à  Ratisbonne.  Pressé,  prié,  il  consentit 
que  Brulart,  son  collègue,  signât  la  paix.  Lui,  capucin  in- 
digne, il  déclinait  un  tel  honneur.  Mais  on  lui  mit  la  plutne 
en  main,  et  sans  doute  on  lui  dit  que  le  pape  le  voulait, 


40  LUTTB  DB  RICHELIEU  CONTRE  LES  DEUX  REUŒS. 

qu'en  s'abstenant  il  perdrait  pour  jamais  le  chapeau.  Il 
signa  (4  3  octobre  4  630). 

Cet  acte,  œuvre  de  Vienne,  était  un  monstre  d'équivo* 
ques  et  de  pièges  qui  compromettait  tout:  4®  V honneur» 
En  Italie,  le  commissaire  de  l'Empereur  entrait  à  Casai  ; 
les  Français  et  les  Espagnols  sortaient,  mais  avec  grande 
différence,  les  Espagnols  pour  rester  à  deux  pas;  notre  doc 
de  Mantoue,  sans  protection  et  tout  seul,  restait  comme  un 
mouton  à  la  garde  des  loups.  2®  Ce  beau  traité  compromet^ 
tait  la  France^  lui  interdisant  Talliance  avec  les  ennemis 
de  l'Empereur  (dès.  lors  avec  Gustave);  il  ouvrait  le 
royaume,  il  y  avait  une  phrase  qui  eût  pu  faire  rendre  à 
TEmpire  les  Trois  évéchés.  3"^  La  paix  n'était  pas  pour  la 
seule  affaire  dJtalie,  mais  générale,  donc  comprenant  VE$^ 
pagne,  qui  n'avait  rien  demandé,  et  qui  restait  tout  à  fait 
libre  de  signer  ou  ne  pas  signer.  Le  traité  nous  liait  les 
mains  et  n'obligeait  pas  l'ennemi. 

Joseph  a  dit  qu'il  avait  signé  pour  gagner  du  temps; 
que  le  roi  pouvait,  après  tout,  ne  pas  ratifier.  Très-mauvaise 
raison.  Dans  le  désir  général  de  la  paix,  dans  les  rapides 
entraînements  de  la  France,  ce  chiffon  de  traité  une  fois 
répandu  et  connu»  tout  devait  aller  à  la  dérive,  son  premier 
et  son  grand  effet  étant  justement  d'écarter  la  main  forte 
qui  tenait  la  corde  tendue. 

Le  tant  désiré  parchemin  s'envole  à  Lyon,  comme  la 
colombe  de  l'Arche.  Saisi  et  baisé  des  deux  reines,  il  est 
ébruité  dans  toute  la  ville,  célébré  à  cor  et  à  cris.  La  paix! 
la  paix  I...  Les  feux  de  joie  s'allument.  Les  reines  au  bal- 
con, croyant,  dans  la  fumée,  voir  s'évanouir  Richelieu. 

Cela  le  20.  Et,  le  26,  le  même  effet  en  Italie,  sous  Casai, 
effet  décisif  et  terrible  sur  notre  armée.  Richelieu,  du  2  au 
26,  avait  obtenu  du  roi  réveillé  un  effort  désespéré;  il  avait 
de  ses  mains  arraché  aux  intendants,  envoyé  Targent 
nécessaire.  Plus,  des  renforts.  Plus,  Tordre  précis  du  roi 
de  donner  la  bataille,  et,  si  on  la  gagnait,  de  ne  pas  s'amu- 


LUTTE  DE  RICHELIEU  CONTRE  LES  DEUX  REINES.  41 

ser  à  ménager  l'Espagne,  mais  de  finir  ces  comédies  et 
d'entrer  dans  le  Milanais.  Cette  armée  était  sous  trois 
maréchaux,  Schomberg  et  d'Effiat,  deux  hommes  de 
talent  et  très-sûrs^  le  troisième  suspect  (l'agent  des  reines), 
Marillac,  frère  du  garde  des  sceaux.  Mais  ce  Marillac  dut 
marcher.  Schomberg,  ayant  Tordre  précis  et  répété^  ne 
voulut  plus  attendre  une  heure,  et  mena  Tarmée  à  Ten- 
nemi.  Les  Espagnols  étaient  perdus.  Leur  grand  général 
Spinola  venait  de  mourir,  et  leur  courage  aussi.  Les  Fran- 
çais, pleins  d'élan,  allaient  leur  passer  sur  le  corps,  et 
d'autant  plus  sûrement,  qu'ils  avaient  carte  blanche,  non 
plus  pour  secourir  une  méchante  ville  de  Piémont,  mais 
pour  s'en  aller  voir  Milan,  la  Lombardie. 

A  ce  moment,  comme  du  ciel,  un  secours  vient  aux 
Espagnols,  l'envoyé  du  pape,  l'abbé  Mazarino.  C'était  le  SS6, 
et,  depuis  plusieurs  jours^  le  traité  fait  le  13  avait  été 
apporté  en  Piémont;  une  semaine  entière,  probablement, 
Mazarin  le  garda  en  poche,  devinant  bien,  le  rusé  comé- 
dien, le  parti  qu'il  en  tirerait.  Aux  premières  salves,  faites 
de  loin,  sans  danger  encore,  notre  abbé  se  présente  aux 
rangs  français,  court,  se  démène,  fait  signe  d'un  mouchoir 
le  long  des  premiers  rangs;  il  va,  vient,  voltige  à  cheval, 
criant  :  La  paix  !  la  paix  1 

Ce  n'était  pas  assez  pour  arrêter  Schomberg,  qui,  le 
matin  encore,  dans  une  dernière  lettre  du  roi,  avait  lu 
qu'il  ne  reconnaissait  pas  cette  paix.  Mais  c'était  assez  pour 
détremper  ceux  (il  y  en  a  en  toute  armée)  qui  ne  marchent 
pas  volontiers.  C'était  assez  pour  faire  crier  à  Marillac  que 
tout  était  fini.  Schomberg  lui-même  se  rangea  à  cet  avis, 
tant  il  vit  les  esprits  changés  et  l'armée  refroidie. 

Le  résultat  de  cette  farce  était  de  finir  la  résistance  de 
Casai.  Assiégeants,  assiégés,  Espagnols  et  Français  s'en 
vont.  Mais  les  impériaux  (pires  qu'Espagnols)  y  entrent,  un 
commissaire  de  l'Empereur,  avec  une  armée  de  domes- 
tiques allemands. 


43  LUTTS  BS  RICHILIEU  OONTRB  LES  DEUX  RBINIS. 

Ce  joli  trait  de  Mtzaria  commença  la  carrière  de  ce 
grand  Mascarille.  Tout  le  parti  espagnol  en  Europe,  et  nos 
reines  surtout,  en  firent,  en  ornèrent  la  légende.  Et  quoi 
de  plus  touchant?  Entre  deux  armées  engagées,  dans  la 
première  furie,  sous  une  grêle  de  balles,  ce  jeune  hœnmo 
intrépide  (mousquetaire  avant  d'être  prêtre)  se  précipite, 
brave  mille  morts,  pour  arrêter  Teffusion  du  sang.  Tant  de 
courage,  d'humanité,  de  charité  chrétienne...  Tout  à  la 
fois  la  légende  d'un  saint  et  celle  d'un  héros  de  romani- 
Telle  fut  la  noble  et  charmante  auréole  sous  laquelle  fut 
bientôt  présenté  à  notre  Espagnole  Anne  le  sauveur  de 
Tarmée  d'Espagne.  Admirable  rencontre  I  mystérieuse  pré- 
destination I  On  fit  remarquer  à  la  reine  que  cet  ange  de 
paix  avait  des  traits  du  beau,  du  noble  Buckingham,  du 
héros  qu'elle  avait  aimé. 


CHAPITRE  V 


ia«ffBé6  éa  da^A.  ^  Vkcoira  de  Richeliini  sur  les  lemea  et  MoMieur. 

(De  novembre  1630  à  jmiUet  lôn.) 


L'effort  du  grand  ministre,  les  nobles  velléités  du  roi  à 
son  réveil»  avaient  donc  avorté.  On  devait  croire  le  roi 
indigné  contre  ceux  qui  lui  avaient  enlevé  une  victoire 
eertaine,  une  con()uéte  probable.  Or  le  contraire  advint. 
En  gardant  encore  son  ministre,,  il  assura  de  nouveaa  au 
reines  que,  a  la  paix  faite,,  il  le  renverrait.  »  (Fin  d'oe- 
U>bre463(>.) 

Par  quelle  prite  avaient-elles  ressaisi  le  roi?  Par  la  plaa 
imprévue  :  une  Csrame,.  un  amour.*.  Cet  insensible,  ce 
nudade  saigné  à.  blajac,  si  pâle,  q/M  faisait  presc|Qe  peur, 
en  trouva  Tart  de  le  rendre  amoureux  ! 

L'aventurier  VauUier,  musicien  de  la  reine  nère,  qui 
s'était  fait  son  médecin  et  astrologue,  était  un  esprit  péo^ 
trant.  On  lui  doit  cet  honunage.  11  devina  que  ce  moment 
où  un  homme  échappe  à  la  mort,  oiu  les  cierges  de  l'exf 
irème-onction  s'éteignant,  il  voit  la  vraie  lumière,  se  croit 
vené,  il  est  infiniment  sensible  par  sa  faiblesse  même, 
enlanft,  tendre  et  poète,  sous  renchantement  de  sa  ttevb* 
Telle  aurore. 

Doue,  il  advint  que  celte  aurore,  cette  belle  iuaiîère  de 
Tie  dont  la  nature  se  pare  pour  un  mourant  ressuscité. 


44  JOURNÉE  DBS  DDPBS. 

Louis  XIII  la  vit  un  matin  tout  animée,  charmante,  dans 
une  demoiselle  de  quinze  ans,  une  blonde  du  Midi.  L'avisé 
Provençal  avait  cherché,  trouvé  la  petite  fille  au  Fond  du 
Périgord,  l'avait  fait  venir  avec  sa  grand*mère,  qu*il  gagna 
en  lui  promettant  de  devenir  dame  d'atours  de  la  mère  du 
•  roi. 

On  savait  parfaitement  par  quel  concert  d'éloges,  orga- 
nisé et  concordant  comme  par  hasard,  on  pouvait  faire 
aimer  quelqu'un  de  Louis  XIII.  On  lui  donnait  de  temps  à 
autre  un  favori,  un  camarade  d'amusement  ou  de  chasse. 
En  hommes,  c'était  assez  facile,  plus  diflBcile  en  femmes. 
Le  sentiment  qu'il  avait  de  son  insuffisance  le  rendait  plus 
timide.  Mais  ici  le  grand  intérêt  que  les  reines  avaient  à  la 
chose  leur  donna  de  l'adresse.  On  prépara  le  roi  à  voir  cette 
jeune  merveille,  et,  quand  il  fit  ses  relevailles  (pour  ainsi 
dire)  et  alla  rendre  grâces  à  Saint- Jean  de  Lyon,  le  coup 
désiré  fut  frappé. 

Le  roi,  plein  de  reconnaissance,  ayant  bien  remercié 
Dieu,  resta  encore  à  entendre  un  sermon.  Là,  les  yeux 
errants  du  convalescent  tombèrent  sur  la  nouvelle  venue, 
mademoiselle  de  Hautefort.  L'Aurore,  comme  l'appelaient 
ses  compagnes  pour  son  teint  rose,  ses  cheveux  rutilants, 
illuminée  sans  doute  du  reflet  des  vitraux,  apparut  un 
rayon  d'en  haut  et  la  résurrection  elle-même  à  ce  Lazare. 
Il  eut  honte  d'avoir  un  carreau  sous  les  genoux  quand  elle 
n'en  avait  pas,  et,  sans  s'inquiéter  de  ce  qu'on  en  dirait,  il 
suivit  son  sentiment  poétique  et  lui  fit  porter  son  carreau. 
Une  fille  du  Nord  eût  été  abîmée  d'étonnement  et  d'em- 
barras, eût  fait  quelque  gaucherie.  Mais  celle-ci,  d'une 
légère  rougeur,  du  vif  éclat  de  ses  yeux  bleus,  transfigurée, 
prit  le  carreau,  et,  sans  s'en  servir,  le  posa  près  d'elle  avec 
respect.  Et  tout  cela  d'un  si  grand  air,  d'une  telle  noblesse 
virginale,  que  tout  le  monde  en  fut  ébahi. 

Voilà  le  roi,  dès  ce  jour,  sorti  de  la  vie  sauvage  où  l'a- 
vaient tenu  ses  favoris  de  chasse  et  autres,  Luynes,  Bara- 


VICTOIRE  DE  RICHELIEU  SUR  LES  REINES  ET  MONSIEUR.       45 

das,  récemment  Saint-Simon.  Le  voilà  assidu  désormais 
chez  les  reines  sans  cacher  aucunement  qu'il  y  va  pour 
mademoiselle  de  Hautefort.  11  fait  pour  elle  des  vers,  de 
la  musique,  lui  parle  de  sa  chasse  comme  à  un  camarade, 
de  ses  ennuis  et  même  des  affaires  du  royaume,  parfois  de 
son  ministre.  Elle,  sans  rechercher  l'honneur  de  ces  con- 
fidences, elle  y  répond  modestement,  avec  adresse  et 
présence  d'esprit.  Parfaitement  dévouée  aux  reines,  à  sa 
chère  maîtresse,  Anne  d'Autriche  (si  innocente  et  si  perse* 
cutée),  elle  dit  à  merveille^  d'une  vivacité  naïve  et  gasconne, 
les  petits  mots  qu'on  lui  fait  dire,  du  reste  ne  parlant  qu'en 
chrétienne^  pour  l'union  de  la  famille  royale,  pour  le  sou- 
lagement du  pauvre  peuple  et  la  fin  de  la  guerre. 

Richelieu  se  noyait.  Et  voilà  que  cette  enfant,  inno- 
cente et  charmante,  presque  sans  s'en  douter,  lui  met  la 
pierre  au  cou. 

Le  naufragé  imagina  de  se  reprendre  à  une  vieille  plan- 
che, la  reine  mère,  à  son  ancien  attachement.  Puisque, 
de  toutes  parts,  le  vent  était  à  l'amour  et  que  l'amour  lui 
faisait  la  guerre,  il  entreprit  d'y  recourir  lui-môme.  Il  avait 
fort  vieilli,  il  est  vrai;  il  avait  déjà  les  joues  creuses,  le 
poil  gris,  l'air  fantôme  qu'on  lui  voit  au  portrait  du  Louvre. 
Mais  enfin  la  bonne  dame  avait  toujours  vingt  ans  de  plus. 
Un  homme  de  tant  d'esprit,  et  qui  avait  cet  esprit  dans 
les  yeux,  ne  pouvait-il,  à  force  de  tendres  respects,  de 
mensonges,  réveiller  au  vieux  cœur  l'étincelle  des  beaux 
jours  passés?  Un  Yaultier  tiendrait-il  contre  Richelieu  en 
présence?  Celui-  ci  prit  un  parti  héroïque,  ce  fut  de  s'éta- 
blir sur  le  terrain  de  Yaultier  même,  dans  le  propre  ba- 
teau,  l'appartement  et  l'alcôve  mouvante  où  la  reine  des- 
cendait la  Loire  pour  aller  à  Paris.  Elle  passait  les  jours 
au  lit  ;  lui  à  ses  pieds,  agenouillé  sur  des  coussins,  comme 
on  faisait  alors. 

Spectacle  intéressant!  Et  quel  dommage  que  Saint- 
Simon  ne  fût  pas  né  !  La  passion  première  parut  revenue 


46  JOURNÉB  DES  DUPES. 

tout  à  fait.  C'était  un  doux  concert  de  mots  charmants  en 
italien  entre  la  vieille  haineuse  et  le  prêtre  enfiellé.  Amieo 
del  cor  miol  disait-elle.  Lui,  il  était  ému,  rêveur,  visible* 
ment  fervent  et  plein  de  religion;  mais  troublé  sans  doute 
de  tant  de  beauté. 

Qui  tromperait  et  mendrait  le  mieux?  C'était  la  ques- 
tion. La  Florentine  avait  l'émulation  de  Catherine  de 
Médicis.  Mais,  parmi  ses  douceurs,  telle  venimeuse  œillade 
put  révéler  au  grand  observateur  la  plaie  qui  lui  restait  et 
que  rien  ne  guérit.  La  Fargis  avait  eu  soin  de  lui  dire  que 
le  cardinal  et  sa  nièce  (qui,  comme  tous  les  caractères 
sombres,  avaient  des  échappées  bouffonnes)  égayaient 
leurs  ébats  à  faire  la  comédie  des  galants  transports  de  la 
vieille  en  baragouinage  italien. 

Long  et  pénible  fut  ce  tête-à-iéte  du  bateau.  Dès  qu'elle 
en  descendit,  le  cardinal  partit  grand  train  et  rejoignît  le 
roi  à  Auxerre.  Le  roi,  loin  des  beaux  yeux  d'Aurore,  avait 
quelque  peu  réfléchi.  Une  chose  le  rendait  soucieux,  c'é- 
tait d'apprendre  peu  à  peu  comme  on  avait  travaillé  aux 
huit  jours  où  il  était  mort  et  dans  quelle  tendre  intimité 
on  était  avec  l'homme  de  l'Espagne,  Mirabel,  alors  à 
Bruxelles,  qu'on  fit  revenir.  Il  «avoua  à  Richelieu  que  la 
reine  mère  était  toujours  contre  lui  et  n'oubliait  rien  pour 
le  perdre. 

La  bataille  était  pour  Paris.  Le  champ  de  bataille  était  le 
Luxembourg,  où  la  reine  mère  promenait  sa  fureur  dans 
sa  galerie  de  Rubens.  Quoique  le  roi  n'eût  rien  promis 
qu'après  la  paix,  elle  voulait  sur  l'heure  qu'il  chassât  Riche- 
lieu (H  novembre  4630).  Celui-ci,  averti,  accourt,  veut 
entrer,  se  défendre  ;  mais  la  porte  est  fermée  ;  îl  entre  par 
une  autre.  Il  s'explique,  il  prie  et  il  pleure.  Une  effroyable 
averse  d'injures  est  la  réponse.  Le  roi  s'enfuit  et  se  sauve 
à  Versailles. 

On  a  dit  que  Richelieu,  en  ce  moment,  se  crut  perdu, 
qu'il  fallut  le  conseil,  la  fermeté  du  cardinal  de  la  Valette, 


r 


VICTOIRE  DE  RICHELIEU  SUR  LES  REINES  ET  MONSIEUR.       47 

pour  lui  rendre  le  courage  et  le  faire  aller  aussi  à  Ver- 
sailles. J*en  doute  fort.  Sa  ténacité  indomptable  est  bien 
prouvée.  11  avait  près  du  roi  un  ami,  il  est  vrai,  un  petit 
ami,  Saint-Simon,  ex-page  que  le  roi  avait  fait  premier 
écuyer.  Ce  favori  obscur,  sans  grande  action,  avait  pour- 
tant cela  d*étre  près  du  roi  à  toute  heure.  Il  n'avait  pas  les 
charmes  et  les  heureux  moments  de  mademoisetle  de  Hau- 
teffort,  mais  en  revanche  l'assiduité  ;  nuit  et  jour,  il  était  le 
très-discret  écho,  sourd,  non  retentissant,  des  plaintes  du 
roi.  Il  faisait  profession  de  ne  se  mêler  de  rien,  de  n'avoir 
aucune  initiative.  Il  savait  dire  :  «  Oui,  Sire,  »  donner  la 
réplique  simple,  indispensable.  Le  roi,  s'affligeant  de  son 
abandon  et  du  fardeau  d'affaires  qu'allait  lui  laisser  Riche- 
lieu, aurait  dit  d'un  ton  de  regret  :  «  Où  est-il  maintenant?» 
A  ce  mot,  qui  n'était  pas  une  demande,  l'autre  répondit 
cependant  :  «  Mais,  Sire,  il  est  ici.  » 

Richelieu,  comme  de  dessous  terre,  reparut  et  changea 
le  roi.  Il  lui  montra  avec  respect,  mais  lui  montra  pour- 
tant qu'en  France,  en  Italie,  partout,  on  se  moquait  de  lui; 
qu'il  avait  perdu  à  Casai  les  résultats  de  deux  campagnes, 
que  l'Empereur  en  était  maître,  donc  l'Espagnol  (c'était 
nuéme chose);  que  le  pape  était  devenu  tout  impérial,  que 
Venise  demandait  grâce  à  l'Empereur,  qu'ici  l'homme  des 
reines,  le  vieux  garde  des  sceaux,  Marillac,  là-bas  son 
frère  le  général,  étaient  excellents  Espagnols  ;  que  sa  cour, 
son  conseil,  n'avaient  pour  chef  réel  que  l'ambassadeur 
Mirabel,  appelé  secrètement  par  la  reine  Anne  à  Paris. 

Le  Paris  de  la  Ligue  avait  eu  pour  roi  Mendoza.  Il  ne 
tenait  pas  à  Mirabel  qu'il  ne  jouât  le  même  rôle.  R  trou- 
vait dans  le  Parlement  force  têtes  pointues  pour  l'écouter, 
ou  des  sots  importants,  on  des  fous  imprudents  qui  auraient 
joué  au  jeu  insensé  de  s'appuyer  sur  Tennemi  «  dans  l'in- 
térêt des  libertés  publiques.  »  Le  roi  eut  honte,  eut  peur 
d'une  telle  situation.  Il  reprit  les  sceaux  au  vieux  Marillac, 
l'exila,  fit  arrêter  l'autre  Marillac  à  l'armée.  Mais  il  était 


48  JOURNÉE  DES  DOPES. 

encore  si  incertain,  qu'il  lui  fallut  du  temps  pour  se  déci- 
der à  donner  les  sceaux  à  Chàteauneuf,  un  homme  éner- 
gique  et  capable  que  lui  désignait  Richelieu.  11  s'assura  de 
Paris  et  de  la  police  du  Parlement  en  nommant  Lejay 
premier  président. 

Mais  comment  la  reine  mère  allait-elle  prendre  tout 
cela?  C'était  Tinquiétude  du  roi.  11  envoya  quelqu'un,  à 
deux  heures  de  nuit,  de  Versailles  à  Paris,  pour  réveiller 
le  père  Suffren,  au  noviciat  des  Jésuites,  et  le  prier  d'in- 
tervenir et  de  calmer  sa  mère. 

Cette  journée,  qu'on  appela  journée  des  dupes  (\  1  no- 
vembre 4630],  ne  fut  point  décisive  au  fond,  comme  on 
Ta  dit.  Richelieu  n'était  sûr  de  rien;  le  roi  restait  chagrin 
de  voir  que  lui  seul  eût  raison. 

Il  n'avait  pas  eu  assez  peur.  On  n'avait  pu,  sur  des  preu- 
ves certaines,  lui  faire  voir,  lire,  loucher  le  complot.  Heu- 
reusement pour  Richelieu,  en  surveillant  la  Lorraine,  le 
centre  ordinaire  des  intrigues,  il  saisit  sur  la  route  (décem- 
bre 4630)  un  médecin  du  roi,  Senelle,  chargé  et  surchargé 
de  lettres  pour  la  reine  Anne,  pour  la  Fargis  et  autres. 

Que  contenaient  ces  lettres?  On  ne  le  sait  pas  trop.  Dans 
le  procès  qu'on  fit,  on  n'ose  lever  qu'un  coin  du  voile.  On 
parle  de  complots  contre  la  vie  du  roi,  sans  en  alléguer 
d'autres  preuves  que  des  recherches  astrologiques  qu'on 
faisait  pour  savoir  l'époque  de  sa  mort.  Curiosité,  il  est 
vrai,  mauvaise  et  très-sinistre.  On  a  vu  que  les  pronostics 
de  la  mort  d'Henri  IV  y  avaient  très-réellement  contri- 
bué, encouragé  les  meurtriers,  qui  se  crurent  sûrs  de  le 
tuer  au  jour  prédit,  marqué  là-haut. 

Les  deux  reines  et  Monsieur  ne  souhaitaient  qu'une 
mort,  celle  de  Richelieu.  On  en  avait  souvent  parlé,  mais 
toujours  on  disait  que,  si  Monsieur  faisait  tuer  Richelieu, 
le  roi  le  ferait  mourir.  Cela  aurait  pu  arriver.  Louis  Xlll, 
malade,  comme  Charles  IX,  avait  sous  les  yeux  son  his- 
toire. Dès  son  enfance,  endoctriné  par  de  Luynes,  il  tenait 


VICTOIRB  DB  RICHELIED  SUR  LES  REINES  ET   MONSIEUR.      49 

de  lui  cette  opinion  que  Charles  IX  fut  empoisonné  par 
Catherine,  et  qu'il  n'eût  pas  péri  s'il  eût  fait  périr  son 
frère. 

Donc,  Monsieur  devait  y  songer,  attendre  encore.  La 
mort  de  Richelieu  exigeait  la  mort  préalable  du  roi,  qui, 
du  reste,  semblait  ne  devoir  tarder  ;  il  ne  se  rétablissait 
point.  Mais  les  valets  parfois  sont  plus  impatients  que  les 
maîtres;  il  se  pouvait  que  ceux  de  Monsieur  ou  des  reines 
perdissent  patience  et  donnassent  au  roi  malade  quelque 
suprême  médecine.  L'Ëglise  y  eût  gagné,  et  Tâme  aussi 
de  Louis  XIIL  Car  il  allait  se  perdre,  faire  le  grand  péché 
d'Henri  IV  qui  lui  coûta  la  vie,  Talliance  protestante.  On 
le  disait  partout  depuis  un  an  pour  irriter  les  catholiques, 
quoiqu'en  réalité  il  ne  traita  que  Tannée  suivante. 

Dans  la  riche  collection  de  lettres  qu'on  saisit»  parmi 
celles  qui  étaient  écrites  à  la  reine,  aux  grands  person- 
nages, il  y  en  avait  une  pour  une  vieille  bourgeoise,  de 
nom  fort  significatif,  mademoiselle  du  Tillet. 

Cette  vieille  était  un  vrai  bijou  du  Diable,  dont  elle  avait 
Tesprit.  Une  destinée  tout  à  rebours.  Pour  sa  laideur,  elle 
avait  été  adorée  du  duc  d'Ëpernon.  Et,  pour  sa  roture  de 
petite  bourgeoise,  elle  régnait  dans  la  maison  de  Guise, 
faisait  la  pluie  et  le  beau  temps.  Il  y  avait  quelque  chose 
là-dessous.  Elle  ne  bougeait  du  Luxembourg,  oii  la  reine 
mère  la  tVaitait  avec  grande  considération.  C'était  une 
sibylle,  une  espèce  d'oracle  ;  on  répétait  et  on  retenait  ses 
mots.  On  la  consultait  en  affaires,  comme  on  fait  des 
grands  hommes  qui,  en  leur  temps,  ont  accompli  des 
choses  ardues  et  hasardeuses.  Comment  s'en  étonner? 
Elle  passait  pour  avoir  été  dans  le  secret  de  Ravaillac. 

Mais  elle  était  très-fine,  et  cette  fois,  pas  plus  que 
l'autre,  on  ne  put  la  prendre.  Interrogée,  elle  plut  à  Ri- 
chelieu en  parlant  outrageusement  de  la  Fargis. 

La  découverte  des  lettres  mit  les  trois  cabales  en  dé- 
route et  en  division.  Chacun  sacrifia  les  deux  autres. 

XII.  4 


5«  JOattHSI  DES  DDPBS. 

MoDsieur  traita,  promit  d'âtre  l'ami  de  Richelieu,  qui 
acheta  ses  favoris.  11  promit  à  la  reine  de  parler  pour  elle, 
et  parla  plutôt  contre. 

La  reine  mère  traita  aussi  pour  sauver  bob  Yaultier. 
£lle  envoya  le  nonce  du  pape  à  Richelieu  lui  dire  qu'il  y 
avait  moyen  de  s'arranger.  Puis,  inquiète,  elle  lui  envoya 
encore  le  père  SufTren  pour  le  ^prier  de  venir,  et,  quand 
il  fut  venu,  très-douce,  elle  lui  dit  qu'elle  avait  réfléchi  ti 
qu'elle  sentait  bien  que  tes  afiiaires  du  roi  ne  pouvaient  se 
passer  de  luL  Elle  consentit  à  aller  au  c(Hiseil,  et  là,  di- 
sant bon  marché  de  la  Jeune  reine,  sa  belle-61le,  elle 
trouva  fort  bon  qu'on  punit  la  Fargis,  qui  ne  pouvait 
guère  l'être  sans  qu'Anne  en  demeurât  taobée. 

Mais  la  plus  embftrrassée  était  la  jeune  reine,  dont  la 
grossesse  apparaissait  Elle  ne  fit  pas  beaucoup  d'effort 
pour  la  Fargis;  eUe  pensa  à  elle-même,  et,  avec  la  fai- 
blesse d'une  femme  eu  cet  étal,  chargea  et  dénonça  sa 
grande  amie.  Elle  dit  cette  chose  ridicule,  trop  visible- 
ment improbable,  qu'elle  (la  reine  Anne)  avait  défendu  le 
e«-dinal,  refusé  de  ^  perdre,  et  que  cette  méchante  Fargis 
avait  forgé  les  lettres  pour  l'en  punir  et  la  perdre  elle- 
même. 

Richelieu,  absolument  maître  de  la  situation,  montra 
pour  la  reioe  une  grande  douceur.  11  craignit  de  déchirer 
le  rideau  de  gaze  légère  qui  couvrait  le  triste  intérieur  de 
la  famille  royale.  Il  craignit  de  rendre  ie  roi  ridicule.  Il 
craignit  peut-être  pour  Anne  elie-méme.  Car  cet  homme, 
qui  semblait  si  sec,  aimait  les  femmes  pourtant.  Il  croyait 
la  reine  fragile;  il  la  voyait  tombée  jusqu'à  l'avilissante 
faiblesse  d'accuser  son  amie.  Il  espéra  dans  cette  mollesse 
de  nature,  et  crut  qu'un  jour  ou  l'autre,  dans  quelque 
embarras  où  l'étourdie  se  jetterait  encore,  il  l'aurait  à 
discrétion. 

')onc,  il  se  contenta  d'éloigner  cette  Fargis.  Il  la  laissa 
ifuir,  ce  qui  rendait  le  procès  impossible.  Mais,  coatrs 


VICTOIRE  DE  RICHEUBU  SUR  LES  REINES  ET  MONSIEUR.       5i 

âon  attente,  la  Fargis  partie  (30  décembre  4630),  la  reine 
se  désola  et  s'emporta;  elle  montra  pour  la  perte  de  celle 
qu'elle  venait  d*accuser  un  inexplicable  désespoir.  Elle 
disait  tantôt  qu'elle  savait  qu'on  voulait  la  renvoyer  en 
Espagne,  tantôt  la  faire  mourir  pour  que  la  nièce  du  car- 
dinal pût  épouser  le  roi.  Elle  priait,  pleurait  aussi,  pour 
conserver  un  valet  d'intérieur  auquel  elle  tenait  d'une 
manière  étonnante,  son  apothicaire.  Elle  en  fit  une  affaire 
d'Ëtat.  De  couronne  à  couronne,  TEspagne  demanda  à  la 
France,  par  son  ambassadeur,  que  cet  indispensable  ser- 
viteur fût  rendu  à  la  reine.  On  le  lui  rendit  pour  deux 
mois,  et  avec  cette  clause,  qu'il  ne  la  verrait  qu'au  Louvre 
et  en  présence  d*une  dame  très-sûre. 

Son  embarras  tenait  à  l'éloignemcnt  de  sa  garde-malade 
et  de  l'homme  qui  pouvait  simplifier  son  état.  Il  devenait 
visible.  Richelieu,  malicieusement,  envoyait  voir  souvent 
comment  elle  se  portait.  Exaspérée,  elle  dit  :  «  Mais  qu'il 
vienne  lui-même  I...  U  sera  le  très-bienvenu  I  x> 

Cet  état  ne  l'empêchait  pas  de  s'agiter,  de  recevoir  des 
agents  de  Lorraine  ou  de  trotter  aux  Carmélites  pour  voir 
Mirabel  en  cachette,  ou  un  Anglais  papiste,. lord  Montaigu, 
agent  de  sa  belle-sœur  Henriette,  et  mêlé  dans  tous  les 
complots. 

Intrigues  misérables^  sans  résultat  possible.  L'Espagne 
n'avait  aucune  chance  de  soulever  le  peuple  en  ce  mo^ 
ment.  Le  seul  complot  qui  eût  pu  réussir,  c'était  de  pro- 
fiter de  la  passion  du  roi  pour  mademoiselle  de  Uautet'ort, 
de  le  faire  succomber,  et  par  elle  de  s'emparer  de  lui 
entièrement.  Innocente,  mais  dévouée,  passionnée  pour 
sa  maltresse,  cette  enfant  (de  seize  ans)  eût  donné  sa  vie 
pour  la  reine,  et  peut-être  un  peu  plus  encore.  L'intérêt  ^ 
de  l'Ëglise^  d'ailleurs,  eût  tout  couvert.  Quel  beau  texte 
pour  les  casuistes  !  une  douce  faiblesse  qui  empêchait  un 
crime  (l'alliance  protestante),  qui  chassait  Richelieu,  le 
démon  de  la  guerre,  qui  rendait  la  paix  à  l'Europe  et  ré- 


53  JOURNÉE  DES  DUPES. 

conciliait  la  grande  famille  chrétienne!...  Près  d'un  tel 
dévouement,  qu'était-ce  que  celui  de  Judith,  qui  ne  sauva 
que  Béthulie  ? 

La  jeune  victime  était  toute  leur  ressource  en  ce  nau- 
frage. Vaultier  le  dit  dès  Lyon.  Son  collègue,  le  pieux 
médecin  Bouvart,  à  Saint- Germain,  quand  la  reine  fut 
visiblement  grosse,  n'osa  plus  tarder,  mit  les  fers  au  feu. 
Il  se  jeta  un  jour  dans  un  long  discours  à  la  Sganarelle, 
que  le  roi  ne  pouvait  comprendre.  Le  sens  qu'il  démêla 
à  la  fin,  c'est  qu'il  n'était  malade  que  de  chasteté  (comme 
un  de  ses  aïeux  qui  en  mourut,  diton)  ;  mais  que  loi,  ce 
serait  grand  dommage  s'il  en  mourait.  Et,  comme  le  roi 
s'impatientait,  demandait  où  il  en  voulait  venir,  à  quel 
remède,  saignée,  médecine  ou  lavement...,  Bouvart,  em- 
barrassé, insinua  que  la  vraie  médecine,  c'était  made- 
moiselle de  Hautefort. 

Bouvart  était  un  sot.  Un  homme  que  lui-même  pur- 
geait, dit-on,  deux  cents  fois  dans  un  an,  était  bien  à  l'a- 
bri de  ces  basses  tentations.  Il  fut  scandalisé.  C'est  tout  ce 
qu'on  gagna. 

Cependant  les  choses  pressaient.  On  fit  un  essai  plus 
direct.  Le  fait  est  très-connu,  mais  de  date  incertaine.  Je 
n'hésite  pas  à  le  placer  au  moment  où  la  reine,  dans  une 
situation  urgente,  eut  besoin  d'emporter  la  chose. 

Un  jour,  en  souriant,  mademoiselle  de  Hautefort  tenait, 
laissait  voir  un  petit  billet.  Voilà  le  roi  curieux.  Il  veut  sa* 
voir  ce  que  c'est.  En  badinant  toujours,  elle  recule,  et  le 
roi  avance,  curieux  et  intrigué  de  plus  en  plus.  Il  la  prie 
de  le  laisser  lire,  avance  la  main  pour  le  prendre.  Elle  le 
cache  dans  son  sein.  Le  roi  est  arrêté  tout  court  et  ne  sait 
plus  que  faire.  Cela  se  passait  devant  la  reine.  Elle  fit  une 
chose  hardie^  et  qui  pouvait  avoir  de  grandes  consé- 
quences. Elle  prit  les  mains  de  la  jeune  fille,  et  la  tint  pour 
que  le  roi  pût  la  fouiller. 

Mais  Louis  XIII  fut  plus  embarrassé  encore.  Il  recourut 


TICTOIRB  DE  RICHELIEU  SUR  LES  REINES  ET  MONSIEUR.       53 

à  Texpédient  (ridicule,  excellent)  de  prendre  de  petites 
pinces  d'argent  qui  étaient  là,  et,  chastement,  de  ce  lieu 
délicat,  sans  contact,  enleva  la  lettre. 

Que  serait'il  arrivé  si  les  choses  s'étaient  passées  au- 
trement? On  rira  si  Ton  veut,  oh  se  moquera  de  ceux  qui 
donnent  aux  petites  causes  une  grande  portée.  Il  n'y  a  rien 
de  petit  au  gouvernement  monarchique. 

Si  les  pincettes  ne  s'étaient  trouvées  là,  si  Louis  XIII 
n'eût  pas  été  homme  à  les  prendre,  il  serait  arrivé  que  le 
roi  eût  senti  la  débonnaireté  de  la  reine,  goûté  sa  com- 
plaisance, compris  ce  que  dit  madame  de  Motteville  : 
«  Que  la  reine  désirait  qu'il  aimât  mademoiselle  de  Haute- 
fort.  »  Enfin  sa  conscience  dévote  eût  cédé  étouffée  par 
cette  connivence  de  la  personne  intéressée. 

Mademoiselle  de  Hautefort  ne  se  fût  pas  sacrifiée  pour 
n'en  retirer  rien.  Aussi  ardente  et  résolue  qu'elle  avait  été 
▼ertueuse,  le  pas  fait,  elle  aurait  mené  bien  loin  le  roi 
dans  le  sens  de  la  reine.  Victoire  complète  de  l'Espagne  et 
du  pape.  Chute  et  procès  de  Richelieu.  Nulle  alliance  avec 
Gustave  -  Adolphe. 

Hais  Louis  XIII  ne  fut  pas  assez  inintelligent  pour  ne 
pas  comprendre.  Il  méprisa  ceux  qui  l'entouraient,  et  se 
donna  solidement  et  fortement  à  Richelieu. 

Celui-ci,  qui  connaissait  mieux  son  homme  et  son  ma- 
lade, en  contraste  avec  l'impuissante  corruption  de  la 
cour,  réussit  par  l'austérité.  Le  roi  aimait  le  capucin  Jo- 
seph. Richelieu,  non-seulement  rappela  Joseph,  mais  lui 
organisa  un  ministère  de  capucins.  Joseph  eut  quatre 
principaux  secrétaires  de  son  ordre,  un  état  de  maison, 
des  chevaux,  des  voitures,  des  logements  aux  résidences 
de  la  cour.  Mais  rien  ne  fit  meilleur  effet  auprès  du  roi  que 
de  voir  le  ministère  peuplé  de  ces  robes  grises.  Rien  n'af- 
fermit mieux  sa  conscience  et  dans  ses  sévérités  pour  sa 
mère,  et  dans  ses  résistances  au  pape,  dans  l'alliance  avec 
Gustave.  Il  crut  que  beaucoup  de  choses  étaient  per- 


54  JOURNÉE  DBS  DUPBS. 

mises  à  un  roi  qui  faisait  aller  les  capucins  eu  earrosse. 

Du  reste,  Richelieu,  qui  connaissait  Joseph  et  Tavait  ex- 
périmenté le  premier  fourbe  de  la  terre,  tout  eu  le  gran- 
dissant ainsi,  le  mit  parfaitement  dans  sa  main.  Il  dit  ai- 
mer tant  ce  cher  frère,  qu'il  ne  le  logerait  qu'avec  lui.  Lui 
et  ses  capucins,  ses  employés,  son  petit  ministère,  tout 
fut  établi  chez  le  cardinal,  au  même  étage,  dans  son  ap* 
parlement  et  sous  ses. yeux,  de  sorte  qu'il  put  toujours  lui- 
même  espionner  ce  chef  des  espions. 

Le  tenant  de  si  près,  il  l'employa  à  dire  au  roi  certaines 
choses  difficiles,  à  ouvrir  certains  avis  violents,  se  réser- 
vant pour  lui  des  dehors  de  modération.  Le  capucin,  né 
homme  d'épée,  passait  pour  en  garder  Tesprit,  et  on  ei 
faisait  cent  histoires  plaisantes.  On  disait,  par  exemple, 
€|tt'un  jour,  disant  sa  messe,  il  reçut  un  ofiicier  qui  venait 
prendre  un  ordre  pressé  pour  une  surprise  de  place  : 
«  Mais^  s'ils  font  résistance  ?  »  dit  l'officier.  «  Alors  tuez 
tout,  »  dit  le  bon  père^  et  il  reprit  sa  messe  inter- 
fompue. 

Richelieu  ne  pouvait,  sans  une  mauvaise  couleur  d'in- 
gratitude, parler  contre  son  ancienne  protectrice,  la 
reine  mère.  Peut-être  fit- il  parler  Joseph,  et  par  lui 
enleva  la  grande  njesure  de  la  séparation  de  la  mère  et 
du  fils. 

Monsieur,  le  B1  janvier,  ayant  repris  la  guerre  par  une 
sortie  furieuse  et  une  bravade  qu'il  vint  faire  chez  le  car- 
dinal, on  acheva  de  persuader  au  roi,  excédé  de  ces  orages, 
qu'avec  sa  mère  et  son  frère  il  n'aurait  jamais  de  repos.  U 
alla  à  Compiègne  avec  toute  la  cour,  mais  partit,  y  laissa 
sa  mère  sous  la  garde  de  M.  d'Ëstrées,  lui  faisant  dire 
qu'il  la  priait  d'aller  à  Moulins,  d'y  rester.  On  lui  enleva 
Yaultier,  pour  le  lui  rendre,  disait- on,  dès  qu'elle  aérait  à 
Moulins. 

Le  lendemain  (25  février  4634),  on  mit  son  fidèle  Bas- 
sompierre  à  la  Bastille.  La  sœur  de  Guise,  princesse  de 


VICTOIRE  DE  RICHELIEU  SUR  LES'  BniTES  ET  MONSIEUR.       SS 

Conti,  fui  exilée  avec  trois  duchesses,  dont  deux  étaient 
aussi  de  la  (naison  de  Guise. 

Monsieur  s'enfuit  en  Franche-Comté,  sur  terre  espa^ 
gnole,  le  4  4  mars,  avec  le  secours  de  sa  mère,  qui  lui  re- 
mit les  pierreries  de  sa  défunte  femme.  £lle-méme^  lais- 
sée sans  gardes  à  Compiègne,  sur  je  ne  sais  quel  avis  qu'on 
lui  donna,  s'enfuit  aux  Pays-Bas  (18  juillet  1631).  C'est  ce 
que  voulait  Richelieu. 

Trois  gouverneurs  de  provinces,  Guise,  Elbeuf  et  Belle- 
garde,  avaient  quitté  la  France. 'On  les  fit  condamner  à 
mort  par  le  parlement  de  Dijon,  ainsi  que  la  Fargis,  et 
Senelle  aux  galères.  Le  roi  lui-même  avait  été  à  Dijon 
pour  assurer  la  Bourgogne,  gouvernement  du  fugitif 
Bellegai'de. 

Le  roi  lit  ce  voyage  en  mars,  et  partit  de  Dijon  le  2  avril, 
pour  revenir.  Ce  fut  en  mars  que  la  reine  avorta. 

Richelieu  avait  eu  la  complaisance  de  laisser  revenir 
près  d'elle  la  Chevreuse,  qui  promettait  de  le  servir  désor- 
mais. Monsieur  en  plaisanta.  Il  dit  dans  son  exil  «  qu'on 
avait  fait  revenir  la  Chevreuse  pour  donner  plus  de  moyens 
à  la  reine  de  faire  un  enfant.  »  {Journal  de  RiclielieUy  Arch. 
cur,,  t.  V,  p.  71.) 

On  lit  dans  le  môme  journal,  p.  41 ,  cette  note  curieuse  : 

«  Madame  Bellier  a  dit  au  sieur  Cardinal,  en  grandissime 
secret,  comme  la  reine  avoit  été  grosse  dernièrement, 
qu'elle  s'étoit  blessée,  que  la  cause  de  cet  accident  étoit  un 
emplâtre  qu'on  lui  avoit  donné,  pensant  faire  bien.  De- 
puis, Patrocle  (écuyer  de  la  reine)  m'en  a  dit  autant,  et  le 
médecin  ensuite.  » 

Le  roi  ignora-t-il  cette  grossesse?  Et  Richelieu  fut-il 
tellement  magnanime  pour  sa  belle  ennemie,  jusqu'à  la 
couvrir  de  son  silence?  Je  ne  l'imagine  pas. 

Je  crois  plutôt  qu'il  laissa  ce  triste  secret  arriver  au  roi« 
pensant  ne  pouvoir  s'afiTerniir  sur  une  meilleure  base  que 
sur  le  mépris  de  la  reine. 


56  JODRNÉB  DBS  DDPES. 

Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'Anne  d'Autriche  avorta  en  mars, 
et  que  Richelieu,  définitivement  vainqueur  et  maître,  osa, 
au  mois  d'avril,  clore  et  signer  son  traité  avec  Gustave, 
dressé  dès  le  mois  de  janvier. 


CHAPITRE  VI 


GasUTe-Adolphe.  1631. 


Voilà  quatre-vingts  pages  pour  le  récit  de  trois  années. 
Et  qu'ai-je  raconté?  Rien  du  tout. 

Ce  rien  est  quelque  chose.  Car  c'est  le  fond  du  temps. 
La  grandeur  de  l'effort,  le  sérieux  des  tentatives,  la  com- 
plexité des  combinaisons,  l'ostentation  savante  d'une 
grosse  machine  politique  et  diplomatique,  entravée  par  la 
moindre  chose,  qu'il  faut  raccommoder  sans  cesse,  et  qui 
crie,  gémit,  grince  pour  donner  un  minime  effet,  voilà  ce 
qu'on  a  vu.  Les  infortunés  machinistes,  Sully  et  Richelieu, 
par  une  force  très-grande  de  sagesse  et  de  volonté,  attei- 
gnent de  petits  résultats  éphémères. 

Que  reste-t-il  de  Sully,  à  cette  époque,  des  bonnes  vo- 
lontés d'Henri  IV?  Et  ce  retour  que  Richelieu  en  4626 
comptait  faire  aux  économies  de  Sully,  cet  espoir  de  ré- 
forme, que  sont-ils  devenus?  Louis  XII  et  François  I«' 
conquirent  la  Lombardie  avec  moins  de  labeur  que  Riche- 
lieu ces  deux  petites  places  de  Pignerol  et  de  Saluées  qu'il 
nous  fait  tant  valoir.  Le  résultat  unique  et  réel  qu'on  ait 
obtenu,  c'est  l'amortissement  définitif  d'une  grande  force 
vive  par  où  jadis  la  France  fut  terrible  à  l'Espagne  ;  je 
parle  du  parti  protestant,  de  la  marine  protestante. 


58  GUSTAVE-ADOLPHE. 

Du  reste,  l'impuissance  est  le  trait  marqué  de  l'époque. 
Chacun  sent  nettement  que  quelque  chose  meurt,  et  on  ne 
sent  pas  ce  qui  vient. 

Les  vigoureux  génies  qui,  dans  ce  siècle,  ont  un  moment 
prolongé  Tautre,  Shakspeare  et  Cervantes,  ont  une  intui- 
tion fort  nette  de  ces  pensées  de  mort.  Us  jouent  avec  la 
leur  et  ne  regrettent  rien. 

«  Pleurez-moi  seulement  ce  moment  où  la  cloche  tin- 
tera pour  dire  que  je  vais  loger  avec  les  vers. .  •  Oubliez- 
moi,  et  ne  répétez  point  ce  pauvre  nom  de  Shakspeare.  i 

L'Espagnol  est  plus  triste,  car  il  s'obstine  à  rire.  Après 
une  histoire  fort  plaisante  :  «  Je  sens  bien  à  mon  pouls 
que  dimanche  il  ne  battra  plus.  Adieu,  gaieté!  adieu,  plai- 
santerie! Adieu,  amis!  A  l'autre  monde!  » 

C'est  la  fantaisie,  direz-v^us,  qui  part  avec  Shakspeare 
et  Cervantes.  Une  sérieuse  renaisBafice  v«- commencer,  de 
prose  et  de  boa  sens.  Voici  venir  les  gens  de  Port-Rayal, 
l'austérité  du  jansénisme,  des  efforts  méritoires  pour 
mettre  la  raison  dans  la  foi.  Il  est  curieux  de  voir  pour- 
tant comment  les  fondateurs  eux-mêmes  jugmîcnt  de  k 
situation.  Jansénius  et  Saint-Cyran,  jeunes  en  4613,  à 
l'occasion  de  Gauffridi,  prince  tûs  magiciens  (V.  le  volume 
précédent),  concluaient  que  le  temps  de  l' An tichnst était 
venu,  le  dernier  temps  du  monde.  Vers  4653,  Saiat-Gy- 
ran,  au  principe  môme  de  la  réforme  de  Port-Hoyâi, 
montre  infiniment  peu  d'espoir.  Il  dit  en  propres  termes  à 
Angélique  Arnauld  :  «  11  se  fera  une  réfonottion  daas 
l'JKglise...  Elle  aura  de  l'éclat  et  éblouira.  Mais  ce  sea.  un 
éclat  qui  ne  durera  pas  longtemps  et  qui  passera.  » 

En  résumé,  ce  siècle  même,  à  sa  bonne  époque^  daos 
ses  vigoureux  commencements  jusqu'à  Pascal,  manqueda 
haut  et  fécond  caractère  qui  marqua  le  xh*  siècle  à  son 
aurore.  Je  parle  de  V espoir^  du  signe  décisif  où  le  héros  se 
reconnaît,  la  jeie. 

J'en  ai  parlé  fortement  pour  Luther,  qui^  parai  se»tem- 


gustàyie-adolphe.  89 

pétes,  offire  pourtant  ce  signe,  la  grande  joie  révolution- 
naire, destructive  et  féconde,  et  la  charmante  joie  des 
enfants. 

J*en  ai  parlé  pour  le  sublime  fou  de  la  Renaissance, 
l*engendreur  du  Ckirgantua,  qu'on  range  avec  les  fantai- 
sistes, et  qui,  tout  au  contraire,  eut  la  conception  pre- 
mière du  monde  positif,  du  monde  vrai  de  la  Foi  profonde^ 
identique  à  la  science. 

Je  ne  vois  au  xvn*  siècle  que  deux  hommes  gais,  Galilée 
et  Gustave-Adolphe. 

Galileo  Galilei,  fils  du  musicien  qui  trouva  Topera,  et 
musicien  lui-même,  élève  des  grands  anatomistes  de  Pa- 
done,  qui  lui  apprirent  à  fond  le  mépris  de  l'autorité, 
professait  les  mathématiques.  En  littérature,  son  livre, 
c'était  r Arioste  ;  il  laissait  là  le  Tasse  et  les  pleureurs. 

Deux  choses  un  matin  lui  tombent  dans  les  mains,  un 
gros  livre  d*Allemagne  et  un  joujou  de  Hollande.  Le  livre, 
c'était  VAstronomia  nova  de  Keppler  (4609),  et  le  joujou, 
c'était  un  essai  amusant  pour  grossir  les  objets  avec  un 
verre  double. 

Keppler  avait  trouvé  les  mouvements  des  planètes, 
affermi  Copernic  et  pressenti  Nei^ton .  Galilée,  au  moyen 
de  l'instpument  nouveau  qu'il  organise,  suit  la  voix  de 
Keppler,  et,  derrière  ses  planètes,  il  voit  la  profondeur  des 
cieiix(1610). 

Foudroyé  et  ravi,  saisi  d'un  rire  divin,  il  communique 
au  monde  la  joie  de  sa  découverte.  11  en  fait  un  journal  : 
Messager  des  éunks. 

Puis  les  célèbres  dialogues.  Nulle  pompe,  nulle  em- 
phase; la  grftce  de  Voltaire  et  le  style  le  plus  enjoué. 

Voilà  la  vraie  grandeur. 

Nous  la  trouvons  la  même  dans  le  mattre  de  l'art  mili- 
taire, Gustave- Adolphe,  créateur  de  la  guerre  moderne. 
Si  Ton  veut  eroire  ce  qu'il  disait,  qu'il  Tapprit  d'un  Fran- 
çais, il  testera  du  moins  le  héros  qui  la  démontra. 


60  GUSTAVE-ADOLPHE. 

Vrai  héros  et  grand  cœur,  dont  ses  ennemis,  terrassés, 
ne  bénirent  pas  moins  la  douceur  et  l'inaltérable  clé- 
mence. 

Ce  qui  étonnait  le  plus  en  lui,  c'était  surtout  son  éton- 
nante sérénité,  son  sourire  en  pleine  bataille.  La  omcep- 
tion  du  bon  Pantagruel,  du  géant  qui  voit  de  haut  les 
choses  humaines,  semblait  s'être  réalisée  dans  ce  véritable 
guerrier.  U  n'eut  ni  le  génie  morose  de  notre  Coligny,  ni 
le  froid  sérieux  du  Taciturne,  ni  Tàpreté  farouche  du 
prince  Maurice.  Tout  au  contraire,  une  humeur  gaie,  des 
traits  de  bonhomie  héroïque. 

Cet  enjouement  de  Galilée  et  de  Gustave-Adolphe,  des 
deux  hommes  vraiment  supérieurs,  est  un  trait  fort  spé« 
cial,  fort  étranger  au  temps,  et  qui  n'y  a  nulle  influence. 
Le  temps  est  sec,  et  triste,  sombre. 

Gustave  n'apparut  que  pour  un  jour,  pour  montrer  une 
science  nouvelle,  vaincre,  périr.  Galilée,  pendant  très- 
longtemps,  influa  peu;  vingt  ans  après  sa  découverte,  le 
jeune  Descartes,  qui  va  en  Italie,  ne  le  visite  point  et 
semble  ignorer  qu'il  existe.  La  révolution  de  Luther,  en 
l'autre  siècle,  a  couru  en  un  mois  par  toute  l'Europe,  et 
jusqu'en  Orient  Celle  de  Galilée  est  négligée  vingt  ou 
trente  ans,  comme  serait  un  badinage  astrologique.  Per^ 
sonne  n'en  sent  l'énorme  portée,  morale  et  religieuse. 

Avant  de  faire  connaître  la  révolution  militaire  qu'opéra 
Gustave- Adolphe,  il  n'est  pas  mal  de  le  montrer  lui-même. 

C'était  un  homme  de  taille  très-haute  (quelques-uns 
disent  le  plus  grand  de  l'Europe).  Très-large  front.  Nez 
d'aigle.  Des  yeux  gris  clair  (assez  petits,  si  j'en  crois  les 
gravures),  mais  pénétrants.  U  avait  pourtant  la  vue  basse, 
et  il  eut  de  bonne  heure,  étant  Allemand  par  sa  mère, 
beaucoup  d'embonpoint.  Sa  grande  force  d'âme  et  de 
corps,  sa  paix  profonde  dans  le  péril  où  il  passait  sa  vie, 
et  l'absence  absolue  de  trouble,  n'avaient  pas  peu  contri- 
bué à  le  faire  gras.  Cela  le  gênait  un  peu  ;  on  ne  trouvait 


GDSTàYB- ADOLPHE.  6( 

guère  de  chevaux  assez  forts  de  reins  pour  le  porter.  Mais 
cela  le  servait  aussi.  Une  balle,  qui  eût  tué  un  homme 
maigre,  se  logea  dans  sa  graisse. 

11  était  fort  sanguin,  et  il  avait  parfois  de  petits  mo- 
ments de  colère,  fort  courts,  après  lesquels  il  se  mettait  à 
rire.  Il  s'avançait  aussi  trop  en  bataille,  comme  un  soldat. 
Sans  ces  défauts,  les  seuls  qu'on  lui  reproche,  on  aurait 
pu  le  croire  plus  haut  que  la  nature  humaine. 

Il  était  étonnamment  juste,  et  trouvait  bon  que  ses  tri- 
bunaux suédois  le  condamnassent  en  ses  affaires  privées. 
Il  apparut  dans  cette  horrible  guerre  de  Trente  ans ,  où 
il  n'y  avait  plus  ni  loi  ni  Dieu,  comme  un  divin  vengeur, 
un  juge,  la  Justice  elle-même. 

L'approche  seule  de  son  camp,  irréprochablement 
austère,  était  une  révolution.  Un  de  ses  hommes,  qui  ve- 
nait de  prendre  les  vaches  d'un  paysan,  sent  une  main 
pesante  qui  pose  sur  son  épaule.  Se  retournant,  il  recon- 
naît le  bon  géant  Gustave,  qui  lui  adresse  avec  douceur 
ces  fortes  paroles  :  «  Mon  (ils,  mon  fils,  il  te  faut  t'aller 
faire  juger.  »  Ce  qui  voulait  dire  :  Te  faire  pendre. 

Il  était  le  représentant  du  principe  opprimé,  le  protes- 
tantisme, celui  de  la  liberté  de  l'Europe.  Car  son  père  ne 
fut  roi  de  Suède  que  par  la  ruine  du  catholique  Jean.  II 
fut  le  roi  de  la  défense  nationale  contre  la  Pologne  et  les 
Jésuites.  Son  père  le  désignait,  enfant,  comme  le  vengeur 
de  cette  cause.  «  Je  n'achèverai  pas,  disait-il;  ce  sera 
celui-ci.  >  L'Allemagne  le  comprit  ainsi.  Et,  quand  il  eut 
vingt  ans  (16U),  les  grandes  villes  impériales,  si  éclairées, 
Strasbourg,  Nuremberg,  Uim,  voulaient  déjà  le  nommer 
leur  défenseur  contre  la  maison  d'Autriche.  Le  landgrave 
de  Hesse  l'appelait  aussi. 

Il  avait  eu  une  éducation  trcs-forte.  11  écrivait  et  par- 
lait l'allemand  et  le  hollandais,  le  latin,  l'italien  et  le  fran- 
çais. Il  entendait  le  polonais  et  le  russe.  Mais  ce  qui  était 
plus  Important,  c'est  que,  dans  la  trêve  de  douze  ans 


62  GUSTÀYA-ÀDeLPfiB. 

entre  la  Hollande  et  l'Espagne,  nombre  d*ofiiciers  de  toale 
nation  qui  vinrent  servir  en  Suède  lui  apprirent  à  fond 
toute  cette  savante  guerre  de  Hollande.  Situation  très- fa- 
vorable. 11  se  trouva,  en  réaiilé,  le  successeur  du  prince 
Maurice. 

C'était  la  guerre  des  sièges,  des  canaux,  des  marais. 
Mais,  pour  la  stratégie  proprement  dite,  la  guerre  des 
grandes  manœuvres  en  plaine,  le  mattre  était  en  Suède. 
Pontus  de  la  Gardie  (de  Garcassonne)  l'avait  entrevue,  et 
son  fils  Jacques  la  trouva  tout  entière,  la  réalisa,  l'ensei- 
gna à  Gustave. 

Né  en  4585,  Jacques  avait  dix  ans  de  plus  que  lui.  La 
nécessité  de  faire  face  avec  une  petite  infanterie  à  l'im- 
mense cavalerie  polonaise  et  aux  profondes  masses  russes 
le  força  d'avoir  du  génie  et  d'inventer.  11  pénétra  jusqu'à 
Moscou.  Et  ce  qui  prouve  que  l'homme  en  lui  fut  aussi 
grand  que  Thonime  de  guerre,  c'est  que  les  Russes,  battus 
par  lui,  eussent  voulu  le  canoniser. 

La  Suède  parut  quelque  temps  irrésistible.  Elle  reprit 
Calmar  sur  le  Danemark.  Elle  conquit  la  Finlande,  imposa 
la  paix  à  la  Russie.  Elle  conquit  la  Courlande,  la  Livonie, 
la  Prusse  polonaise,  imposa  la  paix  à  la  Pologne. 

En  Pologne  déjà,  Gustave  se  trouva  en  face  des  impé- 
riaux, venus  comme  alliés.  Il  allait  les  retrouver  en  Alle- 
magne, sur  la  côte  du  Nord,  pour  l'empêcher  d'accom- 
plir, ce  qui  semblait  le  mouvement  naturel  de  sa  conquête, 
le  tour  de  la  Baltique. 

Ce  n'était  pas  une  querelle  accidentelle,,  mais  natu- 
relle, essentielle  et  fondamentale.  La  Baltique,  visiblement, 
allait  appartenir  à  quelqu'un;  à  Gustave?  à  Waldstein? 
Celui-ci  assiégeait  Stralsund,  et  Gustave  la  lui  fît  manquer 
(1628). 

Dès  4625,  la  Suède,  sous  Jacques  la  Gardie  et  Gustave, 
avait  planté  le  drapeau  de  la  réforme  militaire,  foit  hardi- 
ment (elle  si  pauvre  !)  son  plan  pour  une  armée  de  quatre- 


GUSTAYS-ÀBOLPHiB.  63 

vingt  mille  hooimes.  Et  quelle  prime  offrait-dlel  Un  code 
d'une  sévérité  extraordinaire.  De  plus^  elle  supprimait 
presque  les  armes  défensives. 

Un  Français  avait  trouvé  un  principe  de  guerre  opposé 
aux  trois  guerres  d'alors.  On  peut  le  formuler  ainsi  :  que 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  fort,  ce  n'était  pas  l'élan  des  Turcs, 
la  tempête  de  cavalerie,  ce  n'était  pas  la  pesanteur  des 
cuirassiers  impériaux,  ni  même  les  murs  et  les  savantes 
fortifications  de  la  Hollande,  —  mais  bien  les  murs  hu- 
mains, le  ferme  fantassin  en  plaine  et  la  poitrine  de 
l'honune. 

£t,  bien  loin  de  faire  des  carrés  épais  comme  ceux  des 
Espagnols,  des  Janissaires,  des  rangs  serrés  contre  les 
ran^  qui,  une  fois  rompus,  s'embrouillaient  de  plus  en 
plus»  il  mit  ses  hommes  en  files  simples,  et  du  vide  der- 
rière, disant  :  a  Si  la  cavalerie  vous  rompt^  laissez  passer, 
et  reformez-vous  à  deux  pas.  » 

Cette  confiance  extraordinaire  à  la  force  morale  eut  son 
effet.  Et  cette  belle  tactique  suédoise  tenta  les  braves  au 
point  que  beaucoup  quittaient  des  services  lucratifs,  et  la 
Hollande  même,  pour  venir  prendre  part  à  la  guerre  hasar- 
deuse où,  pour  rempart,  on  n'avait  que  le  cceur. 

Ainsi  apparut  dans  la  guerre  le  vrai  génie  moderne  qui 
méprise  les  sens  et  la  platitude  du  sens  commun,  qu'on 
appelle  souvent  le  bon  sens,  et  qui,  le  plus  souvent,  est  la 
routine.  Les  sens,  le  sens  commun,  avaient  dit  que  le  ciel 
était  une  voûte  de  cristal  à  clous  d'or.  Galilée  n'en  crut 
rien,  y  vit  et  y  montra  un  abîme  infini.  Les  mêmes  sens 
^disaient  que  le  plus  sûr  en  guerre  était  de  se  mettre  der- 
rière des  cuirasses  et  des  murs.  Gustave  n'en  crut  rien,  et 
il  crut,  d'après  la  Gardie,  que  le  vrai  mur,  c'est  l'homme 
ferme,  et  que  cette  fermeté  mobile,  dégagée  des  armures 
de  Knaçon  sous  lesquelles  on  traînait,  est  le  secret  de  la 

victoire. 

Dans  ces  hardis  joueurs  qui  venaient  à  cette  noble  lote- 


64  gustàvb-adolphe. 

rie,  on  voyait  un  bon  nombre  de  nos  Français  réfugiés  de 
Hollande.  L'armée  suédoise  était  surtout,  avant  tout,  Tar^ 
mée  protestante.  L'alliance  française,  qui  eût  été  désirable 
à  Gustave  en  4627,  quand  Richelieu  faisait  la  guerre  au 
pape  en  Yalteline,  lui  fut  extrêmement  antipathique  en 
4629,  quand  Richelieu,  vainqueur  de  la  Rochelle,  appelé 
par  le  pape  en  Italie,  était  chanté  et  célébré  par  tout  le 
parti  catholique.  Et,  d'autre  part,  le  ministre,  qui  alors 
comptait  sur  Rome,  et  déjà  se  croyait  légat,  n'eût  eu  garde 
de  tout  gâter  par  une  telle  alliance.  11  tenait  cependant 
près  de  Gustave  un  militaire  distingué,  Charnacé,  qui  né- 
gociait, semblait  vouloir  traiter,  se  mêlait  fort  des  affaires 
de  Gustave  (de  sa  trêve  avec  la  Pologne).  Ce  qu'il  voulait 
surtout,  c'était  d'inquiéter  l'Empereur,  de  i*etenir  Wald- 
stein  au  Nord,  tandis  que  le  duc  de  Lorraine  et  Monsieur 
l'appelaient  en  France. 

Une  alliance  que  préférait  Gustave  était  celle  de  Betlem 
Gabor,  son  beau-frère,  le  chef  des  Marches  turques,  qui 
tenait  l'Empereur  par  derrière.  Mais  il  mourut  en  no- 
vembre 4629.  Gustave  eût  volontiers  pris  des  subsides  du 
roi  d'Angleterre,  directement  intéressé  aux  affaires  d'Alle- 
magne pour  la  spoliation  de  son  parent  le  Palatin.  Mais 
Charles,  en  lutte  avec  sa  nation,  et  sous  l'influence  de  sa 
femme  Henriette,  n'était  nullement  ennemi  de  la  maison 
d'Autriche.  Gustave  ne  l'ignorait  pas;  il  jugeait  déjà 
Charles  comme  aurait  fait  Cromwell,  et  voyait  dans  son 
employé  Yane  un  traître,  un  agent  de  Madrid. 

Quant  au  Danois,  la  terreur  de  sa  défaite  l'avait  mis  si 
bas,  que,  pour  se  sauver  seul,  il  sacrifiait  tous  ses  alUés' 
protestants.  Bien  plus,  il  entrait  (en  dessous)  dans  un 
honteux  traité  avec  l'aventurier,  le  grand  marchand  de 
meurtres,  Waldstein,  et  il  allait  mêler  le  sang  de  cet 
homme  au  sang  royal  en  épousant  sa  fille,  riche  des  pleurs 
de  l'Allemagne  1 

Donc,  Gustave  était  seul. 


gustàvi-adolphe.  65 

Richelieu  ne  vint  sérieusement  à  lui  que  fort  tard,  le 
i4  décembre  4629.  Ayant  alors  vaincu  la  cour  par  la  dé* 
couverte  des  lettres  qui  dévoilaient  les  trois  cabales,  à  cette 
époque  aussi  décidément  désabusé  du  pape,  il  offrait  de 
l'argent  à  Gustave  pour  qu  il  passât  en  Allemagne.  A 
quelles  conditions?  En  promettant  de  respecter  l'usurpa- 
tion que  la  Bavière  avait  faite  du  Palatinat.  Or  c'était  le 
point  grave  dans  les  affaires  de  TAUemagne.  L'électorat 
du  Palatin,  transmis  à  la  catholique  Bavière,  était  le  signe 
suprême  de  la  victoire  des  catholiques.  En  respectant  cela, 
quoi  qu'on  f!t,  on  ne  faisait  rien.  Richelieu  n'appelait 
Gustave  en  Allemagne  qu'en  l'entravant,  voulant  qu'il 
s'abdiquât  et  s'énervât  d'avance. 

Et  cela  pour  trois  cent  mille  francs  I...  Richelieu  offrait 
cette  somme  pour  chaque  année.  Mais  y  aurait -il  plusieurs 
années?  La  première,  dans  une  si  grande  et  si  terrible 
lutte,  ne  seraitr-elle  pas  la  victoire  ou  la  mort? 

La  question  fut  décidée  par  le  sénat  de  Suède,  indé- 
pendamment de  la  France.  Le  chancelier  Oxenstiern  était 
contre  le  passage.  Le  roi  et  le  sénat  furent  pour  :  l*"  parce 
qu'on  avait  déjà  un  pied  en  Allemagne,  Stralsund,  qu'on 
avait  défendu  contre  Waldstein  et  qu'on  voulait  garder  ; 
2®  pour  garder  (chose  grave  pour  un  pays  pauvre  comme 
la  Suède)  le  gros  revenu  de  la  douane  de  Dantzig  qu'on 
venait  d'acquérir;  3<>  pour  garder  surtout  la  Baltique. 
Waldstein  s'y  établissait  décidément,  comme  maître  du 
Mecklembourg.  Il  s'intitulait  follement  propriétaire  des 
mers  du  Nord.  Mais  l'Espagne,  mais  la  Hollande,  avec 
leurs  grandes  flottes,  ne  l'auraient  pas  laissé  paisible.  Elles 
seraient  venues  se  battre  dans  la  Baltique,  s'y  faire  des 
établissements.  Et  le  Suédois  n'eût  plus  été  chez  lui. 

Donc»  on  résolut  le  passage.  Le  20  mai  1630,  Gustave 
apporta  aux  États  de  Suède  son  unique  enfant  dans  ses 
bras  (la  petite  Christine),  la  leur  remit,  leur  fit  ses  adieux, 
et  il  chanta  son  psaume  (le  quatre-vingt-dixième)  :  «  Ras- 

XII.  5 


66  GUSTAVl-àDOtPHS. 

sasie-nous,  le  matin,  de  ta  Grâce...  Nous  serons  joyeax 
tout  le  jour  !  » 

Le  i4  juin,  il  débarqua  en  Allemagne,  près  de  nie 
Rngen,  avec  quinze  mille  hommes.  Il  écrivit  ses  griefs  à 
l'Empereur,  rappelait  sans  souci  de  l'étiquette,  dans  sa 
bonhomie  de  soldat  :  «  Notre  ami  et  cher  oncle.  »  A  quoi 
Ferdinand,  exaspéré,  ne  répondit  pas  moins  avec  une 
douceur  jésuitique  «  qu'ail  ne  se  rappelait  pas  avoir  fiiit  de 
la  peine  au  roi  de  Suède.  » 

Celui-ci,  en  touchant  ce  rivage  désolé  de  l'Allemagne, 
fut  bien  surpris  de  voir  que  ce  peuple,  qui  l'appelait  de- 
puis si  longtemps,  qui  semblait  vouloir  l'appuyer,  le  nour- 
rir, «  qui  lui  aurait  donné  son  cœur  même  à  manger,  *  ne 
bougea  plus,  se  recula  plutôt  de  lui  avec  terreur.  Tant  la 
tyrannie  exécrable  de  Waldstein  les  avait  brisés.  Le  Po- 
méranien,  obligé  de  recevoir  Grustave  à  Stettin  et  ne  pou- 
vant lui  résister,  en  fît  à  Vienne  les  plus  basses  excuses. 
Les  électeurs  de  Saxe,  de  Brandebourg,  en  qui  il  espérait, 
ne  lui  envoyèrent  personne.  Ils  envoyèrent  à  l'Empereur, 
à  sa  diète  de  Ratisbonne.  Bref,  Gustave  n'eut  ni  ami  ni 
ennemi  sérieux.  H  eut  beau  laisser  tout  ouvertes  les  portes 
dé  âtettin  pour  inviter  les  impériaux  à  venir  Tattaquer. 
Us  restèrent  à  distance.  Il  prit  des  villes,  il  prit  l'embou- 
chure de  rOder,  et  n'en  fut  pas  plus  fort.  Sa  guerre  était 
toute  autre  que  celle  des  impériaux.  Ils  prenaient  tout  et 
affamaient  les  villes.  Lui,  il  leur  apportait  du  pain. 

Cette  situation  dura  presque  une  année  (de  juin  en 
juin).  Les  princes  protestants,  au  lieu  de  se  joindre  à 
Gustave,  exploitèrent  seulement  sa  présence  en  Aile» 
magne  pour  faire  peur  à  l'Empereur  à  Ratisbonne,  et 
obtenir  de  lui  la  destitution  de  Waldstein. 

Cette  affaire  fut  poussée  d'ensemble  et  par  les  protes- 
tants (Saxe  et  Brandebourg)  et  par  le  catholique  duc  de 
Bavière,  qui  espérait  succéder  à  Waldstein  comme  gé- 
néral des  forces  de  l'Empire.  Mais  la  destitution  de  celui- 


GUSTAVE-ADOLPHE.  67 

ci  n'était  qae  nominiJe.  Simple  particulier,  il  n'en  restait 
pas  moios  le  chef  secret  de  ces  loups  effrénés  qui  n'eus* 
sent  jamais  trouvé  un  si  bon  maître,  c'est-à-dire  si  cruel 
ni  si  tolérant  pour  le  crime. 

On  a  dit  à  la  légère  que  le  père  Joseph  avait  fait  son 
beao  traité  à  Ratisbonne  pour  obtenir  de  l'Empereur  la 
destitotion.  Chose  prouvée  fausse  par  les  dates.  Waldstein 
fîit  destitué  en  septembre,  le  traité  signé  en  octobre  (4630). 

En  décembre,  Gustave  était  encore  fort  seul  dans  le 
nord  de  l'Allemagne,  dans  un  affreux  désert.  Il  croyait  y 
périr.  Le  4,  il  écrit  à  son  ami  Oxenstiern  en  lui  donnant 
courage^  mais  sans  cacher  qu'il  espère  peu,  et  il  lui  re- 
commande son  enfant,  sa  mémoire.  C'est  peu  de  jours 
après  qu'il  reçut  l'offre  de  Richelieu,  un  subside,  une 
entrave,  un  très- faible  subside,  avec  la  condition  de 
s'abstenir  des  plus  riches  pays  de  TÀllemagne,  des  gras 
électorats  ecclésiastiques  du  Rhin,  et  de  respecter  la  Ba^ 
vîère.  De  janvier  en  mars,  dans  sa  grande  misère,  il  ré- 
sista encore,  dit  Non.  Cependant  il  avait  contre  lui  Tarniée 
da  Tilly.  Et  l'Empereur  songeait  à  rappeler  Waldstein  en 
lui  donnant  la  dictature  militaire  de  TAUeniuigne.  Deux 
armées  catholiques  allaient  se  former  contre  lui,  tandis 
que  les  princes  protestants  tergiversaient.  Il  prit  enfin  la 
plume,  signa  et  reçut  Targent  catholique,  secours  mi- 
nime et  illusoire,  trois  cent  mille  livres  pour  la  première 
année,  et  lit>éralement  un  million  pour  disque  année  sui- 
vante, probablement  après  sa  mort. 

11  signa.  Et  pourquoi?  Pour  avoir  le  nom  de  la  France. 
Il  rendit  public,  imprima  cet  acte  que  Richelieu  voulait 
secret.  L'dfet  en  fut  immense.  Ce  nom,  réellement,  donna 
des  ailes  à  sa  fortune . 

Avril  4634  est  mémorable  par  les  traités  contraires  que 
fit  la  France  en  même  temps. 

Le  S2  avril  fut  ratifié  le  traité  avec  Gustave-A  dolphe 
contre  l'Empereur. 


68  GnSTàYK^ADOLPBB. 

Le  6  avril,  avait  été  conclu  à  Chérasco  un  traité  de  la 
France  avec  l'Empereur.  Ce  traité  pour  l'Italie  seule,  il  esl 
vrai,  mais  qui  permettait  à  Ferdinand  de  retirer  une  ar* 
mée  d'Italie  et  de  l'envoyer  contre  Gustave. 

Troisièmement,  en  mai,  Richelieu  fit  un  traité  secret 
avec  la  Bavière  (rival  secret  de  l'Empereur,  ennemi  public 
de  Gustave),  que  la  France  eût  voulu  faire  respecter  du  rot 
de  Suède  pendant  que  le  Bavarois  envoyait  contre  lui  Tilly. 

Honteuse  politique  et  misérable  imbroglio.  Mais  les 
événements  déchirèrent  les  fils  brouillés  de  cette  toile 
d'araignée. 

D'abord  le  cabinet  jésuite  de  Ferdinand,  très-sottement 
rusé  pour  ne  tromper  personne,  déclare  aux  protestants 
qu'il  renonce  à  leur  faire  des  procès  religieux  pour  les 
restitutions  ;  on  ne  fera  que  des  procès  doits;  les  gens  de 
loi  de  l'Empereur  vont  s'établir  chez  chaque  prince  et 
s'immiscer  partout  dans  le  régime  intérieur  des  Ëlats.  En 
réalité,  plus  de  princes,  plus  de  gouvernements  ;  la  )ustioe 
impériale  aurait  remplacé  tout. 

Il  s'éleva  un  cri  d'indignation  contre  une  telle  hypo- 
crisie. Et,  au  môme  moment,  un  fait  horrible  perça  le 
cœur  de  l'Allemagne,  Magdebourg  brûlé  et  quarante  mille 
hommes  égorgés  par  Tilly  au  cri  de  Jésus t  Mariât  Lui^ 
même  écrit  paisiblement  :  «  On  n'a  rien  vu  de  tel  depuis 
la  ruine  de  Jérusalem.  » 

Ce  fut  le  fruit  des  hésitations  de  l'ivrogne  électeur  de 
Saxe,  qui,  parmi  les  brouillards  du  vin,  croyait  tenir  la 
balance  entre  Gustave  et  l'Empereur,  ne  faisait  rien  et 
paralysait  tout. 

Tilly  marcha  vers  lui,  et,  dans  sa  peur,  il  fallut  bien 
alors  que  le  Saxon  se  réfugiât  sous  la  main  de  Gustave. 
Celui-ci  entraîna  encore  le  Brandebourg,  et  il  avait  déjà 
le  Mecklembourg,  la  Poméranie.  Le  courageux  landgrave 
de  Hesse,  si  loin  de  sa  protection,  seul  sur  le  Rhin,  se  dé- 
clarait aussi  pour  lui. 


OUSTATB-ADOLPHE.  69 

L'approche  de  Tilly  s'annonça  à  la  Saxe  par  l'incendie 
de  deux  cents  villages.  Il  n'était  pas  loin  des  armées  sué- 
doises et  saxonnes.  Mais  il  voulait  attendre  l'armée  des 
bourreaux  de  Mantoue  pour  en  fortifier  celle  des  bour- 
reaux de  Magdebourg.  Notre  traité  de  Ghérasco  lui  faisait 
espérer  ce  gros  renfort.  Gustave  ne  lui  donna  pas  le  temps 
de  le  recevoir.  Le  7  septembre,  il  le  défit  et  l'anéantit  à 
Leipzig.  Ce  fut  le  solennel  essai  de  la  tactique  nouvelle. 

Gustave  fit  un  usage  habile,  heureux,  d'une  rapide  et 
mobile  artillerie  légère.  Il  dit  aux  fantassins  :  «  Ne  tirez 
pas  avant  d'être  assez  près  pour  voir  le  blanc  des  yeux.  » 
Et,  comme  la  masse  pesante  des  cuirassiers  impériaux 
pouvait  les  alarmer,  il  dit  :  «  Poignardez  les  chevaux.  » 

Les  vieux  régiments  de  Tilly  combattirent  avec  une 
fureur  inexprimable,  d'autant  qu'ils  perdaient  leur  mé- 
tier, que  dès  lors  la  chance  était  aux  Suédois.  Mais  ils 
forent  écrasés.  Leur  fuite  fut  plus  sanglante  encore  que  la 
bataille.  Car  la  terre  délivrée,  la  terre  se  souleva,  les  mon- 
tagnes du  Hartz  fondirent  sur  eux,  et  les  pierres  sur  tout 
le  chemin  semblèrent  s'être  changées  en  paysans  armés 
pour  consommer  cette  juste  vengeance  et  cette  punition 
de  Dieu. 

Il  n'y  eut  jamais  victoire  si  belle.  C'était  celle  du  peuple, 
celle  de  l'humanité,  de  la  pitié,  de  la  justice. 

Gustave  pouvait  faire  ce  qu'il  voulait,  aller  où  bon  lui 
semblerait,  à  droite  ou  à  gauche  ;  —  ou  tout  droit  au 
midi,  par  la  Bohême  ruinée,  aller  frapper  FAutriche  à 
Vienne  ;  —  ou  bien,  au  sud-ouest,  aller  s'établir  et  se  re- 
fUre  dans  les  pays  non  ruinés,  dans  les  bonnes  terres  de 
prêtres  sur  le  Rhin,  et,  s'il  le  fallait,  en  Bavière. 

Le  chancelier  Oxenstiern,  qui  était  loin,  eût  voulu  qu'on 
allât  à  Vienne.  Gustave,  qui  était  près,  jugea  qu'il  fallait 
aller  vers  le  Rhin. 

Tous  l'en  blâment.  Moi,  non.  Ce  misérable  Empereur, 
qui  avait  fait  de  ses  mains  une  Arabie  de  la  Bohême,  qui 


70  GOSTATI-IDOLPHB. 

avait  épuisé  ses  Ëtats  patrimoniaux  et  bu  leur  siDg,  d'où 
tirait-il  un  peu  de  moelle  encore?  Des  pays  de  l'ouest,  des 
pnnceit-prétres  qui  l'aidaient  malgré  eux.  La  main  mise 
sar  cenx~cî,  et  la  perfidie  bavaroise  étant  neutralisée,  d'an 
seul  revers  à  gauche  Gustave  eût  abattu  l'Autriche. 

Il  chargea  donc  la  Saxe  d'envahir  le  désert  de  BofaAme, 
et  il  s'en  alla  vers  le  Rhin,  guerroyant  Ji  son  aise ,  méns- 
geant  tout  le  monde,  riant  avec  les  prêtres,  dont  ses  Sné- 
dois  buvaient  le  vin.  Il  était  sbr  de  réassir  sHI  D'avait 
d'obstacle  que  ses  ennemis. 

Mais  il  pouvait  aussi  trouver  obstacle  en  ses  amis,  en 
ses  alliés  malveillants.  En  approchant  du  Rhin ,  il  allait 
loucher  Richelieu. 


CHAPITRE  VII 


Oonmeot  Riebebaa  pro4|a  de»  Tietoifes  de  Gustave.  iâ32. 


Quand  Ricbelieu  vit  son  ami  Guatave  venir  à  lui  à  tra- 
vers tottle  rAilemagne,  fidre  sans  obstacle  deux  cents 
lieues  vers  Touiésl  et  arriver  au  Rhin,  ii  fut  étonné,  j'aUets 
dire  effrayé.  Quel  dérangement  de  l'équilibre  I  quelle 
énorme  prépondérance  du  parti  protestant  I  II  n'avait  de- 
yiné  en  rien  ce  roi  de  Suède.  U  Tavait  mesuré  à  la  mesure 
de  Spinola,  ée  quelque  autre  bon  général,  et  il  avait 
eomplé  sur  une  guerre  boUfindaise  où  les  deux  partis^ 
faâsaai  pied  de  grue,  restaient  des  dix  ans  à  se  regarder. 

Aoatave  était  bien  plus  qu'un  général.  C^ait  une  révo- 
loâioa» 

Bien  vite  Richelieu  fit  trois  choses  : 

U  pousse  son  roi  en  Lorraine  dès  le  lendemain  de  la 
bataille  de  Leipzig,  pour  profiter,  happer  quelque  dé- 
pouille (octobre  1634).  Chose  peu  difficile  dans  ce  grand 
moment  de  terreur. 

Deuxièmement,  il  avertit  les  catholiques,  et  en  général 
les  princes  d'Allemagne,  de  as  véiigier  tous  sous  la 
garantie  du  traité  de  France,  dans  une  neutralité  armée, 
de  n'aider  ai  Gustave  al  l'Empereur.  Neutralité  qui,  pks 
$6i  aurait  éié  bvocable  à  Gustave,  mais  qui,  lorsqu'il  éiait 


7S  COMIIKNT  RICBRUXO  PROFITI 

vainqueur,  devenait  son  obstacle.  S'avançant  seul  et  si 
loin,  il  avait  besoin  d'être  atdé  si  l'on  voulait  que  sa  vic- 
toire fût  sérieuse,  durable,  fatale  à  la  maison  d'Autriche. 
Enfin  Hichelieu  invita  Gustave  même  à  ne  pas  profiter 
de  son  succès,  à  laisser  ces  prétendus  neutres  garder  leurs 
forces  entières  et  se  tenir  armés,  au  profit  réel  de  L'\u~ 
triche,  dont  ils  restaient  les  secrets  alliés,  et  deniaia  les 
auxiliaires  actifs,  au  premier  revers  du  Suédois. 

Il  semble  qu'il  eût  cru,  pour  ses  trois  cent  mille  francs, 
avoir  acquis  Gustave  pour  le  diriger,  l'arrêter,  le  mener 
ici  et  là.  Voilà  que,  sans  avoir  rien  fait,  on  voudrait  limi- 
ter, détourner  la  conquête  de  cet  Alexandre  le  Grand.  U 
ne  touchera  pas  à  la  Bavière,  évitera  l'Alsace,  tournera 
Trêves,  respectera  Mayence  ,  n'ira  pas  en  Lorraine,  dont 
le  duc  était  aller  le  provoquer  et  se  faire  battre. 

Gustave  eut  la  bonté  de  répondre  qu'il  ne  lui  était  pas  fa- 
cile d'épargner  tous  ces  princes  amis  de  l' Autriche;  que  le 
Bavarois  jouait  double,  armait  en  faisant  négocier;  qu'on 
savait  ses  pensées,  et  par  lui-même ,  ayant  intercepté  ses 
lettres;  que  l'ennemi,  d'ailleurs,  qui  venait  de  lui  disputer 
l'Allemagne  à  Leipzig,  était  le  Bavarois  Tilly. 

Gustave  n'avait  pas  la  moindre  idée  de  se  détourner  en 
Lorraine.  La  protection  dont  Richelieu  couvrait  un  pays 
que  l'on  n'attaquait  pas  n'était  qu'un  prétexte  pour  y 
prendre  des  gages,  s'y  établir  comme  protecteur.  Quant  à 
l'Alsace,  Gustave  pensait  certainement  à  Strasboui^,  qui 
l'avait  appelé,  c^mme  bien  d'autres  villes.  Richelieu  n'y 
pouvait  trouver  à  redire,  lui  qui,  aux  derniers  dangers  de 
Strasbourg,  n'avait  osé  lui  donner  de  secours  que  l'auto- 
risation d'emprunter  quelque  argent  aux  marchands  de 
Paris! 
La  protection  que  Richelieu  offrait  aux  catholiques 
^d|AIle|naene  n'était  pas  sérieuse.  Il  n'était  pas  armé  en- 
^^^^.     quoiqu'il  se  vante  d'avoir  eu  au  printemps  soi- 
^^^  '^  niilie  hommes ,   on  a  peine  à  le  croire.  Eo 


DBS  VICTOIRKS  DB  6USTAVB.  73 

comptant  bien  les  trois  armées  qu'il  eut,  on  n'en  trouve 
que  cinquante  mille.  Mais  alors,  à  la  fin  de  1634,  il  n'avait 
encore  presque  aucune-  force.  C'était  par  le  nom  seul  du 
roi  qu'il  voulait  arrêter  Gustave  et  lui  faire  respecter  ces 
petits  princes.  Tous  leurs  ambassadeurs  vinrent  se  grou- 
per auprès  de  Louis  XIIL  Us  en  tirèrent  une  sotte  con- 
fiance. Les  moindres  en  prirent  une  assurance  ridicule 
pour  chicaner,  marchander  avec  une  force  irrésistible. 

On  le  vit  à  Francfort.  Les  Francfortois  le  prièrent  de 
passer  son  chemin,  disant  que,  s'il  leur  faisait  manquer  à 
la  fidélité  qu'ils  devaient  à  l'Empereur,  ils  pourraient  bien 
être  privés  du  privilège  de  leurs  foires.-  Ce  qui  leur  valut 
la  verte  semonce  qu'on  va  lire  :  «  Vous  ne  parlez  que  de 
vos  foires,  mais  vous  ne  parlez  pas  de  conscience  et  de 
liberté...  Si  j'ai  trouvé  la  clef  des  places,  de  la  Baltique  au 
Rhin,  je  trouverai  bien  encore  celle  de  Francfort...  Suis-je 
venu  ici  pour  moi-même?  Non,  c'est  pour  vous  et  pour 
les  libertés  publiques.  —  Que  Votre  Majesté  nous  per- 
mette du  moins  de  consulter  monseigneur  l'archevêque 
de  Hayence...  —  C'est  moi  qui  suis  monseigneur  de 
Mayence.  Et,  comme  tel,  je  vais  vous  donner  une  bonne 
absolution  qui  vaudra  bien  la  sienne...  Pour  la  Bavière, 
n'y  pensez  pas;  j'ai  déjà  pris  de  ses  canons  que  je  pour- 
rais vous  faire  entendre...  »  —  Là,  les  voyant  tout  blê- 
mes, il  reprit  sur  un  ton  plus  gai  :  «  Je  ne  suis  pas  votre 
ennemi.  Mais  j'ai  besoin  de  votre  ville...  Votre  Allemagne 
est  un  vieux  corps  malade  ;  il  faut  des  remèdes  héroïques. 
S'ils  sont  un  peu  forts,  ayez  patience.  Moi,  j'en  ai  bien. 
Je  ne  suis  pas  ici  pour  me  divertir.  Je  couche  sur  la  dure 
avec  mes  hommes,  tandis  que  j'ai  là-bas  une  belle  jeune 
femme  avec  qui  je  n'ai  pas  couché  depuis  longtemps... 
Bref^  Messieurs  de  Francfort,  vous  me  tendez  le  bout  du 
doigt;  moi,  je  veux  votre  main  entière  pour  vous  donner 
la  main.  Je  vois  bien  la  manœuvre...  mieux  que  je  ne  vois 
celles  de  vos  braves  soldats.  Pour  des  paroles ,  la  seule  à 


.74  .GOMMBKT  RIGSILIBU  PROriTÂ 

quoi  je  me  fie»  c'est  celle  de  Dieu  ;  il  est  ma  garantie,  avec 
ma  propre  prévoyance.  » 

Il  avait  dit  :  a  Je  sais  éiectemr  de  Mayenee  et  due  de 
Franconie.  »  D  jugeait  avec  raison  que  rÉmptre  était  fini. 
On  le  voyait  crouler  à  la  première  impulsion. 

Les  deux  mensonges  s'en  allaient. 

Le  mensonge  autrichien  (de  tant  de  peuples  unis  d'esx* 
mêmes,  disait-on)  était  violemment  démenti ,  et  par  la 
Bohème,  qui,  en  deux  mois,  passa  à  la  Saxe,  et  par  la 
Hongrie,  denri-soulevée,  et  par  rA.tttriebe  elle-même  qui 
voulait  armer  contre  T Autrichien. 

Et  le  grand  mensonge  allemand,  la  fiction  du  saint- 
empire,  la  sotte  comédie  d'élire  un  prince  règlement 
héréditaire,  tout  cela  finisisait  aussi.  Tous  ces  princes  et 
principicules,  valets-nés  du  {dus  fort,  qui,  sous  l'ombre  du 
grand  vautour,  mangeaient ,  suçaient  le  plus  patient  des 
peuples,  il  leur  fallait  quitter  le  jeu.  Un  vengeur  et  un 
protecteur  arrivait  à  TAllemagne  pour  hriser  à  la  fois  et 
ses  faux  protecteurs,  et  le  fléau  de  l'armée  des  Mgaods. 
Il  avait  été  droit  à  Francfort,  au  champ  d'éleeiion^  pov 
eouper  court  avant  tout  à  la  vieille  farce  qu'ils  aUnient 
jouer  encore,  de  faire  un  faux  roi  des  Romaine  dans  le  fils 
de  l'Autriche.  Gustave,  avec  son  titre  de  prince  des  Goths 
que  portent  les  rois  de  Suède,  assurait  ne  eonnattra  rien 
au  vieux  droit  de  l'Empire.  Son  droit,  c'était  Leipzig,  la 
vengeance  et  la  délivrance  de  rAUemagne,  prouvée  à 
incapable  de  se  délivrer  elle-même. 

Nul  doute  qu'en  présence  du  fléau  exécrable  qui  Na- 
geait le  pays,  l'armée  générale  des  voleurs  qui  se  refaisait 
sous  Waldstein,  il  ne  fallût  un  gardien  de  T  Allemagne  qai 
campât,  l'épée  nue,  non  pas  sur  la  Baltiqae  au  petit  becd, 
mais  au  cœur,  sur  le  Rhin.  Un  grand  reyauBM  armé  da 
Rhin  était  la  seule  condition  de  salut  pour  celte  rwe  infor- 
tunée, si  Dieu  avait  assez  pitié  d'elle  pour  conserver  Gus^ 
tave-Adolpbe. 


Vm  VICTOIUS  DE  6USTAVB.  75 

La  Suède  lui  est-elle  étrangère?  Elle  parle  un  dialecte 
germanique,  et  Gustave  spécialement  était  Alleniand  par 
sa  mère.  D'où  vînt  donc  cette  répulsion,  cette  antipathie, 
cette  froideur?  D*elle-m^iie,  rAllemagne  est  jalouse.  Si 
grande  et  si  féconde,  matrice  et  cerveau  de  l'Europe  en 
plusieurs  de  ses  grandes  crises,  elle  ne  devrait  rien  jalou- 
ser. Et  le  Suédois  encore  moins  qu'autre  chose.  Grand 
▼ainqueui",  mais  très-petit  prince,  très-pauvre,  une  force 
passagère  qui  ne  pouvait  tirer  consistance  et  durée  que 
d'une  extrême  bonne  volonté  de  FAUemagne.  Elle  lui 
maiHfua  réellement.  Les  princes,  ceux  du  moins  qui  ne 
furent  pas  forcés  par  la  présence  de  Gustave,  suivirent  de 
leur  mieux  le  conseil  de  Richelieu,  de  rester  impartiaux 
€l  de  garder  une  juste  balakioe  entre  Dieu  et  le  Diablq, 
entre  leur  sauveur  et  leur  exterminateur.  La  bourgecMste 
des  villes  impériales,  qui,  quinze  années  plus  tôt,  avait 
appelé  Gustave,  lui  venu ,  se  montra  prudente ,  fine  et 
avisée,  politique,  aidant  le  moins  possible  celui  qui  com- 
battait pour  tous,  chicanant  au  libérateur  ce  que  le  lende- 
main elle  donna  généreusement  aux  brigands. 

U  me  faut  bien  ici  laisser  l^s  grandes  c&oses  pour  conf- 
ier les  petites,  voir  maintenant  comment  Richelieu,  en 
eatravant  Gustave,  profita  de  ses  victoires,  exploita  habi- 
lement la  terreur  de  son  nom  et  grappilla  sur  sa  conquête. 

L'histoire  est  identique  ici  à  l'histoire  naturelle.  L'astu- 
cieux corbeau  suit  l'aigle  ou  va  devant,  attentif  à  se  faire 
aa  part,  s'invitant  au  repas  et  relevant-les  restes  même 
mmA  la  fin  du  feslin. 

L'attention  qu'il  a  dans  ses  Mémoires  à  brouiller  son 
récit,  à  intervertir  les  dates  de  mois  et  jours,  empêche 
d'obsarver  que  chaque  pas  de  Louis  XIII  suit  chaque  vie- 
toîre  de  Gustave;  que  nos  succès  sont  les  contre- coups 
naturels  des  grands  succès  de  là-bas.  U  est  bien  entendu 
que  la  plupaort  des  auteurs  de  mémoires  et  historiens  ont 
reproduit  soigneusement  ce  désordre.  Rétablisaons  le  syn- 


76  GOMMENT  RICBILIEU  PROFITA 

chronisme  des  affaires  d'Allemagne  et  de  celles  de  France 
qui  en  étaient  les  résultats. 

Richelieu  ne  bougea  avant  que  Gustave  eût  gagné  sa 
bataille  de  Leipzig  (7  septembre  4631).  A  l'instant,  il  em- 
mena le  roi  avec  quelques  troupes  qu'ail  avait  en  Champa- 
gne (33 octobre),  et  fondit  sur  la  Lorraine  allemande, 
investit  Moyenvic,  petite  forteresse  de  l'évéché  de  Metz, 
que  les  soldats  de  l'Empereur  occupaient  et  fortifiaieot. 
Le  drapeau  impérial  flottant  sur  Moyenvic  n'empêcha  pas 
le  roi  d'y  entrer  (27  décembre  4634).  Après  la  déchirure 
qu'y  venait  de  faire  à  Leipzig  l'épée  du  roi  de  Suède,  ce 
drapeau  n'était  qu'un  lambeau. 

L'étourdi  duc  de  Lorraine  avait  pris  justement  ce  temps 
pour  provoquer  à  la  fois  les  deux  rois.  D'une  part,  il  avait 
chez  lui  le  frère  de  Louis  Xlll  et  le  mariait  secrètement  à 
sa  sœur.  De  l'autre,  il  s'en  allait,  dans  ce  moment  terrible 
où  le  torrent  de  Suède  emportait  tout,  se  mettre  devant. 
Ëreinté  et  jeté  au  loin,  il  ne  rentra  chez  lui  que  pour  y 
voir  le  roi  de  France.  Le  roi  eut  pourtant  la  bonté  de  le 
recevoir,  de  lui  dire  qu'il  le  protégerait  contre  Gustave 
(qui  ne  songeait  guère  à  l'attaquer),  mais  que,  pour  ras- 
surer Gustave  sur  les  intentions  du  duc  de  Lorraine,  loi 
Louis  XIII  prendrait  en  dépôt  sa  ville  de  Marsal  et  ses 
salines,  le  meilleur  de  son  revenu  (6  janvier  463S). 

Le  duc  de  Lorraine  méritait  cela,  et  pis.  On  ne  peut 
qu'applaudir  à  une  ruine  si  méritée.  Cependant  Richeliea 
mit  à  sa  spoliation  successive,  qui  dura  deux  ans,  un  laxe 
de  ruse  et  d'astuce  absolument  inutile  avec  ce  petit  prince 
qui  ne  pouvait  ni  se  défendre  ni  se  faire  défendre  par  les 
LoQpériaux  ou  Espagnols.  Il  prit  la  Lorraine  en  trois  fois, 
par  trois  cessions  successives,  tenant,  ce  semble,  à  ne  rien 
prendre  que  par  le  consentement  forcé  du  spolié,  et  non 
comme  conquête,  mais  comme  amende  et  punition.  Enfin 
il  le  désespéra  au  point  qu'il  alla  se  faire  rettre. 

Le  second  grand  coup  de  Gustave,  la  défaite,  la  mort 


BB  YfCrOIll»  M  GCTSTATI.  77 

de  Tilly  (5  avril  463S),  donna  à  Richelieu  une  force  inouïe 
au  dehors,  au  dedans,  pour  frapper  ici  les  amis,  le  les 
alliés  de  l'Espagne. 

L'Espagne,  battue  sur  le  Rhin  par  un  petit  parti  suédois, 
tombait  dans  le  ridicule.  Et  ses  malheurs  la  faisaient 
radoter.  Elle  en  était  à  faire  sa  cour  au  pape  pour  qu'il 
tirât  le  glaive  spirituel,  octroyât  la  croisade  contre  le 
prince  des  Goths.  Elle  priait  Venise  et  la  Toscane  de  vou- 
loir bien  faire  avec  elle  une  ligue  italienne.  Venise  s*en 
moquait  et  soudoyait  Gustave^Adolphe. 

