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HISTOIRE
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RÉVOLUTION
FRANCAISK
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N'ris^^Imprimerie Bonaventure el OuccMoif» 86, quai des AoiatUnS.
HISTOIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE
J. MICHELET
TOME QUATRIÈME
PARIS
ÇHAMEROT, LIBRAIRE- EDITEUR,
i«, rue du Jardinet.
4849
LIVRE VU
IT.
CHAPITRE I
LE 10 AOUT.
U HP*^« '■ ^^ «o^t.^Les vâlnqnevn du iO #oêi.*Ut Metiou B^ismeiit
4cf cf BvifMlrM «t Ifi ••yoif Bl à ro^lt l-46-ViUe.— Pr^âsUoiM MttiUirf 0
4f là eovr qvi retient Pétipo aui ToUeriei.— Pétion délivré.^ Le BonTelle
Commniie prépare U voie à l'inmrrectioo. — État intérienr do Châteao. ~
Ui Mblee, le« Saifiei, le garde Baiiesale.— DéBapee léaoignée à le garde
f^tiopale. — Le Roi esMîf de passer la revne. — Le Rpi aniversellemept
abaBdooBé. — La Codiicvb: arrête le commandant de la garde nationale.
— Iff Bdat est taé. Le Roi quitte le cbàteau avec la reine. ^ L'atant-garde
*df rinsimeetioB te présente •&( Toileries; elle eet surprise, égorgée. di«-
senée. — La cour espérait-elle frapper on coup sar rAssembléeî— L'insor-
reetioD attaque les Tuileries.— Le Roi fait dire de cesser le feu, lorsqu'il n'a
ptas d*tepelr.— Défenee obstinée des Suiwei, leur NUe retrelte.-^La garde
BtliP9ale tOBt OPtiére se déclare pour rinsurreçtipo.— Ifassaere des Suisses.
— Clémonce et modération de plusieurs des vainqueurs du 10 août.^
La nuit d|i 10 ao^t fut très-belle, doucement éçlat^
rée de la lune, paisible juscju'à minuit, et mèmç un
MU au-delà. A cette heure, il n'y avait encore per-
sonne ou presqcie personne dans Içs rues. Le faubourg
Saint-Antoine, en particulier, était silencieux. Lapo*
pulation dormait, en attendant le combat.
i LA PEKSÉB DU 10 AOUT.
Et pourtant , le bruit avait couru dans la soirée
qu'une colonne envoyée des Tuileries allait marcher
vers THôtel-de-Ville. On craignait une surprise. De
fortes patrouilles de garde nationale allaient et ve-
naient dans le faubourg. Toutes les fenêtres étaient
illuminées. Tant de lumières pour une si belle nuit,
ces lumières solitaires pour n'éclairer personne, c'é-
tait d'un effet étrange et sinistre. On sentait assez
que ce n'était pas là' l'illumination d'une fête.
Quelle était la pensée forte et calme sur laquelle
dormait le peuple, etqui servit d'oreiller à tant d'hom-
mes dont cette nuit Tut là dernière? Un des combat-
tants du 10 août, qui vit encore, me l'a expliquée
nettement : « On voulait en finir avec les ennemis
publics; on ne parlait ni de république ni de royauté ;
on parlait de V étranger, du comité autrichien qui al-
lait nous l'amener. Un riche boulanger du Marais, qui
était mon voisin , me dit sous le feu le plus vif, dans
la cour des Tuileries : c C'est grand péché pourtant
de tuer ainsi des chrétiens; mais, enfin, c'est autant
de moins pour ouvrir la porte à l'Autriche ! »
Le 10 août, répétons-le, fut un grand acte de la
France. Elle périssait, sans nul doute, si elle n'eût
pris les Tuileries.
La chose était fort difficile. Elle ne fut nullement
exécutée, comme on l'a dit, par un rainas d^ popn^
taccy mais véritablement par le peuple, je veux dire
par une masse mêlée d'hommes de toute classe; mi-
litaires et non militaires, ouvriers et bourgeois, pari-
aiens et provinciaux. Plusieurs quartiers de Paris
LBS VAINQUEURS DU 10 AOUT. H
envoyèrent, sans exception , tout ce qu'ils avaient
d'hommes qui pussent combattre ; dans la sectioû
des Minimes, par exemple, sur mille hommes in-
scrits, six cents se présentèrent, proportion consi-*
dérable » lorsqu'on savait très-bien qu'il s'agissait ,
non de parade, mais d'une affaire sérieuse. Les
hommes à piques composaient à-peu-près seuls les
premières bandes qui parurent de bonne heure de-
vant le château; mais l'armée réelle de l'insurrection,
qui s'en empara, en avait peu, en comparaison ; elle
était surtout armée de fusils. Sa colonne principale
qui, entre sept ou huit heures, se rassembla, s'éche-*
lonna de la Bastille à la Grève, comptait quatre-vingts
ou cent compagnies, chacune de cent hommes armés
régulièrement; c'étaient environ huit ou dix mille
gardes nationaux. Il y avait deux ou trois mille hom-
mes armés de piques, alignés entre les bataillons de
ces dix mille baïonnettes. C'est ce que nous ontaflBr-
mé les témoins et acteurs encore vivants du 10 août.
Pour Favant-garde qui affronta le premier péril, força
l'entrée du château, fit enfin la très-rude et périlleuse
exécution, elle se composait, on le sait, de fcinq cents
fédérés Marseillais, levés et choisis avec soin parmi
d'anciens militaires, de trois cents fédérés bretons,
l'honneur et la bravoure même, dont beaucoup
avaient servi. Et ce qu'on n'a dit nulle part, mais qui
est plus que vraisemblable, ces braves durent être ap-
puyés d'autres braves, bien plus animés encore, de
la masse des gardes- françaises , devenus sous La-
fayelte garde nationale soldée, puis licenciés récem*»
s LES SËCT101I8 NOMItNT 018 GOmifttAlRBS,
meot avec autaet d'imprudenoe que d'ÎDgnititude*
Nom y reviendrons.
Tout cela fut enlevé d'un même mouvement d'in-^
dîgnation^ de patriotisme. Il n'y eut aucun prép<^
ratif) aucun chef, quoiqu'on ait dit*. Bien loin qu'au-
cun individu eût assez d'influence en ce moment
pour soulever le peuple, les clubs même y firent très-
peu. Ils étaient moins fréquentés au mois d'août qu'à
aucune autre époque de l'année. On se lassait aussi
de leur partage éternel; on sentait qu'il fallait citoB
actes. Leurs plus grands orateurs parlaient dans le
désert.
Ce qui brusqua l'insurrection et la fit éclater à un
jour peu ordinaire^ un vendredi, c'est que les Mar-
seillais sans ressource à Paris voulaient combattre ou
partir. Le tocsin paraît avoir sonne d'abord aux
Gordeliers, où ils logeaient* Lé faubourg Saint-Antoine
répondit, et tout le reste de la ville. Les sections, on
Ua vu, étaient d'accord; quarantêniept sur quarante-
1 II faut le répéter. Il n*y eut aucun auteur du 40 août, nul, que
rindignalion publique, Tirritation d*une longue misère, le sentiment
(fue Tétranget approchait, et que la France était trahie. Nul homme
srtors, ni Danton, ni Santerre^ ûï personne, n'avait asset d'ascendant
pour décider un tel mouvement. 11 n'y eut aucun général de Tinsurrec*
tion. Les seuls qui aient vu le prussien Westermann en tète de la co-
lonne, ce sont ceux qui n'y étaient pas. Il n'y eut rien de préparé.
Excepté les cinq cents fédérés marseillais, qui se firent tivrer des car-
ioacbesi lés asMillants n'avalent presque aucune mànition) ils farent
tout d'abord réduits à celles qu'ils trouvèrent dans le Carrousel sur les
cadavres des Suisses. Quelques gardes nationaux avaient par bonheur
gardé celles que Lafayette fit distribuer un an auparavant au Champ-
de-MâHje47jaUlet4791.
ET LES BNVOlEîrr A L'UOTEL-bE-YILLË. 7
huit aTftiètit voté la déchéàUcë du Roi. Le 9 aoât,
a^nt minuit y elles avaient fait l'acte décisif de
nommet* chacuue trois commissaires^ pour se M/nt>
à la Comtnnne, sauver la Patrie, Tel fut le pouvoir
général et vague qui leur fut doniié. Ces commis-
saires furent pour la plupart des hommes obscurs^
inconnus, on du tnoins fort secondaires. Ni Marat, ni
Robespierre ne fut hoidmé, ni aucun des grande
diefs d'opinion. Pour Danton, il était déjà, ainsi que
Manuel, dalis l'ancienne municipalité. Ces commis-^»
saires s'en allétont un à un à rH5teI-d&-YiUe« saUs.
artnes; 6n les laissa entrer^ Ils trouvèrent Fanbien
conseil de la Commune en permanence, mais (brl
pen nombreux ) toujours détiroissabt de nombre.
Soob rHôtel'^é-Yille, à l'arcade Sain tr Jean, princi-^
pâte issue de la rue Saint-Antoine qui débouchait
dans la Grève, une forcé considérable avait été postée
par le comitiaiidAnt général de la garde nationalci
Mandat, zélé Fayettiste, royaliste constitutionnel.
Cette fortié lui répondait de rHôtel-de-Yille, gardait
le passage; elle avait pour instruction, si le faubourg
descendAit, de le laisser passer et le prendre en
quene. Mandat avait de plus mis de Tartillerie au
Pbnt'Néuf^ de sorte que si le Faubouig poussait jus-
que-^^ il y était foudroyé, et ne pouvait opérer sa
jontitiod avec lei Gordelien et le faubourg Saint-
Mareéau.
Tout ceci n'était pas fort encourageant pour les
commissaires des sections envoyés à rHôtel-de-Yille.
Gomment remplaceraient -ils l'ancienne Commune
• fRÉCAUTIONS HILITAIRCS DE LA GOtlB,
royaliste et se constitueraientHls souveraiiie autoirité
de Paris? C'était toute la question. Le tocsin sonnait
de tous côtés sans produire de grands résultats.
L'armée de la cour était debout dès longtemps et
l'arme au bras; Tarmée de rinsùrrection était dans
son lit ; il n*y avait pas quinze cents personnes rassem-
bléeSy autour des Quinze^Vingts. Seulement, en r^^^,
dant dans les longues et profondes impasses qui s*6jà^
vrent sur les rues du faubourg Saint-Antoine, (m
commençait à voir s'agiter les lumières, les bommes
aller et venir. Quelques-uns des plus diligents étaient
sur leurs portes, tout prêts, armés, et attendaient les
autres. Beaucoup étaient paresseux ;. ils entendaient
bien sonner, mais ce n'était pas l'usage de commencer
l'émeute en pleine nuit; il y avait là^iessus une tra««
dition établie.
Ce retard était effrayant. Plusieurs des commis-
saires de sections, réunis à l'Hôlel-de-Vitle, en étaient
à regretter qu'on eût fait sonner le tocsin. L*ancienne
Commune s'était écoulée ou à-peu-près. Mais, pour
constituer la nouvelle, les commissaires ne se voyaient
pas suffisamment appuyés. Ce qui ajoutait à leur em**
barras , c'est que la Cour avait en ce moment un
grand otage dans les mains, le maire populaire de
Paris, Pétion. Elle avait aussi Rœderer, procpreur-*
syndic du département. Elle pouvait, au besoin, Aiire
parler les deux premières autorités de là ville, lé dé^
partement, la mairie. Pétion, mandé vers onze beures
au château, n'avait osé refuser de s^'y rendre. Sa
conduite dans les jours précédents avait été fort.
QUI TIEKT PETiON AUX lUILERlES. 9
étrange. Le 4, on Ta vu, il avait dénoncé la guerre à
la royauté. Le 8, il avait paru s'intéresser encore à
celte royautéi avait averti le département qu'il ne
pouvait répondre de la sûreté du chftteau. Le 9, il
avait demandé qu'un camp fût établi au Carrousel,
four protéger les Tuileries. Ce camp de gardes na-^
tiooaux, en couvrant la place, Teût-il défendu t ou,
tout au contraire, rendu la défense impossible? c'est
ce qu'on ne peut pas trop dire. Le Château n'eût tiré
de ses fenêtres qu'en tirant sur ses défenseurs. Le 9
encore, Pétion, soit pour endormir la Cour, soit par
lassitude, par conviction que le mouvement n'aurait
pas lieu, demanda au département la somme de
20,000 francs pour renvoyer les Marseillais, qui,
dans leur découragement, voulaient s'éloigner de
Paris.
Pétion entra donc, bon gré mal gré, dans la fosse
aux lions. Jamais le Château n'avait eu un aspect si
sombre. Sans parler d'une masse de troupes de toutes
armes, de l'artillerie formidable qui remplissait les
cours, il lui fallut passer à travers une haie d*of]Qciers
français ou suisses, qui le regardaient d'un œil peu
amical. Pour les gardes nationaux, leur altitude n'était
nullement plus rassurante; ceux qui s'y trouvaient
étaient pris uniquement dans les plus violents roya-
listes des bataillons connus pour leur royalisme , des
FillesrSaint-Thomas, des Petits-Pères et de la Butte-
des- Moulins. Les noms de traître et de Judas se di«
saient très-haut autour du maire de Paris. Il montra
son flegme ordinaire» Il arriva sans encombre aux
10 PÈTUm
apftarteoients du Rot, tout renlplis do monde et sotn-
brefl, à ce même appartemebt où le soii" du 21 jbin,
Louis XVI lui avait parlé si durement ; le même dia-
logue, s'il se fût reproduit la nuit du 10 août, eût été
pour Pélion un arrêt de mort. Il y avait là beaucoup
de gentilshommes à visage paie, que la vue seule du
maire de Paris agitait d'une sorte de tremblement
nerveux. Mandat, le commandant de la garde natio-
nale, s&ns trop calculer s'il ne risquait pas de faire
poigbarder Pétion, lui fit subir cette espèce d'interro^
gatoire : <x Pourquoi les administrateurs de ia policé
de la ville avaient distribué des cartouches aux Mar-
seillais? Pourquoi, lui, Mandai, pour chacun de ses
gardes nationaux, n'avait reçu que trois cartouches?. . »
— La Cour, fort défiante pour la garde nationale,
n'avait pas exigé qu'elle fût mieux pourvue de mu-
nitions. En revanche, chacun de ses Suisses avait
quarante coups à tirer.
Pétion, sans s'étonner, répondit avec l'air froid
qui lui était ordinaire : « Vous avez demandé d«
la poudre; mais vous n'étie2 pas en règle pour en
avoir. » La réponse n'était pas trop bonne ; c'était le
maire lui-même, Pètion , qui devait faire décider la
chose par la municipalité, donnerpouvoir au comman-
dant; si celui-ci n'était pas en règle, c'est que le
maire ne l'y mettait pas.
L'entretien prenait une fâcheuse tournure ; tout le
monde était ému, excepté le Roi peut-être, qui quit-
tait son confesseur, venait de mettre ordre à sa con-
scimce, et ne s inquiétait pas beaucoup de ce qui
DÉLIVRE. Il
poumût arriver. Pétion n'était pas bien. L'apparte-
ment était petit , la foule trop serrée, l'air raréfié.
« Il Tait étouffant ici, dit-il, je descends pour prendre
l'air. 9 Sans que persodile osât l'en empêcher, il des-
cendit au jardin.
Sa promenade fut longue, beaucoup plus qu'il
n'eût voulu. Le jardin était fermé très-exactement.
Pétion n'était pas gardé, mais suivi et serré de près.
Les gardes nationaux royalistes, qui allaient et Ve-
naient, ne lui épargnaient pas les injures et les me-
naces. Il prit un moment le bras de Rœderer,
procureur-syndic du département. Un moment, il
s'assit en causant sur la terrasse qui longe le palais. La
lune éclairait le jardin; mais cette terrasse, étant dans
Tombre que les bâtiments projetaient, avait été éclai-
rée par une ligne de lampions. Les grenadiers des
Filles^Saint-Thomas les renversèrent et les éteigni-
rent. Plusieurs disaient : « Nous le tenons ; sa tête
répondra de tout. » D'autres, plus jeunes, ou plus
exaltés par le vin et le péril, ne semblaient pas trop
bien comprendre cotiibien il importait de ménager
une tète si précieuse. De moment en momdht, le
ministre de la justice venait lui dire : « Montez, mon-
sieur^ ne vous en allez pas sans avoir parlé au Roi ; le
Roi veut absolument toUs parler. » A quoi il répon-
dait flegmatiquement : a C'est bon : » et il gagnait
ainsi du temps.
On ne pouvait rien faire à rHôtel-de-Yille qu'on
n*eât repris Pétion. On imagina d'envoyer deman-
der à l'Assemblée qu'elle le réclamftt. Quelques
ii LA NOUVELLE COMMUNE
députés, au bruit du tocsin, s'étaient rassemblés,
toutefois en petit nombre; ils ne décrétèrent pas
moins, comme Assemblée Nationale, que le maire
devait paraître à la barre. Pétion, sommé au nom
du Roi de rester, au nom de l'Assemblée de partir,
opta de bon cœur pour l'Assemblée, ne fit que la
traverser, retourna à pied chez lui. Cependant sa
voiture restait, comme pour le représenter, dans la
cour des Tuileries; jusqu'à quatre heures, on eut au
château la simplicité de croire qu'il allait revenir
d'un moment à l'autre, et se replacer dans la main
de ses ennemis.
Les amis de Pétion le reçurent joyeusement, mais
le consignèrent, fermèrent les portes sui lui, jugeant
avec raison que, dans ce moment d'action, l'idole
populaire n'était bonne à nulle autre chose* L'ayant
maintenant en sûreté, ils étaient libres d'agir. Les
commissaires des sections remplacèrent l'ancienne
Commune au nom du peuple, maintinrent à leur
poste le procureur de la Commune Manuel et son
substitut Danton, et firent donner par le premier
Tordre d'éloigner du Pont-Neuf l'artillerie qu'y avait
placée le commandant de la garde-nationale. Ils ré-
tablirent ainsi la communication des deux rives, ou-
vrirent le passage au faubourg Saint-Marceau, aux
Cordeliers, aux Marseillais.
C'était en réalité l'acte décisif de l'insurrection.
Danton, qui jusque-là était à l'Hôtel-de-Yille, re-
vint tranquillement chez lui, rassura sa femme ^ Le
* Quelle part DaDton eol il ^ ce premier acte de rioturrection? on
PRÉPARE LA VOIE A L' INSURRECTION. i3
sort en était jeté, et le dé lancé. Le reste était du
destin.
L'intérieur du Château, à cet iustant^ offrait un
spectacle comique et terrible. Ce n'était qu'indéci-
sion, Taiblesse, ignorance. La seule autorité popu-
laire qui fût au Château était Rœderer, procureur-
syndic du département. Un des ministres lui dit :
« Est-ce que la Constitution ne nous permettrait pas
de faire proclamer la loi martiale? » Le procureur
tira la Constitution de sa poche, et chercha en vain
l'article. Mais quand on l'eût proclamée, cette^ loi,
qui l'aurait exécutée?
Lorsqu'on apprit que Manuel avait donné ordre de
désarmer le Pont-Neuf, c'est-à-dire d'assurer le
passage à l'insurrection, ni les ministres ni Rœderer
ne voulurent prendre sur eux de donner un ordre
contraire. Rœderer dit qu'il ne pouvait rien faire sans
savoir si Manuel n'avait pas agi avec l'autorisation
de la municipalité ; qu'il fallait, pour en délibérer,
faire venir tous les membres du département aux
Tuileries (chose difficile à cette heure). Le départe-
ment envoya seulement deux de ses membres; Rœ-
derer les voulait tous. Pour cela, il fallait un ordre
Tignore ; il ne présidait pas ce jour-là le club des Cordeliers. Ses en-
nemis ont assuré que le grand agîuteur avait reçu, la veille même ,
60,000 francs de la Cour, qu*il Tavait ainsi endormie par la confiance;
que Madame Elisabeth disait : « Nous ne craignons rien, nous avons
Danton. » — La chose n*esi pas impossible; cependant on tt*en a ja-
mais donné la moindre preuve. U n'y a aucun homme révolutionnaire
dont on n^ait dit de telles choses.
U ÉTAT INTÉRIEUR DIJ ÇHKVUlVi
du Roi. Le Boi dit que coDstitutionnellement il qe
pouvait rien ordonner que par uû ministre. Le mj-
nisfre n'était pas là; on r^mit la chose au moment
06 il serait revenu.
Il était environ quatre heures. On entendit dans
Ift cour ^n bruit de voiture; on entr'ouvrit un contre-
vint ; c'était la voitqre (|u maire, qui, lasie de Tat-
tendre, s'eq allait à vide. Le jour commençait Uuire;
Madame Elisabeth s'approcha de la fenêtre et dit à
la Reine : « Ma sœur, venez donc voir le lever de
l'aurore. » La Reine y alla ; le jour était déjà splen-
dide , mais le ciel d'un rougo de sang.
Regardons, puisqu'il fait jour, l'état de la plfice,
calculons ses forces. Elles étaient encore formidables,
moindres qu'à minuit, il est vrai ; une partie des
giurdes nationaux s'étaient écoulés
Le nerf de la garnison, c'étaient 1330 Suisses, sol-
dats excellents, braves et disciplinés, obéissants jus-
qu'à la mort. Ce nombre est celui qu'accuse dans son
livre le commandant suisse Pfyffer. Mais il y faut
ajouter un nombre asse^ considérable de gardes con-
stitutionnels licenciés qui avaient pris l'habit rouge
des suisses^ et vinrent combattre sous ce déguisement.
Leurs corps morts, après le combat, se distinguèrent
facilement à la finesse du linge, à l'élégance de la coif-
fure ; les vrais suisses avaient les cheveux tout simple-
(pent coupés en rond ; leurs chemises étaiçnt gros-
sières, lia présence de ces faux suisses dans les rangs
des vrais étonna sans doute ceux-ci, et ne laissa pas
de les inquiéter. Ils durent mieux voir qu'il s'agissait
U9 nmuB, 19$ smmu, la fiAin utimale. i^
de gpcrra çmltif de querellas entre Fraoçais, où I98
éUanger» 119 poqTnieQt ae mêler qu'avec précautioo,
U> yieux oolopel suisse, Àffry, s'abstint positivement,
et ne voulut pa9 tirer. Les autres promirent seule-
ment de bire ce que ferait la garde nationale, pas
dayantage, ni moins.
Celle-ci, à plus forte raison, avait l'esprit traversé
dea mêmes pensées. Quoiqu'elle fût toute tirée des
trois bataillons royalistes, et encore soigneusement
triée dans oes bataillons, quoique nul garde national
n'eût répondu au suprême appel de cette nuit sans
avoir une opinion décidée pour le Roi, ces défenseufs
bourgeois dii Château ne voyaient pas sans jalousie
les nobles cavaliers qu'on avait appelés à partager
le péril, et à qui, sans nul doute, la cour eût at-
tribué tout l'honneur de la défense. Ces gentils-
hommes étaient généralement les ménles chevaliers
eu poignard que la garde nationale, sous le règne de
Jjifayette, avait chassés du Château, en avril 90.
Hs n'acceptèrent pas moins le péril et vinrent défen-
dre le Roi au iO août 92. Péril réel, en plus d'un
sens. Ils n'arrivaient au château qu'à travers une po-
pulation très-hostile, en simple habit noir, sans ar-
mes ostensibles, avec des poignards ou des pistolets.
Et là, ils trouvaient la malveillance, la jalousie natu-
relle des gardes nationaux. Il y avait lieu d'hésiter ;
ipais on leur avait envoyé des cartes d'entrée per-
sranelles, à domicile. Six cents répondirent à l'appel,
im](que)9 il &|lait ajouter l'honorable domesticité des
châteaux royaux, d'anciens serviteurs, qui ne man-
16 DÉFURGB TÉHOICNÉB A U GAftOB RATIONALB.
quèrent pas au jour du périK Le tout formait une
cour fort sérieuse, sans ordre, sans étiquette, mais
vraiment imposante et militaire. Ces gens en noir,
tous officiers ou chevaliers de Saint-Louis, portaient le
costume civil, et par un contraste étrange, c'étaient
des marchands, des employés, des fournisseurs qui,
comme gardes nationaux, étaient en soldats. Sur
Taspect de ces Qgures bourgeoises, les gens d'épée
crurent qu'ils ne feraient pas mal de les remonter un
peu. Ils leur frappaient sur l'épaule : « Allons, Mes^
sieurs de la garde nationale, c'est le moment de
montrer du courage. — Du courage? soyez tranquilles,
répliqua un capitaine de la garde nationale, nous en
montrerons, croyez-le, mais non à côté de vous. »
En réalité, on ne témoignait pas beaucoup de con-
fiance à la garde nationale. Les nobles occupaient les
appartements les plus intérieurs, les postes de con-
fiance. Les Suisses avaient chacun quarante cartou-
ches, les gardes nationaux trois. L'artillerie surtout
de la garde nationale fut l'objet d'une défiance
excessive, ce qui fit, comme il arrive, qu'elle la mé-
rita de plus en plus. On plaça derrière lescanonniers
de chaque pièce des pelotons de suisses ou de gre-
nadiers des Filles-Saint-Thomas, qui les sinrveillaient,
le sabre nu, et se tenaient prêts à tomber sur eux.
Ces canonniers se voyaient d'ailleurs placés juste
sous les balcons dont le feu plongeait sur eux. Plu-
sieurs fois ils essayèrent d'écarter la batterie ; autant
de fois l'état-major les remit au point oh il pouvait
toujours les écraser à plaisir.
LE ROI ESSAIE DE i^AS6fiR LA REVUE (10 AOUT). t7
Qai commandait dans le château? Les gardes na*
tionaux ne eonnaissaient d'autre chef que Mandat.
La Commune le fil appeler. Son instinct lui disait
de ne pas s'y rendre. Au second appel , il hésita ,
consulta autour de lui. I^es ministres l'engageaient h
ne point obéir. Le constitutionnel Rœderer lui dit
qu'aux termes de la loi, le commandant de la garde
nationale était aux ordres de la municipalité. Dès
lors, il ne résista plus. 11 lui parut qu'en eflet, il lui
fallait éclaircir l'affaire des canons du Pont-Neuf^ et
sans doute aussi s* assurer du poste qu'il avait mis a
la GrëYe jpour attaquer, écraser le faubourg à son
passage. Donc, il se .raisonna lui-même, étoufia ses
pressentiments, fit un effort, et partit.
Son départ ébranlait la défense du château. Il lais-
sait le commandement à un officier Tort peu rassuré.
La reine, qui n'était pas non plus sans pressentiments,
prit Roederer à part, et lui demanda ce qu'il pensait
qu'il y eût à faire.
Et, justement pendant ce temps, les conseillers de
la reine avaient fait, à l'insu des ministres, la chose
la plus imprudente. A cette garde nationale flottante
et de mauvaise humeur, qui se demandait pourquoi
elle allait combattre et si elle n'était pas folle de ti-
rer avec les geutilshommes sur la garde nationale,
ils imaginèrent de montrer ce qui devait la mieux
convaincre qu'elle avait raison d'hésiter. Pour con-'
firmer tout le monde dans la conviction que la
royauté était impossible, il ne fallait qu'une chose,
c'était de montrer le Roi.
IV,
iS LB ROI
Ce pauvre homme, lourd et mou, n'atait pu,
même en cette nuit suprême de la monarchie^ veil-
ler jusqu au bout; il avait dormi une heure, et venait
de se lever. On le voyait à sa coiffure, aplatie et
défrisée d'un côté. On put juger alors du danger de
ces modes perBdes en révolution. Qui est sûr, cq de
telles crises, d'avoir là, à point nommé, le valet de
chambre coiffeur?... Tel il était, et tel les maladroits
le firent descendre, le montrèrent, le promenèreot.
Pour comble de mauvais augure, il était eu violet ;
cette couleur est le deuil des rois ; ici, c'était le deuil
de la royauté. Il y avait pourtant, même en ceci,
quelque chose qui pouvait toucher. Mais on eut en-
core \6 tact de rendre une scène tragique parfaite*
ment ridicule. Aux pieds de ce Roi défrisé, le vieux
maréchal de Mailly se jette à genoux, tire Tépée, et,
au nom des gentilshommes qui l'entourent, jure de
vaincre ou mourir pour le petit-fils d'Henri IV. .
L'effet fut grotesque, et dépassa tout ce que la cari-
cature a représenté des voltigeurs de 1816. Le Roi,
gras et pâle, promenant un regard morne qui ne
regardait personne, apparut, au milieu de ces no*
blés, ce qu'il était réellement, l'ombre et le néant du
passé.
Par un mouvement naturel, tout ce qu'il y avait
de gardes nationaux et d'hommes de toute sorte, se
rejetant violemment de ce néant à la réalité vivante,
crièrent : Vive la nation I
Décidément la nation ne voulait pas s'égorger
elle-même; ce massacre impie était impossible.
UNIVEBSELLRMBIIT ABANBOmft (10 AOUT). 19
Km réquisitions des ofBciers municipaux, lesgarde»
Dâtiouaux avaient répondu : «Pouvons-nous tirer sur
nos firèrest » La vue du roi et des nobles acheva de
les décider. Ce fut une désertion dniverselle. Les
eanonniers auraient voulu non -seulement partir
eux-mêmes, mais emmener leurs canons. Ne le pou*
vaut sous le feu des balcons qui les menaçaient, ils
rendirent du moins les pièces inutiles en y enfon-
çant de force un boulet, sans charge de poudre ; il
eût fallu pour le retirer une opération longue et dif*
ficile, impossible au moment où le combat allait
commencer.
Le Roi remonta essoufflé, échauffé du mouvement
qu'il s*était donné, rentra dans la chambre à coucher,
s'assit et se reposa. La reine pleurait, sans mot dire ;
mfds elle se remit très-vite, reparut avec le dauphin,
courageuse et Tair dégagé, les yeux secs, rouges, il
est vrai, jusqu'au milieu des joues. La foule des as-*
sistants se trouvait réunie surtout dans la salle du
billard, beaucoup montés sur les banquettes, pour
voir ce qui allait se passer. H. d'Hervilly, l'épée nue,
dit d'une voix haute : « Huissier, qu'on ouvre les
portes à la noblesse de France. » L'effet du coup de
théâtre que ces mots faisaient attendre fut très-mé-
diocre. Deux cents personnes entrèrent dans cette
salle, d'autres se mirent en ligue dans les pièces
précédentes. Une bonne partie de cette noblesse
se composait de bourgeois. Beaucoup d'entre eux
étaient ridiculement armés, et en plaisantaient eux*
mêmes. Un page et un écuyer du roi, par exem-*
*tO LE CHATEAU ABAKWnCNft.
pie, portaient sur Tépaule, en guise de mousquet,
une paire de pincettes qu'ils venaient de se partager.
La plupart, néanmoins, avaient des armes moins
innocentes , des poignards et des pistolets , des
couteaux de chasse. Plusieurs avaient des espin*
Ils se rangèrent en bataille dans les appartements.
Ce qui restait de garde nationale pour défendre le
château crut que c^était surtout contre elle que cette
noblesse, si brusquement appelée, faisait celte man-
œuvre. Le commandant des gardes nationaux avait
été demander des ordres, et n'en avait point reçu.
On avait proflté de ce moment d'absence pour lui
diviser sa troupe, en mettant vingt hommes à un
autre poste. La garde nationale, manifestement en
suspicion, ne s'obstina plu^ à défendre ceux qui ne
voulaient point être défendus par elle ; elle acheva
de s'écouler, sauf un nombre imperceptible. De ceux-
ci était Weber, le frère de laif de la reine; éperdu
de douleur et d'inquiétude pour elle, il retourna,
rentra aux appartements , la trouva en larmes :
« Mais, Weber, que faites-vousT dit-elle; vous ne
pouvez rester ici... Vous êtes ici le seul de la garde
nationale. »
L'abandon des Tuileries était bien plus grand en-
core que ne le pensait la reine. Le château était déjà
seul, et comme une tie dans Paris. Toute la ville
était ou hostile, ou dans une neutralité moins que
sympathique. La révolution venait de s'accomplir à
l' Hôtel «de-Ville; le premier sang était versé, celui
U COXmJllE ÀREÉTB LE OHOIAMIAICT PB LA CAKDE NATIONALE. SI
de Mandat, commandant général de la garde na«
tionale.
Mandat, arrivé à la Grève, l'avait trouvée toute
changée. Une foule immense remplissait tout l'Hôtel*
de-Ville, toute la place. Le poste qu'il avait mis à Tar*
cade Saint- Jean en avait été écarté. Avancer était pé*
rilleux, retourner était impossible. Il suivit la fatalité,
monta, et se trouva en face de la nouvelle Ck)mmunc,
en présence de l'insurrection qu'il avait promis d'é*
crasen Tombé au piège de ceux contre qui il avait
dressé ses pièges, interrogé en vertu de quel ordre il
avait doublé la garde du Château, il allégua un ordre
du maire (ordre déjà ancien et sans rapport avec la
journée du 10) ; puis il convint qu'il n'avait à prèsen-
ter nul autre acte qu'une réquisition adressée par lui
au département. Enfin ne sachant plus que dire, il
prétendit qu'un commandant avait droit de prendre
des précautions subites pour un événement imprévu.
On lui rappela qu'il avait dit au château, en parlant
de Pétion : « Sa lète nous répond du moindre mou-
vement. » Celle de Mandat ne tenait guère. Ce qui
décida son sort, c'est qu'on jeta sur le bureau l'ordre
même qu'il avait donné au commandant du poste de
l'arcade Saint*Jean, de faire feu sur les colonnes du
peuple en Fattaquant par derrière. Un hourrah uni*-
versel s'éleva contre lui, on lui mit la main au collet,
on le traîna à la prison de la ville ; mais quelqu'un
observa qu'il y serait tué sur l'heure. On essaya de
le transférer à l'Abbaye.
Il y avait jusque-là, ce semble, hésitation parmi
Il , MAKDAT E6T TUÉ.
les chefs, incertitade sur lus dispositiyng réellek du
peuple, crainte et tàtCDDement. Lé tocsin leur avdt
paru d'abord si peu réussir, qu'un mooient ils eu-
rent Vidée dele suspendre ; peut-être Teussént-ils Tait^
s'ils Toussent pu ; mais le contreH3rdre e6t été long
à répandre dans Paris, et les cloches étaient lancées.
Vers six heures, lorsque Mandat parut à l'Hôtel-de-
Ville et fut arrêté, la Cotnmune essaya de justifier
cet acte. Elle envoya h l'Assemblée nationale ac-
cuser Mandat, assurer que, lui seul, avait fait son-
der le tocsin, que c'était pour cette cause qu'on
l'avait réprimandé. Un accident rompit ces ménage-
ments politiques. Les violents ne permirent pas que
Mandat parvint vivant à l'Abbaye. A la sortie même
de rHôtel-de*Ville, ils lui cassèrent la tête d'un coup
de pistolet. La Commune, perdant ainsi son plus pré-
cieux otage, ne pouvait plus reculer; elle fut, déci-*
dément et sans retour, jetée dans l'insurrection, et
donna l'ordre de battre la générale.
Il était sept heures du matin, et déjà, de la Bas-
tille jusqu'à l'église de Saint-Paul, dans cette partie
ouverte et large de la rue Saint-Antoine, il y avait,
nous l'avons dit, 80 ou iOO divisions, chacune de cent
hommes, armés de fusils, environ huit ou dix mille
gardes nationaux. Leur empressement avait été extra-
ordinaire, ce qu'on n'eût guère supposé d'après les
lenteurs de la nuit. La masse, grossie dans la rue
Saint-Antoine par chaque rue latérale qui avait fourni
(les arfluents à ce fleuve, passa sans dificulté la fatale
arcade Saint-Jean , où Mandat s'était flatté de la-
LE ROI (HHTTB LR CHATRAU (40 AOOT). M
néantir» Elle resta une hetire à kt Grève, saos pou-
Toir obtenir d*ordre ; les uns disaient que la Com*
mune espérait encore quelque coneession de la cour,
les aatrcB que le faubourg Saint-Marceau traînait»
qu'on craignait qu'il ne pût fttire à temps ^a jonction
au INont-Neuf.
A huit heures et demie, un millier d^homœes à pi«
ques perdirent patience et prirent leur parti. Ils pei^
cèrent left rangs de lagarde nationale, disant qu'ils sa
passeraient d'elle. Ils étaient fort mal armes ; ils n'a*
tàient pas entre eux tous une doueaine defusils^ beau-
coup n'ayaient pas môme de piques, mais des broches,
ou tout fcimplemèht des outils de leur état. Quelques
fidérés, marseillais on autres, qui étaient ites soldats
aguerris, ne purent Yoir ces gens s'en aller seuls,
avec si peu de ehance; ils essayèrent de les diriger
6t hasardèrent d'aller à leur tète essuyer le premier
feu.
La famille royale venait de quitter les Tuileries.
Le proeureur syndic, Roederer, avait lui--mème joint
sa voit à celle des zélés serviteurs qui voulaient à
tout prix mettre le Roi hors de péril. Dos deux côtés,
Oû parlementait Un jeune homme, pâle et mince,
introduit comme député des assaillants, avait tiré àe
Rœderer l'autorisation d'introduire vingt députés
dans le château. En attendant, plusieurs, sans autre
(açon, chevauchaient sur lo muraille et causaient fa-
milièrement avec les quelques gardes nationaux qui
étaient encore dans les cours.
Rosderer crut le danger très- imminent. Il amusa
Si LE ROI QUITTE LE CHATEAD,
le jeune parlementaire de Yoiïre d'introduire les
députés de Tinsurrection , courut à toutes jambes
au château, traversa rapidement la foule qui rem-
plissait les salles : « Sire» dit-il au Roi, votre majes-
té n'a pas cinq minutes à perdre; il n'y a de sûreté
pour elle que dans l'Assemblée nationale. » Un ad*
ministrateur du département (marchand de dentelles
de la reine, zélé constitutionnel) parlait aussi dans ce
sens : « Taisez-vous, monsieur Gerdret, lui dit la reine;
quand on a fait le mal, on n'a pas droit de parler...
Il ne vous appartient pas, monsieur, d'élever ici la
voix. » — Puis, se tournant vers Rœderer : « Mais en*
fin, nous avons des forces... > — t Madame, tout Pa-
ris marche... Sire, ce n'est plus une prière que nous
venons vous faire. . . nous n'avons qu'un parti à pren*
dre... nous vous demandons la permission de vous
entraîner, i» Le Roi leva la tète, regarda fixement
Rœderer, puis, se tournant v%rs la reine, il dit ;
« Marchons» , et se leva.
Le roi, adressant ce mot à la reine, trancha une
question délicate, qui autrement se fût agitée.
Irait-il seul à l'Assemblée? ou bien y serait-il aoeom-
ps^né d'une épouse si impopulaire? C'était peut-être
en ce moment la question décisive de la monarchie.
M. de Lally-ToUendal, dans les prétendus mémoires
de Weber, avoue ce qu'ont dissimulé tous les autres
historiens, à savoir que, selon le bruit public, le dé-
partement et la municipalité devaient engager le roi
à quitter seul les Tuileries et se placer seul dans l'As-
semblée nationale. Ce projet laissait à la royauté quel-
AVEC LA REWB (iO AOUT). 15
qae chance de salut. La reine, il est vrai, restait en
péril; elle risquait, moins d*ètre tuée peut-être, que
d'être prise et jugée (ce qu'elle craignait bien plus),
d'avoir un procès scandaleux qui l'aurait mise, désho*
norée, dégradée, au fond d'un couvent.
Rœderer, obligé d'emmener la reine avec le roi,
insista du moins pour n'emmener personne de la cour.
Mais la reine voulut être suivie de madame de Lam*
balle et de madame de Tourzel. gouvernante des en-
fants. Les autres dames restèrent terrifiées, inconso-
lables, d'être abandonnées.
« Lorsque nous fûmes au bas de l'escalier, dit Rœ-
derer, le Roi me dit : « Que vont devenir toutes les
personnes qui sont restées là-haut? — Sire, elles sont
en habit de ville. Elles quitteront leur épée et vous
suivront parle jardin. — C'est vrai, dit le Roi... Mais
pourtant il n'y a pas grand monde au Carrousel. —
Ah ! sire, douze pièces de canon, un peuple immense
qui arrive... »
Ce dernier regret, ce petit mot de sensibilité, cette
hésitation, ce fut tout ce que Louis XVI donna à ses
défenseurs. Il se laissa entraîner, et les abandonna à
la mort.
Un officier suisse, d'Âffry, a déclaré que la reine
lui avait ordonné de faire tirer les Suisses. Un autre,
le colonel Pfyffer, dans son livre publié en 1821,
dit que le vieux maréchal de Noailles annonça que
le Roi lui laissait le commandement, et qu'on ne de-
vait pas se laisser forcer. — La reine ne doutait pas
que la défense ne fût victorieuse ; elle dit en partaqt
M L'AVAMT-^AftDE BE LiNSURKECTlON
à ses femmes qu^elle laissait : « Nous allons re-<-
veoir. »
Ceux qui restaient se trouvèrent très-diyersemAQt
affectés du départ du Roi. Un officier suisse dit triste**
ment àRœderer : «Monsieur^ croyez- vous donc sau-
ver le Roi 9 en le menant à l'Assemblée? » Quelques-
uns se désespérèrent d*èlre ainsi abandonnés; plu-
sieurs arrachèrent leurs croix de Saint-Louis , brisè-
rent leurs épées.
D'autres, par une disposition contraire, n'ayant
plus rien à ménager, plus de roi, de femmes ni d*en*
fants à protéger, eurent comme une joie furieuse du
combat à mort qu'ils allaient livrer. Ils versèrent aux
Suisses l'eau- de- vie à pleins verres^ et sans s'amuser
à défendre la longue ligne de murailles qui régnait
entre la cour et le Carrousel, ils ordonnèrent au con-
cierge de lever les barres de la porte royale. Il les leva
en effet, se sauva à toutes jambes. La foule, qui frap-
pait à cette porte, s'y précipita avec une confiance
aveugle, s'élança par Tétroile cour, sans remarquer
ni les fenêtres de face toutes hérissées de fusils, diles
baraques latérales qui fermaient la cour de droite et
de gauche, et la regardaient d'un œil louche.
Ceux qui entrèrent étaient ces impatients dont
nous avons parlé, ces hommes à piques qui étaient
partis en avant, et qui, sur la route, avaient augmenté
jusqu'^au nombre de deux ou trois mille. Ils arrivè-
rent, sans s'arrêter, tout courants, au vestibule* Là
enfin, ils regardèrent. Ce vestibule du palais, bien
plus vaste qu'aujourd'hui, était vraiment imposant.
SB fRÉSENTB A0X TUILERIES (10 AOUT). f?
Le grand escalier qui montait majestueusement à la
chapelle, puis en retour aux appartements^ était, sur
chaque marche, chargé d'une ligne de Suisses. Im-
mobiles, silencieux, du haut en bas de l'escalier, ils
couchaient en joue la foule des assaillants. Quelles
étaient les dispositions de ces Suisses? bien diverses,
difficiles à dire. Beaucoup, sans nul doute^ désiraient
de ne pas tirer. Un grand nombre de ces soldats
étaient du canton de Fribourg, quelques-uns Vau*
dois sans doute, c'est-à-dire Français, Français de
langue. Français de caractère. Mul doute qu'il ne leur
semblât odieux, impie de tirer sur leur vraie patrie^
la France.
Un moment avant l'irruption, des canodniers de la
garde nationale étaient venus trouver ees pauvres
Suisses, qui, avec beaucoup de lartaies, s'étaient jetés
dans leurs bras. Deux même n'hésitèrent pas à laisser
là le château, et suivre nos canotiniers. Ils étaient
sous le balcon d*où les voyaient leurs officiers. Ils furent
tirés, et avec une si remarquable justesse, que les
deux Suisses tombèrent^ sans que les Français eussent
été touchés.
Forte leçon pour les autres. La discipline aussi
sans doute^ Thonneur du drapeau, le serment, les
retenaient immobiles. La foule des assaillants, voyant
ces hommes de pierre, n'eut aucune peur, mais se mit
à rire. £lle leur lança des brocards, mais les Suisses
ne riaient pas. On aurait pu douter qu'ils fussent vrai-
ment en vie. Le gamin s'enhardit vite, et tout le peu-
ple parisien est gamin sous ce rapporté Ceux-ci, avec
M L*A¥A|IIT-GARDB DK L*INSURRECT10K
douze mauvais fusils, des piques et des broches, n'é-
taient point pour engager le combat avec cette troupe
de Suisses armés jusqu'aux dents. Us savaient que
plusieurs Suisses avaient essayé de passer du côté de
la garde nationale; ils résolurent d'aider à leur bonne
volonté. Quelques-uns qui avaient des crocs au bout
d*un bAton, s'avisèrent de jeter aux soldats cette es-
pèce de hameçon, d'en accrocher un, puis deux, par
leurs uniformes; ils les tiraient à eux avec de grands
éclats de rire. I^ pèche aux Suisses réussit. Cinq se
laissèrent prendre ainsi sans faire résistance^. Les of-
ficiers commencèrent à craindre une sorte de con*
nivence entre les attaqués et les attaquants, et ils or-
donnèrent le feu.
On vit alors toute la force de la discipline. Ils tirè-
rent sans hésiter. L'effet de ces feux, étages du haut
en bas de l'escalier, et qui plongeaient tous ensemble
et presque à bout portant sur une même masse vi-
vante, fut épouvantable. 11 n'y eut jamais dans un
lieu si étroit un si terrible carnage. Tout coup fut
mortel. La masse chancela tout entière et s'affaissa
sur elle-même. Nul de ceux qui entrèrent sous le
vestibule n'en sortit. Les seuls récits que nous ayons
sont ceux des royalistes qui étaient sur l'escalier.
Deux heures après, un des assaillants qui traversa le
vestibule, et vit cette montagne de morts, dit qu'on
1 A qui persuadera-t-on^que les assaillants, si inléressés k eacoiini-
ger la défection, aient sur-le-champ massacré, comme le prétend Pel-
lier» les Suisses qui s'étaient laissé prendre?
EST SURMIISB, ÉCORCÉB, MSPSRStE (10 AOUT)» »
était suffoqué de Todeur de boucherie et qu'on ne
respirait pas.
Il oe faut pas demauder si ceux qui étaient dans la
cour s'enfuirent à toutes jambes. Ils ne purent le
faire si vite qu'ils ne fussent criblés au passage du feu
des baraques qui serraient la cour de droite et de
gauche ; elles étaient pleines de soldats. Ce fut, à la
lettre, la chasse à l'affût; les chasseurs avaient le
gibier au bout du fusil, et pouvaient choisir. Trois ou
quatre cents hommes périrent dans ce fatal défilé,
sans riposter d'un seul coup.
Deux sorties se Grent à la fois de ce palais meur*
trier, une des Suisses au centre, sous le pavillon de
l'Horloge, une autre des gentilshommes qui s'élan-
cèrent du pavillon de Flore, poussèrent toute la dé-
route loin du quai, vers les petites rues du Louvre
et la rue Satnt-Honoré. Les Suisses, se formant en
bataille dans le Carrousel , et faisant feu de toutes
parts, criblèrent la queue des fuyards, et toute la
place fut encore semée de cadavres.
Le château se crut vainqueur, s'imagina avoir
écrasé l'armée de l'insurrection ; mais c'était seule-
ment l'avant-garde. Au milieu même du feu, peu*
dant que les Suisses tiraient encore sur la foule en-
tassée au passage étroit desrues, M. d'Hervilly se jette
à eux, sans chapeau , sans armes : « Ce n'est pas
cela, dit-il, il faut vous porter à l'Assemblée, près
du Roi. » Le vieux Vioménil criait : « Allez, braves
Suisses, allez; sauvez le Roi ; vos ancêtres l'ont sauvé
plus d'une fois. »
SP LA COPR B8PÉRÂ1T-BLLB FRAPPER UN COUP SUR L'ASSEMBLÉE?
RfBderer pensa alors (plusieurs des acteurs du 10
août pensent encore.aujourd*hui) que ce moment était
prévu 9 et que la Cour avait , dans eetle espérance,
voulu le combat, L* insurrection écrasée i ou du
moins découragée par la vigueur du premier coup,
la garnison se repliait sur l'Assemblée nationale; on
la proclamait dissoute; le Roi, enveloppé de troupes,
sortait de Paris, fuyait à Rouen ^ où on l'attendait, se
retrouvait roi. Jamais la reine, je le pense, si elle ne
se fût crue bien sûre de son fait, n'eût laissé aux Tui-
leries tant de serviteurs dévoués. Elle attendait, dans
l'Assemblée, pâle et palpitante, le succès de ce violent
eoup de Jarnac frappé sur la Révolution. L'Assemblée
elle-même, un moment, se crut à sa dernière heure,
au moment d'être massacrée, tout au moins prison-
nière du Roi qu'elle avpit sauvé dans son sein.
Et cependant, bien loin que la contre-révolution
eût vaincu, la révolution marchait. La jonction de
Saint-Antoine et de Saint-Marceau s'était faite au
Pont-Neuf. On pouvait, du pavillon de Flore, voir
aii Levant, déjîi au quai du Louvre, l'armée venge-
resse du peuple, la forêt de ses baïonnettes, flam*-
boyante des feux du matin.
Il y avait eu bien des lenteurs; l'armée, peu for-
mée aux manœuvres, avait perdu du temps, surtout à
s'allonger en colonnes, sur ces quais alors très-étroits.
Les cinq cents Marseillais, les trois cents Bretons et
les autres fédérés, une troupe très-militaire, avaient
le poste d'honneur; ils allaient les premiers au feu; ils
devaient entrer au Carrousel par les guichets voisins
L-INSORRECTWIi ÂTTAdCS LIS TmLBMES (10 AOUT). H
4o PoDt--Royal. Le Hafais et autres sections de la
me droite, devaient pénétrer par le Louvre; Saint-
Marceau et la ri?e gauche se chargeaient du Pont«*
Royal, du quai des Tuileries, du quai de la Concorde
et de la place, de sorte que le château fût entre deux
feui. Saint-Antoine avait deiix petits canons^ Saint -
Marceau autant; c'était toute l'artillerie.
Si la masse des fuyards avait été rejetée vers le
quai, elle eût pu jeter du trouble, du découragement
dans les colonnes qui venaient; mais elle fut, comme
on Ta vu, rejetée vers la rue Saint*Honoré et les pe*
tites rues du Louvre. Les Marseillais et le faubourg
Saint-Antoine ne virent rien de ce spectacle affligeant;
ils arrivèrent Trais, confianis, la tète haute. Ils savaient
en général qu*on avait attiré, massacré leurs iVères;
ils doublèrent le pas, furieux. Les sections du Marais,
arrivées au Carrousel par les petites rues du Louvre,
virent nombre de blessés; mais ces blessés pleinsd'en-
tbousiasme, de haine et de colère, demandaient
vengeance pour la perfidie des Suisses : « Nous avions
encore, dirent-ils, la bouche à leur joue, qu'ils ont
versé notre sang. »
LesMarseillais passèrentles guichets du quai, virent
les Suisses en bataille sur le Carrousel, s'ouvrirent
brusquement, démasquèrent leurs petits cernons, et
tirèrent à brâle-pourpoint deux coups à mitraille. Les
soldats rentrèrent, sans attendre un second coup, lais*
sant leurs blessés, et sans doute un peu surpris de trou*
ver vivante à ce point l'insurrection qu'ils croyaient
avoir luée. Les fédérés et Saiut-Antoipe avancèrent
H LC ROI, N'AYANT PLUS VESPiM,
au pas de charge, et remplirent deux des trois cours:
la cour royale ou du centre, et celle des princes, voisine
du pavillon de Flore et du quai« Les sections, venues
parle Louvre, avaient rempli le Carrousel, bien moins
grand à cette époque -, elles poussaient les premiers
. venus, et, tant qu'elles pouvaient, fonçaient dans les
cours. L'immense et sombre Taçade, par ses cent fe-
nêtres, scintillait d'éclairs. Outre tous les feux de face,
les gentilshommes à raifût aux fenêtres du pavillon
de Flore et de La grande galerie du Louvre, tiraient
sur le flanc. Derrière le pavillon de l'horloge, sous le
réseau de feux croisés qui retardaient les assaillants,
restèrent fermes les grenadiers suisses, qui répon-
daient par des salves aux tirailleurs de l'insurrec-
tion. Le temps était calme, la fumée fort épaisse ;
il n'y avait pas un souffle d'air pour la dissiper; on
tirait comme dans la nuit : chose contraire aux assail-
lants; ils distinguaient peu les fenêtres, leurs coups
allaient frapper les murs. Au contraire, leurs enne-
mis, visant des murailles vivantes, je veux dire des
masses d'hommes, n'avaient que faire de tirer juste;
chaque coup tuait ou blessait. Las de recevoir sans
donner, des fédérés, au milieu d'une grêle de balles,
mirent en batterie, à la grande porte, une pièce de
quatre, dont deux boulets persuadèrent aux Suisses
de quitter la cour. Ils^ rentrèrent au vestibule , en
bon ordre, et, de temps à autre, ils en sortaient par
pelotons pour tirer encore.
Au moment où les fédérés passèrent du Carrousel
dans la cour, les baraques alignées parallèlement
FAIT DIRE DE CESSER LB FEU (10 AOUT). 35
au château firent feu sur eux par derrière, ne dou-
tant pas d'obtenir le même succès qu'elles avaient
eu uue heure plus tôt. Mais, dès la première dé-
chaîne, les Marseillais se jetèrent avec furie sur les
ouvertures des baraques , et ne pouvant les forcer,
ils y lancèrent des gargousses d'artillerie dont l'ex-
plosion fit sauter les toits, renversa les murs, incendia
tout. Le feu courut en un clin-d'œil d'un bout ii
l'autre, enveloppa toute la ligne, et tout disparut
dans des tourbillons de flamme et de fumée, scène
effroyable dont les' assaillants eux-mêmes détournè-
rent les yeux avec horreur.
Est-ce alors, ou beaucoup plus tôt, qu'un capi-
taine suisse, Turler, viut demander au Roi s'il fallait
déposer les armes? Grave question historique qui,
résolue dans un sens ou dans l'autre, doit modifier
nos idées sur le caractère de Louis XVL
Selon une tradition royaliste, les Suisses, un mo-
ment vainqueurs, allaient marcher sur l'Assemblée ;
un député les arrêta, les somma de poser les armes,
et le capitaine s'adressant au Roi n'en tira nulle ré-
ponse, sinon qu'il fallait les rendre à la garde na-
tionale.
Selon une version plus sûre, puisqu'elle est con-
statée par le procès-verbal de l'Assemblée, ce fut
après que le Roi eut entendu le rapport du procureur
général Rœderer, annonçant à l'Assemblée que le
Château était forcé, ce fut alors, et même après
une vive terreur panique, répandue dans l'As-
semblée, que le Roi avertit le président qu'il rc-^
IV.
34 DÉFENSE OBSTINÉE DES SUISSES, LEUR BELLE RETRAITE.
naît de faire donner ordre aux Suisses de ne point
tirer.
Ceci éclaircit la question qu'on a essayé 4'obscur'
cir. Le Roi voulut éviter une plus longue effusion du
sang, lorsqu'il sut que le Château était forcé, lorsqu'il
n'eut plus d'espoir. Cet ordre pouvait avoir le double
avantage de diminuer l'exaspéralion des vainqueurs
et de couvrir l'honneur des vaincus, de sorte que
ceux-ci pussent dire, comme ils n'ont pas manqué de
le faire, que l'ordre du Roi avait pu seul leur ar^
racher la victoire.
A cette heure, le Château était forcé ; les Suisses
qui avaient défendu pied à pied l'escalier, la chapelle,
les galeries, étaient partout enfoncés, poursuivis, mis
à mort. Les plus heureux étaient les gentilshommes
qui, maîtres dé la grande galerie du Louvre, avaient
toujours une issue prête pour échapper. Ils s'y jeté-^
rent, et trouvèrent à l'extrémité, l'escalier de Cathe-
rine de Médicis, qui les mit dans un lieu désert. Tous,
ou presque tous échappèrent ; on n'en vit point parmi
les morts. Les corps qui portaient du linge fin por-
taient iussi l'habit roiige; c'étaient Tes faux suisses,
anciens gardes constitutionnels, et non pas lés geh^
tilshommes.
Les habits rouges étaient fort nombreux, bien au-
delà des 1330 véritables suisses qu*accuse leiir capi-
taine. Suisses ou non, tous furent admirables. Ils se
retirèrent lentement par le jardin, attendant, ralliant
leurs camarades avec le sang-froid et l'aplomb dé
vieilles troupes, manœuvrant comme à la parade,
LA GARDE NATIONALE, TOUT ENTIÈRB, POUR L'INSURRECTION. 55
serrant tranquillement leurs rangs, à mesure que la
fusillade les éclaircissait. lis firent dix baltes peut-
êtredans la traversée du jardin (dit un témoin ocu-
laire)^ pour repousser les assaillants, chaque fois avec
des feux de file parfaitement exécutés. Une chose dut
les étonner fort, ce fut la prodigieuse multitude de
gardes nationaux qui remplissait le jardin, et allait
toujours croissant. A huit heures, avant le combat^
il y avait eu à la Grève huit ou dix mille gardes natio
naux armés de fusils; entre midi et une heure, im-
médiatement après le combat, le même témoin en vit
aux Tuileries jusqu'à trente ou quarante mille* En fai-
sant |a part, ordinairement nombreuse, des hommes
qui volent toujours au secours de la victoire, il reste
qéanmoins bien évident que le ^0 août fut fait ou
consenti, ratifié en quelque sorte, par l'ensemble de
la population, non par une partie du peuple, et nul-
lement la partie infime, comme on l'a tant répété. Il
j avait un grancj nombre d'hommes en uniforme par-
mi ceux qui prirent le Château. Ces uniformes même
causèrent une fatale méprise. Les fédérés bretons,
portant des habits rouges, furent pris par les ofiiciers
du Château pour des Suisses qui auraient passé à
l'ennemi, et tirés c|e préférence; huit tombèrent
du premier coup.
L'effrayante unanimité de la garde nationale, qui,
* Ce témoin, qui observa avec tant de sang-froid, est M. Moreau de
Jonnés. Je dois plusieurs détails très-importants à son récit du 1 0 août,
essore inédit, qu'il a bien touIu me communiquer. Je rappellerai, entre
avtres, la curieuse anecdote contée à la page 4 de ce volume.
36 MASSACRE DES SUISSES.
de moment en moment, se manifestait aux Suisses,
acheva de les briser. Arrivés près du grand bassin ,
vers la place de Louis XV, leurs rangs flottèrent,
ils commencèrent à se débander; la mortelle pensée
du salut individuel, qui perd presque toujours les
hommes, entra visiblement en eux. Ils virent, ou
crurent voir que leur courage , leur discipline admi-
rable, les avaient perdus, en ralentissant leur re-
traite. Quelques centaines se lancèrent, comme des
cerfs furieux , sous le couvert des grands arbres, ren-
versèrent les tirailleurs ennemis , gagnèrent la porte
qui est en face de la rue Saint-Florentin : trois cents
environ échappèrent; un groupe , serré de trop près,
se jeta dans l'hôtel de la Marine ; ils y furent cherchés^
égorgés. Ceux qui restèrent mieux ensemble essayè-
rent, des Tuileries, de passer aux Champs-Elysées;
mais à peine eurent-ils posé le pied sur la place, qu'un
bataillon de Saint-Marceau, qui avait deux pièces
en batterie à la descente du pont, leur tira un coup à
mitraille, un seul coup, qui en mit trente-quatre sur
le carreau. Les autres, dispersés par cette terrible
exécution , jetèrent leurs fusils, mirent le sabre à la
main , arme inutile contre les piques de leurs ennemis
acharnés. Une trentaine tinrent un instant près de la
statue de Louis XV (où est maintenant l'obélisque),
au pied de ce triste monument de la monarchie, si
peu digne de leur dévouement et de leur fidélité.
Quelques-uns, qui eurent le bonheur de gagner les
Champs-Elysées , furent cachés par de braves gens
qui les travestirent, et les firent évader le soir. En
MODEBATION DE PLUSIELBS DES YAINQUËIRS W iO AOUT. 37
général , dans cette journée sanglante, il n'y eut point
de milieu : les vaincus trouvèrent ou la*mort, ou
rbospitalité la plus dévouée , généreuse jusqu'à rhé-
roïsme, et qui, au besoin, pour les sauver, elle-
même affronta la mort. Et cela , à part de toute opi-
nion politique ; de violents révolutionnaires se con«-
duisirent en ceci tout comme les royalistes.
Au château même, la foule, horriblement irritée
par ses pertes énormes et par ce qu'elle croyait de la
perfidie des Suisses , ne se montra pas aussi aveu«-
glément barbare qu'on eût pu le supposer. Les dames
de la reine, qu'on haïssait infiniment plus qu'aucun
homme, comme les conseillères y les confidentes de
l'Autrichienne, n'éprouvèrent nulle indignité. La
princesse de Tarente avait fait ouvrir les portes, et
recommanda aux premiers qui entrèrent une trèsr
jeune demoiselle, Pauline de Tourzel. Quelques fem-
mes, madame Campan entre autres, furent un mo-
ment saisies, menacées de la mort. Elles n'en eurent
que la peur; on les lâcha avec ce mot : « Coquines,
la nation vous fait grâce. » Les vainqueurs les escor-
tèrent eux-mêmes pour les faire échapper, et les
aidèrent à se déguiser pour échapper aux bandes de
poissardes qui criaient derrière elles qu'on aurait dû
les tuer.
Un des assaillants, M. Singier (depuis connu et
estimé comme directeur de théâtre), a conté qu'en-
trant dans la chambre de la reine , il vit la foule qui
brisait les meubles et les jetait par les fenêtres; un
magnifique clavecin , orné de peintures précieuses ,
58 CLÉMENCE ET MODÉRATION
allait avojr le même sort. Smgier ne perd pas de
temps; il se met à en jouer, en chantant la Marseil-
laise. Voilà tous ces hommes furieux , sanglants, qui
oublient leur fureur au moment même; ils font cho-
rus, se rangent autour du clavecin , se mettent à
danser en rond, et répètent l'hymne national.
Non, cette foule, si mêlée, des vainqueurs du
10 août, n'était pas, comme on l'a tant dit, une bande
de brigands, de barbares. C'était le peuple tout en-
tier; toute condition, toute nature, et tout caractère
se rencontraient là, sans nul doute. Les passions les
plus furieuses s'y trouvèrent; mais les basses, les
ignobles, rien n'indique qu'en ce moment d'exaltation
héroïque elles se soient montrées chez personne. i\
y eut beaucoup d'actes magnanimes. Et le mot tou-
chant du boulanger que nous avons rapporté au com-
mencement de ce chapitre montre assez que le péril,
qui rend si souvent féroces les hommes qui l'affron-
tent pour la première fois, n'avait nullement éteint
dans le cœur des assaillants les sentiments d'hu-
manité.
Une scène extraordinaire, pathétique au plus haut
degré, eut lieu dans FAssemblée nationale. Qu'elle
passe à la postérité , pour témoigner à jamais de la
magnanimité du 10 août , du noble génie de la
France, qu'elle conserva encore dans les fureurs de
la victoire.
Un groupe de vainqueurs se jeta dans TAssemblée,
pêle-iiiêle avec des Suisses. L'un d'eux porta la pa-
role : « Couverts de sang et de poussière , le cœur
BB 1»LUSlÉimS DBS VAINQUBURS DU iO AOUT. 30
navré de douleur^ nous veooDS déposer dans votre
seiD notre indignation. ,Depui^ longtemps une cour
perfide a préparé la catastrophe. Nous n'avons pé-
nétré dafis qe palais qu'en ina/rchant sur nos frères
massacrés. Nous avons fait prisonniers ces malheu-
reux instruments de la trahison ; plusieurs ont mis
bas les armes ; nous n'emploierons contre eux que
celles de la giènérosité. Nous les traiterons en frères
(Il se jette dans les liras d'un Suisse, et dans l'excès
de l'émotion, il s'évanouit; des députés lui portent
secours. ÂlorS; reprenant la parole) : Il nje faut une
vengeance. Je prie l'Assemblée de me laisser em-
mener ce malheureux ; Je veux le loger et le
nourrir. »
CHAPITRE II
LE 10 AOUT DAMS L'ASSEMBLÉE. LUTTE DE L'ASSEVBLÉE ET DE LA
COMMUNE. FIN D'AOUT.
Des vainquenra dn 10 aoAt, fédérés, gardes-françaises, etc. — Théroigne é«
Méricovrt.— Meortre de Saleaa.~Impni8sanee de l'Assemblée.-- Inertie dee
Girondins, pendant la naît do 10 août.— Situation de TAssemblée, dans la
matinée da 10 août.— Le Roi se réfugie dans le sein de TAssemblée— Deni
paniques dans TAssemblée. — Le Roi, n'ayant plus d'espoir, fait cesser le
fea. — L'Assemblée conserf e à la royauté une chance de résurrection. —
L'Assemblée s'annulle elle-même. — Désespoir des familles des Yictimcs da
10 août.— Défiance et fureur du peuple.— La Commune organe de celte fa-
renr.— Sentiments contradictoires du peuple, sensible et furieux. — Danger
de la situation. — Le Roi, prisonnier, est enfermé au Temple.— La Commune
esige .la création d'un tribunal extraordinaire. — Influence de Marat sur la
Commune. — Création dn tribunal extraordinaire (17 août 09).— Danger de la
France ; Longwy assiégé, le 80 août. — Menaces de Lafayette, sa fuite. —
Fermeté magnanime de Danton. — Premiers mouvements de la Vendée. — *
Le nouveau tribunal accusé de fonctionner lentement— Nouvelle de la prise
.de Longwy.— Fête des morts dn 10 août.
11 n'est pas facile de sonder le profond volcan de
fureur d'où éclata le 10 août, de dire comment les co-
lères de toutes sortes s'étaient entassées, accumulées,
mutuellement échauffées d'une fermentation si terri-
ble. Si nous ne pouvons les retrouver dans leur force
et leur violence, énumérons du moins, analysons
les éléments divers qui, mêlés, formèrent la lave
brûlante.
La souffrance du peuple, sa douloureuse misère,
en fut le plus faible élément. Et pourtant cette mi-
sère était extrême. Toute ressource était consumée
VAIICQUËURS bU iO AOUT. FEDERES,. G AKDË2»-FRA.\^:AISkS, ETC. 41
depuis longtemps; quoique le paio fût à bas prix, le
travail manquait entièrement, il n'y avait pas moyen
d'aller chez le boulanger. La mort au grabat, dans un
grenier ignoré, ou dans la rue au coin des bornes,
c'était la dernière perspective. Ces pauvres gens,
presque sans armes, et nullement aguerris alors, ne
firent pas grand'chose au 10 août; seulement ils allè-
rent des premiers aux Tuileries ; c'est sur eux que
tomba la première, la meurtrière fusillade. S'il n'y
avait eu que ceux-là, le château n*eût pas été pris.
Il y avait un autre élément, auquel la cour ne pen-
sait pas, un élément très-militaire, qui agit certaine-
ment d'une manière bien autrement ef&cace.
On a confondu tous les vainqueurs sous le nom de
Marseillais ; on a cru du moins qu'ils étaient presque
tous fédérés des départements, Marseillais, Bretons et
autres. Mais avec ceux-ci marchaient des hommes non
moins aguerris, aussi furieux tout au moins, de plus,
ulcérés d'une blessure récente. Quels ? les fils aiués
de la liberté, les anciens gardes-françaises. 11 y avait
parmi eux des jeunes gens, d'une audace, d'une am-
bition extraordinaire, dont plusieurs sont devenus
illustres. Les gardes françaises, un moment, s'étaienl
laissé amortir par Larayette; ils avaient formé le
noyau, le nerrde la garde nationale soldée. La con-
duite très-diverse de ce corps au massacre du Champ-
de-Mars (une partie tira, une partie refusa) donna
beaucoup à penser. En janvier, le ministre de la
guerre, Narbonne, obtint qu'ils fussent assimilés aux
troupes de ligne, cessassent de recevoir haute paye.
iî DES VAINQUEURS DU 10 AOUT.
ne fussent plus une troupe privilégiée. La plupart
n'acceptèrent pas ce changement, restèrent ici à bat-
tre le pavé, attendant les événements, se menant aux
groupes, soui&ant la guerre et le combat, donnant
leur assurance au peuple, lui communiquant l'esprii
militaire. Une lettre, écrite un an après par un de ces
gardes-françaises (depuis, le général Hoche), adressée
par lui à un journaliste, lettre fière, amère, irritée,
peint à merveille cette jeunesse, l'esprit superbe qui
était en elle, sa violente indignation contre tout obsta-
cle. On dirait que la même plume écrivit en janvier
92 l'éloquent Adieu des gardes françaises aux sections
de Paris. Ces philippiques militaires sont pleines du
^énie colérique qui frappa le coup du 10 aoàt.
Le nbatin, un de ces garàes-frànçaises était sur la
terrasse des Feuillants avec la fameuse amazone lié-
geoise, Théroigne de Méricourt. Elle était armée, et
allait combattre ; elle y alla en effet, et s'y distingua,
jusqu'à mériter une couronne que lui décernèrent les
vainqueurs. Il n'était encore que 7 ou 8 heures, une
heure avant le combat. On amène sur la terrasse une
fausse patrouille qu'on vient de saisir. C'étaient onze
royalistes, armés d'espîngoles, qui venaient de recon-
naître Tes Champs-Elysées et tous les entours des
Tuileries. Il se trouvait parmi eux plusieurs hommes
très-connus, très-odieux , de violents écrivains roya-
listes désignés depuis longtemps à la haine publique,
entre autres un abbé Boujon, auteur dramatique, et
le journaliste Suleau , un jeune homme audacieux,
l'un des plus furieux agents de raristocratie. Suleau
THÉROIGNE DE MÊRICOURT. 43
et théroigue se trouvèrent en Tace, là fureur et la
fureur.
Suleau était personnellement haï de Tbéroigne,
non-seulement pour les plaisanteries dont il l'avait
criblée dans les Actes des Apôtres j mais pour avoir
publié à Bruxelles un des journaux qui écrasèrent fa
révolution des Pays-Bas et de Liège, le Tocsin des
Rois. L'infortunée ville de Liège, unanimement fran-
çaise, et qui, tout entière, jusqu'au dernier homme,
vota sa réunion à la France, avait été libre deux ans,
et elle venait de retomber sous l'ignoble tyrannie d'un
prêtre par la violence de l'Autriche, Théroigne, à ce
moment décisif, n'avait pas manqué à sa patrie. Mais
elle fut suivie de Paris à Liège, arrêtée en arrivant
par les Autrichiens, spécialement comme coupable de
l'attentat du 6 octobre contre la reine de France, sœur
de l'autrichien Léopold. Menée àVienne et relâchée k
la longue, faute de preuves, elle revenait exaspérée,
accusant surtout les agents de la reine qui l'auraient
suivie, livrée. Elle écrivait son aventure, allait l'im-
primer, et déjà elle en avait lu quelques pages aux
Jacobins. Le violent génie du iO août était dans Thé-
roigne. C'était une femme audacieuse, galante, mais
non pas une fillcy comme Y ont dît les royalistes; elle
n'était nullement dégradée. Ses passions les plus con-
nues furent justement pour des hommes fort étran-
gers à l'amour, la première pour un castrat italien
qui la ruina; plus tard pour l'abstrait, le sec, le froid
Sieyès, pour le mathématicien Romme, jacobin
austère, gouverneur du jeune prince Strogonoff;
41 DES VAlNUtl^L'RS DU 10 AOLT.
Romme ne se faisait nullement scrupule de mener
son élève chez la belle et éloquente Liégeoise. Le
Irès-honnète Pétion était ami de Tbéroigne. Tou-
joursy quelque irrégulière que pût être sa vie per-
sonnelle, elle visa dans ses amitiés au plus haut, au
plus austère, au plus pur ; elle voulait dans les hom-
mes ce qu'elle avait elle-même, le courage et la sin-
cérité. Un de ses biographes les plus hostiles avoue
qu'elle exprimait le plus profond dégoût pour Tim*
moralité de Mirabeau, pour son masque de Janus. Et
elle ne montra pas moins d'antipathie pour celui de
Robespierre, elle détestait son pharisatsme. Cette
franchise imprudente, qui la mena bientôt à la plus
terrible aventure , avait éclaté en avril 92. A cette
époque où Robespierre se répandait on calomnies, en
dénonciations sans preuves, elle dit fièrement dans
un café, ccqu'elle lui relirait son estime » . La chose,
contée le soir ironiquement par Collot d'Herbois aux
Jacobins, jeta l'amazone dans un amusant accès de
fureur. Elle était dans une tribune, au milieu des dé-
votes de Robespierre. Malgré les efforts qu'on faisait
pour la retenir, elle sauta par-dessus la barrière qui
séparait les tribunes de la salle, perça cette foule en-
nemie, demanda en vain la parole; on se boucha les
oreilles, craignant d'ouïr quelque blasphème contre
le dieu du temple ; la pauvre Tbéroigne fut brutale-*
ment chassée, sans être entendue.
Cette insulte en présageait une autre, plus cruelle,
dont elle fut frappée à mort. Après le 10 août et le
2 septembre, Tbéroigne ((|u'on a mêlée sans la moin-
THÉROIGNE DE MÉRICOURT. 45
dre preuve, et contre toute vraisemblance, à ce der-
nier événement ) prit parti, avec sa violence ordi-
naire, pour le partT qui flétrissait les assassins de
septembre. Elle était encore fort populaire, aimée,
admirée de la foule pour son courage et sa beauté.
Les montagnards imaginèrent un moyen de lui ôter
ce prestige, de l'avilir par une des plus lâches violen-*
ces qu'un homme puisse exercer sur une femme* Elle
se promenait presque seule sur la terrasse des Feuil-
lants; ils formèrent un groupe autour d'elle, le fer-
mèrent tout-à-coup sur elle, la saisirent, lui levèrent
les jupes, et nue, sous les risées de la foule, la fouet-
tèrent comme un enfant. Ses prières, ses cris, ses
hurlements de désespoir ne firent qu'augmenter les
rires de cette foule cynique et cruelle. Lâchée enfin,
l'infortunée continua ses hurlements ; tuée par cette
injure barbare dans sa dignité et dans son courage,
elle avait perdu l'esprit. De 1793 jusqu'en 1817, pen-
dant cette longue période de vingt-quatre années
(toute une moitié de sa vie !), elle resta folle furieuse,
hurlant comme au premier jour. C'était un spectacle
à briser le cœur, de voir cette femme héroïque et
charmante, tombée plus bas que la béte, heurtant
ses barreaux, se déchirant elle-même et mangeant
ses excréments. Les royalistes se sont complu à voir
là une vengeance de Dieu sur celle dont la beauté
fatale enivra la Révolution dans ses premiers jours ;
ils ont su un gré infini à la brutalité montagnarde
de l'avoir brisée ainsi. Royalistes et Robespier-
ristes, encore aujourd'hui, s'accordent à men^eille,
46 THÉR01GNE DE Ml^.RICOURT.
après ravoir avilie vivante, pour avilir sa mé-
moire.
J'ai voulu donner d'ensemble celle destinée tragi-
que. Voyons l'acte violent, coupable, par lequel
théroigne la mérita peut-être, au 10 août, cette des-
tinée. ^Ue avait, devant elle, ce Sujeau Unt détesté,
celui qu'elle envisageait comme le plus mortel ennemi
(|e la Révolution , et en France, et aux Pays-Bas.
C'était un homme dangereux, non par sa plume seu-
lement, mais par son courage, par ses relations in-
finiment étendues, dans sa province et ailleurs. Mont-
losier conte que Suleau, dans un danger, lui disait :
a J'enverrai, au besoin, toute ma Picardie à votre
secours. > Suleau, prodigieusement actir, se multi-
pliait; on le rencontrait souvent déguisé. Lafayette,
dès 90, dit qu'on le trouva ainsi , sortant le soir de
l'hôtel de l'archevêque de Bordeaux. Déguisé cette
rois encore, armé, le matin même du 10 août, au
moment de la plus violente fureur populaire, quand
la rou)e, ivre d'avance du combat qu'elle allait livrer,
ne cherchait qu'un ennemi, Suleau pris, dès lors
' était mort.
Pesmoulins, picard comme lui et son camarade au
collège de Louis-le-Grand, avait eu comme une se-
conde vue de l'événement; il avait offert à Suleau de
le cacher chez lui. Mais celui-ci croyait vaincre. Il
tomba au piège avant le combat.
S'il périssait, du moins ce n'était pas Théroigne
qui pouvait le mettre à mort. Les plaisanteries même
qu'il avait lancées contre elle auraient dû le profé-
MEITRTRE DE SULEAU (iO AOUT). 47
ger. Au point de vue chevaleresque^ elle devait le
dèfenclre; au point de vue qui dominait alors, l'i-
mitation farouche des républicains de l'antiquité ,
elle devait frapper l'ennemi public, quoiqu'il fût son
eDuemi. Un commissaire, monté sur un tréteau, es-
sayait de calmer la foule; Tbéroigne le renversa, le
remplaça, parla contre Suleau. peux cents hommes
de garde nationale défendaient les prisonniers; on
obtint de la section un ordre de cesser toute rési-
stance. Appelés un à un, il furent égorgés par la
foule. Suleau montra, dit-on, beaucoup de courage,
arracha un sabre aux égorgeurs, essaya de se Caire
jour. Pour mieux orner le réci^, on suppose que la
virago (petite et fort délicate, malgré son ardente
éneiigie) aurait sabré de sa main cet homme de grande
taille, d'une vigueur et d'une force décuplées par lé
désespoir. D'autres disent que ce fut le garde-fran-
çaise qui donnait le bras à Théroigne, qui porta le
premier coup.
Ce massacre, exécuté à la place Vendôme, devant
la porto des Feuillants, et comme sous les yeux de
l'Assemblée, constata d'une manière terrible l'im-
puissance de celle-ci. f^ar deux fois elle déclara les
prisonniers sous la sauvegarde de la loi, et l'on n'en
tint compte. Un fatal précédent.s'établit, un préjugé
effroyable, à savoir qùé le passant, le premier venu,
pouvait, en dépit des autorités nommées par le peuple,
représenter le peuple souverain en sa fonction la plus
déPicate, la justice. Cette justice de combat, faite au
moinent de la bataille par l'ennemi sur Tennemi, va
48 INPUISSANCe DE L*ASSEMBLÉB.
se reproduire dans un mois, aux jours de Septembre,
sur des prisonniers désarmés.
L'Assemblée était en cause non moins que la
royauté. La majorité, qui venait d'innocenter La-
fayette, avait par cela mémo dans l'esprit du peuple
perdu l'Assemblée elle-même. Les Girondins, il est
vrai, par Torgane de Brissot, avaient attaqué le^çé-
néral, et pouvaient se laver les mains de l'étrange
absolution. Mais, il était trop manifeste qu'ils
croyaient pouvoir encore se servir de la royauté;
ennemis ou non de Lafayetle, ils lui ressemblaient
en ceci : républicains de principes, comme lui, mais,
comme lui, royalistes de politique, de situation, ils
n'en différaient guère que sur la longueur du sursis
qu'ils auraient accordé à l'institution royale. Rien
n'indique qu'ils aient eu avec la cour le moindre
rapport direct. La Tameuse consultation donnée, dit-
on, au Roi par Yergniaud, et copiée docilement par
tous les historiens, n'est qu'une fiction maladroite ^.
^ Elle n*a jamais eiislé ni dans les papiers de rArmoire de fer, ni
ailleurs. Si on eût pu la trouver, Amar n^aurait pas manqué de la don*
ner tout au long dans son Acte d'accusation des Girondins, U en par]e«
et ne la cite point. Voici à quoi le fait se réduit : Le peintre du Roi,
Boze, qui se mêlait de tout, qui allait et venait d*un parti à Fautre,
paraît avoir efTectivement talé les Girondins. Si la cour lui donna '
mission (ce qui est douteux encore), c'est qu'elle voulait répandre la
chose, et compromettre ses adversaires. Boze en aura tiré quelques
paroles, et se sera empressé de les reporter aux Tuileries, comme
V ultimatum de la Gironde. Le bruit s'en répandit, comme on le voulait;
les Girondins ne l'ont point démenti. Là dessus, voilà les furieux men*
leurs, jacobins et royalistes, Amar, Bertrand de Molleville, qui
INERTIE DES GIRONDINS PENDANT LA NUIT DU 10 AOUT. 4d
Quelque étourdis qu'aient pu être les Girondins,
jamais ils n'auraient donné un tel acte écrit contre
eux-mêmes. Et à qui ? à cette cour qui, dans les élec-
tions et partout, leur préférait sans difBcuIté les plus
Tîoleuts jacobins. Cest une chose trés-certaine que
nous ayons affirmée, et que nous répéterons : jusqu'au
10 août, la cour, en toute occasion, ne vit nul enne-
mi plus dangereux que les Girondins. Elle se serait
fiée à Danton bien plus qu'à Vei^niaud. Vei)|:niaud,
Brissot, Roland, Guadet, furent pour elle l'objet d'une
haine bien autrement profonde. Ils lui semblaient
prés du pouvoir, et capables de le garder. Elle eût
préféré cent fois le triomphe passager des violents à
la victoire des modérés, qui, dans un délai fort court,
pouvait fonder la république.
Les Girondins ne parurent pas à l'Assemblée dans
la nuit du 10 août. Elle avait commencé à se réunir
vers minuit et demi, au bruit du tocsin. Les quelques
députés qui vinrent étaient des Feuillants, et ils vinrent
pour sauver la royauté; on le voit au choix de leur
président; ce fut le feuillant Pastoret. Ledit Pastoret
alBniient rexistence d'an traité écrit entre la cour et la Gironde ; il
aura été écrit par Verfpiaod. Les fabricatears arrivent ensuite, et ne
Bloquent pas de retrouver le traité. Mais la chose serait bien plus dra-
matique, si Tun des Girondins venait lui-même conférer la nuit aux
Tuileries ; les romancien ne manquent pas une si belle occasion ; ils y
înlrodoiaent Guadet, ils le montrent qui s*attendrit en regardant le dau-
phin dans son berceau, etc. La scène est intéressante et bien trouvée ;
senleipeot rbomme est mal choisi. H ne fallait pas prendre, pour ac-
teur de cette scène sentimentale, Guadet, Tespril le plus sec, le plus
polémique, qui fût dans le parti de la Gironde.
IV. *
StO SITUATION DE L*ASSE1IBLÉB,
s'éclipsa; ils prirent alors uq député inoonnUi pQur
les présider. Oii donc étaieqt Brissot^ Yergniaud, |a
pensée de la Gironde, sa grai^de, sa puissante Yqii^t
où ét»ient-il$t que pensaient*ils?
Us attendaient et se réservaient.— Chose pev éUwr
nante, au reste, quand on voit Tbésitatipn des fie-
teurs connus de tous le^ partis. Rot)espierre s^ab^tîst
dans cette nuit , tout aussi bien que Yergniaud.
Ëvidemment les Girondins se réservaient le rOie do
médiateurs; ils attendaient que la cour éperdue, au
^ruit de la fusillade, vtot se jeter dans leurs bras.
La très-peu nombreuse Assemblée qui siégea la
nuit, dans Tabsence des grands chefs d'opinicms,
montra beaucoup de prudence. Elle évita, par-dessus
tout, le piège qu'on lui tendait, en l'appelant au ohà^
teau. Quelques membres proposèrent que le Roi
vint plutôt se réunir à l'Assemblée. La discussion ,
souvent interrompue , traîna jusqu'au matin; les Gi-
rondins,^ rougissant & la longue de leur absence dans
un tel moment, apparurent enfin; à sept heures,,
Yergniaud occupa le fauteuil.
Et ce fut pour être obligé de saluer la formidable
puissance qui s'était formée cette nuit, pu^noe in-
connue, mystérieuse, au matin lancée du Tolean,
comme pour écraser l'Assemblée : la Commune du
10 août.
Un substitut du procureur de la commune ( m se-
rait-ee pas Danton? il avait alors ce titre) entra,
avec deux ofBciers municipaux , et notifia, sans pré-
face, à l'Assemblée nationale , que le peuple souve-?
DANS U lUTISÉg DU 10 AODT. M
ram, réuDÎ «a actions, avait nommé des oomm»^
«airoB, qu'ilêeçoer gâtent toui lespowairs, et que» pour
leur coup d'essai ^ ils avaient pris un arrêté pour sus^
pendre le conseil général de la Commune.
Un membre de l'Assemblée proposa d'annuler
tout , les commissaires et rarrôlé. Hais , à Tinstaot,
un antre membre dit prudemment qu'insinuatioA
valait mieux que violence , qu'en ce danger, il était
imprudent d'écarter des hommes utiles , qu'en tout
«as, il fallait attendre des éclaircissements nlté-^
rieurs.— L'Assemblée résolut d'attendre» ce qui était
le plus facile. Entre la victoire du royalisme et œlkt
de l'anarchie , entre le château et la commune, me-
nacée également des deux parts d'être dévorée , elle
ménagea Tinconnu et garda devant le spbyi» un si<>
kmce de terreur.
Et à ce moment même où elle n'osait plus agir ni
prendre parti, par une contradiction étrange, la cir<-i
«onstance venait en quelque sorte réclamer d'elle I#
force qu'elle n'avait plus»
C'est à ce moment qu'on lui demanda de protéger
Suleau et les autres prisonniers} elle essaya de le
faûre, et vil son autorité méconnue (huit heures). A
ce moment encore on lui annonça que le R(h voulait
se retirer dans son sein* Elle répondit froidement v
•Que la Constitution lui en laissait la fiieulté. » Oa
demandait que la garde dii Roi pût entrer} on crai-*
gnaît qu'elle ne fét massacrée » m elle restait aua
pertes* Mais TAssemblée , en la recevant » avait à
enûqdie de Caire de sa propre salle un ebamp de ba^
52 LR noi SB AÉFUGIE
taille; elle s'attacha à la lettre de la loi, qui lui défen-
dait de délibérer au milieu des baïonnettes; elle fit
semblant de croire que cette garde venait là pour
protéger T Assemblée, et déclara : « Qu'elle ne voulait
de garde que Tamour du peuple. »
Nous n-avons point raconté dans le chapitre précé-
dent, où nous expliquions la bataille, le voyage du Roi
pour aller à l'Assemblée. Ce voyage n'était pas long;
mais on pouvait le croire infiniment dangereux dans
l'état d'irritation où était la foule ; à tort : il n'eut
d*autre résultat que de prouver que la vie du Roi, ni
même celle de la reine, n'était nullement en périL
Au départ, le Roi probablement n'était pas sans in-
quiétude. Il 6tason chapeau où était un plumetblanc,
et s'en mit un qu'il prit à un garde national. Les Tui-
leries étaient solitaires et silencieuses, déjà jonchées
de feuilles sèches, bien avant le temps ordinaire ; le
Roi en fit la remarque : a Elles tombent cette année
de bonne heure. » Manuel avait imprimé que la
royauté n'irait que jusqu'à la chute des feuilles.
A mesure qu'on approchait de la terrasse des
Feuillants on apercevait une foule d'hommes et
de femmes fort animés. A vingt-cinq pas environ
de la terrasse, une députation de l'Assemblée vint
recevoir le Roi; les députés l'environnèrent; mais
cette escorte ne suffisait pas pour tenir en respect
quelques-uns des plus violents. Un homme, du haut
de la terrasse , brandissait une perche de huit ou
dix pieds : fNon! non, criait-il, ils n'entreront
pas, ils sont cause de fous nos malheurs... Il faut que
DAMS LE SBIN DE L'ASSEMBLÉE (10 AOUT). ES
cela finissel.. A basl à bas! » Roedérar haraugoa la
foule; et quant à Thomme à la perche qui ne voulait
pes se taire, il la lui arracha des mains et la jeta au
jardin, sans autre cérémonie; Thomme resta stupé*
fait, et ne dit plus rien.
Aprèsunmomentd'embarras, causé parrencombre-
ment, lafamille royale arrivant au passage même qui
menait à l'Assemblée, un garde national provençal dit
au Roi, avec l'accent original du Midi : c Sire, n'ayez
pas peur, nous sommes de bonnes gens ; mais nous
ne voulons pas qu'on nous trahisse davantage. Soyez
un bon citoyen , Sire... Et, surtout, n'oubliez pas de
chasser vos calotins du Château. . . »
Un autre garde national (quelques-uns disent que
c'était l'homme même à la longue perche, qui sem-
blait si furieux) s*émut de voir le Dauphin, pressé de la
foule, à ce passage si étroit ; il le prit dans ses bras et
Talla poser sur le bureau des secrétaires. Tout le
monde applaudissait.
Le Roi et la famille royale s'étaient assis sur les
sièges peu élevés qu'occupaient ordinairement les mi-
nislres. Il dit à l'Assemblée : « Je suis venu ici pour
éviter un grand crime. • . > — Parole injuste et dure que
rien ne justifiait. La foule avait envahi, le 20 juin,
les Tuileries, sans péril pour Louis XVI, et le 10 aoôt
même, rien n'annonce qne personne en ait voulu k
ses jours, ni même à ceux de la reine.
Le président Yergniaudi ayant répondu que l'As-
semblée « avait juré de mourir en soutenant les droits
du peuple et les autorités constituées », le Roi monta
14 DEUX PANIÛCBS MHS L*ASSBMBLES (10 AOyT).
•t YiQt s'asseoir à c6té de luî^ Mdia un metnbrs fit 6\^
MMrver que la Constitution défendait de déUhérei^ cil
pfésence du Roi« L'Assemblée désigna alors la loge
dta.logographe» qui n'était séparée de la salle que fiar
une grille en fer, et se trouvait au niveau desi raUgi
életés de T Asseùiblée. Le Roi y passa avec sa famille;
il s'y plaça sur le devant, indifférent, impa^blè ; la
rèiùei un peu sur le côté , pouvant cacber b cette
place la terrible anxiété où la mettait lecombat. On en-
tendait à ce moment la meurtrière fusillade qui jeta
d'abord par terre tant d'hommes du peuple, et fit
croire aux gentilsboinmes qu'il ne s'agissait plus que
de marcher sur l'Assemblée, de la disperser, d'em-
mener le Roi. La reine ne disait pas un mot, ses lèfres
étaient serrées, dit un témoin oculaire (M. David^
depoiè consul et député) ; ses yeux étaient ardents
ék secs, ses joues enflammées^ ses mains fermées
sur ses genoux. Elle combattait du cœur^ et nul
sans doute de ceux qui se faisuent tuer ao chA^
lelu ne porta dans la bataille une passion plus
acharnée^
. De cette loge, de cette salle du Manège, fort légé^
rement eon^ruite, on enttmdait tons les bruits. A la
première fusillade^ succéda uii grand silence; puis^
è neuf heures, neuf bâures et demie, les quelques
«Ottps de canon tirés par les Marseillais, toutes les ti->
très vibrèrent. Quelques-uns crurent que des boulets
passaient pair-dessus la salie. L'Assemblée était très-
digne, dans une calme et ferme attitude* Elle la ood**
serva^ roalgté deux paniques. Un memait, la fusil-
LE ROI, irAYAUT PtOS t*ÈSM^, tktf CES^M tE FEU. ^8
lfté6, trèa^^rapproebée^ fit croire àui tribune^ que I6s
Suisses étaient vainqueurs^ qu'ils Venaient envahir
te salle et disperser TAssetnblée. Tous les assistants
criaient au)c députés : t Voilà les Suisses^ nous ne voua
qofttotispas; nous périrons avec vous»)» tlu ofticier
de la gftrde nationale était & la barre, et disait ! «Nouft
sommes forcés. » Députés, tribunes, assistants, gardes
naticfnattx, tous, jusqu'aux jeunes secrétaires placés
à eôté du llori, se levèrent d'un mouvement héroïque,
et jiirèreot de tnourir pour la liberté...... Contre
qui un UA serment^ sinon contre le Roj Uiémé, qu'a*
lors e^ croyait vainqueur? Jamais son isolement
ne residftH davantage. La situatioU à ce moment se
révélait tout entière : d'un côté^ TAs^mblée, le peu-
ple ^ d'autre pdrt, le Roi... En face, la France et
reoueiiii.
Due autre panique eut lieu, mais dans l'autre sens.
Ge fiât la victoire dn peuple, les craintes de l' Aèsem*
Mée pordr la sârelè dn Roi; On eut un moment l'idée
que les vainqueurs, dans leur furie, pourraient venri*
frapper en loi le chef de ces Suisses, de ces nobles,
qui avaient fait ùa si grand carnage du peuple.
ùo aarràcba la grille qui séparait de la salle la loge
du legti^aphe, afin que là famille royale pût, au be*-
seUo, se réfugier dans le sanctuaire national. t^lusieurS
députés y travaillèrent; le Roi s'y employa lui même,
avec sa force peu commune et son bras de serrn«*
rier*
Le proemreor du département, Rosderer, vint an-
b)èst6t que le ckàtean était forcé. ~ Une
56 L*AH6KIIBtÉB CONSftRVB A LA ROYAUTÉ
décharge de canon se fit entendre peu après; c'était
le faubourg Saint- Marceau qui, du pont de la Con-
corde, tirait sur les Suisses fugitifii. — -£^ c'nl
alart seulemerU^ tard, trop tard en Yéritë, que le Roi»
ayant perdu toute espérance, fit savoir au président
qu'il avait donné aux Suisses Tordre de ne point tirer,
et d'aller à leurs casernes.
Quoique l'Assemblée eût manifesté si vivement la
crainte que le Roi ne vainquit, la victoire de l'insur-
rection, accomplie sans elle, parut l'abattre et l'an-
nuler. Elle transférait en réalité le pouvoir de fait à
une puissance nouvelle, la Commune, à qui l'on fai-
sait honneur de la victoire. Quand on [Nt)posa à l'As-
semblée de nommer un commandant de la garde na*
tionale, elle renvoya ce choix à la toute-puissante
Commune. Puis, des combattants apportant des bi-
joux pris aux Tuileries , l'Assemblée déclina cette
responsabilité, sous le prétexte qu'elle n'avait aucun
lieu où les garder. Elle les envoya encore à la Com-
mune.
L'Assemblée semblait avoir le sentiment que le
peuple se défiait d'elle. Par deux fois, suivant l'élan
du dehors, et voulant rassurer la foule, les députés
se levèrent, et répétèrent le serment : Vivre libre ou
mourir. Ils y joignirent une adresse, mais fort géné-
rale et vague, où Ton conseillait au peuple [de rei*
pecter les DroiU de V Homme.
Guadet était au fauteuil, et répondait comme il
pouvait aux députations diverses qui se succédaient
à la barre. C'était une section qui venait sommer
UNS COAKCfi DB RS50ailE€TK)2i (10 AOVT). 8^
rAssemblée de jurer qu'elle sauverait Tempiro; l'As-^
semblée jurait. C'était la Commune qui venait sigoi*
fier qu'elle avait donné le commandement à Santerre,
et présralait son vœu pour la déchéance du Roi.
Puis un groupe d'inconnus venait déclarer qu'il fallait
faire justice de la grande trahison : « Le feu est aux
Tuileries, disaient ils, et nous ne l'arrêterons qu'après
que la vengeance du peuple sera satisfaite... Il nous
faut la déchéance. » Ils le firent comme ils le disaient,
repoussant les pompiers à coups de fusil. Neuf cents
toises de bâtiments étaient en feu.
L'ilssemblée se sentait glisser sur la pente. Elle
voulut enrayer. Enrayer! mais avec quoi? avec la
royauté même. Pour arrêter sa chute, elle prit jus*
tement le poids fatal qui devait la précipiter.
Vergniaud rentra, Tair abattu, pour donner à l'As-
semblée l'avis de la commission extraordinaire qu'elle
avait créée exprès. Le grand orateur souffnûl de ne
reconnaître la confiance du Roi réfugié dans l'As-*
semblée que par une mesure rigoureuse. La chose
semblait dure» inhospitalière. Je m'en rapporte,
dit-il, à la douleur dont vous êtes pénétrés, pour ju-
ger s'il importe au salut de la patrie que vous adop-
tiez cette mesure sur*le-champ. Je demande la sufr-
pension du pouvoir exécutif, un décret pour la
nomination flu gouverneur du prince royal. Une
Ccmvention prononcera sur les mesures ultérieures.. .
Le Roi s^ra logé au Luxembourg. Les ministres
seront nommés par l'Assemblée nationale*
A ce moment même, le peuple revint obsti-
8§ L*itSSKIIBLÉ« S*AinnJLliE «LLB-itKB.
Dé^ fhippa à là poT\é. « La déchéatice! Ift éé-
cbéftDce ! »y 6'étaft encore le cri des nOHTOàut péti-"
tiotinaires.
A quoi Yêrgniaud répondit que rAteembléft aîrait
kit tout €6 que ses poutoirs lui permettaient éè faîi^,
que c'était à la CônTention de prononcer sur ta dé*
chéance.
Hs s'en allèrent en silence, fnais non satisfaits.
L'Assemblée, tout en disant qu'elle ne décidait riéo,*
n*altait*elle pas préjuger audadieusetnent Vàvetfir,
par la nomination d'un gouverneur de Théfitier du
tréne, lorsqu'il restait incertain s'il y aurait un trdne
encore î
Loger le roi au Luxembourg! au lieu de Paris
d'où il est le plus facile d'échapper dans la campa-
gne! Qui ne sait que le Luxembourg est assis sur les
catacombes, et que, par vingt souterrairis, il pouvait
remettre la royauté sur le chemin de Varennes.
C'est* ce qu'une section vint très-justement repré^fi-
ter à l'Assemblée.
Celle K^i, quoi qu'elle pét faire, n'allait plus pouvoir
marcher qu'à la suite de la Commune. Aux ministres
girondins qu'elle rétablit, elle ajouta comme mtiriaK
tre de la justice l'homme de la Commune, Daotoo.
Elle vota que les communes auraient droit de ftiire
partout des visites domiciliaires pour savoir ai les
suspects n'avaient pas des armes cachées. C'était
arnier la nouvelle puissance, dont on se défiait tant
tout-à-l'heure, d'une inquisition sans bomea.
U était trois heures de nuit. En cette iéance de
MteESfOm SIS rAlILLBS M8 TIGTHIBS MJ 10 AOUT. M
vtttgt-feept heures, rassemblée taincue, près de la
rotule Tatûcue, en réalité avait abdiqué.
Cette éclipse du premier pouvoir de TËtat^ du
seul, après tout, qui fût reconnu de la France, était
effrayante dans la situation. Le combat n'avait pas
ttoî; il durait encore dans les cœurs, ils restaîeirt
gonflés de vengeance. Le soir du 10, on avait en hâte
jeté ad cimetière de la Madeleine les cadavres des
sept cents Suisses qui avaient été tués. Mais le nom-»
bre des morts était bien plus grand du côté des in-
su<^* Les Suisses généralement avaient tiré der^
rière de bonnes murailles; les autres n'avaient eu
que leurs poitrines pour parer les coups ; onie cents
iflsni^s avaient péri ; beaucoup d'entre eux, gens
mariés, pauvres pères de famille^ qoe les extrêmes
misères avaient poiissés au combat, qui, entre une
femme désespérée et des enfants affamés,* avaient pré-
féré la mort. Des tombereaux les ramassaient, les ra«*
menaient dans leurs quartiers, et là, on les étalait pour
les reconnattre. Cbaque fois qu'une de ces lugubres
voitures, couverte, mais reconoaissable à la longue
traînée de sang qu'elle laissait derrière elle, chaque
fois qu'elle entrait an faubourg, la foule Tentou-
ratt, nniette^ haletante , la foide des fembies qui
attendaient dans une horrible anxiété. Et puis, à
mesure, éclataient avec tme étrwge variété d'ind^
dents les plus pathétiques, les sanglots du désespoir.
Nulle scène de ce genre n'avait lieu sans jeter dans
rime des spectateurs un nouveau levain de ven-
geance; des jeunes gêna reprenaient la piqlie« ren-»
eo dëfunce et fuheur du peuple. -
traient dans Paris pour taer... Qui tuer, où et com-
ment? c*était toute la question. Ils allaient à TAb-
baye , où étaient les officiers suisses. Us allaient à
l'assemblée nationale où cent cinquante soldats
suisses avaient trouvé un asile. On avait beau leur
expliquer que ces soldats avaient tiré malgré eux, que
d'autres avaient tiré en Tair, que d'autres enfin, ceux
par exemple qu'on amena de Versailles, étaient même
absents à l'beure du combat. Ils venaient aveugles et
sourds, l'oreille pleine des sanglots des veuves, les
yeux pleins de la rouge vision des tombereaux com-
bles de sang. Ils ne voulaient que du sang, et heur*
taient leurs lètes aux portes.
La Commune, sortie de la fureur du 10 août, n'é-
tait pas pour s'opposer à ces mouvements de ven-
geance. Elle prit, le matin du 1 1, une mesure vrai-
ment sinistre. La prison de l'Abbaye, qui renfermait
les officiers suisses , était fortement menacée , en-
tourée de rassemblements ] malgré l'Assemblée natio-
nale, qui, pour sauver les soldats, les envoyait au Pa-
lais Bourbon , la Commune décida qu'ils iraient à
l'Abbaye. Et cela fut fait.
Il y avait dans cette Commune des éléments très*
divers. Une partie, la meilleure, étaient des hommes
simples, grossiers, naïvement colériques, qui n'étaient
pas incapables de sentiments généreux; malheureu-
sement ils suivirent jusqu'au bout la pensée brutale
et stupide : En finir avec Vennemù Mais le meurtre ne
finit rien. Les autres étaient des fanatiques, fanati-
ques d'abstractions, géomètres politiques , prêts à ro-
LA coimime oiicanb be cette fureur. ec
gner par le fer ce qui défuissait la ligoe précise du
coDtoar qu'ils s^étaieot tracé au compas. Enfin , et
c'était le pire élément, il y avait des bavards, des
harangueurs étourdiment sanguinaires (de ce genre
était Tallien), il y avait de méchants petits scribes,
natures basses et aigres, irrémédiablement mau-
vaises, sans mélange et sans retour, parce qu'elles
étaient légères, sèches, vides, de nulle consistance.
Ces fouines & museau pointu, propre à tremper dans
le sang, se caractérisent par deux noms : Tun, Chau*
mette, étudiant en médecine et journaliste; l'autre,
Hébert, vendeur de contremarques & la porte des
spectacles, qui rimait des chansonneUes, avant de
devenir horriblement célèbre sous le nom de père
Dachène.
Ces scribes furent tout d'abord la cheville ouvrière
de la Commune. Du 1 1 août au 2 septembre, elle
appela dans son sein le scribe des scribes, le fol des
folSy Marat, Robespierre. Tous deux sortirent de
leurs trous, et siégèrent à la Commune.
Le matin du 1 1 , la Commune envoya à l'Assemblée
deux de ses membres lettrés, Hébert, et Léonard
Bourdon, un régent, pédant furieux, qui fonda
une pension selon les institutions de Lycurgue. En
allant, ils ne purent se dispenser de monter chez le
maire, Pélion, qui était encore au lit. Us trouvèrent
là Brissot, qui vint à eux, tout ému : a Quelle est
donc cette fureur? dit-il. Quoi I. les massacres ne
finiront pas?» Pétion parla dans le même sens.
Hébert et Bourdon baussèreut les épaules^ et s en
ai sEvniiBirrs cemuMcrouiis wa vhmb,
alIèrMi sms rien dira. Ils ont depuis acouaé cette
raiblesfle de Pétion et de Briasot, cette sensibilité oou^
pible, pour les conduire à la mort.
La Conmune, sans doute sur leur avis, sentant
combien Pétion pouvait être embarrassant dans les
grandes nuMures dé haute politique qu'elle se propo--
sait de prendre , fit savoir à T Assemblée , que dans sa
tendre inquiétude pour la vie si précieuse de ce bon
maire de Paris, de ce père du peuple, etc., etc.»
dans la crainte qu'il ne tombât sous le poignard roya^
liste , elle avait mis à ses côtés deux agents pour le
suivre partout, sans le perdre de vue, et le garder
jour et nuit.
Cette violence hypocrite contrastait avec la sensi*
bilitè naïvement exaltée que montrait partout le peu-
ple. Malheureusement sa sensibilité se trahissait par
deux eSe\A tout contraires.
Les uns, émus de pitié pour les familles en deuil,
pour ce grand désastre privé et public, voulaient jmm
tice et vengeance, une punition exemplaire ; si 1» Um
ne la faisait pas, ils allaient la faire eux-mômes.
Les autres, émus d'intérêt pour des hommes dés«
armés, qui, fussent-ils coupables, ne devaient, apréa
tout, être frappés que parla loi, voulaient à tout prix
sauver leura ennemis, sauver l'humanité, rfaooneur
de la France.
Ces mouvejnents contradictoires de sensibilité, \q^
humaine, là furieuse, se trouvèrent plus d'une £>is,
chose biianre, danslesmémes peraonnes. Les tribunet
de l'AsseuAlée étaient pleilkea d'hommes hors d'eui-^
s^ovu ET fORUpx ((0 àoin). n
mèfûi^i qiai ét«ieot v^m» topt exprès poiiF oMenip dov
\m 4^ aang- IfCis Suisse^ étaient là trpmblflpts âtm
la$ b^timeqts d08 F9i)îlI»Qt9, et te foule aux tribunaii
fMii OQui^y dans les rues voisioe^, attaodant sa ppoie.
Un député 01 remarquer que «es ÎDfortiinés Suis«e«
B'avaieut pas mangé depuis treute heures; les tal-^
bunes Turent émue^. Uq brave borame vint à la barrQ
et dit qu'il priait les tnbuoes de l'aider à sauver les
puisses, de venir avec lui pour faire entendre raison
à la foule du dehors. Tous le suivirent; ils arraché^
rent des mains du peuple plusieurs Suisses qu'il te-*
naît déjà, rentrèrent avec ces malheureux; ce fut
la scène la plus extraordinaire et la plus attendris-»
santé ; les victimes se jetèrent dans les bras de ceux
qui naguère demandaient leur niort et qui les avaient
délivrés ; les Suisses levaient les mdips au oiel, fai*
saient serment à la cause du peuple et se donnaient
à la France.
Le ministre de la justice , Danton, se montra très-
4igne de ^ position nouvelle, en se portant pour dé-
fenseur des droits de l'humanité. .11 exprima devant
l'Assemblée nationale une pensée de sévérité magna-
nime qui était au cœur des vrais vainqueurs du
10 août : « Ob commence l'action de la justice, là
doivent cesser les vengeances populaires. Je prends,
devant TAssemblée nationale, l'engagement de pro^
léger les hommes qui sont dans son enceinte; je mar-
cherai à leur tète» et je réponds d'eux. ».
L^ justice, c'était en effet le seul remède à la v§n«
geaoce. l\ y <|vait là toqte ^ne popuIaM^u «Mspér^^
64 DANGER DE LA SITUATION (11 AOUT 92>
de ses pertes. Si la robe de César, montrée aux Ro*
mains, fut un signal de massacre, qu'était-ce de la
robe du peuple, de la chemise sanglante des victimes
du 10 août, partout reproduite et multipliée, partout
étalée aux yeux indignés, avec la légende terrible de
la trahison des Suisses, et ce mot des honnêtes fédérés
bretons qui courait partout : « Nous avions encore la
bouche à leur joue... ils nous ont assassinés!... »
Ceux que l'on accusait ainsi étaient-ils regardés
du peuple comme des prisonniers ordinaires ou
comme des criminels ? Après la victoire, après la ba-
taille , le danger passé, le vainqueur prend pour les
prisonniers un sentiment de clémence; mais la ba-
taille durait. Le grand parti royaliste, quelque coup
qu'il eût reçu , restait tout entier. Aux royalistes
purs il fallait joindre la masse des royalistes con-
stitutionnels, les vingt mille bourgeois qui avaient
signé la protestation contre le 20 juin, et s'étaient
ainsi compromis pour le Roi sans retour. Personne,
même après le 10 août, ne voyait bien nettement à
qui, en dernier lieu, resterait l'avantage. Le 10,
beaucoup avaient eu peur de ne pas être vus avec les
vainqueurs. Le 11, beaucoup avaient peur d'être
obligés de garder le Roi. Santerre, le nouveau com-
mandant do la garde nationale, ne trouvait nulle
obéissance; deux adjudants refusèrent positivement
d'aller garder le Roi aux Feuillants. Santerre fut
obligé d'avouer à la Commune : « Que la diversité
des opinions faisait qu'il avait peu de force. > Et en
même temps un député, Thuriol, vint déclarer qu'il
LE ROI PRISONNIER, ENFERMÉ AU TEMPLE. 65
avait connaissance d'un projet pour enlever la famille
royale.
La Commune, par l'organe de son procureur,
Manuel, déclara à l'Assemblée que si l'on mettait le
Roi au Luxemboui^, ou, comme on voulait encore,
au ministère de la justice, elle n'en répondait plus.
