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Full text of "Histoire de la révolution française"

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HISTOIRE 


DB   LA 


RÉVOLUTION 


FRANCAISK 
IV 


N'ris^^Imprimerie  Bonaventure  el  OuccMoif»  86,  quai  des  AoiatUnS. 


HISTOIRE 


DE  LA 


RÉVOLUTION 


FRANÇAISE 


J.  MICHELET 


TOME  QUATRIÈME 


PARIS 
ÇHAMEROT,  LIBRAIRE- EDITEUR, 


i«,  rue  du  Jardinet. 
4849 


LIVRE  VU 


IT. 


CHAPITRE  I 


LE  10  AOUT. 

U  HP*^«  '■  ^^  «o^t.^Les  vâlnqnevn  du  iO  #oêi.*Ut  Metiou  B^ismeiit 
4cf  cf BvifMlrM  «t  Ifi  ••yoif Bl  à  ro^lt l-46-ViUe.— Pr^âsUoiM  MttiUirf 0 
4f  là  eovr  qvi  retient  Pétipo  aui  ToUeriei.— Pétion  délivré.^  Le  BonTelle 
Commniie  prépare  U  voie  à  l'inmrrectioo.  —  État  intérienr  do  Châteao.  ~ 
Ui  Mblee,  le«  Saifiei,  le  garde  Baiiesale.— DéBapee  léaoignée  à  le  garde 
f^tiopale.  —  Le  Roi  esMîf  de  passer  la  revne.  —  Le  Rpi  aniversellemept 
abaBdooBé.  —  La  Codiicvb:  arrête  le  commandant  de  la  garde  nationale. 
—  Iff  Bdat  est  taé.  Le  Roi  quitte  le  cbàteau  avec  la  reine.  ^  L'atant-garde 
*df  rinsimeetioB  te  présente  •&(  Toileries;  elle  eet  surprise,  égorgée.  di«- 
senée. — La  cour  espérait-elle  frapper  on  coup  sar  rAssembléeî— L'insor- 
reetioD  attaque  les  Tuileries.— Le  Roi  fait  dire  de  cesser  le  feu,  lorsqu'il  n'a 
ptas  d*tepelr.— Défenee  obstinée  des  Suiwei,  leur  NUe  retrelte.-^La  garde 
BtliP9ale  tOBt  OPtiére  se  déclare  pour  rinsurreçtipo.— Ifassaere  des  Suisses. 
— Clémonce  et  modération  de  plusieurs  des  vainqueurs  du  10  août.^ 


La  nuit  d|i  10  ao^t  fut  très-belle,  doucement  éçlat^ 
rée  de  la  lune,  paisible  juscju'à  minuit,  et  mèmç  un 
MU  au-delà.  A  cette  heure,  il  n'y  avait  encore  per- 
sonne ou  presqcie  personne  dans  Içs  rues.  Le  faubourg 
Saint-Antoine,  en  particulier,  était  silencieux.  Lapo* 
pulation  dormait,  en  attendant  le  combat. 


i  LA  PEKSÉB  DU  10  AOUT. 

Et  pourtant ,  le  bruit  avait  couru  dans  la  soirée 
qu'une  colonne  envoyée  des  Tuileries  allait  marcher 
vers  THôtel-de-Ville.  On  craignait  une  surprise.  De 
fortes  patrouilles  de  garde  nationale  allaient  et  ve- 
naient dans  le  faubourg.  Toutes  les  fenêtres  étaient 
illuminées.  Tant  de  lumières  pour  une  si  belle  nuit, 
ces  lumières  solitaires  pour  n'éclairer  personne,  c'é- 
tait d'un  effet  étrange  et  sinistre.  On  sentait  assez 
que  ce  n'était  pas  là'  l'illumination  d'une  fête. 

Quelle  était  la  pensée  forte  et  calme  sur  laquelle 
dormait  le  peuple,  etqui  servit  d'oreiller  à  tant  d'hom- 
mes dont  cette  nuit  Tut  là  dernière?  Un  des  combat- 
tants du  10  août,  qui  vit  encore,  me  l'a  expliquée 
nettement  :  «  On  voulait  en  finir  avec  les  ennemis 
publics;  on  ne  parlait  ni  de  république  ni  de  royauté  ; 
on  parlait  de  V étranger,  du  comité  autrichien  qui  al- 
lait nous  l'amener.  Un  riche  boulanger  du  Marais,  qui 
était  mon  voisin ,  me  dit  sous  le  feu  le  plus  vif,  dans 
la  cour  des  Tuileries  :  c  C'est  grand  péché  pourtant 
de  tuer  ainsi  des  chrétiens;  mais,  enfin,  c'est  autant 
de  moins  pour  ouvrir  la  porte  à  l'Autriche  !  » 

Le  10  août,  répétons-le,  fut  un  grand  acte  de  la 
France.  Elle  périssait,  sans  nul  doute,  si  elle  n'eût 
pris  les  Tuileries. 

La  chose  était  fort  difficile.  Elle  ne  fut  nullement 
exécutée,  comme  on  l'a  dit,  par  un  rainas  d^  popn^ 
taccy  mais  véritablement  par  le  peuple,  je  veux  dire 
par  une  masse  mêlée  d'hommes  de  toute  classe;  mi- 
litaires et  non  militaires,  ouvriers  et  bourgeois,  pari- 
aiens  et  provinciaux.  Plusieurs  quartiers  de  Paris 


LBS  VAINQUEURS  DU  10  AOUT.  H 

envoyèrent,  sans  exception ,  tout  ce  qu'ils  avaient 
d'hommes  qui  pussent  combattre  ;  dans  la  sectioû 
des  Minimes,  par  exemple,  sur  mille  hommes  in- 
scrits, six  cents  se  présentèrent,  proportion  consi-* 
dérable  »  lorsqu'on  savait  très-bien  qu'il  s'agissait , 
non  de  parade,  mais  d'une  affaire  sérieuse.  Les 
hommes  à  piques  composaient  à-peu-près  seuls  les 
premières  bandes  qui  parurent  de  bonne  heure  de- 
vant le  château;  mais  l'armée  réelle  de  l'insurrection, 
qui  s'en  empara,  en  avait  peu,  en  comparaison  ;  elle 
était  surtout  armée  de  fusils.  Sa  colonne  principale 
qui,  entre  sept  ou  huit  heures,  se  rassembla,  s'éche-* 
lonna  de  la  Bastille  à  la  Grève,  comptait  quatre-vingts 
ou  cent  compagnies,  chacune  de  cent  hommes  armés 
régulièrement;  c'étaient  environ  huit  ou  dix  mille 
gardes  nationaux.  Il  y  avait  deux  ou  trois  mille  hom- 
mes armés  de  piques,  alignés  entre  les  bataillons  de 
ces  dix  mille  baïonnettes.  C'est  ce  que  nous  ontaflBr- 
mé  les  témoins  et  acteurs  encore  vivants  du  10  août. 
Pour  Favant-garde  qui  affronta  le  premier  péril,  força 
l'entrée  du  château,  fit  enfin  la  très-rude  et  périlleuse 
exécution,  elle  se  composait,  on  le  sait,  de  fcinq  cents 
fédérés  Marseillais,  levés  et  choisis  avec  soin  parmi 
d'anciens  militaires,  de  trois  cents  fédérés  bretons, 
l'honneur  et  la  bravoure  même,  dont  beaucoup 
avaient  servi.  Et  ce  qu'on  n'a  dit  nulle  part,  mais  qui 
est  plus  que  vraisemblable,  ces  braves  durent  être  ap- 
puyés d'autres  braves,  bien  plus  animés  encore,  de 
la  masse  des  gardes- françaises ,  devenus  sous  La- 
fayelte  garde  nationale  soldée,  puis  licenciés  récem*» 


s  LES  SËCT101I8  NOMItNT  018  GOmifttAlRBS, 

meot  avec  autaet  d'imprudenoe  que  d'ÎDgnititude* 
Nom  y  reviendrons. 

Tout  cela  fut  enlevé  d'un  même  mouvement  d'in-^ 
dîgnation^  de  patriotisme.  Il  n'y  eut  aucun  prép<^ 
ratif)  aucun  chef,  quoiqu'on  ait  dit*.  Bien  loin  qu'au- 
cun individu  eût  assez  d'influence  en  ce  moment 
pour  soulever  le  peuple,  les  clubs  même  y  firent  très- 
peu.  Ils  étaient  moins  fréquentés  au  mois  d'août  qu'à 
aucune  autre  époque  de  l'année.  On  se  lassait  aussi 
de  leur  partage  éternel;  on  sentait  qu'il  fallait  citoB 
actes.  Leurs  plus  grands  orateurs  parlaient  dans  le 
désert. 

Ce  qui  brusqua  l'insurrection  et  la  fit  éclater  à  un 
jour  peu  ordinaire^  un  vendredi,  c'est  que  les  Mar- 
seillais sans  ressource  à  Paris  voulaient  combattre  ou 
partir.  Le  tocsin  paraît  avoir  sonne  d'abord  aux 
Gordeliers,  où  ils  logeaient*  Lé  faubourg Saint-Antoine 
répondit,  et  tout  le  reste  de  la  ville.  Les  sections,  on 
Ua  vu,  étaient  d'accord;  quarantêniept  sur  quarante- 

1  II  faut  le  répéter.  Il  n*y  eut  aucun  auteur  du  40  août,  nul,  que 
rindignalion  publique,  Tirritation  d*une  longue  misère,  le  sentiment 
(fue  Tétranget  approchait,  et  que  la  France  était  trahie.  Nul  homme 
srtors,  ni  Danton,  ni  Santerre^  ûï  personne,  n'avait  asset  d'ascendant 
pour  décider  un  tel  mouvement.  11  n'y  eut  aucun  général  de  Tinsurrec* 
tion.  Les  seuls  qui  aient  vu  le  prussien  Westermann  en  tète  de  la  co- 
lonne, ce  sont  ceux  qui  n'y  étaient  pas.  Il  n'y  eut  rien  de  préparé. 
Excepté  les  cinq  cents  fédérés  marseillais,  qui  se  firent  tivrer  des  car- 
ioacbesi  lés  asMillants  n'avalent  presque  aucune  mànition)  ils  farent 
tout  d'abord  réduits  à  celles  qu'ils  trouvèrent  dans  le  Carrousel  sur  les 
cadavres  des  Suisses.  Quelques  gardes  nationaux  avaient  par  bonheur 
gardé  celles  que  Lafayette  fit  distribuer  un  an  auparavant  au  Champ- 
de-MâHje47jaUlet4791. 


ET  LES  BNVOlEîrr  A  L'UOTEL-bE-YILLË.  7 

huit  aTftiètit  voté  la  déchéàUcë  du  Roi.  Le  9  aoât, 
a^nt  minuit  y  elles  avaient  fait  l'acte  décisif  de 
nommet*  chacuue  trois  commissaires^  pour  se  M/nt> 
à  la  Comtnnne,  sauver  la  Patrie,  Tel  fut  le  pouvoir 
général  et  vague  qui  leur  fut  doniié.  Ces  commis- 
saires furent  pour  la  plupart  des  hommes  obscurs^ 
inconnus,  on  du  tnoins  fort  secondaires.  Ni  Marat,  ni 
Robespierre  ne  fut  hoidmé,  ni  aucun  des  grande 
diefs  d'opinion.  Pour  Danton,  il  était  déjà,  ainsi  que 
Manuel,  dalis  l'ancienne  municipalité.  Ces  commis-^» 
saires  s'en  allétont  un  à  un  à  rH5teI-d&-YiUe«  saUs. 
artnes;  6n  les  laissa  entrer^  Ils  trouvèrent  Fanbien 
conseil  de  la  Commune  en  permanence,  mais  (brl 
pen  nombreux  )  toujours  détiroissabt  de  nombre. 
Soob  rHôtel'^é-Yille,  à  l'arcade  Sain tr Jean,  princi-^ 
pâte  issue  de  la  rue  Saint-Antoine  qui  débouchait 
dans  la  Grève,  une  forcé  considérable  avait  été  postée 
par  le  comitiaiidAnt  général  de  la  garde  nationalci 
Mandat,  zélé  Fayettiste,  royaliste  constitutionnel. 
Cette  fortié  lui  répondait  de  rHôtel-de-Yille,  gardait 
le  passage;  elle  avait  pour  instruction,  si  le  faubourg 
descendAit,  de  le  laisser  passer  et  le  prendre  en 
quene.  Mandat  avait  de  plus  mis  de  Tartillerie  au 
Pbnt'Néuf^  de  sorte  que  si  le  Faubouig  poussait  jus- 
que-^^  il  y  était  foudroyé,  et  ne  pouvait  opérer  sa 
jontitiod  avec  lei  Gordelien  et  le  faubourg  Saint- 
Mareéau. 

Tout  ceci  n'était  pas  fort  encourageant  pour  les 
commissaires  des  sections  envoyés  à  rHôtel-de-Yille. 
Gomment  remplaceraient -ils  l'ancienne  Commune 


•  fRÉCAUTIONS  HILITAIRCS  DE  LA  GOtlB, 

royaliste  et  se  constitueraientHls  souveraiiie  autoirité 
de  Paris?  C'était  toute  la  question.  Le  tocsin  sonnait 
de  tous  côtés  sans  produire  de  grands  résultats. 
L'armée  de  la  cour  était  debout  dès  longtemps  et 
l'arme  au  bras;  Tarmée  de  rinsùrrection  était  dans 
son  lit  ;  il  n*y  avait  pas  quinze  cents  personnes  rassem- 
bléeSy  autour  des  Quinze^Vingts.  Seulement,  en  r^^^, 
dant  dans  les  longues  et  profondes  impasses  qui  s*6jà^ 
vrent  sur  les  rues  du  faubourg  Saint-Antoine,  (m 
commençait  à  voir  s'agiter  les  lumières,  les  bommes 
aller  et  venir.  Quelques-uns  des  plus  diligents  étaient 
sur  leurs  portes,  tout  prêts,  armés,  et  attendaient  les 
autres.  Beaucoup  étaient  paresseux  ;.  ils  entendaient 
bien  sonner,  mais  ce  n'était  pas  l'usage  de  commencer 
l'émeute  en  pleine  nuit;  il  y  avait  là^iessus  une  tra«« 
dition  établie. 

Ce  retard  était  effrayant.  Plusieurs  des  commis- 
saires de  sections,  réunis  à  l'Hôlel-de-Vitle,  en  étaient 
à  regretter  qu'on  eût  fait  sonner  le  tocsin.  L*ancienne 
Commune  s'était  écoulée  ou  à-peu-près.  Mais,  pour 
constituer  la  nouvelle,  les  commissaires  ne  se  voyaient 
pas  suffisamment  appuyés.  Ce  qui  ajoutait  à  leur  em** 
barras ,  c'est  que  la  Cour  avait  en  ce  moment  un 
grand  otage  dans  les  mains,  le  maire  populaire  de 
Paris,  Pétion.  Elle  avait  aussi  Rœderer,  procpreur-* 
syndic  du  département.  Elle  pouvait,  au  besoin,  Aiire 
parler  les  deux  premières  autorités  de  là  ville,  lé  dé^ 
partement,  la  mairie.  Pétion,  mandé  vers  onze  beures 
au  château,  n'avait  osé  refuser  de  s^'y  rendre.  Sa 
conduite  dans  les  jours  précédents  avait  été  fort. 


QUI  TIEKT  PETiON  AUX  lUILERlES.  9 

étrange.  Le  4,  on  Ta  vu,  il  avait  dénoncé  la  guerre  à 
la  royauté.  Le  8,  il  avait  paru  s'intéresser  encore  à 
celte  royautéi  avait  averti  le  département  qu'il  ne 
pouvait  répondre  de  la  sûreté  du  chftteau.  Le  9,  il 
avait  demandé  qu'un  camp  fût  établi  au  Carrousel, 
four  protéger  les  Tuileries.  Ce  camp  de  gardes  na-^ 
tiooaux,  en  couvrant  la  place,  Teût-il  défendu  t  ou, 
tout  au  contraire,  rendu  la  défense  impossible?  c'est 
ce  qu'on  ne  peut  pas  trop  dire.  Le  Château  n'eût  tiré 
de  ses  fenêtres  qu'en  tirant  sur  ses  défenseurs.  Le  9 
encore,  Pétion,  soit  pour  endormir  la  Cour,  soit  par 
lassitude,  par  conviction  que  le  mouvement  n'aurait 
pas  lieu,  demanda  au  département  la  somme  de 
20,000  francs  pour  renvoyer  les  Marseillais,  qui, 
dans  leur  découragement,  voulaient  s'éloigner  de 
Paris. 

Pétion  entra  donc,  bon  gré  mal  gré,  dans  la  fosse 
aux  lions.  Jamais  le  Château  n'avait  eu  un  aspect  si 
sombre.  Sans  parler  d'une  masse  de  troupes  de  toutes 
armes,  de  l'artillerie  formidable  qui  remplissait  les 
cours,  il  lui  fallut  passer  à  travers  une  haie  d*of]Qciers 
français  ou  suisses,  qui  le  regardaient  d'un  œil  peu 
amical.  Pour  les  gardes  nationaux,  leur  altitude  n'était 
nullement  plus  rassurante;  ceux  qui  s'y  trouvaient 
étaient  pris  uniquement  dans  les  plus  violents  roya- 
listes des  bataillons  connus  pour  leur  royalisme ,  des 
FillesrSaint-Thomas,  des  Petits-Pères  et  de  la  Butte- 
des- Moulins.  Les  noms  de  traître  et  de  Judas  se  di« 
saient  très-haut  autour  du  maire  de  Paris.  Il  montra 
son  flegme  ordinaire»  Il  arriva  sans  encombre  aux 


10  PÈTUm 

apftarteoients  du  Rot,  tout  renlplis  do  monde  et  sotn- 
brefl,  à  ce  même  appartemebt  où  le  soii"  du  21  jbin, 
Louis  XVI  lui  avait  parlé  si  durement  ;  le  même  dia- 
logue, s'il  se  fût  reproduit  la  nuit  du  10  août,  eût  été 
pour  Pélion  un  arrêt  de  mort.  Il  y  avait  là  beaucoup 
de  gentilshommes  à  visage  paie,  que  la  vue  seule  du 
maire  de  Paris  agitait  d'une  sorte  de  tremblement 
nerveux.  Mandat,  le  commandant  de  la  garde  natio- 
nale, s&ns  trop  calculer  s'il  ne  risquait  pas  de  faire 
poigbarder  Pétion,  lui  fit  subir  cette  espèce  d'interro^ 
gatoire  :  <x  Pourquoi  les  administrateurs  de  ia  policé 
de  la  ville  avaient  distribué  des  cartouches  aux  Mar- 
seillais? Pourquoi,  lui,  Mandai,  pour  chacun  de  ses 
gardes  nationaux,  n'avait  reçu  que  trois  cartouches?. .  » 
— La  Cour,  fort  défiante  pour  la  garde  nationale, 
n'avait  pas  exigé  qu'elle  fût  mieux  pourvue  de  mu- 
nitions. En  revanche,  chacun  de  ses  Suisses  avait 
quarante  coups  à  tirer. 

Pétion,  sans  s'étonner,  répondit  avec  l'air  froid 
qui  lui  était  ordinaire  :  «  Vous  avez  demandé  d« 
la  poudre;  mais  vous  n'étie2  pas  en  règle  pour  en 
avoir.  »  La  réponse  n'était  pas  trop  bonne  ;  c'était  le 
maire  lui-même,  Pètion ,  qui  devait  faire  décider  la 
chose  par  la  municipalité,  donnerpouvoir  au  comman- 
dant; si  celui-ci  n'était  pas  en  règle,  c'est  que  le 
maire  ne  l'y  mettait  pas. 

L'entretien  prenait  une  fâcheuse  tournure  ;  tout  le 
monde  était  ému,  excepté  le  Roi  peut-être,  qui  quit- 
tait son  confesseur,  venait  de  mettre  ordre  à  sa  con- 
scimce,  et  ne  s  inquiétait  pas  beaucoup  de  ce  qui 


DÉLIVRE.  Il 

poumût  arriver.  Pétion  n'était  pas  bien.  L'apparte- 
ment était  petit ,  la  foule  trop  serrée,  l'air  raréfié. 
«  Il  Tait  étouffant  ici,  dit-il,  je  descends  pour  prendre 
l'air.  9  Sans  que  persodile  osât  l'en  empêcher,  il  des- 
cendit au  jardin. 

Sa  promenade  fut  longue,  beaucoup  plus  qu'il 
n'eût  voulu.  Le  jardin  était  fermé  très-exactement. 
Pétion  n'était  pas  gardé,  mais  suivi  et  serré  de  près. 
Les  gardes  nationaux  royalistes,  qui  allaient  et  Ve- 
naient, ne  lui  épargnaient  pas  les  injures  et  les  me- 
naces. Il  prit  un  moment  le  bras  de  Rœderer, 
procureur-syndic  du  département.  Un  moment,  il 
s'assit  en  causant  sur  la  terrasse  qui  longe  le  palais.  La 
lune  éclairait  le  jardin;  mais  cette  terrasse,  étant  dans 
Tombre  que  les  bâtiments  projetaient,  avait  été  éclai- 
rée par  une  ligne  de  lampions.  Les  grenadiers  des 
Filles^Saint-Thomas  les  renversèrent  et  les  éteigni- 
rent. Plusieurs  disaient  :  «  Nous  le  tenons  ;  sa  tête 
répondra  de  tout.  »  D'autres,  plus  jeunes,  ou  plus 
exaltés  par  le  vin  et  le  péril,  ne  semblaient  pas  trop 
bien  comprendre  cotiibien  il  importait  de  ménager 
une  tète  si  précieuse.  De  moment  en  momdht,  le 
ministre  de  la  justice  venait  lui  dire  :  «  Montez,  mon- 
sieur^ ne  vous  en  allez  pas  sans  avoir  parlé  au  Roi  ;  le 
Roi  veut  absolument  toUs  parler.  »  A  quoi  il  répon- 
dait flegmatiquement  :  a  C'est  bon  :  »  et  il  gagnait 
ainsi  du  temps. 

On  ne  pouvait  rien  faire  à  rHôtel-de-Yille  qu'on 
n*eât  repris  Pétion.  On  imagina  d'envoyer  deman- 
der à  l'Assemblée  qu'elle  le  réclamftt.  Quelques 


ii  LA  NOUVELLE  COMMUNE 

députés,  au  bruit  du  tocsin,  s'étaient  rassemblés, 
toutefois  en  petit  nombre;  ils  ne  décrétèrent  pas 
moins,  comme  Assemblée  Nationale,  que  le  maire 
devait  paraître  à  la  barre.  Pétion,  sommé  au  nom 
du  Roi  de  rester,  au  nom  de  l'Assemblée  de  partir, 
opta  de  bon  cœur  pour  l'Assemblée,  ne  fit  que  la 
traverser,  retourna  à  pied  chez  lui.  Cependant  sa 
voiture  restait,  comme  pour  le  représenter,  dans  la 
cour  des  Tuileries;  jusqu'à  quatre  heures,  on  eut  au 
château  la  simplicité  de  croire  qu'il  allait  revenir 
d'un  moment  à  l'autre,  et  se  replacer  dans  la  main 
de  ses  ennemis. 

Les  amis  de  Pétion  le  reçurent  joyeusement,  mais 
le  consignèrent,  fermèrent  les  portes  sui  lui,  jugeant 
avec  raison  que,  dans  ce  moment  d'action,  l'idole 
populaire  n'était  bonne  à  nulle  autre  chose*  L'ayant 
maintenant  en  sûreté,  ils  étaient  libres  d'agir.  Les 
commissaires  des  sections  remplacèrent  l'ancienne 
Commune  au  nom  du  peuple,  maintinrent  à  leur 
poste  le  procureur  de  la  Commune  Manuel  et  son 
substitut  Danton,  et  firent  donner  par  le  premier 
Tordre  d'éloigner  du  Pont-Neuf  l'artillerie  qu'y  avait 
placée  le  commandant  de  la  garde-nationale.  Ils  ré- 
tablirent ainsi  la  communication  des  deux  rives,  ou- 
vrirent le  passage  au  faubourg  Saint-Marceau,  aux 
Cordeliers,  aux  Marseillais. 

C'était  en  réalité  l'acte  décisif  de  l'insurrection. 
Danton,  qui  jusque-là  était  à  l'Hôtel-de-Yille,  re- 
vint tranquillement  chez  lui,  rassura  sa  femme  ^  Le 

*  Quelle  part  DaDton  eol  il  ^  ce  premier  acte  de  rioturrection?  on 


PRÉPARE  LA  VOIE  A  L' INSURRECTION.  i3 

sort  en  était  jeté,  et  le  dé  lancé.  Le  reste  était  du 
destin. 

L'intérieur  du  Château,  à  cet  iustant^  offrait  un 
spectacle  comique  et  terrible.  Ce  n'était  qu'indéci- 
sion, Taiblesse,  ignorance.  La  seule  autorité  popu- 
laire qui  fût  au  Château  était  Rœderer,  procureur- 
syndic  du  département.  Un  des  ministres  lui  dit  : 
«  Est-ce  que  la  Constitution  ne  nous  permettrait  pas 
de  faire  proclamer  la  loi  martiale?  »  Le  procureur 
tira  la  Constitution  de  sa  poche,  et  chercha  en  vain 
l'article.  Mais  quand  on  l'eût  proclamée,  cette^  loi, 
qui  l'aurait  exécutée? 

Lorsqu'on  apprit  que  Manuel  avait  donné  ordre  de 
désarmer  le  Pont-Neuf,  c'est-à-dire  d'assurer  le 
passage  à  l'insurrection,  ni  les  ministres  ni  Rœderer 
ne  voulurent  prendre  sur  eux  de  donner  un  ordre 
contraire.  Rœderer  dit  qu'il  ne  pouvait  rien  faire  sans 
savoir  si  Manuel  n'avait  pas  agi  avec  l'autorisation 
de  la  municipalité  ;  qu'il  fallait,  pour  en  délibérer, 
faire  venir  tous  les  membres  du  département  aux 
Tuileries  (chose  difficile  à  cette  heure).  Le  départe- 
ment envoya  seulement  deux  de  ses  membres;  Rœ- 
derer les  voulait  tous.  Pour  cela,  il  fallait  un  ordre 


Tignore  ;  il  ne  présidait  pas  ce  jour-là  le  club  des  Cordeliers.  Ses  en- 
nemis ont  assuré  que  le  grand  agîuteur  avait  reçu,  la  veille  même , 
60,000  francs  de  la  Cour,  qu*il  Tavait  ainsi  endormie  par  la  confiance; 
que  Madame  Elisabeth  disait  :  «  Nous  ne  craignons  rien,  nous  avons 
Danton.  »  —  La  chose  n*esi  pas  impossible;  cependant  on  tt*en  a  ja- 
mais donné  la  moindre  preuve.  U  n'y  a  aucun  homme  révolutionnaire 
dont  on  n^ait  dit  de  telles  choses. 


U  ÉTAT  INTÉRIEUR  DIJ  ÇHKVUlVi 

du  Roi.  Le  Boi  dit  que  coDstitutionnellement  il  qe 
pouvait  rien  ordonner  que  par  uû  ministre.  Le  mj- 
nisfre  n'était  pas  là;  on  r^mit  la  chose  au  moment 
06  il  serait  revenu. 

Il  était  environ  quatre  heures.  On  entendit  dans 
Ift  cour  ^n  bruit  de  voiture;  on  entr'ouvrit un  contre- 
vint ;  c'était  la  voitqre  (|u  maire,  qui,  lasie  de  Tat- 
tendre,  s'eq  allait  à  vide.  Le  jour  commençait  Uuire; 
Madame  Elisabeth  s'approcha  de  la  fenêtre  et  dit  à 
la  Reine  :  «  Ma  sœur,  venez  donc  voir  le  lever  de 
l'aurore.  »  La  Reine  y  alla  ;  le  jour  était  déjà  splen- 
dide ,  mais  le  ciel  d'un  rougo  de  sang. 

Regardons,  puisqu'il  fait  jour,  l'état  de  la  plfice, 
calculons  ses  forces.  Elles  étaient  encore  formidables, 
moindres  qu'à  minuit,  il  est  vrai  ;  une  partie  des 
giurdes  nationaux  s'étaient  écoulés 

Le  nerf  de  la  garnison,  c'étaient  1330  Suisses,  sol- 
dats excellents,  braves  et  disciplinés,  obéissants  jus- 
qu'à la  mort.  Ce  nombre  est  celui  qu'accuse  dans  son 
livre  le  commandant  suisse  Pfyffer.  Mais  il  y  faut 
ajouter  un  nombre  asse^  considérable  de  gardes  con- 
stitutionnels licenciés  qui  avaient  pris  l'habit  rouge 
des  suisses^  et  vinrent  combattre  sous  ce  déguisement. 
Leurs  corps  morts,  après  le  combat,  se  distinguèrent 
facilement  à  la  finesse  du  linge,  à  l'élégance  de  la  coif- 
fure ;  les  vrais  suisses  avaient  les  cheveux  tout  simple- 
(pent  coupés  en  rond  ;  leurs  chemises  étaiçnt  gros- 
sières, lia  présence  de  ces  faux  suisses  dans  les  rangs 
des  vrais  étonna  sans  doute  ceux-ci,  et  ne  laissa  pas 
de  les  inquiéter.  Ils  durent  mieux  voir  qu'il  s'agissait 


U9  nmuB,  19$  smmu,  la  fiAin  utimale.  i^ 
de  gpcrra  çmltif  de  querellas  entre  Fraoçais,  où  I98 
éUanger»  119  poqTnieQt  ae  mêler  qu'avec  précautioo, 
U>  yieux  oolopel  suisse,  Àffry,  s'abstint  positivement, 
et  ne  voulut  pa9  tirer.  Les  autres  promirent  seule- 
ment de  bire  ce  que  ferait  la  garde  nationale,  pas 
dayantage,  ni  moins. 

Celle-ci,  à  plus  forte  raison,  avait  l'esprit  traversé 
dea  mêmes  pensées.  Quoiqu'elle  fût  toute  tirée  des 
trois  bataillons  royalistes,  et  encore  soigneusement 
triée  dans  oes  bataillons,  quoique  nul  garde  national 
n'eût  répondu  au  suprême  appel  de  cette  nuit  sans 
avoir  une  opinion  décidée  pour  le  Roi,  ces  défenseufs 
bourgeois  dii  Château  ne  voyaient  pas  sans  jalousie 
les  nobles  cavaliers  qu'on  avait  appelés  à  partager 
le  péril,  et  à  qui,  sans  nul  doute,  la  cour  eût  at- 
tribué tout  l'honneur  de  la  défense.  Ces  gentils- 
hommes étaient  généralement  les  ménles  chevaliers 
eu  poignard  que  la  garde  nationale,  sous  le  règne  de 
Jjifayette,  avait  chassés  du  Château,  en  avril  90. 
Hs  n'acceptèrent  pas  moins  le  péril  et  vinrent  défen- 
dre le  Roi  au  iO  août  92.  Péril  réel,  en  plus  d'un 
sens.  Ils  n'arrivaient  au  château  qu'à  travers  une  po- 
pulation très-hostile,  en  simple  habit  noir,  sans  ar- 
mes ostensibles,  avec  des  poignards  ou  des  pistolets. 
Et  là,  ils  trouvaient  la  malveillance,  la  jalousie  natu- 
relle des  gardes  nationaux.  Il  y  avait  lieu  d'hésiter  ; 
ipais  on  leur  avait  envoyé  des  cartes  d'entrée  per- 
sranelles,  à  domicile.  Six  cents  répondirent  à  l'appel, 
im](que)9  il  &|lait  ajouter  l'honorable  domesticité  des 
châteaux  royaux,  d'anciens  serviteurs,  qui  ne  man- 


16  DÉFURGB  TÉHOICNÉB  A  U  GAftOB  RATIONALB. 

quèrent  pas  au  jour  du  périK  Le  tout  formait  une 
cour  fort  sérieuse,  sans  ordre,  sans  étiquette,  mais 
vraiment  imposante  et  militaire.  Ces  gens  en  noir, 
tous  officiers  ou  chevaliers  de  Saint-Louis,  portaient  le 
costume  civil,  et  par  un  contraste  étrange,  c'étaient 
des  marchands,  des  employés,  des  fournisseurs  qui, 
comme  gardes  nationaux,  étaient  en  soldats.  Sur 
Taspect  de  ces  Qgures  bourgeoises,  les  gens  d'épée 
crurent  qu'ils  ne  feraient  pas  mal  de  les  remonter  un 
peu.  Ils  leur  frappaient  sur  l'épaule  :  «  Allons,  Mes^ 
sieurs  de  la  garde  nationale,  c'est  le  moment  de 
montrer  du  courage. — Du  courage?  soyez  tranquilles, 
répliqua  un  capitaine  de  la  garde  nationale,  nous  en 
montrerons,  croyez-le,  mais  non  à  côté  de  vous.  » 

En  réalité,  on  ne  témoignait  pas  beaucoup  de  con- 
fiance à  la  garde  nationale.  Les  nobles  occupaient  les 
appartements  les  plus  intérieurs,  les  postes  de  con- 
fiance. Les  Suisses  avaient  chacun  quarante  cartou- 
ches, les  gardes  nationaux  trois.  L'artillerie  surtout 
de  la  garde  nationale  fut  l'objet  d'une  défiance 
excessive,  ce  qui  fit,  comme  il  arrive,  qu'elle  la  mé- 
rita de  plus  en  plus.  On  plaça  derrière  lescanonniers 
de  chaque  pièce  des  pelotons  de  suisses  ou  de  gre- 
nadiers des  Filles-Saint-Thomas,  qui  les  sinrveillaient, 
le  sabre  nu,  et  se  tenaient  prêts  à  tomber  sur  eux. 
Ces  canonniers  se  voyaient  d'ailleurs  placés  juste 
sous  les  balcons  dont  le  feu  plongeait  sur  eux.  Plu- 
sieurs fois  ils  essayèrent  d'écarter  la  batterie  ;  autant 
de  fois  l'état-major  les  remit  au  point  oh  il  pouvait 
toujours  les  écraser  à  plaisir. 


LE  ROI  ESSAIE  DE  i^AS6fiR  LA  REVUE  (10  AOUT).  t7 

Qai  commandait  dans  le  château?  Les  gardes  na* 
tionaux  ne  eonnaissaient  d'autre  chef  que  Mandat. 
La  Commune  le  fil  appeler.  Son  instinct  lui  disait 
de  ne  pas  s'y  rendre.  Au  second  appel ,  il  hésita , 
consulta  autour  de  lui.  I^es  ministres  l'engageaient  h 
ne  point  obéir.  Le  constitutionnel  Rœderer  lui  dit 
qu'aux  termes  de  la  loi,  le  commandant  de  la  garde 
nationale  était  aux  ordres  de  la  municipalité.  Dès 
lors,  il  ne  résista  plus.  11  lui  parut  qu'en  eflet,  il  lui 
fallait  éclaircir  l'affaire  des  canons  du  Pont-Neuf^  et 
sans  doute  aussi  s* assurer  du  poste  qu'il  avait  mis  a 
la  GrëYe  jpour  attaquer,  écraser  le  faubourg  à  son 
passage.  Donc,  il  se  .raisonna  lui-même,  étoufia  ses 
pressentiments,  fit  un  effort,  et  partit. 

Son  départ  ébranlait  la  défense  du  château.  Il  lais- 
sait le  commandement  à  un  officier  Tort  peu  rassuré. 
La  reine,  qui  n'était  pas  non  plus  sans  pressentiments, 
prit  Roederer  à  part,  et  lui  demanda  ce  qu'il  pensait 
qu'il  y  eût  à  faire. 

Et,  justement  pendant  ce  temps,  les  conseillers  de 
la  reine  avaient  fait,  à  l'insu  des  ministres,  la  chose 
la  plus  imprudente.  A  cette  garde  nationale  flottante 
et  de  mauvaise  humeur,  qui  se  demandait  pourquoi 
elle  allait  combattre  et  si  elle  n'était  pas  folle  de  ti- 
rer avec  les  geutilshommes  sur  la  garde  nationale, 
ils  imaginèrent  de  montrer  ce  qui  devait  la  mieux 
convaincre  qu'elle  avait  raison  d'hésiter.  Pour  con-' 
firmer  tout  le  monde  dans  la  conviction  que  la 
royauté  était  impossible,  il  ne  fallait  qu'une  chose, 
c'était  de  montrer  le  Roi. 

IV, 


iS  LB  ROI 

Ce  pauvre  homme,  lourd  et  mou,   n'atait  pu, 
même  en  cette  nuit  suprême  de  la  monarchie^  veil- 
ler jusqu  au  bout;  il  avait  dormi  une  heure,  et  venait 
de  se  lever.  On  le  voyait  à  sa  coiffure,  aplatie  et 
défrisée  d'un  côté.  On  put  juger  alors  du  danger  de 
ces  modes  perBdes  en  révolution.  Qui  est  sûr,  cq  de 
telles  crises,  d'avoir  là,  à  point  nommé,  le  valet  de 
chambre  coiffeur?...  Tel  il  était,  et  tel  les  maladroits 
le  firent  descendre,  le  montrèrent,  le  promenèreot. 
Pour  comble  de  mauvais  augure,  il  était  eu  violet  ; 
cette  couleur  est  le  deuil  des  rois  ;  ici,  c'était  le  deuil 
de  la  royauté.  Il  y  avait  pourtant,  même  en  ceci, 
quelque  chose  qui  pouvait  toucher.  Mais  on  eut  en- 
core \6  tact  de  rendre  une  scène  tragique  parfaite* 
ment  ridicule.  Aux  pieds  de  ce  Roi  défrisé,  le  vieux 
maréchal  de  Mailly  se  jette  à  genoux,  tire  Tépée,  et, 
au  nom  des  gentilshommes  qui  l'entourent,  jure  de 
vaincre  ou  mourir  pour  le  petit-fils  d'Henri  IV. . 
L'effet  fut  grotesque,  et  dépassa  tout  ce  que  la  cari- 
cature a  représenté  des  voltigeurs  de  1816.  Le  Roi, 
gras  et  pâle,  promenant  un  regard  morne  qui  ne 
regardait  personne,  apparut,  au  milieu  de  ces  no* 
blés,  ce  qu'il  était  réellement,  l'ombre  et  le  néant  du 
passé. 

Par  un  mouvement  naturel,  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  gardes  nationaux  et  d'hommes  de  toute  sorte,  se 
rejetant  violemment  de  ce  néant  à  la  réalité  vivante, 
crièrent  :  Vive  la  nation  I 

Décidément  la  nation  ne  voulait  pas  s'égorger 
elle-même;  ce  massacre  impie  était  impossible. 


UNIVEBSELLRMBIIT  ABANBOmft  (10  AOUT).  19 

Km  réquisitions  des  ofBciers  municipaux,  lesgarde» 
Dâtiouaux  avaient  répondu  :  «Pouvons-nous  tirer  sur 
nos  firèrest  »  La  vue  du  roi  et  des  nobles  acheva  de 
les  décider.  Ce  fut  une  désertion  dniverselle.  Les 
eanonniers  auraient  voulu  non -seulement  partir 
eux-mêmes,  mais  emmener  leurs  canons.  Ne  le  pou* 
vaut  sous  le  feu  des  balcons  qui  les  menaçaient,  ils 
rendirent  du  moins  les  pièces  inutiles  en  y  enfon- 
çant de  force  un  boulet,  sans  charge  de  poudre  ;  il 
eût  fallu  pour  le  retirer  une  opération  longue  et  dif* 
ficile,  impossible  au  moment  où  le  combat  allait 
commencer. 

Le  Roi  remonta  essoufflé,  échauffé  du  mouvement 
qu'il  s*était  donné,  rentra  dans  la  chambre  à  coucher, 
s'assit  et  se  reposa.  La  reine  pleurait,  sans  mot  dire  ; 
mfds  elle  se  remit  très-vite,  reparut  avec  le  dauphin, 
courageuse  et  Tair  dégagé,  les  yeux  secs,  rouges,  il 
est  vrai,  jusqu'au  milieu  des  joues.  La  foule  des  as-* 
sistants  se  trouvait  réunie  surtout  dans  la  salle  du 
billard,  beaucoup  montés  sur  les  banquettes,  pour 
voir  ce  qui  allait  se  passer.  H.  d'Hervilly,  l'épée  nue, 
dit  d'une  voix  haute  :  «  Huissier,  qu'on  ouvre  les 
portes  à  la  noblesse  de  France.  »  L'effet  du  coup  de 
théâtre  que  ces  mots  faisaient  attendre  fut  très-mé- 
diocre. Deux  cents  personnes  entrèrent  dans  cette 
salle,  d'autres  se  mirent  en  ligue  dans  les  pièces 
précédentes.  Une  bonne  partie  de  cette  noblesse 
se  composait  de  bourgeois.  Beaucoup  d'entre  eux 
étaient  ridiculement  armés,  et  en  plaisantaient  eux* 
mêmes.  Un  page  et  un  écuyer  du  roi,  par  exem-* 


*tO  LE  CHATEAU  ABAKWnCNft. 

pie,  portaient  sur  Tépaule,  en  guise  de  mousquet, 
une  paire  de  pincettes  qu'ils  venaient  de  se  partager. 
La  plupart,  néanmoins,  avaient  des  armes  moins 
innocentes ,  des  poignards  et  des  pistolets ,  des 
couteaux  de  chasse.   Plusieurs  avaient  des  espin* 


Ils  se  rangèrent  en  bataille  dans  les  appartements. 
Ce  qui  restait  de  garde  nationale  pour  défendre  le 
château  crut  que  c^était  surtout  contre  elle  que  cette 
noblesse,  si  brusquement  appelée,  faisait  celte  man- 
œuvre. Le  commandant  des  gardes  nationaux  avait 
été  demander  des  ordres,  et  n'en  avait  point  reçu. 
On  avait  proflté  de  ce  moment  d'absence  pour  lui 
diviser  sa  troupe,  en  mettant  vingt  hommes  à  un 
autre  poste.  La  garde  nationale,  manifestement  en 
suspicion,  ne  s'obstina  plu^  à  défendre  ceux  qui  ne 
voulaient  point  être  défendus  par  elle  ;  elle  acheva 
de  s'écouler,  sauf  un  nombre  imperceptible.  De  ceux- 
ci  était  Weber,  le  frère  de  laif  de  la  reine;  éperdu 
de  douleur  et  d'inquiétude  pour  elle,  il  retourna, 
rentra  aux  appartements ,  la  trouva  en  larmes  : 
«  Mais,  Weber,  que  faites-vousT  dit-elle;  vous  ne 
pouvez  rester  ici...  Vous  êtes  ici  le  seul  de  la  garde 
nationale.  » 

L'abandon  des  Tuileries  était  bien  plus  grand  en- 
core que  ne  le  pensait  la  reine.  Le  château  était  déjà 
seul,  et  comme  une  tie  dans  Paris.  Toute  la  ville 
était  ou  hostile,  ou  dans  une  neutralité  moins  que 
sympathique.  La  révolution  venait  de  s'accomplir  à 
l' Hôtel  «de-Ville;  le  premier  sang  était  versé,  celui 


U  COXmJllE  ÀREÉTB  LE  OHOIAMIAICT  PB  LA  CAKDE  NATIONALE.  SI 

de  Mandat,  commandant  général  de  la  garde  na« 
tionale. 

Mandat,  arrivé  à  la  Grève,  l'avait  trouvée  toute 
changée.  Une  foule  immense  remplissait  tout  l'Hôtel* 
de-Ville,  toute  la  place.  Le  poste  qu'il  avait  mis  à  Tar* 
cade  Saint- Jean  en  avait  été  écarté.  Avancer  était  pé* 
rilleux,  retourner  était  impossible.  Il  suivit  la  fatalité, 
monta,  et  se  trouva  en  face  de  la  nouvelle  Ck)mmunc, 
en  présence  de  l'insurrection  qu'il  avait  promis  d'é* 
crasen  Tombé  au  piège  de  ceux  contre  qui  il  avait 
dressé  ses  pièges,  interrogé  en  vertu  de  quel  ordre  il 
avait  doublé  la  garde  du  Château,  il  allégua  un  ordre 
du  maire  (ordre  déjà  ancien  et  sans  rapport  avec  la 
journée  du  10)  ;  puis  il  convint  qu'il  n'avait  à  prèsen- 
ter  nul  autre  acte  qu'une  réquisition  adressée  par  lui 
au  département.  Enfin  ne  sachant  plus  que  dire,  il 
prétendit  qu'un  commandant  avait  droit  de  prendre 
des  précautions  subites  pour  un  événement  imprévu. 
On  lui  rappela  qu'il  avait  dit  au  château,  en  parlant 
de  Pétion  :  «  Sa  lète  nous  répond  du  moindre  mou- 
vement. »  Celle  de  Mandat  ne  tenait  guère.  Ce  qui 
décida  son  sort,  c'est  qu'on  jeta  sur  le  bureau  l'ordre 
même  qu'il  avait  donné  au  commandant  du  poste  de 
l'arcade  Saint*Jean,  de  faire  feu  sur  les  colonnes  du 
peuple  en  Fattaquant  par  derrière.  Un  hourrah  uni*- 
versel  s'éleva  contre  lui,  on  lui  mit  la  main  au  collet, 
on  le  traîna  à  la  prison  de  la  ville  ;  mais  quelqu'un 
observa  qu'il  y  serait  tué  sur  l'heure.  On  essaya  de 
le  transférer  à  l'Abbaye. 

Il  y  avait  jusque-là,  ce  semble,  hésitation  parmi 


Il  ,  MAKDAT  E6T  TUÉ. 

les  chefs,  incertitade  sur  lus  dispositiyng  réellek  du 
peuple,  crainte  et  tàtCDDement.  Lé  tocsin  leur  avdt 
paru  d'abord  si  peu  réussir,  qu'un  mooient  ils  eu- 
rent Vidée  dele  suspendre  ;  peut-être  Teussént-ils  Tait^ 
s'ils  Toussent  pu  ;  mais  le  contreH3rdre  e6t  été  long 
à  répandre  dans  Paris,  et  les  cloches  étaient  lancées. 
Vers  six  heures,  lorsque  Mandat  parut  à  l'Hôtel-de- 
Ville  et  fut  arrêté,  la  Cotnmune  essaya  de  justifier 
cet  acte.  Elle  envoya  h  l'Assemblée  nationale  ac- 
cuser Mandat,  assurer  que,  lui  seul,  avait  fait  son- 
der le  tocsin,  que  c'était  pour  cette  cause  qu'on 
l'avait  réprimandé.  Un  accident  rompit  ces  ménage- 
ments politiques.  Les  violents  ne  permirent  pas  que 
Mandat  parvint  vivant  à  l'Abbaye.  A  la  sortie  même 
de  rHôtel-de*Ville,  ils  lui  cassèrent  la  tête  d'un  coup 
de  pistolet.  La  Commune,  perdant  ainsi  son  plus  pré- 
cieux otage,  ne  pouvait  plus  reculer;  elle  fut,  déci-* 
dément  et  sans  retour,  jetée  dans  l'insurrection,  et 
donna  l'ordre  de  battre  la  générale. 

Il  était  sept  heures  du  matin,  et  déjà,  de  la  Bas- 
tille jusqu'à  l'église  de  Saint-Paul,  dans  cette  partie 
ouverte  et  large  de  la  rue  Saint-Antoine,  il  y  avait, 
nous  l'avons  dit,  80  ou  iOO  divisions,  chacune  de  cent 
hommes,  armés  de  fusils,  environ  huit  ou  dix  mille 
gardes  nationaux.  Leur  empressement  avait  été  extra- 
ordinaire, ce  qu'on  n'eût  guère  supposé  d'après  les 
lenteurs  de  la  nuit.  La  masse,  grossie  dans  la  rue 
Saint-Antoine  par  chaque  rue  latérale  qui  avait  fourni 
(les  arfluents  à  ce  fleuve,  passa  sans  dificulté  la  fatale 
arcade  Saint-Jean ,  où  Mandat  s'était  flatté  de  la- 


LE  ROI  (HHTTB  LR  CHATRAU  (40  AOOT).  M 

néantir»  Elle  resta  une  hetire  à  kt  Grève,  saos  pou- 
Toir  obtenir  d*ordre  ;  les  uns  disaient  que  la  Com* 
mune  espérait  encore  quelque  coneession  de  la  cour, 
les  aatrcB  que  le  faubourg  Saint-Marceau  traînait» 
qu'on  craignait  qu'il  ne  pût  fttire  à  temps  ^a  jonction 
au  INont-Neuf. 

A  huit  heures  et  demie,  un  millier  d^homœes  à  pi« 
ques  perdirent  patience  et  prirent  leur  parti.  Ils  pei^ 
cèrent  left  rangs  de  lagarde  nationale,  disant  qu'ils  sa 
passeraient  d'elle.  Ils  étaient  fort  mal  armes  ;  ils  n'a* 
tàient  pas  entre  eux  tous  une  doueaine  defusils^  beau- 
coup n'ayaient  pas  môme  de  piques,  mais  des  broches, 
ou  tout  fcimplemèht  des  outils  de  leur  état.  Quelques 
fidérés,  marseillais  on  autres,  qui  étaient  ites  soldats 
aguerris,  ne  purent  Yoir  ces  gens  s'en  aller  seuls, 
avec  si  peu  de  ehance;  ils  essayèrent  de  les  diriger 
6t  hasardèrent  d'aller  à  leur  tète  essuyer  le  premier 
feu. 

La  famille  royale  venait  de  quitter  les  Tuileries. 
Le  proeureur  syndic,  Roederer,  avait  lui--mème  joint 
sa  voit  à  celle  des  zélés  serviteurs  qui  voulaient  à 
tout  prix  mettre  le  Roi  hors  de  péril.  Dos  deux  côtés, 
Oû  parlementait  Un  jeune  homme,  pâle  et  mince, 
introduit  comme  député  des  assaillants,  avait  tiré  àe 
Rœderer  l'autorisation  d'introduire  vingt  députés 
dans  le  château.  En  attendant,  plusieurs,  sans  autre 
(açon,  chevauchaient  sur  lo  muraille  et  causaient  fa- 
milièrement avec  les  quelques  gardes  nationaux  qui 
étaient  encore  dans  les  cours. 

Rosderer  crut  le  danger  très- imminent.  Il  amusa 


Si  LE  ROI  QUITTE  LE  CHATEAD, 

le  jeune  parlementaire  de  Yoiïre  d'introduire  les 
députés  de  Tinsurrection ,  courut  à  toutes  jambes 
au  château,  traversa  rapidement  la  foule  qui  rem- 
plissait les  salles  :  «  Sire»  dit-il  au  Roi,  votre  majes- 
té n'a  pas  cinq  minutes  à  perdre;  il  n'y  a  de  sûreté 
pour  elle  que  dans  l'Assemblée  nationale.  »  Un  ad* 
ministrateur  du  département  (marchand  de  dentelles 
de  la  reine,  zélé  constitutionnel)  parlait  aussi  dans  ce 
sens  :  «  Taisez-vous,  monsieur  Gerdret,  lui  dit  la  reine; 
quand  on  a  fait  le  mal,  on  n'a  pas  droit  de  parler... 
Il  ne  vous  appartient  pas,  monsieur,  d'élever  ici  la 
voix.  » — Puis,  se  tournant  vers  Rœderer  :  «  Mais  en* 
fin,  nous  avons  des  forces...  > — t  Madame,  tout  Pa- 
ris  marche...  Sire,  ce  n'est  plus  une  prière  que  nous 
venons  vous  faire. . .  nous  n'avons  qu'un  parti  à  pren* 
dre...  nous  vous  demandons  la  permission  de  vous 
entraîner,  i»  Le  Roi  leva  la  tète,  regarda  fixement 
Rœderer,  puis,  se  tournant  v%rs  la  reine,  il  dit  ; 
«  Marchons» ,  et  se  leva. 

Le  roi,  adressant  ce  mot  à  la  reine,  trancha  une 
question  délicate,  qui  autrement  se  fût  agitée. 
Irait-il  seul  à  l'Assemblée?  ou  bien  y  serait-il  aoeom- 
ps^né  d'une  épouse  si  impopulaire?  C'était  peut-être 
en  ce  moment  la  question  décisive  de  la  monarchie. 
M.  de  Lally-ToUendal,  dans  les  prétendus  mémoires 
de  Weber,  avoue  ce  qu'ont  dissimulé  tous  les  autres 
historiens,  à  savoir  que,  selon  le  bruit  public,  le  dé- 
partement et  la  municipalité  devaient  engager  le  roi 
à  quitter  seul  les  Tuileries  et  se  placer  seul  dans  l'As- 
semblée nationale.  Ce  projet  laissait  à  la  royauté  quel- 


AVEC  LA  REWB  (iO  AOUT).  15 

qae  chance  de  salut.  La  reine,  il  est  vrai,  restait  en 
péril;  elle  risquait,  moins  d*ètre  tuée  peut-être,  que 
d'être  prise  et  jugée  (ce  qu'elle  craignait  bien  plus), 
d'avoir  un  procès  scandaleux  qui  l'aurait  mise,  désho* 
norée,  dégradée,  au  fond  d'un  couvent. 

Rœderer,  obligé  d'emmener  la  reine  avec  le  roi, 
insista  du  moins  pour  n'emmener  personne  de  la  cour. 
Mais  la  reine  voulut  être  suivie  de  madame  de  Lam* 
balle  et  de  madame  de  Tourzel.  gouvernante  des  en- 
fants. Les  autres  dames  restèrent  terrifiées,  inconso- 
lables, d'être  abandonnées. 

«  Lorsque  nous  fûmes  au  bas  de  l'escalier,  dit  Rœ- 
derer, le  Roi  me  dit  :  «  Que  vont  devenir  toutes  les 
personnes  qui  sont  restées  là-haut? — Sire,  elles  sont 
en  habit  de  ville.  Elles  quitteront  leur  épée  et  vous 
suivront  parle  jardin. — C'est  vrai,  dit  le  Roi...  Mais 
pourtant  il  n'y  a  pas  grand  monde  au  Carrousel. — 
Ah  !  sire,  douze  pièces  de  canon,  un  peuple  immense 
qui  arrive...  » 

Ce  dernier  regret,  ce  petit  mot  de  sensibilité,  cette 
hésitation,  ce  fut  tout  ce  que  Louis  XVI  donna  à  ses 
défenseurs.  Il  se  laissa  entraîner,  et  les  abandonna  à 
la  mort. 

Un  officier  suisse,  d'Âffry,  a  déclaré  que  la  reine 
lui  avait  ordonné  de  faire  tirer  les  Suisses.  Un  autre, 
le  colonel  Pfyffer,  dans  son  livre  publié  en  1821, 
dit  que  le  vieux  maréchal  de  Noailles  annonça  que 
le  Roi  lui  laissait  le  commandement,  et  qu'on  ne  de- 
vait pas  se  laisser  forcer. — La  reine  ne  doutait  pas 
que  la  défense  ne  fût  victorieuse  ;  elle  dit  en  partaqt 


M  L'AVAMT-^AftDE  BE  LiNSURKECTlON 

à  ses  femmes  qu^elle  laissait  :  «  Nous  allons  re-<- 
veoir.  » 

Ceux  qui  restaient  se  trouvèrent  très-diyersemAQt 
affectés  du  départ  du  Roi.  Un  officier  suisse  dit  triste** 
ment  àRœderer  :  «Monsieur^  croyez- vous  donc  sau- 
ver le  Roi 9  en  le  menant  à  l'Assemblée?  »  Quelques- 
uns  se  désespérèrent  d*èlre  ainsi  abandonnés;  plu- 
sieurs arrachèrent  leurs  croix  de  Saint-Louis ,  brisè- 
rent leurs  épées. 

D'autres,  par  une  disposition  contraire,  n'ayant 
plus  rien  à  ménager,  plus  de  roi,  de  femmes  ni  d*en* 
fants  à  protéger,  eurent  comme  une  joie  furieuse  du 
combat  à  mort  qu'ils  allaient  livrer.  Ils  versèrent  aux 
Suisses  l'eau- de- vie  à  pleins  verres^  et  sans  s'amuser 
à  défendre  la  longue  ligne  de  murailles  qui  régnait 
entre  la  cour  et  le  Carrousel,  ils  ordonnèrent  au  con- 
cierge  de  lever  les  barres  de  la  porte  royale.  Il  les  leva 
en  effet,  se  sauva  à  toutes  jambes.  La  foule,  qui  frap- 
pait à  cette  porte,  s'y  précipita  avec  une  confiance 
aveugle,  s'élança  par  Tétroile  cour,  sans  remarquer 
ni  les  fenêtres  de  face  toutes  hérissées  de  fusils,  diles 
baraques  latérales  qui  fermaient  la  cour  de  droite  et 
de  gauche,  et  la  regardaient  d'un  œil  louche. 

Ceux  qui  entrèrent  étaient  ces  impatients  dont 
nous  avons  parlé,  ces  hommes  à  piques  qui  étaient 
partis  en  avant,  et  qui,  sur  la  route,  avaient  augmenté 
jusqu'^au  nombre  de  deux  ou  trois  mille.  Ils  arrivè- 
rent, sans  s'arrêter,  tout  courants,  au  vestibule*  Là 
enfin,  ils  regardèrent.  Ce  vestibule  du  palais,  bien 
plus  vaste  qu'aujourd'hui,  était  vraiment  imposant. 


SB  fRÉSENTB  A0X  TUILERIES  (10  AOUT).  f? 

Le  grand  escalier  qui  montait  majestueusement  à  la 
chapelle,  puis  en  retour  aux  appartements^  était,  sur 
chaque  marche,  chargé  d'une  ligne  de  Suisses.  Im- 
mobiles, silencieux,  du  haut  en  bas  de  l'escalier,  ils 
couchaient  en  joue  la  foule  des  assaillants.  Quelles 
étaient  les  dispositions  de  ces  Suisses?  bien  diverses, 
difficiles  à  dire.  Beaucoup,  sans  nul  doute^  désiraient 
de  ne  pas  tirer.  Un  grand  nombre  de  ces  soldats 
étaient  du  canton  de  Fribourg,  quelques-uns  Vau* 
dois  sans  doute,  c'est-à-dire  Français,  Français  de 
langue.  Français  de  caractère.  Mul  doute  qu'il  ne  leur 
semblât  odieux,  impie  de  tirer  sur  leur  vraie  patrie^ 
la  France. 

Un  moment  avant  l'irruption,  des  canodniers  de  la 
garde  nationale  étaient  venus  trouver  ees  pauvres 
Suisses,  qui,  avec  beaucoup  de  lartaies,  s'étaient  jetés 
dans  leurs  bras.  Deux  même  n'hésitèrent  pas  à  laisser 
là  le  château,  et  suivre  nos  canotiniers.  Ils  étaient 
sous  le  balcon  d*où  les  voyaient  leurs  officiers.  Ils  furent 
tirés,  et  avec  une  si  remarquable  justesse,  que  les 
deux  Suisses  tombèrent^  sans  que  les  Français  eussent 
été  touchés. 

Forte  leçon  pour  les  autres.  La  discipline  aussi 
sans  doute^  Thonneur  du  drapeau,  le  serment,  les 
retenaient  immobiles.  La  foule  des  assaillants,  voyant 
ces  hommes  de  pierre,  n'eut  aucune  peur,  mais  se  mit 
à  rire.  £lle  leur  lança  des  brocards,  mais  les  Suisses 
ne  riaient  pas.  On  aurait  pu  douter  qu'ils  fussent  vrai- 
ment en  vie.  Le  gamin  s'enhardit  vite,  et  tout  le  peu- 
ple parisien  est  gamin  sous  ce  rapporté  Ceux-ci,  avec 


M  L*A¥A|IIT-GARDB  DK  L*INSURRECT10K 

douze  mauvais  fusils,  des  piques  et  des  broches,  n'é- 
taient point  pour  engager  le  combat  avec  cette  troupe 
de  Suisses  armés  jusqu'aux  dents.  Us  savaient  que 
plusieurs  Suisses  avaient  essayé  de  passer  du  côté  de 
la  garde  nationale;  ils  résolurent  d'aider  à  leur  bonne 
volonté.  Quelques-uns  qui  avaient  des  crocs  au  bout 
d*un  bAton,  s'avisèrent  de  jeter  aux  soldats  cette  es- 
pèce de  hameçon,  d'en  accrocher  un,  puis  deux,  par 
leurs  uniformes;  ils  les  tiraient  à  eux  avec  de  grands 
éclats  de  rire.  I^  pèche  aux  Suisses  réussit.  Cinq  se 
laissèrent  prendre  ainsi  sans  faire  résistance^.  Les  of- 
ficiers commencèrent  à  craindre  une  sorte  de  con* 
nivence  entre  les  attaqués  et  les  attaquants,  et  ils  or- 
donnèrent le  feu. 

On  vit  alors  toute  la  force  de  la  discipline.  Ils  tirè- 
rent sans  hésiter.  L'effet  de  ces  feux,  étages  du  haut 
en  bas  de  l'escalier,  et  qui  plongeaient  tous  ensemble 
et  presque  à  bout  portant  sur  une  même  masse  vi- 
vante, fut  épouvantable.  11  n'y  eut  jamais  dans  un 
lieu  si  étroit  un  si  terrible  carnage.  Tout  coup  fut 
mortel.  La  masse  chancela  tout  entière  et  s'affaissa 
sur  elle-même.  Nul  de  ceux  qui  entrèrent  sous  le 
vestibule  n'en  sortit.  Les  seuls  récits  que  nous  ayons 
sont  ceux  des  royalistes  qui  étaient  sur  l'escalier. 
Deux  heures  après,  un  des  assaillants  qui  traversa  le 
vestibule,  et  vit  cette  montagne  de  morts,  dit  qu'on 


1  A  qui  persuadera-t-on^que  les  assaillants,  si  inléressés  k  eacoiini- 
ger  la  défection,  aient  sur-le-champ  massacré,  comme  le  prétend  Pel- 
lier»  les  Suisses  qui  s'étaient  laissé  prendre? 


EST  SURMIISB,  ÉCORCÉB,  MSPSRStE  (10  AOUT)»  » 

était  suffoqué  de  Todeur  de  boucherie  et  qu'on  ne 
respirait  pas. 

Il  oe  faut  pas  demauder  si  ceux  qui  étaient  dans  la 
cour  s'enfuirent  à  toutes  jambes.  Ils  ne  purent  le 
faire  si  vite  qu'ils  ne  fussent  criblés  au  passage  du  feu 
des  baraques  qui  serraient  la  cour  de  droite  et  de 
gauche  ;  elles  étaient  pleines  de  soldats.  Ce  fut,  à  la 
lettre,  la  chasse  à  l'affût;  les  chasseurs  avaient  le 
gibier  au  bout  du  fusil,  et  pouvaient  choisir.  Trois  ou 
quatre  cents  hommes  périrent  dans  ce  fatal  défilé, 
sans  riposter  d'un  seul  coup. 

Deux  sorties  se  Grent  à  la  fois  de  ce  palais  meur* 
trier,  une  des  Suisses  au  centre,  sous  le  pavillon  de 
l'Horloge,  une  autre  des  gentilshommes  qui  s'élan- 
cèrent du  pavillon  de  Flore,  poussèrent  toute  la  dé- 
route loin  du  quai,  vers  les  petites  rues  du  Louvre 
et  la  rue  Satnt-Honoré.  Les  Suisses,  se  formant  en 
bataille  dans  le  Carrousel ,  et  faisant  feu  de  toutes 
parts,  criblèrent  la  queue  des  fuyards,  et  toute  la 
place  fut  encore  semée  de  cadavres. 

Le  château  se  crut  vainqueur,  s'imagina  avoir 
écrasé  l'armée  de  l'insurrection  ;  mais  c'était  seule- 
ment l'avant-garde.  Au  milieu  même  du  feu,  peu* 
dant  que  les  Suisses  tiraient  encore  sur  la  foule  en- 
tassée au  passage  étroit  desrues,  M.  d'Hervilly  se  jette 
à  eux,  sans  chapeau ,  sans  armes  :  «  Ce  n'est  pas 
cela,  dit-il,  il  faut  vous  porter  à  l'Assemblée,  près 
du  Roi.  »  Le  vieux  Vioménil  criait  :  «  Allez,  braves 
Suisses,  allez;  sauvez  le  Roi  ;  vos  ancêtres  l'ont  sauvé 
plus  d'une  fois.  » 


SP    LA  COPR  B8PÉRÂ1T-BLLB  FRAPPER  UN  COUP  SUR  L'ASSEMBLÉE? 

RfBderer  pensa  alors  (plusieurs  des  acteurs  du  10 
août  pensent  encore.aujourd*hui)  que  ce  moment  était 
prévu 9  et  que  la  Cour  avait ,  dans  eetle  espérance, 
voulu  le  combat,  L* insurrection  écrasée  i  ou  du 
moins  découragée  par  la  vigueur  du  premier  coup, 
la  garnison  se  repliait  sur  l'Assemblée  nationale;  on 
la  proclamait  dissoute;  le  Roi,  enveloppé  de  troupes, 
sortait  de  Paris,  fuyait  à  Rouen  ^  où  on  l'attendait,  se 
retrouvait  roi.  Jamais  la  reine,  je  le  pense,  si  elle  ne 
se  fût  crue  bien  sûre  de  son  fait,  n'eût  laissé  aux  Tui- 
leries tant  de  serviteurs  dévoués.  Elle  attendait,  dans 
l'Assemblée,  pâle  et  palpitante,  le  succès  de  ce  violent 
eoup  de  Jarnac  frappé  sur  la  Révolution.  L'Assemblée 
elle-même,  un  moment,  se  crut  à  sa  dernière  heure, 
au  moment  d'être  massacrée,  tout  au  moins  prison- 
nière du  Roi  qu'elle  avpit  sauvé  dans  son  sein. 

Et  cependant,  bien  loin  que  la  contre-révolution 
eût  vaincu,  la  révolution  marchait.  La  jonction  de 
Saint-Antoine  et  de  Saint-Marceau  s'était  faite  au 
Pont-Neuf.  On  pouvait,  du  pavillon  de  Flore,  voir 
aii  Levant,  déjîi  au  quai  du  Louvre,  l'armée  venge- 
resse du  peuple,  la  forêt  de  ses  baïonnettes,  flam*- 
boyante  des  feux  du  matin. 

Il  y  avait  eu  bien  des  lenteurs;  l'armée,  peu  for- 
mée aux  manœuvres,  avait  perdu  du  temps,  surtout  à 
s'allonger  en  colonnes,  sur  ces  quais  alors  très-étroits. 
Les  cinq  cents  Marseillais,  les  trois  cents  Bretons  et 
les  autres  fédérés,  une  troupe  très-militaire,  avaient 
le  poste  d'honneur;  ils  allaient  les  premiers  au  feu;  ils 
devaient  entrer  au  Carrousel  par  les  guichets  voisins 


L-INSORRECTWIi  ÂTTAdCS  LIS  TmLBMES  (10  AOUT).  H 

4o  PoDt--Royal.  Le  Hafais  et  autres  sections  de  la 
me  droite,  devaient  pénétrer  par  le  Louvre;  Saint- 
Marceau  et  la  ri?e  gauche  se  chargeaient  du  Pont«* 
Royal,  du  quai  des  Tuileries,  du  quai  de  la  Concorde 
et  de  la  place,  de  sorte  que  le  château  fût  entre  deux 
feui.  Saint-Antoine  avait  deiix  petits  canons^  Saint - 
Marceau  autant;  c'était  toute  l'artillerie. 

Si  la  masse  des  fuyards  avait  été  rejetée  vers  le 
quai,  elle  eût  pu  jeter  du  trouble,  du  découragement 
dans  les  colonnes  qui  venaient;  mais  elle  fut,  comme 
on  Ta  vu,  rejetée  vers  la  rue  Saint*Honoré  et  les  pe* 
tites  rues  du  Louvre.  Les  Marseillais  et  le  faubourg 
Saint-Antoine  ne  virent  rien  de  ce  spectacle  affligeant; 
ils  arrivèrent  Trais,  confianis,  la  tète  haute.  Ils  savaient 
en  général  qu*on  avait  attiré,  massacré  leurs  iVères; 
ils  doublèrent  le  pas,  furieux.  Les  sections  du  Marais, 
arrivées  au  Carrousel  par  les  petites  rues  du  Louvre, 
virent  nombre  de  blessés;  mais  ces  blessés  pleinsd'en- 
tbousiasme,  de  haine  et  de  colère,  demandaient 
vengeance  pour  la  perfidie  des  Suisses  :  «  Nous  avions 
encore,  dirent-ils,  la  bouche  à  leur  joue,  qu'ils  ont 
versé  notre  sang.  » 

LesMarseillais  passèrentles  guichets  du  quai,  virent 
les  Suisses  en  bataille  sur  le  Carrousel,  s'ouvrirent 
brusquement,  démasquèrent  leurs  petits  cernons,  et 
tirèrent  à  brâle-pourpoint  deux  coups  à  mitraille.  Les 
soldats  rentrèrent,  sans  attendre  un  second  coup,  lais* 
sant  leurs  blessés,  et  sans  doute  un  peu  surpris  de  trou* 
ver  vivante  à  ce  point  l'insurrection  qu'ils  croyaient 
avoir  luée.  Les  fédérés  et  Saiut-Antoipe  avancèrent 


H  LC  ROI,  N'AYANT  PLUS  VESPiM, 

au  pas  de  charge,  et  remplirent  deux  des  trois  cours: 
la  cour  royale  ou  du  centre,  et  celle  des  princes,  voisine 
du  pavillon  de  Flore  et  du  quai«  Les  sections,  venues 
parle  Louvre,  avaient  rempli  le  Carrousel,  bien  moins 
grand  à  cette  époque  -,  elles  poussaient  les  premiers 
.  venus,  et,  tant  qu'elles  pouvaient,  fonçaient  dans  les 
cours.  L'immense  et  sombre  Taçade,  par  ses  cent  fe- 
nêtres, scintillait  d'éclairs.  Outre  tous  les  feux  de  face, 
les  gentilshommes  à  raifût  aux  fenêtres  du  pavillon 
de  Flore  et  de  La  grande  galerie  du  Louvre,  tiraient 
sur  le  flanc.  Derrière  le  pavillon  de  l'horloge,  sous  le 
réseau  de  feux  croisés  qui  retardaient  les  assaillants, 
restèrent  fermes  les  grenadiers  suisses,  qui  répon- 
daient par  des  salves  aux  tirailleurs  de  l'insurrec- 
tion. Le  temps  était  calme,  la  fumée  fort  épaisse  ; 
il  n'y  avait  pas  un  souffle  d'air  pour  la  dissiper;  on 
tirait  comme  dans  la  nuit  :  chose  contraire  aux  assail- 
lants; ils  distinguaient  peu  les  fenêtres,  leurs  coups 
allaient  frapper  les  murs.  Au  contraire,  leurs  enne- 
mis, visant  des  murailles  vivantes,  je  veux  dire  des 
masses  d'hommes,  n'avaient  que  faire  de  tirer  juste; 
chaque  coup  tuait  ou  blessait.  Las  de  recevoir  sans 
donner,  des  fédérés,  au  milieu  d'une  grêle  de  balles, 
mirent  en  batterie,  à  la  grande  porte,  une  pièce  de 
quatre,  dont  deux  boulets  persuadèrent  aux  Suisses 
de  quitter  la  cour.  Ils^  rentrèrent  au  vestibule ,  en 
bon  ordre,  et,  de  temps  à  autre,  ils  en  sortaient  par 
pelotons  pour  tirer  encore. 

Au  moment  où  les  fédérés  passèrent  du  Carrousel 
dans  la  cour,  les  baraques  alignées  parallèlement 


FAIT  DIRE  DE  CESSER  LB  FEU  (10  AOUT).  35 

au  château  firent  feu  sur  eux  par  derrière,  ne  dou- 
tant  pas  d'obtenir  le  même  succès  qu'elles  avaient 
eu  uue  heure  plus  tôt.  Mais,  dès  la  première  dé- 
chaîne, les  Marseillais  se  jetèrent  avec  furie  sur  les 
ouvertures  des  baraques ,  et  ne  pouvant  les  forcer, 
ils  y  lancèrent  des  gargousses  d'artillerie  dont  l'ex- 
plosion fit  sauter  les  toits,  renversa  les  murs,  incendia 
tout.  Le  feu  courut  en  un  clin-d'œil  d'un  bout  ii 
l'autre,  enveloppa  toute  la  ligne,  et  tout  disparut 
dans  des  tourbillons  de  flamme  et  de  fumée,  scène 
effroyable  dont  les'  assaillants  eux-mêmes  détournè- 
rent les  yeux  avec  horreur. 

Est-ce  alors,  ou  beaucoup  plus  tôt,  qu'un  capi- 
taine suisse,  Turler,  viut  demander  au  Roi  s'il  fallait 
déposer  les  armes?  Grave  question  historique  qui, 
résolue  dans  un  sens  ou  dans  l'autre,  doit  modifier 
nos  idées  sur  le  caractère  de  Louis  XVL 

Selon  une  tradition  royaliste,  les  Suisses,  un  mo- 
ment vainqueurs,  allaient  marcher  sur  l'Assemblée  ; 
un  député  les  arrêta,  les  somma  de  poser  les  armes, 
et  le  capitaine  s'adressant  au  Roi  n'en  tira  nulle  ré- 
ponse, sinon  qu'il  fallait  les  rendre  à  la  garde  na- 
tionale. 

Selon  une  version  plus  sûre,  puisqu'elle  est  con- 
statée par  le  procès-verbal  de  l'Assemblée,  ce  fut 
après  que  le  Roi  eut  entendu  le  rapport  du  procureur 
général  Rœderer,  annonçant  à  l'Assemblée  que  le 
Château  était  forcé,  ce  fut  alors,  et  même  après 
une  vive  terreur  panique,  répandue  dans  l'As- 
semblée, que  le  Roi  avertit  le  président  qu'il  rc-^ 

IV. 


34      DÉFENSE  OBSTINÉE  DES  SUISSES,  LEUR  BELLE  RETRAITE. 

naît  de  faire  donner  ordre  aux  Suisses  de  ne  point 
tirer. 

Ceci  éclaircit  la  question  qu'on  a  essayé  4'obscur' 
cir.  Le  Roi  voulut  éviter  une  plus  longue  effusion  du 
sang,  lorsqu'il  sut  que  le  Château  était  forcé,  lorsqu'il 
n'eut  plus  d'espoir.  Cet  ordre  pouvait  avoir  le  double 
avantage  de  diminuer  l'exaspéralion  des  vainqueurs 
et  de  couvrir  l'honneur  des  vaincus,  de  sorte  que 
ceux-ci  pussent  dire,  comme  ils  n'ont  pas  manqué  de 
le  faire,  que  l'ordre  du  Roi  avait  pu  seul  leur  ar^ 
racher  la  victoire. 

A  cette  heure,  le  Château  était  forcé  ;  les  Suisses 
qui  avaient  défendu  pied  à  pied  l'escalier,  la  chapelle, 
les  galeries,  étaient  partout  enfoncés,  poursuivis,  mis 
à  mort.  Les  plus  heureux  étaient  les  gentilshommes 
qui,  maîtres  dé  la  grande  galerie  du  Louvre,  avaient 
toujours  une  issue  prête  pour  échapper.  Ils  s'y  jeté-^ 
rent,  et  trouvèrent  à  l'extrémité,  l'escalier  de  Cathe- 
rine de  Médicis,  qui  les  mit  dans  un  lieu  désert.  Tous, 
ou  presque  tous  échappèrent  ;  on  n'en  vit  point  parmi 
les  morts.  Les  corps  qui  portaient  du  linge  fin  por- 
taient iussi  l'habit  roiige;  c'étaient  Tes  faux  suisses, 
anciens  gardes  constitutionnels,  et  non  pas  lés  geh^ 
tilshommes. 

Les  habits  rouges  étaient  fort  nombreux,  bien  au- 
delà  des  1330  véritables  suisses  qu*accuse  leiir  capi- 
taine. Suisses  ou  non,  tous  furent  admirables.  Ils  se 
retirèrent  lentement  par  le  jardin,  attendant,  ralliant 
leurs  camarades  avec  le  sang-froid  et  l'aplomb  dé 
vieilles  troupes,  manœuvrant  comme  à  la  parade, 


LA  GARDE  NATIONALE,  TOUT  ENTIÈRB,  POUR  L'INSURRECTION.    55 

serrant  tranquillement  leurs  rangs,  à  mesure  que  la 
fusillade  les  éclaircissait.  lis  firent  dix  baltes  peut- 
êtredans la  traversée  du  jardin  (dit  un  témoin  ocu- 
laire)^ pour  repousser  les  assaillants,  chaque  fois  avec 
des  feux  de  file  parfaitement  exécutés.  Une  chose  dut 
les  étonner  fort,  ce  fut  la  prodigieuse  multitude  de 
gardes  nationaux  qui  remplissait  le  jardin,  et  allait 
toujours  croissant.  A  huit  heures,  avant  le  combat^ 
il  y  avait  eu  à  la  Grève  huit  ou  dix  mille  gardes  natio 
naux  armés  de  fusils;  entre  midi  et  une  heure,  im- 
médiatement après  le  combat,  le  même  témoin  en  vit 
aux  Tuileries  jusqu'à  trente  ou  quarante  mille*  En  fai- 
sant |a  part,  ordinairement  nombreuse,  des  hommes 
qui  volent  toujours  au  secours  de  la  victoire,  il  reste 
qéanmoins  bien  évident  que  le  ^0  août  fut  fait  ou 
consenti,  ratifié  en  quelque  sorte,  par  l'ensemble  de 
la  population,  non  par  une  partie  du  peuple,  et  nul- 
lement la  partie  infime,  comme  on  l'a  tant  répété.  Il 
j  avait  un  grancj  nombre  d'hommes  en  uniforme  par- 
mi ceux  qui  prirent  le  Château.  Ces  uniformes  même 
causèrent  une  fatale  méprise.  Les  fédérés  bretons, 
portant  des  habits  rouges,  furent  pris  par  les  ofiiciers 
du  Château  pour  des  Suisses  qui  auraient  passé  à 
l'ennemi,  et  tirés  c|e  préférence;  huit  tombèrent 
du  premier  coup. 
L'effrayante  unanimité  de  la  garde  nationale,  qui, 

*  Ce  témoin,  qui  observa  avec  tant  de  sang-froid,  est  M.  Moreau  de 
Jonnés.  Je  dois  plusieurs  détails  très-importants  à  son  récit  du  1 0  août, 
essore  inédit,  qu'il  a  bien  touIu  me  communiquer.  Je  rappellerai,  entre 
avtres,  la  curieuse  anecdote  contée  à  la  page  4  de  ce  volume. 


36  MASSACRE  DES  SUISSES. 

de  moment  en  moment,  se  manifestait  aux  Suisses, 
acheva  de  les  briser.  Arrivés  près  du  grand  bassin , 
vers  la  place  de  Louis  XV,  leurs  rangs  flottèrent, 
ils  commencèrent  à  se  débander;  la  mortelle  pensée 
du  salut  individuel,  qui  perd  presque  toujours  les 
hommes,  entra  visiblement  en  eux.  Ils  virent,  ou 
crurent  voir  que  leur  courage ,  leur  discipline  admi- 
rable, les  avaient  perdus,  en  ralentissant  leur  re- 
traite. Quelques  centaines  se  lancèrent,  comme  des 
cerfs  furieux ,  sous  le  couvert  des  grands  arbres,  ren- 
versèrent les  tirailleurs  ennemis ,  gagnèrent  la  porte 
qui  est  en  face  de  la  rue  Saint-Florentin  :  trois  cents 
environ  échappèrent;  un  groupe ,  serré  de  trop  près, 
se  jeta  dans  l'hôtel  de  la  Marine  ;  ils  y  furent  cherchés^ 
égorgés.  Ceux  qui  restèrent  mieux  ensemble  essayè- 
rent, des  Tuileries,  de  passer  aux  Champs-Elysées; 
mais  à  peine  eurent-ils  posé  le  pied  sur  la  place,  qu'un 
bataillon  de  Saint-Marceau,  qui  avait  deux  pièces 
en  batterie  à  la  descente  du  pont,  leur  tira  un  coup  à 
mitraille,  un  seul  coup,  qui  en  mit  trente-quatre  sur 
le  carreau.  Les  autres,  dispersés  par  cette  terrible 
exécution ,  jetèrent  leurs  fusils,  mirent  le  sabre  à  la 
main ,  arme  inutile  contre  les  piques  de  leurs  ennemis 
acharnés.  Une  trentaine  tinrent  un  instant  près  de  la 
statue  de  Louis  XV  (où  est  maintenant  l'obélisque), 
au  pied  de  ce  triste  monument  de  la  monarchie,  si 
peu  digne  de  leur  dévouement  et  de  leur  fidélité. 

Quelques-uns,  qui  eurent  le  bonheur  de  gagner  les 
Champs-Elysées ,  furent  cachés  par  de  braves  gens 
qui  les  travestirent,  et  les  firent  évader  le  soir.  En 


MODEBATION  DE  PLUSIELBS  DES  YAINQUËIRS  W  iO  AOUT.   37 

général ,  dans  cette  journée  sanglante,  il  n'y  eut  point 
de  milieu  :  les  vaincus  trouvèrent  ou  la*mort,  ou 
rbospitalité  la  plus  dévouée ,  généreuse  jusqu'à  rhé- 
roïsme,  et  qui,  au  besoin,  pour  les  sauver,  elle- 
même  affronta  la  mort.  Et  cela ,  à  part  de  toute  opi- 
nion politique  ;  de  violents  révolutionnaires  se  con«- 
duisirent  en  ceci  tout  comme  les  royalistes. 

Au  château  même,  la  foule,  horriblement  irritée 
par  ses  pertes  énormes  et  par  ce  qu'elle  croyait  de  la 
perfidie  des  Suisses ,  ne  se  montra  pas  aussi  aveu«- 
glément  barbare  qu'on  eût  pu  le  supposer.  Les  dames 
de  la  reine,  qu'on  haïssait  infiniment  plus  qu'aucun 
homme,  comme  les  conseillères  y  les  confidentes  de 
l'Autrichienne,  n'éprouvèrent  nulle  indignité.  La 
princesse  de  Tarente  avait  fait  ouvrir  les  portes,  et 
recommanda  aux  premiers  qui  entrèrent  une  trèsr 
jeune  demoiselle,  Pauline  de  Tourzel.  Quelques  fem- 
mes, madame  Campan  entre  autres,  furent  un  mo- 
ment saisies,  menacées  de  la  mort.  Elles  n'en  eurent 
que  la  peur;  on  les  lâcha  avec  ce  mot  :  «  Coquines, 
la  nation  vous  fait  grâce.  »  Les  vainqueurs  les  escor- 
tèrent eux-mêmes  pour  les  faire  échapper,  et  les 
aidèrent  à  se  déguiser  pour  échapper  aux  bandes  de 
poissardes  qui  criaient  derrière  elles  qu'on  aurait  dû 
les  tuer. 

Un  des  assaillants,  M.  Singier  (depuis  connu  et 
estimé  comme  directeur  de  théâtre),  a  conté  qu'en- 
trant dans  la  chambre  de  la  reine ,  il  vit  la  foule  qui 
brisait  les  meubles  et  les  jetait  par  les  fenêtres;  un 
magnifique  clavecin ,  orné  de  peintures  précieuses , 


58  CLÉMENCE  ET  MODÉRATION 

allait  avojr  le  même  sort.  Smgier  ne  perd  pas  de 
temps;  il  se  met  à  en  jouer,  en  chantant  la  Marseil- 
laise. Voilà  tous  ces  hommes  furieux ,  sanglants,  qui 
oublient  leur  fureur  au  moment  même;  ils  font  cho- 
rus,  se  rangent  autour  du  clavecin ,  se  mettent  à 
danser  en  rond,  et  répètent  l'hymne  national. 

Non,  cette  foule,  si  mêlée,  des  vainqueurs  du 
10  août,  n'était  pas,  comme  on  l'a  tant  dit,  une  bande 
de  brigands,  de  barbares.  C'était  le  peuple  tout  en- 
tier; toute  condition,  toute  nature,  et  tout  caractère 
se  rencontraient  là,  sans  nul  doute.  Les  passions  les 
plus  furieuses  s'y  trouvèrent;  mais  les  basses,  les 
ignobles,  rien  n'indique  qu'en  ce  moment  d'exaltation 
héroïque  elles  se  soient  montrées  chez  personne.  i\ 
y  eut  beaucoup  d'actes  magnanimes.  Et  le  mot  tou- 
chant du  boulanger  que  nous  avons  rapporté  au  com- 
mencement de  ce  chapitre  montre  assez  que  le  péril, 
qui  rend  si  souvent  féroces  les  hommes  qui  l'affron- 
tent pour  la  première  fois,  n'avait  nullement  éteint 
dans  le  cœur  des  assaillants  les  sentiments  d'hu- 
manité. 

Une  scène  extraordinaire,  pathétique  au  plus  haut 
degré,  eut  lieu  dans  FAssemblée  nationale.  Qu'elle 
passe  à  la  postérité ,  pour  témoigner  à  jamais  de  la 
magnanimité  du  10  août ,  du  noble  génie  de  la 
France,  qu'elle  conserva  encore  dans  les  fureurs  de 
la  victoire. 

Un  groupe  de  vainqueurs  se  jeta  dans  TAssemblée, 
pêle-iiiêle  avec  des  Suisses.  L'un  d'eux  porta  la  pa- 
role :  «  Couverts  de  sang  et  de  poussière ,  le  cœur 


BB  1»LUSlÉimS  DBS  VAINQUBURS  DU  iO  AOUT.  30 

navré  de  douleur^  nous  veooDS  déposer  dans  votre 
seiD  notre  indignation.  ,Depui^  longtemps  une  cour 
perfide  a  préparé  la  catastrophe.  Nous  n'avons  pé- 
nétré dafis  qe  palais  qu'en  ina/rchant  sur  nos  frères 
massacrés.  Nous  avons  fait  prisonniers  ces  malheu- 
reux instruments  de  la  trahison  ;  plusieurs  ont  mis 
bas  les  armes  ;  nous  n'emploierons  contre  eux  que 
celles  de  la  giènérosité.  Nous  les  traiterons  en  frères 
(Il  se  jette  dans  les  liras  d'un  Suisse,  et  dans  l'excès 
de  l'émotion,  il  s'évanouit;  des  députés  lui  portent 
secours.  ÂlorS;  reprenant  la  parole)  :  Il  nje  faut  une 
vengeance.  Je  prie  l'Assemblée  de  me  laisser  em- 
mener ce  malheureux  ;  Je  veux  le  loger  et  le 


nourrir.  » 


CHAPITRE  II 

LE  10  AOUT  DAMS  L'ASSEMBLÉE.  LUTTE  DE  L'ASSEVBLÉE  ET  DE  LA 
COMMUNE.  FIN  D'AOUT. 

Des  vainquenra  dn  10  aoAt,  fédérés,  gardes-françaises,  etc.  —  Théroigne  é« 
Méricovrt.— Meortre  de  Saleaa.~Impni8sanee  de  l'Assemblée.-- Inertie  dee 
Girondins,  pendant  la  naît  do  10  août.— Situation  de  TAssemblée,  dans  la 
matinée  da  10  août.— Le  Roi  se  réfugie  dans  le  sein  de  TAssemblée— Deni 
paniques  dans  TAssemblée.  —  Le  Roi,  n'ayant  plus  d'espoir,  fait  cesser  le 
fea.  —  L'Assemblée  conserf  e  à  la  royauté  une  chance  de  résurrection.  — 
L'Assemblée  s'annulle  elle-même.  —  Désespoir  des  familles  des  Yictimcs  da 
10  août.— Défiance  et  fureur  du  peuple.— La  Commune  organe  de  celte  fa- 
renr.— Sentiments  contradictoires  du  peuple,  sensible  et  furieux.  —  Danger 
de  la  situation. — Le  Roi,  prisonnier,  est  enfermé  au  Temple.— La  Commune 
esige  .la  création  d'un  tribunal  extraordinaire.  —  Influence  de  Marat  sur  la 
Commune. — Création  dn  tribunal  extraordinaire  (17  août  09).— Danger  de  la 
France  ;  Longwy  assiégé,  le  80  août. — Menaces  de  Lafayette,  sa  fuite. — 
Fermeté  magnanime  de  Danton.  —  Premiers  mouvements  de  la  Vendée.  — * 
Le  nouveau  tribunal  accusé  de  fonctionner  lentement— Nouvelle  de  la  prise 
.de  Longwy.— Fête  des  morts  dn  10  août. 


11  n'est  pas  facile  de  sonder  le  profond  volcan  de 
fureur  d'où  éclata  le  10  août,  de  dire  comment  les  co- 
lères de  toutes  sortes  s'étaient  entassées,  accumulées, 
mutuellement  échauffées  d'une  fermentation  si  terri- 
ble. Si  nous  ne  pouvons  les  retrouver  dans  leur  force 
et  leur  violence,  énumérons  du  moins,  analysons 
les  éléments  divers  qui,  mêlés,  formèrent  la  lave 
brûlante. 

La  souffrance  du  peuple,  sa  douloureuse  misère, 
en  fut  le  plus  faible  élément.  Et  pourtant  cette  mi- 
sère était  extrême.  Toute  ressource  était  consumée 


VAIICQUËURS  bU  iO  AOUT.  FEDERES,. G AKDË2»-FRA.\^:AISkS,  ETC.     41 

depuis  longtemps;  quoique  le  paio  fût  à  bas  prix,  le 
travail  manquait  entièrement,  il  n'y  avait  pas  moyen 
d'aller  chez  le  boulanger.  La  mort  au  grabat,  dans  un 
grenier  ignoré,  ou  dans  la  rue  au  coin  des  bornes, 
c'était  la  dernière  perspective.  Ces  pauvres  gens, 
presque  sans  armes,  et  nullement  aguerris  alors,  ne 
firent  pas  grand'chose  au  10  août;  seulement  ils  allè- 
rent des  premiers  aux  Tuileries  ;  c'est  sur  eux  que 
tomba  la  première,  la  meurtrière  fusillade.  S'il  n'y 
avait  eu  que  ceux-là,  le  château  n*eût  pas  été  pris. 

Il  y  avait  un  autre  élément,  auquel  la  cour  ne  pen- 
sait pas,  un  élément  très-militaire,  qui  agit  certaine- 
ment d'une  manière  bien  autrement  ef&cace. 

On  a  confondu  tous  les  vainqueurs  sous  le  nom  de 
Marseillais  ;  on  a  cru  du  moins  qu'ils  étaient  presque 
tous  fédérés  des  départements,  Marseillais,  Bretons  et 
autres.  Mais  avec  ceux-ci  marchaient  des  hommes  non 
moins  aguerris,  aussi  furieux  tout  au  moins,  de  plus, 
ulcérés  d'une  blessure  récente.  Quels  ?  les  fils  aiués 
de  la  liberté,  les  anciens  gardes-françaises.  11  y  avait 
parmi  eux  des  jeunes  gens,  d'une  audace,  d'une  am- 
bition extraordinaire,  dont  plusieurs  sont  devenus 
illustres.  Les  gardes  françaises,  un  moment,  s'étaienl 
laissé  amortir  par  Larayette;  ils  avaient  formé  le 
noyau,  le  nerrde  la  garde  nationale  soldée.  La  con- 
duite très-diverse  de  ce  corps  au  massacre  du  Champ- 
de-Mars  (une  partie  tira,  une  partie  refusa)  donna 
beaucoup  à  penser.  En  janvier,  le  ministre  de  la 
guerre,  Narbonne,  obtint  qu'ils  fussent  assimilés  aux 
troupes  de  ligne,  cessassent  de  recevoir  haute  paye. 


iî  DES  VAINQUEURS  DU  10  AOUT. 

ne  fussent  plus  une  troupe  privilégiée.  La  plupart 
n'acceptèrent  pas  ce  changement,  restèrent  ici  à  bat- 
tre le  pavé,  attendant  les  événements,  se  menant  aux 
groupes,  soui&ant  la  guerre  et  le  combat,  donnant 
leur  assurance  au  peuple,  lui  communiquant  l'esprii 
militaire.  Une  lettre,  écrite  un  an  après  par  un  de  ces 
gardes-françaises  (depuis,  le  général  Hoche),  adressée 
par  lui  à  un  journaliste,  lettre  fière,  amère,  irritée, 
peint  à  merveille  cette  jeunesse,  l'esprit  superbe  qui 
était  en  elle,  sa  violente  indignation  contre  tout  obsta- 
cle. On  dirait  que  la  même  plume  écrivit  en  janvier 
92  l'éloquent  Adieu  des  gardes  françaises  aux  sections 
de  Paris.  Ces  philippiques  militaires  sont  pleines  du 
^énie  colérique  qui  frappa  le  coup  du  10  aoàt. 

Le  nbatin,  un  de  ces  garàes-frànçaises  était  sur  la 
terrasse  des  Feuillants  avec  la  fameuse  amazone  lié- 
geoise, Théroigne  de  Méricourt.  Elle  était  armée,  et 
allait  combattre  ;  elle  y  alla  en  effet,  et  s'y  distingua, 
jusqu'à  mériter  une  couronne  que  lui  décernèrent  les 
vainqueurs.  Il  n'était  encore  que  7  ou  8  heures,  une 
heure  avant  le  combat.  On  amène  sur  la  terrasse  une 
fausse  patrouille  qu'on  vient  de  saisir.  C'étaient  onze 
royalistes,  armés  d'espîngoles,  qui  venaient  de  recon- 
naître Tes  Champs-Elysées  et  tous  les  entours  des 
Tuileries.  Il  se  trouvait  parmi  eux  plusieurs  hommes 
très-connus,  très-odieux ,  de  violents  écrivains  roya- 
listes désignés  depuis  longtemps  à  la  haine  publique, 
entre  autres  un  abbé  Boujon,  auteur  dramatique,  et 
le  journaliste  Suleau ,  un  jeune  homme  audacieux, 
l'un  des  plus  furieux  agents  de  raristocratie.  Suleau 


THÉROIGNE  DE  MÊRICOURT.  43 

et  théroigue  se  trouvèrent  en  Tace,  là  fureur  et  la 
fureur. 

Suleau  était  personnellement  haï  de  Tbéroigne, 
non-seulement  pour  les  plaisanteries  dont  il  l'avait 
criblée  dans  les  Actes  des  Apôtres  j  mais  pour  avoir 
publié  à  Bruxelles  un  des  journaux  qui  écrasèrent  fa 
révolution  des  Pays-Bas  et  de  Liège,  le  Tocsin  des 
Rois.  L'infortunée  ville  de  Liège,  unanimement  fran- 
çaise, et  qui,  tout  entière,  jusqu'au  dernier  homme, 
vota  sa  réunion  à  la  France,  avait  été  libre  deux  ans, 
et  elle  venait  de  retomber  sous  l'ignoble  tyrannie  d'un 
prêtre  par  la  violence  de  l'Autriche,  Théroigne,  à  ce 
moment  décisif,  n'avait  pas  manqué  à  sa  patrie.  Mais 
elle  fut  suivie  de  Paris  à  Liège,  arrêtée  en  arrivant 
par  les  Autrichiens,  spécialement  comme  coupable  de 
l'attentat  du  6  octobre  contre  la  reine  de  France,  sœur 
de  l'autrichien  Léopold.  Menée  àVienne  et  relâchée  k 
la  longue,  faute  de  preuves,  elle  revenait  exaspérée, 
accusant  surtout  les  agents  de  la  reine  qui  l'auraient 
suivie,  livrée.  Elle  écrivait  son  aventure,  allait  l'im- 
primer, et  déjà  elle  en  avait  lu  quelques  pages  aux 
Jacobins.  Le  violent  génie  du  iO  août  était  dans  Thé- 
roigne. C'était  une  femme  audacieuse,  galante,  mais 
non  pas  une  fillcy  comme  Y  ont  dît  les  royalistes;  elle 
n'était  nullement  dégradée.  Ses  passions  les  plus  con- 
nues furent  justement  pour  des  hommes  fort  étran- 
gers à  l'amour,  la  première  pour  un  castrat  italien 
qui  la  ruina;  plus  tard  pour  l'abstrait,  le  sec,  le  froid 
Sieyès,  pour  le  mathématicien   Romme,  jacobin 
austère,  gouverneur  du  jeune  prince  Strogonoff; 


41  DES  VAlNUtl^L'RS  DU  10  AOLT. 

Romme  ne  se  faisait  nullement  scrupule  de  mener 
son  élève  chez  la  belle  et  éloquente  Liégeoise.  Le 
Irès-honnète  Pétion  était  ami  de  Tbéroigne.  Tou- 
joursy  quelque  irrégulière  que  pût  être  sa  vie  per- 
sonnelle,  elle  visa  dans  ses  amitiés  au  plus  haut,  au 
plus  austère,  au  plus  pur  ;  elle  voulait  dans  les  hom- 
mes ce  qu'elle  avait  elle-même,  le  courage  et  la  sin- 
cérité. Un  de  ses  biographes  les  plus  hostiles  avoue 
qu'elle  exprimait  le  plus  profond  dégoût  pour  Tim* 
moralité  de  Mirabeau,  pour  son  masque  de  Janus.  Et 
elle  ne  montra  pas  moins  d'antipathie  pour  celui  de 
Robespierre,  elle  détestait  son  pharisatsme.  Cette 
franchise  imprudente,  qui  la  mena  bientôt  à  la  plus 
terrible  aventure ,  avait  éclaté  en  avril  92.  A  cette 
époque  où  Robespierre  se  répandait  on  calomnies,  en 
dénonciations  sans  preuves,  elle  dit  fièrement  dans 
un  café,  ccqu'elle  lui  relirait  son  estime  » .  La  chose, 
contée  le  soir  ironiquement  par  Collot  d'Herbois  aux 
Jacobins,  jeta  l'amazone  dans  un  amusant  accès  de 
fureur.  Elle  était  dans  une  tribune,  au  milieu  des  dé- 
votes de  Robespierre.  Malgré  les  efforts  qu'on  faisait 
pour  la  retenir,  elle  sauta  par-dessus  la  barrière  qui 
séparait  les  tribunes  de  la  salle,  perça  cette  foule  en- 
nemie, demanda  en  vain  la  parole;  on  se  boucha  les 
oreilles,  craignant  d'ouïr  quelque  blasphème  contre 
le  dieu  du  temple  ;  la  pauvre  Tbéroigne  fut  brutale-* 
ment  chassée,  sans  être  entendue. 

Cette  insulte  en  présageait  une  autre,  plus  cruelle, 
dont  elle  fut  frappée  à  mort.  Après  le  10  août  et  le 
2  septembre,  Tbéroigne  ((|u'on  a  mêlée  sans  la  moin- 


THÉROIGNE  DE  MÉRICOURT.  45 

dre  preuve,  et  contre  toute  vraisemblance,  à  ce  der- 
nier événement  )  prit  parti,  avec  sa  violence  ordi- 
naire, pour  le  partT  qui  flétrissait  les  assassins  de 
septembre.  Elle  était  encore  fort  populaire,  aimée, 
admirée  de  la  foule  pour  son  courage  et  sa  beauté. 
Les  montagnards  imaginèrent  un  moyen  de  lui  ôter 
ce  prestige,  de  l'avilir  par  une  des  plus  lâches  violen-* 
ces  qu'un  homme  puisse  exercer  sur  une  femme*  Elle 
se  promenait  presque  seule  sur  la  terrasse  des  Feuil- 
lants; ils  formèrent  un  groupe  autour  d'elle,  le  fer- 
mèrent tout-à-coup  sur  elle,  la  saisirent,  lui  levèrent 
les  jupes,  et  nue,  sous  les  risées  de  la  foule,  la  fouet- 
tèrent comme  un  enfant.  Ses  prières,  ses  cris,  ses 
hurlements  de  désespoir  ne  firent  qu'augmenter  les 
rires  de  cette  foule  cynique  et  cruelle.  Lâchée  enfin, 
l'infortunée  continua  ses  hurlements  ;  tuée  par  cette 
injure  barbare  dans  sa  dignité  et  dans  son  courage, 
elle  avait  perdu  l'esprit.  De  1793  jusqu'en  1817,  pen- 
dant cette  longue  période  de  vingt-quatre  années 
(toute  une  moitié  de  sa  vie  !),  elle  resta  folle  furieuse, 
hurlant  comme  au  premier  jour.  C'était  un  spectacle 
à  briser  le  cœur,  de  voir  cette  femme  héroïque  et 
charmante,  tombée  plus  bas  que  la  béte,  heurtant 
ses  barreaux,  se  déchirant  elle-même  et  mangeant 
ses  excréments.  Les  royalistes  se  sont  complu  à  voir 
là  une  vengeance  de  Dieu  sur  celle  dont  la  beauté 
fatale  enivra  la  Révolution  dans  ses  premiers  jours  ; 
ils  ont  su  un  gré  infini  à  la  brutalité  montagnarde 
de  l'avoir  brisée  ainsi.  Royalistes  et  Robespier- 
ristes,  encore  aujourd'hui,  s'accordent  à  men^eille, 


46  THÉR01GNE  DE  Ml^.RICOURT. 

après  ravoir  avilie  vivante,   pour  avilir  sa  mé- 
moire. 

J'ai  voulu  donner  d'ensemble  celle  destinée  tragi- 
que.  Voyons  l'acte  violent,  coupable,    par  lequel 
théroigne  la  mérita  peut-être,  au  10  août,  cette  des- 
tinée. ^Ue  avait,  devant  elle,  ce  Sujeau  Unt  détesté, 
celui  qu'elle  envisageait  comme  le  plus  mortel  ennemi 
(|e  la  Révolution ,  et  en  France,  et  aux  Pays-Bas. 
C'était  un  homme  dangereux,  non  par  sa  plume  seu- 
lement, mais  par  son  courage,  par  ses  relations  in- 
finiment étendues,  dans  sa  province  et  ailleurs.  Mont- 
losier  conte  que  Suleau,  dans  un  danger,  lui  disait  : 
a  J'enverrai,  au  besoin,  toute  ma  Picardie  à  votre 
secours.  >  Suleau,  prodigieusement  actir,  se  multi- 
pliait; on  le  rencontrait  souvent  déguisé.  Lafayette, 
dès  90,  dit  qu'on  le  trouva  ainsi ,  sortant  le  soir  de 
l'hôtel  de  l'archevêque  de  Bordeaux.  Déguisé  cette 
rois  encore,  armé,  le  matin  même  du  10  août,  au 
moment  de  la  plus  violente  fureur  populaire,  quand 
la  rou)e,  ivre  d'avance  du  combat  qu'elle  allait  livrer, 
ne  cherchait  qu'un  ennemi,  Suleau  pris,  dès  lors 
'  était  mort. 

Pesmoulins,  picard  comme  lui  et  son  camarade  au 
collège  de  Louis-le-Grand,  avait  eu  comme  une  se- 
conde vue  de  l'événement;  il  avait  offert  à  Suleau  de 
le  cacher  chez  lui.  Mais  celui-ci  croyait  vaincre.  Il 
tomba  au  piège  avant  le  combat. 

S'il  périssait,  du  moins  ce  n'était  pas  Théroigne 
qui  pouvait  le  mettre  à  mort.  Les  plaisanteries  même 
qu'il  avait  lancées  contre  elle  auraient  dû  le  profé- 


MEITRTRE  DE  SULEAU  (iO  AOUT).  47 

ger.  Au  point  de  vue  chevaleresque^  elle  devait  le 
dèfenclre;  au  point  de  vue  qui  dominait  alors,  l'i- 
mitation farouche  des  républicains  de  l'antiquité , 
elle  devait  frapper  l'ennemi  public,  quoiqu'il  fût  son 
eDuemi.  Un  commissaire,  monté  sur  un  tréteau,  es- 
sayait de  calmer  la  foule;  Tbéroigne  le  renversa,  le 
remplaça,  parla  contre  Suleau.  peux  cents  hommes 
de  garde  nationale  défendaient  les  prisonniers;  on 
obtint  de  la  section  un  ordre  de  cesser  toute  rési- 
stance. Appelés  un  à  un,  il  furent  égorgés  par  la 
foule.  Suleau  montra,  dit-on,  beaucoup  de  courage, 
arracha  un  sabre  aux  égorgeurs,  essaya  de  se  Caire 
jour.  Pour  mieux  orner  le  réci^,  on  suppose  que  la 
virago  (petite  et  fort  délicate,  malgré  son  ardente 
éneiigie)  aurait  sabré  de  sa  main  cet  homme  de  grande 
taille,  d'une  vigueur  et  d'une  force  décuplées  par  lé 
désespoir.  D'autres  disent  que  ce  fut  le  garde-fran- 
çaise qui  donnait  le  bras  à  Théroigne,  qui  porta  le 
premier  coup. 

Ce  massacre,  exécuté  à  la  place  Vendôme,  devant 
la  porto  des  Feuillants,  et  comme  sous  les  yeux  de 
l'Assemblée,  constata  d'une  manière  terrible  l'im- 
puissance de  celle-ci.  f^ar  deux  fois  elle  déclara  les 
prisonniers  sous  la  sauvegarde  de  la  loi,  et  l'on  n'en 
tint  compte.  Un  fatal  précédent.s'établit,  un  préjugé 
effroyable,  à  savoir  qùé  le  passant,  le  premier  venu, 
pouvait,  en  dépit  des  autorités  nommées  par  le  peuple, 
représenter  le  peuple  souverain  en  sa  fonction  la  plus 
déPicate,  la  justice.  Cette  justice  de  combat,  faite  au 
moinent  de  la  bataille  par  l'ennemi  sur  Tennemi,  va 


48  INPUISSANCe  DE  L*ASSEMBLÉB. 

se  reproduire  dans  un  mois,  aux  jours  de  Septembre, 
sur  des  prisonniers  désarmés. 

L'Assemblée  était  en  cause  non  moins  que  la 
royauté.  La  majorité,  qui  venait  d'innocenter  La- 
fayette,  avait  par  cela  mémo  dans  l'esprit  du  peuple 
perdu  l'Assemblée  elle-même.  Les  Girondins,  il  est 
vrai,  par  Torgane  de  Brissot,  avaient  attaqué  le^çé- 
néral,  et  pouvaient  se  laver  les  mains  de  l'étrange 
absolution.  Mais,  il  était  trop  manifeste  qu'ils 
croyaient  pouvoir  encore  se  servir  de  la  royauté; 
ennemis  ou  non  de  Lafayetle,  ils  lui  ressemblaient 
en  ceci  :  républicains  de  principes,  comme  lui,  mais, 
comme  lui,  royalistes  de  politique,  de  situation,  ils 
n'en  différaient  guère  que  sur  la  longueur  du  sursis 
qu'ils  auraient  accordé  à  l'institution  royale.  Rien 
n'indique  qu'ils  aient  eu  avec  la  cour  le  moindre 
rapport  direct.  La  Tameuse  consultation  donnée,  dit- 
on,  au  Roi  par  Yergniaud,  et  copiée  docilement  par 
tous  les  historiens,  n'est  qu'une  fiction  maladroite  ^. 


^  Elle  n*a  jamais  eiislé  ni  dans  les  papiers  de  rArmoire  de  fer,  ni 
ailleurs.  Si  on  eût  pu  la  trouver,  Amar  n^aurait  pas  manqué  de  la  don* 
ner  tout  au  long  dans  son  Acte  d'accusation  des  Girondins,  U  en  par]e« 
et  ne  la  cite  point.  Voici  à  quoi  le  fait  se  réduit  :  Le  peintre  du  Roi, 
Boze,  qui  se  mêlait  de  tout,  qui  allait  et  venait  d*un  parti  à  Fautre, 
paraît  avoir  efTectivement  talé  les  Girondins.  Si  la  cour  lui  donna  ' 
mission  (ce  qui  est  douteux  encore),  c'est  qu'elle  voulait  répandre  la 
chose,  et  compromettre  ses  adversaires.  Boze  en  aura  tiré  quelques 
paroles,  et  se  sera  empressé  de  les  reporter  aux  Tuileries,  comme 
V ultimatum  de  la  Gironde.  Le  bruit  s'en  répandit,  comme  on  le  voulait; 
les  Girondins  ne  l'ont  point  démenti.  Là  dessus,  voilà  les  furieux  men* 
leurs,  jacobins  et  royalistes,  Amar,  Bertrand  de  Molleville,  qui 


INERTIE  DES  GIRONDINS  PENDANT  LA  NUIT  DU  10  AOUT.        4d 

Quelque  étourdis  qu'aient  pu  être  les  Girondins, 
jamais  ils  n'auraient  donné  un  tel  acte  écrit  contre 
eux-mêmes.  Et  à  qui  ?  à  cette  cour  qui,  dans  les  élec- 
tions et  partout,  leur  préférait  sans  difBcuIté  les  plus 
Tîoleuts  jacobins.  Cest  une  chose  trés-certaine  que 
nous  ayons  affirmée,  et  que  nous  répéterons  :  jusqu'au 
10  août,  la  cour,  en  toute  occasion,  ne  vit  nul  enne- 
mi plus  dangereux  que  les  Girondins.  Elle  se  serait 
fiée  à  Danton  bien  plus  qu'à  Vei^niaud.  Vei)|:niaud, 
Brissot,  Roland,  Guadet,  furent  pour  elle  l'objet  d'une 
haine  bien  autrement  profonde.  Ils  lui  semblaient 
prés  du  pouvoir,  et  capables  de  le  garder.  Elle  eût 
préféré  cent  fois  le  triomphe  passager  des  violents  à 
la  victoire  des  modérés,  qui,  dans  un  délai  fort  court, 
pouvait  fonder  la  république. 

Les  Girondins  ne  parurent  pas  à  l'Assemblée  dans 
la  nuit  du  10  août.  Elle  avait  commencé  à  se  réunir 
vers  minuit  et  demi,  au  bruit  du  tocsin.  Les  quelques 
députés  qui  vinrent  étaient  des  Feuillants,  et  ils  vinrent 
pour  sauver  la  royauté;  on  le  voit  au  choix  de  leur 
président;  ce  fut  le  feuillant  Pastoret.  Ledit  Pastoret 

alBniient  rexistence  d'an  traité  écrit  entre  la  cour  et  la  Gironde  ;  il 
aura  été  écrit  par  Verfpiaod.  Les  fabricatears  arrivent  ensuite,  et  ne 
Bloquent  pas  de  retrouver  le  traité.  Mais  la  chose  serait  bien  plus  dra- 
matique, si  Tun  des  Girondins  venait  lui-même  conférer  la  nuit  aux 
Tuileries  ;  les  romancien  ne  manquent  pas  une  si  belle  occasion  ;  ils  y 
înlrodoiaent  Guadet,  ils  le  montrent  qui  s*attendrit  en  regardant  le  dau- 
phin dans  son  berceau,  etc.  La  scène  est  intéressante  et  bien  trouvée  ; 
senleipeot  rbomme  est  mal  choisi.  H  ne  fallait  pas  prendre,  pour  ac- 
teur de  cette  scène  sentimentale,  Guadet,  Tespril  le  plus  sec,  le  plus 
polémique,  qui  fût  dans  le  parti  de  la  Gironde. 

IV.  * 


StO  SITUATION  DE  L*ASSE1IBLÉB, 

s'éclipsa;  ils  prirent  alors  uq  député  inoonnUi  pQur 
les  présider.  Oii  donc  étaieqt  Brissot^  Yergniaud,  |a 
pensée  de  la  Gironde,  sa  grai^de,  sa  puissante  Yqii^t 
où  ét»ient-il$t  que  pensaient*ils? 

Us  attendaient  et  se  réservaient.— Chose  pev  éUwr 
nante,  au  reste,  quand  on  voit  Tbésitatipn  des  fie- 
teurs  connus  de  tous  le^  partis.  Rot)espierre  s^ab^tîst 
dans  cette  nuit ,  tout  aussi  bien  que  Yergniaud. 

Ëvidemment  les  Girondins  se  réservaient  le  rOie  do 
médiateurs;  ils  attendaient  que  la  cour  éperdue,  au 
^ruit  de  la  fusillade,  vtot  se  jeter  dans  leurs  bras. 

La  très-peu  nombreuse  Assemblée  qui  siégea  la 
nuit,  dans  Tabsence  des  grands  chefs  d'opinicms, 
montra  beaucoup  de  prudence.  Elle  évita,  par-dessus 
tout,  le  piège  qu'on  lui  tendait,  en  l'appelant  au  ohà^ 
teau.  Quelques  membres  proposèrent  que  le  Roi 
vint  plutôt  se  réunir  à  l'Assemblée.  La  discussion , 
souvent  interrompue ,  traîna  jusqu'au  matin;  les  Gi- 
rondins,^ rougissant  &  la  longue  de  leur  absence  dans 
un  tel  moment,  apparurent  enfin;  à  sept  heures,, 
Yergniaud  occupa  le  fauteuil. 

Et  ce  fut  pour  être  obligé  de  saluer  la  formidable 
puissance  qui  s'était  formée  cette  nuit,  pu^noe  in- 
connue, mystérieuse,  au  matin  lancée  du  Tolean, 
comme  pour  écraser  l'Assemblée  :  la  Commune  du 
10  août. 

Un  substitut  du  procureur  de  la  commune  (  m  se- 
rait-ee  pas  Danton?  il  avait  alors  ce  titre)  entra, 
avec  deux  ofBciers  municipaux ,  et  notifia,  sans  pré- 
face, à  l'Assemblée  nationale ,  que  le  peuple  souve-? 


DANS  U  lUTISÉg  DU  10  AODT.  M 

ram,  réuDÎ  «a  actions,  avait  nommé  des  oomm»^ 
«airoB,  qu'ilêeçoer gâtent  toui  lespowairs,  et  que»  pour 
leur  coup  d'essai  ^  ils  avaient  pris  un  arrêté  pour  sus^ 
pendre  le  conseil  général  de  la  Commune. 

Un  membre  de  l'Assemblée  proposa  d'annuler 
tout ,  les  commissaires  et  rarrôlé.  Hais ,  à  Tinstaot, 
un  antre  membre  dit  prudemment  qu'insinuatioA 
valait  mieux  que  violence ,  qu'en  ce  danger,  il  était 
imprudent  d'écarter  des  hommes  utiles ,  qu'en  tout 
«as,  il  fallait  attendre  des  éclaircissements  nlté-^ 
rieurs.— L'Assemblée  résolut  d'attendre»  ce  qui  était 
le  plus  facile.  Entre  la  victoire  du  royalisme  et  œlkt 
de  l'anarchie ,  entre  le  château  et  la  commune,  me- 
nacée également  des  deux  parts  d'être  dévorée ,  elle 
ménagea  Tinconnu  et  garda  devant  le  spbyi»  un  si<> 
kmce  de  terreur. 

Et  à  ce  moment  même  où  elle  n'osait  plus  agir  ni 
prendre  parti,  par  une  contradiction  étrange,  la  cir<-i 
«onstance  venait  en  quelque  sorte  réclamer  d'elle  I# 
force  qu'elle  n'avait  plus» 

C'est  à  ce  moment  qu'on  lui  demanda  de  protéger 
Suleau  et  les  autres  prisonniers}  elle  essaya  de  le 
faûre,  et  vil  son  autorité  méconnue  (huit  heures).  A 
ce  moment  encore  on  lui  annonça  que  le  R(h  voulait 
se  retirer  dans  son  sein*  Elle  répondit  froidement  v 
•Que  la  Constitution  lui  en  laissait  la  fiieulté.  »  Oa 
demandait  que  la  garde  dii  Roi  pût  entrer}  on  crai-* 
gnaît  qu'elle  ne  fét  massacrée  »  m  elle  restait  aua 
pertes*  Mais  TAssemblée ,  en  la  recevant  »  avait  à 
enûqdie  de  Caire  de  sa  propre  salle  un  ebamp  de  ba^ 


52  LR  noi  SB  AÉFUGIE 

taille;  elle  s'attacha  à  la  lettre  de  la  loi,  qui  lui  défen- 
dait de  délibérer  au  milieu  des  baïonnettes;  elle  fit 
semblant  de  croire  que  cette  garde  venait  là  pour 
protéger  T  Assemblée,  et  déclara  :  «  Qu'elle  ne  voulait 
de  garde  que  Tamour  du  peuple.  » 

Nous  n-avons  point  raconté  dans  le  chapitre  précé- 
dent, où  nous  expliquions  la  bataille,  le  voyage  du  Roi 
pour  aller  à  l'Assemblée.  Ce  voyage  n'était  pas  long; 
mais  on  pouvait  le  croire  infiniment  dangereux  dans 
l'état  d'irritation  où  était  la  foule  ;  à  tort  :  il  n'eut 
d*autre  résultat  que  de  prouver  que  la  vie  du  Roi,  ni 
même  celle  de  la  reine,  n'était  nullement  en  périL 

Au  départ,  le  Roi  probablement  n'était  pas  sans  in- 
quiétude. Il  6tason  chapeau  où  était  un  plumetblanc, 
et  s'en  mit  un  qu'il  prit  à  un  garde  national.  Les  Tui- 
leries étaient  solitaires  et  silencieuses,  déjà  jonchées 
de  feuilles  sèches,  bien  avant  le  temps  ordinaire  ;  le 
Roi  en  fit  la  remarque  :  a  Elles  tombent  cette  année 
de  bonne  heure.  »  Manuel  avait  imprimé  que  la 
royauté  n'irait  que  jusqu'à  la  chute  des  feuilles. 

A  mesure  qu'on  approchait  de  la  terrasse  des 
Feuillants  on  apercevait  une  foule  d'hommes  et 
de  femmes  fort  animés.  A  vingt-cinq  pas  environ 
de  la  terrasse,  une  députation  de  l'Assemblée  vint 
recevoir  le  Roi;  les  députés  l'environnèrent;  mais 
cette  escorte  ne  suffisait  pas  pour  tenir  en  respect 
quelques-uns  des  plus  violents.  Un  homme,  du  haut 
de  la  terrasse ,  brandissait  une  perche  de  huit  ou 
dix  pieds  :  fNon!  non,  criait-il,  ils  n'entreront 
pas,  ils  sont  cause  de  fous  nos  malheurs...  Il  faut  que 


DAMS  LE  SBIN  DE  L'ASSEMBLÉE  (10  AOUT).  ES 

cela  finissel..  A  basl  à  bas!  »  Roedérar  haraugoa  la 
foule;  et  quant  à  Thomme  à  la  perche  qui  ne  voulait 
pes  se  taire,  il  la  lui  arracha  des  mains  et  la  jeta  au 
jardin,  sans  autre  cérémonie;  Thomme  resta  stupé* 
fait,  et  ne  dit  plus  rien. 

Aprèsunmomentd'embarras,  causé  parrencombre- 
ment,  lafamille  royale  arrivant  au  passage  même  qui 
menait  à  l'Assemblée,  un  garde  national  provençal  dit 
au  Roi,  avec  l'accent  original  du  Midi  :  c  Sire,  n'ayez 
pas  peur,  nous  sommes  de  bonnes  gens  ;  mais  nous 
ne  voulons  pas  qu'on  nous  trahisse  davantage.  Soyez 
un  bon  citoyen ,  Sire...  Et,  surtout,  n'oubliez  pas  de 
chasser  vos  calotins  du  Château. . .  » 

Un  autre  garde  national  (quelques-uns  disent  que 
c'était  l'homme  même  à  la  longue  perche,  qui  sem- 
blait si  furieux)  s*émut  de  voir  le  Dauphin,  pressé  de  la 
foule,  à  ce  passage  si  étroit  ;  il  le  prit  dans  ses  bras  et 
Talla  poser  sur  le  bureau  des  secrétaires.  Tout  le 
monde  applaudissait. 

Le  Roi  et  la  famille  royale  s'étaient  assis  sur  les 
sièges  peu  élevés  qu'occupaient  ordinairement  les  mi- 
nislres.  Il  dit  à  l'Assemblée  :  «  Je  suis  venu  ici  pour 
éviter  un  grand  crime.  • .  > — Parole  injuste  et  dure  que 
rien  ne  justifiait.  La  foule  avait  envahi,  le  20  juin, 
les  Tuileries,  sans  péril  pour  Louis  XVI,  et  le  10  aoôt 
même,  rien  n'annonce  qne  personne  en  ait  voulu  k 
ses  jours,  ni  même  à  ceux  de  la  reine. 

Le  président  Yergniaudi  ayant  répondu  que  l'As- 
semblée  «  avait  juré  de  mourir  en  soutenant  les  droits 
du  peuple  et  les  autorités  constituées  »,  le  Roi  monta 


14  DEUX  PANIÛCBS  MHS  L*ASSBMBLES  (10  AOyT). 

•t  YiQt  s'asseoir  à  c6té  de  luî^  Mdia  un  metnbrs  fit  6\^ 
MMrver  que  la  Constitution  défendait  de  déUhérei^  cil 
pfésence  du  Roi«  L'Assemblée  désigna  alors  la  loge 
dta.logographe»  qui  n'était  séparée  de  la  salle  que  fiar 
une  grille  en  fer,  et  se  trouvait  au  niveau  desi  raUgi 
életés  de  T  Asseùiblée.  Le  Roi  y  passa  avec  sa  famille; 
il  s'y  plaça  sur  le  devant,  indifférent,  impa^blè  ;  la 
rèiùei  un  peu  sur  le  côté ,  pouvant  cacber  b  cette 
place  la  terrible  anxiété  où  la  mettait  lecombat.  On  en- 
tendait à  ce  moment  la  meurtrière  fusillade  qui  jeta 
d'abord  par  terre  tant  d'hommes  du  peuple,  et  fit 
croire  aux  gentilsboinmes  qu'il  ne  s'agissait  plus  que 
de  marcher  sur  l'Assemblée,  de  la  disperser,  d'em- 
mener le  Roi.  La  reine  ne  disait  pas  un  mot,  ses  lèfres 
étaient  serrées,  dit  un  témoin  oculaire  (M.  David^ 
depoiè  consul  et  député)  ;  ses  yeux  étaient  ardents 
ék  secs,  ses  joues  enflammées^  ses  mains  fermées 
sur  ses  genoux.  Elle  combattait  du  cœur^  et  nul 
sans  doute  de  ceux  qui  se  faisuent  tuer  ao  chA^ 
lelu  ne  porta  dans  la  bataille  une  passion  plus 
acharnée^ 

.  De  cette  loge,  de  cette  salle  du  Manège,  fort  légé^ 
rement  eon^ruite,  on  enttmdait  tons  les  bruits.  A  la 
première  fusillade^  succéda  uii  grand  silence;  puis^ 
è  neuf  heures,  neuf  bâures  et  demie,  les  quelques 
«Ottps  de  canon  tirés  par  les  Marseillais,  toutes  les  ti-> 
très  vibrèrent.  Quelques-uns  crurent  que  des  boulets 
passaient  pair-dessus  la  salie.  L'Assemblée  était  très- 
digne,  dans  une  calme  et  ferme  attitude*  Elle  la  ood** 
serva^  roalgté  deux  paniques.  Un  memait,  la  fusil- 


LE  ROI,  irAYAUT  PtOS  t*ÈSM^,  tktf  CES^M  tE  FEU.         ^8 

lfté6,  trèa^^rapproebée^  fit  croire  àui  tribune^  que  I6s 
Suisses  étaient  vainqueurs^  qu'ils  Venaient  envahir 
te  salle  et  disperser  TAssetnblée.  Tous  les  assistants 
criaient  au)c  députés  :  t  Voilà  les  Suisses^  nous  ne  voua 
qofttotispas;  nous  périrons  avec  vous»)»  tlu  ofticier 
de  la  gftrde  nationale  était  &  la  barre,  et  disait  !  «Nouft 
sommes  forcés.  »  Députés,  tribunes,  assistants,  gardes 
naticfnattx,  tous,  jusqu'aux  jeunes  secrétaires  placés 
à  eôté  du  llori,  se  levèrent  d'un  mouvement  héroïque, 
et  jiirèreot  de  tnourir  pour  la  liberté......  Contre 

qui  un  UA  serment^  sinon  contre  le  Roj  Uiémé,  qu'a* 
lors  e^  croyait  vainqueur?  Jamais  son  isolement 
ne  residftH  davantage.  La  situatioU  à  ce  moment  se 
révélait  tout  entière  :  d'un  côté^  TAs^mblée,  le  peu- 
ple ^  d'autre  pdrt,  le  Roi...  En  face,  la  France  et 
reoueiiii. 

Due  autre  panique  eut  lieu,  mais  dans  l'autre  sens. 
Ge  fiât  la  victoire  dn  peuple,  les  craintes  de  l' Aèsem* 
Mée  pordr  la  sârelè  dn  Roi;  On  eut  un  moment  l'idée 
que  les  vainqueurs,  dans  leur  furie,  pourraient  venri* 
frapper  en  loi  le  chef  de  ces  Suisses,  de  ces  nobles, 
qui  avaient  fait  ùa  si  grand  carnage  du  peuple. 
ùo  aarràcba  la  grille  qui  séparait  de  la  salle  la  loge 
du  legti^aphe,  afin  que  là  famille  royale  pût,  au  be*- 
seUo,  se  réfugier  dans  le  sanctuaire  national.  t^lusieurS 
députés  y  travaillèrent;  le  Roi  s'y  employa  lui  même, 
avec  sa  force  peu  commune  et  son  bras  de  serrn«* 
rier* 

Le  proemreor  du  département,  Rosderer,  vint  an- 
b)èst6t  que  le  ckàtean  était  forcé.  ~  Une 


56  L*AH6KIIBtÉB  CONSftRVB  A  LA  ROYAUTÉ 

décharge  de  canon  se  fit  entendre  peu  après;  c'était 
le  faubourg  Saint- Marceau  qui,  du  pont  de  la  Con- 
corde, tirait  sur  les  Suisses  fugitifii.  — -£^  c'nl 
alart  seulemerU^  tard,  trop  tard  en  Yéritë,  que  le  Roi» 
ayant  perdu  toute  espérance,  fit  savoir  au  président 
qu'il  avait  donné  aux  Suisses  Tordre  de  ne  point  tirer, 
et  d'aller  à  leurs  casernes. 

Quoique  l'Assemblée  eût  manifesté  si  vivement  la 
crainte  que  le  Roi  ne  vainquit,  la  victoire  de  l'insur- 
rection, accomplie  sans  elle,  parut  l'abattre  et  l'an- 
nuler. Elle  transférait  en  réalité  le  pouvoir  de  fait  à 
une  puissance  nouvelle,  la  Commune,  à  qui  l'on  fai- 
sait honneur  de  la  victoire.  Quand  on  [Nt)posa  à  l'As- 
semblée de  nommer  un  commandant  de  la  garde  na* 
tionale,  elle  renvoya  ce  choix  à  la  toute-puissante 
Commune.  Puis,  des  combattants  apportant  des  bi- 
joux pris  aux  Tuileries ,  l'Assemblée  déclina  cette 
responsabilité,  sous  le  prétexte  qu'elle  n'avait  aucun 
lieu  où  les  garder.  Elle  les  envoya  encore  à  la  Com- 
mune. 

L'Assemblée  semblait  avoir  le  sentiment  que  le 
peuple  se  défiait  d'elle.  Par  deux  fois,  suivant  l'élan 
du  dehors,  et  voulant  rassurer  la  foule,  les  députés 
se  levèrent,  et  répétèrent  le  serment  :  Vivre  libre  ou 
mourir.  Ils  y  joignirent  une  adresse,  mais  fort  géné- 
rale et  vague,  où  Ton  conseillait  au  peuple  [de  rei* 
pecter  les  DroiU  de  V Homme. 

Guadet  était  au  fauteuil,  et  répondait  comme  il 
pouvait  aux  députations  diverses  qui  se  succédaient 
à  la  barre.  C'était  une  section  qui  venait  sommer 


UNS  COAKCfi  DB  RS50ailE€TK)2i  (10  AOVT).  8^ 

rAssemblée  de  jurer  qu'elle  sauverait  Tempiro;  l'As-^ 
semblée  jurait.  C'était  la  Commune  qui  venait  sigoi* 
fier  qu'elle  avait  donné  le  commandement  à  Santerre, 
et  présralait  son  vœu  pour  la  déchéance  du  Roi. 
Puis  un  groupe  d'inconnus  venait  déclarer  qu'il  fallait 
faire  justice  de  la  grande  trahison  :  «  Le  feu  est  aux 
Tuileries,  disaient  ils,  et  nous  ne  l'arrêterons  qu'après 
que  la  vengeance  du  peuple  sera  satisfaite...  Il  nous 
faut  la  déchéance.  »  Ils  le  firent  comme  ils  le  disaient, 
repoussant  les  pompiers  à  coups  de  fusil.  Neuf  cents 
toises  de  bâtiments  étaient  en  feu. 

L'ilssemblée  se  sentait  glisser  sur  la  pente.  Elle 
voulut  enrayer.  Enrayer!  mais  avec  quoi?  avec  la 
royauté  même.  Pour  arrêter  sa  chute,  elle  prit  jus* 
tement  le  poids  fatal  qui  devait  la  précipiter. 

Vergniaud  rentra,  Tair  abattu,  pour  donner  à  l'As- 
semblée l'avis  de  la  commission  extraordinaire  qu'elle 
avait  créée  exprès.  Le  grand  orateur  souffnûl  de  ne 
reconnaître  la  confiance  du  Roi  réfugié  dans  l'As-* 
semblée  que  par  une  mesure  rigoureuse.  La  chose 
semblait  dure»  inhospitalière.  Je  m'en  rapporte, 
dit-il,  à  la  douleur  dont  vous  êtes  pénétrés,  pour  ju- 
ger s'il  importe  au  salut  de  la  patrie  que  vous  adop- 
tiez cette  mesure  sur*le-champ.  Je  demande  la  sufr- 
pension  du  pouvoir  exécutif,  un  décret  pour  la 
nomination  flu  gouverneur  du  prince  royal.  Une 
Ccmvention  prononcera  sur  les  mesures  ultérieures.. . 
Le  Roi  s^ra  logé  au  Luxembourg.  Les  ministres 
seront  nommés  par  l'Assemblée  nationale* 

A  ce  moment  même,  le  peuple  revint  obsti- 


8§  L*itSSKIIBLÉ«  S*AinnJLliE  «LLB-itKB. 

Dé^  fhippa  à  là  poT\é.  «  La  déchéatice!  Ift  éé- 
cbéftDce  !  »y  6'étaft  encore  le  cri  des  nOHTOàut  péti-" 
tiotinaires. 

A  quoi  Yêrgniaud  répondit  que  rAteembléft  aîrait 
kit  tout  €6  que  ses  poutoirs  lui  permettaient  éè  faîi^, 
que  c'était  à  la  CônTention  de  prononcer  sur  ta  dé* 
chéance. 

Hs  s'en  allèrent  en  silence,  fnais  non  satisfaits. 
L'Assemblée,  tout  en  disant  qu'elle  ne  décidait  riéo,* 
n*altait*elle  pas  préjuger  audadieusetnent  Vàvetfir, 
par  la  nomination  d'un  gouverneur  de  Théfitier  du 
tréne,  lorsqu'il  restait  incertain  s'il  y  aurait  un  trdne 
encore î 

Loger  le  roi  au  Luxembourg!  au  lieu  de  Paris 
d'où  il  est  le  plus  facile  d'échapper  dans  la  campa- 
gne! Qui  ne  sait  que  le  Luxembourg  est  assis  sur  les 
catacombes,  et  que,  par  vingt  souterrairis,  il  pouvait 
remettre  la  royauté  sur  le  chemin  de  Varennes. 
C'est* ce  qu'une  section  vint  très-justement  repré^fi- 
ter  à  l'Assemblée. 

Celle K^i,  quoi  qu'elle  pét  faire,  n'allait  plus  pouvoir 
marcher  qu'à  la  suite  de  la  Commune.  Aux  ministres 
girondins  qu'elle  rétablit,  elle  ajouta  comme  mtiriaK 
tre  de  la  justice  l'homme  de  la  Commune,  Daotoo. 
Elle  vota  que  les  communes  auraient  droit  de  ftiire 
partout  des  visites  domiciliaires  pour  savoir  ai  les 
suspects  n'avaient  pas  des  armes  cachées.  C'était 
arnier  la  nouvelle  puissance,  dont  on  se  défiait  tant 
tout-à-l'heure,  d'une  inquisition  sans  bomea. 

U  était  trois  heures  de  nuit.  En  cette  iéance  de 


MteESfOm  SIS  rAlILLBS  M8  TIGTHIBS  MJ  10  AOUT.  M 

vtttgt-feept  heures,  rassemblée  taincue,  près  de  la 
rotule  Tatûcue,  en  réalité  avait  abdiqué. 

Cette  éclipse  du  premier  pouvoir  de  TËtat^  du 
seul,  après  tout,  qui  fût  reconnu  de  la  France,  était 
effrayante  dans  la  situation.  Le  combat  n'avait  pas 
ttoî;  il  durait  encore  dans  les  cœurs,  ils  restaîeirt 
gonflés  de  vengeance.  Le  soir  du  10,  on  avait  en  hâte 
jeté  ad  cimetière  de  la  Madeleine  les  cadavres  des 
sept  cents  Suisses  qui  avaient  été  tués.  Mais  le  nom-» 
bre  des  morts  était  bien  plus  grand  du  côté  des  in- 
su<^*  Les  Suisses  généralement  avaient  tiré  der^ 
rière  de  bonnes  murailles;  les  autres  n'avaient  eu 
que  leurs  poitrines  pour  parer  les  coups  ;  onie  cents 
iflsni^s  avaient  péri  ;  beaucoup  d'entre  eux,  gens 
mariés,  pauvres  pères  de  famille^  qoe  les  extrêmes 
misères  avaient  poiissés  au  combat,  qui,  entre  une 
femme  désespérée  et  des  enfants  affamés,*  avaient  pré- 
féré la  mort.  Des  tombereaux  les  ramassaient,  les  ra«* 
menaient  dans  leurs  quartiers,  et  là,  on  les  étalait  pour 
les  reconnattre.  Cbaque  fois  qu'une  de  ces  lugubres 
voitures,  couverte,  mais  reconoaissable  à  la  longue 
traînée  de  sang  qu'elle  laissait  derrière  elle,  chaque 
fois  qu'elle  entrait  an  faubourg,  la  foule  Tentou- 
ratt,  nniette^  haletante  ,  la  foide  des  fembies  qui 
attendaient  dans  une  horrible  anxiété.  Et  puis,  à 
mesure,  éclataient  avec  tme  étrwge  variété  d'ind^ 
dents  les  plus  pathétiques,  les  sanglots  du  désespoir. 
Nulle  scène  de  ce  genre  n'avait  lieu  sans  jeter  dans 
rime  des  spectateurs  un  nouveau  levain  de  ven- 
geance; des  jeunes  gêna  reprenaient  la  piqlie«  ren-» 


eo  dëfunce  et  fuheur  du  peuple.  - 

traient  dans  Paris  pour  taer...  Qui  tuer,  où  et  com- 
ment? c*était  toute  la  question.  Ils  allaient  à  TAb- 
baye ,  où  étaient  les  officiers  suisses.  Us  allaient  à 
l'assemblée  nationale  où  cent  cinquante  soldats 
suisses  avaient  trouvé  un  asile.  On  avait  beau  leur 
expliquer  que  ces  soldats  avaient  tiré  malgré  eux,  que 
d'autres  avaient  tiré  en  Tair,  que  d'autres  enfin,  ceux 
par  exemple  qu'on  amena  de  Versailles,  étaient  même 
absents  à  l'beure  du  combat.  Ils  venaient  aveugles  et 
sourds,  l'oreille  pleine  des  sanglots  des  veuves,  les 
yeux  pleins  de  la  rouge  vision  des  tombereaux  com- 
bles de  sang.  Ils  ne  voulaient  que  du  sang,  et  heur* 
taient  leurs  lètes  aux  portes. 

La  Commune,  sortie  de  la  fureur  du  10  août,  n'é- 
tait pas  pour  s'opposer  à  ces  mouvements  de  ven- 
geance. Elle  prit,  le  matin  du  1 1,  une  mesure  vrai- 
ment sinistre.  La  prison  de  l'Abbaye,  qui  renfermait 
les  officiers  suisses ,  était  fortement  menacée ,  en- 
tourée de  rassemblements  ]  malgré  l'Assemblée  natio- 
nale, qui,  pour  sauver  les  soldats,  les  envoyait  au  Pa- 
lais Bourbon ,  la  Commune  décida  qu'ils  iraient  à 
l'Abbaye.  Et  cela  fut  fait. 

Il  y  avait  dans  cette  Commune  des  éléments  très* 
divers.  Une  partie,  la  meilleure,  étaient  des  hommes 
simples,  grossiers,  naïvement  colériques,  qui  n'étaient 
pas  incapables  de  sentiments  généreux;  malheureu- 
sement ils  suivirent  jusqu'au  bout  la  pensée  brutale 
et  stupide  :  En  finir  avec  Vennemù  Mais  le  meurtre  ne 
finit  rien.  Les  autres  étaient  des  fanatiques,  fanati- 
ques d'abstractions,  géomètres  politiques ,  prêts  à  ro- 


LA  coimime  oiicanb  be  cette  fureur.  ec 

gner  par  le  fer  ce  qui  défuissait  la  ligoe  précise  du 
coDtoar  qu'ils  s^étaieot  tracé  au  compas.  Enfin ,  et 
c'était  le  pire  élément,  il  y  avait  des  bavards,  des 
harangueurs  étourdiment  sanguinaires  (de  ce  genre 
était  Tallien),  il  y  avait  de  méchants  petits  scribes, 
natures  basses  et  aigres,  irrémédiablement  mau- 
vaises,  sans  mélange  et  sans  retour,  parce  qu'elles 
étaient  légères,  sèches,  vides,  de  nulle  consistance. 
Ces  fouines  &  museau  pointu,  propre  à  tremper  dans 
le  sang,  se  caractérisent  par  deux  noms  :  Tun,  Chau* 
mette,  étudiant  en  médecine  et  journaliste;  l'autre, 
Hébert,  vendeur  de  contremarques  &  la  porte  des 
spectacles,  qui  rimait  des  chansonneUes,  avant  de 
devenir  horriblement  célèbre  sous  le  nom  de  père 
Dachène. 

Ces  scribes  furent  tout  d'abord  la  cheville  ouvrière 
de  la  Commune.  Du  1 1  août  au  2  septembre,  elle 
appela  dans  son  sein  le  scribe  des  scribes,  le  fol  des 
folSy  Marat,  Robespierre.  Tous  deux  sortirent  de 
leurs  trous,  et  siégèrent  à  la  Commune. 

Le  matin  du  1 1 ,  la  Commune  envoya  à  l'Assemblée 
deux  de  ses  membres  lettrés,  Hébert,  et  Léonard 
Bourdon,  un  régent,  pédant  furieux,  qui  fonda 
une  pension  selon  les  institutions  de  Lycurgue.  En 
allant,  ils  ne  purent  se  dispenser  de  monter  chez  le 
maire,  Pélion,  qui  était  encore  au  lit.  Us  trouvèrent 
là  Brissot,  qui  vint  à  eux,  tout  ému  :  a  Quelle  est 
donc  cette  fureur?  dit-il.  Quoi I. les  massacres  ne 
finiront  pas?»  Pétion  parla  dans  le  même  sens. 
Hébert  et  Bourdon  baussèreut  les  épaules^  et  s  en 


ai  sEvniiBirrs  cemuMcrouiis  wa  vhmb, 

alIèrMi  sms  rien  dira.  Ils  ont  depuis  acouaé  cette 
raiblesfle  de  Pétion  et  de  Briasot,  cette  sensibilité  oou^ 
pible,  pour  les  conduire  à  la  mort. 

La  Conmune,  sans  doute  sur  leur  avis,  sentant 
combien  Pétion  pouvait  être  embarrassant  dans  les 
grandes  nuMures  dé  haute  politique  qu'elle  se  propo-- 
sait  de  prendre ,  fit  savoir  à  T  Assemblée ,  que  dans  sa 
tendre  inquiétude  pour  la  vie  si  précieuse  de  ce  bon 
maire  de  Paris,  de  ce  père  du  peuple,  etc.,  etc.» 
dans  la  crainte  qu'il  ne  tombât  sous  le  poignard  roya^ 
liste ,  elle  avait  mis  à  ses  côtés  deux  agents  pour  le 
suivre  partout,  sans  le  perdre  de  vue,  et  le  garder 
jour  et  nuit. 