On  comprend  le  mépris  avec  lequel  Richelieu  reçut 
Tintervention  des  deux  protégés  de  l'Espagne,  la  reine 
mère  et  Gaston,  dans  le  procès  qu'il  faisait  faire  au  maré- 
chal Marillac.  Ils  avaient  cru  faire  peur  aux  juges,  effrayer 
la  commission  qui  procédait.  Richelieu  prit  sur  lui  le  dan- 
ger possiUe  et  fotur.  Il  rassura  les  juges  en  leur  laissant 
l'excuse  de  pouvoir  dire  plus  tard,  s'il  le  fallait,  qu'il  les 
avait  forcés.  II  fit  faire  le  procès  chez  lui*méme  à  Ruel. 
Marillac,  comme  général,  s'était  fort  mal  conduit,  avait 
montré  une  inertie  perfide  dans  les  moments  critiques . 
La  trahison  pourtant  était  diflBcile  à  prouver.  Il  fut  con- 
damné comme  voleur,  ayant  détourné  de  l'argent,  l'argent 
des  vivres,  gagné  sur  la  vie  du  soldat.  Sa  condamnation 
et  sa  mort,  malgré  les  menaces  insolentes  qu'on  faisait  de 
Bruxelles,  furent  une  victoire  sur  l'Espagne,  sur  ses  alliés, 
la  mère  et  le  fils  (10  mai  4632). 

L'Espagne  ne  désespérait  pas  d'opérer  ici  par  nos  traî- 
tres une  petite  diversion.  En  mettant  Gaston  à  la  tète 
d^une  bande  de  deux  mille  coquins  de  toute  nation  (qu'on 
disait  espagnols),  on  le  lançait  en  France ,  oix  les  Guise, 
les  Créqui,  les  Èpernon,  et  autres,  même  Montmorency, 
faisaient  espérer  de  le  soutenir.  Les  Espagnols  promet- 
taient tout,  une  armée  aux  Pyrénées,  une  flotte  en  Pro- 
vence, etc.  Et  cela  au  moment  où  de  toutes  parts  ils 
étaient  enfoncés,  battus,  perdus,  ne  pouvaient  plus  se 


78  COmilNT  RICHSUIU  PROFITA 

reconnatlre.  Louis  XIU  en  fut  si  peu  inquiet»  qu'il  prit  ce 
moment  pour  mordre  encore  un  bon  morceau  dans  k 
Lorraine.  Alléguant  que  Gaston  avait  fait  en  Lorraine  sa 
petite  armée,  il  passa  au  fil  de  l*épée  deux  régiments  lor- 
rains, campa  devant  Nancy  (23  juin).  Le  duc,  non  secouru, 
est  réduit  encore  à  traiter,  et  cette  fois  cède  trois  forte- 
resses. 

Lui  et  Gaston  avaient  agi  comme  des  en&nts.  Au  dé£ui( 
de  TEspagne,  ils  comptaient  sur  Waldstein  ;  ils  appelaient 
Waldstein,  comme  s'il  eût  pu  bouger,  étant  alors  en  &oe 
et  sops  répée  de  Gustave.  Seulement,  comme  œlui-ci 
était  obligé  de  se  concentrer  devant  Waldstein,  il  était 
faible  sur  le  Rhin,  presque  autant  que  les  Espagnols.  Cela 
permettait  à  Richelieu  d'avancer  entre  les  uns  et  les 
autres,  de  profiter  de  la  terreur  des  princes-prêtres  et  de 
se  garnir. les  mains.  Les  Suédois  avaient  préparé,  Riche- 
lieu recueillait.  11  arrivait,  comme  protecteur  des  eathoJi- 
ques,  pour  escamoter  les  conquêtes,  le  prix  du  sang  des 
Suédois.  C'est  ainsi  que  ceux-ci,  ayant  battu  les  Espa- 
gnols dans  rarchevêcl^  de  Trêves,  et  croyant  avoir  pris 
CoblentE,  virent  sur  la  forteresse  flotter  le  drapeau  d'une 
garnison  française  que  Tarchevéque  y  mit  lui-même. 

Telle  était  Tunion  de  ces  bons  alliés.  Mais  Tefiet  moral 
de  Talliance  n*en  était  pas  moindre.  «  Ces  deux  puis- 
sances jointes  ensemble,  dit  Richelieu,  onaentoit  qu'il 
n'y  avoit  rien  en  terre  qui  pût  résister,  a  Donc  le  pauvre 
Gaston  put  continuer  en  France  son  pèlerinage  solitaire. 
Pas  une  province  ne  bougea,  pas  une  ville  n'ouvrit  ses 
portes.  Les  gouverneurs  qui  avaient  donné  espoir,  d'&per- 
non,  Gréqui,  se  gardèrent  bien  de  se  déclarer.  Une  seule 
chose  était  dangereuse,  c'est  que  Yalençay,  qui  tenait 
Calais,  avait  promis  de  l'ouvrir  à  l'Espagne.  Mais  l'Espagne 
n'y  Alt'  pas  plus  à  temps  qu'elle  ne  le  fut  aux  Pyrénées 
pour  soutenir  Montmorency,  gouverneur  du  Languedoc. 
Celui-ci  s'était  brouiUé  avec  Richelieu,  fort  maladroite- 


JD8S  VICTOIRES  BB  GUSTAVE.  79 

ment,  pour  un  chevalier  comme  il  était,  sur  une  ques- 
tion d*argent.  Bichelieu  et  d'Effiat,  son  surintendant  des 
finances,  avaient  fait  l'entreprise  d'introduire  en  Langue- 
doc, comme  dans  tous  les  pays  d'états,  fimpât  réglé  par  les 
élus.  Impôt,  il  est  vrai,  ncm  voté,  donc  d'un  arbitraire 
élastique,  mais  en  revanche  dégagé  des  surcharges  insen- 
sées, honteuses  et  uxNistrueuses,  que  les  états  votaient 
pour  dons  aux  gouverneurs  et  autres  grosses  têtes  de 
l'assemblée.  Montmorency  y  perdait  cent  mille  francs. 
Belle  et  noble  occasion  pour  faire  la  guerre  civile  ! 

Montmorency  n'entraîna  les  états  que  par  la  force  en 
emprisonnant  les  récalcitrants.  Hais  il  n'entraîna  pas  du 
tout  nos  protestants  des  Cévennes,  ni  ceux  des  villes,  Nar* 
bonne,  Nîmes,  Montpellier.  Us  n'avaient  garde  d'armer 
ecmtre  Richelieu,  qu'ils  croyaient  ami  de  Gustave. 

Qui  croirait  que  Gaston,  Montmorency,  ces  pitoyables 
fous,  eurent  l'idée  ridicule  d'écrire  à  Gu^ve,  d'imaginer 
que,  n'étant  pas  content  de  Richelieu,  il  leur  enverrait  des 
secours?  autrement  dit,  que  Gustave  coopérerait  avec  les 
Espagnols? 

Gaston  n'était  qu'un  page,  et  nie  méritait  que  le  fouet 
Son  frère,  pour  châtier  ou  ramener  cet  enfont  prodigue, 
lui  envoya,  pour  pédagogues,  deux  protestants,  la  Force 
et  Schomberg,  avec  quelques  mille  hommes.  Leur  besogne 
fut  peu  difficile.  Gaston  était  plus  fort  que  Schomberg, 
comn«B  nombre.  Mflis,  comme  forée  morale,  il  était  nul  ; 
il  apportait  à  la  bataille  le  découragement  de  l'Espagne,  sa 
reculade  universelle  et  l'entrain  des  défaites.  Schomberg 
avait  tout  au  contraire  la  France  et  le  roi  derrière  lui,  plus 
ralliance  du  redouté  vainqueur,  la  lointaine  terreur  et 
riii¥incibilité  de  Gustave.  Gaston  le  sentait  bien.  Mont* 
morency  peut-être  aussi.  Mais  il  n'osa  pas  reculer,  et,  les 
jeux  fermés,  à  peine  suivi,  ce  vaillant  fou  plongea  dans 
les  rangs  de  Schomberg.  Il  n'eut  pas  le  bonheur  d'être 
tué  ;  il  fut  Messe  et  pris  {\^  septembre  4  632). 


80  oHiiiKifT  Mceiuio  pRonri 

Schomberg  élait  trop  politique  pour  faire  prisoanî» 
l'héritier  du  trAne.  Gaston  pouvait  s'enfuir.  S'il  eût  Tait 
retraite  vers  la  mer,  il  aurait  reçu  au  rivage  six  mille 
Napolitains  que  l'Espagne  lui  disait  passer.  Hais  Schom- 
berg négocia  avec  lui,  lui  Bt  espérer  que,  s'il  ne  fuyait 
pas,  il  aurait  de  bonnes  conditions.  Il  l'esta,  les  posa  lui- 
même,  comme  s'il  eût  été  vainqueur,  exigeant  des  choses 
excessives,  qui  auraient  été  la  honte  du  roi,  des  places  de 
sûreté  pour  lui,  le  rétablissement  des  condamnés,  entre 
autres  celui  de  le  Fargis  près  de  la  reine  Anne.  Pendaal  ce 
temps,  on  le  tournait,  on  l'enveloppait,  on  passait  au  midi 
entre  lui  et  l'Espagne.  Il  lui  fallut  baisser  de  ton.  BuIIîod, 
homme  de  Richelieu,  arriva,  et  lui  dit  qu'il  n'avait  de 
salut  que  dans  une  soumission  complète.  Hais  quelle?La 
plus  déshonorante,  avec  deux  clauses  terribles  :  promesse 
de  dénoncer  à  l'avenir  les  complots  qu'on  fera  pour  lui, 
engagement  de  ne  prendre  aucun  intérêt  à  ceux  qui  l'ont 
suivi  et  de  ne  pas  se  plaindre  s'ils  subissent  ce  qu'ils 
méritent. 

Gaston  (à  en  croire  ses  lettres  et  ses  mémoires  écrit:i 
par  un  des  siens)  avait  peur  et  horreur  d'avaler  cette 
infâme  médecine.  On  lui  dit  que  c'était  la  seule  chance 
d'apaiser  son  frère  et  de  sauver  Montmorency.  La  femme 
du  prisonnier  pria  Gaston  elle-même  de  trahir  sod  mari 
on  paroles  pour  le  sauver  en  acte.  Le  roi  pourtant  ne  fiil 
pas  engagé,  Buliion  n'ayant  pouvoir  ni  caractère  pour 
promettre  la  grâce  en  son  nom. 

La  situation  était  analogue  à  celle  d'Henri  IV  dans  l'af- 
faire de  Biron,  avec  cette  différence  que  Honlmoreocjr 
n'avait  rien  de  la  noirceur  de  l'autre,  qu'il  était  aimé  de 
tout  le  monde  et  méritait  de  l'être  pour  ses  charmantes 
qualités.  C'était  un  pauvre  esprit,  léger  et  indécis  (comme 
même,  il  bredouillait  un  peu),  mais  le  cœur  sur 
un  attrait  tout  particulier  de  naïveté  chevale- 
foute  la  cour,  toute  la  noblesse  de  France,  étaient 


DBS  VICTOIRBS  DB  GUSTAVE.  81 

à  genoux  devant  le  roi  et  priaient  pour  lui.  Faire  périr  un 
tel  homme,  et  dans  son  Languedoc  même,  où  il  était  adoré, 
et  dont  lui  et  ses  pères  étaient  gouverneurs  depuis  si  long- 
temps, cela  paraissait  un  horrible  coup.  Et  un  coup  qui 
serait  vengé.  Monsieur  avait  dit  que,  si  Ton  touchait  à  cette 
tète,  il  connaissait  plus  de  trente  gentilshommes  qui  poi- 
gnarderaient Richelieu. 

Celui-ci  nous  a  conservé  la  délibération.  On  y  voit  qu'il 
donna  les  raisons  pour  et  cohtre,  faisant  valoir  surtout  les 
raisons  pour  la  mort,  l'avantage  de  décourager  à  jamais  le 
parti  de  Monsieur,  la  grande  difficulté  de  garder  un  tel 
prisonnier;  puis  se  démentant  tout  à  coup,  et  concluant  à 
le  garder  comme  otage. 

11  est  trop  évident  qu'il  voulait  que  le  roi  eût  seul  la 
responsabilité  d'un  pareil  acte.  Mais  le  roi  n'avait  rien  de 
spontané,  nulle  initiative.  On  avait  beau  lui  arranger  la 
chose,  lui  bien  montrer  la  question.  Il  fallait  que  quel- 
qu'un le  poussât  par  un  avis  exprès,  lui  fit  signer  la  mort. 
Le  panégyriste  du  père  Joseph,  écrivain  ailleurs  très-peu 
grave,  mérite  ici  quelque  attention  quand  il  affirme,  «  d'a- 
près des  mémoires  sûrs,  »  que  le  capucin  eut  l'honneur  de 
la  chose,  qu'il  mena  toute  l'affaire,  d*abord  la  trahison  de 
Bullion,  l'espoir  dont  il  leurra  Monsieur,,  puis  le  conseil  de 
mort.  Richelieu  mit  Joseph  en  avant  et  le  fit  parler  avant 
lui.  11  le  connaissait  vain,  aimant  à  se  faire  fort  d'énergie 
machiavélique  et  à  faire  blanc  de  son  cpéi;.  Joseph  parla 
d'autant  plus  ferme,  qu'il  sentait  trouver  faveur  et  appui 
dans  le  cœur  de  Louis  Xlil,  porté  de  sa  nature  à  la  sévé- 
rité. Montmorency,  condamné  au  Conseil,  le  fut  immé- 
diatement par  le  Parlement  de  Toulouse,  décapité  le  même 
jour  (30  octobre  4  632). 

L'étonnement  fut  extrême  en  France  et  en  Europe.  On 

ne  l'eût  jamais  cru,  et  personne  ne  l'aurait  prévu.  Chacun 

baissa  la  tête,  et  sentit  bien  qu'après  ce  coup  il  n'y  avait 

de  grftce  à  attendre  pour  personne.  L'effet  fut  plus  terrible 

xn.  6 


gC  GOMIfnfT  KICHIUBIT  PRORTA 

que  celui  de  la  mert  de  Biron.  Montmorency  était  ni  aîné, 
que  ce  fat  pour  beaucoup  comme  une  perte  de  famSle, 
un  coup  tout  personnel,  l'effet  d'un  frère  décapité. 

On  flt  comme  pour  Biron.  On  calma  les  pareotB  en  leur 
donnant  les  biens  du  mort.  Le  mari  de  sa  sœur,  le  prinos 
de  Condé,  le  plus  avare  homme  de  France,  tendit  la  maÎB, 
reçut.  Principale  origine  de  cette  énorme  fortune  des 
Condé.  Celui-ci  en  4609  n'avait  pas  dix  mille  fraaca  de 
rente.  Sa  femme  Tenridiit,  puis  la  mort  de  son  beau* 
frère,  qui  lui  valut  Ëcouen,  Saint-Maur  et  ChantiUj. 
Richelieu,  déjà  malgré  lui,  avait  fondé  les  Orléans  (4626), 
et  fonda  encore  les  Condé. 

Montmorency 9  qui  mourut  comme  un  saint,  laaçt 
pourtant,  par  testament,  une  rude  pierre  au  front  de 
Richelieu.  11  lui  fit  un  don,  lui  légua  un  tableau  de  prix. 

Plusieurs  des  amis  de  Montmorency,  de  ses  principaux 
gentilshommes,  furent  mis  è  mort,  et  leur  fidélité  punie. 
Chose  nouvelle  qui  scandalisa,  indigna.  Elle  brieah  les 
vieux  attachements  de  vassal  à  seigneur,  de  cUent  à 
patron,  de  domestiqtAe  à  maître.  Nul  mettre  désormais  que 
le  roi  et  l'Ëtat. 

Sévérité  terrible,  mais  nécessaire.  C'était  le  commen- 
cement du  règne  de  la  loi.  Et,  dans  les  mœurs,  dans  l'opi- 
nion d'alors^  il  y  avait  à  oser  cela  et  péril  et  grandeur. 

L'eifet  voulu  fut  obtenu.  Pour  longtemps  les  partis  res» 
tèrent  décapités,  la  guerre  civile  impossible,  et  TEspagne 
n'eut  plus  de  prise.  Les  complots  furent  réduits  aux  chao* 
ces  de  Tassassinat. 

Dès  ce  jour,  beaucoup  désirèrent  violemm^at  la  mort 
de  Richelieu.  Et  cela,  il  faut  le  dire,  moins  encore  pour 
son  audace  que  pour  le  mélange  d'une  basse  cnianté  de 
robe  longue  qu'on  crut  y  voir  mêlé.  On  trouva  monstrueux 
qu'un  des  gentilshommes  de  Montmorency  fM  envoyé  aux 
galères  ramer  avec  les  forçats.  Pour  Téchafaud,  à  la 
bonne  heure.  On  trouvait  même  que  l'acte  hardi  de  la 


1»9»  VICXÛIRBS  J>e  OUSTJWVg.  83 

mort 'de  MontmoFenoy  avait  été  fait  Iftcheoient.  11  Tavait 
voulue  sana  nul  doute,  et  a'avait  pas  osé  Ja  .çouseiUer.  II 
y  avait  montré  le  oonrage  d'une,  àme  de  .prêtre,  ue  ,frap«^ 
pant  pas  lui-même,  luais  poussant  le  couteau. 

Il  se  sentit  trës^seul.  ,Le  spectacle  de  cette  cour  terrifiée. 
mais  désolée,  était  effrayant  pour  lui- môme,  te  roi  avait 
tenu  b<Mi  au  moment  décisif.  Mais  a'aurait-il  pas  de 
retour?  Par  un  revirement  surprenant  et  qu'on  put  croire 
timide,  à  ce  moment  de  grande  audace,  Richelieu  envoya 
à  Madrid  et  fit  des  ouvertures  aux  Espagnols. 

Gustave^ Adolphe  avait  pâli,  et  Richelieu,  par  un  seus 
froid,  exact,  de  la  destinée  du  héros,  jugeait  qu'il  était 
temps  de  Tabandonner.  Waldstein  et  l'armée  des  brigands 
avaient  ressuscité,  et  rAllemagoe  ne  secondait  pas  sérieu- 
sement son  libérateur.  Quand  Gustave  vint  contre  Wald- 
stein  défendre  Nuremberg,  la  capitale  du  commerce  et 
l'arche  sainte  du  génie  allemand,  on  le  laissa  deux  mois 
languir,  s'épuiser  là  de  misère  et  de  maladies. 

Richelieu  calcula  qu'il  fallait  profiter  d'uae  situation 
eneore  entière  et  de  l'efiEBt  moral  qu'allait  avoir  ce  coup  de 
vigueur  sur  Montmoreuey^  Avant  l'exécution,  il  fit  partir 
Beautru  (le  bouffou,  ï esprit  fort  et  l'excellent  espion),  de 
manière  qu'il  fût  à  Madrid  quand  la  nouvelle  de  la  mort 
arriverait,  à  temps  pour  voir  la  mine  piteuse  des  Espagnols 
et  pour  en  profiter.  Beautru  les  trouva  en  effet  abattus, 
détrempés,  d'autant  plus  tendres  aux  avances  imprévues 
de  Richelieu.  11  saisit  ce  moment  pour  dire  qu'après  tout 
on  n'était  pas  ennemi,  et  il  présenta  les  prisonniers  espa- 
gnols que  renvoyait  le  cardinal.  On  s'arrangea,  d'abord 
pour  l'Italie. 

Chose  agréable  à  l'Espagne,  qui  pourrait  en  tirer  des 
forces  pour  agir  sur  le  Rhin  contre  les  Suédois.  Agréable, 
iMuiorable  au  pape,  qui,  depuis  quatre  .aps,  s  entremettait 
fort  pour  la  paix,  faisait  trotter  son  Mararin  et  jouait  son 
.pelit  r^Uet.  Enfin  chos#  agréable  à  notre  jeune  reine 


8t    .  COKHBIIT  nlCBELIBU  PROFITA 

espagnole,  à  sa  cour,  qui,  par  mademoiselle  de  Haulefort, 
n'était  pas  sans  influence  sur  le  roi.  La  bonne  entente  avec 
Rome  et  l'Espagne  allait  peut-être  atténuer  l'effet  du  sang 
versé,  adoucir  quelque  peu  les  haines,  faire  rentrer  le 
cardinal  dans  le  concert  des  honnéles  gens. 

11  semblera  bien  étonnant,  bizarre,  absurde,  que  juste- 
ment  alors  Richelieu,  couvert  d'un  tel  sang,  voulût  plaire 
à  la  reine  t  On  ne  peut  pourtant  en  douter.  Ce  qu'on  a  dit 
du  goût  qu'il  avait  pour  Anne  d'Autriche  et  de  ses  tenta- 
tives près  d'elle  est  incertain  pour  le  temps  qui  précède  et 
démenti  pour  le  temps  qui  v^  suivre.  Mais,  pour  ce  moment 
où  nous  sommes,  la  chose  est  stlre  cl  constatée. 

On  l'a  vu  en  avril  1631  l'espionner,  la  désespérer,  en 
suneillant  sa  grossesse.  On  le  verra  en  1635  demander  son 
divorce  à  Rome  et  vouloir  la  chasser.  Mais  aujourd'hui 
(novembre  1 633)  il  est  galant  près  d'elle,  lui  t'ait  sa  cour, 
semble  en  être  amoureux. 

Tyrannique  esprit  de  cet  homme,  de  précipitation  sau- 
vage et  sans  respect  du  temps.  La  tôle  de  Montmorency 
vient  de  tomber  le  30  octobre,  presque  sous  les  yeux  de  la 
reine.  Et  il  lui  faut  sourire  et  accepter  des  fêtes,  descendre 
avec  lui  la  Garonne,  se  laisser  promener  en  France,  et 
loger  et  coucher  chez  lui  I 

Il  semblait  espérer  justement  dans  le  deuil  de  la  reine, 
dans  sa  terreur  et  son  abaissement.  Depuis  l'avorteraent 
d'avril  1631,  sa  situation  était  fort  humble.  Le  roi  n'en 
tenait  pas  le  moindre  compte,  et  venait  tous  les  soirs  chei 
elle  pour  mademoiselle  de  Hautefort  sans  lui  dire  un  seul 
mot.  On  l'avait  amenée  au  voyage  du  Midi,  moins  comme 
reine  que  comme  otage,  comme  une  prisonnière  suspectée 
qu'on  ne  pouvait  laisser  &  Paris.  Elle  semblait  n'être  venue 
que  pour  aller  d'exécution  en  exécution,  sur  le  Rbdne 
d*abord,  puis  en  Languedoc.  L'étrange  demande  de  Gas- 
:  la  Fargis  à  la  reine  disait  assez  qu'il  restait 
|ue  lien  entre  la  reine  et  son  beau-frère. 


DES  VICTOIRES  DE  GUSTAVE.  85 

L'iDdifférence  haineuse  du  roi  dut  s'en  accroître.  Il  la  laissa 
aux  mains  de  Richelieu,  et  s'en  alla  droit  à  Paris. 

A  celui-ci  d'en  faire  ce  qu'il  voudrait,  de  la  régaler  et 
fêter  dans  l'intérêt  du  traité  espagnol.  C'est  le  prétexte 
qui  couvrit  son  changement  à  l'égard  de  la  reine.  Chan- 
gement inespéré,  douce  surprise  pour  elle,  rassurée 
tout  à  coup.  Surprise  forte  pour  un  cœur  de  femme.  Elle 
pouvait  défaillir  et  mollir,  laisser  prendre  de  grands 
avantages  à  l'audace  d'un  homme  tout-puissant,  d'un 
vainqueur,  disons  d'un  maître,  et  qui  voulait  ce  qu'il 
voulait. 

Richelieu  n'était  beau  ni  jeune,  et  ne  ressemblait  pas  à 
Buckingham.  £n  revanche,  il  l'avait  battu;  le  brillant 
fanfaron  était  mort  ridicule.  Richelieu,  au  contraire,  né- 
cessaire aux  Suédois,  et  désiré  des  Espagnols,  semblait 
l'arbitre  de  l'Europe,  grandi  des  victoires  de  Gustave,  des 
succès  de  Lorraine,  de  la  défaite  de  Monsieur.  Même  la 
tragédie  de  Toulouse,  pour  laquelle  on  avait  pleuré,  elle 
le  servait  peut-être  au  fond.  Les  femmes  aiment  qui  frappe 
fort,  et  parfois  ceux  qui  leur  font  peur. 

Donc  ce  triomphateur,  menant  la  cour  vaincue,  la 
reine  souriante  et  tremblante,  descendait  doucement  de 
Garonne  en  Gironde.  A  Bordeaux,  sa  victoire  devait  dou- 
bler encore  par  la  mortification,  le  désespoir  du  vieux 
gouverneur,  le  duc  d'Épernon.  Il  touchait  aux  quatre- 
vingts  ans.  La  fête  eût  été  belle  si  la  rage  remontée  l'eût 
expédié  et  que  le  cardinal  eût  pu  l'enterrer  en  passant. 

Vain  espoir  !  A  Bordeaux,  tout  change. 

Vicissitude  étrange  de  la  destinée  qui  s'amuse  à  nous 
prendre  au  plus  beau  moment,  en  pleine  fête  et  couron- 
nés de  fleurs,  pour  nous  tordre  le  cou!...  Les  violentes 
émotions  de  Richelieu,  sa  préoccupation  terrible,  l'effort 
qu'il  avait  fait,  son  audace  craintive,  enfin,  par-dessus 
tout,  le  tourment  de  l'espoir,  tout  cela  fut  plus  fort  que 
lui.  Et  il  fut  frappé  à  Bordeaux. 


Il  n'y  avait  pa»  à  lutter  avec;  66  mal.  L*înritatioft  de  k 
vessie,  rimpos^ibilité  d'uriner,  semblent  en.  premier  oooj^ 
Tapproeher  de  kl  mort.  L'augure  fâcheux  d'une  mort 
subite  vient  le  firappe»,  Sdiomberg  mort  en  soupanf.  A 
déjà,  en  Allemagne,  il  n  perdu  d'Effiat,  général,  feiander, 
homme  universel^  son  autre  bras  droit.  Tout  s'assombrit. 
La  reine  part  en  avant.  Les  ffites  qu'il  lui  préparait  chez  hd 
(à  Brouage)  et  dans  sa  conquête*  sur  son  champ  de  gloire 
à  la  Rochei4e,  tout  se  fera  sans  hii.  Pour  comble,  le  vieux 
coquin  d'Épernon,  insolent  d^étrc  en  vie",  vient  chaque 
matin,  à  grand  bruit,  avec  toute  une  armée  de  spaxhs- 
sins,  pour  lui  tftter  le  pouls^et  lé  voir  au  visage,  lui  aigris- 
sant son  mal  par  ees^  accès  dé  peur.  Qui  rempèefaê,  ea 
effet,  d'enlever  le  malade,  de  le  mettre' auf  chMeauf  Trom- 
pette, sinon*  dan»  Tautre  mondb  ?  Le  roi  eût  été  en  eirfère, 
mais  on  feût  entouré,  calmé,  félicité,  el,  dans  ta  joîe  uni- 
versefle,  il  eût  accepté  les  faits  accomplis. 

La  reine,  quitte  à  si  bon  marché,  continuait  jofetse^ 
ment  son*  voyage;  profitait  pleinement  des  féces'  du  cardi- 
nal, que  sa  présence  aurait  gfttées.  Il  y  eut  à  la  Rochdfe 
des  magnificences  incroyables,  arcs  de  triomphe,  joutes, 
comttov  naval^  des  danses  et  des  com^erts.  Une  extrâme 
gaieté,  car  on  disait  quMl  était  mort  ou  quil  allait  mou- 
rir. On  dansait.  Cependant  Va  reine*,  qui  palpitait  d'espoir, 
imfpatienté,  envoya  son*  bon*  La  ^rte,  un  confiéent  valet 
ée  chambre,  pour'  s'assurer  de  l'heureux  événement,  c  h 
le  trouvai,  dit  La  Porter,  entre  deut  petits  lits,  sur  «se 
chaise  où  on  le  pansait.  Et  on  me  donna  le  bougeoir  pour 
Taider  à  lire  les  lettres  que  je  lui  apportais^.  »  B  interrogea 
fort  La  Porte  pour  savoir  ce  que*  faisait  la  reine,  si  M.  de 
Chftteauneuf,  le  garde  dei»  sceaux,  y  aKaiit  sotfvent,  ei  s'U 
f  restait  tard,  sll  nr'aihiît  pas  ordinairenfieuf  cfaes^  aoêdame 
de  Chevreuse,  etc.  Mais  il  ne*  s^eu  rapporta  pu»  au  valet 
dis  chamlMre,  et  recueillit  des  notes  exactea  sui^  ceux  qui 
avaient  ri  et  sur  ceux  qui  avHient  èM&&. 


DBS  VICTOIRES  DE  GUSTAVE.  87 

Le  bal  ne  dura  pas,  et  la  joyeuse  cour  revint  au  sé- 
rieux tout  à  coup,  apprenant  deux  nouvelles  qui  chan* 
geaient  le  monde.  Richelieu  avait  uriné,  et  Gustave-Adolphe 
était  mort  (46  novembre  1632). 


CHAPITRE  VIII 


Richelieu,  chef  des  prolestants.  —  Ses  revers.  —  La  France  envahie. 

1633-1636. 


— A/â/ 


Le  monde  a  vu  et  perdu  une  chose  bien  rare,  un  vrai 
héros,  et,  avec  lui,  une  admirable  chance  de  salut.  Si  Gus- 
tave-Adolphe eût  vécu,  on  arrivait  dix  ans,  quinze  ans 
plus  tôt,  à  la  paix  de  Westphalie. 

Il  ne  fit  qu'apparaître,  et  n'en  reste  pas  moins  un  bien- 
faiteur du  genre  humain.  Sa  victoire  eut  deux  résultats 
qu'on  n'a  pas  assez  remarqués.  Elle  sauva  les  villes  impé- 
riales, non-seulement  Nuremberg,  mais  Strasbourg,  mais 
Augsbourg  et  toutes,  que  l'armée  des  brigands  aurait  cer- 
tainement visitées.  La  sienne,  la  primitive  armée  libéra- 
trice, s'épuisa  devant  Nuremberg  et  y  laissa  ses  os  ;  mais 
elle  y  eut  le  succès  admirable  de  détruire  en  même  temps 
le  monstre  militaire,  l'armée  de  Waldstein.  Celui-ci,  à 
Lutzen,  ayant  perdu  ses  hommes  de  confiance,  fut  ea 
réalité  éreinté  pour  jamais.  Il  ne  les  remplaça  que  par  de 
petits  officiers,  brigands  de  troisième  ordre,  parmi  lesquels 
l'Autriche  trouva  sans  peine  un  assassin. 

Répétons-le,  Gustave  ne  mourut  pas  en  vain.  Il  fit  1^ 
grande  chose  pour  laquelle  il  était  né.  Il  coupa  la  tète  au 
dragon^  au  gouvernement  de  soldats  qui  eût  anéanti  li 
civilisation  de  l'Europe. 


RICHELIEU,   CHEF  DES  PROTESTANTS,  89 

La  menue  monnaie  de  Waldstein,  toute  cette  populace 
de  bons  généraux  qui  continueront  la  guerre  de  Trente 
ans,  perpétuent  les  misères^  mais  ne  renouvellent  pas  le 
danger  du  monde. 

Chaque  fois  que  j'entre  dans  Strasbourg  ou  Francfort, 
dans  Nuremberg,  ce  grand  musée,  dans  la  splendide 
Augsbourg,  dans  ces  puissants  foyers  du  génie  allemand 
d'oùjaillirent  Gœthe  et  Beethoven  et  tant  d'autres  lumières, 
je  me  remémore  avec  un  sentiment  de  religion  le  grand 
soldat  Gustave,  qui  sauva  T Allemagne,  et  qui  sait?  la 
France  peut  être. 

Et  je  dis  à  ces  villes  :  a  Où  seriez-vous  sans  lui?... 
Dans  les  ruines  et  les  décombres,  les  cendres  où  finit 
Magdebourg.  » 

Tout  ce  que  l'histoire  fabuleuse  avait  conté  du  héros  fut 
accompli  ici  et  à  la  lettre  :  Sauver  le  monde,  mourir  jeune 
et  trahi. 

On  sait  sa  mort.  À  cette  furieuse  bataille  de  Lutzen,  il 
accable  Waldstein,  le  bat,  le  blesse,  le  crible,  le  renverse, 
lui  tue  ses  fameux  chefs,  Thomme  surtout  qui  fut  la  guerre 
même,  ce  Pappenheim,  qui,  en  naissant,  eut  au  front  deux 
épées  sanglantes.  Il  revenait,  paisible  et  pacifique,  con- 
fiant comme  à  Tordinaire,  de  la  terrible  exécution.  Il 
n'avait  avec  lui  qu*un  Allemand,  un  petit  prince  qui  avait 
passé,  repassé  plus  d'une  fois  d'un  parti  à  l'autre.  Un  coup 
part,  et  Gustave  tombe.  L'homme  suspect  qui  l'accompa- 
gnait s'enfuit  et  alla  droit  à  Vienne  (16  novembre  1632). 

Il  avait  fait  beaucoup,  et  beaucoup  lui  restait  à  faire. 
S'il  eût  vécu  quelques  années  de  plus,  non-seulement  il 
eût  imposé,  forcé  la  paix,  mais  il  eût  obtenu  un  résultat 
moral  immense  ;  il  eût  imprimé  au  cœur  abaissé  de  l'Eu- 
rope un  idéal  grand,  fort,  fécond. 

L'allégresse  héroïque  qui  fit  ce  bon  géant  calme  et 
serein,  et  «  joyeux  tout  le  jour,  »  elle  eût  été  comme  une 
aurore  morale  dans  cette  sombre  époque.  C'est  Tefifet  d'une 


90  KKBMtaO,  CHEF  SBS  mOIBSTANIS. 

tetlfl  force  de  tout  rsHéréoer  et  de  tout  élever  k  9cn.  Ght- 
cnn  regarde,  admire,  et  gnadit  d'avoir  regai4é.  La 
moyeane  générale  chaoge.  Tôt»  gafoenl  un  degré  ;  même 
les  moindres  sont  moins  petits.  Le  vrai  héros,  de  lora,  eC 
là  foèate  où  il  n'agit  pu,  par  cela  tenl  qu'il  est,  imprâne 
k  tous  une  gravitatioD  pw  en  hcut  ;  le  moade  aapire  el 
iDoate,  hausse  vers  le  niveau  de  son  cœur. 

Le  polkiqae,  le  grand  hotoaie  d'aOaires,  comoie  fit 
Hichetiea,  ou  tel  grand  mtlitaiFe,  tel  BCH-dÉ»nt  héros, 
n'ont  point  du  tout  cette  influence.  Leur  forte  temioD,  et 
le  bras  d'airain,  par  lesquels  ils- serrent  les  ressorts,  ban- 
dent la  machine  à  casser  presque,  n'ont  apràs,  pour  efet 
définitif,  qu'une  détente  dépkmbte,  une  énerration  géaé< 
raie.  £t  le  monde  en  reste  aplati. 

L'idée  de  Richetien,  celle  de  l'équilibre  et  du  babnee-  _ 
ment  des  forées,  était-elle  une  idée  vitale  qui  renoovelit 
l'esprit  européen?  Point  du  tout.  L'équilibre  peut  avoir 
lieu  eatre  vivants  on  entre  oiorts.  Le  trés-bux  semUnt 
d'équilibre  qu'on  obtint  k  la  longae  par  le  traité  de  West- 
phalie,  on  ne  l'eut  réellemeid  que  par  l'^uisemenldéi- 
Ditîf  et  par  voie  d'extermination. 

Maintenant,  osons  la  dire,  Richeliea  se  méprit  sur  le 
fond  de  son  idée  même.  En  cherchant  l'équilibre  entre 
protestants  et  catholiques,  il  ne  s'aperçul  pas  que  les  pr»- 
teatants  isolés,  débandés,  n'étaient  pas  mtoie  un  parti, 
tandi»  que  tes  catholiques  avaient  la  force  et  l'unité  d'ioe 
foction. 

Quand  Rome,  Vienne,  Madrid,  les  Jésuites,  iDaminè- 
rent  et  firent  des  fêles  pour  la  bataille  de  Lutsen,  ce  n'état 
pas  SMUement  pour  la  mort  de  GusUve,  mais  ponr  h 
ruine  de  Waldslein,  qui,  rendu  et  fini,  bientdt  toé,  allait 
restituer  à  l'Empereur  son  rdle  de  dief  des  armée»  caUio- 
Uques  et  donner  à  ce  parti,  lié  si  fortement,  l'unité  absolue. 

Qtà  dit  l'Empereur  dit  les  JésaRes.  Ils  sont  les  vais- 
ttenra  des  vainqueoES. 


sm  lunmft.  -^  lm  nAncM  rivahie.  91 

La  guerre,  meikée  par  des  homnies  de  paix,  par  dés 
hooiaiea  cpm  n'y  ▼ont  pas,  ne  peut  manquer  d'être  éter- 
nelle. La  médiocrilé,  ki  plaiitude  et  la  tMiesease,  centrali- 
sée au  cabinet  jésuite,  vont  de  Vienne  s'étendre  partout 
comme  un  pesant  bfouîUard  de  plomb. 

Ou  est  le  général  en  chef  i^rès  Waldstein  ?  Au  prie- 
IMeu,  ealre  deux  jésuites.  E»  réponse  à  cette  question, 
eeux-ci  avec  satisfaction  vous  auraient  montré  là  leur 
owrrage,  leur  créalure  et  leur  propriété,  un  petit  homoie 
gras,  qu'ils  tiennent  jour  et  nuit,  gardent  à  vue,  mènent, 
ramènent  de  l'oratoire  à.  la  chapelle.  Créature  étonnanlel 
11  serait  curitus  d'expliquer  comment  ces  pères  ont  couvé, 
fait  éeloret  cette  espèce  jusque-là  inconnue  en  histoire 
naturelle.  On  avait  bien  le  fanatique,  mais  on  n'avait  pas 
le  big9$.  Heureux  mélange  du  sot,  du  furieux,  combinai- 
son savante  d'aveugle  docilité  et  de  slupîdiilé  sanvage.  Le 
fanatique  était  terrible  ;  mais  enfin  il  avait  des  yeux }  il 
risquait  par  moments'  d'entrevoir  des  lueurs.  Hais  rien 
ici;  le  sen» de^  la  vue  manque.  Aussi  quelle  fèvce  et  queHe 
rdtdeurt  Nulle  eourbe  ;  une  droite  U^e  de  fiéroeîté  sette 
€|tt'en  n'eût  imaginée  jamai». 

On  ne  peut  contester  qu'il  n'y  ait  là  une  puiesance  téeXh- 
L'absence  de  doule  et  de  scrupule,,  la  parSaite^  unité  auto- 
matique, gards  eel  être  à  part  de»  tergiversations  bumai- 
nea.  En  lui  est  scellée  l'unité  du  part»  catholique.  Parti 
très-  fort,  qui  m  peut  se  disjoindre.  Que  le  p«pe  ail  des 
velléités  peur  la  France,  que  l'Espagne  parfois  soît  tentée 
de  traiter  à  part^  ce»  petites  inconséquences  n'ont  ancvne 
portée.  L'un  et  l'autre  essentieUenMnt  souft  unis  à  l'Au- 
triche. Même  le  Bavarois^  rival  jaloux,  de  l'Autrichien, 
comment  s'e»  séparerait'- il?  Ridielieu^  bien  à  tori,  a 
bâti  sur  cette  espérance.  Comment  ne  voit* il  paa  la 
Mate  unité,  l'indissolubilité  de  ce  parti,  m  la  Bavière 
et  toua,  par  la  grande  questioa  de  speliation  territe- 
riftie,  sont  Kés,  attachés,  coUéaet  dmentéa  ensemUe. 


92  RBCHELIfiU,  CBEF  DES  PROTESTANTS. 

Le  drapeau  de  l'Empereur,  c'est  YÉdit  de  restitution. 

Les  protestants,  qu'étaient-nls  en  substance?  La  transi- 
tion du  christianisme  à  la  liberté,  la  liberté  naissante, 
sous  forme  encore  chrétienne. 

La  liberté,  c'est  la  variété  spontanée  du  génie  humain. 
Elle  arrivait  avec  vingt  masques  qui  ne  se  reconnaissaient 
pas  encore  dans  leur  unité  intime.  Les  calvinistes,  à  cha- 
que instant,  étaient  maudits,  trahis  par  les  luthériens  et  les 
anglicans.  Le  grand  traître,  c'était  l'Angleterre  de  Char- 
les P%  au  jugement  de  Gustave.  Entre  les  luthériens,  le 
Danemark  frappé,  effrayé,  laissa  les  autres;  la  Saxe, 
même  le  Brandebourg,  ne  furent  pas  plus  fidèles.  L'Alle- 
magne luthérienne,  en  masse,  était  jalouse  des  Suédois, 
applaudissait  peu  leurs  victoires. 

Les  protestants,  si  faibles  par  leur  division  nécessaire, 
furent  un  moment  liés  par  un  miracle.  Ce  miracle  est 
Gustave-Adolphe. 

11  fallait  le  laisser  aller.  Richelieu  ne  le  pouvait  pas  avec 
son  roi  dévot.  Et  il  ne  le  voulait  pas  non  plus,  étant  prêtre, 
cardinal,  légat  de  Rome  en  espérance,  il  soutint,  fortifia 
moralement  les  catholiques,  c'est-à-dire  les  plus  forts. 
Voilà  quel  fut  son  équilibre  en  4632. 

Somme  toute,  ce  grand  homme  d'affaires  ne  montra 
pas  beaucoup  de  prévoyance.  Il  ne  prévit  pas  le  rapide 
succès  de  Gustave,  puis  se  l'exagéra.  Il  ne  prévît  pas  la 
mort  de  Gustave,  et  agit  comme  s'il  devait  vivre  toujours, 
comme  si  un  homme  mortel,  un  héros  toujours  en  bataille, 
était  le  danger  futur  de  l'Europe  plus  que  la  faction  dura- 
ble de  Vienne.  Il  ne  prévit  pas  la  fidélité  forcée  de  là 
Bavière  à  TAutriche.  Il  ne  prévit  pas  l'infidélité  de  Saxe  et 
de  Brandebourg,  qui  le  poussèrent  à  la  guerre,  et  puis  le 
plantèrent  là. 

Frappé  par  la  mort  de  Gustave,  par  la  mort  de  Walds- 
tein,  qui  unifiait  le  parti  catholique  et  lui  restituait  sa 
prépondérance  intrinsèque,  il  fallut  bien  alors,  tellement 


SES  REVERS.  —  LA  FRANCE  ENVAHIE.         93 

quellement,  qu'il  suppléât  Gustave,  qu'il  entreprit  le  rôle 
étrange  et  impossible  de  chef  des  protestants,  lui  cardinal; 
que  d'abord  il  payât  la  guerre,  puis  la  fit.  Avec  quoi?  Avec 
des  officiers  tellement  ses  ennemis,  qu'ils  aimaient  mieux 
les  Espagnols  et  désiraient  être  battus. 

En  janvier  1633,  quand  on  le  rapporta  de  Bordeaux,  et 
que  Louis  XIII  alla  dix  lieues  au-devant  du  malade,  il  pa- 
raissait très-fort.  Il  frappa  ses  ennemis,  frappa  ses  faux 
amis.  Mais  maintenant  quels  seront  les  vrais?  Nous  avons 
vu  comment  le  P.  Joseph  l'avait  trahi  à  Ratisbonne.  Mont- 
morency, naguère  ami  à  Lyon  dans  la  crise  de  4630,  a 
tourné  et  péri.  Châteauneuf,  son  ami  à  la  Journée  des 
dupes,  mais  depuis  gagné  par  les  dames,  a  dansé  pour  sa 
mort;  il  le  fait  arrêter.  Son  instrument,  d'Estrées,  qui,  en 
1631,  se  fit  pour  lui  garde,  presque  geôlier  de  la  reine 
mère,  d'Estrées  même,  cette  fois,  est  du  complot.  Il  a  peur 
et  se  cache.  Richelieu  est  forcé  do  le  chercher,  de  le  ras- 
surer, de  le  reprendre;  à  quel  autre  se  fierait-il  mieux? 

Il  est  trop  évident  que  personne  ne  croit  que  Richelieu 
puisse  durer.  It  mourra,  ou  le  roi  mourra.  Et  d'ailleurs  le 
roi  peut  changer.  Comment  lui  reste-t-il?  C'est  ce  qu'on  a 
peine  à  comprendre.  Comment  supporte-t-il  la  vie  que  lui 

fait  Richelieu  ? 

Premièrement,  celui-ci  lui  a  chassé  sa  mère,  la  tient 
dehors,  et  ferme  solidement  la  porte,  lui  faisant,  pour  ren- 
trer, la  condition  impossible  de  livrer  son  confesseur,  qui, 
dit-on,  veut  faire  tuer  le  cardinal. 

Deuxièmement,  il  maintient  le  roi  en  défiance  de  Tuni- 
que personne  qu'il  aime,  lui  démontrant  sans  peine  que.la 
gracieuse  Hautefort  est  au  fond  l'espion  de  la  reine,  et  lui 

redit  tout  ce  qu'il  dit. 

Au  moins  ce  roi  dévot  s'épanchera-t-il  au  confessionnal? 
Point  du  tout.  On  lui  prouve  que  le  jésuite  Suffren  appar- 
tient à  sa  mère,  et  tout  à  l'heure  que  Caussin,  Tun  de  ceux 
qui  succèdent,  intrigue  pour  Anne  d'Autriche. 


%i  RKHEUEU,   CHEF  DBS  PROnBTAMTB. 

Voilà  un  roi  bien  seul,  bien  ennuyé.  De  moins  en 
sa  santé  lui  permet  la  chasse.  Et  Richelieu,  de  jAqm  ca 
plus,  lui  interdit  d'aller  à  la  guerre. 

Par  quoi  donc  le  tient-il  ?  Serait-ce  par  le  douteux  Joseph, 
si  peu  sûr  en  lui-même,  par  le  ministère  capucÎD? 

La  nécessité  politique  le  pousse  à  chaque  instant  k  des 
choses  qui  devraient  être  intolérables  à  la  conscience  éa 
roi.  En  janvier  1633,  pour  l'affaire  Montmorency,  il  lai 
faut  proscrire  cinq  évéques.  Il  lui  faudra  bientôt  agir 
tre  le  pape,  qui  approuve  le  mariage  de  Monsieur  avec 
Lorraine,  qui  accorde  à  TEspagneles  moyens  de  la  guwie, 
l'argent  de  l'église  espagnole,  en  refusant  à  Richelieu  de 
faire  payer  le  clergé  français^ 

Richelieu  ménagea  au  roi  l'amusement  d'achever  l'af- 
faire de  Lorraine  en  entrant  lui-même  à  Nancy. 

La  conquête  fut  menée  comme  une  saisie  judiciaire  ;  le 
prétexte  en  justice,  passablement  grotesque,  fut  le  rapt 
commis  sur  Gaston,  un  homme  de  trente  ans,  par  la  |eaae 
princesse  de  Lorraine,  qui  en  avait  dix-huit. 

En  réalité,  le  roi  était  mené  par  la  force  des  choses  à  se 
saisir  de  la  Lorraine,  comme  chemin  de  l'Allemagne,  où 
il  devenait  le  chef  réel  du  parti  protestant. 

Il  avait  travaillé  l'hiver  à  refaire  l'unité  discordante  de 
ce  pauvre  parti,  qui  paraissait  s'abandonner  Ini-méme.  En 
avril  1633,  il  signa  une  ligue  avec  quatre  cercles  d'Alle- 
magne, et  avec  les  Suédois,  à  qui  il  promettait  un  miUioa 
par  année.  Secours  insuffisant.  On  le  lui  dit.  Et  il  y  parut 
bientôt  à  Nordlingen,  où  Bernard  de  Weîmar,  général 
allemand  des  Suédois,  fut  battu  par  les  Impériaux  (août 
1634).  L'Allemagne,  à  la  discrétion  de  rEmp»etir,  priait 
Richelieu  de  prendre  Brisach,  Philipsboivrg,  le  haut  Rhin, 
mais  d'armer  et  d'intervenir,  de  descendre  «en  champ  clos, 
de  remplacer  Gustave. 

Ainsi  l'attraction  fatale  de  cette  guerre  terrible,  affamée 
d'hommes,  entratnak  là  Prance.  Et  personnellement  Ri^ 


SES  REVERS.  —  LÀ  FRANCE  ENVAHIE.        95 

eheUeu,  par  son  intérêt  de  ministre  et  ses  passions  d'homme, 
n'y  était  pas  moins  attiré.  L'Espagne  le  minait  au  Louvre. 
Serait-ce  toujours  impunément  que  le  roi  irait  chaque  soir 
chez  la  reine  écouter  cette  fiUe  dévote,  dangereuse  et  char* 
mante,  qui  lui  parlait  pour  sa  maîtresse?  Le  plus  fort  levier 
de  l'Espagne  était  à  Paris  même.  Richelieu  lui  avait  déji 
ôté  la  prise  de  la  reine  mère.  Il  devait  lui  ôter  encore  celle 
que  lui  donnait  la  petite  cour  de  la  reine  Anne.  Cette  cour, 
qu'on  voudrait  croire  délicate,  élégante,  n'en  était  pas 
moins  la  fabrique  des  plaisanteries  fort  sales  et  fort  gros- 
sières qui  couraient  sur  le  ministre,  sur  sa  vessie,  ses  uri- 
nes, sur  un  ulcère  caché  qu'aurait  eu,  disait-on,  sa  nièce. 
On  n'y  épargnait  rien  pour  faire  arriver  au  roi  cent  contes 
ridicules  sur  ses  mauvaises  mœurs.,  ses  déclarations  à  la 
reine,  ses  visites  à  Marion  Delorme,  les  escapades  invrai- 
semblables d'un  malade  de  cinquante  ans,  et  si  souvent  an 
lit.  Ces  sottises,  lors  même  qu'on  les  prouve  fausses  et 
controuvées,  diminuent  un  homme  à  la  longue,  l'avilissent, 
fatiguent  ceux  qui  le  défendent  ;  ils  finissent  par  croire 
que,  dans  tant  de  choses  fausses,  il  y  a  un  peu  de  vérité. 

En  4634,  Richelieu  avait  pris  enfin  deux  grandes  déci- 
sions :  rupture  ouverte  avec  l'Espagne,  renvoi  de  la  reine 
espagnole. 

Celte  dernière  mesure  eût  été  un  grand  coup  en  Europe. 
Elle  eût  indiqué  qu'on  faisait  peu  de  cas  des  forces  de  l'Es- 
pagne, puisqu'on  ne  craignait  pas  de  rompre  sans  retour 
avec  elle,  par  un  outrage  personnel,  d'homme  à  homme 
et  de  roi  à  roi. 

Une  dépèche  de  Philippe  lY  (areh.  Simancas,  ap.  Cape* 
figue)  montre  qu'il  fut  extrêmement  eflVayé.  Elle  nous 
apprend  que  Louis  XllI  était  tout  décidé,  qu'il  voulait  faire 
entendre  raison  à  la  reine  par  l'ambassade  même  d'Espa- 
gne, en  lui  faisant  craindre  un  procès  scandaleux  qui  l'eût 
couverte  de  honte,  et  qui  l'eût  perdue  en  Espagne  même, 
dans  sa  CuniUe  humiliée.  Cette  terreur  agit  si  bien  sur 


96  RICHELIEU  CHEF  DBS  PROTESTANTS. 

Philippe  IV,  qu'il  charge  son  ambassadeur  d'une  démarche 
assez  basse  près  de  Richelieu,  voulant  l'apaiser  par  tous  Us 
moyens,  lui  offrant  tout,  lui  faisant  dire  qu'un  esprit  si 
vaste,  si  avide  de  gloire,  ne  pouvait  trouver  un  champ  digne 
de  lui  qu'auprès  du  roi  d'Espagne  et  dans  les  moyens  in- 
finis de  la  monarchie  espagnole. 

La  même  dépêche  nous  apprend  que  M.  de  Créqui,  le 
gouverneur  du  Dauphiné,  homme  si  important^  et  influent 
en  Italie,  était  envoyé  à  Rome  pour  le  divorce.  Vaine  am- 
bassade. Il  était  évident  que  le  pape,  même  sous  la  pression 
du  parti  français,  n'en  viendrait  jamais  à  faire  une  telle 
injure  au  roi  d'Espagne,  à  la  maison  d'Autriche,  avec  qui 
ses  rapports  secrets  étaient  bien  plus  intimes. 

En  tout,  sur  tout,  à  ce  moment,  le  pape  était  contre  la 
France.  H  lui  refusait  l'argent  qu'il  donnait  à  TEspagne. 
Richelieu,  pour  obtenir  un  don  du  clergé  de  France  sans 
l'autorisation  de  Rome,  fit  valoir  aux  évéques  qu'il  n'allait 
commencer  la  guerre  que  pour  délivrer  un  évéque,  l'élec- 
teur de  Trêves,  enlevé  par  TEspagne  et  prisonnier  à  Vienne. 
Cette  pieuse  croisade  devait  s'exécuter  par  l'épée  protes- 
tante des  Suédois  et  des  Hollandais.  Par  son  traité  avec 
ceux-ci,  Richelieu  leur  donnait  moitié  des  Pays-Bas,  s'ad- 
jugeait l'autre. 

Richelieu  accuse  Henri  IV  d'avoir  imprudemment  voulu 
la  guerre  au  moment  de  sa  mort.  Henri  y  était  pourtant 
mieux  préparé,  plus  en  état  d'y  frapper  de  grands  coups. 
Il  dit  à  tort  qu'il  avait  assez  d'argent,  de  troupes,  des  places 
en  bon  état.  Fontaine-Mareuil  et  autres  disent  le  contraire, 
et  l'événement  ne  prouva  que  trop  bien  qu'ils  avaient 
raison. 

Il  ne  vit  pas,  ne  prévit  pas.  Ce  qu'il  aurait  pu  voir,  c'était 
son  isolément  réel,  combien  il  était  haï^  et  le  profond  bon- 
heur que  tout  le  monde  aurait  à  le  faire  échouer.  Et  il  ne 
prévit  pas  que  l'argent  manquerait  dès  la  seconde  année, 
que  la  France,  au  lieu  d'envahir,  serait  elle-même  envahie. 


SES  RBYERS.  —  LA  FRANCE  ENVAHIE.        97 

Il  y  avait  du  jeune  homme  en  ce  grand  homme,  et  de 
fortes  chaleurs  de  cœur.  Deux  fois  l'audace  en  choses  im- 
probables lui  avait  réussi ,  et  dans  la  tentative  de  dompter 
la  mer  à  la  Rochelle  (n'ayant  pas  de  marine  encore),  et 
dans  celle  de  forcer  les  Alpes  au  Pas  de  Suse  (n'ayant  pas 
même  de  poudre).  Donc,  il  se  remit  à  la  chance,  dans  cette 
guerre  contre  l'Espagne,  guerre  contre  la  reine,  guerre 
contre  la  cour,  contre  tous  ses  ennemis. 

Pour  leur  crever  le  cœur,  le  jour  même  où  il  envoya  la 
déclaration  de  guerre  à  Bruxelles,  il  exigea  que  l'on  rît  à 
Paris.  Il  fit  représenter  une  comédie  sur  son  théâtre  dont 
il  fit  l'ouverture  (16  avril  1635).  il  voulut  voir  la  mine  que 
ferait  cette  cour  ennemie,  et  si  elle  oserait  ne  pas  rire.  La 
pièce,  les  Tuileries,  avait  été  esquissée  par  luimôme,  écrite 
par  Rotrou,  Corneille  et  trois  autres.  Mais  le  drame  était 
l'auditoire,  et  les  spectateurs  étaient  le  spectacle.  Devant 
la  &ce  pâle  du  pénétrant  esprit,  du  revenant  qu'on  voyait 
au  fond  de  sa  loge  et  qui  surveillait  tout,  on  travaillait  à 
être  gai. 

Plus  d'un  de  ses  applaudisseurs  se  vengèrent  de  leur 
lâcheté  de  courtisans  par  leur  perfidie  à  l'armée.  Ils  y  vin- 
rent impatients  de  se  faire  battre  et  prêchant  la  désertion 

Il  y  avait  bientôt  quarante  ans  que  la  France  n'avait  fait 
la  grande  guerre.  Et  personne  ne  la  savait  plus.  Nos  gentils 
hommes  duellistes  n'étaient  pas  du  tout  des  soldats  Pas 
un  général  sérieux,  sauf  Rohan,  Thoiras,  qui  moururent 
sauf  peut-être  le  jeune  Feuquières  et  le  très-vieux  La 
Force.  Turenne  est  encore  un  enfant.  Personne  qui  mérite 
confiance.  Richelieu,  en  1630,  avait  trois    généraux  à 
l'armée  d'Italie,  qui  commandaient  chacun  son  jour  En 
1635,  il  suit  une  méthode  moins  absurde,  mais  mauvaise 
encore,  deux  généraux  à  chaque  armée,  et  l'un  d'eux  un 
parent  ou  ami  du  ministre  qui  observe  l'autre,  l'empêche 
de  trahir.  Au  nord,  ce  fut  Brézé,  son  beau-frère,  et  sur  le 
Rhm  le  cardinal  la  Valette.  Prétexte  pour  ne  point  obéir 

XII.  y 


98  BICHBLIEU,   CBBF  WSS  MOTISTjUfrS. 

Lft  noblesse  De  veut  prendre  Tordre  d'un  géaéral  ppétqe. 
L-Mrmée,  arrivée  à  Mayence,  lui  signifie  qu  eUe  n  entmfa 
pas  en  Allemagne.  A  quoi  bon?  Le  parti  prolestaat  qp!uB 
veut  secourir  est  dissous,  puisque  Saxe  et  Brandebourg «ot 
traité  avec  TEmpereur.  Loin  de  pouvoir  rejoindre  les  Sué- 
dois, la  Valette  est  forcé  de  faire  une  retraite  désastreuse. 
Adx  nouveaux  corps  qu'on  envoie,  les  anciens  préchenl  la 
révolte.  L'a rrière-ban,  convoqué,  vient  ajouter  l'insolence 
féodale  d'une  chevauchée  de  gentilshommes  qui  veulent 
bien  servir  le  roi  en  France,  n^is  non  ailleurs,  et  encore 
faire  seulement  leurs  quarante  jours,  le  petit  service  de 
Vosi,  d'après  les  us  de  saint  Louis.  Ni  guet,  ni  garde;  tout 
cela  est  au-deséous  de  la  noble  gendarmerie.  Charger,  à  U 
bonne  heure;  une  bataille,  et  aujourd'hui,  sinon  ils  re- 
tournent chez  eux. 

Tout  manqua  de  tous  les  côtés.  La  grande  invasion  des 
Pays-Bas  n'eut  d'autre  effet  que  la  ruine  d'une  vilie, 
l'horrible  saccagement  de  Tirlemont.  En  Ualie,  quoiqu'on 
eût  pour  soi  le  Savoyard,  on  resta,  on  échoua  devant  nne 
bicoque. 

Bref,  la  première  campagne  resta  de  tout  point  ridicule. 
Madrid  dut  être  satisfaite.  Mais  le  Louvre  l'était  bien  plus, 
et  la  cour  nageait  dans  la  joie. 

Richelieu  réussirait-il  mieux  en  4636?  11  n'y  avait  pas 
d'apparence.  L'argent  manquait.  Il  avait  entrepris,  en 
commençant  la  guerre,  une  chose  hardie,  et  révolution- 
naire alors,  d'alléger  quelque  peu  là  taille  du  peuple  en 
faisant  payer  quelques  exemptés,  les  gros  bourgeois  pour 
une  partie  de  leurs  ficfs,  les  ecclésiastiques  propriétaires 
pour  ce  qu'ils  possédaient  d'étranger  à  r£glise.  Très-vive 
irritation.  Elle  ne  fut  pas  moindre  dans  les  geus  d'épée 
quand,  pour  punir  l'armée  du  Rfain,  il  déclara  dégradés 
de  noblesse  ceux  qui  quittaient  l'armée  ;  les  officiels  dod 
nobles  envoyés  aux  galères,  et  les  soldats  punis  de  mort. 
Il  hii  avait  fallu  licencier  cette  armée.  Et,  d'autre  part^ 


SBS  REVKirS.   ^   LA   FRANCK  X^IYAliU.  93 

edle  du  Nord  était  retenue  en  Hollande  au  service  des 
Hollandais,  qui  ne  la  renvoyèrent  qu'en  plein  été.  Donc 
la  France  était  découverte.  Une  invasion  n'était  pas  iin«* 
probable.  Le  divorce. demandé  à  Rome,  le  plan  pour  par- 
tager les  Pays-Bas,  c'étaient  deux  crimes,  deux  injures 
personnelles  que  la  maison  d'Autriche  brûlait  certainement 
de  venger. 

Richelieu  fit  visiter  nos  places  du  Nord  par  un  homme 
qu'il  croyait  très«sûr,  par  Sublet  Du  Noyer.  C'était  un  pe- 
tit homme,  de  méchante  mine  cagote  et  d'àme  pire,  mais 
un  bœuf  de  labour,  qui  ni  jour  ni  nuit  n'arrêtait,  qui  sa- 
tisfaisait le  maître  de  quelque  charge  dont  on-  chargeât 
son  dos.  11  faisait  toujours  plus,  il  faisait  toujours  trop. 
Un  ministre  homme  d'esprit,  à  qui  les  affaires  n'ôtaient 
nullement  l'ambition  littéraire,  trouvait  bien  doux  de 
trouver  là  toujours  les  grosses  épaules  voûtées  de  ce 
Sublet  pour  y  mettre  tout  ce  qu'il  voulait.  La  facilité  plate 
d'expédier  passablement  une  foule  de  matières  qu'il  ne 
connaissait  point  rendait  ce  terrible  commis  en  état  de 
suffire  à  tout.  On  lui  mit  dessus  la  marine  oti  il  ne  savait 
rien,  et  il:  s'en  tira  assez  bien.  On  ajouta  la  guerre,  et  tout 
alla  très-mal  ;  mais  était-ee  sa  faute  f 

Par  Tentrainement  des  affaires,  peu  à  peu,  tout  alla  à 
lui.  Il  avait  deux  choses  pour  lui  :  son  énorme  travail, 
qui  semblait  consciencieux,  et  sa  bassesse  de  nature, 
peinte  en  sa  face  de  hibou,  qui  empêchait  de  croire  qu'il 
pût  avoir  aucune  prétention  élevée.  Au  total,  un  homme 
ténébreux,  haineux  et  dangereux,  qui  ruinait  sourdement 
•et  concurrents,  et  qui,  à  la  longue,  eût  bien  pu  oser  mi- 
ner Richelieu  même,  car  il  plaisait  au  roi  par  sa  dévotion, 
et  secrètement  il  était  aux  Jésuites. 

Ce  commis  ne  connaissait  rien  aux  places  de  guerre.  11 
rapporta  à  Richelieu  ce  que  désirait  le  ministre,  que  tout 
était  en  bon  état.  Et  celui-ci,  tranquille  sur  le  Nord,  re- 
garda au  sud-est,  oii  le  prince  de  Condé,  gouverneur  de 


100  RICBELIED,   CHEF  DES  PROTESTANTS. 

Bourgogne,  lai  proposait  d'envahir  la  Franche  Comté. .  Le 
prince  le  flattait  de  Tespoir  qu'en  celte  campagne  la  Heil* 
leraie,  un  bon  soldat,  parent  du  cardinal,  éclaterait  sous 
lui,  justifierait  la  faveur  singulière  du  ministre  qui  venait 
d'obtenir  du  vieux  Sully  sa  démission  de  grand  maître  de 
l'artillerie  pour  donner  cette  haute  charge  au  brave  et  peu 
capable  la  Meilleraie. 

Pour  faire  réussir  celui-ci,  on  met  dans  cette  armée 
deux  officiers  solides,  très-fermes  et  très-forts  sur^leurs 
reins,  déjà  vieux  dans  la  guerre  de  Trente  ans,  soldats  du 
grand  Gustave,  que  le  roi  venait  d'acquérir.  L'un  l'Alle- 
mand Rantzau;  l'autre,  le  Béarnais  Gassion.  On  croyait 
surprendre,  emporter  D6\e;  elle  prise,  la  province  eût 
suivi  ;  la  Meilleraie  revenait  couvert  de  gloire,  le  premier 
général  du  siècle. 

Pendant  ce  temps,  une  chose  facile  à  prévoir  est  arrivée 
au  nord.  La  France  est  envahie. 

L  ambassadeur  d'£spagne,  en  ce'  moment,  gouvernait 
ceux  qui  gouvernaientFerdinandll.  Il  obtint  qu'à  vingt  mille 
fantassins  espagnols  qui  iraient  vers  Liège  (sous  prétexte 
d'une  révolte),  l'Empereur  joindrait  quinze  mille  cavaliers 
sous  Piccolomini  et  Jean  de  Werth.  Pendant  ce  temps,  le 
duc  de  Lorraine  entrait  en  Bourgogne,  et  Gallas,  autre 
général  de  l'Empereur,  allait  parla  Franche-Comté.  Union 
pour  la  première  fois,  parfaite  entente,  accord  actif  de 
l'Espagne  et  de  l'Autriche. 

Le  gouverneur  des  Pays-Bas,  le  cardinal  infant,  menait 
l'armée  du  Nord  en  France  (1«'  juillet  1636). 

Il  assiège  et  prend  la  Capelle.  Nul  obstacle.  Des  places 
non  approvisionnées,  démantelées.  Des  gouverneurs  trem- 
blants, que  les  habitants  forcent  de  se  rendre.  Un  indicible 
effroi  dans  les  campagnes.  Toute  la  barbarie  des  guerres 
turques  ;  incendie,  pillage  et  massacre.  Jean  de  Werth 
remplissant  tout  de  son  nom  et  de  sa  terreur.  La  grande 
masse  espagnole  s'arrête  à  assiéger  Corbie,  qui  est  prise 


SES  REVERS.  —  LA  FRANCE  ENYAHIE.  404 

(45  août).  Le  torrent  roule  vers  Paris.  Les  Croates  vont 
jusqu'à  Pontoise.  Paris,  épouvanté,  déménage,  fuit  vers 
Orléans. 

Richelieu,  ce  génie  si  sérieux  et  si  attentif,  à  qui  Ton 
supposait  le  don  de  prescience,  souffrait  ici  plus  qu'un 
revers;  il  semblait  convaincu  d'étourderie.  C'était  l'astro- 
nome tombé  dans  un  puits,  c'était  le  prophète  aveugle  qui 
se  voit  avalé  au  ventre  de  la  baleine.  Il  avait  cru  prendre, 
et  il  était  pris.  II  sentait  les  risées  du  Louvre,  la  joie  sour- 
noise du  monde  de  la  reine.  On  dit  que  le  cœur  lui  man- 
qua, qu'il  fut  troublé  de  voir  un  peuple  immense  qui 
remplissait  les  rues,  qui,  pour  la  première  fois,  parlait. 
Ce  fut,  dit- on  encore,  le  capucin  Joseph  qui  le  releva,  le 
ranima.  J'en  doute.  A  ce  moment,  ce  personnage  double 
s'était  fait  l'avocat  de  la  mère  du  roi,  le  doucereux  récon- 
ciliateur de  la  famille  royale.  Loin  d'encourager  son  ami 
à  rester  et  tenir  ferme,  il  l'eût  plutôt  poussé  à  bas  et 
aidé  à  sa  ruine. 

Richelieu,  comme  tout  homme  d'imagination,  en  telle 
rencontre,  était  très-agité.  Mais,  homme  d'esprit  avant 
tout,  il  comprit  bien  qu'en  ce  pays  de  France,  sous  les 
croisées  moqueuses  du  Louvre,  il  fallait  de  l'aplomb  et  une 
belle  contenance.  Il  sortit  en  voiture,  à  peu  près  seul, 
traversa  en  tous  sens  cette  foule  qui  jusque-là  le  maudis- 
sait et  qui  ne  sut  plus  qu'applaudir. 

Paris,  en  ce  moment,  fut  très-beau.  11  y  a  toujours 
d'étranges  ressources  avec  ce  peuple.  Les  métiers,  reçus 
par  le  roi  dans  la  grande  galerie  du  Louvre,  montrèrent 
un  noble  enthousiasme  et  promirent  une  armée.  On  la 
leva  réellement  avec  l'aide  du  Parlement  et  de  toute  la 
bourgeoisie,  qui  donna  sans  compter. 

Nos  troupes  grossissaient.  Et  celles  de  l'ennemi  fon- 
daient chaque  jour.  Les  cavaliers  d'Allemagne,  enrichis  de 
pillage,  laissaient  le  camp  et  s'évanouissaient  chaque  nuit. 
Voilà  pourquoi  le  cardinal  infant  traînait  et  hésitait  pour 


403  RICUeUBD,  CHV  DES  PtlOTtSriNTS. 

s'enfoncer  en  France.  Il  ne  profita  pas  des  perfidies  se- 
crètes de  nos  généraux  princes  du  sang,  le  comte  de  Sois- 
sons  et  Monsieur,  qui  craignaient  de  trop  réus^  contre 
les  Espagnols  et  tramaient  un  complot  pour  tuer  Riche- 
lieu. 11  ne  tenait  qu'à  eux,  et  sa  vie  était  dans  leurs  mains. 
Uonsieur,  se  rappelant  sans  doute  ce  qu'on  disait,  que, 
Htchelieu  tué,  le  roi  pourrait  bien  le  tuer  lui-même,  lloo- 
sieur,  dis-je,  cette  fois  encore,  saigna  du  nez,  tourôa  le 
dos  au  moment  où  les  conjurés  le  regardaient  et  atten- 
daient son  ordre. 

En  six  semaines,  Richelieu  et  le  roi  reprirent  Corlùe, 
une  méchante  petite  place  qu'on  aurait  pu  enlever  en 
vingt-quatre  heures,  et  à  qui  on  fit  les  honneurs  d'un 
Biége. 

La  lempéte  du  Nord  dissipée,  celle  de  l'Est  eut  pu  nous 
emporter  encore  si  le  duc  de  Lorraine  et  Gallas,  qui  arri- 
vaient par  deux  chemins,  eussent  combiné  ieurinviisîoo. 
Hais  (îallas,  affaibli  aussi  par  la  désertion  des  pillards, 
vint  s'aheurtcr  au  siège  d'une  petite  place,  Saint-Jean  de 
Losne,  dont  la  population,  attendant  les  dernières  hor- 
reurs des  brigands  impériaux,  fit  une  résistance  in- 
croyable, les  femmes  comme  tes  b<Mnmes.  Rantziu  par- 
vint à  s'y  jeter,  et  dès  lors  régala  les  Alleminds  de  sortit» 
furieuses.  La  SaAne  se  mit  de  la  partie  et  déborda.  Les 
assiégeants  étaient  dans  l'eau,  et  ne  réchappaient  qu'à  la 
DBge.  Cette  ville  fut  délivrée  le  jour  oii  Corbic  fut  reprise 
(U  novembre  )636). 

On  peut  dire  que  la  France  s'était  sauvée  ell^ménie.  Ce 
gouvernement,  fort,  dur,  pesant;  s'était  vu  désarmé,  et, 
loin  de  protéger,  c'est  lui  qui,  dans  la  crise,  fut  protégé 
par  la  nation. 

s  comment  la  nation  le  put-eile,  appauvrie  qu'elle 
t  déshabituée  de  la  guerre  ?  Il  faut  l'avouer  franche' 
parce  que  l'invasion  n'était  pas  sérieuse,  et  que  let 
érants  se  souciaient  peu  de  conquérir.  L«s  bandes 


SES  BBYISS.   '. LA.rRANCC  SSIVARE.  .40B 

qui  entrèrent  ptr  le  Nord,  par  la  Lorraine  et  la  F rancbê*- 
Goarté,  âoiis  le  drapeau  de  i'Espegne  et  de  TËmperettr^  ne 
se  battaient  ni  paur  l'un  ni  pour  l'autre  ;  elles  ne  vmih- 
laîent  rien  que  piller.  C'est  ce  qu'elles  firent  à  leur  aisâ, 
Bon^^eulenient  en  France,  mais  en  Franche- Comté  sur 
terre  espa^^nole^  Puis,  chargées,  surchargées,  ayant  démé- 
watgé,  vidé,  ruiné  le  pays  de  fond  en  comble,  elles  plan- 
tèrent là  leurs  généraux.  Nous  pûmes  triompher  à  notre 
aise  de  leur  départ  que  nous  n'avions  pas  fait,  mais  triom- 
plier  dans  le  désert  sur  nos  propres  ruines. 

La  Franehe*Comté,  jusque-là  protégée  par  une  neutra- 
lité tolérée,  était  pleine  de  biens.  £ile  périt  alors,  et  ne 
s'en  est  jamais  bien  relevée.  La  Picardie  entra  dans  le  ter- 
rible crescendo  de  famine  que  Ton  verra  plus  tard.  La 
Lorraine  resta  rasée  comme  la  main,  et  tout  le  pays  à 
l'Est.  L'invasion  des  Barbares,  attendue  depuis  dix  ans, 
retardée  par  Gustave  quand  il  brisa  Waldstein,  ne  fut  pas 
une  conquête,  comme  elle  l'eût  été  sous  ce  chef,  mais  un 
grand  pillage  anarchique.  Tous  retournèrent  à  leurs  camps 
d'Allemagne,  ramenant  chacun  sa  charge  de  vol,  qui  un 
cheval,  qui  un  âne,  qui  une  grosse  charrette  pleine.  Ils  ne 
laissèrent  à  manger  que  les  pierres.  On  assure  qu'en  deux 
ans,  dans  l'Est  seulement,  un  demi-million  d'hommes 
mourut  de  misère  et  de  faim  (V.  l'historien  jésuite  et 
autres,  rapprochés  par  Bonnemère,  Histoire  des  Paysans), 

Donc  Richelieu  n'empêcha  rien.  Sa  petite  combinaison 
d'opposer  la  Bavière  à  l'Autriche  ayant  échoué  complète- 
ment, tous  les  princes  allemands  se  soumirent,  et  firent 
roi  des  Romains  le  fils  de  l'Empereur,  consolidèrent  la 
couronne  impériale  dans  la  maison  d'Autriche.  En  France 
même,  les  Espagnols  prirent  à  notre  barbe  et  gardèrent 
longtemps  nos  lies  de  Provence,  tenant  nos  côtes  en  crainte 
et  nos  flottes  en  échec. 

En  remontant  à  la  cause  première  de  nos  revers  de 
4636,  on  trouvait  que  Richelieu^  privé  de  son  armée  du 


404  RICHBLIKU,   CHEF  DBS  PROTESTANTS. 

Rhin  et  ne)  pouvant  ravoir  celle  de  Hollande,  employant  le 
peu  qu'il  avait  de  forces  en  Franche-Comté,  n'avait  pas  eu 
à  temps  Targent  qu'il  eût  fallu  pour  recruter  l'année  du 
Nord. 

Donc,  l'argent,  l'argent,  et  de  suite,  c'était  le  seul  moyen 
pour  éviter  de  grands  malheurs  en  4637.  Mais,  Timpât 
étant  augmenté,  la  Guyenne  ruinée  prit  les  armes.  Devant 
ce  désespoir  d'une  misère  trop  réelle,  le  parlement  de 
Toulouse  faiblit,  dispensa  de  payer. 

Un  certain  Boismaiilé  offrit  à  Richelieu  de  lui  apprendre 
à  faire  de  l'or,  et  de  lui  faire  trouver  deux  cent  mille  écus 
par  semaine.  Tels  étaient  sa  détresse,  son  abattement  et 
son  inquiétude,  que,  tout  sérieux  qu'il  fût,  il  ne  repoussa 
pas  cette  chimère,  et  se  mit  au  creuset  pour  travailler  en 
alchimie. 


CHAPITRE  IX 


La  trilogie  diabolique  sous  Louis  XIIL  —  Les  religieuses  de  Loudun. 

1633-1634. 


La  terrible  année  de  CorbU  (on  appela  ainsi  1 636)  et 
l'année  encore  qui  suivit  ne  donnent  nul  autre  résultat 
que  de  démontrer  la  faiblesse  d'un  gouvernement  forcé 
qui  paraissait  fort.  Retournons  un  peu  en  arrière,  et  re- 
gardons dessous.  Nous  serons  étonnés  de  voir  les  dis- 
cordes morales,  les  ténébreux  abîmes,  les  gouffres, 
crevasses  et  fondrières,  dont  la  plane  unité  de  cette  mo- 
narchie catholique  était  minée  réellement. 

La  formule  acceptée  et  répétée  de  plus  en  plus  en  ce 
siècle,  c'est  que  la  France  est  une,  depuis  la  prise  de  la 
Rochelle.  Les  protestants,  s'ils  ne  sont  pas  convertis,  vont 
se  convertir.  Richelieu  en  est  convaincu,  et  y  travaille  par 
de  grosses  sommes  qu'on  fait  passer  par  les  mains  des 
jésuites  et  qui  gagnent  quelques  ministres.  Il  y  travaille 
encore  par  ses  œuvres  de  controverse  qu'il  étend,  fortifie, 
perfectionne  jusqu'à  la  mort.  Il  emploie  volontiers  les 
protestants  à  l'armée,  et  ailleurs,  comme  oflBciers  ou  gens 
de  lettres.  C'est  à  ce  dernier  titre  qu'il  accueille  les  mi- 
nistres et  leur  donne  sa  protection.  L'Académie  française, 
ouverte  chez  un  protestant  (Courart),  fut,  dans  les  idées 
du  ministre,  un  honorable  asile  et  une  douce  tentation 


406  LA  TRILOGIE  DIABOLIQUE  SOUS  LOUIS    Xin. 

aux  littérateurs  convertis,  comme  un  hôpital  du  protes- 
tantisme. 

Un  zèle  si  patient  ne  plaît  pas  à  Aubry,  son  historien: 
Il  veut  faire  croire  que  le  grand  cardinal,  s*il  eût  vécu, 
eût  égalé  la  gloire  de  Louis  le  Grand,  employant  le  fer  et 
le  feu  pour  exterminer  Thérésie  ;  qu'il  eût  môme,  avec 
une  armée,  converti  l'Angleterre.  Da  reste,  pas  la  moindre 
preuve.  Avec  bien  plus  de  vraisemblance,  d'autres  auteurs 
du  même  siècle  attribuent  ce  zèle  véhément,  cette  préci- 
pitation guerrière  au  fougueux  père  Joseph,  romanesque 
et  violent)  autant  que  rusé. 

Du  reste,  la  matière  manquait  à  la  persécution. 

Les  protestants  étaient  alors  les  plus  fidèles  sujets  du 
roi  ;  il  y  avait  paru  dans  l'affaire  de  Montmorency.  Les 
missions  violentes,  insolentes,  qu'on  faisait  parmi  eux, 
comme  on  eût  fait  en  pays  turc,  ne  parvenaient  pa»  à 
lasser  leur  admirable  patience.  Les  jésuites,  les  capucins 
et  moines  de  toute  sorte  avaient  en  vain  orgaimé  contre 
eux  une  machine  populaire  très^pnovoquante.  On  yofiit 
fréquemment  l'artisan  paresseux,  menuisier,  perruquier, 
laisser  là  son  métier,  se  faire  apôtre  ;  emporté  d'un  exeès 
de  zèle,  il  allait  dresser  son  tréteau  dans  telle  ville,  et  puis 
dans  une  autre,  et  prêcher  en  plein  vent  contre  les  hugue- 
nots. Ils  étaient  la  bourgeoisie  riche  dans  plusieurs  lie«n, 
et  presque  partout  le  commerce;  ces  sermons  étaient  (art 
goûtés  comme  appel  au  pillage,  au  massacre  pevt-étre, 
sous  un  gouvernement  plus  faiUe.  Mats  Richelieu  ne 
l'aurait  pas  souffert  ;  il  eût  fait  pendre  les  apôtres. 

Donc,  c'était  d'un  autre  côté  que  devait  se  tourner  le 
zèle  ardent  du  capucin. 

Les  philosophes,  athées  et  esprits  feirts,  q«e  Ton  brftiait 
de  temps  à  autre,  étaient  trop  peu  nombreux,  des  iwfi- 
Tidus  isolés.  Une  af&ire  de  ce  genre  ne  pouvait  faire  la 
fortune  d'un  homme.  La  dernière,  la  persécuifona  de 
Théophile,  chassé  à  mort  en  4^23  par  le  jé^ite  Arneult 


LES  RBLI61B0SJSS  DK  LOUDUN.  407 

et  par  tous  les  curés  de  France,  n'avait  pas  grandi  le  jé« 
suite.  Pour  que  Joseph  éclatât  et  brillât  conune  vengeur 
de  rËglise,  pour  que  Rome  fût  forcée  de  4ui  donner  le 
désiré  chapeau,  il  lui  aurait  fallu  une  classe  nombreuse  à 
persécuter,  quelque  grande,  nouvelle,  dangereuse  hérésie, 
qui  motivât  une  croisade  de  capucins. 

La  dévotion  du  roi  y  eût  mordu,  et,  Richelieu  n'osant 
y  contredire,  Ja  France  entière  devenait  un  théâtre  où  ces 
bruyants  acteurs  eussent  paradé  devant  les  foules,  rempli 
tout  du  tumulte  de  leurs  enquêtes  dramatiques,  terrorisé 
les  simples.  Un  pouvoir  nouveau  se  fut  constitué,  une  in- 
quisition capucine,  un  grand  inquisiteur,  Joseph. 

D'abord  Torquemada,  mais  bientôt  Ximénès,  il  eût  jeté 
bas  Richelieu. 

Pour  bien  pousser  cette  guerre  à  l'intérieur^  il  eût  fallu 
finir  la  guerre  extérieure  et  s'arranger,  sacrifier  la  petite 
question  politique  et  la  balanee  de  r£urope  à  la  grande 
question  de  la  foi.  Pour  cela,  il  fallait  replacer  près  du  roi 
le  bon  conseil  d'Espagne,  la  reine  mère.  Et  c'est  à  quoi 
Joseph  commençait  à  travailler  timidement.  Il  recevait 
les  lettres  de  Marie  de  Médicis,  ses  prières  pour  rentrer,  et 
les  montrait  au  roi. 

Le  capucin  avait  plus  d'une  chance  près  de  Louis  XIU 
et  dans  le  public  même.  Ce  qui  tuait  le  roi  et  tout  le 
monde  sous  Richelieu,  c'était  1  ennui.  L'éternelle  guerre 
d'Allemagne  oii  la  France  épuisée  entrait,  la  nûsère  éter- 
nelle (avec  certitude  de  croître),  c'était  toute  la  situation. 
L'air,  d'année  en  année,  plus  pesant  et  moins  respirable. 
Un  brouillard  monotone  couvrait  la  scène  où  l'on  ne  dis- 
tinguait qu'un  »e\\l  acteur,  cette  grande  figure  de  plomb. 
Joseph  aurait  bien  autrement  occupé  le  théâtre.  L'intérêt 
dramatique  eût  tenu  chacun  éveillé.  Les  tragédies  de 
l'autre  siècle  auraient  recommencé,  ineidentées  par  le 
génie  burlesque,  italien,  des  cappuccini. 

Dans  les  Mémoires  dÉlat  qu'avait  écrits  Joseph,  qu!on 


108  LA  TRILOGK  DIABOUOUB  SODS  LOUIS  XIII. 

ne  connaît  que  par  extraits,  et  que  l'on  a  sans  doute  pru- 
demment supprimés  comme  trop  instructifs,  ce  bon  père 
expliquait  qu'en  1633  ou  4634  il  avait  eu  le  bonheur  de 
découvrir  une  hérésie,  une  hérésie  immense,  où  trem- 
paient un  nombre  infini  de  confesseurs  et  de  directeurs. 

Les  capucins,  légion  admirable  des  gardiens  de  l'Église, 
bons  chiens  du  saint  troupeau,  avaient  flairé,  surpris,  non 
pas  dans  If^s  déserts,  mais  en  pleine  France,  au  centre,  à 
Chartres,  en  Picardie,  partout,  un  terrible  gibier,  les 
alumbrados  de  l'Espagne  (illuminés  ou  quiétistes),  qui, 
trop  persécutés  là-bas,  s'étalent  réfugiés  cbet  nous,  et  qui, 
dans  le  monde  des  femmes,  surtout  dans  les  couvents, 
glissaient  le  doux  poison  qu'on  appela  plus  tard  du  nom 
deMolinos.   , 

La  merveille,  c'était  qu'on  n'eût  pas  su  plus  tât  la  chose. 
Elle  ne  pouvait  guère  être  cachée,  étant  si  étendue.  Les 
capucins  juraient  qu'en  la  Picardie  seule  (pays  où  Jes 
filles  sont  faibles  et  le  sang  plus  chaud  qu'au  Hidi)  cette 
folie  de  l'amour  mystique  avait  soixante  mille  professeurs. 
Tout  le  clergé  en  était-il?  tous  les  confesseurs,  directeurs? 
Il  faut  sans  doute  entendre  qu'aux  directeurs  officiels 
,  nombre  de  laïques  s'adjoignirent,  brillant  du  même  lèle 
pour  le  salut  des  ftmes  féminines.  Un  de  ceux-ci  qui  éclati 
plus  tard  avec  talent,  audace,  est  l'auteur  des  Dilicts  spiri- 
tneUes,  le  trop  fameux  Desmarets  de  Satnt-Sortin. 

Que  les  couvents  fussent  corrompus,  ce  n'était  pas  li 
une  grande  nouvelle.  Il  n'était  nécessaire  de  supposer  que 
la  corruption  vint  d'Espagne,  qu'elle  fiït  un  fruit  propre  i 
tel  pays,  à  telle  époque.  Au  temps  de  saint  Louis,  l'un  de 
ses  confidents,  Eudes  Rigault,  homme,  très-austère,  qu'il 
avait  fait  archevêque  de  Rouen,  ayant  entrepris  la  visite 
des  couvents  de  Normandie,  écrivait  chaque  soir  ce  qu'il 
avait  vu  dans  le  jour.  Son  journal  fait  frémir.  Il  trouva 
les  moines  toute  la  violence  féodale,  un  libertinage 
:né,  leurs  nonnes  pleines,  et  sans  pudeur,  sans  ré- 


LBS   RELIGIEUSES  DE  LOUDUN.  409 

serve,  publiquement,  n'imaginant  pas  même  qu'il  y  eût 
là  rien  à  cacher. 

Qui  ramena  quelque  décence?  Surtout  la  satire  héré- 
tique, la  concurrence  des  Églises  nouvelles,  et  le  vis-à-vis 
du  protestantisme.  Il  fallut  un  peu  de  tenue  en  face  de 
celte  austérité.  Les  confesseurs  s'abstinrent,  mais  le 
Diable  ne  s'abstint  pas.  C'était  un  de  ses  jeux  au  xvi*"  siè- 
cle de  prendre  la  figure  du  pauvre  confesseur  pour  le  ca- 
lomnier et  le  perdre,  de  faire  sous  son  visage  et  sa  parfaite 
ressemblance  l'amour  aux  religieuses.  Dans  le  fameux 
procès  des  Augustines  du  Quesnoy,  l'une  d'elles  avoua  que 
cette  ruse  du  Diable  l'avait  trompée  quatre  cent  trente-» 
quatre  fois,  et  dans  l'église  môme.  Le  père  était  en  fuite. 
Tout  retomba  sur  elle;  jetée  pour  toujours  à  Vin  pace,  elle 
n'y  languit  pas  du  moins  :  elle  y  mourut  au  bout  de  quel- 
ques jours  (V.  Massée,  i  540).  Nous  retrouvons  ceci  au  cou- 
.ventKieLouviers  exactement  un  siècle  après. 

Au  xvu%  l'intervention  du  Diable  est  bien  moins  né- 
cessaire. Toujours  puissant  dans  les  campagnes,  il  n'est 
appelé  dans  les  couvents  que  comme  un  auxiliaire  fort 
accessoire.  Dans  les  trois  grands  procès  d'Aix,  Loudun  et 
Louviers  (Gauflfridi,  Grandier  et  Pinart),  le  Diable  arrive 
pour  donner  l'intérêt  dramatique,  l'effet  de  la  finale.  Mais 
on  voit  trop  qu'avant  qu'on  produise  cet  acteur  popu- 
laire la  pièce  était  bien  avancée,  quoiqu'on  ait  eu  l'alten- 
tion  de  laisser  dans  un  demi- jour  les  premiers  actes,  trop 
naturels,  pour  faire  valoir  la  fin  surnaturelle  et  dia- 
bolique. 

On  ne  peut  comprendre  la  toute-puissance  du  directeur 
sur  les  religieuses,  cent  fois  plus  maître  alors  qu'il  ne  le 
fut  dans  les  temps  antérieurs,  si  l'on  ne  se  rappelle  les 
circonstances  nouvelles. 

La  réforme  du  concile  de  Trente  pour  la  clôture  des 
monastères,  fort  peu  suivie  sous  Henri  lY,  où  les  reli- 
gieuses recevaient  le  beau  monde,  donnaient  des  bah, 


i^O  î.k  TRILOGIE  DIABOLIQUE  SOUS  LOUIS  XIII. 

dansaient,  etc.,  cette  réforme  commença  sérieiisenr>ent 
sous  Louis  XIU.  Le  cardinal  de  la  Rochefoucauld,  ou  plu- 
tôt  les  jésuites  qui  le  menaient,  exigèrent  une  grande 
décence  extérieure.  Est-ce  à  dire  que  Ton  n'entrât  plos 
aux  couvents?  Un  seul  homme  y  entrait  chaque  jour,  et 
non-seulement  dans  la  maison^  mais  à  volonté  dans  cha- 
que cellule  (on  le  voit  dans  plusieurs  affaires,  surtout  par 
David  à  Louvîers).  Cette  réforme  austère  et  cette  clôture 
ferma  la  porte  au  monde,  aux  rivaux  incommodes,  donna 
le  tête-à-tête  au  directeur  et  l'influence  unique. 

Qu'en  résulterait-il?  Les  spéculatifs  en  feront  un  pro- 
blème, non  les  hommes  pratiques,  non  les  médecins.  Dès 
le  xvi*^  siècle,  le  médecin  Wyer  nous  l'explique  par  des 
histoires  fort  claires.  11  cite  dans  son  livre  IV  nombre  de 
religieuses  qui  devinrent  furieuses  d'amour.  Et,  dans  son 
livre  m,  un  prêtre  espagnol  estimé  qui,  à  Rome,  entré 
par  hasard  dans  un  couvent  de  nonnes,  en  sortit  foU| 
disant  qu'épouses  de  Jésus,  elles  étaient  les  siennes,  celles 
du  prêtre,  vicaire  de  Jésus.  Il  faisait  dire  des  messes  pour 
que  Dieu  lui  donnât  la  grâce  d'épouser  bientôt  ce  couvent. 
(Wyer,  lib.  JII,  c.  vu.) 

Si  cette  visite  passagère  eut  cet  eflTet,  on  peut  corn* 
prendre  quel  put  être  l'état  du  directeur  des  monastères 
de  femmes  quand  il  fut  seul  chez  elles,  et  profita  delà  clô- 
ture, put  passer  le  jour  avec  elles,  recevoir  à  chaque 
heure  la  dangereuse  confidence  de  leurs  langueurs,  de 
leurs  faiblesses. 

Les  sens  ne  sont  pas  tout  dans  l'état  de  ces  filles.  Jl  faut 
compter  surtout  l'ennui,  le  besoin  absolu  de  varier  l'exis- 
tence, de  sortir  d'une  vie  monotone  par  quelque  écart  on 
quelque  rêve .  Que  de  choses  nouvelles  à  cette  époque  ! 
Les  voyages,  les  Indes,  la  découverte  de  la  terre  !  l'impri- 
merie t  les  romans  surtout!...  Quand  tout  cela  roule  au 
dehors,  agite  les  esprits,  comment  croire  qu'on  suppor- 
tera la  pesante  uniformité  de  la  vie  monastique,  Tennai 


LES  RELIGIEUSES  DE  LOUDUN.  \H 

des  longs  offices,  sans  assaisonnement  que  de  quelque  ser- 
mon nasillard? 

Les  laïques  même,  au  milieu  de  tant  de  distractions, 
veulent,  exigent  de  leurs  confesseurs  la  variété  du  plaisir. 
L'absolution  de  l'inconstance. 

Le  prêtre  est  entraîné,  forcé  de  proche  en  proche.  Une 
littérature  immense,  variée,  érudite,  se  fait  de  la  casuis- 
tique, de  Tart  de  tout  permettre.  Littérature  très-progres- 
sive^ oii  rindulgence  de  la  veille  paraîtrait  sévérité  le  len- 
demain. Courbés  sur  Navarro,  Sanchez,  Ovando,  Escobar 
et  autres,  les  confesseurs  pâlissent  à  scruter  ces  mines 
immenses  d'expédients,  de  fmes  et  subtiles  ressources  pour 
exterminer  le  péché,  je  veux  dire  pour  le  nier,  en  suppri- 
mer partout  ridée.  Des  hommes  si  charitablement  occupés 
nuit  et  jour  à  trouver  des  moyens  pour  autoriser  le  plai- 
sir, ne  garderont-ils  pas  pour  eux  une  part  de  tant  d'abso- 
lutions ? 

Les  mondains  exigeaient  de  Tart  ;  ils  n*acceptaient  pas 
l'indulgence^  à  moins  que  le  confesseur  ne  Tassaisonnàt 
d'un  sophisme.  Mais  était-ce  la  peine  de  ruser,  de  faire 
tant  de  frais  avec  les  pauvres  religieuses,  faibles  et  con- 
vaincues d'avance  ? 

La  casuistique  fut  pour  le  monde,  la  mystique  pour  les 
couvents. 

Les  fines  recettes  et  les  distinguo  de  la  première  ne  sont 
pas  nécessaires  ici.  La  mystique  n'a  que  faire  de  ces 
pointes  d'aiguille,  ayant  la  flamme  d'amour  pour  brouiller, 
brûler  tout,  dans  sa  dévorante  équivoque. 

L'anéantissement  de  la  personne  et  la  mort  de  la  volonté, 
c'est  le  grand  principe  mystique.  Desmarets  nous  en 
donne  très-bien  la  vraie  portée  morale.  Ces  dévoués,  dit-il, 
immolés  en  eux  et  anéantis,  n'existent  plus  qu'en  Dieu. 
Dès  lors  ils  ne  peuvent  mal  faire.  La  partie  supérieure  est 
tellement  divine,  qu'elle  ne  sait  plus  ce  que  bit  l'autre. 

Doctrine  très-ancienne  qui  reparaît  souvent  dans  le 


U2  LA   TRILOGIE  DIABOLIQUE  SOUS  LOUIS  XIII. 

moyen  âge.  Au  xvii^,  elle  est  commune  dans  les  couvents 
de  France  et  d'Espagne,  nulle  part  plus  claire  et  plus 
naïve  que  dans  les  leçons  d'un  ange  normand  à  une  reli- 
gieuse (affaire  de  Louviers). 

L'ange  enseigne  à  la  nonne  premièrement  «  le  mépris 
du  corps  et  l'indifférence  à  la  chair.  Jésus  l'a  tellemeDt 
méprisée,  qu'il  l'a  exposée  nue  à  la  flagellation,  et  laissé 
voira  tous...  » 

Il  lui  enseigne  «  l'abandon  ^e  l'âme  et  de  la  volonté,  la 
sainte,  la  docile,  la  toute  passive  obéissance.  Exemple,  la 
sainte  Vierge,  qui  ne  se  défia  pas  de  Gabriel,  mais  obéît, 
conçut.  » 

a  Courait^Ue  aucun  risque?  Non.  Car  un  esprit  ne  peut 
causer  aucune  impureté.  Tout  au  contraire^  il  purifie.  » 

A  Louviers,  cette  belle  doctrine  fleurit  dès  1623,  pro- 
fessée par  un  directeur  âgé,  autorisé,  David.  Le  fond  de 
son  enseignement  était  «  de  faire  mourir  le  pécbé  par  le 
péché,  pour  mieux  rentrer  en  innocence.  Ainsi  firent  nos 
premiers  parents.  » 

On  devait  croire  que  le  zélé  Joseph,  qui  avait  poussé  si 
haut  le  cri  d'alarme  contre  ces  corrupteurs^  ne  s'en  tien- 
drait pas  là,  qu'il  y  aurait  une  grande  et  lumineuse  en- 
quête; que  ce  peuple  innombrable,  qui,  dans  une  seule 
province,  comptait  soixante  mille  docteurs,  serait  connu, 
examiné  de  près.  Mais  non,  ils  disparaissent,  et  l'on  n'en 
a  pas  de  nouvelles.  Quelques-uns,  dit-on,  furent  empri- 
sonnés. Mais  nul  procès,  un  silence  profond.  Selon  toute 
apparence,  Richelieu  se  soucia  peu  d'approfondir  la  chose. 
Sa  tendresse  pour  les  capucins  ne  l'aveugla  pas  au  point  de 
les  suivre  dans  une  affaire  qui  eût  mis  dans  leurs  mains 
l'inquisition  sur  tous  les  confesseurs. 

En  général,  le  moine  jalousait,  haïssait  le  clergé  sécu- 
lier. Maître  absolu  des  femmes  espagnoles,  il  était  peu 
goûté  de  nos  Françaises  pour  sa  malpropreté;  elles  allaient 
plutôt  au  prêtre,  ou  au  jésuite,  confesseur  amphibie,  demi- 


LES  REMGIEUSES  DE   LODDUN.  113 

moine  et  demi -mondain.  Si  Richelieu  avait  lâché  la  meute 
des  capucins,  récollets,  carmes,  dominicains,  etc.,  qui  eût 
été  en  sûreté  dans  le  clergé?  Quel  directeur,  quel  prêtre, 
même  honnête,  n'avait  usé  et  abusé  du  doux  langage  des 
quiétistes  près  de  ses  pénitentes?  Leur  grand  accusateur, 
Bossuet,  dans  ses  lettres  à  une  femme  qu'il  mène  parfois 
durement  (la  veuve  Cornuau),  ne  peut  lui-même  s'abstenir 
des  molles  douceurs,  des  équivoques  malsaines,  des  mots 
à  double  entente. 

Richelieu  se  garda  de  troubler  le  clergé  lorsque  déjà  il 
préparait  rassemblée  générale  où  il  demanda  un  don  pour 
la  guerre.  Un  procès  fut  permis  aux  moines,  un  seul,  con- 
tre un  curé,  mais  contre  un  curé  magicien,  ce  qui  per- 
mettait d'embrouiller  les  choses  (comme  en  l'affaire  de 
Gauffridi),  de  sorte  qu'aucun  confesseur,  aucun  direc- 
teur, ne  s'y  reconnût^  et  que  chacun,  en  sécurité  pleine, 
pùl  toujours  dire  :  a  Ce  n'est  pas  moi.  » 

Gr&ce  à  ces  soins  tout  prévoyants,  une  certaine  obscu- 
rité reste  en  effet  sur  Taifaire  de  Grandier.  Son  historien, 
le  capucin  Tranquille,  prouve  à  merveille  qu'il  fut  sorcier, 
bien  plus  un  diable,  et  il  est  nommé  dans  le  procès  (comme 
on  aurait  dit  d'Àstaroth)  Grandier  des  dominations.  Tout  au 
contraire,  Ménage  est  près  de  le  ranger  parmi  les  grands 
hommes  accusés  de  magie,  dans  les  martyrs  de  la  libre 
pensée. 