L'Assemblée lui donna le soin de choisir le lieu , et
elle choisit le Temple, donjon isolé, vieille tour, dont
on refit le fossé. Cette tour, basse, forte, sombre,
lugubre , était l'ancien Trésor de l'ordre des Tem-
pliers. C'était, depuis longtemps, un lieu délabré, à
peu près abandonné. Lieu marqué d'une bizarre fa-
talité historique. La royauté y brisa le moyen-âge ,
par la main de Philippe-le Bel. Et elle-même y revint
brisée avec Louis XVI. Cette laide tour, dont on ne
savait guère le sens ni Tancienue destination^ se
trouvait là tout étrange, comme un hibou au
grand soleil, dans un quartier fort populeux. C'était,
comme aujourd'hui du reste, un quartier d'industrie
pauvre, de commerce misérable, de revendeurs,
de brocanteurs, de petits métiers exercés par des fa-
bricants ^ouvriers eux-mêmes. L'enclos du Temple
s'était d'autant plus aisément peuplé de ces petites
industries qu'il recevait les ouvriers sans patente,
non autorisés, qui , sous l'abri de l'antique privil^e
du lieu, vendaient librement aux pauvres du mauvais,
du vieux, tellement quellement rajusté. Cet enclos,
par un effet de ce triste privilège, avait aussi servi
d'asile aux banqueroutiers effrontés, qui, selon la loi
énergique du moyen-Age, payaient leurs dettes sans
IV.
06 LA COMMUNE EXIGE LA CRÉATION
argent, « en prenant le bonnet vert^ et frappant du cul
sur la pierre >. Chute rapide et cruelle. Louis XVI,
encore roi le 10, s'il demeurait au Luxembourg, ré-
sidence ordinaire des princes, — prisonnier avoué le
11, s'il était mis sous la clef du ministère de la jus-
tice, — semblait au Temple le captif de la faillite
royale et le banqueroutier de la monarchie.
Louis XYI était un otage; sa vie importait à la
France. Il semblait en sûreté. Tous alors, même les
plus violents, auraient défendu une tète si précieuse.
La vengeance populaire, arrêtée de ce côté, se re-
tournait d'autant plus furieuse coi^tre les autres pri-
sonniers. Le seul moyen peut-être qui restât de les
soustraire à un massacre indistinct, c'était de les pré-
senter comme prisonniers de guerre, de les soumet-
tre à un jugement militaire qui frapperait uniquement
ceux qui avaient commandé, sauverait la foule de
ceux qui n'avaient fait qu'obéir. Un ancien militaire,
le député Lacroix, proposa à l'Assemblée de faire
nommer, par le commandant de la garde nationale,
une cour martiale, qui jugerait sans désemparer les
Suisses, officiers et soldats. La part principale que
les fédérés, Marseillais, Bretons, presque tous anciens
soldats, avaient eue à la victoire, aurait, sans nul
doute, obligé de prendre les juges surtout parmi eux.
Ces militaires se seraient montrés plus indulgents
pour un délit militaire, que des juges populaires, tirés
d'une foule ivre de vengeance. Ceci n'est point une
supposition, mais une induction légitime. La plupart
des fédérés de Marseille, loin de partager la fureur
D*UN TRIBUNAL BXTRAORDltlAliiE (11-17 AOUT 92). 67
coiBiBaiiey déclarèrent qu'ils ne considéraient plus les
vaincus comme ennemis, demandèrent à l'Assemblée
la permissiou d'escorter les Suisses et de leur faire un
rempart de leur corps. Soldats, ils comprenaient bien
mieux la vraie position du soldat, l'inexorable néces-
sité delà discipline qui avait pesé sur ces Suisses, et
les avait rendus coupables malgré eux.
Lacroix, qui donna ce conseil,yiolent enapparence,
humain en réalité, de faire juger immédiatement les
vaincus par une cour martiale, était un homme trop
secondaire pour que nous ne cherchions pas plus
haut à qui appartient l'initiative réelle de cette grande
mesure. Lacroix était alors dans les rangs de la Gî*
ronde, maïs déjà, et de plus en plus, uni d'esprit à
Danton. Ce qu'ils avaient de commun , c'était la fa-
cilité de caractère, l'amour delà vie, du plaisir; tous
deux étaient des hommes d'énergie, et sous des for*
mes âpres, violentes, nullement ennemis de l'hu-
manilé. Je ne crois pas que la proposition aK été
inspirée par les Girondins, qui n'aimaient point les
formes militaires. Les Montagnards, en général,
ne les aimaient pas davantage, Robespierre pas plus
que Brissot. Je serais porté b croire que Lacroix ex-
primait la pensée de Danton.
Ce qui ferait supposer que cette mesure eût épar-
gné le sang, c'est que la Commune la repoussa. Pla-
cée au centre même de la fermentation populaire,
loin de calmer l'esprit de vengeance', elle allait tou--
jours l'irritant. Elle n'osait dire nettement qu'elle
craignait de trouver les fédérés militaires trop gé*
68 INFLUENCE DE MARAT
néreux pour les vaincus; le 13, elle demanda seu*
lement qu'au lieu de cour martiale, on créât un
tribunal y formé en partie de fédérés^ en partie de
sectionnaires parisiens. — Le 15, elle s'enhardit, ne
parlaplus de fédérés , demanda que le jugement se ftt
par des commissaires pris dans chaque section. Ceux
qu'on choisissait dans un tel moment ne pouvaient
guère manquer d'être les plus violents des sections ,
et probablement les membres mêmes de la Commune.
En d'autres termes, la Commune priait l'Assemblée
de charger la Commune même de juger à mort tous
ceux qu^on avait arrêtés et ceux qu'on arrêterait.
Quelle limite dans cette route? On ne pouvait le pré-
voir. Dès le 12, une bande de pétitionnaires était ve-
nue sur les bancs même de l'Assemblée nationale
désigner un député comme traître, et demander qu'on
le mit en accusation.
Rien n'étonne de la Commune , quand on sait l'é-
trange oracle qu'elle commençait à consulter. Le
10, au soir, une troupe effroyable de gens ivres et
de polissons avaient, à grand bruit, apporté à l'Hôtel-
de-Ville l'homme des ténèbres, l'exhumé, le ressus-
cité , le martyr et le prophète , le divin Marat. C'était
le vainqueur du 10 août, disaient-ils. lis l'avaient
promené triomphalement dans Paris , sans que sa
modestie y ftt résistance. Ils l'apportèrent sur les bras,
couronné de lauriers , et le jetèrent là, au milieu
du grand conseil de la Commune. Plusieurs rirent;
beaucoup frémirent ; tous furent entraînés. Lui seul
il n'avait aucun doute, ni hésitation, ni scrupule.
SUR LA COMMUNE (AOUT 92). ®9
La terrible sécurité d'un fol qui ne sait rien ni des
obstacles du monde, ni de ceux de la conscience,
reluisait en sa personne. Son front jaune , son vaste
rictus de crapaud souriait efiroyablement sous sa cou-
ronne de laurier. Dès ce jour, il fut assidu à la Com-
mune, quoiqu'il n'en fût pas membre, y parla tou-
jours plus haut. Les politiques eurent à songer s'ils
suivraient jusqu'au bout un aliéné. Mais , comment ,
devant cette foule furieuse, oser contredire Marat?
Danton ne l'eût pas osé ; seulement , il venait peu à la
Commune. Robespierre, qui y siégeait, l'osait encore
moins. La chose lui dut coâter. La Commune prit
plusieurs décisions vraiment étonnantes, celle-ci,
entre autres , évidemment dictée par Marat : « Que
désormais les presses des empoisonneurs royalistes
seraient confisquées, adjugées aux imprimeurs pa*
triotes. o Avant même que ce bel arrêt ne fût rendu,
Marat l'avait exécuté. Il avait été tout droit à l'Impri-
merie royale, déclarant que les presses et les carac-
tères de cet établissement appartenaient au premier,
au plus grand des journalistes, et, ne s'en tenant point
aux paroles, il avait, par droit de conquête, pris
telle presse et tel caractère, emporté le tout chez
lui.
L'Assemblée avait donc ii décider si elle remettrait
à cette Commune, ainsi gouvernée, le glaive de la
justice nationale. Quelle serait cette justice? Les uns
voulaient un tribunal vengeur, rapide, expéditif. Ma-
rat préférait un massacre. Cette idée, loin de rien
coûter à sa philanthropie, en était, disait-il, le si-
70 CRÉATION DU TM8UNAL EtTRAORDIliAIBB (47 AOUT 9f).
gne : c On me conteste, disait-i), le titre de phîIaD-»
thrope.«. Ahl quelle injustice! Qui ne voit que je
veux couper un petit nombre de tètes pour en sauver
un grand nombre?... » 11 yariait sur ce petit nombre;
dans les derniers temps de sa vie, il s*était arrêté , je
ne sais pourquoi, au chiffre minime, en vérité, de
273,000.
. Le tribunal de vengeance pouvait éviter le massa*
cre. La Commune, par la voix de Robespierre, en
demanda à l'Assemblée la création immédiate. Pré-
sentée avec des formes adoucies, des ménagements
insidieux, mêlés de menaces, la proposition fut reçue
dans un grand silence. Un seul député (Chabot) se
leva pour Tappuyer. Et pourtant elle passa. On es«*
péra éluder la proposition dans l'application ; on la
décréta en principe.
Dès ce moment, d* heure eu heure, des pétitions
menaçantes vinrent exiger rcxécution du décret
rendu. En une soirée, trois députations de la Com--
mune se succédèrent à la barre. La troisième alla
jusqu'à dire : « Si vous ne décidez rien, nous allons
attendre. » Le 17, une nouvelle députation vint dire :
c Le peuple est las de n'être pas vengé; craignes
qu'il ne se fasse justice. Ce soir, à minuit, le tocsin
sonnera. Il faut un tribunal criminel aux Tuileries,
un juge par chaque section. Louis XVI et Antoi-
nette voulaient du sang ; qu'ils voient couler celui
de leurs satellites. »
A cette violence brutale, le jacobin Choudieu, Thu-
riot, ami de Danton, répondirent par les plus nobles
DANGER DE LA FKANCE ; LONGWY ASSIÉGÉ (fD AOUT). 7i
paroles. Le premier dit : « Ceux qui viennent crier
ici ne sont pas les amis du peuple; ce sont ses
flatteurs... On veut une inquisition; j'y résisterai
jusqu'à la mort... »
Et Tburiot, un mot sublime : « La révolution n'est
pas seulement à la France; nous en sommes comp-
tables à rhumanité. »
A ce moment entrent les sectionnaires que laCom-
mune chai^eait de former les jurys. L'un d*eux :
« Vous êtes comme dans les ténèbres sur ce qui se
pssse. Si , avant deux ou trois heures, le directeur
du jury n'est pas nommé, si les jurés ne sont pas en
état d'agir, de grands malheurs se promèneront dans
Paris, h
L'Assemblée obéit sur Vbeure. Elle vota la créa-
tion d'un tribunal extraordinaire. Toutefois avec une
précaution, l'élecUon à deux degrés, comme pour
les députés; le peuple nommait un électeur par sec-
tioD, et ces électeurs nommaient les juges.
Les noirs nuages du dehors, l'orage de la frontière,
couvraient, il faut le dire, l'intérieur comme d'un
voile Dûîr ; de moins en moins on distinguait l'image
de la justice. Des lettres arrivaient, comme autant
de cris des villes frontières, comme les coups du
canon d'alarme que tirait de moment en moment le
vaisseau national qui semblait sombrer sous voiles.
C'était Thiouville, c'était Sarrelouvs, qui criaient à
l'Assemblée. La première disait qu'abandonnée de la
France, elle se ferait sauter avant que d'ouvrir ses
portes. Les Prussiens étaient partis de Coblentz le
72 NËNAGKS DE LAFAYETTE, SA FUITE.
30 juillet, avec un corps magnifique de cavale-
rie d'émigrés, quatre-vingt-dix escadrons. Le 18
août, les Prussiens opérèrent leur jonction avec le
général autrichien Clairfayt. L'armée, combinée,
forte de cent mille hommes, investit Longwy le 20
août.
Et quelle dérense à Tintérieur? Merlin de Thion*
ville dit dans TAssemblée, qu'au comité de surveil-
lance il y avait quatre cents lettres, prouvant que le
plan et l'époque de Vinvasion étaient dès longtemps
eonnus à Paris. En réalité, la reine, et beaucoup de
royalistes avaient l'itinéraire de l'ennemi, le regar-
daient marcher sur la carte, et le suivaient jour par
jour.
Lafayette semblait ne voir d'ennemis que les Jaco-
bins. Par une adresse, il appelait son armée à rétablir
la Ck)nstitution, défaire le 10 août, rétablir le Roi.
Ceci équivalait à mettre l'étranger à Paris. Il n'y a
aucun exemple d'une telle infatuation. Heureuse-
ment, il ne trouva aucun appui dans son armée. Il
passa les troupes en revue, n'entendit nul autre cri
que : Vive la nation ! Il se vit seul, et n'eut d'autres
ressources que de passer la frontière. Les Autrichiens
lui rendirent le service essentiel de l'arrêter, et par
là, ils le réhabilitèrent. Sans cette captivité, il était
perdu; une ombre très- fâcheuse serait restée sur sa
mémoire.
Le 18, l'Assemblée l'avait décrété d'accusation.
Le commandement de l'Est fut donné à Dumou-
riez; et dans le Nord, Lukner fut remplacé par
Kellermann,
PenilETÉ MAGNANIHE DE DANTOX (AOUT 92). 75
Le même jour, le 18, le tribunal extraordinaire
était déjà organisé. Danton saisit Toccasion, et crut
couper court aux vengeances. Dans une adresse ad-
mirable où Ton croit sentir, avec le grand cœur de
Danton, le talent de ses secrétaires, Camille Desmon-
lin, Fabre d'Ëglantine, il posa le droit révolution-
nure, le droit du 10 août, frappa la royauté sans
retour, établissant qu'elle avait trahi jusqu'à ses pro-
presamis. Mais, en même temps, sous les termes de
la Terreur même, il posait, pour l'ordre nouveau, les
bases de la justice.
Ce discours, tout à la fois inspiré et calculé, faisait
la part aux deux puissances, Fune, la Commune de
Paris» 0 sanctionnée par TAssemblée nationale;»
l'autro, l'Assemblée elle-même, Danton la relevait
généreusement : « Félicitons-la, disait-il, de ses dé-
crets libérateurs. »
Par un remarquable esprit de prévoyance, il signa-
lait de loin le mal social, bien autrement profond, que
couvrait l'agitation révolutionnaire; aux premiers
grondements souterrains, que personne n'entendait
bien encore, ce pénétrant génie devinait» signalait
le volcan. Chose étonnante ! dans ce discours prophé-
tique, Danton s'occupe de Babœuf, le voit en esprit ;
celui qui ne doit se montrer que quand tous les
grands hommes de la Révolution seront couchés dans
la terre, il le voit et le condamne, laissant à la so-
ciété, pour se défendre un jour, l'autorité de son
nom: «Toutes mes pensées, dit-il, n'ont eu pour
objet que la liberté politique et individuelle, le main-
74 PREMIERS NOUVEMEIiTS DE LA VBHOÉE (AOUT 92).
tien des lois , la tranquillité publique y l'unité des
quatre-vingt-trois départements, la splendeur de
l'État, la prospérité du peuple français, et non Véga--
liié impossible des biensy mais une égalité de droits et
de bonheur. »
Au total, dans cette adresse* habilement violente,
parmi la foudre et les éclairs du 10 aoAt, Danton
proclamait tout ce que la situation pouvait comporter
de raison et de justice. Il constatait l'union des pou-
voirs publics, la sienne même lavec la Gironde; il di-
sait qu'il n'adressait aux tribunaux d'autres reproches
que ceux que le ministre de l'intérieur, Roland,
adressait aux corps administratif^. Il s'associait à la
passion populaire, de manière à la calmer, deman-
dait aux tribunaux la sévérité, qui seule, dans un tel
moment, pouvait amener dans les cœurs une réaction
de la clémence. L'adresse finissait par cette grave
parole : « Que la justice des tribunaux commence,
la justice du peuple cessera. »
L'Assemblée parut un moment animée de cet esprit.
Tout était sauvé, si elle prenait d'une main ferme,
comme Danton le demandait, le drapeau de la Révo-*
lution, le portait devant le peuple. Elle frappa deux
gi*ands coups révolutionnaires : sur les noAlei, la sé-
questration des biens des émigrés, qui entraient en
armes en France; sur les prêtres non assermentés,
l'expulsion sous quinze jours. Cette dernière mesure
ne semblait pas trop violente, quand on apprenait
que la Vendée, que les Deux-Sèvres, incendiées de
leurs prédications, venaient de prendre les armes.
LE NOUVEAU TMBOMAL ACCUSÉ DE FéNCllONMER LENTEMENT. 15
L'iodignatioD monta à ce poiot, que Yergoiaud,
rbomme humain entre tous, proposa de déporter les
réfraetaires à la Guiane.
Ces sévénlés ne suilisaient pas à la Commune. Les
supplices qui commencèrent ne la calmèrent même
paa. Le tribunal extraordinaire, sans sursis et sans
appel, créé le 18, jugea le 19 et le 20; le 21, au
soir, un royaliste fut guillotiné sur la place du Car*
rousel. L'exécution aux flambeaux, devant la noire
façade du palais, encore tachée du massacre, fut
du plus sinistre effet. Le bourreau lui-même, tout
habitué qu'il fût à de tels spectacles, n'y résista pas.
Au moment où il teuait la. tète du supplicié, et la
montrait au peuple du haut de l'échafaud, lui-même
tomba à la renverse. On courut à lui, il était mort.
Cette scène terrible, l'exécution de Laporte, le
Gdèle eonfldent de Louis XVI, remuèreut profondé-
ment. Laporte avait été le principal agent des cor-
ruptions de la cour; il n'avait qu'une excuse, d'avoir
obéi. Avec cela, comme homme privé, il était estimé,
aimé. Sa tète blanche ne tomba pas sans laisser quel-
que pitié. La Chronique de Parts, journal de Cuu-
dorcet, essaya, à cette occasion, d'adoucir les cœurs.
11 semble que la Commune eût pu être assez con-
lenle du nouveau tribunal qu'elle avait demandé,
créé, choisi. 11 ne donnait guère moins d'une tête
par jour. On gémissait pourtant de sa lenteur, et
il crut devoir s'en justifier. Dans une précieuse
brochure , les membres du tribunal expliquent l'é-
norme travail qu'ils se sont imposé pour obtenir
75 NOIYELLE DE LA PRISE DE L03i€WY.
d*aussi satisraisants résultais. En conscience, disent-
ils, on ne peut aller plus vite. La brochure est signée
de noms qui, seuls, parlent assez haut, entre autres
de Fouquier-TinYÎUe.
Mais le juge le plus âpre n'était pas ce qu'on vou-
lait ; on désirait un massacre. Le 23, au soir, une dé-
putation de la Commune, suivie d'une tourbe de
peuple, vint, vers minuit, dans TÂssemblée natio-
nale, et dit ces paroles furieuses : « Que les prison-
niers d'Orléans devaient éire amenés pour subir leur
supplice. » Ils ne disaient pas : Pour être jugés, sem-
blant considérer cette formalité comme absolument
superflue. Ils ajoutaient cette menace : « Vous nous
avez entendus, et vous savez que l'insurrection est un
devoir sacré. »
Le président de l' Assemblée, Lacroix, fut très-beau
en ce moment. Devant cette foule furieuse ou ivre,
qui envahissait la salle, à cette heure sombre de la
nuit, il parla avec la vigueur d'un ami de Danton.
Lacroix était un ancien militaire, de forme athléti-
que, d'une stature colossale; il dit avec une majesté
calme : « Nous avons fait notre devoir... Si notre
mort est une dernière preuve pour en persuader le
peuple, il peut disposer de notre vie... Dites-le à nas
commettants. )> Les plus violents jacobins, Choudieu
et Bazire, parurent eux-mêmes indignés de ces me-
naces; ils demandèrent, obtinrent l'ordre du jour.
Le 25, au soir, on guillotinait, au Carrousel, un
pamphlétaire royaliste; aux Tuileries, on s'occupait
des apprêts d'une fêle nationale, celle des morts du
FÊTE DES MORTS DU iO AOUT {tl AOUT «J^. 77
10 août. Le bruit se répand dans TAssemblée, dans
Paris, qoe la place de Longwy s'est rendue aux
Prussiens. Les volontaires des Ardennes et de la
Côte-d'Or s'étaient montrés admirablement. Mais la
malveillance avait annulé , caché tous les moyens
de défense. Le commandant, au moment de l'atta-
que» était devenu introuvable. L'Assemblée reçut et
lut la lettre même par laquelle les émigrés avaient
décidé sa défection. La ville fut occupée par les
étrangers « Au nom de S. M. le Roi de France » • La
trahison était flagrante. On décréta à l'instant que
tout citoyen qui , dans une place assiégée y parlerait
de se rendre, serait puni de mort. Trente mille hom-
mes durent être immédiatement levés dans Paris et
dans les départements voisins. La fête n'en eut pas
moins lieu, le lendemain, dimanche 27 ; mais cette
fête des morts, pour un peuple qui se sentait trahi et
vendu, se trouva en réalité la fête de la vengeance.
L'ordonnateur de la fête était Sergent, l'un des
administrateurs de la Commune, homme de beau*
coup de cœur, d'une sensibilité ardente, mais comme
sont souvent les femmes, sensible jusqu'à la fureur.
Graveur et dessinateur médiocre, il trouva ici, dans
son fanatisme, une véritable inspiration. Jamais fête
ne fut plus propre à remplir les âmes de deuil et de
vengeance, d'une douleur meurtrière. Une pyramide
avait été élevée sur le grand bassin des Tuileries, cou-
verte de serge noire^ d'inscriptions qui rappelaient
les massacres qu'on reprochait aux royalistes : Massa-
cres de Nancy, de Nimes, de Montauban , du Champ-
de-Mars, etc. Cette pyramide de mort, élevée dans
le jardin, avait son véritable pendant au Carrousel ,
l'instrument même de mort, la guillotine. Et toutes
deux fonctionnaient de même : Tune tuait, l'autre
semblait inviter à tuer.
A travers des nuages de parfums, les victimes du
10 août, les veuves et les orphelino^» en robes blan-
ches à ceintures noires, portaient dans une arche la
pétition du 17 juillet 91, qui dès-lors avait en vain
demandé la République. Puis, venaient d'énormes
sarcophages noirs, qui semblaient contenir, porter
des montagnes de chair humaine. Puis, des bannières
de vengeance qui demandaient mort pour mort. En-
suite, venait la Loi, colossale, armée de son glaive,
et derrière, les juges, tous les tribunaux, en tète
le tribunal du 17 août. Derrière ce tribunal, mar-
chait celle qui l'avait créé, la redoutable Com-
mune , avec la statue de la Liberté. Enfin, l'Assem-
blée nationale, portant les couronnes civiques pour
honorer, consoler les morts. Les chants sévères de
Chénier, la musique, âpre et terrible, de Gossec, la
nuit qui venait, et qui apportait son deuil, l'encens
qui montait, comme pour porter au ciel la voix de la
vengeance, tout remplit les cœurs d'une ivresse de
mort, ou de pressentiments sombres.
Ce fut bien pis le lendemain. Les deux statues de
la Liberté, de la Loi, ces figures adorées du peuple,
qui le dimanche étaient des Dieux, furent dépouillées
de leurs atours, tristement exposées aux regards dans
les parties les moins honorables qu'avaient voilées les
FÊTE FUNÈBRE (27 AOUT 92). 79
draperies, non sans quelques risées imprudentes des
spectateurs royalistes. La foule devint furieuse, elle
courut à l'Assemblée, demandant vengeance, soute-
nant que ce déshonneur était une conspiration ; que
des ouvriers perfides avaient honteusement dénudé
ses divinités , pour les livrer au mépris des aristo-
crates. Elle s'empara des statues, les habilla décem-
ment, les tratna , en réparation , sur la place de
Louis XY, et là» leur rendit un culte plein de
frénésie.
CHAPITRE 111
L'INVASION. TERREt^R ET FUREUR DU PEUPLE.
( Fio d'août. )
Terrear de Paris à la nouvelle de rinvasion (aoAt-seplembre M). ^ Atlenie
d*aD Jogemeot aolenDel de la Ré\olaiion par les rois. — La France se voit
surprise et trahie. — Combien le Roi prisonnier éiait encore formidable. ^
Héroïque élan de la France entière. — Nos ennemis, dans ce Ubiean im-
mense, n*onl voulu voir qu*un point, une tache sanglante. — La France
entière se donnai la patrie. — Dénouement, déchirement des femmes, des
mères. — Danton fut alon la voix de la France. — Il demande les visites do-
miciliaires. — Lutte de l'Assemblée et de la Commune. — Violence de la
Commune.» L'Assemblée essaie de la briser.— La Commune veut se main-
tenir par tons les moyens. — Dispositions au massacre (fin d*aoAt M).
La trahison de Longwy, celle de Verdun qu'on
apprit bientôt après, remplirent Paris d'une sombre
impression de verti{çe et de terreur. Il n'y avait plus
rien de sûr. 11 était trop visible que l'étranger avait
des intelligences partout. 11 avançait avec une sécu-
ritëy une conpance signiGcative, comme en un pays à
lui. Qui l'arrêterait jusqu'à Paris? Rien apparem-
ment. Ici même, quelle résistance possible, au milieu
de tant de traîtres? Ces traîtres, comment les dis-
tinguer? Cbacun regardait son voisin; sur les places
et dans les rues, le passant jetait au passant uu regard
TBRREDR DB PÀKIS» A U NOOVELLB DB L'IXVASION. 81
défiant, inquiet; tous sMonagiDaienl voir en tous les
amis de rennemi.
Nul doute qu'un bon nombre de mauvais Français
ne Tattendissent, ni rappelassent, ne se réjouissent
de son approche, ne savourassent en espérance la
défaite de la liberté et l'humiliation de leur pays*
Dans une lettre, trouvée le 10 août aux Tuileries (et
que possèdent nos Archives), on annonçait avec bon**
heur que les tribunaux arrivaient derrière les armées,
que les parlementaires émigrés instruisaient, chemin
faisant, dans le camp du roi de Prusse, le procès dé
la Révolution, préparaient les potences dues aux Ja*
cobins. Déjà, sans doute, a6n de pourvoir ces tri*
bunaux , la cavalerie autrichienne , aux environs de
Sârrelouis, enlevait les maires patriotes, les républi-*
cains connus. Souvent, pour aller plus vite, les hulans
coupaient les oreilles aux officiers municipaux qu'ils
pouvaient prendre, et les leur clouaient au front«
Ce dernier détail fut annoncé dans le Bulletin offi^^
ciel de la guerre; il n'était pas invraisemblable, d'a*^
près les terribles menaces que le duc de Brunswick
lui-même lançait aux pays envahis, aux places assié-*
gées, d'après la sommation, par exemple, qu'il flt à
celle de Verdun. La main des émigrés n'était pas
méconnaissable; on retrouvait leur esprit dans ces
paroles furieuses qu^un eunemi ordinaire n'eût par
prononcées. Bouille déjà, dans sa fameuse lettre de
juin 1791, menaçait de ne pas laisser pierre sur
pierre dans Paris.
Paris se sentait en péril ; c'était sur lui certaine^
IV. •
nènt qpi'oii voulait Sûre un grand exemple. Chacun
commençait à Taire son examen déooBscienee,etîl:
Quêtait personne qui eût lieu de se rassurer. LaTayette,
l'imprudent dëTenseur du Roi, qui, ce semble, avait
sàflbamment lave par le sang du Champ^de^M an, par
sa dèmardie prte de TAssemblée, ms hardiesses lé^
volutîonnaires, Lafayette n'était«*il pas enfermé dans
un cachot? Qu'arriverait-il aux trente mille, bien 8u->^
trement coupables, qui avaient été prendre le Roi à
Versailles, aux vingt mille qui avaient envahi le chà»
teau le 20 juin, qui Tavaient forcé le 10 août? Tous,
à coup sûr, criminels de lèse*majesté au premier chef.
Les femmes, dans chaque famille, commençaient à
s'inquiéter fort; elles ne dormaient plus guère, et
leurs imaginations, pleines de trouble, ne sachante
quoi se prendre, enfantaient de terribles soi^jes.
Les mêmes craintes, les mêmes calamités, ramè^
nent les mêmes terreurs* Ces pauvres esprits efrayés
deviennent poètes, par leur faiblesse même, de grands
et sombres poètes légendaires , comme ceux du
moyen-âgé. La philosof^ie n'y fait rien. A la fin
du XYlIl* siècle, après Voltaire, après tout un siècto
douteur, Timagination est la même; et oommeott
la peur est la même. Comme au temps des invaaioos
barbares, comme au temps des guerres anglaises ^^
c'est le fléau de Dieu qui approche, c'est le Jugement
dernier.
' *' Il est curieux (Tobserver combien riinaginatîon populaire se re*^
trouve la même dans les dangers publics. V. noti« HiêUrire âë Fttme$^
Ml impt àf Charles VI, sanAel 443» U IV, p. U9. .
DE LA RÉT0LUTI9II1>M LIS MIST 4ÀOOT-SEPT. 92). «
Or, voici -comment ce jugement aura lisu ()a6ttp
suivons ici la pensée populaire, telle que les journaïur
la reenettleiit alors), ihins une grande plaine dései«te,
prDbâblênient dans la plaine &iînt^I)eni8, toute U
population sera amenée^ chassée par troupeaut ans
fiedadeafôia alliés*. La. terre préalablement aura Mh
déiastée, les irilles îdcëndiées. a Car, ont dit les soiM
«rainSy les déserfs yalênt nrieiiz que des peuples rè^*
voltés» • Pmi leur importe sMl restera un royaume à
LooîsXVI, s*il,Ti|hoiï s*il meurt; ma péril ne les êi^
fêtera pas. Là donc, par-de%'aot ces vainqueurs impi^
toyatdes, nn triage se fera des bons, des mauvais, laa
utts à la droite^ les antres à la gauche. Quels man«*
nist les révolutionnaires sans doute, ils périh)fit
d'abord; oo les guillotinera. Les rois appliqueront I
la Révolution le suppliée qu'elle a inventé... < Déjà^
a fond de leurs hélels, an sein de leurs orgies se^
csèteSy les aristocrates savourent ce \spectacle en
«spémnee; ils font mettre paimi les pkts de petites
fiâlQftsnes pow déeainiier à plaisir l'dBBgie des p^
triotes. 9
^ . Ifsis si oe grand jugement doit frapper tous les
sévohrtionnaires, que restera- t^ilt Qui n'a participa
de mamère^u d'autre à la Révolotion1.« Tous périront
et en France et par tonte la terre; le jugement sera
oaiverseL Nul pays, e^est chose convenue entre les
roîsy ne servira d'asile aux proscrits. Ceux même
qni déjà ont psssé dsns les conbées étraugéres seropt
pMtSttvia» Nul ne restera sur le globe 4e cette riaee
condamnée, sauf peut-être tout au plus lesÀmtiïÉB
M Là FtAMCB SI ▼«?
^u'oD résenrera pour Toutni^y et le plaisir du
Taioqoeur.
Hélas! ce ne soDt pas seulement les hommes qui
périront, mais la pensée de la France. Nous avions
cm follement que la justice était juste, que le droit
était le droit. Mais Fautorité qui arrive, souveraine et
sans appel, va changer ceci. Elle ne vient pas pour
vaincre seulement, mais pour juger, pour condamner
la Justice. Celle-ci sera abolie, et la Raison interdite,
comme aliénée et folle. Les juges arrivent dans
Tannée des barbares, et avec eux les sophistes pour
confondre la pauvre Révolution, Tembarrasser, la
bafouer, de sorte qu^elIe reste balbutiante , rougis*
santé comme un enfant intimidé qui ne sait plus ce
qu'il dit. Voici venir dans l'armée du roi de Prusse
le grand Méphislophélés de F Allemagne, le doc-
teur de rironie, pour tuer par le ridicule ceux que
n'aura tués l'épée. Goethe ne voudrait pour rien an
monde perdre une telle occasion d*observer les dés-
appointements de l'enthousiasme et les déceptions de
la foi.
Dure et cruelle surprise, vraiment pitoyable! Ce
pçuple croit, prêche, enseigne; il travaille pour le
monde, il parle pour le salut du monde... Et le
monde, son disciple, tourne l'épée contre lui.
Figurez-vous un pauvre homme qui s'éveille ef-
faré, qui s'est cru parmi des amis, et qui ne voit
qu'ennemis. «Mes armes! où sont mes armes?»—
c Mais tu n'en as pas, pauvre fol 1 Nous te les avons
enlevées. »
SmrtBB ET TBABIB (AÔCT-SimuniE M). M
Voilà rimage de la France. Elle s'éveillait, et elle
était prise. Cétatt comme udc grande chasse da
monde cootre elle, et elle était le gibier. L*Espagn«
et la Sardaigne, par derrière, lui tenaient serré le
filet; par devant, la Prusse et TAutricbe lui mon^
traient Tépieu ; la Russie poussait, T Angleterre riait. . .
Elle reculait au gtte. . . et le gtte était trahi !
Le gîte était tout ouvert, sans mur, ni dérense.
Depuis que nous avions épousé une Autrichienne,
nous avions sagement laissé, sur la frontière la plus
exposée, toutes nos murailles par terre. Bonne et cré^
dnle nation! Confiante pour Louis XVI, elle avait cru
qa'îl voudrait sérieusement arrêter les armées des
rois, ses libéra teui*s; confiante dans ses ministres,
8(M-disant révolutionnaires, elle avait cru les paroles
agréables de Narbonne. «J'ai vu tout», avaitril dit.
Il avait vu des armes, et il n'y en avait pas ; des mu-
nitions, il n'y en avait pas; des armées, elles étaient
nulles, désorganisées, moralement anéanties. Un
homme peu sur, Dumouriez, le seul qui n'eût pas
reculé devant cette situation désespérée, se trouva
un moment n'avoir que quinze ou vingt mille hom-*
mes contre cent mille vieux soldats.
Et le danger extérieur n'était pas encore le plus
grand. Les Prussiens étaient des ennemis moins ter-
ribles que les prêtres ; l'armée qui venait à l'Est était
peu en comparaison de la grande conspiration ecclé-
siastique pour armer les paysans de l'Ouest. Paris
était sous le coup de la trahison de Longwy, quand il
apprit que les campi^es des Deux-Sèvres avaient
pm\à& àjtmmi c'tttH le «munetioàiMirt (l'u00.1tfn-
fM traioée dé pondre, au moment laème, .atleédate^
et le li<MrbihaD prend feu. La démocratique 6r«riMMe
est eUe^mtaie te foyer d'un complot ari9tocrtlique«
Lee courriers veoaîent, coup sur coup^ daDaTAssMotr
blée nationale ; elle n'avait pas le temps de se remet*-
tre d'une souvcUe, qu'une autre arrivait plus terfi*
ble» On était sous 1* impression de ces dangers de rin-
térieur, quand on apprit que, du Nord, a'ébraalaît
l'arrière-garde de la grande invasion^ un owps d9
tfente mille Russes.
: Tout cela, ce n'étaient pas des hasards» des faite
isolés; c'étaient visible.ment des parties d'un grand
système, bien conçu, sûr de réussir, qui se dévoilait
peu h peu, A quoi se Gait l'étranger, l'émigré^ le pi^
tre, sinon à la trahison?
. Etle point central, le nœud de lagrande toile tissue
par les traîtres, où le placer? où se rattachait, peitr
einployer l'énei^que exfiression d'un aoteur en
moyen âge, le dangereux tissu de Yunivenellé arai^
gnée? où, sinon aux Tuileries?
• Et maintenant que les Tuileries étaient frappées
par la foudre, le trOne brisé, le roi captif et jeté dans
la poussière, autour même de la tour dn Temple
venait se renouer la toile en lambeaux, le filet se re-
formait. A la nouvelle de Longvvy livré, des rassemble-
ments royalistes se montrèrent hardiment autour du
(Temple, s'unissant k la famille royale dans une joie
commune, et saluant ensemble le succès de l'étra»*-
gen
Mt tA IBAN6S «mai; - m
- l4r 10 Mût n'ikwX rien été aux ferow de Feo*
Demi. Sept cents Suisses avaient péri ; mais la matie
dea^alîstes se tenait tapie en armes. Sans parier
d'upe partie fort considérable de la garde natîoDale$
compromise h jamais pour la royauté, Paris était pMtt
d'étrangers, de provinciaux, d'agents de l'ancien r^
gime ou de l'étranger, de militaires sans uniformes.,
plnaou moins déguisés, de fiiux abbés, par exemple»
dont la démarche guerrière, la figure martiale, dér
iMDtatent trop leur babit. L'Angleterre même, notrf
jUBÎe^ avait ici, dès cette époque, des i^ents innom?^
brables, payés, non payés, beaucoup d'honorables
emùons qui venaient voir, étudier. Un de ces Anglais,
qui vivait encore vers 1820, me Ta raconté lui-même»
Le fila du etiébre Burke écrivait à Louis XVI un mot
profondément vrai : «Ne vous souciez; toute l'Ëii^
rope est pour vous, et l'Angleterre n'est pas contre
vous. » Elle devenait favorable au Roi, à mesure que
la royauté ét^t l'ennemie de la France.
Ainsi Louis XVI>détr6né, déchu, au Temple mèmf ,
était formidable* 11 avait perdu les Tuileries, et gar-
dait l'Europe; il avait tous les rois pour alliés, la
France était seule. Il avait tous les prêtres pour amis,
défenseurs et avocats, chez toutes les nations ; chaque
jour on prêchait pour lui par toute la terre; on lui
donnait le cœur des populations crédules, on lui fai-
sait des soldats, et des ennemis mortels à la Révolii-
tion. Il y avait cent à parier contre un qu'il ne péri-
raît pas (la tête d'un tel otage était trop précieuse),
mais que la France périrait, ayant peu a peu contre
tl Kos Eimans. ^ans ce tabueau noieiisi.
elle noo^seulemenl les rois, mais les peuples, dont on
pervertissait le sens.
L'histoire n'a gardé le souvenir d'aucun peuple qui
soit entré si loin dans la mort. Quand la Hollande,
voyant Louis XIV à ses portes, n'eut de ressources
que de s'inonder, de se noyer elle-même, elle fut en
moindre danger; elle avait l'Europe pour elle. Quand
Athènes vit le trône de Xercès sur le rocher de Sala*
mine, perdit terre, se jeta h la nage, n'eut plus que
l'eau pour patrie, elle Tut en moindre danger; elle
était toute sur sa flotte, puissante, organisée, dans la
main du grand Tbémistocle, et elle n'avait pas la tra*
hison dans son sein. La France était désorganisée,
et presque dissoute, trahie, livrée et vendue.
Et c'est justement à ce point où elle sentit sur elle
la main de la mort, que, par une violente et terrible
contraction, elle suscita d'elle-même une puissance
inattendue, fit sortir de soi une flamme que le monde
n'avait vue jamais, devint comme un volcan de vie.
Toute la terre de France devint lumineuse, et ce fut
sur chaque point comme un jet brûlant d'héroïsme,
qui perça, et jaillit au ciel.
Spectacle vraiment prodigieux , dont la diversité
immense défie toute description. De telles scènes
échappent à l'art par leur excessive grandeur, par
une mulliplicité infinie d'incidents sublimes. Le pre-
mier mouvement est d'écrire, de communiquer à la
mémoire ces héroïques efforts, ces élans divins de
la volonté. Plus on les recueille, plus on en raconte,
plus on en trouve à raconter. Le découragement vient
rmiT TooLU Tom oirini ponrr, imc tache saxcunte. gft
alors; radmîration, sans s'épuiser, se lasse et se tait.
Laissous-lesy ces grandes choses que nos pères ont
faites ou voulues pour raffirancbissement du inonde,
laissons-les au dépôt sacré où rien ne se perd, la pro«
fonde mémoire du peuple, qui, jusque dans chaque
▼illage, garde son histoire héroïque ; confions-ies à la
justice du Dieu de la liberté, dont la France fut le bras
en ce grand jour, et qui récompensera ces choses
(c*est notre foi) dans les mondes ultérieurs.
Qui croirait que, devant cette scène admirable,
splendidement lumineuse, FEurope ait Terme les
yeux, qu*elle n'ait rien voulu voir de tant de choses
qui honorent à jamais la nature humaine, et qu'elle
ait réservé toute son attention pour un seul point, une
lâche noire de boue et de sang, le massacre des pri-
sonniers de septembre?
Dieu nous garde de diminuer Tborreur que ce
erime a laissée dans la mémoire! Personne, à coup
sûr, ne Ta sentie plus que nous! Personne n'a pleuré
peut-être plus sincèrement ces mille hommes qui
périrent, qui presque tous avaient fait, par leur vie
beaucoup de mal à la France, mais qui lui firent par
leur mort un mal éternel. Ah ! plût au ciel qu'ils
vécussent ces nobles qui appelaient l'étranger, c^
prêtres conspirateurs qui par le Roi, par la Vendée,
mettaient sous les pieds de la Révolution l'obstacle
secret, perfide, où elle devait heurter, avec l'immense
effusion de sang, qui n'est pas finie encore !... Les
trois ou quatre cents ivrognes qui les massacrèrent
ont fiuty pour l'ancien régime et contre la liberté.
f bps que toutes les année) in rois, pli» que rAu^
gleterre elle-mtoie avec tous les imlliards qui.oal
jMldé ces armées. Ils ont élevée ces idiots, la wOÊh-
.tagne de sang qui a isolé la Fraoce^ et qui, dans son
isolement, l'a forcée de chercher son salut dans lés
moyens de la Terreur. Ce sang d'un millier de cou^
pables, ce crime de quelques centaines d'hommes, a
caché auic yeux de TEurope l'immensité de la scène
héroïque qui nous méritait alors Tadmiratioii dn
. monde.
Revienne donc enfin la justice, après tant d'aii^
néesl et que l'on avoue que chez toute nation, au
fond de- toute capitale, il y a toujours cette lie, ton*-
jours cette boue sanguinaire» Télément lâche et stu*
pide qui, dans les paniques surtout, comme fut te
moment de septembre » devient très-cruel. Même
e]iose aurait eu lieu, et en Angleterre > et en Aile-
mi^e, chez tous les peuples de l'Europe; leur.hîs-
tpire n'est pas stérile en massacres. Mais ce que
l'histoire d'aucun peuple ne présente à ce degré,
c'est l'étonnante éruption d'héroïsme« l'immense élan
de dévouement et de sacrifices que présenta alors la
France.
Plus on sondera cette époque, plus on cherchem
sérieusement ce qui fut vraiment le fond général de
rinspiration populaire, plus on trouvera, en réalité,
que ce ne fut nullement la vengeance, mais le seiH
timent profond de la justice outragée, contre l'inso-
lent défi des tyrans, la légitime indignation du droit
étemel.
SE DONNA A M .PAnHB:<^kaVH^>!fiF»BRB ot). tt
^: AV-l opipbÎMijeyouikaîs pouvoir moDtrer l|(FraBC«i
dftiMfce grand et sublime jour I C'e$t bien, peu dQ vpif
Paris. Que je voudrais qu'où pût voir les départe^
meuts du Gard, de la Haute-Saône, d'autres encore^
debout tout entiers en buit jours, et lançant chacun
anç armée pour aller à rennemi t
Les offrandes particulières étaient innombrables^
pinceurs excessives. Deux hommes, àeux seuls, ar-
ment, montent, équipent chacun un escadron de
cavalerie. Plusieurs donnèrent, sans réserve, tout ce
qu'ils avaient. On vit dans un village, non loin de
Paris, quand la tribune fut dressée pour recevoir les
enrôlements et les offrandes, le village se donner lui^
même, apporter la somme énorme de près de trois
cent mille francs. Quand le paysan va jusqu'à donner
son argent, son sang ne compte plus après; il le
donne, il le prodigue. Des pères offraient tous leurs
enfants, puis ils croyaient n'avoir pas fait assex en*
core, ils s'armaient, partaient eux-mêmes.
Les dons pleuvent à l'Assemblée, au milieu même
des scènes funèbres de septembre. Et pourquoi donc
ces journées ne rappellent-elles qu'un seul fait, un
fait local, celui du massacre? Pourquoi ne pas se sou-
venir qu'elles sont digues par Théroïque élan d'un
grand peuple, de tant de millions d'hommes, pair
mille faits touchants, sublimes, de rester dans la mé-
moire?
. Paris avait l'air d'une place forte. On se serait cru
à Lille, à Strasbourg. Partout des consignes, des fac-
.Uonnaires^ des précautions militaires, prématurées,
à vrai dire; Tennenii était encore h cinquante ou soi*
xante lieues. Ce qui était véritablement plus sérieux,
et touchant, c'était le sentiment de solidarité profonde,
admirable, qui se révélait partout. Chacun s'adressait
h tous, parlait, priait pour la patrie. Chacun se fai*
sait recruteur, allait de maison en maison, offrait à
celui qui pouvait partir des armes, un uniforme et ce
qu'on avait. Tout le monde était orateur, prêchait ,
discourait, chantait des chants patriotiques. Qui n'é*
tait auteur en ce moment singulier, qui n'imprimait,
qui n'affichait? Qui n'était acteur dans ce grand spec-
tacle ? Les scènes les plus naïves où tous figuraient,
se jouaient partout sur les places, sur les thé&tres
d'enrôlements, aux tribunes où l'on s'inscrivait;
tout autour, c'étaient des chants, des cris, des larmes
d'enthousiasme ou d'adieu. Et par-dessus tous ces
bruits, une grande voix sonnait dans les cœurs, voix
muette, d'autant plus profonde.... la voix même de
la France, éloquente en tous ses symboles, pathé-*
tique dans le plus tragique de tous, le drapeau saint
et terrible du Danger de la Patrie, appendu aux fe*
nêlres de l'Hôtel-de- Ville. Drapeau immense, qui
flottait aux vents, et semblait faire signe aux liions
populaires de marcher en hâte des Pyrénées à l'Es*
caut, de la Seine au Rhin.
Pour savoir ce que c'était que ce moment de sacri*
fice, il faudrait, dans chaque chaumière, dans chaque
misérable logis, voir l'arrachement des femmes, le
déchirement des mères, à ce second accouchement
plus cruel cent fois que celui où l'enfant fit son pre«
DES rSHMES, MS MÈIISS (AOOT-SBPTEIIBRB 92). §5
mier départ de lears entrailles sanglantes. Il fiiodrait
Toir la Tieillc femme, les yeux secs, et le cœur brisé,
ramasser en haie les quelques bardes qu*il emportera,
les pauvres économies, les sols épai^nés par le jeûne,
ce qu'elle s'est volé à elle-même, pour son fils, pour
ce jour des dernières douleurs.
Donner leurs enfants à cette guerre qui s'ouvrait
avec si peu de cbance, les immoler à cette situation
extrême et désespérée, c'était plus que la plupart ne
pouvaient Taire. Elles succombaient à ces pensées,
ou bien, par une réaction naturelle, elles tombaient
dans des accès de fureur. Elles ne méni^eaient rien,
ne craignaient rien. Aucune terreur n'a prise sur un
tel état d'esprit ; quelle terreur pour qui veut la mort?
On nous a raconté qu'un jour (sans doute en août
oo septembre), une bande de ces femmes furieuses
rencontrèrent Danton dans la rue, l'injurièrent comme
dies auraient injurié la guerre elle-même, lui repro-
chant toute la révolution, tout le sang qui serait ver*
se, et la mort de leurs enfants, le maudissant, priant
Dieu que tout retombât sur sa tête. Lui, il ne s'étonna
pas; et, quoiqu'il sentit tout autour de lui les ongles,
â se retourna brusquement, regarda ces femmes, les
prit en pitié ; Danton avait beaucoup de cœur. Il
monta sur une borne, et, pour les consoler, il com«
menf a par les injurier dans leur langue. Ses premiè-*
res paroles furent violentes, burlesques, obscènes.
Les voilà tout interdites. Sa fureur, vraie ou simulée,
déconcerte leur fureur. Ce prodigieux orateur, in-
stinctif et calculé, avait pour base populaire un tem«-
pèrâmenf sensuel et fort/toot fait pour l'arnoor jihy<*
sique, ofr domiDait la chair, le sang. Danton était
d'abord, et avant tout, un mAle; il y avait en lui du
lion et du dogue, beaucoup aussi du taureau* Son
masque effrayait ; la sublime laideur d'un visage boo^
leversé prêtait à sa parole brusque, dardée par àccè^^
une sorte d'aiguillon sauvage. Les masses, qui aiment
la foroet sentaient devant lui ce que fait éprouver de
«sainte, de sympathie pourtant, tout être puissam^
ment générateur. Et puis, sous ce masque violent,
furieux, on sentait aussi un cœur; on finissait par sa
douter d'une chose , c'est que cet homme terrible,
qui ne parlait que par menaces, cachait au fond un
brave homme... Ces femmes, ameutées autour de lui,
sentirent confusément tout cela; elles se laissèrent
haranguer, dominer, maîtriser; il les mena où «t
eomme il voulut. Il leur expliqua rudement à qutit
sert la femme, à quoi sert l'amour, la génération, et
qu'on n'enfanle pas pour soi, mais pour la patrie. 1..
Et) arrivé là, il s'éleva tout-à-coup, ne parla plua
pour personne, mais (il semblait) pour lui iseul....^
Tout son cœur, dit-on, lui sortit de la poitrine, avée
des paroles d'une tendresse violente pour la France...
Et sûr ce visage étrange, brouillé de petite vérole, M
qui ressemblait aux scories du Vésuve ou de VEVomy
commencèrent à venir de grosses gouttes, et c'étaieM
des larmes. . . Ces femmes n'y purent tenir; elles pleo*
Gèrent la France au lieu de pleurer leurs enfonts, «t^
sanglotantes, s'enfuirent, «n se cachmit le visage dans
iéiir tAblierv
U JTOtt 0^ LA nUKCE. fl|
Oantao fut, il faut le dire, dans ce momeut w«
Mime et sinistre , la voix même de la Révolutioii e(
de U France; en lui elle trouva le cœqr énen^ique,
la {feoitrioe profonde, Tattilude grandiose qui pouv«|
eiprimer sa foi. Qu'on iie dise pas qae la .parol«
Mît peu de chose en de tek moments. Parole et aote^
c'est tout un« La puissante, l'énergique affirmatiou
qui assure les cœurs ^^ c'est une créati(m d'actes{
ce qu'elle dit, elle le produit. L'action est ici la seiv
vante de la parole; elle vient docilement derrière »
comme' au premier jour du monde : « Il dit, et k
monde fut. »
La parole chez Danton, nous l'expliquerions si c'^
tait ici le lieu de le dire, est tellement une action |
tellement une chose héroïque (sublime et pratique à
la fois), qu'elle sort de toute classification littéraire.
Lui seul, alors, ne dérive pas de Rousseau. £t sa par
rente avec Diderot est tout extérieure; il est nerveui:
et positif, Diderot, enflé et vaguer Répétons*le; cett^
parole ue fut pas une parole, ce fut l'éneigie de ^
France devenue visible, un cri du cœur de la patrie j|
Le nom tragique de Danton, quelque souillé, dé-
figuré qu'il ait été par lui-même ou par les partis^ n'en
iwtera pas moins au fond des chers souvenirs et des
regrets de la France. Ah! comment s'arracfaa-t*ellè
celui qui avait formulé sa foi dans son plus terriblç
jour?... Lui-même se sentait sacré et ne voulut pa^
emre à la mort. On sait ses paroles quand on Ta-
yertit du danger : « Moi, on ne me touche pas, je %ui%
V Arche. » Il Tavait été, en effet, en 92; et comme
96 1>A?rrON DBVAKDB
TArche qui cooteaait la foi cTIsraël y il avait alors
marché devant nous...
Danton n'a jamais eu qu*un accusateur sérieux,
c*est lui-même. On verra plus tard les motifs étranges
qui ont pu lui faire revendiquer pour lui les crimes
qu'il n'avait pas faits. Ces crimes sont incertains, im-
probables , quoi qu'ait dit la ligue des royalistes et
robespierristes, unis contre sa mémoire. Ce qui est
plus sûr, c'est qu'il eut l'initiative de plusieurs des
grandes et sages mesures qui sauvèrent la France; et
ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'il eut à la fin, avec
son ami , le grand écrivain de l'époque , le pauvre
Camille , l'initiative aussi des réclamations de Thu-
inanité \
Le 28 aoât, au soir, Danton se présenta dans l'As*
semblée et réclama la grande et indispensable mesure
des visites domiciliaires. Dans un si extrême péril ,
lorsqu'une armée royaliste , on ne peut dire autre-
ment, était dans Paris, nous périssions, sans nul
doute, si nous ne leur faisions sentir fortement sur
eux la main de la France. 11 fallait que cette masse
* Les faits eux-mêmes vont se charger de earactériser DanUMi, ea
dWers sens, dans celle grande et terrible crise. Nottsn*anlîciperons pM.
Qa*on nous permette seulement de donner ici, sur lui, le jugement d'un
homme grave, qui est préciséinvnl le nôtre. Un jeune homme, qui ve*
Hait d*Ârcissur-Aube, pays de Danton, y avait entendu conter plusieurs
faits honorables à sa mémoire; se trouvant ^ Parts, chez M. Royer-
GoUard, il se hasarda k dire devant Torateur royaliste : « 11 me semble
pourtant que ce Danton eut une ftme généreuse*.... » -* « Monsieur,
dites magiiam'iiie, » dit Royer-CoUard. ^(Je tiens ce mot de notre il-
lustre Béranger).
LES VISITES OOXIULtAlRES (f8-t9 AOUT 92\ 91
eonemie, très-Torle matériellement, devint morale-
ment faible, qu'elle Tût paralysée, fascinée, quecha-
cun tremblât, voyaat snr sa tèle la Révolution , Tœil
ooTert et le bras levé. Il fallait que la Révolution sût
tout, dans un tel moment, qu'elle pût dire : «t Je sais
les ressources, je sais les obstacles, je sais où et quels
sont les hommes, et je sais où sont les armes. » —
«Quand la patrie est en danger, dit très-bien Danton,
tout appartient à la pairie. » Et il ajoutait : « En au-*
torisant les municipalités à prendre ce qui esl néces-
saire, nous nous engagerons à indemniser les posses-
seurs.» « Chaque municipalité, dit-il encore àTAs^
semblée, sera autorisée à prendre Télile des hommes
bien équipés qu'elle possède. » Et en même temps, il
proposa à la Commune d'enregistrer les citoyens né-
cessiteux qui pouvaient porter les armes, et de leur
fixer une solde. 11 y avait avantage, sans nul doute, et
dans deux sens, à donner des cadres militaires à ces
masses conruses dont une partie, s'écoulant vers l'ar-
mée, aurait allégé Paris.
Le 29, à quatre heures du soir, dans une belle
journée d'août, la générale battit, chacun fut averti
de rentrer chez soi à six heures précises, et Paris,
tout-à-r heure si animé, si populeux , en un moment
se trouva comme désert. Toute boutique fermée,
toute porte close. Les barrières étaient gardées, la
rivière gardée. Les visites ne commencèrent qu'à une
heure du matin. Chaque rue fut cernée, occupée de
fortes patrouilles, chacune de soixante hommes ; les
commissaires de sections montaient dans chaque mai*
IV. '
W VISITES DOMOLIÀMBS {^ AOUT 9^
son et à chaque étage, frappaient : c Au ooin de laloi 1 »
Ces voix, ces coups frappés aux portes, le brait de
celles des absents qu'on ouvrait de force, retentis*
salent dans la nuit d'une manière effrayante* On aai-
sit deux mille fusils, on arrêta environ trois raille
personnes, qui furent généralement relâchées le len-
demain. L'efTet voulu fut obtenu : les royalistes trem-
blèrent« Rien ne le prouve mieux que le récit d'un
des leurs, Peltier, écrivain menteur, s'il en fut, par^
tout médiocre, mais ici sincère, éloquent, admirable
de vérité et de peur. Tous les autres historiens l'oni
fidèlement copié.
Celte visite ne fit, au reste, que régulariser par
l'autorité publique ce que le peuple faisait déjà irrè^
guliérement de lui-même. Déjà, sur les bruits qui
couraient que certains hôtels recelaient des dépôts
d'armes, la foule les avait envahis; c'est ce qui eut
lieu particulièrement pour la maison et les Jardins de
Beaumarchais, à la porte Saint-Antoine. Le peuple
se les fît ouvrir, les visita soigneusement, sans rien
toucher ni rien prendre. Beaumarchais le raconte
lui-même : une femme seulement s'avisa de cueîUir
une fleur , et la foule voulait la jeter dans le bassin
du jardin.
Il est superflu de dire que cette terrible mesuredes
visites domiciliaires fut très-mal exécutée. L'opéra-
tion ^ confiée à des mains ignorantes et maladroites,
fut une œuvre de hasard, prodigieusement arbitraire;
elle varia infiniment dans les résultats. Plusieurs des
commissaires croyaient devoir arrêter tout ce qu'ils
Wm m L'ASSBMBLÉB ET DK U COlMUinS. 99
trouyaient de personoesàyantsignéla pétition royaliste
contre le 20 juin. Les signataires étaient vingt mille.
La Commune se bAla de déclarer qu'il fallait les é)af«
gir, qu'il avait suffi de les désarmer.
Deux choses étaient à craindre :
Les visites domiciliaires ayant ouvert à la masse
des sectionnaires armés les hôtels des riches, leur
ayant révélé un jnonde inconnu d'opulence et de^
jouissances, attisé leur convoitise, donnait aux pau*^
vre» non pas l'envie du pillage^ mais un redouble-
ment de haine^ de sombre fureur; ils ne s'avouaient
pas à eux-mêmes les sentiments divers qui les travail*
kienty et croyaient ne haïr les riches que comme
aristocrates, comme ennemis de la France. Grand
péril pour l'ordre public* Si la terreur populaire n'a«
vtit circonscrit son objets qui sait ce que seraient de^
venus les quartiers riches, spécialement les maisons
des vendeurs d'argent que la Commune avait trés<^
imprudemment déclarés dignes de mort?
Un autre danger non moins grave des visites do^
miciliaires, c'est qu'elles changèrent en guerre ou-
verte la sourde hoslililé qui existait depuis vingt jotirs
entre l'Assemblée et la Commune.
Revenons sur ces vingt jours.
L'Assemblée, peu sûre d'elle-même, s'était gêné*
ralement laissé traîner à la suite de la Commune, es*
sayantde déraire ce que faisait celle-ci; puis, quand
elle montrait les dents, l'Assemblée reculait avec mal^
adresse. L'Assemblée eût dû suspendre le Directoire
du département, entièrement royaliste; la Commum
igo LirrTB db l*asseiibléb et de u coxmjnb (aoitt m.
le fit pour elle. Vite, alors, l'Assemblée décrète que
les sections vont nommer de nouveaux administra*-
leurs du déparlement ; elle ordonne par un décret
que la police de sûreté, qui appartient aux commuueS|
n'agira qu*avec Tautorisation des administrateurs du
département, qui, eux-mêmes, n'autoriseront qu'avec
le consentement d*un comité de l'Assemblée. Celle-ci
serait restée ainsi le centre de la police du royaume,
en eût conservé les fib dans la main.
Pour faire accepter doucement tout ceci de la re-
doutable Commune, l'Assemblée lui vota généreuse-
ment la somme énorme, monstrueuse, de près d'un
million par mois , pour la police de Paris. Mais ce
don n'attendrit nullement la Commune; elle déclara
qu'elle ne voulait point d'intermédiaire entre elle et
l'Assemblée, qu'elle né tolérerait pas un Directoire de
Paris, ajoutant cette menace : c Sinon, il faudra que
le peuple s'arme encore de sa vengeance. » L'As-
semblée avait honte de révoquer son décret; I^-
croix trouva un moyen de reculer honorablement;
on décida qu'il y aurait un Directoire, mais qu'il ne
dirigerait rien, se réduisant à surveiller les contri-
butions.
La Commune, il faut le dire, avait placé sa dicta-
ture dans les mains les plus effrayantes, non dans
celles des hommes du peuple, mais dans celles des
plus misérables scribes, des lettrés du ruisseau, dont
on ne pouvait attendre ni justice, ni pitié, des Hébert
et des Chaumello. Elle confia à ce dernier l'étrange
pouvoir d'ouvrir et fermer les prisons, d'élargir et
TIOLEKCB DE LA COMXD». |0|
d'arrêter. Elle prit u ce sujet une autre déc»ioo,
infinimeot dangereuse, celle d'afficher aux portes de
chaque prison les noms des prisonniers. Ces noms, Iw
et relus sans cesse du peuple, étaient pour lui une
constante excitation, un appel h la violence, comme
une titillation de toutes les envies cruelles; ils de--
vaient avoir cet effet de les rendre irrésistibles. Pour
qui connaît la nature, une telle affiche était une fa--
talité de meurtre et de sang.
Ce n'est pas tout, l'étrauge dictature, loin de s'in-
quiéter de la vie de tant de proscrits, ne craignit pas
d'en faire d'autres, de dresser des tables. Elle flt im-
primer les noms des électeurs aristocrates de la
Sainte-Chapelle. Elle décida que les vendeurs d'ar-
gent seraient punis de la peine capitale. Rien ne l'ar-
rètail. Elle se mit à prononcer des jugements sur des
individus dans un moment où son opinion exprimée
équivalait à la mort. Je ne sais quel individu vient
demander à la Commune de décider que M. Duparl
a perdu la confiance de la nation. Cette décision por-
tée, on Terra qu'il fallut i\ Danton les plus pcrsévéf
rants efforts pour empêcher que le célèbre député de
la Constituante, ainsi désigné au massacre, ne fût
immolé trois semaines après.
Non contente de fouler aux pieds toute liberté in«'
dividuelle, elle porta, le 29 août l'atteinte la plus di-
recte à la liberté de la presse. Elle manda à sa barre,
elle poursuivit dans Paris Girey-Dupré, jeune et hardi
Girondin, pour un article de journal ; elle alla jus-
qu a faire investir le ministère de la guerre où Girey-
Ifl^ VIOLENOB DE LA COnUNB.
Dôprt «'était, disait^n, réfugié. L'Assemblée, a son
tour, knaDda à sa barre le président de la Commune,
HugnemD, qui ne daigna comparattre. Elle prit alors
ttne résolution naturelle , mais Tort périlleuse dans
la situation, ce lut de briser la Commune.
Celle-ci se brisait elle-même par son furieux esprit
de tyrannie anarchique. Cbacuu des membres de ce
Gorpa étrange affectait la dictature, agissait en maître
et seul, sans se soucier d'aucune autorité antérieure,
souvent sans consulter la Commune elle-même. Ce
n'est pas tout ; chacun de ces dictateurs croyait pou*
voir déléguer sa dictature à ses amis. Les affaires les
plus délicates, où la vie, la liberté, la fortune des
hommes étaient en jeu, se trouvaient tranchées par
des inconnus, sans mandat, sans mission, par de zélés
patriotes, dévoués, de bonne volonté, qui n'avaient
nul autre titre. Ils allaient chez les suspects (et tout
riche était suspect), faisaient des saisies, des in*
ventaires, prenaient des armes précieuses ou au-
tres objets qui, disaient^ils, étaient d'utilité pu*
blique.
Un fait étonnant en ce genre fut révélé à T Asaem*
blée. Un quidam, se disant membre de la Commune,
se fait ouvrir le garde-meuble, et voyant un canon
d'argent, donné jadis à Louis XIV, le trouve de bonne
prise, le fait emporter. Cambon, l'austère gardien de
la fortune publique, s'éleva avec indignation contre
an tel désordre, et fit venir à la barre Thonime qui
£EUsait un tel usage de l'autorité de la Commune.
L'homme vint, il ne nia point, ne s'excusa point, dit
L'ASSEMBLte ES8AR DE LA BRISBR. 165*
ffOideiBmit^a'n avait pensé que cet objet eouraît
qmlqQe raquê, que (Tautres auraient bien pu le
prendre, que, pour éviter ce malheur, il l'avait em-
porté chez lui.
L'Assemblée n'en voulut pas davantage. Un tel
fiait pariait assez haut. Une section, celle des Lom-
bards, présidée par le jeune Louvet, avait déclaré que
le omiseil général de la Commune était coupable
d'usurpation. Canibon demanda et fit décréter par
l'Assemblée nationale que les membres de ce conseil
représentassent les pouvoirs qu'ils tenaient du peu-
ple : « S'ils ne le peuvent, dit-il, il faut les punir. Le
même jour, 30 août, à S heures du soir, l'Assemblée,
sur la proposition de Guadet, décida que le président
de la Commune, cet Hugiienin, qui dédaignait de
comparaître, serait amené à la barre, et qu'une noa«
velle Commune serait nommée par les sections dans
les vingt-quatre heures. — Du reste, pour adoucir ce
que la décision avait de trop rude, on décréta que
l'ancienne avait bien mérité de la pairie. On la cou-
ronnait, et on la chassait.
LaCcmimune du 10 août s'obstinait à subsister;
elle ne voulait être ni chassée, ni couronnée. Son
secréture, Tallien, à la section des Thermes, prés
des CordelierSf demanda qu'on marchât en armes
contre la section des Lombards, coupable de blâmer
la Commune. Et ce qui parut effrayant, c'est que le
prudeot Robespierre parla dans le même sens, au sein
même du conseil général, à l'Hôtel de-Ville. Un
homme de Robespierre, Lhuillier, à la section dé
IM LA COXXONe VEUT
Mauconseil, ouvrit de même Tavis que le peuple ae
levât et soutint par les armes la Commune contre
rAsseniblée.
II était évident que la Commune éiait résolue à se
maintenir par tous les moyens. Tallien se chai^ea de
terrifier rAsseniblée. La nuit même il y alla avec une
masse d'hommes à piques, rappela insolemment :
c Que la Commune seule avait &iit remonter T Assem-
blée au rang de représentants d'un i)euple libre, »
vanta les actes do la Commune, spécialement l'ar-
restation des prêtres perturbateurs : « Sous peu de
jours, ditnl, le sol de la liberté sera ptirgé de leur
présence. » Ce dernier mot, horriblement équivoque,
soulevait un coin du voile. Les meneurs étaient dé-
cidés à garder la dictature, s'il le fallait, par un mas*
sacre. Tallien ne parlait que des prêtres; mais Marat,
qui du moins eut toujours le mérite de la clarté, de-
mandait dans ses afliches qu'on massacrât de pré-
férence l'Assemblée nationale.
Il était deux heures de nuit; la bande qui re*
présentait le peuple et qui suivait Tallien deman-
da à défiler dans la salle, « pour voir, disaient-ils,
les représentants de la Commune », affectant de
croire qu'ils étaient eu péril dans le sein de l'Assem*
blée. Celle-ci se montra très-ferme, fit dire qu'on
n'entrerait pas. « Alors donc, disait lorateur de la
bande, sur un ton niaisement féroce, alors nous ne
sommes pas libres. » L'effet fut juste le contraire de
celui qu'on avait cru. L'Assemblée se souleva, se
montra prête à prendre des mesures sévères, hardies,
M HAlHTEimi PàSk TOOS LES lÉOTEHS. MK
•t leprocareur de lacommune, Ifainiiel, crut prudent
de calmer cette indignatioo en faisant arrêter le
malencontreux orateur.
Leiendemain, Huguenin, président de la Commune,
▼int amuser TAssemblée par un mot illusoire de ré-»
paration. Le but était probablement de couvrir ce que
préparaient les meneurs. Convaincus Termement
qu'eux seuls pouvaient sauver la patrie, ils voulaient
assurer leur réélection par la terreur. Le massacre
était dès-lors résolu dans leur esprit.
Il n'était pas nécessaire d'ordonner, il suffisait de
laisser Paris dans Télat de sourde fureur qui couvait
au fond des masses. Cette grande foule d'hommes
qui, du matin au soir, les bras croisés, le ventre vide,
^ttaient le pavé, souffraient infiniment, non de leur
misère seulement, mais de leur inaction. Ce peuple
n'avait rien à faire, demandait quelque chose à faire;
il r6dait, sombre ouvrier, cherchant tout au moins
quelque œuvre de ruine et de mort. Les spectacles
qu'il avait sous les yeux n'étaient pas propres à le
calmer. Aux Tuileries on tenait exposé un simulacre
de la cérémonie funèbre des morts du 10 août, qui
toujours demandaient vengeance. La guillotine en
permanence au Carrousel, c^ètait bien une distrac-
tion ; les yeux étaient occupés, mais les mains res*
taient oisives. Elles s'étaient employées un moment
à briser les statues des rois. Mais pourquoi briser des
images? pourquoi pas des réalités? Au lieu de punir
des rois en peinture, n'aurait-on pas dû plutôt s'en
prendre à celui qui était au Temple, à ses amis, aux
iOA DisNtmoN AU Uàa&Âcm (nu aovt ut).
aristocrates qui appelaient Tôtrangert € Nous altons
(sdmbattre les ennemis à la frontière, disaienl-ils, et
nous les laissons ici. »
L'attitude des royalistes était singulièrement pro-
voquante. On ne passait guère le long des murs des
prisons sans les entendre chanter. Ceux de l'Abbaye
insultaient les gens du quartier, à travers les grilles,
avec des cris, des menaces, des signes outrageants.
C'est ce qu'on lit dans Tenquète Faite plus tard sur
les massacres de septembre. Un jour, ceux de la
Force essayèrent de mettre le feu à la prison, et il
fallut appeler un renfort de garde nationale.
Riches pour la plupart, et ménageant peu la
dépense, les prisonniers passaient le temps en repas
joyeux, buvaient au Roi, aux Prussiens, k la pix>-*
chaîne délivrance. Leurs mattfesses venaient les
voir, manger avec eux. Les geôliers, devenus
valets de chambre et commissionnaires, allaient
et venaient pour leurs nobles mattres, portaient,
montraient, devant tout le monde, les vins fins, les
mets délicats. L'or roulait à l'Abbaye. Les afliunés
de la rue regardaient et s'indignaient; ils deraan*
daient d'où venait aux prisonniers ce pactole in-
épuisable; on supposait, et peut-être la supposition
n'était pas tout-à-fail sans fondement, que l'énorme
quantité de faux assignats qui circulait dans Paris et
désespérait le peuple se fabriquait dans les prisons.
La Commune donna à ce bruit une nouvelle consi-
stance en ordonnant une enquête. La foule avait
grande envie de simplifier l'enquête en tuant tout ,
DISPOSITION AU MASSACRE (Fl.N AOUT 92). i07
pè1e*m61e, les aristocrates, les Taussaires et Taux mon-
nayeurs, leur brisant sur la tète leur fausse planche
aux assignats.
A cette tentation de meurtre une autre idée se joi-
gnit, idée barbare, enrantine, qu*on retrouve tant de
fois aux premier» àges^es^uplet, 'dans la haute an-
tiquîtéy ridée d'une grande et radicale purgation mo-
rale, Tespoir d'assainir le monde par l'extermination
absolue du mal.
La Commune, pi^ane en ceci du sentiment popu-
laire, déclara qu'elle arrêterait non les aristocrate^
seulement, mais les escrocs, les joueurs, les gens de
mauvaise ¥ie. Le massacre, chose peu remarquée, fut
plus général au Cbàtelet, où étaient les voleurs, qu'à
l'AblMiye et à la Forcée, où étaient les aristocrates.
L'idée absolue d'une purgaticm morale donna & beau-
coup d'entre eux une sérénité terrible de conscience,
un scrupule effroyable de rien épargner. Un homme
vint quelques jours après se confesser à Marat d'avoir
eu la faiblesse d'épargner un aristocrate ; il avai( les
larmes aux yeux. L'Ami du peuple lui parla avec
bouté, lui dpnna l'absolution ; mais cet homme ne se
pardonnait pas à lui-même» il ne parvenait pas à se
consoler.
CHAPITRE IV
PRÉLUDES DU NASSACEB
(!•' wpleiBbn M).
M bo«n«, ni DastaB, ni Robespierre, ne domina 1« sItaâtIOB. — Caraetéref
4iTen do eeai qai Tonlalenl le matiacro. — Inflveneo dei HtratiOet i«r la
Conmvoo. - La Conmaoe obtiinée à ne poinl te diMondre.^Préladeo d«
BaiMCrf.— L'Anfmblée, poorapuiser la Conroone, réToqoe mq deereL —
RobeKpierre roniellle à la Commune do remettre le pootôir an peuple. «-
Da coniié de nrveillance. Sergent, Pania— -Panis, bean- frère de Sanceno,
ami commun de Robespierre et de Harat. ^ 11 inlrodoit Harat an comflé
do annroillanco.
Dans ces prorondes ténèbres que toutes choses
contribuaient à épaissir, où l'idée de justice, bizarre-
ment pervertie, aidait elle-même h obscurcir la der-
nière lueur du juste, la conscience publique se serait
retrouvée peut-être, s'il y eût eu un homme assez
fort pour garder au moins la sienne» tenir ferme et
haut son cœur.
11 ne fallait pas marcher à rencontre de la fureur
populaire. Il fallait planer plus haut, faire voir au
peuple dans ceux qui lui inspiraient confiance une
sérénité héroïque qui Tassuràt, TaiTermlt, Félevàt au*
JIOL HOSMB, m DANTON. RI ROBESP., KB DOMINA LA SITUATION. M
dessus des basses et cruelles pensées de la peur. Une
chose manqua à la situation , la seule qui sauve les
hommes quand Tidée s*ubscurcit pour eux, un homme,
Traiment grand, un héros.
Robespierre avait autorité, Danton avait force.
Aucun d'eux ne fut cet homme.
Ni Tun ni Tautre n'osa.
Le cher des Jacobins, avec sa gravité, sa ténacité,
sa puissance morale; le chef des Cordeliers, avec
son entraînante énergie et ses instincts magnanimes,
n'eurent pourtant ni l'un ni l'autre une sublime fa-
culté, la seule qui pût illuminer, transfigurer la som-
bre fureur du moment. Il leur manquait entièrement
cette chose, commune depuis, rare alors bien plus
qu on ne croit, Fétincelle militaire. Pour chasser dea
cœurs le démon du massacre, le faire rougir de lui*
même, le renvoyer à ses ténèbres, il fallait avoir en
soi le noble et serein génie des batailles, qui frappe
sans peur ni colère, et regarde en paix la mort.
Celui qui l'eût eu, ce génie, eût pris un drapeau,
eût demandé à ces bandes si elles ne voulaient se
battre qu'avec des gens désarmés; il eût déclaré in-*
fàme quiconque menaçait les prisons. Quoiqu'une
grande partie du peuple approuvât l'idée du mas-
sacre, les massacreurs, on le verra, étaient peu
nombreux. Et il n'était nullement nécessaire de les
massacrer eux-mêmes, pour les contenir. Il eût
suffi, répétons-le, de n'avoir pas peur, de profiter
de l'immense élan militaire qui dominait dans Paris,
d'envelopper ce petit nombre dans la masse et
ff^ V OkHACXÈÊM DIVIAS
le'IaarbîHoù qui se serait, formé des Yo(oDtafrM
yriiinieni soldats, et de la partie patriote de la ftarâé
nationale. H eût fallu que la bonne et saine partie
du peuple, incomparablement plus nombreuse, flkt
caaniitée,..eiicoui!agéè, par dés hommes d'an nom po-
pulaire. Qui n*eût suivi Robespierre et Dantoti, ai
tous dçux, dans cette crise, rapprochés et tte faisant
qu'^w pour sauver l'bonneur de la France, avaient
pioelamé que lé drapeau de rhumanité était celui de
la patrie?
Observoos^es bien en face, ces deux cbefii dé
l'opinion, dont Taotorité morale s'eflSiça^ en présence
du honteux événement.
: Celle de Robespierre, il faut le dire, était quelque
peu ébranlée. La France entière avait voulu li
guerre; Robespierre avait conseillé la paix. La guerre
au roi, Tinsurreclion, n'avait nullement été enoou^
tagée par lui ; il avait protesté se renfermer dans les
limites de la Constitution. Le comité insurrectionnel
du 10 août s'était un moment réuni dans la maison
même où demeurait Robespierre, et il n'avait point
paru. Nommé accusateur public près de la hanté cour
oriminelle, il avait décliné ce triste et périlleux hon-
neur, sous prétexte que les aristocrates, si longtemps
dénoncés par lui, étaient ses ennemis personnels, et
qu'à ce titre ils auraient droit de le récuser. Le Jfe-
riùeur l'avait désigné comme le conseil de Danton, au
ministère de la justice; qu*y avait^^il fait? Il siégeait
comme membre du conseil^néral de la commune*
Bt là..mème, sauf un discours à l'Assemblée na«
DE CSQX QUI VOOLAinrr LB lUMàCRB. lit
tiouale* od De voyait pis assez la trace de son
activité-
Là fxmrUnt il se trouvait sur le terrain des pas*
sioos les plus brûlantes; Ut, il n'y avait guère moyen
de s*en tenir aux principes généraus, comme il avait
fait à la Constituante, ni aux délations vagues, comme
il Taisait aux Jacobins. Pour la première fois de sa
vie^ il lui fallait i^ir, parler nettement, ou bien s'aïf»
nnler pour toujours, La Commune du 10 août,
quelque violente qu'elle fût, comptait pourtant deux
partis, les indulgents, les atroces. Se décider pouif
les premiers, c'était se mettre h la suite de Pétion et
de Manuel, laisser à Danton l'avant-garde de la ré^
volution, probablement l'initiative de la violence*
Danton paraissait peu à la Commune; nulle mesure
atroce n'y fut conseillée par lui. Mais la Commune
avait pour secrétaire un très^ardent dantoniste, qui
disait et faisait croire qu'il avait le mot de Danton,
je parle du jeune Tallien,
La concurrence de Danton, la crainte de le laisser
grandir, pendant que lui diminuait, était sans nul
doute la préoccupation de Robespierre. 11 y avait là
comme une impulsion fatale qui pouvait le mener à
tout, )1 trouvait, à la Commune et au^d^ors, parmi
les plus avancés, une classe d'bommes spécialement
qui l'embarrassait beaucoup, le mettant en demeure
de se décider sur-le-cbamp. Ces exaltés qui, direc-*
tement ou indirectement (quelques-uns sans le savoir),
poussaient au massacre, étaient, par un contraste
étrange, ceux qu'on pouvait appeler In ariiitei et
lit tKPLUENCE DBS MARATISTES
htmmes iensibles. C'étaient des gerts nés ivres, si je
puis parler ainsi, rhéteurs larmoyants, tous avaient
le don des larmes : Hébert pleurait, Collot pleu-
rait, Panis pleurait, etc. Avec cela, comme la plu-
part étaient des auteurs du troisième ordre , des ar--
tistes médiocres, des acteurs siffles, ils avaient, sotis
leur philanthropie, un fonds général de rancune et
d'envenimement qui, par moments, tournait à la rage.
Le type du genre était Collot-d'Herbois, acteur mê-
drocre et fade écrivain, auteur moral et patriotique,
homme sensible, s'il en Tut, toujours gris, et souvent
ivre, noyé de larmes et d'eau-de-vie. On sait son
ivresse de Lyon, la poésie d'extermination qu'il cher-
cha dans les mitraillades, jouissant (comme cet autre
artiste,. Néron] de la destruction d'une ville. Relégué
à Sinamary, essayant d'augmenter la dose d'eau-de-
vie et d'émotion, il finit dignement sa vie par une
bouteille d'eau forte.
* Tous n'étaient pas h ce niveau; mais tous dans
cette classe d^artistes voulaient, selon le génie du
drame, pousser la situation jusqu'où elle pouvait al-
ler. 11 leur fallait des crises rapides et pathétiques,
surtout des changements a vue. La mort, sous ce
dernier rapport , semble chose d*art et saisissante. La
vie semble moins artiste, parce que les changements
y sont lents et successifs. Il faut des yeux et du cœur
pour voir et goûter les lentes transitions de la vie, de
la nature qui enfante. Mais, pour la destruction, elle
frappe l'homme le plus médiocre. Les faibles et
mauvais dramaturges, les rhéteurs impuissante qui
&|]R LA CO)iMCKE. 115
cherchent les grands effets, doivent se plaire aux
destractions rapides. Us se croient alors de grands
magiciens , des dieux y quand ils défont Tœuvre de
Dieu. Ils trouvent beau de pouvoir exterminer d'un
mot ce qui coûta tant de temps, de supprimer d*un
clin-d'œil l'obstacle vivant, devoir leurs ennemis
disparaître sous leur souffle. Us savourent la poésie
stupide et barbare du mot : « J'ai passé, ils n'étaient
plus... »
Cette classe d'hommes y sans être positivement
fous furieux comme Marat, particip«iient plus ou
moins à son excentricité ; ils se groupaient autour de
lui. Ils faisaient tout l'embarras des deux politiques,
de Danton et de Robespierre. Ces deux rivaux d'in-
fluence osèrent d'autant moins contredire les Mara-
tistes, que celui des deux qui eût hasardé un seul
mot d'objection eût donné ce parti à son rival et
se fût lui-même annulé, comme absorbé dans la
Gironde.
Danton, ministre de la justice, avait dans ses fonc-
tions un prétexte, plus ou moins spécieux, pour ne
point paraître à la Commune dans cette terrible
crise. On va voir comme il s'effaça, avant, pendant le
massacre.
Robespierre, membre de la Commune, et sans
autre fonction, y siégeait nécessairement. 11 attendit
assez tard, jusqu'au soir du 1'' septembre pour se
décider, embrasser le parti des violents. Mais le pas
une fois fait, il répara le temps perdu, les atteignit,
les dépassa.
IV. •
UA U COMMUNE OBSTINÉE
Le grand jour du 1*' septembre devait- décider
entre l'Assemblée et la Commune. L'Assemblée, le
30 août, avait décrété que, dans les vingt^tiatre heu-
res^ les sections nommeraient un nouveau conseil
général de la Commune. Les vingt-quatre heures
couraient du moment où le décret Tut rendu (qua-
tre heures de l'après-midi); il devait s'exécuter le
lendemain à la même heure et dans la soirée. Mais
la Commune pesait d'une telle terreur dans les sec-
tions que la plupart n'osèrent point exécuter le
décret de l'Assemblée. Elles prétextèrent que le dé-
cret ne leur avait pas été notifié oflBciellement. Qu'ar-
riverait-il lel*' septembre, si l'Assemblée confirmait
son décret, si le combat s'engageait entre ceux qui
obéiraient et ceux qui ne le voudraient pas T L'As-
semblée, dans ce cas, aurait eu un malheur, c'eût
été de voir les royalistes se joindre à elle, armer pour
elle peut-être, la compromettre en attendant qu'ils
pussent la renverser. Victorieuse, elle était perdue,
et la France peut-être avec elle.
La Commune, tout indignes qu'étaient beaucoup
de ses membres par leur tyrannie, leur férocité,
avait pourtant ceci en sa faveur que jamais les roya-
listes ne pouvaient pactiser avec elle; elle représen-
tait le 10 août. Tout le monde reconnaissait, on
exagérait même la part qu'elle avait prise à ce grand
acte du peuple. Gloire ou crime, quelle que fût l'opi-
nion des partis, c'est à la Commune qu'on attribuait
le renversement delà royauté. Elle était, à coup sûr,
une force anti-royaliste, la plus sûre contre les com*
A m POINT SB DISSOUDRB (AOGT^BFrBMBRE 92). 115
ploU du dedans, la plus sûre contre l'étranger. Tout
patriote devait bien y regarder, malgré les excès de
la Commune, avant de se déclarer contre elle.
Elle avait foi ed elle-même* Beaucoup de ses mem-
bres croyaient sincèrement qu'eux seuls pouvaient
sauver la France. Us voulaient garder à tout prix la
dictature de salut public qu'ils se trouvaient avoir en
main. D'autres, il faut le dire, n'étaient pas peu
conGrmés dans cette foi par leur instinct de ty^
rannie; ils étaient rois de Paris par la grâce du 10
août, et rois ils voulaient rester. Ils disposaient
de fonds énormes, impôts municipaux, fonds des
travaux publics, subsistances, etc. Ils allaient re-
cevoir le monstrueux fonds de police, d'un million
par mois, qu'avait voté l'Assemblée. On ne vo-
lait pas beaucoup encore en 92, avant la démo-
ralisation qui suivit les massacres de septembre.
Il y avait chez tous une certaine pureté de jeunesse
et d'enthousiasme; la cupidité s'ajournait. Les plus
purs toutefois maniaient volontiers l'argent; ils
l'aimaient, tout au moins, comme puissance po-^
pulaire.
Donc, pour tant de raisons diverses, la Commune
était parfaitement décidée à ne pas permettre l'exé-
cution du décret de l'Assemblée, à se maintenir par
la force. La situation de Paris, orageuse au plus
haut degré, ne pouvait guère manquer de fournir
des prétextes, des nécessités de désobéir.
Le 31 août) un mouvement avait eu lieu autour de
l'Abbaye. Un M. de Montmorin ayant été acquitté, la
itd PRÉLUDES DC MASSACRE {\f SEPTEMBRE 92).
foule, qui le conrondait avec le ministre de ce dgh],
menaça de forcer la pinson et de se faire justice elle-
même.
Le 1*'' septembre, une scène effiroyable eut lieu à
la place de Grève. Un voleur qu'on exposait, et qui
sans doute était ivre, s'avisa de crier : Vive le Roi !
vivent les Prussiens ! et Mort à la Nation ! 11 fut à
rinstant arraché du pilori, il allait être mis en pièces.
Le procureur de la Commune, Manuel, se précipita,
le reprit des mains du peuple, le sauva dans THôtel-
de-Ville. Mais il élait lui-même dans un extrême pé-
ril ; il lui fallut promettre qu'un jury populaire juge-
rait le coupable. Ce jury prononça la mort. L'auto-
rité tint cette sentence pour bonne et valable: elle
fut exécutée; Thomme périt le lendemain.
Ainsi, tout marchait au massacre. Le même jour,
1*' septembre, un gendarme apporta à la Commune
une montre d'or qu'il avait prise au 10 août, deman-
dant ce qu'il devait en faire. Le secrétaire Tallien lui
dit qu'il devait la garder. Grand encouragement au
meurtre. Plusieurs furent bien tentés de conclure de
ce précédent que les dépouilles des grands seigneurs,
des riches qui étaient à l'Abbaye, appartiendraient à
ceux qui pourraient délivrer la nation de ces ennemis
publics.
La séance du conseil général de la Commune fut
suspendue jusqu'à cinq heures du soir. L'Assemblée,
très-effrayée de l'événement que tout le monde voyait
venir pour le lendemain dimanche, essaya, dans cet
intervalle, un dernier moyen de le prévenir. Elle ta-
L*ASSEIIBLÉE VEUT APAISER LA COMMUNE. i\1
cha d'apaiser la Commune , rapporta le décret qui
prescrivait à ses membres de justifier des pouvoirs
qu'ils avaient reçus le 10 août.
« Ce n'est pas tout, dit un membre de l'Assemblée,
vous avez décrété, il y a deux jours, que la Commune
a bien mérité de la patrie ; cette rédaction ne vaut
rien; il faut un nouveau vote, où l'on dira expressé-
ment les représentants de la Commune. » En effet, tout
en louant la Commune en général, on aurait bien pu
plus lard rechercher, poursuivre tel ou tel de ses
membres pour tant d'actes illégaux. La nouvelle ré-
daction leur assurait à chacun le bill d'indemnité le
plus rassurant. L'Assemblée ne voulut pas chicaner
dans un tel moment; elle vota ce qu'on voulait.
La séance de la Commune reprit à cinq heures du
soir. Et d'abord il paraît que le décret pacifique de
l'Assemblée n'y était pas connu encore. Robespierre
y parla des nouvelles élections. Mais, le décret ayant
sans doute été connu pendant la séance, Robespierre,
enhardi par les tergiversations de l'Assemblée, reprit
la parole sur un ton très-diflFérenl, avec une violence,
inattendue. Il parla longuement des manœuvres qu'on
avait employées pour faire perdre au conseil-général
la confiance publique, et soutint que, tout digue que
le conseil était de cette confiance, il devait se retirer,
employer le seul moyen qui restât de sauver le peuple :
remettre au peuple le pouvoir.
Remettre au peuple le pouvoir? Comment fallait-il
entendre ce mot? Cela signifiait-il qu'il fallait laisser
le peuple faire les nouvelles élections, commencées
118 L'ASSEMBLÉE VEUT APAISÇfl LA COMMDNK.
selon le décret et sous TiDduence de rAssembléeT
Nullement. Robespierre venait de Xaire le procès de
r Assemblée même, en énumérant les manœuvres di-
rigées contre la Commune. Il n'aurait pu, sans se
contredire étrangement, proposer de laisser voterje
peuple au gré d'une Assemblée suspecte. Remettre au
peuple le pouvoir signifiait évidemment : déposer le
pouvoir légal pour s'en rapporter à l'action révolu-
tionnaire des masses, en appeler au peuple contre
l'Assemblée.
Le nouveau conseil n'étant pas élu, et l'ancien se
retirant, Paris serait reste sans autorité. Si la Com-
mune du 10 août, la. grande autorité populaire,
qui semblait avoir sauvé déjà une fois la patrie, dé-
clarait elle-même qu'elle ne pouvait plu3 rien pour
son salut, à qui remettait-elle le pouvoir? à nul autre
qu'au désespoir, h la rage populaire. Disant qu'elle
n^agirait pas, que c'était aux masses d'agir, elle
agissait en réalité, et de la manière la plus terrible ;
c'était comme si elle eût retiré sa défense de la porte
des prisons, l'eût ouverte toute grande... Le massacre
était vraisemblable ; mais l'excès même du désordre,
l'effroi de Paris, eussent eu l'effet nécessaire de ra-
mener la Commune. On allait venir à genoux la re^
chercher, la rappeler; elle rentrait en triomphe dans
l'Hôtel-de-Ville- La nullité de l'Assemblée était
définitivement constatée; la Commune de Paris, la
grande puissance révolutionnaire, régnait seule et
sauvait la France.
On connaît trop bien Robespierre pour croire que
PRÉLUDE DU MASSACRE (!•' SEPTEMBRE 92\ il9
le premier jour il ait précisé ses accusatioDS. Présen-*
tées d'abord sous des formes vagues, à travers des
ombres terribles, elles n'en avaient que plus d'effet.
Chacun comprit, sans nulle peine, ce que les amis
de la Commune disaient depuis huit jours par tout
Paris, ce que Robespierre articula le lendemain,
â septembre, pendant le massacre : Qu'un parti puis-
sant offrait le trône au duc de Brunswick. Nul autre
parti, en ce moment, n'éiait puissant que la Gironde.
La coupable folie d'offrir la France à l'étranger avait
été celle du ministère de Narbonne. 11 était horrible-
ment calomnieux de l'imputer aux Girondins qui
avaient chassé Narbonne. Les Girondins, c'était leur
gloire, avaient compris l'élan guerrier de la France,
prêché, malgré Robespierre, la croisade de la liberté.
Imputer aux apôtres de la guerre le projet de cette
paix exécrable , dire que Vergniaud , que Roland ,
M"^ Roland, les plus honnêtes gens de France, ven-^
daient la France et la livraient, c'était tellement in-
croyable et si ridiculement absurde, que, dans tout
autre moment, cette calomnie eût retombé sur son
auteur, il serait mort de son propre venin»
Une telle absurdité pouvait-elle être crue sincère-
ment d'un esprit aussi sérieux que celui de Robes-
pierre? Cela étonne, et pourtant nous répondrons
sans hésiter ; Oui. Il était né si crédule pour tout ce
que la haine et la peur pouvaient lui conseiller de
croire, tellement fanatique de lui-même et prêt à
adorer ses songes, qu'à chaque dénonciation qu'il
lançait à ses ennemis, la conviction lui venait sur-
120 nOBESriERRE CONSEILLE A LA COMMUNE
abondamment. Plus il avançait dans ses assertions
passionnées , se travaillait k leur donner des couleurs
et des vraisemblances y et plus il se convainquait,
devenait sincère. Le prodigieux respect qu'il avait
pour sa parole finissait par lui faire penser que toute
preuve était superflue. Ses discours auraient pu se
résumer dans ces paroles : « Robespierre peut bien le
jurer, car déjà Robespierre Ta dit. »
Dans rétat prodigieux de déOance où étaient les
esprits, pleins de vertige et malades, les choses
étaient crues justement en proportion du miracu^
leux, de l'absurde, dont elles saisissaient les esprits.
Si du conseil-général de telles accusations se répan*
daient dans la foule, elles pouvaient avoir des effets
incalculables. Qui pouvait deviner si la masse furieu*
se, ivre et folle, n'allait pas forcer l'Assemblée, au
lieu des prisons, chercher sur ses bancs, le poignard
en main, ces traîtres, ces apostats, ces renégats de la
liberté qu'on lui désignait, cent fois plus coupables
qne les prisonniers royalistes?
Le procureur de la Commune, Manuel, répondit à
Robespierre. Il n'était pas homme a tenir contre une
telle autorité, la première du temps. Manuel était un
pauvre pédant, ex-régent ou précepteur, homme de
lettres ridicule, qui, pour son malheur, était arrivé,
par la phrase et le bavardage, au fatal honneur qui
lui mit la corde au col. Il essaya pourtant de lutter;
son bon cœur et son humanité lui prêtèrent des for-
ces. Tout en donnant d'emphatiques éloges à son
redoutable adversaire, il rappela le serment des mem-
DE REMETTRE LE POUVOIR AU PEUPLE (i" SEPT. 9Q. 124
bres du conseil général : c De ne point abandonner
leur poste que la patrie ne fût plus en danger. » La
majorité pensa comme lui. A la veille du terrible évé-
nement qui se préparait, et qui semblait infaillible,
plusieurs voulaient Taecèlérer par leur influence;
d'autres, au contraire, pensaient que, s'ils ne pou-
vaient rien empêcher comme corps et autorité publi-
que, ils pourraient du moins, avec leur titre et leur
écharpe de membres de la commune, sauver des
individus.
Cette écharpe lutélaire, Manuel eut le bonheur
d*en faire usage k l'heure même. II se rappela qu'il
avait en prison un ennemi personnel, Beaumarchais.
Manuel était une des victimes litléraires que l'auteur
de Figaro aimait à cribler de ses flèches ; il l'avait
percé, transpercé. Manuel court h l'Abbaye, se fait
amener Beaumarchais. Celui-ci, se trouble, s'excuse:
« Il ne s'agit pas de cela, monsieur, lui dit Manuel,
vous êtes mon ennemi; si vous restez ici pour être
égorgé demain, que pourra-ton dire? que j'ai voulu
me venger?... Sortez d'ici, et sur l'heure. » Beau-
marchais tomba dans ses bras. 11 était sauvé. Manuel
ne le fut pas moins, pour l'honneur et l'avenir.
Personne ne doutait du massacre. Robespierre,
Tallien et autres firent réclameraux prisons quelques
prêtres, leurs anciens professeurs. Danton, Fabre
d'Êglantine, Faucbet, sauvèrent aussi quelques per-
sonnes.
Robespierre avait pris une responsabilité immense.
Dans ce moment d'attente suprême, ofi la France
422 DU COMITÉ DE SURVEILLANCE,
roulait entre la vie et la mort, où elle cherchait uoe
prise ferme, qui l'assurât contre son propre rertige,
Robespierre avait achevé de rendre tout incertain,
flottant, toute autorité suspecte. Ce qui restait de
force fut comme paralysé par cette puissance de mort.
Le ministère et l'Assemblée, blessés de son dard, gi-
saient inertes et ne poQvaient rien ^
Le conseil-général même, que Robespierre avait
engagé à déclarer qu'il s'en remettait au peuple et
qui ne l'avait pas fait, n'en était pas moins profondé-
ment ébranlé, et dans le doute sur ce qu'il lui conve-
nait de faire. Voulait-il, ne voulait-il pas? agirait-il,
u'agirait-il pas? à peine le savait- il lui-même.
Et si le conseil-général ne voulait rien, ne faisait
rien, s'il se dispersait le dimanche, ou s'assemblait en
nombre insuffisant, minime, comme il arriva, qui
resterait pour agir, sinon le comité de surveillance?
Dans la grande assemblée du conseil-général, quelque
violent qu'il pût être, les hommes de sang néanmoins
n'auraient jamais eu la majorité. Au contraire, dans
le comité de surveillance, composé de quinze per-
sonnes, le seul dissentiment qui existât, c'est que les
uns voulaient le massacre, les autres le permettaient.
Il y avait deux hommes principaux dans ce comité,
^ La Commune ne vota pas selon les conclusions de Robespierre ;
mais elle adopta son discours , en quelque sorte, Timprima sur-le-
champ et le répandit. Grave circonstance que ni Barrière, ni Bucbez,
n*ont conservée dans leurs extraits, et qu^attestent les originaux. Ar^
chives de la Seine» Prod^-verbaux du cùmeil-^énéral^ registre XXII,
p. 4.
SBEGISNT, PANIS H** SEPTBNBRB M). I2S
Sériât et Panis. Servent, artiste jusque-là estimable,
laborieux et honnôte, bomme d'un cœur ardent, pas-
sioDDâ, romanesque (qui aima jusqu'à la mort), a eu
rbonneur de devenir beau-frère de l'illustre général
Marceau. C'est lui qui, au péril de sa vie, quelques
jours avant le 10 août, toucbé du désespoir et des
larmes des Marseillais, se décida, avec Panis, à leur
livrer les cartoucbes qui leur donnèrent la victoire.
Sergent n*avait qu'antipatbie (il l'affirme dans ses
Notes, publiées par M. Noël Parfait) pour rbypocrisie
de Robespierre et les fureurs de Marat. 11 assure qu'il
fut étranger à l'affaire du 2 septembre. Il avait été
Tordonnateur de celte terrible fête des morts, qui, plus
qu aucune autre chose, exalta dans les masses l'idée
de vengeance et de meurtre. Mais quand ce jour de
meurtre vint, le cœur de Sergent n'y tint pas, et
quoiqu'il partageât sans doute l'idée absurde du mo*»
ment, que le massacre pouvait sauver la France, il
s'éclipsa de Paris. Lui-même, dans ses notes justi-
ficatives, fait cet aveu accablant : Que le malin du
2 septembre, il alla à la campagne^ et ne revint que
le soir.
Panis, ex-procureur, auteur de vers ridicules,
petit esprit, dur et faux, était incapable d'avoir par
lui-même aucune influence. Mais il était beau-frère
du fameux brasseur du faubourg, Santerre, nou-
veau commandant de la garde nationale. Cette al--
liauce, et sa position au comité de surveillance, le
rendaient fort important. Il ordonnait au comité, et
par son beau-frère il pouvait influer sur l'exécution.
Ifl PANIS, BEAU-FRÊBE DE SANTERRE,
agir ou ne point agir. Quand même la majorité lui
aurait été contraire, il était encore à même de ne
point laisser exécuter par Santerre ce que la majorité
aurait résolu.
Panis avait une chose que n'ont pas toujours les
sots, il était docile. Il reconnaissait deux autorités,
deux papes, Robespierre et Marat. Robespierre était
son docteur, Marat son prophète. Le divin Marat lui
semblait peut-être un peu excentrique; mais n'a t-on
pas pu en dire autant d'Isaïe et d'Ëzéchiel, auquel
Panis le comparait? Quant à Robespierre, il était
exactement la conscience de Panis. Chaque matin,
on voyait celui-ci rue Saint-Honoré, à la porte de son
directeur; il venait chez Robespierre demander, pour
la journée, ce qu'il devait penser, faire et dire. C'est
ce que témoigne Sergent, son collègue, qui ne le
quitta presque pas, tant que dura le comité de sur-
veillance. Panis était tellement dévot à Robespierre,
que, dans sa ferveur, il ne pouvait se contenir. C'est
lui qui^ avant le 10 août, menant Rarbaroux et Re-
becqui, deux indévots, chez le dieu, commit l'impru-
dence de dire « Qu'il faudrait un dictateur, un homme
comme Robespierre, » et reçut des Marseillais la
violente réponse qu'on a vue plus haut.
Robespierre, servi, adulé, adoré de Panis, avait du
faible pour lui. Panis lui était indispensable, comme
beau-frère du gros homme qui gouvernait le fau-
boui^, et qui avait dans la main la force armée de
Paris. Ce fut Panis, selon toute apparence, qui dimi-
nua réioignement naturel de Robespierre pour Marat.
AMI COMMUN DE ROBBSPlEftRE ET DE MARAT {{•* SEPT.). liS
Le premier, homme politique, homme de raide atti--
tude, mesmré, soigné, poudré, avait en dégoût la
crasse de l'autre, sa personnalité tout à la fois tri-
viale et sauvage, sa faconde platement dithyram-
bique. Marat, d'autre part^ méprisait Robespierre,
comme un politique timide, sans vues, sans audace*
Ils s'étaient visités un jour, et Marat voyant que Ro-
bespierre n'entrait pas entièrement dans ses idées de
massacre, qu'il gardait encore quelque scrupule de
légalité, avait levé les épaules.
La répugnance était réciproque. Celle de Robes-*
pierre pour Marat est probablement ce qui empêcha
celui-ci, après Tovation qu'on lui fit à la Commune,
d'en devenir membre. Le 23 août, toutefois, la Com-
mune décréta qu'une tribune serait érigée dans la
salle pour un journaliste, pour M. Marat. Son in-
fluence allait croissant : dès-lors, sans doute, Ro-
bespierre eût craint de s'y opposer; il recommanda
Marat aux assemblées électorales. Ce fut l'homme de
Robespierre, Panis, sa créature, son servile disciple,
celui qui, encore une fois, oe passa jamais un jour
sans le consulter, ce fut lui qui, le 2 septembre, éta-
blit au comité de surveillance (vrai directoire du mas-
sacre) l'exterminateur Marat.
Robespierre a dit hardiment qu'il n'avait rien fait
au 2 septembre. Eu actes, rien, cela est vrai. Mais,
en paroles, beaucoup, et, ce jour-là, les paroles
étaient des actes. Le 3, l'affaire une fois lancée (plus
sans doute qu'il ne voulait), il fit le plongeon et ne
parut plus. — Mais le 1'' septembre il avait couvert
Î26 t>AMlS INTRODUIT tIARAT
les violents de son autorité morale, conseillant à la
Commune de se retirer, de s'en remettre à Taction
du peuple. Le 2, son homme, Panis, intronisa à
THôtel-de-Ville le meurtre personniflé, l'homme qui,
depuis trois ans, demandait le 2 septembre. Le 2
encore, Robespierre parla , pendant le massacre , et
nullement pour calmer, loin de là, d'une manière
extrêmement irritante.
L'introduction de Marat fut très-illégale, tout ex-
traordinaire. Nul magistrat de la ville, nul membre
de la municipalité, spécialement du comité de sur-
veillance, ne pouvait être pris hors du conseil géné-
ral, hors de la grande Commune populaire des com-
missaires de sections qui avaient fait le 10 août. Marat
n'était point de ces commissaires; il ne pouvait être élu.
MaisPanis, à-la- fois par Sanlerre et par Robespierre,
pesait d'un tel ascendant sur la municipalité, qu'elle
l'autorisa à choisir trois membres qui complétassent
le comité de surveillance. Panis, investi de ce singu-
lier pouvoir d'élire à lui seul, n'osa pourtant l'exercer
seul. Le matin du 2 septembre, il appela à son aide
ses collègues Sergent , Duplain et Jourdeuil , et ils
«s'adjoignirent cinq personnes, Deforgues, Lenfant,
Guermeur, Leclerc et Durfort. L'acte original, muni
des quatre signatures, porte à la marge un renvoi*,
*■ Cet acte, aussi irrégulier dans la forme que coupable dans le fond,
est conservé, en original, aux Archivée de la Préfedvare dâ police.
L'arrêté de la municipalité, sur lequel il s*appuie, ne se trouve point
au registre des Procès-verbaux de la Commune {Archives de la Préfec~
lure de la Seine).
AU COMITÉ DE SURVEILLANCE (2 SEPT. 92). 127
paraphé confusément jMir un seul des quatre. Ce ren-
voi n'est rien autre chose que le nom d'un sixième
membre, ajouté ainsi après coup, et ce sixième est
Marat'.
1 Qa*i) me soit permis de le dire, je marche seul dans ces sombres
régions de Septembre. Seal. Nul avant moi ii*y a encore mis le pied.
Je marche, comme Énéeaax enfers, Tépée & la main, écartant tes yaines
ombres, me défendafat contre les légions menteuses dont je suis en?i-
rooné. Je leur ai opposé à tous une mflexible critique, les contrôlant
par diverses épreuves, auxquelles ils ne résistent point, spécialement
par une très-minutieuse chronologie des jours et des heures. Cest là
surtout où je les prends. — Le premier de ces menteurs, tantôt par
omission, et tantôt par commission, c'est le MoniteuTy toujours dans
la main des puissants, tovjours mutilé ou falsifié par eux dans les
grandes crises. Qu'on en juge par Timportante séance du <«' sep-
tembre, oh PAssemblée rapporta son décret contre la Commune
du 40 août. Le Moniteur, alors revu par les Girondins, ne dit pas
an mot de cette concession humiliante de l'Assemblée; on la re-
trouve aux Archives nationales dans les Procès-terbaux manuscriU de
X Assemblée législative. Le 6 septembre, le même journal, sous Tin-
flaence de la nouvelle puissance, la Commune, donne un récit men-
Mager des commeocemeots du massacre, récit équivoque, qui touche à
reloge : a Le peuple prit alors la résolution la plus hardie, etc. » —
i'apprécierai h la fin du volume les documents divers et les principaux
narrateurs, celui surtout que tous ont cojpié, le libellîste Peltier, qui,
dans Tannée même (479S), débarquât à Londres, encore tout ému de
peur et de rage, comptant bien la France morte, assassinée par l'Eu-
rope, a cru qu'un ne risquait guère à marcher sur un cadavre et cra-
clier dessus. Les Anglais, pour qui l'auteur écrivait, ont couvert ce
Hne d'or, rcnt appris par cœur. Toutes les presses de l'Europe ont
été eaipk>}r6ea à répandue rinûme légende^ Circulant de bouche en
bouche, elle a créé k son tour tme fausse tradition orale. Plus d*ua
historien s'en va recueillant de la bouche des passants, comme chose
de tradition, d^autorilé populaire, ce qui priroitiveident n'a d'autre ori-
giae que ce hrérixire de mensonge.
CHAPITRE V
LE 1 SEPTEMBRE.
Propotitton conciliaDie do dantODiito TbarioL *- Deux f€Cti«nt nr quaraatfr-
huit yolérenl le masMcte.—La Commune ▼ealail le BtfMcre et UdieUlore.
^oqrageax diacoari de Vergniaud. — On demande à l'Assemblée là dicla-^
ture pour le mioistère. — L'Assemblée se défle de Danton , qui néannoins
éTité de se réunir à la Commnne. — Le comité de sonreillanee livre vingt-
quatre prisonniers à la mort. — Massacre de TAbbaje. — Danton n*ac€epte
point l'Invitation de la Commune. — Quels foreni les massacreurs de PAb-
baye. — Massacre des Carmes. — Impuissance des autoriiés.->L*b^el de Ro-
land «si envahi.*- Robespierre dénouée «ne grande conspiration.^TeaUtlve
des ministres pour calmer le peuple.— Interfeniton inutile de Manuel et des
commissaires de TAssemblée.— Massacre du Châtelet et de la Concieiigerie.
—Maillard organise un tribunal à 1* Abbaye, et uuve quarante-trois peraonaes.
—Dévouement de Mii<> Casotte et Sombreuil, de Geolfroy-Satnt-BiUire.
Le dimanche 2 septembre, àTouverture de T As-
semblée, vers neuf heures du matin, le député Thu-
riot, ami de Danton, fil une proposition conciliatrice
qui semblait pouvoir empêcher le malheur qu'on pré-
voyait.
Thuriot en plus d'une occasion avait défendu, jus-
tifié la Commune. Née du 10 août, la Commune lui
semblait la révolution elle-même'^ il pensait que la
briser, c'était briser le 10 août. Mais, d'autre part,
il n'en avait pas moins résisté avec une extrême
véhémence aux injonctions insolentes que la Com--
PBOPOSiTlO?! COMCILIAUTE de THIRIOT. 129
mune osait faire à l'Assemblée. Sa conduite, en tout
ceci y semble avoir été l'expression hardie de la pen-
sée plus contenue du politique Danton. Celui-ci, dans
ses discours, dans ses circulaires, fondait l'espoir de
la patrie sur l'accord de rAssemblée et de la Com-
mune. C'est lui, nousn*en doutons pas, qui chercha
un expédient pour rétablir cet accord, et qui le fit
proposer & l'Assemblée par Thuriot.
La proposition était celle-ci : « Porter k trois cents
membres le conseil général de la Commune, de ma-
nière à pouvoir maintenir les anciens y créés le 10 août,
et recevoir les nouveaux j élus en ce moment même
par les sections qui obéissaient au décret de l'Assem-
blée.