Cette  violence  hypocrite  contrastait  avec  la  sensi* 
bilitè  naïvement  exaltée  que  montrait  partout  le  peu- 
ple. Malheureusement  sa  sensibilité  se  trahissait  par 
deux  eSe\A  tout  contraires. 

Les  uns,  émus  de  pitié  pour  les  familles  en  deuil, 
pour  ce  grand  désastre  privé  et  public,  voulaient  jmm 
tice  et  vengeance,  une  punition  exemplaire  ;  si  1»  Um 
ne  la  faisait  pas,  ils  allaient  la  faire  eux-mômes. 

Les  autres,  émus  d'intérêt  pour  des  hommes  dés« 
armés,  qui,  fussent-ils  coupables,  ne  devaient,  apréa 
tout,  être  frappés  que  parla  loi,  voulaient  à  tout  prix 
sauver  leura  ennemis,  sauver  l'humanité,  rfaooneur 
de  la  France. 

Ces  mouvejnents  contradictoires  de  sensibilité,  \q^ 
humaine,  là  furieuse,  se  trouvèrent  plus  d'une  £>is, 
chose  biianre,  danslesmémes  peraonnes.  Les  tribunet 
de  l'AsseuAlée  étaient  pleilkea  d'hommes  hors  d'eui-^ 


s^ovu  ET  fORUpx  ((0  àoin).  n 

mèfûi^i  qiai  ét«ieot  v^m»  topt  exprès  poiiF  oMenip  dov 
\m  4^  aang-  IfCis  Suisse^  étaient  là  trpmblflpts  âtm 
la$  b^timeqts  d08  F9i)îlI»Qt9,  et  te  foule  aux  tribunaii 
fMii  OQui^y  dans  les  rues  voisioe^,  attaodant  sa  ppoie. 
Un  député  01  remarquer  que  «es  ÎDfortiinés  Suis«e« 
B'avaieut  pas  mangé  depuis  treute  heures;  les  tal-^ 
bunes  Turent  émue^.  Uq  brave  borame  vint  à  la  barrQ 
et  dit  qu'il  priait  les  tnbuoes  de  l'aider  à  sauver  les 
puisses,  de  venir  avec  lui  pour  faire  entendre  raison 
à  la  foule  du  dehors.  Tous  le  suivirent;  ils  arraché^ 
rent  des  mains  du  peuple  plusieurs  Suisses  qu'il  te-* 
naît  déjà,  rentrèrent  avec  ces  malheureux;  ce  fut 
la  scène  la  plus  extraordinaire  et  la  plus  attendris-» 
santé  ;  les  victimes  se  jetèrent  dans  les  bras  de  ceux 
qui  naguère  demandaient  leur  niort  et  qui  les  avaient 
délivrés  ;  les  Suisses  levaient  les  mdips  au  oiel,  fai* 
saient  serment  à  la  cause  du  peuple  et  se  donnaient 
à  la  France. 

Le  ministre  de  la  justice ,  Danton,  se  montra  très- 
4igne  de  ^  position  nouvelle,  en  se  portant  pour  dé- 
fenseur des  droits  de  l'humanité.  .11  exprima  devant 
l'Assemblée  nationale  une  pensée  de  sévérité  magna- 
nime qui  était  au  cœur  des  vrais  vainqueurs  du 
10  août  :  «  Ob  commence  l'action  de  la  justice,  là 
doivent  cesser  les  vengeances  populaires.  Je  prends, 
devant  TAssemblée  nationale,  l'engagement  de  pro^ 
léger  les  hommes  qui  sont  dans  son  enceinte;  je  mar- 
cherai à  leur  tète»  et  je  réponds  d'eux.  ». 

L^  justice,  c'était  en  effet  le  seul  remède  à  la  v§n« 
geaoce.  l\  y  <|vait  là  toqte  ^ne  popuIaM^u  «Mspér^^ 


64  DANGER  DE  LA  SITUATION  (11  AOUT  92> 

de  ses  pertes.  Si  la  robe  de  César,  montrée  aux  Ro* 
mains,  fut  un  signal  de  massacre,  qu'était-ce  de  la 
robe  du  peuple,  de  la  chemise  sanglante  des  victimes 
du  10  août,  partout  reproduite  et  multipliée,  partout 
étalée  aux  yeux  indignés,  avec  la  légende  terrible  de 
la  trahison  des  Suisses,  et  ce  mot  des  honnêtes  fédérés 
bretons  qui  courait  partout  :  «  Nous  avions  encore  la 
bouche  à  leur  joue...  ils  nous  ont  assassinés!...  » 

Ceux  que  l'on  accusait  ainsi  étaient-ils  regardés 
du  peuple  comme  des  prisonniers  ordinaires  ou 
comme  des  criminels  ?  Après  la  victoire,  après  la  ba- 
taille ,  le  danger  passé,  le  vainqueur  prend  pour  les 
prisonniers  un  sentiment  de  clémence;  mais  la  ba- 
taille durait.  Le  grand  parti  royaliste,  quelque  coup 
qu'il  eût  reçu ,  restait  tout  entier.  Aux  royalistes 
purs  il  fallait  joindre  la  masse  des  royalistes  con- 
stitutionnels, les  vingt  mille  bourgeois  qui  avaient 
signé  la  protestation  contre  le  20  juin,  et  s'étaient 
ainsi  compromis  pour  le  Roi  sans  retour.  Personne, 
même  après  le  10  août,  ne  voyait  bien  nettement  à 
qui,  en  dernier  lieu,  resterait  l'avantage.  Le  10, 
beaucoup  avaient  eu  peur  de  ne  pas  être  vus  avec  les 
vainqueurs.  Le  11,  beaucoup  avaient  peur  d'être 
obligés  de  garder  le  Roi.  Santerre,  le  nouveau  com- 
mandant do  la  garde  nationale,  ne  trouvait  nulle 
obéissance;  deux  adjudants  refusèrent  positivement 
d'aller  garder  le  Roi  aux  Feuillants.  Santerre  fut 
obligé  d'avouer  à  la  Commune  :  «  Que  la  diversité 
des  opinions  faisait  qu'il  avait  peu  de  force.  >  Et  en 
même  temps  un  député,  Thuriol,  vint  déclarer  qu'il 


LE  ROI  PRISONNIER,  ENFERMÉ  AU  TEMPLE.  65 

avait  connaissance  d'un  projet  pour  enlever  la  famille 
royale. 

La  Commune,  par  l'organe  de  son  procureur, 
Manuel,  déclara  à  l'Assemblée  que  si  l'on  mettait  le 
Roi  au  Luxemboui^,  ou,  comme  on  voulait  encore, 
au  ministère  de  la  justice,  elle  n'en  répondait  plus. 
L'Assemblée  lui  donna  le  soin  de  choisir  le  lieu ,  et 
elle  choisit  le  Temple,  donjon  isolé,  vieille  tour,  dont 
on  refit  le  fossé.  Cette  tour,  basse,  forte,  sombre, 
lugubre ,  était  l'ancien  Trésor  de  l'ordre  des  Tem- 
pliers. C'était,  depuis  longtemps,  un  lieu  délabré,  à 
peu  près  abandonné.  Lieu  marqué  d'une  bizarre  fa- 
talité historique.  La  royauté  y  brisa  le  moyen-âge , 
par  la  main  de  Philippe-le  Bel.  Et  elle-même  y  revint 
brisée  avec  Louis  XVI.  Cette  laide  tour,  dont  on  ne 
savait  guère  le  sens  ni  Tancienue  destination^  se 
trouvait  là  tout  étrange,  comme  un  hibou  au 
grand  soleil,  dans  un  quartier  fort  populeux.  C'était, 
comme  aujourd'hui  du  reste,  un  quartier  d'industrie 
pauvre,  de  commerce  misérable,  de  revendeurs, 
de  brocanteurs,  de  petits  métiers  exercés  par  des  fa- 
bricants ^ouvriers  eux-mêmes.  L'enclos  du  Temple 
s'était  d'autant  plus  aisément  peuplé  de  ces  petites 
industries  qu'il  recevait  les  ouvriers  sans  patente, 
non  autorisés,  qui ,  sous  l'abri  de  l'antique  privil^e 
du  lieu,  vendaient  librement  aux  pauvres  du  mauvais, 
du  vieux,  tellement  quellement  rajusté.  Cet  enclos, 
par  un  effet  de  ce  triste  privilège,  avait  aussi  servi 
d'asile  aux  banqueroutiers  effrontés,  qui,  selon  la  loi 
énergique  du  moyen-Age,  payaient  leurs  dettes  sans 

IV. 


06  LA  COMMUNE  EXIGE  LA  CRÉATION 

argent,  «  en  prenant  le  bonnet  vert^  et  frappant  du  cul 
sur  la  pierre  >.  Chute  rapide  et  cruelle.  Louis  XVI, 
encore  roi  le  10,  s'il  demeurait  au  Luxembourg,  ré- 
sidence ordinaire  des  princes,  —  prisonnier  avoué  le 
11,  s'il  était  mis  sous  la  clef  du  ministère  de  la  jus- 
tice, —  semblait  au  Temple  le  captif  de  la  faillite 
royale  et  le  banqueroutier  de  la  monarchie. 

Louis  XYI  était  un  otage;  sa  vie  importait  à  la 
France.  Il  semblait  en  sûreté.  Tous  alors,  même  les 
plus  violents,  auraient  défendu  une  tète  si  précieuse. 
La  vengeance  populaire,  arrêtée  de  ce  côté,  se  re- 
tournait d'autant  plus  furieuse  coi^tre  les  autres  pri- 
sonniers. Le  seul  moyen  peut-être  qui  restât  de  les 
soustraire  à  un  massacre  indistinct,  c'était  de  les  pré- 
senter comme  prisonniers  de  guerre,  de  les  soumet- 
tre à  un  jugement  militaire  qui  frapperait  uniquement 
ceux  qui  avaient  commandé,  sauverait  la  foule  de 
ceux  qui  n'avaient  fait  qu'obéir.  Un  ancien  militaire, 
le  député  Lacroix,  proposa  à  l'Assemblée  de  faire 
nommer,  par  le  commandant  de  la  garde  nationale, 
une  cour  martiale,  qui  jugerait  sans  désemparer  les 
Suisses,  officiers  et  soldats.  La  part  principale  que 
les  fédérés,  Marseillais,  Bretons,  presque  tous  anciens 
soldats,  avaient  eue  à  la  victoire,  aurait,  sans  nul 
doute,  obligé  de  prendre  les  juges  surtout  parmi  eux. 
Ces  militaires  se  seraient  montrés  plus  indulgents 
pour  un  délit  militaire,  que  des  juges  populaires,  tirés 
d'une  foule  ivre  de  vengeance.  Ceci  n'est  point  une 
supposition,  mais  une  induction  légitime.  La  plupart 
des  fédérés  de  Marseille,  loin  de  partager  la  fureur 


D*UN  TRIBUNAL  BXTRAORDltlAliiE  (11-17  AOUT  92).  67 

coiBiBaiiey  déclarèrent  qu'ils  ne  considéraient  plus  les 
vaincus  comme  ennemis,  demandèrent  à  l'Assemblée 
la  permissiou  d'escorter  les  Suisses  et  de  leur  faire  un 
rempart  de  leur  corps.  Soldats,  ils  comprenaient  bien 
mieux  la  vraie  position  du  soldat,  l'inexorable  néces- 
sité delà  discipline  qui  avait  pesé  sur  ces  Suisses,  et 
les  avait  rendus  coupables  malgré  eux. 

Lacroix,  qui  donna  ce  conseil,yiolent  enapparence, 
humain  en  réalité,  de  faire  juger  immédiatement  les 
vaincus  par  une  cour  martiale,  était  un  homme  trop 
secondaire  pour  que  nous  ne  cherchions  pas  plus 
haut  à  qui  appartient  l'initiative  réelle  de  cette  grande 
mesure.  Lacroix  était  alors  dans  les  rangs  de  la  Gî* 
ronde,  maïs  déjà,  et  de  plus  en  plus,  uni  d'esprit  à 
Danton.  Ce  qu'ils  avaient  de  commun ,  c'était  la  fa- 
cilité de  caractère,  l'amour  delà  vie,  du  plaisir;  tous 
deux  étaient  des  hommes  d'énergie,  et  sous  des  for* 
mes  âpres,  violentes,  nullement  ennemis  de  l'hu- 
manilé.  Je  ne  crois  pas  que  la  proposition  aK  été 
inspirée  par  les  Girondins,  qui  n'aimaient  point  les 
formes  militaires.  Les  Montagnards,  en  général, 
ne  les  aimaient  pas  davantage,  Robespierre  pas  plus 
que  Brissot.  Je  serais  porté  b  croire  que  Lacroix  ex- 
primait la  pensée  de  Danton. 

Ce  qui  ferait  supposer  que  cette  mesure  eût  épar- 
gné le  sang,  c'est  que  la  Commune  la  repoussa.  Pla- 
cée au  centre  même  de  la  fermentation  populaire, 
loin  de  calmer  l'esprit  de  vengeance',  elle  allait  tou-- 
jours  l'irritant.  Elle  n'osait  dire  nettement  qu'elle 
craignait  de  trouver  les  fédérés  militaires  trop  gé* 


68  INFLUENCE  DE  MARAT 

néreux  pour  les  vaincus;  le  13,  elle  demanda  seu* 
lement  qu'au  lieu  de  cour  martiale,  on  créât  un 
tribunal  y  formé  en  partie  de  fédérés^  en  partie  de 
sectionnaires parisiens.  — Le  15,  elle  s'enhardit,  ne 
parlaplus  de  fédérés ,  demanda  que  le  jugement  se  ftt 
par  des  commissaires  pris  dans  chaque  section.  Ceux 
qu'on  choisissait  dans  un  tel  moment  ne  pouvaient 
guère  manquer  d'être  les  plus  violents  des  sections , 
et  probablement  les  membres  mêmes  de  la  Commune. 
En  d'autres  termes,  la  Commune  priait  l'Assemblée 
de  charger  la  Commune  même  de  juger  à  mort  tous 
ceux  qu^on  avait  arrêtés  et  ceux  qu'on  arrêterait. 
Quelle  limite  dans  cette  route?  On  ne  pouvait  le  pré- 
voir. Dès  le  12,  une  bande  de  pétitionnaires  était  ve- 
nue sur  les  bancs  même  de  l'Assemblée  nationale 
désigner  un  député  comme  traître,  et  demander  qu'on 
le  mit  en  accusation. 

Rien  n'étonne  de  la  Commune ,  quand  on  sait  l'é- 
trange oracle  qu'elle  commençait  à  consulter.  Le 
10,  au  soir,  une  troupe  effroyable  de  gens  ivres  et 
de  polissons  avaient,  à  grand  bruit,  apporté  à  l'Hôtel- 
de-Ville  l'homme  des  ténèbres,  l'exhumé,  le  ressus- 
cité ,  le  martyr  et  le  prophète ,  le  divin  Marat.  C'était 
le  vainqueur  du  10  août,  disaient-ils.  lis  l'avaient 
promené  triomphalement  dans  Paris ,  sans  que  sa 
modestie  y  ftt  résistance.  Ils  l'apportèrent  sur  les  bras, 
couronné  de  lauriers ,  et  le  jetèrent  là,  au  milieu 
du  grand  conseil  de  la  Commune.  Plusieurs  rirent; 
beaucoup  frémirent  ;  tous  furent  entraînés.  Lui  seul 
il  n'avait  aucun  doute,  ni  hésitation,  ni  scrupule. 


SUR  LA  COMMUNE  (AOUT  92).  ®9 

La  terrible  sécurité  d'un  fol  qui  ne  sait  rien  ni  des 
obstacles  du  monde,  ni  de  ceux  de  la  conscience, 
reluisait  en  sa  personne.  Son  front  jaune ,  son  vaste 
rictus  de  crapaud  souriait  efiroyablement  sous  sa  cou- 
ronne de  laurier.  Dès  ce  jour,  il  fut  assidu  à  la  Com- 
mune, quoiqu'il  n'en  fût  pas  membre,  y  parla  tou- 
jours plus  haut.  Les  politiques  eurent  à  songer  s'ils 
suivraient  jusqu'au  bout  un  aliéné.  Mais ,  comment , 
devant  cette  foule  furieuse,  oser  contredire  Marat? 
Danton  ne  l'eût  pas  osé  ;  seulement ,  il  venait  peu  à  la 
Commune.  Robespierre,  qui  y  siégeait,  l'osait  encore 
moins.  La  chose  lui  dut  coâter.  La  Commune  prit 
plusieurs  décisions  vraiment  étonnantes,  celle-ci, 
entre  autres ,  évidemment  dictée  par  Marat  :  «  Que 
désormais  les  presses  des  empoisonneurs  royalistes 
seraient  confisquées,  adjugées  aux  imprimeurs  pa* 
triotes.  o  Avant  même  que  ce  bel  arrêt  ne  fût  rendu, 
Marat  l'avait  exécuté.  Il  avait  été  tout  droit  à  l'Impri- 
merie royale,  déclarant  que  les  presses  et  les  carac- 
tères de  cet  établissement  appartenaient  au  premier, 
au  plus  grand  des  journalistes,  et,  ne  s'en  tenant  point 
aux  paroles,  il  avait,  par  droit  de  conquête,  pris 
telle  presse  et  tel  caractère,  emporté  le  tout  chez 
lui. 

L'Assemblée  avait  donc  ii  décider  si  elle  remettrait 
à  cette  Commune,  ainsi  gouvernée,  le  glaive  de  la 
justice  nationale.  Quelle  serait  cette  justice?  Les  uns 
voulaient  un  tribunal  vengeur,  rapide,  expéditif.  Ma- 
rat préférait  un  massacre.  Cette  idée,  loin  de  rien 
coûter  à  sa  philanthropie,  en  était,  disait-il,  le  si- 


70       CRÉATION  DU  TM8UNAL  EtTRAORDIliAIBB  (47  AOUT  9f). 

gne  :  c  On  me  conteste,  disait-i),  le  titre  de  phîIaD-» 
thrope.«.  Ahl  quelle  injustice!  Qui  ne  voit  que  je 
veux  couper  un  petit  nombre  de  tètes  pour  en  sauver 
un  grand  nombre?...  »  11  yariait  sur  ce  petit  nombre; 
dans  les  derniers  temps  de  sa  vie,  il  s*était  arrêté ,  je 
ne  sais  pourquoi,  au  chiffre  minime,  en  vérité,  de 
273,000. 

.  Le  tribunal  de  vengeance  pouvait  éviter  le  massa* 
cre.  La  Commune,  par  la  voix  de  Robespierre,  en 
demanda  à  l'Assemblée  la  création  immédiate.  Pré- 
sentée avec  des  formes  adoucies,  des  ménagements 
insidieux,  mêlés  de  menaces,  la  proposition  fut  reçue 
dans  un  grand  silence.  Un  seul  député  (Chabot)  se 
leva  pour  Tappuyer.  Et  pourtant  elle  passa.  On  es«* 
péra  éluder  la  proposition  dans  l'application  ;  on  la 
décréta  en  principe. 

Dès  ce  moment,  d* heure  eu  heure,  des  pétitions 
menaçantes  vinrent  exiger  rcxécution  du  décret 
rendu.  En  une  soirée,  trois  députations  de  la  Com-- 
mune  se  succédèrent  à  la  barre.  La  troisième  alla 
jusqu'à  dire  :  «  Si  vous  ne  décidez  rien,  nous  allons 
attendre.  »  Le  17,  une  nouvelle  députation  vint  dire  : 
c  Le  peuple  est  las  de  n'être  pas  vengé;  craignes 
qu'il  ne  se  fasse  justice.  Ce  soir,  à  minuit,  le  tocsin 
sonnera.  Il  faut  un  tribunal  criminel  aux  Tuileries, 
un  juge  par  chaque  section.  Louis  XVI  et  Antoi- 
nette voulaient  du  sang  ;  qu'ils  voient  couler  celui 
de  leurs  satellites.  » 

A  cette  violence  brutale,  le  jacobin  Choudieu,  Thu- 
riot,  ami  de  Danton,  répondirent  par  les  plus  nobles 


DANGER  DE  LA  FKANCE  ;  LONGWY  ASSIÉGÉ  (fD  AOUT).  7i 

paroles.  Le  premier  dit  :  «  Ceux  qui  viennent  crier 
ici  ne  sont  pas  les  amis  du  peuple;  ce  sont  ses 
flatteurs...  On  veut  une  inquisition;  j'y  résisterai 
jusqu'à  la  mort...  » 

Et  Tburiot,  un  mot  sublime  :  «  La  révolution  n'est 
pas  seulement  à  la  France;  nous  en  sommes  comp- 
tables à  rhumanité.  » 

A  ce  moment  entrent  les  sectionnaires  que  laCom- 
mune  chai^eait  de  former  les  jurys.  L'un  d*eux  : 
«  Vous  êtes  comme  dans  les  ténèbres  sur  ce  qui  se 
pssse.  Si ,  avant  deux  ou  trois  heures,  le  directeur 
du  jury  n'est  pas  nommé,  si  les  jurés  ne  sont  pas  en 
état  d'agir,  de  grands  malheurs  se  promèneront  dans 
Paris,  h 

L'Assemblée  obéit  sur  Vbeure.  Elle  vota  la  créa- 
tion d'un  tribunal  extraordinaire.  Toutefois  avec  une 
précaution,  l'élecUon  à  deux  degrés,  comme  pour 
les  députés;  le  peuple  nommait  un  électeur  par  sec- 
tioD,  et  ces  électeurs  nommaient  les  juges. 

Les  noirs  nuages  du  dehors,  l'orage  de  la  frontière, 
couvraient,  il  faut  le  dire,  l'intérieur  comme  d'un 
voile  Dûîr  ;  de  moins  en  moins  on  distinguait  l'image 
de  la  justice.  Des  lettres  arrivaient,  comme  autant 
de  cris  des  villes  frontières,  comme  les  coups  du 
canon  d'alarme  que  tirait  de  moment  en  moment  le 
vaisseau  national  qui  semblait  sombrer  sous  voiles. 
C'était  Thiouville,  c'était  Sarrelouvs,  qui  criaient  à 
l'Assemblée.  La  première  disait  qu'abandonnée  de  la 
France,  elle  se  ferait  sauter  avant  que  d'ouvrir  ses 
portes.  Les  Prussiens  étaient  partis  de  Coblentz  le 


72  NËNAGKS  DE  LAFAYETTE,  SA  FUITE. 

30  juillet,  avec  un  corps  magnifique  de  cavale- 
rie d'émigrés,  quatre-vingt-dix  escadrons.  Le  18 
août,  les  Prussiens  opérèrent  leur  jonction  avec  le 
général  autrichien  Clairfayt.  L'armée,  combinée, 
forte  de  cent  mille  hommes,  investit  Longwy  le  20 
août. 

Et  quelle  dérense  à  Tintérieur?  Merlin  de  Thion* 
ville  dit  dans  TAssemblée,  qu'au  comité  de  surveil- 
lance il  y  avait  quatre  cents  lettres,  prouvant  que  le 
plan  et  l'époque  de  Vinvasion  étaient  dès  longtemps 
eonnus  à  Paris.  En  réalité,  la  reine,  et  beaucoup  de 
royalistes  avaient  l'itinéraire  de  l'ennemi,  le  regar- 
daient marcher  sur  la  carte,  et  le  suivaient  jour  par 
jour. 

Lafayette  semblait  ne  voir  d'ennemis  que  les  Jaco- 
bins. Par  une  adresse,  il  appelait  son  armée  à  rétablir 
la  Ck)nstitution,  défaire  le  10  août,  rétablir  le  Roi. 
Ceci  équivalait  à  mettre  l'étranger  à  Paris.  Il  n'y  a 
aucun  exemple  d'une  telle  infatuation.  Heureuse- 
ment, il  ne  trouva  aucun  appui  dans  son  armée.  Il 
passa  les  troupes  en  revue,  n'entendit  nul  autre  cri 
que  :  Vive  la  nation  !  Il  se  vit  seul,  et  n'eut  d'autres 
ressources  que  de  passer  la  frontière.  Les  Autrichiens 
lui  rendirent  le  service  essentiel  de  l'arrêter,  et  par 
là,  ils  le  réhabilitèrent.  Sans  cette  captivité,  il  était 
perdu;  une  ombre  très- fâcheuse  serait  restée  sur  sa 
mémoire. 

Le  18,  l'Assemblée  l'avait  décrété  d'accusation. 
Le  commandement  de  l'Est  fut  donné  à  Dumou- 
riez;  et  dans  le  Nord,  Lukner  fut  remplacé  par 
Kellermann, 


PenilETÉ  MAGNANIHE  DE  DANTOX  (AOUT  92).  75 

Le  même  jour,  le  18,  le  tribunal  extraordinaire 
était  déjà  organisé.  Danton  saisit  Toccasion,  et  crut 
couper  court  aux  vengeances.  Dans  une  adresse  ad- 
mirable où  Ton  croit  sentir,  avec  le  grand  cœur  de 
Danton,  le  talent  de  ses  secrétaires,  Camille  Desmon- 
lin,  Fabre  d'Ëglantine,  il  posa  le  droit  révolution- 
nure,  le  droit  du  10  août,  frappa  la  royauté  sans 
retour,  établissant  qu'elle  avait  trahi  jusqu'à  ses  pro- 
presamis.  Mais,  en  même  temps,  sous  les  termes  de 
la  Terreur  même,  il  posait,  pour  l'ordre  nouveau,  les 
bases  de  la  justice. 

Ce  discours,  tout  à  la  fois  inspiré  et  calculé,  faisait 
la  part  aux  deux  puissances,  Fune,  la  Commune  de 
Paris»  0  sanctionnée  par  TAssemblée  nationale;» 
l'autro,  l'Assemblée  elle-même,  Danton  la  relevait 
généreusement  :  «  Félicitons-la,  disait-il,  de  ses  dé- 
crets libérateurs.  » 

Par  un  remarquable  esprit  de  prévoyance,  il  signa- 
lait de  loin  le  mal  social,  bien  autrement  profond,  que 
couvrait  l'agitation  révolutionnaire;  aux  premiers 
grondements  souterrains,  que  personne  n'entendait 
bien  encore,  ce  pénétrant  génie  devinait»  signalait 
le  volcan.  Chose  étonnante  !  dans  ce  discours  prophé- 
tique, Danton  s'occupe  de  Babœuf,  le  voit  en  esprit  ; 
celui  qui  ne  doit  se  montrer  que  quand  tous  les 
grands  hommes  de  la  Révolution  seront  couchés  dans 
la  terre,  il  le  voit  et  le  condamne,  laissant  à  la  so- 
ciété, pour  se  défendre  un  jour,  l'autorité  de  son 
nom:  «Toutes  mes  pensées,  dit-il,  n'ont  eu  pour 
objet  que  la  liberté  politique  et  individuelle,  le  main- 


74  PREMIERS  NOUVEMEIiTS  DE  LA  VBHOÉE  (AOUT  92). 

tien  des  lois ,  la  tranquillité  publique  y  l'unité  des 
quatre-vingt-trois  départements,  la  splendeur  de 
l'État,  la  prospérité  du  peuple  français,  et  non  Véga-- 
liié  impossible  des  biensy  mais  une  égalité  de  droits  et 
de  bonheur.  » 

Au  total,  dans  cette  adresse*  habilement  violente, 
parmi  la  foudre  et  les  éclairs  du  10  aoAt,  Danton 
proclamait  tout  ce  que  la  situation  pouvait  comporter 
de  raison  et  de  justice.  Il  constatait  l'union  des  pou- 
voirs publics,  la  sienne  même  lavec  la  Gironde;  il  di- 
sait qu'il  n'adressait  aux  tribunaux  d'autres  reproches 
que  ceux  que  le  ministre  de  l'intérieur,  Roland, 
adressait  aux  corps  administratif^.  Il  s'associait  à  la 
passion  populaire,  de  manière  à  la  calmer,  deman- 
dait aux  tribunaux  la  sévérité,  qui  seule,  dans  un  tel 
moment,  pouvait  amener  dans  les  cœurs  une  réaction 
de  la  clémence.  L'adresse  finissait  par  cette  grave 
parole  :  «  Que  la  justice  des  tribunaux  commence, 
la  justice  du  peuple  cessera.  » 

L'Assemblée  parut  un  moment  animée  de  cet  esprit. 
Tout  était  sauvé,  si  elle  prenait  d'une  main  ferme, 
comme  Danton  le  demandait,  le  drapeau  de  la  Révo-* 
lution,  le  portait  devant  le  peuple.  Elle  frappa  deux 
gi*ands  coups  révolutionnaires  :  sur  les  noAlei,  la  sé- 
questration des  biens  des  émigrés,  qui  entraient  en 
armes  en  France;  sur  les  prêtres  non  assermentés, 
l'expulsion  sous  quinze  jours.  Cette  dernière  mesure 
ne  semblait  pas  trop  violente,  quand  on  apprenait 
que  la  Vendée,  que  les  Deux-Sèvres,  incendiées  de 
leurs  prédications,  venaient  de  prendre  les  armes. 


LE  NOUVEAU  TMBOMAL  ACCUSÉ  DE  FéNCllONMER  LENTEMENT.    15 

L'iodignatioD  monta  à  ce  poiot,  que  Yergoiaud, 
rbomme  humain  entre  tous,  proposa  de  déporter  les 
réfraetaires  à  la  Guiane. 

Ces  sévénlés  ne  suilisaient  pas  à  la  Commune.  Les 
supplices  qui  commencèrent  ne  la  calmèrent  même 
paa.  Le  tribunal  extraordinaire,  sans  sursis  et  sans 
appel,  créé  le  18,  jugea  le  19  et  le  20;  le  21,  au 
soir,  un  royaliste  fut  guillotiné  sur  la  place  du  Car* 
rousel.  L'exécution  aux  flambeaux,  devant  la  noire 
façade  du  palais,  encore  tachée  du  massacre,  fut 
du  plus  sinistre  effet.  Le  bourreau  lui-même,  tout 
habitué  qu'il  fût  à  de  tels  spectacles,  n'y  résista  pas. 
Au  moment  où  il  teuait  la.  tète  du  supplicié,  et  la 
montrait  au  peuple  du  haut  de  l'échafaud,  lui-même 
tomba  à  la  renverse.  On  courut  à  lui,  il  était  mort. 

Cette  scène  terrible,  l'exécution  de  Laporte,  le 
Gdèle  eonfldent  de  Louis  XVI,  remuèreut  profondé- 
ment. Laporte  avait  été  le  principal  agent  des  cor- 
ruptions de  la  cour;  il  n'avait  qu'une  excuse,  d'avoir 
obéi.  Avec  cela,  comme  homme  privé,  il  était  estimé, 
aimé.  Sa  tète  blanche  ne  tomba  pas  sans  laisser  quel- 
que pitié.  La  Chronique  de  Parts,  journal  de  Cuu- 
dorcet,  essaya,  à  cette  occasion,  d'adoucir  les  cœurs. 

11  semble  que  la  Commune  eût  pu  être  assez  con- 
lenle  du  nouveau  tribunal  qu'elle  avait  demandé, 
créé,  choisi.  11  ne  donnait  guère  moins  d'une  tête 
par  jour.  On  gémissait  pourtant  de  sa  lenteur,  et 
il  crut  devoir  s'en  justifier.  Dans  une  précieuse 
brochure ,  les  membres  du  tribunal  expliquent  l'é- 
norme travail  qu'ils  se  sont  imposé  pour  obtenir 


75  NOIYELLE  DE  LA  PRISE  DE  L03i€WY. 

d*aussi  satisraisants  résultais.  En  conscience,  disent- 
ils,  on  ne  peut  aller  plus  vite.  La  brochure  est  signée 
de  noms  qui,  seuls,  parlent  assez  haut,  entre  autres 
de  Fouquier-TinYÎUe. 

Mais  le  juge  le  plus  âpre  n'était  pas  ce  qu'on  vou- 
lait ;  on  désirait  un  massacre.  Le  23,  au  soir,  une  dé- 
putation  de  la  Commune,  suivie  d'une  tourbe  de 
peuple,  vint,  vers  minuit,  dans  TÂssemblée  natio- 
nale, et  dit  ces  paroles  furieuses  :  «  Que  les  prison- 
niers d'Orléans  devaient  éire  amenés  pour  subir  leur 
supplice.  »  Ils  ne  disaient  pas  :  Pour  être  jugés,  sem- 
blant considérer  cette  formalité  comme  absolument 
superflue.  Ils  ajoutaient  cette  menace  :  «  Vous  nous 
avez  entendus,  et  vous  savez  que  l'insurrection  est  un 
devoir  sacré.  » 

Le  président  de  l' Assemblée,  Lacroix,  fut  très-beau 
en  ce  moment.  Devant  cette  foule  furieuse  ou  ivre, 
qui  envahissait  la  salle,  à  cette  heure  sombre  de  la 
nuit,  il  parla  avec  la  vigueur  d'un  ami  de  Danton. 
Lacroix  était  un  ancien  militaire,  de  forme  athléti- 
que, d'une  stature  colossale;  il  dit  avec  une  majesté 
calme  :  «  Nous  avons  fait  notre  devoir...  Si  notre 
mort  est  une  dernière  preuve  pour  en  persuader  le 
peuple,  il  peut  disposer  de  notre  vie...  Dites-le  à  nas 
commettants.  )>  Les  plus  violents  jacobins,  Choudieu 
et  Bazire,  parurent  eux-mêmes  indignés  de  ces  me- 
naces; ils  demandèrent,  obtinrent  l'ordre  du  jour. 

Le  25,  au  soir,  on  guillotinait,  au  Carrousel,  un 
pamphlétaire  royaliste;  aux  Tuileries,  on  s'occupait 
des  apprêts  d'une  fêle  nationale,  celle  des  morts  du 


FÊTE  DES  MORTS  DU  iO  AOUT  {tl  AOUT  «J^.        77 

10  août.  Le  bruit  se  répand  dans  TAssemblée,  dans 
Paris,  qoe  la  place  de  Longwy  s'est  rendue  aux 
Prussiens.  Les  volontaires  des  Ardennes  et  de  la 
Côte-d'Or  s'étaient  montrés  admirablement.  Mais  la 
malveillance  avait  annulé ,  caché  tous  les  moyens 
de  défense.  Le  commandant,  au  moment  de  l'atta- 
que» était  devenu  introuvable.  L'Assemblée  reçut  et 
lut  la  lettre  même  par  laquelle  les  émigrés  avaient 
décidé  sa  défection.  La  ville  fut  occupée  par  les 
étrangers  «  Au  nom  de  S.  M.  le  Roi  de  France  »  •  La 
trahison  était  flagrante.  On  décréta  à  l'instant  que 
tout  citoyen  qui ,  dans  une  place  assiégée  y  parlerait 
de  se  rendre,  serait  puni  de  mort.  Trente  mille  hom- 
mes durent  être  immédiatement  levés  dans  Paris  et 
dans  les  départements  voisins.  La  fête  n'en  eut  pas 
moins  lieu,  le  lendemain,  dimanche  27  ;  mais  cette 
fête  des  morts,  pour  un  peuple  qui  se  sentait  trahi  et 
vendu,  se  trouva  en  réalité  la  fête  de  la  vengeance. 

L'ordonnateur  de  la  fête  était  Sergent,  l'un  des 
administrateurs  de  la  Commune,  homme  de  beau* 
coup  de  cœur,  d'une  sensibilité  ardente,  mais  comme 
sont  souvent  les  femmes,  sensible  jusqu'à  la  fureur. 
Graveur  et  dessinateur  médiocre,  il  trouva  ici,  dans 
son  fanatisme,  une  véritable  inspiration.  Jamais  fête 
ne  fut  plus  propre  à  remplir  les  âmes  de  deuil  et  de 
vengeance,  d'une  douleur  meurtrière.  Une  pyramide 
avait  été  élevée  sur  le  grand  bassin  des  Tuileries,  cou- 
verte de  serge  noire^  d'inscriptions  qui  rappelaient 
les  massacres  qu'on  reprochait  aux  royalistes  :  Massa- 
cres de  Nancy,  de  Nimes,  de  Montauban ,  du  Champ- 


de-Mars,  etc.  Cette  pyramide  de  mort,  élevée  dans 
le  jardin,  avait  son  véritable  pendant  au  Carrousel , 
l'instrument  même  de  mort,  la  guillotine.  Et  toutes 
deux  fonctionnaient  de  même  :  Tune  tuait,  l'autre 
semblait  inviter  à  tuer. 

A  travers  des  nuages  de  parfums,  les  victimes  du 
10  août,  les  veuves  et  les  orphelino^»  en  robes  blan- 
ches à  ceintures  noires,  portaient  dans  une  arche  la 
pétition  du  17  juillet  91,  qui  dès-lors  avait  en  vain 
demandé  la  République.  Puis,  venaient  d'énormes 
sarcophages  noirs,  qui  semblaient  contenir,  porter 
des  montagnes  de  chair  humaine.  Puis,  des  bannières 
de  vengeance  qui  demandaient  mort  pour  mort.  En- 
suite, venait  la  Loi,  colossale,  armée  de  son  glaive, 
et  derrière,  les  juges,  tous  les  tribunaux,  en  tète 
le  tribunal  du  17  août.  Derrière  ce  tribunal,  mar- 
chait celle  qui  l'avait  créé,  la  redoutable  Com- 
mune ,  avec  la  statue  de  la  Liberté.  Enfin,  l'Assem- 
blée nationale,  portant  les  couronnes  civiques  pour 
honorer,  consoler  les  morts.  Les  chants  sévères  de 
Chénier,  la  musique,  âpre  et  terrible,  de  Gossec,  la 
nuit  qui  venait,  et  qui  apportait  son  deuil,  l'encens 
qui  montait,  comme  pour  porter  au  ciel  la  voix  de  la 
vengeance,  tout  remplit  les  cœurs  d'une  ivresse  de 
mort,  ou  de  pressentiments  sombres. 

Ce  fut  bien  pis  le  lendemain.  Les  deux  statues  de 
la  Liberté,  de  la  Loi,  ces  figures  adorées  du  peuple, 
qui  le  dimanche  étaient  des  Dieux,  furent  dépouillées 
de  leurs  atours,  tristement  exposées  aux  regards  dans 
les  parties  les  moins  honorables  qu'avaient  voilées  les 


FÊTE  FUNÈBRE  (27  AOUT  92).  79 

draperies,  non  sans  quelques  risées  imprudentes  des 
spectateurs  royalistes.  La  foule  devint  furieuse,  elle 
courut  à  l'Assemblée,  demandant  vengeance,  soute- 
nant que  ce  déshonneur  était  une  conspiration  ;  que 
des  ouvriers  perfides  avaient  honteusement  dénudé 
ses  divinités ,  pour  les  livrer  au  mépris  des  aristo- 
crates. Elle  s'empara  des  statues,  les  habilla  décem- 
ment, les  tratna ,  en  réparation ,  sur  la  place  de 
Louis  XY,  et  là»  leur  rendit  un  culte  plein  de 
frénésie. 


CHAPITRE   111 

L'INVASION.  TERREt^R  ET  FUREUR  DU  PEUPLE. 

(  Fio  d'août.  ) 

Terrear  de  Paris  à  la  nouvelle  de  rinvasion  (aoAt-seplembre  M).  ^  Atlenie 
d*aD  Jogemeot  aolenDel  de  la  Ré\olaiion  par  les  rois.  —  La  France  se  voit 
surprise  et  trahie.  —  Combien  le  Roi  prisonnier  éiait  encore  formidable.  ^ 
Héroïque  élan  de  la  France  entière.  —  Nos  ennemis,  dans  ce  Ubiean  im- 
mense, n*onl  voulu  voir  qu*un  point,  une  tache  sanglante.  —  La  France 
entière  se  donnai  la  patrie.  —  Dénouement,  déchirement  des  femmes,  des 
mères. —  Danton  fut  alon  la  voix  de  la  France. — Il  demande  les  visites  do- 
miciliaires. —  Lutte  de  l'Assemblée  et  de  la  Commune.  —  Violence  de  la 
Commune.» L'Assemblée  essaie  de  la  briser.— La  Commune  veut  se  main- 
tenir par  tons  les  moyens.  —  Dispositions  au  massacre  (fin  d*aoAt  M). 


La  trahison  de  Longwy,  celle  de  Verdun  qu'on 
apprit  bientôt  après,  remplirent  Paris  d'une  sombre 
impression  de  verti{çe  et  de  terreur.  Il  n'y  avait  plus 
rien  de  sûr.  11  était  trop  visible  que  l'étranger  avait 
des  intelligences  partout.  11  avançait  avec  une  sécu- 
ritëy  une  conpance  signiGcative,  comme  en  un  pays  à 
lui.  Qui  l'arrêterait  jusqu'à  Paris?  Rien  apparem- 
ment. Ici  même,  quelle  résistance  possible,  au  milieu 
de  tant  de  traîtres?  Ces  traîtres,  comment  les  dis- 
tinguer? Cbacun  regardait  son  voisin;  sur  les  places 
et  dans  les  rues,  le  passant  jetait  au  passant  uu  regard 


TBRREDR  DB  PÀKIS»  A  U  NOOVELLB  DB  L'IXVASION.  81 

défiant,  inquiet;  tous  sMonagiDaienl  voir  en  tous  les 
amis  de  rennemi. 

Nul  doute  qu'un  bon  nombre  de  mauvais  Français 
ne  Tattendissent,  ni  rappelassent,  ne  se  réjouissent 
de  son  approche,  ne  savourassent  en  espérance  la 
défaite  de  la  liberté  et  l'humiliation  de  leur  pays* 
Dans  une  lettre,  trouvée  le  10  août  aux  Tuileries  (et 
que  possèdent  nos  Archives),  on  annonçait  avec  bon** 
heur  que  les  tribunaux  arrivaient  derrière  les  armées, 
que  les  parlementaires  émigrés  instruisaient,  chemin 
faisant,  dans  le  camp  du  roi  de  Prusse,  le  procès  dé 
la  Révolution,  préparaient  les  potences  dues  aux  Ja* 
cobins.  Déjà,  sans  doute,  a6n  de  pourvoir  ces  tri* 
bunaux ,  la  cavalerie  autrichienne ,  aux  environs  de 
Sârrelouis,  enlevait  les  maires  patriotes,  les  républi-* 
cains  connus.  Souvent,  pour  aller  plus  vite,  les  hulans 
coupaient  les  oreilles  aux  officiers  municipaux  qu'ils 
pouvaient  prendre,  et  les  leur  clouaient  au  front« 

Ce  dernier  détail  fut  annoncé  dans  le  Bulletin  offi^^ 
ciel  de  la  guerre;  il  n'était  pas  invraisemblable,  d'a*^ 
près  les  terribles  menaces  que  le  duc  de  Brunswick 
lui-même  lançait  aux  pays  envahis,  aux  places  assié-* 
gées,  d'après  la  sommation,  par  exemple,  qu'il  flt  à 
celle  de  Verdun.  La  main  des  émigrés  n'était  pas 
méconnaissable;  on  retrouvait  leur  esprit  dans  ces 
paroles  furieuses  qu^un  eunemi  ordinaire  n'eût  par 
prononcées.  Bouille  déjà,  dans  sa  fameuse  lettre  de 
juin  1791,  menaçait  de  ne  pas  laisser  pierre  sur 
pierre  dans  Paris. 
Paris  se  sentait  en  péril  ;  c'était  sur  lui  certaine^ 

IV.  • 


nènt  qpi'oii  voulait  Sûre  un  grand  exemple.  Chacun 
commençait  à  Taire  son  examen  déooBscienee,etîl: 
Quêtait  personne  qui  eût  lieu  de  se  rassurer.  LaTayette, 
l'imprudent  dëTenseur  du  Roi,  qui,  ce  semble,  avait 
sàflbamment  lave  par  le  sang  du  Champ^de^M an,  par 
sa  dèmardie  prte  de  TAssemblée,  ms  hardiesses  lé^ 
volutîonnaires,  Lafayette  n'était«*il  pas  enfermé  dans 
un  cachot?  Qu'arriverait-il  aux  trente  mille,  bien  8u->^ 
trement  coupables,  qui  avaient  été  prendre  le  Roi  à 
Versailles,  aux  vingt  mille  qui  avaient  envahi  le  chà» 
teau  le  20  juin,  qui  Tavaient  forcé  le  10  août?  Tous, 
à  coup  sûr,  criminels  de  lèse*majesté  au  premier  chef. 
Les  femmes,  dans  chaque  famille,  commençaient  à 
s'inquiéter  fort;  elles  ne  dormaient  plus  guère,  et 
leurs  imaginations,  pleines  de  trouble,  ne  sachante 
quoi  se  prendre,  enfantaient  de  terribles  soi^jes. 

Les  mêmes  craintes,  les  mêmes  calamités,  ramè^ 
nent  les  mêmes  terreurs*  Ces  pauvres  esprits  efrayés 
deviennent  poètes,  par  leur  faiblesse  même,  de  grands 
et  sombres  poètes  légendaires ,  comme  ceux  du 
moyen-âgé.  La  philosof^ie  n'y  fait  rien.  A  la  fin 
du  XYlIl*  siècle,  après  Voltaire,  après  tout  un  siècto 
douteur,  Timagination  est  la  même;  et  oommeott 
la  peur  est  la  même.  Comme  au  temps  des  invaaioos 
barbares,  comme  au  temps  des  guerres  anglaises  ^^ 
c'est  le  fléau  de  Dieu  qui  approche,  c'est  le  Jugement 
dernier. 

'  *'  Il  est  curieux  (Tobserver  combien  riinaginatîon  populaire  se  re*^ 
trouve  la  même  dans  les  dangers  publics.  V.  noti«  HiêUrire  âë  Fttme$^ 
Ml impt  àf  Charles  VI,  sanAel 443»  U IV,  p.  U9.  . 


DE  LA  RÉT0LUTI9II1>M  LIS  MIST  4ÀOOT-SEPT.  92).  « 

Or,  voici -comment  ce  jugement  aura  lisu  ()a6ttp 
suivons  ici  la  pensée  populaire,  telle  que  les  journaïur 
la  reenettleiit  alors),  ihins  une  grande  plaine  dései«te, 
prDbâblênient  dans  la  plaine  &iînt^I)eni8,  toute  U 
population  sera  amenée^  chassée  par  troupeaut  ans 
fiedadeafôia  alliés*.  La. terre  préalablement  aura  Mh 
déiastée,  les  irilles  îdcëndiées.  a  Car,  ont  dit  les  soiM 
«rainSy  les  déserfs  yalênt  nrieiiz  que  des  peuples  rè^* 
voltés»  •  Pmi  leur  importe  sMl  restera  un  royaume  à 
LooîsXVI,  s*il,Ti|hoiï  s*il  meurt;  ma  péril  ne  les  êi^ 
fêtera  pas.  Là  donc,  par-de%'aot  ces  vainqueurs  impi^ 
toyatdes,  nn  triage  se  fera  des  bons,  des  mauvais,  laa 
utts  à  la  droite^  les  antres  à  la  gauche.  Quels  man«* 
nist  les  révolutionnaires  sans  doute,  ils  périh)fit 
d'abord;  oo  les  guillotinera.  Les  rois  appliqueront  I 
la  Révolution  le  suppliée  qu'elle  a  inventé...  <  Déjà^ 
a  fond  de  leurs  hélels,  an  sein  de  leurs  orgies  se^ 
csèteSy  les  aristocrates  savourent  ce  \spectacle  en 
«spémnee;  ils  font  mettre  paimi  les  pkts  de  petites 
fiâlQftsnes  pow  déeainiier  à  plaisir  l'dBBgie  des  p^ 
triotes.  9 

^ .  Ifsis  si  oe  grand  jugement  doit  frapper  tous  les 
sévohrtionnaires,  que  restera- t^ilt  Qui  n'a  participa 
de  mamère^u  d'autre  à  la  Révolotion1.«  Tous  périront 
et  en  France  et  par  tonte  la  terre;  le  jugement  sera 
oaiverseL  Nul  pays,  e^est  chose  convenue  entre  les 
roîsy  ne  servira  d'asile  aux  proscrits.  Ceux  même 
qni  déjà  ont  psssé  dsns  les  conbées  étraugéres  seropt 
pMtSttvia»  Nul  ne  restera  sur  le  globe  4e  cette  riaee 
condamnée,  sauf  peut-être  tout  au  plus  lesÀmtiïÉB 


M  Là  FtAMCB  SI  ▼«? 

^u'oD  résenrera  pour  Toutni^y  et  le  plaisir  du 
Taioqoeur. 

Hélas!  ce  ne  soDt  pas  seulement  les  hommes  qui 
périront,  mais  la  pensée  de  la  France.  Nous  avions 
cm  follement  que  la  justice  était  juste,  que  le  droit 
était  le  droit.  Mais  Fautorité  qui  arrive,  souveraine  et 
sans  appel,  va  changer  ceci.  Elle  ne  vient  pas  pour 
vaincre  seulement,  mais  pour  juger,  pour  condamner 
la  Justice.  Celle-ci  sera  abolie,  et  la  Raison  interdite, 
comme  aliénée  et  folle.  Les  juges  arrivent  dans 
Tannée  des  barbares,  et  avec  eux  les  sophistes  pour 
confondre  la  pauvre  Révolution,  Tembarrasser,  la 
bafouer,  de  sorte  qu^elIe  reste  balbutiante ,  rougis* 
santé  comme  un  enfant  intimidé  qui  ne  sait  plus  ce 
qu'il  dit.  Voici  venir  dans  l'armée  du  roi  de  Prusse 
le  grand  Méphislophélés  de  F  Allemagne,  le  doc- 
teur de  rironie,  pour  tuer  par  le  ridicule  ceux  que 
n'aura  tués  l'épée.  Goethe  ne  voudrait  pour  rien  an 
monde  perdre  une  telle  occasion  d*observer  les  dés- 
appointements de  l'enthousiasme  et  les  déceptions  de 
la  foi. 

Dure  et  cruelle  surprise,  vraiment  pitoyable!  Ce 
pçuple  croit,  prêche,  enseigne;  il  travaille  pour  le 
monde,  il  parle  pour  le  salut  du  monde...  Et  le 
monde,  son  disciple,  tourne  l'épée  contre  lui. 

Figurez-vous  un  pauvre  homme  qui  s'éveille  ef- 
faré, qui  s'est  cru  parmi  des  amis,  et  qui  ne  voit 
qu'ennemis.  «Mes  armes!  où  sont  mes  armes?»— 
c  Mais  tu  n'en  as  pas,  pauvre  fol  1  Nous  te  les  avons 
enlevées.  » 


SmrtBB  ET  TBABIB  (AÔCT-SimuniE  M).  M 

Voilà  rimage  de  la  France.  Elle  s'éveillait,  et  elle 
était  prise.  Cétatt  comme  udc  grande  chasse  da 
monde  cootre  elle,  et  elle  était  le  gibier.  L*Espagn« 
et  la  Sardaigne,  par  derrière,  lui  tenaient  serré  le 
filet;  par  devant,  la  Prusse  et  TAutricbe  lui  mon^ 
traient  Tépieu  ;  la  Russie  poussait,  T  Angleterre  riait. . . 
Elle  reculait  au  gtte. . .  et  le  gtte  était  trahi  ! 

Le  gîte  était  tout  ouvert,  sans  mur,  ni  dérense. 
Depuis  que  nous  avions  épousé  une  Autrichienne, 
nous  avions  sagement  laissé,  sur  la  frontière  la  plus 
exposée,  toutes  nos  murailles  par  terre.  Bonne  et  cré^ 
dnle  nation!  Confiante  pour  Louis  XVI,  elle  avait  cru 
qa'îl  voudrait  sérieusement  arrêter  les  armées  des 
rois,  ses  libéra teui*s;  confiante  dans  ses  ministres, 
8(M-disant  révolutionnaires,  elle  avait  cru  les  paroles 
agréables  de  Narbonne.  «J'ai  vu  tout»,  avaitril  dit. 
Il  avait  vu  des  armes,  et  il  n'y  en  avait  pas  ;  des  mu- 
nitions, il  n'y  en  avait  pas;  des  armées,  elles  étaient 
nulles,  désorganisées,  moralement  anéanties.  Un 
homme  peu  sur,  Dumouriez,  le  seul  qui  n'eût  pas 
reculé  devant  cette  situation  désespérée,  se  trouva 
un  moment  n'avoir  que  quinze  ou  vingt  mille  hom-* 
mes  contre  cent  mille  vieux  soldats. 

Et  le  danger  extérieur  n'était  pas  encore  le  plus 
grand.  Les  Prussiens  étaient  des  ennemis  moins  ter- 
ribles que  les  prêtres  ;  l'armée  qui  venait  à  l'Est  était 
peu  en  comparaison  de  la  grande  conspiration  ecclé- 
siastique pour  armer  les  paysans  de  l'Ouest.  Paris 
était  sous  le  coup  de  la  trahison  de  Longwy,  quand  il 
apprit  que  les  campi^es  des  Deux-Sèvres  avaient 


pm\à&  àjtmmi  c'tttH  le  «munetioàiMirt  (l'u00.1tfn- 
fM  traioée  dé  pondre,  au  moment  laème,  .atleédate^ 
et  le  li<MrbihaD  prend  feu.  La  démocratique  6r«riMMe 
est  eUe^mtaie  te  foyer  d'un  complot  ari9tocrtlique« 
Lee  courriers  veoaîent,  coup  sur  coup^  daDaTAssMotr 
blée  nationale  ;  elle  n'avait  pas  le  temps  de  se  remet*- 
tre  d'une  souvcUe,  qu'une  autre  arrivait  plus  terfi* 
ble»  On  était  sous  1*  impression  de  ces  dangers  de  rin- 
térieur,  quand  on  apprit  que,  du  Nord,  a'ébraalaît 
l'arrière-garde  de  la  grande  invasion^  un  owps  d9 
tfente  mille  Russes. 

:  Tout  cela,  ce  n'étaient  pas  des  hasards»  des  faite 
isolés;  c'étaient  visible.ment  des  parties  d'un  grand 
système,  bien  conçu,  sûr  de  réussir,  qui  se  dévoilait 
peu  h  peu,  A  quoi  se  Gait  l'étranger,  l'émigré^  le  pi^ 
tre,  sinon  à  la  trahison? 

.  Etle  point  central,  le  nœud  de  lagrande  toile  tissue 
par  les  traîtres,  où  le  placer?  où  se  rattachait,  peitr 
einployer  l'énei^que  exfiression  d'un  aoteur  en 
moyen  âge,  le  dangereux  tissu  de  Yunivenellé  arai^ 
gnée?  où,  sinon  aux  Tuileries? 
•  Et  maintenant  que  les  Tuileries  étaient  frappées 
par  la  foudre,  le  trOne  brisé,  le  roi  captif  et  jeté  dans 
la  poussière,  autour  même  de  la  tour  dn  Temple 
venait  se  renouer  la  toile  en  lambeaux,  le  filet  se  re- 
formait. A  la  nouvelle  de  Longvvy  livré,  des  rassemble- 
ments royalistes  se  montrèrent  hardiment  autour  du 
(Temple,  s'unissant  k  la  famille  royale  dans  une  joie 
commune,  et  saluant  ensemble  le  succès  de  l'étra»*- 
gen 


Mt  tA  IBAN6S  «mai;  -  m 

-  l4r  10  Mût  n'ikwX  rien  été  aux  ferow  de  Feo* 
Demi.  Sept  cents  Suisses  avaient  péri  ;  mais  la  matie 
dea^alîstes  se  tenait  tapie  en  armes.  Sans  parier 
d'upe  partie  fort  considérable  de  la  garde  natîoDale$ 
compromise  h  jamais  pour  la  royauté,  Paris  était  pMtt 
d'étrangers,  de  provinciaux,  d'agents  de  l'ancien  r^ 
gime  ou  de  l'étranger,  de  militaires  sans  uniformes., 
plnaou  moins  déguisés,  de  fiiux  abbés,  par  exemple» 
dont  la  démarche  guerrière,  la  figure  martiale,  dér 
iMDtatent  trop  leur  babit.  L'Angleterre  même,  notrf 
jUBÎe^  avait  ici,  dès  cette  époque,  des  i^ents  innom?^ 
brables,  payés,  non  payés,  beaucoup  d'honorables 
emùons  qui  venaient  voir,  étudier.  Un  de  ces  Anglais, 
qui  vivait  encore  vers  1820,  me  Ta  raconté  lui-même» 
Le  fila  du  etiébre  Burke  écrivait  à  Louis  XVI  un  mot 
profondément  vrai  :  «Ne  vous  souciez;  toute  l'Ëii^ 
rope  est  pour  vous,  et  l'Angleterre  n'est  pas  contre 
vous.  »  Elle  devenait  favorable  au  Roi,  à  mesure  que 
la  royauté  ét^t  l'ennemie  de  la  France. 

Ainsi  Louis XVI>détr6né,  déchu,  au  Temple  mèmf , 
était  formidable*  11  avait  perdu  les  Tuileries,  et  gar- 
dait l'Europe;  il  avait  tous  les  rois  pour  alliés,  la 
France  était  seule.  Il  avait  tous  les  prêtres  pour  amis, 
défenseurs  et  avocats,  chez  toutes  les  nations  ;  chaque 
jour  on  prêchait  pour  lui  par  toute  la  terre;  on  lui 
donnait  le  cœur  des  populations  crédules,  on  lui  fai- 
sait des  soldats,  et  des  ennemis  mortels  à  la  Révolii- 
tion.  Il  y  avait  cent  à  parier  contre  un  qu'il  ne  péri- 
raît  pas  (la  tête  d'un  tel  otage  était  trop  précieuse), 
mais  que  la  France  périrait,  ayant  peu  a  peu  contre 


tl  Kos  Eimans.  ^ans  ce  tabueau  noieiisi. 

elle  noo^seulemenl  les  rois,  mais  les  peuples,  dont  on 

pervertissait  le  sens. 

L'histoire  n'a  gardé  le  souvenir  d'aucun  peuple  qui 
soit  entré  si  loin  dans  la  mort.  Quand  la  Hollande, 
voyant  Louis  XIV  à  ses  portes,  n'eut  de  ressources 
que  de  s'inonder,  de  se  noyer  elle-même,  elle  fut  en 
moindre  danger;  elle  avait  l'Europe  pour  elle.  Quand 
Athènes  vit  le  trône  de  Xercès  sur  le  rocher  de  Sala* 
mine,  perdit  terre,  se  jeta  h  la  nage,  n'eut  plus  que 
l'eau  pour  patrie,  elle  Tut  en  moindre  danger;  elle 
était  toute  sur  sa  flotte,  puissante,  organisée,  dans  la 
main  du  grand  Tbémistocle,  et  elle  n'avait  pas  la  tra* 
hison  dans  son  sein.  La  France  était  désorganisée, 
et  presque  dissoute,  trahie,  livrée  et  vendue. 

Et  c'est  justement  à  ce  point  où  elle  sentit  sur  elle 
la  main  de  la  mort,  que,  par  une  violente  et  terrible 
contraction,  elle  suscita  d'elle-même  une  puissance 
inattendue,  fit  sortir  de  soi  une  flamme  que  le  monde 
n'avait  vue  jamais,  devint  comme  un  volcan  de  vie. 
Toute  la  terre  de  France  devint  lumineuse,  et  ce  fut 
sur  chaque  point  comme  un  jet  brûlant  d'héroïsme, 
qui  perça,  et  jaillit  au  ciel. 

Spectacle  vraiment  prodigieux ,  dont  la  diversité 
immense  défie  toute  description.  De  telles  scènes 
échappent  à  l'art  par  leur  excessive  grandeur,  par 
une  mulliplicité  infinie  d'incidents  sublimes.  Le  pre- 
mier mouvement  est  d'écrire,  de  communiquer  à  la 
mémoire  ces  héroïques  efforts,  ces  élans  divins  de 
la  volonté.  Plus  on  les  recueille,  plus  on  en  raconte, 
plus  on  en  trouve  à  raconter.  Le  découragement  vient 


rmiT  TooLU  Tom  oirini  ponrr,  imc  tache  saxcunte.  gft 
alors;  radmîration,  sans  s'épuiser,  se  lasse  et  se  tait. 
Laissous-lesy  ces  grandes  choses  que  nos  pères  ont 
faites  ou  voulues  pour  raffirancbissement  du  inonde, 
laissons-les  au  dépôt  sacré  où  rien  ne  se  perd,  la  pro« 
fonde  mémoire  du  peuple,  qui,  jusque  dans  chaque 
▼illage,  garde  son  histoire  héroïque  ;  confions-ies  à  la 
justice  du  Dieu  de  la  liberté,  dont  la  France  fut  le  bras 
en  ce  grand  jour,  et  qui  récompensera  ces  choses 
(c*est  notre  foi)  dans  les  mondes  ultérieurs. 

Qui  croirait  que,  devant  cette  scène  admirable, 
splendidement  lumineuse,  FEurope  ait  Terme  les 
yeux,  qu*elle  n'ait  rien  voulu  voir  de  tant  de  choses 
qui  honorent  à  jamais  la  nature  humaine,  et  qu'elle 
ait  réservé  toute  son  attention  pour  un  seul  point,  une 
lâche  noire  de  boue  et  de  sang,  le  massacre  des  pri- 
sonniers de  septembre? 

Dieu  nous  garde  de  diminuer  Tborreur  que  ce 
erime a  laissée  dans  la  mémoire!  Personne,  à  coup 
sûr,  ne  Ta  sentie  plus  que  nous!  Personne  n'a  pleuré 
peut-être  plus  sincèrement  ces  mille  hommes  qui 
périrent,  qui  presque  tous  avaient  fait,  par  leur  vie 
beaucoup  de  mal  à  la  France,  mais  qui  lui  firent  par 
leur  mort  un  mal  éternel.  Ah  !  plût  au  ciel  qu'ils 
vécussent  ces  nobles  qui  appelaient  l'étranger,  c^ 
prêtres  conspirateurs  qui  par  le  Roi,  par  la  Vendée, 
mettaient  sous  les  pieds  de  la  Révolution  l'obstacle 
secret,  perfide,  où  elle  devait  heurter,  avec  l'immense 
effusion  de  sang,  qui  n'est  pas  finie  encore  !...  Les 
trois  ou  quatre  cents  ivrognes  qui  les  massacrèrent 
ont  fiuty  pour  l'ancien  régime  et  contre  la  liberté. 


f  bps  que  toutes  les  année)  in  rois,  pli»  que  rAu^ 
gleterre  elle-mtoie  avec  tous  les  imlliards  qui.oal 
jMldé  ces  armées.  Ils  ont  élevée  ces  idiots,  la  wOÊh- 
.tagne  de  sang  qui  a  isolé  la  Fraoce^  et  qui,  dans  son 
isolement,  l'a  forcée  de  chercher  son  salut  dans  lés 
moyens  de  la  Terreur.  Ce  sang  d'un  millier  de  cou^ 
pables,  ce  crime  de  quelques  centaines  d'hommes,  a 
caché  auic  yeux  de  TEurope  l'immensité  de  la  scène 
héroïque  qui  nous  méritait  alors  Tadmiratioii  dn 
.  monde. 

Revienne  donc  enfin  la  justice,  après  tant  d'aii^ 
néesl  et  que  l'on  avoue  que  chez  toute  nation,  au 
fond  de- toute  capitale,  il  y  a  toujours  cette  lie,  ton*- 
jours  cette  boue  sanguinaire»  Télément  lâche  et  stu* 
pide  qui,  dans  les  paniques  surtout,  comme  fut  te 
moment  de  septembre  »  devient  très-cruel.  Même 
e]iose  aurait  eu  lieu,  et  en  Angleterre >  et  en  Aile- 
mi^e,  chez  tous  les  peuples  de  l'Europe;  leur.hîs- 
tpire  n'est  pas  stérile  en  massacres.  Mais  ce  que 
l'histoire  d'aucun  peuple  ne  présente  à  ce  degré, 
c'est  l'étonnante  éruption  d'héroïsme«  l'immense  élan 
de  dévouement  et  de  sacrifices  que  présenta  alors  la 
France. 

Plus  on  sondera  cette  époque,  plus  on  cherchem 
sérieusement  ce  qui  fut  vraiment  le  fond  général  de 
rinspiration  populaire,  plus  on  trouvera,  en  réalité, 
que  ce  ne  fut  nullement  la  vengeance,  mais  le  seiH 
timent  profond  de  la  justice  outragée,  contre  l'inso- 
lent défi  des  tyrans,  la  légitime  indignation  du  droit 
étemel. 


SE  DONNA  A  M  .PAnHB:<^kaVH^>!fiF»BRB  ot).  tt 

^:  AV-l  opipbÎMijeyouikaîs  pouvoir  moDtrer  l|(FraBC«i 
dftiMfce  grand  et  sublime  jour  I  C'e$t  bien,  peu  dQ  vpif 
Paris.  Que  je  voudrais  qu'où  pût  voir  les  départe^ 
meuts  du  Gard,  de  la  Haute-Saône,  d'autres  encore^ 
debout  tout  entiers  en  buit  jours,  et  lançant  chacun 
anç  armée  pour  aller  à  rennemi  t 

Les  offrandes  particulières  étaient  innombrables^ 
pinceurs  excessives.  Deux  hommes,  àeux  seuls,  ar- 
ment, montent,  équipent  chacun  un  escadron  de 
cavalerie.  Plusieurs  donnèrent,  sans  réserve,  tout  ce 
qu'ils  avaient.  On  vit  dans  un  village,  non  loin  de 
Paris,  quand  la  tribune  fut  dressée  pour  recevoir  les 
enrôlements  et  les  offrandes,  le  village  se  donner  lui^ 
même,  apporter  la  somme  énorme  de  près  de  trois 
cent  mille  francs.  Quand  le  paysan  va  jusqu'à  donner 
son  argent,  son  sang  ne  compte  plus  après;  il  le 
donne,  il  le  prodigue.  Des  pères  offraient  tous  leurs 
enfants,  puis  ils  croyaient  n'avoir  pas  fait  assex  en* 
core,  ils  s'armaient,  partaient  eux-mêmes. 

Les  dons  pleuvent  à  l'Assemblée,  au  milieu  même 
des  scènes  funèbres  de  septembre.  Et  pourquoi  donc 
ces  journées  ne  rappellent-elles  qu'un  seul  fait,  un 
fait  local,  celui  du  massacre?  Pourquoi  ne  pas  se  sou- 
venir qu'elles  sont  digues  par  Théroïque  élan  d'un 
grand  peuple,  de  tant  de  millions  d'hommes,  pair 
mille  faits  touchants,  sublimes,  de  rester  dans  la  mé- 
moire? 

.  Paris  avait  l'air  d'une  place  forte.  On  se  serait  cru 
à  Lille,  à  Strasbourg.  Partout  des  consignes,  des  fac- 
.Uonnaires^  des  précautions  militaires,  prématurées, 


à  vrai  dire;  Tennenii  était  encore  h  cinquante  ou  soi* 
xante  lieues.  Ce  qui  était  véritablement  plus  sérieux, 
et  touchant,  c'était  le  sentiment  de  solidarité  profonde, 
admirable,  qui  se  révélait  partout.  Chacun  s'adressait 
h  tous,  parlait,  priait  pour  la  patrie.  Chacun  se  fai* 
sait  recruteur,  allait  de  maison  en  maison,  offrait  à 
celui  qui  pouvait  partir  des  armes,  un  uniforme  et  ce 
qu'on  avait.  Tout  le  monde  était  orateur,  prêchait , 
discourait,  chantait  des  chants  patriotiques.  Qui  n'é* 
tait  auteur  en  ce  moment  singulier,  qui  n'imprimait, 
qui  n'affichait?  Qui  n'était  acteur  dans  ce  grand  spec- 
tacle  ?  Les  scènes  les  plus  naïves  où  tous  figuraient, 
se  jouaient  partout  sur  les  places,  sur  les  thé&tres 
d'enrôlements,  aux  tribunes  où  l'on  s'inscrivait; 
tout  autour,  c'étaient  des  chants,  des  cris,  des  larmes 
d'enthousiasme  ou  d'adieu.  Et  par-dessus  tous  ces 
bruits,  une  grande  voix  sonnait  dans  les  cœurs,  voix 
muette,  d'autant  plus  profonde....  la  voix  même  de 
la  France,  éloquente  en  tous  ses  symboles,  pathé-* 
tique  dans  le  plus  tragique  de  tous,  le  drapeau  saint 
et  terrible  du  Danger  de  la  Patrie,  appendu  aux  fe* 
nêlres  de  l'Hôtel-de- Ville.  Drapeau  immense,  qui 
flottait  aux  vents,  et  semblait  faire  signe  aux  liions 
populaires  de  marcher  en  hâte  des  Pyrénées  à  l'Es* 
caut,  de  la  Seine  au  Rhin. 

Pour  savoir  ce  que  c'était  que  ce  moment  de  sacri* 
fice,  il  faudrait,  dans  chaque  chaumière,  dans  chaque 
misérable  logis,  voir  l'arrachement  des  femmes,  le 
déchirement  des  mères,  à  ce  second  accouchement 
plus  cruel  cent  fois  que  celui  où  l'enfant  fit  son  pre« 


DES  rSHMES,  MS  MÈIISS  (AOOT-SBPTEIIBRB  92).  §5 

mier  départ  de  lears  entrailles  sanglantes.  Il  fiiodrait 
Toir  la  Tieillc  femme,  les  yeux  secs,  et  le  cœur  brisé, 
ramasser  en  haie  les  quelques  bardes  qu*il  emportera, 
les  pauvres  économies,  les  sols  épai^nés  par  le  jeûne, 
ce  qu'elle  s'est  volé  à  elle-même,  pour  son  fils,  pour 
ce  jour  des  dernières  douleurs. 

Donner  leurs  enfants  à  cette  guerre  qui  s'ouvrait 
avec  si  peu  de  cbance,  les  immoler  à  cette  situation 
extrême  et  désespérée,  c'était  plus  que  la  plupart  ne 
pouvaient  Taire.  Elles  succombaient  à  ces  pensées, 
ou  bien,  par  une  réaction  naturelle,  elles  tombaient 
dans  des  accès  de  fureur.  Elles  ne  méni^eaient  rien, 
ne  craignaient  rien.  Aucune  terreur  n'a  prise  sur  un 
tel  état  d'esprit  ;  quelle  terreur  pour  qui  veut  la  mort? 

On  nous  a  raconté  qu'un  jour  (sans  doute  en  août 
oo  septembre),  une  bande  de  ces  femmes  furieuses 
rencontrèrent  Danton  dans  la  rue,  l'injurièrent  comme 
dies  auraient  injurié  la  guerre  elle-même,  lui  repro- 
chant toute  la  révolution,  tout  le  sang  qui  serait  ver* 
se,  et  la  mort  de  leurs  enfants,  le  maudissant,  priant 
Dieu  que  tout  retombât  sur  sa  tête.  Lui,  il  ne  s'étonna 
pas;  et,  quoiqu'il  sentit  tout  autour  de  lui  les  ongles, 
â  se  retourna  brusquement,  regarda  ces  femmes,  les 
prit  en  pitié  ;  Danton  avait  beaucoup  de  cœur.  Il 
monta  sur  une  borne,  et,  pour  les  consoler,  il  com« 
menf  a  par  les  injurier  dans  leur  langue.  Ses  premiè-* 
res  paroles  furent  violentes,  burlesques,  obscènes. 
Les  voilà  tout  interdites.  Sa  fureur,  vraie  ou  simulée, 
déconcerte  leur  fureur.  Ce  prodigieux  orateur,  in- 
stinctif et  calculé,  avait  pour  base  populaire  un  tem«- 


pèrâmenf  sensuel  et  fort/toot  fait  pour  l'arnoor  jihy<* 
sique,  ofr  domiDait  la  chair,  le  sang.  Danton  était 
d'abord,  et  avant  tout,  un  mAle;  il  y  avait  en  lui  du 
lion  et  du  dogue,  beaucoup  aussi  du  taureau*  Son 
masque  effrayait  ;  la  sublime  laideur  d'un  visage  boo^ 
leversé  prêtait  à  sa  parole  brusque,  dardée  par  àccè^^ 
une  sorte  d'aiguillon  sauvage.  Les  masses,  qui  aiment 
la  foroet  sentaient  devant  lui  ce  que  fait  éprouver  de 
«sainte,  de  sympathie  pourtant,  tout  être  puissam^ 
ment  générateur.  Et  puis,  sous  ce  masque  violent, 
furieux,  on  sentait  aussi  un  cœur;  on  finissait  par  sa 
douter  d'une  chose ,  c'est  que  cet  homme  terrible, 
qui  ne  parlait  que  par  menaces,  cachait  au  fond  un 
brave  homme...  Ces  femmes,  ameutées  autour  de  lui, 
sentirent  confusément  tout  cela;  elles  se  laissèrent 
haranguer,  dominer,  maîtriser;  il  les  mena  où  «t 
eomme  il  voulut.  Il  leur  expliqua  rudement  à  qutit 
sert  la  femme,  à  quoi  sert  l'amour,  la  génération,  et 
qu'on  n'enfanle  pas  pour  soi,  mais  pour  la  patrie.  1.. 
Et)  arrivé  là,  il  s'éleva  tout-à-coup,  ne  parla  plua 
pour  personne,  mais  (il  semblait)  pour  lui  iseul....^ 
Tout  son  cœur,  dit-on,  lui  sortit  de  la  poitrine,  avée 
des  paroles  d'une  tendresse  violente  pour  la  France... 
Et  sûr  ce  visage  étrange,  brouillé  de  petite  vérole,  M 
qui  ressemblait  aux  scories  du  Vésuve  ou  de  VEVomy 
commencèrent  à  venir  de  grosses  gouttes,  et  c'étaieM 
des  larmes. . .  Ces  femmes  n'y  purent  tenir;  elles  pleo* 
Gèrent  la  France  au  lieu  de  pleurer  leurs  enfonts,  «t^ 
sanglotantes,  s'enfuirent,  «n  se  cachmit  le  visage  dans 
iéiir  tAblierv 


U  JTOtt  0^  LA  nUKCE.  fl| 

Oantao  fut,  il  faut  le  dire,  dans  ce  momeut  w« 
Mime  et  sinistre ,  la  voix  même  de  la  Révolutioii  e( 
de  U  France;  en  lui  elle  trouva  le  cœqr  énen^ique, 
la  {feoitrioe  profonde,  Tattilude  grandiose  qui  pouv«| 
eiprimer  sa  foi.  Qu'on  iie  dise  pas  qae  la  .parol« 
Mît  peu  de  chose  en  de  tek  moments.  Parole  et  aote^ 
c'est  tout  un«  La  puissante,  l'énergique  affirmatiou 
qui  assure  les  cœurs  ^^  c'est  une  créati(m  d'actes{ 
ce  qu'elle  dit,  elle  le  produit.  L'action  est  ici  la  seiv 
vante  de  la  parole;  elle  vient  docilement  derrière  » 
comme' au  premier  jour  du  monde  :  «  Il  dit,  et  k 
monde  fut.  » 

La  parole  chez  Danton,  nous  l'expliquerions  si  c'^ 
tait  ici  le  lieu  de  le  dire,  est  tellement  une  action  | 
tellement  une  chose  héroïque  (sublime  et  pratique  à 
la  fois),  qu'elle  sort  de  toute  classification  littéraire. 
Lui  seul,  alors,  ne  dérive  pas  de  Rousseau.  £t  sa  par 
rente  avec  Diderot  est  tout  extérieure;  il  est  nerveui: 
et  positif,  Diderot,  enflé  et  vaguer  Répétons*le;  cett^ 
parole  ue  fut  pas  une  parole,  ce  fut  l'éneigie  de  ^ 
France  devenue  visible,  un  cri  du  cœur  de  la  patrie j| 

Le  nom  tragique  de  Danton,  quelque  souillé,  dé- 
figuré qu'il  ait  été  par  lui-même  ou  par  les  partis^  n'en 
iwtera  pas  moins  au  fond  des  chers  souvenirs  et  des 
regrets  de  la  France.  Ah!  comment  s'arracfaa-t*ellè 
celui  qui  avait  formulé  sa  foi  dans  son  plus  terriblç 
jour?...  Lui-même  se  sentait  sacré  et  ne  voulut  pa^ 
emre  à  la  mort.  On  sait  ses  paroles  quand  on  Ta- 
yertit  du  danger  :  «  Moi,  on  ne  me  touche  pas,  je  %ui% 
V Arche.  »  Il  Tavait  été,  en  effet,  en  92;  et  comme 


96  1>A?rrON  DBVAKDB 

TArche  qui  cooteaait  la  foi  cTIsraël  y  il  avait  alors 
marché  devant  nous... 

Danton  n'a  jamais  eu  qu*un  accusateur  sérieux, 
c*est  lui-même.  On  verra  plus  tard  les  motifs  étranges 
qui  ont  pu  lui  faire  revendiquer  pour  lui  les  crimes 
qu'il  n'avait  pas  faits.  Ces  crimes  sont  incertains,  im- 
probables ,  quoi  qu'ait  dit  la  ligue  des  royalistes  et 
robespierristes,  unis  contre  sa  mémoire.  Ce  qui  est 
plus  sûr,  c'est  qu'il  eut  l'initiative  de  plusieurs  des 
grandes  et  sages  mesures  qui  sauvèrent  la  France;  et 
ce  qui  ne  l'est  pas  moins,  c'est  qu'il  eut  à  la  fin,  avec 
son  ami ,  le  grand  écrivain  de  l'époque ,  le  pauvre 
Camille ,  l'initiative  aussi  des  réclamations  de  Thu- 
inanité  \ 

Le  28  aoât,  au  soir,  Danton  se  présenta  dans  l'As* 
semblée  et  réclama  la  grande  et  indispensable  mesure 
des  visites  domiciliaires.  Dans  un  si  extrême  péril , 
lorsqu'une  armée  royaliste ,  on  ne  peut  dire  autre- 
ment, était  dans  Paris,  nous  périssions,  sans  nul 
doute,  si  nous  ne  leur  faisions  sentir  fortement  sur 
eux  la  main  de  la  France.  11  fallait  que  cette  masse 

*  Les  faits  eux-mêmes  vont  se  charger  de  earactériser  DanUMi,  ea 
dWers  sens,  dans  celle  grande  et  terrible  crise.  Nottsn*anlîciperons  pM. 
Qa*on  nous  permette  seulement  de  donner  ici,  sur  lui,  le  jugement  d'un 
homme  grave,  qui  est  préciséinvnl  le  nôtre.  Un  jeune  homme,  qui  ve* 
Hait  d*Ârcissur-Aube,  pays  de  Danton,  y  avait  entendu  conter  plusieurs 
faits  honorables  à  sa  mémoire;  se  trouvant  ^  Parts,  chez  M.  Royer- 
GoUard,  il  se  hasarda  k  dire  devant  Torateur  royaliste  :  «  11  me  semble 
pourtant  que  ce  Danton  eut  une  ftme  généreuse*....  »  -*  «  Monsieur, 
dites  magiiam'iiie,  »  dit  Royer-CoUard.  ^(Je  tiens  ce  mot  de  notre  il- 
lustre Béranger). 


LES  VISITES  OOXIULtAlRES  (f8-t9  AOUT  92\  91 

eonemie,  très-Torle  matériellement,  devint  morale- 
ment faible,  qu'elle  Tût  paralysée,  fascinée,  quecha- 
cun  tremblât,  voyaat  snr  sa  tèle  la  Révolution ,  Tœil 
ooTert  et  le  bras  levé.  Il  fallait  que  la  Révolution  sût 
tout,  dans  un  tel  moment,  qu'elle  pût  dire  :  «t  Je  sais 
les  ressources,  je  sais  les  obstacles,  je  sais  où  et  quels 
sont  les  hommes,  et  je  sais  où  sont  les  armes.  »  — 
«Quand  la  patrie  est  en  danger,  dit  très-bien  Danton, 
tout  appartient  à  la  pairie.  »  Et  il  ajoutait  :  «  En  au-* 
torisant  les  municipalités  à  prendre  ce  qui  esl  néces- 
saire, nous  nous  engagerons  à  indemniser  les  posses- 
seurs.» «  Chaque  municipalité,  dit-il  encore  àTAs^ 
semblée,  sera  autorisée  à  prendre  Télile  des  hommes 
bien  équipés  qu'elle  possède.  »  Et  en  même  temps,  il 
proposa  à  la  Commune  d'enregistrer  les  citoyens  né- 
cessiteux qui  pouvaient  porter  les  armes,  et  de  leur 
fixer  une  solde.  11  y  avait  avantage,  sans  nul  doute,  et 
dans  deux  sens,  à  donner  des  cadres  militaires  à  ces 
masses  conruses  dont  une  partie,  s'écoulant  vers  l'ar- 
mée, aurait  allégé  Paris. 

Le  29,  à  quatre  heures  du  soir,  dans  une  belle 
journée  d'août,  la  générale  battit,  chacun  fut  averti 
de  rentrer  chez  soi  à  six  heures  précises,  et  Paris, 
tout-à-r heure  si  animé,  si  populeux ,  en  un  moment 
se  trouva  comme  désert.  Toute  boutique  fermée, 
toute  porte  close.  Les  barrières  étaient  gardées,  la 
rivière  gardée.  Les  visites  ne  commencèrent  qu'à  une 
heure  du  matin.  Chaque  rue  fut  cernée,  occupée  de 
fortes  patrouilles,  chacune  de  soixante  hommes  ;  les 
commissaires  de  sections  montaient  dans  chaque  mai* 

IV.  ' 


W  VISITES  DOMOLIÀMBS  {^  AOUT  9^ 

son  et  à  chaque  étage,  frappaient  :  c  Au  ooin  de  laloi  1  » 
Ces  voix,  ces  coups  frappés  aux  portes,  le  brait  de 
celles  des  absents  qu'on  ouvrait  de  force,  retentis* 
salent  dans  la  nuit  d'une  manière  effrayante*  On  aai- 
sit  deux  mille  fusils,  on  arrêta  environ  trois  raille 
personnes,  qui  furent  généralement  relâchées  le  len- 
demain. L'efTet  voulu  fut  obtenu  :  les  royalistes  trem- 
blèrent«  Rien  ne  le  prouve  mieux  que  le  récit  d'un 
des  leurs,  Peltier,  écrivain  menteur,  s'il  en  fut,  par^ 
tout  médiocre,  mais  ici  sincère,  éloquent,  admirable 
de  vérité  et  de  peur.  Tous  les  autres  historiens  l'oni 
fidèlement  copié. 

Celte  visite  ne  fit,  au  reste,  que  régulariser  par 
l'autorité  publique  ce  que  le  peuple  faisait  déjà  irrè^ 
guliérement  de  lui-même.  Déjà,  sur  les  bruits  qui 
couraient  que  certains  hôtels  recelaient  des  dépôts 
d'armes,  la  foule  les  avait  envahis;  c'est  ce  qui  eut 
lieu  particulièrement  pour  la  maison  et  les  Jardins  de 
Beaumarchais,  à  la  porte  Saint-Antoine.  Le  peuple 
se  les  fît  ouvrir,  les  visita  soigneusement,  sans  rien 
toucher  ni  rien  prendre.  Beaumarchais  le  raconte 
lui-même  :  une  femme  seulement  s'avisa  de  cueîUir 
une  fleur ,  et  la  foule  voulait  la  jeter  dans  le  bassin 
du  jardin. 

Il  est  superflu  de  dire  que  cette  terrible  mesuredes 
visites  domiciliaires  fut  très-mal  exécutée.  L'opéra- 
tion ^  confiée  à  des  mains  ignorantes  et  maladroites, 
fut  une  œuvre  de  hasard,  prodigieusement  arbitraire; 
elle  varia  infiniment  dans  les  résultats.  Plusieurs  des 
commissaires  croyaient  devoir  arrêter  tout  ce  qu'ils 


Wm  m  L'ASSBMBLÉB  ET  DK  U  COlMUinS.  99 

trouyaient  de  personoesàyantsignéla pétition  royaliste 
contre  le  20  juin.  Les  signataires  étaient  vingt  mille. 
La  Commune  se  bAla  de  déclarer  qu'il  fallait  les  é)af« 
gir,  qu'il  avait  suffi  de  les  désarmer. 

Deux  choses  étaient  à  craindre  : 

Les  visites  domiciliaires  ayant  ouvert  à  la  masse 
des  sectionnaires  armés  les  hôtels  des  riches,  leur 
ayant  révélé  un  jnonde  inconnu  d'opulence  et  de^ 
jouissances,  attisé  leur  convoitise,  donnait  aux  pau*^ 
vre»  non  pas  l'envie  du  pillage^  mais  un  redouble- 
ment de  haine^  de  sombre  fureur;  ils  ne  s'avouaient 
pas  à  eux-mêmes  les  sentiments  divers  qui  les  travail* 
kienty  et  croyaient  ne  haïr  les  riches  que  comme 
aristocrates,  comme  ennemis  de  la  France.  Grand 
péril  pour  l'ordre  public*  Si  la  terreur  populaire  n'a« 
vtit  circonscrit  son  objets  qui  sait  ce  que  seraient  de^ 
venus  les  quartiers  riches,  spécialement  les  maisons 
des  vendeurs  d'argent  que  la  Commune  avait  trés<^ 
imprudemment  déclarés  dignes  de  mort? 

Un  autre  danger  non  moins  grave  des  visites  do^ 
miciliaires,  c'est  qu'elles  changèrent  en  guerre  ou- 
verte la  sourde  hoslililé  qui  existait  depuis  vingt  jotirs 
entre  l'Assemblée  et  la  Commune. 

Revenons  sur  ces  vingt  jours. 

L'Assemblée,  peu  sûre  d'elle-même,  s'était  gêné* 
ralement  laissé  traîner  à  la  suite  de  la  Commune,  es* 
sayantde  déraire  ce  que  faisait  celle-ci;  puis,  quand 
elle  montrait  les  dents,  l'Assemblée  reculait  avec  mal^ 
adresse.  L'Assemblée  eût  dû  suspendre  le  Directoire 
du  département,  entièrement  royaliste;  la  Commum 


igo  LirrTB  db  l*asseiibléb  et  de  u  coxmjnb  (aoitt  m. 
le  fit  pour  elle.  Vite,  alors,  l'Assemblée  décrète  que 
les  sections  vont  nommer  de  nouveaux  administra*- 
leurs  du  déparlement  ;  elle  ordonne  par  un  décret 
que  la  police  de  sûreté,  qui  appartient  aux  commuueS| 
n'agira  qu*avec  Tautorisation  des  administrateurs  du 
département,  qui,  eux-mêmes,  n'autoriseront  qu'avec 
le  consentement  d*un  comité  de  l'Assemblée.  Celle-ci 
serait  restée  ainsi  le  centre  de  la  police  du  royaume, 
en  eût  conservé  les  fib  dans  la  main. 

Pour  faire  accepter  doucement  tout  ceci  de  la  re- 
doutable Commune,  l'Assemblée  lui  vota  généreuse- 
ment la  somme  énorme,  monstrueuse,  de  près  d'un 
million  par  mois ,  pour  la  police  de  Paris.  Mais  ce 
don  n'attendrit  nullement  la  Commune;  elle  déclara 
qu'elle  ne  voulait  point  d'intermédiaire  entre  elle  et 
l'Assemblée,  qu'elle  né  tolérerait  pas  un  Directoire  de 
Paris,  ajoutant  cette  menace  :  c  Sinon,  il  faudra  que 
le  peuple  s'arme  encore  de  sa  vengeance.  »  L'As- 
semblée avait  honte  de  révoquer  son  décret;  I^- 
croix  trouva  un  moyen  de  reculer  honorablement; 
on  décida  qu'il  y  aurait  un  Directoire,  mais  qu'il  ne 
dirigerait  rien,  se  réduisant  à  surveiller  les  contri- 
butions. 

La  Commune,  il  faut  le  dire,  avait  placé  sa  dicta- 
ture dans  les  mains  les  plus  effrayantes,  non  dans 
celles  des  hommes  du  peuple,  mais  dans  celles  des 
plus  misérables  scribes,  des  lettrés  du  ruisseau,  dont 
on  ne  pouvait  attendre  ni  justice,  ni  pitié,  des  Hébert 
et  des  Chaumello.  Elle  confia  à  ce  dernier  l'étrange 
pouvoir  d'ouvrir  et  fermer  les  prisons,  d'élargir  et 


TIOLEKCB  DE  LA  COMXD».  |0| 

d'arrêter.  Elle  prit  u  ce  sujet  une  autre  déc»ioo, 
infinimeot  dangereuse,  celle  d'afficher  aux  portes  de 
chaque  prison  les  noms  des  prisonniers.  Ces  noms,  Iw 
et  relus  sans  cesse  du  peuple,  étaient  pour  lui  une 
constante  excitation,  un  appel  h  la  violence,  comme 
une  titillation  de  toutes  les  envies  cruelles;  ils  de-- 
vaient  avoir  cet  effet  de  les  rendre  irrésistibles.  Pour 
qui  connaît  la  nature,  une  telle  affiche  était  une  fa-- 
talité  de  meurtre  et  de  sang. 

Ce  n'est  pas  tout,  l'étrauge  dictature,  loin  de  s'in- 
quiéter  de  la  vie  de  tant  de  proscrits,  ne  craignit  pas 
d'en  faire  d'autres,  de  dresser  des  tables.  Elle  flt  im- 
primer les  noms  des  électeurs  aristocrates  de  la 
Sainte-Chapelle.  Elle  décida  que  les  vendeurs  d'ar- 
gent seraient  punis  de  la  peine  capitale.  Rien  ne  l'ar- 
rètail.  Elle  se  mit  à  prononcer  des  jugements  sur  des 
individus  dans  un  moment  où  son  opinion  exprimée 
équivalait  à  la  mort.  Je  ne  sais  quel  individu  vient 
demander  à  la  Commune  de  décider  que  M.  Duparl 
a  perdu  la  confiance  de  la  nation.  Cette  décision  por- 
tée, on  Terra  qu'il  fallut  i\  Danton  les  plus  pcrsévéf 
rants  efforts  pour  empêcher  que  le  célèbre  député  de 
la  Constituante,  ainsi  désigné  au  massacre,  ne  fût 
immolé  trois  semaines  après. 

Non  contente  de  fouler  aux  pieds  toute  liberté  in«' 
dividuelle,  elle  porta,  le  29  août  l'atteinte  la  plus  di- 
recte à  la  liberté  de  la  presse.  Elle  manda  à  sa  barre, 
elle  poursuivit  dans  Paris  Girey-Dupré,  jeune  et  hardi 
Girondin,  pour  un  article  de  journal  ;  elle  alla  jus- 
qu  a  faire  investir  le  ministère  de  la  guerre  où  Girey- 


Ifl^  VIOLENOB  DE  LA  COnUNB. 

Dôprt  «'était,  disait^n,  réfugié.  L'Assemblée,  a  son 
tour,  knaDda  à  sa  barre  le  président  de  la  Commune, 
HugnemD,  qui  ne  daigna  comparattre.  Elle  prit  alors 
ttne  résolution  naturelle ,  mais  Tort  périlleuse  dans 
la  situation,  ce  lut  de  briser  la  Commune. 

Celle-ci  se  brisait  elle-même  par  son  furieux  esprit 
de  tyrannie  anarchique.  Cbacuu  des  membres  de  ce 
Gorpa  étrange  affectait  la  dictature,  agissait  en  maître 
et  seul,  sans  se  soucier  d'aucune  autorité  antérieure, 
souvent  sans  consulter  la  Commune  elle-même.  Ce 
n'est  pas  tout  ;  chacun  de  ces  dictateurs  croyait  pou* 
voir  déléguer  sa  dictature  à  ses  amis.  Les  affaires  les 
plus  délicates,  où  la  vie,  la  liberté,  la  fortune  des 
hommes  étaient  en  jeu,  se  trouvaient  tranchées  par 
des  inconnus,  sans  mandat,  sans  mission,  par  de  zélés 
patriotes,  dévoués,  de  bonne  volonté,  qui  n'avaient 
nul  autre  titre.  Ils  allaient  chez  les  suspects  (et  tout 
riche  était  suspect),  faisaient  des  saisies,  des  in* 
ventaires,  prenaient  des  armes  précieuses  ou  au- 
tres objets  qui,  disaient^ils,  étaient  d'utilité  pu* 
blique. 

Un  fait  étonnant  en  ce  genre  fut  révélé  à  T Asaem* 
blée.  Un  quidam,  se  disant  membre  de  la  Commune, 
se  fait  ouvrir  le  garde-meuble,  et  voyant  un  canon 
d'argent,  donné  jadis  à  Louis  XIV,  le  trouve  de  bonne 
prise,  le  fait  emporter.  Cambon,  l'austère  gardien  de 
la  fortune  publique,  s'éleva  avec  indignation  contre 
an  tel  désordre,  et  fit  venir  à  la  barre  Thonime  qui 
£EUsait  un  tel  usage  de  l'autorité  de  la  Commune. 
L'homme  vint,  il  ne  nia  point,  ne  s'excusa  point,  dit 


L'ASSEMBLte  ES8AR  DE  LA  BRISBR.  165* 

ffOideiBmit^a'n  avait  pensé  que  cet  objet  eouraît 
qmlqQe  raquê,  que  (Tautres  auraient  bien  pu  le 
prendre,  que,  pour  éviter  ce  malheur,  il  l'avait  em- 
porté chez  lui. 

L'Assemblée  n'en  voulut  pas  davantage.  Un  tel 
fiait  pariait  assez  haut.  Une  section,  celle  des  Lom- 
bards, présidée  par  le  jeune  Louvet,  avait  déclaré  que 
le  omiseil  général  de  la  Commune  était  coupable 
d'usurpation.  Canibon  demanda  et  fit  décréter  par 
l'Assemblée  nationale  que  les  membres  de  ce  conseil 
représentassent  les  pouvoirs  qu'ils  tenaient  du  peu- 
ple :  «  S'ils  ne  le  peuvent,  dit-il,  il  faut  les  punir.  Le 
même  jour,  30  août,  à  S  heures  du  soir,  l'Assemblée, 
sur  la  proposition  de  Guadet,  décida  que  le  président 
de  la  Commune,  cet  Hugiienin,  qui  dédaignait  de 
comparaître,  serait  amené  à  la  barre,  et  qu'une  noa« 
velle  Commune  serait  nommée  par  les  sections  dans 
les  vingt-quatre  heures.  —  Du  reste,  pour  adoucir  ce 
que  la  décision  avait  de  trop  rude,  on  décréta  que 
l'ancienne  avait  bien  mérité  de  la  pairie.  On  la  cou- 
ronnait, et  on  la  chassait. 

LaCcmimune  du  10  août  s'obstinait  à  subsister; 
elle  ne  voulait  être  ni  chassée,  ni  couronnée.  Son 
secréture,  Tallien,  à  la  section  des  Thermes,  prés 
des  CordelierSf  demanda  qu'on  marchât  en  armes 
contre  la  section  des  Lombards,  coupable  de  blâmer 
la  Commune.  Et  ce  qui  parut  effrayant,  c'est  que  le 
prudeot  Robespierre  parla  dans  le  même  sens,  au  sein 
même  du  conseil  général,  à  l'Hôtel  de-Ville.  Un 
homme  de  Robespierre,  Lhuillier,  à  la  section  dé 


IM  LA  COXXONe  VEUT 

Mauconseil,  ouvrit  de  même  Tavis  que  le  peuple  ae 
levât  et  soutint  par  les  armes  la  Commune  contre 
rAsseniblée. 

II  était  évident  que  la  Commune  éiait  résolue  à  se 
maintenir  par  tous  les  moyens.  Tallien  se  chai^ea  de 
terrifier  rAsseniblée.  La  nuit  même  il  y  alla  avec  une 
masse  d'hommes  à  piques,  rappela  insolemment  : 
c  Que  la  Commune  seule  avait  &iit  remonter  T Assem- 
blée au  rang  de  représentants  d'un  i)euple  libre,  » 
vanta  les  actes  do  la  Commune,  spécialement  l'ar- 
restation des  prêtres  perturbateurs  :  «  Sous  peu  de 
jours,  ditnl,  le  sol  de  la  liberté  sera  ptirgé  de  leur 
présence.  »  Ce  dernier  mot,  horriblement  équivoque, 
soulevait  un  coin  du  voile.  Les  meneurs  étaient  dé- 
cidés à  garder  la  dictature,  s'il  le  fallait,  par  un  mas* 
sacre.  Tallien  ne  parlait  que  des  prêtres;  mais  Marat, 
qui  du  moins  eut  toujours  le  mérite  de  la  clarté,  de- 
mandait dans  ses  afliches  qu'on  massacrât  de  pré- 
férence l'Assemblée  nationale. 

Il  était  deux  heures  de  nuit;  la  bande  qui  re* 
présentait  le  peuple  et  qui  suivait  Tallien  deman- 
da à  défiler  dans  la  salle,  «  pour  voir,  disaient-ils, 
les  représentants  de  la  Commune  »,  affectant  de 
croire  qu'ils  étaient  eu  péril  dans  le  sein  de  l'Assem* 
blée.  Celle-ci  se  montra  très-ferme,  fit  dire  qu'on 
n'entrerait  pas.  «  Alors  donc,  disait  lorateur  de  la 
bande,  sur  un  ton  niaisement  féroce,  alors  nous  ne 
sommes  pas  libres.  »  L'effet  fut  juste  le  contraire  de 
celui  qu'on  avait  cru.  L'Assemblée  se  souleva,  se 
montra  prête  à  prendre  des  mesures  sévères,  hardies, 


M  HAlHTEimi  PàSk  TOOS  LES  lÉOTEHS.  MK 

•t  leprocareur  de  lacommune,  Ifainiiel,  crut  prudent 
de  calmer  cette  indignatioo  en  faisant  arrêter  le 
malencontreux  orateur. 

Leiendemain,  Huguenin,  président  de  la  Commune, 
▼int  amuser  TAssemblée  par  un  mot  illusoire  de  ré-» 
paration.  Le  but  était  probablement  de  couvrir  ce  que 
préparaient  les  meneurs.  Convaincus  Termement 
qu'eux  seuls  pouvaient  sauver  la  patrie,  ils  voulaient 
assurer  leur  réélection  par  la  terreur.  Le  massacre 
était  dès-lors  résolu  dans  leur  esprit. 

Il  n'était  pas  nécessaire  d'ordonner,  il  suffisait  de 
laisser  Paris  dans  Télat  de  sourde  fureur  qui  couvait 
au  fond  des  masses.  Cette  grande  foule  d'hommes 
qui,  du  matin  au  soir,  les  bras  croisés,  le  ventre  vide, 
^ttaient  le  pavé,  souffraient  infiniment,  non  de  leur 
misère  seulement,  mais  de  leur  inaction.  Ce  peuple 
n'avait  rien  à  faire,  demandait  quelque  chose  à  faire; 
il  r6dait,  sombre  ouvrier,  cherchant  tout  au  moins 
quelque  œuvre  de  ruine  et  de  mort.  Les  spectacles 
qu'il  avait  sous  les  yeux  n'étaient  pas  propres  à  le 
calmer.  Aux  Tuileries  on  tenait  exposé  un  simulacre 
de  la  cérémonie  funèbre  des  morts  du  10  août,  qui 
toujours  demandaient  vengeance.  La  guillotine  en 
permanence  au  Carrousel,  c^ètait  bien  une  distrac- 
tion ;  les  yeux  étaient  occupés,  mais  les  mains  res* 
taient  oisives.  Elles  s'étaient  employées  un  moment 
à  briser  les  statues  des  rois.  Mais  pourquoi  briser  des 
images?  pourquoi  pas  des  réalités?  Au  lieu  de  punir 
des  rois  en  peinture,  n'aurait-on  pas  dû  plutôt  s'en 
prendre  à  celui  qui  était  au  Temple,  à  ses  amis,  aux 


iOA  DisNtmoN  AU  Uàa&Âcm  (nu  aovt  ut). 

aristocrates  qui  appelaient  Tôtrangert  €  Nous  altons 
(sdmbattre  les  ennemis  à  la  frontière,  disaienl-ils,  et 
nous  les  laissons  ici.  » 

L'attitude  des  royalistes  était  singulièrement  pro- 
voquante. On  ne  passait  guère  le  long  des  murs  des 
prisons  sans  les  entendre  chanter.  Ceux  de  l'Abbaye 
insultaient  les  gens  du  quartier,  à  travers  les  grilles, 
avec  des  cris,  des  menaces,  des  signes  outrageants. 
C'est  ce  qu'on  lit  dans  Tenquète  Faite  plus  tard  sur 
les  massacres  de  septembre.  Un  jour,  ceux  de  la 
Force  essayèrent  de  mettre  le  feu  à  la  prison,  et  il 
fallut  appeler  un  renfort  de  garde  nationale. 

Riches  pour  la  plupart,  et  ménageant  peu  la 
dépense,  les  prisonniers  passaient  le  temps  en  repas 
joyeux,  buvaient  au  Roi,  aux  Prussiens,  k  la  pix>-* 
chaîne  délivrance.  Leurs  mattfesses  venaient  les 
voir,  manger  avec  eux.  Les  geôliers,  devenus 
valets  de  chambre  et  commissionnaires,  allaient 
et  venaient  pour  leurs  nobles  mattres,  portaient, 
montraient,  devant  tout  le  monde,  les  vins  fins,  les 
mets  délicats.  L'or  roulait  à  l'Abbaye.  Les  afliunés 
de  la  rue  regardaient  et  s'indignaient;  ils  deraan* 
daient  d'où  venait  aux  prisonniers  ce  pactole  in- 
épuisable; on  supposait,  et  peut-être  la  supposition 
n'était  pas  tout-à-fail  sans  fondement,  que  l'énorme 
quantité  de  faux  assignats  qui  circulait  dans  Paris  et 
désespérait  le  peuple  se  fabriquait  dans  les  prisons. 
La  Commune  donna  à  ce  bruit  une  nouvelle  consi- 
stance en  ordonnant  une  enquête.  La  foule  avait 
grande  envie  de  simplifier  l'enquête  en  tuant  tout , 


DISPOSITION  AU  MASSACRE  (Fl.N  AOUT  92).  i07 

pè1e*m61e,  les  aristocrates,  les  Taussaires  et  Taux  mon- 
nayeurs,  leur  brisant  sur  la  tète  leur  fausse  planche 
aux  assignats. 

A  cette  tentation  de  meurtre  une  autre  idée  se  joi- 
gnit, idée  barbare,  enrantine,  qu*on  retrouve  tant  de 
fois  aux  premier»  àges^es^uplet,  'dans  la  haute  an- 
tiquîtéy  ridée  d'une  grande  et  radicale  purgation  mo- 
rale, Tespoir  d'assainir  le  monde  par  l'extermination 
absolue  du  mal. 

La  Commune,  pi^ane  en  ceci  du  sentiment  popu- 
laire, déclara  qu'elle  arrêterait  non  les  aristocrate^ 
seulement,  mais  les  escrocs,  les  joueurs,  les  gens  de 
mauvaise  ¥ie.  Le  massacre,  chose  peu  remarquée,  fut 
plus  général  au  Cbàtelet,  où  étaient  les  voleurs,  qu'à 
l'AblMiye  et  à  la  Forcée,  où  étaient  les  aristocrates. 
L'idée  absolue  d'une  purgaticm  morale  donna  &  beau- 
coup d'entre  eux  une  sérénité  terrible  de  conscience, 
un  scrupule  effroyable  de  rien  épargner.  Un  homme 
vint  quelques  jours  après  se  confesser  à  Marat  d'avoir 
eu  la  faiblesse  d'épargner  un  aristocrate  ;  il  avai(  les 
larmes  aux  yeux.  L'Ami  du  peuple  lui  parla  avec 
bouté,  lui  dpnna  l'absolution  ;  mais  cet  homme  ne  se 
pardonnait  pas  à  lui-même»  il  ne  parvenait  pas  à  se 
consoler. 


CHAPITRE  IV 

PRÉLUDES   DU   NASSACEB 
(!•'  wpleiBbn  M). 


M  bo«n«,  ni  DastaB,  ni  Robespierre,  ne  domina  1«  sItaâtIOB.  —  Caraetéref 
4iTen  do  eeai  qai  Tonlalenl  le  matiacro.  —  Inflveneo  dei  HtratiOet  i«r  la 
Conmvoo.  -  La  Conmaoe  obtiinée  à  ne  poinl  te  diMondre.^Préladeo  d« 
BaiMCrf.— L'Anfmblée,  poorapuiser  la  Conroone,  réToqoe  mq  deereL  — 
RobeKpierre  roniellle  à  la  Commune  do  remettre  le  pootôir  an  peuple.  «- 
Da  coniié  de  nrveillance.  Sergent,  Pania— -Panis,  bean- frère  de  Sanceno, 
ami  commun  de  Robespierre  et  de  Harat.  ^  11  inlrodoit  Harat  an  comflé 
do  annroillanco. 


Dans  ces  prorondes  ténèbres  que  toutes  choses 
contribuaient  à  épaissir,  où  l'idée  de  justice,  bizarre- 
ment pervertie,  aidait  elle-même  h  obscurcir  la  der- 
nière lueur  du  juste,  la  conscience  publique  se  serait 
retrouvée  peut-être,  s'il  y  eût  eu  un  homme  assez 
fort  pour  garder  au  moins  la  sienne»  tenir  ferme  et 
haut  son  cœur. 

11  ne  fallait  pas  marcher  à  rencontre  de  la  fureur 
populaire.  Il  fallait  planer  plus  haut,  faire  voir  au 
peuple  dans  ceux  qui  lui  inspiraient  confiance  une 
sérénité  héroïque  qui  Tassuràt,  TaiTermlt,  Félevàt  au* 


JIOL  HOSMB,  m  DANTON.  RI  ROBESP.,  KB  DOMINA  LA  SITUATION.  M 

dessus  des  basses  et  cruelles  pensées  de  la  peur.  Une 
chose  manqua  à  la  situation ,  la  seule  qui  sauve  les 
hommes  quand  Tidée  s*ubscurcit  pour  eux,  un  homme, 
Traiment  grand,  un  héros. 

Robespierre  avait  autorité,  Danton  avait  force. 
Aucun  d'eux  ne  fut  cet  homme. 

Ni  Tun  ni  Tautre  n'osa. 

Le  cher  des  Jacobins,  avec  sa  gravité,  sa  ténacité, 
sa  puissance  morale;  le  chef  des  Cordeliers,  avec 
son  entraînante  énergie  et  ses  instincts  magnanimes, 
n'eurent  pourtant  ni  l'un  ni  l'autre  une  sublime  fa- 
culté, la  seule  qui  pût  illuminer,  transfigurer  la  som- 
bre fureur  du  moment.  Il  leur  manquait  entièrement 
cette  chose,  commune  depuis,  rare  alors  bien  plus 
qu  on  ne  croit,  Fétincelle  militaire.  Pour  chasser  dea 
cœurs  le  démon  du  massacre,  le  faire  rougir  de  lui* 
même,  le  renvoyer  à  ses  ténèbres,  il  fallait  avoir  en 
soi  le  noble  et  serein  génie  des  batailles,  qui  frappe 
sans  peur  ni  colère,  et  regarde  en  paix  la  mort. 

Celui  qui  l'eût  eu,  ce  génie,  eût  pris  un  drapeau, 
eût  demandé  à  ces  bandes  si  elles  ne  voulaient  se 
battre  qu'avec  des  gens  désarmés;  il  eût  déclaré  in-* 
fàme  quiconque  menaçait  les  prisons.  Quoiqu'une 
grande  partie  du  peuple  approuvât  l'idée  du  mas- 
sacre, les  massacreurs,  on  le  verra,  étaient  peu 
nombreux.  Et  il  n'était  nullement  nécessaire  de  les 
massacrer  eux-mêmes,  pour  les  contenir.  Il  eût 
suffi,  répétons-le,  de  n'avoir  pas  peur,  de  profiter 
de  l'immense  élan  militaire  qui  dominait  dans  Paris, 
d'envelopper  ce  petit  nombre  dans  la  masse  et 


ff^   V  OkHACXÈÊM  DIVIAS 

le'IaarbîHoù  qui  se  serait,  formé  des  Yo(oDtafrM 
yriiinieni  soldats,  et  de  la  partie  patriote  de  la  ftarâé 
nationale.  H  eût  fallu  que  la  bonne  et  saine  partie 
du  peuple,  incomparablement  plus  nombreuse,  flkt 
caaniitée,..eiicoui!agéè,  par  dés  hommes  d'an  nom  po- 
pulaire. Qui  n*eût  suivi  Robespierre  et  Dantoti,  ai 
tous  dçux,  dans  cette  crise,  rapprochés  et  tte  faisant 
qu'^w  pour  sauver  l'bonneur  de  la  France,  avaient 
pioelamé  que  lé  drapeau  de  rhumanité  était  celui  de 
la  patrie? 

Observoos^es  bien  en  face,  ces  deux  cbefii  dé 
l'opinion,  dont  Taotorité  morale  s'eflSiça^  en  présence 
du  honteux  événement. 

:  Celle  de  Robespierre,  il  faut  le  dire,  était  quelque 
peu  ébranlée.  La  France  entière  avait  voulu  li 
guerre;  Robespierre  avait  conseillé  la  paix.  La  guerre 
au  roi,  Tinsurreclion,  n'avait  nullement  été  enoou^ 
tagée  par  lui  ;  il  avait  protesté  se  renfermer  dans  les 
limites  de  la  Constitution.  Le  comité  insurrectionnel 
du  10  août  s'était  un  moment  réuni  dans  la  maison 
même  où  demeurait  Robespierre,  et  il  n'avait  point 
paru.  Nommé  accusateur  public  près  de  la  hanté  cour 
oriminelle,  il  avait  décliné  ce  triste  et  périlleux  hon- 
neur, sous  prétexte  que  les  aristocrates,  si  longtemps 
dénoncés  par  lui,  étaient  ses  ennemis  personnels,  et 
qu'à  ce  titre  ils  auraient  droit  de  le  récuser.  Le  Jfe- 
riùeur  l'avait  désigné  comme  le  conseil  de  Danton,  au 
ministère  de  la  justice;  qu*y  avait^^il  fait?  Il  siégeait 
comme  membre  du  conseil^néral  de  la  commune* 
Bt  là..mème,  sauf  un  discours  à  l'Assemblée  na« 


DE  CSQX  QUI  VOOLAinrr  LB  lUMàCRB.  lit 

tiouale*  od  De  voyait  pis  assez  la  trace  de  son 
activité- 
Là  fxmrUnt  il  se  trouvait  sur  le  terrain  des  pas* 
sioos  les  plus  brûlantes;  Ut,  il  n'y  avait  guère  moyen 
de  s*en  tenir  aux  principes  généraus,  comme  il  avait 
fait  à  la  Constituante,  ni  aux  délations  vagues,  comme 
il  Taisait  aux  Jacobins.  Pour  la  première  fois  de  sa 
vie^  il  lui  fallait  i^ir,  parler  nettement,  ou  bien  s'aïf» 
nnler  pour  toujours,  La  Commune  du  10  août, 
quelque  violente  qu'elle  fût,  comptait  pourtant  deux 
partis,  les  indulgents,  les  atroces.  Se  décider  pouif 
les  premiers,  c'était  se  mettre  h  la  suite  de  Pétion  et 
de  Manuel,  laisser  à  Danton  l'avant-garde  de  la  ré^ 
volution,  probablement  l'initiative  de  la  violence* 
Danton  paraissait  peu  à  la  Commune;  nulle  mesure 
atroce  n'y  fut  conseillée  par  lui.  Mais  la  Commune 
avait  pour  secrétaire  un  très^ardent  dantoniste,  qui 
disait  et  faisait  croire  qu'il  avait  le  mot  de  Danton, 
je  parle  du  jeune  Tallien, 

La  concurrence  de  Danton,  la  crainte  de  le  laisser 
grandir,  pendant  que  lui  diminuait,  était  sans  nul 
doute  la  préoccupation  de  Robespierre.  11  y  avait  là 
comme  une  impulsion  fatale  qui  pouvait  le  mener  à 
tout,  )1  trouvait,  à  la  Commune  et  au^d^ors,  parmi 
les  plus  avancés,  une  classe  d'bommes  spécialement 
qui  l'embarrassait  beaucoup,  le  mettant  en  demeure 
de  se  décider  sur-le-cbamp.  Ces  exaltés  qui,  direc-* 
tement  ou  indirectement  (quelques-uns  sans  le  savoir), 
poussaient  au  massacre,  étaient,  par  un  contraste 
étrange,  ceux  qu'on  pouvait  appeler  In  ariiitei  et 


lit  tKPLUENCE  DBS  MARATISTES 

htmmes  iensibles.  C'étaient  des  gerts  nés  ivres,  si  je 
puis  parler  ainsi,  rhéteurs  larmoyants,  tous  avaient 
le  don  des  larmes  :  Hébert  pleurait,  Collot  pleu- 
rait, Panis  pleurait,  etc.  Avec  cela,  comme  la  plu- 
part étaient  des  auteurs  du  troisième  ordre ,  des  ar-- 
tistes  médiocres,  des  acteurs  siffles,  ils  avaient,  sotis 
leur  philanthropie,  un  fonds  général  de  rancune  et 
d'envenimement  qui,  par  moments,  tournait  à  la  rage. 
Le  type  du  genre  était  Collot-d'Herbois,  acteur  mê- 
drocre  et  fade  écrivain,  auteur  moral  et  patriotique, 
homme  sensible,  s'il  en  Tut,  toujours  gris,  et  souvent 
ivre,  noyé  de  larmes  et  d'eau-de-vie.  On  sait  son 
ivresse  de  Lyon,  la  poésie  d'extermination  qu'il  cher- 
cha dans  les  mitraillades,  jouissant  (comme  cet  autre 
artiste,. Néron]  de  la  destruction  d'une  ville.  Relégué 
à  Sinamary,  essayant  d'augmenter  la  dose  d'eau-de- 
vie  et  d'émotion,  il  finit  dignement  sa  vie  par  une 
bouteille  d'eau  forte. 

*  Tous  n'étaient  pas  h  ce  niveau;  mais  tous  dans 
cette  classe  d^artistes  voulaient,  selon  le  génie  du 
drame,  pousser  la  situation  jusqu'où  elle  pouvait  al- 
ler. 11  leur  fallait  des  crises  rapides  et  pathétiques, 
surtout  des  changements  a  vue.  La  mort,  sous  ce 
dernier  rapport ,  semble  chose  d*art  et  saisissante.  La 
vie  semble  moins  artiste,  parce  que  les  changements 
y  sont  lents  et  successifs.  Il  faut  des  yeux  et  du  cœur 
pour  voir  et  goûter  les  lentes  transitions  de  la  vie,  de 
la  nature  qui  enfante.  Mais,  pour  la  destruction,  elle 
frappe  l'homme  le  plus  médiocre.  Les  faibles  et 
mauvais  dramaturges,  les  rhéteurs  impuissante  qui 


&|]R  LA  CO)iMCKE.  115 

cherchent  les  grands  effets,  doivent  se  plaire  aux 
destractions  rapides.  Us  se  croient  alors  de  grands 
magiciens ,  des  dieux  y  quand  ils  défont  Tœuvre  de 
Dieu.  Ils  trouvent  beau  de  pouvoir  exterminer  d'un 
mot  ce  qui  coûta  tant  de  temps,  de  supprimer  d*un 
clin-d'œil  l'obstacle  vivant,  devoir  leurs  ennemis 
disparaître  sous  leur  souffle.  Us  savourent  la  poésie 
stupide  et  barbare  du  mot  :  «  J'ai  passé,  ils  n'étaient 
plus...  » 

Cette  classe  d'hommes  y  sans  être  positivement 
fous  furieux  comme  Marat,  particip«iient  plus  ou 
moins  à  son  excentricité  ;  ils  se  groupaient  autour  de 
lui.  Ils  faisaient  tout  l'embarras  des  deux  politiques, 
de  Danton  et  de  Robespierre.  Ces  deux  rivaux  d'in- 
fluence osèrent  d'autant  moins  contredire  les  Mara- 
tistes,  que  celui  des  deux  qui  eût  hasardé  un  seul 
mot  d'objection  eût  donné  ce  parti  à  son  rival  et 
se  fût  lui-même  annulé,  comme  absorbé  dans  la 
Gironde. 

Danton,  ministre  de  la  justice,  avait  dans  ses  fonc- 
tions un  prétexte,  plus  ou  moins  spécieux,  pour  ne 
point  paraître  à  la  Commune  dans  cette  terrible 
crise.  On  va  voir  comme  il  s'effaça,  avant,  pendant  le 
massacre. 

Robespierre,  membre  de  la  Commune,  et  sans 
autre  fonction,  y  siégeait  nécessairement.  11  attendit 
assez  tard,  jusqu'au  soir  du  1''  septembre  pour  se 
décider,  embrasser  le  parti  des  violents.  Mais  le  pas 
une  fois  fait,  il  répara  le  temps  perdu,  les  atteignit, 
les  dépassa. 

IV.  • 


UA  U  COMMUNE  OBSTINÉE 

Le  grand  jour  du  1*'  septembre  devait-  décider 
entre  l'Assemblée  et  la  Commune.  L'Assemblée,  le 
30  août,  avait  décrété  que,  dans  les  vingt^tiatre  heu- 
res^ les  sections  nommeraient  un  nouveau  conseil 
général  de  la  Commune.  Les  vingt-quatre  heures 
couraient  du  moment  où  le  décret  Tut  rendu  (qua- 
tre heures  de  l'après-midi);  il  devait  s'exécuter  le 
lendemain  à  la  même  heure  et  dans  la  soirée.  Mais 
la  Commune  pesait  d'une  telle  terreur  dans  les  sec- 
tions que  la  plupart  n'osèrent  point  exécuter  le 
décret  de  l'Assemblée.  Elles  prétextèrent  que  le  dé- 
cret ne  leur  avait  pas  été  notifié  oflBciellement.  Qu'ar- 
riverait-il lel*'  septembre,  si  l'Assemblée  confirmait 
son  décret,  si  le  combat  s'engageait  entre  ceux  qui 
obéiraient  et  ceux  qui  ne  le  voudraient  pas  T  L'As- 
semblée, dans  ce  cas,  aurait  eu  un  malheur,  c'eût 
été  de  voir  les  royalistes  se  joindre  à  elle,  armer  pour 
elle  peut-être,  la  compromettre  en  attendant  qu'ils 
pussent  la  renverser.  Victorieuse,  elle  était  perdue, 
et  la  France  peut-être  avec  elle. 

La  Commune,  tout  indignes  qu'étaient  beaucoup 
de  ses  membres  par  leur  tyrannie,  leur  férocité, 
avait  pourtant  ceci  en  sa  faveur  que  jamais  les  roya- 
listes ne  pouvaient  pactiser  avec  elle;  elle  représen- 
tait le  10  août.  Tout  le  monde  reconnaissait,  on 
exagérait  même  la  part  qu'elle  avait  prise  à  ce  grand 
acte  du  peuple.  Gloire  ou  crime,  quelle  que  fût  l'opi- 
nion des  partis,  c'est  à  la  Commune  qu'on  attribuait 
le  renversement  delà  royauté.  Elle  était,  à  coup  sûr, 
une  force  anti-royaliste,  la  plus  sûre  contre  les  com* 


A  m  POINT  SB  DISSOUDRB  (AOGT^BFrBMBRE  92).  115 

ploU  du  dedans,  la  plus  sûre  contre  l'étranger.  Tout 
patriote  devait  bien  y  regarder,  malgré  les  excès  de 
la  Commune,  avant  de  se  déclarer  contre  elle. 

Elle  avait  foi  ed  elle-même*  Beaucoup  de  ses  mem- 
bres croyaient  sincèrement  qu'eux  seuls  pouvaient 
sauver  la  France.  Us  voulaient  garder  à  tout  prix  la 
dictature  de  salut  public  qu'ils  se  trouvaient  avoir  en 
main.  D'autres,  il  faut  le  dire,  n'étaient  pas  peu 
conGrmés  dans  cette  foi  par  leur  instinct  de  ty^ 
rannie;  ils  étaient  rois  de  Paris  par  la  grâce  du  10 
août,  et  rois  ils  voulaient  rester.  Ils  disposaient 
de  fonds  énormes,  impôts  municipaux,  fonds  des 
travaux  publics,  subsistances,  etc.  Ils  allaient  re- 
cevoir le  monstrueux  fonds  de  police,  d'un  million 
par  mois,  qu'avait  voté  l'Assemblée.  On  ne  vo- 
lait pas  beaucoup  encore  en  92,  avant  la  démo- 
ralisation qui  suivit  les  massacres  de  septembre. 
Il  y  avait  chez  tous  une  certaine  pureté  de  jeunesse 
et  d'enthousiasme;  la  cupidité  s'ajournait.  Les  plus 
purs  toutefois  maniaient  volontiers  l'argent;  ils 
l'aimaient,  tout  au  moins,  comme  puissance  po-^ 
pulaire. 

Donc,  pour  tant  de  raisons  diverses,  la  Commune 
était  parfaitement  décidée  à  ne  pas  permettre  l'exé- 
cution du  décret  de  l'Assemblée,  à  se  maintenir  par 
la  force.  La  situation  de  Paris,  orageuse  au  plus 
haut  degré,  ne  pouvait  guère  manquer  de  fournir 
des  prétextes,  des  nécessités  de  désobéir. 

Le  31  août)  un  mouvement  avait  eu  lieu  autour  de 
l'Abbaye.  Un  M.  de  Montmorin  ayant  été  acquitté,  la 


itd      PRÉLUDES  DC  MASSACRE  {\f  SEPTEMBRE  92). 

foule,  qui  le  conrondait  avec  le  ministre  de  ce  dgh], 
menaça  de  forcer  la  pinson  et  de  se  faire  justice  elle- 
même. 

Le  1*''  septembre,  une  scène  effiroyable  eut  lieu  à 
la  place  de  Grève.  Un  voleur  qu'on  exposait,  et  qui 
sans  doute  était  ivre,  s'avisa  de  crier  :  Vive  le  Roi  ! 
vivent  les  Prussiens  !  et  Mort  à  la  Nation  !  11  fut  à 
rinstant  arraché  du  pilori,  il  allait  être  mis  en  pièces. 
Le  procureur  de  la  Commune,  Manuel,  se  précipita, 
le  reprit  des  mains  du  peuple,  le  sauva  dans  THôtel- 
de-Ville.  Mais  il  élait  lui-même  dans  un  extrême  pé- 
ril ;  il  lui  fallut  promettre  qu'un  jury  populaire  juge- 
rait le  coupable.  Ce  jury  prononça  la  mort.  L'auto- 
rité tint  cette  sentence  pour  bonne  et  valable:  elle 
fut  exécutée;  Thomme  périt  le  lendemain. 

Ainsi,  tout  marchait  au  massacre.  Le  même  jour, 
1*'  septembre,  un  gendarme  apporta  à  la  Commune 
une  montre  d'or  qu'il  avait  prise  au  10  août,  deman- 
dant ce  qu'il  devait  en  faire.  Le  secrétaire  Tallien  lui 
dit  qu'il  devait  la  garder.  Grand  encouragement  au 
meurtre.  Plusieurs  furent  bien  tentés  de  conclure  de 
ce  précédent  que  les  dépouilles  des  grands  seigneurs, 
des  riches  qui  étaient  à  l'Abbaye,  appartiendraient  à 
ceux  qui  pourraient  délivrer  la  nation  de  ces  ennemis 
publics. 

La  séance  du  conseil  général  de  la  Commune  fut 
suspendue  jusqu'à  cinq  heures  du  soir.  L'Assemblée, 
très-effrayée  de  l'événement  que  tout  le  monde  voyait 
venir  pour  le  lendemain  dimanche,  essaya,  dans  cet 
intervalle,  un  dernier  moyen  de  le  prévenir.  Elle  ta- 


L*ASSEIIBLÉE  VEUT  APAISER  LA  COMMUNE.  i\1 

cha  d'apaiser  la  Commune ,  rapporta  le  décret  qui 
prescrivait  à  ses  membres  de  justifier  des  pouvoirs 
qu'ils  avaient  reçus  le  10  août. 

«  Ce  n'est  pas  tout,  dit  un  membre  de  l'Assemblée, 
vous  avez  décrété,  il  y  a  deux  jours,  que  la  Commune 
a  bien  mérité  de  la  patrie  ;  cette  rédaction  ne  vaut 
rien;  il  faut  un  nouveau  vote,  où  l'on  dira  expressé- 
ment les  représentants  de  la  Commune.  »  En  effet,  tout 
en  louant  la  Commune  en  général,  on  aurait  bien  pu 
plus  lard  rechercher,  poursuivre  tel  ou  tel  de  ses 
membres  pour  tant  d'actes  illégaux.  La  nouvelle  ré- 
daction leur  assurait  à  chacun  le  bill  d'indemnité  le 
plus  rassurant.  L'Assemblée  ne  voulut  pas  chicaner 
dans  un  tel  moment;  elle  vota  ce  qu'on  voulait. 

La  séance  de  la  Commune  reprit  à  cinq  heures  du 
soir.  Et  d'abord  il  paraît  que  le  décret  pacifique  de 
l'Assemblée  n'y  était  pas  connu  encore.  Robespierre 
y  parla  des  nouvelles  élections.  Mais,  le  décret  ayant 
sans  doute  été  connu  pendant  la  séance,  Robespierre, 
enhardi  par  les  tergiversations  de  l'Assemblée,  reprit 
la  parole  sur  un  ton  très-diflFérenl,  avec  une  violence, 
inattendue.  Il  parla  longuement  des  manœuvres  qu'on 
avait  employées  pour  faire  perdre  au  conseil-général 
la  confiance  publique,  et  soutint  que,  tout  digue  que 
le  conseil  était  de  cette  confiance,  il  devait  se  retirer, 
employer  le  seul  moyen  qui  restât  de  sauver  le  peuple  : 
remettre  au  peuple  le  pouvoir. 

Remettre  au  peuple  le  pouvoir?  Comment  fallait-il 
entendre  ce  mot?  Cela  signifiait-il  qu'il  fallait  laisser 
le  peuple  faire  les  nouvelles  élections,  commencées 


118  L'ASSEMBLÉE  VEUT  APAISÇfl  LA  COMMDNK. 

selon  le  décret  et  sous  TiDduence  de  rAssembléeT 
Nullement.  Robespierre  venait  de  Xaire  le  procès  de 
r Assemblée  même,  en  énumérant  les  manœuvres  di- 
rigées contre  la  Commune.  Il  n'aurait  pu,  sans  se 
contredire  étrangement,  proposer  de  laisser  voterje 
peuple  au  gré  d'une  Assemblée  suspecte.  Remettre  au 
peuple  le  pouvoir  signifiait  évidemment  :  déposer  le 
pouvoir  légal  pour  s'en  rapporter  à  l'action  révolu- 
tionnaire des  masses,  en  appeler  au  peuple  contre 
l'Assemblée. 

Le  nouveau  conseil  n'étant  pas  élu,  et  l'ancien  se 
retirant,  Paris  serait  reste  sans  autorité.  Si  la  Com- 
mune du  10  août,  la.  grande  autorité  populaire, 
qui  semblait  avoir  sauvé  déjà  une  fois  la  patrie,  dé- 
clarait elle-même  qu'elle  ne  pouvait  plu3  rien  pour 
son  salut,  à  qui  remettait-elle  le  pouvoir?  à  nul  autre 
qu'au  désespoir,  h  la  rage  populaire.  Disant  qu'elle 
n^agirait  pas,  que  c'était  aux  masses  d'agir,  elle 
agissait  en  réalité,  et  de  la  manière  la  plus  terrible  ; 
c'était  comme  si  elle  eût  retiré  sa  défense  de  la  porte 
des  prisons,  l'eût  ouverte  toute  grande...  Le  massacre 
était  vraisemblable  ;  mais  l'excès  même  du  désordre, 
l'effroi  de  Paris,  eussent  eu  l'effet  nécessaire  de  ra- 
mener la  Commune.  On  allait  venir  à  genoux  la  re^ 
chercher,  la  rappeler;  elle  rentrait  en  triomphe  dans 
l'Hôtel-de-Ville-  La  nullité  de  l'Assemblée  était 
définitivement  constatée;  la  Commune  de  Paris,  la 
grande  puissance  révolutionnaire,  régnait  seule  et 
sauvait  la  France. 

On  connaît  trop  bien  Robespierre  pour  croire  que 


PRÉLUDE  DU  MASSACRE  (!•'  SEPTEMBRE  92\  il9 

le  premier  jour  il  ait  précisé  ses  accusatioDS.  Présen-* 
tées  d'abord  sous  des  formes  vagues,  à  travers  des 
ombres  terribles,  elles  n'en  avaient  que  plus  d'effet. 
Chacun  comprit,  sans  nulle  peine,  ce  que  les  amis 
de  la  Commune  disaient  depuis  huit  jours  par  tout 
Paris,  ce  que  Robespierre  articula  le  lendemain, 
â  septembre,  pendant  le  massacre  :  Qu'un  parti  puis- 
sant offrait  le  trône  au  duc  de  Brunswick.  Nul  autre 
parti,  en  ce  moment,  n'éiait  puissant  que  la  Gironde. 
La  coupable  folie  d'offrir  la  France  à  l'étranger  avait 
été  celle  du  ministère  de  Narbonne.  11  était  horrible- 
ment calomnieux  de  l'imputer  aux  Girondins  qui 
avaient  chassé  Narbonne.  Les  Girondins,  c'était  leur 
gloire,  avaient  compris  l'élan  guerrier  de  la  France, 
prêché,  malgré  Robespierre,  la  croisade  de  la  liberté. 
Imputer  aux  apôtres  de  la  guerre  le  projet  de  cette 
paix  exécrable ,  dire  que  Vergniaud ,  que  Roland , 
M"^  Roland,  les  plus  honnêtes  gens  de  France,  ven-^ 
daient  la  France  et  la  livraient,  c'était  tellement  in- 
croyable et  si  ridiculement  absurde,  que,  dans  tout 
autre  moment,  cette  calomnie  eût  retombé  sur  son 
auteur,  il  serait  mort  de  son  propre  venin» 

Une  telle  absurdité  pouvait-elle  être  crue  sincère- 
ment d'un  esprit  aussi  sérieux  que  celui  de  Robes- 
pierre? Cela  étonne,  et  pourtant  nous  répondrons 
sans  hésiter  ;  Oui.  Il  était  né  si  crédule  pour  tout  ce 
que  la  haine  et  la  peur  pouvaient  lui  conseiller  de 
croire,  tellement  fanatique  de  lui-même  et  prêt  à 
adorer  ses  songes,  qu'à  chaque  dénonciation  qu'il 
lançait  à  ses  ennemis,  la  conviction  lui  venait  sur- 


120        nOBESriERRE  CONSEILLE  A  LA  COMMUNE 

abondamment.  Plus  il  avançait  dans  ses  assertions 
passionnées ,  se  travaillait  k  leur  donner  des  couleurs 
et  des  vraisemblances  y  et  plus  il  se  convainquait, 
devenait  sincère.  Le  prodigieux  respect  qu'il  avait 
pour  sa  parole  finissait  par  lui  faire  penser  que  toute 
preuve  était  superflue.  Ses  discours  auraient  pu  se 
résumer  dans  ces  paroles  :  «  Robespierre  peut  bien  le 
jurer,  car  déjà  Robespierre  Ta  dit.  » 

Dans  rétat  prodigieux  de  déOance  où  étaient  les 
esprits,  pleins  de  vertige  et  malades,  les  choses 
étaient  crues  justement  en  proportion  du  miracu^ 
leux,  de  l'absurde,  dont  elles  saisissaient  les  esprits. 
Si  du  conseil-général  de  telles  accusations  se  répan* 
daient  dans  la  foule,  elles  pouvaient  avoir  des  effets 
incalculables.  Qui  pouvait  deviner  si  la  masse  furieu* 
se,  ivre  et  folle,  n'allait  pas  forcer  l'Assemblée,  au 
lieu  des  prisons,  chercher  sur  ses  bancs,  le  poignard 
en  main,  ces  traîtres,  ces  apostats,  ces  renégats  de  la 
liberté  qu'on  lui  désignait,  cent  fois  plus  coupables 
qne  les  prisonniers  royalistes? 

Le  procureur  de  la  Commune,  Manuel,  répondit  à 
Robespierre.  Il  n'était  pas  homme  a  tenir  contre  une 
telle  autorité,  la  première  du  temps.  Manuel  était  un 
pauvre  pédant,  ex-régent  ou  précepteur,  homme  de 
lettres  ridicule,  qui,  pour  son  malheur,  était  arrivé, 
par  la  phrase  et  le  bavardage,  au  fatal  honneur  qui 
lui  mit  la  corde  au  col.  Il  essaya  pourtant  de  lutter; 
son  bon  cœur  et  son  humanité  lui  prêtèrent  des  for- 
ces. Tout  en  donnant  d'emphatiques  éloges  à  son 
redoutable  adversaire,  il  rappela  le  serment  des  mem- 


DE  REMETTRE  LE  POUVOIR  AU  PEUPLE  (i"  SEPT.  9Q.   124 

bres  du  conseil  général  :  c  De  ne  point  abandonner 
leur  poste  que  la  patrie  ne  fût  plus  en  danger.  »  La 
majorité  pensa  comme  lui.  A  la  veille  du  terrible  évé- 
nement qui  se  préparait,  et  qui  semblait  infaillible, 
plusieurs  voulaient  Taecèlérer  par  leur  influence; 
d'autres,  au  contraire,  pensaient  que,  s'ils  ne  pou- 
vaient rien  empêcher  comme  corps  et  autorité  publi- 
que, ils  pourraient  du  moins,  avec  leur  titre  et  leur 
écharpe  de  membres  de  la  commune,  sauver  des 
individus. 

Cette  écharpe  lutélaire,  Manuel  eut  le  bonheur 
d*en  faire  usage  k  l'heure  même.  II  se  rappela  qu'il 
avait  en  prison  un  ennemi  personnel,  Beaumarchais. 
Manuel  était  une  des  victimes  litléraires  que  l'auteur 
de  Figaro  aimait  à  cribler  de  ses  flèches  ;  il  l'avait 
percé,  transpercé.  Manuel  court  h  l'Abbaye,  se  fait 
amener  Beaumarchais.  Celui-ci,  se  trouble,  s'excuse: 
«  Il  ne  s'agit  pas  de  cela,  monsieur,  lui  dit  Manuel, 
vous  êtes  mon  ennemi;  si  vous  restez  ici  pour  être 
égorgé  demain,  que  pourra-ton  dire?  que  j'ai  voulu 
me  venger?...  Sortez  d'ici,  et  sur  l'heure.  »  Beau- 
marchais tomba  dans  ses  bras.  11  était  sauvé.  Manuel 
ne  le  fut  pas  moins,  pour  l'honneur  et  l'avenir. 

Personne  ne  doutait  du  massacre.  Robespierre, 
Tallien  et  autres  firent  réclameraux  prisons  quelques 
prêtres,  leurs  anciens  professeurs.  Danton,  Fabre 
d'Êglantine,  Faucbet,  sauvèrent  aussi  quelques  per- 
sonnes. 

Robespierre  avait  pris  une  responsabilité  immense. 
Dans  ce  moment  d'attente  suprême,  ofi  la  France 


422  DU  COMITÉ  DE  SURVEILLANCE, 

roulait  entre  la  vie  et  la  mort,  où  elle  cherchait  uoe 
prise  ferme,  qui  l'assurât  contre  son  propre  rertige, 
Robespierre  avait  achevé  de  rendre  tout  incertain, 
flottant,  toute  autorité  suspecte.  Ce  qui  restait  de 
force  fut  comme  paralysé  par  cette  puissance  de  mort. 
Le  ministère  et  l'Assemblée,  blessés  de  son  dard,  gi- 
saient inertes  et  ne  poQvaient  rien  ^ 

Le  conseil-général  même,  que  Robespierre  avait 
engagé  à  déclarer  qu'il  s'en  remettait  au  peuple  et 
qui  ne  l'avait  pas  fait,  n'en  était  pas  moins  profondé- 
ment ébranlé,  et  dans  le  doute  sur  ce  qu'il  lui  conve- 
nait de  faire.  Voulait-il,  ne  voulait-il  pas?  agirait-il, 
u'agirait-il  pas?  à  peine  le  savait- il  lui-même. 

Et  si  le  conseil-général  ne  voulait  rien,  ne  faisait 
rien,  s'il  se  dispersait  le  dimanche,  ou  s'assemblait  en 
nombre  insuffisant,  minime,  comme  il  arriva,  qui 
resterait  pour  agir,  sinon  le  comité  de  surveillance? 
Dans  la  grande  assemblée  du  conseil-général,  quelque 
violent  qu'il  pût  être,  les  hommes  de  sang  néanmoins 
n'auraient  jamais  eu  la  majorité.  Au  contraire,  dans 
le  comité  de  surveillance,  composé  de  quinze  per- 
sonnes, le  seul  dissentiment  qui  existât,  c'est  que  les 
uns  voulaient  le  massacre,  les  autres  le  permettaient. 

Il  y  avait  deux  hommes  principaux  dans  ce  comité, 

^  La  Commune  ne  vota  pas  selon  les  conclusions  de  Robespierre  ; 
mais  elle  adopta  son  discours ,  en  quelque  sorte,  Timprima  sur-le- 
champ  et  le  répandit.  Grave  circonstance  que  ni  Barrière,  ni  Bucbez, 
n*ont  conservée  dans  leurs  extraits,  et  qu^attestent  les  originaux.  Ar^ 
chives  de  la  Seine»  Prod^-verbaux  du  cùmeil-^énéral^  registre  XXII, 
p.  4. 


SBEGISNT,  PANIS  H**  SEPTBNBRB  M).  I2S 

Sériât  et  Panis.  Servent,  artiste  jusque-là  estimable, 
laborieux  et  honnôte,  bomme  d'un  cœur  ardent,  pas- 
sioDDâ,  romanesque  (qui  aima  jusqu'à  la  mort),  a  eu 
rbonneur  de  devenir  beau-frère  de  l'illustre  général 
Marceau.  C'est  lui  qui,  au  péril  de  sa  vie,  quelques 
jours  avant  le  10  août,  toucbé  du  désespoir  et  des 
larmes  des  Marseillais,  se  décida,  avec  Panis,  à  leur 
livrer  les  cartoucbes  qui  leur  donnèrent  la  victoire. 
Sergent  n*avait  qu'antipatbie  (il  l'affirme  dans  ses 
Notes,  publiées  par  M.  Noël  Parfait)  pour  rbypocrisie 
de  Robespierre  et  les  fureurs  de  Marat.  11  assure  qu'il 
fut  étranger  à  l'affaire  du  2  septembre.  Il  avait  été 
Tordonnateur  de  celte  terrible  fête  des  morts,  qui,  plus 
qu  aucune  autre  chose,  exalta  dans  les  masses  l'idée 
de  vengeance  et  de  meurtre.  Mais  quand  ce  jour  de 
meurtre  vint,  le  cœur  de  Sergent  n'y  tint  pas,  et 
quoiqu'il  partageât  sans  doute  l'idée  absurde  du  mo*» 
ment,  que  le  massacre  pouvait  sauver  la  France,  il 
s'éclipsa  de  Paris.  Lui-même,  dans  ses  notes  justi- 
ficatives, fait  cet  aveu  accablant  :  Que  le  malin  du 
2  septembre,  il  alla  à  la  campagne^  et  ne  revint  que 
le  soir. 

Panis,  ex-procureur,  auteur  de  vers  ridicules, 
petit  esprit,  dur  et  faux,  était  incapable  d'avoir  par 
lui-même  aucune  influence.  Mais  il  était  beau-frère 
du  fameux  brasseur  du  faubourg,  Santerre,  nou- 
veau commandant  de  la  garde  nationale.  Cette  al-- 
liauce,  et  sa  position  au  comité  de  surveillance,  le 
rendaient  fort  important.  Il  ordonnait  au  comité,  et 
par  son  beau-frère  il  pouvait  influer  sur  l'exécution. 


Ifl  PANIS,  BEAU-FRÊBE  DE  SANTERRE, 

agir  ou  ne  point  agir.  Quand  même  la  majorité  lui 
aurait  été  contraire,  il  était  encore  à  même  de  ne 
point  laisser  exécuter  par  Santerre  ce  que  la  majorité 
aurait  résolu. 