Pour  voir  un  peu  plus  clair,  il  ne  faut  pas  prendre 
Grandier  à  part,  mais  lui  garder  sa  place  dans  la  trilogie 
diabolique  du  temps,  dont  il  ne  fut  qu'un  second  acte, 
réclairer  par  le  premier  acte  qu'on  a  vu  en  Provence  dans 
l'affaire  terrible  de  la  Sainte-Baume  où  périt  Gauffridi, 
l'éclairer  par  le  troisième  acte,  par  l'affaire  de  Louviers, 
qui  copia  Loudun  (comme  Loudun  avait  copié),  et  qui  eut 
à  son  tour  un  Gauffridi  et  un  Urbain  Grandier. 

Les  trois  affaires  sont  unes  et  identiques.  Toujours  U) 
prêtre  libertin,  toujours  le  moine  jaloux  et  la  nonne  fu- 

XII  8 


4U  LA  TRILOGIE  DUBOLIQOB  SOUS  LOUIS  Xllh 

rieuse  par  qui  on  fait  parler  le  Diable,  et  le  prêtre  brûlé  k 
]a  fin. 

Yoilà  ce  qui  fait  la  lumière  dans  ces  affaires,  et  qui  per- 
met d'y  mieux  voir  que  dans  la  fange  obscure  des  monas- 
tères d'Espagne  et  d'Italie.  Les  religieuses  de  ces  «pays  de 
paresse  méridionale  étaient  étonnamment  passives,  subis- 
saient la  vie  de  sérail,  et  pis  encore  (F.  Del  Rio,  Lloreote, 
Ricci,  etc.)  Nos  Françaises,  au  contraire,  d'une  person- 
nalité forte,  ardente,  exigeante,  furent  terribles  ifi  jalousie 
et  terribles  de  haine,  vrais  diables  (et  sans  figure;),  partant 
indiscrètes,  bruyantes,  accusatrices.  Leurs  révélations  fu- 
rent très-claires,  et  si  claires  vers  la  fin,  que  tout  le  monde 
en  eut  honte  et  qu'en  trente  ans,  en  trois  affaires,  la  chose, 
commencée  par  Thorreur,  s'éteignit  dans  la  platitude,  les 
sous  sifflets  et  le  dégoût. 

Ce  n'était  pas  à  Loudun,  en  plein  Poitou,  parmi  les 
huguenots,  sous  leurs  yeux  et  leurs  railleries,  dans  la  ville 
même  où  ils  tenaient  leurs  grands  synodes  nationaux, 
qu'on  eût  attendu  une  affaire  scandaleuse  pour  les  caibo- 
liqves.  Mais  justement  ceux-ci,  dans  les  vieilles  villes  pro- 
.testantes^  vivaient  comme  en  pays  conquis,  en  liberté 
•très- grande,  peneant  avec  raison  que  de»  gens  souvent 
massacrés,  tout  récemment  vaincus,  ne  dinaient  mot.  La 
Loudun  catholique  (magistrats,  prêtres,  moines,  un  peu 
de  noblesse  et  quelques  artisans)  vivait  à  part  de  l'autre,  en 
vraie  colonie  conquérante.  La  colonie  se  divisa,  coaiaie  on 
pouvait  le  deviner,  par  l'opposition  du  prêtre  et  du 
moine. 

Le  moine,  nombreux  et  altier,  comme  missionnaire  con- 
vertisseur, tenait  le  haut  du  pavé  contre  les  protestants,  et 
confessait  les  dames  catholiques,  lorsque,  de  Bordeaux, 
arriva  un  jeune  curé,  élève  des  Jésuites,  lettré  et  agréaUe, 
écrivant  bien  et  parlant  mieux,  il  éclata  en  chaire,  et  bien- 
tôt  dans  le  monde.  Il  était  Manceaude  naissance  iat  dispu- 
teur,  mais  méridional  d'éducation,  de  facilité  bordelaise, 


LBS  RBUGUDHS  0E  LOUDUN.  445 

hâbleur,  léger  camfme  un  Gascon.  En  peu  de  temps,  il  sut 
bvoinHer  à  fendioufte  la  petite  ville,  9yant  les  femmes  pour 
lui,  les  hommes  contre  (du  moins  presque  tous).  11  devint 
nnagniiqiie,  insolent  et  insupportable,  ne  respectantiplus 
nea.  11  crîbUit  de  ^roasmes  les  carmes,  déblatérait  en 
idiaire  contre  les  «loines  en  général.  On  s'étouffait  à  ses 
semons.  Majestueax  et  fastueux,  ce  personnage  apparais- 
sait dans  les  rues  de  Loudun  comme  un  père  de  TËglise, 
tandis  qae  la  nuit,  moins  bruyant,  il  glissait  aux  allées  ou 
par  les  portes  de  derrière. 

Touias  lui  furent  à  discrétion.  La  femme  de  Tavocat  du 
roi  fut  sensible  pour  lui,  mais  plus  encore  la  fille  du  pro« 
curear  royal,  qui  en  eut  un  enfent.  Ce  n'était  pas  assez.  Ce 
conquérant,  maître  des  dames,  poussant  toujours  son 
avantage,  en  venait  aux  religieuses.  Il  y  avait  partout  alors 
des  Ursttlines,  sœurs  vouées  à  l'éducation,  missionnaires 
femelles  en  pays  protestant,  qai  caressaient,  charmaient 
les  mères,  attiraient  les  petites  fiUes.  Celles  de  Loudnn 
étaient  un  petit  couvent  de  demoiselles  nobles  et  pauvres. 
Pauvre  couvent  lui-même;  en  les  fondant,  on  ne  leur 
donna  guère  que  la  maison,  ancien  collège  huguenot.  La 
supérieure,  dame  de  bonne  noblesse  et  bien  apparentée^ 
brûlait  d'élever  son  couvent,  de  l'amplifier,  de  l'enrichir 
et  de  le  faire  oonnaltre.  Elle  aurait  pris  Grandier  peut-être, 
l'homme  à  la  mode,  si  déjà  elle  n'eût  eu  pour  directeur  un 
prêtre  qui  avait  de  bien  autres  racines  dans  le  pays,  étant 
proche  parent  des  deux  principaux  magistrats.  Le  cha- 
noine Mignon,  comme  on  l'appelait,  tenait  la  supérieure. 
Elle  et  hii  en  confession  (les  dames  supérieures  confes- 
saient), tous  deux  apprirent  avec  fureur  que  les  jeunes 
nonnes  ne  rêvaient  que  de  ce  Grandier  dont  on  parlait 

Doac,  le  directeur  menacé,  le  mari  trompé,  le  père 
outragé  (trais  affronts  en  même  famille  !),  unirent  leurs 
jalousies  et  jurèrent  la  perte  de  Grandier.  Pour  réussir, 


116  U  TRILOGIE  DUBOtIQUR  SOUS  LOCTIS  SIU. 

il  suffisait  de  le  laisser  aller.  Il  se  perdait  asseï  lui-même. 
Une  affaire  éclata  qui  fit  un  bruit  à  faire  presque  écrouler 
la  ville. 

Les  religieuses,  en  cette  vieille  maison  huguenote  où 
on  les  avait  mises,  n'étaient  pas  rassurées.  Leurs  peusioD- 
naires,  enfants  de  la  ville,  et  peut-être  aussi  de  jeunes 
nonnes,  avaient  trouvé  plaisant  d'épouvanter  les  autres  en 
jouant  a\i\  revenants,  aux  fanlAmes,  aux  apparitions.  Il 
n'y  avait  pas  trop  d'ordre  en  ce  mélange  de  petites  Biles 
riches  que  l'on  g&tait.  Elles  couraient  la  nuit  les  coni> 
dors.  Si  bien  qu'elles  s'épouvantèrent  elles-mêmes.  Quel- 
ques-unes en  étaient  malades,  ou  malades  d'esprit.  Hais, 
ces  peurs,  ces  illusions,  se  mêlant  aux  scandales  de  ville 
dont  on  leur  parlait  trop  le  jour,  le  revenant  des  nuits,  ce 
futGrandier.  Plusieurs  dirent  l'avoir  vu,  senti  la  nuit  près 
d'elles,  nudacieux,  vainqueur,  et  s'être  réveillées  trop 
tard.  Ëtait-ce  illusion?  Étaient-ce  plaisanteries  de  novices? 
Ëtait-ce  réellement  Grandier  qui  avait  acheté  la  portière 
ou  risqué  l'escalade?  On  n'a  jamais  pu  l'éclaircir. 

Les  trois  dès  lors  crurent  le  tenir.  Ils  suscitèrent  d'abord 
dans  les  petites  gens  qu'ils  protégeaient  deux  bonnes  Ames 
qui  déclarèrent  ne  pouvoir  plus  garder  pour  leur  curé  un 
débauché,  un  sorcier,  un  démon,  un  esprit  fort,  qui,  à 
l'église,  <  pliait  un  genou  et  non  deux;  •  enfin  qui  se 
moquait  des  règles,  et  donnait  des  dispenses  contre  les 
droits  de  l'évéque.  —  Accusation  habile  qui  mettait  contre 
lui  l'évéque  de  Poitiers,  défenseur  naturel  du  prêtre,  et 
livrait  celui-ci  à  la  rage  des  moines. 

Tout  cela  monté  avec  génie,  il  faut  l'avouer.  En  le  fai- 
sant accuser  par  deux  pauvres,  on  trouva  très-utile  de  le 
batonner  par  un  noble.  En  ce  temps  de  duel,  l'homnie, 
impunément  b&lonné,  perdait  dans  le  public;  il  baissait 
chez  les  femmes.  Grandier  sentit  la  profondeur  du  coup. 
Comme  en  tout  il  aimait  l'éclat,  il  alla  au  roi  même,  se  jeta 
à  ses  genoux,  demanda  vengeance  pour  sa  robe  de  prêtre. 


LBS  RELIGIEUSES  DE  LOUDUN.  447 

Il  l'aurait  eue  d'un  roi  dévot  ;  mais  il  se  trouva  là  des 
gens  qui  dirent  au  roi  que  c'était  affaire  d'amour  et  fureur 
de  maris  trompés. 

Au  tribunal  ecclésiastique  de  Poitiers,  Grandier  fût 
condamné  à  pénitence  et  à  être  banni  de  Loudun,  donc 
déshonoré  comme  prêtre.  Mais  le, tribunal  civil  reprit  la 
chose  et  le  trouva  innocent.  Il  eut  encore  pour  lui  l'auto- 
rité ecclésiastique  dont  relevait  Poitiers^  l'archevêque  de 
Bordeaux,  Sourdis.  Ce  prélat  belliqueux,  amiral  et  brave 
marin,  autant  et  plus  que  prêtre,  ne  fit  que  hausser  les 
épaules  au  récit  de  ces  peccadilles.  11  innocenta  le  curé, 
mais  en  même  temps  lui  conseilla  sagement  d'aller  vivre 
partout,  excepté  à  Loudun. 

C'est  ce  que  l'orgueilleux  n*eut  garde  de  faire.  Il  voulut 
jouir  du  triomphe  sur  le  terrain  de  la  bataille  et  parader 
devant  les  dames.  Il  rentra  dans  Loudun  au  grand  jour, 
à  grand  bruit;  toutes  le  regardaient  des  fenêtres  ;  il  mar- 
chait tenant  un  laurier. 

Non  content  de  cette  folie,  il  menaçait^  voulait  répara- 
tion. Ses  adversaires,  ainsi  poussés,  à  leur  tour  en  péril, 
se  rappelèrent  l'affaire  de  Gauffridi,  oii  le  Diable,  le  père 
du  mensonge,  honorablement  réhabilité,  avait  été  accepté 
en  justice  comme  un  bon  témoin  véridique,  croyable  pour 
l'Église  et*  croyable  pour  les  gens  du  roi.  Désespérés,  ils 
invoquèrent  un  Diable,  et  ils  l'eurent  à  commandement. 
Il  parut  chez  les  Ursulines. 

Chose  hasardeuse.  Mais  que  de  gens  intéressés  au 
succès  1  La  supérieure  voyait  son  couvent,  pauvre^  obscur, 
attirer  bientôt  les  yeux  de  la  cour,  des  provinces,  de  toute 
la  terre.  Les  moines  y  voyaient  leur  victoire  sur  leurs 
rivaux,  les  prêtres.  Ils  retrouvaient  ces  combats  popu- 
laires livrés  au  Diable  en  l'autre  siècle,  souvent  (comme  à 
Soissons)  devant  la  porte  des  églises,  la  terreur  et  la  joie 
du  peuple  à  voir  triompher  le  bon  Dieu,  l'aveu  tiré  du 
Diable  «  que  Dieu  est  dans  le  Sacrement,  »  l'humi- 


H  8  LA  TRILOGIK  SflABOLIQUr  SOOS  LO0fS  XUI. 

liation  des  huguenots  convaîncns  par  le  démon  même. 

Dans  cette  comédie  tragique ,  Texorciste  représentait 
Dieu,  ou  tout  au  moins  c'était  l'archange  terrassant  le 
dragon.  Il  descendait  dès  échafauds,  épuisé,  ruisselant  de 
sueur,  mais  triomphant,  porté  dans  les  bras  de  la  foule, 
béni  des  bonnes  feinrmes  qui  en  pleuraient'  de  joie. 

Voilà  poui^quoi  il  fallait  toujours  un  peu  de  sorcellerie 
dans  les  procès.  On  ne  s'intéressait  qu'au  DiaUe.  On  ne 
pouvait  pas  toujours  le  voir  sortir  du  corps  en  cvapaod 
noir  (comme  à  tordeaux  en  161 0).  Mais  on  était  du  meiDS 
dédommagé  par  une  grande ,  superbe  mise  en  scène. 
L*ùpre  désert  de  Madeleine,  l'horreur  de  la  Sainte-Bmime, 
dans  l'affaire  de  Provence,  firent  une  bonne  partie  du 
succès.  Loudun  eut  pour  hii  le  tapage  et  la  bacclMnieJe 
furieuse  d^nne  grande  armée  d'exorcistes  divisés  en  plu- 
sieurs églises.  Enfin  Loùviers,  que  nous  verrons,  ponr 
raviver  un  peu  ce  genre  usé,  imagina  des  scènes  de  nuit 
oii  les  diables  en  religieuses,  à  la  lueur  des  torches,  ereu*- 
saient,  tiraient  des  fosses  les  charmes  qu'on  y  avait 
cachés. 

L'affaire  commença  par  Ih  supérieure  et  par  une  sceor 
converse  à  elle.  Elles  eurent  des  convulsions,  jargoonè- 
rent  diaboliquement.  D'autres  nonnes  les  imitèrent,  une 
surtout,  hardie^  reprit  le  rôle  de  la  Louise  de  Marseille,  le 
même  diable  Léviathan,  le  démon  supérieur  de  chicane 
et  d'accusation. 

Toute  la  petite  ville  entre  en  Hranlew  Les  moines  de 
toutes  couleurs  s'emparent  des  nonnee,  les  divisent,  les 
exorcisent  par  trois,  par  quatre.  Ils  se  partagent  les  ég:li- 
ses.  Les  capucins  à  eux  seuls  en  occupent  deux.  La:  fbule 
y  court,  toutes  les  femmes,  et,  dans  cet  auditoire  efilrayé, 
palpitant,  plus  d'une  crie  qu'elle  sent  aussi  des  diables  ;■ 
six  fUIos  de  la  ville  sont  possédées.  Et  le  simple  récit  de 
CS8  choses  effroyables  fait  deux  possédées  à  Chinon. 

On'  en  parla  partout,  à  Paris,  à  la  cour.  Notre  reine* 


LBS  REUGIBUSBSv  DK  LÛUOUN.  449- 

•espagnole,  imaginative  et  dévote,  envoie  son  aumônier  ; 
bien  plus,  lord  Montaigu,  Tanciea  papiste^  son  fidèle  set-* 
viteur,  qui  vit  tout  et  crut  tout,  ri^porta  tout  au  pape^ 
Miracle  constaté.  Il  avait  vu  les  plaies  d'une  nonne*,  les 
stigmates  marqués  par  le  Diable  sur  les  mains  de  la  supé- 
rieure* 

Qu'en  dit  le  roi  de  France?  Toute  sa  dévotion  était 
tournée  au  Diable^  à  Tenfer,  à  la  orainte.  On  dit  que  Ri* 
•ckelieu  fut  charmé  de  Ty  entretenir.  J'en  doute  ;  les  dia* 
blés  étaient  essentiellement  espagnols  et  du  parti  d'Espa- 
gne ;  s'ils  pariaient  politique,  c'eût  été  contre  Richelieu. 
Peut  être  en  eut-il  peur.  Il  leur  rendit  hommage,  et  envoya 
sa  nièee  pour  témoigner  intérêt  à  la  chose. 

La  ûour  croyait.  Mais  Loudun  même  ne  croyait  pee.  Ses 
dtttblesi,  pauvres  imitateurs  des  démons  de  Marseille^ 
répétaient  le  matin  ce  qu'on  leur  apprenait  le  soir  d'après 
.le  manuel  connu  du  père  Michaëlis.  Us  n'auraient  s»  que 
dire  si  des  exorcismes  secrets,  répétition  soignée  de  la 
farce  du  jour,  ne  les  eussent  chaque  nuit  préparés  et 
stylés  à  Qgurer  devant  le  peuple. 

Un  ferme- magistrat,  le. bailli  de  la  ville^  écktta,  vibt 
lui«>mêaie  trouver  les  fourbes,  les  menaça,  les  dénonça. 
Ce  fut- aussi  le  jugement  tacite  de  l'archevéqu»  de  Bor-r. 
deaiix  auquel  Grandier  en  appelait.  Il  envoya  ua  pègle**-- 
menib  pour  diriger  du  moins  les  exorciatoe,  finir  leuo 
arbitraire  ;-  de  plus,  son  chirargie»»  qui  visita  les  llllesi  ne 
les  trouva  point  possédées^  ni  folles^  ni  malades.  Qu'é- 
taiea^Helles?  Fouri>e3  à  coup  sûr. 

Ainsi  continue  dans  ce  siècle  oe  beau  duel  du  médeoin 
contre  le  Diable,  de  la  science  et  de  la  lumière- cooère  le- 
ténébrem  mensonge.  Nous  Favons  vu  commeMer  par 
Agrippa,  Wyer.  Certain  docteur  Duncan  oontinnft  bra^e^^ 
méat  à  Loodun,  et  sew  crainte  imprima  que  cette  aiEiice 
n^était  que  ridicule. 

Le  Dén^n,  qu'on  dit  si  rdiieHe,  eut  peur,  ae  tut,  ptrdil 


420  LA  TRILOGIE  DUBOLIQDB  SOUS  LOUIS  XIIU 

la  voix.  Mais  les  passions  étaient  trop  animées  pour  que 
la  chose  en  restât  là.  Le  flot  remonta  pour  Grandier  avec 
une  telle  force,  que  les  assaillis  devinrent  assaillants.  Un 
parent  des  accusateurs,  un  apothicaire,  fut  pris  à  partie 
par  une  riche  demoiselle  de  la  ville  qu'il  disait  être  mal- 
tresse du  curé.  Comme  calomniateur,  il  fut  condamné  à 
l'amende  honorable. 

La  supérieure  était  perdue.  On  eût  aisément  constaté 
ce  que  vit  plus  tard  un  témoin,  que  ses  stigmates  étaient 
une  peinture,  rafraîchie  tous  les  jours.  Mais  elle  était  pa- 
rente d'un  conseiller  du  roi,  Laubardemont^  qui  la  sauva. 
Il  était  justement  chargé  de  raser  les  forts  de  Loudun.  Il 
se  fit  donner  une  commission  pour  faire  juger  Grandier. 
On  fit  entendre  au  cardinal  que  l'accusé  était  curé  et  ami 
de  la  Cordonnière  de  Loudun,  un  des  nombreux  agents  de 
Marie  de  Médicis;  qu'il  s'était  fait  le  secrétaire  de  sa 
paroissienne,  et,  sous  son  nom,  avait  écrit  un  ignoble 
pamphlet. 

Du  reste,  Richelieu  eût  voulu  être  magnanime  et  mé* 
priser  la  chose,  qu'il  l'eût  pu  diflScilement»  Les  capudns, 
le  Père  Joseph,  spéculaient  là-dessus.  Richelieu  lui  aurait 
donné  une  belle  prise  contre  lui  près  du  roi  s'il  n'eût 
montré  du  zèle.  Certain  M.  Quillet,  qui  avait  observé 
sérieusement,  alla  voir  Richelieu  et  l'avertit.  Mais  celui-ci 
craignit  de  Técouter,  et  le  regarda  de  si  mauvais  œil,  que 
le  donneur  d'avis  jugea  prudent  de  se  sauver  en  Italie. 

Laubardemont  arrive  le  6  décembre  4633.  Avec  lui  la 
terreur.  Pouvoir  illimité.  C'est  le  roi  en  personne.  Toute 
la  force  du  royaume,  une  horrible  massue,  pour  écraser 
une  mouche. 

Les  magistrats  furent  indignés,  le  lieutenant  civil  aver- 
tit Grandier  qu'il  l'arrêterait  le  lendemain.  li  n'en  tint 
compte  et  se  fit  arrêter.  Enlevé  à  l'instant,  sans  forme  de 
procès,  mis  aux  cachots  d'Angers.  Puis  ramené,  jeté  oii  ? 
dans  la  maison  et  la  chambre  d'un  de  ses  ennemis  qui  en 


LES  RELIGIEUSES  DE  LOUDUiV.  42i 

fait  murer  les  fenêtres  pour  qu'il  étouffe.  L'exécrable 
examen  qu'on  fait  sur  le  corps  du  sorcier  en  lui  enfonçant 
des  aiguilles  pour  trouver  la  marque  du  Diable  est  fait  par 
les  mains  mêmes  de  ses  accusateurs,  qui  prennent  sur  lui 
d'avance  leur  vengeance  préalable ,  l'avant-goût  du  sup- 
plice ! 

On  le  traîne  aux  églises  en  face  de  ces  filles,  à  qui  Lau- 
bardemont  a  rendu  la  parole.  Il  trouve  des  bacchantes 
que  l'apothicaire  condamné  soûlait  de  ses  breuvages,  les 
jetant  en  de  telles  furies^  qu'un  jour  Grandier  fut  près 
de  périr  sous  leurs  ongles. 

Ne  pouvant  imiter  l'éloquence  de  la  possédée  de  Mar- 
seille, elles  suppléaient  .par  le  cynisme.  Spectacle  hideux  I 
des  filles,  abusant  des  prétendus  diables,  pour  lâcher  de- 
vant le  public  la  bonde  à  la  furie  des  sens  !  C'est  justement 
ce  qui  grossissait  l'auditoire.  On  venait  ouïr  là,  de  la 
bouche  des  femmes,  ce  qu'aucune  n'osa  dire  jamais. 

Le  ridicule,  ainsi  que  l'odieux,  allaient  croissant.  Le 
peu  qu'on  leur  soufilait  de  latin,  elles  le  disaient  tout  de 
travers.  Le  public  trouvait  que  les  diables  n'avaient  pas  fait 
leur  quatrième.  Les  capucins,  sans  se  déconcerter,  dirent 
que,  si  ces  démons  étaient  faibles  en  latin,  ils  parlaient  à 
merveille  l'iroquois,  le  topinambour. 

La  farce  ignoble,  vue  de  soixante  lieues,  de  Saint-Ger- 
main, du  Louvre,  apparaissait  miraculeuse,  effrayante  et 
terrible.  La  cour  admirait  et  tremblait.  Richelieu  (sans 
doute  pour  plaire)  fit  une  chose  lâche.  11  fit  payer  les  exor- 
cistes, payer  les  religieuses. 

Une  si  haute  faveur  exalta  la  cabale  et  la  rendit  tout  à 
fait  folle.  Après  les  paroles  insensées  vinrent  les  actes 
honteux.  Les  exorcistes,  sous  prétexte  de  la  fatigue  des 
nonnes,  les  firent  promener  hors  de  la  ville,  les  prome- 
nèrent eux-mêmes.  Et  l'une  d'elles  en  revint  enceinte. 
L'apparence  du  moins  était  telle.  Au  cinquième  ou  sixième 
mois,  tout  disparut,  et  le  démon  qui  était  en  elle  avoua  la 


4^  LA  TRILOGIiS  DIABOLIQUE  SOOS  LOUIS  XIII. 

malice  qu'il  avait  eue  de  calomnier  la  pauvre  religieuse  par 
cette  illusion  de  grossesse.  C'est  rhistoriea  de  Louvters 
qui  nous  apprend  cette  histoire  de  Loudun  (Esprit,  p.  435). 

On  assure  que  le  père  Joseph  vint  secrètement,  mais 
vit  TaiFaire  perdue,  et  s'en  tira  sans  bruit.  Les  Jésuites 
vinrent  aussi,  exorcisèrent,  firent  peu  de  chose,  flairèrent 
Topinion,  se  dérobèrent  aussi. 

Mais  les  moines,  les  capucins,  étaient  st  engagés,  qu*il 
ne  leur  restait  plus  qu'à  se  sauver  par  la  terreur.  Ils 
tendirent  des  pièges  perRdes  au  courageux  bailli,  à  la 
baillive,  voulant  les  faire  périr,  éteindre  la  future  réaction 
de  la  justice.  Enfin  ils  pressèrent  la  commission  d^expédter 
O'randier.  Les  choses  ne  pouvaient  plus  aller.  Les  nonnes 
mômes  leur  échappaient.  Après  cette  terrible  orgie  de  fu- 
reurs sensuelles  et  de  cris  impudiques  pour  faire  couler 
le- sang  humain,  deux  ou  trois  défaillirent,  se  prirent  en 
dégoût,  en  horreur;  elles  se  vomissaient  elles-mêmes. 
Malgré  le  sort  affreux  qu'elles  avaient  à  attendre  si  elles 
parlaient,  malgré  la  certitude  de  finir  dans  une  basse^^fosse 
(o*était  l'usage  encore,  voir  Mabillon),  eUes  dirent  dans 
Téglise  qu'elles  étaient  damnées,  qu'elles  avaient  joué  le 
Diable,  que  Grandier  était  innocent. 

Elles  se  perdirent,  mais  n'arrêtèrent  rien.  Une  réclama- 
tion générale  de  la  ville  au  roi  n'arrêta  rien.  On  condamna 
Grandier  à  être  brûlé  (18  août  4634).  Telle  était  la  rage 
de  ses  ennemis,-qu* avant  le  bûcher  ils  exigèrent,  pour  la 
seconde  fois,  qu  on  lui  plantât  partout  Taiguille  pour 
chercher  la  marque  du  Diable.  Un  des. juges  eût  vouhi 
qu'on  lui  arrachât  même  les  ongles,  mais  le  chirciiigien 
refusa. 

On  craignait  l*échaftiud,  les  dernières*  paroles  du  pa* 
tient.  Comme  on  avait  trouvé  dans-  ses  papiers  un  écrj!" 
contre  le  célibat  des  prêtres,  ceux  qui  le  disaient  sorcier 
le  croyaient  eux-mêmes  esprit  fbrt.  On-  se  souvenait  d^ 
paroles  hardies  que  les  martyrs  de  la  libre  pensée  avaient 


LES  RELIGIEUSES  DE  LOUDUff.  423 

lancées  contre  leurs  juges,  on  se  rappelait  le  mot  suprême 
de  Bruno,  la  bravade  de  Vanini.  On  composa  avec  Gran- 
dier.  On  lui  dit  que,  s'il  était  sage,  on  lui  sauverait  la 
flamme,  qu'on  Tétranglerait  préalablement.  Le  faible 
prêtre,  homme  de  chair,  donna  encore  ceci  à  la  chair,  et 
promit  de  ne  point  parler.  H  ne  dit  rien  sur  le  chemin  et 
rien  sur  l'échafaud.  Quand  on  te  vit  bien  lié  au  poteau, 
toute  chose  prête,  et  le  feu  disposé  pour  l'envelopper  brus- 
quement de  flamme  et  de  fumée,  un  moine,  son  propre 
confesseur,  sans  attendre  le  bourreau,  mit  le  feu  au  bû- 
cher. Le  patient,  enragé,  n'eut  que  le  temps  de  dire  :  c  Ah  I 
vous  m'avez  trompé!  »  Mais  les  tourbillons  s'élevèrent  et 
la  fournaise  de  douleurs...  On  n'entendit  plus  que  des 
cria. 

Hiohdjeu»  dan»  ses  Mémoires^  parle  peu  de  cette  affaire 
et  avi0c  nm  honte  viaible»  U  fait  entendre  qu'il  suivit  les. 
rapporte  qui  lui  viarentt  la  voix  de  l'opinion.  11  n'en  avait 
pa0  Dftoina»  en  soudoyant  les  exorcistes,  en  lâchant  bride- 
aux  capucins»  ea  les  laissant  triompher  par  la  France^  aa-» 
courage»  tenté  ht  fourberie.  GauSk*idi,  renouvelé  pee 
Grandier,  va  reparaître  encore  plu&sale,  dans  l'affaire  é» 
Louviers. 

C'est  justement  en  i634  que  les  diables,  chassés  de 
Poitou»  passent  en  Normandie,  oopiaot,  recopiant  leucs 
sottises  de  la  Sainta-Baume,  sans  invention- et  sans  talent*» 
sans  imagination.  Laftirieuxi  Léviathan  de  Provence,  con'» 
trafait  àLoudum,  perd  son  aiguillon  du  Midi,  et  ne  se  tins 
d^affaire  qn'en.  faisaot  parier  couramment  aux.  vierges  les 
langues  de  Sodome.  Hélas  I  tout  à  l'heitre,  à  Louviers,  il: 
perd  son  audace  mèae;  ilpread  la  pesanteur  d»  Nord»  et 
devûeot  un  pauvre*  d'esprit 


CHAPITRE  X 


Les  Carmélites.  —  Succès  du  Cid.  1636- 1Ô37. 


Nous  ne  sortons  pas  des  couvents  ni  du  surnaturel. 
L'histoire  de  ce  temps  va  de  miracle  en  miracle.  Au  cloî- 
tre se  fait  et  se  défait  par  voie  occulte  le  nœud  brouillé 
des  plus  grands  intérêts.  Le  fil  qu'une  politique  savante 
croit  diriger  aux  cabinets  des  princes,  une  "main  ignorante 
de  femme  le  coupe  en  se  jouant.  Richelieu  propose;  la 
Vierge  dispose.  Tous  les  calculs  du  Palais-Cardinal  sont 
bafoués  par  le  Val-de-Grâce. 

Un  mot  d'avance  qui  contient  tout,  qui  enveloppe  le 
siècle  même. 

La  question  du  siècle,  c'est  le  mariage  espagnol^  redouté 
d'Henri  IV,  accompli  par  sa  femme,  presque  brisé  par  Ri- 
chelieu. A  l'intérieur,  à  l'extérieur,  Richelieu  sue  à  com- 
battre l'Espagne  et  la  maison  d'Autriche.  Mais,  malgré 
lui,  le  mariage  espagnol  porte  décidément  son  fruit.  Une 
grossesse  miraculeuse  met  dans  le  trône  de  France  le  sang 
de  Charles-Quint,  Dieudonné^  ou  Louis  XIV,  lequel  ne 
combattra  l'Espagne  que  pour  prendre  son  rôle  et  la  con- 
tinuer par  la  ruine  de  la  Hollande  et  de  la  France  protes- 
tante. 

C'est  la  victoire  d'un  mort  sur  un  vivant,  celle  de  lEs- 
pagne  sur  la  France;  l'esprit  espagnol,  en  un  siècle,  mène 


LES  CARMiLlTBS.  —  SUCCÈS  DU  CID.  125 

celle-ci  à  sa  mutilation  et  à  sa  banqueroute  de  trois  mil- 
liards. 

Est-ce  à  dire  que  ce  mort,  ce  blême  et  faible  revenant, 
ait  eu  directement  cette  victoire  sur  les  puissances  de  la 
vie?  Non,  TEspagne  n'aurait  pas  eu  prise  si  la  France 
elle-même  ne  s'était  ouverte  et  livrée  par  l'admiration  de 
cette  vieille  ruine,  employant  la  vivacité  d'un  réveil  de 
génie  à  relever  l'Espagne  dans  l'opinion.  Il  y  fallut  Cor- 
neille, il  y  fallut  le  Cid  et  son  succès  national  ;  événement 
énorme,  d'une  portée  qui  n'a  jamais  été  sentie  jusqu'ici. 

Examinons.  En  1635,  à  la  rupture,  lorsque  Tambassa- 
deur  d'Espagne,  Mirabel,  partit  de  Paris,  où  resta  le  foyer 
de  l'intrigue  espagnole?  Aux  Carmélites  de  la  rue  Saint- 
Jacques.  «  C'est  alors,  dit  Laporte,  valet  de  chambre  de 
la  reine,  qu'elle  renoua  correspondance  avec  son  frère 
Philippe  lY.  »  Elle  écrivait  dans  ce  couvent. 

Cette  colonie  de  carmélites  avait  été,  sous  Henri  IV,  une 
vraie  invasion  espagnole.  On  a  vu  leur  entrée  triomphale 
à  Paris  sous  les  auspices  des  Guises.  Elles  établirent  rue 
Saint-Jacques  leur  dévot  ermitage,  leur  désert  extatique, 
au  lieu  le  plus  peuplé  et  sur  la  grande  route  du  Midi,  la 
plus  fréquentée  de  France.  Ce  fut  un  autre  Escurial  à  un 
quart  d'heure  du  Louvre. 

Nous  devons  à  M.  Cousin  de  connaître  les  pieuses  ori- 
gines de  ces  solitaires.  11  est  heureux.  Au  revers  du  cri- 
tique qui  croyait  dénicher  des  saints,  il  a  trouvé,  rétabli 
dans  leur  niche,  je  ne  sais  combien  de  saintes,  acceptant 
de  confiance  ce  que  les  religieuses  elles-mêmes  ont  écrit  de 
leur  propre  sainteté,  leur  donnant  la  publicité  de  ses  livres 
charmants,  écrits  sur  les  femmes  et  pour  elles. 

Moi,  je  suis  moins  heureux.  Sur  ma  route,  je  vois  sortir 
de  là  d'étranges  réputations,  la  Fargis,  par  exemple.  J'y 
vois  que  les  saintes  elles-mêmes,  fort  occupées  du  monde, 
mirent  toute  leur  ferveur  h  avancer  les  affaires  de  l'Es- 
pagne. 


ISfi  LBS  CARHiUTK. 

Richelieu  y  avait  l'œil.  41  avait  cm  m  donner  «ne  prise 
sur  l'ordreen  se  faisant  nommer  prolecteur  des  carmélitas, 
et  sur  la  maison  de  Paris  en  lut  donnant  pour  supérieure 
une  de  ses  parentes.  Parente  ou  non,  elle  était  femme,  «t, 
•comme  telle,  dans  la  ligue  universelle  des  femnes  contre 
Richelieu.  La  reine  trouva  U  une  sAreté  qu'elle  n'avait 
nulle  part.  Elle  put  y  écrire  tout  le  jour  à  ion  aise.  £Ue 
put  y  voir  à  la  grille  qui  elle  voulait,  des  iocoanus,  de 
faux  pauvres,  les  agents  que  Mirabel  «nvoyait  de  Bmxdles, 
le  lord  papiste  Hontaîgu;  un  joli  cavalier  sossi,  qui,  daas 
ses  grandes  crises,  lui  veiHÎt  à  propos  p«ur  lui  donner 
courage.  Le  cavalier  n'était  autre  que  le  Cfaerreose,  qui 
vint  parfois  de  son  exil,  faisant  trente  liMies  an  ooe 
nuit. 

Entrait-on  dans  ce  monastère  ?  Un  paisage  ouieax  de 
mademoiselle  de  Montpenaier  nous  apprend  que  les  coa- 
venlâ  defcmdation  royale  n'avaient  point  de  «Idlane  pour 
les  officiers  des  princesses.  Elle-ménae,  ï  douxe  ans,  en- 
trant dans  un  monastère,  tous  les  hommes  de  sa  suite  y 
entraient  sans  difficulté. 

Que  pouvait-elle  donc  tant  écrire,  n'entrant  pas  su  con- 
seil et  tenue  hors  des  affaires  ?  La  réponse  n'est  pas  diffi- 
cile. Le  couvent,  mêlé  de  noblesse,  de  boui^eoisîe  ligneuse, 
«t  visité  par  tant  de  gens,  était  un  grand  eentre  d'infor- 
mations. Et  plus  directement  encore,  la  reine,  par  made- 
moiselle de  Huutefort,  savait  chaque  matin  oe  que  le  roi 
avait  dit  le  soir.  Mus  d'un  secret  d'État  pouvait,  par  cette 
voie,  aller  droit  à  Madrid. 

Il  faut  bien  se  rappeler  ta  situation.  L'Espagne  épuisée 
se  voyait  faire  la  guerre  par  la  France  épKÎaéa.  A  chaque 
année,  elle  espérait  que  Richelieu  n'en  pourrait  plus,  se- 
rait tari,  fini.  Elle  le  crut  en  1636,  où,  faute  d'argent,  il 
ne  put  refaire  à  temps  son  armée  du  Rhia  et  du  Nord.  La 
Ttolente  dictature  des  intendants  qu'il  mit  partout  alors  hU 
donna  des  ressources,  mais  à  l'instant  provoqua  des  ré- 


SUCCES  DU  CiD.  427 

vottes.  L'Espagne  comptait  là -dessus,  le  guettait,  Tat- 
tendait. 

Mais  les  temps  étaient  bien  changés.  Les  révoltes,  iso- 
lées, partielles  et  sans  concert,  ne  rappelaient  en  rien  la 
Ligue.  Les  insurrections  de  paysans  qui  éclatèrent  ici  et 
là  en  4638,  la  sournoise  résistance  (de  bourgeoisie  sur- 
tout) qui  se  fit  sous  forme  religieuse  et  s'appela  le  jansé- 
nisme, n'auraient  pas  fait  grand'ohose.  L'homme  tant 
détesté  n'en  fût  pas  moins  resté  fort  et  haut  dans  l'opinion. 
On  voyait  sa  terrible  route  à  travers  tant  d'obstacles,  et  les 
résultats  (médiocres  au  fond)  qu'il  obtenait  étaient  loués 
avec  raison  pour  la  grandeur  de  volonlé,  Tinvincibilité 
que  l'on  sentait  en  lui.  Mais  voici  qu'un  matin,  sous  forme 
littéraire,  sans  pouvoir  être  arrêté,  réprimé,  un  cottp 
moral  inattendu  lui  est  porté  par  la  main  d'un  enfant,  la 
main  innocente  et  aveugle  du  bonhomme  Corneille.  Coup 
oblique,  indirect,  qui  entra  d'autant  mieux.  Tout  fut 
changé,  et  le  public,  et  peut-être  Richelieu  lui-même.  I! 
n'ffld  est  jamais  relevé. 

Il  faut  dire  que  ce  coup  fut  asséné  au  jour  le  plus  cri- 
tique, en  4636,  le  lendemain  de  l'invasion,  quand  la  France 
entamée  douta  du  génie  du  ministre  et  l'accusa  d'impré* 
voyance.  Elle  eut  à  ce  moment  un  accès  fou  qu'elle  a  par- 
fois, celui  d'admirer  l'ennemi.  Et,  par  un  terrible  à*propos 
(que  l'auteur^  certes,  n'avait  pas  calculé),  l'Espagne  éclata 
au  théâtre  et  y  fut  glorifiée. 

Richelieu,  essentiellement  homme  de  lettres,  aimait, 
nourrissait  ses  confrères,  qui  alors  ne  pouvaient  vi\Te  de 
-leur  pluma.  Malgré  la  déirasse  publique,  il  soutenait  les 
bons  éerivains'du  temps,  4a  Mothe  le  Vayer,  Rotrou,  Cor- 
Mfila,  Benaerade,  Aenaudot,  l'historien  Mézeray,  l'amu- 
aant  ^Boiftiiobert,  l'hMméle  «t  savant  Chapelain.  11  faisait 
plus  que  de  les  payer,  il  «les  iionorait.  Par  exemple,  il  ne 
souffrait  pas  que  Desmarets  lui  parlât  découvert;  il  Je  fai- 
sait coOTrir,  as^âeoir.  NétfnniK>ins  sa  nature  violente  et  la 


128  LES  CARUÉLITBS. 

violence  de  son  gouvernement,  quil  le  voulût  ou  non, 
étouffait  la  littérature.  Sa  manie  de  faire  faire  des  pièces, 
doQt  il  faisait  le  plan  et  rimait  quelques  scènes,  était  des- 
potique, irritante;  ces  pauvres  rimeurs  à  grand*peîne 
tiraient  la  charrue  sous  Taiguillon  de  ce  terrible  camarade. 

Un  petit  juge  de  Rouen,  Pierre  Corneille,  avait,  dès 
i629,  relevé,  ou  plutôt  créé  le  théâtre,  par  une  mauvaise 
pièce,  Mélite,  qui  eut  un  succès  immense.  La  liberté  d*es- 
prit,  chassée  du  monde  réel,  sembla  vouloir  se  réfugier 
dans  celui  des  fictions,  dans  le  drame  d*intrigue.  Trois 
théâtres  surgirent.  Richelieu  eut  l'ambition  de  conquérir 
encore  cet  asile  de  la  fantaisie  et  de  la  libre  opinion.  A  son 
confident  Boisrobert  il  attela  quatre  hommes,  Corneille, 
Rotrou,  l'Étoile  et  Colletet,  et  les  regarda  travailler.  Le 
plus  indépendant  fut  Colletet  (de  pauvreté  proverbiale)  ; 
il  repoussa  le  plan  du  tout* puissant  ministre.  Corneille 
essaya  de  résister,  puis  obéit  et  fit  ce  qu*il  voulut,  mais 
se  retira  à  Rouen  (1635). 

Là,  un  vieux  secrétaire  de  Marie  de  Médicis,  grand  ad- 
mirateur de  l'Espagne,  lui  montra,  lui  recommanda  une 
pièce  espagnole,  le  Ctd,  de  Guilain  de  Castro;  il  l'engagea 
à  porter  ce  beau  sujet  sur  notre  scène.  Il  y  avait  une  diffi- 
culté ;  la  pièce  était  la  glorification  du  duel,  si  sévèrement 
puni  par  les  édits,  à  ce  point  qu'on  y  sacrifia  en  4626  la 
tête  même  d'un  Montmorency.  Sévérité,  du  reste,  qui 
indigna  et  fut  prise  dans  l'opinion  comme  un  trait  des 
plus  odieux  de  ce  gouvernement  de  prêtre.  «  Plus  de  géné- 
ral prêtre!  »  Ce  fut  le  cri  de  la  noblesse  en  4635. 
.  Glorifier  le  duel,  c'était,  dans  les  idées  du  temps,  atta- 
quer, détrôner  le  prêtre  et  relever  le  gentilhomme. 

Dans  une  pièce,  du  reste,  médiocre^  Médéej  que  Cor- 
neille venait  de  faire  jouer  Tannée  même  de  rinvasioo,  on 
avait  admifé  et  applaudi  ces  vers  : 

Dans  un  si  grand  revers,  que  vous  reste>t-il  ?  —  Moi, 
Moi,  dis-je,  et  c*est  assez* 


SUCCÈS  DU  ao.  4  29 

Mot  fort  et  très-profond,  bien  plus  que  ne  le  sentit 
Tauteur.  Le  sort,  la  pensée  de  la  France  et  son  état  moral 
étaient  dans  cette  formule.  La  tempête  d'idées  et  d'opi- 
nions qui  battit  le  xvr  siècle  avait  laissé  un  calme  morne  ; 
plus  de  protestantisme;  le  catholicisme  stérile  (sauf  un 
fruit  sec,  le  jansénisme).  Il  ne  restait  guère  que  Tin- 
dividu. 

Des  mœurs  religieuses  en  dessus,  fort  gâtées  en  des- 
sous. Et,  avec  tout  cela,  cette  France  gardait  une  étincelle, 
d*idées?  Non,  d'énergie,  une  certaine  pointe  du  moins,  la 
langue  acérée,  Tépée  prompte.  Un  brillant  coup  d'épée,  à 
cela  véritablement  se  réduit  l'idéal  du  temps. 

«  Que  vous  reste-t-il  ?  —  Moi.  »  Ce  mot  n'était  que 

le  duel. 

Précisément  la  chose  que  le  ministre  poursuivait,  punis- 
sait de  mort. 

Comment  ce  pauvre  petit  juge  de  Rouen,  fonctionnaire 
craintif,  bourgeois  de  mœurs  et  d'habitudes,  s'emporta-t-il 
à  cet  excès  d'audace?  Et  fut-ce  bien  le  vieux  secrétaire 
de  la  reine  mère  qui  fit  cette  malice  de  relever  par  là  nos 
ennemis  les  Espagnols?  Non,  à  coup  sûr.  Il  y  a  une  autre 
explication,  meilleure,  je  crois.  C'est  que  Corneille  était 
dans  un  moment  où  les  hommes  ne  se  connaissent  plus, 
et  font  parfois,  sans  savoir  ce  qu'ils  font,  de  sublimes  im- 
prudences. Il  aimait,  aimait  sans  espoir.  Sans  cette  folie-là, 
il  n'eût  jamais  fait  l'autre. 

Une  autre  chose  à  expliquer,  c'est  de  savoir  comment 
cet  homme  de  robe,  ce  juge  de  Rouen,  eut  la  pensée  des 
gentilshommes,  l'âme  de  la  noblesse  plus  qu'elle  ne  l'avait 
elle-même.  L'esprit  bourgeois  était  très-belliqueux.  Des 
Arnauld,  avocats,  nous  voyons  surgir  cet  Arnauld,  capi- 
taine, qui  fit  le  fort  Louis  contre  la  Rochelle  et  forma  le 
renommé  régiment  de  Champagne.  Du  parlement  de  Pau 
sortit  l'homme  que  Richelieu  appelait  la  Guerre^  le  fameux 
Gassion.  Le  fils  du  président  de  Thou,  cet  Auguste  de 

XII.  0 


430  LES  CARMÉLin»* 

ThoQ  qui  doit  périr,  va  comme  aiiiateur  à  la  guerre,  en 
partie  de  plaisir,  avec  ses  amis  de  la  cour^  aux  endroits 
les  plus  dangereux,  et  s'amuse  à  se  faire  blesser. 

Corneille  amoureux  fit  Chimènc.  GorneîUa  escrimeur  fit 
Rodrigue.  Je  veux  dire  escrimeur  d'esprit  et  disputeur 
normand.  Ses  drames,  sauf  les  moments  sublimes,  ne 
sont  qu'escrime  et  polémique. 

Le  Cid,  présenté  comme  une  imitation  de  respagnol, 
allait  droit  à  la  reine.  11  fut  représenté  chez  elle  au  Louvre. 
Richelieu  fut  surpris.  Cet  incident  si  grave  échappa  à  sa 
surveillance. 

Le  coup  parti,  tout  fut  fini  ;  impossible  d'y  revenir.  Dès 
la  première  représentation,  les  applaudissements,  les  tré- 
pignements, les  cris,  les  pleurs^  un  frénétique  enthou- 
siasme .  Joué  au  Louvre,  joué  à  Paris,  joué  chez  le  cardi- 
nal même,  qui  le  subit  sur  son  théâtre,  supposant  très- 
probablement  que  sa  désapprobation  souveraine,  toujours 
si  redoutée,  tuerait  la  pièce,  ou  tout  au  moins  verserait 
aux  acteurs,  aux  spectateurs,  une  averse  de  glace;  que, 
las  uns  n'osant  bien  jouer  ni  les  autres  applaudir,  le  Cid 
périrait  morfondu. . 

Phénomène  terrible  !  Chez  le  cardinal  même  et  devant 
lui,  le  succès  fut  complet.  Acteurs  et  spectateurs  avaient 
pris  l'âme  du  Cid.  Personne  n'avait,  plus  peur  de  rien.  Le 
ministre  resta  le  vaincu  de  la  pièce,  aussi  bien  que  don 
Sanche,  Tamant  dédaigné  de  Chimène. 

Contre  cette  erreur  du  public,  le  tout-puissant  ministre, 
n'ayant  nulle  ressource  en  la  force,  fut  obligé  de  faire 
appel  au  public  môme,  au  public  des  lettrés  contre  celui 
des  illettrés^  aux^  écrivains  contra  la  cour  et  la  ville  igno- 
rantes. Une  compagnie  littéraire,  à  l'instar  des  académies 
italiennes,  s  était  formée  vers  4629.  Chapelain  et  autres 
bons  esprits  se  réunissaient  chez  un'  protestant  aimé  de 
Richelieu,  le  savant  Courart.  En  46t34,  le  ministce  eut 
ridée  d'en  faire  une.  socrété  qui  s'occupât  de  mots  (jainab 


SCGCfcS  DU  CID.  131 

d'idée»);  qui  consacrât  ses  soins  à  polir  notre  langue.  Ce 
fal  TAcwlémie  fhinçatse.  Nul  péril.  L'innocente  et  honnête 
soetété  devait  la  protection  du  cardinal  à  son  fou  Bois- 
robert,  un  bouffon  de  beaucoup  d'esprit.  Et  elle  avait 
poupohanoelier  un  homme  qui  était  tout  à  lui,  Desmarets 
d»  Saint-Sorlin. 

Le  10  juillet  16S7,  au  moment  où  Richelieu  recommen- 
çait encore  contre  l'Espagne  une  campagne  laborieuse,  au 
rooment^on  la  cour  l'entourait  de  complots,  son  ànie  lit- 
téraire, plus  occupée  encore  du  succès  de  Corneille,  éclata 
toute  dans  une  solennelle  ouverture  qu'il  fit  chez  lui  de 
l'Académie  française  contre  le  Cid  et  le  public. 

L'Académie  naissante  ne  se  souciait  nullement  de  débu- 
ter par  contredire  l'opinion.  Il  fallut  les  ordres  précis,  et 
même  une  menace  brutale  du  ministre,  pour  qu'elle  obéit  : 
«  Je  voaa  aimerai  comme  vous  m'aimerez,  »  dit-il.  Évi- 
demmentll  menaçait  de  supprimer  leurs  pensions; 

Ont  sait  le  jugement,  faible  et  froid,  médiocre,  parfois 
judicieux,  parfois  timidement  complaisant,  que  l'Académie 
publia,  et  Tinsultante  critique  du  ridicule  capitan  Scudéry, 
et  les  lâches  injures  de  Mairet,  jusque-là  maître  de  la 
scène,  qui  s'avoua  jaloux  et  releva  encore  par  là  le  succès 
de  Corneille. 

Aurait-on  pu  en  1637,  après  le  Cid  y  ce  qu'on  avait  pu 
en  1626,  punir  de  mort  l'obstiné  duelliste  revenu  pour  se 
battre  sous  les  croisées  du  roi?  Non,  l'édit  était  aboli,  la 
scène  avait  vaincu  les  lois;  sur  Richelieu  planait  Cor- 
neille. 

La  campagne  s'ouvrait.  De  quel  cœur  la  noblesse  allait- 
elle  se  battre  contre  les  descendants  du  Cui,  ces  Espagnols 
aimés  et  admirés?  Français  et  Espagnols  allaient  penser 
également  que  l'ennemi  n'était  qu'à  Paris,  l'ennemi  com- 
mun, Richelieu. 

Tout  en  voulant  apaiser  le  ministre  et  lui  demandant 
pardon  d'avoir  réussi,  Corneille  allait  de  crime  en  crime. 


432  LIS  (URMcuns. 

Pas  une  de  ses  piècer  qui  ii*eùt  I*effet  d'ane  conspiration. 
E:rac€^  quoique  dédié  an  cardinal,  fut  avidement  saisi  par 
les  Ro<nains  du  parlement,  les  Cassius  de  la  grand'chambre 
et  les  Brutus  de  la  basoche.  Cinna^  la  Clémence  d'Auguste^ 
sous  cet  homme  inclément.  parut  une  sanglante  satire. 
Po]tf*.\c:i  fut  représenté  au  moment  où  le  ministre  venait 
de  mettre  à  la  Bistiile  le  Polyeucte  janséniste,  l'abbé  de 
Saint-C>  ran.  Les  femmes  de  Corneille  sont  déjà  les  fron- 
deuses, et  ce  sont  elles  qui  firent  celles-ci.  La  Palatine  se 
croyait  Ê:uilie.  Madame  de  Longueville  disait  de  sang- 
froid,  à  Coligny,  à  la  Rixrhefoucauld,  ce  que  Chimène  dit, 
dans  son  transp<3rt.  ne  se  connaissant  plus  : 

S<r»  TaiD-^«ar  duo  combi:  dont  Chimène  est  le  prix. 

Mais  la  Chim^ae  surtout,  ce  fut  la  reine.  Avec  ses 
trente-sept  ans,  notre  reine  espagnole,  oubliée,  peu 
comptée,  un  peu  moquée  pour  ses  couches  douteuses, 
refleurit  jeune  et  pure  par  la  vertu  du  Cid.  Sur  elle,  aux 
représentations,  se  fixent  tous  les  yeux,  à  elle  reviennent 
les  bravos  et  l'enthousiasme  public.  Tout  imite  l'Espagne, 
se  drape  à  Tespagnole,  pour  être  bien  vu  de  Chimène. 
Elle  accepte  ce  rôle,  et.  quoique  l'auteur  inquiet  ait  dédié 
le  Cid  à  la  nièce  du  cardinal,  la  reine  se  pose  sa  patronne. 
Elle  demande,  obtient  de  Richelieu  qu'on  donne  la  no- 
blesse au  père  de  Corneille,  et  il  n'ose  refuser.  Contradic- 
tion flagrante.  Il  le  fait  honorer,  il  le  fuit  condamner, 
subissant  maliïré  lui  Tarrèt  de  l'opinion,  si  bien  formulé 
par  Balzac  :  «  Si  Platon  le  met  hors  de  sa  cité,  il  ne  peut 
le  chasser  que  couronné  de  fleurs.  » 


CHAPITRE  XI 


Danger  de  la  reine.  Août  1037. 


La  reine  Anne  d'Autriche,  en  4637,  n'était  plus  jeune. 
Elle  était  à  peu  près  de  Tàge  du  siècle.  Mais  elle  avait  tou- 
'  jours  une  grande  fraîcheur.  Ce  n'était  que  lis  et  que  roses. 
Née  blonde  et  Autrichienne,  elle  brunissait  un  peu  de 
cheveux,  était  un  peu  plus  Espagnole.  Mais,  comme  elle 
était  grasse,  son  incomparable  blancheur  n'avait  fait 
qu'augmenter.  Flore  devenait  Cérès,  dans  l'ampleur  et  la 
plénitude,  le  royal  éclat  de  l'été. 

Elle  fut  plus  tard  fort  lourde.  Retz  la  trouve,  à  quarante- 
huit  ans,  c  une  grosse  Suissesse.  »  Mais  nous  sommes 
encore  en  1 637. 

Elle  nourrissait  un  peu  trop  sa  beauté,  mangeait  beau- 
coup et  se  levait  fort  tard,  soit  paresse  espagnole,  soit 
pour  avoir  le  teint  plus  reposé.  Elle  entendait  une  ou 
deux  messes  basses,  dînait  solidement  à  midi,  puis  allait 
voir  des  religieuses.  Sanguine,  orgueilleuse  et  colère,  elle 
n'en  était  pas  moins  faible  ;  ses  domestiques  la  disaient 
toute  bonne.  Elle  avait  eu  (jeune  surtout)  un  bon  cœur 
pour  les  pauvres.  Cœur  amoureux,  crédule  et  ne  se  gar- 
dant guère.  La  Chcvreuse,  qui  la  connaissait,  disait  à 
Retz  :  c  Prenez  un  air  rêveur;  oubliez-vous  à  admirer  sa 


434  DANGER  DE  LA  REINE. 

belle  peau  et  sa  jolie  main  ;  vous  ferez  ce  que  tous  vou- 
drez. » 

Sa  parfaite  ignorance  et  son  esprit  borné  la  livraient 
infailliblement  aux  amants  par  spéculation  et  aux  rusées 
friponnes  qui  s'en  faisaient  un  instrument. 

Par  deux  fois,  dans  deux  grands  dangers  de  la  France, 
on  la  mit  en  rapport  avec  l'ennemi.  En  1628,  quand  Fal- 
liance  monstrueuse  de  l'Angleterre  et  de  l'Espagne  se  fai- 
sait sous  main  contre  nous,  et  qu'on  poussait  Waldstein  à 
l'invasion  de  la  France,  elle  sollicita  je  duc  de  Lorraine 
de  nous  abandonner,  c'est-à-dire  d'ouvrir  la  porte  à 
Waldstein  (chose  avouée  par  un  des  Guises).  Et,  quand 
l'invasion  se  réalisa,  en  effet,  dans  l'année  4636,  où  la 
grande  armée  des  voleurs  impériaux  entra  par  le  Nord  et 
par  l'Est,  où  commença  en  Lorraine  et  au  Rhin  l'immense 
destruction  dont  nous  avons  parlé,  nous  retrouvons  notre 
grosse  étourdie  aux  Carmélites,  écrivant  aux  Espagnols, 
qui  viennent  à  dix  lieues  de  Paris  I... 

Elle  trahissait  et  elle  flattait.  Elle  s'était  rapprochée  de 
Richelieu.  Elle  lui  demandait  des  grâces.  Elle  se  laissa 
même  aller,  pour  Tenivrer  et  l'aveugler,  jusqu'à  aller  le 
voir  chez  lui  à  Ruel,  où  elle  accepta  ses  fêtes  galantes  et 
ses  collations,  les  concerts  et  les  vers  qu'il  faisait  faire 
pour  elle. 

Il  n'était  pas  tout  à  fait  dupe.  Un  si  grand  changement 
l'inquiétait  plutôt.  Et,  à  ce  moment  même,  il  accoeSlatt 
ridée  d'un  petit  complot  qui  eût  écarté  mademoiselle  de 
Hautefort ,  l'avocat  de  la  reine,  son  vertueux  espion. 
Saint-Simon  et  quelques  autres  avaient  entrepris  de 
changer  les  platoniques  amours  du  roi  et  de  lui  faire  aimer 
une  fille  plus  jeune,  Lafayette,  moins  jolie,  toute  brune, 
mais  nature  tendre,  amoureuse,  élevée,  de  celles  qui  ra- 
vissent les  cœurs.  Le  confesseur  du  roi,  le  jésuite  Caussin, 
que  Ton  croyait  un  simple,  entrait  dans  cette  intrigue.  Le 
fond  du  fond,  ce  semble,  que  Richelieu  n'aperçut  que 


XUNQER  J>I  XA  RUNI.  «435 

plus  tard,  élait  .gue,  Laf^eite  étant  proche  pareotedu 
père  Joseph,  .aon  succès  pvàs  du  roi  eût  fait  rélévation  du 
fameux  .oapuciu,  donc  la.abute  de  Richelieu. 

Les  choses  allèrent  très-loin.  La  haine  de  la  reine,  un 
assai  foct^ossier.gu!elle  fit  pour  humilier  la  pauvre  fille 
«n  âttiiprasaatiiatte. nymphe  idéale  dans  nos  basses  fonc- 
tions <demaittca,  ne  firent  qu'irriter,  échauffer  le  roii  Sa 
réserve,  aa  dévotion,  cédèrent  une  fois  dans  sa  vie.  Il  eut 
un  vjrai  tran^port^  et  proposa  à  Lafayette  de  venir  s'établir 
chez. lui fJoanB  son  petit  Versaillea,  et  d'ôtre  toute  à  lui. 

Elle  Aurait  fort  bien  pu  être  reine  de  France.  Le  roi  ne 
.pouvait  .avoir  qu'une  épouse,  non  une  concubine.  Tous 
furent  saisis,  surpris,  épouvantés. 

Richelieu  commençait  à  voir  à  qui  l'affaire  profiterait. 
Et  les  parents  de  Lafayette  commencèrent  à  prendre  peur, 
à  craindre  d'être  ^sacrifiés,  si  le  roi,  toi^ours  incertain, 
n'allait  pas  jusqu!au  bout.  Ils  abandonnèrent  Lafayette, 
firent  dire  .par  Ja  jaune  fille  qu'elle  voulait  se  retirer  à  la 
Visitation.  Le  roi  pleura,  mais,  de  toutes  .parts,  on  éveilla 
.aes  «oriipules,  'X)n  fit  appel  à  sa  dévotion.  Lafayette  pleura 
encore  pluis,  mais  s'en  alla  (19  mai  4637).  .Le  père  Gaus- 
.ain,  qui  me  lâchait  pas  prise,  insinua  au  pénitent  ro>yal 
qu'il  «pouvait  sans  péché  continuer  de  la  voir  à  la  grille. 
Religieuse  et  toujours  aimée,  elle  n'en  -eût  été  que  plus 
puissante  peut-être  pour  amener  le  roi  oii  l'on  voulait. 

La  reine  tsiomphaitidu  départ  de  Lafayette.  Cependant, 
au  mois  d'août,  elle  fut  frappée  à  son  tour.  Un  avis  positif 
npermit  à  .Richelieu  de  saisir  enfin  sa  correspondance.  On 
4irrôta  Laporie,  qui  ne  la  trahit  pas.  Ce  fut  elle  qui  trahit 
iLapocte,. avoua,  et,  de  plus,  ee  laissa  dicter  unelettre  pour 
lui  .ordonner  de  tout  dire,  amené  devant  le  ministre,  iil 
Jiia  fermement.  On  ne  poussa  pas  trop.  Aichelieu  te 
montra  doux  et  courtois  jusqirià  jenvayer  de  ^argent  à 
«madame  de  Chevreuae,  qui  s'enfuyait  ^et  partait  peur  l'Es- 
pagne. 11  fit  visiter  le  couvent,  ne  trouva  cîanque'baires. 


436  DAIfGSR  Dl  Li  Rimi. 

cilices  et  disciplines.  Il  est  faux  et  absurde  qu'en  cette 
visite  le  chancelier  ait  fouillé  la  reine  efirontément,  niis 
la  main  dans  son  sein.  Elle  n'était  pas  même  à  Paris,  mais 
à  Chantilly,  près. du  roi. 

A  quoi  tint  son  salut  ?  A  ce  qu'on  ne  trouva  pas  les 
pièces  essentielles?  A  ce  que  mademoiselle  de  Hautefort 
alla  déguisée  à  la  Bastille,  et  avertit  Laporte  de  ce  qa*U 
devait  dire  ?  Il  v  eut  tout  cela,  mais  encore  autre  chose. 
La  douceur  de  Richelieu  pour  Laporte  (qui  ne  fat  pas 
mis  à  la  question),  les  éloges  même  que  le  ministre  donna 
à  sa  résistance,  à  sa  fidélité,  montrent  assez  qu'alors  il 
ménagea  la  reine.  Pourquoi  ?  Elle  était  à  ses  pieds  et  elle 
avait  demandé  grâce. 

Il  l'avait  terrifiée  d'abord,  lui  faisant  croire  qu'il  avait 
trouvé  tout.  Et  alors,  perdant  la  tète,  elle  l'avait  prié  d'é- 
loigner les  témoins  et  de  rester  seul  avec  elle.  Le  manus- 
crit cité  par  Capefigue,  quoique  de  la  main  du  cardinal^ 
est  si  naïf^  qu'on  n'y  peut  méconnaître  ce  que  dut  sentir 
la  femme  effrayée.  Par  sa  trahison  de  Laporte,  par  celle 
qu'elle  fit  (plus  haut)  de  la  Fargîs,  on  voit  comme  elle 
était  peureuse.  Elle  fut  d'autant  plus  caressante,  plus 
qu'une  reine,  plus  qu'une  femme  ne  pouvait  l'ôtre  avec 
sûreté  :  «r  Quelle  bonté  faut-  il  que  vous  ayez,  monsieur 
le  cardinal  1...  Tirez-moi  de  là  ;  je  ne  ferai  plus  de  faute  à 
l'avenir.  »  Elle  avançait,  offrant  sa  main  tremblante. 
C'était  fait  de  la  fière  Chimène.  Au  vainqueur  de  dicter 
les  conditions. 

Au  grand  étonnement  de  la  reine,  Richelieu  recula.  11 
ne  prit  point  cette  main,  s'inclina  humblement  et  dit  qu'il 
allait  demander  les  ordres  du  roi.  Que  dire  des  contradic- 
tions humaines?  La  faveur  que,  cinq  ans  plus  tôt,  en  no- 
vembre 1632,  il  avait  cherchée,  désirée,  il  la  décline  en 
1637.  ¥  vit-il  une  perfidie,  un  piège  féminin  pour  le 
perdre?  Ou  peut-être,  malade,  vieilli,  il  se  jugea,  se  con- 
tenta de  tout  pouvoir. 


DANGER  DB  LA  RBINB.  437 

Revenu,  rapportant  Tordre  du  roi,  il  la  retrouve  humi- 
liée, anéantie.  Gomme  une  petite  fille,  elle  écrit  devant  lui 
une  confession  de  ses  rapports  avec  TEspagne,  une  pro- 
messe de  ne  plus  récidiver,  de  se  conduire  selon  son  de- 
voir, de  ne  rien  écrire  qu*<m  ne  tioye,  de  ne*  plus  aller  aux 
couvents,  du  moins  seule,  et  de  n'entrer  dans  les  cellules 
qu'avec  telle  dame  qui  en  répond  au  roi. 

Pièce  grave,  qui  pouvait  servir  si  Ton  allait  jusqu'au 
divorce.  Mais,  même  en  donnant  cet  acte  contre  elle,  elle 
n*eut  pas  grâce  entière  du  roi.  Il  ne  lui  parla  plus.  Tout  le 
monde  s'éloigna  d'elle.  Les  courtisans  qui  entraient  dans 
la  cour  de  Chantilly  tenaient  les  yeux  baissés,  afin  qu'on 
ne  pût  dire  qu'ils  regardaient  les  fenêtres  de  la  reine.  Elle 
étouffait  de  honte  et  de  douleur,  et,  les  deux  jours  qui  suivi- 
rent son  pardon,  chose  inouïe  pour  elle,  elle  ne  put  manger. 

Trois  personnes  lui  restaient  fidèles  et  travaillaient  pour 
elle  en  dessous;  d'abord  deux  femmes  généreuses,  Haute- 
fort  par  dévouement,  Lafayeite  par  dévotion  ;  enfin  le  père 
Gaussin,  qui,  sous  son  air  béat,  saisissait  adroitement 
toute  occasion  de  faire  scrupule  au  roi  de  vivre  mal  avec 
sa  femme,  de  tenir  sa  mère  en  exil  et  de  continuer  la 
guerre.  Pour  s'amender  des  trois  péchés,  une  chose  suffi- 
sait :  renvoyer  Richelieu. 

Les  Jésuites,  qu'on  croit  de  si  grands  politiques,  satis- 
font peu  ici.  Ils  se  montrent  flottants  et  peu  d'accord.  Plu- 
sieurs étaient  pour  Richelieu.  Plusieurs,  un  père  Honod, 
qui  gouvernait  la  régente  de  Savoie  et  qui  influait  sur 
Caussin,  Caussin  même  et  d'autres  sans  doute  voulaient 
renverser  Richelieu.  Mais  qui  eussent-ils  mis  à  la  place  ? 
On  a  dit  le  vieux  AngoOlême,  bâtard  (fort  méprisé)  de 
Charles  IX  ;  j'ai  grand'peine  à  les  croire  si  sots.  Angou- 
lême  peut-être  aurait  suffi  comme  drapeau  et  mannequin  ; 
mais  dessous,  très-probablement,  était  en  embuscade  le 
seul  homme  capable,  le  père  Joseph,  que  sa  parente  La- 
fayette  eût  mis  sans  peine  au  ministère. 


4  S8  j)ykNaBB  J>8  là  rbine. 

Quoi  qull  en  soit,  ces  souiecrains,  ces  mines,  poussés 
d'aoûten  décembre,  avaient  réussi  chez  le  roL  11  était  pris. 
On  le  voit  par  une  lettce  craintive  de  fiichelieu  oii  il  loi 
explique  quUi  iort  le.pèreCaus&in  dit  gu'U  désire  «e  relirtr; 
aïd  fevsL quand. la  faiwjêra, faite,  Humbleiniuiiere.de  coa- 
juver  Torage  et  de  gagner  du  temps. 

Il  arriva  pour  Angoulôme  ce  qui  était  arrivé  pouries 
parents  de  Lafayette.  Il  s'efEraya  de  cet  honneur  de  suecé- 
der  à  Richelieu.  Laierrible  réputation  du  cardinal  le  servit 
•encore  cette  fiais.  Angauléme  lui  dénonça  tout  Aicheliea 
le  mena  lui-rmème  au  roi,  demanda  si  vraiment  c'était  lui 
qui  le  remplaçait.  Le  roi  balbutiât  s'âxousa.  £t  Richelieu 
jresta  .plus  maître  que  jamais* 

C'était  le  .8  ou  le  9  décembre.  Tous  des  fils  laborieuse- 
ment ourdis  par  la  cabale  se  trouvaient  à  la  .fois  iron^pns. 
Tous  les  moyens  humains,  Caussin^HauteCoct  et  Lafayette, 
les  avertissements,  les  prières,  les  suggestions  de  iUuDoar 
et  de  la  dévotioo,  avaient  échoué.  U  fallait  un  .eo^p  d'en 
haut  pom*  trancher  le  nœud,  un  miracle,  il  se  fit. 


CHAPITRE    XII 


La  ntûnnoe  de  Loais  XIV.  1036^i637. 


Les  origines  des  ^andes  choses  ne  sont  pas  tot^anrs 
claires.  Le  Nil  cache  sa  source,  et  l'on  peut  disputer. aur 
celles  du  Danube  et  du  Rhin.  Ne  nous  étonnons  pas  si  tes 
vraies  origines  du  Messie  de  la  monarchie  sont  restées  i«n 
peu  troubles;,  si  son  fameux  Noël  n'en  est  pas  moins  louche. 
Pour  bien  y  voir,  il  manque  l'étoile  d'Orient. 

Ce  qui  nous  permet  Texamen  et  môme  l'encourage,  c'est 
la  conduite  du  roi,  gui  se  montra  tellement  désintérené 
de  la  chose,  subit  patiemment  le  miracle,  mais  n'en  fut 
pas  mieux  pour  la  reine,  ne  s'émut  point  de. ses  souffcao- 
ees,  enfin  ne  l'embrassa  pas,  comme  c'était  l'usage,  ify>rès 
Faccoucbemeni. 

Le  sceptique  Henri  IV  s'était  montré  bien  autre  à  la 
naissance  de  Louis  UII.  Tout  en  le  proclamant  aussi  i«n 
don  de  Dieu,  il  avait  prouvé  par  sa  joie  qu'il  se  jugeait 
l'instrument  du  miracle  ;  il  avait  embrassé  la  mère,  versé 
des  larmes  paternelles. 

Mais  ici  rien  pour  Ja  nature.  Dieudonné  reat  .le  fils  de  la 
raison  d'£tat. 

La  date  est  importante  et  très^délieate  à  fixer.  Si  l'on  en 
croyait  la  dame  qui  écrit  la  vie  de  mademâiselle  de  Haute- 


UO  U  NIISSÀNCI  DB  LOUIS  HT. 

Tort,  celle-ci  eût  fait  parler  le  confesseur  au  roi  et  décidé 
le  rapprochement  des  époux  la  veille  d'utif  grande  ftu, 
évidemment  Noël  (9;5  décembre  4638).  Date  improbable, 
qui,  admise,  ferait  naître  l'enfaDt  avant  terme,  ce  qu'on 
n'a  jamais  dit.  Date  plutât  certainement  fausse  ;  au  25,  le 
confeiiseurCaussiaétait  chassé;  son  successeur, donné  par 
Richelieu,  n'aurait  pas  conseillé  au  roi  de  se  rapprocher 
de  la  reine. 

Le  calcul  eiact  des  neuf  mois  (V.  la  note]  nous  reporte, 
au  contraire,  à  une  date  bien  plus  vraisemblable,  au  9-10 
décembre,  au  moment  de  la  grande  crise,  au  jour  où  Ri- 
chelieu vainquit  Caussin  et  dut  le  faire  partir  le  len- 
demain. 

Il  en  advint  à  Paris  en  1637  comme  à  Lyon  en  1630. 
L'enfant  apparut  au  moment  oii  la  mère  se  croyait  p»due 
si  elle  n'était  enceinte.  Il  vint  exprès  pour  la  sauver.  C'est 
YUUima  ratio  des  femmes,  c'est  le  Dtus  eas  machind,  qui 
vient  trancher  le  nœud  qu'on  ne  peut  dénouer. 

Rappelons- nous  les  terribles  secousses  par  lesquelles  elle 
avait  passé  dans  cette  seule  année  1637.  Nous  en  compren- 
drons mieux  l'extrémité  où  elle  se  trouva  en  décembre. 
Elle  s'était  vue  tour  à  tour  très-haut,  très-bas.  D'espoirs 
en  désappointements  et  de  triomphes  en  chutes,  elle  avait 
trouvé  finalement  le  fond  du  désespoir. 

Le  Cid  en  janvier  a  remis  l'Espagne  en  honneur,  k  la 
mode.  Chimène  a  glorifié,  relevé  Anne  d'Autriche. 

Mais  un  astre  nouveau  s'est  levé,  plus  qu'une  maîtresse, — 
une  reine  possible,  la  jeune  Lafayette.  Cela  dure  quatre 
mois.  Volontairement  l'astre  s'éteint.  La  reine  est  rassurée 
(mai). 

A  tort.  L'affaire  du  Val-de-Grftce  la  met  à  deux  doigts 

de  sa  perte  (août).  Pardonnée,  écrasée,  elle  a  chance  encore 

helieu,  si  Caussin,  si  les  dames  peuvent  réusur 

roi.  Hais  Richeheu  l'emporte. 

u,  irrité  de  nouveau  en  décembre,  poussera  son 


LA  NAISSANCE  DB  LOUIS  XIT.  441 

avantage,  fera  valoir  pour  le  divorce  les  aveux  qu*elle  a 
faits,  les  pièces  qu'elle  a  données  contre  elle. 

Elle  était  descendue  où  peut  descendre  une  femme.  Elle 
s'était  humiliée  (et  j'allais  dire  offerte),  avait  tendu  la  main. 
On  avait  reculé. 

Cruel  affront  au  sang  d'Autriche  I  L'âge  aussi,  pour  la 
première  fois,  dut  lui  venir  à  l'esprit,  et  la  quarantaine 
imminente  ;  surprise  inattendue,  amère... 

Plus  jeune,  elle  avait  dit  à  ceux  qui  parlaient  de  le  tuer: 
«  Mais  il  est  prêtre.  »  L'eùt-elle  dit  alors  après  un  si  cruel 
dédain? 

Peut-être,  elle  s'en  fût  tenue,  comme  faible  femme,  au 
chagrin  et  aux  pleurs.  Mais  ceux  qui  la  poussaient  (je  parle 
des  agents  espagnols),  ceux-là,  dis-je,  ne  pouvaient  s'en 
tenir  là.  Ils  la  voyaient  bientôt  à  quarante  ans  sans  avoir 
encore  pris  racine  en  France.  Chose  honteuse  pour  l'habi- 
leté du  cabinet  de  Madrid  d'avoir  eu  si  longtemps  ici  une 
infante  et  de  n'en  avoir  tiré  aucun  parti.  La  Fargis  n'était 
plus  là,  comme  à  Lyon,  pour  pousser  la  reine  aux  aven- 
tures. Mais  madame  de  Chevreuse,  de  son  exil  de  Tours, 
venant  au  Val-de-Gràce,  y  venait-elle  en  vain?  Le  mot  fort 
et  amer  de  Gaston  (Y.  \  634  )  indique  assez  que  la  Chevreuse 
lui  disait  ce  que  l'oncle  de  Marie  de  Médicis  lui  dit  au  dé- 
part :  «  Sois  enceinte.  » 

On  sait  que  bien  souvent  des  femmes  condamnées  à 
mort  usèrent  de  ce  remède  pour  gagner  temps.  Celle  «ci 
risquait  plus  que  la  mort.  Elle  risquait  non-seulement  de 
ne  plus  être  reine  de  France  et  de  rentrer  dans  Tennui  de 
Madrid,  mais,  par  un  procès  scandaleux,  d'irriter  sa  fa- 
mille, déshonorée  par  elle,  et  de  se  trouver  perdue  même 
à  Madrid.  Si  les  confidents  de  la  reine  en  mars  4634  n'o- 
sèrent cacher  à  Richelieu  ni  son  avortement  ni  ce  qui  le 
provoqua,  l'auraient-ils  soutenue,  couverte  jusqu'au  bout 
dans  un  procès  poussé  à  mort  par  le  ministre  tout-puis- 
sant? Que  de  choses  ont  eût  sues  !  Quelle  eût  été  Tindi-^ 


442  LA  NàlSftàMCB  DB  LQOlfi-  XIY. 

gnation  de  la  prude  maison  d'Àulriche  contre  son  impm- 
dente  infante,  quand  on  eût  vu  combien  la  dévotion  espa* 
gnole  était  une  gardienne  peu  sûre,  une  duègne  infid^e 
de  la  vertu  des  reines  1 

C'était  justement  cette  duègne  qui  meyennait  ici  les  cho- 
ses. De  quoi  s'agissait-il?  De  sauver  TËglise  en  Europe, 
rintérét  catholique,  aussi  bien  qu'espagnol.  Un  tel  bui 
sanctiGait  les  moyens.  Le  jésuite  Gaussin  n'était  nullement 
étranger  à  coup  sûr  à  l!art  que  les  grands  casuistes  pro- 
fessaient depuis  quarante  ans.  L'ingénieux  Navarre,  le 
savant  et  complet  Sanchez,  les  nombreux  éclectiques, 
comme  Escobar  et  autres,  avaient  creusé  et  raffiné.  En 
cent  cas,  l'adultère,  pour  une  femme  mal  mariée,  était  un 
péché  véniel. 

Il  est  curieux  de  savoir  quels  serviteurs  de  confiance 
entouraient  notre  reine  à  ce  moment.  Son  éeu3rer  Patro- 
cle  la  trahissait;  elle  ne  l'ignorait  pas.  Laporte  était  k  la 
Bastille.  Bouvart,  le  médecin  dévot,  peu  scrupuleux  (qui 
ordonnait  au  roi  une  maîtresse),  n'était  pas  très^sùr  pour 
la.reine  ;  il  avait  avoué  l'avortement  (4631). 

Au  total,  l'homme  sûr  à  qui  la  reine  pouvait  se  fier  était 
Guitaut,  capitaine  de  ses  gardes.  Guitaut  n'était  pas  jeune, 
et  il  avait  souvent  la  goutte.  Il  devait  être  suppléé  dans 
ces  moments  par  celui  qui  avait  la  survivance  de  sa  charge, 
son  neveu  Comminges,  un  beau  jeune  homme,  brave  et 
spirituel)  vrai  héros  de  roman  (V.  Arnauld  d'AndiUy). 
C'est  lui,  pendant  la  Fronde,  à  qui  la  reine  donna  la  pé- 
rilleuse commission  d'arrêter  l'idole  du  peuple,  le  con- 
seiller Broussel.  Mais  Mazarin  (jaloux  sans  doute)  ne  le 
laissa  pas  près  de  la  reine,  et  l'envoya  mourir  en  Italie. 

La  familiarité  royale  avec  ces  hauts  Idomestiques  était 

extrême  alors.  La  disposition  même]  des  appartements 

était  telle,  que  les  princes  et  princesses,  à  tout  moment 

en  évidence  et  dans  les  choses  que  nous  cachons  le  plus, 

f^.  ^  vivaient  (tranchons  le  mot)  dans  un  étrange  péle-mtf  e. 


LÂé  NAItfiàlfCB  DR  LOOIfr  XIV.  H  à 

L'exbauasemrat  méine  de  la  royauté,  la  divinisation  des 
personnes  royales,  qui  eut  lieu  en  ce  siècle ,  le»  enhardis** 
saient  fort,  et  leur  faisaient  aecorder  aux  simples  mortels 
qui  les  entouraienl  une  trop  humaine  intimité. 

Mais  laissons  tout  ceci.  Sortons  des  conjectures,  voyons 
le»  faits,  les  dates  précises» 

Le  H  déeembre,  Caussin  fit  près  du  roi  la  démarche 
dernière  et  le  suprême  effort  contre  Richelieu.  Àngouléme 
avertit  celui-ci,  qui,  le  matin  du  9,  vit  le  roi,  le  reprit, 
exigea  la  promesse  qu'il  renverrait  Caussin.  La  roi,  re- 
conquis et  forcé,  rentrant  en  esclavage,  pour  fliir  la  cour 
peut-être  et  les  reproches  muets  de  mademoiselle  de 
Hautefort,  pour  s'excuser  aussi  à  mademoiselle  de  La- 
fayette,  partit  de  Saint^Germaîn,  se  proposant  de  la  voir 
à  Paris  à  la  Visitation,  mais  de  ne  pas  revenir,  de  conti- 
nuer le  faubourg  Saint-Antoine,  et  d'aller  coucher  à 
Saint-Ihur,  chez  les  Coudé,  amis  de  Richelieu. 

Tout  cela  ne  fut  pas  si  prompt,  qu'on  ne  pût  faire 
avertir  Lafayette  pour  qu'elle  retint  le  roi,  l'eropéchàt 
d'aller  s'endurcir  et  s'obstiner  dans  ee  désert,  pour  qu'en- 
fin, dana  oe  jour  suprême,  s'il  se  pouvait,  elle  fmdlt  son 
ccnir. 

L»  reine  courut  après  le  roi.  Sous  je  ne  sais  quel 
prétexte  d'afiaires  ou  de  dévotion,  elle  vint  au  Louvre 
attendre,  souper,  coucher  et  profiter  peut-être  de  ce 
qu'aurait  fait  La&yette. 

La  partie  était  extraordinairement  montée.  La  reine 
n'avait  pas  caché  sa  vive  inquiétude.  Des  couvents  étaient 
en  prières  (on  le  sut  le  lendemain). 

La  jeune  Lafayette,  innocente  complice  d'une  affaire  si 
peu  innooente,  fit  d'autant  mieux  ce  qu'on  voulait.  Elle 
tint  le  roi  longtemps,  très-longtemps,  deux  heures»  trois 
heures,  quatre  heures,  tant  que  oe  fut  le  soir.  On  devine 
bien  ee  qu'elle  dit.  Elle  pria  pour  la  reine,  supplia,  et 
peur  le  roi-néme,  peur  sa*  conscience  et  son  salut.  Noël 


444  LA  NAISSANCE  DB  LOUIS  XIV. 

allait  venir.  Pourrait-il  bien,  dans  un  tel  jour  où  Christ 
vient  apporter  la  paix,  ne  pas  donner  la  paix  à  sa  femme 
et  à  sa  famille,  à  la  France  en  péril  s'il  ne  lui  venait  un 
Dauphin  ?  Dernier  point  délicat  oii  cette  enfant  de  dix  sept 
ans  ne  put  ne  pas  rougir.  Une  jeune  sainte  charaiante, 
demandant,  implorant  un  Dauphin  pour  la  France,  belle 
de  sa  honte  et  de  son  trouble,  de  son  effort  suprême  pour 
obéir  et  dire  ce  qu'on  lui  faisait  dire,  c'était  une  scène  plus 
forte  que  celle  des  pinces  d'argent. 

Louis  XIII,  qui  semblait  de  bois,  sortit  pourtant  si  ani- 
mé, qu'il  s'en  allait  éperdu  à  Saint-Mpur  par  une  nuit 
glacée,  un  effroyable  temps  d'hiver.  Le  bonhomme  Gui- 
tant,  qui,  depuis  quatre  heures,  se  morfondait  là  à  Tat- 
tendre,  lui  demanda  lamentablement  s'il  était  d'un  roi 
chrétien  de  faire  courir  ses  gens  par  ce  temps-là.  Le  roi 
n'entendait  rien.  Deux  fois,  trois  fois,  il  fit  la  sourde 
oreille,  quoiqu'on  lui  dit  et  répétât  que  la  reine,  avec  un 
bon  feu,  était  au  Louvre,  qui  bien  volontiers  lui  donnerait 
à  souper,  à  coucher.  Enfin  l'obstination  de  Guitaut  rem- 
porta. Tout  entier  à  ce  rêve,  à  ces  brûlantes  paroles,  à 
cette  image  d'ange  enflammée  du  rayon  de  Dieu,  il  se 
laissa  mener  au  Louvre.  Tout  était  prêt,  et  il  soupa.  Le 
journal  de  son  médecin  malheureusement  ne  va  pas  jus- 
que-là; nous  saurions  quel  fut  le  menu,  quel  le  dessert, 
si  les  fameux  diavoletli  y  furent  servis,  ou  les  breuvages 
d'illusion  qu'on  donnait  au  sabbat.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
roi  coucha,  au  Louvre  dans  le  lit  de  la  reine,  s'en  alla  le 
matin.  Quand  elle  se  leva  pour  dîner,  un  supérieur  de 
moines  se  trouva  sur  sa  route  pour  lui  annoncer  que  la 
nuit  un  simple,  un  bon  frère  lai,  avait  su  par  révélation 
ce  bonheur  de  la  France.  Et  il  lui  dit  en  souriant  :  «  Votre 
Majesté  est  enceinte.  » 

Toute  la  cour  était  pour  la  reine.  On  entoura  le  roi,  on 
le  félicita,  on  le  persuada.  Eh  !  que  ne  peut  la  sainte 
Vierge  ?  N'était-ce  pas  elle-même  que  ce  jour-là  il  avait 


LA  NAISSANCX  DE  LOUIS  XIT.  U5 

▼U6  dans  mademoiselle  Lafayette,  toute  divine  et  transfi- 
gurée? De  là  Tacte  célèbre.  Le  13  janvier,  par  un  élan  de 
chevalerie  extatique  qui  revient,  je  crois,  tout  entier  à  la 
gloire  de  la  jeune  religieuse,  il  mit  le  royaume  de  France 
80U8  la  protection  de  la  Vierge. 

Neuf  mois  sont  longs.  La  reine  avait  à  craindre  qu'en 
ces  neuf  mois  un  mot,  une  plaisanterie  calculée  de  Gaston 
(qui,  après  tout,  perdait  le  trône),  n'assombrit  fort  le  roi 
et  n'éclairât  les  souvenirs  confus  qui  lui  restaient  de  cette 
nuit.  La  fille  de  Gaston,  alors  enfant,  nous  apprend  que  la 
reine  la  faisait  venir,  ne  se  lassait  pas  de  la  caresser,  lui 
disant  et  lui  répétant  :  «  Tu  seras  reine,  tu  seras  ma  belle- 
fille.  »  Ou  bien  :  t  C'est  ton  petit  mari,  s 

Cela  calma  Gaston,  lui  fit  avaler  l'amère  pilule.  Il  avait 
fait  une  protestation  secrète  contre  la  légitimité  de  l'en- 
faut.  Mais  il  n'éclata  pas,  ne  troubla  pas  le  doux  concert 
des  félicitations  dont  on  flattait  l'amour-propre  du  roi. 
Lafayette  soutenait  sa  foi,  et,  d'une  bouche  pure  et  non 
menteuse,  affirmait,  célébrait  le  miracle  de  la  Vierge. 
Mais,  plus  directement  encore,  mademoiselle  de  Hautefort 
reprit  et  empauma  le  roi.  Audacieuse  de  son  dévouement, 
sûre  d'ailleurs  de  ne  risquer  guère,  la  vive  périgourdine 
lui  fit  des  avances  innocentes.  Elle  le  refit  son  chevalier. 
11  se  remit  à  faire  pour  elle  des  vers,  de  la  musique.  11 
aimait  à  la  voir  manger  avec  les  autres  demoiselles  ;  il 
les  servait  à  table;  il  parlait  mal  du  cardinal.  Bref,  il 
n'oubliait  rien  pour  plaire. 

De  temps  à  autre,  pour  l'éveiller  un  peu,  elle  le  piquait, 
le  querellait;  il  passait  tout  le  temps  à  écrire  ces  petites 
disputes,  les  dits  et  les  répliques. 

On  gagna  ainsi  les  neuf  mois.  Enfin,  le  jour  venu  (5 
septembre  1638),  on  aurait  voulu  que  le  roi  fût  ému,  qu'il 
montrât  des  entrailles  de  père.  La  Hautefort  ne  s'épargna 
pas  pour  l'ébranler,  le  mettre  en  mouvement.  Elle  y  per- 
dit son  temps.  La  reine  eut  beau  crier.  On  eut  beau  mt^me 
xn.  iO 


n  6  LA  NAISSANCE  DB  LOOI^  XI?. 

dire,  à  tort  ou  à  raison-,  qn^élfeétant en  dkngeR  fcë 
resta  calme  et  paisible.  It  ne  fut  pas'  pourtant  itthmamm. 
pour l*enfant.  La Hautefort,  pleurant-  et  iliireproelninr  aK> 
froideur  :  «  Qu'on  sauve  le  petit,  lui'dft-4i.  YbuffauM» 
lieu  de  vous  consoler  de  la  mère.  » 

Si  je  ne  craignais  de  faire  tort  à  ce  pauvre  roi,  je 'dirais 
que,  malgré  ses  sentiments  chrétiens,  ii  sa  ffilt  consolé^saaar* 
peine  de  voir  crever  son  Espagnole.  La  Française  était  là 
(non  plus  Lafayette  impossible),  mais  cette  vive  Gasconne 
qui  le  tenait  alors.  La  dame  qui  écrit  son  bistoire  assors 
que  toute  la  nuit,  pendant  que  la  reine  criait,  il  se  fiiisait 
lire  rhistoire  des  rois  veufé,  qui,  comme  Assuérus,  ^mui- 
sèrent  leurs  sujettes. 


CffAPITRE   XIII 


Misère.  —  Révoltes.  —  La  question  des  biens  da  clergé.  1038-1640. 


L'enfant  fut  un  garçon,  donc  nn  roi.  Gaston  perdit  le 
trône.  La  France  en  fut  folle  de  joie.  Heureuse  d'échapper 
ànn  autre  Henri  III,  eUe  acceptait  aveuglément  tes  chan- 
ces d'une  royauté  de-  femme,  fa  sinistre  loterie  d'une  ré* 
gence  étrangère  où  elle  avait  déjà  gagné  deux  Médicis. 

Richelieu  demeura  sans  voix.  Sa  fataKté  était  désormais 
d'avoir  pour  maîtres  Tinfent  de  la  maison  d'Autriche,  la 
régente  espagnole.  Dans  le  compliment  sec,  en  dçfmc  Kgnes, 
qu'il  (ait  à  la  reine,  les  paroles  hii  restent  à  la  gorge  : 
«  Madame,  les  grandes  joies  ne  parlent  pas...  • 

L'avenir  était  très-obscur.  Richelieu,  il  est  vrai,  n'avah 
plus  à  craindre  Gaston.  Hais  quels*  seraienf  les  amants  de 
la  reine?'  (Tétait  !a  question.  Haï  d'elle  à  ce  pomt,  pour- 
rait*il  lui  faire  accepter  un  homme  à  lui?  Un  homme  sans 
famille  et  sans  racine  aucune^  un  étranger,  un  prêtre,  un 
nventorier  smis  naissance,  hri  valait  raiem  qn'uft  autre. 
Cest,  si  je  m»  me  trompe,  la  raison  principale  qui  hii  fit 
adopter  bientôt  un  Italien  que  lat>-méme  hn  présenta 
eoimne  ressemblant  à  Buckingham^  le  fin,  le  délié,  le 
beau  nvzarini. 

ir  avait  apparu  en  t630,  comme  on  a  vu,  pour  sauver 
Tannée'  espagnole.  Cependant  le  père  Joseph  l'avait  fut 


U8  MISiRE.  —  RÉVOLTES. 

accepter  de  Richelieu  comme  pouvant  être  utile  à  Rome, 
Mazarin  étant  domestique  de  celui  des  neveux  du  pape  qui 
tenait  le  parti  français.  La  mort  du  père  Joseph,  en  dé- 
cembre 4638,  rendit  sa  place  vide;  bientôt  Mazarin  suc- 
céda. 

Joseph,  cette  année  même,  appuyé  par  sa  jeune  parente 
Lafayette,  avait  hardiment  travaillé  contre  Richelieu.  II 
avait  tiré  du  roi  promesse  de  rappeler  sa  mère,  et  la  de- 
mande au  pape  de  le  faire  cardinal.  Le  pape  n*osait.  Il 
savait  que  Richelieu,  sous  main,  contre  Joseph,  poussait  le 
client  de  Joseph,  ce  Mazarin,  qu'il  croyait  à  lui  mainte- 
nant, et  qu'il  voulait  faire  cardinal.  Joseph  vit  bien  qu'on 
l'amusait.  Le  désespéré  capucin  sentit  que  le  chapeau, 
l'ambition  de  toute  sa  vie,  ne  lui  viendrait  jamais,  et  com- 
prit que  son  Mazarin  le  lui  soufflait. 

Il  étouffa,  il  étrangla;  une  attaque  d'apoplexie  le  frappe 
en  mai.  Et  chacun  dit  :  t  II  est  empoisonné.  >  Il  conGrm^L 
ce  bruit  tant  qu'il  put  en  quittant  l'hôtel  du  cardinal  et  se 
réfugiant  à  son  couvent. 

Richelieu  l'y  calma  un  peu  en  lui  faisant  venir  la  {>ro- 
messe  tant  désirée  pour  la  première  vacance.  Mais  le  pape 
était  averti.  Joseph  fut  joué  jusqu'au  bout.  Le  roi  seul 
était  sérieux  dans  l'affaire,  il  insistait  contre  le  ministre. 
Ordre  aujourd'hui  et  contre-ordre  demain.  Le  pauvre 
martyr  n'y  tint  pas.  Une  mauvaise  nouvelle  qui  vint  do 
Rome  l'acheva,  et  il  mourut  deux  heures  après  (48  dé- 
cembre 1638). 

Entre  la  naissance  du  Dauphin  et  la  mort  de  Joseph, 
Richelieu  régala  la  cour  d'une  grande  fête.  11  fit  danser  le 
ballet  de  la  félicité  publique.  Chose  hardie  au  moment  où 
de  toutes  parts  il  avait  des  revers.  Impuissance  complète 
en  Italie.  En  Espagne,  un  honteux  échec.  Condé,  Sourdis 
en  fuite.  Au  Nord,  nouveau  projet  de  conquérir  les  Pays- 
Ras  avec  le  prince  d'Oraiige,  et,  pour  tout  résultat,  la  re- 
prise d'une  petite  place.  Richelieu  n'avait  réussi  que  là  ou 


LA  QUESTION  DES  BIENS  DD  CLERGÉ.  4  49 

il  n'était  pas.  Le  général  aventurier,  Weimar,  qui  guer- 
royait aidé  de  quelque  argent  de  la  France,  battu,  battant, 
avait  pourtant  à  la  fin  quatre  fois  défait  Tennemi,  pris  Bri- 
sach.  11  songeait  à  se  faire,  entre  nous  et  l'Empire,  un  pe- 
tit royaume  d'Alsace. 

Richelieu  assurait  qu'il  avait  pris  Brisach  pour  nous. 
Mais  Weimar  montra  le  contraire.  Il  garda  sa  conquête, 
et  il  allait  devenir  un  danger  pour  la  France  quand  une 
fièvre  nous  en  délivra  (18  juillet  4639).  On  admira  encore 
que  les  ennemis  de  Richelieu  mourussent  ainsi  toujours  à 

temps. 

L'invincible  ennemi  dont  on  ne  pouvait  se  défaire,  c'était 
l'épuisement  du  royaume,  Tabime  de  la  misère  publique 
qui  se  creusait  de  plus  en  plus.  Le  gouvernement  était 
sérieux,  nullement  dilapidateur,  le  ministre  économe,  le 
roi  avare.  Il  avait  réduit  à  rien  les  libéralités  royales.  Les 
grands  revenus  de  Richelieu  ne  paraîtront  pas  excessifs  si 
Ton  songe  que  sa  maison  était  réellement  un  ministère  des 
arts  qui  pensionnait  les  gens  de  lettres  (nullement  nour- 
ris par  leurs  ouvrages  alors).  Àjoutez-y  les  fêtes  et  diver- 
ses dépenses  de  représentation  que  Richelieu  prenait  sur 
lui.  Au  milieu  de  cette  guerre  dévorante,  de  cet  effort 
immense  pour  refaire  l'armée  chaque  année,  il  avait  réussi 
pourtant  à  créer  une  marine.  Dans  tout  cela,  il  y  avait 
certes  beaucoup  à  admirer,  et  les  éloges  de  Balzac  et  tant 
d'autres  ne  sont  pas  entièrement  déraisonnables.  Madame 
de  Motteville,  comparant  Richelieu  à  Mazarin,  le  voleur, 
le  prodigue,  si  justement  méprisé  et  haï,  a  été  jusqu'à  dire 
cette  parole  excessive  et   absurde  :  «  Richelieu  était 

adoré.  » 

Il  dit  dans  ses  Mémoires  qu'il  avait  augmenté  l'impôt 
modérémenL  Cela  est  vrai  relativement^  eu  égard  à  Tim- 
mensité  des  dépenses.  D'année  en  année  se  succèdent  des 
édits  sages  pour  mieux  régler  la  répartition  des  taxes. 
Mais  toute  cette  sagesse  devait  échouer  contre  ce  que  nous 


450  ififlÉRK.  —  «Érouns. 

a^ons  dît  aiUaura  :  //  ne  p^wfait  iMicfar  ou  -ffrund  sarpt 
richôf  BU  clergé^  pas  davanta^fe  à  fai  nableese,  tobésée, 
ruinée,  mendiante.  U  s'>eftirçait  ^'atteindre  ia  honrgaaiaîe 
par  sa  taxe  des  gms  miés^  et  par  un  «xaiaen  sévèro  des 
exemptions  sans  titre  et  de  la  fausse  iiràlesse, 

La  bourgeoisie  propriétaire  se  ttevengeak  snr  ses  fer- 
BÙers,  métayers,  paiysans,  JMvssait  les  baux,  suçait  ut 
resuçait  la  terre.  En  dernière  analyse,  c'était  sur  le  <sqÏ&- 
vateur  que  i'imp^t  retombait  d'aplomb. 

En  4635  et  4689,  les  parlements  de  Tmlosse  et  de 
Rouen  révélèrent  le  cruel  mystère  de  ce  gouvemeoMSit. 
Même  quand  le  cbiffine  cfes  taxes  n'augmentait  pa&«  elles 
devenaient  chaque  année  plus  pesantes.  Paarqaoi  ?  Pttice 
«(n'en  chaque  commune,  ee  que  nepayaîeat  pasl^  inaat- 
vables,  tes  rainés,  les  pauvres  gens  en  fuite,  ceux  ipii 
restaient  sokables  le  payaient,  liais,  écrasés  par  eetle 
a(4idarité  désolante,  ils  devenaient  peu  à  peu  moiss  fiûl- 
«ables,  grossifisaient  le  nombre  des minés  et  des  gens  «n 
•fuite.  Des  villages  devenaient  déserte. 