Cette proposition avait deux aspects tout-à-fait
contraires.
D'une part, elle avait reifet révolutionnaire de
constituer sur une base fixe la représentation de
Paris, d'exprimer par-devant la France .l'impor-
tance réelle, l'autorité dé la grande cité, qui, formée
elle-même de tous les éléments de la France, en est
la tête et le cerveau, et qui tant de fois eut l'initiative
des pensées qui la sauvèrent.
D'autre part, dans la situation, la proposition avait
un effet pratique qui rendait la crise bien moins
dangereuse. Elle neutralisait la Commune en l'a^
grandissant; elle l'augmentait de nombre et en mo-
difiait l'esprit; elle y introduisait, avec les élus des
sections dociles k l'Assemblée, un élément tout non-*
veau. Si elle eût été votée le matin, elle donnait k ces
If. •
iSe PROPOSITION DU DAKTONISTE TRtmiOT.
sections un puissant encouragement, les tirait de leur
stupeur; tes nouveaux élus so rendant immédiate-
ment k la Commune, avec ce décret à la main , les
maratistes, selon toute apparence, auraient été para-
lysés.
Ce n'est pas tout. Un dernier article, bien propre
à rappeler à elle-même la Commune du 10 août,
avertissait simplement et sans phrase que lesmem*
bres du conseiUgënèral n'étaient point inamovibles,
que lei sections qui les nommaient avaient toujours droit
de les rappeler et de les révoquer. L'article, placé
comme il était, semblait parler des nouveaux mem-
bres; il n'en posait pas moins la règle, l'imprescrip-
tible droit du peuple, contre lequel apparemment les
anciens membres eux-mèmës, dans la position royale
qu'ils se faisaient, n'auraient pas osé réclamer. Ils
avaient donc bien à songer; au moment où ils sem-
blaient près de prendre la terrible initiative, la loi
venait, en quelque sorte, leur mettre la main sur
répaule, et leur rappeler le grand juge, le peuple,
qui pouvait toujours les juger.
Tburiot assaisonna cette proposition d'éloges de la
Commune, de flatteries ; il la justifia de maint et
maint reproches. 11 dit, sans doute pour gagner les
membres de la Commune même à l'acte qu'il pro*
posait contre elle , que cette augmentation de nombre
permettrait de choisir dans son sein les agents dont pour-
rait avoir besoin le pouvoir exécutif. Appel direct à
riutérêt; la Commune allait devenir une pépinière
tEVX SECTIONS VOTfiHT LB MASSACRE (2 SEPT. 02). M
d'hommes d'Etat à qui le gouvernement confierait
des missions honorables ou lucratives.
H arriva à Thuriot ce qui arrive à ceux qui comp-
tent trop sur la pénétration des Assemblées. Son
proFopd mattre, Danton, l'avait, ce jour, apparem-
ment trop bien endoctriné, trop dressé à l'hypocrisie.
L'Assemblée no comprit pas. Thuriot avait tant loué
la Commune que l'Assemblée crut la proposition fa-
vorable à la Commune; elle pensa que celle-ci, com-
mençant à s'effrayer, lui faisait faire par Thuriot une
ouverture de conciliation. Elle reçut la proposition
très-froidement, ne se douta nullement de l'avantage
qu'il y avait h la voter sur l'heuie. Elle demanda
un rapport, attendit et ajourna. Le rapport vint
vers midi, et peu favorable. Les Girondinis, qui le
firent, n'aimaient rien de ce qui venait des amis de
Danton. Ils le croyaient l'homme de la Commune,
comme il l'avait élé au jour du 10 août; ils ne
comprenaient rien aux ménagoments de ce politi-
que. Le projet leur déplaisait encore comme aug-
mentant l'importance de Paris, régularisant et fon-
dant celte puissance jusque-là irrégulière, consti-
tuant un corps redoutable avec lequel toute Assem-
blée serait forcée de compter. Ils auraient voulu d'ail-
leurs que la Commune fût entièrement renoutelée.
Ils n*entratnèrenl pas l'Assemblée, qui, comprenant
àTla longue rulililô de la proposition, finit par voter
contre les Girondins pour le dantoniste Thuriot. Cela
cul lieu vers une heure; mais a^ors il était trop tard^
la tempête était déchaînée.
i^ LA COVlitî:(R VOULAIT
Revenons au matin, replaçons-nous rlans la Com*
mune.
Que voulait-elle ? que voulaient les quelques mem*
bres qui menaient le conseil général? que voulait la
majorité du comité de surveillance? sauver la patrie
sans doute, mais la sauver par les moyens que Marat
conseillait depuis trois ans : le massacre et la die*
tftture.
Le massacre n'était pas encore si Tacile à amener
qu*on eût pu croire, quelle que fût la terrible agi-
talion du peuple, et ses paroles violentes. Dans la
nuit, et le matin, les Turieux bavards qui prêchaient
dès longtemps la théorie de Marat y coururent les
assemblées des sections k peu près désertes, réduites
à des minorités imperceptibles qui décidaient pour
le tout. Ils y demandèrent, obtinrent des arresta-
tions individuelles qui valaient des arrêts de mort.
Mais quant aux mesures générales, il semble que
leurs paroles n'aient pas trouvé assez d'écho. Il n'y
eut que deux sections (celle du Luxembourg et la
section Poissonnière) où la proposition d'un massacre
des prisonniers ait été accueillie. Deux sections sur
quarante-huit volèrent le massacre. La section Pois-
sonnière prit l'arrêté suivant ;
€ 1^ section, considérant les dangers imminents
de la patrie et les manœuvres inrernalcsdes prêtres,
arrête que tous les prêtres et personnes suspectes,
ehrermés dans les prisons de Paris, Orléans et autres,
seront mis à mort.i»
Quant à la dictature, c*]le était plus difficile encore
LA OfCTATURE ET LE IIA8SAC11Ë (2 SEPT. Ir2). i33
a organiser que le massacre. Nul homme a était asseï
accepté du peuple poar l'exercer seul. Il fallait uu
triumvirat. Mamt le disait lui--mème.
Le prophète Harat, que Panis venait d'introniser au
comité do surveillance, no laissait pas que d'effrayer
parfois ses propres admirateurs. Hais son extrême
véhémence semblait appuyée, autorisée par Robes*
pierre, qui, la veille au soir, avait dit qu'il fallait
remettre Taction au peuple. Marat était déjà au
comité, Robespierre vint siéger au conseil*gé<-
oéral.
Le troisième triumvir, s*il fallait un triumvirat, ne
pouvait être que Danton. Celui-ci était douteux. Il
faisait, en toute occasion, l'éloge de la Commune, et
son ami Thuriot lavait fait aussi le jour même, tout
en proposant un projet qui neutralisait la Commune.
Êtait-il véritablement pour la Commune ou pour
l'Assemblée? On no le voyait pas bien. Depuis le 29,
il ne venait plus à rUôlel*de-Yille. Âimerail-il mieux
partager le nouveau pouvoir avec Mural et Robes-
pierre, ou rester ministre de la justice, niiiiistre toul^
puissant par suite de Tannihilation de l'Assemblée,
recueillant les fruits du massacre sans y avoir par*
ticipé, devenant enfin le seul homme de la si-
tuation entre la Commune ensanglantée et la Gi-
ronde humiliée? C'était là la question; la dernière
opinion n'était pas sans vraisemblance^ Danton était
un politique plein d*audace, mais non moins de
ruse.
Quoi qu'il en soit, M Commune étant assemblée,
iM COUIIAGEOX 0K00UB8 OB VBRGKIAUD.
le 2 au matin, sous la présidence d'Hugueniu, le pro-
cureur. Manuel, annonça le danger de Verdun,
proposa que le soir même les citoyens.enrôlés cam*
passent au Champ-de-Mars et partissent immédia-
tement. Paris eût été délivré d'une masse dange-
reuse, qui, en attendant le départ, errait, s'enivirait,
et pouvait d'un moment à l'autre, au lieu d*une
guerre lointaine, commeacer ici de préférence une
guerre lucrative à des ennemis riches et désarmés.
A cette sage proposition, quelqu'un en ajouta une
inflniment dangereuse , qui fut de même volée. On
arrêta : « Que le canon d'alarme serait Uré h l'in-
stant, le tocsin sonné et la générale battue. » L'effet
pouvait être une horrible panique, dans une ville si
émue, une panique meurtrière; rien de plus cruel
que la peur.
Deux membres du conseil municipal Turent chargés
de prévenir l'Assemblée de ce qu'ordonnait la Com-
mune. Ils furent accueillis par un discours singuliè-
rement ferme de Vergniaud, d'une noble har-
diesse, prononcé, comme il l'était, dans l'imminence
d'un massach et presque soiis les poignards. Il féli-
cita Paris de prendre courage, de déployer enflti l'é-
nergie qu'ori attendait; il lui conseilla de résister à ses
terreurs patiiques. Il demanda potirquoi l'on |>arlait
tant, en agissant peu : « Pourquoi les retranchements
du camp qui est sous les remparts de cette cité ne
sont-ils pas plus avancés? Où sont les bêches, les
pioches, et tous les instruments qui ont élevé l'autel
de la Fédération et nivelé le Champ-de-MarsT. . , Vous
OX DEMANDE A LASSEMBLÉB U DICTATURE POUR LE MINISTÈRE. 43S
avez manifesté une grande ardeur pour les fîfttes; sans
doute vous n'en aurez pas moins pour les combats.
Vous avez chanté, célébré la liberté; il Tautla déren-
dre. Nous n'avons plus à renverser des rois de bronze^
mais des rois environnés d'armées puissantes, le de-*
mande que la Commune de Paris concerte avec le
pouvoir exécutif les mesures qu'elle est dans l'inten-
tion de prendre. Je demande aussi que l'Assemblée
nalionale, qui dans ce moment-ci est plutôt un grand
comité militaire qu'un corps législatif , envoie à Tiû-
stant, et chaque jour, douze commissaires au camp,
non pour exhorter par de vains discours les citoyend
à travailler, mais pour piocher eux-mêmes; car il
n'est plus temps de discourir, il faut piocher la fossé
de nos ennemis; ou chaque pas qu'ils font en avant,
pioche la nôtre. »
Ce discours, si hardi dans la circonstance fut ap-
plaudi, non-seulement de l'Assemblée, mais dès tri-
bunes, de cette population même dont il gourmandait
sévèrement Tinaclion.
Le grand orateur, on le voyait, voulait au torrent
populaire qui tournait si terriblement sur lui-même
donner un cours régulier, l'entraîner hors Paris à la
suite des envoyés de l'Assemblée, perdre dads l'élan
militaire la panique et la terreur.
U entendait subordonner la Commune aux mi-
nistres, les ministres k l'Assemblée. Celte hiérar-
chie, qui était dans la loi même et dans la raison^
aux temps ordinaires, pouvait-elle être obstinément
maintenue dans un pareil jour? Ne faliait-il pas sur*
136 L'ASSEMBLÉE SE DÉFIE DE DANTON,
seoir aux délibérations, aux paroles, lorsque les dé-
cisions diverses, selon roccurrence des cas, auraient
besoin d'être immédiates, rapides, comme la pensée.
On ne pouvait laisser flotter le pouvoir, dans la sphère
supérieure, éloignée de l'action, aux mains molles et
lentes d'une grave Assemblée qui parlait» parlait, et
perdait le temps. On ne pouvait le laissera la discré-
tion de la Commune, aveugle et furieuse, dissoute
d'ailleurs en réalité et qui n'était plus qu'un chaos
sanglant sous le souille de Harat. Le plus simple bon
sens disait que le pouvoir laissé, en haut, ou en bas,
aux deux corps délibérants, TÂssemblée ou le conseil
de la Ck)mmuDe, ne serait plus le pouvoir. Il fallait
le fixer là où il pouvait èt^e énergique, où le plaçait
d'ailleurs la nature même des choses, aux mains des
ministres; il fallait se fier à eux, dans cette grande
circonstance, les prier, les sommer d'être forts; si-
non, tout allait périr*
Le ministère lui-même, malheureusement, n'avait
aucune unité de pensées, ni de volontés. Il eût fallu
qu'il s'accordât, qu'il vint unanimement demander
la dictature, qu'il l'exerçât sous l'inspection des corn-
missaires de l'Assemblée.
Le ministère avait deux têtes, Roland et Danton.
Danton vint, avant deux heures, tâter une der*
nière fois les dispositions de l'Assemblée.
Il lui proposa de voter : tx Que quiconque refuse-
rait de servir de sa personne ou de remettre ses ar-
mes fût puni de mort. »
Et Lacroix (qui alors appartenait à*la-fois aux
0(31 NÉANMOINS ÉVITE DE SE nÉUMR A LK COKMUNE. i^l
Girondins et à Danton) demanda, de plus : « Qu'on
puntt de mort aussi ceux qui, direcieme^U ou indirec*
temenij refuseraient d'exécuter oti enlraverdient^ de
quelque manière que ce fût, les ordres donnés et les
mesures prises par le pouvoir exécutif. »
L'Assemblée parut approuver; mais, au lieu de
voler sur-le-champ, elle ajourna, elle ne voulut rien
décider sans Tavis de sa commission extraordinaire
(Vergniaud, Guadet, la Gironde). Elle chargea cette'
commission de rédiger les décrets, déjà très^bien ré*
di|^, et de lui présenter la rédaction à six heures du
soir.
C'était un retard de quatre heures. 11 a reculé
peutrètre d'un siècle les libertés de rEurope.
Danton porta alors la peine de sa mauvaise répu-
tation, de ses tristes précédents. L'Assemblée lui re-
fusa les moyens de sauver l'Ëtat. Elle n'osa conQer
un tel pouvoir à un homme si suspect.
Deux choses le flrent échouer : l"* Roland ne vint
point, ne l'appuya point; Danton parut seul; il sembla
qu'on demandait pour lui seul un pouvoir illimité.
S* Tout en demandant que l'Assemblée concourût avec
les ministres à diriger le mouvement du peuple j il loua
les mesures prises parla Commune ; il di\ ces paroles:
• Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal
d'alarme ; c'est la charge sur les ennemis de la patrie
(applaudissements). Pour les vaincre, messieurs, il
nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours
de l'audace, et la France est sauvée.»
L'Assemblée ne vil en Danton que l'homme de
438 LE COMITÉ DE SCRVBJLLANCB
la Commune, et elle se garda bien de lui douaer le •
pQUvoir.
S'il l'eût été véritablemeni , comme le croyait
TÀssemblée, il se Tût reodu à THôteldc-Ville, ob
on Tattendait; il alla au Gbamp^e*Mars. Une grande
foule le suivait Là, dans cette plaine immense ^ sous
le ciel, parlant à toute une armée, il prêcha lacix>i-
sade, comme aurait fait l^ierre TErmite, ou Saint-
Bernard. Le canon tonnait au loin, le tocsin sonnait,
et la voix puissante do Danton , qui dominait tout,
semblait celle de la cité frémissante, cellede la France
elle-même.
Le temps passait, il était plus de deux heures.
En sortant du Champ -de -Mars, Danton n'alla pas
davantage à la Commune. Il rentra chez lui. Alla-t-il
au conseil des ministres? La chose est controversée.
Visiblement, il attendait que le danger forçât l'As-
semblée à donner la dictatui'e au ministère, au minis-
tre populaire qui seul pouvait Texercer. Il eût mieux
aimé la tenir de l'Assemblée nationale, reconnue de
la France entière ; il hésitait à recevoir de la Com-
mune de Paris un tiers de dictature en commun avec
Robespierre et Mardi.
' Le conseil-général de la Commune ayant, comme
on a vu, de bonne heure voté la proclamation, le ca-
non et le tocsin (qui se firent entendre à deux heures)
suspendit sa séance jusqu'à quatre, et se dispersa. Il
ne resta que le comité de surveillance, c'est-à-dire
Panis, Marat, quelques amis de Marat.
Le comité, de bonne heure, put avoir connais-
LIVRE U PRISOimiEftS A LA MORT (f SEPT. 92). iS9
sance des propositions de massacre faites dans plu-
sieurs sections^ et de la résolution que deux sections
venaient de prendre. 11 agit en conséquence; il or*
donna ou permit la translation de vingt-quatre pri-
sonniers de la Mairie, où il siégeait (c'est aujourd'hui
la Prérecture de Police), à la prison de TÂbbaye.
De ces prisonniers, plusieurs portaient l'habit qui
excitait le plus violemment la haine du peuple, Tba*
bit de ceux qui organisaient la guerre civile du Midi
et de la Vendée, l'habit ecclésiastique. Au moment
où le canon se fit entendre , des hommes armés pé*
nèlrenl dans la prison de la Mairie; ils disent aux pri-
sonniers qu'il faut aller à l'Âbbaye. Celle in'vasion
se fit non par une masse du peuple, mais par des
toUats , des fédérés de Marseille ou d'Avignon ;
ce qui senable indiquer que la chose ne fut point
forluite, mais autorisée, que le comité ^ par une
autorisation au moins verbale, livra ses prisonniers
à la mort.
On eût pu fort aisément les massacrer dans la pri-
son ; mais la chose n'eût pu être présentée comme un
acte spontané du peuple. Il fallait qu'il y eût une ap-
parence de hasard ; s'ils avaient fait la route à pied,
le hasard eût servi plus vite l'intention des niassa-
creurs; mais ils demandèrent des fiacres. Les vingts-
quatre prisonniers se placèrent dans six voitures;
cela les protégeait un peu. Il fallait que les massa-
creurs trouvassent moyen ou d'iiritcr les prisonniers
à force d*outrages, au point qu' ils perdissent patience,
s'emportassent, oubliassent le soin de leur vie, parus-
liO I1AS&/ICRE DE L*ABDAYE.
scDt avoir provoqué, mérité leur malheur; ou bien
cocore, il fallait irriter le i>euple» soulever sa fureur
contre les prisonniers; c*est ce qu'on essaya de faire
d'abord. La procession lente des six fiacres eut tout
le caractère d'une horrible exhibition. « Les voilà ,
criaient les massacreurs; les voilà, les traîtres! ceux
qui ont livré Verdun ; ceux qui allaient égorger vos
femmes et vos enfants Allons, aidez-nous, tuez*
les. >
Cela ne réussissait point. La foule s'irritait, il est
vrai, aboyait autour, mais n'agissait pas. Oii n'obtint <
aucun résultat le long du quai , ni dans la traversée
du Pont-Neuf, ni dans toute la rueDauphine. On arri-
vait au carrefour Bussy, près de 1* Abbaye, sans avoir
pu lasser la patience des prisonniers, pi décider le
peuple à mettre la main sur eux. On allait entrer à
la prison , il n'y avait pas de temps à perdre ; si on
les tuait, arrivés , sans que la chose fût préparée par
quelque démonstration quasi populaire, il allait deve-
nir visible qu'ils périssaient par ordre et du fait de
Tautorité. Au carrefour, où se trouvait dressé le tbéâ*
tre des enrôlements , il y avait beaucoup d'eocom^
brement, une grande fouie. Là, les massacreurs, pro-
fitant de la confusion, prirent leur parti, et commen-
cèrent à lancer des coups de sabre et des coups de
pique tout au travers des voitures. Un prisonnier qui
avait une canne , soit instinct de la défense, soit mé-
pris pour ces misérables qui frappaient des gens dés-
armés, lança à l'un d*eux un coup de canne au visage.
Il fournit ainsi le prétexte qu'on attendait. Plusieurs
DANTON ITACCCUTfi rOlKT LIICVITATION DB LA COimtJXE. 141
furent tués dans les voitures mêmes; les autres, comme
on va le voir, en descendant à la cour de TAbbaye.
Ce premier massacre eul lieu, non dans la cour de la
prison, mais dans celle de l'église (aujourd'hui la rue
d'Erfurth), où Ton fit entrer les voitures.
11 n'était pas loin de trois heures. A quatre, le con-
seil-général de la Commune rentra en séance, sous la
présidence d'Huguenîn. Le comité de surveillance
avait hâte de faire accepter, légaliser par le conseil-
général, reffroyable initialive qu'il venait de prendre.
llToblint indirectement, et non sans adresse. Il de-
manda, obtint : Qu*on protégeât les prisonniers... déte^
nus pour dettes^ mois de nourrices et autres causes civiles.
Protéger seulement cette classe de prisonniers , c'é-
tait dire qu'on ne protégeait pas les prisonniers poli*
tiques, qu'on les abandonnait , qu'on les livrait à la
mort, et que ceux qui étaient morts, on les jugeait
bien tués.
Le coup do matlre eât été d'avoir aussi pour le
massacre une autorité individuelle , immense dans
un tel moment, supérieure à celle d'aucun corps,
l'autorité de Danton. Do bonne heure, la Commune
lui avait écrit devenir h riIôlekle-VilIc; mais il ne
paraissait pas. Ce fut un grand étonnemcnt lorsque,
vers cinq heures, le conseil -général vit entrer le mi-
nistre de la guerre , le girondin Servan, embarrassé,
peu rassuré, qui venait demander ce qu'on lui vou-
lait. Le quiproquo s'éclaircit. La lettre destinée au mi-
nistre de la justice avait été portée au ministre delà
guerre. I^e commis, disait-on, s'était Iromié d'à-
Ui ûUBLS SOXT LES MASSACllEimâ
dresse. 11 faut se rappeler que le secrétaire de la
Commiine, Tallien, était uo ardent dantoniste; il
servit son maitre, sans doute, comme il voulait Fê*
tre^ Eplre Marat et Robespierre, Danton n'avait
nulle bâte d'aller prendre le troisième rôle. Il mon*
tra suffisamment qu'il ne regrettait pas Terreur; elle
pouvait être réparée en moins d'une demi-heure; il
s'obstina à ne point être averti; il se tint éloigné de la
Commune, comme s'il y eût eu cent lieues de l'Hôtel-
de-* Ville au ministère de la justice. Il ne vint point le
soir du 2, pas davantage le 3.
Le massacre continuait à TÂbbaye. Il est curieux
de savoir quels étaient les massacreurs.
Les premiers, nous l'avons vu , avaient été des fé-
dérés Marseillais , Avignonais et autres du Midi , aux-
quels se joignirent, si Ton en croit la tradition, quel-
ques garçons bouchers, quelques gens de rudes mé-
tiers, des jeunes garçons surtout, des gamins déjà
robustes et en état de mal faire , des apprentis qu'on
élève cruellement à force de coups , et qui , en de
pareils jours, le rendent au premier venu; il y avait
entre autres un petit perruquier qui tua plusieurs
hommes de sa main.
Toutefois, l'enquête qu^on fit plus tard contre les
* Une personne très-digne de foi, qui élail le soir du \ ''" septembre au
club dos Minimes, m*a raconté que la séance fut suspendue, parce que
le président, Tallien, était demandé à la porte. Cette personne sortit
et vit riiomme qui demandait TaUien, et qui (elle assure Tavoir recon-
nu) n'était autre que Danton. Si le ministre de la justice fît lui-même
cette démarche, c'rst qu'il voulut, sans lettre ni intermédiaire, faire
connaître ses intentions au jeune secrétaire de la Commune. Ou reste,
on sait que Danton n'écrimit jamais.
DE L*ABBAYE (j SCt»T. €3). 443
septembriseurs * ne mentionne ni Tune^ ni l'autre de
ces deux classes, ni les soldais du Midi, ni la tourbe
populaire, qui, sans doute, s'étant écoulée, ne pou-
vait plus se trouver. Elle désigne uniquement des
gens établis sur lesquels on pouvait remettre la main,
en tout cinquante-trois personnes du voisinage, pres-
que tous marchands de la rue Sainte-Marguerite et
des rues voisines. Ils sont de toutes professions, hor-
loger, limonadier, charcutier, fruitier, savetier,
layetier, boulanger, etc. Il n'y a qu'un seul boucher
établi. Il y a plusieurs tailleurs, dont deux allemands,
ou peut-ètre alsaciens.
Si l'on en croit cette enquête, ces gens se seraient
vantés non-seulement d'avoir tué un grand nombre
de prisonniers , mais d'avoir exercé sur le^ cadavres
des atrocités effroyables.
Ces marchands des environs de l'Abbaye, voisins
des Cordeliers, de Marat, et sans doute ses lecteurs
hnbituels , étaient-ils une élite de Maratistes que la
Commune appela pour compromettre la garde natio-
nale dans le massacre, le couvrir de l'uniforme bour-
geois , empêcher que la grande masse de la garde
nationale n'intervint pour arrêter l'effusion du sang?
Cela n'est pas invraisemblable.
Cependant, il n'est pas absoluitient nécessaire de
recourir à cette hypothèse. Us déchirent eux-mêmes,
dans TenquétO; que les prisonniers les insultaient, les
* Je dois la coninuinicatîon de celte pièce imporlanle, et de plu-
sieurs autres, ^ Tobligeance de M. L:ibal, arcliivîste de la préfecture
de police, <}ue je ne pois ti^p remercier.
iU MilSSACliEniS DE L'ABAATfi.
proToquaient tous les jours à Iravers les grilles, qu'ils
les menaçaient de l'arrivée des Prussiens, et dés pu-
nitions qui les attendaient.
La plus cruelle, déjà on la ressentait : c*élait la
cessation absolue du commerce, les faillites, la fer-
meture des boutiques, la ruine et la faim , la mort de
Paris. L'ouvrier supporte souvent mieux la faim que
le boutiquier la faillite. Cela tient à Uen des causes,
& une surtout dont il faut tenir compte; c'est qu'en
France la faillite n'est pas un simple malheur (comme
en Angleterre et en Amérique), mais la perte de
l'honneur. Faire honneur à ses affaires y est un pro-
verbe français, et qui n'existe qu'en France. Le
boutiquier en faillite , ici, devient très-féroce.
Ces gens-là avaient attendu trois ans que la Révo-
lution prit un ; ils avaient cru un moment que le Roi
la fuiirait en s'appuyant sur Lafayette. Qui Ten
avait empêché , sinon les gens de cour, les prêtres
qu'on tenait dans l'Abbaye? « Ils nous ont perdus, et
se sont perdus, disaient ces marchands furieux; qu'ils
meurent maintenant ! »
Nul doute aussi que la panique n'ait été pour
beaucoup dans leur fureur. Le tocsin leur troubla
l'esprit ; le canon que Ton tirait leur produisit l'eifet
de celui des Prussiens. Ruinés, désespérés, ivres de
rage et de peur, ils se jetèrent sur l'ennemi, sur ce-
lui du moins qui se trouvait à leur portée, désarmé,
peu difficile à vaincre, et qu'ils pouvaient tuer à leur
aise, presque sans sortir de chez eux.
Les vingt-quatre prisonniers ne furent pas longs à
MASSACRE DES CARMES (2 SEPT. 92). ^4â
iuer; ils ne firent que mettre en goût. 11 y avait parmi
eux des prêtres. Le massacre commença sur les au*
1res prêtres qui se trouvaient à TAbbaye^ dont ils oc-
cupaient le cloUre. Mais on se souvint que le plus
grand nombre étaient aux Carmes, rue deVaugirard;
plusieurs y coururent, laissèrent FAbbaye.
Il y avait aux Carmes un poste de seize gardes natio-
naux : huit étaient absents; mais des huit présents, le
sergent était un homme d'une résolution peu com-
mune S petit, carré de taille, roux, extrêmement
Tort et sanguin. La grande porte était fermée , il se
mit sur la petite, la remplit {K)ur ainsi dire de ses
larges épaules, et les-arrèta tout court.
Cette foule n'était pas imposante; il y avait beau*
coup d*aboyeurs, de gamins et de femmes, mais seu-
lement vingt hommes armés; et encore leur chef, un
savetier, borgne et boiteux, portant son tablier de
cuir sur un méchant pantalon rayé de siamoise, n'a-
vait pour arme qu'une lame liée au bout d'un bâton.
Les autres, au premier coup-d*œil*, semblaient être
des porteurs d'eau ivres. Derrière venaient les eu*
rieux qui se succédèrent toullejour à Ce beau spec-
tacle. Le plus connu était un acteur, bavard, ridi*
cule, joli garçon de mœurs bizarres, et qui pouvait
* Cet homme inlrépide vit encore. Cesl le père de M. Poret, profes-
seur de philosophie, Tun de nos amis les plus chers. Nous sommes
heureux de rendre ici ce témoignage au vénérable vieillard.
* Je dois plosîenrs détails qui suivent à un autre témoin oculairi»,
M. Villiersy dont j*ai souvent consulté utilement les ouvragw, les noies
manuscrites et Tadmirable mémoire, si présente dans son grand âge
de plus de 90 ans.
IV. »♦
i46 NASSAOIE DtS CAllIflH (1 SEPT. M).
passer pour femme. Cette fois, il faisait le brave et
croyait être bomme.
L'homme roux, jetant sur la bande un œil de mé-*
pris, leur dit qu'il resterait là, et qu'on ne passerait
pas, à moins qu'il ne Tût relevé par l'officier même
qui l'y avait mis. On alla cbercber un ordre de
la section, qu'ilne voulut pas reconnaître, puis un
ordre du chef de bataillon, dont il ne tint compte. Il
ne quitta Ja place qu'après qu'on eut trouvé, amené
son capitaine, un peintre en bâtiment de la rue voi-
sine , qui releva le poste.
Les meurtriers entrèrent en criant : « Où est l'ar-
chevêque d'Arles? » Ce mot d'Arles était significatif;
il suffisait pour rappeler le plus furieux fanatisme
conlre-révolutionnaire, l'association trop connue sous
le nom de la Chiffonne , le dangereux foyer de la
guerre civile pour tout le Midi. Et tel évêcbé , tel
évêque; celui d* Arles, était Thomme delà résistance,
une tète dure, qui, auxCarmes même, confirma dans
ses compagnons de captivité l'esprit obstinément étroit
qui leur faisait voir ta ruine de la religion dans une
question tout extérieure et de discipline. Il avait
avec lui deux évêques, grands seigneurs^ qui, par
leur nom, leur fortune, imposaient à ces pauvres
prêtres, les dominaient, les enronçaient dans leur
triste point d'honneur.
Le prêtre le plus connu, après rarchevèque d'Arles^
était le confesseur de Louis XVI , le père Hébert ,
qui, au 20 juin, au 10 août, eut dans ses mains la con-
science du Roi, l'affermit dans son obstination , et lui
nMtSSARCt MS AOTORITÉft. U7
donna Tabsolution peu dMnstants avant le carnage.
Ces prêtres qui perdirent le Roi et qui se perdirent ^
étaient-ils sincères? nous le croyons volontiers.Une om-
bre reste cependant sur eux, et nous porterait k dou*
ter si ces martyrs ont été des saints; c'est Tencoura-
gement qu'ils donnèrent à Louis XVI dans la duplicité
funeste qui lui fit sans cesse attester la Constitution
contre la Constitution, pour la ruiner par elle-même,
en invoquant la lettre stricto, pour en mieux annu-»
1er l'esprit.
Paris montra pour leur sort la plus profonde in<*
différence. 11 y avait au Théâtre-Français (Odéon) un
rassemblement de volontaires et gardes nationaux qui
s'étaient réunis au bruit du tocsin. Il y en avait trois
cents qui frisaient Texercice dans le jardin duLuxem<*
bourg. S'ils avaient reçu de Santerre le moindre signal,
ils auraient été aux Carmes, à l'Abbaye, et, sans la
moindre difBculté, auraient empêché le massacre.
N'ayant aucun ordre, ils ne bougèrent pas.
Le conseil-général de la Commune, rentré en séance
à quatre heures, reçut, comme on a vu, plusieurs
avis du massacre, et ne s'émut pas beaucoup. 11 était
en ce moment la seule autorité réelle de Paris, et
il envoya demander an pouvoir législatif, à l'Assem^
blée, ce qu'il fallait faire. En même temps, comme
pour démentir ce semblant d'humanité, il autorisa les
seetions « à empêcher Y émigration par la rivière» .
Il appelait émigraiion la fuite trop naturelle de ceux
qu'on massacrait au hasard et sans jugement.
Le maire de Paris était annulé depuis longtemps.
149 L'HOTBL DB ROUKO EST ENVAHI.
La Commune avait usurpé ^ une 4 une, toutes ses
fonctions^ elle le faisait en quelque sorte garder à
vue. Pétion ne logeait pas même à rHùtel-de-Ville,
mais à la Mairie (c'est aujourd'hui, nous l'avons dit,
la préfecture de police, au quai des Orfèvres), sous
Tœil hostile» inquiet du comité de surveillance qui
siégeait dans le même hôtel , en mattre absolu, en-
touré de ses agents. Pétion, le 2 et le 3, écrivit à
Sanlerre, commandant de la garde nationale, lequel
ne répondit pas. Et comment aurait-il répondu? c'é-
tait Panis, le beau-frère de Santerre, qui venait
d'introniser Marat au comité de surveillance, Marat,
le massacre même.
Les autorités de Paris ne pouvant rien ou ne vou-
lant rien, il restait à savoir ce que pourraient les
ministres.
Les ministres girondins avaient été atteints la veille,
percés, «et de part en part, dos traits mortels de Ro-
bespierre. Les meneurs de l'Assemblée, ces traîtres,
ces amis de Brunswick qui lui faisaient offrir le
trône, oh fallait-il les chercher?... Robespierre avait-
il nommé Roland et les autres, on ne le sait; mais
il est sûr qu*il les désignait si bien que tout le monde
les nommait. Le 2, le 3 et le 4, toute la question
débattue dans la Commune était de savoir si elle
allait lancer un mandai d'amener contre le mi-
nistre de l'intérieur, l'envoyer à l'Abbaye. Un fonc-
tionnaire , ainsi dénoncé et suspecté , eût été annulé
par cela seul, quand même la Constitution de 91 lui
aurait permis d'agir; mais cette Constitution, com«
ROBESPIERRE DÉNONCE UNE GRilNDB CONSPIRATION. 14ft
binée pour énerver le pouvoir central au profit de
celui des commuDes, ne permettait au ministre d*agir
que par rintermédiaire même de la Commune dePa<
ris qu'il s'agissait de réprimer.
Pour mieux paralyser Roland, le 2 septembre, à
six heures, pendant le massacre, deux cents hommes
entourèrent tumultueusement le ministère dy Tinté-
rieur, criant, demandant des armes. Que voulait-on?
isoler M. et M"* Roland, terrifier leurs amis, faire
comprendre que les soutenir en toute mesure de
vigueur, c'était les faire massacrer.
Les deux cents criaient k la trahison, brandissaient
des sabres. Roland était absent. M"'" Roland ne s'ef-
fraya pas; elle leur dit froidement qu'il n'y avait ja-
mais eu d'armes au ministère de l'intérieur, qu'ils
pouvaient visiter Thôtel, que, s'ils voulaient voir
Roland, ils devaient aller à la Marine, où le conseil
des ministres était assemblé. Ils ne voulurent se reti-
rer qu'en emmenant comme otage un employé du
secrétariat *.
Quant au ministre de la justice, Danton, on a vu
* Un employé, dit Roland luî-méme (lettre du 13 septembre], et non
un Tftlet-de-cbambre , comme le dit M"« Roland dans ses Mémoires,
écrits snr des souvenirs, ils sont ici fort inexacts. Elle croit que le mas-
sacre commença à dnq heures. Elle dit que Danton alla, le 2, au co-
mité de sunreillance pour Teui pécher de lancer un mandat d*amcner
contre Roland ; elle suppose qu*il vit ensuite Pétion, etc. Tout ccb
eut lieu le 4, lorsque déjih la réaction commençait, et Pétion, à qui
Danton vint se vanter, sourit de cette intervention tardive ; il n*eùt pas
souri le â» k coup sûr.
téd TKNTàTIVB tm$ UWmWM
qu'il s* obstinait à ignorer que la Commune Tinvitàt
a^ rendre dans son sein ; il gardait une position ex-
pectante, équivoque^ entre la Commune et rÂssem-
blée. Robespierre, le 2 septembre , renouvelant dans
le conseil général ses accusations de la veille et les
précisant, dit qu'il y avait une grande conspiration
pour donner le trône au duc de Brunswick. Billault-
Vareunes appuya. Le conseiKgénéral applaudit. Tout
le monde comprit que les conspirateurs étaient les
ministres mêmes, que le pouvoir exécutif voulait li-
vrer la France. Le bruit s'en répandit dans Paris a
l'instant. On dit, on répéta, on crut ^a que la Com-
mune déclarait le pouw>ir exécutif déchu de la con-
fiance nationale» » Le peu de pouvoir moral que con*
servait le ministère fut anéanti.
Une section (l'Ile Saint-Louis) eut néanmoins le
courage de s'informer exactement de ce qu'il en fallait
croire. Soit par un mouvement spontané, soit qu'elle
y fût poussée par les ministres , elle envoya deman-*
lier à l'Assemblée s'il était bien sûr que la Com-
mune en eût décidé ainsi. L'Assemblée répondit né-
gativement , et cette négation n'eut aucun efTet sur
l'opinion. Les ministres restèrent brisés.
II semble pourtant qu'au soir ils aient essayé
de reprendre force; ils firent agir Pélion. L'inerte,
l'immobile maire de Paris reprit tout-à*coup mou-
vement. Il invita les présidents de toutes les sec-
tions à se réunir chez lui pour entendre, disait-il, un
rapport du ministre de la guerre sur les préparatift
du départ des volontaires. Cette assemblée étant réu-
POIJil CALMEli LE PEWLE (« SCPT. U2). IM
nie, et formant une sorte de corps qu'on pouvait en
quelque sorte opposer au conseil-géoéml de la Corn-
muuOy on lui proposa^ on lui fit voter une mesure
très-hardie, dont reffet eût été de neutraliser en
grande partie la Commune en l'égalant ou la dèpas-
sant dans Yé\an révolutionnaire. On décida qu'indé-*
pendamment de la solde , on auureraU auœ^volon^
taires un fonds pour subvenir aux besoins de kurs
familles; — de plus^ qu'on porterait k soixante mille
les trente mille hommes demandés par l'Assemblée à
ia ville do Paris et aux départements limitrophes, en
complétant par la voie du sort ce que l'enrôlement
volontaire n'aurait pas donné; ^^ troisièmement,
qu on créerait une commission de surveillance pour
remploi des armes (elles étaient en effet odieusement
gaspillées , souvent volées et Tendues)^ et que Ton
fondrait des balles y en employant même le plomb
des cercueils.
Cette proposition était triplement révolutionnaire.
Elle faisait par la simple autorité de Paris trois choses
que l'Assemblée seule semblait avoir le droit de faire :
elle frappait un impôt (durable et considérable); elle
changeait le mode de recrutement, en rendait les
résultats certains, précis, efficaces; elle doublait le
nombre d'hommes demandé par une loi. Si Pétion
réunit chez lui les commissaires de sections pour leur
faire voler une telle mesure, tellement extrà-légale,
cest qu'il y était certainement autorisé par le conseil
(les ministres. Le ministre de la guerre était présent
à cette réunion.
ISf StJITS DU MASSACnE DE L'ABBATE.
C'était la plus sage mesure qu'on pAt prendre dans
la situation. Elle pouvait calmer les cœurs, et elle
augmentait l'élan militaire. Qu'est-ce qui troublait
ceux qui partaient? Ce n'était pas le départ même ,
c'était généralement l'abandon, le dénûment où ils
laissaient leurs familles. Eh bien ! la patrie était là,
qui les recevait et les adoptait; dans le déchirement
du départ, cette femme éplorée, ces enfants, ils ne
sortaient des bras d'un père que pour tomber aux
bonnes mains maternelles de la France. Qui ne serait
parti alors d'un cœur héroïque et paisible, dans la
sérénité courageuse où l'homme embrasse d'avance
volontiers la vie, volontiers la mort?
Celte mesure prise le T' septembre eût eu d'ex-
cellents effets. Le 2, elle était tardive. Elle ne fut
connue que le 3, fut à peine remarquée.
Le 2, au soir, pendant qu'on discute ainsi chez
Pétion les moyens possibles de calmer le peuple, le
massacre continue aux Carmes et à TÂbbaye. Aux
Carmes, on avait tué d'abord les évêques et vingt-
trois prêtres, réfugiés dans la petite chapelle qui est
au fond du jardin. D'autres, qui fuyaient par tout le
jardin, ou tâchaient de passer par-dessus les murs,
étaient poursuivis, tirés, avec des risées cruelles. A
l'Abbaye, on massacrait une trentaine de Suisses et
autant de gardes du Roi. Nul moyen de les sauver. Ma-
nuel, qui était fort aimé, vint de la Commune, prê-
cha, fit les derniers efforts, et il eut la douleur de voir
le peu que sert l'amour du peuple. Il ne s'en fallut
guèresqueles furioujcne missentlamain sur lui. L'As-
INTERVEimON IRUTILE (â SEPT. ^2). iS3
semblée avait envoyé aussi plusieursde ses membres les
plus populaires : le bon vieux Dusaulx, dont la noble
figure militaire, les beaux ebeveux blancs, pouvaient
rappeler au peuple son temps d'béroïque pureté, la
prise de la Bastille; Isnard aussi, Torateur de la
guerre, aux brûlantes paroles. On leur avait adjoint
un héros de la populace, violent, grivois, fait pour ré-
pondre aux oiauvaises passions, pour les modérer peut-
être en les partageant ; je parle du capucin Chabot.
Tout cela fut inutile. La foule était sourde et
aveugle; elle buvait de plus en plus, de moins en
moins comprenait. La nuit venait; les sombres cours
de FAbbaye devenaient plus sombres. Les torches
qu'on allumait faisaient paraître plus obscur ce
qu'elles n'éclairaient pas de leurs funèbres lueurs.
Les députés, au milieu de ce tumulte effroyable,
n'étaient nullement en sûreté. Chabot tremblait de
tous ses membres. Il a assuré plus tard qu'il croyait
avoir passé sous une voûte de dix mille sabres.
Tout menteur qu'il fût d'habitude, je crois volontiers
qu'il n'a pas menti. L'éblouissement de la peur lui
aura multiplié à l'infini les objets. Du reste, il i:uffit
de voir le lieu de la scène, les cours de l'Abbaye, le
parvis de l'église, la rue Sainte-Marguerite, pour
comprendre que quelques centaines d'hommes rem-
plissent surabondamment ce lieu très-étroit, resserré
de tout côté.
Ce qui commençait a donner un caractère terrible
au massacre, c'est que, par cela même que la scène était
resserrée, les spectateurs mêlés à l'action, touchant
.4M MASSACRE DU CUATKLET
presque le sang et les morts, étaient comme enve-
loppés du tourbillon magnétique qui emportait les
massacreurs. Ils buvaient avec les bourreaux, et le
devenaient. L'effet horriblement Tantastique de celte
scène de nuit, ces cris, ces lumières sinistres, les
avaient fascinés d'abord, Gxés à la même place. Puis
le vertige venait, la lète achevait de se prendre, les
jambes et les bras suivaient; ils se mettaient en mou-
vement, entraient dans cet affreux sabbat, et faisaient
comme les autres.
Dès qu'une fois ils avaient tué, ils ne se con-
naissaient plus, et voulaient toujours tuer. Un
même mot revenait sans cesse dans les bouches hé«
hélées : « Aujourd'hui, il faut en finir. » Et par-la,
ils n'entendaient pas seulement tuer les aristocrates,
mais en finir avec tout ce qu'il y avait de mauvais;
purger Paris, n*y rien laisser au départ qui pût être
dangereux, tuer les voleurs, les faux monnayeurs,
les fabricateurs d'assignats, tuer les joueurs et les
escrocs, tuer même les filles publiques... Où s'ar-
rêterait le meurtre sur celte pente effroyable? Com-
ment borner celte fureur d'épuration absolue? Qu'ar-
riverait-il, et qui serait sûr de rester en vie, si, par-
dessus Tivresse de l'eau -de -vie et l'ivresse de la
mort, une autre agissait encore, Tivresse de la jus-
tice, d'une fausse et barbare justice, qui ne mesurait
plus rien, d'une justice à l'envers, qui punissait les
simples délits par des crimes.
Dans cette disposition d'esprit effroyable, beaucoup
trouvèrent que TAbbaye était un champ trop étroit :
ET DE U CONClERGEaiB (i SEPT. 92). i55
ils coururent au Cbàtelet Le Cbàteict n'était point
uoe prison politique; il recevait des voleurs et dos
coodamnés à la détention pour des fautes moins^^-
ves. Ces prisonniers, CDlendant dire la veille que les
prisons seraient bientôt vidées, croyant Irouver leur
liberté dans la confusion publique, pensant qu'à rap-
proche de l'ennemi les royalistes pourraient bien leur
ouvrir la porte, avaient, le 1*' septembre, fait leurs
préparatifs de départ; plusieurs, le paquet sous le
bras, se promenaient dans les cours. Ils sortirent,
ruais autrement. Une trombe effroyable arrive à sept
heures du soir de l'Abbaye au Cb&telet ; un massacre
indistinct commence à coups de sabre, à coups de fu-
sil. Nulle part ils ne furent plus impitoyables. Sur près
de deux eents prisonniers, il n'y en eut guércs plus
de quarante épargnés. Ceux-ci obtinrent, dit-on, la
vie , en jurant qu'à la vérité ils avaient volé , mais
qu^ils avaient toujours eu la délicatesse de ne voler
que les voleurs, les riches et les aristocrates.
Le Chàlelet était d'un côté du Pou t-au Change ; la
Conciergerie est de lautre. Là, se trouvaient, entre
autres prisonniers, huit olBciers suisses. Au moment
loème, l'un d'eux, le major Bachmann, était jugé par
le tribunal extraordinaire ; seul, de tous, il fut épar^
gné, réservé pourl'échafaud. Le massacre des Suisses
et des autres prisonniers eut lieu tout près du tribu-
nal, et l'audience fut à chaque instant interrompue
par des cris. Rien, dans ces jours effroyables, ne fut
plus hideux que ce rapprochement, ce mélange de
la justice régulière et de la justice sommaire, ce
lf(0 * MAILLARD ORGANISE
spectacle de voir les juges tremblants sur leurs siè-
ges, continuer au tribunal des formalités inutiles,
presser un vain simulacre de procès , lorsque Tac-
cusé ne gardait nulle chance que d*ètre massacré le
jour ou guillotiné le lendemain \
Tant qu'on tua ainsi des voleurs, des Suisses ou
des prêtres, les massacreurs Trappaient sans hésita-
lion. La première difficulté vint, à l'Abbaye, de ce
que plusieurs des prêtres qui vivaient encore décla-
rèrent qu'ils voulaient bien mourir^ mais qu'ils de-
mandaient le temps de se confesser. La demande pa-
rut juste; on leur accorda quelques heures.
Il restait à ce moment moins de monde à l'Abbaye.
Outre le détachement envoyé de bonne heure aux
Carmes, beaucoup, comme on vient de voir, travail-
laient au Chfttelet. On essaya (probablement vers
sept heures du soir) d'organiser un tribunal à l'Ab-
baye, de sorte qu'on ne tuât plus indistinctement et
qu'on épargnât quelques personnes. Ce tribunal
eut en effet le bonheur de sauver un grand nombre
d'individus. Faisons connaître l'homme qui forma le
tribunal et le présida.
Il y avait au faubourg Saint-Antoine un personnage
bizarre, dont nous avons déjà parlé , le fameux huis-
sier Maillard , C'éUiit un sombre et violent fanatique
sous formes très-froides, d'un courage et d'un sang-
froidraresetsinguliers.AlaprisedelaBastille, lorsque,
I Nous rapportons ceci d^uprèsla tradition. II ne reste, je crois, au-
cune trace authentique du massacre de la Conciergerie.
UN TRIBCIUL A L*AMATE (2 SEPT. Qi). |fi7
le pooMevis élant rompu, on y substitua une {danehe,
le premier qui passa tomba dans le fossé de trente
pieds de profoodeur et se tua sur le coup. Maillard
passa le second, et sans hésitation, sans vertige, il at-
teignit l'autre bord. On Ta revu au 5 octobre, comme
il Taisait la conduite des femmes, ne permettant sur
la roule ni pillage, ni désordre; tant qu'il fut à la
tète de cette foule, il n'y eut aucune violence. Son
originalité, c'était, dans les plus tumultueux mouve-
ments, de conserver des formes régulières et quasi
légales. Le peuple l'aimait et le craignait. 11 avait
près de six pieds; sa taille, son habit noir, hon-
nête, râpé et propre, sa figure solennelle, colos-
sale, lugubre, imposaient à tous.
Maillard voulaitle massacre, sans nul doute; mais^
homme d'ordre avant tout, il tenait également à deux
choses : l"* à ce que les aristocrates fussent tués;
S^'à ce qu'ils fussent tués légalement, avec quelque
formes, sur l'arrêt bien constaté du peuple, seul juge
infaillible.
11 procéda avec méthode, se fit apporter Técrou
de la prison, et, sur l'écrou, fît les appels, de sorte
que tous comparussent à leur tour. 11 se composa
un jury, et il le prit, non parmi les ouvriers, mais
parmi des gens établis, des pères de famille du voi-
sinage, des petits marchands. Ces bourgeois se trou-
vèrent, par la grâce de Maillard, avec Tapprobation
de la foule, composer le formidable tribunal popu-
laire qui d'un signe donnait la vie ou la mort. Pâles
et muets, ils siégèrent là la nuit et les jours sui-
1>fl ttAlLlAftO ORGANfSC tîN TRIBttNAL
vants, jugeant par signes, opinant par des mouve-
. ments de tète. Plusieurs, quand ils voyaient la foule
un peu favorable k tel prisonnier, hasardaient parTois
un mot d'indulgence.
Avant la création de ce tribunal, un seul homme
avait été épargné , l'abbé Sicard , instituteur des
sourds -muets, réclamé d'ailleurs par F Assemblée
nationale. Depuis que Maillard siégea, avec son jury,
il y eut distinction ; il y eut des coupables et dos in-
nocents; beaucoup de gens échappèrent. Maillard
consullait la foule, mais, en réalité, son autorité élaît
telle qu'il imposait ses jugements. Ils étaient respec-
tés, quels qu'ils fussent, lors môme qu'ils absolvaient.
Quand le noir fantôme se levait, mettait la main sur
la tôle du prisonnier, le proclamait innocent, per-
sonne n'osait dire Non. Ces absolutions, solennelle-
ment prononcées, étaient généralement accueillies
d^s meurtriers avec des clameurs de joie. Plusieurs,
par une étrange réaction de sensibilité, versaient des
larmes, et se jetaient dans les bras de celui qu'un mo-
ment auparavant ils auraient égorgé. Ce n'était pas une
petite épreuve que de recevoir ces poignées de main
sanglantes, d'être serré sur la poitrine de ces meur-
triers sensibles. Ils ne s'en tenaient pas là. Ils recon-
* duisaient « ce brave homme, ce bon citoyen, ce bon
patriote». Ils le montraient avec bonheur, avec en-
thousiasme, le recommandaient à la pitié du peuple.
S'ils ne le connaissaient point, n'avaient rien h dire de
lui, leur imagination exaltée suppléaitet lui compo-
sait sa légende; ils la contaient, chemin faisant, et,
om sAtJve 43 reiiioKXEs (i sept. gt). 199
chose étrange, à mesure qu'ils rimprovisaieDtet la
Taisaient croire aux passants , ils la croyaient aussi
eux-mêmes, c Citoyens, disaient-ils, vous voyez
bien ce patriote, eh bien! on l'avait enTermé pour
avoir trop bien parlé de la nation... » — t Voye» ce
malheureux, criait un autre, ses parents l'avaient Tait
mettre aux oubliettes pour s'emparer de son bien. »—
« En même temps, dit celui auquel nous empruntons
ces détails , les passants se pressaient pour me voir
autour du fiacre oh j'étais , m'embrassaient par les
portières....»
Ceux qui reconduisaient un prisonnier se Taisaient
scrupule d'en rien recevoir, se contentant d'accepler
tout au plus un verre de vin des amis ou des parents
chez qui ils le ramenaient. Ils disaient qu'ils étaient
assez payé» de voir une telle scène de joie, et souvent
pleuraient de bonheur.
II y avait, au moins dans ces commencements du
massacre, un désintéressement très-réel. Des sommes
considérables, en louis d'or, qu'on trouva à l'Abbaye
sur les premières victimes, Turent immédiatement
portées à' la Commune. Il en Tut de même aux Car- *
wes. Le savetier qui y était entré le premier, et s'é-
tait Tait capitaine, eut un soin scrupuleux de tout ce
qu'on prit. Un témoin oculaire, qui me Ta conté, le
vit le soir, entrer avec sa bande dans l'église de Saint-
Sulpice, apporter dans son tablier de cuir sanglant
une masse d'or et de bijoux, des anneaux èpiscopaux,
(les bagues de grande valeur. Il remit fidèlement le
tout, par-devant témoins, à l'autorité.
160 DÉVOUEMENT DE M»«> CAZOTTB ET âOlfDREUIL,
Le lendeniain encore, dans la journée du 3, il y
eut un remarquable exemple de ce dësintéresement.
Ils avisèrent que le massacre des voleurs du Châtelet
était incomplet s'ils n'y joignaient celui d'une soixan-
taine de forçats qui étaient aux Bernardins, atten-
dant le départ de la chaîne. Ils allèrent les égoi^er,
jetèrent dans la rue les dépouilles, avec défense d*y
toucher. Un porteur d'eau qui passait reganla par
terre un habit avec curiosité, et le releva pour mieux
voir ; il Tut tué à l'instant.
Cette justice de hasard, troublée tantôt par la fu-
reur, tantôt par la pitié, par le désintéressement même
et le sentiment de l'honneur, frappa plus d'un répu-
blicain, en sauvant des royalistes. Au Châtelet, D'Ë-
presménil se fit passer pour massacreur, tant le dés-
ordre était grand. Ce qui étonne davantage, c'est qu'il
y eut des royalistes épargnés pour cela seul qu'ils s'a-
vouaient courageusement royalistes, alléguant qu'ils
l'avaient été de cœur et de sentiments, sans avoir
aucun acte à se reprocher. C'est ainsi qu'échappa un
journaliste très-aristocrate, l'un des rédacteurs des
Actes des Apôtres, Journiac de Saint-Méard. Il avait
intéressé un de ses gardes. Provençal comme lui, qui
lui procura une bouteille de vin; il la but d'un
trait, parla avec une assurance qui charma le tri-
bunal. Maillard proclama que la justice du peuple
punissait les acteSj et non les pensées. Il le renvoya
absous.
On voit par ce seul fait l'audace extraordinaire du
juge de l'Abbaye. Il mit parfois à une rude épreuve
DfiV0GE3fENT DE GEOFFROY-SAINT-HILAIRE (2 SERT. 92). 161
l*obéissance des meurtriers. Quelquerois ils s'iudi-
gnèrenl, réclamèrent, entrèrent dans le tribunal, le
sabre à la main. Une fois devant Maillard, ils étaient
intimidés, et ils s'en allaient.
11 y avait à TAbbaye une fille charmante, M'^* Ca-
zotte, qui s'y était enfermée avec son père. Gazette,
le spirituel visionnaire, auteur d'opéras-comiques^
n'en était pas moins très-aristocrate; il y avait con«
tre lui et ses fils des preuves écrites très-graves ^.
11 n'y avait pas beaucoup de chances qu'on pût le
sauver. Maillard accorda à la jeune demoiselle la fa-
veur d'assister au jugement et au massacre, de cir«
culer librement. Cette fille courageuse en profita pour
capter la faveur des meurtriers; elle les gagna, les
charma, conquit leur cœur, et quand sou père pa-
rut, il ne se trouva plus personne qui voulût le tuer*.
* Le dossier que nous possédons anx Archives fïalionales témoigne
de 11 légèreté des conspirateurs royalistes. L*un des complices de
Caxotte lui envoie, pour Tencourager, les prophéties de Nostradamus.
* Les déf oueroents de M^^'* de Cazolte et de Sombreuil étaient
toutefois commandés par le devoir et la nature. D*autres, plus spon->
tanés encore, furent, en ce sens, plus admirables. Uborloger Mon-
Dot sauva Tabbé Sicard, an péril de sa vie. Geoffroy-Saint-Hilaire, non
content d*avoir obtenu la liberté de son professeur Hauy, conçut Tau-
dadeux projet de sauver ses maîtres, les professeurs de Navarre, enfer-
més à Saint-Firmin. Ce jeune homme de vingt ans, le 2 septembre, à
deux heures, au moment même oii le tocsin sonnait, pénètre intrépide*
ment k la prison, avec la carte et les insignes d^un commissaire. Les
prisonniers n*osèrent le suivre, soit qu*ils doutassent du succès, soit
qu*ils craignissent de compromettre ceux qui n'auraient pu s*évader.
La nuit vint, et dans ceUe nuit de terreur, T humanité fut plus forte dans
ce cœur vraiment héroïque. 11 prit une échelle, Tappuya au mur de
Saint-Firmtn, h deux pas des sentinelles, et, dans cet extrême péril,
IV. "
102 DÉVOUEMENT
Cela eut lieu le 4 septembre. îl y avait trois jours
que Maillard siégeait immuable, condamnait et ab-
solvait. 11 avait sauvé quarante-deui personnes. La
quarante-troisième était difficile, impossible h sauver,
ce semble. C'était M. de Sombreuil, connu comme
ennemi déclaré de la Révolution. Ses fils étaient à
ce moment dans l'armée ennemie, et l'un d'eux se
battit si bien contre la France qu'il fut décoré par
le roi de Prusse. La seule chance de Sombreuil,
c'est que sa fille s'était enfermée avec lui.
Quand il parut au tribunal, ce royaliste acharné,
ce coupable, cet aristocrate, et qu'on vit pourtant un
vieux militaire qui à d'autres époques avait brave-
ment servi la France, Maillard fit effort sur lui-
même, et dit une noble parole : « Innocent ou cou-
pable, je crois qu'il serait indigne du peuple de trem-
per ses mains dans le sang de ce vieillard. »
M"* de Sombreuil, forte de ce mot, saisit intrépi-
dement son père, et le mena dans la cour, Tembras-
sant el l'enveloppant. Elle était si belle ainsi et si pa-
thétique, qu'il n'y eut qu'un cri d'admiration. Quel-
ques-uns pourtant, après tant de sang versé pour ce
ailendit haii heures q«e les prisonniers écbspp&flseat. Douie prêtres
furent sanréspar lui. L'un d'eux tomba et se blesss; Geoffroy-Saint-
HUaire le prit dans ses bras» le porta dans un chantier voisin. El il re-
vint encore k réchelle ; mais le jour venait, îl fut aperçu des sentinel-
les, et reçut dans son habit un coup de fusil. — A celui qui 9tv9k non-
Ifé une si courageuse sympathie pour la vie humaine, Dieu accorda pour
récompense de pénétrer le mystère de la vie, d*en comprendre les
transformations, comme nul ne le lit Jamais. Cet héroïsme de tendresse
lai révéla la nature, il y pénétra par le cœur.
HB !!»«• CAZOTTB ET SOMBREUIL (4 SBPT. 93). 163
qa'ils croyaient la justice, se Taisaient scrupule de
suivre leur cœur, de céder à la pitié, d'épargner le
plus coupable. On a dit, sans aucune preuve, mais
non pas sans vraisemblance, que, pour donner à
M*"* de Sombreuil la vie de son père, ils exigèrent
qu'elle jurât la Révolution, abjurât l'aristocratie, et
qu'en haine des aristocrates, ellegoûtât de leur sang.
Que M"' de Sombreuil ait ainsi racheté son père,
cela n'est pas impossible. Mais on ne lui aurait pas
même offert ce traité, ni déféré le serment, si le juge
de l'Abbaye n'eût lui-même fait appel à la générosité
du peuple, et si la parole de vie ne s'étiiit trou^-ée
dans la bouche de la Mort.
Ce fut le dernier acte du massacre. Maillard s'en alla
de TAbbaye, emportant la vie de quarante-trois per-
sonnes qu'il a^ ail sauvées, etrexëcration de ravenir\
* Le registre de l' Abbaye, tout Ucbé de saog, garde siir les
marges ce nom délesté, ordînaîremeot au bas de celte note : tué
pftr le jugement dupeuiAe, ou absous par le peuple. Maillard, Son écri-
lore est très-belle, très-grande, monumentale, noble, posée, celle d*un
komine qui se possède entièrement, qui n*a ni trouble, ni peur, une
sécurité parfaite d^àuie «t de conscience. — Maillard ne reparaît plus
daus toute la Révolution : il resta comme enterré dans le sang. — La
belle parole qu*il prononça pour sauver Sombreuil ne peut être révo^
qoée en doute; nous Tavons retrouvée dans le journal le plus contraire
aux hommes de Septembre, dans le journal de Brissot, le Patriole
Français, — Une personne très- versée dans Phistoire de la Révolution,
et qui connaît parraitcineiil les hommes et les caractères de ce temps,
me disait qu'elle supposait que Mailtaird avait été envoyé par Danton,
pour organiser un tribunal modèle, qu*on pAt Imiter aux autres pn-
sons, de manière à sauver une partie des prisonniers. Cela se peut.
Toutefois il me parait au moins aussi vi'aisemljlable (fae Vinlrépide
huissier agit de lui-même et spontanément.
CHAPITRE VI
SUITE. - LE 3 ET LE 4 SEPTEMBRE.
Teirenr uniTerteUe dans la noil da S au S. — Inertie calcalée de ItenlM —
Prof rét de la barbarie, aox S, S el 4 septembre. ^ A TAbbaye , le km-
saere devient un specucle (8 septembre «S). — Tentative sor rhoeplre des
femmes. — Danger des femmes à la Force. ^ Massacre de la Force (S sep-
tembre M). Mort de madame de Lamballe. — La tête de madame de Lam-
balle portée an Temple. (5 septembre «t). Les ministres demandent en vain
qnt rAssemblée appelle la garde nationale aux armes. * Lettre de Rolland
A rAssemblée.— Circulaire de Marel au nom de la Commune poar conseiller
le massacre aui département*.— Massacre des femmes et des enCiftis à la
SalpMriére et à Bicétre (4 septembre M).
Personne, dans la nuit du 3 au i septembre, ne se
rendait encore bien compte de la portée et du carac-
tère du terrible événement. Au voile de la nuit, le
vertige et la terreur ajoutaient un double voile. Tant
d'hommes, qui depuis moururent si bien sur Técha-
faud ou dans les batailles, se troublèrent cette nuit,
et eurent peur. Étrange puissance de l'imagination,
des illusions nocturnes, des ténèbres Ce n'était
pourtant que la mort.
On ne se doutait nullement du petit nombre des
TERREUR UNIVERSELLE DANS LA NUIT DU 2 AU 3. ifS»
acteurs de la tragédie. Le grand nombre des specta-
teurs, des curieux, trompaient partout là-dessus.
Les massacreurs, en commençant, n'étaient pas cin«'
quante; et, quelques recrues qu*ils fissent, ils n'allé-
renl jamais qu*à trois ou quatre cents. L'Abbaye Tut
comme leur quartier-général ; ils y travaillèrent trois
jours, et c'est de là que la plupart allèrent aux di-
verses prisons, le 2 aux Carmes, au Chàtelet, à la
Conciergerie, le 3 à la Force, aux Bernardins, à
Saint-Firmin. Le i, ils sortirent en grand nombre
de Paris, et firent l'expédition de la Salpétriére, le
sac de Bicêtre.
Mais les imaginations ne calculèrent pas ainsi,
Chabot, présent à l'Abbaye, avait cru voir dix mille
sabrés. Les absents en virent cent mille.
La contagion des Fureurs populaires est parfois si
grande et si rapide, qu'on pouvait croire en effet que
la première étincelle ferait un grand embrasement.
La masse des volontaires, dont personne ne savait le
nombre, n'allait-^lle pas se mettre en mouvement,
livrer bataille aux prisons, puis à l'Assemblée peut-
être, puis, d'hôtel en hôtel, aux aristocrates?... On
ne pouvait le deviner. S'il en était ainsi, que faire?
quelle force leur opposer?... à moins qu'on n'appelât
au secours les royalistes, autrement dit, Tennemi,
à moins qu'on n' ouvrit le Temple, qu'on ne défit le
10 août.
A une heure du matin (le 3), des commissaires de
la Commune vinrent donner des nouvelles du mas-
sacre aux quelques députés qui, à cette heure avan-»
166 INERTIE CALCULÉE
çée di3 1^ nuit, représentaient seuls TAsseoiblée natio-
nale. Ils firent entendre que tout était fini, parlèrent
du massacre comme d'un fait accompli. L'un d^eux,
Truchon, exposa avec douleur les faibles résultats
que son intervention avait produits k la Force. Hais
Tallien et un autre ne firent pas difQculté d'exprimer
une sorte d' approbation de Injuste vengeance dupeu--
pie, qui d'ailleurs n'était tombée que sur des scélérats
reconnus-, ils parlèrent du désintéressement des mas-
sacreurs, ot de la belle organisation du tribunal
de l'Abbaye. — Tout cela écouté dans un iqorne
silence.
Toute puissance publique se trouvait paralysée.
Les ministres, généralement, ne voyaient rien à faire
que de quitter Paris.
Et toute puissance morale semblait anéantie de
même. Robespierre était caché. Il avait quitté, cette
nuit, la maison des Duplay, et s'était réfugié chez un
de ses fervents disciples, qui venait d'arriver à Pa-
ris, qui alors n'était pas connu, qui depuis le fut trop,
Saint-Just. Robespierre, assure-t-on^ ne se coucha
même pas.
Si l'on en croyait ^liuriot, ami, il est vrai, de Dan-
ton, celui-ci ef\t été le seul, dans cette terribip nuit,
qui restât debout et ferme, « qui fût décidé à sauver
lÈtat. >
Le violent et colérique Thuriol avait dit une belle
parole, en s' opposant, dans l'Assemblée, aux exi-
gences meurtrières de la Commune: « La Révolution
n'est pas à la France; nous en sommes comptables à
DE DANTON (2^ SEPTEVBBB 9S). 467
rhumaoité* » On a droit de supposer qu'il demanda
compta à Danton du sang qui était versé.
Sauver VÉtat^ ce mot comprenait deux choses:
Rester à Paris quand même, y rester jusqu'à la mort,
et y faire rester les autres; —d'au Ire part, conserver
ou rétablir l'unité des pouvoirs publics, éviter uuq
collision entre les deux pouvoirs qui restaient, l'As-
semblée et la Commune.
Lever la main sur la Commune, dans cette crise
désespérée, briser le dernier pouvoir qui eût force
encore, c'était une opération terrible, où la France
agonisante pouvait expirer. D'autre part, laisser faire
la Commune, se soumettre, fermer les yeu^ sur le
massacre, c'était s'avilir par cette tolérance forcéQ^
laisser dire qp'on avait peur, qu'on était faible, lâche,
infime, et le laquais de Marat.
Restait un troisième parti, celui de l'orgqeil, de
dire que le massacre était bien, que la Commune
avait raison, — ou même de faire entendre qu'on
avait voulu le massacre, qu'on l'avait ordonné, que
la Commune ne faisait qu'objèir. Ce troisième parti,
horriblement effronté, avait ceci de tentant qu'en le
prenant, Danton se mettait à l'avant-garde des vio-
lents, se subordonnait Marat, écartait les vagues
dénonciations dans lesquelles on essayait de l'en*
velopper.
Il y avait, je l'ai dit, du lion dans cet homme, mais^
du d(^ue aussi, du renard aussi. Et celui-ci, k tout
prix, conserva la peau du lion.
Que dit-il, la nuit du 2? Je ne peux pas croire
tOê I»HUGIIÈS DANS LA DAR1IARIE,
qu'il ait déjà accepté la pleine responsabililé du cri*
me. Le succès était encore trop obscur. Nous vemms
par quels degrés Danton en vint à Tadopter^ à le re-
vendiquer.
Les choses furent ainsi laissées à la fatalité, au ha«
sard, au terrible crescendo que le crime en liberté suit
inévitablement.
Dès la nuit du 3 au 4^ on put s'apercevoir que
le massacre irait changeant de caractère, qu'il ne
garderait pas l'aspect d'une justice populaire , sau-
vage, mais désintéressée, qu'on croyait lui donner
d'abord.
Les massacreurs, nous l'avons vu, étaient mêlés
d'éléments divers, qui, le premier jour, indistincts
et contenus l'un par l'autre, éclatèrent ensuite; le
pire alla l'emportant. Il y avait des gens payés; il y
avait des gens ivres et des fanatiques ; il y avait des
brigands ; ceux-ci peu-à-peu surgirent.
Sauf les cinquante et quelques bourgeois qui tuè-
rent à l'Abbaye et sans doute s'en éloignèrent peu, les
autres (eu tout, deux ou trois cents) allèrent de prison
en prison, s'enivrant, s'ensanglantant, se salissant de
plus en plus, parcourant en trois jours une longue
vie de scélératesse. Le massacre qui, le 2, fut pour
beaucoup un effort, devint, le 3, une jouissance. Peu-
à-peu, le vol s'y mêla. On commença de tuer des
femmes. Le 4, il y eut des viols, on tua même des
enfants.
Le commencement fut modeste. Dans la soirée du
2, ou la nuit du 2 au 3, plusieurs de ceux qui tuaient
AUX i, s, 4 SEP1EVBRE. |69
à TAbbaye, n'ayant ni bas ni souliers, regardèrent
avec envie les obaussures des aristocrates. Ils ne von^
lurent pas les prendre sans y être autorisés ; ils mon*
tèrent à la section, dont le bureau siégeait à VAb-
baye inèmey demandôrent la permission de mettre
à leurs pieds les souliers des morts. La chose ayant
été obtenue facilement, l'appétit leur vint, et ils de-*
mandèrent davantage : des bons de vin k prendre
chez les marchands pour soutenir les travailleurs et
les animer à la besogne.
Les choses n'en restèrent pas là. A mesure qu'on
s'étourdit, plusieurs se hasardèrent à voler des nip-
pes. Un de ceux qui travaillèrent la nuit, le plus ar-
demment, dans ce sens, était un Tripier du quai du
Louvre, nommé Laforèt. Son honible Temme tuait
aussi, et volait effrontément ; c'étaient des pillards
connus. Plus tard, au 31 mai, Laforèt se plaignit
amèrement de ce qu'il n'y avait pas de pillage dans
les maisons : « Dans un jour comme celui-ci, disait-il,
j'aurais dû avoir au moins cinquante maisons pour
ma part, i»
Soit que Maillard ait trouvé que ces voleurs lui
{gâtaient son massacre et qu'il ait fait avertir la Com-
mune, soit que, d'elle-même, elle ait voulu conserver
une sorte de pureté à cette belle justice populaire, un
de ses membres arriva vers minuit et demi à l'Ab-
baye, un homme de figure douce, en habit puce, et
petite pernique. C'était Billault-Yarennes. Il n'essaya
pas d'arrêter le massacre; l'exemple de Manuel,
Dusauli et des autres députés avertissait assez que
490 A L'ABBAYE,
kt chose était impossible. Il insi^^ seulemeot pour
qu'on sauvât les dépouilles. Toutefois, comme toute
pleine mérite une récompense^ il promit aux ouvriers
un salaire régulier. Cette mesure (rès-odieuse, et qui
impliquait une approbation, n'en eut pas moins un
bon effet; du moment qu'ils furent payés régulière-
ment, ils travaillérept beaucoup moins, se donnèrent
du bon temps, et se ralentirent.
. Une grande partie des massacreurs s'étaient écou*
lés au Châtelet, à la Force. La tuerie de TAbliaye
devint affaire de plaisir, de récréation, un spectacle.
On entassa des bardes au milieu de la cour, en une
sorte de matelas, La victime, lancée de la porte
dans cette sorte d'arène, et passant de sabre en sabre,
par les lances ou par les piques, venait, après quel-
ques tours, tomber k ce matelas, trempé et retrempé
de sang. Les assistants s'intéressaient à la manière
dont chacun courait, criait et tombait, au courage, à
la lâcheté qu'avait montrés tel ou tel, et jugeaient en
connaisseurs. Les femmes surtout y prenaient grand
plaisir; leurs premières répugnances une fois surmon*
tées, elles devenaient des spectatrices terribles, insa^
tiables, comme furieuses de plaisir et de curiosité. Les
massacreurs, charmés de l'intérêt qu'on prenait à
leurs travaux, avaient établi des bancs autour de la
cour, bien éclairée de lampions; des bancs, mais non
indistincts pour les spectateurs des deux sexes; il y
avait bancs pour les messieurs et bancs pour les da-
mes, dans l'intérêt de l'ordre et de la moralité.
Deux spectateurs étonnaient fort et faisaient par-
LB MASSACRS HBTIENT UV SPECTACLE (3 SEPTEVBBE 92). i7i
tie du spectacle : c'étaient deux Apglais; Tun gras,
Taulre maigre, en longues redingotes qui leur tom-
iMÛent aux talons. Ils se tenaient debout, Tun à droite
et l'autre à gauche, bouteilles et verres à la main ;
ils avaient pris la fonction de rarratchir les travail-
leurs, et pour les rafraîchir, ils leur versaient toute
la nuit le vin et Teau-de-vie. On a dit que c'étaient
des agents du gouvernement anglais. Selon une con«
jecture plus probable encore (que fortifie un ouvrage
publié à Londres par l'un des deux Anglais, ce sem-
ble), ils n'étaient rien de plus que des voyageurs cu-
rieux, des excentriques, cherchant les émotions vio-
lentes, radicaux prononcés du reste, et ne regrettant
en la chose qu'un seul point, qu'elle n'eût pas lieu à
Londres.
Le massacre, devenant pour les uns une occasion
de vol, un spectacle pour les autres , s'enlaidissait
fort. Plusieurs, on le voyait trop, jouissaient à tuer.
Cette tendance monstrueuse commença à ce révé-
ler, la Duit même, dans le supplice recherché qu'on
fit subir k une femme. C'était une bouquetière bien
coniiue du Palais-Royal, détenue pour avoir mutilé un
garde française, & la façon d'Abailard. La plupart de
ces femmes et filles du Palais-Royal étaient royalis-
tes, regrettant le bon temps, les nobles qui lespayaient
mieux. On supposa que celle-ci, royaliste autant que
jalouse, avait voulu avilir un amant révolutionnaire,
outrager en lui la révolution. On la punit par le sexe,
autant qu'il était possible ; on lui passa un bouchon
de paille dans les parties naturelles, comme on en
Ht TENTATIVE SUR L*ilOSPiCE DES FEMMES (3 SEPT.).
met aux choses à vendre. La malheureuse, s'agitaut
dans cette extrême douleur, ou l'attacha toute nue k
un poteau et on lui cloua les pieds ; puis on lui coupa
les seins, et l'on mit le Teu à la paille : elle fut tail*
lée, brûlée; ses cris s'entendaient d'un pont jusqu'à
l'autre V
Le plaisir abominable qu'on avait pris à faire souf*-
frir une femme semble avoir sali les esprits, cor-
rompu le massacre même. Vers le matin, une masse
d'hommes se rendirent au grand hospice des femmes,
à la Salpètrière. Il y en avait là de tout âge et de
toute classe , de vieilles et inQrmes , de petites et
toutes jeunes , enQn des filles publiques. Celles-ci ,
nous l'avons dit, étaient toutes, à tort ou à droit,
suspectes de royalisme. Néanmoins, celte fureur pa-
triotique, qui s'attaquait à des filles la plupart jeunes
et jolies, était-elle un pur fanatisme? ou bien la pen-
sëe du viol avait-elle commencé à flotter dans les as-
prits?.. Quoi qu'il en soit, ils trouvèrent là une masse
de garde nationale, et comme ils étaient peu nom-
breux encore, ils ajournèrent l'expédition.
Le 3 fut marqué surtout par le massacre de la
Force; il y avait beaucoup de femmes à cette pri-
son et fort en danger. La Commune, dans la nuit
même, y avait envoyé, pour en retirer du moins
celles qui n'y étaient que pour dettes. 11 était minuit
* Cet horrible fait D*est pas irès-sûr. On dit que la bouquelière éuil
à la Conciergerie, mais M. Labal a cherché son uoiii inulileinent sur le
registre d*écrou.
DAKGBR DES FEMMES, A LA FORCE. ilù
et demi, et les massacreurs étaient déjà aux portes,
peu nombreux , à la vérilé. C'était une chose hon-
teuse de voir une cinquantaine d'hommes, nullement
appuyés du peuple , qui parlaient au nom du peuple
et faisaient reculer ses représimtants véritables , les
membres de la Commune. Ces magistrats populaires
ne furent nullement respectés ; on leva les sabres sur
eux. Cependant, ils emmenèrent non-seulement les
prisonniers pour dettes, mais MP* de Tourzel, gouver^
nante du Dauphin, sa jeune Gllo Pauline, trois femmes
de chambre de la reine, et celle de H*"* de Lamballe.
Quant à cette princesse, l'amie personnelle de la reine,
tellement désignée à la haine publique, on n'osa point
l'emmener.
La Commune n'avait plus aucune raison de désirer
qu'on tuât. Le massacre de quatre prisons avait pro-
duit, et au-delà, l'effet de terreur qui la maintenait
au pouvoir. Elle tenait terrassée TÂssemblèe, la presse,
et Paris. Le matin du 3, À sept heures, pour porter plus
directi^ment encore ce coup de terreur, elle envoya
deux de ses commissaires chez l'homme le plus con-
sidérable de la presse, Brissot, sous prétexte de cher-
cher dans ses papiers les preuves de la grande trahison,
des rapports avec Brunswick, que Robespierre avait
dénoncés le 1*^ et le 2 septembre. On savait i{u'on ne
trouverait rien, et l'on ne trouva rien en effet; ou ne
voulait que faire peur, terrifier TAssemblée, la briser
sans la briser, tuer la presse et la faire taire. Ces deux
effets furent produits. Nul journaliste ne pouvait se
croire en sûreté, lorsque Brissot, un membre si con«
il A IIASSACBE
sidérablè de l'Assemblée, était recherché, menacé
chez lui. L'effrayante stupeur qui régna le 2 est yîsI-
ble dans leâ journaux qui Turent rédigés dans la jour-
née et parurent le lendemain^ le surlendemain en-
core^ et les jours suivantis. C'est là qu'il Tant étudier
ce phénomène physiologique, affreux, humiliant, la
peur. Ces journalistes, plus tard, sont morts héroï-
quement; pas un n'a montré dé faiblesse. Eh bien!
faut-il l'avouer? effet vraiment étonnant de celte fan-
tasmagorie nocturne , de ce rêve épouvantable , de
ces ruisseaux de sang qu'on se représentait coulant
à la lueur des torches de l'Àbbaye..., le 3, ils furent
comme glacés; ils n'osèrent pas même se taire; ils
bégayèrent dans leui's journaux, équivoquèrent, louè-
rent presque la terrible justice du peuple.
Deux membres de la Commune présidèrent ail
massacre de la Force (Hébert, Luillier, Chépyf on
varie sur quelques noms). S'ils voulaient sauver des
victimes, leur tâche semblait plus facile que celle des
juges de l'Abbaye. La Force contenait moins de pri-
sonniers politiques. Les massacreurs étaient moins
nombreux, les spectateurs moins animés. La popula-
tion du quartier regardait froidement, et ne prenait
bulle part à la chose. En récompense, les juges étaient
loin d'avoir l'autorité terrible de Maillard ; ils ne do-
minèrent pas les massacreurs, mais furent dominés
par eux, furent plutôt leurs instruments, et sau vê-
tent peu de personnes.
te Laisser faire, laisser tuer » , c'était, ce semble ,
lé t atk matin, la pensée de la Commune. Elle reçut à
DE LA FORCE (3 SEPTEMBRE 92). i%
cette heure quelques hommes des Quinze-Vingts, qui,
parlant comme s'ils avaient pouvoir de leur section,
demandaient non-seulement la moridescan^pirateun^
mais aussi V emprisonnement des femmes des émigrés^.
L'emprisonnement, dans un tel jour, ressemblait
beaucoup à la mort. La Commune n'osa dire Non *,
et répondit lâchement : « Que les sections pouvaient
prendre dans leur sagesse les mesures qu'elles juge-
raient indispensables. «>
Manuel et Pétion, qui se rendirent à la Force pout*
essayer dMnlervenir, virent avec horreur leurs collè-
gues de la Commune siéger en écharpe et légahser la
tuerie. Manuel voulut sauver du moins la dernière
femme qui restât à la Force, M"* de Lamballe, et ne
se retira que lorsqu'il crut avoir assuré son salut.
Déjà, la veille, & la Commune, il avait eu le bonheur
de sauver M"* de Staël. Son titre d'ambassadrice de
Suède ne suffisait pas à la protéger; Manuel réussit
en montrant qu'elle était enceinte.
Pour revenir à la Force, Pétion harangua les mas*
sacreurs, s'en fit écouter; il parla très-sagement, et
crut les avoir convertis à l'humanité, à la philoso-
phie; il parvint même à les faire partir, les fit sortir
par une porte. Lui parti, ils rentrèrent par Tautre,
et continuèrent de plus belle.
Le quartier Saint-Antoine et le faubourg restaient
étrangers à l'aflkire. Un moment pourtant on put
croire qu'ils sortiraient de leur inaction, que la masse
honnête se déciderait à chasser les assassins. Quel*
ques hommes allèrent chercher un canon à la section
176 MORT
(je parle d'après uottémoia oculaire), et se mirent k
le traîner vers la Force. Parvenus bien près de Té-
glise, ils virent qu'on ne les suivait pas, et laissèrent
là leur canon.
Les massacreurs continuèrent. La victime qu'ils
attendaient, désiraient , était M"' de Lamballe. lis
avaient bien voulu épargner deux ou trois valets de
chambre du Roi, du Dauphin, reconnaissant que le
dévouement obligé d*un serviteur ne peut être un
crime; mais M"^ de Lamballe, ils la considéraient
comme la principale conseillère de l'Autrichienne, sa
confidente, son amie , et quelque chose de plus. Une
curiosité obscène et féroce se mêlait à la haine que
son nom seul excitait et faisait désirer sa mort.
Hs se trompaient certainement pour l'influence
qu'ils lui suppasaient sur la reine. Le contraire était
plus vrai. Si la reine était légère, elle n'était pas do-
cile; elle avait des qualités mâles et fortes, domina-
trices, un caractère intrépide. M***' de Lamballe était,
au sens propre, une femme. Son portrait, plus que
féminin ', est celui d'une mignonne petite fille sa-
voyarde ; on sait qu'elle était, en cflfet, de ce pays.
La tète est fort petite, sauf Ténorme et ridicule écha*'
faudage de cheveux, comme on les portait abrs; les
traits aussi sont trop petits, plus mignons que beaux;
la bouche est jolie, mais serrée, avec le fixe sourire
du Savoyard et du courtisan. Cette bouche ne dit pas
* Voyez auMosée de Versailles. Les autres portraits sont ridicules, de
méprisables mensonges, comme les Mémoires français et anglais qn*on
t mis sotti son nom.
DB MADAME DE LAMBALLE (3 SEPTEMBRE 93). 177
graod'chose ; on sait en effet que la gentille princesse
avait peu de conversation, nulle idée; elle était peu
amusante. Le portrait, qui répond très-bien à l'his-
toire, est celui d'une personne agréable et médiocre,
née pour dépendre et obéir, pour souffrir et pour
mourir (ce faible col élancé ne fait que trop penser,
hélas! à la catastrophe). Mais ce que le portrait ne
dit pas assez, c'est qu'elle était faite aussi pour aimer.
11 7 parut à la mort.
La reine l'aimait assez, mais elle fut pour elle ,
comme pour tous, légère, inégale. Elle se jeta d'abord
à elle, avec tout l'emportement de son caractère. La
pauvre jeune étrangère, malheureuse par son mari
qui la délaissait et mourut bientôt, fut reconnaissante,
se donna de cœur, tout entière et pour toujours.
Bien ou mal traitée, elle resta tendre et fidèle, avec
la constance de son pays. Cette femme jeune et jolie
était toute à deux personnes, au vieux duc de Pen*
thièvre, son beau -père, qui voyait en elle une fille,
et a la reine, qui l'oubliait pour M"* de Polignac. La
reine n'avait aucun besoin de la bien traiter; elle
était sûre de son dévouement aveugle, en toute chose,
honorable ou non ; elle s'en servait sans façon pour
toute affaire et toute intrigue, la compromettait de
toute manière, en usait et abusait. Qu'on en juge par
un fait : ce fut M"' de Lamballe qu'elle envoya à la
Salpêtrière pour offrir de l'argent à M"* de Lamotte,
récemment fouettée et marquée ; la reine apparem-
ment craignait qu'elle ne publiât des mémoires sur
la vilaine affaire du collier. Le trop docile inslru-
IV. "
178 MORT
ment de Marie-Antoinette reçut àe la supérieure de
rhospice cette foudroyante parole : « Elle est con-
damnée^ madame^ mais pas à vous voir. »
La reine, en 90 et 91, se servit de M"* de Ijim-
balle d'une manière moins honteuse, mais très-péril-
leuse et la mit sur le chemin de la mort. Elle prit
son salon pour recevoir; elle traita chez elle ou par
elle avec les hommes importants de l'Assemblée qu'elle
essayait de corrompre; elle fit venir là les journalistes
royalistes, les hommes les plus haïs, les plus compro-
mettants. Elle donna ainsi à son amie une impor-
tance politique qu'autrement son caractère, sa fai-
blesse, son défaut absolu de capacité, ne lui auraient
donnée nullement. Le peuple commença à consi-
dérer cette petite femme comme un grand chef de
parti. La seule chose bien certaine, c'est qu'elle avait,
en tout, le secret de Marie-Antoinette, qu'elle la savait
tout entière, la reine n'ayant jamais daigné se ca-
cher en rien pour une amie si dépendante, si faible,
et qui Taimait quand même, comme un chien aime
son mattre.
Celte malheureuse femme était à Tabri, en sûreté,
quand elle apprit le danger de la reine. Sans réflexion,
sans volonté, son instinct la ramena pour mourir, si
elle mourait. Elle fui avec elle, au 10 août; avec elle,
au Temple. On ne lui permit pas d'y rester; on l'arra-
cha de Marie-Antoinette, et on la mit à la Force. Elle
commença à senliralors que son dévouement l'avait
menée bien loin, jusqu'à une épreuve que sa faiblesse
ne pouvait porter. Elle était malade de peur. Dans
DE MADAME DE LAMBALLE (5 SEPT. 92). 179
la nuit du 2 au 3, elle avait vu partir M">* de Tourzel,
et elle, elle était restée. Cela lui annouçait son sort.
Elle entendait des bruits terribles, écoutait, s'enfon-
çait dans son lit, comme fait un enfant qui a peur.
Vers huit heures, deux gardes nationaux entrent brus-
quement : « Levez-vous, madame, il faut aller à T Ab-
baye. » — « Mais, messieurs , prison pour prison ,
j*aime bien autant celle-ci, laissez-moi.» Ils insis-
tent. Elle les prie de sortir un moment, afin qu'elle
puisse s'habiller. Elle en vient k bout, enfin ; mais
elle ne peut marcher; tremblante, elle prend le bras
d'un des gardes nationaux, elle descend, elle arrive
à ce tribunal d'enfer. Elle voit les juges, les armes,
la mine sèche d'Hébert et des autres, des hommes
ivres, et du sang aux mains. Elle tombe, s'évanouit.
Elle revient, et c'est pour s'évanouir encore. Elle ne
savait pas que beaucoup de gens désiraient passion-
nément la sauver. Les juges lui étaient favorables ;
dans ceux même qui la rudoyaient, jusque dans tes
massacreurs, on lui avait fait des amis. Tout ce qu'il
eût fallu, c'eût été qu'elle pût parler un peu *, qu'on
tirât de sa bouche un mot qu'on pût interpréter
pour motiver son salut. On dit qu'elle répondit as-
sez bien sur le 10 août ; mais quand on lui demanda
de jurer haine à la royauté, haine au roi, haine à la
reine! son cœur se serra tellement, qu'elle ne put
^ Peltier ne manque pas de lui faire une suite de belles réponses,
héroïques, du vrai Corneille. Rien de plus invraisemblable d'après tout
ce que nous savons de celte femme faible et timide, incapable évi-
demment de soutenir un pareil rôle.
laO MORT
plus parler; elle perdit contenance^ mit ses deux
mains devant ses yeux, se détourna vers la porte.
Au moment où elle la franchit, elle y trouva un cer-
tain Truchon, membre, je crois, de la Commune,
qui s'empara d'elle, et d'autre part, un massacreur,
le grand Nicolas, la saisit aussi. Tous deux, et d'au-
tres encore, avaient promis de la sauver. On dit
même que plusieurs de ses gens s'étaient mêlés aux
égorgeurs, et l'attendaient dans la rue. « Crie Vive
la nation ! disaient-ils, et tu n auras pas de mal. »
A ce moment, elle aperçut au coin de la petite rue
Saint-Antoine quelque chose d'effroyable, une masse
molle et sanglante, sur laquelle un des massacreurs
marchait des deux pieds avec ses souliers ferrés. C'é-
tait un tas de corps tout nus, tout blancs, dépouil-
lés, qu'on avait amoncelés. C'est là-dessus qu'il fal-
lait mettre la main, et prêter serment : cette épreuve
fut trop forte. Elle se détourna, et poussa ce cri :
tFi! l'horreur!»
Il y avait, sans nul doute, dans les meurtriers, de fu-
rieux fanatiques qui, après avoir tant tué d'inconnus,
d'innocents, s'indignaient de voir celle-ci, la plus
coupable, à leur sens, l'amie et la confidente de la
reine, qui allait être épargnée. Pourquoi? parce
qu'elle était princesse, qu'elle était très-riche, et
qu'il y avait beaucoup à gagner sans doute à la tirer
de là. On assure qu'en effet des sommes considérables
avaient été distribuées entre ceux qui se faisaient fort
de la sauver du massacre.
La lutte, selon toute apparence, se trouvait enga-
DE MADAME DE LAMBALLE (3 SEPT. ^2). 181
gée pour elle entre les mercenaires et les fanatiques.
L'un des plus enragés, un petit perruquier, Charlat,
tambour dans les volontaires, marche à elle, et de sa
pique, lui fait sauter son bonnet; ses beaux cheveux
se déroulent el tombent de tous côtés. La main mal-
adroite ou ivre qui lui avait fait cet outrage trem-
blait, et la pique lui avait effleuré le front; elle
saignait. La vue du sang eut son effet ordinaire :
plusieurs se jetèrent sur elle ; l'un d'eux vint par
derrière, et lui lança une bûche; elle tomba, et à
l'instant fut percée de plusieurs coups.
Elle expirait à peine, que les assistants, par une
indigne curiosité qui fut peut-être la cause princi-
pale de sa mort, se jetèrent dessus pour la voir. Les
observateurs obscènes se mêlaient aux meurtriers,
croyant surprendre sur elle quelque honteux mys-
tère qui conBrmàt les bruits qui avaient couru. On ar-
racha tout, et robe, et chemise; et nue, comme Dieu
l'avait faite, elle fut étalée au coin d'une borne, à
l'entrée de la rue Saint-Antoine. Son pauvre corps,
très-conservé relativement (elle n'était plus très-
jeune), témoignait plutôt pour elle; sa petite télé
d*enfant, plus touchante dans la mort, disait trop son
innocence, ou du moins faisait bien voir qu'elle n'a-
vait pu guère faillir que par obéissance ou faiblesse
d'amitié.
Ce lamentable objet resta de huit heures à midi
sur le pavé inondé de sang. Ce sang qui coulait par
fontaines de ses nombreuses blessures, venait de
moment en moment la couvrir, la voiler aux yeux.
182 U TÊTE DE MAOÀIIB DE LAMBULE
Uq homme s'établit auprès, pour étancher le flot; il
. montrait le corps & la foule : « Voyez-vous comme elle
était blanche ! voyez-vous la belle peau 1 » Il faut re^
marquer que ce dernier caractère, bien loin d'exciter
la pitié, animait la haine, étant considéré comme un
signe aristocratique. Ce fut un de ceux qui dans le
massacre aidait le plus les meurtriers daos leurs
étranges jugements sur ceux qu'ils allaient tuer. Ce
mot : a Monsieur de la peau fine, était un arrêt de
mort.
Cependant, soit pour augmentera honte et l'ou-
trage, soit de peur que l'assistance ne s'attendrit à la
longue, les meurtriers se mirent à déGgurer le corps.
Un nommé Grison lui coupa la tète ; un autre eut
l'indignité de la mutiler au lieu même que tous doi-
vent respecter (puisque nous en sortons tous) ; le
barbare lui coupa ces parties sacrées ; ce pauvre mys-
tère de femme, que les assassins eux-mêmes auraient
dû voiler de la terre, ils le mirent au bout d'une pique
et le promenèrent au soleil.
Hàtons*nous de dire que, de ces deux brigands, l'un
fut plus tard guillotiné, comme chef d'une bande de
voleurs ; l'autre, Charlat , fut massacré à l'armée par
ses camarades, qui ne voulurent pas souffrir parmi eux
cet homme infâme.
Ce fut une scène effroyable de les voir partir de la
Force , emportant au bout des piques , dans cette
large et triomphale rue Saint-Antoine, leurs hideux
trophées. Une foule immense les suivait, muette
d'étonnement. Sauf quelques enfants et quelques
PORTtE AU TSKPLB (5 SEPT. M)- ISS
gens ivrea qui criaieDt, tous les autres étaient péné^
très d'horreur. Une femme, pour échapper à cette
vue, se jette chez un perruquier; et voilà la tète
coupée qui arrive à la boutique, qui entre... Cette
femme, fouclroyée de peur, tombe à la renverse, heu-
reusement de manière qu'elle tombe dans l'arrière*
boutique. Les assassins jettent la tète sur le comptoir,
disent au perruquier qu'il faut la friser; ils la me-
naient, disaientrib, voir sa maîtresse au Temple; il
o'eût pas été décent qu'elle se présentât ainsi. Leur
caprice était , en effet, d'exercer sur la reine ce sup*-
plice atroce et infâme de la forcer de voir le cœur,
la tète et les parties honteuses de M"* de Lamballe,
-— ce cœur qui l'avait tant aimée I
On craignait extrêmement pour le Temple. L'in-
tention des meurtriers, manifestée de bonne heure ,
fit craindre à la Commune deux choses, en effet, très-
funestes : ou que le Roi et sa famille j des otages si
précieux 9 ne fussent égorgés, ou que l'Assemblée,
pour les protéger , n'autorisât une prise d'armes qui
eût fourni aux royalistes un prétexte de se relever.
La Commune envoya à l'Assemblée, envoya au Tem*
pie. Les commissaires prirent un moyen ingénieux de
garantir le Temple , en évitant toute chance de colli*-
sioD; ce fut d'entourer le mur d'un simple ruban tri*
colore. Quelque affreux que fût ce moment, ils sa-
vaient parfaiteinent que la grande masse du peuple
respecterait le ruban et le ferait respecter; plusieurs
ea effet, dit-on, le baisèrent avec enthousiasme. 11
n'était nullement à craindre que les égorgeurs hasar-^
164 LES MINISTRES DEMANDENT EN VAIN OUB L'ASSEMBLAB
dassent de le forcer ; ils ne le voulaient pas eux-mê-
mes ; ils demaudaient seulement à circuler sous les
fenêtres de la famille royale, à se faire voir de la reine.
On n'osa les refuser; on invita même le Roi à se met-
tre & la fenêtre au moment où la tête livide, avec
tous ses longs cheveux, venait branlante sur la pique
et s'exhaussait à la hauteur des croisées. Un des
commissaires , par humanité, se jeta devant le Roi,
mais il ne put l'empêcher de voir et de reconnaître...
Le Roi arrêta la reine qui s'élançait, et lui épargna
Tépou vantable vision .
La promenade continua par tout Paris sans que nul
y mtt obstacle. On porta la tête au Palais-Royal, et le
duc d*Orléans, qui était k table, fut obligé de se lever,
de venir au balcon, de saluer les assassins. Cétait
une amie de la reine , une ennemie par conséquent,
qu'il voyait dans M"* de Lamballe. 11 y vit aussi l'ave-
nir, et ce que lui-même il devait bientôt attendre; il
rentra terrifié. II payait cent mille écus par an de
douaire à M*"* de Lamballe; il gagnait beaucoup
à sa mort; sa fortune allait augmenter; c'était sa
tête seulement qui ne tenait qu'à un fil. Sa mat-
tresse, M"' de Ruffon, s'écriait, joignant les mains :
«( Mon Dieu ! on portera aussi bientôt ma tête dans
les rues. »
Ce triomphe de l'abomination, l'infâme insolence
d'un si petit nombre de brigands qui forçait tout un
peuple à salir ainsi ses yeux, produisit une violenta
réaction de la conscience publique. Le voile pesant
de terreur (}ui enveloppait Paris sembla un moment
APPELLE LA GARDE NATIONALE AUX ANMES (3 SEPT. 92V 485
se lever. Les ministres de la guerre et de rintérieur
vinrent demander à F Assemblée des mesures d'ordre
et de paix, non pas au nom de l'humanité (personne
n'osait plus prononcer ce nom) , mais au nom de la
dérense. L'ennemi avançait, il venait de prendre Ver-
dun. Cet événement, nié, affirmé, nié encore, fut
annoncé cette fois d'une manière officielle. L'ennemi
avançait, marchait vers Paris, et il allait le trouver
dans l'état d'extrême faiblesse qui suit une orgie san-
glante, dans l'ignoble lendemain d'un jour d'ivresse
furieuse, hébété de peur, soûl de sang.
Les ministres eurent raison d* affirmer que les ex-
cès commis dans Paris étaient une faiblesse, et non
une force, qu'ils étaient un obstacle, une entrave à
la défense ; ils demandèrent que l'Assemblée restât
complète toute la nuit , et qu'e//e nitt la garde natio-
nale sous les armes. Ils ne firent nulle mention de la
Commune , ni du commandant de la garde nationale
Santerre; il semblait difBcile, en effet, de demander
la 6n du massacre à ceux qui l'avaient commencé.
L'Assemblée ne fit point ce que demandaient les
ministres Roland et Servan; elle n'agit point elle-
même, n'appela point la garde nationale, mais, con-
stilutionnellement, agit par la Commune, par le com-
mandant Santerre. Or, c'était ne point agir.
Elle ne voyait que deux ministres, les deux Giron-
dins; elle ne voyait point Danton ; toujours absent de
la Commune , il l'était de l'Assemblée. Celle-ci crai-
goil sans doute de créer une division dans le pouvoir
exécutif; elle se contenta de déclarer la Commune et
iM UTTftK PE EOUMD
le comniaDdant responsables de ce qui se ferait ; elle
leur ordonna, ainsi qu'aux présidents des sections de
Paris, de venir jurer à la barre qu'ils pourvoieraient
à la sûreté publique.
Vaine mesure, timide, insuffisante! un serment,
des paroles! A quoi le ministre Roland ajouta d'au«
très paroles , une longue lettre que sans doute sa
femme avait écrite et qu'il fît lire à l'Assemblée. Elle
était plus courageuse qu'habile ; elle menaçait Paris.
Dans ce moment où la défense demandait la plus
forte unité, où il fallait éviter tout ce qui ébran-
lait la foi dans cette unité, elle parlait de séparation.
Elle disait que déjà, sans le 10 août, a le Midi , plein
de feu, d'énergie, de courage, était prêt à se sépa-
rer pour assurer 'son indépendance ; et que s'il n'y
avait point de liberté à Paris, les sages et les timides
^ réuniraient pour établir ailleurs le siège de la Con«
vention. » La lettre ne portait que trop l'empreinte
des conversations de Barbaroux et de M*"* Roland. U
y avait imprudence à provoquer ainsi l'amour-propre
de Paris , injustice à lui reprocher les excès dont il
soufTrait plus que personne , excès d'ailleurs commis
par un si petit nombre, par des hommes qui, la plu-
part, n'étaient nullement Parisiens.
< Hier, disait encore la lettre, futun jour sur les
événements duquel il faut peut-être laisser un voile ;
je sais que le peuple, terrible daos sa vengeance , y
porte encore une sorte de justice.. • » Faible, trop
faible condamnation de tant d'attentats, qui loue
encore en brimant!... Il faut songer néanmoins que
A L*AS6UIBLte (3 SEPT. 9S}. IST
ceci fut écritle 3 septembre ; que Roland, queM"^ Ro-
land étaient tous deux sous le poignard et désignés
entre tous dès le 1" septembre au soir, depuis les ac-
cusations de Robespierre. ftP* Roland, très-intrépide
et sans nulle crainte de la mort, en avait une autre ,
qu'elle avoue, malheureusement trop naturelle ; elle
connaissait ses adversaires, leurlâcbe férocité, elle
savait que dans le désordre du moment on pouvait lui
arranger le hasard apparent d'un mortel outrs^e,
d'une invasion nocturne, où celle qu'on savait plus
qn'un homme serait traitée comme une femme. L'a-
venture subie en plein jour par une autre femme,
dont nous avons parlé, montre Bissez ce que pouvait
oser la nuit le cynisme calculé des maratistes et ro-
bespierristes. Celle qui fut outragée n'avait rien fait
autre chose que parler mal de Robespierre. M"* Ro-
land, bien plus en péril, voulait rester, à tout événe-
ment, du Diioins matlresse de sa vie; elle tenait tou-
ours des pistolets soos l'oreiller.
Ce qui releva les courages, dans l'Assemblée na-
tionale, non moins que la lettre de Roland, ce fut
de voir un individu isolé venir dire à l'Assemblée
que, pour sa part, il la remerciait du décret qu'elle
avait porté. Et, en même temps, il dit ce qu'il ve-
nait d'entendre : qu'on engageait la foule à piller les
fabricants : «Moi, je ne suis pas suspect, dit-il, je
suis volontaire, et je pars demain. » C'était un de
ces canonnîers des sections parisiennes qui s'étaient
montrés à bien le 10 août. Son opinion était certai*
188 CIRCULAIRE DE MARAT, AU NOM DE LA COMMUIIE,
nement celle de Paris, et il n'y avait nul doute qu'elle
ne fût celle de Tarmée.
La réaction de l'humanité semblait devoir se faire
sentir partout, même au sein de la Commune. Le
conseil-général, assemblé le soir et la nuit, flottait,
avec des alternatives brusques, violentes, de l'huma-
nité à la cruauté, de Manuel à Marat.
Le premier sembla l'emporter un moment. Il ob-
tint une mesure générale qui semblait un désaveu
du massacre. Le conseil-général, sur sa proposition,
arrêta qu'il serait* fait une proclamation : « Sur la
nécessité de s'en remettre à la loi de la punition des
coupables. » Ce qui ne fut pas moins grave en ce
sens, c'est qu'un citoyen ayant dit qu'il se chai^eait
de loger et nourrir un pauvre prisonnier échappé au
carnage de la Force, il fut couvert d'applaudisse-
ments et de bénédictions.
Avec cela, cette assemblée était tellement flot-
tante, qu'un journaliste royaliste, Duplain, lui ayant
été amené, elle l'envoya à l'Âbbaye, autrement dit,
à la mort. Billault-Yarennes, lui-même, avait ouvert
un avis plus doux. Les maratistcs se soulevèrent,
et emportèrent dans le Conseil cette décision atroce,
qui lui faisait endosser la responsabilité des assas-
sinats.
C'était le soir du 3 septembre (à huit ou neuf
heures) . De Timprimerie de Marat, partait pour toute
la France, en quatre-vingt trois paquets, une effroya-
ble circulaire qu'il avait seul rédigée, et qu'il avait
signée intrépidement de tous les noms des membres
POUR COHSEILLER LE MASSACRE AUX DAPARTEMBNTS (S SEPT.). 189
du Comité de sunreillance. Il y dénonçait la versa-
tilité de l'Assemblée, qui avait loué, cassé, rétabli la
Commune ; il y gloriCait le massacre, et recomman*
dait de Timiter.
Marat envoya sa circulaire au ministère de la jus-
tice, avec invitation de la faire parvenir sous le cou*
vert du ministère. Grande épreuve pour Danton. H
n'allait pas à la Commune. Eb bien ! c'était la Com-
mune qui semblait venir à lui, et qui le sommait de
se décider.
La plus simple prudence imposait à tout homme
qui connaissait Marat, de savoir positivement si cet
acte, imprimé chez lui par ses ouvriers et ses presses,
émanait effectivement du Comité de surveillance.
Les signatures imprimées de ses membres étaient-
elles des signatures vraies? EnGn, en supposant que
la circulaire émanât réellement de ce comité, pou-
vait-il faire un acte si grave, adresser à la France
ces terribles et meurtrières paroles, sans y être au-
torisé par le conseil-général de la Commune? Yoilà
ce que Danton devait examiner; il n osa le faire.
Disons-le (c'est la parole la plus dure pour un homme
qui, toute sa vie, eut l'ostentation de l'audace), il eut
peur devant Marat.
Peur de rester en arrière, peur de céder à Marat
et a Robespierre la position d'avant-garde, peur de
paraître avoir peur.
Faut-il si^poser aussi qu'il était parvenu à se faire
croire à lui-même que cette barbare exécution était
un moyen d'aguerrir le peuple, de lui donner
190 MAS&àCRES DBS rBllMES BT DBS BMTAMTS,
le courage du désespoir, de lui ôter tout 'moyen de
reculer? qu'il le crut, le 2, lorsqu'on massacrait les
prisonniers politiques? qu'il le crut, le 3, le 4, lors-
qu'on massacrait des prisonniers de toute classe?
Il accepta jusqu'au bout l'borrible solidarité. Misé-
rable victime, dirai-je, de l'orgueil et de l'ambition?
ou d'un faux patriotisme, qui lui fit voir dans ces
crimes insensés le salut de la France?
Et cependant, quelque horrible système qu'on
voulût se faire de l'utilité d'un massacre politi-
que, il devenait évident que celui-ci n'avait plus ce
caractère. Le 4 septembre, il y eut très-peu de
meurtres politiques ; un seul est bien constaté :
celui d'un certain Guyet, que le Comité de sur-
veillance envoya à l'Abbaye, et qui fut tué à l'instant.
Le 4 mit le comble à l'horreur.
Déjà, depuis trente-six heures, des bandes sorties
de Paris allaient menacer Bicôtre. Ceux qui avaient
massacré des voleurs au Châtelet, des forçats aux
Bernardins, croyaient continuer leur œuvre. On leur
remontrait en vain que l'énorme, l'immense château
de Bicétre, qui contenait des milliers d'hommes, lo-
geait, outre les criminels, un grand nombre d'in-
nocents, de bons pauvres, de vieillards, de malades
de toutes sortes. 11 y avait aussi en réclusion, sous
divers titres, des infortunés, depuis longtemps jetés là
par l'arbitraire de l'ancien régime, comme fous, ou
autrement, et qu'on n'élargissait point, justement
parce qu*on ne savait plus pourquoi ils étaient entrés.
Latude y avait été longtemps. C'est de Bicètre qu'il
.— 1
A LA SALPÊTMÊRB ET A tlIGÊTRB (4 SEPT. 92). 191
sortit par Théroisiiie de M"« L^ros (voyez noire pre-
mier volume).
Il est impossible de dire oe que soufiraieut, k Bicè-
tre, les prisooûiers, les malades, les mendiants:
couchés jusqu'à sept ùbjùs un lit, mangés de vermine,
nourris de pain de son moisi, entassés dans des lieux
humides^ souvent dans des caves, au moindre prétexte
éreintés de coups, ils enviaient le bagne, comme un
paradis.
Nulle occasion de battre n'était négligée à Bicê^
tre. Qui croirait qu'on y conservât en 92 l'usage
barbare de fouetter les jeunes gens qui venaient se
faire soigner de maladies vénériennes? Cruauté ec-
clésiastique, renouvelée du moyen-âge. Le pécheur,
en arrivant, devait expier, se dépouiller, s'humilier,
se soumettre au châtiment puéril qui avilit l'homme,
lui été toute fierté d'homme.
Une cinquantaine d'enfants étaient à la Correty
(ton, et traités plus cruellement encore, battus tous
les jours. La plupart n'étaient là que pour des délits
bien légers ; plusieurs n'avaient d'autres crimes que
d'avoir des parents très-durs, une mauvaise belle-
tnère, que sais-je? D'autres, qui étaient orphelins,
apprentis, petits domestiques, avaient été jelés là sur
au simple mot de leurs maîtres. On préférait ces
orphelins, pour le service domestique , parce qu'on
les traitait absolument comme on voulait. Un grand
seigneur, qui ne trouvait pas son jockey assez docile,
le brisait d'un mot : « Bicètre. » Aux colonies, dans les
plantations, on entend les coups, les cris et les fouets;
igt MASSACRES DES FEMMES ET DBS ENFANTS
le maître participe au supplice par la peiue de Ten*
tendre. Les voluptueux hôtels de Paris n'entendaient
rien de semblable. Le mattre épai^nait ses mains et
sa sensibilité ; il envoyait l'enfant à la Correction. Ce
qu'il y endurait de la part de ces démons, les murs
seuls l'ont su. Si on daignait le retirer, il revenait
dompté, tremblant, le cœur bas, menteur et flatteur,
tout prêt à tous les caprices honteux.