Panis  avait  une  chose  que  n'ont  pas  toujours  les 
sots,  il  était  docile.  Il  reconnaissait  deux  autorités, 
deux  papes,  Robespierre  et  Marat.  Robespierre  était 
son  docteur,  Marat  son  prophète.  Le  divin  Marat  lui 
semblait  peut-être  un  peu  excentrique;  mais  n'a  t-on 
pas  pu  en  dire  autant  d'Isaïe  et  d'Ëzéchiel,  auquel 
Panis  le  comparait?  Quant  à  Robespierre,  il  était 
exactement  la  conscience  de  Panis.  Chaque  matin, 
on  voyait  celui-ci  rue  Saint-Honoré,  à  la  porte  de  son 
directeur;  il  venait  chez  Robespierre  demander,  pour 
la  journée,  ce  qu'il  devait  penser,  faire  et  dire.  C'est 
ce  que  témoigne  Sergent,  son  collègue,  qui  ne  le 
quitta  presque  pas,  tant  que  dura  le  comité  de  sur- 
veillance. Panis  était  tellement  dévot  à  Robespierre, 
que,  dans  sa  ferveur,  il  ne  pouvait  se  contenir.  C'est 
lui  qui^  avant  le  10  août,  menant  Rarbaroux  et  Re- 
becqui,  deux  indévots,  chez  le  dieu,  commit  l'impru- 
dence de  dire  «  Qu'il  faudrait  un  dictateur,  un  homme 
comme  Robespierre,  »  et  reçut  des  Marseillais  la 
violente  réponse  qu'on  a  vue  plus  haut. 

Robespierre,  servi,  adulé,  adoré  de  Panis,  avait  du 
faible  pour  lui.  Panis  lui  était  indispensable,  comme 
beau-frère  du  gros  homme  qui  gouvernait  le  fau- 
boui^,  et  qui  avait  dans  la  main  la  force  armée  de 
Paris.  Ce  fut  Panis,  selon  toute  apparence,  qui  dimi- 
nua réioignement  naturel  de  Robespierre  pour  Marat. 


AMI  COMMUN  DE  ROBBSPlEftRE  ET  DE  MARAT  {{•*  SEPT.).     liS 

Le  premier,  homme  politique,  homme  de  raide  atti-- 
tude,  mesmré,  soigné,  poudré,  avait  en  dégoût  la 
crasse  de  l'autre,  sa  personnalité  tout  à  la  fois  tri- 
viale et  sauvage,  sa  faconde  platement  dithyram- 
bique. Marat,  d'autre  part^  méprisait  Robespierre, 
comme  un  politique  timide,  sans  vues,  sans  audace* 
Ils  s'étaient  visités  un  jour,  et  Marat  voyant  que  Ro- 
bespierre n'entrait  pas  entièrement  dans  ses  idées  de 
massacre,  qu'il  gardait  encore  quelque  scrupule  de 
légalité,  avait  levé  les  épaules. 

La  répugnance  était  réciproque.  Celle  de  Robes-* 
pierre  pour  Marat  est  probablement  ce  qui  empêcha 
celui-ci,  après  Tovation  qu'on  lui  fit  à  la  Commune, 
d'en  devenir  membre.  Le  23  août,  toutefois,  la  Com- 
mune décréta  qu'une  tribune  serait  érigée  dans  la 
salle  pour  un  journaliste,  pour  M.  Marat.  Son  in- 
fluence allait  croissant  :  dès-lors,  sans  doute,  Ro- 
bespierre eût  craint  de  s'y  opposer;  il  recommanda 
Marat  aux  assemblées  électorales.  Ce  fut  l'homme  de 
Robespierre,  Panis,  sa  créature,  son  servile  disciple, 
celui  qui,  encore  une  fois,  oe  passa  jamais  un  jour 
sans  le  consulter,  ce  fut  lui  qui,  le  2  septembre,  éta- 
blit au  comité  de  surveillance  (vrai  directoire  du  mas- 
sacre) l'exterminateur  Marat. 

Robespierre  a  dit  hardiment  qu'il  n'avait  rien  fait 
au  2  septembre.  Eu  actes,  rien,  cela  est  vrai.  Mais, 
en  paroles,  beaucoup,  et,  ce  jour-là,  les  paroles 
étaient  des  actes.  Le  3,  l'affaire  une  fois  lancée  (plus 
sans  doute  qu'il  ne  voulait),  il  fit  le  plongeon  et  ne 
parut  plus.  —  Mais  le  1''  septembre  il  avait  couvert 


Î26  t>AMlS  INTRODUIT  tIARAT 

les  violents  de  son  autorité  morale,  conseillant  à  la 
Commune  de  se  retirer,  de  s'en  remettre  à  Taction 
du  peuple.  Le  2,  son  homme,  Panis,  intronisa  à 
THôtel-de-Ville  le  meurtre  personniflé,  l'homme  qui, 
depuis  trois  ans,  demandait  le  2  septembre.  Le  2 
encore,  Robespierre  parla ,  pendant  le  massacre ,  et 
nullement  pour  calmer,  loin  de  là,  d'une  manière 
extrêmement  irritante. 

L'introduction  de  Marat  fut  très-illégale,  tout  ex- 
traordinaire. Nul  magistrat  de  la  ville,  nul  membre 
de  la  municipalité,  spécialement  du  comité  de  sur- 
veillance, ne  pouvait  être  pris  hors  du  conseil  géné- 
ral, hors  de  la  grande  Commune  populaire  des  com- 
missaires de  sections  qui  avaient  fait  le  10  août.  Marat 
n'était  point  de  ces  commissaires;  il  ne  pouvait  être  élu. 
MaisPanis,  à-la- fois  par  Sanlerre  et  par  Robespierre, 
pesait  d'un  tel  ascendant  sur  la  municipalité,  qu'elle 
l'autorisa  à  choisir  trois  membres  qui  complétassent 
le  comité  de  surveillance.  Panis,  investi  de  ce  singu- 
lier pouvoir  d'élire  à  lui  seul,  n'osa  pourtant  l'exercer 
seul.  Le  matin  du  2  septembre,  il  appela  à  son  aide 
ses  collègues  Sergent ,  Duplain  et  Jourdeuil ,  et  ils 
«s'adjoignirent  cinq  personnes,  Deforgues,  Lenfant, 
Guermeur,  Leclerc  et  Durfort.  L'acte  original,  muni 
des  quatre  signatures,  porte  à  la  marge  un  renvoi*, 

*■  Cet  acte,  aussi  irrégulier  dans  la  forme  que  coupable  dans  le  fond, 
est  conservé,  en  original,  aux  Archivée  de  la  Préfedvare  dâ  police. 
L'arrêté  de  la  municipalité,  sur  lequel  il  s*appuie,  ne  se  trouve  point 
au  registre  des  Procès-verbaux  de  la  Commune  {Archives  de  la  Préfec~ 
lure  de  la  Seine). 


AU  COMITÉ  DE  SURVEILLANCE  (2  SEPT.  92).       127 

paraphé  confusément  jMir  un  seul  des  quatre.  Ce  ren- 
voi n'est  rien  autre  chose  que  le  nom  d'un  sixième 
membre,  ajouté  ainsi  après  coup,  et  ce  sixième  est 
Marat'. 


1  Qa*i)  me  soit  permis  de  le  dire,  je  marche  seul  dans  ces  sombres 
régions  de  Septembre.  Seal.  Nul  avant  moi  ii*y  a  encore  mis  le  pied. 
Je  marche,  comme  Énéeaax  enfers,  Tépée  &  la  main,  écartant  tes  yaines 
ombres,  me  défendafat  contre  les  légions  menteuses  dont  je  suis  en?i- 
rooné.  Je  leur  ai  opposé  à  tous  une  mflexible  critique,  les  contrôlant 
par  diverses  épreuves,  auxquelles  ils  ne  résistent  point,  spécialement 
par  une  très-minutieuse  chronologie  des  jours  et  des  heures.  Cest  là 
surtout  où  je  les  prends.  — Le  premier  de  ces  menteurs,  tantôt  par 
omission,  et  tantôt  par  commission,  c'est  le  MoniteuTy  toujours  dans 
la  main  des  puissants,  tovjours  mutilé  ou  falsifié  par  eux  dans  les 
grandes  crises.  Qu'on  en  juge  par  Timportante  séance  du  <«'  sep- 
tembre, oh  PAssemblée  rapporta  son  décret  contre  la  Commune 
du  40  août.  Le  Moniteur,  alors  revu  par  les  Girondins,  ne  dit  pas 
an  mot  de  cette  concession  humiliante  de  l'Assemblée;  on  la  re- 
trouve aux  Archives  nationales  dans  les  Procès-terbaux  manuscriU  de 
X Assemblée  législative.  Le  6  septembre,  le  même  journal,  sous  Tin- 
flaence  de  la  nouvelle  puissance,  la  Commune,  donne  un  récit  men- 
Mager  des  commeocemeots  du  massacre,  récit  équivoque,  qui  touche  à 
reloge  :  a  Le  peuple  prit  alors  la  résolution  la  plus  hardie,  etc.  » — 
i'apprécierai  h  la  fin  du  volume  les  documents  divers  et  les  principaux 
narrateurs,  celui  surtout  que  tous  ont  cojpié,  le  libellîste  Peltier,  qui, 
dans  Tannée  même  (479S),  débarquât  à  Londres,  encore  tout  ému  de 
peur  et  de  rage,  comptant  bien  la  France  morte,  assassinée  par  l'Eu- 
rope, a  cru  qu'un  ne  risquait  guère  à  marcher  sur  un  cadavre  et  cra- 
clier  dessus.  Les  Anglais,  pour  qui  l'auteur  écrivait,  ont  couvert  ce 
Hne  d'or,  rcnt  appris  par  cœur.  Toutes  les  presses  de  l'Europe  ont 
été  eaipk>}r6ea  à  répandue  rinûme  légende^  Circulant  de  bouche  en 
bouche,  elle  a  créé  k  son  tour  tme  fausse  tradition  orale.  Plus  d*ua 
historien  s'en  va  recueillant  de  la  bouche  des  passants,  comme  chose 
de  tradition,  d^autorilé  populaire,  ce  qui  priroitiveident  n'a  d'autre  ori- 
giae  que  ce  hrérixire  de  mensonge. 


CHAPITRE    V 


LE  1  SEPTEMBRE. 

Propotitton  conciliaDie  do  dantODiito  TbarioL  *-  Deux  f€Cti«nt  nr  quaraatfr- 
huit  yolérenl  le  masMcte.—La  Commune  ▼ealail  le  BtfMcre  et  UdieUlore. 
^oqrageax  diacoari  de  Vergniaud.  — On  demande  à  l'Assemblée  là  dicla-^ 
ture  pour  le  mioistère.  —  L'Assemblée  se  défle  de  Danton ,  qui  néannoins 
éTité  de  se  réunir  à  la  Commnne.  —  Le  comité  de  sonreillanee  livre  vingt- 
quatre  prisonniers  à  la  mort.  —  Massacre  de  TAbbaje.  —  Danton  n*ac€epte 
point  l'Invitation  de  la  Commune.  —  Quels  foreni  les  massacreurs  de  PAb- 
baye. — Massacre  des  Carmes. — Impuissance  des  autoriiés.->L*b^el  de  Ro- 
land «si  envahi.*- Robespierre  dénouée  «ne  grande  conspiration.^TeaUtlve 
des  ministres  pour  calmer  le  peuple.— Interfeniton  inutile  de  Manuel  et  des 
commissaires  de  TAssemblée.— Massacre  du  Châtelet  et  de  la  Concieiigerie. 
—Maillard  organise  un  tribunal  à  1* Abbaye,  et  uuve  quarante-trois  peraonaes. 
—Dévouement  de  Mii<>  Casotte  et  Sombreuil,  de  Geolfroy-Satnt-BiUire. 


Le  dimanche  2  septembre,  àTouverture  de  T As- 
semblée, vers  neuf  heures  du  matin,  le  député  Thu- 
riot,  ami  de  Danton,  fil  une  proposition  conciliatrice 
qui  semblait  pouvoir  empêcher  le  malheur  qu'on  pré- 
voyait. 

Thuriot  en  plus  d'une  occasion  avait  défendu,  jus- 
tifié la  Commune.  Née  du  10  août,  la  Commune  lui 
semblait  la  révolution  elle-même'^  il  pensait  que  la 
briser,  c'était  briser  le  10  août.  Mais,  d'autre  part, 
il  n'en  avait  pas  moins  résisté  avec  une  extrême 
véhémence  aux  injonctions  insolentes  que  la  Com-- 


PBOPOSiTlO?!  COMCILIAUTE  de  THIRIOT.  129 

mune  osait  faire  à  l'Assemblée.  Sa  conduite,  en  tout 
ceci  y  semble  avoir  été  l'expression  hardie  de  la  pen- 
sée plus  contenue  du  politique  Danton.  Celui-ci,  dans 
ses  discours,  dans  ses  circulaires,  fondait  l'espoir  de 
la  patrie  sur  l'accord  de  rAssemblée  et  de  la  Com- 
mune. C'est  lui,  nousn*en  doutons  pas,  qui  chercha 
un  expédient  pour  rétablir  cet  accord,  et  qui  le  fit 
proposer  &  l'Assemblée  par  Thuriot. 

La  proposition  était  celle-ci  :  «  Porter  k  trois  cents 
membres  le  conseil  général  de  la  Commune,  de  ma- 
nière à  pouvoir  maintenir  les  anciens  y  créés  le  10  août, 
et  recevoir  les  nouveaux j  élus  en  ce  moment  même 
par  les  sections  qui  obéissaient  au  décret  de  l'Assem- 
blée. 

Cette  proposition  avait  deux  aspects  tout-à-fait 
contraires. 

D'une  part,  elle  avait  reifet  révolutionnaire  de 
constituer  sur  une  base  fixe  la  représentation  de 
Paris,  d'exprimer  par-devant  la  France  .l'impor- 
tance réelle,  l'autorité  dé  la  grande  cité,  qui,  formée 
elle-même  de  tous  les  éléments  de  la  France,  en  est 
la  tête  et  le  cerveau,  et  qui  tant  de  fois  eut  l'initiative 
des  pensées  qui  la  sauvèrent. 

D'autre  part,  dans  la  situation,  la  proposition  avait 
un  effet  pratique  qui  rendait  la  crise  bien  moins 
dangereuse.  Elle  neutralisait  la  Commune  en  l'a^ 
grandissant;  elle  l'augmentait  de  nombre  et  en  mo- 
difiait l'esprit;  elle  y  introduisait,  avec  les  élus  des 
sections  dociles  k  l'Assemblée,  un  élément  tout  non-* 
veau.  Si  elle  eût  été  votée  le  matin,  elle  donnait  k  ces 
If.  • 


iSe  PROPOSITION  DU  DAKTONISTE  TRtmiOT. 

sections  un  puissant  encouragement,  les  tirait  de  leur 
stupeur;  tes  nouveaux  élus  so  rendant  immédiate- 
ment k  la  Commune,  avec  ce  décret  à  la  main ,  les 
maratistes,  selon  toute  apparence,  auraient  été  para- 
lysés. 

Ce  n'est  pas  tout.  Un  dernier  article,  bien  propre 
à  rappeler  à  elle-même  la  Commune  du  10  août, 
avertissait  simplement  et  sans  phrase  que  lesmem* 
bres  du  conseiUgënèral  n'étaient  point  inamovibles, 
que  lei  sections  qui  les  nommaient  avaient  toujours  droit 
de  les  rappeler  et  de  les  révoquer.  L'article,  placé 
comme  il  était,  semblait  parler  des  nouveaux  mem- 
bres; il  n'en  posait  pas  moins  la  règle,  l'imprescrip- 
tible droit  du  peuple,  contre  lequel  apparemment  les 
anciens  membres  eux-mèmës,  dans  la  position  royale 
qu'ils  se  faisaient,  n'auraient  pas  osé  réclamer.  Ils 
avaient  donc  bien  à  songer;  au  moment  où  ils  sem- 
blaient près  de  prendre  la  terrible  initiative,  la  loi 
venait,  en  quelque  sorte,  leur  mettre  la  main  sur 
répaule,  et  leur  rappeler  le  grand  juge,  le  peuple, 
qui  pouvait  toujours  les  juger. 

Tburiot  assaisonna  cette  proposition  d'éloges  de  la 
Commune,  de  flatteries  ;  il  la  justifia  de  maint  et 
maint  reproches.  11  dit,  sans  doute  pour  gagner  les 
membres  de  la  Commune  même  à  l'acte  qu'il  pro* 
posait  contre  elle ,  que  cette  augmentation  de  nombre 
permettrait  de  choisir  dans  son  sein  les  agents  dont  pour- 
rait avoir  besoin  le  pouvoir  exécutif.  Appel  direct  à 
riutérêt;  la  Commune  allait  devenir  une  pépinière 


tEVX  SECTIONS  VOTfiHT  LB  MASSACRE  (2  SEPT.  02).        M 

d'hommes  d'Etat  à  qui  le  gouvernement  confierait 
des  missions  honorables  ou  lucratives. 

H  arriva  à  Thuriot  ce  qui  arrive  à  ceux  qui  comp- 
tent trop  sur  la  pénétration  des  Assemblées.  Son 
proFopd  mattre,  Danton,  l'avait,  ce  jour,  apparem- 
ment trop  bien  endoctriné,  trop  dressé  à  l'hypocrisie. 
L'Assemblée  no  comprit  pas.  Thuriot  avait  tant  loué 
la  Commune  que  l'Assemblée  crut  la  proposition  fa- 
vorable à  la  Commune;  elle  pensa  que  celle-ci,  com- 
mençant à  s'effrayer,  lui  faisait  faire  par  Thuriot  une 
ouverture  de  conciliation.  Elle  reçut  la  proposition 
très-froidement,  ne  se  douta  nullement  de  l'avantage 
qu'il  y  avait  h  la  voter  sur  l'heuie.  Elle  demanda 
un  rapport,  attendit  et  ajourna.  Le  rapport  vint 
vers  midi,  et  peu  favorable.  Les  Girondinis,  qui  le 
firent,  n'aimaient  rien  de  ce  qui  venait  des  amis  de 
Danton.  Ils  le  croyaient  l'homme  de  la  Commune, 
comme  il  l'avait  élé  au  jour  du  10  août;  ils  ne 
comprenaient  rien  aux  ménagoments  de  ce  politi- 
que. Le  projet  leur  déplaisait  encore  comme  aug- 
mentant l'importance  de  Paris,  régularisant  et  fon- 
dant celte  puissance  jusque-là  irrégulière,  consti- 
tuant un  corps  redoutable  avec  lequel  toute  Assem- 
blée serait  forcée  de  compter.  Ils  auraient  voulu  d'ail- 
leurs que  la  Commune  fût  entièrement  renoutelée. 
Ils  n*entratnèrenl pas  l'Assemblée,  qui,  comprenant 
àTla  longue  rulililô  de  la  proposition,  finit  par  voter 
contre  les  Girondins  pour  le  dantoniste  Thuriot.  Cela 
cul  lieu  vers  une  heure;  mais  a^ors  il  était  trop  tard^ 
la  tempête  était  déchaînée. 


i^  LA  COVlitî:(R  VOULAIT 

Revenons  au  matin,  replaçons-nous  rlans la Com* 
mune. 

Que  voulait-elle  ?  que  voulaient  les  quelques  mem* 
bres  qui  menaient  le  conseil  général?  que  voulait  la 
majorité  du  comité  de  surveillance?  sauver  la  patrie 
sans  doute,  mais  la  sauver  par  les  moyens  que  Marat 
conseillait  depuis  trois  ans  :  le  massacre  et  la  die* 
tftture. 

Le  massacre  n'était  pas  encore  si  Tacile  à  amener 
qu*on  eût  pu  croire,  quelle  que  fût  la  terrible  agi- 
talion  du  peuple,  et  ses  paroles  violentes.  Dans  la 
nuit,  et  le  matin,  les  Turieux  bavards  qui  prêchaient 
dès  longtemps  la  théorie  de  Marat  y  coururent  les 
assemblées  des  sections  k  peu  près  désertes,  réduites 
à  des  minorités  imperceptibles  qui  décidaient  pour 
le  tout.  Ils  y  demandèrent,  obtinrent  des  arresta- 
tions individuelles  qui  valaient  des  arrêts  de  mort. 
Mais  quant  aux  mesures  générales,  il  semble  que 
leurs  paroles  n'aient  pas  trouvé  assez  d'écho.  Il  n'y 
eut  que  deux  sections  (celle  du  Luxembourg  et  la 
section  Poissonnière)  où  la  proposition  d'un  massacre 
des  prisonniers  ait  été  accueillie.  Deux  sections  sur 
quarante-huit  volèrent  le  massacre.  La  section  Pois- 
sonnière prit  l'arrêté  suivant  ; 

€  1^  section,  considérant  les  dangers  imminents 
de  la  patrie  et  les  manœuvres  inrernalcsdes  prêtres, 
arrête  que  tous  les  prêtres  et  personnes  suspectes, 
ehrermés  dans  les  prisons  de  Paris,  Orléans  et  autres, 
seront  mis  à  mort.i» 

Quant  à  la  dictature,  c*]le  était  plus  difficile  encore 


LA  OfCTATURE  ET  LE  IIA8SAC11Ë  (2  SEPT.  Ir2).  i33 

a  organiser  que  le  massacre.  Nul  homme  a  était  asseï 
accepté  du  peuple  poar  l'exercer  seul.  Il  fallait  uu 
triumvirat.  Mamt  le  disait  lui--mème. 

Le  prophète  Harat,  que  Panis  venait  d'introniser  au 
comité  do  surveillance,  no  laissait  pas  que  d'effrayer 
parfois  ses  propres  admirateurs.  Hais  son  extrême 
véhémence  semblait  appuyée,  autorisée  par  Robes* 
pierre,  qui,  la  veille  au  soir,  avait  dit  qu'il  fallait 
remettre  Taction  au  peuple.  Marat  était  déjà  au 
comité,  Robespierre  vint  siéger  au  conseil*gé<- 
oéral. 

Le  troisième  triumvir,  s*il  fallait  un  triumvirat,  ne 
pouvait  être  que  Danton.  Celui-ci  était  douteux.  Il 
faisait,  en  toute  occasion,  l'éloge  de  la  Commune,  et 
son  ami  Thuriot  lavait  fait  aussi  le  jour  même,  tout 
en  proposant  un  projet  qui  neutralisait  la  Commune. 
Êtait-il  véritablement  pour  la  Commune  ou  pour 
l'Assemblée?  On  no  le  voyait  pas  bien.  Depuis  le  29, 
il  ne  venait  plus  à  rUôlel*de-Yille.  Âimerail-il  mieux 
partager  le  nouveau  pouvoir  avec  Mural  et  Robes- 
pierre, ou  rester  ministre  de  la  justice,  niiiiistre  toul^ 
puissant  par  suite  de  Tannihilation  de  l'Assemblée, 
recueillant  les  fruits  du  massacre  sans  y  avoir  par* 
ticipé,  devenant  enfin  le  seul  homme  de  la  si- 
tuation entre  la  Commune  ensanglantée  et  la  Gi- 
ronde  humiliée?  C'était  là  la  question;  la  dernière 
opinion  n'était  pas  sans  vraisemblance^  Danton  était 
un  politique  plein  d*audace,  mais  non  moins  de 
ruse. 

Quoi  qu'il  en  soit,  M  Commune  étant  assemblée, 


iM  COUIIAGEOX  0K00UB8  OB  VBRGKIAUD. 

le  2  au  matin,  sous  la  présidence  d'Hugueniu,  le  pro- 
cureur. Manuel,  annonça  le  danger  de  Verdun, 
proposa  que  le  soir  même  les  citoyens.enrôlés  cam* 
passent  au  Champ-de-Mars  et  partissent  immédia- 
tement. Paris  eût  été  délivré  d'une  masse  dange- 
reuse, qui,  en  attendant  le  départ,  errait,  s'enivirait, 
et  pouvait  d'un  moment  à  l'autre,  au  lieu  d*une 
guerre  lointaine,  commeacer  ici  de  préférence  une 
guerre  lucrative  à  des  ennemis  riches  et  désarmés. 

A  cette  sage  proposition,  quelqu'un  en  ajouta  une 
inflniment  dangereuse ,  qui  fut  de  même  volée.  On 
arrêta  :  «  Que  le  canon  d'alarme  serait  Uré  h  l'in- 
stant, le  tocsin  sonné  et  la  générale  battue.  »  L'effet 
pouvait  être  une  horrible  panique,  dans  une  ville  si 
émue,  une  panique  meurtrière;  rien  de  plus  cruel 
que  la  peur. 

Deux  membres  du  conseil  municipal  Turent  chargés 
de  prévenir  l'Assemblée  de  ce  qu'ordonnait  la  Com- 
mune. Ils  furent  accueillis  par  un  discours  singuliè- 
rement ferme  de  Vergniaud,  d'une  noble  har- 
diesse, prononcé,  comme  il  l'était,  dans  l'imminence 
d'un  massach  et  presque  soiis  les  poignards.  Il  féli- 
cita Paris  de  prendre  courage,  de  déployer  enflti  l'é- 
nergie qu'ori  attendait;  il  lui  conseilla  de  résister  à  ses 
terreurs  patiiques.  Il  demanda  potirquoi  l'on  |>arlait 
tant,  en  agissant  peu  :  «  Pourquoi  les  retranchements 
du  camp  qui  est  sous  les  remparts  de  cette  cité  ne 
sont-ils  pas  plus  avancés?  Où  sont  les  bêches,  les 
pioches,  et  tous  les  instruments  qui  ont  élevé  l'autel 
de  la  Fédération  et  nivelé  le  Champ-de-MarsT. . ,  Vous 


OX  DEMANDE  A  LASSEMBLÉB  U  DICTATURE  POUR  LE  MINISTÈRE.    43S 

avez  manifesté  une  grande  ardeur  pour  les  fîfttes;  sans 
doute  vous  n'en  aurez  pas  moins  pour  les  combats. 
Vous  avez  chanté,  célébré  la  liberté;  il  Tautla  déren- 
dre. Nous  n'avons  plus  à  renverser  des  rois  de  bronze^ 
mais  des  rois  environnés  d'armées  puissantes,  le  de-* 
mande  que  la  Commune  de  Paris  concerte  avec  le 
pouvoir  exécutif  les  mesures  qu'elle  est  dans  l'inten- 
tion de  prendre.  Je  demande  aussi  que  l'Assemblée 
nalionale,  qui  dans  ce  moment-ci  est  plutôt  un  grand 
comité  militaire  qu'un  corps  législatif ,  envoie  à  Tiû- 
stant,  et  chaque  jour,  douze  commissaires  au  camp, 
non  pour  exhorter  par  de  vains  discours  les  citoyend 
à  travailler,  mais  pour  piocher  eux-mêmes;  car  il 
n'est  plus  temps  de  discourir,  il  faut  piocher  la  fossé 
de  nos  ennemis;  ou  chaque  pas  qu'ils  font  en  avant, 
pioche  la  nôtre.  » 

Ce  discours,  si  hardi  dans  la  circonstance  fut  ap- 
plaudi, non-seulement  de  l'Assemblée,  mais  dès  tri- 
bunes, de  cette  population  même  dont  il  gourmandait 
sévèrement  Tinaclion. 

Le  grand  orateur,  on  le  voyait,  voulait  au  torrent 
populaire  qui  tournait  si  terriblement  sur  lui-même 
donner  un  cours  régulier,  l'entraîner  hors  Paris  à  la 
suite  des  envoyés  de  l'Assemblée,  perdre  dads  l'élan 
militaire  la  panique  et  la  terreur. 

U  entendait  subordonner  la  Commune  aux  mi- 
nistres, les  ministres  k  l'Assemblée.  Celte  hiérar- 
chie, qui  était  dans  la  loi  même  et  dans  la  raison^ 
aux  temps  ordinaires,  pouvait-elle  être  obstinément 
maintenue  dans  un  pareil  jour?  Ne  faliait-il  pas  sur* 


136  L'ASSEMBLÉE  SE  DÉFIE  DE  DANTON, 

seoir  aux  délibérations,  aux  paroles,  lorsque  les  dé- 
cisions diverses,  selon  roccurrence  des  cas,  auraient 
besoin  d'être  immédiates,  rapides,  comme  la  pensée. 
On  ne  pouvait  laisser  flotter  le  pouvoir,  dans  la  sphère 
supérieure,  éloignée  de  l'action,  aux  mains  molles  et 
lentes  d'une  grave  Assemblée  qui  parlait»  parlait,  et 
perdait  le  temps.  On  ne  pouvait  le  laissera  la  discré- 
tion de  la  Commune,  aveugle  et  furieuse,  dissoute 
d'ailleurs  en  réalité  et  qui  n'était  plus  qu'un  chaos 
sanglant  sous  le  souille  de  Harat.  Le  plus  simple  bon 
sens  disait  que  le  pouvoir  laissé,  en  haut,  ou  en  bas, 
aux  deux  corps  délibérants,  TÂssemblée  ou  le  conseil 
de  la  Ck)mmuDe,  ne  serait  plus  le  pouvoir.  Il  fallait 
le  fixer  là  où  il  pouvait  èt^e  énergique,  où  le  plaçait 
d'ailleurs  la  nature  même  des  choses,  aux  mains  des 
ministres;  il  fallait  se  fier  à  eux,  dans  cette  grande 
circonstance,  les  prier,  les  sommer  d'être  forts;  si- 
non, tout  allait  périr* 

Le  ministère  lui-même,  malheureusement,  n'avait 
aucune  unité  de  pensées,  ni  de  volontés.  Il  eût  fallu 
qu'il  s'accordât,  qu'il  vint  unanimement  demander 
la  dictature,  qu'il  l'exerçât  sous  l'inspection  des  corn- 
missaires  de  l'Assemblée. 

Le  ministère  avait  deux  têtes,  Roland  et  Danton. 

Danton  vint,  avant  deux  heures,  tâter  une  der* 
nière  fois  les  dispositions  de  l'Assemblée. 

Il  lui  proposa  de  voter  :  tx  Que  quiconque  refuse- 
rait de  servir  de  sa  personne  ou  de  remettre  ses  ar- 
mes fût  puni  de  mort.  » 

Et  Lacroix  (qui  alors  appartenait  à*la-fois  aux 


0(31  NÉANMOINS  ÉVITE  DE  SE  nÉUMR  A  LK  COKMUNE.         i^l 

Girondins  et  à  Danton)  demanda,  de  plus  :  «  Qu'on 
puntt  de  mort  aussi  ceux  qui,  direcieme^U  ou  indirec* 
temenij  refuseraient  d'exécuter  oti  enlraverdient^  de 
quelque  manière  que  ce  fût,  les  ordres  donnés  et  les 
mesures  prises  par  le  pouvoir  exécutif.  » 

L'Assemblée  parut  approuver;  mais,  au  lieu  de 
voler  sur-le-champ,  elle  ajourna,  elle  ne  voulut  rien 
décider  sans  Tavis  de  sa  commission  extraordinaire 
(Vergniaud,  Guadet,  la  Gironde).  Elle  chargea  cette' 
commission  de  rédiger  les  décrets,  déjà  très^bien  ré* 
di|^,  et  de  lui  présenter  la  rédaction  à  six  heures  du 
soir. 

C'était  un  retard  de  quatre  heures.  11  a  reculé 
peutrètre  d'un  siècle  les  libertés  de  rEurope. 

Danton  porta  alors  la  peine  de  sa  mauvaise  répu- 
tation, de  ses  tristes  précédents.  L'Assemblée  lui  re- 
fusa les  moyens  de  sauver  l'Ëtat.  Elle  n'osa  conQer 
un  tel  pouvoir  à  un  homme  si  suspect. 

Deux  choses  le  flrent  échouer  :  l"*  Roland  ne  vint 
point,  ne  l'appuya  point;  Danton  parut  seul;  il  sembla 
qu'on  demandait  pour  lui  seul  un  pouvoir  illimité. 
S*  Tout  en  demandant  que  l'Assemblée  concourût  avec 
les  ministres  à  diriger  le  mouvement  du  peuple j  il  loua 
les  mesures  prises  parla  Commune  ;  il  di\  ces  paroles: 
•  Le  tocsin  qu'on  va  sonner  n'est  point  un  signal 
d'alarme  ;  c'est  la  charge  sur  les  ennemis  de  la  patrie 
(applaudissements).  Pour  les  vaincre,  messieurs,  il 
nous  faut  de  l'audace,  encore  de  l'audace,  toujours 
de  l'audace,  et  la  France  est  sauvée.» 

L'Assemblée  ne  vil  en  Danton  que  l'homme  de 


438  LE  COMITÉ  DE  SCRVBJLLANCB 

la  Commune,  et  elle  se  garda  bien  de  lui  douaer  le  • 
pQUvoir. 

S'il  l'eût  été  véritablemeni ,  comme  le  croyait 
TÀssemblée,  il  se  Tût  reodu  à  THôteldc-Ville,  ob 
on  Tattendait;  il  alla  au  Gbamp^e*Mars.  Une  grande 
foule  le  suivait  Là,  dans  cette  plaine  immense  ^  sous 
le  ciel,  parlant  à  toute  une  armée,  il  prêcha  lacix>i- 
sade,  comme  aurait  fait  l^ierre  TErmite,  ou  Saint- 
Bernard.  Le  canon  tonnait  au  loin,  le  tocsin  sonnait, 
et  la  voix  puissante  do  Danton ,  qui  dominait  tout, 
semblait  celle  de  la  cité  frémissante,  cellede  la  France 
elle-même. 

Le  temps  passait,  il  était  plus  de  deux  heures. 

En  sortant  du  Champ -de -Mars,  Danton  n'alla  pas 
davantage  à  la  Commune.  Il  rentra  chez  lui.  Alla-t-il 
au  conseil  des  ministres?  La  chose  est  controversée. 
Visiblement,  il  attendait  que  le  danger  forçât  l'As- 
semblée à  donner  la  dictatui'e  au  ministère,  au  minis- 
tre populaire  qui  seul  pouvait  Texercer.  Il  eût  mieux 
aimé  la  tenir  de  l'Assemblée  nationale,  reconnue  de 
la  France  entière  ;  il  hésitait  à  recevoir  de  la  Com- 
mune de  Paris  un  tiers  de  dictature  en  commun  avec 
Robespierre  et  Mardi. 

'  Le  conseil-général  de  la  Commune  ayant,  comme 
on  a  vu,  de  bonne  heure  voté  la  proclamation,  le  ca- 
non et  le  tocsin  (qui  se  firent  entendre  à  deux  heures) 
suspendit  sa  séance  jusqu'à  quatre,  et  se  dispersa.  Il 
ne  resta  que  le  comité  de  surveillance,  c'est-à-dire 
Panis,  Marat,  quelques  amis  de  Marat. 

Le  comité,  de  bonne  heure,  put  avoir  connais- 


LIVRE  U  PRISOimiEftS  A  LA  MORT  (f  SEPT.  92).  iS9 

sance  des  propositions  de  massacre  faites  dans  plu- 
sieurs sections^  et  de  la  résolution  que  deux  sections 
venaient  de  prendre.  11  agit  en  conséquence;  il  or* 
donna  ou  permit  la  translation  de  vingt-quatre  pri- 
sonniers de  la  Mairie,  où  il  siégeait  (c'est  aujourd'hui 
la  Prérecture  de  Police),  à  la  prison  de  TÂbbaye. 
De  ces  prisonniers,  plusieurs  portaient  l'habit  qui 
excitait  le  plus  violemment  la  haine  du  peuple,  Tba* 
bit  de  ceux  qui  organisaient  la  guerre  civile  du  Midi 
et  de  la  Vendée,  l'habit  ecclésiastique.  Au  moment 
où  le  canon  se  fit  entendre ,  des  hommes  armés  pé* 
nèlrenl  dans  la  prison  de  la  Mairie;  ils  disent  aux  pri- 
sonniers qu'il  faut  aller  à  l'Âbbaye.  Celle  in'vasion 
se  fit  non  par  une  masse  du  peuple,  mais  par  des 
toUats ,  des  fédérés  de  Marseille  ou  d'Avignon  ; 
ce  qui  senable  indiquer  que  la  chose  ne  fut  point 
forluite,  mais  autorisée,  que  le  comité ^  par  une 
autorisation  au  moins  verbale,  livra  ses  prisonniers 
à  la  mort. 

On  eût  pu  fort  aisément  les  massacrer  dans  la  pri- 
son ;  mais  la  chose  n'eût  pu  être  présentée  comme  un 
acte  spontané  du  peuple.  Il  fallait  qu'il  y  eût  une  ap- 
parence de  hasard  ;  s'ils  avaient  fait  la  route  à  pied, 
le  hasard  eût  servi  plus  vite  l'intention  des  niassa- 
creurs;  mais  ils  demandèrent  des  fiacres.  Les  vingts- 
quatre  prisonniers  se  placèrent  dans  six  voitures; 
cela  les  protégeait  un  peu.  Il  fallait  que  les  massa- 
creurs trouvassent  moyen  ou  d'iiritcr  les  prisonniers 
à  force  d*outrages,  au  point  qu'  ils  perdissent  patience, 
s'emportassent,  oubliassent  le  soin  de  leur  vie,  parus- 


liO  I1AS&/ICRE  DE  L*ABDAYE. 

scDt  avoir  provoqué,  mérité  leur  malheur;  ou  bien 
cocore,  il  fallait  irriter  le  i>euple»  soulever  sa  fureur 
contre  les  prisonniers;  c*est  ce  qu'on  essaya  de  faire 
d'abord.  La  procession  lente  des  six  fiacres  eut  tout 
le  caractère  d'une  horrible  exhibition.  «  Les  voilà , 
criaient  les  massacreurs;  les  voilà,  les  traîtres!  ceux 
qui  ont  livré  Verdun  ;  ceux  qui  allaient  égorger  vos 

femmes  et  vos  enfants Allons,  aidez-nous,  tuez* 

les.  > 

Cela  ne  réussissait  point.  La  foule  s'irritait,  il  est 
vrai,  aboyait  autour,  mais  n'agissait  pas.  Oii  n'obtint  < 
aucun  résultat  le  long  du  quai ,  ni  dans  la  traversée 
du  Pont-Neuf,  ni  dans  toute  la  rueDauphine.  On  arri- 
vait au  carrefour  Bussy,  près  de  1*  Abbaye,  sans  avoir 
pu  lasser  la  patience  des  prisonniers,  pi  décider  le 
peuple  à  mettre  la  main  sur  eux.  On  allait  entrer  à 
la  prison ,  il  n'y  avait  pas  de  temps  à  perdre  ;  si  on 
les  tuait,  arrivés ,  sans  que  la  chose  fût  préparée  par 
quelque  démonstration  quasi  populaire,  il  allait  deve- 
nir visible  qu'ils  périssaient  par  ordre  et  du  fait  de 
Tautorité.  Au  carrefour,  où  se  trouvait  dressé  le  tbéâ* 
tre  des  enrôlements ,  il  y  avait  beaucoup  d'eocom^ 
brement,  une  grande  fouie.  Là,  les  massacreurs,  pro- 
fitant de  la  confusion,  prirent  leur  parti,  et  commen- 
cèrent  à  lancer  des  coups  de  sabre  et  des  coups  de 
pique  tout  au  travers  des  voitures.  Un  prisonnier  qui 
avait  une  canne ,  soit  instinct  de  la  défense,  soit  mé- 
pris pour  ces  misérables  qui  frappaient  des  gens  dés- 
armés, lança  à  l'un  d*eux  un  coup  de  canne  au  visage. 
Il  fournit  ainsi  le  prétexte  qu'on  attendait.  Plusieurs 


DANTON  ITACCCUTfi  rOlKT  LIICVITATION  DB  LA  COimtJXE.      141 

furent  tués  dans  les  voitures  mêmes;  les  autres,  comme 
on  va  le  voir,  en  descendant  à  la  cour  de  TAbbaye. 
Ce  premier  massacre  eul  lieu,  non  dans  la  cour  de  la 
prison,  mais  dans  celle  de  l'église  (aujourd'hui  la  rue 
d'Erfurth),  où  Ton  fit  entrer  les  voitures. 

11  n'était  pas  loin  de  trois  heures.  A  quatre,  le  con- 
seil-général de  la  Commune  rentra  en  séance,  sous  la 
présidence  d'Huguenîn.  Le  comité  de  surveillance 
avait  hâte  de  faire  accepter,  légaliser  par  le  conseil- 
général,  reffroyable  initialive  qu'il  venait  de  prendre. 
llToblint  indirectement,  et  non  sans  adresse.  Il  de- 
manda, obtint  :  Qu*on  protégeât  les  prisonniers...  déte^ 
nus  pour  dettes^  mois  de  nourrices  et  autres  causes  civiles. 
Protéger  seulement  cette  classe  de  prisonniers ,  c'é- 
tait dire  qu'on  ne  protégeait  pas  les  prisonniers  poli* 
tiques,  qu'on  les  abandonnait ,  qu'on  les  livrait  à  la 
mort,  et  que  ceux  qui  étaient  morts,  on  les  jugeait 
bien  tués. 

Le  coup  do  matlre  eât  été  d'avoir  aussi  pour  le 
massacre  une  autorité  individuelle ,  immense  dans 
un  tel  moment,  supérieure  à  celle  d'aucun  corps, 
l'autorité  de  Danton.  Do  bonne  heure,  la  Commune 
lui  avait  écrit  devenir  h  riIôlekle-VilIc;  mais  il  ne 
paraissait  pas.  Ce  fut  un  grand  étonnemcnt  lorsque, 
vers  cinq  heures,  le  conseil -général  vit  entrer  le  mi- 
nistre de  la  guerre ,  le  girondin  Servan,  embarrassé, 
peu  rassuré,  qui  venait  demander  ce  qu'on  lui  vou- 
lait. Le  quiproquo  s'éclaircit.  La  lettre  destinée  au  mi- 
nistre de  la  justice  avait  été  portée  au  ministre  delà 
guerre.  I^e  commis,  disait-on,  s'était  Iromié  d'à- 


Ui  ûUBLS  SOXT  LES  MASSACllEimâ 

dresse.  11  faut  se  rappeler  que  le  secrétaire  de  la 
Commiine,  Tallien,  était  uo  ardent  dantoniste;  il 
servit  son  maitre,  sans  doute,  comme  il  voulait  Fê* 
tre^  Eplre  Marat  et  Robespierre,  Danton  n'avait 
nulle  bâte  d'aller  prendre  le  troisième  rôle.  Il  mon* 
tra  suffisamment  qu'il  ne  regrettait  pas  Terreur;  elle 
pouvait  être  réparée  en  moins  d'une  demi-heure;  il 
s'obstina  à  ne  point  être  averti;  il  se  tint  éloigné  de  la 
Commune,  comme  s'il  y  eût  eu  cent  lieues  de  l'Hôtel- 
de-* Ville  au  ministère  de  la  justice.  Il  ne  vint  point  le 
soir  du  2,  pas  davantage  le  3. 

Le  massacre  continuait  à  TÂbbaye.  Il  est  curieux 
de  savoir  quels  étaient  les  massacreurs. 

Les  premiers,  nous  l'avons  vu ,  avaient  été  des  fé- 
dérés Marseillais ,  Avignonais  et  autres  du  Midi ,  aux- 
quels se  joignirent,  si  Ton  en  croit  la  tradition,  quel- 
ques garçons  bouchers,  quelques  gens  de  rudes  mé- 
tiers, des  jeunes  garçons  surtout,  des  gamins  déjà 
robustes  et  en  état  de  mal  faire ,  des  apprentis  qu'on 
élève  cruellement  à  force  de  coups ,  et  qui ,  en  de 
pareils  jours,  le  rendent  au  premier  venu;  il  y  avait 
entre  autres  un  petit  perruquier  qui  tua  plusieurs 
hommes  de  sa  main. 

Toutefois,  l'enquête  qu^on  fit  plus  tard  contre  les 

*  Une  personne  très-digne  de  foi,  qui  élail  le  soir  du  \  ''"  septembre  au 
club  dos  Minimes,  m*a  raconté  que  la  séance  fut  suspendue,  parce  que 
le  président,  Tallien,  était  demandé  à  la  porte.  Cette  personne  sortit 
et  vit  riiomme  qui  demandait  TaUien,  et  qui  (elle  assure  Tavoir  recon- 
nu) n'était  autre  que  Danton.  Si  le  ministre  de  la  justice  fît  lui-même 
cette  démarche,  c'rst  qu'il  voulut,  sans  lettre  ni  intermédiaire,  faire 
connaître  ses  intentions  au  jeune  secrétaire  de  la  Commune.  Ou  reste, 
on  sait  que  Danton  n'écrimit  jamais. 


DE  L*ABBAYE  (j  SCt»T.  €3).  443 

septembriseurs  *  ne  mentionne  ni  Tune^  ni  l'autre  de 
ces  deux  classes,  ni  les  soldais  du  Midi,  ni  la  tourbe 
populaire,  qui,  sans  doute,  s'étant  écoulée,  ne  pou- 
vait plus  se  trouver.  Elle  désigne  uniquement  des 
gens  établis  sur  lesquels  on  pouvait  remettre  la  main, 
en  tout  cinquante-trois  personnes  du  voisinage,  pres- 
que tous  marchands  de  la  rue  Sainte-Marguerite  et 
des  rues  voisines.  Ils  sont  de  toutes  professions,  hor- 
loger, limonadier,  charcutier,  fruitier,  savetier, 
layetier,  boulanger,  etc.  Il  n'y  a  qu'un  seul  boucher 
établi.  Il  y  a  plusieurs  tailleurs,  dont  deux  allemands, 
ou  peut-ètre  alsaciens. 

Si  l'on  en  croit  cette  enquête,  ces  gens  se  seraient 
vantés  non-seulement  d'avoir  tué  un  grand  nombre 
de  prisonniers ,  mais  d'avoir  exercé  sur  le^  cadavres 
des  atrocités  effroyables. 

Ces  marchands  des  environs  de  l'Abbaye,  voisins 
des  Cordeliers,  de  Marat,  et  sans  doute  ses  lecteurs 
hnbituels ,  étaient-ils  une  élite  de  Maratistes  que  la 
Commune  appela  pour  compromettre  la  garde  natio- 
nale dans  le  massacre,  le  couvrir  de  l'uniforme  bour- 
geois ,  empêcher  que  la  grande  masse  de  la  garde 
nationale  n'intervint  pour  arrêter  l'effusion  du  sang? 
Cela  n'est  pas  invraisemblable. 

Cependant,  il  n'est  pas  absoluitient  nécessaire  de 
recourir  à  cette  hypothèse.  Us  déchirent  eux-mêmes, 
dans  TenquétO;  que  les  prisonniers  les  insultaient,  les 

*  Je  dois  la  coninuinicatîon  de  celte  pièce  imporlanle,  et  de  plu- 
sieurs autres,  ^  Tobligeance  de  M.  L:ibal,  arcliivîste  de  la  préfecture 
de  police,  <}ue  je  ne  pois  ti^p  remercier. 


iU  MilSSACliEniS  DE  L'ABAATfi. 

proToquaient  tous  les  jours  à  Iravers  les  grilles,  qu'ils 
les  menaçaient  de  l'arrivée  des  Prussiens,  et  dés  pu- 
nitions qui  les  attendaient. 

La  plus  cruelle,  déjà  on  la  ressentait  :  c*élait  la 
cessation  absolue  du  commerce,  les  faillites,  la  fer- 
meture des  boutiques,  la  ruine  et  la  faim ,  la  mort  de 
Paris.  L'ouvrier  supporte  souvent  mieux  la  faim  que 
le  boutiquier  la  faillite.  Cela  tient  à  Uen  des  causes, 
&  une  surtout  dont  il  faut  tenir  compte;  c'est  qu'en 
France  la  faillite  n'est  pas  un  simple  malheur  (comme 
en  Angleterre  et  en  Amérique),  mais  la  perte  de 
l'honneur.  Faire  honneur  à  ses  affaires  y  est  un  pro- 
verbe français,  et  qui  n'existe  qu'en  France.  Le 
boutiquier  en  faillite ,  ici,  devient  très-féroce. 

Ces  gens-là  avaient  attendu  trois  ans  que  la  Révo- 
lution prit  un  ;  ils  avaient  cru  un  moment  que  le  Roi 
la  fuiirait  en  s'appuyant  sur  Lafayette.  Qui  Ten 
avait  empêché ,  sinon  les  gens  de  cour,  les  prêtres 
qu'on  tenait  dans  l'Abbaye?  «  Ils  nous  ont  perdus,  et 
se  sont  perdus,  disaient  ces  marchands  furieux;  qu'ils 
meurent  maintenant  !  » 

Nul  doute  aussi  que  la  panique  n'ait  été  pour 
beaucoup  dans  leur  fureur.  Le  tocsin  leur  troubla 
l'esprit  ;  le  canon  que  Ton  tirait  leur  produisit  l'eifet 
de  celui  des  Prussiens.  Ruinés,  désespérés,  ivres  de 
rage  et  de  peur,  ils  se  jetèrent  sur  l'ennemi,  sur  ce- 
lui du  moins  qui  se  trouvait  à  leur  portée,  désarmé, 
peu  difficile  à  vaincre,  et  qu'ils  pouvaient  tuer  à  leur 
aise,  presque  sans  sortir  de  chez  eux. 
Les  vingt-quatre  prisonniers  ne  furent  pas  longs  à 


MASSACRE  DES  CARMES  (2  SEPT.  92).  ^4â 

iuer;  ils  ne  firent  que  mettre  en  goût.  11  y  avait  parmi 
eux  des  prêtres.  Le  massacre  commença  sur  les  au* 
1res  prêtres  qui  se  trouvaient  à  TAbbaye^  dont  ils  oc- 
cupaient le  cloUre.  Mais  on  se  souvint  que  le  plus 
grand  nombre  étaient  aux  Carmes,  rue  deVaugirard; 
plusieurs  y  coururent,  laissèrent  FAbbaye. 

Il  y  avait  aux  Carmes  un  poste  de  seize  gardes  natio- 
naux :  huit  étaient  absents;  mais  des  huit  présents,  le 
sergent  était  un  homme  d'une  résolution  peu  com- 
mune S  petit,  carré  de  taille,  roux,  extrêmement 
Tort  et  sanguin.  La  grande  porte  était  fermée ,  il  se 
mit  sur  la  petite,  la  remplit  {K)ur  ainsi  dire  de  ses 
larges  épaules,  et  les-arrèta  tout  court. 

Cette  foule  n'était  pas  imposante;  il  y  avait  beau* 
coup  d*aboyeurs,  de  gamins  et  de  femmes,  mais  seu- 
lement vingt  hommes  armés;  et  encore  leur  chef,  un 
savetier,  borgne  et  boiteux,  portant  son  tablier  de 
cuir  sur  un  méchant  pantalon  rayé  de  siamoise,  n'a- 
vait pour  arme  qu'une  lame  liée  au  bout  d'un  bâton. 
Les  autres,  au  premier  coup-d*œil*,  semblaient  être 
des  porteurs  d'eau  ivres.  Derrière  venaient  les  eu* 
rieux  qui  se  succédèrent  toullejour  à  Ce  beau  spec- 
tacle. Le  plus  connu  était  un  acteur,  bavard,  ridi* 
cule,  joli  garçon  de  mœurs  bizarres,  et  qui  pouvait 

*  Cet  homme  inlrépide  vit  encore.  Cesl  le  père  de  M.  Poret,  profes- 
seur de  philosophie,  Tun  de  nos  amis  les  plus  chers.  Nous  sommes 
heureux  de  rendre  ici  ce  témoignage  au  vénérable  vieillard. 

*  Je  dois  plosîenrs  détails  qui  suivent  à  un  autre  témoin  oculairi», 
M.  Villiersy  dont  j*ai  souvent  consulté  utilement  les  ouvragw,  les  noies 
manuscrites  et  Tadmirable  mémoire,  si  présente  dans  son  grand  âge 
de  plus  de  90  ans. 

IV.  »♦ 


i46  NASSAOIE  DtS  CAllIflH  (1  SEPT.  M). 

passer  pour  femme.  Cette  fois,  il  faisait  le  brave  et 
croyait  être  bomme. 

L'homme  roux,  jetant  sur  la  bande  un  œil  de  mé-* 
pris,  leur  dit  qu'il  resterait  là,  et  qu'on  ne  passerait 
pas,  à  moins  qu'il  ne  Tût  relevé  par  l'officier  même 
qui  l'y  avait  mis.  On  alla  cbercber  un  ordre  de 
la  section,  qu'ilne  voulut  pas  reconnaître,  puis  un 
ordre  du  chef  de  bataillon,  dont  il  ne  tint  compte.  Il 
ne  quitta  Ja  place  qu'après  qu'on  eut  trouvé,  amené 
son  capitaine,  un  peintre  en  bâtiment  de  la  rue  voi- 
sine ,  qui  releva  le  poste. 

Les  meurtriers  entrèrent  en  criant  :  «  Où  est  l'ar- 
chevêque d'Arles?  »  Ce  mot  d'Arles  était  significatif; 
il  suffisait  pour  rappeler  le  plus  furieux  fanatisme 
conlre-révolutionnaire,  l'association  trop  connue  sous 
le  nom  de  la  Chiffonne ,  le  dangereux  foyer  de  la 
guerre  civile  pour  tout  le  Midi.  Et  tel  évêcbé ,  tel 
évêque;  celui  d* Arles,  était  Thomme  delà  résistance, 
une  tète  dure,  qui,  auxCarmes  même,  confirma  dans 
ses  compagnons  de  captivité  l'esprit  obstinément  étroit 
qui  leur  faisait  voir  ta  ruine  de  la  religion  dans  une 
question  tout  extérieure  et  de  discipline.  Il  avait 
avec  lui  deux  évêques,  grands  seigneurs^  qui,  par 
leur  nom,  leur  fortune,  imposaient  à  ces  pauvres 
prêtres,  les  dominaient,  les  enronçaient  dans  leur 
triste  point  d'honneur. 

Le  prêtre  le  plus  connu,  après rarchevèque  d'Arles^ 
était  le  confesseur  de  Louis  XVI ,  le  père  Hébert , 
qui,  au  20  juin,  au  10  août,  eut  dans  ses  mains  la  con- 
science du  Roi,  l'affermit  dans  son  obstination ,  et  lui 


nMtSSARCt  MS  AOTORITÉft.  U7 

donna  Tabsolution  peu  dMnstants  avant  le  carnage. 
Ces  prêtres  qui  perdirent  le  Roi  et  qui  se  perdirent ^ 
étaient-ils  sincères?  nous  le  croyons  volontiers.Une  om- 
bre reste  cependant  sur  eux,  et  nous  porterait  k  dou* 
ter  si  ces  martyrs  ont  été  des  saints;  c'est  Tencoura- 
gement  qu'ils  donnèrent  à  Louis  XVI  dans  la  duplicité 
funeste  qui  lui  fit  sans  cesse  attester  la  Constitution 
contre  la  Constitution,  pour  la  ruiner  par  elle-même, 
en  invoquant  la  lettre  stricto,  pour  en  mieux  annu-» 
1er  l'esprit. 

Paris  montra  pour  leur  sort  la  plus  profonde  in<* 
différence.  11  y  avait  au  Théâtre-Français  (Odéon)  un 
rassemblement  de  volontaires  et  gardes  nationaux  qui 
s'étaient  réunis  au  bruit  du  tocsin.  Il  y  en  avait  trois 
cents  qui  frisaient  Texercice  dans  le  jardin  duLuxem<* 
bourg.  S'ils  avaient  reçu  de  Santerre  le  moindre  signal, 
ils  auraient  été  aux  Carmes,  à  l'Abbaye,  et,  sans  la 
moindre  difBculté,  auraient  empêché  le  massacre. 
N'ayant  aucun  ordre,  ils  ne  bougèrent  pas. 

Le  conseil-général  de  la  Commune,  rentré  en  séance 
à  quatre  heures,  reçut,  comme  on  a  vu,  plusieurs 
avis  du  massacre,  et  ne  s'émut  pas  beaucoup.  11  était 
en  ce  moment  la  seule  autorité  réelle  de  Paris,  et 
il  envoya  demander  an  pouvoir  législatif,  à  l'Assem^ 
blée,  ce  qu'il  fallait  faire.  En  même  temps,  comme 
pour  démentir  ce  semblant  d'humanité,  il  autorisa  les 
seetions  «  à  empêcher  Y  émigration  par  la  rivière» . 
Il  appelait  émigraiion  la  fuite  trop  naturelle  de  ceux 
qu'on  massacrait  au  hasard  et  sans  jugement. 

Le  maire  de  Paris  était  annulé  depuis  longtemps. 


149  L'HOTBL  DB  ROUKO  EST  ENVAHI. 

La  Commune  avait  usurpé ^  une  4  une,  toutes  ses 
fonctions^  elle  le  faisait  en  quelque  sorte  garder  à 
vue.  Pétion  ne  logeait  pas  même  à  rHùtel-de-Ville, 
mais  à  la  Mairie  (c'est  aujourd'hui,  nous  l'avons  dit, 
la  préfecture  de  police,  au  quai  des  Orfèvres),  sous 
Tœil  hostile»  inquiet  du  comité  de  surveillance  qui 
siégeait  dans  le  même  hôtel ,  en  mattre  absolu,  en- 
touré de  ses  agents.  Pétion,  le  2  et  le  3,  écrivit  à 
Sanlerre,  commandant  de  la  garde  nationale,  lequel 
ne  répondit  pas.  Et  comment  aurait-il  répondu?  c'é- 
tait Panis,  le  beau-frère  de  Santerre,  qui  venait 
d'introniser  Marat  au  comité  de  surveillance,  Marat, 
le  massacre  même. 

Les  autorités  de  Paris  ne  pouvant  rien  ou  ne  vou- 
lant rien,  il  restait  à  savoir  ce  que  pourraient  les 
ministres. 

Les  ministres  girondins  avaient  été  atteints  la  veille, 
percés,  «et  de  part  en  part,  dos  traits  mortels  de  Ro- 
bespierre. Les  meneurs  de  l'Assemblée,  ces  traîtres, 
ces  amis  de  Brunswick  qui  lui  faisaient  offrir  le 
trône,  oh  fallait-il  les  chercher?...  Robespierre  avait- 
il  nommé  Roland  et  les  autres,  on  ne  le  sait;  mais 
il  est  sûr  qu*il  les  désignait  si  bien  que  tout  le  monde 
les  nommait.  Le  2,  le  3  et  le  4,  toute  la  question 
débattue  dans  la  Commune  était  de  savoir  si  elle 
allait  lancer  un  mandai  d'amener  contre  le  mi- 
nistre de  l'intérieur,  l'envoyer  à  l'Abbaye.  Un  fonc- 
tionnaire ,  ainsi  dénoncé  et  suspecté ,  eût  été  annulé 
par  cela  seul,  quand  même  la  Constitution  de  91  lui 
aurait  permis  d'agir;  mais  cette  Constitution,  com« 


ROBESPIERRE  DÉNONCE  UNE  GRilNDB  CONSPIRATION.  14ft 

binée  pour  énerver  le  pouvoir  central  au  profit  de 
celui  des  commuDes,  ne  permettait  au  ministre  d*agir 
que  par  rintermédiaire  même  de  la  Commune  dePa< 
ris  qu'il  s'agissait  de  réprimer. 

Pour  mieux  paralyser  Roland,  le  2  septembre,  à 
six  heures,  pendant  le  massacre,  deux  cents  hommes 
entourèrent  tumultueusement  le  ministère  dy  Tinté- 
rieur,  criant,  demandant  des  armes.  Que  voulait-on? 
isoler  M.  et  M"*  Roland,  terrifier  leurs  amis,  faire 
comprendre  que  les  soutenir  en  toute  mesure  de 
vigueur,  c'était  les  faire  massacrer. 

Les  deux  cents  criaient  k  la  trahison,  brandissaient 
des  sabres.  Roland  était  absent.  M"'"  Roland  ne  s'ef- 
fraya pas;  elle  leur  dit  froidement  qu'il  n'y  avait  ja- 
mais eu  d'armes  au  ministère  de  l'intérieur,  qu'ils 
pouvaient  visiter  Thôtel,  que,  s'ils  voulaient  voir 
Roland,  ils  devaient  aller  à  la  Marine,  où  le  conseil 
des  ministres  était  assemblé.  Ils  ne  voulurent  se  reti- 
rer qu'en  emmenant  comme  otage  un  employé  du 
secrétariat  *. 

Quant  au  ministre  de  la  justice,  Danton,  on  a  vu 


*  Un  employé,  dit  Roland  luî-méme  (lettre  du  13  septembre],  et  non 
un  Tftlet-de-cbambre ,  comme  le  dit  M"«  Roland  dans  ses  Mémoires, 
écrits  snr  des  souvenirs,  ils  sont  ici  fort  inexacts.  Elle  croit  que  le  mas- 
sacre commença  à  dnq  heures.  Elle  dit  que  Danton  alla,  le  2,  au  co- 
mité de  sunreillance  pour  Teui pécher  de  lancer  un  mandat  d*amcner 
contre  Roland  ;  elle  suppose  qu*il  vit  ensuite  Pétion,  etc.  Tout  ccb 
eut  lieu  le  4,  lorsque  déjih  la  réaction  commençait,  et  Pétion,  à  qui 
Danton  vint  se  vanter,  sourit  de  cette  intervention  tardive  ;  il  n*eùt  pas 
souri  le  â»  k  coup  sûr. 


téd  TKNTàTIVB  tm$  UWmWM 

qu'il  s* obstinait  à  ignorer  que  la  Commune  Tinvitàt 
a^  rendre  dans  son  sein  ;  il  gardait  une  position  ex- 
pectante,  équivoque^  entre  la  Commune  et  rÂssem- 
blée.  Robespierre,  le  2  septembre ,  renouvelant  dans 
le  conseil  général  ses  accusations  de  la  veille  et  les 
précisant,  dit  qu'il  y  avait  une  grande  conspiration 
pour  donner  le  trône  au  duc  de  Brunswick.  Billault- 
Vareunes  appuya.  Le  conseiKgénéral  applaudit.  Tout 
le  monde  comprit  que  les  conspirateurs  étaient  les 
ministres  mêmes,  que  le  pouvoir  exécutif  voulait  li- 
vrer la  France.  Le  bruit  s'en  répandit  dans  Paris  a 
l'instant.  On  dit,  on  répéta,  on  crut  ^a  que  la  Com- 
mune déclarait  le  pouw>ir  exécutif  déchu  de  la  con- 
fiance nationale»  »  Le  peu  de  pouvoir  moral  que  con* 
servait  le  ministère  fut  anéanti. 

Une  section  (l'Ile  Saint-Louis)  eut  néanmoins  le 
courage  de  s'informer  exactement  de  ce  qu'il  en  fallait 
croire.  Soit  par  un  mouvement  spontané,  soit  qu'elle 
y  fût  poussée  par  les  ministres ,  elle  envoya  deman-* 
lier  à  l'Assemblée  s'il  était  bien  sûr  que  la  Com- 
mune en  eût  décidé  ainsi.  L'Assemblée  répondit  né- 
gativement ,  et  cette  négation  n'eut  aucun  efTet  sur 
l'opinion.  Les  ministres  restèrent  brisés. 

II  semble  pourtant  qu'au  soir  ils  aient  essayé 
de  reprendre  force;  ils  firent  agir  Pélion.  L'inerte, 
l'immobile  maire  de  Paris  reprit  tout-à*coup  mou- 
vement. Il  invita  les  présidents  de  toutes  les  sec- 
tions à  se  réunir  chez  lui  pour  entendre,  disait-il,  un 
rapport  du  ministre  de  la  guerre  sur  les  préparatift 
du  départ  des  volontaires.  Cette  assemblée  étant  réu- 


POIJil  CALMEli  LE  PEWLE  («  SCPT.  U2).  IM 

nie,  et  formant  une  sorte  de  corps  qu'on  pouvait  en 
quelque  sorte  opposer  au  conseil-géoéml  de  la  Corn- 
muuOy  on  lui  proposa^  on  lui  fit  voter  une  mesure 
très-hardie,  dont  reffet  eût  été  de  neutraliser  en 
grande  partie  la  Commune  en  l'égalant  ou  la  dèpas- 
sant  dans  Yé\an  révolutionnaire.  On  décida  qu'indé-* 
pendamment  de  la  solde ,  on  auureraU  auœ^volon^ 
taires  un  fonds  pour  subvenir  aux  besoins  de  kurs 
familles; — de  plus^  qu'on  porterait  k  soixante  mille 
les  trente  mille  hommes  demandés  par  l'Assemblée  à 
ia  ville  do  Paris  et  aux  départements  limitrophes,  en 
complétant  par  la  voie  du  sort  ce  que  l'enrôlement 
volontaire  n'aurait  pas  donné;  ^^  troisièmement, 
qu  on  créerait  une  commission  de  surveillance  pour 
remploi  des  armes  (elles  étaient  en  effet  odieusement 
gaspillées ,  souvent  volées  et  Tendues)^  et  que  Ton 
fondrait  des  balles  y  en  employant  même  le  plomb 
des  cercueils. 

Cette  proposition  était  triplement  révolutionnaire. 
Elle  faisait  par  la  simple  autorité  de  Paris  trois  choses 
que  l'Assemblée  seule  semblait  avoir  le  droit  de  faire  : 
elle  frappait  un  impôt  (durable  et  considérable);  elle 
changeait  le  mode  de  recrutement,  en  rendait  les 
résultats  certains,  précis,  efficaces;  elle  doublait  le 
nombre  d'hommes  demandé  par  une  loi.  Si  Pétion 
réunit  chez  lui  les  commissaires  de  sections  pour  leur 
faire  voler  une  telle  mesure,  tellement  extrà-légale, 
cest  qu'il  y  était  certainement  autorisé  par  le  conseil 
(les  ministres.  Le  ministre  de  la  guerre  était  présent 
à  cette  réunion. 


ISf  StJITS  DU  MASSACnE  DE  L'ABBATE. 

C'était  la  plus  sage  mesure  qu'on  pAt  prendre  dans 
la  situation.  Elle  pouvait  calmer  les  cœurs,  et  elle 
augmentait  l'élan  militaire.  Qu'est-ce  qui  troublait 
ceux  qui  partaient?  Ce  n'était  pas  le  départ  même , 
c'était  généralement  l'abandon,  le  dénûment  où  ils 
laissaient  leurs  familles.  Eh  bien  !  la  patrie  était  là, 
qui  les  recevait  et  les  adoptait;  dans  le  déchirement 
du  départ,  cette  femme  éplorée,  ces  enfants,  ils  ne 
sortaient  des  bras  d'un  père  que  pour  tomber  aux 
bonnes  mains  maternelles  de  la  France.  Qui  ne  serait 
parti  alors  d'un  cœur  héroïque  et  paisible,  dans  la 
sérénité  courageuse  où  l'homme  embrasse  d'avance 
volontiers  la  vie,  volontiers  la  mort? 

Celte  mesure  prise  le  T'  septembre  eût  eu  d'ex- 
cellents effets.  Le  2,  elle  était  tardive.  Elle  ne  fut 
connue  que  le  3,  fut  à  peine  remarquée. 

Le  2,  au  soir,  pendant  qu'on  discute  ainsi  chez 
Pétion  les  moyens  possibles  de  calmer  le  peuple,  le 
massacre  continue  aux  Carmes  et  à  TÂbbaye.  Aux 
Carmes,  on  avait  tué  d'abord  les  évêques  et  vingt- 
trois  prêtres,  réfugiés  dans  la  petite  chapelle  qui  est 
au  fond  du  jardin.  D'autres,  qui  fuyaient  par  tout  le 
jardin,  ou  tâchaient  de  passer  par-dessus  les  murs, 
étaient  poursuivis,  tirés,  avec  des  risées  cruelles.  A 
l'Abbaye,  on  massacrait  une  trentaine  de  Suisses  et 
autant  de  gardes  du  Roi.  Nul  moyen  de  les  sauver.  Ma- 
nuel, qui  était  fort  aimé,  vint  de  la  Commune,  prê- 
cha, fit  les  derniers  efforts,  et  il  eut  la  douleur  de  voir 
le  peu  que  sert  l'amour  du  peuple.  Il  ne  s'en  fallut 
guèresqueles  furioujcne  missentlamain  sur  lui.  L'As- 


INTERVEimON  IRUTILE  (â  SEPT.  ^2).  iS3 

semblée  avait  envoyé  aussi  plusieursde  ses  membres  les 
plus  populaires  :  le  bon  vieux  Dusaulx,  dont  la  noble 
figure  militaire,  les  beaux  ebeveux  blancs,  pouvaient 
rappeler  au  peuple  son  temps  d'béroïque  pureté,  la 
prise  de  la  Bastille;  Isnard  aussi,  Torateur  de  la 
guerre,  aux  brûlantes  paroles.  On  leur  avait  adjoint 
un  héros  de  la  populace,  violent,  grivois,  fait  pour  ré- 
pondre aux  oiauvaises  passions,  pour  les  modérer  peut- 
être  en  les  partageant  ;  je  parle  du  capucin  Chabot. 

Tout  cela  fut  inutile.  La  foule  était  sourde  et 
aveugle;  elle  buvait  de  plus  en  plus,  de  moins  en 
moins  comprenait.  La  nuit  venait;  les  sombres  cours 
de  FAbbaye  devenaient  plus  sombres.  Les  torches 
qu'on  allumait  faisaient  paraître  plus  obscur  ce 
qu'elles  n'éclairaient  pas  de  leurs  funèbres  lueurs. 
Les  députés,  au  milieu  de  ce  tumulte  effroyable, 
n'étaient  nullement  en  sûreté.  Chabot  tremblait  de 
tous  ses  membres.  Il  a  assuré  plus  tard  qu'il  croyait 
avoir  passé  sous  une  voûte  de  dix  mille  sabres. 
Tout  menteur  qu'il  fût  d'habitude,  je  crois  volontiers 
qu'il  n'a  pas  menti.  L'éblouissement  de  la  peur  lui 
aura  multiplié  à  l'infini  les  objets.  Du  reste,  il  i:uffit 
de  voir  le  lieu  de  la  scène,  les  cours  de  l'Abbaye,  le 
parvis  de  l'église,  la  rue  Sainte-Marguerite,  pour 
comprendre  que  quelques  centaines  d'hommes  rem- 
plissent surabondamment  ce  lieu  très-étroit,  resserré 
de  tout  côté. 

Ce  qui  commençait  a  donner  un  caractère  terrible 
au  massacre,  c'est  que,  par  cela  même  que  la  scène  était 
resserrée,  les  spectateurs  mêlés  à  l'action,  touchant 


.4M  MASSACRE  DU  CUATKLET 

presque  le  sang  et  les  morts,  étaient  comme  enve- 
loppés du  tourbillon  magnétique  qui  emportait  les 
massacreurs.  Ils  buvaient  avec  les  bourreaux,  et  le 
devenaient.  L'effet  horriblement  Tantastique  de  celte 
scène  de  nuit,  ces  cris,  ces  lumières  sinistres,  les 
avaient  fascinés  d'abord,  Gxés  à  la  même  place.  Puis 
le  vertige  venait,  la  lète  achevait  de  se  prendre,  les 
jambes  et  les  bras  suivaient;  ils  se  mettaient  en  mou- 
vement, entraient  dans  cet  affreux  sabbat,  et  faisaient 
comme  les  autres. 

Dès  qu'une  fois  ils  avaient  tué,  ils  ne  se  con- 
naissaient plus,  et  voulaient  toujours  tuer.  Un 
même  mot  revenait  sans  cesse  dans  les  bouches  hé« 
hélées  :  «  Aujourd'hui,  il  faut  en  finir.  »  Et  par-la, 
ils  n'entendaient  pas  seulement  tuer  les  aristocrates, 
mais  en  finir  avec  tout  ce  qu'il  y  avait  de  mauvais; 
purger  Paris,  n*y  rien  laisser  au  départ  qui  pût  être 
dangereux,  tuer  les  voleurs,  les  faux  monnayeurs, 
les  fabricateurs  d'assignats,  tuer  les  joueurs  et  les 
escrocs,  tuer  même  les  filles  publiques...  Où  s'ar- 
rêterait le  meurtre  sur  celte  pente  effroyable?  Com- 
ment borner  celte  fureur  d'épuration  absolue?  Qu'ar- 
riverait-il, et  qui  serait  sûr  de  rester  en  vie,  si,  par- 
dessus Tivresse  de  l'eau -de -vie  et  l'ivresse  de  la 
mort,  une  autre  agissait  encore,  Tivresse  de  la  jus- 
tice, d'une  fausse  et  barbare  justice,  qui  ne  mesurait 
plus  rien,  d'une  justice  à  l'envers,  qui  punissait  les 
simples  délits  par  des  crimes. 

Dans  cette  disposition  d'esprit  effroyable,  beaucoup 
trouvèrent  que  TAbbaye  était  un  champ  trop  étroit  : 


ET  DE  U  CONClERGEaiB  (i  SEPT.  92).  i55 

ils  coururent  au  Cbàtelet  Le  Cbàteict  n'était  point 
uoe  prison  politique;  il  recevait  des  voleurs  et  dos 
coodamnés  à  la  détention  pour  des  fautes  moins^^- 
ves.  Ces  prisonniers,  CDlendant  dire  la  veille  que  les 
prisons  seraient  bientôt  vidées,  croyant  Irouver  leur 
liberté  dans  la  confusion  publique,  pensant  qu'à  rap- 
proche de  l'ennemi  les  royalistes  pourraient  bien  leur 
ouvrir  la  porte,  avaient,  le  1*'  septembre,  fait  leurs 
préparatifs  de  départ;  plusieurs,  le  paquet  sous  le 
bras,  se  promenaient  dans  les  cours.  Ils  sortirent, 
ruais  autrement.  Une  trombe  effroyable  arrive  à  sept 
heures  du  soir  de  l'Abbaye  au  Cb&telet  ;  un  massacre 
indistinct  commence  à  coups  de  sabre,  à  coups  de  fu- 
sil. Nulle  part  ils  ne  furent  plus  impitoyables.  Sur  près 
de  deux  eents  prisonniers,  il  n'y  en  eut  guércs  plus 
de  quarante  épargnés.  Ceux-ci  obtinrent,  dit-on,  la 
vie ,  en  jurant  qu'à  la  vérité  ils  avaient  volé ,  mais 
qu^ils  avaient  toujours  eu  la  délicatesse  de  ne  voler 
que  les  voleurs,  les  riches  et  les  aristocrates. 

Le  Chàlelet  était  d'un  côté  du  Pou t-au  Change  ;  la 
Conciergerie  est  de  lautre.  Là,  se  trouvaient,  entre 
autres  prisonniers,  huit  olBciers  suisses.  Au  moment 
loème,  l'un  d'eux,  le  major  Bachmann,  était  jugé  par 
le  tribunal  extraordinaire  ;  seul,  de  tous,  il  fut  épar^ 
gné,  réservé  pourl'échafaud.  Le  massacre  des  Suisses 
et  des  autres  prisonniers  eut  lieu  tout  près  du  tribu- 
nal, et  l'audience  fut  à  chaque  instant  interrompue 
par  des  cris.  Rien,  dans  ces  jours  effroyables,  ne  fut 
plus  hideux  que  ce  rapprochement,  ce  mélange  de 
la  justice  régulière  et  de  la  justice  sommaire,  ce 


lf(0  *      MAILLARD  ORGANISE 

spectacle  de  voir  les  juges  tremblants  sur  leurs  siè- 
ges,  continuer  au  tribunal  des  formalités  inutiles, 
presser  un  vain  simulacre  de  procès ,  lorsque  Tac- 
cusé  ne  gardait  nulle  chance  que  d*ètre  massacré  le 
jour  ou  guillotiné  le  lendemain  \ 

Tant  qu'on  tua  ainsi  des  voleurs,  des  Suisses  ou 
des  prêtres,  les  massacreurs  Trappaient  sans  hésita- 
lion.  La  première  difficulté  vint,  à  l'Abbaye,  de  ce 
que  plusieurs  des  prêtres  qui  vivaient  encore  décla- 
rèrent qu'ils  voulaient  bien  mourir^  mais  qu'ils  de- 
mandaient le  temps  de  se  confesser.  La  demande  pa- 
rut juste;  on  leur  accorda  quelques  heures. 

Il  restait  à  ce  moment  moins  de  monde  à  l'Abbaye. 
Outre  le  détachement  envoyé  de  bonne  heure  aux 
Carmes,  beaucoup,  comme  on  vient  de  voir,  travail- 
laient au  Chfttelet.  On  essaya  (probablement  vers 
sept  heures  du  soir)  d'organiser  un  tribunal  à  l'Ab- 
baye, de  sorte  qu'on  ne  tuât  plus  indistinctement  et 
qu'on  épargnât  quelques  personnes.  Ce  tribunal 
eut  en  effet  le  bonheur  de  sauver  un  grand  nombre 
d'individus.  Faisons  connaître  l'homme  qui  forma  le 
tribunal  et  le  présida. 

Il  y  avait  au  faubourg  Saint-Antoine  un  personnage 
bizarre,  dont  nous  avons  déjà  parlé ,  le  fameux  huis- 
sier Maillard  ,  C'éUiit  un  sombre  et  violent  fanatique 
sous  formes  très-froides,  d'un  courage  et  d'un  sang- 
froidraresetsinguliers.AlaprisedelaBastille,  lorsque, 

I  Nous  rapportons  ceci  d^uprèsla  tradition.  II  ne  reste,  je  crois,  au- 
cune trace  authentique  du  massacre  de  la  Conciergerie. 


UN  TRIBCIUL  A  L*AMATE  (2  SEPT.  Qi).  |fi7 

le  pooMevis  élant  rompu,  on  y  substitua  une  {danehe, 
le  premier  qui  passa  tomba  dans  le  fossé  de  trente 
pieds  de  profoodeur  et  se  tua  sur  le  coup.  Maillard 
passa  le  second,  et  sans  hésitation,  sans  vertige,  il  at- 
teignit l'autre  bord.  On  Ta  revu  au  5  octobre,  comme 
il  Taisait  la  conduite  des  femmes,  ne  permettant  sur 
la  roule  ni  pillage,  ni  désordre;  tant  qu'il  fut  à  la 
tète  de  cette  foule,  il  n'y  eut  aucune  violence.  Son 
originalité,  c'était,  dans  les  plus  tumultueux  mouve- 
ments, de  conserver  des  formes  régulières  et  quasi 
légales.  Le  peuple  l'aimait  et  le  craignait.  11  avait 
près  de  six  pieds;  sa  taille,  son  habit  noir,  hon- 
nête, râpé  et  propre,  sa  figure  solennelle,  colos- 
sale, lugubre,  imposaient  à  tous. 

Maillard  voulaitle  massacre, sans  nul  doute;  mais^ 
homme  d'ordre  avant  tout,  il  tenait  également  à  deux 
choses  :  l"*  à  ce  que  les  aristocrates  fussent  tués; 
S^'à  ce  qu'ils  fussent  tués  légalement,  avec  quelque 
formes,  sur  l'arrêt  bien  constaté  du  peuple,  seul  juge 
infaillible. 

11  procéda  avec  méthode,  se  fit  apporter  Técrou 
de  la  prison,  et,  sur  l'écrou,  fît  les  appels,  de  sorte 
que  tous  comparussent  à  leur  tour.  11  se  composa 
un  jury,  et  il  le  prit,  non  parmi  les  ouvriers,  mais 
parmi  des  gens  établis,  des  pères  de  famille  du  voi- 
sinage, des  petits  marchands.  Ces  bourgeois  se  trou- 
vèrent, par  la  grâce  de  Maillard,  avec  Tapprobation 
de  la  foule,  composer  le  formidable  tribunal  popu- 
laire qui  d'un  signe  donnait  la  vie  ou  la  mort.  Pâles 
et  muets,  ils  siégèrent  là  la  nuit  et  les  jours  sui- 


1>fl  ttAlLlAftO  ORGANfSC  tîN  TRIBttNAL 

vants,  jugeant  par  signes,  opinant  par  des  mouve- 
.  ments  de  tète.  Plusieurs,  quand  ils  voyaient  la  foule 
un  peu  favorable  k  tel  prisonnier,  hasardaient  parTois 
un  mot  d'indulgence. 

Avant  la  création  de  ce  tribunal,  un  seul  homme 
avait  été  épargné ,  l'abbé  Sicard ,  instituteur  des 
sourds -muets,  réclamé  d'ailleurs  par  F  Assemblée 
nationale.  Depuis  que  Maillard  siégea,  avec  son  jury, 
il  y  eut  distinction  ;  il  y  eut  des  coupables  et  dos  in- 
nocents; beaucoup  de  gens  échappèrent.  Maillard 
consullait  la  foule,  mais,  en  réalité,  son  autorité  élaît 
telle  qu'il  imposait  ses  jugements.  Ils  étaient  respec- 
tés, quels  qu'ils  fussent,  lors  môme  qu'ils  absolvaient. 
Quand  le  noir  fantôme  se  levait,  mettait  la  main  sur 
la  tôle  du  prisonnier,  le  proclamait  innocent,  per- 
sonne n'osait  dire  Non.  Ces  absolutions,  solennelle- 
ment prononcées,  étaient  généralement  accueillies 
d^s  meurtriers  avec  des  clameurs  de  joie.  Plusieurs, 
par  une  étrange  réaction  de  sensibilité,  versaient  des 
larmes,  et  se  jetaient  dans  les  bras  de  celui  qu'un  mo- 
ment auparavant  ils  auraient  égorgé.  Ce  n'était  pas  une 
petite  épreuve  que  de  recevoir  ces  poignées  de  main 
sanglantes,  d'être  serré  sur  la  poitrine  de  ces  meur- 
triers sensibles.  Ils  ne  s'en  tenaient  pas  là.  Ils  recon- 
*  duisaient  «  ce  brave  homme,  ce  bon  citoyen,  ce  bon 
patriote».  Ils  le  montraient  avec  bonheur,  avec  en- 
thousiasme, le  recommandaient  à  la  pitié  du  peuple. 
S'ils  ne  le  connaissaient  point,  n'avaient  rien  h  dire  de 
lui,  leur  imagination  exaltée  suppléaitet  lui  compo- 
sait sa  légende;  ils  la  contaient,  chemin  faisant,  et, 


om  sAtJve  43  reiiioKXEs  (i  sept.  gt).  199 

chose  étrange,  à  mesure  qu'ils  rimprovisaieDtet  la 
Taisaient  croire  aux  passants ,  ils  la  croyaient  aussi 
eux-mêmes,  c  Citoyens,  disaient-ils,  vous  voyez 
bien  ce  patriote,  eh  bien!  on  l'avait  enTermé  pour 
avoir  trop  bien  parlé  de  la  nation...  »  —  t  Voye»  ce 
malheureux,  criait  un  autre,  ses  parents  l'avaient  Tait 
mettre  aux  oubliettes  pour  s'emparer  de  son  bien.  »— 
«  En  même  temps,  dit  celui  auquel  nous  empruntons 
ces  détails ,  les  passants  se  pressaient  pour  me  voir 
autour  du  fiacre  oh  j'étais ,  m'embrassaient  par  les 
portières....» 

Ceux  qui  reconduisaient  un  prisonnier  se  Taisaient 
scrupule  d'en  rien  recevoir,  se  contentant  d'accepler 
tout  au  plus  un  verre  de  vin  des  amis  ou  des  parents 
chez  qui  ils  le  ramenaient.  Ils  disaient  qu'ils  étaient 
assez  payé»  de  voir  une  telle  scène  de  joie,  et  souvent 
pleuraient  de  bonheur. 

II  y  avait,  au  moins  dans  ces  commencements  du 
massacre,  un  désintéressement  très-réel.  Des  sommes 
considérables,  en  louis  d'or,  qu'on  trouva  à  l'Abbaye 
sur  les  premières  victimes,  Turent  immédiatement 
portées  à'  la  Commune.  Il  en  Tut  de  même  aux  Car-  * 
wes.  Le  savetier  qui  y  était  entré  le  premier,  et  s'é- 
tait Tait  capitaine,  eut  un  soin  scrupuleux  de  tout  ce 
qu'on  prit.  Un  témoin  oculaire,  qui  me  Ta  conté,  le 
vit  le  soir,  entrer  avec  sa  bande  dans  l'église  de  Saint- 
Sulpice,  apporter  dans  son  tablier  de  cuir  sanglant 
une  masse  d'or  et  de  bijoux,  des  anneaux  èpiscopaux, 
(les  bagues  de  grande  valeur.  Il  remit  fidèlement  le 
tout,  par-devant  témoins,  à  l'autorité. 


160  DÉVOUEMENT  DE  M»«>  CAZOTTB  ET  âOlfDREUIL, 

Le  lendeniain  encore,  dans  la  journée  du  3,  il  y 
eut  un  remarquable  exemple  de  ce  dësintéresement. 
Ils  avisèrent  que  le  massacre  des  voleurs  du  Châtelet 
était  incomplet  s'ils  n'y  joignaient  celui  d'une  soixan- 
taine de  forçats  qui  étaient  aux  Bernardins,  atten- 
dant le  départ  de  la  chaîne.  Ils  allèrent  les  égoi^er, 
jetèrent  dans  la  rue  les  dépouilles,  avec  défense  d*y 
toucher.  Un  porteur  d'eau  qui  passait  reganla  par 
terre  un  habit  avec  curiosité,  et  le  releva  pour  mieux 
voir  ;  il  Tut  tué  à  l'instant. 

Cette  justice  de  hasard,  troublée  tantôt  par  la  fu- 
reur, tantôt  par  la  pitié,  par  le  désintéressement  même 
et  le  sentiment  de  l'honneur,  frappa  plus  d'un  répu- 
blicain, en  sauvant  des  royalistes.  Au  Châtelet,  D'Ë- 
presménil  se  fit  passer  pour  massacreur,  tant  le  dés- 
ordre était  grand.  Ce  qui  étonne  davantage,  c'est  qu'il 
y  eut  des  royalistes  épargnés  pour  cela  seul  qu'ils  s'a- 
vouaient courageusement  royalistes,  alléguant  qu'ils 
l'avaient  été  de  cœur  et  de  sentiments,  sans  avoir 
aucun  acte  à  se  reprocher.  C'est  ainsi  qu'échappa  un 
journaliste  très-aristocrate,  l'un  des  rédacteurs  des 
Actes  des  Apôtres,  Journiac  de  Saint-Méard.  Il  avait 
intéressé  un  de  ses  gardes.  Provençal  comme  lui,  qui 
lui  procura  une  bouteille  de  vin;  il  la  but  d'un 
trait,  parla  avec  une  assurance  qui  charma  le  tri- 
bunal. Maillard  proclama  que  la  justice  du  peuple 
punissait  les  acteSj  et  non  les  pensées.  Il  le  renvoya 
absous. 

On  voit  par  ce  seul  fait  l'audace  extraordinaire  du 
juge  de  l'Abbaye.  Il  mit  parfois  à  une  rude  épreuve 


DfiV0GE3fENT  DE  GEOFFROY-SAINT-HILAIRE  (2  SERT.  92).      161 

l*obéissance  des  meurtriers.  Quelquerois  ils  s'iudi- 
gnèrenl,  réclamèrent,  entrèrent  dans  le  tribunal,  le 
sabre  à  la  main.  Une  fois  devant  Maillard,  ils  étaient 
intimidés,  et  ils  s'en  allaient. 

11  y  avait  à  TAbbaye  une  fille  charmante,  M'^*  Ca- 
zotte,  qui  s'y  était  enfermée  avec  son  père.  Gazette, 
le  spirituel  visionnaire,  auteur  d'opéras-comiques^ 
n'en  était  pas  moins  très-aristocrate;  il  y  avait  con« 
tre  lui  et  ses  fils  des  preuves  écrites  très-graves  ^. 
11  n'y  avait  pas  beaucoup  de  chances  qu'on  pût  le 
sauver.  Maillard  accorda  à  la  jeune  demoiselle  la  fa- 
veur d'assister  au  jugement  et  au  massacre,  de  cir« 
culer  librement.  Cette  fille  courageuse  en  profita  pour 
capter  la  faveur  des  meurtriers;  elle  les  gagna,  les 
charma,  conquit  leur  cœur,  et  quand  sou  père  pa- 
rut, il  ne  se  trouva  plus  personne  qui  voulût  le  tuer*. 

*  Le  dossier  que  nous  possédons  anx  Archives  fïalionales  témoigne 
de  11  légèreté  des  conspirateurs  royalistes.  L*un  des  complices  de 
Caxotte  lui  envoie,  pour  Tencourager,  les  prophéties  de  Nostradamus. 

*  Les  déf  oueroents  de  M^^'*  de  Cazolte  et  de  Sombreuil  étaient 
toutefois  commandés  par  le  devoir  et  la  nature.  D*autres,  plus  spon-> 
tanés  encore,  furent,  en  ce  sens,  plus  admirables.  Uborloger  Mon- 
Dot  sauva  Tabbé  Sicard,  an  péril  de  sa  vie.  Geoffroy-Saint-Hilaire,  non 
content  d*avoir  obtenu  la  liberté  de  son  professeur  Hauy,  conçut  Tau- 
dadeux  projet  de  sauver  ses  maîtres,  les  professeurs  de  Navarre,  enfer- 
més à  Saint-Firmin.  Ce  jeune  homme  de  vingt  ans,  le  2  septembre,  à 
deux  heures,  au  moment  même  oii  le  tocsin  sonnait,  pénètre  intrépide* 
ment  k  la  prison,  avec  la  carte  et  les  insignes  d^un  commissaire.  Les 
prisonniers  n*osèrent  le  suivre,  soit  qu*ils  doutassent  du  succès,  soit 
qu*ils  craignissent  de  compromettre  ceux  qui  n'auraient  pu  s*évader. 
La  nuit  vint,  et  dans  ceUe  nuit  de  terreur,  T  humanité  fut  plus  forte  dans 
ce  cœur  vraiment  héroïque.  11  prit  une  échelle,  Tappuya  au  mur  de 
Saint-Firmtn,  h  deux  pas  des  sentinelles,  et,  dans  cet  extrême  péril, 

IV.  " 


102  DÉVOUEMENT 

Cela  eut  lieu  le  4  septembre.  îl  y  avait  trois  jours 
que  Maillard  siégeait  immuable,  condamnait  et  ab- 
solvait. 11  avait  sauvé  quarante-deui  personnes.  La 
quarante-troisième  était  difficile,  impossible  h  sauver, 
ce  semble.  C'était  M.  de  Sombreuil,  connu  comme 
ennemi  déclaré  de  la  Révolution.  Ses  fils  étaient  à 
ce  moment  dans  l'armée  ennemie,  et  l'un  d'eux  se 
battit  si  bien  contre  la  France  qu'il  fut  décoré  par 
le  roi  de  Prusse.  La  seule  chance  de  Sombreuil, 
c'est  que  sa  fille  s'était  enfermée  avec  lui. 

Quand  il  parut  au  tribunal,  ce  royaliste  acharné, 
ce  coupable,  cet  aristocrate,  et  qu'on  vit  pourtant  un 
vieux  militaire  qui  à  d'autres  époques  avait  brave- 
ment servi  la  France,  Maillard  fit  effort  sur  lui- 
même,  et  dit  une  noble  parole  :  «  Innocent  ou  cou- 
pable, je  crois  qu'il  serait  indigne  du  peuple  de  trem- 
per ses  mains  dans  le  sang  de  ce  vieillard.  » 

M"*  de  Sombreuil,  forte  de  ce  mot,  saisit  intrépi- 
dement son  père,  et  le  mena  dans  la  cour,  Tembras- 
sant  el  l'enveloppant.  Elle  était  si  belle  ainsi  et  si  pa- 
thétique, qu'il  n'y  eut  qu'un  cri  d'admiration.  Quel- 
ques-uns pourtant,  après  tant  de  sang  versé  pour  ce 

ailendit  haii  heures  q«e  les  prisonniers  écbspp&flseat.  Douie  prêtres 
furent  sanréspar  lui.  L'un  d'eux  tomba  et  se  blesss;  Geoffroy-Saint- 
HUaire  le  prit  dans  ses  bras»  le  porta  dans  un  chantier  voisin.  El  il  re- 
vint encore  k  réchelle  ;  mais  le  jour  venait,  îl  fut  aperçu  des  sentinel- 
les, et  reçut  dans  son  habit  un  coup  de  fusil. — A  celui  qui  9tv9k  non- 
Ifé  une  si  courageuse  sympathie  pour  la  vie  humaine,  Dieu  accorda  pour 
récompense  de  pénétrer  le  mystère  de  la  vie,  d*en  comprendre  les 
transformations,  comme  nul  ne  le  lit  Jamais.  Cet  héroïsme  de  tendresse 
lai  révéla  la  nature,  il  y  pénétra  par  le  cœur. 


HB  !!»«•  CAZOTTB  ET  SOMBREUIL  (4  SBPT.  93).       163 

qa'ils  croyaient  la  justice,  se  Taisaient  scrupule  de 
suivre  leur  cœur,  de  céder  à  la  pitié,  d'épargner  le 
plus  coupable.  On  a  dit,  sans  aucune  preuve,  mais 
non  pas  sans  vraisemblance,  que,  pour  donner  à 
M*"*  de  Sombreuil  la  vie  de  son  père,  ils  exigèrent 
qu'elle  jurât  la  Révolution,  abjurât  l'aristocratie,  et 
qu'en  haine  des  aristocrates,  ellegoûtât  de  leur  sang. 

Que  M"'  de  Sombreuil  ait  ainsi  racheté  son  père, 
cela  n'est  pas  impossible.  Mais  on  ne  lui  aurait  pas 
même  offert  ce  traité,  ni  déféré  le  serment,  si  le  juge 
de  l'Abbaye  n'eût  lui-même  fait  appel  à  la  générosité 
du  peuple,  et  si  la  parole  de  vie  ne  s'étiiit  trou^-ée 
dans  la  bouche  de  la  Mort. 

Ce  fut  le  dernier  acte  du  massacre.  Maillard  s'en  alla 
de  TAbbaye,  emportant  la  vie  de  quarante-trois  per- 
sonnes qu'il  a^  ail  sauvées,  etrexëcration  de  ravenir\ 

*  Le  registre  de  l' Abbaye,  tout  Ucbé  de  saog,  garde  siir  les 
marges  ce  nom  délesté,  ordînaîremeot  au  bas  de  celte  note  :  tué 
pftr  le  jugement  dupeuiAe,  ou  absous  par  le  peuple.  Maillard,  Son  écri- 
lore  est  très-belle,  très-grande,  monumentale,  noble,  posée,  celle  d*un 
komine  qui  se  possède  entièrement,  qui  n*a  ni  trouble,  ni  peur,  une 
sécurité  parfaite  d^àuie  «t  de  conscience.  —  Maillard  ne  reparaît  plus 
daus  toute  la  Révolution  :  il  resta  comme  enterré  dans  le  sang.  —  La 
belle  parole  qu*il  prononça  pour  sauver  Sombreuil  ne  peut  être  révo^ 
qoée  en  doute;  nous  Tavons  retrouvée  dans  le  journal  le  plus  contraire 
aux  hommes  de  Septembre,  dans  le  journal  de  Brissot,  le  Patriole 
Français, — Une  personne  très- versée  dans  Phistoire  de  la  Révolution, 
et  qui  connaît  parraitcineiil  les  hommes  et  les  caractères  de  ce  temps, 
me  disait  qu'elle  supposait  que  Mailtaird  avait  été  envoyé  par  Danton, 
pour  organiser  un  tribunal  modèle,  qu*on  pAt  Imiter  aux  autres  pn- 
sons,  de  manière  à  sauver  une  partie  des  prisonniers.  Cela  se  peut. 
Toutefois  il  me  parait  au  moins  aussi  vi'aisemljlable  (fae  Vinlrépide 
huissier  agit  de  lui-même  et  spontanément. 


CHAPITRE   VI 


SUITE.  -  LE  3  ET  LE  4  SEPTEMBRE. 

Teirenr  uniTerteUe  dans  la  noil  da  S  au  S.  —  Inertie  calcalée  de  ItenlM  — 
Prof  rét  de  la  barbarie,  aox  S,  S  el  4  septembre.  ^  A  TAbbaye ,  le  km- 
saere  devient  un  specucle  (8  septembre  «S).  —  Tentative  sor  rhoeplre  des 
femmes.  —  Danger  des  femmes  à  la  Force.  ^  Massacre  de  la  Force  (S  sep- 
tembre M).  Mort  de  madame  de  Lamballe.  —  La  tête  de  madame  de  Lam- 
balle  portée  an  Temple.  (5  septembre  «t).  Les  ministres  demandent  en  vain 
qnt  rAssemblée  appelle  la  garde  nationale  aux  armes.  *  Lettre  de  Rolland 
A  rAssemblée.— Circulaire  de  Marel  au  nom  de  la  Commune  poar  conseiller 
le  massacre  aui  département*.—  Massacre  des  femmes  et  des  enCiftis  à  la 
SalpMriére  et  à  Bicétre  (4  septembre  M). 


Personne,  dans  la  nuit  du  3  au  i  septembre,  ne  se 
rendait  encore  bien  compte  de  la  portée  et  du  carac- 
tère du  terrible  événement.  Au  voile  de  la  nuit,  le 
vertige  et  la  terreur  ajoutaient  un  double  voile.  Tant 
d'hommes,  qui  depuis  moururent  si  bien  sur  Técha- 
faud  ou  dans  les  batailles,  se  troublèrent  cette  nuit, 
et  eurent  peur.  Étrange  puissance  de  l'imagination, 

des  illusions  nocturnes,  des  ténèbres Ce  n'était 

pourtant  que  la  mort. 

On  ne  se  doutait  nullement  du  petit  nombre  des 


TERREUR  UNIVERSELLE  DANS  LA  NUIT  DU  2  AU  3.  ifS» 

acteurs  de  la  tragédie.  Le  grand  nombre  des  specta- 
teurs, des  curieux,  trompaient  partout  là-dessus. 
Les  massacreurs,  en  commençant,  n'étaient  pas  cin«' 
quante;  et,  quelques  recrues  qu*ils  fissent,  ils  n'allé- 
renl  jamais  qu*à  trois  ou  quatre  cents.  L'Abbaye  Tut 
comme  leur  quartier-général  ;  ils  y  travaillèrent  trois 
jours,  et  c'est  de  là  que  la  plupart  allèrent  aux  di- 
verses prisons,  le  2  aux  Carmes,  au  Chàtelet,  à  la 
Conciergerie,  le  3  à  la  Force,  aux  Bernardins,  à 
Saint-Firmin.  Le  i,  ils  sortirent  en  grand  nombre 
de  Paris,  et  firent  l'expédition  de  la  Salpétriére,  le 
sac  de  Bicêtre. 

Mais  les  imaginations  ne  calculèrent  pas  ainsi, 
Chabot,  présent  à  l'Abbaye,  avait  cru  voir  dix  mille 
sabrés.  Les  absents  en  virent  cent  mille. 

La  contagion  des  Fureurs  populaires  est  parfois  si 
grande  et  si  rapide,  qu'on  pouvait  croire  en  effet  que 
la  première  étincelle  ferait  un  grand  embrasement. 
La  masse  des  volontaires,  dont  personne  ne  savait  le 
nombre,  n'allait-^lle  pas  se  mettre  en  mouvement, 
livrer  bataille  aux  prisons,  puis  à  l'Assemblée  peut- 
être,  puis,  d'hôtel  en  hôtel,  aux  aristocrates?...  On 
ne  pouvait  le  deviner.  S'il  en  était  ainsi,  que  faire? 
quelle  force  leur  opposer?...  à  moins  qu'on  n'appelât 
au  secours  les  royalistes,  autrement  dit,  Tennemi, 
à  moins  qu'on  n' ouvrit  le  Temple,  qu'on  ne  défit  le 
10  août. 

A  une  heure  du  matin  (le  3),  des  commissaires  de 
la  Commune  vinrent  donner  des  nouvelles  du  mas- 
sacre aux  quelques  députés  qui,  à  cette  heure  avan-» 


166  INERTIE  CALCULÉE 

çée  di3 1^  nuit,  représentaient  seuls  TAsseoiblée  natio- 
nale. Ils  firent  entendre  que  tout  était  fini,  parlèrent 
du  massacre  comme  d'un  fait  accompli.  L'un  d^eux, 
Truchon,  exposa  avec  douleur  les  faibles  résultats 
que  son  intervention  avait  produits  k  la  Force.  Hais 
Tallien  et  un  autre  ne  firent  pas  difQculté  d'exprimer 
une  sorte  d' approbation  de  Injuste  vengeance  dupeu-- 
pie,  qui  d'ailleurs  n'était  tombée  que  sur  des  scélérats 
reconnus-,  ils  parlèrent  du  désintéressement  des  mas- 
sacreurs, ot  de  la  belle  organisation  du  tribunal 
de  l'Abbaye.  —  Tout  cela  écouté  dans  un  iqorne 
silence. 

Toute  puissance  publique  se  trouvait  paralysée. 
Les  ministres,  généralement,  ne  voyaient  rien  à  faire 
que  de  quitter  Paris. 

Et  toute  puissance  morale  semblait  anéantie  de 
même.  Robespierre  était  caché.  Il  avait  quitté,  cette 
nuit,  la  maison  des  Duplay,  et  s'était  réfugié  chez  un 
de  ses  fervents  disciples,  qui  venait  d'arriver  à  Pa- 
ris, qui  alors  n'était  pas  connu,  qui  depuis  le  fut  trop, 
Saint-Just.  Robespierre,  assure-t-on^  ne  se  coucha 
même  pas. 

Si  l'on  en  croyait  ^liuriot,  ami,  il  est  vrai,  de  Dan- 
ton, celui-ci  ef\t  été  le  seul,  dans  cette  terribip  nuit, 
qui  restât  debout  et  ferme,  «  qui  fût  décidé  à  sauver 
lÈtat.  > 

Le  violent  et  colérique  Thuriol  avait  dit  une  belle 
parole,  en  s' opposant,  dans  l'Assemblée,  aux  exi- 
gences meurtrières  de  la  Commune:  «  La  Révolution 
n'est  pas  à  la  France;  nous  en  sommes  comptables  à 


DE  DANTON  (2^  SEPTEVBBB  9S).  467 

rhumaoité*  »  On  a  droit  de  supposer  qu'il  demanda 
compta  à  Danton  du  sang  qui  était  versé. 

Sauver  VÉtat^  ce  mot  comprenait  deux  choses: 
Rester  à  Paris  quand  même,  y  rester  jusqu'à  la  mort, 
et  y  faire  rester  les  autres;  —d'au Ire  part,  conserver 
ou  rétablir  l'unité  des  pouvoirs  publics,  éviter  uuq 
collision  entre  les  deux  pouvoirs  qui  restaient,  l'As- 
semblée et  la  Commune. 

Lever  la  main  sur  la  Commune,  dans  cette  crise 
désespérée,  briser  le  dernier  pouvoir  qui  eût  force 
encore,  c'était  une  opération  terrible,  où  la  France 
agonisante  pouvait  expirer.  D'autre  part,  laisser  faire 
la  Commune,  se  soumettre,  fermer  les  yeu^  sur  le 
massacre,  c'était  s'avilir  par  cette  tolérance  forcéQ^ 
laisser  dire  qp'on  avait  peur,  qu'on  était  faible,  lâche, 
infime,  et  le  laquais  de  Marat. 

Restait  un  troisième  parti,  celui  de  l'orgqeil,  de 
dire  que  le  massacre  était  bien,  que  la  Commune 
avait  raison,  —  ou  même  de  faire  entendre  qu'on 
avait  voulu  le  massacre,  qu'on  l'avait  ordonné,  que 
la  Commune  ne  faisait  qu'objèir.  Ce  troisième  parti, 
horriblement  effronté,  avait  ceci  de  tentant  qu'en  le 
prenant,  Danton  se  mettait  à  l'avant-garde  des  vio- 
lents, se  subordonnait  Marat,  écartait  les  vagues 
dénonciations  dans  lesquelles  on  essayait  de  l'en* 
velopper. 

Il  y  avait,  je  l'ai  dit,  du  lion  dans  cet  homme,  mais^ 
du  d(^ue  aussi,  du  renard  aussi.  Et  celui-ci,  k  tout 
prix,  conserva  la  peau  du  lion. 

Que  dit-il,  la  nuit  du  2?  Je  ne  peux  pas  croire 


tOê  I»HUGIIÈS  DANS  LA  DAR1IARIE, 

qu'il  ait  déjà  accepté  la  pleine  responsabililé  du  cri* 
me.  Le  succès  était  encore  trop  obscur.  Nous  vemms 
par  quels  degrés  Danton  en  vint  à  Tadopter^  à  le  re- 
vendiquer. 

Les  choses  furent  ainsi  laissées  à  la  fatalité,  au  ha« 
sard,  au  terrible  crescendo  que  le  crime  en  liberté  suit 
inévitablement. 

Dès  la  nuit  du  3  au  4^  on  put  s'apercevoir  que 
le  massacre  irait  changeant  de  caractère,  qu'il  ne 
garderait  pas  l'aspect  d'une  justice  populaire ,  sau- 
vage, mais  désintéressée,  qu'on  croyait  lui  donner 
d'abord. 

Les  massacreurs,  nous  l'avons  vu,  étaient  mêlés 
d'éléments  divers,  qui,  le  premier  jour,  indistincts 
et  contenus  l'un  par  l'autre,  éclatèrent  ensuite;  le 
pire  alla  l'emportant.  Il  y  avait  des  gens  payés;  il  y 
avait  des  gens  ivres  et  des  fanatiques  ;  il  y  avait  des 
brigands  ;  ceux-ci  peu-à-peu  surgirent. 

Sauf  les  cinquante  et  quelques  bourgeois  qui  tuè- 
rent à  l'Abbaye  et  sans  doute  s'en  éloignèrent  peu,  les 
autres  (eu  tout,  deux  ou  trois  cents)  allèrent  de  prison 
en  prison,  s'enivrant,  s'ensanglantant,  se  salissant  de 
plus  en  plus,  parcourant  en  trois  jours  une  longue 
vie  de  scélératesse.  Le  massacre  qui,  le  2,  fut  pour 
beaucoup  un  effort,  devint,  le  3,  une  jouissance.  Peu- 
à-peu,  le  vol  s'y  mêla.  On  commença  de  tuer  des 
femmes.  Le  4,  il  y  eut  des  viols,  on  tua  même  des 
enfants. 

Le  commencement  fut  modeste.  Dans  la  soirée  du 
2,  ou  la  nuit  du  2  au  3,  plusieurs  de  ceux  qui  tuaient 


AUX  i,  s,  4  SEP1EVBRE.  |69 

à  TAbbaye,  n'ayant  ni  bas  ni  souliers,  regardèrent 
avec  envie  les  obaussures  des  aristocrates.  Ils  ne  von^ 
lurent  pas  les  prendre  sans  y  être  autorisés  ;  ils  mon* 
tèrent  à  la  section,  dont  le  bureau  siégeait  à  VAb- 
baye  inèmey  demandôrent  la  permission  de  mettre 
à  leurs  pieds  les  souliers  des  morts.  La  chose  ayant 
été  obtenue  facilement,  l'appétit  leur  vint,  et  ils  de-* 
mandèrent  davantage  :  des  bons  de  vin  k  prendre 
chez  les  marchands  pour  soutenir  les  travailleurs  et 
les  animer  à  la  besogne. 

Les  choses  n'en  restèrent  pas  là.  A  mesure  qu'on 
s'étourdit,  plusieurs  se  hasardèrent  à  voler  des  nip- 
pes. Un  de  ceux  qui  travaillèrent  la  nuit,  le  plus  ar- 
demment, dans  ce  sens,  était  un  Tripier  du  quai  du 
Louvre,  nommé  Laforèt.  Son  honible  Temme  tuait 
aussi,  et  volait  effrontément  ;  c'étaient  des  pillards 
connus.  Plus  tard,  au  31  mai,  Laforèt  se  plaignit 
amèrement  de  ce  qu'il  n'y  avait  pas  de  pillage  dans 
les  maisons  :  «  Dans  un  jour  comme  celui-ci,  disait-il, 
j'aurais  dû  avoir  au  moins  cinquante  maisons  pour 
ma  part,  i» 

Soit  que  Maillard  ait  trouvé  que  ces  voleurs  lui 
{gâtaient  son  massacre  et  qu'il  ait  fait  avertir  la  Com- 
mune, soit  que,  d'elle-même,  elle  ait  voulu  conserver 
une  sorte  de  pureté  à  cette  belle  justice  populaire,  un 
de  ses  membres  arriva  vers  minuit  et  demi  à  l'Ab- 
baye, un  homme  de  figure  douce,  en  habit  puce,  et 
petite  pernique.  C'était  Billault-Yarennes.  Il  n'essaya 
pas  d'arrêter  le  massacre;  l'exemple  de  Manuel, 
Dusauli  et  des  autres  députés  avertissait  assez  que 


490  A  L'ABBAYE, 

kt  chose  était  impossible.  Il  insi^^  seulemeot  pour 
qu'on  sauvât  les  dépouilles.  Toutefois,  comme  toute 
pleine  mérite  une  récompense^  il  promit  aux  ouvriers 
un  salaire  régulier.  Cette  mesure  (rès-odieuse,  et  qui 
impliquait  une  approbation,  n'en  eut  pas  moins  un 
bon  effet;  du  moment  qu'ils  furent  payés  régulière- 
ment, ils  travaillérept  beaucoup  moins,  se  donnèrent 
du  bon  temps,  et  se  ralentirent. 
.  Une  grande  partie  des  massacreurs  s'étaient  écou* 
lés  au  Châtelet,  à  la  Force.  La  tuerie  de  TAbliaye 
devint  affaire  de  plaisir,  de  récréation,  un  spectacle. 
On  entassa  des  bardes  au  milieu  de  la  cour,  en  une 
sorte  de  matelas,  La  victime,  lancée  de  la  porte 
dans  cette  sorte  d'arène,  et  passant  de  sabre  en  sabre, 
par  les  lances  ou  par  les  piques,  venait,  après  quel- 
ques tours,  tomber  k  ce  matelas,  trempé  et  retrempé 
de  sang.  Les  assistants  s'intéressaient  à  la  manière 
dont  chacun  courait,  criait  et  tombait,  au  courage,  à 
la  lâcheté  qu'avait  montrés  tel  ou  tel,  et  jugeaient  en 
connaisseurs.  Les  femmes  surtout  y  prenaient  grand 
plaisir;  leurs  premières  répugnances  une  fois  surmon* 
tées,  elles  devenaient  des  spectatrices  terribles,  insa^ 
tiables,  comme  furieuses  de  plaisir  et  de  curiosité.  Les 
massacreurs,  charmés  de  l'intérêt  qu'on  prenait  à 
leurs  travaux,  avaient  établi  des  bancs  autour  de  la 
cour,  bien  éclairée  de  lampions;  des  bancs,  mais  non 
indistincts  pour  les  spectateurs  des  deux  sexes;  il  y 
avait  bancs  pour  les  messieurs  et  bancs  pour  les  da- 
mes, dans  l'intérêt  de  l'ordre  et  de  la  moralité. 
Deux  spectateurs  étonnaient  fort  et  faisaient  par- 


LB  MASSACRS  HBTIENT  UV  SPECTACLE  (3  SEPTEVBBE  92).     i7i 

tie  du  spectacle  :  c'étaient  deux  Apglais;  Tun  gras, 
Taulre  maigre,  en  longues  redingotes  qui  leur  tom- 
iMÛent  aux  talons.  Ils  se  tenaient  debout,  Tun  à  droite 
et  l'autre  à  gauche,  bouteilles  et  verres  à  la  main  ; 
ils  avaient  pris  la  fonction  de  rarratchir  les  travail- 
leurs, et  pour  les  rafraîchir,  ils  leur  versaient  toute 
la  nuit  le  vin  et  Teau-de-vie.  On  a  dit  que  c'étaient 
des  agents  du  gouvernement  anglais.  Selon  une  con« 
jecture  plus  probable  encore  (que  fortifie  un  ouvrage 
publié  à  Londres  par  l'un  des  deux  Anglais,  ce  sem- 
ble), ils  n'étaient  rien  de  plus  que  des  voyageurs  cu- 
rieux, des  excentriques,  cherchant  les  émotions  vio- 
lentes, radicaux  prononcés  du  reste,  et  ne  regrettant 
en  la  chose  qu'un  seul  point,  qu'elle  n'eût  pas  lieu  à 
Londres. 

Le  massacre,  devenant  pour  les  uns  une  occasion 
de  vol,  un  spectacle  pour  les  autres ,  s'enlaidissait 
fort.  Plusieurs,  on  le  voyait  trop,  jouissaient  à  tuer. 
Cette  tendance  monstrueuse  commença  à  ce  révé- 
ler, la  Duit  même,  dans  le  supplice  recherché  qu'on 
fit  subir  k  une  femme.  C'était  une  bouquetière  bien 
coniiue  du  Palais-Royal,  détenue  pour  avoir  mutilé  un 
garde  française,  &  la  façon  d'Abailard.  La  plupart  de 
ces  femmes  et  filles  du  Palais-Royal  étaient  royalis- 
tes, regrettant  le  bon  temps,  les  nobles  qui  lespayaient 
mieux.  On  supposa  que  celle-ci,  royaliste  autant  que 
jalouse,  avait  voulu  avilir  un  amant  révolutionnaire, 
outrager  en  lui  la  révolution.  On  la  punit  par  le  sexe, 
autant  qu'il  était  possible  ;  on  lui  passa  un  bouchon 
de  paille  dans  les  parties  naturelles,  comme  on  en 


Ht  TENTATIVE  SUR  L*ilOSPiCE  DES  FEMMES  (3  SEPT.). 

met  aux  choses  à  vendre.  La  malheureuse,  s'agitaut 
dans  cette  extrême  douleur,  ou  l'attacha  toute  nue  k 
un  poteau  et  on  lui  cloua  les  pieds  ;  puis  on  lui  coupa 
les  seins,  et  l'on  mit  le  Teu  à  la  paille  :  elle  fut  tail* 
lée,  brûlée;  ses  cris  s'entendaient  d'un  pont  jusqu'à 
l'autre  V 

Le  plaisir  abominable  qu'on  avait  pris  à  faire  souf*- 
frir  une  femme  semble  avoir  sali  les  esprits,  cor- 
rompu le  massacre  même.  Vers  le  matin,  une  masse 
d'hommes  se  rendirent  au  grand  hospice  des  femmes, 
à  la  Salpètrière.  Il  y  en  avait  là  de  tout  âge  et  de 
toute  classe ,  de  vieilles  et  inQrmes ,  de  petites  et 
toutes  jeunes ,  enQn  des  filles  publiques.  Celles-ci , 
nous  l'avons  dit,  étaient  toutes,  à  tort  ou  à  droit, 
suspectes  de  royalisme.  Néanmoins,  celte  fureur  pa- 
triotique, qui  s'attaquait  à  des  filles  la  plupart  jeunes 
et  jolies,  était-elle  un  pur  fanatisme?  ou  bien  la  pen- 
sëe  du  viol  avait-elle  commencé  à  flotter  dans  les  as- 
prits?..  Quoi  qu'il  en  soit,  ils  trouvèrent  là  une  masse 
de  garde  nationale,  et  comme  ils  étaient  peu  nom- 
breux encore,  ils  ajournèrent  l'expédition. 

Le  3  fut  marqué  surtout  par  le  massacre  de  la 
Force;  il  y  avait  beaucoup  de  femmes  à  cette  pri- 
son  et  fort  en  danger.  La  Commune,  dans  la  nuit 
même,  y  avait  envoyé,  pour  en  retirer  du  moins 
celles  qui  n'y  étaient  que  pour  dettes.  11  était  minuit 


*  Cet  horrible  fait  D*est  pas  irès-sûr.  On  dit  que  la  bouquelière  éuil 
à  la  Conciergerie,  mais  M.  Labal  a  cherché  son  uoiii  inulileinent  sur  le 
registre  d*écrou. 


DAKGBR  DES  FEMMES,  A  LA  FORCE.  ilù 

et  demi,  et  les  massacreurs  étaient  déjà  aux  portes, 
peu  nombreux ,  à  la  vérilé.  C'était  une  chose  hon- 
teuse de  voir  une  cinquantaine  d'hommes,  nullement 
appuyés  du  peuple ,  qui  parlaient  au  nom  du  peuple 
et  faisaient  reculer  ses  représimtants  véritables ,  les 
membres  de  la  Commune.  Ces  magistrats  populaires 
ne  furent  nullement  respectés  ;  on  leva  les  sabres  sur 
eux.  Cependant,  ils  emmenèrent  non-seulement  les 
prisonniers  pour  dettes,  mais  MP*  de  Tourzel,  gouver^ 
nante  du  Dauphin,  sa  jeune  Gllo  Pauline,  trois  femmes 
de  chambre  de  la  reine,  et  celle  de  H*"*  de  Lamballe. 
Quant  à  cette  princesse,  l'amie  personnelle  de  la  reine, 
tellement  désignée  à  la  haine  publique,  on  n'osa  point 
l'emmener. 

La  Commune  n'avait  plus  aucune  raison  de  désirer 
qu'on  tuât.  Le  massacre  de  quatre  prisons  avait  pro- 
duit, et  au-delà,  l'effet  de  terreur  qui  la  maintenait 
au  pouvoir.  Elle  tenait  terrassée  TÂssemblèe,  la  presse, 
et  Paris.  Le  matin  du  3,  À  sept  heures,  pour  porter  plus 
directi^ment  encore  ce  coup  de  terreur,  elle  envoya 
deux  de  ses  commissaires  chez  l'homme  le  plus  con- 
sidérable de  la  presse,  Brissot,  sous  prétexte  de  cher- 
cher dans  ses  papiers  les  preuves  de  la  grande  trahison, 
des  rapports  avec  Brunswick,  que  Robespierre  avait 
dénoncés  le  1*^  et  le  2  septembre.  On  savait  i{u'on  ne 
trouverait  rien,  et  l'on  ne  trouva  rien  en  effet;  ou  ne 
voulait  que  faire  peur,  terrifier  TAssemblée,  la  briser 
sans  la  briser,  tuer  la  presse  et  la  faire  taire.  Ces  deux 
effets  furent  produits.  Nul  journaliste  ne  pouvait  se 
croire  en  sûreté,  lorsque  Brissot,  un  membre  si  con« 


il  A  IIASSACBE 

sidérablè  de  l'Assemblée,  était  recherché,  menacé 
chez  lui.  L'effrayante  stupeur  qui  régna  le  2  est  yîsI- 
ble  dans  leâ  journaux  qui  Turent  rédigés  dans  la  jour- 
née et  parurent  le  lendemain^  le  surlendemain  en- 
core^  et  les  jours  suivantis.  C'est  là  qu'il  Tant  étudier 
ce  phénomène  physiologique,  affreux,  humiliant,  la 
peur.  Ces  journalistes,  plus  tard,  sont  morts  héroï- 
quement; pas  un  n'a  montré  dé  faiblesse.  Eh  bien! 
faut-il  l'avouer?  effet  vraiment  étonnant  de  celte  fan- 
tasmagorie nocturne ,  de  ce  rêve  épouvantable ,  de 
ces  ruisseaux  de  sang  qu'on  se  représentait  coulant 
à  la  lueur  des  torches  de  l'Àbbaye...,  le  3,  ils  furent 
comme  glacés;  ils  n'osèrent  pas  même  se  taire;  ils 
bégayèrent  dans  leui's  journaux,  équivoquèrent,  louè- 
rent presque  la  terrible  justice  du  peuple. 

Deux  membres  de  la  Commune  présidèrent  ail 
massacre  de  la  Force  (Hébert,  Luillier,  Chépyf  on 
varie  sur  quelques  noms).  S'ils  voulaient  sauver  des 
victimes,  leur  tâche  semblait  plus  facile  que  celle  des 
juges  de  l'Abbaye.  La  Force  contenait  moins  de  pri- 
sonniers politiques.  Les  massacreurs  étaient  moins 
nombreux,  les  spectateurs  moins  animés.  La  popula- 
tion du  quartier  regardait  froidement,  et  ne  prenait 
bulle  part  à  la  chose.  En  récompense,  les  juges  étaient 
loin  d'avoir  l'autorité  terrible  de  Maillard  ;  ils  ne  do- 
minèrent pas  les  massacreurs,  mais  furent  dominés 
par  eux,  furent  plutôt  leurs  instruments,  et  sau vê- 
tent peu  de  personnes. 

te  Laisser  faire,  laisser  tuer  » ,  c'était,  ce  semble , 
lé  t  atk  matin,  la  pensée  de  la  Commune.  Elle  reçut  à 


DE  LA  FORCE  (3  SEPTEMBRE   92).  i% 

cette  heure  quelques  hommes  des  Quinze-Vingts,  qui, 
parlant  comme  s'ils  avaient  pouvoir  de  leur  section, 
demandaient  non-seulement  la  moridescan^pirateun^ 
mais  aussi  V emprisonnement  des  femmes  des  émigrés^. 
L'emprisonnement,  dans  un  tel  jour,  ressemblait 
beaucoup  à  la  mort.  La  Commune  n'osa  dire  Non  *, 
et  répondit  lâchement  :  «  Que  les  sections  pouvaient 
prendre  dans  leur  sagesse  les  mesures  qu'elles  juge- 
raient indispensables.  «> 

Manuel  et  Pétion,  qui  se  rendirent  à  la  Force  pout* 
essayer  dMnlervenir,  virent  avec  horreur  leurs  collè- 
gues de  la  Commune  siéger  en  écharpe  et  légahser  la 
tuerie.  Manuel  voulut  sauver  du  moins  la  dernière 
femme  qui  restât  à  la  Force,  M"*  de  Lamballe,  et  ne 
se  retira  que  lorsqu'il  crut  avoir  assuré  son  salut. 
Déjà,  la  veille,  &  la  Commune,  il  avait  eu  le  bonheur 
de  sauver  M"*  de  Staël.  Son  titre  d'ambassadrice  de 
Suède  ne  suffisait  pas  à  la  protéger;  Manuel  réussit 
en  montrant  qu'elle  était  enceinte. 

Pour  revenir  à  la  Force,  Pétion  harangua  les  mas* 
sacreurs,  s'en  fit  écouter;  il  parla  très-sagement,  et 
crut  les  avoir  convertis  à  l'humanité,  à  la  philoso- 
phie; il  parvint  même  à  les  faire  partir,  les  fit  sortir 
par  une  porte.  Lui  parti,  ils  rentrèrent  par  Tautre, 
et  continuèrent  de  plus  belle. 

Le  quartier  Saint-Antoine  et  le  faubourg  restaient 
étrangers  à  l'aflkire.  Un  moment  pourtant  on  put 
croire  qu'ils  sortiraient  de  leur  inaction,  que  la  masse 
honnête  se  déciderait  à  chasser  les  assassins.  Quel* 
ques  hommes  allèrent  chercher  un  canon  à  la  section 


176  MORT 

(je  parle  d'après  uottémoia  oculaire),  et  se  mirent  k 
le  traîner  vers  la  Force.  Parvenus  bien  près  de  Té- 
glise,  ils  virent  qu'on  ne  les  suivait  pas,  et  laissèrent 
là  leur  canon. 

Les  massacreurs  continuèrent.  La  victime  qu'ils 
attendaient,  désiraient ,  était  M"'  de  Lamballe.  lis 
avaient  bien  voulu  épargner  deux  ou  trois  valets  de 
chambre  du  Roi,  du  Dauphin,  reconnaissant  que  le 
dévouement  obligé  d*un  serviteur  ne  peut  être  un 
crime;  mais  M"^  de  Lamballe,  ils  la  considéraient 
comme  la  principale  conseillère  de  l'Autrichienne,  sa 
confidente,  son  amie ,  et  quelque  chose  de  plus.  Une 
curiosité  obscène  et  féroce  se  mêlait  à  la  haine  que 
son  nom  seul  excitait  et  faisait  désirer  sa  mort. 

Hs  se  trompaient  certainement  pour  l'influence 
qu'ils  lui  suppasaient  sur  la  reine.  Le  contraire  était 
plus  vrai.  Si  la  reine  était  légère,  elle  n'était  pas  do- 
cile; elle  avait  des  qualités  mâles  et  fortes,  domina- 
trices, un  caractère  intrépide.  M***'  de  Lamballe  était, 
au  sens  propre,  une  femme.  Son  portrait,  plus  que 
féminin  ',  est  celui  d'une  mignonne  petite  fille  sa- 
voyarde ;  on  sait  qu'elle  était,  en  cflfet,  de  ce  pays. 
La  tète  est  fort  petite,  sauf  Ténorme  et  ridicule  écha*' 
faudage  de  cheveux,  comme  on  les  portait  abrs;  les 
traits  aussi  sont  trop  petits,  plus  mignons  que  beaux; 
la  bouche  est  jolie,  mais  serrée,  avec  le  fixe  sourire 
du  Savoyard  et  du  courtisan.  Cette  bouche  ne  dit  pas 

*  Voyez  auMosée  de  Versailles.  Les  autres  portraits  sont  ridicules,  de 
méprisables  mensonges,  comme  les  Mémoires  français  et  anglais  qn*on 
t  mis  sotti  son  nom. 


DB  MADAME  DE  LAMBALLE  (3  SEPTEMBRE  93).  177 

graod'chose  ;  on  sait  en  effet  que  la  gentille  princesse 
avait  peu  de  conversation,  nulle  idée;  elle  était  peu 
amusante.  Le  portrait,  qui  répond  très-bien  à  l'his- 
toire, est  celui  d'une  personne  agréable  et  médiocre, 
née  pour  dépendre  et  obéir,  pour  souffrir  et  pour 
mourir  (ce  faible  col  élancé  ne  fait  que  trop  penser, 
hélas!  à  la  catastrophe).  Mais  ce  que  le  portrait  ne 
dit  pas  assez,  c'est  qu'elle  était  faite  aussi  pour  aimer. 
11  7  parut  à  la  mort. 

La  reine  l'aimait  assez,  mais  elle  fut  pour  elle , 
comme  pour  tous,  légère,  inégale.  Elle  se  jeta  d'abord 
à  elle,  avec  tout  l'emportement  de  son  caractère.  La 
pauvre  jeune  étrangère,  malheureuse  par  son  mari 
qui  la  délaissait  et  mourut  bientôt,  fut  reconnaissante, 
se  donna  de  cœur,  tout  entière  et  pour  toujours. 
Bien  ou  mal  traitée,  elle  resta  tendre  et  fidèle,  avec 
la  constance  de  son  pays.  Cette  femme  jeune  et  jolie 
était  toute  à  deux  personnes,  au  vieux  duc  de  Pen* 
thièvre,  son  beau -père,  qui  voyait  en  elle  une  fille, 
et  a  la  reine,  qui  l'oubliait  pour  M"*  de  Polignac.  La 
reine  n'avait  aucun  besoin  de  la  bien  traiter;  elle 
était  sûre  de  son  dévouement  aveugle,  en  toute  chose, 
honorable  ou  non  ;  elle  s'en  servait  sans  façon  pour 
toute  affaire  et  toute  intrigue,  la  compromettait  de 
toute  manière,  en  usait  et  abusait.  Qu'on  en  juge  par 
un  fait  :  ce  fut  M"'  de  Lamballe  qu'elle  envoya  à  la 
Salpêtrière  pour  offrir  de  l'argent  à  M"*  de  Lamotte, 
récemment  fouettée  et  marquée  ;  la  reine  apparem- 
ment craignait  qu'elle  ne  publiât  des  mémoires  sur 
la  vilaine  affaire  du  collier.  Le  trop  docile  inslru- 

IV.  " 


178  MORT 

ment  de  Marie-Antoinette  reçut  àe  la  supérieure  de 
rhospice  cette  foudroyante  parole  :  «  Elle  est  con- 
damnée^  madame^  mais  pas  à  vous  voir.  » 

La  reine,  en  90  et  91,  se  servit  de  M"*  de  Ijim- 
balle  d'une  manière  moins  honteuse,  mais  très-péril- 
leuse  et  la  mit  sur  le  chemin  de  la  mort.  Elle  prit 
son  salon  pour  recevoir;  elle  traita  chez  elle  ou  par 
elle  avec  les  hommes  importants  de  l'Assemblée  qu'elle 
essayait  de  corrompre;  elle  fit  venir  là  les  journalistes 
royalistes,  les  hommes  les  plus  haïs,  les  plus  compro- 
mettants. Elle  donna  ainsi  à  son  amie  une  impor- 
tance politique  qu'autrement  son  caractère,  sa  fai- 
blesse, son  défaut  absolu  de  capacité,  ne  lui  auraient 
donnée  nullement.  Le  peuple  commença  à  consi- 
dérer cette  petite  femme  comme  un  grand  chef  de 
parti.  La  seule  chose  bien  certaine,  c'est  qu'elle  avait, 
en  tout,  le  secret  de  Marie-Antoinette,  qu'elle  la  savait 
tout  entière,  la  reine  n'ayant  jamais  daigné  se  ca- 
cher en  rien  pour  une  amie  si  dépendante,  si  faible, 
et  qui  Taimait  quand  même,  comme  un  chien  aime 
son  mattre. 

Celte  malheureuse  femme  était  à  Tabri,  en  sûreté, 
quand  elle  apprit  le  danger  de  la  reine.  Sans  réflexion, 
sans  volonté,  son  instinct  la  ramena  pour  mourir,  si 
elle  mourait.  Elle  fui  avec  elle,  au  10  août;  avec  elle, 
au  Temple.  On  ne  lui  permit  pas  d'y  rester;  on  l'arra- 
cha de  Marie-Antoinette,  et  on  la  mit  à  la  Force.  Elle 
commença  à  senliralors  que  son  dévouement  l'avait 
menée  bien  loin,  jusqu'à  une  épreuve  que  sa  faiblesse 
ne  pouvait  porter.  Elle  était  malade  de  peur.  Dans 


DE  MADAME  DE  LAMBALLE  (5  SEPT.  92).         179 

la  nuit  du  2  au  3,  elle  avait  vu  partir  M">*  de  Tourzel, 
et  elle,  elle  était  restée.  Cela  lui  annouçait  son  sort. 
Elle  entendait  des  bruits  terribles,  écoutait,  s'enfon- 
çait dans  son  lit,  comme  fait  un  enfant  qui  a  peur. 
Vers  huit  heures,  deux  gardes  nationaux  entrent  brus- 
quement :  «  Levez-vous,  madame,  il  faut  aller  à  T  Ab- 
baye. »  —  «  Mais,  messieurs ,  prison  pour  prison  , 
j*aime  bien  autant  celle-ci,  laissez-moi.»  Ils  insis- 
tent. Elle  les  prie  de  sortir  un  moment,  afin  qu'elle 
puisse  s'habiller.  Elle  en  vient  k  bout,  enfin  ;  mais 
elle  ne  peut  marcher;  tremblante,  elle  prend  le  bras 
d'un  des  gardes  nationaux,  elle  descend,  elle  arrive 
à  ce  tribunal  d'enfer.  Elle  voit  les  juges,  les  armes, 
la  mine  sèche  d'Hébert  et  des  autres,  des  hommes 
ivres,  et  du  sang  aux  mains.  Elle  tombe,  s'évanouit. 
Elle  revient,  et  c'est  pour  s'évanouir  encore.  Elle  ne 
savait  pas  que  beaucoup  de  gens  désiraient  passion- 
nément la  sauver.  Les  juges  lui  étaient  favorables  ; 
dans  ceux  même  qui  la  rudoyaient,  jusque  dans  tes 
massacreurs,  on  lui  avait  fait  des  amis.  Tout  ce  qu'il 
eût  fallu,  c'eût  été  qu'elle  pût  parler  un  peu  *,  qu'on 
tirât  de  sa  bouche  un  mot  qu'on  pût  interpréter 
pour  motiver  son  salut.  On  dit  qu'elle  répondit  as- 
sez bien  sur  le  10  août  ;  mais  quand  on  lui  demanda 
de  jurer  haine  à  la  royauté,  haine  au  roi,  haine  à  la 
reine!  son  cœur  se  serra  tellement,  qu'elle  ne  put 

^  Peltier  ne  manque  pas  de  lui  faire  une  suite  de  belles  réponses, 
héroïques,  du  vrai  Corneille.  Rien  de  plus  invraisemblable  d'après  tout 
ce  que  nous  savons  de  celte  femme  faible  et  timide,  incapable  évi- 
demment de  soutenir  un  pareil  rôle. 


laO  MORT 

plus  parler;  elle  perdit  contenance^  mit  ses  deux 
mains  devant  ses  yeux,  se  détourna  vers  la  porte. 
Au  moment  où  elle  la  franchit,  elle  y  trouva  un  cer- 
tain Truchon,  membre,  je  crois,  de  la  Commune, 
qui  s'empara  d'elle,  et  d'autre  part,  un  massacreur, 
le  grand  Nicolas,  la  saisit  aussi.  Tous  deux,  et  d'au- 
tres encore,  avaient  promis  de  la  sauver.  On  dit 
même  que  plusieurs  de  ses  gens  s'étaient  mêlés  aux 
égorgeurs,  et  l'attendaient  dans  la  rue.  «  Crie  Vive 
la  nation  !  disaient-ils,  et  tu  n  auras  pas  de  mal.  » 

A  ce  moment,  elle  aperçut  au  coin  de  la  petite  rue 
Saint-Antoine  quelque  chose  d'effroyable,  une  masse 
molle  et  sanglante,  sur  laquelle  un  des  massacreurs 
marchait  des  deux  pieds  avec  ses  souliers  ferrés.  C'é- 
tait un  tas  de  corps  tout  nus,  tout  blancs,  dépouil- 
lés, qu'on  avait  amoncelés.  C'est  là-dessus  qu'il  fal- 
lait mettre  la  main,  et  prêter  serment  :  cette  épreuve 
fut  trop  forte.  Elle  se  détourna,  et  poussa  ce  cri  : 
tFi!  l'horreur!» 

Il  y  avait,  sans  nul  doute,  dans  les  meurtriers,  de  fu- 
rieux fanatiques  qui,  après  avoir  tant  tué  d'inconnus, 
d'innocents,  s'indignaient  de  voir  celle-ci,  la  plus 
coupable,  à  leur  sens,  l'amie  et  la  confidente  de  la 
reine,  qui  allait  être  épargnée.  Pourquoi?  parce 
qu'elle  était  princesse,  qu'elle  était  très-riche,  et 
qu'il  y  avait  beaucoup  à  gagner  sans  doute  à  la  tirer 
de  là.  On  assure  qu'en  effet  des  sommes  considérables 
avaient  été  distribuées  entre  ceux  qui  se  faisaient  fort 
de  la  sauver  du  massacre. 

La  lutte,  selon  toute  apparence,  se  trouvait  enga- 


DE  MADAME  DE  LAMBALLE  (3  SEPT.  ^2).  181 

gée  pour  elle  entre  les  mercenaires  et  les  fanatiques. 
L'un  des  plus  enragés,  un  petit  perruquier,  Charlat, 
tambour  dans  les  volontaires,  marche  à  elle,  et  de  sa 
pique,  lui  fait  sauter  son  bonnet;  ses  beaux  cheveux 
se  déroulent  el  tombent  de  tous  côtés.  La  main  mal- 
adroite ou  ivre  qui  lui  avait  fait  cet  outrage  trem- 
blait, et  la  pique  lui  avait  effleuré  le  front;  elle 
saignait.  La  vue  du  sang  eut  son  effet  ordinaire  : 
plusieurs  se  jetèrent  sur  elle  ;  l'un  d'eux  vint  par 
derrière,  et  lui  lança  une  bûche;  elle  tomba,  et  à 
l'instant  fut  percée  de  plusieurs  coups. 

Elle  expirait  à  peine,  que  les  assistants,  par  une 
indigne  curiosité  qui  fut  peut-être  la  cause  princi- 
pale de  sa  mort,  se  jetèrent  dessus  pour  la  voir.  Les 
observateurs  obscènes  se  mêlaient  aux  meurtriers, 
croyant  surprendre  sur  elle  quelque  honteux  mys- 
tère qui  conBrmàt  les  bruits  qui  avaient  couru.  On  ar- 
racha tout,  et  robe,  et  chemise;  et  nue,  comme  Dieu 
l'avait  faite,  elle  fut  étalée  au  coin  d'une  borne,  à 
l'entrée  de  la  rue  Saint-Antoine.  Son  pauvre  corps, 
très-conservé  relativement  (elle  n'était  plus  très- 
jeune),  témoignait  plutôt  pour  elle;  sa  petite  télé 
d*enfant,  plus  touchante  dans  la  mort,  disait  trop  son 
innocence,  ou  du  moins  faisait  bien  voir  qu'elle  n'a- 
vait pu  guère  faillir  que  par  obéissance  ou  faiblesse 
d'amitié. 

Ce  lamentable  objet  resta  de  huit  heures  à  midi 
sur  le  pavé  inondé  de  sang.  Ce  sang  qui  coulait  par 
fontaines  de  ses  nombreuses  blessures,  venait  de 
moment  en  moment  la  couvrir,  la  voiler  aux  yeux. 


182  U  TÊTE  DE  MAOÀIIB  DE  LAMBULE 

Uq  homme  s'établit  auprès,  pour  étancher  le  flot;  il 
.  montrait  le  corps  &  la  foule  :  «  Voyez-vous  comme  elle 
était  blanche  !  voyez-vous  la  belle  peau  1  »  Il  faut  re^ 
marquer  que  ce  dernier  caractère,  bien  loin  d'exciter 
la  pitié,  animait  la  haine,  étant  considéré  comme  un 
signe  aristocratique.  Ce  fut  un  de  ceux  qui  dans  le 
massacre  aidait  le  plus  les  meurtriers  daos  leurs 
étranges  jugements  sur  ceux  qu'ils  allaient  tuer.  Ce 
mot  :  a  Monsieur  de  la  peau  fine,  était  un  arrêt  de 
mort. 

Cependant,  soit  pour  augmentera  honte  et  l'ou- 
trage, soit  de  peur  que  l'assistance  ne  s'attendrit  à  la 
longue,  les  meurtriers  se  mirent  à  déGgurer  le  corps. 
Un  nommé  Grison  lui  coupa  la  tète  ;  un  autre  eut 
l'indignité  de  la  mutiler  au  lieu  même  que  tous  doi- 
vent respecter  (puisque  nous  en  sortons  tous)  ;  le 
barbare  lui  coupa  ces  parties  sacrées  ;  ce  pauvre  mys- 
tère de  femme,  que  les  assassins  eux-mêmes  auraient 
dû  voiler  de  la  terre,  ils  le  mirent  au  bout  d'une  pique 
et  le  promenèrent  au  soleil. 

Hàtons*nous  de  dire  que,  de  ces  deux  brigands,  l'un 
fut  plus  tard  guillotiné,  comme  chef  d'une  bande  de 
voleurs  ;  l'autre,  Charlat ,  fut  massacré  à  l'armée  par 
ses  camarades,  qui  ne  voulurent  pas  souffrir  parmi  eux 
cet  homme  infâme. 