On  saisissait,  on  prenait,  vendait  tout,  jusqv'anx  jupes 
4es  femmes.  Le  parlement  <le  Normandie  dit  qu'elles  ne 
vont  plus  à  la  messe,  n'osant  Yttontuer  leur  triale  nodité«  Ia 
saisie  principale,  malgré  les  ordoonanceB  d'Henri  IV, 
ti^mbait  généralement  sur  les  bestiaux.  On  eolewaît  le 
troupeau  du  village.  £t  dès  lors  plus  d'engrais;  la  tane 
feûnait,  ainsi  qne  r>bonime^  oe  se  r^arait  plus.  Le  maigre 
kibovreur  semait  chaque  année  dans  un  sol  plus  épuisé, 
plus  maigre.  Voilà  la  route  où  nous^eulpons,  oirnoiisii 
de  plus  en  phis.  Yauben  et  BoîsguîHiert  'la  déplovent 
Louis  XIV.  Mais  on  n'y  va  pas  moins  jusqu'en  89. 

Cne  guerre  tsans  élan  moral,  et  faite  à  oeiitJBe<<œiir,  ne 
M  eoutenait  qu'à  force  d'argent.  <to  n'entrait  en  campagne 
que  par  lempioi mwveau  «de^qucAqne  «nqiédieat  «violaiit, 
une  fcMS  en  saisissant  la  rente  et  ne  payant  point  les  rm- 
tîers,  4)ui  s'ameutèrent  et  qu'on  empriscmna.  fine  mtre 


LA  QUESTION  I>KS  BIENS  lUJ  CLERGÉ.  451 

Cdîs,  ûa  fait  croîie  aux  provinces,  mangées,  foulées  par 
les  Jogemeuts  de  troupes,  qu'en  payant  elles  seront  quittes 
da  ces  misères.  £lles  payent,  et  les  soldats  n'en  sont  pas 
tuauis  loigâs  «bez  l'habitant. 

La  taxe  des  gens  aisés,  acceptée  au  mofiient  de  Tinva- 
laioD  comuàe  une  rigueur  passagère,  subsista,  s'étendit,  et 
toole  la  bourgeoisie  fut  tenue  sous  la  terreur  d'un  arbi- 
4jRaire  indéfiniment  élastique,  qui  croissait  ou  baissait  à  la 
volonté  des  commis.  Ces  commis  gouvernèrent  en  \  637 
«ous  le  nom  d* intendants,  armés  d'un  pouvoir  triple  de 
justice,  police  et  finances,  suspendant,  entravant  et  les 
aacieBS  pouvoirs  de  Gouverneurs,  d'États,  de  Parlements, 
supprimanl  brusquement  les  élus  par  qui  Richelieu  avait 
voulu  d'abord  régler  l'impôt,  mais  dont  l'action  lente  ne 
donnait  pas  les  rentrées  sûres,  rapides,  que  demandait  la 
guerre.  Un  seul  roi  reste  en  France,  armé  des  trois  pou- 
.  voirs,  c'est  l'Intendant,  l'envoyé  du  ministre  ;  un  homme 
.généralement  inconnu  et  de  peu  de  poids,  un  cadet  de 
&mille  de  juges  ou  de  la  cpur  des  aides,  de  la  chambre  des 
comptes.  Petit  jeune  homme  en  habit  court,'  qui  fera  faire 
taire  les  robes  longues,  menacera  les  parlements,  qui  sait? 
par  une  accusation,  fera  mener  à  la  Bastille  monseigneur 
le  Gottvecneur  même  de  U  province  et  les  plus  grands 
noms  de  la  monarchie. 

Il  est  curieux  de  voir  la  versatilité  de  ce  gouvernement. 
BioheUeu,  pendant  six  années,  de  4630  à  1636,  emploie 
toute  sa  vigueur  à  introduire  partout  Vimpôl  levé  par  les 
HuSy  par  irois  mille  notables  de  France.  Il  brise,  pour  y 
réussir;,  les  résistances  des  Etats  provinciaux  et  des  par- 
lements. 

La  guerre  venue,  il  quitte  -brusquement  ce  système  et 
fait  lever  l'impôt  (révolutionnairement,  on  peut  le  dire) 
par  Ifente-cinq  dictateurs  sous  le  nom  d'Intendants..  L'or- 
ûâe  y  gagne;  les  pouvoirs  locaux  sont  écrasés.  Mais  Tac- 
iioB  violente,  précipitée,  d'un  gouvernement  si  terrible^ 


152  MISÈRE.   —  REVOLTES. 

décide  Texplosion  du  désespoir.  Révoltes,  non  contre  le 
roi»  mais  contre  le  lise.  Les  croquants  du  Midi  sont  massa- 
crés par  la  Valette,  et  les  nu-pieds  normands  sont  massa- 
crés par  Gassion,  beaucoup  pendus,  plusieurs  roués  vils  à 
Rouen  (1639-4640). 

Tout  ceta  fait,  rien  de  changé.  L'impossibilité  de  payer 
est  la  même.  Et  le  roi,  dans  une  ordonnance  de  novem- 
bre 1641,  avoue,  c  les  larmes  aux  yeux,  •  ce  sont  ses 
termes,  précisément  les  mêmes  maux  dont  se  plaignaient 
les  insurgés,  précisément  l'horreur  de  cette  solidarité  de 
ruine  qu'ont  accusée  les  parlements.  Mais  quel  remède 
propose-t-il?  Il  n*ose  articuler  le  seul  qui  serait  efficace. 

La  grande  queistion  du  monde  en  ce  siècle  et  aux  trois 
derniers,  c'est  celle  des  biens  ecclésiastiques.  Elle  domine 
toute  la  guerre  de  Trente  ans.  En  Allemagne,  en  France, 
partout,  c'est  la  question,  plus  ou  moins  formulée,  ici  par- 
lante et  là  muette. 

Il  était  évident  que  les  biens  donnés  à  TËglise  servaient 
au  moyen  âge  diverses  utilités  publiques,  écoles,  h6pi* 
taux,  entretien  des  pauvres,  etc.  L'Ëtat  n'existant  pas  alors 
(à  proprement  parler),  l'Ëtat  réel,  sérieux,  était  dans  l'É- 
glise. Celle-ci,  peu  à  peu,  se  dégagea  des  charges,  garda 
les  avantages,  s'enfonça  dans  son  repos,  donnant  pour 
tout  secours  à  l'Ëtat...  ses  prières.» 

L'Ëtat,  chargé  de  plus  en  plus  par  l'organisation  de  tous 
les  services  publics,  et  frémissant  de  faim,  tournait  fout 
autour  du  clergé,  et  rencontrait  de  toutes  parts  une  mer- 
veilleuse clôture.  Les  grands  sièges  dont  on  parle  depuis 
celui  de  Troie,  l'Anvers  du  prince  de  Parme  et  l'Alesia  de 
César,  sont  tort  peu  de  chose  à  côté. 

François  P'  crut  pénétrer  dans  la  place  par  la  conni- 
vence du  pape.  Ce  fut  le  Concordat.  Le  roi  mit  les  siens 
dans  i'Ëglise,  paya  en  bénéfices  des  emplois,  des  retraites. 
Mais  on  put  voir  la  vertu  singulière  des  terres  d'Église 
pour  transformer  les  hommes.  A  peine  mis  dessus,  les  ser- 


LA  QUESTION  DBS  BIENS  DU  CLERGÉ.  4^ 

viteurs  du  roi  n'étaient  que  prêtres  et  défendaient  les  biens 
sacrés. 

Au  premier  mot  que  l'Hôpital  risqua  pour  deman- 
der un  état  de  ces  biens  (mai  4561),  le  clergé  appela  l'Es- 
pagne. Mais  les  huguenots  étaient  là.  11  eut  peur,  il  jeta  un 
os,  une  rente  d'un  million  à  peu  près  pour  la  dette  du  roi 
à  THôtel  de  Ville.  Somme  minime  au  siècle  suivant,  oii 
toute  valeur  avait  changé. 

Henri  II  et  Henri  IV  imaginaient  avoir  trouvé  une 
fente,  une  étroite  fissure.  Au  nom  de  la  charité,  ils  priaient 
que  les  abbayes  reçussent,  comme  frères  convers^  de  vieux 
soldats  mutilés.  Les  pauvres  diables  y  furent  reçus  si 
mal,  qu'ils  aimaient  mieux  s'en  aller  et  tendre  la  main  aux 
passants.  Leurs  places  n'en  furent  pas  moins  remplies. 
Les  grands  abbés  y  mettaient  leurs  domestiques  en  retraite, 
leurs  favoris,  les  parents  de  Jeannette. 

Aux  assemblées  qui  précédèrent  le  siège  de  la  Rochelle, 
puis  la  rupture  avec  l'Espagne  «  pour  délivrer  l'arche- 
vêque de  Trêves,  »  le  clergé  donna  quelque  chose,  comme 
une  subvention  de  croisade.  En  1638,  Richelieu,  aux 
abois,  les  dents  aiguisées  par  la  faim,  et  peut-être  poussé 
par  les  conseils  hardis  du  moine  révolutionnaire  Campa- 
nella,  sembla  déterminé  à  exiger  davantage.  On  peut 
croire  toutefois  que,  de  longue  date,  il  avait  prévu  ce 
moment,  ayant  encouragé  un  long  travail,  l'immense  com- 
pilation des  Libertés  gallicanes  de  Pierre  Du  Puy.  Ce  savant 
archiviste,  excellent  instrument  de  guerre  que  possédait  le 
cardinal,  l'avait  armé  de  pièces  pour  prendre  la  Lorraine. 
Et  il  lui  prépara  un  arsenal  d'actes  et  de  vieux  livres,  réim- 
primés en  trois  in-folios,  pour  battre  le  clergé  en  brèche. 
Le  sens  total  fut  résumé  hardiment  par  Du  Puy  dans  ce 
grand  axiome  :  «  L'Église  ne  peut  pas  posséder.  » 

Contradiction  étrange.  En  1629,  quand  Richelieu  crut 
devenir  légat,  il  obligea  le  doyen  de  Sorbonne  d'abjurer 
les  doctrines  gallicanes.  Il  les  ressuscite  aujourd'hui,  en 


454  MISÈRE.  —  RÉYOLTES. 

4638.  Il  les  pousse  à  leur  dernière  conséquenoe.  On«<ni- 
cluait  à  Rome  qu'il  voulait  se  faire  patriarche.  J'en  con- 
clus seulement  qu'il  périssait  faute  d*argent,  et  qu'il  vou- 
lait rançonner  le  clergé.  La  dévotion  du  roi  ne  permettait 
pas  une  révolution  sérieuse.  Richelieu,  pour  gagner  le  roi, 
trouva  un  jésuite,  Cellot,  qui  appuya  Du  Puy;  un  autre, 
Rabardeau,  pour  soutenir  et  autoriser  cet  épouvantail  du 
patriarcat.  Mais  tout  cela  rassurait  peu  la  conscience  de 
Louis  X|n. 

Ce  qu'on  pouvait  lui  faire  entendre,  c'est  que  ce  clergé 
économe,  qui  disputait  une  aumône  à  l'État,  était  effroya- 
blement riche.  Son  revenu  de  trois  cents  millions  d'alors 
a  été  évalué  très- mal  douze  cents  millions  d'aujourd'hui. 
C'est  s'arrêter  au  pur  rapport  des  valeurs  métalliques. 
Mais  il  faut  tenir  compte  aussi  de  l'avilissement  des  den- 
rées (personne  ne  pouvant  acheter  dans  cette  misère), 
tenir  compte  de  la  position  du  seul  riche,  du  seul  ache- 
teur, du  seul  qui  eût  de  l'argent  pour  faire  toute  bonne 
affaire  et  pouvoir  s'enrichir  encore. 

Pour  parer  le  coup,  Rome  avait  choisi  pour  nonce  le 
doux,  le  charmant  Mazarin.  Celui-ci  obtint  en  effet  de 
Richelieu  une  surprenante  reculade,  un  arrêt  du  conseil 
contre  son  propre  livre,  le  livre  qu'il  avait  commandé  à 
Du  Puy.  Mazarin,  par  ce  grand  service,  croyait 'cbarmer  le 
pape,  enlever  le  chapeau.  Mais,  en  même  temps,  'pour 
plaire  à  Richelieu,  il  l'engagea  à  envoyer  à  Home  un 
ambassadeur  militaire  qui  poussât  le  pape,  Rome 'étant  du 
tempérament  des  belles  qui  ne  haïssent  pas  une  douce 
contrainte.  Richelieu  envoya  d 'Estrées,  l'homme  même  qui 
avait  chassé  le  pape  de  la  Valteline.  Enhardie  par  l'Espa- 
gne, Rome  manqua  à  d'Estrées  et  rappela  Mazarin.  En 
octobre  4639,  l'ambassadeur  interrompit  ses  relaitions^aivec 
le  saint-siége. 

Donc  la  petite  guerre  commença.  Déjà  Richelieu  avait 
créé  des  procureurs  du  roi  dans  les  tribunaux  ecclésiâ»- 


LA  QUESnOR  «B  BlBNft  WC  'CLERGÉ.  <<S5 

tiquos  pour  les  surveiUer.  il  fk  «décider  par  le  parlement 
que  renqiiéte<or(UnaiBe  aar  les  mœurs  des  nouveaux  béné- 
ficiés se  ferait  par  les  évéques,  non  ^par  les  inonces  de 

ROOML 

Enfin  le  modéré  Marca,  jusque-là  «onlraîra  à  Du  Puy, 
dépassa  Du  Puy  en  un  point  ;  il  ensei^^  que  les  églises, 
ayant  droit  «d'élm  leurs  évéqnes,  pouYaient  donner  ce  droit 
au  roL  Louis  XIll  anrak  eu  les  pouvoics  d'Henri  VJiU.  Ces 
évéqnes  royaux,  ^n  oondle,  enisent  pu  enéer  un  /pa- 
triarebe. 

Le  roi  (te  û%  avril  4689),  aooe|Aant,  profanant -^Mnome 
siennes  les  bardiesses*de  Du  Puy  qu'aie  désavouées,  dé- 
clare «  que  le 'Clergé  tst  incapable  de  postéder  et  peut  être 
contraint  de  vider  ttout^tmineuble  un  an  après  Tacquisi- 
4ÎOD.  Mais  âl«veut  bien  ne  (pas  le  dessaisir;  il  se^Oûdortentera 
-d'etîger  les  droits  •d'amont  îasemenL  » 

f  ière  et  redantaUe  menace,  mais  bien  rpeu  soutanœ. 
Le  7  janmr  4610,  «on  avoue  platement  que  le  roi  is'en 
tiendrait  à  un  petit  don  de  trois  millions. 

Le  roi  est  «donc  vaincu?  Du  Puy  ne  l'est  pas,  et  il  <eon- 
tinue  la  bataille,  aidé  surtout  par  l'ennenaî,  par  les  pam- 
phlets papistes  qui  indignent  le  public,  relèvent  le  courage 
du  ministre.  Trois  millions  ne  sont  plus  assez  ;  il  lui  faut 
le  sixième  du  reveiiu  pendant  deux  ans  {cent  millions  de  ce 
temps'là)^  6  octobre  1640.  Une  commission,  créée  par 
Richelieu  pour  établir  ce  droit,  sur  le  refus  des  pièces, 
fait  enfoncer  les  portes  des  archives  que  lui  fermaient  les 
agents  du  clergé.  La  bataille  est  bien  engagée. 

Et,  à  ce  moment  même,  Richelieu  fait  décidément  le 
plongeon.  Il  se  résigne  à  demander  cinq  millions  et  demi, 
une  fois  payés  (1641). 

Il  marqua  sa  mauvaise  humeur  en  faisant  renvoyer  dans 
leurs  diocèses  les  cinq  ou  six  évéques  dont  la  résistance 
avait  tout  arrêté.  Ils  partent,  mais  vainqueurs.  La  ques- 
tion, dès  ce  jour,  est  finie  pour  jamais. 


456  MISÈRE.   —  RÉVOLTES. 

Le  clergé  sera  quitte^dès  lors  pour  donner  peu  ou  rien. 
Dès  lors,  le  grand  riche  est  exempt,  et  Ton  ne  prendra 
rien  qu'aux  pauvres. 

Si  Richelieu  veut  soutenir  la  guerre,  si  le  gouvernement 
a  des  besoins  croissants  de  toute  sorte,  qu'il  demande  à 
ceux  qui  n'ont  rien. 

Si  Ton  est  obligé  d'organiser  la  charité  publique,  en 
présence  du  nombre  effroyable  de  ceux  qui  demandent 
l'aumône,  les  biens  d'Église,  fondés  pour  cet  usage,  ne 
contribueront  pas.  Vincent  de  Paul  et  autres  chercheront 
des  ressources  fortuites  pour  les  établissements  nouveaux. 

Ni  Richelieu  pour  le  gouvernement,  ni  Vincent  pour  la 
charité,  ne  feront  rien  de  grand  ni  de  solide. 

Résumons  en  trois  mots  les  trois  chapitres  précédents. 

Richelieu,  vaincu  dans  l'opinion  par  le  drame  espagnol 
et  le  succès  du  Cid,  vaincu  dynastiquement  par  la  gros- 
sesse de  la  reine  et  l'enfant  du  miracle ,  reste  vaincu 
encore  dans  la  question  d'argent  par  la  résistance  du 
clergé. 

D'autant  plus  pesant  il  retombe  sur  le  peuple,  et  d'au- 
tant plus  maudit. 


CHAPITRE  XIV 


Richelieu  relevé  par  les  réfolutions  étrangères.  —  Les  Favoris, 

Maz^rin,  Cinq-Mars.  16^-1641. 


L'Europe,  épuisée,  haletante,  se  mourait  du  désir  de  la 
paix.  Mais  la  France  malade,  l'Espagne  agonisante,  l'Em- 
pire exterminé,  ne  s'y  décidaient  pas.  Pourquoi?  Nulle 
question  essentielle  n'avançait,  ni  la  question  de  propriété, 
Dî  la  question  religieuse.  Pas  un  de  ceux  qui  avaient  pris 
ne  voulait  rendre.  Le  pape  demandait  un  congrès,  et  lui- 
même  le  rendait  impossible,  en  refusant  d'y  paraître  si 
Ton  admettait  un  seul  protestant.  On  passa  sept  années  à 
discuter  la  forme  du  congrès,  à  régler  l'étiquette,  les  pas- 
se-ports, etc. 

Notre  campagne  de  1639  ne  valut  guère  mieux  que  les 
autres.  Richelieu  n'aboutit,  avec  sa  principale  armée  et  le 
roi  en  personne,  qu'à  donner  à  la  Meilleraye,  son  parent, 
le  petit  succès  de  prendre  Uesdin.  Et  l'on  n*y  arriva  qu'au 
prix  d'une  diversion  très-malheureuse  à  l'Est,  où  on  força 
le  brave  Feuquières  d'attaquer  sans  avoir  des  forces , 
c'est-à-dire  de  se  faire  tuer. 

Le  favori  de  Richelieu,  Condé,  en  Catalogne,  eut  échec 
sur  échec.  Si  nous  réussîmes  en  Savoie  par  la  bravoure 
d'Harcourt  et  du  jeune  Turenne,  ce  petit  succès  fut  terni 
par  la  spoliation  de  la  duchesse  de  Savoie,  fille  d'Henri  IV 


458      RICHSLIBU  RELEVÉ  PAR  LES  RÉVOLUTIONS  ÉTRANGÈRES. 

et  sœur  de  Louis  XIII,  que  l'on  protégea  comme  on  avait 
protégé  la  Lorraine»  en  occif^nt  ses  places  qu'on  prit  et 
qu'on  garda. 

La  scène  change  en  4640.  Mais  comment?  Par  des  cir- 
constances extérieures^  où,  quoi  que  l'on  ait  dit,  Richelieu 
eut  bien  peu  de  part. 

L'Angleterre,  allié  timide,  mais  efficace ,  de  l'Espagne, 
tombe  en  pleine  révolution.  Le  jugement  commence  sur 
le  grand  traître  du  parti  protestant,  déjà  dénoncé  par 
Gustave. 

L'Empire  espagnol  tombe  en  pièces,  la  France  n'aura 
qu'à  ramasser. 

Je  ne  crois  pas  ce  que  dit  Temple ,  que  Richelieu  ait 
donné  deux  millions  aux  Convenantaires  pour  renverser 
Charles  P'.  II  n'avait  guère  d'argent.  Mais  la  faveur  mar- 
quée de  ce  roi  pour  TEspagne,  mais  son  opposition  à 
notre  invasion  des  Pays-Bas  espagnols,  jeta  certainement 
Richelieu  dans  les  résolutions  les  plus  smistres.  Ses  échecs 
au  dehors,  au  dedans,  l'avaient  aigri*.  B  encouragea  par- 
tout  la  révolution,  employant  désormais  contre  ses  enne- 
mis des  moyens  désespérés. 

Notre  succès  en  Catalogne  fiit  très- étrange.  If  eus  réns-» 
stmes  à  force  d'être  battus.  La  résistance  nationale  que 
nous  avaient  faite  les  Catalans  méritait  des  couronnes;  à 
la  place,  ils  reçurent  d'Oiivarès  des  gamisaires.  11  mit  en 
logement  chez  eux  une  armée  de  brigands  qur  venaient 
d'Italie,  habitués  à  tout  prendre  et  tout  faire.  Les  Cata- 
lans tuèrent  leur  vice-roi,  appelèrent  les  Français,  qu'ils 
craignaient  d'autant  moins  qu'ils  venaient  de  les  battre. 

Il  n'y  avait  pas  à  marchander  avec  ce  peuple,  dans  un 
si  grand  bonheur  et  si  inespéré.  C'est  ce  qu'on  fit  pour- 
tant. Louis  Xin  accepta,  non  ta  protection  d'un«  républi- 
que catalane  qu'ils  auraient  désirée,  mais  la  )*oyauté  du 
pays,  alléguant  que  fa  Catalbgne  avait  appartenu  aux 
Francs  de  Charlemagne. 


LES  FAVORU,   MAZÂRIN,   CDIQ-IUIIS.  459 

La  révolatiiHi  de  Portugal  suivit  de  près.  Elle  fut  toute 
spontanée.  Richelieu  y  avait  pensé,  et  il  cherchait  un  pré» 
tendant.  Mais  l'explosion  se  fit  d'elle-^méme  et  pour  Bra* 
gance  (1  *'  décembre  4640). 

Elle  nous  valut  le  gain  de  dix  batailles.  L*Bspagne, 
étranglée  désormais  entre  deux  révolutions ,  nous  laissa 
faire  partout.  Bile  ne  put  empêcher  ni  Harcourt  de  pren- 
dre Turin,  ni  la  Meilleraye  de  prendre  Arras.  Cette  der- 
nière affaire  traîna  pourtant  et  nous  mit  en  péril.  Pendant 
qu'on  fait  le  siège  en  règle,  à  la  façon  de  la  Rochelle,  en 
entourant  la  place  d'une  circonvallation  de  cinq  lieues, 
les  Espagnols  ont  le  temps  de  ramasser  des  forces  et 
d'assiéger  les  assiégeants.  Enfin,  sans  la  lenteur  qu'ils 
mirent  de  leur  côté  à  attaquer  le  secours  qu'on  envoya , 
il  ne  serait  pas  arrivé,  et,  malgré  tant  de  circonstances 
favorables,  nous  aurions  échoué  encore. 

L'intérieur  change  aussi  bien  que  l'Europe.  Richelieu 
met  en  scène  deux  acteurs  nouveaux  qu'il  croit  siens.  Il 
donne  au  roi  pour  favori  un  joli  page,  un  écolier  à  lui,  le 
jeune  Cinq-Mars.  Et  en  même  temps  il  établit  en  France 
le  beau  Mazarin,  le  futur  mari  de  la  reine. 

La  vengeance  que  l'Italie  a  tirée  de  la  France  pour 
avoir  tant  de  fois  trompé  sa  confiance  a  été  d*y  mettre  la 
peste  qui  s'exhalait  de  son  tombeau.  Les  plus  grands  cor- 
rupteurs des  mœurs  et  de  l'opinion  nous  sont  venua 
toujours  d'Italie,  nombre  d'aventuriers  funestes,  de  bravi 
scélérats,  de  séduisants  coquins.  Les  uns  réussissent,  et 
les  autres  avortent.  Mais  tous  nous  pervertissent.  Concini 
règne  ici  sept  ans,  Mazarin  quinze.  Et  le  Corse  Ornano, 
gouverneur  de  Gaston,  s'il  ne  fût  mort  k  temps,  peut<-étre 
lui  aussi  eût  été  roi  de  France. 

La  France  du  xvii*  siècle  procède  de  deux  caducités,  de 
la  vide  enflure  espagnole,  de  la  pourriture  italienne.  Aussi, 
dans  la  littérature,  le  moment  vigoureux  du  siècle,  son 
milieu  est  marqué  des  rides  de  la  décadenœ.  La  préoe* 


160      RICHELIEU    RELEVÉ  PAR  LES   RÉVOLUTIONS  ÉTRANGÈRES. 

cupatîon  ridicule  de  la  forme  dépare,  non- seulement  les 
Balzac  et  autres  rhéteurs,  mais  les  plus  sérieux  écrivains. 
Richelieu,  si  net  et  si  fort,  n'en  est  pas  moins  souvent 
burlesque.  Saint-Cyran,  ingénieux,  parfois  profond ,  se 
noie  fréquemment  dans  un  galimatias  énigmatique.  Qui 
pourrait  lire  Corneille,  sauf  ses  quatre  chefs-d'œuvre?  Le 
grand  succès  de  Tépoque  est  Clélie,  long,  ennuyeux 
roman,  écrit  par  une  Sicilienne,  mademoiselle  Scudéry. 
Et  la  dictature  littéraire  est  au  salon  d'une  Romaine,  née 
Pisani,  madame  de  Rambouillet. 

L'opéra  nous  vient  d'Italie  cette  année  même  ;  ses  ma- 
chines d*abord  pour  les  fêtes  de  Ruel  ;  puis  la  musique 
tout  à  l'heure,  sous  la  régente  et  Mazarin. 

Richelieu  connut-il  celui  qu'il  mettait  en  France?  Par- 
faitement. Il  le  crut  un  faquin,  et  c'est  pour  cela  qu'il  le 
prit.  11  l'avait  vu  double  et  ingrat  pour  l'homme  qui 
l'avait  introduit,  le  père  Joseph.  Il  le  savait  très-bas,  pro- 
pre aux  coups  de  bâton.  Il  raille  sa  bravoure  et  ses  recu- 
lades subites  dans  une  lettre  spirituelle  (1639).  A  Paris, 
Jules  Mazarin  avait  donné  des  conseils  de  vigueur  et  fait 
le  Jules  César,  enhardi  Richelieu  à  envoyer  d'Estrées  et 
menacer  le  pape.  Mais,  rappelé  à  Rome,  il  eut  grand'peur. 
Richelieu  l'en  plaisante,  voudrait  qu'il  prit  cœur,  qu'il 
restât.  «  Convenons,  dit-il,  qu'il  n'y  a  que  les  Italiens  pour 
savoir  faire  les  choses,  pour  jeter  en  paix  les  parfums,  les 
poudres  odoriférantes,  les  fulminantes  en  guerre,  »  etc. 

Mazarin,  dans  sa  poltronnerie,  voulait  que  Richelieu 
cédât  et  reculât  brusquement.  Mais  Richelieu  persiste. 
Alors  Mazarin  n'y  tient  pas.  Il  se  sauve  de  Rome  sans 
dire  adieu,  se  réfugie  en  France. 

La  peur  était  mêlée  d'espoir  et  de  spéculation.  Le  rusé 
avait  calculé  que  son  bon  protecteur,  le  père  Joseph,  étant 
près  de  mourir,  il  fallait  se  trouver  là,  prendre  la  place 
chaude  et  s'y  fourrer.  Il  élut  domicile  chez  son  intiiue 
ami,  Chavi^ny,   qu'il  trahit  plus  tard ,  comme  Joseph. 


LES  FAVORIS,  MAZARIN,   CfKQ-MARS,  464 

Chavigny,  fils  de  Bouthilier,  passait  pour  fils  du  cardinal. 
Ce  ténébreux  jeune  homme  ^  sombre  reiet  de  Richelieu, 
malgré  sa  défiance  et  sa  pénétration,  accueillit  le  fourbe 
Italien.  II  venait,  disait-il,  se  donner  corps  et  âme  au 
grand  maître  de  la  politique,  étudier  sous  un  tel  profes* 
seur.  Richelieu,  qui,  dans  sa  grandeur,  n'avait  pas  moins 
des  cAtés  de  pédant,  le  prit  au  mot  sur  cette  éducation, 
l'accepta  pour  élève.  Lui-même  le  disait  à  sa  nièce  un 
jour  qu'elle  sortait  du  théâtre  :  «  Pendant  que  vous  êtes  à 
la  comédie,  je  forme  un  ministre  d'État.  » 

Quand  Mazarin  réfugié  vint  ainsi  se  mettre  à  l'école, 
Richelieu  sentit  le  parti  qu'on  en  pouvait  tirer.  Lui  qui 
voyait  tant  d'hommes,  il  n'avait  jamais  vu  un  homme  ni 
si  fin  ni  si  bas.  S'il  ne  s'y  fia  pas,  il  crut  du  moins  qu'avec 
un  tel  valet  il  n'y  avait  du  moins  pas  grand  danger  de 
révolte ,  qu*on  le  tiendrait  tout  au  moins  par  la  peur.  Il 
résolut  de  le  pousser ,  de  le  mettre  au  plus  haut,  insista 
près  du  pape,  et  tant  qu'à  la  longue  il  arracha  pour  lui  le 
chapeau,  liais  je  crois  qu'il  fit  plus.  Il  y  avait  six  mois  à 
peu  près  qu'il  avait  donné  au  roi  son  joujou ,  le  petit 
Cinq-Mars.  Répugna-t-il  à  ce  que  Mazarin,  bien  vu  dès 
longtemps  de  la  reine,  intéressant  alors  par  son  malheur, 
son  dévouement  pour  nous,  s'avançât,  réussit  près  d'elle? 
Les  fêtes  de  décembre  et  janvier,  les  repas  qu'on  y  fait, 
sont  des  temps  d'attendrissement  pour  les  dames  qui 
aiment  la  table.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'elle  fut  enceinte 
de  la  nuit  de  Noël  (4  639),  et  qu'au  22  septembre  suivant 
elle  accoucha  de  son  second  fils ,  d'un  prince  tout  à  fait 
italien.  C'est  le  frère  de  Louis  XIV. 

On  a  dit  que  ce  roi  fut  fils  de  Mazarin  ;  à  tort  certaine- 
ment; il  fut  Français,  lesté  d'Autriche.  Mais  son  frère,  le 
duc  d'Orléans,  tout  comme  le  premier,  Gaston,  ne  fut  rien 
qu'Italie,  pour  l'esprit,  pour  les  mœurs.  Il  fut  tout  aussi 
Mazarin  que  Gaston  était  Concini. 

Je  sais  bien  les  difficultés.  Les  contemporains  croient 
xir.  1 1 


k 


\  a     RICHELIEU  BÏLBVÉ  PAR  LS6  RÉVOUmONS  ÉTRANGÈRES. 

qu'allé  Bie  sa  ddaoaà  lui  que  plus  twpd.  U  y  eut  ftaMar 
moins  uo  entr'aete  dans  sa  faveur.  Richelieu  l'avait  pré- 
seatà  «  coiww  re«semWautàBuckinghaûi,  »  et  p©ur  ^a'il 
réussit.  Ressemblance  invincible ,  oiais  présantadon  Uop 
suspecte.  11  put  être  favorisé  d'amour  phi^que  de  cou- 
tliMaee.  Lui-même  fut  peut  être  effrajfé  du  suecài ,  «i 

recula  vers  Richelieu. 
Mais  reveuo0s  au  roi  et  à  Cinq-Ahrs,  histoire  plus  ndàr- 

cule  iuicore. 

Louis  XUI,  on  l'a  dit,  n'étail  pas  Henri  111.  Je  le  crois 
bien.  C'est  un  temps  bien  plus  vieux.  La  virilité  baisse 
encore.  Tous  les  rois  de  l'Europe  n'en  peuvent  plus,  et,  si 
Anne  d'Autriche  n'eut  vigoureusement  relevé  la  race,  les 
nôtrt's  en  seraient  venus  au  rachitisme  de  Charles  II 

d'Espagne. 

Cette  misère  physique  et  cet  épuisement  général  se 
marque  par  l'usage  très-grand  des  excitants,  vieux  ou 
nouveaux.  Les  écrivains  du  siècle  buvaient  beaucoup  de 
vin;  la  plupart  se  grisaient  (V.  le  diner  connu  d'Auteuil). 
Le  café  va  bientôt  donner  Tivresse  sobre.  Le  scoeolalo 
espagnol.est  reproché  par  Richelieu  au  cardinal  son  frère, 
comme  une  drogue  nouvelle  et  funeste  qu'il  a  apportée 

de  Rome. 

Mais,  si  les  forces  baissent,  les  passions  restent,  ou  du 
moins  les  velléités.  L'admiration  de  la  beauté  (admira- 
tion non  pure,  mais  abstinente)  est  le  vice  singulier  des 
princes  du  temps,  tous  Italiens  dégénérés.  Le  faible  et 
gras  Jacques  l^'  (fils  éreinté  du  chanteur  Rizzio)  n'a  aucua 
besoin  de  maîtresse.  11  lui  suffit  d'aimer  une  jeme  àme, 
docile  et  iraparGaite  encore,  que  lui»  maître  Jacques,  for- 
ment, rendra  parfaite;  cette  àme  est  Buckingham.  Le  cas- 
tQkmenl  (comme  dit  le  moyen  âge) ,  le  plaisir ,  non  de 
châtier  avec  des  coups,  mais  de  gronder,  de  conriger, 
d'humilier,  de  faire  pleurer,  de  se  brouiHer  toujours  peur 
se  raccommoder  sans  cesse,  c'est  tout  l'amusemant  de  ces 


LBg  FAVORIS)   MACARtNy  GINQ-XARS.  463 

rois.  Louis  XIU  (Orsini?)  n'avait  d*autre  plaisir.  Jusque- 
là  peu  heureuserneiiU  S;)n  preuitor  ami,  Boradas,  jeune 
homme  grand  et  fort,  était  un  rustre  qu'on  »e  pouvait 
mener  ainsi»  Saint-Simon  Ait  trop  nul.  Et  mademoiselle 
de  Hautefort,  aa contraire,  eut  trop  d'esprit  gascon,  de 
nerf  et  de  saillie;  il  n'y  avait  pas  plaisir  à  U  gronder;  elle 
rendait  les  coups;  elle  ne  pleurait  pas;  el4e  riait.  Kt 
c'était  le  roi  qui  s'en  allait  pleurer  chez  Richelieu% 

Celui-ci,  grand  admirateur  des  Jésuites,  et  spécialement 
de  leur  pédagogie,  n'ignorant  nullement  le  secret  de  leurs 
succès,  comprit  qu'au  goût  du  roi  c'était  un  vrai  écolier 
qu'il  fallait*  11  le  fallait  joli,  fantasque,  vicieux,  mais  sus- 
ceptible de  réforme,  tel  que  le  roi  entreprît  de  le  castoyer 
et  de  le  refaire.  Son  ami  d'Effiat,  en  mourant,  avait,  laissé 
un  enfant  charmant,  le  jeune  Cinq-Mars,  et  une  fille  qui 
épousa  la  Meilleraye,  parent  de  Richelieu.  Cinq-Mars  était 
presque  allié  de  celui-ci.  Il  arrivait  à  dix-sept  ans.  Il  allait 
porter  l'épée  et  entrer  dans  les  grades.  Nouvel  amusement 
pour  le  roi,  né  caporal,  et  qui  ne  parlait  que  de  soldats, 
même  à  mademoiselle  de  Hautefort.  La  vive  demoiselle 
endurait  cet  excès  d'ennui  assez  patiemment.  Mais  com- 
bien mieux  le  roi  pouvait-il  parler  d'armes,  de  chasse  et 
de  tout  à  un  jeune  militaire  1  Donc,  le  cardinal  le  lança, 
bien  instruit,  bien  stylé,  pour  observer  le  roi  d'abord,  et 
peu  à  peu  pour  lui  plaire  s'il  pouvail. 

Le  roi  vit  bien  venir  la  chose,  et,  trouvant  eet  enfant 
qui  dormait  ou  faisait  semblant  dans  les  coins  des  appar- 
tements, Il  devina  qu'il  dormait  pour  le  cardinal,  pour 
écouter  et  rapporter.  Cela  même  lui  donna  pitié  de  la 
jeune  âme  qu'on  corrompait  ainsi,  et  qni,  logeant  dans  ce 
beau  corps,  devait  être  mieux  douée  do  Dieu,  appelée  par 
lui  à  autre  chose.  De  là  une  tentation  naturelle  de  con- 
vertir Cinq-Mars  et  d'en  faire  un  honnête  garçon,  an  par^ 
fait  gentilhomme.  Il  était  tard»  Car  l'étourdi  était  déjà  fort 
engagé  dans  la  jeune  société  noble  du  temps,  le  monde  du 


46i      RICHELIEU  RELEVÉ  PAR  LES  RÉYOLOTIONS  ÉTRANGÈRES. 

Marais,  comme  on  disait,  autrement  dit  des  élégants,  des 
esprits  forts,  des  gens  qui  ne  croyaient  à  rien  et  ne  se 
gênaient  guère. 

Cette  préoccupation  du  roi  commence  vers  juin  1639 
au  siège  d'Hesdin,  oii  mademoiselle  de  Hautefort  n*avaît 
pu  venir.  Il  y  prit  habitude  d'avoir  toujours  là  Cinq-Mars 
pour  le  prêcher.  Et  voilà  qu'il  ne  pouvait  plus  s'en  passer. 
A  la  moindre  absence ,  il  criait  :  «  Où  est  Cinq-Mars?  s 
Richelieu  usa  sur-le-champ  de  cette  première  fleur  de 
passion.  L'enfant  gâté  dit  qu'il  aimait  le  roi,  mais  voulait 
êlre  seul,  c'est-à-dire  qu'il  n'aimât  plus  la  Hautefort.  Cela 
promis,  ce  ne  fut  plus  assez.  Pria-t-il?  pleura-t-il?  On  ne 
sait;  mais  le  roi,  pour  l'apaiser,  eut  la  faiblesse  de  pro- 
mettre qu'il  la  chasserait  de  la  cour.  Chose  plus  facile  à 
promettre  qu'à  faire.  Car  nulle  précaution  n'y  servit;  elle 
se  mit,  malgré  tous  les  ordres,  sur  le  passage  du  roi,  et 
fît  rougir  le  pauvre  Sire. 

Le  cardinal,  vainqueur,  ayant  un  si  bon  instrument,  et 
sachant  que  ces  choses-là  durent  peu,  poussait  son  petit 
homme  au  grand  galop.  Il  l'engageait  à  exiger,  faire  le 
difficile  et  se  faire  valoir.  Le  roi,  ayant  voulu  lui  donner 
la  place  qu'avaient  eue  Saint-Simon ,  Baradas,  le  jeune 
insolent  dit  :  «  C'était  bon  pour  eux ,  de  petits  gentilhom* 
mes.  s  II  fallut  que  le  roi  négociât  avec  le  vieux  M.  de 
Bellegarde  pour  satisfaire  sa  volonté ,  qui  fut  d'abord 
d'être  grand  écuyer.  Dans  la  langue  de  cour ,  ce  petit 
polisson  fut  appelé  Monsieur  le  Grand. 

Louis  XIII  avait  jusque-là  paru  un  homme  sec,  mais 
assez  raisonnable.  Il  avait  eu  deux  lueurs  poétiques, 
Tapparition  première  de  mademoiselle  de  Hautefort  et  la 
transfiguration  de  Lafayette.  Mouvements  excusables  de 
cœur,  courts  élans  de  jeunesse  dans  un  homme  né  vieux, 
mais  enfin  tout  cela  était  d'humanité,  de  nature,  donc  non 
ridicule.  Un  côté  de  son  caractère  qui  Tétait  davantage, 
c'est  qu'il  avait  du  temps  pour  tout ,  sauf  pour  la  royauté. 


LBS  FAVORIS,  MAZARUf,   CINQ-MARS.  465 

11  écrivait  des  plans  de  campagne,  envoyait  de  petits  arti- 
cles à  la  Gazette  de  France^  faisait  de  petits  airs  et  des 
chansons  en  bouts  rimes.  Son  extrême  désœuvrement  lui 
donna  parfois  des  curiosités  peu  royales,  celle,  par  exem- 
ple, d'apprendre  la  cuisine  ;  il  prit  des  leçons  pour  savoir 
larder. 

Pauvretés,  ennui,  innocence.  L'excuse,  c'était  Riche- 
lieu, un  autre  roi,  qui,  en  le  consultant  toujours  avec  res- 
pect, n'eût  pas  souffert  qu'il  fit  rien  de  sérieux. 

Ce  qui  le  mit  plus  bas  que  sa  lardoire,  ce  fut  son  rado- 
tage pour  un  enfant  qui  se  moquait  de  lui.  11  donna  là 
des  signes  d'imbécillité  caduque,  à  quarante  ans.  Les  froi- 
deurs de  Cinq-Mars,  ses  rebuffades,  un  simple  oubli 
d'écrire  dans  les  absences,  faisaient  pleurer  le  roi.  Mais, 
quand  on  voit  ses  lettres  à  Richelieu  pour  faire  chapitrer 
l'écolier,  lettres  si  pesantes  et  si  sottes,  on  est  du  parti  de 
l'enfant,  on  trouve  qu'à  bon  droit  il  fuyait  l'étemelle  gron- 
derie  et  plus  encore  les  burlesques  tendresses  de  son 
royal  jésuite.  Mieux  valaient  les  verges  et  le  fouet. 

Il  échappait  tant  qu'il  pouvait.  Parfois,  aux  anticham- 
bres, ce  garçon,  que  le  roi  eût  voulu  maréchal  de  France, 
passait  le  temps  à  lire  le  roman  de  Cyrus  avec  les  valets. 
Parfois,  la  nuit,  il  se  sauvait  de  Saint-Germain,  galopait 
à  Paris,  au  quartier  élégant,  à  la  place  Royale,  dans  les 
belles  ruelles  et  les  conversations  galantes.  On  l'y  travail- 
lait fort.  Les  dames  politiques  n'épargnaient  rien  pour  le 
gâter,  lui  brouiller  la  cervelle,  le  rendre  fou  et  traître. 
L'intrigante  Marie  de  Gonzagueen  faisait  son  Petit  Jean  de 
Saintrè,  et  par  le  roman  le  menait  à  l'histoire  (la  plus 
triste).  Le  roi  avait  beau  le  tenir,  le  garder,  le  coucher 
dans  son  lit,  avec  lui  ;  il  fuyait,  s'évanouissait. 

Cependant  l'influence  occulte  se  révéla.  11  ne  se  tint  pas 
satisfait  d'un  grand  titre  ni  de  la  faveur.  11  prétendit  avoir 
part  aux  affaires.  Richelieu  fut  bien  étonné  lorsque,  le  roi 
tenant  conseil  chez  lui  (il  était  malade  à  Ruel),  Cinq-Mars 


466      RICHELIEC  mnMVÈ  PAR  LIS  RVVOLimDflS  ÉTRANGÈRES. 

resta,  siégea.  Le  cardinal  reiusa  de  parler  devant  hn,  et  le 
lendemain  le  tança  fort  de  son  outrecuidance.  Mais  ceox 
qui  menaient  te  jeune  homme,  loin  de  reculer,  aTancèrent, 
lui  firent  demander...  quoi?  un  bijou?  une  armée!  et  dans 
}e  moment  le  plus  difficile  pour  secourir  notre  cantp  d*Ar- 
ras,  menacé  par  les  Espagnols.  Le  roi  était  si  faible,  que, 
sans  Richelieu,  il  cédait.  Du  moins  il  lui  donna  à  conduire 
le  coips  des  volontaires,  toute  la  jeune  noblesse  de  France. 
Il  eut  un  cheval  tué,  se  crut  Alexandre  le  Grand.  Le  roi  ne 
souffrit  plus  qu'il  se  hasardât  davantage. 

Les  Espagnols  battus  regagnaient  par  l'intrigue  ce  que 
perdaient  leurs  armes.  La  ligue  universelle  des  femmes 
était  pour  eux.  Marie  de  Médicis  en  Angleterre,  aux  Pays- 
Bas,  la  Chevreuse  à  Madrid,  à  Londres,  les  filles  d'Henri  iV, 
Henriette,  Christine,  ne  travaillaient  pas  seules,  Le  duc  de 
Lorraine  avait  épousé  (sa  femme  vivant  encore)  une  Itak>- 
Flamande,  qui  le  mena  aux  genoux  du  roi  poor  rentrer 
chez  lui  et  trahir.  Le  jeune  Guise,  archevêque  de  Reîms^ 
un  brillant  duelliste,  s'était  marié  deux  ou  trois  fois,  et 
suivait  la  sagesse  de  la  Palatine.  Le  duc  de  Bouillon^  long- 
temps général  de  Hollande,  et  qui  passait  pour  une  forte 
tête,  ayant  vieilli  dans  les  affaires,  avait  épousé  sur  le  lard 
une  catholique  qui  le  fit  catholique,  le  jeta  dans  tous  les 
casse-cous. 

En  ^641,  la  partie  fut  liée  à  merveille.  Madame  de 
Bouillon  fit  de  son  vieux  mari  goutteox  le  centre,  la  clef  de 
voûte  d'une  ligue  universelle.  L'Empereur  fournit  des 
troupes,  et  l'Espagne  en  promît.  Mais,  pour  donner  à 
l'invasion  étrangère  un  air  national,  un  prince  du  sang,  le 
comte  de  Soissons,  réfugié  chez  Bouillon,  prit  le  comman- 
dement de  l'armée.  Les  émigrés  français,  de  tout  parti, 
devaient  partir  de  Londres  et  fahre  une  descende  en 
France.  Il  leur  semblait  faire  la  guerre  à  coup  sûr,  ayant 
Paris  d'avance  où  le  jeune  Gondi  eût  surpris  la  Bastille, 
ayant  la  cour,  les  vœux  de  la  reine,  ayant  le  cabinet  du 


noi  «t  601»  secpel  par  0on  enfant  gftté,  Cimf-Mars,  à  cfoi  îl 
dimîl  tant.  L'armée  même  qoe  Richelieu  leur  opposait 
étaià  en  gr-ande  partie  pour  e«R.  L'armée,  la  Pranoe,  toat 
le  inonde  était  gagné  par  le  mot  séducteur  que  Tennemî 
airaît  mis  sur  son  drapeau  :  La  parx. 

Miefaeliai,  eu  si  grand  péril,  fit  d'abord  procéder  le 
parlement  contre  Guise  et  Bouillon  Soissons  étant  prince 
du  sang,  en  ne  pouvait  le  juger,  mais  bien  le  faire  tuer.  Le 
dérot  et  scrupuleux  Dunoyer,  hommie  très*discret,  se 
chargea,  ditHin,  de  négocier  l'affaire.  U  partit,  emporta 
nme  forte  somme  pour  payer  Fassassin. 

Des  deux  cAtés,  les  choses  se  passèrent  comme  on  pou- 
Tait  le  prévoir.  Soissons  battit  sans  peine  wie  armée  ffui 
Toufaiit  être  battoe.  Mais,  d'autre  part,  pendant  4fue  ce 
vainqueur,  autre  Gustave-Adolphe,  regardait  la  déroute, 
il  lui  advint  comme  à  Gustave,  il  fut  frappé  à  mort  sans 
que  l'on  sût  par  qui  (6  juillet  4641). 

Jamais  mort  d'homme  n'eut  un  plus  grand  effet.  Le  gé- 
néral français  étant  tué,  l'affaire  changeait  de  caractère  ; 
elle  reparaissait  tout  à  fait  étrangère,  c'était  une  invasion, 
et  elle  manquait.  Sept  mille  impériaux  pour  conquérir  la 
France,  ce  n'était  pas  assez.  Les  Espagnols  n'arrivaient 
pas.  Et  la  descente  des  émigrés  de  Londres  ne  se  fit  pas 
non  plus.  Bref,  Bouillon  demanda  pardon,  et  jura  au  roi 
une  fidélité  éternelle.  Richelieu  fit  semblant  d'y  croire,  et, 
pour  l'éloigner  de  France,  lui  promit  le  commandement  de 
l'armée  d'Italie. 

Il  savait  tout.  Il  les  avait  tous  sous  la  main,  et,  s'il  ne 
frappait  pas,  c'est  qu'il  n'y  avait  guère  de  témoins  ni  de 
preuves.  Tous  s'entendaient  et  tous  étaient  coupables.  Le 
roi  même  l'était  en  un  sens,  par  ses  plaintes,  ses  protesta- 
tions d*être  excédé  de  Richelieu. 

Cinq-Mars  était  dans  l'affaire  de  Soissons.  La  reine  en 
était-elle?  On  ne  peut  en  douter  quand  on  voit  la  subite, 
la  violente  irritation  que  Richelieu  montra  alors  contre 


168     RICBBLUU  BILEVi  PAR  LIS  BÉTOLimONS  ÂTUNCkltlS. 

elle,  et  que  n'explique  aucun  auteur  du  temps.  U  St  écrire 
(et  écrivit,  dit-on)  la  pièce  de  Mirame,  pleine  d'allusions  i 
la  situation,  à  sa  victoire  sur  tous  ses  ennemis,  insultante 
surtout  pour  la  reine  qu'on  y  reconnaissait  dans  mille 
traits  injurieux.  Il  avait  b&ti  tout  exprès,  au  Palais-Cardi- 
nal, un  théâtre  qui  ouvrit  par  Mirame,  et  qui  resta  le 
Théâtre  Français. 

La  reine  y  assista,  la  cour  y  assista,  et  personne  n'osait 
y  manquer.  On  subît  le  ministre,  mais  on  punit  l'auteur. 
Un  silence  de  glace,  un  ennui  calculé,  lui  revinrent  de 
toute  la  salle  et  le  morfondirent  dans  sa  li^e.  On  traita  le 
malade  comme  étant  mort  déjà.  11  sentit  le  froid  du  lin- 
ceul, frissonna  dans  sa  bière.  Supplice  inouï  et  cruel  pour 
une  àme  brûlante,  affamée  d'immortalité  :  on  affecta  de 
l'oublier  vivant. 


CHAPITRE   XV 


Conspiration  de  Cinq-Mars  et  de  De  Thoa.  1642. 


Les  choses  inclinaient  vers  leur  terme  (janvier  4642).  Le 
cardinal  était  toujours  malade,  mais  le  roi  beaucoup  plus. 
Les  médecins  ne  lui  donnaient  pas  six  mois  à  vivre.  Pour 
une  solution  si  prochaine,  chacun  songeait  à  se  pourvoir. 

C'était  fait  des  ménagements.  Richelieu  fit  exclure  Cinq- 
Mars  de  tout  conseil,  et  engagea  le  roi  à  retirer  le  Dauphin 
des  mains  de  la  reine.  Laisser  le  roi  futur  danis  une  main 
espagnole,  c'était  risquer  de  revoir  l'étranger  régner  encore 
au  Louvre,  comme  Henri  Y  aux  temps  de  Charles  VL 

Le  très-intelligent  Fontrailies,  notre  auteur  principal 
ici,  assure  que  la  reine  en  péril  désirait  qu'il  y  eût  un  com- 
plot, et  y  contribuait  de  son  mieux,  ne  pouvant  qu'y  ga- 
gner^ quel  que  fût  celui  qui  périt,  Richelieu  ou  Gaston, 
l'un  ou  l'autre  de  ceux  qui  pouvaient  à  la  mort  du  roi  lui 
dter  la  régence. 

Etait-elle  capable  d'un  si  grand  machiavélisme?  Par  elle- 
même?  Non,  mais  peut-être  par  la  Chevreuse,  qui  lui 
donna  alors  un  homme  à  elle,  non  pas  pour  conspirer, 
mais  pour  lier  entre  elles  les  conspirations  différentes, 
s'entremettre  de  l'une  à  l'autre,  et,  du  moins  indirecte- 
ment, pousser  à  l'action. 

Bouillon,  pardonné,  exilé  au  généralat  d'Italie,  était  plus 


170  CONSPIRATION  DB  CINQ-MARS  ET  DB  DE  TfiOD. 

que  iamais  poussé  par  sa  femme  orgueilleuse  à  se  venger 
de  Richelieu. 

CÎDq-Mars,  chassé  par  lui  du  conseil,  et  avec  outrage, 
pleurait  et  sanglotait,  ne  songeait  qu'à  le  faire  tuer. 

Gaston  allait  être  emmené  par  Richelieu  i  la  guerre  du 
Midi,  mais  sans  emploi,  sans  titre.  Il  disait  à  Fontrailles  : 
(  Ne  le  tuera-t-on  pas?  s  —  On  lui  répondait':  <t  Oui,  de- 
vant vous,  sur  votre  ordre,  mais  non  autrement.  > 

Il  n'était  pas  jusqu'au  roi  qui  ne  parût  contre  lui.  Il  ne 
cessait  de  dire  qu'il  voudrait  s'en  défaire.  Mol  équivoque, 
traduit  diversement.  A.  tout  ce  qu'on  disait,  il  n'objectait 
qu'une  chose  :  <  Comment  le  renvoyer?  Il  est  maître  de 
tout...  —  Hais,  Sire,  on  le  tuera...  —  Un  prétrel  un  car- 
dinal l...  Je  serais  flieomiiuuHél  » —  A  quoi  «  de  ses 
mousquetaires,  Troisvîlle  (homme  estimé  qui  fut  plnctard 
de  Port<Royal),  répondait  en  riant  :  ■  OvdonMa  seule- 
ment^ Uîssez-nioî  &iffe...  Je  an'eo  irai  à  Borne,  eà  j'aurai 
mon  absolution.  > 

L'homme  de  la  Cbevvevse;,  qui  devint  oelui  de  la  re»e, 
rintermédiaire  des  mécoatenls  et  le  trait  d'uMcn  drs 
partis,  était  an  homme  de  naérïte,  kb  fond  sans  nipoi^ 
tance,  mais  parent  du  duc  de  fianillon,  familier  de  ciof- 
Han,  Ké  avec  Fontrailles  et  les  hommts  (ie  Monsieur. 

Auguste  de  Thou,  fils  de  l'illuslK  Iwstaineii,  était  jeuM, 
candÂde,  dévoaà,  hoouéle,  non  smib  élévation,  «l  ïm 
»'étODDe  de  le  reneontrer  avec  ces  gens-là.  C'était  un  o»- 
vant,  comme  son  père;  il  était  oonsàUev  etfaiblietÉKQaire 
du  roi,  mais,  de  plus,  intendant  d'armée,  ce  qsi  le  mAli 
aux  gruids  seignears,  k  la  jeime  aoblesse,  avec  qui  vafcn- 
tiers  il  s'ezpogait  en  amateur.  Oe  sature  tendre  et  géné> 
reus,  il  ae  recula  point  devant  l'oocBsion  MnBaaas^oede 
se  hasarder  «  pour  une  grande  reine,  »  si  nalhanniae,  à 
ooi  OD  voulait  dler  ses  enfants.  Il  fia  Cinq-AlarsieliSoniUan, 
.  sans  rapport,  alla,  vint,  s'enliemit,  porta del'uB 
le»  fkamlee,  da  pn^outions. 


«OHSPHMTION  VE  €mQ->MànS  SI  JDB  M  TBOU.         I71 

De  Thon  nf'éteît  nuMeiiMnt  inléressé,  point  ambitieux. 
Mais  c'était  an  homme  déclassé,  hers  de  tout,  hors  de  la 
robe  sans  élre  ée  Cépée,  «n'ayant  le  pied  lerme  nulle  part. 
11  était  fils  de  Vimparlialité  historique  et  de  l'indéeision. 
LoHméme,  s'itétait  quelque  chosevîk  était  Tagitatioii  môme. 
Ses  amis  TappeMent  en  riam  :  •  Votre  inquiélude.  » 

Ce  n'est  pas  un  tel  homme  qai  pouTait  penser  à  un  as* 
sassinat.  Que  iruulait'il?  Rien  que  sauver  la  reine,  finir  la 
guerre  européenne.  Or  on  oroyak  à  tort  que  la  guerre, 
c'était  Rîdielieu,  que  TEspagne  voulait  la  paix. 

La  pan  F  quelie  belle  parole t  dit  Jean  Gerson,  comme 
elle  emplit  la  bouche 4e  mielî...  Il  faut  se  souvenir  des 
terribles  malheurs  qui  avaient  dépeufrfé  des  provinces  en* 
tières.  Cinq  cent  mille  hommes  étaient  morts  de  misère  en 
Lorraine  et  au  Rhin.  C'était  ie  tour  de  la  France  du  Nord. 
Les  familles  les  phis  honorables  (et  c'étaient  les  parlem6i>- 
taires,  la  bonne  bourgeoisie)  ressentaient  cette  douleur. 
Des  femmes  charmantes,  excellentes,  femmes  de  prési* 
dents,  de  simptes  conseillers,  se  réunirent  bientôt  autour 
d'un  petit  homme  (resté  si  grand),  Vincent  de  Paul,  et  elles 
envoyaient  fjnelques  secours,  héiasl  bien  peu  de  chose, 
une  goutte  d'eau  surun  grand  incendie.  La  paix  seule  pou- 
vait atténuer  oes  maux.  Mais  pouvait-on  la  faire?  Cétait  la 
question. 

Telle  fut  riflusion  de  De  Thou  et  d'autresparlementarres. 
Je  ne  leur  reproche  rien.  Quoique  leur  conduite  ait  été 
tantôt  ceupaUe  et  tantôt  ridicule,  je  comprends  leur  fluc- 
tuation. Ils  ne  sentirent  pas  assez,  sans  doute,  que  la 
France  eût  pét*i  sans  cette  violente  dictature,  qu^elle  eAt  été 
engloutie  pu*  Waldstern,  puis  par  les  menus  brigands,  les 
Galiae  et  les  Jean  de  Weith  ;  ils  ne  virent  pas  que  Riche- 
lieu, mattieureux  à  la  guerre,  nous  aguerrit  pourtant  et 
prépara  Rocroy.  D'autre  part,  quand  on  sait,  par  Thorrible 
affaire  de  Loudun,  la  force  et  la  forie  que  les  tyrannies  se- 
condaires déployaient  avec  les  pouvoirs  de  hi  grande  ty*- 


172  CONSPIRATION  DE  CINQ-MARS  ET  DE  DE  THOU. 

rannie  centrale,  ou  excuse  les  parlementaires  d*avoir 
(sans  droit,  sans  mission,  n'importe)  tenté  de  suppléer  les 
garanties  publiques  qui  n'existèrent  jamais  dans  ce  misé- 
rable pays. 

Pour  revenir,  le  pauvre  de  Thou  se  vit  mené  plus  loin 
qu'il  ne  croyait.  Les  hommes  de  Gaston,  spécialement 
Fontrailles,  homme  d'esprit,  sans  conscience,  un  furieux 
bossu,  dont  Richelieu  s'était  moqué,  organisaient  deux 
choses.  D'abord,  le  cardinal  devant  suivre  le  roi  qui  par- 
tait pour  la  guerre  d'Espagne,  il  fut  réglé  qu'on  le  tuerait 
à  Lyon;  Gaston  devait  y  aller  tout  exprès,  et,  brave  cette 
fois,  donner  lui-même  le  signal.  Mais  Richelieu  tué,  res- 
taient ses  hommes  et  ses  parents,  tant  de  gens  qu'il  avait 
placés,  les  Rrézé,  les  la  Meilleraye,  les  Chavigny,  en  tête 
les  Conde,  dont  le  fils  venait  d'épouser  sa  nièce.  Les  grands 
militaires  de  l'époque,  Guébriant,  Harcourt,  Fabert,  Gas- 
sion,  tenaient  personnellement  à  Richelieu,  et  se  seraient 
ralliés  aux  Condés  pour  faire  face  à  Gaston.  Celui-ci,  mé- 
prisé, n'avait  pas  grande  chance  hors  de  l'assistance  étran- 
gère. M.  de  Bouillon  l'exigeait.  Fontrailles  tira  de  Gaston 
une  lettre  où  il  s'engageait  à  faire  livrer  aux  Espagnols 
une  place  forte  (c'était  Sedan)  pour  les  enhardir  à  entrer 
en  France.  La  reine  ne  donna  point  de  lettre,  ne  signa 
rien,  resta  derrière. 

Les  Espagnols  hésitaient  fort;  pour  cette  raison.  Ils 
voyaient  la  régence  qui  allait  leur  venir  par  Anne  d'Au- 
triche. Avaient-ils  besoin  de  Gaston  ?  Et,  s*il  réussissait 
par  eux,  ne  publierait-il  pas  sa  secrète  protestation  pour 
détrôner  le  fils  de  leur  infante?  Cependant  les  succès  de 
Richelieu  en  Allemagne,  une  bataille  qu'il  gagna  sur  le 
Rhin,  le  voyage  du  roi  pour  prendre  Perpignan,  le  Rous- 
sillon,  la  Catalogne,  les  décidèrent,  et  le  traité  se  fit.  Ils 
promirent  secours  à  Gaston  (mars  4642). 

Comment  de  Thou  resta-t-il  dans  l'affaire  lorsqu'elle 
devenait  si  criminelle?  Une  lettre  qu'il  écrivit  à  sa  mort 


CONSPIRATION  DE  CINO-MARS  ET  DE  DE  THOU.  473 

nous  le  fait  deviner.  11  était  alors  amoureux  d'une  dame 
trës-aimée  de  la  reine,  jolie  petite  princesse  à  tôte  lé- 
gère, madame  de  Guémené.  Elle  était  janséniste,  et  refu- 
sait tout  à  de  Thou.  Il  était  roux,  il  était  homme  de 
robe,  etc.  Elle  fut  vertueuse  pour  lui,  mais  non  pour  Retz. 
Elle  prodigua  au  prêtre  libertin  (et  fort  laid)  ce  qu'elle 
avait  refusé  à  l'amour,  au  culte  d'un  homme  supérieur 
qui,  dans  un  meilleur  temps,  eût  été  peut-être  un  grand 
homme,  qui  avait  ^lis  son  idéal  en  elle,  et  dont  elle  fut  la 
suprême  pensée. 

Ce  fut,  je  crois,  le  vain  espoir  de  fléchir  les  rigueurs  de 
cette  cruelle  qui  aveugla  de  Thou,  lui  cacha  Ténormité  de 
sa  faute,  et  le  rendit,  non  pas  témoin  seulement,  comme 
on  a  dit,  mais  acteur  très-actif  dans  cette  affaire  coupable 
qu'il  croyait  celle  de  la  reine. 

Gaston,  à  son  ordinaire,  manqua  de  parole.  Les  con- 
jurés l'attendaient  à  Lyon  ;  il  resta  à  Blois.  Les  deux  ma- 
lades, le  roi  en  avant,  le  cardinal  derrière  à  quelques 
lieues,  continuèrent  d'avancer  au  Midi.  Mais,  àNarbonne, 
le  dernier,  craignant,  sur  les  rapports  qu'il  recevait,  que 
le  roi  ne  permit  sa  mort,  dit  ne  pouvoir  aller  plus  loin. 
Son  incertitude  était  grande;  tout  en  se  disant  incapable 
de  bouger,  il  partit  de  Narbonne  sans  trop  savoir  où  il 
irait.  Le  gouverneur  de  Provence  le  reçut  dans  un  abri 
sûr,  au  château  de  Tarascon,  d'où  il  pouvait  toujours 
s'embarquer  et  gagner  la  mer,  puis,  en  tournant  l'Es- 
pagne, aller  s'enfermer  à  Brouage  qu'il  avait  fortifié. 
Dans  sa  mortelle  inquiétude^  il  fit  prier  le  prince  d'Orange 
d'intercéder  pour  lui,  et  fit  dire  au  vaillant  colonel  Gas- 
sion  que  le  moment  venait  où  il  faudrait  çu'on  se  déclarât, 
qu'on  distinguât  ses  amis  de  ses  ennemis. 

Le  roi  n'était  pourtant  nullement  décidé  contre  lui. 
L'impertinence  de  Cinq-Mars,  qui  bravait,  démentait  les 
meilleurs  officiers,  provoqua  une  explosion.  Le  roi  lui  dit  : 
c  Je  vous  vomis.  »  Souvent  il  lui  ferma  sa  porte.  Une  dé- 


r 


Ki\  CONSPIRATION  DE  GN<^-Màil8  Br  DB  OB  TBOU. 

faite  éprouvée  dans  le  Nord,  ^i  jeta  la  panique  jusqu'à 
Paris,  fit  vivement  sentir  rabsence  de  Richelieu. 

Cependant  le  roi  semblait  si  malade,  qu'on  se  croyaii 
au  moment  décisif.  De  Thou,  qui  était  à  l'armée,  pensa 
qu'il  était  bon  que  la  reine  s'assurât  des  chefs,  et,  cumne 
il  était  difficile  de  deviner  de  loin  quelles  conditions  ils  fe* 
raient,  il  la  priait  de  lui  envoyer  des  blancs  seîags  qu'il 
pût  remplir  selon  les  circonstances*  Elle  laurait  &it 
étoundiment.  Brienne  se  donne  l'honneur  de  len avoir 
empêchée.  Je  crois  qu'auprès  de  Richelieu  même  elle  eut 
un  autre  conseiller  qui  la  renseigna  et  la  dirigea.  Mazarin 
très-probablement.  U  put  lui  faire  entendre  que  les  choses 
n'en  étaient  pas  où  on  le  lui  disait»  que  le  roi  vivait,  que 
Richelieu  vivait  et  tenait  encore  les  armées,  que  le  danger 
d'ailleurs  de  la  future  régente  était  Gaston  bien  plus  que 
Richelieu,  que  Gaston  se  noyait  dans  une  entreprise  man- 
quée,  qu'au  lieu  de  se  lier  à  lui  il  fallait  l'enfoncer  plul<)t 
et  aider  au  naufrage. 

Selon  Fontrailles,  selon  Voiture  et  autres,  ce  fut  la  reine 
qui  fu  trouver  le-  traité.  Ghavigny,  sans  le  dire,  fit  un  jour 
entendre  la  même  chose. 

Elle  envoya  un  homme  sûr  au  cardinal  (dit  Monglat),  et, 
sans  doute  par  cette  voie,  lui  donna  connaissance  du 
traité.  La  paix  se  fit  entre  eux  à  ce  prix,  fille  garda  ses  en* 
fants. 

Le  roi  malade  avait  quitté  le  siège  et  était  revenu  à 
Narbonne  quand  l'homme  de  Richelieu,  son  ombre,  Gha- 
vigny, vint  le  trouver  et  lui  dévoila  tout.  Le  roi  saute  au 
plancher.  Quelle  preuve  cependant?  Ghavigny  ne  lui 
donnait  pas  le  traité  (comme  on  Ta  dit  à  tort)  ;  il  appor- 
tait seulement  l'affirmation  de  Richelieu.  Le  roi  hésitait 
fort.  U  fallut  que  l'on  s'adressât  à  sa  conscience.  Ghavi- 
gny alla  trouver  le  confesseur,  le  pdre  Sirmoad,  le  fit 
parier. 

Sirmond,  le  cas  posé,  décida  qu'en  un  grand  |>âril  de 


i 


CONSPIRATION  DB  CINQ-MàaS  BT  Dl  Dl  THOU.         475 

rÉtat  uo  roi  ne  pouvait  se  dispenser  d'agir  préventive- 
ment, d'arrêter  l'accusé. 

Cinq-Mars  eut  un  jour  pour  s'enfuir  et  n'en  profita  pas. 
En  voyant  Chavigny,  il  avait  deviné  sa  perte.  11  eut  Hdée, 
à  tout  hasard,  de  le  faire  poignarder  avant  qu'il  pût  parler 
au  roi.  Mais  déjà  il  était  trop  tard.  11  aurait  pu  encore,  en 
sautant  à  cheval,  passer  les  portes  de  Narbonne.  Mais  il 
perdit  la  tète,  et  on  eut  le  temps  de  les  fermer. 

On  fit  crier  peine  de  mort  pour  qui  cacherait  Cinq-Mars. 
Une  femme  l'avait  caché  dans  son  lit  même.  Mais  le  mari 
alla  le  dénoncer.  On  arrête  Cinq-Mars  et  de  Thou.  Ordre 
envoyé  à  l'armée  d'Italie,  où  commandait  Bouillon,  pour 
l'arrêter  et  l'envoyer  en  France  (43  juin  4642). 

Ce  qu'on  craignait  le  plus,  c'était  que  Gaston  ne  s'enfutt 
et  qu'on  n'eût  pas  son  témoignage.  Le  roi,  pour  le  trom- 
per, lui  écrivit  que  c  c'était  pour  ses  insolences  »  que 
Cinq-Mars  était  arrêté. 

Richelieu  était  en  péril  peut-être  autant  que  Cinq-Mars 
même.  On  voit,  par  ses  notes  écrites  à  Tarascon  le  5  et  le 
7  juillet,  qu'il  faisait  commencer  le  procès  sans  preuves 
ni  témoins,  donc  sur  la  simple  révélation  verbale  qui  lui 
venait  de  la  reine.  Mais  il  ne  pouvait  avouer  cette  source. 
11  parle  dans  ces  notes  comme  s'il  eût  deviné  l'existence 
du  traité.  11  dit  qu'il  faut  l'avoir,  l'acheter  à  tout  prix 
d'un  confident  de  Gaston. 

Avec  un  homme  moins  peureux  que  Gaston  on  n'eût 
rien  obtenu,  et  Richelieu,  n'ayant  nulle  pièce,  eût  été 
conspué,  chassé  pour  calomnie,  poursuivi  à  son  tour. 
Mais  Chavigny,  qu'il  lui  envoya,  le  terrifia  en  assurant 
qu'on  avait  le  traité,  une  copie  du  moins,  «  trouvée  par 
des  pêcheurs  dans  une  barque  échouée  en  Catalogne.  *  A 
lui,  Gaston,  de  mériter  sa  grâce  en  délivrant  l'original. 
C'est  ce  qu'il  ne  pouvait  plus  faire;  dans  sa  peur,  il  l'avait 
brûlé.  Mais  il  offrit  d'y  suppléer  pav  ht  eonfetaion  la  phn 
oomplète  ;  eoafeaBioa  terrible,  meurtrière,  oii  il  allait  dire 


176  CONSPIRATION  DE  CINQ-MARS  ET  DK  DB  TBOd. 

les  péchés  des  autres,  ne  risquant  pour  lui  que  la  honte  ; 
un  fils  de  France  ne  peut  aller  en  Grève. 

Le  roi  avait  comblé  sa  terreur  en  écrivant  que,  si  sa 
confession  était  incomplète,  on  le  poursuivrait  avec  des 
troupes  et  qu'on  Renfermerait  ;  mais  que,  s'il  disait  tout, 
on  le  laisserait  aller  libre  à  Venise  en  lui  faisant  une  pen- 
sion. 

Il  parla  tout  au  long,  et  chacun  de  ses  mots  tuait,  — 
d'abord  Cinq-Mars,  Bouillon,  Fontrailles,  puis  de  Thou 
même. 

La  reine,  sans  le  vouloir  ni  le  savoir  peut-être,  en  met* 
tant  Richelieu  sur  la  voie  de  tout  découvrir,  avait  perdu 
de  Thou.  11  fallait  bien  au  moins  une  tète  à  la  justice.  Or 
Gaston  ne  pouvait  périr.  Bouillon,  arrêté,  eut  sa  grâce 
en  livrant  sa  place,  Sedan.  Fontrailles  était  en  fuite.  Si  le 
roi  sauvait  Cinq-Mars,  un  seul  mourait  :  c'était  de  Thou. 

Pour  elle,  elle  n'avait  rien  à  craindre.  Elle  pouvait  dor-^ 
mir  paisiblement,  attendre  la  régence.  On  la  croyait 
perdue.  Madame  de  Lansac,  que  Richelieu  avait  faite  gou- 
vernante du  Dauphin,  vint  triomphante  le  matin  lui  dire 
qu'on  tenait  Cinq-Mars  et  de  Thou.  Elle  faisait  la  dor- 
meuse entre  ses  rideaux.  La  Lansac  les  tira,  mais  la 
trouva  fort  calme.  Elle  connaissait  bien  de  Thou,  savait 
qu'il  mourrait  sans  parler. 

Quant  à  Gaston,  ce  qui  aurait  fait  son  supplice,  c'eût  été 
qu'on  le  mit  en  face  de  ceux  qui  s'étaient  immolés  pour 
lui  et  qu'il  faisait  périr.  Mais  les  magistrats  complaisants 
assurèrent  qu'il  n'y  avait  nul  exemple  qu'un  fils  de  France 
fût  confronté.  On  le  fit  venir  à  deux  lieues  de  Lyon,  et 
comme  à  la  porte  du  tribunal,  pour  en  tirer  au  besoin  ce 
que  demanderait  le  procès.  Principal  accusé,  il  ne  figura 
que  comme  témoin,  et  ce  témoin  dispensa  des  pièces 
mêmes,  puisqu'on  n'avait  que  des  copies,  des  chiffons  de 
papier,  et  sans  caractère  authentique. 

Cinq-Mars  essaya  de  nier,   et  attesta  Bouillon  qu'il 


CONSPIRATION  DK  CINQ -MARS  ET  DE  DE  TflOU.         4Î7 

croyait  loin.  Â  l'instant  même,  on  le  lui  présenta  pour  le 
démentir.  On  Tavait  pris  caché  dans  une  meule  de  foin  et 
amené  à  Lyon,  oii  Mazarin  lui  conseilla  en  ami  de  faire 
comme  Gaston,  de  se  sauver  par  la  lâcheté.  Le  roi  lui  lais- 
serait sa  tôte  et  ne  lui  prendrait  que  Sedan. 

De  Thou  montra  du  courage,  mais  il  aurait  plus  honoré 
sa  mort  s'il  eût  moins  chicané  sa  vie  par  des  fins  de  non- 
recevoir  de  procureur.  Il  se  retrancha  trop  habilement  sur 
un  chose  fausse^  qu'il  avait  eu  une  simple  connaissance  de 
la  chose,  n'avait  pu  trahir  ses  amis.  En  réalité,  il  avait  agi, 
•dirigé  même,  indiquant  tous  les  rendez-vous,  y  condui- 
sant  les  conjurés,  les  Aiisant  entrer,  sans  entrer  lui-même, 
et  restant  à  la  porte. 

Amené,  dit-on,  devant  Richelieu,  il  prétendit  «  avoir 
ordre  du  roi.  >  Nul  écrit,  à  coup  sûr  ;  des  paroles  vagues, 
à  la  bonne  heure. 

De  Thou  fut  bien  jugé.  Un  cœur  comme  le  sien  ne  pou- 
vait manquer  de  le  reconnaître.  Lorsque  Cinq -Mars  et  lui 
allèrent  à  la  mort,  leurs  juges  (dont  était  l'illustre  Marca) 
étaient  sur  leur  passage,  et  les  condamnés  les  remerciè- 
rent de  la  juste  sentence  qui,  lavés  el  purifiés,  allait  les 
envoyer  à  Dieu. 

Cinq-Mars,  si  beau,  si  jeune,  de  Thou,  si  estimé  jusque- 
là,  si  pur  (moins  une  erreur),  excitèrent  dans  la  foule  un 
intérêt  extraordinaire.  La  maladresse  d'un  bourreau  no- 
vice qu'on  employa  ajouta  encore  à  l'émotion.  Quand  la 
tète  de  Cinq-Mars  tomba,  il  s'éleva  de  toute  la  place  un 
horrible  cri  de  douleur.  De  Thou,  manqué  d'abord  et  trcs- 
cniellement  égorgé,  jeta  la  foule  dans  un  accès  de  fureur 
frénétique.  Des  pierres  volèrent  sur  l'échafaud.  Ce  bon 
peuple  de  France  maudit  cette  justice  qu'il  appelait  ven- 
geance, et  pleura  amèrement  les  coupables  qui  l'avaient 
trahi. 


x:i.  1) 


476  CONSPIRATION  DB  CINQ-MARS  ST  \^^ 

les  péchés  des  autres,  ne  risquant  paV; 
un  fils  de  France  ne  peut  aller  en  G""-  '" 

Le  roi  avait  comblé  sa  terreuv 
confession  était  incomplète,  o^^ 
troupes  et  qu'on  Cenfermerait    . 
on  le  laisserait  aller  libre  à  ^'  ', 
sion. 

Il  parla  tout  au  long, 
d*abord  Cinq-Mars,  Bo 

même.  .-làU. 

La  reine,  sans  le  « 
tant  Richelieu  sur 
de  Thou.  Il  fallai' 

Gaston  ne  pou-  ''}^  ^  dernière  maladie.  Par 

en  livrant  sa  ^  supprimé  un  flux  dliémorrboîdes, 

roi  sauvait  f  "^^^  P'^  graves,  qui  le  tenait  en  vie. 

Pour  ell  ''°  abcès  parut  à  la  main,  bu  bras,  d'au- 

mir  paÎF*         -'^  '^^'^  ^^^  ^'y  servit;  il  eut  beau  faire;  il 

perdue 

verna'      <^   u^n.  Cinq-Mars  l'avait  tué.  Son  miltrele 

quV     ^^ .  fUSenBÛs  sans  retour.  L'auteur  primitif  du  oom- 

xjif     '<^  M  W  roi.  Tout  avait  commencé  par  ses  paroles 

t'      ^m!f^^^  qui  semblaient  demander  qu'on  le  délivrât 

^^  mi»b(re.  il  «vait  été  décxmvert  par  les  «feu  ^ 

^^.^à^  H»  lorsque,  revenant  au  Nord,  il  loi  (allât  à 

,,4rii«;«tt  cv>aipafaftre  devant  Richelieu,  il  y  Tint  comne 

^i»>Jhr.  on  le  mit  sur  un  lit  en  faee  du  naalade,  ^. 
^^i|«ir9(Kin  que  pilt  le  cardinal  delenosoper,  de  lai 
4«)4r«HNr  W*  cinmge,  ni  Vun  ni  l'autre  dès  lors  ne  s^  tranpt- 
•r».V«iK'«l  ^ux  ennemis. 

1^  r\M  rf  vint  90»!  à  Paris  vrec  les  mêmes  iiomnies  qai> 
f^W^MV  «\«ut  l'affaire  Cinq-Mars,  offraient,  au  pmùr 
^^Vx  \W  lo  défaire  de  Richelieu. 

^Vm^  ee  triste  château  de  Tarascon,  plus  tard  fameux 


m    * 

S 


^nr  BT  MOBT  DE  MCHIUKI.  470 

^..^  *iit  moû0k)ae  du  Hot  .qui  fianglota 

<  ^  ,  *  cardÛMil  avait  été  ua  momem 

I  «inpjKMnis  pour  le  quittar  «i- 

'us^nûoiatres,  Clavigoy, 
ôtait  bien  aûr;  seul 
olonté.  Dunoyei;, 
^  ou  tard,  par 
i^st-à'dire  à  fe 
uo,  le  piusdottteuic 
^  espionner  Cinq^Mars, 
aiarcbait  droit  sous  l'œil  du 
^  arent,  son  patelinage  italien»  son 
.^e,  n'inspiraient  pas^  comme  on  tb 
.iiance  à  RichelÂeu. 
Ane  personnage,  sur  lequel  il  fiiut  s'arrêter, 
i  bonHiie  de  vingt  ans  qui  n'avait  rien  de  jeun^. 
>-«iiiistjre  figure  d'oiaeau  de  piroie,  la  pitfs  bigarre  du 
siècle.  Point  de  front  etnezide  vaut<Nir;  des  yeux  ^au^ 
^va^es^etfbrtbrîiktDls;  rien  d'honnie,  quelque  choae  de 
tnoiiis  on  de  phiB,  et  d'une. espèce  différente.  Animal  fé- 
roce et  doeile,  aervile  an  ses  débuis,  plus  servile  à  la  fin. 
Ce  personnage  étrange,  nourri  par  Riêhelieu  dans  sa  mé^ 
DBgerie,  va  éclater  dans  Thistoire.  C'est  Gondé. 

Ces  Ceodés  étaient  sombres  et  bas,  et  semblaient  tou- 
jours inquiets.  Frappant  contraste  avec  les  Coudés  d'autre- 
fois, avec  oelui  des  guerres  civiles,  celui  de  la  chansqn 
(le  Petit  Homme  tant  joli,  qui  toujours  chante  et  toujours 
rit...),  liais  ceux-ci  étaient  contestés.  On  a  vu  la  terj;ibie 
afctrc  du  père  du  grand  Condé,  né  en  prison  d'une  oièce 
•ociisée  d'empoisconenaent.  On  le  disait  l'œuvre  iuatlve 
d'un  liage  gaaoM  qui  se  sauva.  Beari  IV,  aaw  anfiant 
«lavB,  -fit  refermer  le  jugenant  de  la  mère*  prit  ie  .petit 
pour  vrai  Gondé  et  lui  fit  sa  iortuaeanhii  donnant  jnade- 
maiselle  de  MoflÉmorency. 
Les  éavs  époui  ae  détestaient,  il  ai'aknait  pas  ila»  Ibm- 


CHAPITRE   XVI 


Isolemeot  et  mort  de  Richelieu.  —  Mort  de  Louis  Xni.  1641- I6i3, 


BicfaeKeu  avait  fait  lui-même  sa  dernière  maladie.  Par 
propreté  galante,  il  avait  supprimé  un  flux  dlîémorrtioîdes, 
dérivatif  utile  de  maux  plus  graves,  qui  le  tenait  en  vie. 
Immédiatement  un  abcès  parut  à  la  main,  au  bras,  d'au- 
tres ailleurs.  Dès  lors  rien  n'y  servit;  il  eut  beau  faire;  il 
étiiit  mort. 

De  toute  façon,  Cinq-Mars  l'avait  tué.  Son  mitoele 
baissait  désormais  sans  retour.  L'auteur  primitif  àa  com- 
plot avait  été  le  roi.  Tout  avait  commencé  par  ses  paroles 
imprudentes  qui  semblaient  demander  qu'on  le  délivrât 
de  son  ministre.  11  avait  été  découvert  par  les  aveux  des 
accusés;  et,  lorsque,  revenant  au  Nord,  il  lui  fallut  à 
Tarasoen  compafattre:  devant  Richelieu,  il  y  vint  comme 
mn  accusé. 

Malade,  on  le  mit  sur  un  Ht  en  faee  du  malade,  et, 
quelque  soin  que  prit  le  cardinal  de  le  niSMrer,  de  lui 
donner  le  change,  ni  l'un  ni  l'autre  dès  lors  ne  s^  trompa. 
C'étaient  deux  emiemfis. 

Le  roi  revint  seorl  ii  Paris  «Tec  les  mêmes  facnmneB  qai, 
même  avant  l'affaire  Cinq-Mars,  offraient,  au  pranier 
ordre,  de  le  défaire  de  Richelieu. 

Dans  ce  triste  château  de  Tarascon,  plus  tard  fameux 


WT  8T  MORT  M  fUCBIUllI.  470 

les  imasaem,  <an  bruit  moasiOBe  du  ilot^qui  sanglote 
«D  {MSSMiC,  te  petite  eour  du  cairdÛMtl  avait  été  ui  mom^Dt 
«réduite  à  quatre  hoamies  trop  oompi!oiiii8  pour  le  qui ttar  iti- 
Tsnt.  Ses  instrumeale  d'abord  etAous-^nùoistres,  Clavigny, 
Dunoyer,  Macarân.  Le  premier  seul  était  bien  aûr;  seul 
il  représentait,  exéeuftait  sa  vieiente  volonté.  Dunojfei;, 
le  i)seaf,  le  jésuite,  ne  pouvait  manquer  tôt  ou  taid,  par 
ss  dévoUon,  de  tounier  à  i'Sspagne,  c'est-à-dire  à  fe 
reîse;  (fest  ce  qai  arriva.  Bourilazario,  le  plus  douteux 
de  tous,  il  avait  bien  servi  pour  espionner  Cinq^Mars, 
pour  'foire  parler  Bouitton  ;  il  rmarcbait  droit  sous  Tûail  du 
makre  ;  mais  son  zèle  apparent,  son  patelinage  italien»  son 
caressant  baragouinage,  n'inspiraient  pas^  comme  on  va 
voir,  grande  confiance  à  Ricbeliau. 

Le  quatrième  personnage,  sur  lequel  il  fout  5*arréter, 
était  un  homme  de  vingt  ans  qui  n'avait  .rien  de  jeune. 
Très-sinistre  figure  d'oiseau  de  proie,  la  plus  bigarre  du 
siècle.  Point  de  front  et  nés  <de  vautour;  des  yeux  ^au- 
'«a^eS'Otfortbnllaiits;  rien  d'bomme,  quelque  ebose  de 
moins  on  de  plus,  et  d'une. espèce  différente.  Animal  fé- 
roce et  docile,  servile  en  ses  débuts,  plus  servile  à  la  fin. 
Ce  personne^  étrange,  nourri  par  Richelieu  dans  sa  mé^ 
nagerie,  va  éclater  dans  Thistoire.  C'est  Gondé. 

Ces  Csindés  étaient  sombres  et  bas,  et  semblaient  tou- 
jours inquiets.  Frappant  contraste  avec  les  Coudés  d'autre- 
fois, av«c  celui  des  guerres  civiles,  eelui  de  la  chansqn 
(le  Petit  Homme  tant  joli,  qui  toujours  chante  et  toujovurs 
rit...).  Mais  ceux-ci  étaient  contestés.  On  a  vu  la  terrible 
nflure  do  père  du  grand  Condé,  né  en  prison  d'une  n)ère 
■censée  d'empoisonnement.  On  le  disait  l'oeuvre  imrtiwe 
d'un  page  gnaonn  qui  se  sauva.  Henri  IV,  sans  anfiNUt 
alors,  IH  réformer  le  juganmiÉ  de  la  mère,  prit  Jie  .pâlit 
pour  wai  Gondé  et  lui  fit  sa  iortunenuini  donnant  ^made- 
moiselle de  Monlmorency. 

Les  éens  époux  ee  déteataîenL  II  n'aimait  pas  ilos  lem- 


180  ISOLBHSNT  KT  MORT  DB  RlCHBLIBIf. 

mes  ;  tous  ses  amours  étaient  dans  l'Université  de  Bourges 
(Lenet).  Cependant,  quand  il  fut  mis  à  la  BastUIe  par  le 
maréchal  d'Ancre,  il  joua  à  sa  femme  le  tour  de  dire  iju'il 
ne  pouvait  se  passer  d'elle.  Elle,  glorieuse,  mit  son  hon- 
neur à  accepter,  et  elle  s'enferma  avec  lui.  Homme  d'es- 
prit, mais  bas,  sale,  avare,  portant  sur  le  visage  son  âme 
d'usurier,  il  avait  tout  ce  qu'il  fallait  pour  éloigner  une 
femme.  Mais  la  prison,  l'ennui,  firent  un  miracle.  Elle 
devint  enceinte,  et  fit  toute  à  sa  ressemblance  la  très-jolie 
madame  de  Longueville,  la  future  reine  de  la  Fronde. 
Puis  un  garçon,  cette  figure  crochue  du  grand  Condé; 
enfin  Conti,  prêtre  et  bossu,  que  sa  sœur  fit  général  de 
Paris. 

Les  deux  garçons  naquirent  amoureux  de  leur  sœur. 
Condé,  éperdument,  jusqu'à  lui  passer  tout,  adopter  ses 
amants,  puis  jusqu'à  la  haïr.  Conti,  sottement,  servile- 
ment, se  faisant  son  jouet,  ne  voyant  rien  que  ce  qu'elle 
lui  faisait  voir,  dupé,  moqué  par  ses  rivaux. 

Condé  le  père  maria  son  atné,  qu'on  appelât  alors 
Enghien,  à  une  nièce  du  cardinal,  croyant  que  le  ministre 
allait  à  sa  Bourgogne  ajouter  je  ne  sais  combien  de  gou- 
vernements, refaire  en  lui  Charles  le  Téméraire.  11  lui 
devait  déjà  la  dépouille  de  son  beau-frère.  Montmorency, 
décapité.  Puissance  merveilleuse  des  maris  sur  les  femmes. 
Condé  dressa  la  sienne  à  faire  sa  cour  au  cardinal,  à  lui 
faire  visiter,  pour  aiTaire  et  pour  intérêt,  les  juges  qui 
avaient  envoyé  son  frère  à  la  mort. 

Le  serviteur  du  grand  Condé,  Lenet,  nous  apprend  que 
cette  famille,  si  mendiante  auprès  de  Richelieu,  tâchait 
pourtant  à  tout  hasard  de  se  créer  contre  lui  des  moyens 
de  résistance.  De  temps  à  autre,  sous  différents  prétextes, 
ils  ajoutaient  aux  fortifications  d'une  bonne  place  qu'ils 
avaient  en  Bourbonnais  au  carrefour  des  routes  de  quatre 
provinces.  Madame  la  princesse,  par  tout  moyen,  attirait 
la  noblesse  à  sa  cour.  Quand  le  petit  prince  monta  à  che- 


MORT  DE  LOUIS  XUl,  481 

val,  on  ouvrit  h  portée  de  la  résidence  un  marché  de 
chevaux  pour  que,  sous  ombre  d*achats,  les  gentils- 
hommes vinssent,  montassent  au  chftteau  pour  faire  leurs 
hommages,  devinssent  clients  de  la  maison. 

L'enfant  fut  élevé  d'une  manière  populaire  et  ambi- 
tieuse. On  le  mit  au  collège  à  Bourges,  sous  un  jésuite, 
parmi  nombre  d*enfants  de  gentilshommes  qui  s*atta- 
chèrent  à  lui.  Il  eut  l'éducation  variée,  littéraire,  que 
donnaient  les  Jésuites,  sans  fond  moral^  mais  bien  com- 
binée pour  l'effet;  les  langues,  les  exercices  publics,  des 
thèses  où  l'écolier  brillait.  Mais,  après  le  collège,  son  père 
voulut  encore  qu'il  sût  un  peu  d'histoire,  de  mathéma-; 
tiques.  On  entendait  par  là  siurtout  la  fortification,  l'art  de 
l'ingénieur.  Son  couronnement  d'éducation  fut  d'être  en- 
voyé par  son  père  pour  tenir  sa  place  en  Bourgogne,  pour 
s'informer  de  tout,  et  du  militaire,  et  de  la  justice,  pour 
caresser  le  parlement. 

11  fut  du  premier  coup  très-brave  (campagne  d'Arras, 
4640).  Son  père  voulait  le  pousser  au  commandement  et 
lui  faire  avoir  une  armée.  C'est  pour  cela  surtout  qu'il  lui 
fit  épouser  malgré  lui  mademoiselle  de  Brézé .  Il  avait  vingt 
ans,  elle  douze.  Il  fut  très-dur  pour  elle,  vivant  à  côté 
d'elle  sans  en  tenir  compte  et  tout  à  fait  à  part.  En  réalité, 
mriladif  (il  fut  un  moment  à  la  mort),  ambitieux  comme 
ça  mère,  avare  comme  son  père,  il  visait  de  loin  la  grande 
héritière,  mademoiselle  de  Montpensier,  l'énorme  fortune 
d'argent  que  feraient  les  biens  d'Orléans  par-dessus  les 
biens  des  Condé  et  des  Montmorency.  Seulement  le  roi  y 
consentirait-il?  Ce  jeune  homme  d'aspect  si  sauvage,  mais 
excellent  calculateur,  trouva  moyen  d'aller  au  cœur  du  roi 
en  s'associant  à  sa  mère,  à  sa  sœur,  dans  leur  zèle  pour 
les  carmélites.  Il  quêta  pour  leur  faire  avoir  un  reliquaire 
fort  riche.  Chose  rare  qu'un  jeune  militaire  eût  une  dévo- 
tion si  précoce. 

Richelieu  le  voyait  venir,  et  il  en  était  indigné.  Cette 


à 


m  ISOLEMENT  Vf  MOKT  DE.  HeHELIEU. 

chasteté  persérérante,  ce  divorce  dans  le  mariage  pour  en 
préparer  un  plna  riche,  montraient  en  eelui-ci  un  hamoie 
qui  passerait  son  père.  Il  y  avait  là  averieev  insoleiiee, 
l'orgueil  et  la  haine  secrète  qu'il  avait  suoés  de  sa  mère, 
sœur  de  Montmorency.  Quoi  !  le-  sang  de  Ricbelien>  était- 
il  donc  si  vil,  qu'un  prinee  d'une  princerie  fort,  douteuse 
dédaignât  d  y  mêler  le  sien?  Qa'avail-elie  fait»  cetta  enbnt 
imiocente?'  Était-ce  sa  feute  si  elle  était  nièce  du  plus 
grand  homme  de  TEuropev  el  si  le  prévoyant  ministre  re- 
ftisait  d'anner  les  Condés  de  ces  moyens  de  guerre  civile 
dont  tant  de  princes  en  notre  histoire  ont  sLcrueUement 

aimé?' 

Les  cardKmrax  sont  pnolecteucs  des  trôner  RicheUeu., 
comme  cardinal,  avait  la  prétention  de  ceux  d'Espagne  et 
d'Italie,  qui  passent  devant  les  princes.  Visité  par  la  reine, 
il  restait  assis  devant  elle.  La  pourpre  qu'il  partait,  loi  et 
son  frère,  l'archevêque  de  Lyon,  lui  semblait  l'égaler  aux 
rois. 

Haï  de  Richelieu  et  le  lui  rendant  bien,  Enghien  eut 
pourtant  la  prudence  de  se  garden  de  L'affaire  de  Cinq- 
Mars.  U  ne' varia  pas^  ne  douta  pasiun  moment  de  la  vicr- 
torre  du  cardinal,  à  ce  point  qu'il  quitta  le  siégs,  laissa  le 
roi  et  vint  à  Tarascom 

C'était  s'offrir  à  Richelieu.  Maisi  celui-ci  n'en  était  pas 
moins  enveminé.  L'injure  faîte  à  son  sang  lui  cuisait  d'au; 
tant  plus*,  qu'il  se  sentait  mourir.  Que  serait-ce  apsès  lui 
si,  lui  vivant,  on  méprisait  les  siens?  Il  voulut  à  bout  prix 
que  le  rang  supérieur  des  cardinaux,  admis  par  les  (SoBriés^ 
les  menât  à  avouer  qu'il  n'y  avait  pedot  mésallianee  du 
sang  d^un  cardinal  au  sang  d'un  prince.  Pour  ia  naéne 
raison,  Enghion  se  réservait  eette  cause  de  divonee;.  QfHind 
il  passa-  à'Lyoni,  il  évita  de  voir  Farohevéque,  frère  de  Ri- 
chelieu et  cardinal,  n'accepta  pas  la  fête  qu'il  avait  poépa- 
rée,  ne  coucha  pas  chez  lui.  Richelieu,  porté  aux  eaux  de 
Bburbon^  semblait  pnès  de  sa  fin.  Il  n'en  fut  queplos  fu- 


II0BT  DB  LOOISr  XIH.  183 

rieux»  ne  put  se  contenir;  devant  ses  domestiqiœs,  «  il 
jura  si  terriblement^  qa*ils  en  eurent  horreur.  > 

Le  père  d'Enghîen  cependant  avait  pris  peur.  Il  envoia 
son  fils  demander  pardoa.  Mais  nul  moyen,  d'apaiser  le 
cardinal.  Il  en  était  à  regretter  Gastcm.  Il  ne  le  laissa  pas 
aller  à. Venise,  lui  fit  dire  qu'il  pouvait  rester  à  aotre.  fron- 
tière: de  Savoie.  Visiblement  il  ainoai t.  mieux  son  mortel 
ennemi  que  les  Condés  ingrats. 

Engbiea.  désespéré,  faisait  sa  cour  à  madame  d'Ajguit- 
Ion,  la  très-puissante  nièce,  la  priait  de  dicter  ce  qu'il 
avait  à  faire»  Elle  lui  dit  :  a  Aimez  votre  femme.  »  11  obéit 
sur  rheure,  vole  à  Paris»  et  aime.  La  petite  femme  fut 
enceinte. 

Biais  ce  n'était  p^a  toui.  Il  fallut  boire  le  fond  du  vase, 
le  plus  amer.  Bicbelieu  ne  le  tint  pas  quitte  qu'il  n'allât 
faire  excuse  à  Lyon  au  cardinal,  et,  pour  mieux  mater  le 
jeune  homme,  le  rancuneux  ministre  envoya  son  frère  en 
Provence,  afin  que  d'Enghîen^  qui  courait  après,  eût  tout 
le  royaume  à  traverser. 

TcJi  est  le  chemin  de  la  gloire.  A  ce  prix,  d'Enghiea 
espérait  obtenir  une  armée.  Mais  on  pouvait  sans  peine 
augurer  qu'un  jeune  homme,  chaste  par  avarice  et  servile 
par  ajabition,  ne  ménagerait  rien^  et  que,  s'il  avait  des 
succès,  lien  aJboserait  cruellement  pour  brouiller,  trour 
Mer  le  royaume* 

C'est  dans  ces  pensées  sombres  que  Richelieu  revenait 
vers  Paris,  rapporté  par  ses  gardes,  revenait  vers  la  mort. 
Il  rapportait  ce  sentiment  amer  que  le  roi  dont  il  avait 
tant  honoré  le  règne  était  son  plus,  grand  ennemi,  entouré 
da  ses  ennemie,  et  peut-être  de  ses  assassins. 

léd  roi  n'allait  guère  à  Ruel,  et  Bichelieu  n'osait  aller  à 
Saint-Germain..  Il  voyait  le  roi  ratcniré  préeisémeat  des 
officiers  qui  avaient  olect  de  le  tuer  à  Lyon.  Il  priaîl, 
insistait,  pour  qu*on  les  éloignât,  déclarant  qu'autrement 
iL  ne  pouixaii  ^itmr  qu'iuvec  ses  propres  gardes*.  Rréc^ur 


{84  ISOLEMENT  ET  MORT  DE  RICHELIEU. 

tion  fort  raisonnable,  mais  que  le  roi  trouvait  injurieuse. 
Longue  fut  cette  négociation.  Elle  fut  poussée  à  bout  par 
l'insistance  de  Chavigny,  que  le  roi  n^aimait  pas,  mais  que- 
dès  lors  il  prit  en  grippe,  et  qui  décidément,  comme  on 
verra,  fut  perdu  pour  tout  l'avenir. 

Chavigny,  fils  de  Bouthilier  et  d'une  mère  aimée  de 
Richelieu,  passait  pour  fils  du  cardinal,  et  il  était  la  seule 
personne  à  qui  il  se  fiât.  Il  le  méritait  en  réalité,  l'ayant 
servi  en  ce  dernier  moment,  comme  il  avait  besoin  de 
l'être,  avec  un  âpre  dévouement,  sans  réserve,  sans  con- 
sidération de  l'avenir  ni  de  sa  fortune.  Richelieu  le  croyait 
un  grand  esprit,  «  et  le  plus  grand  du  monde,  >  dit  Tal- 
lemant.  En  réalité ,  c'est  lui  qui  lui  donna  le  conseil  de 
ménager  Gaston,  de  le  garder  contre  la  reine  et  les  Condés, 
de  le  retenir  à  portée  pour  pouvoir,  au  jour  nécessaire, 
les  neutraliser  les  uns  par  les  autres. 