S'il était un lieu que la Révolution dût épargner,
c'était ce lieu de pitié. Qu'était-ce que Bicètre, que
la Salpètrière, ce grand Bicétre des femmes, sinon
le véritable enfer de l'ancien régime, où Ton pouvait
mieux le prendre en horreur, y trouvant réuni tout
ce qu'il uvait de barbarie, de hontes et d'abus 7 Qui
aurait cru que ces fous furieux qui massacraient en
septembre iraient se ruer sur ceux que l'ancien ré-
gime avait déjà si cruellement torturés, que ces vic-
times infortunées trouveraient dans leurs pères ou
leurs frères, vainqueurs par la révolution, non pas
des libérateurs, mais des assassins?
Rien ne fait mieux sentir l'aveuglement, l'imbé-
cillité, qui présida aux massacres. Tels de ceux qui
tuèrent au hasard dans ces deux hospices pouvaient
avoir leur père à Bicétre parmi les mendiants, leur
mère à la Salpètrière : c'était le pauvre qui tuait le
pauvre, le peuple qui égorgeait le peuple. II n'y a
nul autre exemple d'une rage si insensée.
Les premières bandes qui menacèrent Bicétre
étaient peu nombreuses. Les malades et les prison-
niers se mirent en défense. De là le bruit calomnieux,
A' LA SALPftniÈRB ET A BIGÊTIIB (A SEPT. 92). m
propre à les faire égorger, qu'ils étaient en pleine
révolte. I^s massacreurs menèrent des canons pour
les forcer. Une partie n'alla pas jusqu'à Bicètre; ils
s'arrêtèrent devant la Salpétrière, eurent l'horrible
fantaisie d'entrer à l'hospice des femmes. Une force
militaire considérable les arrêta le premier jour; mais
le lendemain, 4 septembre, ils Torcèrent les portes,
et commencèrent par tuer cinq ou six vieilles fem-
mes, sans nulle raison ni prétexte, sinon qu'elles
étaient vieilles. Puis, ils se jetèrent sur les jeunes, les
filles publiques, en tuèrent trente \ dont ils jouirent,
avant ou après la mort. Et ce ne fut pas assez; ils
allèrent aux dortoirs des petites orphelines, en vio-
lèrent plusieurs, dit-on, en emmenèrent même pour
s'en amuser ailleurs.
Ces effroyables sauvages ne quittèrent la Salpê-
trière que pour aller aider au massacre de Bicêtre.
On y tua cent soixante-six personnes, sans distinc-
tion de classes^ des pauvres, des fous, deux chape-
lains ^ l'économe, des commis aux écritures. L'im-
mensité du local donnait aux victimes bien des
moyens de lutter, d'ajourner du moins leur mort*
Les moyens les plus barbares y furent employés, le
fer, le feu, les noyades, jusqu'à la mitraille.
On a retrouvé (en 1840) au funèbre écrou de Bi--
cètre (voir le livre de M. Maurice) le fait le plus exé-
crable des massacres de septembre, enfoui, ignoré
* Ceci diaprés la tradiiion. Tallien , très-bien instruit , comme
secrétaire de la Commune» soutient, dans son apologie, que, dans tons
les massacies, U wpérU qu'une femme, M"« de Lamballe.
IV. "
4M LA SALPÊTlUtlIB ET SfCÉTU (4 8BPT. M).
jusqu'ici : c'est que, non conteats des orphelines de
lA Salpètriére, ils péKétrèrent aussi à la Correction de
Bicètre, où étaieut cinquante-cinq petils garçons. Ces
enfants étaient, nons TaTons dit, la plupart bien peu
coupables : plusieurs n' avaient été mis là que pour
dompter leur caractère par les mauvais traitements.
Couverts de coups, de cicatrices, continuellement
fouettés, aux moindres causes et sans cause, ils au-
raient brisé les cœurs les plus durs. Il fallait les tirer
de là, leur rendre l'air et le soleil, lés panser et les
soigner, les remettre aux mains des femmes ^ leur
donner des niéres. Leur mal et leur vice, à la
plupart, tenaient à cela, qu'ils n* avaient pas en de
mères. Septembre, pour mère et nourrice, leur
donua la mort, — affranchit leur jeune àroe de ce
pauvre petit corps, qui avait déjà tant souffert. Il y en
eut trente*trois de tués. Plusieurs de ceux qui échap*
pèrent furent enlevés par les volontaires qui dirent
qu'ils les feraient soldats. Les massacreurs étaient
parvenus à un état de vertige, d*horrible éblouisse-
ment, et comme de fureur bydrophobique, qui leur
hissait à peine distinguer ce qu'ils frappaient. Ils di-
rent cependant une chose qui fait sentir combien
ils étaient coupables. Ils virent bien, malgré leur
égarement, que ces jeunes vies, commencées à
peine, ne se résignaient nullement, reculaient de-
vaut la mort avec une indomptable horreur, s'ohsli*
naient à vivre : « Nous aimerions vraiment tout au-
tant tuer des hommes : ces pelits-Ià sont encore plus
difficiles h achever. »
CHAPITRE VII
ÉTAT DB PARIS, APAfeS LE MASSACRE. — FIN DE LA LÉGISLATIVE
(»-M SSTTEXBRB 9È\
rrostnlioa morale «pr^ le mastaere. — Le peaple et Tannée en eurent hor-
re«r. - Oploion ëe Marat et de Danton, rar le massacre. — L'AfticrnlHée jure
ée tMibaiire les roit et la royauté (4 «ept. M).— Cambon attaque la Com-
Btttte — Réactiop de l'homaDité.— Cependant le massacre coDllnue(5-4 srpi).
—Craintes de ta Commune. — Les maralistes essaient d*étendre le massacre
à toute luTrance.— Les prisonniers d'Ortéans massacrés à Versailles (• sept.).
— Datitoq sauve Adrien Duport, malgré la Commune. — Lutte de Danton et
Marat. — Élections sous rinfloence des massacres. — Fédération de garantie
mutuelle.— Vols et pillages. -^Menrtres. et craintes de massacre. -Crainte*
de l*A»e»Mée (17 sept.). --Discours de Vergniaud et dérouemetit solounel
pour PAssemblée nationale.^Sa ridture (SO septcmltro).
L* effet immédiat du massacre, pour la plus gi*ande
partie de la population de Paris, fut la sensation in-
finiment cruelle que connaissent trop bieu ceux qui
ont eu de graves lésions du cœur, quand pendant
quelques minutes, il a battu, battu vite, avec une
horrible accélération, et que tout-à-coup le battement
s'arrête court... Un mortel silence se fait dans tout
l'organisme... Puis rélouffemcnt, les spasmes, l'ob-
scurcissemcnt complet, l'abandon de Tètre..., tout
au plus ce cri intérieur, cette voix muette : « 0
mort ! »
196 PROSTIUTION MORALE i
Pour les pauvres et faibles personnes, trop âgées
déjà, brisées d^années ou de malheurs, Taccés fut
suivi d'une cessation absolue d'idées, d'un anéan-
tissement de la personnalité, bien près de ridîotismc.
Celles qui surmontaient la peur, et se hasardaient à
sorljr, revenaient dans les églises abandonnées depuis
longtemps, se remettaient à prier machinalement ;
on les voyait marmotter et branler leurs tèles vides
où les yeux étaient éteints. D'autres restaient en-
fermées, s'abîmaient dans la rêverie d'un étrange
mysticisme, disant, comme plus tard Saint-Martin,
que ceci était apparemment une scène du Jugement
dernier, un acte de la terrible comédie de l'Apoca-
lypse. Il y avait des tètes où tout cela se mêlait con-
fusément; la religion et la révolution, Marat, TAnte-
christ, tout se brouillait pour ces pauvres esprits,
complètement obscurcis; plus ils lâchaient de réflé-
chir, de songer, de distinguer, plus ils s'y perdaient.
Tels, pour ne point s'égarer, adoptaient une idée
fixe, répétaient un même mot, le redisaient tout le
jour.
Dans un grenier do la rue Montmartre (qu'on me
permette de conter ce petit fait qui fera juger des
autres), au septième étage, vivait une pauvre vieille,
que les voisins, des croisées opposées , voyaient tou-
jours à genoux. Elle avait sur sa cheminée deux
chandelles allumées et deux petits bustes de plâtre ,
devant lesquels elle disait continuellement des orai-
sons. Les curieux Técoutèrent à travers la porte : elle
disait cette litanie , sans varier, du matin au soir :
APAÈS LE NASSACAE (SEPT. 92). 197
f Dieu sauve Manuel et Pétion ! Dieu sauve Manuel
et Pétion!» Les deux magistrats populaires, qui,
malgré leur impuissance y avaient du moins, dans le
massacre, montré de rbumauité, étaient devenus
les deux saints de la vieille, elle honorait leurs ima-
ges et priait pour eux. Dans le naufrage des anciennes
idées religieuses, et lorsque la foi nouvelle se trou*
vait si cruellement compromise en son berceau , Vhu«
manité restait encore, et Tborreur du sang huniain ,
pour religion unique du pauvre cœur abandonné.
Faible, vieille, indigente, dans sa solitude pleine d*ef-
froi , elle t&chait de se rassurer, de se reprendre à
Tespoir, en nommant deux amis de Tbumanité. Fil
fn^ile, misérable appui! Des deux patrons de la
vieille, l'un, au bout d'un an, devait périr sur Fécha-
faud; Taulre, un peu plus tard, devait se retrou-*
\cr mort de faim et de misère , et dévoré par les
chiens.
Un signe infiniment grave , déplorable , de réla(
singulier où se trouvaient les esprits, c'est que, dans
celte ville immense, où la misère était excessive de-
puis longtemps, personne ne voulait travailler. La
Commune, à aucun prix, ne trouvait des ouvriers
pour les travaux de terrassements du camp qu'on
faisait à Montmartre. Elle offrait deux francs par
jour (qui en valaient trois d'aujourd'hui), et il ne
venait personne. Elle alla jusqu*à mettre en réquisi*
tion les ouvriers en bâtiment, en leur offrant la
journée très-élevée qu'ils gagnent dans leur indus-
Irie; cl elle u'oul p3rionao encore. Oa essaya enfin
IM LE PEUPLE ET L*ARMÉfi
de la corvéiB , et de feire travailler tour-à-tour les
sections.
Persoune, ou presque persofine , ne répondait aux
appels de la garde nationale. On complétait avec
peine la garde de l'Assemblée, celle des plus précieux
dépôts, du Garde-Meuble par exemple, qui se trouva,
une nuit, on va le voir, à peu près abandonné.
La solitude était aux clubs. Beaucoup de leurs
uieoibres s'étaient absentée, le dégoût gagnait les
autres. Cela est très-sensible dans les procès-ver-
baux des Jacobins; l'absence de tous les orateurs
ordinaires y fait apparaître, en première ligne, des
gens parfaitement inconnus.
Ceux qui ont dit que le crime était un moyen
de force, un cordial puissant pour faire un héros du
làcbe, ceux-là ont ignoré l'bisloire, calomnié la
nature humaine. Qu'ils sachent, ces ignorants cou*
pables qui jasent si légèrement sur ces terribles su-
jets, qu'ils sachent la profonde énervalion qui suit
de tels acies. Ah ! si le lendemain des plaisirs vul-
gaires (quand l'homme, par exemple, a jeté la vie au
vent, l'amour aux voluptés basses), s'il rentre che^ lui
hébété et triste, n'osant se regarder lui-même , com-
bien plus celui qui a cherché un exécrable plaisir
dans la mort et la douleur! L'acte le plus contre na-
ture qui est certainement le meurtre, brise cruelle-
ment la nature dans celui qui le commet; le meurtrier
voit, aprèsj que lui-même il s'est tué ; il s'inspire le
dégoût que Ton a pour un cadavre, éprouve une hor-
rible nausée, voudrait se vomir lui-même.
EnSNT HOBMUm INI lUSSiCAB (SEPT. 90. IW
Les historiens ont adopté une opinion à la légère,
c*est que le massacre avait été le point de départ â»
la victoire, qu'après un tel crime , ayant creusé der-
rière soi an tel abîme, le peuple avait senti qu*il fal«
lait vaincre ou mourir, qu'enfin les massacreurs de
^septembre avaient entraîné l'armée, formé l'avant-
garde de Yalmy et de Jemmapes. Triste aveu, vérita-
blement, s'il fallait y croire, et lait pour humilier !
L'ennemi n'a pas mieux demandé d'adopter cette
qiinion , de croire ces étranges Français qui préten-
dent que la France vainquit par l'énergie du crime.
Nous montrerons tout-à-l'heure que le contraire est
eiact. Des trois ou quatre cents hommes qui firent le
massacre, et dont beaucoup sont connus, peu, très-
peu, étaient militaires. Ceux qui partirent furent
reçus de l'armée avec horreur et dégoût ; Charlat,
entre autres, qui se vantait insolemment de son cri-
me, fut sabré par ses camarades.
Nous avons établi d'après d'irrécusables documents,
et sur l'unanime afSrmation des témoins oculaires
qui vivent encore, Vinfiniment petit nombre des mas-
sacreurs. Ils étaient au plus quatre cents.
Le nombre des morts (en comptant même les dou-
teux) est de 966.
Le faubourg Saint-Antoine, en particulier, qui
avait fait le 10 août, fut complètement étranger au
2 septembre. Son célèbre orateur, Gonchcn (hon-
nfele homme, et qui mourut pauvre), a pu dire six
mois après (22 avril 93), sans crainte d'être démenti :
« Le faubourg ne recèle que des hommes paisibles.
200 OPINION DE MARAT, DE DANTON, SUR LE MASSACRE.
La journée du 2 septembre n'a pas trouvé de com-
plices chez nous. »
Ce qui n'est pas moins curieux, c'est le jugemeut
que les hommes qu'on accusait d'y avoir trempé les
mains ont porté $ur l'événement :
a Evénement désastreux » , dit Harat, en octobre
92 (n* XII de son journal).
a Journées sanglantes, dit Danton, sur lesquelles
tout bon citoyen a gémi » (9 mars 93).
« Douloureux souvenir >, dit Tallien (dans son
apologie, publiée deux mois après les massacres de
septembre).
Oui désastreux, oui doulmtreuœ, dignes qu'un en
gémisse à jamais ! • . .
Toutefois ces regrets tardifs ne guérissaient pas
rincurable plaie, faite à l'honneur, faite au sentiment
de la France. .. La vitalité nationale, surtout h Paris,
en semblait atteinte ; une sorte de paralysie, de mort,
semblait rester dans les cœurs.
11 s'agissait de savoir d'où la vie recommencerait.
On pouvait douter qu'elle revint de l'Assemblée lé-
gislative. Vivait-elle? on ne l'avait guère vu, dans
ces effroyables jours. Énervée de longue date par
ses tergiversations, elle était mourante, non^ morte,
achevée, — exterminée par la calomnie.
Elle semblait atteinte et convaincue de deux
crimes, parfaitement opposés : faire un roi, et re-
faire un roi, rétablir Louis XYI, et faire roi Brun*
swick. Un mot simple eût répondu, et personne
L*ASSEIfeLéK JURE DE COMBATTUE LA ROYAUTÉ (4 SEPT^. 201
n'osait le dire : Cette Assemblée , acctisée de trahir,
venait de s'en ôter ks moyens; elle se brisait elle même,
convoquant sons quelques jours la Convention qui la
remplaçait. Représentants et ministres, tous allaient
être annulés tout^-à-l* heure devant cette Assemblée
souveraine.
Le matin du 4 septembre, Guadet apportait/ au
nom de la commission extraordinaire (créée dans l'As-
semblée depuis le 10 août), une adresse, où les repré<
sentants, repoussant lesbruits injurieux qu*on faisait
courir, juraient de combattre de toutes leurs forces les
Bxns et la Royauté.
Chabot eut vent de la chose, et il enleva à la Gi-
ronde cette initiative. Dès l'ouverture de la séance,
il proposa de faire un serment de haine à la royauté.
« Plus de Roi ! > Ce fut le cri, le serment do l'As-
semblée tout entière, soulevëé^à sa parole.
Alors , un militaire se lève, Auhert Dubayet, et
d'une voix forte et guerrière : « Jamais de capitula-
lion !... jamais de roi étranger I »
Et le jeune girondin, Henri Larivière: « Non, ni
étranger ni français!... Aucun roi ne souillera plus
le sol de la liberté I >
On fut surpris d'entendre Thuriot arrêter ce
mouvement: « Messieurs, ditnl, soyons prudents,
n'anticipons pas sur ce que pourra prodoncer la
Convention... >
A quoi Faucbet, usant du droit que semblait lui
donner sa noble initiative (son journal avait le pre-
mier proposé la République), Fauchet d'un grand
t08 CAMBON ATTAQUE LA COimOIIE (4 SEPT. 92).
élan de cœur : « Non^ qm la Convention décide ce
qu'elle inoudra ; ai elle rétablit le Roi, nous pour-
rons encore rester libres , et fuir une terre d*6s-
claves qui reprendrait un tyran. »
. Pour concilier toute chose, Tadresse réserva le
droit de la Convention ; le serment fut itètUviduelf
chaque député s'engagea pour lui.
La commissioit extraordinaire, par rorgane de
Vergntaud, dit alors qu'accusée dans le sein de la
.Commune, elle demandait à finir, à déposer ses
pouvoirs. L'Assemblée ne le voulut pas. Un mouvo*
ment héroïque échappa alors à Cambon (qu'on songe
qu'à cette heure on massacrait h Bicétre, et en-
core à la Force , à l'Abbaye). Il s'indigna de la tînii*
dite de la commission : « Quoil dit-il, voua venes de
jurer la guerre aux Rois et à la royauté, et déjà vous
courbez la tète sous je ne sais quelle tyrannie !••• Si
nous voulons que la Commune gouverne, soumettons*
nous tranquillement. J'ai parfois combattu la com-
mission; aujourd'hui, je la défends... Je vois des
hommes qui prennent le masque du patriotisme pour
asservir la patrie. Que veulent ces agitateurs? être
nommés àla Convention, nous remplacer?.. Eh bien!
qu'ils reçoivent de moi celte leçon... » 11 continua,
courageusement par une prophétie funèbre des ré-
volutions, dans lesquelles, les intrigants se chassant
les uns les autres, la France finirait par s^ouvrir à
l'étranger.
Ce grand homme, qu'on ne connaît guère que
comme le séyère et irréprochable financier de la Ré-
RÉACTION DE L'HUMANITÉ. 205
publique, eut alors, et souvent depuis, dans les crises
les plus orageuses, une rare originalité : l'héroïsme
du bon sens, que rien ne faisait reculer. Il passa,
tonte la Révolution, femie et seul^ et respecté. 11 n'ai-
mait pas la Gironde, il la défendit; il n'aimait pas
Robespierre, il le soutint, au besoin. Et le jour où
Robespierre, dans un dernier accès de rage dénon*
ciatrice, alla jusqu'à toucher la probité de Cambon ,
il tomba frappé lui-même.
Cambon avait brisé la glace, il avait nommé de
son nom la victoire de la Commune : une tyrannie ,
une résurrection de la royauté sous un autre nom. Le
revirement fut très-fort* Il arriva ce qu'on voit dans
ces moments, où personne n'ose parler: dès qu'un
parle, tous se mettent à parler courageusement.
Les commissaires de l'Assemblée, envoyés par elle
dans les sections, y furent reçus, contre toute attente,
avec bonheur, avec transport. C'est que la foule était
revenue aux assemblées des sections ; désertes le 2
elle 3, elles furent nombreuses le 4; chacun eut hftte
de se presser autour des commissaires, de se rassu**
rer, de croire qu'il y avait une France, une patrie,
une humanité encore, un monde des vivants. Le peu-
ple, en quelque sorte, se leva de ses profondeurs,
sortit des ténèbres de la mort, pour embrasser, en
ses représentants, l'image sacrée de la Loi. Les ca-
lomniateurs de l'Assemblée croyaient n'avoir plus qu'à
se cacher; ils s'excusaient, à grand' peine. A la sec*
tion du Luxembourg, l'un d'eux, alléguant qu'il avait
suivi l'autorité de Robespierre, on n'opina pas moins
9M CEPENDANT LE MASSACRE
qu'il méritait d*ètre chassé de sa section, A la section
des Postes^ Cambon fut reçu comme un dieu sauveur.
Les femmes et les enfants qui y travaillaient aui ten-
tesy aux équipements militaires, rentourèrent, lui et
ses collèjçuesy dans un véritable délire. Tous» dans la
section, hommes et femmes, voulaient se jeter dans
ses bras, le serraient et Tembrassaicnt. Et quand il lut
le décret qui annonçait que l'Assemblée allait faire
sa clôture, mettre un terme à ses travaux^ se dissou-
dre, les visages étaient inondés de larmes.
Toutes choses semblaient changées, dès le soir
du 4. Des officiers municipaux vinrent à PAsscm*
blée présenter Tabbé Sicard , sauvé de FAbbaye {ils
le faisaient entendre ainsi) par leur courageuse hu-
manité. Un membre de la Commune, le mémo qui
était venu à l'Assemblée avec Tallien dans la nuit
du 2 au 3 , et qui avait loué alors la belle justice po-
pulaire, vint le S avec un Anglais qu'il avait, dit-il,
sauvé du massacre. Ce qui ne fut pas moins caracté-
ristique, ce fut l'humanité subite, les sentiments gé-
néreux qu'afficha Santerre. Durement averti , le 4,
par le ministre de l'intérieur, il s'excusa wr V inertie
de la garde nationale, et dit que, si elle persistait,
ion corps servirait de bouclier aux victimes. — Cette
inertie , en vérité , il ne pouvait guère l'accuser,
n'ayant fait aucun appel, aucun effort, ordonné au-
cune prise d'armes. Et comment eât-il donné un
tel ordre , lorsque son beau-frère Panis faisait as-
seoir au comité dirigeant Marat, l'apôtre du massa-
cre?.. Ce fut un spectacle étrange de voir Santerre,
COKTiiaJE (8-6 SEI>T. Ç2). 20»
brusquement converli , prêcher, dans la grand'salle
de THÔlel-de-Ville, la foule qui remplissait les tri-
bunes, expliquer les avantages de l'ordre, le danger
qu'il y aurait à croire trop légèrement des accusations
peu sûres, à tuer avant de s'éclairer.
La Commune , privée si longtemps de la présence
de Danton, le vit avec étonnement venir enfin le 4 au
soir; il venait proléger Roland , qui, à cette heure,
certainement, n'avait plus besoin de protection. Il de-
manda qu'on révoquât cet étrange mandat d'amener
qu'on avait minuté le 2 contre le ministre de l'inté-
rieur , et qu'on tenait toujours suspendu comme un
glaive sur sa tête, sans oser le laisser tomber.
Le vent n'était plus au massacre, chacun en avait
horreur. Et pourtant il continuait. On vit alors com-
bien lentement les âmes, une Fois brisées, repren-
nent courage et force. Une étrange léthargie, une
paralysie inexplicable enchaînait les masses. Il y avait
encore une cinquantaine il^hommes à l'Abbaye, au-
tant ou moins h la Force, qui tuaient paisiblement*
Personne n'osait les déranger. Ils no tuaient pas
bt'aucoup, ceux de TAbbaye ayant fait place nettC)
n'ayant plus d'autres victimes, que celles que le co-
milé de surveillance eut soin de leur envoyer. Quant
à la Force, les magistrats ne se permettaient pas de
troubler ces meurtriers dans l'exercice de leurs font'?
tiens; seulement, on se hasardait à leur voler des
prisonniers, qu'on cachait dans Téglisc voisine.
L'habitude était venue, les meurtriers ne voulaient
plus, ne pouvaient plus Taire autre chose. Celait une
106 FIN DU lUSSACttB (6 SEPT. 92). «
profession. Ils paraissaient se regarder eux-mêmes
comme de vrais fonctionnaires chargés d'exécuter la
justice du peuple souverain . La Commune déclara, le4,
qu*elleétaitafDigécdesexcèsdelaForceetderAbbaye,
elle y envoya; mais, en même temps, elle refusa de
sauver les infortunés de Bicêtre en leur permettant
de s'enrôler. Le conseil -général, devenu très-peu
nombreux, n'avait plus que les violents. Il invita les
sections à compléter le nombre de leurs commissaires.
Ainsi, les élections municipales eurent lieu en pleine
terreur, pendant le massacre. Celles de la Convention
se Grent sous la même influence. Le premier élu de
Paris, le 5 septembre, fut Robespierre.
Rien n'indiquait que la Commune voulût sérieu-
sement arrêter l'effusion du sang. On lui proposa, le 4
et le 6, d'amnistier une classe d'hommes qui restaient
dans des transes mortelles,, les vingt ou trente mille
signataires des pétitions fayettistes et constitution-
nelles en faveur du Roi. Un grand nombre de vo-
lontaires qui partaient pour les armées avaient fait
généreusement le serment d'oublier l'erreur de leurs
frères. La Commune repoussa violemment la propo-
sition de voter l'oubli.
Le A, la commission extraordinaire de l'Assemblée
avait proposé à Danton un moyen très-simple de
Xïhanger d'un coup toute la situation, c'était d'arrê-
ter Marat. Remède radical, héroïque. Seulement, il
risquait de produire une violente réaction. Arrêter
Harat» c'était exécuter le décret d'accusation que
le parti fayettiste, royaliite constitutionnel, avait
CRAINTES DB LA COHIIUNE. i07
bit lancer contre lui. Celait se faire accuser de com^
plicité avec Lafayette, c'était relever TespéraDce des
royalistes, commeDcer un mouvement qui pouvait
mener infiniment loin. Le vent va vite, en ces mo-
ments; la tempête uue fois décbatnée en sens inverse,
les royalistes constitutionnels triomphaient dès le
premier jour, dans huit jours les royalistes purs,
huit jours après les Prussiens. — Danton répondit que,
plutôt que de faire arrêter Marat, il donnerait sa dé-
mission.
Brissot, à son tour, alla chez Danton, le pressa vi«
vement d'agir. « Comment, lui dit-il, empêcher que
des innocents ne périssent avec les autres?... » — «Il
n'y en a pas un », dit Danton.
L'autorité se retirant ainsi d'une manière absolue,
la situation ne pouvait changer que par une manife^
tation vigoureuse de l'indignation du peuple. Elle
n'osa se produire le 5, et p'éclala que le 6. Ce jour
même, il y avait eu encore des meurtres. Pélion s'é-
tait rendu dans le conseil-^^éuéral, et s'élevait contre
les agitateurs qui demandaient de nouvelles victimes.
Des applaudissements confus éclatèrent, puis des
voix distinctes exprimant l'assentiment le plus décir
dé, enfin des cris de fureur contre les buveurs de
sang : c Nous les poursuivrons ! nous les arrêterons ! »
Ce fut le mot unanime qui sortit de cette tempête, la
vraie voix du peuple enfin qui se déclarait. Pétion
se mit en marche, entraîna en vainqueur la Com-
mune humiliée, alla s'emparer de la Force, et ferma
ses portes sanglantes (6 septembre).
908 LES MARAT1STE8 ESSAYENT D'ÉTKKDRE
Ces voix de Tindignalion semblaient devoir faire
rentrer dans la terre les sanguinaires idiots qui avaient
cru sauver la France en la déshonorant. Dès le S, un
membre du conseil s'était répandu en plaintes amô*
res contre Panis^ celui qui furtivement avait introduit
Marat au comité de surveillance. Panis vint répondre
le 6 au soir; on ne sait ce qu*il put dire, mais le
conseil se déclara satisfait. Son apologie avait été
précédée d'une étrange dissertation de Sergent, sur
la $ensibilili du peuple, $a bonté, sa justice^ etc. Ce
bavardage fait horreur, quand on le voit en intermède
entre le massacre de Paris et le massacre de Ver-
Siiilles que la Commune préparait, voulait expressé*
ment.
Voulait^ on peut l'affirmer; autrement, elle n'eût
pas mis une obslination féroce & violer par trois fois
les décrets de l'Assemblée. L'Assemblée avait ordonné
que les prisonniers d'Orléans y restassent, puis, qu'ils
allassent a Biois, enfin à Saumur. La Commune,
opposant hardiment ses décrets h ceux des représen-
tants de la France, ordonna qu'on amenât les pri-
sonniers à Paris, autrement dit, à la mort, qu'on re-
commençât le massacre.
Les meneurs de la Commune avaient besoin d'un
nouveau coup de terreur, non plus pour sauver la^
France (comme ils avaient tant répété), mais pour se
sauver eux-mêmes. Le 7, le conseil-général, pressé
de nouveau, avait été obligé de nommer une com-
mission pour examiner les plaintes qu'on faisait contre «
Panis. La malédiction publique commençait à peser
LE MASSACRE A TOUTE LA FRANCE (SEPT. 92). â09
lourdement sur la tôte de ces hommes, et dans leur
effroi, ils se ralliaient de plus en plus à Marat, à l'idée
d'extermination.
Dans le changement universel des esprits, il y
avait un homme qui ne changeait point. Marat seul
montrait une remarquable constance d'opinion ; les
principes chez lui passaient avant tout, je veux dire
un seul principe, et très-simple : Massacrer. Non
content des prisonniers envoyés aux prisons pendant
l'exécution même, il continuait de les peupler, dans
Fe^ir qu'un jour ou l'autre on les viderait en une
fois. Il aflBchait tous les jours que le salut public vou*
lait : qu'on massacrât au plus vite l'Assemblée na<-
tionale.
Son rêve le plus doux eût été une Saint-Barthélémy
générale dans toute la France. Pour lui, c'était peu
de Paris *. Il avait obtenu que le comité de surveiU
lance enverrait des commissaires pour aider à la
chose, avec ce titre nouveau : Commissaires des ad^
miniitrateurs du Salut public. L'un des moyens de
salut que ces commissaires proposaient à Meaux,
c'était de fondre un canon de la dimension précise de
* PétioDy s*enhardissant, quelques jours après septembre, ne fit pas
difficulté de dire dans le conseil-général que Marat était un fou. Panis
M leva mdigDé, et dit que ce prétendu fou, véritablement, était un pro-
phète, qu'il avait dit et bit des choses incroyables, qu*on ne pouvait
retrouver que dans l* Ancien-Testament. Sommé d* expliquer ces choses,
Panit dit que Marat en avait fait autant qu'Ézéchiel, qu'enfermé au
fond de sa cave, « Il était resté, comme le prophète biblique, six se»
I sor one fesse mm se retourner ».
IV. **
tlO tes ^KfsèMmEfis d^orléan^
la tôtd de Louis XYI, «fin qu'Au premier pas qu^ose-
raient Taire les Prussiens, ou leur envoyât ladite tète,
au lieu de boulet.
La circulaire où Marat recommandait le maasa*
ère, au nom de la Commune, et qu'il avait fait pas-
ser sous le coutert du ministère de la justice (grftce
à la lâcheté de Danton) ^ cette circulaire faisait son
chemin de départements en départements. L'exem-
ple de Paris, toujours si puissant, rautorité respectée
de la glorieuse Commune, faisaient grande împres-
sion. Dans chaque ville, il y avait toujours une poi<-
gués de hurleurs, d'aboyeurs, de violents (ou qui fai-
saient semblant de Tètre), un bon nombre aussi d'i<-
niitaleurs imbéciles, qui s'assemblaient sur la place,
et disaient : « Et nous donc, est-ce que nous ne forons
pas aussi quelque chose de hardi?... ». » La faiblesse
4es journàui parisiens, qui n'osaient blâmer le mas-
sacre, De contribuait pas peu à th)mper les provin-
<3iaux. Que dire , quand on lit dans le pâle et froid
MonUeur ces paroles houleuses : « Que le peuple
avait formé la résolution la plus hardie et la plus tei^
rible. » ¥A qui donc en France consent k paraître
moins hardi ?
À Reims, k Meaux, à Lyon, on fit consciencieuse-
ment ce qu'on pouvait pour ne pas être trop au-des-
sous de Paris. On tua nombre de prisonniers, des
prêtres, des nobles, et aussi quelques voleurs; une
trentaine de personnes environ perdirent la vie.
Nuls prisonniers n'avaient plus à craindre que ceux
d'Orléans; ils étaient qmrante environ^ atleodast
MASSACRÉS à VERSAILLES (9 SBPT. 92). %{{
le jiJgemeot de la haute Cour qui y siégeait. La plu-
part élateat des hommes qui avaient marqué d'une
manière très-odieuse contre la révolution. 11 y avait
entre autres le ministre Delessart, instrument connu
des intrigues de la cour^ de ses négociations avec
rennemi. Il y avait M. de Brissac, commandant de
celte garde constitutionnelle, si parfaileoleot re-
crolée parmi les gentilshommes de province les plus
fanatiques, les boui^eois les plus rétrogrades, tes
maîtres d'armes, les coupe* jarrets ramassés dans les
tripots. M« de Brissac avait des qualités aimables, il
était l'ami personnel de Louis XYI; on le citait h la
cour comme un parfait modèle du chevalier français,
ce qui ne Tempéchait pas d'être amaut de la Duharry.
Ob te trouva caché chez elle, au pavillon de Lii-
fiénnes.
L'expédition d'Orléans fut confiée h deux hommes
cruellement fanatiques, Lazouski et Fournier, dit
rAmérieaiu. Celui-ci était si ardent pour la chose
qu'il fil les (rais nécessaires, avec l'aide d'un bijoutier
et (te quelques autres. Il avança une vingtaine de
mille francs qui lui furent plus tard remboursés par
la Commune. Lazouski était deux fois furieux, doU-
blenient exaspéré, de rage polonaise et française. Il
faut songer qu'à ce moment (dans l'été de 92), les
trois meurtriers de la Pologne consommaient sur elle
Tœuvre exécrable, hypocrite, du démembrement.
Lazouski se vengeait ici des crimes de Pélcrsbourg.
H maasacrait des royalistes^ ne poutant massairer
des rois.
i\% LES fRlSONNlBRfi D*ORLÉANfl
Dans lo désir passionné qu^elle avait d'éviter Teffii-
siou du sang y l'Assemblée s'humilia encore. Elle
composa taciteroenl avec la Commune. Il fut entendu
que les prisonniers n'arriveraient pas à Paris, mais
resteraient à Versailles. Roland y fit tout préparer.
On envoya au-devant, pour les protéger, une masse
de garde nationale.
Versailles même n'étaitguère moins dangereux que
Paris. On Ta vu au 6 octobre» Nulle part l'ancien ré-
gime n'était plusbaï. Il y avait de plus alors, dans cette
ville, cinq ou six mille volontaires, non armés, non
habillés, qui attendaient pour partir, désœuvrés, en-
nuyés et mécontents, errant dans les rues et les ca-
barets. 11 ne Faut pas demander si la nouvelle de
l'arrivée dos prisonniers d'Orléans les mit en émoi.
Il y avait à parier que s'ils arrivaient à Versailles,
ils périraient jusqu'au dernier.
On assure qu'un magistrat de Versailles, voyant le
péril, alla à Paris, courut chez Danton. Il en Tut reçu
Tort mal. Danton ne pouvait donner ordre au corl^
de rebrousser chemin, sans trancher le grand litige,
se déclarer pour l'Assemblée contre la Commune.
La Commune venait de remporter une victoire;
Marat avait été nommé le jour même député de Paris.
Danton, grondant, dit d'abord ces mois, à voix basse,
comme un dogue : « Ces hommes-là sont bien cou-
pables.— D'accord, mais le moment presse... —
Ces hommes-là sont bien coupables ! — Enfin que
voulez-vous faire? — Eh! monsieur, s*écria alors
Danton d'une voix tonnante, ne voyez vousdùnc pas
MASSACRÉS A WRSAtLLES (9 SEPT, 92). 213
quCf $if avais quelque chose à vans répandre, esta serait
fait depuis kmgiemps?.,. Que vous imporleol ces
prisonDÎer&T Remplissez vos foDCtions. Nélez-^vous
de vos aflaîres. »
La chose alla comme on pouvait le prévoir, l/es-
corte, rangée devaut et derrière, ne protégea pas les
flancs du cortège. A la grille de TOrangerie, une
troupe confuse entoura les charrettes, et sauta dedans.
Ud jardinier que M. de Brissac avait jadis renvoyé
lui dît : « Me reconnais^lu 7 » (Nous tenons ce détail
de la bouche d'un témoin oculaire). Il le prit au ja-*
bot, et lui cassa sur la tète un pot-au4ait en grès qu'il
tenait à la main. Ce Tut le commencement du mas^
sacre. Le maire de Versailles fît des efforts incroya^^
blés pour sauver les prisonniers; il se mit lui-même
en péril.Tout cela inutilement. Une fois échauffés p&r
le sang, ils coururent à la prison, et y tuèrent encore
une douzaine de personnes.
Lazouski et Fouriûer revinrent paisiblement à
Paris avec leurs chariots vides, et n'y trouvèrent
pas Taccueil qu'ils s'étaient flattés de recevoir. Leurs
hommes, inquiets de ne plus revoir Paris aussi
énergique qu'ils l'avaient laissé, essayèrent de se ras*
surer par quelque signe approbatirdu grand ministre
patriote. Us allèrent sous les fenêtres du ministère de
la justice, et crièrent : « Danton! Danton!» Il ré^
pondit à cet appel , et paraissant au balcon, le misé-
rable esclave, habitué & couvrir la faiblesse des actes
sous l'orgueil de la parole, leur dit (du moins on
l'assure) : « Celui qui vous remercie, ce n'est pas
2l4 DAfiTON SAOVB ABKIBIC WnÊff,
lé ministre de la justice, c'est le mioirtPe de Ut M*
volutioD. »
Danton se voyait alors dans une dangereuse crise
où il allait se trouver en face de la redoutable Com-
mune, en opposition avec elle ; le masque qu'il avait
pris> risquait fort d*èlre arraché. 11 disputait à la
Commune la vie d'un prisonnier, birn plus inpcMrlant
pour lui que tous ceux qui avaient pért à VersaillM ,
le célèbre constituant, Adrien Duport. LaOour, on se
lé rappelle -, Tavait longtemps consulté , ainsi que
Barnave e( Lametb. Dans le manifeste même de
Léopold, dans le portrait peu flatté que l'Empereur y
faisait des Jacobins, on avait cru reconnaître la plume
trop habile du fameux triumvirat.
Ces coupables intelligences avec l'ennemi n'étaient
que trop vraisemblables, mais enfin nullement prou*
tées. Ce qui Tétait mieux, ce qui était certain, aoqais
à l'histoire , c'étaient les services immenses qu'Adrien
Duportavait rendus, sous la Constituante, àla France,
& la Révolution. La vie d'un tel homme > en vérité,
était sacrée. La Révolution ue pouvait y toucher q«e
d'une main parricide. Danton vonlati le sauver à
tout prix , et en cela tl acquittait la dette de la pa-
trie, disons mieuk y collège l'humanité entier^. Qui
ne se touvenait des paroles touchantes de Dupof t dao^
son discours contre la peine de mor4 : « Rendons
l'homme respectable à l'homme.... »
Tout c^la était déjà oublié. Et il y avait à peine un
au. Tellement, de 91 à 92, le temps avait marché
HALORÉ U CeiUUmB (SEFT. tt). 21»
vite! Mais Danton se souvenait. Il voulais sauver
Duport à tout prix.
Danton pouvait bien avoir aussi quelque raison
personnelle de craindre qu'un bouime qui savait tant
de choses ne fût jugé, interrogé, qu'il ne fit sa
confession publique, Dans la primitive organisation
des Jacobins, et plus tard, peut-^tre pième dans
quelqu'une de ses intrigues avec la Cour, Duport
avait très-probablement employé Danton, Intérêt?
générosité? ces deui motifs plutôt ensemble , lui fai-
saient désirer passionnément de sauver Duport,
Celui-ci était justement un de ceux que le comité
de surveillance avait eu soin de faire chercher, ai|
moment des visites domiciliaires, dès le 88 août. Il
n'était pourtant nullement compromis pour les der-
niers événements, 11 y avait six mois et plus que \^.
Coiir qe se servait plus de Duport, ni des constitU'^
tionnels; elle ne daignait plus les tromper j elle ne
uiettait plus d'espoir que dans l'appui de l'étranger,
Dqpôrt, resté à Paris, dans sa maison du B|a-
rais, ne se mêlait plus de rien que de remplir ses
fonctions comme président du tribunal criminel ; c'é-
tait un magistrat , un boui^eois inoffensif, un garde
national; il avait monté sa garde la nuit du 10 août,
était resté à son poste et n'avait point été au château.
Aux jours de septembre, il était che? lui à la cam-
pagne près Nemours; le 4, comme il revenait de la
promenade avec sa femme , il fut arrêté par le maire
de l'endroit, assisté d'une trentaioe de gardes natio-
naux.
SIC ÉLECTIONS, SOUS L*I!ŒLUENGB DU MASSACUB.
L'illustre légiste dit à ce maire de village que son
autorisation d*uu comité de police de Paris ne valait
rien hors de Paris. Mais la population Tort agitée, les
menaces des volontaires qui se trouvaient là, oblige*
rent le maire de le conduire aux prisons de Melun.
S'il eût été mené de là à Paris, il périssait certaine-
ment ; on y tua encore le 5 , et même le 6. Danton,
heureusement averti à temps , ordonna à la munici-
palité de Melun de le garder en prison, quelque ordre
qu'elle reçût d'ailleurs. De surcroît, et dans la crainte
que son message n'arrivât et n'eût point d'effet, il
donnait ordre aux autorités de chaque localité , sur la
route , d'arrêter cet important prisonnier, à quelque
point du voyage qu'il fût parvenu.
Cependant , les zélés de Melun ne perdaient pas de
temps. Ils laissèrent croire à Duport qu'ils allaient
réclamer auprès de l'Assemblée nationale contre l'il-
légalité de son arrestation, et en réalité , ils allèrent
demander au comité de surveillance un nouvel ordre
pour le tirer de la prison de Melun et l'amener à
Paris. Cet ordre arrive à Melun , et voilà la munici-
palité de cette ville, entre le comité de surveillance
qui ordonne de livrer, et le ministre de la justice qui
ordonne de garder. Dans le doute, elle croit plus sage
de ne rien Taire, de laisser les choses dans Tétat
même où elles sont; elle garde le prisonnier.
Danton avait très-bien prévu le conflit. Le lende-
main même du jour où il envoya à Melun, il se munit
d'un décret de l'Assemblée (8 sept. ) qui chai^eait le
pouvoir exécutif (c'est-à-dire Danton) de statuer sur
LUTTE M BATTON ET M UAKXÏ (7-17 SEPT. 92). 217
la légalîté de rarreslation de Duport Par cet acte
Tigoureux, Danton arrachait k la Commune sa vic<-
time; c'était la première fois qu'il était courageux
coolre elle , qu'il osait s'élever contre , démentait sa
fausse unanimité avec les hommes de sang.
Duport resta à Melun ; mais Danton n'osa pas pous-
ser plus loin son avantage. 11 pria le comité de sur-
yeîllance de communiquer les pièces aux tribunaux.
Le comité répondit durement qu'il n'avait que faire
de pièces pour arrêter un tel homme^ que d'ailleurs
on avait saisi sur Duport des lettres singulièrement
suspectes. Le comité se sentait fort. Les massacres
s'étaient traduits immédiatement en élections favora-
bles à la Commune. Dans les jours de terreur où les
assemblées électorales étaient peu nombreuses , les
violents avaient beau jeu. Le 6, ils élurent Robes*
pierre, et Marat le 8. Deux jours après le massacre
de Versailles, le 11, furent élus Panis et Sergent.
Marat crut pouvoir alors pousser Danton k bout,
le mettre en demeure de prendre un parti plus net
qu*il n'avait fait jusqu'ici. 11 Je tenait crnellement
par l'affaire de Duport. Le J 3, il publia, avec
les lettres de Danton et du comité, celles qu'on
avait saisies sur Duport, lettres énigmatiques , d'au-
tant plus propres à piquer la curiosité. Ces lettres,
publiées d'abord dans Y Ami dupeupley passèrent dans
les autres journaux ; tous saisirent cette occasion de
perdre Danton, de le montrer en connivence avec un
conspirateur royaliste. Marat le crut frappé à mort.
11 lui écrivit alors une lettre injurieuse, outrageante,
21i LUTTE DE DANTON BT DB MARAT (7-17 SE»T. OB).
OÙ il lui annonçait que, de journaux en placards, en
affiches, il allait le traîner dans la boue.
Le lion, furieux, sentit sa chaîne, se sentit tiré
par le chien Il ne rugit même pas. 11 céila à
la circonstance, dévora son cœur, courut à la Mai-*
rie. Dans le même hôtel, siégeaient l'innocent maire
de Paris, Pétiori, et la dictature du massacre, le
comité de surveillance, Marat et les maratistes. Dan-
ton n'alla pas tout droit chez celui qu'il voulait
vpir, mais d* abord chez Pétion. Il tonna, gesticqla,
déclama sur la lettre insolente que Marat avait osé
lui écrire.— « Eh! bien, lui dit Pétion, descendons
au comité; vous vous expliquerez ensemble. » — Us
descendent. En présence de Marat, l'orgueil reprit à
Danton, il le traitadurement. Marat ne démentit rien,
soutint ce qu'il avait dit, ajoutant qu'au reste, dans
une telle situation, on devait tout oublier. Et alors, il
lui prit un mouvement de sensibilité, comme il en
avait souvent, il déchira la lettre qui avait blessé
Danton, et se jeta dans ses bras. Danton endura le
baiser, sauf à se laver ensiiite.
il ne se sentait pas moins la chaîne rivée au col.
Marat le tenait par Duport. Si Danton défendait Du-
port, il était perdu, mordu à mort par Marat. Si Dan-
ton livrait Duport, il était perdu, trés-probablemenl ;
Duporl eût parlé, sans doute, avant de mourir, em-
porté avec lui Danton.
Celui-ci devait attendre , gagner du temps. Los
maratistes pouvaient périr par leurs excès. Ce qui
semblait devoir briser, en très-peu de temps, cette
FÉlNftRATlOIfS DE GARANTIE MUTUELLE. fl9
trramîeftDarcbkiue, ce n'était pas seulement Thor-
reur du sang, mais la crainte du pillage. Les tdIs se
muUîpiiaient. Ceux qui se croyaient maîtres de la vie
des homnaas semblaient se croire, à plus forte rai-
son , maîtres de leurs biens.
Si liarat ne conseillait pas le partage des proprié-
lés, son ami Chabot assmtiit que c'est qu -il ne croyait
pas les bommes assez vertueux encoite. Beaucoup
n'en jugeaient pas ainsi ; ils se croyaient suffisam^
ment vertueux pour commencer; ils essayaient de
sa foire le partage de leurs propres mains ; d'abord
celui des bijoux, des montres, en plein jour, sur les
boulevards. Si Tbomme dépouillé criait, les voleurs
criaient bien plus haut « à Tarisloorate » . La foule
passait tète basse, h ce cri si redouté , et n'osait in*
terveuir.
Paris retombait à l'état sauvage.
Et, comme il arrive en un tel état, les individus
n'espéraût rien de la priolection de la loi, essayèrent
de rasaoeiation pour se protéger eux-mêmes. Les
Yieilles fraternités barbares, les essais antiques et
gvessiens de solidarité^ de protection mutnetle, trou-
vèrent des imitateurs à Paris, à la fin du XVIU«sié-;
de. Ce fut TAbbaye* l<i section sanglante, frémissante
«Qcore ilu mas^ucre, qui proposa aux autres sections
t une œufédération entre loui les cifoyeni, pour h ga-t
raidir mutuellemenl /es hiew et la vie ». On devait se
foire reconnaître, en portant toujours sur soi une
carte de la section. Chacun avait ainsi sa section pour
garantie, était protégé par elle. Il y avait lieu d'espé*
US> VOLS
rer qu'on oe verrait plus un inconnu, uo quidam en
écbai'pe, frapper à la porte au nom de la loi^ la briser,
si Tou n'ouvrait, prendre un citoyen chezlui^ remme-
ner, le jeter dans les prisons toutes teintes encore de
sang. Puis, quand on voulait remontera la source,
on ne trouvait rien. On s'informait à la Commune?
mais elle n'en savait rien. Au comité de surveillance
et de police? Lui-même n'en savait rien. On finissait
par découvrir que c'était un de ses membres^ un seul
très^souvent, et le plus souvent, Marat, qui , pour
tous, sans les prévenir, avait signé de leurs noms,
lancé le mandat d'amener, autorisé le quidam.
Les autorités de Paris ne se contentaient plus de
régner dans cette ville. Elles étendaient leur royauté
a trente et quarante lieues. Elles donnaient aux
gens qu'il leur plaisait d'appeler adaiinhtrateurs du
salut public , des pouvoirs ainsi conçus : « Nous au-
torisons le citoyen tel à se transporter dans telle ville
pour s'emparer des personnes suspectes et des effets
précieux.» Des villes, ces commissaires, dans leur
esprit de conquête, circulaient dans les campagnes,
allaient aux châteaux voisins, prenaient, emportaient
Tai^enterie.
L'occasion était belle pour frapper la Commune.
Des mesures furent prises par l'Assemblée, et cette
fois avec une redoutable unanimité, qui montrait assez
que les Dantonistes agissaient ici avec la Gironde.
L'Assemblée porta un décret qui défendait d*obéir
aux commissaires d'une municipalité hors de son ter-
riknre.
ET PILLAGES (<;Cl»TElfBRE d2). 221
Un coup non moins grave fut Trappe sur la Com-
mune, sur tout ce peuple d* agents qu*elle se créait à
plaisir, déléguant sa tyrannie au premier qu'il lui
plaisait dé ceindre de sa terrible écharpe. Sur le rap«
port du dantoniste Thuriot, l'Assemblée décréta que,
c quiconque prendrait indûment Vécharpe municipale
serait puni de mort. »
Nous ne doutons point que Danton n'ait parlé en«
core ici par l'organe de Tburiot, pris sa revanche du
baiser de Marat.
On affectait de dire, pour faire passer ce violent
décret, que tous ces gens en écbarpequi, sans droit ni
autorité, mettaient les scellés, faisaient des saisies,
emportaient, n'étaient autres que des filous. Les mu-
nicipaux eux-mêmes avaient ils les mains bien nettes? "
on était tenté d'en douter. Leur autorité illimitée,
la disposition absolue qu'ils s'attribuaient de toute
chose , les mettaient sur une pente bien glissante. Il
était à craindre que ceâ Bru tus, inflexibles h la nature,
invincibles à la pitié, vrais stoïciens pour autrui , ne
^ le fussent moins pour eux-mêmes. Dans le vertige
du moment, dans le mnniement confus, indistinct,
de tant d'affaires et de tant d'objets, la passion do*-
minante (car enfin chacun en a une , tel les femmes,
tel l'argent) n'allait-elle pas revenir?
On raconte que le comité de surveillance, qui avait
entre les mains les dépouilles des morts de septembre,
une grande masse de bijoux , eut l'idée , dans un
besoin public, d'en faire de l'argent. G*était peut-
être un peu bien tôt (quelques jours après le mas-
M VÛL8 BT PtLLAGBS. '
sacre ) ; à peine avail^n eu le temps de laver U trace;
ees bijoux sentaient le sang. Des anneaux faussés par
te sabre qui ayait tranché les doigts, des boucles d'o*
leilles arrachées avec des morceaux d'oreilles, c'é-
taient véritablement des choses trop tristes, qu*îl ne
fallait pas montrer; mieux eût valu enfouir ces l»gu^
bres dépouillas marquées désignes de mort, et qui ne
pouvaient porter bonheur à personne. Les membres
du comité en firent une vente publique aux enchères;
mais, quelque publique qu'elle fût, elle n'en était pas
moins suspecte; qui eût osé enchérir sur eux, s'il leur
plaisait de dire qu'ils achetaient tel objet? C'est pré-
cisément ce qui arriva. Sergent, en sa qualité d'ar-
tiste, regardait , maniait insatiablement un camée de
prix en agate. « Ce n'était pas, ditril dans ses justifi-
cations, un camée antique. » Peu importe; qu'il f4t
.Mitiqueou moderne, il en tomba amoureux. Personne
n'osa enchérir, Sergent l'eut au prix d'estimalion. Le
paya-t-il ? c'est laque commence la dispute. Sei^ent
dans ses Noie$y dit Oui ; l'enquête conservée à la 'Pré-
fecture de police semblerait dire Non. On serait tenté
de croire que l'artiste nécessiteux qui recevait une in-
demnité légère pour son traitement de roi de France
(un membre de oe comité souverain n'était guère
moins en vérité) agit ici royalement, se réserva de
payer k son loisir, et provisoirement s'adjugea l'ob-
jet qui avait fixé son caprice. Nul doute qu'il n'eût
pu prendre des choses bien plus précieuses. Quoi
qu'il en soit, Sergent, dans sa longue vie, très-bon-
néte, a traîné ceci misérablement, en parlant sans
VOLS BT PILLAGES (SEPTBIlBRfi 9S). ttS
cesse, en écritanl sans cesse, se tenant au plus gfand
passage des étrangers de FEurope, les arrêtant^ pour
ainsi dire, les forçant d'entendre son apologie. Jus-
qu'à la mort, il fut comme poursuivi par ce funâbre
bijou, qui semble l'avoir tenté perfidement pour
marquer chacun de ses jours du souvenir de Sep-
tembre.
Chacun, en réalité, k ce moment, agissait en roi%
Des caves ayant été découvertes sous les décombres
du Carrousel, avec des tonneaux d'huile et de vin,
les passants, comme peuple souverain, héritiers na-
turels du Roi, décidèrent que l'builo et le vin leur
appartenaient. Us burent le vin, vendirent ThUile,
et cela naïvement, en plein jour, sans embarras cri
scrupule.
Ce n'est pas tout. On se rappelle qu'un membre
delà Commune avait, au mois d'août, cru devoir
enlever du Garde-Meuble un petit canon d'argent,
l^'événement attira l'attention de quelques individus
wr le dépôt précieux. Ils remarquèrent qu'il était
à peine gardé ; on ne pouvait ni réunir, ni main-
tenir au complet un poste assez nombreux de garde
nationale. Dans le pillage universel qu'on voyait
partout, ils s'adjugèrent la- meilleure part, les dia*-
Qiants de la couronne. Us emportèrent entre autres
le Régentf et, en attendant qu'ils pussent s'en dé^
bire, ils le cachèreut sous une poutre d'une maison
de la Cita..
L'audace d'un tel vol ne révélait que trop l'a-
Dëantissemebt dos pouvoirs publics. Le ministre de
2i4 MEURTRES, BT CRAIHTCS DR MASSACRE (SEPT. 9t\.
l'intérieur venait unirorniément avouer à l' Assem-
blée, chaque matin, qu'il ne pouvait rien et qu'il
n'était rien, que l'autorité n'était plus.
La conscience publique flottait, ébranlée par le
maasacre; beaucoup d*homnies trouvaient probléma-
tique le droit du prochain à la vie. Un prêtre, le su-
périeur de Sainte-Barbe avait obtenu, le 10, un pas-
seport de Roland, à titre (T humanité: ce fut l'apostille
du ministre. Au moment de partir, il coucha chez
un de ses parents, par qui il fut septembrisé. La chose
fut révélée par une fille chez qui, le soir même, cou-
cha l'assassin.
Des bruits effrayants couraient; les prisons, rem-
plies de nouveau et combles , s'attendaient à voir
recommencer un égorgement général. Les prison-
niers de Sainte-Pélagie, dans l'agonie de la peur,
écrivirent une pétition à l'Assemblée pour ne pas
être massacrés, du moins avant jugement.
L'Assemblée avait elle-même à craindre autant
que personne. Marat demandait chaque jour qu'on
égorgeât ces traîtres, ces royalistes, ces partisans de
Brunswick. Massacrer la Législative, c'était son texte
ordinaire. Le plus étrange, ce qu'on n eût vraiment
jamais deviné, c'est qu'il semblait vouloir déjà égor-
ger la Convention qui n'existait pas encore. Il re-
commandait au peuple de bien l'entourer, « d'ôter k
ses membres le talisman de l'inviolabilité, afin de
pouvoir les livrer à la justice populaire... Il importe,
disait-il, que la Convention soit sans cesse sous les
yeux du peuple et qu'il puisse la lapider... »
CRAINTES POmt L'ASSEMBLÉB NATIONALE. 225
Égorger Faocienne assemblée, menacer de mort
Tautre qui Tenait, c'était l*inraillible moyen d'em-
pêcher tout rétablissement de l'ordre, toute résur-
reclion de la puissance publique.
Il se trouva heureusement des députés énergi-
ques qui, peu soucieux de vivre ou mourir, insis-
tèrent avec indignation pour sauver du moins leur
honneur, pour repousser T infâme nom de traître
qu'on prodiguait si hardiment aux membres de
l'Assemblée. Aubert-Dubayet somma la commission
chargée d'examiner les papiers saisis au 10 août, de
dire s'il en était qui inculpassent véritablement
quelqu'un des représentants. L'irréprochable Go-
hier, membre de celte commission, répondit: « Que
ces papiers^ examinés en présence des commissaires de
la Commune, n*avaient rien présenté qui pût porter le
moindre soupçon sur aucun des membres de l'Assemblée
législative. »
Cambon s'exprima alors avec l'indignation pro-
fonde de la vertu outragée : « On dit, on afliche que
quatre cents députés sont des traîtres, et nous res-
terions ici à nous le dire à l'oreillel... Non, non,
mourons s'il le faut, mais que la France soit sauvée/..
La souveraineté est usurpée. Par qui ? par trente ou
quarante personnes que soudoie la nation... Que
tous les citoyens s'arment! Requérons la force armée!
Elle écrasera ces gens de boue qui vendent la liberté
pour de l'or... Je demande que les autorités compa-
raissent à la barre, que TAssemblée leur dise l'état
de Paris et leur rappelle leur serment. »
IV. "
M CRAINTES POUR L'ASSEMBLÉE (SEPTEMBRE IQ).
Celte violente sortie^ où Tbomme le pi us considéré
pour la probité semblait Taire appel aux armes contre
la Commune, était moins terrible encore en elle-
même que par l'occasion qui l'avait amenée; rocca-
sipn n'était pas moins que le vol du garde-meuble.
L'affaire du canon d'argent, celle de l'argenterie en*
levée, celle de l'agate de Sergent, un grand nombre
de saisies illégales d'objets précieux, l'absence d'or-^
dre aussi et de comptabilité, ne rendaient que trop
vraisemblable cette accusation (en réalité injusle).
Ce jour même, 17 septembre, Danton crut la Com-
mune assez afl\iiblie, et devint audacieux. Sans s'in-
quiéter de ce que dirait le comité de surveillance ni
des aboiements de Marat, il renvoya l'afTaire de Du-
port, non au tribunal extraordinaire, comme il l'avait
dit lui-même, mais tout simplement au tribunal de
Helun, et te chargea de statuer sur la légalité de l'ar-
restation de Duport. Ce tribunal ne perdit pas une
minute, et le 17, au reçu du courrier, il déclara Tar-
restation illégale, élargit le prisonnier*.
Ûanton profita encore du moment pour faire une
c)iose humaine. 11 fit abréger, pour tous les détenus
qui avaient échappé au massacre, le temps de leur dé-
feu tion.
Une chose montra combien, en si peu de jours^ la
situation avait changé : une commune de Franche-
Comté ne craignit pas d'arrêter deux de ces telrribles
* Je dois la communication des nombreuses pièces qui éclaircissent
eetle affaire k robligeance de M. Danton, Tua de nos professeun àe
philosophie les plus diaiîngvés» aujottrd^hiM înaptclewr de rUiiiversilé.
nscoms de vergi! linn» er DftTwmnBT db l'asseubléb. m
ammiuairei du $ahit pùklrCi La «ommiine de. Cbàmr
plilte^ ail nom de l'égalité, déclara De poiol obéir à la
commupe de Parisi — Cet exemple Tut imité daos un
grand nombre de villes.
U; opnseil-général de la Commboe comprit qu'il
était grand temps de sacriBcr son comité de surveîl-»
lance. Le 18, au aoir, il se souleva Tiolemment con-
tre ce comité, rejeta snr lui la responsabilité de tout
ce qui af était fait, le cassa, et rappela que nulle per^
sonne étrangère au conseil-gèttéral ne pouvait faire
partie da cqfnitéde surveillance. Ceci contre Mafat^
introduit subrepticement, contre Panis, le coupable
introducteur dé llaràt.
: La folle et furieuse audace des maratistes étaH
teUement connue qu'on ne pouvait croire qu'ils re-^
çussent ce coup sans répondre ptir un crime, par
quelque nouvelle tentative de massacre. Ces craintes
furent augmentées plutôt que diminuées, lorsque^
lé 19, le coilseil-généraJ déclam qu'il était prêt à
mourir pour la- sûreté publique. Le même jour, l'As-
aemblée, dans une adresse, proclama, pourreflTror
ëe la France , le bruit qui courait : Qu'au .jour où
VAssèmlriée cesserait ses fonctions, les représentanti
iu peuple Beraienl massacréi. Elle sanctiomia desme-^
sures de sûreté pour la ville de Paris, Spécialement
celte fédération de défeuse mutuelle dont la section
de TAbbaye avait donné l'exemple , et l'obligalîoD
pour tous les citoyens de porter toujours sur eux une
carte de sûreté.
Avec kMiteB ces pr^eaotioos,. personne n'était n^
f iS ' DÉVOtTFMENT S0L£!I19EL
saré. Personne ne se persuadait que la France fran<-
chu sans quelque nouveau choc affreux ce redoutable
passage de la Législative à la Convention. Ceux qui,
pour se maintenir, avaient saisi une fois le poignard
du 2 septembre, hésiteraient-ils aie reprendre? On
ne le pensait nullement. Un grand nombre de dépu-
tés croyaient avoir très-peu à vivre. La plupart pen-
saient du moins qu'un nouveau massacre des prisons
était imminent. Vei)|^niaud trouva dans cette attente,
effrayante pour les cœurs vulgaires, une inspira*
tion sublime , une parole sacrée que répéteront les
siècles.
D'autres ont usurpé ce mot, qui n'avaient pas
droit de le dire. Ils ont dit, d'après Yergniaud:
« Périsse ma mémoire pour le salut de la France I »
Pour qu'on immole sa mémoire, il faut d'abord qu'elle
soit pure. Pure doit être la victime, pour être accep»
téedeDieu.
Yergniaud, après avoir parlé de la tyrannie de la
Commune et montré la France perdue si cette royauté
nouvelle n'était renversée : « Ils ont des poignards, je
lésais... Mais, qu'importe la vie aux représentants
du peuple, lorsqu'il s'agit de son salut?.. Quand Guil-
laume Tell Ajusta la flèche pour abattre la pomme
fatale sur la tête de son fils, il dit : Périssentmonnom
et ma mémoire, pourvu que la Suisse soit libre!... Et
nous aussi, nous dirons: Périsse l'Assemblée nationa*
le, pourvu que la France soit libre! Qu'elle périsse, si
elle épargne une tache au nom français! si sa vigueur
apprend à l'Europe que, malgré les calomnies, il y
M L'ASSEMBLÉS (17 SePTEXBRC). Î2d
a ici quelque respect de rbumaDité et quelque vertu
publique !... Oui, périssons, et sur nos cendres, puis«
sent nos successeurs, plus heureux, assurer le bon-
heur de la Franco, et îbnder la liberté! »
Toute TÀssemblée se leva, tout le peuple des tri*
bunes. Cette génération héroïque se sacrifia , en ce
moment, pour celles qui devaient venir. Tous répé-
tèrent d*un seul cri : a Oui! oui, périssons, s*il le
faut... et périsse notre mémoire ! »
Le peuple qui disait ceci méritait de ne pas
périr. — Et au moment même il était sauvé. La
France gagna , trois jours après , la bataille de
Yalmy.
ÇHAPiTRÉ Ylïl
QA^^AILLE DE VALNY.
SO septembre 9S.
Élan de U gaerre. — Mort héroïque de Beaurepaire (1*^ septembre). ^Of-
frande» patriotique»; -^ Admirable accord des pariis. ^ Dunonriet soateta
< jles (itroodin^, des Jacobins, <|e Dâi^too.— pévoqemci|t vnitBine tfr t«ii^.—
Immoralité profonde des puissances envaliissantes. — Doute et incertJtnde
des Allemands.— Gœllie et Faust. ~ Indécision du duc deBruosvict. — Les
Prussiens parlent de restaurer le clergé et de faire rendre les biens natio-
naux — Pureté héroïque de notre armée ; comment elle reçoit les teptein-
briseurs. — Dumourics se laisse tourner.— Unanimité pour le soutenir. — État
formidable des campagnes de TEsl. — Dnmouriei et Kellermann à Talmy
(iO septembre). — Fermeté de la Jeune armée sous le fen.— > Les Prussiens
avancent deux fois, et se retirent.
Lo grand orateur avait été, en ce moment sublime,
le ponlire de la révolution. Il avait trouvé, donné la
formule religieuse du dévouement héroïque. Ainsi ,
('ans les vieilles batailles de Rome, quand la victoire
balançait, quand les légions chancelaient, le pontife,
en blancs habits, s'avançait au front de Tarmée, et
prononçait les paroles du rite sacré ; un homme se
présentait, Décius ou Curtius, qui répétait mot pour
mot, et se donnait pour le peuple. Ici, Vergniaud fut
le pontife ; mais ce ne fut pas un homme qui répéta
ÉLAN DE LÀ GOERttÊ (SBIH'. M). tU
1À formule, ce fui tout lé peuple même, là Franed
futBécius.
^ Nen, ranàrchie de Paris ne devait tromper per-
Mnne sur le caractère de ce moment. Cette mort
était une vie. L'éloignement qu'on reprochait à la
population pour les travaux intérieurs tenait à son
élan de guerre. Elle sentait très-bien d'instinct que
la bataille du monde ne se livrerait pas ici.
La défense est & la main, et elle n'est pas au cœur.
Préparer la défense h Paris, c'est toujours le plus
triste augure. Qu'on sache bien que le jour ob le pe-
sant matérialisme de la royauté a fortifié Paris, il l'a
énervé. Le jour où vous le voudrez imprenable, vous
abattrez ses remparts.
La défensive ne va pas à la France. La France
n'est pas un bouclier. La France est une épée vi*
vante. Elle se portait elle-mèine à là gorge de l'en-
Demi.
Chaque jour, 1 ,800 volontaires partaient de Paris,
et celajusqu'& 30,000. Il y en aurait eu bien d'autres,
si on ne les eût retenus. L'Assemblée fut obligée
d'attacher k leurs ateliers les typographes qui impri-
maient ses séances. Il lui follut décréter que telles
classes d'ouvriers, les serruriers, par exemple, utiles
pour iaire des armes , ne devaient pas partir eux-
mêmes. I) ne serait plus resté personne pour en
foirer.
Les églises présentaient un spectacle extraordinai-
re, tel que, ilepuis plusieurs siècles, elles n^en effraient
-plus. Elles avaient repris le caractère municipal et
tSI ÉLAN DE LK GOEBIIB (SEPTEMBRE 9Î).
politique qu'elles eurent au moyeu -âge. Les assem^
blées des sections qui s'y tenaient rappelaient celles
des anciennes communes de France^ ou des muoici-
pes italiens, qui s'assemblaient dans les églises. La
cloche, ce grand instrument populaire dont le clergé
s'est donné le monopole, était redevenue ce qu'elle
fut alors, la grande voix de la cité, — l'appel au
peuple. Les églises du moyen-âge avaient parfoia
reçu les foires, les réunions commerciales. En 92,
elles offrirent un spectacle analogue (mais moins
mercantile, plus touchant), les réunions d'industrie
patriotique, qui travaillaient pour le salut comaïun.
On y avait rassemblé des milliers de femmes pour
préparer les tentes, les habits, les équipements mili-
taires. Elles travaillaient, et elles étaient heureu-
ses, sentant que, dans ce travail, elles couvraient,
habillaient leurs pères ou leurs fils. Â l'entrée de
cette rude campagne d^hiver qui se préparait pour
tant d'hommes jusque-là fixés au foyer, elles ré-
chauffaient d'avance ce pauvre abri du soldat de leur
souille et de leur cœur.
Près de ces ateliers de femmes, les églises même
offraient des scènes mystérieuses et terribles, de
nombreuses exhumations. Il avait été décidé qu'on
emploierait pour l'armée le cuivre et le plomb des cer-
cueils.—Pourquoi non? Et comment a-t-on si cruel-
lement injurié les hommes de 92, pour ce remuement
des tombeaux? Quoi donci La France des vivants,
si près de périr, n'avait pas droit de demander se-
cours à la France des morts, et d'en obtenir des ar-
WOKt nÈMWt DE BEAimEPAlRE. S5
mes? S* il faut, pour juger un tel acte» savoir la
pensée des morts même , l'historien répondra, sans
bésiter, au nom de nos pères dont on ouvrit les tom-
beaux, qu*ils les auraient donnés pour sauver leurs
petits- fils. — Âbl si les meilleurs de ces morts
avaient été interrogés, si Ton avait pu savoir là-
dessus ravis d*un Vauban, d'un Colbert, d'un Car
tinat, d'un chancelier l'Hépital, de tous ces grands
citoyens, si l'on eût consulté l'oracle de celle qui
mérita un tombeau? non, un autel, la Pucelle d'Or*
léans.... toute cette vieille France liéroïque aurait
répondu : « N'hésitez pas, ouvrez, fouillez, prenez
nos cercueils, ce n'est pas assez, nos ossements.
Tout ce qui reste de nous, portez-le, sans hésiter, au-
devant de l'ennemi. »
Uu sentiment tout semblable fit vibrer la France
en ce qu'elle eut de plus profond, quand un cercueil,
en eflfet, la traversa, rapporté de la frontière, celui de
Timmortel Beaurcpaire, qui, non pas par des pa-
roles, mais d'un acte et d'un seul coup, lui dit ce
qu'elle devait faire en sa grande circonstance.
Beaurcpaire, ancien officier des carabiniers, avait
formé, commandé, depuis 89, l'intrépide bataillon
des volontaires de Maine-et-Loire. Au moment de
Vinvasion, ces braves eurent peur de n'arriver pas
assez vite. Ils ne s'amusèrent pas à parler en route,
traversèrent toute la Fnmce au pas de charge, et se
jetèrent dans Verdun. Us avaient un pressentiment
qu'au milieu des trahisons dont ils étaient environ-
nés, ils devaient périr. Ils chargèrent un député
S36 ADSmUBtE ACCORD DES PARTIS (SEPT. 92>
encore... II y en aura, au bout de deux ans, pour sol-
der nos douze armées • ^
Nul parti, il faut le dire, ne fut indigne de la
France dans ce moment sacré. Disons mieux, s* il y
avait de violents dissentiments sur la question ioté-
rieurci sur la question de la défense il n'y eut point
de parti. Le peuple fut admirable, et nos chefs furent
admirables.
Remercions à-la-fois la Gironde, les Jacobins et
Danton,
Le salut de la France tint certainement à un acte
très-beau d'accord, d'unanimité, de sacri6ce mutuel,
que firent à ce moment ces ennemis acharnés. Tous,
ils s'accordèrent pour confier la défense nationale à
un homme que la plupart d'entre eux haitssaient et
détestaient.
Les Girondins haïssaient Dumouriez, et non sans
cause. Eux, ils l'avaient fait arriver au ministère; lui,
il les en avait chassés avec autant de duplicité que
d'ingratitude. Ils l'allérent chercher à Tarmëe du
Nord, dans la petite position où il était tombé, et le
nommèrent général en chef.
Les Jacobins n'aimaient nullement Dumouriez; ils
voyaient bien son double jeu. Ils jugèrent néanmoins
que cet homme voudrait, avant tout, la gloire, qu'il
voudrait vaincre. Ce fut l'avis d'un jeune homme
très-influent parmi eux , Couthon , ami de Robes-
pierre; ils approuvèrent et soutinrent sa nomination
au poste de général en chef.
DDIIOURIEZ SOOTEXII OKS GIRONBIRS, DES JACOBINS, M DANTON. 2S7
Danton 6t plus. Il dirigea Dumouriez. II lui envoya
successivement sa pensée, Fabre d'Ëglantine, son
bras y Westermann, Tun des combattants du 10 août.
Il Fenveloppa, ce spirituel intrigant de l'ancien ré-
gime, du grand souffle révolutionnaire, qui autrement
lui eût manqué.
Il y eut ainsi parfaite unanimité sur le choix de
rhomme. Et même unanimité pour concentrer tou-
tes les forces dans sa main.
On écarta ou Ton subordonna les officiers-gëné*
faux qui pouvaient prétendre à une part du comman-
dement. On envoya le vieux Luckner & Chàlons for-
merdes recrues. On ordonna a Dillon, plus élevé que
Dumouriez dans la hiérarchie militaire , d'obéir à
Dumouriez. Même oYdre donné à Kellermanu, qui
gronda, mais obéit. Toutes les forces de la France,
et sa destinée, furent remises à un officier peu connu,
et qui jusque-là n'avait jamais commandé en chef.
Cest ainsi que le génie souverain de la Révolution
élevait qui lui plaisait. Pourquoi devinait-il si bien
les hommes? c'est qu'il les faisait lui-même.
Celte fois, il fit un homme. Ce Dumouriez, qui
avait traîné dans les grades inférieurs, dans une diplo-
matie qni touchait à l'espionnage, la révolution le
prend, l'adopte, elle l'élève au-dessus de lui-même,
et lui dit : Sois mon épée.
Cet homme, éminemment brave et spirituel/ ne
fut vraiment pas indigne de la circonstance. Il montra
tme activité, une intelligence extraordinaires; ses
Mémoires en témoignent. Ce qu'on n'y voit point
83g DÉYOUEXENT UNANIHE DE TOUS.
toutefois^ e'est Tesprit de saorifice, Tardeur du dé-
nouement qu'il trouva partout, et rendit sa tâche
aisée; c'est la forte résolution qui se trouva daqs tous
les cœurs de sauver la France à tout prix, en sacri-
Qaiit, non la vie seulement, non la fortune seulement,
mais l'orgueil, la vanité, ce qu'on appelle rbonpeur.
Un seul fait pour faire comprendre. Le vaillant co-
lonel Leveneur, qui s* est rendu célèbre pour avoir
pris (à lui seul, on peut le dire) la citadelle de Namur,
avait eu le malheur de suivre Lafayette dans sa fuite.
Il se repentit, revint. 11 ne rentra dans l'armée que
comme soldat, et, sans murmure, il porta le sabre
du simple hussard, jusqu'à ce que de nouveaux ser-
vices lui eussent fait rendre son épée.
L'unité d'action était facile avec de tels hommes.
Même les bandes indisciplinées de volontaires qui
arrivaient de Paris, une fois encadrées, contenues,
Dumouriez l'avoue lui-même, elles devenaient excel-
lentes, surmontaient les fatigues, les privations, mieux
que les anciens soldats.
On voit bien dans ses Mémoires tout ce qu'il fit
pour l'armée, mais pas assez comment celle armée
fut soutenue. Il arrive à Dumouriez, comme à la plu-»
part des militaires, de ne pas tenir assez compte des
causes morales ^ Il fait abstraction du grand et ter*
^ Cest le défaut trop ordioaire des éerivams ro'diUDrety spèdale-
ment des généraux qui écriveol leur propre histoire. Us font honneur
de tout succès à leurs calculs , oublient les hommes sans le dé?oue-
ment desquels ces cakuls ne serTâîent ^ rien. -^ Le plus grand est
le plus coupeble. Napoléon^ dans ses Mémotmir donné irelèmîeK U
IMMORALIT PMfOKDE D£9 »ÇIS6AiCfiE8 ENVAHISSANTE^, Sffia
rible effei que produisît sur l'armée alteiqaniid TuqM'
DÎmité ide la FraDee» Il n'a pas l'air de voir touse^Bv
camps de gardes oationsiux qui hérissaient lescollipes
de la Meurthe, des Vosges, de taut d'autres déparle*-
meots. 11 ne voit pas^ du Rhin à la Marne) le paysaUi
armé et debout sur son sjllon. Mais l'ennenii l'a biça
vu, et voilà pourquoi il a si peu insisté, si peu com-
battu, si peu profité des fautes de Dumouriez.
Voilà le secret de toute cette campagne. Il ne faut
pasl0 chercher exclusivement dans les opérations mi-
litaires* Ici, parmi un désordre immense^ mais tout
extérieur, il y avait une* profonde unité de passion et
^e volonté* Et du côté des allemands, avec toutes les^
apparences de Tordre et de la discipline, il y avait
division, hésitation, incertitude absolue sur les moyens,
et le but.
. Pour juger le commencement de la guerre, il faut
en voir déjà la fin. Il faut, pour mesurer la juste part
d'estime que l'on doit à ces Croisés qui lèvent ici I9.
bannière contre la Révolution, il faut, dis-je, savoir à
quel prix ils s'arrangeront avec elle dans quelques;
aBoëesd'ici. Après tant de phrases sonores sur le droit
et la justice, les chevaliers s'avoueront pour ce qu'ils
soDt, des voleurs. La Prusse volera sur le Rbin^ et
thiffre des hommes, nullement ta qualité , le personnel liierveîHeux ',
•nîqne, iavtnctble, dont il disposait. H a Tair d^ignorer TiiifiifHible épêé
({uesa Bière, la Révolution, loi avait léguée «n mourant. « J*ayais tsn>
d'bommes, tant sont morts, » voilà toute Toraison funèbre. Quoi ! c'esl
1^ tout, grand Empereur?... Pas un mot du cœur, pour tant die cœurs
HéroTqnes, qui ne vous distinguaient plus de la patrie, et mouraient
SIO IVNORALIIÉ DBS PUISSANCES ENVAHISSANTES (SEPT. 9t).
rAutriche en Italie. L'une et l'autre, n'ayant pu rien
gagner sur Tennemi, gagneront sur leursamis. Chose
prodigieuse ! On les verra tendre la main à la France,
et se faire donner par elle (une ennemie victorieuse),
donner leurs propres amis, et dire à peu prés ceci :
« Je n'ai pu prendre ta vie. Donne-moi la vie de mon
frère, o — La Prusse ainshdévorera les petits princes
allemands, et l'Aulriche absorbera sa fidèle alliée,
Venise.
Tout cela se verra bientôt. Mais, sans attendre si
loin, dans l'année même où nous sommes, en 92,
comment voir sans horreur la scène qui se passait
dans le Nord?... Quant à moi, je ne demande pas
d'humanité k l'ours blanc de Russie, pas davantage,
aux vautours de l'Allemagne. Qu'elle soit mangée,
celte Pologne, d'accord, je ne m'en étonnerai pas.
Mais que ces bètes sauvages aient pu prendre des fa-
ces d'hommes, des voix douces, des langues mielleu*
ses, cela trouble, cela glace... Qu'avait besoin cette
Prusse de s'engager, de promettre, de pousser la Po-
logne à la liberté? Quoi I misérable, pour que, jetée
sous la dent de l'ours, elle le donnât Thorn et Dant-
zig?.«. Et quelle chose eifroyable aussi de voir la
Russie elle-même attester la liberté! se plaindre de
ce que la Pologne n*est pas assez libre! puis, mêlant
la dérision à l'exécrable hypocrisie, accuser tantôt sa
victime d'être royaliste, tantôt d'être jacobine!...
Enfin, ces honnêtes gens vont dire en 93 que, dans
leur sollicitude pour cette pauvre Pologne, et de peur
qu'elle ne se fasse du mal à elle-même^ ils croient de
DOUTE CT fxcfintrroDE des allemands. 241
son intérêt qu'elle soit resserrée, encore plus , en cer--
laines limites.
Cest en France que la Prusse et l'Autriche de-
vaient trouver leur expiation. Ils entrent en conquè-
rantSy et ils s'en vont en voleurs, sans guerre sé-
rieuse, ni combat. Quelques volées de boulets, et les
huées de nos femmes, voilà ce qu'il en a coûté. —
Le fameux duc de Brunswick s'en va, sans se
retourner...
Dieu nous garde d'insulter la Prusse du grand Fré-
déric! ni ces excellents soldats qu'on amenait à la
mort!... La mauvaise conscience de leurs chefs,
rhésitation naturelle au politique immoral qui suit
rintérèl jour par jour, voilà ce qui perdit ces pau-
vres Allemands, et les rendit ridicules. Disons-le
aussi, leur bonhomie excessive, leur douceur, leur
patience à suivre leurs indignes rois.
Les deux voleurs, le prussien et l'autrichien, n'a-*
gissaient nullement d'accord. Le prussien, sollicité
dés longtemps de traiter à part, était par cela même
suspect à son camarade. L'autrichien, qui se portait
comme parent de la reine de France, n'en avait pas
moins la pensée secrète de faire son petit vol à part,
de se garnir les mains, vers l'Alsace ou les Pays-Bas,
de profiter de la misère de Louis XVI qu'il venait dé-
livrer, pour le dépouiller lui-même.
Avec ces bonnes pensées et ces vues secrètes, ils
se gardèrent bien de donner à Monsieur le titre de
régent de France, qui eût groupé autour de lui tous
les royalistes, donné une énergie nouvelle à l'armée
IV.
ut COETBË ET PAOST (SEt>T. M).
des émigrés. Ils ne voulaient nullement réussir par
les Français, lis voulaient avoir du succès, et crai-
gnaient d'en avoir Irop. Ils voulaient, ne voulaient
pas.
S*il se trouvait dans l'armée des émigrés quelque
ofBcier intelligent, intrépide, comme M. de Bouille,
on se garda de remployer ; on le tint sur les der-
rières, on le laissa traîner au blocus de Tbionville,
on l'envoya sur le Rhin, en Suisse, partout enfin où
il était inutile.
U est intéressant de voir cette armée de la contre*
révolution s'acheminer pesamment par Coblentz et
Trêves; belle armée, du reste, bien organisée, riche,
surchargée d'équipages magnifiques, d'un train royal,
et du train de je ne sais combien de princes. Bruns*
wick, le général en chef, avait dit : « C'est une pro-
menade militaire. » Le roi de Prusse avait quitté ses
maltresses pour venir à la promenade. Sa présence,
la conservation de sa précieuse personne, eût rendu
prudent Brunswick, quand même il ne l'eût pas été.
L* essentiel n'était pas de vaincre ; le capital intérêt
était de ne pas trop exposer le roi do Prusse, de le
ramener sain et sauf. C'est la pensée que le sage
Brunswick dut incessamment ruminer, et c'est à quoi
se borna le succès de l'expédition.
Brunswick était déjà un homme d'ige ; il était lui-
même prince souverain ; c'était un homme prodigieu-
sement instruit, d'autant plus hésitant, sceptique.
Qui sait beaucoup doute beaucoup. La seule chose
à laquelle il crût, c'était le plaisir. Mais le plaisir,
INOÊGt$tON DO DCH: DB BftUNSWiCtC. tiS
coQtinué au-delà de l'à^e, énerve oon-seulement le
corps, mais la faculté de vouloir. Le duc était resté
brave, savant, spirituel, pleiu d'idées et d'expérience;
il n'avait perdu qu'une chose, par quoi il était eu-^
nuque; quelle chose? la volonté.
Dans cette armée de rois, de princes, il y avait
entre autres un prince souverain, le duc deWeimar,
et avec lui, son ami, le prince de la pensée alle«
mande, nous l'avons dit, le célèbre Gœthe. Il était
venu voir la guerre, et chemin faisant» au fond d'un
fourgon, il écrivait les premiers fragments du Faust,
qu'il publia au retour. Ce courtisan assidu de Topi-
Dion, qui Texprima Qdèlement, ne la devança jamais,,
disait alors, à sa manière, la décomposition, le doute,
le découragement de l'Allemagne. Il hii poétisait,
dans une oeuvre sublime, son vide moral, sa vaine
agitation d'esprit. Elle en sortit glorieusement par des
hommes de foi, par Schiller, par Fichtc, surtout par
Beethoven. Mais le temps n'était pas venu.
Nulle idée, nul principe, ne dominait cette armée.
Elle avançait lentement, comme il était naturel,
n'ayant nulle raison d'avancer. Les émigrés étaient
là, priant, suppliant, se mourant d'impatience.
Brunswick songeait. Il pouvait prendre ce parti, il
est vrai; mais cet autre parti valait bien autant, à
moinsquG le troisième ne fût meilleur encore. Enfin,
quand on s'était décidé, à la longue, à faire quelque
chose, l'exécution commençait lentement par le sage
prussien Hohenlohe, ou l'autrichien plus sage encore,
Clairfayt. Il faut se rappeler qu'il n'y avait pas eu de
M LES PnOSSiENS PARLENT DE RESTAUBER LE CLERGÉ,
guerre depuis trente ans. La guerre à coups de foudre
du grand Frédéric était un peu oubliée. Ia sage lac-
tique des généraux autrichiens était Tort appréciée.
Qu'avait-on besoin d'aller si vite, si Ton pouvait, sans
remuer presque, atteindre les meilleurs résultats?
a Ne faut-il pas d'ailleurs, disait le duc de Bruns-
wick à nos fougueux émigrés, que je laisse un peu de
temps & ces royalistes dont vous me promettez les
secours^ pour se décider et se mettre en mouvement?
Elles vont sans doute arriver, les députations d^un
peuple heureux d'élre délivré, qui viendra sa-
hier, nourrir ses libérateurs. Je ne les vois pas
encore. »
Et bien loin qu'il pût les voir, le paysan, sur toute
la ligne, restait sournoisement immobile, cachait,
serrait ses grains, les battait à la hâte et les empor-
tait. Les Allemands s'étonnaient de trouver si peu de
ressource. Ils prirent Longwy et Verdun, comme on
a vu, mais par la trahison de quelques officiers roya-
listes, par l'effroi de quelques boui^eois qui crai-
gnirent le bombardement. Deux accidents, rien de
plus. Les soldats des garnisons, les volontaires des
Ardennes, ceux de Maine-et-Loire, forcés ainsi de se
rendre, montrèrent la plus violente indignation. J'ai
dit la mort de Beaurepaire. Le jeune officier qu'on
força de porter au roi de Prusse la capitulation de
Verdun n'obéit qu'en donnant les signes d'un vérita-
ble désespoir, son visage était inondé de larmes. Le
roi demanda le nom du jeune homme , qui était
Marceau.
ET DE FAIRE REKOAE LES BIENS KATIOKAUX. US
Méziëresy Sedan, Thionville, montraient bonne
volonté de tenir mieux que Verdun. On assi^ea
Thionville, et avec des Torces considérables (les
assiégeants reçurent une fois un renfort de douze
mille hommes). Le général français, -'Wimpfen, qui
était dedans, montra beaucoup de vigueur; sa défense
était offensive : h chaque instant, il allait, par des
sorties audacieuses, faire visite à Fennemi.
Brunswick, entré dans Verdun, s'y trouva si com*
modément qu'il y resta une semaine. Là, déjà, les
émigrés qui entouraient le roi de Prusse commen-
cèrent à lui rappeler les promesses qu'il avait faites.
Ce prince avait dit, au départ, ces étranges paroles
(Hardenberg les entendit) : Qu'il ne se mêlerait pas
du gouvernement de la France, que seulement il
rendrait au Roi Tautorité absolue. Rendre au Roi la
royauté^ les prêtres aux églises j les propriétés aux pr(h>
priéiaires, c'était toute son ambition. Et pour ces
bienfaits, que demandait-il à la France? Nulle cession
de territoire, rien que les frais d'une guerre entre-
prise pour la sauver.
Ce petit mot rendre les propriétés contenait beau-
coup. Le grand propriétaire était le clei^é; il s'a-
gissait de lui restituer un bien de quatre milliards,
d'annuler les ventes qui s'en étaient faites pour un
milliard dès janvier 92,. et qui depuis, eu neuf
mois, s'étaient énormément accrues. Que devenaient
une infinité de conlrate dont cette opération im-
mense avait été l'occasion directe ou indirecte? Ce
n'étaient pas seulement les acquéreurs qui étaient
iÛ( LES PRUSSIBNS PARLENT DB RESTAURER LE CLERGÉ.
lèsés^ mais ceux qui leur prêtaient de Vargent, mais
les sous-acquéreurs auxquels déjà ils avaient veiidu,
une foule d'autres personnes,.,,. Un grand peuple,
et Térilablement attaché à la Révolution par un ia-
tèrêt respectable. Ces propriétés détournées depuis
plusieurs siècles du but des pieux Tondateurs, la Ré-
volution les avait rappelées à leur destination véri-
table, la vie et Tenlretien du pauvre. Elles avaient
passé de la main morte à la vivante^ des paresseux
aux travailleurs, des abbés libeftius, des chanoines
ventrus, des évoques fastueux, à Thonnête labou-
reur. Une France nouvelle s'était faite dans ce court
espace de temps. Et ces ignorants qui amenaient
rétranger ne s'en doutaient pas. Ni les deux agents
de Monsieur, ni M. de Caraman, secret agent de
Louis XVI, qui étaient auprès du roi de Prusse, ne
l'avertirent du danger qu'il y avait à toucher un
point si grave.
Il élait àpeine à Verdun, qu'il ordonna (ou qu'on
ordonna en son nom) aux officiers municipaux de
tous les villages de chasser les prêtres constitution-
nels, de rétablir ceux qui n'avaient pas fait serment,
et de leur rendre les registres de l'état-civil, enfin, de
restituer aux religieux ce qui leur appartenait. II en
fut de même sur la frontière du Nord. Dans tons les
villages de la Flandre française où pénétraient mo-
mentanément les Autrichiens, leur premier soin
était de rétablir les prêtres qui n'avaient pas fait
serment.
Si Danton , si Dumouriez , avaient eu l'honneur
ET DE PAIRE RENDRE LES BIENS NATIONAUX (SEPT). 247
ë'ètre admis au cooseil du roi de Prusse, ils auraient
sans aucun doute conseillé de telles mesures.
A ces mots significatifs de restauration des prêtres,
de restitution, etc., le paysan dressa l'oreille, et com<-
prit que c'était toute la contre-révolution qui entrait
en France» qu'une mutation immense et des choses
et des personnes allait arriver.
Tous n'avaient pas de fusils, mais ceux qui en
eurent eu prirent. Qui avait une fourche prit la
Tourche; et qui une faulx, une faulx.
Un phénomène eut lieu sur la terre de France.
Elle parut changée tout4i-coup au passage de l'étran-
ger. Elle devint un désert. Les grains disparurent,
et comme si un tourbillon les eût emportés, ils s'en
allèrent à l'ouest. Il ne resta sur la roule qu'une
chose pour l'ennemi, les raisins verts, la maladie et
la mort.
Le ciel était d'intelligence. Une pluie constante,
inraligable, tombait sur les Prussiens, les mouillait à
fond, les suivait fidèlement, leur préparait la voie.
Hs trouvèrent déjà des boues en Lorraine; vers Metz
et Verdun la terre commençait à se détremper; et
enfin la Champagne leur apparut une vêrrlable fon-
drière, où le pied, enfonçant dans un profond mortier
de craie, semblait partout pris au piège.
Les souffrances étaient à peu près les mêmes dans
lesdeuxarmées«Lap1uie,etpeu de subsistance, mau-
vais pain , mauvaise bière. Mais la différence était
grande dans la disposition morale. Le Français chan-
tait, et il avait du vin au cœur ; dans l'avoine ou
348 PURETÉ Héroïque de notre armée.
le blé Doir il savourait joyeusement le pain de la
liberté.
Ce hardi gascon aussi % qui le menait au combat,
avait dans l'œil et la parole une étincelle du Midi qui
brillait dans ce temps sombre. Le regard de Dumou-
riez réchauffait les cœurs. On savait que, hussard à
vingt ans, il s* était fait tailler en pièces; eh bien! il
en avait cinquante, et il ne s'en portait que mieux..*
Le général était gai, et l'armée l'était. Le corps qu'il
avait commandé du côté des Flandres, et qui vint le
retrouver, très-hardi , très -aguerri , n'avait guère
passé de jours, dans ses premiers campements, sans
donner des bals, et souvent on les donnait sur )e ter-
rain ennemi. Au bal et à la bataille, figuraient en pre-
mière ligne deux jeunes et jolis hussards, qui n'é-
taient rien moins que deux demoiselles, deux sœurs,
parfaitement sages, si la chronique en est crue.
Cette armée était très-pure des excès de l'intérieur.
Elle les apprit avec horreur, et donna une violente
leçon à la populace armée, qu'on lui envoya de Chà-
Ions. C'était une tourbe de volontaires, moitié fana-
tiques et moitié brigands, qui , sur la lecture de la
circulaire de Marat, l'avaient appliquée àl'instant, en
tuant plusieurs personnes. Ils arrivaient, aboyant
après Dumouriez, criant au traître, demandant sa
tête. Ils furent tout étonnés du vide immense qui se
fit autour d'eux. Personne ne leur parla. Le lende-
main, revue du général. lisse voient entre une cava-
^ Gascon de caracière, Provençal d*origine, né en Picardie.
COMMENT ELLE REÇOIT LES SEPTEMBRISEURS. 249
lerie, très-nombreuse et très-hostile, prête à les sa*
brer, d'autre part une artillerie menaçante, qui les
eût foudroyés au moindre signe. Dumouriez vient
alors à eux, avec ses hussards, et leur dit: «Vous
vous êtes déshonorés. Il y a parmi vous des scélérats
qui vous poussent au crime; chassez-les vous-mêmes.
A la première mutinerie, je vous ferai tailler en piè-
ces. Je ne souffre ici ni assassins, ni bourreaux... Si
vous devenez comme ceux parmi lesquels vous avez
rbonneur d'être admis, vous trouverez en moi un
père. »
Ils ne soufQèrent mot, et devinrent de très-bons
soldats. Ils prirent l'esprit général de l'armée. Celte
armée était magnanime, vraiment héroïque, de cou-
rage et d^humanité. On put l'observer, plus tard,
dans la retraite des Prussiens. Quand les Français
les virent affamés, malades, livides, se traînant à
peine, ils les regardaient en pitié, et ils les lais-
saient passer. Tous ceux qui venaient se rendre
voyaient le camp français converti en hôpital aile-
loand, et trouvaient dans leurs ennemis des gardes-
malades ^•
^ Ce n'est pas la première fois que Les Français ont soigné, nourri
leurs ennemis. Cela se vit à la prise de La Rochelle (4627), et bien
^ci^onement dans les guerres espagnoles du XIV" siècle. Un Anglais
leor rend ce témoignage: « Lorsque le duc deLancastre envahit la Cas-
^le, et que ses soldaU mouraient de faim, ils demandèrent un sauf*
conduit, et passèrent dans le camp des Castillans, oii il y avait beaucoup
de Français auxiliaires. Ceuv-ci furent touchés de la misère des An*
glais, ils les traitèrent avec humanité et ik les nourrirent de leurs pro-
pres vivres {De tui$ victualibM refecerunt », Walsinghara, p. 342).
ItSO HABILEtÉ DE DUXOURIEZ, QUI POURTANT
L'armée française, d'abord très-faible, était, en ré-
compense^ bien autrement leste et mobile que celle
des Prussiens. Il s'agissait d'eu réunir les corps dis-
persés. C'est ce que Dumouriez accomplit avec un
coup-d'œil, une audace, une vivacité admirables, sai-
sissant tous les défilés de laforêtdel'Argonne, en pré-
sence de l'ennemi. L'Autrichien, ayant passé la Meuse,
touchait dèjk la forêt; il était parraitement matlre de
l'interdire à Dumouriez. Celui-ci, par une fausse at-
taque, lui fit repasser la Meuse, lui escamota, pour
ainsi dire, la position disputée, occupa les défilés à la
barbe de rAutrichien ébahi (7 septembre).
Lui seul, il l'assure, soutint, contre tous, qu'il fallait
défendre cette ligne de l'Argonne, qui sépare le riche
pays de Metz, Toul et Verdun, de la Champagne
Pouilleuse. On insistait en vain pour qu'il se retirât
vers Châlous et qu'il défendit la ligne de la Marne.
11 put mépriser les murmures; tout autre général
eût été forcé d'y céder. Mais Dumouriez avait pour
lui^ près de lui , pendant la campagne, pour répon-
dre de lui et le soutenir, Westermann, c'est-à-dire
Danton.
Il eut seulement le tort d'écrire à Paris : « Que
l'Argonne serait lesThermopylesde la France, qu'il les
défendrait^ et serait plus heureux que Léonidas.» Le
Léonidas français faillit périr comme l'autre. Il avoue
lui-même, avec une franchise qui n'appartientqu'aux
hommes supérieurs, qu'il garda mal un des passages
de l'Argonne et qu'il se laissa tourner (13 sept.).
Deux de ses lieutenants étaient en pleine retraite,
SB LAISSE TOURNER ; UNANIMITÉ POUR LE SOUTENIR. 251
et il ne savait plus même où ils étaient. Il se vit un
moment réduit à quinze mille hommes, perdu sans
ressources, si les Autrichiens qui avaient forcé les déÛ-
iés, proBtaient de leurs avantages. Ils perdirent encore
du temps. Au milieu d'une nuit pluvieuse, Dumoii-
riez, à petit bruit, exécuta sa retraite, et il fut suivi
si lentement qu'il put et réunir ses troupes, et faire
venir de Rethel Beurnonville avec dix mille hommes.
Cette retraite fut troublée deux fois par dMnexplica-
bles paniques, où l&OO hussards autrichiens, traînant
après eux quelque artillerie volante, dissipèrent des
corps six fois plus considérables. Le pis, c'est que
deux mille hommes, courant trente ou quarante lieues,
allaient publiant partout que Tarmée était anéantie.
Le bruit alla jusqu'à Paris, H l'on eut une vive alar-
me, jusqu'à ce que Dumouriez lui-même écrivit la
chose, exactement comme elle était, à l'Assemblée
nàlionîile. L'Assemblée, et les ministres, tous ici fu-
rent admirables. Malgré ce double accident, les mi-
nistres girondins, d'une part, et Danton de l'autre,
soutinrent unanimement Dumouriez. L'opinion resta
énergique et ferme pour le général en retraite. Du-
mouriez tourné, l'armée poursuivie, s'arrêtèrent,
portés sur le cœiir invincible de la France.
11 occupa le 17 septembre le camp de Saiiile-Me-
ûehould, et devant lui, les Prussiens vinrent occuper
les collines opposées, ce qu'on appela le camp de la
Lune. Ils étaient plus près de Paris, lui, plus près de"
l'Allemagne. Lequel des deux tenait l'autre? on pou-
vait controverser. «Nous l'isolons de Paris, disaient
252 ÉTAT FORMIDABLE DES CAMPAGNES DE L*EST.
les Prussiens.» En réalité, leur situation était ti-ës-
mauvaise. Leur lourdearmée encombrée ne pouvait
pas aisément poursuivre sa route, devant une armée
leste» ardente, qui la serrait de près en queue. Elle
ne pouvait pas se nourrir; ses convois ne lui venaient
que du fond de TAllemagne, et restaient en route.
La terre de France la rejetait, ne lui donuait rien
pour vivre que la terre même. Â eux de manger cette
terre, de voir quel parti ils pourraient tirer de la craie.
Leur armée, avec tous ses équipages royaux, n'en
était pas moins désormais comme une procession
lugubre qui laissait des hommes sur tous les chemins.
Le découragement était extrême. Ils se voyaient en-
gagés dans cette boueuse Champagne, sous une im-
placable pluie, tristes limaces qui traînaient, sans
avancer presque, entre l'eau et Teau.
Dumouriez, rejoint, le 19, par Kellermanu, se
trouva fort de soixante- seize mille hommes, plus
nombreux que les Prussiens, qui n'en avaient que
soixante-dix mille, Ceux-ci, enfoncés en France,
ayant laissé de côté Thion ville et d'autres places ,
apprenaient qu'au moment même une armée fran-
çaise était en pleine Allemagne. Custine marchait
vers Spire, qu'il prit d'assaut le 19. On l'appelait à
Mayence, à Francfort. Une Allemagne révolution-
naire^ une France, pour ainsi dire, se dressait inopi-
nément pour donner la main à la France, de l'autre
côté du Rhin.
Ici, la population courait au combat d'un tel élan,
que l'autorité commençait à s'en effrayer et la rete*
DUVOUftIEZ ET KELLERMANN A VALMY (^ SEt>T •i). 25S
nait en arrière. Des masses confuses, à-peu près sans
armes, se précipitaient vers un même poiut; on ne
savait comment les loger, ni les nourrir. Dans TEst,
spécialement en lorraine, les collines, tous les postes
dominants, étaient devenus autant de camps grossiè-
rement fortifiés d'arbres abattus, à la manière de nos
vieux camps du temps de César. Vercingétorix se
serait cru, à cette vue, en pleine Gaule. Les Alle-
mands avaient Tort à songer, quand ils dépassaient,
laissaient derrière eux ces camps populaires. Quel
serait pour eux le retour? Qu'aurait été une déroute
à travers ces masses hostiles, qui de toutes parts,
comme les eaux, dans une grande fonte de neige,
seraient descendues sur eux? Ils devaient s* en
apercevoir : ce n'était pas à une armée qu'ils avaient
affaire, mais bien à la France. Ce corps de soixante-
dix mille Allemands, qu'était-ce en comparaison? Il
se perdait comme une mouche^ dans cet effroyable
océan de populations armées '.
Telles étaient leurs pensées, sérieuses en vérité,
lorsqu'ils virent s'accomplir, sans avoir pu l'empê-
cher, la jonction de Dumouriez et de Kellermann.
Celui-ci , vieux soudart alsacien de la guerre de sept
* Damoarîez méoage habîleroent son coup de théAlre, supprime les
grandes causes du succès, fait ressortir, exagère les plus petits obsta-
cles, par exemple quelques gentilshomme» verriers, ou partisans de
Condé, qui se trouvaient dans la forât de rArgonne.--D*autre part, les
Mémoires d'un homme d'Etat, écrits pour la Prusse par le libraire
Schœll sur les notes de Hardeubeig, n'oublient rien pour embiouiiler
ici les closes^ et sauver Tbonneur prussien.
iSl BATAILLE DE VALUT (20 SfirTEMBftE tt).
ans, fort jaloux de Dumouriez/ n'avait nullement
suivi ses directions. Il s'était un peu éloigné de lui.
Dans la vallée qui séparait les deux camps, le fran-
çais et le prussien, il s'était posté en avant sur une
espèce de promontoire, de mamelon avancé, où était
le moulin de Valmy. Ponne position pour le combat,
détestable pour la retraite. Kellermann n'eût pu re-
tourner qu*en faisant passer son armée sur un seul
pont avec le plus grand péril. Il ne pouvait se replier
sur la droite de Dumouriez qu'en traversant un ma-
rais où il se fût enfoncé; encore moins sur la gauche
de Dumouriez^ dont il était séparé par d' autres marais
et par une vallée profonde. Donc, nulle retraite fa-
cile ; mais , pour le combat, la position était d'autant
plus belle et hardie. Les Prussiens ne pouvaient ar-*
river à Kellermann qu'en recevant dans le flanc
tous les feux de Dumouriez. Un beau lieu pour vain*
cre ou mourir. Cette armée enthousiaste, mais peu
aguerrie encore, avait peut-être besoin qu'on lui
fermât la retraite. Pour les Prussiens , d'autre part ,
c'était un grand enseignement et matière à réfléchir:
ils durent comprendre que ceux qui s'étaient logés
ainsi , ne voulaient point reculer.
Nous supprimons d'un récit sérieux les circon-
stances épiques dont la plupart des narrateurs ont cru
devoir orner ce grand fait national, assez beau pour
se passer d'ornements. Â plus forte raison, écarterons-
nous les fictions maladroites par lesquelles on a voulu
confisquer au profit de tel ou tel individu ce qui fut
la gloire de tous.
PEBMBTÉ DE LA JEtNE AlllIÉE SOLS LE FEU. Hllti
Réservons seulement la part réelle qui revient h
Dumouriez. Quoique Kellermano se fût placé lui-
même autrement qu'il u'avait dit» quoiqu'il eût,
contre sou avis» pris pour camp ce poste avancé,
Dumouriez mit un zèle extrême à le soutenir, de
droite et de gauche. Toute petite passion, toute ri-
valité , disparaissait dans une si grande circonstance.
En eût-il été de même entre généraux de Tancien
régime? j'ai peine à le croire. Que de fois les riva-
lités, les intrigues des généraux courtisans, conti-
nuées sur le champ de bataille, ont amené nos dé-
faites!
Non, le cœur avait grandi chez tous; ils furent
au-dessus d'eux-mêmes. Dumouriez ne fut plus
l'homme douteux, le personnage équivoque; il fut
magnanime, désintéressé, héroïque; il travailla pour
le salut delà France et la gloire de son collègue;
il vint lui-même, plusieurs heures, dans ses lignes,
partager avec lui le péril, l'encourager et l'aider.
El Kellermann ne fut point l'officier de cavalerie, le
brave et médiocre général qu'il a été toute sa vie. Il
fut on héros, ce jour-là, et h la hauteur du peuple;
car c'était le peuple , vraiment, à Yalmy, bien plus
que Tannée. Kellermann s'est souvenu toujours avec
attendrissement et regret du jour où il fut un homme,
non simplement un soldat , du jour où son cœur
vulgaire fut un moment visité du génie de la
France. Il a demandé que ce cœur pût reposer à
Yalmy.
Les Prussiens ignoraient sfparfaitement à qui il^
SS6 BATAILLE DE VALMY (20 SEPTEVBRE 93).
avaient affaire, qu'ils crurent avoir pris Dumouriez,
lui avoir coupé le chemin. Ils s'imaginèrent que
cette armée de vagabonds, de tailleurs , de savetiers,
comme disaient les émigrés, avaient hâte d*aller
se cacher dans Chàlons, dans Reims. Ils furent
un peu étonnés quand ils les virent audacîeuse-
ment postés à ce moulin de Valmy. Ils supposèrent
du moins que ces gens-là, qui, la plupart, n'avaient
jamais entendu le canon, s'étonneraient au concert
nouveau de soixante bouches à feu. Soixante leur
répondirent, et tout le jour, cette armée, com-
posée en partie de gardes nationales, supporta une
épreuve plus rude qu'aucun combat : l'immobilité
sous le feu. On tirait dans le brouillard au matin,
et plus tard, dans la fumée. La distance néanmoins
était petite. On tirait dans une masse; peu importait
de tirer juste. Cette masse vivante, d'une armée
toute jeune, émue de son premier combat, d'une
armée ardente et française, qui brûlait d'aller en
avant, tenue là sous les boulets, les recevant par
milliers, sans savoir si les siens portaient, elle subif^
sait , cette armée , la plus grande épreuve peut-être.
On a tort de rabaisser l'honneur de cette journée.
Un combat d'attaque, ou d'assaut, aurait moins
honoré la France.
Un moment, les obus des Prussiens, mieux diri-
gés, jetèrent de la confusion. Ils tombèrent sur deux
caissons qui éclatèrent, tuèrent, blessèrent beaucoup
de monde. Les conducteurs de chariots, s'écartant à
la h&te de l'explosion , quelques bataillons sem-
LES PRUSSIENS AVANCBIIT DEUX FOIS. ET SE RETIRENT. SSn
blaieot commencer à se troubler. Le malheur voulut
encore qu'à ce moment un boulet vtnt tuer le cheval
de Kellennann et ie jeter par terre. H en remonta
un autre avec beaucoup de sang-froid, raffermit les
lignes flottantes.
Il était temps. Les Prussiens, laissant leur cavale-
rie en bataille pour soutenir Finfanterie, formaient
celle-cj en trois colonnes^ qui marchaient vers le pla-
teau de Yaimy (vers onze heures). Kellennann voit
ce moment, forme aussi trois colonnes en face, et
fait dire sur toute la ligne : « Ne pas tirer, mais at-
tendre, et les recevoir à la baïonnette. >
Il y eut un moment de silence. La fumée se dissi-
pait. Les Prussiens avaient descendu, ils franchis-
saient Vesgajoe intermédiaire avec la gravité d'une
vidlle armée de Frédéric, et ils allaient monter aux
Français. Brunswick dhrigea sa lorgnette, et il vit un
spectacle surprenant, extraordinaire. A l'exemple de
Kellermann, tous les Français, ayant leurs chapeaux
a la pointe des sabres, des épées, des baifonnettes,
avaient poussé un grand cri... Ce cri de trente mille
hommes remplissait toute la vallée : c'était comme
un cri de joie, mais étonnamment prolongé ; il ne
dura guère moins d'un quart d'heure ; fini, il recom-
mençait toujours, avec plus de force; la terre en
tremblait... C'était : Vive la Nation !
Les Prussiens montaient, fermes et sombres. Mais,
tout ferme que fût chaque homme, les lignes flot-
taient, elles formaient par moments des vides, puis
elles les remplissaient. C'est que de gauche elles
IV. "
258 l'ES PRUSSIENS
recevaient une pluie de fer, qui leur venait de Du«
mouriez.
Brunswick arrêta ce massacre inutile, et fît sonner
le rappel.