Ce  fut  une  scène  effroyable  de  les  voir  partir  de  la 
Force ,  emportant  au  bout  des  piques ,  dans  cette 
large  et  triomphale  rue  Saint-Antoine,  leurs  hideux 
trophées.  Une  foule  immense  les  suivait,  muette 
d'étonnement.  Sauf  quelques  enfants  et  quelques 


PORTtE  AU  TSKPLB  (5  SEPT.  M)-  ISS 

gens  ivrea  qui  criaieDt,  tous  les  autres  étaient  péné^ 
très  d'horreur.  Une  femme,  pour  échapper  à  cette 
vue,  se  jette  chez  un  perruquier;  et  voilà  la  tète 
coupée  qui  arrive  à  la  boutique,  qui  entre...  Cette 
femme,  fouclroyée  de  peur,  tombe  à  la  renverse,  heu- 
reusement de  manière  qu'elle  tombe  dans  l'arrière* 
boutique.  Les  assassins  jettent  la  tète  sur  le  comptoir, 
disent  au  perruquier  qu'il  faut  la  friser;  ils  la  me- 
naient, disaientrib,  voir  sa  maîtresse  au  Temple;  il 
o'eût  pas  été  décent  qu'elle  se  présentât  ainsi.  Leur 
caprice  était ,  en  effet,  d'exercer  sur  la  reine  ce  sup*- 
plice  atroce  et  infâme  de  la  forcer  de  voir  le  cœur, 
la  tète  et  les  parties  honteuses  de  M"*  de  Lamballe, 
-—  ce  cœur  qui  l'avait  tant  aimée  I 

On  craignait  extrêmement  pour  le  Temple.  L'in- 
tention des  meurtriers,  manifestée  de  bonne  heure , 
fit  craindre  à  la  Commune  deux  choses,  en  effet,  très- 
funestes  :  ou  que  le  Roi  et  sa  famille  j  des  otages  si 
précieux 9  ne  fussent  égorgés,  ou  que  l'Assemblée, 
pour  les  protéger ,  n'autorisât  une  prise  d'armes  qui 
eût  fourni  aux  royalistes  un  prétexte  de  se  relever. 
La  Commune  envoya  à  l'Assemblée,  envoya  au  Tem* 
pie.  Les  commissaires  prirent  un  moyen  ingénieux  de 
garantir  le  Temple ,  en  évitant  toute  chance  de  colli*- 
sioD;  ce  fut  d'entourer  le  mur  d'un  simple  ruban  tri* 
colore.  Quelque  affreux  que  fût  ce  moment,  ils  sa- 
vaient parfaiteinent  que  la  grande  masse  du  peuple 
respecterait  le  ruban  et  le  ferait  respecter;  plusieurs 
ea  effet,  dit-on,  le  baisèrent  avec  enthousiasme.  11 
n'était  nullement  à  craindre  que  les  égorgeurs  hasar-^ 


164         LES  MINISTRES  DEMANDENT  EN  VAIN  OUB  L'ASSEMBLAB 

dassent  de  le  forcer  ;  ils  ne  le  voulaient  pas  eux-mê- 
mes ;  ils  demaudaient  seulement  à  circuler  sous  les 
fenêtres  de  la  famille  royale,  à  se  faire  voir  de  la  reine. 
On  n'osa  les  refuser;  on  invita  même  le  Roi  à  se  met- 
tre &  la  fenêtre  au  moment  où  la  tête  livide,  avec 
tous  ses  longs  cheveux,  venait  branlante  sur  la  pique 
et  s'exhaussait  à  la  hauteur  des  croisées.  Un  des 
commissaires ,  par  humanité,  se  jeta  devant  le  Roi, 
mais  il  ne  put  l'empêcher  de  voir  et  de  reconnaître... 
Le  Roi  arrêta  la  reine  qui  s'élançait,  et  lui  épargna 
Tépou  vantable  vision . 

La  promenade  continua  par  tout  Paris  sans  que  nul 
y  mtt  obstacle.  On  porta  la  tête  au  Palais-Royal,  et  le 
duc  d*Orléans,  qui  était  k  table,  fut  obligé  de  se  lever, 
de  venir  au  balcon,  de  saluer  les  assassins.  Cétait 
une  amie  de  la  reine ,  une  ennemie  par  conséquent, 
qu'il  voyait  dans  M"*  de  Lamballe.  11  y  vit  aussi  l'ave- 
nir, et  ce  que  lui-même  il  devait  bientôt  attendre;  il 
rentra  terrifié.  II  payait  cent  mille  écus  par  an  de 
douaire  à  M*"*  de  Lamballe;  il  gagnait  beaucoup 
à  sa  mort;  sa  fortune  allait  augmenter;  c'était  sa 
tête  seulement  qui  ne  tenait  qu'à  un  fil.  Sa  mat- 
tresse,  M"'  de  Ruffon,  s'écriait,  joignant  les  mains  : 
«(  Mon  Dieu  !  on  portera  aussi  bientôt  ma  tête  dans 
les  rues.  » 

Ce  triomphe  de  l'abomination,  l'infâme  insolence 
d'un  si  petit  nombre  de  brigands  qui  forçait  tout  un 
peuple  à  salir  ainsi  ses  yeux,  produisit  une  violenta 
réaction  de  la  conscience  publique.  Le  voile  pesant 
de  terreur  (}ui  enveloppait  Paris  sembla  un  moment 


APPELLE  LA  GARDE  NATIONALE  AUX  ANMES  (3  SEPT.  92V     485 

se  lever.  Les  ministres  de  la  guerre  et  de  rintérieur 
vinrent  demander  à  F  Assemblée  des  mesures  d'ordre 
et  de  paix,  non  pas  au  nom  de  l'humanité  (personne 
n'osait  plus  prononcer  ce  nom) ,  mais  au  nom  de  la 
dérense.  L'ennemi  avançait,  il  venait  de  prendre  Ver- 
dun. Cet  événement,  nié,  affirmé,  nié  encore,  fut 
annoncé  cette  fois  d'une  manière  officielle.  L'ennemi 
avançait,  marchait  vers  Paris,  et  il  allait  le  trouver 
dans  l'état  d'extrême  faiblesse  qui  suit  une  orgie  san- 
glante, dans  l'ignoble  lendemain  d'un  jour  d'ivresse 
furieuse,  hébété  de  peur,  soûl  de  sang. 

Les  ministres  eurent  raison  d* affirmer  que  les  ex- 
cès commis  dans  Paris  étaient  une  faiblesse,  et  non 
une  force,  qu'ils  étaient  un  obstacle,  une  entrave  à 
la  défense  ;  ils  demandèrent  que  l'Assemblée  restât 
complète  toute  la  nuit ,  et  qu'e//e  nitt  la  garde  natio- 
nale sous  les  armes.  Ils  ne  firent  nulle  mention  de  la 
Commune ,  ni  du  commandant  de  la  garde  nationale 
Santerre;  il  semblait  difBcile,  en  effet,  de  demander 
la  6n  du  massacre  à  ceux  qui  l'avaient  commencé. 

L'Assemblée  ne  fit  point  ce  que  demandaient  les 
ministres  Roland  et  Servan;  elle  n'agit  point  elle- 
même,  n'appela  point  la  garde  nationale,  mais,  con- 
stilutionnellement,  agit  par  la  Commune,  par  le  com- 
mandant Santerre.  Or,  c'était  ne  point  agir. 

Elle  ne  voyait  que  deux  ministres,  les  deux  Giron- 
dins; elle  ne  voyait  point  Danton  ;  toujours  absent  de 
la  Commune ,  il  l'était  de  l'Assemblée.  Celle-ci  crai- 
goil  sans  doute  de  créer  une  division  dans  le  pouvoir 
exécutif;  elle  se  contenta  de  déclarer  la  Commune  et 


iM  UTTftK  PE  EOUMD 

le  comniaDdant  responsables  de  ce  qui  se  ferait  ;  elle 
leur  ordonna,  ainsi  qu'aux  présidents  des  sections  de 
Paris,  de  venir  jurer  à  la  barre  qu'ils  pourvoieraient 
à  la  sûreté  publique. 

Vaine  mesure,  timide,  insuffisante!  un  serment, 
des  paroles!  A  quoi  le  ministre  Roland  ajouta  d'au« 
très  paroles ,  une  longue  lettre  que  sans  doute  sa 
femme  avait  écrite  et  qu'il  fît  lire  à  l'Assemblée.  Elle 
était  plus  courageuse  qu'habile  ;  elle  menaçait  Paris. 
Dans  ce  moment  où  la  défense  demandait  la  plus 
forte  unité,  où  il  fallait  éviter  tout  ce  qui  ébran- 
lait la  foi  dans  cette  unité,  elle  parlait  de  séparation. 
Elle  disait  que  déjà,  sans  le  10  août,  a  le  Midi ,  plein 
de  feu,  d'énergie,  de  courage,  était  prêt  à  se  sépa- 
rer pour  assurer  'son  indépendance  ;  et  que  s'il  n'y 
avait  point  de  liberté  à  Paris,  les  sages  et  les  timides 
^  réuniraient  pour  établir  ailleurs  le  siège  de  la  Con« 
vention.  »  La  lettre  ne  portait  que  trop  l'empreinte 
des  conversations  de  Barbaroux  et  de  M*"*  Roland.  U 
y  avait  imprudence  à  provoquer  ainsi  l'amour-propre 
de  Paris ,  injustice  à  lui  reprocher  les  excès  dont  il 
soufTrait  plus  que  personne ,  excès  d'ailleurs  commis 
par  un  si  petit  nombre,  par  des  hommes  qui,  la  plu- 
part, n'étaient  nullement  Parisiens. 

<  Hier,  disait  encore  la  lettre,  futun  jour  sur  les 
événements  duquel  il  faut  peut-être  laisser  un  voile  ; 
je  sais  que  le  peuple,  terrible  daos  sa  vengeance ,  y 
porte  encore  une  sorte  de  justice.. •  »  Faible,  trop 
faible  condamnation  de  tant  d'attentats,  qui  loue 
encore  en  brimant!...  Il  faut  songer  néanmoins  que 


A  L*AS6UIBLte  (3  SEPT.  9S}.  IST 

ceci  fut  écritle  3  septembre  ;  que  Roland,  queM"^  Ro- 
land étaient  tous  deux  sous  le  poignard  et  désignés 
entre  tous  dès  le  1"  septembre  au  soir,  depuis  les  ac- 
cusations de  Robespierre.  ftP*  Roland,  très-intrépide 
et  sans  nulle  crainte  de  la  mort,  en  avait  une  autre , 
qu'elle  avoue,  malheureusement  trop  naturelle  ;  elle 
connaissait  ses  adversaires,  leurlâcbe  férocité,  elle 
savait  que  dans  le  désordre  du  moment  on  pouvait  lui 
arranger  le  hasard  apparent  d'un  mortel  outrs^e, 
d'une  invasion  nocturne,  où  celle  qu'on  savait  plus 
qn'un  homme  serait  traitée  comme  une  femme.  L'a- 
venture subie  en  plein  jour  par  une  autre  femme, 
dont  nous  avons  parlé,  montre  Bissez  ce  que  pouvait 
oser  la  nuit  le  cynisme  calculé  des  maratistes  et  ro- 
bespierristes.  Celle  qui  fut  outragée  n'avait  rien  fait 
autre  chose  que  parler  mal  de  Robespierre.  M"*  Ro- 
land, bien  plus  en  péril,  voulait  rester,  à  tout  événe- 
ment, du  Diioins  matlresse  de  sa  vie;  elle  tenait  tou- 
ours  des  pistolets  soos  l'oreiller. 

Ce  qui  releva  les  courages,  dans  l'Assemblée  na- 
tionale, non  moins  que  la  lettre  de  Roland,  ce  fut 
de  voir  un  individu  isolé  venir  dire  à  l'Assemblée 
que,  pour  sa  part,  il  la  remerciait  du  décret  qu'elle 
avait  porté.  Et,  en  même  temps,  il  dit  ce  qu'il  ve- 
nait d'entendre  :  qu'on  engageait  la  foule  à  piller  les 
fabricants  :  «Moi,  je  ne  suis  pas  suspect,  dit-il,  je 
suis  volontaire,  et  je  pars  demain.  »  C'était  un  de 
ces  canonnîers  des  sections  parisiennes  qui  s'étaient 
montrés  à  bien  le  10  août.  Son  opinion  était  certai* 


188  CIRCULAIRE  DE  MARAT,  AU  NOM  DE  LA  COMMUIIE, 

nement  celle  de  Paris,  et  il  n'y  avait  nul  doute  qu'elle 
ne  fût  celle  de  Tarmée. 

La  réaction  de  l'humanité  semblait  devoir  se  faire 
sentir  partout,  même  au  sein  de  la  Commune.  Le 
conseil-général,  assemblé  le  soir  et  la  nuit,  flottait, 
avec  des  alternatives  brusques,  violentes,  de  l'huma- 
nité à  la  cruauté,  de  Manuel  à  Marat. 

Le  premier  sembla  l'emporter  un  moment.  Il  ob- 
tint une  mesure  générale  qui  semblait  un  désaveu 
du  massacre.  Le  conseil-général,  sur  sa  proposition, 
arrêta  qu'il  serait*  fait  une  proclamation  :  «  Sur  la 
nécessité  de  s'en  remettre  à  la  loi  de  la  punition  des 
coupables.  »  Ce  qui  ne  fut  pas  moins  grave  en  ce 
sens,  c'est  qu'un  citoyen  ayant  dit  qu'il  se  chai^eait 
de  loger  et  nourrir  un  pauvre  prisonnier  échappé  au 
carnage  de  la  Force,  il  fut  couvert  d'applaudisse- 
ments et  de  bénédictions. 

Avec  cela,  cette  assemblée  était  tellement  flot- 
tante, qu'un  journaliste  royaliste,  Duplain,  lui  ayant 
été  amené,  elle  l'envoya  à  l'Âbbaye,  autrement  dit, 
à  la  mort.  Billault-Yarennes,  lui-même,  avait  ouvert 
un  avis  plus  doux.  Les  maratistcs  se  soulevèrent, 
et  emportèrent  dans  le  Conseil  cette  décision  atroce, 
qui  lui  faisait  endosser  la  responsabilité  des  assas- 
sinats. 

C'était  le  soir  du  3  septembre  (à  huit  ou  neuf 
heures) .  De  Timprimerie  de  Marat,  partait  pour  toute 
la  France,  en  quatre-vingt  trois  paquets,  une  effroya- 
ble circulaire  qu'il  avait  seul  rédigée,  et  qu'il  avait 
signée  intrépidement  de  tous  les  noms  des  membres 


POUR  COHSEILLER  LE  MASSACRE  AUX  DAPARTEMBNTS  (S  SEPT.).    189 

du  Comité  de  sunreillance.  Il  y  dénonçait  la  versa- 
tilité de  l'Assemblée,  qui  avait  loué,  cassé,  rétabli  la 
Commune  ;  il  y  gloriCait  le  massacre,  et  recomman* 
dait  de  Timiter. 

Marat  envoya  sa  circulaire  au  ministère  de  la  jus- 
tice, avec  invitation  de  la  faire  parvenir  sous  le  cou* 
vert  du  ministère.  Grande  épreuve  pour  Danton.  H 
n'allait  pas  à  la  Commune.  Eb  bien  !  c'était  la  Com- 
mune qui  semblait  venir  à  lui,  et  qui  le  sommait  de 
se  décider. 

La  plus  simple  prudence  imposait  à  tout  homme 
qui  connaissait  Marat,  de  savoir  positivement  si  cet 
acte,  imprimé  chez  lui  par  ses  ouvriers  et  ses  presses, 
émanait  effectivement  du  Comité  de  surveillance. 
Les  signatures  imprimées  de  ses  membres  étaient- 
elles  des  signatures  vraies?  EnGn,  en  supposant  que 
la  circulaire  émanât  réellement  de  ce  comité,  pou- 
vait-il faire  un  acte  si  grave,  adresser  à  la  France 
ces  terribles  et  meurtrières  paroles,  sans  y  être  au- 
torisé par  le  conseil-général  de  la  Commune?  Yoilà 
ce  que  Danton  devait  examiner;  il  n  osa  le  faire. 
Disons-le  (c'est  la  parole  la  plus  dure  pour  un  homme 
qui,  toute  sa  vie,  eut  l'ostentation  de  l'audace),  il  eut 
peur  devant  Marat. 

Peur  de  rester  en  arrière,  peur  de  céder  à  Marat 
et  a  Robespierre  la  position  d'avant-garde,  peur  de 
paraître  avoir  peur. 

Faut-il  si^poser  aussi  qu'il  était  parvenu  à  se  faire 
croire  à  lui-même  que  cette  barbare  exécution  était 

un  moyen   d'aguerrir  le   peuple,  de  lui   donner 


190  MAS&àCRES  DBS  rBllMES  BT  DBS  BMTAMTS, 

le  courage  du  désespoir,  de  lui  ôter  tout  'moyen  de 
reculer?  qu'il  le  crut,  le  2,  lorsqu'on  massacrait  les 
prisonniers  politiques?  qu'il  le  crut,  le  3,  le  4,  lors- 
qu'on massacrait  des  prisonniers  de  toute  classe? 

Il  accepta  jusqu'au  bout  l'borrible  solidarité.  Misé- 
rable victime,  dirai-je,  de  l'orgueil  et  de  l'ambition? 
ou  d'un  faux  patriotisme,  qui  lui  fit  voir  dans  ces 
crimes  insensés  le  salut  de  la  France? 

Et  cependant,  quelque  horrible  système  qu'on 
voulût   se   faire  de  l'utilité  d'un  massacre  politi- 
que, il  devenait  évident  que  celui-ci  n'avait  plus  ce 
caractère.    Le  4  septembre,    il  y  eut  très-peu  de 
meurtres  politiques  ;  un  seul  est  bien  constaté  : 
celui  d'un  certain  Guyet,  que  le  Comité  de  sur- 
veillance envoya  à  l'Abbaye,  et  qui  fut  tué  à  l'instant. 
Le  4  mit  le  comble  à  l'horreur. 
Déjà,  depuis  trente-six  heures,  des  bandes  sorties 
de  Paris  allaient  menacer  Bicôtre.  Ceux  qui  avaient 
massacré  des  voleurs  au  Châtelet,  des  forçats  aux 
Bernardins,  croyaient  continuer  leur  œuvre.  On  leur 
remontrait  en  vain  que  l'énorme,  l'immense  château 
de  Bicétre,  qui  contenait  des  milliers  d'hommes,  lo- 
geait, outre  les  criminels,  un  grand  nombre  d'in- 
nocents, de  bons  pauvres,  de  vieillards,  de  malades 
de  toutes  sortes.  11  y  avait  aussi  en  réclusion,  sous 
divers  titres,  des  infortunés,  depuis  longtemps  jetés  là 
par  l'arbitraire  de  l'ancien  régime,  comme  fous,  ou 
autrement,  et  qu'on  n'élargissait  point,  justement 
parce  qu*on  ne  savait  plus  pourquoi  ils  étaient  entrés. 
Latude  y  avait  été  longtemps.  C'est  de  Bicètre  qu'il 


.— 1 


A  LA  SALPÊTMÊRB  ET  A  tlIGÊTRB  (4  SEPT.  92).  191 

sortit  par  Théroisiiie  de  M"«  L^ros  (voyez  noire  pre- 
mier volume). 

Il  est  impossible  de  dire  oe  que  soufiraieut,  k  Bicè- 
tre,  les  prisooûiers,  les  malades,  les  mendiants: 
couchés  jusqu'à  sept  ùbjùs  un  lit,  mangés  de  vermine, 
nourris  de  pain  de  son  moisi,  entassés  dans  des  lieux 
humides^  souvent  dans  des  caves,  au  moindre  prétexte 
éreintés  de  coups,  ils  enviaient  le  bagne,  comme  un 
paradis. 

Nulle  occasion  de  battre  n'était  négligée  à  Bicê^ 
tre.  Qui  croirait  qu'on  y  conservât  en  92  l'usage 
barbare  de  fouetter  les  jeunes  gens  qui  venaient  se 
faire  soigner  de  maladies  vénériennes?  Cruauté  ec- 
clésiastique, renouvelée  du  moyen-âge.  Le  pécheur, 
en  arrivant,  devait  expier,  se  dépouiller,  s'humilier, 
se  soumettre  au  châtiment  puéril  qui  avilit  l'homme, 
lui  été  toute  fierté  d'homme. 

Une  cinquantaine  d'enfants  étaient  à  la  Correty 
(ton,  et  traités  plus  cruellement  encore,  battus  tous 
les  jours.  La  plupart  n'étaient  là  que  pour  des  délits 
bien  légers  ;  plusieurs  n'avaient  d'autres  crimes  que 
d'avoir  des  parents  très-durs,  une  mauvaise  belle- 
tnère,  que  sais-je?  D'autres,  qui  étaient  orphelins, 
apprentis,  petits  domestiques,  avaient  été  jelés  là  sur 
au  simple  mot  de  leurs  maîtres.  On  préférait  ces 
orphelins,  pour  le  service  domestique ,  parce  qu'on 
les  traitait  absolument  comme  on  voulait.  Un  grand 
seigneur,  qui  ne  trouvait  pas  son  jockey  assez  docile, 
le  brisait  d'un  mot  :  «  Bicètre.  »  Aux  colonies,  dans  les 
plantations,  on  entend  les  coups,  les  cris  et  les  fouets; 


igt       MASSACRES  DES  FEMMES  ET  DBS  ENFANTS 

le  maître  participe  au  supplice  par  la  peiue  de  Ten* 
tendre.  Les  voluptueux  hôtels  de  Paris  n'entendaient 
rien  de  semblable.  Le  mattre  épai^nait  ses  mains  et 
sa  sensibilité  ;  il  envoyait  l'enfant  à  la  Correction.  Ce 
qu'il  y  endurait  de  la  part  de  ces  démons,  les  murs 
seuls  l'ont  su.  Si  on  daignait  le  retirer,  il  revenait 
dompté,  tremblant,  le  cœur  bas,  menteur  et  flatteur, 
tout  prêt  à  tous  les  caprices  honteux. 

S'il  était  un  lieu  que  la  Révolution  dût  épargner, 
c'était  ce  lieu  de  pitié.  Qu'était-ce  que  Bicètre,  que 
la  Salpètrière,  ce  grand  Bicétre  des  femmes,  sinon 
le  véritable  enfer  de  l'ancien  régime,  où  Ton  pouvait 
mieux  le  prendre  en  horreur,  y  trouvant  réuni  tout 
ce  qu'il  uvait  de  barbarie,  de  hontes  et  d'abus  7  Qui 
aurait  cru  que  ces  fous  furieux  qui  massacraient  en 
septembre  iraient  se  ruer  sur  ceux  que  l'ancien  ré- 
gime avait  déjà  si  cruellement  torturés,  que  ces  vic- 
times infortunées  trouveraient  dans  leurs  pères  ou 
leurs  frères,  vainqueurs  par  la  révolution,  non  pas 
des  libérateurs,  mais  des  assassins? 

Rien  ne  fait  mieux  sentir  l'aveuglement,  l'imbé- 
cillité, qui  présida  aux  massacres.  Tels  de  ceux  qui 
tuèrent  au  hasard  dans  ces  deux  hospices  pouvaient 
avoir  leur  père  à  Bicétre  parmi  les  mendiants,  leur 
mère  à  la  Salpètrière  :  c'était  le  pauvre  qui  tuait  le 
pauvre,  le  peuple  qui  égorgeait  le  peuple.  II  n'y  a 
nul  autre  exemple  d'une  rage  si  insensée. 

Les  premières  bandes  qui  menacèrent  Bicétre 
étaient  peu  nombreuses.  Les  malades  et  les  prison- 
niers se  mirent  en  défense.  De  là  le  bruit  calomnieux, 


A'  LA  SALPftniÈRB  ET  A  BIGÊTIIB  (A  SEPT.  92).  m 

propre  à  les  faire  égorger,  qu'ils  étaient  en  pleine 
révolte.  I^s  massacreurs  menèrent  des  canons  pour 
les  forcer.  Une  partie  n'alla  pas  jusqu'à  Bicètre;  ils 
s'arrêtèrent  devant  la  Salpétrière,  eurent  l'horrible 
fantaisie  d'entrer  à  l'hospice  des  femmes.  Une  force 
militaire  considérable  les  arrêta  le  premier  jour;  mais 
le  lendemain,  4  septembre,  ils  Torcèrent  les  portes, 
et  commencèrent  par  tuer  cinq  ou  six  vieilles  fem- 
mes,  sans  nulle  raison  ni  prétexte,  sinon  qu'elles 
étaient  vieilles.  Puis,  ils  se  jetèrent  sur  les  jeunes,  les 
filles  publiques,  en  tuèrent  trente  \  dont  ils  jouirent, 
avant  ou  après  la  mort.  Et  ce  ne  fut  pas  assez;  ils 
allèrent  aux  dortoirs  des  petites  orphelines,  en  vio- 
lèrent plusieurs,  dit-on,  en  emmenèrent  même  pour 
s'en  amuser  ailleurs. 

Ces  effroyables  sauvages  ne  quittèrent  la  Salpê- 
trière  que  pour  aller  aider  au  massacre  de  Bicêtre. 
On  y  tua  cent  soixante-six  personnes,  sans  distinc- 
tion de  classes^  des  pauvres,  des  fous,  deux  chape- 
lains ^  l'économe,  des  commis  aux  écritures.  L'im- 
mensité du  local  donnait  aux  victimes  bien  des 
moyens  de  lutter,  d'ajourner  du  moins  leur  mort* 
Les  moyens  les  plus  barbares  y  furent  employés,  le 
fer,  le  feu,  les  noyades,  jusqu'à  la  mitraille. 

On  a  retrouvé  (en  1840)  au  funèbre  écrou  de  Bi-- 
cètre  (voir  le  livre  de  M.  Maurice)  le  fait  le  plus  exé- 
crable des  massacres  de  septembre,  enfoui,  ignoré 

*  Ceci  diaprés   la  tradiiion.  Tallien ,  très-bien   instruit ,  comme 
secrétaire  de  la  Commune»  soutient,  dans  son  apologie,  que,  dans  tons 
les  massacies,  U  wpérU  qu'une  femme,  M"«  de  Lamballe. 
IV.  " 


4M  LA  SALPÊTlUtlIB  ET  SfCÉTU  (4  8BPT.  M). 

jusqu'ici  :  c'est  que,  non  conteats  des  orphelines  de 
lA  Salpètriére,  ils  péKétrèrent  aussi  à  la  Correction  de 
Bicètre,  où  étaieut  cinquante-cinq  petils  garçons.  Ces 
enfants  étaient,  nons  TaTons  dit,  la  plupart  bien  peu 
coupables  :  plusieurs  n' avaient  été  mis  là  que  pour 
dompter  leur  caractère  par  les  mauvais  traitements. 
Couverts  de  coups,  de  cicatrices,  continuellement 
fouettés,  aux  moindres  causes  et  sans  cause,  ils  au- 
raient brisé  les  cœurs  les  plus  durs.  Il  fallait  les  tirer 
de  là,  leur  rendre  l'air  et  le  soleil,  lés  panser  et  les 
soigner,  les  remettre  aux  mains  des  femmes  ^  leur 
donner  des  niéres.  Leur  mal  et  leur  vice,   à  la 
plupart,  tenaient  à  cela,  qu'ils  n* avaient  pas  en  de 
mères.   Septembre,  pour  mère  et  nourrice,  leur 
donua  la  mort,  —  affranchit  leur  jeune  àroe  de  ce 
pauvre  petit  corps,  qui  avait  déjà  tant  souffert.  Il  y  en 
eut  trente*trois  de  tués.  Plusieurs  de  ceux  qui  échap* 
pèrent  furent  enlevés  par  les  volontaires  qui  dirent 
qu'ils  les  feraient  soldats.  Les  massacreurs  étaient 
parvenus  à  un  état  de  vertige,  d*horrible  éblouisse- 
ment,  et  comme  de  fureur  bydrophobique,  qui  leur 
hissait  à  peine  distinguer  ce  qu'ils  frappaient.  Ils  di- 
rent cependant  une  chose  qui  fait  sentir  combien 
ils  étaient  coupables.  Ils  virent  bien,  malgré  leur 
égarement,  que  ces  jeunes  vies,   commencées  à 
peine,  ne  se  résignaient  nullement,  reculaient  de- 
vaut  la  mort  avec  une  indomptable  horreur,  s'ohsli* 
naient  à  vivre  :  «  Nous  aimerions  vraiment  tout  au- 
tant tuer  des  hommes  :  ces  pelits-Ià  sont  encore  plus 
difficiles  h  achever.  » 


CHAPITRE   VII 


ÉTAT  DB  PARIS,  APAfeS  LE  MASSACRE.  —  FIN  DE  LA  LÉGISLATIVE 
(»-M  SSTTEXBRB  9È\ 

rrostnlioa  morale  «pr^  le  mastaere. — Le  peaple  et  Tannée  en  eurent  hor- 
re«r.  -  Oploion  ëe  Marat  et  de  Danton,  rar  le  massacre. — L'AfticrnlHée  jure 
ée  tMibaiire  les  roit  et  la  royauté  (4  «ept.  M).— Cambon  attaque  la  Com- 
Btttte  — Réactiop  de l'homaDité.— Cependant  le  massacre  coDllnue(5-4  srpi). 
—Craintes  de  ta  Commune. — Les  maralistes  essaient  d*étendre  le  massacre 
à  toute  luTrance.— Les  prisonniers  d'Ortéans  massacrés  à  Versailles  (•  sept.). 
—  Datitoq  sauve  Adrien  Duport,  malgré  la  Commune.  —  Lutte  de  Danton  et 
Marat. — Élections  sous  rinfloence  des  massacres. — Fédération  de  garantie 
mutuelle.— Vols  et  pillages. -^Menrtres.  et  craintes  de  massacre. -Crainte* 
de  l*A»e»Mée  (17  sept.). --Discours  de  Vergniaud  et  dérouemetit  solounel 
pour  PAssemblée  nationale.^Sa  ridture  (SO  septcmltro). 


L* effet  immédiat  du  massacre,  pour  la  plus  gi*ande 
partie  de  la  population  de  Paris,  fut  la  sensation  in- 
finiment cruelle  que  connaissent  trop  bieu  ceux  qui 
ont  eu  de  graves  lésions  du  cœur,  quand  pendant 
quelques  minutes,  il  a  battu,  battu  vite,  avec  une 
horrible  accélération,  et  que  tout-à-coup  le  battement 
s'arrête  court...  Un  mortel  silence  se  fait  dans  tout 
l'organisme...  Puis  rélouffemcnt,  les  spasmes,  l'ob- 
scurcissemcnt  complet,  l'abandon  de  Tètre...,  tout 
au  plus  ce  cri  intérieur,  cette  voix  muette  :  «  0 
mort  !  » 


196  PROSTIUTION  MORALE  i 

Pour  les  pauvres  et  faibles  personnes,  trop  âgées 
déjà,  brisées  d^années  ou  de  malheurs,  Taccés  fut 
suivi  d'une  cessation  absolue  d'idées,  d'un  anéan- 
tissement de  la  personnalité,  bien  près  de  ridîotismc. 
Celles  qui  surmontaient  la  peur,  et  se  hasardaient  à 
sorljr,  revenaient  dans  les  églises  abandonnées  depuis 
longtemps,  se  remettaient  à  prier  machinalement  ; 
on  les  voyait  marmotter  et  branler  leurs  tèles  vides 
où  les  yeux  étaient  éteints.  D'autres  restaient  en- 
fermées, s'abîmaient  dans  la  rêverie  d'un  étrange 
mysticisme,  disant,  comme  plus  tard  Saint-Martin, 
que  ceci  était  apparemment  une  scène  du  Jugement 
dernier,  un  acte  de  la  terrible  comédie  de  l'Apoca- 
lypse. Il  y  avait  des  tètes  où  tout  cela  se  mêlait  con- 
fusément; la  religion  et  la  révolution,  Marat,  TAnte- 
christ,  tout  se  brouillait  pour  ces  pauvres  esprits, 
complètement  obscurcis;  plus  ils  lâchaient  de  réflé- 
chir, de  songer,  de  distinguer,  plus  ils  s'y  perdaient. 
Tels,  pour  ne  point  s'égarer,  adoptaient  une  idée 
fixe,  répétaient  un  même  mot,  le  redisaient  tout  le 
jour. 

Dans  un  grenier  do  la  rue  Montmartre  (qu'on  me 
permette  de  conter  ce  petit  fait  qui  fera  juger  des 
autres),  au  septième  étage,  vivait  une  pauvre  vieille, 
que  les  voisins,  des  croisées  opposées ,  voyaient  tou- 
jours à  genoux.  Elle  avait  sur  sa  cheminée  deux 
chandelles  allumées  et  deux  petits  bustes  de  plâtre , 
devant  lesquels  elle  disait  continuellement  des  orai- 
sons. Les  curieux  Técoutèrent  à  travers  la  porte  :  elle 
disait  cette  litanie ,  sans  varier,  du  matin  au  soir  : 


APAÈS  LE  NASSACAE  (SEPT.  92).  197 

f  Dieu  sauve  Manuel  et  Pétion  !  Dieu  sauve  Manuel 
et  Pétion!»  Les  deux  magistrats  populaires,  qui, 
malgré  leur  impuissance  y  avaient  du  moins,  dans  le 
massacre,  montré  de  rbumauité,  étaient  devenus 
les  deux  saints  de  la  vieille,  elle  honorait  leurs  ima- 
ges et  priait  pour  eux.  Dans  le  naufrage  des  anciennes 
idées  religieuses,  et  lorsque  la  foi  nouvelle  se  trou* 
vait  si  cruellement  compromise  en  son  berceau ,  Vhu« 
manité  restait  encore,  et  Tborreur  du  sang  huniain , 
pour  religion  unique  du  pauvre  cœur  abandonné. 
Faible,  vieille,  indigente,  dans  sa  solitude  pleine  d*ef- 
froi ,  elle  t&chait  de  se  rassurer,  de  se  reprendre  à 
Tespoir,  en  nommant  deux  amis  de  Tbumanité.  Fil 
fn^ile,  misérable  appui!  Des  deux  patrons  de  la 
vieille,  l'un,  au  bout  d'un  an,  devait  périr  sur  Fécha- 
faud;  Taulre,  un  peu  plus  tard,  devait  se  retrou-* 
\cr  mort  de  faim  et  de  misère ,  et  dévoré  par  les 
chiens. 

Un  signe  infiniment  grave ,  déplorable ,  de  réla( 
singulier  où  se  trouvaient  les  esprits,  c'est  que,  dans 
celte  ville  immense,  où  la  misère  était  excessive  de- 
puis longtemps,  personne  ne  voulait  travailler.  La 
Commune,  à  aucun  prix,  ne  trouvait  des  ouvriers 
pour  les  travaux  de  terrassements  du  camp  qu'on 
faisait  à  Montmartre.  Elle  offrait  deux  francs  par 
jour  (qui  en  valaient  trois  d'aujourd'hui),  et  il  ne 
venait  personne.  Elle  alla  jusqu*à  mettre  en  réquisi* 
tion  les  ouvriers  en  bâtiment,  en  leur  offrant  la 
journée  très-élevée  qu'ils  gagnent  dans  leur  indus- 
Irie;  cl  elle  u'oul  p3rionao  encore.  Oa  essaya  enfin 


IM  LE  PEUPLE  ET  L*ARMÉfi 

de  la  corvéiB ,  et  de  feire  travailler  tour-à-tour  les 
sections. 

Persoune,  ou  presque  persofine ,  ne  répondait  aux 
appels  de  la  garde  nationale.  On  complétait  avec 
peine  la  garde  de  l'Assemblée,  celle  des  plus  précieux 
dépôts,  du  Garde-Meuble  par  exemple,  qui  se  trouva, 
une  nuit,  on  va  le  voir,  à  peu  près  abandonné. 

La  solitude  était  aux  clubs.  Beaucoup  de  leurs 
uieoibres  s'étaient  absentée,  le  dégoût  gagnait  les 
autres.  Cela  est  très-sensible  dans  les  procès-ver- 
baux des  Jacobins;  l'absence  de  tous  les  orateurs 
ordinaires  y  fait  apparaître,  en  première  ligne,  des 
gens  parfaitement  inconnus. 

Ceux  qui  ont  dit  que  le  crime  était  un  moyen 
de  force,  un  cordial  puissant  pour  faire  un  héros  du 
làcbe,  ceux-là  ont  ignoré  l'bisloire,  calomnié  la 
nature  humaine.  Qu'ils  sachent,  ces  ignorants  cou* 
pables  qui  jasent  si  légèrement  sur  ces  terribles  su- 
jets, qu'ils  sachent  la  profonde  énervalion  qui  suit 
de  tels  acies.  Ah  !  si  le  lendemain  des  plaisirs  vul- 
gaires (quand  l'homme,  par  exemple,  a  jeté  la  vie  au 
vent,  l'amour  aux  voluptés  basses),  s'il  rentre  che^  lui 
hébété  et  triste,  n'osant  se  regarder  lui-même ,  com- 
bien plus  celui  qui  a  cherché  un  exécrable  plaisir 
dans  la  mort  et  la  douleur!  L'acte  le  plus  contre  na- 
ture qui  est  certainement  le  meurtre,  brise  cruelle- 
ment la  nature  dans  celui  qui  le  commet;  le  meurtrier 
voit,  aprèsj  que  lui-même  il  s'est  tué  ;  il  s'inspire  le 
dégoût  que  Ton  a  pour  un  cadavre,  éprouve  une  hor- 
rible nausée,  voudrait  se  vomir  lui-même. 


EnSNT  HOBMUm  INI  lUSSiCAB  (SEPT.  90.  IW 

Les  historiens  ont  adopté  une  opinion  à  la  légère, 
c*est  que  le  massacre  avait  été  le  point  de  départ  â» 
la  victoire,  qu'après  un  tel  crime ,  ayant  creusé  der- 
rière soi  an  tel  abîme,  le  peuple  avait  senti  qu*il  fal« 
lait  vaincre  ou  mourir,  qu'enfin  les  massacreurs  de 
^septembre  avaient  entraîné  l'armée,  formé  l'avant- 
garde  de  Yalmy  et  de  Jemmapes.  Triste  aveu,  vérita- 
blement, s'il  fallait  y  croire,  et  lait  pour  humilier  ! 
L'ennemi  n'a  pas  mieux  demandé  d'adopter  cette 
qiinion ,  de  croire  ces  étranges  Français  qui  préten- 
dent que  la  France  vainquit  par  l'énergie  du  crime. 
Nous  montrerons  tout-à-l'heure  que  le  contraire  est 
eiact.  Des  trois  ou  quatre  cents  hommes  qui  firent  le 
massacre,  et  dont  beaucoup  sont  connus,  peu,  très- 
peu,  étaient  militaires.  Ceux  qui  partirent  furent 
reçus  de  l'armée  avec  horreur  et  dégoût  ;  Charlat, 
entre  autres,  qui  se  vantait  insolemment  de  son  cri- 
me, fut  sabré  par  ses  camarades. 

Nous  avons  établi  d'après  d'irrécusables  documents, 
et  sur  l'unanime  afSrmation  des  témoins  oculaires 
qui  vivent  encore,  Vinfiniment  petit  nombre  des  mas- 
sacreurs. Ils  étaient  au  plus  quatre  cents. 

Le  nombre  des  morts  (en  comptant  même  les  dou- 
teux) est  de  966. 

Le  faubourg  Saint-Antoine,  en  particulier,  qui 
avait  fait  le  10  août,  fut  complètement  étranger  au 
2  septembre.  Son  célèbre  orateur,  Gonchcn  (hon- 
nfele  homme,  et  qui  mourut  pauvre),  a  pu  dire  six 
mois  après  (22  avril  93),  sans  crainte  d'être  démenti  : 
«  Le  faubourg  ne  recèle  que  des  hommes  paisibles. 


200         OPINION  DE  MARAT,  DE  DANTON,  SUR  LE  MASSACRE. 

La  journée  du  2  septembre  n'a  pas  trouvé  de  com- 
plices chez  nous.  » 

Ce  qui  n'est  pas  moins  curieux,  c'est  le  jugemeut 
que  les  hommes  qu'on  accusait  d'y  avoir  trempé  les 
mains  ont  porté  $ur  l'événement  : 

a  Evénement  désastreux  » ,  dit  Harat,  en  octobre 
92  (n*  XII  de  son  journal). 

a  Journées  sanglantes,  dit  Danton,  sur  lesquelles 
tout  bon  citoyen  a  gémi  »  (9  mars  93). 

«  Douloureux  souvenir  >,  dit  Tallien  (dans  son 
apologie,  publiée  deux  mois  après  les  massacres  de 
septembre). 

Oui  désastreux,  oui  doulmtreuœ,  dignes  qu'un  en 
gémisse  à  jamais  !  • . . 

Toutefois  ces  regrets  tardifs  ne  guérissaient  pas 
rincurable  plaie,  faite  à  l'honneur,  faite  au  sentiment 
de  la  France. ..  La  vitalité  nationale,  surtout  h  Paris, 
en  semblait  atteinte  ;  une  sorte  de  paralysie,  de  mort, 
semblait  rester  dans  les  cœurs. 

11  s'agissait  de  savoir  d'où  la  vie  recommencerait. 
On  pouvait  douter  qu'elle  revint  de  l'Assemblée  lé- 
gislative. Vivait-elle?  on  ne  l'avait  guère  vu,  dans 
ces  effroyables  jours.  Énervée  de  longue  date  par 
ses  tergiversations,  elle  était  mourante,  non^  morte, 
achevée,  — exterminée  par  la  calomnie. 

Elle  semblait  atteinte  et  convaincue  de  deux 
crimes,  parfaitement  opposés  :  faire  un  roi,  et  re- 
faire un  roi,  rétablir  Louis  XYI,  et  faire  roi  Brun* 
swick.  Un  mot  simple  eût  répondu,  et  personne 


L*ASSEIfeLéK  JURE  DE  COMBATTUE  LA  ROYAUTÉ  (4  SEPT^.    201 

n'osait  le  dire  :  Cette  Assemblée ,  acctisée  de  trahir, 
venait  de  s'en  ôter  ks  moyens;  elle  se  brisait  elle  même, 
convoquant  sons  quelques  jours  la  Convention  qui  la 
remplaçait.  Représentants  et  ministres,  tous  allaient 
être  annulés  tout^-à-l* heure  devant  cette  Assemblée 
souveraine. 

Le  matin  du  4  septembre,  Guadet  apportait/  au 
nom  de  la  commission  extraordinaire  (créée  dans  l'As- 
semblée depuis  le  10  août),  une  adresse,  où  les  repré< 
sentants,  repoussant  lesbruits  injurieux  qu*on  faisait 
courir,  juraient  de  combattre  de  toutes  leurs  forces  les 
Bxns  et  la  Royauté. 

Chabot  eut  vent  de  la  chose,  et  il  enleva  à  la  Gi- 
ronde cette  initiative.  Dès  l'ouverture  de  la  séance, 
il  proposa  de  faire  un  serment  de  haine  à  la  royauté. 
«  Plus  de  Roi  !  >  Ce  fut  le  cri,  le  serment  do  l'As- 
semblée tout  entière,  soulevëé^à  sa  parole. 

Alors ,  un  militaire  se  lève,  Auhert  Dubayet,  et 
d'une  voix  forte  et  guerrière  :  «  Jamais  de  capitula- 
lion  !...  jamais  de  roi  étranger  I  » 

Et  le  jeune  girondin,  Henri  Larivière:  «  Non,  ni 
étranger  ni  français!...  Aucun  roi  ne  souillera  plus 
le  sol  de  la  liberté  I  > 

On  fut  surpris  d'entendre  Thuriot  arrêter  ce 
mouvement:  «  Messieurs,  ditnl,  soyons  prudents, 
n'anticipons  pas  sur  ce  que  pourra  prodoncer  la 
Convention...  > 

A  quoi  Faucbet,  usant  du  droit  que  semblait  lui 
donner  sa  noble  initiative  (son  journal  avait  le  pre- 
mier proposé  la  République),  Fauchet  d'un  grand 


t08  CAMBON  ATTAQUE  LA  COimOIIE  (4  SEPT.  92). 

élan  de  cœur  :  «  Non^  qm  la  Convention  décide  ce 
qu'elle  inoudra  ;  ai  elle  rétablit  le  Roi,  nous  pour- 
rons encore  rester  libres ,  et  fuir  une  terre  d*6s- 
claves  qui  reprendrait  un  tyran.  » 
.  Pour  concilier  toute  chose,  Tadresse  réserva  le 
droit  de  la  Convention  ;  le  serment  fut  itètUviduelf 
chaque  député  s'engagea  pour  lui. 

La  commissioit  extraordinaire,  par  rorgane  de 
Vergntaud,  dit  alors  qu'accusée  dans  le  sein  de  la 
.Commune,  elle  demandait  à  finir,  à  déposer  ses 
pouvoirs.  L'Assemblée  ne  le  voulut  pas.  Un  mouvo* 
ment  héroïque  échappa  alors  à  Cambon  (qu'on  songe 
qu'à  cette  heure  on  massacrait  h  Bicétre,  et  en- 
core à  la  Force ,  à  l'Abbaye).  Il  s'indigna  de  la  tînii* 
dite  de  la  commission  :  «  Quoil  dit-il,  voua  venes  de 
jurer  la  guerre  aux  Rois  et  à  la  royauté,  et  déjà  vous 
courbez  la  tète  sous  je  ne  sais  quelle  tyrannie  !•••  Si 
nous  voulons  que  la  Commune  gouverne,  soumettons* 
nous  tranquillement.  J'ai  parfois  combattu  la  com- 
mission; aujourd'hui,  je  la  défends...  Je  vois  des 
hommes  qui  prennent  le  masque  du  patriotisme  pour 
asservir  la  patrie.  Que  veulent  ces  agitateurs?  être 
nommés  àla  Convention,  nous  remplacer?..  Eh  bien! 
qu'ils  reçoivent  de  moi  celte  leçon...  »  11  continua, 
courageusement  par  une  prophétie  funèbre  des  ré- 
volutions, dans  lesquelles,  les  intrigants  se  chassant 
les  uns  les  autres,  la  France  finirait  par  s^ouvrir  à 
l'étranger. 

Ce  grand  homme,  qu'on  ne  connaît  guère  que 
comme  le  séyère  et  irréprochable  financier  de  la  Ré- 


RÉACTION  DE  L'HUMANITÉ.  205 

publique,  eut  alors,  et  souvent  depuis,  dans  les  crises 
les  plus  orageuses,  une  rare  originalité  :  l'héroïsme 
du  bon  sens,  que  rien  ne  faisait  reculer.  Il  passa, 
tonte  la  Révolution,  femie  et  seul^  et  respecté.  11  n'ai- 
mait pas  la  Gironde,  il  la  défendit;  il  n'aimait  pas 
Robespierre,  il  le  soutint,  au  besoin.  Et  le  jour  où 
Robespierre,  dans  un  dernier  accès  de  rage  dénon* 
ciatrice,  alla  jusqu'à  toucher  la  probité  de  Cambon , 
il  tomba  frappé  lui-même. 

Cambon  avait  brisé  la  glace,  il  avait  nommé  de 
son  nom  la  victoire  de  la  Commune  :  une  tyrannie , 
une  résurrection  de  la  royauté  sous  un  autre  nom.  Le 
revirement  fut  très-fort*  Il  arriva  ce  qu'on  voit  dans 
ces  moments,  où  personne  n'ose  parler:  dès  qu'un 
parle,  tous  se  mettent  à  parler  courageusement. 

Les  commissaires  de  l'Assemblée,  envoyés  par  elle 
dans  les  sections,  y  furent  reçus,  contre  toute  attente, 
avec  bonheur,  avec  transport.  C'est  que  la  foule  était 
revenue  aux  assemblées  des  sections  ;  désertes  le  2 
elle  3,  elles  furent  nombreuses  le  4;  chacun  eut  hftte 
de  se  presser  autour  des  commissaires,  de  se  rassu** 
rer,  de  croire  qu'il  y  avait  une  France,  une  patrie, 
une  humanité  encore,  un  monde  des  vivants.  Le  peu- 
ple, en  quelque  sorte,  se  leva  de  ses  profondeurs, 
sortit  des  ténèbres  de  la  mort,  pour  embrasser,  en 
ses  représentants,  l'image  sacrée  de  la  Loi.  Les  ca- 
lomniateurs de  l'Assemblée  croyaient  n'avoir  plus  qu'à 
se  cacher;  ils  s'excusaient,  à  grand' peine.  A  la  sec* 
tion  du  Luxembourg,  l'un  d'eux,  alléguant  qu'il  avait 
suivi  l'autorité  de  Robespierre,  on  n'opina  pas  moins 


9M  CEPENDANT  LE  MASSACRE 

qu'il  méritait  d*ètre  chassé  de  sa  section,  A  la  section 
des  Postes^  Cambon  fut  reçu  comme  un  dieu  sauveur. 
Les  femmes  et  les  enfants  qui  y  travaillaient  aui  ten- 
tesy  aux  équipements  militaires,  rentourèrent,  lui  et 
ses  collèjçuesy  dans  un  véritable  délire.  Tous»  dans  la 
section,  hommes  et  femmes,  voulaient  se  jeter  dans 
ses  bras,  le  serraient  et  Tembrassaicnt.  Et  quand  il  lut 
le  décret  qui  annonçait  que  l'Assemblée  allait  faire 
sa  clôture,  mettre  un  terme  à  ses  travaux^  se  dissou- 
dre, les  visages  étaient  inondés  de  larmes. 

Toutes  choses  semblaient  changées,  dès  le  soir 
du  4.  Des  officiers  municipaux  vinrent  à  PAsscm* 
blée  présenter  Tabbé  Sicard ,  sauvé  de  FAbbaye  {ils 
le  faisaient  entendre  ainsi)  par  leur  courageuse  hu- 
manité. Un  membre  de  la  Commune,  le  mémo  qui 
était  venu  à  l'Assemblée  avec  Tallien  dans  la  nuit 
du  2  au  3 ,  et  qui  avait  loué  alors  la  belle  justice  po- 
pulaire, vint  le  S  avec  un  Anglais  qu'il  avait,  dit-il, 
sauvé  du  massacre.  Ce  qui  ne  fut  pas  moins  caracté- 
ristique, ce  fut  l'humanité  subite,  les  sentiments  gé- 
néreux qu'afficha  Santerre.  Durement  averti ,  le  4, 
par  le  ministre  de  l'intérieur,  il  s'excusa  wr  V inertie 
de  la  garde  nationale,  et  dit  que,  si  elle  persistait, 
ion  corps  servirait  de  bouclier  aux  victimes.  —  Cette 
inertie ,  en  vérité ,  il  ne  pouvait  guère  l'accuser, 
n'ayant  fait  aucun  appel,  aucun  effort,  ordonné  au- 
cune prise  d'armes.  Et  comment  eât-il  donné  un 
tel  ordre ,  lorsque  son  beau-frère  Panis  faisait  as- 
seoir au  comité  dirigeant  Marat,  l'apôtre  du  massa- 
cre?.. Ce  fut  un  spectacle  étrange  de  voir  Santerre, 


COKTiiaJE  (8-6  SEI>T.  Ç2).  20» 

brusquement  converli ,  prêcher,  dans  la  grand'salle 
de  THÔlel-de-Ville,  la  foule  qui  remplissait  les  tri- 
bunes, expliquer  les  avantages  de  l'ordre,  le  danger 
qu'il  y  aurait  à  croire  trop  légèrement  des  accusations 
peu  sûres,  à  tuer  avant  de  s'éclairer. 

La  Commune ,  privée  si  longtemps  de  la  présence 
de  Danton,  le  vit  avec  étonnement  venir  enfin  le  4  au 
soir;  il  venait  proléger  Roland ,  qui,  à  cette  heure, 
certainement,  n'avait  plus  besoin  de  protection.  Il  de- 
manda qu'on  révoquât  cet  étrange  mandat  d'amener 
qu'on  avait  minuté  le  2  contre  le  ministre  de  l'inté- 
rieur ,  et  qu'on  tenait  toujours  suspendu  comme  un 
glaive  sur  sa  tête,  sans  oser  le  laisser  tomber. 

Le  vent  n'était  plus  au  massacre,  chacun  en  avait 
horreur.  Et  pourtant  il  continuait.  On  vit  alors  com- 
bien lentement  les  âmes,  une  Fois  brisées,  repren- 
nent courage  et  force.  Une  étrange  léthargie,  une 
paralysie  inexplicable  enchaînait  les  masses.  Il  y  avait 
encore  une  cinquantaine  il^hommes  à  l'Abbaye,  au- 
tant ou  moins  h  la  Force,  qui  tuaient  paisiblement* 
Personne  n'osait  les  déranger.  Ils  no  tuaient  pas 
bt'aucoup,  ceux  de  TAbbaye  ayant  fait  place  nettC) 
n'ayant  plus  d'autres  victimes,  que  celles  que  le  co- 
milé  de  surveillance  eut  soin  de  leur  envoyer.  Quant 
à  la  Force,  les  magistrats  ne  se  permettaient  pas  de 
troubler  ces  meurtriers  dans  l'exercice  de  leurs  font'? 
tiens;  seulement,  on  se  hasardait  à  leur  voler  des 
prisonniers,  qu'on  cachait  dans  Téglisc  voisine. 

L'habitude  était  venue,  les  meurtriers  ne  voulaient 
plus,  ne  pouvaient  plus  Taire  autre  chose.  Celait  une 


106  FIN  DU  lUSSACttB  (6  SEPT.  92).     « 

profession.  Ils  paraissaient  se  regarder  eux-mêmes 
comme  de  vrais  fonctionnaires  chargés  d'exécuter  la 
justice  du  peuple  souverain .  La  Commune  déclara,  le4, 
qu*elleétaitafDigécdesexcèsdelaForceetderAbbaye, 
elle  y  envoya;  mais,  en  même  temps,  elle  refusa  de 
sauver  les  infortunés  de  Bicêtre  en  leur  permettant 
de  s'enrôler.  Le  conseil -général,  devenu  très-peu 
nombreux,  n'avait  plus  que  les  violents.  Il  invita  les 
sections  à  compléter  le  nombre  de  leurs  commissaires. 
Ainsi,  les  élections  municipales  eurent  lieu  en  pleine 
terreur,  pendant  le  massacre.  Celles  de  la  Convention 
se  Grent  sous  la  même  influence.  Le  premier  élu  de 
Paris,  le  5  septembre,  fut  Robespierre. 

Rien  n'indiquait  que  la  Commune  voulût  sérieu- 
sement arrêter  l'effusion  du  sang.  On  lui  proposa,  le  4 
et  le  6,  d'amnistier  une  classe  d'hommes  qui  restaient 
dans  des  transes  mortelles,,  les  vingt  ou  trente  mille 
signataires  des  pétitions  fayettistes  et  constitution- 
nelles en  faveur  du  Roi.  Un  grand  nombre  de  vo- 
lontaires qui  partaient  pour  les  armées  avaient  fait 
généreusement  le  serment  d'oublier  l'erreur  de  leurs 
frères.  La  Commune  repoussa  violemment  la  propo- 
sition de  voter  l'oubli. 

Le  A,  la  commission  extraordinaire  de  l'Assemblée 
avait  proposé  à  Danton  un  moyen  très-simple  de 
Xïhanger  d'un  coup  toute  la  situation,  c'était  d'arrê- 
ter Marat.  Remède  radical,  héroïque.  Seulement,  il 
risquait  de  produire  une  violente  réaction.  Arrêter 
Harat»  c'était  exécuter  le  décret  d'accusation  que 
le  parti  fayettiste,  royaliite  constitutionnel,  avait 


CRAINTES  DB  LA  COHIIUNE.  i07 

bit  lancer  contre  lui.  Celait  se  faire  accuser  de  com^ 
plicité  avec  Lafayette,  c'était  relever  TespéraDce  des 
royalistes,  commeDcer  un  mouvement  qui  pouvait 
mener  infiniment  loin.  Le  vent  va  vite,  en  ces  mo- 
ments; la  tempête  uue  fois  décbatnée  en  sens  inverse, 
les  royalistes  constitutionnels  triomphaient  dès  le 
premier  jour,  dans  huit  jours  les  royalistes  purs, 
huit  jours  après  les  Prussiens. — Danton  répondit  que, 
plutôt  que  de  faire  arrêter  Marat,  il  donnerait  sa  dé- 
mission. 

Brissot,  à  son  tour,  alla  chez  Danton,  le  pressa  vi« 
vement  d'agir.  «  Comment,  lui  dit-il,  empêcher  que 
des  innocents  ne  périssent  avec  les  autres?...  » — «Il 
n'y  en  a  pas  un  »,  dit  Danton. 

L'autorité  se  retirant  ainsi  d'une  manière  absolue, 
la  situation  ne  pouvait  changer  que  par  une  manife^ 
tation  vigoureuse  de  l'indignation  du  peuple.  Elle 
n'osa  se  produire  le  5,  et  p'éclala  que  le  6.  Ce  jour 
même,  il  y  avait  eu  encore  des  meurtres.  Pélion  s'é- 
tait rendu  dans  le  conseil-^^éuéral,  et  s'élevait  contre 
les  agitateurs  qui  demandaient  de  nouvelles  victimes. 
Des  applaudissements  confus  éclatèrent,  puis  des 
voix  distinctes  exprimant  l'assentiment  le  plus  décir 
dé,  enfin  des  cris  de  fureur  contre  les  buveurs  de 
sang  :  c  Nous  les  poursuivrons  !  nous  les  arrêterons  !  » 
Ce  fut  le  mot  unanime  qui  sortit  de  cette  tempête,  la 
vraie  voix  du  peuple  enfin  qui  se  déclarait.  Pétion 
se  mit  en  marche,  entraîna  en  vainqueur  la  Com- 
mune humiliée,  alla  s'emparer  de  la  Force,  et  ferma 
ses  portes  sanglantes  (6  septembre). 


908  LES  MARAT1STE8  ESSAYENT  D'ÉTKKDRE 

Ces  voix  de  Tindignalion  semblaient  devoir  faire 
rentrer  dans  la  terre  les  sanguinaires  idiots  qui  avaient 
cru  sauver  la  France  en  la  déshonorant.  Dès  le  S,  un 
membre  du  conseil  s'était  répandu  en  plaintes  amô* 
res  contre  Panis^  celui  qui  furtivement  avait  introduit 
Marat  au  comité  de  surveillance.  Panis  vint  répondre 
le  6  au  soir;  on  ne  sait  ce  qu*il  put  dire,  mais  le 
conseil  se  déclara  satisfait.  Son  apologie  avait  été 
précédée  d'une  étrange  dissertation  de  Sergent,  sur 
la  $ensibilili  du  peuple,  $a  bonté,  sa  justice^  etc.  Ce 
bavardage  fait  horreur,  quand  on  le  voit  en  intermède 
entre  le  massacre  de  Paris  et  le  massacre  de  Ver- 
Siiilles  que  la  Commune  préparait,  voulait  expressé* 
ment. 

Voulait^  on  peut  l'affirmer;  autrement,  elle  n'eût 
pas  mis  une  obslination  féroce  &  violer  par  trois  fois 
les  décrets  de  l'Assemblée.  L'Assemblée  avait  ordonné 
que  les  prisonniers  d'Orléans  y  restassent,  puis,  qu'ils 
allassent  a  Biois,  enfin  à  Saumur.  La  Commune, 
opposant  hardiment  ses  décrets  h  ceux  des  représen- 
tants de  la  France,  ordonna  qu'on  amenât  les  pri- 
sonniers à  Paris,  autrement  dit,  à  la  mort,  qu'on  re- 
commençât le  massacre. 

Les  meneurs  de  la  Commune  avaient  besoin  d'un 
nouveau  coup  de  terreur,  non  plus  pour  sauver  la^ 
France  (comme  ils  avaient  tant  répété),  mais  pour  se 
sauver  eux-mêmes.  Le  7,  le  conseil-général,  pressé 
de  nouveau,  avait  été  obligé  de  nommer  une  com- 
mission pour  examiner  les  plaintes  qu'on  faisait  contre  « 
Panis.  La  malédiction  publique  commençait  à  peser 


LE  MASSACRE  A  TOUTE  LA  FRANCE  (SEPT.  92).  â09 

lourdement  sur  la  tôte  de  ces  hommes,  et  dans  leur 
effroi,  ils  se  ralliaient  de  plus  en  plus  à  Marat,  à  l'idée 
d'extermination. 

Dans  le  changement  universel  des  esprits,  il  y 
avait  un  homme  qui  ne  changeait  point.  Marat  seul 
montrait  une  remarquable  constance  d'opinion  ;  les 
principes  chez  lui  passaient  avant  tout,  je  veux  dire 
un  seul  principe,  et  très-simple  :  Massacrer.  Non 
content  des  prisonniers  envoyés  aux  prisons  pendant 
l'exécution  même,  il  continuait  de  les  peupler,  dans 
Fe^ir  qu'un  jour  ou  l'autre  on  les  viderait  en  une 
fois.  Il  aflBchait  tous  les  jours  que  le  salut  public  vou* 
lait  :  qu'on  massacrât  au  plus  vite  l'Assemblée  na<- 
tionale. 

Son  rêve  le  plus  doux  eût  été  une  Saint-Barthélémy 
générale  dans  toute  la  France.  Pour  lui,  c'était  peu 
de  Paris  *.  Il  avait  obtenu  que  le  comité  de  surveiU 
lance  enverrait  des  commissaires  pour  aider  à  la 
chose,  avec  ce  titre  nouveau  :  Commissaires  des  ad^ 
miniitrateurs  du  Salut  public.  L'un  des  moyens  de 
salut  que  ces  commissaires  proposaient  à  Meaux, 
c'était  de  fondre  un  canon  de  la  dimension  précise  de 


*  PétioDy  s*enhardissant,  quelques  jours  après  septembre,  ne  fit  pas 
difficulté  de  dire  dans  le  conseil-général  que  Marat  était  un  fou.  Panis 
M  leva  mdigDé,  et  dit  que  ce  prétendu  fou,  véritablement,  était  un  pro- 
phète, qu'il  avait  dit  et  bit  des  choses  incroyables,  qu*on  ne  pouvait 
retrouver  que  dans  l*  Ancien-Testament.  Sommé  d* expliquer  ces  choses, 
Panit  dit  que  Marat  en  avait  fait  autant  qu'Ézéchiel,  qu'enfermé  au 
fond  de  sa  cave,  «  Il  était  resté,  comme  le  prophète  biblique,  six  se» 
I  sor  one  fesse  mm  se  retourner  ». 

IV.  ** 


tlO  tes  ^KfsèMmEfis  d^orléan^ 

la  tôtd  de  Louis  XYI,  «fin  qu'Au  premier  pas  qu^ose- 
raient  Taire  les  Prussiens,  ou  leur  envoyât  ladite  tète, 
au  lieu  de  boulet. 

La  circulaire  où  Marat  recommandait  le  maasa* 
ère,  au  nom  de  la  Commune,  et  qu'il  avait  fait  pas- 
ser sous  le  coutert  du  ministère  de  la  justice  (grftce 
à  la  lâcheté  de  Danton)  ^  cette  circulaire  faisait  son 
chemin  de  départements  en  départements.  L'exem- 
ple de  Paris,  toujours  si  puissant,  rautorité  respectée 
de  la  glorieuse  Commune,  faisaient  grande  împres- 
sion.  Dans  chaque  ville,  il  y  avait  toujours  une  poi<- 
gués  de  hurleurs,  d'aboyeurs,  de  violents  (ou  qui  fai- 
saient semblant  de  Tètre),  un  bon  nombre  aussi  d'i<- 
niitaleurs  imbéciles,  qui  s'assemblaient  sur  la  place, 
et  disaient  :  «  Et  nous  donc,  est-ce  que  nous  ne  forons 
pas  aussi  quelque  chose  de  hardi?... ».  »  La  faiblesse 
4es  journàui  parisiens,  qui  n'osaient  blâmer  le  mas- 
sacre, De  contribuait  pas  peu  à  th)mper  les  provin- 
<3iaux.  Que  dire ,  quand  on  lit  dans  le  pâle  et  froid 
MonUeur  ces  paroles  houleuses  :  «  Que  le  peuple 
avait  formé  la  résolution  la  plus  hardie  et  la  plus  tei^ 
rible.  »  ¥A  qui  donc  en  France  consent  k  paraître 
moins  hardi  ? 

À  Reims,  k  Meaux,  à  Lyon,  on  fit  consciencieuse- 
ment ce  qu'on  pouvait  pour  ne  pas  être  trop  au-des- 
sous de  Paris.  On  tua  nombre  de  prisonniers,  des 
prêtres,  des  nobles,  et  aussi  quelques  voleurs;  une 
trentaine  de  personnes  environ  perdirent  la  vie. 

Nuls  prisonniers  n'avaient  plus  à  craindre  que  ceux 
d'Orléans;  ils  étaient  qmrante  environ^  atleodast 


MASSACRÉS  à  VERSAILLES  (9  SBPT.  92).  %{{ 

le  jiJgemeot  de  la  haute  Cour  qui  y  siégeait.  La  plu- 
part élateat  des  hommes  qui  avaient  marqué  d'une 
manière  très-odieuse  contre  la  révolution.  11  y  avait 
entre  autres  le  ministre  Delessart,  instrument  connu 
des  intrigues  de  la  cour^  de  ses  négociations  avec 
rennemi.  Il  y  avait  M.  de  Brissac,  commandant  de 
celte  garde  constitutionnelle,  si  parfaileoleot  re- 
crolée  parmi  les  gentilshommes  de  province  les  plus 
fanatiques,  les  boui^eois  les  plus  rétrogrades,  tes 
maîtres  d'armes,  les  coupe*  jarrets  ramassés  dans  les 
tripots.  M«  de  Brissac  avait  des  qualités  aimables,  il 
était  l'ami  personnel  de  Louis  XYI;  on  le  citait  h  la 
cour  comme  un  parfait  modèle  du  chevalier  français, 
ce  qui  ne  Tempéchait  pas  d'être  amaut  de  la  Duharry. 
Ob  te  trouva  caché  chez  elle,  au  pavillon  de  Lii- 
fiénnes. 

L'expédition  d'Orléans  fut  confiée  h  deux  hommes 
cruellement  fanatiques,  Lazouski  et  Fournier,  dit 
rAmérieaiu.  Celui-ci  était  si  ardent  pour  la  chose 
qu'il  fil  les  (rais  nécessaires,  avec  l'aide  d'un  bijoutier 
et  (te  quelques  autres.  Il  avança  une  vingtaine  de 
mille  francs  qui  lui  furent  plus  tard  remboursés  par 
la  Commune.  Lazouski  était  deux  fois  furieux,  doU- 
blenient  exaspéré,  de  rage  polonaise  et  française.  Il 
faut  songer  qu'à  ce  moment  (dans  l'été  de  92),  les 
trois  meurtriers  de  la  Pologne  consommaient  sur  elle 
Tœuvre  exécrable,  hypocrite,  du  démembrement. 
Lazouski  se  vengeait  ici  des  crimes  de  Pélcrsbourg. 
H  maasacrait  des  royalistes^  ne  poutant  massairer 
des  rois. 


i\%  LES  fRlSONNlBRfi  D*ORLÉANfl 

Dans  lo  désir  passionné  qu^elle  avait  d'éviter  Teffii- 
siou  du  sang  y  l'Assemblée  s'humilia  encore.  Elle 
composa  taciteroenl  avec  la  Commune.  Il  fut  entendu 
que  les  prisonniers  n'arriveraient  pas  à  Paris,  mais 
resteraient  à  Versailles.  Roland  y  fit  tout  préparer. 
On  envoya  au-devant,  pour  les  protéger,  une  masse 
de  garde  nationale. 

Versailles  même  n'étaitguère  moins  dangereux  que 
Paris.  On  Ta  vu  au  6  octobre»  Nulle  part  l'ancien  ré- 
gime n'était  plusbaï.  Il  y  avait  de  plus  alors,  dans  cette 
ville,  cinq  ou  six  mille  volontaires,  non  armés,  non 
habillés,  qui  attendaient  pour  partir,  désœuvrés,  en- 
nuyés et  mécontents,  errant  dans  les  rues  et  les  ca- 
barets. 11  ne  Faut  pas  demander  si  la  nouvelle  de 
l'arrivée  dos  prisonniers  d'Orléans  les  mit  en  émoi. 
Il  y  avait  à  parier  que  s'ils  arrivaient  à  Versailles, 
ils  périraient  jusqu'au  dernier. 

On  assure  qu'un  magistrat  de  Versailles,  voyant  le 
péril,  alla  à  Paris,  courut  chez  Danton.  Il  en  Tut  reçu 
Tort  mal.  Danton  ne  pouvait  donner  ordre  au  corl^ 
de  rebrousser  chemin,  sans  trancher  le  grand  litige, 
se  déclarer  pour  l'Assemblée  contre  la  Commune. 
La  Commune  venait  de  remporter  une  victoire; 
Marat  avait  été  nommé  le  jour  même  député  de  Paris. 
Danton,  grondant,  dit  d'abord  ces  mois,  à  voix  basse, 
comme  un  dogue  :  «  Ces  hommes-là  sont  bien  cou- 
pables.—  D'accord,  mais  le  moment  presse... — 
Ces  hommes-là  sont  bien  coupables  !  —  Enfin  que 
voulez-vous  faire?  —  Eh!  monsieur,  s*écria  alors 
Danton  d'une  voix  tonnante,  ne  voyez  vousdùnc  pas 


MASSACRÉS  A  WRSAtLLES  (9  SEPT,  92).  213 

quCf  $if  avais  quelque  chose  à  vans  répandre,  esta  serait 
fait  depuis  kmgiemps?.,.  Que  vous  imporleol  ces 
prisonDÎer&T  Remplissez  vos  foDCtions.  Nélez-^vous 
de  vos  aflaîres.  » 

La  chose  alla  comme  on  pouvait  le  prévoir,  l/es- 
corte,  rangée  devaut  et  derrière,  ne  protégea  pas  les 
flancs  du  cortège.  A  la  grille  de  TOrangerie,  une 
troupe  confuse  entoura  les  charrettes,  et  sauta  dedans. 
Ud  jardinier  que  M.  de  Brissac  avait  jadis  renvoyé 
lui  dît  :  «  Me  reconnais^lu  7  »  (Nous  tenons  ce  détail 
de  la  bouche  d'un  témoin  oculaire).  Il  le  prit  au  ja-* 
bot,  et  lui  cassa  sur  la  tète  un  pot-au4ait  en  grès  qu'il 
tenait  à  la  main.  Ce  Tut  le  commencement  du  mas^ 
sacre.  Le  maire  de  Versailles  fît  des  efforts  incroya^^ 
blés  pour  sauver  les  prisonniers;  il  se  mit  lui-même 
en  péril.Tout  cela  inutilement.  Une  fois  échauffés  p&r 
le  sang,  ils  coururent  à  la  prison,  et  y  tuèrent  encore 
une  douzaine  de  personnes. 

Lazouski  et  Fouriûer  revinrent  paisiblement  à 
Paris  avec  leurs  chariots  vides,  et  n'y  trouvèrent 
pas  Taccueil  qu'ils  s'étaient  flattés  de  recevoir.  Leurs 
hommes,  inquiets  de  ne  plus  revoir  Paris  aussi 
énergique  qu'ils  l'avaient  laissé,  essayèrent  de  se  ras* 
surer  par  quelque  signe  approbatirdu  grand  ministre 
patriote.  Us  allèrent  sous  les  fenêtres  du  ministère  de 
la  justice,  et  crièrent  :  «  Danton!  Danton!»  Il  ré^ 
pondit  à  cet  appel ,  et  paraissant  au  balcon,  le  misé- 
rable esclave,  habitué  &  couvrir  la  faiblesse  des  actes 
sous  l'orgueil  de  la  parole,  leur  dit  (du  moins  on 
l'assure)  :  «  Celui  qui  vous  remercie,  ce  n'est  pas 


2l4  DAfiTON  SAOVB  ABKIBIC  WnÊff, 

lé  ministre  de  la  justice,  c'est  le  mioirtPe  de  Ut  M* 
volutioD.  » 

Danton  se  voyait  alors  dans  une  dangereuse  crise 
où  il  allait  se  trouver  en  face  de  la  redoutable  Com- 
mune, en  opposition  avec  elle  ;  le  masque  qu'il  avait 
pris>  risquait  fort  d*èlre  arraché.  11  disputait  à  la 
Commune  la  vie  d'un  prisonnier,  birn  plus  inpcMrlant 
pour  lui  que  tous  ceux  qui  avaient  pért  à  VersaillM , 
le  célèbre  constituant,  Adrien  Duport.  LaOour,  on  se 
lé  rappelle  -,  Tavait  longtemps  consulté ,  ainsi  que 
Barnave  e(  Lametb.  Dans  le  manifeste  même  de 
Léopold,  dans  le  portrait  peu  flatté  que  l'Empereur  y 
faisait  des  Jacobins,  on  avait  cru  reconnaître  la  plume 
trop  habile  du  fameux  triumvirat. 

Ces  coupables  intelligences  avec  l'ennemi  n'étaient 
que  trop  vraisemblables,  mais  enfin  nullement  prou* 
tées.  Ce  qui  Tétait  mieux,  ce  qui  était  certain,  aoqais 
à  l'histoire ,  c'étaient  les  services  immenses  qu'Adrien 
Duportavait  rendus,  sous  la  Constituante,  àla  France, 
&  la  Révolution.  La  vie  d'un  tel  homme  >  en  vérité, 
était  sacrée.  La  Révolution  ue  pouvait  y  toucher  q«e 
d'une  main  parricide.  Danton  vonlati  le  sauver  à 
tout  prix ,  et  en  cela  tl  acquittait  la  dette  de  la  pa- 
trie, disons mieuk y  collège  l'humanité  entier^.  Qui 
ne  se  touvenait  des  paroles  touchantes  de  Dupof  t  dao^ 
son  discours  contre  la  peine  de  mor4  :  «  Rendons 
l'homme  respectable  à  l'homme....  » 

Tout  c^la  était  déjà  oublié.  Et  il  y  avait  à  peine  un 
au.  Tellement,  de  91  à  92,  le  temps  avait  marché 


HALORÉ  U  CeiUUmB  (SEFT.  tt).  21» 

vite!  Mais  Danton  se  souvenait.  Il  voulais  sauver 
Duport  à  tout  prix. 

Danton  pouvait  bien  avoir  aussi  quelque  raison 
personnelle  de  craindre  qu'un  bouime  qui  savait  tant 
de  choses  ne  fût  jugé,  interrogé,  qu'il  ne  fit  sa 
confession  publique,  Dans  la  primitive  organisation 
des  Jacobins,  et  plus  tard,  peut-^tre  pième  dans 
quelqu'une  de  ses  intrigues  avec  la  Cour,  Duport 
avait  très-probablement  employé  Danton,  Intérêt? 
générosité?  ces  deui  motifs  plutôt  ensemble ,  lui  fai- 
saient désirer  passionnément  de  sauver  Duport, 

Celui-ci  était  justement  un  de  ceux  que  le  comité 
de  surveillance  avait  eu  soin  de  faire  chercher,  ai| 
moment  des  visites  domiciliaires,  dès  le  88  août.  Il 
n'était  pourtant  nullement  compromis  pour  les  der- 
niers événements,  11  y  avait  six  mois  et  plus  que  \^. 
Coiir  qe  se  servait  plus  de  Duport,  ni  des  constitU'^ 
tionnels;  elle  ne  daignait  plus  les  tromper  j  elle  ne 
uiettait  plus  d'espoir  que  dans  l'appui  de  l'étranger, 
Dqpôrt,  resté  à  Paris,  dans  sa  maison  du  B|a- 
rais,  ne  se  mêlait  plus  de  rien  que  de  remplir  ses 
fonctions  comme  président  du  tribunal  criminel  ;  c'é- 
tait un  magistrat ,  un  boui^eois  inoffensif,  un  garde 
national;  il  avait  monté  sa  garde  la  nuit  du  10  août, 
était  resté  à  son  poste  et  n'avait  point  été  au  château. 
Aux  jours  de  septembre,  il  était  che?  lui  à  la  cam- 
pagne près  Nemours;  le  4,  comme  il  revenait  de  la 
promenade  avec  sa  femme ,  il  fut  arrêté  par  le  maire 
de  l'endroit,  assisté  d'une  trentaioe  de  gardes  natio- 
naux. 


SIC  ÉLECTIONS,  SOUS  L*I!ŒLUENGB  DU  MASSACUB. 

L'illustre  légiste  dit  à  ce  maire  de  village  que  son 
autorisation  d*uu  comité  de  police  de  Paris  ne  valait 
rien  hors  de  Paris.  Mais  la  population  Tort  agitée,  les 
menaces  des  volontaires  qui  se  trouvaient  là,  oblige* 
rent  le  maire  de  le  conduire  aux  prisons  de  Melun. 
S'il  eût  été  mené  de  là  à  Paris,  il  périssait  certaine- 
ment ;  on  y  tua  encore  le  5 ,  et  même  le  6.  Danton, 
heureusement  averti  à  temps ,  ordonna  à  la  munici- 
palité de  Melun  de  le  garder  en  prison,  quelque  ordre 
qu'elle  reçût  d'ailleurs.  De  surcroît,  et  dans  la  crainte 
que  son  message  n'arrivât  et  n'eût  point  d'effet,  il 
donnait  ordre  aux  autorités  de  chaque  localité ,  sur  la 
route ,  d'arrêter  cet  important  prisonnier,  à  quelque 
point  du  voyage  qu'il  fût  parvenu. 

Cependant ,  les  zélés  de  Melun  ne  perdaient  pas  de 
temps.  Ils  laissèrent  croire  à  Duport  qu'ils  allaient 
réclamer  auprès  de  l'Assemblée  nationale  contre  l'il- 
légalité de  son  arrestation,  et  en  réalité ,  ils  allèrent 
demander  au  comité  de  surveillance  un  nouvel  ordre 
pour  le  tirer  de  la  prison  de  Melun  et  l'amener  à 
Paris.  Cet  ordre  arrive  à  Melun ,  et  voilà  la  munici- 
palité de  cette  ville,  entre  le  comité  de  surveillance 
qui  ordonne  de  livrer,  et  le  ministre  de  la  justice  qui 
ordonne  de  garder.  Dans  le  doute,  elle  croit  plus  sage 
de  ne  rien  Taire,  de  laisser  les  choses  dans  Tétat 
même  où  elles  sont;  elle  garde  le  prisonnier. 

Danton  avait  très-bien  prévu  le  conflit.  Le  lende- 
main même  du  jour  où  il  envoya  à  Melun,  il  se  munit 
d'un  décret  de  l'Assemblée  (8  sept.  )  qui  chai^eait  le 
pouvoir  exécutif  (c'est-à-dire  Danton)  de  statuer  sur 


LUTTE  M  BATTON  ET  M  UAKXÏ  (7-17  SEPT.  92).  217 

la  légalîté  de  rarreslation  de  Duport  Par  cet  acte 
Tigoureux,  Danton  arrachait  k  la  Commune  sa  vic<- 
time;  c'était  la  première  fois  qu'il  était  courageux 
coolre  elle ,  qu'il  osait  s'élever  contre ,  démentait  sa 
fausse  unanimité  avec  les  hommes  de  sang. 

Duport  resta  à  Melun  ;  mais  Danton  n'osa  pas  pous- 
ser plus  loin  son  avantage.  11  pria  le  comité  de  sur- 
yeîllance  de  communiquer  les  pièces  aux  tribunaux. 
Le  comité  répondit  durement  qu'il  n'avait  que  faire 
de  pièces  pour  arrêter  un  tel  homme^  que  d'ailleurs 
on  avait  saisi  sur  Duport  des  lettres  singulièrement 
suspectes.  Le  comité  se  sentait  fort.  Les  massacres 
s'étaient  traduits  immédiatement  en  élections  favora- 
bles à  la  Commune.  Dans  les  jours  de  terreur  où  les 
assemblées  électorales  étaient  peu  nombreuses ,  les 
violents  avaient  beau  jeu.  Le  6,  ils  élurent  Robes* 
pierre,  et  Marat  le  8.  Deux  jours  après  le  massacre 
de  Versailles,  le  11,  furent  élus  Panis  et  Sergent. 

Marat  crut  pouvoir  alors  pousser  Danton  k  bout, 
le  mettre  en  demeure  de  prendre  un  parti  plus  net 
qu*il  n'avait  fait  jusqu'ici.  11  Je  tenait  crnellement 
par  l'affaire  de  Duport.  Le  J 3,  il  publia,  avec 
les  lettres  de  Danton  et  du  comité,  celles  qu'on 
avait  saisies  sur  Duport,  lettres  énigmatiques ,  d'au- 
tant plus  propres  à  piquer  la  curiosité.  Ces  lettres, 
publiées  d'abord  dans  Y  Ami  dupeupley  passèrent  dans 
les  autres  journaux  ;  tous  saisirent  cette  occasion  de 
perdre  Danton,  de  le  montrer  en  connivence  avec  un 
conspirateur  royaliste.  Marat  le  crut  frappé  à  mort. 
11  lui  écrivit  alors  une  lettre  injurieuse,  outrageante, 


21i  LUTTE  DE  DANTON  BT  DB  MARAT  (7-17  SE»T.  OB). 

OÙ  il  lui  annonçait  que,  de  journaux  en  placards,  en 
affiches,  il  allait  le  traîner  dans  la  boue. 

Le  lion,  furieux,  sentit  sa  chaîne,  se  sentit  tiré 

par  le  chien Il  ne  rugit  même  pas.  11  céila  à 

la  circonstance,  dévora  son  cœur,  courut  à  la  Mai-* 
rie.  Dans  le  même  hôtel,  siégeaient  l'innocent  maire 
de  Paris,  Pétiori,  et  la  dictature  du  massacre,  le 
comité  de  surveillance,  Marat  et  les  maratistes.  Dan- 
ton n'alla  pas  tout  droit  chez  celui  qu'il  voulait 
vpir,  mais  d* abord  chez  Pétion.  Il  tonna,  gesticqla, 
déclama  sur  la  lettre  insolente  que  Marat  avait  osé 
lui  écrire.—  «  Eh!  bien,  lui  dit  Pétion,  descendons 
au  comité;  vous  vous  expliquerez  ensemble.  »  —  Us 
descendent.  En  présence  de  Marat,  l'orgueil  reprit  à 
Danton,  il  le  traitadurement.  Marat  ne  démentit  rien, 
soutint  ce  qu'il  avait  dit,  ajoutant  qu'au  reste,  dans 
une  telle  situation,  on  devait  tout  oublier.  Et  alors,  il 
lui  prit  un  mouvement  de  sensibilité,  comme  il  en 
avait  souvent,  il  déchira  la  lettre  qui  avait  blessé 
Danton,  et  se  jeta  dans  ses  bras.  Danton  endura  le 
baiser,  sauf  à  se  laver  ensiiite. 

il  ne  se  sentait  pas  moins  la  chaîne  rivée  au  col. 
Marat  le  tenait  par  Duport.  Si  Danton  défendait  Du- 
port,  il  était  perdu,  mordu  à  mort  par  Marat.  Si  Dan- 
ton livrait  Duport,  il  était  perdu,  trés-probablemenl  ; 
Duporl  eût  parlé,  sans  doute,  avant  de  mourir,  em- 
porté avec  lui  Danton. 

Celui-ci  devait  attendre ,  gagner  du  temps.  Los 
maratistes  pouvaient  périr  par  leurs  excès.  Ce  qui 
semblait  devoir  briser,  en  très-peu  de  temps,  cette 


FÉlNftRATlOIfS  DE  GARANTIE  MUTUELLE.  fl9 

trramîeftDarcbkiue,  ce  n'était  pas  seulement  Thor- 
reur  du  sang,  mais  la  crainte  du  pillage.  Les  tdIs  se 
muUîpiiaient.  Ceux  qui  se  croyaient  maîtres  de  la  vie 
des  homnaas  semblaient  se  croire,  à  plus  forte  rai- 
son ,  maîtres  de  leurs  biens. 

Si  liarat  ne  conseillait  pas  le  partage  des  proprié- 
lés,  son  ami  Chabot  assmtiit  que  c'est  qu -il  ne  croyait 
pas  les  bommes  assez  vertueux  encoite.  Beaucoup 
n'en  jugeaient  pas  ainsi  ;  ils  se  croyaient  suffisam^ 
ment  vertueux  pour  commencer;  ils  essayaient  de 
sa  foire  le  partage  de  leurs  propres  mains  ;  d'abord 
celui  des  bijoux,  des  montres,  en  plein  jour,  sur  les 
boulevards.  Si  Tbomme  dépouillé  criait,  les  voleurs 
criaient  bien  plus  haut  «  à  Tarisloorate  » .  La  foule 
passait  tète  basse,  h  ce  cri  si  redouté ,  et  n'osait  in* 
terveuir. 

Paris  retombait  à  l'état  sauvage. 

Et,  comme  il  arrive  en  un  tel  état,  les  individus 
n'espéraût  rien  de  la  priolection  de  la  loi,  essayèrent 
de  rasaoeiation  pour  se  protéger  eux-mêmes.  Les 
Yieilles  fraternités  barbares,  les  essais  antiques  et 
gvessiens  de  solidarité^  de  protection  mutnetle,  trou- 
vèrent  des  imitateurs  à  Paris,  à  la  fin  du  XVIU«sié-; 
de.  Ce  fut  TAbbaye*  l<i  section  sanglante,  frémissante 
«Qcore  ilu  mas^ucre,  qui  proposa  aux  autres  sections 
t  une  œufédération  entre  loui  les  cifoyeni,  pour  h  ga-t 
raidir  mutuellemenl  /es  hiew  et  la  vie  ».  On  devait  se 
foire  reconnaître,  en  portant  toujours  sur  soi  une 
carte  de  la  section.  Chacun  avait  ainsi  sa  section  pour 
garantie,  était  protégé  par  elle.  Il  y  avait  lieu  d'espé* 


US>  VOLS 

rer  qu'on  oe  verrait  plus  un  inconnu,  uo  quidam  en 
écbai'pe,  frapper  à  la  porte  au  nom  de  la  loi^  la  briser, 
si  Tou  n'ouvrait,  prendre  un  citoyen  chezlui^  remme- 
ner, le  jeter  dans  les  prisons  toutes  teintes  encore  de 
sang.  Puis,  quand  on  voulait  remontera  la  source, 
on  ne  trouvait  rien.  On  s'informait  à  la  Commune? 
mais  elle  n'en  savait  rien.  Au  comité  de  surveillance 
et  de  police?  Lui-même  n'en  savait  rien.  On  finissait 
par  découvrir  que  c'était  un  de  ses  membres^  un  seul 
très^souvent,  et  le  plus  souvent,  Marat,  qui ,  pour 
tous,  sans  les  prévenir,  avait  signé  de  leurs  noms, 
lancé  le  mandat  d'amener,  autorisé  le  quidam. 

Les  autorités  de  Paris  ne  se  contentaient  plus  de 
régner  dans  cette  ville.  Elles  étendaient  leur  royauté 
a  trente  et  quarante  lieues.  Elles  donnaient  aux 
gens  qu'il  leur  plaisait  d'appeler  adaiinhtrateurs  du 
salut  public ,  des  pouvoirs  ainsi  conçus  :  «  Nous  au- 
torisons le  citoyen  tel  à  se  transporter  dans  telle  ville 
pour  s'emparer  des  personnes  suspectes  et  des  effets 
précieux.»  Des  villes,  ces  commissaires,  dans  leur 
esprit  de  conquête,  circulaient  dans  les  campagnes, 
allaient  aux  châteaux  voisins,  prenaient,  emportaient 
Tai^enterie. 

L'occasion  était  belle  pour  frapper  la  Commune. 
Des  mesures  furent  prises  par  l'Assemblée,  et  cette 
fois  avec  une  redoutable  unanimité,  qui  montrait  assez 
que  les  Dantonistes  agissaient  ici  avec  la  Gironde. 

L'Assemblée  porta  un  décret  qui  défendait  d*obéir 
aux  commissaires  d'une  municipalité  hors  de  son  ter- 
riknre. 


ET  PILLAGES  (<;Cl»TElfBRE  d2).  221 

Un  coup  non  moins  grave  fut  Trappe  sur  la  Com- 
mune, sur  tout  ce  peuple  d* agents  qu*elle  se  créait  à 
plaisir,  déléguant  sa  tyrannie  au  premier  qu'il  lui 
plaisait  dé  ceindre  de  sa  terrible  écharpe.  Sur  le  rap« 
port  du  dantoniste  Thuriot,  l'Assemblée  décréta  que, 
c  quiconque  prendrait  indûment  Vécharpe  municipale 
serait  puni  de  mort.  » 

Nous  ne  doutons  point  que  Danton  n'ait  parlé  en« 
core  ici  par  l'organe  de  Tburiot,  pris  sa  revanche  du 
baiser  de  Marat. 

On  affectait  de  dire,  pour  faire  passer  ce  violent 
décret,  que  tous  ces  gens  en  écbarpequi,  sans  droit  ni 
autorité,  mettaient  les  scellés,  faisaient  des  saisies, 
emportaient,  n'étaient  autres  que  des  filous.  Les  mu- 
nicipaux eux-mêmes  avaient  ils  les  mains  bien  nettes?  " 
on  était  tenté  d'en  douter.  Leur  autorité  illimitée, 
la  disposition  absolue  qu'ils  s'attribuaient  de  toute 
chose ,  les  mettaient  sur  une  pente  bien  glissante.  Il 
était  à  craindre  que  ceâ  Bru  tus,  inflexibles  h  la  nature, 
invincibles  à  la  pitié,  vrais  stoïciens  pour  autrui ,  ne 
^  le  fussent  moins  pour  eux-mêmes.  Dans  le  vertige 
du  moment,  dans  le  mnniement  confus,  indistinct, 
de  tant  d'affaires  et  de  tant  d'objets,  la  passion  do*- 
minante  (car  enfin  chacun  en  a  une ,  tel  les  femmes, 
tel  l'argent)  n'allait-elle  pas  revenir? 

On  raconte  que  le  comité  de  surveillance,  qui  avait 
entre  les  mains  les  dépouilles  des  morts  de  septembre, 
une  grande  masse  de  bijoux ,  eut  l'idée ,  dans  un 
besoin  public,  d'en  faire  de  l'argent.  G*était  peut- 
être  un  peu  bien  tôt  (quelques  jours  après  le  mas- 


M  VÛL8  BT  PtLLAGBS.  ' 

sacre  )  ;  à  peine  avail^n  eu  le  temps  de  laver  U  trace; 
ees  bijoux  sentaient  le  sang.  Des  anneaux  faussés  par 
te  sabre  qui  ayait  tranché  les  doigts,  des  boucles  d'o* 
leilles  arrachées  avec  des  morceaux  d'oreilles,  c'é- 
taient véritablement  des  choses  trop  tristes,  qu*îl  ne 
fallait  pas  montrer;  mieux  eût  valu  enfouir  ces  l»gu^ 
bres  dépouillas  marquées  désignes  de  mort,  et  qui  ne 
pouvaient  porter  bonheur  à  personne.  Les  membres 
du  comité  en  firent  une  vente  publique  aux  enchères; 
mais,  quelque  publique  qu'elle  fût,  elle  n'en  était  pas 
moins  suspecte;  qui  eût  osé  enchérir  sur  eux, s'il  leur 
plaisait  de  dire  qu'ils  achetaient  tel  objet?  C'est  pré- 
cisément ce  qui  arriva.  Sergent,  en  sa  qualité  d'ar- 
tiste, regardait ,  maniait  insatiablement  un  camée  de 
prix  en  agate.  «  Ce  n'était  pas,  ditril  dans  ses  justifi- 
cations, un  camée  antique.  »  Peu  importe;  qu'il  f4t 
.Mitiqueou  moderne,  il  en  tomba  amoureux.  Personne 
n'osa  enchérir,  Sergent  l'eut  au  prix  d'estimalion.  Le 
paya-t-il ?  c'est  laque  commence  la  dispute.  Sei^ent 
dans  ses  Noie$y  dit  Oui  ;  l'enquête  conservée  à  la  'Pré- 
fecture de  police  semblerait  dire  Non.  On  serait  tenté 
de  croire  que  l'artiste  nécessiteux  qui  recevait  une  in- 
demnité légère  pour  son  traitement  de  roi  de  France 
(un  membre  de  oe  comité  souverain  n'était  guère 
moins  en  vérité)  agit  ici  royalement,  se  réserva  de 
payer  k  son  loisir,  et  provisoirement  s'adjugea  l'ob- 
jet qui  avait  fixé  son  caprice.  Nul  doute  qu'il  n'eût 
pu  prendre  des  choses  bien  plus  précieuses.  Quoi 
qu'il  en  soit,  Sergent,  dans  sa  longue  vie,  très-bon- 
néte,  a  traîné  ceci  misérablement,  en  parlant  sans 


VOLS  BT  PILLAGES  (SEPTBIlBRfi  9S).  ttS 

cesse,  en  écritanl  sans  cesse,  se  tenant  au  plus  gfand 
passage  des  étrangers  de  FEurope,  les  arrêtant^  pour 
ainsi  dire,  les  forçant  d'entendre  son  apologie.  Jus- 
qu'à la  mort,  il  fut  comme  poursuivi  par  ce  funâbre 
bijou,  qui  semble  l'avoir  tenté  perfidement  pour 
marquer  chacun  de  ses  jours  du  souvenir  de  Sep- 
tembre. 

Chacun,  en  réalité,  k  ce  moment,  agissait  en  roi% 
Des  caves  ayant  été  découvertes  sous  les  décombres 
du  Carrousel,  avec  des  tonneaux  d'huile  et  de  vin, 
les  passants,  comme  peuple  souverain,  héritiers  na- 
turels du  Roi,  décidèrent  que  l'builo  et  le  vin  leur 
appartenaient.  Us  burent  le  vin,  vendirent  ThUile, 
et  cela  naïvement,  en  plein  jour,  sans  embarras  cri 
scrupule. 

Ce  n'est  pas  tout.  On  se  rappelle  qu'un  membre 
delà  Commune  avait,  au  mois  d'août,  cru  devoir 
enlever  du  Garde-Meuble  un  petit  canon  d'argent, 
l^'événement  attira  l'attention  de  quelques  individus 
wr  le  dépôt  précieux.  Ils  remarquèrent  qu'il  était 
à  peine  gardé  ;  on  ne  pouvait  ni  réunir,  ni  main- 
tenir au  complet  un  poste  assez  nombreux  de  garde 
nationale.  Dans  le  pillage  universel  qu'on  voyait 
partout,  ils  s'adjugèrent  la- meilleure  part,  les  dia*- 
Qiants  de  la  couronne.  Us  emportèrent  entre  autres 
le  Régentf  et,  en  attendant  qu'ils  pussent  s'en  dé^ 
bire,  ils  le  cachèreut  sous  une  poutre  d'une  maison 
de  la  Cita.. 

L'audace  d'un  tel  vol  ne  révélait  que  trop  l'a- 
Dëantissemebt  dos  pouvoirs  publics.  Le  ministre  de 


2i4         MEURTRES,  BT  CRAIHTCS  DR  MASSACRE  (SEPT.  9t\. 

l'intérieur  venait  unirorniément  avouer  à  l' Assem- 
blée, chaque  matin,  qu'il  ne  pouvait  rien  et  qu'il 
n'était  rien,  que  l'autorité  n'était  plus. 

La  conscience  publique  flottait,  ébranlée  par  le 
maasacre;  beaucoup  d*homnies  trouvaient  probléma- 
tique le  droit  du  prochain  à  la  vie.  Un  prêtre,  le  su- 
périeur de  Sainte-Barbe  avait  obtenu,  le  10,  un  pas- 
seport de  Roland,  à  titre  (T humanité:  ce  fut  l'apostille 
du  ministre.  Au  moment  de  partir,  il  coucha  chez 
un  de  ses  parents,  par  qui  il  fut  septembrisé.  La  chose 
fut  révélée  par  une  fille  chez  qui,  le  soir  même,  cou- 
cha l'assassin. 

Des  bruits  effrayants  couraient;  les  prisons,  rem- 
plies de  nouveau  et  combles ,  s'attendaient  à  voir 
recommencer  un  égorgement  général.  Les  prison- 
niers  de  Sainte-Pélagie,  dans  l'agonie  de  la  peur, 
écrivirent  une  pétition  à  l'Assemblée  pour  ne  pas 
être  massacrés,  du  moins  avant  jugement. 

L'Assemblée  avait  elle-même  à  craindre  autant 
que  personne.  Marat  demandait  chaque  jour  qu'on 
égorgeât  ces  traîtres,  ces  royalistes,  ces  partisans  de 
Brunswick.  Massacrer  la  Législative,  c'était  son  texte 
ordinaire.  Le  plus  étrange,  ce  qu'on  n  eût  vraiment 
jamais  deviné,  c'est  qu'il  semblait  vouloir  déjà  égor- 
ger la  Convention  qui  n'existait  pas  encore.  Il  re- 
commandait au  peuple  de  bien  l'entourer,  «  d'ôter  k 
ses  membres  le  talisman  de  l'inviolabilité,  afin  de 
pouvoir  les  livrer  à  la  justice  populaire...  Il  importe, 
disait-il,  que  la  Convention  soit  sans  cesse  sous  les 
yeux  du  peuple  et  qu'il  puisse  la  lapider...  » 


CRAINTES  POmt  L'ASSEMBLÉB  NATIONALE.  225 

Égorger  Faocienne  assemblée,  menacer  de  mort 
Tautre  qui  Tenait,  c'était  l*inraillible  moyen  d'em- 
pêcher tout  rétablissement  de  l'ordre,  toute  résur- 
reclion  de  la  puissance  publique. 

Il  se  trouva  heureusement  des  députés  énergi- 
ques qui,  peu  soucieux  de  vivre  ou  mourir,  insis- 
tèrent avec  indignation  pour  sauver  du  moins  leur 
honneur,  pour  repousser  T infâme  nom  de  traître 
qu'on  prodiguait  si  hardiment  aux  membres  de 
l'Assemblée.  Aubert-Dubayet  somma  la  commission 
chargée  d'examiner  les  papiers  saisis  au  10  août,  de 
dire  s'il  en  était  qui  inculpassent  véritablement 
quelqu'un  des  représentants.  L'irréprochable  Go- 
hier,  membre  de  celte  commission,  répondit:  «  Que 
ces  papiers^  examinés  en  présence  des  commissaires  de 
la  Commune,  n*avaient  rien  présenté  qui  pût  porter  le 
moindre  soupçon  sur  aucun  des  membres  de  l'Assemblée 
législative.  » 

Cambon  s'exprima  alors  avec  l'indignation  pro- 
fonde de  la  vertu  outragée  :  «  On  dit,  on  afliche  que 
quatre  cents  députés  sont  des  traîtres,  et  nous  res- 
terions ici  à  nous  le  dire  à  l'oreillel...  Non,  non, 
mourons  s'il  le  faut,  mais  que  la  France  soit  sauvée/.. 
La  souveraineté  est  usurpée.  Par  qui  ?  par  trente  ou 
quarante  personnes  que  soudoie  la  nation...  Que 
tous  les  citoyens  s'arment!  Requérons  la  force  armée! 
Elle  écrasera  ces  gens  de  boue  qui  vendent  la  liberté 
pour  de  l'or...  Je  demande  que  les  autorités  compa- 
raissent à  la  barre,  que  TAssemblée  leur  dise  l'état 
de  Paris  et  leur  rappelle  leur  serment.  » 

IV.  " 


M  CRAINTES  POUR  L'ASSEMBLÉE  (SEPTEMBRE  IQ). 

Celte  violente  sortie^  où  Tbomme  le  pi  us  considéré 
pour  la  probité  semblait  Taire  appel  aux  armes  contre 
la  Commune,  était  moins  terrible  encore  en  elle- 
même  que  par  l'occasion  qui  l'avait  amenée;  rocca- 
sipn  n'était  pas  moins  que  le  vol  du  garde-meuble. 
L'affaire  du  canon  d'argent,  celle  de  l'argenterie  en* 
levée,  celle  de  l'agate  de  Sergent,  un  grand  nombre 
de  saisies  illégales  d'objets  précieux,  l'absence  d'or-^ 
dre  aussi  et  de  comptabilité,  ne  rendaient  que  trop 
vraisemblable  cette  accusation  (en  réalité  injusle). 

Ce  jour  même,  17  septembre,  Danton  crut  la  Com- 
mune assez  afl\iiblie,  et  devint  audacieux.  Sans  s'in- 
quiéter de  ce  que  dirait  le  comité  de  surveillance  ni 
des  aboiements  de  Marat,  il  renvoya  l'afTaire  de  Du- 
port,  non  au  tribunal  extraordinaire,  comme  il  l'avait 
dit  lui-même,  mais  tout  simplement  au  tribunal  de 
Helun,  et  te  chargea  de  statuer  sur  la  légalité  de  l'ar- 
restation de  Duport.  Ce  tribunal  ne  perdit  pas  une 
minute,  et  le  17,  au  reçu  du  courrier,  il  déclara  Tar- 
restation  illégale,  élargit  le  prisonnier*. 

Ûanton  profita  encore  du  moment  pour  faire  une 
c)iose  humaine.  11  fit  abréger,  pour  tous  les  détenus 
qui  avaient  échappé  au  massacre,  le  temps  de  leur  dé- 
feu  tion. 

Une  chose  montra  combien,  en  si  peu  de  jours^  la 
situation  avait  changé  :  une  commune  de  Franche- 
Comté  ne  craignit  pas  d'arrêter  deux  de  ces  telrribles 

*  Je  dois  la  communication  des  nombreuses  pièces  qui  éclaircissent 
eetle  affaire  k  robligeance  de  M.  Danton,  Tua  de  nos  professeun  àe 
philosophie  les  plus  diaiîngvés»  aujottrd^hiM  înaptclewr  de  rUiiiversilé. 


nscoms  de  vergi! linn»  er  DftTwmnBT  db  l'asseubléb.  m 
ammiuairei  du  $ahit  pùklrCi  La  «ommiine  de.  Cbàmr 
plilte^  ail  nom  de  l'égalité,  déclara  De  poiol  obéir  à  la 
commupe  de  Parisi — Cet  exemple  Tut  imité  daos  un 
grand  nombre  de  villes. 

U;  opnseil-général  de  la  Commboe  comprit  qu'il 
était  grand  temps  de  sacriBcr  son  comité  de  surveîl-» 
lance.  Le  18,  au  aoir,  il  se  souleva  Tiolemment  con- 
tre ce  comité,  rejeta  snr  lui  la  responsabilité  de  tout 
ce  qui  af  était  fait,  le  cassa,  et  rappela  que  nulle  per^ 
sonne  étrangère  au  conseil-gèttéral  ne  pouvait  faire 
partie  da  cqfnitéde  surveillance.  Ceci  contre  Mafat^ 
introduit  subrepticement,  contre  Panis,  le  coupable 
introducteur  dé  llaràt. 

:  La  folle  et  furieuse  audace  des  maratistes  étaH 

teUement  connue  qu'on  ne  pouvait  croire  qu'ils  re-^ 

çussent  ce  coup  sans  répondre  ptir  un  crime,  par 

quelque  nouvelle  tentative  de  massacre.  Ces  craintes 

furent  augmentées  plutôt  que  diminuées,  lorsque^ 

lé  19,  le  coilseil-généraJ  déclam  qu'il  était  prêt  à 

mourir  pour  la- sûreté  publique.  Le  même  jour,  l'As- 

aemblée,  dans  une  adresse,  proclama,  pourreflTror 

ëe  la  France ,  le  bruit  qui  courait  :  Qu'au  .jour  où 

VAssèmlriée  cesserait  ses  fonctions,  les  représentanti 

iu peuple  Beraienl  massacréi.  Elle  sanctiomia  desme-^ 

sures  de  sûreté  pour  la  ville  de  Paris,  Spécialement 

celte  fédération  de  défeuse  mutuelle  dont  la  section 

de  TAbbaye  avait  donné  l'exemple ,  et  l'obligalîoD 

pour  tous  les  citoyens  de  porter  toujours  sur  eux  une 

carte  de  sûreté. 

Avec  kMiteB  ces  pr^eaotioos,.  personne  n'était  n^ 


f  iS      '  DÉVOtTFMENT  S0L£!I19EL 

saré.  Personne  ne  se  persuadait  que  la  France  fran<- 
chu  sans  quelque  nouveau  choc  affreux  ce  redoutable 
passage  de  la  Législative  à  la  Convention.  Ceux  qui, 
pour  se  maintenir,  avaient  saisi  une  fois  le  poignard 
du  2 septembre,  hésiteraient-ils  aie  reprendre?  On 
ne  le  pensait  nullement.  Un  grand  nombre  de  dépu- 
tés croyaient  avoir  très-peu  à  vivre.  La  plupart  pen- 
saient du  moins  qu'un  nouveau  massacre  des  prisons 
était  imminent.  Vei)|^niaud  trouva  dans  cette  attente, 
effrayante  pour  les  cœurs  vulgaires,  une  inspira* 
tion  sublime ,  une  parole  sacrée  que  répéteront  les 
siècles. 

D'autres  ont  usurpé  ce  mot,  qui  n'avaient  pas 
droit  de  le  dire.  Ils  ont  dit,  d'après  Yergniaud: 
«  Périsse  ma  mémoire  pour  le  salut  de  la  France  I  » 
Pour  qu'on  immole  sa  mémoire,  il  faut  d'abord  qu'elle 
soit  pure.  Pure  doit  être  la  victime,  pour  être  accep» 
téedeDieu. 

Yergniaud,  après  avoir  parlé  de  la  tyrannie  de  la 
Commune  et  montré  la  France  perdue  si  cette  royauté 
nouvelle  n'était  renversée  :  «  Ils  ont  des  poignards,  je 
lésais...  Mais,  qu'importe  la  vie  aux  représentants 
du  peuple,  lorsqu'il  s'agit  de  son  salut?..  Quand  Guil- 
laume Tell  Ajusta  la  flèche  pour  abattre  la  pomme 
fatale  sur  la  tête  de  son  fils,  il  dit  :  Périssentmonnom 
et  ma  mémoire,  pourvu  que  la  Suisse  soit  libre!...  Et 
nous  aussi,  nous  dirons:  Périsse  l'Assemblée  nationa* 
le,  pourvu  que  la  France  soit  libre!  Qu'elle  périsse,  si 
elle  épargne  une  tache  au  nom  français!  si  sa  vigueur 
apprend  à  l'Europe  que,  malgré  les  calomnies,  il  y 


M  L'ASSEMBLÉS  (17  SePTEXBRC).  Î2d 

a  ici  quelque  respect  de  rbumaDité  et  quelque  vertu 
publique  !...  Oui,  périssons,  et  sur  nos  cendres,  puis« 
sent  nos  successeurs,  plus  heureux,  assurer  le  bon- 
heur de  la  Franco,  et  îbnder  la  liberté!  » 

Toute  TÀssemblée  se  leva,  tout  le  peuple  des  tri* 
bunes.  Cette  génération  héroïque  se  sacrifia ,  en  ce 
moment,  pour  celles  qui  devaient  venir.  Tous  répé- 
tèrent d*un  seul  cri  :  a  Oui!  oui,  périssons,  s*il  le 
faut...  et  périsse  notre  mémoire  !  » 

Le  peuple  qui  disait  ceci  méritait  de  ne  pas 
périr.  — Et  au  moment  même  il  était  sauvé.  La 
France  gagna ,  trois  jours  après ,  la  bataille  de 
Yalmy. 


ÇHAPiTRÉ  Ylïl 

QA^^AILLE   DE   VALNY. 
SO  septembre  9S. 


Élan  de  U  gaerre. — Mort  héroïque  de  Beaurepaire  (1*^  septembre). ^Of- 
frande» patriotique»;  -^  Admirable  accord  des  pariis.  ^  Dunonriet  soateta 

<  jles  (itroodin^,  des  Jacobins,  <|e  Dâi^too.— pévoqemci|t  vnitBine  tfr  t«ii^.— 
Immoralité  profonde  des  puissances  envaliissantes.  —  Doute  et  incertJtnde 
des  Allemands.— Gœllie  et  Faust.  ~  Indécision  du  duc  deBruosvict. —  Les 
Prussiens  parlent  de  restaurer  le  clergé  et  de  faire  rendre  les  biens  natio- 
naux —  Pureté  héroïque  de  notre  armée  ;  comment  elle  reçoit  les  teptein- 
briseurs. — Dumourics  se  laisse  tourner.— Unanimité  pour  le  soutenir. — État 
formidable  des  campagnes  de  TEsl.  —  Dnmouriei  et  Kellermann  à  Talmy 
(iO  septembre).  —  Fermeté  de  la  Jeune  armée  sous  le  fen.— >  Les  Prussiens 
avancent  deux  fois,  et  se  retirent. 


Lo  grand  orateur  avait  été,  en  ce  moment  sublime, 
le  ponlire  de  la  révolution.  Il  avait  trouvé,  donné  la 
formule  religieuse  du  dévouement  héroïque.  Ainsi , 
('ans  les  vieilles  batailles  de  Rome,  quand  la  victoire 
balançait,  quand  les  légions  chancelaient,  le  pontife, 
en  blancs  habits,  s'avançait  au  front  de  Tarmée,  et 
prononçait  les  paroles  du  rite  sacré  ;  un  homme  se 
présentait,  Décius  ou  Curtius,  qui  répétait  mot  pour 
mot,  et  se  donnait  pour  le  peuple.  Ici,  Vergniaud  fut 
le  pontife  ;  mais  ce  ne  fut  pas  un  homme  qui  répéta 


ÉLAN  DE  LÀ  GOERttÊ  (SBIH'.  M).  tU 

1À  formule,  ce  fui  tout  lé  peuple  même,  là  Franed 
futBécius. 

^  Nen,  ranàrchie  de  Paris  ne  devait  tromper  per- 
Mnne  sur  le  caractère  de  ce  moment.  Cette  mort 
était  une  vie.  L'éloignement  qu'on  reprochait  à  la 
population  pour  les  travaux  intérieurs  tenait  à  son 
élan  de  guerre.  Elle  sentait  très-bien  d'instinct  que 
la  bataille  du  monde  ne  se  livrerait  pas  ici. 

La  défense  est  &  la  main,  et  elle  n'est  pas  au  cœur. 
Préparer  la  défense  h  Paris,  c'est  toujours  le  plus 
triste  augure.  Qu'on  sache  bien  que  le  jour  ob  le  pe- 
sant matérialisme  de  la  royauté  a  fortifié  Paris,  il  l'a 
énervé.  Le  jour  où  vous  le  voudrez  imprenable,  vous 
abattrez  ses  remparts. 

La  défensive  ne  va  pas  à  la  France.  La  France 
n'est  pas  un  bouclier.  La  France  est  une  épée  vi* 
vante.  Elle  se  portait  elle-mèine  à  là  gorge  de  l'en- 
Demi. 

Chaque  jour,  1 ,800  volontaires  partaient  de  Paris, 
et  celajusqu'&  30,000.  Il  y  en  aurait  eu  bien  d'autres, 
si  on  ne  les  eût  retenus.  L'Assemblée  fut  obligée 
d'attacher  k  leurs  ateliers  les  typographes  qui  impri- 
maient ses  séances.  Il  lui  follut  décréter  que  telles 
classes  d'ouvriers,  les  serruriers,  par  exemple,  utiles 
pour  iaire  des  armes ,  ne  devaient  pas  partir  eux- 
mêmes.  I)  ne  serait  plus  resté  personne  pour  en 
foirer. 

Les  églises  présentaient  un  spectacle  extraordinai- 
re, tel  que,  ilepuis  plusieurs  siècles,  elles  n^en  effraient 
-plus.  Elles  avaient  repris  le  caractère  municipal  et 


tSI  ÉLAN  DE  LK  GOEBIIB  (SEPTEMBRE  9Î). 

politique  qu'elles  eurent  au  moyeu -âge.  Les  assem^ 
blées  des  sections  qui  s'y  tenaient  rappelaient  celles 
des  anciennes  communes  de  France^  ou  des  muoici- 
pes  italiens,  qui  s'assemblaient  dans  les  églises.  La 
cloche,  ce  grand  instrument  populaire  dont  le  clergé 
s'est  donné  le  monopole,  était  redevenue  ce  qu'elle 
fut  alors,  la  grande  voix  de  la  cité,  —  l'appel  au 
peuple.  Les  églises  du  moyen-âge  avaient  parfoia 
reçu  les  foires,  les  réunions  commerciales.  En  92, 
elles  offrirent  un  spectacle  analogue  (mais  moins 
mercantile,  plus  touchant),  les  réunions  d'industrie 
patriotique,  qui  travaillaient  pour  le  salut  comaïun. 
On  y  avait  rassemblé  des  milliers  de  femmes  pour 
préparer  les  tentes,  les  habits,  les  équipements  mili- 
taires. Elles  travaillaient,  et  elles  étaient  heureu- 
ses, sentant  que,  dans  ce  travail,  elles  couvraient, 
habillaient  leurs  pères  ou  leurs  fils.  Â  l'entrée  de 
cette  rude  campagne  d^hiver  qui  se  préparait  pour 
tant  d'hommes  jusque-là  fixés  au  foyer,  elles  ré- 
chauffaient d'avance  ce  pauvre  abri  du  soldat  de  leur 
souille  et  de  leur  cœur. 

Près  de  ces  ateliers  de  femmes,  les  églises  même 
offraient  des  scènes  mystérieuses  et  terribles,  de 
nombreuses  exhumations.  Il  avait  été  décidé  qu'on 
emploierait  pour  l'armée  le  cuivre  et  le  plomb  des  cer- 
cueils.—Pourquoi  non?  Et  comment a-t-on  si  cruel- 
lement injurié  les  hommes  de  92,  pour  ce  remuement 
des  tombeaux?  Quoi  donci  La  France  des  vivants, 
si  près  de  périr,  n'avait  pas  droit  de  demander  se- 
cours à  la  France  des  morts,  et  d'en  obtenir  des  ar- 


WOKt  nÈMWt  DE  BEAimEPAlRE.  S5 

mes?  S* il  faut,  pour  juger  un  tel  acte»  savoir  la 
pensée  des  morts  même ,  l'historien  répondra,  sans 
bésiter,  au  nom  de  nos  pères  dont  on  ouvrit  les  tom- 
beaux,  qu*ils  les  auraient  donnés  pour  sauver  leurs 
petits- fils.  —  Âbl  si  les  meilleurs  de  ces  morts 
avaient  été  interrogés,  si  Ton  avait  pu  savoir  là- 
dessus  ravis  d*un  Vauban,  d'un  Colbert,  d'un  Car 
tinat,  d'un  chancelier  l'Hépital,  de  tous  ces  grands 
citoyens,  si  l'on  eût  consulté  l'oracle  de  celle  qui 
mérita  un  tombeau?  non,  un  autel,  la  Pucelle  d'Or* 
léans....  toute  cette  vieille  France  liéroïque  aurait 
répondu  :  «  N'hésitez  pas,  ouvrez,  fouillez,  prenez 
nos  cercueils,  ce  n'est  pas  assez,  nos  ossements. 
Tout  ce  qui  reste  de  nous,  portez-le,  sans  hésiter,  au- 
devant  de  l'ennemi.  » 

Uu  sentiment  tout  semblable  fit  vibrer  la  France 
en  ce  qu'elle  eut  de  plus  profond,  quand  un  cercueil, 
en  eflfet,  la  traversa,  rapporté  de  la  frontière,  celui  de 
Timmortel  Beaurcpaire,  qui,  non  pas  par  des  pa- 
roles, mais  d'un  acte  et  d'un  seul  coup,  lui  dit  ce 
qu'elle  devait  faire  en  sa  grande  circonstance. 

Beaurcpaire,  ancien  officier  des  carabiniers,  avait 
formé,  commandé,  depuis  89,  l'intrépide  bataillon 
des  volontaires  de  Maine-et-Loire.  Au  moment  de 
Vinvasion,  ces  braves  eurent  peur  de  n'arriver  pas 
assez  vite.  Ils  ne  s'amusèrent  pas  à  parler  en  route, 
traversèrent  toute  la  Fnmce  au  pas  de  charge,  et  se 
jetèrent  dans  Verdun.  Us  avaient  un  pressentiment 
qu'au  milieu  des  trahisons  dont  ils  étaient  environ- 
nés, ils  devaient  périr.  Ils  chargèrent  un  député 


S36  ADSmUBtE  ACCORD  DES  PARTIS  (SEPT.  92> 

encore...  II  y  en  aura,  au  bout  de  deux  ans,  pour  sol- 
der nos  douze  armées  •        ^ 

Nul  parti,  il  faut  le  dire,  ne  fut  indigne  de  la 
France  dans  ce  moment  sacré.  Disons  mieux,  s* il  y 
avait  de  violents  dissentiments  sur  la  question  ioté- 
rieurci  sur  la  question  de  la  défense  il  n'y  eut  point 
de  parti.  Le  peuple  fut  admirable,  et  nos  chefs  furent 
admirables. 

Remercions  à-la-fois  la  Gironde,  les  Jacobins  et 
Danton, 

Le  salut  de  la  France  tint  certainement  à  un  acte 
très-beau  d'accord,  d'unanimité,  de  sacri6ce  mutuel, 
que  firent  à  ce  moment  ces  ennemis  acharnés.  Tous, 
ils  s'accordèrent  pour  confier  la  défense  nationale  à 
un  homme  que  la  plupart  d'entre  eux  haitssaient  et 
détestaient. 

Les  Girondins  haïssaient  Dumouriez,  et  non  sans 
cause.  Eux,  ils  l'avaient  fait  arriver  au  ministère;  lui, 
il  les  en  avait  chassés  avec  autant  de  duplicité  que 
d'ingratitude.  Ils  l'allérent  chercher  à  Tarmëe  du 
Nord,  dans  la  petite  position  où  il  était  tombé,  et  le 
nommèrent  général  en  chef. 

Les  Jacobins  n'aimaient  nullement  Dumouriez;  ils 
voyaient  bien  son  double  jeu.  Ils  jugèrent  néanmoins 
que  cet  homme  voudrait,  avant  tout,  la  gloire,  qu'il 
voudrait  vaincre.  Ce  fut  l'avis  d'un  jeune  homme 
très-influent  parmi  eux ,  Couthon ,  ami  de  Robes- 
pierre; ils  approuvèrent  et  soutinrent  sa  nomination 
au  poste  de  général  en  chef. 


DDIIOURIEZ  SOOTEXII  OKS  GIRONBIRS,  DES  JACOBINS,  M  DANTON.  2S7 

Danton  6t  plus.  Il  dirigea  Dumouriez.  II  lui  envoya 
successivement  sa  pensée,  Fabre  d'Ëglantine,  son 
bras  y  Westermann,  Tun  des  combattants  du  10  août. 
Il  Fenveloppa,  ce  spirituel  intrigant  de  l'ancien  ré- 
gime, du  grand  souffle  révolutionnaire,  qui  autrement 
lui  eût  manqué. 

Il  y  eut  ainsi  parfaite  unanimité  sur  le  choix  de 
rhomme.  Et  même  unanimité  pour  concentrer  tou- 
tes les  forces  dans  sa  main. 

On  écarta  ou  Ton  subordonna  les  officiers-gëné* 
faux  qui  pouvaient  prétendre  à  une  part  du  comman- 
dement. On  envoya  le  vieux  Luckner  &  Chàlons  for- 
merdes  recrues.  On  ordonna  a  Dillon,  plus  élevé  que 
Dumouriez  dans  la  hiérarchie  militaire ,  d'obéir  à 
Dumouriez.  Même  oYdre  donné  à  Kellermanu,  qui 
gronda,  mais  obéit.  Toutes  les  forces  de  la  France, 
et  sa  destinée,  furent  remises  à  un  officier  peu  connu, 
et  qui  jusque-là  n'avait  jamais  commandé  en  chef. 
Cest  ainsi  que  le  génie  souverain  de  la  Révolution 
élevait  qui  lui  plaisait.  Pourquoi  devinait-il  si  bien 
les  hommes?  c'est  qu'il  les  faisait  lui-même. 

Celte  fois,  il  fit  un  homme.  Ce  Dumouriez,  qui 
avait  traîné  dans  les  grades  inférieurs,  dans  une  diplo- 
matie qni  touchait  à  l'espionnage,  la  révolution  le 
prend,  l'adopte,  elle  l'élève  au-dessus  de  lui-même, 
et  lui  dit  :  Sois  mon  épée. 

Cet  homme,  éminemment  brave  et  spirituel/ ne 
fut  vraiment  pas  indigne  de  la  circonstance.  Il  montra 
tme  activité,  une  intelligence  extraordinaires;  ses 
Mémoires  en  témoignent.  Ce  qu'on  n'y  voit  point 


83g  DÉYOUEXENT  UNANIHE  DE  TOUS. 

toutefois^  e'est  Tesprit  de  saorifice,  Tardeur  du  dé- 
nouement qu'il  trouva  partout,  et  rendit  sa  tâche 
aisée;  c'est  la  forte  résolution  qui  se  trouva  daqs  tous 
les  cœurs  de  sauver  la  France  à  tout  prix,  en  sacri- 
Qaiit,  non  la  vie  seulement,  non  la  fortune  seulement, 
mais  l'orgueil,  la  vanité,  ce  qu'on  appelle  rbonpeur. 
Un  seul  fait  pour  faire  comprendre.  Le  vaillant  co- 
lonel Leveneur,  qui  s* est  rendu  célèbre  pour  avoir 
pris  (à  lui  seul,  on  peut  le  dire)  la  citadelle  de  Namur, 
avait  eu  le  malheur  de  suivre  Lafayette  dans  sa  fuite. 
Il  se  repentit,  revint.  11  ne  rentra  dans  l'armée  que 
comme  soldat,  et,  sans  murmure,  il  porta  le  sabre 
du  simple  hussard,  jusqu'à  ce  que  de  nouveaux  ser- 
vices lui  eussent  fait  rendre  son  épée. 

L'unité  d'action  était  facile  avec  de  tels  hommes. 
Même  les  bandes  indisciplinées  de  volontaires  qui 
arrivaient  de  Paris,  une  fois  encadrées,  contenues, 
Dumouriez  l'avoue  lui-même,  elles  devenaient  excel- 
lentes, surmontaient  les  fatigues,  les  privations,  mieux 
que  les  anciens  soldats. 

On  voit  bien  dans  ses  Mémoires  tout  ce  qu'il  fit 
pour  l'armée,  mais  pas  assez  comment  celle  armée 
fut  soutenue.  Il  arrive  à  Dumouriez,  comme  à  la  plu-» 
part  des  militaires,  de  ne  pas  tenir  assez  compte  des 
causes  morales  ^  Il  fait  abstraction  du  grand  et  ter* 

^  Cest  le  défaut  trop  ordioaire  des  éerivams  ro'diUDrety  spèdale- 
ment  des  généraux  qui  écriveol  leur  propre  histoire.  Us  font  honneur 
de  tout  succès  à  leurs  calculs ,  oublient  les  hommes  sans  le  dé?oue- 
ment  desquels  ces  cakuls  ne  serTâîent  ^  rien.  -^  Le  plus  grand  est 
le  plus  coupeble.  Napoléon^  dans  ses  Mémotmir  donné  irelèmîeK  U 


IMMORALIT  PMfOKDE  D£9  »ÇIS6AiCfiE8  ENVAHISSANTE^,     Sffia 

rible  effei  que  produisît  sur  l'armée  alteiqaniid  TuqM' 
DÎmité  ide  la  FraDee»  Il  n'a  pas  l'air  de  voir  touse^Bv 
camps  de  gardes  oationsiux  qui  hérissaient  lescollipes 
de  la  Meurthe,  des  Vosges,  de  taut  d'autres  déparle*- 
meots.  11  ne  voit  pas^  du  Rhin  à  la  Marne)  le  paysaUi 
armé  et  debout  sur  son  sjllon.  Mais  l'ennenii  l'a  biça 
vu,  et  voilà  pourquoi  il  a  si  peu  insisté,  si  peu  com- 
battu, si  peu  profité  des  fautes  de  Dumouriez. 

Voilà  le  secret  de  toute  cette  campagne.  Il  ne  faut 
pasl0  chercher  exclusivement  dans  les  opérations  mi- 
litaires* Ici,  parmi  un  désordre  immense^  mais  tout 
extérieur,  il  y  avait  une* profonde  unité  de  passion  et 
^e  volonté*  Et  du  côté  des  allemands,  avec  toutes  les^ 
apparences  de  Tordre  et  de  la  discipline,  il  y  avait 
division,  hésitation,  incertitude  absolue  sur  les  moyens, 
et  le  but. 

.  Pour  juger  le  commencement  de  la  guerre,  il  faut 
en  voir  déjà  la  fin.  Il  faut,  pour  mesurer  la  juste  part 
d'estime  que  l'on  doit  à  ces  Croisés  qui  lèvent  ici  I9. 
bannière  contre  la  Révolution,  il  faut,  dis-je,  savoir  à 
quel  prix  ils  s'arrangeront  avec  elle  dans  quelques; 
aBoëesd'ici.  Après  tant  de  phrases  sonores  sur  le  droit 
et  la  justice,  les  chevaliers  s'avoueront  pour  ce  qu'ils 
soDt,  des  voleurs.  La  Prusse  volera  sur  le  Rbin^  et 

thiffre  des  hommes,  nullement  ta  qualité ,  le  personnel  liierveîHeux  ', 
•nîqne,  iavtnctble,  dont  il  disposait.  H  a  Tair  d^ignorer  TiiifiifHible  épêé 
({uesa  Bière,  la  Révolution,  loi  avait  léguée  «n  mourant.  «  J*ayais  tsn> 
d'bommes,  tant  sont  morts,  »  voilà  toute  Toraison  funèbre.  Quoi  !  c'esl 
1^  tout,  grand  Empereur?...  Pas  un  mot  du  cœur,  pour  tant  die  cœurs 
HéroTqnes,  qui  ne  vous  distinguaient  plus  de  la  patrie,  et  mouraient 


SIO      IVNORALIIÉ  DBS  PUISSANCES  ENVAHISSANTES  (SEPT.  9t). 

rAutriche  en  Italie.  L'une  et  l'autre,  n'ayant  pu  rien 
gagner  sur  Tennemi,  gagneront  sur  leursamis.  Chose 
prodigieuse  !  On  les  verra  tendre  la  main  à  la  France, 
et  se  faire  donner  par  elle  (une  ennemie  victorieuse), 
donner  leurs  propres  amis,  et  dire  à  peu  prés  ceci  : 
«  Je  n'ai  pu  prendre  ta  vie.  Donne-moi  la  vie  de  mon 
frère,  o  —  La  Prusse  ainshdévorera  les  petits  princes 
allemands,  et  l'Aulriche  absorbera  sa  fidèle  alliée, 
Venise. 

Tout  cela  se  verra  bientôt.  Mais,  sans  attendre  si 
loin,  dans  l'année  même  où  nous  sommes,  en  92, 
comment  voir  sans  horreur  la  scène  qui  se  passait 
dans  le  Nord?...  Quant  à  moi,  je  ne  demande  pas 
d'humanité  k  l'ours  blanc  de  Russie,  pas  davantage, 
aux  vautours  de  l'Allemagne.  Qu'elle  soit  mangée, 
celte  Pologne,  d'accord,  je  ne  m'en  étonnerai  pas. 
Mais  que  ces  bètes  sauvages  aient  pu  prendre  des  fa- 
ces d'hommes,  des  voix  douces,  des  langues  mielleu* 
ses,  cela  trouble,  cela  glace...  Qu'avait  besoin  cette 
Prusse  de  s'engager,  de  promettre,  de  pousser  la  Po- 
logne à  la  liberté?  Quoi  I  misérable,  pour  que,  jetée 
sous  la  dent  de  l'ours,  elle  le  donnât  Thorn  et  Dant- 
zig?.«.  Et  quelle  chose  eifroyable  aussi  de  voir  la 
Russie  elle-même  attester  la  liberté!  se  plaindre  de 
ce  que  la  Pologne  n*est  pas  assez  libre!  puis,  mêlant 
la  dérision  à  l'exécrable  hypocrisie,  accuser  tantôt  sa 
victime  d'être  royaliste,  tantôt  d'être  jacobine!... 
Enfin,  ces  honnêtes  gens  vont  dire  en  93  que,  dans 
leur  sollicitude  pour  cette  pauvre  Pologne,  et  de  peur 
qu'elle  ne  se  fasse  du  mal  à  elle-même^  ils  croient  de 


DOUTE  CT  fxcfintrroDE  des  allemands.  241 

son  intérêt  qu'elle  soit  resserrée,  encore  plus ,  en  cer-- 
laines  limites. 

Cest  en  France  que  la  Prusse  et  l'Autriche  de- 
vaient trouver  leur  expiation.  Ils  entrent  en  conquè- 
rantSy  et  ils  s'en  vont  en  voleurs,  sans  guerre  sé- 
rieuse, ni  combat.  Quelques  volées  de  boulets,  et  les 
huées  de  nos  femmes,  voilà  ce  qu'il  en  a  coûté. — 
Le  fameux  duc  de  Brunswick  s'en  va,  sans  se 
retourner... 

Dieu  nous  garde  d'insulter  la  Prusse  du  grand  Fré- 
déric! ni  ces  excellents  soldats  qu'on  amenait  à  la 
mort!...  La  mauvaise  conscience  de  leurs  chefs, 
rhésitation  naturelle  au  politique  immoral  qui  suit 
rintérèl  jour  par  jour,  voilà  ce  qui  perdit  ces  pau- 
vres Allemands,  et  les  rendit  ridicules.  Disons-le 
aussi,  leur  bonhomie  excessive,  leur  douceur,  leur 
patience  à  suivre  leurs  indignes  rois. 

Les  deux  voleurs,  le  prussien  et  l'autrichien,  n'a-* 
gissaient  nullement  d'accord.  Le  prussien,  sollicité 
dés  longtemps  de  traiter  à  part,  était  par  cela  même 
suspect  à  son  camarade.  L'autrichien,  qui  se  portait 
comme  parent  de  la  reine  de  France,  n'en  avait  pas 
moins  la  pensée  secrète  de  faire  son  petit  vol  à  part, 
de  se  garnir  les  mains,  vers  l'Alsace  ou  les  Pays-Bas, 
de  profiter  de  la  misère  de  Louis  XVI  qu'il  venait  dé- 
livrer, pour  le  dépouiller  lui-même. 

Avec  ces  bonnes  pensées  et  ces  vues  secrètes,  ils 
se  gardèrent  bien  de  donner  à  Monsieur  le  titre  de 
régent  de  France,  qui  eût  groupé  autour  de  lui  tous 
les  royalistes,  donné  une  énergie  nouvelle  à  l'armée 

IV. 


ut  COETBË  ET  PAOST  (SEt>T.  M). 

des  émigrés.  Ils  ne  voulaient  nullement  réussir  par 
les  Français,  lis  voulaient  avoir  du  succès,  et  crai- 
gnaient d'en  avoir  Irop.  Ils  voulaient,  ne  voulaient 
pas. 

S*il  se  trouvait  dans  l'armée  des  émigrés  quelque 
ofBcier  intelligent,  intrépide,  comme  M.  de  Bouille, 
on  se  garda  de  remployer  ;  on  le  tint  sur  les  der- 
rières, on  le  laissa  traîner  au  blocus  de  Tbionville, 
on  l'envoya  sur  le  Rhin,  en  Suisse,  partout  enfin  où 
il  était  inutile. 

U  est  intéressant  de  voir  cette  armée  de  la  contre* 
révolution  s'acheminer  pesamment  par  Coblentz  et 
Trêves;  belle  armée,  du  reste,  bien  organisée,  riche, 
surchargée  d'équipages  magnifiques,  d'un  train  royal, 
et  du  train  de  je  ne  sais  combien  de  princes.  Bruns* 
wick,  le  général  en  chef,  avait  dit  :  «  C'est  une  pro- 
menade militaire.  »  Le  roi  de  Prusse  avait  quitté  ses 
maltresses  pour  venir  à  la  promenade.  Sa  présence, 
la  conservation  de  sa  précieuse  personne,  eût  rendu 
prudent  Brunswick,  quand  même  il  ne  l'eût  pas  été. 
L* essentiel  n'était  pas  de  vaincre  ;  le  capital  intérêt 
était  de  ne  pas  trop  exposer  le  roi  do  Prusse,  de  le 
ramener  sain  et  sauf.  C'est  la  pensée  que  le  sage 
Brunswick  dut  incessamment  ruminer,  et  c'est  à  quoi 
se  borna  le  succès  de  l'expédition. 

Brunswick  était  déjà  un  homme  d'ige  ;  il  était  lui- 
même  prince  souverain  ;  c'était  un  homme  prodigieu- 
sement instruit,  d'autant  plus  hésitant,  sceptique. 
Qui  sait  beaucoup  doute  beaucoup.  La  seule  chose 
à  laquelle  il  crût,  c'était  le  plaisir.  Mais  le  plaisir, 


INOÊGt$tON  DO  DCH:  DB  BftUNSWiCtC.  tiS 

coQtinué  au-delà  de  l'à^e,  énerve  oon-seulement  le 
corps,  mais  la  faculté  de  vouloir.  Le  duc  était  resté 
brave,  savant,  spirituel,  pleiu  d'idées  et  d'expérience; 
il  n'avait  perdu  qu'une  chose,  par  quoi  il  était  eu-^ 
nuque;  quelle  chose?  la  volonté. 

Dans  cette  armée  de  rois,  de  princes,  il  y  avait 
entre  autres  un  prince  souverain,  le  duc  deWeimar, 
et  avec  lui,  son  ami,  le  prince  de  la  pensée  alle« 
mande,  nous  l'avons  dit,  le  célèbre  Gœthe.  Il  était 
venu  voir  la  guerre,  et  chemin  faisant»  au  fond  d'un 
fourgon,  il  écrivait  les  premiers  fragments  du  Faust, 
qu'il  publia  au  retour.  Ce  courtisan  assidu  de  Topi- 
Dion,  qui  Texprima  Qdèlement,  ne  la  devança  jamais,, 
disait  alors,  à  sa  manière,  la  décomposition,  le  doute, 
le  découragement  de  l'Allemagne.  Il  hii  poétisait, 
dans  une  oeuvre  sublime,  son  vide  moral,  sa  vaine 
agitation  d'esprit.  Elle  en  sortit  glorieusement  par  des 
hommes  de  foi,  par  Schiller,  par  Fichtc,  surtout  par 
Beethoven.  Mais  le  temps  n'était  pas  venu. 

Nulle  idée,  nul  principe,  ne  dominait  cette  armée. 
Elle  avançait  lentement,  comme  il  était  naturel, 
n'ayant  nulle  raison  d'avancer.  Les  émigrés  étaient 
là,  priant,  suppliant,  se  mourant  d'impatience. 
Brunswick  songeait.  Il  pouvait  prendre  ce  parti,  il 
est  vrai;  mais  cet  autre  parti  valait  bien  autant,  à 
moinsquG  le  troisième  ne  fût  meilleur  encore.  Enfin, 
quand  on  s'était  décidé,  à  la  longue,  à  faire  quelque 
chose,  l'exécution  commençait  lentement  par  le  sage 
prussien  Hohenlohe,  ou  l'autrichien  plus  sage  encore, 
Clairfayt.  Il  faut  se  rappeler  qu'il  n'y  avait  pas  eu  de 


M        LES  PnOSSiENS  PARLENT  DE  RESTAUBER  LE  CLERGÉ, 

guerre  depuis  trente  ans.  La  guerre  à  coups  de  foudre 
du  grand  Frédéric  était  un  peu  oubliée.  Ia  sage  lac- 
tique des  généraux  autrichiens  était  Tort  appréciée. 
Qu'avait-on  besoin  d'aller  si  vite,  si  Ton  pouvait,  sans 
remuer  presque,  atteindre  les  meilleurs  résultats? 

a  Ne  faut-il  pas  d'ailleurs,  disait  le  duc  de  Bruns- 
wick à  nos  fougueux  émigrés,  que  je  laisse  un  peu  de 
temps  &  ces  royalistes  dont  vous  me  promettez  les 
secours^  pour  se  décider  et  se  mettre  en  mouvement? 
Elles  vont  sans  doute  arriver,  les  députations  d^un 
peuple  heureux  d'élre  délivré,  qui  viendra  sa- 
hier,  nourrir  ses  libérateurs.  Je  ne  les  vois  pas 
encore.  » 

Et  bien  loin  qu'il  pût  les  voir,  le  paysan,  sur  toute 
la  ligne,  restait  sournoisement  immobile,  cachait, 
serrait  ses  grains,  les  battait  à  la  hâte  et  les  empor- 
tait. Les  Allemands  s'étonnaient  de  trouver  si  peu  de 
ressource.  Ils  prirent  Longwy  et  Verdun,  comme  on 
a  vu,  mais  par  la  trahison  de  quelques  officiers  roya- 
listes, par  l'effroi  de  quelques  boui^eois  qui  crai- 
gnirent le  bombardement.  Deux  accidents,  rien  de 
plus.  Les  soldats  des  garnisons,  les  volontaires  des 
Ardennes,  ceux  de  Maine-et-Loire,  forcés  ainsi  de  se 
rendre,  montrèrent  la  plus  violente  indignation.  J'ai 
dit  la  mort  de  Beaurepaire.  Le  jeune  officier  qu'on 
força  de  porter  au  roi  de  Prusse  la  capitulation  de 
Verdun  n'obéit  qu'en  donnant  les  signes  d'un  vérita- 
ble désespoir,  son  visage  était  inondé  de  larmes.  Le 
roi  demanda  le  nom  du  jeune  homme ,  qui  était 
Marceau. 


ET  DE  FAIRE  REKOAE  LES  BIENS  KATIOKAUX.  US 

Méziëresy  Sedan,  Thionville,  montraient  bonne 
volonté  de  tenir  mieux  que  Verdun.  On  assi^ea 
Thionville,  et  avec  des  Torces  considérables  (les 
assiégeants  reçurent  une  fois  un  renfort  de  douze 
mille  hommes).  Le  général  français, -'Wimpfen,  qui 
était  dedans,  montra  beaucoup  de  vigueur;  sa  défense 
était  offensive  :  h  chaque  instant,  il  allait,  par  des 
sorties  audacieuses,  faire  visite  à  Fennemi. 

Brunswick,  entré  dans  Verdun,  s'y  trouva  si  com* 
modément  qu'il  y  resta  une  semaine.  Là,  déjà,  les 
émigrés  qui  entouraient  le  roi  de  Prusse  commen- 
cèrent à  lui  rappeler  les  promesses  qu'il  avait  faites. 
Ce  prince  avait  dit,  au  départ,  ces  étranges  paroles 
(Hardenberg  les  entendit)  :  Qu'il  ne  se  mêlerait  pas 
du  gouvernement  de  la  France,  que  seulement  il 
rendrait  au  Roi  Tautorité  absolue.  Rendre  au  Roi  la 
royauté^  les  prêtres  aux  églises j  les  propriétés  aux  pr(h> 
priéiaires,  c'était  toute  son  ambition.  Et  pour  ces 
bienfaits,  que  demandait-il  à  la  France?  Nulle  cession 
de  territoire,  rien  que  les  frais  d'une  guerre  entre- 
prise pour  la  sauver. 

Ce  petit  mot  rendre  les  propriétés  contenait  beau- 
coup. Le  grand  propriétaire  était  le  clei^é;  il  s'a- 
gissait de  lui  restituer  un  bien  de  quatre  milliards, 
d'annuler  les  ventes  qui  s'en  étaient  faites  pour  un 
milliard  dès  janvier  92,. et  qui  depuis,  eu  neuf 
mois,  s'étaient  énormément  accrues.  Que  devenaient 
une  infinité  de  conlrate  dont  cette  opération  im- 
mense avait  été  l'occasion  directe  ou  indirecte?  Ce 
n'étaient  pas  seulement  les  acquéreurs  qui  étaient 


iÛ(         LES  PRUSSIBNS  PARLENT  DB  RESTAURER  LE  CLERGÉ. 

lèsés^  mais  ceux  qui  leur  prêtaient  de  Vargent,  mais 
les  sous-acquéreurs  auxquels  déjà  ils  avaient  veiidu, 
une  foule  d'autres  personnes,.,,.  Un  grand  peuple, 
et  Térilablement  attaché  à  la  Révolution  par  un  ia- 
tèrêt  respectable.  Ces  propriétés  détournées  depuis 
plusieurs  siècles  du  but  des  pieux  Tondateurs,  la  Ré- 
volution les  avait  rappelées  à  leur  destination  véri- 
table, la  vie  et  Tenlretien  du  pauvre.  Elles  avaient 
passé  de  la  main  morte  à  la  vivante^  des  paresseux 
aux  travailleurs,  des  abbés  libeftius,  des  chanoines 
ventrus,  des  évoques  fastueux,  à  Thonnête  labou- 
reur. Une  France  nouvelle  s'était  faite  dans  ce  court 
espace  de  temps.  Et  ces  ignorants  qui  amenaient 
rétranger  ne  s'en  doutaient  pas.  Ni  les  deux  agents 
de  Monsieur,  ni  M.  de  Caraman,  secret  agent  de 
Louis  XVI,  qui  étaient  auprès  du  roi  de  Prusse,  ne 
l'avertirent  du  danger  qu'il  y  avait  à  toucher  un 
point  si  grave. 