Quant  à  Mazarin,  le  rusé  s'est  posé,  donné  à  l'hîstoîre 
comme  l'élève  chéri  de  Richelieu,  une  espèce  de  fils  adop- 
tif.  Le  croire  serait  faire  peu  d'honneur  à  la  pénétration  du 
grand  ministre,  à  son  expérience  des  hommes.  Il  voyait, 
comprenait  très-bien  où  visait  cette  glissante  couleuvre 
dans  ses  douces  ondulations  et  son  frétillement.  Mais  il 
était  tellement  seul  !  Il  ne  voyait  guère  mieux  autour  de 
lui.  Il  flottait  entre  deux  pensées,  l'éloigner,  l'employer. 
Parfois  il  voulait  l'envoyer  au  pape,  le  tenir  hors  de 
France  ;  il  demanda  aux  commis  de  la  marine  s'il  y  avait 
un  vaisseau  prêt.  «  Pas  encore,  mais  bientôt,  »  db*ent-iis. 

D'autre  part,  le  sachant  si  lâche,  il  crut  le  gouverner 
encore  après  sa  mort,  et  le  tenir  par  Chavigny.  Il  voyait 
celui-ci  antipathique  au  roi,  et  pensait  que  peut-être, 
Mazarin  (créé  par  Chavigny)  lui  demeurant  uni,  l'un  ferait 
passer  l'autre,  que  l'Italien  compenserait  la  roideur  du 
Français  par  ses  grâces  et  par  sa  bassesse. 

Dans  les  instructions  qu'il  laissait  par  écrit  au  roi,  et  où 
il  lui  formait  son  conseil,  il  y  donna  place  à  Mazarin,  maïs 


MORT  DE  LOUIS  XIII.  485 

en  réalité  Chavigny  aurait  dominé,  ayant  deux  voix,  celle 
de  son  père  Bouthilier  et  la  sienne.  On  pouvait  croire  que 
rhomme  de  travail,  l'universel  commis,  Dunoyer,  qui 
faisait  la  grosse  besogne  dans  une  docilité  servile,  conti- 
nuerait de  labourer  sous  Chavigny  et  Mazarin,  qui,  ayant 
besoin  l'un  de  l'autre,  continueraient  d'ensemble  la  pensée 
de  Richelieu. 

Voilà  tout  ce  que  le  mourant  put  prévoir,  arranger  dans 
l'intérêt  public.  Il  ne  lui  restait  plus  qu'à  s'acquitter  de  la 
grande  et  commune  fonction  humaine.  Il  s'en  tira  fort 
honorablement,  Qiourut  d'une  manière  conséquente  à  sa 
vie,  en  théologien  catholique  et  en  controversiste,  faisant 
honneur  à  ses  livres  (qu'il  aimait  plus  que  chose  au 
monde)  par  la  fermeté  de  sa  foi.  Assisté  du  curé  de  Saint- 
Eustache,  qui  l'engageait  à  pardonner  à  ses  ennemis,  il 
dit  cette  parole  noble  et,  je  crois,  vraie  :  «  Je  n'en  eus  pas 
d'autres  que  les  ennemis  de  l'Ëtat.  » 

Que  ses  actes  le  jugent.  Ne  nous  amusons  pas  à  ces 
portraits  où,  pour  concentrer  les  grands  traitSy  on  fait 
abstraction  des  détails  nombreux  et  complexes  oii  est  jus- 
tement la  vie  propre,  l'intime  individu.  Encore  moins 
nous  jetterons-nous  dans  les  vagues  comparaisons  qui 
obscurcissent  en  voulant  éclaircir.  Richelieu,  quoiqu'on 
Tait  tant  dit,  ne  ressemble  guère  à  Louis  XI.  Et  combien 
moins  au  dernier  roi  de  France  qu'on  appelle  la  Con- 
vention ! 

Qu'il  ait  eu  un  génie  systématique  et  centralisateur, 
cela  est  vrai.  Moins  pourtant  qu'on  n'a  dit,  car  ce  qu'il  fit 
de  plus  grand  dans  ce  sens  (la  création  des  intendants) , 
cela,  dis-je,  se  fit  le  lendemain  de  l'invasion ,  sous  l'em- 
pire d'un  besoin  pressant,  non  d'après  une  idée  prémé- 
ditée. Celle-ci  même  était  contraire  à  celle  que  Richelieu 
essayait  de  faire  prévaloir  depuis  plusieurs  années  (la 
levée  de  l'impôt  par  les  élus). 

En  cela ,  comme  en  bien  d'autres  choses,  il  fit  toute 


486  ISOLEMENT  ET  MORT  DB  RICHELIEU. 

autre  chose  que  ce  qu'il  avait  projeté.  Mais  la  grandeur 
visible  de  son  àme  et  de  sa  forte  volonté,  rinunensité  da 
son  labeur^  la  dignité  sinistre  de  sa  fière  attitude»  cou- 
vraient, sauvaient  les  siauoaitàs,  lesi  mêèxes  infinies  da 
SB&  contradictions  fatales^ 

Le  premier  homme  é'un  mauvais  temps  ne  peut  guère 
être  que  mauvais.  En  celui-ci,  il  y  eut  des  laidfiurs^  des 
caricatures,  le  prêtre  cavalier,  les  ridicules  d'un  pédant 
de  Sorbonne,  d'un  rimeur  pitoyabk;  plus,  des  échappées 
libertines,  communes  chez  les  prélats  d'alors,  mais  plu$ 
choquantes  dans  un  hoaune  d'un  si  terrible,  sérieux. 

Il  eut  des  àcretés  de  prêtre.  U  eut,  coBune  poUtiqua, 
des  furies  de  joueur  adbarné  à  gagner  quand  mêmej  qui 
iwt  sa  vie  sur  une  carte,  la  vie  des.  autres  aussi.  Et  cepen- 
dant fut-il  vraiment  cruel?  Rien  ne  l'indique.  Les  qua- 
rante condamnés  qui  périrent  sous  lui,  en  vingt  ans , 
furent  mal  jugés  sans  doute  (comme  on  Tétait  alors,  par 
des  commissions),  mais  n'en  étaient  pas  mokins  coupables, 
et  la  plupart  étaient  des  trattnes  qui  nous,  livraiant  à 
rétranger. 

11  ne  pardonna  guèrew  Maia  il  n'eût,  pacdonné  qu'aux 
dépens  de  la  France. 

Il  aimait  fort  oeux  qu'il  ûmait.  U  n'oublia  jamais  un 
bienfait,  et  il  n'y  eut  jamaifi  un  meilleur  ami.  Mtoie  à 
l'égard  de  ceux  qu'il  n'aimaii  pas,. il  essayait  parfais  de  se 
dominer  à  force  de  justice.  Fontenelle  cite  de  lui  uja  Eût 
tràs-beau  et  curieux. 

Richelieu,  comme  auteur,  avait  une  misàrable  jalousie 
de  Corneille,  ety  comme,  politique  (on  l'a  vu),  ii  avait  reçu 
de  lui,  au  jour  de  sea  reveis,  le  plus  senmble  coup»  VB&- 
pagne  glorifiée  par  le  Cid. 

Toutea  les  pièces  de  Corneille  semUaîent  dea  déaoft» 
ciaiions»  indirectes  de  guerre  au.touHrpuisaanA  mitùstre. 
Il  le  pensionnait  cependant  et  le-  recevait  même..  Un  lour, 
il  U.  voit  arrive]?  d'un  air  fort  ab«tttt,.tcifi&a»  rêveur.  «  Yous 


MORT  DB  LO<ns  Xtfl.  487 

travaillez,  CcNnieille  ?  —  Hélas  !  je  ne  puis  plus,  monsei- 
gneur, le  suis  amoureux.  »  £i  il  explique  qu'il  aime,  mais 
une  personne  si  haut,  si  haut  placée,^  qu'il  n'a  aucun 
espoir.  •  £t  qui.eneove? — La  fille  d'un,  lieutenant  puerai 
(dêe  finances)  de  la.  ville  d*Andely. 

«  N'esti-oe  que  cela.?  »  dit.  Richelieu.  C'était  justement 
le.monent  où.  l'on  venait  déjouer  Cmna..  Richelieu  prit 
l'àme  d'Auguste.  11  fit  écrire  au  père  de  venir  sur  L'heure 
à  Pai*is.  Le  bonhomme,  étonné,,  effrayé,  se  présente.  Et 
le  ministre  lui  fait  honte  de  refuser  sa  fille  au  grand  Coc- 
neille.  CeluwGi  fut  marié  de  la  maia  de  son  ennemi. 

Il  mourut  tellement  redouté,  qu'on  n'osait  nulle  part 
dire  qu'il  fût  mort,  même  dans  les  pays  étrangers  (Mon- 
glal).  On  aurait  cralot  que^  par  dépit,  par  un.  terrible 
eflbrt  de  volonté,  il  ne  s'avisât  de  revenir. 

Le  roi  le  haïssait.  Et  il  eut  même,  à  sa  dernière  visite 
oit,  Richelieu  mourant  lui  renouvela  le  don  du  Palais- 
Cacdinaly  l'indignité  de.  s'en  emparer  sur-le-champ  et.d'y 
mettre  sas  gardes.  Et,,  avec,  tout  cela,  il  lui. obéit  de  point 
en  point  ^^èsi  sa  mort^  refusant  tout  aux,  prisonnier&i 
auK  exilés,. si  durement,  que,  madame  de  Vendôme  priant 
pour  son  mari,,  il  lui.  dit.:  «t  Sî  vous  n'étiez  femme,.  ]e  vous 
mfittnaia  à  la  Bastille.  » 

De  toutes  les  personnes  persécutées,  la  plus  suspecte  au 
roi,  c'était  la  reine.  Des  trois  ministres,  Dunoyer,,Mazacia, 
Chavigny,  le  premier  se  crut  fort  por  les  prédilections 
dévotes  du  roi  pour  sa  dévotion  ;  il  commença  à  travailler 
sourdement  pour  '  la  reine.  Il  comptait  arriver  par  elle  à 
l'archevêché  de  Paris.  Cela  le  perdit  près  du  roi,  qui  le 
traita  si  mal,  qu'il  lui  fallut  demander  sa  retraite. 

Mazarin,  Chavigny,  ne  se  maintinrent  qu'en  paraissant 
très-contraires  à  la  reine.  Monsieur,  flétri  naguère,  dé- 
claré incapable  de  toute  charge  et  mal  voulu  du  roi,  n'eût 
pu  songer  à  la  régence. 


488  ISOLEMENT  ET  MORT  DE  RIGHELIEa. 

Ils  dirent  au  roi  habilement  que,  si  on  la  faisait  régente, 
il  fallait  la  lier  et  la  subordonner,  lui  mettre  sur  la  tête  un 
conseil  souverain,  et  non  desHtuable  :  Monsieur,  Condé, 
Mazarin,  et  le  père  et  le  fils,  Bouthilier ,  Chavigny.  Toat 
se  déciderait  à  la  pluralité  des  voix.  Le  tout,  ordonné  par 
le  roi,  formulé  en  déclaration,  enregistré  au  parlement. 

Mais,  en  même  temps,  Mazarin  faisait  dire  à  la  reine , 
par  le  nonce  Grimaldi ,  que  cette  ordonnance,  si  sévère 
pour  elle,  en  réalité  la  sauvait,  lui  assurait  le  point  essen- 
tiel :  que  son  mari  mourant  ne  l'écarldt  pas  de  la  régence^ 
parût  l'en  juger  digne.  Avec  cela,  elle  allait  être  mai- 
tresse  et  ferait  ce  qu'elle  voudrait. 

Le  flot  montait  si  fort  pour  elle,  que  le  roi,  vers  la  fin, 
n'eut  plus  la  force  de  soutenir  la  digue.  Les  prisonniers 
sortirent,  les  exilés  revinrent,  toute  la  vieille  cabale  à  la 
file.  On  fit  scrupule  au  mourant  de  persister  jusqu'à 
la  fin. 

Tout  d'ailleurs  le  fuyait,  lui  échappait.  Enghien,  k  qui 
il  venait  de  donner  la  grande  armée  du  Nord,  s'oflPre 
secrètement  à  la  reine.  A  Saint-Germain  et  à  Paris ,  on 
travaille  pour  elle  les  gardes  suisses  et  les  gardes  fran- 
çaises. On  lui  offre  d'occuper  le  Palais  avant  même  que  le 
roi  expire,  de  crainte  que  Monsieur  n'y  soit  le  premier. 
Quand  le  roi  enfin  meurt  (U  mai  1643),  le  château  où  il 
meurt  est  déjà  à  la  reine,  et  le  parlement,  et  la  ville.  Le 
roi  femelle  occupe  tout. 


CHAPITRE  XVII 


Louis  XIV.  —  Eoghien.  -*  Bataille  de  Rocroy.  Mai  1643. 


La  régente  espagnole  ouvre  son  règne  de  quinze  ans 
par  un  chemin  de  fleurs.  Ce  peuple  singulier,  qui  parle 
tant  de  loi  salique,  est  tout  heureux  de  tomber  en  que- 
nouille. Sans  qu'on  sache  pourquoi  ni  comment  cette 
étrangère  est  adorée. 

Elle  est  femme  et  elle  a  souflert.  Les  cœurs  sont  atten- 
dris d'avance.  Elle  est  faible.  Chacun  espère  en  profiter. 
Ce  sera  un  règne  galant.  Mais  oii  sera  la  préférence?  Cette 
loterie  d'amour  autorise  l'infini  des  rêves.  Quel  qu'il  soit, 
le  nouveau  Concini  ira  plus  loin  que  l'autre  avec  une 
Espagnole  fort  mûre  qui  va  tourner  à  la  dévotion ,  aux 
scrupules,  à  la  fixité  des  attachements  légitimes.  Que 
sera*ce  si  elle  finit  par  devenir  fidèle,  pour  la  ruine  de  la 
France? 

En  attendant,  tout  tourne  à  son  profil.  Les  favoris  du 
dernier  règne,  les  Condés,  gagnent  une  bataille  à  point 
pour  elle,  et  font  à  Rocroy  la  brillante  préface  du  règne 
emphatique  de  Louis  XIV.  C'est  l'enfant  qui  en  a  la  gloire, 
c'est  la  sage  régente.  Heureuse  reine  qui  gagne  des  ba- 
tailles en  berçant  son  filsl 

Le  jeune  duc  d'Enghien,  nous  l'avons  vu,  assez  mal  vers 
la  fin  avec  Richelieu,  avait,  par  sa  dévotion,  gagne  le 


490  LOUIS  XIV.   ^  BNGfilEN. 

cœur  de  Louis  XIII,  celui  du  grand  commis  Dunoyer,  si 
avant  dans  le  parti  dévot,  qui,  seul  avec  le  roi,  faisait  le 
travail  de  la  guerre.  On  avait  tout  Thiver  arrangé  ce  tra- 
vail de  manière  à  préparer  une  campagne  au  duc  d'Ea- 
ghien.  11  en  fut  justement  comme  en  1638,  où  l'on  avait 
grandi  la  Meilleraye  à'  l'armée  du  Nord,  en  immolant  Feu- 
quières  à  l'armée  de  Lorraine.  De  même ,  cette  fois ,  on 
mit  toutes  les  forces  à  Tarmée  royale  que  menait  Enghien. 
Aucun  renfort  à  l'armée  d'Allemagne ,  où  Rantzau^  Gué- 
briant  venaient  de  gagner  des  batailles,  de  sauver  les 
Suédois,  de  résister  aux  efforts  combinés  des  impériaux 
et  Bavarois.  La  fameuse  armée  de  Weimar,  achetée  par 
nous  et  si  bien  menée  par  Guébriant,  s'usa,  tomba  à  six 
mille  honmies  qui«e  maintinrent  à  grand'peineea  Alsace. 

Enghien  eut  seize  mîMe  fantassins ,  sept  mille  cèevanx, 
suctout  desmentors  admirables,  vieux  BoMbts  deG«slafv«- 
Adolphe.  Le  succès  était  vraisemblable.  Il  était  néoessam. 
C'était  réellement  la  seule  forte  armée  de  la  France,  la 
ïeale  qui  la  couvrit  del'ememi. 

La  France,  qu'on  dit  si  ÎTicrédule,  ai  soeptique  «t  si 
-positive,  a  pourtant  toujours  besoin  il*an  oriraele,  du  mi- 
racle humain,  le  héros.  Il  lui  faut  adorer  quelqu^m  ou 
quelque  chose  qui  hri  semble  au-dess«  de  rhomme.  Nous 
avons  déjà,  pour  François  de  Guise  à  Metz  et  à  Calais, 
observé  la  fabrique,  les  recettes  pour  feire  des  héros. 
'Quand  ce  royaume  énorme,  qui  s'est  fait  de  douze  royaa- 
mes,  centralise  sa  force  pour  un  général  favori,  il  ne  peai 
guère  manquer  defrapper  un  grand  «oup.  Le  miraole  se 
fait. 

•Un  héros  est  tombé  du  ciel.  Le  peuple  esté  geooui:. 

Si  un  malencontreux  critique  tÂertfte  las  cordas  et  les 
machines  qui,  par  derrière,  ont  aidé  au  miraele ,  c'est  on 
envieux,  un  dénigreur;  on  lui  en  «ait  très-mauvais  gré. 

Lisez  le  grand  Bossuet ,  lisez  l'htotmen  de  faanlle, 
l'homme  d'affaires  des  Coudé,  Lenet,  vous^ems  qv'En- 


YâTAILLE  DE  BOGROY.  491 

ghien  seul  nous  fit  la  victoire  de  Rocroy.  Lenet  craint  tel- 
lement que  ses  lieutenants  y  aient  la  moindre  part,  qu'il 
les  note  en  passant  de  stigmates  fSkcheux.  Il  voudrait  flé- 
trir même  la  probité  de  Gassion. 

Nous  avons  ailleurs  heureusement  des  sources  plus 
sûres,  des  détails  plus  exacts,  plus  dignes  de  Thistoire. 

Les  Espagnols,  sachant  le  roi  à  rextrémité,  crurent  que 
le  moment  était  bon,  laissèrent  là  la  Hollande,  tet,  ramas- 
sant toutes  leurs  forces  sous  deux  excellents  généraux, 
D.  Francisco  de  Mello  et  le  vieux  comte  de  Fontaine,  firent 
nme  d'entrer  en  Picardie,  mais  tournèrent,  percèreat  les 
Ardennes,  enveloppèrent  Rocroy. 

Le  roi  et  Dunoyer,  qui  devaient  mêler  à  tout  leur  mé- 
diocrité, avaient  eu  soin,  en  lançant  le  duc  d'Ëngliien,  de 
le  paralyser.  Us  lui  avaient  adjoint  un  sage  général  (frère 
de  Vttry,  qui  tua  l'Ancre),  camarade  fort  Aimé  du  roi  qu'il 
Youlut  feire  maréchal  avant  sa  mort,  Hallier  ou  Lbospitai. 
Son  sage  conseil  était  qu'on  s'afiaiblit  en  mettant  des 
secours  âans  cette  méchante  petite  plaee ,  qu'on  jetât  là 
des  gens  pMir  les  faire  prendre,  et  cpi'Mi  évitât  la  bataille. 
On  eût  été  ensuite  poussé  à  reculons  par  TEspagiAol,  qui, 
avançant  toujours,  ayant  sur  nous  l'avantage  de  Tofien- 
sfve,  nous  eût  de  pnocfae  en  proche  découragés,  décon- 
eertés,  battus. 

Un  conseil  fut  tenu,  et  heureusement  les  maréchaux  de 
camp  qui  avaient  fait  les  guerres  d*Allemagiie  et  vu  Gus- 
tave-Adolphe,  le  très-avisé  GassioiL,  le  ferme  et  fort  Siiot, 
4veDt  qu'il  iaUut  combattre. 

Unmotdeoes  deux  iiomaaes.  Lonscpie  ie  grand  Gustave 
débarqua  en  Allemagne,  le  premier  homme  qu'il  vit  au 
rivage  fut  ce  petit  gascsn,  Gassion,  qui  venait  se  dminer  à 
toi.  Il  .fut  le  pfais  ardent  de  tous  lés  amoureux  de  ce  géant 
tfm  revissait  les  ctmrs  et  les  {prandissiût  à  sa  taiUe. 

il  flut  fort  à  Gustave,  «  Va-t'en  k  Paris,  lui  dit-il, 
•ebète-OMi  des  Français.  »  Gassion  en  ramena  une  cen- 


492  LOUIS  XIY.   —  KNGHIBN. 

taine  qui  firent  bonne  figure   au  sublime  moment  de 
Leipzig. 

Quant  au  bourguignon  Sirot,  un  peu  vantard,  quoique 
si  brave,  il  contait  volontiers  qu'il  avait  fait  le  coup  de 
pistolet  avec  trois  rois,  et  même  avec  celui  que  personne 
n'osait  i*egardait.  Il  avait  rois,  disait-il,  une  balle  dans  le 
chapeau  de  Gustave,  ramassé  ce  chapeau  que  Gustave 
laissa  derrière  lui. 

Richelieu,  qui  connaissait  les  hommes,  prit  à  lui  ces 
deux -ci,  et  en  môme  temps  un  brave  ivrogne  allemand,  le 
célèbre  Rantzau,  qui  se  ménageait  peu  et  laissait  un  mem- 
bre à  chaque  bataille. 

Pour  revenir,  ces  hommes  d'expérience,  et  qui  ne  s'é- 
tonnaient de  rien,  comprirent  que  cette  armée,  comme 
ordinairement  celles  d'Espagne,  n'était  pas  espagnole, 
sauf  quelques  milliers  d'hommes,  un  petit  bataillon.  C'était 
un  mélange  italien,  allemand,  wallon,  flamand.  Us  insis- 
tèrent pour  la  bataille.  £t  le  ducd'£nghien  se  mit  avec  eux. 
Un  nouveau  règne  commençait,  celui  de  la  reine,  point  du 
tout  amie  des  Condés.  Il  y  avait  à  parier  qu'on  ne  donne- 
rait plus  à  celui-ci  une  occasion  pareille.  L'Hospital  se 
trouva  tout  seul  de  son  avis.  Le  roi,  son  protecteur,  étaat 
mort,  son  autorité  n'était  pas  forte.  Le  maréchal  d'hier 
eût  eu  mauvaise  grâce  de  s'obstiner  contre  des  gens  qui 
avaient  tant  vu  et  tant  fait. 

Le  roi  avait  laissé  carte  blanche  à  THospital  et  au  con- 
seil du  prince.  Mourant,  il  avait  eu,  dit-on,  pressentiment 
de  la  bataille.  Il  crut  la  voir.  Il  dit  agonisant  :  c  Ils  sont 
aux  mains.  Enghien  les  bat...  Apportez-moi  mes  pb- 
tolets.  » 

Il  meurt  le  14  mai.  La  bataille  a  lieu  le  49. 

Les  Espagnols  étaient  fort  tranquilles  autour  de  Rocroy, 
leurs  corps  dispersés,  et  bien  loin  de  croire  que  la  France, 
malade  et  alitée  sans  doute  avec  le  roi,  vînt  les  déranger 
là.  Du  reste,  ils  étaient  couverts  de  tous  côtés  par  ces  bois 


BATAILLE  DE  ROGROT.  493 

inKnis  de  petits  chênes  qu*on  appelle  la  forêt  des  Ardennes, 
et  dont  le  triste  Rocroy,  sur  sa  basse  colline,  est  une  clai- 
rière peu  étendue.  Pour  y  venir,  par  où  qu'on  vienne,  îi 
faut  arriver  à  la  file  par  les  étroites  avenues  de  ces  bois. 
Opération  assez  scabreuse.  Gassion  se  la  réserva,  passa  le 
premier  avec  quinze  cents  chevaux.  Pendant  que  les  Espa^ 
gnols,  un  peu  étonnés,  s'appellent,  se  réunissent,  Enghien 
passe,  et  tout  passe,  si  bien  que,  quand  l'armée  d'Espagne 
se  trouve  enfin  en  ligne,  la  française  lui  fait  vis-à-vis. 
Autre  surprise  pour  eux.  Ils  avaient  cru  d'abord  que  Gas- 
sion venait  seulement  pour  se  jeter  dans  la  place.  Mais 
voici  l'armée  tout  entière.  On  se  canonne,  on  se  salue 
(48  mai). 

La  nuit,  un  transfuge  nous  apprit  que,  le  lendemain 
matin,  les  Espagnols,  déjà  plus  forts  que  nogus,  recevraient 
de  surcroît  une  petite  armée  de  mille  cavaliers,  trois  mille 
fantassins.  Nouvel  argument  pour  Gassion,  et  décisif  pour 
la  bataille. 

Le  19,  vers  trois  ou  quatre  heures,  à  l'aube,  Enghien, 
fort  gai,  passa  au  front  des  troupes,  n'ayant  que  sa  cui- 
rasse, sur  la  tête  force  plumes  blanches.  Pour  mot  d'ordre 
de  la  bataille,  il  donna  son  nom  même,  Enghien. 

Les  Espagnols  ne  bougeaient.  Nous  marchâmes.  Et  la 
bataille  fut  en  un  moment  gagnée  à  la  droite,  perdue  à  la 
gauche. 

A  droite,  Gassion  et  le  duc  marchèrent  vers  un  petit 
rideau  d'arbres  où  les  Espagnols  avaient  caché  mille  mous- 
quetaires pour  nous  fusiller  en  flanc  quand  nous  irions  à 
eux.  Gassion  les  tailla  en  pièces,  et,  ce  bois  bien  purgé, 
tomba  sur  la  cavalerie  ennemie,  enfonçant  le  premier  rnng, 
le  renversant  sur  le  second  et  mettant  tout  en  fuite. 
Grande  tentation  pour  le  prince  d'imiter  l'autre  Engliien 
^e  Cérisoles,  de  se  lancer  à  la  poursuite.  Gassion  ne  le 
permit  pas,  n'alla  que  bride  en  main,  se  rallia,    se 

ramassa. 

XII.  13 


494  LOUIS  XIV.    —  KNGHUN. 

A  Tautre  aile,  Lhospital  fut  battu,  blessé,  son  lieutenant 
pris,  et,  chose  plus  grave,  notre  canon  aussi. 

Cette  aile  paraissait  si  malade,  quTnghien,  qui  vit  de 
loin  le  désastre,  envoya  dire  à  la  réserve  que  Sirot  com- 
mandait de  marcher  au  secours.  Le  vieux  soldat  comprit 
que,  s'il  obéissait,  si  ses  troupes  venaient  à  la  file,  il  ne 
ferait  qu'ajouter  au  désastre  et  serait  battu  en  détail.  Il 
dit  :  «  il  n'est  pas  temps.  » 

Un  oflScier  de  cette  aile  battue  vint  pour  la  seconde  fois 
ébranler  Sirot  :  «  Monsieur,  la  bataille  est  perdue...  Beti- 
rons-nous. . .  —  Monsieur,  rien  n'est  perdu.  Car  Sîrol  reste 
encore.  » 

A  ce  moment,  l'ennemi  fondit  sur  lui,  le  trouva  tout 
entier  et  ferme.  Sans  reculer  d'une  semelle,  il  tint,  étant 
bien  sûr  que  Gassion  venait.  Celui-ci,  en  efièt,  ayant  ter- 
miné sa  besogne,  c'est-à-dire  passé  sur  le  corps  de  toute 
la  fausse  Espagne  (l'infanterie  d'autres  nations),  revint  en 
face  de  Sirot,  et  chargea  par  derrière  ceux  qui  le  char- 
geaient par  devant.  Ces  vainqueurs  de  notre  gauche  furent 
vaincus  à  leur  tour. 

Restait  la  vraie  Espagne,  la  fameuse  infanterie^  eomme 
un  gros  hérisson  de  piques,  où  on  ne  mordait  pas.  On  y 
donna  de  tous  côtés,  et,  pour  l'entamer  sûrement,  on  y  fit 
sur  un  flanc  une  percée  à  coups  de  canon,  par  où  on  y 
entra.  D.  Francisco  échappa.  Mais  le  vieux  comte  de  Fon- 
taine, qui  avait  la  goutte  et  qui  se  faisait  porter  id  et  là 
dans  sa  chaise  l'épée  à  la  main,  ne  la  posa  pas,  fut  tué. 

On  ne  fit  pas  la  faute  de  Ravenne,  où  Gaston  de  Foix 
s'obstina  à  massacrer  et  périt.  Nos  Français,  qui,  dès  ce 
jour,  avaient  pris  l'avantage  et  pour  jamais,  respedèrent, 
admirèrent  ces  pauvres  diables,  qui  avaient  la  mort  dans 
le  cœur. 

L'iufanterie  française  resta,  reste  la  première  du  monde. 
Et  cela  indépendamment  de  ses  généraux.  Il  y  parut  bien- 
tôt. Quiconque  l'eut  avec  soi  vainquit.  Harcourt,  un  bon 


BATAILLE  DE  ROCROY.  195 

soldat  et  général  passable,  fut  assez  pour  battre  Condé 
dès  que  celui-ci  n'eut  plus  avec  lui  Tinvincible  infanterie. 
Dans  la  comédie  de  la  Fronde,  on  vit,  chose  plus  comique 
encore,  Mazarin  général  et  vainqueur  de  Turenne.  L'es- 
piègle avait  volé  Tépée  de  la  France  endormie. 


CHAPITRE    XVIII 


L'avènement  de  Maxarin.  1643. 


Ce  grand  bonheur  fit  deux  malheurs.  11  créa  un  héros 
insatiable  et  insupportable,  monté  sur  des  échassesetprét 
à  tout  tuer  pour  la  moindre  prétention  d'orgueil  on  d'in- 
térêt. D'autre  part,  il  glorifia  Tavénement  de  Mazarin.il 
sacra  le  roi  des  fripons. 

C'est  une  grande  simplicité  de  croire  qu'un  événement 
aussi  prévu  que  la  mort  du  roi  ait  trouvé  la  reine  au 
dépourvu,  qu'elle  n'ait  su  où  donner  de  la  tête,  qu'elle  ait 
sérieusement  offert  le  pouvoir  à  celui-ci,  à  celui-là.  Toute 
l'affaire  était  certainement  réglée  d'avance.  Et  par  quoi? 
Par  son  indolence  qui  lui  disait  qu'un  lit  tout  fait  lui  valait 
mieux  pour  s'allonger,  dormir,  qu'un  arrangement  nou- 
veau qui  l'obligerait  de  vouloir,  de  penser. 

Elle  voyait  prêts  à  partir  de  Londres,  de  Bruxelles  ou 
Madrid,  je  ne  sais  combien  d'exilés,  se  disant  tous  martyrs 
de  la  cause  de  la  reine,  et  venant  exiger  la  couronne  de 
ce  martyre.  Comment  les  satisfaire?  Son  oreille  était  tout 
ouverte  à  celui  qui  lui  enseignait  les  douceurs  de  l'in- 
gratitude. 

Mazarin  ici  était  admirable.  Il  a  bien  varié,  mais  jamais 
sur  ce  point.  Son  caractère  offre  la  beauté  d'un  type  bien 


â 


t'AYÉNEMENT  DI  MAZARIIi.  497 

soutenu  qui  ne  se  dément  pas.  Ingrat  pour  ses  auteurs, 
Joseph  et  Chavigny  qui  le  créèrent  en  France,  il  se  tira 
d'afl'aire  deux  fois  pendant  la  Fronde  par  le  même  moyen, 
ingrat  pour  Condé,  puis  pour  Retz.  Enfin  il  couronne  sa 
vie  par  le  plus  fort,  Tingratitude  pour  la  reine,  sa  vieille 
amoureuse. 

Rappelons  ses  précédents.  En  4631,  il  plut;  Richelieu, 
en  Je  présentant,  fit  valoir  qu'il  ressemblait  à  Ruckingham. 
En  4639,  réfugié  et  fixé  en  France,  il  fut  favorisé,  ce  sem- 
ble, au  moins  un  moment.  En  1642,  il  devint  maître  de  la 
reine,  après  le  traité  d'Espagne^  dit  Tallemant,  ce  qui 
signiiSe,  selon  moi,  quand  il  lui  conseilla  de  révéler  le  traité^ 
pour  obtenir  de  garder  ses  enfants. 

Les  hommes  de  Richelieu,  odieux,  détestés,  les  Cha- 
vigny, les  Routhilier,  se  trouvaient  impossibles.  Mazarin 
était  étranger,  sans  racine  ici  et  prêt  à  partir  dès  qu'il 
aurait  mis  la  reine  au  courant.  Il  faisait  ses  paquets.  Ron 
moyen  pour  rester. 

Mais  que  n'eût-on  pas  dit  si  l'on  eût  prévu  Mazarin?  La 
reine  parut  fort  incertaine.  Elle  consulta  beaucoup,  hésita 
beaucoup,  alla  jusque  dans  l'Oratoire  demander  à  Gondi, 
père  de  Retz,  s'il  voulait  le  ministère.  En  attendant,  elle 
suivait  les  avis  d'un  simple,  un  vieux  bonhomme  d'évèque 
deReauvais. 

Une  concurrence  plus  sérieuse  pour  Mazarin  fut  celle  de 
la  maison  de  Vendôme,  de  leur  cadet  Reaufort.  Ce  petit- 
fils  de  Gabrielle  en  avait  la  beauté  II  était  jeune,  brave, 
tout  fleuri,  en  longs  cheveux  d'or,  un  Phébus  Apollon. 
Cest  celui  qui  bientôt  sera  le  roi  des  halles,  dont  les  pois- 
sardes raffolaient. 

Facilité  brillante  pour  le  galimatias,  éloquence  gro- 
tesque, un  torrent  de  non- sens.  Il  ne  lui  manquait  rien 
pour  charmer  une  sotte. 

Femme  avant  tout  et  tendre,  la  reine  eut  un  moment 
pour  lui.  Le  jour  même  de  l'avènement,  elle  l'avait  près 


498  L^kYàtammr  ds  ha^amn. 

d'elle»  et,  povr  faire  retirer  la  {Me  qui  l'étoaffût,  elle 
employa  Beaufort,  qui,  pour  sen  ooup  d'essai  4le  «aie» 
djresse,  parla  conutte  le  maître  de  la  mataon,  et  se  fit  une 
affaire  avec  le  vieux  Condé.  Ce  fut  eDcore  à  hii  qu'elle  ae 
reoût  pour  aviser  à  la  sûreté  du  roi  et  ramener  à  PaiM 
dans  ce  moment  douteux  où  elle  pouvait  craindre  eacere 
les  tentatives  du  paitU  d'Orléans. 

Donc,  Seaufort,  un  moment,  eut  l'attitude  et  l'appa- 
rence du  favori»  du  préféré.  Deux  dioses  i'empécâièreiit 
d'en  avoir  le  réel.  D'abond,  H  fiit  oonqins  à  grand  bmit 
par  Venus»  la  Vénus  effi*ontée  du  temps,  madame  de 
MoBlbazoo,  beauté  superbe  et  colossale,  qui  reoomMrt 
bientôt  les  petits  moyens  de  Beaufort,  et  dit  partout  qse, 
pour  les  dames,  ut  innocent  a'avait  aucun  danger. 

Moiifi  jeune,  Mazarin  valait  mieux.  Mais  il  ne  parut  pas 
d'abord,  et  resta  derrière  le  rideau  jusqu'à  ce  que  la 
reine  fut  régente  absolue. 

Gaston,  assez  piteusement,  puis  Condé,  renoncerait  à 
l'autorité  que  ieur  donnait  le  feu  roi;  les  autres  à  fins 
ibrte  raison.  M.  TaloA,  Avocat  gteérai,  reçoU  qu'elle  fût 
régente,  mab  libre  de  se  isire  assister  par  qui  elle  won- 
drait,  et  c  sans  être  obligée  de  mixte  la  plumiité  des 
voix,  » 

Donc,  le  tour  était  fait.  Deux  heures  après,  Condé  Tint 
dire  à  liaaarîn,  «  prêt  à  partir,  »  que  la  reine  le  fiaisait 
chef  du  'Conseil,  ^rdant  aussi  Chavtgay  «it  son  père,  le 
cbaAcelier  Sëguier^  le  même  qui  avait  fait  contre  elle  l'en- 
qttôtede1637. 

Coup  mortel  pour  Beaufert  et  les  Vendômes,  les  amis 
de  la  reine.  Quand  ils  lui  demandèrent  explicelioB,  elle 
dit  que  Mazarin  ne  lui  ferait  point  oublier  ses  ami6,«qi'il 
était  au  courant  des  choses,  étranger,  dmic  peu  deage- 
reux,  qu'il  était  amusant,  mais  surtout dmetéreuê. 

Ce  désietéressement  alla  au  point,  et  oe  pmvre  bomme 
resta  si  pauvre,  qu'au  bout  de  peu  d'années,  quand  on  le 


L'AYKNKIIBIfT  PB  MAKAItlN.  199 

chassa  et  qu'il  voulut  rentrer,  il  put  lever  une  armée  de  son 
argent. 

Pour  revenir  à  Tavénement,  Ma^arin  commença  dès 
lors  l'éducation  de  la  reine,  enfermé  toutes  les  soirées 
avec  elle  pour  lui  apprendre  les  affaires.  La  cour,  la  ville* 
ne  jasaient  d'autre  chose. 

La  nouvelle  de  Rocroy,  qui  arriva  deux  jours  après 
pour  iaire  une  fête  publique,  était  à  point  pour  Mazarin. 
11  se  serrait  sous  les  Condé.  Il  écrivit  au  jeune  vainqueur 
qu'il  ne  serait  que  son  chapelain,  et  ferait  tout  ce  qu'il 
voudrait.  Le  vieux  Condé,  sa  femme,  lui  rendaient  le  ser-* 
vice  d'exclure  du  ministère  le  seul  homme  quMI  craignit 
pour  concurrent,  le  très^apable  ChÀteauneuf,  prisonnier 
si  longtemps  pour  la  cause  de  la  reine.  Lorsque  madame 
de  Chevreuse,  l'ancienne  amie  de  cœur,  revint,  proposa 
Chàteauneuf,  Mazarin  répondit  que  la  princesse  de  Condé 
ne  laisserait  jamais  arriver  celui  qui  avait  foit  couper  la 
tète  à  son  frère,  M.  de  Montmorency. 

Il  y  avait  un  autre  homme  que  Mazarin  brûlait  de  pef'- 
dre,  celui  naturellement  à  qui  il  devait  le  plus,  son  bien^ 
faiteur  fils  de  son  bienfaiteur,  Chavigny  (fils  de  Riche^ 
lieu?).  On  l'entama  par  son  père  officiel,  Bouthilter,  que 
l'on  renvoya  du  conseil.  Puis  madame  de  Chevreuse 
imposa  à  Mazarin  d'éloigner  Chavigny,  et,  quoique  sod 
cœur  en  saignât,  il  lui  fallut  immoler  son  ami. 

Four  avoir  un  ministère  harmonique  et  bien  homogène, 
il  fit  bientôt  contrôleur  des  finances  un  Italien,  Emeri  de 
Particelli,  homme  d'esprit,  d'expédients,  qui,  jeune,  atalt 
eu  le  malheur  d'avoir  affaire  avec  la  justice  et  d'être  peitdtl 
à  Lyon  (en  efHgie).  C'était  le  temps  où  Mazarin^  alors  sol-> 
dat  du  pape,  commençait  ses  campagnes  en  pipant  et  vo- 
lant au  jeu. 

Pour  faire  accepter  ce  gouvernement  de  Trivelinô  prifi" 
eipe,  il  y  eut  une  profusion  de  grâces  extraordinaire,  un 
détx>rdement  de  faveurs,  un  déchaînement  de  prodiga- 


\ 


200  L'AVfafBMKNT  DK  MAZARIN. 

lités.  Les  admirateurs  des  faits  accomplis  appellent  cela  la 
détente  naturelle  du  règne  tendu  de  Richelieu  ;  ils  diraieol 
presque  légitime.  Nul  doute  cependant  que,  si  la  reine 
n'eût  pas  pris  son  amant  si  bas,  si  elle  n'eût  pas  appelé 
nu  suprême  pouvoir  ce  bouffon  italien,  elle  eût  eu  moins 
à  faire  et  à  donner  pour  se  faire  pardonner  son  choix. 
Chàteauneuf,  à  meilleur  marché,  eût  été  chefdu  ministère. 
Il  ne  déplaisait  pas  aux  ennemis  de  Richelieu,  et  il  avait 
été  jadis  l'ami  du  grand  ministre  ;  il  avait  sa  tradition. 

Mais  il  faut  avouer  que  la  reine  fut  embarrassée  pour 
excuser  son  choix,  et  qu'il  lui  fallut  l'expier,  l'excuser, 
l'acheter^  en  jetant  tout  à  tous,  livrant  la  France  en  proie. 

Mazarin  n'y  eût  pas  suffi  s*il  n'eût  trouvé  moyen  de  se 
débarrasser  de  tous  les  amis  de  la  reine.  C'est  à  quoi  le 
servit  admirablement  leur  imprudence,  celle  de  fieaufort 
et  de  sa  Montbazon,  qui  irritèrent  à  plaisir  les  Condë, 
surtout  la  sœur  du  héros,  madame  de  Longuevilie.  £f 
cela  au  moment  où  Rocroy  faisait  le  frère  et  la  sœur  rois 
de  la  cour,  rois  de  l'opinion,  où  la  reine  et  Mazarin  étaient 
leurs  protégés.  Madame  de  Longuevilie,  la  belle,  la  prude, 
la  précieuse,  une  déesse  de  l'Empyrée,  du  haut  de  son 
nuage,  favorisait  fort  Coligny.  La  Montbazon  eut  la  malice 
de  se  procurer  deux  lettres  de  cette  divinité  où  elle  des- 
cendait de  l'autel,  s'humanisait  pour  son  adorateur.  Dès 
lors,  explosion.  Les  écritures  confrontées  chez  la  reine,  à 
l'honneur  de  madame  de  Longuevilie  (cependant  un  ami 
de  celle-ci  crut  prudent  de  brûler  les  lettres).  La  Montba- 
zon, condamnée  aux  excuses  par  la  reine  (donc,  par 
Mazarin).  De  là  une  rage  extraordinaire.  Je  ne  sais  com- 
bien de  gentilshommes,  jusqu'à  quatorze  princes,  viennent 
offrir  leur  épée  à  la  Montbazon  contre  le  ministre. 

Non  pas  que  cette  belle  eût  vraiment  tant  de  chevaliers. 
Mais  on  était  déjà  assommé,  de  la  tyrannie  des  Condé  et 
de  leur  ami  Mazarin,  de  la  vertu  immaculée  de  madame 
de  Longuevilie,  de  sa  princerie  prétentieuse.  Dans  sa  mo- 


l'avènement  de  M4Z4RIN.  204 

destie  fausse,  on  sentait  déjà  Tinsoience  du  héros  que  l'on 
attendait. 

L'ancienne  cabale  de  Monsieur,  abandonnée  par  lui,  les 
Fontrailles  et  les  Montrésor,  maintenant'amis  de  Beaufort, 
et  que  la  cour  appelait  les  importants^  avaient,  dès  Riche- 
lieu, leurs  traditions  violentes,  la  politique  d'exécution  pour 
trancher  les  nœuds  embrouillés.  Ils  furent  d'avis  de  tuer 
ce  nouveau  C!oncini,  sûrs  que  la  chose  serait  reçue  avec 
applaudissement.  D'accord  avec  les  dames  de  Chevreuse 
et  de  Montbazon,  ils  mirent  cela  en  tête  de  l'innocent 
Beaufort.  L'affaire  était  très-bien  montée  et  infaillible. 
Elle  manqua  par  madame  de  Chevreuse,  qui,  pour  éviter 
un  combat,  avertit  un  intime  ami  qui  commandait  au 
Louvre  de  faire  le  sourd  s'il  y  avait  du  bruit  aux  portes. 
Mazarin  averti  obtint  de  la  reine  qu'elle  fit  arrêter  Beaufort 
et  ses  amis.  Elle  obéit,  et  donna  l'ordre,  en  pleurant  à 
chaudes  larmes  sur  Beaufort,  comme  sur  un  amant  sacri*- 
fié.  Mais  déjà  Mazarin  avait  le  pouvoir  d'un  mari  (2  sep- 
tembre 4643). 


CHAPITRE   XIX 


Gloire  et  victoires.  —  Traité  de  We8t|»halie.  1643-1648. 


Puer  triomphaior.  (Test  la  devise  d*ane  médaiHe  qui 
ouvre  le  grand  règne.  Le  nonrrisson  royal  reçoit  les  clefs 
de  trente  villes  ou  villages  du  Rhin,  où  Ton  n'entra  que 
pour  sortir.  C'est  de  cette  fumée  que  Mazarin  nourrit  la 
France  et  la  tint  cinq  longues  années  immobile  pendant 
qu'il  la  saignait  à  blanc. 

Sous  Richelieu,  on  n*en  pouvait  plus  ;  son  sage  et  éco- 
nome surintendant  Rullion  ne  savait  comment  vivre.  Mais 
l'homme  de  Mazarin,  Emeri,  le  sait  ;  Fouquet  tout  à  Theure 
le  saura  en  doublant,  triplant  les  dépenses.  Des  emprunts 
usuraires,  l'impôt  vendu  d'avance,  toutes  les  i^essources 
de  l'avenir  compromises  ou  détruites,  un  gouvernement 
de  joueur  qui  ne  ménage  rien,  de  joueur  furieux,  mais 
non  pas  tant  aveugle,  qu'en  jetant  l'or  par  les  fenêtres  il 
ne  remplisse  aussi  ses  poches. 

Ce  gouvernement  trouve',  en  pleine  famine,  cinq  cent 
mille  écus  pour  créer  TOpéra.  Quel  besoin  plus  urgent?  11 
faut  en  effet  des  surprises,  des  changements  à  vue,  des 
rêves  et  des  illusions,  tous  les  mensonges  de  la  scène, 
pour  distraire  d'une  réalité  désespérée. 

La  grande  scène  du  temps,  le  triomphe  du  faux,  c'est  la 
guerre.  Le  machiniste,  c'est  Condé. 


1 


TRAITÉ  DB  WBSTPHALn.  âOS 

« 

Sans  Gondé,  Mazarin  n'eût  pu  se  sovtenir.  II  fût  mort 
èiaaSè  daas  le  mépris  publie.  La  bassesse  frappante  dans 
sa  figure  de  beau  laquais,  son  langage  grotesque,  son  in- 
solence alteniée  de  tristes  reculades,  ses  petites  noirceurs 
de  femme  pour  brouiller  les  gens  entre  eux,  tout  cela  l'eût 
bientôt  perdu,  malgré  la  reine.  On  savait  trop  comment 
il  fallait  lui  parler.  Miossens,  à  qui  il  avait  promis  de  le 
faire  maréchal,  le  rencontre  sur  le  pont  Neuf,  l'arrête, 
l«i  promet  cent  coups  de  bâton.  «  À  la  bonne  heure,  dit- 
il,  voilà  qui  est  parler  I  »  Il  signe  sa  nomination.  Miossens 
est  maréchal  d'Albr^. 

Pour  qu'il  durât,  il  fallait  qu'on  pût  dire  :  c  €'est  un 
lâche,  on  fripon,  un  escroc.  Mais  il  réussit,  »  Lui-môme 
n'eut  pas  d'autre  idéal.  Quand  on  lui  proposait  un  géné- 
ral, il  ne  demandait  pas  s'il  était  brave,  habile,  mais  seu- 
lement :  «  Est-il  hourous  (heureux)  ?  » 

£tre  heureux,  c'était  chaque  année  frapper  un  coup 
briUant  qui  saisit  l'opinion.  A  quel  prix?  Peu  importe.  En 
coBoentrant  tout  sur  un  point,  dans  une  seule  armée,  et 
laissant  le  reste  au  hasard,  par  un  grand  sacrifice  d'hom- 
mes, chaque  année,  on  frappait  ce  coup.  Une  bataille  san* 
glaole,  de  nom  sonore,  occupait  l'opinion.  Qu'elle  restât 
stérile,  sans  résultat,  qu'elle  fût  même  suivie  de  revers, 
cela  n'y  faisait  rien.  On  avait  le  coup  de  trompette,  le 
changement  à  vue,  et  le  miracle  d'opéra. 

La  chose  était  plus  facile  qu'il  ne  semble.  Il  était  arrivé 
en  petit  à  Richeliev  ce  qui  arriva  plus  tard  en  grand  à  la 
Révolotkm,  de  Mourîr  à  la  peine,  mais  en  mourant  de 
laisser  uneépée,  l'épée  enchantée,  infiiillible,  pour  gagner 
les  batailles.  En  4635,  au  début  de  la  guerre,  Richelieu 
n'avait  eu  permine.  Mais,  en  huit  ans,  par  les  plus  dures 
épreuves  et  de  tan^nts  revers,  un  personnel  s'était  créé 
d'officiers  admirables  et  de  passables  généraux,  plus,  le 
maître  des  nwttres,  le  modeale,  le  grand  Turenne. 

U  était  jeoaeoQCore  et  en  sous-ordre.  Ce  n'était  point 


204  GLOIRE  BT  VICTOIRI. 

du  tout  rhomme  qu'il  fallait  à  Mazaria.  Il  lui  fallait  non- 
seulement  un  heureux  capitaine,  mais  un  très-grand  ac- 
teur, qui,  dlnstinct,  de  passion,  avec  une  terrible  àpreté, 
jouât  chaque  printemps  la  scène  émouvante  que  l'on  at- 
tendait 

A  vingt-deux  ans,  Condé  avait  déjà  tout  de  la  guerre,  le 
brillant,  le  sérieux,  Télan  et  la  réflexion  ;  de  plus,  la  chose 
rare,  très-rare  dans  un  jeune  homme,  une  ténacité  in- 
domptable, une  résolution  fixe  et  forte  qui  l'enracinait  au 
champ  de  bataille.  Tout  cela  parut  à  Fribourg. 

Néanmoins  la  justice  exige  qu*on  fasse  une  distinction 
quand  on  le  compare  aux  maîtres  de  la  guerre  de  Trente 
ans,  aux  persévérants  militaires  qui,  toute  leur  vie,  res- 
tèrent sur  le  terrain,  et  créèrent  l'art  de  la  guerre;  je  parie 
des  Mercy,  des  Turenne.  Il  fut  un  général  d'été. 

Je  m'explique.  Ces  savants  généraux,  les  martyrs  de 
leur  art,  avec  des  armées  peu  nombreuses  qu'il  leur  fallait 
industrieusement  nourrir,  abandonnés  pendant  de  longs 
hivers,  firent  face  à  des  difficultés  incroyables,  et  souvent, 
à  force  de  vertu  militaire,  de  talent,  de  génie,  n'arrivèrent 
qu'à  être  battus.  N'importe,  en  suivant  bien  leurs  cam- 
pagnes, leur  science  profonde,  leur  divination  surprenante 
des  pensées  de  l'ennemi,  étonnent,  remplissent  de  res- 
pect. On  admire  jusqu'à  leurs  revers. 

Telle  ne  fut  pas  la  carrière  de  Ck>ndé.  On  le  lançait  aux 
beaux  moments^  à  l'instant  favorable  de  la  belle  saison, 
avec  de  grands  moyens,  qui,  amenés  par  lui  subitement, 
jetés  sur  le  terrain,  emportés  dans  sa  fougue,  relevaient 
tout,  opéraient  la  victoire. 

Il  ne  faut  pas  dire  seulement  que  les  Condé  étaient  en 
faveur.  Ils  étaient  maîtres,  et  se  donnaient  les  moyens 
qu'ils  voulaient.  Le  vieux  Condé  profitait  des  victoires  de 
son  fils  pour  grossir,  gonfler  sans  mesure  sa  monstrueuse 
fortune.  Sous  Richelieu,  au  moment  oii  il  attrapa  la  dé- 
pouille de  Montmorency,  il  demandait  humblement,  à  ge- 


TRÀlTi  DB  WJSSTPHALIB.  i05 

DOUX,  des  terres,  des  abbayes,  toute  espèce  de  choses 
lucratives.  Sous  Mazarin,  Condé,  mendiant  fier  et  redou- 
table, exigea  qu'à  sa  Bourgogne  on  joignit  le  Berry  et 
rénorme  gouvernement  de  Champagne,  long  de  cinquante 
lieues.  Son  gendre,  Longueville,  avait  la  riche  Normandie. 
Mais  ce  n'était  pas  assez.  11  rêvait  le  Midi,  rêvait  l'amirauté, 
la  mer  aussi  bien  que  la  terre.  Il  n'y  avait  pas  à  marchan- 
der; il  avançait  toujours,  il  voulait  tout. 

La  grosse  armée,  l'armée  privilégiée,  celle  qu  on  nour- 
rissait (les  autres  jeûnaient),  était  chaque  année  celle  du 
ducd'Enghien.En|mai  ou  juin,  emmenant  une  troupe  leste, 
un  gros  renfort,  parfois  de  huit  ou  dix  mille  hommes,  plus 
un  tourbillon  de  noblesse,  tous  les  jeunes  volontaires  de 
France,  il  partait  de  Paris,  volait  à  l'ennemi.  Une  telle  mise 
en  scène  exigeait  un  succès  immédiat.  Donc»  sans  tourner 
ni  rien  attendre,  souvent  par  le  point  difficile,  on  attaquait 
sur  l'heure,  et  on  l'emportait  à  force  de  sang. 

C'est  l'histoire  uniforme  deFribourg,  de  Nordlirigen,  de 
Lens. 

La  boucherie  de  Fribourg  dura  trois  jours.  Condé,  qui 
avait  en  face  la  très-petite  armée  du  très-grand  général 
Mercy,  voulut  attaquer  par  le  côté  le  plus  glorieux,  c'est- 
à-dire  par  l'inaccessible.  11  refusa,  comme  indigne  d'un 
prince,  Voffve  qu'on  faisait  de  le  conduire  derrière  et  de 
lui  faire  tourner  l'ennemi.  Il  amena  tout  son  monde  heur- 
ter aux  palissades  impénétrables  de  Mercy,  qui,  derrière, 
tuait  à  Taise.  Des  masses  énormes  périrent  là  (3  août 
1644).  La  nuit,  Mercy  se  déroba,  et  avec  une  habileté,  un 
ordre  admirable,  se  posta  mieux  encore  sur  la  Montagne- 
Noire,  qui  domine  Fribourg .  Nouvelle  attaque  infructueuse. 
Condé  revient  tout  seul  à  petits  pas,  tous  ses  amis  tués.  À 
l'un  deux  qui  vivait  encore  :  «  Ce  n'est  rien,  dit-il,  nous 
allons  recommencer,  et  nous  y  prendre  mieux.  »  Alors, 
sept  fois  de  suite,  on  charge,  quoi?.,,  du  bois,  les  abatîs 
dont  Mercy  s'était  entouré,  et  l'on  se  retire  à  grand'peine. 


£06  GLOmi  IT  YieTOBIIS. 

Mercy  était  si  bien  oà  il  éhût,  qu'il  n'en  cbi  boogé  de  sa 
vie.  11  laiasait  les  Français  triompher  de  leur  éehee  et  s'em- 
pester de  leuvs  propres  naotta.  ▲  la  loBgne,  craignant  pour 
ses  vivres,  B  marcha,  mais  si  bien,  ehoiaissanl  son  tetniB 
si  habîiemeni,  qu'on  ne  pouvait  le  joindre  qa'e»  Bnurchaal 
à  la  file.  On  le  fit..  On  reçut  de  oe  prétendu  fiigilif  mm 
charge  terrible,  oii  il  noua  prit  piusienrs  drapeaas« 

Cela  s'appelle  la  victoire  d»  Fribourg. 

Nous  perdîmes  bien  plus  qae  Mercy.  Mai»  il  j  e«t  un 
vésultat  moral.  L'Europe  fut  effirayée  de  kt  doeiUté  di 
soldat  français  qui  avait  obéi  à  ee  poini-là,  a*aheurluit 
sans  murmure  à  une  chose  împosaiUe.  Et  en^  Sot  efrayé 
du  courage  tenace,  froid  et  furieux,  impitoyaUeneot  eniri, 
de  cet  homme  de  vingt  ans  qui  enterrait  là  on  monde  de 
soldats,  de  noblesse,  tous  ses  amis,  plujiût  c^ae  de  Ueber 
prise.  Toutes  les  petites  villes  du  Rhin,  dans  cette  terreur, 
ouvrirent,  et  Mayence  même,  qu'oa  rendit,  il  eal  vni^ 
bientôt. 

Pendant  ce  temps,  échec  en  Italie,  échec  en  Catalogne. 
On  ne  parla  que  de  Fribourg. 

L'anniversaire  de  la  bataille,  le  3  août  (4645),  même 
histoire  à  Nordlingen.  Turenne  languissait  très-faible  et 
venait  d'avoir  un  revers  quand  le  secours  lui  vint,  mais 
conduit  par  celui  qu'on  chargeait  tous  les  ans  de  gagner  la 
bataille.  Mercy,  cette  fois  encore,  sut  nous  faire  combattre 
quand  et  où  il  lui  plut.  Une  fois,  à  Timproviste,  il  nous 
eoupe  la  route,  nous  canonne  derrière  un  marais.  Une 
autre  fois,  trompés  encore,,  noue  le  voyons  qui  nous  attend 
dans  un  poste  très-fort,  sur  une  colline.  On  l'attaque  sot 
l'heure,  de  peur  qu'il  ne  se  fortifie.  Le  terrain  est  mal  re- 
connu. Enghien,  vepoussé  à  gauchev  tire  des  troupes  de 
aa  droite,  et  tant,  que  la  droite  afiaiblie  entre  en  pleine 
déeottte.  Noa  cavaliers  coururent  jusqu'à  deux  lieues.  La 
gauehe^  formée  de  nos  Ailemandftt  restait  seule  entière 
mm*  Tutenne.  Enghîen^  désespéré,  la  prend,  et  chaige 


THAtrt  DB  WBSTPiULIB.  907 

avec  succès.  Mercy  était  tué.  On  ne  sait  autrement  comme 
eût  tourné  l'affaire  (3  août  1645). 

La  perte  fut  égale,  quatre  mille  hommes  de  chaque  eèté» 
Et  l'ennemi  s'en  alla  fièrement,  sans  être  molesté»  ayant 
détruit  nombre  de  nos  canons.  Tous  nos  officiers  gêné* 
raux  tués  ou  blessés.  On  n'en  fut  pas  moins  joyeux  à  la 
cour,  la  reine  surtout.  Mazarin  fut  plus  grave.  Chaque 
victoire  de  Coudé  augmentait  sa  servitude,  l'exigence  et  la 
rapacité  de  cette  famille.  On  ne  savait  plus  trop,  à  força 
de  donner,  s'il  resterait  au  roi  quelque  chose. 

Enghien  était  un  maître  insupportable,  même  pour  ceux 
qui  l'avaient  fait,  qui  avaient  commencé  sa  gloire.  Sur  une 
observation  de  Gassiou,  il  lui  adressa  devant  toute  l'armée 
ces  paroles  brutales  qui  resteront  sur  sa  mémoire  :  «  Ce 
n'est  pas  à  vous  à  raisonner,  mais  à  obéir»  Je  suis  votre 
général,  et  j'en  sais  plus  que  vous.  Je  vous  apprendrai  à 
obéir  comme  au  dernier  goujat.  » 

La  vengeance  de  Gassion,  qui  lui  avait  donné  sa  victoire 
de  Aocroy,  fut  de  le  faire  vaincre  encore.  Dans  la  campa- 
gne de  Flandres,  que  le  duc  d'Orléans  commença  et  où 
Enghien  eut  l'adresse  de  le  remplacer,  Gassion  prit  Furnes 
pour  lui  et  l'aida  à  prendre  Dunkerque  (i  4  octobre  1 646) 
en  le  couvrant  de  sa  personne  contre  les  Espagnols  qui 
venaient  dégager  la  place. 

Un  an  après,  il  fut  tué.  Ce  grand  homme  de  guerre, 
Bullemeni  courtisan,  et  protestant  jusqu'à  la  moit,  n'en 
avait  pas  moins  été  honoré  de  Richelieu.  Il  l'appelait  la 
Guerre.  Il  ne  fut,  ne  voulut  jamais  être  autre  chose.  Sa  vie 
passa  comme  un  boulet  de  fer,  n'ayant  molli  jamais.  Il 
n'eut  aucune  connaissance  des  femmes^  ne  fut  jamais 
amoureux  que  du  grand  Gustave.  Quelqu'un  voulait  le 
marier.  «  Je  n'estime  pas  assex  la  vie,  dii-il,  pour  vouloiv 
kl  donner  à  personne.  » 

Puisque  Mua  soromea  à  parler  de  grands  guerriers, 
parlons  de  Mazann.  Ancien  soldat  du  pape,  voici  qu'il  hià 


208  GLOIRE  ET  TICTOIRBS. 

la  gaerre  au  pape  (Innocent  X).  Non  sans  cause,  vraioient. 
Le  pape  ne  veut  pas  faire  cardinal  un  sot  moine,  frère  de 
Mazarin.  Celui-ci,  qui  n'a  pas  d'argent  pour  nourrir  nos 
arnaées,  en  trouve  pour  une  si  belle  cause.  Il  arme  une 
grande  flotte  à  Toulon,  il  y  met  six  mille  hommes,  et  ex- 
pédie le  tout,  non  pas  à  Rome  même,  il  est  vrai,  mais  à 
côté,  sur  un  point  que  tenaient  les  Espagnols.  Quelle  joie 
d'effrayer  Rome  !  quelle  gloire  pour  les  Mazarini  rest^  là- 
bas  I  Malheureusement  tout  manque.  L'amiral  est  tué.  Le 
vent  éloigne  les  vaisseaux.  La  petite  armée  mazarine  s'en- 
fuit par  la  Toscane.  Énorme  dépense  perdue. 

Croyez-vous  que  cela  l'arrête?  Que  fait  l'argent  à  an 
grand  cœur?  Il  recommence,  et  il  en  vient  à  bout.  La  si- 
gnora  Olympia,  qui  régnait  pour  le  pape,  apaise  ce  conqué- 
rant à  bon  marché,  lui  jette  le  chapeau. 

L'amiral  tué  était  beau-frère  d'Enghien.  Celui-ci  de- 
mande sa  succession  comme  chose  due^  Faminiuté  et  la 
Rochelle.  Mazarin,  fort  embarrassé,  ne  trouve  qu'un  ex- 
pédient, c'est  de  faire  la  reine  amirale.  Enghien,  devenu 
Condé  alors,  ne  se  paye  point  de  cela.  Il  insiste,  il  exige. 
La  brouille  est  imminente. 

Mazarin  timidement  avait  imaginé  de  lui  créer  un  con- 
current. Il  avait  envoyé  en  Catalogne  Harcourt,  illustré 
par  Turin.  Bien  armé  et  bien  appuyé,  il  eut  quelques  suc- 
cès, mais  vint  échouer  devant  le  roc  de  Lérida,  place  déjà 
funeste  aux  Français.  Les  amis  des  Condé  crièrent  qu'il  y 
fallait  Condé  II  se  laissa  persuader.  Mazarin  malicieuse- 
ment l'y  envoya.  Il  y  avait  plus  d'un  obstacle.  Le  principal, 
c'est  que  les  Catalans  ne  voulaient  plus  de  nous.  Ils 
savaient  qu'au  congrès  de  la  paix  européenne  Mazann 
offrait  tous  les  jours  de  les  livrer,  voulait  les  vendre.  Donc, 
la  Catalogne  tourna.  L'Âragon  arma  contre  nous.  Coudé, 
avec  sa  confiance  ordinaire,  ouvre  la  tranchée  avec 
des  violons.  Le  commandant  de  Lérida,  aussi  poli  que 
brave,  envoie  au  prince  des  glaces  pour  le  bal  et  des 


TRAITÉ  DB  WBSTPHALIB.  209 

oranges  tous  les  jours.  D'autres  oranges  toutefois  pleu- 
vaient  comme  grêle,  et  Ton  n'avançait  pas.  Le  fer  de  nos 
mineurs  rebroussait  sur  ce  roc.  L'armée  d'Aragon  s'avan- 
çait. Bref,  la  chaleur  venait,  les  maladies.  Condé.  déses- 
péré fîit  obligé  de  s'en  aller,  et,  pour  se  soulager  le  cœur, 
égorgea  tout  dans  une  petite  ville  qu'il  prit  sur  son  pas- 
sage. Il  eût  bien  mieux  aimé  égorger  Mazarin. 

Avec  nos  fameuses  victoires,  il  était  évident  que  l'Es- 
pagne avait  pourtant  l'avantage.  Deux  ou  trois  fois,  nous 
nous  étions  heurtés  à  cette  porte  redoutable,  Lérida,  et 
toujours  en  vain.  Nous  ne  nous  relevâmes  que  par  les  ré- 
volutions imprévues  de  Naples  et  de  Sicile,  dont  l'Espagne 
vint  pourtant  à  bout.  Résurrections  tardives  des  nationa- 
lités antiques.  Le  sublime  corroyeur  de  Sicile,  qui  menait 
tout,  périt.  Et  de  même,  Masaniello,  le  pécheur  roi  de 
Naples.  Elle  appela  les  Français,  qui  y  coururent  sous 
Guise,  plus  fou  que  le  pécheur.  Mazarin  promit  tout,  ne 
tint  rien,  et  fit  le  plongeon. 

Ce  grand  ministre,  aussi  longtemps  qu'il  eut  un  sou, 
voulut  la  guerre  européenne,  la  continuation  du  gâchis 
militaire  où  il  pouvait,  de  cent  façons,  escroquer,  faire  sa 
main.  Mais  enfin  Emeri  lui  dit  qu'il  avait  tout  vendu,  que 
personne,  à  aucun  prix,  ne  voulait  plus  prêter,  qu'il  fal- 
lait s'arranger.  Mazarin,  dès  ce  jour,  se  sentit  pour  la  paix 
un  cœur  humain,  chrétien.  Il  l'avait  jusque-là  effronté- 
ment retardée  de  toutes  ses  forces.  Nous  avions  fait  atten- 
dre tout  le  monde  au  congrès,  où  nous  siégeâmes  les 
derniers,  et  fîmes  mille  insolences  calculées  pour  rompre 
tout.  Nous  y  suivîmes  la  maxime  admirable  que  notre  am- 
bassadeur rappela  à  celui  de  Suède  :  «  Qu'on  était  con- 
venu de  se  relâcher  sur  l'intérêt  public,  à  proportion  qu'on 
serait  satisfait  sur  ses  intérêts  particuliers.  » 

Je  reviendrai  sur  ce  grand  replâtrage  où  tout  le  monde, 
excédé  et  lassé,  se  désista  de  ce  qu'il  avait  si  longtemps 
défendu.  Nous  gardâmes  les  conquêtes  de  Richelieu  sur 

XII.  i\ 


240  OLOIRB  n*  VICTOIRBS* 

l'Empire,  quelques  morceaux  d'Àlsaoe.  MaimB  reste  m 
grand  homme  et  un  politique  profond  qui  avak  finnlcmil 
étendu  le  royaume. 

Mais  pouvait-on  garder  ce  qu'on  avait  pris  à  TBapagna? 
La  question  restait  tout  entière.  Elle  ne  fut  mHaniflai 
tranchée  par  la  bataille  de  Lens,  vae  des  meilleuBea  de 
Condé  qui  firent  admirer  le  plus  et  son  tact  militaire»  at 
son  hérofque  intrépidité. 

Avec  cela,  il  avait  le  cœur  gros,  et  il  en  voulait  oiorteUe- 
ment  à  Mazarin,  croyant  qu'il  l'avait  perfidement  envoyé 
contre  ce  roc  de  Lérida  pour  8*y  casser  le  nei.    * 

Un  soir,  à  je  ne  sais  quelle  comédie  où  était  le  prince, 
un  impertinent  siffle.  On  voulait  l'empoigner.  U  s'évanouit 
dans  la  foule  en  décochant  ce  trait  :  t  On  ne  me  prend 
pas.. .  Je  suis  Lérida.  » 

Cette  rage  de  Condé  n'a  pas  peu  aidé  à  la  Froade. 


CHAPITRE   XX 


Le  Jansénisme.  —  ta  Fronde.  10.48. 


La  France  de  Mazarin,  décorée  au  dehors  des  drapeaux 
de  Rocroy,  et  au  dedans  dévastée,  ruinée,  me  rappelle 
ces  vieux  palais  délabrés  de  Venise  dont  le  perron  triom* 
pbal  de  vingt  marches  de  marbre  et  dont  la  porte  aussi  me 
semblaient  faire  bonne  figure  sous  leurs  armes  héroïques. 
Mais  au  rez-de-chaussée,  jadis  plein  d'amiraux,  de  vaiU 
lants  capitaines,  vous  ne  trouviez  que  trois  coquins  qui  y 
prenaient  le  frais.  Par  un  escalier  magnifique,  vous  mon- 
tiez, Todorat  saisi  (chaque  palier  servant  de  latrtne).  Et, 
dans  cette  saleté,  sous  des  toiles  d*araignée^  quelque  bon 
vieux  tableau  pourtant,  tout  noirci,  se  montrait  encore.  En 
cherchant  bien,  vous  trouviez  dans  un  bouge  un  escroc 
d'intendant  avec  un  brocanteur,  vendant  les  derniers 
meubles.  À  force  de  monter,  vous  auriez  découvert  dans 
quelque  galetas  l'héritier,  le  jeune  maître,  joli  garçon 
malpropre  et  mal  peigné,  vautré  tout  le  jour  sur  un  lit 
dont  les  draps  passent  à  l'état  de  dentelle,  à  quoi  travaille 
de  son  mieux  le  jeune  seigneur,  prenant  plaisir  à  agrandir 
les  trous,  y  passant  le  pied  ou  la  jambe,  ou  enfin  se  levant 
le  soir  pour  s'amuser  à  quelque  Caroe  où  il  jouera  Masca- 
rille  ou  Scapin.  On  travaille  du  reste  à  son  éducation. 
Vabbate  le  régale  de  contes  gras,  et  le  soir  l'intendant,  s'il 


212  LB  JÂNSiNISME. 

ne  lui  fait  courir  les  filles,  le  travestit  en  fille  et  le  mèoe 
je  n'ose  dire  où. 

Nous  venons  presque  de  redire,  mot  à  mot,  ce  que  La- 
porte,  valet  de  chambre  dévoué,  confident  de  la  reine, 
raconte  de  l'éducation  que  Mazarin  donnait  au  jeune  roi, 
de  l'abandon,  de  la  misère  où  il  était,  du  plaisir  qu'il  avait 
à  jouer  les  valets,  etc.,  etc. 

La  reine  disait  en  4643  que  Mazarin  n'était  pas  dange- 
reux pour  les  femmes,  qu'il  avait  d'autres  mœurs.  Deux 
ans  après,  elle  lui  confie  son  fils. 

La  lutte  du  pauvre  valet  de  chambre  pour  garder  cet 
enfant  (dans  Tabandon  dénaturé  où  le  laisse  sa  mère) 
pour  en  faire  un  honnête  homme,  malgré  tout  le  monde, 
est  une  chose  très-belle  à  lire. 

Laporte  essaye  d'apprendre  un  peu  d'histoire  de  France 
au  roi  de  France  ;  il  lui  lit  Mézeray.  Mais  Mazariq  se  fâche. 
On  verra  ce  qu'il  lui  apprit. 

Le  jeune  roi  était  très-beau,  bien  né  et  bien  doué,  sans 
grand  éclat  d'esprit,  mais  d'un  bon  jugement.  11  préférait 
Laporte,  malgré  toutes  ses  sévérités.  Il  leur  fallut  chasser 
cet  honnête  homme  pour  que  l'enfant  cédât  aux  vices. 

On  verra,  Laporte  chassé,  comment  allèrent  les  choses, 
et  dans  quel  bourbier  allait  tomber  l'enfant  si  de  bonne 
heure  il  n'eût  eu  des  maîtresses.  Les  femmes  le  sauvèrent 
de  Teffroyable  éducation  de  Mazarin. 

La  révolution  de  la  Fronde,  songeons-y  bien,  fut  une 
révolution  morale.  On  a  fort  obscurci  ceci.  Mais  il  faut  le 
tirer  à  clair.  Plus  on  était  dévot  au  culte,  à  l'idolâtrie 
royale,  moins  on  pouvait  laisser  cette  innocente  idole,  sur 
qui  portait  la  destinée  d'un  peuple,  aux  mains  d'un  homme 
dont  la  reine  elle-même  ne  contestait  pas  l'infamie. 

La  Fronde,  au  total,  fut  la  guerre  des  honnêtes  gens 
contre  les  malhonnêtes  gens. 

Lenet,  l'homme  des  princes  et  l'ennemi  des  parlemen- 
taires, qui  ne  déguise  pas  leurs  sottises,  déclare  pourtant 


LA  FRONDE.  ^13 

quHIs  furent  en  général  t  des  hommes  de  grande  vertu.  » 

Que  la  corruption  d'idées  entrât  dans  ces  familles,  même 
celle  de  mœurs  chez  les  jeunes  magistrats  qui  imitaient 
la  cour,  je  ne  le  nie  pas.  Mais  les  habitudes  étaient  hon« 
nétes  et  régulières,  et  la  vie  sérieuse,  laborieuse.  Et  tran- 
chons tout  d'un  mot  dont  on  sentira  la  portée  :  la  vie  noble^ 
la  fainéantise,  avait  tout  envahi;  les  magistrats  seuls  tra-- 
vaillaient. 

Regardez  sur  la  Seine,  au  quai  de  la  Cité,  en  vue  de  la 
Grève,  une  vieille  maison  triste  et  tournée  au  nord.  Là 
demeurait  celui  dont  les  Mémoires  se  moquent,  le  coura- 
geux Broussel^  un  bon,  digne  et  grand  citoyen. 

Harlay  et  Mole,  intrépides,  n'en  ont  pas  moins  molli,  on 
l'a  vu  et  on  va  le  voir,  au  vent  corrupteur  de  la  cour.  Leurs 
enfants  en  furent  cause,  et  leurs  mauvaises  affaires,  et 
leur  besoin  d'argent.  Ils  avaient  cent  mille  francs  par  an. 
Broussel  n'eut  pas  de  tels  besoins  ;  il  avait  quatre  mille 
livres  de  rente,  et  ne  voulut  point  davantage.  Avec  cela, 
il  éleva  une  grosse  famille  et  vécut  honorablement. 

Ce  n'était  plus  le  temps  des  grands  jurisconsultes.  On 
n'aurait  plus  vu  des  princes  d'Empire  régler  des  succes- 
sions d'États  indépendants  sur  la  consultation  d'un  avocat 
de  Paris.  Un  radotage  immense  d'ordonnances  non  exé- 
cutées entravait,  embrouillait  le  champ  légal,  laissait  aux 
juges  un  arbitraire  sans  bornes.  Pauvres,  ils  donna'ent  à 
qui  ils  voulaient  des  millions,  et  voyaient  la  cour  à  leur 
porte.  Jamais  le  parlement  n'eut  plus  besoin  de  probité, 

Broussel  ferma  sa  porte,  ou  ne  l'ouvrit  qu'aux  pauvres. 
11  avait  alors  soixante-quatorze  ans,  dont  trente*six  en 
1610,  à  la  mort  d'Henri  IV.  Il  en  garda  l'impression,  et 
pour  toujours  resta  l'adversaire  de  la  cour,  l'ennenii  des 
ennemis  de  la  France.  À  sept  heures  du  matin,  ce  doyen 
des  grondeurs  venait  siéger  au  parlement,  auprès  du 
rêveur  Blancménil,  pur,  utopiste  et  fou,  non  loin  de  Tam- 
bitieux  et  très-dissimulé  Longueil,  du  président  Charton, 


2U  LR  UHSbflSIfK. 

honnête,  borné  et  vk^ni,  d^une  vulgarité  pcaverbiale, 
qui  finissait  toujours  par.  un  mot  attendu  et  dsible  : 
c  ï  dis  ça.  » 

Broussel  n*était  pas  ridicule.  Tous  ses  avis  étaient  mar* 
qués  d'un  caractèra  de  simplicité  forte  et  courageuse,  nul- 
lement exagérée,  quoi  qu'on  ait  dit.  C'est  le  défaut  con« 
traire  qui  le  fit  écbouer,  lui  et  le  parlement.  Les  révolutions 
étrangères  qui  avaient  lieu  alors,  loin  d'enhardir,  terri- 
fièrent  ces  pauvres  gens  de  bien.  Celle  d'Angleterre  leur 
fit  horreur  en  leur  montrant  le  billot  de  Charles  P'.  Celles 
de  Naples  et  de  Sicile  leur  firent  peur;  ils  crurent  voir  de 
la  Grève  ou  de  la  Grenouillère  sortir  un  llazaniello.  Bref, 
leur  modération  les  mena,  par  une  voie  étrange,  au  ter- 
rorisme ;  quand  les  princes  égorgèrent  Paris,  ils  sie  trou« 
vèrent  sans  force,  sans  espoir  ni  ressource  que  de  subir 
le  Mazarin. 

Broussel  était-41  janséniste  ?  Je  ne  le  vois  pas.  lUds  ik 
Tétait  de  mœurs.  L'austérité  du  jansénisme^  sinon  son 
dogme,  avait  fait  d'honorables  progrès  dans  le  parle- 
ment. 

Cette  fronde  religieuse  avait  précédé  la  fironde  politique, 
et  indirectement  y  aida  forL  Le  jansénisme  était  Tainà 
Déjà  alors  il  était  constitué.  Il  avait  son  Pathmos  au  ma* 
nastère  des  vertueuses  et  disputeuses  dames  de  Port-Royal. 
Son  saint  Jean  fut  le  graiid  martyr  Duvergier  de  Hau- 
ranne,  le  prisonnier  de  Richelieu,  Sa  nuit  de  Pentecôte 
est  celle  où»  le  corps  du  martyr  étant  encore  exposé  à 
Saint-Jacques,  la  mère  Angélique  arme  son  chapelain 
d'un  rasoir,  et.  lui  dit  ;  t  Je  veux>  je  veux  les  mains  de 
M.  de  Hauranne,  les  mains  qui  oonsacraitint  le  pain  de 
Dieu  pour  moi.  »  Il  obéit.  Le  sacrilège  pieux  s'accomplit 
dans  l'église.  Et,  du  moment  que  la  rcdique  est  déposée  à 
Port-Royal,  les  langues  se  délient,  le  génie  polémique, 
jusque-là  contenu  dans  les  énigmes  de  Du  Bburanne, 
éclate»  strident  et  provocant,  par  la  voix  des  Aroauid. 


Le  manifeste  fut  le  beau  livre,  grave  et  bxvl,  incisif, 
eontra  I»  Fréqwente  communion^  centre  la  prostitution 
^oticKeniie  que  les  Jésuites  faisaient  de  Thostie,  faisant 
lkièi?e  du  eorps  de  Jésus  et  le  prodiguant  aux  pourceaux. 
L'effet  {ut  saisissant,  le  contraste  violent  et  terrible,  le 
Calvaire  retrouvé  pour  Teffroi  des  marchands  du  Temple, 
1»  pèle  tête  du  Crucifié  et  sa  sainte  maigreur  foudroyant 
l'embonpoint  ventru  du  père  Douillet.  Les  Jésuites  tombent 
à  la  renverse.  Éperdus,  sachant  trop  que  leur  galimatias 
ne  les  sauvera  pas  de  ce  livre,  ils  trottent  à  Saint-Ger- 
main, vont  pleurer  chez  la  reine,  chez  le  bon  cardinal.  De 
fripons  à  fripons,  on  s'aide  et  on  s'entend.  Ce  Mazarin,  qui 
fui  la  guerre  au  pape  pour  que  son  frère  ait  le  chapeau, 
dès  qu'il  ne  s'agit  que  de  Dieu,  est  plus  Romain  que  Rome; 
M  lâche  et  cède  touL  Scandaleuse  ignorance  de  la  tradition 
de  la  Fraace  dans  un  homme  qui  ta  gouvernait.  Il  fait 
décider  par  U.  reine  qu'un  Français  doit  aller  à  Rome,  et 
soumettre  sa  doctrine  au  pape,  c'est-à-dire  aux  Jésuites, 
contre  qui  son  livre  est  écrit. 

La  Sorbonne  réclame.  Le  parlement  réclame,  toutes  les 
chambres  du  parlement  veulent  s'unir,  s'assembler.  Alors 
notre  homme  prend  peur.  Vite  il  s'explique,  excuse  sa 
sottise  par  une  sottise  :  il  n'a  pas  voulu  soumettre  un 
Français  au  jugement  de  l'étranger,  mais  éclaircir  à  V amia- 
ble un  point  de  théologie  (4644). 

Il  faut  là.  guerre  pour  pécher  en  eau  trouble.  Mazarin 
vivait  de  la  guerre  et  d'une  victoire  annuelle  de  Condé, 
qui  lui  donnait  hi  force^  à  l'intérieur,  de  faire  la  guerre* 
aux  bourses  : 

1^  Guerre  aux  propriétaires.  Il  trouve  un  vieil  édit  fait 
le  lendemain  de  l'invasion  de  Charles-Quint  quand  on 
venait  de  craindre  un  siège,  lequel  défend  d'étendre  les 
faubourgs.  Mais  Paris,  en  cent  ans,  avait  grossi,  grandi, 
débordé  de  tous  câtés.  Les  pauvres  logeaient  dans  cette 
banlieue,  sous  des  maisonnettes  de  boue  qu'ils  se  faisaient 


316  LE  JANSÉNISME, 

eux-mêmes.  Un  matin,  les  gens  du  roi,  avec  des  troupes, 
viennent  toiser  ce  Paris  nouveau  qu'on  va  abattre  si  l'on 
ne  paye  sur  l'heure.  L'effet  fut  si  terrible,  que  Maxarin 
d'abord  eut  peur  et  recula.  Gondé  lui  mit  du  cœur  au 
ventre  par  sa  bataille  de  Nordiingen.  Mazarin  reprend  le 
marteau.  Tous  ces  infortunés  accourent  au  parlement, 
pleurent,  se  mettent  à  genoux,  prient  qu'on  ne  les  jette 
pas  dans  la  rue  pour  camper  l'hiver  sous  le  ciel.  Un  homme 
s'attendrit,  le  président  Barillon,  vieil  ami  et  défenseur  de 
la  reine  dans  ses  adversités.  Il  plaide  pour  ces  pauvres 
propriétaires  mendiants,  et  le  soir  il  est  enlevé  avec 
quatre  ou  cinq  autres,  enfermé,  non  en  France,  mais  à 
Pinerolo,  sous  la  neige  et  le  vent  des  Alpes,  et  il  y  meurt 
dans  quelques  jours  (1645). 

On  se  le  tint  pour  dit.  Le  parlement,  tout  à  coup  rai- 
sonnable, enregistre  devant  le  roi,  non-seulement  la  ruine 
de  Paris,  mais  une  fournée  de  dix-huit  autres  édi'ts. 

2<»  Cet  impôt  et  dix  autres,  spécialement  un  emprunt 
forcé,  ayant  mis  à  sec  les  propriétaires,  on  passe  aux  tuni'' 
propriétaires.  On  frappe  une  entrée' sur  les  vivres  (4646). 
Bel  impôt,  disait  Emeri  (l'homme  de  Mazarin),  impôt  é^l 
pour  tous,  qui  fait  payer  les  riches.  Comme  si  c'était  même 
chose  pour  celui  qui  n'a  rien  et  qui  cherche  chaque  jour 
le  pain  qu'il  mettra  sous  la  denti  La  Sicile  avait  armé 
pour  l'impôt  des  farines,  Naples  pour  celui  des  fruits,  le 
dernier  aliment  du  pauvre  (4647).  Paris,  sans  un  pareil 
motif,  n'eût  pas  eu  le  mouvement  universel  et  violent  qui 
décida  les  Barricades.  Ventrée  sur  les  consommations 
rendit  la  tyrannie  sensible,  expliqua  la  révolution.  Paris, 
sans  idée,  sans  parti,  dans  la  torpeur  de  la  misère,  se 
réveilla  par  l'estomac. 

Mazarin,  cette  fois,  ne  craignit  pas  le  parlement.  Il 
croyait  tenir  les  magistrats  par  leur  fortune  môme  et  l'ave- 
nir de  leurs  enfants.  La  Paulette,  la  garantie  qui  leur 
assurait  la  succession  des  charges  achetées ,  expirait  le 


LÀ  FRONDE.  217 

4^  janvier  1648.  Ils  avaient  tout  à  craindre.  Ils  n'en  dé- 
fendirent pas  moins  courageusement  toute  une  année  le 
pain  du  peuple. 

L'inquiétude  était  générale  dans  une  classe  nombreuse, 
et  vraiment  la  plus  respectable.  Il  y  avait  en  France  qua- 
rante-cinq mille  familles  qui,  directement  ou  indirecte- 
ment (veuves,  enfants,  parents,  alliés),  pouvaient  être 
ruinées  par  le  refus  de  cette  garantie.  Mazarin  employa  ce 
moyen  de  terreur,  il  refusa  la  garantie,  envoya  le  roi  au 
parlement,  et  fit  enregibtrer  de  force  sept  édits  qui 
créaient  de  nouveaux  magistrats  ou  bien  affamaient  les 
anciens.  On  ne  leur  continuait  les  charges  achetées  qu'en 
les  empêchant  d'en  vivre,  les  laissant  quatre  années  sans 
gages.  Beaucoup  ne  vivaient  d'autre  chose;  on  leur  ordon- 
nait de  mourir  de  faim. 

Toutes  les  compagnies  souveraines  de  Paris^  soumises 
au  même  retranchement,  les  Aides,  les  Comptes  et  le 
Grand  Conseil,  envoient  demander  au  parlement  associa* 
tion,  union.  Une  assemblée  générale  se  formera  par  dé- 
putés dans  la  Chambre  de  Saint-Louis,  et  l'on  y  appellera 
les  députés  du  Corps  de  ville.  Le  but  est  posé  nettement  : 
la  réformation  de  l'Ëtat  (43  mai  4648). 

Que  la  Chambre  des  Comptes,  celles  des  Aides,  ces 
compagnies  paisibles,  eussent  quitté  leurs  dossiers,  leurs 
calculs,  pour  commencer  la  guerre;  que  Tinstrument  de 
la  cour,  le  Grand  Conseil,  s'untt  avec  le  parlement!  cela 
renversait  toute  idée,  c'était  la  fin  du  monde.  Les  choses 
mortes  elles-mêmes,  les  papiers  et  les  chiffres,  s'étaient 
levés  d'indignation  et  avaient  pris  la  voix. 


CHAPITRE  XXi 


L&  premier  âge  de  la  Fronde.  —  Les  barricade».  — >  La  ooor, 
wppvjét  par  la  Wnmée,  arrête  CaaAé.  i648-1649. 


Une  chose  grave  à  observer  dans  l'histoire  des  révolu- 
tions, c*est  de  savoir  si  les  acteurs  parlent  avant  ou  après 
le  repas.  Â.ux  assemblées  publiques,  les  séances  da  soir, 
pour  cette  raison,  sont  toujours  orageuses,  ànne  d*ka- 
triche  dînait  à  midi,  et  dînait  fort  (Mottevill/;).  Delà,  ses 
paroles  violentes,  ses  hasardeux  sproposiU^  qui,  dans  une 
révolution  plus  sérieuse,  l'eussent  mise  sur  la  voie  de 
Charles  I»'. 

Au  début  de  la  Fronde,  elle  lança,  à  l'étourdie,  un  mot 
qui  pouvait  faire  crouler  le  trône,  faire  regarder  en  face 
rinfaillibilité  royale  :  a  Dites-moi,  avant  tout,  prétendez- 
vous  borner  les  volontés  du  roi  ?  » 

Qu'eût  répondu  Cromwell?  Heureusement  pour  elle, 
elle  avait  affaire  à  Talon.  Ce  bon  avocat  général,  au  nom 
des  magistrats,  recula  ;  il  frémit  «  à*enirer  en  jugement 
avec  le  souverain...  Ils  ne  peuvent,  ils  ne  doivent  décider 
une  telle  question,  pour  laquelle  il  faudrait  oauri'r  les 
iceaux  et  les  cachets  de  la  royauté,  pénétrer  dans  le  secret  de 
la  majesté  du  mystère  de  l* Empire.  » 

Le  galimatias  de  Talon  couvrit  Timprudence  de  la  reine. 
Elle  put,  à  son  aise,  braver,  gourmer  le  parlement,  lui 


LES  BARBICjUttg.  219 

donner  des  nasardes.  Un  jour,  elle  voulait  le  faire  pendre. 
Et  quand?  Précisément  au  jour  où  peutr-étre,  sans  lui,  le 
peuple  aurait  forcé  le  Louvre. 

On  dit  que  le  parleotent  fit  la  Fronde.  11  serait  bien  plus 
vrai  de  dire  qu'il  Tempécha  et  la  fit  avorter.  La  question, 
sans  lui,  se  serait  posée  autrement.  La  reine,  allant  tous 
les  lundis  ouïr  la  messe  à  Notre-Dame,  y  trouvait  à  la  porte 
un  peuple  de  femmes  qui  lui  criaient  :  «  A  Naples!  »  la 
menaçant  d'une  révolution  radicale  et  napolitaine.  La 
presse  fut  tout  d'abord  très-franche  et  très-sincère.  Nom- 
bre de  petits  livres  racontèrent  la  vie  intime  de  la  reine 
sous  Louis  XIII.  Mais  le  parlement  tint  pour  elle  et  tâcha 
de  la  protéger.  En  laissant  courir  les  mazarinades,  il  châ- 
tia, et  même  de  mort,  les  écrits  trop  sincères.  Il  voulut  à 
tout  prix  sauver  le  secret  de  la  majeslé  du  mystère  de  VEm- 
pire.  Deux  imprimeurs  auraient  péri  en  Grève  si  le  peuple 
ne  les  eût  sauvés* 

Donc,  contemplons,  sans  trop  nous  émouvoir,  une  révo- 
lution sans  issue,  sans  résultat  possible,  dont  la  stérilité 
confirma  la  France  dans  l'amour  du  repos  quand  mime, 
la  résignation  à  la  mort,  que  dis- je?  Tamour  pour  la  mon 
môme  et  pour  l'anéantissement.  Rien  autre  chose  qu'une 
répétition  un  peu  vive  de  la  danse  éternelle,  du  triste  me* 
Buet,  que  le  parlement  exécute  devant  la  royauté,  s'avan- 
çant  deux  pas,  reculant  de  trois,  enfin  tournant  le  dos. 

Le  parlement,  sans  bien  s'en  rendre  compte,  trahit  le 
peuple,  lui-mômc^  amusé  et  trahi  par  ses  chefs,  le  président 
Mole,  et  le  très-remuant,  très-brouillon  Retz,  coadjuteur 
4e  l'arclievéqtte  de  Paris.  Le  vieux  Mole,  mené  par  ses 
enfants,  jouait  sa  compagnie  en  parlant  fort  et  haut  pour 
elle,  mais,  en  toute  cboae  grave, suivant  l'intérêt  delà 
cour. 

Mazarin  attendait  l'armée.  Après  un  petit  essai  de  vio- 
lence qui  ne  réussit  pas,  il  sentit  qu'il  n'y  avait  rien  à  taire 
qa'à  mentir  et  plier^  gagner  du  temps.  La  reine  eut  beau 


220  LE  PREMIER  AGE  DI  LÀ  FRONDE. 

pleurer  toute  une  nuit.  Il  céda,  toléra  l'arrêt  d'untan,  per- 
mit aux  compagnies  de  s'assembler,  de  réformer  TËtaL 

Le  pouvaient-elles  réellement?  Une  constitution  »  bâtie 
en  l'air,  sans  base  (ni  élection,  ni  jury,  etc.),  écrite  sur  le 
sable  par  des  gens  qui  avaient  f^cheté  leurs  charges,  serait- 
elle  sérieuse? 

Ils  y  écrivirent,  il  est  vrai,  les  deux  garanties  principales, 
celle  de  la  personne  (nul  arrêté  sans  être  interrogé  dans  les 
vingt-quatre  heures)  ;  celle  des  àiens^  nul  impôt  sans  véri- 
fication parlementaire. 

Mais,  même  dans  les  choses  bonnes,  leur  incapacité 
parut.  En  vertu  du  dernier  article,  ils  firent  précisément 
ce  que  désirait  Mazarin,  annulèrent  ses  traités  avec  les 
financiers.  La  cour  n'osait  faire  la  banqueroute.  Le  parle- 
ment la  fait  pour  elle,  la  sanctifie,  la  canonise  par  le  grand 
mol  du  bien  public.  Mazarin  avait  emprunté  à  tout  le 
monde,  et  ne  pouvait  ni  ne  voulait  payer.  Le  parlement) 
tête  baissée,  se  jette  sur  les  financiers,  sans  voir  que  der- 
rière eux  se  trouve  la  masse  des  petites  gens  qm,  par  leurs 
mains,  ont  prêté  à  l'Ëtat.  Dispense  de  les  rembourser. 
Bref,  le  gouvernement  est  libéré,  et  la  reine,  plus  douce, 
commence  à  croire  qu'il  y  a  quelque  bien  dans  la  révo- 
lution. 

Une  autre  faute  insigne  du  parlement,  c'est  de  vouloir 
supprimer  les  intendants^  la  grande  création  du  dernier 
règne.  Ces  rois  commis,  il  est  vrai,  étaient  lourds,  ett 
sous  Mazarin,  aussi  voleurs  que  leur  mattre.  Cependant, 
en  les  supprimant,  qui  eût  pris  le  pouvoir?  Les  gouver^ 
neurs  de  provinces,  les  vieilles  puissances  féodales  qu'avait 
écrasées  Richelieu. 

Avec  quelques  concessions,  Mazarin  endormait  le  parle- 
ment, quand  la  question  suprême  fut  précisée,  formulée 
par  le  vieux  conseiller  Broussel  :  4o  remise  au  peuple  d'un 
qrmrt  des  taiUes;  ^  Vintérit  de  tous  les  parlements  mèU^  et 
soutenu  par  le  parlement  de  Paris;  refus  de  celui-ci  d'être 


LKS   BARRICADES.  2^1 

seul  garanti  pour  la  possession  de  ses  charges  (4  août  1 6i8). 

La  ruse  était  vaincue  par  la  sincérité.  Mazarin  fit  le  mort. 
Il  attendit  son  salut  de  l'armée.  Quoiqu'il  fût  mal  avec 
Condé,  une  victoire  de  Condé  le  relevait.  On  pouvait  l'es- 
pérer. Car  l'Espagne,  accablée  par  ses  quatre  révolutions 
(Portugal,  Catalogne,  Naples,  Sicile),  obligée  de  faire  face 
de  tous  côtés,  n'avait  pas  grande  force  en  Flandre.  L'ar- 
chiduc, étant  sans  argent,  sans  vivres,  sans  munitions,  fut 
lent  à  se  mouvoir.  Condé  put  faire  une  marche  hasardeuse 
en  défilant  par  les  marais  ;  il  eut  le  temps  de  faire  six  lieues 
de  circonvallation  pour  prendre  une  ville.  L'archiduc  ce- 
pendant, lui  ayant  pris  Lens,  l'avait  obligé  (19  août)  aune 
retraite  difficile  qui  fut  près  d'être  une  déroute.  Le  20,  il 
l'attaqua.  Condé  certainement  était  prié,  pressé  par  la  cour 
de  livrer  bataille.  Voyant  les  Espagnols  quitter  leur  bonne 
position  et  venir  à  lui,  il  hasarda  de  faire  ce  que  fit  le  roi 
de  Suède  à  Lutzen  ;  il  commanda  aux  Français  de  recevoir 
le  feu  et  de  ne  pas  donner  à  l'ennemi  le  temps  de  rechar- 
ger. Notre  infanterie  égala  la  suédoise.  La  première  ligne 
fut  rompue.  Lui-même  attaqua  la  seconde  dix  fois  de  suite, 
et  fut  admirable  de  valeur  et  de  présence  d'esprit.  Victoire 
complète,  cinq  mille  prisonniers,  trois  mille  morts. 

La  reine,  ivre  de  joie,  ayant  reçu  soixante-treize  dra- 
peaux espagnols,  ne  daigna  plus  rien  ménager  et  se  mo- 
qua des  peurs  de  Mazarin.  Celui-ci  voulut  toutefois  que, 
si  on  se  jetait  dans  les  hasards  de  violence,  on  ne  le  fit 
que  sur  l'avis  de  l'homme  qu'il  détestait  le  plus,  Chavigny 
(fils  de  Richelieu  ?),  sur  qui  il  pût  se  rejeter  si  la  chose 
tournait  mal. 

Chavigny  avait  soufflé  le  feu  de  son  mieux  dans  le  par- 
lement. Consulté  pour  l'éteindre,  il  fut  pourtant  fidèle  aux 
traditions  violentes  de  l'autre  règne,  et  dit,  ce  que  voulait 
la  reine,  qu'il  fallait  arrêter  les  chefs. 

Cela  était  très-hasardeux.  La  reine  en  chargea  non  le 
vieux  Guitaut,  mais  son  neveu,  un  jeune  homme  à  elle, 


222  .       LE  PREMIER  AGE  DE  LA  FRONDE. 

Comminges  (dont  nous  avons  parlé),  et  le  chargea  de  lui 
donner,  au  péril  de  sa  vie,  cette  jouissance  et  cette  ven- 
geance personnelle.  En  sortant  à  midi  du  Te  Deum^  elle  lui 
dit  d'un  voix  émue  :  «  Va,  et  que  Dieu  t'assiste  I  > 

Il  n'y  avait  pas  loin  à  aller.  Des  six  qu'on  devait  arrêter, 
le  plus  populaire,  Broussel,  demeurait  à  deux  pas,  sur  la 
Seine,  au  port  Saint-Landry.  Il  n'avait  pas  été  au  Te  Detm 
de  la  bataille  {De  profundis  des  libertés  publiques).  Il  ve- 
nait de  faire  son  sobre  repas  ;  il  était  au  milieu  de  sa  fa- 
mille, cinq  enfants,  dont  deux  jeunes  demoiselles  à  marier. 
Comminges  entre  et  montre  son  ordre;  il  faut  partir, 
Broussel  doit  le  suivre  tel  qu'il  est,  en  pantoufles.  L'aînée 
des  demoiselles  prie  en  vain.  Comminges  n'entend  rien  et 
l'enlève. 

Il  était  fort  aimé  ;  ses  domestiques  poussèrent  des  cris 
affreux.  Il  n'en  avait  que  deux  :  une  vieille  servante,  qui, 
par  la  croisée  sur  la  Seine,  appela  les  mariniers,  et  un 
petit  clerc,  qui  se  mit  à  courir  après  la  voiture  de  Com- 
minges, criant  :  «  Aux  armes  !  aux  armes  I  on  enlève 
M.  Broussel  !  »  Kue  des  Marmousets^  un  banc  de  notaire 
fut  jeté  par  la  fenêtre,  et  ailleurs  autre  chose,  si  bien 
qu'au  quai  des  Orfèvres  le  carrosse  tomba  en  pièces. 
Comminges  prit  celui  d'une  dame  qui  passait.  Le  maré- 
chal de  la  Meilleraye,  soldat  brutal  à  qui  ce  gouvernement 
d'Arlequin  venait  de  donner  les  finances,  craignant  les 
pierres,  fit  tirer  aux  fenêtres.  Une  femme  et  deux  hommes 
furent  tués.  Alors  ce  fut  une  grélc.  La  Meilleraye  ne  s'en 
tira  qu'en  tuant  encore  un  crocheteur  d'un  coup  de  pis- 
tolet. 