Le spirituel et savant général avait très-bien re-
connu, dans l'armée qu'il avait en face, un phéno-
mène qui ne s'était guère vu depuis les guerres de
religion : une armée de fanatiques, et, s'il l'eût fallu,
de martyrs. Il répéta au Roi ce qu'il avait toujours
soutenu, conlrairement aux émigrés, que Taffaire
était difficile, et qu'avec les belles chances que la
Prusse avait en ce moment pour s'étendre dans le
Nord, il était absolument inutile et imprudent de se
compromettre avec ces gens-ci.
Le Roi était extrêmement mécontent, mortifié. Vers
quatre ou cinq heures, il se lassa de cette étemelle
canonnade qui n'avait guère de résultat que d'aguer-
rir l'ennemi. Il ne consulta pas Brunsv^ick, mais dit
qu'on battit la charge. Lui-même, dit-on, approcha
avec son état-major, pour reconnaître de plus près
ces furieux, ces sauvages. Il poussa sa courageuse et
docile infanterie sous le feu de la mitraille, vers le
plateau de Yalmy. Et en avançant, il reconnut la
ferme attitude de ceux qui l'attendaient là-haut. Ils
s'étaient déjà habitués au tonnerre qu'ils entendaient
depuis tant d'heures, et ils commençaient à s'en rire.
Une sécurité visible régnait dans leurs lignes. Sur
toute cette jeune armée planait quelque chose,
comme une lueur héroïque, où le Roi ne comprit
rien (sinon le retour en Prusse).
SE RETIRENT (90 SEPTEMBRE 91). £»
Cette lueur était la Foi.
Et cette joyeuse armée qui d'en-haut le regardait,
c'était déjà Farinée de la RËPUBLIQUE.
Fondée le 20 septembre, à Valmy, par la vic-
toire, elle fut, le 21, décrétée à Paris, au sein de la
Convention.
LIVRE VIII
IV.
CHAPITRE I
« iOMIffi $R MHQtt ^ LA PRA]»Gt.^U VëHOÈÊ^ CONTRIC LA PftAIICS.
Septembre-novembre 179S.
KIJD Qoifenel do monde vers U France. — Facile conquête de Nice. - La
SjToie se donne à la France («n de feiMembre).— Le. populations dn Rhin
appentm 1« France.— Spiie, Wonns, Mayence (seplembre-^obre).— Lille
bombudée repousse les Aatriebleos (« octobre). - U France conquérante
malgré elle.— Les peuples délivrés veulent être Français. « La France ne
Iti accepte ipm pour les sauver. - EUe trouve un ennemi danft son sein. —
lapatiinde de la Vendée.— Son premier combat (M-SS août). - Partialité
<le la Révolution pour le paysan (96 août). ^La Révolution plus cbrétienne
qiralaTeiidée.
U ConTenlion avait dressé , le 81 septembre , au
pavillon des Tuileries, le drapeau de la République.
Deux mois n'étaient pas écoulés , et tous les peuples
environnants l'avaienl cmbi-assé, ce drapeau, planté
snr les tours de leurs villes.
Le 24 et 29 septembre, Chambéry, Nice , ouvrent
feuïs portes , la porte de l'Italie. Mayence , le 24 oc*
tobre, reçoit nos armées, aux applaudissements de
l^Allemagjne. Le 14 novembre, le drapeau tricolore
est arbort sur Bruxelles ; l'Angleterre et la Hollande
te voient avec terreur flotter à la tour d'Anvers.
En deux mois, la Révolution avait, tout au-
J6i ÉLAN CmVBMBL
tour, inondé ses rivages; elle montait, comme le
Nil , salutaire et féconde, parmi les bénédictions des
hommes.
Le plus merveilleux , dans cette conquête admi-
rable, c'est que ce ne fut pas une conquête. Ce
ne fut rien autre chose qu'un mutuel élan de fra-
ternité. Deux frères , longtemps séparés , se re-
trouvent, s'embrassent; voilà cette grande et simple
histoire.
Belle victoire 1 Tunique! et qui ne s'est revue
jamais! Il n'y avait pas de vaincus 1
La France ne donna qu'un coup, et la chaîne fut
brisée. Elle frappa ce coup à Jemmapes. Elle le
frappa avec l'autorité de la foi, en chantant son
hymne sacré. Les soldats barbares frémirent dans
leurs redoutes, sous trois étages de feux, lorsqu'ils
virent venir un chœur de cinquante mille hommes
qui marchaient à eux en chantant : a Allons, enfants
de la Patrie!... »
Tous les peuples répétèrent : « Allons, enfants de
la France !... » et se jetèrent dans nos bras.
C'était un spectacle étrange ! Nos chants faisaient
tomber toutes les murailles des villes. Les Français
arrivaient aux portes avec le drapeau tricolore, ils les
trouvaient ouvertes et ne pouvaient pas passer; tout
le monde venait à la rencontre et les reconnaissait ,
sans les avoir jamais vus ; les hommes les embras-
saient , les femmes les bénissaient , les enfants les
désarmaient... On leur arrachait le drapeau, et tous
disaient : « C'est le nôtre ! »
DU MONDE VBRS LA FRANCE (SBPT.-NOY. ttt). 965
Grande et bonne journée pour eux 1 Ils gagnaient
{MUT nous en un jour toute la conquête des siècles !
Cet héritage de raison et de liberté pour lequel tant
d'hommes soupirèrent en vain , cette terre promise
qu'ils auraient voulu entrevoir, au prix de leur vie, la
générosité de la France les donnait pour rien à qui en
voulait. Déjà, trois années durant, elle avait formulé
en lois cette sagesse des siècles ; déjà elle avait souf-
jRsrt pour ces lois , les avait gagnées de son sang ,
gagnées de ses larmes... Ces lois, ce sang et ces lar-
mes, elle les leur donnait à tous, leur disait : « C'est
mon sang, buvez, n
Rien d'exagéré en ceci. On a pu contester, sou-
rire. Aujourd'hui , la chose est jugée. Ne les voyez-
vous pas tous (jusqu'à l'orgueilleuse Angleterre) qui
font amende honorable, qui réclament comme leur
meilleur progrès telles de nos lois que la France pos-
sédait en 92 , et qu'elle offirait dès-lors généreuse--
mentaux nations?
Et les nations , en retour, s'offraient, se donnaient
elles-mêmes. Elles faisaient toutes signe à la France,
la priaient de les conquérir.
Racontons une conquête , celle des portes de l'Ita-
lie 9 de ce comté de Nice , pris , repris jadis , arrosé
de tant de sang. Voyons ce qu'il nous coûta.
Le roi de Sardaigne avait fait des préparatifs for-
midables. Il avait là, sur la frontière, une armée
pour envahir la France, une nombreuse artillerie ,
deux cents canons; les Français en avaient quatre.
11 avait de vieilles troupes. Nous, nous n'avions
iW FAaUt COUâDftTE DE MKV.
gu^ qo» dos g»rd6« p^Uonaux. Le géaéfiil Kxmime
reçoit ordre d'eutrerj c'était, ce semble , ordonner
l'impoasible s Timposaible w fait^ sans coup fârîr. Uoe
flotte française fait mine d'aller prendre les Piè-
moiitais par derrière; Anselme ordonne des logements
pour quarante mille hommes (il n'en avait pas dooxe).
Gela suflSt; la grosse armée recule ^ Niœ se livre.
Les forteresses ont hâte de s'ouvrir. Ânsdme s'en va
tout seul avec quatorze dragons^ somme YiUefranche,
la menace et la prend ; il y trouve cent pièces de
canon, cinq mille fv»ls, des munitions immenses,
deux vaisseaux armés dans le port.
La Savoie coûta nioins encore i il n'; ialM nî nise,
BÎ menace.
Elle dut sa délivrance à son violent amour peur
la coearde fran^se. Les émigrés, noœhreux à
Ghambéry, insolents, querelleurs, avaient arra-
ché la cocarde tricolore à un négociant. Les Ss«
voyards, par représailles, attachèrent la cocarde
royaliste à la queue des chiens^ Ge fut le commen-
cement de leur Révolution. Elle fut unanime, sans
contradiction d'un seul homme. Le général français
Montesquieu arrivait avec précauticm; il avait en-
voyé, en enti^ant en Savoie, un corps pour tourner,
avant tout, les redoutes qu'on lui opposait. Elles fu-
rent prises sans peine ; 11 n'y avait personne, les Pié-
montais étaient partis. Montesquieu , sans attendrs
son armée qui suivait lentement, partit au galop pour
Chambéry. Tout seul de sa personne, il conquit le
pays, entra triomphalement dans cette ville, parmi les
LA unm SE DM» A hk nuiKB (F» aBranmiui ot). wi
eris d'ttti peii|ile iw8 de joie; Les oomtnisaftires d» ki
GoBveDtioD, qui Ineotèt le jouirent, furent saisis d'^
tottBemeDt, profoodétneot émus^ en découTrant une
Fnmoe înoonnue> une yieiUe France naîve^ qui^ dans
la langue de Henri IV^ bégayait la Révolotion. Rien de
plw eriginai et de plus touchant que de retrouver là,
fixantes, jeunes oomme d'hier, toutes nos yieilles hi»»
toir«u On chante eneore, dans la vallée de Ghameuniar^
comme chose netivelle, la comphinte de M. de Biroa
mort en 1602. Aimable peut)le de Saint François de
Sales^ penplequi fit Rousseau (qui l'a bit, sinon les
Gharmettes?)^ tiombieb la France lui devait, à oe
peuplel Quelle Jde oe fut, et pour Tun et panr Tau*-
tre, de se retrouver après tant de àtèolesl ei qwlle
fut leur ardente étreinte^ aux deux frères réunis^
sot» l'arbre de là liberté!
Ihi moment que cet excellent ped[rie apprit que
ses libérateurs arrivaient, il n'y eut plus moyen de
le retenir. Tout entier, il vint à la rencontre. Ge fut
comme un soulèvement universel de la contrée ; les
hoinmes seuls partirent^ mais les arbres et les pierres,
toate la terre de Savoie eût voulu se mettre en che-
min. Une foule immense descendit de toutes les
monti^Des vers Gbambéry, d'un élan spontané , d'un
même transport de joie et de reconnaissance. Ces
pauvres gens, cruellemetit étouffés par le Piémont,
qai leur détendait tout-lhla-fbis l'industrie et le corn-
oterce, avaient depuis longtemps coutume d'aller
chercher leur vie en France. Et cette fois, c'était la
Fiance qoi venait Uè voir, s'asseoir à leur foyer; elle
#
MS tE8 POPULATIOMS 0U RHIN AP^ELLBin' LA FRAHCE.
Yenait à eux, les mains pleines des dons de Dieu, les
apportant tous en un seul , le trésor de la liberté.
Sauvés par elle du Pharaon barbare, ils entonnérenty
comme Israël, un cantique de délivrance. Soixante
mille Savoyards à la fois, d'accord avec l'armée fran-
çaise, chantèrent la Marseillaise dans une inexprima-
ble dévotion. Et quand ces pauvres gens arrivèrent
au passage : Liberté chérie/ il se fit un grand bruit,
comme d'une avalanche : une avalanche d'hommes
par devant les Alpes! Touchant spectacle! toutoe
peuple était tombé à genoux ; il achevait ainsi le can-
tique, et la terre était inondée de pleurs.
Même facilité sur le Rhin, sauf un petit combat à
Spire. Le général Custine avait ordre d'agir sur la
Moselle, et il eût ainsi assuré la déroute des Prussiens.
Mais les Allemands eux-mêmes vinrent le diercher,
et le menèrent au Rhin. Maître de Spire , dont il
força les portes, il fut appelé à Worms; un professeur
de cette ville y mit l'armée française , et il écrivit, au
nom de Custine , au nom de la France , l'appel de
rAllemagne à la liberté. Ce n'était pas la première
fois que la France lui parlait ainsi. Au XVP siècle ,
mêmes proclamations , par le roi Henri II , ornées ,
comme en 92, du bonnet de la liberté. Ces ardents
patriotes allemands, qui menaient Custine, lui pro-
mettaient Mayence. U hésitait, et un moment, crai-
gnant d'être coupé, recula vers Landau. Ils ne
lâchèrent pas prise; ils vinrent le rechercher, le
menèrent de gré ou de force , lui firent faire malgré
lui cette conquête qui le couvrait de gloire. Un des
snRE, woiun, iuïsiicb (SBrT.-ocT. tt). si»
leun commandait le génie dans Hayenee; il décida
la reddition. On fut bien étonné d'apprendre qu'une
telle place se fût rendue, avec toute une armée pour
garnison, une artillerie immense, ramassée de toute
TÀllemagne. Mais rAUemagne se livrait. Des hom-
mes de Nassau, de Deux-Ponts, de Nassau-Saarbruck
étaient à la barre de la Ck)nventioo , et demandaient
leur union à la France.
Les Prussiens, à ce moment, bien heureux d'être
quittes de leur expédition conquérante, touchaient Co*
Mentz; nous y reviendrons tout à l'heure. Ils avaient
dû leur salut et à l'éloignement de Custine, et à la
modération politique de Dumouriez. Celui-ci voulait
détacher la Prusse de la ligue contre la France. Il
pensait qu'il était assez beau d'avoir arrêté une telle
armée, la première de T Europe, avec une armée
toute jeune, composée en partie de gardes nationaux.
C'était aussi la pensée de Danton, sage autant qu'au-
dacieux. Le 25 septembre, une lettre du pouvoir exé*
cutif avait autorisé le général à traiter pour l'évacua-
tion. Les Prussiens se retirèrent donc paisiblement.
Ce qu'on tira de coups tomba sur les seuls émigrés.
Nos ennemis n'agissaient nullement d'ensemble.
Au moment où les Prussiens sortent, entrent les Im-
périaux. Leur général, le duc Albert de Saxe, déter-
miné sans doute par de faux renseignements, vient
avec vingt-deux mille hommes s'établir devant Lille.
Une si faible armée n'étiût pas pour réduire une telle
place; elle suffisait pour la brûler. Douze mortiers^
vingt-quatre grosses pièces, tirèrent pendant huit
m UIMMmâMÊK
jMn à bonlelf rongée et de préfé^renoe mt les quar-
tien peuplte et pauvres» «ir les petites muaoos ob
les iliiiillÂs s'entassaient dans les eayes. Les barbuw
n'épargnèrent ni les églises , ni ntéme l'hôpâtal mai-
taîre, écrasant sous les bombes des Messes dans lenr
Ut Tout eela ne servit qu'à montrer la France à l'Eu-
rope sons on jour lent nouveau. On parlait bien adu-
vent de la furie française, de eet élan qui oéde au
moindre obstacle» sd i«bute» eto. II fallut bien ohAn-
ger dV)piDion. La Franee parut \k, eemme k Valmy,
indomptablement résistante* Et ici» ce n'étaient pas,
comme à Yalmy, des hommes; o'éUient des femmes
et des enfants. Il n'est sorte d'outrages, de risées
qu'on ne fit aux boulets. Les boulets rouges, ramas-
sés honteusement dans des casseroles, étaient éteints
sans peine; pais avec on jouait à la boule. Ub de ces
boulets autridiiras fut pris par les petits garçons,
eoiSé du bonnet rouge. Un perruquier s'établit sur la
place où tombait la grêle de fer, il avut pris pour plat
un éclat de bombe, et chacun s'y faisait raser.
Cette infamie de bombardement sans but dura huit
jours, au bout desquels l'Allemand s'en alla asaea
vite, laissant une bonne partie de son matériel. Une
femtne, l'arcbiducheaM Christine, stear de la reine
de France ) était venue voir, des batteries, cette
guerre aux femmes et aux enfants. La dame par-
Ut peu satisfeite. Mais trois armées françaises me-
naçaient. Celle de Lille, d'abord ; je ne sais cotolneo
de bataillons de volontaires s'étaient jetés dans la
fdaccé Puis une autre, que La Bourdonnais amenait,
un pen tiini, U ^ vmi. I^yiqwHw «pQqi Ubra4«i
Praséofit» ne pouvait oiaaqiier d'wriysr.
Gmode était 1« glairo da Ifi France ^ efrà« eette
réaîataDoebérei^Qe, cette faite zo^nblede deux
OTBôes eDoemies. Non cû^taata de repousser les
Pruasiene et les AutricbieQa, pUe avait pénétré au
cœur de rAUemagoei mis la main sur le Rbia, saisi
Vaigle impérial* Le jour même ok finissait le Iwm-^
baidemeot de Lille ^ les drapeaux allemands, l'aigU»
Gàpùff envoyés du Rbiu par Custine, comparurent
à la barre , et ils furent appendu» «tUX voûtes de la
CoDventioiié
Mw eombîeu ces trophées de la giierre et de la
vieteife étaient moins glorieux encore que 1^9 ^pu<<-
tftiiQin de* peuples qui dafitandeient d'être Fmufaial
La France Âait deux fçûq victorieuse ; el)« avait pour
taîMte bien plus que la farce : Vemoun Une main
lui suffisait peur briser l'épée de& tyraos} de l'autre $
elle embrassait les peuples délivrés et les serrait
Qoutre sob sein.
Quelle était sa pensée? les protéger, et non le$ eou-
quArir. Elle n'avait à ce premier moment nulle idée
deooaquéte^ Cette idée ne lui vint que plus tard, et
par une sorte de nécessité* Tout ce qu'elle demandait
d'sbord aux nations délivrées, c'était de rester li-
bres, de luen garder leur droit, d'aimer la France en
scBUfs. On ne peut lire sans attendrissement la ton-
cbante et naïve adresse que le pbilosopbe Anaebar&is
Cloati écrit aux Savoyards (aux Allobrogea, comme
on disait alors) au nom de la (kwvention ; « La {té*
272 LA FRANCE GQNOUËRANTE MALGRÉ ELLB.
publique des conquérants de la liberté vous féUcile,
amis... Les Allobroges du Dauphiné embrassent ceai
du Mont-Blanc... Nous nous aiderons mutuellement
à fonder la liberté durable. La seule autorité que la
France veuille avoir sur vous, c*est celle des conseils.
Quel est son but? votre bonheur... Heureux peuple I
en vous rendant libres sans effusion de sang, nous
oublions tout ce que nous avons sacrifié. Vous aurez
un passage non sanglant des rois aux lois, une révo-
lution bénigne; elle sera limpide comme vos fleuves
et pure comme vos lacs... »
Il y disait encore que c'était une France démem-
brée qui revenait dans la patrie : « Voyez le morcel-
lement aristocratique de la Suisse, voyez Fégalité,
l'unité démocratique de la France Choisissez
Tout vous prêche l'unité indivisible. La frontière ne
serait-elle pas mieux placée au haut des Alpes T
Briançon ne nous gardera-t-il pas mieux, si nous le
reportons sur le Saint-Bernard T.. . »
La Convention, avec une modération admirable,
hésita d'envoyer cette adresse, qui semblait préjuger
la réunion de la Savoie , et peut-être lui eût fait
croire qu'on ne lui laissait pas liberté tout entière de
régler elle-même ses destinées.
C'était l'embarras de la France, à ce moment. Elle
avait dit qu'elle ne voulait pas de conquêtes, et elle
en faisait malgré elle. Ces peuples disaient tous qu'il
ne leur sufiBsait pas d'être libres ; ils avaient l'ambi-
tion d'être Français. La Convention avait une étrange
cour; ses entours étaient assiégés d'hommes de toutes
LES mJPLBS DÉLIVRÉS VBULBNT ÉTRB nU^WS (SBPT.*KOV. 92). «75
nations, qui venaient intriguer, solliciter.. . Pourquoi?
Pour devenir Français, pour épouser la France. Se
perdre en elle, n'être plus en eux-mêmes, c'était leur
aveugle désir. Jamais on ne vit une telle impatience
de suicide national ; leur passé leur pesait, leur mot
de servitude, ils brûlaient de l'anéantir, et de ne vivre
plus qu'en cette France aimée, où ils ne voyaient
plus une nation, mais une idée sacrée, la liberté, la
vie et l'avenir.
La France résistait. Prenez garde, disait-elle, dé-
fiez-vous de ce premier transport... Savez-vous bien
ce que c'est que de me suivre dans les grandes choses
qui me sont imposées? Vous donnerez le sang à flots,
l'argent... L'impôt sera doublé ou quadruplé. — Mais
ils ne voulaient rien entendre, assurant que la sup-
pression des dîmes, des droits féodaux, et de toute
espèce de taxe barbare, leur créait des ressources im-
menses, inépuisables, qu'en donnant tout ils ne re-
grettaient rien; qu'ils n'avaient rien eu jusqu'ici,
pas même leurs personnes; qu'ils ne rendraient à
la liberté, à la France, que ce qu'ils tenaient de la
liberté.
Les réfugiés belges, pour devenir Français, fai-
saient valoir la brillante valeur qu'ils montrèrent à
Yalmy et dans Lille. L'ennemi, des deux côtés , ne
croyant frapper que la France , avait trouvé des poi-
trines belges devant ses boulets. Les Savoyards comp-
taient parmi nos héros du 10 août. La veille même »
ils formèrent une légion , et, le jour du combat, mar-
chèrent entre les Bretons et les Marseillais. Libéra-*
274 tA nUNCË LfeS AGCÈPTB WCt( LCS SA!!TKK.
teiiM d« la France, puis déUvrés par elle, qu'étaient-^
ils donc, Binon Français?
La France était touchée. Mais ce qui la décidait ,
(fêtait le salut de ces peuples même. Jeunes , en-^
fonts dans la liberté, ils ne pouvaient se garder li-
bres que par l-aide et Tappui de la grande nation.
Les laisser k eux-mêmes, ce n'était rien que les lais*
ser périr.
Telle fut la belle et généreuse délibération qui eut
lieu au sein de la Convention , telle la noble réserve
que mit la France pour accepter ces peuples, qui
venaient à ses pieds la prier de les prendre. Lisez sur*
tout le rapport de Grégoire, où il débat ces choses au
sujet des prières de la Savoie qui demandait sa réu-
nion. Voyez ^v€^ queHe hauteur de raison , quelle
noble et bienveillante sagesse, il foit valoir et le pour
et le contre: La conclusion à laquelle il s'arrête, c'est
que, quel que puisse être l'intérêt de la France, la
Savoie désormais ne se défendra pas, ne vivra pas
sans elle, et que la France, à tout prix, doit lui ouvrir
son sein.
Ceci eut lieu le 28 novembre. Et déjà, le 19,
sur la proposition de La Réveillère-Lépeaux , la
Convention déclara : <t Que tout peuple qui vou-
drait être libre trouverait en elle appui, frater-
nité, j»
Par ce mot seul, le drapeau de la France était con-
stitué celui du genre humain, celui de la délivrance
universelle. Sous lui, l'Escaut, fermé depuis près de
deux siècles, coulait enfin libre à la mer. Le Rhin ,
BLLB TROUVE UN KOflUn DANS SDM SBIN (tMîl AÔtlT 92). 27S
captif sous ses cent forteresses , repretiftit espèraDee,
en TOjant dans son sein les trois saintes couleurs que
Mayence mirait sous ses eaux. La Savoie les avait
placées à la cime du Mont-Blanc; TEurope, émue
d'amour et de terreur, les voyait briller sur sa tête
dans les neiges éternelles, dans le ciel et le soleil.
Le monde des pauvres et des esclaves, le peuple de
ceux qui pleurent, tressaillaient à ce grand signe;
ils y lisaient distinctement ce que lut jadis Constan-^
tin : Par ce signe, tu vaincras.
Il n'y eut qu'un peuple aveugle, hélas ! FautHl le
dire? Nous voudrions nous arrêter ici. Et pourtant ^
que le cœur soit oppressé ou non , il fimt ajouter
cette chose. Au moment où le monde s'élance vers
la France , se donne à elle, devient Français de cœur,
un pays fait exception; il se rencontre un peuple si
étrangement aveugle et si bizarrement égaré qu'il
arme contre la Révolution, sa mère, contre le satui
du peuple, contre lui-*méme. Et, par ui miracle du
Diable, cela se voit en France; c'est une partie de
la France qui donne ce spectacle ; ce peuple étrange
est la Vendée.
Au moment où les émigrés, amenant Tennemi par
la main, lui ouvrent nos frontières de l'Est, le i^ et le
2S aoûl^ anniversaire de la Saint^Bartiiékmi, éclate
dans r Ouest la guerre de la Vendée^ la guerre impie
des prêtres.
Chose remarquable, êe fut le 26 ao^ le jour
même où le paysan vendéen attaquait la Révotutioii,
que la RéTolution, dans sa partialité géftéreMe^ j^
S#6 MGRATITimB DB LA VBNDÉE (24-25 AOUT 98).
geait en faveur du paysan le long procès des siècles,
abolissant les droits féodaux sans indemnité. — Et non-
seulement les droits proprement féodaux, mais cm-
suels. Ce mot seul contenait une équivoque im-
mense, favorable au fermier. Une jurisprudence nou-
velle était ouverte, toute au profit du paysan contre le
seigneur, laquelle n était pas moins qu'une réaction
violente contre l'ancienne , une réparation passion-
née de l'iniquité féodale. La Révolution semblait dire:
« Mille ans durant, à tort, à droit, on a jugé contre
le pauvre. Eh bien! moi, aujourd'hui, à tort, à droit,
je jugerai pour lui.. • Il a assez souffert, travaillé, mé-
rité. Ce que je ne pourrais lui attribuer comme sien,
je le lui adjuge comme indemnité. »
Ce n'est pas tout. La loi du 25 août disait encore
au seigneur : Si vraiment cette rente que vous avez
sur le pauvre homme fut fondée et non extorquée,
prouvez-le ; apportez, produisez en justice l'acte pri-
mordial qui prouvera qu'en effet vous donniez de la
terre pour fonder cette rente.
En beaucoup de pays l'acte n'existait pas.
En plusieurs, par exemple dans les pays bretons
de domaine congéable, le seigneur avait le dessous,
la terre, le paysan le dessus, la maison. Et le sei-
gneur, en lui payant cette maison, pouvait l'expulser
de la terre.
Le paysan ne s'en croyait pas moins l'homme même
de la terre, né avec elle, l'ayant occupée dès Adam,
son vrai propriétaire. Ce qui est sûr, c'est qu'il l'a-
vait faite, cette terre, l'avait créée; sans lui, elle
PARTIALITÉ DE LA RÉVOLUTION POUR LE PAYSAN (25 AOUT). 277
n'existait pas; c'était la lande aride, le roc et le
caillou.
Les antiquaires étaient embarrassés. La Révolution
ne le fut pas. Elle ne dénoua pas le nœud, mais le
trancha. Elle donna la terre à l'homme congéable, et
donna congé au seigneur.
La décision était-elle légale? on peut en disputer.
Hais elle était chrétienne. Voilà bientôt deux mille
ans que le christianisme nous dit que le pauvre est
membre vivant de Jésus-Christ. Comment peser le
droit du pauvre dans une telle doctrine? Dès qu on
l'essaie, Christ lui-même se met dans la balance, et
l'emporte du ciel à l'abime.
La Révolution ne dit pas seulement; elle fît.
Et elle le fit dans une mesure admirable.
Elle consacra la propriété (sous feine de mort, en
mars 93), la propriété, c'est-à-dire le foyer, la fixité
des habitudes morales, la féconde accumulation, —
réglée, bien entendu, par la loi de l'État, pour l'a-
vantage de l'État et de tous.
Mais, en tout cas douteux, en tout litige entre la
propriété et le travail , elle décida pour le travail
(base originaire de la propriété, propriété la plus sa-
crée de toutes).
Tandis que l'Angleterre féodale, en Ecosse et par-
tout, a décidé pour le fief contre l'homme, la Révo-
lution, en Breti^e et partout, a décidé pour l'homme
contre le fief.
Sainte décision, humaine, charitable autant que
raisonnable, selon Dieu et selon l'Esprit.
IV. "
278 PARTIALITÉ DE LA RÉVOLOTION POUR LB PAYSAN (25 AOUT).
Que le monde se taise ici et admire. Qu'il tâche a
profiter. Qu'il reconnaisse le caractère vraiment re-
ligieux de la Révolution.
La Vendée ne lui fit la guerre que par un malen-
tendu monstrueux, par un phénomène incroyable
d'ingratitude, d'injustice et d'absurdité. La Révolu-
tion, attaquée comme impie, était uHra-chrétienne;
elle faisait les actes qu'aurait dû faire le christianisme.
Et le prêtre, que faisait-il? Il faisait, par le paysan,
la guerre uttra-païenne, qui aurait rétabli la féoda-
lité, la domination do la terre sur l'homme et de la
matière sur l'esprit.
Cruel malentendu 1 Ces Vendéens étaient sincè-
res dans leurs erreurs. Us sont morts dans une foi
loyale. L'un d'eux, blessé à mort, gisait au pied
d'un arbre. Un républicain lui dit : « Rends-moi tes
armes! » — L'autre lui dit : « Rends-moi mon Dieu! »
Ton Dieu? pauvre homme... Ehl n'est-ce pas le
nôtre? Il n'y en a pas deux. Il n'y a qu'un Dieu, celui
de l'égalité et de l'équité, celui qui vient, an bout de
mille ans, te faire réparation, celui qui a jugé pour
toi, le 2S août, le jour même, insensé, où tu as levé
le bras contre lur.
Même Dieu et même foi ! Les méconnaltra-t-on,
sous la différence du langage, dans ce mot du soldat
patriote, qui, justement comme le Vendéen , avait
déjà le fer au cœur : « Plantez-moi là l'arbre de
liberté 1 »
Le maire républicain de Rennes, Leperdit^ un tail-
* Jo donaerai ailleurs la vie de ce grand citoyen, et je la donnerai
LA RéVOLimON PLUS CHRÉnEMNB QUE LA VEliDÉB. 279
leur, qui sauva cette ville et de la Terreur et de la
Vendée, est assailli un jour d'une populace furieuse,
qui, sous prétexte de Gatnptiie, veut lapider ses magis-
trats. 11 descend, intrépide, de THÔtel-de-Ville, au
milieu d'une grêle de pierres; blessé au front, il es-
suie son sang en souriant, et dit : « Je ne puis pas
chaBger les pierres en pain..^ Mais, â mon l^og. peut
vous nourrir, il est à vous jusqu'à la dernière goutte.»
\k tombèrent à genoux. •• Us voyaient quelque chose
par delà TËvangile.
On a reproché à la Révolution de n'être pas chré-
tienne ; elle fut davantage. Le mot de Leperdit, elle
l'a réalisé- De quoi le monde a-t-il vécu , sinon du
sang de la France? Si elle est blême et p&le, ne vous
étonnez pas. — Qui peut douter aussi qu'elle n'ait
changé les pierres ep pain? Elle se dit en 89 : c Je
ne peux pas nourrir vingt-quatre millions d'hom-
mes.... Eh! bien, j'en nourrirai trente-cinq. » Et
elle a tenu parole.
ait» les propres ptroles de eeltii cpii me r» itansmise, lejeane M. Le-
je», le falw* hisiorîea de U Breiagne; nul n*a droit plos que lui de
conter la vie des héros, il a leur &me en lui.
CHAPITRE II
LE PRÊTRE, LA FEMME ET LA VENDÉE.
(AoAt-septembre 179S.)
La femme fal Tagent de la Vendée. — La femme en général devînt eMiUe-
révolationnaire.— La femme empêche le mari d'acheter les biens Datknua.
— L'Ouest était-il soumis an prêtre, au noble avant 89?-»Relations dn prétie
et de la femme, surtout dans l'Ouest.— Le prêtre était influencé, moins par
sa gouvernante que par sa pénitente. — Attachement passionné des fenuscs
de rOnest pour le prêtre. — Désespoir des femmes, lorsque la loi éloigoe le
prêtre. — Les couvents foyers de conspiration. — Les prêtres snnoneent la
guerre civile (9 février 99).— Comment ils la fomentent.— Apparicioss, ml-
racles, etc. — Premiers massacies (juin 99), — La noblesse se conteate ds
donner de Targent. — Association noble de la RooCrie. — Une lettre du Roi
est l'occasion de la guerre civllo en Bretagne (juillet 99). — Vaste soulè-
vement de la Vendée, et premier combat A CbétUlon et Rressuire (tVSS «sAc
99). — Nantes et le Finistère pour la Révolution. — La Vendée peu conta-
gieuse pour la France. — Le paysan achète partout les biens nationaux.— Ce
qui rassurait sa conscience.— Nullité des actes féodaux.
La Révolution^ c'est k lumière elle-même. I^s
solennels débats de la Convention commencent sous
les yeux de l'Europe. Les portes s'ouvrent toutes
grandes. Amis^ ennemis, tous peuvent venir, regar-
der et écouter. L'épreuve de la Révolution, son pre-
mier Jugement de Dieu, la bataille de Jemmapes,
est joyeusement emportée par la jeune armée de la
France, au chant de la Marseillaise, sous le soleil^ à
midi.
Et en même temps commence, dans les bois et les
brouillards de l'Ouest, la vaste guerre des ténèbres.
Aux landes du Morbihan, le long des tles brumeuses,
LA FEMME FUT L'AGENT DE LA VENDÉE (4792). 2^1
aux sombres Tourrès du Maine, dans Thumide laby-
rinthe du Bocage vendéen , apparaissent, sous formes
douteuses, les premiers essais de la guerre civile.
Une maison a été brûlée, un patriote assassiné, et là-
bas, un autre encore. Par qui? Nul n'osera le dire.
La guerre qui, dans un an, amènera une grande ar-
mée sous les murs de Nantes, s'essaie encore timide-
ment, au crépuscule ou la nuit.
Ce sifiQement , cette plainte , sont-ils la Yoix du
hibou ou de la chouette? Vous diriez Toiseau de
mort... Oui, et de la haie voisine, brille et part un
coup de feu.
C'est une guerre de fantômes, d'insaisissables es-
prits. Tout est obscur, incertain. Les rapports les plus
contradictoires circulent dans le public. Les enquêtes
n'apprennent rien. Après quelque fait tragique, tes
commissaires envoyés arrivent, inattendus, dans la
paroisse, et tout est paisible ; le paysan est au travail,
la femme est sur sa porte, au milieu de ses enfants,
assise, et qui file; au col son grand chapelet. Le sei-
gneur? on le trouve à table ; il invite les commissai-
res; ceux-ci se retirent charmés. Les meurtres et les
iocendies recommencent le lendemain.
Où donc pouvons-nous saisir le fuyant génie de la
guerre civile?
Regardons. Je ne vois rien, sinon là-bas sur la
lande, une sœur grise qui trotte humblement et tète
xi
'Toateed n^esi nullement un tableau d^lmagination. On le verra
plus Urd.
883 U FEMME ■
Jq ne vois rien. Seulement j'entrevois entre deaic
bois une dame à cheval, qui, suivie d'un doipestiqae,
va rapide, ^autant les fossés, quitte la route et prend
la traverse. Elle se soucie peu, sans doute, d'être reo-
contrée.
Sur la route même chemine, le panier au bras,
portant ou des œufs, ou des Fruits , une honnête
paysanne. Elle va vite, et veut arriver à la ville avant
la nuit.
Mais la sœur, mais la dame, mais la paysanne, en-
fin, où vopt-elles? Elles vont par trois cbemjns, elles
arrivent au même lieu. Elles vont, toutes les trois,
frapper à la porte d'un couvent. Pourquoi pasi La
dame a là sî^ petjte fille qu'on élève ; la paysanne y
vient vendre ; la bonpe $œur y demande abri pouf
une seule nuit
Youlez-vous dire qu'elles y viennent prendre les
ordres du prêtre? Il n'y est pas aujourd'hui. — Ouï,
mais il y fut hier. Il fallait bjen qu'il vint le samedi
confesser les religieuses. Confesseur et directeur, il
ne les dirige pas seules, mais par elles bien d'autres
encore ; il confie à ces cœurs passionnés, à ces lan-
gues infatigables, tel secret qu'on veut faire savoir,
tel faux bruit qu'on veut répandre, tel signal qu'on
veut faire courir. Immobile dans sa retraite, par ces
nonnes immobiles, il remue toute la contrée.
Femme et prêtre, c'est là tojit, la Vendée, la guerre
civile.
Notes bien que, sans la femme, le prêtre n'aurait
rien pu.
PUT L'AGENT DS U VENDÉE (1792). ' 285
PiAhî brigandesy disait ua soir un commandant
républicaÎD, arrivant dans un village où les femmes
seules restaient, lorsque cette guerre effroyable avait
fait périr tant d'hommes, ce sont les femmes, disait-il ,
qui sont cause de nos malheurs; sans les femmes , la
république serait déjà établie^ et nous serions chez nous
tranquilles Allez, vous périrez toutes, nous vous
fusillerons demain. Et après demain, les brigands
viendront eux-mêmes noiis tuer. » ( Mëm« de Mad.
de Sapioaud.)
U ne tua pas les femmes. Mais il avait dit, en réa-
lité, le Yrai mot de la guerre civile. Il le savait mieux
que tout autre. Cet officier républicain était un prêtre
qui avait jeté la soutane; il savait parfaitement que
toute Tœuvre des ténèbres s'était accomplie par l'in-
lime et profonde entente de la femme et du prêtre.
La femme, c'est la maison ; mais c*est tout autant
Téglise et le confessionnal. Celle sombre armoire do
cbène, où la femme, à genoux, parmi les larmes et
les prières, reçoit, renvoie , plus ardente , Vétincelle
fanatique, est le vrai foyer de la guerre civile.
La femme, qu'est-ce encore? le lit, l'influence
toute-puissante des habitudes conjugales, la force in-
vincible des soupirs et des pleurs sur l'oreiller... Le
mari dort, fatigué. Hais elle, elle ne dort pas. Elle
se tourne , se retourne ; elle parvient à l'éveiller.
Chaque fois, profond soupir, parfois un sanglot.
« Mais, qu'as-tu donc cette nuit? » — a Hélas! lepau-
vre Roi au Temple!... Hélas! ils l'ont souffleté,
comme Notre Seigneur Jésus-Christ! >— Et sil'hom-
284 l'A FEHNE FUT
me s'endort un moment : « On dit qu*on va vendre
l'église î l'église et le presbytère ! Ah ! malheur,
malheur à celui qui achètera!... k»
Ainsi, dans chaque famille, dans chaque maison,
la contre-révolution avait un prédicateur ardent, zé-
lé, infatigable, nullement suspect, sincère, naïvement
passionné, qui pleurait, souffrait, ne disait pas une
parole qui ne fût ou ne parût un éclat du cœur bri-
sé Force immense, vraiment invincible. A me-
sure que la Révolution, provoquée par les résistan-
ces, était obligée de frapper un coup, elle en rece-
vait un autre : la réaction des pleurs, le soupir, le
sanglot, le cri de la femme, plus perçant que les poi-
gnards.
Peu à peu, ce malheur immense commença à se
révéler, ce cruel divorce : la femme, généralement S
devenait l'obstacle et la contradiction du progrès ré*
volutionnaire, que demandait le mari.
Ce fait, le plus grave et le plus terrible de l'époque,
a été trop peu remarqué.
Le fer trancha la vie de bien des hommes. Mais
voici qui est bien plus : un invisible fer tranche le
nœud de la famille, met l'homme d'un côté, la
femme de l'autre.
Cette chose tragique et douloureuse apparut vers
92. Soit amour du passé, force des habitudes, soit
faiblesse de cœur et pitié trop naturelle pour les vie-
' Le mot génércUemefU en dit peat-ètre trop. Des millions de fem-
mes furent républicaines, et le furent héroïquement. Néanmoins il
B*e8t que trop vrai, la majorité devint contre-révolutionnaire»
L*AGENT DE LA VENDÉE (17*J2}. 285
times de la Révolution , soit enfin dévotion et dé*
pendance des prêtres , la femme généralement (la
grande majorité des femmes) devenait Tavocat de
la contre-révolution.
C'était sur le terrain matériel de Tacquisition des
biens nationaux que se posait généralement la dispute
morale entre l'homme et la femme.
Question matérielle? ou peut dire oui et non.
D*abordy c'était la question de vie et de mort pour
la Révolution. L'impôt ne rentrant pas, elle n'avait
de ressource que dans la vente des biens nationaux.
Si elle ne réalisait cette vente, elle était désarmée,
livrée àFinvasion. Le s^lut de la révolution morale,
la victoire des principes, tenait à la révolution finan*
cière.
Acheter, c'était un acte civique qui servait très-di-
rectement le salut du pays. Acte de foi et d'espé-
rance. C'était dire qu'on s'embarquait décidément
sar le vaisseau de l'État en péril, qu'avec lui on vou-
lait aborder ou périr. Le bon citoyen achetait, le
mauvais citoyen empêchait d'acheter.
Empêcher, d'une part, la rentrée de l'impôt, de
l'autre, la vente des biens nationaux, couper les vi-
vres à la Révolution, la faire mourir de faim, voilà
le plan très-simple, très-bien conçu du parti ecclé-
siastique.
Le noble amenait l'étranger, et le prêtre empê-
chait qu'on ne pût se défendre. L'un poignardait la
France, l'autre la désarmait.
Par quoi le prêtre arrêtait-il le mouvement de la
286 LA FEMME EN GÉNÉBAL
Révolution ? En la mettant dans la famille^ en oj^po-
sant la femme au mari, en fermant par elle la liourse
de chaque ménage aux besoins de T État.
Quarante mille chaires, cent mille confessioanaax
travaillaient en ce sens. Machine immense, d'incal-
culable force, qui lutta sans difficulté contre la ma-
chine révolutionnaire de la presse et des clubs^ j^
contraignit ceux-ci, s'ils voulaient vaincre, à Qi^[iu|i-
ser la Terreur.
Mais déjà en 89, 90, 91 , 92 encore, la Terreur ec-
clésiastique sévissait dans les sermons, dans la con-
fession. La femme n'en revenait chez elle que tète
basse, courbée d'effroi, brisée. Elle ne voyait de
toutes parts qu'enfer et flammes éternelles. On np
pouvait plus rien faire sans se damner. On n'obéis-
sait plus aux lois qu'en $e dc^mnant. On ne payait
rimpôt qu'en se damnant. Mais le fond de rai)tqi0,
rhorreur des tourments sans remède, la griffe la pjii^
aiguë du Diable étaient pour l'acquéreur des Viens
nationaux..... Comment eût-elle osé continuer de
manger avec lui? son pain n'était que cendre. Cona*
ment coucher avec un réprouvé? être sa femme, sa
moitié, même chair, n'était-ce p«s brûler déjà, en-^
trer vivante dans la damnation?
Qui peut dire de combien de sortes le mari était
poursuivi, assailli, tourmenté, pour qu'il n'achetât
point ! Jamais un général habile, un ruse capitaine,
tournant et retournant sous les murs d'une place o&
il voudrait entrer, n'employa moyens plus divers.
Ces biens ne rapporteraient rien*, c'étaiept jieç biens
DBVENAIT CONTRE-RÉVOLUTlONNAinE (17S2). fM7
mauciits, on l'avait déjà vu par le sort de tel acaué-
reur. Jean, qui a acheté, n'a-t-il pas été grêlé tout
d'abord, Jacques inondé î Pierre, c'est encore pis, il
est tombé du toit. Paul, c'est son enfaqt qui est mort.
M. le cure l'a très-bien dit : a Ainsi périrent les
premiers nés d'Egypte... »
Généralement, le mari ne répondait rien, tournait
le dos, faisait sernl>Iant de dormir. II n'avait pas de
quoi répondre à ce iQot de paroles. La femme Tpm-
barrassait, par la vivacité du sentiment, par l'élo-
quence naïve et pathétique , au nioins par ]es pleurs.
11 ne répondait point , ou ne répondait qu'un mot que
nous djroqs tout-à-l'heure. Il n'était nullement rendu ,
cependant. 11 ne lui était pas facile de devenir l'ennemi
de la Révolution', sa bienfaitrice , sa mère, qui pre-
imitson parti, jugeait pour lui, Taffranchissait, le
faisait homme, je tirait du néant. N'y eût-il rien
gagné, pouvait-il aisément ne pas se réjouir de Taf-
franchissement général? Pouvait-il méconnaître ce
triomphe de la Justice , fermer les yeux au spectacle
sublime de cette création immense : tout un niundo
naissant à la vie I — Il résistait donc en lui-même.
« Non, disait-il en lui, non, tout ceci est juste, quoi
qu'ils disent; et je pèserais pas l'homme qui y pro-
file , que je le croirais juste encore^ »
Voilà comment les choses se passèrent dans près-.
que toute la France. Le mari résista, l'homme resta
fidàle à la Révolution,
fianski Vendée, dans une grande partie de l'Anjou,
288 LA FEMME EMPÊCHE LE MARI
du Maine et de la Bretagne, la femme remporta, la
femme et le prêtre , étroitement unis.
Rien ne Veut fait prévoir. Les paysans de VOnest
n'avaient pas été aussi insensibles qu'on le croit au
premier, au sublime éclair de la Révolution. On avait
vu, en 90, à la fédération du Mans, ces mêmes
paysans, qui plus tard devinrent les chouans, rendre
hommage à la Liberté , et , pleins d'émotion , baiser
Tautel du dieu inconnu.
Laissons les pastorales ^ qu'on nous a faites sur la
vie patriarcale des contrées de l'Ouest avant la Révo-
lution. Les seigneurs endettés, dans la Vendée tout
comme ailleurs, n'étaient, ne pouvaient être les
patrons débonnaires qu'on nous a peints. QuMls le
voulussent ou non, ils livraient leurs fermiers aux
hommes d'affaires auxquels ils engageaient leurs
biens. Il y parut en 89, où les gens de Maulévrier
prirent les armes contre ces corbeaux qui venaient
les dévorer. La rancune du paysan contre le procu-
reur remontait aux seigneurs , aux nobles en général.
Des quatre bœufs qu'il attelait à la charrue, le plus
1 Les romans vendéens (de M»* La Rochejaquelein et antres)
ont trouvé des rérutations et des conlradietions très-grates dans pin-
siears historiens royalistes, dans Lebouvier Desmortiers, Vaaban, etc.
Enfin sont venues les pubUcalions de pièces et d'aoteê qui ont prouré
que dans ces romans pas un fait, pas une date n*étaient exacts ; ils se
sont écroulés, et il n'en reste rien. —Voir le recueil intitulé : Guerres
des Vendéens, par un officier de la République, 48S4, 6 vol. H donne,
outre les actes, les notes et rapporu de Kléber et autres généraui,
dont la véracité loyale n'a jamais été mise en doute.
D'ACHETER LES BIENS NATIONAUX (179i). 289
mauvais y celui sur qui il Frappait le plus, il rappelait
nobliet y c'est-à-dire fainéant.
Toutefois y il faut remarquer que le paysan ven-
déen 9 généralement éleveur de bestiaux , et réalisant
ses ventes en argent qu'il ne savait trop où placer,
le confiait souvent au noble, et se trouvait intéressé
dans la fortune de son maître. Avec quel désespoir
il voyait ce maître émigrer, celte fortune atteinte par
les lois de la Révolution, on le devine sans peine.
Le paysan , dans tout l'Ouest , tenait aussi au
prêtre, et pour une raison bien naturelle. Cest que
le prêtre, c'était le paysan même, son fils, son frère
OQ son cousin. Le bas clergé tout entier sortait des
campagnes. Ce prêtre avait influence par la chose
même qui faisait la passion du paysan ; il le tenait
par la terre y je veux dire par la puissance que le
prêtre et le sorcier ont de bénir ou de maudire, de
jeter un bon ou mauvais sort sur la terre et sur les
bestiaux.
La dîme néanmoins était un impôt si lourd , si
odieux, spécialement par la surveillance vexatoire
que le curé exerçait au temps de la moisson , qu'a-
vant 89 les procès étaient communs , dans l'Ouest
comme ailleurs, entre les curés et leurs paroissiens.
U Révolution , en supprimant la d!me , les réconci-
lia ; elle supprima justement ce qui neutralisait Tin-
Duence du clergé , elle rendit au prêtre une puissance
morale qu'il n'avait nullement avant 89^ Le paysan
^ Nulle époque ne fut plus morte, comme sentiment religieux^ que
i90 LE PAYSAN AIMAIT-ÎL
pouvait consulter deux perspnne^ : le procureur, le
prêtre ; du moment que celui-ci ne leva plus la dtme,
il fut seul consulté. Ses conseils y appuyés , répétés ,
inculqués jour et nuit par la femme , devinrent irré-
sistibles.
Et pourquoi ces conseils du prêtre furent-ils si vio-
lemment hostiles pour la Révolution ?
Faut-il en chercher la cause dans ropposilion
ceHe qui précéda înnné&temeiit la RévolatioM. Mon père m^a soft^t
TiMULè que daas sa n\h iiaïale, Laoïi, et dns bîeii d'avires «ifes»
comme Laon, peuplées de prèlres, ropinion générale leur éui^ non
pas indUTérente seulement, mais plutôt hostile. H devenait difBcile de
recruter le corps ecclésiastique, mrtout de trouver des moines. An
couvent de Saint^Vandriile, <ionstn»c pour mille maines, il n^y en avak
plus que quatre. Les couvents employaient mille caresses, mille flaw
teries pour attirer une recrue. Près de Laon, il y avait un vaste mo-
nastère de Chartreux (au Val Saint-Pierre), énorméoient riche, qui,
disait-K>n dans le pays, occupait dix-neuf villages, foisatt travailler qna*>
tre*viDgt-dix-nenf elmmies. Ces moines n'éuie»t plus q«0 doue, «t
ces douze s^éteignaient, sans trouver h se remplacer. Us lâchaient d^at-
tirer mon père, fort jeune alors, Finvitaient et le cajolaient, s'efforçaient
dé Pamuser. Us ne pouvaient lui cacher c«?pendant qu^ils roouraieet
d*ennui ; toute leur ressource éuH de se créer quelque amusement fu-
tile ; Pun élevait des serins, un autre jardinait un peu, un ireiaième
taillait des jouets. Le seul qui fût un homme sérieux disait toujours aux
étrangers: a Ne vous faites jamais Chartreux.» Et pour ce crime, ses
chefs renvoyaient souvent li la discipline. Un jeor par semaine, les
Chartreux traitaient magniliquement, en maigre» selon la règle de Per-
dre. Force parasites venaient, surtout delà pauvre noblesse. Les deux
ou trois dignitaires principaux de la maison allaient et venaient, sous
prétexte d^affiiires, menaient grand train, belles voitures, dînaient hors
delà maison, faisaient de petits voyages, soiwent arec de bdles dunes,
qui couchaient dans les bâtiments extérieurs du couvent ; personne ne
sVn scandalisait. — Mon père voyait trop bien cet intérieur pour être
tenté de se faire Chartreux. Les couvents de femmes, qu*il connaissait
LE PRÊTBE, LÉ NOBLE, AVANT 89t »l
( très - réelle ) des principes révolutîonfiaires aux
doctrines du christianisme? Non, cette opposition
que nous avons marquée ailleurs (Voy. au t. i«'
notre introduction, et au t. ii, les p. 128-132)
u*influa néanmoins que d*une manière très- se-
condaire. Les doctrines originales du christianis-
me étaient fort délaissées. Sa question profonde
irès-bîen aussi, \m tévélaîent mieux encore tons les inconvénienls de
h rie monastique. (Tétait le tnomphe du tide et de k IbttHté ; nulle
petsée rdigieuse; des Uaeasséries înqombrables, une (jfranne fémi^
nine, inquiète^ cruelle, h mort à coups d^aîguilles. Mon père, tout
jeune qu'il était, recevait les confidences de plusieurs religieuses; elles
disaient au jeune homme bonnéte, discret et sage, ce qu'elles n'osaient
«Kn m prélve, qui redisait tout ^ leurs supérieures. Une de ces reli-
gieoses, de quarante ans environ, M"»« Dangesse, d'un esprit élevé^
mais d'un caractère ferme, incapable de s'accommoder au régime de
petitesses , de tâches complaisances , de délations mutuelles qu'on
iiD)K>sait aux autres, était le soulfre-doulettr, La supérieure tantôt la
mettait à^gsooux a« milieu du chœur; tant6t^ dans le léibtttdite, elle
lui faisait manger son pain sec, à terre, comme le mangent les chiens.
Ces punitions fantasques, infligées à la seule personne qui eût du mé'
rite, fusaient Tamusement des favorites de Tabbesse et charmaient leur
eimeté. Le plaisir barbare que les enfants malheureux et méchants
pcennent à torturer un pauvre animal^ elles le prenaient à voir souf<-
frir leur infortunée compagne, et leurs risées étaient un moyen de
flatter le tyran commun. — Mon père étant bien déterminé à ne jamais
être nome, sa familfe tnatstait pour qu^u moins il' se fft prêtre, canqi-
tant (p'ayoat Inîi de bouBes étodes» il aaraii peu. de peine ii obtenir un
bénéfice. On le présenta à Tabbé de Bourbon, fils de Louis XV et de
M^i« de Romans, qui avait en bénéfices un demi-million de renies. Ce
jeune prince de vingt ans, joli homme, aimable et mondain, reçut mcn
pto I merreiUe, causa un moment avec luî, le trouva berame du mou-
fle, sans aucune vocation ecclésiastique^ et lui frappant amicalement
sur Tépaule : « Très-bien, mon ami, très-bien. Tu me plais ; je te fais
chanoine. » Heureusement pour mon père^ la Révolution y pourvut.
292 LB PATSàM AWAIT-IL
et vitale qui le fait être ou n'être pas (la question
de la justice et ^de la grâce) n'était plus débat-
tue. Chose étrange I le clergé la jugeait ridicule,
et se moquait des obstinés qui voulaient Téclaîrar
encore.
Que la Révolution y comme doctrine, fût ou ne (ùt
contraire aux doctrines du prêtre, elle ne s'était du
moins nullement montrée hostile pour lui. Elle s'était
inquiétée de lui plus que ses chefs eux-mêmes. En
ruinant le haut clergé, les grands seigneurs ecclé*
siastiques , elle avait amélioré le sort du clergé infé-
rieur. Si elle lui avait été la dtme, ce traitement va*
riable, odieux, qui le mettait en guerre avec le paysan,
elle lui donnait, sur les fonds de l'État, un traitement
supérieur, fixe et régulier, qui le dédommageait
Quelles étaient donc les causes de l'exaspération des
prêtres des campagnes?
L'autorité du pape et des évêques, l'esprit de corps,
suffiraient, sans nul doute, pour expliquer la réû-
stauce. Habitués à obéir, les prêtres obéirent encore
lorsqu'il fallut prendre parti entre leurs tyrans ecclé-
siastiques et la Révolulion qui les affranchissait. Si
toutefois la résistance n'eût été qu'imposée d'en haut
et par l'autorité, elle eût été passive, inerte, pour
ainsi dire, elle n'eût eu nullement le caractère actif,
ardent, passionné, qu'elle eut, spécialement dans
rOuest.
11 y eut à ceci une autre cause, très^rave et très*
profonde, qu'il faut analyser.
Tout l'effort de la femme était d'empêcher son
us PRÊTRE, LB NOBLE. AYANT 89? 295
mari d'acheter des biens nationaux. Cette terre tant
désirée du paysan, si ardemment convoitée de lui,
depuis des siècles, au moment où la loi la lui livrait
pour ainsi dire, la femme se jetait devant, l'en écartait
au nom de Dieu. Et c'eût été en présence de cédés-
ÎDlëressement (aveugle, mais honorable) de la femme
que le prêtre aurait profité des avantages matériels
que lui offrait la Révolution? Il eût déchu certaine-
ment dans l'opinion de ses paroissiennes, se fût fermé
leur confiance, eût descendu du haut idéal où leur
cœur prévenu aimait à le placer.
On a beaucoup parlé de l'influence des prêtres sur
les femmes, mais pas assez de celle des femmes sur
les prêtres.
Notre conviction est qu'elles furent et plus sincè-
rement et plus violemment fanatiques que les prê-
tres eux-mêmes; que leur ardente sensibilité, leur
pitié douloureuse pour les victimes, coupables ou
non, de la Révolution, l'exaltation où les jeta la tra-
gique légende du Roi au Temple, de la reine, du pe-
tit Dauphin, de M"^ de Laraballe, en un mot la pro-
fonde réaction de la pitié et de la nature au cœur des
femmes, fit la force réelle de la contre- révolution.
Elles entraînèrent, dominèrent ceux qui parais-
saient les conduire, poussèrent leurs confesseurs
dans la voie du martyre, leurs maris dans la guerre
civile.
Le XVIII- siècle connaissait peu l'âme du prêtre,
n savait bien que la femme avait influence sur lui ;
mus il croyait, d'après la vaine tradition des noè'ls et
IV.
t94 RELATIONS ïtO mftTHB ET DB LA FBQIB»
des fabliaux y d'après les plaisanteries de TiUage^ q«
la femme qui gouverne le prêtre, c'était la gouYer-
Hante 9 celle qui couche sous son toit, la servante-
mattresse, la dame du presbytère. Et en cela, il se
trompait.
Nui doute que, si la gouvernante eût été la femme
du cœur, celle qui influe profondément, le pirèlre
n'eût reçu, saisi avec bonheur, les bienfaits de la
Bévolution. Fonctionnaire à traitement fixe et suffi-
sant pour la famille , il eût trouvé bientôt^ dans le
progrès naturel du nouvel ordre de choses, son afima-
chissement véritable, la faculté de faire du concubitiat
tin mariage. La gouvernante n'en était pas indigne *«
Malheureusement, quel que soit son mérite, elle
est généralement plus âgée que le prêtre, ou de
figure laide et vulgaire. Fût-elle jeune et belle, le
cœur du prêtre ne lui resterait pas. Son cœur, qu'on
le sache bien, n'est pas au presbytère; il est au con-
fessionnal *. La gouvernante est sa vie quotidienne
* Elle était et elle est géDénilemeDt honnête et écono«ef elle prend
le méaage à cœur, remplit les devoirs d'épouse et au-delà. Nous en
aTODs connu qui n acceptaient aucun salaire, bien plus, qui surreil*
htient leur maître, Féloignaient des excès de Uifble et antres, le sui-^
ymmi jusque dans TégUse, et, du pied de Taulel, <AMraicBl s*il ft*i^
^ittait dignement de son saint ministère.
> Cette religion, née du cœur de la femme (ce fut le charme de
son berceau), va, en sa décadence, s'absorbant dans la femme. Ses
docteurs sont insatiables dans les recherches sur le mystère do sexe.
Celte année même (iS49), quelle matière le concile de P^rin «-i-4I
(ouillée, approfondie? Une seule, la Conception. — Ne cherchei
point le prêtre dans les sciences ou les lettres; il est au confes-
éionnal, et il t^y est perdn. Que voulez-yous que denenne un pan-
SIfRrSI/t DANS L*OUBST. f9K
el ifBlgairé^ M prose. La pénitente est sa poésie ;
c'est avec elle qu'il a ses rdpportâ âe èœur, intimes
et profonds.
Ht ces rapports ne sont nulle part plos forts que
dans rOuest.
8or nos frontières do Nord^ dans toutes ces con«
irées de passage où vont et viennent lès troupes, et
qM respirent un souffle de guerre, l'idéal de la fem-
me, c'est le militaire, Tofficier. L'épaulelle est pres-
que invinciblci
Dans le Midi et surtout dans FOuest, l'idéal de la
femme, de la paysanne du iboins, c'est le prêtre.
Le prêtre de Bretagne, spécialement, dut plaire
et gouverner. Fils de paysan, il est au niveau de la
paysanne par la condition, il est avec elle en rapport
de langue et de pensée } il est au-dessus d'elle par la
eeltore, mais pas trop au-dessus. S'il était plus lettré,
ne Ikmmm k qui tons les jours cent femmes Tiennent raconter lenr
caenr, leur Ul, tons leurs secrets^ Les saints mystères de h natore,
qui, ms de face^ au Jour de Dieu, de l'œil austère de la science,
agrandiraient fesprit, Taflaiblissent et rénervenl quand on les sur-
prend ainsi an demi-jont des co(nfidences sensuelles. Uagitaiion ùé-
▼rease^ les jouissances connnencées, pins ou moins ondées, reoom-*
oeo/eées sans cesse, stérilisent Vhomme sans retour (je reoonnaAde
cet important sujet au philosophe et au médecin ). 11 peut garder les
petites facultés d*intrigue et de manège , mais les grandes factiiiés
finies, surieul riuTeation, ne se dèTel(»|>pent jamak; dans cet état
maladtf*^ eBea Tculent Fétat sain, naturel, légitime et loyal. Depuis
ee^i cinqpiante ans surtout, depuis que le 5acri^ cûmr, sous son
Tôiïe d'équivoques, a rendu si aisé ce jeu fatal, le prôtre s'y est
éiièfié et n*a pfos rîeù pfodnii ; il est resté eunuque dans tes
296 ATTACHEMENT PASSIONNÉ
plus distingué qu'il n'est, il aurait moins de prise. Le
voisinage, la famille parfois, aident aussi à créer des
rapports entre eux. Elle l'a vu enfant, ce curé; elle a
joué avec lui ; elle Ta vu grandir. C'est comme un
jeune frère à qui elle aime à raconter ses peines, la
plus grande peine surtout pour la femme : combien le
mariage n'est pas toujours un mariage, combien la
plus heureuse a besoin de consolation, la plus aimée
d'amour.
Si le mariage est l'union des âmes, le vrai mari
c'était le confesseur. Ce mariage spirituel était très-
fort, là surtout où il était pur. Le prêtre était souvent
aimé de passion, avec un abandon, un entraînement,
une jalousie qu'on dissimulait peu. Ces sentiments
éclatèrent avec une extrême force, en juin 91, lors-
que le Roi étant ramené de Yarennes, on crut à l'exi-
stence d'une grande conspiration dans l'Ouest, et
que plusieurs directoires de départements prirent sur
eux d'incarcérer des prêtres. Ils furent relâchés en
septembre, lorsque le Roi jura la constitution. Mais,
en novembre, une mesure générale fut prise contre
ceux qui refusaient le serment. L'Assemblée auto-
risa les directoires à éloigner les prêtres réfractai-
res de toute commune où il surviendrait des troubles
religieux.
Cette mesure fut motivée non-seulement par les
violences dont les prêtres constitutionnels étaient
partout l'objet, mais aussi par une nécessité politi-
que et financière. Le mot d'ordre que tous ces prê-
tres avaient reçu de leurs supérieurs ecclësîasti-
nés PEMMBS OB L'OUEST POUR LE PRÊTRE. tiH
ques, et qu'ils suivaient fidèlement , c'était, nous
l'avons dit y d'affamer la Révolution. Ils rendaient
impossible la levée de l'impôt. Elle devenait une
chose si dangereuse, en Bretagne, que personne ne
voulait s'en charger. Les huissiers, les officiers mu-
nicipaux, étaient en danger de mort. L'Assemblée
fut obligée de lancer ce décret du 27 novembre 91,
qui envoyait au chef-lieu les prèlres réfractaires,
les éloignait de leur commune, de leur centre d'ac*
tivité, du foyer de fanatisme et de rébellion où ils
soufflaient le feu. Elle les transportait dans la grande
ville, sous l'œil, sous l'inquiète surveillance des so-
ciétés patriotiques.
n est impossible de dire tout ce que ce décret sus-
cita de clameurs. Les femmes percèrent l'air de leurs
cris. La loi avait cru au célibat du prêtre ; elle l'a-
vait traité comme un individu isolé, qui peut se dé-
placer plus aisément qu'un chef de famille. Le pré-
Ire, l'homme de l'esprit, tient il donc aux lieux, aux
personnes? n'est-il pas essentiellemeut mobile, comme
Tesprit, dont il est le ministre î A toutes ces ques-
tions, voilà qu'ils répondaient négativement, ils s'ac-
cusaient eux-mêmes. Au moment où la loi l'enle-
vait de terre, ce prêtre, on s'apercevait des racines
vivantes qu'il avait dans la terre ; elles saignaient ,
criaient.
« Hélas! mené si loin, tratné au chef-lieu, à douze,
à quinze lieues, à vingt lieues du village I... » On
pleurait ce lointain exil. Dans l'extrême lenteur des
voyages d'alors, lorsqu'on mettait deux jours pour
198 DÉSBSPOIR DBS PCttOfi^ LOEaODB LB fÊÈM
fraoehir uaé telle distance S elle affligeait bien plus*
Le chef^ieu, c'était le bout du monde. Pour faire un
tel voyage, on faisait son testament, on mettait oidre
à sa conscience.
Qui peut dire les scènes douloureuses de ces dé*
parts forcés? Tout le village assemblé, les fenmea
agenouillées pour recevoir encore la bénédîctkm,
noyées de larmes, suffoquées de sanglots? Telle
pleurait jour et nuit. Si le mari s'en étonnait un pan,
ce n'était pas pour l'exil du curé qu'elle pleurait, c'é-
tait pour telle église qu'on allait vendre, tel coavenl
qu'on allait fermer... Au printemps de 83, les Décès-
sites financières de la Révolution firent décider enfin
la vente des églises qui n'étaient pas indispensables
au culte, celles des couvents d'hommes et de fmi*
mes. Une lettre d'un évéque émigré, datée de Sa*
lisbury, adressée aux Ursulines de LAudemeau ,
fut interceptée, et constata de manière authentique
que le centre et le foyer de toute l'intrigue royaliste
étaient dans ces couvents. Les religieuses ne négli-
gèrent rien pour donner à leur expulsion un éclat
dramatique; elles s'attachèrent aux grilles, ne vou-
lurent point sortir que les officiers municipaux, for-
cés eux-mêmes d'obéir à la loi et responsables de
son exécution, n'eussent arraché les grilles de leurs
mains.
De telles scènes, racontées, répétées, surchargées
* Mon père, venant de Laon à Paris, en oclobre 92, fut en route
trois jours, et fut obligé de coucber deux fois.
iST ÉLMCRÉ AV cnr-uso (iW). W
d'orpMse&ts {latbéUques, troublaient tous les esprito.
Les ^imnes eoioinaiçaieut à s'émouvoir presque au-
tant qoe lf»foaifli6S. Étonnant changmaent, et bien
rapide 1 Le paysan, en 88, était en guerre avec Té*
glise pour la dtme, toujours teuté de disputer contre
elle. Qai donc l'avait si bien, si vite réconcilié avec
le ^tre? La Révolution elle-même, en abolissant la
dime. Par cette mesure plus généreuse que politi-
que, elle rendit au prêtre son influence sur les cam-
pagnes. Si la dtme eût duré, jamais le paysan n'eût
cédé à sa femme, n'eAt pris les armes contre la Ré-
v<4ution.
Les prêtres réfractaires, réunis au cbef-vlieu, oon*
naissaient parfaitement cet état des campagnes, la
profonde douleur des femmes, la sombre indignation
des bcmmies. Ils en tirèrent un grand espoir, et en-
treprirent de le communiquer au Roi. Dans une foule
de lettres qu'ils lui écrivent, ou lui font écrire au
printemps de 93, ils l'encouragent à tenir ferme, à
n'avoir pas peur de la Révolution, à la paralyser par
l'obstacle constitutionnel, le veto. On lui prêche la
Tésistance sur tous les tons, par des arguments variés,
et sous des noms de personnes diverses. Tantôt, ce
sont des lettres d'évêques, écrites en phrases de Bos-
suet : a Sire, vofisêtes le roi trés-chrétien... Rap-
pelés-vous its ancêtres Qu'aurait foit Saint
U)uis? etc. » Tantôt des lettres écrites par des reli-
giettses,)ou en leur nom, des lettres gémissantes. Ces
plaintives colombes, arrachées de leur nid, deman-
dent au Roi la faculté d'y rester, d'y mourir. Autre-
300 LES COUVERTS, n»YIB8 DE COIWIIUIIOM.
ment dit, elles veuleDt qae le Roi arrête rexècotion
des lois relatives à la vente des biens ecclésiastiques.
Celles de Rennes avouent que la municipalité leur
offre une autre maison; mais ce n'est point la leur,
et elles n'en voudront jamais d'autre.
Les lettres les plus hardies, les plus curieuses sont
celles des prêtres : c Sire, vous êtes un homme pieux,
nous ne l'ignorons pas. Vous ferez ce que vous pour-
rez... Mais enfin, sachez-le, le peuple est las de la
Révolution. Son esprit est changé, la ferveur lui est
revenue; les sacrements sont fréquentés. Aux chan-
sons ont succédé les cantiques... Le peuple est avec
nous... »
Une lettre terrible en ce genre, qui dut tromper le
Roi ^, l'enhardir, le pousser à sa perte, est celle des
prêtres réfractaires réunis à Angers (9 février 92).
Elle peut passer pour l'acte originaire de la Vendée,
elle l'annonce, la prédit audacieusement. On y parie
haut et ferme, comme ayant sous la main, pour arme
disponible, une jacquerie de paysans. Cette page >saii'
glante semble écrite de la main, du poignard de Ber-
nier, un jeune curé d'Angers, qui, plus que nul autre,
fomenta la Vendée, la souilla par des crimes, la di-
visa par son ambition, l'exploita dans son intérêt.
<xOn dit que nous excitons les populations?... Mais
c'est tout le contraire. Que deviendrai le royaume si
t Ces lettres (oonserTées aax Archk)e$ nattonalM, armoire de fer
c. 37, pièces du Procès de Louis XVI ) foumisseiit une grave ctrcoc-
stance atténuante en faveur de Thomme incertain, timoré, dont eUe^
durent lorlurer l'esprit.
LES PRftTBES ANNOlICBirr LA GWÊiBE ClVaB (FÉVRIER 1792). 301
flous De retenions le peuple? Votre trône ne s'appuie-
rait plus que sur uu monceau de cadavres et de
ruines... — Vous savez, sire, vous ne savez que trop
ce que peut faire un peuple qui se croit patriote. Mais
vous ne savez pas de quoi sera capable un peuple
qui se voit enlever son culte, ses temples et ses
autels. »
Il y a, dans cette lettre hardie, un remarquable
aveu. C'est le vortout du prêtre, on le voit, son der-
nier cri avant la guerre civile. Il n'hésite point à
révéler la cause, intime et profonde, de son déses-
poir, à savoir, la douleur d'être séparé de celles qu'il
dirige : ^Onose rompre ces communications que l'Ë-
gliae non-seulement permet, mais autorise », etc.
Ces prophètes de guerre civile étaient sûrs de leur
fait, ils risquaient peu de se tromper, en prédisant ce
qu'ils faisaient eux-mêmes. Les femmes de prêtres,
gouvernantes de curés et autres, éclatèrent les pre-
mières, avec une violence plus que conjugale, contre
les curés citoyens. Â Saint-Servan, près Saint-Malo,
il y eut comme une émeute de femmes. En Alsace,
ce fut la gouvernante d'un curé, qui, la première,
sonna le tocsin pour courir sus aux prêtres qui avaient
prêté le serment. Les Bretonnes ne sonnaient point,
elles frappaient ; elles envahissaient l'église, armées
de leurs balais, et battaient le prêtre à l'autel. Des
coups plus sûrs encore étaient portés par les religieu-
ses. Les Ursulines, dans leurs innocentes écoles de
jeunes filles, arrangeaient la guerre des chouans. Les
Filles df la sagesse, dont la maison-mère était à Saint-
Ml LB8 patTWf Msmoacvn ik gusbbb gitilb (9 ptmisiiMl.
LuvQQt^ près MoQteîga, allaieat soufflant le feu ; ces
tM>niies sœurs infirimëres^ en saignant les malades,
inoculaient la rage*
. < Laissez-les faîre^ disaient les philosophes, les amâ
de la tolérance. Laisses-les pleurer et crier, chanter
leurs vieux cantiques. Quel mal à tout cela? p
Oui, mais entrez le soir dans cette ^lise de viHage^
où le peuple se précipite en foule. Entendez-vous ces
chants? Ne frémissez-vâus pas?... Les litanies, les
hymnes, sur les vieilles paroles, deviennent par Tac-
cent une autre Marseillaise. Et ce /Nés irœ, fanrlé
avec fureur, est-H^e rien autre chose qu'une prière
de meqrtFe, un appel aux feux étemels?
« Laisses faire, disai^on, ils chantent, n'agissent
pas. » Cependant on voyait déjà s'ébranler de gran-
des foules. En Alsace, huit mille paysans s'assemble-
rent popr empêcher de mettre les scellés sur un bien
ecclésiasUque. Ces bonnes gens, à la vérité, disait-on,
n'avaient d'armes que leur chapelet. Mais le soir ils
en avaient d'autres, quand le curé constitutionnel,
rentré chez lui, recevait des pierres dans ses vitres,
et que parfois la balle perçait ses contrevents.
Ce n'était pas par de petits ressorts d'intrigues tî*
midmient ménagés, indirects, qu'on poussait les mas-
ses à la guerre civile. On employait hardiment les
plus grossiers moyens pour leur brouiller l'esprit, les
enivrer de Ssinatisme ; on leur versait l'erreur et le
meurtre à pleins bords. La bonne Vierge Marie ap-
paraissait, et voulait qu'on luàt. A Apt, en 92, comme
en 90 à Avignon, elle se remua, fit des miracles, dé-
coMBUT as Là FMnmvr« US
dara qu'elle ne voulait plus rester dam les mains dea
conrtitutianiielsy et les réfractaires reolevèrent, au
prix d'un violent combat. Mais il y a trop de soleil
eu Proveoee ; la Vierge aimait bien mieux apparaître
eu Vendée, dans les brumes, les épais fourrés» les
haies impénétrables. Elle proBta des vieilles super-
stitions locales; elle se montra dans trois lieux diffiè*
rents, et toujours prés d'un vieux cbène druidique.
Son lieu chéri était ce Saint-Laurent, d*où les Filles
de la Sagesse colportaient les miracles, l'appel au
sang. Les meudiants les secondaient ; c'étaient d'ex-
cellents propagateurs de nouvelles, de très-bons
agents de révoltes. Ils étaient fort nombreux, la plu*
purt actifs et robustes. Sur trois cent mille âmes que
comptait la Vendée, cinquante mille vivaient d'au-
mènes, aans rien faire, spécialement d'aumônes du
clergé; ils vivaient de lui, seraient morts pour lui,
plutôt que de travailler.
On connaît maintenant les moyens, les agents de
cette guerre impie. Le côté politique, le Roi et la no-
blesse y furent trèsHsecondaires. Le prêtre y fut à peu
près tout. Le Vendéen, si vous lui demandiez ce
qu^enfin il voulait, ne répondait rien autre chose, si-
non qu'on lui rendit son prêtre, qu'on laissât son curé
revenir au village. Il faut entendre là-dessus, dans un
récit très^autbentique, un de ces paysans, qui gardait
des prisonniers républicains qu'on allait tuer» et qui,
voulant sauver au moins leur Ame, les priait de se
confesser. U disait à l'un d'eux, magistrat estimé :
« Monsieur, je vous aimons bien ; vous nous aves fait
nm ASSOGUTHm ROBLB M U R6mUB (i*î92).
MDiiet; les Mditisaiis^ la bande de la reine etdi
edmke d'Artois , les chevaliers de rOEîI-d&-4MBQt
reireoaieût à Versailles , deoiandaieot, exigeaient,
•mpcMrtaieDt toul ; permis aux nobles de camp^
de retoottier chez eax^ de revoir leurs terres ruinto,
de reprendre leur vie monotone^ pauvre, ohscore,
ennuyeuse; la messe^ la chasse^ pour tout amuse-
ment.
Rien n'était pludjiMlioieux que oes réflexioi», rien
de plus difficile que de tirer de là les gmlibbom-
mes de campagne. Les iatr^nts qui meiiaîeDt Fé-
migration, qui comptaient bien exploiter la victoire,
n'omettaient rien pour troubler le bon sens de ces
nobles; ils prèobaient^ chantaient la croisade sur tous
les airs ; ils attestaient T honneur et la chevalerie. On
é4^rivait des lettres anonymes aux retardataires, on
leur envoyait des quenouilles. Un de ces agents roya-
listes, Tuffin de la Rouerie, tète très-mal rangée,
personnage équivoque, qui avait joué cent rôles, offi-
cier, trappiste, volontaire d'Amérique, révohitton-
paircy puis ennemi de la Révolution, avait été s'of-
frir à Coblentz, offrant d'entraîner, disait-il, toute
la Bretagne. Il fallait seulement que, dans V'msat-
reetion, on observât les formes mêmes des anciens
fitats de la province, que les comités d'insurrection,
puisés dans les trois ordres, fassent des États en mi-
ftialure. On ne demanderait d'aèord nul acte, nirf ef-
fort, de l'argent seulement. Ce dernier point pM à
CatooDe^ emporta son suffrage. Il fit agréer le plan
LA NOBLBSSK SB GONTnmi DB DOIfNBR DB L^ARGBNT. 907
aa comte d'Artoîs. Le 5 d6cenibre 91^ les frèrss Au
Rm tfQtor)sirèDtLa Rouerie.
Dans la réalité, le plan était habile. Les geBtils-
bemmes <|ui n'éoDigraîent point, obsédés, insultés
pour leur inaction, troublés aussi dans leur conscienee
royaliste par leurs propres scrupules^ obtenaient trè*
ve en donnant à Vassociation une année de leur re-
venu^ A ce prix, ils araient un sauf-conduit pour eux,
pour leurs propriétés , ils étaient garantis des pil-
lages royalistes. Et de Fautre côté, l'association les
garantissait aussi, en leur permettant, leur ordon-^
nant de s*unir^ de se marier avec les autorités con-
stituées, jusqu^à ce qu'on pût les trahir.
Un nombre considérable de nobles trouTérent cet
ftfrarigement commode, souscrivb'ent, donnèrent leur
nom et de Targent. Ils se trouvaient ainsi tout dou-
cement compromis, engagés sans s'en apercevoir,
hmcés dans la guerre même qu'ils voulaient éviter.
11 était évident que le jour où rassociatioù serait dé*
eouverte^ les associés les plus pacifiques seraient bien
obligés d'armer pour leur défense, s'ils ne voulaient
Mre arrêtés.
Oe qui précipitait La Rouerie et pouvait l'obliger
de brusquer les choses, c'est qu'il avait comme utti
thral dans Botherel, ex-procureur syndic des Ëfats
de Bfetaguci qui dirigeait les émigrés de Jersey et
Guernesey, sous la protection de l'Angleterre, les
flattant de l'espoir d'une flotte anglaise qui les débar-
querait. La Rouerie lui opposait Coblentz, les prin--
CM, frères du Roi. Il obtint en efiët des princes une
30B UNB LKTTBE DD ROI EST L*OCCASMKN
commissioa (2 mars 92), qui lui donnait tous les pou-
voirs et le nommait chef des royalistes de FOuesly or-
donnait de lui obéir.
Il y avait si peu d'entente entre les royalistes, que,
tandis que La Rouerie vouliût attendre pour grossir
l'association, un signal fortuit de guerre civile par-
tit des Tuileries. Dans les premiers jours de juillet,
les prêtres, qui menaient le Roi, tirèrent de lui une
lettre au directoire du Finistère, pour demander
qu'on élargit les prêtres réfractaires emprisonnés à
Brest. Le Roi, à ce moment, croyait être très-fort;
on lui persuadait que l'affront du 20 juin, son palais
envahi, sa famille insultée, le bonnet rouge sur la
tête royale, avaient provoqué en sa faveur une réac-
tion immense de l'opinion publique, et qu'il en fallait
profiter. Toutes les chaires, en effet, les confession-
naux, les conciliabules dévots, avaient tiré un parti
incroyable de ce fait pathétique, tout propre à la lé-
gende; le Roi, dans la pensée des femmes et d'une
grande partie des hommes des campagnes, avait reçu
comme une consécration nouvelle d'un affiront qui
rappelait la Passion de Notre Seigneur. Beaucoup
pleuraient, à cette image touchante de VEcce homo de
la royauté.
La démarche du Roi en faveur des prêtres de Brest
était peu et beaucoup. On pouvait dire que ce n'était
qu'un acte charitable, humain, qui ne compromettait
nullement son auteur, qu'on ne pouvait lui repro-
cher. Et c'était, dans la circonstance (on te vit par
l'événement), c'était, dans l'état terriblement com-
DE LA GUEUIB CIVILR BN BRETAGIIB (JUILLET M). 309
busUble où la Bretagne se trouvait, un signal d'in-
cendie, une étincelle sur la poudre. À Fouesnant,
près de Quimper, un paysan qui était juge-de-paix,
Allain-Nedellec, agent du marquis de Cheffontaine,
dont il régissait les possessions, se met» après la
messe (9 juillet), à prêcher les paysans devant Té-
glise ; cinq cents prennent les armes. Les agents de
Nedellec courent la campagne , menaçant de brûler
les maisons de ceux qui ne viendront pas pour Dieu
et le Roi ; le Roi le veut, il a lui-même écrit qu'il
ordonnait la liberté des prêtres, leur rétablissement.
Le lendemain 10 juillet, k trois heures de nuit,
cent cinquante g^des nationaux de Quimper, avec
queli[ues gendarmes et un canon, marchant rapide*
ment à travers les campagnes dont ils ne connaissaient
pas trop les secrètes dispositions, partirent pour
Fouesnant. Les magistrats étaient en tête avec le dra-
peau rouge. Accueillis par une décharge meurtrière,
que trois cents paysans leur firent à bout portant ,
ils enfoncèrent cette bande, prirent le bourg, s'y établi-
rent, passèrent la nuit dans l'église, avec leurs morts
et leurs blessés. Le lendemain , ils rentrèrent dans
Quimper, et toute la ville vint au-devant d'eux.
Cette vigueur étonna la révolte et la fit réfléchir.
L'absence des gentilshommes, en tout ceci, avertis-
sait assez que les choses n'étaient pas mûres. La
Kouërie voulait attendre ; il avait raison en Bretagne.
A Paris, néanmoins, les choses se précipitaient, les
événements semblaient avoir les ailes de la foudre.
He frappe au 10 août...
3i0 VASTE SOULÈVEMENT DE LA VENDÉE, ET PREMIER COUDAT,
Le contre-coup eut lieu, non dans la Bretagne d'a-
bord, livrée & mille influences contraires, mais dans
un pays dont on attendait moins un prompt soulève*-
ment. La Vendée éclata.
Elle éclata avec un élan, un esprit d'ensemble re-
marquable, et qui contrasta fort avec celui de résistan-
ce individuelle et solitaire, qui fut celui des Bretons,
des chouans. Quarante paroisses à la Tois, huit mille
hommes des campagnes, autour de Châtillon, armè-
rent le même jour (24 août). Ce fut, comme partout,
le§ magistrats perfides de la révolution qui se tournè-
rent contre elle. Delouche, maire de Bressuire, fut le
vrai chef de la révolte. Un commandant de la garde
nationale, un gentilhomme de la Châtâigoeraie, se fît
enlever de son château par les paysans, pour en être
le général. Ils fondirent sur Châtillon d'abord, la dé-
vastèrent, brûlèrent les papiers du district. De là, ik
attaquèrent Bressuire. Ralentis par un orage qui les
dispersa quelque temps, ils perdirent l'instant favo-
rable. Le tocsin révolutionnaire, qui répondit au toc-
sin royaliste, assembla en une nuit les gardes natio-
naux des environs. Il y eut un empressement extra-
ordinaire. Ceux des villes lointaines, d'Angers à La
Rochelle, se mirent en mouvement. Les premiers
arrivés, peu nombreux, défendirent Bressuire. Vo
combat eut lieu sous les murs, où cent paysans envi-
ron perdirent la vie. Cinq cents furent pris, et les
vainqueurs qui coururent les c-ampagnes exercèrent,
dit-on, de sévères représailles pour les hommes qu'ils
avaient perdus. Ce qui est sûr c'est que les prison-
A CHATaLON fit BRESStHRE (24-2S AOUT 92). 341
nîers furent traités cependant avec humanité. On se
contenta de les mener au tribunal criminel de Niort.
Celte ville était un foyer d*ardent palriolîsme. Le tri-
bunal crut devoir être indulgent envers ces hommes
égarés, il les renvoya, supposant magnanimement
qtfil n*y avait de coupables que les morls.
La Vendée resta muette sous le coup. Mais on
put deviner, par ce sinistre événement, ce qui cou-
vait en elle. On put, d'après 92, prévoir 93. H
n'était que trop sûr que les villes, petites et faible-
ment peuplées dans ce pays, ne pourraient, quelle
que fût leur énergie, contenir les campagnes, que
celles-ci emporteraient tout, qu'un jour ou Taulre,
la Vendée tout entière se lèverait comme un seul
homme y qu'elle marcherait d'ensemble, prêtres en
tète, disciplinée d'avance, sous les drapeaux de ses
paroisses.
Mais on pouvait prévoir aussi que ce grand et terrible
effort (tout grand qu'il fût, la Vendée étant secon-
dée par une partie des trois dé parlements voisins) ne
serait pas cependant contagieux pour la France, qu'il
serait de bonne heure circonscrit, enfermé dans une
zone limitée, que bientôt, et de plus en plus, la ques-
tion serait ainsi posée : la Vendée d'un côté, et la
France de l'autre.
Ce qui rendait d'abord le succès de la Vendée im-
probable, impossible, c'est qu'elle n'agissait nulle-
ment d'accord avec la Bretagne. Ces deux pays dif-
féraient profondément. Et la Bretagne, prise à part,
n'était point d'accord avec elle-même. Les prêtres
311 NANTES ET LE HNISTÈRE
même y étaient divisés. Le prêtre noble, qu'on ap-
pelait exclusivement M. Vabbé, méprisait et tyranni-
sait le prêtre paysan, celui qui eût le plus agi sur le
peuple. Dans les nobles, il y avait aussi très-peu de
bonne entente ; on a vu les directions diverses de La
Rouerie et de Botherel. Au contraire, les révolution-
naires bretons, tout au moins ceux du Finistère,
trouvèrent un principe d'accord dans les belles lois
d'août 92; ces lois, favorables au paysan, le ral-
lièrent à l'opinion des villes, à la Révolution. Elles
eurent un effet immense, et sauvèreut la France
peut-être, en assurant à la Révolution la moitié de la
Bretagne, la redoutable pointe qui fait Tarrière-garde
de rOuest. L'autre Bretagne, l'Anjou, le Haine et la
Vendée, dans tous leurs mouvements, sentirent
qu'ayant Paris et la Révolution en face, ils avaient
dans le dos Brest et le Finistère, qui étaient encore la
Révolution.
La Vendée, quoi qu'on ait pu dire, était un fait
artificiel (du moins en grande partie), un fait savam-
ment préparé par un travail babile. Dans ce coin de
terre, obscur, retiré et sans route, le prêtre avait trou-
vé un admirable élément de résistance, un peuple na-
turellement opposé à toute influence centrale. Là,
bien aidé des femmes, il avait pu longuement, à loi-
sir, créer une œuvre d'art, étrange et singulière : une
révolution contre la Révolution, une république con-
tre la République.
Mais ce fait très-arliCciel se trouvait en opposition
>4tTec le grand foit naturel dont la France offrait le
POUR LA RÉVOLUTION (1792). 3i3
Spectacle, fait uécessaire, amené légitimement du
fond des siècles, qui venait, invincible, comme l'O-
céan vient à son heure, et, comme TOcéan, pouvait
absorber tout.
I^ Vendéen , enfermé , aveuglé dans son fourré
sauvage, ne voyait nullement le mouvement qui se
passait autour de lui. S'il l'eût vu un moment, il eût
été découragé et n'eût pas combattu. Il eût Tallu qu'on
le menât bien haut, au haut d'une montagne, et que
là, donnant à sa vue une portée lointaine, on lui fit
voir ce spectacle prodigieux. Il se fût signé, se fût cru
au Jugement dernier, il eût dit : Ceci est de Dieu.
Ce spectacle, que la France eût offert & ses yeux,
c'était comme un tourbillonnement immense, une
circulation rapide , violente , des hommes et des
biens, des choses et des personnes. Les douanes
entre les provinces, les octrois aux portes des vil-
les, les péages innombrables des ponts, des passages
de fleuves, toutes ces barrières de l'ancien régime
avaient dteparu tout d'un coup. Les clôtures s'abais-
saient, les murs tombaient, les vieux manoirs s'ou-
vraient. Les choses, comme les hommes, avaient re-
trouvé le mouvement. Une formule puissante, qu'on
entendait partout, les évoquait, semblait les animer :
Au nom de la Loi! Réveillés à ce mot, les immeubles
prenaient des ailes. Déjà deux milliards des biens du
clergé volaient en feuilles légères, sous formes d'as-
signats. Les domaines, coupés, divisés, se prêtaient
aux besoins nouveaux d'un peuple immense, immen-
sément multiplié. Partout des ventes et des achats ;
514 LA VENDÉE PEU CONTAGIEUSE POUR LA FRANCE.
on achetait volontiers, on donnait l'assignat plus vite
qu'on n'eût donné l'argent. Partout des mariages (ils
furent innombrables, du moins dans les premières an-
nées de la Révolution) , et la nation faisait la doL
Elle donnait des biens nationaux^ souvent pour le
produit de la première année; une maison, on la
payait rien qu'avec le plomb des gouttières; un bois,
on le payait avec ]a première coupe. Il tombait, ce
vieux bois, et la clairière, ensemencée sur l'heure,
allait donner le blé à la couvée joyeuse, née de la
terre et du soleil de la Révolution,
Jamais grand mouvement ne fut accompli d'une
âme plus paisible, avec moins de scrupule, dans une
grande sécurité de conscience. Jamais la violence
et la force ne se sentirent mieux appuyées du droit.
La réclamation de la femme n'eut sur l'homme au-
cune influence. Il disputa peu avec elle. Â toutes ses
paroles il n'opposa guère que deux mots.
Mots vainqueurs, qui, pour lui, tranchaient la
question.
Le premier lui servit pour les biens ecclésiastiques,
biens de prélats, de chanoines et de moines. Ce mot
fut : Fainéants !
Le second lui servit pour les rentes et droits dus
aux seigneurs, plus tard pour les biens d'émigrés. Ce
mot fut : Féodall
a C'est du bien féodal d, disait-il. Ce mot tout-
puissant rassurait sa conscience.
Les biens même d'église lui semblaient, noo sans
cause, entachés de féodalité. Comment en juger au-
LE PAYSAN ACHÈTE PARTOUT LES BIENS NATIONAUX (i792). 3i!S
tremeot, quand on voyait, au palais de Tévèque, de
Tabbé, comme au^ châteaux laïques, le four banal,
le pressoir obligé, le perron du jugement, le carcan
seigneurial, la potence, tout l'appareil des vieilles
justices? S'ils ne conservaient pas en nature les droits
féodaux, ils les percevaient en argent.
Féodal^ ce mot était sans cesse dans la bouche et la
pensée du paysan. Il n'en avait pas la science ni l'his*
toire, mais bien le sens et l'intelligence instinctive.
Les vingt ou trente générations qui moururent à la
peine, sans monument, sans tradition, avaient pour*
tant laissé un même testament à leur fils, pour tes-
tament un mot, qui, bien gardé^ devait être pour lui
un infaHlible gage de la réparation. Le libre labou-
reur des temps antiques, dépouillé de la liberté par
la force ou la ruse, n'ayant ni bien, ni titre, ayant
perdu sa terre, squ corps, hélas! et sa personne, —
que dis-je î l'âme et le souvenir, — vivait tout entier
dans un mot...
Ce mot, répété huit cents ans à voix basse, pour em-
pêcher la prescription, ce mot qui, en 89, éclata plus
haut que la foudre, ce mot qui, en français, signifie
violence, tyrannie, injustice, c'est le mot : Féodal.
 tout ce que vous auriez objecté au paysan, à tout
ce que vous lui auriez apporté de titres et d'actes, il
remuait la tête, il disait ; Féodal.
Ia Constituante, en supprimant les droits féodaux,
fit efTort pour établir une distinction subtile. Il y a deux
féodalités, disait-on au paysan : la féodalité dominante,
imposée par force à vos ancêtres, et celle-là nous l'a*
316 CE QUI RASSURAIT LA CONSCIENCE DU PAYSAN (1792).
bolissons ; mais il y a aussi la féodalité anUradanU^
celle qui résulte d'un libre accord entre le seigneur et
le paysan ; vous ne pouvez secouer le joug de cette
féodalité consentie^ qu^en indemnisant le seigneur. —
Le paysan a la tête dure ; il s'obstina à ne pas com-
prendre, ne dit mot, alla son chemin. Un contrat en-
tre le fort et le faible, entre celui qui était tout et ce-
lui qui n'était rien! un accord consenti librement par
un homme non libre, par un homme qui n*a\'ait pas
même son corps, qui n'était pas une personne, qui
légalement, n'existait pasi c'étaient choses bonnes à
plaider entre légistes , mais difficiles à soutenir entre
hommes de bon sens. La peine infligée au système
féodal et l'expiation de sa tyrannie, c'est qu*au jour
du jugement, tout acte de lui parut tyrannique, et s'il
avait parfois respecté la liberté, demandé consente-
ment, contracté librement, il ne se trouva personne
pour le croire. À tout acte qu'il alléguait, libre ou
non, on riait, on disait : Féodal, et tout était dit.
L'Assemblée constituante et ses légistes avaient
tranché légèrement une question très-grave d'anti-
quité et de droit. Ils avaient supposé que le seigneur
possédait originairement toute terre, et que, pour tel
service, pour telle redevance, il avait daigné faire
part de sa terre à celui-ci, à celui-là. Ils voyaient l'o-
rigine de toute propriété dans les concessions de fiefs.
Ils niaient les origines libres de la propriété , igno-
raient les aïeux. Qui ne sait que les choses se passè-
rent, non moins souvent, en sens inverse? que ce fut
au contraire le propriétaire libre, le faible, le petit et
NULLITÉ DES ACTES FÉODAUX. 317
le pauvre, qui fut forcé, par mille vexations , de se
recommandeTy comme on disait, à son puissant voi-
sin, de prendre à cens sa propre terre» de donner
au seigneur la propriété pour conserver au moins l'u-
sine?
« Tu es libre, bon homme, ta terre aussi, et ta fa-
mille aussi, nous ne te prenons rien. Seulement,
songes-y! La terre libre, au milieu des Gefs, a
cette propriété singulière qu'elle ne produit plus.
Nous ne te prenons rien. Seulement, tes voisins, en
bons voisins, la visiteront, cette terre ; les chevaux»
les chiens du seigneur, la courront à plaisir; c'est
plus court pour aller au bois. Les pages du sei-
gneur sont gais ; ils mettront le feu à la queue de
tes vaches , sans malice , pour rire seulement. Ta
fille aux champs, ils la prendront, non pour lui faire
du mal, mais seulement pour rire ; ils la rendront
le lendemain » Quand tout cela lui était arri-
vé, quand il avait épuisé les maux du serf» alors
cet homme libre s'en venait librement, et, non sans
quelques larmes, mettait ses mains dans les mains
du seigneur... « Monseigneur, je vous donne ma foi,
ma terre, tout ce que j'avais, je le perds, je vous l'of-
fre et le donne. Désormais, il est vôtre, et je le tiens
de vous » Voilà un contrat libre du bon temps
féodal.
L'horreur de ce contrat , c'est que cette terre ainsi
donnée et asservie, loin d'alléger le sort du proprié-*
taire , Tasservissait lui-même , et pour avoir donné
sa terre, il se trouvait avoir donné son corps ^ celui
318 NULLITÉ DES ACTES FÉODAUX.
des siens! Tous serfs!... Ceci n'est pas une figure ,
quoi qu'on ail dil. Nous ne le voyons que Irop, dans
les pays encore serfs aujourd'hui ^ : la femme et la
fille du serf paient littéralement de leurs corpsy rare-
ment au seigneur, mais plus souvent à l'intendant ,
nii^is aux agents de l'intendant, mais aux valets de
ces agents ; une s6rie de hqntes sans 6q.
Une chose m'arrête ici. Cornaient serai-je juste
envers la Révolution , comment la ferai-je com-
prendre, si préalablement je ne fais connaître le
Moyen âge , celte Terreur de mille ans!... Et pour-
tant je ne le puis. On ne résume pas le Moyen âge.
Ce qu'il a d'essentiel , c'est sa longueur terrible, et
l'abréger c'est n'en rien dire du tout. Il faudrait pou-
voir reproduire, dans leur lenteur impitoyable, les
mille ans que rbum^uîté passa 90us cette pluie de
^ Le servage, qu'on le sache bien, est un communisme effirojra*
ble, le viol en liabitude, en droti. La famille ly est impossible. Le
serf blanc est plus malheureux en ceci que Tesclave nègre. Celui-ci
distingue trtfs-bien, à la peau, les enfants qui sont du mattre. En Rus-
sie et autres pays semblables, nul signe qui accuse la différenoe ; le
père infortuDé ne sait jamais qui sont les siens. — Un ministre pro-
testant m'a assuré avoir vu, vers 4800, sur la côte allemande de la
Baltique, une jeune fille enchaînée par une chaîne de fer dans une
loge à chien, pour n'avoir pas voulu payer le droit du seigneur h l'In-
tendant qui régissait la terre. — Nos seigneurs français du ^YllI* siè*
cle usaient plus largement de ces privilèges que ne firent jamais leurs
aleui ; leurs fils, par libertinage ou par insolence, couraient tout le
village, et qui n'eût pas fermé les yeux aurait été persécuté. L'homme
d'affaires aussi, alors comme aujourd'hui, mettait souvent aux délais
qu'il accordait pour les paiements de honteuses conditions, etc., etc.
La femme payait tout. Elle eût dû être, en vérité, plus révolutionnaire
que l'homme.
2(IXL1TÉ DES ACTES FÉODAUX. 319
douleurs qui tombait goutte à goutte , et chaque
goutte perçait jusqu'aux os.
Et quand j'abrégerais, pour le faire, il faudrait en-
core un grand livre. Comment le mettre ici , intro-
duire le grand dans le petit? ce dernier ne le con-
tiendrait pas; il éclaterait, disloqué et brisé. — Donc,
je serai injuste; donc, je ne dirai pas ce qu'il faudrait
savoir; nos adversaires pourront dire à leur aise que
la Révolution fut un accident, un caprice, qu'elle fut
la réparation de maux imaginaires ^ de souffrances
qui n'existaient pas.
K'ayaut pas expliqué comment, au Moyen âge,
l'asservissement de la terre asservit la personne , je ne
pourrai faire comprendre comment l'affranchisse-
ment de la personne , à la Révolution , entraîna l'af-
franchissement de la terre. Car, elle fut affranchie
en 89, elle aussi, qu'on le sache bien. Elle sortit
alors des mains du seigneur, de celui qui se disait
rhotnme dépée , le fils de la conquête, de celui qui
voyait dans la terre une dépouille , une chose , pour
user, abuser. El elle passa dans les mains de F homme
de la terre , de celui qui ne sait rien de lui sinon qu'il
est né d'elle, qu'il fut attaché toujours à la terre; —
et si bien attaché, en vérité, d'un tel attachement,
qu'il l'aime mieux que sa famille, qu'il lui est marié
(trois fois plus qu'à sa femme), et si vous en doutiez,
en creusant cette terre , vous trouveriez au fond le
cœur du paysan.
Ce mariage de la terre et de l'homme qui cultivait
la terre fut le fait capital de la Révolution. Les bis-
3S0 LE PAYSAN, AYANT ÉPOUSÉ LA TERRE.
toires, journaux et mémoires, n'en disent presque
rien. Et ce fait était tout.
Danton le dit , mais faiblement encore : « Âsuée
avait touché la terre », et il y puisait des forces.
— Toucher^ c'est bien peu dire. Il y était entré d'âme
et de cœur, et ils étaient même personne. L'identité
de rhomme et de la terre, ce mystère redoutable,
s'accomplissant en France, faisait de cette terre
une terre sacrée, inattaquable; qui l'aurait violée
était sûr d'en mourir. La question de la guerre était
tranchée d'avance. La France était trop forte pour
le monde.
CHAPITRE m
LA comnBirrioit. — la GinoNOB et ik montagne.
(Septembre-octobre ITM.)
DivMoM do U ConveoUoD. — Elles sont le plu grand danger de If Pranfe.
— AcrveoiioDt moiaelles des deai partit, également injualet. — Défianree
mninellco de Paria el des départements. — Oavertare de la Convention
(Il sept. M).— La Convention, en général, appaie d'abord la droite (lopt.-
oct. 99). — Danton et Robespierre veulent raisnrer la Convention (91 sept.
' M). — DnnIoB demande qn*on garantisse la propriété. — Abolition de la
rojanté. — Promiére opposition de Itenlon et de la Gironde, sur la capacité
da peaple (99 sept. 99). -^ Aecnsations moinellr» de désorganisation el de
démembrement (95 sept.)* — Apologie de ffanion, ces conseils pacifiques
(99 sept. 99). ^Apologie de Robespierre. — Apologie de Maral, — Apologie
de ta Commune, qui désavoue les bommes de Septembre.
La France, répétons-le , était trop forte pour le
monde. Mais, si la France s'attaquait elle -môme, le
serait-elle assez? Cétaitla question.
Certes, la nation qui faisait tout d'un coup un mil-
lion de propriétaires, qui armait trois millions de
gardes nationaux, qui combattait aToc un capital de
dix milliards, pouvait se moquer de T Europe.
Le danger capital n'était pas TinTasion.
Ce n'était plus le Roi, du moins en ce moment
Il s'était déclaré lui-même et reconnu menteur,
dès 91, par sa propre déclaration de Varennes, dé-
gradé de son sacre : « Un roi ne ment jamais, n La
322 DIVISIONS DE LA CONVENTION (SEPT. 92).
France, en 92, le croyait traître, complice de Tinva-
sion. Elle était, en grande majorité, sinon républi-
caine, du moins anti-royaliste, de colère et d'indi-
gnation. Déchu et méprisé, le Roi restait par terre,
k moins que la Révolution elle-même ne le relevât
par réchafaud.
La France n'avait qu'un danger réel, c^était le
schisme.
Schisme religieux dans l'Ouest, la guerre des prê-
tres, qui armait le peuple contre le peuple.
Schisme politique, au sein de la Convention, entre
les républicains et les républicains. Ce coociley con-
voqué pour assurer l'unité de la France en écrivant
son nouveau dogme, fut tout d'abord violemment dé-
chiré par la discorde et l'hérésie.
Où était le cœur de la France, sinon dans la Con-
vention? Et qu'adviendrait-il de la vie, dans chaque
être, si au cœur même, au centre de l'unité vitale,
d*Un être il allait s'en faire deux?... Nul mal plus voi-
sin de la mort.
Même avant d'être, elle était divisée. Elle n'ouvrit
qu'au SI septembre, et les jours précédents, pendant
que les représentants arrivaient à Paris, les noms de
royalisUs et d'hommes de septembre commencèrent à
s'échanger entre eux. Du futur o6tè gauche au futur
côté droit volaient déjà ces appellations meurtrières.
On cuvait voir déjà en esprit rinfranchissable ruis-
seau de sang qui coulerait dans la Convention innir
sépare»* les deux côtés, En vain, plus d'une fois, de la
Montagne à ia Gironcte, Danton tendit sa ^nde main
BLLES SOirr LE PLUS GRANt) bANGËR bE LÀ FRANCE. 32S
atl nom de la patrie. Les GiroDdins forcèrent Dantori
de les perdre, de les livrer à Robespierre, qui em-
porta Idanton^ et en fut emporté, et la République
avec eux.
Tous ces événements terribles vont tomber Vxxu
sur Vautre avec la pesanteur et la rapidité fatale
d'une pierre qui descend h Tablme. A peine un in-
tervalle de quatre mois sé))are chacune de ces révo-
lutions, qui, au cours ordinaire des choses, auraient
Tait des âges du monde. Chaque intervalle, ici, c^est
plus d'un siècle. Que dis-jet J'oubliais le caractère
étrange de ce rêve sanglant... Il n'y avait plus ni
siècle, ni année, ni mois, ni jour, ni heure... Le
temps n'existait plus, le temps avait péri. La Ré-
volution , pour mieux se mettre à Taise , semblait
avoir commencé par exterminer le temps. Libre du
temps, elle allait sans compter.
Ce qui crève le cœur, quand on repasse ces desti-
nées tragiques, ce qui est aujourd'hui si clair et si
certain, c'est qu'ils se frappèrent sans se connaître;
ils s'ignorèrent profondément.
Ils le savent maintenant, combien leurs accusations
mutuelles furent injustes, et, sans doute, ils se sont
réconciliés. Il me serait trop dur de croire que ces
grands citoyens, morts si jeunes, et quoi qu'ils aient
fait, morts enfin pour nous faire cette patrie, n'aient
pas eu, par delà la mort, du temps pour se reconnaî-<
tre, poiir entrer dans la lumière do justice et de vé-
rité, et s'embrasser les uns les autres.
Non, ces accusations ne furent point méritées.
3U ACCUSATIONS MOTDCLLES DBS DBUX PAftTtS (SSPT.-OCT. 92).
Tous Turent, nous le jurons, d'excellents citoyens,
d'ardents amis de la patrie. Ce fut généralement
Tamour jaloux, terrible, qu'ils avaient pour la Bi-
blique qui les jeta dans ces voies d'accusations injustes
et d'extermination. Ils haïrent parce qu'ils aimaient
trop.
Le temps est venu, qui a révélé, expliqué, — et
l'histoire mieux connue,— et le grand juge, la Mort !
Il n'y a pas eu un traître dans toute la Convention.
La République n'y eut pas un ennemi.
Il n'y eut jamais une Assemblée plus désintéressée,
plus sincère* La peur, la haine , eurent action sur
beaucoup de ses membres, l'intérêt sur aucun. Sauf
deux ou trois voleurs, connus, punis, tous sont morts
purs et pauvres.
Quoi que la violence , la fureur, l'entratnement
d'une situation unique, aient pu leur faire commettre,
il reste à chacun d'eux , pour dernier jugement de
l'histoire, le root que , dans les guerres des Suisses,
disait sur Zwingle mort un de ceux qui l'avaient tué :
a Ah ! tu fus un homme sincère , tu aimas la patrie* »
Contenons-nous ici, mettons un sceau sur notre
cœur, et défendons-lui de parler. Nous devons ce res-
pect à tant d'hommes héroïques de ne point déplorer
leur sort, de leur donner une histoire virile et digne
d'eux. S'ils ont été fermes à mourir, soyons fermes
à les raconter.
Répétons-le , les deux accusations furent fausses
Les Girondins n' étaient jmnt royalisles. Fondateurs
É6ALBIIB1IT imOSTBS. S25
de la République, ils rayaient dans le cœur. C'était
leur foi y leur espoir et leur dieu. Elle ne leur a pas
manqué, la République, dans leur suprême épreuve ;
elle les a soutenus au dernier jour, et elle fut avec
eux sur la fatale charrette, entre la Conciergerie
et la place de la Révolution. Et leur dernière pen-
sée, sous le couteau, fut, non pas pour eux , mais
pour elle.
Le$ Montagnards n^ avaient pas fait Septembre. Sauf
Marat et deux ou trois autres, nul homme du côté
gauche n'y eut part.
Ce côté 9 où siégeaient tous les plus violents pa-
triotes, n'en contint pas moins les meilleurs amis de
rhumanité. Les Carnot, les Cambon , les Merlin de
Tbionville , les Prieur, et tant d'autres , ne furent
point des bommes de sang. I^a grande majorité du
côté gaucbe désapprouva Septembre, mais jugea que
la punition en était dangereuse, impossible. Ceux qui,
comme Danton, savaient sur quel volcan de conspi-
rations la France était assise, sans parler de Vinvasion,
jugèrent qu'elle avait besoin d'elle-même tout entière,
qu'elle ne pouvait s'épurer, se juger, se punir, en
un tel moment, sans se perdre; opinion d'autant
plus raisonnable, que, par une déplorable erreur,
les provinces accusaient Paris tout entier : qui les
eût cru aurait jugé Paris. Danton et la Montagne pri-
rent le crime à leur compte, ils dirent audacieuse-
ntent au côté droit : c N*en parlez plus ; c'est nous
qui ravons fait. »
lies nouveaux représeutants apportaient de leurs
IV. **
116 bHUJKKsmffmuM
dépMrtemeots la terreur de Septembre. Les récits du
fuuèbi:e évéuepept) sqrobaigés d'ipcîdeDts atroces,
avairat été colportés par les eqneiois de la RéYolu*
iioq^ avidement aaisis par les provinciaux. Leur en-
vie pour Paris les rend toujours crédules. Us crorent
s^S difHculté aux douze mille morts que les roya-
liste? mettaient daqs leurs romans. Tous ceux qui
arrivaient étaient conduits par d'officieux guides de
prisons en prisons; op leur montrait à TAbbaye
(on le mooti» à mon père comme k d'autres provin-
ciaux) une trace de sang à douze pieds de haut; le
saf}g av^t monté, disajt-on, au premier étage. Même
exagération si^r le nombre des meurtriers. Les uns
disaieqt dix mille, d'autres cçnt mille, etc. La capi-
tale tout entière avait CQppéré au massacrç. Ce n'était
pas sans e^roi que les conventionnels arrivaient à
Paris, entraient dans la vilje sanglante; tout leur pa-
raissait sombre, tous les mprs couverts de crêpe et
de deuil.