Il  élait  àpeine  à  Verdun,  qu'il  ordonna  (ou  qu'on 
ordonna  en  son  nom)  aux  officiers  municipaux  de 
tous  les  villages  de  chasser  les  prêtres  constitution- 
nels, de  rétablir  ceux  qui  n'avaient  pas  fait  serment, 
et  de  leur  rendre  les  registres  de  l'état-civil,  enfin,  de 
restituer  aux  religieux  ce  qui  leur  appartenait.  II  en 
fut  de  même  sur  la  frontière  du  Nord.  Dans  tons  les 
villages  de  la  Flandre  française  où  pénétraient  mo- 
mentanément les  Autrichiens,  leur  premier  soin 
était  de  rétablir  les  prêtres  qui  n'avaient  pas  fait 
serment. 

Si  Danton ,  si  Dumouriez ,  avaient  eu  l'honneur 


ET  DE  PAIRE  RENDRE  LES  BIENS  NATIONAUX  (SEPT).  247 

ë'ètre  admis  au  cooseil  du  roi  de  Prusse,  ils  auraient 
sans  aucun  doute  conseillé  de  telles  mesures. 

A  ces  mots  significatifs  de  restauration  des  prêtres, 
de  restitution,  etc.,  le  paysan  dressa  l'oreille,  et  com<- 
prit  que  c'était  toute  la  contre-révolution  qui  entrait 
en  France»  qu'une  mutation  immense  et  des  choses 
et  des  personnes  allait  arriver. 

Tous  n'avaient  pas  de  fusils,  mais  ceux  qui  en 
eurent  eu  prirent.  Qui  avait  une  fourche  prit  la 
Tourche;  et  qui  une  faulx,  une  faulx. 

Un  phénomène  eut  lieu  sur  la  terre  de  France. 
Elle  parut  changée  tout4i-coup  au  passage  de  l'étran- 
ger. Elle  devint  un  désert.  Les  grains  disparurent, 
et  comme  si  un  tourbillon  les  eût  emportés,  ils  s'en 
allèrent  à  l'ouest.  Il  ne  resta  sur  la  roule  qu'une 
chose  pour  l'ennemi,  les  raisins  verts,  la  maladie  et 
la  mort. 

Le  ciel  était  d'intelligence.  Une  pluie  constante, 
inraligable,  tombait  sur  les  Prussiens,  les  mouillait  à 
fond,  les  suivait  fidèlement,  leur  préparait  la  voie. 
Hs  trouvèrent  déjà  des  boues  en  Lorraine;  vers  Metz 
et  Verdun  la  terre  commençait  à  se  détremper;  et 
enfin  la  Champagne  leur  apparut  une  vêrrlable  fon- 
drière, où  le  pied,  enfonçant  dans  un  profond  mortier 
de  craie,  semblait  partout  pris  au  piège. 

Les  souffrances  étaient  à  peu  près  les  mêmes  dans 
lesdeuxarmées«Lap1uie,etpeu  de  subsistance,  mau- 
vais pain ,  mauvaise  bière.  Mais  la  différence  était 
grande  dans  la  disposition  morale.  Le  Français  chan- 
tait, et  il  avait  du  vin  au  cœur  ;  dans  l'avoine  ou 


348  PURETÉ  Héroïque  de  notre  armée. 

le  blé  Doir  il  savourait  joyeusement  le  pain  de  la 

liberté. 

Ce  hardi  gascon  aussi  %  qui  le  menait  au  combat, 
avait  dans  l'œil  et  la  parole  une  étincelle  du  Midi  qui 
brillait  dans  ce  temps  sombre.  Le  regard  de  Dumou- 
riez  réchauffait  les  cœurs.  On  savait  que,  hussard  à 
vingt  ans,  il  s* était  fait  tailler  en  pièces;  eh  bien!  il 
en  avait  cinquante,  et  il  ne  s'en  portait  que  mieux..* 
Le  général  était  gai,  et  l'armée  l'était.  Le  corps  qu'il 
avait  commandé  du  côté  des  Flandres,  et  qui  vint  le 
retrouver,  très-hardi ,  très -aguerri ,  n'avait  guère 
passé  de  jours,  dans  ses  premiers  campements,  sans 
donner  des  bals,  et  souvent  on  les  donnait  sur  )e  ter- 
rain ennemi.  Au  bal  et  à  la  bataille,  figuraient  en  pre- 
mière ligne  deux  jeunes  et  jolis  hussards,  qui  n'é- 
taient rien  moins  que  deux  demoiselles,  deux  sœurs, 
parfaitement  sages,  si  la  chronique  en  est  crue. 

Cette  armée  était  très-pure  des  excès  de  l'intérieur. 
Elle  les  apprit  avec  horreur,  et  donna  une  violente 
leçon  à  la  populace  armée,  qu'on  lui  envoya  de  Chà- 
Ions.  C'était  une  tourbe  de  volontaires,  moitié  fana- 
tiques et  moitié  brigands,  qui ,  sur  la  lecture  de  la 
circulaire  de  Marat,  l'avaient  appliquée  àl'instant,  en 
tuant  plusieurs  personnes.  Ils  arrivaient,  aboyant 
après  Dumouriez,  criant  au  traître,  demandant  sa 
tête.  Ils  furent  tout  étonnés  du  vide  immense  qui  se 
fit  autour  d'eux.  Personne  ne  leur  parla.  Le  lende- 
main, revue  du  général.  lisse  voient  entre  une  cava- 

^  Gascon  de  caracière,  Provençal  d*origine,  né  en  Picardie. 


COMMENT  ELLE  REÇOIT  LES  SEPTEMBRISEURS.  249 

lerie,  très-nombreuse  et  très-hostile,  prête  à  les  sa* 
brer,  d'autre  part  une  artillerie  menaçante,  qui  les 
eût  foudroyés  au  moindre  signe.  Dumouriez  vient 
alors  à  eux,  avec  ses  hussards,  et  leur  dit:  «Vous 
vous  êtes  déshonorés.  Il  y  a  parmi  vous  des  scélérats 
qui  vous  poussent  au  crime;  chassez-les  vous-mêmes. 
A  la  première  mutinerie,  je  vous  ferai  tailler  en  piè- 
ces. Je  ne  souffre  ici  ni  assassins,  ni  bourreaux...  Si 
vous  devenez  comme  ceux  parmi  lesquels  vous  avez 
rbonneur  d'être  admis,  vous  trouverez  en  moi  un 
père.  » 

Ils  ne  soufQèrent  mot,  et  devinrent  de  très-bons 
soldats.  Ils  prirent  l'esprit  général  de  l'armée.  Celte 
armée  était  magnanime,  vraiment  héroïque,  de  cou- 
rage et  d^humanité.  On  put  l'observer,  plus  tard, 
dans  la  retraite  des  Prussiens.  Quand  les  Français 
les  virent  affamés,  malades,  livides,  se  traînant  à 
peine,  ils  les  regardaient  en  pitié,  et  ils  les  lais- 
saient passer.  Tous  ceux  qui  venaient  se  rendre 
voyaient  le  camp  français  converti  en  hôpital  aile- 
loand,  et  trouvaient  dans  leurs  ennemis  des  gardes- 
malades  ^• 

^  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  Les  Français  ont  soigné,  nourri 
leurs  ennemis.  Cela  se  vit  à  la  prise  de  La  Rochelle  (4627),  et  bien 
^ci^onement  dans  les  guerres  espagnoles  du  XIV"  siècle.  Un  Anglais 
leor  rend  ce  témoignage:  «  Lorsque  le  duc  deLancastre  envahit  la  Cas- 
^le,  et  que  ses  soldaU  mouraient  de  faim,  ils  demandèrent  un  sauf* 
conduit,  et  passèrent  dans  le  camp  des  Castillans,  oii  il  y  avait  beaucoup 
de  Français  auxiliaires.  Ceuv-ci  furent  touchés  de  la  misère  des  An* 
glais,  ils  les  traitèrent  avec  humanité  et  ik  les  nourrirent  de  leurs  pro- 
pres vivres  {De  tui$  victualibM  refecerunt  »,  Walsinghara,  p.  342). 


ItSO  HABILEtÉ  DE  DUXOURIEZ,  QUI  POURTANT 

L'armée  française,  d'abord  très-faible,  était,  en  ré- 
compense^ bien  autrement  leste  et  mobile  que  celle 
des  Prussiens.  Il  s'agissait  d'eu  réunir  les  corps  dis- 
persés. C'est  ce  que  Dumouriez  accomplit  avec  un 
coup-d'œil,  une  audace,  une  vivacité  admirables,  sai- 
sissant tous  les  défilés  de  laforêtdel'Argonne,  en  pré- 
sence de  l'ennemi.  L'Autrichien,  ayant  passé  la  Meuse, 
touchait  dèjk  la  forêt;  il  était  parraitement  matlre  de 
l'interdire  à  Dumouriez.  Celui-ci,  par  une  fausse  at- 
taque, lui  fit  repasser  la  Meuse,  lui  escamota,  pour 
ainsi  dire,  la  position  disputée,  occupa  les  défilés  à  la 
barbe  de  rAutrichien  ébahi  (7  septembre). 

Lui  seul,  il  l'assure,  soutint,  contre  tous,  qu'il  fallait 
défendre  cette  ligne  de  l'Argonne,  qui  sépare  le  riche 
pays  de  Metz,  Toul  et  Verdun,  de  la  Champagne 
Pouilleuse.  On  insistait  en  vain  pour  qu'il  se  retirât 
vers  Châlous  et  qu'il  défendit  la  ligne  de  la  Marne. 
11  put  mépriser  les  murmures;  tout  autre  général 
eût  été  forcé  d'y  céder.  Mais  Dumouriez  avait  pour 
lui^  près  de  lui ,  pendant  la  campagne,  pour  répon- 
dre de  lui  et  le  soutenir,  Westermann,  c'est-à-dire 
Danton. 

Il  eut  seulement  le  tort  d'écrire  à  Paris  :  «  Que 
l'Argonne  serait  lesThermopylesde  la  France,  qu'il  les 
défendrait^  et  serait  plus  heureux  que  Léonidas.»  Le 
Léonidas  français  faillit  périr  comme  l'autre.  Il  avoue 
lui-même,  avec  une  franchise  qui  n'appartientqu'aux 
hommes  supérieurs,  qu'il  garda  mal  un  des  passages 
de  l'Argonne  et  qu'il  se  laissa  tourner  (13  sept.). 

Deux  de  ses  lieutenants  étaient  en  pleine  retraite, 


SB  LAISSE  TOURNER  ;  UNANIMITÉ  POUR  LE  SOUTENIR.        251 

et  il  ne  savait  plus  même  où  ils  étaient.  Il  se  vit  un 
moment  réduit  à  quinze  mille  hommes,  perdu  sans 
ressources,  si  les  Autrichiens  qui  avaient  forcé  les  déÛ- 
iés,  proBtaient  de  leurs  avantages.  Ils  perdirent  encore 
du  temps.  Au  milieu  d'une  nuit  pluvieuse,  Dumoii- 
riez,  à  petit  bruit,  exécuta  sa  retraite,  et  il  fut  suivi 
si  lentement  qu'il  put  et  réunir  ses  troupes,  et  faire 
venir  de  Rethel  Beurnonville  avec  dix  mille  hommes. 
Cette  retraite  fut  troublée  deux  fois  par  dMnexplica- 
bles  paniques,  où  l&OO  hussards  autrichiens,  traînant 
après  eux  quelque  artillerie  volante,  dissipèrent  des 
corps  six  fois  plus  considérables.  Le  pis,  c'est  que 
deux  mille  hommes,  courant  trente  ou  quarante  lieues, 
allaient  publiant  partout  que  Tarmée  était  anéantie. 
Le  bruit  alla  jusqu'à  Paris,  H  l'on  eut  une  vive  alar- 
me, jusqu'à  ce  que  Dumouriez  lui-même  écrivit  la 
chose,  exactement  comme  elle  était,  à  l'Assemblée 
nàlionîile.  L'Assemblée,  et  les  ministres,  tous  ici  fu- 
rent admirables.  Malgré  ce  double  accident,  les  mi- 
nistres girondins,  d'une  part,  et  Danton  de  l'autre, 
soutinrent  unanimement  Dumouriez.  L'opinion  resta 
énergique  et  ferme  pour  le  général  en  retraite.  Du- 
mouriez tourné,  l'armée  poursuivie,  s'arrêtèrent, 
portés  sur  le  cœiir  invincible  de  la  France. 

11  occupa  le  17  septembre  le  camp  de  Saiiile-Me- 
ûehould,  et  devant  lui,  les  Prussiens  vinrent  occuper 
les  collines  opposées,  ce  qu'on  appela  le  camp  de  la 
Lune.  Ils  étaient  plus  près  de  Paris,  lui,  plus  près  de" 
l'Allemagne.  Lequel  des  deux  tenait  l'autre?  on  pou- 
vait controverser.  «Nous l'isolons  de  Paris,  disaient 


252  ÉTAT  FORMIDABLE  DES  CAMPAGNES  DE  L*EST. 

les  Prussiens.»  En  réalité,  leur  situation  était  ti-ës- 
mauvaise.  Leur  lourdearmée  encombrée  ne  pouvait 
pas  aisément  poursuivre  sa  route,  devant  une  armée 
leste»  ardente,  qui  la  serrait  de  près  en  queue.  Elle 
ne  pouvait  pas  se  nourrir;  ses  convois  ne  lui  venaient 
que  du  fond  de  TAllemagne,  et  restaient  en  route. 
La  terre  de  France  la  rejetait,  ne  lui  donuait  rien 
pour  vivre  que  la  terre  même.  Â  eux  de  manger  cette 
terre,  de  voir  quel  parti  ils  pourraient  tirer  de  la  craie. 
Leur  armée,  avec  tous  ses  équipages  royaux,  n'en 
était  pas  moins  désormais  comme  une  procession 
lugubre  qui  laissait  des  hommes  sur  tous  les  chemins. 
Le  découragement  était  extrême.  Ils  se  voyaient  en- 
gagés dans  cette  boueuse  Champagne,  sous  une  im- 
placable pluie,  tristes  limaces  qui  traînaient,  sans 
avancer  presque,  entre  l'eau  et  Teau. 

Dumouriez,  rejoint,  le  19,  par  Kellermanu,  se 
trouva  fort  de  soixante- seize  mille  hommes,  plus 
nombreux  que  les  Prussiens,  qui  n'en  avaient  que 
soixante-dix  mille,  Ceux-ci,  enfoncés  en  France, 
ayant  laissé  de  côté  Thion  ville  et  d'autres  places , 
apprenaient  qu'au  moment  même  une  armée  fran- 
çaise était  en  pleine  Allemagne.  Custine  marchait 
vers  Spire,  qu'il  prit  d'assaut  le  19.  On  l'appelait  à 
Mayence,  à  Francfort.  Une  Allemagne  révolution- 
naire^  une  France,  pour  ainsi  dire,  se  dressait  inopi- 
nément pour  donner  la  main  à  la  France,  de  l'autre 
côté  du  Rhin. 

Ici,  la  population  courait  au  combat  d'un  tel  élan, 
que  l'autorité  commençait  à  s'en  effrayer  et  la  rete* 


DUVOUftIEZ  ET  KELLERMANN  A  VALMY  (^  SEt>T  •i).         25S 

nait  en  arrière.  Des  masses  confuses,  à-peu  près  sans 
armes,  se  précipitaient  vers  un  même  poiut;  on  ne 
savait  comment  les  loger,  ni  les  nourrir.  Dans  TEst, 
spécialement  en  lorraine,  les  collines,  tous  les  postes 
dominants,  étaient  devenus  autant  de  camps  grossiè- 
rement fortifiés  d'arbres  abattus,  à  la  manière  de  nos 
vieux  camps  du  temps  de  César.  Vercingétorix  se 
serait  cru,  à  cette  vue,  en  pleine  Gaule.  Les  Alle- 
mands avaient  Tort  à  songer,  quand  ils  dépassaient, 
laissaient  derrière  eux  ces  camps  populaires.  Quel 
serait  pour  eux  le  retour?  Qu'aurait  été  une  déroute 
à  travers  ces  masses  hostiles,  qui  de  toutes  parts, 
comme  les  eaux,  dans  une  grande  fonte  de  neige, 

seraient  descendues  sur  eux? Ils  devaient  s* en 

apercevoir  :  ce  n'était  pas  à  une  armée  qu'ils  avaient 
affaire,  mais  bien  à  la  France.  Ce  corps  de  soixante- 
dix  mille  Allemands,  qu'était-ce  en  comparaison?  Il 
se  perdait  comme  une  mouche^  dans  cet  effroyable 
océan  de  populations  armées  '. 

Telles  étaient  leurs  pensées,  sérieuses  en  vérité, 
lorsqu'ils  virent  s'accomplir,  sans  avoir  pu  l'empê- 
cher, la  jonction  de  Dumouriez  et  de  Kellermann. 
Celui-ci ,  vieux  soudart  alsacien  de  la  guerre  de  sept 


*  Damoarîez  méoage  habîleroent  son  coup  de  théAlre,  supprime  les 
grandes  causes  du  succès,  fait  ressortir,  exagère  les  plus  petits  obsta- 
cles, par  exemple  quelques  gentilshomme»  verriers,  ou  partisans  de 
Condé,  qui  se  trouvaient  dans  la  forât  de  rArgonne.--D*autre  part,  les 
Mémoires  d'un  homme  d'Etat,  écrits  pour  la  Prusse  par  le  libraire 
Schœll  sur  les  notes  de  Hardeubeig,  n'oublient  rien  pour  embiouiiler 
ici  les  closes^  et  sauver  Tbonneur  prussien. 


iSl  BATAILLE  DE  VALUT  (20  SfirTEMBftE  tt). 

ans,  fort  jaloux  de  Dumouriez/ n'avait  nullement 
suivi  ses  directions.  Il  s'était  un  peu  éloigné  de  lui. 
Dans  la  vallée  qui  séparait  les  deux  camps,  le  fran- 
çais et  le  prussien,  il  s'était  posté  en  avant  sur  une 
espèce  de  promontoire,  de  mamelon  avancé,  où  était 
le  moulin  de  Valmy.  Ponne  position  pour  le  combat, 
détestable  pour  la  retraite.  Kellermann  n'eût  pu  re- 
tourner qu*en  faisant  passer  son  armée  sur  un  seul 
pont  avec  le  plus  grand  péril.  Il  ne  pouvait  se  replier 
sur  la  droite  de  Dumouriez  qu'en  traversant  un  ma- 
rais où  il  se  fût  enfoncé;  encore  moins  sur  la  gauche 
de  Dumouriez^  dont  il  était  séparé  par  d' autres  marais 
et  par  une  vallée  profonde.  Donc,  nulle  retraite  fa- 
cile ;  mais ,  pour  le  combat,  la  position  était  d'autant 
plus  belle  et  hardie.  Les  Prussiens  ne  pouvaient  ar-* 
river  à  Kellermann  qu'en  recevant  dans  le  flanc 
tous  les  feux  de  Dumouriez.  Un  beau  lieu  pour  vain* 
cre  ou  mourir.  Cette  armée  enthousiaste,  mais  peu 
aguerrie  encore,  avait  peut-être  besoin  qu'on  lui 
fermât  la  retraite.  Pour  les  Prussiens ,  d'autre  part , 
c'était  un  grand  enseignement  et  matière  à  réfléchir: 
ils  durent  comprendre  que  ceux  qui  s'étaient  logés 
ainsi ,  ne  voulaient  point  reculer. 

Nous  supprimons  d'un  récit  sérieux  les  circon- 
stances épiques  dont  la  plupart  des  narrateurs  ont  cru 
devoir  orner  ce  grand  fait  national,  assez  beau  pour 
se  passer  d'ornements.  Â  plus  forte  raison,  écarterons- 
nous  les  fictions  maladroites  par  lesquelles  on  a  voulu 
confisquer  au  profit  de  tel  ou  tel  individu  ce  qui  fut 
la  gloire  de  tous. 


PEBMBTÉ  DE  LA  JEtNE  AlllIÉE  SOLS  LE  FEU.  Hllti 

Réservons  seulement  la  part  réelle  qui  revient  h 
Dumouriez.  Quoique  Kellermano  se  fût  placé  lui- 
même  autrement  qu'il  u'avait  dit»  quoiqu'il  eût, 
contre  sou  avis»  pris  pour  camp  ce  poste  avancé, 
Dumouriez  mit  un  zèle  extrême  à  le  soutenir,  de 
droite  et  de  gauche.  Toute  petite  passion,  toute  ri- 
valité ,  disparaissait  dans  une  si  grande  circonstance. 
En  eût-il  été  de  même  entre  généraux  de  Tancien 
régime?  j'ai  peine  à  le  croire.  Que  de  fois  les  riva- 
lités, les  intrigues  des  généraux  courtisans,  conti- 
nuées sur  le  champ  de  bataille,  ont  amené  nos  dé- 
faites! 

Non,  le  cœur  avait  grandi  chez  tous;  ils  furent 

au-dessus   d'eux-mêmes.   Dumouriez  ne   fut  plus 

l'homme  douteux,  le  personnage  équivoque;  il  fut 

magnanime,  désintéressé,  héroïque;  il  travailla  pour 

le  salut  delà  France  et  la  gloire  de  son  collègue; 

il  vint  lui-même,  plusieurs  heures,  dans  ses  lignes, 

partager  avec  lui  le  péril,  l'encourager  et  l'aider. 

El  Kellermann  ne  fut  point  l'officier  de  cavalerie,  le 

brave  et  médiocre  général  qu'il  a  été  toute  sa  vie.  Il 

fut  on  héros,  ce  jour-là,  et  h  la  hauteur  du  peuple; 

car  c'était  le  peuple ,  vraiment,  à  Yalmy,  bien  plus 

que  Tannée.  Kellermann  s'est  souvenu  toujours  avec 

attendrissement  et  regret  du  jour  où  il  fut  un  homme, 

non  simplement  un  soldat ,  du  jour  où  son  cœur 

vulgaire  fut   un   moment  visité  du  génie  de  la 

France.  Il  a  demandé  que  ce  cœur  pût  reposer  à 

Yalmy. 

Les  Prussiens  ignoraient  sfparfaitement  à  qui  il^ 


SS6  BATAILLE  DE  VALMY  (20  SEPTEVBRE  93). 

avaient  affaire,  qu'ils  crurent  avoir  pris  Dumouriez, 
lui  avoir  coupé  le  chemin.  Ils  s'imaginèrent  que 
cette  armée  de  vagabonds,  de  tailleurs ,  de  savetiers, 
comme  disaient  les  émigrés,  avaient  hâte  d*aller 
se  cacher  dans  Chàlons,  dans  Reims.    Ils  furent 
un  peu  étonnés  quand  ils  les  virent  audacîeuse- 
ment  postés  à  ce  moulin  de  Valmy.  Ils  supposèrent 
du  moins  que  ces  gens-là,  qui,  la  plupart,  n'avaient 
jamais  entendu  le  canon,  s'étonneraient  au  concert 
nouveau  de  soixante  bouches  à  feu.  Soixante  leur 
répondirent,  et  tout  le  jour,  cette  armée,  com- 
posée en  partie  de  gardes  nationales,  supporta  une 
épreuve  plus  rude  qu'aucun  combat  :  l'immobilité 
sous  le  feu.  On  tirait  dans  le  brouillard  au  matin, 
et  plus  tard,  dans  la  fumée.  La  distance  néanmoins 
était  petite.  On  tirait  dans  une  masse;  peu  importait 
de  tirer  juste.  Cette  masse  vivante,  d'une  armée 
toute  jeune,  émue  de  son  premier  combat,  d'une 
armée  ardente  et  française,  qui  brûlait  d'aller  en 
avant,  tenue  là  sous  les  boulets,  les  recevant  par 
milliers,  sans  savoir  si  les  siens  portaient,  elle  subif^ 
sait ,  cette  armée ,  la  plus  grande  épreuve  peut-être. 
On  a  tort  de  rabaisser  l'honneur  de  cette  journée. 
Un  combat  d'attaque,  ou  d'assaut,   aurait  moins 
honoré  la  France. 

Un  moment,  les  obus  des  Prussiens,  mieux  diri- 
gés, jetèrent  de  la  confusion.  Ils  tombèrent  sur  deux 
caissons  qui  éclatèrent,  tuèrent,  blessèrent  beaucoup 
de  monde.  Les  conducteurs  de  chariots,  s'écartant  à 
la  h&te  de  l'explosion ,   quelques  bataillons  sem- 


LES  PRUSSIENS  AVANCBIIT  DEUX  FOIS.  ET  SE  RETIRENT.      SSn 

blaieot  commencer  à  se  troubler.  Le  malheur  voulut 
encore  qu'à  ce  moment  un  boulet  vtnt  tuer  le  cheval 
de  Kellennann  et  ie  jeter  par  terre.  H  en  remonta 
un  autre  avec  beaucoup  de  sang-froid,  raffermit  les 
lignes  flottantes. 

Il  était  temps.  Les  Prussiens,  laissant  leur  cavale- 
rie en  bataille  pour  soutenir  Finfanterie,  formaient 
celle-cj  en  trois  colonnes^  qui  marchaient  vers  le  pla- 
teau de  Yaimy  (vers  onze  heures).  Kellennann  voit 
ce  moment,  forme  aussi  trois  colonnes  en  face,  et 
fait  dire  sur  toute  la  ligne  :  «  Ne  pas  tirer,  mais  at- 
tendre, et  les  recevoir  à  la  baïonnette.  > 

Il  y  eut  un  moment  de  silence.  La  fumée  se  dissi- 
pait.  Les  Prussiens  avaient  descendu,  ils  franchis- 
saient Vesgajoe  intermédiaire  avec  la  gravité  d'une 
vidlle  armée  de  Frédéric,  et  ils  allaient  monter  aux 
Français.  Brunswick  dhrigea  sa  lorgnette,  et  il  vit  un 
spectacle  surprenant,  extraordinaire.  A  l'exemple  de 
Kellermann,  tous  les  Français,  ayant  leurs  chapeaux 
a  la  pointe  des  sabres,  des  épées,  des  baifonnettes, 
avaient  poussé  un  grand  cri...  Ce  cri  de  trente  mille 
hommes  remplissait  toute  la  vallée  :  c'était  comme 
un  cri  de  joie,  mais  étonnamment  prolongé  ;  il  ne 
dura  guère  moins  d'un  quart  d'heure  ;  fini,  il  recom- 
mençait toujours,  avec  plus  de  force;  la  terre  en 
tremblait...  C'était  :  Vive  la  Nation  ! 

Les  Prussiens  montaient,  fermes  et  sombres.  Mais, 
tout  ferme  que  fût  chaque  homme,  les  lignes  flot- 
taient, elles  formaient  par  moments  des  vides,  puis 
elles  les  remplissaient.  C'est  que  de  gauche  elles 

IV.  " 


258  l'ES  PRUSSIENS 

recevaient  une  pluie  de  fer,  qui  leur  venait  de  Du« 
mouriez. 

Brunswick  arrêta  ce  massacre  inutile,  et  fît  sonner 
le  rappel. 

Le  spirituel  et  savant  général  avait  très-bien  re- 
connu, dans  l'armée  qu'il  avait  en  face,  un  phéno- 
mène qui  ne  s'était  guère  vu  depuis  les  guerres  de 
religion  :  une  armée  de  fanatiques,  et,  s'il  l'eût  fallu, 
de  martyrs.  Il  répéta  au  Roi  ce  qu'il  avait  toujours 
soutenu,  conlrairement  aux  émigrés,  que  Taffaire 
était  difficile,  et  qu'avec  les  belles  chances  que  la 
Prusse  avait  en  ce  moment  pour  s'étendre  dans  le 
Nord,  il  était  absolument  inutile  et  imprudent  de  se 
compromettre  avec  ces  gens-ci. 

Le  Roi  était  extrêmement  mécontent,  mortifié.  Vers 
quatre  ou  cinq  heures,  il  se  lassa  de  cette  étemelle 
canonnade  qui  n'avait  guère  de  résultat  que  d'aguer- 
rir l'ennemi.  Il  ne  consulta  pas  Brunsv^ick,  mais  dit 
qu'on  battit  la  charge.  Lui-même,  dit-on,  approcha 
avec  son  état-major,  pour  reconnaître  de  plus  près 
ces  furieux,  ces  sauvages.  Il  poussa  sa  courageuse  et 
docile  infanterie  sous  le  feu  de  la  mitraille,  vers  le 
plateau  de  Yalmy.  Et  en  avançant,  il  reconnut  la 
ferme  attitude  de  ceux  qui  l'attendaient  là-haut.  Ils 
s'étaient  déjà  habitués  au  tonnerre  qu'ils  entendaient 
depuis  tant  d'heures,  et  ils  commençaient  à  s'en  rire. 
Une  sécurité  visible  régnait  dans  leurs  lignes.  Sur 
toute  cette  jeune  armée  planait  quelque  chose, 
comme  une  lueur  héroïque,  où  le  Roi  ne  comprit 
rien  (sinon  le  retour  en  Prusse). 


SE  RETIRENT  (90  SEPTEMBRE  91).  £» 

Cette  lueur  était  la  Foi. 

Et  cette  joyeuse  armée  qui  d'en-haut  le  regardait, 
c'était  déjà  Farinée  de  la  RËPUBLIQUE. 

Fondée  le  20  septembre,  à  Valmy,  par  la  vic- 
toire,  elle  fut,  le  21,  décrétée  à  Paris,  au  sein  de  la 
Convention. 


LIVRE  VIII 


IV. 


CHAPITRE  I 

«  iOMIffi  $R  MHQtt  ^  LA  PRA]»Gt.^U  VëHOÈÊ^  CONTRIC  LA  PftAIICS. 
Septembre-novembre  179S. 

KIJD  Qoifenel  do  monde  vers  U  France.  —  Facile  conquête  de  Nice.  -  La 
SjToie  se  donne  à  la  France  («n  de  feiMembre).— Le.  populations  dn  Rhin 
appentm  1«  France.— Spiie,  Wonns,  Mayence  (seplembre-^obre).— Lille 
bombudée  repousse  les  Aatriebleos  («  octobre).  -  U  France  conquérante 
malgré  elle.—  Les  peuples  délivrés  veulent  être  Français.  «  La  France  ne 
Iti  accepte  ipm  pour  les  sauver.  -  EUe  trouve  un  ennemi  danft  son  sein.  — 
lapatiinde  de  la  Vendée.— Son  premier  combat  (M-SS  août).  -  Partialité 
<le  la  Révolution  pour  le  paysan  (96  août).  ^La  Révolution  plus  cbrétienne 
qiralaTeiidée. 


U  ConTenlion  avait  dressé ,  le  81  septembre ,  au 
pavillon  des  Tuileries,  le  drapeau  de  la  République. 
Deux  mois  n'étaient  pas  écoulés ,  et  tous  les  peuples 
environnants  l'avaienl  cmbi-assé,  ce  drapeau,  planté 
snr  les  tours  de  leurs  villes. 

Le  24  et  29  septembre,  Chambéry,  Nice ,  ouvrent 
feuïs  portes ,  la  porte  de  l'Italie.  Mayence ,  le  24  oc* 
tobre,  reçoit  nos  armées,  aux  applaudissements  de 
l^Allemagjne.  Le  14  novembre,  le  drapeau  tricolore 
est  arbort  sur  Bruxelles  ;  l'Angleterre  et  la  Hollande 
te  voient  avec  terreur  flotter  à  la  tour  d'Anvers. 

En  deux  mois,  la  Révolution  avait,   tout  au- 


J6i  ÉLAN  CmVBMBL 

tour,  inondé  ses  rivages;  elle  montait,  comme  le 
Nil ,  salutaire  et  féconde,  parmi  les  bénédictions  des 
hommes. 

Le  plus  merveilleux ,  dans  cette  conquête  admi- 
rable, c'est  que  ce  ne  fut  pas  une  conquête.  Ce 
ne  fut  rien  autre  chose  qu'un  mutuel  élan  de  fra- 
ternité. Deux  frères ,  longtemps  séparés ,  se  re- 
trouvent, s'embrassent;  voilà  cette  grande  et  simple 
histoire. 

Belle  victoire  1  Tunique!  et  qui  ne  s'est  revue 
jamais!  Il  n'y  avait  pas  de  vaincus  1 

La  France  ne  donna  qu'un  coup,  et  la  chaîne  fut 
brisée.  Elle  frappa  ce  coup  à  Jemmapes.  Elle  le 
frappa  avec  l'autorité  de  la  foi,  en  chantant  son 
hymne  sacré.  Les  soldats  barbares  frémirent  dans 
leurs  redoutes,  sous  trois  étages  de  feux,  lorsqu'ils 
virent  venir  un  chœur  de  cinquante  mille  hommes 
qui  marchaient  à  eux  en  chantant  :  a  Allons,  enfants 
de  la  Patrie!...  » 

Tous  les  peuples  répétèrent  :  «  Allons,  enfants  de 
la  France  !...  »  et  se  jetèrent  dans  nos  bras. 

C'était  un  spectacle  étrange  !  Nos  chants  faisaient 
tomber  toutes  les  murailles  des  villes.  Les  Français 
arrivaient  aux  portes  avec  le  drapeau  tricolore,  ils  les 
trouvaient  ouvertes  et  ne  pouvaient  pas  passer;  tout 
le  monde  venait  à  la  rencontre  et  les  reconnaissait , 
sans  les  avoir  jamais  vus  ;  les  hommes  les  embras- 
saient ,  les  femmes  les  bénissaient ,  les  enfants  les 
désarmaient...  On  leur  arrachait  le  drapeau,  et  tous 
disaient  :  «  C'est  le  nôtre  !  » 


DU  MONDE  VBRS  LA  FRANCE  (SBPT.-NOY.  ttt).  965 

Grande  et  bonne  journée  pour  eux  1  Ils  gagnaient 
{MUT  nous  en  un  jour  toute  la  conquête  des  siècles  ! 
Cet  héritage  de  raison  et  de  liberté  pour  lequel  tant 
d'hommes  soupirèrent  en  vain ,  cette  terre  promise 
qu'ils  auraient  voulu  entrevoir,  au  prix  de  leur  vie,  la 
générosité  de  la  France  les  donnait  pour  rien  à  qui  en 
voulait.  Déjà,  trois  années  durant,  elle  avait  formulé 
en  lois  cette  sagesse  des  siècles  ;  déjà  elle  avait  souf- 
jRsrt  pour  ces  lois ,  les  avait  gagnées  de  son  sang , 
gagnées  de  ses  larmes...  Ces  lois,  ce  sang  et  ces  lar- 
mes, elle  les  leur  donnait  à  tous,  leur  disait  :  «  C'est 
mon  sang,  buvez,  n 

Rien  d'exagéré  en  ceci.  On  a  pu  contester,  sou- 
rire. Aujourd'hui ,  la  chose  est  jugée.  Ne  les  voyez- 
vous  pas  tous  (jusqu'à  l'orgueilleuse  Angleterre)  qui 
font  amende  honorable,  qui  réclament  comme  leur 
meilleur  progrès  telles  de  nos  lois  que  la  France  pos- 
sédait en  92 ,  et  qu'elle  offirait  dès-lors  généreuse-- 
mentaux  nations? 

Et  les  nations ,  en  retour,  s'offraient,  se  donnaient 
elles-mêmes.  Elles  faisaient  toutes  signe  à  la  France, 
la  priaient  de  les  conquérir. 

Racontons  une  conquête ,  celle  des  portes  de  l'Ita- 
lie 9  de  ce  comté  de  Nice ,  pris ,  repris  jadis ,  arrosé 
de  tant  de  sang.  Voyons  ce  qu'il  nous  coûta. 

Le  roi  de  Sardaigne  avait  fait  des  préparatifs  for- 
midables. Il  avait  là,  sur  la  frontière,  une  armée 
pour  envahir  la  France,  une  nombreuse  artillerie , 
deux  cents  canons;  les  Français  en  avaient  quatre. 
11  avait  de  vieilles  troupes.  Nous,  nous  n'avions 


iW  FAaUt  COUâDftTE  DE  MKV. 

gu^  qo»  dos  g»rd6«  p^Uonaux.  Le  géaéfiil  Kxmime 
reçoit  ordre  d'eutrerj  c'était,  ce  semble ,  ordonner 
l'impoasible  s  Timposaible  w  fait^  sans  coup  fârîr.  Uoe 
flotte  française  fait  mine  d'aller  prendre  les  Piè- 
moiitais  par  derrière;  Anselme  ordonne  des  logements 
pour  quarante  mille  hommes  (il  n'en  avait  pas  dooxe). 
Gela  suflSt;  la  grosse  armée  recule  ^  Niœ  se  livre. 
Les  forteresses  ont  hâte  de  s'ouvrir.  Ânsdme  s'en  va 
tout  seul  avec  quatorze  dragons^  somme  YiUefranche, 
la  menace  et  la  prend  ;  il  y  trouve  cent  pièces  de 
canon,  cinq  mille  fv»ls,  des  munitions  immenses, 
deux  vaisseaux  armés  dans  le  port. 

La  Savoie  coûta  nioins  encore  i  il  n';  ialM  nî  nise, 
BÎ  menace. 

Elle  dut  sa  délivrance  à  son  violent  amour  peur 
la  coearde  fran^se.  Les  émigrés,  noœhreux  à 
Ghambéry,  insolents,  querelleurs,  avaient  arra- 
ché la  cocarde  tricolore  à  un  négociant.  Les  Ss« 
voyards,  par  représailles,  attachèrent  la  cocarde 
royaliste  à  la  queue  des  chiens^  Ge  fut  le  commen- 
cement de  leur  Révolution.  Elle  fut  unanime,  sans 
contradiction  d'un  seul  homme.  Le  général  français 
Montesquieu  arrivait  avec  précauticm;  il  avait  en- 
voyé, en  enti^ant  en  Savoie,  un  corps  pour  tourner, 
avant  tout,  les  redoutes  qu'on  lui  opposait.  Elles  fu- 
rent prises  sans  peine  ;  11  n'y  avait  personne,  les  Pié- 
montais  étaient  partis.  Montesquieu ,  sans  attendrs 
son  armée  qui  suivait  lentement,  partit  au  galop  pour 
Chambéry.  Tout  seul  de  sa  personne,  il  conquit  le 
pays,  entra  triomphalement  dans  cette  ville,  parmi  les 


LA  unm  SE  DM»  A  hk  nuiKB  (F»  aBranmiui  ot).  wi 
eris  d'ttti  peii|ile  iw8  de  joie;  Les  oomtnisaftires  d»  ki 
GoBveDtioD,  qui  Ineotèt  le  jouirent,  furent  saisis  d'^ 
tottBemeDt,  profoodétneot  émus^  en  découTrant  une 
Fnmoe  înoonnue>  une  yieiUe  France  naîve^  qui^  dans 
la  langue  de  Henri  IV^  bégayait  la  Révolotion.  Rien  de 
plw  eriginai  et  de  plus  touchant  que  de  retrouver  là, 
fixantes,  jeunes  oomme  d'hier,  toutes  nos  yieilles  hi»» 
toir«u  On  chante  eneore,  dans  la  vallée  de  Ghameuniar^ 
comme  chose  netivelle,  la  comphinte  de  M.  de  Biroa 
mort  en  1602.  Aimable  peut)le  de  Saint  François  de 
Sales^  penplequi  fit  Rousseau  (qui  l'a  bit,  sinon  les 
Gharmettes?)^  tiombieb  la  France  lui  devait,  à  oe 
peuplel  Quelle  Jde  oe  fut,  et  pour  Tun  et  panr  Tau*- 
tre,  de  se  retrouver  après  tant  de  àtèolesl  ei  qwlle 
fut  leur  ardente  étreinte^  aux  deux  frères  réunis^ 
sot»  l'arbre  de  là  liberté! 

Ihi  moment  que  cet  excellent  ped[rie  apprit  que 
ses  libérateurs  arrivaient,  il  n'y  eut  plus  moyen  de 
le  retenir.  Tout  entier,  il  vint  à  la  rencontre.  Ge  fut 
comme  un  soulèvement  universel  de  la  contrée  ;  les 
hoinmes  seuls  partirent^  mais  les  arbres  et  les  pierres, 
toate  la  terre  de  Savoie  eût  voulu  se  mettre  en  che- 
min. Une  foule  immense  descendit  de  toutes  les 
monti^Des  vers  Gbambéry,  d'un  élan  spontané ,  d'un 
même  transport  de  joie  et  de  reconnaissance.  Ces 
pauvres  gens,  cruellemetit  étouffés  par  le  Piémont, 
qai  leur  détendait  tout-lhla-fbis  l'industrie  et  le  corn- 
oterce,  avaient  depuis  longtemps  coutume  d'aller 
chercher  leur  vie  en  France.  Et  cette  fois,  c'était  la 
Fiance  qoi  venait  Uè  voir,  s'asseoir  à  leur  foyer;  elle 


# 


MS  tE8  POPULATIOMS  0U  RHIN  AP^ELLBin'  LA  FRAHCE. 

Yenait  à  eux,  les  mains  pleines  des  dons  de  Dieu,  les 
apportant  tous  en  un  seul ,  le  trésor  de  la  liberté. 
Sauvés  par  elle  du  Pharaon  barbare,  ils  entonnérenty 
comme  Israël,  un  cantique  de  délivrance.  Soixante 
mille  Savoyards  à  la  fois,  d'accord  avec  l'armée  fran- 
çaise, chantèrent  la  Marseillaise  dans  une  inexprima- 
ble dévotion.  Et  quand  ces  pauvres  gens  arrivèrent 
au  passage  :  Liberté  chérie/  il  se  fit  un  grand  bruit, 
comme  d'une  avalanche  :  une  avalanche  d'hommes 
par  devant  les  Alpes!  Touchant  spectacle!  toutoe 
peuple  était  tombé  à  genoux  ;  il  achevait  ainsi  le  can- 
tique, et  la  terre  était  inondée  de  pleurs. 

Même  facilité  sur  le  Rhin,  sauf  un  petit  combat  à 
Spire.  Le  général  Custine  avait  ordre  d'agir  sur  la 
Moselle,  et  il  eût  ainsi  assuré  la  déroute  des  Prussiens. 
Mais  les  Allemands  eux-mêmes  vinrent  le  diercher, 
et  le  menèrent  au  Rhin.  Maître  de  Spire ,  dont  il 
força  les  portes,  il  fut  appelé  à  Worms;  un  professeur 
de  cette  ville  y  mit  l'armée  française ,  et  il  écrivit,  au 
nom  de  Custine ,  au  nom  de  la  France ,  l'appel  de 
rAllemagne  à  la  liberté.  Ce  n'était  pas  la  première 
fois  que  la  France  lui  parlait  ainsi.  Au  XVP  siècle , 
mêmes  proclamations ,  par  le  roi  Henri  II ,  ornées , 
comme  en  92,  du  bonnet  de  la  liberté.  Ces  ardents 
patriotes  allemands,  qui  menaient  Custine,  lui  pro- 
mettaient Mayence.  U  hésitait,  et  un  moment,  crai- 
gnant d'être  coupé,  recula  vers  Landau.  Ils  ne 
lâchèrent  pas  prise;  ils  vinrent  le  rechercher,  le 
menèrent  de  gré  ou  de  force ,  lui  firent  faire  malgré 
lui  cette  conquête  qui  le  couvrait  de  gloire.  Un  des 


snRE,  woiun,  iuïsiicb  (SBrT.-ocT.  tt).  si» 

leun  commandait  le  génie  dans  Hayenee;  il  décida 
la  reddition.  On  fut  bien  étonné  d'apprendre  qu'une 
telle  place  se  fût  rendue,  avec  toute  une  armée  pour 
garnison,  une  artillerie  immense,  ramassée  de  toute 
TÀllemagne.  Mais  rAUemagne  se  livrait.  Des  hom- 
mes de  Nassau,  de  Deux-Ponts,  de  Nassau-Saarbruck 
étaient  à  la  barre  de  la  Ck)nventioo ,  et  demandaient 
leur  union  à  la  France. 

Les  Prussiens,  à  ce  moment,  bien  heureux  d'être 
quittes  de  leur  expédition  conquérante,  touchaient  Co* 
Mentz;  nous  y  reviendrons  tout  à  l'heure.  Ils  avaient 
dû  leur  salut  et  à  l'éloignement  de  Custine,  et  à  la 
modération  politique  de  Dumouriez.  Celui-ci  voulait 
détacher  la  Prusse  de  la  ligue  contre  la  France.  Il 
pensait  qu'il  était  assez  beau  d'avoir  arrêté  une  telle 
armée,  la  première  de  T  Europe,  avec  une  armée 
toute  jeune,  composée  en  partie  de  gardes  nationaux. 
C'était  aussi  la  pensée  de  Danton,  sage  autant  qu'au- 
dacieux. Le  25  septembre,  une  lettre  du  pouvoir  exé* 
cutif  avait  autorisé  le  général  à  traiter  pour  l'évacua- 
tion. Les  Prussiens  se  retirèrent  donc  paisiblement. 
Ce  qu'on  tira  de  coups  tomba  sur  les  seuls  émigrés. 

Nos  ennemis  n'agissaient  nullement  d'ensemble. 
Au  moment  où  les  Prussiens  sortent,  entrent  les  Im- 
périaux. Leur  général,  le  duc  Albert  de  Saxe,  déter- 
miné sans  doute  par  de  faux  renseignements,  vient 
avec  vingt-deux  mille  hommes  s'établir  devant  Lille. 
Une  si  faible  armée  n'étiût  pas  pour  réduire  une  telle 
place;  elle  suffisait  pour  la  brûler.  Douze  mortiers^ 
vingt-quatre  grosses  pièces,  tirèrent  pendant  huit 


m  UIMMmâMÊK 

jMn  à  bonlelf  rongée  et  de  préfé^renoe  mt  les  quar- 
tien  peuplte  et  pauvres»  «ir  les  petites  muaoos  ob 
les  iliiiillÂs  s'entassaient  dans  les  eayes.  Les  barbuw 
n'épargnèrent  ni  les  églises ,  ni  ntéme  l'hôpâtal  mai- 
taîre,  écrasant  sous  les  bombes  des  Messes  dans  lenr 
Ut  Tout  eela  ne  servit  qu'à  montrer  la  France  à  l'Eu- 
rope sons  on  jour  lent  nouveau.  On  parlait  bien  adu- 
vent  de  la  furie  française,  de  eet  élan  qui  oéde  au 
moindre  obstacle»  sd  i«bute»  eto.  II  fallut  bien  ohAn- 
ger  dV)piDion.  La  Franee  parut  \k,  eemme  k  Valmy, 
indomptablement  résistante*  Et  ici»  ce  n'étaient  pas, 
comme  à  Yalmy,  des  hommes;  o'éUient  des  femmes 
et  des  enfants.  Il  n'est  sorte  d'outrages,  de  risées 
qu'on  ne  fit  aux  boulets.  Les  boulets  rouges,  ramas- 
sés honteusement  dans  des  casseroles,  étaient  éteints 
sans  peine;  pais  avec  on  jouait  à  la  boule.  Ub  de  ces 
boulets  autridiiras  fut  pris  par  les  petits  garçons, 
eoiSé  du  bonnet  rouge.  Un  perruquier  s'établit  sur  la 
place  où  tombait  la  grêle  de  fer,  il  avut  pris  pour  plat 
un  éclat  de  bombe,  et  chacun  s'y  faisait  raser. 

Cette  infamie  de  bombardement  sans  but  dura  huit 
jours,  au  bout  desquels  l'Allemand  s'en  alla  asaea 
vite,  laissant  une  bonne  partie  de  son  matériel.  Une 
femtne,  l'arcbiducheaM  Christine,  stear  de  la  reine 
de  France )  était  venue  voir,  des  batteries,  cette 
guerre  aux  femmes  et  aux  enfants.  La  dame  par- 
Ut  peu  satisfeite.  Mais  trois  armées  françaises  me- 
naçaient. Celle  de  Lille,  d'abord  ;  je  ne  sais  cotolneo 
de  bataillons  de  volontaires  s'étaient  jetés  dans  la 
fdaccé  Puis  une  autre,  que  La  Bourdonnais  amenait, 


un  pen  tiini,  U  ^  vmi.  I^yiqwHw  «pQqi  Ubra4«i 
Praséofit»  ne  pouvait  oiaaqiier  d'wriysr. 

Gmode  était  1«  glairo  da  Ifi  France  ^  efrà«  eette 
réaîataDoebérei^Qe,  cette  faite  zo^nblede  deux 
OTBôes  eDoemies.  Non  cû^taata  de  repousser  les 
Pruasiene  et  les  AutricbieQa,  pUe  avait  pénétré  au 
cœur  de  rAUemagoei  mis  la  main  sur  le  Rbia,  saisi 
Vaigle  impérial*  Le  jour  même  ok  finissait  le  Iwm-^ 
baidemeot  de  Lille  ^  les  drapeaux  allemands,  l'aigU» 
Gàpùff  envoyés  du  Rbiu  par  Custine,  comparurent 
à  la  barre ,  et  ils  furent  appendu»  «tUX  voûtes  de  la 
CoDventioiié 

Mw  eombîeu  ces  trophées  de  la  giierre  et  de  la 
vieteife  étaient  moins  glorieux  encore  que  1^9  ^pu<<- 
tftiiQin  de*  peuples  qui  dafitandeient  d'être  Fmufaial 
La  France  Âait  deux  fçûq  victorieuse  ;  el)«  avait  pour 
taîMte  bien  plus  que  la  farce  :  Vemoun  Une  main 
lui  suffisait  peur  briser  l'épée  de&  tyraos}  de  l'autre  $ 
elle  embrassait  les  peuples  délivrés  et  les  serrait 
Qoutre  sob  sein. 

Quelle  était  sa  pensée?  les  protéger,  et  non  le$  eou- 
quArir.  Elle  n'avait  à  ce  premier  moment  nulle  idée 
deooaquéte^  Cette  idée  ne  lui  vint  que  plus  tard,  et 
par  une  sorte  de  nécessité*  Tout  ce  qu'elle  demandait 
d'sbord  aux  nations  délivrées,  c'était  de  rester  li- 
bres, de  luen  garder  leur  droit,  d'aimer  la  France  en 
scBUfs.  On  ne  peut  lire  sans  attendrissement  la  ton- 
cbante  et  naïve  adresse  que  le  pbilosopbe  Anaebar&is 
Cloati  écrit  aux  Savoyards  (aux  Allobrogea,  comme 
on  disait  alors)  au  nom  de  la  (kwvention  ;  «  La  {té* 


272  LA  FRANCE  GQNOUËRANTE  MALGRÉ  ELLB. 

publique  des  conquérants  de  la  liberté  vous  féUcile, 
amis...  Les  Allobroges du  Dauphiné  embrassent ceai 
du  Mont-Blanc...  Nous  nous  aiderons  mutuellement 
à  fonder  la  liberté  durable.  La  seule  autorité  que  la 
France  veuille  avoir  sur  vous,  c*est  celle  des  conseils. 
Quel  est  son  but?  votre  bonheur...  Heureux  peuple I 
en  vous  rendant  libres  sans  effusion  de  sang,  nous 
oublions  tout  ce  que  nous  avons  sacrifié.  Vous  aurez 
un  passage  non  sanglant  des  rois  aux  lois,  une  révo- 
lution bénigne;  elle  sera  limpide  comme  vos  fleuves 
et  pure  comme  vos  lacs...  » 

Il  y  disait  encore  que  c'était  une  France  démem- 
brée qui  revenait  dans  la  patrie  :  «  Voyez  le  morcel- 
lement aristocratique  de  la  Suisse,  voyez  Fégalité, 

l'unité  démocratique  de  la  France Choisissez 

Tout  vous  prêche  l'unité  indivisible.  La  frontière  ne 
serait-elle  pas  mieux  placée  au  haut  des  Alpes  T 
Briançon  ne  nous  gardera-t-il  pas  mieux,  si  nous  le 
reportons  sur  le  Saint-Bernard  T.. .  » 

La  Convention,  avec  une  modération  admirable, 
hésita  d'envoyer  cette  adresse,  qui  semblait  préjuger 
la  réunion  de  la  Savoie ,  et  peut-être  lui  eût  fait 
croire  qu'on  ne  lui  laissait  pas  liberté  tout  entière  de 
régler  elle-même  ses  destinées. 

C'était  l'embarras  de  la  France,  à  ce  moment.  Elle 
avait  dit  qu'elle  ne  voulait  pas  de  conquêtes,  et  elle 
en  faisait  malgré  elle.  Ces  peuples  disaient  tous  qu'il 
ne  leur  sufiBsait  pas  d'être  libres  ;  ils  avaient  l'ambi- 
tion d'être  Français.  La  Convention  avait  une  étrange 
cour;  ses  entours  étaient  assiégés  d'hommes  de  toutes 


LES  mJPLBS  DÉLIVRÉS  VBULBNT  ÉTRB  nU^WS  (SBPT.*KOV.  92).  «75 

nations,  qui  venaient  intriguer,  solliciter.. .  Pourquoi? 
Pour  devenir  Français,  pour  épouser  la  France.  Se 
perdre  en  elle,  n'être  plus  en  eux-mêmes,  c'était  leur 
aveugle  désir.  Jamais  on  ne  vit  une  telle  impatience 
de  suicide  national  ;  leur  passé  leur  pesait,  leur  mot 
de  servitude,  ils  brûlaient  de  l'anéantir,  et  de  ne  vivre 
plus  qu'en  cette  France  aimée,  où  ils  ne  voyaient 
plus  une  nation,  mais  une  idée  sacrée,  la  liberté,  la 
vie  et  l'avenir. 

La  France  résistait.  Prenez  garde,  disait-elle,  dé- 
fiez-vous de  ce  premier  transport...  Savez-vous bien 
ce  que  c'est  que  de  me  suivre  dans  les  grandes  choses 
qui  me  sont  imposées?  Vous  donnerez  le  sang  à  flots, 
l'argent...  L'impôt  sera  doublé  ou  quadruplé. — Mais 
ils  ne  voulaient  rien  entendre,  assurant  que  la  sup- 
pression des  dîmes,  des  droits  féodaux,  et  de  toute 
espèce  de  taxe  barbare,  leur  créait  des  ressources  im- 
menses, inépuisables,  qu'en  donnant  tout  ils  ne  re- 
grettaient rien;  qu'ils  n'avaient  rien  eu  jusqu'ici, 
pas  même  leurs  personnes;  qu'ils  ne  rendraient  à 
la  liberté,  à  la  France,  que  ce  qu'ils  tenaient  de  la 
liberté. 

Les  réfugiés  belges,  pour  devenir  Français,  fai- 
saient valoir  la  brillante  valeur  qu'ils  montrèrent  à 
Yalmy  et  dans  Lille.  L'ennemi,  des  deux  côtés ,  ne 
croyant  frapper  que  la  France ,  avait  trouvé  des  poi- 
trines belges  devant  ses  boulets.  Les  Savoyards  comp- 
taient parmi  nos  héros  du  10  août.  La  veille  même  » 
ils  formèrent  une  légion ,  et,  le  jour  du  combat,  mar- 
chèrent entre  les  Bretons  et  les  Marseillais.  Libéra-* 


274  tA  nUNCË  LfeS  AGCÈPTB  WCt(  LCS  SA!!TKK. 

teiiM  d«  la  France,  puis  déUvrés  par  elle,  qu'étaient-^ 
ils  donc,  Binon  Français? 

La  France  était  touchée.  Mais  ce  qui  la  décidait , 
(fêtait  le  salut  de  ces  peuples  même.  Jeunes ,  en-^ 
fonts  dans  la  liberté,  ils  ne  pouvaient  se  garder  li- 
bres que  par  l-aide  et  Tappui  de  la  grande  nation. 
Les  laisser  k  eux-mêmes,  ce  n'était  rien  que  les  lais* 
ser  périr. 

Telle  fut  la  belle  et  généreuse  délibération  qui  eut 
lieu  au  sein  de  la  Convention ,  telle  la  noble  réserve 
que  mit  la  France  pour  accepter  ces  peuples,  qui 
venaient  à  ses  pieds  la  prier  de  les  prendre.  Lisez  sur* 
tout  le  rapport  de  Grégoire,  où  il  débat  ces  choses  au 
sujet  des  prières  de  la  Savoie  qui  demandait  sa  réu- 
nion. Voyez  ^v€^  queHe  hauteur  de  raison ,  quelle 
noble  et  bienveillante  sagesse,  il  foit  valoir  et  le  pour 
et  le  contre:  La  conclusion  à  laquelle  il  s'arrête,  c'est 
que,  quel  que  puisse  être  l'intérêt  de  la  France,  la 
Savoie  désormais  ne  se  défendra  pas,  ne  vivra  pas 
sans  elle,  et  que  la  France,  à  tout  prix,  doit  lui  ouvrir 
son  sein. 

Ceci  eut  lieu  le  28  novembre.  Et  déjà,  le  19, 
sur  la  proposition  de  La  Réveillère-Lépeaux ,  la 
Convention  déclara  :  <t  Que  tout  peuple  qui  vou- 
drait être  libre  trouverait  en  elle  appui,  frater- 
nité, j» 

Par  ce  mot  seul,  le  drapeau  de  la  France  était  con- 
stitué celui  du  genre  humain,  celui  de  la  délivrance 
universelle.  Sous  lui,  l'Escaut,  fermé  depuis  près  de 
deux  siècles,  coulait  enfin  libre  à  la  mer.  Le  Rhin , 


BLLB  TROUVE  UN  KOflUn  DANS  SDM  SBIN  (tMîl  AÔtlT  92).    27S 

captif  sous  ses  cent  forteresses ,  repretiftit  espèraDee, 
en  TOjant  dans  son  sein  les  trois  saintes  couleurs  que 
Mayence  mirait  sous  ses  eaux.  La  Savoie  les  avait 
placées  à  la  cime  du  Mont-Blanc;  TEurope,  émue 
d'amour  et  de  terreur,  les  voyait  briller  sur  sa  tête 
dans  les  neiges  éternelles,  dans  le  ciel  et  le  soleil. 
Le  monde  des  pauvres  et  des  esclaves,  le  peuple  de 
ceux  qui  pleurent,  tressaillaient  à  ce  grand  signe; 
ils  y  lisaient  distinctement  ce  que  lut  jadis  Constan-^ 
tin  :  Par  ce  signe,  tu  vaincras. 

Il  n'y  eut  qu'un  peuple  aveugle,  hélas  !  FautHl  le 
dire?  Nous  voudrions  nous  arrêter  ici.  Et  pourtant  ^ 
que  le  cœur  soit  oppressé  ou  non ,  il  fimt  ajouter 
cette  chose.  Au  moment  où  le  monde  s'élance  vers 
la  France ,  se  donne  à  elle,  devient  Français  de  cœur, 
un  pays  fait  exception;  il  se  rencontre  un  peuple  si 
étrangement  aveugle  et  si  bizarrement  égaré  qu'il 
arme  contre  la  Révolution,  sa  mère,  contre  le  satui 
du  peuple,  contre  lui-*méme.  Et,  par  ui  miracle  du 
Diable,  cela  se  voit  en  France;  c'est  une  partie  de 
la  France  qui  donne  ce  spectacle  ;  ce  peuple  étrange 
est  la  Vendée. 

Au  moment  où  les  émigrés,  amenant  Tennemi  par 
la  main,  lui  ouvrent  nos  frontières  de  l'Est,  le  i^  et  le 
2S  aoûl^  anniversaire  de  la  Saint^Bartiiékmi,  éclate 
dans  r  Ouest  la  guerre  de  la  Vendée^  la  guerre  impie 
des  prêtres. 

Chose  remarquable,  êe  fut  le  26  ao^  le  jour 
même  où  le  paysan  vendéen  attaquait  la  Révotutioii, 
que  la  RéTolution,  dans  sa  partialité  géftéreMe^  j^ 


S#6  MGRATITimB  DB  LA  VBNDÉE  (24-25  AOUT  98). 

geait  en  faveur  du  paysan  le  long  procès  des  siècles, 
abolissant  les  droits  féodaux  sans  indemnité. — Et  non- 
seulement  les  droits  proprement  féodaux,  mais  cm- 
suels.  Ce  mot  seul  contenait  une  équivoque  im- 
mense,  favorable  au  fermier.  Une  jurisprudence  nou- 
velle était  ouverte,  toute  au  profit  du  paysan  contre  le 
seigneur,  laquelle  n  était  pas  moins  qu'une  réaction 
violente  contre  l'ancienne ,  une  réparation  passion- 
née de  l'iniquité  féodale.  La  Révolution  semblait  dire: 
«  Mille  ans  durant,  à  tort,  à  droit,  on  a  jugé  contre 
le  pauvre.  Eh  bien!  moi,  aujourd'hui,  à  tort,  à  droit, 
je  jugerai  pour  lui.. •  Il  a  assez  souffert,  travaillé,  mé- 
rité. Ce  que  je  ne  pourrais  lui  attribuer  comme  sien, 
je  le  lui  adjuge  comme  indemnité.  » 

Ce  n'est  pas  tout.  La  loi  du  25  août  disait  encore 
au  seigneur  :  Si  vraiment  cette  rente  que  vous  avez 
sur  le  pauvre  homme  fut  fondée  et  non  extorquée, 
prouvez-le  ;  apportez,  produisez  en  justice  l'acte  pri- 
mordial qui  prouvera  qu'en  effet  vous  donniez  de  la 
terre  pour  fonder  cette  rente. 

En  beaucoup  de  pays  l'acte  n'existait  pas. 

En  plusieurs,  par  exemple  dans  les  pays  bretons 
de  domaine  congéable,  le  seigneur  avait  le  dessous, 
la  terre,  le  paysan  le  dessus,  la  maison.  Et  le  sei- 
gneur, en  lui  payant  cette  maison,  pouvait  l'expulser 
de  la  terre. 

Le  paysan  ne  s'en  croyait  pas  moins  l'homme  même 
de  la  terre,  né  avec  elle,  l'ayant  occupée  dès  Adam, 
son  vrai  propriétaire.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'il  l'a- 
vait faite,  cette  terre,  l'avait  créée;  sans  lui,  elle 


PARTIALITÉ  DE  LA  RÉVOLUTION  POUR  LE  PAYSAN  (25  AOUT).     277 

n'existait  pas;  c'était  la  lande  aride,  le  roc  et  le 
caillou. 

Les  antiquaires  étaient  embarrassés.  La  Révolution 
ne  le  fut  pas.  Elle  ne  dénoua  pas  le  nœud,  mais  le 
trancha.  Elle  donna  la  terre  à  l'homme  congéable,  et 
donna  congé  au  seigneur. 

La  décision  était-elle  légale?  on  peut  en  disputer. 
Hais  elle  était  chrétienne.  Voilà  bientôt  deux  mille 
ans  que  le  christianisme  nous  dit  que  le  pauvre  est 
membre  vivant  de  Jésus-Christ.  Comment  peser  le 
droit  du  pauvre  dans  une  telle  doctrine?  Dès  qu  on 
l'essaie,  Christ  lui-même  se  met  dans  la  balance,  et 
l'emporte  du  ciel  à  l'abime. 

La  Révolution  ne  dit  pas  seulement;  elle  fît. 

Et  elle  le  fit  dans  une  mesure  admirable. 

Elle  consacra  la  propriété  (sous  feine  de  mort,  en 
mars  93),  la  propriété,  c'est-à-dire  le  foyer,  la  fixité 
des  habitudes  morales,  la  féconde  accumulation,  — 
réglée,  bien  entendu,  par  la  loi  de  l'État,  pour  l'a- 
vantage de  l'État  et  de  tous. 

Mais,  en  tout  cas  douteux,  en  tout  litige  entre  la 
propriété  et  le  travail ,  elle  décida  pour  le  travail 
(base  originaire  de  la  propriété,  propriété  la  plus  sa- 
crée de  toutes). 

Tandis  que  l'Angleterre  féodale,  en  Ecosse  et  par- 
tout, a  décidé  pour  le  fief  contre  l'homme,  la  Révo- 
lution, en  Breti^e  et  partout,  a  décidé  pour  l'homme 
contre  le  fief. 

Sainte  décision,  humaine,  charitable  autant  que 
raisonnable,  selon  Dieu  et  selon  l'Esprit. 

IV.  " 


278  PARTIALITÉ  DE  LA  RÉVOLOTION  POUR  LB  PAYSAN  (25  AOUT). 

Que  le  monde  se  taise  ici  et  admire.  Qu'il  tâche  a 
profiter.  Qu'il  reconnaisse  le  caractère  vraiment  re- 
ligieux de  la  Révolution. 

La  Vendée  ne  lui  fit  la  guerre  que  par  un  malen- 
tendu monstrueux,  par  un  phénomène  incroyable 
d'ingratitude,  d'injustice  et  d'absurdité.  La  Révolu- 
tion, attaquée  comme  impie,  était  uHra-chrétienne; 
elle  faisait  les  actes  qu'aurait  dû  faire  le  christianisme. 
Et  le  prêtre,  que  faisait-il?  Il  faisait,  par  le  paysan, 
la  guerre  uttra-païenne,  qui  aurait  rétabli  la  féoda- 
lité, la  domination  do  la  terre  sur  l'homme  et  de  la 
matière  sur  l'esprit. 

Cruel  malentendu  1  Ces  Vendéens  étaient  sincè- 
res dans  leurs  erreurs.  Us  sont  morts  dans  une  foi 
loyale.  L'un  d'eux,  blessé  à  mort,  gisait  au  pied 
d'un  arbre.  Un  républicain  lui  dit  :  «  Rends-moi  tes 
armes!  » — L'autre  lui  dit  :  «  Rends-moi  mon  Dieu!  » 

Ton  Dieu?  pauvre  homme...  Ehl  n'est-ce  pas  le 
nôtre?  Il  n'y  en  a  pas  deux.  Il  n'y  a  qu'un  Dieu,  celui 
de  l'égalité  et  de  l'équité,  celui  qui  vient,  an  bout  de 
mille  ans,  te  faire  réparation,  celui  qui  a  jugé  pour 
toi,  le  2S  août,  le  jour  même,  insensé,  où  tu  as  levé 
le  bras  contre  lur. 

Même  Dieu  et  même  foi  !  Les  méconnaltra-t-on, 
sous  la  différence  du  langage,  dans  ce  mot  du  soldat 
patriote,  qui,  justement  comme  le  Vendéen ,  avait 
déjà  le  fer  au  cœur  :  «  Plantez-moi  là  l'arbre  de 
liberté  1  » 

Le  maire  républicain  de  Rennes,  Leperdit^  un  tail- 

*  Jo  donaerai  ailleurs  la  vie  de  ce  grand  citoyen,  et  je  la  donnerai 


LA  RéVOLimON  PLUS  CHRÉnEMNB  QUE  LA  VEliDÉB.         279 

leur,  qui  sauva  cette  ville  et  de  la  Terreur  et  de  la 
Vendée,  est  assailli  un  jour  d'une  populace  furieuse, 
qui,  sous  prétexte  de  Gatnptiie,  veut  lapider  ses  magis- 
trats. 11  descend,  intrépide,  de  THÔtel-de-Ville,  au 
milieu  d'une  grêle  de  pierres;  blessé  au  front,  il  es- 
suie  son  sang  en  souriant,  et  dit  :  «  Je  ne  puis  pas 
chaBger  les  pierres  en  pain..^  Mais,  â  mon l^og.  peut 
vous  nourrir,  il  est  à  vous  jusqu'à  la  dernière  goutte.» 
\k  tombèrent  à  genoux.  ••  Us  voyaient  quelque  chose 
par  delà  TËvangile. 

On  a  reproché  à  la  Révolution  de  n'être  pas  chré- 
tienne ;  elle  fut  davantage.  Le  mot  de  Leperdit,  elle 
l'a  réalisé-  De  quoi  le  monde  a-t-il  vécu ,  sinon  du 
sang  de  la  France?  Si  elle  est  blême  et  p&le,  ne  vous 
étonnez  pas.  —  Qui  peut  douter  aussi  qu'elle  n'ait 
changé  les  pierres  ep  pain?  Elle  se  dit  en  89  :  c  Je 
ne  peux  pas  nourrir  vingt-quatre  millions  d'hom- 
mes....  Eh!  bien,  j'en  nourrirai  trente-cinq.  »  Et 
elle  a  tenu  parole. 

ait»  les  propres  ptroles  de  eeltii  cpii  me  r»  itansmise,  lejeane  M.  Le- 
je»,  le  falw*  hisiorîea  de  U  Breiagne;  nul  n*a  droit  plos  que  lui  de 
conter  la  vie  des  héros,  il  a  leur  &me  en  lui. 


CHAPITRE  II 

LE  PRÊTRE,  LA  FEMME  ET  LA  VENDÉE. 
(AoAt-septembre  179S.) 

La  femme  fal  Tagent  de  la  Vendée. —  La  femme  en  général  devînt  eMiUe- 
révolationnaire.— La  femme  empêche  le  mari  d'acheter  les  biens  Datknua. 
— L'Ouest  était-il  soumis  an  prêtre,  au  noble  avant  89?-»Relations  dn  prétie 
et  de  la  femme,  surtout  dans  l'Ouest.— Le  prêtre  était  influencé,  moins  par 
sa  gouvernante  que  par  sa  pénitente. — Attachement  passionné  des  fenuscs 
de  rOnest  pour  le  prêtre. — Désespoir  des  femmes,  lorsque  la  loi  éloigoe  le 
prêtre.  —  Les  couvents  foyers  de  conspiration.  —  Les  prêtres  snnoneent  la 
guerre  civile  (9  février  99).— Comment  ils  la  fomentent.— Apparicioss,  ml- 
racles,  etc.  —  Premiers  massacies  (juin  99),  —  La  noblesse  se  conteate  ds 
donner  de  Targent. — Association  noble  de  la  RooCrie.  —  Une  lettre  du  Roi 
est  l'occasion  de  la  guerre  civllo  en  Bretagne  (juillet  99).  —  Vaste  soulè- 
vement de  la  Vendée,  et  premier  combat  A  CbétUlon  et  Rressuire  (tVSS  «sAc 
99).  —  Nantes  et  le  Finistère  pour  la  Révolution.  —  La  Vendée  peu  conta- 
gieuse pour  la  France. — Le  paysan  achète  partout  les  biens  nationaux.— Ce 
qui  rassurait  sa  conscience.— Nullité  des  actes  féodaux. 


La  Révolution^  c'est  k  lumière  elle-même.  I^s 
solennels  débats  de  la  Convention  commencent  sous 
les  yeux  de  l'Europe.  Les  portes  s'ouvrent  toutes 
grandes.  Amis^  ennemis,  tous  peuvent  venir,  regar- 
der et  écouter.  L'épreuve  de  la  Révolution,  son  pre- 
mier Jugement  de  Dieu,  la  bataille  de  Jemmapes, 
est  joyeusement  emportée  par  la  jeune  armée  de  la 
France,  au  chant  de  la  Marseillaise,  sous  le  soleil^  à 
midi. 

Et  en  même  temps  commence,  dans  les  bois  et  les 
brouillards  de  l'Ouest,  la  vaste  guerre  des  ténèbres. 
Aux  landes  du  Morbihan,  le  long  des  tles  brumeuses, 


LA  FEMME  FUT  L'AGENT  DE  LA  VENDÉE  (4792).  2^1 

aux  sombres  Tourrès  du  Maine,  dans  Thumide  laby- 
rinthe du  Bocage  vendéen ,  apparaissent,  sous  formes 
douteuses,  les  premiers  essais  de  la  guerre  civile. 
Une  maison  a  été  brûlée,  un  patriote  assassiné,  et  là- 
bas,  un  autre  encore.  Par  qui?  Nul  n'osera  le  dire. 
La  guerre  qui,  dans  un  an,  amènera  une  grande  ar- 
mée sous  les  murs  de  Nantes,  s'essaie  encore  timide- 
ment, au  crépuscule  ou  la  nuit. 

Ce  sifiQement ,  cette  plainte ,  sont-ils  la  Yoix  du 
hibou  ou  de  la  chouette?  Vous  diriez  Toiseau  de 
mort...  Oui,  et  de  la  haie  voisine,  brille  et  part  un 
coup  de  feu. 

C'est  une  guerre  de  fantômes,  d'insaisissables  es- 
prits. Tout  est  obscur,  incertain.  Les  rapports  les  plus 
contradictoires  circulent  dans  le  public.  Les  enquêtes 
n'apprennent  rien.  Après  quelque  fait  tragique,  tes 
commissaires  envoyés  arrivent,  inattendus,  dans  la 
paroisse,  et  tout  est  paisible  ;  le  paysan  est  au  travail, 
la  femme  est  sur  sa  porte,  au  milieu  de  ses  enfants, 
assise,  et  qui  file;  au  col  son  grand  chapelet.  Le  sei- 
gneur? on  le  trouve  à  table  ;  il  invite  les  commissai- 
res; ceux-ci  se  retirent  charmés.  Les  meurtres  et  les 
iocendies  recommencent  le  lendemain. 

Où  donc  pouvons-nous  saisir  le  fuyant  génie  de  la 
guerre  civile? 

Regardons.  Je  ne  vois  rien,  sinon  là-bas  sur  la 
lande,  une  sœur  grise  qui  trotte  humblement  et  tète 
xi 


'Toateed  n^esi  nullement  un  tableau  d^lmagination.  On  le  verra 
plus  Urd. 


883  U  FEMME  ■ 

Jq  ne  vois  rien.  Seulement  j'entrevois  entre  deaic 
bois  une  dame  à  cheval,  qui,  suivie  d'un  doipestiqae, 
va  rapide,  ^autant  les  fossés,  quitte  la  route  et  prend 
la  traverse.  Elle  se  soucie  peu,  sans  doute,  d'être  reo- 
contrée. 

Sur  la  route  même  chemine,  le  panier  au  bras, 
portant  ou  des  œufs,  ou  des  Fruits ,  une  honnête 
paysanne.  Elle  va  vite,  et  veut  arriver  à  la  ville  avant 
la  nuit. 

Mais  la  sœur,  mais  la  dame,  mais  la  paysanne,  en- 
fin, où  vopt-elles?  Elles  vont  par  trois  cbemjns,  elles 
arrivent  au  même  lieu.  Elles  vont,  toutes  les  trois, 
frapper  à  la  porte  d'un  couvent.  Pourquoi  pasi  La 
dame  a  là  sî^  petjte  fille  qu'on  élève  ;  la  paysanne  y 
vient  vendre  ;  la  bonpe  $œur  y  demande  abri  pouf 
une  seule  nuit 

Youlez-vous  dire  qu'elles  y  viennent  prendre  les 
ordres  du  prêtre?  Il  n'y  est  pas  aujourd'hui.  —  Ouï, 
mais  il  y  fut  hier.  Il  fallait  bjen  qu'il  vint  le  samedi 
confesser  les  religieuses.  Confesseur  et  directeur,  il 
ne  les  dirige  pas  seules,  mais  par  elles  bien  d'autres 
encore  ;  il  confie  à  ces  cœurs  passionnés,  à  ces  lan- 
gues infatigables,  tel  secret  qu'on  veut  faire  savoir, 
tel  faux  bruit  qu'on  veut  répandre,  tel  signal  qu'on 
veut  faire  courir.  Immobile  dans  sa  retraite,  par  ces 
nonnes  immobiles,  il  remue  toute  la  contrée. 

Femme  et  prêtre,  c'est  là  tojit,  la  Vendée,  la  guerre 
civile. 

Notes  bien  que,  sans  la  femme,  le  prêtre  n'aurait 
rien  pu. 


PUT  L'AGENT  DS  U  VENDÉE  (1792).  '      285 

PiAhî  brigandesy  disait  ua  soir  un  commandant 
républicaÎD,  arrivant  dans  un  village  où  les  femmes 
seules  restaient,  lorsque  cette  guerre  effroyable  avait 
fait  périr  tant  d'hommes,  ce  sont  les  femmes,  disait-il , 
qui  sont  cause  de  nos  malheurs;  sans  les  femmes ,  la 
république  serait  déjà  établie^  et  nous  serions  chez  nous 

tranquilles Allez,  vous  périrez  toutes,  nous  vous 

fusillerons  demain.  Et  après  demain,  les  brigands 
viendront  eux-mêmes  noiis  tuer.  »  (  Mëm«  de  Mad. 
de  Sapioaud.) 

U  ne  tua  pas  les  femmes.  Mais  il  avait  dit,  en  réa- 
lité, le  Yrai  mot  de  la  guerre  civile.  Il  le  savait  mieux 
que  tout  autre.  Cet  officier  républicain  était  un  prêtre 
qui  avait  jeté  la  soutane;  il  savait  parfaitement  que 
toute  Tœuvre  des  ténèbres  s'était  accomplie  par  l'in- 
lime  et  profonde  entente  de  la  femme  et  du  prêtre. 

La  femme,  c'est  la  maison  ;  mais  c*est  tout  autant 
Téglise  et  le  confessionnal.  Celle  sombre  armoire  do 
cbène,  où  la  femme,  à  genoux,  parmi  les  larmes  et 
les  prières,  reçoit,  renvoie ,  plus  ardente ,  Vétincelle 
fanatique,  est  le  vrai  foyer  de  la  guerre  civile. 

La  femme,  qu'est-ce  encore?  le  lit,  l'influence 
toute-puissante  des  habitudes  conjugales,  la  force  in- 
vincible des  soupirs  et  des  pleurs  sur  l'oreiller...  Le 
mari  dort,  fatigué.  Hais  elle,  elle  ne  dort  pas.  Elle 
se  tourne ,  se  retourne  ;  elle  parvient  à  l'éveiller. 
Chaque  fois,  profond  soupir,  parfois  un  sanglot. 
«  Mais,  qu'as-tu  donc  cette  nuit?  » — a  Hélas!  lepau- 
vre  Roi  au  Temple!...  Hélas!  ils  l'ont  souffleté, 
comme  Notre  Seigneur  Jésus-Christ!  >— Et  sil'hom- 


284  l'A  FEHNE  FUT 

me  s'endort  un  moment  :  «  On  dit  qu*on  va  vendre 

l'église  î  l'église  et  le  presbytère  ! Ah  !  malheur, 

malheur  à  celui  qui  achètera!...  k» 

Ainsi,  dans  chaque  famille,  dans  chaque  maison, 
la  contre-révolution  avait  un  prédicateur  ardent,  zé- 
lé, infatigable,  nullement  suspect,  sincère,  naïvement 
passionné,  qui  pleurait,  souffrait,  ne  disait  pas  une 
parole  qui  ne  fût  ou  ne  parût  un  éclat  du  cœur  bri- 
sé   Force  immense,  vraiment  invincible.  A  me- 
sure que  la  Révolution,  provoquée  par  les  résistan- 
ces, était  obligée  de  frapper  un  coup,  elle  en  rece- 
vait un  autre  :  la  réaction  des  pleurs,  le  soupir,  le 
sanglot,  le  cri  de  la  femme,  plus  perçant  que  les  poi- 
gnards. 

Peu  à  peu,  ce  malheur  immense  commença  à  se 
révéler,  ce  cruel  divorce  :  la  femme,  généralement  S 
devenait  l'obstacle  et  la  contradiction  du  progrès  ré* 
volutionnaire,  que  demandait  le  mari. 

Ce  fait,  le  plus  grave  et  le  plus  terrible  de  l'époque, 
a  été  trop  peu  remarqué. 

Le  fer  trancha  la  vie  de  bien  des  hommes.  Mais 
voici  qui  est  bien  plus  :  un  invisible  fer  tranche  le 
nœud  de  la  famille,  met  l'homme  d'un  côté,  la 
femme  de  l'autre. 

Cette  chose  tragique  et  douloureuse  apparut  vers 
92.  Soit  amour  du  passé,  force  des  habitudes,  soit 
faiblesse  de  cœur  et  pitié  trop  naturelle  pour  les  vie- 

'  Le  mot  génércUemefU  en  dit  peat-ètre  trop.  Des  millions  de  fem- 
mes  furent  républicaines,  et  le  furent  héroïquement.  Néanmoins  il 
B*e8t  que  trop  vrai,  la  majorité  devint  contre-révolutionnaire» 


L*AGENT  DE  LA  VENDÉE  (17*J2}.  285 

times  de  la  Révolution ,  soit  enfin  dévotion  et  dé* 
pendance  des  prêtres ,  la  femme  généralement  (la 
grande  majorité  des  femmes)  devenait  Tavocat  de 
la  contre-révolution. 

C'était  sur  le  terrain  matériel  de  Tacquisition  des 
biens  nationaux  que  se  posait  généralement  la  dispute 
morale  entre  l'homme  et  la  femme. 

Question  matérielle?  ou  peut  dire  oui  et  non. 

D*abordy  c'était  la  question  de  vie  et  de  mort  pour 
la  Révolution.  L'impôt  ne  rentrant  pas,  elle  n'avait 
de  ressource  que  dans  la  vente  des  biens  nationaux. 
Si  elle  ne  réalisait  cette  vente,  elle  était  désarmée, 
livrée  àFinvasion.  Le  s^lut  de  la  révolution  morale, 
la  victoire  des  principes,  tenait  à  la  révolution  finan* 
cière. 

Acheter,  c'était  un  acte  civique  qui  servait  très-di- 
rectement le  salut  du  pays.  Acte  de  foi  et  d'espé- 
rance. C'était  dire  qu'on  s'embarquait  décidément 
sar  le  vaisseau  de  l'État  en  péril,  qu'avec  lui  on  vou- 
lait aborder  ou  périr.  Le  bon  citoyen  achetait,  le 
mauvais  citoyen  empêchait  d'acheter. 

Empêcher,  d'une  part,  la  rentrée  de  l'impôt,  de 
l'autre,  la  vente  des  biens  nationaux,  couper  les  vi- 
vres à  la  Révolution,  la  faire  mourir  de  faim,  voilà 
le  plan  très-simple,  très-bien  conçu  du  parti  ecclé- 
siastique. 

Le  noble  amenait  l'étranger,  et  le  prêtre  empê- 
chait qu'on  ne  pût  se  défendre.  L'un  poignardait  la 
France,  l'autre  la  désarmait. 

Par  quoi  le  prêtre  arrêtait-il  le  mouvement  de  la 


286  LA  FEMME  EN  GÉNÉBAL 

Révolution  ?  En  la  mettant  dans  la  famille^  en  oj^po- 
sant  la  femme  au  mari,  en  fermant  par  elle  la  liourse 
de  chaque  ménage  aux  besoins  de  T  État. 

Quarante  mille  chaires,  cent  mille  confessioanaax 
travaillaient  en  ce  sens.  Machine  immense,  d'incal- 
culable force,  qui  lutta  sans  difficulté  contre  la  ma- 
chine révolutionnaire  de  la  presse  et  des  clubs^  j^ 
contraignit  ceux-ci,  s'ils  voulaient  vaincre,  à  Qi^[iu|i- 
ser  la  Terreur. 

Mais  déjà  en  89, 90, 91 ,  92  encore,  la  Terreur  ec- 
clésiastique sévissait  dans  les  sermons,  dans  la  con- 
fession. La  femme  n'en  revenait  chez  elle  que  tète 
basse,  courbée  d'effroi,  brisée.  Elle  ne  voyait  de 
toutes  parts  qu'enfer  et  flammes  éternelles.  On  np 
pouvait  plus  rien  faire  sans  se  damner.  On  n'obéis- 
sait plus  aux  lois  qu'en  $e  dc^mnant.  On  ne  payait 
rimpôt  qu'en  se  damnant.  Mais  le  fond  de  rai)tqi0, 
rhorreur  des  tourments  sans  remède,  la  griffe  la  pjii^ 
aiguë  du  Diable  étaient  pour  l'acquéreur  des  Viens 
nationaux.....  Comment  eût-elle  osé  continuer  de 
manger  avec  lui?  son  pain  n'était  que  cendre.  Cona* 
ment  coucher  avec  un  réprouvé?  être  sa  femme,  sa 
moitié,  même  chair,  n'était-ce  p«s  brûler  déjà,  en-^ 
trer  vivante  dans  la  damnation? 

Qui  peut  dire  de  combien  de  sortes  le  mari  était 
poursuivi,  assailli,  tourmenté,  pour  qu'il  n'achetât 
point  !  Jamais  un  général  habile,  un  ruse  capitaine, 
tournant  et  retournant  sous  les  murs  d'une  place  o& 
il  voudrait  entrer,  n'employa  moyens  plus  divers. 
Ces  biens  ne  rapporteraient  rien*,  c'étaiept  jieç  biens 


DBVENAIT  CONTRE-RÉVOLUTlONNAinE  (17S2).  fM7 

mauciits,  on  l'avait  déjà  vu  par  le  sort  de  tel  acaué- 
reur.  Jean,  qui  a  acheté,  n'a-t-il  pas  été  grêlé  tout 
d'abord,  Jacques  inondé  î  Pierre,  c'est  encore  pis,  il 
est  tombé  du  toit.  Paul,  c'est  son  enfaqt  qui  est  mort. 
M.  le  cure  l'a  très-bien  dit  :  a  Ainsi  périrent  les 
premiers  nés  d'Egypte...  » 

Généralement,  le  mari  ne  répondait  rien,  tournait 
le  dos,  faisait  sernl>Iant  de  dormir.  II  n'avait  pas  de 
quoi  répondre  à  ce  iQot  de  paroles.  La  femme  Tpm- 
barrassait,  par  la  vivacité  du  sentiment,  par  l'élo- 
quence naïve  et  pathétique ,  au  nioins  par  ]es  pleurs. 
11  ne  répondait  point ,  ou  ne  répondait  qu'un  mot  que 
nous  djroqs  tout-à-l'heure.  Il  n'était  nullement  rendu , 
cependant.  11  ne  lui  était  pas  facile  de  devenir  l'ennemi 
de  la  Révolution',  sa  bienfaitrice ,  sa  mère,  qui  pre- 
imitson  parti,  jugeait  pour  lui,  Taffranchissait,  le 
faisait  homme,  je  tirait  du  néant.  N'y  eût-il  rien 
gagné,  pouvait-il  aisément  ne  pas  se  réjouir  de  Taf- 
franchissement  général?  Pouvait-il  méconnaître  ce 
triomphe  de  la  Justice ,  fermer  les  yeux  au  spectacle 
sublime  de  cette  création  immense  :  tout  un  niundo 
naissant  à  la  vie  I  —  Il  résistait  donc  en  lui-même. 
«  Non,  disait-il  en  lui,  non,  tout  ceci  est  juste,  quoi 
qu'ils  disent;  et  je  pèserais  pas  l'homme  qui  y  pro- 
file ,  que  je  le  croirais  juste  encore^  » 

Voilà  comment  les  choses  se  passèrent  dans  près-. 
que  toute  la  France.  Le  mari  résista,  l'homme  resta 
fidàle  à  la  Révolution, 
fianski  Vendée,  dans  une  grande  partie  de  l'Anjou, 


288  LA  FEMME  EMPÊCHE  LE  MARI 

du  Maine  et  de  la  Bretagne,  la  femme  remporta,  la 
femme  et  le  prêtre ,  étroitement  unis. 

Rien  ne  Veut  fait  prévoir.  Les  paysans  de  VOnest 
n'avaient  pas  été  aussi  insensibles  qu'on  le  croit  au 
premier,  au  sublime  éclair  de  la  Révolution.  On  avait 
vu,  en  90,  à  la  fédération  du  Mans,  ces  mêmes 
paysans,  qui  plus  tard  devinrent  les  chouans,  rendre 
hommage  à  la  Liberté ,  et ,  pleins  d'émotion ,  baiser 
Tautel  du  dieu  inconnu. 

Laissons  les  pastorales  ^  qu'on  nous  a  faites  sur  la 
vie  patriarcale  des  contrées  de  l'Ouest  avant  la  Révo- 
lution. Les  seigneurs  endettés,  dans  la  Vendée  tout 
comme  ailleurs,  n'étaient,  ne  pouvaient  être  les 
patrons  débonnaires  qu'on  nous  a  peints.  QuMls  le 
voulussent  ou  non,  ils  livraient  leurs  fermiers  aux 
hommes  d'affaires  auxquels  ils  engageaient  leurs 
biens.  Il  y  parut  en  89,  où  les  gens  de  Maulévrier 
prirent  les  armes  contre  ces  corbeaux  qui  venaient 
les  dévorer.  La  rancune  du  paysan  contre  le  procu- 
reur remontait  aux  seigneurs ,  aux  nobles  en  général. 
Des  quatre  bœufs  qu'il  attelait  à  la  charrue,  le  plus 


1  Les  romans  vendéens  (de  M»*  La  Rochejaquelein  et  antres) 
ont  trouvé  des  rérutations  et  des  conlradietions  très-grates  dans  pin- 
siears  historiens  royalistes,  dans  Lebouvier  Desmortiers,  Vaaban,  etc. 
Enfin  sont  venues  les  pubUcalions  de  pièces  et  d'aoteê  qui  ont  prouré 
que  dans  ces  romans  pas  un  fait,  pas  une  date  n*étaient  exacts  ;  ils  se 
sont  écroulés,  et  il  n'en  reste  rien.  —Voir  le  recueil  intitulé  :  Guerres 
des  Vendéens,  par  un  officier  de  la  République,  48S4,  6  vol.  H  donne, 
outre  les  actes,  les  notes  et  rapporu  de  Kléber  et  autres  généraui, 
dont  la  véracité  loyale  n'a  jamais  été  mise  en  doute. 


D'ACHETER  LES  BIENS  NATIONAUX  (179i).  289 

mauvais  y  celui  sur  qui  il  Frappait  le  plus,  il  rappelait 
nobliet  y  c'est-à-dire  fainéant. 

Toutefois  y  il  faut  remarquer  que  le  paysan  ven- 
déen 9  généralement  éleveur  de  bestiaux ,  et  réalisant 
ses  ventes  en  argent  qu'il  ne  savait  trop  où  placer, 
le  confiait  souvent  au  noble,  et  se  trouvait  intéressé 
dans  la  fortune  de  son  maître.  Avec  quel  désespoir 
il  voyait  ce  maître  émigrer,  celte  fortune  atteinte  par 
les  lois  de  la  Révolution,  on  le  devine  sans  peine. 

Le  paysan ,  dans  tout  l'Ouest ,  tenait  aussi  au 
prêtre,  et  pour  une  raison  bien  naturelle.  Cest  que 
le  prêtre,  c'était  le  paysan  même,  son  fils,  son  frère 
OQ  son  cousin.  Le  bas  clergé  tout  entier  sortait  des 
campagnes.  Ce  prêtre  avait  influence  par  la  chose 
même  qui  faisait  la  passion  du  paysan  ;  il  le  tenait 
par  la  terre  y  je  veux  dire  par  la  puissance  que  le 
prêtre  et  le  sorcier  ont  de  bénir  ou  de  maudire,  de 
jeter  un  bon  ou  mauvais  sort  sur  la  terre  et  sur  les 
bestiaux. 

La  dîme  néanmoins  était  un  impôt  si  lourd ,  si 
odieux,  spécialement  par  la  surveillance  vexatoire 
que  le  curé  exerçait  au  temps  de  la  moisson ,  qu'a- 
vant 89  les  procès  étaient  communs ,  dans  l'Ouest 
comme  ailleurs,  entre  les  curés  et  leurs  paroissiens. 
U  Révolution ,  en  supprimant  la  d!me ,  les  réconci- 
lia ;  elle  supprima  justement  ce  qui  neutralisait  Tin- 
Duence  du  clergé ,  elle  rendit  au  prêtre  une  puissance 
morale  qu'il  n'avait  nullement  avant  89^  Le  paysan 

^  Nulle  époque  ne  fut  plus  morte,  comme  sentiment  religieux^  que 


i90  LE  PAYSAN  AIMAIT-ÎL 

pouvait  consulter  deux  perspnne^  :  le  procureur,  le 
prêtre  ;  du  moment  que  celui-ci  ne  leva  plus  la  dtme, 
il  fut  seul  consulté.  Ses  conseils  y  appuyés ,  répétés , 
inculqués  jour  et  nuit  par  la  femme ,  devinrent  irré- 
sistibles. 

Et  pourquoi  ces  conseils  du  prêtre  furent-ils  si  vio- 
lemment hostiles  pour  la  Révolution  ? 

Faut-il  en  chercher  la  cause  dans  ropposilion 

ceHe  qui  précéda  înnné&temeiit  la  RévolatioM.  Mon  père  m^a  soft^t 
TiMULè  que  daas  sa  n\h  iiaïale,  Laoïi,  et  dns  bîeii  d'avires  «ifes» 
comme  Laon,  peuplées  de  prèlres,  ropinion  générale  leur  éui^  non 
pas  indUTérente  seulement,  mais  plutôt  hostile.  H  devenait  difBcile  de 
recruter  le  corps  ecclésiastique,  mrtout  de  trouver  des  moines.  An 
couvent  de  Saint^Vandriile,  <ionstn»c  pour  mille  maines,  il  n^y  en  avak 
plus  que  quatre.  Les  couvents  employaient  mille  caresses,  mille  flaw 
teries  pour  attirer  une  recrue.  Près  de  Laon,  il  y  avait  un  vaste  mo- 
nastère de  Chartreux  (au  Val  Saint-Pierre),  énorméoient  riche,  qui, 
disait-K>n  dans  le  pays,  occupait  dix-neuf  villages,  foisatt  travailler  qna*> 
tre*viDgt-dix-nenf  elmmies.  Ces  moines  n'éuie»t  plus  q«0  doue,  «t 
ces  douze  s^éteignaient,  sans  trouver  h  se  remplacer.  Us  lâchaient  d^at- 
tirer  mon  père,  fort  jeune  alors,  Finvitaient  et  le  cajolaient,  s'efforçaient 
dé  Pamuser.  Us  ne  pouvaient  lui  cacher  c«?pendant  qu^ils  roouraieet 
d*ennui  ;  toute  leur  ressource  éuH  de  se  créer  quelque  amusement  fu- 
tile ;  Pun  élevait  des  serins,  un  autre  jardinait  un  peu,  un  ireiaième 
taillait  des  jouets.  Le  seul  qui  fût  un  homme  sérieux  disait  toujours  aux 
étrangers:  a  Ne  vous  faites  jamais  Chartreux.»  Et  pour  ce  crime,  ses 
chefs  renvoyaient  souvent  li  la  discipline.  Un  jeor  par  semaine,  les 
Chartreux  traitaient  magniliquement,  en  maigre»  selon  la  règle  de  Per- 
dre. Force  parasites  venaient,  surtout  delà  pauvre  noblesse.  Les  deux 
ou  trois  dignitaires  principaux  de  la  maison  allaient  et  venaient,  sous 
prétexte  d^affiiires,  menaient  grand  train,  belles  voitures,  dînaient  hors 
delà  maison,  faisaient  de  petits  voyages,  soiwent  arec  de  bdles  dunes, 
qui  couchaient  dans  les  bâtiments  extérieurs  du  couvent  ;  personne  ne 
sVn  scandalisait. — Mon  père  voyait  trop  bien  cet  intérieur  pour  être 
tenté  de  se  faire  Chartreux.  Les  couvents  de  femmes,  qu*il  connaissait 


LE  PRÊTBE,  LÉ  NOBLE,  AVANT  89t  »l 

(  très  -  réelle  )  des  principes  révolutîonfiaires  aux 
doctrines  du  christianisme?  Non,  cette  opposition 
que  nous  avons  marquée  ailleurs  (Voy.  au  t.  i«' 
notre  introduction,  et  au  t.  ii,  les  p.  128-132) 
u*influa  néanmoins  que  d*une  manière  très- se- 
condaire. Les  doctrines  originales  du  christianis- 
me étaient  fort  délaissées.  Sa  question  profonde 

irès-bîen  aussi,  \m  tévélaîent  mieux  encore  tons  les  inconvénienls  de 
h  rie  monastique.  (Tétait  le  tnomphe  du  tide  et  de  k  IbttHté  ;  nulle 
petsée  rdigieuse;  des  Uaeasséries  înqombrables,  une  (jfranne  fémi^ 
nine,  inquiète^  cruelle,  h  mort  à  coups  d^aîguilles.  Mon  père,  tout 
jeune  qu'il  était,  recevait  les  confidences  de  plusieurs  religieuses;  elles 
disaient  au  jeune  homme  bonnéte,  discret  et  sage,  ce  qu'elles  n'osaient 
«Kn  m  prélve,  qui  redisait  tout  ^  leurs  supérieures.  Une  de  ces  reli- 
gieoses,  de  quarante  ans  environ,  M"»«  Dangesse,  d'un  esprit  élevé^ 
mais  d'un  caractère  ferme,  incapable  de  s'accommoder  au  régime  de 
petitesses ,  de  tâches  complaisances ,  de   délations  mutuelles  qu'on 
iiD)K>sait  aux  autres,  était  le  soulfre-doulettr,  La  supérieure  tantôt  la 
mettait  à^gsooux  a«  milieu  du  chœur;  tant6t^  dans  le  léibtttdite,  elle 
lui  faisait  manger  son  pain  sec,  à  terre,  comme  le  mangent  les  chiens. 
Ces  punitions  fantasques,  infligées  à  la  seule  personne  qui  eût  du  mé' 
rite,  fusaient  Tamusement  des  favorites  de  Tabbesse  et  charmaient  leur 
eimeté.  Le  plaisir  barbare  que  les  enfants  malheureux  et  méchants 
pcennent  à  torturer  un  pauvre  animal^  elles  le  prenaient  à  voir  souf<- 
frir  leur  infortunée  compagne,  et  leurs  risées  étaient  un  moyen  de 
flatter  le  tyran  commun. — Mon  père  étant  bien  déterminé  à  ne  jamais 
être  nome,  sa  familfe  tnatstait  pour  qu^u  moins  il' se  fft  prêtre,  canqi- 
tant  (p'ayoat  Inîi  de  bouBes  étodes»  il  aaraii  peu. de  peine  ii  obtenir  un 
bénéfice.  On  le  présenta  à  Tabbé  de  Bourbon,  fils  de  Louis  XV  et  de 
M^i«  de  Romans,  qui  avait  en  bénéfices  un  demi-million  de  renies.  Ce 
jeune  prince  de  vingt  ans,  joli  homme,  aimable  et  mondain,  reçut  mcn 
pto  I  merreiUe,  causa  un  moment  avec  luî,  le  trouva  berame  du  mou- 
fle, sans  aucune  vocation  ecclésiastique^  et  lui  frappant  amicalement 
sur  Tépaule  :  «  Très-bien,  mon  ami,  très-bien.  Tu  me  plais  ;  je  te  fais 
chanoine.  »  Heureusement  pour  mon  père^  la  Révolution  y  pourvut. 


292  LB  PATSàM  AWAIT-IL 

et  vitale  qui  le  fait  être  ou  n'être  pas  (la  question 
de  la  justice  et  ^de  la  grâce)  n'était  plus  débat- 
tue. Chose  étrange I  le  clergé  la  jugeait  ridicule, 
et  se  moquait  des  obstinés  qui  voulaient  Téclaîrar 
encore. 

Que  la  Révolution  y  comme  doctrine,  fût  ou  ne  (ùt 
contraire  aux  doctrines  du  prêtre,  elle  ne  s'était  du 
moins  nullement  montrée  hostile  pour  lui.  Elle  s'était 
inquiétée  de  lui  plus  que  ses  chefs  eux-mêmes.  En 
ruinant  le  haut  clergé,  les  grands  seigneurs  ecclé* 
siastiques ,  elle  avait  amélioré  le  sort  du  clergé  infé- 
rieur. Si  elle  lui  avait  été  la  dtme,  ce  traitement  va* 
riable,  odieux,  qui  le  mettait  en  guerre  avec  le  paysan, 
elle  lui  donnait,  sur  les  fonds  de  l'État,  un  traitement 
supérieur,  fixe  et  régulier,  qui  le  dédommageait 
Quelles  étaient  donc  les  causes  de  l'exaspération  des 
prêtres  des  campagnes? 

L'autorité  du  pape  et  des  évêques,  l'esprit  de  corps, 
suffiraient,  sans  nul  doute,  pour  expliquer  la  réû- 
stauce.  Habitués  à  obéir,  les  prêtres  obéirent  encore 
lorsqu'il  fallut  prendre  parti  entre  leurs  tyrans  ecclé- 
siastiques et  la  Révolulion  qui  les  affranchissait.  Si 
toutefois  la  résistance  n'eût  été  qu'imposée  d'en  haut 
et  par  l'autorité,  elle  eût  été  passive,  inerte,  pour 
ainsi  dire,  elle  n'eût  eu  nullement  le  caractère  actif, 
ardent,  passionné,  qu'elle  eut,  spécialement  dans 
rOuest. 

11  y  eut  à  ceci  une  autre  cause,  très^rave  et  très* 
profonde,  qu'il  faut  analyser. 

Tout  l'effort  de  la  femme  était  d'empêcher  son 


us  PRÊTRE,  LB  NOBLE.  AYANT  89?  295 

mari  d'acheter  des  biens  nationaux.  Cette  terre  tant 
désirée  du  paysan,  si  ardemment  convoitée  de  lui, 
depuis  des  siècles,  au  moment  où  la  loi  la  lui  livrait 
pour  ainsi  dire,  la  femme  se  jetait  devant,  l'en  écartait 
au  nom  de  Dieu.  Et  c'eût  été  en  présence  de  cédés- 
ÎDlëressement  (aveugle,  mais  honorable)  de  la  femme 
que  le  prêtre  aurait  profité  des  avantages  matériels 
que  lui  offrait  la  Révolution?  Il  eût  déchu  certaine- 
ment dans  l'opinion  de  ses  paroissiennes,  se  fût  fermé 
leur  confiance,  eût  descendu  du  haut  idéal  où  leur 
cœur  prévenu  aimait  à  le  placer. 

On  a  beaucoup  parlé  de  l'influence  des  prêtres  sur 
les  femmes,  mais  pas  assez  de  celle  des  femmes  sur 
les  prêtres. 

Notre  conviction  est  qu'elles  furent  et  plus  sincè- 
rement et  plus  violemment  fanatiques  que  les  prê- 
tres eux-mêmes;  que  leur  ardente  sensibilité,  leur 
pitié  douloureuse  pour  les  victimes,  coupables  ou 
non,  de  la  Révolution,  l'exaltation  où  les  jeta  la  tra- 
gique légende  du  Roi  au  Temple,  de  la  reine,  du  pe- 
tit  Dauphin,  de  M"^  de  Laraballe,  en  un  mot  la  pro- 
fonde réaction  de  la  pitié  et  de  la  nature  au  cœur  des 
femmes,  fit  la  force  réelle  de  la  contre- révolution. 
Elles  entraînèrent,  dominèrent  ceux  qui  parais- 
saient les  conduire,  poussèrent  leurs  confesseurs 
dans  la  voie  du  martyre,  leurs  maris  dans  la  guerre 
civile. 

Le  XVIII-  siècle  connaissait  peu  l'âme  du  prêtre, 
n  savait  bien  que  la  femme  avait  influence  sur  lui  ; 
mus  il  croyait,  d'après  la  vaine  tradition  des  noè'ls  et 

IV. 


t94  RELATIONS  ïtO  mftTHB  ET  DB  LA  FBQIB» 

des  fabliaux  y  d'après  les  plaisanteries  de  TiUage^  q« 
la  femme  qui  gouverne  le  prêtre,  c'était  la  gouYer- 
Hante  9  celle  qui  couche  sous  son  toit,  la  servante- 
mattresse,  la  dame  du  presbytère.  Et  en  cela,  il  se 
trompait. 

Nui  doute  que,  si  la  gouvernante  eût  été  la  femme 
du  cœur,  celle  qui  influe  profondément,  le  pirèlre 
n'eût  reçu,  saisi  avec  bonheur,  les  bienfaits  de  la 
Bévolution.  Fonctionnaire  à  traitement  fixe  et  suffi- 
sant pour  la  famille ,  il  eût  trouvé  bientôt^  dans  le 
progrès  naturel  du  nouvel  ordre  de  choses,  son  afima- 
chissement  véritable,  la  faculté  de  faire  du  concubitiat 
tin  mariage.  La  gouvernante  n'en  était  pas  indigne *« 
Malheureusement,  quel  que  soit  son  mérite,  elle 
est  généralement  plus  âgée  que  le  prêtre,  ou  de 
figure  laide  et  vulgaire.  Fût-elle  jeune  et  belle,  le 
cœur  du  prêtre  ne  lui  resterait  pas.  Son  cœur,  qu'on 
le  sache  bien,  n'est  pas  au  presbytère;  il  est  au  con- 
fessionnal *.  La  gouvernante  est  sa  vie  quotidienne 

*  Elle  était  et  elle  est  géDénilemeDt  honnête  et  écono«ef  elle  prend 
le  méaage  à  cœur,  remplit  les  devoirs  d'épouse  et  au-delà.  Nous  en 
aTODs  connu  qui  n  acceptaient  aucun  salaire,  bien  plus,  qui  surreil* 
htient  leur  maître,  Féloignaient  des  excès  de  Uifble  et  antres,  le  sui-^ 
ymmi  jusque  dans  TégUse,  et,  du  pied  de  Taulel,  <AMraicBl  s*il  ft*i^ 
^ittait  dignement  de  son  saint  ministère. 

>  Cette  religion,  née  du  cœur  de  la  femme  (ce  fut  le  charme  de 
son  berceau),  va,  en  sa  décadence,  s'absorbant  dans  la  femme.  Ses 
docteurs  sont  insatiables  dans  les  recherches  sur  le  mystère  do  sexe. 
Celte  année  même  (iS49),  quelle  matière  le  concile  de  P^rin  «-i-4I 
(ouillée,  approfondie?  Une  seule,  la  Conception.  —  Ne  cherchei 
point  le  prêtre  dans  les  sciences  ou  les  lettres;  il  est  au  confes- 
éionnal,  et  il  t^y  est  perdn.  Que  voulez-yous  que  denenne  un  pan- 


SIfRrSI/t  DANS  L*OUBST.  f9K 

el  ifBlgairé^  M  prose.  La  pénitente  est  sa  poésie  ; 
c'est  avec  elle  qu'il  a  ses  rdpportâ  âe  èœur,  intimes 
et  profonds. 

Ht  ces  rapports  ne  sont  nulle  part  plos  forts  que 
dans  rOuest. 

8or  nos  frontières  do  Nord^  dans  toutes  ces  con« 
irées  de  passage  où  vont  et  viennent  lès  troupes,  et 
qM  respirent  un  souffle  de  guerre,  l'idéal  de  la  fem- 
me, c'est  le  militaire,  Tofficier.  L'épaulelle  est  pres- 
que invinciblci 

Dans  le  Midi  et  surtout  dans  FOuest,  l'idéal  de  la 
femme,  de  la  paysanne  du  iboins,  c'est  le  prêtre. 

Le  prêtre  de  Bretagne,  spécialement,  dut  plaire 
et  gouverner.  Fils  de  paysan,  il  est  au  niveau  de  la 
paysanne  par  la  condition,  il  est  avec  elle  en  rapport 
de  langue  et  de  pensée }  il  est  au-dessus  d'elle  par  la 
eeltore,  mais  pas  trop  au-dessus.  S'il  était  plus  lettré, 

ne  Ikmmm  k  qui  tons  les  jours  cent  femmes  Tiennent  raconter  lenr 
caenr,  leur  Ul,  tons  leurs  secrets^  Les  saints  mystères  de  h  natore, 
qui,  ms  de  face^  au  Jour  de  Dieu,  de  l'œil  austère  de  la  science, 
agrandiraient  fesprit,  Taflaiblissent  et  rénervenl  quand  on  les  sur- 
prend ainsi  an  demi-jont  des  co(nfidences  sensuelles.  Uagitaiion  ùé- 
▼rease^  les  jouissances  connnencées,  pins  ou  moins  ondées,  reoom-* 
oeo/eées  sans  cesse,  stérilisent  Vhomme  sans  retour  (je  reoonnaAde 
cet  important  sujet  au  philosophe  et  au  médecin  ).  11  peut  garder  les 
petites  facultés  d*intrigue  et  de  manège ,  mais  les  grandes  factiiiés 
finies,  surieul  riuTeation,  ne  se  dèTel(»|>pent  jamak;  dans  cet  état 
maladtf*^  eBea  Tculent  Fétat  sain,  naturel,  légitime  et  loyal.  Depuis 
ee^i  cinqpiante  ans  surtout,  depuis  que  le  5acri^  cûmr,  sous  son 
Tôiïe  d'équivoques,  a  rendu  si  aisé  ce  jeu  fatal,  le  prôtre  s'y  est 
éiièfié  et  n*a  pfos  rîeù  pfodnii  ;  il  est  resté  eunuque  dans  tes 


296  ATTACHEMENT  PASSIONNÉ 

plus  distingué  qu'il  n'est,  il  aurait  moins  de  prise.  Le 
voisinage,  la  famille  parfois,  aident  aussi  à  créer  des 
rapports  entre  eux.  Elle  l'a  vu  enfant,  ce  curé;  elle  a 
joué  avec  lui  ;  elle  Ta  vu  grandir.  C'est  comme  un 
jeune  frère  à  qui  elle  aime  à  raconter  ses  peines,  la 
plus  grande  peine  surtout  pour  la  femme  :  combien  le 
mariage  n'est  pas  toujours  un  mariage,  combien  la 
plus  heureuse  a  besoin  de  consolation,  la  plus  aimée 
d'amour. 

Si  le  mariage  est  l'union  des  âmes,  le  vrai  mari 
c'était  le  confesseur.  Ce  mariage  spirituel  était  très- 
fort,  là  surtout  où  il  était  pur.  Le  prêtre  était  souvent 
aimé  de  passion,  avec  un  abandon,  un  entraînement, 
une  jalousie  qu'on  dissimulait  peu.  Ces  sentiments 
éclatèrent  avec  une  extrême  force,  en  juin  91,  lors- 
que le  Roi  étant  ramené  de  Yarennes,  on  crut  à  l'exi- 
stence d'une  grande  conspiration  dans  l'Ouest,  et 
que  plusieurs  directoires  de  départements  prirent  sur 
eux  d'incarcérer  des  prêtres.  Ils  furent  relâchés  en 
septembre,  lorsque  le  Roi  jura  la  constitution.  Mais, 
en  novembre,  une  mesure  générale  fut  prise  contre 
ceux  qui  refusaient  le  serment.  L'Assemblée  auto- 
risa les  directoires  à  éloigner  les  prêtres  réfractai- 
res  de  toute  commune  où  il  surviendrait  des  troubles 
religieux. 

Cette  mesure  fut  motivée  non-seulement  par  les 
violences  dont  les  prêtres  constitutionnels  étaient 
partout  l'objet,  mais  aussi  par  une  nécessité  politi- 
que et  financière.  Le  mot  d'ordre  que  tous  ces  prê- 
tres avaient  reçu  de  leurs  supérieurs  ecclësîasti- 


nés  PEMMBS  OB  L'OUEST  POUR  LE  PRÊTRE.  tiH 

ques,  et  qu'ils  suivaient  fidèlement ,  c'était,  nous 
l'avons  dit  y  d'affamer  la  Révolution.  Ils  rendaient 
impossible  la  levée  de  l'impôt.  Elle  devenait  une 
chose  si  dangereuse,  en  Bretagne,  que  personne  ne 
voulait  s'en  charger.  Les  huissiers,  les  officiers  mu- 
nicipaux, étaient  en  danger  de  mort.  L'Assemblée 
fut  obligée  de  lancer  ce  décret  du  27  novembre  91, 
qui  envoyait  au  chef-lieu  les  prèlres  réfractaires, 
les  éloignait  de  leur  commune,  de  leur  centre  d'ac* 
tivité,  du  foyer  de  fanatisme  et  de  rébellion  où  ils 
soufflaient  le  feu.  Elle  les  transportait  dans  la  grande 
ville,  sous  l'œil,  sous  l'inquiète  surveillance  des  so- 
ciétés patriotiques. 

n  est  impossible  de  dire  tout  ce  que  ce  décret  sus- 
cita de  clameurs.  Les  femmes  percèrent  l'air  de  leurs 
cris.  La  loi  avait  cru  au  célibat  du  prêtre  ;  elle  l'a- 
vait traité  comme  un  individu  isolé,  qui  peut  se  dé- 
placer plus  aisément  qu'un  chef  de  famille.  Le  pré- 
Ire,  l'homme  de  l'esprit,  tient  il  donc  aux  lieux,  aux 
personnes?  n'est-il  pas  essentiellemeut  mobile,  comme 
Tesprit,  dont  il  est  le  ministre  î  A  toutes  ces  ques- 
tions, voilà  qu'ils  répondaient  négativement,  ils  s'ac- 
cusaient eux-mêmes.  Au  moment  où  la  loi  l'enle- 
vait de  terre,  ce  prêtre,  on  s'apercevait  des  racines 
vivantes  qu'il  avait  dans  la  terre  ;  elles  saignaient , 
criaient. 

«  Hélas!  mené  si  loin,  tratné  au  chef-lieu,  à  douze, 
à  quinze  lieues,  à  vingt  lieues  du  village I...  »  On 
pleurait  ce  lointain  exil.  Dans  l'extrême  lenteur  des 
voyages  d'alors,  lorsqu'on  mettait  deux  jours  pour 


198  DÉSBSPOIR  DBS  PCttOfi^  LOEaODB  LB  fÊÈM 

fraoehir  uaé  telle  distance  S  elle  affligeait  bien  plus* 
Le  chef^ieu,  c'était  le  bout  du  monde.  Pour  faire  un 
tel  voyage,  on  faisait  son  testament,  on  mettait  oidre 
à  sa  conscience. 

Qui  peut  dire  les  scènes  douloureuses  de  ces  dé* 
parts  forcés?  Tout  le  village  assemblé,  les  fenmea 
agenouillées  pour  recevoir  encore  la  bénédîctkm, 

noyées  de  larmes,  suffoquées  de  sanglots? Telle 

pleurait  jour  et  nuit.  Si  le  mari  s'en  étonnait  un  pan, 
ce  n'était  pas  pour  l'exil  du  curé  qu'elle  pleurait,  c'é- 
tait pour  telle  église  qu'on  allait  vendre,  tel  coavenl 
qu'on  allait  fermer...  Au  printemps  de  83,  les  Décès- 
sites  financières  de  la  Révolution  firent  décider  enfin 
la  vente  des  églises  qui  n'étaient  pas  indispensables 
au  culte,  celles  des  couvents  d'hommes  et  de  fmi* 
mes.  Une  lettre  d'un  évéque  émigré,  datée  de  Sa* 
lisbury,  adressée  aux  Ursulines  de  LAudemeau , 
fut  interceptée,  et  constata  de  manière  authentique 
que  le  centre  et  le  foyer  de  toute  l'intrigue  royaliste 
étaient  dans  ces  couvents.  Les  religieuses  ne  négli- 
gèrent rien  pour  donner  à  leur  expulsion  un  éclat 
dramatique;  elles  s'attachèrent  aux  grilles,  ne  vou- 
lurent point  sortir  que  les  officiers  municipaux,  for- 
cés eux-mêmes  d'obéir  à  la  loi  et  responsables  de 
son  exécution,  n'eussent  arraché  les  grilles  de  leurs 
mains. 

De  telles  scènes,  racontées,  répétées,  surchargées 


*  Mon  père,  venant  de  Laon  à  Paris,  en  oclobre  92,  fut  en  route 
trois  jours,  et  fut  obligé  de  coucber  deux  fois. 


iST  ÉLMCRÉ  AV  cnr-uso  (iW).  W 

d'orpMse&ts  {latbéUques,  troublaient  tous  les  esprito. 
Les  ^imnes  eoioinaiçaieut  à  s'émouvoir  presque  au- 
tant qoe  lf»foaifli6S.  Étonnant  changmaent,  et  bien 
rapide  1  Le  paysan,  en  88,  était  en  guerre  avec  Té* 
glise  pour  la  dtme,  toujours  teuté  de  disputer  contre 
elle.  Qai  donc  l'avait  si  bien,  si  vite  réconcilié  avec 
le  ^tre?  La  Révolution  elle-même,  en  abolissant  la 
dime.  Par  cette  mesure  plus  généreuse  que  politi- 
que, elle  rendit  au  prêtre  son  influence  sur  les  cam- 
pagnes. Si  la  dtme  eût  duré,  jamais  le  paysan  n'eût 
cédé  à  sa  femme,  n'eAt  pris  les  armes  contre  la  Ré- 
v<4ution. 

Les  prêtres  réfractaires,  réunis  au  cbef-vlieu,  oon* 
naissaient  parfaitement  cet  état  des  campagnes,  la 
profonde  douleur  des  femmes,  la  sombre  indignation 
des  bcmmies.  Ils  en  tirèrent  un  grand  espoir,  et  en- 
treprirent de  le  communiquer  au  Roi.  Dans  une  foule 
de  lettres  qu'ils  lui  écrivent,  ou  lui  font  écrire  au 
printemps  de  93,  ils  l'encouragent  à  tenir  ferme,  à 
n'avoir  pas  peur  de  la  Révolution,  à  la  paralyser  par 
l'obstacle  constitutionnel,  le  veto.  On  lui  prêche  la 
Tésistance  sur  tous  les  tons,  par  des  arguments  variés, 
et  sous  des  noms  de  personnes  diverses.  Tantôt,  ce 
sont  des  lettres  d'évêques,  écrites  en  phrases  de  Bos- 
suet  :  a  Sire,  vofisêtes  le  roi  trés-chrétien...  Rap- 
pelés-vous  its  ancêtres Qu'aurait  foit  Saint 

U)uis?  etc.  »  Tantôt  des  lettres  écrites  par  des  reli- 
giettses,)ou  en  leur  nom,  des  lettres  gémissantes.  Ces 
plaintives  colombes,  arrachées  de  leur  nid,  deman- 
dent au  Roi  la  faculté  d'y  rester,  d'y  mourir.  Autre- 


300  LES  COUVERTS,  n»YIB8  DE  COIWIIUIIOM. 

ment  dit,  elles  veuleDt  qae  le  Roi  arrête  rexècotion 
des  lois  relatives  à  la  vente  des  biens  ecclésiastiques. 
Celles  de  Rennes  avouent  que  la  municipalité  leur 
offre  une  autre  maison;  mais  ce  n'est  point  la  leur, 
et  elles  n'en  voudront  jamais  d'autre. 

Les  lettres  les  plus  hardies,  les  plus  curieuses  sont 
celles  des  prêtres  :  c  Sire,  vous  êtes  un  homme  pieux, 
nous  ne  l'ignorons  pas.  Vous  ferez  ce  que  vous  pour- 
rez... Mais  enfin,  sachez-le,  le  peuple  est  las  de  la 
Révolution.  Son  esprit  est  changé,  la  ferveur  lui  est 
revenue;  les  sacrements  sont  fréquentés.  Aux  chan- 
sons ont  succédé  les  cantiques...  Le  peuple  est  avec 
nous...  » 

Une  lettre  terrible  en  ce  genre,  qui  dut  tromper  le 
Roi  ^,  l'enhardir,  le  pousser  à  sa  perte,  est  celle  des 
prêtres  réfractaires  réunis  à  Angers  (9  février  92). 
Elle  peut  passer  pour  l'acte  originaire  de  la  Vendée, 
elle  l'annonce,  la  prédit  audacieusement.  On  y  parie 
haut  et  ferme,  comme  ayant  sous  la  main,  pour  arme 
disponible,  une  jacquerie  de  paysans.  Cette  page  >saii' 
glante  semble  écrite  de  la  main,  du  poignard  de  Ber- 
nier,  un  jeune  curé  d'Angers,  qui,  plus  que  nul  autre, 
fomenta  la  Vendée,  la  souilla  par  des  crimes,  la  di- 
visa par  son  ambition,  l'exploita  dans  son  intérêt. 

<xOn  dit  que  nous  excitons  les  populations?...  Mais 
c'est  tout  le  contraire.  Que  deviendrai  le  royaume  si 

t  Ces  lettres  (oonserTées  aax  Archk)e$  nattonalM,  armoire  de  fer 
c.  37,  pièces  du  Procès  de  Louis  XVI  )  foumisseiit  une  grave  ctrcoc- 
stance  atténuante  en  faveur  de  Thomme  incertain,  timoré,  dont  eUe^ 
durent  lorlurer  l'esprit. 


LES  PRftTBES  ANNOlICBirr  LA  GWÊiBE  ClVaB  (FÉVRIER  1792).  301 

flous  De  retenions  le  peuple?  Votre  trône  ne  s'appuie- 
rait plus  que  sur  uu  monceau  de  cadavres  et  de 
ruines... — Vous  savez,  sire,  vous  ne  savez  que  trop 
ce  que  peut  faire  un  peuple  qui  se  croit  patriote.  Mais 
vous  ne  savez  pas  de  quoi  sera  capable  un  peuple 
qui  se  voit  enlever  son  culte,  ses  temples  et  ses 
autels.  » 

Il  y  a,  dans  cette  lettre  hardie,  un  remarquable 
aveu.  C'est  le  vortout  du  prêtre,  on  le  voit,  son  der- 
nier cri  avant  la  guerre  civile.  Il  n'hésite  point  à 
révéler  la  cause,  intime  et  profonde,  de  son  déses- 
poir, à  savoir,  la  douleur  d'être  séparé  de  celles  qu'il 
dirige  :  ^Onose  rompre  ces  communications  que  l'Ë- 
gliae  non-seulement  permet,  mais  autorise  »,  etc. 

Ces  prophètes  de  guerre  civile  étaient  sûrs  de  leur 
fait,  ils  risquaient  peu  de  se  tromper,  en  prédisant  ce 
qu'ils  faisaient  eux-mêmes.  Les  femmes  de  prêtres, 
gouvernantes  de  curés  et  autres,  éclatèrent  les  pre- 
mières, avec  une  violence  plus  que  conjugale,  contre 
les  curés  citoyens.  Â  Saint-Servan,  près  Saint-Malo, 
il  y  eut  comme  une  émeute  de  femmes.  En  Alsace, 
ce  fut  la  gouvernante  d'un  curé,  qui,  la  première, 
sonna  le  tocsin  pour  courir  sus  aux  prêtres  qui  avaient 
prêté  le  serment.  Les  Bretonnes  ne  sonnaient  point, 
elles  frappaient  ;  elles  envahissaient  l'église,  armées 
de  leurs  balais,  et  battaient  le  prêtre  à  l'autel.  Des 
coups  plus  sûrs  encore  étaient  portés  par  les  religieu- 
ses. Les  Ursulines,  dans  leurs  innocentes  écoles  de 
jeunes  filles,  arrangeaient  la  guerre  des  chouans.  Les 
Filles  df  la  sagesse,  dont  la  maison-mère  était  à  Saint- 


Ml  LB8  patTWf  Msmoacvn  ik  gusbbb  gitilb  (9  ptmisiiMl. 
LuvQQt^  près  MoQteîga,  allaieat  soufflant  le  feu  ;  ces 
tM>niies  sœurs  infirimëres^  en  saignant  les  malades, 
inoculaient  la  rage* 

.  <  Laissez-les  faîre^  disaient  les  philosophes,  les  amâ 
de  la  tolérance.  Laisses-les  pleurer  et  crier,  chanter 

leurs  vieux  cantiques.  Quel  mal  à  tout  cela? p 

Oui,  mais  entrez  le  soir  dans  cette  ^lise  de  viHage^ 
où  le  peuple  se  précipite  en  foule.  Entendez-vous  ces 
chants?  Ne  frémissez-vâus  pas?...  Les  litanies,  les 
hymnes,  sur  les  vieilles  paroles,  deviennent  par  Tac- 
cent  une  autre  Marseillaise.  Et  ce  /Nés  irœ,  fanrlé 
avec  fureur,  est-H^e  rien  autre  chose  qu'une  prière 
de  meqrtFe,  un  appel  aux  feux  étemels? 

«  Laisses  faire,  disai^on,  ils  chantent,  n'agissent 
pas.  »  Cependant  on  voyait  déjà  s'ébranler  de  gran- 
des foules.  En  Alsace,  huit  mille  paysans  s'assemble- 
rent  popr  empêcher  de  mettre  les  scellés  sur  un  bien 
ecclésiasUque.  Ces  bonnes  gens,  à  la  vérité,  disait-on, 
n'avaient  d'armes  que  leur  chapelet.  Mais  le  soir  ils 
en  avaient  d'autres,  quand  le  curé  constitutionnel, 
rentré  chez  lui,  recevait  des  pierres  dans  ses  vitres, 
et  que  parfois  la  balle  perçait  ses  contrevents. 

Ce  n'était  pas  par  de  petits  ressorts  d'intrigues  tî* 
midmient  ménagés,  indirects,  qu'on  poussait  les  mas- 
ses à  la  guerre  civile.  On  employait  hardiment  les 
plus  grossiers  moyens  pour  leur  brouiller  l'esprit,  les 
enivrer  de  Ssinatisme  ;  on  leur  versait  l'erreur  et  le 
meurtre  à  pleins  bords.  La  bonne  Vierge  Marie  ap- 
paraissait, et  voulait  qu'on  luàt.  A  Apt,  en  92,  comme 
en  90  à  Avignon,  elle  se  remua,  fit  des  miracles,  dé- 


coMBUT  as  Là  FMnmvr«  US 

dara  qu'elle  ne  voulait  plus  rester  dam  les  mains  dea 
conrtitutianiielsy  et  les  réfractaires  reolevèrent,  au 
prix  d'un  violent  combat.  Mais  il  y  a  trop  de  soleil 
eu  Proveoee  ;  la  Vierge  aimait  bien  mieux  apparaître 
eu  Vendée,  dans  les  brumes,  les  épais  fourrés»  les 
haies  impénétrables.  Elle  proBta  des  vieilles  super- 
stitions locales;  elle  se  montra  dans  trois  lieux  diffiè* 
rents,  et  toujours  prés  d'un  vieux  cbène  druidique. 
Son  lieu  chéri  était  ce  Saint-Laurent,  d*où  les  Filles 
de  la  Sagesse  colportaient  les  miracles,  l'appel  au 
sang.  Les  meudiants  les  secondaient  ;  c'étaient  d'ex- 
cellents propagateurs  de  nouvelles,  de  très-bons 
agents  de  révoltes.  Ils  étaient  fort  nombreux,  la  plu* 
purt  actifs  et  robustes.  Sur  trois  cent  mille  âmes  que 
comptait  la  Vendée,  cinquante  mille  vivaient  d'au- 
mènes,  aans  rien  faire,  spécialement  d'aumônes  du 
clergé;  ils  vivaient  de  lui,  seraient  morts  pour  lui, 
plutôt  que  de  travailler. 

On  connaît  maintenant  les  moyens,  les  agents  de 
cette  guerre  impie.  Le  côté  politique,  le  Roi  et  la  no- 
blesse y  furent  trèsHsecondaires.  Le  prêtre  y  fut  à  peu 
près  tout.  Le  Vendéen,  si  vous  lui  demandiez  ce 
qu^enfin  il  voulait,  ne  répondait  rien  autre  chose,  si- 
non qu'on  lui  rendit  son  prêtre,  qu'on  laissât  son  curé 
revenir  au  village.  Il  faut  entendre  là-dessus,  dans  un 
récit  très^autbentique,  un  de  ces  paysans,  qui  gardait 
des  prisonniers  républicains  qu'on  allait  tuer»  et  qui, 
voulant  sauver  au  moins  leur  Ame,  les  priait  de  se 
confesser.  U  disait  à  l'un  d'eux,  magistrat  estimé  : 
«  Monsieur,  je  vous  aimons  bien  ;  vous  nous  aves  fait 


nm  ASSOGUTHm  ROBLB  M  U  R6mUB  (i*î92). 

MDiiet;  les  Mditisaiis^  la  bande  de  la  reine  etdi 
edmke  d'Artois ,  les  chevaliers  de  rOEîI-d&-4MBQt 
reireoaieût  à  Versailles ,  deoiandaieot,  exigeaient, 
•mpcMrtaieDt  toul  ;  permis  aux  nobles  de  camp^ 
de  retoottier  chez  eax^  de  revoir  leurs  terres  ruinto, 
de  reprendre  leur  vie  monotone^  pauvre,  ohscore, 
ennuyeuse;  la  messe^  la  chasse^  pour  tout  amuse- 
ment. 

Rien  n'était  pludjiMlioieux  que  oes  réflexioi»,  rien 
de  plus  difficile  que  de  tirer  de  là  les  gmlibbom- 
mes  de  campagne.  Les  iatr^nts  qui  meiiaîeDt  Fé- 
migration,  qui  comptaient  bien  exploiter  la  victoire, 
n'omettaient  rien  pour  troubler  le  bon  sens  de  ces 
nobles;  ils  prèobaient^  chantaient  la  croisade  sur  tous 
les  airs  ;  ils  attestaient  T  honneur  et  la  chevalerie.  On 
é4^rivait  des  lettres  anonymes  aux  retardataires,  on 
leur  envoyait  des  quenouilles.  Un  de  ces  agents  roya- 
listes, Tuffin  de  la  Rouerie,  tète  très-mal  rangée, 
personnage  équivoque,  qui  avait  joué  cent  rôles,  offi- 
cier, trappiste,  volontaire  d'Amérique,  révohitton- 
paircy  puis  ennemi  de  la  Révolution,  avait  été  s'of- 
frir à  Coblentz,  offrant  d'entraîner,  disait-il,  toute 
la  Bretagne.  Il  fallait  seulement  que,  dans  V'msat- 
reetion,  on  observât  les  formes  mêmes  des  anciens 
fitats  de  la  province,  que  les  comités  d'insurrection, 
puisés  dans  les  trois  ordres,  fassent  des  États  en  mi- 
ftialure.  On  ne  demanderait  d'aèord  nul  acte,  nirf  ef- 
fort, de  l'argent  seulement.  Ce  dernier  point  pM  à 
CatooDe^  emporta  son  suffrage.  Il  fit  agréer  le  plan 


LA  NOBLBSSK  SB  GONTnmi  DB  DOIfNBR  DB  L^ARGBNT.        907 

aa  comte  d'Artoîs.  Le  5  d6cenibre  91^  les  frèrss  Au 
Rm  tfQtor)sirèDtLa  Rouerie. 

Dans  la  réalité,  le  plan  était  habile.  Les  geBtils- 
bemmes  <|ui  n'éoDigraîent  point,  obsédés,  insultés 
pour  leur  inaction,  troublés  aussi  dans  leur  conscienee 
royaliste  par  leurs  propres  scrupules^  obtenaient  trè* 
ve  en  donnant  à  Vassociation  une  année  de  leur  re- 
venu^  A  ce  prix,  ils  araient  un  sauf-conduit  pour  eux, 
pour  leurs  propriétés ,  ils  étaient  garantis  des  pil- 
lages royalistes.  Et  de  Fautre  côté,  l'association  les 
garantissait  aussi,  en  leur  permettant,  leur  ordon-^ 
nant  de  s*unir^  de  se  marier  avec  les  autorités  con- 
stituées, jusqu^à  ce  qu'on  pût  les  trahir. 

Un  nombre  considérable  de  nobles  trouTérent  cet 
ftfrarigement  commode,  souscrivb'ent,  donnèrent  leur 
nom  et  de  Targent.  Ils  se  trouvaient  ainsi  tout  dou- 
cement compromis,  engagés  sans  s'en  apercevoir, 
hmcés  dans  la  guerre  même  qu'ils  voulaient  éviter. 
11  était  évident  que  le  jour  où  rassociatioù  serait  dé* 
eouverte^  les  associés  les  plus  pacifiques  seraient  bien 
obligés  d'armer  pour  leur  défense,  s'ils  ne  voulaient 
Mre  arrêtés. 

Oe  qui  précipitait  La  Rouerie  et  pouvait  l'obliger 
de  brusquer  les  choses,  c'est  qu'il  avait  comme  utti 
thral  dans  Botherel,  ex-procureur  syndic  des  Ëfats 
de  Bfetaguci  qui  dirigeait  les  émigrés  de  Jersey  et 
Guernesey,  sous  la  protection  de  l'Angleterre,  les 
flattant  de  l'espoir  d'une  flotte  anglaise  qui  les  débar- 
querait. La  Rouerie  lui  opposait  Coblentz,  les  prin-- 
CM,  frères  du  Roi.  Il  obtint  en  efiët  des  princes  une 


30B  UNB  LKTTBE  DD  ROI  EST  L*OCCASMKN 

commissioa  (2  mars  92),  qui  lui  donnait  tous  les  pou- 
voirs et  le  nommait  chef  des  royalistes  de  FOuesly  or- 
donnait de  lui  obéir. 

Il  y  avait  si  peu  d'entente  entre  les  royalistes,  que, 
tandis  que  La  Rouerie  vouliût  attendre  pour  grossir 
l'association,  un  signal  fortuit  de  guerre  civile  par- 
tit des  Tuileries.  Dans  les  premiers  jours  de  juillet, 
les  prêtres,  qui  menaient  le  Roi,  tirèrent  de  lui  une 
lettre  au  directoire  du  Finistère,  pour  demander 
qu'on  élargit  les  prêtres  réfractaires  emprisonnés  à 
Brest.  Le  Roi,  à  ce  moment,  croyait  être  très-fort; 
on  lui  persuadait  que  l'affront  du  20  juin,  son  palais 
envahi,  sa  famille  insultée,  le  bonnet  rouge  sur  la 
tête  royale,  avaient  provoqué  en  sa  faveur  une  réac- 
tion immense  de  l'opinion  publique,  et  qu'il  en  fallait 
profiter.  Toutes  les  chaires,  en  effet,  les  confession- 
naux, les  conciliabules  dévots,  avaient  tiré  un  parti 
incroyable  de  ce  fait  pathétique,  tout  propre  à  la  lé- 
gende; le  Roi,  dans  la  pensée  des  femmes  et  d'une 
grande  partie  des  hommes  des  campagnes,  avait  reçu 
comme  une  consécration  nouvelle  d'un  affiront  qui 
rappelait  la  Passion  de  Notre  Seigneur.  Beaucoup 
pleuraient,  à  cette  image  touchante  de  VEcce  homo  de 
la  royauté. 

La  démarche  du  Roi  en  faveur  des  prêtres  de  Brest 
était  peu  et  beaucoup.  On  pouvait  dire  que  ce  n'était 
qu'un  acte  charitable,  humain,  qui  ne  compromettait 
nullement  son  auteur,  qu'on  ne  pouvait  lui  repro- 
cher. Et  c'était,  dans  la  circonstance  (on  te  vit  par 
l'événement),  c'était,  dans  l'état  terriblement  com- 


DE  LA  GUEUIB  CIVILR  BN  BRETAGIIB  (JUILLET  M).  309 

busUble  où  la  Bretagne  se  trouvait,  un  signal  d'in- 
cendie, une  étincelle  sur  la  poudre.  À  Fouesnant, 
près  de  Quimper,  un  paysan  qui  était  juge-de-paix, 
Allain-Nedellec,  agent  du  marquis  de  Cheffontaine, 
dont  il  régissait  les  possessions,  se  met»  après  la 
messe  (9  juillet),  à  prêcher  les  paysans  devant  Té- 
glise  ;  cinq  cents  prennent  les  armes.  Les  agents  de 
Nedellec  courent  la  campagne ,  menaçant  de  brûler 
les  maisons  de  ceux  qui  ne  viendront  pas  pour  Dieu 
et  le  Roi  ;  le  Roi  le  veut,  il  a  lui-même  écrit  qu'il 
ordonnait  la  liberté  des  prêtres,  leur  rétablissement. 
Le  lendemain  10  juillet,  k  trois  heures  de  nuit, 
cent  cinquante  g^des  nationaux  de  Quimper,  avec 
queli[ues  gendarmes  et  un  canon,  marchant  rapide* 
ment  à  travers  les  campagnes  dont  ils  ne  connaissaient 
pas  trop  les  secrètes  dispositions,  partirent  pour 
Fouesnant.  Les  magistrats  étaient  en  tête  avec  le  dra- 
peau rouge.  Accueillis  par  une  décharge  meurtrière, 
que  trois  cents  paysans  leur  firent  à  bout  portant , 
ils  enfoncèrent  cette  bande,  prirent  le  bourg,  s'y  établi- 
rent, passèrent  la  nuit  dans  l'église,  avec  leurs  morts 
et  leurs  blessés.  Le  lendemain ,  ils  rentrèrent  dans 
Quimper,  et  toute  la  ville  vint  au-devant  d'eux. 

Cette  vigueur  étonna  la  révolte  et  la  fit  réfléchir. 
L'absence  des  gentilshommes,  en  tout  ceci,  avertis- 
sait assez  que  les  choses  n'étaient  pas  mûres.  La 
Kouërie  voulait  attendre  ;  il  avait  raison  en  Bretagne. 
A  Paris,  néanmoins,  les  choses  se  précipitaient,  les 
événements  semblaient  avoir  les  ailes  de  la  foudre. 
He  frappe  au  10  août... 


3i0    VASTE  SOULÈVEMENT  DE  LA  VENDÉE,  ET  PREMIER  COUDAT, 

Le  contre-coup  eut  lieu,  non  dans  la  Bretagne  d'a- 
bord, livrée  &  mille  influences  contraires,  mais  dans 
un  pays  dont  on  attendait  moins  un  prompt  soulève*- 
ment.  La  Vendée  éclata. 

Elle  éclata  avec  un  élan,  un  esprit  d'ensemble  re- 
marquable, et  qui  contrasta  fort  avec  celui  de  résistan- 
ce individuelle  et  solitaire,  qui  fut  celui  des  Bretons, 
des  chouans.  Quarante  paroisses  à  la  Tois,  huit  mille 
hommes  des  campagnes,  autour  de  Châtillon,  armè- 
rent le  même  jour  (24  août).  Ce  fut,  comme  partout, 
le§  magistrats  perfides  de  la  révolution  qui  se  tournè- 
rent contre  elle.  Delouche,  maire  de  Bressuire,  fut  le 
vrai  chef  de  la  révolte.  Un  commandant  de  la  garde 
nationale,  un  gentilhomme  de  la  Châtâigoeraie,  se  fît 
enlever  de  son  château  par  les  paysans,  pour  en  être 
le  général.  Ils  fondirent  sur  Châtillon  d'abord,  la  dé- 
vastèrent, brûlèrent  les  papiers  du  district.  De  là,  ik 
attaquèrent  Bressuire.  Ralentis  par  un  orage  qui  les 
dispersa  quelque  temps,  ils  perdirent  l'instant  favo- 
rable. Le  tocsin  révolutionnaire,  qui  répondit  au  toc- 
sin royaliste,  assembla  en  une  nuit  les  gardes  natio- 
naux des  environs.  Il  y  eut  un  empressement  extra- 
ordinaire. Ceux  des  villes  lointaines,  d'Angers  à  La 
Rochelle,  se  mirent  en  mouvement.  Les  premiers 
arrivés,  peu  nombreux,  défendirent  Bressuire.  Vo 
combat  eut  lieu  sous  les  murs,  où  cent  paysans  envi- 
ron perdirent  la  vie.  Cinq  cents  furent  pris,  et  les 
vainqueurs  qui  coururent  les  c-ampagnes  exercèrent, 
dit-on,  de  sévères  représailles  pour  les  hommes  qu'ils 
avaient  perdus.  Ce  qui  est  sûr  c'est  que  les  prison- 


A  CHATaLON  fit  BRESStHRE  (24-2S  AOUT  92).  341 

nîers  furent  traités  cependant  avec  humanité.  On  se 
contenta  de  les  mener  au  tribunal  criminel  de  Niort. 
Celte  ville  était  un  foyer  d*ardent  palriolîsme.  Le  tri- 
bunal crut  devoir  être  indulgent  envers  ces  hommes 
égarés,  il  les  renvoya,  supposant  magnanimement 
qtfil  n*y  avait  de  coupables  que  les  morls. 

La  Vendée  resta  muette  sous  le  coup.  Mais  on 
put  deviner,  par  ce  sinistre  événement,  ce  qui  cou- 
vait en  elle.  On  put,  d'après  92,  prévoir  93.  H 
n'était  que  trop  sûr  que  les  villes,  petites  et  faible- 
ment peuplées  dans  ce  pays,  ne  pourraient,  quelle 
que  fût  leur  énergie,  contenir  les  campagnes,  que 
celles-ci  emporteraient  tout,  qu'un  jour  ou  Taulre, 
la  Vendée  tout  entière  se  lèverait  comme  un  seul 
homme  y  qu'elle  marcherait  d'ensemble,  prêtres  en 
tète,  disciplinée  d'avance,  sous  les  drapeaux  de  ses 
paroisses. 