A  point  se  trouvait  là  le  coadjuteur  de  Tarchevêque, 
Gondi  (ou  Retz),  qui  confessa  le  crocheteur  agonisant 
dans  le  ruisseau.  Le  peuple  fut  touché,  et  pria  le  prélat 
d'aller  au  Louvre  et  de  demander  Broussel. 

C'est  justement  ce  qu'il  voulait.  11  s*était  mis  là  tout 
exprès,  dans  ses  habits  pontificaux,   devant  la  statue 


LES  BARRICADES.  2^ 

d'Henri  iV,  pour  bénir  et  prêcher  la  foule.  Les  Gondî, 
créés  par  Catherine  et  conseillers  principaux  de  la  Saint- 
Barthélémy,  durent  à  ce  grand  exploit  d'être  &  peu  près 
héréditaires  dans  l'archevêché  de  Paris.  Mais  ce  dernier 
Gondi  eût  voulu  davantage,  être  en  même  temps  gouver- 
neur de  Paris,  unir  les  deux  puissances.  Il  travaillai!  la 
ville  par  les  curés,  qui,  dans  cette  grande  misère,  maîtres 
absolus  de  l'aumône,  distributeurs  de  pains,  de  soupes,etc., 
traînaient  après  eux  des  masses  affamées.  Avec  un  arche- 
vêque gouverneur  de  Paris,  ils  croyaient  y  régner,  comme 
au  temps  de  la  Ligue.  Cela  les  rendait  aveugles  et  sourds 
quant  aux  mœurs  du  petit  prélat.  Fanfaron,  duelliste, 
plus  que  galant,  basset  à  jambes  torses,  laid,  noiraud;  un 
nez  retroussé.  Mais  les  yeux  faisaient  tout  passer,  étin- 
celants  d'esprit,  d'audace  et  de  libertinage.  Peu  furent 
cruelles  à  ce  fripon  ;  il  supprimait  les  préalables  et  sauvait 
Tennui  des  préfaces. 

Il  croyait  qu'au  Palais-Royal  on  solliciterait  son  secours. 
Mais  la  reine  se  moqua  de  lui.  Il  eut  le  chagrin  et  la  rage 
de  prêcher  la  paix  en  s*en  allant,  quand  il  voulait  la  guerre. 
Il  calma  un  moment  le  peuple,  mais  pour  mieux  l'exciter 
la  nuit. 

La  cour  avait  fait  dire  que  les  bourgeois  s'armassent. 
Ils  arment  le  27,  contre  la  cour.  Malheur  à  ceux  qui  ne 
l'eussent  fait  1  Le  peuple  était  levé,  et  il  fit  un  ouvrage 
énorme,  douze  cents  barricades  en  douze  heures.  Il  n'avait 
guère  besoin  de  Retz.  Ce  fut  toutefois  une  de  ses  mat- 
tresses,  la  sœur  d'un  président,  femme  d'un  capitaine 
bourgeois,  qui,  ayant  chez  elle  le  tambour  du  quartier,  le 
fit  battre  et  donna  l'exemple.  Un  des  amis  de  Retz,  capi- 
taine aussi  de  quartier,  le  maître  des  comptes  Miron, 
battit  le  tambour  de  son  côté.  La  journée  fut  lancée. 

Le  parlement,  la  veille,  avait  décrété  contre  Comminges. 
Le  27,  à  six  heures,  la  cour,  audacieuse  et  timide,  prenant 
l'heure  matinale  et  croyant  que  Paris  n'est  pas  levé  en- 


224  LE  PREMIER  AGE  DE  LA  FRONDE. 

core,  envoie  le  chancelier  casser  Tarrét.  La  foule  est  déjà 
là.  On  le  poursuit,  on  le  pousse.  II  se  cache.  11  était  mort 
s'il  ne  se  fût  jeté  dans  un  hôtel  ;  le  chef  de  la  justice  fut 
trop  heureux  d'entrer  dans  une  armoire. 

La  Meilleraye  le  dégage.  Poussé  lui-même,  en  grand 
péril,  le  maladroit,  d'un  coup  de  pistolet,  tua  une  femme 
qui  portait"  une  hotte.  Le  peuple  s'empara,  au  quai  de  la 
Ferraille,  de  tout  ce  qui  tomba  sous  sa  main. 

Cependant  le  parlement  en  corps  va  au  Palais-Royal 
redemander  ses  membres  à  la  reine.  Elle  venait  de  diner. 
Rouge,  emportée^  elle  dit  avec  un  geste  de  furie  :  «  Je  les 
rendrai,  mais  morts.  >  Et  elle  passe  dans  sa  chambre 
grise,  claquant  la  porte  au  nez  du  parlement. 

Us  reçurent  cela  tête  basse.  Mais  il  fallait  retourner. 
Pour  faire  ouvrir  la  première  barricade,  ils  mentirent, 
dirent  que  la  reine  donnait  espoir,  et  ils  mentirent  aussi 
à  la  seconde.  A  la  troisième,  un  garçon  rôtisseur,  mettant 
sa  broche  au  ventre  du  président  Mole,  lui  dit  :  «  Re- 
tourne, traître  !  Tu  seras  massacré  si  tu  ne  nous  ramènes 
Broussel  ou  Mazarin  !  » 

Vingt  ou  trente  conseillers  s'enfuirent  par  les  ruelles. 
Le  reste  retourna.  Mais  cette  femme  insensée,  pleine  de 
viande  (et  peut-être  de  vin),  parlait  de  faire  accrocher  aux 
fenêtres  cinq  ou  six  des  parlementaires  qui  venaient  la 
sauver.  Les  princesses,  qui  se  mouraient  de  peiir,  se  mi- 
rent à  genoux  devant  elle,  et  Monsieur  même.  Mazarin 
tremblait  et  priait.  Ce  qui  la  décida,  ce  fut  la  reine  d'An- 
gleterre, qui  avait  déjà  vu  de  pareilles  fêtes  à  Londres,  et 
dit  que  Mazarin  touchait  au  destin  de  Strafford. 

11  se  le  tint  pour  dit,  fit  sceller  une  lettre  de  cachet  pour 
délivrer  Broussel.  Et,  pendant  que  le  peuple  était  tout  oc- 
cupé de  cette  lettre  et  de  sa  victoire,  notre  homme,  dé- 
guisé sous  la  perruque  et  l'habit  gris,  avec  des  bottes  de 
campagne,  alla  respirer  hors  Paris. 

Le  28,  à  dix  heures,  ramené  dans  le  carrosse  du  roi. 


LES  BARRICADES.  SâS 

Broussel  fit  son  entrée.  Les  barricades  tombaient  devant 
lui,  et  le  peuple  attendri  baisait  ses  mains  et  ses  habits.  Le 
bon  vieillard  pleurait  à  chaudes  larmes.  Il  reprit  place  au 
parlement,  en  grande  modestie,  et  proposa  qu'on  décrétât 
la  suppression  des  barricades. 

Funeste  excès  de  confiance.  Le  peuple,  tout  en  obéis- 
sant, sentait  trop  que  rien  n'était  fait.  Mazarii)  ôta  dix 
millions  de  tailles.  Mais  l'armée  revenait.  Quand  il  l'au- 
rait en  main,  que  ferait-il?  Au  moment  même,  le  peuple 
prît  une  masse  de  poudre  qu'on  tirait  de  la  Bastille.  La 
cour  arme  pendant  qu'il  désarme,  et  déjà  prépare  au  jour 
de  la  paix  le  moyen  de  le  massacrer. 

Les  scrupules  des  parlementaires  faisaient  obstacle  à 
tout.  Blancmesnil,  mandé  par  Retz  à  un  conciliabule  de 
résistance,  vint,  mais  dit  :  «  Les  ordonnances  veulent  qu'un 
magistrat  n'opine  que  sur  les  fleurs  de  lis,  en  public,  et 
sans  consulter,  y^ 

Mazarin  avait  tout  rejeté  sur  Chavigny.  Il  le  fit  arrêter 
(13  septembre).  Cela  étonna,  effraya  Jes  amis  qu'il  avait  au 
parlement,  et  le  président  Viole,  renvoyant  terreur  pour 
terreur,  demanda  qu'on  renouvelât  l'ordonnance  contre 
CoDcini  pour  défendre  aux  étrangers  de  se  mêler  du  gou- 
vernement. 

Le  parlement  sortit  comme  d'un  songe.  Il  saisit,  il  corn- 
prit  enfin  ce  que  la  foule  disait  depuis  un  mois  :  «  Il  faut 
aller  au  Mazarin.  » 

Le  peuple  des  barricades,  le  28  août,  avait  manqué  d'un 
chef.  Mole,  Retz,  l'avaient  amusé.  Cette  révolution,  aveugle 
et  sans  yeux,  n'ayant  de  chef  sincère  qu'un  pauvre  octo- 
génaire, détournée  de  son  but  par  l'intrigue  des  curés, 
ayant  pour  centre  un  avorton  de  prêtre,  ne  pouvait  qu'être 
une  triste  contre-épreuve  d'un  triste  original,  la  tragi- 
comédie  de  la  Ligue.  L'ascendant  des  donneurs  d'au- 
mônes la  baptisait  assez  de  son  vrai  nom,  une  insurrec- 
tion de  misèire  et  la  révolution  du  ventre. 

xiz.  15 


* 

» 


\  286  LB  PRBMISR  kGE   DB  Lk   FRONDB. 

Cependant  le  jour  même  un  élément  nouveau  surgit.  Le 
parlement,  apportant  à  la  reine  ses  remontrances,  trouve 
près  d'elle  Tinsolence,  la  violence,  la  brutalité  militaire. 
Ce  jour,  22  septembre^  Condé  était  revenu.  Il  menace  le 
parlement.  H  suivait  son  instinct»  la  haine  de  la  loi.  Car 
lui-même  ne  savait  pa&. encore  ce  qu'il  ferait.  D'une  part,  il 
avait  besoin  deMazarin  pour  dépouilla  son  frère  Conti,  en 
hériter,  le  jeter  dans  l'église  et  lui<lonner  le  chapeau.  L'ava- 
rice le  mettait  du  côté  de  la  cour.  Mws  l'ambition  lui  faisait 
écouter  les  paroles  de  Retz,  qui  le  tirait  auparJementt.etle 
mena  la  nuit  chez  Brousse!.  Enfin  le  prince-  à  double  face 
comprit  que,  pour  forcer  le  pariement  à  accepter  un  chef 
militaire^  pour  s'emparer  de  la  révolution,,  vieiige  encore 
et'  trop  scrupuleuse,  il  fallait  d'abord  être  du  parti  delà 
reine,  assiéger  et  forcer  Paris. 

C'est  le  vrai  sens  de  la  conduite  de  Coudée  Maziu*in  eût 
voulu  éviter  la  violence.  Il  traita  à  Munster,  24  octobre,  et, 
le  même. jour,  il  fit«aceepterles  articles  du. parlement. 
Mai&le premier  était  la  diminution  de  rimpât»  ladéfenjie 
de  le  vendre  d'avance  aux  partisans. 

Article  violé  aussitôt  qu'accq>té«  Dono^  point  de  paix. 
L'armée  enveloppe  Paris,  insultant,  ravageant  comme  en 
pays  ennemi.  La  reine,  à  trois  heures  du  matin,  le  6  jan«v 
vier  4649,  emmène  le  roi  hors  de  sa  capitale*  SUe  est 
libre,  elle  est  gaie  et  toute  à  sa  vengeance.  Oitire  au  par- 
lement d'aller  siéger  à  Montargis. 

Le  parlement,  toujours  inconséquent^  n'ouvre  point  la 
lettre  royale,  et  il  envoie  au  roi.  Il  protestede  sa  soumis^ 
sion,  et  il  arrête  qu'on  se  munira  d'armes,  et^  de  subsis- 
tances. 11  en  obarge  l'Hôtel  de  Ville,  dévoué  àlaoouTi  prêt, 
à  ttehir  Pari»; 

Comment  résister  à  Condé?  La  première  idée  de  ReU 
fut  d'appeler  contre  lui  les  Espagnols;  la  seconde  fut  de  lui 
opposer  sa  sœur  même,  madame  de  Longueville,  qui  te- 
nait sous  la  main,  gouvernait  Contij  son  j^me^  fràre,  for*- 


J 


LES  BARRICADES,  227 

temeirtéprisd'elle.—  Idée  sotte. La  sœur  et  Conti n'avaient 
de-  crédit;  d'Importantîe;  que  comme  un  reflet  de  Condé. 
N'importe;  Le  généralissime  sera  le  bossu  Conti,  oa 
biefi)  plut6t  ak  sœur,  al^rs  enceinte,  qui  campe  et  accouche 
à  rHôtel  de  Ville. 

Cet  hôtel,  fort' petit  alors,  entasse  et  réunit  je  ne  sais 
combien  de  puiissaiices  contraires,  —  d'abord  la  trahison, 
le  prévôt  des  marchands  ;  ->  madame  de  Longueville,  le 
roman  et  le  bel  esprit;  •»  madame  de  Bouillon,  ou  l'in- 
trigue espagnole;  —  enfin  le  pauvre  vieux  B^oussel  et 
quelque»'  conseillers  chargés  de  surveiller.  Ce  sera  bien 
merveille*  si  ces  influences-  opposées  ne  s'annulent  Tune 
par  l'antre.  Nojis  sommes  sûrs  d'avoir  une  révolution  par- 
leuse et  sans  action. 

La  fuite  du  roi  avait  effrayé  le  paribment,  mais  point  le 
peuple.  Il  n'eut  que  de  la  fureur,  nul  abattement.  Donc, 
on  pouvait-  tourner  bien  autrement  lès  choses,  briser 
l'Hôtel  de- Ville  d'abord,  y  mettre  une  autorité  sûre,  au 
lieu  de  le  remplir  de  femmes,  et;  tout  en  armant  Paris, 
acheter  l'armée  allemande  que  commandait  Turenne.  Pa- 
ris l'eût  eue  pour  un  million  (et  qu'est-ce  qu'un  million 
pour  Paris?).  Il  n'en  coûta  pas  la  moitié  à  Condé  et  à  Ma - 
zarin  pour  la  débaucher. 

Lé  parlement,  en  tout  cela,  agit  faiblement,  gauche- 
ment. Le  blâme  en  est  surtout  au  vrai  chef  de  Paris,  à  son 
petit  prélat,  son  tribun  tonsuré,  qui,  sous  sa  calotte,  cou- 
vrait plus  d'esprit  que  de  sens,  plus  de  saillies  que  de 
cervelle. 

Leur  langage  à  tous  est  curieux  dès  qu'on  parle  du 
peuple;  Condé  dit  :  «  Si  je  ne  m'appelais  Louis  de  Bour- 
bon... Mais  je  suis  prince  du  sang,  et  je  dois  ménagerie 
trône.  »Bet2  dit  :  a  Si  je  n'étais  le  chef  du  clergé  de  pa- 
ris... »'Ila  peur  évidemment  d'aller  trop  loin  et  de  faire  tort 
à  l'hérédité  épiscopale  de  la  dynastie  des  Gondi,  surtout  de 
manquer  le  chapeau. 


228         LE  PREMIBR  ÂGE  DE  LA  FRONDE. 

Le  siège  de  Paris  dura  trois  mois  (janvier,  février,  mars). 
Peu  de  combats,  beaucoup  d'intrigues.  Le  peuple,  au  dé- 
but, avait  reçu,  adopté  avec  enthousiasme  le  beau  et  blond 
Beaufort,  échappé  de  prison,  brave  et  sot,  étourdi,  ba- 
vard, ne  sachant  couvrir  sa  nullité  de  discrétion  et  de  si- 
lence. Ses  non-sens  et  son  ineptie  ne  déplurent  pas  au 
peuple.  La  candeur  apparente  lui  fait  pardonner  tout. 

Paris  était  trahi  dans  les  deux  sens,  pour  la  cour,  pour 
l'Espagne.  Le  prévôt  des  marchands  et  autres'étaient  pour 
Mazarin.  Madame  de  Bouillon,  souveraine  absolue  de  l'es- 
prit de  son  mari,  ne  voulait  rien  que  recouvrer  Sedan,  et 
cpoyait  l'obtenir  en  faisant  peur  des  Espagnols.  Elle  obtint 
de  Bruxelles,  non  un  ambassadeur,  mais  un  moine  qu'elle 
habilla  en  cavalier  et  fit  recevoir  du  parlement  (49  fé- 
vrier 1649).  Cet  envoyé  assura  hardiment  que  le.roi  d'Es- 
pagne avait  tant  de  respect  pour  le  parlement  de  Paris, 
qu'il  le  voulait  arbitre  de  la  paix  générale,  juge  entre  les 
couronnes.  Le  parlement  ne  mordit  pas  à  cet  excès  de  flat- 
terie. Il  était  inquiet.  Huit  jours  auparavant,  la  cour  avait 
déclaré  qu'on  se  passerait  de  lui,  que  les  tribunaux  infé- 
rieurs jugeraient  sans  appel,  et  que  l'on  convoquerait  Us 
Étals  généraux.  Cet  épouvantai!  des  États,  la  menace  de  la 
suppression  des  charges  qui  faisaient  leur  fortune,  décou- 
rageaient fort  les  parlementaires. 

Le  héros,  d'autre  part,  Condé^  qui  n'avait  pas  fait  grand 
exploit,  inclinait  lui-même  à  la  paix.  Le  5  mars,  on  ouvre 
des  conférences.  Et,  brusquement,  le  41,  le  président 
Mole  déclare  au  parlement  qu'il  a  signé  le  traité. 

II  avait  signé  sans  pouvoir.  Avec  un  autre  maître  plus 
sérieux  que  le  parlement,  il  l'aurait  payé  de  sa  tête.  Il 
était  évident  qu'en  précipitant  les  choses  on  livrait  tout. 
Mazarin,  qui  tenait  le  roi,  n'avait  qu'à  donner  des  paroles  ; 
nulle  garantie  ;  la  Fronde  étant  dissoute,  il  allait  se  moquer 
de  la  crédulité  des  négociateurs. 
Il  eût  fallu  attendre  encore.  Les  provinces  plus  lentes  se 


LIS  BÀRRICADBS.  239 

décidaient,  suivaient  Paris.  Les  parlements  accédaient  un 
à  un.  M.  de  la  Trémouille  promettait  d'envoyer  du  Poitou 
dix  mille  hommes,  et  Longueville  autant  de  la  Normandie. 
On  eût  pu,  par  cette  terreur,  obtenir  quelques  garanties. 
Ce  traité  finit  tout.  L*armée  de  Turenne,  voyant  mollir 
Paris,  traita  avec  la  cour  et  s'arrangea  pour  quelque  argent 
avec  Mazarin  et  Condé. 

La  France  put  savoir  alors  ce  qu'il  en  coûte  d'avoir  fait 
un  héros,  un  prince  à  la  Corneille,  vivant  dans  le  sublime, 
ne  parlant  aux  mortels  que  du  haut  des  trophées.  Sa  sœur^ 
madame  de  Longueville,  de  même  était  passée  à  l'état  de 
déesse.  L'un  et  l'autre,  dans  l'Empyrée,  ne  distinguaient 
plus  les  humains  de  si  haut  qu'avec  un  sourire  de  mépris. 
Les  grands  attendaient  à  leur  porte,  et  des  heures.  Quand 
on  était  reçu,  c'était  avec  des  bâillements. 

En  réalité,  que  voulait  Condé?  Se  faire  le  chef  de  la 
noblesse  contre  la  cour?  Les  nobles  trouvaient  dur  d'être 
traités  ainsi.  Commencer  une  nouvelle  Fronde?  Il  eût  fallu 
ménager  les  parlements  ;  il  menaça  les  députés  de  celui 
d' Aix  de  les  faire  périr  sous  le  bâton .  Visait-il  à  une  prin- 
cipauté indépendante,  comme  plus  tard  il  la  voulut  des 
Espagnols?  ou  bien  songeait-il  à  enlever  à  Monsieur  la 
lieuCenance  générale?  Il  est  difScile  de  deviner  ce  qui  pas- 
sait dans  cette  télé  bizarre.  H  ne  tenait  à  rien.  On  vit  plus 
tard  qu'il  eût  très- volontiers  changé  de  religion,  s*offrant 
alors  d'une  part  à  Cromwell  pour  se  faire  protestant  et 
avoir  une  armée  anglaise,  de  l'autre  au  pape  pour  qu'il 
l'aidât  à  se  faire  élire  roi  de  Pologne. 

Les  Condés  en  4609  avaient  dix  mille  livres  de  rente,  et 
en  4649,  outre  les  terres  de  Montmorency,  ils  tenaient  une 
partie  énorme  de  la  France  :  l""  par  le  grand  Condé,  ils 
avaient  la  Bourgogne,  le  Berri,  les  marches  de  Lorraine, 
une  place  dominante  en  Bourbonnais  qui  surveillait  quatre 
provinces  ;  â^"  par  Conti,  la  Champagne;  3«  par  Longue- 
ville,  mari  de  leur  sœur,  la  Normandie  ;  i""  enfin  l'ami- 


I 


S30  LB  PREMIER  ÂQM  1»  Lk  FRONDE. 

rauté,  et  Saumur,  place  dominante  d'Anjou,  étaient  au 
frère  de  la  femme  de  Condé;  ils  vaquèrent  par  aaimwt  et 
furent  revendiqués  j)ar  eux  comme  un  bécitage  -de  fa- 
mille. 

Plus  tacd,  ils  négocièrent  pour  la  Guienne  et  la  Pf  ovenoe. 

Cette  furieuse  faim  des  Condés,  qu'on  ne  savait  jconunfiot 
apaiser,  servît  d'excuse  à  Mazarin  pour  se  créer  auaaî  quel- 
que établissement,  La  reine  comprit  bien  qu'un  eonire- 
poids  devenait  nécessaire,  qu*à  la  dynastie  des  Condés  il 
fallait  qpposer  la  dynastie  des  Mazarins.  Jusque-là  c'était 
un  bomme  seul,  sans  famille^  sans  racine  en  f  rance.  On 
matin,  il  fait  arriver  sept  nièces  à  la  fois.  La  première  seca 
pourltfercœur,  l'un  des  Yendômes;  la  seconde,  pour  Je 
fils  du  duc  d'Ëpemon.  Ce  pauvre  bomme  pour  doter  J'uoe 
trouve  six  cent  mille  livres.  Pour  l'autre,  il  s'attire  aor. les 
bras  la  baine  de  tout  le  Midi  que  foulait  d'Ëpernon,  il 
hasarde  la  guerre  civile. 

Condé  lui  fit  beau  jeu,  allant  de  sottise  en  sottise.  Pour 
une  question  de  tabourets,  il  ble^e  toute  la  noblesse. 
Pour  faire  donner  une  place  àLongueville,  il  met  lajnaîn 
sur  Mazarin,  lui  tire  la  barbe  et  lui  dit  :  «.Adieu,  Mars,  » 
'Enfin  il  se  fait  fort  de  donner  un  amant  à  la. reine.  J'oblige 
par  menace  de  recevoir  uniat,  Jaraay,  qui  lui  fait  sa  décla- 
ration. Brouillé  avec  la  cour,  le  sage  prince  se  brouille 
encore  avec  la  fronde.  Muzarin  lui  fait  croire  gue  les  fron- 
deurs veulent  l'assassiner.  Condé  accuse  Retz  et  Beaufort, 
sur  ce  prétexte  absurde,  au  moment  oii  ils  .aucaiant  pa 
l'appuyer  contre  Mazarin  (décembre  4649). 

On  croit  écrire  l'histoire  de  Charentoa,  maia  moins /elle 
encore  que  honteuse.  Le  prooèsde  Condé  tombe .a««Bilifia 
d'un  soulèvement  des  rentiers,  contre  lesquels  Je  parle- 
ment autorise  une  suspension  de  payement,  ftoeipseoès 
révèle  une  création  nouvelle  de  Mazariu,  qui  d^uis  a 
fleuri,  celle  des  agents. provocateurs  et  des  témoins  «gagés* 

Condé  ^vâit  «tenu,  dans  L'affaire  de  Jarsay,  laconduite 


k 


LES  BARRICADES.  23i 

d'un  fou  furieux.  11  dit  :  «  Je  le  ramènerai,  le  tenant  par 
le  poing;  je  forcerai  la  reine  à  le  recevoir.  »  Cet  excès 
d'insolence  la  décida.  Elle  écrivit  à  Retz  de  venir  la  trou- 
ver la  nuit.  Elle  lui  offrit  le  cardinalat,  s'appuya  de  cette 
Fronde,  tant  détestée^  contre  le  tyran  commun.  On  résolut 
d'arrêter  les  trois  princes,  Condé^  Conti  et  Longueville. 
On  y  fit  consentir  Monsieur. 

Hais  Mazarin  n'eût  pas  trouvé  la  pièce  bonne  s'il  n'y 
eût  mêlé  une  farce.  11  tira  de  Condé,  sous  un  prétexte,  sa 
signature  pour  une  arrestation,  s'amusa  à  lui  faire  ordon- 
ner sa  captivité. 

Ce  grand  acte  se  fit  fort  aisément  et  sans  cérémonie.  Les 
princes  vinrent  d'eux-mêmes  se  mettre  dans  la  souri- 
cière. Arrêtés  par  Guitaut  et  Comminges,  ils  furent  menés 
la  nuit  pîir  une  petite  escorté  de  Vingt  'hommes  à  Vin- 
cennes  (48  janvier  1650). 

La  sœur  de  Condé,  la  'fière  madame  de  Longueville, 
naguère  si  populaire,  fiit  trop  heureuse  de  se  sauver.  Mais, 
avant  de  partir,  elle  eut  le  temps  de  voir  l'allégresse 
*ptlblique,  les  tt&nsports  du  peuple  et  les  feux  de  joie. 


CHAPITRE  XXII 


Second  âge  de  la  Fronde.  —  La  cour,  appuyée  par  la  Fronde, 

chasse  Gondë.  —  1650-1651. 


Le  héros  sorti  de  la  scène,  elle  appartient  aux  héroïnes. 
Nous  allons  voir  les  femmes,  à  peu  près  seules,  mener  la 
guerre  civile,  gouverner,  intriguer,  combattre.  Grande 
expérience  pour  l'humanité.  Belle  occasion  d'observer  cette 
translation  galante  de  tout  pouvoir  d'un  sexe  à  l'autre. 
Les  hommes  traînent  derrière,  menés,  dirigés,  en  seconde 
ou  troisième  ligne.  A  la  tôte  de  chaque  parti,  je  vois  ces 
nobles  amazones,  les  Clorindes  et  les  Herminies. 

S'il  n'y  a  pas  beaucoup  de  suite,  si  tout  remue,  varie,  ne 
vous  étonnez  pas.  Elles  sont  filles  d'Éole  et  tournent  volon- 
tiers au  vent  de  la  passion.  Ne  les  blâmons. pas  trop.  Le 
vrai  tort  est  à  la  nature.  Ces  brillantes  guerrières  n'en 
sont  pas  moins  soumises  aux  révolutions  de  Phébé.  La 
femme  la  plus  héroïque  est  pourtant  sous  le  poids  d'une 
fatalité  naturelle;  délicate  de  corps^  d'imagination  vive, 
faible  souvent,  et  parfois  lunatique. 

La  première  héroïne,  comme  toujours,  est  madame  de 
Cbevreuse,  mère  complaisante,  qui,  fournissant  sa  fille  au 
jeune  prélat  de  Paris,  plus  que  personne  mène  la  Fronde. 
A  elle  l'honneur  principal  de  cet  acte  hardi,  l'arrestation 
du  grand  Condé. 


5 


SECOND  AGE  DB  Lk  FRONDE.  S33 

Hais  la  plupart  des  femmes  sont  du  parti  de  celui-ci. 
Son  malheur,  un  roman  tout  fait,  remue  les  cœurs  géné- 
reux et  sensibles.  La  gloire  sous  les  verrous  !  Le  héros  pris 
en  trahison  et  prisonnier  de  qui?  De  l'abbate  Mazarini. 
Toute  la  dépouille  des  Condés  distribuée  aux  sbires  du 
favori,  la  Normandie  à  Harcourt,  la  Champagne  à  L'Hos- 
pital,  etc.  Une  alliance  monstrueuse  entre  le  roi  et  le  peu- 
ple. La  reine  maintient  la  Bastille  dans  les  mains  du  fils  de 
Broussel;  elle  donne  aux  magistrats  les  hauts  emplois^  et, 
ce  qui  est  plus  fort,  aux  rentiers  même  la  surveillance  des 
rentes I  Renversement  de  toutes  choses!  La  noblesse  de 
France  ne  va-t-elle  pas  se  soulever? 

Mais  rien  ne  bouge.  Ni  les  clientèles  militaires  de  Condé, 
ni  ses  nombreuses  seigneuries,  ni  ses  places,  ses  gouver- 
nements, ne  prennent  parti.  Bien  loin  de  là,  madame  de 
Longueville,  qui  croit  remuer  la  Normandie,  y  est  repous- 
sée partout.  Elle  fuit  aux  Pays-Bas,  tourne  à  Test  ;  elle 
englue  Turenne,  mais  ni  lui  ni  elle  ne  peuvent  rien  qu'en 
s'adressant  aux  Espagnols,  pour  qui  madame  de  Bouillon 
travaille  de  son  mieux  à  Paris. 

Pendant  que  la  belle  amazone  perd  son  temps,  che- 
vauche et  parade,  un  secours  plus  direct  et  bien  plus 
énergique  fut  donné  à  Condé  du  côté  oii  il  eût  espéré  le 
moins,  de  sa  maison  de  Chantilly.  Il  y  avait  laissé  sa 
vieille  mère  et  sa  jeune  femme,  son  fils  âgé  de  sept  ans. 
Mazarin  hésitait  à  faire  arrêter  ces  deux  femmes,  crai- 
gnant Topinion.  La  mère  vint  se  cacher  à  Paris,  et,  un 
matin,  apparut  dans  le  parlement,  suppliante,  versant 
force  larmes,  descendant  aux  prières,  aux  flatteries  et 
jusqu'aux  bassesses. 

Mats  le  plus  étonnant  fut  le  courage  inattendu  de  la 
femme  de  Condé,  cette  jeune  nièce  de  Richelieu,  tant  mé- 
prisée, avec  qui  il  coucha  par  ordre,  et  dont  l'enfant  fut 
fils  des  volontés  absolues  du  ministre.  Elle  s'était  confiée 
à  un  homme  de  capacité,  l'auteur  des  beaux  Mémoires, 


S3i  S8G0ND  AGE  BB  UL  PRONiMS. 

Lenet.  Il  la  sauva  de  Chantilly  avec  son  fils,  la  mena 
d'abord  à  Montrond,  forte  place  des  Condés,  puis,  crat- 
^ant  d'y  être  assiégé,  droit  à  Bordeaux.  Le  parlement  de 
Guienne  était  brouillé  à  mort  avec  le  Mazarin,  qui  soute- 
nait le  gouverneur,  cet  Épernon  à  qui  il  s'obstinait  d^ailier 
sa  famille.  Grande  fut  l'émotion  de  la  ville  et  du  parle- 
ment de  voir  cette  dame  de  vingt-deuK  ans,  sous  les  ha- 
bits de  deuil,  cet  enfant  innocent,  qui,  porté  dans  les 
bras,  les  prenait  par  la  barbe  de  ses  petites  mains,  leur 
demandant  secours  pour  la  liberté  de  son  père.  Le  cor- 
tège de  la  princesse  n'y  gâtait  rien,  formé  de  grandes 
dames,  jeunes  pour  la  plupart  et  charmantes. 

L'explosion  fut  vive,  comme  -toujours,  dans  les  foules 
du  Midi.  Mais  le  récit  même  de  Lenet  laisse  voir  parfaite- 
ment le  peu  de  fond  qu'avait  ce  semblant  de  révolution 
populaire.  'Le  peuple  misérable  espérait  avoir  |>ar  les 
princes  des  débouchés  à  l'étranger  qui  (erêieot  mieux 
vendre  les  vins  et  l'aideraient  à  vivre.  Il  domina Ae  ^rle- 
ment,  eniporta  tout  par  la  terreur.  Bouillon  et  la  Roche- 
foucauld, les  conseillers  de  la  princesse,  étaient  d^vis  de 
laisser  mettre  en  pièces  un  envoyé  du  roi.  Lenet  <»aignit 
que  cet  acte,  un  peu  vif,  ne  la  rendit  moins  populaire. 
Deux  ou  trois  fois  le  peuple  faillit  égorger  le  parlement, 
dont  la  minorité  -fut  «tenue  sous  le  couteau.  L'Espagne 
promettait  de  l'argent,  et  l'on  avait  la  simplicité  de  la 
croire.  Elle  donnaà  peine  une  petite  aumône.  Cepen^ttit 
Mazarin,  ayant  paisiblement^occupé  et  la  Normandîe*et  la 
Bourgogne,  les  gouvernements  des  Condés,  s'iMshemiiiait 
vers  la  Guienne  avec  l'armée  royale.  Les  Bordelais  se 
montrèrent  intrépides,  un  peu  troublés  pourtant  de  ¥oir 
que  les  soldats  «allaient  vendanger  à  leur  >place.  Tout  se 
mit  à  la  paix.  La  jtrincesse  ne  se  mainteimt  filus  que  ^par 
fappui  des  va^nu-pieds,  qu'elle  «fiiisait  boire  et  danser  la 
nuit,  et  qui  lui  hurlaient  ai*  oreilles  cent  choses  sates 
contre  le  Mazarin.;  il  les  «lui  faisaient  répéter^  à^elle^et^ 


Là  cour,  APPCTÉB  par  la  FRONDE)  CHASSE  CONDÉ.      285 

son  fils.  Cet  avilissement  où  elle  tombait  lui  fit  désîfer  la 
jpaix  à  elle-même,  accepter  la  permission  de  sortir  de  la 
ville  qu'on  lui  donnait,  avec  de  vagues  promesses  Ae  la 
liberté  de  Condé  (3  octobre  1650). 

Bien  loin  de  les  tenir,  Mazarin,  au  contraire,  éloigna  ses 
prisonniers  de  Paris,  les  .transporta  au  Havre.  La  fortune 
semblait  travailler  pour  cet  homme.  Dans  cette  année  où 
il  avait  tout  oublié,  tout  négligé  pour  l'affaire  de  Bor- 
deaux, presque  perdu  la  Catalogne,  compromis  la  Cham- 
pagne même,  délaissée  sans  défense,  il  fut  sauvé  de  Vin- 
vasion  par  un  événement  fortuit,  Febstination  héroïque 
d'un  certain  Marois,  qui  arrêta  quarante  jours  les  Eapa*- 
gnols  devant  Mouzon,  une  mauvaise  place,  à  peine  for- 
tifiée. Ils  rentrèrent  en  quartier  d'hiyer.  Mazarin  eut  beau 
jeu  pour  guerroyer  seul  à  coup  sûr.  Maître  de  tout,  rien 
ne  l'arrête.  Il  ramasse  en  décembre  tout  ce  qu'il  a  de  force 
au  Nord,  avec  son  armée  de  Guienne.  Son  homme,  Du 
Plessîs,  entraînant  sous  ses  yeux  cette  grosse  avalanche, 
fond  sur  Rethel,  la  prend  avant  que  les  Espagnols  eussent 
remué.  Turenne,  qui  était  avec  eux,  ne  venait  pas  à  bout 
de  leur  lenteur.  Ils  viennent  tard  et  mal.  Mazarin  veul, 
exige  que  Du  Piessis  attaque;  iMui  faut,  à  tout  prix,  rap- 
porter à  Paris  une  belle  bataille  contrôles  amis  de  Condé. 
Dérision  de  la  fortune  :  c'est  Turenne  qui  est  battu.  Maza- 
.  rin  a  défait  Turenne  (45  décembre  1650)  I 

Ingrat  de  sa  nature,  Mazarin  s'était  méconnu,  avait 
tourné  le  dos  aux  frondeurs  dès  qu'il  eut  mis  ses  prison- 
niers loin  de  Paris.  Son  succès  de  Bordeaux,  sa  viotoire<de 
Rethel,  lui  portèrent  à  la  tête.  Il  crut  décidément  qu'il 
n'avait  que  faire  d'eux.  Qui  cependant  avait  gardé  Paris 
pendant  sa  longue  absence,  qui,  sinon  les  chefs  de  la 
Fronde,  sinon  Retz,  la  Cbevreuse  ?  Ils  avaient  endormi  et 
trahi  la  révolution,  sur  l'espoir  du  cardinalat  promis  par 
Mazarin  à  l'iunant  de  mademoiselle  de  Ghevrensa. 

Une  chose  parut  cependant,  c'est  qu'à  ce  moment  même 


336  SECOND  AGE  DE  LA  FRONDE. 

OÙ  Mazarin  paraissait  le  plus  fort,  rapportait  dans  Paiis 
les  drapeaux  espagnols,  il  n'y  avait  de  force  réelle  que 
dans  la  Fronde,  trahie,  vendue,  tournant  au  vent  des  in- 
térêts de  ses  chefs. 

En  un  mois,  ce  vainqueur,  ce  héros  monté  sur  sa  vic- 
toire, a  perdu  pied  ;  il  glisse,  il  enfonce,  il  se  noie. 

Le  30  janvier  1651 ,  sur  quelques  mots  hardis  du  parle- 
ment, notre  homme,  se  croyant  très-fort,  compare  cette 
compagnie  au  parlement  de  Londres  ;  il  s'emporte  devant 
Monsieur,  parle  de  Cromweli  et  de  Fairfax.  La  reine,  vio- 
lente d'elle-même  et  violente  de  servilité  pour  son  heu- 
reux vainqueur,  folle  de  son  laurier  de  Rethel,  met  les 
ongles  au  nez  de  Monsieur,  qui  se  sauve  éperdu,  jure  qu'il 
ne  remettra  jamais  les  pieds  <e  chez  cette  furie.  > 

On  saisit  ce  moment.  Retz  et  les  amis  de  Condé  s'étaient 
réconciliés.  Contî  devait  payer  la  liberté  que  lui  rendrait 
la  Fronde  en  prenant  une  fille  salie,  la  jeune  Chevreuse, 
avec  qui  vivait  le  coadjuteur.  La  vieille  Fronde  deKetz  et 
des  Chevreuse  adopte  la  nouvelle  Fronde  des  amis  de 
Condé,  des  gens  d'épée,  des  nobles.  Ce  monstre  des  deux 
Frondes,  associant  deux  choses  hostiles  et  inassociables, 
naquit  dans  le  lit  de  mademoiselle  de  Chevreuse,  par  les 
soins  de  sa  mère,  qui  la  livrait  et  faisait  de  sa  honte  le  lien 
des  partis. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  monstre  hétérogène  n'en  éclata 
pas  moins  avec  une  invincible  forme.  Les  gens  d'épée,  en 
nombre,  s'assemblent.  Au  parlement,  sur  cette  injure  de 
Cromweli  et  Fairfax',  s*élève  l'aigre  cri  des  Enquêtes,  et 
bientôt  le  tonnerre  du  peuple.  Mazarin,  sans  savoir  com- 
ment, se  sent  levé  de  terre,  et  si  léger,  qu'il  ne  tient  plus 
à  rien.  Bref,  le  6  février,  il  perd  la  tête,  il  part  seul  du 
Palais-Royal;  seul,  lorsqu'il  pouvait  sans  obstacle  em- 
mener le  roi.  Les  portes  étaient  ouvertes,  nul  obstacle. 
Par  excès  de  prudence,  il  jugea  qu'une  femme,  un  enfant, 
retarderaient  sa  fuite,  en  rendraient  le  succès  douteux. 


LA  COUR,  APPDTÉB  PAR  LA  FRONDE,  CH4SSE  CONDÉ,   237 

Comme  on  admire  toujours  ce  qui  réussit,  plusieurs 
sont  parvenus  à  trouver  dans  cette  lâcheté  une  politique 
profonde.  Qui  ne  voyait  pourtant  que  les  portes,  ouvertes 
le  6,  pourraient  être  fermées  le  9,  le  jour  où  il  avait  remis 
la  fuite  de  la  reine  et  du  petit  roi? 

En  contant  cette  belle  histoire,  on  est  tenté  de  croire 
qu'il  n'y  a  plus  de  mâles  en  France,  plus  de  virilité  que 
sous  la  jupe.  Il  faut  une  femme  pour  dire  qu*on  doit  fer- 
mer les  portes  de  Paris;  c'est  la  jeune  Chevreuse.  Il  faut 
une  femme,  celle  de  Monsieur,  pour  signer  Tordre;  il 
n*ose  le  faire.  On  s'agite,  on  s'éveille,  on  s^arme  la  nuit 
du  9  ;  on  pénètre  au  Palais-Royal.  Mais  une  femme  suflBt 
pour  finir  tout  et  endormir  le  peuple.  La  reine,  avertie,  a 
le  temps  de  débotter  Tenfant  royal,  de  ]e  remettre  au  lit. 
Il  dort  ou  fait  semblant.  Les  innocents  bourgeois  admirent 
ce  bel  enfant,  leur  roi  (déjà  si  bon  acteur)  ;  ils  retiennent 
leur  souffle,  s'en  veulent  d'avoir  troublé  ce  sommeil  d'in* 
nocence,  et,  s'écoulant  sur  la  pointe  du  pied,  maudissent 
ceux  qui  les  ont  trompés  et  leur  font  passer  la  nuit  blanche 
(9  février  4654). 

Mazarin  courait  vers  le  Havre,  voulant  devancer  les  fron- 
deurs, et  lui-même  délivrer  les  princes.  A  quoi  bon? 
Ceux-ci  voyaient  bien  qu'il  agissait  contraint,  forcé.  Ils 
rentrent  dans  Paris,  et  ils  le  trouvent  charmé  de  les  re- 
voir. Condé  sortait  refait  et  rajeuni  par  son  malheur,  em- 
belli du  roman  de  sa  vaillante  petite  femme.  Les  plus 
hardis  des  siens  lui  parlaient  d'enfermer  la  reine  et  de  se 
faire  régent,  roi.  Mais  Mazarin  en  fuite  avait,  comme  les 
Parthes,  décoché  derrière  lui  un  trait  aigu  qui  vint  passer 
à  travers  les  partis,  les  disjoindre,  les  affaiblir  tous. 

Deux  assemblées -existaient  à  Paris,  dont  on  pouvait 
tirer  parti  contre  le  parlement.  La  noblesse  était  réunie 
aux  Cordeliers^  et  le  clergé  aux  Augustins.  La  première 
assemblée  comptait  huit  cenls  messieurs  des  plus  gros 
bonnets  du  royaume,  princes,  ducs,  seigneurs.  Les  voilà 


238  aiGom>  agbde  là  fkoiidk^ 

qui  raisonnent^  qui  cherehent  aux  vieux  temps,  qui  se 
rappellent  les^haittS'  plaid&  féodaux  qui  goui^rnaient  jadis, 
qui  se  demandent  oomment  le  gou^mement  est  mainte^ 
nant  aux  mains^  sales  des  gens  de  chicane,  des  proGureurr 
crottés.  Ils  en  viennent  à  cet  axiome  :  «  Laloi  estau-des- 
susdu  roi,  au-dessus  de  la-  loi  les  Ëtats  généraux.  » 

Chose  admirablci  Le*  clergé  fait  éebo.  II*  adopte,  sans- 
sourciller,  le  principe  révolutionnaire.  Ëvideminent  la  fk* 
cilité  des  États  de  464i,  le  peu  de  peine  que  les  privilégiés 
avaient  eue  à  les^  éluder,  les  enhardirent^  cette  fois^  et  ils* 
n'hésitèrent  pas  à  prononcer  le  mot  qui,  dans  un  autre 
temps,  leur  eût  fait  dresser  les  dieveux; 

Mort,  bien  mort  était  donc  le  mettre  (nous  voulons  dire 
le  peuple,  nous  voulons  dire  la  France),  pour  que  les  va- 
lets orgueilleux,  les  dilapidateurs  de  cette  pauvre  maison 
ruinée,  risquassent  de  prononcer  le  nom  redouté  du  dé- 
funt et  de  danser  sur  son  tombeau  I 

L'effet  fut  excellent.  Le  faquin  l'avait  bien  prévu  de  la 
frontière,  quand  il  envoya  ce  mot  d'ordre.  Le  parlement 
informe  sur  les  injures  de  la  noblesse.  La  noblesse  veut 
jeter  le  parlement  à  l'eau  (mars  4654). 

La  reine  prisonnière  se  retrouve  si  bien  maîtresse, 
qu'elle  ne  daigne  consulter  Monsieur,  et  seule  change  le 
ministère  (3  avril).  Qui  pourra  y  trouver  à  dire?  Elle 
prend  justement  pour  ministres  les  ennemis  de  Mazarin, 
entre  autres  Chavigny,  un  ami  de  Condé.  Elle  lâche  aux 
Coudés  la  Guyenne,  tout  à  l'heure  la  Provence.  Elle  lâche* 
rait  le  royaume  pour  brouiller  Monsieur  et  Condé,  briser 
l'unité  des  deux  Frondes. 

Condé,  sorti  de  sa  prison  tel  qu'il  y  est  entré,  borné, 
brutal,  aveugle,  aide  à  cela,  bien  loin  d'y  mettre  obstacle. 
Il  oublie  que  la  vieille  Fronde  lui  a  seule  ouvert  la  prison. 
11  ne  veut  plus  que  son  frère  paye  la  rançon  convenue,  qui 
était  d'épouser  la  maîtresse  du  coadjuteur.  On  rompt 
brusquement  et  avec  outrage  avec  les  deux  Lorraines,  les 


LA  COUR,  iPPDYÉB  PAR  LA  rR(»«>B,  CBASSB  CONDÉ.   239 

Cbevreuse,  mare  et  fille.  Les  valets,  les  agents  populaires 
du  parti  Condé,  un  savetier.  Maillard,  à' la  vue  de  ces  deux 
infantes,  crient  dans  les  rues  ce  que  Paris  savait.  La  de- 
moiselle s'évanouit  presque.  Du  sang,  il  faut  du  sang,  et 
«  le  sang  de  Bourbon  n'est  pas  trop  pour  laver  l'affront 
fait  au  sang  de  Lorraine.  »  Il  eût  fallu  que  le  coadjutcur 
pût  faire  assassiner  Condé.  11  répugnait  au  guet-apens. 
Toute  la  réparation  qu'il  imagine,  c'est  de  remplir  le  par- 
lement, de  gens  armés  à  lui  et  de  coupe-jarrets,  qui,  au 
besoin,  pourraient  faire  un  massacre.  Les  Condés  filèrent 
doux.  Les  deux  dames  aux  tribunes  purent  à  leur  aise 
trîonapber.  Conti  plia  les  épaules  en  passant  devant  elles. 
Son  savetier  reçut  quelques  coups  de  bâton.  Retz,  en. 
contant  cet  exploit  immortel,  termine  par  ce  grotesque 
mot  :  «  L'événement  pouvait  être  cruel,  me  perdre  de 
fortune  et  de  réputation...  Je  ne  m'en  suis  pourtant  pas 
fait  reproche.  Car  ce  sont  de  ces  choses  que  la  politique 
condamne  et  qtée  jmtifie  la  morale.  » 

Ce  prélat  respectable  était  alors  de  nouveau  recherché 
par  la  reine,  qui  le  caressait  fort  dans  sa  jeune  Chevreuse, 
«  qu'elle  baisait  sur  les  deux  joues.  »  Il  allait  la  nuit  au 
palais  en  cavalier  et  en  plumet.  On  le  rattrapait  par  l'es- 
poir du  chapeau,  et  par  une  idée  qu'on  lui  croyait  fort 
agréable,  comme  devant  venger  les  Chevreuse,  l'assassi- 
nat du  grand  Condé.  La  reine  n'était  pas  moins  altérée  de 
vengeance.  Condé  la  jetait  dans  le  désespoir  en  l'attaquant 
sur  Mazarin,  révélant  ses  correspondances,  la  montrant 
gouvernée  par  lui  dans  &es  actes  et  dans  ses  paroles,  ca- 
chant ses  envoyés  aux  greniers  du  Palais-Royal. 

Jusque-là,  Mazarin  n'avait  jamais  paru  féroce,  il  sem- 
blait moins  violent  que  la  reine.  Cependant  la  persévé- 
ranoe  avec  laquelle  celle-ci  négocia  la  mort  de  Condé  avec 
la  Fronde  fait  croire  qu'il  n'en  repoussait  pas  l'idée.  Elle 
ne  faisait  rien  do  sa  tète,  rien  sans  l'ordre  du  maître  ab- 
solu. Ne  pouvant  vaincre  les  répugnances  de  Retz,  elle  lui 


240  SECOND  AGB  DB  LA  FRONDE. 

envoya,  pour  le  convertir,  d'abord  ceux  qui  s'offraient 
pour  faire  le  coup,  Hocquincourt  et  Plessis,  enfin  M.  de 
Lyonne,  agent  direct  de  Mazarin,  qui  lui  fit  honte  de  sa 
timidité.  Ces  braves  n'osaient  agir,  à  nioins  que  Retz  n'as- 
surât que  son  peuple,  le  peuple  frondeur,  les  sauverait  du 
peuple  des  Condés. 

Au  total,  la  manœuvre  générale  de  la  cour  atteste  la  di- 
rection du  grand  maître  en  friponnerie,  qui  du  Rhin  me- 
nait le  Palais-Royal.  La  reine  avait  d'abord  tout  lâché  à 
Condé  pour  le  perdre  auprès  de  la  Fronde  ;  puis,  tourné 
aux  frondeurs,  pour  tuer  ou  arrêter  Condé.  Retz  ayant  re- 
fusé, on  fit  croire  à  Condé  que  c'était  Retz  qui  demandait 
sa  mort. 

D'autre  part,  celui-ci  nous  explique  à  merveille  qu'il 
n'était  guère  moins  faux  et  guère  moins  hypocrite.  Il  était 
prélat  populaire  tout  le  jour  et  frondeur;  la  nuit,  il  était 
cavalier  empanaché  et  royaliste,  conseillant  au  Palais^ 
Royal  les  mesures  qui  devaient  le  lendemain  annuler  tout 
l'effet  des  mensonges  et  du  bavardage  qu'il  allait  faire  au 
parlement. 

J'ai  trop  grand  mal  au  cœur  à  conter  tout  cela.  Il  faut 
lire  les  Mémoires  du  prélat,  levoir  triompher  de  sa  honte, 
dire  comment,  sous  les  yeux  de  sa  Chevreuse,  il  disputait 
le  pavé  à  Condé.  Où  cela,  je  vous  prie?  Au  sanctuaire  de 
la  Justice  même,  dans  la  première  cour  du  royaume  et  sur 
les  fleurs  de  lis.  Le  prince,  retiré  à  Saint-Maur  et  ne  se 
sentant  plus  appuyé  dans  Paris  que  par  des  criaiileurs 
gagés,  revient  pourtant  avec  ses  gentilshommes  menacer 
le  coadjuteur.  Celui-ci  est  en  force.  Il  ne  craint  pas  de 
pousser  aux  dernières  épreuves  la  patience  de  Condé. 
Quatre  mille  épées  sont  tirées.  Les  amis  de  Condé  es- 
sayent d'étouffer,  d'étrangler  le  petit  prélat  entre  un  mur 
et  une  porte.  Enfin,  par  un  miracle,  les  épées  rentrent  au 
fourreau.  Le  galant  prêtre  peut  retourner  vainqueur  à 
Notre-Dame  et  triompher  chez  la  Chevreuse. 


LA  COUR,  APPUTÉB  PAR  LA  FRONDB,.  CHASSE  CONDÉ.   244 

Gondé  a  perdu  terre.  Il  ne  lui  reste  plus  que  la  guerre 
civile,  l'appel  aux  révoltes  de  provinces,  déjà  manquées  et 
improbables,  Tappel  à  TEspagne  impuissante^  à  l'Empe- 
reur, à  Cromwell  ou  au  Diable. 

La  Fronde  ayant  rendu  à  Mazarin  le  service  de  chasser 
Gondé,  il  pouvait  à  son  aise  se  moquer  de  la  Fronde,  man- 
quer aux  paroles  données,  bafouer  Retz  et  le  parlement, 
rire  du  public,  à  qui  on  a  promis  les  Ëtats  généraux. 

Ces  tours  de  gobelet  n'étaient  pas  difficiles.  La  fatigue 
était  excessive.  La  France,  accablée,  alourdie,  ne  sentait 
plus  sa  tête,  n'avait  plus  conscience  d'elle-même,  et  de 
bon  cœur  consentait  à  être  trompée.  Jamais  escamoteur 
n'eut  spectateurs  si  débonnaires. 

A  treize  ans  et  un  jour,  le  roi  était  majeur  et  capable  de 
gouverner.  Précocité  miraculeuse  de  la  dynastie  des  Ca- 
petsl  Louis  XIV,  né  le  5  septembre  1638,  a  atteint  ses 
treize  ans.  il  entend  régner  désormais.  Quel  besoin  d'États 
généraux?  Un  bon  roi,  pour  son  peuple,  est  la  première 
des  libertés. 

Le  8  septembre  4651,  grande  fête.  Amples  distributions 
de  vivres.  Le  vin  pleut  sur  les  places,  et  les  saucissons 
pieu  vent;  on  se  bat  pour  les  ramasser.  Le  beau  jeune  roi, 
à  cheval,  ayant  son  petit  frère  à  côté  (un  joli  visage  de 
fille),  s'en  va  au  parlement  avec  la  reine.  Monsieur,  toute, 
la  cour.  Il  remercie  la  reine,  la  fait  chef  du  conseil,  inno- 
cente Condé  (absent  cependant  par  prudence),  mais  dé- 
clare Mazarin  coupable  et  seul  coupable.  Lui  seul  a  fait  le 
mal  dans  la  régence.  Défense  au  susdit  Mazarin  de  revenir 
jamais  dans  le  royaume.  Le  roi  entend  qu'il  soit  banni  et 
proscrit  éternellement. 

Le  second  acte  de  la  Fronde  finit  en  1651,  comme  le 
premier  en  1649. 

Impuissante  deux  fois,  la  cour  n'a  garrotté  le  lion  à  la 
première,  ne  l'a  chassé  à  la  seconde,  que  par  le  secours 

xii.  16 


242  «ECOND  AGE  DB  LA  TROIIM. 

des  frondeurs,  Cest  la  révolution,  quoique  avortée  au 
premier  ncte  et  agonisante  au  second,  qm  fwéc  enoore 
phis  forte  et  plus  vivace,  plus  prête  à  raction.  Cert  par 
elle  que  Tenfant  royal  peut  rentrer  éom  Paris,  et,  par 
ordre  de  Maearin,  amuser  les  frondeurs  d«  la  pnaaeription 

de  Mazarîn.  ^        

Douce  siluatton  pour  celui-cî,  «qui,  d'avmoe,  par  la 
force  du  peuple,  a  brisé  Tépée  de  Condé.  Que  hri  reste-t-JI, 
sinon  de  faire  encore  comme  il  a  toujours  fait  pour  ceux 
qui  font  servi,  de  perdre  HetE  et  d'être  ingrat? 


GHAPITHE  XXIJI 


Fin  de  la  Fronde.  —  Combat  da  fanbonrg  Salot-Antoine.  1051. 


La  Fronde  est  réputée,  non  sans  cause,  pour  une  des 
périodes  les  plus  amusantes  de  l'histoire  de  France,  les 
plus,  divertissantes,  celle  où  brille  d'an  inexprimable  co- 
mique la  vivacité  légère  et  spirituelle  du  caractère  natio* 
nal.  Cent  volumes  de  plaisanteries!  toute  une  littérature 
pour  rire!  Des  bibliothèques  entières  de  facéties  !  n'est-ce 
pas  régalant?  Et  on  en  retrouve  tous  les  jours.  En  voîei 
quelques-unes  qu'un  jeune  savant,  M.  Feillel^  vient  de 
retrouver  à  la  Bibliothèque  : 

«  Il  n'y  a  point  de  langue  qui  puisse  dire,  point  de  plume 
qui  puisse  exprimer,  point  d'oreille  qui  puisse  entendre 
ce  que  nous  avons  vu  (à  Reims,  à  Chàlons,  Rethe),  etc.). 
Partout  la  famine  et  la  mort,  les  corps  sans  séputture. 
Ceux  qui  restent  numassent  aux  champs  des  brins  d'avoine 
pourrie,  en  font  m  pain  de  boue.  Leurs  visages  sont  noirs^ 
ce  ne  sont  plus  des  hommesi,  mais  des  fantômes...  La 
guerre  a  mis  l'égalité  partout;  la  noblesse  sur  la  paille 
n'ose  mendier  et  meurt...  On  mange  les  lézards,  des 
chieBS  HKMTts  de  huit  jours...  a  —  Attteurs,  en  Ftcardie,  on 
rencontre  un  troupeau  de  cinq  cents  enfants  orphelins  et 
de  moins  de  sept  ans.  —  Ea  Lorraine,  les  religieuses  affa- 


244  FIN  DE  LA  FRONDE. 

mées  quittent  leur  couvent  pour  mendier.  Les  pauvres 
créatures  se  donnent  pour  un  morceau  de  pain  (4654). 

Nulle  pitié.  Une  guerre  exécrable,  acharnée,  sur  les 
faibles.  Une  chasse  épouvantable  aux  femmes.  En  pleine 
ville  de  Reims,  une  belle  fille  chassée  par  les  soldats  dix 
jours  de  rue  en  rue;  et,  comme  ils  ne  l'attrapent  pas,  ils 
la  tuent  à  coups  de  fusil.  Près  d'Angers,  à  Alais,  à  Con- 
dom,  sur  toutes  les  routes  de  Lorraine,  tout  violé,  femmes 
et  enfants,  et  par  des  bandes  entières,  à  mort  t  Elles  expi- 
rent, noyées  dans  leur  sang. 

Quoi  de  plus  gai?  Le  duc  de  Lorraine,  ce  chevalier 
errant  qui  préféra  la  guerre  au  trône,  régale  les  nobles 
dames  de  ces  récits  honnêtes  ;  son  armée  galante,  dit-il, 
est  la  providence  des  vieilles,  etc.  (V.  Haussonville). 

Condé,  sur  un  grand  champ  de  mort,  avait  montré  aussi 
une  étrange  gaieté  :  c  Bah  I  ce  n'est  qu'une  nuit  de  Paris.  • 

Qui  donne  les  détails  de  famine  que  l'on  a  vus  plus 
haut?  Principalement  les  missionnaires  envoyés  de  Paris 
par  Vincent  de  Paul  pour  porter  à  ce  pauvre  peuple  les 
aumônes  des  dames  charitables.  Secours  minimes,  en 
tout,  six  cent  mille  livres  en  six  années. 

En  Picardie,  on  donne  trois  cents  livres  par  mois  pour 
dix-  huit  cents  personnes  ;  donc,  pour  chacune ,  trois  sous 
et  demi  par  mois. 

Vincent  fut  admirable,  quelque  peu  qu'il  ait  fait.  Ce  qui 
étonne  seulement,  c'est  qu'ayant  tant  de  cœur,  dans  ces 
extrémités  qui  font  tout  oublier,  il  n'oublie  pas  son  carac- 
tère de  prêtre,  et  fait  de  la  confession  catholique  une  con- 
dition de^l'aumône.  À  sa  recette  des  soupes  économiques 
que  Ton  distribuera  aux  pauvres,  il  ajoute  qu'en  distri- 
buant on  leur  lira  des  prières  en  latin,  des  Pater^  des  Coti- 
fiteor,  des  Ave^  des  Credo^  et  qu'on  les  leur  fera  c  répéter 
et  apprendre  par  cœur.  »  Mais  quoi  !  si  cet  homme  affamé 
est  luthérien,  calviniste,  anglican,  faut-il  qu'il  meure? 
faut-il  qu'il  abjure  pour  manger? 


COMBAT  DU  FAUBOURG  SAINT-ANTOINB.  245 

Les  dames  continuent  glorieusement  leur  généralat. 
Elles  remontent  à  cheval ,  et  elles  donneront  des  que- 
nouilles aux  hommes  lassés  ou  pacifiques,  entre  autres  au 
grand  Condé.  L*intrigue  de  Paris,  Tennui  du  parlement, 
ses  duels  ridicules  avec  le  petit  prêtre,  tout  cela  Tavait 
rendu  malade  :  «  J'ai  assez,  disait-il,  de  la  guerre  des  pots 
de  chambre.  »  Il  était  réellement  un  sauvage  officier  de 
la  guerre  de  Trente  ans ,  et  il  se  fût  déprincisé  pour  s'en 
aller,  comme  le  duc  de  Lorraine,  avec  une  bonne  bande 
de  voleurs  aguerris  batailler  en  Allemagne.  Ne  le  pouvant, 
tenu^  lié  par  sa  maîtresse,  madame  de  Chfttillon,  qui  mu- 
selait ce  dogue,  il  eût  accepté  volontiers  l'offre  de  Maza- 
rin,  de  le  laisser,  roi  du  Midi ,  dormir  tranquillement  en 
Guyenne.  Mais  sa  sœur  ne  le  voulait  pas.  Il  eût  fallu  que 
madame  de  Longueville  sortit  du  roman,  tombât  au  réel, 
rentrât  en  puissance  de  mari,  dans  l'ennui  de  la  Norman- 
die. Donc,  quand  Condé  fut  en  campagne,  sa  sœur  et  ses 
amis  firent  entre  eux  un  traité  où  ils  l'abandonnaient,  s'il 
faiblissait,  et  lui  substituaient,  comme  général,  son  petit 
frère  bossu,  Conti,  élevé  pour  l'Ëglise,  uniquement  dévot 
aux  beaux  yeux  de  sa  sœur. 

Condé  céda,  et  madame  de  Longueville  emmena  triom- 
phante ses  deux  frères,  la  Rochefoucauld,  enfin  ses  lieute- 
nants, à  la  conquête  du  Midi . 

Mais,  contre  son  drapeau  de  couleur  Isabelle,  la  reine, 
au  nord,  déploie  le  drapeau  blanc,  et,  favorisée  par  la 
Fronde,  mène  une  armée  au  delà  de  la  Loire.  Elle  n'avait 
que.  quatre  mille  soldats,  il  est  vrai,  aguerris ,  de  plus  le 
roi,  la  jeune  et  blonde  image  de  la  royauté  pacifique,  et 
du  repos  futur  pour  lequel  soupirait  la  France.  Condé  vit 
aller  en  fumée  tout  ce  que  ses  amis  lui  promettaient  pour 
l'entraîner.  Tout  sur  la  route  suivit  l'enfant  royal.  Les 
recrues  ne  tinrent  pas  devant  notre  vieille  infanterie  de 
Rocroy  qu'alors  menait  Harcourt.  Condé  n'eut  un  petit 
secours  des  Espagnols  qu'en  leur  livrant  une  place  près 


Bordeaux  et  se  brouillaat  avec  ce  pâriem^ni.  Celui  de 
Paris  n'osa  refuser  d'enregistrer  la  déclaration  qui  la 
disait  traître  et  Tallié  de  l'étranger. 

Ceei  le  4  décembre  \  654 .  Et,  ie  48,  le  parlement  apprend 
par  une  lettre  polie  de  Mazarin  que,  pour  reconnaître  les 
obligations  qu'il  a  au  roi  et  à  la  reme,  il  vient  les  délivrer  ; 
il  a  levé  une  bonne  armée  de  dix  mille  hommes  el  la  con- 
duit en  France. 

](^evé?  avec  quoi,  s'il  vous  platt?  Avec  son  argent  per^ 
sonnel,  sur  la  fortune  d'un  homme  arrivé  sans  un  sou  en 
4639.  L'examen  des  registres  de  son  banquier  Cantârini 
venait  d'établir  qu'il  avait  volé  neuf  millions  (quarante, 
tout  au  moins,  d'aujourd*huiX 

L'homme  qui  offrait  d^assassiner  Condé,  BoequiBcoint, 
avait  levé  et  conduisait  cette  bande,  sous  la  noble  écharpt 
virte  de  Giulio  Mazarino. 

Le  parlement  a  condamné  Gondé  le  4.  Le  3(h,  il  con- 
damne Mazarin,  qui  vient  faire  la  guerre  à  Condé.  Le 
parlement  veut  qu*on  arme  les  communes  pour  arrêter 
le  Mazarin,  mais  défend  de  prendre  l'argent  nécessaire 
pour  cet  armement.  11  ordonne  aux  troupes  de  marcher, 
et  prohibe  les  moyens  de  pourvoir  à  leur  subsistance,  etc. 
Sous  sa  grande  fureur  (simulée?  ou  sincère?),  un  senti- 
ment contraire  va  se  fortifiant,  le  désir  de  la  paix.  Cn 
serviteur  de  Monsieur  ayant  hasardé  le  simple  petit  mot 
d'union  entre  Monsieur  et  le  parlement,  ce  mot,  qui  rap- 
pelait la  Ligue,  eut  un  efifet  terrible.  «  La  tendresse  de 
coeur  pour  l'autorité  royale»  »  la  pensée  de  ces  temps 
maudits,  firent  repousser,  détester  I'ummi. 

Pour  achever  la  Fronde,  en  étouffer  le  faible  souQe» 
un  pesant  éteignoir  toaibe  dessus,  le  chapeau  rouge, 
qui  coiffa  Reti,  l'anéantit.  Mazarin  avait  cru  en  fidre 
la  feinte  seulement  pour  le  perdre  dans  ie  peuple.  Mais 
le  pape  haïssait  Mazarin.  U  fit  ReU  cardinal,  pensaat 
la  faire  plus  fort  ;  et  ce  fut  le  contraire,  il  le  tua  deux 


COMBAT  DU  FiiJAOURa  SAINT-ANTOINE.  24*7 

fois  :  dans  la  cour,  dans  le  peuple  (18  février  1652). 

Le  héros»  le  vainqueur  de  ce  moment,  c*est  Mazarin.  Il 
va  de  succès  en  succès,  Condé  de  revers  en  revers.  On  se 
dispute  en  France  la  main  de  ses  nièces  ;  ses  pas  victo- 
rieux sont  marqués  par  des  maiiages.  Les  Épernon  déjà 
sont  à  lui.  Les  Yendômes  ont  ambitionné  de  mêler  le  sang 
d'Henri  IV  au  sang  des  Mancini.  M.  de  Bouillon,  pour  son 
alné«  pour  Théritier  de  sa  principauté ,  recherche  une 
autre  nièce  ;  ce  qui  donnera  au  Mazarin  le  frère  de  M.  de 
Bouillon,  Turenne,  pour  arrêter  Condé.  Celui-ci,  perdu 
en  Guyenne ,  ne  se  voyant  au  nord  qu'une  petite  armée 
d'Espagnols  que  conduisaient  fort  mal  deux  étourdis, 
Beaufort  et  Nemours,  traverse  toute  la  France  et  reprend 
son  armée.  Voilà  Condé  devant  Turenne. 

Condé  avait  trouvé  une  auxiliaire  inattendue.  Une 
femme  encore  avait  pris  la  grande  initiative.  Mademoiselle 
de  Montpensier,  fille  de  Monsieur,  mais  fort  indépendante 
de  son  père  par  sa  fortune  immense,  était  dépitée  à  vingt- 
cinq  ans  de  n'être  pas  mariée.  Elle  avait  le  cœur  haut,  la 
grande  émulation  des  reines  célèbres,  les  Christine  de 
Suède  et  les  Henriette  d'Angleterre.  Elle  voulait  un  trône, 
et  d'abord  elle  s'était  proposée  à  l'Empereur.  A  la  rigueur, 
elle  eût  descendu  à  prendre  l'archiduc  pour  régner  sur 
les  Pays-Bas.  Mais  son  rêve  favori ,  c'était  le  mot  d'Anne 
d'Autriche  sur  Louis  XIV,  avant  sa  naissance  et  pendant 
la  grossesse  :  «  C'est  ton  petit  mari.  »  L'enfant  avait  qua- 
torze ans,  elle  vingt-cinq.  Et  cette  grosse  différence  allait 
encore  augmentant;  Mademoiselle  perdait  de  sa  première 
fleur  ;  son  teint  rougissait  trop,  son  grand  nez  devenait 
rosé.  Donc,  elle  imagina,  dans  sa  sagesse,  que  le  meilleur 
moyen  d'épouser  le  roi,  c'était  de  le  battre;  que  Condé, 
chassant  Mazarin,  payerait  sa  vaillante  alliée  en  la  faisant 
asseoir  sur  le  trône  de  France. 

Pour  mettre  les  choses  au  pis,  la  princesse  de  Condé, 
souvent  malade,  ouvrait  une  autre  chance;  si  Condé  était 


248  FLN  DB  LA  FRONDE. 

veuf,  qui  épouserait  le  héros,  sinon  Théroîne  qui  Taurait 
soutenu?  Donc,  en  se  jetant  dans  la  guerre,  cette  intelli- 
gente Clorinde  pouvait  y  gagner  deux  maris. 

C'est  dans  ses  Mémoires  qu'il  faut  lire  la  grotesque  épo- 
pée, son  intrépidité  dans  une  occasion  sans  péril.  Elle  y 
montra  du  moins  que,  pour  vouloir,  oser  et  se  mettre  en 
avant,  il  suffit  de  ne  rien  savoir,  de  ne  rien  voir,  de  peu 
comprendre.  Elle  ferma  les  portes  d'Orléans,  et  donna  à 
Louis  XIV,  pour  premier  début  de  son  règne,  la  mortifi- 
cation de  reculer  devant  une  femme ,  la  chance  d'être 
vaincu,  peut-être  enlevé  par  Condé,  ce  qui  fut  très-près 
de  se  faire  (Laporte). 

Condé  eut  un  grand  avantage,  il  entra  à  Paris.  Il  croyait 
dès  lors  tenir,  dominer,  entraîner  Monsieur  et  le  parle- 
ment. Mais  son  étonnement  fut  grand  en  voyant,  au  Par- 
lement,  et  à  la  Cour  des  aides,  où  il  alla,  les  magistrats  lui 
reprocher  en  face  et  son  traité  avec  l'Espagne,  et  Vargent 
de  l'Espagne  qu'il  venait  de  recevoir,  et  son  audace  à  se 
représenter  devant  les  tribunaux  qui  venaient  de  le  dé- 
clarer coupable  de  lèse-majesté.  Il  se  troubla,  s'emporta, 
mais  ne  put  rien  nier.  Un  simple  président  des  Aides 
l'accabla,  lui  parlant  de  par  la  loi,  de  par  la  France,  bra- 
vant la  sinistre  figure  qui  respirait  le  meurtre.  Il  fut  bien 
clair  dès  lors  que  les  magistrats  sentaient  derrière  eux  la 
bourgeoisie  armée,  qu'ils  repousseraient  Mazarin,  mais 
n'adopteraient  pas  Condé,  et  que,  si  celui-ci  mettait  dans 
Paris  sa  petite  armée  étrangère,  ce  serait  à  force  de  sang. 

C'est  ce  qui  rendait  si  bonne  et  si  forte  la  position  de 
Mazarm.  Le  ministre  italien  semblait  encore,  ayant  le  roi 
de  son  côté,  contre  Tallié  de  l'Espagne  et  l'armée  espa- 
gnole, représenter  le  vrai  parti  français.  La  question  de 
nationalité ,  mise  en  jeu ,  prime  toujours  et  domine  la 
question  de  liberté.  Plus  d'un  frondeur  sincère ,  plutôt 
que  d'ouvrir  Paris  aux  drapeaux  de  Philippe  fV,  l'aurait 
ouvert  au  Mazarin. 


COMBAT  DU   FAUBOURG  SAINT-ANTOINE.  249 

Celui-ci  était  fort  tranquille.  Il  avait  sous  la  main  Tu- 
renne,  et  plus  loin  la  Ferté  avec  une  seconde  armée.  Le 
duc  de  Lorraine  vint  un  moment  aider  les  princes,  mais 
'  fut  aisément  renvoyé ,  ou  par  terreur  ou  par  argent. 
N'ayant  de  bien  que  son  armée  ,  il  hésitait  beaucoup  à  la 
risquer  en  agissant  contre  Turenne.  Il  partit  le  46  juin. 

Condé,  désespéré,  retomba  sur  Paris,  son  unique  res- 
source, étant  sûr  de  périr  s'il  n'en  venait  à  maîtriser  la 
ville,  à  s'y  loger  militairement,  à  l'exploiter  à  fond  par  sa 
fausse  Fronde,  mi-canaille  et  mi-gentilshommes,  faux 
savetiers,  faux  maçons  qu'il  jetait  dans  le  peuple,  et  qui, 
sous  cet  habit,  étaient  de  vieux  soldats,  nés  et  habitués 
dans  le  sang,  et  tout  prêts  aux  plus  mauvais  coups. 

Déjà  cette  terreur  avait  réussi  contre  Monsieur.  Un  de 
ces  maçons  de  Condé  tira  sur  lui  deux  coups  de  pistolet 
par-devant  tout  le  peuple  aux  portes  du  Palais  de  Justice. 
Monsieur  s'enfuit  à  toutes  jambes.  Depuis  ce  temps,  il 
aima  fort  Condé  et  ne  put  lui  rien  refuser. 

Monsieur  dompté ,  il  fallait  dompter  le  parlement. 
Le  25  juin,  une  foule  immense  assiège  le  Palais.  Le 
peuple  veut  qu'on  en  finisse.  D'abord ,  malentendu 
entre  des  compagnies  bourgeoises,  qui  tirent  l'une  sur 
l'autre.  Les  gens  de  Condé  en  profitent.  Us  nettoient  le 
grand  escalier  à  coups  de  pistolet,  tuent  trente  personnes, 
en  blessent  un  nombre  infini  dans  cette  foule  compacte. 
Les  magistrats  veulent  sortir.  On  leur  saute  à  la  gorge.  On 
les  fait  rentrer  pour  voter.  On  bat ,  on  gourme,  on  traîne 
les  conseillers  plus  morts  que  vifs.  Les  arrêts  désormais 
seront  rendus  dans  le  désert^  sans  président  ni  conseillers, 
par  quelques  jeunes  gens  des  Enquêtes. 

Ce  qui  rend  ceci  plus  horrible,  c'est  ce  qu'explique  fort 
bien  Mademoiselle,  la  grande  alliée  de  Condé.  En  frappant 
ce  coup  sur  le  parlement  pour  l'empêcher  dfi  traiter,  il 
voulait  traiter  lui-même.  Il  prêtait  une  oreille  crédule  aux 
vaines  propositions  dont  l'amusait  le  Mazarin.  Mais  celui-ci 


S50  FIN  DX  LL  FBONÛE» 

employait  ce  temps;  de  tous  côtés,  il  rassemblait  des 
troupes»  fortifiait  Turenne. 

Uae  révélation  curieuse  nous  montre  qu'à  ce  moment 
il  était  occupé  de  l'intérieur  de  la  petite  cour,  autant  et 
plus  que  de  Paris.  Le  >eune  roi  avait  quatorze  ans.  Un 
pouvait  le  croire  assez  près  d'une  crise  de  nature  qui 
donnerait  prise  sur  lui.  Sa  mère  le  garderait-elle?  ou  Ma- 
zarin  s'en  emparerait-il?  C'était  déjà  la  question. 

Mazarin  avait  hontettseinent,  indignement  négligé  Ven- 
fant,  et  il  portait  la  mère  sur  ses  épaules.  11  était  excédé 
des  assiduités  d'une  grosse  femme  de  cinquante  ans.  Ten- 
dre, en  réalité  trop  tendre,  elle  avait  pris  dans  son  absence 
assez  patiemment  les  galanteries  hypocrites  du  facétieux 
Retz.  Cela  eût  été  loin  si  elle  n'eût  su  qu'on  en  répétait 
tous  les  soirs  la  comédie  chez  les  Chevreuse.  Bref,  Maza* 
rin,  à  son  retour,  ne  fut  plus  le  doux,  le  charmant  cardi- 
nal, l'ancien  Mazarin,  mais  un  rude  et  brusque  mari,  ne 
daignant  même  ménager  les  convenances  du  rang,  et 
disant  à  la  pauvre  reine  devant  témoins  :  «  Il  vous  sied 
bien,  à  vous,  de  me  donner  des  avis  !  » 

Il  n'avait  rien  fait  jusque-là  pour  gagner  le  jeune  roi.  Il 
le  laissait  sans  argent  dans  la  poche,  ne  renouvelait  pas 
même  ses  habits,  si  bien  qu'à  quatorze  ans  il  avait  ceux  de 
douze,  beaucoup  trop  courts.  Il  n'aimait  que  sa  mère, 
était  très-caressant  pour  elle.  A  vrai  dire,  elle  achetait  cela 
par  une  complaisance  sans  bornes,  faible  et  molle,  soumise 
à  ses  moindres  caprices.  On  pouvait  croire  qu'elle  voulait 
le  garder  dépendant,  à  force  de  tendresse.  La  grande  affaire 
de  cour  tant  disputée  entre  les  dames,  la  question  de  sa- 
voir laquelle  donnait  la  chemise  au  lever,  avait  été  tran- 
chée ;  elle  ne  la  prenait  que  des  mains  de  son  fils.  Déjà 
grand,  il  voulait,  exigeait  qu'elle  le  baignât  avec  elle.  Il  le 
voulut  un  jour,  ayant  très-chaud,  au  risque  de  sa  vie,  et, 
sans  le  médecin,  elle  hasardait  la  chose,  plutôt  que  de  lui 
résister. 


COMBAT  D(J  fAOBOURfi  SAIlfT* ANTOINE.  SS1 

Déjà  il  recherchait  les  daines,  se  plaisait  au  mitien  des 
filles  de  la  reine.  Il  y  a?ait  à  parier  qu'il  eboisiraii  bientôt, 
qu'il  aurait  quelque  favorite.  Mais  s'il  avait  un  favori  ?  C'est 
à  quoi  songea  Mazarin.  A  la  Saint-Jean  (précisément  la 
veille  du  massacre  fait  au  pariemeait),  Mazarin  invite  l'en* 
fant  à  dîner.  On  dînait  vers  midi.  Il  revint  à  sept  heures 
du  soir.  Que  se  passa-t-il  dans  cette  longue  fôte?  On  ne  le 
sait;  mais  il  revint  triste,  dit  Laporte;  il  voulut  se  baigner, 
et  Laporte  «  vit  bien  de  quoi  il  étoit  triste.  > 

Laporte  sut  les  choses,  mais  non  pas  les  personnes* 
L'enfant  ne  dénonça  pas  «  l'auteur  du  fait,  »  cetaii  avec 
qui  le  pervers  avait  cru  le  lier  par  une  complicité  de  honte. 
Je  ne  vois  près  de  Mazarin  de  jeunes  gens  que  ses  neveux. 
L'un  fort  petit,  élevé  aux  Jésuites,  dans  leur  collège  de 
Clermont.  L'autre,  déjà  hors  de  pages,  n'avait  que  deux 
ans  de  plus  que  le  roi,  et  pouvait  être  un  camarade.  Il 
était  fort  aimé  de  tout  le  monde  pour  sa  douce  et  jolie 
figure,  et  pour  un  charme  d'esprit  et  de  bonté.  Ces  deux 
neveux  périrent  très-nusérablement.  Le  petit,  que  son  oncle 
avait  mis  au  collège  pour  se  populariser,  fut  berné  par  ses 
camarades  sur  uiie  couverture,  mais  tomba  par  terre,  fut 
tué.  L'autre,  cette  brillante  fleur  d'Italie  par  laquelle  ii 
orojait  tenir  le  roi,  périt  victime  de  l'impatienoe  qu'il  avait 
de  l'avancer.  Il  l'exposa  au  combat  du  faubourg  Saint-» 
Antoine,  l'y  fit  lieutenant  général  à  dix-sept  ans,  et  au  mo- 
mmt  il  fut  tué. 

Pour  revenir,  Laporte  comprit  bien  que,  de  toute  façon, 
il  était  perdu,  qu'il  parlât  ou  ne  pariât  pas.  Mais  cet  homme 
honnéteetconregeux,  qui  avait  risqué  sa  vie  pour  la  reine, 
s*imroola  encore,  l'avertit  U  était  sur  que,  dans  sa  misé- 
rable servilité  pour  Mazarin,  elle  ne  garderait  pas  le  secret. 
Et,  et  effet,  bientôt  Laporte  fut  diassé  en  perdant  (sans 
indemnité)  la  petite  charge  qui  était  Tuiiique  patrimoine 
desaiamiUe. 
£Ue  profitnda  l'avis  ioiilefois.  L'enfant,  fort  différent  de 


252  rm  de  ia  frondb. 

son  jeune  frère,  aimait  les  femmes  et  n'aimait  qu'elles.  Sa 
mère  parait  l'avoir  confié  de  bonne  heure  à  la  maternité 
galante  d'une  dame  fort  laide,  madame  de  Beauvais,  sa 
première  femme  de  chambre,  pas  jeune  et  qui  n'avait 
qu'un  œil.  Elle  n'en  fut  pas  moins,  dit  Saint-Simon,  ia 
première  aventure  du  roi. 

Voilà  donc  la  situation  à  la  Saint-Jean.  Admirable  de 
tous  côtés.  Sodome  à  Saint-Germain.  Et  au  Palais,  l'avant- 
goût  du  carnage  qui  eut  lieu  quelques  jours  après.  Ici  la 
boue,  et  là  le  sang. 

Pendant  qu'un  prêtre,  puis  un  chartreux,  et  encore  une 
belle  dame,  maîtresse  de  Condé,  négocient  pour  lui  à  la 
cour,  Mazarin  a  enfin  ses  deux  armées  et  peut  agir.  Condé 
va  se  trouver  à  Saint-Cloud  pris  entre  les  deux.  Il  entre- 
prend de  filer  sous  les  murs  et  d'allel*  se  poster  au  con- 
fluent de  Charenton.  Opération  scabreuse  devant  un 
général  aussi  attentif  que  Turenne,  qui,  de  Montmartre^ 
de  Ménilmontant,  de  Charenton,  pouvait  à  chaque  pas  le 
foudroyer.  Condé  remit  tout  à  la  chance,  et  compta  sur 
son  danger  môme,  pensant  qu'il  déciderait  Paris  à  le  rece- 
voir. Mais  le  contraire  advint.  Il  frappa  à  toutes  les  portes. 
Aucune  n'ouvrit.  A  la  porte  Saint-Denis,  Turenne  était 
là,  pouvait  récraser  de  boulets.  Il  lui  tua  peu  d*hommes 
d'arrière-garde,  et  le  laissa  passer  jusqu'à  la  porte  Saint* 
Antoine. 

Condé  envoyait  coup  sur  coup  presser,  prier  Monsieur. 
Sa  fille  aussi  priait,  pleurait.  Monsieur  faisait,  le  malade, 
et  tous  les  gens  de  sa  maison  riaient,  pensant  que  Condé 
serait  tué.  Cependant  Monsieur,  sentant  bien  qu'il  se  com- 
promettait par  son  inaction,  sans  agir, -écrivit.  Il  donna 
une  lettre  vague  à  Mademoiselle  pour  l'autoriser  à  deman- 
der à  THôtel  de  Ville  les  choses  nécessaires.  Avec  ce  mot, 
l'audacieuse  princesse  pouvait  ce  qu'elle  voulait.  Le  gou- 
verneur de  Paris  L'Hospital  et  le  prévôt  des  marchands 
lui  étaient  fort  contraires.  Ils  voulurent  ajourner.  Leur 


COMBAT  DU  FAUBOURG  SAINT-ANTOINE.  253 

« 

résistance  ne  dura  pas  le  temps  d'une  messe  basse  qu'elle 
prit  en  passant  par  morceaux.  La  Grâce  agit,  surtout  par 
les  cris  de  la  Grève,  où  Ton  entendait  nettement  :  c  En- 
trons, noyons  ces  Mazarins.  » 

Donc  Mademoiselle  emporta  ce  qu'elle  voulait^  un 
secours  pour  Condé,  et,  le  plus  difficile,  sa  retraite  à  tra- 
vers Paris.  Elle  avance  bravement  au  bruit  des  canon- 
nades  dans  la  rue  Saint-Antoine,  rencontrant  des  morts, 
des  blessés,  la  plupart  ses  amis.  Elle  s'émeut,  mais  sans 
se  troubler. 

Condé  a  fait  des  efforts  surhumains,  mais  fait  des  pertes 
énormes.  11  trouve  Mademoiselle  établie  dans  une  maison 
tout  près  de  la  Bastille.  Elle  lui  offre  de  lui  ouvrir  Paris. 
Il  refuse  de  reculer.  «  Il  était  dans  un  état  pitoyable.  Deux 
doigts  de  poussière  sur  le  visage,  ses  cheveux  mêlés,  sa 
chemise  sanglante,  sa  cuirasse  pleine  de  coups,  Tépée  nue 
à  la  main  (ayant  perdu  le  fourreau)...  II  pleurait...  »  Made- 
moiselle, pendant  qu'il  retourne  au  combat,  lui  envoie  des 
renforts,  fait  filer  les  bagages,  reçoit,  fait  soigner  les  bles- 
sés. Mais  tout  cela  ne  suffisait  pas.  Une  seule  chose  pou- 
vait sauver  celui-ci,  c'était  que  la  Bastille  prit  parti,  tirât 
de  ses  tours  et  le  reçût  sous  son  canon. 

Les  Broussel  tenaient  la  Bastille.  Un  fils  du  vieux  Brous - 
sel  en  était  gouverneur.  Se  décida-t-il  en  ce  jour  sans 
l'aveu  de  son  père,  sans  l'aveu  des  frondeurs,  des  Miron, 
Charton,  Blancmesnil,  de  la  vieille  et  pure  Fronde?  Je  ne 
le  pense  pas.  La  désertion  du  cardinal  de  Retz,  qui  s'était 
fait  ermite  à  Notre-Dame  depuis  qu'il  avait  le  chapeau, 
n'avait  pas  enterré  avec  lui  le  parti.  11  existait  disloqué, 
discordant.  On  le  voit  bien,  malgré  l'ombre  fatale  que 
jette  ici  la  partialité  des  Mémoires.  A  croire  ceux-ci, 
Mademoiselle  a  tout  fait.  Qui  lui  permit  de  faire?  Celui  qui 
lui  baissa  le  pont-levis  et  qui  la  mit  dans  la  Bastille.  Et 
qui  celui-là?  C'est  la  Fronde. 
La  vieille  Fronde  avait  à  choisir  entre  la  brutalité  mili- 


254  FIN  DK  Lk  raoNDS. 

taire  du  parti  de  Condé  et  l'infamie  de  Mazarin.  Eila  diAÎ- 
sit,  et  sauva  Condé. 

Il  était  temps.  Car  on  voyait  la  seconde  armée  royaliste 
qui,  de  la  Seine,  venait  pour  prendre  en  flanc  Coudé, 
déjà  trop  faible  contre  ceÛe  de  Turenne.  Encore  dix  mi- 
nutes, il  était  perdu. 

On  voyait  tout  cela  des  tours  distinctement.  Et  le  fils  de 
Broussel  fui  trop  heureux  quand  Mademoiselle  lui  mon- 
tra Tordre»  faux  ou  Yrai,  de  Monsieur  pour  tirer  sur 
Vennemi. 

Quel  ennemi? 

Les  canons  braqués  sur  la  ville  furent  tournés  vers  Cha- 
ronne,  où  était  le  roL  Qui  allait  tirer  sur  le  roi? 

Ce  fut  un  conseiller  nommé  Portail,  donc  le  Parlementy 
qui  tira. 

Il  n'y  eut  que  trois  volées  et  trois  petits  boulets.  Mais,  si 
la  Fronde  n'eût  été  déjà  divisée  et  morte  par  l'abandon  de 
Retz^  ce  n'était  plus  la  Fronde,  mais  la  révolution  d'kngle- 
terre.  Et  c'était  le  Long  Parlement. 


CHAPITRE    XXIV. 


Fin  de  la  Fronde.  —  Le  terrorisme  de  Gondë.  —  Massacre 

de  l'Hôtel-de- Ville.  1652. 


Au  messager  qui  porta  la  nouvelle  et  lui  montra  les  tours 
couronnées  de  fumée,  Condé  dit  :  «  Tu  me  donnes  la  vie.  » 
Et  il  faillit  Tétouffer  de  ses  embrassements. 

Ce  feu  ne  pouvait  guère  pourtant  intervenir  de  près 
dans  le  combat.  Il  n'eût  pas  empêché  Condé  d'être  écrasé 
au  pieds  des  tours.  Il  ne  portait  qu'au  loin.  11  était  admi- 
rable pour  frapper  à  Gharonne  sur  le  roi  et  sur  Mazarin. 

Cela  même  effraya.  On  le  prit  comme  la  voix  de  Paris, 
comme  menace  de  la  grande  ville,  eomme  signification 
définitive  que  la  Fronde  adoptait  Condé,  que  la  révolution 
ne  reculerait  plus,  mais  se  transformerait  et  frapperait  la 
royauté. 

Mazarin  fut  surpris,  atterré.  A  toutes  les  portes,  il  avait 
cru  avoir  des  gens  à  lui.  Il  était  sûr  d'entrer,  et  ne  songeait 
qu'à  amener  la  reine  et  les  dames  en  triomphe.  Il  resta 
aplati,  ne  profita  pas  de  ses  forces.  S*il  eût  permis  à  Tu- 
renne  de  droite,  à  la  Ferté  de  gauche,  de  pousser  leurs 
armées,  de  s'unir  en  formant  un  coin,  ils  entraient  infail- 
liblement; ils  perçaient  à  travers  Condé,  perçaient  jusqu'à 
Paris,  ayant  de  moins  en  moins  à  craindre  les  boulets 
qui  volaient  parnlessns  leurs  têtes.  Ils  auraient  ri  sous 


256  FIN  DE   LA  FRONDE. 

ces  canons  tirés  dans  les  nuages,  et  trouvé  à  la  porte 
Saint-Antoine  un  monde  de  gens  impatients  de  la  leur 
ouvrir.  Mais  Mazarin  perdit  la  tête.  Turenne,  je  croîs, 
garda  la  sienne.  Pour  la  seconde  fois,  il  épargna  Condé. 
Froid,  calme  et  prévoyant,  il  se  soucia  peu,  pour  faire 
triompher  Mazarin,  de  marquer  dans  l'avenir  sa  maison, 
celle  de  Bouillon,  du  sang  d'un  prince,  et  du  carnage  hor- 
rible où  allaient  périr  péle-méle  nombre  des  grands  sei- 
gneurs de  France. 

La  porte  Saint-Antoine  s'ouvrit,  non  sans  peine,  à  Condé. 
Il  y  fallut  des  prières,  des  menaces,  et  l'intérêt  aussi  qu'ex- 
citait sa  bravoure  héroïque.  «  Voulez- vous  faire  périr  M.  le 
Prince?  »  Cela  emporta  tout. 

Mais,  à  la  porte  Saint- Denis,  on  n'entra  que  de  force  et 
en  cassant  la  tête  à  l'oflScier  bourgeois  qui  commandait, 
d'un  coup  de  pistolet. 

L'entrée  ne  fut  pas  gaie.  C'étaient  des  vaincus  qui  en- 
traient et  qpi  venaient  chercher  asile.  Une  aimée  moUié 
espagnole,  et  des  faux  Espagnols  de  Flandre.  Des  files  de 
bagages  infinis  et  des  blessés  sans  nombre,  un  encombre- 
ment désolant.  Rien  de  moins  rassurant,  d'ailleurs,  que  de 
mettre  dans  une  ville  si  riche  tant  d'hommes  de  pillage  et 
de  sang.  On  les  logea  entre  Saint- Victor  et  Saint-Marcel, 
dans  un  faubourg  muré,  gardé  par  la  Seine  et  la  Bièvre  ; 
on  pouvait  dire  qu'ils  étaient  dans  Paris  et  qu'ils  n'y  étaient 
pas.  Mais  les  bourgeois  ne  s'aperçurent  que  trop  du  voisi- 
nage de  ces  troupes  mal  disciplinées,  battues,  mais  impu- 
dentes et  de  mauvaise  humeur,  qui  n'auraient  pas  mieux 
demandé  que  d'avoir  sur  leurs  hôtes  le  succès  qu'elles  n'a- 
vaient pas  eu  sur  l'ennemi. 

Condé  trouva  la  ville  fort  changée  et  fort  partagée.  La 
Fronde  même,  qui  venait  de  le  sauver,  n'était  nullement 
d'accord  pour  lui.  Sans  parler  de  la  Fronde  inerte  du  car- 
dinal de  Retz,  caché  à  Notre-Dame,  il  y  avait  la  Fronde 
orléaniste,  attachée  à  Monsieur;  la  Fronde  royaliste,  qui 


LB  TBRRORISIfS  DB  GONDB.  257 

voulait  le  retour  du  roi  et  de  la  cour,  et  n'excluait  que  Ma- 
zarin.  Celle-ci,  c'était  vraiment  presque  toute  la  ville.  Peu 
voulaient  Mazarin,  et  peu  voulaient  Condé. 

Condé  n'avait  qu'une  chance,  frapper  un  coup  sanglant, 
se  relever  par  la  terreur,  compromettre  Monsieur.  Qui 
donna  ce  conseil  sinistre?  Qui  fit  croire  à  Condé  que  cet 
excès  d'ingratitude  de  frapper  qui  l'avait  sauvé,  de  punir 
Paris,  son  asile,  de  sa  généreuse  hospitalité,  lui  porterait 
bonheur?  On  l'ignore.  Peut-être  un  sot  et  dur  soldat,  de 
ces  ignorants  capitaines,  bornés  comme  un  boulet.  Ou 
bien  serait-ce  Thomme  de  Richelieu,  élevé  aux  choses 
violentes,  le  malencontreux  Chavigny,  un  fils  de  la  fata- 
lité, né  pour  aller  de  faute  en  faute,  de  malheur  en  mal- 
heur, qui  mourut  peu  après,  fort  pénitent,  fort  janséniste? 
Il  serait  mort,  dit-on,  des  reproches  que  lui  fit  Condé 
d'avoir  traité  pour  lui  ;  mais,  qui  sait?  ces  reproches  avaient 
peut-être  un  autre  sens. 

Le  prévôt  des  marchands  avait  convoqué  à  l'Hôtel  de 
Ville  une  assemblée  pour  le  4  juillet,  six  magistrats  et  six 
bourgeois  de  chaque  quartier,  de  plus  tous  les  curés,  re- 
devenus, comme  Retz,  grands  amis  de  la  paix.  Les  ma- 
gistrats frondeurs  étaient  sûrs  d'y  être  envoyés,  et  l'on 
pouvait  prédire  que  la  majorité  serait  frondeuse.  Mais 
frondeuse  de  quelle  nuance  ?  De  celle  qui  voulait  le  roi 
sans  Mazarin. 

Cette  Fronde-là  avait  sauvé  Condé,  mais  elle  ne  voulait 
pas  éterniser  pour  lui  la  guerre. 

Le  3  juillet,  Condé  prit  son  parti,  et  chargea  ses  soldats 
de  faire  peur  à  cette  assemblée.  Il  fit  louer  le  soir  chez  les 
fripiers  deux  cents  habits  d'ouvrie!*s  dont  il  affubla  pareil 
nombre  de  ses  tueurs  les  plus  déterminés.  On  loua  à  la 
Grève  quelques  chambres,  où  l'on  pratiqua  dans  les  murs 
des  meurtrières  qui  répondraient  juste  aux  fenêtres  de  la 
salle  de  l'Hôtel  de  Ville,  qui  étaient  en  face.  On  jeta  un  mot 
d'ordre  dans  la  population  misérable  du  quartier,  les  ma- 
xu,  i  7 


f  68  riN  DB  LA  FMMiftI. 

çoffs  sans  ouvrage,  les  baleUers  qui  ne  navîgmûent  plus  : 
on  dit  partout  la  nuit  qu'il  fimait  en  finir  avec  ies  Mau* 
rins.  La  chaleur  était  grande.  Pour  donner  rélao  à  Tafiaife^ 
on  eut  soin  d'amener  en  Grève  cinquante  pièces  de  lin  à 
défoncer. 

Talon )  un  honnête  homme  et  un  consciencieux  magî»» 
trat,  affirme  qu'un  des  amis  du  prince,  M.  de  ftokaa,  sot 
la  nuit  cet  affreux  secret  ;  que,  le  4  au  matin,  il  pria,  sup- 
plia Condé  de  ne  point  faire  cette  chose  insensée  et  horri- 
ble. Elle  devait  lui  donner  un  jour  de  force,  mais  le  lende- 
main rhorreur  universelle,  la  haine  de  Paris,  qui  s'ouvrinic 
au  Mazarin.  Pouvait-il  bien  d'ailleurs  envelopper  dans  ce 
carnage  les  plus  ardents  frondeurs,  les  gens  de  son  parti, 
du  parti  qui  venait  de  lui  sauver  la  vie  en  le  couvrant  du 
feu  de  la  Bastille? 

Le  second  de  Broussel,  Charton,  allait  se  trouver  là. 
L'aîné  des  barricades,  Miron,  celui  qui  le  premier  fit  baUre 
le  tambour  au  jour  où  naquit  la  Fronde,.  Miron,  allant  aussi 
en  aveugle  à  la  mort.  Mais,  outre  ces  frondeurs,  il  y  avait 
des  gens,  le  conseiller  Ferrand,  Téchevin  Fournier,  qui 
étaient  purement  et  simplement  amis  des  princes  et  des 
séides  de  Condé.  N'élait-ce  pas  une  chose  énorme  et 
monstrueuse  de  ne  pas  les  avertir?  On  eût  ébruité  le  se^ 
cret,  dira-t-on.  Mais  il  était  déjà  communiqué  à  tant  dfi 
gensi  Rohan  ne  fut  pas  écouté.  Apparemment  les  conseil- 
lers du  prince  jugèrent  qu'en  cette  vieillesse  des  partis 
les  amis  trop  anciens  sont  tièdes,  cependant  exigeants,  et 
qu'on  est  trop  heureux  de  ces  purgations  fortuites  qui 
expulsent  un  sang  refroidi. 

Soit  que  le  secret  transpirât,  soit  pi^ssentiment  vague, 
plusieurs  hésitaient  d'y  aller.  Un  marchand  de  la  rue 
Saint-Denis,  fort  estimé,  aimé,  était  retenu  par  sa  femme. 
U  dit  :  «  Je  suis  nommé  ;  c'est  mon  devoir  d'aller.  »  Mais  il 
se  confessa  et  communia,  pensant  aller  à  la  mort. 
Les  deux  princes  arrivèrent  fort  tard  à  l'assemblée  (Gon- 


LE  TCNNOMSaiE  M  COI^DÉ.  iiSO 

Tsrt  dit  à  six  hetrres).  Condé  s^ns  dotfté  pthh,  poussait 
tlès  le  matin  Monsieur,  fied  cnrieux  de  cette  fête.  Vntrcfm- 
pette  du  roi  arriva  eit  même  temps  pour  demande^  qu'on 
remit  FassemMée.  Ette  s^'insufgea  contre,  et  parut  très- 
frondeuse,  mais  mm  dans  Fintérét  des  princes^  demandant 
seulement  c  que  le  roi  fentràt  sans  Macarin.  »  Les  princes 
mécontents  se  levèrent,  descendirent. 