L'immense majorité de ce? nouveaux i*e|»iteen-
tants arrivaient resprit inquiet, flottant, saîsissable
aux premières impressions* La Convention aviitt été
élue sous le coup de la nouvelle de Septembre, sous
l'émotion qu'en eut la France. Ëllp sortit tout entière
de la boui^eoisie. Il y eqt même quelques c|ioix
aristocratiques, ce qui tint à ce que» dans une pen-
sée démocratique, on appela les domestiques au
vote. À cela près, les Conventionnels étaient tous
de petits bourgeois, médecins, avocats, professeurs,
gens de lettres, marchands^ etp. Pas un sen) homme
BB PARIS ET MB StPAETBlIBHTS (gBPT.-OCT. 92). 827
do p9apl«. Ces bourgeois n'en étaient pas moins de
bons citoyens, amis du bien, amis de rhumanité d;
des intérêts populaires, him moins violents qu'on ne
ra dit
Sur sept cent quarante-cinq membres que comptait
la Convention, cinq cents n'étaient ni Girondins, ni
Montagnards; kt Gironde leur inspirait de Tenvie,
la Montagne de Tborreur. Il était érident que la ma*-
jorité, la force, seraient k ceux qui saurairat entraî-
ner cette mAsse flottante de cinq cents représentants,
qui, k considérer le nombre, n'étaient guère moins
qoelaConvenlion elle-même. Leur modération na*
turelle et la terreur de Septembre les faisaient incli-
ner à droite ; mais une terreur plus grande pouvait
les faire voter k gauche*
l.eur8 préjugés contre Paris ne furent pas dimi*
nues par les premières impressions qu'ils recueilli-*
rent dans la foule, le jour même où, réunis, ils tra«*
versèrent les rues en corps. Ils entendaient dire sur
leur passage cette parole étrange et naïve ^ : « Pour-
quoi donc faire venir tant de gens pour gouverner la
Frauce? N'y en art-il pas assez à Paris! » Ce mot,
échappé au hasard de quelques bouches imbéciles,
n'en courut pas moins dans la Convention, et con-
firma beaucoup de ses membres dans l'idée que
Paris prétendait ^ la royauté, et voulait être roî de
France.
Et cette idée, fausse, injuste, irritante pour les
* M. Diiiiiou m*a dit ITavoir enteoda InUméme.
9fii BÉriAlICBS HimJBLLBS.
Parisiens, fit accueillir de ceux-ci une accusation non
moins injuste contre la Gironde et le cAté droit, à
saYOÎr qu'ils voulaient réduire la République à une
simple fédération analogue à celle des États-Unis, la
diviser en républiques de Marseille, de Bordeaux, du
Calvados, etc*, détruire notre belle centralisation à
peine établie, briser l'unité de la France, ce qui re-
venait à l'anéantir.
11 y eut des deux côtés la même crédulité. Les
vingt députés de Paris qui gouvernaient la Montagne,
les vingt ou vingt-cinq Girondins qui menaient la
droite, crurent ces choses et les firent croire à tous.
Ils s'emparèrent violemment de l'arène, dès le pre-
mier jour, entraînèrent la Convention, la consumè-
rent, l'usèrent dans ce fatal débat. Tant de harangues,
tant d'efforts, tant de jours terribles et de sombres
nuits, cette lutte effroyable qui enveloppa la France
tout entière, tout revient à une courte formule, un
simple dialogue :
I^ Gironde à la Montagne, à la députation de Pa-*
ris, à Danton et Robespierre : « Vous voulez la d^
organisation sociale^ pour que l'excès du désordre
fasse désirer la dictature. »
La Montagne à la Gironde, à Brissot, Vei^iaud,
Roland : « Vous voulez le démembrement de la France
en plusieurs républiques fédérées, pour que la guerre
civile oblige de rétablir la royauté. »
Erreur des deux côtés, erreur, injustice profonde.
Si les Montagnards ne voulaient point d'obstacle à
l'élan révolutionnaire qui seul pouvait sauver la
OUVERTURB DB LA GOHVBimON (21 SEPTEIIBRB 9i). 389
France, ils n'étaient pas pour cela anarchistes; ils
voulaient un gouvernement fort, une république vi-
goureuse et des lois obéies. Les Girondins, non plus,
qui plus tard chercbërent un point d'appui dans
leurs départements pour défendre le droit de leurs
commettants, celui de la Convention, violé en leurs
personnes, n'y songeaient nullement alors. Ni alors,
ni plus tard, aucun d'eui ne fut assez fou pour songer
à démembrer la France. Les uns, les autres étaient
d'excellents citoyens, qui seraient morts cent fois'
pour l'unité de la patrie.
Voilà donc l'Assemblée qui vient, le 21 septembre,
s'entasser dans la petite salle des Tuileries qui avait
été celle du théâtre. Ce petit théâtre de cour va con-
tenir un monde, le monde des orages infernaux, le
Pandémonium de la Convention.
Et plus l'arène est resserrée , plus les combats
seront furieux, implacablement acharnés. Tous, dès
le premier jour, dès le premier coup d'œil , souffri-
rent de se voir si près. Le petit intervalle qui sé-
parait ces ennemis mortels ne permettait à nulle
parole , à nul regard hostile, de s'amortir en route.
Les uns, les autres, dans leurs vives attaques, se
foudroyaient à bout portant. Même aux moments de
trêve, l'air malsain de la haine régnait dans cette
salle; un pesant magnétisme de tous sur tous planait,
serrant chaque poitrine, troublant les tètes, remplis-
sant les yeux d'illusions.
Cette Assemblée , d'avance si profondément divi-
^ , avait pourtant un principe d'union , celui même
SW LA CONVENTION, 1SN GÉNÉRAL.
dont elle était fiée, le principe du 10 août. Elle ap-
portait cette pensée : Que la France était déflnitiye-
ment majeure; que sa vieille tutrice, la royauté »
était à jamais déchue , comme complice de Tennemi;
que tout roi était impossible , qu'il n'y avait de roî
que te peuple.
Il n'y avait pas à disserter, à raisonner l&-dessns.
La Convention avait conscience du terrible mouve-
ment dont elle sortait , du volcan de colère qui l'avait
lancée à Paris. Quelques pouvoirs qu'elle eût reçus,
elle ne tomba pas dans Tidëe dangereuse de se
déclarer souveraine; elle annonça modestement
qu'elle n imposait pas une constitution au peuple,
mais la lui proposait.
Tout ce qui, de près ou de loin, pouvait ressembler
à la royauté , eût violemment soulevé le sentiment
national. La Convention écarta avec mépris t'ineptie
de Manuel qui proposait de donner an président de
l'Assemblée des honneurs quasi-rôyaux. Elle applau-
dit ees paroles d'un de ses membres : « La France
a déjà fait connaître sa volonté en envoyant ici deux
cents membres de TÂssemblée Législative qui ont fait
serment de combattre les rois et la royauté... Non, il
n'y aura pas de président de la France ! »
Le président, choisi par l'Assemblée, fut Pétion.
Les secrétaires furent deux constituants. Camus et
Rabaut-Saint-Ëtienne, les girondins Brissot, Ver-
gniaud, Lasource; et Gondorcët, ami de la Gironde.
Pas un homme de la gauche. L'Assemblée avait
tout pris à droite. Ces choix avaient été dictés vî-
APPUIE D'ABORD LA DROITE (SEPT.-OCT. 92)- SU
siiiletttent par Thorrebr de Septembre , Faversion
poUr tous ceux qui toléraient les hommes de Sep-
tembre. Ce seotiment, honorable sans doute, eût
dû pourtant (dans la crise suprême où se trouvait la
France, lorsqu'on n*avait pas même encore la nou-
velle de Valmy), eût dû être subordonné à l'intérêt
plus grave encore du salut national. Le salut étàit-il
possible sans Ténergique légion de la Montagne (de
cent représentants)? Tétait-il, sans l'appui des deux
chefs de la Montagne, Robespierre et Danton? Ro^
bespierre, la grande autorité morale des innombra-
bles sociétés jacobines ; Danton, la grande force, le
gédie politique, qui tenait à la fois, dans ses habiles
mains, les fils de la diplomatie et ceux de la police,
négociant d'une part la retraite des Prussietis, de
Vautre, saisissant lès complots royalistes du Midi et
de la Bretagtie.
La grande masse de la Convention ne voyait point
ceci. Elle était dotninée et par le souvenir du fqiiôbre
événement, et par l'estime qu'inspirait la Girpnfle,
et par sa jalousie contre Paris et la députation de Par
ris, et par l'aversion, le frissonnement nerveux que
la Montagne lui donnait. Par un tnouvement instinctif
et sans se rendre compte, le centre appuyait vers la
droite. De là, insatiablement, et comme fasciné, il
regardait cette terrible Montagne, n'en pouvait déta-
cher les yeux. Il voyait sur ces bancs la fameuse
Commune dans ses membres les plus violents, son
Comité de surveillance, de souvenir néfiiste. Les
cheSî de la Montagne n'étaient pas faits pom rassu-
33S DANTON ET ROBESPIEBRE
rer. L'inquisitoriale figure de Robesiûerre , souffre-
teux , clignotant , cachant ses yeux teraes sous ses
lunettes, était d*un sphinx étrange, qu'on regardait
sans cesse malgré soi , et qu'on souffrait à regarder.
Danton, la bouche torse, demi-homme et demi-tau-
reau, dans sa laideur royale, troublait les cœurs de
son masque tragique; quoi qu'il pût dire ou faire , sa
voix, son attitude, semblaient d'un tyran. Ce groupe
sombre, où toute passion violente était représentée,
portait à son sommet un couronnement bizarre ^ une
vision terrible et ridicule, la tête de Marat. Échappé
de sa cave, sans rapport avec la lumière, ce person-
nage étrange, au visage cuivré, ne semblait pas de ce
monde-ci. Il voyait bien l'étonnement des simples,
et il en jouissait. Le nez au vent, retroussé, vaniteux,
aspirant tous les souffles de popularité, les lèvres fa-
des et comme vomissantes ^, prêtes, en effet, à voam
< Ces lèvres expriment à merveille la facilité triviale , Fabondance
d*eaux fades et sales qui lui venaient par torrents. L'admirable portrait
de Boze (Collection Saint-Albin) donne ce trait essentiel du journaliste
intarissable. On ne le retrouve pkis dans la grande gravure au burin
(du reste excellente) qui a été faite d'après le portrait de Boie. •»
Quant au désaccord singulier qu'on voit dans les traite de Marat,
comme dans ses idées, il tient non pas seulement à son excentricité
personnelle, mais peut-être aussi an bizarre mélange de races, abso-
lument inoonciliable, qui se trouvait en lui. D était suisse d'un côté,
sarde de l'autre. Son vrai nom de famille est Mara. — ^Extrait des regî»-
tres de la paroisse de Baudry, principauté de Neufcbitel : < Jean-Paul,
fils de M. Jean-Paul Mara, prosélyte, de Cagliari en Sardagne, et de
M«^ Louise Cabrol de Genève, est né le 24 may 4743, a été bâliiié le
S juin. N'ayant point de parain, et ayant pour nnraiae M"« Cabrai
grand'mère de l'enfant. > (Copié par M. Quincbe, ministre à Baudry,
VEULENT RASSURER LA CONVENTION (il SEPT. 92). 3S5
au hasard l'injure et les fausses nouvelles, il dégoâ<»
tait, indignait, foisait rire. Mais sur cet ensemble
bizarre, on croyait lire Septembre j et Ton ne riait
plus.
Robe^ierre et Danton sentaientparfaitement qu'il
fallait au plus tôt rassurer la masse incertaine de la
Convention, repousser ces accusations de tyrannie et
de dictature qui circulaient contre eux. Rien n'avait
plus contribué à fortifier ces bruits que les paroles de
Marat, qui demandait sans cesse un dictateur. Plu-
sieurs des montagnards étaient portés à croire qu'en
effet la France ne serait sauvée que par l'unité du
pouToir placé un instant dans la même main. Parler
contre la dictature, le tribunat, le triumvirat, c'était
parler contre Marat, le désavouer, se séparer de lui.
Désavouer sur une question V homme de septembrej
c'était chose politique en ce moment, et qui pou-
vait rapprocher de la Montagne une partie de la
Convention.
Robespierre le fit avec une extrême prudence, un
ménagement extrême pour lesmaratistes. Il ne parla
pas lui-même, mais par l'intermédiaire de son jeune
ami, son disciple, le paralytique Couthon, qui siégeait
%5 janvier 4 848, et communiqué par l*obligeance deM.Carleron.) — Je
regrette de n*avotr pas eu ce renseignement, quand j*ai écrit, au t. U,
non cbaptue de Marat. — La race sarde est la même que celle de Malte
et de Tanciennc Étrurie; le type en est bizarre, et Ton s'étonne peu
de voir tant de figures monstrueuses dans les monuments de ce der-
nier peuple; les premières figures de Polichinelle ont été trouvées
Sosies tombeaux étrusques.
551 DANTON DEMANDE QU'ON GAUANTISSE
à côté de lui, et qui recevait, au vu de toils, Mn
inspiration. Couthon proposa de jurer haine à la
royauté, haine à la diclaturey à toute puissance indi-
viduelle.
Danton parla lui-même et de dériiit do ministère de
la justice. « Avant d'exprimer mon opinion sur le
premier acte que doit ftiire l'Assemblée nationale,
qu'il me soit permis de résigner dans son sein les
fonctions qui m'avaient été déléguées par l'Assemblée
législative. Je les ai reçues au bruit du cauon. Main-
tenant la jonction des armées e^l faite, la jonction des
représenthnts opérée, je tie suis plus que mandataire
du peuple, et c'est en celle qualité que je vais parler. ..
// ne peut exister de œnstitution que celle qui sera tex-
tuellement, nominativement acceptée par la majorité
des assemblées primaires. Ces vaiiis fantômes de dicta-
ture dont on voudrait effrayer le peuple, dissipons-
les. Déclarons qu'il n'y a de constitution que celle
qui est acceptée de lui. Jusqu'ici on l'a agité, il fallait
réveiller contre les tyrans. Maintenant que les lois
soient aussi terribles contre ceux qui les violeraient,
qiie le peuple l'a été en foudroyant la tyrannie;
qu'elles punissent tous les coupables Abjurons
toute exagération, déclarons que toute propriété,
territoriale et industrielle, sera éternellement mait^
tenue* »
Grande parole, habile dans la position de Dan-
ton , îiiais qui répondait merveilleusement à la
situation générale^ aux secrètes pensées de la
France.
LA PROPRIÉTÉ (SI SEPTEMBRE S)2). 35S
La France était inquiète, et rinquiétude, aprèé tes
massacres de Septembre, d'étàit pas, comtiie ou
poiiirrait croire, d^êtré massacré. La violence coiitre
les personnes n'eût menacé qu'un petit nombre. La
crainte générale était moins pour la sûreté person-
nelle que pour là propriété.
Parié craignait. Les boutiquiers parisiens avaient
va certainement avec peine le massacre des aristocra-
les; mais les vols en plein jour commis sur le boule-
vard les impressionnaient bien plus. L'épicier û'étà-
lait qu'en tremblant.
La France craignait. Dans ce mouvement immehse
des propriétés, autorisé, commandé par la loi, mille
accidents arrivaient que la loi ne commandait point.
L'inviolabilité du domaine féodal étant une fois rotn-
pue, les vieux inurs s' étant écroulés et les haies ou-
vertes, beaucoup perdaient le respect des clôtu-
res, là religion des limites; le fossé u* arrêtait plus,
la borne et le poteau étaient taoins compris du
El ce n'était pas seiilemeni Taucien propriélàîbe
qui craignait, le nouveau craignait déjà. Le paysan,
acquéreur d'hier, qui, n'ayant pas payé encore, était
propriétaire à peine, était déjà un ardent conserva-
teur de la propriété, son défenseur inquiet. On le
voyait déjà, matin et soir, sur son champ, faire le
tour avec son fusil.
Il ne fallait pas s'y tromper, une parole de Danton
<^ontre là propriété, un bavardage imprudent (comme
^vail été celui d'un maratisle aux Jacobins. V. plus
3» DAHTOR DEMANDE QITON GARANTISSE
haut) p. 219), pouvait créer en un moment des mil-
lions d'ennemis à la Révolution.
Tous voulaient la propriété et la voulaient sacrée,
ceux même qui ne l'avaient pas encore. Ils comptaient
l'avoir demaiu.
Telle était la pensée de la Révolution : Que fous
fassent propriétaires, — facilemerU, en payant peu,—
justement et solidement^ en payant de leur travail et de
leur épargne, La propriété qui nous vient gratis, com-
me en songe, s'en va, comme en songe. Donc la Ré-
volution ne donnait pas, elle vendait. Elle demandait
à l'homme de prouver par l'effort, par l'activité, qu'il
était homme, et digne de la propriété. Acquise ainsi,
la propriété est sacrée, durable comme la volonté et
le travail dont elle est un fruit légitime.
La Constituante et la Législative avaient commencé
la Liberté. Mais la Liberté n'est sûre qu'autant
qu'elle a son abri naturel, la Propriété. Telle devait
être (telle eût été, sans nos affreuses discordes) V œu-
vre de la Convention : Fonder la Propriété pour tous,
fonder le foyer du pauvre, son foyer solide, le nid
pour la famille.
Les deux propositions de Danton avaient une gran-
de portée. Elles mesuraient d'avance la carrière que
devait parcourir la Révolution. C'était elle-même qui,
dans l'ébranlement terrible où se trouvaient toutes
choses, posait son principe, marquait sa limite; son
principe^ le droit de l'homme k se gouverner libre-
ment luiHuème; sa limite^ le droit de l'homme à gar-
der les fruits de sa libre activité.
U PROPRIÉTÉ (91 SSPTEHBRB 92). 387
Entre la liberté et la propriété nulle contradictioD
sérieuse^ la propriété n'étant rien que la consécra-
tion des fruits de l'activité libre. Et toutefois l'appa-
rente opposition de ces idées faisait le danger de la
France, créait deux partis. Tel craignait pour la li-
bertè, tel pour la propriété. Ces deux pensées divi-
saient, par un malentendu funeste, et la France, et la
Convention, image de la France. Tous, aveugles, au-
tant que sincères, allaient lutter, lorsqu'ils étaient
d'accord. Danton, au premier jour, proposait de
décréter cet accord, consacrant à la fois les deux
principes dans une simple formule qui contenait la
paix.
Et cette formule de paix, offerte aux partis achar-
nés, tirait une force particulière de la bouche qui la
prononçait. C'était l'homme qu'on regardait comme
Torage même et le génie des tempêtes, qui venait, au
moment où le vaisseau était relancé à la mer, jeter,
fixer dans le granit les deux ancres invincibles aux-*
quelles s'est tenue la France.
Les partis se caractérisôrent à l'instant même. Deux
réclamations s'élevèrent en sens inverse.
Au côté gauche, le dictateur financier de la Révo-
lution, Cambon, dit qu'il eût mieux aimé que Danton
se bornât à sa première proposition, qu'il établît seu-
lement le droit du peuple à voter sa constitution.
Cambon, qui n'était nullement un ennemi systémati-
que de la propriété, voulait sans doute, dans le dan-
ger public, que le peuple eût toujours le droit de la
^ler pour le salut commun. Qu'importerait en effet
9^ il80L|n<Ni
fet cpie la propriété sphei^tàt, s» la persoBM
sait? Il se rappelait le mot si juste de Danton :
« Quand la patrie est en danger, tout appartient a la
patrie* r>
Au côté droit, du groupe qu'on nomma la Gi-
ronde, surgit le principe contraire. Le girondin La-
source soutint que Danton, en demandant qu'cm
consacrât la propriété, la compromettait. Y toa-
plier, même pour raffermir, selon lui , c'était Té*
branler* La propriété, dit-il, est antérieure à toute
loi.
La Convention décréta les deux i»ûpositioiis de
Danton, mais sous la forme suivante (sans s^expli*
qiier dans la seconde sur le droit de propriété) :
ru ne peut y avoir de constitution que lorsqu'elle
est acceptée du peuple ; i"" La sûreté des peraon*
nés et des propriétés est sous la sauvegarde de la
nation.
4 Ce n'est pas tout, dit Manuel, vous avez consacré
la souveraineté du vrai swverain, le peuple. Il faut
Iq débarrasser de son rival, le fauco s(mverain, le
roi. »
Un député objectant que le peuple seul devait en
ÎPger, Gr^oire, d'un grand élf^n de cœor ; « Certes
personne ne proposera jamais de conserver en France
la race funeste des rois. Nous savons trop bien que
toutes les dynasties n'ont jamais été que des races
dévorantes qui vivaient de chair humaine. Mais il iaut
pleinement rassi^rer les amis de la liberté. U faut dé-
Iruiro qei talisman dont la force magique serait prc^re
m LA RoiA0ft (il mnmau tt). m
k fitnpéfier epoore bieD des hommes. Je deraïuide
donc que par une loi soleonelle vous cooaacries Ta-*
bolîtion de la royauté. »
Le montagnard Bazire voulait qu'on ne précipitât
rien, qu'on attendit le vœu du peuple* Il fournit à
Grégoire une belle occasion de fouiller à fond sa pn>
pre pensée. La grandeur de la passion lui arracha du
cœur ce que son esprit n*eAt trouvé jamais, la fi3r*
mule originale qui tranchait la question : « Le Roi
eal dans Tordre moral ce qu'au physique est le
monstre, n
L'être bizarre, en effet, qui trône à la place d'un
peuple, qui croit contenir un peuple , qui se eroit un
infini, ilUi s'imagine concentrer en soi la raison de
tous, comment le classera-t-on? Est-ce un fol?
m monstre? un dieu? A coup sûr, ce n'est pas un
homme.
La royauté fut abolie. Ceux qui les premiers, en-*
traot dans la Convention , en eurent l'heureuse nou^
veUe , furent de jeunes volontaires qui partaient le
lendemain. Ils tombèrent dans le délire de Tenthou-*
siasiae , remercièrent la Convention , et, tout hoi*s
d'eux-mêmes, s'élancèrent pour répandre la nou-*
velle dans le peuple. Tout le monde sentait si bien
que le Roi c'était l'obstacle, le danger de la situation,
qu'une foule d'hommes , du reste favorables à la
royauté , part^èrent l»joie commune. I^ crédit se
releva , la banque, par la hausse des fonds, témoigefi
qu'elle jugeait que la situation s'était affermie par k|
franche déclaration de ce qui était un fait, en tant
S40 PREM1ÈRB OPPOStnON K nhSMH BT DB LA GmOHK
qu'un principe. La France, en effet, depuis plus d'un
an, se gouvernait elle-même.
L'abolition expresse de la royauté avait cela d'heu-
reux encore qu'elle ne frappait pas seulement le roi
détrôné, mais le roi possible. Le duc d'Orléans
était*il ce roi 7 Nommé membre de la ConventîoD,
il y vint siéger k point pour voter avec les autres
l'abolition de la royauté. Les intrigants néanmcms,
Dumouriez et autres» ne se rebutèrent pas encore. Au
défaut du père, ils montrèrent le fils, le firent valoir
à Yalmy, à Jemmapes, n'oublièrent rien pour le met*
tre en évidence.
Dans la seconde séance, où l'on décida que tous
les corps administratifs, municipaux et judiciaires,
seraient renouvelés, une discussion lumineuse eut
lieu entre la Gironde et Danton, pour savoir si le juge
devait être nécessairement, exclusivement, cAotst
parmi les légistes. Les Girondins, tous avocats, se
classèrent eux-mêmes ici; ils prouvèrent que, mal-
gré leurs dons brillants, héroïques, le profond génie
de la Révolution n'était point en eux.
Si la Révolution signifie quelque chose, c'est qu'en
face du droit incontesté de la science et de la réflexion,
Vinstincty l'inspiration naturelle, le bon sens du peu-
ple, ont leurs droits aussi. Au savant, au prêtre, au
légiste, la Révolution a opposé l'homme, l'a mis de
niveau avec eux. Cet homme qu'ils avaient dédaigné,
que le christianisme lui-même leur avait mis sous les
^eds comme une créature gâtée, impuissante, ob-
scureie en sa raison par le péché originel, mineure à
SUR LA CAPACITÉ DU PEUPLE & SEPT. 02). 541
jamais sous le prêtre; cet homme dont le prêtre en
lois, le légiste , se fit ensuite tuteur, la Révolution
proclama sa majorité.
Danton , avec son bon sens robuste, remit la ques-
tion sur son vrai terrain. « Les gens de lois étaient
comme lesprétres^ ditril, et, comme eux, trompaient
le peuple. »
Il fut appuyé par un de ses adversaires même , qui
avoua : « Qu'on devait désirer qu'il y eût dans chaque
tribunal un pnuT homme qui ne connût pas les lois ,
et qui imposât la simplicité du bon sens naturel à
l'habitude des praticiens. »
Thuriot aurait voulu que, dans chaque tribunal,
le président seul fût légiste, tous les membres des
prud'hommes.
Le député Osselin dit cette remarquable parole :
«Ou voulait aussi écarter l'établissement des juges*
lie-paix. L'événement a prouvé combien il était salu-
taire. Il en a été de même des juridictions consulaires.
Éclairés par ces exemples , nous devons porter le
dernier coup à la robino-K^ratie. »
Danton avait élevé tiés-haut la question, et il la
retint sur le terrain de la sagesse pratique, recon-
naissant le droit de la science et se gardant bien
de le contester, déclarant qu'il ne voulait pas écar-
ter les jurisconsultes, mais les procureurs, les ar--
tisans de chicane; qu'il fallait que le peuple pût,
au défaut (T hommes de loi patriotes j élire d'autres
citoyens.
Après une telle explication , tout le monde devait
IV. «
542 ACCUSATIONS MUTUELLBS
d'entendre , et il n'y avait plus de débat. Les Giron-
dins s'ûbstinèrent; Vergniaud parla encore, sans but,
et obtint que la proposition, acceptée &ï principe,
serait I pour les moyens d'exécution, examinée en
commission.
La lutte commencée ainsi sur le terrain spéculatif
éclata en même temps dans la grande question poUtt-
que. Du j^remier coup, ce fut moins un débat qu'un
duel.
Brissot en donna le s^nal, dans son journal, dès le
23, en disant qu'il y avait tin parti désùrgemisQteur
dans la Convention.
Le parti accusé récrimina, d'abord aux Jacobins.
Chabot assura que les Girondins voulaient établir eîi
France un gouvernement fédératif, réduire la Répu-
blique à tiiM simple fédération qui en eût été le démeiiir-
brement* -^ Cette accusatif, de peu d'importance
dans la bbuche de Chabot, prit beaucoup de poids
lorsqu'elle fut reproduite le surlendemain par Robes-
pierre au sein de la Convention.
La maladresse des Girondins fut insigne. En ré-
pense à ces attaques de là dêputation de Paris ,
ils attaquèrent Paris, qui vraiment n'était pas en
cause.
Le 24 septembre, Kersaint, Buzot, Vergniaud, sai-
sissant l'occasion de nouvelles scènes sanglantes qui
avaient eu lieu b Chàlons, obtinrent de Ht Convention
qu'on nommerait des commissaires pour préparer un
projet de loi contre les provocateurs au meurtre, et
sur «me ffarde dépariementah qu'xm dotmerait à la
DE DÉSORGAKISATIOJ» ET DE IltlUIIBRBIIENT (23 SEPT. 92). 519
dmvenHon. Déjà Roland, daos un rapport, avait iQ«*
sisté sur la nécessité de faire garder la CooTention et
de rentourer de soldaU.
Rien n'était plus impolilique qu'une telle défiance
pour Paris. Qu'estrce que Paris, sinon la France, une
population miite de tout département? Cette popula«
lion était-elle coupable pour Septembre? Nullement,
CD la TU. Si la Commune avait provoqué ou toléré le
massacre, si la garde nationale n'avait pu rien fiiire,
qui fallait-il accuser? l'Assemblée. A elle, à elle seule,
d'organiser et la commune et la garde nationale, de
manière à garantir l'ordre public.
Au défaut de la Législative, la Convention devait
le {aire. G^ était sur cette question, non sur la question
irritante d'une garde départementale, qu'on devait pla-
cer le débat. Mettre en suspicion Paris, la tôte et le
cœur de la France, c'était chose injuste, insensée» Il
fallait, AU contraire, en appeler à Paris même, lui
montrer confiance, mettre le vrai Paris en voie de
parler et d'agir, contenir la Commune si elle était
tyrannique, la replacer sous la main de la Convention,
établir ainsi Tuoité.
La Convention ne courait aucun risque à cette
époque. 11 y avait autour de la jeune Assemblée un
espoir immense. On appelait à elle de tous les maux,
on se fiait à elle, on croyait en elle. Que craignait^Ue,
Icnque le grand agitateur, le terrible tribun du peu-
pie, le futur dictateur^ Danton, venait, dès la pre.
nûère séance, se remettre en ses mains, déposer le
pouvoir, mhjwrer r^xtuféralim? Pour mieux ratinrer^
544 APOLOGIE DE DANTON,
le 25, il demanda la mort pour tout homme qui vou-
drait un dictateur.
Cette séance fut une bataille rangée. La Gironde
attaqua violemment y pêle-mêle^ avec beaucoup de
passion, peu d'habileté , trois hommes bien diffé-
rents qu'on affectait de confondre, Danton, Robes-
pierre, Marat. On les associait comme un trium-
virat possible, tel que Marat l'avait demandé en
Septembre, et tant de fois. La Gironde échoua
dans cette attaque, surtout parce qu'elle y mêla
Paris. On crut voir que, dans ces accusations vio-
lentes, elle avait surtout en vue d'emporter la
grande mesure d'une garde départementale qui
protégerait la Convention contre les mouvements de
Paris.
Danton répondit de haut, avec beaucoup de gran-
deur, et en même temps son discours fut infiniment
habile. Il désavoua Marat, et le mita part, rappelant
leur altercation et la lettre menaçante que Marat lui
avait écrite. Il replaça les choses sur le terrain du bon
sens, traitant peu sérieusement le trop fameux Ami
du peuple, l'assimilant à un pamphlétaire royaliste,
ridicule par sa violence, disant que Marat était « Le
Royou de la République » , et faisant entendre que
ses persécutions, sa cave, avaient pu lui troubler
l'esprit.
Son discours, en général, fut moins une apologie
qu'une profession de foi où il posait les principes. On
peut le résumer ainsi : Mort à la mauvaise unité/ la
dictature. Mort à la fnauvai$e liberté/ l'esprit local et
SES CONSEILS PAGIFIQCBS (25 SEPT. 92) 545
départemental Tesprit de division et de démembre*
ment. — En ce dernier points il récriminait (sans ai-
greur) contre la Gironde , et faisait craindre aux ac-»
cusateurs de devenir accusés.
« C'est un beau jour pour la nation , un beau jour
pour la République , que celui qui amène entre nous
une explication fraternelle. S'il existe un homme per-
vers qui veuille dominer despotiquement les repré-
sentants du peuple , sa tète tombera aussitôt qu'il
sera démasqué. On parle de dictature, de triumvirat.
Cette imputation ne doit pas rester vague ; celui qui
l'a faite doit la signer; je le ferais ^ moi... Ce n'est
pas la députation de Paris collectivement qu'il faut
inculper. Je ne chercherai pas non plus à justifier
aucun de ces membres ; je ne réponds que pour moi . . •
Moi, je n'appartiens pas à Paris; je suis d'un dépar-
tement vers lequel je tourne toujours mes r^ards
avec un sentiment de plaisir ; aucun de nous n'ap-
partient à tel département : il appartient à la France
entière. Que cette discussion profite à la France, —
Portons la peine de mort contre quiconque $e déclare-
rait pour la dictature ou le triumvirat.. . — On pré-
tend qu'il est parmi nous des hommes qui ont l'opi-
nion de vouloir morceler la France ; faisons disparaître
ces idées absurdes en prononçant la peine de mort
contre leurs auteurs. La France doit être un tout in-
divisible. Elle doit avoir unité de représentation. Les
citoyens de Marseille veulent donner la main aux ci-
toyens de Dunkerque. Je demande donc la peine de
mort contre quiconque voudrait détruire l'unité en
516 APOLOGIB
France^ et je propose de décréter que la ConTeotioii
nationale pose pour base du gouTernement qu^eHe ya
établir : Funité de r^iréientaUm et d^ecoéciUion. — Ce
ne sera pas sans frémir que les Autriohiens qppreiH
dront cette sainte harmonie. Àlo»» je tous le jure,
nos ennemis sont morts. »
Robespierre parla dans le même sens ^ racontant,
comme à l'ordinaire , les services qu'il avait si lonf^*
temps rendus à la libe|^vi^|^u^ 4^^ jamsùs, daas
les assemblées électorales^ en n'avait parlé d'attenter
à la propriété. 11 articula fortement le soupçon qu'un
parti voulait réduire la République « A n'être qu'un
amas de républiques fédératives. » Enfin, s'aperœvant
que son discours était froidement accueilli de l'As-
semblée, il s'adressa ailleurs, au peuple des tribunea,
se prosterna, pour ainsi dire, devant la foule, et,
tout en déclinant le titre de flatteur du peuple, fl
prétendit que, quoi qu'on dit, on ne flattait [jamais le
peuple, « pas plus que la Divinité. »
Tout cela mal reçu. Mais Robespierre Ait relevé
par Vincroyable maladresse d'un des Girondins qui
suivit.
Barbaroux s'offlrit de signer l'accusation de dicta-
ture, il rappela qu'on l'avait pressenti sur la que»-
tien de faire Robespierre dictateur. Il attaqua la
Commune, déclarant que pour Paris même, il n'avait
aucune défiance. Pourtant, il conseillait de réunir
dans une ville les suppléants de la Convention, pour
que V Assemblée subsistât, si les représentants péris-
saient à Paris. Il annonçait de plus que Marseille en-
DE ROBESPIERBB (» SEPTEMBRE 92). 347
voyait deux cents c&valiers^ liiiU cents fttntassms,
Um9 jeune$ gen$ aisé$ ^ à cAoctui desquels leurs pères
avaient dosméy wtre les chevaux et les armes, un assi*
gnat de dnq cents liwes. Quoi de plus dai^ereux qu' une
double asseoiblèel quelle occasion de guerre civile 1
D'autre part, rien de plus irritant pour Paris que
raononoe d'un tel corps aristocratique , envoyé par
Marseille pour contenir les Parisiens I
Dès TouYerture de laséance^ le girondin Lasource
avait dit durement qu'il fallait réduire Paris à tétcU
d'un département, à n'avoir que son quatre^ngt^troi^
sième d'influence.
Visiblement, ces représentants du Midi ignoraient
tous le véritable organisme de la France, le rôle que
joue le principal organe dans notre physiologie na-
tionale. La grande ville est le point électrique où
tous vienaent sans cesse reprendre Tétincelle, s'élec-
triser et s'aimanter. La France doit passer là, y re^
passer sans cesse; et chaque fois qu'elle sort de cet
heureux contact, loin de changer, qlle devient elle-
même de plus en plus, entre dans la vérité complète
de sa nature, devient plus France encore.
Un seul député du Midi se tint sur une ligne fixe et
ferme, libre des deux partis, ce fut Cambon. Il dé-
clara, au nom des Méridionaux, que tous voulaient
l'unité de la République; que si l'esprit de fédéra-
lisme, d'isolement, d'égoïsme, se trouvait quelque
part, c'était dans la tyrannie de la Commune de
Paris. Il n'attaqua point Paris, mais seulement la
Commune.
548 APOLOGIE
Veif;iiiaud de même évita cet écneil commun des
Girondins. Il ménagea Paris. Il n'attaqua pas la Com-
mune en masse, ni la députation de Paris indistÎDCte-
ment ; il reconnut qu'elle contenait de bons citoyens,
le vénérable Dussaulx, le grand artiste David et d^au-
tres encore. Il fr^[>pa droit sur Robespierre, rappela
que dans T affreuse nuit du 2 au 3 Septembre, il
avait supposé un grand complot, affirmé que Bris-
sot, Yer^niaud, Guadet, Condorcet^ livraient la
France à Brunswick... Quelqu'un démentant Ver-
gniaud, il ajouta avec une modération qui n'étaitque
plus accablante : « Je n'ai jamais proféré, au sujet de
Robespierre, que des paroles d' estime.. • Aujourd'hui
encore, je parle sans amertume; je me féliciterai
d'une dénégation qui me prouvera que Robespierre
aussi a pu être calomnié... » Et il attendit.
Le moment était venu pour Robespierre de s'ex-
pliquer sur son discours du 2 Septemlure, et de s'en
laver k jamais. Son adversaire déclarait qu'il Ven
croirait sur sa parole. C'est alors qu'il devait nier,
devant la Convention, devant la France et l'histoire,
et non comme il fit tardivement, hors du débat,
dans un de ses longs discours. Il ne répondit rien à
Yergniaud, accepta l'accusation et garda la tache;
il la garde pour l'avenir.
Yergniaud rappela aussi, lut l'effroyable circu*
laire, signée Marat, Sergent, Panis, au nom de
la Commune, et envoyée par toute la France pour
étendre à toutes les villes le massacre de Paris. Un
frémissement d'indignation parcourut l'Assemblée;
DB MARAT (8S SBFTEIfBRB 9S). 34»
mais les mormures devinrent des cris, des clameurs
de réprobation y lorsqu'un député tira de sa poche
un article de Marat, daté du 21 septembre, et publié
le 22. Il y déclarait qu'il n'y avait rien à espérer de
la Convention, qu'il fallait encore une insurrection;
qu*aatremenl on devait s'attendre à cinquante ans
d'anarchie, et qu'on n'en sortirait que par la dicta*-
tare. Il finissait par ces mots cruellement si^ificatife,
au lendemain de Septembre : « Oh ! peuple babillard,
si tu savais agir!»
Pris ainsi dans ce cri de meurtre, et comme la
main dans le sang, Marat devait être atterré. Il en fut
tout autrement. Lui qui toujours s'était caché, il pa*
rut heureux de se montrer au grand jour ; il accepta
hardiment la lumière et le défi. La créature de ténè-
bres vint s'étaler au soleil, souriant de sa vaste bon-*
che, ayant l'air de dire à ceux qui (comme M** Ro-
land) doutaient si Marat était un être réel : a Vous en
doutiezT le voici. »
Sa seule présence à la tribune souleva tout le
inonde ; elle en paraissait souillée. Cette figure large
et basse qui dépassait à peine de la tète et de la poi-
trine et s'étalait en largeur, ces mains grasses,
épaisses, qu'il plaquait sur la tribune, ces yeux proé*
minents, ne donnaient point l'idée de l'homme, mais
bien plutôt du crapaud... «Âbas! à bas!» criait-
on. Lui, sans se déconcerter : « J'ai dans cette
Assemblée un grand nombre d'ennemis » —
«Tous! tous! » s'écrie l'Assemblée, en se levant
presque entière. Cela même ne l'émut pas. Lan-
S8Q AMtoeip
çant outra^ ponr outrage : < Jo vous rappelle à la
pudeur* •• »
Marat élait audacieux , mais nullement brave. Ce
qui Tmliardissait ici, c'est qu'il savait paifaiteoient
qu'il parlait sous les yeux des siens. La bataille était
prévue ; quelques paroles imprudentes de Barfaaroux
aux Jacobins l'avaient annoncée la veille. Les mara-
listes, avertis, avaient rempli les tribunes; ils sen-
taient bien que c'était le procès de Septembre qui se
faisait, et le leur. Tout ce qu'il y avait d'hommes
compromis étaient venus voir si la Convention oserait
entrer, par la punition de Marat, dans les voies de la
justice. Lui Trappe , ils pensaient bien qu'on irait à
eux. On les connaissait en grand nombre, par noms,
professions, adresses. Ces gens-là devaient périr avec
lui, ou triompher avec lui. Sa destinée était la leur.
Qu'on juge s'ils furent exacts à occuper les tribunes !
Dès la nuit, ils étaient aux portes, faisaient queue,
se reconnaissaient, triaient la foule, en quelque sorte,
maltraitaient et supplantaient tout homme d'un autre
parti ; s'ils laissaient passer quelqu'un qui ne fût pas
de leur bande , c'était quelque ouvrier des métiers
inférieurs, quelque simple, qu'ils faisaient bientôt
des leurs. Le costume bizarre de Marat, son oollet
gras, son cou débraillé, faisaient bon effet sur ces
gens. Ils ne jugeaient pas aisément de tout ce qu'il
y avait là d'ambitieux dans la négligence et d'osten*
tation dans la saleté.
Marat fut bien plus babile qu*on ne l'aurait at*
tendu ; ses paroles furentparfaiteroent calculées pour
DE MARAT (tt ««TEIIBRE 92). SKI
las tribunes. Il glorifia Septembre : « Me ferez^Toas
un crioie d'avoir provoqué sur la tôte des traîtres la
hache vengeresse du peuple? Nop; sivousTimpu-
tîet à crime, le peuple vous démentirait : car^ obéis-
sant à ma voix , il a senti que le moyen que je lui
proposais était le seul pour sauver la patrie , et, de*
veoa dictateur lui-*méme, il « $u se déb^rri^fier des
traîtres» »
Ce fut une grande surprise pour l'Assemblée , uo
effet cruel de remarquer que ces paroles exécra*
blés étaient accueillies d'eu haut par les assistants
Aveo un murmure flatteur; elle vit avec horreur
que Marat n'était pas seulement à la tribune, mais
qu'il était sur sa tète, qu'elle siégeait eqtre Marat et
Marat.
Un des Girondins, plein d'indignation, n'y tint pas
et voulut sortir. L'officier de garde lui dit : « Ne
sortez pas» je vous prie , ne vous montrez pas, mon-
sieur. Tous ces gens*là sont pour lui ; s'il est dé-
orété d'accusation, le massacre recommencera ce
soir. M
Marat, de plus en plus fier, se prélasse à la tribune :
« La dictature ! dit-il ; mais Danton, Robespierre, les
autres, en ont toujours improuvé l'idée. Elle est
mienne ; on a tort d'accuser la dépulation de Paris;
IHncHipcuion n'a nulle eauleur , $i ce n'est parce que
fensuiêtnembre... Oui, moi-môme j ai frémi des mou*-
vements désordonnés du peuple; j'ai demandé qu'il
nommât un bon citoyen , juste et ferme, mais qu'on
lui mtt en quelque sorte un boulet aux pieds , qu'il
s» APOLOGIE
n'eût d'autorité que pour abattre des tètes... (Mwr-
mures.) Si vous n'êtes pas encore à la hauteur de
m'entendre, tant pis pour vous... »
Puis, après avoir ainsi naïvement fait comprendre,
dans sa vanité incroyable, qu'il voulait un dicta*
teur et pour dictateur Marat, l'étrange candidat,
se recommandant à l'admiration des tribunes, mon*
tra sa casquette crasseuse, ouvrit ses sales vête-
ments : «M'accuserez- vous d'ambition T voyez-moi et
jugez-moi...»
Remarquant pourtant l'horreur de la Convention,
et craignant le vote, il soutint que le numéro paru
le 22 avait été écrit dix jours auparavant, avait paru
en affiche , et que c'était par erreur qu'on l'avait
réimprimé. « Lisez, dit-il, mon premier numéro du
Bépublicain, vous y verrez l'hommage que je rends à
la Convention pour ses premiers travaux , vous y
trouverez la preuve que je veux marcher avec vous,
avec les amis de la patrie. »
Ce numéro, dont on fit lecture, ne contenait rien
de tel. Marat y accusait cruellement, en promettant
de ne plus accuser. Il y avait, entre autres choses :
« J'étoufferai mon indignation, en voyant les me-
nées des traîtres j'entendrai sans fureur le récit
des vieillards et des enfants, égorgés par de lâches
assassins, etc. , etc. » Cette déclamation sanglante
commençait ridiculement par une apostrophe copiée
de la Marseillaise : Amour sacré de la pairie! avec un
développement sentimental dans le style de la Nau^
velle Héloïse.
DE MARAT (25 SEPTEMBRE 92). 355
La lecture de cette pièce, nullement justificative,
fut suivie d'une comédie-pitoyable que la Convention
dut endurer encore par égard pour les tribunes, qui
la prirent au sérieux. Marat parut s'attendrir : «Voilà
donc le fruit de trois années de cachots et de tour-
ments ! le fruit de mes veilles et de mes souffrances!..
Quoi doncl si ma justification n'eût paru, vous m'au-
riez voué au glaive des tyrans? Cette fureur est in-
digne d'hommes libres; mais je ne crains rien sous le
soleil... • (Là, il tira un pistolet de sa poche, se l'ap-
pliqua au front). Je déclare que, si le décret d'accu-
sation eût passé , je me brûlais la cervelle au pied de
la tribune. » Beaucoup rirent, beaucoup s'indigne-
rent; le charlatan venait d'imiter à froid le mouve-
ment bien connu des deux jeunes marseillais qui, la
veille du 10 août, à l'Hôtel-de-Ville, se mirent le pis-
tolet au frrat, menaçant de se tuer» si on ne leur
donnait des cartouches.
Les tribunes admirèrent, mais dans la Convention
le dégoût arriva au comble; plusieurs ou se détour-
nèrent, ou montrèrent le poing, criant : « A la guil-
lotine !» Lui, impudemment: «Eh! bien, je resterai
parmi vous pour braver vos fureurs*.. ^
L'Assemblée était fatiguée. Le centre craignait les
tribunes ; il passa tout entier à gauche. Un homme
de Septembre, Tallien, demanda « Qu'on fit trêve à
ces scandaleuses discussions, qu'on laissât les indivi-
dus. » Il obtint l'ordre du jour.
On décréta la seconde proposition de Danton : «La
République française est une et indivisible. i>
354 APOLOGIE DB LA COMONE, ttUI DÂS4V0UB
Sa première proposition (Pétrie de mort pour çnt-
conque proposerait la dictature) ne fut point déerètde.
L'ordre du jour fut demandé par Chd)ot, oIi^qu.
Beaucoup croyaient appamniment qu'en une crise »
violente une dictature temporairB serait peut-être
après tout le seul remède efficace.
Les Girondins avaient échoué dans toutes leurs
attaques ; Marat même avait échappé. Cette séanoo
violente eut pourtant un grand résultat. Paris fut
ému. Le jugement sur Septembre^ pour n'avoir pas
été formulé par la Convention, n'en fut peut^re que
plus fortement porté dans les cœurs. Les adversaires
de Septembre avaient échoué dans la salle, sous la
pression des tribunes maratistes, et par la faiblesse,
peut'-étre par l'envie du centre. 11 en fut autremeal
dans la grande foule du peuple, dans les masses indé-
pendantes, dans la libre opinion. Là, la Gironde eut
sa couronne, la victoire de l'humanité.
Le soir même, une députation de la Communevinl
à la barre de la Convention faire amende honorable,
désavouant les commissaires maralistes envoyés sous
son nom dans les départements, et soutenant qu'ils
n'étaient chargés que de propager Vunion fratemelk.
La Commune allait jusqu'à dire : t Nous vous dé-
nonçons le Comité de surveillance de la ville. H a agi
à notre insu. Nous avons révoqué une partie de ses
membres, nous vous abandonnons le reste. Cest à
vous de les punir. »
L'humanité était vengée, Septembre nié et dénoncé
par la Commune du 10 août.
LES HOJIJIES DE SEPTEMBRE (25 SERT. 92/. 3S5
Le 10 août et le 2 septembre^ la honte et la gloire,
ue pouvaient plus se confondre ; la conscience pu-
blique était raffermie sur la base invariable de la mo-
rale éternelle.
CHAPITRE IV
LA GIRONDE COKTKE DANTON.
Septembre^ictobre f S.
La Gironde croit voir Danton toacher à U tyrannie. — Li Giron^, josqM-
là démocnliqae, a*«ppQie rar la boargeottie contre la dlcutnre. — Les
Jacobins prennent le poste qa*occupait la Gironde^ FavaDlr^arde ds
mouYement vers régalité. — L'incapacité praliqne des Girondias avait
obligé Danton à prendre le pouvoir. — Les Girondins pearsniTeat Danton
comme complice de Septembre. — Ils poursuivent Danton et la GommoBc,
pour infidélité dans le maniement des deniers publies.— Danton ne peut rea-
dre compte de ses dépenses secrètes. — Comment Danton avait saisi, arrêté
la grande conspiration de TOuest. — Comment Danton avait négocié Pévarua-
tion du territoire. — Dumouriex à Paris (12-16 octobre 9S). — > Danton at
Dumouriex veulent se concilier la Gironde. — Dernières avances de Damaa
aui Girondins (fin d'octobre). — La Convention, en réalité, n*élait point en
visée sur les questions alors actuelles.
Le dernier vole de la Convention était propre a
faire songer: Elle avait prononcé l'ordre du jour sur
la proposition de porter la peine de mort contre qui-
conque parlerait de créer une dictature. Quoique la
proposition eût été faite et appuyée par les chefs de
la Montagne, les Montagnards en général avaient
voté l'ordre du jour. Chabot avait prétexté le respect
pour la souveraineté du peuple, soutenu que la Con-
vention n* avait pas le droit de prescrire au peuple sou-
i)erain une forme de gouvernement. Un tel argument
allait loin. Il n'allait pas à moins, si Ton voulait, qu'a
défaire ce qu'avait fait le 10 août, à rendre illusoire,
LA tilROMD£ CROIT VOIR DAKTON TOUCHER A LA TYRANME. 357
au bout de trois jours^ le décret du 21 septembre,
TaboIitioD de la royauté.
Les Girondins se confirmèrent dans leurs soupçons
sur la Montagne, dans l'idée que par Tanarchie elle
allait à la tyrannie, que le seul Marat avait exprimé
sincèrement la pensée de tous.
«Mais Marat même a-t41 tout dit?.. Rappelez-vous
qu'au 21, lorsque l'Assemblée votait d'enthousiasme
l'abolition de la royauté, un seul bomme réclama,
dit « Qu'il serait d'un exemple effrayant de voir l'As-
semblée décider dans un moment d'enthousiasme. »
Cet homme si prudent était un des plus violents
montagnards, Bazire, ami de Danton. »
On avait vu paraître, en pleine lumière, dans la
grande bataille du 25, les trois hommes qu'on appe*
lait les triumvirs de Septembre. Mais on ne les con«*
fondait plus. Marat décidément semblait impossible.
L'ancien charlatan de place, le vendeur d'orviétan,
avait si bien reparu dans son premier rôle, que le dé-
goût, la risée, avaient dominé l'horreur. Robespierre
n'avait pas brillé; ses flatteries aux tribunes, son
principe « que jamais on ne peut flatter le peuple »,
avaient été froidement accueillis de ceux même aux-
quels il les adressait. On n'ignorait pas son ascendant
sur les sociétés jacobines ; mais ces sociétés elles-mê-»
mes, malgré l'avis de Robespierre et ses vaines pré-*
dictions , devenaient favorables à la guerre. Vaincu
sur cette question éminemment nationale, l'advei^
saire de la guerre, réfuté par la victoire, semblait
impossible, au moins pour longtemps.
IV. **
}
998 LA OMIIDE GBOIT VOIR UUilW
Danton avait paru bien autremeot habile dans la
fameuse séance. Son apolog» adroite» d'une bm-
homie apparente , n'en avait pas moins eu oe carac-
tère d'audace et de grandeur qui marquait toutes
sM parolds. Redoutable politique qui, tout en restant
à Tavant garde de la gauche et le chef des ▼iolenfs,
prenait ascendant sur les modérés. C'est là ce qoi fai-
sait rêver les Girondins et les remplissait de crainte.
Ils croyaient voir Danton toucher à la tyrannie. < Ne
l'avez** vous pas vu, disaient-ils, saisir, dès le premier
jour (lui DantonI lui ami des plus hardis spoliatewsl),
l'initiative de réclafMr des garanties pour la pro*
priété, devançant ainsi la droite et nous enlevant le
mérite d'exprimer les premiers la pensée publique?
Ce jour aussi, au moment où il quitta le pouvoir^ ab-
diqua, d'une si royale attitude, n'avons^^ous pas senti
tous qu*it le gardait, ce pouvoir, et ne pouvait plus
descendre! >
Telles étaient les terreurs des Girondins, telle la
base des romans incroyables qu'à £orce d'iraagina^
tion, de passion, de rêves ^ de peur, ils se faisaient
sur Dftnton.
C'était au reste un caractère commun des deui
côtés de l'Assemblée. L'excès de la passion avait pro*
duit le même effet. Tous étaient devenus prodigieu--
sèment Imaginatifs, soupçonneux, crédules, saisis des
moindres lueurs « et, saisis une fois, ils ne retrou*
vaient plus^ dans leur raison ébranlée, assez de force
pour en revenir. Beaucoup, dans ce vident état d'es-
prit, étaient vériteblement malades de coq». Le
TOCCHBR k LA TYRAHmB ^SSrT.-OCT. 92). S{t9
type de ces malades, Robespierre, était à la gauche;
mais plusieurs , à droite, ne souffraient pas moins.
Plusieurs, qui ne parlaient pas, passaient de longues
séances, les yeux fixes sur leurs adversaires, mai*
grissant à les regarder, blêmissant et s'épuisant à
les deviner, croyant pénétrer leurs pensées, et sur
UD mot, sur un geste, se créant les plus terribles
systèmes.
La double énigme sur laquelle ces malheureux
Œdipes tendaient toutes leurs facultés divinatrices ,
c'étaient Robespierre et Danton. Sur le premier, ils
étaient arrivés à l'idée juste qu'il était absolument in-
capable , comme action ; mais ils en tiraient l'idée
fausse qu'il ne serait qu'un instrument dans la main
de son puissant rival. Plusieurs étaient d'avis, pour
cela même, de briser cet instrument, d'attaquer d'a-
bord Robespierre. D'autres, croyant voir Danton si
près de la tyraanie,nevoulaientpasperdre un moment
pour le démasquer. Tous, à force d'y songer, ils s'é-
taient fait de l'avenir un roman étrange, qui montre
combien les esprits les plus raisonneurs, une fois dans
la passion et mettant le raisonnement à son service ,
peuvent aller loin dans l'absurde. Sans doute aussi, la
terreur du 2 Septembre, les ombres de ces nuits san-
glantes où chacun fut mortducoBur, ne contribuaient
pas peu à obscurcir les esprits, à les tenir faibles et
troubles, à l'état de rave.
Il semble que la Montagne et les hommes de Sep-
tembre se soient mêlés, dans ces ininginations nuH
lades, avec la fiuneuse histoire du Vieux de la Mon-*
jtM) LA 4;iR0NIIE CBMT VOIR DANTOX
tagne et des Assassins. Selon eux, dès 89, un vaste
système de crimes avait été conçu au profit de la
maison d'Orléans. Par quiT Le profond inventeur
était, selon eux, Laclos (le futile auteur des Liai^
sons dangeretises). Lafayette et Mirabeau, unis en-
tre eux intimement (I), avaient été les agents du
complot; ils avaient envoyé Orléans en Ai^leterre
pour arranger tout avec Pitt. « Danton, Marat,
les Cordeliers, qui dressent au meurtre Tannée des
septembriseurs, égorgeront un matin le côté droit
tout entier, feront roi le duc d'York. Orléans assas*
sinera cet Anglais , mais sera assassiné par Marat,
Danton , Robespierre. Lequel restera des trois? Le
plus habile, qui tuera les deux autres, sera roi... Ce
sera Danton, n
Ce terrible échafaudage de folies n'étonnait per-
sonne. On le jugeait vraisemblable , et chacun, en y
rêvant, trouvait bien quelque fait à Taj^ui qui le
rendait tout-à-fait sûr. Si quelqu'un des GironiUns
contestait, c'était pour établir un autre roman, non
moins absurde. Le seul qui gardât sa tète froide, et
fit des objections, était Condorcet; mais on ne Té-
coutait guère.
Ce qui était vrai et positif, c'est que Danton, en
lâchant le ministère, n'avait rien lâché; il ne gar-
dait aucun titre, mais tout ce qu'il y avait de force
dans la grande dissolution s'était instinctivement con-
centré autour de lui. Il conservait les fils de la diplo-
matie et de la police ; il semblait tenir Paris et tenir
Tarmée. Il avait paru diriger Dumouriez dans la
TOUCHER A LA nilANNIE (SEPT.-OCT. 92). 36i
campagne^ et il semblait aussi diriger les Prussiens
dans la retraite, u^ocier, les armes à la main, Téva*
cuation du territoire. A l'intérieur, une foule d'hom-
mes compromis croyaient trouver leur sûreté sous le
patronage de Danton ; il les avait défendus, en se di*
sant leur complice. Ils lui appartenaient, ces hom-
mes; on ne le rencontrait guère sans les voir autour
de lui j recueillant avidement sa parole , attendant
son signe. Ils lui faisaient une cour, sans compter le
peuple curieux, qui toujours venait derrière , le sui-
vait, l'aimait, Tadmirait. À le voir ainsi entouré, on
pouvait croire que le dictateur n'était plus à trouver,
qu'il existait déjà, ce roi de l'anarchie.
Les Girondins se croyaient les fondateurs de la Ré»
publique ; ils la défendaient contre la dictature, non-
seulement wrec patriotisme, mais avec un amour-
propred' auteur. Quoique Camille Desmoulins, dès89,
en ait eu dans la presse la brillante initiative, quoique,
selon quelques-uns (voy. Hém. de Garât), Danton,
le mattre de Camille, en ait eu la première et pro-
fonde conception , cependant c'étaient les écrivains
girondins qui , au moment décisif, en 91 , avaient
emporté dans l'opinion l'abolition prochaine de la
royauté. Leurs mystiques, Fauchet et Bonneville,
dans la Bouche-de*fer, leurs raisonneurs, Brissot,
Condorcet, Thomas Payne, y avaient converti le pu-
blic , et jeté, en réalité, la première pierre de la Ré-
publique. Les Jacobins, Robespierre, s'étaient tus sur
la question. Les Cordeliers se déclarèrent républi-
cains, mais non tous 1^ Cordeliers, non pas les plus
3M LA CmONOB, JU6QinS<^LA DÉMOCRATIODB,
influente; Mant, Danton, dans leurs vagues et violen^
tes paroles, ne prirent point nettement parti.
La Gironde, en la République, croyait défendre son
OEluTre contre la dictature et la royauté qui reTenaît
pdr l'anarchie;
Contre la royauté do Danton, de Paris et de sa Corn*
muDO) de la populace;
Contre la royauté de Robespierre et des sociétés
jacobines, sociétés jusque-là bourgeoises, nousTavons
vil , mais qui alors s'élargissaient et ne repoussaient
plus le peuple.
Les Girondins avaient eu jusque -Ih, pour les classes
inférieures, pour la totalité du peuple, une confiance
admirable. Bourgeois la plupart, mais avant tout
{âiilosophes , imbus de la philosophie généreuse du
XVni* siècle , ils avaient d'abord appliqué d'une ma*-
nière absolue, sans réserve, la pensée de l'égalité
qu'ils portaient au cœur. Od le vit, en 90, d'une
manière éclatante dans les villes où ils régnaient,
à Bordeaux et à Marseille. On organisait partout la
garde nationale , à l'instar de Paris, à la Laiayette ; on
recommandait l'uniforme. Ces nobles cités^ alors sous
l'inspiration du futur parti girondin, déclarèrent cette
distinction odieuse, propre à créer des rivalités, des
haines; point d'uniforme, un ruban suffisait, un sim-
ple ruban tricolore pour se reconnaître, signe peu
coûteux que les riches et les pauvres pouvaient porter
également.
La Gironde, toute-puissante dans Thiver de 94, an
printemps de 92, était fidèle à ces doctrines; c'est
rA^POlK ftim LA 1IOimfiE(H9S COIITBB U DIOTATURE. 385
elle qui , de gré ou de fiMrce, malgré la résistance des
Jacobins, mil sur toute tète, en France^ le bonnet de
TËgaltté, le simple bonnet de laine rouge, que por*»
tiut généralement le paysan avant 89 , et qui , le
20 juin 92, fut mis sur la tète des rois.
Et la Gironde ne s'en tint pas au signe; elle réalisa
Tégalité, autant qu'il fut en elle, Tégalitô delà force^
en donnant à tous des armes; elle seconda le grand
élan national de la guerre; au défaut de fusils, elle
autorisa tout le monde à forger des piques. Elle com-
prit la guerre, sous ses deux aspects les plus saints
(par lesquels la guerre est la vraie mère de la paix),
comme une généreuse croisade de la liberté pour af*
franchir toute la terre, et comme l'épreuve légitime
de la France nouvelle, l'initiation universelle du peu*
pie à l'égalité, l'anéantissement de l'ancienne aristo*»
cràtie. La vraie manière de détruire la noblesse, c'é*
tait de la donner à tout le monde, de ceindre h tous
l'épée» En cela, la Gironde avait vraiment saisi la
pensée de la France. Personne, presque personne,
n'imaginait l'égalité des biens ; peu comprenaient Té*
galité des lois; tous voulaient, désiraient réalité sous
le drapeau.
Voilà les précédents de la Gironde ; il lui suffisait
d'y rester fidèle.
Par quel étrange et subit revirement la voyousr
nous, après Septembre, s'éloigner peu à peu du grand
poste qu'elle a occupé jusqu'ici dans la Révolution ,
l'avant-garde de régalité?
Fatal rapprochement. Marseille, en 90, va jusqu'à
?S6i LKS JACOBINS PRBNKENT LE POSTE O^'OCCrPAIT LA GlRONlkE,
repousser T uniforme de la garde nationale comme in-
signe d'aristocratie. Marseille, eu 92, prononce à la
Convention la menace aristocratique d'un corps de
huit cents jeunes gens riches, qu'elle envoie pour
mettre Paris à la raison*
Mais c'était le contraire exactement qu'il eût fallu.
Pour garder la Ck)nvention, empêcher les massacres,
prévenir les pillages, pourquoi appeler des riches? Il
fallait des Français quelconques ; ou, si l'on voulait
absolument choisir , il fallait choisir des pauvres , et
faire appel à Thonneur.
Mous analyserons plus tard l'élément aristocra-
tique qui se trouvait dans la Gironde, et l'élément lé-
giste^ et l'élément municipal, le patriciat nobiliaire ou
mercantile des villes du Midi. Notons ici seulement
l'erreur qui lui troubla la vue, la fit incliner peu à
peu en ce sens : elle crut voir la propriété en pé-
ril. Malgré de grands désordres accidentels, il n'y
avait rien à craindre; au contraire, la propriété,
communiquée à tous, prenait une base plus ferme
(parce qu'elle était plus large) qu'elle ne l'eut ja-
mais. Sous l'influence de cette erreur , la Gironde
appela au secours contre la dictature, contre les lois
agraires que le dictateur aurait pu porter, les riches
et les gens aisés ; elle se fia aux intérêts mobiles et
variables qui le lendemain pouvaient trouver leur
compte à ramener le Roi ; en sorte que, pour repous-
ser la royauté révolutionnaire, elle, s'appuyait sur une
classe, qui, d'une pente infaillible, inclinait à la
rovauté.
L'AVANT-GARUB DU MOUVEMENT VERS L'ÉGALITÉ (SEPT.-OCT. 92). 36â
Barbaroux , dans son étourderîe provençale, met-
lait tout ceci en lumière. II dit contre les siens , le
25 septembre , plus que n'auraient espéré leurs plus
cruels ennemis. 11 avait montré à ceux*ci la place
vulnérable où ils pouvaient le mieux frapper.
Il sembla avoir dicté à Robespierre le programme
du nouveau journal que celui-ci fit paraître peu de
Jours après (Leitres à ses commettants, à tous les Fratir
çais). Il y disait : « Ce n'est point assez d'avoir renversé
le trône; ce qui nous importe , c'est d'élever sur ses
débris la sainte égalité... Le règne de Tégalité com-
mence. 1» Pensée juste, vraie, qu'il développait avec
noblesse et grandeur. Il était moins heureux quant
aux moyens d'établir cette égalité : c Comment l'ob-
tenir? En protégeant le faible contre le fort. Or, ce
qu'il y a de plus fort dans l'État, c'est le gouverne-
ment... » Il en concluait que le grand objet des lois
constitutives est de lutter contre le gouvernement;
conclusion triviale, et qui n'en est pas moins fausse,
qui ferait de l'État un simple combat , une chose
exclusivement polémique et négative, sans positif et
sans substance, sans féconde vitalité. Ce serait reve-
nir par un autre chemin aux pauvretés de la politique
anglaise , qui réduit tout à une certaine idée d'op-
position et de garantie.
C'est ainsi que la Gironde, après avoir été, spé-
cialement au printemps de 92, le vrai parti natio-
nal, le parti de l'égalité, abandonna ce rôle, le lais-
sa prendre k ses ennemis, k la Montagne, aux
Jacobins.
306 L*lllCAPAaTÉ PRATIQUE 0Bft CIKONDiNS
L'iDcaptctté de ce parti se réYélait tous les jours
par le singulier contraste de sa position dominante-
et de sa complète impuissance. Il ayait la majorité au
ministère et dans la Convention ; il venait d'en nooH
mer le président, les secrétaires. Dans Tadministn-
tion > il donnait toutes les places. Il dominait la
Presse, tenait la plupart des journaux. 11 semblait
avoir ainsi les deux armes les plus fortes, raatorité,
la publicité. Il avait tout, et il n* avait rien. Il n'avait
nulle prise sérieuse; il avait la main sur le pouvoir,
et ne pouvait le serrer. Il devenait nul dans les clubs;
pourquoi? Des clubs girondins auraient été iosnffi*
sants contre la conspiration ecclésiastique et roya-
liste qui éclatait dans l'Ouest, et qui menaçait par-
tout. Le même parti, toujours dissertant et délibé-
rant, lié par la légalité, s'était trouvé inhabile à sai-
sir le fil de la grande police politique. Danton le leur
mit dans les mains, comme on va voir tout à l'heure,
et, les trouvant incapables, fut obligé de le prendre,
de s'entourer d'hommes quelconques, et d'agir à
part.
Ils n'avaient pas su prendre le pouvoir, et ils ne
pardonnaient pas à Danton de l'avoir et de le garder.
Ils s'acharnèrent à lui, s'attaquèrent imprudemment
à l'homme qui représentait éminemment le génie ré-
volutionnaire^ le génie de l'action, celui du salut pu-
blic, essayèrent de le perdre. Cette entreprise diffi-
cile, impossible, était-elle désintéressée, inspirée
d'un pur et irréprochable zèle de justice? On pourrait
en douter. Danton était leur vrai rival d'éloquence^
AVAIT OBLIfffi DANTON DB PHINDRE LE POm^OIR. SK7
comme d'influence. Seul^ dans la grande crise i ii
semblait n'avoir point désespéré du salut de la pa-
trie. M. et M''' Roland, justement en proportion de
leur grand courage, étaient mortifiés de n'avoir pas
égalé Taudace de Danton au jour du péril, d'avoir
été neutralisés, de n'avoir pu rien faire. C'était un
malheur pour euX) pour la Gironde , il fallait s'en
consoler. Et il fallait savoir aussi que sur l'homme
qui fut plus heureux, qui resta debout dans l'abatte*
ment universel, ii resterait toujours un sceau de gloi-
re, de génie, de courage, que rien n'efiacerait jamais.
La France, quoi qu'il arrivât, n'abandonnerait pas
l'héroïque gardien de sa fortune en péril , dans son
plus terrible jour.
Danton avait dit le 21 septembre : « Dépouillons
l'exagération,.. Consacrons la propriété. » Et le 25 ,
il avait expressément désavoué Marat.
II ne pouvait aller plus loin sans perdre la grande
position où il pouvait le mieux servir, sauver la Ré-
publique , sa position d'avant-garde, son rôle de chef
des violents. Il était trop heureux qu'il se trouvât un
homme d'un si grand esprit pour remplir ce rôle , un
homme qui, sous la violence des paroles et la gesti-
culation menaçante , gardât une tête politique prête
à accueillir toute chose raisonnable. Il n'était nulle-
ment ennemi des Girondins, et ne voulait point la
guerre avec eux. Dés son premier discours, on l'a
vu , il essaya de les ramener. C'était une occasion
précieuse d'éloigner Danton de Robespierre. Un par-
ti hors des partis se serait créé dans la Convention,
368 LES GIRONDINS HARCÈLENT
non le parti des faibles et des impuissants , comme
était le centra , mais celui des forts , celui du génie,
en tête les deux hommes qui restèrent indépendants
des leurs même, Danton et Vergniaud. Joignez-?
Cambon, Carnot et autres hommes spéciaux qui,
par eux-mêmes, étaient des forces , qui ne voulaient
point s'enrégimenter, qui n'allaient point aux Jaco-
bins. Condorcet, Barrère, bien d'autres auraient pu
s'en rapprocher, beaucoup d'hommes impartiaux,
qui n'aimaient ni la Gironde, ni la Montagne, qui
les suivirent malgré eux , mais qui auraient voulu ne
suivre de parti que la France, la Révolution, dégagée
de ses mauvais alliages. J'entends par ce dernier mot
l'esprit formaliste et disputeur des uns , le phari-
saïsme des autrts ou leur aveugle furie, les haines
envenimées de tous.
Il fallait, & tout prix, accepter, adopter Danton.
Il avançait d'un pas, il fallait en faire deux vers lui.
Il désavouait Marat, cela suffisait. Pour tout le reste,
qu'il lui convint ou non de couvrir de son grand nom
la Commune de Paris, il fallait fermer les yeux. Se
proclamàt-il coupable , il fallait ne pas l'en croire ,
passer outre , le laisser être ou paraître ce que sa
nature et sa politique demandaient qu'il fût , le vio-
lent des violents ; ne pas exiger follement qu il cessât
d'être Danton, mais demander qu'il le fût tout à fait»
qu'il mêlât sa générosité d'homme et sa magnani-
mité à sa violence de parti.
Les Girondins n'eurent point cette pénétration,
ni ces ménagements justes et politiques. Il eut
ET POURSIÎIVEKT DANTON (SBP1.«0CT. M). 369
beau avancer vers eux, ils se défièrent de lui. Pour
se faire croire, il eût fallu qu'il se compromit, se
perdit du côté de la Montagne, désarmât, devint
inutile.
Longtemps après, un jeune représentant de la
gauche, insistant auprès de lui, lui disant qu'il y au-
rait moyen de ramener le côté droit , Danton lui dit
d*uu air sombre : « Ils n'ont pas de confiance. » —
Et le jeune homme, insistant, n*en tira pas autre
chose : c Non, répéta Danton, ils n'ont pas de con-
fiance. »
Tragique réponse et trop vraie I... Elle contient à
elle seule l'histoire de la Convention, sa funèbre des-
tinée, et celle-ci à son tour contient en puissance la
triste iliade de tous nos malheurs, la liberté compro-
mise, et pour longtemps, tant d'arguments terribles
que la Révolution a fournis contre elle-même. Tout
fut dans ce fatal divorce : « Ils n'ont pas de con-
fiance. » Je n'ai pu tracer ces sombres paroles, sans
que tous les maux de la patrie ne revinssent à mon
souvenir et ne me rentrassent au cœur, amassés d'un
même flot...
Accueilli dans la Convention de regards hostiles et
de mots amers, harcelé par les journaux, Danton fit
la guerre malgré lui. Chassé, poussé, acculé, le san-
glier riposta par d'obliques coups de défense qui don-
naient la mort. Le premier coup qu'il rendit, ce fut
au 29 septembre, lorsque Roland, nommé député, se
démettait du ministère et qu'on proposait de l'inviter
à rester ministre. Danton lança un coup de dent* Il
no LES GIROMDIMS POimSOlVEMT DAMTOir,
dit avec une jovialité violente et grossière qui n'avait
que plus d'effet : « Personne ne rend plus justice que
moi à Roland; mais je vous dirais si vous lui bites
une invitation , faites-la donc aussi à M""' Roland ; car
tout le monde sait que Roland n'était pas seul dans
son ministère. Moi, j'étais seul daus le mien... (Mur-
mures,) Puisqu'il s'agit de dire hautement sa pensée ^
je rappellerai , moi , qu'il fut un moment où la con-
fiance fut tellement abattue , qu'il n'y avait plus de
ministres, et que Roland lui-wème eut l'idée de sortir
de Paris. »
Danton ne pouvait porter aux Girondins un coup
plus sensible. Il avait, tout en riant, ou bisant seob-
blant de rire , mis la main sur le saint des saints ,
touché à M'"'' Roland ! C'était la singularité du parti,
d'avoir pour chef une femme 1 II était dur, mais
habile , de le constater nettement.
A ce parti qui lui disait : « Vous êtes un homme de
sang, » — il répliquait : « Qu'ètes-vous? Vous êtes
une femme... et vous avez voulu fuir. »
Les Girondins, dans ce puritanisme honorable, ja-
loux de l'honneur de la France, n'étaient pas très-
conséquents, Cétaient eux qui , la même année, le
19 mars 92, avaient obtenu de l'Assemblée l^isla-
tive l'amnistie de la terrible affiiire d' Avignou, qu'on
a justement appelée le 2 septembre du Midi. Leurs
amis de Marseille, Barbaroux, Rebecqui, étaient les
protecteurs desDuprat et de Minvielle. Rebecqui les
ramena triomphants dans Avignon, et, dans leur re-
connaiasance^ ils firent nommer Barbaroux membre
CmillE COMPLICE DE SEPTEMBEB (SKPT.-OGT. 92). 571
de la ConveotioD. Jean Duprat, élu aussi , MinTielle^
nommé suppléant, siégèrent au 9ein de la Gironde. U
n'était nullement sûr que Danton eût fait Septembre;
mais il était très-certain que Minvielle , autant et
plus que personne, avait fait la Glacière. Pourquoi
les Girondins avaient«*ils amnistié les hommes de la
Glacière? Parce que les royalistes auraient tiré
trop d'avantages de cette lutte intérieure des amis
de la Révolution. Le même motif devait les obliger,
dans une crise bien plus dangereuse , à ajourner \m
poursuites de Septembre, h limiter et circonscrire ces
poursuites, à n'y pas comprendre surtout un homme
qui était leur rival d'éloquence et d'influence, un
homme en qui était au plus haut degré le génie de
l'action, et qu'on ne pouvait perdre sans compromet*
tre les destinées de la ftévolution, et risquer de peiw
dre la France.
Le mot de Danton sur Roland et Mr Roland por-
ta au comble l'aigreur de ses ennemis. Les Giron-»
dins n'avaient pas insisté près de l'Assemblée pour
qu'elle invitât Roland à rester au ministère; et, dans
la réalité, il y avait pour lui avantage à n'y pas rester
en titre, à 7 mettre quelqu'un du parti, par qui il au-»
rait administré de même, sans être aussi exposé aui
coups de la presse. Le mot de Danton changea tout;
les Roland, mis en demeure sur l'article du courage,
décidèrent de rester, quoiqu'il arrivât. AcetteAssem*
blèe, qui ne lui demandait plus de garder le ministère^
Roland écrivît t < le reste. »
Cette pièce, écrite par madame Roland, et de sa
573 LES GIIIOKDINS POURSL'lVeiiiT DANTUN ET L\ COIIIILXE.
plus vive plume, était sur le ton courageux, mai^
trop ému de celui qui se décide par rirritatîoD du
défi. Le débat de la Convention et ses intentions
manifestes, disait Roland, ne permettaient pas d'hé-
siter « Elle m'ouvre la carrière, je m'y lance
avec fierté Je reste parce qu'il y a des dan-
gers Je renonce au repos que j'ai pu mériter el
qui serait doux à ma vieillesse; j'achève le sacrifice,
je me consacre tout entier et me dévoue jusqu'à la
mort.»
Roland niait qu'on eût jamais voulu fuir, avouant
qu'on avait seulement avisé a Si, l'ennemi ajqpro-
chant, la sortie de l'Assemblée, du Trésor, du roi,
du pouvoir exécutifs ne serait pas une mesure de sa*
lut » Mais le pouvoir exécutif, le ministère, c'était
Roland même ; cette sortie avait bien quelque rapport
à la fuiu.
Il décrivait ensuite, dans un langage admirable,
l'aveugle violence du parti de la terreur, faisait le
portrait de son chef, « d'un individu supérieur, par sa
force et ses talents, à cette borde insensée, qui la fai-
sait servir à ses desseins ambitieux... Telle fut la
marche des usurpateurs, de Sylla, de Rienzi... » H
n'ajoutait pas ce que chacun pouvait suppléer sans
peine : la marche aussi de Danton.
Un petit mot, mais aigre, se remarquait vers la fio
de la lettre : « Je me défie du civisme de quiconque
manque de moralité. » C'était annoncer assez le terrain
nouveau sur lequel la Gironde allait poursuivre celui
qu'elle haî^it. Elle voulait une chose impolitiquis
fOliR INFIDÉLITÉ DANS LE MANIEMENT DBS DENIERS PUBLICS. 375
impossible , non-seulement perdre Danton, mais Ta-
vilir. On n'avilit pas aisément une grande force;
si on la montre criminelle, sans avoir contre elle de
preuve accablante, on risque (telle est la partialité du
genre humain pour la force) de n'avoir rien fait autre
chose que réhabiliter le crime.
L'effort des Girondins était d'envelopper Danton
dans le triste procès d'argent que l'on faisait k la
Commune, d'exiger de lui, comme d'elle, des
comptes réguliers de tout ce qui s'était fait et dé-
pensé dans le trouble de la grande crise. Pendant
les mois de septembre et d'octobre, tous les jours
sans interruption, les hommes de la Commune
étaient sommés de donner leurs comptes , et ils ne
pouvaient le faire. Il y avait eu, très-probable-
ment , des sommes mal employées ou soustraites.
Mais 5 n'y eût>il aucun vol, dans les temps d'agitation
excessive et de désordre qui s'étaient écoulés, la
comptabilité avait été difficile ou impossible. Ce n'é-
taient pas seulement les ennemis politiques de la
Commune qui la poursuivaient ainsi. L'âpre et aus-
tère Cambon, inflexible défenseur de la fortune
publique , dénonçait chaque jour ces délais suspects.
Cette Commune du 10 août, qui avait perdu des
membres et s'en était refieût d'autres , corps variable ,
monstrueux, tyrannique, semblait décidée à deux
choses : refuser ses comptes , refuser qu'on la renou^
velàt elle-même par des élections régulières.
L'odieux de cette conduite s'étendait aux amis de
la Commune, à son défenseur Danton. Lui aussi no
IV. "
374 DANTON ne PEUT RBNDHB COMPTE
voulait pas 9 oti ne pouvait rendre ses comptes, il éUit
Gonvenu entre les ministres que , pour les dépenses
secrètes y ils se les expliqueraient les uns aux autres
et se rendraient compte mutuellement. C'est œ que
Danton allégua, dans la Convention, quand on le
pressa sur ce point. Mais Roland , impitoyable dans
ce moment décisif, déclara que non-*seulement nul
compte de ce genre ne lui était connu , mais qu'il en
avait inutilement cherché les traces sur les registres
du conseil.
Danton donua une explication fort spécieuse. H
avoua qu'il n'avait point de quittances régulières ,
mais qu'au moment du péril l'Assemblée lui avait
dit : « Allez , n'épargnez rien , prodiguez l'argent. —
Il est telle dépense, dit-il encore, qu'on ne peut
trop expliquer, telle mission révolutionnaire qui
demande de grands sacrifices, tel émissaire qu'il serait
injuste et impolitique de faire connattre ...»
Cette réponse parut h la Gironde une défiiite, et
pourtant elle était sérieuse. Ce qui étaitmystàre alors,
est dans la lumière aujourd'hui. Danton, en réalité,
tenait dans la main toutes les grandes affaire secrètes
qui intéressaient le salut de la France, cas afiaires de
diplomatie et de police où un homme politique est
obligé de jeter l'argent, et ne peut compter.
Et pourquoi était*elle dans la main, dans la tète du
seul Danton? Parée que la Gironde, après comme
avant le 10 août, s'était trouvée absolument inspro-
pre à ces choses. Elle était pn^re à la presse, aux
discours, et rien de plus. Au momnit diificîie, uni*
DE SBS DtoENSBS SICRÉTBS (SBPT..-OCT. 9S). 575
que, où il fallait agir ou périr, où une minute pou^
vait perdre tout, elle tergiversa et délibéra. Danton
prit le gouTomail.
La première affaire où Danton fut, sans nul doute,
forcé de prodiguer l'argent, ce {^l Timmense conspi*-
ration royaliste de Bretagne et du Midi. Un hasard
banrBUE la lui révéla» avant le 10 août.
Il était aimé de beaucoup d'individus de toutes
sortes 9 ccmune bon enfont, bon vivant, facile, et
pourtant trésHsûr, quand on se confiait à lui. Eu
juillet, un jeune médecin de Bretagne, nommé La-
touche, vient le trouver, et le prie de recevoir un
grand secret qui lui pèse. Un certain La Rouerie, qu'il
avait guéri d'ime maladie, lui a fait passer à Paris une
masse de faux assignats pour les convertir en or, et,
pour rapporter cet or, a envoyé son neven. Ce ne-
veu, un étourdi, a cm Latouche affilié h la grande
conspiration, lui en a dit tous les détails, lui en a
révélé rimmense étendue. Le médecin n'est pas un
trattre, mais, enfin, il voit un ablrae qui se creuse
sous la France; il n'a pu ni taire cet affi*eux secret,
ni le dénoncer. Danton, sans perdre une minute,
court au eeraîté desAreté générale : c'était en juillet,
c'était sous la Législative ; ce comité était composé
de Gtrondips. Ils sont effrayés, mais que fiûref la
légalité les arrête. Commeut sur un on dit arrêter
tant de personnes? Ils ne peuvent rien, et ne feront
rien.
Danton, sans se décourager, va retrouver le méde^
cin, lui montre, lai prouve qu'il a dans les maios le
376 CUMMBNT DANTOlf AVAIT 8A181, AHIIËIÉ
salut de la patrie, qu'il doit creuser le complot, le
mieux connattre, obtenir des preuves. Pour cela, que
faire? aller eu Bretagne, retrouver La Rouerie qui le
croit son ami, qui a confiance en lui, tirer ces preuves
de lui, le trahir, le perdre.... et, le perdant, sauver
la France I
Ceci, après le 10 août. On attendait l'invasion prus-
sienne, et l'on pensait qu'en même temps une flotte
anglaise, amenant à Saint-Malo les émigrés de Jer-
sey, donnerait aux associés bretons de la Rouerie une
force morale incalculable. Ceux-ci se croyaient si
sûrs de leur affaire qu'ils avaient fixé le jour où ils
entreraient dans Paris, en même temps que les Prus-
siens. Les Bretons, c'était leur compte, entraient par
les Cbamps-Ëlysées, les Prussiens par les portes Saint-
Martin et Saint-Denis.
Quels arguments Danton employart-il prés du mé-
decin? l'argent? l'éloquence? probablement l'un et
l'autre. Danton était alors ministre de la justice. Il
parla de l'affaire aux autres ministres ; mais bientôt,
voyant leur lenteur, leur indécision, il ne dit plus
rien, passa outre, prenant en ceci, comme en tout,
l'initiative des mesures de salut qu'imposait la né-
cessité.
La honteuse et périlleuse commission qu'il donna
au médecin, ce fut d'aller dire à son ami, & son ma-
lade, La Rouerie, que Danton était royaliste; que, las
des excès de la populace, il voulait le rétablissement
de l'ancien régime; que lui, Latouche, avait reçu de
Danton l'autorisation d'éloigner les troupes de laBre-
LA GRANDE CONSPIRATION DB L'OUBST (SEPT. 92). 377
tagne. Et, en eflTet, dans Tattente de rinvasion prus-
sienne, on les faisait filer vers Test. La Rouerie y fut
trompé, il crutLatouche, attendit, et un matin il reçut
le coup de foudre de Vaimy. Plus d'espoir, la grande
armée prussienne était en pleine retraite. Désolé, dé-
couragé, il voulait tout laisser là, et passer en Angle-
terre. Un conseil secret des chefs de l'association fut
tenu dans un château de Bretagne. L'un des chefs était
une de ces belles amazones, intrépides et romanesques,
qui ont fait le charme fatal de la guerre civile, qui,
d'aventure en aventure, se donnant pour prix aux
plus fous, allaient enflammant la flamme, mais qui
en revanche, par leur étourderie, ont souvent à leur
insu bien servi la République. Celle-ci, Thérèse de
Moelen , fit honte à La Rouerie de son décourage-
ment, le décida à persister ; il fut réglé, d'après ses
sages conseils, qu'il nuirait point en Angleterre, mais
qu'on chargerait d*y aller justement cet homme sus-
pect , ce Latouche, qui arrivait de Paris et qui s'a-
vouait l'ami de Danton. La conspiration royaliste prit
pour son agent auprès de Calonne, auprès des An-
glais, l'agent de la République, et par lui la bonne
fortune de la France mit entre les mains de Danton
tous les projets des princes, les indications des plus
dangereuses relations qu'ils avaient ici.
Un autre Latouche, un aventurier royaliste, Lali-
gant-Morillon , livrait à ce même moment les secrets
de Coblentz, les rapports des émigrés avec les roya-
listes du Midi. On l'y envoya lui-même; il surprit, sai*
sit, mit dans la main du gouvernement une associa-
im COanCNT DAHTOll AYAIT fiAIftl, ÂSMÊLtt
tim immense dont les ramlficalioos ^'étendaient sur
qttatre-Tiogts lieues de pays. Déjà on avait nommé
ponr les prinœs an gouverneur du Languedoc et des
Gévennofi, qui s'était établi dads le chAteau de Jalès.
Il y fut surpris^ massacré.
Ces actes secrets de salut public furent directement
accomplis par Danton , comme ministre, ou sous sa
puissante influence, lorsqu'il fit déléguer le ministère
à un autre* Lui seul, des hommes du temps, avait les
qualités requises pour ces choses, la dextéfrité et la
brûlante énergie; lui seul, qu'on l'en loue, qu'on l'en
blàme^ eut la force de séduction rapide, infaillible,
pour créer des intelligences dans le parti ennemi,
pour amener à la trahison des hommes qui autrement
n'auraient point trahi. Ni Latouche ni Morillon n'é-
taient de la classe ordinaire des traîtres et des es-
pions; Latouche était patriote, Morillon était bu-
main^ Il fallait pour les entraîner le tourbillon magné-
tique dans lequel ce génie puissant (la Révolution
incamée) emportait alors tout le monde, les amis,
les ennemis. Il donnait sans marchander, il oom-
blait les hommes et les étouffait dans l'or; mais c'é-
tait là encore sa moindre séduction, il prodiguait
sut^tout son éloquence invincible , sa parole magna-*
nime, disant à l'un : « Sauve la France 1 >» à l'au-
tre : 0 Abrège la lutte, tranche le nœud de la guerre
civile* » Et les plus rebelles à l'or, aux paroles, il
mettait sa main dans la leur, et ils ne résistaient
plus; une force inconnue les arrachait à eux-mêmes;
leur passé, leur avenir, leur honneur et leurs scru-
LA GRANDB COKSrmATION DB VWSBWt (SEPT. 92). 379
pules f tout disparaissAit en présmce de l'amitié de
Danton.
Ce grand et terrible serviteur de la Révolution ,
qui se chargeait de la sauver^ n'importe comment,
qui faisait partout ses œuvres secrètes, n'avait ni le
goût ni le temps de choisir des hommes purs pour de
telles oommissionsé II prenait les plus ardents, 11
prenait les moins scrupuleux , les gens d'eiécution
rapide , qui marchaient les yeuk fermés. Tels se li«
vraîent d'autant plus , qu'étant déjà plus souillés par
Septembre ou autrement, ils n'avaient d'espoir de
salut que dans la victoire de la liberté. Il se don^
nait à Danton beaucoup de ces gens-là, que la nature
n'avait pas faits pour le crime, et qui, un moment ,
avaient suivi l'affreux vertige du sang, avaient tin
besoin secret de se réhabiliter par le dévouement et
le sacrifice* Pourvu qu'on ne leur parlât jamais de
ces jours néfastes, qu'on ne leur montrât pas sans
cesse la tache qui leur restait aux mains, ils n'auraient
pas mieux demandé que de mourir pour la France.
Danton les accueillait sans difficulté, s'en servait et
les lançait. Des hommes moins compromis auraient
hésité davantage. Enfin , que ceux^^ci fussent bons ou
mauvais , le plus sûr , c'est que Danton bien souvent
n'en avait pas d'autres. Un jour, quelqu'un lui repro^
chant d'envoyer de pareils agents : « Eh t qui voulez-^
« vous que j'envoie? — répliqua- t-il violemment —
a serait-ce des demoiselles ? »
C'est par des moyens analogues et de tels agenis
que Danton négocia la grande et délicate afbire de
38U COMIfBNT DANTON AVAIT NÉGOCIÉ
révacuation du territoire. Rien n'indique qii*il ait
acheté la retraite des Prussiens. Il est pourtant très-
probable que les agents inférieurs qui se mêlèrent
de l'affaire ne le firent point gratuitement. Ceux que
Danton employa, Westermann , Fabre d'Ëgkntine,
dont nous parlerons plus tard» étaient des hommes de
plaisir, de dépense, et qui, par là, étaient portés à se
faire part en toute affaire où l'argent jouait un rôle.
L'association bretonne avait été paralysée par l'i-
dée que Danton était pour elle , par l'espoir qu'il
agirait pour elle. Et, de môme , les Prussiens se plu-
^rent à croire qu'ayant en tète deux hommes douteux
et prêts à tourner, Dumouriez, Danton, ils n'avaient
que faire d'insister dans cette dangereuse lutte con-
tre tout un peuple en armes.
Mais autant l'affaire de Bretagne était obscure et
secrète, autant celle de Champagne était observée de
tous. La difficulté, le danger était extrême, à com-
muniquer avec l'ennemi, pour le faire partir sans
combat. La ruse était antipathique à l'orgueil natio-
nal, porté au comble par le succès inespéré de Val*
my. La France voulait se battre. La Presse était
toute guerrière; Paris, revenu brusquement de l'ef-
froyable panique qui causa le 2 septembre, avait
passé, sans transition, à l'état contraire. Les clubs ne
respiraient plus que guerre et combat; ils se deman-
daient pourquoi le roi de Prusse n'était pas encore
ici, lié, garotté. « Il y a quelque chose là-dessous...
Dumouriez trahit », etc., etc.
Dans la réalité, les Prussiens n'avaient rien perdu,
L*ÉVACDATION DU TEMUTOIRB (SEPT. 9t). SSl
n'étaient Dullemeot entamés^ ne se retiraient même
point. Ils restèrent immobiles pendant douze jours
aprôs la bataille. Ils avaient reçu des vivres , et
n* éprouvaient aucun besoin de partir. L'honneur
engagé du roi de Prusse, son orgueil cruellement
mortifié, rattachaient et l'enracinaient, ce semble,
dans la terre de France. Deux généraux illustres de
notre ancienne monarchie, les ducs de Broglie et de ^
Castries, ne bougeaient de son conseil, persistaient &
affirmer la facilité de l'expédition, la supériorité
réelle de son armée, la probabilité infinie de vain-
cre, lorsqu'à de simples milices on opposait des
soldats.
Le roi de Prusse était fort troublé, fort partagé.
Dans son camp, dans sa tente, il y avait une guerre ;
elle existait dans son cœur même.
L'affaire de l'invasion y était fort secondaire, en
comparaison d'une autre qui le tourmentait beau-
coup, une intrigue de cour, un changement de favo-
ris. Ceux ci étaient de deux sortes, les uns partisans
de la guerre, poussés, payés peut-être, par la Russie
et l'Autriche, qui avaient lancé le roi dans sa croisade
étourdie. Les pacifiques se disaient le vrai parti
prussien ; ils étaient d'intelligence avec la maîtresse
du Roi, la comtesse de Lichtenau, ils lui apportaient
ses lettres, des lettres trempées de larmes. Elle s'é-
tait avancée jusqu'aux eaux de Spa, et là, plaintive,
dolente, elle rappelait son royal amant; elle craignait
les boulets français, elle craignait non moins les
Françaises ; le cœur du Roi était mobile, il y avait à
su CaniBRT DAHTOH AVAIT HtftOQIÉ
parier que, 6*il avançait en France^ le conquérant
serait conquis.
Le mauvais succès de Valmy fut un triomphe pour
les conseillers pacifiques du roi de Prusse. Braoswick
se joignit à eux. Us rappelèrent au Roi qu*ils Tavaient
toujours averti de la difficulté des choses, lui prou-
vèrent respectueusement qu'il faisait un nàôtier de
^ dupe, en travaillant pour l'Autriche, qui, dans une
telle affaire^ toute personnelle pour elle, l'assistait si
peu, si mal. Les émigrés l'avaient trompé ; il leur
devait peu d'égards« — « Oui, mais la cause des rois,
la liberté de Louis XVI? n'élaitce pas là une affaire
d'honneur, que le Roi, sans la dernière honte, ne
pouvait abandonner? x>
Le roi de Prusse avait près de lui deux Français^
Lombard, son secrétaire, et le général Heymann qui
tout récemment venait d'émigrer et de se faire prus-
sien. Ils ne furent point embarrassés de l'objection;
ils se firent forts de sauver l'honneur du roi, en ob-
tenant que Louis XYI recouvrât et sa liberté, et sa
royauté constitutionnelleé Lombard demanda seule-*
ment au Roi la permission de se faire prendre par les
Français, pour négocier avec eux. Dumouries, à qui
il se fit conduire, lui dit que, si c'était le salut de
Louis XYI qui intéressait le roi^ il ferait sagement
de se retirer; il ne pouvait avancer sans faire massa-
crer Louis XVI. Pour mieux convaincre les Prus-
siens, il leur envoya, avec Lombard, l'homme de
Danton, Westermann, qui devait traiter direc-
tement avec l'émigré, le franco - prussien Hey-
VtfhODhlHm W TlMUTOIMl (MPT. U2). 885
mann ^ sous prétexte de conclure un échange de pri*-
sonniera«
Brunswick apprit dans ces pourparlers que TAs**-
semblée législative s*était violemment déclarée, dès
le 4 septembre, contre toute idée d'un roi étran-
ger; qu'un député ayant dit qu'on voulait faire roi
Brunswick ou le duc d'York^ l'Assemblée avait juré
qu'il ti*y aurait plus de roi, que les Jacobins^ pour
perdre Brissot, lui reprochaient, comme un crime
digne de mort, d'appeler Brunswick. Celui-ci fut
bien étonné. 11 n'y avait pas six mois que quelques-
uns de uos feuillants avaient eu l'idée bizarre de lui
donner la royauté. Il avait sagement refusé. Toute-
fois, il conservait de l'étrange proposition un regret,
un rêve. Ce prince, comme tant d'Allemands, était
client de l'Angleterre, autant que de la Prusse; il
avait épousé une sœur de la reine d'Angleterre,
il était anglo^Ietnand. L'Angleterre aurait eu gran-
dement intérêt à favoriser la candidature de son
protégé. Une des raisons les plus fortes qu'avait ce*
lui-ci de ne point se battre, c'est qu'il attendait ta
réponse que ferait l'Angleterre à la Prusse; il voulait
avoir avant tout le mot d'ordre des Anglais : si ceux-
ci consentaient k se liguer avec la Prusse, Brunswick
voulait bien se battre, mais nullement contre le vœu
des Anglais, ses maîtres. Donc, il attendait.
Cependant Dumouriez avait envoyé en hâte Wes*
termann à Paris pour avoir le mot de Danton^ du
conseil exécutif, pour disposer l'opinion, avertir la
Presse, empêcher que cette grande et délicate affaire
3S4 COMIENT DANTON AVAIT NÉGOCIÉ
De fût gâtée, troublée, par la pétulance des journa-
listes et des clubs. Rien n'était plus difiScile. Il fal-
lait, au plus vif essor de Tenthousiasme, en plein fana-
tisme, faire accepter cette chose froide et sage, froi-
dement pratique : Qu'on ne devait point tenter la
fortune, qu'on avait assez réussi, qu'il fallait s'arrêter
là, qu'il y aurait grande victoire à ne pas combattre,
à amuser, éconduire l'ennemi, à le montrer à l'Eu-
rope abandonnant Louis XVI et l'émigration, et l'a-
bandonnant sans y être forcé par une défaite, l'a-
bandonnant librement, volontairement, donnant au
monde l'exemple de traiter avec la jeune république,
avec un gouvernement qui, à parler sérieusement,
était à peine né encore.
C'est ce que Danton dit au conseil des ministres;
ceux-ci le virent, avec surprise, ôter le masque du
violent, du furieux, du dédamateur, et montrer le
politique. Le difficile n'était pas de convaincre les
ministres, mais bien plus de contenir l'opinion répu-
blicaine, d'en faire taire, du moins, d'en adoucir les
meneurs. C'était là le tour de force. Et Danton
l'exécuta.
Dumouriez reçut deux lettres à la fois, une du con-
seil des ministres, ostensible et fiére : La Républi-
que ne traite point tant que l'ennemi n'a pas évacué
le territoire. — L'autre était du seul Danton ; il inter-
prétait la première, ne repoussait nullement l'idée
de négociation, et avertissait Dumouriez que trois
commissaires de la Convention, Prieur de la Marne
(un jacobin), Carra, Sillery (deux girondins), par-
L'ÉVACUATION DU TBHRlTOfRE (SBPT. 92). 385
taîent pour s'entendre avec lui sur la convention
préalable qu'on pourrait conclure.
On put craindre que ce message pacifique ne ser*
vit à rien. La nouvelle de l'abolition de la royauté
avait fait retomber le roi de Prusse dans le plus som-
bre accès d'humeur noire et de colère. Il voulait
conibattre, et malgré Brunswick, il en donna l'ordre
pour le 29 septembre. Brunswick le dit aux émigrés,
qui sautèrent de joie. Le 28, pour soulager un peu
la passion du Roi, il lança un manifeste plein d'in-
jures et de menaces. Dumouriez rompit l'armistice,
exprimant pourtant le regret de ne pouvoir user de
l'autorisation qu'il recevait de traiter. Le 29, la co-
lère du Roi, évaporée en paroles, éprouva moins le
besoin des actes. Pour bataille, il y eut un conseil,
et Brunswick produisit les lettres de l'Angleterre et
de la Hollande, qui refusaient d'entrer dans la coa-
lition et de se joindre à la Prusse. Ce qui n'influait
guère moins, c'est qu'un lieutenant de Dumouriez
avait révélé, très*confidentielIement, à Tun des gé-
néraux prussiens, que Custine marchait sur le Rhin.
II allait trouver toute la frontière de Prusse dégar-
nie; il n'aurait pas rencontré un soldat entre Mayence
et Coblentz. Qui Tempéchait de prendre cette im-
portante forteresse? Le retour du roi de Prusse eût
été fort compromis.
Ce prince fort en colère, et ne pouvant faire tom-
ber sa colère sur l'ennemi , la tourna vers ses anii$«
Il tomba sur les émigrés , leur dit les choses les plus
dures; il fit plus, il ne stipula rien en leur faveur,
886 DUMQUBIEZ
pas même pour couvrir leur retraite; il se coQteDta
de traiter pour lui, les abaodonDa. Ils eurent biee de
la peine à se tirer d'affaire , firent des pertes grades,
suivant, comme ils pouvaient, les flancs de la grande
année prussienne, qui ne les protégeait plus.
Le roi de Prusse s'inquiéta encore moins des Au-
trichiens. BrunsMrick le fit entendre assez. Dans une
entrevue avec Kellermann , où celui-ci le priait de
s'expliquer sur les conditions mutuelles de Tarran-
gement : < Rien de plus simple, dit Brunswick, nous
nous en retournerons chacun chez nous, comme les
gens de la noce. » — D* accord, répliqua le Français;
mais les frais, qui les payera? En vérité, TEmperwir,
qui a attaqué le premier, nous doit bien les Pays-Bas,
pour indemniser la France. » — À quoi Brunsvrick
répondit froidement : c Qu'on n'avait qu'à envoyer
des plénipotentiaires ; que les Prussiens voulaient la
paix, et qu'eu attendant ils se tiendraient k Luxem-
bourg, ou peut-être aux Pays-Bas. » Il faisait irès^
bien entendre qu'il ne les défendrait point.
Le roi , laissant là ses amis, ne s'inquiéta que du
roi , du seul Louis XVI, et encore de sa personne
seulement, de l'homme, et non du monarque. U de-
manda comment il était traité au Temple. Danton
recueillit avec soin , fît porter par Westermann tom
les arrêtés de la Commune qui pouvaient faire croire
que le captif était entouré de quelques bons traite-
ments. Si l'on en eroit les Prussiens, intéressés, il est
vrai, à couvrir un peu l'honneur de leur roi, il ne se
serait retiré que sur la parole que lui auraient don-
PARIS (12^1 OCTOBRE 92). 387
Dée Daoton et Dumouriez de sauver à tout prix la
têt0 de Louis XVI.
Le 29 septembre, l'armée prussienne commença à
rétrograder, et fit une lieue ; une lieue encore le 30,
et autant les jours suivants. Plusieurs fois, les nôtres,
mal instruits de l'arrangement, inquiétaient les Prus-
siens ou les devançaient. Les commissaires de la Con-
vention les rappelaient en arrière. Ils reçurent paisi-
blement Verdun, puis Longwy. L'ennemi repassa la
frontière , et doubla alors le pas vers Coblenti, au
bruit des pas de Gustine.
Déjà une partie de l'armée française avait tourné
de l'est au nord , et , malgré la saison , s'acheminait
vers la Belgique. Le 12 octobre , Dumouriez, libre
enfin, court à Paris, sous prétexte de préparer l'in-
vasion , de faire accepter ses plans, en réalité pour
voir de près la situation, tàter les partis et savoir d'où
vient le vent. Il y trouva tout le monde plus attentif
a ses projets, plus éclairé peut-être sur ses inten-
tions, qu'il ne Teût voulu lui-même. Il alla voir
M"* Roland dans ce même hôtel du ministère de l'in*
térieur dont il avait , peu de mois auparavant , fait
sortir Roland, destitué par Louis XVI. Il lui présenta
up joli bouquet pour obtenir grâce : et elle le reçut
bien, le coipplimenta ; mais elle lui dit en môme
temps, avec une franchise toute romaine, qu'on
leji4geait royalûte ; que plus il avait de talent , plus
il était dangereux ; que la République se garderait
bien de lui subordonner les autres généraux, que tous
seraient indépendants. Cette dé&anee était naturelle.
388 DANTON ET DUMOURIEZ
Dumouriez, présenté àla Convention, avait éludé dans
son discours ce qu'on attendait curieusement de lui,
le serment de fidélité à la République. II avût dit
avec une légèreté hardie qui n'imposa à personne :
QL Je ne vous ferai point de nouveaux serments ; je me
montrerai digne de commander aux enfants de la li-
berté et de soutenir les lois que le peuple souverain
va se faire par votre organe. »
Le soir, il fut reçu aux Jacobins avec une extrême
froideur. Dans un discours spirituel, CoUot d'Herbois
lui reprocha « d'avoir reconduit le roi de Prusse avec:
trop de politesse. » Danton même , qui semblait ne
faire qu'un avec Dumouriez , et qui tout autant que
lui avait reconduit le roi de Prusse, fut obligé de sui-
vre l'opinion de la société , qu'il avait voulu présider
ce jour-*là. Il lui dit : c Console-nous par des vic-
toires sur rÀutricbe de ne pas voir ici le despote de
la Prusse. »
Quelque défiance qu'inspirât la pensée intérieure
de Dumouriez, il eût été insensé, impossible d'éloi-
gner, sur des soupçons, un général qui venait de ren-
dre un si grand service. On ne marchande pas avec
la victoire ; lui seul l'avait commencée et pouvait la
continuer. Le péril n'était point passé ; la France
n'était pas sauvée tant qu'elle n'avait pas pris une
brillante offensive, vaincu l'ennemi chez lui, sur son
territoire. Un seul homme avait réussi , et semblait
avoir une étoile^ semblait heuretMj cette première et
dernière qualité qu'on demande aux généraux. Il fal-
lait bien se fier à lui, faire croire à la plus intime
VEDLBirr SB CONCILIER LA CmONBB (OCT. 92). 389
nnioQ entre la Convention et le pouvoir exécutif, en-
tre celui-ci et Texéculeur des mesures militaires, ef-
frayer TEurope de cette unité en trois forces : le
bras, la tète et Fépée.
Les défiances excessives contre l'ambition mili*
taire, fort raisonnables sans doute pour une vieille ré*
volution, lassée et blasée, le sont bien moins pour
une révolution jeune, enthousiaste, qui prend son
essor. Les hommes alors ne sont rien, les idées sont
tout. On Tavait vu par Lafayette, qui avait et dans
Tannée, et dans la garde nationale, des racines qu'on
eût crues bien fortes; au jour où il voulut gourmander
la Révolution, il se trouva seul. Dumouriez était tout
neuf, comme général en chef; si quelques régiments
de ligne, quelque corps de cavalerie, lui tenaient per-
sonnellement, la masse immense de l'armée , renou-
velée, augmentée chaque jour, ces torrents de volon*
taires qui de toutes parts venaient s'y jeter, ne
connaissaient point Dumouriez; leur dieu, c'était la
République, et ils n'en voulaient pas d* autre. Quel
homme, à ce premier moment, aurait eu l'audace in-
sensée de mettre sa personnalité misérable à côté de
la Patrie, de monter sur l'autel I... C'eût été à
coups de fouet qu'on eût fait descendre un tel dieu.
Le danger contraire était plusàcraindre. Avec l'uni-
verselle défiance qui régnait, ces continuelles pani-
ques, cescrisde trahison lancés au hasard, on pouvait
ôter toute force morale à l'homme qu'on employait,
renvoyer impuissant, désarmé, devant l'ennemi.
Danton avait eu déjà bien de ta peine à le soutenir.
IV. *•
PdT fli^QX Cq», DumQpriex, sans lui, pônaotit dm
ropmio(i; d'abord, qiiapd il fut toqniô mix famwiai
Jheriqqpyles ^qnt il s'^tiiit dit le Léapîday, pw
quand il négocia la retraite de3 Prussiens , causanti
mftugeaqt ^vec pux, op^oyant des présents 4e cnfô au
roi de Prusse. Danton le oouvrit dans ees deux qmh
fneqts ; toute la presse le ménagea, sauf Marat, qui,
ftboyant toujours, avec ou saps cause, faisait moins
d'impression.
Dès que Pumouriez fut ici , Danton ne le quitta
plus , il le mpna, Tentoura, Tenveloppa, se montra
partout avec lui, aux jacobins, aux théâtres, dans les
fêtes de reconnaissance et d'amitié qu'on donna au
général. Ces fêtes, la joie de tous pour la délivrance
pommune, les conquêtes inespérées de la Révolution
k Nice, en Savoie, sur le Bbin, Télan national pour
l'invasion de Belgique, Tattente émue de la yictoire,
semblaient transporter les coeurs dans la région supé-
rieure où expirent les haines. C'était le moment, ou
jamais, de se rapprocher. La Gironde fêtait Dumou-
riez; mais pouvait*eUe le séparer de celui qui aiait si
éqergiqupmentaidé, assuré son suecès, le séparer de
Panton? ^lle .devait non pas amnistier ^ mais ftter
non moins celui-ci*
Les denx hommes vraiment supérieurs, Danton,
Dumouriez, comprenaient parfaitement que le salut
de la France ne tenait pas seulement à une guerra
heureuse au dehors , mais à la cessation des guerres
intérieures, à la réconciliation de Danton et de la
Gironde. Ils n'épargnèrent rien pour atteindraoegiand
VEULENT SB GOmn^V» M 0IBm»E (OCT. 92). ifM
yésuilat Danton connaissait trèshbien le caractère
difficile de$ Girondins, leur amour-*propre inquiet ^
la sévérité chagrine de Roland, la susceptibilité de
M** Roland, le vertuenx et délicat orgueil qu'elle pla-
çait sur son mari, ne pardonnant pas à Danton le mot
bratal qu'il avait dit pour rendre Roland ridicule*
DdBton, dans sa bonhomie audacieuse, voulut, sans
négociation ni explication, briser tout d'abord la
glace. Menant Dumouriez au théâtre, il entra non
dans la même loge, mais dans celle d'à côté, d'où il
parlait au général. Cette loge était celle même du mi-
nistre de l'intérieur, de Roland. Danton, comme an«
eien collègue, s'y établit familièrement avec deux
femmes, très -probablement sa mère et sa femme
(qu'il aimait de passion). Si nous ne nous trompons
dans cette conjecture, une telle démarche, faite en
famille, était un gage de paix. On savait que personne
n'avait été plus cruellement atteint que M"^* Dapton
par les fatales journées de Septembre; elle devint
malade et mourut bientôt.
n y avait à parier que les dames se rapproche-
raient ; M*" Roland, si elle fût entrée dans la loge, se
fût liée malgré elle, et elle eût été touchée. Au reste,
que les Roland prissent bien ou mal la chose , elle
ponvait avoir politiquement d'admirables résultats.
Tous les journaux allaient dire qu'on avait vu, réunies
dans une loge de six pieds carrés, la Montagne et la
Gironde, qu'il n'y avait plus de partis, que toute dis*
corde expirait. Cette seule apparence d'union aurait
mieux servi la France que le gain d'une bataille.
m Mmetmin et danton
M"* Roland vint, en effet, et elle fat indisposée
tout d'abord; on la retint à la porte, lui disant que la
loge était occupée ; elle se la fit ouvrir, et vit Danton
à la place qu'elle eût prise, près du héros de la fête.