Mais  on  pouvait  prévoir  aussi  que  ce  grand  et  terrible 
effort  (tout  grand  qu'il  fût,  la  Vendée  étant  secon- 
dée par  une  partie  des  trois  dé  parlements  voisins)  ne 
serait  pas  cependant  contagieux  pour  la  France,  qu'il 
serait  de  bonne  heure  circonscrit,  enfermé  dans  une 
zone  limitée,  que  bientôt,  et  de  plus  en  plus,  la  ques- 
tion serait  ainsi  posée  :  la  Vendée  d'un  côté,  et  la 
France  de  l'autre. 

Ce  qui  rendait  d'abord  le  succès  de  la  Vendée  im- 
probable, impossible,  c'est  qu'elle  n'agissait  nulle- 
ment d'accord  avec  la  Bretagne.  Ces  deux  pays  dif- 
féraient profondément.  Et  la  Bretagne,  prise  à  part, 
n'était  point  d'accord  avec  elle-même.  Les  prêtres 


311  NANTES  ET  LE  HNISTÈRE 

même  y  étaient  divisés.  Le  prêtre  noble,  qu'on  ap- 
pelait exclusivement  M.  Vabbé,  méprisait  et  tyranni- 
sait le  prêtre  paysan,  celui  qui  eût  le  plus  agi  sur  le 
peuple.  Dans  les  nobles,  il  y  avait  aussi  très-peu  de 
bonne  entente  ;  on  a  vu  les  directions  diverses  de  La 
Rouerie  et  de  Botherel.  Au  contraire,  les  révolution- 
naires bretons,  tout  au  moins  ceux  du  Finistère, 
trouvèrent  un  principe  d'accord  dans  les  belles  lois 
d'août  92;  ces  lois,  favorables  au  paysan,  le  ral- 
lièrent à  l'opinion  des  villes,  à  la  Révolution.  Elles 
eurent  un  effet  immense,  et  sauvèreut  la  France 
peut-être,  en  assurant  à  la  Révolution  la  moitié  de  la 
Bretagne,  la  redoutable  pointe  qui  fait  Tarrière-garde 
de  rOuest.  L'autre  Bretagne,  l'Anjou,  le  Haine  et  la 
Vendée,   dans  tous  leurs  mouvements,  sentirent 
qu'ayant  Paris  et  la  Révolution  en  face,  ils  avaient 
dans  le  dos  Brest  et  le  Finistère,  qui  étaient  encore  la 
Révolution. 

La  Vendée,  quoi  qu'on  ait  pu  dire,  était  un  fait 
artificiel  (du  moins  en  grande  partie),  un  fait  savam- 
ment préparé  par  un  travail  babile.  Dans  ce  coin  de 
terre,  obscur,  retiré  et  sans  route,  le  prêtre  avait  trou- 
vé un  admirable  élément  de  résistance,  un  peuple  na- 
turellement opposé  à  toute  influence  centrale.  Là, 
bien  aidé  des  femmes,  il  avait  pu  longuement,  à  loi- 
sir, créer  une  œuvre  d'art,  étrange  et  singulière  :  une 
révolution  contre  la  Révolution,  une  république  con- 
tre la  République. 

Mais  ce  fait  très-arliCciel  se  trouvait  en  opposition 
>4tTec  le  grand  foit  naturel  dont  la  France  offrait  le 


POUR  LA  RÉVOLUTION  (1792).  3i3 

Spectacle,  fait  uécessaire,  amené  légitimement  du 
fond  des  siècles,  qui  venait,  invincible,  comme  l'O- 
céan vient  à  son  heure,  et,  comme  TOcéan,  pouvait 
absorber  tout. 

I^  Vendéen ,  enfermé ,  aveuglé  dans  son  fourré 
sauvage,  ne  voyait  nullement  le  mouvement  qui  se 
passait  autour  de  lui.  S'il  l'eût  vu  un  moment,  il  eût 
été  découragé  et  n'eût  pas  combattu.  Il  eût  Tallu  qu'on 
le  menât  bien  haut,  au  haut  d'une  montagne,  et  que 
là,  donnant  à  sa  vue  une  portée  lointaine,  on  lui  fit 
voir  ce  spectacle  prodigieux.  Il  se  fût  signé,  se  fût  cru 
au  Jugement  dernier,  il  eût  dit  :  Ceci  est  de  Dieu. 

Ce  spectacle,  que  la  France  eût  offert  &  ses  yeux, 
c'était  comme  un  tourbillonnement  immense,  une 
circulation  rapide ,  violente ,  des  hommes  et  des 
biens,  des  choses  et  des  personnes.  Les  douanes 
entre  les  provinces,  les  octrois  aux  portes  des  vil- 
les, les  péages  innombrables  des  ponts,  des  passages 
de  fleuves,  toutes  ces  barrières  de  l'ancien  régime 
avaient  dteparu  tout  d'un  coup.  Les  clôtures  s'abais- 
saient, les  murs  tombaient,  les  vieux  manoirs  s'ou- 
vraient. Les  choses,  comme  les  hommes,  avaient  re- 
trouvé le  mouvement.  Une  formule  puissante,  qu'on 
entendait  partout,  les  évoquait,  semblait  les  animer  : 
Au  nom  de  la  Loi!  Réveillés  à  ce  mot,  les  immeubles 
prenaient  des  ailes.  Déjà  deux  milliards  des  biens  du 
clergé  volaient  en  feuilles  légères,  sous  formes  d'as- 
signats. Les  domaines,  coupés,  divisés,  se  prêtaient 
aux  besoins  nouveaux  d'un  peuple  immense,  immen- 
sément multiplié.  Partout  des  ventes  et  des  achats  ; 


514     LA  VENDÉE  PEU  CONTAGIEUSE  POUR  LA  FRANCE. 

on  achetait  volontiers,  on  donnait  l'assignat  plus  vite 
qu'on  n'eût  donné  l'argent.  Partout  des  mariages  (ils 
furent  innombrables,  du  moins  dans  les  premières  an- 
nées de  la  Révolution) ,  et  la  nation  faisait  la  doL 
Elle  donnait  des  biens  nationaux^  souvent  pour  le 
produit  de  la  première  année;  une  maison,  on  la 
payait  rien  qu'avec  le  plomb  des  gouttières;  un  bois, 
on  le  payait  avec  ]a  première  coupe.  Il  tombait,  ce 
vieux  bois,  et  la  clairière,  ensemencée  sur  l'heure, 
allait  donner  le  blé  à  la  couvée  joyeuse,  née  de  la 
terre  et  du  soleil  de  la  Révolution, 

Jamais  grand  mouvement  ne  fut  accompli  d'une 
âme  plus  paisible,  avec  moins  de  scrupule,  dans  une 
grande  sécurité  de  conscience.  Jamais  la  violence 
et  la  force  ne  se  sentirent  mieux  appuyées  du  droit. 
La  réclamation  de  la  femme  n'eut  sur  l'homme  au- 
cune influence.  Il  disputa  peu  avec  elle.  Â  toutes  ses 
paroles  il  n'opposa  guère  que  deux  mots. 

Mots  vainqueurs,  qui,  pour  lui,  tranchaient  la 
question. 

Le  premier  lui  servit  pour  les  biens  ecclésiastiques, 
biens  de  prélats,  de  chanoines  et  de  moines.  Ce  mot 
fut  :  Fainéants  ! 

Le  second  lui  servit  pour  les  rentes  et  droits  dus 
aux  seigneurs,  plus  tard  pour  les  biens  d'émigrés.  Ce 
mot  fut  :  Féodall 

a  C'est  du  bien  féodal  d,  disait-il.  Ce  mot  tout- 
puissant  rassurait  sa  conscience. 

Les  biens  même  d'église  lui  semblaient,  noo  sans 
cause,  entachés  de  féodalité.  Comment  en  juger  au- 


LE  PAYSAN  ACHÈTE  PARTOUT  LES  BIENS  NATIONAUX  (i792).   3i!S 

tremeot,  quand  on  voyait,  au  palais  de  Tévèque,  de 
Tabbé,  comme  au^  châteaux  laïques,  le  four  banal, 
le  pressoir  obligé,  le  perron  du  jugement,  le  carcan 
seigneurial,  la  potence,  tout  l'appareil  des  vieilles 
justices?  S'ils  ne  conservaient  pas  en  nature  les  droits 
féodaux,  ils  les  percevaient  en  argent. 

Féodal^  ce  mot  était  sans  cesse  dans  la  bouche  et  la 
pensée  du  paysan.  Il  n'en  avait  pas  la  science  ni  l'his* 
toire,  mais  bien  le  sens  et  l'intelligence  instinctive. 
Les  vingt  ou  trente  générations  qui  moururent  à  la 
peine,  sans  monument,  sans  tradition,  avaient  pour* 
tant  laissé  un  même  testament  à  leur  fils,  pour  tes- 
tament un  mot,  qui,  bien  gardé^  devait  être  pour  lui 
un  infaHlible  gage  de  la  réparation.  Le  libre  labou- 
reur des  temps  antiques,  dépouillé  de  la  liberté  par 
la  force  ou  la  ruse,  n'ayant  ni  bien,  ni  titre,  ayant 
perdu  sa  terre,  squ  corps,  hélas!  et  sa  personne, — 
que  dis-je  î  l'âme  et  le  souvenir,  —  vivait  tout  entier 
dans  un  mot... 

Ce  mot,  répété  huit  cents  ans  à  voix  basse,  pour  em- 
pêcher la  prescription,  ce  mot  qui,  en  89,  éclata  plus 
haut  que  la  foudre,  ce  mot  qui,  en  français,  signifie 
violence,  tyrannie,  injustice,  c'est  le  mot  :  Féodal. 

  tout  ce  que  vous  auriez  objecté  au  paysan,  à  tout 
ce  que  vous  lui  auriez  apporté  de  titres  et  d'actes,  il 
remuait  la  tête,  il  disait  ;  Féodal. 

Ia  Constituante,  en  supprimant  les  droits  féodaux, 
fit  efTort  pour  établir  une  distinction  subtile.  Il  y  a  deux 
féodalités,  disait-on  au  paysan  :  la  féodalité  dominante, 
imposée  par  force  à  vos  ancêtres,  et  celle-là  nous  l'a* 


316       CE  QUI  RASSURAIT  LA  CONSCIENCE  DU  PAYSAN  (1792). 

bolissons  ;  mais  il  y  a  aussi  la  féodalité  anUradanU^ 
celle  qui  résulte  d'un  libre  accord  entre  le  seigneur  et 
le  paysan  ;  vous  ne  pouvez  secouer  le  joug  de  cette 
féodalité  consentie^ qu^en  indemnisant  le  seigneur. — 
Le  paysan  a  la  tête  dure  ;  il  s'obstina  à  ne  pas  com- 
prendre, ne  dit  mot,  alla  son  chemin.  Un  contrat  en- 
tre le  fort  et  le  faible,  entre  celui  qui  était  tout  et  ce- 
lui qui  n'était  rien!  un  accord  consenti  librement  par 
un  homme  non  libre,  par  un  homme  qui  n*a\'ait  pas 
même  son  corps,  qui  n'était  pas  une  personne,  qui 
légalement,  n'existait  pasi  c'étaient  choses  bonnes  à 
plaider  entre  légistes ,  mais  difficiles  à  soutenir  entre 
hommes  de  bon  sens.  La  peine  infligée  au  système 
féodal  et  l'expiation  de  sa  tyrannie,  c'est  qu*au  jour 
du  jugement,  tout  acte  de  lui  parut  tyrannique,  et  s'il 
avait  parfois  respecté  la  liberté,  demandé  consente- 
ment, contracté  librement,  il  ne  se  trouva  personne 
pour  le  croire.  À  tout  acte  qu'il  alléguait,  libre  ou 
non,  on  riait,  on  disait  :  Féodal,  et  tout  était  dit. 

L'Assemblée  constituante  et  ses  légistes  avaient 
tranché  légèrement  une  question  très-grave  d'anti- 
quité et  de  droit.  Ils  avaient  supposé  que  le  seigneur 
possédait  originairement  toute  terre,  et  que,  pour  tel 
service,  pour  telle  redevance,  il  avait  daigné  faire 
part  de  sa  terre  à  celui-ci,  à  celui-là.  Ils  voyaient  l'o- 
rigine  de  toute  propriété  dans  les  concessions  de  fiefs. 
Ils  niaient  les  origines  libres  de  la  propriété ,  igno- 
raient les  aïeux.  Qui  ne  sait  que  les  choses  se  passè- 
rent, non  moins  souvent,  en  sens  inverse?  que  ce  fut 
au  contraire  le  propriétaire  libre,  le  faible,  le  petit  et 


NULLITÉ  DES  ACTES  FÉODAUX.  317 

le  pauvre,  qui  fut  forcé,  par  mille  vexations ,  de  se 
recommandeTy  comme  on  disait,  à  son  puissant  voi- 
sin, de  prendre  à  cens  sa  propre  terre»  de  donner 
au  seigneur  la  propriété  pour  conserver  au  moins  l'u- 
sine? 

«  Tu  es  libre,  bon  homme,  ta  terre  aussi,  et  ta  fa- 
mille aussi,  nous  ne  te  prenons  rien.  Seulement, 
songes-y!  La  terre  libre,  au  milieu  des  Gefs,  a 
cette  propriété  singulière  qu'elle  ne  produit  plus. 
Nous  ne  te  prenons  rien.  Seulement,  tes  voisins,  en 
bons  voisins,  la  visiteront,  cette  terre  ;  les  chevaux» 
les  chiens  du  seigneur,  la  courront  à  plaisir;  c'est 
plus  court  pour  aller  au  bois.  Les  pages  du  sei- 
gneur sont  gais  ;  ils  mettront  le  feu  à  la  queue  de 
tes  vaches ,  sans  malice ,  pour  rire  seulement.  Ta 
fille  aux  champs,  ils  la  prendront,  non  pour  lui  faire 
du  mal,  mais  seulement  pour  rire  ;  ils  la  rendront 
le  lendemain »  Quand  tout  cela  lui  était  arri- 
vé, quand  il  avait  épuisé  les  maux  du  serf»  alors 
cet  homme  libre  s'en  venait  librement,  et,  non  sans 
quelques  larmes,  mettait  ses  mains  dans  les  mains 
du  seigneur...  «  Monseigneur,  je  vous  donne  ma  foi, 
ma  terre,  tout  ce  que  j'avais,  je  le  perds,  je  vous  l'of- 
fre et  le  donne.  Désormais,  il  est  vôtre,  et  je  le  tiens 

de  vous »  Voilà  un  contrat  libre  du  bon  temps 

féodal. 

L'horreur  de  ce  contrat ,  c'est  que  cette  terre  ainsi 
donnée  et  asservie,  loin  d'alléger  le  sort  du  proprié-* 
taire ,  Tasservissait  lui-même ,  et  pour  avoir  donné 
sa  terre,  il  se  trouvait  avoir  donné  son  corps ^  celui 


318  NULLITÉ  DES  ACTES  FÉODAUX. 

des  siens!  Tous  serfs!...  Ceci  n'est  pas  une  figure , 
quoi  qu'on  ail  dil.  Nous  ne  le  voyons  que  Irop,  dans 
les  pays  encore  serfs  aujourd'hui  ^  :  la  femme  et  la 
fille  du  serf  paient  littéralement  de  leurs  corpsy  rare- 
ment au  seigneur,  mais  plus  souvent  à  l'intendant , 
nii^is  aux  agents  de  l'intendant,  mais  aux  valets  de 
ces  agents  ;  une  s6rie  de  hqntes  sans  6q. 

Une  chose  m'arrête  ici.  Cornaient  serai-je  juste 
envers  la  Révolution  ,  comment  la  ferai-je  com- 
prendre, si  préalablement  je  ne  fais  connaître  le 
Moyen  âge ,  celte  Terreur  de  mille  ans!...  Et  pour- 
tant je  ne  le  puis.  On  ne  résume  pas  le  Moyen  âge. 
Ce  qu'il  a  d'essentiel ,  c'est  sa  longueur  terrible,  et 
l'abréger  c'est  n'en  rien  dire  du  tout.  Il  faudrait  pou- 
voir reproduire,  dans  leur  lenteur  impitoyable,  les 
mille  ans  que  rbum^uîté  passa  90us  cette  pluie  de 


^  Le  servage,  qu'on  le  sache  bien,  est  un  communisme  effirojra* 
ble,  le  viol  en  liabitude,  en  droti.  La  famille  ly  est  impossible.  Le 
serf  blanc  est  plus  malheureux  en  ceci  que  Tesclave  nègre.  Celui-ci 
distingue  trtfs-bien,  à  la  peau,  les  enfants  qui  sont  du  mattre.  En  Rus- 
sie et  autres  pays  semblables,  nul  signe  qui  accuse  la  différenoe  ;  le 
père  infortuDé  ne  sait  jamais  qui  sont  les  siens. — Un  ministre  pro- 
testant m'a  assuré  avoir  vu,  vers  4800,  sur  la  côte  allemande  de  la 
Baltique,  une  jeune  fille  enchaînée  par  une  chaîne  de  fer  dans  une 
loge  à  chien,  pour  n'avoir  pas  voulu  payer  le  droit  du  seigneur  h  l'In- 
tendant qui  régissait  la  terre.  —  Nos  seigneurs  français  du  ^YllI*  siè* 
cle  usaient  plus  largement  de  ces  privilèges  que  ne  firent  jamais  leurs 
aleui  ;  leurs  fils,  par  libertinage  ou  par  insolence,  couraient  tout  le 
village,  et  qui  n'eût  pas  fermé  les  yeux  aurait  été  persécuté.  L'homme 
d'affaires  aussi,  alors  comme  aujourd'hui,  mettait  souvent  aux  délais 
qu'il  accordait  pour  les  paiements  de  honteuses  conditions,  etc.,  etc. 
La  femme  payait  tout.  Elle  eût  dû  être,  en  vérité,  plus  révolutionnaire 
que  l'homme. 


2(IXL1TÉ  DES  ACTES   FÉODAUX.  319 

douleurs  qui  tombait  goutte  à  goutte ,  et  chaque 
goutte  perçait  jusqu'aux  os. 

Et  quand  j'abrégerais,  pour  le  faire,  il  faudrait  en- 
core un  grand  livre.  Comment  le  mettre  ici ,  intro- 
duire le  grand  dans  le  petit?  ce  dernier  ne  le  con- 
tiendrait pas;  il  éclaterait,  disloqué  et  brisé. — Donc, 
je  serai  injuste;  donc,  je  ne  dirai  pas  ce  qu'il  faudrait 
savoir;  nos  adversaires  pourront  dire  à  leur  aise  que 
la  Révolution  fut  un  accident,  un  caprice,  qu'elle  fut 
la  réparation  de  maux  imaginaires ^  de  souffrances 
qui  n'existaient  pas. 

K'ayaut  pas  expliqué  comment,  au  Moyen  âge, 
l'asservissement  de  la  terre  asservit  la  personne ,  je  ne 
pourrai   faire  comprendre  comment  l'affranchisse- 
ment de  la  personne ,  à  la  Révolution ,  entraîna  l'af- 
franchissement de  la  terre.  Car,  elle  fut  affranchie 
en  89,  elle  aussi,  qu'on  le  sache  bien.  Elle  sortit 
alors  des  mains  du  seigneur,  de  celui  qui  se  disait 
rhotnme  dépée ,  le  fils  de  la  conquête,  de  celui  qui 
voyait  dans  la  terre  une  dépouille ,  une  chose ,  pour 
user,  abuser.  El  elle  passa  dans  les  mains  de  F  homme 
de  la  terre ,  de  celui  qui  ne  sait  rien  de  lui  sinon  qu'il 
est  né  d'elle,  qu'il  fut  attaché  toujours  à  la  terre; — 
et  si  bien  attaché,  en  vérité,  d'un  tel  attachement, 
qu'il  l'aime  mieux  que  sa  famille,  qu'il  lui  est  marié 
(trois  fois  plus  qu'à  sa  femme),  et  si  vous  en  doutiez, 
en  creusant  cette  terre ,  vous  trouveriez  au  fond  le 
cœur  du  paysan. 

Ce  mariage  de  la  terre  et  de  l'homme  qui  cultivait 
la  terre  fut  le  fait  capital  de  la  Révolution.  Les  bis- 


3S0         LE  PAYSAN,  AYANT  ÉPOUSÉ  LA  TERRE. 

toires,  journaux  et  mémoires,  n'en  disent  presque 
rien.  Et  ce  fait  était  tout. 

Danton  le  dit ,  mais  faiblement  encore  :  «  Âsuée 
avait  touché  la  terre  »,  et  il  y  puisait  des  forces. 
—  Toucher^  c'est  bien  peu  dire.  Il  y  était  entré  d'âme 
et  de  cœur,  et  ils  étaient  même  personne.  L'identité 
de  rhomme  et  de  la  terre,  ce  mystère  redoutable, 
s'accomplissant  en  France,  faisait  de  cette  terre 
une  terre  sacrée,  inattaquable;  qui  l'aurait  violée 
était  sûr  d'en  mourir.  La  question  de  la  guerre  était 
tranchée  d'avance.  La  France  était  trop  forte  pour 
le  monde. 


CHAPITRE   m 

LA  comnBirrioit.  —  la  GinoNOB  et  ik  montagne. 

(Septembre-octobre  ITM.) 

DivMoM  do  U  ConveoUoD.  —  Elles  sont  le  plu  grand  danger  de  If  Pranfe. 
—  AcrveoiioDt  moiaelles  des  deai  partit,  également  injualet.  —  Défianree 
mninellco  de  Paria  el  des  départements.  —  Oavertare  de  la  Convention 
(Il  sept.  M).— La  Convention,  en  général,  appaie  d'abord  la  droite  (lopt.- 
oct.  99). — Danton  et  Robespierre  veulent  raisnrer  la  Convention  (91  sept. 
'  M).  —  DnnIoB  demande  qn*on  garantisse  la  propriété.  —  Abolition  de  la 
rojanté. —  Promiére  opposition  de  Itenlon  et  de  la  Gironde,  sur  la  capacité 
da  peaple  (99  sept.  99).  -^  Aecnsations  moinellr»  de  désorganisation  el  de 
démembrement  (95  sept.)*  —  Apologie  de  ffanion,  ces  conseils  pacifiques 
(99  sept.  99).  ^Apologie  de  Robespierre.  —  Apologie  de  Maral,  —  Apologie 
de  ta  Commune,  qui  désavoue  les  bommes  de  Septembre. 


La  France,  répétons-le ,  était  trop  forte  pour  le 
monde.  Mais,  si  la  France  s'attaquait  elle -môme,  le 
serait-elle  assez?  Cétaitla  question. 

Certes,  la  nation  qui  faisait  tout  d'un  coup  un  mil- 
lion de  propriétaires,  qui  armait  trois  millions  de 
gardes  nationaux,  qui  combattait  aToc  un  capital  de 
dix  milliards,  pouvait  se  moquer  de  T Europe. 

Le  danger  capital  n'était  pas  TinTasion. 

Ce  n'était  plus  le  Roi,  du  moins  en  ce  moment 

Il  s'était  déclaré  lui-même  et  reconnu  menteur, 
dès  91,  par  sa  propre  déclaration  de  Varennes,  dé- 
gradé de  son  sacre  :  «  Un  roi  ne  ment  jamais,  n  La 


322  DIVISIONS  DE  LA  CONVENTION  (SEPT.  92). 

France,  en  92,  le  croyait  traître,  complice  de  Tinva- 
sion.  Elle  était,  en  grande  majorité,  sinon  républi- 
caine, du  moins  anti-royaliste,  de  colère  et  d'indi- 
gnation. Déchu  et  méprisé,  le  Roi  restait  par  terre, 
k  moins  que  la  Révolution  elle-même  ne  le  relevât 
par  réchafaud. 

La  France  n'avait  qu'un  danger  réel,  c^était  le 
schisme. 

Schisme  religieux  dans  l'Ouest,  la  guerre  des  prê- 
tres, qui  armait  le  peuple  contre  le  peuple. 

Schisme  politique,  au  sein  de  la  Convention,  entre 
les  républicains  et  les  républicains.  Ce  coociley  con- 
voqué pour  assurer  l'unité  de  la  France  en  écrivant 
son  nouveau  dogme,  fut  tout  d'abord  violemment  dé- 
chiré par  la  discorde  et  l'hérésie. 

Où  était  le  cœur  de  la  France,  sinon  dans  la  Con- 
vention? Et  qu'adviendrait-il  de  la  vie,  dans  chaque 
être,  si  au  cœur  même,  au  centre  de  l'unité  vitale, 
d*Un  être  il  allait  s'en  faire  deux?...  Nul  mal  plus  voi- 
sin de  la  mort. 

Même  avant  d'être,  elle  était  divisée.  Elle  n'ouvrit 
qu'au  SI  septembre,  et  les  jours  précédents,  pendant 
que  les  représentants  arrivaient  à  Paris,  les  noms  de 
royalisUs  et  d'hommes  de  septembre  commencèrent  à 
s'échanger  entre  eux.  Du  futur  o6tè  gauche  au  futur 
côté  droit  volaient  déjà  ces  appellations  meurtrières. 
On  cuvait  voir  déjà  en  esprit  rinfranchissable  ruis- 
seau de  sang  qui  coulerait  dans  la  Convention  innir 
sépare»*  les  deux  côtés,  En  vain,  plus  d'une  fois,  de  la 
Montagne  à  ia  Gironcte,  Danton  tendit  sa  ^nde  main 


BLLES  SOirr  LE  PLUS  GRANt)  bANGËR  bE  LÀ  FRANCE.   32S 

atl  nom  de  la  patrie.  Les  GiroDdins  forcèrent  Dantori 
de  les  perdre,  de  les  livrer  à  Robespierre,  qui  em- 
porta Idanton^  et  en  fut  emporté,  et  la  République 
avec  eux. 

Tous  ces  événements  terribles  vont  tomber  Vxxu 
sur  Vautre  avec  la  pesanteur  et  la  rapidité  fatale 
d'une  pierre  qui  descend  h  Tablme.  A  peine  un  in- 
tervalle de  quatre  mois  sé))are  chacune  de  ces  révo- 
lutions, qui,  au  cours  ordinaire  des  choses,  auraient 
Tait  des  âges  du  monde.  Chaque  intervalle,  ici,  c^est 
plus  d'un  siècle.  Que  dis-jet  J'oubliais  le  caractère 
étrange  de  ce  rêve  sanglant...  Il  n'y  avait  plus  ni 
siècle,  ni  année,  ni  mois,  ni  jour,  ni  heure...  Le 
temps  n'existait  plus,  le  temps  avait  péri.  La  Ré- 
volution ,  pour  mieux  se  mettre  à  Taise ,  semblait 
avoir  commencé  par  exterminer  le  temps.  Libre  du 
temps,  elle  allait  sans  compter. 

Ce  qui  crève  le  cœur,  quand  on  repasse  ces  desti- 
nées tragiques,  ce  qui  est  aujourd'hui  si  clair  et  si 
certain,  c'est  qu'ils  se  frappèrent  sans  se  connaître; 
ils  s'ignorèrent  profondément. 

Ils  le  savent  maintenant,  combien  leurs  accusations 
mutuelles  furent  injustes,  et,  sans  doute,  ils  se  sont 
réconciliés.  Il  me  serait  trop  dur  de  croire  que  ces 
grands  citoyens,  morts  si  jeunes,  et  quoi  qu'ils  aient 
fait,  morts  enfin  pour  nous  faire  cette  patrie,  n'aient 
pas  eu,  par  delà  la  mort,  du  temps  pour  se  reconnaî-< 
tre,  poiir  entrer  dans  la  lumière  do  justice  et  de  vé- 
rité, et  s'embrasser  les  uns  les  autres. 
Non,  ces  accusations  ne  furent  point  méritées. 


3U    ACCUSATIONS  MOTDCLLES  DBS  DBUX  PAftTtS  (SSPT.-OCT.  92). 

Tous  Turent,  nous  le  jurons,  d'excellents  citoyens, 
d'ardents  amis  de  la  patrie.  Ce  fut  généralement 
Tamour  jaloux,  terrible,  qu'ils  avaient  pour  la  Bi- 
blique qui  les  jeta  dans  ces  voies  d'accusations  injustes 
et  d'extermination.  Ils  haïrent  parce  qu'ils  aimaient 
trop. 

Le  temps  est  venu,  qui  a  révélé,  expliqué,  —  et 
l'histoire  mieux  connue,— et  le  grand  juge,  la  Mort  ! 

Il  n'y  a  pas  eu  un  traître  dans  toute  la  Convention. 
La  République  n'y  eut  pas  un  ennemi. 

Il  n'y  eut  jamais  une  Assemblée  plus  désintéressée, 
plus  sincère*  La  peur,  la  haine ,  eurent  action  sur 
beaucoup  de  ses  membres,  l'intérêt  sur  aucun.  Sauf 
deux  ou  trois  voleurs,  connus,  punis,  tous  sont  morts 
purs  et  pauvres. 

Quoi  que  la  violence  ,  la  fureur,  l'entratnement 
d'une  situation  unique,  aient  pu  leur  faire  commettre, 
il  reste  à  chacun  d'eux ,  pour  dernier  jugement  de 
l'histoire,  le  root  que ,  dans  les  guerres  des  Suisses, 
disait  sur  Zwingle  mort  un  de  ceux  qui  l'avaient  tué  : 
a  Ah  !  tu  fus  un  homme  sincère ,  tu  aimas  la  patrie*  » 

Contenons-nous  ici,  mettons  un  sceau  sur  notre 
cœur,  et  défendons-lui  de  parler.  Nous  devons  ce  res- 
pect à  tant  d'hommes  héroïques  de  ne  point  déplorer 
leur  sort,  de  leur  donner  une  histoire  virile  et  digne 
d'eux.  S'ils  ont  été  fermes  à  mourir,  soyons  fermes 
à  les  raconter. 

Répétons-le ,  les  deux  accusations  furent  fausses 


Les  Girondins  n' étaient  jmnt  royalisles.  Fondateurs 


É6ALBIIB1IT  imOSTBS.  S25 

de  la  République,  ils  rayaient  dans  le  cœur.  C'était 
leur  foi  y  leur  espoir  et  leur  dieu.  Elle  ne  leur  a  pas 
manqué,  la  République,  dans  leur  suprême  épreuve  ; 
elle  les  a  soutenus  au  dernier  jour,  et  elle  fut  avec 
eux  sur  la  fatale  charrette,  entre  la  Conciergerie 
et  la  place  de  la  Révolution.  Et  leur  dernière  pen- 
sée, sous  le  couteau,  fut,  non  pas  pour  eux ,  mais 
pour  elle. 

Le$  Montagnards  n^ avaient  pas  fait  Septembre.  Sauf 
Marat  et  deux  ou  trois  autres,  nul  homme  du  côté 
gauche  n'y  eut  part. 

Ce  côté  9  où  siégeaient  tous  les  plus  violents  pa- 
triotes, n'en  contint  pas  moins  les  meilleurs  amis  de 
rhumanité.  Les  Carnot,  les  Cambon ,  les  Merlin  de 
Tbionville ,  les  Prieur,  et  tant  d'autres ,  ne  furent 
point  des  bommes  de  sang.  I^a  grande  majorité  du 
côté  gaucbe  désapprouva  Septembre,  mais  jugea  que 
la  punition  en  était  dangereuse,  impossible.  Ceux  qui, 
comme  Danton,  savaient  sur  quel  volcan  de  conspi- 
rations la  France  était  assise,  sans  parler  de  Vinvasion, 
jugèrent  qu'elle  avait  besoin  d'elle-même  tout  entière, 
qu'elle  ne  pouvait  s'épurer,  se  juger,  se  punir,  en 
un  tel  moment,  sans  se  perdre;  opinion  d'autant 
plus  raisonnable,  que,  par  une  déplorable  erreur, 
les  provinces  accusaient  Paris  tout  entier  :  qui  les 
eût  cru  aurait  jugé  Paris.  Danton  et  la  Montagne  pri- 
rent le  crime  à  leur  compte,  ils  dirent  audacieuse- 
ntent  au  côté  droit  :  c  N*en  parlez  plus  ;  c'est  nous 
qui  ravons  fait.  » 

lies  nouveaux  représeutants  apportaient  de  leurs 

IV.  ** 


116  bHUJKKsmffmuM 

dépMrtemeots  la  terreur  de  Septembre.  Les  récits  du 
fuuèbi:e  évéuepept)  sqrobaigés  d'ipcîdeDts  atroces, 
avairat  été  colportés  par  les  eqneiois  de  la  RéYolu* 
iioq^  avidement  aaisis  par  les  provinciaux.  Leur  en- 
vie pour  Paris  les  rend  toujours  crédules.  Us  crorent 
s^S  difHculté  aux  douze  mille  morts  que  les  roya- 
liste?  mettaient  daqs  leurs  romans.  Tous  ceux  qui 
arrivaient  étaient  conduits  par  d'officieux  guides  de 
prisons  en  prisons;  op  leur  montrait  à  TAbbaye 
(on  le  mooti»  à  mon  père  comme  k  d'autres  provin- 
ciaux) une  trace  de  sang  à  douze  pieds  de  haut;  le 
saf}g  av^t  monté,  disajt-on,  au  premier  étage.  Même 
exagération  si^r  le  nombre  des  meurtriers.  Les  uns 
disaieqt  dix  mille,  d'autres  cçnt  mille,  etc.  La  capi- 
tale tout  entière  avait  CQppéré  au  massacrç.  Ce  n'était 
pas  sans  e^roi  que  les  conventionnels  arrivaient  à 
Paris,  entraient  dans  la  vilje  sanglante;  tout  leur  pa- 
raissait sombre,  tous  les  mprs  couverts  de  crêpe  et 
de  deuil. 

L'immense  majorité  de  ce?  nouveaux  i*e|»iteen- 
tants  arrivaient  resprit  inquiet,  flottant,  saîsissable 
aux  premières  impressions*  La  Convention  aviitt  été 
élue  sous  le  coup  de  la  nouvelle  de  Septembre,  sous 
l'émotion  qu'en  eut  la  France.  Ëllp  sortit  tout  entière 
de  la  boui^eoisie.  Il  y  eqt  même  quelques  c|ioix 
aristocratiques,  ce  qui  tint  à  ce  que»  dans  une  pen- 
sée démocratique,  on  appela  les  domestiques  au 
vote.  À  cela  près,  les  Conventionnels  étaient  tous 
de  petits  bourgeois,  médecins,  avocats,  professeurs, 
gens  de  lettres,  marchands^  etp.  Pas  un  sen)  homme 


BB  PARIS  ET  MB  StPAETBlIBHTS  (gBPT.-OCT.  92).  827 

do  p9apl«.  Ces  bourgeois  n'en  étaient  pas  moins  de 
bons  citoyens,  amis  du  bien,  amis  de  rhumanité  d; 
des  intérêts  populaires,  him  moins  violents  qu'on  ne 
ra  dit 

Sur  sept  cent  quarante-cinq  membres  que  comptait 
la  Convention,  cinq  cents  n'étaient  ni  Girondins,  ni 
Montagnards;  kt  Gironde  leur  inspirait  de  Tenvie, 
la  Montagne  de  Tborreur.  Il  était  érident  que  la  ma*- 
jorité,  la  force,  seraient  k  ceux  qui  saurairat  entraî- 
ner cette  mAsse  flottante  de  cinq  cents  représentants, 
qui,  k  considérer  le  nombre,  n'étaient  guère  moins 
qoelaConvenlion  elle-même.  Leur  modération  na* 
turelle  et  la  terreur  de  Septembre  les  faisaient  incli- 
ner à  droite  ;  mais  une  terreur  plus  grande  pouvait 
les  faire  voter  k  gauche* 

l.eur8  préjugés  contre  Paris  ne  furent  pas  dimi* 
nues  par  les  premières  impressions  qu'ils  recueilli-* 
rent  dans  la  foule,  le  jour  même  où,  réunis,  ils  tra«* 
versèrent  les  rues  en  corps.  Ils  entendaient  dire  sur 
leur  passage  cette  parole  étrange  et  naïve  ^  :  «  Pour- 
quoi donc  faire  venir  tant  de  gens  pour  gouverner  la 
Frauce?  N'y  en  art-il  pas  assez  à  Paris!  »  Ce  mot, 
échappé  au  hasard  de  quelques  bouches  imbéciles, 
n'en  courut  pas  moins  dans  la  Convention,  et  con- 
firma beaucoup  de  ses  membres  dans  l'idée  que 
Paris  prétendait  ^  la  royauté,  et  voulait  être  roî  de 
France. 
Et  cette  idée,  fausse,  injuste,  irritante  pour  les 

*  M.  Diiiiiou  m*a  dit  ITavoir  enteoda  InUméme. 


9fii  BÉriAlICBS  HimJBLLBS. 

Parisiens,  fit  accueillir  de  ceux-ci  une  accusation  non 
moins  injuste  contre  la  Gironde  et  le  cAté  droit,  à 
saYOÎr  qu'ils  voulaient  réduire  la  République  à  une 
simple  fédération  analogue  à  celle  des  États-Unis,  la 
diviser  en  républiques  de  Marseille,  de  Bordeaux,  du 
Calvados,  etc*,  détruire  notre  belle  centralisation  à 
peine  établie,  briser  l'unité  de  la  France,  ce  qui  re- 
venait à  l'anéantir. 

11  y  eut  des  deux  côtés  la  même  crédulité.  Les 
vingt  députés  de  Paris  qui  gouvernaient  la  Montagne, 
les  vingt  ou  vingt-cinq  Girondins  qui  menaient  la 
droite,  crurent  ces  choses  et  les  firent  croire  à  tous. 
Ils  s'emparèrent  violemment  de  l'arène,  dès  le  pre- 
mier jour,  entraînèrent  la  Convention,  la  consumè- 
rent, l'usèrent  dans  ce  fatal  débat.  Tant  de  harangues, 
tant  d'efforts,  tant  de  jours  terribles  et  de  sombres 
nuits,  cette  lutte  effroyable  qui  enveloppa  la  France 
tout  entière,  tout  revient  à  une  courte  formule,  un 
simple  dialogue  : 

I^  Gironde  à  la  Montagne,  à  la  députation  de  Pa-* 
ris,  à  Danton  et  Robespierre  :  «  Vous  voulez  la  d^ 
organisation  sociale^  pour  que  l'excès  du  désordre 
fasse  désirer  la  dictature.  » 

La  Montagne  à  la  Gironde,  à  Brissot,  Vei^iaud, 
Roland  :  «  Vous  voulez  le  démembrement  de  la  France 
en  plusieurs  républiques  fédérées,  pour  que  la  guerre 
civile  oblige  de  rétablir  la  royauté.  » 

Erreur  des  deux  côtés,  erreur,  injustice  profonde. 
Si  les  Montagnards  ne  voulaient  point  d'obstacle  à 
l'élan  révolutionnaire  qui  seul  pouvait  sauver  la 


OUVERTURB  DB  LA  GOHVBimON  (21  SEPTEIIBRB  9i).         389 

France,  ils  n'étaient  pas  pour  cela  anarchistes;  ils 
voulaient  un  gouvernement  fort,  une  république  vi- 
goureuse et  des  lois  obéies.  Les  Girondins,  non  plus, 
qui  plus  tard  chercbërent  un  point  d'appui  dans 
leurs  départements  pour  défendre  le  droit  de  leurs 
commettants,  celui  de  la  Convention,  violé  en  leurs 
personnes,  n'y  songeaient  nullement  alors.  Ni  alors, 
ni  plus  tard,  aucun  d'eui  ne  fut  assez  fou  pour  songer 
à  démembrer  la  France.  Les  uns,  les  autres  étaient 
d'excellents  citoyens,  qui  seraient  morts  cent  fois' 
pour  l'unité  de  la  patrie. 

Voilà  donc  l'Assemblée  qui  vient,  le  21  septembre, 
s'entasser  dans  la  petite  salle  des  Tuileries  qui  avait 
été  celle  du  théâtre.  Ce  petit  théâtre  de  cour  va  con- 
tenir un  monde,  le  monde  des  orages  infernaux,  le 
Pandémonium  de  la  Convention. 

Et  plus  l'arène  est  resserrée ,  plus  les  combats 
seront  furieux,  implacablement  acharnés.  Tous,  dès 
le  premier  jour,  dès  le  premier  coup  d'œil ,  souffri- 
rent de  se  voir  si  près.  Le  petit  intervalle  qui  sé- 
parait ces  ennemis  mortels  ne  permettait  à  nulle 
parole ,  à  nul  regard  hostile,  de  s'amortir  en  route. 
Les  uns,  les  autres,  dans  leurs  vives  attaques,  se 
foudroyaient  à  bout  portant.  Même  aux  moments  de 
trêve,  l'air  malsain  de  la  haine  régnait  dans  cette 
salle;  un  pesant  magnétisme  de  tous  sur  tous  planait, 
serrant  chaque  poitrine,  troublant  les  tètes,  remplis- 
sant les  yeux  d'illusions. 

Cette  Assemblée ,  d'avance  si  profondément  divi- 
^ ,  avait  pourtant  un  principe  d'union ,  celui  même 


SW  LA  CONVENTION,  1SN  GÉNÉRAL. 

dont  elle  était  fiée,  le  principe  du  10  août.  Elle  ap- 
portait cette  pensée  :  Que  la  France  était  déflnitiye- 
ment  majeure;  que  sa  vieille  tutrice,  la  royauté  » 
était  à  jamais  déchue ,  comme  complice  de  Tennemi; 
que  tout  roi  était  impossible ,  qu'il  n'y  avait  de  roî 
que  te  peuple. 

Il  n'y  avait  pas  à  disserter,  à  raisonner  l&-dessns. 
La  Convention  avait  conscience  du  terrible  mouve- 
ment dont  elle  sortait ,  du  volcan  de  colère  qui  l'avait 
lancée  à  Paris.  Quelques  pouvoirs  qu'elle  eût  reçus, 
elle  ne  tomba  pas  dans  Tidëe  dangereuse  de  se 
déclarer  souveraine;  elle  annonça  modestement 
qu'elle  n  imposait  pas  une  constitution  au  peuple, 
mais  la  lui  proposait. 

Tout  ce  qui,  de  près  ou  de  loin,  pouvait  ressembler 
à  la  royauté ,  eût  violemment  soulevé  le  sentiment 
national.  La  Convention  écarta  avec  mépris  t'ineptie 
de  Manuel  qui  proposait  de  donner  an  président  de 
l'Assemblée  des  honneurs  quasi-rôyaux.  Elle  applau- 
dit ees  paroles  d'un  de  ses  membres  :  «  La  France 
a  déjà  fait  connaître  sa  volonté  en  envoyant  ici  deux 
cents  membres  de  TÂssemblée  Législative  qui  ont  fait 
serment  de  combattre  les  rois  et  la  royauté...  Non,  il 
n'y  aura  pas  de  président  de  la  France  !  » 

Le  président,  choisi  par  l'Assemblée,  fut  Pétion. 
Les  secrétaires  furent  deux  constituants.  Camus  et 
Rabaut-Saint-Ëtienne,  les  girondins  Brissot,  Ver- 
gniaud,  Lasource;  et  Gondorcët,  ami  de  la  Gironde. 

Pas  un  homme  de  la  gauche.  L'Assemblée  avait 
tout  pris  à  droite.  Ces  choix  avaient  été  dictés  vî- 


APPUIE  D'ABORD  LA  DROITE  (SEPT.-OCT.  92)-  SU 

siiiletttent  par  Thorrebr  de  Septembre ,  Faversion 
poUr  tous  ceux  qui  toléraient  les  hommes  de  Sep- 
tembre. Ce  seotiment,  honorable  sans  doute,  eût 
dû  pourtant  (dans  la  crise  suprême  où  se  trouvait  la 
France,  lorsqu'on  n*avait  pas  même  encore  la  nou- 
velle de  Valmy),  eût  dû  être  subordonné  à  l'intérêt 
plus  grave  encore  du  salut  national.  Le  salut  étàit-il 
possible  sans  Ténergique  légion  de  la  Montagne  (de 
cent  représentants)?  Tétait-il,  sans  l'appui  des  deux 
chefs  de  la  Montagne,  Robespierre  et  Danton?  Ro^ 
bespierre,  la  grande  autorité  morale  des  innombra- 
bles sociétés  jacobines  ;  Danton,  la  grande  force,  le 
gédie  politique,  qui  tenait  à  la  fois,  dans  ses  habiles 
mains,  les  fils  de  la  diplomatie  et  ceux  de  la  police, 
négociant  d'une  part  la  retraite  des  Prussietis,  de 
Vautre,  saisissant  lès  complots  royalistes  du  Midi  et 
de  la  Bretagtie. 

La  grande  masse  de  la  Convention  ne  voyait  point 
ceci.  Elle  était  dotninée  et  par  le  souvenir  du  fqiiôbre 
événement,  et  par  l'estime  qu'inspirait  la  Girpnfle, 
et  par  sa  jalousie  contre  Paris  et  la  députation  de  Par 
ris,  et  par  l'aversion,  le  frissonnement  nerveux  que 
la  Montagne  lui  donnait.  Par  un  tnouvement  instinctif 
et  sans  se  rendre  compte,  le  centre  appuyait  vers  la 
droite.  De  là,  insatiablement,  et  comme  fasciné,  il 
regardait  cette  terrible  Montagne,  n'en  pouvait  déta- 
cher les  yeux.  Il  voyait  sur  ces  bancs  la  fameuse 
Commune  dans  ses  membres  les  plus  violents,  son 
Comité  de  surveillance,  de  souvenir  néfiiste.  Les 
cheSî  de  la  Montagne  n'étaient  pas  faits  pom  rassu- 


33S  DANTON  ET  ROBESPIEBRE 

rer.  L'inquisitoriale  figure  de  Robesiûerre ,  souffre- 
teux ,  clignotant ,  cachant  ses  yeux  teraes  sous  ses 
lunettes,  était  d*un  sphinx  étrange,  qu'on  regardait 
sans  cesse  malgré  soi ,  et  qu'on  souffrait  à  regarder. 
Danton,  la  bouche  torse,  demi-homme  et  demi-tau- 
reau, dans  sa  laideur  royale,  troublait  les  cœurs  de 
son  masque  tragique;  quoi  qu'il  pût  dire  ou  faire ,  sa 
voix,  son  attitude,  semblaient  d'un  tyran.  Ce  groupe 
sombre,  où  toute  passion  violente  était  représentée, 
portait  à  son  sommet  un  couronnement  bizarre  ^  une 
vision  terrible  et  ridicule,  la  tête  de  Marat.  Échappé 
de  sa  cave,  sans  rapport  avec  la  lumière,  ce  person- 
nage étrange,  au  visage  cuivré,  ne  semblait  pas  de  ce 
monde-ci.  Il  voyait  bien  l'étonnement  des  simples, 
et  il  en  jouissait.  Le  nez  au  vent,  retroussé,  vaniteux, 
aspirant  tous  les  souffles  de  popularité,  les  lèvres  fa- 
des et  comme  vomissantes  ^,  prêtes,  en  effet,  à  voam 

<  Ces  lèvres  expriment  à  merveille  la  facilité  triviale ,  Fabondance 
d*eaux  fades  et  sales  qui  lui  venaient  par  torrents.  L'admirable  portrait 
de  Boze  (Collection  Saint-Albin)  donne  ce  trait  essentiel  du  journaliste 
intarissable.  On  ne  le  retrouve  pkis  dans  la  grande  gravure  au  burin 
(du  reste  excellente)  qui  a  été  faite  d'après  le  portrait  de  Boie.  •» 
Quant  au  désaccord  singulier  qu'on  voit  dans  les  traite  de  Marat, 
comme  dans  ses  idées,  il  tient  non  pas  seulement  à  son  excentricité 
personnelle,  mais  peut-être  aussi  an  bizarre  mélange  de  races,  abso- 
lument inoonciliable,  qui  se  trouvait  en  lui.  D  était  suisse  d'un  côté, 
sarde  de  l'autre.  Son  vrai  nom  de  famille  est  Mara. — ^Extrait  des  regî»- 
tres  de  la  paroisse  de  Baudry,  principauté  de  Neufcbitel  :  <  Jean-Paul, 
fils  de  M.  Jean-Paul  Mara,  prosélyte,  de  Cagliari  en  Sardagne,  et  de 
M«^  Louise  Cabrol  de  Genève,  est  né  le  24  may  4743,  a  été  bâliiié  le 
S  juin.  N'ayant  point  de  parain,  et  ayant  pour  nnraiae  M"«  Cabrai 
grand'mère  de  l'enfant.  >  (Copié  par  M.  Quincbe,  ministre  à  Baudry, 


VEULENT  RASSURER  LA  CONVENTION  (il  SEPT.  92).         3S5 

au  hasard  l'injure  et  les  fausses  nouvelles,  il  dégoâ<» 
tait,  indignait,  foisait  rire.  Mais  sur  cet  ensemble 
bizarre,  on  croyait  lire  Septembre  j  et  Ton  ne  riait 
plus. 

Robe^ierre  et  Danton  sentaientparfaitement  qu'il 
fallait  au  plus  tôt  rassurer  la  masse  incertaine  de  la 
Convention,  repousser  ces  accusations  de  tyrannie  et 
de  dictature  qui  circulaient  contre  eux.  Rien  n'avait 
plus  contribué  à  fortifier  ces  bruits  que  les  paroles  de 
Marat,  qui  demandait  sans  cesse  un  dictateur.  Plu- 
sieurs des  montagnards  étaient  portés  à  croire  qu'en 
effet  la  France  ne  serait  sauvée  que  par  l'unité  du 
pouToir  placé  un  instant  dans  la  même  main.  Parler 
contre  la  dictature,  le  tribunat,  le  triumvirat,  c'était 
parler  contre  Marat,  le  désavouer,  se  séparer  de  lui. 
Désavouer  sur  une  question  V homme  de  septembrej 
c'était  chose  politique  en  ce  moment,  et  qui  pou- 
vait rapprocher  de  la  Montagne  une  partie  de  la 
Convention. 

Robespierre  le  fit  avec  une  extrême  prudence,  un 
ménagement  extrême  pour  lesmaratistes.  Il  ne  parla 
pas  lui-même,  mais  par  l'intermédiaire  de  son  jeune 
ami,  son  disciple,  le  paralytique  Couthon,  qui  siégeait 


%5  janvier  4  848,  et  communiqué  par  l*obligeance  deM.Carleron.) — Je 
regrette  de  n*avotr  pas  eu  ce  renseignement,  quand  j*ai  écrit,  au  t.  U, 
non  cbaptue  de  Marat. — La  race  sarde  est  la  même  que  celle  de  Malte 
et  de  Tanciennc  Étrurie;  le  type  en  est  bizarre,  et  Ton  s'étonne  peu 
de  voir  tant  de  figures  monstrueuses  dans  les  monuments  de  ce  der- 
nier peuple;  les  premières  figures  de  Polichinelle  ont  été  trouvées 
Sosies  tombeaux  étrusques. 


551  DANTON  DEMANDE  QU'ON  GAUANTISSE 

à  côté  de  lui,  et  qui  recevait,  au  vu  de  toils,  Mn 
inspiration.  Couthon  proposa  de  jurer  haine  à  la 
royauté,  haine  à  la  diclaturey  à  toute  puissance  indi- 
viduelle. 

Danton  parla  lui-même  et  de  dériiit  do  ministère  de 
la  justice.  «  Avant  d'exprimer  mon  opinion  sur  le 
premier  acte  que  doit  ftiire  l'Assemblée  nationale, 
qu'il  me  soit  permis  de  résigner  dans  son  sein  les 
fonctions  qui  m'avaient  été  déléguées  par  l'Assemblée 
législative.  Je  les  ai  reçues  au  bruit  du  cauon.  Main- 
tenant la  jonction  des  armées  e^l  faite,  la  jonction  des 
représenthnts  opérée,  je  tie  suis  plus  que  mandataire 
du  peuple,  et  c'est  en  celle  qualité  que  je  vais  parler. .. 
//  ne  peut  exister  de  œnstitution  que  celle  qui  sera  tex- 
tuellement, nominativement  acceptée  par  la  majorité 
des  assemblées  primaires.  Ces  vaiiis  fantômes  de  dicta- 
ture dont  on  voudrait  effrayer  le  peuple,  dissipons- 
les.  Déclarons  qu'il  n'y  a  de  constitution  que  celle 
qui  est  acceptée  de  lui.  Jusqu'ici  on  l'a  agité,  il  fallait 
réveiller  contre  les  tyrans.  Maintenant  que  les  lois 
soient  aussi  terribles  contre  ceux  qui  les  violeraient, 
qiie  le  peuple  l'a  été  en  foudroyant  la  tyrannie; 

qu'elles  punissent  tous  les  coupables Abjurons 

toute  exagération,  déclarons  que  toute  propriété, 
territoriale  et  industrielle,  sera  éternellement  mait^ 
tenue*  » 

Grande  parole,  habile  dans  la  position  de  Dan- 
ton ,  îiiais  qui  répondait  merveilleusement  à  la 
situation  générale^  aux  secrètes  pensées  de  la 
France. 


LA  PROPRIÉTÉ  (SI  SEPTEMBRE  S)2).  35S 

La  France  était  inquiète,  et  rinquiétude,  aprèé  tes 
massacres  de  Septembre,  d'étàit  pas,  comtiie  ou 
poiiirrait  croire,  d^êtré  massacré.  La  violence  coiitre 
les  personnes  n'eût  menacé  qu'un  petit  nombre.  La 
crainte  générale  était  moins  pour  la  sûreté  person- 
nelle que  pour  là  propriété. 

Parié  craignait.  Les  boutiquiers  parisiens  avaient 
va  certainement  avec  peine  le  massacre  des  aristocra- 
les;  mais  les  vols  en  plein  jour  commis  sur  le  boule- 
vard les  impressionnaient  bien  plus.  L'épicier  û'étà- 
lait  qu'en  tremblant. 

La  France  craignait.  Dans  ce  mouvement  immehse 
des  propriétés,  autorisé,  commandé  par  la  loi,  mille 
accidents  arrivaient  que  la  loi  ne  commandait  point. 
L'inviolabilité  du  domaine  féodal  étant  une  fois  rotn- 
pue,  les  vieux  inurs  s' étant  écroulés  et  les  haies  ou- 
vertes, beaucoup  perdaient  le  respect  des  clôtu- 
res, là  religion  des  limites;  le  fossé  u* arrêtait  plus, 
la  borne  et  le  poteau  étaient  taoins  compris  du 


El  ce  n'était  pas  seiilemeni  Taucien  propriélàîbe 
qui  craignait,  le  nouveau  craignait  déjà.  Le  paysan, 
acquéreur  d'hier,  qui,  n'ayant  pas  payé  encore,  était 
propriétaire  à  peine,  était  déjà  un  ardent  conserva- 
teur de  la  propriété,  son  défenseur  inquiet.  On  le 
voyait  déjà,  matin  et  soir,  sur  son  champ,  faire  le 
tour  avec  son  fusil. 

Il  ne  fallait  pas  s'y  tromper,  une  parole  de  Danton 
<^ontre  là  propriété,  un  bavardage  imprudent  (comme 
^vail  été  celui  d'un  maratisle  aux  Jacobins.  V.  plus 


3»         DAHTOR  DEMANDE  QITON  GARANTISSE 

haut)  p.  219),  pouvait  créer  en  un  moment  des  mil- 
lions d'ennemis  à  la  Révolution. 

Tous  voulaient  la  propriété  et  la  voulaient  sacrée, 
ceux  même  qui  ne  l'avaient  pas  encore.  Ils  comptaient 
l'avoir  demaiu. 

Telle  était  la  pensée  de  la  Révolution  :  Que  fous 
fassent  propriétaires, — facilemerU,  en  payant  peu,— 
justement  et  solidement^  en  payant  de  leur  travail  et  de 
leur  épargne,  La  propriété  qui  nous  vient  gratis,  com- 
me en  songe,  s'en  va,  comme  en  songe.  Donc  la  Ré- 
volution ne  donnait  pas,  elle  vendait.  Elle  demandait 
à  l'homme  de  prouver  par  l'effort,  par  l'activité,  qu'il 
était  homme,  et  digne  de  la  propriété.  Acquise  ainsi, 
la  propriété  est  sacrée,  durable  comme  la  volonté  et 
le  travail  dont  elle  est  un  fruit  légitime. 

La  Constituante  et  la  Législative  avaient  commencé 
la  Liberté.  Mais  la  Liberté  n'est  sûre  qu'autant 
qu'elle  a  son  abri  naturel,  la  Propriété.  Telle  devait 
être  (telle  eût  été,  sans  nos  affreuses  discordes)  V  œu- 
vre de  la  Convention  :  Fonder  la  Propriété  pour  tous, 
fonder  le  foyer  du  pauvre,  son  foyer  solide,  le  nid 
pour  la  famille. 

Les  deux  propositions  de  Danton  avaient  une  gran- 
de portée.  Elles  mesuraient  d'avance  la  carrière  que 
devait  parcourir  la  Révolution.  C'était  elle-même  qui, 
dans  l'ébranlement  terrible  où  se  trouvaient  toutes 
choses,  posait  son  principe,  marquait  sa  limite;  son 
principe^  le  droit  de  l'homme  k  se  gouverner  libre- 
ment luiHuème;  sa  limite^  le  droit  de  l'homme  à  gar- 
der les  fruits  de  sa  libre  activité. 


U  PROPRIÉTÉ  (91  SSPTEHBRB  92).  387 

Entre  la  liberté  et  la  propriété  nulle  contradictioD 
sérieuse^  la  propriété  n'étant  rien  que  la  consécra- 
tion des  fruits  de  l'activité  libre.  Et  toutefois  l'appa- 
rente opposition  de  ces  idées  faisait  le  danger  de  la 
France,  créait  deux  partis.  Tel  craignait  pour  la  li- 
bertè,  tel  pour  la  propriété.  Ces  deux  pensées  divi- 
saient, par  un  malentendu  funeste,  et  la  France,  et  la 
Convention,  image  de  la  France.  Tous,  aveugles,  au- 
tant que  sincères,  allaient  lutter,  lorsqu'ils  étaient 
d'accord.  Danton,  au  premier  jour,  proposait  de 
décréter  cet  accord,  consacrant  à  la  fois  les  deux 
principes  dans  une  simple  formule  qui  contenait  la 
paix. 

Et  cette  formule  de  paix,  offerte  aux  partis  achar- 
nés, tirait  une  force  particulière  de  la  bouche  qui  la 
prononçait.  C'était  l'homme  qu'on  regardait  comme 
Torage  même  et  le  génie  des  tempêtes,  qui  venait,  au 
moment  où  le  vaisseau  était  relancé  à  la  mer,  jeter, 
fixer  dans  le  granit  les  deux  ancres  invincibles  aux-* 
quelles  s'est  tenue  la  France. 

Les  partis  se  caractérisôrent  à  l'instant  même.  Deux 
réclamations  s'élevèrent  en  sens  inverse. 

Au  côté  gauche,  le  dictateur  financier  de  la  Révo- 
lution, Cambon,  dit  qu'il  eût  mieux  aimé  que  Danton 
se  bornât  à  sa  première  proposition,  qu'il  établît  seu- 
lement le  droit  du  peuple  à  voter  sa  constitution. 
Cambon,  qui  n'était  nullement  un  ennemi  systémati- 
que de  la  propriété,  voulait  sans  doute,  dans  le  dan- 
ger public,  que  le  peuple  eût  toujours  le  droit  de  la 
^ler  pour  le  salut  commun.  Qu'importerait  en  effet 


9^  il80L|n<Ni 

fet  cpie  la  propriété  sphei^tàt,  s»  la  persoBM 
sait?  Il  se  rappelait  le  mot  si  juste  de  Danton  : 
«  Quand  la  patrie  est  en  danger,  tout  appartient  a  la 
patrie*  r> 

Au  côté  droit,  du  groupe  qu'on  nomma  la  Gi- 
ronde,  surgit  le  principe  contraire.  Le  girondin  La- 
source  soutint  que  Danton,  en  demandant  qu'cm 
consacrât  la  propriété,  la  compromettait.  Y  toa- 
plier,  même  pour  raffermir,  selon  lui ,  c'était  Té* 
branler*  La  propriété,  dit-il,  est  antérieure  à  toute 
loi. 

La  Convention  décréta  les  deux  i»ûpositioiis  de 
Danton,  mais  sous  la  forme  suivante  (sans  s^expli* 
qiier  dans  la  seconde  sur  le  droit  de  propriété)  : 
ru  ne  peut  y  avoir  de  constitution  que  lorsqu'elle 
est  acceptée  du  peuple  ;  i""  La  sûreté  des  peraon* 
nés  et  des  propriétés  est  sous  la  sauvegarde  de  la 
nation. 

4  Ce  n'est  pas  tout,  dit  Manuel,  vous  avez  consacré 
la  souveraineté  du  vrai  swverain,  le  peuple.  Il  faut 
Iq  débarrasser  de  son  rival,  le  fauco  s(mverain,  le 
roi.  » 

Un  député  objectant  que  le  peuple  seul  devait  en 
ÎPger,  Gr^oire,  d'un  grand  élf^n  de  cœor  ;  «  Certes 
personne  ne  proposera  jamais  de  conserver  en  France 
la  race  funeste  des  rois.  Nous  savons  trop  bien  que 
toutes  les  dynasties  n'ont  jamais  été  que  des  races 
dévorantes  qui  vivaient  de  chair  humaine.  Mais  il  iaut 
pleinement  rassi^rer  les  amis  de  la  liberté.  U  faut  dé- 
Iruiro  qei  talisman  dont  la  force  magique  serait  prc^re 


m  LA  RoiA0ft  (il  mnmau  tt).  m 

k  fitnpéfier  epoore  bieD  des  hommes.  Je  deraïuide 
donc  que  par  une  loi  soleonelle  vous  cooaacries  Ta-* 
bolîtion  de  la  royauté.  » 

Le  montagnard  Bazire  voulait  qu'on  ne  précipitât 
rien,  qu'on  attendit  le  vœu  du  peuple*  Il  fournit  à 
Grégoire  une  belle  occasion  de  fouiller  à  fond  sa  pn> 
pre  pensée.  La  grandeur  de  la  passion  lui  arracha  du 
cœur  ce  que  son  esprit  n*eAt  trouvé  jamais,  la  fi3r* 
mule  originale  qui  tranchait  la  question  :  «  Le  Roi 
eal  dans  Tordre  moral  ce  qu'au  physique  est  le 
monstre,  n 

L'être  bizarre,  en  effet,  qui  trône  à  la  place  d'un 
peuple,  qui  croit  contenir  un  peuple ,  qui  se  eroit  un 
infini,  ilUi  s'imagine  concentrer  en  soi  la  raison  de 
tous,  comment  le  classera-t-on?  Est-ce  un  fol? 
m  monstre?  un  dieu?  A  coup  sûr,  ce  n'est  pas  un 
homme. 

La  royauté  fut  abolie.  Ceux  qui  les  premiers,  en-* 
traot  dans  la  Convention ,  en  eurent  l'heureuse  nou^ 
veUe ,  furent  de  jeunes  volontaires  qui  partaient  le 
lendemain.  Ils  tombèrent  dans  le  délire  de  Tenthou-* 
siasiae ,  remercièrent  la  Convention ,  et,  tout  hoi*s 
d'eux-mêmes,  s'élancèrent  pour  répandre  la  nou-* 
velle  dans  le  peuple.  Tout  le  monde  sentait  si  bien 
que  le  Roi  c'était  l'obstacle,  le  danger  de  la  situation, 
qu'une  foule  d'hommes ,  du  reste  favorables  à  la 
royauté ,  part^èrent  l»joie  commune.  I^  crédit  se 
releva ,  la  banque,  par  la  hausse  des  fonds,  témoigefi 
qu'elle  jugeait  que  la  situation  s'était  affermie  par  k| 
franche  déclaration  de  ce  qui  était  un  fait,  en  tant 


S40       PREM1ÈRB  OPPOStnON  K  nhSMH  BT  DB  LA  GmOHK 

qu'un  principe.  La  France,  en  effet,  depuis  plus  d'un 
an,  se  gouvernait  elle-même. 

L'abolition  expresse  de  la  royauté  avait  cela  d'heu- 
reux encore  qu'elle  ne  frappait  pas  seulement  le  roi 
détrôné,  mais  le  roi  possible.  Le  duc  d'Orléans 
était*il  ce  roi  7  Nommé  membre  de  la  ConventîoD, 
il  y  vint  siéger  k  point  pour  voter  avec  les  autres 
l'abolition  de  la  royauté.  Les  intrigants  néanmcms, 
Dumouriez  et  autres»  ne  se  rebutèrent  pas  encore.  Au 
défaut  du  père,  ils  montrèrent  le  fils,  le  firent  valoir 
à  Yalmy,  à  Jemmapes,  n'oublièrent  rien  pour  le  met* 
tre  en  évidence. 

Dans  la  seconde  séance,  où  l'on  décida  que  tous 
les  corps  administratifs,  municipaux  et  judiciaires, 
seraient  renouvelés,  une  discussion  lumineuse  eut 
lieu  entre  la  Gironde  et  Danton,  pour  savoir  si  le  juge 
devait  être  nécessairement,  exclusivement,  cAotst 
parmi  les  légistes.  Les  Girondins,  tous  avocats,  se 
classèrent  eux-mêmes  ici;  ils  prouvèrent  que,  mal- 
gré leurs  dons  brillants,  héroïques,  le  profond  génie 
de  la  Révolution  n'était  point  en  eux. 

Si  la  Révolution  signifie  quelque  chose,  c'est  qu'en 
face  du  droit  incontesté  de  la  science  et  de  la  réflexion, 
Vinstincty  l'inspiration  naturelle,  le  bon  sens  du  peu- 
ple, ont  leurs  droits  aussi.  Au  savant,  au  prêtre,  au 
légiste,  la  Révolution  a  opposé  l'homme,  l'a  mis  de 
niveau  avec  eux.  Cet  homme  qu'ils  avaient  dédaigné, 
que  le  christianisme  lui-même  leur  avait  mis  sous  les 
^eds  comme  une  créature  gâtée,  impuissante,  ob- 
scureie  en  sa  raison  par  le  péché  originel,  mineure  à 


SUR  LA  CAPACITÉ  DU  PEUPLE  &  SEPT.  02).       541 

jamais  sous  le  prêtre;  cet  homme  dont  le  prêtre  en 
lois,  le  légiste ,  se  fit  ensuite  tuteur,  la  Révolution 
proclama  sa  majorité. 

Danton ,  avec  son  bon  sens  robuste,  remit  la  ques- 
tion sur  son  vrai  terrain.  «  Les  gens  de  lois  étaient 
comme  lesprétres^  ditril,  et,  comme  eux,  trompaient 
le  peuple.  » 

Il  fut  appuyé  par  un  de  ses  adversaires  même ,  qui 
avoua  :  «  Qu'on  devait  désirer  qu'il  y  eût  dans  chaque 
tribunal  un  pnuT homme  qui  ne  connût  pas  les  lois , 
et  qui  imposât  la  simplicité  du  bon  sens  naturel  à 
l'habitude  des  praticiens.  » 

Thuriot  aurait  voulu  que,  dans  chaque  tribunal, 
le  président  seul  fût  légiste,  tous  les  membres  des 
prud'hommes. 

Le  député  Osselin  dit  cette  remarquable  parole  : 
«Ou  voulait  aussi  écarter  l'établissement  des  juges* 
lie-paix.  L'événement  a  prouvé  combien  il  était  salu- 
taire. Il  en  a  été  de  même  des  juridictions  consulaires. 
Éclairés  par  ces  exemples ,  nous  devons  porter  le 
dernier  coup  à  la  robino-K^ratie.  » 

Danton  avait  élevé  tiés-haut  la  question,  et  il  la 
retint  sur  le  terrain  de  la  sagesse  pratique,  recon- 
naissant le  droit  de  la  science  et  se  gardant  bien 
de  le  contester,  déclarant  qu'il  ne  voulait  pas  écar- 
ter les  jurisconsultes,  mais  les  procureurs,  les  ar-- 
tisans  de  chicane;  qu'il  fallait  que  le  peuple  pût, 
au  défaut  (T hommes  de  loi  patriotes  j  élire  d'autres 
citoyens. 
Après  une  telle  explication ,  tout  le  monde  devait 

IV.  « 


542  ACCUSATIONS  MUTUELLBS 

d'entendre ,  et  il  n'y  avait  plus  de  débat.  Les  Giron- 
dins s'ûbstinèrent;  Vergniaud  parla  encore,  sans  but, 
et  obtint  que  la  proposition,  acceptée  &ï  principe, 
serait I  pour  les  moyens  d'exécution,  examinée  en 
commission. 

La  lutte  commencée  ainsi  sur  le  terrain  spéculatif 
éclata  en  même  temps  dans  la  grande  question  poUtt- 
que.  Du  j^remier  coup,  ce  fut  moins  un  débat  qu'un 
duel. 

Brissot  en  donna  le  s^nal,  dans  son  journal,  dès  le 
23,  en  disant  qu'il  y  avait  tin  parti  désùrgemisQteur 
dans  la  Convention. 

Le  parti  accusé  récrimina,  d'abord  aux  Jacobins. 
Chabot  assura  que  les  Girondins  voulaient  établir  eîi 
France  un  gouvernement  fédératif,  réduire  la  Répu- 
blique à  tiiM  simple  fédération  qui  en  eût  été  le  démeiiir- 
brement*  -^  Cette  accusatif,  de  peu  d'importance 
dans  la  bbuche  de  Chabot,  prit  beaucoup  de  poids 
lorsqu'elle  fut  reproduite  le  surlendemain  par  Robes- 
pierre au  sein  de  la  Convention. 

La  maladresse  des  Girondins  fut  insigne.  En  ré- 
pense  à  ces  attaques  de  là  dêputation  de  Paris , 
ils  attaquèrent  Paris,  qui  vraiment  n'était  pas  en 
cause. 

Le  24  septembre,  Kersaint,  Buzot,  Vergniaud,  sai- 
sissant l'occasion  de  nouvelles  scènes  sanglantes  qui 
avaient  eu  lieu  b  Chàlons,  obtinrent  de  Ht  Convention 
qu'on  nommerait  des  commissaires  pour  préparer  un 
projet  de  loi  contre  les  provocateurs  au  meurtre,  et 
sur  «me  ffarde  dépariementah  qu'xm  dotmerait  à  la 


DE  DÉSORGAKISATIOJ»  ET  DE  IltlUIIBRBIIENT  (23  SEPT.  92).    519 

dmvenHon.  Déjà  Roland,  daos  un  rapport,  avait  iQ«* 
sisté  sur  la  nécessité  de  faire  garder  la  CooTention  et 
de  rentourer  de  soldaU. 

Rien  n'était  plus  impolilique  qu'une  telle  défiance 
pour  Paris.  Qu'estrce  que  Paris,  sinon  la  France,  une 
population  miite  de  tout  département?  Cette  popula« 
lion  était-elle  coupable  pour  Septembre?  Nullement, 
CD  la  TU.  Si  la  Commune  avait  provoqué  ou  toléré  le 
massacre,  si  la  garde  nationale  n'avait  pu  rien  fiiire, 
qui  fallait-il  accuser?  l'Assemblée.  A  elle,  à  elle  seule, 
d'organiser  et  la  commune  et  la  garde  nationale,  de 
manière  à  garantir  l'ordre  public. 

Au  défaut  de  la  Législative,  la  Convention  devait 
le  {aire.  G^ était  sur  cette  question,  non  sur  la  question 
irritante  d'une  garde  départementale,  qu'on  devait  pla- 
cer le  débat.  Mettre  en  suspicion  Paris,  la  tôte  et  le 
cœur  de  la  France,  c'était  chose  injuste,  insensée»  Il 
fallait,  AU  contraire,  en  appeler  à  Paris  même,  lui 
montrer  confiance,  mettre  le  vrai  Paris  en  voie  de 
parler  et  d'agir,  contenir  la  Commune  si  elle  était 
tyrannique,  la  replacer  sous  la  main  de  la  Convention, 
établir  ainsi  Tuoité. 

La  Convention  ne  courait  aucun  risque  à  cette 
époque.  11  y  avait  autour  de  la  jeune  Assemblée  un 
espoir  immense.  On  appelait  à  elle  de  tous  les  maux, 
on  se  fiait  à  elle,  on  croyait  en  elle.  Que  craignait^Ue, 
Icnque  le  grand  agitateur,  le  terrible  tribun  du  peu- 
pie,  le  futur  dictateur^  Danton,  venait,  dès  la  pre. 
nûère  séance,  se  remettre  en  ses  mains,  déposer  le 
pouvoir,  mhjwrer  r^xtuféralim?  Pour  mieux  ratinrer^ 


544  APOLOGIE  DE  DANTON, 

le  25,  il  demanda  la  mort  pour  tout  homme  qui  vou- 
drait un  dictateur. 

Cette  séance  fut  une  bataille  rangée.  La  Gironde 
attaqua  violemment  y  pêle-mêle^  avec  beaucoup  de 
passion,  peu  d'habileté ,  trois  hommes  bien  diffé- 
rents qu'on  affectait  de  confondre,  Danton,  Robes- 
pierre, Marat.  On  les  associait  comme  un  trium- 
virat possible,  tel  que  Marat  l'avait  demandé  en 
Septembre,  et  tant  de  fois.  La  Gironde  échoua 
dans  cette  attaque,  surtout  parce  qu'elle  y  mêla 
Paris.  On  crut  voir  que,  dans  ces  accusations  vio- 
lentes, elle  avait  surtout  en  vue  d'emporter  la 
grande  mesure  d'une  garde  départementale  qui 
protégerait  la  Convention  contre  les  mouvements  de 
Paris. 

Danton  répondit  de  haut,  avec  beaucoup  de  gran- 
deur, et  en  même  temps  son  discours  fut  infiniment 
habile.  Il  désavoua  Marat,  et  le  mita  part,  rappelant 
leur  altercation  et  la  lettre  menaçante  que  Marat  lui 
avait  écrite.  Il  replaça  les  choses  sur  le  terrain  du  bon 
sens,  traitant  peu  sérieusement  le  trop  fameux  Ami 
du  peuple,  l'assimilant  à  un  pamphlétaire  royaliste, 
ridicule  par  sa  violence,  disant  que  Marat  était  «  Le 
Royou  de  la  République  » ,  et  faisant  entendre  que 
ses  persécutions,  sa  cave,  avaient  pu  lui  troubler 
l'esprit. 

Son  discours,  en  général,  fut  moins  une  apologie 
qu'une  profession  de  foi  où  il  posait  les  principes.  On 
peut  le  résumer  ainsi  :  Mort  à  la  mauvaise  unité/  la 
dictature.  Mort  à  la  fnauvai$e  liberté/  l'esprit  local  et 


SES  CONSEILS  PAGIFIQCBS  (25  SEPT.  92)  545 

départemental  Tesprit  de  division  et  de  démembre* 
ment.  — En  ce  dernier  points  il  récriminait  (sans  ai- 
greur) contre  la  Gironde ,  et  faisait  craindre  aux  ac-» 
cusateurs  de  devenir  accusés. 

«  C'est  un  beau  jour  pour  la  nation ,  un  beau  jour 
pour  la  République ,  que  celui  qui  amène  entre  nous 
une  explication  fraternelle.  S'il  existe  un  homme  per- 
vers qui  veuille  dominer  despotiquement  les  repré- 
sentants du  peuple ,  sa  tète  tombera  aussitôt  qu'il 
sera  démasqué.  On  parle  de  dictature,  de  triumvirat. 
Cette  imputation  ne  doit  pas  rester  vague  ;  celui  qui 
l'a  faite  doit  la  signer;  je  le  ferais  ^  moi...  Ce  n'est 
pas  la  députation  de  Paris  collectivement  qu'il  faut 
inculper.  Je  ne  chercherai  pas  non  plus  à  justifier 
aucun  de  ces  membres  ;  je  ne  réponds  que  pour  moi . .  • 
Moi,  je  n'appartiens  pas  à  Paris;  je  suis  d'un  dépar- 
tement vers  lequel  je  tourne  toujours  mes  r^ards 
avec  un  sentiment  de  plaisir  ;  aucun  de  nous  n'ap- 
partient à  tel  département  :  il  appartient  à  la  France 
entière.  Que  cette  discussion  profite  à  la  France,  — 
Portons  la  peine  de  mort  contre  quiconque  $e  déclare- 
rait pour  la  dictature  ou  le  triumvirat.. .  —  On  pré- 
tend qu'il  est  parmi  nous  des  hommes  qui  ont  l'opi- 
nion de  vouloir  morceler  la  France  ;  faisons  disparaître 
ces  idées  absurdes  en  prononçant  la  peine  de  mort 
contre  leurs  auteurs.  La  France  doit  être  un  tout  in- 
divisible. Elle  doit  avoir  unité  de  représentation.  Les 
citoyens  de  Marseille  veulent  donner  la  main  aux  ci- 
toyens de  Dunkerque.  Je  demande  donc  la  peine  de 
mort  contre  quiconque  voudrait  détruire  l'unité  en 


516  APOLOGIB 

France^  et  je  propose  de  décréter  que  la  ConTeotioii 
nationale  pose  pour  base  du  gouTernement  qu^eHe  ya 
établir  :  Funité  de  r^iréientaUm  et  d^ecoéciUion. —  Ce 
ne  sera  pas  sans  frémir  que  les  Autriohiens  qppreiH 
dront  cette  sainte  harmonie.  Àlo»»  je  tous  le  jure, 
nos  ennemis  sont  morts.  » 

Robespierre  parla  dans  le  même  sens  ^  racontant, 
comme  à  l'ordinaire ,  les  services  qu'il  avait  si  lonf^* 
temps  rendus  à  la  libe|^vi^|^u^  4^^  jamsùs,  daas 
les  assemblées  électorales^  en  n'avait  parlé  d'attenter 
à  la  propriété.  11  articula  fortement  le  soupçon  qu'un 
parti  voulait  réduire  la  République  «  A  n'être  qu'un 
amas  de  républiques  fédératives.  »  Enfin,  s'aperœvant 
que  son  discours  était  froidement  accueilli  de  l'As- 
semblée, il  s'adressa  ailleurs,  au  peuple  des  tribunea, 
se  prosterna,  pour  ainsi  dire,  devant  la  foule,  et, 
tout  en  déclinant  le  titre  de  flatteur  du  peuple,  fl 
prétendit  que,  quoi  qu'on  dit,  on  ne  flattait  [jamais  le 
peuple,  «  pas  plus  que  la  Divinité.  » 

Tout  cela  mal  reçu.  Mais  Robespierre  Ait  relevé 
par  Vincroyable  maladresse  d'un  des  Girondins  qui 
suivit. 

Barbaroux  s'offlrit  de  signer  l'accusation  de  dicta- 
ture, il  rappela  qu'on  l'avait  pressenti  sur  la  que»- 
tien  de  faire  Robespierre  dictateur.  Il  attaqua  la 
Commune,  déclarant  que  pour  Paris  même,  il  n'avait 
aucune  défiance.  Pourtant,  il  conseillait  de  réunir 
dans  une  ville  les  suppléants  de  la  Convention,  pour 
que  V Assemblée  subsistât,  si  les  représentants  péris- 
saient à  Paris.  Il  annonçait  de  plus  que  Marseille  en- 


DE  ROBESPIERBB  (»  SEPTEMBRE  92).  347 

voyait  deux  cents  c&valiers^  liiiU  cents  fttntassms, 
Um9  jeune$  gen$  aisé$  ^  à  cAoctui  desquels  leurs  pères 
avaient  dosméy  wtre  les  chevaux  et  les  armes,  un  assi* 
gnat  de  dnq  cents  liwes.  Quoi  de  plus  dai^ereux  qu'  une 
double  asseoiblèel  quelle  occasion  de  guerre  civile  1 
D'autre  part,  rien  de  plus  irritant  pour  Paris  que 
raononoe  d'un  tel  corps  aristocratique ,  envoyé  par 
Marseille  pour  contenir  les  Parisiens  I 

Dès  TouYerture  de  laséance^  le  girondin  Lasource 
avait  dit  durement  qu'il  fallait  réduire  Paris  à  tétcU 
d'un  département,  à  n'avoir  que  son  quatre^ngt^troi^ 
sième  d'influence. 

Visiblement,  ces  représentants  du  Midi  ignoraient 
tous  le  véritable  organisme  de  la  France,  le  rôle  que 
joue  le  principal  organe  dans  notre  physiologie  na- 
tionale. La  grande  ville  est  le  point  électrique  où 
tous  vienaent  sans  cesse  reprendre  Tétincelle,  s'élec- 
triser  et  s'aimanter.  La  France  doit  passer  là,  y  re^ 
passer  sans  cesse;  et  chaque  fois  qu'elle  sort  de  cet 
heureux  contact,  loin  de  changer,  qlle  devient  elle- 
même  de  plus  en  plus,  entre  dans  la  vérité  complète 
de  sa  nature,  devient  plus  France  encore. 

Un  seul  député  du  Midi  se  tint  sur  une  ligne  fixe  et 
ferme,  libre  des  deux  partis,  ce  fut  Cambon.  Il  dé- 
clara, au  nom  des  Méridionaux,  que  tous  voulaient 
l'unité  de  la  République;  que  si  l'esprit  de  fédéra- 
lisme, d'isolement,  d'égoïsme,  se  trouvait  quelque 
part,  c'était  dans  la  tyrannie  de  la  Commune  de 
Paris.  Il  n'attaqua  point  Paris,  mais  seulement  la 
Commune. 


548  APOLOGIE 

Veif;iiiaud  de  même  évita  cet  écneil  commun  des 
Girondins.  Il  ménagea  Paris.  Il  n'attaqua  pas  la  Com- 
mune en  masse,  ni  la  députation  de  Paris  indistÎDCte- 
ment  ;  il  reconnut  qu'elle  contenait  de  bons  citoyens, 
le  vénérable  Dussaulx,  le  grand  artiste  David  et  d^au- 
tres  encore.  Il  fr^[>pa  droit  sur  Robespierre,  rappela 
que  dans  T  affreuse  nuit  du  2  au  3  Septembre,  il 
avait  supposé  un  grand  complot,  affirmé  que  Bris- 
sot,  Yer^niaud,  Guadet,  Condorcet^  livraient  la 
France  à  Brunswick...  Quelqu'un  démentant  Ver- 
gniaud,  il  ajouta  avec  une  modération  qui  n'étaitque 
plus  accablante  :  «  Je  n'ai  jamais  proféré,  au  sujet  de 
Robespierre,  que  des  paroles  d' estime.. •  Aujourd'hui 
encore,  je  parle  sans  amertume;  je  me  féliciterai 
d'une  dénégation  qui  me  prouvera  que  Robespierre 
aussi  a  pu  être  calomnié...  »  Et  il  attendit. 

Le  moment  était  venu  pour  Robespierre  de  s'ex- 
pliquer sur  son  discours  du  2  Septemlure,  et  de  s'en 
laver  k  jamais.  Son  adversaire  déclarait  qu'il  Ven 
croirait  sur  sa  parole.  C'est  alors  qu'il  devait  nier, 
devant  la  Convention,  devant  la  France  et  l'histoire, 
et  non  comme  il  fit  tardivement,  hors  du  débat, 
dans  un  de  ses  longs  discours.  Il  ne  répondit  rien  à 
Yergniaud,  accepta  l'accusation  et  garda  la  tache; 
il  la  garde  pour  l'avenir. 

Yergniaud  rappela  aussi,  lut  l'effroyable  circu* 
laire,  signée  Marat,  Sergent,  Panis,  au  nom  de 
la  Commune,  et  envoyée  par  toute  la  France  pour 
étendre  à  toutes  les  villes  le  massacre  de  Paris.  Un 
frémissement  d'indignation  parcourut  l'Assemblée; 


DB  MARAT  (8S  SBFTEIfBRB  9S).  34» 

mais  les  mormures  devinrent  des  cris,  des  clameurs 
de  réprobation  y  lorsqu'un  député  tira  de  sa  poche 
un  article  de  Marat,  daté  du  21  septembre,  et  publié 
le  22.  Il  y  déclarait  qu'il  n'y  avait  rien  à  espérer  de 
la  Convention,  qu'il  fallait  encore  une  insurrection; 
qu*aatremenl  on  devait  s'attendre  à  cinquante  ans 
d'anarchie,  et  qu'on  n'en  sortirait  que  par  la  dicta*- 
tare.  Il  finissait  par  ces  mots  cruellement  si^ificatife, 
au  lendemain  de  Septembre  :  «  Oh  !  peuple  babillard, 
si  tu  savais  agir!» 

Pris  ainsi  dans  ce  cri  de  meurtre,  et  comme  la 
main  dans  le  sang,  Marat  devait  être  atterré.  Il  en  fut 
tout  autrement.  Lui  qui  toujours  s'était  caché,  il  pa* 
rut  heureux  de  se  montrer  au  grand  jour  ;  il  accepta 
hardiment  la  lumière  et  le  défi.  La  créature  de  ténè- 
bres vint  s'étaler  au  soleil,  souriant  de  sa  vaste  bon-* 
che,  ayant  l'air  de  dire  à  ceux  qui  (comme  M**  Ro- 
land) doutaient  si  Marat  était  un  être  réel  :  a  Vous  en 
doutiezT  le  voici.  » 

Sa  seule  présence  à  la  tribune  souleva  tout  le 
inonde  ;  elle  en  paraissait  souillée.  Cette  figure  large 
et  basse  qui  dépassait  à  peine  de  la  tète  et  de  la  poi- 
trine et  s'étalait  en  largeur,  ces  mains  grasses, 
épaisses,  qu'il  plaquait  sur  la  tribune,  ces  yeux  proé* 
minents,  ne  donnaient  point  l'idée  de  l'homme,  mais 
bien  plutôt  du  crapaud...  «Âbas!  à  bas!»  criait- 
on.  Lui,  sans  se  déconcerter  :   «  J'ai  dans  cette 

Assemblée  un  grand  nombre  d'ennemis »  — 

«Tous!  tous!  »  s'écrie  l'Assemblée,  en  se  levant 
presque  entière.  Cela  même  ne  l'émut  pas.  Lan- 


S8Q  AMtoeip 

çant  outra^  ponr  outrage  :  <  Jo  vous  rappelle  à  la 

pudeur*  ••  » 

Marat  élait  audacieux ,  mais  nullement  brave.  Ce 
qui  Tmliardissait  ici,  c'est  qu'il  savait  paifaiteoient 
qu'il  parlait  sous  les  yeux  des  siens.  La  bataille  était 
prévue  ;  quelques  paroles  imprudentes  de  Barfaaroux 
aux  Jacobins  l'avaient  annoncée  la  veille.  Les  mara- 
listes,  avertis,  avaient  rempli  les  tribunes;  ils  sen- 
taient bien  que  c'était  le  procès  de  Septembre  qui  se 
faisait,  et  le  leur.  Tout  ce  qu'il  y  avait  d'hommes 
compromis  étaient  venus  voir  si  la  Convention  oserait 
entrer,  par  la  punition  de  Marat,  dans  les  voies  de  la 
justice.  Lui  Trappe ,  ils  pensaient  bien  qu'on  irait  à 
eux.  On  les  connaissait  en  grand  nombre,  par  noms, 
professions,  adresses.  Ces  gens-là  devaient  périr  avec 
lui,  ou  triompher  avec  lui.  Sa  destinée  était  la  leur. 
Qu'on  juge  s'ils  furent  exacts  à  occuper  les  tribunes  ! 
Dès  la  nuit,  ils  étaient  aux  portes,  faisaient  queue, 
se  reconnaissaient,  triaient  la  foule,  en  quelque  sorte, 
maltraitaient  et  supplantaient  tout  homme  d'un  autre 
parti  ;  s'ils  laissaient  passer  quelqu'un  qui  ne  fût  pas 
de  leur  bande ,  c'était  quelque  ouvrier  des  métiers 
inférieurs,  quelque  simple,  qu'ils  faisaient  bientôt 
des  leurs.  Le  costume  bizarre  de  Marat,  son  oollet 
gras,  son  cou  débraillé,  faisaient  bon  effet  sur  ces 
gens.  Ils  ne  jugeaient  pas  aisément  de  tout  ce  qu'il 
y  avait  là  d'ambitieux  dans  la  négligence  et  d'osten* 
tation  dans  la  saleté. 

Marat  fut  bien  plus  babile  qu*on  ne  l'aurait  at* 
tendu  ;  ses  paroles  furentparfaiteroent  calculées  pour 


DE  MARAT  (tt  ««TEIIBRE  92).  SKI 

las  tribunes.  Il  glorifia  Septembre  :  «  Me  ferez^Toas 
un  crioie  d'avoir  provoqué  sur  la  tôte  des  traîtres  la 
hache  vengeresse  du  peuple?  Nop;  sivousTimpu- 
tîet  à  crime,  le  peuple  vous  démentirait  :  car^  obéis- 
sant à  ma  voix ,  il  a  senti  que  le  moyen  que  je  lui 
proposais  était  le  seul  pour  sauver  la  patrie ,  et,  de* 
veoa  dictateur  lui-*méme,  il  «  $u  se  déb^rri^fier  des 
traîtres»  » 

Ce  fut  une  grande  surprise  pour  l'Assemblée ,  uo 
effet  cruel  de  remarquer  que  ces  paroles  exécra* 
blés  étaient  accueillies  d'eu  haut  par  les  assistants 
Aveo  un  murmure  flatteur;  elle  vit  avec  horreur 
que  Marat  n'était  pas  seulement  à  la  tribune,  mais 
qu'il  était  sur  sa  tète,  qu'elle  siégeait  eqtre  Marat  et 
Marat. 

Un  des  Girondins,  plein  d'indignation,  n'y  tint  pas 
et  voulut  sortir.  L'officier  de  garde  lui  dit  :  «  Ne 
sortez  pas»  je  vous  prie ,  ne  vous  montrez  pas,  mon- 
sieur. Tous  ces  gens*là  sont  pour  lui  ;  s'il  est  dé- 
orété  d'accusation,  le  massacre  recommencera  ce 
soir.  M 

Marat,  de  plus  en  plus  fier,  se  prélasse  à  la  tribune  : 
«  La  dictature  !  dit-il  ;  mais  Danton,  Robespierre,  les 
autres,  en  ont  toujours  improuvé  l'idée.  Elle  est 
mienne  ;  on  a  tort  d'accuser  la  dépulation  de  Paris; 
IHncHipcuion  n'a  nulle  eauleur ,  $i  ce  n'est  parce  que 
fensuiêtnembre...  Oui,  moi-môme j  ai  frémi  des  mou*- 
vements  désordonnés  du  peuple;  j'ai  demandé  qu'il 
nommât  un  bon  citoyen ,  juste  et  ferme,  mais  qu'on 
lui  mtt  en  quelque  sorte  un  boulet  aux  pieds ,  qu'il 


s»  APOLOGIE 

n'eût  d'autorité  que  pour  abattre  des  tètes...  (Mwr- 
mures.)  Si  vous  n'êtes  pas  encore  à  la  hauteur  de 
m'entendre,  tant  pis  pour  vous...  » 

Puis,  après  avoir  ainsi  naïvement  fait  comprendre, 
dans  sa  vanité  incroyable,  qu'il  voulait  un  dicta* 
teur  et  pour  dictateur  Marat,  l'étrange  candidat, 
se  recommandant  à  l'admiration  des  tribunes,  mon* 
tra  sa  casquette  crasseuse,  ouvrit  ses  sales  vête- 
ments :  «M'accuserez- vous  d'ambition T  voyez-moi  et 
jugez-moi...» 

Remarquant  pourtant  l'horreur  de  la  Convention, 
et  craignant  le  vote,  il  soutint  que  le  numéro  paru 
le  22  avait  été  écrit  dix  jours  auparavant,  avait  paru 
en  affiche ,  et  que  c'était  par  erreur  qu'on  l'avait 
réimprimé.  «  Lisez,  dit-il,  mon  premier  numéro  du 
Bépublicain,  vous  y  verrez  l'hommage  que  je  rends  à 
la  Convention  pour  ses  premiers  travaux ,  vous  y 
trouverez  la  preuve  que  je  veux  marcher  avec  vous, 
avec  les  amis  de  la  patrie.  » 

Ce  numéro,  dont  on  fit  lecture,  ne  contenait  rien 
de  tel.  Marat  y  accusait  cruellement,  en  promettant 
de  ne  plus  accuser.  Il  y  avait,  entre  autres  choses  : 
«  J'étoufferai  mon  indignation,  en  voyant  les  me- 
nées des  traîtres j'entendrai  sans  fureur  le  récit 

des  vieillards  et  des  enfants,  égorgés  par  de  lâches 
assassins,  etc. ,  etc.  »  Cette  déclamation  sanglante 
commençait  ridiculement  par  une  apostrophe  copiée 
de  la  Marseillaise  :  Amour  sacré  de  la  pairie!  avec  un 
développement  sentimental  dans  le  style  de  la  Nau^ 
velle  Héloïse. 


DE  MARAT  (25  SEPTEMBRE  92).  355 

La  lecture  de  cette  pièce,  nullement  justificative, 
fut  suivie  d'une  comédie-pitoyable  que  la  Convention 
dut  endurer  encore  par  égard  pour  les  tribunes,  qui 
la  prirent  au  sérieux.  Marat  parut  s'attendrir  :  «Voilà 
donc  le  fruit  de  trois  années  de  cachots  et  de  tour- 
ments !  le  fruit  de  mes  veilles  et  de  mes  souffrances!.. 
Quoi  doncl  si  ma  justification  n'eût  paru,  vous  m'au- 
riez voué  au  glaive  des  tyrans?  Cette  fureur  est  in- 
digne d'hommes  libres;  mais  je  ne  crains  rien  sous  le 
soleil... •  (Là,  il  tira  un  pistolet  de  sa  poche,  se  l'ap- 
pliqua au  front).  Je  déclare  que,  si  le  décret  d'accu- 
sation  eût  passé ,  je  me  brûlais  la  cervelle  au  pied  de 
la  tribune.  »  Beaucoup  rirent,  beaucoup  s'indigne- 
rent;  le  charlatan  venait  d'imiter  à  froid  le  mouve- 
ment bien  connu  des  deux  jeunes  marseillais  qui,  la 
veille  du  10  août,  à  l'Hôtel-de-Ville,  se  mirent  le  pis- 
tolet au  frrat,  menaçant  de  se  tuer»  si  on  ne  leur 
donnait  des  cartouches. 

Les  tribunes  admirèrent,  mais  dans  la  Convention 
le  dégoût  arriva  au  comble;  plusieurs  ou  se  détour- 
nèrent, ou  montrèrent  le  poing,  criant  :  «  A  la  guil- 
lotine !»  Lui,  impudemment:  «Eh!  bien,  je  resterai 
parmi  vous  pour  braver  vos  fureurs*..  ^ 

L'Assemblée  était  fatiguée.  Le  centre  craignait  les 
tribunes  ;  il  passa  tout  entier  à  gauche.  Un  homme 
de  Septembre,  Tallien,  demanda  «  Qu'on  fit  trêve  à 
ces  scandaleuses  discussions,  qu'on  laissât  les  indivi- 
dus. »  Il  obtint  l'ordre  du  jour. 

On  décréta  la  seconde  proposition  de  Danton  :  «La 
République  française  est  une  et  indivisible.  i> 


354  APOLOGIE  DB  LA  COMONE,  ttUI  DÂS4V0UB 

Sa  première  proposition  (Pétrie  de  mort  pour  çnt- 
conque  proposerait  la  dictature)  ne  fut  point  déerètde. 
L'ordre  du  jour  fut  demandé  par  Chd)ot,  oIi^qu. 
Beaucoup  croyaient  appamniment  qu'en  une  crise  » 
violente  une  dictature  temporairB  serait  peut-être 
après  tout  le  seul  remède  efficace. 

Les  Girondins  avaient  échoué  dans  toutes  leurs 
attaques  ;  Marat  même  avait  échappé.  Cette  séanoo 
violente  eut  pourtant  un  grand  résultat.  Paris  fut 
ému.  Le  jugement  sur  Septembre^  pour  n'avoir  pas 
été  formulé  par  la  Convention,  n'en  fut  peut^re  que 
plus  fortement  porté  dans  les  cœurs.  Les  adversaires 
de  Septembre  avaient  échoué  dans  la  salle,  sous  la 
pression  des  tribunes  maratistes,  et  par  la  faiblesse, 
peut'-étre  par  l'envie  du  centre.  11  en  fut  autremeal 
dans  la  grande  foule  du  peuple,  dans  les  masses  indé- 
pendantes, dans  la  libre  opinion.  Là,  la  Gironde  eut 
sa  couronne,  la  victoire  de  l'humanité. 

Le  soir  même,  une  députation  de  la  Communevinl 
à  la  barre  de  la  Convention  faire  amende  honorable, 
désavouant  les  commissaires  maralistes  envoyés  sous 
son  nom  dans  les  départements,  et  soutenant  qu'ils 
n'étaient  chargés  que  de  propager  Vunion  fratemelk. 
La  Commune  allait  jusqu'à  dire  :  t  Nous  vous  dé- 
nonçons le  Comité  de  surveillance  de  la  ville.  H  a  agi 
à  notre  insu.  Nous  avons  révoqué  une  partie  de  ses 
membres,  nous  vous  abandonnons  le  reste.  Cest  à 
vous  de  les  punir.  » 

L'humanité  était  vengée,  Septembre  nié  et  dénoncé 
par  la  Commune  du  10  août. 


LES  HOJIJIES  DE  SEPTEMBRE  (25  SERT.  92/.  3S5 

Le  10  août  et  le  2  septembre^  la  honte  et  la  gloire, 
ue  pouvaient  plus  se  confondre  ;  la  conscience  pu- 
blique était  raffermie  sur  la  base  invariable  de  la  mo- 
rale éternelle. 


CHAPITRE  IV 

LA  GIRONDE  COKTKE  DANTON. 
Septembre^ictobre  f  S. 

La  Gironde  croit  voir  Danton  toacher  à  U  tyrannie.  —  Li  Giron^,  josqM- 
là  démocnliqae,  a*«ppQie  rar  la  boargeottie  contre  la  dlcutnre.  —  Les 
Jacobins  prennent  le  poste  qa*occupait  la  Gironde^  FavaDlr^arde  ds 
mouYement  vers  régalité.  —  L'incapacité  praliqne  des  Girondias  avait 
obligé  Danton  à  prendre  le  pouvoir.  —  Les  Girondins  pearsniTeat  Danton 
comme  complice  de  Septembre.  —  Ils  poursuivent  Danton  et  la  GommoBc, 
pour  infidélité  dans  le  maniement  des  deniers  publies.— Danton  ne  peut  rea- 
dre  compte  de  ses  dépenses  secrètes.  —  Comment  Danton  avait  saisi,  arrêté 
la  grande  conspiration  de  TOuest. — Comment  Danton  avait  négocié  Pévarua- 
tion  du  territoire.  —  Dumouriex  à  Paris  (12-16  octobre  9S).  — >  Danton  at 
Dumouriex  veulent  se  concilier  la  Gironde.  —  Dernières  avances  de  Damaa 
aui  Girondins  (fin  d'octobre).  —  La  Convention,  en  réalité,  n*élait  point  en 
visée  sur  les  questions  alors  actuelles. 


Le  dernier  vole  de  la  Convention  était  propre  a 
faire  songer:  Elle  avait  prononcé  l'ordre  du  jour  sur 
la  proposition  de  porter  la  peine  de  mort  contre  qui- 
conque  parlerait  de  créer  une  dictature.  Quoique  la 
proposition  eût  été  faite  et  appuyée  par  les  chefs  de 
la  Montagne,  les  Montagnards  en  général  avaient 
voté  l'ordre  du  jour.  Chabot  avait  prétexté  le  respect 
pour  la  souveraineté  du  peuple,  soutenu  que  la  Con- 
vention  n* avait  pas  le  droit  de  prescrire  au  peuple  sou- 
i)erain  une  forme  de  gouvernement.  Un  tel  argument 
allait  loin.  Il  n'allait  pas  à  moins,  si  Ton  voulait,  qu'a 
défaire  ce  qu'avait  fait  le  10  août,  à  rendre  illusoire, 


LA  tilROMD£  CROIT  VOIR  DAKTON  TOUCHER  A  LA  TYRANME.    357 

au  bout  de  trois  jours^  le  décret  du  21  septembre, 
TaboIitioD  de  la  royauté. 

Les  Girondins  se  confirmèrent  dans  leurs  soupçons 
sur  la  Montagne,  dans  l'idée  que  par  Tanarchie  elle 
allait  à  la  tyrannie,  que  le  seul  Marat  avait  exprimé 
sincèrement  la  pensée  de  tous. 

«Mais  Marat  même  a-t41  tout  dit?..  Rappelez-vous 
qu'au  21,  lorsque  l'Assemblée  votait  d'enthousiasme 
l'abolition  de  la  royauté,  un  seul  bomme  réclama, 
dit  «  Qu'il  serait  d'un  exemple  effrayant  de  voir  l'As- 
semblée décider  dans  un  moment  d'enthousiasme.  » 
Cet  homme  si  prudent  était  un  des  plus  violents 
montagnards,  Bazire,  ami  de  Danton.  » 

On  avait  vu  paraître,  en  pleine  lumière,  dans  la 
grande  bataille  du  25,  les  trois  hommes  qu'on  appe* 
lait  les  triumvirs  de  Septembre.  Mais  on  ne  les  con«* 
fondait  plus.  Marat  décidément  semblait  impossible. 
L'ancien  charlatan  de  place,  le  vendeur  d'orviétan, 
avait  si  bien  reparu  dans  son  premier  rôle,  que  le  dé- 
goût, la  risée,  avaient  dominé  l'horreur.  Robespierre 
n'avait  pas  brillé;  ses  flatteries  aux  tribunes,  son 
principe  «  que  jamais  on  ne  peut  flatter  le  peuple  », 
avaient  été  froidement  accueillis  de  ceux  même  aux- 
quels il  les  adressait.  On  n'ignorait  pas  son  ascendant 
sur  les  sociétés  jacobines  ;  mais  ces  sociétés  elles-mê-» 
mes,  malgré  l'avis  de  Robespierre  et  ses  vaines  pré-* 
dictions ,  devenaient  favorables  à  la  guerre.  Vaincu 
sur  cette  question  éminemment  nationale,  l'advei^ 
saire  de  la  guerre,  réfuté  par  la  victoire,  semblait 
impossible,  au  moins  pour  longtemps. 

IV.  ** 


} 


998  LA  OMIIDE  GBOIT  VOIR  UUilW 

Danton  avait  paru  bien  autremeot  habile  dans  la 
fameuse  séance.  Son  apolog»  adroite»  d'une  bm- 
homie  apparente ,  n'en  avait  pas  moins  eu  oe  carac- 
tère d'audace  et  de  grandeur  qui  marquait  toutes 
sM  parolds.  Redoutable  politique  qui,  tout  en  restant 
à  Tavant  garde  de  la  gauche  et  le  chef  des  ▼iolenfs, 
prenait  ascendant  sur  les  modérés.  C'est  là  ce  qoi  fai- 
sait rêver  les  Girondins  et  les  remplissait  de  crainte. 
Ils  croyaient  voir  Danton  toucher  à  la  tyrannie.  <  Ne 
l'avez** vous  pas  vu,  disaient-ils,  saisir,  dès  le  premier 
jour  (lui  DantonI  lui  ami  des  plus  hardis  spoliatewsl), 
l'initiative  de  réclafMr  des  garanties  pour  la  pro* 
priété,  devançant  ainsi  la  droite  et  nous  enlevant  le 
mérite  d'exprimer  les  premiers  la  pensée  publique? 
Ce  jour  aussi,  au  moment  où  il  quitta  le  pouvoir^  ab- 
diqua, d'une  si  royale  attitude,  n'avons^^ous  pas  senti 
tous  qu*it  le  gardait,  ce  pouvoir,  et  ne  pouvait  plus 
descendre!  > 

Telles  étaient  les  terreurs  des  Girondins,  telle  la 
base  des  romans  incroyables  qu'à  £orce  d'iraagina^ 
tion,  de  passion,  de  rêves  ^  de  peur,  ils  se  faisaient 
sur  Dftnton. 

C'était  au  reste  un  caractère  commun  des  deui 
côtés  de  l'Assemblée.  L'excès  de  la  passion  avait  pro* 
duit  le  même  effet.  Tous  étaient  devenus  prodigieu-- 
sèment  Imaginatifs,  soupçonneux,  crédules,  saisis  des 
moindres  lueurs  «  et,  saisis  une  fois,  ils  ne  retrou* 
vaient  plus^  dans  leur  raison  ébranlée,  assez  de  force 
pour  en  revenir.  Beaucoup,  dans  ce  vident  état  d'es- 
prit, étaient  vériteblement  malades  de  coq».  Le 


TOCCHBR  k  LA  TYRAHmB  ^SSrT.-OCT.  92).  S{t9 

type  de  ces  malades,  Robespierre,  était  à  la  gauche; 
mais  plusieurs ,  à  droite,  ne  souffraient  pas  moins. 
Plusieurs,  qui  ne  parlaient  pas,  passaient  de  longues 
séances,  les  yeux  fixes  sur  leurs  adversaires,  mai* 
grissant  à  les  regarder,  blêmissant  et  s'épuisant  à 
les  deviner,  croyant  pénétrer  leurs  pensées,  et  sur 
UD  mot,  sur  un  geste,  se  créant  les  plus  terribles 
systèmes. 

La  double  énigme  sur  laquelle  ces  malheureux 
Œdipes  tendaient  toutes  leurs  facultés  divinatrices , 
c'étaient  Robespierre  et  Danton.  Sur  le  premier,  ils 
étaient  arrivés  à  l'idée  juste  qu'il  était  absolument  in- 
capable ,  comme  action  ;  mais  ils  en  tiraient  l'idée 
fausse  qu'il  ne  serait  qu'un  instrument  dans  la  main 
de  son  puissant  rival.  Plusieurs  étaient  d'avis,  pour 
cela  même,  de  briser  cet  instrument,  d'attaquer  d'a- 
bord Robespierre.  D'autres,  croyant  voir  Danton  si 
près  de  la  tyraanie,nevoulaientpasperdre  un  moment 
pour  le  démasquer.  Tous,  à  force  d'y  songer,  ils  s'é- 
taient fait  de  l'avenir  un  roman  étrange,  qui  montre 
combien  les  esprits  les  plus  raisonneurs,  une  fois  dans 
la  passion  et  mettant  le  raisonnement  à  son  service , 
peuvent  aller  loin  dans  l'absurde.  Sans  doute  aussi,  la 
terreur  du  2  Septembre,  les  ombres  de  ces  nuits  san- 
glantes où  chacun  fut  mortducoBur,  ne  contribuaient 
pas  peu  à  obscurcir  les  esprits,  à  les  tenir  faibles  et 
troubles,  à  l'état  de  rave. 

Il  semble  que  la  Montagne  et  les  hommes  de  Sep- 
tembre se  soient  mêlés,  dans  ces  ininginations  nuH 
lades,  avec  la  fiuneuse  histoire  du  Vieux  de  la  Mon-* 


jtM)  LA  4;iR0NIIE  CBMT  VOIR  DANTOX 

tagne  et  des  Assassins.  Selon  eux,  dès  89,  un  vaste 
système  de  crimes  avait  été  conçu  au  profit  de  la 
maison  d'Orléans.  Par  quiT  Le  profond  inventeur 
était,  selon  eux,  Laclos  (le  futile  auteur  des  Liai^ 
sons  dangeretises).  Lafayette  et  Mirabeau,  unis  en- 
tre eux  intimement  (I),  avaient  été  les  agents  du 
complot;  ils  avaient  envoyé  Orléans  en  Ai^leterre 
pour  arranger  tout  avec  Pitt.  «  Danton,  Marat, 
les  Cordeliers,  qui  dressent  au  meurtre  Tannée  des 
septembriseurs,  égorgeront  un  matin  le  côté  droit 
tout  entier,  feront  roi  le  duc  d'York.  Orléans  assas* 
sinera  cet  Anglais ,  mais  sera  assassiné  par  Marat, 
Danton ,  Robespierre.  Lequel  restera  des  trois?  Le 
plus  habile,  qui  tuera  les  deux  autres,  sera  roi...  Ce 
sera  Danton,  n 

Ce  terrible  échafaudage  de  folies  n'étonnait  per- 
sonne. On  le  jugeait  vraisemblable ,  et  chacun,  en  y 
rêvant,  trouvait  bien  quelque  fait  à  Taj^ui  qui  le 
rendait  tout-à-fait  sûr.  Si  quelqu'un  des  GironiUns 
contestait,  c'était  pour  établir  un  autre  roman,  non 
moins  absurde.  Le  seul  qui  gardât  sa  tète  froide,  et 
fit  des  objections,  était  Condorcet;  mais  on  ne  Té- 
coutait  guère. 

Ce  qui  était  vrai  et  positif,  c'est  que  Danton,  en 
lâchant  le  ministère,  n'avait  rien  lâché;  il  ne  gar- 
dait aucun  titre,  mais  tout  ce  qu'il  y  avait  de  force 
dans  la  grande  dissolution  s'était  instinctivement  con- 
centré  autour  de  lui.  Il  conservait  les  fils  de  la  diplo- 
matie et  de  la  police  ;  il  semblait  tenir  Paris  et  tenir 
Tarmée.  Il  avait  paru  diriger  Dumouriez  dans  la 


TOUCHER  A  LA  nilANNIE  (SEPT.-OCT.  92).  36i 

campagne^  et  il  semblait  aussi  diriger  les  Prussiens 
dans  la  retraite,  u^ocier,  les  armes  à  la  main,  Téva* 
cuation  du  territoire.  A  l'intérieur,  une  foule  d'hom- 
mes compromis  croyaient  trouver  leur  sûreté  sous  le 
patronage  de  Danton  ;  il  les  avait  défendus,  en  se  di* 
sant  leur  complice.  Ils  lui  appartenaient,  ces  hom- 
mes; on  ne  le  rencontrait  guère  sans  les  voir  autour 
de  lui  j  recueillant  avidement  sa  parole ,  attendant 
son  signe.  Ils  lui  faisaient  une  cour,  sans  compter  le 
peuple  curieux,  qui  toujours  venait  derrière ,  le  sui- 
vait, l'aimait,  Tadmirait.  À  le  voir  ainsi  entouré,  on 
pouvait  croire  que  le  dictateur  n'était  plus  à  trouver, 
qu'il  existait  déjà,  ce  roi  de  l'anarchie. 

Les  Girondins  se  croyaient  les  fondateurs  de  la  Ré» 
publique  ;  ils  la  défendaient  contre  la  dictature,  non- 
seulement  wrec  patriotisme,  mais  avec  un  amour- 
propred' auteur.  Quoique  Camille  Desmoulins,  dès89, 
en  ait  eu  dans  la  presse  la  brillante  initiative,  quoique, 
selon  quelques-uns  (voy.  Hém.  de  Garât),  Danton, 
le  mattre  de  Camille,  en  ait  eu  la  première  et  pro- 
fonde conception ,  cependant  c'étaient  les  écrivains 
girondins  qui ,  au  moment  décisif,  en  91 ,  avaient 
emporté  dans  l'opinion  l'abolition  prochaine  de  la 
royauté.  Leurs  mystiques,  Fauchet  et  Bonneville, 
dans  la  Bouche-de*fer,  leurs  raisonneurs,  Brissot, 
Condorcet,  Thomas  Payne,  y  avaient  converti  le  pu- 
blic ,  et  jeté,  en  réalité,  la  première  pierre  de  la  Ré- 
publique. Les  Jacobins,  Robespierre,  s'étaient  tus  sur 
la  question.  Les  Cordeliers  se  déclarèrent  républi- 
cains, mais  non  tous  1^  Cordeliers,  non  pas  les  plus 


3M  LA  CmONOB,  JU6QinS<^LA  DÉMOCRATIODB, 

influente;  Mant,  Danton,  dans  leurs  vagues  et  violen^ 
tes  paroles,  ne  prirent  point  nettement  parti. 

La  Gironde,  en  la  République,  croyait  défendre  son 
OEluTre  contre  la  dictature  et  la  royauté  qui  reTenaît 
pdr  l'anarchie; 

Contre  la  royauté  do  Danton,  de  Paris  et  de  sa  Corn* 
muDO)  de  la  populace; 

Contre  la  royauté  de  Robespierre  et  des  sociétés 
jacobines,  sociétés  jusque-là  bourgeoises,  nousTavons 
vil ,  mais  qui  alors  s'élargissaient  et  ne  repoussaient 
plus  le  peuple. 

Les  Girondins  avaient  eu  jusque -Ih,  pour  les  classes 
inférieures,  pour  la  totalité  du  peuple,  une  confiance 
admirable.  Bourgeois  la  plupart,  mais  avant  tout 
{âiilosophes ,  imbus  de  la  philosophie  généreuse  du 
XVni*  siècle ,  ils  avaient  d'abord  appliqué  d'une  ma*- 
nière  absolue,  sans  réserve,  la  pensée  de  l'égalité 
qu'ils  portaient  au  cœur.  Od  le  vit,  en  90,  d'une 
manière  éclatante  dans  les  villes  où  ils  régnaient, 
à  Bordeaux  et  à  Marseille.  On  organisait  partout  la 
garde  nationale ,  à  l'instar  de  Paris,  à  la  Laiayette  ;  on 
recommandait  l'uniforme.  Ces  nobles  cités^  alors  sous 
l'inspiration  du  futur  parti  girondin,  déclarèrent  cette 
distinction  odieuse,  propre  à  créer  des  rivalités,  des 
haines;  point  d'uniforme,  un  ruban  suffisait,  un  sim- 
ple ruban  tricolore  pour  se  reconnaître,  signe  peu 
coûteux  que  les  riches  et  les  pauvres  pouvaient  porter 
également. 

La  Gironde,  toute-puissante  dans  Thiver  de  94,  an 
printemps  de  92,  était  fidèle  à  ces  doctrines;  c'est 


rA^POlK  ftim  LA  1IOimfiE(H9S  COIITBB  U  DIOTATURE.       385 

elle  qui ,  de  gré  ou  de  fiMrce,  malgré  la  résistance  des 
Jacobins,  mil  sur  toute  tète,  en  France^  le  bonnet  de 
TËgaltté,  le  simple  bonnet  de  laine  rouge,  que  por*» 
tiut  généralement  le  paysan  avant  89 ,  et  qui ,  le 
20  juin  92,  fut  mis  sur  la  tète  des  rois. 

Et  la  Gironde  ne  s'en  tint  pas  au  signe;  elle  réalisa 
Tégalité,  autant  qu'il  fut  en  elle,  Tégalitô  delà  force^ 
en  donnant  à  tous  des  armes;  elle  seconda  le  grand 
élan  national  de  la  guerre;  au  défaut  de  fusils,  elle 
autorisa  tout  le  monde  à  forger  des  piques.  Elle  com- 
prit la  guerre,  sous  ses  deux  aspects  les  plus  saints 
(par  lesquels  la  guerre  est  la  vraie  mère  de  la  paix), 
comme  une  généreuse  croisade  de  la  liberté  pour  af* 
franchir  toute  la  terre,  et  comme  l'épreuve  légitime 
de  la  France  nouvelle,  l'initiation  universelle  du  peu* 
pie  à  l'égalité,  l'anéantissement  de  l'ancienne  aristo*» 
cràtie.  La  vraie  manière  de  détruire  la  noblesse,  c'é* 
tait  de  la  donner  à  tout  le  monde,  de  ceindre  h  tous 
l'épée»  En  cela,  la  Gironde  avait  vraiment  saisi  la 
pensée  de  la  France.  Personne,  presque  personne, 
n'imaginait  l'égalité  des  biens  ;  peu  comprenaient  Té* 
galité  des  lois;  tous  voulaient,  désiraient  réalité  sous 
le  drapeau. 

Voilà  les  précédents  de  la  Gironde  ;  il  lui  suffisait 
d'y  rester  fidèle. 

Par  quel  étrange  et  subit  revirement  la  voyousr 
nous,  après  Septembre,  s'éloigner  peu  à  peu  du  grand 
poste  qu'elle  a  occupé  jusqu'ici  dans  la  Révolution , 
l'avant-garde  de  régalité? 

Fatal  rapprochement.  Marseille,  en  90,  va  jusqu'à 


?S6i  LKS  JACOBINS  PRBNKENT  LE  POSTE  O^'OCCrPAIT  LA  GlRONlkE, 

repousser  T  uniforme  de  la  garde  nationale  comme  in- 
signe d'aristocratie.  Marseille,  eu  92,  prononce  à  la 
Convention  la  menace  aristocratique  d'un  corps  de 
huit  cents  jeunes  gens  riches,  qu'elle  envoie  pour 
mettre  Paris  à  la  raison* 

Mais  c'était  le  contraire  exactement  qu'il  eût  fallu. 
Pour  garder  la  Ck)nvention,  empêcher  les  massacres, 
prévenir  les  pillages,  pourquoi  appeler  des  riches?  Il 
fallait  des  Français  quelconques  ;  ou,  si  l'on  voulait 
absolument  choisir ,  il  fallait  choisir  des  pauvres ,  et 
faire  appel  à  Thonneur. 

Mous  analyserons  plus  tard  l'élément  aristocra- 
tique qui  se  trouvait  dans  la  Gironde,  et  l'élément  lé- 
giste^ et  l'élément  municipal,  le  patriciat  nobiliaire  ou 
mercantile  des  villes  du  Midi.  Notons  ici  seulement 
l'erreur  qui  lui  troubla  la  vue,  la  fit  incliner  peu  à 
peu  en  ce  sens  :  elle  crut  voir  la  propriété  en  pé- 
ril. Malgré  de  grands  désordres  accidentels,  il  n'y 
avait  rien  à  craindre;  au  contraire,  la  propriété, 
communiquée  à  tous,  prenait  une  base  plus  ferme 
(parce  qu'elle  était  plus  large)  qu'elle  ne  l'eut  ja- 
mais. Sous  l'influence  de  cette  erreur ,  la  Gironde 
appela  au  secours  contre  la  dictature,  contre  les  lois 
agraires  que  le  dictateur  aurait  pu  porter,  les  riches 
et  les  gens  aisés  ;  elle  se  fia  aux  intérêts  mobiles  et 
variables  qui  le  lendemain  pouvaient  trouver  leur 
compte  à  ramener  le  Roi  ;  en  sorte  que,  pour  repous- 
ser la  royauté  révolutionnaire,  elle,  s'appuyait  sur  une 
classe,  qui,  d'une  pente  infaillible,  inclinait  à  la 
rovauté. 


L'AVANT-GARUB  DU  MOUVEMENT  VERS  L'ÉGALITÉ  (SEPT.-OCT.  92).  36â 

Barbaroux ,  dans  son  étourderîe  provençale,  met- 
lait  tout  ceci  en  lumière.  II  dit  contre  les  siens ,  le 
25  septembre ,  plus  que  n'auraient  espéré  leurs  plus 
cruels  ennemis.  11  avait  montré  à  ceux*ci  la  place 
vulnérable  où  ils  pouvaient  le  mieux  frapper. 

Il  sembla  avoir  dicté  à  Robespierre  le  programme 
du  nouveau  journal  que  celui-ci  fit  paraître  peu  de 
Jours  après  (Leitres  à  ses  commettants,  à  tous  les  Fratir 
çais).  Il  y  disait  :  «  Ce  n'est  point  assez  d'avoir  renversé 
le  trône;  ce  qui  nous  importe ,  c'est  d'élever  sur  ses 
débris  la  sainte  égalité...  Le  règne  de  Tégalité  com- 
mence. 1»  Pensée  juste,  vraie,  qu'il  développait  avec 
noblesse  et  grandeur.  Il  était  moins  heureux  quant 
aux  moyens  d'établir  cette  égalité  :  c  Comment  l'ob- 
tenir? En  protégeant  le  faible  contre  le  fort.  Or,  ce 
qu'il  y  a  de  plus  fort  dans  l'État,  c'est  le  gouverne- 
ment... »  Il  en  concluait  que  le  grand  objet  des  lois 
constitutives  est  de  lutter  contre  le  gouvernement; 
conclusion  triviale,  et  qui  n'en  est  pas  moins  fausse, 
qui  ferait  de  l'État  un  simple  combat ,  une  chose 
exclusivement  polémique  et  négative,  sans  positif  et 
sans  substance,  sans  féconde  vitalité.  Ce  serait  reve- 
nir par  un  autre  chemin  aux  pauvretés  de  la  politique 
anglaise ,  qui  réduit  tout  à  une  certaine  idée  d'op- 
position et  de  garantie. 

C'est  ainsi  que  la  Gironde,  après  avoir  été,  spé- 
cialement au  printemps  de  92,  le  vrai  parti  natio- 
nal, le  parti  de  l'égalité,  abandonna  ce  rôle,  le  lais- 
sa prendre  k  ses  ennemis,  k  la  Montagne,  aux 
Jacobins. 


306  L*lllCAPAaTÉ  PRATIQUE  0Bft  CIKONDiNS 

L'iDcaptctté  de  ce  parti  se  réYélait  tous  les  jours 
par  le  singulier  contraste  de  sa  position  dominante- 
et  de  sa  complète  impuissance.  Il  ayait  la  majorité  au 
ministère  et  dans  la  Convention  ;  il  venait  d'en  nooH 
mer  le  président,  les  secrétaires.  Dans  Tadministn- 
tion  >  il  donnait  toutes  les  places.  Il  dominait  la 
Presse,  tenait  la  plupart  des  journaux.  11  semblait 
avoir  ainsi  les  deux  armes  les  plus  fortes,  raatorité, 
la  publicité.  Il  avait  tout,  et  il  n* avait  rien.  Il  n'avait 
nulle  prise  sérieuse;  il  avait  la  main  sur  le  pouvoir, 
et  ne  pouvait  le  serrer.  Il  devenait  nul  dans  les  clubs; 
pourquoi?  Des  clubs  girondins  auraient  été  iosnffi* 
sants  contre  la  conspiration  ecclésiastique  et  roya- 
liste qui  éclatait  dans  l'Ouest,  et  qui  menaçait  par- 
tout. Le  même  parti,  toujours  dissertant  et  délibé- 
rant,  lié  par  la  légalité,  s'était  trouvé  inhabile  à  sai- 
sir le  fil  de  la  grande  police  politique.  Danton  le  leur 
mit  dans  les  mains,  comme  on  va  voir  tout  à  l'heure, 
et,  les  trouvant  incapables,  fut  obligé  de  le  prendre, 
de  s'entourer  d'hommes  quelconques,  et  d'agir  à 
part. 

Ils  n'avaient  pas  su  prendre  le  pouvoir,  et  ils  ne 
pardonnaient  pas  à  Danton  de  l'avoir  et  de  le  garder. 
Ils  s'acharnèrent  à  lui,  s'attaquèrent  imprudemment 
à  l'homme  qui  représentait  éminemment  le  génie  ré- 
volutionnaire^ le  génie  de  l'action,  celui  du  salut  pu- 
blic, essayèrent  de  le  perdre.  Cette  entreprise  diffi- 
cile, impossible,  était-elle  désintéressée,  inspirée 
d'un  pur  et  irréprochable  zèle  de  justice?  On  pourrait 
en  douter.  Danton  était  leur  vrai  rival  d'éloquence^ 


AVAIT  OBLIfffi  DANTON  DB  PHINDRE  LE  POm^OIR.  SK7 

comme  d'influence.  Seul^  dans  la  grande  crise  i  ii 
semblait  n'avoir  point  désespéré  du  salut  de  la  pa- 
trie. M.  et  M'''  Roland,  justement  en  proportion  de 
leur  grand  courage,  étaient  mortifiés  de  n'avoir  pas 
égalé  Taudace  de  Danton  au  jour  du  péril,  d'avoir 
été  neutralisés,  de  n'avoir  pu  rien  faire.  C'était  un 
malheur  pour  euX)  pour  la  Gironde ,  il  fallait  s'en 
consoler.  Et  il  fallait  savoir  aussi  que  sur  l'homme 
qui  fut  plus  heureux,  qui  resta  debout  dans  l'abatte* 
ment  universel,  ii  resterait  toujours  un  sceau  de  gloi- 
re, de  génie,  de  courage,  que  rien  n'efiacerait  jamais. 
La  France,  quoi  qu'il  arrivât,  n'abandonnerait  pas 
l'héroïque  gardien  de  sa  fortune  en  péril ,  dans  son 
plus  terrible  jour. 

Danton  avait  dit  le  21  septembre  :  «  Dépouillons 
l'exagération,..  Consacrons  la  propriété.  »  Et  le  25 , 
il  avait  expressément  désavoué  Marat. 

II  ne  pouvait  aller  plus  loin  sans  perdre  la  grande 
position  où  il  pouvait  le  mieux  servir,  sauver  la  Ré- 
publique ,  sa  position  d'avant-garde,  son  rôle  de  chef 
des  violents.  Il  était  trop  heureux  qu'il  se  trouvât  un 
homme  d'un  si  grand  esprit  pour  remplir  ce  rôle ,  un 
homme  qui,  sous  la  violence  des  paroles  et  la  gesti- 
culation menaçante ,  gardât  une  tête  politique  prête 
à  accueillir  toute  chose  raisonnable.  Il  n'était  nulle- 
ment ennemi  des  Girondins,  et  ne  voulait  point  la 
guerre  avec  eux.  Dés  son  premier  discours,  on  l'a 
vu ,  il  essaya  de  les  ramener.  C'était  une  occasion 
précieuse  d'éloigner  Danton  de  Robespierre.  Un  par- 
ti hors  des  partis  se  serait  créé  dans  la  Convention, 


368  LES  GIRONDINS  HARCÈLENT 

non  le  parti  des  faibles  et  des  impuissants ,  comme 
était  le  centra ,  mais  celui  des  forts ,  celui  du  génie, 
en  tête  les  deux  hommes  qui  restèrent  indépendants 
des  leurs  même,  Danton  et  Vergniaud.  Joignez-? 
Cambon,  Carnot  et  autres  hommes  spéciaux  qui, 
par  eux-mêmes,  étaient  des  forces ,  qui  ne  voulaient 
point  s'enrégimenter,  qui  n'allaient  point  aux  Jaco- 
bins. Condorcet,  Barrère,  bien  d'autres  auraient  pu 
s'en  rapprocher,  beaucoup  d'hommes  impartiaux, 
qui  n'aimaient  ni  la  Gironde,  ni  la  Montagne,  qui 
les  suivirent  malgré  eux ,  mais  qui  auraient  voulu  ne 
suivre  de  parti  que  la  France,  la  Révolution,  dégagée 
de  ses  mauvais  alliages.  J'entends  par  ce  dernier  mot 
l'esprit  formaliste  et  disputeur  des  uns ,  le  phari- 
saïsme  des  autrts  ou  leur  aveugle  furie,  les  haines 
envenimées  de  tous. 

Il  fallait,  &  tout  prix,  accepter,  adopter  Danton. 
Il  avançait  d'un  pas,  il  fallait  en  faire  deux  vers  lui. 
Il  désavouait  Marat,  cela  suffisait.  Pour  tout  le  reste, 
qu'il  lui  convint  ou  non  de  couvrir  de  son  grand  nom 
la  Commune  de  Paris,  il  fallait  fermer  les  yeux.  Se 
proclamàt-il  coupable ,  il  fallait  ne  pas  l'en  croire , 
passer  outre ,  le  laisser  être  ou  paraître  ce  que  sa 
nature  et  sa  politique  demandaient  qu'il  fût ,  le  vio- 
lent des  violents  ;  ne  pas  exiger  follement  qu  il  cessât 
d'être  Danton,  mais  demander  qu'il  le  fût  tout  à  fait» 
qu'il  mêlât  sa  générosité  d'homme  et  sa  magnani- 
mité à  sa  violence  de  parti. 

Les  Girondins  n'eurent  point  cette  pénétration, 
ni  ces  ménagements  justes  et  politiques.  Il  eut 


ET  POURSIÎIVEKT  DANTON  (SBP1.«0CT.  M).  369 

beau  avancer  vers  eux,  ils  se  défièrent  de  lui.  Pour 
se  faire  croire,  il  eût  fallu  qu'il  se  compromit,  se 
perdit  du  côté  de  la  Montagne,  désarmât,  devint 
inutile. 

Longtemps  après,  un  jeune  représentant  de  la 
gauche,  insistant  auprès  de  lui,  lui  disant  qu'il  y  au- 
rait moyen  de  ramener  le  côté  droit ,  Danton  lui  dit 
d*uu  air  sombre  :  «  Ils  n'ont  pas  de  confiance.  »  — 
Et  le  jeune  homme,  insistant,  n*en  tira  pas  autre 
chose  :  c  Non,  répéta  Danton,  ils  n'ont  pas  de  con- 
fiance. » 

Tragique  réponse  et  trop  vraie  I...  Elle  contient  à 
elle  seule  l'histoire  de  la  Convention,  sa  funèbre  des- 
tinée, et  celle-ci  à  son  tour  contient  en  puissance  la 
triste  iliade  de  tous  nos  malheurs,  la  liberté  compro- 
mise, et  pour  longtemps,  tant  d'arguments  terribles 
que  la  Révolution  a  fournis  contre  elle-même.  Tout 
fut  dans  ce  fatal  divorce  :  «  Ils  n'ont  pas  de  con- 
fiance. »  Je  n'ai  pu  tracer  ces  sombres  paroles,  sans 
que  tous  les  maux  de  la  patrie  ne  revinssent  à  mon 
souvenir  et  ne  me  rentrassent  au  cœur,  amassés  d'un 
même  flot... 

Accueilli  dans  la  Convention  de  regards  hostiles  et 
de  mots  amers,  harcelé  par  les  journaux,  Danton  fit 
la  guerre  malgré  lui.  Chassé,  poussé,  acculé,  le  san- 
glier riposta  par  d'obliques  coups  de  défense  qui  don- 
naient la  mort.  Le  premier  coup  qu'il  rendit,  ce  fut 
au  29  septembre,  lorsque  Roland,  nommé  député,  se 
démettait  du  ministère  et  qu'on  proposait  de  l'inviter 
à  rester  ministre.  Danton  lança  un  coup  de  dent*  Il 


no  LES  GIROMDIMS  POimSOlVEMT  DAMTOir, 

dit  avec  une  jovialité  violente  et  grossière  qui  n'avait 
que  plus  d'effet  :  «  Personne  ne  rend  plus  justice  que 
moi  à  Roland;  mais  je  vous  dirais  si  vous  lui  bites 
une  invitation ,  faites-la  donc  aussi  à  M""'  Roland  ;  car 
tout  le  monde  sait  que  Roland  n'était  pas  seul  dans 
son  ministère.  Moi,  j'étais  seul  daus  le  mien...  (Mur- 
mures,) Puisqu'il  s'agit  de  dire  hautement  sa  pensée  ^ 
je  rappellerai ,  moi ,  qu'il  fut  un  moment  où  la  con- 
fiance fut  tellement  abattue ,  qu'il  n'y  avait  plus  de 
ministres,  et  que  Roland  lui-wème  eut  l'idée  de  sortir 
de  Paris.  » 

Danton  ne  pouvait  porter  aux  Girondins  un  coup 
plus  sensible.  Il  avait,  tout  en  riant,  ou  bisant  seob- 
blant  de  rire ,  mis  la  main  sur  le  saint  des  saints , 
touché  à  M'"''  Roland  !  C'était  la  singularité  du  parti, 
d'avoir  pour  chef  une  femme  1  II  était  dur,  mais 
habile ,  de  le  constater  nettement. 

A  ce  parti  qui  lui  disait  :  «  Vous  êtes  un  homme  de 
sang,  »  —  il  répliquait  :  «  Qu'ètes-vous?  Vous  êtes 
une  femme...  et  vous  avez  voulu  fuir.  » 

Les  Girondins,  dans  ce  puritanisme  honorable,  ja- 
loux de  l'honneur  de  la  France,  n'étaient  pas  très- 
conséquents,  Cétaient  eux  qui ,  la  même  année,  le 
19  mars  92,  avaient  obtenu  de  l'Assemblée  l^isla- 
tive  l'amnistie  de  la  terrible  affiiire  d' Avignou,  qu'on 
a  justement  appelée  le  2  septembre  du  Midi.  Leurs 
amis  de  Marseille,  Barbaroux,  Rebecqui,  étaient  les 
protecteurs  desDuprat  et  de  Minvielle.  Rebecqui  les 
ramena  triomphants  dans  Avignon,  et,  dans  leur  re- 
connaiasance^  ils  firent  nommer  Barbaroux  membre 


CmillE  COMPLICE  DE  SEPTEMBEB  (SKPT.-OGT.  92).  571 

de  la  ConveotioD.  Jean  Duprat,  élu  aussi ,  MinTielle^ 
nommé  suppléant,  siégèrent  au  9ein  de  la  Gironde.  U 
n'était  nullement  sûr  que  Danton  eût  fait  Septembre; 
mais  il  était  très-certain  que  Minvielle ,  autant  et 
plus  que  personne,  avait  fait  la  Glacière.  Pourquoi 
les  Girondins  avaient«*ils  amnistié  les  hommes  de  la 
Glacière?  Parce  que  les  royalistes  auraient  tiré 
trop  d'avantages  de  cette  lutte  intérieure  des  amis 
de  la  Révolution.  Le  même  motif  devait  les  obliger, 
dans  une  crise  bien  plus  dangereuse ,  à  ajourner  \m 
poursuites  de  Septembre,  h  limiter  et  circonscrire  ces 
poursuites,  à  n'y  pas  comprendre  surtout  un  homme 
qui  était  leur  rival  d'éloquence  et  d'influence,  un 
homme  en  qui  était  au  plus  haut  degré  le  génie  de 
l'action,  et  qu'on  ne  pouvait  perdre  sans  compromet* 
tre  les  destinées  de  la  ftévolution,  et  risquer  de  peiw 
dre  la  France. 

Le  mot  de  Danton  sur  Roland  et  Mr  Roland  por- 
ta au  comble  l'aigreur  de  ses  ennemis.  Les  Giron-» 
dins  n'avaient  pas  insisté  près  de  l'Assemblée  pour 
qu'elle  invitât  Roland  à  rester  au  ministère;  et,  dans 
la  réalité,  il  y  avait  pour  lui  avantage  à  n'y  pas  rester 
en  titre,  à  7  mettre  quelqu'un  du  parti,  par  qui  il  au-» 
rait  administré  de  même,  sans  être  aussi  exposé  aui 
coups  de  la  presse.  Le  mot  de  Danton  changea  tout; 
les  Roland,  mis  en  demeure  sur  l'article  du  courage, 
décidèrent  de  rester,  quoiqu'il  arrivât.  AcetteAssem* 
blèe,  qui  ne  lui  demandait  plus  de  garder  le  ministère^ 
Roland  écrivît  t  <  le  reste.  » 
Cette  pièce,  écrite  par  madame  Roland,  et  de  sa 


573        LES  GIIIOKDINS  POURSL'lVeiiiT  DANTUN  ET  L\  COIIIILXE. 

plus  vive  plume,  était  sur  le  ton  courageux,  mai^ 
trop  ému  de  celui  qui  se  décide  par  rirritatîoD  du 
défi.  Le  débat  de  la  Convention  et  ses  intentions 
manifestes,  disait  Roland,  ne  permettaient  pas  d'hé- 
siter   «  Elle  m'ouvre  la  carrière,  je  m'y  lance 

avec  fierté Je  reste  parce  qu'il  y  a  des  dan- 
gers  Je  renonce  au  repos  que  j'ai  pu  mériter  el 

qui  serait  doux  à  ma  vieillesse;  j'achève  le  sacrifice, 
je  me  consacre  tout  entier  et  me  dévoue  jusqu'à  la 
mort.» 

Roland  niait  qu'on  eût  jamais  voulu  fuir,  avouant 
qu'on  avait  seulement  avisé  a  Si,  l'ennemi  ajqpro- 
chant,  la  sortie  de  l'Assemblée,  du  Trésor,  du  roi, 
du  pouvoir  exécutifs  ne  serait  pas  une  mesure  de  sa* 
lut  »  Mais  le  pouvoir  exécutif,  le  ministère,  c'était 
Roland  même  ;  cette  sortie  avait  bien  quelque  rapport 
à  la  fuiu. 

Il  décrivait  ensuite,  dans  un  langage  admirable, 
l'aveugle  violence  du  parti  de  la  terreur,  faisait  le 
portrait  de  son  chef,  «  d'un  individu  supérieur,  par  sa 
force  et  ses  talents,  à  cette  borde  insensée,  qui  la  fai- 
sait servir  à  ses  desseins  ambitieux...  Telle  fut  la 
marche  des  usurpateurs,  de  Sylla,  de  Rienzi...  »  H 
n'ajoutait  pas  ce  que  chacun  pouvait  suppléer  sans 
peine  :  la  marche  aussi  de  Danton. 

Un  petit  mot,  mais  aigre,  se  remarquait  vers  la  fio 
de  la  lettre  :  «  Je  me  défie  du  civisme  de  quiconque 
manque  de  moralité.  »  C'était  annoncer  assez  le  terrain 
nouveau  sur  lequel  la  Gironde  allait  poursuivre  celui 
qu'elle  haî^it.  Elle  voulait  une  chose  impolitiquis 


fOliR  INFIDÉLITÉ  DANS  LE  MANIEMENT  DBS  DENIERS  PUBLICS.    375 

impossible ,  non-seulement  perdre  Danton,  mais  Ta- 
vilir.  On  n'avilit  pas  aisément  une  grande  force; 
si  on  la  montre  criminelle,  sans  avoir  contre  elle  de 
preuve  accablante,  on  risque  (telle  est  la  partialité  du 
genre  humain  pour  la  force)  de  n'avoir  rien  fait  autre 
chose  que  réhabiliter  le  crime. 

L'effort  des  Girondins  était  d'envelopper  Danton 
dans  le  triste  procès  d'argent  que  l'on  faisait  k  la 
Commune,   d'exiger  de  lui,   comme  d'elle,  des 
comptes  réguliers  de  tout  ce  qui  s'était  fait  et  dé- 
pensé dans  le  trouble  de  la  grande  crise.  Pendant 
les  mois  de  septembre  et  d'octobre,  tous  les  jours 
sans  interruption,   les  hommes  de  la  Commune 
étaient  sommés  de  donner  leurs  comptes ,  et  ils  ne 
pouvaient  le  faire.  Il  y  avait  eu,  très-probable- 
ment ,  des  sommes  mal  employées  ou  soustraites. 
Mais  5  n'y  eût>il  aucun  vol,  dans  les  temps  d'agitation 
excessive  et  de  désordre  qui  s'étaient  écoulés,  la 
comptabilité  avait  été  difficile  ou  impossible.  Ce  n'é- 
taient pas  seulement  les  ennemis  politiques  de  la 
Commune  qui  la  poursuivaient  ainsi.  L'âpre  et  aus- 
tère Cambon,  inflexible  défenseur  de  la  fortune 
publique ,  dénonçait  chaque  jour  ces  délais  suspects. 
Cette  Commune  du  10  août,  qui  avait  perdu  des 
membres  et  s'en  était  refieût  d'autres ,  corps  variable , 
monstrueux,  tyrannique,  semblait  décidée  à  deux 
choses  :  refuser  ses  comptes ,  refuser  qu'on  la  renou^ 
velàt  elle-même  par  des  élections  régulières. 

L'odieux  de  cette  conduite  s'étendait  aux  amis  de 
la  Commune,  à  son  défenseur  Danton.  Lui  aussi  no 

IV.  " 


374  DANTON  ne  PEUT  RBNDHB  COMPTE 

voulait  pas  9  oti  ne  pouvait  rendre  ses  comptes,  il  éUit 
Gonvenu  entre  les  ministres  que ,  pour  les  dépenses 
secrètes  y  ils  se  les  expliqueraient  les  uns  aux  autres 
et  se  rendraient  compte  mutuellement.  C'est  œ  que 
Danton  allégua,  dans  la  Convention,  quand  on  le 
pressa  sur  ce  point.  Mais  Roland ,  impitoyable  dans 
ce  moment  décisif,  déclara  que  non-*seulement  nul 
compte  de  ce  genre  ne  lui  était  connu ,  mais  qu'il  en 
avait  inutilement  cherché  les  traces  sur  les  registres 
du  conseil. 

Danton  donua  une  explication  fort  spécieuse.  H 
avoua  qu'il  n'avait  point  de  quittances  régulières , 
mais  qu'au  moment  du  péril  l'Assemblée  lui  avait 
dit  :  «  Allez ,  n'épargnez  rien ,  prodiguez  l'argent.  — 
Il  est  telle  dépense,  dit-il  encore,  qu'on  ne  peut 
trop  expliquer,  telle  mission  révolutionnaire  qui 
demande  de  grands  sacrifices,  tel  émissaire  qu'il  serait 
injuste  et  impolitique  de  faire  connattre ...» 