Est-il  sûr  qu'ils  aient  dit  à  la  foule  :  «  Ce  sont  des  Ma- 
zarins,  faitesken  ce  que  vocrs  voudrez?  »  On  Ta  dit,  mais 
j'en  doute.  Ce  signal  de  m^rt  était  superflu.  Condé, 
croyant  peut-être  se  laver  les  mains  de  la  chose  en  la  re- 
jetant sur  un  autre,  avait  logé  le  roi  des  halles,  le  manne- 
quin Beaufort,  dans  une  boutique  des  ruelles  qui  vont  à  la 
Grève  pour  surveiller  Texécution.  Chose  curieuse  qu'atteste 
Conrart,  malgré  les  cinquante  tonneaux  de  vin,  l'afliiire 
ne  prenait  pas.  Quelques  coups  de  fusil  partirent  bien  de 
la  Grève,  tirés  en  haut,  donc  innocents.  Le  peuple  était 
plutôt  triste,  et  plus  sombre  que  furieux.  «  Les  plus  n)é- 
chants  n'attaquaient  point.  »  Qui  voulut  fuir  d'abord 
échappa  sans  grande  peine. 

Mais  il  se  trouvait  là  aussi  des  gens  moins  incertains, 
venus  de  chez  Condé,  et  de  ses  propres  domestiques.  Ses 
soldats  déguisés,  qui  buvaient  depuis  le  matim  avec  les 
bateliers,  ne  souffrirent  pas  non  plus  que  la  chose  avortât. 
Ils  attaquèrent  en  hommes  d'expérience,  d'une  part  tirant 
d'en  face  par  les  trous  faits  exprès  sur  les  larges  fenêtres 
de  la  salle  de  l'Hôtel  de  Ville  ;  d'autre  part  attaquant  d'en 
bas,  de  près  et  du  plus  grand  courage  les  défense^  impro- 
visées que  les  archers  de  la  ville  avaient  faites  au  vestibule 
et  à  l'entrée  du  fameux  escalier.  Ces  archets,  peu  nom- 
breux, et  n'ayant  guère  de  poudre,  firent  cependant  une 
très-»belle  résistance,  tirant  quatre  par  quatre,  et  chaque 
fois  tuant  quatre  soldats.  Ceux-ci  étaient  désespérés  ;  ils 
entrèrent  en  fureur.  L'un  d*eux,  ayant  déjà  trois  balles, 
s'acharnait  de  son  bras  mourant  à  arracher  un  pieu  ;  il  fut 


260  FIN  DB  LA  FRONDB. 

tué  dessus  à  coups  de  hallebardes,  d*épéesetde  poignards. 

Le  gouverneur  de  Paris,  L'Hospital^  le  prévôt,  tous  les 
royalistes,  craignaient  beaucoup,  mais  non  pas  les  fron* 
deurs.  Des  hommes  idolâtrés  du  peuple,  le  président  Tdis 
ça  (Charton),  le  bouillant  colonel  et  maître  des  comptes 
Miron,  n'imaginèrent  pas  un  moment  qu'on  voulût  s'atta- 
quer à  eux.  Charton  se  mit  sur  une  fenêtre,  cria  qu^on 
s'arrêtât,  qu'il  répondait  de  tout  ;  mais  on  tira  sur  lui.  11 
descendit,  il  s'offrit  pour  otage.  En  un  moment,  il  fut  coiffé 
de  cinq  cents  coups,  s'arracha  à  grand'peine  et  se  cacha 
aux  lieux  d'aisance.  Miron  fut  moins  heureux  encore.  11 
entreprit  de  se  faire  jour  pour  aller  faire  armer  ses  gens 
et  délivrer  l'Hôtel  de  Ville.  «  Vous  périrez  I  lui  dit-on.  — 
11  n'importe!  que  je  périsse  en  faisant  mon  devoir.  »  A 
peine  sur  la  Grève,  il  crie  :  «  Je  suis  Miron.  »  11  est  jeté  à 
terre  par  un  savetier  qu'il  avait  naguère  empêché  de  tuer 
un  magistrat.  Un  cuisinier  et  un  petit  laquais  de  Condé 
frappent  dessus;  il  est  percé  de  coups. 

Les  amis  que  Condé  avait  dans  l'assemblée,  fort  éton- 
nés de  voir  massacrer  les  frondeurs,  se  hâtent  de  faire  un 
écriteau  en  grosses  lettres,  y  écrivent  Union^  espérant 
désarmer  Témeute.  Mais  l'émeute  était  ivre  de  vin,  de 
sang,  n'y  voyait  plus.  Ferrand,  l'un  d'eux,  qui  descendit, 
fut  tué  à  côté  de  Miron. 

Cependant  Condé  et  Monsieur  étaient  entourés  de  per-^ 
sonnes  qui  priaient,  suppliaient,  pleuraient  pour  qu'on 
envoyât  au  secours.  Le  laquais  d'un  des  partisans  dévoués 
de  Monsieur,  qui  était  â  l'Hôtel  de  Ville,  arriva  jusqu'au 
prince.  11  le  trouva  paisible  qui  sifflait.  «  Monseigneur,  ils 
vont  tuer  mon  maître!  »  Le  voyant  sourd^  paralytique, 
aveugle,  il  perdit  tout  respect,  l'empoigna  par  le  bras, 
croyant  le  faire  lever...  Mais  toujours  ce  bras  retombait... 

Un  homme  cependant  arrive  essoui&é.  a  Le  feu  est  à 
l'Hôtel  de  Ville!  »  Monsieur  dit  à  Condé  :  «  Mon  cousin,  ne 
pourriez-vous  pas  aller  mettre  ordre  k  cela?  —  Monsei- 


LB  TERRORISME  DE  GONDÉ.  261 

gneur,  dit  Condé,  je  ne  m'y  entends  point.  Je  me  sens 
poltron  pour  ces  choses.  —  Eh  bien^  dit  Mademoiselle, 
J'irai.  U  faut  sauver  le  gouverneur  et  le  prévôt.  —  J'irai 
avec  vous,  v  dit  Condé.  Mademoiselle  l'en  empêcha.  Elle 
n'alla  pas  jusqu'au  bout.  Au  pont  Notre-Dame,  on  lui  dit 
qu'ils  étaient  enragés  à  ce  point  qu'ils  avaient  tiré  sur  le 
Saint-Sacrement  qu'un  curé  apportait  en  Grève.  Ses  gens 
la  supplièrent  de  ne  pas  avancer. 

Le  feu  n'avait  pas  pris.  Il  n'y  eut  qu'une  grande  fumée 
dont  les  enfermés  étouffaient.  D'autre  part,  un  curé  parvint 
jusqu'à  Beaufort,  et  lui  fit  honte  de  ce  mélange  horrible 
oii  il  confondait  ses  amis.  Il  avança  alors,  sauva  quelques 
personnes.  Mais  ce  qui  fut  plus  efficace,  c'est  que,  les  furieux 
soldats  de  Condé  ayant  été  tués  ou  blessés  en  grand  nombre, 
il  ne  restait  guère  sur  la  Grève  que  de  la  canaille.  Ces  meurt* 
de-faim,  fort  peu  passionnés,  imaginèrent  qu'il  y  avait  là 
une  grosse  affaire  pour  eux  à  dépouiller  les  richards  qui 
seraient  trop  heureux  de  n'être  que  volés.  Ils  montèrent, 
trente  d'abord  d'un  même  flot.  Et  ils  trouvèrent  l'affaire 
encore  meilleure.  Ces  gens,  qui  n'attendaient  que  la  mort, 
non-seulement  se  laissèrent  voler  très-volontiers,  mais  leur 
proposèrent  des  traités,  deux  cents  francs,  trois  cents 
francs,  pour  être  ramenés  chez  eux.  Ce  commerce  hon- 
teux, misérable,  des  vies  humaines,  qui  s'était  fait  à  la 
Saint-Barthélémy,  se  revit  dans  Paris.  Les  défenseurs 
payés  se  croyaient  si  autorisés  d'en  haut,  qu'ils  ne  faisaient 
difficulté  de  dire  leurs  noms,  leurs  métiers,  leur  adresse, 
et  venaient  froidement  toucher  le  lendemain  le  prix  con- 
venu de  la  veille. 

Mademoiselle,  qui,  dans  tout  cela,  montre  un  cœur  de 
princesse,  et  point  du  tout  de  femme,  donne  la  belle  excuse 
qu'elle  fit  chercher  un  trompette  pour  l'envoyer  devant  et 
obtenir  passage,  mais  qu'il  ne  s'en  trouva  pas  dans  tout 
Paris.  Elle  était  revenue  au  Luxembourg.  Son  père,  après 
avoir  eu  peur  d'agir,  commençait  à  avoir  peur  de  n'agir 


A3  iw  Di  Là  wuomm. 

pas.  Il  roblig8t  ée  Mtoitfner*  Il  était  minuit,  et  tout  fini. 
Elle  ne  veneontra  guère  de  vivants,  mais  des  morts  empilés 
dans  une  charrette»  et  si  négligemment  jetés,  qae  les  jam* 
bas  et  les  bras  roidis  passaient  d'ici  éi  de  là.  c  le  ne  fis  que 
changer  de  portière,  dit-elle,  de  crainte  que  les  pieds  oit 
les  mains  ne  me  donnassent  par  le  nez.  »  La  nuit  étùl 
très^belle,  fort  chaude.  Cette  fille  sensible  rit  fort  en  ren*^ 
contrant  des  marchandes  en  chemise  qui  causaient  sur  le 
porte  avec  leurs  bons  amis  en  costume  plus  simple  encore. 
La  Grève  était  moins  gaie.  «  Je  ne  vis  jamais,  dit^elle,  un 
lieu  plus  solitaire.  >  Beaufort  la  fit  passer  sur  les  poulMs 
Aimantes.  EUe  trouva  dans  un  cabinet  le  prévôt»  et  ks  sauva 
d'un  danger  qui  n'existait  phis. 

Il  était  presque  jour.  Paris  se  neconnaissait.  On  oom*- 
mençail  part<Hit  à  raconter  la  ehoae.  Et  tout  petembait  sur 
Condé.  «  Il  y  eut  un  mouvement.d'horreur,  »  dit  idy»  -*• 
Et  Mademoiselle  elle-même  :  i  Ce  fut  le  coup  de  m^sgoa 
pour  le  parti,  v  Et  le  prudent  Orner  Talon  ne  ftttpaa  difip* 
culte  de  dire  :  «  Le  eoup  le  plus  barbare,  le  plus  sauvage 
qui  se  soit  {ait  depuis  l'origine  de  la  monarchie.  » 

Condé  fit  Texpérienee  du  changement  terrible  qui  s'était 
fiiit  pour  lui.  Son  partisan,  le  eonseiller  Leboult,  vint  tmNif 
ver  le%deux  princes  à  la  tête  de  phisieurs  des  vietimes 
échappées,  et,  quand  Us  la  pressèrent  d'articuler  qui  Von 
croyait  coupable,  il  dit  fermement  :  «  Youa^  >  A  quoi  Condé 
ne  dit  rien  autre  obose,  sinon  %  que  personne  ne  dirait 
cela  qu'il  ne  le  fit  périr.  » 

Un  autre  de  ses  partisans,  le  conseiiler  Croissy>  se  déclara 
hardiment  contre  lui  quand  il  voulut  faire  recevoir  soB 

ami  Rohap  duc  et  pair.  Coudé  evt  vint  è  bout  par  la  igke- 
nuce^  et,  comme  il  raillait  Croiwy  en  sortant  et  disait 
qu'après  tout  il  n'agissait  que  pour  qhasaer  les  Massurin^» 
Çroissy,  en  levant  les  épiiules,  lui  dit  :  «  le  voudrais  91e 
personne  n'eût  pas  plus  d'intelligence  que  moi  avec  loi,  » 
Mot  wnglant  qui  notait  cette  duplicité  eiéoraMe  :  un  me»- 


LE  XKRROfiISMS  DE  GOfCDÉ.  S68 

sacre  o^^éré  pour  traiter  plus  facilement,  et  la  Fronde 
égorgée  pour  pouvoir  mieux  trahir  la  Fronde. 

L'indignation,  Tfaorreur  de  son  propre  parti,  l'obligé- 
nenC  de  donner  quelque  satisfaction  à  Topinion.  Il  fit  dire 
anx  églises  qu'on  révélât  ce  qu*on  saurait  des  auteurs  du 
massacre.  Ils  n'étaient  pas  difficiles  à  trouver.  Oi^  prit  tout 
d'abord  Le  petit  laquais  et  le  cuisinier  jde  Gondé.  On  les 
avait  vus  frapper  Miron  à  terre.  Le  rapporteur  de  l'affaire 
trouve  un  maàin  écrit  sur  sa  porte  :  «  Si  vous  les  faites 
moiurir,  vous  êtes  mort  I  » 

Ibis,  en  ies  défendaai,  Gondé  ae  fût  séparé  de  la  Fronde. 
L^assemblée,  chargée  de  nommer  un  nouveau  prévôt, 
oonama  Broussel  à  l'unanimité,  et  l'une  des  victimes 
échappées  du  4,  Charton,  J>rouillé  avec  les  prmces  et 
désormais  leur  ennemi,  eut  presque  autant  de  voix  que 
Browsael.  Gelni-^ci^  octogénaire,  maladif  et  de  plus  ea 
plus,  était  incapable  d'agir.  Sa  fermeté,  aa  probité  con- 
nue, portent  à  croire  capendaot  qu'il  n'accepta  qu'HU^ 
tant  que  l'on  ferait  justice.  Les  .deux  meurtriers  furent 
pendus. 

La  désertion  avait  réduit  Gondé  de  cinq  mille  hooames  à 
deux  mille  cinq  cents.  £t  il  n'osa  plus  même  les  tenir  cam- 
pés à  SaânA^-Victor,  oit  les  bourgeois,  piUés  et  irrités,  eus- 
sent fini  par  les  assommer.  Les  bouchers  et  jJQmhre 
d'iMmmea  |iareils^  pour  garantir  Retz,  disaient-ils,  avaient 
fait  da  cloître  Notre-Dame  une  place  d'anmes.  Les  itours 
étaient  pleines  de  poudres,  de  bailles  -et  de  grenades.  La 
tevreur,  ^lanoée  par  Condé,  lui  revint  à  lui-même.  Il  offrit 
aux  bûEfgeois  de  faire  pendre  ceux  qu'ils  voudraienl,  et 
finaleioeiit  «éloigna  seà  soldats  et  les  mit  bons  Paris  en 
qu'ils  ne  prendi»ient  fias  nm  épi  de  blé. 

CEependant  Ae  massacre  avait  eu  son  «effet.  Les  négocia- 
Ainent  phu  facilea.  MaEarin  se  «prit  platement  à 
que  Gosdé  était  fort,  qu'il  était  maître  de  la  ville, 
«t,  oomine  to  prétexte  «nique  et  denaier  de  la  résistance 


S64  FIN  DE  LA  FRONDE. 

était  sa  présence  à  la  cour,  il  fit  encore  la  comédie  de  se 
retirer  pour  un  temps. 

Condé  semblait  fou  de  fureur,  de  dégoût  de  lui-même. 
Pendant  que  la  grande  folle  Mademoiselle  essaye  de  le 
soutenir  d'argent,  il  se  rue  dans  Torgie  avec  une  corné* 
dienne,  si  bien  qu'il  en  tombe  malade.  On  croit  relire  l'his- 
toire de  Charles  IX,  qui  se  tue  sur  Marie  Touchct. 

Il  put  s'apercevoir  que  le  respect  était  perdu.  Rieux,  on 
de  ses  partisans,  lui  résistant  en  face,  il  lui  donne  un  souf- 
flet, reclaqué  sur-le-champ  à  la  joue  de  Condé.  On  les 
prit  tous  les  deux  au  corps,  ce  qui  n' empêcha  pas  qu'ils 
ne  pussent  encore  échanger  les  gourmades. 

Tout  le  monde,  sous  ses  yeux,  avait  quitté  la  pailk^ 
signe  de  son  parti,  pour  mettre  au  chapeau  le  papier^  le 
signe  royaliste.  Paris  et  lui  étaient  las  l'un  de  l'autre.  Les 
Espagnols  avaient  payé  le  duc  de  Lorraine  pour  venir  le 
secourir.  11  partit  de  bon  cœur  pour  aller  le  rejoindre.  Il 
enviait  la  vie  errante  de  ce  massacreur  mercena\re,)oyeux9 
plaisant  dans  les  horreurs  d'une  guerre  anthropophage. 

Voilà  Condé  et  Mazarin  partis.  Et  Condé  est  perdu. 
Mazarin  même,  quoique,  tenant  le  roi,  il  tienne  tout, 
aurait  peine  à  se  relever  (comme  on  verra)  sans  l'épée  de 
Turenhe. 

Que  reste-t-il  de  la  Fronde?  Rien  matériellement 
qu'une  prodigieuse  misère.  Et  moralement?  Pis  encore  : 
le  dégoût  de  l'action,  l'horreur  d'agir  jamais. 

Est-ce  tout?  Oui,  pour  le  présent.  Pour  l'avenir  et  pour 
l'effet  lointain,  une  chose  reste  :  une  langue^  un  esprit. 

Si  l'on  nous  passe  une  comparaison  un  peu  trop  fami* 
Hère,  et  basse,  si  l'on  veut,  mais  nette,  et  qui  explique  tout, 
la  France  avait  eu  jusque-là  comme  ce  frein  charnu  de  la 
langue  qu'on  coupe  quelquefois  aux  enfants  pour  leur 
donner  la  liberté  d'organe.  La  Fronde  nous  coupa  le  filet. 

On  put  croire  que  la  France  allait  être  lancée  cent  ans 


LE  TERRORISME  DE  CONDÉ.  S65 

plus  tôt  dans  une  audace  extraordinaire  d'esprit.  Mazarîno 
et  son  baragouinage  avaien  t  déchaîné  la  verve  comique, 
et  le  burlesque  même.  L'idolâtrie  royale  fut  atteinte  un 
moment,  et  ce  fut  un  fou  rire  d|avoir  vu  les  visages  sous 
les  masques,  surpris  les  dieux  dans  la  bassesse  humaine, 
rOiympe  sur  la  chaise  percée.  On  ne  s'arrêta  pas  au  mari 
de  la  reine.  La  reine  elle-même,  v  la  bonne  Suissesse,  » 
comme  dit  Retz,  que  le  peuple  appelait  sans  façon  Madame 
i4nne,  elle  fut  chansonnée,  et^  bien  plus,  racontée.  Le 
Rideau  du  lit  de  la  reine^  c'est  le  titre  d'un  de  ces  pam- 
phlets. Mais  voici  le  plus  fort.  Richelieu  sort  de  son  tom- 
beau. Son  petit  journal  (d'une  authenticité  terrible,  signé 
de  la  griffe  du  lion)  dit  au  nom  de  l'histoire  la  comédie 
intime,  bien  plus  forte  et  bien  plus  comique  que  n'auraient 
pu  rimaginer  le  faible  Marigny  et  le  bonhomme  Scarron. 

L'autel  n'impose  pas  beaucoup  plus  que  le  trône.  Les 
esprits  forts^  brûlés  naguère,  sont  en  faveur  dans  la  Fronde, 
hors  la  Fronde.  Ils  se  prélassent  au  Louvre.  L'intime  ami 
du  cardinal  de  Retz,  le  joyeux  Brissac,  qui,  la  nuit,  court 
les  rues  avec  ses  amis,  las  de  battre  le  guet,  trouve  plus 
amusant  de  battre  Dieu.  Voyant  le  Crucifix,  il  y  court  l'é- 
pée  haute,  en  criant  :  a  Voilà  l'ennemi  I  » 

Le  favori  de  Richelieu^  Beautru  l'athée,  n*en  est  pas 
moins  toujours  chez  la  dévote  reine,  comme  un  animal 
domestique,  chien  ou  chat  favori.  Ses  bons  mots  sont 
célèbres.  Un  jour,  à  la  procession,  il  ôte  son  chapeau  de- 
vant le  Crucifix.  «Quoil  dit-on,  vous,  Beautru?  — Oh  I 
dit-il,  nous  nous  saluons,  mais  nous  ne  nous  parlons 
pas.  » 

Est-ce  Vanini  qui  ressuscite  ?  ou  bien  déjà  Diderot?  Rien 
de  tel?  Les  grandes  révoltes  sont  ajournées.  La  petite 
affaire  janséniste  va  absorber  les  plus  hardis. 

Tant  d'agitations  inutiles  ont  excédé  l'esprit  public.  C'en 
est  fait  de  la  comédie  pour  quelque  temps.  On  souffle  les 
chandelles,  et  la  farce  est  jouée.  L'auditoire  est  heureux 


266  fOi  M  LA  mosBUÊ* 

à'èUe  mis  à  ta  porte.  Il  bàitte  et  i^a  se  Bieltre  eu  Ik.  Les 
bottffens  de  la  pièce,  psmphléiaipes,  aaliriqiiea,  neuis 
gagés,  n'y  gagnant  pins  leur  vie,  toument  laMAldt  m 
madrigal,  plus  lucratif,  soupirent  à  tant  par  vers^  ei  riaient 
pour  les  ballets  du  roi. 

Ce  roi  jeune  et  galant,  qui  danse  le  Zéphfr^  qui  à  lui 
seul  joue  les  Jeux  et  les  m,  qui  imà  k  Tlieupe  sera  Phébus 
ou  le  Soleil  {soleil  d'amour  des  Manctai^  des  La  Hothe  et 
des  La  Vallière),  voîlà  Tidole  de  èa  paix,  le  culte  nouTean 
de  la  France.  Si  elle  est  vraiment  amouresKc,  elle  est 
femme,  et  ne  rira  plus. 

Qui  trouviera-t-on  qui  rie  •encore?  qui  garde  l'eqiril  de 
la  Fronde?  Un  seul  homme  pent-èire.  Dans  un  triste 
bôtd  du  Marais,  non  loin  de  Marion  fieloroDe  et  de  la 
jeune  Ninon,  l'Homère  grotesque,  le  Virgile  aal-de-iaile, 
Scarron,  fait  le  Boman  o^migue.  Bieur  obstiné,  intrépide, 
il  rit  sur  son  grabat,  sur  ses  profires  ruines,  sur  les  mines 
du  monde.  Il  se  divertit  à  conter  la  vie  aventureose  d'une 
société  de  carnaral,  aussi  morale,  aussi  rangée  que  Fad* 
miniatration  de  Mazarin  et  4e  Fouqoet.  Peinture  diver* 
tissante  et  basse,  liais  plus  basse,  de  beaucoup,  est 
la  réalité  de  ce  temps  «-là,  lorsque  BiagoÉin  trône  an 
Louvre» 

La  meilleure  force,  an  reste,  de  Scarron,  c'est  celle  qu'il 
a  faite  sans  en  deviner  la  portée.  Je  paiile  de  son  naariage. 
La  jeune  Âubigné,  qu'il  nourrit,  qu'A  élève  QoUe  petite 
prude  qu'il  prend,  ma  foi^  pour  lui),  comme  il  rirait  s'H 
prévoyait  qu'il  la  prépare  pour  le  gruid  roi  I  Tant  pis  pour 
celui-ci,  qui  n'y  pense  que  trente  ans  trop  tard.  Seamon 
doit  passer  avant  Ini. 

Qae  fAt-il  devem,  le  pauvre  bomme,  si  d'avance  il  eftt 
lu  les  deux  inscriptions  qu'on  Toitamx  veAtes  «de  la  nhn- 
pelle  de  Versailles,  et  qui  disent  si  bien  les  deua  reUgions 
de  l'époque  :  le  rot  le  «dieu  du  qpei^)le,  M  madame  Aiorron 
4ien  du  roi  ! 


LE  TBRRORISMK  DB  GONDÉ.  267 

IfUrabit  in  templum  suum  dominator.  Le  roi  entrera  dans 
son  temple. 

Rex  concupiscet  decorem  tuum.  Ta  beauté  remplira  le  roi 
de  désir  et  de  concupiscence. 

Voilà  pourquoi  la  foule,  en  ces  derniers  temps  de 
Louis  XIV,  s'obstinait^  dit  Racine,  à  demander  et  faire 
jouer  les  farces  de  Searroa.  On  révoquait  pour  voir  cette 
vengeance  de  la  Fronde.  Scarron  ne  revint  pas.  Il  eût  trop 
ri.  Il  eût  eu  l'aventure  de  TArétin,  qui,  dans  un  tel  accès, 
tomba  k  la  renverse  et  se  cassa  la  tête.  U  fût  mort  une 
seconde  fois. 


CHAPITRE  XXV 


Turenne  relôve  Mazarin.  —  Hôgne  de  Mazarin.  i6t$i-i<>37. 


Les  Mémoires  véridiques  du  modeste  Turenne  et  ceux 
de  son  jeune  lieutenant  Yorck  (depuis  Jacques  II)  nous 
apprennent  que,  sans  la  fermeté  de  ce  grand  militaire,  la 
cour  et  Mazarin  lâchaient  pied,  cédaient  tout.  N'étant  reçus 
ni  à  Paris,  ni  à  Rouen,  ni  dans  aucune  viUt  de  France, 
sans  lui,  ils  fuyaient  jusqu'à  Lyon. 

C'est-à-dire  que  Paris^  que  la  France,  qui  vomissait 
Condé,  ne  voulait  pas  pour  cela  ravaler  Mazarin.  Excessif 
était  le  dégoût,  et  la  nausée  mortelle.  Pour  qu'on  subit 
cette  odieuse  médecine,  il  fallut  un  peu  d*aide.  Il  fallut 
la  douce  contrainte  d'une  exécution  militaire  par  trois 
armées  (de  Turenne,  de  Condé  et  des  Lorrains),  qui  fit 
de  la  banlieue,  à  dix  lieues  à  la  ronde,  un  désert  compa- 
rable à  ceux  de  Picardie  et  de  Lorraine. 

Turenne,  qui  s*effâce  partout  ailleurs,  dit  ici  nette- 
ment (et  je  le  crois)  qu'il  eut  les  grandes  initiatives  du 
temps  : 

1°  Il  arrêta  la  cour,  effrayée  de  l'entrée  des  Espa- 
gnols qui  venaient  secourir  Condé  ;  il  Vempicha  de  fuir 
(juillet  4652). 

2^  Mazarin,  s' éloignant  encore  pour  apaiser  et  faire 
céder  les  résistances  de  Paris  (août),  Turenne  prit  toute 


RÈGNE   DE  MAZARIN.  269 

précaution  pour  que  cet  éloignement  ne  fût  pas  définitif 
et  pour  assurer  son  retour, 

30  11  inquiéta  les  Espagnols,  qui  n'allèrent  pas  plus  loin 
que  Laon.  11  prit  une  bonne  position  à  Yilleneuve-Saint- 
Georges,  et  y  tint  un  mois  en  échec  Condé  et  les  Lorrains 
(septembre). 

4""  Enfin,  il  donna  à  ia  cour,  à  la  reine  et  au  jeune  roi 
le  courage  de  rentrer  dans  Paris,  qu'ils  redoutaient  tou- 
jours. A  ce  point  qu'arrivés  aux  portes,  et  sachant  que 
Monsieur  y  était  encore,  la  peur  qu'ils  eurent  de  ce  peu- 
reux leur  eût  fait  rebrousser  chemin  si  Turenne  n'avait 
insisté,  se  mettant  au  môme  carrosse,  et  les  couvrant  de 
la  présence  du  redoutable  général  qui  venait  de  primer 
Condé  (21  octobre). 

La  chose  réussit.  Le  peuple  applaudit  fort  le  roi.  Déjà 
le  clergé  de  Paris,  Retz  en  tête,  les  corps  de  métier, 
l'avaient  prié  de  revenir.  Le  22,  le  parlement  est  mandé 
au'Louvre,  dans  une  salle  pleine  de  soldats  et  sous  l'œil 
de  Turenne.  Là,  ce  beau  jeune  roi,  qui  la  veille  avait  été 
si  près  de  rebrousser  chemin,  fait  lire  aux  magistrats, 
vaincus  sans  combat,  la  défense  de  se  mêler  d'aucune 
affaire  publique,-  ni  spécialement  de  ses  finances,  ni  en- 
treprendre contre  ceux  à  qui  il  confie  l'administration. 
C'est  la  proclamation  solennelle  et  définitive  de  la  monar- 
chie absolue,  du  grand  règne,  et  de  l'âge  d'or,  qui,  parti 
de  la  banqueroute,  aboutit  en  un  demi-siècle  à  la  sublime 
banqueroute  des  trois  milliards  qui  rasa  le  pays. 

Le  cardinal  de  Retz,  qui,  dès  septembre,  a  reçu  le  cha- 
peau, est  accueilli,  caressé  et  choyé.  La  reine  lui  déclare 
que  lui  seul  a  mis  le  roi  dans  Paris  (éloge  vrai,  il  divisa  la 
Fronde).  Et  lui  seul  aussi  est  frappé.  Le  18  décembre,  on 
le  met  à  Vincennes.  Alors  Mazarin,  rassuré,  hasarde  de 
rentrer  à  Paris  (février  <  653) . 

Ce  qui  rend  dans  tout  cela  l'initiative  de  Turenne  bien 
étonnante,  c'est  que  seul  à  la  cour  il  s'obstina  pour  Maza- 


d70  TURBnfK  RELÈVE  XA2ARIN. 

riiir  La  reine  était  enlovrée  de  gens  tassé»  et  excééi»  ée 
lui.  Elle  avait  sous  la  main  im  homme  digse  et  capable, 
€hftteMmen£,  qui  Veài  remplacé.  L'ammit-elle  eneore  té- 
ritablemewt?  Elle  venait  de  sentir  soa  iagralitudey  sa  per* 
versité  (d«is  la  tentative  de  kii  enlever  le  jevne  toi  paar 
le  goût  des  plaisirs  honteux).  Dès  son  prenrier  voyage, 
elle  avait  paru  vacillante.  Combien  plus  au  second  !  Par 
quoi  la  tenait-il  ?  Trës-probaMement  par  le  mariage*  Man- 
geuse et  fort  sanguine,  sensuelle  et  dévote,  le  tempéra- 
ment, les  scrupules,  la  ramenaient  k  cet  homme  méprisé, 
odieux,  dont  elle  avait  besoin.  Elle  le  dit  nettement  daiK 
une  lettre,  comme  les  femmes  n'en  écrivent  guère  (V. 
Ravenel,  Walckenaër,  Séoigné,  et  Cousin,  Uauiefori).  Elle 
y  avoue  «  qu'elle  n'en  peut  plus...  Et  lisait  bien  de  quoi,  i 

Turenne,  très^bon  observateur,  vit  cda,.  et  conclut  que, 
de  toute  façon,.  Mazarin  finirait  par  revenir.  II  craignit  de 
compliquer  la  résistance  militaire  par  une  révolution 
de  cour. 

Cela  semblait  d'un  esprit  positif,  d'une  politique  pru- 
dente, basse,  il  est  vrai,  mais  sûre.  Si  ce  coquin  était  in- 
dispensable, si  le  salut,  la  paix,  étaient  en  lut,  il  fallait 
bien  le  prendre.  Mais  on  eût  pu  cependant  objecter  que 
Turenne,  en  portant  si  haut  le  drapeau  de  Maiarin,  en 
voulant  même,  à  son  départ,  qu*on  déclarât  qu'ii  reinm- 
draUf  se  créait,  par  la  force  de  ce  nom  détesté,  une  dif- 
ficulté très-réelle  et  au  roi  un  obstacle.  Il  n'y  parut  pas 
dans  le  Nord,  mais  beaucoup  dans  le  Centre,  et  encore 
plus  dans  le  Midi.  Tandis  qu'on  avait  si  peu  de  foroes 
devant  l'invasion  espagnole,  il  fallut  employer  des  troupes 
en  Bourbonnais,  et  -bien  plus  en  Guyenne,  où  la  résis* 
tance  contre  Mazarin  dura  un  an  encore.  Pourquoi?  H 
s'obstinait,  dans  ce  grand  péril  de  la  France,  à  faire  rece- 
voir à  Bordeaux  le  fils  du  duc  d'Épernon»  plus  détesté  que 
Mazarin  même,  mais  qui  devait  épouser  sa  nièce  ! 

Hors  de  la  guerre,  Turenne  était  un  très-pauvre  homme, 


RÈGIIB  Dl  MAZARIN.  S74 

tout  à  taii  terre  à  terre,  et,  s'il  ne  fit  jamais  de  mauvaise 
manœuvre,  il  fit  bien  des  fausses  démarcbes* 

k  lire  ce  qui  précède,  on  le  croirait  un  Maehiatvel,  un 
égCNlste  et  hardi  courtisan,  qui  eût  calculé  que,  cadet  et 
pauvre,  simple  vicomte  de  Turenne,  il  arriverait  plutôt 
au  commandement  général  des  armées  en  se  donnant 
pour  maitre  un  étranger  isolé,  méprisé.  Mais  ce  n'est  pas 
cela.  Ses  vrais  motifs  furent  autres,  tout  militaires.  Pour 
les  comprendre,  il  faut  connaître  les  hommes  de  la  guerre 
de  Trente  ms» 

Turenne  et  sa  petite  armée  étaient  une  même  personne, 
presque  autant  que  l'armée  de  Lorraine  et  son  duc,  l'aven- 
turier célèbre.  Chacun  des  avis  de  Turenne  et  de  ses  con- 
seils à  la  cour  fut  absolument  relatif  à  la  position  et  au 
salut  de  cette  armée.  Quand  il  empêcha  en  juillet  la  cour 
de  fuir  à  Lyon,  on  allait  l'affaiblir  encore,  lui  prendre  une 
escorte  de  deux  mille  hommes;  et  cette  armée,  ainsi 
mutilée,  frappée  moralement  par  l'abandon  du  roi,  eût 
bientôt  cessé  d'exister.  Quand  il  exigea  en  octobre  que  le 
roi  hasardât  de  rentrer  à  Paris,  ce  fut,  dit-il,  parce  que, 
sans  cela,  il  n'y  eût  eu  pour  l'armée  «  ni  argent  ni  quar- 
tier d'hiver.  Les  ofiiciers  quittoient  déjà  tous  les  jours, 
faute  de  subsistances.  » 

Comprenons  bien  ce  que  c'est  que  Turenne. 

Les  très-bons  portraits  qu'on  en  a  donnent  une  tète 
assez  forte,  médiocre,  bourgeoise,  où  personne  ne  devine- 
rait le  descendant  des  Turenne  du  Midi,  ni  le  frère  de 
M.  de  Bouillon*  C'est  un  terne  visage  hollandais  (il  l'était 
de  mère  et  d'éducation),  qui  tournerait  au  bonasse  s'il 
n'avait  la  bouche  fort  arrêtée,  réservée,  mais  très-ferme. 

Cet  homme  de  si  grande  résolution  était  hésitant  de  pa- 
role, trivial,  ennuyeux,  filandreux.  L'état  d'infériorité  où 
il  fut  longtemps,  comme  cadet  et  bas  ofiicier  dans  les  ar- 
mées de  la  Hollande,  resta  en  lui  toute  sa  vie.  11  était  fort 
modeste,  fort  serré,  non  avare,  mais  extrêmement  éco* 


272  TURBNNB  RELÈVE  MAZARIN. 

« 

nome.  Ses  lettres  de  jeunesse  le  disent  assez.  Il  y  parle  et 
reparie  de  son  habit  qui  passe.  Lui- môme  il  était  né  râpé. 

Son  flegme  était  extraordinaire,  et  rien,  pas  même  la 
plus  brusque  surprise,  ne  l'en  faisait  sortir.  Tout  le  monde 
sait  l'anecdote  suivante,  qui,  du  reste,  lui  fait  honneur.  Il 
se  levait  de  fort  bonne  heure.  Un  matin  qu'il  prenait  Tair 
à  la  fenêtre,  un  de  ses  gens,  voyant  un  homme  accoudé  là 
en  bonnet  de  coton,  le  prend  pour  son  camarade,  et  lui 
applique  amicalement  un  énorme  soufflet  au  bas  du  dos. 
L'homme  se  retourne,  et  c'est  Turenne.  «  Monseigneur, 
s'écrie  le  frappeur  à  genoux,  j'ai  cru  que  c'était  Georges.., 
—  Mais,  quand  c'eût  été  Georges^  dit  Turenne  en  se  frot- 
tant, il  ne  faut  pas  frapper  si  fort.  » 

'L'homme  était  excusable.  Et  tout  le  monde  croira  voir 
Georges  si  vous  mettez  à  ses  portraits  un  bonnet  de  coton. 

En  ce  temps  d'emphase  espagnole  et  de  héros  à  la  Cor- 
neille, la  prose  apparut  dans  Turenne.  On  vit  que  la  guerre 
était  chose  logique,  mathématique  et  de  raison,  qaM\e  ne 
demandait  pas  grande  chaleur,  tout  au  contraire,  un  froid 
bon  sens,  de  la  fermeté,  de  la  patience,  beaucoup  de  cet 
instinct  spécial  du  chasseur  et  du  chien  de  chasse,  parfai- 
tement conciliable  avec  la  médiocrité  de  caractère. 

Les  Mémoires  de  Turenne  n'indiquent  pas  qu'il  ait  jamais 
eu  une  émotion,  jamais  aim^,  jamais  haï.  On  dira  que  ce 
sont  des  Mémoires  militaires,  et  qu'il  n'a  voulu  qu'expli- 
quer ses  opérations.  Cependant  il  est  surprenant  de  voir 
que  même  les  maîtres  de  son  art,  le  grand  Gustave,  l'ha- 
bile et  savant  général  Merci  (son  vrai  maître  en  réalité), 
n'obtiennent  à  leur  mort,  d'un  écrivain  si  prolixe,  pas  un 
mot  de  sympathie.  Une  ligne  pour  Gustave  dans  une  lettre, 
une  pour  Merci  dans  les  Mémoires,  et  voilà  tout.  Cepen- 
dant, à  Nordlîngen,  si  Merci  n'eût  été  tué,  Turenne  n'eût 
pas  sauvé  Condé,  et  la  bataille  était  perdue. 

Il  est  bien  entendu  que  les  effroyables  événements  qu'il 
traverse,  l'état  du  peuple  que  son  armée  dévore,  lui  sont 


RÈGNE  DE  MAZARIN.  273 

parfaitement  indifTérents.  Il  y  a  de  temps  en  temps  une 
ligue  funèbre,  mais  rien  de  plus.  «  Pas  un  paysan  dans  les 
vUlages  »  (d'Alsace,  p.  363).  —  «  On  passe  cent  villages 
sans  rencontrer  un  homme  »  (en  Palatinat,  p.  342).  — 
«  Dans  ce  pays  (de  Moselle),  il  n'y  a  pas  de  quoi  nourrir 
quatre  hommes  »  (p.  399). 

Quant  aux  environs  de  Paris,  on  sait,  mais  non  par  lui, 
dans  quel  état  ils  se  trouvaient,  pillés  et  repillés,  ravagés, 
affamés,  outragés  par  les  trois  armées,  puis  empestés  des 
cadavres  innombrables  d'hommes  et  de  chevaux.  Les 
belles  dames  de  Paris  s'en  vont,  en  se  bouchant  le  nez,  à 
travers  les  charognes,  faire  collation  dans  ces  armées,  et 
Turenne  fait  taire  le  canon  quand  Mademoiselle  va  visiter 
Condé.  Mais  ces  galanteries  ne  diminuent  point  l'horreur 
de  la  guerre.  «  Depuis  cinq  ans,  ni  moisson  ni  vendange 
(V.  Feillet).  Nous  rencontrons  des  hommes  si  faibles, 
qu'ils  rampent  comme  des  lézards  sur  les  fumiers.  Ils  s'y 
enfouissent  la  nuit  comme  des  hôtes,  et  s'exposent  le  jour 
au  soleil,  déjà  remplis  et  pénétrés  de  vers.  On  en  trouve 
gisant  péle-méle  avec  leurs  morts,  dont  ils  n'ont  pas  la 
force  de  s'éloigner.  Ce  que  nous  n'oserions  dire,  si  nous 
ne  l'avions  vu,  ils  se  mangent  les  bras  et  les  mains,  et 
meurent  dans  le  désespoir.  » 

Le  duc  de  Lorraine,  en  ces  ciioses,  était  admirable,  li 
disait  que  son  armée  ne  pouvait  manquer  de  vivres,  parce 
qu'au  besoin  elle  mangeait  les  morts  ou  les  blessés.  Il  était 
bon  et  indulgent  pour  les  jeux  du  soldat.  Un  de  ces  jeux, 
à  Lagny,  c'est  de  rôtir  un  enfant  dans  un  four  ;  ailleurs^ 
de  voir  lequel  du  mari  ou  de  la  femme,  tous  deux  fouettés 
d'épines  à  mort,  mourra  le  premier  dans  son  sang.  Cette 
armée  était  gaie,  comme  son  chef,  et  facétieuse.  On  s'y 
amusait  fort.  Une  des  raisons  décisives  qui  firent  quitter 
Paris  à  Condé,  nous  assurent  les  plus  graves  témoins,  c'est 
qu'il  s'amusait  beaucoup  plus  dans  cette  vie  d'agiéable 
aventure. 

XII.  £8 


274  TURENNB  RKLÈVK  «AZARIN. 

Turenne  n'aimait  pas  les  gaietés  ei^eMi^fiB,  non  pa» 
souci  du  peuple,  mais  parce  qu'acnés  ensauvagent  le  soÛol 
et  le  rendent  indîscipKnable.  Il  aimait  les  hommes  rangés^ 
laborieux,  patients,  à  son  image,  et  il  kes  fliisiiil  lels  peur 
llntérét  du  service.  Aux  batailles  et  aux  eampemeofii,  il 
ne  se  fiait  pas  aux  bas  officiers,  comme  tes  Espagnols,  ni 
dans  les  sièges  aux  ingénieurs,  comme  les  HoUendeis.  Il 
allait  le  matin  à  la  tranchée;  il  y  allait  le  seîr,  et  il  yr^^ 
tournait  pour  la  troisième  fois  après  souper.  Lui-ménue,  il 
instruisait  sans  cesse  les  capitaines  de  ce  qu'il  y  avait  à 
faire.  C'était  un  maître  autant  qu'un  général.  Il  les  formait 
soigneusement,  ne  les  traitait  nullement  comme  des  ma- 
chines. Parfois  même,  cet  homme  serré,  économe,  pour 
s'assurer  d'un  officier  qui  pouvait  être  utile,  allait  jusqu'à 
ouvrir  sa  bourse  personnelle  et   le  remontait   de  son 
argent. 

Il  connaissait  parfaitement  Tennemi,  et  devÎMÎf  heure 
par  heure  ce  qu'il  faisait  ou  voulait  fliive.  M  eomprit  en 
juillet  1652,  quand,  avec  sept  mille  hommes,  il  nvarcba 
contre  trente  mille,  que  les  Espagnols  ne  voulaient  pas 
sérieusement  l'invasion,  qu'ils  ne  voulaient  pas  faire  Condé 
roi  de  France,  qu'ils  ne  s'amuseraient  pas  à  conquérir  ici 
pour  rendre  bientôt,  et  qu'ils  tenaient  bien  plus  à  repren* 
dre  leurs  places  de  Flandre.  Il  savait  qu'au  moment  où 
ils  faisaient  Condé  leur  général,  ils  s'en  défiaient^  et  que 
l'assurance  même  de  Turenne  à  marcher  si  faible  contre 
eux  au^'mcnlerait  leurs  soupçons.  Ce  qui  pouvait  y  ajou- 
ter, c'est  que  tous  deux  entretenaient  (par  pur  amour  de 
l'art)  une  currespondance.  Turenne  n'avait  pas  un  succès 
que  respectueusement  il  ne  fît  juge  son  ancien  général  des 
soins  qu'il  prenait  pour  le  battre. 

Si  Condé  n)éritait  d'être  puni  pour  avoir  passé  aux  Es- 
pagnols, il  le  fut  à  coup  sûr.  Ils  le  firent  générai,  mais  en 
le  liant,  l'entravant.  Des  lieutenants  comme  un  gouver- 
neur des  Pays-Bas,  ou  un  duc  de  Lorraine,  ne  pouvaient 


RÉGNE  0B  MÀ7ARm.  275 

obéir.  Et  d'ailleurs  la  vieille  tactique  espagnole  des  temps 
de  Charies-Quint,  leur  méthode^les  campements  romains, 
retranchés  chaqve  soir,  mettait  obstacle  à  tout.  La  hiérar- 
chie était  inflexibie,  l'étiquette  immuable,  à  l'armée  tout 
comme  à  Madrid.  Un  jour  que  Turenne  observait  leur 
camp  de  très-près,  ses  lieutenants  s'étonnèrent  de  voir  un 
homme  si  sage  se  hasarder  ainsi.  Il  répondit  :  c  Soyez 
tranquille.  Le  commandant  de  ce  quartier,  Fernand  de 
Solis,  n'entreprendra  rien  de  son  chef.  Il  enverra  deman- 
der permission  au  général  Fuensaidgne,  lequel  ne  fera 
rien  sans  en  avertir  l'Archiduc.  Mais  TArchidUc  a  tant 
d'égards  pour  le  prince  de  Condé,  qu'il  le  fera  prier  de 
décider  avec  lui  en  conseil  de  guerre  sur  ce  qu'on  pourrait 
faire.  Donc,  nous  avons  le  temps  d'observer.  Nous  ne  ris- 
quons rien,  sauf  peut-être  un  coup  de  canon,  v 

Ce  fut  encore  bien  pis  quand  Dun  Juan  d'Autriche,  le 
fils  du  roi  d'Espagne,  vint  succéder  à  l'Archiduc.  A  chaque 
campement,  en  arrivant,  il  se  mettait  au  lit.  L'occasion  la 
plus  favorable  de  livrer  bataille  fut  perdue  une  fois,  parce 
qu'on  n'osa  pas  l'éveiller. 

Turenne  crut  qu'en  combattant  des  gens  si  sages  on 
pouvait  être  hardi.  En  1653-1654,  n'ayant  encore  que  des 
moyens  très- faibles,  il  prit  les  places  de  Champagne  que 
possédait  Condé,  et  qui  étaient  le  vrai  chemin  de  l'inva- 
sion, comme  il  l'explique.  Puis,  lorsque  Condé,  fortifié  de 
deux  armées,  espagnole  et  lorraine,  essaya  par  la  Picar- 
die ce  qu'il  ne  pouvait  plus  par  la  Champagne,  Turenne 
audacieusement  (et  seul  de  son  avis)  ne  couvrit  point 
Paris.  Il  passa  derrière  l'ennemi,  et  se  mit  entre  lui  et  les 
Pays-Bas.  Cependant,  à  Péronne,  Condé  crut  pouvoir 
l'accabler.  Mais  le  général  espagnol,  qui  avait  peut-être 
défense  de  livrer  bataille,  exigea  un  conseil  de  guerre.  Or, 
pendant  le  conseil,  Turenne,  qui  avançait  toujours,  était 
déjà  en  sûreté. 

Ses  misères  n'étaient  pas  finies.  Dans  les  années  qui 


276  TURUINB  RELÈVE  MAZàRIN. 

suivent,  il  opéra  avec  des  armées  bien  plus  fortes.  Hais 
son  indigne  maître,  Mazarin,  comprit  si  peu  le  signadé 
bonheur  qu'il  avait  eu  d'être  sauvé  par  un  tel  homme, 
qu'il  lui  donna  toujours  pour  égaut  dans  le  commande- 
ment le  médiocre  La  Ferté,  qui  arrivait  toujours  trop  tard, 
s'étonnait,  s'embrouillait.  Bien  plus,  le  brutal  Hocquin- 
court,  un  soldat  inepte  et  perfide^  dont  le  mérite  unique 
était  d'avoir  offert  d'assassiner  Ck>ndé  et  d'avoir  ramené 
Mazarin . 

On  voit  très-bien,  dans  les  récits,  quoique  modestes  et 
fort  doux  de  Turenne,  jamais  accusateur,  combien  ces 
généraux  de  Mazarin  lui  furent  embarrassants  et  dange- 
reux. En  1654,  la  grande  armée  des  Espagnols  voulant 
reprendre  Arras,  Turenne  exigea,  décida  qu'on  forcerait 
leurs  lignes.  La  Ferté,  Hocquincourt,  ne  s'en  souciaient 
pas,  et  croyaient  la  chose  impossible.  Us  s'y  prirent  de 
manière  qu'elle  le  devint  presque  en  effet.  L'attaque  gé- 
nérale devait  se  faire  la  nuit;  ils  n'arrivèrent  qu'au  iour. 
Mais  déjà  Turenne  seul  avait  forcé  les  lignes  et  défait  Ten- 
nemi. 

Cela  ne  décourage  pas  Mazarin.  Il  maintient  La  Ferté 
pour  commander  avec  Turenne.  Il  en  résulte  à  Valencien- 
nés  (1656),  qu'ils  assiégeaient,  le  plus  terrible  événement. 
Les  Espagnols,  ayant  rompu  la  nuit  les  écluses  des  marais 
voisins,  attaquent,  à  la  faveur  de  cette  inondation,  le 
corps  de  La  Ferté,  ne  rencontrent  nulle  garde  avancée, 
prennent  le  général,  tous  les  officiers,  tuent  quatre  mille 
hommes.  Tout  cela  en  un  quart  d'heure.  Jamais  le  sang- 
froid  de  Turenne  ne  parut  davantage.  Lui  seul^  il  n'eut 
pas  peur,  n'éprouva  aucun  trouble,  retira  son  canon,  et 
s'en  alla  au  petit  pas.  L'armée  croyait  rentrer  en  France, 
et  déjà  le  bagage  en  avait  pris  la  route.  Mais  Turenne  Je 
fit  arrêter,  resta  en  pays  ennemi,  campa  près  du  Quesnoy. 
Les  ennemis,  ayant  eu  du  renfort,  semblaient  devoir  venir 
à  lui.  Les  nôtres  étaient  d'avis  de  ne  pas  les  attendre.  Tu- 


RÈGNE  DE  MAZAROf.  277 

renne  ne  bougea,  attendit.  Les  Espagnols  respectèrent  son 
repos. 

Notons  un  fait  piquant.  Dans  une  occasion  (Mém. 
d'Yorck,  p.  589),  Turenne  a  peur,  Mazarin  n'a  pas  peur. 

Les  prêtres  et  les  femmes  ne  craignent  rien.  Il  s'agis- 
sait de  passer  une  rivière  sous  le  feu  de  l'ennemi  ;  mais 
devant  la  rivière  il  y  avait  encore  des  marais  et  des  re- 
tranchements, des  fossés,  et  l'on  n'arrivait  au  passage 
que  par  une  étroite  chaussée.  Mazarin  soutenait  que,  le 
roi  étant  là  en  personne,  on  devait  braver  tout,  passer. 
Turenne  objecta  qu'on  perdrait  trop  de  monde.  Mais  cela 
n'eût  guère  arrêté  s'il  n'eût  montré  la  chose  comme  abso- 
lument inutile,  parce  qu'on  pouvait  passer  plus  bas. 

Ëtait-ce  humanité?  Non,  prudence  et  bon  sens.  Des 
romanciers  ont  travesti  Turenne  en  je  ne  sais  quel  phi- 
lanthrope, un  Fénelon  guerrier.  Il  n'y  a  rien  du  tout  de 
cela.  La  réalité  est  que  la  guerre  de  Trente  ans,  ayant 
perdu  ses  fureurs,  ses  chaleurs,  ayant  usé  cinq  ou  six 
générations  de  généraux,  de  plus  en  plus  indifférents, 
sans  passions  et  dégagés  d'idées,  a  fini  par  produire 
l'homme  technique  ou  l'art  incarné,  lumière,  glace  et 
calcul.  Nulle  émotion  ne  reste  plus.  C'est  la  guerre  quasi 
pacifique,  mais  non  moins  meurtrière. 

Un  froid  mortel  saisit;  une  Sibérie  à  geler  le  mercure. 
On  voyage  dans  la  nuit  des  pôles,  plus  lumineuse  que  le 
jour,  où  l'on  voit  des  batailles  de  glaces  heurtant  les 
glaces,  de  cristaux  brisant  des  cristaux.  Un  grand  désert. 
Plus  d'hommes,  et  pas  même  de  morts.  Et  même  on  ne 
s'en  souvient  plus. 


CHAPITRE  XXVI 


Paix  «nirersellQ.  •»  Tnonphe  cft  mort  de  Su arÎD.  t<KIS-t689. 


llazarin,  oa  l'a  vu  avaat  k  Fnoade,  aTail  pendent  eioq 
IBS  exploité  le  royaume  par  la  force  d'opinion  qoe  hri 
donnait  alors  un€  victoire  aAauelle  de  Condé.  Pandant  sept 
ans  (après  la  Fronde),  il  se  releva,  brilla,  graiicUt  par  les 
solides  résultats  des  succès  de  Titrenne.  Il  eo  tira  cette 
gloire  qu'à  la  dernière  campagne  TEapagne,  aérieusemest 
menacée  de  la  perte  des  Pays-Bas,  reobevcha,  deaunda 
(i658)  la  paix  que  Mazarin  avait  d*abord  offerte^ 

Donc,  par  deux  fois  le  géaie  militaire  eoïKvrii  éenmi 
r£urope  la  honte  d'un  gouverneoient  vil,  trompa  sur  son 
habileté. 

Ce  qAii  est  évident,  c'est  qa'au  tenais  du  plas  grand  pé- 
ril (4652),  et  constamment  dans  les  années  qui  suivent, 
Mauurin  subordonna  entièroinont  les  afhires  de  la  France  : 
1®  au  placement  de  sa  famille,  au  mariait  de  ses  nièoea  ; 
^  à  son  avarice,  à  la  création  d'une  énorme  fortune,  la 
plus  monstrueuse  qu'aucun  ministre  eût  eue  jamais.  Ni 
Concini,  ni  Luynes,  ne  sont  rien  à  côté. 

Pour  faire  cardinal  son  frère,  il  avait  presque  fait  la 
guerre  au  pape,  et  ce  frère,  un  moine  imbécile,  il  le  fit 
vice-roi  de  Catalogne.  Pour  cette  position  si  importante. 


TRI0MPU8  KT  MORT  DB   MAZARIIf.  879 

si  précieuse,  qui  ikjus  mettait  au  cœur  de  l'Espagne,  on 
enttt  dû  ménager  le  peuple  catalan  à  tout  prix. 

Pour  marier  une  nièce  au  tils  du  duc  d'Épernon,  il  ai-- 
grit,  prolongea  la  guerre  de  Guyenne,  la  résistance  de 
Bordeaux, 

Pour  décider  le  prince  de  Gonti  à  épouser  une  autre 
Mancini,  il  donna  à  ce  prince,  élevé  pour  l'Église,  contre- 
fak,  qui,  d'ailleurs,  n'avait  point  vu  la  guerre,  l'armée 
des  Pyrénées,  celle  qui,  parla  Catalogne  et  TAragon,  de- 
vait prendre  TEspagne  corps  à  corps. 

Une  autre  nièce  épouse  le  frère  du  duc  de  Modène,  qui, 
awec  la  Savoie,  nous  fait  attaquer  et  manquer  Pavie.  C'est 
par  un  mariage  semblable  que  le  prince  Thomas  de  Sa- 
voie gagne  le  cœur  de  Mazarin.  Son  fils,  le  comte  de  Sois-* 
sons,  épouse  Olympe  Mancini,  dont  il  aur^  le  prince  Eu- 
gène, le  futur  fléau  de  la  France. 

Au  total,  il  avait  sept  nièces,  qui  toutes  eurent  des  dots 
énormes,  la  moindre  six  cent  mille  livres  (d'alors)  et  le 
gouvernement  d'Auvergne.  La  plus  riche,  dont  le  mari 
s'appela  duc  de  Mazarin,  eut,  à  la  mort  de  Toncle,  un 
million  et  demi  de  rentes  (six  millions  de  rentes  d'aujour- 
d'hui). 

M.  de  Sismondi,  savant  économiste,  s'efforce  d'expli- 
quer comment  la  France,  après  la  guerre  civile,  put  u 
remettre  sous  Mazarin.  Vaines  explications.  Les  faits  mon- 
trent qu'eiie  iu  s^  remit  pas  du  tout. 

Huit  ans  après  la  Fronde,  l'année  même  où  meurt  Ma- 
zarin (4660),  les  rapports,  cités  par  M.  Feillet,  nous  ap- 
prennent celte  chose  lamentable  que  non-seulement  aux 
provinces  frontières  (Bourgogne,  Picardie,  Champagne, 
Lorraine),  mais  dans  celles  de  l*intérieur,  par  exemple  dans 
l'Afigoumois,  la  misère  était  la  même  qu'aux  environs  de 
Paris.  Lee  pauvres  mangeaient  encore,  comme  au  temps 
de  la  Fronde,  les  bêtes  jetées  à  la  voirie,  les  disputaient 
aux  chiens. 


280  PAIX  UNIVERSELLE. 

On  a  vu  l'impuissance,  l'insuffisance  et  la  misère  des 
secours  qu'essaya  d'organiser  l'excellent  Vincent  de  Paul, 
les  trois  sous  par  mois  qu'on  donna  dans  l'année  la  plus 
dure  aux  populations  les  plus  affamées.  Ajoutez-y  les 
soupes  économiques  (d^herbe  et  d'eau  claire,  c'était  à  peu 
près  tout),  les  magasins  charitables^  oii  chacun  doit  porter 
ce  qui  ne  lui  sert  pas.  La  liste  des  objets  donnés  est  cu- 
rieuse; on  rirait  si  l'on  ne  pleurait  :  «  Dix-neuf  lanternes, 
vingt-six  douzaines  de  chapelets,  des  vieux  peignes,  vingt- 
trois  seringues,  etc.,  etc.  »  (Feillet.) 

Du  jour  où  Richelieu  voulut  toucher  aux  biens  d'J^lise, 
ne  put  et  recula,  la  Charité,  aussi  bien  que  l'État,  devait 
perdre  à  jamais  l'espoir.  Et  les  petites  aumônes  tirées  par 
cette  Église  si  riche  du  bon  cœur  de  nos  dames  et  de  leurs 
petites  économies,  ne  purent  être  que  ridicules  devant  le 
monstrueux  fléau  qui  peu  à  peu  but  le  sang  de  la  France. 

Quel  fléau?  Deux  pompes  aspirantes  d'incalculable 
force. 

1°  La  grande  pompe  centrale  du  fisc,  l'exploitation  vio- 
lente de  la  France  par  un  coquin  pour  un  coquin.  Je 
parle  de  Mazarin  et  de  Fouquet,  à  qui  il  confia  les  finances. 

2''  La  pompe  universelle  de  toutes  les  tyrannies  locales. 
Elles  ressuscitent  sous  un  gouvernement  faible  et  fripon, 
qui  se  sent  trop  coupable  pour  accuser  aucun  coupable  ; 
les  campagnes  livrées  aux  seigneurs,  avides,  nécessiteux 
et  luxueux.  Nous  aurons  pour  TAuvergncle  récit  aimable 
et  badin  du  jeune  abbé  Fléchier,  qui  montre  en  ce  pays  la 
sauvage  horreur  du  temps  féodal,  aggravée  des  caprices 
d'une  tyrannie  malicieuse,  dont  les  temps  barbares  n'eu- 
rent jamais  l'idée. 

Que  les  peuples  soient  exploités,  volés,  c'est  la  chose 
ordinaire.  On  n'y  ferait  pas  attention  s'il  n'y  avait  eu  ici 
dans.Ie  vol  une  lâche  audace,  une  intrépidité  de  bassesse, 
qu'on  nous  passe  ces  mots,  toute  nouvelle  et  originale, 
qui  ne  s'est  peut-être  vue  qu'une  fois. 


TRIOMPHE  KT  MORT  DB  MAZARIN.  2H 

On  vit  en  huit  ans  cette  chose  surprenante,  miraculeuse, 
absurde  :  un  homme  qui  était  maitre  et  roi,  prenait  ce  qu'il 
voulait,  et  qui  pourtant  volait  le  rot,  c'est-à-dire  se  volait 
lui-même. 

Il  était  rËtat  en  réalité  (autant  que  le  fut  jamais 
Louis  XIV).  Et  en  même  temps  il  faisait  des  affaires  avec 
rÉtat,  s'était  fait  financier,  partisan,  munilionnaire.  11 
trafiquait  des  vivres,  spéculait  sur  l'artillerie,  gagnait  sur 
la  marine.  Il  avait  pris  à  son  compte  la  maison  du  roi. 

Quoiqu'il  eût  tant  d'esprit  pour  Tintrigue  et  le  ravau- 
dage (dît  si  bien  Retz),  il  n'avait  ni  intelligence  ni  connais- 
sance de  la  France  qu'il  exploitait.  De  sorte  qu'à  chaque 
instant,  sans  tact  ni  pudeur,  à  l'aveugle,  il  faisait  des 
choses  immondes.  Il  avilit  les  charges,  les  dignités,  en  les 
vendant  et  les  multipliant.  <  Il  aimait  mieux  faire  dix  ducs 
et  pairs  que  donner  dix  écus.  • 

Peu  avant  sa  mort,  il  promet  un  siège  de  président  à  un 
homme  aimé  de  la  reine.  L'homme  vient  le  remercier  : 
«  Oui,  mais  j'en  veux  cent  mille  écus.  »  La  reine  eut  beau 
faire  et  beau  dire;  il  n'en  démordit  pas^  disant  toujours  : 
f  J'en  veux  cent  mille  écus.  »  Tout  en  disant  cela,  il 
mourut.  Et  on  l'eut  pour  rien  (Montglat). 

On  ne  pouvait  arriver  à  lui,  à  moins  d'être  joueur.  Il 
était  fort  adroit  aux  tours  de  carte,  et  n'avait  jamais  pu  se 
corriger  d'avoir  la  main  trop  vive  et  trop  habile.  On  dit 
qu'il  choisissait  les  pièces  fausses  ou  rognées  pour  les 
passer  au  jeu. 

Il  inventa  un  jeu  nouveau,  la  spéculation  sur  la  guerre. 
Il  ne  comprenait  pas  d'abord  grand'chose  aux  affaires  mi- 
litaires. Ce  qui  le  prouve,  ce  sont  ces  choix  ridicules  et 
d'avoir  égalé  un  Hocquincourt  au  premier  général  du 
siècle.  A  mesure  cependant  qu'il  aperçut  qu'il  avait  en 
Turenne  un  génie  infaillible,  un  joueur  qui  gagnait  tou- 
jours, il  voulut  être  de  la  partie  ;  il  joua  sur  Turenne, 
s'associa  d'avance  à  ses  victoires,  se  fit  son  fournisseur  de 


382  PAIX  UNITmSBLLK. 

vivres,  réalisa  snr  ses  conquêtes  de  gigantesques  béoéfiees. 

Vers  la  fin,  il  avait  fait  encore  un  pas.  Il  avait  pris  un 
intérêt  dans  lentreprise  'honnête  des  pirates  et  des  flibus- 
tiers qui  faisaient  la  course  sur  le  commerce  des  HoUan- 
dais,  nos  alliés.  Excellente  spéculation.  On  prit  en  moins 
de  rien  trois  cents  vaisseaux.  La  Hollande  indignée  envo3fa 
le  grand  Ruyter,  qui  prit  tout  simplement  une  petite 
représaille,  deux  vaisseaux  seulement.  Mazarin  redevint 
souple,  aimable,  offrit  satisfaction,  promit  mille  «huses 
qu'il  ne  donna  jamais. 

On  a  parlé  beaucoup  de  Thabileté  de  Mazarin,  de  sa 
subtile  politique,  de  sa  fine  diplomatie,  de  sa  persévérance 
à  continuer  la  tradition  d'Henri  IV  et  de  Ricbelieuu  On  k 
redit,  parce  qu*on  Ta  dit.  Ge  sont  choses  convenues  que 
tout  le  monde  répète.  Examinons  pourtant.  Henri  IV  et 
Richelieu  cultivèrent,  ménagèrent,  se  rallièrent  les  petites 
puissances,  lé  premier  s'assura  des  Suisses,  et  fut  étroite- 
ment uni  avec  les  Hollandais.  C'est  avec  oeux*ci  que  Ri- 
chelieu eût  voulu  partager  les  Pays-Bas.  Mazarin  se 
brouilla  avec  les  uns  et  les  autres. 

Dans  la  crise  si  grave  où  la  rivalité  maritime  commen- 
çait entre  l'Angleterre  et  la  Hollande,  c'était  le  moment 
ou  jamais  de  s'attacher  celle-oi.  Mazarin  ne  voit  là  qu'une 
facilité  de  pirater.  Noble  commencement  de  cette  longue 
série  de  sottises  par  lesquelles  Louis  XIV  réussît  à  valta- 
oher  solidement  la  Hollande  à  l'Angleterre. 

Cromv^ell,  tout  Cromwell  qu'il  pût  être,  avec  sa  répu- 
blique viagère,  n'avait  pas  fait  grand'ohose,  tant  que  l'ta- 
vincible  Ruyter  promenait  sur  les  mers  le  paviUon  de 
Hollande.  Cromveell  était  près  de  sa  mort,  et  Charles  II  de 
sa  restauration.  L'Angtoterre  allait  retomber*  Qui  fenda 
sa  grandeur?  La  politique  profonde  de  Mazarin ,  hostile  à 
la  Hollande,  la  politique  profonde  de  Louis  XIV,  qui  fait 
de  notre  ancienne  et  de  notre  tneilleure  alliée  une  cha* 
laape  à  laramorque  du  vaisseau  britannique. 


TRIOMPHK  ST  MORT  DE  MAZARCN.  288 

Litlérakreoientf  à  coup  sûr,  la  diplomatie  française  est 
charmante.  Les4é()éehe6  de  Mazarîa^  de  Lyonne,  etc.,  ne 
sont  guère  au-dessous  des  lettres  de  madasDe  de  Sévigné. 
Est-ce  assez  pour  justifier  radmiratîoiisans  bcM*nes  qu'on 
a  montrée  pour  celte  diplomatie  aux  derniers  temps?  Re- 
gardons, je  vous  prie,  surtout  les  résultats. 

On  pouvait  s'y  tromper  en  avril  1657,  à  la  mort  de  Teai- 
pereur  Ferdinand  111.  La  France  ne  put  faire  élire  son 
candidat,  le  duc  de  lavière.  Mais  les  princes  du  Rhin  et 
autres,  s'aUlaut  à  la  France  et  à  la  Suède,  n'élurent  l'Au- 
trichien Léopold  qu'en  lui  fiaisant  signer  l'engagement 
c  de  ne  donner  aucune  aide  aux  Espagnols.  • 

Ce  succès  de  k  France,  pofussant  ceux-ci  au  déses- 
poir, pouvait  les  décider  à  Talliaiiee  monstrueuse  de 
Cronwell,  à  unir  le  drapeau  de  TÉtat  catlwlique  entre 
tous  à  celui  de  la  république  puritaine.  On  assure  qu'ils 
offraient  au  Protecteur  d'assiéger  avec  lui  Calais  pour 
y  faire  rentrer  les  Anglais,  les  rétablir  on  France,  gué- 
rir la  plaie  dont  Torgaeil  britannique  saignait  depuis 
eent  ana. 

CroTOweli,.  dont  le  ferme  -et  froid  regard  voyait  très- 
bien,  malgré  les  succès  de  Turenne,  l'épuisemeBt  réel  de 
la  France,  la  faiblesse  misérable  d'un  gouvernement  dila^ 
pidateur,  demande  à  Maearin  ce  qu'ii  lui  donnera  à  la 
place.  Et  oeltti-ci  est  trop  heureux  que  l'Aoglaîs  accepte 
BuiA«rque,  MardidL  et  Gravelines,  irais  ports  pour  un, 
que  Masarin  se  fait  toti  de  conquérir  sur  TËspagne  pour 
les  lui  donner. 

Traité,  a«  fond,  fort  triste,  qui  faisait  de  la  France  la 
servante  de  l'Angleterre ,  lui  Âî&ait  employer  aon  sang 
à  oonquérir  pour  sa  rivale.  Avec  quel  résultat?  0'étal)lir 
les  Anglais  sur  le  contioeot.  —  Kdu  pas  à  Calais,  il  est 
rrai,  mais  à  deux  pas  de  Calais. 

Qui  ne  voit  que  Dunkerquf ,  en  Flandre,  mais  si  près 
de  la  France,  n'était  guère  moins  dangeresx,  permettant 


284  PAIX  UNIVBRSBLLI. 

également  la  descente  d'une  armée  qui  pouvait  à  son 
choix  tomber  sur  nous  ou  sur  les  Pays-Bas? 

Le  but  de  Mazarin,  dit-on,  était  d'abaisser  à  la  fois 
l'Espagne  et  la  Hollande,  Son  traité  avec  l'Angleterre  eût 
eu  le  résultat  d'humilier  la  première  sur  terre^  la  seconde 
sur  mer.  Politique  admirable,  zélée  pour  la  marine  an- 
glaise I 

Turenne  eut  des  succès  rapides.  11  gagna  sur  les  Espa- 
gnols la  bataille  des  Dunes  (U  juin  1658),  qui  nous  donna 
le  bel  avantage  de  mettre  les  Anglais  dans  Dunkerque. 
Puis,  on  prit  Gravelines,  Tpres,  Oudenarde,  Menin.  On 
était  maître  du  chemin  de  Bruxelles.  Si  l'on  y  eût  été,  si 
Ton  eût  procédé  sérieusement  à  la  conquête  des  Pays- 
Bas,  on  aurait  vu  bien  vite  les  résultats  du  traité  qui  met- 
tait l'Anglais  à  Dunkerque.  Il  eût  fait  volte-face,  n'eût 
jamais  permis  un  tel  agrandissement  de  la  France ,  et, 
profitant  de  la  descente  qu'il  avait  par  nous  sur  le  conti- 
nent, notre  excellent  ami  nous  eût  pris  par  derrière. 

La  mort  de  Cromwell  qui  survint  (septembre  1658)  put 
rassurer  sur  ce  danger.  Et,  d'autre  part,  une  victoire  du 
Portugal  sur  l'Espagne  encourageait  notre  conquête.  La 
grande  barrière  des  Pays-Bas  avait  été  brisée  par  la  prise 
de  tant  de  places.  Mais  ce  fut  alors  qu*on  traita. 

La  France,  naguère  alliée  de  Cromwell,  retomba  dans 
ses  attractions  catholiques,  dans  le  vieux  rêve  de  ses  rei- 
nes, toujours  le  mariage  espagnol.  Marie  de  Médicis  y 
avait  tout  sacrifié.  Combien  plus  Anne  d'Autriche,  Espa- 
gnole elle-même,  et  dont  le  fils  était  Espagnol  par  sa 
mère  I  La  femme  née  de  Louis  XIY,  prédestinée  et  légi- 
time, était  l'infante,  sa  cousine. 

Autant  Anne  le  désirait,  autant  Philippe  IV.  11  aurait  fait 
ce  mariage  à  tout  prix.  On  pouvait  croire  qu'une  telle 
union  fortifierait  l'ascendant  moral,  déjà  si  fort,  des  Es- 
pagnols, tant  moqués  des  Français,  mais  toujours  copiés. 
Du  reste,  cet  excellent  père,  pour  procurer  ce  grand  ma- 


TRIOMPHE  ET  MORT  DE  MAZARIN.  285 

riage  à  sa  fille,  faisait  bon  marché  de  l'Espagne  même. 
N'ayant  qu'un  fils  à  la  mamelle,  très-fréle  et  maladif,  il 
envisageait  sans  effroi  l'hypothèse  où  sa  fille  (malgré  la 
renonciation  qu'elle  fit)  hériterait  de  l'empire  espagnol. 
Cette  nation  si  fière  n'eût  plus  été  qu  une  dépendance  de 
la  France  (Motte ville). 

Les  Castillans  haïssaient  moins  celle-ci.  Leur  haine  et 
leur  furie  était  toute  contre  les  Portugais,  leurs  vaillants 
frères  qui  les  battaient.  Us  croyaient,  le  lendemain  de  la 
paix  avec  la  France,  exterminer  le  Portugal,  comme  ils 
avaient  déjà  soumis  les  Catalans. 

Mazarin,  par  une  suite  de  fautes,  avait  perdu  la  Cata- 
logne. 11  sacrifia  le  Portugal.  C'est  la  base  réelle  de  son 
Traité  des  Pyrénées  (7  novembre  4659). 

Encore  un  sacrifice  du  faible  au  fort,  le  sacrifice  d'un 
allié  aussi  précieux  contre  l'Espagne,  que  l'était  la  Hol- 
lande contre  les  Pays-Bas  espagnols. 

L'abandon  de  la  Catalogne  et  du  Portugal,  celui  de 
Naples  et  de  la  Sicile  dans  leur  grande  crise  de  1647, 
c'étaient  les  solides  services  par  lesquels  Mazarin  pouvait 
se  vanter  d'avoir  ressuscité  l'Espagne^  si  elle  ressuscitait 
jamais. 

Il  prévoyait,  dit-on,  que  l'infante  ou  ses  enfants  hérite- 
raient. —  Oui,  soixante  ans  après  et  au  prix*d'effroyables 
guerres.  Les  deux  pays  étant  quasi  exterminés,  un  des 
morts  se  coucha  sur  Tautre.  Résultat  si  lointain,  si  coû- 
teux, d'avantage  si  contestable ,  qu'on  a  tort  d'en  tant 
triompher.  Que  l'Espagne  devint  si  française,  cela  n'a 
guère  paru  en  4  808,  et  depuis. 

Ce  qui  poussa  Mazarin  à  abandonner  le  Portugal,  et  à 
précipiter  le  mariage  (plus  que  les  Espagnols  qui  le  dési- 
raient tant),  c* était  la  pénurie  d'argent.  On  avait  touché 
le  fonds  et  le  tuf.  Le  financier  de  Mazarin,  le  petit  Fouquet, 
son  noir  diablotin  (qu'on  voit  à  Versailles],  était  à  bout  de 
ses  tours.  Un  nouveau  gouffre  s'était  ouvert,  qui  mangeait 


286  FAIX  UNIflRSBLLB. 

• 

autant  que  la  guerre.  Ce  gouffre  était  le  jeune  roi.  Depuis 
deux  ou  trois  ans,  ses  divertissements,  fêtes,  bals,  con- 
certs, carrousels,  avaient  pris  un  vol  effréné.  Le  colossd 
recuail  des  dessins  des  Ballets  du  roi  que  possède  la  bîMio- 
thèqne,  fait  deviner  c  onibien  il  en  coûtait  pour  ces  Mies 
représentations. 

Mazarin  le  tenait  par  cet  étourdissement  des  fêtes.  Ses 
nièces  en  faisaient  Tornement.  L'une  d'elles.  Olympe 
Mancini,  qui  avait  pris  le  cœur  du  roi,  en  était  l'àme  et 
la  di'esse.  Mazarin,  nous  dit-on,  en  fut  très  a£Bigé.  le  ne 
le  pense  pas.  A  cette  même  époque ,  il  faisait  les  phis 
grands  efforts  pour  en  faire  une  (Hortense)  reine  d* Angle- 
terre, tentant  le  vénal  Charles  H  par  une  dot  de  six  mil- 
lions. Et  Ton  veut  qu1i  n'ait  pas  saisi  l'espoir  de  faire 
Olympe  reine  de  France  I  L'obstacle  réel  fut  Anne  d'Au- 
triche. Il  avait  tout  fait  pour  éloigner  d'elle  son  fils,  et  lui 
êter  toute  influence.  Elle  le  punit,  ce  jour-là,  de  son  ingra- 
titude. Sa  fierté  espagnole  se  releva.  Elle  dit  :  «  Si  mon 
fils  est  assez  bas  pour  faire  cela,  je  me  mettrai  contre  lui 
avec  mon  second  fils,  à  la  tête  de  tout  le  royaume.  > 

Il  ne  resta  à  Mazarin  qu'à  faire  le  magnanime.  Il  écrivit 
au  roi,  contre  ce  mariage,  les  belles  lettres  de  désintéres* 
sèment  austère  qu'on  a  tant  admirées. 

Jo  laisse  les  amateurs  de  négociations  s'amuser  à  celles 
du  mariage  d'Espagne,  qui  était  fait  d'avance  par  la 
violente  envie  que  les  deux  partis  avaient  de  le  faire  à 
tout  prix.  La  France  y  garda  les  conquêtes  de  Richelieui 
l'Artois,  le  Roussillon,  mais  peu  ou  rien  des  conquêtes  de 
Mazarin.  Elle  rendit  les  places  fortes  de  Flandre,  le  prix 
des  victoires  de  Turenne. 

Condé  rentra  et  recouvra  ses  biens,  mais  non  pas  ceux 
de  ses  amis,  qui  restèrent  sacrifiés.  Il  se  retrouva  prince 
du  sang,  gouverneur  de  Bourgogne,  mais  perdu  pour 
tout  l'avenir. 

On  assure  que  Mazarin,  en  rendant  tant  de  places  de 


TRIOMPHE  RT  MORT  DB  MAZÀRIN.  287 

l'intérieur  des  Pays-Bas,  eût  pu  obtenir  de  garder  Cam- 
brai, mais  que  L'Espagne  le  gagna  en  lui  donnant  l'espoir 
de  le  soutenir  au  premier  conclave,  de  lui  donner  la  pa- 
pauté. Rien  d'invraisemblable  en  cela.  L'habitude  si  lon- 
gue qu*il  avait  de  tromper,  de  mentir  et  trahir,  put  le 
rendre  prenable  à  ce  vain  leurre  qui,  dans  son  état  de 
santé,  devenait  pourtant  ridicule. 

Aien  de  plus  gai  que  Mazarin  au  moment  où  il  signe  le 
grand  traité  à  la  Bidassoa.  Il  écrit  à  Paris  :  a  Tout  va  être 
fini.  Je  ne  ferai  pas  grand  séjour  dans  le  pays  basque,  à 
moins  que  je  ne  m'amuse  à  leur  voir  pécher  la  baleine,  à 
apprendre  le  basque  ou  à  sauter  comme  eux.  » 

Cependant  le  sauteur,  au  milieu  de  ces  joies,  est  pincé 
par  la  goutte.  La  poitrine  se  prend.  Il  continue  au  lit  sa 
vie  habituelle.  Le  lit  du  moribond,  couvert  de  cartes,  est 
la  table  du  jeu,  le  comptoir  à  vendre  les  places.  Cartes  et 
sacrements  allaient  pèle-  mêle.  La  seule  réparation  de  ses 
vols  qu'il  imagina,  ce  fut  de  tout  offrir  au  roi,  bien  sûr 
qu'il  refuserait.  Ce  refus  le  tranquillisa  entièrement,  et  il 
continua  en  toute  sécurité  son  jeu  et  ses  dévotions.  Tous 
en  furent  édifiés,  et  trouvèrent  qu'il  faisait  une  bonne  fin. 
Du  moins,  conséquente  à  sa  vie.  Il  vécut,  mourut  en  tri- 
chant (9  mars  166t). 

11  croyait  tricher  l'avenir.  Heureux  joueur,  il  avait  eu  la 
partie  toute  faite.  L'augure  de  sa  jeunesse  s'était  trouvé 
rempli.  Il  avait  apparu,  à  vingt-cinq  ans,  sur  un  champ 
de  bataille,  criant  :  La  Paix  I  la  Paix  !  ce  qui  fut  le  premier 
escamotage  de  sa  vie.  Aux  grands  et  sérieux  travailleurs 
qui  sont  morts  à  la  peine  en  lut  préparant  tout,  il  esca- 
mote encore  la  gloire  de  la  paix  triomphante  de  West- 
phalie,  des  Pyrénées.  Richelieu  travailla,  Mazarin  recueil- 
lit. L'un  fit  l'administration,  l'armée,  la  marine  et  mourut 
justement  la  veille  de  Rocroy.  L'autre  gâta  tout  et  réussit 
en  tout.  Grand  par  Condé  et  plus  grand  par  Turenne, 
affermi  par  l'orage  même  et  l'avortemcnt  de  la  Fronde, 


288  PAIX  UNIVERSELS. 

il  a  ce  dernier  bonheur  qu'on  fait  honneur  à  son  génie  de 
la  paix  forcée  et  fatale  où  l'on  tomba  par  lassitude.  Ce 
piédestal  lui  reste.  Il  garde,  après  la  mort,  ce  masque  de 
l'ange  de  la  paix. 

Vraiment,  est-ce  une  paix?  Elle  arrivait  trop  tard. 
L'Allemagne,  agonisant  sur  ses  ruines,  ne  trouva  pas  \a 
paix  dans  le  traité  de  Westphalie.  L'Espagne,  finie  et 
défunte,  n'était  plus  en  état  de  ressentir  la  Paix  des  Pyré- 
nées. Et  la  France  elle-même,  qui  entre  par  là  dans  un 
procès  de  cinquante  ans  pour  la  succession  d'Espagne,  la 
France  va  trouver  dans  cette  paix  et  la  guerre  fiscale  au 
dedans  et  la  guerre  sanglante  au  dehors . 

J'ai  dit  ailleurs  (p.  90,  92)  ce  que|  je  pensais  du  pré- 
tendu système  d'équilibre  au  xvii*  siècle.  J'ai  hasardé  de 
dire  aussi  que  Richelieu  n'y  comprit  rien,  croyant  que  les 
protestants,  si  faiblement  liés  (par  Ies\  idées),  faisaient 
un  contre-poids  au  parti  catholique^  fortement  hé  (par 
les  intérêts).  Du  reste,  quand  on  voit  dans  ses  Mémoires 
les  conditions  misérables,  accablantes,  quHl  fait  au  Palatin 
pour  le  rétablir  sur  le  Rhin,  sa  partialité  pour  la  Bavière, 
on  sent  qu'une  telle  paix  n'eût  été  qu'une  amende  hono- 
rable des  Protestants  demandant  grâce  à  genoux,  la  corde 
au  cou,  et  que,  bien  loin  d'établir  l'équilibre,  elle  aurait 
fait  dans  l'avenir  leur  irrémédiable  déchéance. 

On  peut  prévoir  que,  si  ce  grand,  ce  ferme  Richelieu 
se  tient  si  peu  dans  l'équilibre,  la  France  des  Louvois, 
des  Chamillart,  etc.,  ira  de  plus  en  plus  gauchissant  d'un 
côté,  jusqu'à  verser  tout  à  fait  dans  l'ornière  de  la  Révo- 
cation.  Louis  XIV  succède  à  Philippe  II,  et  la  France  à 
l'Espagne.  Elle  marche  à  la  même  ruine. 

Cela  se  voit  de  loin,  et,  dès  le  commencement.  Le  beau 
roi  de  seize  ans,  revenant  de  la  chasse,  en  bottes  à  l'écu  vère 
et  le  fouet  à  la  main,  défend  au  parlement  de  demander 
jamais  aucune  économie.  Il  commence  la  guerre  à  l'ar- 
gent. Avec  Fouquet,  plus  tard  avec  Louvois  (malgré  les  ef- 


TRIOMPHE  ET  MORT  DE  MàZàRIN.  389 

forts  de  Colbert),  il  ouvre  contre  la  France  la  campagne 
victorieuse  oii  il  vint  à  bout  définitivement  de  la  fortune 
publique,  emportant  pour  dernier  trophée  l'immortelle 
banqueroute  de  trois  milliards  à  Saint-Denis. 

Toute  autre  nation,  après  les  Mazarin,  les  Pouquet,  les 
Louvois,  tant  de  guerres,  tant  de  gloire,  tant  de  héros,  tant 
de  fripons,  resterait  assommée  à  ne  se  jamais  relever.  Et 
celle-ci  pourtant  dure  encore. 

Ce  brevet  d'immortalité,  cette  Jouvence  nationale,  com- 
ment les  expliquer?  Le  pauvre  Sismondi  se  gratté  ici  la 
tête,  et  ne  trouve  rien,  sinon  que  peut-être,  à  force  de 
tuer,  les  hommes  étant  plus  rares,  le  salaire  croissait  pour 
les  survivants,  qui  souffraient  un  peu  moins.  Je  ne  vois 
point  cela.  Vauban  et  Boisguilbert  semblent  dire  plutôt  le 
contraire  dans  les  lugubres  épitaphes  qu'ils  font  de  la 
France  de  Louis  XIY. 

La  seule  explication,  je  Tai  trouvée  dans  un  auteur  an- 
glais du  XVII*  siècle,  qui,  traversant  nos  plaines  à  cette 
époque,  vit,  non  sans  peur,  une  grande  foule  dégue- 
nillée de  gens  étiques,  une  ronde  de  vingt  ou  trente 
mille  gueux,  qui  dansaient  de  tout  leur  cœur.  Ces  sque- 
lettes, n'ayant  pas  soupe,  au  lieu  de  se  désespérer,  faisaient 
un  bal  le  soir.  C'était  une  armée  de  Louis  XIV. 

Oublier,  rire  de  tout,  souffrir  sans  chercher  de  remède, 
se  moquer  de  soi-même  et  mourir  en  riant,  telle  fut  cette 
France  d'alors.  La  chanson  continue,  et  la  comédie  vient. 
Les  grands  consolateurs  sont  nos  comiques. 

Leur  instrument,  la  nouvelle  langue  française,  née  des 
Maxarinades^  y  'est  déjà  étincelante.  Elle  est  dans  le  Roman 
comique.  Elle  est  dans  les  Mémoires  de  Retz^  qu'il  com- 
mença certainement  à  Yincennes  (1652).  Elle  va  éclater 
dans  le  pamphlet  mordant,  puissant,  victorieux,  de  la 
Fronde  religieuse,  les  Provinciales  (1657).  Et  déjà  aux 
portes  est  Tartufe  (1 664). 
kdiea  le  gaulois.  Salut  au  français. 

XII.  19 


âlN)  FAIX  UNIYnSKLU. 

La  belle  forte  langue  du  xvi*  siècle,  qui  si  souvent  vibre 
du  cœur,  était  un  peu  pédante.  Elle  s'accrochait  dans  les 
plis  de  sa  robe,  se  retardait  dans  les  aspérités  (pittores- 
ques, admirables)  dont  elle  est  hérissée.  Ce  n'était  pas 
langue  de  gens  pressés,  de  gens  d'affaires,  de  combattants 
qui  visent  à  frapper  vite,  et  ne  demandent  à  la  parole  que 
vigueur  et  célérité. 

C'est  là  le  sérieux  de  la  Fronde.  Elle  ne  laisse  nul  ré- 
sultat visible,  palpable,  matériel.  Elle  laisse  un  esprit,  et 
cet  esprit,  logé  dans  un  véhicule  invincible,  ira,  pénétrera 
partout.  Elle  a  fait,  pour  l'y  mettre,  une  étrange  machine, 
la  nouvelle  langue  française. 

Cette  langue  a  subi  comme  une  transformation  chi- 
mique. Elle  était  solide,  et  devient  fluide.  Peu  propre  k  la 
circulation,  elle  marchait  d'une  allure  rude  et  forte.  Mais 
voici  que,  liquéfiée,  elle  court  légère,  rapide  et  chaude^ 
admirablement  lumineuse.  Si  quelques  capricieux  (des 
Montesquieu,  des  La  Bruyère)  en  exploitent  surtout  Tétin- 
celle,  le  grand  courant,  facile  et  pur,  n'en  va  pas  moins 
d'une  fluidité  continue,  de  Rets  en  Sévigné,  et  de  là  en 
Voltaire. 

La  Fronde  a  fait  cette  langue.  Cette  langue  a  fait  Voltaire, 
le  gigantesque  journaliste.  Voltaire  a  fait  la  Presse  et  le 
journalisme  moderne. 

Mais  faut-il  dire  que  cette  puissance  soit  celle  d'une 
langue  nationale  ?  Non,  c'est  la  langue  européenne,  ac- 
ceptée par  la  diplomatie  de  tous  les  peuples,  reine  hier  par 
Voltaire  et  Rousseau,  et  aujourd'hui  si  absolue,  que  les 
autres  langues  vaincues  subissent  peu  à  peu  sa  gram- 
maire. 

Ce  terrible  engin  d'analyse  éclaire  tout,  dissout  tout  et 
peut  tout  mettre  en  poudre,  broyer  tout  formalisme,  lois, 
dogmes  et  trônes.  Son  nom,  c'est  :  La  raison  parlée. 

Un  si  fort  dissolvant,  que  je  ne  suis  pas  sûr  que  même, 
pendant  le  beau  et  solennel  récitatif  de  Bossuet,  on  n'ait 


TRIOMPHE  ET  MORT  DE   MAZARIN  291 

pas  ri  sous  cape.  La  France  était,  n'était  pas  dupe.  Les 
deux  choses  sont  peut-être  vraies,  et  pourraient  bien  se 
soutenir.  L'enfant  est  grave  en  berçant  sa  poupée  (sincère 
même),  la  baise  et  Tadore,  mais  il  sait  bien  qu'elle  est  de 
bois. 

m 

Fatalité  de  la  lumière  I  Elle  va  pénétrant,  par  cette  mau- 
dite langue  française,  qu'on  n'arrêtera  pas.  Plus  d'asile 
aux  ténèbres.  Plus  de  mystère,  et  plus  de  sanctuaire 
obscur.  La  Nuit  divine  (d'Homère)  est  supprimée.  Une 
telle  langue,  c'est  la  guerre  aux  dieux. 


NOTES  ET  ECLAIRCISSEMENTS 


Les  trente  années  pénibles  que  Je  traverse  en  ce  volume  sont 
cependant  illuminées  par  deux  grandes  lumières,  des  plus 
pures  et  des  plus  sublimes,  Galilée  et  Gustave-Adolphe.  (Voir 
le  chapitre  VI.)  De  rilalie,  du  Nord,  cette  consolation  me  venait 
en  débrouillant  l'énigme  laborieuse  de  la  politique  française  el 
de  la  guerre  de  Trente  ans,  et  elle  m'a  bien  soutenu.  Par  un 
contraste  singulier,  dans  cette  époque  pâlissante  où  l'homme, 
de  moins  en  moins  estimé  et  compté,  semble  s'anéantir  dans  la 
centralisation  politique,  ces  deux  figures  subsistent  pour  témoi- 
gner de  la  grandeur  humaine ,  pour  la  relever  par-dessus  les 
âges  antérieurs. 

Leur  originalité  commune,  c'est  que  chacun  d'eux  est  au 
plus  haut  degré  le  hèros^  le  miracle,  le  coup  d'en  haut,  ce 
semble,  la  révolution  imprévue.  Et,  d'autre  part,  ce  qui  est 
bien  diiérent,  1$  grand  homm$  karmoniquê,  où  toutes  les  puis- 
sances humaines  apparaissent  au  complet  jdans  une  douce  et 
belle  lumière. 

Chacun  d'eux  vient  de  loin,  et  le  monde  s'y  est  longtemps 
préparé. 

Toutes  les  nations  d'avance  avaient  travaillé  pour  Galilée.  La 
Pologne  (par  Kopernic)  avait  donné  le  mouvement;  rAllema- 
gne,  la  loi  du  mouvement  (Keppier);  la  Hollande,  l'instrumenl 
d'observation,  et  la  France  celui  du  calcul  (Viète).  Florence 


294  NOTES  ET  ÉCLA[RaSSEIIENTS. 

fournit  l'homme ,  le  génie  qui  prend  tout,  se  sert  de  ionl  en 
maître.  El  Venise  donna  le  courage  et  la  liberté. 

Jamais  homme  ne  réalisa  une  chose  plus  complète.  Ordinai- 
rement il  faut  une  succession  d'hommes.  Ici  le  même  trouva 
en  môme  temps:  i»  La  méthode^  entrevue  par  les  médecins, 
mais  que  Descartes  ei  Bacon  cherchent  encore  vingt  ans  plus 
tard.  Galilée  la  proclame  par  le  plus  grand  triomphe  qu'elle 
ait  eu  dans  le  cours  des  siècles.  — 1<^  La  icieuce\  une  masse 
énorme  défaits,  an  agrandissement  subit  des  connaissances, 
une  enjambée  de  compas  qui  alla  de  la  petite  terre  et  du  petit 
système  solaire  aux  milliards  de  milliards  de  lieues  de  la  voie 
lactée.  —  30  Le  calcul  des  faits,  la  mesure  des  rapports  de  ces 
astres  entre  eux.  —40  Les  applications  pratiques.  Il  montra  tout 
de  suite  le  parti  qu'en  tirerait  la  navigation. 

Mais  ces  résultats  scientifiques  étaient  moins  importants  en- 
core que  les  conséquences  morales  et  religieuses.  L'homme  et 
ia  ietre:n'élaicnt  pivatononde.  Mène  le  système  solaire  n^était 
4>liiB  te  nouée.  Tout  cela  désormais  mibêràotmê,  nesqvin,  mî- 
^iérable  et  mAioM.  Qee  nolra  iwtit  globe  ebsetir  tféddft,  par 
MSilaila  et  gestes,  en  sort  de  tous  lee  inondes,  eehi  derenalt 
idnr  àcf être.  Du  (M  aoeîen,  pi«s  de  neaveHe.  Sa  vodte  de  cris- 
M  était  cvevée,  et  elle  avait  Fait  plae<^  à  la  merreilfe  d'une  mer 
iaeondàble,  é'mn  monfemeot  infiniment  varré^'^mais  infinî- 
tmmà  réguKer.  -^  TbéelogieTÎsible!  Bible  de  Va  lamière],  ra- 
viaseaipai  de  la  oertilvde  1  VaniveneTle  Raîsen  révélée  dans 
FinéabitaMe  et  sopprknaat  le  dowte.  La  promesse  de  la  lie- 
naissance  s'accomplissait  déjà  :   t  Fondation  de  fa  Fbt  pro" 

Da  Teste«  an  fiveinier  mienient,  persenne  n'y  pfit  garde,  ex* 
ceplé  le  boa  et  gnaaA  Keppler,  «elai  qai  avait  le  plus  servi 
et  préparé  Galilée,  et  qui  îe  reaBeraia  pear  k  genre  bamaîn. 

Gustave -Adolphe  fut-il  le  Galilée  de  la  guerre  ?  Non,  pas  pré- 
ebément.  II  en  renvere  l'honneur  à  son  maître,  Jacques  de  la 
Gardie,  originaire  de  Carcassonne.  Mais,  dans  cet  art,  celui  qa! 
optique  avec  génie,  dans  des  circonstances  toutes  nouvelles 
et  iroiyrévues,  n'est  guère  moins  inventeur  qne  celui  qui  a 
«roQVé  ridée  première.  Donc,  nous  n'hësîtons  pas  &  'proclamer 


K0TS8  BT  ÉCUWCIMEUBNTS.  M5 

Gustave  un  héros  très*coinplet  en  quise  reneontra  tout  ce  qui  est 
grand  dans  l'homme  :  io  l'invention,  on  du  moins  un  pcrffctîon- 
neneiil  inventif  et  original  de  la  vraie  guerre  moderne,  guerre 
spiritnaliaie  où  tout  est  âme,  audace  ei  mouvement.— ^i^  L'ot- 
Hon^  l'hérolquo  application  de  l'idde  noavelle,  applioation  heu- 
reuse et  éolatantc,  du  plus  déeîsif  résultat.  —  3^  L'admirable 
beauté  du  but,  la  guerre  pour  la  paix,  la  vietoîre  pour  la  déli- 
vrance, rintorvention  d'un  juste  juge  pour  le  salut  de  tous. 
««•  40  El,  pour  eouronaecMot  subltee,  l'auréole  d'un  oaraotère 
plus  haut  encore,  plus  grand  que  la  victoire. 

ii  est  intéressant  de  voir  le  double  eourant  qui  fait  le  héros, 
qui  harmonise  cette  grande  force  individuelle  avec  le  mouve- 
ment du  monde,  de  sorte  qu'il  n'est  pas  excentrique,  et  qu'il 
est  libre  rependant,  non  dépendant  de  la  force  centrale.  C'est 
sa  beauté  profonde  d'avoir  cette  daaiité.  *-  Celui-ci  est  Sué- 
dois. 11  est  homme  d^aveniures.  Son  rêve  n'est  pas  l'Allemagne, 
mais  la  profonde  Russie  qu'il  voulait  conquérir,  et  le  chemin 
de  rOrieat.  C'est  bien  là,  en  effet,  la  propre  guerre  suédoise. 
Petit  peuple,  si  grand  I  Le  seul  qui  ait  le  nerf  du  Nord  (et  bien 
plus  que  les  Russes,  population  légère,  d'origine  et  de  oacac- 
tère  méridional).  Le  vrai  monument  de  la  gloire  suédoise,  ee 
sont  ces  entassements  de  terre  au  pied  des  forteresses  rusées 
qufout  bAties  les  prisenuiers  suédors.  Les  Russes,  qui  eonnaia- 
saieut  ces  hommes,  n'osèrent  jamais  en  rendre  un  aeul,  ren- 
dant ville»,  provinces,  et  tout  ce  qu'on  voulait,  plutôt  qu'un 
aeul  Suédob.  Les  oa  des  prisonniers  y  sont  restée,  et  témoi- 
gnent encore  de  la  terreur  des  Russes.  -*  Mais,  pour  être  Snié- 
dois.  Gustave  n'en  est  pas  moins  Allemand  (pur  sa  mère),  pro- 
teatant  (de  religion  et  de  mission  spéciale),  enfin  Français  par 
rédneatioa  miUtaire.  Nul  doute  que  notre  Languedocien,  qui 
forma  dix  années  Gustave  dans  les  guerres  de  Pologne,  de 
Russie^ de  Danemark,  n'ait  influé  beaucoup  sur  son  can*otère 
même,  L'étinœlle  méridionale  n'est  pas  nîécounaiasable  dans 
ses  actes  et  dans  ses  paroles.  C'est  la  bontés  l'esprit  dHenri  1?, 
sa  parfaite  douceur.  Du  resta,  tout  cela  transfiguré  daus  le  «•- 
blime  austère  du  plus  grand  capitaine,  qui  donna  toat  à  l'aetlon, 
rien  au  plaisir,  et  qui  toujours  fut  grand.  Un  seul  défaut  (et 
d'Henri  IV  aussi),  d'avancer  toujours  le  premier,  de  donner  sa 


296  NOTES  ST  ÉCUIRCtSSBMENTS. 

vie  en  soldat,  par  exemple,  le  jour  où,  contre  l'avis  de  toni  le 
monde,  il  passa  seul  le  Rhin. 

On  prodigue  le  nom  de  héros,  de  grands  hommes,  à  beaneonp 
d'hommes  éminents ,  à  la  vérité,  mais  pourtant  secondaires. 
Cette  confusion  tient  à  la  pauvreté  de  nos  langues  et  à  un  dé- 
faut de  précision  dans  les  idées.  Du  reste,  les  hommes  supé- 
rieurs ne  s'y  trompent  pas,  et  n'ont  garde  d'aller  sottement  se 
comparer  au  vrai  héros.  Turenne,  Tillustre  stratégiste,  Condé, 
qui,  par  moments,  eut  l'illumination  des  batailles,  le  péaéirant 
et  judicieux  Merci,  le  froid  et  habile  Marlborongb,  le  brilianl 
prince  Eugène,  auraient  cru  qu'on  se  moquait  d'eux  si  on  les 
eût  comparés  au  grand  Gustave.  Au  nom  du  roi  de  Suéde,  ils 
ôtaient  leur  chapeau.  C*éiait  un  mot  habituel  entre  eux  :  c  Le 
roi  de  Suède  lui-même  n'eût  pas  réussi  à  cela...  11  aurait  fait 
ceci,  ■  etc.,  etc.  On  voit  que  la  grande  ombre  planait  sur  toutes 
leurs  pensées. 