Elle aimait peu Dumouriez, mais elle ne voulait pas
moins , tout porte à le croire, le favoriser ce smr-lk
de son gracieux voisinage, le couronner de cette
marque solennelle d'une sympathie austère; elle
seule se croyait digne de le remercier ainsi tacitement
au nom de la France.
Elle avait pris pour venir le bras de Yergniand,
voulant siéger entre le grand orateur et le général,
apparaissant comme alliance du génie et de la vic-
toire, et prenant hardiment sa part dans celle^^i pour
le parti girondin.
Danton dérangea tout cela. M** Roland ne se soucia
pas de l'avoir près d'elle, entre elle et Dumouriez.
En quoi elle fut injuste. Après Dumouriez, Danton
était l'homme qui avait le plus contribué au succès.
La Gironde y avait fait peu. Son ministre de la
guerre, Servan, voulait, même après Yalmy, qu'on
se retirât vers Gh&lons, plan absolument contraire à
celui qui réussit.
Quoi qu'il en soit. H""* Roland prit pour prétexte les
femmes. Elle vit, dit-elle, «deux femmes de mau-
vaise tournure. » Et sans examiner si, malgré cette
tournure 9 elles n'étaient point respectables, elle re-
ferma la loge, sans entrer, et se retira.
Vergniaud ne partageait pas l'aigreur des Giron-
dins pour Danton. Gelle qu'il aimait et qu'il inspi-
VBUtBNT SB GONGIUBR LA GIRONDE (OCT. 9Q. 395
rait, la belle et bonne M"* Candeilie, flt une ten-
tative touchante pour rapprocher les partis. L'occa-
sion fut une fête qu'elle donna à Dumouriez. Dan-
Ion et Vergniaud s'y trouvaient. Les artistes et les
gens de lettres y mêlés aux hommes politiques de
toute nuance , aidaient & les concilier^ à leur faire
oublier leurs haines, à les replacer un moment hors
des factions sur le terrain de la paix, des sentiments
affectueux et doux. C'était la France civilisée, en
quelque sorte, qui, la veille de la Terreur, de<-
mandait grâce à la France politique, grâce pour
celle-ci même qui allait s'exterminer. La plupart
de ceux qui étaient là avaient bien peu encore à
vivre , Ye^iaud un an , Danton dix-huit mois à
peine ; et le héros de la fête , Dumouriez , bien plus
malheureux, allait (tombé tout-à-l'heure de la gloire
dans l'infamie) perdre à jamais la France qu'il avait
sauvée , rester spectateur lointain de nos plus glo*
rieuses victoires et traîner trente ans d'exil.
Un voile heureux leur couvrait, à tous, leur des-
tin. Tous, ignorants, imprévoyants, jouissaient de
cette fête, puisant un doux rayon de paix dans les
yeux de la jeune muse. La Gironde et la Montagne
étaient confondues. Un événement troubla tout.
Santerre, qui était de la fôte, se trouvant un mo-
ment dans un salon prés de la porte, rentre triste
et tout changé, «t Qu'avez-vous 7 » — « Marat est là,
qui demande le général.... » Ce fut un coup de théâ-
tre. Plusieurs disparurent, et passèrent dans d'autres
pièces. Plusieurs qui restaient pâlirent.
394 DUMOUlUËi BT OANtOM
Il y avait plusieurs jours que Marat cherchait Da*
mouriez. Il s'était fait charger par les lacobins de In
demander raison pour le chÀtimettt que Tarmfie avait
tiré d'uu crime commis par des volontaires, disciples
ttoip fidèles des doctrines de Marat. Nolis ëx^liqoe^
tons cette affaire dans le chapitre suivant.
La jaune figuré entra, large et basse, entre deax
longs Jacobins, plus hauts de tbùte la tété. Marat s'était
arrangé pour produire un grand ëfffet, ptétendant
ftiire subir une sorte d'interrogatoire au général vain-
queur, devant ce cercle tremblant. Dumotiriéz ne loi
donna pas cette satisfaction. Au premier mot, il le
toisa avec inépris : c< Ah ! b'est Vous qui êtes Marat,
dit-il, je n*ai rien à vous dire. i> Et il lui tourna lé
dos; II s'expliqua ensuite tranquillement avec les
deux Jacobins.
Le sang-froid de Dumouriez en rendit aux autres.
Les militaires parlèrent durement au journaliste.
Marat alla se plaindre et crier aux Jacobins. Il M
surtout irrité de la légèreté dérisoire avec laquelle
la scène fut représentée dans les joui-naux de ses ad-
versaires, a Nous pouvons leur pardonner d'avoir
ri, ajoute-t-il méchamment, car nous les feront
pleurer. »
Marat parti, on essaya de continuer la fête. Mais
les femmes restaient effrayées. Les hommes s'effor-
çaient de sourire pour les rassurer. Chacun trouvait
cependant qUe son voisin était pftle, et que tous
étaient changés. Pourquoi? L'événement était petit,
en effet, pour donner tant d'émotion. La ridicule ap-
tEtJLENT SB CORClLlER U GIRONDE (OCT. 9Î). 995
jtltritioii n'était pas pour effrayer tous ces hommes^
0d qui réellement était là force de là France,
aussi bien que sa lumière. Les menaces, les prédic-
tions sinistres du sanguinaire astrologue, la mort
même, quand elle eût été annoncée avec certitude,
n'auraient pafi troublé leur cœur. Ce qui les trou-
blait, non sans cause, c'est qu'avec Marat ils avaient
cru voir entrer dans cette salle Tirrémédiable dis-
corde, le génie des factions qu'ils portaient en eux,
et qui un moment s'était éclipsé. Ils restèrent tristes,
silencieux, et ils s'isolèrent. Le mélange amical ces-
sa; chacun, instinctivement, se rangea auprès des
ftîens. Avant même de sortir, on retrouva les
partis.
Dumoui*ie2 ne voulait point quitter Paris, sahs fiiife
un dernier effort pour la conciliation. Il réunit ^ dit-on,
à sa table Danton et les Girondins. Il tnena Dantod
chez eux, et, les forçant aibsi à rompre le pftin en-»-
semble, il crut les aVoir rapt)rochés, et il se ttompà.
La Girohdë rëfela fermée. 91 elle donnait la main, c'é-
tait la Inâin sans le cœur, TineHe et froide main deS
morts-
Apres le départ de Dumouriez, Danton Saisit,
dans la Convenlioti mètae, deux Ofccâsions jraison-
nabies de iotet hvbb la Gironde, dé montrer quMl
ti'avait pour elle ni colère, ni haine, aucun enveùi-
inemenl.
Le tA octobre, dans la discussioti sur les lois k
faire contre les émiglrés, il se rangea à l'avis de Buibt,
qui avait dit: a L'émigration par elle-même ne mérite
30G AVANCES OK DANTON AUX GIRONDINS (rUC OGT. 92).
pas la mort Bannissons les émigrés à perpétuité , el
qu'ils soient punis de mori s'ils remettent le [Med en
France. » Danton dit qu'en effet le banniaseraent
suffisait.
Mais l'occasion la plus remarquable où il se trouva
d'accord avec la Gironde fut celle du 16 octobre. Un
représentant avait fait la proposition malencontreuse
de soumettre à la sanction du peuple l'abolition de
la royauté et l'établissement de la République. Buiot
réfuta avec force cette proposition, et Danton appuya
Buzot par ces grandes et fortes paroles : « La Repu*
bliqueest déjà sanctionnée par le peuple, par l'ar-
mée , par le génie de la liberté, qui réprouve tous
les rois. Si donc il n'est pas permis de mettre en
doute que la France veut être et sera éternellement
République , ne nous occupons plus que de faire une
constitution qui soit la conséquence de ce principe;
et quand vous l'aurez décrétée, quand par la solen-
nité de vos discussions vous aurez, pour ainsi dire,
décrété l'opinion publique, vous aurez une accep-
tation rapide, et la concordance de toutes les par-
ties de votre gouvernement en garantira la stabi-
lité. »
Grande question d'initiative. Les républicains, qoi
étaient une minorité, avaient-ils le droit d'imposer fat
République à la majorité? Oui, parce que la majo-
rité elle-même, si elle ne comprenait pas la Répu-
blique, l'avait en instinct, était alors anti-royaliste,
sentait que la royauté, complice de l'invasion, était
devenue impossible. La minorité républicaine ne lai-
LA CONYBNTIOir, EN BÉALITÉ, ITÉTAIT POINT DIVISÉS. 397
sait rien autre chose qn'eœpliquer et formuler ce
que la majorité sentait, sans pouvoir se rendre bien
compte.
Sur celte question solennelle, qui n'est pas moins
que le problème étemel du droit de l'autorité ^ le gé«
nie révolutionnaire qui siégeait àlaMontagnese trouve
précisément d'accord avec l'esprit légiste et philoso-
phe, qui fut celui de la Gironde.
Sur toute question essentielle du moment il en était
ainsi. À travers les violentes disputes, on aperçoit avec
admiration l'unité très-réelle qui existait dans cette
noble assemblée.
Avec admiration; ajoutons : avec douleur ! Hélas I
pourquoi donc leur faudra-t-il s'égorger 7
Quel spectacle, de voir ces hommes de talent im-
mense, et de cœur encore plus grand, qui, d'accord
sur toute chose de salut public, vont s'acharner
dans la lutte où personne, toutr-à-l'heure, ne restera
plus en vie I de les voir serrés ici, dans cette petite
salle de mort, sur cette arène de quelques pieds car-*
rés, qui boira leur sangl
A quoi leur servait tant de lumières, de talent,
de génie même ! Ils allaient, aveugles, sans voir
ce que tout le monde voyait. Ces grands citoyens,
ces amants de la patrie, dans l'excès de leur passion,
auraient voulu mourir pour elle, et ils allaient la
tuer.
C'est ce que vinrent leur dire un jour, pleins de
crainte et de douleur, avec l'énergie du bon sens, les
pauvres gens du faubourg Saint-Antoine, qui voyaient
398 iE FAUBOUKG âAmf-AtftOlNB EXHORTE
plus clair Cent fois qiie la Coîiteniion. Nulle scène
^lus pathétique. Cëtait ici vraiment lé peuple sou-
verain (souverain par la raison) qui venait gourman-
der lèâ sages, les bien disants, lés savants, et, les
larmes aui yeux, lëâ |)riait d'être des simples, dé
laisser là leurs fatales subtilités, de voir la réalité.
Ed vérité, ils ne différaient (}ue sur de^ cbos^ alors
accessoires, sur des chosei d'averiih et qui, n'étant
J)as d'urgence et de salut public, devaient s'ajourner.
Stir toute chose vraiment actuelle, ils étaient uns; ih
Avaient leur Uhité en la France, ett la patrie, qu'ib
portaient tous dans le cœur ^.
Ces honnêtes travailleurs justifiéi*eut d*abord la
ville de Paris ^ direfat qu'od la calomniait, qu'elle
n'avait aucun besbifa ^u'oh apt)el&t des soldats. Mais
ils he repolissaient btlllenient les fédérés des dé^
partements: « Qu'ils viennent, non pas six, se|)t^
huit, vingt-quatre mille, mais qu'Un million de
Français accourent dahs ces murs;.; NoS bras sotit
^ La péUtion fîit lue par le bonhomma Gonchon, rorateor ordmaîre
du faubourg» que les agents de la Gironde travaillaient fort et faisaient
boire (comme on le sut plus lard) ; elle ne rel>ousse tiulleteent les fé-
dérés que la Gironde appeHdi à Paris. Bt, avec cela, eUe n^esi pdiat
Hirondise, elle accuse neitémeitt le tort gra^e de la GooTeatioBi
spécialement de la Gironde, Tesprit de défiance et de Laine avea-
gle, rachamemcnt à perdre ses ennemis. L^accusation tombait d'a-
plomb sur ce parti, qui alors même repoussait les dernières aTailces
dé Dahton) el se déclarait implacable. C'est à ce signé que la péti-
tion neiit a pahi Spontanée, indépendante des partis, un Ytù cri d«
bon sens du peuple, qui, dans la discorde de see représentants, se
sentait périr.
LA CONVENTION A LA CONCORDE (21 OCT. 92). MA
ouYerts pour les recetbir. Ils trouveront les më^
mes foyers qu'ils viÀitëIrent à Tépoque de la Fèdé-
TàtidD. »
Lès Hommes dû fàuboui^ Saint-Antoine > faisant
ainsi cette noble profession de fraternité, se deman-
daieilt hardiment comment la Convention elle-même
n'en donnait pas l'exemple : « C'est avec douleur que
nous voyons des hotnmes faits pour se chérir et s'esti-
mer, se haïr et se craindre autant et plus qu'ils ne dé-
testent les tyrans... Eh! n'êtos-vottspad, comme nous^
les Kèlateurs de la République^ les fléaux des rois et
les atitis de la justice? n'avez*-vous pas les mêmes
detoirs à remplir, autant de périls h éviter, les mêtneS
ennemis à combattre^ et vingt-cinq millions d'hom^
mes à rendre heureux?.. . Ah ! croyez-en des citoyens
étrangers & l'intrigue. On s'attribue mutuellement
des torts imaginaires \ si des êtres aguerris aux ca-^
baies sont à la tête des partis, la masse est bonns
et trompée. Soyez persuadés que les hommes nd
sont pas aussi méchants qu'on le croit. Qu'on
impose silence à l'amour-propre , et il ne faddm
qu'un moment pour éteindre le flambeau des divi«
sions intestines. . . Les opinions difiEêredtes engendrent
facilement des soupçons, et il n'est pas de soupçott
que la prévention et la jalousie ne changent en cer-^
titude... Ah ! que le jour de l'égalité luise ehfln sur
notre malheureuse patrie ; que les citoyens ne soient
pas constamment occupés à se surprendre, à se ten«^
dre des pièges, k nourrir des défiances. C'est à vous,
législateurs^ àpi^éparér les esprits.;. Craignez plus k
100 LE PAUBOimC SAINT^ANTÛINE
haine et les reproches de la postérité, que la poignard
des factieux et le glaive des étrangers. >
 ces légitimes accusations du peuple sur les ^
visions de ses représeutants, la Convention a pourtant
laissé un mot en réponse, qui est comme son testa-
ment pour l'avenir , son excuse au tribunal des siè-
cles. C'est la parole d*Isnard , à la fin de la bdle
adresse de mars 93, pour la levée des 300,000 hom-
mes. Quoiqu'il soit trop t6t encore, nous ne pouvons
nous empêcher de la citer ici :
« Soldats ! matelots ! qu'une émulation salutaire
vous anime, que les mêmes succès vous couronnent!
Si vous mourez au champ d'honneur, rien n'égalera
votre gloire ; vos noms resteront gravés au fronton du
grand édifice de la liberté du monde. Les généra*
tiens diront en les lisant : Les voilà, ces héros qui
brisèrent les fers de l'espèce humaine, et se dévoué-
rent pour nous, lorsque nous( n'existions pas!... —
(Puis, de l'armée revenant à la Convention, des sol-
dats aux législateurs.) Nous aussi , fermes à notre
poste , nous donnerons l'exemple du courage et du
dévouement ; nous attendrons, s'il le faut, la mort
8ur nos chaises curules... On vou$ dit que nous sam^
mes divisés, gardez^vous de le croire. Si nos opinions
diffèrent, nos sentiments sont les mêmes; en variant
sur les moyens, nous tendons tous au même but. Nos
délibérations sont bruyantes; eh! comment ne pas
s'animer sur de si grands intérêts? C'est la passion
du bien qui nous agite à ce point; mais une fois le
décret rendu, le bruit finit et la loi reste. »
BXaORTB LA CORTBlfTIO!! A LA CONCORftB (21 OCT. 9K. 401
Noble parole en eUe*inéme et sublime dans la si*
taation. Isnard l'écrivit au moment où son parti allait
périr y et c'est comme une Yoix de la tombe. Ici , ce
sont ceux qui meurent qui justifient ceux qui vivent,
la Convention tout entière , sans distinction de par^
tisy sans excepter ceux même qui les envoient à la
mort. Par une noble pudeur civique, ils défendent à
Tannée d'apercevoir les discordes qui vont leur coûter
la vie 9 et disent en tombant, victimes des divisions :
m On vous dit que fums sommes divisés, gardez-vous de
Ucroiret'Ê
Et cette parole sublime, héroïquement désintéres^
sée, fut en même temps juste et profonde. Ces dis-»
cordes, toutes violentes et sanglantes qu'elles aient
pu être, ne touchaient en rien au salut public. Elles
portaient sur des questions d'avenir, vraiment préma*
turées alors* Celle de la bourgeoisie et du prolétariat
ne devait guère inquiéter une Assemblée qui avait dix
milliards de propriétés à distribuer au peuple* Les
disputes de la Convention portaient encore sur des
thèses de haute philosophie politique, sur des nuan*
ces délicates de Torthodoxie révolutionnaire. Cette
assemblée, nous l'avons nommée de son vrai nom, ce
concile, abrégeait, tranchait les affaires la nuit dans
ses comités, et elle consacrait ses jours, son atten-
tion, ses efforts, à discuter insatiablement le symbole
de la loi nouvelle. Tout le plus fort de son combat
s'est passé dans la pensée pure, dans la r^on des
C'est le spectacle étrange, mais vraiment noble.
qn'ellft a offert au moa^. Sqr tolite choee d'Intérêt
réeU «otuel, elle était aisément çj'^eord. Fni9de^
philosophie du XVIir siièt^Ie, elle p'att^chïtit vraiment
dUmportapce qu'aux idées ^ elle en vivait, elle eo
mourait. Les membres qu'elle retrancha si cruelle-
lemeot de son sein ne conspiraient pas, ne mepapaleof
en rien le salut de laRéyolutiop. II9 moururei)t, comm^
hérétiques.
La Frapee entrait^ d'une si graqd? ptission, dan^
SA vie d'puité, que les ipoindres diversités y trap-
cbaient plus fortement et faisaient horreur. Des
nuances souvent légères sembl^çnt des anomalies
mopstrueuse^ et digpes de mort. Au contraire, les
autres nations , daps Vétat vraiment discordant oh
chçicuDe d'elles restait, n'ayap^ epcore nulle harmo-
nie d'éléments pi de principes, n'avaieqt garde d^
s'apercevoir de leprs plus fprtes dissqnances. Bar-
bares, et ne sachant pas mén^e combien elles étaipot
barbare^, elles acceptaient biep mieux k diversité
misérable d'éléments non ponciliés qp' elles portaient
dans leur sein. Elles triomphaient de leur chaos in-
digeste qui n'en était pas même à désirer rpnité.
Telle la France, telle la Convention. Qpicoiiqiie
saura distinguer l'identité des priqpipes fbndameataux
qui unissait en réalité cette assemblée» discordante en
apparence, dira comppe Isqard, et repdra ce témoi'-
gpage à la Convention : « Mon, Assemblée glorieuse,
QQP, TOUS pe fûtes point divisée* »
CHAPITRE V
IBMIIÀPBS. - (• lovinlirtO
IipporUoce de U batalUe de lemmapet.-*- Chances qoe l'anpée dt lenyinapef
avait eonCre eUe.— La guerre d'ensemble et par masses est sortie de IMnstinet
ftrttctis et de ta frateniit4.^Ge que ftirent nos fprandei armées. — Ce que ftit
l'armée de Jemmapet . — Exaltation philanthropique de cette armée.— Ftp--
bité ferme et modeste de nos officiers plébéiens. — Sévérité de Tannée pour
les eicès sangnioairet,— L'armée n'est nnllemeot abaitne d*an premier éobeo
(4 DOT. 91).— Formidable position des iLotricbiens à Jemmapes (i not . 99).
•- La bataille ouyerte par la Marseillaise (6 noT. 92). — Vaillance de nos
volontaires, & Ta droite de Tarmée.— La bataille de Jemmapes, décidée par
ta Marseillaise, a elle-même inspiré le Chani du dépar|.
La FraDce 99ql6 était pae , et le monde était
diFisé«
Elle qe savait pas soq m\lèy mais la prouvait par
U viploire. Elle gagna, le 6 poyembre, la l)atailli^
de Jep^mapes.
Et il n'y avait pas à (iire cptte fqis^ comoie en disi^t
de Yalmy, que pp n'éNt qn'une c^oonna^e, une
biitaiUe gagnée Tarpie au ]}f^s. Ce fut uqe mêlée, et
très-sanglante, où chaque homme de l'armée fran-
çaise combattit de près, et à l'arme blanche, où nos
recrues, n'ayant reçu encore ni souliers » ni habille-
ments d'hiver, n'ayant ni pain , ni eaunle-vie^ en-
404 IMPORTAlfCB
core à jeun à midi, après une nuit glaciale dans Que
plaine marécageuse , s'élancèrent de ce marais, et,
gravissant la montagne, forcèrent les triples redoutes
que défendaient, couverts de trois étages de feux, les
grenadiers de Hongrie.
0 jeunesse ! 6 espérance ! force infinie de la con-
science et du sentiment du droit!.... qui pourrait
y résister T... Nos volontaires eurent bien un mo-
ment d*hésilation, quand, sur ce rude escarpement,
ils rencontrèrent face à face les furieuses bouches de
bronze, la mitraille à bout portant. Us se ramassèrent
sur eux-mêmes, et trouvèrent quelque chose en eux
qui leur fit une âme de fer... Quelle? le droit du genre
humain, et cette voix tonnante de la France : « Le
droit ne peut reculer. »
Le droit marcha aux redoutes et les emporta. Il
entra avec les nôtres dans les rangs des vaincus. La
liberté, en les frappant, les émancipa, elle en fit des
hommes libres. La France sembla avoir frappé moins
sur eux que sur leurs fers. Les Belges furent affran--
chisd'un coup. Les Allemands firent, leurs premiers
pas dans une carrière nouvelle ; leur défaite de Jem*
mapes fut Tère de leurs libertés. Il fallut bien, dès-
Iws, que leurs princes les traitassent en ^hommes,
puisqu'ils leur demandaient sans cesse ce qui est le
plus haut signe de l'homme, le dévouement elle sa-
crifice *.
> Lei HoBgrois spécialeineiit prirent d*mi grtnd ecear h R4tf4atioa
Gnaçiise. Dès 1794, elle eut pami eux des martyrs. Fait précievx.
M LA BATAILLE D8 lEHMAPCS (6 MOT. ^. 40K
Tellement Dieu était eo la France! telle la vertu
miraculeuse qu'elle avait alors! L'épée dont elle frap-
pait, au lieu de blesser, guérissait les peuples* Touchés
dn fer, ils s'éveillaient, remerciaient le coup salu-
taire qui rompait leur fatal sommeil, brisait Tenchan-
tement déplorable où, pendant plus de mille années,
ik languirent à l'état de bétes à brouter l'herbe des
Cette première victoire de la République, cette
victoire de la foi, a eu contre elle tous les raison*-
neûrs. Les Jacobins d'abord prédirent qu'on ne vain-
crait pas. Les tacticiens ensuite (ou allemands, ou
mestimable, qui nous a été révélé, dans ces derniers temps, par ua
de nos compatriotes. — Une larme m*esl venue, en écrivant ceci. Nous
Tenons de le perdre, ce jeune homme. Le hasard ou la providence
avait mis en lui la triple alliance des peuples nouveaux : Auguste Dr-
eKBAmo-Barberi-Teleki, français de père, romain de mère» hongrois
par son mariage; et ses enfants sont hongrois. Malade, mourant de la
poitrine, il n*en a pas moins servi activement sa seconde patrie, au jour
mpréme, et il semble qu*ils soient morts ensemble, ensemble enseve^
lis.-*Ensevelis, non pas morts ! Le drapeau, enfoui k Raab, en sortira
an matin ; la France, la Hongrie, Tltalie, se relèveront ensemble. Et
alors, mon jeune ami, alors vous ressusciterez. — Que cette pierre d'al-
liance reste au moins ici, scellée de nos larmes ! Qu'elle reste en té*
aaoignagel Qa*eUe vous serve du tombeau que vous n'avei pas encore.
Vous y donnires, pdsible, dans la foi oii vous flktes ferme, dans Pat-
iente des trois nations. — ^Nous, vous nous avez laissé de quoi peu dor-
mir. Vous avoir connu, vous avoir perdu, Jeune cœur héroïque, Ame
excellente et magnanime, c'est une amertume durable qui nous revien-
dra dans nos nuits.— Lecteur, lis pieusement les livres que le jeune
homme a laissés, et puis8e»4tt y gagner quelqne chose de son cœur!
La IVaiisyloame, 1 845.— De VegprU public en Hongrie^ depuis la Ré^
voUUion françaiêe, 4848. — Les Steppes de Hongrie (inédit, sous
presse),
IT. "
406 CIMKIS dm VàMtR M
bouapurtistas) oot nvammeot travaillé à pr&tmt que
la victoire n'était rien, du que da moioi od n'anît
paB vaibou dans las règles.
Oui, la victoire fut absurde, comme eat tout mî-
rade^ et Too n'aurait pas dû vaincre, à consolter h
«raison» L'armée de Jemmapes était ridicule, pour
tout militaire ordinaire, mal instruite, mal équipée,
misérablement vêtue, discordante surtout,, présen>-
tant je ne sais combien de bandes de volontairea, ou
encore sans uniforme, ou sous Tuniforme varié des
Fédérations de 90, Tel bataillon (celui du Loiret, je
crois) était encore en sarraux de toile, en bonuelB
de paysan. Ce n'est pas tout. Il existait des corps
sous toute espèce de noms (chasseurs nationaux,
chasseurs braconniers, etc.]» Chaque corps se fcmnait
uiùa les villes ou villages, les quartiers, les amitiés,
se baptisait k sa guise. Ce n'était pas une armée, c'é-
tait le peuple, à vrai dire, c^était la France arrivant
m champ de bataille, toute jeune et toute naïve, dans
la confusion du premier élan.
Robespierre avait parfaitement prouvé, depuis plus
d'un aut que la guerre était absurde. £t il avait fiiît
écrire par Camille Desmoulins que la Gironde avait
trahi, puisqu'elle voulait la guerre. Et cette opinion
était tellement celle des Jacobins, qu'au 25 juillet 93,
c'était encore une des raisons principales que faiaaît
iraloir Billaud-Varennes pour envoyer les Girondius à
la mort {Moniteur, n* 206).
Oui, la guerre était absurde. Et il bllait étra fou
pour aller chercher l'ennemi sur son territoire, au
AVAIT ooina WM » mot. n^ en
.HiOiii«iUfilème où la Frwce chmigMit de fodverpe-
vmnU C'est alors précisément que le poutoir peasrà
dQs GiroQdias aux Jacobin». Le ministère de la guerre
particulièrement, celui dont Taotion était décisive cb
.un Id moment, passa du giroildiû Servan au jacdbin
PMh«, q^i changea à Finstant tous les employés, déé-
oigaoisa les services.
Ia guerre était absurde encmre parce que les g6^
néraux de la République étaient royalistes. Dumoui^
ariâz, Dillon, Custine, Tétaient, et ne s'en eachatMt
pas Ut)p. On a vu comment Dumouriez, paraî»^
aaiit à la banre de la Convention, éluda ie len-
ibent de fidélité à la République. Employé cinquaM»
ans sous la monarchie, et dans tels ou tels eiqpldB
équivoques , il m pouvait pas ne pas avoir le tempe-
rameiu réaliste; il aimait le plaisir, Targenf , il lui
&llatt les abus de l'ancien gouvemraient, sa fa^
fiilité, tin bon maître. Il dit partout dans ses Mé***
moires que le fruit qu'il attendait de ses victoire^
républicaines, c'était le rétablissement du Roi. À
tout hasard, an cas que le Roi fût impossible à re^
leyen il s'en préparait un autre, le jeune duo de
Chartres.
Des généraux royalistes, agissant au nom de la Ré-
publique , devaient , par le seul effet de cette dnpli^
eiié , avoir dans les mouvements quelque chose de
gauche et de faux. Ils avaient besoin de Tentho»»-
siasme républicain, et ils craignaient de l'exciter; il
leur arrivait à chaque instant , si la flamme rodlait
monter, d'y jeter la glace* Quand, par emmple , les
408 LA fiOtimB D^ENSBMBLC BT fk% MASSES
républicains allemands, enivrés de Tidëe nouYeHe,
consultaient Gusiine, et lui demandaient ce que de*
Tiendrait la France, il répondait : c Mooarchîe. »
— Et qui r^eia? --* Le Dauphin.
Les sentiments de Dumouriez se trahissaient Tish-
blement dans tes r<^les qu'il distribuait aux gëoénni
subordonnés. Au général Valence, orléaniste décidé,
«mi du duc de Chartres, Dumouriez donna le rftie
actif et brillant d'occuper la Meuse, d'arrêter les Au-
trichiens qui amenaient des secours. Au jacolMn La-
bourdonnais qui avait son aile du Nord, il donna le
rôle obscur et sans gloire de le côtoyer de loin, à sa
gauche, et de le rejoindre seulement quand toute la
campagne serait décidée.
Ni Valence, ni Labourdonnais, ne purent agir nti*
lement Ces deux ailes, énormément éloignées de
Tarmée du centre, ne pouvaient coopérer avec en-
semble. Valence, n'ayant ni chevaux, ni charrois, ne
put bouger, laissa passer TAutrichien* Labourdon-
nais, sacrifié, irrité, fit le moins qu'il put, et mal.
Le grand avantage de nombre que devait avoir Du-
mouriez fut ainsi perdu. En réunissant ses forces, il
eût eu près de cent mille hommes; il les dispersa, et
son armée du centre, isolée, n'en compta que qua«
rante-cinq mille. L'Autrichien pouvait en aToir au-
tant, mais supérieurs en discipline, quarante-cinq
mille vieux soldats; s'il eût su les réunir, il eût écrasé
Dumouriez.
Celui-ci le reconnaît lui-même, il n'a pas con-
nu la guerre nouvelle, h guerre tTememble et par
E8T SORTIE Oë L'INSTtôCT FRANÇAIS ET bK LA FRATERNITÉ. 4UB
masses^ celle qui donna une si terrible unité de mou-
vements aux armées de la liberté. Il ne se douta nul-
lement de l'instrument qu'il employait. Ces armées,
qui étaient des peuples » disons mieux , la patrie
même, en ce qu'elle eut de plus ardent, demandaient
d'aller d'ensemble, et de combattre par masses, le9
amis avec le$ amis, comme disait le soldat. Amis et
amis, parents et parents, voisins et voisins, Français
et Français, partis en se donnant la main, la diflBculté
n'était pas de les retenir ensemble, mais bien de les
séparer. Les isoler, c'était leur ôter la meilleure par*
tie de leurs forces* Ces grandes l^ons populaires
étaient comme des corps vivants; ne pas les faire agir
par masses, c'eût été les démembrer. Et ces masses
n'étaient pas des foules confuses ; plus on les laissait
nombreuses, plus elles allaient^en bon ordre* Plus m
t Domoiiriez ea fait honneur à Carnot, pour en 6ler la gloire à Na-
polécm, La f^ire en est à la Franee. Le grand organisateur des ar-
■léea de 93, le sublime calculateur d*Au8ierlitz n*aumîent rien pu, si
la France ne leur eût donné Tinfaillible épée morale que nous venons
de décrire. — Pour leur maître, Frédéric, son maître fut la nécessité.
Gel babile homme, dans la guerre de Sept ans, pressé de tant d'enne-
mis, mais non entouré, n'ayant & repousser que de courtes attaques
du c6té des Russes, put faire face k tout, en agissant par masses, en
portant ici et là des masses rapides. Nécessité Vingénieuss forma ce
génie mécanique.— Le général incomparable, qui voulut être membre
de rinslitnt pour la section de mécanique, imita et surpassa d'autant
mîeui Frédéric, qu'il eut dans les mains ce qui n'était nullement mé-
canique, ces armées admirables, qui, par une singularité unique, agis-
saient d'autant mieux d'ensemble qu'elles étaient plus nombreuses;
ajoutez, ce qui est bien plus, la tradition vivante de ces armées répu-
blicaines, tradition tellement forte, qu*ttfiées, détruites, eiteminées,
elles se renouvelèrent plusieurs fois.
410 CB QUE FIIRENT NOS GRANDES ARMÉES.
e$l (tamisy fnieuœ ça marche^ c'est encore un mot po*
pulair^. L'audace vint aux généraux, dès qu'ils eu-
rent remarqué ceci. Ils virent qu'arec ces populations
éminemment sociables, ofa touss'électrisent par tous,
et en proportion du nombre, il fallait agir par grands
oorps. Le monde eut ce nouveau spectacle de voir
des hommes, par cent mille, qui marchaient mus
d'un même souffle, d'un même élan, d'un même
cœur*
Voilà l'origine réelle de la guerre moderne. 11 n'y
eut là d'abord ni art, ni système. Elle sortit du cœur
de la France, de sa sociabilité; Les tacticiens n'au-
raient jamais trouvé la tactique. Ceci n'était point du
calcul. Des calculateurs inspirés le virent, et en pro-
fitèrent ; leur gloire, c'est de l'avoir vu ; ils ne l'au-
raient pas vu sans doute, s'ils n'avaient eu eux-mê-
mes Télincelle de ces grandes foules. Ils l'eurent,
parce qu'ils eu sortaient. Les généraux monarchiques
n'auraient jamais pu comprendre le sublime et pro-
fond mystère de la solidarité moderne, des vast^
guerres d'amitié.
Les fédérations de 90 avaient fait pressentir ceci.
Quand on vit tout un canton, parfois tout un dépar-
tement, en armes, autour de l'autel, il ne fut pas
difficile de prévoir les immortelles demi-brigades de
la République. Et, quand on vit les fédérations im*
mensos qui réunirent plusieurs déparlements ensem-
ble, et ces grands corps de fédérés, qui, grossissant
toujours, s'augmentant» se donnant la main, for-
maient à travers la France les chœurs et les faran-
€B ouE ruRBirr nos eftimm aiimébs. m
doles de la nouvelle amitié, on pouvait voir en esprit
que ces hommes, en 92, fidèles au serment de dO,
constitueraient nos grandes fédérations militaires, la
républicaine armée de Satnbre-et-Meuse, la padfica^
triée armée de l'Ouest, la ferme ei invincible armée
du Rhin^ victorieuse jusqu'en ses retraites, la rapide
et foudrovante armée d'Italie.
Des armées? non, des personnes. Chacune d'efles
eut une personnalité distincte et originale. Tel fut le
touchant esprit de dévouement, de sacrifice, qui ani-
ma ces hommes au départ. Ils se perdirent et s'absor-
bèrent dans ces glorieuses légions, dont chacune fut
pour eux une France sur la terre étrangère. Ces ad-
mirables soldats, partis pour tant d'années de guerre,
et qui, la plupart, ne devaient pas revenir, avaient
emporté la patrie et le foyer dans les grandes socié*-
tés héroïques, qu'on appelait des armées. Où qu'ils
fussent, c'était la France. Et c'est la France encore,
aujourd'hui et à jamais, partout où ces amis fidèles
ont ensemble laissé leurs os.
Étrangers qui regardez avec respect et terreur ces
eollînes d'ossements qu'ont laissés chez vous nos gran-
des légions, sachez qu'elles ne furent pas seulement
terribles, mais vénérables. Ce qui leur donna la vic-
toire, cette redoutable unité dans le combat, ce fut
r unité des cœurs et la confraternité. Gardez-vous de
fiadre honneur de ces choses à tel ou tel homme. Des
monuments seront élevés (quand la France se réveil**
lera) à ces glorieuses armées, k elles, noua leurs gé*
néraui. Les calculateurs habiles ne garderont p«s
4M CE QUE FUT L'ARMÉfi DE iBStMAPES (6 KOV. SK.
pour eux la gloire d'un peuple de héros. C'est
et c'est beaucoup^ que les noms ou les images de ces
heureux capitaines soient inscrits à leur vraie place,
au pied même du monument.
Regardons-les attentivement, ces glorieuses ar*
mées, dans leur primitif élan de 92, dans la naïveté
du berceau.
A les considérer froidement et se préservant de
l'enthousiasme, elles présentaient un spectacle étran-
ge, extraordinaire : celui d'un grand peuple, qui,
sans ménagement ni réserve, sans souci de la vie ou
de l'intérêt, sans la moindre attention au passé, à
l'histoire, à la vieille diplomatie, aux traités, au droit
écrit, portait au monde la philosophie du XYIII* siè-
cle au bout de ses baïonnettes. Ces principes, avec
lesquels les philosophes semblèrent trop souvent
jouer eux-mêmes, étaient pris au sérieux par leurs
disciples armés, appliqués avec une sincérité violrate
que rien n'arrêtait. Les transports philanthropiques
de Raynal et de Diderot étaient là, non en papier, en
déclamations, mais en actes, réalisés bien ou mal
dans les effusions aveugles d'une sensibilité terrible
qui ne mesurait, ne calculait rien.
Toute cette philosophie leur flottait, comme on
peut penser, un peu vague dans l'esprit. Et leur
cœur n'en était peut-être que plus violemment pos-
sédé. C'était un caractère singulier, embarrassant,
de la Révolution si jeune, de n'avoir encore aucun
symbole précis, point d'élément traditionnel, point de
monument littéraire, où la pensée pût se prendre. Et
EXALTATION PUlLANTHROPltiUE DE CETTE ARMÉE. 415
cela même est une cause des furieux accès où cette
sensibilité, vague, aveugle, nullement régularisée,
s'emportait parfois. Une seule chose représentait
pour eux le credo révolutionnaire, une chanson, la
Marseillaise. Ils la savaient, la chantaient, la répé-
taient, jusqu'à extinction de voix et de forces. C'était
tout leur évangile. Ils l'appliquaient à la lettre, sou-
vent en bien, parfois en mal. Le sang coula pour tel
couplet, tel autre lit faire des actes d'une générosité
inouïe.
Nous l'avons dit. Quand ils virent passer par char-*
reltes les Prussiens malades, pâles de faim et de fiè-
vre, brisés par la dyssenterie, ils s'arrêtèrent court,
les laissèrent passer. Ceux qu'ils prirent, ce fut pour
les soigner dans les hôpitaux français. A Strasboui^,
soldats et bourgeois traitèrent les prisonniers comme
des frères; on partagea avec eux te pain, la viande, la
soupe ; on leur remplit les poches de journaux patrio-
tiques , et quand ils partirent pour l'intérieur de la
France, on leur acheta du tabac par une contribution
générale. La dépense n'était pas petite, ils étaient
trois mille. Glorieuse prodigalité, et dans un moment
si pauvre, lorsque les nôtres n'avaient pas seulement
de chaussures aux pieds ! Les résultats furent admi»
râbles. Les prisonniers voulurent avoir du papier, de
l'encre , et écrivirent en Allemagne que le Rhin
n'existait plus, qu'il n'y avait ni France ni Allema*
gne, mais que tous étaient des frères, et qu'il ne fal-
lait plus qu'une seule nation au monde.
La sensibilité est mobile, l'exaltation peu durable.
414 PROBITÉ PERHB ET KODESTE DE NOS OFFICIERS PLÉBÉIESS.
Hais déjà dans cette armée se pronoDçait un élément
très-résistant et très-ferme. « Nos soas-o£Bciers de
Vancien régime, dit M. de Lafayette, étaient supé-
rieurs à ceux de toutes les armées de TEurope. b De-
venus officiers par les lois de la Révolution^ ils ont
commencé cette classe d'hommes, braves, honnêtes,
irréprochables, dont parle le général Foy dans une
page de ses Guerres de la Péninsule, page pré-
cieuse, témoignage inestimable de la vérité la plus
vraie, qui reste un litre pour la France : Nos offi-
ciers d* infanterie, dit-il, étaient Thonneur même,
la vertu modeste, la résignation. L'idéal de ces
braves gens, voués au devoir sans ambition, et qui
n'ont dâ leur avancement qu'au temps, à la mort,
fut Texcellent Latour d'Auvergne, premier grena-
dier de la République, instructeur de Tannée d'Es-
pagne. Ces officiers, comme on sait, si peu rétri-
bués, quelques-uns mariés, suivis souvent à distance
de leurs courageuses épouses qui ne voulaient point
les quitter, n'en ont pas moins montré un désintéres-
sement, une délicatesse admirables, contenant par
leurs exemples les tebtations du soldat, et, sans mur-
mure, versant leur sang dans plus d'une affaire meur-
trière, qui souvent n'avait d'effet que d'enrichir les
généraux de l'Empire.
Ces honnêtes gens, à qui la Révolution venait
d'ouvrir la carrière, lui étaient très-attachés. Moins
expansifs que le soldat, ils avaient pour la patrie un
amour muet, austère, qui n'en était que plus pro-
fond. Gardiens jaloux de l'honneur de la France,
SÉVÉRITÉ DE L'ARMÉE POUR LES EXCÈS SANGtJINAIRES. 415
ils s'efforçaient d'imprimer aux bandes jeunes, in-
disciplinées, qui leur arrivaient tous les jours, Ta-
mour de Tordre et du devoir. Ils réprimaient tes ex-
cès, moins par leur autorité que par une censure
grave et le froid mépris, quelquefois seulement par
leurs tristes regards. L'autorité, le respect, qui les
leur aurait refusés, quand on les voyait s'ôter le pain
pour le donner aux soldats, quand les plus braves,
marchant à l'ennemi, les voyaient toujours vingt pas
devant eux.
On put juger déjà entre les batailles de Yalmy et
de Jemmapes, au fort du désordre, lorsque le péril
de la France, l'excès de l'enthousiasme, le délire pa-
triotique, inspiraient aux volontaires les actes les
plus violents, qu'il y aurait pourtant dans l'armée,
sous l'heureuse influence de ses officiers plébéiens,
un caractère très-ferme d'honnêteté, qu'elle ne souf-
frirait pas patiemment de tache sur T habit militaire.
On vit cette jeune armée, qui était à peine une armée
encore, se purger eUe-mème inflexiblement, rejeter
et punir le crime.
Une très-affligeante affaire avait eu lieu k Rethel.
Deux bataillons de volontaires parisiens (le Bépu-
blicain et le Mauconseil) venaient d'arriver, pleins
de fanatiques. Leur coup d'essai fut de massacrer,
malgré le général Chazot, quatre pauvres soldais,
domestiques d'émigrés, qui étaient rentrés et vou-
laient servir dans l'armée. La loi, il est vrai, contre
l'émigré rentré n'était autre que la mort. La Conven-
tion, suivant te mouvement de l'indignation natio-
416 l'akmëe k*ëst nullement abattue
oale, venait d'ordonner qu'on brûlât par la main du
bourreau un drapeau de l'émigration, pris après
Valmy. N'importe, il n'en était pas moins indigne et
honteux de massacrer ces pauvres diables, gens du
peuple, entraînés par leurs maîtres, qui voulaient re-
venir au peuple et ser\'ir la nation. Ce crime était
impolitique autant que barbare; il empêchait à ja-
mais qu'il ne nous vint des transfuges; il mettait un
mur d'airain entre nous et l'ennemi.
n faut dire qu'heureusement le crime n'était pas
celui du corps tout entier. Sur douze cents hommes,
une quarantaine environ y avaient trempé ; et ils ne
l'avaient commis que poussés, excités par les décla-
mations féroces de leur lieutenant-colonel, lepiUrioU
Palloy, un artiste ridicule , un architecte intrigant,
qui s'était enrichi à vendre les pierres de la Bastille.
Ce spéculateur, en violence furieuse, en paroles meur-
trières, passait les plus fanatiques, et il y trouvait son
compte ; ruiné et meurtre, tout lui profitait. Il ima-
ginait sans doute que si l'armée était entraînée, le gé-
néral massacré , il se mettrait à sa place. La chose
tourna autrement. L'armée fut saisie d'horreur. Pal-
loy n'eut qu'à se sauver. On cerna les deux bataillons,
on les désarma, on leur ôta leurs drapeaux, on les
envoya bivouaquer dans les fossés de Mézières. Le
général Beurnonville vint les trouver là, et leur dit
qu'ils étaient perdus s'ils ne livraient les coupables.
Ces enfants de Paris, mobiles et sensibles, quelle
que fût leur violence, fondirent tous en larmes; leurs
bataillons épurés devinrent le modèle de toute l'ar-
mm namm fcHBC (4 nov. 9S). M7
mée^ pour la booDe conduite autant que pour la
bravoure.
Avec une telle armée, animée d'un si pur enthou-
nasme, le succès semblait certain. La France y appar
raissait dans un de ces rares moments où Tbomme au-
dessus de lui-même, héroïque sans effort, ne rencon-
tre rien d'impossible. A regarder cette armée, on
pouvait dire d'avance : Les Pays-Bas sont conquis.
Dumouriez en jugeait ainsi. Il écrivait à la Conven-
tion : c( Je serai le 15 à Bruxelles, et le 30 à Liège. »
n se trompa, car il Tut à Bruxelles le 14, à Liège
le 28.
Cette jeune armée eut d'abord à supporter une
épreuve que les vieilles armées les plus aguerries ne
supportent pas toujours. Elle débuta par un revers.
Nos réfugiés belges n'arrivèrent pas plutôt h la fron*
tière , qu'impatients de reprendre possession de la
terre natale, sans rien attendre , ils attaquèrent. Ne
pouvant les retenir, on leur donna des hussards pour
les appuyer, lis s'emparèrent d'un avant-poste; puis,
par un emportement de jeunesse et de bravoure, ils
se jettent des hauteurs en plaine, et la cavalerie im-
périale y vient les envelopper. Ils périssaient sans nos
hussards. Beumonville était d'avis de se replier, de
rafiermir nos soldats. Dumouriez jugea bien mieux
qu'il fallait à tout prix garder l'offensive, avancer.
Les Impériaux, malgré leurs avantages, reculaient et
cédaient même une très-bonne position. Ils voulaient
nous attirer jusqu'à celle de Jemmapes qu'ils jugeaient
inexpugnable, par la force naturelle et par les tra-
4|8 posmoii roiiHiMU
taux d'art qu'ils y avaient ajoutés. Cétait Yam éd
rautricbien Clairrayt, et il entraîna le génénl u
ohof» te duc de Saxe-^Taschen, qui^ depuis sa hon-
teuse affaire de Lille, eût bien touIu se laver par une
belle bataille^ Un de ses subordonnés , le général
belge Beaulieu, lui conseillait de ne pas raccepter,
cette bataille, mais de la donner lui-même, de mar-
cher la nûitaux Français, de tomber sur eux, d'éera*
ser ou disperser cette cobue de soldats novices. Les
vingtrbuit mille vieux soldats qu'il avait suffisaîaut,
et au-delà, pour cette attaque audacieuse ; Tavan^
tage, en de telles surprises, est pour les troupes
disciplinées, aguerries, qui gardent tout leur sang-
froid. Le duc hésita à tenter ce coup, qui convenait
mieux à un chef de partisans. Prince d'Empire, lieu-
tenant de l'Empereur, gouverneur des Pays-Bas, roi
lui-même en réalité, il ne pouvait se compromettre
dans une attaque hasardeuse ; il lui allait mieux d'at-
tendre l'armée française dans la majesté de ht posi*-
tion domioante de Jemmapes, de l'y voir s'y heurter
ep vain, de l'écraser à ses pieds.
. ^fotre armée se trouva le soir du & novembre à pon-
tée d'admirer cette œuvre de Tart et de la nature. La
position est qon-seulement forte et formidable, mais
imposante, solennelle; elle parle à l'imagination, et
quand on ne saurait pas que ce lieu s'appelle Jemma*
pes, on s'y arrêterait de soi-même. C'est une ligné
de coteaux en avant de Mons, un amphithéâtre qui
s'abaisse aux deux bouts sur deux villages, Gue»^
mes à droite, à gauche Jemmapes (pour le epeo**
DBS AirrRimnm a nmuHê (5 nov. 93). 4ie
tafetar d'en bas)* Jemmapes monte à la montagne
et en couTire un flanc. Cuesmes aide moins à la dé-
fense ; on y suppléa par plusieurs rangs de redoutes
étdgées Vanë sur l'adlre» et dans ces redouter étaient
lés grenadiers de Hongrie. Ces redoutes» et les deuK
. Tillages formaient à droite et à gauche comme autant
de citadelles quMl fallait d'abord emporter. Les péna-
tes du centre, occupées par un bois, étaient coupées,
palissadées d'abattis. Si nos soldats emportaient les
abattis, les villages et les redoutes, ils trouvaient
encore derrière dix- neuf mille excellents soldats;
c'était peu comme armée, sans doute, mais beaucoup
comme garnison de cette grande forteresse naturelle*
Elle paraissait si sûre, que les quelques mille soldais
4)ue le duc de Saxe avait de {dus furent laissés pour
garder Mens. La gmnde supériorité de nombre qu'ar
¥ait Dumouries lui servait fort peu, parce qu'on ne
pouvait approcher des lignes autrichiennes que par
des passages étroits qui ne permettaient pas de se dé^
ployer. On ne pouvait généralement attaquer que
par colonnes. La vaillance des têtes de colonnes de«-
vait seule décider Taffaire. L'attaque des maisons
crénelées, l'escalade des retranchements, l'enlèveir
ment des batlerie$, exigeaient une exécution terrih
ble, d'h<»Dme à homme, et de main à main.
La position n'était pas sans analogie avec celle df
Waterloo* Comme l'Anglais à Waterloo, rAutricbien
AVaitàJemmapesuQe grande ville derrière lui, d'où
il tirait ce qu'il voulait* Mais combien le rude esf
carpement de Jemmapes, franchi par l'armée de la
4t0 NSmmi rOKNIDABLB
République, offrait plus de difficultés naturéUa,
artificielles, que le petit rédillon où vint se briser
l'Empire !
Une ressemblance encore qu'ont les deux batailles,
c'est qu'à Tune, comme à rautre, l'armée française
fut tenue, toute une nuit, au fond d'une plaine hu-
mide, et que le matin, affaiblie et détrempée, oo la
mena au combat. Une telle nuit, passée, irarme an
bras, par des troupes si mal habillées pour la saisoD,
dans ces marécages, par des troupes jeunes, nulle-
ment habituées ni endurcies, eût amené un triste
jour, si cette armée singulière n'eût été réchauffée
d'enthousiasme, cuirassée de fanatisme, vêtue de
sa foi.
Car enfin, ils étaient pieds-nus, ou peu s'en &d-
lait, dans l'eau et dans le brouillard que le maréci^
élève la nuit; eau dessous et eau dessus. La plaine
était coupée de canaux, de flaques d'eau croupis-
sante, et là où l'on se réfugiait, croyant g^ner la
terre ferme, le sol tremblait sous les pieds. Nul pays
n'a été plus changé par l'industrie; l'exploitation des
houillères a donné douze mille âmes au village de
Jemmapes; on a bâti, coupé les bois, séché des ma-
rais. Et avec tout cela, aujourd'hui même, le pays
au-dessous des pentes, est resté, généralement, une
prairie très-humide.
Du fond de cette prairie, nos soldats, grelottants
au froid du matin, purent voir, au couronnement des
redoutes, aux maisons crénelées du village qui sem-
blaient descendre à eux, leurs redoutables ennemis.
DBS AUTRICRimS A JEHIf APBS (S KOY. M). itl
Les hussards impériaux dans leurs belles fourrures^ les
grenadiers hongrois dans la richesse barbare de leur
costume étranger, les dragons autrichiens majestueu-
sement drapés dans leurs manteaux blancs.
Ce que les nôtres leur enviaient encore davant^e,
c'était d'avoir déjeuné. Les Autrichiens attendaient,
restaurés parfaitement; Mons était derrière et four-
nissait tout. Pour les Français, on leur dit que la
bataille ne serait pas longue, et qu'il valait mieux
déjeuner vainqueurs.
Un Belge, vieillard vénérable du village de Jem-
mapes, qui, seul de tout le pays, tout le monde étant
en fuite, resta et vit la bataille, des hauteurs voisines,
nous a dit l'ineffaçable impression qu'il a conservée.
Au moment où nos colonnes se mirent en mouve-
ment, où le brouillard de novembre, commençant à
se lever, découvrit l'armée française, un grand con«
cert d'instruments se fit entendre, une musique gra-
ve, imposante, remplit la vallée, monta aux collines,
une harmonie majestueuse semblait marcher devant
la France. Les musiques de nos brigades, partant
toutes au même signal, ouvraient la bataille par la
HarseQliûse; elles la jouèrent plusieurs fois, et dans
les moments d'intervalle, où les rafales effroyables
du bruit des canons faisaient quelque trêve, on en-
tendait Thymne sacré. La rage de l'artillerie ne pou-
vait étouffer entièrement l'air sublime des guerres
fraternelles. Le cœur du jeune homme, saisi de cette
douceur inattendue, faillit lui manquer. L'artillerie
ne lui faisait rien ; la musique le vainquit. C'était,
IV. ^
422 tk BàTAILLB OmVKfE
comment Idmécoûoattret c'était l'armée de la Jus-
tice, venant rendre au monde ses droits oubliés, la
Fraternité elle*méme venant délivrer ses enoemis* et,
pour leurs boulets, leur offrant les bienfaits de la
liberté.
L'effort du combat devait être à la gaiiche pour
emporter le village de Jemmapes et monter sur la
hauteur, et plus encore à la droite, où la pente était
couverte de formidables redoutes. Le vieux général
Ferraud commandait à gauche ; à droite, le brave
Beurnonville. Ce dernier poste était le poste d'hon-
neur, et Ton y avait mis nos volontaires parisiens;
rude épreuve pour ces jeunes gens, arrivés d'hier et
n'ayant jamais vu le feu. Dumouriez avait près de
lui, au centre, le duc de Chartres, pour le lancer au
moment où le succès d'une des ailes commencerait
la victoire; le candidat à la royauté, s'assooiant au
mouvement de l'aile victorieuse, eût alors attaqué de
face, décidé l'affaire, emporté l'honneur.
Les difficultés de droite et de gauche étaient gran**
des, en vérité; moindres à gauche, vers Jemmapes,
et cependant le général Ferrand ne faisait pas grand
progrès ; l'attaque tratna de huit à onze. C'était pour-
tant par la gauche qu'il fallait réussir d'abord ; Beur
nonville avait à droite des obstacles presque insur-»
montables. À onze heures, Dumouriez envoya à la
gauche son second, un autre lui*^ème, le brave et
intelligent Thouvenot, qui prit le commandement,
emporta le village de Jemmapes. Et cependant, Du-
mouriez, de sa personne, alla voir si réellement on
PAU LA VAIISBaUKB (6 MOV. 92). 4f5
poQvait forcer à droite la terrible position qui arrêtait
Boumonville. Jamais général n'arriva plus à propos ;
nos volontaires parisiens, menés par DampierreS sous
un fea terrible, avaient déjà fait un pas, emporté l'étage
iorérieur des triples redoutes; Dampierre, marchant
seul devant eux, les entraîna, avec le régiment de
Flandre. Portés ainsi en avant, ils étaient en plus grand
péril, et ils ne reculaient pas. Ils étaient là, sous les
yeox des soldats de ligne, des troupes de Dumouriez,
fort attachés au général, qui n'aimaient pas ces volon-
taires et regardaient froidement s'ils resteraient fer-
mes. Sur eux justement plongeait le feu des redoutes
d'en haut, et de loin encore, un de nos généraux, ne
les reconnaissant pas, leur envoyait des boulets. Ils
ne bougeaient; au moindre mouvement, un magnifi-
que corps de dragons impériaux était prêt à les sa-
brer. Enfin, Dumouriez arrive. Il trouve nos Parisiens
fort émus, fort sombres. Les bataillons jacobins se
croyaient amenés là pour être hachés en pièces. Ce-
pendant, là aussi se trouvait en ligne le bataillon des
LambardSy d'opinion girondine. L'émulation des deux
partis, continuée sur le champ de bataille, ne contri-
buait pas peu à les rendre fermes. Il n'en était pas de
* Damooriez dit hardiment que Dampierre n*y était pas. Mais je le
troave si souvent en flagrant délit de mensonge, que je n*y fais aucune
Httention. Par exemple, c'est Kellermann, selon lui, qui a laissé échap-
per les Pmstient.— Autre mensonge : Dumouries a fait en octobre un
plan pour conquérir la Savoie, et elle était déjà conquise en septembre.
— n prétend que les Girondins (auteurs et conseillers principaux de
la guerre) désuraient que la guerre toumftt mal ! etc., etc.
414 VAILUMCB M MOB TOUNTAlt»
môme de la cavalerie, qui flottait un peu. Domomei
y court; mais, pendant ce temps, yoici venir les dra-
gons impériaux, qui s'ébranlent à la fin , Tout, de
leurs chevaux lancés, heurter T infanterie parisienne.
Nos volontaires montrèrent ici un admirable sang-
froid; avec l'heureux instinct qui caractérise cette
population intelligente entre toutes, ils laissèrent ve-
nir la masse effrayante presque au bout de leurs fusils,
firent une décharge à bout portant, qui, du premier
coup, leur fît un rempar.t de cent chevaux abattus.
La superbe cavalerie, poursuivie par Dumouriex et
ses hussards, s'enfuit jusqu'à Mous.
Il revient alors vers l'infanterie : « A vous , mes
enfaols! » Et il se met de toutes ses forces à chanter
Ih Marseillaise. Ce fut un entraînement Un Ça trs
des plus sauvages continua, et les redoutes, en un
moment, furent emportées, les canonniers tués sur
leurs pièces. Les grenadiers hongrois, ces splendî-
des colosses, qui ne pouvaient rien comprendre à
cette furie, furent en un moment envahis, dominés,
sabrés.
Dumouriez dit que l'exécution se fit par deux
brigades de ses vieilles troupes, et par trois vieux ré»
giments de chasseurs à cheval et de hussards (Ber-
chiny et Ghamborand). Quelle part y eut l'infanterie
parisienne, il ne le dit pas. Il semble pourtant que
ces pentes et ce genre d'obstacles aient plutôt néces-
sité l'emploi de l'infanterie. Sa malveillance, du
reste^ est telle pour nos Parisiens, qu'après avoir
avoué dans son Rapport que la cavalerie impériale
A LA DROfTR DE L*AlUrtB (6 NOV. 9S). M»
fat arrêtée par le premier bataillon de Paris ^ il
change dans ses Hémoires et en <loune l'honneur à
ses vieilles troupes. Entre Dumouriez et Dumouriez,
nous nous décidons par un troisième document, une
lettre de Dumouriez lui-mâme, qui écrit immédiate-
ment à la section des Lombards que son bataillon a
eu le poste d'honneur, et fait la première ligne à la
droite de Tannée.
Vainqueur à droite et à gauche, le général avait
moins d'inquiétude sur le centre. Il ne l'avait quitté
d'ailleurs qu'après avoir su d'une manière certaine
que Thouvenot avait, à sa gauche, emporté Jemma-
pes, et qu'appuyant vers le centre, il allait s'en rap-
procher. Les choses, en effet, se passèrent ainsi. Le
centre, s'ébranlant pour passer la plaine, doubla le
pas, et n'eut pas le temps de perdre beaucoup de
monde. Deux brigades cependant eurent un peu
d'hésitation. L'une, voyant venir à elle des cavaliers
impériaux, s'écarta, se jeta derrière une maison.
L'autre, sous un feu très-vif, fit halte un moment et
n*avança plus. Un jeune homme, sans aucun grade,
et qui n'était autre chose que le valet de chambre de
Dumouriez, alla de son mouvement rallier Tune des
brigades, et, la rapprochant d'un corps de cavalerie
française, mena le tout au combat. Le duc de Char-
tres n'eut pas moins de succès auprès de l'autre bri-
gade, il la raffermit avec plus de sang-froid qu*on
n'eût attendu d'un si jeune homme. Tout le centre
ainsi rallié, fort de la victoire de la gauche, qui déjà,
sous Thouvenot, ayant dépassé Jemmapes^ attaquait
4M lA BATAILUS H lEMVMKi. PtCliiÉ9 FAR U lUBSBILIJJ^
les plus haats sommets, força les redoutée qui loi
étaient opposées ^.
Dumouriez avait désiré donner le principal hoiH
neur au centre, dans l'intérêt du jeune duc de Char-
tres, qui y commandait. Il eût trop déoooYert son
jeu, en renvoyant à Paris* n prit un autre moyen*
L'aid€Kle*camp qui porta la nouvelle à la Gonventioo
lui présenta ce jeune domestique du général, qui, au
centre, avait rdlié une brigade avec tant de présence
d'esprit. L'attention était ainsi portée sur le centre,
et l'on devait croire que là avait eu lieu l'effort éifSh
sif du combat.
j^es gens de Mous en jugèrent autrement. Lwsque
Dumouriez et l'armée y entrèrent le lendemain, les
Amis de la CMstittUion de Mons, en offrant une cou-
ronne au général, en donnèrent une à Dampierre,
qui> sous BeurnoDville, avait le premier, à la tète de
nos volontaires, heurté cette terrible position de la
droite, lorsqu'elle n'était pas encore ébranlée par
l'effet de notre victoire de gauche, par la prise de
Jemmapes« Là avait été, sans nul doute, Vextréme
péril, robstination héroïque» et peut-être ôtaitrîl plus
glorieux de s'être maintenu entre ce volcan épouvaiH
table des redoutes et la cavalerie impériale, en rece*
*■ Nous avons soigneusement examiné le terrain. S*il n*a pas changé
de niveau au centre de Famphithéàtre, cette partie offrait les pentes
les plus rapides, le plus rude escarpement. Aussi, Tavait-on nraiM
fortifié par les moyens de Tart, Cest ce qui explique pourquoi Do^
mouriez a pu dire que c'était Tendroit difficile» tandis que les naiw
rateurs'allemands^ disent que'c'élait le plus facile. (Y. Uémoirtê d'tm
A ILLB«ta8 nmilÉ LB aURT DU DÉTART. 497
ymat môme les boulets français, que d'emporter les
retranchements supérieurs déjà démoralisés, et d'a-
chever la victoire.
Le champ de celte victoire, nous Tavons visité,
pleins de respect et de religion, au mois d'août
Pleins de tristesse aussi, voyant ce champ nu et
désert. Nul monument de la bataille, nulle tombe
élevée aux morts^ pas une pierre, pas le moindre
dgne.
La France, qui, près de là, restaurait le tombeau
du vieux tyran des Ptys-^Bas, de Charles^le-Témé-
raire, n'a pas eu une pierre pour les morts de la
liberté.
Les Belges, affiranchis par JTemmapes, qui leur
rouvrit l'Escaut, la mer et l'avenir, et qui, pour
nous, commença la guerre de l'Angleterre , -^ les
Belges n*ont pas eu une pierre pour les morts de
Jemmapes.
Est-ce à dire que révénemept eut trop peu d'im-
portance?
Il y a eu de plus grandes batailles, sans doute, plus
sanglantes, ou plus calculées; nulle plus grande,
comme phénomène moraU
Celle-ci, dans la foule de nos victoires, ne peut pas
se confondre ; elle est la victoire mère qui enfanta
les autres, qui engendra la Victoire au cœur de nos
soldats.
Celle-^î fut le Jugement dp Dieu sur la Révolu-
JlOa LA BATAILLE DE iEMkPfSS, DtClDÉB PAR LA IIA1IMH».A1«1.
tioDy sa solennelle épreuve, qui l'affermît elle-mteM
dans la conviction de son droit.
Celle-ci est la victoire du peuple, non de Tannée.
Il y eut une armée après la bataille ; il n'y en aTait
pas avant.
Grande révolution. L'infiamterie firançaise prit, ce
jour -là, possession des champs de bataille, et Talle-
mande s'éclipsa. Ce que la bataille de Rocroi, la dé-
faite des bandes espagnoles, fit au XYII* siècle»
Jemmapes le fit au XYIII*. Chaque fois qu'une in-
fEuiterie nouvelle s'empare ainsi du terrain, ce n'est
pas seulement une révolution militaire, c'est un âge
politique qui commence, une phase nouvelle de la
vie du peuple.
Ce sont là de trop grands événements pour qu'au-
cun monument soit digne de les rappeler.
Point de monument Et c'est bien. Le lieu suflBt,
il témoigne et raconte. Le solennel amphithéàtret
avec son rude escarpement, est là, pour dire toujours
que nul obstacle n'arrêta l'élan de la France.
Nul signe matériel, travaillé de main d'homme,
n'avait droit de figurer la victoire de l'esprit.
L'esprit seul et la foi gagnèrent cette bataille. Tout
le reste était contre nous. Ce fut, rappelons-le, ce
fut, tout nus, à jeun, au matin d'une nuit de novem-
bre passée en plein marais, que ces jeunes soldats
s'élancèrent. « A cette époque, dit lui-même le gé-
néral républicain avec un noble oi^ueil, on n'enivrait
pas encore le soldat pour le mener à l'ennemi. »
Il fut ivre autrement, — ivre de la puissante har-
A ELLB-HtaB INSPIRÉ LB CUAIIT DU DÉPART. 1»
monie^ firateraelle et guerrière, que les iostromeots
firent entendre d'abord, — iTre de la Patrie, qui lui
emplit le cœur.
Ety au moment suprême, quand la droite hésita,
et qu'il s'agit de TenloTer, la Patrie leur versa l'i-
vresse k pleins bords... Tivresse de leurs chants. La
Marseillaise, entonnée par eux-mêmes, leur gagna la
bataille, le Ça ira ! emporta les redoutes.
A deux heures, épuisés, ils s'assirent sur la hau-
teur parmi les morts, mangèrent enfin, rompirent
le pain si bien gagné, joyeux et sérieux, regardant
Hons au loin, les longues plaines conquises, sans
obstacle, infinies... C'est alors (ou jamais) qu'une
parole nouvelle s'élança du cœur de France, parole
simple et forte, d'espérance héroïque. Ce mot devint
un chant, et ce fut assez pour vingt-cinq années de
batailles :
« La Tidoîre, en chantant, nous ouTie la barriire !... »
Un âge nouveau s'ouvre par ce chant de clairon,
aigu, âpre, sublime. Il partit de l'armée ^; le peuple
y fit écho.
* La première strophe, selon moi, est de 92 ; elle n'est rien antre
chose que le mot qui se trouva alors dans tontes les bouches, Thisto-
rique exact de la bataille, gagnée en dianknU, — Qui fait ces grandes
choses populaires? Tout le monde et personne. Chénier et Méhul ont
toit sous la dictée de la France. Les strophes suivantes, belles, nais
laborieuses, appartiennent en propre au grand poète ; eUes sont un
tSati Spartiate de 93. Nous y reviendrons.
180 vicToiiB n Jimupn (6 not. n).
Et maintenant Toilà bien des choses changées....:
Une heure de la vie du monde tient de sonner, poor
quelles destinées? Dieu le sait.
« Et, dn nord an sûdi, la trompette gueoière
A soDoé rbeure des combats 1 »
CHAPITRE VI
unrASKRi M u VËUum.'^ham m gahbor et db dumouribz.
(NoT«vbre n.)
VAaifiêiom le Joint à U coalition, -<* Joie des popvlationf luiitiinei ta
Pays-Bas. —Terreur de TÂDgleterre. — L* Angleterre travaille contro nous.—*
La Traie et la tensse Belgiqne.-^La France anathématisée par ceux quelle
délifre.— Dnplioilé de Dnvevies. —Il prend sur Ini de garantir le elerg*
belge. — Les Belges refusent la liberté , au nom de U liberté. — Loft
Pays-Bas seront-Ils réunis i la France? — Cambon contre Dumouriex. ^
Bielalwe inaoeMpe de IkunbeD. — Foi flaanciere de r Angleterre et de la
Fi«4ce,
La bataille de Jemmapesfot gagnée le 6 novembre,
et rAngleteire entra le S5 dans la coalition contre
la France.
Ce qu'elle avait refusé à la Prusse le 26 septembre,
elle l'offrait le 2S novembre. Elle alla demander à
Vienne que rAutriche la réconciliât avec la ligue du
Nord, que la Prusse envoyât un corps auxiliaire pour
couvrir la Hollande.
L'Angleterre n'avait rien vu, ni rien prévu ; jamais
on ne put mieux apprécier combien la grande mère
et mattresiw des forces mécaniques ignore les forces
mopales.
431 L'ANGLBTEMIB SB JOINT A LA COALITION (HN MOT. 99-
Elle Q*avait deviné en rien les succès de la Ré-
volution. Elle avait compté que nos milices fui*
raient au premier feu. Pitt craignait : veut-on savw
quoi?... que la Prusse n'absorbât la France. Yoilà
ce que les Pitt et les Grenville avaient compris de la
Révolution.
Ce colossal événement, le victorieux avènement de
la République» le triomphe des trois couleurs, qu'on
leur montrait de loin, qu'on les priait de voir, ils le
virent quand il fut à deux pas^ sous leurs yeux, sous
leurs dunes. Les politiques myopes ne virent pas,
ils sentirent,— quand cette jeune^nalion qui se croyait
aimée de la vieiUe Angkterre, sans le vouloir, la tou-
cha rudement.
Ce fut une grande peur, chez cette naticm fière entre
toutes, de voir la France qui inondait l'Europe. Elle
se frottait les yeux, et ne le croyait pas. « La France
au Rhin ! la France aux Alpes I Cela n'est pas possi-
ble... Mais quoi! la France en face! à Osteode! à
Anvers! Quoi! toucher mon Escaut! ma Hol-
lande! Grand Dieu! ne sont-ils pas dans Lon-
dres?»
Toute la côte de Rclgique avait illuminé. Toute la
population maritime de ces contrées infortunées, sa-
crifiées pendant deux siècles, avait salué dans Farrivée
des Français, plus que la liberté des Pays-Ras, la li-
berté des mers ! Un capitaine américain au service de
France (Moultson), qui entra à Ostende, trouva ce
pauvre peuple dans un si étrange délire , « qu'il crut,
dit-il, que tous étaient devenus fous. » C'était tout le
lOIB WPS MPOLATIOIIS KARITIVCS DES f ATS-HAS. 133
ooDtraire. Le monde devint fou, tous les rois devin-
rent fous, le jour où, pour faire la fortune des Hollan-
dais et des Anglais, ils firent cet outrage à la nature
de fermer les plus belles contrées, de boucher le grand
fleuve qui regarde la Tamise en face. Boucher l'Es-
caut! c'était crever Tœil de l'Europe, s'interdire de
voir sur les mers le despotisme impie de Londres, le
monopole du plus libre élément que Dieu mit en com-
mun, qu'il fit pour l'usage de tous.
Les paniques anglaises ont un caractère particulier,
qu'il est amusant d'observer. Justement parce que ce
pays est si bien clos et fermé de l'Océan, justement
parce qu'il a la sécurité habituelle que donne un tel
rempart, il est, plus qu'aucun autre, troublé de l'idée
d'invasion* Cette nation naturellement brave, mais
peu aguerrie, peu exercée aux armes, devient, au
moindre péril, étonnamment troublée.
On put se donner ce spectacle, en 02, quand la
France déborda de toute part, planta sur tant de villes
le drapeau de la liberté, sans se douter le moins du
monde qu'il ftt peur aux Anglais, et sans songer,
grand Dieu! à faire le moindre mal à la chère sosur
atnée.
La peur étaitmoinsvûneen 1805.Cependant,àvoir
la mer cachée sous les flottes anglaises, à voir de tous
cétés les Nelson et lesColIingwood aller, venir, suer,
couvrir la tremblante Angleterre de leurs vaisseaux
et de leurs corps, il semble que vraiment elle aurait
pu se rassurer.
Une autre panique, mais pour un danger int^ieur.
s'est VD6 an 1842, lorsque la pétition chartiste de trois
iniliioQS de signatures fut apportée au Parlement, et
que I» propriété crut toucher à son dernier jour. Ja-
mais moutons, un jour d'orage, ne se sont plus serr^
à s'étouffer les uns les autr^is. Le berger quel qu*fl
soit, qu'il s'appelle Pitt ou Robert Peel, est bien fort
dans ces jours d'effroi.
Cette peur naïve se trahit par l'exagération des
éloges qu'on ne manque guère de donner au sauveur^
par la dévotion qu'on a pour lui. On lui met dans les
mains tout élément de succès, tout homme, tout ar-
gent, toute loi ou liberté; ils n'en tiennent guère
compte dans ces moments. Et quand ils ont fait en
cet individu cette énorme et monstrueuse concentra-
tion de forces, alors ils s'en étonnent, ils admirent
leur œuvre, ils s'engouent du dieu qu'ils ont fait, de ce
Messie, de ce sauveur. Et le sauveur, souvent, n'est
qu'un commis.
Ceci pour H. Pitt, le furieux commis, qui menant
de front deux excellents coursiers, deux passions na-
tionales, la peur, la haine, s'en est allé droit à la
gloire.
L'ouverture du Parlement anglais fut une grande
scène. Plus de wighs et plus de torys, un seul troupeau
tremblant autour de Pitt. Ce n'était point de la do-
cilité, de la déférence politique, une conversion rai-
sonnée; c'était une dévotion aveugle, bornée, étroir
tement bigotte, l'application du conseil du fameux
janséniste : « Abétissez-vous 1 » Tous disaient leu«
meâ eu^ d'avoir jamais cru à la liberté^ d'avoir
TERREUR m L'AReLETERRB. IS5
en ces rèVe^ coupables de rèformo parlementaire;
ils gëmissaieDt, se battaient la poitrine. Fox, qui,
ayant moins peur, était moins converti, hasarda de
leur demander pourquoi, si peu émus des progrés
efiGrayants des rois, les voyant froidement partager la
Pologne , ils se montraient sj terriblement inquiets
des progrès de la liberté. Il les adjura, en ce mo-
ment solennel où il s^agissait de commencer une
guerre immense, infinie, dont personne ne verrait la
fin, d'examiner encore, d'ebvoyer à Paris, de savoir
si vraiment les griefs étaient tels entre les deux nSr
tiens que, pour les laver, il fiedlût qu'on exteroûûàt
l'une ou l'antre.
n n'y avait rien à gagner avec des gens qui n'é^
taient plus à eux, qui voyaient l'enfer tout ouvert de
Fautre cétè du détroit, l'enfer des jacobins, comme
on disait : les nabbaU jacobites, qui croyaient, à ch»-
qne marée, voir débarquer enfer, diables et sabbats*
Bien plus, ils se tàtaient eux-mêmes, se fidsaient une
horrible peur de la Contagion des petits clubs à la Tran-
çaise qui se formaient dans Londres. Us tremblaient
de se sentir pris de l'épidémie, et volontiers auraient
pratiqué sur eux des exoroismes et des fumigations,
comme plus tard faisait Suwarow pour chasser le
Diable du corps de ses prisonniers jacobins.
Un mot surtout, un mot les avait saisis de terreur^
fiEÛt sortir de toutes leurs hypocrisies libérales, fait
jaillir d'eux leur vraie nature et le fond de leur être
(l'aristocratie). C'est le mot que Grégoire, comme prfr*
aideiit de la Convention, avait adressé en réponse aux
496 L*ANGLBTIMB
félicitations d*uDe société anglaise : « Estimables r^
publiciûns, la royauté se meurt, sur les décombres
féodaux ; un feu dévorant va les faire disparaître; œ
feu, c'est la déclaration de$ droits de f homme/ »
Ce mot Les droits de Vhomme faisait évanouir la
vieille Angleterre, avec ses belles fictions, les b*
meux romans des Blackstone, le vieux masque.
Et la vieille restait devant TEurope, sous sa face :
t aristocratie^
Un seul bomme, Sieyés, avait compris ceci, favait
dit en 89 : Nulle ressemblance entre la France et
l'Angleterre; rien à attendre d'elle.
On ne tint aucun compte de ces mots du profond
penseur, ni de ses développements admirables. La
France fit à sa scBur aînée en liberté \es plus tendres
avances, imprudentes, insensées. Des journalistes, à
moitié fous, allaient jusqu'à vouloir faire roi de France
un Anglais! le duc d'York! D'autres, undemi-AiH*
glais, le duc de Brunswick ! La sage et politiqoe
M** de Staël aurait, dit-on, pencbé pour celui-ci. Le
ministère Staêl-Narbonne avait envoyé prés de Pitt
un homme sûr^ Talleyrand, qui, tout d'abord, mena
trois intrigues de front ; outre la négociation patente,
il en fit une souterraine , révolutionnaire , avec les
veigbs anglais ; et en même temps, pour garder une
porte de derrière, il espionnait pour Louis XVI.
Talleyrand admis prés de Pitt, le renard prés du
dogue, pour ses gracieux tours et flatteries, n'en avait
rien tiré, ni l'alliance défensive qu'il demanda dV
bord, ni la médiation qu'il sollicita (avril 92), lonque
TRAVAILLE OOirrRE NOUS (KOV. 92). 4S7
la guerre fut déclarée. L'Angleterre cramait tant de
donner avantage à la Russie et à la Prusse, que d'a-
bord elle ie dit neutre^ refusa son aide à la Prusse^
comme on a vu, la laissa là embourbée en Champa-
gne, sans lui donner la main (sept. 02). Et quand la
Prusse eut fait volte-face vers TOrient, envahi la Po-
logne, ce fut alors TÂngleterre tremblante et repen-
tante, sous le coup de Jemmapes, qui pria rÂutriche
et la Prusse de ne pas laisser sans défense sa chère
Hollande qui était elle-même, les ports de la Hol-
lande, et la mer de Belgique, ce court chemin d'An^
vers à Londres.
L'Angleterre, < ce champion, ce chevalier des li-
bertés du monde » , pour dire comme M""* de StaëU
appuyée sur ses flottes et sur ses ballots de coton, re«
gardait sur le continent avec quoi elle combattrait,
où elle trouverait Tépée et le poignard. L'épée, ce
fut l'Allemagne, pauvre et militaire, tendant tou-
jours la main à l'or anglais. Le poignard fut le vieux
catholicisme, prêtres et moines, arme rouillée,
mais excellente pour frapper par derrière. Les An*
glais, pour s'en préserver, ont fait plusieurs révolu-
tions; ils les pendaient chez eux, et les voulaient chez
nous.
Les lies anglaises de Jersey et Guemesey, placées
comme une épine au fond des baies françaises, étaient
peuplées de prêtres bretons, angevins, vendéens, c'é-
tait tout à la fois un concile et un quartier général;
les Anglais avaient là sous la main le vrai centre de
la conspiration royaliste. De là ils amusaient, ani-
IV. "
138 hk VRAIE BT LA FAOSSB tBLGIOm*
maient la crédulité des Bretoni. De là ceux-^d atten-
daient toujours la flotte anglaise ; elle ne partait pss,
mais a elle allait partir » «
La Belgique, au moment même où nous la dMn
vrftmesy au moment où pour elle nous rompîmes avee
TAngleterre, devint, contre nous, un foyer d'intri-
gues fanatiques, une seconde Vendée, moins guer-
rièrC) mais tracassière et disputeuse, alléguant contre
la liberté les droits de la liberté même.
Distinguons toutefois; n*accus4)ns pas en masse ee
peuple frère, où la France eut tant de vrais amis.
Quels étaient les vrais Belges? Ceux qui voulaient
la vie de la Belgique, qu'elle respirât librement, par
VEscaut, par Ostende et la mer. C'est là la pierre de
touche, entre la vraie et la fausse Belgique. Ceux qQ{
coulaient maintenir le pays étouflÔ et captif n'étaient
pas les fils du pays.
Quels étaient les vrais Belges? Ceux qui voulaient
la vie de la Belgique, la tirer des mains fainéantes des
moines, et la restituer aux mains industrieuses, ar«
tistes, qui firent sa gloire et la feraient encore.
Quels étaient les vrais Belges? Ceux qui abjuraient
sincèrement, de cœur, le vieux péché des Pays-Bas,
la tyrannie des villes, ceux qui voulaient la liberté
aussi pour les campagnes, ceux qui ne mettaient pas
la patrie dans la confrérie et la corporation.
Ce sont ceux-là qui appelaient la France.
Mais il se trouvait que ceux-là, justement parM
qu'ils ne faisaient pas corps, n'étant pasenr^men-
tés dans les confréries et les clientèles, étaient de
LA f ilÀM(!i ANATHÉMAttSÉB t^Atl CËtJi 00*6118 DÉLtVRlB 42^
beancotip les plus faibles. Aux deut bouts du pays,
à Liège et à Ostende, ils étaient tout le peuple ; daus
toute province maritime, ils étaient en majorité. Mais
dans rintérieur du pays, dans le Brabant surtout, ils
n'étaient qu'une minorité trés-faible.
Nos Français entraient avec Tidée que les Belges,
qui avaient déjà fait une révolution contre rAutri--
che, étaient tous pour la liberté. Ils furent bien éton*
liés de tomber en plein moyen âge, de retrouver les
moines, les capucins, et autres telles espèces déjà
presque oubliées en France, de voir les vieilles con*
fréries sous leurs drapeaux gothiques, les vieilles
bourgeoisies, ignorantes, bornées, ne connaissant que
le clocher^ encroûtées dans leurs préjugés et leurs
habitudes, dans leurs estaminets, leur bière et leur
sommeil; une seule force dans tout le pays, un
clei^é ignorant et grossier, et néanmoins très^^intri-^
gant. Ce clergé, dirigé en 90 par son Van Eupen,
employant assez adroitement un Van der Noot, bavard
de carrerour, avait armé le peuple contre Joseph II,
qui menaçait de supprimer les moines aux Pays-Bas,
comme il faisait chez lui. Joseph s'était montré meil-
leur Belge que tous ses prédécesseurs ; il s'efforçait
d'ouvrir l'Escaut. L'Europe entière fut contre lui*
n se rabattit alors d'Anvers sur Ostende, dont il vou**
lait faire un grand port. Les provinces intérieures, le
Brabant, Malines et Bruxelles, ne lui surent nul gré
de cela. Ses essais de centralisation leur furent in-*
supportables^, divisés de tout temps, ils voulurent
Mster divisés. Ils suivirent donc leurd prêtres; teux^
410 LA FlUmCB ANATBÉMATlSÉfi PAR CBCX QITBtLB I^Um (MIT.9I).
ci, par uo mensoDge hardi, écrivirent liberté nmh
drapeau du privilège.
Mais, quand la liberté entra vraiment avec Tarmèe
française, ils changèrent de style. Le premier de
leurs journalistes, le jésuite Feller, Tuo des hènis
de leur révolution, démentant tout à coup ses men-
songes, enseigna, imprima, sur le serment que de-
mandait la France : « Mille morts, plutôt que de prê-
ter ce serment exécrable! Égalité/ réprouvée de
Dieu, contraire à l'autorité Intime qu'il a établie.
Liberté/ autrement licence, libertinage, un monstre
de désordres! Souveraine du peuple/ invention se*
duisante du prince des ténèbres ! » Ce credo des jé-
suites, colporté par les prêtres, adopté à raveugle
de toute femme, et presque de tout homme, fut si
bien reçu à Bruxelles et autour, que, dès novembre»
une pétition à la Convention pour le maintien des
privilèges fut signée de trente mille personnes. Le
sens était ceci : « Nous eûmes toujours Finégalité;
nous la voulons toujours. »
Les élections furent dans ce sens. Les représen-
tants provisoires de Bruxelles, à la vue d'un tel résul-
tat, désespérèrent de leur pays : « Malheur à vous!
dirent-ils dans leur adresse. Malheur à ceux qui vous
trompèrent I Les cris de leurs arrière-petits-enfants
maudiront un jour leur mémoire. »
Rien n'avait plus encouragé l'audace du parti ré-
trograde, que la conduite douteuse de Dumouriez ;
douteuse alors, mais aujourd'hui, sur son aveu, on
peut la dire perfide. Ce chef de l'admirable armée
DUPLICITÉ DB DUMOURIBZ (NOV. 9S}. 441
qoi venait de gagner la victoire de la foi et de Ten*-
thousiasme, rôvait de la corrompre, de se Tappro*
prier, d'en faire un instrument de ruse. Il la conduis
sait en Belgique, mais pour faire à la bâte une armée
belge, qu'il eût associée, mêlée à la nôtre, pour neu-
traliser dans celle-ci l'élan républicain. Que ferait-il
après? il ne le savait trop lui-même. Tournerait-il
cette armée combinée contre la France et la Révolu-
tion qui la lui avaient mise en main? L'emploierait-il
à fonder, à son profit, une domination indépendante?
Ou bien, au lieu de trahir la France, serait-ce la
Belgique qu'il tromperait, la rendant à l'Autriche
pour acheter la paix? cela était incertain encore.
Tout ce qui était sûr, c'est que Dumouriez trahissait.
Il avait envoyé en avant deux agents, un révolu*
tionnaire, un autre rétrograde. Le premier, l'aboyeur
célèbre Saint-Hurugue, le marquis forl-des-'halles,
qui avait brillé au 20 juin et ailleurs, devait plaire à
un peuple qui avait tant goûté les aboiements de Yan
der Noot. Le second avait la mission secrète d'aller
trouver l'autrichien Mettemich, de lui dire que le
général ne conquérait que pour traiter, ne prenait
que pour rendre, qu'il le priait de laisser quelqu'un
à Bruxelles, avec qui l'on pût négocier.
n arrive à Bruxelles , on lui offre les clefs :
€ Gardez-les vous-mêmes, dit-il. Ne souffrez plus
dPétrangers chez vous... » Ainsi, la question de sa-
voir si ce pays hétérogène, qui ne put jamais s'unir
ni se défendre, [pouvait former un peuple, subsister
par lui-même, le général français la tranchait, contre
UÊ DUMOURISZ PRBMD SCR LUI Ml QAlUIlTni U CUBMt BEUB.
sa patrie. Question trop claire^ et, de longue date, i^
solae par rexpérience. Si oe pays n'est France, c^eit
la porte pour entrer en France, la porte que Teniith
mi tient ouverte, et le chemin de ses arintos S
Les Belges s'aperçurent ))ien vite que cet am»
bitieux, sans nulle racine ici', ennemi de la Révo*
lution, cherchait un point d'appui chea eux, qu'A
avait besoin d'eux. Du premier coup, pour subsister,
au lieu de demander des secours et des vivres à la
reconnaissance du pays affranchi, il s'adresse aox ca-
pitalistes belges, aux fournisseurs belges, demande no
emprunt au clergé belge. Par cet emprunt, il tran-
ohait encore, avec un audacieux machiavélisme, Il
question capitale de la Révolution. Elle ne pouvait
s'établir en Belgique qu'en se conciliant le peuple par
des suppressions d'impôts. Mais, ces suppressions,
elles étaient dérisoires, impossibles, si on ne les reiH
dait possibles par la vente des biens ecclésiastiques.
Traiter avec le clergé, c'était le reconnaître et le
^ La Belgique est une ioTentioD anglidie. H n'y è jamai» eo de JM^
pqoe, et il D*y en aura jamais, II y a eu et il y a toujours des PaytrBoi^
Et ces pars resteront toujours au pluriel. En vain on a créé uo peopie
âe fonctionnaires, pour crier de minute en minute : « Notre lUtfûNia-
litél 9 — L*Àlsaoe, une petite hande de terre» est defenue graad^
^éroTque, moralement féconde, depuis qu'elle eat unie à la France. La
France lui a fait large part, et plus large qu*à ses premiers enfante. Ls
Belgique, incomparablement plus grande et plus importante, est et sert
stérile tant qu'elle ne sera pas a? ec nous. — Je ne suis pu taspecL
J'aime ces pays, d'amour $ la cordialité de ce peuple ?a à mon ecHff.
J'y ai été dix fois, et veux toujours y retourner. Ma mère était àe h
Meuse, de l'extrême fronUère. J'ai consacré à leur bbtoire biea dei
années de ma TÎe.
LES BELGES REFUSENT U UBERTt, AU NOH DE LA LIBERTÉ. 443
garaotir oomme propriétaire; c'était loi promettre
implicitemeat qu'oa ne toucherait point aux abus^
c'était couper d'avance la racine même de la Révo«
lutiob, au moment où on la plantait^
DumourieB tut beau faire, il n'obtint pas la con*
fiance en Belgique^ et il la perdit en France.
Il pria la Belgique de devenir un peuple. Mais ce
monstre & cent tètes ne put même comprendre ; les
cent têtes entendirent tout diversement, et tout de
travenu Le monstre resta et voulut rester monstre.
Bumouriez les pria de lever une armée nationale
pour balancer la nôtre. Chaque ville eut sa troupe; il
n'y eut point d'armée.
Il leur fallait aussi, pour obtenir quelque unité, une
ofganisation judiciaire analogue, harmonique. Cha-
que ville garda ses tribunaux, sans relations et sans
hiérarchie.
Bumouriez les pressait de faire une Convention
belge, contre la Convention française. Bruxelles, en
attendant, et dans les cas d'urgence, tlonnait les dé-
cisions de ses représentants pour celles du pays.
Toutes les villes furent contre Bruxelles. On indiqua
ponr centre de réunion Alost, et les élections com^
mencèrent, toutes détestables et rétrogrades. Le
premier usage qu'ils faisaient de la liberté reconquise
était de tuer la liberté.
Il n'y eut jamais eicemple d'un tel aveuglement.
Ce peuple à qui la France apportait, pour premier
bienfait, Texemption absolue d'impôt pour les classes
pauvres, désira rester pauvre et que son clergé fût
444 tBS PATS-BAS SBR0lrr4LS
richei rester maigre pour engraisser ses prêtres, n
yota contre sa liberté, contre sa subsistance et son
pain, que la France lui mettait à la bouche.
La population fonatique, qui, en octobre, priait à
Sainte-Gudule, et faisaità genoux le chemin du Saint-
Sacrement «pour Tanéantissement de la maisoB
d'Autriche», dès la fin de novembre, elle priait con-
tre la France, hurlait autour du club et menaçait de
mort les patriotes belges. Dumouriez s'épuisait àtàr
cher de leur faire comprendre leur intérêt réel. Il y
eut, le 27, une première tentative de soulèvemeot
contre lui. On sentait bien qu'il hésiterait à employer
la force. Il essaya les remontrances paternelles et kt
indignement sifflé.
Les fourbes qui menaient ces populations aveu-
gles et ne voulaient rien autre chose que les ramener
au joug, ne manquaient pas, dans leurs pamphlets,
d'attester la souveraineté du peuple. « Le peuj^
belge n'est-il pas souverain, un souverain indépen-
dant et libre? t — Ils réclamaient pour lui Uberté
du suicide.
Le peuple? mais à quoi reconnaître qu'il y eût un
peuple, lorsque ces confus assemblages de villes, qui
n'ont même jamais pu sérieusement se grouper en
provinces, n'en venaient pas à donner le moindre signe
d'union, au moins fédérative? La trahison du géoâtl
français était pour eux une occasion unique, inespé-
rée, de se coaliser, et ils n'en pouvaient profiter. Les
vieilles haines, l'esprit d'isolement, aussi fort en 92
qu'ils furent aux XY" et XYP siècles, les ramenaient
BÉimiS A LA FRAKCBt I4ft
SOUS rAutriche, comme ils les mirent alors sous la
Buûson de Bourgogne, puis sous les Espagnols.
Comment tout cela était-il envisagé de la France?
Avait-elle impatience de profiter de cette impuis-
sance radicale de la Belgique? Rien de plus curieux
àobserrer. Rien n'honore plus laFrance, la mémoire
de nos pères, leur désintéressement, leur attache-
ment aux principes, l'innocence, disons-le, la pureté
de la RëTolution.
Suivons attentivement la variation de nos hommes
d'Ëtat, leurs scrupules. Il est évident qu'ils n'avaient
rien de prémédité, rien de systématique.
An premier mcMnent, le cœur leur bat, on le voit
bien. Ils voient la France déborder sur l'Europe, et
s'enivrent de sa grandeur. Au moment de Jemmapes,
au moment de la réunion volontaire de la Savoie,
Brissot écrit à Dumouriez ces paroles émues : « Ah 1
mon cher, qu'est-ce que Richelieu, qu'est-ce qu'Ai*
béroni, leurs projets tant vantés, comparés à ces
soulèvements du globe que nous sommes appelés à
fiiire! Ne nous occupons plus d'alliance avec
l'Angleterre ou la Prusse : Novm rerum Tuudturordo.
Que rien ne nous arrête... Ce fantôme de Tillumi-
nisme (la Prusse) ne sera pas pour vous le Sto, sol..
La révolution de Hollande n'en sera pas arrêtée. Une
opinion se répand ici : « La République ne doit avoir
de bornes que le Rhin. »
Cette opinion n'était nullement générale. Le pre«
mier mouvement fut de joie désintéressée. Plus tard
même, plusieurs des Girondins^ soit par crainte d'à-
4M càmtm
krmer TEuropei mt par respect do priodpe de b
souveraineté des peuples, appuyeot les plaintes du
Belges, celles de Dnmouries, travaillant maladroite-
ment à soutenir contre la France ce fantûma di
peuple, dangereux instrument de la coalitiou et ds
la tyrannie sous le masque de la liberté.
Deux hommes ne s'y trompèrent pas, et montrè-
rent dans cette grande afihire une remarquable fe^
meté de caractère et de bon sens; contre l'avis de
leurs amis, ils travaillèrent à la réunion de la Bel-
gique.
Danton, qui semblait jusque-là intimement lié à
Dumouriez, s'en sépara sur cette question, se fit en-
voyer en Belgique, essaya de le convertir à ridée de
réunion , et y travailla malgré lui,
Cambon, qui k ce moment semblait se rapprocher
des Girondins, ne ménagea pas, comme eux, Du*
mouriez; il fit casser ses marchés, annuler ses em*
prunts, il déjoua ses dangereux projets.
Dumouries, comme le cardinal de Retx, avait aiH
pris dans la vlo de César que rien n'est plus utile sa
politique que de devoir beaucoup, d'avoir nombre de
créanciers liés à sa fortune. Et il avait vigoureuse*
ment appliqué Taxiôme , prenant pour créancieri,
non-seulement les banquiers belges, mais le grand
propriétaire du pays, le clergé. Il en tirait, sens
garantie de la Convention, sur la seule garantie do
nom de Dumouriez, la somme énorme de wùX mil-
lions de francs. Qu'on juge si ce corps était engagea
le soutenir^ n'ayant de gage qœ sa pan^, de sAreli
QQiiniB DimoiniiBi (nov. nv m
que la continuation de son autorité en Belgique» Hih
mouriex en était déjà à traiter de haut avec la Francej
il lui of&ait Taumône de deux ou troia millions, popN
TU qu'on lui laissât le reste, pourvu qu'on respectât
ses respectables créanciers» le clei^é et la banque, la
féodalité, tous les abus de la Belgique.
Âveo tout son esprit, il ne connaissait nullement
l'âpre génie de la Révolution. Il vint se briser contre.
n n'en savait pas le mystère moral et financier.
Quand Dumouriez partit pour la Belgique, il écri*
vit un mot qui séduisit à la grande entreprise Cam*^
bon et tout esprit sincèrement révolutionnaire : « Je
me charge de faire passer vos assignats, b
Ce mot disait beaucoup. La Révolution des idées
était, en même temps et essentiellement, une révolu**
tion d'intérêts, une grande mutation de la propriété,
dont l'assignat était le signe. Signe nullement vain,
à cette époque, puisque l'on pouvait à l'instant
échanger ce papier contre du bon bien très-solide,
que vendait la nation.
Quiconque recevait un assignat faisait acte de foi ;
c'était comme s'il eût dit : Je crois à la Révolution.
Et quiconque achetait du bien national, disait en
quelque sorte : Je la crois durable, étemelle.
La vieille religion de la terre, la dévotion sincère
qu'eut toujours pour elle le paysan de France,- se
confondait ici avec la foi révolutionnaire. L'assignat
en était l'hostfe.
Le centre de cette religion était en face de la place
Yendôme, dans l'ancien jardin des Capucines, pré-^
418 DIGTATtmB FmAHCIÈRB D8 aXDOII (92).
cisément où est le Timbre aujourd'hui , me de II
Paix. Deux caDons chargés à mitraille, qui gardaient
la porte du couvent, avertissaient les passants du se*
rieux mystère qu'on faisait au-dedans, et qui n'était
pas moins que le salut public. Une vaste et forte ar-
moire de fer, d'une serrure savante, indécbifirable,
inouvrable aux profanes, enfermait le trésor, la
châsse et les reliques, je veux dire d'abord la Gom-
titution sacro-sainte , les minutes des lois, — de
plus les vénérables matrices des planches aux assi-
gnats, -*- le précieux papier enfin qui avait la met*
veilleuse vertu de se faire or. Tout cela, non pas
dirigé, mais surveillé de près, jour par jour, par
Cambon. C'était l'inflexible et sauvage pontife du
symbole national.
D'autant plus âpre et plus sauvage que personne
plus que lui n'en prit la responsabilité. Cambon cmt
à hi vente, et crut au signe de la vente, et que ce
signe équivaudrait à l'or, et que la France se trouve*
rait, de ce signe, plus riche que le monde, qu'elle
vaincrait le monde à force d'assignats. Nul plus que
lui ne contribua à décider la guerre, le 20 avril 92,
quand il répondit à celui qui faisait craindre desem^
barras : « L'argent! monsieur, nous en avons plus
que tous les rois de l'Europe I »
« Nous en avons 1 1 foi vraiment admirable. Nous
en ferons, aurait été mieux dit.
Chose étrange I Presqu'au même moment, M. PiU
disait au Parlement : « Plus on doit, et plus on est
riche, t Et il accumulait, en preuve, des chiffires ab8u^
roi FmANcites db l'amglbtbmib bt m u fbancb. 44e
des et qui ne prouvaient rien. Le Parlement, plein
de foi, parut croire, parut dire, comme saint Au^^os-
tin : < Credoy quia absurdum. »
La France et l'Angleterre, à leur entrée au grand
duel, s'y lancent par un acte de' foi.
Cambon, pour gage du papier, montrait, il est
vrai, de la terre. Maïs cette immensité de terre pou-
^t-elie être sur-le-champ achetée ?
Pitt, pour gage, ne montrait rien du tout. Le gage,
qui n'était pas encore, c'était la force énorme de
production industrielle et de richesse que deux hom«
mes allaient découvrir, Arkwright et Watt. Tout se
trouvait hypothéqué sur l'avenir et l'invisible, sur
Tair et la vapeur. Elle allait donner un corps aux
absurdités de Pitt.
Cambon croyait fortement, il en avait besoin. Sa
foi robuste était mise à l'épreuve , de moment en
moment, par les vides, les creux, les abtmes, qui se
fusaient sous lui. Il les comblait, de toute chose, tou-
jours pour un moment; l'implacable abtme restait
béant et demandait toujours.
On en mesurait diffîcUement la profondeur, dés
92. Et, lorsqu'il fallut sérieusement organiser une
année, ncm pas sur le papier, comme avait fait
Narbonne, mais en réalité, ce fut comme un nou-
veau gouffre. — Bien plus, une autre armée, tout
autrement nombreuse, surgit du sol, qu'il fallait
payer, la foule innombrable des gardes nationaux
qui, de «toutes parts, marchaient à la frontière. La
nation ne leur donnait que 16 sols par jour; k eux
4tb MCTATiniE nNAMCIÊltt 1» CAHBON (ITM).
de se nourrir aiD6i qu'ils reoteodaient. Quinte lolil
le paysan trouvait la journée assez beUe, quand ii
ne s'agissait que de mardier^ chanter, rire et se
battre. Ils venaient par cent mille; les payeurs aux
abois auraient voulu trouver des moyens pour k»
arrêter. Mus plus on en payait, et plus il en venait.
Phénomène terrible I Ces agents effrayés voyaient
chaque matin le vide de leurs caisses qui s'approfcHH
dissait, et en même temps une légion nouvelle, la
nuit, avait poussé de terre, gaie, vaillante, aflhmée,
qui arrivait, riant de ses dents blanches, demandant
Pennemi et le pain de la République.
Ces caissiers du néant, assiégés dans leurs bureau!
par des foules militaires, menacés, serrés à la gorge,
criaient tous à Paris. L'embarras, les clameurs de
ces désespérés, tout venait retentir au même point
Ce mouvement immense, plein de vertige, cette
terrible abondance d'hommes, cette terrible pénurie
d'argent, cette tempête d'armes, d'assignats et de
chiffres, le tout d'un tourbillon, venait frapper id.
Les anciens commis des finances, gens de cfi^dté
pour des temps ordinaires, étaient insuffisants pour
une telle crise. Us restaient muets et tremblants.
Les financiers, banquiers, etc., bande très-^tneo
dressée et (bien d'accord pour des oiseaux de proie),
se tenaient de cêté, dans l'espoir que, le chaos s'em-
brouillant de plus en plus, ils pourraient avancer
pour mordre.
tJn homme seul, Cambon, eut courage dans cette
aituattoa. Président du comité des finances, et son
mcrimmi raiANOÉn db gaiimni. tst
invariable directeur, il s'y établit, s'empara du chaos,
60 dtii>rouilla les ôléments dans la lutte la plus obfti«
née, et en tira Tordre nouveau. Intrépide maçon ^
prenant de toutes parts des ruines et des débris, il en
a bâti le Grand Hwé.
Si Ton est curieux de connaître quelle fut la forte
et rude tête où se passa toute la révolution des chir*
fres, où le Doit et Avoir se livrèrent tant de guerres,
il faut voir le portrait de David.
Le redoutable personnage ^ en qui fut Pâme de
Ciolbert sous les formes de la Terreur, ne parait nuU
lement, comme Colbert dans ses portraits, sombre^
affitissé et triste. Tout à l'envers du ministre de
Louis XIY, qui disait en mourant : « On ne peut
plus aller » , le visage de Cambon semble porter écrit
un vigoureux entrain, un invincible Ça ira.
Trenteetquelques années, fortement coloré, amer,
pur et sauvage, tel est l'homme. L'air avisé, mais
franc, est d'un rude marchand de province, de forte
laoe de paysan. La tradition sévère du Languedoc,
dont les États enseignèrent à la France la comptabi*
lité, semble visible ici« On sent parfaitement que les
fournisseurs de la République devaient être mal &
l'aise sous un pareil regard, et sentir devant un tel
homme que leur tète tenait faiblement.
La force, la vie chaude de la France nouvelle est
dans ce teint puissamment animé ; et en même temps
il est d'une transparence, d'une pureté, on peut dire,
redoutables : on sent trop que celui-là ne pardonnera
guère, qui n'a rien à se pardonner.
«■ MCTATimB FIlUlIClfiBB DB CAHMI (1792).
Cet homme fut rapace , avide, avare , il faut Pa-
vouer, mais pour la République. Tai dans les mains
le compte exact de sa fortune avant et après la Révo-
lution, son budget vénérable. Dans cet acte , fiût par
lui en sortant des affaires, il constate qu'il y est entré
ayec 6,000 fr. de rente, et qu'il en sort avec 3,000.
Rentré chez lui , près Montpellier, il administra ses
finances aussi sévèrement qu*il avait fait pour celles
de la France. Par une économie très-stricte et très-
serrée, sans autre moyen qu'une petite ferme dontfl
faisait vendre le lait, il parvint en vingt ans à refiûre
les 6,000 fr. de rente qu'il tenait de son père. Ce qui
surprit le plus, c'est qu'en 1816, exilé à Bruxelles
avec tant d'autres conventionnels, Gambon mit en
commun son petit revenu, nourrit tel et tel de ses
compagnons d'infortune. On sut alors que cet homme
économe entre tous n'en était pas moins magna*
nime.
< Je lui ai dû cent fois la vie», dit M. le duc de
6aete> alors commis des finances. Il en sauva bien
d'autres; quarante en une fois: les quarante rece-
veurs généraux, qui, par une méprise, allaient périr
sans lui.
Au moment où nous sommes parvenus, en 92, en
présence des embarras infinis de la circonstance,
Cambon, obligé d'y faire foce par des ventes rapides,
semble le grand huissier de la Révolution. Il vend,
reçoit, absorbe, occupé jour et nuit de garder et
d'emplir l'armoire de fer, qui ne s'emplit jamais*
Couché dessus, le dogue manifeste, pardesoords
DiaATURB FINANaÈBE M CAMBON. 4S5
grondements, la faim, la soif du fisc. La Convention,
de moment en moment, lui jette à ronger un décret.
Dans la Terreur universelle, en plein 93, tout comme
auparavant, il est lui-même un objet de terreur. Ra-
rement on ose lui lancer quelque attaque oblique
et timide, jamais impunément. Il mord une fois
Brissot, l'autre fois Robespierre. Qui est mordu en
meurt. Lui , on ne peut Tatteindre ; il représente la
chose que tous craignent et qui ne craint rien;
quelle? la nécessité.
Les 1,600 millions de biens vendus en 91 sem-
blèrent n avoir fait qu augmenter cette faim. 500 mil-
lions furent arrachés de plus dans les premiers mois
de 92, et Cambon avait toujours faim. Il insista alors
pour qu'on vendit la partie des biens ecclésiastiques
réservés jusque-là, les édifices même, les églises et
couvents. Proposition audacieuse : nous en verrons
les résultats.
La difficulté était plus grande encore d'amener
nos assemblées à vendre les biens des émigrés. La
Législative avait témoigné une horreur véritable pour
la confiscation. La Convention ferait-elle deméme?.».
Au moment de l'invasion , les émigrés entrant en
armes, Cambon ne manqua pas son coup. Une dépu-
tation d'un village des Ardennes vint à la barre pleu-
rer la dévastation de ses champs, ses maisons sacca-»
géesy ses granges incendiées. La Convention décréta
un petit secours de 60,000 fr. à prendre sur les biens
des émigrés. Quoi de plus juste que d'indemniser les
victimes de la guerre aux dépens de Tennemi?. . Cest
IV. ••
m DICTATURE FlNANdÈRÉ Dfe CAHRON H 7%)-
ce qu'àUendait Cambon. 11 entra par ce petit trou
dàbs la riche et immense proie des bienii de Ténii-
gration , valant 4 milliards. Le jour même , il fit
décréter que, dans les tingt^quatre heures, les ban-
quiers, notaires et autres dépositaires de fonds d^é^
migres, déclareraient ces fonds, et vingt^quatre
heures après les verseraient aux caisses des districts.
Sûr ce point et sur d'autres, Cambon rencontrift
pour obstacles les scrupules d'une partie du cété
droit, du centre. On a vu, en octobre 91,rhési-
tation de la Législative sur la question des biens des
émigrés* Les prendre, c'était violer la Gottslitntîoû^
qui supprimait la confiscation. Les respecter, c'é-
tait laisser aux ennemis armés, à ceui qtli amenaient
les armées étrangères , toute la Tôree morale qui
s'attache aux grandes fortunes. Beaucoup d'éoii^
grés, quoi qu'on flt^ trouvaient moyen d'eH tirer
encore des ressources; les intendants et gens d'af-
faires^ dans la prévision de leur retour, continuaient
de leur envoyer les fruits de bien des choses qui
n'étaieùt pas sous le séquestre. Rien n'était gagné
contre l'émigration, tant que ses biens n'étaient paâ
vendus, et surtout vendus par parcelles, divisés entre
une foule d'acquéreurs et sous-acqu^eurs^ mis en
poudre impalpable, défigurés ainsi et dénaturés à ne
les reconnaître jamais, passés au grand creuset delà
Révolution^ infusés, sous forme nouvelle» à la via
générale.
La Gironde^ en grande partie (et Condorcet en tète))
hésitait ici> reculait* Ils voulaient la Révolution, moii»
MfeTÀrtkÊ hNA*ciÊnË bfe isiAVBdN (i79î) 4to
ift RèttiluUDn. Ilà vôiil&ient la guerre» thoinâ les
Hiôyôbsdeldgtibt^re.
Cîimboa était contré eiik.
Et d'autre part, CamboU avait mià contré lui ude
boiihe partie de la ttoniague, par son înQexiblë dureté
ft eiiger les eôtnptes dé la Commune de t^aris.
RbbespiiBriis spécialement le haïssait , mais poiir
d*àiltrës knotifs. Il lé haïssait comme tout ce qui avait
autorité dans là Cobvention, et aussi par antipathie
de nature. L^houlmé de paroles et de discours, inca-
pable d'afSftires (horâ là tactique des clubs) , enviait ,
détestait 1» gtràud homme d'affaires. \\ n'osait l'atta-
quer, inais, indirectement, il le minait dans ses joiir-
ûMlx. Vers la fin de novembre, il osa davantage : il
lançà contre lui, conitae ou verra, une force révolu-
tionnaire toute neuve, le violent Saint-Just, qui dé-
buta Ainsi dans là Codventioh.
fint^e i*indécision de la Gironde, qui né l'appuyâît
poikit, et là malveillance d'ùnè si importante partie
de là Montagne, Càmbou alla droit son chemin, sànS
faire ieàiblant de Voir.
11 alla, les yeux toujours fixés aU but, suivant, sans
dévîér, là quéstioû dominante de la dévolution : Là
Write de$ biens fiatiônaUx (qui, distribuant la terré &
tous, rendait la Révolution ^lide, irrévocable), et
là mobilSsatiôb et circuMion âe ces biens sous fcfrme
d^tàkigtini^.