Cette  réponse  parut  h  la  Gironde  une  défiiite,  et 
pourtant  elle  était  sérieuse.  Ce  qui  étaitmystàre  alors, 
est  dans  la  lumière  aujourd'hui.  Danton,  en  réalité, 
tenait  dans  la  main  toutes  les  grandes  affaire  secrètes 
qui  intéressaient  le  salut  de  la  France,  cas  afiaires  de 
diplomatie  et  de  police  où  un  homme  politique  est 
obligé  de  jeter  l'argent,  et  ne  peut  compter. 

Et  pourquoi  était*elle  dans  la  main,  dans  la  tète  du 
seul  Danton?  Parée  que  la  Gironde,  après  comme 
avant  le  10  août,  s'était  trouvée  absolument  inspro- 
pre  à  ces  choses.  Elle  était  pn^re  à  la  presse,  aux 
discours,  et  rien  de  plus.  Au  momnit  diificîie,  uni* 


DE  SBS  DtoENSBS  SICRÉTBS  (SBPT..-OCT.  9S).  575 

que,  où  il  fallait  agir  ou  périr,  où  une  minute  pou^ 
vait  perdre  tout,  elle  tergiversa  et  délibéra.  Danton 
prit  le  gouTomail. 

La  première  affaire  où  Danton  fut,  sans  nul  doute, 
forcé  de  prodiguer  l'argent,  ce  {^l  Timmense  conspi*- 
ration  royaliste  de  Bretagne  et  du  Midi.  Un  hasard 
banrBUE  la  lui  révéla»  avant  le  10  août. 

Il  était  aimé  de  beaucoup  d'individus  de  toutes 
sortes 9  ccmune  bon  enfont,  bon  vivant,  facile,  et 
pourtant  trésHsûr,  quand  on  se  confiait  à  lui.  Eu 
juillet,  un  jeune  médecin  de  Bretagne,  nommé  La- 
touche,  vient  le  trouver,  et  le  prie  de  recevoir  un 
grand  secret  qui  lui  pèse.  Un  certain  La  Rouerie,  qu'il 
avait  guéri  d'ime  maladie,  lui  a  fait  passer  à  Paris  une 
masse  de  faux  assignats  pour  les  convertir  en  or,  et, 
pour  rapporter  cet  or,  a  envoyé  son  neven.  Ce  ne- 
veu, un  étourdi,  a  cm  Latouche  affilié  h  la  grande 
conspiration,  lui  en  a  dit  tous  les  détails,  lui  en  a 
révélé  rimmense  étendue.  Le  médecin  n'est  pas  un 
trattre,  mais,  enfin,  il  voit  un  ablrae  qui  se  creuse 
sous  la  France;  il  n'a  pu  ni  taire  cet  affi*eux  secret, 
ni  le  dénoncer.  Danton,  sans  perdre  une  minute, 
court  au  eeraîté  desAreté  générale  :  c'était  en  juillet, 
c'était  sous  la  Législative  ;  ce  comité  était  composé 
de  Gtrondips.  Ils  sont  effrayés,  mais  que  fiûref  la 
légalité  les  arrête.  Commeut  sur  un  on  dit  arrêter 
tant  de  personnes?  Ils  ne  peuvent  rien,  et  ne  feront 
rien. 

Danton,  sans  se  décourager,  va  retrouver  le  méde^ 
cin,  lui  montre,  lai  prouve  qu'il  a  dans  les  maios  le 


376  CUMMBNT  DANTOlf  AVAIT  8A181,  AHIIËIÉ 

salut  de  la  patrie,  qu'il  doit  creuser  le  complot,  le 
mieux  connattre,  obtenir  des  preuves.  Pour  cela,  que 
faire?  aller  eu  Bretagne,  retrouver  La  Rouerie  qui  le 
croit  son  ami,  qui  a  confiance  en  lui,  tirer  ces  preuves 
de  lui,  le  trahir,  le  perdre....  et,  le  perdant,  sauver 
la  France  I 

Ceci,  après  le  10  août.  On  attendait  l'invasion  prus- 
sienne, et  l'on  pensait  qu'en  même  temps  une  flotte 
anglaise,  amenant  à  Saint-Malo  les  émigrés  de  Jer- 
sey, donnerait  aux  associés  bretons  de  la  Rouerie  une 
force  morale  incalculable.  Ceux-ci  se  croyaient  si 
sûrs  de  leur  affaire  qu'ils  avaient  fixé  le  jour  où  ils 
entreraient  dans  Paris,  en  même  temps  que  les  Prus- 
siens. Les  Bretons,  c'était  leur  compte,  entraient  par 
les  Cbamps-Ëlysées,  les  Prussiens  par  les  portes  Saint- 
Martin  et  Saint-Denis. 

Quels  arguments  Danton  employart-il  prés  du  mé- 
decin? l'argent?  l'éloquence?  probablement  l'un  et 
l'autre.  Danton  était  alors  ministre  de  la  justice.  Il 
parla  de  l'affaire  aux  autres  ministres  ;  mais  bientôt, 
voyant  leur  lenteur,  leur  indécision,  il  ne  dit  plus 
rien,  passa  outre,  prenant  en  ceci,  comme  en  tout, 
l'initiative  des  mesures  de  salut  qu'imposait  la  né- 
cessité. 

La  honteuse  et  périlleuse  commission  qu'il  donna 
au  médecin,  ce  fut  d'aller  dire  à  son  ami,  &  son  ma- 
lade, La  Rouerie,  que  Danton  était  royaliste;  que,  las 
des  excès  de  la  populace,  il  voulait  le  rétablissement 
de  l'ancien  régime;  que  lui,  Latouche,  avait  reçu  de 
Danton  l'autorisation  d'éloigner  les  troupes  de  laBre- 


LA  GRANDE  CONSPIRATION  DB  L'OUBST  (SEPT.  92).  377 

tagne.  Et,  en  eflTet,  dans  Tattente  de  rinvasion  prus- 
sienne, on  les  faisait  filer  vers  Test.  La  Rouerie  y  fut 
trompé,  il  crutLatouche,  attendit,  et  un  matin  il  reçut 
le  coup  de  foudre  de  Vaimy.  Plus  d'espoir,  la  grande 
armée  prussienne  était  en  pleine  retraite.  Désolé,  dé- 
couragé, il  voulait  tout  laisser  là,  et  passer  en  Angle- 
terre. Un  conseil  secret  des  chefs  de  l'association  fut 
tenu  dans  un  château  de  Bretagne.  L'un  des  chefs  était 
une  de  ces  belles  amazones,  intrépides  et  romanesques, 
qui  ont  fait  le  charme  fatal  de  la  guerre  civile,  qui, 
d'aventure  en  aventure,  se  donnant  pour  prix  aux 
plus  fous,  allaient  enflammant  la  flamme,  mais  qui 
en  revanche,  par  leur  étourderie,  ont  souvent  à  leur 
insu  bien  servi  la  République.  Celle-ci,  Thérèse  de 
Moelen ,  fit  honte  à  La  Rouerie  de  son  décourage- 
ment, le  décida  à  persister  ;  il  fut  réglé,  d'après  ses 
sages  conseils,  qu'il  nuirait  point  en  Angleterre,  mais 
qu'on  chargerait  d*y  aller  justement  cet  homme  sus- 
pect ,  ce  Latouche,  qui  arrivait  de  Paris  et  qui  s'a- 
vouait l'ami  de  Danton.  La  conspiration  royaliste  prit 
pour  son  agent  auprès  de  Calonne,  auprès  des  An- 
glais, l'agent  de  la  République,  et  par  lui  la  bonne 
fortune  de  la  France  mit  entre  les  mains  de  Danton 
tous  les  projets  des  princes,  les  indications  des  plus 
dangereuses  relations  qu'ils  avaient  ici. 

Un  autre  Latouche,  un  aventurier  royaliste,  Lali- 
gant-Morillon ,  livrait  à  ce  même  moment  les  secrets 
de  Coblentz,  les  rapports  des  émigrés  avec  les  roya- 
listes du  Midi.  On  l'y  envoya  lui-même;  il  surprit,  sai* 
sit,  mit  dans  la  main  du  gouvernement  une  associa- 


im  COanCNT  DAHTOll  AYAIT  fiAIftl,  ÂSMÊLtt 

tim  immense  dont  les  ramlficalioos  ^'étendaient  sur 
qttatre-Tiogts  lieues  de  pays.  Déjà  on  avait  nommé 
ponr  les  prinœs  an  gouverneur  du  Languedoc  et  des 
Gévennofi,  qui  s'était  établi  dads  le  chAteau  de  Jalès. 
Il  y  fut  surpris^  massacré. 

Ces  actes  secrets  de  salut  public  furent  directement 
accomplis  par  Danton ,  comme  ministre,  ou  sous  sa 
puissante  influence,  lorsqu'il  fit  déléguer  le  ministère 
à  un  autre*  Lui  seul,  des  hommes  du  temps,  avait  les 
qualités  requises  pour  ces  choses,  la  dextéfrité  et  la 
brûlante  énergie;  lui  seul,  qu'on  l'en  loue,  qu'on  l'en 
blàme^  eut  la  force  de  séduction  rapide,  infaillible, 
pour  créer  des  intelligences  dans  le  parti  ennemi, 
pour  amener  à  la  trahison  des  hommes  qui  autrement 
n'auraient  point  trahi.  Ni  Latouche  ni  Morillon  n'é- 
taient de  la  classe  ordinaire  des  traîtres  et  des  es- 
pions; Latouche  était  patriote,  Morillon  était  bu- 
main^  Il  fallait  pour  les  entraîner  le  tourbillon  magné- 
tique dans  lequel  ce  génie  puissant  (la  Révolution 
incamée)  emportait  alors  tout  le  monde,  les  amis, 
les  ennemis.  Il  donnait  sans  marchander,  il  oom- 
blait  les  hommes  et  les  étouffait  dans  l'or;  mais  c'é- 
tait là  encore  sa  moindre  séduction,  il  prodiguait 
sut^tout  son  éloquence  invincible ,  sa  parole  magna-* 
nime,  disant  à  l'un  :  «  Sauve  la  France  1  >»  à  l'au- 
tre :  0  Abrège  la  lutte,  tranche  le  nœud  de  la  guerre 
civile*  »  Et  les  plus  rebelles  à  l'or,  aux  paroles,  il 
mettait  sa  main  dans  la  leur,  et  ils  ne  résistaient 
plus;  une  force  inconnue  les  arrachait  à  eux-mêmes; 
leur  passé,  leur  avenir,  leur  honneur  et  leurs  scru- 


LA  GRANDB  COKSrmATION  DB  VWSBWt  (SEPT.  92).  379 

pules  f  tout  disparaissAit  en  présmce  de  l'amitié  de 
Danton. 

Ce  grand  et  terrible  serviteur  de  la  Révolution , 
qui  se  chargeait  de  la  sauver^  n'importe  comment, 
qui  faisait  partout  ses  œuvres  secrètes,  n'avait  ni  le 
goût  ni  le  temps  de  choisir  des  hommes  purs  pour  de 
telles  oommissionsé  II  prenait  les  plus  ardents,  11 
prenait  les  moins  scrupuleux ,  les  gens  d'eiécution 
rapide ,  qui  marchaient  les  yeuk  fermés.  Tels  se  li« 
vraîent  d'autant  plus ,  qu'étant  déjà  plus  souillés  par 
Septembre  ou  autrement,  ils  n'avaient  d'espoir  de 
salut  que  dans  la  victoire  de  la  liberté.  Il  se  don^ 
nait  à  Danton  beaucoup  de  ces  gens-là,  que  la  nature 
n'avait  pas  faits  pour  le  crime,  et  qui,  un  moment , 
avaient  suivi  l'affreux  vertige  du  sang,  avaient  tin 
besoin  secret  de  se  réhabiliter  par  le  dévouement  et 
le  sacrifice*  Pourvu  qu'on  ne  leur  parlât  jamais  de 
ces  jours  néfastes,  qu'on  ne  leur  montrât  pas  sans 
cesse  la  tache  qui  leur  restait  aux  mains,  ils  n'auraient 
pas  mieux  demandé  que  de  mourir  pour  la  France. 
Danton  les  accueillait  sans  difficulté,  s'en  servait  et 
les  lançait.  Des  hommes  moins  compromis  auraient 
hésité  davantage.  Enfin ,  que  ceux^^ci  fussent  bons  ou 
mauvais ,  le  plus  sûr ,  c'est  que  Danton  bien  souvent 
n'en  avait  pas  d'autres.  Un  jour,  quelqu'un  lui  repro^ 
chant  d'envoyer  de  pareils  agents  :  «  Eh  t  qui  voulez-^ 
«  vous  que  j'envoie? — répliqua- t-il  violemment  — 
a  serait-ce  des  demoiselles  ?  » 

C'est  par  des  moyens  analogues  et  de  tels  agenis 
que  Danton  négocia  la  grande  et  délicate  afbire  de 


38U  COMIfBNT  DANTON  AVAIT  NÉGOCIÉ 

révacuation  du  territoire.  Rien  n'indique  qii*il  ait 
acheté  la  retraite  des  Prussiens.  Il  est  pourtant  très- 
probable  que  les  agents  inférieurs  qui  se  mêlèrent 
de  l'affaire  ne  le  firent  point  gratuitement.  Ceux  que 
Danton  employa,  Westermann ,  Fabre  d'Ëgkntine, 
dont  nous  parlerons  plus  tard»  étaient  des  hommes  de 
plaisir,  de  dépense,  et  qui,  par  là,  étaient  portés  à  se 
faire  part  en  toute  affaire  où  l'argent  jouait  un  rôle. 

L'association  bretonne  avait  été  paralysée  par  l'i- 
dée que  Danton  était  pour  elle ,  par  l'espoir  qu'il 
agirait  pour  elle.  Et,  de  môme ,  les  Prussiens  se  plu- 
^rent  à  croire  qu'ayant  en  tète  deux  hommes  douteux 
et  prêts  à  tourner,  Dumouriez,  Danton,  ils  n'avaient 
que  faire  d'insister  dans  cette  dangereuse  lutte  con- 
tre tout  un  peuple  en  armes. 

Mais  autant  l'affaire  de  Bretagne  était  obscure  et 
secrète,  autant  celle  de  Champagne  était  observée  de 
tous.  La  difficulté,  le  danger  était  extrême,  à  com- 
muniquer avec  l'ennemi,  pour  le  faire  partir  sans 
combat.  La  ruse  était  antipathique  à  l'orgueil  natio- 
nal, porté  au  comble  par  le  succès  inespéré  de  Val* 
my.  La  France  voulait  se  battre.  La  Presse  était 
toute  guerrière;  Paris,  revenu  brusquement  de  l'ef- 
froyable panique  qui  causa  le  2  septembre,  avait 
passé,  sans  transition,  à  l'état  contraire.  Les  clubs  ne 
respiraient  plus  que  guerre  et  combat;  ils  se  deman- 
daient pourquoi  le  roi  de  Prusse  n'était  pas  encore 
ici,  lié,  garotté.  «  Il  y  a  quelque  chose  là-dessous... 
Dumouriez  trahit  »,  etc.,  etc. 

Dans  la  réalité,  les  Prussiens  n'avaient  rien  perdu, 


L*ÉVACDATION  DU  TEMUTOIRB  (SEPT.  9t).  SSl 

n'étaient  Dullemeot  entamés^  ne  se  retiraient  même 
point.  Ils  restèrent  immobiles  pendant  douze  jours 
aprôs  la  bataille.  Ils  avaient  reçu  des  vivres ,  et 
n*  éprouvaient  aucun  besoin  de  partir.  L'honneur 
engagé  du  roi  de  Prusse,  son  orgueil  cruellement 
mortifié,  rattachaient  et  l'enracinaient,  ce  semble, 
dans  la  terre  de  France.  Deux  généraux  illustres  de 
notre  ancienne  monarchie,  les  ducs  de  Broglie  et  de  ^ 
Castries,  ne  bougeaient  de  son  conseil,  persistaient  & 
affirmer  la  facilité  de  l'expédition,  la  supériorité 
réelle  de  son  armée,  la  probabilité  infinie  de  vain- 
cre, lorsqu'à  de  simples  milices  on  opposait  des 
soldats. 

Le  roi  de  Prusse  était  fort  troublé,  fort  partagé. 
Dans  son  camp,  dans  sa  tente,  il  y  avait  une  guerre  ; 
elle  existait  dans  son  cœur  même. 

L'affaire  de  l'invasion  y  était  fort  secondaire,  en 
comparaison  d'une  autre  qui  le  tourmentait  beau- 
coup, une  intrigue  de  cour,  un  changement  de  favo- 
ris. Ceux  ci  étaient  de  deux  sortes,  les  uns  partisans 
de  la  guerre,  poussés,  payés  peut-être,  par  la  Russie 
et  l'Autriche,  qui  avaient  lancé  le  roi  dans  sa  croisade 
étourdie.  Les  pacifiques  se  disaient  le  vrai  parti 
prussien  ;  ils  étaient  d'intelligence  avec  la  maîtresse 
du  Roi,  la  comtesse  de  Lichtenau,  ils  lui  apportaient 
ses  lettres,  des  lettres  trempées  de  larmes.  Elle  s'é- 
tait avancée  jusqu'aux  eaux  de  Spa,  et  là,  plaintive, 
dolente,  elle  rappelait  son  royal  amant;  elle  craignait 
les  boulets  français,  elle  craignait  non  moins  les 
Françaises  ;  le  cœur  du  Roi  était  mobile,  il  y  avait  à 


su  CaniBRT  DAHTOH  AVAIT  HtftOQIÉ 

parier  que,  6*il  avançait  en  France^  le  conquérant 
serait  conquis. 

Le  mauvais  succès  de  Valmy  fut  un  triomphe  pour 
les  conseillers  pacifiques  du  roi  de  Prusse.  Braoswick 
se  joignit  à  eux.  Us  rappelèrent  au  Roi  qu*ils  Tavaient 
toujours  averti  de  la  difficulté  des  choses,  lui  prou- 
vèrent respectueusement  qu'il  faisait  un  nàôtier  de 
^  dupe,  en  travaillant  pour  l'Autriche,  qui,  dans  une 
telle  affaire^  toute  personnelle  pour  elle,  l'assistait  si 
peu,  si  mal.  Les  émigrés  l'avaient  trompé  ;  il  leur 
devait  peu  d'égards« — «  Oui,  mais  la  cause  des  rois, 
la  liberté  de  Louis  XVI?  n'élaitce  pas  là  une  affaire 
d'honneur,  que  le  Roi,  sans  la  dernière  honte,  ne 
pouvait  abandonner?  x> 

Le  roi  de  Prusse  avait  près  de  lui  deux  Français^ 
Lombard,  son  secrétaire,  et  le  général  Heymann  qui 
tout  récemment  venait  d'émigrer  et  de  se  faire  prus- 
sien. Ils  ne  furent  point  embarrassés  de  l'objection; 
ils  se  firent  forts  de  sauver  l'honneur  du  roi,  en  ob- 
tenant que  Louis  XYI  recouvrât  et  sa  liberté,  et  sa 
royauté  constitutionnelleé  Lombard  demanda  seule-* 
ment  au  Roi  la  permission  de  se  faire  prendre  par  les 
Français,  pour  négocier  avec  eux.  Dumouries,  à  qui 
il  se  fit  conduire,  lui  dit  que,  si  c'était  le  salut  de 
Louis  XYI  qui  intéressait  le  roi^  il  ferait  sagement 
de  se  retirer;  il  ne  pouvait  avancer  sans  faire  massa- 
crer Louis  XVI.  Pour  mieux  convaincre  les  Prus- 
siens, il  leur  envoya,  avec  Lombard,  l'homme  de 
Danton,  Westermann,  qui  devait  traiter  direc- 
tement avec  l'émigré,    le  franco  -  prussien  Hey- 


VtfhODhlHm  W  TlMUTOIMl  (MPT.  U2).  885 

mann  ^  sous  prétexte  de  conclure  un  échange  de  pri*- 
sonniera« 

Brunswick  apprit  dans  ces  pourparlers  que  TAs**- 
semblée  législative  s*était  violemment  déclarée,  dès 
le  4  septembre,  contre  toute  idée  d'un  roi  étran- 
ger; qu'un  député  ayant  dit  qu'on  voulait  faire  roi 
Brunswick  ou  le  duc  d'York^  l'Assemblée  avait  juré 
qu'il  ti*y  aurait  plus  de  roi,  que  les  Jacobins^  pour 
perdre  Brissot,  lui  reprochaient,  comme  un  crime 
digne  de  mort,  d'appeler  Brunswick.  Celui-ci  fut 
bien  étonné.  11  n'y  avait  pas  six  mois  que  quelques- 
uns  de  uos  feuillants  avaient  eu  l'idée  bizarre  de  lui 
donner  la  royauté.  Il  avait  sagement  refusé.  Toute- 
fois, il  conservait  de  l'étrange  proposition  un  regret, 
un  rêve.  Ce  prince,  comme  tant  d'Allemands,  était 
client  de  l'Angleterre,  autant  que  de  la  Prusse;  il 
avait  épousé  une  sœur  de  la  reine  d'Angleterre, 
il  était  anglo^Ietnand.  L'Angleterre  aurait  eu  gran- 
dement intérêt  à  favoriser  la  candidature  de  son 
protégé.  Une  des  raisons  les  plus  fortes  qu'avait  ce* 
lui-ci  de  ne  point  se  battre,  c'est  qu'il  attendait  ta 
réponse  que  ferait  l'Angleterre  à  la  Prusse;  il  voulait 
avoir  avant  tout  le  mot  d'ordre  des  Anglais  :  si  ceux- 
ci  consentaient  k  se  liguer  avec  la  Prusse,  Brunswick 
voulait  bien  se  battre,  mais  nullement  contre  le  vœu 
des  Anglais,  ses  maîtres.  Donc,  il  attendait. 

Cependant  Dumouriez  avait  envoyé  en  hâte  Wes* 
termann  à  Paris  pour  avoir  le  mot  de  Danton^  du 
conseil  exécutif,  pour  disposer  l'opinion,  avertir  la 
Presse,  empêcher  que  cette  grande  et  délicate  affaire 


3S4  COMIENT  DANTON  AVAIT  NÉGOCIÉ 

De  fût  gâtée,  troublée,  par  la  pétulance  des  journa- 
listes et  des  clubs.  Rien  n'était  plus  difiScile.  Il  fal- 
lait, au  plus  vif  essor  de  Tenthousiasme,  en  plein  fana- 
tisme, faire  accepter  cette  chose  froide  et  sage,  froi- 
dement pratique  :  Qu'on  ne  devait  point  tenter  la 
fortune,  qu'on  avait  assez  réussi,  qu'il  fallait  s'arrêter 
là,  qu'il  y  aurait  grande  victoire  à  ne  pas  combattre, 
à  amuser,  éconduire  l'ennemi,  à  le  montrer  à  l'Eu- 
rope abandonnant  Louis  XVI  et  l'émigration,  et  l'a- 
bandonnant sans  y  être  forcé  par  une  défaite,  l'a- 
bandonnant librement,  volontairement,  donnant  au 
monde  l'exemple  de  traiter  avec  la  jeune  république, 
avec  un  gouvernement  qui,  à  parler  sérieusement, 
était  à  peine  né  encore. 

C'est  ce  que  Danton  dit  au  conseil  des  ministres; 
ceux-ci  le  virent,  avec  surprise,  ôter  le  masque  du 
violent,  du  furieux,  du  dédamateur,  et  montrer  le 
politique.  Le  difficile  n'était  pas  de  convaincre  les 
ministres,  mais  bien  plus  de  contenir  l'opinion  répu- 
blicaine, d'en  faire  taire,  du  moins,  d'en  adoucir  les 
meneurs.  C'était  là  le  tour  de  force.  Et  Danton 
l'exécuta. 

Dumouriez  reçut  deux  lettres  à  la  fois,  une  du  con- 
seil des  ministres,  ostensible  et  fiére  :  La  Républi- 
que ne  traite  point  tant  que  l'ennemi  n'a  pas  évacué 
le  territoire. — L'autre  était  du  seul  Danton  ;  il  inter- 
prétait la  première,  ne  repoussait  nullement  l'idée 
de  négociation,  et  avertissait  Dumouriez  que  trois 
commissaires  de  la  Convention,  Prieur  de  la  Marne 
(un  jacobin),  Carra,  Sillery  (deux  girondins),  par- 


L'ÉVACUATION  DU  TBHRlTOfRE  (SBPT.  92).  385 

taîent  pour  s'entendre  avec  lui  sur  la  convention 
préalable  qu'on  pourrait  conclure. 

On  put  craindre  que  ce  message  pacifique  ne  ser* 
vit  à  rien.  La  nouvelle  de  l'abolition  de  la  royauté 
avait  fait  retomber  le  roi  de  Prusse  dans  le  plus  som- 
bre accès  d'humeur  noire  et  de  colère.  Il  voulait 
conibattre,  et  malgré  Brunswick,  il  en  donna  l'ordre 
pour  le  29  septembre.  Brunswick  le  dit  aux  émigrés, 
qui  sautèrent  de  joie.  Le  28,  pour  soulager  un  peu 
la  passion  du  Roi,  il  lança  un  manifeste  plein  d'in- 
jures et  de  menaces.  Dumouriez  rompit  l'armistice, 
exprimant  pourtant  le  regret  de  ne  pouvoir  user  de 
l'autorisation  qu'il  recevait  de  traiter.  Le  29,  la  co- 
lère du  Roi,  évaporée  en  paroles,  éprouva  moins  le 
besoin  des  actes.  Pour  bataille,  il  y  eut  un  conseil, 
et  Brunswick  produisit  les  lettres  de  l'Angleterre  et 
de  la  Hollande,  qui  refusaient  d'entrer  dans  la  coa- 
lition et  de  se  joindre  à  la  Prusse.  Ce  qui  n'influait 
guère  moins,  c'est  qu'un  lieutenant  de  Dumouriez 
avait  révélé,  très*confidentielIement,  à  Tun  des  gé- 
néraux prussiens,  que  Custine  marchait  sur  le  Rhin. 
II  allait  trouver  toute  la  frontière  de  Prusse  dégar- 
nie; il  n'aurait  pas  rencontré  un  soldat  entre  Mayence 
et  Coblentz.  Qui  Tempéchait  de  prendre  cette  im- 
portante forteresse?  Le  retour  du  roi  de  Prusse  eût 
été  fort  compromis. 

Ce  prince  fort  en  colère,  et  ne  pouvant  faire  tom- 
ber sa  colère  sur  l'ennemi ,  la  tourna  vers  ses  anii$« 
Il  tomba  sur  les  émigrés ,  leur  dit  les  choses  les  plus 
dures;  il  fit  plus,  il  ne  stipula  rien  en  leur  faveur, 


886  DUMQUBIEZ 

pas  même  pour  couvrir  leur  retraite;  il  se  coQteDta 
de  traiter  pour  lui,  les  abaodonDa.  Ils  eurent  biee  de 
la  peine  à  se  tirer  d'affaire ,  firent  des  pertes  grades, 
suivant,  comme  ils  pouvaient,  les  flancs  de  la  grande 
année  prussienne,  qui  ne  les  protégeait  plus. 

Le  roi  de  Prusse  s'inquiéta  encore  moins  des  Au- 
trichiens. BrunsMrick  le  fit  entendre  assez.  Dans  une 
entrevue  avec  Kellermann ,  où  celui-ci  le  priait  de 
s'expliquer  sur  les  conditions  mutuelles  de  Tarran- 
gement  :  <  Rien  de  plus  simple,  dit  Brunswick,  nous 
nous  en  retournerons  chacun  chez  nous,  comme  les 
gens  de  la  noce.  »  —  D* accord,  répliqua  le  Français; 
mais  les  frais,  qui  les  payera?  En  vérité,  TEmperwir, 
qui  a  attaqué  le  premier,  nous  doit  bien  les  Pays-Bas, 
pour  indemniser  la  France.  »  —  À  quoi  Brunsvrick 
répondit  froidement  :  c  Qu'on  n'avait  qu'à  envoyer 
des  plénipotentiaires  ;  que  les  Prussiens  voulaient  la 
paix,  et  qu'eu  attendant  ils  se  tiendraient  k  Luxem- 
bourg, ou  peut-être  aux  Pays-Bas.  »  Il  faisait  irès^ 
bien  entendre  qu'il  ne  les  défendrait  point. 

Le  roi ,  laissant  là  ses  amis,  ne  s'inquiéta  que  du 
roi ,  du  seul  Louis  XVI,  et  encore  de  sa  personne 
seulement,  de  l'homme,  et  non  du  monarque.  U  de- 
manda comment  il  était  traité  au  Temple.  Danton 
recueillit  avec  soin ,  fît  porter  par  Westermann  tom 
les  arrêtés  de  la  Commune  qui  pouvaient  faire  croire 
que  le  captif  était  entouré  de  quelques  bons  traite- 
ments. Si  l'on  en  eroit  les  Prussiens,  intéressés,  il  est 
vrai,  à  couvrir  un  peu  l'honneur  de  leur  roi,  il  ne  se 
serait  retiré  que  sur  la  parole  que  lui  auraient  don- 


PARIS  (12^1  OCTOBRE  92).  387 

Dée  Daoton  et  Dumouriez  de  sauver  à  tout  prix  la 
têt0  de  Louis  XVI. 

Le  29  septembre,  l'armée  prussienne  commença  à 
rétrograder,  et  fit  une  lieue  ;  une  lieue  encore  le  30, 
et  autant  les  jours  suivants.  Plusieurs  fois,  les  nôtres, 
mal  instruits  de  l'arrangement,  inquiétaient  les  Prus- 
siens ou  les  devançaient.  Les  commissaires  de  la  Con- 
vention les  rappelaient  en  arrière.  Ils  reçurent  paisi- 
blement Verdun,  puis  Longwy.  L'ennemi  repassa  la 
frontière ,  et  doubla  alors  le  pas  vers  Coblenti,  au 
bruit  des  pas  de  Gustine. 

Déjà  une  partie  de  l'armée  française  avait  tourné 
de  l'est  au  nord ,  et ,  malgré  la  saison ,  s'acheminait 
vers  la  Belgique.  Le  12  octobre ,  Dumouriez,  libre 
enfin,  court  à  Paris,  sous  prétexte  de  préparer  l'in- 
vasion ,  de  faire  accepter  ses  plans,  en  réalité  pour 
voir  de  près  la  situation,  tàter  les  partis  et  savoir  d'où 
vient  le  vent.  Il  y  trouva  tout  le  monde  plus  attentif 
a  ses  projets,  plus  éclairé  peut-être  sur  ses  inten- 
tions, qu'il  ne  Teût  voulu  lui-même.  Il  alla  voir 
M"*  Roland  dans  ce  même  hôtel  du  ministère  de  l'in* 
térieur  dont  il  avait ,  peu  de  mois  auparavant ,  fait 
sortir  Roland,  destitué  par  Louis  XVI.  Il  lui  présenta 
up  joli  bouquet  pour  obtenir  grâce  :  et  elle  le  reçut 
bien,  le  coipplimenta ;  mais  elle  lui  dit  en  môme 
temps,  avec  une  franchise  toute  romaine,  qu'on 
leji4geait  royalûte  ;  que  plus  il  avait  de  talent ,  plus 
il  était  dangereux  ;  que  la  République  se  garderait 
bien  de  lui  subordonner  les  autres  généraux,  que  tous 
seraient  indépendants.  Cette  dé&anee  était  naturelle. 


388  DANTON  ET  DUMOURIEZ 

Dumouriez,  présenté  àla  Convention,  avait  éludé  dans 
son  discours  ce  qu'on  attendait  curieusement  de  lui, 
le  serment  de  fidélité  à  la  République.  II  avût  dit 
avec  une  légèreté  hardie  qui  n'imposa  à  personne  : 
QL  Je  ne  vous  ferai  point  de  nouveaux  serments  ;  je  me 
montrerai  digne  de  commander  aux  enfants  de  la  li- 
berté et  de  soutenir  les  lois  que  le  peuple  souverain 
va  se  faire  par  votre  organe.  » 

Le  soir,  il  fut  reçu  aux  Jacobins  avec  une  extrême 
froideur.  Dans  un  discours  spirituel,  CoUot  d'Herbois 
lui  reprocha  «  d'avoir  reconduit  le  roi  de  Prusse  avec: 
trop  de  politesse.  »  Danton  même ,  qui  semblait  ne 
faire  qu'un  avec  Dumouriez ,  et  qui  tout  autant  que 
lui  avait  reconduit  le  roi  de  Prusse,  fut  obligé  de  sui- 
vre l'opinion  de  la  société ,  qu'il  avait  voulu  présider 
ce  jour-*là.  Il  lui  dit  :  c  Console-nous  par  des  vic- 
toires sur  rÀutricbe  de  ne  pas  voir  ici  le  despote  de 
la  Prusse.  » 

Quelque  défiance  qu'inspirât  la  pensée  intérieure 
de  Dumouriez,  il  eût  été  insensé,  impossible  d'éloi- 
gner, sur  des  soupçons,  un  général  qui  venait  de  ren- 
dre un  si  grand  service.  On  ne  marchande  pas  avec 
la  victoire  ;  lui  seul  l'avait  commencée  et  pouvait  la 
continuer.  Le  péril  n'était  point  passé  ;  la  France 
n'était  pas  sauvée  tant  qu'elle  n'avait  pas  pris  une 
brillante  offensive,  vaincu  l'ennemi  chez  lui,  sur  son 
territoire.  Un  seul  homme  avait  réussi ,  et  semblait 
avoir  une  étoile^  semblait  heuretMj  cette  première  et 
dernière  qualité  qu'on  demande  aux  généraux.  Il  fal- 
lait bien  se  fier  à  lui,  faire  croire  à  la  plus  intime 


VEDLBirr  SB  CONCILIER  LA  CmONBB  (OCT.  92).  389 

nnioQ  entre  la  Convention  et  le  pouvoir  exécutif,  en- 
tre celui-ci  et  Texéculeur  des  mesures  militaires,  ef- 
frayer TEurope  de  cette  unité  en  trois  forces  :  le 
bras,  la  tète  et  Fépée. 

Les  défiances  excessives  contre  l'ambition  mili* 
taire,  fort  raisonnables  sans  doute  pour  une  vieille  ré* 
volution,  lassée  et  blasée,  le  sont  bien  moins  pour 
une  révolution  jeune,  enthousiaste,  qui  prend  son 
essor.  Les  hommes  alors  ne  sont  rien,  les  idées  sont 
tout.  On  Tavait  vu  par  Lafayette,  qui  avait  et  dans 
Tannée,  et  dans  la  garde  nationale,  des  racines  qu'on 
eût  crues  bien  fortes;  au  jour  où  il  voulut  gourmander 
la  Révolution,  il  se  trouva  seul.  Dumouriez  était  tout 
neuf,  comme  général  en  chef;  si  quelques  régiments 
de  ligne,  quelque  corps  de  cavalerie,  lui  tenaient  per- 
sonnellement, la  masse  immense  de  l'armée ,  renou- 
velée,  augmentée  chaque  jour,  ces  torrents  de  volon* 
taires  qui  de  toutes  parts  venaient  s'y  jeter,  ne 
connaissaient  point  Dumouriez;  leur  dieu,  c'était  la 
République,  et  ils  n'en  voulaient  pas  d* autre.  Quel 
homme,  à  ce  premier  moment,  aurait  eu  l'audace  in- 
sensée de  mettre  sa  personnalité  misérable  à  côté  de 
la  Patrie,  de  monter  sur  l'autel  I...  C'eût  été  à 
coups  de  fouet  qu'on  eût  fait  descendre  un  tel  dieu. 

Le  danger  contraire  était  plusàcraindre.  Avec  l'uni- 
verselle défiance  qui  régnait,  ces  continuelles  pani- 
ques, cescrisde  trahison  lancés  au  hasard,  on  pouvait 
ôter  toute  force  morale  à  l'homme  qu'on  employait, 
renvoyer  impuissant,  désarmé,  devant  l'ennemi. 
Danton  avait  eu  déjà  bien  de  ta  peine  à  le  soutenir. 

IV.  *• 


PdT  fli^QX  Cq»,  DumQpriex,  sans  lui,  pônaotit  dm 
ropmio(i;  d'abord,  qiiapd  il  fut  toqniô  mix  famwiai 
Jheriqqpyles  ^qnt  il  s'^tiiit  dit  le  Léapîday,  pw 
quand  il  négocia  la  retraite  de3  Prussiens ,  causanti 
mftugeaqt  ^vec  pux,  op^oyant  des  présents  4e  cnfô  au 
roi  de  Prusse.  Danton  le  oouvrit  dans  ees  deux  qmh 
fneqts  ;  toute  la  presse  le  ménagea,  sauf  Marat,  qui, 
ftboyant  toujours,  avec  ou  saps  cause,  faisait  moins 
d'impression. 

Dès  que  Pumouriez  fut  ici ,  Danton  ne  le  quitta 
plus ,  il  le  mpna,  Tentoura,  Tenveloppa,  se  montra 
partout  avec  lui,  aux  jacobins,  aux  théâtres,  dans  les 
fêtes  de  reconnaissance  et  d'amitié  qu'on  donna  au 
général.  Ces  fêtes,  la  joie  de  tous  pour  la  délivrance 
pommune,  les  conquêtes  inespérées  de  la  Révolution 
k  Nice,  en  Savoie,  sur  le  Bbin,  Télan  national  pour 
l'invasion  de  Belgique,  Tattente  émue  de  la  yictoire, 
semblaient  transporter  les  coeurs  dans  la  région  supé- 
rieure où  expirent  les  haines.  C'était  le  moment,  ou 
jamais,  de  se  rapprocher.  La  Gironde  fêtait  Dumou- 
riez;  mais  pouvait*eUe  le  séparer  de  celui  qui  aiait  si 
éqergiqupmentaidé,  assuré  son  suecès,  le  séparer  de 
Panton?  ^lle  .devait  non  pas  amnistier  ^  mais  ftter 
non  moins  celui-ci* 

Les  denx  hommes  vraiment  supérieurs,  Danton, 
Dumouriez,  comprenaient  parfaitement  que  le  salut 
de  la  France  ne  tenait  pas  seulement  à  une  guerra 
heureuse  au  dehors ,  mais  à  la  cessation  des  guerres 
intérieures,  à  la  réconciliation  de  Danton  et  de  la 
Gironde.  Ils  n'épargnèrent  rien  pour  atteindraoegiand 


VEULENT  SB  GOmn^V»  M  0IBm»E  (OCT.  92).  ifM 

yésuilat  Danton  connaissait  trèshbien  le  caractère 
difficile  de$  Girondins,  leur  amour-*propre  inquiet ^ 
la  sévérité  chagrine  de  Roland,  la  susceptibilité  de 
M**  Roland,  le  vertuenx  et  délicat  orgueil  qu'elle  pla- 
çait sur  son  mari,  ne  pardonnant  pas  à  Danton  le  mot 
bratal  qu'il  avait  dit  pour  rendre  Roland  ridicule* 
DdBton,  dans  sa  bonhomie  audacieuse,  voulut,  sans 
négociation  ni  explication,  briser  tout  d'abord  la 
glace.  Menant  Dumouriez  au  théâtre,  il  entra  non 
dans  la  même  loge,  mais  dans  celle  d'à  côté,  d'où  il 
parlait  au  général.  Cette  loge  était  celle  même  du  mi- 
nistre de  l'intérieur,  de  Roland.  Danton,  comme  an« 
eien  collègue,  s'y  établit  familièrement  avec  deux 
femmes,  très -probablement  sa  mère  et  sa  femme 
(qu'il  aimait  de  passion).  Si  nous  ne  nous  trompons 
dans  cette  conjecture,  une  telle  démarche,  faite  en 
famille,  était  un  gage  de  paix.  On  savait  que  personne 
n'avait  été  plus  cruellement  atteint  que  M"^*  Dapton 
par  les  fatales  journées  de  Septembre;  elle  devint 
malade  et  mourut  bientôt. 

n  y  avait  à  parier  que  les  dames  se  rapproche- 
raient ;  M*"  Roland,  si  elle  fût  entrée  dans  la  loge,  se 
fût  liée  malgré  elle,  et  elle  eût  été  touchée.  Au  reste, 
que  les  Roland  prissent  bien  ou  mal  la  chose ,  elle 
ponvait  avoir  politiquement  d'admirables  résultats. 
Tous  les  journaux  allaient  dire  qu'on  avait  vu,  réunies 
dans  une  loge  de  six  pieds  carrés,  la  Montagne  et  la 
Gironde,  qu'il  n'y  avait  plus  de  partis,  que  toute  dis* 
corde  expirait.  Cette  seule  apparence  d'union  aurait 
mieux  servi  la  France  que  le  gain  d'une  bataille. 


m  Mmetmin  et  danton 

M"*  Roland  vint,  en  effet,  et  elle  fat  indisposée 
tout  d'abord;  on  la  retint  à  la  porte,  lui  disant  que  la 
loge  était  occupée  ;  elle  se  la  fit  ouvrir,  et  vit  Danton 
à  la  place  qu'elle  eût  prise,  près  du  héros  de  la  fête. 
Elle  aimait  peu  Dumouriez,  mais  elle  ne  voulait  pas 
moins ,  tout  porte  à  le  croire,  le  favoriser  ce  smr-lk 
de  son  gracieux  voisinage,  le  couronner  de  cette 
marque  solennelle  d'une  sympathie  austère;  elle 
seule  se  croyait  digne  de  le  remercier  ainsi  tacitement 
au  nom  de  la  France. 

Elle  avait  pris  pour  venir  le  bras  de  Yergniand, 
voulant  siéger  entre  le  grand  orateur  et  le  général, 
apparaissant  comme  alliance  du  génie  et  de  la  vic- 
toire, et  prenant  hardiment  sa  part  dans  celle^^i  pour 
le  parti  girondin. 

Danton  dérangea  tout  cela.  M**  Roland  ne  se  soucia 
pas  de  l'avoir  près  d'elle,  entre  elle  et  Dumouriez. 
En  quoi  elle  fut  injuste.  Après  Dumouriez,  Danton 
était  l'homme  qui  avait  le  plus  contribué  au  succès. 
La  Gironde  y  avait  fait  peu.  Son  ministre  de  la 
guerre,  Servan,  voulait,  même  après  Yalmy,  qu'on 
se  retirât  vers  Gh&lons,  plan  absolument  contraire  à 
celui  qui  réussit. 

Quoi  qu'il  en  soit.  H""*  Roland  prit  pour  prétexte  les 
femmes.  Elle  vit,  dit-elle,  «deux  femmes  de  mau- 
vaise tournure.  »  Et  sans  examiner  si,  malgré  cette 
tournure  9  elles  n'étaient  point  respectables,  elle  re- 
ferma la  loge,  sans  entrer,  et  se  retira. 

Vergniaud  ne  partageait  pas  l'aigreur  des  Giron- 
dins pour  Danton.  Gelle  qu'il  aimait  et  qu'il  inspi- 


VBUtBNT  SB  GONGIUBR  LA  GIRONDE  (OCT.  9Q.  395 

rait,  la  belle  et  bonne  M"*  Candeilie,  flt  une  ten- 
tative touchante  pour  rapprocher  les  partis.  L'occa- 
sion fut  une  fête  qu'elle  donna  à  Dumouriez.  Dan- 
Ion  et  Vergniaud  s'y  trouvaient.  Les  artistes  et  les 
gens  de  lettres  y  mêlés  aux  hommes  politiques  de 
toute  nuance ,  aidaient  &  les  concilier^  à  leur  faire 
oublier  leurs  haines,  à  les  replacer  un  moment  hors 
des  factions  sur  le  terrain  de  la  paix,  des  sentiments 
affectueux  et  doux.  C'était  la  France  civilisée,  en 
quelque  sorte,  qui,  la  veille  de  la  Terreur,  de<- 
mandait  grâce  à  la  France  politique,  grâce  pour 
celle-ci  même  qui  allait  s'exterminer.  La  plupart 
de  ceux  qui  étaient  là  avaient  bien  peu  encore  à 
vivre ,  Ye^iaud  un  an ,  Danton  dix-huit  mois  à 
peine  ;  et  le  héros  de  la  fête ,  Dumouriez ,  bien  plus 
malheureux,  allait  (tombé  tout-à-l'heure  de  la  gloire 
dans  l'infamie)  perdre  à  jamais  la  France  qu'il  avait 
sauvée ,  rester  spectateur  lointain  de  nos  plus  glo* 
rieuses  victoires  et  traîner  trente  ans  d'exil. 

Un  voile  heureux  leur  couvrait,  à  tous,  leur  des- 
tin. Tous,  ignorants,  imprévoyants,  jouissaient  de 
cette  fête,  puisant  un  doux  rayon  de  paix  dans  les 
yeux  de  la  jeune  muse.  La  Gironde  et  la  Montagne 
étaient  confondues.  Un  événement  troubla  tout. 
Santerre,  qui  était  de  la  fôte,  se  trouvant  un  mo- 
ment dans  un  salon  prés  de  la  porte,  rentre  triste 
et  tout  changé,  «t  Qu'avez-vous  7  »  —  «  Marat  est  là, 
qui  demande  le  général....  »  Ce  fut  un  coup  de  théâ- 
tre. Plusieurs  disparurent,  et  passèrent  dans  d'autres 
pièces.  Plusieurs  qui  restaient  pâlirent. 


394  DUMOUlUËi  BT  OANtOM 

Il  y  avait  plusieurs  jours  que  Marat  cherchait  Da* 
mouriez.  Il  s'était  fait  charger  par  les  lacobins  de  In 
demander  raison  pour  le  chÀtimettt  que  Tarmfie  avait 
tiré  d'uu  crime  commis  par  des  volontaires,  disciples 
ttoip  fidèles  des  doctrines  de  Marat.  Nolis  ëx^liqoe^ 
tons  cette  affaire  dans  le  chapitre  suivant. 

La  jaune  figuré  entra,  large  et  basse,  entre  deax 
longs  Jacobins,  plus  hauts  de  tbùte  la  tété.  Marat  s'était 
arrangé  pour  produire  un  grand  ëfffet,  ptétendant 
ftiire  subir  une  sorte  d'interrogatoire  au  général  vain- 
queur, devant  ce  cercle  tremblant.  Dumotiriéz  ne  loi 
donna  pas  cette  satisfaction.  Au  premier  mot,  il  le 
toisa  avec  inépris  :  c<  Ah  !  b'est  Vous  qui  êtes  Marat, 
dit-il,  je  n*ai  rien  à  vous  dire.  i>  Et  il  lui  tourna  lé 
dos;  II  s'expliqua  ensuite  tranquillement  avec  les 
deux  Jacobins. 

Le  sang-froid  de  Dumouriez  en  rendit  aux  autres. 
Les  militaires  parlèrent  durement  au  journaliste. 
Marat  alla  se  plaindre  et  crier  aux  Jacobins.  Il  M 
surtout  irrité  de  la  légèreté  dérisoire  avec  laquelle 
la  scène  fut  représentée  dans  les  joui-naux  de  ses  ad- 
versaires, a  Nous  pouvons  leur  pardonner  d'avoir 
ri,  ajoute-t-il  méchamment,  car  nous  les  feront 
pleurer.  » 

Marat  parti,  on  essaya  de  continuer  la  fête.  Mais 
les  femmes  restaient  effrayées.  Les  hommes  s'effor- 
çaient de  sourire  pour  les  rassurer.  Chacun  trouvait 
cependant  qUe  son  voisin  était  pftle,  et  que  tous 
étaient  changés.  Pourquoi?  L'événement  était  petit, 
en  effet,  pour  donner  tant  d'émotion.  La  ridicule  ap- 


tEtJLENT  SB  CORClLlER  U  GIRONDE  (OCT.  9Î).  995 

jtltritioii  n'était  pas  pour  effrayer  tous  ces  hommes^ 
0d  qui  réellement  était  là  force  de  là  France, 
aussi  bien  que  sa  lumière.  Les  menaces,  les  prédic- 
tions sinistres  du  sanguinaire  astrologue,  la  mort 
même,  quand  elle  eût  été  annoncée  avec  certitude, 
n'auraient  pafi  troublé  leur  cœur.  Ce  qui  les  trou- 
blait, non  sans  cause,  c'est  qu'avec  Marat  ils  avaient 
cru  voir  entrer  dans  cette  salle  Tirrémédiable  dis- 
corde, le  génie  des  factions  qu'ils  portaient  en  eux, 
et  qui  un  moment  s'était  éclipsé.  Ils  restèrent  tristes, 
silencieux,  et  ils  s'isolèrent.  Le  mélange  amical  ces- 
sa; chacun,  instinctivement,  se  rangea  auprès  des 
ftîens.  Avant  même  de  sortir,  on  retrouva  les 
partis. 

Dumoui*ie2  ne  voulait  point  quitter  Paris,  sahs  fiiife 
un  dernier  effort  pour  la  conciliation.  Il  réunit  ^  dit-on, 
à  sa  table  Danton  et  les  Girondins.  Il  tnena  Dantod 
chez  eux,  et,  les  forçant  aibsi  à  rompre  le  pftin  en-»- 
semble,  il  crut  les  aVoir  rapt)rochés,  et  il  se  ttompà. 
La  Girohdë  rëfela  fermée.  91  elle  donnait  la  main,  c'é- 
tait la  Inâin  sans  le  cœur,  TineHe  et  froide  main  deS 
morts- 
Apres  le  départ  de  Dumouriez,  Danton  Saisit, 
dans  la  Convenlioti  mètae,  deux  Ofccâsions  jraison- 
nabies  de  iotet  hvbb  la  Gironde,  dé  montrer  quMl 
ti'avait  pour  elle  ni  colère,  ni  haine,  aucun  enveùi- 
inemenl. 

Le  tA  octobre,  dans  la  discussioti  sur  les  lois  k 
faire  contre  les  émiglrés,  il  se  rangea  à  l'avis  de  Buibt, 
qui  avait  dit:  a  L'émigration  par  elle-même  ne  mérite 


30G  AVANCES  OK  DANTON  AUX  GIRONDINS  (rUC  OGT.  92). 

pas  la  mort  Bannissons  les  émigrés  à  perpétuité ,  el 
qu'ils  soient  punis  de  mori  s'ils  remettent  le  [Med  en 
France.  »  Danton  dit  qu'en  effet  le  banniaseraent 
suffisait. 

Mais  l'occasion  la  plus  remarquable  où  il  se  trouva 
d'accord  avec  la  Gironde  fut  celle  du  16  octobre.  Un 
représentant  avait  fait  la  proposition  malencontreuse 
de  soumettre  à  la  sanction  du  peuple  l'abolition  de 
la  royauté  et  l'établissement  de  la  République.  Buiot 
réfuta  avec  force  cette  proposition,  et  Danton  appuya 
Buzot  par  ces  grandes  et  fortes  paroles  :  «  La  Repu* 
bliqueest  déjà  sanctionnée  par  le  peuple,  par  l'ar- 
mée ,  par  le  génie  de  la  liberté,  qui  réprouve  tous 
les  rois.  Si  donc  il  n'est  pas  permis  de  mettre  en 
doute  que  la  France  veut  être  et  sera  éternellement 
République ,  ne  nous  occupons  plus  que  de  faire  une 
constitution  qui  soit  la  conséquence  de  ce  principe; 
et  quand  vous  l'aurez  décrétée,  quand  par  la  solen- 
nité de  vos  discussions  vous  aurez,  pour  ainsi  dire, 
décrété  l'opinion  publique,  vous  aurez  une  accep- 
tation rapide,  et  la  concordance  de  toutes  les  par- 
ties de  votre  gouvernement  en  garantira  la  stabi- 
lité. » 

Grande  question  d'initiative.  Les  républicains,  qoi 
étaient  une  minorité,  avaient-ils  le  droit  d'imposer  fat 
République  à  la  majorité?  Oui,  parce  que  la  majo- 
rité elle-même,  si  elle  ne  comprenait  pas  la  Répu- 
blique, l'avait  en  instinct,  était  alors  anti-royaliste, 
sentait  que  la  royauté,  complice  de  l'invasion,  était 
devenue  impossible.  La  minorité  républicaine  ne  lai- 


LA  CONYBNTIOir,  EN  BÉALITÉ,  ITÉTAIT  POINT  DIVISÉS.        397 

sait  rien  autre  chose  qn'eœpliquer  et  formuler  ce 
que  la  majorité  sentait,  sans  pouvoir  se  rendre  bien 
compte. 

Sur  celte  question  solennelle,  qui  n'est  pas  moins 
que  le  problème  étemel  du  droit  de  l'autorité  ^  le  gé« 
nie  révolutionnaire  qui  siégeait  àlaMontagnese  trouve 
précisément  d'accord  avec  l'esprit  légiste  et  philoso- 
phe, qui  fut  celui  de  la  Gironde. 

Sur  toute  question  essentielle  du  moment  il  en  était 
ainsi.  À  travers  les  violentes  disputes,  on  aperçoit  avec 
admiration  l'unité  très-réelle  qui  existait  dans  cette 
noble  assemblée. 

Avec  admiration;  ajoutons  :  avec  douleur  !  Hélas I 
pourquoi  donc  leur  faudra-t-il  s'égorger  7 

Quel  spectacle,  de  voir  ces  hommes  de  talent  im- 
mense, et  de  cœur  encore  plus  grand,  qui,  d'accord 
sur  toute  chose  de  salut  public,  vont  s'acharner 
dans  la  lutte  où  personne,  toutr-à-l'heure,  ne  restera 
plus  en  vie  I  de  les  voir  serrés  ici,  dans  cette  petite 
salle  de  mort,  sur  cette  arène  de  quelques  pieds  car-* 
rés,  qui  boira  leur  sangl 

A  quoi  leur  servait  tant  de  lumières,  de  talent, 
de  génie  même  !  Ils  allaient,  aveugles,  sans  voir 
ce  que  tout  le  monde  voyait.  Ces  grands  citoyens, 
ces  amants  de  la  patrie,  dans  l'excès  de  leur  passion, 
auraient  voulu  mourir  pour  elle,  et  ils  allaient  la 
tuer. 

C'est  ce  que  vinrent  leur  dire  un  jour,  pleins  de 
crainte  et  de  douleur,  avec  l'énergie  du  bon  sens,  les 
pauvres  gens  du  faubourg  Saint-Antoine,  qui  voyaient 


398  iE  FAUBOUKG  âAmf-AtftOlNB  EXHORTE 

plus  clair  Cent  fois  qiie  la  Coîiteniion.  Nulle  scène 
^lus  pathétique.  Cëtait  ici  vraiment  lé  peuple  sou- 
verain (souverain  par  la  raison)  qui  venait  gourman- 
der  lèâ  sages,  les  bien  disants,  lés  savants,  et,  les 
larmes  aui  yeux,  lëâ  |)riait  d'être  des  simples,  dé 
laisser  là  leurs  fatales  subtilités,  de  voir  la  réalité. 
Ed  vérité,  ils  ne  différaient  (}ue  sur  de^  cbos^  alors 
accessoires,  sur  des  chosei  d'averiih  et  qui,  n'étant 
J)as  d'urgence  et  de  salut  public,  devaient  s'ajourner. 
Stir  toute  chose  vraiment  actuelle,  ils  étaient  uns;  ih 
Avaient  leur  Uhité  en  la  France,  ett  la  patrie,  qu'ib 
portaient  tous  dans  le  cœur  ^. 

Ces  honnêtes  travailleurs  justifiéi*eut  d*abord  la 
ville  de  Paris ^  direfat  qu'od  la  calomniait,  qu'elle 
n'avait  aucun  besbifa  ^u'oh  apt)el&t  des  soldats.  Mais 
ils  he  repolissaient  btlllenient  les  fédérés  des  dé^ 
partements:  «  Qu'ils  viennent,  non  pas  six,  se|)t^ 
huit,  vingt-quatre  mille,  mais  qu'Un  million  de 
Français  accourent  dahs  ces  murs;.;  NoS  bras  sotit 


^  La  péUtion  fîit  lue  par  le  bonhomma  Gonchon,  rorateor  ordmaîre 
du  faubourg»  que  les  agents  de  la  Gironde  travaillaient  fort  et  faisaient 
boire  (comme  on  le  sut  plus  lard)  ;  elle  ne  rel>ousse  tiulleteent  les  fé- 
dérés que  la  Gironde  appeHdi  à  Paris.  Bt,  avec  cela,  eUe  n^esi  pdiat 
Hirondise,  elle  accuse  neitémeitt  le  tort  gra^e  de  la  GooTeatioBi 
spécialement  de  la  Gironde,  Tesprit  de  défiance  et  de  Laine  avea- 
gle,  rachamemcnt  à  perdre  ses  ennemis.  L^accusation  tombait  d'a- 
plomb sur  ce  parti,  qui  alors  même  repoussait  les  dernières  aTailces 
dé  Dahton)  el  se  déclarait  implacable.  C'est  à  ce  signé  que  la  péti- 
tion neiit  a  pahi  Spontanée,  indépendante  des  partis,  un  Ytù  cri  d« 
bon  sens  du  peuple,  qui,  dans  la  discorde  de  see  représentants,  se 
sentait  périr. 


LA  CONVENTION  A  LA  CONCORDE  (21  OCT.  92).      MA 

ouYerts  pour  les  recetbir.  Ils  trouveront  les  më^ 
mes  foyers  qu'ils  viÀitëIrent  à  Tépoque  de  la  Fèdé- 
TàtidD.  » 

Lès  Hommes  dû  fàuboui^  Saint-Antoine  >  faisant 
ainsi  cette  noble  profession  de  fraternité,  se  deman- 
daieilt  hardiment  comment  la  Convention  elle-même 
n'en  donnait  pas  l'exemple  :  «  C'est  avec  douleur  que 
nous  voyons  des  hotnmes  faits  pour  se  chérir  et  s'esti- 
mer, se  haïr  et  se  craindre  autant  et  plus  qu'ils  ne  dé- 
testent les  tyrans...  Eh!  n'êtos-vottspad,  comme  nous^ 
les  Kèlateurs  de  la  République^  les  fléaux  des  rois  et 
les  atitis  de  la  justice?  n'avez*-vous  pas  les  mêmes 
detoirs  à  remplir,  autant  de  périls  h  éviter,  les  mêtneS 
ennemis  à  combattre^  et  vingt-cinq  millions  d'hom^ 
mes  à  rendre  heureux?.. .  Ah  !  croyez-en  des  citoyens 
étrangers  &  l'intrigue.  On  s'attribue  mutuellement 
des  torts  imaginaires  \  si  des  êtres  aguerris  aux  ca-^ 
baies  sont  à  la  tête  des  partis,  la  masse  est  bonns 
et  trompée.  Soyez  persuadés  que  les  hommes  nd 
sont  pas  aussi  méchants  qu'on  le  croit.  Qu'on 
impose  silence  à  l'amour-propre ,  et  il  ne  faddm 
qu'un  moment  pour  éteindre  le  flambeau  des  divi« 
sions  intestines. . .  Les  opinions  difiEêredtes  engendrent 
facilement  des  soupçons,  et  il  n'est  pas  de  soupçott 
que  la  prévention  et  la  jalousie  ne  changent  en  cer-^ 
titude...  Ah  !  que  le  jour  de  l'égalité  luise  ehfln  sur 
notre  malheureuse  patrie  ;  que  les  citoyens  ne  soient 
pas  constamment  occupés  à  se  surprendre,  à  se  ten«^ 
dre  des  pièges,  k  nourrir  des  défiances.  C'est  à  vous, 
législateurs^  àpi^éparér  les  esprits.;.  Craignez  plus  k 


100  LE  PAUBOimC  SAINT^ANTÛINE 

haine  et  les  reproches  de  la  postérité,  que  la  poignard 
des  factieux  et  le  glaive  des  étrangers.  > 

  ces  légitimes  accusations  du  peuple  sur  les  ^ 
visions  de  ses  représeutants,  la  Convention  a  pourtant 
laissé  un  mot  en  réponse,  qui  est  comme  son  testa- 
ment pour  l'avenir ,  son  excuse  au  tribunal  des  siè- 
cles. C'est  la  parole  d*Isnard ,  à  la  fin  de  la  bdle 
adresse  de  mars  93,  pour  la  levée  des  300,000  hom- 
mes. Quoiqu'il  soit  trop  t6t  encore,  nous  ne  pouvons 
nous  empêcher  de  la  citer  ici  : 

«  Soldats  !  matelots  !  qu'une  émulation  salutaire 
vous  anime,  que  les  mêmes  succès  vous  couronnent! 
Si  vous  mourez  au  champ  d'honneur,  rien  n'égalera 
votre  gloire  ;  vos  noms  resteront  gravés  au  fronton  du 
grand  édifice  de  la  liberté  du  monde.  Les  généra* 
tiens  diront  en  les  lisant  :  Les  voilà,  ces  héros  qui 
brisèrent  les  fers  de  l'espèce  humaine,  et  se  dévoué- 
rent  pour  nous,  lorsque  nous( n'existions  pas!...  — 
(Puis,  de  l'armée  revenant  à  la  Convention,  des  sol- 
dats aux  législateurs.)  Nous  aussi ,  fermes  à  notre 
poste ,  nous  donnerons  l'exemple  du  courage  et  du 
dévouement  ;  nous  attendrons,  s'il  le  faut,  la  mort 
8ur  nos  chaises  curules...  On  vou$  dit  que  nous  sam^ 
mes  divisés,  gardez^vous  de  le  croire.  Si  nos  opinions 
diffèrent,  nos  sentiments  sont  les  mêmes;  en  variant 
sur  les  moyens,  nous  tendons  tous  au  même  but.  Nos 
délibérations  sont  bruyantes;  eh!  comment  ne  pas 
s'animer  sur  de  si  grands  intérêts?  C'est  la  passion 
du  bien  qui  nous  agite  à  ce  point;  mais  une  fois  le 
décret  rendu,  le  bruit  finit  et  la  loi  reste.  » 


BXaORTB  LA  CORTBlfTIO!!  A  LA  CONCORftB  (21  OCT.  9K.      401 

Noble  parole  en  eUe*inéme  et  sublime  dans  la  si* 
taation.  Isnard  l'écrivit  au  moment  où  son  parti  allait 
périr  y  et  c'est  comme  une  Yoix  de  la  tombe.  Ici ,  ce 
sont  ceux  qui  meurent  qui  justifient  ceux  qui  vivent, 
la  Convention  tout  entière ,  sans  distinction  de  par^ 
tisy  sans  excepter  ceux  même  qui  les  envoient  à  la 
mort.  Par  une  noble  pudeur  civique,  ils  défendent  à 
Tannée  d'apercevoir  les  discordes  qui  vont  leur  coûter 
la  vie  9  et  disent  en  tombant,  victimes  des  divisions  : 
m  On  vous  dit  que  fums  sommes  divisés,  gardez-vous  de 
Ucroiret'Ê 

Et  cette  parole  sublime,  héroïquement  désintéres^ 
sée,  fut  en  même  temps  juste  et  profonde.  Ces  dis-» 
cordes,  toutes  violentes  et  sanglantes  qu'elles  aient 
pu  être,  ne  touchaient  en  rien  au  salut  public.  Elles 
portaient  sur  des  questions  d'avenir,  vraiment  préma* 
turées  alors*  Celle  de  la  bourgeoisie  et  du  prolétariat 
ne  devait  guère  inquiéter  une  Assemblée  qui  avait  dix 
milliards  de  propriétés  à  distribuer  au  peuple*  Les 
disputes  de  la  Convention  portaient  encore  sur  des 
thèses  de  haute  philosophie  politique,  sur  des  nuan* 
ces  délicates  de  Torthodoxie  révolutionnaire.  Cette 
assemblée,  nous  l'avons  nommée  de  son  vrai  nom,  ce 
concile,  abrégeait,  tranchait  les  affaires  la  nuit  dans 
ses  comités,  et  elle  consacrait  ses  jours,  son  atten- 
tion, ses  efforts,  à  discuter  insatiablement  le  symbole 
de  la  loi  nouvelle.  Tout  le  plus  fort  de  son  combat 
s'est  passé  dans  la  pensée  pure,  dans  la  r^on  des 


C'est  le  spectacle  étrange,  mais  vraiment  noble. 


qn'ellft  a  offert  au  moa^.  Sqr  tolite  choee  d'Intérêt 
réeU  «otuel,  elle  était  aisément  çj'^eord.  Fni9de^ 
philosophie  du  XVIir  siièt^Ie,  elle  p'att^chïtit  vraiment 
dUmportapce  qu'aux  idées  ^  elle  en  vivait,  elle  eo 
mourait.  Les  membres  qu'elle  retrancha  si  cruelle- 
lemeot  de  son  sein  ne  conspiraient  pas,  ne  mepapaleof 
en  rien  le  salut  de  laRéyolutiop.  II9  moururei)t,  comm^ 
hérétiques. 

La  Frapee  entrait^  d'une  si  graqd?  ptission,  dan^ 
SA  vie  d'puité,  que  les  ipoindres  diversités  y  trap- 
cbaient  plus  fortement  et  faisaient  horreur.  Des 
nuances  souvent  légères  sembl^çnt  des  anomalies 
mopstrueuse^  et  digpes  de  mort.  Au  contraire,  les 
autres  nations ,  daps  Vétat  vraiment  discordant  oh 
chçicuDe  d'elles  restait,  n'ayap^  epcore  nulle  harmo- 
nie d'éléments  pi  de  principes,  n'avaieqt  garde  d^ 
s'apercevoir  de  leprs  plus  fprtes  dissqnances.  Bar- 
bares, et  ne  sachant  pas  mén^e  combien  elles  étaipot 
barbare^,  elles  acceptaient  biep  mieux  k  diversité 
misérable  d'éléments  non  ponciliés  qp' elles  portaient 
dans  leur  sein.  Elles  triomphaient  de  leur  chaos  in- 
digeste qui  n'en  était  pas  même  à  désirer  rpnité. 

Telle  la  France,  telle  la  Convention.  Qpicoiiqiie 
saura  distinguer  l'identité  des  priqpipes  fbndameataux 
qui  unissait  en  réalité  cette  assemblée»  discordante  en 
apparence,  dira  comppe  Isqard,  et  repdra  ce  témoi'- 
gpage  à  la  Convention  :  «  Mon,  Assemblée  glorieuse, 
QQP,  TOUS  pe  fûtes  point  divisée*  » 


CHAPITRE  V 

IBMIIÀPBS.  -  (•  lovinlirtO 

IipporUoce  de  U  batalUe  de  lemmapet.-*- Chances  qoe  l'anpée  dt  lenyinapef 
avait  eonCre  eUe.— La  guerre  d'ensemble  et  par  masses  est  sortie  de  IMnstinet 
ftrttctis  et  de  ta  frateniit4.^Ge  que  ftirent  nos  fprandei  armées. — Ce  que  ftit 
l'armée  de  Jemmapet . —  Exaltation  philanthropique  de  cette  armée.— Ftp-- 
bité  ferme  et  modeste  de  nos  officiers  plébéiens. — Sévérité  de  Tannée  pour 
les  eicès  sangnioairet,— L'armée  n'est  nnllemeot  abaitne  d*an  premier  éobeo 
(4  DOT.  91).— Formidable  position  des  iLotricbiens  à  Jemmapes  (i  not .  99). 
•-  La  bataille  ouyerte  par  la  Marseillaise  (6  noT.  92).  —  Vaillance  de  nos 
volontaires,  &  Ta  droite  de  Tarmée.— La  bataille  de  Jemmapes,  décidée  par 
ta  Marseillaise,  a  elle-même  inspiré  le  Chani  du  dépar|. 


La  FraDce  99ql6  était  pae ,  et  le  monde  était 
diFisé« 

Elle  qe  savait  pas  soq  m\lèy  mais  la  prouvait  par 
U  viploire.  Elle  gagna,  le  6  poyembre,  la  l)atailli^ 
de  Jep^mapes. 

Et  il  n'y  avait  pas  à  (iire  cptte  fqis^  comoie  en  disi^t 
de  Yalmy,  que  pp  n'éNt  qn'une  c^oonna^e,  une 
biitaiUe  gagnée  Tarpie  au  ]}f^s.  Ce  fut  uqe  mêlée,  et 
très-sanglante,  où  chaque  homme  de  l'armée  fran- 
çaise combattit  de  près,  et  à  l'arme  blanche,  où  nos 
recrues,  n'ayant  reçu  encore  ni  souliers  »  ni  habille- 
ments d'hiver,  n'ayant  ni  pain ,  ni  eaunle-vie^  en- 


404  IMPORTAlfCB 

core  à  jeun  à  midi,  après  une  nuit  glaciale  dans  Que 
plaine  marécageuse ,  s'élancèrent  de  ce  marais,  et, 
gravissant  la  montagne,  forcèrent  les  triples  redoutes 
que  défendaient,  couverts  de  trois  étages  de  feux,  les 
grenadiers  de  Hongrie. 

0  jeunesse  !  6  espérance  !  force  infinie  de  la  con- 
science et  du  sentiment  du  droit!....  qui  pourrait 
y  résister  T...  Nos  volontaires  eurent  bien  un  mo- 
ment d*hésilation,  quand,  sur  ce  rude  escarpement, 
ils  rencontrèrent  face  à  face  les  furieuses  bouches  de 
bronze,  la  mitraille  à  bout  portant.  Us  se  ramassèrent 
sur  eux-mêmes,  et  trouvèrent  quelque  chose  en  eux 
qui  leur  fit  une  âme  de  fer...  Quelle?  le  droit  du  genre 
humain,  et  cette  voix  tonnante  de  la  France  :  «  Le 
droit  ne  peut  reculer.  » 

Le  droit  marcha  aux  redoutes  et  les  emporta.  Il 
entra  avec  les  nôtres  dans  les  rangs  des  vaincus.  La 
liberté,  en  les  frappant,  les  émancipa,  elle  en  fit  des 
hommes  libres.  La  France  sembla  avoir  frappé  moins 
sur  eux  que  sur  leurs  fers.  Les  Belges  furent  affran-- 
chisd'un  coup.  Les  Allemands  firent, leurs  premiers 
pas  dans  une  carrière  nouvelle  ;  leur  défaite  de  Jem* 
mapes  fut  Tère  de  leurs  libertés.  Il  fallut  bien,  dès- 
Iws,  que  leurs  princes  les  traitassent  en  ^hommes, 
puisqu'ils  leur  demandaient  sans  cesse  ce  qui  est  le 
plus  haut  signe  de  l'homme,  le  dévouement  elle  sa- 
crifice *. 

>  Lei  HoBgrois  spécialeineiit  prirent  d*mi  grtnd  ecear  h  R4tf4atioa 
Gnaçiise.  Dès  1794,  elle  eut  pami  eux  des  martyrs.  Fait  précievx. 


M  LA  BATAILLE  D8  lEHMAPCS  (6  MOT.  ^.  40K 

Tellement  Dieu  était  eo  la  France!  telle  la  vertu 
miraculeuse  qu'elle  avait  alors!  L'épée  dont  elle  frap- 
pait, au  lieu  de  blesser,  guérissait  les  peuples*  Touchés 
dn  fer,  ils  s'éveillaient,  remerciaient  le  coup  salu- 
taire qui  rompait  leur  fatal  sommeil,  brisait  Tenchan- 
tement  déplorable  où,  pendant  plus  de  mille  années, 
ik  languirent  à  l'état  de  bétes  à  brouter  l'herbe  des 


Cette  première  victoire  de  la  République,  cette 
victoire  de  la  foi,  a  eu  contre  elle  tous  les  raison*- 
neûrs.  Les  Jacobins  d'abord  prédirent  qu'on  ne  vain- 
crait pas.  Les  tacticiens  ensuite  (ou  allemands,  ou 

mestimable,  qui  nous  a  été  révélé,  dans  ces  derniers  temps,  par  ua 
de  nos  compatriotes. — Une  larme  m*esl  venue,  en  écrivant  ceci.  Nous 
Tenons  de  le  perdre,  ce  jeune  homme.  Le  hasard  ou  la  providence 
avait  mis  en  lui  la  triple  alliance  des  peuples  nouveaux  :  Auguste  Dr- 
eKBAmo-Barberi-Teleki,  français  de  père,  romain  de  mère»  hongrois 
par  son  mariage;  et  ses  enfants  sont  hongrois.  Malade,  mourant  de  la 
poitrine,  il  n*en  a  pas  moins  servi  activement  sa  seconde  patrie,  au  jour 
mpréme,  et  il  semble  qu*ils  soient  morts  ensemble,  ensemble  enseve^ 
lis.-*Ensevelis,  non  pas  morts  !  Le  drapeau,  enfoui  k  Raab,  en  sortira 
an  matin  ;  la  France,  la  Hongrie,  Tltalie,  se  relèveront  ensemble.  Et 
alors,  mon  jeune  ami,  alors  vous  ressusciterez. — Que  cette  pierre  d'al- 
liance reste  au  moins  ici,  scellée  de  nos  larmes  !  Qu'elle  reste  en  té* 
aaoignagel  Qa*eUe  vous  serve  du  tombeau  que  vous  n'avei  pas  encore. 
Vous  y  donnires,  pdsible,  dans  la  foi  oii  vous  flktes  ferme,  dans  Pat- 
iente des  trois  nations. — ^Nous,  vous  nous  avez  laissé  de  quoi  peu  dor- 
mir. Vous  avoir  connu,  vous  avoir  perdu,  Jeune  cœur  héroïque,  Ame 
excellente  et  magnanime,  c'est  une  amertume  durable  qui  nous  revien- 
dra dans  nos  nuits.— Lecteur,  lis  pieusement  les  livres  que  le  jeune 
homme  a  laissés,  et  puis8e»4tt  y  gagner  quelqne  chose  de  son  cœur! 
La  IVaiisyloame,  1 845.—  De  VegprU  public  en  Hongrie^  depuis  la  Ré^ 
voUUion  françaiêe,  4848.  —  Les  Steppes  de  Hongrie  (inédit,  sous 
presse), 

IT.  " 


406  CIMKIS  dm  VàMtR  M 

bouapurtistas)  oot  nvammeot  travaillé  à  pr&tmt  que 
la  victoire  n'était  rien,  du  que  da  moioi  od  n'anît 
paB  vaibou  dans  las  règles. 

Oui,  la  victoire  fut  absurde,  comme  eat  tout  mî- 
rade^  et  Too  n'aurait  pas  dû  vaincre,  à  consolter  h 
«raison»  L'armée  de  Jemmapes  était  ridicule,  pour 
tout  militaire  ordinaire,  mal  instruite,  mal  équipée, 
misérablement  vêtue,  discordante  surtout,,  présen>- 
tant  je  ne  sais  combien  de  bandes  de  volontairea,  ou 
encore  sans  uniforme,  ou  sous  Tuniforme  varié  des 
Fédérations  de  90,  Tel  bataillon  (celui  du  Loiret,  je 
crois)  était  encore  en  sarraux  de  toile,  en  bonuelB 
de  paysan.  Ce  n'est  pas  tout.  Il  existait  des  corps 
sous  toute  espèce  de  noms  (chasseurs  nationaux, 
chasseurs  braconniers,  etc.]»  Chaque  corps  se  fcmnait 
uiùa  les  villes  ou  villages,  les  quartiers,  les  amitiés, 
se  baptisait  k  sa  guise.  Ce  n'était  pas  une  armée,  c'é- 
tait le  peuple,  à  vrai  dire,  c^était  la  France  arrivant 
m  champ  de  bataille,  toute  jeune  et  toute  naïve,  dans 
la  confusion  du  premier  élan. 

Robespierre  avait  parfaitement  prouvé,  depuis  plus 
d'un  aut  que  la  guerre  était  absurde.  £t  il  avait  fiiît 
écrire  par  Camille  Desmoulins  que  la  Gironde  avait 
trahi,  puisqu'elle  voulait  la  guerre.  Et  cette  opinion 
était  tellement  celle  des  Jacobins,  qu'au  25  juillet  93, 
c'était  encore  une  des  raisons  principales  que  faiaaît 
iraloir  Billaud-Varennes  pour  envoyer  les  Girondius  à 
la  mort  {Moniteur,  n*  206). 

Oui,  la  guerre  était  absurde.  Et  il  bllait  étra  fou 
pour  aller  chercher  l'ennemi  sur  son  territoire,  au 


AVAIT  ooina  WM  »  mot.  n^  en 

.HiOiii«iUfilème  où  la  Frwce  chmigMit  de  fodverpe- 
vmnU  C'est  alors  précisément  que  le  poutoir  peasrà 
dQs  GiroQdias  aux  Jacobin».  Le  ministère  de  la  guerre 
particulièrement,  celui  dont  Taotion  était  décisive  cb 
.un  Id  moment,  passa  du  giroildiû  Servan  au  jacdbin 
PMh«,  q^i  changea  à  Finstant  tous  les  employés,  déé- 
oigaoisa  les  services. 

Ia  guerre  était  absurde  encmre  parce  que  les  g6^ 
néraux  de  la  République  étaient  royalistes.  Dumoui^ 
ariâz,  Dillon,  Custine,  Tétaient,  et  ne  s'en  eachatMt 
pas  Ut)p.  On  a  vu  comment  Dumouriez,  paraî»^ 
aaiit  à  la  banre  de  la  Convention,  éluda  ie  len- 
ibent  de  fidélité  à  la  République.  Employé  cinquaM» 
ans  sous  la  monarchie,  et  dans  tels  ou  tels  eiqpldB 
équivoques ,  il  m  pouvait  pas  ne  pas  avoir  le  tempe- 
rameiu  réaliste;  il  aimait  le  plaisir,  Targenf ,  il  lui 
&llatt  les  abus  de  l'ancien  gouvemraient,  sa  fa^ 
fiilité,  tin  bon  maître.  Il  dit  partout  dans  ses  Mé*** 
moires  que  le  fruit  qu'il  attendait  de  ses  victoire^ 
républicaines,  c'était  le  rétablissement  du  Roi.  À 
tout  hasard,  an  cas  que  le  Roi  fût  impossible  à  re^ 
leyen  il  s'en  préparait  un  autre,  le  jeune  duo  de 
Chartres. 

Des  généraux  royalistes,  agissant  au  nom  de  la  Ré- 
publique ,  devaient ,  par  le  seul  effet  de  cette  dnpli^ 
eiié ,  avoir  dans  les  mouvements  quelque  chose  de 
gauche  et  de  faux.  Ils  avaient  besoin  de  Tentho»»- 
siasme  républicain,  et  ils  craignaient  de  l'exciter;  il 
leur  arrivait  à  chaque  instant ,  si  la  flamme  rodlait 
monter,  d'y  jeter  la  glace*  Quand,  par  emmple ,  les 


408  LA  fiOtimB  D^ENSBMBLC  BT  fk%  MASSES 

républicains  allemands,  enivrés  de  Tidëe nouYeHe, 
consultaient  Gusiine,  et  lui  demandaient  ce  que  de* 
Tiendrait  la  France,  il  répondait  :  c  Mooarchîe.  » 
—  Et  qui  r^eia?  --*  Le  Dauphin. 

Les  sentiments  de  Dumouriez  se  trahissaient  Tish- 
blement  dans  tes  r<^les  qu'il  distribuait  aux  gëoénni 
subordonnés.  Au  général  Valence,  orléaniste  décidé, 
«mi  du  duc  de  Chartres,  Dumouriez  donna  le  rftie 
actif  et  brillant  d'occuper  la  Meuse,  d'arrêter  les  Au- 
trichiens qui  amenaient  des  secours.  Au  jacolMn  La- 
bourdonnais  qui  avait  son  aile  du  Nord,  il  donna  le 
rôle  obscur  et  sans  gloire  de  le  côtoyer  de  loin,  à  sa 
gauche,  et  de  le  rejoindre  seulement  quand  toute  la 
campagne  serait  décidée. 

Ni  Valence,  ni  Labourdonnais,  ne  purent  agir  nti* 
lement  Ces  deux  ailes,  énormément  éloignées  de 
Tarmée  du  centre,  ne  pouvaient  coopérer  avec  en- 
semble. Valence,  n'ayant  ni  chevaux,  ni  charrois,  ne 
put  bouger,  laissa  passer  TAutrichien*  Labourdon- 
nais,  sacrifié,  irrité,  fit  le  moins  qu'il  put,  et  mal. 
Le  grand  avantage  de  nombre  que  devait  avoir  Du- 
mouriez fut  ainsi  perdu.  En  réunissant  ses  forces,  il 
eût  eu  près  de  cent  mille  hommes;  il  les  dispersa,  et 
son  armée  du  centre,  isolée,  n'en  compta  que  qua« 
rante-cinq  mille.  L'Autrichien  pouvait  en  aToir  au- 
tant, mais  supérieurs  en  discipline,  quarante-cinq 
mille  vieux  soldats;  s'il  eût  su  les  réunir,  il  eût  écrasé 
Dumouriez. 

Celui-ci  le  reconnaît  lui-même,  il  n'a  pas  con- 
nu la  guerre  nouvelle,  h  guerre  tTememble  et  par 


E8T  SORTIE  Oë  L'INSTtôCT  FRANÇAIS  ET  bK  LA  FRATERNITÉ.    4UB 

masses^  celle  qui  donna  une  si  terrible  unité  de  mou- 
vements aux  armées  de  la  liberté.  Il  ne  se  douta  nul- 
lement de  l'instrument  qu'il  employait.  Ces  armées, 
qui  étaient  des  peuples  »  disons  mieux ,  la  patrie 
même,  en  ce  qu'elle  eut  de  plus  ardent,  demandaient 
d'aller  d'ensemble,  et  de  combattre  par  masses,  le9 
amis  avec  le$  amis,  comme  disait  le  soldat.  Amis  et 
amis,  parents  et  parents,  voisins  et  voisins,  Français 
et  Français,  partis  en  se  donnant  la  main,  la  diflBculté 
n'était  pas  de  les  retenir  ensemble,  mais  bien  de  les 
séparer.  Les  isoler,  c'était  leur  ôter  la  meilleure  par* 
tie  de  leurs  forces*  Ces  grandes  l^ons  populaires 
étaient  comme  des  corps  vivants;  ne  pas  les  faire  agir 
par  masses,  c'eût  été  les  démembrer.  Et  ces  masses 
n'étaient  pas  des  foules  confuses  ;  plus  on  les  laissait 
nombreuses,  plus  elles  allaient^en  bon  ordre*  Plus  m 

t  Domoiiriez  ea  fait  honneur  à  Carnot,  pour  en  6ler  la  gloire  à  Na- 
polécm,  La  f^ire  en  est  à  la  Franee.  Le  grand  organisateur  des  ar- 
■léea  de  93,  le  sublime  calculateur  d*Au8ierlitz  n*aumîent  rien  pu,  si 
la  France  ne  leur  eût  donné  Tinfaillible  épée  morale  que  nous  venons 
de  décrire.  —  Pour  leur  maître,  Frédéric,  son  maître  fut  la  nécessité. 
Gel  babile  homme,  dans  la  guerre  de  Sept  ans,  pressé  de  tant  d'enne- 
mis, mais  non  entouré,  n'ayant  &  repousser  que  de  courtes  attaques 
du  c6té  des  Russes,  put  faire  face  k  tout,  en  agissant  par  masses,  en 
portant  ici  et  là  des  masses  rapides.  Nécessité  Vingénieuss  forma  ce 
génie  mécanique.— Le  général  incomparable,  qui  voulut  être  membre 
de  rinslitnt  pour  la  section  de  mécanique,  imita  et  surpassa  d'autant 
mîeui  Frédéric,  qu'il  eut  dans  les  mains  ce  qui  n'était  nullement  mé- 
canique, ces  armées  admirables,  qui,  par  une  singularité  unique,  agis- 
saient d'autant  mieux  d'ensemble  qu'elles  étaient  plus  nombreuses; 
ajoutez,  ce  qui  est  bien  plus,  la  tradition  vivante  de  ces  armées  répu- 
blicaines, tradition  tellement  forte,  qu*ttfiées,  détruites,  eiteminées, 
elles  se  renouvelèrent  plusieurs  fois. 


410  CB  QUE  FIIRENT  NOS  GRANDES  ARMÉES. 

e$l  (tamisy  fnieuœ  ça  marche^  c'est  encore  un  mot  po* 
pulair^.  L'audace  vint  aux  généraux,  dès  qu'ils  eu- 
rent remarqué  ceci.  Ils  virent  qu'arec  ces  populations 
éminemment  sociables,  ofa  touss'électrisent  par  tous, 
et  en  proportion  du  nombre,  il  fallait  agir  par  grands 
oorps.  Le  monde  eut  ce  nouveau  spectacle  de  voir 
des  hommes,  par  cent  mille,  qui  marchaient  mus 
d'un  même  souffle,  d'un  même  élan,  d'un  même 
cœur* 

Voilà  l'origine  réelle  de  la  guerre  moderne.  11  n'y 
eut  là  d'abord  ni  art,  ni  système.  Elle  sortit  du  cœur 
de  la  France,  de  sa  sociabilité;  Les  tacticiens  n'au- 
raient jamais  trouvé  la  tactique.  Ceci  n'était  point  du 
calcul.  Des  calculateurs  inspirés  le  virent,  et  en  pro- 
fitèrent ;  leur  gloire,  c'est  de  l'avoir  vu  ;  ils  ne  l'au- 
raient pas  vu  sans  doute,  s'ils  n'avaient  eu  eux-mê- 
mes Télincelle  de  ces  grandes  foules.  Ils  l'eurent, 
parce  qu'ils  eu  sortaient.  Les  généraux  monarchiques 
n'auraient  jamais  pu  comprendre  le  sublime  et  pro- 
fond mystère  de  la  solidarité  moderne,  des  vast^ 
guerres  d'amitié. 

Les  fédérations  de  90  avaient  fait  pressentir  ceci. 
Quand  on  vit  tout  un  canton,  parfois  tout  un  dépar- 
tement, en  armes,  autour  de  l'autel,  il  ne  fut  pas 
difficile  de  prévoir  les  immortelles  demi-brigades  de 
la  République.  Et,  quand  on  vit  les  fédérations  im* 
mensos  qui  réunirent  plusieurs  déparlements  ensem- 
ble, et  ces  grands  corps  de  fédérés,  qui,  grossissant 
toujours,  s'augmentant»  se  donnant  la  main,  for- 
maient à  travers  la  France  les  chœurs  et  les  faran- 


€B  ouE  ruRBirr  nos  eftimm  aiimébs.  m 

doles  de  la  nouvelle  amitié,  on  pouvait  voir  en  esprit 
que  ces  hommes,  en  92,  fidèles  au  serment  de  dO, 
constitueraient  nos  grandes  fédérations  militaires,  la 
républicaine  armée  de  Satnbre-et-Meuse,  la  padfica^ 
triée  armée  de  l'Ouest,  la  ferme  ei  invincible  armée 
du  Rhin^  victorieuse  jusqu'en  ses  retraites,  la  rapide 
et  foudrovante  armée  d'Italie. 

Des  armées?  non,  des  personnes.  Chacune  d'efles 
eut  une  personnalité  distincte  et  originale.  Tel  fut  le 
touchant  esprit  de  dévouement,  de  sacrifice,  qui  ani- 
ma ces  hommes  au  départ.  Ils  se  perdirent  et  s'absor- 
bèrent dans  ces  glorieuses  légions,  dont  chacune  fut 
pour  eux  une  France  sur  la  terre  étrangère.  Ces  ad- 
mirables soldats,  partis  pour  tant  d'années  de  guerre, 
et  qui,  la  plupart,  ne  devaient  pas  revenir,  avaient 
emporté  la  patrie  et  le  foyer  dans  les  grandes  socié*- 
tés  héroïques,  qu'on  appelait  des  armées.  Où  qu'ils 
fussent,  c'était  la  France.  Et  c'est  la  France  encore, 
aujourd'hui  et  à  jamais,  partout  où  ces  amis  fidèles 
ont  ensemble  laissé  leurs  os. 

Étrangers  qui  regardez  avec  respect  et  terreur  ces 
eollînes  d'ossements  qu'ont  laissés  chez  vous  nos  gran- 
des légions,  sachez  qu'elles  ne  furent  pas  seulement 
terribles,  mais  vénérables.  Ce  qui  leur  donna  la  vic- 
toire, cette  redoutable  unité  dans  le  combat,  ce  fut 
r  unité  des  cœurs  et  la  confraternité.  Gardez-vous  de 
fiadre  honneur  de  ces  choses  à  tel  ou  tel  homme.  Des 
monuments  seront  élevés  (quand  la  France  se  réveil** 
lera)  à  ces  glorieuses  armées,  k  elles,  noua  leurs  gé* 
néraui.  Les  calculateurs  habiles  ne  garderont  p«s 


4M  CE  QUE  FUT  L'ARMÉfi  DE  iBStMAPES  (6  KOV.  SK. 

pour  eux  la  gloire  d'un  peuple  de  héros.  C'est 
et  c'est  beaucoup^  que  les  noms  ou  les  images  de  ces 
heureux  capitaines  soient  inscrits  à  leur  vraie  place, 
au  pied  même  du  monument. 

Regardons-les  attentivement,  ces  glorieuses  ar* 
mées,  dans  leur  primitif  élan  de  92,  dans  la  naïveté 
du  berceau. 

A  les  considérer  froidement  et  se  préservant  de 
l'enthousiasme,  elles  présentaient  un  spectacle  étran- 
ge, extraordinaire  :  celui  d'un  grand  peuple,  qui, 
sans  ménagement  ni  réserve,  sans  souci  de  la  vie  ou 
de  l'intérêt,  sans  la  moindre  attention  au  passé,  à 
l'histoire,  à  la  vieille  diplomatie,  aux  traités,  au  droit 
écrit,  portait  au  monde  la  philosophie  du  XYIII*  siè- 
cle au  bout  de  ses  baïonnettes.  Ces  principes,  avec 
lesquels  les  philosophes  semblèrent  trop  souvent 
jouer  eux-mêmes,  étaient  pris  au  sérieux  par  leurs 
disciples  armés,  appliqués  avec  une  sincérité  violrate 
que  rien  n'arrêtait.  Les  transports  philanthropiques 
de  Raynal  et  de  Diderot  étaient  là,  non  en  papier,  en 
déclamations,  mais  en  actes,  réalisés  bien  ou  mal 
dans  les  effusions  aveugles  d'une  sensibilité  terrible 
qui  ne  mesurait,  ne  calculait  rien. 

Toute  cette  philosophie  leur  flottait,  comme  on 
peut  penser,  un  peu  vague  dans  l'esprit.  Et  leur 
cœur  n'en  était  peut-être  que  plus  violemment  pos- 
sédé.  C'était  un  caractère  singulier,  embarrassant, 
de  la  Révolution  si  jeune,  de  n'avoir  encore  aucun 
symbole  précis,  point  d'élément  traditionnel,  point  de 
monument  littéraire,  où  la  pensée  pût  se  prendre.  Et 


EXALTATION  PUlLANTHROPltiUE  DE  CETTE  ARMÉE.  415 

cela  même  est  une  cause  des  furieux  accès  où  cette 
sensibilité,  vague,  aveugle,  nullement  régularisée, 
s'emportait  parfois.  Une  seule  chose  représentait 
pour  eux  le  credo  révolutionnaire,  une  chanson,  la 
Marseillaise.  Ils  la  savaient,  la  chantaient,  la  répé- 
taient, jusqu'à  extinction  de  voix  et  de  forces.  C'était 
tout  leur  évangile.  Ils  l'appliquaient  à  la  lettre,  sou- 
vent en  bien,  parfois  en  mal.  Le  sang  coula  pour  tel 
couplet,  tel  autre  lit  faire  des  actes  d'une  générosité 
inouïe. 

Nous  l'avons  dit.  Quand  ils  virent  passer  par  char-* 
reltes  les  Prussiens  malades,  pâles  de  faim  et  de  fiè- 
vre, brisés  par  la  dyssenterie,  ils  s'arrêtèrent  court, 
les  laissèrent  passer.  Ceux  qu'ils  prirent,  ce  fut  pour 
les  soigner  dans  les  hôpitaux  français.  A  Strasboui^, 
soldats  et  bourgeois  traitèrent  les  prisonniers  comme 
des  frères;  on  partagea  avec  eux  te  pain,  la  viande,  la 
soupe  ;  on  leur  remplit  les  poches  de  journaux  patrio- 
tiques ,  et  quand  ils  partirent  pour  l'intérieur  de  la 
France,  on  leur  acheta  du  tabac  par  une  contribution 
générale.  La  dépense  n'était  pas  petite,  ils  étaient 
trois  mille.  Glorieuse  prodigalité,  et  dans  un  moment 
si  pauvre,  lorsque  les  nôtres  n'avaient  pas  seulement 
de  chaussures  aux  pieds  !  Les  résultats  furent  admi» 
râbles.  Les  prisonniers  voulurent  avoir  du  papier,  de 
l'encre ,  et  écrivirent  en  Allemagne  que  le  Rhin 
n'existait  plus,  qu'il  n'y  avait  ni  France  ni  Allema* 
gne,  mais  que  tous  étaient  des  frères,  et  qu'il  ne  fal- 
lait plus  qu'une  seule  nation  au  monde. 

La  sensibilité  est  mobile,  l'exaltation  peu  durable. 


414    PROBITÉ  PERHB  ET  KODESTE  DE  NOS  OFFICIERS  PLÉBÉIESS. 

Hais  déjà  dans  cette  armée  se  pronoDçait  un  élément 
très-résistant  et  très-ferme.  «  Nos  soas-o£Bciers  de 
Vancien  régime,  dit  M.  de  Lafayette,  étaient  supé- 
rieurs à  ceux  de  toutes  les  armées  de  TEurope.  b  De- 
venus officiers  par  les  lois  de  la  Révolution^  ils  ont 
commencé  cette  classe  d'hommes,  braves,  honnêtes, 
irréprochables,  dont  parle  le  général  Foy  dans  une 
page  de  ses  Guerres  de  la  Péninsule,  page  pré- 
cieuse, témoignage  inestimable  de  la  vérité  la  plus 
vraie,  qui  reste  un  litre  pour  la  France  :  Nos  offi- 
ciers d* infanterie,  dit-il,  étaient  Thonneur  même, 
la  vertu  modeste,  la  résignation.  L'idéal  de  ces 
braves  gens,  voués  au  devoir  sans  ambition,  et  qui 
n'ont  dâ  leur  avancement  qu'au  temps,  à  la  mort, 
fut  Texcellent  Latour  d'Auvergne,  premier  grena- 
dier de  la  République,  instructeur  de  Tannée  d'Es- 
pagne. Ces  officiers,  comme  on  sait,  si  peu  rétri- 
bués, quelques-uns  mariés,  suivis  souvent  à  distance 
de  leurs  courageuses  épouses  qui  ne  voulaient  point 
les  quitter,  n'en  ont  pas  moins  montré  un  désintéres- 
sement, une  délicatesse  admirables,  contenant  par 
leurs  exemples  les  tebtations  du  soldat,  et,  sans  mur- 
mure, versant  leur  sang  dans  plus  d'une  affaire  meur- 
trière, qui  souvent  n'avait  d'effet  que  d'enrichir  les 
généraux  de  l'Empire. 

Ces  honnêtes  gens,  à  qui  la  Révolution  venait 
d'ouvrir  la  carrière,  lui  étaient  très-attachés.  Moins 
expansifs  que  le  soldat,  ils  avaient  pour  la  patrie  un 
amour  muet,  austère,  qui  n'en  était  que  plus  pro- 
fond. Gardiens  jaloux  de  l'honneur  de  la  France, 


SÉVÉRITÉ  DE  L'ARMÉE  POUR  LES  EXCÈS  SANGtJINAIRES.      415 

ils  s'efforçaient  d'imprimer  aux  bandes  jeunes,  in- 
disciplinées, qui  leur  arrivaient  tous  les  jours,  Ta- 
mour  de  Tordre  et  du  devoir.  Ils  réprimaient  tes  ex- 
cès, moins  par  leur  autorité  que  par  une  censure 
grave  et  le  froid  mépris,  quelquefois  seulement  par 
leurs  tristes  regards.  L'autorité,  le  respect,  qui  les 
leur  aurait  refusés,  quand  on  les  voyait  s'ôter  le  pain 
pour  le  donner  aux  soldats,  quand  les  plus  braves, 
marchant  à  l'ennemi,  les  voyaient  toujours  vingt  pas 
devant  eux. 

On  put  juger  déjà  entre  les  batailles  de  Yalmy  et 
de  Jemmapes,  au  fort  du  désordre,  lorsque  le  péril 
de  la  France,  l'excès  de  l'enthousiasme,  le  délire  pa- 
triotique, inspiraient  aux  volontaires  les  actes  les 
plus  violents,  qu'il  y  aurait  pourtant  dans  l'armée, 
sous  l'heureuse  influence  de  ses  officiers  plébéiens, 
un  caractère  très-ferme  d'honnêteté,  qu'elle  ne  souf- 
frirait pas  patiemment  de  tache  sur  T  habit  militaire. 
On  vit  cette  jeune  armée,  qui  était  à  peine  une  armée 
encore,  se  purger  eUe-mème  inflexiblement,  rejeter 
et  punir  le  crime. 

Une  très-affligeante  affaire  avait  eu  lieu  k  Rethel. 
Deux  bataillons  de  volontaires  parisiens  (le  Bépu- 
blicain  et  le  Mauconseil)  venaient  d'arriver,  pleins 
de  fanatiques.  Leur  coup  d'essai  fut  de  massacrer, 
malgré  le  général  Chazot,  quatre  pauvres  soldais, 
domestiques  d'émigrés,  qui  étaient  rentrés  et  vou- 
laient servir  dans  l'armée.  La  loi,  il  est  vrai,  contre 
l'émigré  rentré  n'était  autre  que  la  mort.  La  Conven- 
tion, suivant  te  mouvement  de  l'indignation  natio- 


416  l'akmëe  k*ëst  nullement  abattue 

oale,  venait  d'ordonner  qu'on  brûlât  par  la  main  du 
bourreau  un  drapeau  de  l'émigration,  pris  après 
Valmy.  N'importe,  il  n'en  était  pas  moins  indigne  et 
honteux  de  massacrer  ces  pauvres  diables,  gens  du 
peuple,  entraînés  par  leurs  maîtres,  qui  voulaient  re- 
venir au  peuple  et  ser\'ir  la  nation.  Ce  crime  était 
impolitique  autant  que  barbare;  il  empêchait  à  ja- 
mais qu'il  ne  nous  vint  des  transfuges;  il  mettait  un 
mur  d'airain  entre  nous  et  l'ennemi. 

n  faut  dire  qu'heureusement  le  crime  n'était  pas 
celui  du  corps  tout  entier.  Sur  douze  cents  hommes, 
une  quarantaine  environ  y  avaient  trempé  ;  et  ils  ne 
l'avaient  commis  que  poussés,  excités  par  les  décla- 
mations féroces  de  leur  lieutenant-colonel,  lepiUrioU 
Palloy,  un  artiste  ridicule ,  un  architecte  intrigant, 
qui  s'était  enrichi  à  vendre  les  pierres  de  la  Bastille. 
Ce  spéculateur,  en  violence  furieuse,  en  paroles  meur- 
trières, passait  les  plus  fanatiques,  et  il  y  trouvait  son 
compte  ;  ruiné  et  meurtre,  tout  lui  profitait.  Il  ima- 
ginait sans  doute  que  si  l'armée  était  entraînée,  le  gé- 
néral massacré ,  il  se  mettrait  à  sa  place.  La  chose 
tourna  autrement.  L'armée  fut  saisie  d'horreur.  Pal- 
loy n'eut  qu'à  se  sauver.  On  cerna  les  deux  bataillons, 
on  les  désarma,  on  leur  ôta  leurs  drapeaux,  on  les 
envoya  bivouaquer  dans  les  fossés  de  Mézières.  Le 
général  Beurnonville  vint  les  trouver  là,  et  leur  dit 
qu'ils  étaient  perdus  s'ils  ne  livraient  les  coupables. 
Ces  enfants  de  Paris,  mobiles  et  sensibles,  quelle 
que  fût  leur  violence,  fondirent  tous  en  larmes;  leurs 
bataillons  épurés  devinrent  le  modèle  de  toute  l'ar- 


mm  namm  fcHBC  (4  nov.  9S).  M7 

mée^  pour  la  booDe  conduite  autant  que  pour  la 
bravoure. 

Avec  une  telle  armée,  animée  d'un  si  pur  enthou- 
nasme,  le  succès  semblait  certain.  La  France  y  appar 
raissait  dans  un  de  ces  rares  moments  où  Tbomme  au- 
dessus  de  lui-même,  héroïque  sans  effort,  ne  rencon- 
tre rien  d'impossible.  A  regarder  cette  armée,  on 
pouvait  dire  d'avance  :  Les  Pays-Bas  sont  conquis. 
Dumouriez  en  jugeait  ainsi.  Il  écrivait  à  la  Conven- 
tion :  c(  Je  serai  le  15  à  Bruxelles,  et  le  30  à  Liège.  » 
n  se  trompa,  car  il  Tut  à  Bruxelles  le  14,  à  Liège 
le  28. 

Cette  jeune  armée  eut  d'abord  à  supporter  une 
épreuve  que  les  vieilles  armées  les  plus  aguerries  ne 
supportent  pas  toujours.  Elle  débuta  par  un  revers. 
Nos  réfugiés  belges  n'arrivèrent  pas  plutôt  h  la  fron* 
tière ,  qu'impatients  de  reprendre  possession  de  la 
terre  natale,  sans  rien  attendre ,  ils  attaquèrent.  Ne 
pouvant  les  retenir,  on  leur  donna  des  hussards  pour 
les  appuyer,  lis  s'emparèrent  d'un  avant-poste;  puis, 
par  un  emportement  de  jeunesse  et  de  bravoure,  ils 
se  jettent  des  hauteurs  en  plaine,  et  la  cavalerie  im- 
périale y  vient  les  envelopper.  Ils  périssaient  sans  nos 
hussards.  Beumonville  était  d'avis  de  se  replier,  de 
rafiermir  nos  soldats.  Dumouriez  jugea  bien  mieux 
qu'il  fallait  à  tout  prix  garder  l'offensive,  avancer. 
Les  Impériaux,  malgré  leurs  avantages,  reculaient  et 
cédaient  même  une  très-bonne  position.  Ils  voulaient 
nous  attirer  jusqu'à  celle  de  Jemmapes  qu'ils  jugeaient 
inexpugnable,  par  la  force  naturelle  et  par  les  tra- 


4|8  posmoii  roiiHiMU 

taux  d'art  qu'ils  y  avaient  ajoutés.  Cétait  Yam  éd 
rautricbien  Clairrayt,  et  il  entraîna  le  génénl  u 
ohof»  te  duc  de  Saxe-^Taschen,  qui^  depuis  sa  hon- 
teuse affaire  de  Lille,  eût  bien  touIu  se  laver  par  une 
belle  bataille^  Un  de  ses  subordonnés ,  le  général 
belge  Beaulieu,  lui  conseillait  de  ne  pas  raccepter, 
cette  bataille,  mais  de  la  donner  lui-même,  de  mar- 
cher la  nûitaux  Français,  de  tomber  sur  eux,  d'éera* 
ser  ou  disperser  cette  cobue  de  soldats  novices.  Les 
vingtrbuit  mille  vieux  soldats  qu'il  avait  suffisaîaut, 
et  au-delà,  pour  cette  attaque  audacieuse  ;  Tavan^ 
tage,  en  de  telles  surprises,  est  pour  les  troupes 
disciplinées,  aguerries,  qui  gardent  tout  leur  sang- 
froid.  Le  duc  hésita  à  tenter  ce  coup,  qui  convenait 
mieux  à  un  chef  de  partisans.  Prince  d'Empire,  lieu- 
tenant de  l'Empereur,  gouverneur  des  Pays-Bas,  roi 
lui-même  en  réalité,  il  ne  pouvait  se  compromettre 
dans  une  attaque  hasardeuse  ;  il  lui  allait  mieux  d'at- 
tendre l'armée  française  dans  la  majesté  de  ht  posi*- 
tion  domioante  de  Jemmapes,  de  l'y  voir  s'y  heurter 
ep  vain,  de  l'écraser  à  ses  pieds. 
.  ^fotre  armée  se  trouva  le  soir  du  &  novembre  à  pon- 
tée d'admirer  cette  œuvre  de  Tart  et  de  la  nature.  La 
position  est  qon-seulement  forte  et  formidable,  mais 
imposante,  solennelle;  elle  parle  à  l'imagination,  et 
quand  on  ne  saurait  pas  que  ce  lieu  s'appelle  Jemma* 
pes,  on  s'y  arrêterait  de  soi-même.  C'est  une  ligné 
de  coteaux  en  avant  de  Mons,  un  amphithéâtre  qui 
s'abaisse  aux  deux  bouts  sur  deux  villages,  Gue»^ 
mes  à  droite,  à  gauche  Jemmapes  (pour  le  epeo** 


DBS  AirrRimnm  a  nmuHê  (5  nov.  93).  4ie 

tafetar  d'en  bas)*  Jemmapes  monte  à  la  montagne 
et  en  couTire  un  flanc.  Cuesmes  aide  moins  à  la  dé- 
fense ;  on  y  suppléa  par  plusieurs  rangs  de  redoutes 
étdgées  Vanë  sur  l'adlre»  et  dans  ces  redouter  étaient 
lés  grenadiers  de  Hongrie.  Ces  redoutes»  et  les  deuK 
.  Tillages  formaient  à  droite  et  à  gauche  comme  autant 
de  citadelles  quMl  fallait  d'abord  emporter.  Les  péna- 
tes du  centre,  occupées  par  un  bois,  étaient  coupées, 
palissadées  d'abattis.  Si  nos  soldats  emportaient  les 
abattis,  les  villages  et  les  redoutes,  ils  trouvaient 
encore  derrière  dix- neuf  mille  excellents  soldats; 
c'était  peu  comme  armée,  sans  doute,  mais  beaucoup 
comme  garnison  de  cette  grande  forteresse  naturelle* 
Elle  paraissait  si  sûre,  que  les  quelques  mille  soldais 
4)ue  le  duc  de  Saxe  avait  de  {dus  furent  laissés  pour 
garder  Mens.  La  gmnde  supériorité  de  nombre  qu'ar 
¥ait  Dumouries  lui  servait  fort  peu,  parce  qu'on  ne 
pouvait  approcher  des  lignes  autrichiennes  que  par 
des  passages  étroits  qui  ne  permettaient  pas  de  se  dé^ 
ployer.  On  ne  pouvait  généralement  attaquer  que 
par  colonnes.  La  vaillance  des  têtes  de  colonnes  de«- 
vait  seule  décider  Taffaire.  L'attaque  des  maisons 
crénelées,  l'escalade  des  retranchements,  l'enlèveir 
ment  des  batlerie$,  exigeaient  une  exécution  terrih 
ble,  d'h<»Dme  à  homme,  et  de  main  à  main. 

La  position  n'était  pas  sans  analogie  avec  celle  df 
Waterloo*  Comme  l'Anglais  à  Waterloo,  rAutricbien 
AVaitàJemmapesuQe  grande  ville  derrière  lui,  d'où 
il  tirait  ce  qu'il  voulait*  Mais  combien  le  rude  esf 
carpement  de  Jemmapes,  franchi  par  l'armée  de  la 


4t0  NSmmi  rOKNIDABLB 

République,  offrait  plus  de  difficultés  naturéUa, 
artificielles,  que  le  petit  rédillon  où  vint  se  briser 
l'Empire  ! 

Une  ressemblance  encore  qu'ont  les  deux  batailles, 
c'est  qu'à  Tune,  comme  à  rautre,  l'armée  française 
fut  tenue,  toute  une  nuit,  au  fond  d'une  plaine  hu- 
mide, et  que  le  matin,  affaiblie  et  détrempée,  oo  la 
mena  au  combat.  Une  telle  nuit,  passée,  irarme  an 
bras,  par  des  troupes  si  mal  habillées  pour  la  saisoD, 
dans  ces  marécages,  par  des  troupes  jeunes,  nulle- 
ment habituées  ni  endurcies,  eût  amené  un  triste 
jour,  si  cette  armée  singulière  n'eût  été  réchauffée 
d'enthousiasme,  cuirassée  de  fanatisme,  vêtue  de 
sa  foi. 

Car  enfin,  ils  étaient  pieds-nus,  ou  peu  s'en  &d- 
lait,  dans  l'eau  et  dans  le  brouillard  que  le  maréci^ 
élève  la  nuit;  eau  dessous  et  eau  dessus.  La  plaine 
était  coupée  de  canaux,  de  flaques  d'eau  croupis- 
sante, et  là  où  l'on  se  réfugiait,  croyant  g^ner  la 
terre  ferme,  le  sol  tremblait  sous  les  pieds.  Nul  pays 
n'a  été  plus  changé  par  l'industrie;  l'exploitation  des 
houillères  a  donné  douze  mille  âmes  au  village  de 
Jemmapes;  on  a  bâti,  coupé  les  bois,  séché  des  ma- 
rais. Et  avec  tout  cela,  aujourd'hui  même,  le  pays 
au-dessous  des  pentes,  est  resté,  généralement,  une 
prairie  très-humide. 

Du  fond  de  cette  prairie,  nos  soldats,  grelottants 
au  froid  du  matin,  purent  voir,  au  couronnement  des 
redoutes,  aux  maisons  crénelées  du  village  qui  sem- 
blaient descendre  à  eux,  leurs  redoutables  ennemis. 


DBS  AUTRICRimS  A  JEHIf  APBS  (S  KOY.  M).  itl 

Les  hussards  impériaux  dans  leurs  belles  fourrures^  les 
grenadiers  hongrois  dans  la  richesse  barbare  de  leur 
costume  étranger,  les  dragons  autrichiens  majestueu- 
sement drapés  dans  leurs  manteaux  blancs. 

Ce  que  les  nôtres  leur  enviaient  encore  davant^e, 
c'était  d'avoir  déjeuné.  Les  Autrichiens  attendaient, 
restaurés  parfaitement;  Mons  était  derrière  et  four- 
nissait tout.  Pour  les  Français,  on  leur  dit  que  la 
bataille  ne  serait  pas  longue,  et  qu'il  valait  mieux 
déjeuner  vainqueurs. 

Un  Belge,  vieillard  vénérable  du  village  de  Jem- 
mapes,  qui,  seul  de  tout  le  pays,  tout  le  monde  étant 
en  fuite,  resta  et  vit  la  bataille,  des  hauteurs  voisines, 
nous  a  dit  l'ineffaçable  impression  qu'il  a  conservée. 
Au  moment  où  nos  colonnes  se  mirent  en  mouve- 
ment, où  le  brouillard  de  novembre,  commençant  à 
se  lever,  découvrit  l'armée  française,  un  grand  con« 
cert  d'instruments  se  fit  entendre,  une  musique  gra- 
ve, imposante,  remplit  la  vallée,  monta  aux  collines, 
une  harmonie  majestueuse  semblait  marcher  devant 
la  France.  Les  musiques  de  nos  brigades,  partant 
toutes  au  même  signal,  ouvraient  la  bataille  par  la 
HarseQliûse;  elles  la  jouèrent  plusieurs  fois,  et  dans 
les  moments  d'intervalle,  où  les  rafales  effroyables 
du  bruit  des  canons  faisaient  quelque  trêve,  on  en- 
tendait Thymne  sacré.  La  rage  de  l'artillerie  ne  pou- 
vait étouffer  entièrement  l'air  sublime  des  guerres 
fraternelles.  Le  cœur  du  jeune  homme,  saisi  de  cette 
douceur  inattendue,  faillit  lui  manquer.  L'artillerie 
ne  lui  faisait  rien  ;  la  musique  le  vainquit.  C'était, 

IV.  ^ 


422  tk  BàTAILLB  OmVKfE 

comment  Idmécoûoattret  c'était  l'armée  de  la  Jus- 
tice, venant  rendre  au  monde  ses  droits  oubliés,  la 
Fraternité  elle*méme  venant  délivrer  ses  enoemis*  et, 
pour  leurs  boulets,  leur  offrant  les  bienfaits  de  la 
liberté. 

L'effort  du  combat  devait  être  à  la  gaiiche  pour 
emporter  le  village  de  Jemmapes  et  monter  sur  la 
hauteur,  et  plus  encore  à  la  droite,  où  la  pente  était 
couverte  de  formidables  redoutes.  Le  vieux  général 
Ferraud  commandait  à  gauche  ;  à  droite,  le  brave 
Beurnonville.  Ce  dernier  poste  était  le  poste  d'hon- 
neur, et  Ton  y  avait  mis  nos  volontaires  parisiens; 
rude  épreuve  pour  ces  jeunes  gens,  arrivés  d'hier  et 
n'ayant  jamais  vu  le  feu.  Dumouriez  avait  près  de 
lui,  au  centre,  le  duc  de  Chartres,  pour  le  lancer  au 
moment  où  le  succès  d'une  des  ailes  commencerait 
la  victoire;  le  candidat  à  la  royauté,  s'assooiant  au 
mouvement  de  l'aile  victorieuse,  eût  alors  attaqué  de 
face,  décidé  l'affaire,  emporté  l'honneur. 

Les  difficultés  de  droite  et  de  gauche  étaient  gran** 
des,  en  vérité;  moindres  à  gauche,  vers  Jemmapes, 
et  cependant  le  général  Ferrand  ne  faisait  pas  grand 
progrès  ;  l'attaque  tratna  de  huit  à  onze.  C'était  pour- 
tant par  la  gauche  qu'il  fallait  réussir  d'abord  ;  Beur 
nonville  avait  à  droite  des  obstacles  presque  insur-» 
montables.  À  onze  heures,  Dumouriez  envoya  à  la 
gauche  son  second,  un  autre  lui*^ème,  le  brave  et 
intelligent  Thouvenot,  qui  prit  le  commandement, 
emporta  le  village  de  Jemmapes.  Et  cependant,  Du- 
mouriez, de  sa  personne,  alla  voir  si  réellement  on 


PAU  LA  VAIISBaUKB  (6  MOV.  92).  4f5 

poQvait  forcer  à  droite  la  terrible  position  qui  arrêtait 
Boumonville.  Jamais  général  n'arriva  plus  à  propos  ; 
nos  volontaires  parisiens,  menés  par  DampierreS  sous 
un  fea  terrible,  avaient  déjà  fait  un  pas,  emporté  l'étage 
iorérieur  des  triples  redoutes;  Dampierre,  marchant 
seul  devant  eux,  les  entraîna,  avec  le  régiment  de 
Flandre.  Portés  ainsi  en  avant,  ils  étaient  en  plus  grand 
péril,  et  ils  ne  reculaient  pas.  Ils  étaient  là,  sous  les 
yeox  des  soldats  de  ligne,  des  troupes  de  Dumouriez, 
fort  attachés  au  général,  qui  n'aimaient  pas  ces  volon- 
taires et  regardaient  froidement  s'ils  resteraient  fer- 
mes. Sur  eux  justement  plongeait  le  feu  des  redoutes 
d'en  haut,  et  de  loin  encore,  un  de  nos  généraux,  ne 
les  reconnaissant  pas,  leur  envoyait  des  boulets.  Ils 
ne  bougeaient;  au  moindre  mouvement,  un  magnifi- 
que corps  de  dragons  impériaux  était  prêt  à  les  sa- 
brer. Enfin,  Dumouriez  arrive.  Il  trouve  nos  Parisiens 
fort  émus,  fort  sombres.  Les  bataillons  jacobins  se 
croyaient  amenés  là  pour  être  hachés  en  pièces.  Ce- 
pendant, là  aussi  se  trouvait  en  ligne  le  bataillon  des 
LambardSy  d'opinion  girondine.  L'émulation  des  deux 
partis,  continuée  sur  le  champ  de  bataille,  ne  contri- 
buait pas  peu  à  les  rendre  fermes.  Il  n'en  était  pas  de 


*  Damooriez  dit  hardiment  que  Dampierre  n*y  était  pas.  Mais  je  le 
troave  si  souvent  en  flagrant  délit  de  mensonge,  que  je  n*y  fais  aucune 
Httention.  Par  exemple,  c'est  Kellermann,  selon  lui,  qui  a  laissé  échap- 
per les  Pmstient.— Autre  mensonge  :  Dumouries  a  fait  en  octobre  un 
plan  pour  conquérir  la  Savoie,  et  elle  était  déjà  conquise  en  septembre. 
— n  prétend  que  les  Girondins  (auteurs  et  conseillers  principaux  de 
la  guerre)  désuraient  que  la  guerre  toumftt  mal  !  etc.,  etc. 


414  VAILUMCB  M  MOB  TOUNTAlt» 

môme  de  la  cavalerie,  qui  flottait  un  peu.  Domomei 
y  court;  mais,  pendant  ce  temps,  yoici  venir  les  dra- 
gons impériaux,  qui  s'ébranlent  à  la  fin ,  Tout,  de 
leurs  chevaux  lancés,  heurter  T  infanterie  parisienne. 
Nos  volontaires  montrèrent  ici  un  admirable  sang- 
froid;  avec  l'heureux  instinct  qui  caractérise  cette 
population  intelligente  entre  toutes,  ils  laissèrent  ve- 
nir la  masse  effrayante  presque  au  bout  de  leurs  fusils, 
firent  une  décharge  à  bout  portant,  qui,  du  premier 
coup,  leur  fît  un  rempar.t  de  cent  chevaux  abattus. 
La  superbe  cavalerie,  poursuivie  par  Dumouriex  et 
ses  hussards,  s'enfuit  jusqu'à  Mous. 

Il  revient  alors  vers  l'infanterie  :  «  A  vous ,  mes 
enfaols!  »  Et  il  se  met  de  toutes  ses  forces  à  chanter 
Ih  Marseillaise.  Ce  fut  un  entraînement  Un  Ça  trs 
des  plus  sauvages  continua,  et  les  redoutes,  en  un 
moment,  furent  emportées,  les  canonniers  tués  sur 
leurs  pièces.  Les  grenadiers  hongrois,  ces  splendî- 
des  colosses,  qui  ne  pouvaient  rien  comprendre  à 
cette  furie,  furent  en  un  moment  envahis,  dominés, 
sabrés. 

Dumouriez  dit  que  l'exécution  se  fit  par  deux 
brigades  de  ses  vieilles  troupes,  et  par  trois  vieux  ré» 
giments  de  chasseurs  à  cheval  et  de  hussards  (Ber- 
chiny  et  Ghamborand).  Quelle  part  y  eut  l'infanterie 
parisienne,  il  ne  le  dit  pas.  Il  semble  pourtant  que 
ces  pentes  et  ce  genre  d'obstacles  aient  plutôt  néces- 
sité l'emploi  de  l'infanterie.  Sa  malveillance,  du 
reste^  est  telle  pour  nos  Parisiens,  qu'après  avoir 
avoué  dans  son  Rapport  que  la  cavalerie  impériale 


A  LA  DROfTR  DE  L*AlUrtB  (6  NOV.  9S).  M» 

fat  arrêtée  par  le  premier  bataillon  de  Paris  ^  il 
change  dans  ses  Hémoires  et  en  <loune  l'honneur  à 
ses  vieilles  troupes.  Entre  Dumouriez  et  Dumouriez, 
nous  nous  décidons  par  un  troisième  document,  une 
lettre  de  Dumouriez  lui-mâme,  qui  écrit  immédiate- 
ment à  la  section  des  Lombards  que  son  bataillon  a 
eu  le  poste  d'honneur,  et  fait  la  première  ligne  à  la 
droite  de  Tannée. 

Vainqueur  à  droite  et  à  gauche,  le  général  avait 
moins  d'inquiétude  sur  le  centre.  Il  ne  l'avait  quitté 
d'ailleurs  qu'après  avoir  su  d'une  manière  certaine 
que  Thouvenot  avait,  à  sa  gauche,  emporté  Jemma- 
pes,  et  qu'appuyant  vers  le  centre,  il  allait  s'en  rap- 
procher. Les  choses,  en  effet,  se  passèrent  ainsi.  Le 
centre,  s'ébranlant  pour  passer  la  plaine,  doubla  le 
pas,  et  n'eut  pas  le  temps  de  perdre  beaucoup  de 
monde.  Deux  brigades  cependant  eurent  un  peu 
d'hésitation.  L'une,  voyant  venir  à  elle  des  cavaliers 
impériaux,  s'écarta,  se  jeta  derrière  une  maison. 
L'autre,  sous  un  feu  très-vif,  fit  halte  un  moment  et 
n*avança  plus.  Un  jeune  homme,  sans  aucun  grade, 
et  qui  n'était  autre  chose  que  le  valet  de  chambre  de 
Dumouriez,  alla  de  son  mouvement  rallier  Tune  des 
brigades,  et,  la  rapprochant  d'un  corps  de  cavalerie 
française,  mena  le  tout  au  combat.  Le  duc  de  Char- 
tres n'eut  pas  moins  de  succès  auprès  de  l'autre  bri- 
gade, il  la  raffermit  avec  plus  de  sang-froid  qu*on 
n'eût  attendu  d'un  si  jeune  homme.  Tout  le  centre 
ainsi  rallié,  fort  de  la  victoire  de  la  gauche,  qui  déjà, 
sous  Thouvenot,  ayant  dépassé  Jemmapes^  attaquait 


4M    lA  BATAILUS  H  lEMVMKi.  PtCliiÉ9  FAR  U  lUBSBILIJJ^ 

les  plus  haats  sommets,  força  les  redoutée  qui  loi 
étaient  opposées  ^. 

Dumouriez  avait  désiré  donner  le  principal  hoiH 
neur  au  centre,  dans  l'intérêt  du  jeune  duc  de  Char- 
tres, qui  y  commandait.  Il  eût  trop  déoooYert  son 
jeu,  en  renvoyant  à  Paris*  n  prit  un  autre  moyen* 
L'aid€Kle*camp  qui  porta  la  nouvelle  à  la  Gonventioo 
lui  présenta  ce  jeune  domestique  du  général,  qui,  au 
centre,  avait  rdlié  une  brigade  avec  tant  de  présence 
d'esprit.  L'attention  était  ainsi  portée  sur  le  centre, 
et  l'on  devait  croire  que  là  avait  eu  lieu  l'effort  éifSh 
sif  du  combat. 

j^es  gens  de  Mous  en  jugèrent  autrement.  Lwsque 
Dumouriez  et  l'armée  y  entrèrent  le  lendemain,  les 
Amis  de  la  CMstittUion  de  Mons,  en  offrant  une  cou- 
ronne au  général,  en  donnèrent  une  à  Dampierre, 
qui>  sous  BeurnoDville,  avait  le  premier,  à  la  tète  de 
nos  volontaires,  heurté  cette  terrible  position  de  la 
droite,  lorsqu'elle  n'était  pas  encore  ébranlée  par 
l'effet  de  notre  victoire  de  gauche,  par  la  prise  de 
Jemmapes«  Là  avait  été,  sans  nul  doute,  Vextréme 
péril,  robstination  héroïque»  et  peut-être  ôtaitrîl  plus 
glorieux  de  s'être  maintenu  entre  ce  volcan  épouvaiH 
table  des  redoutes  et  la  cavalerie  impériale,  en  rece* 

*■  Nous  avons  soigneusement  examiné  le  terrain.  S*il  n*a  pas  changé 
de  niveau  au  centre  de  Famphithéàtre,  cette  partie  offrait  les  pentes 
les  plus  rapides,  le  plus  rude  escarpement.  Aussi,  Tavait-on  nraiM 
fortifié  par  les  moyens  de  Tart,  Cest  ce  qui  explique  pourquoi  Do^ 
mouriez  a  pu  dire  que  c'était  Tendroit  difficile»  tandis  que  les  naiw 
rateurs'allemands^  disent  que'c'élait  le  plus  facile.  (Y.  Uémoirtê  d'tm 


A  ILLB«ta8  nmilÉ  LB  aURT  DU  DÉTART.  497 

ymat  môme  les  boulets  français,  que  d'emporter  les 
retranchements  supérieurs  déjà  démoralisés,  et  d'a- 
chever la  victoire. 

Le  champ  de  celte  victoire,  nous  Tavons  visité, 
pleins  de  respect  et  de  religion,  au  mois  d'août 

Pleins  de  tristesse  aussi,  voyant  ce  champ  nu  et 
désert.  Nul  monument  de  la  bataille,  nulle  tombe 
élevée  aux  morts^  pas  une  pierre,  pas  le  moindre 
dgne. 

La  France,  qui,  près  de  là,  restaurait  le  tombeau 
du  vieux  tyran  des  Ptys-^Bas,  de  Charles^le-Témé- 
raire,  n'a  pas  eu  une  pierre  pour  les  morts  de  la 
liberté. 

Les  Belges,  affiranchis  par  JTemmapes,  qui  leur 
rouvrit  l'Escaut,  la  mer  et  l'avenir,  et  qui,  pour 
nous,  commença  la  guerre  de  l'Angleterre ,  -^  les 
Belges  n*ont  pas  eu  une  pierre  pour  les  morts  de 
Jemmapes. 

Est-ce  à  dire  que  révénemept  eut  trop  peu  d'im- 
portance? 

Il  y  a  eu  de  plus  grandes  batailles,  sans  doute,  plus 
sanglantes,  ou  plus  calculées;  nulle  plus  grande, 
comme  phénomène  moraU 

Celle-ci,  dans  la  foule  de  nos  victoires,  ne  peut  pas 
se  confondre  ;  elle  est  la  victoire  mère  qui  enfanta 
les  autres,  qui  engendra  la  Victoire  au  cœur  de  nos 
soldats. 

Celle-^î  fut  le  Jugement  dp  Dieu  sur  la  Révolu- 


JlOa    LA  BATAILLE  DE  iEMkPfSS,  DtClDÉB  PAR  LA  IIA1IMH».A1«1. 

tioDy  sa  solennelle  épreuve,  qui  l'affermît  elle-mteM 
dans  la  conviction  de  son  droit. 

Celle-ci  est  la  victoire  du  peuple,  non  de  Tannée. 
Il  y  eut  une  armée  après  la  bataille  ;  il  n'y  en  aTait 
pas  avant. 

Grande  révolution.  L'infiamterie  firançaise  prit,  ce 
jour -là,  possession  des  champs  de  bataille,  et  Talle- 
mande  s'éclipsa.  Ce  que  la  bataille  de  Rocroi,  la  dé- 
faite des  bandes  espagnoles,  fit  au  XYII*  siècle» 
Jemmapes  le  fit  au  XYIII*.  Chaque  fois  qu'une  in- 
fEuiterie  nouvelle  s'empare  ainsi  du  terrain,  ce  n'est 
pas  seulement  une  révolution  militaire,  c'est  un  âge 
politique  qui  commence,  une  phase  nouvelle  de  la 
vie  du  peuple. 

Ce  sont  là  de  trop  grands  événements  pour  qu'au- 
cun monument  soit  digne  de  les  rappeler. 

Point  de  monument  Et  c'est  bien.  Le  lieu  suflBt, 
il  témoigne  et  raconte.  Le  solennel  amphithéàtret 
avec  son  rude  escarpement,  est  là,  pour  dire  toujours 
que  nul  obstacle  n'arrêta  l'élan  de  la  France. 

Nul  signe  matériel,  travaillé  de  main  d'homme, 
n'avait  droit  de  figurer  la  victoire  de  l'esprit. 

L'esprit  seul  et  la  foi  gagnèrent  cette  bataille.  Tout 
le  reste  était  contre  nous.  Ce  fut,  rappelons-le,  ce 
fut,  tout  nus,  à  jeun,  au  matin  d'une  nuit  de  novem- 
bre passée  en  plein  marais,  que  ces  jeunes  soldats 
s'élancèrent.  «  A  cette  époque,  dit  lui-même  le  gé- 
néral républicain  avec  un  noble  oi^ueil,  on  n'enivrait 
pas  encore  le  soldat  pour  le  mener  à  l'ennemi.  » 

Il  fut  ivre  autrement,  —  ivre  de  la  puissante  har- 


A  ELLB-HtaB  INSPIRÉ  LB  CUAIIT  DU  DÉPART.  1» 

monie^  firateraelle  et  guerrière,  que  les  iostromeots 
firent  entendre  d'abord,  —  iTre  de  la  Patrie,  qui  lui 
emplit  le  cœur. 

Ety  au  moment  suprême,  quand  la  droite  hésita, 
et  qu'il  s'agit  de  TenloTer,  la  Patrie  leur  versa  l'i- 
vresse k  pleins  bords...  Tivresse  de  leurs  chants.  La 
Marseillaise,  entonnée  par  eux-mêmes,  leur  gagna  la 
bataille,  le  Ça  ira  !  emporta  les  redoutes. 

A  deux  heures,  épuisés,  ils  s'assirent  sur  la  hau- 
teur parmi  les  morts,  mangèrent  enfin,  rompirent 
le  pain  si  bien  gagné,  joyeux  et  sérieux,  regardant 
Hons  au  loin,  les  longues  plaines  conquises,  sans 
obstacle,  infinies...  C'est  alors  (ou  jamais)  qu'une 
parole  nouvelle  s'élança  du  cœur  de  France,  parole 
simple  et  forte,  d'espérance  héroïque.  Ce  mot  devint 
un  chant,  et  ce  fut  assez  pour  vingt-cinq  années  de 
batailles  : 

«  La  Tidoîre,  en  chantant,  nous  ouTie  la  barriire  !...  » 

Un  âge  nouveau  s'ouvre  par  ce  chant  de  clairon, 
aigu,  âpre,  sublime.  Il  partit  de  l'armée  ^;  le  peuple 
y  fit  écho. 


*  La  première  strophe,  selon  moi,  est  de  92  ;  elle  n'est  rien  antre 
chose  que  le  mot  qui  se  trouva  alors  dans  tontes  les  bouches,  Thisto- 
rique  exact  de  la  bataille,  gagnée  en  dianknU,  —  Qui  fait  ces  grandes 
choses  populaires?  Tout  le  monde  et  personne.  Chénier  et  Méhul  ont 
toit  sous  la  dictée  de  la  France.  Les  strophes  suivantes,  belles,  nais 
laborieuses,  appartiennent  en  propre  au  grand  poète  ;  eUes  sont  un 
tSati  Spartiate  de  93.  Nous  y  reviendrons. 


180  vicToiiB  n  Jimupn  (6  not.  n). 

Et  maintenant  Toilà  bien  des  choses  changées....: 
Une  heure  de  la  vie  du  monde  tient  de  sonner,  poor 
quelles  destinées?  Dieu  le  sait. 

«  Et,  dn  nord  an  sûdi,  la  trompette  gueoière 
A  soDoé  rbeure  des  combats  1  » 


CHAPITRE  VI 


unrASKRi  M  u  VËUum.'^ham  m  gahbor  et  db  dumouribz. 

(NoT«vbre  n.) 

VAaifiêiom  le  Joint  à  U  coalition,  -<*  Joie  des  popvlationf  luiitiinei  ta 
Pays-Bas.  —Terreur  de  TÂDgleterre. — L* Angleterre  travaille  contro  nous.—* 
La  Traie  et  la  tensse  Belgiqne.-^La  France  anathématisée  par  ceux  quelle 
délifre.— Dnplioilé  de  Dnvevies.  —Il  prend  sur  Ini  de  garantir  le  elerg* 
belge.  —  Les  Belges  refusent  la  liberté ,  au  nom  de  U  liberté.  —  Loft 
Pays-Bas  seront-Ils  réunis  i  la  France?  —  Cambon  contre  Dumouriex.  ^ 
Bielalwe  inaoeMpe  de  IkunbeD.  —  Foi  flaanciere  de  r Angleterre  et  de  la 
Fi«4ce, 


La  bataille  de  Jemmapesfot  gagnée  le  6  novembre, 
et  rAngleteire  entra  le  S5  dans  la  coalition  contre 
la  France. 

Ce  qu'elle  avait  refusé  à  la  Prusse  le  26  septembre, 
elle  l'offrait  le  2S  novembre.  Elle  alla  demander  à 
Vienne  que  rAutriche  la  réconciliât  avec  la  ligue  du 
Nord,  que  la  Prusse  envoyât  un  corps  auxiliaire  pour 
couvrir  la  Hollande. 

L'Angleterre  n'avait  rien  vu,  ni  rien  prévu  ;  jamais 
on  ne  put  mieux  apprécier  combien  la  grande  mère 
et  mattresiw  des  forces  mécaniques  ignore  les  forces 
mopales. 


431      L'ANGLBTEMIB  SB  JOINT  A  LA  COALITION  (HN  MOT.  99- 

Elle  Q*avait  deviné  en  rien  les  succès  de  la  Ré- 
volution. Elle  avait  compté  que  nos  milices  fui* 
raient  au  premier  feu.  Pitt  craignait  :  veut-on  savw 
quoi?...  que  la  Prusse  n'absorbât  la  France.  Yoilà 
ce  que  les  Pitt  et  les  Grenville  avaient  compris  de  la 
Révolution. 

Ce  colossal  événement,  le  victorieux  avènement  de 
la  République»  le  triomphe  des  trois  couleurs,  qu'on 
leur  montrait  de  loin,  qu'on  les  priait  de  voir,  ils  le 
virent  quand  il  fut  à  deux  pas^  sous  leurs  yeux,  sous 
leurs  dunes.  Les  politiques  myopes  ne  virent  pas, 
ils  sentirent,— quand  cette  jeune^nalion  qui  se  croyait 
aimée  de  la  vieiUe  Angkterre,  sans  le  vouloir,  la  tou- 
cha rudement. 

Ce  fut  une  grande  peur,  chez  cette  naticm  fière  entre 
toutes,  de  voir  la  France  qui  inondait  l'Europe.  Elle 
se  frottait  les  yeux,  et  ne  le  croyait  pas.  «  La  France 
au  Rhin  !  la  France  aux  Alpes  I  Cela  n'est  pas  possi- 
ble...  Mais  quoi!  la  France  en  face!  à  Osteode!  à 
Anvers! Quoi!  toucher  mon  Escaut!  ma  Hol- 
lande!   Grand  Dieu!  ne  sont-ils  pas  dans  Lon- 
dres?» 

Toute  la  côte  de  Rclgique  avait  illuminé.  Toute  la 
population  maritime  de  ces  contrées  infortunées,  sa- 
crifiées pendant  deux  siècles,  avait  salué  dans  Farrivée 
des  Français,  plus  que  la  liberté  des  Pays-Ras,  la  li- 
berté des  mers  !  Un  capitaine  américain  au  service  de 
France  (Moultson),  qui  entra  à  Ostende,  trouva  ce 
pauvre  peuple  dans  un  si  étrange  délire ,  «  qu'il  crut, 
dit-il,  que  tous  étaient  devenus  fous.  »  C'était  tout  le 


lOIB  WPS  MPOLATIOIIS  KARITIVCS  DES  f  ATS-HAS.  133 

ooDtraire.  Le  monde  devint  fou,  tous  les  rois  devin- 
rent fous,  le  jour  où,  pour  faire  la  fortune  des  Hollan- 
dais et  des  Anglais,  ils  firent  cet  outrage  à  la  nature 
de  fermer  les  plus  belles  contrées,  de  boucher  le  grand 
fleuve  qui  regarde  la  Tamise  en  face.  Boucher  l'Es- 
caut! c'était  crever  Tœil  de  l'Europe,  s'interdire  de 
voir  sur  les  mers  le  despotisme  impie  de  Londres,  le 
monopole  du  plus  libre  élément  que  Dieu  mit  en  com- 
mun, qu'il  fit  pour  l'usage  de  tous. 

Les  paniques  anglaises  ont  un  caractère  particulier, 
qu'il  est  amusant  d'observer.  Justement  parce  que  ce 
pays  est  si  bien  clos  et  fermé  de  l'Océan,  justement 
parce  qu'il  a  la  sécurité  habituelle  que  donne  un  tel 
rempart,  il  est,  plus  qu'aucun  autre,  troublé  de  l'idée 
d'invasion*  Cette  nation  naturellement  brave,  mais 
peu  aguerrie,  peu  exercée  aux  armes,  devient,  au 
moindre  péril,  étonnamment  troublée. 

On  put  se  donner  ce  spectacle,  en  02,  quand  la 
France  déborda  de  toute  part,  planta  sur  tant  de  villes 
le  drapeau  de  la  liberté,  sans  se  douter  le  moins  du 
monde  qu'il  ftt  peur  aux  Anglais,  et  sans  songer, 
grand  Dieu!  à  faire  le  moindre  mal  à  la  chère  sosur 
atnée. 

La  peur  étaitmoinsvûneen  1805.Cependant,àvoir 
la  mer  cachée  sous  les  flottes  anglaises,  à  voir  de  tous 
cétés  les  Nelson  et  lesColIingwood  aller,  venir,  suer, 
couvrir  la  tremblante  Angleterre  de  leurs  vaisseaux 
et  de  leurs  corps,  il  semble  que  vraiment  elle  aurait 
pu  se  rassurer. 

Une  autre  panique,  mais  pour  un  danger  int^ieur. 


s'est  VD6  an  1842,  lorsque  la  pétition  chartiste  de  trois 
iniliioQS  de  signatures  fut  apportée  au  Parlement,  et 
que  I»  propriété  crut  toucher  à  son  dernier  jour.  Ja- 
mais  moutons,  un  jour  d'orage,  ne  se  sont  plus  serr^ 
à  s'étouffer  les  uns  les  autr^is.  Le  berger  quel  qu*fl 
soit,  qu'il  s'appelle  Pitt  ou  Robert  Peel,  est  bien  fort 
dans  ces  jours  d'effroi. 

Cette  peur  naïve  se  trahit  par  l'exagération  des 
éloges  qu'on  ne  manque  guère  de  donner  au  sauveur^ 
par  la  dévotion  qu'on  a  pour  lui.  On  lui  met  dans  les 
mains  tout  élément  de  succès,  tout  homme,  tout  ar- 
gent, toute  loi  ou  liberté;  ils  n'en  tiennent  guère 
compte  dans  ces  moments.  Et  quand  ils  ont  fait  en 
cet  individu  cette  énorme  et  monstrueuse  concentra- 
tion de  forces,  alors  ils  s'en  étonnent,  ils  admirent 
leur  œuvre,  ils  s'engouent  du  dieu  qu'ils  ont  fait,  de  ce 
Messie,  de  ce  sauveur.  Et  le  sauveur,  souvent,  n'est 
qu'un  commis. 

Ceci  pour  H.  Pitt,  le  furieux  commis,  qui  menant 
de  front  deux  excellents  coursiers,  deux  passions  na- 
tionales, la  peur,  la  haine,  s'en  est  allé  droit  à  la 
gloire. 

L'ouverture  du  Parlement  anglais  fut  une  grande 
scène.  Plus  de  wighs  et  plus  de  torys,  un  seul  troupeau 
tremblant  autour  de  Pitt.  Ce  n'était  point  de  la  do- 
cilité, de  la  déférence  politique,  une  conversion  rai- 
sonnée;  c'était  une  dévotion  aveugle,  bornée,  étroir 
tement  bigotte,  l'application  du  conseil  du  fameux 
janséniste  :  «  Abétissez-vous  1  »  Tous  disaient  leu« 
meâ  eu^  d'avoir  jamais  cru  à  la  liberté^  d'avoir 


TERREUR  m  L'AReLETERRB.  IS5 

en  ces  rèVe^  coupables  de  rèformo  parlementaire; 
ils  gëmissaieDt,  se  battaient  la  poitrine.  Fox,  qui, 
ayant  moins  peur,  était  moins  converti,  hasarda  de 
leur  demander  pourquoi,  si  peu  émus  des  progrés 
efiGrayants  des  rois,  les  voyant  froidement  partager  la 
Pologne ,  ils  se  montraient  sj  terriblement  inquiets 
des  progrès  de  la  liberté.  Il  les  adjura,  en  ce  mo- 
ment solennel  où  il  s^agissait  de  commencer  une 
guerre  immense,  infinie,  dont  personne  ne  verrait  la 
fin,  d'examiner  encore,  d'ebvoyer  à  Paris,  de  savoir 
si  vraiment  les  griefs  étaient  tels  entre  les  deux  nSr 
tiens  que,  pour  les  laver,  il  fiedlût  qu'on  exteroûûàt 
l'une  ou  l'antre. 

n  n'y  avait  rien  à  gagner  avec  des  gens  qui  n'é^ 
taient  plus  à  eux,  qui  voyaient  l'enfer  tout  ouvert  de 
Fautre  cétè  du  détroit,  l'enfer  des  jacobins,  comme 
on  disait  :  les  nabbaU  jacobites,  qui  croyaient,  à  ch»- 
qne  marée,  voir  débarquer  enfer,  diables  et  sabbats* 
Bien  plus,  ils  se  tàtaient  eux-mêmes,  se  fidsaient  une 
horrible  peur  de  la  Contagion  des  petits  clubs  à  la  Tran- 
çaise  qui  se  formaient  dans  Londres.  Us  tremblaient 
de  se  sentir  pris  de  l'épidémie,  et  volontiers  auraient 
pratiqué  sur  eux  des  exoroismes  et  des  fumigations, 
comme  plus  tard  faisait  Suwarow  pour  chasser  le 
Diable  du  corps  de  ses  prisonniers  jacobins. 