Chapitre  I^r,  p.  7.  Richdieu  envisage  la  vie  (de  celui  qui  gou- 
verne) comme  un  jeu  de  hasard.  Il  faut  qu'il  ait  de  la  ekanee^  et 
qu*il  sache  usêr  de  sa  chance.  —  Cette  parole  eût  dû  rester  pré- 
sente à  ceux  qui  admirent  avec  raison  les  monuments  de  la 
politique  d'alors,  mais  s'en  exagèrent  la  portée  systématique, 
la  suite,  la  conséquence.  Nous  avons  fait  effort  dans  ce  volume 
pour  faire  apprécier  dans  son  vrai  caractère  la  volonté  très- 
forte,  mais  non  pas  fixe,  de  Richelieu,  et  les  variations  fatales 
que  lui  imposèrent  les  éirénements.  —  Hazarin  va  plus  loin. 
Tout  en  passant  sa  vie  à  calculer  son  jeu,  à  négocier,  ravauder 
(comme  dit  Retz),  il  attribue  tous  ses  succès  à  sa  bonne  for- 
tune. Il  se  moquait  de  ceux  qui  se  creusaient  la  tête  pour  en 
chercher  les  causes  et  croyaient  qu'il  avait  des  secrets,  des  re- 
cettes à  lui.  Il  ne  réclamait  qu'un  mérite,  d'être  heureux. 

D'autre  part,  nous  lisons  dans  les  Mémoires  de  Retz^  qu'un 
jour  la  reine  lui  disant  :  c  La  pauvre  cardinal  Mazarin  est  bien 
embarrassé,  >  il  aurait  répondu  :  c  Donnez-moi  le  Roi  pour 
deux  jours^  vous  verrez  si  je  le  serai.  » 

Retz  a  raison.  Avoir  le  Roi  en  main  et  jouer  sur  cette  carte, 
c'est  dans  ce  temps  être  heureux  à  coup  sûr,  et  d'avance  gagner 
la  partie.  Donc  il  faut  que  l'histoire  suive  attentivement  Vheu- 


NOTES  BT  ÉCLAIRCISSUIBNTS.  297 

rêux  joaetir,  n'onblie  jamais  Tinlrigne  de  cour  qui  est  alors  le 
point  principal,  s'y  place,  regarde  de  là  et  l'administration  in- 
tërienre,  et  la  politique  extérieure,  s'attache  au  Roi,  à  la  cham- 
bre du  Roi,  c  aux  douze  pieds  carrés  qui,  disait  Richelieu,  lui 
ont  donné  plus  de  besogne  que  toute  TEurope.  » 

Cette  méthode,  absurde  en  d'autres  siècles,  comme  nous 
l'avons  dit  ailleurs,  est  au  xtiio,  non-seulement  la  meilleure^ 
mais  la  seule  possible.  Elle  en  est  la  boussole.  Autrement  on 
se  noiera  dans  l'océan  des  actes  et  des  paroles,  dans  la  richesse 
souvent  stérile  des  vaines  négociations,  des  dits  et  contredits 
sans  résultat,  des  longs  efforts  pour  de  petits  effets,  d'essais  et 
d'idées  avortées.  Ces  récits,  ces  écrits,  ces  dépêches,  vous  ten- 
tent trop  souvent  par  le  mérite  littéraire,  la  forme  agréable,  le 
charme,  la  clarté  du  détail.  L'ensemble  n'en  est  pas  moins 
obscur.  On  est  porté  à  chaque  instant  à  se  méprendre  et  à 
donner  aux  choses  une  valeur  propre,  une  portée  qu'elles  n'ont 
pas.  Heureusement  une  éclaircie  se  fait  du  côté  de  la  cour,  un 
rayon  du  Soleil  (le  Roi),  et  Ton  voit  que  l'œuvre  compliquée, 
laborieuse  d'en  bas,  n'est  qu'un  petit  reflet  capricieux  de  l'O- 
lympe d'en  haut. 

Csà?.  I*'.  Les  marchés  d'hommes,  la  loterie,  les  joueurs,  p.  i, 
2, 5.— Nous  possédons  une  curieuse  histoire  de  la  Loterie  :  Del 
giueo  del  Lotto,  opéra  del  conte  Pefitti  di  Roreto.  8o  1853.  Torino, 
Elle  commence  en  Italie  au  x(v«  siècle,  en  Flandre  en  1519,  en 
France  en  1539.  L'auteur,  admirateur  des  gouvernements  pro- 
tecteurs de  la  loterie,  etc.,  n'en  donne  pas  moins  les  faits  les 
plus  intéressants  sur  les  résultats  moraux  de  cette  institution 
fiscale.  En  Lombardie,  à  Venise,  les  boulangers  cuisent  moins 
de  pain  la  veille  du  tirage.  — Y.  aussi  Delamare,  Police,  Savary, 
Dict.  du  Commerce,  VEncyclopédie  (par  matières),  le  répertoire 
de  Favart-Langlade,  et  Boulatignier,  de  la  Fortune  publique,  Sa- 
vary  nous  apprend  que  Saint-Sulpice,  les  Théatins,  les  Filles- 
Saint-Thomas,  furent  bâtis  à  l'aide  des  loteries  ecclésiastiques. 
Le  nom  originaire  de  la  loterie  à  Gènes  est  Giuco  del  Seminario. 
—  Quant  à  l'histoire  du  Jeu  en  général,  j*ai  eu  un  moment  la 
tentation  de  la  faire  en  recueillant  les  textes  innombrables  que 
me  fournissaient  surtout  les  Mémoires  du  xvn«  siècle,  le  grand 


298  NOTES  £T  ÉCLAIBCIS8E1IINT6. 

«iècle  dtt  Jett.  Gourviile  apécialemenl  est  ici  inappréciable. 
Qo'il  est  fier  l  qu'il  est  Doble  1  Comme  iL  sent  bien  sa^digniié  de 
beau  joueur^  de  croupier,  d'homme  de  tripoit  Son  mssarajiee 
impose.  La  vertu,  la  probité,  la  morale  des  petites  ftos,  sont 
honteuses  et  baissent  les  yeux. 

Chaf.  I  et  lU,  p.  5  ai  23,  etc.  IFa/dsIein.-  Quelle  pitié  de  voir 
Schiller  poser  ce  spéculsteur  en  face  de  GosiavonAdolphe! 
Waldatein  est  grand  comme  fléau,  mais  sa  spéealatioo  était 
fort  simple,  et  la  prime  effro^ble  qu'il  donna  an  aoldal  de- 
irait  lai  aiiirer  tons  las  aoldats  de  la  terre.  Gualave»  le  naUve  i 
tous,  trop  grand  pour  dénigrer  persOQoe,  ne  faisait  passas  des 
talents  militaires  de  ce  Waldstein.  11  fit  de  peiitas  cîmies  avec 
des  moyens  énormes. Son  attitude  d'aeieur,  sa  tragi*comédîade 
solitude  dans  ia  foule,  de  taotiurnité,  etc.,  fait  rm  le  grand 
Gustave.  Il  l'appelle  sans  façon  :  (*<  ftU  (Marren)?  ou  peni-étre 
le  ioê.  Mais  tout  cela  Imprime  «ne  respeetuense  Urveur  «a 
pauvre  dramaturge.  U  copie  avec  une  admiration  banigr^îae 
les  vieux  récits  allemands  sar  les  magnifieencaa  de  J'iiiaaAria- 
sime  coquin.  Sa  table  était  de  cent  couverts;  il  avait  Wukide 
carrosses.  Son  maître  d'hôlel  était  de  première  qualité,  etc.  — 
Pauvretés  pitoyables.  Ce  |qui  est  pire  dans  le  livre  de  Scbiller, 
ce  qui  fausse  l'histoire  à  chaque  instante  c'est  un  déplorable 
effort  d'impartialité  entre  le  bien  et  le  mal.  Reproche,  an  reste, 
qu'on  peut  faire  4  plus  d'un  Allemand,  entre  autres  à  noue 
aimable,  savant,  ingénieux,  Eanke,  qui  nous  a  tant  appris.  Son 
Histoire  de  la  pspauté  (je  parle  de  l'originai,  et  non,  bien  en- 
tendu, de  la  perfide  traduction),  avec  tant  de  mérites  divers,  a 
le  tort  de  grossir  énormément  beaucoup  de  petites  choses. 
Rome  d'abord.  Dans  sa  pitoyable  décadence,  elle  redevient  le 
centre  du  monde.  C'est  comme  un  cadran  solaire  en  bois  de 
sapin  qui  dirait  :  «  Le  soleil  tourne  à  cause  de  mai.  >  Vais, 
non^  Rome  ne  s'y  trompe  pas.  Elle  est  moins  occupée  des  vi- 
sions ambitieuses  des  jésuites,  ou  du  grand  mensonge  des  mia- 
sions,  que  de  son  piètre  intérêt  iuiien,  —  Les  jésuites,  de 
même,  sont  surfaiu  psr  Ranke.  Leurs  rêves  d  Armada,  de  con- 
quêtes d'Angleterre,  etc.,  les  montrent  constamment  chiméri- 
<tues.  La  dissidence  de  ceux  d'Allemagne  et  de  France,  celle 


NOTES  £T  KCLAIRCIS6BI1BNT8.  299 

des  jésuites  français  entre  eu ,  qae  je  note  dans  ee  volume, 
n'est  pas  propre  non  pins  à  nous  faire  admirer  la  sagesse  de 
l'ordre.  Possevin  ,  leur  rusé  sa  vantasse ,  ^e  parait ,  en  cons- 
cience, nn  bien  petit  héros. -*  Les  jésniies  ont  une  chose  dont 
on  doit  tenir  compte  :  c'est  la  lente  et  paiienie  préparation  de 
la  guerre  de  Trente  ans  par  la  captation  des  familles  nobles  et 
princières,  par  la  séduction  dos  mères  et  la  conquête  des  eu* 
lants.  Ils  obtinrent  nne  variété  imprévue  dé  Tespèce  humaine, 
le  higoi^  vrai  coup  de  génie,  comme  celui  de  rhoriicuUeur  qui 
a  trouvé  la  rose  noire,  sans  parfum  ni  feuilles ,  un  bàtoa.  Ce 
bAton,  c'est  Ferdinaud  11.  On  ne  savait  pas  bien  en  détail  com- 
ment ils  s'en  servirent.  L'archiviste  de  Vienne,  Hormayar 
(V.  les  intéressants  BxiraiU  d'Alfred  MickUU,  SièeU  de  i85&), 
nous  l'a  complètement  révélé.  Nous  savons  maictenani  eem- 
ment  ces  Pères,  tenant  en  haut  l'Empereur,  leur  terrible  ma- 
rionnette, purent  faire  en  bas  de  la  démocratie  pour  l'exier- 
mination  du  peuple.  Leurs  apôtres,  dans  le  carnage  de  Bohême, 
étaient  des  bouchers  bien  pensants,  de  pieux  laquais,  de  dé- 
vots tailleurs,  etc.  On  massacrait,  d'une  manière  intelligente, 
jamais  dans  des  lieux  coniigus,  mais  éloignés  les  uns  des  an- 
tres, toujours  aux  moments  imprévus.  Cela  désorientait  la  résis- 
tance. Chacun,  abattu,  inquiet,  se  disait  cependant:  c  Le  mal  est 
encore  loin.  >  Chacun  croyaitavoirun  meilleur  numéro  dans  cette 
loterie  de  la  mort.  11,000  communes  sur  30,000  périrent  en liè- 
remeni;  les  autres  à  moitié.  Le  pays  offrait  une  profonde  soli- 
tude. Les  gens  armés  qui  se  hasardaient  à  le  traverser  rencon- 
traient parfois  sur  le  soir  des  paysans  autour  du  feu,  préparant 
leur  souper,  et  un  homme  dans  la  marmite.  Hormayér^  Tas^ 
ehenbuch  fur  die  vaterlandische  getchickte^  1836. 

Toilà  des  gens  féroces,  direz-vous,  mais  en^n  bien  habiles. 
Atiendcz.  Ceci  n'est  que  le  premier  acte  de  la  guerre  de  Trente 
ans,  le  moment  du  Bigot.  Voici  venir  le  second  acte;  c'est  le 
Marchand  d^hommei^  Waldsiein,  le  spéculateur  en  armées.  Tout 
échappe  aux  jésuites.  Ils  n'avaient  pas  prévu  cela.  Les  voilà 
étonnés,  effarés,  comme  un  hibou  qui  aurait  couvé  un  vautour. 
Lorsque  Waldstein  aéié  éreinté  paiGusiave,  ils  le  font  assas- 
siner. Et  alors  ils  reprennent  force.  Par  grande  habileté?  ils 
n*en  ont  pas  besoin,   ayant  pour  eux  la  miraculeuse  vertu 


800  NOTES  BT  ÉCLàlRClSSBMBNTS. 

d'une  rëvolation  territoriale  qai  offre  à  chacao   le  bien  du 
TOisin. 

Chap.  II,  p.  9.  De  quoi  vivait  Richelieu  f  —  La  ^belle  publi- 
cation de  M.  Avenel  (Lettrée  de  Richelieu)  étant  peu  ayaneée 
encore,  c'estàlui-méoae  que  j*ai  demandé  des  renseignements. 
Personne ,  à  coup  sûr,  ne  connaît  mieux  cette  époque.  Mais 
nous  n'avons  pas  de  document  qui  éclaîrcisse  ce  point.  i*ai  été 
réduit  aux  trois  volumes  manuscrits  de  la  Bibliothèque,  tellement 
insuffisants.  —  L'ouvrage  estimable  but  V Administration  de  fii- 
chelieUt  dont  je  parle  dans  le  texte,  est  celui  de  M.  Caillet. 
M*  Caillet  est  savant,  exact,  judicieux  (sauf  le  chapitre  de  l'é- 
ducation auquel  je  reviendrai}.  —  Du  reste,  ce  qui  fait  sentir 
partotft  les  embarras  financiers  de  Richelieu,  ce  sont  ces  licen- 
ciements de  troupes  aux  moments  les  plus  graves^  mesures  ab- 
surdes si  elles  n'avaient  été  commandées  par  la  nécessité. 

Chap.  II,  p.  14.  Sa  grande  ordonnance  gallicane,  rédigée  en 
1627,  abandonnée  en  i629.  —  Quand  il  la  fit  faire  par  Marillac, 
elle  était  tout  à  fait  en  harmonie  avec  ses  actes  d*alors,  l'inva- 
sion de  la  Valteline,  la  reconstruction  de  la  Sorboone,  la  dé- 
fense de  communiquer  avec  le  nonce,  etc.  En  janvier  1629,11  la 
fit  recevoir  au  Parlement,  voulant  montrer  encore  les  dents  au 
pape,  lorsqu'il  allait  le  secourir,  afin  de  le  convaincre  d'autant 
mieux  de  la  nécessité  de  gagner  un  homme  à  la  fois  si  niile  et 
si  redoutable;  qui,  dans  un  pli  de  sa  robe,  apportait  la  guerre 
et  la  paix.  Le  sens  était  :  c  Je  maintiens  l'ordonnance,  prêt  à 
la  sacrifier  si  l'on  me  fait  légal  à  vie.  »  Il  parait  que  la  cour  de 
Rome  sut  le  leurrer  un  an  de  plus,  et  tirer  de  lui  un  démenti 
de  l'ordonnance  gallicane,  la  démarche  violente  contre  Richer, 
vieux  chef  des  gallicans.  Celte  démarche  publique  semblait  ri- 
ver pour  toujours  Richelieu  dans  rultramontanisme.  Rome  alors 
se  moqua  de  lui,  croyant  qu'il  ne  pourrait  changer.  Hais  il 
changea  encore  en  1638,  quand  il  lança  Du  Puy  et  son  livre 
des  Libertés  gallicanes.  Court  moment,  il  est  vrai.  Il  ne  pouvait 
lutter  sérieusement  contre  Rome  sans  troubler  la  conscience 
d'un  roi  si  maladif,  craintif  de  la  mort,  de  l'enfer.  —  Tinsiste 
sur  ces  contradictions  successives  de  Richelieu,  et  aussi  sur  ses 


NpTBS  BT  KGUIRCISSBMEMTS.  301 

eontradiciionê  simuUanèit  (par  exemple,  ses  trois  traités  en  sens 
contraires  d'avril  1631,  V.  p.  67).  Personne  n'a  cherché  davan- 
tage à  sanver  l'apparence,'  à  garder  la  fière  attitude  d'un  homme 
tout  d'une  pièce  et  d'immuable  volonté.  Le  fameux  Testameni^ 
les  longs  et  laborieux  Mémoires,  sont  combinés  pour  cet  effet. 
Us  réussissent  à  donner  l'admiration  et  le  recpectdu  grand  la- 
beur, de  l'effort  soutenu  d'un  homme  qui  fait  route  à  travers 
tant  d'obstacles;  mais  ils  ne  trompent  nullement  sur  la  fixité 
de  sa  politique.  —  Les  Mémoirest  bien  examinés ,  discutés  et 
serrés  de  près,  faiblissent  spécialement  en  trois  points  essen- 
tiels :  1»  ils  exagèrent  les  fort  petits  succès  des  campagnes  d'I- 
talie, si  misérables  en  comparaison  des  conquêtes  du  xvi«  siè- 
cle. Ici,  quels  résultats?  On  secourt  Casai,  on  prend  Pignerol, 
on  laisse  périr  Nanloue,  et  on  se  coule  à  fond  dans  l'opinion 
des  Italiens.  L'effet  du  Pas  de  Susj  eût  été  grand,  si  Ton  n'eût, 
sur-le-champ,  rentré  en  France  et  bientôt  licencié  trente  régi- 
ments. »  2o  Les  Mémoires  feraient  croire  que  Richelieu  de 
bonne  heure  agit  sérieusement  avec  Gustave  (ce  qui  est  faux, 
il  ne  pensait  alors  qu'au  Bavarois).  Ils  feraient  croire  du  moina 
qu'il  lui  procura  sa  trêve  de  Pologne.  Mais  tout  le  monde  y 
travaillait,  surtout  la  Hollande;  et  le  seul  qui  réussit,  ce  fut 
Gustave,  par  une  victoire  qui  découragea  les  Polonais.  —  3o  Ri- 
chelieu s'efforce  d'obscurcir,  d'abréger,  d'effacer  ce  qui,  au 
fond,  est  le  plus  admirable  en  lui,  sa  lutte  désespérée  contre 
l'intrigue  espagnole  des  deux  reines. 

Chap.  IV.  LfUie  de  Richelieu  contre  Us  deux  reines,  maladie  de 
Ljfon,  journée  des  dupes,  etc.,  p.  30-2^.  — La  sécheresse  d?s 
Mémoires  est  ici  surprenante.  Richelieu  court  comme  sur  du 
feu.  Basaompierre,  Brienne,  Nareuil,  Gaston,  donnent  quelques 
détails  accessoires,  extérieurs,  et  point  du  tout  le  fond.  Nul 
moyen  de  comprendre  la  crise  de  Lyon  ni  la  journée  des  dupes. 
Après  cette  journée  (10  novembre  1630),  on  tire  le  rideau,  on 
fait  semblant  de  croire  qu'elle  finit  tout,  et  Ton  ne  dit  plus 
rien  pendant  cinq  mois^  sauf  la  fuite  de  Gaston  et  le  traité  de 
Suède.  Ce  traité  sert  de  remplissage  ;  on  le  place  en  janvier, 
quoiqu'il  n'ait  été  alors  que  rédigé ,  projeté  ;  il  ne  fut 
conclu   qu'en  avril.  Ce  silence  de  cinq  mois,  d'une  demi^ 


302  NOTES  KT  ÉCLAIlICISSBMSIfTS. 

année  ffruquê^  est  évidemment  eonrenn.  (Test  un  mystère 
d'Ëifti. 

Par  on  arrangenment  tacite ,  chacun  a  mieux  aimé  éluder, 
esquiver.  Cela  rend  curieux.  Mais,  très-probablement,  ce  sont 
choses  terribles  et  périlleuses. 

-  Richelieu  'cependant  avait  la  mauvaise  habitude  d'écrire, 
d'écrire  toujours.  Il  ne  rédigeait  pas  tous  les  soirs  exactement, 
oomme  Mazarin,  une  note  des  faits  de  la  journée.  Il  s'est  fié 
généralement  à  la  grosse  compilation  de  ses  Mémoires  qu'il 
faisait  faire.  Mais ,  ponr  celte  période  si  grave  dont  ses  Mé- 
moires parient  à  peine,  il  ne  s'est  fié  qu'à  lui-même.  Un  Cer> 
rlble  petit  journal ,  écrit  par  loi,  en  est  resté.  Il  a  été  poblîé 
en  1649. 

Gomment  cette  pièce  fut-elle  déterrée,  publiée?  Je  suppose 
qu'au  moment  où  Condé  se  brouilla  avec  la  cour,  à  la  fin  de 
16^9,  et  se  lia  intimement  avec  l'héritier  de  Richelieu  (en  le 
mariant),  qu'à  ce  moment,  dis-je,  Condé  reçut  de  ce  jt'one  due 
le  redoutable  manuscrit  de  famille,  et  le  lança  dans  le  public 
par  les  imprimeurs  hardis  de  la  Fronde. 

Son  authenticité  ne  peut  pas  être  contestée,  i^  Quoique  ce 
soient  de  simples  notes  sèches <t  brèves,  parfois  obscures,  quand 
on  a  beaucoup  lu  Richelieu,  il  est  impossible  de  l'y  méconnaî- 
tre. Les  faiseurs  de  la  Fronde  eussent  fait  un  livre  plus  pi- 
quant; mais,  entre  eux  tous,  ils  eussent  travaillé  des  années 
sans  rien  faire  qui^  de  près  ou  loin,  rappelât  ce  terrible  petit 
livre.  —  2o  C'est  un  mémento  personnel,  extraordinairement 
sérieux,  d'un  homme  d'action  qui  se  parle  à  lui  seul  ;  il  est  si 
occupé  du  fond,  si  inattentif  à  la  forme,  qu'il  en  oublie  la 
grammaire;  souvent  il  commence  par  la  première  personne^ 
il  dit  J0,  puis  il  continue  par  la  troisième,  et  dit  U  cardimmL  ~ 
3o  Les  rapports  d'espions  et  de  gens  gagnés  qui  lui  révèlent  les 
détails  d'intérieur  font  penser  aux  pièces  de  police  qu'on  trouva 
au  9  thermidor  chez  Robespierre.  Mais  ce  qui  ajoute  aux  i^é* 
lations  qu'obtient  Richelieu  un  caractère  bien  plus  naïf,  ini» 
mitable  et  impossible  à  feindre,  ce  sont  les  mots  imprudents 
de  la  reine,  ses  échappées  colères,  ses  petites  bouderies,  les 
faiblesses,  les  violences  par  lesquelles  elle  se  perdait. — 4*  Non- 
seulement  les  faits  dominants  y  sont  fortement  indiqués,  mais 


NOTES  KT  ÉCLAIRaSSBMSirrs.  30S 

on  y  trouve  marquées  de  lé^^ères  inaanees,  peu  importantes 
pour  le  résultat  total  de  l'histoire,  fort  importantes  pour  la  cri* 
tique  qui  y  seot  le  détail  vivant  et  le  trait  précis  de  la  vérité 
(par  exemple,  la  malveillance  qne  les  reines,  lignées  contre 
Richelieu,  gardaient  l'nne  pour  Tautre,  p.  34  de  l'éd.  des 
Archives  ciir.,  t»  V).  — 5o  Enfin,  ce  qui  est  bien  pins  décisif  qne 
tout  détail*  c'est  la  force  ave  >  laquelle  cette  pièce  essentielle 
vient  juste  s'encastrer  dans  la  lacune,  et  s'adapter  par  tous  ses 
angles  aux  angles  précis  du  lieu  vide,  lequel^  si  vous  ne  Ty 
mettez,  restera  comme  un  trou  impossible  à  combler,  et,  bien 
plus,  une  énigme  irrémédiablement  obscure. 

Maintenant  la  reine  avorta  •  t  -  elle  réellement,  comme  les 
médecins  et  les  femmes  de  la  reine  le  dirent  à  Richelieu,  ou 
l'enfant  vécut-il?  Dans  cette  dernière  hypothèse,  il  faudrait 
faire  remonter  bien  plus  haut  le  commencement  de  la  gros* 
sesse.  Cet  aine  de  Louis  XIV  aurait  pu  être  alors  le  fameux 
Matque  de  fer.  L'histoire  de  celai-ci  restera  probablement  à 
jamais  obscure.  Des  écrivains,  du  reste  fort  légers,  de  peu  d'au- 
torité (Delort,  madame  de  Gampan,  etc.),  en  ont  parlé,  je  crois, 
pour  l'obscurcir  et  pour  donner  le  change.  On  en  pensera  ce 
qu'on  voudra.  Mais  on  ne  me  fera  pas  croire  aisément  qu'on 
eût  pris  des  précautions  tellement  extraor  Jinairos,  qu*on  eût 
gardé  à  ce  point  le  sccrel  (toujours  transmis  du  roi  au  roi,  et 
à  nul  autre)  si  le  prisonnier  n'avait  été  qu'un  agent  du  duc  de 
Mantoue  I  Cela  est  insoutenable.  Si  Louis  XVI  dit  à  Marie-Antoi* 
nelte  qu'on  n'en  savait  plus  rien,  c'est  que,  la  connaissant 
bien,  il  se  souciait  peu  d'envoyer  ce  secret  à  Vienne.  ^  Il  est 
même  douteux  que,  si  le  prisonnier  eût  été,  comme  d'autres 
pensent,  un  cadet  de  Louis  XIV,  un  fils  de  la  reine  et  do  Maza- 
rin,  les  rois  qui  succédèrent  eussent  gardé  si  bien  le  secret; 
mats  très- probablement  l'enfant  fut  un  aine,  et  sa  naissance 
obscurcissait  la  question  (capitale  pour  eux)  de  savoir  si 
Louis  XIV,  leur  au  eur,  avait  régné  légitimement. 

Chap.  IV,  p.  39.  Joseph  tenait  le  fil  des  destinées  de  Riche- 
lieu. —  Le  véritable  père  Joseph^  de  Richard,  est  un  livre  léger, 
fait  un  demi  siècle  après,  et  qui,  dans  certains  points,  mérite 
peu  de  confiance.  Cependant  l'auteur  écrivait  d'après  des  ma- 


304  NOTIS  ST  ÉCLÀlRCi8SiaiKNT& 

nvscriU  que  nous  n'avons  plus,  sortoui  d'après  les  MétÊoiru 
d*ÉUU  de  Joseph.  Il  y  a  nombre  de  faits  fort  Traîsenibiables, 
ailleurs  obscurs  el  à  peine  indiqués,  ici  très-clairs  et  mis  en 
pleine  lumière.  Au  reste,  quoiqu*à  l'exemple  de  tons  les  bio- 
graphes il  donne  à  son  héros  une  importance  exagérée,  il  ce 
surfait  pas  du  moins  sa  verlu.  Richard  est  amusant.  Il  semble 
nous  promettre  de  beaux  secrets  de  la  politique  du  temps  : 
c  On  voit  bien  l'aiguille  au  cadran,  dit- il;  mais,  si  Ton  vojmit 
les  roues  et  les  ressorts  cachés!  >  Le  dessous  est  beau  en  effet. 
Il  montre  son  Joseph  marchant  toute  sa  vie  de  trahison  en 
trahison.  Il  trahit  Ornano.  Il  décide  Gaston  à  trahir  Chalais.  Il 
habille  un  jeune  comte  en  capucin  pour  aller  à  Bruxelles 
et  surprendre  les  lettres  qui  mèneront  Chalaià  à  la  mort. 
En  1632,  il  conseille  de  faire  mourir  Montmorency,  de  ne 
pas  tenir  parole  à  Gaston.  Il  trahit  deux  fois  Richellen»  et 
en  signant  le  traité  de  Ratisbonne  (1630),  et  en  tirant 
parole  du  roi  de  faire  revenir  sa  mère,  malgré  le  ministre 
(|i638). 

Sur  tout  cela,  Richard  le  croit  le  grand  homme  du  temps.  — 
L'ouvrage  n'est  pas  moral,  mais  il  est  curieux.  Richard,  q«i 
probablement  copie  le  plus  souvent  Joseph,  éclaire  beaucoup  de 
choses  sans  le  savoir,  sans  soupçonner  la  portée  de  ce  qu'il  dit. 
On  suit  très-bien  chez  lui  la  lutte  discrète,  la  haine  cachée  des 
deux  grands  amii  l'un  pour  l'autre,  la  duplicité  de  Joseph,  qui, 
comme  ministre  de  Richelieu,  conseille  des  choses  violentes  et 
hasardeuses,  mais  qui,  en  dessous,  travaille  souvent  le  roi  en 
sens  contraire^  qui  parle  pour  et  contre  Gaston,  pour  et  contre 
Marie  de  Médicis,  etc. 

Chap.  VI,  p.  57.  Gustave,-^  C'était  ici  le  lieu  d'en  parler; 
mais  j'ai  dû  à  ce  grand  homme  le  respect  de  commencer  par 
lui  mes  Éclaircissements.  Je  ne  pouvais  d^ailleurs,  dans  une 
histoire  do  iFrance^  l'envisager  que  de  profil.  La  vieille  his- 
toire d'Arkenholz,  sortie  des  pièces  et  des  récits  oi  iginaux, 
est  toujours  excellente.  Elle  nous  a  sauvé  beaucoup  de  pièces 
importantes  qui,  je  crois,  n'existent  plus  ailleurs.  Je  parle 
de  celles  qui  racontent  la  [mort  de  Gustave,  le  sac  de  Magde* 
bourg,  etc. 


NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  305 

Chip.  VIII,  p.  90.  Mort  de  Waldstein.  —  Un  récit  curieux  et 
inédit  de  cet  événement  est  celui  que  l'abbé  Fonlana  écrit  à 
monseigneur  Panzirole  la  même  année  1634.  Il  l'appelle  Fa- 
U$tayn,  Mais  le  célèbre  général  signait  lui-même  Waldstein, 
—  11  y  donne  d'abord  la  version  officielle  des  impériaux,  avec 
des  circonstances  nouvelles,  puis  il  ajoute  :  c  Plusieurs  répan- 
dent que  la  trahison  de  Waldstein  n'est  point  avérée;  que  ce 
sont  ses  ennemis^  les  Espagnols  et  Bavière  (sans  doute  le  duc 
de  Bavière),  qui  ont  tout  fait  pour  le  faire  paraître  coupable.  » 
{Extraits  des  Archives  du  Vatican,  conservés  à  nos  Archives  de 
France,  carton  L,  386.) 

Chip.  X,  p.  125.  Les  Carmélites,  —  Ici,  et  plus  haut,  p.  43» 
50,  je  suis  la  Vie  anonyme  de  madame  de  Uaulefort,  publiée 
par  M.  Cousin.  --On  lui  a  très-amèrement  et  très-justement 
reproché  son  culte  pour  les  Chevreuse  ,  les  Longueville,  etc. 
Il  est  triste,  en  eflPet,  de  voir  cet  ancien  et  illustre  maître,  élo- 
quent initiateur  de  la  jeunesse  au  stoïcisme  de  Kant  et  de 
Fichte,  de  le  voir,  dis-je,  aux  genoux  de  ces  coureuses  dont 
les  intrigues  noyèrent  la  France  de  sang.  Elles  avaient  de  l'es- 
prit, je  le  veux  bien.  Qui  n'en  avait?  Elles  parlaient  à  mer- 
veille, c  Celui  qui  parlerait  mal  à  la  cour,  dit  La  Bruyère,  au* 
rait  le  mérite  d'un  savant  dans  les  langues  étrangères.  »  — 
Avec  tout  cela,  M.  Cousin  a  publié  des  textes  inédits  dont  on 
doit  profiler,  révélé  des  faits  curieux.  On  ne  connaissait  bien 
ni  madame  de  Haulefort,  ni  mademoiselle  Lafayette,  ni  même 
la  reine  Anne.  La  fameuse  affaire  du  Val>de-Gràce  n'était  pas 
bien  éclaircie.  On  sait  maintenant  (Chevreuse,  p.  52)  que,  le 
jour  de  l'Assomption,  la  reine  communia  et  jura  par  VEucha» 
ristie  qu'elle  avait  dans  Testomac  qu'elle  n'avait  pas  corres^ 
pondu  avec  f  Espagne.  Puis  elle  avoua  qu'elle  avait  menti  et  s'était 
parjurée,  qu'elle  avait  averti  son  frère  de  l'envoi  d'un  espion 
français  en  Espagne,  nt  des  tiaités  que  l'Angleterre  elle  duc  de 
Lorraine  allaient  faire  avec  la  France  pour  que  l'Espagne  pût 
les  empêcher. 

Partout  ailleurs,  la  partialité  de  M.  Cousin  pour  la  galante 
reine  est  bien  naïve.  Il  doute  du  succès  de  Bnckingham  auprès 
d'elle.  Et  pourquoi?  Parce  que  Tallemant  n'en  a  rien  dit  (il  a 
xu.  10 


QAg  NOTES  IT  ÉCUURaSSBIENTS. 

omis  bien  d'autres  cboset^  parce  que  la  RocUfoucauld  n'en  a 
rien  dil.  Mais  la  Rochefoucauld,  le  chevalier  p -rsonnel  de  la 
reine,  si  dévoué,  quelle  voulait  se  faire  enlever  par  lui  i 
Bruielles.  n'avait  garde  de  parler  d'une  telle  avenure.  Reu. 
nui  la  conte,  la  tenait  de  la  meilleure  source,  de  la  Chcvreuse. 
de  celle  même  qui  livra  la  reine  à  BucUngham  dans  le  jardiu 
du  Louvre.  -  M.  Cousin,  dans  un  autre  passage  {HauUfort. 
D   28  etc.).  dénaiure  les  faits  et  les  obscurcit  par  une  simple 
inierversion  chronologique.  H  parle  d.-  la  retraite  de  Uf-yeUe 
delà  grossesse  de  la  tcine.de  la  naissance  deUuisXlV(iM8) 
a«antde  varier  du  danger  de  la  reine,  de  l'affaire  du  Val-de- 
Grftce   de  l'expulsion  de  Caussin,  etc.  C'est  placer  les  cause» 
après  les  effets.  On  n'y  comprend  plus  rien.  Dès  que  l'on  réia- 
blilles  dates  dan»  leur  ordre  sévère,  la  clarté  reparaît.  Ce»l 
parce  qu'en  1637  clic  se  crut  perdue  par  deux  fois  (en  août  au 
Val-de-Gr«ice.  et  le  9  décembre  par  l'échec  de  Caus-Mu).  c  est 
pour  cela  qu'on  fil  le  9  la  lenlalivc  extrême.  Sa  grossesse,  qui 
date  de  celle  nuit,  fit  son  salut  et  lui  donna  quin.e  ans  de 
règne  —  Une  chose  singulière,  et  qu'on  peut  vérifier  à  West- 
minster sur  l'effigie  de  Buckingham,  c'est  que  Louis  XIV  res- 
semblait (un  peu  lourdement,  i!  est  vrai,  à  ce  bel  Anglais,  mort 
dix  ans  avant  sa  naissance.  Dira-t-on  que  la  reine,  qui  touU 
sa  vie  garda  ce  souvenir,  l'eut  présent  à  Tespril  au  moment  de 
la  conception?  Du  resie,  si  elle  fui  enceinie  en  16Î8  du  fait 
de  Buckingham  .  comme  elle  le  craignit  (V.  Retz),  il  ne  serait 
pas  étonnant  que  l'enfant  de  1638  lui  eût  ressemblé.  Le  pre- 
mier amant  (dit  M.  Lucas,  Hérédité)  détermine  souvent  le  lype 
des  enfants  futurs  qui  naîtront  de  ses  successeurs. 

Chap.  Vlll,  p.  99,  100.  //  fut  trompé  par  le  jéiuile  Sublet.  — 
Richelieu  doii  être  jugé  relalivemenl  aux  difficultés  infinies  de 
sa  position.  La  dévotion  du  roi,  ses  roénagemenis  pour  Rome, 
l'espoir  de  devenir  légat,  lièrent  le  ministre  aux  jésuites,  et 
l'empêchèrent  d'ôire  ce  que  la  fierlé  de  son  génie  l'aurait  fait 
être,  un  gallican,  un  sorbonisle  (lui,  fondateur  de  la  Sorbonne 
nouvelle).  Ce  qui  élonnc  le  plus,  c'est  que  dans  sa  politique  «» 
son  intérieur  môme,  il  les  subit  par  l'ascendant  croissant  d'un 
homme  affilié  à  la  Société,  d'un  sot  fieffé,  dangereux,  haineux. 


NOTES  IT  ÉCLAmaSSEMENTS.  307 

Tenimenx,  ma»  le  scribe  des  scribes  ei  d'uu  travail  éeorme  : 
Sublet  de  Noyers.  Richelieu  le  fil,  en  1633,  secrétaire  d'Ëiat  de 
la  guerre,  le  chargea  fort  imprudemment  d'inspecter  nos  places 
en  1636,  crut  aux  rapports  de  l'ignorant,  ce  qui  nous  valut 
rinvasion  et  les  faciles  succès  de  l'ennemi  qui  vint  presque  à 
Paris.  Cette  bévue,  qui  devait  le  faire  chasser,  fut  au  contraire 
récompensée.  Il  fut  chargé  de  fortifier  des  places,  de  diriger 
des  sièges^  d'organiser  la  marine  :  il  eut  la  surinte  idance  des 
bâtiments  et  manufactures,  la  surveillance  de  l'imprimerie 
royale,  etc.  Richelieu,  accabli,  malade,  ne  s'occupait  plus  que 
de  l'extérieur,  et  bien  plus  encore  des  complots  dont  il  était 
environné.  Sublet  régna,  à  tort  et  à  travers;  il  a  laissé  partout 
des  marques  de  son  génie,  Téreciion  des  églises  jésuites  à  pots 
de  Ûeurs,  la  destruction  des  œuvres  les  plus  hautes  de  la  Re- 
naissance, spécialement  de  la  sublime  Léda  de  Michel-Auge, 
l'unique  tableau  qu'il  eût  peinte  l'huile,  qui  était  à  Fontaine- 
bleau. Cet  animal,  chargé  de  recevoir  le  Poussin  que  Richelieu 
appelait  de  Rome  et  logeait  aux  Tuileries,  eut  l'i  m  pertinence. 
de  lui  tailler  la  besogne,  exigeant  qu'il  lui  fit  tant  de  chefs- 
d'œuvre  par  mois.  Le  Poussin  t>e  i^auva  à  Rome. —  L'attraction 
des  sots  pour  les  sots  rendait  Sublet  très-cher  au  roi.  Us  di- 
saient leur  rosaire  ensemble.  Cela  enhardit  fort  le  petit  homme, 
SI  bien  qu'en  dessous  il  commençait  tout  doucement  à  trahir 
le  roi  pour  la  reine,  croyant  être  par  elle  archevêque  de 
Paris.  Le  mourant  le  mit  à  la  porte.  £t  la  reine,  une  fois  ré- 
gente, ne  se  souvint  plus  de  Sublet,  qoi  prit  la  chose  à  cœur,, 
et,  comme  le  pauvre  père  Joseph,  creva  d'ambiiion  rentrée 
(1645) . 

Chap.  XII,  p.  140.  Le  calcul  des  neuf  moi$.  —  Louis  XIV  naî- 
tra le  5  septembre  1638.  Anne  d'Autriche  a-l-elle  conçu  le  5  4^ 
cembre  1637?  Non.  Les  mois  n'out  pastoustrenteJours.il  faut 
ajouter  six  jours  pour  les  six  mois  qui  ont  trente  et  un  jours  ; 
mais,  comme  le  mois  de  février  n'en  a  que  28,  il  faut  6ter  deux 
de  ces  six  jours,  c'est-à-dire  n'en  ajouter  que  quatre  au  calcul 
total.  —  Donc,  en  ajoutant  au  5  décenribre  quitre  jours,  oo  ob- 
tient  le  9  décembre,  la  veille  de  l'exil  du  jésuite  Caussin,  le 
jour  même  où  Richelieu  lui  fit  prononcer  son  exil,  et  où  la  reine. 


308  NOTES  BT  ÂCLAIRCISSBMBNTS. 

ayant  échoué  dans  celte  dernière  intrigue,  n'eut  plu»  de  salai 
que  dans  une  grossesse. 

Chap    XllI,  p.  1*7.  Mùèr»  du  peuple.  Révolus.  Richette  dm 
dergè   '-  Les  tableaux  de  l'administration  de  Richelieu,  que 
nous  "trouvons  dans  les  ouvrages  généraux  de  MM.  Avcnel 
(Introd.),  Chéruel,  Bailly,  Doniol,  Dareste.  etc.,  ne  pouvaient 
être  que  sommaires.  Pour  la  première  fois,  les  fans,  les  date», 
ont  été  réunis  et  donnés  au  complet  avec  de  nombreuses  ciu- 
lions  d«8  actes,  dans  l'ouvrage  spécial  de  M.  CaiUel.  Je  1  ai  eu 
constamment  sous  les  yeux,  en  écrivant  ce  chapitre.  On  y  su.l 
à  merveille  les  tergiver!=ations  et  les  conlradiciions  de  Riche- 
lien  et  pour  la  levée  de  l'impôt  (par  élus,  par  trésoriers,  par 
inleidanls).  et  pour  ses"  tentatives  de  faire  aider  l'Etat  par  le 
clergé  M    Caillet  ne  tire  aucune  conclusion.  Celle  qui  ressort 
de»  faits,  c'est  que.  Richelieu  étant  définitivement  repoussé,  cl 
le  clergé  (le  grand  propriétaire  de  France)  ne  donnant  nen 
qu'un  don  gratuit  minime,  ni  l'État,  ni  la  Charité,  ne  pourront 
w  constituer.  Richelieu  mourra  à  la  peine.  Vincent  de  Paul 
fera  très-peu  de  chose  (six  cent  mille  livres  en  six  années  pour 
des  millions  d'affamés).  Puis,  va  venir  Colbert  qui  mourra  à  .a 
peine  L'État  s'enfonce  dans  la  mendicité.  U  bureaucratie  pro- 
aresse.dans  l'extermination  du  peuple.  Mais,  ce  n'est  pas 
assez  C'est  quand  la  terre  elle-même  semble  extcrmmt'e  et  ne 
produit  plus,  qu'arrive  par  les  grandes  famines  la  révolution 
de  89.  —  Sur  les  révoltes  des  va  nu-pieds  de  Normandie,  des 
eroquanls  de  Guyenne,  voyez  les  textes  intéressants  réunis  par 
M  Bonnemère,  HUloire  des  paysans.  Gassion,  qui  extermina  les 
premiers,  ne  put  s'empêcher  d'admirer  leur  valeur  héroïque. 
Voir  aussi  l'importante  Histoire  du  Parlement  de  Norman<li^, 
par  M.  Floquel,  et  spécialement  son  Diaire  du  voyage  du  ehan- 
eelier  Séguier,  à  Rouen. 

Chap.  XIV,  p.  163.  Richelieu  admirateur  de  la  pidagogie  da 
jésuites.  —  Et  cependant  il  ne  sr.il  pas  leur  plan  d'études  dans 
son  collège.  On  disait,  et  on  dit  encore,  qu'ils  enseignaient  les 
sciences  aussi  bien  qur  les  langues  Les  langues,  c'est-à-dire  le 
latin  (peu  ou  point  de  grec),  s'enseignaient  en  six  classes  et  au 


1 


NOTES  ET  ÉGLÀRCISSEMENTS.  309 

moins  en  six  ans;  et,  dans  uneieule,  entre  la  rhétorique  et  la 
théologie,  ils  enseignaient  un  peu  de  philosophie,  de  mathéma- 
tiques et  de  physique.  Le  plan  que  Richelieu  traça  pour  son 
collège  modèle  de  Richelieu  dififère  essentiellement,  en  ce  qu'à 
chaque  classe  et  chaque  année^  de  la  sixième  à  la  philosophie^ 
les  sciences  sont  toujours  enseignées  et  en  français.  A  la  classe 
du  matin,  quand  Tatiention  des  enfants  est  neuve  et  fraîche 
encore^  on  leur  eoseigne  l'histoire,  la  gi^ographie,  la  physique, 
la  géométrie,  la  musique,  la  mécanique^  l'optique,  l'astronomie, 
la  politique  el  la  métaphysique.  A  la  classe  du  soir,  ils  se  dé- 
lassent par  les  poètes  et  les  orateurs,  les  auteurs  épistolaires, 
les  livres  de  dialogues,  la  prosodie  et  la  grammaire.  Enseigne- 
ment tout  à  fait  différent  de  celui  des  jésuites;  celui  de  Riche- 
lieu y  donne  la  grande  part,  plus  de  la  moitié,  aux  sciences,  qui^ 
dans  les  collèges  de  La  Flèche  ou  de  Clermoni,  n'entraient  au 
total  que  pour  un  douzième» 

L'originalité  réelle  de  leur  collège  de  Clermont  (rue  Saint- 
Jacques)  était  surtout  en  ceci,  qu'il  y  avait  à  peu  près  autant 
de  maîtres  que  d'élèves,  trois  cents  jésuites,  profès  ou  aspi- 
rants, pour  quatre  cents  écoliers.  Je  parle  des  écoliers  internes 
seulement,  des  seuls  auxquels  on  fit  attention,  et  qui  (Haient 
les  enfants  des  plus  grandes  familles.  La  mécanique  de  leurs 
cUéges  était  très-forte,  en  ce  sens  que  le  môme  professeur 
suivait  l'enfant  de  classe  eu  classe,  le  prenait  en  sixième  et  le 
menait  en  rhétorique.  L'élève  maltraité'ne  pouvait  dire  :  «  Dans 
un  an,  je  suis  quitte  de  ce  professeur.  >  S'il  déplaisait  malhen* 
reusement^  si  son  maître  le  prenait  en  grippe,  on  le  fouettait 
six  aus  de  suite.  Cela  rendait  peureux,  flatteur;  on  craignait 
extrêmement  un  maître  à  perpétuité.  Les  enfants  pauvres,  les 
boursiers,  sous  cette  perspective,  et  suivis  ainsi  de  la  verge, 
devaient  travailler  ou  périr.  La  vieille  Université  de  Paris,  qui 
fouettait  tant,  reproche  cependant  aux  jésuites  de  ne  fouetter 
que  les  pauvres,  ces  malheureux  boursiers,  tenus  au  collège 
par  leur  subsistance. 

«  Voilà  qui  est  bien  dur,  diront  les  mères.  Et  comment  tant 
de  grandes  dames  confiaient-elles  à  ces  terribles  Pères  leur 
douce  progéniture?  »  Rassurez-vous.  Autant  leur  mécanique, 
vue  par  là,  était  dure,  autant,  d'un  autre  côté,  elle  était  douce. 


310  NOnS  KT  iCLAIftOSSBlfENTS. 

Tous  les  jésuites  n'étaient  pas  professeurs,  beancoiip  étaient 
amie.  L'amitié  était  là  une  position,  un  métier,  une  profession 
spéciale.  Parmi  ces  jésviles  non  enseign<ints,  mais  amateurs, 
q«î  causaient,  conseillaient,  observaient,  se  promenaient,  fai- 
saient de  )a  lîtiérature,  Tenfant  pouvait  se  choisir  «m  «mit. 
Qsoi  de  plus  rassurant  pour  ia  pauvre  mère  qui  amenait  son 
Mnirrisson  et  s'en  allait  en  larmes,  que  de  le  confier  à  ce  bon 
Père  qui  en  faisait  son  pupHle,  se  diargesH  de  le  recomman- 
der, d'intervenir  pour  lui,  d'adoucir  le  pédant],  de  sauver  un 
enfant  si  tendre!  c  N'ayez  pas  peur,  madame.  Tout  cela  est  pour 
nos  boursiers,  des  enfants  rudes  qui  ne  vont  que  par  là...  Mars 
ce  beau  cher  petit  seigneur!  j'en  réponds,  et  rassorev-voua, 
disait  le  Père.  —  Un  père?  bien  mieux,  une  mère  tendre  qui 
partageait  ses  jeux  mieux  que  n'eût  faitaa  n^re,  l'aidait  dans 
aen  devoir,  le  menait  au  jarJin,  et  cueillait  avec  lui  des  fleurs. 
Inutile  de  dire  que  cet  homme  charmant  devenait  pour  Ten- 
fantun  confident  aimé,  indispensable;  l'écolier  le«berehail, 
•éès^qu'il  était  libre,  lui  disait  toutes  ses  pensées.  Vami  savah 
le  fond  du  fond,  dix  fois  plus  que  le  confesseur.  Il  renseiguni 
parfaitement  la  Compagnie,  et  sur  l'enfant,  ses  qualités,  ses 
viees,  ses  tendances,  son  caractère,  et  sur  tout  ce  que  l'enfant 
pewaii  savoir  ou  entrevoir  des  secrets  de  sa  famille.  Le  con* 
Mvssant  à  ce  point-là,  il  avait  sur  lui  les  plus  fortes  prises,  s'en 
emparait  de  plus  en  pins.  Tellement,  qu'au  grand  étonnement 
de  H  mère,  quand  elle  venait  voir  son  enfant,  il  était  froid, 
Dèv«nr,  distrait,  visiblement  ennuyé  d'elle,  et  foit  impatient 
d'allef  joiMT  avec  son  ami.  Mais  on  jouait  bien  moins  qu'on  ne 
aanaait.  Les  jésuites  étaient  fort  caillettes,  commères  intaris- 
sables, aussi  bavards  que  curieux.  —  Il  y  avait,  en  cette  hislH 
tntîon,  du  bien,  du  mal.  Sans  nul  dovte,  la  société  donee  et 
bonne  d'un  homme  d'esprit  ]>e«t  afiner  bien  vite;  c'est  ce 
qu'il  y  a  4e  plus  fort  ^ur  mûrir  en  serre  cbsnde  et  donner  de 
prompts  Tésallals.  La  eoncnrrence  était  extrême  et  poossée  par 
tous  les  moyens.  On  faisait  de  petits  parleurs,  des  académiciens 
de  douze  ans ,  et  des  acteurs  de  treize  pour  les  comédies  de 
eoHége. 

¥oilà  le  bien,  si  c'en  est  un.  Le  mal  était  ceci  :  Ihins  fédn- 
eation  ordinaire,  un  même  homme  étant  obKgé  d'alterner  la  ri* 


NOTES  BT  BGLAIRC18SBVBKTS.  3 H 

gvenr  el  rindulgenoe,  eumulani  les  deux  rôles  de  Gr&cc  et  de 
Justice,  neulralise  parTune  lèse  (Tels  de  l'autre;  il  influe  moins 
comme  homme  que  comme  doctrine  el  ue  prend  d*aulorHé  que 
celle  de  la  raison.  Mais  ici,  Tbomme  de  la  Grâce  n'ayant  point 
à  sévir  jamais,  étant  toajoars  un  cfimtrade  atnable,  un  aide 
^uiile,  an  protecteur  surtout,  défendant  l'enfant  de  la  peur,  in- 
fttillibleraent  gagnait  tofii  le  cœur  de  (a  petite  créature.  Ce  qui 
en  advenait,  on  le  sait  trop. 

Si  des  réauttatb  moraux  et  de  l'éducation  nous  passons  à 
rinstnieiîon.  Examinons  quelle  était  la  valeur  réelle  de  leur 
enseignement.  On  le  devine  par  leurs  très-médiocres  cormnen- 
taires  sur  les  auteurs  anciens.  Grande  chute!  quand  on  arrive 
li  en  sortant  de  ta  vigoureuse  et  mâle  érudition  du  xvi*  siècle, 
qui  retrouva  fmrfois  Tàme  même  de  l'Antiquilé.  A  qui  fera-t-on 
croire  que  de  plats  écrivains ,  grotesques  et  ridicules,  comme 
ils  furent  généralement,  ont  pu  être  de  vrais  interprètes  du 
noble  génie  antique?  Cent  ans  avant  Pascal,  Rabelais  noie  d'un 
trait  vigoureux  l'aurore  de  cette  belle  littérature  (la  Savatte  de 
pénitence,  la  Pantonffle  d'humilité,  etc.).  Elle  fleurit  de  plms 
en  plos.  N'inventant  plus  rien,  on  édite,  on  ramasse,  on  ba- 
laye, on  compile.  Les  gros  Tecneils  commencent  avec  Je  ne 
sais  combien  de  mauvaîa  livres  de  classe.  Dans  ces  catacombes 
4e  l'ennui,  l*on  recueille  religieusement  tout  Tinutile,  le  de- 
Pritui  et  le  tajmt  martuum.  A  côté  fourmille,  frétille  la  fausse 
vie  plus  morte  encore,  les  épigrammes  galantes,  la  dévoiion  en 
madrigal,  etc.  Pour  écarter  les  sottises  honteuses  et  ne  parler 
qve  4es  dioses  fades,  qui  peut  lire  sans  nausée  une  seule  page 
4ii  livre  capital  et  triomphant  de  la  Société,  si  somptueuse- 
ment édité,  Vlmofù  prmi  $œouH  Sôeieîatis  Jesu,  1640?  ^  Ma- 
riana  eoofesee  que  son  ordre  est  très-oorrompu.  Bh  l>iea ,  la 
«corruption  morale  se  réié<:hit  dane  celle  du  goût.  Leurs  d«e- 
trinea  et  leara  mœurs  irent  leur  littérature,  et  celle-ci  qui  anb- 
aiete,  témoigne  contre  leur  enseignement.  1.  Caltlet  a  tort  de 
suivre  ici,  les  yeun  fermés,  M.  Êmond,  dans  son  Hist9irt  du 
C<iêUg9  Louit  û  Grand.  W  a  tort  aussi  (p.  Ut)  de  révoquer  en 
doute  Tassertion  de  ranivensité  :  <  que  les  jésuites  iraiiaimî 
mal  Im  6eiirfft>rf,  lê$  écoliers  pauvres  {Msê.  de  la  BihL  Maxariné). 
Cela  parait  bien  vraisemblable  quand  on  lit  dans  Ranke  (Pa- 


312  NOUS  BT  ÉCLÀlRaSSEMENTS. 

paulé)  l'expresse  recommandation  du  légat  de  mieux  traiter  les 
écoliers  nobles  et  riches. 


Chap.  XIV,  p.  167.  La  reine  était  du  complot  du  comte  de  Sois- 
sons.  —  Campîon  le  dit  eipressémenl.  Le  15  août  1641,  il  ras- 
sure la  Chevrease  en  loi  disant  qu'il  a  brûlé  les  lettres  de  la 
reine.  M.  Cousin,  le  défenseur  ordinaire  de  ces  dames,  nons 
apprend  pourtant,  el  dans  sa  Hautefort^  et  dans  sa  Chevreuse^ 
toute  la  gravité  du  complot  et  la  part  qu'y  prenait  la  reine.  La 
Hautefort,  par  l'ordre  d'Anne,  y  éiait  entrée.  La  Cbevreuse,  à 
Londres,  avait  formé  l'association  dos  émigrés  français  et  dis 
royalistes  d'Angleterre  (Holland  ,  général  de  Charles  l*^**.  Mon- 
tai gu,  conseiller  d'Henriette,  ardent  papiste),  et  la  ligne  des 
uns  et  des  autres  avec  l'Espagne  et  le  pape,  A  Bruxelles,  elle  y 
associa  encore  le  duc  de  Lorraine  et  le  comte  de  Soissons. 
Complot  trop  vaste,  trop  mêlé  d'éléments  nombreux  et  com- 
plexes, qui  devaient  marcber  mal  ensemble.  Cette  grande  poli- 
tique, la  Chevreuse,  était  un  esprit  romanesque,  nullement  po- 
sitif. Ceci  rappelle  les  complots  fous  et  visionnaires  des  jésuites 
avant  l'Armada.  On  échoua.  Puis  on  reprit  la  chose  plus  folle- 
ment encore  par  le  petit  Cinq-Mars.  Le  sérieux  de  l'échafaud  a 
trop  relevé  ce  favori  ridicule,  si  outrecuidant,  si  absurde.  Il 
voulait,  lui,  ce  garçon  de  vingt  ans,  que  le  roi  le  laiss&t  tuteur 
du  dauphin.  Cela  fit  connaître  le  personnage  comme  mannequin 
de  la  cabale,  et  dégoûta  entièrement  Louis  XIII. 

Chap.  XV,  p.  169.  La  reine,  dit  FontrailUs,  désirait  un  com- 
plot, —  Et  on  peut  dire  que,  pour  son  compte,  elle  en  tramait 
un  elle-même.  Son  plan  était  d'enlever  ses  enfanta,  à  la  mort 
dé  Louis  XIII.  Elle  chargea  de  Tbou  de  demander  an  due  de 
Bouillon  de  la  mener  à  Sedan  (Cousin,  Chevreuse,  p.  101). 
Bouillon,  comme  on  le  voit  dans  toute  la  Fronde,  appartenait 
essentiellement  aux  Espagnols.  La  reine  ne  voulait  pas  moins 
que  mettre  le  roi  de  France  entre  les  mains  du  roi  d'Espagne. 
Quoi  de  plus  criminel?  —  De  Thou  fut  très-coupable.  Richelieu 
venait  de  lui  pardonner  déjà  sa  participation  à  un  complot  de 
la  Chevre.use.  —  M.  Cousin  se  trompe  (avec  bien  d'autres,  il  est 
vrai),  en  disant,  p.  105  de  sa  Chevreuse,  que  Richelieu  eut  le 


NOTES  ET  iCLÀlRCISSEIlKNTS.  3t3 

traité  le  il  juin.  Les  notes  écrites  à  Tarascon  par  Richelieu 
même  établissent  que,  le  7  juillet,  il  n'avait  pas  encore  celte 
pièce  essentielle. 

Chap.  XYII,  p.  189.  Bataille  de  Rocroy.  ^  Condé  n*est  pas 
sans  droit  à  cette  gloire  ;  car,  sans  lui,  Gassion  et  les  autres 
officiers  inférieurs  eussent  été  paralysés  par  L'Hospital.  Il  y  a 
droit  encore  par  son  allégresse  héroïque  qui  anima  les  troupes, 
et  par  la  part  qu'il  prit  à  la  vigoureuse  exécution.  L'excellent 
historien  militaire  Montglat,  mestre  de  camp  du  régiment  de 
Navarre,  contemporain  (mort  en  1675)  très-capable  et  très- 
informé,  explique  parfaitement  que  la  bataille  fut  gagnée  par 
Gastion,  qui  agit  et  s'arrêta  à  point  dans  raction,  et  par  Sirot, 
qui  refusa  d'agir  à  contre-temps,  et  désobéit  à  un  ordre  im- 
prudent du  prince.  —  Le  récit  de  Lenet,  serviteur  des  Coudés, 
n'est  que  ridicule.  —  La  vie  de  Si  rot,  fort  romanesque  en  cer- 
tains points,  est  fort  sérieuse  ici  où  elle  s'accorde  arvec  Mont- 
glat. Du  reste,  elle  n'est  pas,  comme  on  Ta  dil^  un  roman  mo- 
derne. Elle  est  citée  par  l'abbé  Arnaud  (fils  d'Arnaud  d'Andilly), 
qui  fut  carabinier  sous  Louis  XIII. 

Chap.  XVIII,  p.  201  •  Déjà  Maxarin  atait  le  pouvoir  d'un  mari. 
^Le  mariage  secret  de  la  reine  et  de  Mazarin  n'est  affirmé 
positivement  que  par  la  duchesse  d'Orléans,  mère  du  Régent. 
Cependant  il  me  semble  à  peu  près  certain.  La  reine,  déjà  fort 
dévote,  A  de  plus  en  plus,  n'eût  pas  tellement  montré  sa  pas- 
sion si  elle  ne  l'eût  crue  légitime.  Elle  l'affiche  pendant  la 
Fronde  avec  une  assurance  extraordinaire.  Elle  l'avoue  dans 
ses  lettres  à  Mazarin  absent  avec  refifusion  toute  chamelle 
d'une  épouse  entièrement  asservie  par  l'exigence  du  tempéra- 
ment. Ravenel,  Lettres;  Walckenaèr,  Sétignè,  deuxième  partie, 
p.  471;  Cousio,  Hautefort,  p.  95,  et  471-482.  Voir  aussi  dans 
les  Appendices  de  SanUSimon,  t.  XII,  édition  de  Chéruel.  ^  Les 
Mémoires  témoignent  que  Mazarin  se  conduisait  avec  elle,  nul- 
lement avec  les  égards  d'un  amant,  mais  avec  la  rudesse  d'un 
mari  indélicat,  brutal.  —  Reste  à  expliquer  comment  Mazarin, 
cardinal,  a  pu  l'épouser.  Mais  il  y  a  des  exemples  de  princes 
cardinaux  que  Rome  a  décardinalisés,  lorsqu'une  nécessité  poli- 
tique les  obligeait  de  se  marier.  Il  est  très-possible  que  l'atta- 


314  1I0TB8  IT  ÉCLURCISSniMTS. 

ebement  dévoué  et  fidèle  de  Mezarin  pour  les  Barberini  Vtmi  tu 
secret  de  celte  dispense  «qu'ils  lui  avaient  sans  doute  oblene 
de  leur  oncle.  Du  reste ,  il  n'est  pas  nécessaire  d'être  prêtre 
pour  devenir  cardinal.  Mazarin,  d'abord  officier  dans  l'armée 
du  pape,  puis  négociateur,  était  alors  un  abbate.  Mais  ce  titre 
n'engage  à  rien  en  Italie.  «  Je  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  preuve 
que  Mazaria  ait  jamais  été  prêtre,  le  n'en  trouve  aucune 
trace.  »  Cette  assertion  «fit  grave;  elle  est  du  savant  et  exact 
V.  €héruel,  l'éditeur  de  Saint-Simon,  Combien  noas  avons  à 
regretter  que  sa  grande  publication  des  Lettre*  de  Mazarin  n'ait 
point  paru  encore  1 

Chap.  XIX,  p.  206.  A  Nordlingen,  notre  gaudie  r$sta  âiuU  en- 
tière $ous  Turenne.  —  Le  beau  et  modeste  récit  des  Mémoires 
de  Turenne  indique  fort  bien  cependant  qu'avec  le  corps  Hes- 
sois  qu'il  commandait,  il  sauva  toui.  Dans  sa  lettre  à  sa  sceurt 
il  lui  annonce  avec  une  satisfaction  contenue  que  Gondé,  dans 
reflfosion  de  sa  reconnaissance,  le  remercia  solennellement  de- 
vant l'armée.  Coudé  n'en  reste  pas  moins  dans  l'histoire  «  le 
vainqueur  de  Nordlingen.  i 

Cbap.  XIX,  p.  209.  Maiarin  enaii  reiardi  (a  paix  §tnéraU.^ 
ftuand  on  n'aurait  pas  Jà-deasus  le  témoigttSfe  de  Brienae  et 
«utnes  oonlemporains,  on  jugerait  très-bien  que  les  rMeadesos 
plénipotemiaires  airaient  été  «rranfés,  que  4e«  inpertioeaees 
du  belliqueux  8ervien,en  opposition  avec  la  pacifique  dAvaux, 
étaient  voulues  ipsr  Maaarin  pour  gagner  leovps  et  sUendie 
quoique  booœ  cireonatanee.  €elle  qni  vint,  ce  fut  la  poralisie 
financière,  la  ruine,  la  banqnaronie,  qni  le  mit  hors  d'tet  de 
profiler  des  Dévolationa  de  NapAeaet  de.Stcike.  Puis,  par«deoB«a, 
loeaba  le  Fronde,  ta  révolntiea  de  Paris.  Mazarin  n'avait  rien 
prévu.  —  La  guerre  avuli  duré  ai  lottgteaips  qu'on  en  anpiaii  on* 
blié  la  «canae,  la  apoliiÉion  d«  PataMti,  l'oppreasion  dm  AUn  <« 
panadis  devenu  nn  désert.  Y.  Tvreone  peafàn),  rexéenblo  ex* 
tormination  de  la  êohéme.  Tout  fiit  appromë,  aanetioBnd  as 
profit  de  l'AnCriehe  et  de  la  Baivièro.  Victoive  réelle  doa  catho- 
lâqnea  allemande  «ur  nos  alliés  proiesianla. -Qoe  sigaiie  ioac 
ee  aot  enthonaiasme  de  quelquee^ne  aar  l'impartiflUté  do 


NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  318 

traité  de  Westphalie,  sur  cette  fondation  de  l'équilibre  de  l'Eu- 
rope, sur  la  gloire  de  la  France,  etc.T  II  n'y  eut  aucun  équili- 
bre. Le  parti  catholique  resta  le  plus  fort  en  Europe,  jusqu'à 
ce  que  l'Angleterre  eût  fini  sa  longue  trahison,  Jusqu'à  ce  que 
la  France,  ruinée  par  Louis  XIY,  eût  cédé  l'ascendant  aux 
puissances  protestantes. 


Ghap.  XIX.  p.  209.  Traité  de  Westphalie.  —  Mazarin  conti- 
nuait la  guerre,  mais  la  reine  eût  fort  désiré  s'arranger  a-vee 
TEipagne.  Cela  ressort  des  lettres  inédites  et  fort  amusantes 
d'un  général  des  capucins,  Innocent  de  Calatagiron,  qui  se 
charge  de  rétablir  la  paix  de  l'Europe.  Il  explique  lui-même 
aTCC  beaucoup  d*audace  et  de  forfanterie  comment  il  se  glisse 
partout  et  fait  la  Irçon  aux  reines  et  aux  rois.  Il  s'adresse  au 
duc  d'Orléans,  à  sa  fille  Mademoiselle,  aux  dames  d'honneur,  etc. 
Il  croit  les  avoir  toutes  remplies  du  saint  désir  de  la  vengeance 
de  la  religion  en  Allemagne  et  de  la  nécessité  de  la  paix  géné- 
rale. Les  moyens  de  cette  paix  sont  peu  pacifiques.  Il  en  faut 
d^ extraordinaires  et  de  terribles^  il  faut  exterminer  ce  qui  n'est 
pas  catholique.  La  reine  Anne  d'Autriche  lui  dit  qu'elle  ne  de- 
manderait pas  mieux  que  de  faire  la  paix  et  de  se  rapprocher 
des  Espagnols.  «  Alors,  mon  caractère,  mon  habit,  me  firent  tout 
oser;  je  lui  dis  qu'il  ne  suffisait  pas  de  le  désirer,  qu'il  fal- 
lart  le  faire,  l'ordonner  à  ses  ministres,  >  etc.  Ailleurs,  la  reine 
lui  dit  qu'elle  a  donné  ses  ordres  à  ses  plénipotentiaires:  c  Jb 
me  mis  alors  à  genoux  pour  rendre  grâce  au  ciel.  Elle  s'agenouilla 
aussi  et  ne  voulut  se  relever  qu'après  moi.  >  Le  capucin  croit  alors 
avoir  tout  fait.  Il  finit  fièrement  en  disant:  <  Ego  plantavi.,, 
Uluitrissmus  dominus  Nuntius  rigabit.»  —  Ce  capucin  infatiga- 
ble court  et  va  partout,  en  Bretagne,  à  Bordeaux,  en  Espagne. 
La  foule  le  suit,  l'environne  comme  un  messager  de  paix,  l'é- 
touffe  presque  :  «  C'est  sans  doute  en  punition  de  mes  péchés, 
mais  ils  devinent  toujours  où  je  vais  passer.  >  Ce  conooun 
de  monde  est  chose  hicroyabie,  effrayante  :  c'est  «omme  une 
iBrarreetion.  c  El  n  y  en  aura  une,  si  on  fait  trop  attendre  la 
paix.  >  (E,  1035.)  Extraits  des  Art^ives  du  Vatican,  conservés  à 
nos  Archives  de  France,  earton  L,  386. 


316  HOTES  IT  iCLAIBOSSEUINTS. 

Chaf.  XX,  p.  21  i.  —  Ce  qae  je  dis  ici  de  Venise  est  un  soQTenîr 
bien  ancien,  de  ma  première  jeunesse.  Grâce  à  Dieu,  ce  peuple 
héroïque  t*esl  bien  relevé.  La  Venise  de  Manin  n'a  guère  res- 
semblé à  celle-là. 

Chap.  XX,  p.  211,  etc.  Le  Jantèniime,  La  Fronde.  La  Promit 
fut  la  guerre  des  honnêtes  gens  contre  les  malhonnêtes  gens,  —  Par 
quelle  faiblesse  d'esprit,  par  quelle  impuissance  de  critique, 
nos  contemporains  ont-ils  été  admirateurs  exagérés  de  Port- 
Royal,  etc.,  et  dénigreurs  méprisants  de  la  Fronde?  Et  qui  ne 
voit  que  c'est  la  môme  chose  ?  Il  y  eut  des  deux  côtés  de  bonnes 
intentions,  de  rhoonéleté,  des  vertus  (vertus  intrigantes,  caba- 
leusea,  disputeuses,  si  Ton  veut).  Au  total,  un  médiocre  génie. 
La  grande  fureur  d'Arnauld  contre  les  calvinistes  est  ridicule, 
avec  tant  de  côtés  communs.  Le  jansénisme,  faible  résurrection 
de  saint  Paul,  de  saint  Augustin,  et,  en  plusieurs  points,  de 
Calvin  et  Luther,  a  nui  beaucoup,  en  ce  qu'il  a  donné  une  pe- 
tite porte  à  l'espritde  liberté  qui  s'est  fait  tout  petit  pour  passer 
là.  Un  seul,  bizarre  et  contrefait,  mais  grand,  Pascal,  s'est  fait 
écraser  au  passage.  —  Du  reste,  il  faut  appliquer  à  toute  l'Église 
du  xviio  siècle  ce  que  j'ai  dit  en  parlant  de  la  guerre,  au  sujet 
des  petits  grands  hommes  comparés  aux  vrais  géants.  Qn'esl-ce 
que  c'est  que  ses  prédicateurs  illustres,  ses  éloquents  contro- 
versistes,  devant  Newton  et  Galilée  ?  Gloire,  gloire  aux  inven- 
teurs! Les  autres  doivent  rester  bien  loin  derrière  et  en  grande 
modestie. 

Chap.  XX,  p.  216.  Les  parlementaires,  qui  avaient  toutàeram- 
dre  pour  leurs  familles  et  leurs  fortunes^  n'en  défendirent  pas 
moins  toute  une  année  le  pain  du  peuple,  —  Voilà  la  moralité  de 
la  Fronde  parlementaire,  et  la  gloire  de  nos  magistrats.  MM.  les 
rieurs  peuvent  rire  à  leur  aise.  Cela  est  très-beau  et  très-sé- 
rieux, et  cela  est  incontestable.  Il  faut  seulement  bien  remar- 
quer les  dates.  Nos  pauvres  magistrats  ne  montrèrent  pas  beau- 
coup de  génie,  dans  toute  l'affaire,  mais  une  incontestable 
honnêteté.  Retz  ne  montre  ni  l'un  ni  l'autre,  quand  il  se  moque 
du  bon  président  Blancmesnil,  qui,  admis  au  conciliabule  et 
voyant  sur  la  table  le  traité  avec  l'Espagne,  «  crut  voir  Tholo- 


NOTES  ET  iCLAIRCISSEUBNTS.  317 

eanste  du  Sabbat.  >  Le  niais  ici,  c'est  Retz.  Gomment  ne  voit- il 
pas  quA  TEspagnol  se  moquait  de  lui?  Si  la  conscience  ne  lui 
dit  rien,  le  bon  sens  devrait  lui  dire  que  le  chat  emploie  sa 
patte  de  singe  pour  tirer  les  marrons  du  feu.  Il  est  curieux  de 
TOir  un  homme  d'autant  d'esprit  être  le  jouet  de  tous,  surtout 
des  femmes.  Madame  de  Bouillon  (avec  permission  de  son 
mari)  l'amuse  et  le  captive,  lui  lie  le  pouce,  lui  lire  dusang,etc. 
Madame  de  Lon^ueville  se  joue  de  lui  aussi,  dans  l'intérêt  de 
ses  amants.  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  grosse  Suistesse  (Anne  d'Au- 
triche) qui  ne  fasse  de  la  coquetterie  avec  lui,  dans  leurs  noc- 
turnes rendez- vous,  au  profit  de  Mazarin.  C'est  le  plus  spirituel 
de  tous  dont  justement  rit  tout  le  monde. 

Chap.  XXIII,  p.  243.  Fin  de  la  Fronde.  --  Pourquoi  ai-je 
abrégé  la  Fronde  ?  Pour  l'éclaircir.  Jusqu'ici  elle  reste  obscure, 
parce  que  l'histoire  y  est  restée  l'humble  servante  des  faiseurs 
de  mémoires  et  des  anecdotiers.  L'histoire  a  été  éblouie  de  tant 
d'esprit,  de  ce  feu  d'artifice  de  bons  mots,  de  sail'ics  ;  et  moi, 
j'en  levais  les  épaules.  Un  fléau  me  poursuit  dans  cette  Fronde, 
le  vrai  fléau  de  la  France,  dont  elle  ne  peut  se  défaire,  la  race 
des  sots  spirituels.  Dans  la  très-vieille  France,  il  n'y  avait  que 
certains  terroirs,  surtout  nos  hâbleurs  du  Midi,  qui  nous  four- 
nissaient des  plaisants  ;  mais,  depuis  Henri  IV  et  l'invasion  gas- 
conne, tout  pays  en  abonde.  Toui  le  royaume,  dans  la  Fronde, 
se  met  à  hàbler.  Le  plus  triste,  c'est  que,  de  nos  jours,  les  his- 
toriens de  la  Fronde^  de  ses  héros  et  de  ses  héroïnes,  admi- 
rant, copiant  ce  torrent  de  sottises  bien  dites  et  bien  tournée?, 
égayant  ces  gaietés  ineptes  de  leurs  légèretés  assez  lourdes, 
ont  réussi  à  faire  croire  à  l'Europe  que  la  France,  plus  vieille 
de  deux  siècles,  et  moins  amusante,  à  coup  sûr,  n'a  pas  beau- 
coup plus  de  cervelle. 

Chap.  XXI,  p.  223.  Le  peuple  fit  un  ouvrage  énorme^  douze 
cents  barricades  en  vingt-quatre  heures.  —  Cela  est  sérieux  et 
suppose  une  redoutable  unanimité.  Rien  d'analogue  jusqu'au 
grand  jour  de  la  prisa  de  la  Bastille.  Qucserait  il  arrivé  si  Relz 
et  le  Parlement  avaicnl  réellement  lâché  la  Révolution,  la  presse, 
non  contre  le  faquin  étranger,  mais  contre  la  reine,  de  manière 


318  NOTXS   ET   ÉCLAinaSSBHE.NTS. 

jl  établir  ses  iraliisoos,  se»  avis  donnés  &  l'eaDemi,  etc.  On  leniil 
âPirisdeui  femmes  qui  savaient  toul  et  auraient  lont  dit.  ma- 
dame de  Cbevreosi?  et  madame  de  Gu^méué  La  reine  n'avait  in- 
cline idée  de  la  p'  isequ'on  avaitsurelie.  Tandis  que  la  Fronde  mel- 
lail  des  (lanls  pour  la  combatirc,  elle  montra  une  violence,  nie 
férocité  quesavie  antérieure  n'eût  pas  fait  deviner.  Elle  insiita 
pinsirors  Jours  pour  faire  moarirle  premlerqu'onfit  prisonnier. 
Elle  l'eût  fait.  Hils  les  siens  avertirent  ceax  de  Paris,  qai  prife- 
renl  la  reine  d'é|iargDer  ce  malheureux,  en  faisant  enltiidre 
pourtaot  loutdoncpmenl  qu'eux  aussi  ils  avaient  des  prisonniers 
qu'ils  pourraient  faire  mourir.  (Relz,  p.  400.J  -  Elle  aanit  k 
qui  elle  avait  affaire.  Ni  Reix,  ni  le  Parlement,  ni  Condé,  oe 
voulaient  d'Ëlals  généraux,  ni  de  révolution  sérieuse.  Crom- 
well,  qni  avait  envoyé  à  Retz  un  homme  sdr,  vit  bien  vite  qae 
toute  l'affaire  était  ridicule.  Ce  Catilina  ecclésiastique,  mené 
par  les  femmes,  a\aii  pour  agents  des  curés  et  des  bedeani, 
des  h.ibiluiSs  ilc  paroisse,  11  veut  relever  les  libertés  de  France; 
avec  quoi?  avec  un  clergé  et  une  assemblée  du  clergé  qui,  par 
■on  obstination  à  fermer  sa  liourse,  s'est  montré  et  déclaré  le 
véritable  enoemi  de  l'Ëlal.  Au  moment  de  l'cxplosioo,  Reix  ne 
sait  ce  qu'il  fera,  il  l'avoue.  11  allait  écrire  k  rEspa{;ne,  dit-il; 
mais  it  allend  Condr;  puis,  sur  quelques  coquetteries  de  ma> 
dame  de  Longnevillo,  il  sf  jette  de  ce  cé!é  là,  ei  croit,  contre 
Condé,  pouvoir  créer  l'automate  Conli.  Et  c'est  dans  celte  icdé- 
cisioD  pitovable  qu'il  fait  le  fier  contre  Cromwell,  le  mèpTîie, 
dit-il.  Cromwell  avait  dil  un  mot  fort  et  profond,  modeste,  qni 
semblait  un  aveu:  lOn  ne  monte  jamais  si  haut  que  quand  on  ne 
sait  où  l'on  va.  ■  Ce  mot,  dil  Rciz,  à  l'borreur  que  j'avais  pour 
lui  ajouta  It  tnéjjrù.  —  Lui,  le  petit  bonhomme,  il  sait  bien  oA 
il  monte  et  ce  qu'il  veut  :  il  veut  monter  d'abord  i  devenir 
gouverneur  de  Paris.  Première  chule;  l'iiaiien  rusé,  au  premier 
pas,  lui  fait  donner  du  oez  ù  terre.  Puis,  ce  profond  ambitieux 
veut  être  cardinal  de  Rome,  et  c'e^it  pour  cela  qu'il  fait  l'amour 
&  Anne  d'Autriche.  Seconde  chuic  :  ce  rhapeau,  pour  lequel  il 
trahit  laFronle.lui  tnmbesur  ta  tête  et  l'écrase  définitivement. 
On  le  fait  cardinal,  mais  c'est  pour  le  meure  t  Vini^ennes.  — 
Tous  ces  ridicules  de  conduite  et  cette  petitesac  de  nature  n'em- 
pêchent pas  que  ses  confessions  (c'est  pins  que  des  Hémotres) 


NOTES  BT  SGUlRCISSmENT&  349 

ne  soienl  le  livre  capital  et  primordial  de  la  nouvelle  langue 
française.  Ce  piètre  politique  eat  nn  admirable  écrivain. 

Chaf.  IXIV,  p.  262.  Le  coup  U  pliu  barbare^  le  pins  sauvage 
qui  se  stni  fait  depuis  l'origine  de  Im  monarchie.  ~  J'adopte  ce 
mot  de  Talon.  Il  est  incontestable.  Le  massacre  de  la  Saint- 
Barthélémy  s'explique  (sans  se  justifier)  par  un  horrible  accès 
de  fanatisme,  celui  de  septembre  de  93  par  la  panique  de  Tin- 
vasion  et  la  furie  de  la  peur.  Mais  celui  du  4  juillet  4652  n'est 
évidemment  qu'un  acte  de  scélératesse  et  de  calcul.  -—  Peu  im* 
porte  qu'il  y  ait  eu  peu  ou  beaucoup  de  morts.  Il  n'y  ont  que 
trente  morts  considérables,  et  cent  en  tout,  à  ce  qu'il  parait, 
du  côté  des  assiégés.  Les  assaillants  perdirent  bien  plus  de 
monde  par  la  résistance  héroïque  des  archers  de  la  Ville.  — 
Gondé  négociait,  et  c'était  pour  aider  aux  négociations,  et  amé- 
liorer son  traité  en  se  faisant  croire  maître  de  Paris,  qu'il  orga- 
nisa le  massacre,  — >  Mademoiselle  elle-même  ne  dii  pas  non, 
—  Talon  et  Conrart  affirment  positivement.  Leur  récit  est  con- 
firmé par  celui  des  Registres  de  l'Hôtel  de  Ville,  t.  111,  p.  51-73. 
Le  procureur  du  roi,  Germain  Piètre,  veut  qu'on  le  rappelle 
dans  Paris.  L'assemblée  murmure  an  départ  des  princes,  leurs 
partisans  disent  dans  la  foule  qu'il  n'y  a  rien  à  espérer  de  l'as- 
semblée, et  déchaînent  la  Grève  contre  l'Hôtel  de  Ville,  etc. 

Chap.  XXV  et  XXXI,  p.  273.  280,  etc.  Les  rapports  cités  par 
M'  Feillet  sur  la  détresse  publique^  les  faibles  secours  que  Vincent 
de  Paul  lira  de  la  charité  des  dames,  etc.  —  M.  Feillet  a  donné 
dans  la  Revue  de  Paris  (15  aoôt  1856)  un  très- précieux  ei trait 
de  {'Histoire  du  paupérisme  qu'il  pr<5pare.  Get  extrait  résume 
les  enquêtes  et  rapports,  manuscrits  ou  imprimés,  que  firent 
sur  reéroy«ble  état  de  la  France,  pendant  la  Fronde,  etjwqu'à 
la  mort  de  Matarin,  les  envoyés  de  Vincent  de  Paul  et  autres 
personnes  charitables.  —  Rien  de  plus  douloureux.  On  peut 
juger,  par  cette  lecture,  si  M.  de  Saint- Aulaire  est  excusable 
d'appeler  les  plaintes  de  ce  temps  de  vaines  déclamations! 

Chap.  XXV,  p.  274.  Mazarin  donna  à  Turenue  pour  égaux 
dans  le  commandement  des  généraux  médiocres  ou  incapables,  — 


310  NOTES  ST  ÉCLAIRCISSBMBNTS. 

Tnrenne  le  dit,  dans  ses  Mémoires,  d'une  manière  indirecte, 
avec  beaucoup  de  douceur  et  de  finesse,  c  M  de  Tu.enîie  pria 
M.  de  la  Ferté...  pria  M.  Hocquincouri.  «  etc.  Il  constate  ainsi 
qu'il  ne  pouvait  leur  commander ^  et  par  conséquent  qu*il  n'est 
pas  responsable  de  leurs  lenteurs,  de  leurs  revers.  —  No5  Àr- 
ehivet  générales  possèdent  plusieurs  autographes  de  Tnrenne 
(ancienne  section  M),  et  plusieurs  pièces  fort  intéressantes 
pour  rhistoire  de  son  frère,  le  duc  de  Bouillon,  spécialement 
des  lettrrs  éloquentes  et  touchantes  de  sa  mère,  fille  de  Guil- 
laume le  Taciturne.  Dans  l'une,  elle  le  prie  de  ne  pas  se  per- 
dre par  ses  intrigues.  Dans  plusieurs  autres,  elle  rampe  aux 
pieds  de  Richelieu  pour  sauver  la  tète  de  son  fils.  —  Arekipes, 
K,  carton  i%3,  no  29. 

Ghap.  XXVI,  p.  288.  V Europe  agonisante  ne  trouva  pas  là  une 
paix.  —  Un  génie  pénétrant,  le  sorcier  hollandais  Rembrandt, 
qui  sut  tout  deviner,  dans  son  tableau  lugubre,  daté  de  la 
grande  joie  du  traité  de  Westphalie  (4648),  a  p»rlé  mieux  ici 
que  tous  les  politiques,  tous  les  historiens  (le  Christ  à  Emmaût, 
que  nous  avons  au  Louvre).  —  On  oublie  la  peinture.  On  en- 
tend un  soupir.  Soupir  profond,  et  tiré  de  si  loin  I  Les  pleurs 
de  dix  millions  de  veuves  y  sont  entrés,  et  celte  mélodie  funè- 
bre flotte  et  pleure  dans  l'œil  du  pauvre  homme,  qui  rompt  le 
pain  du  peuple.  —  Il  est  bien  entendu  que  la  tradition  du 
Moyen  ftge  ost  finie  et  oubliée,  déjà  à  cent  lieues  de  ce  tableau. 
Un  autre  chose  déjà  est  à  la  place,  un  océan  dans  la  petite 
toile.  Et  quoi?...  L'âme  moderne.  —  La  merveille,  dans  cette 
œuvre  profonde,  d'altendrissemenl  et  de  pitié,  c'est  qu'il  n'y  a 
rien  pour  l'espérance,  c  Soigneur,  dit-il,  muliipLez  ce  pain!... 
Us  sont  si  affamés!  >  Mais  il  ne  l'attend  guère,  et  tout  indique 
ici  que  la  faim  durera.  —  Ce  misérable  poisson  sec  qu'apporte 
le  fiévreux  hôtelier  n'y  fera  pas  grand'cliose.  C'est  la  maison  du 
jeûne,  et  la  table  de  la  famine.  Dessous,  rit,  grince  et  gronde 
un  affreux  dopue,  le  Diable,  si  l'on  veut,  une  bétc  robuste, 
aussi  forte,  aussi  grasse  que  ces  pauvres  gens-là  sont  maigres. 
Il  a  sujet  de  rire,  car  le  monde  lui  appartient.  —  V.  la  descrip- 
tion de  ce  tableau  dans  La  Foi  nouvelle  cherchée  dans  VArl^  par 
Alfred  Damcsnil. 


NOTIS  ET  ÉCLAIRaSSBMKNTS.  324 

De  eeite  paix  date  la  f^aerre  qui  nous  divise  et  en  France  et 
aillevrs.  Les  deux  peuples  qui  sont  en  ce  peuple  conservaient 
jusque-là  un  reste  d'unité.  Mais  la  dualité  éclate.  D'une  part, 
un  petit  peuple  français,  petit  monde  de  cour,  brillant,  lettré 
et  parlant  à  merveille.  D'autre  part,  très-bas^  plus  bas  que  ja- 
mais, la  grande  masse  gauloise  des  campagnes,  noire,  hâve,  à 
quatre  pattes,  conservant  les  patois.  L'écartement  augmente , 
le  divorce  s'achève,  par  le  progrès  mène  de  la  haute  France. 
Elle  se  trouve  si  loin  de  la  basse^  qu'elle  ne  la  voit  plus,  ne  la 
connaît  plus,  n'y  distingue  plus  rien  de  vivant,  et  pas  même 
des  ombres,  mais  quelque  chose  de  vague^  comme  un  zéro  en 
chiffre.  Des  mots  nouveaux  commencent,  d'abstraction  terri- 
ble, meurtrière,  où  disparaît  tout  sentiment  de  la  vie.  —  Plus 
d'hommes,  mais  àespartieulier$,  —  tout  à  l'heure  des  individuê. 

€hàp.  XXVI  et  dernier.  —  J'ajourne  au  volume  suivant  les 
visites  de  Christine  et  plusieurs  faits  des  dernières  années  de 
Mazarin.  Us  ne  peuvent  être  bien  éclairés  que  par  ses  lettres 
mémos,  que  l'excellent  éditeur  de  Saint-Simon,  M.  Chérael,  pro- 
met de  donner  au  public.  J'ai  eu  recours  plusieurs  fois  à  son 
obligeance,  dans  le  cours  de  ce  travail,  pour  l'éclaircissement 
de  quelques  points  obscurs.  Pour  d'autres^  il  vaut  mieux  atten- 
dre son  importante  publication. 


fllf  DU  T0«  DOOZIÈMB. 


xzi.  tl 


TABLE  DES  MATIÈRES 


f  t"w^—"»" 


liBÂFiiix««iBm«  —  La  Gu$rrêd&^  TrfUU&'mm.  —  Letmar- 

éhèpfdéûnmis. —  La'bofm&  aMHfiire i 

JLes  «laf^chés  d'hommes.^,.  <»  •  ,^  ••  », •«•..••.«. .  1 

rWAldst^in  •  <« ..••^•.^•^  •■«••••  •.». .  .i*^*>.««,«««  •  ••        3 

Laloterie,  le  jeu «.«.r..^.-.       5 

CHiriTmi  II.  --  La  situation  de  Biehelieu.  1629 •«.•..  8 

.  il  .^écut  d'expédienU 9 

Son  allocution  an  roi ^.. ....... •  ..•^•..^•t.*  ii 

Changement  de  sa  politique  en  1629 ^ . .  •  13 

11  rallie  le  clergé.  Sa  .police  de  jB^ncins^..^,.  ••««••  14 

OBiimmi  lU.  ^  ùaFnmeê'm  pmU'tamver  Snntow.  i^K* 

1630,. 19 

.Le £a8 de Snse»  6 maro  i6S9«^.*^..^.....«.M...«...  M 

Paix  des  bi^gnetota.  •••.«•. •....•  n 

Les  impériaux  en  Italie.  Sac  de  Mantoue.  18  Juillet 

Uao Î5 

ÙumM  IV.  ^  iiich$Hm  ûmUrêki  dimx  fràMf,.l62Q.^.,. .  30 

•  Le  roi.  LamiladieduTOi 31 

^11'eit  à  la.mott'(l«r'oetobre).  Intrigues  des  reines.  35 

Joseph  traite  è  Ratisbonne 39 

Masarin-staTe  Karraée  espagnole 40 


324  TABLI  DBS  MATliRKS. 

Chipitib  y.  —  Joumie  dêt  Dupes,  —  Vktoirê  de 

1630-1631 13 

Mademoiselle  de  Htntefort 41 

La  journée  des  Dupet  ne  décida  rien  (iO  noTembre), 
mais  Rieheliea  saiiil  les  lettres  des  reines  (dé- 
cembre  •. 48 

Fuite  de  Gaston  et  de  la  reine  mère.  1631  .•••*•••  S8 

CEJ^mR  Vl.  ^  GutUm-Adolphe.  i&^i S7 

Tristesse  de  Cenrantès  et  de  Shakspeare 58 

Joie  héroïque  de  Gastave  et  de  Galilée 9è 

Gnstave  comme  juste  juge 61 

Son  maître  Jacques  de  la  ,Gardie,  créateur  de  la 

guerre  moderne 6S 

Richelieu  s'entend  avec  Gustave,  peu,  tard  et  mal.  65 

84  juin  1631 ,  Gustave  débarque  en  Allemagne.  • .  66 
7  septembre,  sa  victoire  à  Leipxig,  délivrance  de 

l'Allemsgne 69 

Ceapitib  YII.  —  Riehilieu  profite  des  victoires  de  Gustave. 

163i 71 

Gustave  ne  pouvait  sauver  TAllemagne  qu'an  s'y 

établissant 74 

Richelieu  envahit  la  Lorraine 76 

Richelieu  bat  et  décapite  Montmorency. 79 

Son  amour,  sa  maladie 8i 

Ghapubb  YilL  —  Richelieu  chef  des  protestants.  ^  Ses  r^ 

vers,  -^  La  France  ^vahie.  1635-1636 88 

Mort  de  GusUve,  16  novembre  1638 89 

Mort  de  Waldstein,  1634 90 

Richelieu  eut-il  une  vraie  notion  de  TÉquilibre?.  91 

Il  est  forcé  de  succéder  à  Gustave,  1633 94 

Il  veut  rompre  avec  l'Espagne  et  renvoyer  la  reine.  95 

Ëchecsdel635 97 

La  France  envahie,  1636 100 


TABLE  DBS  MATIÈRBS.  325 

CHiriTAi  IX.  —  La  trilogie  diabolique  sout  Loui$  XIIL  — 

Religieuses  de  Loudun.  1633-1639 105 

De  la  direetion  des  mystiques 108 

Le  diable  et  les  cootents 109 

Proeès  et  mort  d'Urbain  Grandier 113 

Chapitib  X.  *  Les  CarmHiies.  ~  Suceis  du  Cid.  1636- 

1637 m 

Le  centre  de  l'intrigue  espagnole •  •  •  •  126 

Le  Cid,  glorification  de  l'Espagne  et  du  dvel 1S8 

L'Académie ; 131 

CHinni  XL  —  Danger  de  la  reiue.  Août  1637 133 

Lafayette  et  le  PèreCanssin 134 

Chapitii  Xll.  -^  ConcêpiUm  et  naissance  de  Louis  XIV. 

1637-1638 139 

Sit nation  désespérée  de  la  reine  en  décembre  1637.  140 

Lafayette  sanve  la  reine  (9  décembre  1637) 143 

L'acconchement^  5  septembre  1638 145 

Chapitbb  XIIL  *  Misère,  »  Révoltes.  — -  La  ^HMltoii  des 

liens  du  clergé.  iKS-lM) 147 

Solidarité  de  mine 149 

Va^nu-pieds  et  Croquants • 15S 

Ricbelien  menace  le  clergé,  n'en  tire  rien,  recnle.  154 

CninTiB  XIY.  »  Ridielieu  relevé  par  Us  révolutUms  élytm- 
gères.  —  Les  favoris^  MaMarin^  Cinq-JUars.  1638- 

1641 157 

Le  Portogal  et  la  Catalogne  contre  l'Espagne 158 

Influence  italienne.  Fortune  de  Mazarin 159 

Naissance  de  Monsieur  (1639) 161 

Ricbelieu  donne  au  roi  Cinq-Mars  qui  le  trabit.. .  •  163 

Conspiration  de  Soissons.  1641 167 


386  TABUS  BBS  MATIÈBIS. 

La  reiqe  et  Gabion  1^  .ImbiMmlu.. .  •  ..«^ .  -.  «  •«  —    i74 

CvAPinii  XVI.  —  /«oJmMit M,m^A MrRicMitu.  -^M^rt 

dtf  LottM  X/ir.  1642-1643 178 

Ingratitude  des tlondés  ponr  Richelieu  ....•..««..•    i79 
Les  deux  mourants  voudraient  lier  la  future  ré- 

C«jipini  XVII.  -.  Louù  Xir.  —  £fi9fcîen.  ^  BaàaOUii 

Rocroy.  1643 W^ 

'Gasiion  et'Sirot  gagnent  la  bataille 19^ 

CiAPiTaB  XVni.  —  Lavénement  de  Maxarin.  1643 1^ 

*LaTeîne,pouT  le  garder,  donne  tout  à  touf»  em- 


prisonne aesaniia. 


(99 


GiAPiTRi  'XIX.  —  Vlovre  et  Victoire.  ^'Traité  déWettfkh 

Ki.  1643^1648 -    ÎW 

Mazarin  vécut  de  Téclat  d'une  victoire  annuelle  cpie 

IHm'amiigeait  povrQoQdé ^^ 

Ses  efforts  pour  -empêélier  ha  paix ^ 

GaiPiTRiXX.—  l0^afi«0ffMfiiM.  — La  Fy«Rli«.'164B 2fl 

J[A^nDade^ul,{U^'lié^l«4ion.(niorale,  wwiiblin 

que  la  Fronde  religieuse  du  jansénisme ^^^ 

Jt^iSûûaiMmli^qnmqfÊC  flMii8cé,.(léfe«id  te  peuple.  ^ 

CpÀPiTmx  XXI.  —  7>  premier  âge  de  la  Fronde,  ~  Ise^Bar- 
rieades,  —  La  Caur^  appuyée  par  la  Fronde,  em" 

'Le 'Parlement  pose  la. «garantie  ,dea  ^ecsjojuies  ust 

des.  propriétés. .  ^ . . .  .^ , ,^^^. ^^,^^,p'   ^ 

Gbndi (depuis icardiwû^de  Retxj. «... ^^., **...»p^.-   ^ 


TABLK  DBS  MAT1ÂRI9.  'agi 

Paris  deux  fois  trahi 228 

Folie  de  Coadé.Sapriaoo..^ •« 229 

Chipitib  XXn.  —  Second  âge  de  la  Fronde,  —  Ixt  Cour, 
appuyée  par  la-  Fronde^  ekoMas-  Condê;  —  i<0SO- 
I6B1 232 

Les  hëf oints. .  « « 233 

MazarîD  bat  Tureiiné; * .  ^ 235 

Personne  ne  yei^t  des  iÉlats  géBéram. « .    237 

Cmapitu  XXm.  ^  Fin  de  la  Prondey —  Cambai  de  /ott- 

bourg  Saini^Antoim,  i65i, 243 

Horreur  et  plaisanieries. 244 

Massacre  à  Paris,  Sodome  à  la  conr. .....  ^ 249 

Condé  sauYé  par  la  Eronde* ^ . ..««.  «....«.•.»•.    253 

Cbapitbi  XXIV.  —  Pin  de  la  Fronde.  —  Le  terrorisme  de 
Condé.  ^  Second  massacre  (à  V Hôtel  de  Ville), 
1652 255 

CEàPiTaz  XXV.  —  Turenne  relève  Mazarin.  —  Régne  de 

Mazarin.  1652-1657 268 

Mazarin  était  perdu  sans  Ttflrenne Ibid. 

Froide  et  in  faillible  habileté  de  Turennov 271 

La  guerre  antkropopbage 273 

€bapitbe  XXVI.  —  Paix  des  Pyrénées,  — »  Triomphe  et  mort 

de  Mazarin,  1658-1661 «8 

La  misère  et  la  famine  jusqu'à  la  mort  de  Masarin.  279 

Sa  politique  contraire  à  celle  de  Richelieu. 282 

L'Espagne  ambitionne  un  second  traité  de  mariage 

avec  la  France.  1659 285 

Mort  de  Mazarin,  1661 287 

Cette  paix  n'est  pas  une  paix 288 

Essor  de  la  nouvelle  langue  française 290 


328  XABLS  DES  MATIÉRSS. 


# 


NOTES  ET  eCLAIRCISSBMENTS. 

Galilée  et  Gustave-Adolphe 293 

La  bonne  aventure,  la  loterie,  les  marchés  d'hom- 

mes..  296 

Waldsteîn.  jésuites;  Schiller,  Ranke,  Bonnayer. . .    298 

Richelieu,  le  petit  Journal  de  Richelieu 300 

Le  PèreJoseph 303 

Les  Carmélites  et  la  grossesse. .  /. 305-307 

Le  jésuite  Sublet  de  Noyers 305 

Vadminittration  de  Rirhdlieu,  par  V.  CailleU 308 

L'éducation  des  jésuites ^^' 

La  reine,  son  mariage  avec  Mazsrin ,  le  masque  de 

fer 31Ï-313 

Rocpoy,  Nordliogen,  traité  de  Westphalie.^..*.  313-315 

U  Fronde 3W-318 

VHiito'.re  du  paupérisme,  par  M.  Feillet 319 

LeCbnstde  Rembrandt  (16^8) ^20 

Lettres  de  Maxarin,  éditées  par  M  Chéruel 


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m  -DB  LÀ  TâBLB  »U  «OMB  DOUllftVA 


Imprimerie  BogèDe  Ueutti  et  G*  ,à  Saint-GermâiB* 


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