Nul àml l[)our tatiibôn qiiô ceux qui veulent U
rente 61 l^aissignat.
LlAVàsfott dé là Belgique, au paya eâséhUelléb\éb\
4S6 DICTATURE FINANCIERS DE CAMION (1799).
aristocrate et prêtre, avait éveillé en lui qq espoir
infiDÎ. Cambon aimait l'argent en général, mais com-
bien plus l'argent de prêtre I Ce qu'il haïssait le plus
en ce monde, avec les fournisseurs, c'étaient les prê-
tres, les moines. Nul n'eut plus vive au cœur la vieille
haine gauloise pour la gent des pieux fainéants.
Tout cela irrité encore par une circonstance person-
nelle. Cambon, de Montpellier, avait émigré à Cho-
let, à la porte de la Vendée ; il avait établi une fabri-
que dans cette ville florissante alors, dont rafifreuse
guerre des prêtres fit bientôt un monceau de cen-
dres. Là, il avait vu de prés l'intrigue de ceux-ci
dans les campagnes contre la ville industrielle et ré-
volutionnaire. Il leur gardait rancune. La Belgique
lui venait à point pour payer la Vendée. C'était une
fête pour lui de s'asseoir en esprit à ce gras banquet
ecclésiastique, de manger, à sa faim, du bien de
moines et de chanoines. Il aiguisait ses dents. Le tout
vendu, et circulant en monnaie d'assignats, eût en-
gagé à jamais la Belgique dans la cause révolution-
naire. Elle eût aidé la France, comme elle devait,
dans la grande guerre de la liberté commune, et ce-
pendant se fût enrichie elle-même, les belges ach^
tant à bon compte et mettant en valeur ces biens
inertes dans les mains du clei^é.
Quand il apprit que Dumouriez, par un traité
précipité avec le clergé belge, sans consulter per-
sonne^ lui retirait sa proie, il entra dans la plus vio-
lente fureur. 11 refusa les traites que l'audacieux
général tirait sur le Trésor, fit casser ses marchés
DICTATURE FINANCIÈRB DE GAMBON (i79f). 457
avec les fournisseursy les fit arrêter, amener à la
barre de la ConveDlion, balayant, renversant tous
les projets de Dumouriez, et brisant dans la main du
traître la royauté financière, qu'il prenait, en atten-
dant l'autre.
Briser Tépèe d'un général vainqueur, c'était une
chose grave. Et cependant il le fallait. La rupture
avec TÂngleterre allait rendre Dumouriez infiniment
plus dangereux.
Où s'appuierait Cambon pour frapper ces coups
vigoureux? Sur quels bancs de la Convention allait-il
décidément s'asseoir? Sur ceux, évidemment, où il
trouverait des ennemis de Dumouriez.
Les Girondins tardèrent, hésitèrent et furent peu
d'accord.
Ils se montrèrent à l'égard de Cambon légers, in-
grats; on le verra au livre suivant. Aidés par lui dans
un cas décisif, ils ne le soutinrent ni dans sa guerre
contre Dumouriez, ni contre les attaques de Robes-
pierre et de Saint-Just. Ce fut une des causes de leur
perte. Ils fixèrent Cambop à la gauche ; et avec lui
votèrent nombre d'hommes flottants, qui, sans inté-
rêt de parti, ne voulaient rien que la Révolution, et
la voyaient embarquée tout entière dans la grosse
question des biens nationaux, dans la lourde voiture
que tirait l'homme aux assignats.
CRANDEUR ET DÉCADENCE DE LA ÇIROflDÇ.
( Octobre-noTea^re M.)
Ml §lfimA9 ti4t-f»rt« e» o«t«bra. — Pétlo» •btteal r>«ia»t9|lll 4# IM
(Ift oetobre). — Ding^er de la RéToloCioB, si elle ennjt. r- \fff ft*Ml
poviMBt att procès dtt Roi. — La Gomipiuie lanee âne «drene conln la
(^■voBlioa (19 oculire). — La violnieo do U Conam OMiproMl li
HonUfBo 9i U Société dot laoobtas. — |nrmUo|| »mU« do f^|^ «^ f»
eoi|tro.— La Convention (^appe Danton ci la Comnrane.t— Dîrifion da|Mlti
Girondin. — • Une fraction de la Gironde (la fraction Roland) anaqne Met-
pierre par Lonfot (S^ octobre). — Lei ne««i|ii de U GtnmBa, wenieH
fon| amendç |ionçraf>le {^ oc|ob|o]. — Ajpolof iç de pa1)9l|^Qrf« m '<^
bina et i la ConTontion (S noTombre).^ Barrére le nave, en l'inraluit.-
La Gironde perd iob infiaence sur Paria» — Elle ovYre le pi«rie dn toi
{f Dovfiçlife).— |)ityar d« c« proeéi fn^ !|Frwç^.
Une chose précipita la bataille iotènenre de la
GonTention et de la GommuDe, qui devint celle delà
France. Paris, que la Commune prétendait àmr
pour elle, se déclara contre, de la manière la plus
manifeste, la plus authentique. Le premier osag€
libre que Paris put faire de sa volonté , oe fut de
démentir par un choix significatif tout ce qu'on disait
en son nom. Les violents ainsi démasqués, et voyant
avec terreur leur petit nombre révélé par le résultat
du scrutin, n'eurent de salut que dans Taudace, dans
l'accélération du mouvement révolutionnaire.
L'événement qui changeait ainsi la face des choses
fat rélectiqn <|e Pétioo (qui quittait la présideocQ
de la CoQYeQtion) à la piairio de Pfiris [t5 octobre].
Il eut l'uQauiinilé, ou peut le dire sans se tromper de
beaucoup. Sur quinze mille votants, il en eut qua-
tonç mille. Et sur le millier de voî^ qui restaient,
les candidats de la Commuue, tous ensemble, n'eu-
rent pas cinq cents Totes.
Pftri^ s'était ainsi justifié devant la France et TEu*
rppe. Il avait manifesté son horreur pour Septewbre,
son estive pour la modération et la probité.
Si pourtant la Révolution devait désormais s'ap-
puyçr sur la probité inerte et la modération impuis-
saute, il était vraiment à craindre qu'elle ne gagnât
Vespéce de paralysie dont semblait atteinte cette idole
populaire. Pétion , infiniment propre à remplir un
fauteuil quelconque, le siège de président de l'As-
sqmbléOj ou le trône de rHôtel-de-Yille , le roi
PAiWj comme ou l'appelait, était doué de cette
qualité, q^'op recherche surtout dans un roi con-
stitutionnel, l'incapacité absolue d'agir, d'avoir un
mouvement propre. Pour les fonctions végétatives
qife la constitution anglaise demande à son roi ,
ou Sieyès ^ sou grand électeur y Pétion était pré-
cieux. Il suffisait, comme symbole, comme drapec^u,
comme fiction. Mais le tepips impitoyable proscrivait
la fiction. Il fallait des réalités, il fallait un homme,
un homme d'action, d'actes rapides, dans la terrible
crise où la France était engagée.
En ce sens, le choix de Pétion (bon, honorable
eu lui-même) devenait alarmant. C'était en quel-
460 PÉTfOR OBTIENT L'UNANIMITÉ DE PARIS (15 OCT. 999.
que sorte une déclaration d* inertie. La grande ma-
jorité, non-seulement des bourgeois, mais du peuple,
se composait d'honnêtes gens, déjà extrêmement fa-
tigués de la Révolution et qui ne voulaient plus rien
faire, ni pour avancer, ni pour reculer. Nommant
Pétion, ils comptaient qu'entre des mains si pacifi-
ques elle ne remuerait plus guère.
Dans ce calcul, ils se trompaient. N'avançant plus,
elle aurait infailliblement reculé. Elle eût retombé
eu arriére , rétrogradé promptement de Pétioo à
Bailly, aux hommes de 89^ qui n'auraient pas un
moment arrêté la réaction. Celle*ci, dans sa pente
effroyable, nous eût fait rouler au gouffre de l'ancien
régime, au triomphe des émigrés, au triomphe des
étrangers, aux misères de l'invasion. Car ce n'était
pas à 88 seulement qu'on eût retombé , mais, de
plus, à 1815, — un 181B, moins la Révolution et
l'Empire, moins la gloire, moins l'universalité des
* idées françaises en Europe, moins le respect des
vainqueurs.
La Révolution existait, quoi qu'on fit, et c'était un
être. Il fallait qu'il vécût, cet être, agtt, combattit,
avançât. Mille chances périlleuses étaient en avant.
Mais un gouffre, visible, était en arrière. Reculer de-
vant les dangers, c'était bien plus qu'un danger;
c'était la ruine, la chute certaine, c'était s'asseoir
dans l'abtme.
La Révolution devant vivre, il fallait qu'elle mar-
chât, selon sa nature, agtt en soi et hors de soi,
par un même mouvement. Quelle nature? nous Ta-
DANGER DE LA RÉVOLUTION, SI ELLE ENRAYE. 461
YOns dit : La magnanimité dans la justice. Quel mou-
vement? une grande et immense dilatation de cœur,
qui poussât l'humanité dans les votes du désintéresse-
ment héroïque, du dévouement sans bornes et du sa-
crifice infini.
11 fallait que ceux auxquels la Révolution deman-
dait d'abord justice, les heureux du monde, ceux qui
jusque-là, volontairement ou non, avaient profité
des abus, répondissent : « Vous ne voulez que jus-
tice? ce n'est pas assez. Nous, nous ferons davan-
tage. » C'est la glorieuse réponse que firent plu-
sieurs patriotes auxquels appartenaient telles des
grandes fortunes de France. Il y eut des hommes
admirables. Mais il n'y en eut pas assez. La plupart
des riches, en 93, firent leurs efforts pour descendre,
ambitionnèrent l'égalité. Il fallait le faire en 92, non
pas suivre, mais devancer les vœux de la Révolu-
tion. Il ne s'agissait pas de prendre des sabots, de
se faire grossier, de flatter lâchement le peuple,
mais d'être de cœur plus peuple que lui, de marcher
loin devant la loi, de sorte qu'elle eût beau avancer,
s'efforcer et s'élargir, elle trouvât dq? cœurs plus
vastes encore.
Et, la France adoptant la France, il fallait que
de cette surabondance de sentiments généreux, il y
en eût pour tous les hommes. La France devait lar-
gement se donner et se prodiguer. Malheur à elle si
elle eût voulu n'être libre et juste que pour elle-
même ! Les dons de Dieu ne sont plus tels, si on les
garde pour soi. Elle devait conquérir les peuples par
cette teetîque oouYeUe, ftire coinnie nos Fimsw
firent k Strasbouig pour les ÂlIeio»ii<k, commo ils
4rept eDocnre jadU pour uee place assiégé où Vw
«e moDnût de faim ; ils entrèrent Vépée h la swiPi
le pain au bout de l'épée. Ainsi Tëpée de la France
devait offirir et donner le pain à toute la terre,
Voilà pomment la Révolution devait avancer, «u
dedans et au dehors, par un mouvement rapide, mais
vital et régulier. Son génie n'était nulleipent con-
templatif. Lui mettre en tête l'inertie de Pétîon, oo
la faconde sans actes des avocataGirondins» c'éUit
l'obliger de tomber dans la maladie contraire, la fa-
ne des mouvements désordonnés que trop souvent
la Montagne prit pour l'action réelle et le progrès de
)a vie.
Ce mot.profond du moyen^ge, si vrai en moralQ,
l'est en politique : « Le corar de Thomine est une
meule qui tourne toujours; ai vous n'y mettez rien &
moudre, il risque de se moudre lui-même. »
Il n'y avait pas un moment à perdre, entre Yalmy
et Jemmapes ; il fallait donner à la Révolution quel-
que chose à moudre, la faire travailler selon sa na-
ture et dans son vrai sens.
La roue s*accrocha.« le progrès tarda. vEt alors la
Révolution se mit à se moudre elle-même. On y mit
un pauvre aliment d'abord, la tête d'un roi, qui n ar*
rêta pas un moment; la roue alla se frottant, et grin-
çant sur spi, broyant ses propres débris.
Cette fatale impulsion fut donnée avant la batailla
de Jempsapea, avant les grandes lois révolutionnaires
m mt^ 1)1' «M (Mf. Ht. m
dci }ft ClOiifWtiOR, qui trapqaillisèient 1m pMptos et
lui garantirent pQur toujoqrs 1» victoire de Fégalité. Si
1^ ft^TOlHMoP 9ût fait tout d'Abord dans la voie sacrée
ce$ pa9 si^f» 9t fermes, on pe Tavrait paa détour-
née M«4woi)t vers la dangereuse sottise de tuer un
hQnune qui n'était plus roi» ffnocnre mdns wn le
cmm^ ivpiç d'employer la Convention à se tuer elle^
I^ ^tftillo fot gagn^ le 6 novembre» et le 6 mime
eiit lieu le prwiier rapport contre Louis XVI. Si elle
e^t été gagnée {dius tAt, la pensée publique eât pris
ui| tout autre cours- Qu le procès fût resté là, ou il
eût en upe issue moins sanglante. Ce fut avant la ba^
taille, et très-probablement dans les premiers jours
d'octobre, que les sociétés jacobines des départements
durent recevoir de Paris le mot d'ordre de la If on^
tagoe et de la Commune : < Noua sommes en mipo^
rite ; il faut agir et foire peur; mettre la Gironde en
demeure de se perdre en sauvant le Roi, ou de s'avi-
lir en le condamnant, contre son sentiment connu«..
Demandons la mort du Roi. »
La colère nationale, terrible en juin 91, terrible
en août 03, s'était alanguie. Le mépris était venu. La
nation ne demandait nullement la tète de Louis XVL
Un excellent observateur et très-attentif, Dumouries,
qui se trouvait à Paris au milieu d'octobre, dit qu'à
cette époque rien n'indiquait que le Roi fût en péril,
11 follait beaucoup d'adresse et d'entente pour réveiU
1er la passion, (^es sociétés jacobines y ftirent adini*-
raUes; elles fonctionnèrent avec une docilité, une vi-*
4i4 LA comnn lange umb adresse
goeor qui eAt excité Tenvie des vieilles oorporatîoDs
sacerdotales et politiques du moyen-fige«
Toutefois la chose n*eût point réussi, si Ton n*eùt
trouvé dans le peuple des éléments d*irritatioa.
D'abord, Tinquiétude eitréme qu'il éprouvait nato-
rellement, dans cette grande crise, dont Valmy nV
vait donné qu*un répit momentané. La Révolution
pouvait périr encore, périr au profit du Roi : « Frap*
pons-le d'abord lui-même; vengeons notre mort à*%r
vance, et qu'il n'en profite pas. » Voilà ce qu'on di-
sait au peuple. On le trouvât bien sombre, bien souf-
frant, bien irritable, à celte rude entrée d'hiver. En-
core un hiver sans travail, un hiver de faim ; hélas!
c'était le quatrième, depuis 89, et par un progrés na-
turel, effroyablement plus dur; car, enfin, les res-
sources s'épuisent, les secours disparaissent à la lon-
gue, la charité va tarissant; les riches eux-mêmes se
croient pauvres... « Quelle cause première de tant
de maux ? dites-nous ? n'est-ce pas le Roi ? o
Pendant l'élection du maire, et vers le 10 octo*-
bre, un prétendu blessé du 10 août vient, le bras en
écharpe et Templàtre sur l'œil, demander que la
Convention lui fasse justice de son meurtrier* Un
comité est chargé de faire un rapport sur l'affiûre
du Roi.
Pétion fut élu maire le 15 octobre. Et le 16, une
pétition des Jacobins d'Âuxerre demanda, non le
procès, mais nettement la mort. Cette pétitiou fut
appuyée avec une extrême violence par un homme
très sincère et d'aveugle élan, homme d'avant-garde
CONTRE U COMVBimOlf (19 OGT. 9C). 4Q5
s'il en fut (il le montra dans la Vendée), le montai
gnard Bourbotte, qui, vraisemblablement, était poussé
sans le savoir. La commission chargée de Texamen
des pièces dit qu'il fallait du temps encore.
Le 1 9, nouvelle machine. Une foudroyante adresse
de la Commune est présentée à la Convention contre
la Convention, contre les nouveaux rois qui deman-
dent une garde.
Ainsi, le parti violent masqua sa défaite électorale
par un acte inattendu d'audace, commençant en quel-
que sorte le procès d'une assemblée souveraine, inves*
tie par la France des pouvoirs les plus absolus, d'une
assemblée qui arrivait et qui n* avait rien fait encore.
Et pour la perdre, on la plaçait tout d'abord non*
senlement sur le terrain de la garde départementale,
mais sur le terrain plus scabreux de l'affaire du Roi.
Le débat allait se poser sur la tète de Louis XYI.
Les hommes que la Convention accusait d'avoir ver-
sé le sang la sommaient d'en répandre, et lui en
faisaient un devoir. Cette assemblée, leur juge, ih
la faisaient responsable elle-même, déjà presque ac-
cusée. Ils lui déféraient l'épreuve du sang, disaient ;
Qui ne tue pas trahit.
Ce qu'il y avait d'énorme et vraiment étonnant
dans l'adresse de la Commune sur la garde dépar--
tementale, c'est que, parlant de haut à la Conven*
tien et se disant k Souverain (le Peuple), la Com«
mune contestait à l'Assemblée le droit de faire des
lois.
La Convention, investie de pouvoirs illimités, avait
j^mis pbuHaht^ daiii saniodeiitie géaéreoM, de soit-
mettre la ConsUtiitioii k la sadctioii d«â anaédiMêH
primaires. Eh bienl cette géfiéfbsitë) Mi la totiltiait
contre elle* On lui soutenait que ce dëbrel de ^dliee
et de sûreté était uh dé&H mfMimwnnel, qui itevaît,
comme tout le reste de la Constitution» attendre la
sanction du peuple. La Commune ne reconnaissait
pas à la Convention le droit de faire des tois^ mèflie
provisoires; dé simples décrets d^irgettce. En rainant
ce j^ncipe, jusqu'à l'époque lointaine d'une sanction
générale de la Constitution, la France sendt restée
sans loi.
Si l'adresse n'était pas un acte de démence, c'é-
tait un q[>pel à r insurrection contre la nouvelle as-
semblée, sortie à peine de l'élection, et qui arriérait
avec la forbe de la France. C'était un dé6 qui lui était
porté, nott par Paris^ mais par quelques orataibes
d'hommes que Paris, d'un vote unanime, venait de
repousser. Ces hommes, daas treise sections, avaient,
contre un décret précis de laCohvention, eiigé qu'en
votât à haute toix^ et ils n'en avaient pas moins été
repousses. Une seule section, sur quârante-buit* IM
avait suivis jusqu'au bout, et décidé que, ai la COlv-
vention exigeait le sinnitin secret, i^tté ihatdieràit en
ûrtMê sur la Conventim*
Ces.rollesdémarohes) en peut le eroire^ n'avàfettt
été nullement cobselllées par les chefe politiques de
la MoatagUCé Ils vii^nt ktVeo chagrin) sA&s Uni AMte^,
que l'imprudente adresse du 19 avait produit coUtM
^m l'unanimité de TAssemMée.
CbllPftOVËt LÀ MKTAGKÉ (Odr. 92). 467
Les petits jeunes gehs qui menaient la Commune
(Tatlien, tlhaumette, Hébert, etc.) entraînaient là
filonlag'n^ et ses chefs sur une pente rapide, qùî au-
rait annulé ceux-ci dans la Convention, ne leur au-
rait laissé de foîpce que Véihéule, d'autre champ que
la rtie, de sorte que Robespierre et Danton seraient
devenus les seconds et les subaltemes d'Hébert et de
Chaumette.
Robespierre était sur une ligne fort difficile. Ôd
lai attribuait tout ce qui se faisait à l'Hôtel-de-Ville,
et il n'osait dire : Non. Les meneurs de là Com-
mune le mettaient toujours devant eux, le poussaient
comme drapeau. Ils le connaissaient à merveilfé, et
savaient qù'é, pour conselrveï' cette position de haute
autorité morale et de chef apparent, il louerait
leurs acteà les plus insensés. Leur folle adressé
du id, que ni Robespierre, ni personne, Savait
ose appuyer d'un seul mot dans la Convention, ils
décidèrent le soir, à la Commune, qu'on en enver-
rait un exemplaire à toutes les municipalités. La
Cobventîoû caàse ledr décision. Et alors, ils obtien-
nent dé Robespierre (Ju'il vienne à lèiir secoure , non
dàâs la Convention , il b'eùt osé ; non même àùx
Jacobins , il n'eût osé ; mais dans une assemblée
obs^cure dé son quartier, la section des Piques. Là,
Robespierre leur accorda ce mot: c Qu'où eût dû
envoyer hon paà tin exemplaire à chaque municipa-
lité , mai& vingt-quatre exemplaires, i»
On le menait ainsi de proche en proche. T)h ëài
vouln obiettir dé lui l^éloge de M'àrât. Il le fit, maïs de
46ft LES VIOLENTS GOlfPROllETTEIfT LES lACOBINS (OCT. 92).
manière à pouvoir le désavouer; il le fit par son frère,
Robespierre jeune, aux Jacobins. On obtint davantage
de Chabot; on obtint qu'il vtnt dire que Septembre
était Tœuvre de Paris tout entier, que poursuivre
Septembre, c'était faire le procès à la population pa-
risienne.— Et alors, le chemin étant comme frayé, on
fit apparaître à la tribune des Jacobins un quidam ,
se disant fédéré, prêt à partir pour la frontière,
lequel dit avec impudence : « Moi , j'ai travaillé au
2 Septembre ; j'en puis parler... Soyez tranquilles,
nous n'avons massacré que des conspirateurs, des
faiseurs de faux assignats. >
Là, on avait passé le but, et c'était trop. On avait
voulu diminuer l'horreur, on l'augmentait. L'effron-
té scélérat ne fut pas bien reçu. La société des
Jacobins s'était piquée toujours d'une certaine dé-
cence; elle changeait alors, et néanmoins, le cy-
nisme du septembriseur étonna, produisit une sorte
de stupeur. Un coup, on le sentait, venait d'être
porté à la société. Elle se voyait entrer, qu'elle le
voulût ou non , dans des voies de violence où les
sociétés de province pourraient bien ne pas la suivre.
Marseille avait déjà rompu avec elle , Bordeaux Ti*
mita, comme on devait s'y attendre; d'autres villes
suivirent, Lorient, Saint-Ëtienne, Agen, Monlauban»
Bayonne, Perpignan, Riom, Cbàlons, Valogne» etc.,
et ce qui ébiit plus fort, Nantes et le Mans, dos
avant-gardes républicaines contre la Bretagne et la
Vendée.
Au sein de T Assemblée, même débâcle. La Mon--
IRRITATION mnSTTE DE SIETÉ8 ET DD CENTRE. M
tagne, quoiqu'elle n'eût point appuyé la folle adresse
de la Commune, se trouva avoir contre elle, dès ce
moment, non plus les trente Girondins, non plus les
cent du côté droit, mais plus de six cents membres,
c'esi-à-dire la Convention.
L'Assemblée, généralement inerte, envieuse de la
Gironde, était lente à lui accorder des mesures éner-
giques. Elle comptait beaucoup de membres de la
Constituante, de la Législative, devenus muets,
d'autant plus aigris, qui se croyaient majeurs et trop
âgés pour prendre pour tuteurs des avocats de vingt*
cinq ans. Au fond même du centre (du ventre, comme
on disait), se tenait bien enveloppé d'ombre, de peur
et de silence, dans ces masses compactes, le sour-
nois, le tremblant Sieyès. Il résumait toute la timi-
dité, l'envie haineuse de cette partie de l'Assemblée.
Depuis qu'il était descendu de son grand piédestal de
la Constituante, il fuyait la lumière, allait sous terre,
de nuit. On l'appelait très-bien la taupe de la Réxh-
huian. Jamais Sieyès ne dit un mot sans y être for-
cé. 11 détestait les Girondins comme des étourdis qui
se moquaient de ses systèmes. Toutefois, au com-
mencement , les croyant forts, il eût été ravi d'é-
craser par eux la Montagne. Sieyès était très-
violent. Le bon abbé, lorsque les jeunes gens le
pressaient, lui demandaient des recettes pratiques,
répondait : Le canon, la mort. Voyant les Girondins
scrupuleux, incertains, il les laissa là, applaudit ou
vota la leur.
Au temps où nous parlons, Sieyès ne désespérât
IV. "
pua encore de la Gironde. 11 allait vens Iç mr vinttf
les RoUndy en était écouté. C'est lui iMutitétre qui
lei guida alors, leur prêta les lumi^*^ de sahains
de préire, de son expériçnee, et les fit agir pin
adroitement qu'ils d' auraient fSût. L'endroit bible fut
marqué avec précision, pris à point, frappé juste, et
de façon à blesser pour longtemps. On écarta le o6té
politique, on prit le côté financier, la responsabilité
pécuniaire, la question d'argent.
Ia Convention tout entière (moins que^ues ob«
i&tinés de la Montagne) frappa la CompiuBe, ep
décrétant qu'elle rendrait ses comptes mu tfoâ
jwrs.
Et elle frappi^ la Montagne elle-même, en ordoo«
nant que le pouvoir exécutif (ceci touchait Daiw
ton) justifierait dam vingt^quatte heures de la isi^
nlëre dont il arrêtait ses comptes pour ^épsus^i
secrètes.
A frapper ce coup sur Danton, le serrer àlagorgs
pour un compte impossible, et fiaire desoendre eetis
royale figure du génie de la République aui mw
sères d'un débiteur sous la contrainte par eorps» "
y avait sans doute de l'adresse, -« de l'habiletét
Nullement.
Danton , compromis pour toujours, amoisdri et
neutralisé, à qui profitait^il, sinon à Robespierre!
La Montagne, la faction des violents, si naturelle*
ment forte en ce moment de violence, était (bible es
ceci, qu'elle était double et qu'elle avait deui obeft,
entre lesquels elle se partageait. Pour la resè^
BITISION BU PiHTf «IBOXDIN (OeT, M). 47|
fopt09 il fallait aonulep l'un de9|(]eu:i. C'eit|le aer^
vice que les Roland reudirent à leur^ ennemi»»
Danton une fois immobili^éy réduit à la, d^feniive,
ne portant plus le drapeau, mais a'abritftnl desaoua,
Robespierre le portait. Le chef moral des Jacobins
deyenait le chef politique de la Montagne aussi bien
que de h Commune, et la Révolution dèa lors allait,
froide et terrible, derrière uu raisonneur qui n'en re-
présentait nullement les instincts magnanimes.
Robespierre, à vrai dire, avait avancé, k foroe de
ne rien faire. Ses adversaires ou ses rivaui, s'iin-
molant les uns les autres , travaillaient pour lui et
Teibaussaient toujours. Pour luii ep 91 , les Lametb
tuèrent Mirabeau. Pour lui, en 92, les Girondina,
aidés du centre, commencèrent k briser Danton,
Les Girondins pourtant n'étaient pas unanimes sur
la tactique à suivre contre Danton et Robespierre.
Leur bomipe de génie, Vergniaud, voulait qu'on resr
pectàt le génie de la Montagne, qu'on ménagent
Danton. Rrissot, tout ardent qu'il pût être à frspper
moralement Robespierre , n'était nullement d'avi»
qu'en Tattaquàt juridiquement, qu'on lui flt un prOf
ces en règle, dans lequel on échoueraitt Rabaut
Saint-Étienne, l'illustre pasteur protestant (le fils
du martyr des Cévennes), initié à la vie politique par
la longue tradition des partis religieni , voyait auMî
très-bien qu^on n'attaque pas un ennemi si l'on n'est
Btr de le perdre, ou si on l'attaque, on se perd soi-
même. Brissoty Rabaut, dans leurs journaux, dés«*
avouent assez clairement ces attaques imprudente*
m UNE PRACnON DE LA GmOHDB, CRLLB WS BOLAID,
que les Roland firent malgré eux sans doute, et peut-
être sans les consulter.
VL^ Roland, il faut le dire, était arrivée, dans sa
haine contre Danton et Robespierre , à un degré
d'irritation qu'on s'étonne de trouver dans une ftme si
forte. Elle n'avait guère de vice que ceux de la vertu;
j'appelle surtout de ce nom la tendance qu'ont les
ftmes austères non-seulement à condamner ceui
qu'elles croient mauvais, mais à les haïr; de plus, à di-
viser le monde exactement en deux, à croire tout le
mal d*un côté et tout le bien de l'autre, à excommunier
sans remède tout ce qui s'écarte de la précise ligne
droite qu'elles se flattent de suivre seules. C'est ce
qu'on avait vu au XVII* siècle dans le très-pur, très
austère, très-haineux parti janséniste. C'est ce qu*ou
voyait dans la vertueuse coterie de M. et H"* Roland.
Celle-ci devenait d'autant plus âpre, que, tenue pw
son sexe loin des assemblées, n'agissant qu'indirect^
ment, ne pouvant selon son courage entrer dans la m^-
lée, elle ne calmait pas sa passion par le mouTement
et la lassitude de la vie publique. Enfermée dans son
temple, parmi ses amis à genoux, cette divinité, ado-
rée par eux comme la vertu et la liberté même, dut
contracter aussi quelque chose de leur vive et excès*
sive sensibilité pour les brutalités de la presse. Dans
une telle adoration, les injures semblaient des blas-
phèmes.
C'était la guerre des dieux. Il y en avait trois*
M"* Roland était pour tout ce qui l'entourait l'objet
d'un culte. Robespierre avait ses dévots, surtout ses
ATTAQUE ROBESPIERRE (t9 OCTOBRE 92). 4'<5
dévotes. Danton était violemment aimé de ceux qui
l'aimaient, avidement regardé, écoute et suivi ^
comme on fait pour une maîtresse ; c'était comme
une religion de terreur et d'amour.
L'enthousiasme public qui ne séparait pas Danton
de Dumouriez dans l'heureuse délivrance du terri*
toire avait plu médiocrement à M""* Roland, déjà fort
indignée du mot que le brutal avait lancé contre elle
à la tribune. Combien plus irritée fut-elle de la fête
que l'amie de Vergniaud^ M^^'' Candeille, donna à Du-
mouriez, et où l'on vit Danton à côté de Vei^niaud !
Elle ne fut pas loin d'excommunier celui-ci, de le
rayer à jamais du nombre des élus. Le jour même,
ou le lendemain, le 14 octobre, elle écrit à Bancal,
son trés-intimè ami, ces aigres et dures paroles : c Ne
craignez pas de dire à Vergniaud qu'il a beaucoup à
faire pour se rétablir dans l'opinion, si tant est qu'il
y tienne encore en honnête homme , ce dont je
doute. »
Quant à Robespierre, elle le haïssait, mais nulle-
ment par antipathie naturelle. Deux fois elle avait
essayé d'agir sur lui; deux fois, dans l'intérêt de la
Patrie (non autrement;, elle lui avait fait des avances.
Robespierre s'était toujours reculé^ et très-loin. Elle
ignorait la prise si forte que les dames Duplay avaient
sur lui. Robespierre, avec un sens parfait, qui, plus
qu'aucune chose, prouve sa supériorité, avait évité
les salons, craint la femme de lettres, la Julie pure
et courageuse oix toute la société bourgeoise recon-
naissait l'idéal de Rousseau. Lui aussi, imitateur de
m toyvBT
Rousseau, iioti di60ipl« «efVile littèrtiîreiilent et ^
tiquement, il 16 suivît dàûs là vie privée avec iotelli'^
gdnee et danâ le Vmi setts dd Hôn rMe; il aima dios
le peuple. S'il ne se fit p&s menuisier^ comine l'Emile
de Aôusseàu, il aima la 811e du Aetioiaier» Ainni^sa
vie fat une, et, tandis qu« bien d'autres aocordaifenl
difficilement leur cœur et leurs priticipe8> lui il n'en
fit ïiucune différence , n'ebseigna paâ seulement l'é^
gàlité par des paroles, mais la prêcha d'eiêmpM.
Nous reviendrons sur ce point important.
M^ Roland avait cru, non sans raison, que Robes-
pierre avait le cosur sensible aUK renimes, qu'il étiit
susceptible d'un sentiment délicat^ élevé, quo lapa-'
rolé d'une Temmô, belle et vertueuse entre toutes^
aurait forcé sur lui. Elle lui écrivit en 91 d'une ma-
nière trës-préVénànte. Il fUtpoU et froid. Nouvel»
lettre en août 92 1 celle-ci, ferme et sévère, où ell»
espère éhcore qu'il sera di^e de lui ; elle eût veolo,
avant Septembre, l'arracher de la fatale Geoi'
mune. Nul eifét, nulle réponse. I>ès lorb, c6 fulla
guerre.
On a vu sa faible apologie au ftS septdmbra;
depuis il se tenait tranquille et ne s'était pas rb^
levé. En octobre , l'aveugle , l'imprudente atttt*-
que des RolAnd le remit en évidence, le replaça en
quelque sorte sur le piédestal. Et il n'en est plus
descendu.
Le^ rôleë furent divisés, et le jour fixé au 89 oc-
tobre. Roland devait d'abord attaquer la Ck)inmuDe
en général. Puis, un ami des Rolabd, taâ jeooe
ACCUSE ROBESPimn (M OCTOBRE 92). 4'75
I, pteifi d'élan, de feu^ devait attaqueiP tlôbds-
pter)^ et le prendre corps à corps^
RdMd, dans uû très-beau rapport^ fit M tableau
pathétique et trop vrai de Tanat-ébié paHsiéûne. Il
signalait les abus d'autorité que se peridetfait la Oom-
nrane. Tous les désordres inséparables de la ftituatiob,
il les lui attribuait. L'hotnme le plu^ autorisé de là
Commune^ celui qui atait préconisé le pluii haut son
adrwse nlenaçante contre la Convention^ élbit Ro-
bespiérro* Roland ne le nommait ipta, mais c'était
iur lui d'à-'plomb que tombait ce violent rapport;
Robespierre voulut parler. Mais rÀssémblée, trés^
émue, l'obutina à ne pas Fentendre.
Alors monta k la tribube un jeune hOmme> de p^
tite taille, délicat et blond, qUi déjà pourtant com^
BMn9ftit& ôtre chauve) les yeut bleus, là voix douce.
Leuv^t (c'était lui, le célèbre romancier), avec cet
extérieur féminin, n'en était pas moins ardent, cou^
ligedt. Il Tavait prouvé à la section des Lombards,
où il se fiait en avant et montra beaucoup d'énei^ie
diuis lei plus terribles jours.
Fils d'un bonnetier^ commis-libraire , il avait dû à
M Qgilre de jolie fille^ qhi favofisait TéqUivoque, de
fiMiles bbcoès de libertinage prés dés femmes à la
nu)de. Son roinan, Faubla^, sorti tout entier de la
J»nnée du Chérubin de Figaro, n'était autre, disait-
un, que Vbiatoire ménlè de Louvet, et la confidence
de éet aventures qu'il avait faite au public. Quoi qu'il
ai ittt, il s'était fort relevé par Tamour, par un
amour pur^ exalté; il avait oublié Faublas près de
416 LOUTIT
sa Lodoiska ; il éprouvait le besoin d'être un hoaune,
un citoyen ; il s'était remis aux mains pures etaè?^
res de M** Roland, qui lui faisait écrire, pour son
mari, le journal La Sentinelle.
Malgré sa métamorphose, Tardent et brillant écri-
vain n'en était pas moins resté léger, romanesque.
Rien de plus loin de la gravité. Fût-il vraiment de-
venu grave, personne ne l'aurait cru. Sa voix, son
ton y répugnaient. Son jeune visage était de ceux
qui ne peuvent pas vieillir; on le connaissait trop
aussi : la fatale célébrité de son roman le poursuivait
à la tribune; il lui semblait interdit de parler sérieu-
sement. Un murmure s'élevait dès qu'il paraissait,
un sourire, du côté de ses amis même, et le petit
mot : c C'est Faublas! »
Voilà l'homme à qui les Roland eurent l'incraja-
ble imprudence de permettre le râle d'accusateur de
Robespierre.
En face de ce pâle visage, qui respirait l'austérité,
où le plus sérieux effort, la concentration la plus
soutenue étaient exprimés, placer le blondin Louvet,
le romancier, le conteur, l'homme aux paroles légè-
res, homme? ou fille? on n'en savait rien... Un tel
choix, véritablement, devait être celui d'une feoioie*
En effet, Louvet appartenait aux Roland.
Rome, dont M"''' Roland avait tant lu l'histoire,
eût dû lui apprendre, à elle et à ses amis, l'impor-
tance de l'accusation, comme acte public. Les Ro*
mains savaient très-bien qu'en ces choses l'effet déci-
sif dépendait moins de l'éloquence que du caractère,
ACG08B ROBESPUnillB (»LOCTCHniB 9S). 477
de Tattlorité de l'accusateur. Il fallait qu'avant de
parler, lorsqu'il se présentait aux juges, sa gravité
connue, visible en toute sa personne, en ses muets
regards, accablât déjà l'accusé, que celui-ci, en
présence du vénéré personnage qui le déférait à la
justice, tint pour un coup plus grave que tout arrêt
des juges d'être accusé par la voix de Caton.
Ici, ce n'était pas Caton, c'était Louvet! Et l'a*-
dresse ne suppléa pas au défaut de la personne. Lou-
vet fut vif et violent, éloquent parfois, toujours va-
gue. Le grand complot qu'il accusait, il dit que les
preuves en étaient dans les mains des comités ; il ne
les apporta pas. Tout ce qu'il articula nettement,
c'est ce qu'on savait dés longtemps, qu'au fatal jour
du 2 septembre, quand les mots n'étaient plus des
mots, mais des actes terribles, quand une parole fai-
sait plus qu'un poignard, Robespierre avait, au sein
de la Commune, désigné ses ennemis, les avait, au-
tant qu'il était en lui, poignardés de sa parole.
Les avait-il nommés ou vaguement désignés, c'é-
tait toute la question. Le procés-verbal de la Com-
mune (que nous avons sous les yeux) est bref ici,
comme partout, il dit le discours en trois lignes ; la
Convention ne pouvait pas y trouver plus de lumière
que nous n'en trouvons aujourd'hui. A en juger par
tout ce que nous savons de Robespierre, et de ses
habitudes de calomnies vagues, il est infiniment pro-
bable qu'il ne nomma pas, et dés lors son discours
ne fut autre peut-être que celui qu'on avait entendu
cent fois : c II y a un grand complot, on voudrait li-
«71 iM mmnm dk la iMiisiift, mmusiB.
ftet k Erance » , «to., etc. Senleiàbiit es batudfegs,
qui, dans les jours ordiùiiires, n'aTait patf gnndt
portée, pouvait, dans un pareil jour, éù avoir um^
et terrible»
LouTot n'arait rien appris k la ConvetltiaD^ rien
donné que des allégations^ il ne recueillit rieti ^ue
des applaudi^eikients. Pas un homme iiUpertint du
la Gironde ne se leva pour Tappuyer. Si Brinot,
Rabàut-^Saint-Ëtienbe , furent à la séanœ tels que
je les Tois le lendemain dans leurs joamaox, leur
froideur fut extrême, et la Gotivention put lire sur
leu^ mine glacée la discorde intérieure du parti, le
désaveu muet dont ils frappaient, dans eet enfant
perdu , l'imprudenoe de ses graves conseillers, l'é^
tourderie des sages.
La Commune^ décidément rtssurée^ iToya&t qne la
Gironde, le côté droite ne faisaient rien, la Cotaveo-»
tion rien, ne to contint plus. Ses meneurs insdl^b^
les HébeH, les Châumbtte^ crurent pouvoir traitât là
Convention comme des enfitots traitedt un vietllârd
radoteui*, un Gtasandre imbécile, te tirant, reicè*
dant, jusqu'à ce que te bonhomme leur allotige un
coup de bâton. Leur adresse outrageusedu 19, ils
n'hésitent plus à la laaoer; ila la jettent à la pœtd,
pour les dépa^temetits^ Roland Ttfréte et ladénonoe
à la Convention 4 Celte^cî parait enin sensible à la
piqàre; elle oommenoe à seatic* un pea h TépUér^
me, quand le feir Idi va jusqu'aux osi Si, dans lui
tel moment, la Gtrôatie eût imposé siitipleaÉeftl
de oasser la Gomm(ine> elle l'étaïi. Barbfarou la i
FONT AHBllii MMilABbfl QH MMuiE 02). 4lf
vft> et! dèpAMatil le but^ dematidaot trop MfitM elle;
II vottlftit» lioti'-seulement qo'oti bppeiftt les féâfirés à
Paris, tnéii Que la CMiyenlim se àmHiP^t in cour tk
jtMiûe^ *^ mate Qu'on déttàrât qû'Une i>iUè M^laH»
p¥fAentât<éH nationale serait avilie pefUrait le dtôU de
poÊiéiftr le carpn lëghintif. Dsknatide insensée, qui
semblait vouloir faire la guerre à la ville de Pafi!),
au momeat même où cette ville , par son unanimité
eo fa? ebr de Pétion, venait de se montrer contMiM
à la Commune et favorable à rAs4étoblée.~Dahs là
Commune méme^ il fallait dUtinguer. fràppéf itldis^
tinctement la Commune du 10 août, c'était eofnblef
le^ vQfeox des rbyalistei; bne asiemblée rêtitiblicaltae
devait, dAns la Commune^ respecter le 10 août qtii
était la République^ isoler i frapper les meneuM;
Gambon Ib proposa en vain : « Faites-VdU» apporter
les registres, dît il avec bon fieub, vods verree si le
délit est celui du corps tout entier^ OU de quelque»
individus. »
La Convention -, pouvant avoir des feits^ aima mieux
des paroles» Elle manda dit membres de la CoMMU--
ne, pour dire ce que vrainient la Commune avait or^
donné. Les meneurs, heureui d'être quittes pour 4ea
mots, des mensonges^ dépassènsnt, en ce %eM^ tout
ce qu'on pouvait désirer. ChaUmette vint, à plat
ventre^ se roula danS la bassesse d'une hypocrite bu->
raiUté> dédatna contre les ananckifttes (c'est4i*dire
contre lui-même), appuyant la déclatnaiiton d'avena
et de géihik^ements : « Ah! il n'est que trop vtai, il
y a eu des prévaribateurs daiis la Gommutié ; les
180 APOLOGIE DB MmWlBBlUI
hommes purs les mettront sous la hache de la loi...
Ah ! oe confondez pas les innocents et les coupa-
bles !.... Si on altère la confiance des citoyens m
nous, comment yeut-on que nous arrêtions les pro-
vocateurs au meurtre?.... » etc., etc. C'était asseï
pour en vomir. Les Girondins eux-mêmes demandè-
rent Tordre du jour.
Les jours suivants offrirent une série d'amendes
honorables. Tallien fit vite une brochure où il pleu-
rait sur Septembre, assurant « Que, pour lui, il
n'y avait eu nulle part que de sauver quelques per-
sonnes. »
Robespierre devait paraître à la tribune de la
Convention, pour se justifier aussi , le lundi, 5 no-
vembre. Il prépara cette séance par un discours
fort travaillé: « Sur le pouvoir de la Calomnie^ >
qu'il débita aux Jacobins. L'histoire de la calomnie,
tracée par un maître en ce genre, était reprise du
commencement de la Révolution, habilement suivie,
de manière à faire de Brissot et de la Gironde les
continuateurs de l'abbé Maury ; tout aboutissait à
l'accusation calomnieuse de vouloir écraser Paris.
Le tout appuyé d'un appel à l'envie, à la cupidité :
il montrait les Girondins donnant toutes les places
aux leurs, excluant les Jacobins. Lui, Robespierre,
il était seul, sans parti, sans influence, n'ayant dI
place, ni trésor. Et avec cela on osait l'accuser de
viser à la dictature. « Malheur aux patriotes sans
appui! Ils seront encore accablés. .. » Qu'on juge
de l'effet de ces paroles lamentables sur des triba-
AUX JACOBINS ET A U COKVKimON (5 NOT. 9X^ 48i
nés pleines de femmes, qu'on juge des sanglots et
des pleurs!
n arriva enfin, ce 5 novembre, et Robespierre
prononça, devant la Convention, une humble, habile
apologie. A une accusation vague comme celle de
Louvet, suffisait une réponse vague. Et Robespierre
en fit une précise sur un point. Il dit , ce qui était
vrai, qu'il avait eu une seule entrevue avec Marat, et
que Marat l'avait quitté, « ne lui trouvant pas l'au-
dace ni les vues d'un homme d'État. » Il ne loua pas
Septembre ; il le déplora , pour cette raison singu«-
lière : c On assure qu'un innocent a péri.., C*e$t
trop, sans doute, beaucoup trop. »
Robespierre fit une chose hasardeuse dans ce dis-
cours, une chose qui eût perdu un homme moins ap-
puyé du parti Jacobin , ce parti machiavélique dans
son fanatisme, qui, tout comme le parti prêtre, pas*
sait la fourbe aux siens, et ne les estimait que plus.
Il mentit hardiment sur deux points où l'on pouvait,
k r instant même, le convaincre de mensonge par
d'irrécusables preuves.
1^ Il dit qu'il n^avait jamais eu la moindre reUUion
avec le comiié de surveillance de la Commune. U n'y al-
lait pas, il est vrai, mais le membre le plus influent
de ce comité, l'homme qui y avait fourré Marat, an
2 septembre, Panis, ne bougeait de chez Robes^
pierre; cent témoins le voyaient chaque matin venir
prendre le mot d'ordre à la maison Duplay, rue
Saintr-Honoré.
2* Le second mensonge, plus effronté encore, et
4|t BM»f!i| Irl RAiriE
qu'on pouvftit réfutor h VUeyra mémo par preuve
écrite et par acte authentique , par le Procèt-vefkÊl
fi$ {a Comt»t^fi^ (qu9 R0U9 »V009 soi» le» jfHl), Atait
o«Ui^ci : f Qn « innnn^i qw j'«vMi oomprooiia 1»
«ûr«i6 de quelques dépuUa m les dénoaçaot ë U
CQminmie ca^Krant le^ eiéfitttiOH3. J'ai répondu à e^
infAïqie, eu rappelant qpe /'^kwii mitf d'aUer à l»
CQiQiDup9 avant (m e^idoutiona n n^ Le prooè^r
v«Fl)a) ooofitate que 1« i" septembre et le S> Air
rant les ej^éoutionSa IU>tN3ispi«rre é(ait k la Ckmvuae
et qu'il y déQonpftit« Que signifie le mot awmi et
qa'imp(>Pte*t-il? U ae s'agit pas de savoir s'il y
vint avant (le 31 aoikt^ par exemple), mais bien ai,
la Teille > le i" septembre, le jour des prôparstifs,
si le 9» le jeor des exéeptions, darani les exéeu^
tions, il vint^ dénûppa, «t, de la langue, forgea m
enneroia^ (Y, plnsbaut, p. 117^1260
ieuvet, Barbaroux, qui demandaient la paroia»
allaient sans doute dire ceci; la Giroode allait tnem**
pbep. La masse de la Convention ne le permit pas, Vn
homme d'infiniment d'esprit, né pour aider toujoun
la fiwee, vil qu'elle était iei dans cette masse en-
vievMÎ de la Convention, dans les SQO députés neo«
très, et il flatta le oentre. C'était le béarnais Barrèro.
Avec la prestesse et Tagilité d'un leste danseur Ma^
m»f il lança k Robespierre un humiliant eoqp de
pied qui le sauva néanmoins et le mit d'à^plomb i
a Ne ùmw p«i> dît-il» des piédestaux kdmpjt
mées ; ne donnons pas d'importance à des bomQM
fne l'opwion MUra repiettre à leur plaoe. Pour so
Ctt««r QQhçmQiodç viser à h dioUiture, il f»u4^ii
lui supposer un caractère, du génicy de l'audace, qu9lt
qow grands suooès politiques ou «ilUairest Qii'uD
giwid g^péral, pnr pxetppley }e front ceint de lnu**
riers, revenant h lit tdte 4'ud9 armée vîctorieufle ,
vienne ici eommAnder aux légiilateiirs, insulter »iHt
droits du peuple» il faudrait sans doute appeler vei
regarda et la sévérité des lois sur cette tête ooupabla,
Uaia que vous fassiez ee terrible bonueur àceui donl
les couronnes civiques sont mêlées de cyprès^ voilà ee
que je ne puis concevoir; ces hommes ont cessé é'th
tre dangereux dans une république. On n'arrive paa
ainsi au pouvoir suprême dans un pays qui doit éle»
ver k rbumanité la premier temple qu'elle ait eu ea
ce ttwdet*.»
Banrère fut iipplaudi de tous) i| plot h la Montagnt
en sauvant Robespierre; au Centre, au c6té droit, en
r humiliant; à la Convention généralement, en don««
Dant prétexte de ne rien faire ^ de se rassurer, de
doimir. Deux membres pourtant réclamèrent, Barw
baroui, qu'on ne voulut paa entendre, et Robespierre^
cruellement mortifié, qui ne voulait nullement ètaw
sftttvé ainsi. Barrère avait proposé de donner à l'tf^re
du jour un con«idérant qui n'était point injurieux
(Conaidéffank que la Convention ne doit a'oeeupep
que des iatérèts publics )• Robespierre prélandil que
c^était une injuru, et fit ôtw ce mot, voter l'ordre
du jour pur et aiippla^ ce qui eut l'effet grav^ d'eC»
facer daôa l'opinion le disoonrs de Ranrôre. Rabea*
pierre^ qui^ au début de la séance, était un accusé
481 LA GIROHDB PERD flOH IRPLOEHCB «JR PARIS (ROT. 92).
sur la sellette, triompha à la fia, et se trouTa très-
haut.
Quoiqu'une fraction de la Gironde, la coterie Ro-
land, eût seule attaqué R<rf)espierre, le parti tout
entier en restait compromis. Il était trop visible qtfe
la Gironde n'était pas soutenue du Centre, de la
grande masse de la Convention* Paris vit bien que la
Gironde elle-même, divisée en fractions, ne vaincrait
pas, et, avec un instinct de prudence excessive, il
commença à lâcher pied , et ne la soutint plus. La
Gironde, unie, au 16 octobre, d'accord avec le Cen*
tre, avait enlevé dans Paris Tunanimité pour Pétion.
Divisée, ébranlée par ses fautes, ses discordes, et
par l'en vie du Centre, elle vit, du 16 au 30 novem-
bre, Paris flotter, s'éloigner d'elle, s'en rapprocher,
mais avec peine , pour peu de temps sans doute.
Pendant plusieurs jours que dura l'élection du nou-
veau maire (Pétion avait refusé), l'homme de Ro-
bespierre, Lhuillier, ex-cordonnier de la rue Mau-
oonseil, balança le candidat girondin, le mëdedn
Chambon, qui, de guerre lasse, fut nommé à grand -
peine.
Signe grave et sinistre pour la Gironde. Elle allait
être entraînée sur la pente. Elle ne pouvait refuser à
la Montagne de la suivre sur le terrain scabreux,
sanglant du procès du Roi. Et, là encore, elle était
divisée. Plusieurs des Girondins, ardents, violents,
autant que purs, croyaient le Roi digne de mort. Plu-
sieurs, en le croyant coupable, avaient horreur de le
tuer; ils tenaient compte de la fatalité de la situa-
ELLE OUYRE LE PROCÈS DD ROI (7 NOV. 92). 485
tion ^y des eotratoements et de la faiblesse du carac-
tère, du bigotisme même d'un serf des prêtres, des
scrupules religieux. Avec celte diversité de points
de vue, l'attaque pouvait être vive, mais non pas
franche; elle devait se sentir de la discorde intérieure
du parti.
Le 6 novembre, le jour même de la bataille de
Jemmapes, le girondin Valazé fit un premier rapport
sur la Mise en accusiUion du Roi , rapport déclama^
toire et vague, et pourtant violent, où, dépassant le
but actuel et le titre du rapport, il s'enquérait déjà de
la peine, et posait en principe qu'il en fallait une
antre que la déchéance; il n'osait dire : la mort.
La Montagne, dès le lendemain, lança aussi son
rapport, celui-ci moins vague, plus sincèrement vio-
lent. Le jacobin Mailbe, au nom du comité de légis-
lation, examinait cette question : a Est-il jugeable?
et par qui? — Par la Convention seule. » Il mettait à
néant la chimère de l'inviolabilité.
L'émulation était visible entre les deux partis. On
voyait trop que cet homme vivant n'était là que comme
un corps mort sur lequel on allait se battre, les uns,
les autres, se visant à travers, croyant que chaque
coup qui transpercerait irait au-delà blesser l'ennemi.
Rien de plus propre à ramener sur lui l'intérêt, la
1 Eax-mém^s rayaient sentie, admise, celle fatalité. Aa moment de
sa chute, pressés de lui donner conseil, ils donnèrent dans ce piège,
et eurent Timprudente générosité d*écrire au Roi. J*ai mal expliqué
ceci à la page 4S; il y eut une lettre effeetivement (mais fort honorable)
das Girondins. J'y reviendrai,
IV. "
m lUNeBU m CE PROCÈS potm la prancb.
pitié. Le roi n'existait plas, il ayait péri au 10 aoM;
restait un homme, la pitié publique n'y Tit rien antre
ebose. Le procès fut mené si maladroitement, qu'on
fit pleurer les hommes de Septembre t Hébert vena
des larmes. Quand le tyran fut produit à la barre, et
que Ton vit en lui un homme comme tant d'antres,
qui semblait un bourgeois, un rentier, un père de
famille, l'air simple, un peu myope, d'un teint pàli
déjà par la prison et qui sentait la mort, tous forent
troublés; on put mesurer déjà le coup profond dont
les aveugles auteurs d'un tel procès firappaient la Ré*
publique. La triste défense que les avocats de Tacousé
lui dictèrent (lui faisant méconnaître son écriture, nier
l'évidence) ne put diminuer l'intérêt. Le coup fut
porté, au grand profit des royalistes, avec toutes ses
conséquences, les fautes du Roi oubliées, la Répli-
que innocente haïe pour la royauté coupable, et cette
coupable enfin canonisée par l'échafaud !
Cette vérité, si simple et si claire aujourd'hui, il ne
manquait pas d'hommes pour la voir avant l'éréne-
ment. Yergniaud la voyait bien de la Gironde, et
Danton non moins nettement de le Montagne. Qui
oserait la proclamer d'avance, avertir la France dn
péril? Il fttllait pour cela être fort, pour être fort, s'o-
nir. Les uns et les autres étaient faibles s'ils restaient
chacun sur leurs bancs, s'ils n'enjambaient la lar-
geur de la salle, l'étroit espace de la droite à la gau-
che ; — étroit, mais tel qu'on rencontre d'étroites
fentes sur la Mer de glace^ profondes jusque dans
rinûni.
CHAPITRE Yin
RtJPTtmS DÉFtNITITt DES CmONDINS ET DE DAliTON.
(Novembre M.)
I>âBt«Mi p««ftulft ptr la Gfronde (oet. M). — Lei trois eanenils de Duteat
LafiXeile, Rolead, Robespierre; leun aoeoMliont saaajpreavoe. i- Cara<H
tére de Danton, son insoaciance. — Danton ne voulait rien qa'étte Danton.
-^En quoi fl différa des Girondins et des Jacobins. — t! fat paysan d'origine,
■on boorgeois.^11 n*eat rien de pharisien.— Les induigêmlê : Danton, Dea»
moulins, Fabre d*Églantine. —Mot hasardé par Danton en faveor da Roi*
—Embarras de Danton.— Sa femme malade. — Mérite et On de M»* Danton.
— Inqaiétude de Danton. — D ne pouvait rester à Paris. —Sa denMre en-
Irerne avec lea Giroodias (novembre on décembre 9S}.
Il était temps, grand temps que la Gironde se rap-
prochât de Danton, si elle le pouvait. Cétait déjà
bien tard.
La pente fatale du procès, brusqué et précipité par
la fureur des uns, la peur des autres, n'était que trop
facile à voir. Les Girondins étaient traînés. S'il y
avait quelque chance encore, non pour le Roi, mais
pour eux-mêmes, c'était dans un prompt accord avec
l'une des deux forces qui divisaient la Montagne. Y
avait-il entre eux et Danton quelque chose d'inex-
piable, qui les empêchât à jamais de se rapprocher?
on ne le voit nullement. I^i Danton, ni personne n'a«
488 DANTON ROURSUIVI PAR LÀ GIRONDE (OCT. 9{).
Tait ordonné Septembre. La dictature de Danton,
si elle avait été à craindre, ne l'était plus, ayec
l'ascendant que les fautes des Girondins assuraient
à Robespierre. C'est ce que voyaient les plus sàges
d'entre eux. Ni Yergniaud, ni Condorcet, ni même
Brissot, n'étaient éloignés de traiter; Clavières non
plus, le ministre des finances. Ce fut lui qui, avec les
ministres de la marine et des affaires étrangères,
Monge et Tondu-Lebrun, reçut les comptes de Dan-
ton. Clavières, ex^banquier genevois, sentait bien,
comme homme d'affaires, que de si grandes affiiires
de police politique (et dans une crise pareille) ne pou*
vaient se traiter, comme des comptes de ménage, par
livres, sous et deniers.
Danton était suffisamment lavé, si son principal
accusateur, Roland, eût voulu paraître au conseil et
signer avec les autres ministres. Roland s'abstint.
Depuis plus d'un mois il n'y venait plus, et n'y
voulut point venir.
Danton ne fut jamais entièrement relevé dans l'o-
pinion. Les Roland et leurs amis se trouvèrent avoir
neutralisé en lui une des grandes forces de la Répu-
blique, celle qui l'avait le plus servie, et pouvait la
sauver encore. Ils avaient ébranlé pour toujours la
confiance qu'il pouvait inspirer; bien plus peut-être,
la confiance qu'il avait en lui-même. Dès la première
occasion, au 29 octobre, dans l'accusation solennelle
de Roland contre la Montagne, nous ne trouvons plus
dans les paroles de Danton la précision vigoureuse
qui lui était ordinaire. U se contente de répondre
LES TROIS ENNEMIS DE DANTON : 489
assez vaguement; il semble marcher sur la glace, il
évite, il élude. Il ne récrimine plus contre la Gironde,
comme au 25 septembre. La seule chose nette et
positive dans son discours, c'est qu'il désavoue Marat
plus expressément qu'il n'a fait encore : « Je déclare
à laG)nvention et à la Nation entières que je n'aime
point rindividu Marat; je dis avec franchise quQ
j'ai bit l'expérience de son tempérament : non
seulement il est volcanique et acariâtre, mais inso-
ciable... »
Au moment fatal où nous voyons faiblir, pâlir la
forte tète où la patrie elle-même s'était appuyée un
jour, qu'il nous soit permis d'examiner, en deux
mots, si vraiment la France était forcée, par la jus-
tice et l'honneur, d'être ingrate, de renier celui
à qui elle devait tant.
Toutes les accusations contre la probité de Danton
reposent sur l'allégation de trois de ses ennemis.
La première seule a quelque vraisemblance. La-
fayette affirme que Danton, vendant sa charge d'avo-
cat au conseil, qui valait, dit-il, dix mille livres (chif-
fre trop bas, en vérité), la cour lui en fit donner cent
mille. De là, l'espoir que la reine, et surtout Ma-
dame Elisabeth, auraient eu que Danton défendrait,
sinon la couronne, du moins la vie de la famille
royale.
La seconde accusation est celle des Roland, rela-
tivement aux fonds que Danton aurait dilapidés dans
son ministère. Nous avons vu tout à l'heure les né-
cessités terribles qui commandaient, dans la crise^
4M LAPAYBTTB, ROUND. WMSfVSKU.
de donner et jeter l'argent. Ces n^ociationstoiiter^
raines qu'exigeait le salut public n'étaient point
vraiment de celles qu'on pût toujours expliquer, ra-
mener à un compte net. Dans de tels moments de
crise, l'argent coule, fuit, s'envole, on ne sait cooh
ment ; c'est le vif*argent qu'on met dans la main.
Chaque ministre eut quatre cent mille francs pour
dépenses secrètes. Danton seul employa les siens, et
sauva la patrie. Ce que lui coûta la négociation prus-
sienne, et, d'autre part, le contre-complot de Breta-
gne, la trahison des traîtres, on ne peut le savoir;
mais quatre cent mille francs semblent peu, en pa-
reilles affaires. Les autres ministres ne dépensèrent
rien, et aussi ne firent rien. Ëtait-ce là le but?
Et n'était-ce pas eux plutôt qui avaient besoin
d'amnistie ?
La troisième accusation est celle que Robespierre
et ses amis ont infatigablement répétée, Danton, enr
voyé en Belgique, et saisissant, pour les besoins
urgmts de l'armée, l'argenterie des églises et beau-
coup d'objets précieux, se serait fait large part. —
Quelle preuve? les accusations des Belges eux*
mêmes. Faible preuve, si elle existait ; qui ne sait
leur rage contre ceux qui voulaient alors la réuni(m
de la Belgique ? — Mais cette preuve, enfin, existent-
elle?— Non, elle a existé. — Où? — Daus un dossier,
chez Lebas, l'intime ami de Robespierre, lequel dos»
sier aura été plus tard brûlé par les Dantonistes. —
Mais tout cela, qui le prouve? C'est un cercle vi-
cieux. La parole de Robespierre est appuyée du dos-
Ufms AOC08ATIOK8 SANS PRBOVES. 4H
sîer. Et Texisteocd du dossier? — Des motB de
Bobaspierre.
11 semble étrange d'accepteri pour unique preuve
contre l'honneur d'un hommei la parole de ses en-
nemis.
Honorables tous trois, dira-t-on. Otti, si l'on veut,
mais, sans nul doute, haineux, et crédules eu pro-
portion de leur haine.
Ce qui a tenu lieu de preuve, c'est la force incal*
oulable que donnèrenl aux accusations la parfaite en*
tente, la persévérance avec laquelle les innombra-
bles sociétés jacobines répétaient i reproduisaient
toute formule envoyée de Paris, chantant invaria-
blement, sans 7 manquer, la note exacte que chan-
tait ici le maître du chœur. On avait vu, au XYIP
siècle surtout 9 dans la guerre des jésuites contre
Port-Royal, la force invincible d'un même mot ré*
pété à toute heure, tous les jours, par un chœur
de trente mille hommes. Ici* ce n'était pas trente
mille, mais deux cent mille et plus. L'oreille, une fois
habituée, finit par prendre ce grand bruit pour l'opi-
nion générale, la voix du peuple et la voia> de Dieu.
Toute l'attention qu'il faut avoir, c'est de commen-
cer doucement, bas, très-bas, de monter lentement
par un crescendo ménagé; on va jusqu'au bruit de la
foudre, sans qu'on vous ait arrêté. Elle éclate, l'en-
nemi est étourdi, écrasé...
La fortune de Danton , dont j'ai sous les yeux un
détail authentique (dont j'userai au temps de son
procès), semble avoir peu varié de 91 à 94. Elle
49t CARACTÈRE DE DANTON, SON INSOCOAlfCE.
consistait en une mdson et quelques morceaux de
terre qu'il avait à Ârcis, qu*il agrandit un peu, et que
son honorable famille possède encore aujourd'hui.
Je ne dis pas que Danton, et tous les hommes du
temps qui manièrent les affaires au milieu de la tem-
pête, n'aient vécu largement, n'aient parfois gâ-
ché et perdu, qu'ils n'aient été de très-mauvais éco-
nomes de la fortune publique. Mais, qu'ils aient
vraiment volé, qu'au milieu de ces grands périls,
sûrs de mourir demain, ils aient eu la basse et
sotte prévoyance de garnir leurs poches, pour les
vider à l'échafaud, on ne me fera pas croire aisé-
ment ceci.
Danton , avec une nature riche en éléments de
vices, n'avait guère de vices coûteux. Il n'était point
joueur, ni buveur; il n'avait aucun luxe, et il n'eât
pu en avoir ; c'était justement l'époque où les hommes
de luxe avaient besoin de cacher le leur. II aimait
les femmes, il est vrai, néanmoins surtout la sienne.
Les femmes, c'était l'endroit sensible par où les partis
l'attaquaient, cherchaient à acquérir quelque prise
sur lui. Ainsi le parti d'Orléans essaya de l'ensorceler
par la maîtresse du prince, la belle madame de Buf-
fou. Danton, par imagination, par l'exigence de son
tempérament orageux , était fort mobile. Cependant
son besoin d'amour réel et d'attachement le ramenait
invariablement chaque soir au lit conjugal, àla bonne
et chère femme de sa jeunesse, au foyer obscur de
l'ancien Danton.
Il n'avait, en réalité, nul goût coûteux qu'une
DANTON NB VOULAIT RIBN QU'ÊTRE DANTON. 4^
large et imprévoyante hospitalité, une table ton*
jours invitante , où ses amis (et le nombre en était
grand) devaient, bon gré, mal gré, s'asseoir. Il avait
toujours été tel , même au temps de sa pauvreté,
ignorant parfaitement ce que c'était que Targent.
Avocat sans cause, ne possédant guère que des dettes,
nourri par son beau-père, le limonadier du coin du
Pont-Neuf, qui, dit-on, leur donnait quelques louis
par mois, il vivait royalement sur le pavé de Paris,
sans souci ni inquiétude, gagnant peu , ne désirant
rien, jetant partout sur son passage Tor de sa paro*
le. Il était fort ignorant, et ne lisait guère. Encore
moins écrivait-il; il avait horreur d'une plume, et
Ton ne peut pas trouver de son écriture ^ Quand
les vivres manquaient absolument au ménage, on
s'en allait pour quelque temps au bois, à Fontenai
près Yincennes, où le beau-père avait une petite
maison.
Supposer qu'un tel personnage soit devenu calcu-
lateur, c'est faire trop d'honneur à sa prévoyance.
Supposer qu'il ait aimé l'argent tout-à-coup, c'est
croire à une métamorphose qu'on voit rarement. Ce
qui est bien plus probable, c'est que, n'ayant jamais
su compter, il ne l'apprit point, qu'il n'eut pas plus
d'ordre au ministère qu'au petit appartement du pas-
sage du Commerce. Habitué à vivre au hasard, n'im-
porte comment, il traita l'argent de la République
t n y a une prétendue lettre de lui à sa femme, mais Tisiblement
apocryphe, contraire aux sentiments qu*il avait alors, contraire sur-
tout à ceux qu*il voulait lui montrer.
m BN QDOI IL BiPTÉRA DBS «ROHOIIIB ET VU lACMHHS.
comme celui de soo beau«*père, avec cette difTérenoe
qu'au lieu de la bonoe et sage M*** Danton qui met-
tait encore un peu d'ordre au petit ménage, il eut,
au grand ménage de la République, pour ménagères
et économes, ses amis, Lacroix, Fabre, Westermann
etautresy qui, pour le jeu ou l'amour, puisaient insa-
tiablement dans sa trop facile amitié.
Les hommes de ce temps-ci, habitués à chercher
pour chaque homme et chaque chose un but positif,
demanderont : « Que voulait Danton? à quoi visait-
il ?•••• S'il ne songeait point à l'argent, il voulait
donc le pouvoir? il aspirait à la dictature? » —
Telle fut la question que se posaient les Girondins,
et rien ne peut mieux prouver combien leur esprit
fut superficiel , peu capable d'entrer aux profon-
deurs (simples pourtant et naïves) de la nature bien
observée.
Une étude attentive et suivie de ce caractère nous
autorise à dire, ce qu'au reste ont très-bien dit deux
contemporains sous une autre forme : Danum ne voih
lait rien de plus qu'être Danton^ c'est-à-dire exercer
la grande force qui était en lui. Il n'avait aucun
désir d'une puissance politique, sentant d'instinct
qu'il était une puissance naturelle, un élément,
une force, comme la foudre, ou la mer. Être roi ?
Quelle pauvreté 1 Devenir le roi de la Révolution, en
la détruisant? Mais c'était descendre, pour celui qui
se sentait la Révolution elle-même.
M""^ Roland ne comprit jamais rien à cela. Elle
ignora profondément celui qu'elle haïssait.
IL FUT PATfiAN D^OMGIIIB, NON BOOUGEOIS. 198
M"* Roland et la Gironde, aussi bien que Robes-
pierre et les Jacobins, appartenaient , nous Tavons
dit, au XYIII* siècle, à Rousseau, à la bourgeoisie
philosophe. Ils étaient tous des esprits d'analyse
et de logique. Danton était une force organique :
difiërence profonde de nature et de méthode, qui
devait les rendre irréconciliables encore plus que leur
haine.
Danton , malgré son tact étonnant d'actualité ,
n'était' pas exclusivement homme de son siècle. Il ap«
partenait à un élément très-profond des masses qui
ne varie pas. C'est comme dans l'océan ; le change-
ment et le mouvement sont en haut, et vous croiriez
que l'Océan remue et change; nullement; à vingt ou
trente pieds, sauf certains courants, il est immobile.
De même, le vaste fond de la population, Téternel
paysan de France. Tout change, il ne change pas. —
Danton, de race agricole, avait, sous l'avocat, le tri-
bun, le grand orateur, avait un rude paysan. On le
reconnaissait sans peine à la puissante encolure , aux
larges épaules , aux mains fortes. Le visage de cy-
clope, cruellement labouré de petite vérole, n'en
rappelait que mieux les classes des campagnes ob
l'enfant n'est guère soigné que par la nature. Le col-
lège n'y avait pas changé grand' chose, grâce à l'in-
application de l'écolier paresseux. Il était né, il
resta, avec quelques modifications d'éducation, de
situation, le personnage énei^iqne et très-fin qu'on
voit souvent parmi les paysans de Champagne, les ru*
ses compatriotes du bon La Fontaine. Les formes
486 IL N'EUT RIEM DB PHARISIEN.
d'une cordialité grossière, souvent violente, y cachent
d'autant mieux des esprits déliés, capables, au be-
soin, du ménagement des affaires et des intérêts*
Ces hommes qu'on cibit simples, n'en sont pas
moins très-propres à prendre des principes qui ne le
sont guère. Ils acceptaient , sans diflSculté, en ve-
nant aux affaires, la très-fausse doctrine» qu'il y a
deux morales, une publique, une privée, et que la
première, au besoin, doit étouffer l'autre. C'était
la théorie de tous les politiques du temps. Ils se
croyaient fils de Brutus en ceci, et Tétaient de Ma-
chiavel. Les Jésuites eux-mêmes n'ont point dit
autre chose : Tout permis pour le plus grand bien*
— Grave principe de corruption pour les hommes
révolutionnaires. Mais Danton, entre eux, eut du
moins ceci (en quoi il valut mieux), c'est qu'en lui
l'inconséquence des principes opposés éclata nett^
ment, que la violence et l'humanité ne se nuancè-
rent pus de mélanges bâtards, mais agirent tour-è-
tour. Il ne fut pas toujours sincère, il s'en faut bien;
comme les autres, il rusa, mentit. Il ne mentit point
pour paraître bon. Dans tant de paroles improvisées,
lancées au cours variable des événements, il n'y a pas
un mot pharisien. Son défaut fut eontraire. Ce qu*il
cacha, et qui éclata souvent dans ses actes , parfois
dans ses paroles, ce fut ce qu'il avait de bon. Une
foule d'hommes sauvés par lui (chaque jour la tra-
dition révèle de nouveaux faits en ce genre) sont
venus témoigner successivement, dénoncer l'huma-
nité de Danton.
LBS IimCL6EI9TS : DANTON, DBSMOULINS, PABRE. 487
Ses ennemis ne s'y trompèrent pas. Us virent ce
côté en lai y par où on pouvait l'atteindre dans ce
temps impitoyable^ c'est qu'il avait un cœur. C'est
là qu'il fut percé. Il fut, lui et les siens, poignardé
d'un mot : Indulgents. Leurs vanteries terroristes ne
leur servirent de rien.
Ils ne pouvaient se laver de ce crime. Ce furent
eux-mêmes, Danton, Camille Desmoulins, Fabre d'Ë^
glantine, qui ouvrirent et fermèrent la Révolution du
mot proscrit : Clémence. Le dernier, dans son Phi--
linte, inscrit à la fin de sa pièce, ce mot, ce vœu du
vrai cœur de la France : Rien de grand sans la
pitié ^
On a vu (t. II, p. 352), dans nos citations de
Camille Desmoulins, comment il essayait d'éluder les
terribles exigences de Marat, lui faisant part et lui
concédant quelque chose pour sauver beaucoup plus.
C'était là leur pensée commune, et leur contradiction.
Ils crurent à la Terreur comme principe, l'admirent
comme nécessité absolue de salut public, crurent
qu'en l'organisant on la limiterait. Dans l'attente
journalière d'un retour de Septembre, ils pensaient,
par les tribunaux, couper court aux massacres. Ces
tribunaux les condamnèrent eux-mêmes.
11 fallait beaucoup de courage, dès la fin de 92,
^ Qa*il se sounenne bien
Que tous les sentiments^ dont la noble alliance
Compose la vertu, Tbonneur, la bienfaisance,
L*équité, la candeur, Tamour et raroitié,
N*exi8tireiU jamaU dans un ewnr êam pUié.
4N MOT HASARIlft PAR AAlITOll ER PATEtm DU 101 (OCT. 9^.
pour risquer un mot dd pitié. Danton, au commence-
ment du procès du Roi, se hasarda à tàter si Ton
pouvait éveiller, non pas la miséricorde, maïs la gé-
nérosité du vainqueur, l'instinct magnanime qui ré^
pi^e à achever un ennemi par terre. J'emprunte
ceci à un historien très-croyable sur un fiùt qui
honore Danton, car, partout ailleurs, il lui est
hostile.
La chose n'était pas difficile, si l'on eût parlé à /a
France. Mais comment? par les journaux? Danton
s'en abstint toujours; rien n'eût été moins sûr. Il s'a-
dressa plutôt aux clubs, sûr que si un mot juste et
fort prenait une fois dans la foule, l'effet irait s'éten-
dant, rapidement, à l'infini, comme font les vibra-
tions du jour et de la lumière qui rayonnent en un
moment jusqu'à des millions de lieues. Il crut que,
chez ce peuple éminemment électrique, rétîncelle
magnanime, si elle frappait une fois, frapperait à la
fois partout, transformerait tout. Il se garda bien
de faire un tel essai aux Jacobins, au centre de
la politique révolutionnaire; il préféra les Corde^
liers, le foyer même de la violence et de la fureur,
il crut au cœur des furieux. Un jour que des Cor-
deliers lui reprochaient de ne pas insister sur le
procès du Roi, de ne pas hâter sa mort, il dit brus-
quement : a Une nation se sauve, mais elle ne se
venge pas... »
Ils admirèretit, se turent, mais le mot ne gagna
point. Il y avait, sur cette affaire, une sorte de parti
pris, uue émulation, et comme une gageure entre les
EMBARIUS m DANTON. 499
tiolents. C'était un terrain fatal d'honneur et de foi
réTolotionnaire^ où chacun eût rougi de reculer
d*an pas.
L'embarras de Danton devait être grand. Ne pou^
vant agir sur les violents, devait-il s'adresser aux
modftrès, donner la main à la Gironde, regagner par
elle le côté droit, et par lui entraîner le centre, don-
ner le surprenant spectacle d'un Danton modéré,
affronter le nom de traître qui d'un coup lui ôterait
tous ses amis de la Montagne, le livrant seul au côté
droit, à la pitié de ses nouveaux amis?... Cela ne se
pouvait.
Il se fût perdu, sans nul doute, et peut-être eût
perdu la France. L'éclat d'une telle défection eût af-
faibli la Montagne et la Convention tout entière, et
le profit en eût été, non pas même k la Gironde, mais
bientôt aux royalistes Non aux royalistes seuls ,
mais à l'étranger, à l'ennemi.
Il fallait que la Gironde ne l'obligeât pas d'être gi-
rondin, qu^elle le laissât ce qu'il était, qu'il restât
Danton, que le combat continuât sur les sujets se-
condaires, que seulement, sur un point ou deux
d'actualité, de salut, où la vie, la mort de la Ré-
publique, étaient engagées, il y eût entente et bon
accord.
Danton fit un suprême effort pour l'unité de la pa-
trie. Il demanda (vers le 30 novembre, ou bien peu
après) une dernière entrevue avec les chefs de la
Gironde. I! était vraiment nécessaire, pour lui, de
la tenir secrète. Si elle devenait publique, dans un
800 SA FEMIIB NALADB.
tel moment, il était perdu. L'entrevue eut lieu (le
soir ou la nuit), dans une maison de campagne, à qua-
tre lieues de Paris, aux environs de Sceaux. Ce pays
de bois était alors plus boisé qu'aujourd'hui, et mé-
ritait le nom qu'un de ses cantons porte encore,
Val-aux-Loups. Comment, si connu dévisage, Danton
sortit-il de Paris sans qu'on y fit attention ? Il est in-
finiment probable qu'il alla d*abord à Cachant, pelit
village sur la route, où put le recevoir Camille Des-
moulins, chez sa belle-mère, la mère de Lucile,
l'amie de M"' Danton.
L'influence de celle-ci, très-forte sur Danton, (ut
pour beaucoup dans la démarche, si nous ne nous
trompons. Danton aimait sa femme de passion et la
voyait mourir. L'écrasante rapidité d'une telle révo-
1 utiou qui lui jetait sur le cœur événement sur événe-
ment, brisait la pauvre femme. La réputation terrible
de son mari, sa forfanterie épouvantable d'avoir fait
Septembre, l'avait tuée. Elle était entrée tremblante
dans ce fatal hôtel du ministère de la Justice, et elle
en sortit morte, je veux dire frappée à mort. Ce fut
une ombre qui revint au petit appartement du passage
du Commerce, dans la triste maison qui fait arcade
et voûte entre le passage et la rue (triste elle-même)
des Cordeliers ; c'est aujourd'hui la rue de l'ËcoIe-
de- Médecine.
Le coup était fort pour Danton. Il arrivait au point
fatal où l'homme ayant accompli par la concentration
de ses puissances l'œuvre principale de sa vie, son
unité diminue, sa dualité reparaît. Le ressort de la
MÉRITB ET FIN I« H» BAMTOM. 801
ToloDté étant moins tendu, reviennent avec force la
nature et le cœur, ce qui fut primitif en Thomme.
Cela^ dans le cours ordinaire des choses, arrive en
deux âges distincts, divisés par le temps. Mais alors,
nous l'avons dit, il n'y avait plus de temps ; la Révo-
lution Tavait tué avec bien d'autres choses.
C'était déjà ce moment pour Danton. Son œuvre
fiûte, le salut public en 92, il eut^ contre la volonté
un moment détendue, l'insurrection de la nature,
qui lui reprit le cœur, le fouilla durement» jusqu'à ce
que l'orgueil et la fureur le reprissent à leur tour et
le menassent rugissant à la mort.
Les hommes qui jettent la vie au-debors dans une
si terrible abondance, qui nourrissent les peuples de
leur parole, de leur poitrine brûlante, du sang de
leur cœur, ont un grand besoin du foyer. II faut qu'il
se refasse, ce cœur, qu'il se calme, ce sang. Et cela
ne se fait jamais que par une femme, et très-bonne,
comme était M"' Danton. Elle était, si nous en ju-
geons par le portrait et le buste, forte et calme, au-
tant que belle et douce ; la tradition d'Ârcis, où elle
alla souvent, ajoute qu'elle était pieuse, naturelle-
ment mélancolique, d'un caractère timide.
Elle avait eu le mérite, dans sa situation aisée et
calme, de vouloir courir ce hasard, de reconnaître et
suivre ce jeune homme, ce génie ignoré, sans répu-
tation ni fortune. Vertueuse, elle l'avait choisi mal-
gré ses vices, visibles en sa face sombre et boulever-
sée. Elle s'était associée à cette destinée obscure »
flottante, et qu'on pouvait dire bâtie sur Torage.
soi nfQuitnmB jm hkmm.
Simple femme, mais pleine de cœur, elle avait
au passage cet ange de ténèbres et de lumière pour
le suivre à travers Tablme, passer le Pont aigu
Là, elle n'eut plus la force, et glissa dans la main de
Dieu.
a La femme, c'est la Fortune, » a dit TOrient
quelque part. Ce n'était pas seulement la femme qui
échappait à Danton , c'était la fortune et sob bon
destin; c'était la jeunesse et la Grftce, cette fiaveiur
dont le sort doue l'homme, en pur don, quand il n'a
rien mérité encore. C'était la confiance et la foi, le
premier acte de foi qu'on eût ftût en lui. Une femme
du prophète arabe lui demandant pourquoi toujours
il regrettait sa première femme: « C'est, dit-il, qu^elle
a cru en moi quand personne n'y croyait. »
Je ne doute aucunement que ce ne soit Mh* Danton
qui ait fait promettre à son mari, s'il fallait renverser
le Roi, de lui sauver la vie, du moins de sauver la
Reine, la pieuse M"* Elisabeth, les deux enfants. Lui
aussi, il avait deux enfants : l'un conçu (on le voit par
les dates) du moment sacré qui suivit la prise de la
Bastille ; l'autre, de Tannée 91, du moment où Hira-
beau mort et la Constituante éteinte livraient l'ave-
nir à Danton, où l'Assemblée nouvelle allait venir et
le nouveau roi de la parole.
Cette mère, entre deux berceaux, gisait malade,
soignée par la mère de Danton. Chaque fois qu*il
rentrait, froissé, blessé des choses du dehors, qu'il lais-
sait à la porte l'armure de l'homme politique et le
masque 4'^^Î6r> îl trouvait cette blessure bien autre,
^AMTOM NB POUVAIT BBSTBa A PARIS» fj»
oetto plaie terrible et saignante » la certitude que^
sons pWy il devait être déchiré de lui-même^ coupé
•li deiix^ guillotiné du cœur* Il avait^ toujours aimé
cette femme excellente^ mais sa légèreté, sa fougue^
l'avaient parfois mené ailleurs* Et voilà qu'elle par*
tait^ voilà qu'il s'apercevait de la force et profondeur
de sa passion pour elle. Et il n'y pouvait rien, elle
fondait^ fuyait, s'échappait de lui, à mesure .que se»
htu contractés serraient davantage.
Le plus dur, c'est qu'il ne lui était pas même donné
de la voir au moins jusqu'au bout et de recevoir son
adieu. Il ne pouvait rester ici ; il lui fallait quitter ce
lit de mort« 9a situation contradictoire allait éclater ;
il lui était impossible de mettre d'accord Danton et
Danton. La France^ le monde, allaient avoir les yeuE
80r lui, dans ce fatal procès* Il ne pouvait pas parler,
il ne pouvait pas se taire. S'il ne trouvait quelque
ménagement qui ralliât le côté droit, et, par lui, le
centre, la masse de la Convention, il lui fallait s'éloi*
gner^ fuir Paris, se faire envoyer en BelgiquOi sauf à
revenir, quand le cours des choses et la desjinée au«
raîèt)t délié ou tranché le nœud. Mais alors, cette
femme malade, si malade, vivrait-elle encore? trou^
verait*«elle en son amour assei de souflSe et de force
pour vivre jusque-là, malgré la nature, et garder le
dernier soupir pour son mari de retour?... On pou-
vait prévoir ce qui arriva, qu'il serait trop tafd, qu'il
ne reviendrait que pour trouver la maison vide, le»
en&nts sans mère, et ce corps, si violemment aimé,
au fond du cerciieiK Danton ne]croyait guère à
804 SA DBRMltRB ENTREVUE AVEC LES GIRONDIRS (miV.-DÉC. 98).
rame, et c'est le corps qu'il poursaivit et voulat
revoir, qu'il arracha de la terre, effroyable et déE^-
r6y au bout de sept nuits et sept jours, qu'il disputa
aux vers d'un frénétique embrassement.
Un voile couvrait encore ce tragique avenir. Et
toutefois (telle est la prescience des grandes douleurs),
Danton, sans nul doute, en avait le trouble confus,
pendant qu'il allait le soir chercher aux bois de
Sceaux l'amnistie de ses jennemis. Il allait, cet homme
fier, traîné par la nécessité, bien plus que par l'es-
poir, sur cette route de décembre, déjà désolée et
sombre, aux premiers souffles de l'hiver.
Nous ignorons malheureusement tout le détail de
l'entrevue. Le hasard seul a conservé, fait connaître
le résultat, si fatal à la France.
Nous ne savons même point lesquels des Girondins
furent appelés au mystérieux rendez-vous. Il parait
que plusieurs (Yergniaud sans doute, etPétion^ Gon-
dorcet, Gensonné,Glaviére, peut-être Brissot encore)
amnistiaient Danton ; les autres ne voulurent point
de traité.
Les autres, c'étaient les amis personnels des Ro-
land , Buzot et Barbaroux.
Les autres, c'étaient les trois girondins proprement
dits, avocats de Bordeaux, Guadet, Ducos et Fon-
fréde. Les deux derniers, dans leur jeune enthou-
siasme de pureté républicaine, voulaient que la Ré-
volution, leur vierge adorée, portât sa robe sans ta-
che. Guadet, l'athlète ordinaire du côté droit, son
ardent et infatigable parleur, s'était trop souvent
LA GIRONDE LE REPOUSSE (DEC. 9t). S05
battu contre Danton, pour perdre jamais l'aigreur de
la lutte.
Quelles furent les paroles de Danton , ses réponses,
et ce qu'il trouva dans son cœur, à ce moment déci-
sif, pour l'unité de la patrie, pour défendre lui et la
France (ici c'était même cause)? Personne ne l'a
su, personne ne le retrouvera. Que l'histoire ici se
taise et n^entreprenne point de l'imaginer. On ne sait
que le dernier mot, mot très-fort, où Danton alla
loin , descendit , fit céder son orgueil : « Guadet,
Guadet, tu as tort; tu ne sais point pardonner... Tu
ne sais pas sacrifier ton ressentiment à la patrie...
Tu es opiniâtre, et tu périras. »
TABLE
LIVRE VII
CHAPITRE L
U 10 août.
La pensée du 10 août. 4
Les vainqueurs du 10 août. S
Les sections nomment des commissaires à l'HÔ-
tel-de-Ville. 6
Précautions militaires de la cour. 8
Elle tient Pétion aux Tuileries. 9
Pétion délivré. 10
La nouvelle Commune prépare la voie à l'in-
surrection. 13
État intérieur du Château. 14
Les Nobles, les Suisses, la Garde nationale. 15
Défiance témoignée à la Garde nationale. 16
Le Roi essaie de passer la revue. 17
Le Roi universellement abandonné. 1 8
La Commune arrête le commandant delà garde
nationale. Mandat, qui est tué. 31
Le Roi quitte le Château. La reine le suit. 2S
L'avant-garde derinsurrection se présente aux
Tuileries. !26
Elle est surprise, égorgée, dispersée. 28
La Cour espérait-elle frapper un coup sur TAs-
semblée? 30
L'insurrection attaque les Tuileries. 51
Le Roi; n'ayant plus d'espoir, fait dire de ces-
ser le feu. Si
Défense obstinée des Suisses , leur belle re-
traite.
La garde nationale pour Tinsurrection. 55
Massacre des Suisses. 36
Modération de plusieurs des vainqueurs du
10 août. S7
CHAPITRE IL
Le 10 août dans VÀssembUe.^LuUe de V As-
semblée et de la Commune. — Ftn d^aotU.
Des vainqueurs du 10 août, fédérés, gardes*
françaises, etc. 41
Théroigne de Héricourt. 43
Meurtre de Suleau. 47
Impuissance de l'Assemblée. Inertie des Giron-
dins. 48
Situation de l'Assemblée, dans la matinée du
10 août. 80
Le Roi se réfugie dans le sein de l'Assemblée. 5S
Deux paniques dans l'Assemblée. 54
Le Roi fait cesser le feu, n'ayant plus d'espoir. 55
L'Assemblée cmserve & la royauté une chance
de résurrection. S6
L'Assemblée s'annule elle-même. S8
Désespoir des familles des victimes du 10 août. 59
Défiance et fureur du peuple. 60
La Commune organe de cette fureur. 61
Sentiments contradictoires du peuple^ sensible
et furieux. 62
Danger de la situation. 64
Le Roi prisonnier, enfermé au Temple. 65
1 l-i7 août 92. La Commune exige la création d'un
tribunal extraordinaire. 66
Influence de Harat sur la Commune.
19 août 92. Création du tribunal extraordinaire. 70
20 août 92. Danger de la France; Longwy assiégé. 71
Menaces de Lafayette; sa fuite. 72
Fermeté magnanime de Danton. 73
Premiers mouvements de la Vendée. 74
Le nouveau tribunal accusé de fonctionner len-
tement. 75
Nouvelle de la prise de Longwy. 76
27 août 92. Fête funèbre des morts du 10 août. 77
CHAPITRE m.
L'invasion. — Terreur ei {tireur du Peuple. Fin d*août.
Terreur de Paris à la nouvelle de l'invasion. 81
Attente d'un jugement solennel de la révolution
par les rois. 82
Août-septembre. La France se voit surprise et
trahie. 84
Combien le roi prisonnier était encore redoutable. 86
Héroïque élan de la France entière. 87
Nos ennemis , dans ce tableau immense, n'ont
voulu voir qu'un point , une tache sanglante. 89
La France entière se donna à la patrie. 90
Dévouement, déchirement des femmes, des mères. 93
Danton fut alors la voix de la France. 94
Danton demande des visites domiciliaires. 96
29 août. Visites domiciliaires. 98
Lutte de l'Assemblée et de la Commune. 99
Violence de la Commune. KM
L'Assemblée essaie de la briser. 103
La Commune veut se maintenir par tous les
moyens. 404
Disposition au massacre. 406
CHAPITRE IV.
Prélude du tnanaere , 1^' septembre 92.
Nul homme, ni Danton, ni Robespierre, ne
domina la situation. 106
Caractères divers de ceux qui voulaient le mas-
sacre. 440
Influence des maratistes sur la Commune. 412
La Commune obstinée à ne point se dissoudre. 4 14
L 'Assemblée veut apaiser la Commune. 417
Robespierre conseille à la Commune de remettre
le pouvoir au peuple. 430
Du comité de surveillance ; Sergent, Panis. 4 22
Panis, beau-frère de Santerre, ami commun de
Robespierre et de Marat. 424
Panis introduit Ifarat au comité de surveil-
lance (2 septembre). iS6
CHAPITRE V.
Le 2 septembre.
•Proposition conciliante du dantoniste Tburiot. 130
Deux sections votent le massacre. 434
La Commune voulait la dictature et le massacre. 4 53
Courageux discours de Vergniaud. 454,
On demande à TAssemblée la dictature pour le
ministère. ISS
L'Assemblée se défie de Danton , qui néan-
moins évite de se réunir à la Commune. 1 .16
Le comité de surveillance livre vingt*quatre
prisonniers à la mort. 439
Massacre de l'Abbaye. 440
Danton n'accepte point l'invitation de la Com-
mune. 444
Quels furent les massacreurs de l'Abbaye. 442
Massacre des Carmes. 445
Impuissance des autorités. 447
L'hôtel de Roland est envahi. 148
Robespierre dénonce une grande conspiration . 4 49
Tentative des ministres pour calmer le peuple. 4 5 1
Intervention inutile. 453
Massacre du Chàtelet. 454
Massacre de la Conciergerie. 455
Maillard organise un tribunal A l'Abbaye. 45G
Ce tribunal sauve 43 personnes. 159
Dévouement de Geoffroy Saint-Hiiaire. i fK)
Dévouement de%M"«* Gazette et Sombrenil. i6l
CHAPITRE VI.
Suite, — Le 9 et le A septembre 92.
Terreur universelle dans la nuit du 2 au 3. i65
Inertie calculée de Danton (2-5 septembre). i66
Progrès dans la barbarie, aui 3 et 4 septemb. 168
A l'Abbaye, le massacre devient un spectacle
(3 septembre). 170
Tentative sur THospice des femmes. 179
Danger des femmes à la Force. — Massacre. 473
Mort de M«« de Lamballe. 4 76
Sa tète portée au Temple. ISS
Les ministres demandent en vain queTAssem-
blée appelle la garde nationale aux armes. 185
lettre de Roland à l'Assemblée (3 septembre). 486
Circulaire de Marat au nom de la Commune,
pour conseiller le massacre aux départe-
ments (3 septembre). 488
Massacres des femmes et des enfants â la Sal-
pètrière et à Bicètre (4 septembre 92). 490
CHAPITRE VII.
Etal de Paris après le massacre {sept.9i).
Prostration morale. 190
Le peuple et l'armée eurent horreur du mas-
sacre. 498
Opinion de Marat, de Danton sur le massacre. 200
L'Assemblée juré de combattre la royauté
(4 septembre). 201
Cambon attaque la Commune (4 septembre). 903
Réaction de l'humanité. 305
Cependant le massacre continue (5-6 sept.). 204
Craintes de la Commune. Les maratistes essaient
d'étendre le massacre à toute la France. 307
Les prisonniers d'Orléans massacrés à Yersail*
les (9 septembre). 310
Danton sauve Duport» lutte avec Marat. 314
Élections sous l'influence des massacres . 316
Fédération de garantie mutuelle. 319
Vols, pillages, meurtres, craintes de massacre. 333
Craintes pour l'Assemblée ; discours de Yer- 335
gnlaud, et dévouement solennel de l'Assem-
blée (17 septembre). 237
Clôture de l'Assemblée législative (30 sept.). 339
CHAPITRE VIIK
Bataille de Falmy, 30 sept. 92.
Élan de la guerre. 330
Mort héroïque de Beaurepaire (1*' sept.). 233
Offrandes patriotiques. 335
Admirable accord des partis. 356
Damouriez soutenu des Girondins, de» Jaco-
bins, de Danton. 337
Dévouement unanime de tous. 338
Immoralité profonde des puissances envahis*
santés. 259
DoQte et incertitude des AHemands. 241 |
Gœthe et Faust. 242 \
Indécision du duc de Brunswick. 24o \
Les Prussiens parlent de restaurer le clergé et ,
de faire rendre les biens nationaux. 244 •
Pureté héroïque de notre armée; comment elle
reçoit les septembriseurs. ^248
Habileté de Dumouriez, qui pourtant se laisse
tourner. 2S0 *
Unanimité pour le soutenir. 251
Etat formidable des campagnes de TEst. 252
Dumouriez et Kellermann â Yalmy (20 sept.) 255
Fermeté de la jeune armée sous le feu^i 255
Les Prussiens avancent deux fois, et se retirent. 257
LIVRE VIII
CHAPITRE I.
Le mande se donne à la France. — La Vendée contre la
France.
Élan universel du monde vers la France. 264
Facile conquête de Nice. 266
LaSavoiesedonneà laFrance (fin septemb. 92). 267
Les populations du Rhin appellent la France. 268
Spire^ WoraiS; Mayence (sept.-oct. 92). 269
Lille bombardée repousse les Autrichiens
(6 octobre 92). 271
La France conquérante malgré ellg. 272
Les peuples délivrés veulent être Français. 273
La France les accepte pour les sauver. 274-
Elle trouve un ennemi dans son sein (24-
25 août 92). 275
Ingratitude de la Vendée. 276
Partialité de la Révolution pour le paysan. 277
La révolution plus chrétienne que la Vendée. 279
CHAPITRE IL
Le prêtre , la femme et la Vendée.
La femme fut l'agent de la Vendée. 281
Ije femme^ en général; devenait contre-révolu-
tionnaire. 287
Elle empêche le mari d'acheter les biens natio-
naux. 288
Le paysan aimait-il le prêtre, le noble
avant 89? 290
Relations du prêtre et de la France, surtout
dans l'Ouest. 294
Attachement passionné des femmes de l'Ouest
pour le prêtre. 296
Désespoir des femmes, lorsque le prêtre est
éloigné du chef-lieu. 298
Les couvents, foyers de conspiration. 300
Les prêtres annoncent la guerre civile (Mnier
1792). 301
Gomment ils la fomentent. 503
Apparitions, miracles, etc. 804
Premiers massacres (juin 92) . 305
Association noble de la Rouerie. 306
La noblesse se contente de donner de Tar-
gent. 307
Une lettre du Roi est l'oôcasion de la guerre ci-
vile (juillet 92). 309
Vaste soulèvement de la Vendée et premier
combat à Châtillon et Bressuire (24-23
août 92). 310
Nantes et le Finistère pour la Révolution. 313
La Vendée peu contagieuse pour la France. 314
Le paysan achète partout les biens natio-
naux. 316
Ce qui rassurait la conscience du paysan. 316
Nullité des actes féodaux. 517
Le paysan épouse la terre. 330
CHAPITRE III.
La Convention. — La Gironde tt la Montagne.
Divisions de la Convention. 322
Eltes $ont le plas grand danger de la France. 323
Accusations mutuelles des deux partis, égale-
ment injustes. 324'
Défiances mutuelles de Paris et des départe-
ments. 327
Ouverture de la Convention(âl septembre 02). 329
La GouventioD , en général; appuie d'abord la
droite. 330
Danton et Robespierre veulent rassurer la Cou-
ventioq. 332
Danton demande qu'on garantisse la propriété. 334
Abolition de la royauté (21 septembre 92]. 338
Première opposition de Danton et de la Gironde
sur la capacité du peuple (22 septembre). 340
Accusations mutuelles de désorganisation et de
démembreu^ent (23 septembre). 342
Apologie de Danton , ses conseils pacifiques*
(25 septembre). 344
Apologie de Robespierre. 346
Apologie de Marat. 348
Apologie de la Commune^ qui désavoue le9
bommes de septembre. 334
CHAPITRE IV.
La Gironde contre Danton (Sepfembre-oetobrt 92).
La Gironde croit voir Danton toucher à la ty-
rannie. 357
La Gironde, josqae-là démocratique , s*aiq>oie
8or la boargeoisie contre la dictatare. SSi
Les Jacobins prennent le poste qu'occupait la
Gironde, l'avant-garde du mouvement vers
l'égalité. S64
L'incapacité pratique des Girondins avait obligé
Danton de prendre le pouvoir. S66
Les Girondins harcèlent et poursuivent Danton
(septembre-octobre 93). 368
Les Girondins poursuivent Danton comme com-
plice de Septembre (sept.-oct. 9S). 370
Les Girondins poursuivent Danton et la Com-
mune pour infidélité dans le maniement des
deniers publics. 378
Danton ne peut rendre compte de ses dé-
penses secrètes (sept.-oct. 92). 374
Gomment Danton avait saisi, arrêté la grande
conspiration de l'Ouest (sept. 92). 376
Comment Danton avait négocié l'évacuation du
territoire (sept. 92). 380
Dumouriez à Paris (12-16 octobre 92). 386
Danton et Dumouriez veulent se concilier la
Gironde. 388
Avances de Danton aux Girondins (fin octo-
bre 92). 396
La Convention, en réalité^ n'était pas divi-
sée. 597
Le faubourg Saint-Antoine exhorte la Conven-
tion à la concorde (21 oct. 92). 598
Adresse de la Convention aux armées-
(mars93). 40»
CHAPITRE V.
Jemfnapes (6 novembre).
Importance de la bataille de Jemmapes. 404
Chances que l'armée de Jemmapes avait contre
elle. 406
La guerre d'ensemble et par masses est sortie
de Tinstinct français et de la fraternité. 409
Ce que furent nos grandes armées républicaines. 41 0
Ce que fut Tarmée de Jemmapes. 412
Exaltation de celte armée. 413
Probité ferme et modeste de nos ofBciers plé-
béiens. 414
Sévérité de l'armée pour les excès sanguinaires. 41 5
L'armée n'est nullement abattue d'un premier
échec (4 nov. 92). 416
Position formidable des Autrichiens à Jem-
mapes (5 nov. 92). 419
La bataille ouverte par la Marseillaise (6 no-
vembre 92). 422
Vaillance de nos volontaires à la droite de l'ar-
mée. 424
La bataille de Jemmapes, gagnée par la Mar-
seillaise; a elle-même inspiré le Chant du
Départ. 426
CHAPITRE VI.
Invasion de la Belgique. — Lutte de Canibon et de
Dumouriez (Novembre 92.)
L'Angleterre se joint à la coalition. 432
Joie des populations maritimes des Pays-Bas* 433
Terreur de l'Angleterre, 434
L'Angleterre travaille contre nous. 436
La Traie et la fensse Belgique. 438
La France anathématisée par ceux qu'elle dér
livre, 439
Daplicité de Dumouriez. 441
Il prend sur lui de garantir le clergé belge. 443
Les Belges refusent la liberté, au nom de la li-
berté. 443
Les Pays-Bas seront-ils réunis à la France? 44i
Cambon contre Dumouriez. 44(>
Dictature financière de Cambon. 448
Foi financière de l'Angleterre et de la France. 449
CHAPITRE VIL
Grandmr t( décadtneê de la Girm^.
(Octobre-novembre 9$.)
La Gironde très-forte en octobre. 459
Pétipn. obtieut l'unanimité de Paris (15 ocr
tobre). 460
Danger de la Révolution, si elle enraye. 461
Les violents poussent au procès du Roi. 462
La Commune lance une adresse contre la Con-
vention (19 octobre.) 464
La violence de la Commune compromet la
Montagne^ et la société des Jacobins. 466
Irritation muette de Sieyès et du centre. 469
La Convention frappe Danton et la Commune* 470
Division du parti Girondin. 471
Une fraction de la Gironde (la fraction Ro-
land) attaque Robespierre par Louvét (29 oc-
tobre), 472
Les meoears de la Commune j menacés^ font
amende honorable (31 octobre). 478
Apologre de lElobespierfe aux Jacobins et A la
Convention (8 novembre). 480
Barrère le sauve en l'insultant. 482
La Gironde perd son influence sur Paris. 484
Elle ouvre le procès du Roi (7 novembre). 485
. Danger de ce procès pour la France. 486
CHAPITRE Vin.
Bufture définitive des Girondins et de Danton.
(Novembre 92.)
Danton poursuivi par la Gironde (Oct. 92). 488
. Les trois ennemis de Danton : Lafayette, Roland.
. Robesprerre. 489
Leurs accusations sans preuves. 491
Caractère tle Danton. Son insouciance. 492
panton ue voulait rien qu'être Danton. 495
En quoi il différa des Girondins et des Jaco-
bins, /• 494
. fi fut paysan d'ôrigioe, non bourgeois. 495
*n n'eût, rien .de pharisien. 496
I^s Indulgents : Danton, Desmoulins, Fabre. 497
}lpt hasardé, par Danton en faveur du Roi (Oc-
tobre 92}* 498
Embarras de Danton • 499
Sfi : femme malade. 500
Mérite et fin de M"* Danton. 801
Inquiétude de Danton. SOS
Danton ne pouvait rester à Paris SOS
Sa dernière entrevue avec les Girondins (No-
vembre-décembre 92). 504
La Gironde le repousse (Dec. 92). SOS
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ATLAS HISTORIQUE
DE
LA FRANGE
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ET SCIENTIFIQUE,
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1 vol. in-4' de 16 cartes coloriées. 1 vol. in -8* de 25 à 30 feuilles.
• 9rîT de l'oavraffe complet, ta ffr.
Nous avons en France d*excellentes cartes. Celles delaMarine
et du Dépôt de la guerre n'ont rien à envier aux plus belles pu-
blications du même genre faites en Angleterre et en Allemagne.
Mais ces cartes , et la plupart des autres qui se publient , né se
rapportent qu'à l'état présent de la France ou de ses possessions.
Dès qu'il s'agit d'étudier, pour suivre et comprendre l'histoire de
notre pays, les transformations successives des divisions terri-
toriales et de retrouver sur la carte , précisées et fixées au sol ,
toutes ces notions que les meilleurs livres ne présentent jamais
que d'une manière incertaine et vague, on manque de secours, ou
il faut s'adresser à des guides peu sûrs, qui le plus souvent répè-
— 2 —
tent avec une eoutante fidélité les mêmes eneors. Ct seecmn ,
M. DuBUY voudrait Toffrir à tout lecteur attentif de notre
histoire.
Son Atlas est ainsi composé :
1* Carte physique de la France^ présentant la havtevr ida-
tivedes montagnes, les bassins hydrographiques, les grandes
divisions géologiques du sol, les lignes de culture et d'égale inten-
' site pluviale, les lignes isothëres et isochimënes.
2^ La Gaule indépendante et romaine , avec la division en
17 provinces et le tracé des voies militaires.
3"* La France mèrotingienne^ vers 630, à V^oque de la pins
grande extension de la puissance des rois mérovingiens,, avec l'in-
dication des vilke regiœ^ et des lieux où l'on battait monnaie sofos
les deux premières races , plus un carton pour le paita^ entre
les quatre fils de Clovis.
4® L'Empire de Charlemagne.
6^ La France carlovingienncj présentant les divisions territo-
riales en comtés et cantons [pagi] , et la limite imposée i la France
par le traité de Verdun.
6* La France au temps de la première croisade, avec l'indica-
tion des principaux fiefs laïques et ecclésiastiques.
7® La France à l avènement de Philippe VI y 1328, avec l'in-
dication des principales villes de commune et des terres dont
les seigneurs allèrent à la croisade.
&" La France au temps de Louis XI. avec Tindicaiion des
lieux devenus historiques durant la guerre de cent ans contre l'An-
gleterre.
9* La France en 1589, avec l'indication des provinces et des
villes occupées par les ligueurs, les calvinistes et les royalistes, et
celle de tous les points devenus historiques pendant lesgoenes de
religion ; plus une carte de la vallée du Pô pour les guerres
dltalie et de Piémont.
10* La France divisée en 32 gouvernements militaireSf avee
rindication des principales subdivisions et terres titrées, plus celle
de tous les points historiques en France , et le long de nos firon-
tiëres pour les campagnes d'Italie et d'Allemagne de 1610 à 1789.
11* La France ecciésiastique y donnant les divisions des pro-
vinces ecclésiastiques et des évêchés avant 1789, avec l'indication
des abbayes les plus célèbres pendant toute la durée du moyen
ige.
— a —
12° Le Poitou, T Anjou et la Bretagne, pour rintolligenoe de
la guerre de Vendée, les vallées du Pô et de ÏAdige pour l'his-
toire des campagnes de Bonaparte en Italie ; la vallée du Rhin
pour rintelligence des opérations militaires dont ces pays forent
le théâtre sous la république et Tempire.
13® L Empire français enlSll, et les paya voisins, pour l'in-
telligence des guerres de l'empire.
14' La France actuelle^ avec sa division en 86 départements ,
et Tindication des archevêchés, évêchés et des cours d'^)pel , des
places fortes et des ports militaires , des grandes usines et des
principaux lieux de production, des canaux et des chemins de
fer, plus un cartotl pour Paris et ses fortifications.
15* Planisphère pour l'intelligence des guerres maritimes, avec
huit cartons pour V Algérie^ le Sénégal, la Guadeloupe, la Marti*
nique, l'ile de la Réunion, la Guyane, Saint-Pierre et Miquelon,
les Marquises et Tahiti.
Le seul énoncé de ces cartes prouve de quelle utilité devra être
cet Atlas pour montrer aux yeux et faire toucher du doigt les ré-
volutions territoriales par lesquelles la France a passé , et pour
localiser, si j'ose dire, tous les grands faits de notre histoire.
Autrefois on disait que la géographie et la chronologie étaient
les deux yeux de l'histoire. On dédçdgne un peu trop aujourd'hui
ces études en apparence ingrates et stériles : le vieil axiome est
pourtant toujours vrai, et pour le mettre en pratique M. Duruy
a joint à son Atlas une chronologie où tous les faits par lesquels
s'est révélée la vie nationale ont trouvé leur place. Aussi n'est-il
pas fait mention seulement dans cette chronologie des batailles
gagnées ou perdues et dessaccagements de villes, mais des grands
faits de l'histoire, de la religion, des lettres et des arts, des décou-
vertes scientifiques, des édits, capitulaires, ordonnances ou lois
qui ont gravement modifié la législation antérieure ou mis en
avant des principes nouveaux, des événements intéressant le com-
merce ou l'industrie, de mille choses, enfin, qui, pour ne pas appar-
tenir directement à l'histoire politique, n'en sont pas moins d'in-
dispensableis matériaux pour l'histoire générale du peuple français.
Cette chronologie est divisée en périodes qui répondent aux
cartes de l'Atlas. Chaque période est, suivant le besoin, précédée
de notes explicatives pour la carte correspondante, et suivie d'une
liste des personnages qui se sont rendus célèbres dans le même
- 4 —
espace de temps, et d'un tableau sommaire des institutions et coû-
tâmes.
Ces explications ont parfois une grande étendue. Celles qui
se rapportent à la première carte forment comme un cours de géo-
graphie physique pour la France, et celles qui sont placées ei
regard des deux dernières cartes présentent en quelques pages,
si l'on peut le dire, le bilan de la France actuelle.
Quant à l'exécution matérielle^ l'éditeur n'a voulu rien épargner
pour que, par la gravure et le coloriage, ces cartes pussent soutenir
toute concurrence.
GÉOGRAPHIE HISTORIQUE UNIVERSELLE,
Par MM. DUaiJY, WALLON et BVHBTTB,
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— romaine — de quatrième, i toL 2 50
— du moyen âge. • . — de troisième. • 1 vol. 2 50
— moderne — de seconde. . 4 vol. î 50
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