Un  mot  surtout,  un  mot  les  avait  saisis  de  terreur^ 
fiEÛt  sortir  de  toutes  leurs  hypocrisies  libérales,  fait 
jaillir  d'eux  leur  vraie  nature  et  le  fond  de  leur  être 
(l'aristocratie).  C'est  le  mot  que  Grégoire,  comme  prfr* 
aideiit  de  la  Convention,  avait  adressé  en  réponse  aux 


496  L*ANGLBTIMB 

félicitations  d*uDe  société  anglaise  :  «  Estimables  r^ 
publiciûns,  la  royauté  se  meurt,  sur  les  décombres 
féodaux  ;  un  feu  dévorant  va  les  faire  disparaître;  œ 
feu,  c'est  la  déclaration  de$  droits  de  f  homme/  » 

Ce  mot  Les  droits  de  Vhomme  faisait  évanouir  la 
vieille  Angleterre,  avec  ses  belles  fictions,  les  b* 
meux  romans  des  Blackstone,  le  vieux  masque. 
Et  la  vieille  restait  devant  TEurope,  sous  sa  face  : 
t  aristocratie^ 

Un  seul  bomme,  Sieyés,  avait  compris  ceci,  favait 
dit  en  89  :  Nulle  ressemblance  entre  la  France  et 
l'Angleterre;  rien  à  attendre  d'elle. 

On  ne  tint  aucun  compte  de  ces  mots  du  profond 
penseur,  ni  de  ses  développements  admirables.  La 
France  fit  à  sa  scBur  aînée  en  liberté  \es  plus  tendres 
avances,  imprudentes,  insensées.  Des  journalistes,  à 
moitié  fous,  allaient  jusqu'à  vouloir  faire  roi  de  France 
un  Anglais!  le  duc  d'York!  D'autres,  undemi-AiH* 
glais,  le  duc  de  Brunswick  !  La  sage  et  politiqoe 
M**  de  Staël  aurait,  dit-on,  pencbé  pour  celui-ci.  Le 
ministère  Staêl-Narbonne  avait  envoyé  prés  de  Pitt 
un  homme  sûr^  Talleyrand,  qui,  tout  d'abord,  mena 
trois  intrigues  de  front  ;  outre  la  négociation  patente, 
il  en  fit  une  souterraine ,  révolutionnaire ,  avec  les 
veigbs  anglais  ;  et  en  même  temps,  pour  garder  une 
porte  de  derrière,  il  espionnait  pour  Louis  XVI. 

Talleyrand  admis  prés  de  Pitt,  le  renard  prés  du 
dogue,  pour  ses  gracieux  tours  et  flatteries,  n'en  avait 
rien  tiré,  ni  l'alliance  défensive  qu'il  demanda  dV 
bord,  ni  la  médiation  qu'il  sollicita  (avril  92),  lonque 


TRAVAILLE  OOirrRE  NOUS  (KOV.  92).  4S7 

la  guerre  fut  déclarée.  L'Angleterre  cramait  tant  de 
donner  avantage  à  la  Russie  et  à  la  Prusse,  que  d'a- 
bord elle  ie  dit  neutre^  refusa  son  aide  à  la  Prusse^ 
comme  on  a  vu,  la  laissa  là  embourbée  en  Champa- 
gne, sans  lui  donner  la  main  (sept.  02).  Et  quand  la 
Prusse  eut  fait  volte-face  vers  TOrient,  envahi  la  Po- 
logne, ce  fut  alors  TÂngleterre  tremblante  et  repen- 
tante, sous  le  coup  de  Jemmapes,  qui  pria  rÂutriche 
et  la  Prusse  de  ne  pas  laisser  sans  défense  sa  chère 
Hollande  qui  était  elle-même,  les  ports  de  la  Hol- 
lande, et  la  mer  de  Belgique,  ce  court  chemin  d'An^ 
vers  à  Londres. 

L'Angleterre,  <  ce  champion,  ce  chevalier  des  li- 
bertés du  monde  » ,  pour  dire  comme  M""*  de  StaëU 
appuyée  sur  ses  flottes  et  sur  ses  ballots  de  coton,  re« 
gardait  sur  le  continent  avec  quoi  elle  combattrait, 
où  elle  trouverait  Tépée  et  le  poignard.  L'épée,  ce 
fut  l'Allemagne,  pauvre  et  militaire,  tendant  tou- 
jours la  main  à  l'or  anglais.  Le  poignard  fut  le  vieux 
catholicisme,  prêtres  et  moines,  arme  rouillée, 
mais  excellente  pour  frapper  par  derrière.  Les  An* 
glais,  pour  s'en  préserver,  ont  fait  plusieurs  révolu- 
tions; ils  les  pendaient  chez  eux,  et  les  voulaient  chez 
nous. 

Les  lies  anglaises  de  Jersey  et  Guemesey,  placées 
comme  une  épine  au  fond  des  baies  françaises,  étaient 
peuplées  de  prêtres  bretons,  angevins,  vendéens,  c'é- 
tait tout  à  la  fois  un  concile  et  un  quartier  général; 
les  Anglais  avaient  là  sous  la  main  le  vrai  centre  de 
la  conspiration  royaliste.  De  là  ils  amusaient,  ani- 

IV.  " 


138  hk  VRAIE  BT  LA  FAOSSB  tBLGIOm* 

maient  la  crédulité  des  Bretoni.  De  là  ceux-^d  atten- 
daient  toujours  la  flotte  anglaise  ;  elle  ne  partait  pss, 
mais  a  elle  allait  partir  »  « 

La  Belgique,  au  moment  même  où  nous  la  dMn 
vrftmesy  au  moment  où  pour  elle  nous  rompîmes  avee 
TAngleterre,  devint,  contre  nous,  un  foyer  d'intri- 
gues fanatiques,  une  seconde  Vendée,  moins  guer- 
rièrC)  mais  tracassière  et  disputeuse,  alléguant  contre 
la  liberté  les  droits  de  la  liberté  même. 

Distinguons  toutefois;  n*accus4)ns  pas  en  masse  ee 
peuple  frère,  où  la  France  eut  tant  de  vrais  amis. 

Quels  étaient  les  vrais  Belges?  Ceux  qui  voulaient 
la  vie  de  la  Belgique,  qu'elle  respirât  librement,  par 
VEscaut,  par  Ostende  et  la  mer.  C'est  là  la  pierre  de 
touche,  entre  la  vraie  et  la  fausse  Belgique.  Ceux  qQ{ 
coulaient  maintenir  le  pays  étouflÔ  et  captif  n'étaient 
pas  les  fils  du  pays. 

Quels  étaient  les  vrais  Belges?  Ceux  qui  voulaient 
la  vie  de  la  Belgique,  la  tirer  des  mains  fainéantes  des 
moines,  et  la  restituer  aux  mains  industrieuses,  ar« 
tistes,  qui  firent  sa  gloire  et  la  feraient  encore. 

Quels  étaient  les  vrais  Belges?  Ceux  qui  abjuraient 
sincèrement,  de  cœur,  le  vieux  péché  des  Pays-Bas, 
la  tyrannie  des  villes,  ceux  qui  voulaient  la  liberté 
aussi  pour  les  campagnes,  ceux  qui  ne  mettaient  pas 
la  patrie  dans  la  confrérie  et  la  corporation. 

Ce  sont  ceux-là  qui  appelaient  la  France. 

Mais  il  se  trouvait  que  ceux-là,  justement  parM 
qu'ils  ne  faisaient  pas  corps,  n'étant  pasenr^men- 
tés  dans  les  confréries  et  les  clientèles,  étaient  de 


LA  f  ilÀM(!i  ANATHÉMAttSÉB  t^Atl  CËtJi  00*6118  DÉLtVRlB    42^ 

beancotip  les  plus  faibles.  Aux  deut  bouts  du  pays, 
à  Liège  et  à  Ostende,  ils  étaient  tout  le  peuple  ;  daus 
toute  province  maritime,  ils  étaient  en  majorité.  Mais 
dans  rintérieur  du  pays,  dans  le  Brabant  surtout,  ils 
n'étaient  qu'une  minorité  trés-faible. 

Nos  Français  entraient  avec  Tidée  que  les  Belges, 
qui  avaient  déjà  fait  une  révolution  contre  rAutri-- 
che,  étaient  tous  pour  la  liberté.  Ils  furent  bien  éton* 
liés  de  tomber  en  plein  moyen  âge,  de  retrouver  les 
moines,  les  capucins,  et  autres  telles  espèces  déjà 
presque  oubliées  en  France,  de  voir  les  vieilles  con* 
fréries  sous  leurs  drapeaux  gothiques,  les  vieilles 
bourgeoisies,  ignorantes,  bornées,  ne  connaissant  que 
le  clocher^  encroûtées  dans  leurs  préjugés  et  leurs 
habitudes,  dans  leurs  estaminets,  leur  bière  et  leur 
sommeil;  une  seule  force  dans  tout  le  pays,  un 
clei^é  ignorant  et  grossier,  et  néanmoins  très^^intri-^ 
gant.  Ce  clergé,  dirigé  en  90  par  son  Van  Eupen, 
employant  assez  adroitement  un  Van  der  Noot,  bavard 
de  carrerour,  avait  armé  le  peuple  contre  Joseph  II, 
qui  menaçait  de  supprimer  les  moines  aux  Pays-Bas, 
comme  il  faisait  chez  lui.  Joseph  s'était  montré  meil- 
leur Belge  que  tous  ses  prédécesseurs  ;  il  s'efforçait 
d'ouvrir  l'Escaut.  L'Europe  entière  fut  contre  lui* 
n  se  rabattit  alors  d'Anvers  sur  Ostende,  dont  il  vou** 
lait  faire  un  grand  port.  Les  provinces  intérieures,  le 
Brabant,  Malines  et  Bruxelles,  ne  lui  surent  nul  gré 
de  cela.  Ses  essais  de  centralisation  leur  furent  in-* 
supportables^,  divisés  de  tout  temps,  ils  voulurent 
Mster  divisés.  Ils  suivirent  donc  leurd  prêtres;  teux^ 


410  LA  FlUmCB  ANATBÉMATlSÉfi  PAR  CBCX  QITBtLB  I^Um  (MIT.9I). 

ci,  par  uo  mensoDge  hardi,  écrivirent  liberté nmh 
drapeau  du  privilège. 

Mais,  quand  la  liberté  entra  vraiment  avec  Tarmèe 
française,  ils  changèrent  de  style.  Le  premier  de 
leurs  journalistes,  le  jésuite  Feller,  Tuo  des  hènis 
de  leur  révolution,  démentant  tout  à  coup  ses  men- 
songes, enseigna,  imprima,  sur  le  serment  que  de- 
mandait la  France  :  «  Mille  morts,  plutôt  que  de  prê- 
ter ce  serment  exécrable!  Égalité/  réprouvée  de 
Dieu,  contraire  à  l'autorité  Intime  qu'il  a  établie. 
Liberté/  autrement  licence,  libertinage,  un  monstre 
de  désordres!  Souveraine  du  peuple/  invention  se* 
duisante  du  prince  des  ténèbres  !  »  Ce  credo  des  jé- 
suites, colporté  par  les  prêtres,  adopté  à  raveugle 
de  toute  femme,  et  presque  de  tout  homme,  fut  si 
bien  reçu  à  Bruxelles  et  autour,  que,  dès  novembre» 
une  pétition  à  la  Convention  pour  le  maintien  des 
privilèges  fut  signée  de  trente  mille  personnes.  Le 
sens  était  ceci  :  «  Nous  eûmes  toujours  Finégalité; 
nous  la  voulons  toujours.  » 

Les  élections  furent  dans  ce  sens.  Les  représen- 
tants provisoires  de  Bruxelles,  à  la  vue  d'un  tel  résul- 
tat, désespérèrent  de  leur  pays  :  «  Malheur  à  vous! 
dirent-ils  dans  leur  adresse.  Malheur  à  ceux  qui  vous 
trompèrent  I  Les  cris  de  leurs  arrière-petits-enfants 
maudiront  un  jour  leur  mémoire.  » 

Rien  n'avait  plus  encouragé  l'audace  du  parti  ré- 
trograde, que  la  conduite  douteuse  de  Dumouriez  ; 
douteuse  alors,  mais  aujourd'hui,  sur  son  aveu,  on 
peut  la  dire  perfide.  Ce  chef  de  l'admirable  armée 


DUPLICITÉ  DB  DUMOURIBZ  (NOV.  9S}.  441 

qoi  venait  de  gagner  la  victoire  de  la  foi  et  de  Ten*- 
thousiasme,  rôvait  de  la  corrompre,  de  se  Tappro* 
prier,  d'en  faire  un  instrument  de  ruse.  Il  la  conduis 
sait  en  Belgique,  mais  pour  faire  à  la  bâte  une  armée 
belge,  qu'il  eût  associée,  mêlée  à  la  nôtre,  pour  neu- 
traliser dans  celle-ci  l'élan  républicain.  Que  ferait-il 
après?  il  ne  le  savait  trop  lui-même.  Tournerait-il 
cette  armée  combinée  contre  la  France  et  la  Révolu- 
tion qui  la  lui  avaient  mise  en  main?  L'emploierait-il 
à  fonder,  à  son  profit,  une  domination  indépendante? 
Ou  bien,  au  lieu  de  trahir  la  France,  serait-ce  la 
Belgique  qu'il  tromperait,  la  rendant  à  l'Autriche 
pour  acheter  la  paix?  cela  était  incertain  encore. 
Tout  ce  qui  était  sûr,  c'est  que  Dumouriez  trahissait. 

Il  avait  envoyé  en  avant  deux  agents,  un  révolu* 
tionnaire,  un  autre  rétrograde.  Le  premier,  l'aboyeur 
célèbre  Saint-Hurugue,  le  marquis  forl-des-'halles, 
qui  avait  brillé  au  20  juin  et  ailleurs,  devait  plaire  à 
un  peuple  qui  avait  tant  goûté  les  aboiements  de  Yan 
der  Noot.  Le  second  avait  la  mission  secrète  d'aller 
trouver  l'autrichien  Mettemich,  de  lui  dire  que  le 
général  ne  conquérait  que  pour  traiter,  ne  prenait 
que  pour  rendre,  qu'il  le  priait  de  laisser  quelqu'un 
à  Bruxelles,  avec  qui  l'on  pût  négocier. 

n  arrive  à  Bruxelles ,  on  lui  offre  les  clefs  : 
€  Gardez-les  vous-mêmes,  dit-il.  Ne  souffrez  plus 
dPétrangers  chez  vous...  »  Ainsi,  la  question  de  sa- 
voir si  ce  pays  hétérogène,  qui  ne  put  jamais  s'unir 
ni  se  défendre,  [pouvait  former  un  peuple,  subsister 
par  lui-même,  le  général  français  la  tranchait,  contre 


UÊ   DUMOURISZ  PRBMD  SCR  LUI  Ml  QAlUIlTni  U  CUBMt  BEUB. 

sa  patrie.  Question  trop  claire^  et,  de  longue  date,  i^ 
solae  par  rexpérience.  Si  oe  pays  n'est  France,  c^eit 
la  porte  pour  entrer  en  France,  la  porte  que  Teniith 
mi  tient  ouverte,  et  le  chemin  de  ses  arintos  S 

Les  Belges  s'aperçurent  ))ien  vite  que  cet  am» 
bitieux,  sans  nulle  racine  ici',  ennemi  de  la  Révo* 
lution,  cherchait  un  point  d'appui  chea  eux,  qu'A 
avait  besoin  d'eux.  Du  premier  coup,  pour  subsister, 
au  lieu  de  demander  des  secours  et  des  vivres  à  la 
reconnaissance  du  pays  affranchi,  il  s'adresse  aox  ca- 
pitalistes belges,  aux  fournisseurs  belges,  demande  no 
emprunt  au  clergé  belge.  Par  cet  emprunt,  il  tran- 
ohait  encore,  avec  un  audacieux  machiavélisme,  Il 
question  capitale  de  la  Révolution.  Elle  ne  pouvait 
s'établir  en  Belgique  qu'en  se  conciliant  le  peuple  par 
des  suppressions  d'impôts.  Mais,  ces  suppressions, 
elles  étaient  dérisoires,  impossibles,  si  on  ne  les  reiH 
dait  possibles  par  la  vente  des  biens  ecclésiastiques. 
Traiter  avec  le  clergé,  c'était  le  reconnaître  et  le 

^  La  Belgique  est  une  ioTentioD  anglidie.  H  n'y  è  jamai»  eo  de  JM^ 
pqoe,  et  il  D*y  en  aura  jamais,  II  y  a  eu  et  il  y  a  toujours  des  PaytrBoi^ 
Et  ces  pars  resteront  toujours  au  pluriel.  En  vain  on  a  créé  uo  peopie 
âe  fonctionnaires,  pour  crier  de  minute  en  minute  :  «  Notre  lUtfûNia- 
litél  9  —  L*Àlsaoe,  une  petite  hande  de  terre»  est  defenue  graad^ 
^éroTque,  moralement  féconde,  depuis  qu'elle  eat  unie  à  la  France.  La 
France  lui  a  fait  large  part,  et  plus  large  qu*à  ses  premiers  enfante.  Ls 
Belgique,  incomparablement  plus  grande  et  plus  importante,  est  et  sert 
stérile  tant  qu'elle  ne  sera  pas  a? ec  nous.  —  Je  ne  suis  pu  taspecL 
J'aime  ces  pays,  d'amour  $  la  cordialité  de  ce  peuple  ?a  à  mon  ecHff. 
J'y  ai  été  dix  fois,  et  veux  toujours  y  retourner.  Ma  mère  était  àe  h 
Meuse,  de  l'extrême  fronUère.  J'ai  consacré  à  leur  bbtoire  biea  dei 
années  de  ma  TÎe. 


LES  BELGES  REFUSENT  U  UBERTt,  AU  NOH  DE  LA  LIBERTÉ.    443 

garaotir  oomme  propriétaire;  c'était  loi  promettre 
implicitemeat  qu'oa  ne  toucherait  point  aux  abus^ 
c'était  couper  d'avance  la  racine  même  de  la  Révo« 
lutiob,  au  moment  où  on  la  plantait^ 

DumourieB  tut  beau  faire,  il  n'obtint  pas  la  con* 
fiance  en  Belgique^  et  il  la  perdit  en  France. 

Il  pria  la  Belgique  de  devenir  un  peuple.  Mais  ce 
monstre  &  cent  tètes  ne  put  même  comprendre  ;  les 
cent  têtes  entendirent  tout  diversement,  et  tout  de 
travenu  Le  monstre  resta  et  voulut  rester  monstre. 

Bumouriez  les  pria  de  lever  une  armée  nationale 
pour  balancer  la  nôtre.  Chaque  ville  eut  sa  troupe;  il 
n'y  eut  point  d'armée. 

Il  leur  fallait  aussi,  pour  obtenir  quelque  unité,  une 
ofganisation  judiciaire  analogue,  harmonique.  Cha- 
que ville  garda  ses  tribunaux,  sans  relations  et  sans 
hiérarchie. 

Bumouriez  les  pressait  de  faire  une  Convention 
belge,  contre  la  Convention  française.  Bruxelles,  en 
attendant,  et  dans  les  cas  d'urgence,  tlonnait  les  dé- 
cisions de  ses  représentants  pour  celles  du  pays. 
Toutes  les  villes  furent  contre  Bruxelles.  On  indiqua 
ponr  centre  de  réunion  Alost,  et  les  élections  com^ 
mencèrent,  toutes  détestables  et  rétrogrades.  Le 
premier  usage  qu'ils  faisaient  de  la  liberté  reconquise 
était  de  tuer  la  liberté. 

Il  n'y  eut  jamais  eicemple  d'un  tel  aveuglement. 
Ce  peuple  à  qui  la  France  apportait,  pour  premier 
bienfait,  Texemption  absolue  d'impôt  pour  les  classes 
pauvres,  désira  rester  pauvre  et  que  son  clergé  fût 


444  tBS  PATS-BAS  SBR0lrr4LS 

richei  rester  maigre  pour  engraisser  ses  prêtres,  n 
yota  contre  sa  liberté,  contre  sa  subsistance  et  son 
pain,  que  la  France  lui  mettait  à  la  bouche. 

La  population  fonatique,  qui,  en  octobre,  priait  à 
Sainte-Gudule,  et  faisaità  genoux  le  chemin  du  Saint- 
Sacrement  «pour  Tanéantissement  de  la  maisoB 
d'Autriche»,  dès  la  fin  de  novembre,  elle  priait  con- 
tre la  France,  hurlait  autour  du  club  et  menaçait  de 
mort  les  patriotes  belges.  Dumouriez  s'épuisait  àtàr 
cher  de  leur  faire  comprendre  leur  intérêt  réel.  Il  y 
eut,  le  27,  une  première  tentative  de  soulèvemeot 
contre  lui.  On  sentait  bien  qu'il  hésiterait  à  employer 
la  force.  Il  essaya  les  remontrances  paternelles  et  kt 
indignement  sifflé. 

Les  fourbes  qui  menaient  ces  populations  aveu- 
gles et  ne  voulaient  rien  autre  chose  que  les  ramener 
au  joug,  ne  manquaient  pas,  dans  leurs  pamphlets, 
d'attester  la  souveraineté  du  peuple.  «  Le  peuj^ 
belge  n'est-il  pas  souverain,  un  souverain  indépen- 
dant et  libre?  t  —  Ils  réclamaient  pour  lui  Uberté 
du  suicide. 

Le  peuple?  mais  à  quoi  reconnaître  qu'il  y  eût  un 
peuple,  lorsque  ces  confus  assemblages  de  villes,  qui 
n'ont  même  jamais  pu  sérieusement  se  grouper  en 
provinces,  n'en  venaient  pas  à  donner  le  moindre  signe 
d'union,  au  moins  fédérative?  La  trahison  du  géoâtl 
français  était  pour  eux  une  occasion  unique,  inespé- 
rée, de  se  coaliser,  et  ils  n'en  pouvaient  profiter.  Les 
vieilles  haines,  l'esprit  d'isolement,  aussi  fort  en  92 
qu'ils  furent  aux  XY"  et  XYP  siècles,  les  ramenaient 


BÉimiS  A  LA  FRAKCBt  I4ft 

SOUS  rAutriche,  comme  ils  les  mirent  alors  sous  la 
Buûson  de  Bourgogne,  puis  sous  les  Espagnols. 

Comment  tout  cela  était-il  envisagé  de  la  France? 
Avait-elle  impatience  de  profiter  de  cette  impuis- 
sance radicale  de  la  Belgique?  Rien  de  plus  curieux 
àobserrer.  Rien  n'honore  plus  laFrance,  la  mémoire 
de  nos  pères,  leur  désintéressement,  leur  attache- 
ment aux  principes,  l'innocence,  disons-le,  la  pureté 
de  la  RëTolution. 

Suivons  attentivement  la  variation  de  nos  hommes 
d'Ëtat,  leurs  scrupules.  Il  est  évident  qu'ils  n'avaient 
rien  de  prémédité,  rien  de  systématique. 

An  premier  mcMnent,  le  cœur  leur  bat,  on  le  voit 
bien.  Ils  voient  la  France  déborder  sur  l'Europe,  et 
s'enivrent  de  sa  grandeur.  Au  moment  de  Jemmapes, 
au  moment  de  la  réunion  volontaire  de  la  Savoie, 
Brissot  écrit  à  Dumouriez  ces  paroles  émues  :  «  Ah  1 
mon  cher,  qu'est-ce  que  Richelieu,  qu'est-ce  qu'Ai* 
béroni,  leurs  projets  tant  vantés,  comparés  à  ces 
soulèvements  du  globe  que  nous  sommes  appelés  à 

fiiire! Ne  nous  occupons  plus  d'alliance  avec 

l'Angleterre  ou  la  Prusse  :  Novm  rerum  Tuudturordo. 
Que  rien  ne  nous  arrête...  Ce  fantôme  de  Tillumi- 
nisme  (la  Prusse)  ne  sera  pas  pour  vous  le  Sto,  sol.. 
La  révolution  de  Hollande  n'en  sera  pas  arrêtée.  Une 
opinion  se  répand  ici  :  «  La  République  ne  doit  avoir 
de  bornes  que  le  Rhin.  » 

Cette  opinion  n'était  nullement  générale.  Le  pre« 
mier  mouvement  fut  de  joie  désintéressée.  Plus  tard 
même,  plusieurs  des  Girondins^  soit  par  crainte  d'à- 


4M  càmtm 

krmer  TEuropei  mt  par  respect  do  priodpe  de  b 
souveraineté  des  peuples,  appuyeot  les  plaintes  du 
Belges,  celles  de  Dnmouries,  travaillant  maladroite- 
ment  à  soutenir  contre  la  France  ce  fantûma  di 
peuple,  dangereux  instrument  de  la  coalitiou  et  ds 
la  tyrannie  sous  le  masque  de  la  liberté. 

Deux  hommes  ne  s'y  trompèrent  pas,  et  montrè- 
rent dans  cette  grande  afihire  une  remarquable  fe^ 
meté  de  caractère  et  de  bon  sens;  contre  l'avis  de 
leurs  amis,  ils  travaillèrent  à  la  réunion  de  la  Bel- 
gique. 

Danton,  qui  semblait  jusque-là  intimement  lié  à 
Dumouriez,  s'en  sépara  sur  cette  question,  se  fit  en- 
voyer en  Belgique,  essaya  de  le  convertir  à  ridée  de 
réunion ,  et  y  travailla  malgré  lui, 

Cambon,  qui  k  ce  moment  semblait  se  rapprocher 
des  Girondins,  ne  ménagea  pas,  comme  eux,  Du* 
mouriez;  il  fit  casser  ses  marchés,  annuler  ses  em* 
prunts,  il  déjoua  ses  dangereux  projets. 

Dumouries,  comme  le  cardinal  de  Retx,  avait  aiH 
pris  dans  la  vlo  de  César  que  rien  n'est  plus  utile  sa 
politique  que  de  devoir  beaucoup,  d'avoir  nombre  de 
créanciers  liés  à  sa  fortune.  Et  il  avait  vigoureuse* 
ment  appliqué  Taxiôme ,  prenant  pour  créancieri, 
non-seulement  les  banquiers  belges,  mais  le  grand 
propriétaire  du  pays,  le  clergé.  Il  en  tirait,  sens 
garantie  de  la  Convention,  sur  la  seule  garantie  do 
nom  de  Dumouriez,  la  somme  énorme  de  wùX  mil- 
lions de  francs.  Qu'on  juge  si  ce  corps  était  engagea 
le  soutenir^  n'ayant  de  gage  qœ  sa  pan^,  de  sAreli 


QQiiniB  DimoiniiBi  (nov.  nv  m 

que  la  continuation  de  son  autorité  en  Belgique»  Hih 
mouriex  en  était  déjà  à  traiter  de  haut  avec  la  Francej 
il  lui  of&ait  Taumône  de  deux  ou  troia  millions,  popN 
TU  qu'on  lui  laissât  le  reste,  pourvu  qu'on  respectât 
ses  respectables  créanciers»  le  clei^é  et  la  banque,  la 
féodalité,  tous  les  abus  de  la  Belgique. 

Âveo  tout  son  esprit,  il  ne  connaissait  nullement 
l'âpre  génie  de  la  Révolution.  Il  vint  se  briser  contre. 
n  n'en  savait  pas  le  mystère  moral  et  financier. 

Quand  Dumouriez  partit  pour  la  Belgique,  il  écri* 
vit  un  mot  qui  séduisit  à  la  grande  entreprise  Cam*^ 
bon  et  tout  esprit  sincèrement  révolutionnaire  :  «  Je 
me  charge  de  faire  passer  vos  assignats,  b 

Ce  mot  disait  beaucoup.  La  Révolution  des  idées 
était,  en  même  temps  et  essentiellement,  une  révolu** 
tion  d'intérêts,  une  grande  mutation  de  la  propriété, 
dont  l'assignat  était  le  signe.  Signe  nullement  vain, 
à  cette  époque,  puisque  l'on  pouvait  à  l'instant 
échanger  ce  papier  contre  du  bon  bien  très-solide, 
que  vendait  la  nation. 

Quiconque  recevait  un  assignat  faisait  acte  de  foi  ; 
c'était  comme  s'il  eût  dit  :  Je  crois  à  la  Révolution. 
Et  quiconque  achetait  du  bien  national,  disait  en 
quelque  sorte  :  Je  la  crois  durable,  étemelle. 

La  vieille  religion  de  la  terre,  la  dévotion  sincère 
qu'eut  toujours  pour  elle  le  paysan  de  France,-  se 
confondait  ici  avec  la  foi  révolutionnaire.  L'assignat 
en  était  l'hostfe. 

Le  centre  de  cette  religion  était  en  face  de  la  place 
Yendôme,  dans  l'ancien  jardin  des  Capucines,  pré-^ 


418  DIGTATtmB  FmAHCIÈRB  D8  aXDOII  (92). 

cisément  où  est  le  Timbre  aujourd'hui ,  me  de  II 
Paix.  Deux  caDons  chargés  à  mitraille,  qui  gardaient 
la  porte  du  couvent,  avertissaient  les  passants  du  se* 
rieux  mystère  qu'on  faisait  au-dedans,  et  qui  n'était 
pas  moins  que  le  salut  public.  Une  vaste  et  forte  ar- 
moire de  fer,  d'une  serrure  savante,  indécbifirable, 
inouvrable  aux  profanes,  enfermait  le  trésor,  la 
châsse  et  les  reliques,  je  veux  dire  d'abord  la  Gom- 
titution  sacro-sainte ,  les  minutes  des  lois,  —  de 
plus  les  vénérables  matrices  des  planches  aux  assi- 
gnats, -*-  le  précieux  papier  enfin  qui  avait  la  met* 
veilleuse  vertu  de  se  faire  or.  Tout  cela,  non  pas 
dirigé,  mais  surveillé  de  près,  jour  par  jour,  par 
Cambon.  C'était  l'inflexible  et  sauvage  pontife  du 
symbole  national. 

D'autant  plus  âpre  et  plus  sauvage  que  personne 
plus  que  lui  n'en  prit  la  responsabilité.  Cambon  cmt 
à  hi  vente,  et  crut  au  signe  de  la  vente,  et  que  ce 
signe  équivaudrait  à  l'or,  et  que  la  France  se  trouve* 
rait,  de  ce  signe,  plus  riche  que  le  monde,  qu'elle 
vaincrait  le  monde  à  force  d'assignats.  Nul  plus  que 
lui  ne  contribua  à  décider  la  guerre,  le  20  avril  92, 
quand  il  répondit  à  celui  qui  faisait  craindre  desem^ 
barras  :  «  L'argent!  monsieur,  nous  en  avons  plus 
que  tous  les  rois  de  l'Europe  I  » 

«  Nous  en  avons  1 1  foi  vraiment  admirable.  Nous 
en  ferons,  aurait  été  mieux  dit. 

Chose  étrange  I  Presqu'au  même  moment,  M.  PiU 
disait  au  Parlement  :  «  Plus  on  doit,  et  plus  on  est 
riche,  t  Et  il  accumulait,  en  preuve,  des chiffires  ab8u^ 


roi  FmANcites  db  l'amglbtbmib  bt  m  u  fbancb.  44e 
des  et  qui  ne  prouvaient  rien.  Le  Parlement,  plein 
de  foi,  parut  croire,  parut  dire,  comme  saint  Au^^os- 
tin  :  <  Credoy  quia  absurdum.  » 

La  France  et  l'Angleterre,  à  leur  entrée  au  grand 
duel,  s'y  lancent  par  un  acte  de'  foi. 

Cambon,  pour  gage  du  papier,  montrait,  il  est 
vrai,  de  la  terre.  Maïs  cette  immensité  de  terre  pou- 
^t-elie  être  sur-le-champ  achetée  ? 

Pitt,  pour  gage,  ne  montrait  rien  du  tout.  Le  gage, 
qui  n'était  pas  encore,  c'était  la  force  énorme  de 
production  industrielle  et  de  richesse  que  deux  hom« 
mes  allaient  découvrir,  Arkwright  et  Watt.  Tout  se 
trouvait  hypothéqué  sur  l'avenir  et  l'invisible,  sur 
Tair  et  la  vapeur.  Elle  allait  donner  un  corps  aux 
absurdités  de  Pitt. 

Cambon  croyait  fortement,  il  en  avait  besoin.  Sa 
foi  robuste  était  mise  à  l'épreuve ,  de  moment  en 
moment,  par  les  vides,  les  creux,  les  abtmes,  qui  se 
fusaient  sous  lui.  Il  les  comblait,  de  toute  chose,  tou- 
jours pour  un  moment;  l'implacable  abtme  restait 
béant  et  demandait  toujours. 

On  en  mesurait  diffîcUement  la  profondeur,  dés 
92.  Et,  lorsqu'il  fallut  sérieusement  organiser  une 
année,  ncm  pas  sur  le  papier,  comme  avait  fait 
Narbonne,  mais  en  réalité,  ce  fut  comme  un  nou- 
veau gouffre.  —  Bien  plus,  une  autre  armée,  tout 
autrement  nombreuse,  surgit  du  sol,  qu'il  fallait 
payer,  la  foule  innombrable  des  gardes  nationaux 
qui,  de  «toutes  parts,  marchaient  à  la  frontière.  La 
nation  ne  leur  donnait  que  16  sols  par  jour;  k  eux 


4tb  MCTATiniE  nNAMCIÊltt  1»  CAHBON  (ITM). 

de  se  nourrir  aiD6i  qu'ils  reoteodaient.  Quinte  lolil 
le  paysan  trouvait  la  journée  assez  beUe,  quand  ii 
ne  s'agissait  que  de  mardier^  chanter,  rire  et  se 
battre.  Ils  venaient  par  cent  mille;  les  payeurs  aux 
abois  auraient  voulu  trouver  des  moyens  pour  k» 
arrêter.  Mus  plus  on  en  payait,  et  plus  il  en  venait. 
Phénomène  terrible  I  Ces  agents  effrayés  voyaient 
chaque  matin  le  vide  de  leurs  caisses  qui  s'approfcHH 
dissait,  et  en  même  temps  une  légion  nouvelle,  la 
nuit,  avait  poussé  de  terre,  gaie,  vaillante,  aflhmée, 
qui  arrivait,  riant  de  ses  dents  blanches,  demandant 
Pennemi  et  le  pain  de  la  République. 

Ces  caissiers  du  néant,  assiégés  dans  leurs  bureau! 
par  des  foules  militaires,  menacés,  serrés  à  la  gorge, 
criaient  tous  à  Paris.  L'embarras,  les  clameurs  de 
ces  désespérés,  tout  venait  retentir  au  même  point 
Ce  mouvement  immense,  plein  de  vertige,  cette 
terrible  abondance  d'hommes,  cette  terrible  pénurie 
d'argent,  cette  tempête  d'armes,  d'assignats  et  de 
chiffres,  le  tout  d'un  tourbillon,  venait  frapper  id. 

Les  anciens  commis  des  finances,  gens  de  cfi^dté 
pour  des  temps  ordinaires,  étaient  insuffisants  pour 
une  telle  crise.  Us  restaient  muets  et  tremblants. 

Les  financiers,  banquiers,  etc.,  bande  très-^tneo 
dressée  et  (bien  d'accord  pour  des  oiseaux  de  proie), 
se  tenaient  de  cêté,  dans  l'espoir  que,  le  chaos  s'em- 
brouillant  de  plus  en  plus,  ils  pourraient  avancer 
pour  mordre. 

tJn  homme  seul,  Cambon,  eut  courage  dans  cette 
aituattoa.  Président  du  comité  des  finances,  et  son 


mcrimmi  raiANOÉn  db  gaiimni.  tst 

invariable  directeur,  il  s'y  établit,  s'empara  du  chaos, 
60  dtii>rouilla  les  ôléments  dans  la  lutte  la  plus  obfti« 
née,  et  en  tira  Tordre  nouveau.  Intrépide  maçon ^ 
prenant  de  toutes  parts  des  ruines  et  des  débris,  il  en 
a  bâti  le  Grand  Hwé. 

Si  Ton  est  curieux  de  connaître  quelle  fut  la  forte 
et  rude  tête  où  se  passa  toute  la  révolution  des  chir* 
fres,  où  le  Doit  et  Avoir  se  livrèrent  tant  de  guerres, 
il  faut  voir  le  portrait  de  David. 

Le  redoutable  personnage  ^  en  qui  fut  Pâme  de 
Ciolbert  sous  les  formes  de  la  Terreur,  ne  parait  nuU 
lement,  comme  Colbert  dans  ses  portraits,  sombre^ 
affitissé  et  triste.  Tout  à  l'envers  du  ministre  de 
Louis  XIY,  qui  disait  en  mourant  :  «  On  ne  peut 
plus  aller  » ,  le  visage  de  Cambon  semble  porter  écrit 
un  vigoureux  entrain,  un  invincible  Ça  ira. 

Trenteetquelques années,  fortement  coloré,  amer, 
pur  et  sauvage,  tel  est  l'homme.  L'air  avisé,  mais 
franc,  est  d'un  rude  marchand  de  province,  de  forte 
laoe  de  paysan.  La  tradition  sévère  du  Languedoc, 
dont  les  États  enseignèrent  à  la  France  la  comptabi* 
lité,  semble  visible  ici«  On  sent  parfaitement  que  les 
fournisseurs  de  la  République  devaient  être  mal  & 
l'aise  sous  un  pareil  regard,  et  sentir  devant  un  tel 
homme  que  leur  tète  tenait  faiblement. 

La  force,  la  vie  chaude  de  la  France  nouvelle  est 
dans  ce  teint  puissamment  animé  ;  et  en  même  temps 
il  est  d'une  transparence,  d'une  pureté,  on  peut  dire, 
redoutables  :  on  sent  trop  que  celui-là  ne  pardonnera 
guère,  qui  n'a  rien  à  se  pardonner. 


«■  MCTATimB  FIlUlIClfiBB  DB  CAHMI  (1792). 

Cet  homme  fut  rapace ,  avide,  avare ,  il  faut  Pa- 
vouer,  mais  pour  la  République.  Tai  dans  les  mains 
le  compte  exact  de  sa  fortune  avant  et  après  la  Révo- 
lution, son  budget  vénérable.  Dans  cet  acte ,  fiût  par 
lui  en  sortant  des  affaires,  il  constate  qu'il  y  est  entré 
ayec  6,000  fr.  de  rente,  et  qu'il  en  sort  avec  3,000. 
Rentré  chez  lui ,  près  Montpellier,  il  administra  ses 
finances  aussi  sévèrement  qu*il  avait  fait  pour  celles 
de  la  France.  Par  une  économie  très-stricte  et  très- 
serrée,  sans  autre  moyen  qu'une  petite  ferme  dontfl 
faisait  vendre  le  lait,  il  parvint  en  vingt  ans  à  refiûre 
les  6,000  fr.  de  rente  qu'il  tenait  de  son  père.  Ce  qui 
surprit  le  plus,  c'est  qu'en  1816,  exilé  à  Bruxelles 
avec  tant  d'autres  conventionnels,  Gambon  mit  en 
commun  son  petit  revenu,  nourrit  tel  et  tel  de  ses 
compagnons  d'infortune.  On  sut  alors  que  cet  homme 
économe  entre  tous  n'en  était  pas  moins  magna* 
nime. 

<  Je  lui  ai  dû  cent  fois  la  vie»,  dit  M.  le  duc  de 
6aete>  alors  commis  des  finances.  Il  en  sauva  bien 
d'autres;  quarante  en  une  fois:  les  quarante  rece- 
veurs généraux,  qui,  par  une  méprise,  allaient  périr 
sans  lui. 

Au  moment  où  nous  sommes  parvenus,  en  92,  en 
présence  des  embarras  infinis  de  la  circonstance, 
Cambon,  obligé  d'y  faire  foce  par  des  ventes  rapides, 
semble  le  grand  huissier  de  la  Révolution.  Il  vend, 
reçoit,  absorbe,  occupé  jour  et  nuit  de  garder  et 
d'emplir  l'armoire  de  fer,  qui  ne  s'emplit  jamais* 
Couché  dessus,  le  dogue  manifeste,  pardesoords 


DiaATURB  FINANaÈBE  M  CAMBON.  4S5 

grondements,  la  faim,  la  soif  du  fisc.  La  Convention, 
de  moment  en  moment,  lui  jette  à  ronger  un  décret. 
Dans  la  Terreur  universelle,  en  plein  93,  tout  comme 
auparavant,  il  est  lui-même  un  objet  de  terreur.  Ra- 
rement on  ose  lui  lancer  quelque  attaque  oblique 
et  timide,  jamais  impunément.  Il  mord  une  fois 
Brissot,  l'autre  fois  Robespierre.  Qui  est  mordu  en 
meurt.  Lui ,  on  ne  peut  Tatteindre  ;  il  représente  la 
chose  que  tous  craignent  et  qui  ne  craint  rien; 
quelle?  la  nécessité. 

Les  1,600  millions  de  biens  vendus  en  91  sem- 
blèrent n  avoir  fait  qu  augmenter  cette  faim.  500  mil- 
lions furent  arrachés  de  plus  dans  les  premiers  mois 
de  92,  et  Cambon  avait  toujours  faim.  Il  insista  alors 
pour  qu'on  vendit  la  partie  des  biens  ecclésiastiques 
réservés  jusque-là,  les  édifices  même,  les  églises  et 
couvents.  Proposition  audacieuse  :  nous  en  verrons 
les  résultats. 

La  difficulté  était  plus  grande  encore  d'amener 
nos  assemblées  à  vendre  les  biens  des  émigrés.  La 
Législative  avait  témoigné  une  horreur  véritable  pour 
la  confiscation.  La  Convention  ferait-elle  deméme?.». 
Au  moment  de  l'invasion ,  les  émigrés  entrant  en 
armes,  Cambon  ne  manqua  pas  son  coup.  Une  dépu- 
tation  d'un  village  des  Ardennes  vint  à  la  barre  pleu- 
rer la  dévastation  de  ses  champs,  ses  maisons  sacca-» 
géesy  ses  granges  incendiées.  La  Convention  décréta 
un  petit  secours  de  60,000  fr.  à  prendre  sur  les  biens 
des  émigrés.  Quoi  de  plus  juste  que  d'indemniser  les 
victimes  de  la  guerre  aux  dépens  de  Tennemi?. .  Cest 

IV.  •• 


m  DICTATURE  FlNANdÈRÉ  Dfe  CAHRON  H  7%)- 

ce  qu'àUendait  Cambon.  11  entra  par  ce  petit  trou 
dàbs  la  riche  et  immense  proie  des  bienii  de  Ténii- 
gration ,  valant  4  milliards.  Le  jour  même ,  il  fit 
décréter  que,  dans  les  tingt^quatre  heures,  les  ban- 
quiers, notaires  et  autres  dépositaires  de  fonds  d^é^ 
migres,  déclareraient  ces  fonds,  et  vingt^quatre 
heures  après  les  verseraient  aux  caisses  des  districts. 

Sûr  ce  point  et  sur  d'autres,  Cambon  rencontrift 
pour  obstacles  les  scrupules  d'une  partie  du  cété 
droit,  du  centre.  On  a  vu,  en  octobre  91,rhési- 
tation  de  la  Législative  sur  la  question  des  biens  des 
émigrés*  Les  prendre,  c'était  violer  la  Gottslitntîoû^ 
qui  supprimait  la  confiscation.  Les  respecter,  c'é- 
tait laisser  aux  ennemis  armés,  à  ceui  qtli  amenaient 
les  armées  étrangères ,  toute  la  Tôree  morale  qui 
s'attache  aux  grandes  fortunes.  Beaucoup  d'éoii^ 
grés,  quoi  qu'on  flt^  trouvaient  moyen  d'eH  tirer 
encore  des  ressources;  les  intendants  et  gens  d'af- 
faires^ dans  la  prévision  de  leur  retour,  continuaient 
de  leur  envoyer  les  fruits  de  bien  des  choses  qui 
n'étaieùt  pas  sous  le  séquestre.  Rien  n'était  gagné 
contre  l'émigration,  tant  que  ses  biens  n'étaient  paâ 
vendus,  et  surtout  vendus  par  parcelles,  divisés  entre 
une  foule  d'acquéreurs  et  sous-acqu^eurs^  mis  en 
poudre  impalpable,  défigurés  ainsi  et  dénaturés  à  ne 
les  reconnaître  jamais,  passés  au  grand  creuset  delà 
Révolution^  infusés,  sous  forme  nouvelle»  à  la  via 
générale. 

La  Gironde^  en  grande  partie  (et  Condorcet  en  tète)) 
hésitait  ici>  reculait*  Ils  voulaient  la  Révolution,  moii» 


MfeTÀrtkÊ  hNA*ciÊnË  bfe  isiAVBdN  (i79î)  4to 

ift  RèttiluUDn.  Ilà  vôiil&ient  la  guerre»  thoinâ  les 
Hiôyôbsdeldgtibt^re. 

Cîimboa  était  contré  eiik. 

Et  d'autre  part,  CamboU  avait  mià  contré  lui  ude 
boiihe  partie  de  la  ttoniague,  par  son  înQexiblë  dureté 
ft  eiiger  les  eôtnptes  dé  la  Commune  de  t^aris. 

RbbespiiBriis  spécialement  le  haïssait ,  mais  poiir 
d*àiltrës  knotifs.  Il  lé  haïssait  comme  tout  ce  qui  avait 
autorité  dans  là  Cobvention,  et  aussi  par  antipathie 
de  nature.  L^houlmé  de  paroles  et  de  discours,  inca- 
pable d'afSftires  (horâ  là  tactique  des  clubs) ,  enviait , 
détestait  1»  gtràud  homme  d'affaires.  \\  n'osait  l'atta- 
quer, inais,  indirectement,  il  le  minait  dans  ses  joiir- 
ûMlx.  Vers  la  fin  de  novembre,  il  osa  davantage  :  il 
lançà  contre  lui,  conitae  ou  verra,  une  force  révolu- 
tionnaire toute  neuve,  le  violent  Saint-Just,  qui  dé- 
buta Ainsi  dans  là  Codventioh. 

fint^e  i*indécision  de  la  Gironde,  qui  né  l'appuyâît 
poikit,  et  là  malveillance  d'ùnè  si  importante  partie 
de  là  Montagne,  Càmbou  alla  droit  son  chemin,  sànS 
faire  ieàiblant  de  Voir. 

11  alla,  les  yeux  toujours  fixés  aU  but,  suivant,  sans 
dévîér,  là  quéstioû  dominante  de  la  dévolution  :  Là 
Write  de$  biens  fiatiônaUx  (qui,  distribuant  la  terré  & 
tous,  rendait  la  Révolution  ^lide,  irrévocable),  et 
là  mobilSsatiôb  et  circuMion  âe  ces  biens  sous  fcfrme 
d^tàkigtini^. 

Nul  àml  l[)our  tatiibôn  qiiô  ceux  qui  veulent  U 
rente  61  l^aissignat. 

LlAVàsfott  dé  là  Belgique,  au  paya  eâséhUelléb\éb\ 


4S6  DICTATURE  FINANCIERS  DE  CAMION  (1799). 

aristocrate  et  prêtre,  avait  éveillé  en  lui  qq  espoir 
infiDÎ.  Cambon  aimait  l'argent  en  général,  mais  com- 
bien plus  l'argent  de  prêtre  I  Ce  qu'il  haïssait  le  plus 
en  ce  monde,  avec  les  fournisseurs,  c'étaient  les  prê- 
tres, les  moines.  Nul  n'eut  plus  vive  au  cœur  la  vieille 
haine  gauloise  pour  la  gent  des  pieux  fainéants. 
Tout  cela  irrité  encore  par  une  circonstance  person- 
nelle. Cambon,  de  Montpellier,  avait  émigré  à  Cho- 
let,  à  la  porte  de  la  Vendée  ;  il  avait  établi  une  fabri- 
que dans  cette  ville  florissante  alors,  dont  rafifreuse 
guerre  des  prêtres  fit  bientôt  un  monceau  de  cen- 
dres. Là,  il  avait  vu  de  prés  l'intrigue  de  ceux-ci 
dans  les  campagnes  contre  la  ville  industrielle  et  ré- 
volutionnaire. Il  leur  gardait  rancune.  La  Belgique 
lui  venait  à  point  pour  payer  la  Vendée.  C'était  une 
fête  pour  lui  de  s'asseoir  en  esprit  à  ce  gras  banquet 
ecclésiastique,  de  manger,  à  sa  faim,  du  bien  de 
moines  et  de  chanoines.  Il  aiguisait  ses  dents.  Le  tout 
vendu,  et  circulant  en  monnaie  d'assignats,  eût  en- 
gagé à  jamais  la  Belgique  dans  la  cause  révolution- 
naire. Elle  eût  aidé  la  France,  comme  elle  devait, 
dans  la  grande  guerre  de  la  liberté  commune,  et  ce- 
pendant se  fût  enrichie  elle-même,  les  belges  ach^ 
tant  à  bon  compte  et  mettant  en  valeur  ces  biens 
inertes  dans  les  mains  du  clei^é. 

Quand  il  apprit  que  Dumouriez,  par  un  traité 
précipité  avec  le  clergé  belge,  sans  consulter  per- 
sonne^  lui  retirait  sa  proie,  il  entra  dans  la  plus  vio- 
lente fureur.  11  refusa  les  traites  que  l'audacieux 
général  tirait  sur  le  Trésor,  fit  casser  ses  marchés 


DICTATURE  FINANCIÈRB  DE  GAMBON  (i79f).  457 

avec  les  fournisseursy  les  fit  arrêter,  amener  à  la 
barre  de  la  ConveDlion,  balayant,  renversant  tous 
les  projets  de  Dumouriez,  et  brisant  dans  la  main  du 
traître  la  royauté  financière,  qu'il  prenait,  en  atten- 
dant l'autre. 

Briser  Tépèe  d'un  général  vainqueur,  c'était  une 
chose  grave.  Et  cependant  il  le  fallait.  La  rupture 
avec  TÂngleterre  allait  rendre  Dumouriez  infiniment 
plus  dangereux. 

Où  s'appuierait  Cambon  pour  frapper  ces  coups 
vigoureux?  Sur  quels  bancs  de  la  Convention  allait-il 
décidément  s'asseoir?  Sur  ceux,  évidemment,  où  il 
trouverait  des  ennemis  de  Dumouriez. 

Les  Girondins  tardèrent,  hésitèrent  et  furent  peu 
d'accord. 

Ils  se  montrèrent  à  l'égard  de  Cambon  légers,  in- 
grats; on  le  verra  au  livre  suivant.  Aidés  par  lui  dans 
un  cas  décisif,  ils  ne  le  soutinrent  ni  dans  sa  guerre 
contre  Dumouriez,  ni  contre  les  attaques  de  Robes- 
pierre et  de  Saint-Just.  Ce  fut  une  des  causes  de  leur 
perte.  Ils  fixèrent  Cambop  à  la  gauche  ;  et  avec  lui 
votèrent  nombre  d'hommes  flottants,  qui,  sans  inté- 
rêt de  parti,  ne  voulaient  rien  que  la  Révolution,  et 
la  voyaient  embarquée  tout  entière  dans  la  grosse 
question  des  biens  nationaux,  dans  la  lourde  voiture 
que  tirait  l'homme  aux  assignats. 


CRANDEUR  ET  DÉCADENCE  DE  LA  ÇIROflDÇ. 
(  Octobre-noTea^re  M.) 

Ml  §lfimA9  ti4t-f»rt«  e»  o«t«bra.  —  Pétlo»  •btteal  r>«ia»t9|lll  4#  IM 
(Ift  oetobre).  —  Ding^er  de  la  RéToloCioB,  si  elle  ennjt.  r-  \fff  ft*Ml 
poviMBt  att  procès  dtt  Roi.  —  La  Gomipiuie  lanee  âne  «drene  conln  la 
(^■voBlioa  (19  oculire).  —  La  violnieo  do  U  Conam  OMiproMl  li 
HonUfBo  9i  U  Société  dot  laoobtas.  —  |nrmUo||  »mU«  do  f^|^  «^  f» 
eoi|tro.— La  Convention  (^appe  Danton  ci  la  Comnrane.t— Dîrifion  da|Mlti 
Girondin.  — •  Une  fraction  de  la  Gironde  (la  fraction  Roland)  anaqne  Met- 
pierre  par  Lonfot  (S^  octobre).  —  Lei  ne««i|ii  de  U  GtnmBa,  wenieH 
fon|  amendç  |ionçraf>le  {^  oc|ob|o].  —  Ajpolof iç  de  pa1)9l|^Qrf«  m  '<^ 
bina  et  i  la  ConTontion  (S  noTombre).^  Barrére  le  nave,  en  l'inraluit.- 
La  Gironde  perd  iob  infiaence  sur  Paria»  —  Elle  ovYre  le  pi«rie  dn  toi 
{f  Dovfiçlife).— |)ityar  d«  c«  proeéi  fn^  !|Frwç^. 


Une  chose  précipita  la  bataille  iotènenre  de  la 
GonTention  et  de  la  GommuDe,  qui  devint  celle  delà 
France.  Paris,  que  la  Commune  prétendait  àmr 
pour  elle,  se  déclara  contre,  de  la  manière  la  plus 
manifeste,  la  plus  authentique.  Le  premier  osag€ 
libre  que  Paris  put  faire  de  sa  volonté ,  oe  fut  de 
démentir  par  un  choix  significatif  tout  ce  qu'on  disait 
en  son  nom.  Les  violents  ainsi  démasqués,  et  voyant 
avec  terreur  leur  petit  nombre  révélé  par  le  résultat 
du  scrutin,  n'eurent  de  salut  que  dans  Taudace,  dans 
l'accélération  du  mouvement  révolutionnaire. 

L'événement  qui  changeait  ainsi  la  face  des  choses 


fat  rélectiqn  <|e  Pétioo  (qui  quittait  la  présideocQ 
de  la  CoQYeQtion)  à  la  piairio  de  Pfiris  [t5  octobre]. 
Il  eut  l'uQauiinilé,  ou  peut  le  dire  sans  se  tromper  de 
beaucoup.  Sur  quinze  mille  votants,  il  en  eut  qua- 
tonç  mille.  Et  sur  le  millier  de  voî^  qui  restaient, 
les  candidats  de  la  Commuue,  tous  ensemble,  n'eu- 
rent pas  cinq  cents  Totes. 

Pftri^  s'était  ainsi  justifié  devant  la  France  et  TEu* 
rppe.  Il  avait  manifesté  son  horreur  pour  Septewbre, 
son  estive  pour  la  modération  et  la  probité. 

Si  pourtant  la  Révolution  devait  désormais  s'ap- 
puyçr  sur  la  probité  inerte  et  la  modération  impuis- 
saute,  il  était  vraiment  à  craindre  qu'elle  ne  gagnât 
Vespéce  de  paralysie  dont  semblait  atteinte  cette  idole 
populaire.  Pétion ,  infiniment  propre  à  remplir  un 
fauteuil  quelconque,  le  siège  de  président  de  l'As- 
sqmbléOj  ou  le  trône  de  rHôtel-de-Yille ,  le  roi 
PAiWj  comme  ou  l'appelait,  était  doué  de  cette 
qualité,  q^'op  recherche  surtout  dans  un  roi  con- 
stitutionnel, l'incapacité  absolue  d'agir,  d'avoir  un 
mouvement  propre.  Pour  les  fonctions  végétatives 
qife  la  constitution  anglaise  demande  à  son  roi , 
ou  Sieyès  ^  sou  grand  électeur  y  Pétion  était  pré- 
cieux. Il  suffisait,  comme  symbole,  comme  drapec^u, 
comme  fiction.  Mais  le  tepips  impitoyable  proscrivait 
la  fiction.  Il  fallait  des  réalités,  il  fallait  un  homme, 
un  homme  d'action,  d'actes  rapides,  dans  la  terrible 
crise  où  la  France  était  engagée. 

En  ce  sens,  le  choix  de  Pétion  (bon,  honorable 
eu  lui-même)  devenait  alarmant.  C'était  en  quel- 


460       PÉTfOR  OBTIENT  L'UNANIMITÉ  DE  PARIS  (15  OCT.  999. 

que  sorte  une  déclaration  d*  inertie.  La  grande  ma- 
jorité, non-seulement  des  bourgeois,  mais  du  peuple, 
se  composait  d'honnêtes  gens,  déjà  extrêmement  fa- 
tigués de  la  Révolution  et  qui  ne  voulaient  plus  rien 
faire,  ni  pour  avancer,  ni  pour  reculer.  Nommant 
Pétion,  ils  comptaient  qu'entre  des  mains  si  pacifi- 
ques elle  ne  remuerait  plus  guère. 

Dans  ce  calcul,  ils  se  trompaient.  N'avançant  plus, 
elle  aurait  infailliblement  reculé.  Elle  eût  retombé 
eu  arriére ,  rétrogradé  promptement  de  Pétioo  à 
Bailly,  aux  hommes  de  89^  qui  n'auraient  pas  un 
moment  arrêté  la  réaction.  Celle*ci,  dans  sa  pente 
effroyable,  nous  eût  fait  rouler  au  gouffre  de  l'ancien 
régime,  au  triomphe  des  émigrés,  au  triomphe  des 
étrangers,  aux  misères  de  l'invasion.  Car  ce  n'était 
pas  à  88  seulement  qu'on  eût  retombé ,  mais,  de 
plus,  à  1815,  —  un  181B,  moins  la  Révolution  et 
l'Empire,  moins  la  gloire,  moins  l'universalité  des 
*  idées  françaises  en  Europe,  moins  le  respect  des 
vainqueurs. 

La  Révolution  existait,  quoi  qu'on  fit,  et  c'était  un 
être.  Il  fallait  qu'il  vécût,  cet  être,  agtt,  combattit, 
avançât.  Mille  chances  périlleuses  étaient  en  avant. 
Mais  un  gouffre,  visible,  était  en  arrière.  Reculer  de- 
vant les  dangers,  c'était  bien  plus  qu'un  danger; 
c'était  la  ruine,  la  chute  certaine,  c'était  s'asseoir 
dans  l'abtme. 

La  Révolution  devant  vivre,  il  fallait  qu'elle  mar- 
chât, selon  sa  nature,  agtt  en  soi  et  hors  de  soi, 
par  un  même  mouvement.  Quelle  nature?  nous  Ta- 


DANGER  DE  LA  RÉVOLUTION,  SI  ELLE  ENRAYE.      461 

YOns  dit  :  La  magnanimité  dans  la  justice.  Quel  mou- 
vement? une  grande  et  immense  dilatation  de  cœur, 
qui  poussât  l'humanité  dans  les  votes  du  désintéresse- 
ment héroïque,  du  dévouement  sans  bornes  et  du  sa- 
crifice infini. 

11  fallait  que  ceux  auxquels  la  Révolution  deman- 
dait d'abord  justice,  les  heureux  du  monde,  ceux  qui 
jusque-là,  volontairement  ou  non,  avaient  profité 
des  abus,  répondissent  :  «  Vous  ne  voulez  que  jus- 
tice? ce  n'est  pas  assez.  Nous,  nous  ferons  davan- 
tage. »  C'est  la  glorieuse  réponse  que  firent  plu- 
sieurs patriotes  auxquels  appartenaient  telles  des 
grandes  fortunes  de  France.  Il  y  eut  des  hommes 
admirables.  Mais  il  n'y  en  eut  pas  assez.  La  plupart 
des  riches,  en  93,  firent  leurs  efforts  pour  descendre, 
ambitionnèrent  l'égalité.  Il  fallait  le  faire  en  92,  non 
pas  suivre,  mais  devancer  les  vœux  de  la  Révolu- 
tion. Il  ne  s'agissait  pas  de  prendre  des  sabots,  de 
se  faire  grossier,  de  flatter  lâchement  le  peuple, 
mais  d'être  de  cœur  plus  peuple  que  lui,  de  marcher 
loin  devant  la  loi,  de  sorte  qu'elle  eût  beau  avancer, 
s'efforcer  et  s'élargir,  elle  trouvât  dq?  cœurs  plus 
vastes  encore. 

Et,  la  France  adoptant  la  France,  il  fallait  que 
de  cette  surabondance  de  sentiments  généreux,  il  y 
en  eût  pour  tous  les  hommes.  La  France  devait  lar- 
gement se  donner  et  se  prodiguer.  Malheur  à  elle  si 
elle  eût  voulu  n'être  libre  et  juste  que  pour  elle- 
même  !  Les  dons  de  Dieu  ne  sont  plus  tels,  si  on  les 
garde  pour  soi.  Elle  devait  conquérir  les  peuples  par 


cette  teetîque  oouYeUe,  ftire  coinnie  nos  Fimsw 
firent  k  Strasbouig  pour  les  ÂlIeio»ii<k,  commo  ils 
4rept  eDocnre  jadU  pour  uee  place  assiégé  où  Vw 
«e  moDnût  de  faim  ;  ils  entrèrent  Vépée  h  la  swiPi 
le  pain  au  bout  de  l'épée.  Ainsi  Tëpée  de  la  France 
devait  offirir  et  donner  le  pain  à  toute  la  terre, 

Voilà  pomment  la  Révolution  devait  avancer,  «u 
dedans  et  au  dehors,  par  un  mouvement  rapide,  mais 
vital  et  régulier.  Son  génie  n'était  nulleipent  con- 
templatif. Lui  mettre  en  tête  l'inertie  de  Pétîon,  oo 
la  faconde  sans  actes  des  avocataGirondins»  c'éUit 
l'obliger  de  tomber  dans  la  maladie  contraire,  la  fa- 
ne des  mouvements  désordonnés  que  trop  souvent 
la  Montagne  prit  pour  l'action  réelle  et  le  progrès  de 
)a  vie. 

Ce  mot.profond  du  moyen^ge,  si  vrai  en  moralQ, 
l'est  en  politique  :  «  Le  corar  de  Thomine  est  une 
meule  qui  tourne  toujours;  ai  vous  n'y  mettez  rien  & 
moudre,  il  risque  de  se  moudre  lui-même.  » 

Il  n'y  avait  pas  un  moment  à  perdre,  entre  Yalmy 
et  Jemmapes  ;  il  fallait  donner  à  la  Révolution  quel- 
que chose  à  moudre,  la  faire  travailler  selon  sa  na- 
ture et  dans  son  vrai  sens. 

La  roue  s*accrocha.«  le  progrès  tarda.  vEt  alors  la 
Révolution  se  mit  à  se  moudre  elle-même.  On  y  mit 
un  pauvre  aliment  d'abord,  la  tête  d'un  roi,  qui  n  ar* 
rêta  pas  un  moment;  la  roue  alla  se  frottant,  et  grin- 
çant sur  spi,  broyant  ses  propres  débris. 

Cette  fatale  impulsion  fut  donnée  avant  la  batailla 
de  Jempsapea,  avant  les  grandes  lois  révolutionnaires 


m  mt^  1)1'  «M  (Mf.  Ht.  m 

dci  }ft  ClOiifWtiOR,  qui  trapqaillisèient  1m  pMptos  et 
lui  garantirent  pQur  toujoqrs  1»  victoire  de  Fégalité.  Si 
1^  ft^TOlHMoP  9ût  fait  tout  d'Abord  dans  la  voie  sacrée 
ce$  pa9  si^f»  9t  fermes,  on  pe  Tavrait  paa  détour- 
née M«4woi)t  vers  la  dangereuse  sottise  de  tuer  un 
hQnune  qui  n'était  plus  roi»  ffnocnre  mdns  wn  le 
cmm^  ivpiç  d'employer  la  Convention  à  se  tuer  elle^ 


I^  ^tftillo  fot  gagn^  le  6  novembre»  et  le  6  mime 
eiit  lieu  le  prwiier  rapport  contre  Louis  XVI.  Si  elle 
e^t  été  gagnée  {dius  tAt,  la  pensée  publique  eât  pris 
ui|  tout  autre  cours-  Qu  le  procès  fût  resté  là,  ou  il 
eût  en  upe  issue  moins  sanglante.  Ce  fut  avant  la  ba^ 
taille,  et  très-probablement  dans  les  premiers  jours 
d'octobre,  que  les  sociétés  jacobines  des  départements 
durent  recevoir  de  Paris  le  mot  d'ordre  de  la  If  on^ 
tagoe  et  de  la  Commune  :  <  Noua  sommes  en  mipo^ 
rite  ;  il  faut  agir  et  foire  peur;  mettre  la  Gironde  en 
demeure  de  se  perdre  en  sauvant  le  Roi,  ou  de  s'avi- 
lir en  le  condamnant,  contre  son  sentiment connu«.. 
Demandons  la  mort  du  Roi.  » 

La  colère  nationale,  terrible  en  juin  91,  terrible 
en  août  03,  s'était  alanguie.  Le  mépris  était  venu.  La 
nation  ne  demandait  nullement  la  tète  de  Louis  XVL 
Un  excellent  observateur  et  très-attentif,  Dumouries, 
qui  se  trouvait  à  Paris  au  milieu  d'octobre,  dit  qu'à 
cette  époque  rien  n'indiquait  que  le  Roi  fût  en  péril, 
11  follait  beaucoup  d'adresse  et  d'entente  pour  réveiU 
1er  la  passion,  (^es  sociétés  jacobines  y  ftirent  adini*- 
raUes;  elles  fonctionnèrent  avec  une  docilité,  une  vi-* 


4i4  LA  comnn  lange  umb  adresse 

goeor  qui  eAt  excité  Tenvie  des  vieilles  oorporatîoDs 

sacerdotales  et  politiques  du  moyen-fige« 

Toutefois  la  chose  n*eût  point  réussi,  si  Ton  n*eùt 
trouvé  dans  le  peuple  des  éléments  d*irritatioa. 
D'abord,  Tinquiétude  eitréme  qu'il  éprouvait  nato- 
rellement,  dans  cette  grande  crise,  dont  Valmy  nV 
vait  donné  qu*un  répit  momentané.  La  Révolution 
pouvait  périr  encore,  périr  au  profit  du  Roi  :  «  Frap* 
pons-le  d'abord  lui-même;  vengeons  notre  mort  à*%r 
vance,  et  qu'il  n'en  profite  pas.  »  Voilà  ce  qu'on  di- 
sait au  peuple.  On  le  trouvât  bien  sombre,  bien  souf- 
frant,  bien  irritable,  à  celte  rude  entrée  d'hiver.  En- 
core un  hiver  sans  travail,  un  hiver  de  faim  ;  hélas! 
c'était  le  quatrième,  depuis  89,  et  par  un  progrés  na- 
turel, effroyablement  plus  dur;  car,  enfin,  les  res- 
sources s'épuisent,  les  secours  disparaissent  à  la  lon- 
gue, la  charité  va  tarissant;  les  riches  eux-mêmes  se 
croient  pauvres...  «  Quelle  cause  première  de  tant 
de  maux  ?  dites-nous  ?  n'est-ce  pas  le  Roi  ?  o 

Pendant  l'élection  du  maire,  et  vers  le  10  octo*- 
bre,  un  prétendu  blessé  du  10  août  vient,  le  bras  en 
écharpe  et  Templàtre  sur  l'œil,  demander  que  la 
Convention  lui  fasse  justice  de  son  meurtrier*  Un 
comité  est  chargé  de  faire  un  rapport  sur  l'affiûre 
du  Roi. 

Pétion  fut  élu  maire  le  15  octobre.  Et  le  16,  une 
pétition  des  Jacobins  d'Âuxerre  demanda,  non  le 
procès,  mais  nettement  la  mort.  Cette  pétitiou  fut 
appuyée  avec  une  extrême  violence  par  un  homme 
très  sincère  et  d'aveugle  élan,  homme  d'avant-garde 


CONTRE  U  COMVBimOlf  (19  OGT.  9C).  4Q5 

s'il  en  fut  (il  le  montra  dans  la  Vendée),  le  montai 
gnard  Bourbotte,  qui,  vraisemblablement,  était  poussé 
sans  le  savoir.  La  commission  chargée  de  Texamen 
des  pièces  dit  qu'il  fallait  du  temps  encore. 

Le  1 9,  nouvelle  machine.  Une  foudroyante  adresse 
de  la  Commune  est  présentée  à  la  Convention  contre 
la  Convention,  contre  les  nouveaux  rois  qui  deman- 
dent une  garde. 

Ainsi,  le  parti  violent  masqua  sa  défaite  électorale 
par  un  acte  inattendu  d'audace,  commençant  en  quel- 
que  sorte  le  procès  d'une  assemblée  souveraine,  inves* 
tie  par  la  France  des  pouvoirs  les  plus  absolus,  d'une 
assemblée  qui  arrivait  et  qui  n* avait  rien  fait  encore. 

Et  pour  la  perdre,  on  la  plaçait  tout  d'abord  non* 
senlement  sur  le  terrain  de  la  garde  départementale, 
mais  sur  le  terrain  plus  scabreux  de  l'affaire  du  Roi. 
Le  débat  allait  se  poser  sur  la  tète  de  Louis  XYI. 
Les  hommes  que  la  Convention  accusait  d'avoir  ver- 
sé le  sang  la  sommaient  d'en  répandre,  et  lui  en 
faisaient  un  devoir.  Cette  assemblée,  leur  juge,  ih 
la  faisaient  responsable  elle-même,  déjà  presque  ac- 
cusée. Ils  lui  déféraient  l'épreuve  du  sang,  disaient  ; 
Qui  ne  tue  pas  trahit. 

Ce  qu'il  y  avait  d'énorme  et  vraiment  étonnant 
dans  l'adresse  de  la  Commune  sur  la  garde  dépar-- 
tementale,  c'est  que,  parlant  de  haut  à  la  Conven* 
tien  et  se  disant  k  Souverain  (le  Peuple),  la  Com« 
mune  contestait  à  l'Assemblée  le  droit  de  faire  des 
lois. 

La  Convention,  investie  de  pouvoirs  illimités,  avait 


j^mis  pbuHaht^  daiii  saniodeiitie  géaéreoM,  de  soit- 
mettre  la  ConsUtiitioii  k  la  sadctioii  d«â  anaédiMêH 
primaires.  Eh  bienl  cette  géfiéfbsitë)  Mi  la  totiltiait 
contre  elle*  On  lui  soutenait  que  ce  dëbrel  de  ^dliee 
et  de  sûreté  était  uh  dé&H  mfMimwnnel,  qui  itevaît, 
comme  tout  le  reste  de  la  Constitution»  attendre  la 
sanction  du  peuple.  La  Commune  ne  reconnaissait 
pas  à  la  Convention  le  droit  de  faire  des  tois^  mèflie 
provisoires;  dé  simples  décrets  d^irgettce.  En  rainant 
ce  j^ncipe,  jusqu'à  l'époque  lointaine  d'une  sanction 
générale  de  la  Constitution,  la  France  sendt  restée 
sans  loi. 

Si  l'adresse  n'était  pas  un  acte  de  démence,  c'é- 
tait un  q[>pel  à  r  insurrection  contre  la  nouvelle  as- 
semblée, sortie  à  peine  de  l'élection,  et  qui  arriérait 
avec  la  forbe  de  la  France.  C'était  un  dé6  qui  lui  était 
porté,  nott  par  Paris^  mais  par  quelques  orataibes 
d'hommes  que  Paris,  d'un  vote  unanime,  venait  de 
repousser.  Ces  hommes,  daas  treise  sections,  avaient, 
contre  un  décret  précis  de  laCohvention,  eiigé  qu'en 
votât  à  haute  toix^  et  ils  n'en  avaient  pas  moins  été 
repousses.  Une  seule  section,  sur  quârante-buit*  IM 
avait  suivis  jusqu'au  bout,  et  décidé  que,  ai  la  COlv- 
vention  exigeait  le  sinnitin  secret,  i^tté  ihatdieràit  en 
ûrtMê  sur  la  Conventim* 

Ces.rollesdémarohes)  en  peut  le  eroire^  n'avàfettt 
été  nullement  cobselllées  par  les  chefe  politiques  de 
la  MoatagUCé  Ils  vii^nt  ktVeo  chagrin)  sA&s  Uni  AMte^, 
que  l'imprudente  adresse  du  19  avait  produit  coUtM 
^m  l'unanimité  de  TAssemMée. 


CbllPftOVËt  LÀ  MKTAGKÉ  (Odr.  92).  467 

Les  petits  jeunes  gehs  qui  menaient  la  Commune 
(Tatlien,  tlhaumette,  Hébert,  etc.)  entraînaient  là 
filonlag'n^  et  ses  chefs  sur  une  pente  rapide,  qùî  au- 
rait annulé  ceux-ci  dans  la  Convention,  ne  leur  au- 
rait laissé  de  foîpce  que  Véihéule,  d'autre  champ  que 
la  rtie,  de  sorte  que  Robespierre  et  Danton  seraient 
devenus  les  seconds  et  les  subaltemes  d'Hébert  et  de 
Chaumette. 

Robespierre  était  sur  une  ligne  fort  difficile.  Ôd 
lai  attribuait  tout  ce  qui  se  faisait  à  l'Hôtel-de-Ville, 
et  il  n'osait  dire  :  Non.  Les  meneurs  de  là  Com- 
mune le  mettaient  toujours  devant  eux,  le  poussaient 
comme  drapeau.  Ils  le  connaissaient  à  merveilfé,  et 
savaient  qù'é,  pour  conselrveï'  cette  position  de  haute 
autorité  morale  et  de  chef  apparent,  il  louerait 
leurs  acteà  les  plus  insensés.  Leur  folle  adressé 
du  id,  que  ni  Robespierre,  ni  personne,  Savait 
ose  appuyer  d'un  seul  mot  dans  la  Convention,  ils 
décidèrent  le  soir,  à  la  Commune,  qu'on  en  enver- 
rait un  exemplaire  à  toutes  les  municipalités.  La 
Cobventîoû  caàse  ledr  décision.  Et  alors,  ils  obtien- 
nent dé  Robespierre  (Ju'il  vienne  à  lèiir  secoure ,  non 
dàâs  la  Convention ,  il  b'eùt  osé  ;  non  même  àùx 
Jacobins ,  il  n'eût  osé  ;  mais  dans  une  assemblée 
obs^cure  dé  son  quartier,  la  section  des  Piques.  Là, 
Robespierre  leur  accorda  ce  mot:  c  Qu'où  eût  dû 
envoyer  hon  paà  tin  exemplaire  à  chaque  municipa- 
lité ,  mai&  vingt-quatre  exemplaires,  i» 

On  le  menait  ainsi  de  proche  en  proche.  T)h  ëài 
vouln  obiettir  dé  lui  l^éloge  de  M'àrât.  Il  le  fit,  maïs  de 


46ft      LES  VIOLENTS  GOlfPROllETTEIfT  LES  lACOBINS  (OCT.  92). 

manière  à  pouvoir  le  désavouer;  il  le  fit  par  son  frère, 
Robespierre  jeune,  aux  Jacobins.  On  obtint  davantage 
de  Chabot;  on  obtint  qu'il  vtnt  dire  que  Septembre 
était  Tœuvre  de  Paris  tout  entier,  que  poursuivre 
Septembre,  c'était  faire  le  procès  à  la  population  pa- 
risienne.— Et  alors,  le  chemin  étant  comme  frayé,  on 
fit  apparaître  à  la  tribune  des  Jacobins  un  quidam , 
se  disant  fédéré,  prêt  à  partir  pour  la  frontière, 
lequel  dit  avec  impudence  :  «  Moi ,  j'ai  travaillé  au 
2  Septembre  ;  j'en  puis  parler...  Soyez  tranquilles, 
nous  n'avons  massacré  que  des  conspirateurs,  des 
faiseurs  de  faux  assignats.  > 

Là,  on  avait  passé  le  but,  et  c'était  trop.  On  avait 
voulu  diminuer  l'horreur,  on  l'augmentait.  L'effron- 
té scélérat  ne  fut  pas  bien  reçu.  La  société  des 
Jacobins  s'était  piquée  toujours  d'une  certaine  dé- 
cence; elle  changeait  alors,  et  néanmoins,  le  cy- 
nisme du  septembriseur  étonna,  produisit  une  sorte 
de  stupeur.  Un  coup,  on  le  sentait,  venait  d'être 
porté  à  la  société.  Elle  se  voyait  entrer,  qu'elle  le 
voulût  ou  non ,  dans  des  voies  de  violence  où  les 
sociétés  de  province  pourraient  bien  ne  pas  la  suivre. 
Marseille  avait  déjà  rompu  avec  elle ,  Bordeaux  Ti* 
mita,  comme  on  devait  s'y  attendre;  d'autres  villes 
suivirent,  Lorient,  Saint-Ëtienne,  Agen,  Monlauban» 
Bayonne,  Perpignan,  Riom,  Cbàlons,  Valogne»  etc., 
et  ce  qui  ébiit  plus  fort,  Nantes  et  le  Mans,  dos 
avant-gardes  républicaines  contre  la  Bretagne  et  la 
Vendée. 

Au  sein  de  T  Assemblée,  même  débâcle.  La  Mon-- 


IRRITATION  mnSTTE  DE  SIETÉ8  ET  DD  CENTRE.  M 

tagne,  quoiqu'elle  n'eût  point  appuyé  la  folle  adresse 
de  la  Commune,  se  trouva  avoir  contre  elle,  dès  ce 
moment,  non  plus  les  trente  Girondins,  non  plus  les 
cent  du  côté  droit,  mais  plus  de  six  cents  membres, 
c'esi-à-dire  la  Convention. 

L'Assemblée,  généralement  inerte,  envieuse  de  la 
Gironde,  était  lente  à  lui  accorder  des  mesures  éner- 
giques. Elle  comptait  beaucoup  de  membres  de  la 
Constituante,  de  la  Législative,  devenus  muets, 
d'autant  plus  aigris,  qui  se  croyaient  majeurs  et  trop 
âgés  pour  prendre  pour  tuteurs  des  avocats  de  vingt* 
cinq  ans.  Au  fond  même  du  centre  (du  ventre,  comme 
on  disait),  se  tenait  bien  enveloppé  d'ombre,  de  peur 
et  de  silence,  dans  ces  masses  compactes,  le  sour- 
nois, le  tremblant  Sieyès.  Il  résumait  toute  la  timi- 
dité, l'envie  haineuse  de  cette  partie  de  l'Assemblée. 
Depuis  qu'il  était  descendu  de  son  grand  piédestal  de 
la  Constituante,  il  fuyait  la  lumière,  allait  sous  terre, 
de  nuit.  On  l'appelait  très-bien  la  taupe  de  la  Réxh- 
huian.  Jamais  Sieyès  ne  dit  un  mot  sans  y  être  for- 
cé. 11  détestait  les  Girondins  comme  des  étourdis  qui 
se  moquaient  de  ses  systèmes.  Toutefois,  au  com- 
mencement ,  les  croyant  forts,  il  eût  été  ravi  d'é- 
craser par  eux  la  Montagne.  Sieyès  était  très- 
violent.  Le  bon  abbé,  lorsque  les  jeunes  gens  le 
pressaient,  lui  demandaient  des  recettes  pratiques, 
répondait  :  Le  canon,  la  mort.  Voyant  les  Girondins 
scrupuleux,  incertains,  il  les  laissa  là,  applaudit  ou 
vota  la  leur. 

Au  temps  où  nous  parlons,  Sieyès  ne  désespérât 

IV.  " 


pua  encore  de  la  Gironde.  11  allait  vens  Iç  mr  vinttf 
les  RoUndy  en  était  écouté.  C'est  lui  iMutitétre  qui 
lei  guida  alors,  leur  prêta  les  lumi^*^  de  sahains 
de  préire,  de  son  expériçnee,  et  les  fit  agir  pin 
adroitement  qu'ils  d' auraient  fSût.  L'endroit  bible  fut 
marqué  avec  précision,  pris  à  point,  frappé  juste,  et 
de  façon  à  blesser  pour  longtemps.  On  écarta  le  o6té 
politique,  on  prit  le  côté  financier,  la  responsabilité 
pécuniaire,  la  question  d'argent. 

Ia  Convention  tout  entière  (moins  que^ues  ob« 
i&tinés  de  la  Montagne)  frappa  la  CompiuBe,  ep 
décrétant  qu'elle  rendrait  ses  comptes  mu  tfoâ 
jwrs. 

Et  elle  frappi^  la  Montagne  elle-même,  en  ordoo« 
nant  que  le  pouvoir  exécutif  (ceci  touchait  Daiw 
ton)  justifierait  dam  vingt^quatte  heures  de  la  isi^ 
nlëre  dont  il  arrêtait  ses  comptes  pour  ^épsus^i 
secrètes. 

A  frapper  ce  coup  sur  Danton,  le  serrer  àlagorgs 
pour  un  compte  impossible,  et  fiaire  desoendre  eetis 
royale  figure  du  génie  de  la  République  aui  mw 
sères  d'un  débiteur  sous  la  contrainte  par  eorps»  " 
y  avait  sans  doute  de  l'adresse,  -«  de  l'habiletét 
Nullement. 

Danton ,  compromis  pour  toujours,  amoisdri  et 
neutralisé,  à  qui  profitait^il,  sinon  à  Robespierre! 

La  Montagne,  la  faction  des  violents,  si  naturelle* 
ment  forte  en  ce  moment  de  violence,  était  (bible  es 
ceci,  qu'elle  était  double  et  qu'elle  avait  deui  obeft, 
entre  lesquels  elle  se  partageait.  Pour  la  resè^ 


BITISION  BU  PiHTf  «IBOXDIN  (OeT,  M).  47| 

fopt09  il  fallait  aonulep  l'un  de9|(]eu:i.  C'eit|le  aer^ 
vice  que  les  Roland  reudirent  à  leur^  ennemi»» 

Danton  une  fois  immobili^éy  réduit  à  la,  d^feniive, 
ne  portant  plus  le  drapeau,  mais  a'abritftnl  desaoua, 
Robespierre  le  portait.  Le  chef  moral  des  Jacobins 
deyenait  le  chef  politique  de  la  Montagne  aussi  bien 
que  de  h  Commune,  et  la  Révolution  dèa  lors  allait, 
froide  et  terrible,  derrière  uu  raisonneur  qui  n'en  re- 
présentait nullement  les  instincts  magnanimes. 

Robespierre,  à  vrai  dire,  avait  avancé,  k  foroe  de 
ne  rien  faire.  Ses  adversaires  ou  ses  rivaui,  s'iin- 
molant  les  uns  les  autres ,  travaillaient  pour  lui  et 
Teibaussaient  toujours.  Pour  luii  ep  91 ,  les  Lametb 
tuèrent  Mirabeau.  Pour  lui,  en  92,  les  Girondina, 
aidés  du  centre,  commencèrent  k  briser  Danton, 

Les  Girondins  pourtant  n'étaient  pas  unanimes  sur 
la  tactique  à  suivre  contre  Danton  et  Robespierre. 
Leur  bomipe  de  génie,  Vergniaud,  voulait  qu'on  resr 
pectàt  le  génie  de  la  Montagne,  qu'on  ménagent 
Danton.  Rrissot,  tout  ardent  qu'il  pût  être  à  frspper 
moralement  Robespierre ,  n'était  nullement  d'avi» 
qu'en  Tattaquàt  juridiquement,  qu'on  lui  flt  un  prOf 
ces  en  règle,  dans  lequel  on  échoueraitt  Rabaut 
Saint-Étienne,  l'illustre  pasteur  protestant  (le  fils 
du  martyr  des  Cévennes),  initié  à  la  vie  politique  par 
la  longue  tradition  des  partis  religieni ,  voyait  auMî 
très-bien  qu^on  n'attaque  pas  un  ennemi  si  l'on  n'est 
Btr  de  le  perdre,  ou  si  on  l'attaque,  on  se  perd  soi- 
même.  Brissoty  Rabaut,  dans  leurs  journaux,  dés«* 
avouent  assez  clairement  ces  attaques  imprudente* 


m        UNE  PRACnON  DE  LA  GmOHDB,  CRLLB  WS  BOLAID, 

que  les  Roland  firent  malgré  eux  sans  doute,  et  peut- 
être  sans  les  consulter. 

VL^  Roland,  il  faut  le  dire,  était  arrivée,  dans  sa 
haine  contre  Danton  et  Robespierre ,  à  un  degré 
d'irritation  qu'on  s'étonne  de  trouver  dans  une  ftme  si 
forte.  Elle  n'avait  guère  de  vice  que  ceux  de  la  vertu; 
j'appelle  surtout  de  ce  nom  la  tendance  qu'ont  les 
ftmes  austères  non-seulement  à  condamner  ceui 
qu'elles  croient  mauvais,  mais  à  les  haïr;  de  plus,  à  di- 
viser le  monde  exactement  en  deux,  à  croire  tout  le 
mal  d*un  côté  et  tout  le  bien  de  l'autre,  à  excommunier 
sans  remède  tout  ce  qui  s'écarte  de  la  précise  ligne 
droite  qu'elles  se  flattent  de  suivre  seules.  C'est  ce 
qu'on  avait  vu  au  XVII*  siècle  dans  le  très-pur,  très 
austère,  très-haineux  parti  janséniste.  C'est  ce  qu*ou 
voyait  dans  la  vertueuse  coterie  de  M.  et  H"*  Roland. 
Celle-ci  devenait  d'autant  plus  âpre,  que,  tenue  pw 
son  sexe  loin  des  assemblées,  n'agissant  qu'indirect^ 
ment,  ne  pouvant  selon  son  courage  entrer  dans  la  m^- 
lée,  elle  ne  calmait  pas  sa  passion  par  le  mouTement 
et  la  lassitude  de  la  vie  publique.  Enfermée  dans  son 
temple,  parmi  ses  amis  à  genoux,  cette  divinité,  ado- 
rée par  eux  comme  la  vertu  et  la  liberté  même,  dut 
contracter  aussi  quelque  chose  de  leur  vive  et  excès* 
sive  sensibilité  pour  les  brutalités  de  la  presse.  Dans 
une  telle  adoration,  les  injures  semblaient  des  blas- 
phèmes. 

C'était  la  guerre  des  dieux.  Il  y  en  avait  trois* 
M"*  Roland  était  pour  tout  ce  qui  l'entourait  l'objet 
d'un  culte.  Robespierre  avait  ses  dévots,  surtout  ses 


ATTAQUE  ROBESPIERRE  (t9  OCTOBRE  92).        4'<5 

dévotes.  Danton  était  violemment  aimé  de  ceux  qui 
l'aimaient,  avidement  regardé,  écoute  et  suivi ^ 
comme  on  fait  pour  une  maîtresse  ;  c'était  comme 
une  religion  de  terreur  et  d'amour. 

L'enthousiasme  public  qui  ne  séparait  pas  Danton 
de  Dumouriez  dans  l'heureuse  délivrance  du  terri* 
toire  avait  plu  médiocrement  à  M""*  Roland,  déjà  fort 
indignée  du  mot  que  le  brutal  avait  lancé  contre  elle 
à  la  tribune.  Combien  plus  irritée  fut-elle  de  la  fête 
que  l'amie  de  Vergniaud^  M^^''  Candeille,  donna  à  Du- 
mouriez, et  où  l'on  vit  Danton  à  côté  de  Vei^niaud  ! 
Elle  ne  fut  pas  loin  d'excommunier  celui-ci,  de  le 
rayer  à  jamais  du  nombre  des  élus.  Le  jour  même, 
ou  le  lendemain,  le  14  octobre,  elle  écrit  à  Bancal, 
son  trés-intimè  ami,  ces  aigres  et  dures  paroles  :  c  Ne 
craignez  pas  de  dire  à  Vergniaud  qu'il  a  beaucoup  à 
faire  pour  se  rétablir  dans  l'opinion,  si  tant  est  qu'il 
y  tienne  encore  en  honnête  homme ,  ce  dont  je 
doute.  » 

Quant  à  Robespierre,  elle  le  haïssait,  mais  nulle- 
ment par  antipathie  naturelle.  Deux  fois  elle  avait 
essayé  d'agir  sur  lui;  deux  fois,  dans  l'intérêt  de  la 
Patrie  (non  autrement;,  elle  lui  avait  fait  des  avances. 
Robespierre  s'était  toujours  reculé^  et  très-loin.  Elle 
ignorait  la  prise  si  forte  que  les  dames  Duplay  avaient 
sur  lui.  Robespierre,  avec  un  sens  parfait,  qui,  plus 
qu'aucune  chose,  prouve  sa  supériorité,  avait  évité 
les  salons,  craint  la  femme  de  lettres,  la  Julie  pure 
et  courageuse  oix  toute  la  société  bourgeoise  recon- 
naissait l'idéal  de  Rousseau.  Lui  aussi,  imitateur  de 


m  toyvBT 

Rousseau,  iioti  di60ipl«  «efVile  littèrtiîreiilent  et  ^ 
tiquement,  il  16  suivît  dàûs  là  vie  privée  avec  iotelli'^ 
gdnee  et  danâ  le  Vmi  setts  dd  Hôn  rMe;  il  aima  dios 
le  peuple.  S'il  ne  se  fit  p&s  menuisier^  comine  l'Emile 
de  Aôusseàu,  il  aima  la  811e  du  Aetioiaier»  Ainni^sa 
vie  fat  une,  et,  tandis  qu«  bien  d'autres  aocordaifenl 
difficilement  leur  cœur  et  leurs  priticipe8>  lui  il  n'en 
fit  ïiucune  différence ,  n'ebseigna  paâ  seulement  l'é^ 
gàlité  par  des  paroles,  mais  la  prêcha  d'eiêmpM. 
Nous  reviendrons  sur  ce  point  important. 

M^  Roland  avait  cru,  non  sans  raison,  que  Robes- 
pierre avait  le  cosur  sensible  aUK  renimes,  qu'il  étiit 
susceptible  d'un  sentiment  délicat^  élevé,  quo  lapa-' 
rolé  d'une  Temmô,  belle  et  vertueuse  entre  toutes^ 
aurait  forcé  sur  lui.  Elle  lui  écrivit  en  91  d'une  ma- 
nière trës-préVénànte.  Il  fUtpoU  et  froid.  Nouvel» 
lettre  en  août  92 1  celle-ci,  ferme  et  sévère,  où  ell» 
espère  éhcore  qu'il  sera  di^e  de  lui  ;  elle  eût  veolo, 
avant  Septembre,  l'arracher  de  la  fatale  Geoi' 
mune.  Nul  eifét,  nulle  réponse.  I>ès  lorb,  c6  fulla 
guerre. 

On  a  vu  sa  faible  apologie  au  ftS  septdmbra; 
depuis  il  se  tenait  tranquille  et  ne  s'était  pas  rb^ 
levé.  En  octobre ,  l'aveugle ,  l'imprudente  atttt*- 
que  des  RolAnd  le  remit  en  évidence,  le  replaça  en 
quelque  sorte  sur  le  piédestal.  Et  il  n'en  est  plus 
descendu. 

Le^  rôleë  furent  divisés,  et  le  jour  fixé  au  89  oc- 
tobre. Roland  devait  d'abord  attaquer  la  Ck)inmuDe 
en  général.  Puis,  un  ami  des  Rolabd,  taâ  jeooe 


ACCUSE  ROBESPimn  (M  OCTOBRE  92).  4'75 

I,  pteifi  d'élan,  de  feu^  devait  attaqueiP  tlôbds- 
pter)^  et  le  prendre  corps  à  corps^ 

RdMd,  dans  uû  très-beau  rapport^  fit  M  tableau 
pathétique  et  trop  vrai  de  Tanat-ébié  paHsiéûne.  Il 
signalait  les  abus  d'autorité  que  se  peridetfait  la  Oom- 
nrane.  Tous  les  désordres  inséparables  de  la  ftituatiob, 
il  les  lui  attribuait.  L'hotnme  le  plu^  autorisé  de  là 
Commune^  celui  qui  atait  préconisé  le  pluii  haut  son 
adrwse  nlenaçante  contre  la  Convention^  élbit  Ro- 
bespiérro*  Roland  ne  le  nommait  ipta,  mais  c'était 
iur  lui  d'à-'plomb  que  tombait  ce  violent  rapport; 

Robespierre  voulut  parler.  Mais  rÀssémblée,  trés^ 
émue,  l'obutina  à  ne  pas  Fentendre. 

Alors  monta  k  la  tribube  un  jeune  hOmme>  de  p^ 
tite  taille,  délicat  et  blond,  qUi  déjà  pourtant  com^ 
BMn9ftit&  ôtre  chauve)  les  yeut  bleus,  là  voix  douce. 
Leuv^t  (c'était  lui,  le  célèbre  romancier),  avec  cet 
extérieur  féminin,  n'en  était  pas  moins  ardent,  cou^ 
ligedt.  Il  Tavait  prouvé  à  la  section  des  Lombards, 
où  il  se  fiait  en  avant  et  montra  beaucoup  d'énei^ie 
diuis  lei  plus  terribles  jours. 

Fils  d'un  bonnetier^  commis-libraire ,  il  avait  dû  à 
M  Qgilre  de  jolie  fille^  qhi  favofisait  TéqUivoque,  de 
fiMiles  bbcoès  de  libertinage  prés  dés  femmes  à  la 
nu)de.  Son  roinan,  Faubla^,  sorti  tout  entier  de  la 
J»nnée  du  Chérubin  de  Figaro,  n'était  autre,  disait- 
un,  que  Vbiatoire  ménlè  de  Louvet,  et  la  confidence 
de  éet  aventures  qu'il  avait  faite  au  public.  Quoi  qu'il 
ai  ittt,  il  s'était  fort  relevé  par  Tamour,  par  un 
amour  pur^  exalté;  il  avait  oublié  Faublas  près  de 


416  LOUTIT 

sa  Lodoiska  ;  il  éprouvait  le  besoin  d'être  un  hoaune, 
un  citoyen  ;  il  s'était  remis  aux  mains  pures  etaè?^ 
res  de  M**  Roland,  qui  lui  faisait  écrire,  pour  son 
mari,  le  journal  La  Sentinelle. 

Malgré  sa  métamorphose,  Tardent  et  brillant  écri- 
vain  n'en  était  pas  moins  resté  léger,  romanesque. 
Rien  de  plus  loin  de  la  gravité.  Fût-il  vraiment  de- 
venu grave,  personne  ne  l'aurait  cru.  Sa  voix,  son 
ton  y  répugnaient.  Son  jeune  visage  était  de  ceux 
qui  ne  peuvent  pas  vieillir;  on  le  connaissait  trop 
aussi  :  la  fatale  célébrité  de  son  roman  le  poursuivait 
à  la  tribune;  il  lui  semblait  interdit  de  parler  sérieu- 
sement. Un  murmure  s'élevait  dès  qu'il  paraissait, 
un  sourire,  du  côté  de  ses  amis  même,  et  le  petit 
mot  :  c  C'est  Faublas!  » 

Voilà  l'homme  à  qui  les  Roland  eurent  l'incraja- 
ble  imprudence  de  permettre  le  râle  d'accusateur  de 
Robespierre. 

En  face  de  ce  pâle  visage,  qui  respirait  l'austérité, 
où  le  plus  sérieux  effort,  la  concentration  la  plus 
soutenue  étaient  exprimés,  placer  le  blondin  Louvet, 
le  romancier,  le  conteur,  l'homme  aux  paroles  légè- 
res, homme?  ou  fille?  on  n'en  savait  rien...  Un  tel 
choix,  véritablement,  devait  être  celui  d'une  feoioie* 
En  effet,  Louvet  appartenait  aux  Roland. 

Rome,  dont  M"'''  Roland  avait  tant  lu  l'histoire, 
eût  dû  lui  apprendre,  à  elle  et  à  ses  amis,  l'impor- 
tance de  l'accusation,  comme  acte  public.  Les  Ro* 
mains  savaient  très-bien  qu'en  ces  choses  l'effet  déci- 
sif dépendait  moins  de  l'éloquence  que  du  caractère, 


ACG08B  ROBESPUnillB  (»LOCTCHniB  9S).  477 

de  Tattlorité  de  l'accusateur.  Il  fallait  qu'avant  de 
parler,  lorsqu'il  se  présentait  aux  juges,  sa  gravité 
connue,  visible  en  toute  sa  personne,  en  ses  muets 
regards,  accablât  déjà  l'accusé,  que  celui-ci,  en 
présence  du  vénéré  personnage  qui  le  déférait  à  la 
justice,  tint  pour  un  coup  plus  grave  que  tout  arrêt 
des  juges  d'être  accusé  par  la  voix  de  Caton. 

Ici,  ce  n'était  pas  Caton,  c'était  Louvet!  Et  l'a*- 
dresse  ne  suppléa  pas  au  défaut  de  la  personne.  Lou- 
vet fut  vif  et  violent,  éloquent  parfois,  toujours  va- 
gue.  Le  grand  complot  qu'il  accusait,  il  dit  que  les 
preuves  en  étaient  dans  les  mains  des  comités  ;  il  ne 
les  apporta  pas.  Tout  ce  qu'il  articula  nettement, 
c'est  ce  qu'on  savait  dés  longtemps,  qu'au  fatal  jour 
du  2  septembre,  quand  les  mots  n'étaient  plus  des 
mots,  mais  des  actes  terribles,  quand  une  parole  fai- 
sait plus  qu'un  poignard,  Robespierre  avait,  au  sein 
de  la  Commune,  désigné  ses  ennemis,  les  avait,  au- 
tant qu'il  était  en  lui,  poignardés  de  sa  parole. 

Les  avait-il  nommés  ou  vaguement  désignés,  c'é- 
tait toute  la  question.  Le  procés-verbal  de  la  Com- 
mune (que  nous  avons  sous  les  yeux)  est  bref  ici, 
comme  partout,  il  dit  le  discours  en  trois  lignes  ;  la 
Convention  ne  pouvait  pas  y  trouver  plus  de  lumière 
que  nous  n'en  trouvons  aujourd'hui.  A  en  juger  par 
tout  ce  que  nous  savons  de  Robespierre,  et  de  ses 
habitudes  de  calomnies  vagues,  il  est  infiniment  pro- 
bable qu'il  ne  nomma  pas,  et  dés  lors  son  discours 
ne  fut  autre  peut-être  que  celui  qu'on  avait  entendu 
cent  fois  :  c  II  y  a  un  grand  complot,  on  voudrait  li- 


«71  iM  mmnm  dk  la  iMiisiift,  mmusiB. 

ftet  k  Erance  » ,  «to.,  etc.  Senleiàbiit  es  batudfegs, 
qui,  dans  les  jours  ordiùiiires,  n'aTait  patf  gnndt 
portée,  pouvait,  dans  un  pareil  jour,  éù  avoir  um^ 
et  terrible» 

LouTot  n'arait  rien  appris  k  la  ConvetltiaD^  rien 
donné  que  des  allégations^  il  ne  recueillit  rieti  ^ue 
des  applaudi^eikients.  Pas  un  homme  iiUpertint  du 
la  Gironde  ne  se  leva  pour  Tappuyer.  Si  Brinot, 
Rabàut-^Saint-Ëtienbe ,  furent  à  la  séanœ  tels  que 
je  les  Tois  le  lendemain  dans  leurs  joamaox,  leur 
froideur  fut  extrême,  et  la  Gotivention  put  lire  sur 
leu^  mine  glacée  la  discorde  intérieure  du  parti,  le 
désaveu  muet  dont  ils  frappaient,  dans  eet  enfant 
perdu ,  l'imprudenoe  de  ses  graves  conseillers,  l'é^ 
tourderie  des  sages. 

La  Commune^  décidément  rtssurée^  iToya&t  qne  la 
Gironde,  le  côté  droite  ne  faisaient  rien,  la  Cotaveo-» 
tion  rien,  ne  to  contint  plus.  Ses  meneurs  insdl^b^ 
les  HébeH,  les  Châumbtte^  crurent  pouvoir  traitât  là 
Convention  comme  des  enfitots  traitedt  un  vietllârd 
radoteui*,  un  Gtasandre  imbécile,  te  tirant,  reicè* 
dant,  jusqu'à  ce  que  te  bonhomme  leur  allotige  un 
coup  de  bâton.  Leur  adresse  outrageusedu  19,  ils 
n'hésitent  plus  à  la  laaoer;  ila  la  jettent  à  la  pœtd, 
pour  les  dépa^temetits^  Roland  Ttfréte  et  ladénonoe 
à  la  Convention  4  Celte^cî  parait  enin  sensible  à  la 
piqàre;  elle  oommenoe  à  seatic*  un  pea  h  TépUér^ 
me,  quand  le  feir  Idi  va  jusqu'aux  osi  Si,  dans  lui 
tel  moment,  la  Gtrôatie  eût  imposé  siitipleaÉeftl 
de  oasser  la  Gomm(ine>  elle  l'étaïi.  Barbfarou  la  i 


FONT  AHBllii  MMilABbfl  QH  MMuiE  02).  4lf 

vft>  et!  dèpAMatil  le  but^  dematidaot  trop  MfitM  elle; 
II  vottlftit»  lioti'-seulement  qo'oti  bppeiftt  les  féâfirés  à 
Paris,  tnéii  Que  la  CMiyenlim  se  àmHiP^t  in  cour  tk 
jtMiûe^  *^  mate  Qu'on  déttàrât  qû'Une  i>iUè  M^laH» 
p¥fAentât<éH  nationale  serait  avilie  pefUrait  le  dtôU  de 
poÊiéiftr  le  carpn  lëghintif.  Dsknatide  insensée,  qui 
semblait  vouloir  faire  la  guerre  à  la  ville  de  Pafi!), 
au  momeat  même  où  cette  ville ,  par  son  unanimité 
eo  fa? ebr  de  Pétion,  venait  de  se  montrer  contMiM 
à  la  Commune  et  favorable  à  rAs4étoblée.~Dahs  là 
Commune  méme^  il  fallait  dUtinguer.  fràppéf  itldis^ 
tinctement  la  Commune  du  10  août,  c'était  eofnblef 
le^  vQfeox  des  rbyalistei;  bne  asiemblée  rêtitiblicaltae 
devait,  dAns  la  Commune^  respecter  le  10  août  qtii 
était  la  République^  isoler i  frapper  les  meneuM; 
Gambon  Ib  proposa  en  vain  :  «  Faites-VdU»  apporter 
les  registres,  dît  il  avec  bon  fieub,  vods  verree  si  le 
délit  est  celui  du  corps  tout  entier^  OU  de  quelque» 
individus.  » 

La  Convention  -,  pouvant  avoir  des  feits^  aima  mieux 
des  paroles»  Elle  manda  dit  membres  de  la  CoMMU-- 
ne,  pour  dire  ce  que  vrainient  la  Commune  avait  or^ 
donné.  Les  meneurs,  heureui  d'être  quittes  pour  4ea 
mots,  des  mensonges^  dépassènsnt,  en  ce  %eM^  tout 
ce  qu'on  pouvait  désirer.  ChaUmette  vint,  à  plat 
ventre^  se  roula  danS  la  bassesse  d'une  hypocrite  bu-> 
raiUté>  dédatna  contre  les  ananckifttes  (c'est4i*dire 
contre  lui-même),  appuyant  la  déclatnaiiton  d'avena 
et  de  géihik^ements  :  «  Ah!  il  n'est  que  trop  vtai,  il 
y  a  eu  des  prévaribateurs  daiis  la  Gommutié  ;  les 


180  APOLOGIE  DB  MmWlBBlUI 

hommes  purs  les  mettront  sous  la  hache  de  la  loi... 
Ah  !  oe  confondez  pas  les  innocents  et  les  coupa- 
bles !....  Si  on  altère  la  confiance  des  citoyens  m 
nous,  comment  yeut-on  que  nous  arrêtions  les  pro- 
vocateurs au  meurtre?....  »  etc.,  etc.  C'était  asseï 
pour  en  vomir.  Les  Girondins  eux-mêmes  demandè- 
rent Tordre  du  jour. 

Les  jours  suivants  offrirent  une  série  d'amendes 
honorables.  Tallien  fit  vite  une  brochure  où  il  pleu- 
rait sur  Septembre,  assurant  «  Que,  pour  lui,  il 
n'y  avait  eu  nulle  part  que  de  sauver  quelques  per- 
sonnes. » 

Robespierre  devait  paraître  à  la  tribune  de  la 
Convention,  pour  se  justifier  aussi ,  le  lundi,  5  no- 
vembre. Il  prépara  cette  séance  par  un  discours 
fort  travaillé:  «  Sur  le  pouvoir  de  la  Calomnie^  > 
qu'il  débita  aux  Jacobins.  L'histoire  de  la  calomnie, 
tracée  par  un  maître  en  ce  genre,  était  reprise  du 
commencement  de  la  Révolution,  habilement  suivie, 
de  manière  à  faire  de  Brissot  et  de  la  Gironde  les 
continuateurs  de  l'abbé  Maury  ;  tout  aboutissait  à 
l'accusation  calomnieuse  de  vouloir  écraser  Paris. 
Le  tout  appuyé  d'un  appel  à  l'envie,  à  la  cupidité  : 
il  montrait  les  Girondins  donnant  toutes  les  places 
aux  leurs,  excluant  les  Jacobins.  Lui,  Robespierre, 
il  était  seul,  sans  parti,  sans  influence,  n'ayant  dI 
place,  ni  trésor.  Et  avec  cela  on  osait  l'accuser  de 
viser  à  la  dictature.  «  Malheur  aux  patriotes  sans 
appui!  Ils  seront  encore  accablés. ..  »  Qu'on  juge 
de  l'effet  de  ces  paroles  lamentables  sur  des  triba- 


AUX  JACOBINS  ET  A  U  COKVKimON  (5  NOT.  9X^  48i 

nés  pleines  de  femmes,  qu'on  juge  des  sanglots  et 
des  pleurs! 

n  arriva  enfin,  ce  5  novembre,  et  Robespierre 
prononça,  devant  la  Convention,  une  humble,  habile 
apologie.  A  une  accusation  vague  comme  celle  de 
Louvet,  suffisait  une  réponse  vague.  Et  Robespierre 
en  fit  une  précise  sur  un  point.  Il  dit ,  ce  qui  était 
vrai,  qu'il  avait  eu  une  seule  entrevue  avec  Marat,  et 
que  Marat  l'avait  quitté,  «  ne  lui  trouvant  pas  l'au- 
dace ni  les  vues  d'un  homme  d'État.  »  Il  ne  loua  pas 
Septembre  ;  il  le  déplora ,  pour  cette  raison  singu«- 
lière  :  c  On  assure  qu'un  innocent  a  péri..,  C*e$t 
trop,  sans  doute,  beaucoup  trop.  » 

Robespierre  fit  une  chose  hasardeuse  dans  ce  dis- 
cours, une  chose  qui  eût  perdu  un  homme  moins  ap- 
puyé du  parti  Jacobin ,  ce  parti  machiavélique  dans 
son  fanatisme,  qui,  tout  comme  le  parti  prêtre,  pas* 
sait  la  fourbe  aux  siens,  et  ne  les  estimait  que  plus. 
Il  mentit  hardiment  sur  deux  points  où  l'on  pouvait, 
k  r  instant  même,  le  convaincre  de  mensonge  par 
d'irrécusables  preuves. 

1^  Il  dit  qu'il  n^avait  jamais  eu  la  moindre  reUUion 
avec  le  comiié  de  surveillance  de  la  Commune.  U  n'y  al- 
lait pas,  il  est  vrai,  mais  le  membre  le  plus  influent 
de  ce  comité,  l'homme  qui  y  avait  fourré  Marat,  an 
2  septembre,  Panis,  ne  bougeait  de  chez  Robes^ 
pierre;  cent  témoins  le  voyaient  chaque  matin  venir 
prendre  le  mot  d'ordre  à  la  maison  Duplay,  rue 
Saintr-Honoré. 

2*  Le  second  mensonge,  plus  effronté  encore,  et 


4|t  BM»f!i|  Irl  RAiriE 

qu'on  pouvftit  réfutor  h  VUeyra  mémo  par  preuve 
écrite  et  par  acte  authentique ,  par  le  Procèt-vefkÊl 
fi$  {a  Comt»t^fi^  (qu9  R0U9  »V009  soi»  le»  jfHl),  Atait 

o«Ui^ci  :  f  Qn  «  innnn^i  qw  j'«vMi  oomprooiia  1» 
«ûr«i6  de  quelques  dépuUa  m  les  dénoaçaot  ë  U 
CQminmie  ca^Krant  le^  eiéfitttiOH3.  J'ai  répondu  à  e^ 
infAïqie,  eu  rappelant  qpe  /'^kwii  mitf  d'aUer  à  l» 

CQiQiDup9  avant  (m  e^idoutiona n  n^  Le  prooè^r 

v«Fl)a)  ooofitate  que  1«  i"  septembre  et  le  S>  Air 
rant  les  ej^éoutionSa  IU>tN3ispi«rre  é(ait  k  la  Ckmvuae 
et  qu'il  y  déQonpftit«  Que  signifie  le  mot  awmi  et 
qa'imp(>Pte*t-il?  U  ae  s'agit  pas  de  savoir  s'il  y 
vint  avant  (le  31  aoikt^  par  exemple),  mais  bien  ai, 
la  Teille  >  le  i"  septembre,  le  jour  des  prôparstifs, 
si  le  9»  le  jeor  des  exéeptions,  darani  les  exéeu^ 
tions,  il  vint^  dénûppa,  «t,  de  la  langue,  forgea  m 
enneroia^  (Y,  plnsbaut,  p.  117^1260 

ieuvet,  Barbaroux,  qui  demandaient  la  paroia» 
allaient  sans  doute  dire  ceci;  la  Giroode  allait tnem** 
pbep.  La  masse  de  la  Convention  ne  le  permit  pas,  Vn 
homme  d'infiniment  d'esprit,  né  pour  aider  toujoun 
la  fiwee,  vil  qu'elle  était  iei  dans  cette  masse  en- 
vievMÎ  de  la  Convention,  dans  les  SQO  députés  neo« 
très,  et  il  flatta  le  oentre.  C'était  le  béarnais  Barrèro. 
Avec  la  prestesse  et  Tagilité  d'un  leste  danseur  Ma^ 
m»f  il  lança  k  Robespierre  un  humiliant  eoqp  de 
pied  qui  le  sauva  néanmoins  et  le  mit  d'à^plomb  i 
a  Ne  ùmw  p«i>  dît-il»  des  piédestaux  kdmpjt 
mées  ;  ne  donnons  pas  d'importance  à  des  bomQM 
fne  l'opwion  MUra  repiettre  à  leur  plaoe.  Pour  so 


Ctt««r  QQhçmQiodç  viser  à  h  dioUiture,  il  f»u4^ii 
lui  supposer  un  caractère,  du  génicy  de  l'audace,  qu9lt 
qow  grands  suooès  politiques  ou  «ilUairest  Qii'uD 
giwid  g^péral,  pnr  pxetppley  }e  front  ceint  de  lnu** 
riers,  revenant  h  lit  tdte  4'ud9  armée  vîctorieufle , 
vienne  ici  eommAnder  aux  légiilateiirs,  insulter  »iHt 
droits  du  peuple»  il  faudrait  sans  doute  appeler  vei 
regarda  et  la  sévérité  des  lois  sur  cette  tête  ooupabla, 
Uaia  que  vous  fassiez  ee  terrible  bonueur  àceui  donl 
les  couronnes  civiques  sont  mêlées  de  cyprès^  voilà  ee 
que  je  ne  puis  concevoir;  ces  hommes  ont  cessé  é'th 
tre  dangereux  dans  une  république.  On  n'arrive  paa 
ainsi  au  pouvoir  suprême  dans  un  pays  qui  doit  éle» 
ver  k  rbumanité  la  premier  temple  qu'elle  ait  eu  ea 
ce  ttwdet*.» 

Banrère  fut  iipplaudi  de  tous)  i|  plot  h  la  Montagnt 
en  sauvant  Robespierre;  au  Centre,  au  c6té  droit,  en 
r humiliant;  à  la  Convention  généralement,  en  don«« 
Dant  prétexte  de  ne  rien  faire  ^  de  se  rassurer,  de 
doimir.  Deux  membres  pourtant  réclamèrent,  Barw 
baroui,  qu'on  ne  voulut  paa  entendre,  et  Robespierre^ 
cruellement  mortifié,  qui  ne  voulait  nullement  ètaw 
sftttvé  ainsi.  Barrère  avait  proposé  de  donner  à  l'tf^re 
du  jour  un  con«idérant  qui  n'était  point  injurieux 
(Conaidéffank  que  la  Convention  ne  doit  a'oeeupep 
que  des  iatérèts  publics  )•  Robespierre  prélandil  que 
c^était  une  injuru,  et  fit  ôtw  ce  mot,  voter  l'ordre 
du  jour  pur  et  aiippla^  ce  qui  eut  l'effet  grav^  d'eC» 
facer  daôa  l'opinion  le  disoonrs  de  Ranrôre.  Rabea* 
pierre^  qui^  au  début  de  la  séance,  était  un  accusé 


481     LA  GIROHDB  PERD  flOH  IRPLOEHCB  «JR  PARIS  (ROT.  92). 

sur  la  sellette,  triompha  à  la  fia,  et  se  trouTa  très- 
haut. 

Quoiqu'une  fraction  de  la  Gironde,  la  coterie  Ro- 
land, eût  seule  attaqué  R<rf)espierre,  le  parti  tout 
entier  en  restait  compromis.  Il  était  trop  visible  qtfe 
la  Gironde  n'était  pas  soutenue  du  Centre,  de  la 
grande  masse  de  la  Convention*  Paris  vit  bien  que  la 
Gironde  elle-même,  divisée  en  fractions,  ne  vaincrait 
pas,  et,  avec  un  instinct  de  prudence  excessive,  il 
commença  à  lâcher  pied ,  et  ne  la  soutint  plus.  La 
Gironde,  unie,  au  16  octobre,  d'accord  avec  le  Cen* 
tre,  avait  enlevé  dans  Paris  Tunanimité  pour  Pétion. 
Divisée,  ébranlée  par  ses  fautes,  ses  discordes,  et 
par  l'en  vie  du  Centre,  elle  vit,  du  16  au  30  novem- 
bre, Paris  flotter,  s'éloigner  d'elle,  s'en  rapprocher, 
mais  avec  peine ,  pour  peu  de  temps  sans  doute. 
Pendant  plusieurs  jours  que  dura  l'élection  du  nou- 
veau maire  (Pétion  avait  refusé),  l'homme  de  Ro- 
bespierre, Lhuillier,  ex-cordonnier  de  la  rue  Mau- 
oonseil,  balança  le  candidat  girondin,  le  mëdedn 
Chambon,  qui,  de  guerre  lasse,  fut  nommé  à  grand - 
peine. 

Signe  grave  et  sinistre  pour  la  Gironde.  Elle  allait 
être  entraînée  sur  la  pente.  Elle  ne  pouvait  refuser  à 
la  Montagne  de  la  suivre  sur  le  terrain  scabreux, 
sanglant  du  procès  du  Roi.  Et,  là  encore,  elle  était 
divisée.  Plusieurs  des  Girondins,  ardents,  violents, 
autant  que  purs,  croyaient  le  Roi  digne  de  mort.  Plu- 
sieurs, en  le  croyant  coupable,  avaient  horreur  de  le 
tuer;  ils  tenaient  compte  de  la  fatalité  de  la  situa- 


ELLE  OUYRE  LE  PROCÈS  DD  ROI  (7  NOV.  92).      485 

tion  ^y  des  eotratoements  et  de  la  faiblesse  du  carac- 
tère, du  bigotisme  même  d'un  serf  des  prêtres,  des 
scrupules  religieux.  Avec  celte  diversité  de  points 
de  vue,  l'attaque  pouvait  être  vive,  mais  non  pas 
franche;  elle  devait  se  sentir  de  la  discorde  intérieure 
du  parti. 

Le  6  novembre,  le  jour  même  de  la  bataille  de 
Jemmapes,  le  girondin  Valazé  fit  un  premier  rapport 
sur  la  Mise  en  accusiUion  du  Roi ,  rapport  déclama^ 
toire  et  vague,  et  pourtant  violent,  où,  dépassant  le 
but  actuel  et  le  titre  du  rapport,  il  s'enquérait  déjà  de 
la  peine,  et  posait  en  principe  qu'il  en  fallait  une 
antre  que  la  déchéance;  il  n'osait  dire  :  la  mort. 

La  Montagne,  dès  le  lendemain,  lança  aussi  son 
rapport,  celui-ci  moins  vague,  plus  sincèrement  vio- 
lent. Le  jacobin  Mailbe,  au  nom  du  comité  de  légis- 
lation, examinait  cette  question  :  a  Est-il  jugeable? 
et  par  qui? — Par  la  Convention  seule.  »  Il  mettait  à 
néant  la  chimère  de  l'inviolabilité. 

L'émulation  était  visible  entre  les  deux  partis.  On 
voyait  trop  que  cet  homme  vivant  n'était  là  que  comme 
un  corps  mort  sur  lequel  on  allait  se  battre,  les  uns, 
les  autres,  se  visant  à  travers,  croyant  que  chaque 
coup  qui  transpercerait  irait  au-delà  blesser  l'ennemi. 
Rien  de  plus  propre  à  ramener  sur  lui  l'intérêt,  la 

1  Eax-mém^s  rayaient  sentie,  admise,  celle  fatalité.  Aa  moment  de 
sa  chute,  pressés  de  lui  donner  conseil,  ils  donnèrent  dans  ce  piège, 
et  eurent  Timprudente  générosité  d*écrire  au  Roi.  J*ai  mal  expliqué 
ceci  à  la  page  4S;  il  y  eut  une  lettre  effeetivement  (mais  fort  honorable) 
das  Girondins.  J'y  reviendrai, 

IV.  " 


m  lUNeBU  m  CE  PROCÈS  potm  la  prancb. 

pitié.  Le  roi  n'existait  plas,  il  ayait  péri  au  10  aoM; 
restait  un  homme,  la  pitié  publique  n'y  Tit  rien  antre 
ebose.  Le  procès  fut  mené  si  maladroitement,  qu'on 
fit  pleurer  les  hommes  de  Septembre  t  Hébert  vena 
des  larmes.  Quand  le  tyran  fut  produit  à  la  barre,  et 
que  Ton  vit  en  lui  un  homme  comme  tant  d'antres, 
qui  semblait  un  bourgeois,  un  rentier,  un  père  de 
famille,  l'air  simple,  un  peu  myope,  d'un  teint  pàli 
déjà  par  la  prison  et  qui  sentait  la  mort,  tous  forent 
troublés;  on  put  mesurer  déjà  le  coup  profond  dont 
les  aveugles  auteurs  d'un  tel  procès  firappaient  la  Ré* 
publique.  La  triste  défense  que  les  avocats  de  Tacousé 
lui  dictèrent  (lui  faisant  méconnaître  son  écriture,  nier 
l'évidence)  ne  put  diminuer  l'intérêt.  Le  coup  fut 
porté,  au  grand  profit  des  royalistes,  avec  toutes  ses 
conséquences,  les  fautes  du  Roi  oubliées,  la  Répli- 
que innocente  haïe  pour  la  royauté  coupable,  et  cette 
coupable  enfin  canonisée  par  l'échafaud  ! 

Cette  vérité,  si  simple  et  si  claire  aujourd'hui,  il  ne 
manquait  pas  d'hommes  pour  la  voir  avant  l'éréne- 
ment.  Yergniaud  la  voyait  bien  de  la  Gironde,  et 
Danton  non  moins  nettement  de  le  Montagne.  Qui 
oserait  la  proclamer  d'avance,  avertir  la  France  dn 
péril?  Il  fttllait  pour  cela  être  fort,  pour  être  fort,  s'o- 
nir.  Les  uns  et  les  autres  étaient  faibles  s'ils  restaient 
chacun  sur  leurs  bancs,  s'ils  n'enjambaient  la  lar- 
geur de  la  salle,  l'étroit  espace  de  la  droite  à  la  gau- 
che ;  —  étroit,  mais  tel  qu'on  rencontre  d'étroites 
fentes  sur  la  Mer  de  glace^  profondes  jusque  dans 
rinûni. 


CHAPITRE  Yin 

RtJPTtmS  DÉFtNITITt  DES  CmONDINS  ET  DE  DAliTON. 
(Novembre  M.) 


I>âBt«Mi  p««ftulft  ptr  la  Gfronde  (oet.  M).  —  Lei  trois  eanenils  de  Duteat 
LafiXeile,  Rolead,  Robespierre;  leun  aoeoMliont  saaajpreavoe.  i-  Cara<H 
tére  de  Danton,  son  insoaciance.  —  Danton  ne  voulait  rien  qa'étte  Danton. 
-^En  quoi  fl  différa  des  Girondins  et  des  Jacobins. — t!  fat  paysan  d'origine, 
■on  boorgeois.^11  n*eat  rien  de  pharisien.— Les  induigêmlê  :  Danton,  Dea» 
moulins,  Fabre  d*Églantine.  —Mot  hasardé  par  Danton  en  faveor  da  Roi* 
—Embarras  de  Danton.— Sa  femme  malade. — Mérite  et  On  de  M»*  Danton. 
—  Inqaiétude  de  Danton.  —  D  ne  pouvait  rester  à  Paris.  —Sa  denMre  en- 
Irerne  avec  lea  Giroodias  (novembre  on  décembre  9S}. 


Il  était  temps,  grand  temps  que  la  Gironde  se  rap- 
prochât de  Danton,  si  elle  le  pouvait.  Cétait  déjà 
bien  tard. 

La  pente  fatale  du  procès,  brusqué  et  précipité  par 
la  fureur  des  uns,  la  peur  des  autres,  n'était  que  trop 
facile  à  voir.  Les  Girondins  étaient  traînés.  S'il  y 
avait  quelque  chance  encore,  non  pour  le  Roi,  mais 
pour  eux-mêmes,  c'était  dans  un  prompt  accord  avec 
l'une  des  deux  forces  qui  divisaient  la  Montagne.  Y 
avait-il  entre  eux  et  Danton  quelque  chose  d'inex- 
piable, qui  les  empêchât  à  jamais  de  se  rapprocher? 
on  ne  le  voit  nullement.  I^i  Danton,  ni  personne  n'a« 


488  DANTON  ROURSUIVI  PAR  LÀ  GIRONDE  (OCT.  9{). 

Tait  ordonné  Septembre.  La  dictature  de  Danton, 
si  elle  avait  été  à  craindre,  ne  l'était  plus,  ayec 
l'ascendant  que  les  fautes  des  Girondins  assuraient 
à  Robespierre.  C'est  ce  que  voyaient  les  plus  sàges 
d'entre  eux.  Ni  Yergniaud,  ni  Condorcet,  ni  même 
Brissot,  n'étaient  éloignés  de  traiter;  Clavières  non 
plus,  le  ministre  des  finances.  Ce  fut  lui  qui,  avec  les 
ministres  de  la  marine  et  des  affaires  étrangères, 
Monge  et  Tondu-Lebrun,  reçut  les  comptes  de  Dan- 
ton. Clavières,  ex^banquier  genevois,  sentait  bien, 
comme  homme  d'affaires,  que  de  si  grandes  affiiires 
de  police  politique  (et  dans  une  crise  pareille)  ne  pou* 
vaient  se  traiter,  comme  des  comptes  de  ménage,  par 
livres,  sous  et  deniers. 

Danton  était  suffisamment  lavé,  si  son  principal 
accusateur,  Roland,  eût  voulu  paraître  au  conseil  et 
signer  avec  les  autres  ministres.  Roland  s'abstint. 
Depuis  plus  d'un  mois  il  n'y  venait  plus,  et  n'y 
voulut  point  venir. 

Danton  ne  fut  jamais  entièrement  relevé  dans  l'o- 
pinion. Les  Roland  et  leurs  amis  se  trouvèrent  avoir 
neutralisé  en  lui  une  des  grandes  forces  de  la  Répu- 
blique, celle  qui  l'avait  le  plus  servie,  et  pouvait  la 
sauver  encore.  Ils  avaient  ébranlé  pour  toujours  la 
confiance  qu'il  pouvait  inspirer;  bien  plus  peut-être, 
la  confiance  qu'il  avait  en  lui-même.  Dès  la  première 
occasion,  au  29  octobre,  dans  l'accusation  solennelle 
de  Roland  contre  la  Montagne,  nous  ne  trouvons  plus 
dans  les  paroles  de  Danton  la  précision  vigoureuse 
qui  lui  était  ordinaire.  U  se  contente  de  répondre 


LES  TROIS  ENNEMIS  DE  DANTON  :  489 

assez  vaguement;  il  semble  marcher  sur  la  glace,  il 
évite,  il  élude.  Il  ne  récrimine  plus  contre  la  Gironde, 
comme  au  25  septembre.  La  seule  chose  nette  et 
positive  dans  son  discours,  c'est  qu'il  désavoue  Marat 
plus  expressément  qu'il  n'a  fait  encore  :  «  Je  déclare 
à  laG)nvention  et  à  la  Nation  entières  que  je  n'aime 
point  rindividu  Marat;  je  dis  avec  franchise  quQ 
j'ai  bit  l'expérience  de  son  tempérament  :  non 
seulement  il  est  volcanique  et  acariâtre,  mais  inso- 
ciable... » 

Au  moment  fatal  où  nous  voyons  faiblir,  pâlir  la 
forte  tète  où  la  patrie  elle-même  s'était  appuyée  un 
jour,  qu'il  nous  soit  permis  d'examiner,  en  deux 
mots,  si  vraiment  la  France  était  forcée,  par  la  jus- 
tice et  l'honneur,  d'être  ingrate,  de  renier  celui 
à  qui  elle  devait  tant. 

Toutes  les  accusations  contre  la  probité  de  Danton 
reposent  sur  l'allégation  de  trois  de  ses  ennemis. 

La  première  seule  a  quelque  vraisemblance.  La- 
fayette  affirme  que  Danton,  vendant  sa  charge  d'avo- 
cat au  conseil,  qui  valait,  dit-il,  dix  mille  livres  (chif- 
fre trop  bas,  en  vérité),  la  cour  lui  en  fit  donner  cent 
mille.  De  là,  l'espoir  que  la  reine,  et  surtout  Ma- 
dame Elisabeth,  auraient  eu  que  Danton  défendrait, 
sinon  la  couronne,  du  moins  la  vie  de  la  famille 
royale. 

La  seconde  accusation  est  celle  des  Roland,  rela- 
tivement aux  fonds  que  Danton  aurait  dilapidés  dans 
son  ministère.  Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  les  né- 
cessités terribles  qui  commandaient,  dans  la  crise^ 


4M  LAPAYBTTB,  ROUND.  WMSfVSKU. 

de  donner  et  jeter  l'argent.  Ces  n^ociationstoiiter^ 
raines  qu'exigeait  le  salut  public  n'étaient  point 
vraiment  de  celles  qu'on  pût  toujours  expliquer,  ra- 
mener à  un  compte  net.  Dans  de  tels  moments  de 
crise,  l'argent  coule,  fuit,  s'envole,  on  ne  sait  cooh 
ment  ;  c'est  le  vif*argent  qu'on  met  dans  la  main. 
Chaque  ministre  eut  quatre  cent  mille  francs  pour 
dépenses  secrètes.  Danton  seul  employa  les  siens,  et 
sauva  la  patrie.  Ce  que  lui  coûta  la  négociation  prus- 
sienne, et,  d'autre  part,  le  contre-complot  de  Breta- 
gne, la  trahison  des  traîtres,  on  ne  peut  le  savoir; 
mais  quatre  cent  mille  francs  semblent  peu,  en  pa- 
reilles affaires.  Les  autres  ministres  ne  dépensèrent 
rien,  et  aussi  ne  firent  rien.  Ëtait-ce  là  le  but? 
Et  n'était-ce  pas  eux  plutôt  qui  avaient  besoin 
d'amnistie  ? 

La  troisième  accusation  est  celle  que  Robespierre 
et  ses  amis  ont  infatigablement  répétée,  Danton,  enr 
voyé  en  Belgique,  et  saisissant,  pour  les  besoins 
urgmts  de  l'armée,  l'argenterie  des  églises  et  beau- 
coup d'objets  précieux,  se  serait  fait  large  part.  — 
Quelle  preuve?  les  accusations  des  Belges  eux* 
mêmes.  Faible  preuve,  si  elle  existait  ;  qui  ne  sait 
leur  rage  contre  ceux  qui  voulaient  alors  la  réuni(m 
de  la  Belgique  ? — Mais  cette  preuve,  enfin,  existent- 
elle?— Non,  elle  a  existé. — Où? — Daus  un  dossier, 
chez  Lebas,  l'intime  ami  de  Robespierre,  lequel  dos» 
sier  aura  été  plus  tard  brûlé  par  les  Dantonistes.  — 
Mais  tout  cela,  qui  le  prouve?  C'est  un  cercle  vi- 
cieux. La  parole  de  Robespierre  est  appuyée  du  dos- 


Ufms  AOC08ATIOK8  SANS  PRBOVES.  4H 

sîer.  Et  Texisteocd  du  dossier?  —  Des  motB  de 
Bobaspierre. 

11  semble  étrange  d'accepteri  pour  unique  preuve 
contre  l'honneur  d'un  hommei  la  parole  de  ses  en- 
nemis. 

Honorables  tous  trois,  dira-t-on.  Otti,  si  l'on  veut, 
mais,  sans  nul  doute,  haineux,  et  crédules  eu  pro- 
portion de  leur  haine. 

Ce  qui  a  tenu  lieu  de  preuve,  c'est  la  force  incal* 
oulable  que  donnèrenl  aux  accusations  la  parfaite  en* 
tente,  la  persévérance  avec  laquelle  les  innombra- 
bles sociétés  jacobines  répétaient  i  reproduisaient 
toute  formule  envoyée  de  Paris,  chantant  invaria- 
blement, sans  7  manquer,  la  note  exacte  que  chan- 
tait ici  le  maître  du  chœur.  On  avait  vu,  au  XYIP 
siècle  surtout  9  dans  la  guerre  des  jésuites  contre 
Port-Royal,  la  force  invincible  d'un  même  mot  ré* 
pété  à  toute  heure,  tous  les  jours,  par  un  chœur 
de  trente  mille  hommes.  Ici*  ce  n'était  pas  trente 
mille,  mais  deux  cent  mille  et  plus.  L'oreille,  une  fois 
habituée,  finit  par  prendre  ce  grand  bruit  pour  l'opi- 
nion générale,  la  voix  du  peuple  et  la  voia>  de  Dieu. 
Toute  l'attention  qu'il  faut  avoir,  c'est  de  commen- 
cer doucement,  bas,  très-bas,  de  monter  lentement 
par  un  crescendo  ménagé;  on  va  jusqu'au  bruit  de  la 
foudre,  sans  qu'on  vous  ait  arrêté.  Elle  éclate,  l'en- 
nemi est  étourdi,  écrasé... 

La  fortune  de  Danton ,  dont  j'ai  sous  les  yeux  un 
détail  authentique  (dont  j'userai  au  temps  de  son 
procès),  semble  avoir  peu  varié  de  91  à  94.  Elle 


49t  CARACTÈRE  DE  DANTON,  SON  INSOCOAlfCE. 

consistait  en  une  mdson  et  quelques  morceaux  de 
terre  qu'il  avait  à  Ârcis,  qu*il  agrandit  un  peu,  et  que 
son  honorable  famille  possède  encore  aujourd'hui. 

Je  ne  dis  pas  que  Danton,  et  tous  les  hommes  du 
temps  qui  manièrent  les  affaires  au  milieu  de  la  tem- 
pête, n'aient  vécu  largement,  n'aient  parfois  gâ- 
ché et  perdu,  qu'ils  n'aient  été  de  très-mauvais  éco- 
nomes de  la  fortune  publique.  Mais,  qu'ils  aient 
vraiment  volé,  qu'au  milieu  de  ces  grands  périls, 
sûrs  de  mourir  demain,  ils  aient  eu  la  basse  et 
sotte  prévoyance  de  garnir  leurs  poches,  pour  les 
vider  à  l'échafaud,  on  ne  me  fera  pas  croire  aisé- 
ment ceci. 

Danton ,  avec  une  nature  riche  en  éléments  de 
vices,  n'avait  guère  de  vices  coûteux.  Il  n'était  point 
joueur,  ni  buveur;  il  n'avait  aucun  luxe,  et  il  n'eât 
pu  en  avoir  ;  c'était  justement  l'époque  où  les  hommes 
de  luxe  avaient  besoin  de  cacher  le  leur.  II  aimait 
les  femmes,  il  est  vrai,  néanmoins  surtout  la  sienne. 
Les  femmes,  c'était  l'endroit  sensible  par  où  les  partis 
l'attaquaient,  cherchaient  à  acquérir  quelque  prise 
sur  lui.  Ainsi  le  parti  d'Orléans  essaya  de  l'ensorceler 
par  la  maîtresse  du  prince,  la  belle  madame  de  Buf- 
fou.  Danton,  par  imagination,  par  l'exigence  de  son 
tempérament  orageux ,  était  fort  mobile.  Cependant 
son  besoin  d'amour  réel  et  d'attachement  le  ramenait 
invariablement  chaque  soir  au  lit  conjugal,  àla  bonne 
et  chère  femme  de  sa  jeunesse,  au  foyer  obscur  de 
l'ancien  Danton. 

Il  n'avait,  en  réalité,  nul  goût  coûteux  qu'une 


DANTON  NB  VOULAIT  RIBN  QU'ÊTRE  DANTON.  4^ 

large  et  imprévoyante  hospitalité,  une  table  ton* 
jours  invitante ,  où  ses  amis  (et  le  nombre  en  était 
grand)  devaient,  bon  gré,  mal  gré,  s'asseoir.  Il  avait 
toujours  été  tel ,  même  au  temps  de  sa  pauvreté, 
ignorant  parfaitement  ce  que  c'était  que  Targent. 
Avocat  sans  cause,  ne  possédant  guère  que  des  dettes, 
nourri  par  son  beau-père,  le  limonadier  du  coin  du 
Pont-Neuf,  qui,  dit-on,  leur  donnait  quelques  louis 
par  mois,  il  vivait  royalement  sur  le  pavé  de  Paris, 
sans  souci  ni  inquiétude,  gagnant  peu ,  ne  désirant 
rien,  jetant  partout  sur  son  passage  Tor  de  sa  paro* 
le.  Il  était  fort  ignorant,  et  ne  lisait  guère.  Encore 
moins  écrivait-il;  il  avait  horreur  d'une  plume,  et 
Ton  ne  peut  pas  trouver  de  son  écriture  ^  Quand 
les  vivres  manquaient  absolument  au  ménage,  on 
s'en  allait  pour  quelque  temps  au  bois,  à  Fontenai 
près  Yincennes,  où  le  beau-père  avait  une  petite 
maison. 

Supposer  qu'un  tel  personnage  soit  devenu  calcu- 
lateur, c'est  faire  trop  d'honneur  à  sa  prévoyance. 
Supposer  qu'il  ait  aimé  l'argent  tout-à-coup,  c'est 
croire  à  une  métamorphose  qu'on  voit  rarement.  Ce 
qui  est  bien  plus  probable,  c'est  que,  n'ayant  jamais 
su  compter,  il  ne  l'apprit  point,  qu'il  n'eut  pas  plus 
d'ordre  au  ministère  qu'au  petit  appartement  du  pas- 
sage du  Commerce.  Habitué  à  vivre  au  hasard,  n'im- 
porte comment,  il  traita  l'argent  de  la  République 

t  n  y  a  une  prétendue  lettre  de  lui  à  sa  femme,  mais  Tisiblement 
apocryphe,  contraire  aux  sentiments  qu*il  avait  alors,  contraire  sur- 
tout à  ceux  qu*il  voulait  lui  montrer. 


m      BN  QDOI  IL  BiPTÉRA  DBS  «ROHOIIIB  ET  VU  lACMHHS. 

comme  celui  de  soo  beau«*père,  avec  cette  difTérenoe 
qu'au  lieu  de  la  bonoe  et  sage  M***  Danton  qui  met- 
tait encore  un  peu  d'ordre  au  petit  ménage,  il  eut, 
au  grand  ménage  de  la  République,  pour  ménagères 
et  économes,  ses  amis,  Lacroix,  Fabre,  Westermann 
etautresy  qui,  pour  le  jeu  ou  l'amour,  puisaient  insa- 
tiablement  dans  sa  trop  facile  amitié. 

Les  hommes  de  ce  temps-ci,  habitués  à  chercher 
pour  chaque  homme  et  chaque  chose  un  but  positif, 
demanderont  :  «  Que  voulait  Danton?  à  quoi  visait- 
il  ?••••  S'il  ne  songeait  point  à  l'argent,  il  voulait 
donc  le  pouvoir?  il  aspirait  à  la  dictature?  »  — 
Telle  fut  la  question  que  se  posaient  les  Girondins, 
et  rien  ne  peut  mieux  prouver  combien  leur  esprit 
fut  superficiel ,  peu  capable  d'entrer  aux  profon- 
deurs (simples  pourtant  et  naïves)  de  la  nature  bien 
observée. 

Une  étude  attentive  et  suivie  de  ce  caractère  nous 
autorise  à  dire,  ce  qu'au  reste  ont  très-bien  dit  deux 
contemporains  sous  une  autre  forme  :  Danum  ne  voih 
lait  rien  de  plus  qu'être  Danton^  c'est-à-dire  exercer 
la  grande  force  qui  était  en  lui.  Il  n'avait  aucun 
désir  d'une  puissance  politique,  sentant  d'instinct 
qu'il  était  une  puissance  naturelle,  un  élément, 
une  force,  comme  la  foudre,  ou  la  mer.  Être  roi  ? 
Quelle  pauvreté  1  Devenir  le  roi  de  la  Révolution,  en 
la  détruisant?  Mais  c'était  descendre,  pour  celui  qui 
se  sentait  la  Révolution  elle-même. 

M""^  Roland  ne  comprit  jamais  rien  à  cela.  Elle 
ignora  profondément  celui  qu'elle  haïssait. 


IL  FUT  PATfiAN  D^OMGIIIB,  NON  BOOUGEOIS.  198 

M"*  Roland  et  la  Gironde,  aussi  bien  que  Robes- 
pierre et  les  Jacobins,  appartenaient ,  nous  Tavons 
dit,  au  XYIII*  siècle,  à  Rousseau,  à  la  bourgeoisie 
philosophe.  Ils  étaient  tous  des  esprits  d'analyse 
et  de  logique.  Danton  était  une  force  organique  : 
difiërence  profonde  de  nature  et  de  méthode,  qui 
devait  les  rendre  irréconciliables  encore  plus  que  leur 
haine. 

Danton ,  malgré  son  tact  étonnant  d'actualité , 
n'était' pas  exclusivement  homme  de  son  siècle.  Il  ap« 
partenait  à  un  élément  très-profond  des  masses  qui 
ne  varie  pas.  C'est  comme  dans  l'océan  ;  le  change- 
ment et  le  mouvement  sont  en  haut,  et  vous  croiriez 
que  l'Océan  remue  et  change;  nullement;  à  vingt  ou 
trente  pieds,  sauf  certains  courants,  il  est  immobile. 
De  même,  le  vaste  fond  de  la  population,  Téternel 
paysan  de  France.  Tout  change,  il  ne  change  pas.  — 
Danton,  de  race  agricole,  avait,  sous  l'avocat,  le  tri- 
bun, le  grand  orateur,  avait  un  rude  paysan.  On  le 
reconnaissait  sans  peine  à  la  puissante  encolure ,  aux 
larges  épaules ,  aux  mains  fortes.  Le  visage  de  cy- 
clope,  cruellement  labouré  de  petite  vérole,  n'en 
rappelait  que  mieux  les  classes  des  campagnes  ob 
l'enfant  n'est  guère  soigné  que  par  la  nature.  Le  col- 
lège n'y  avait  pas  changé  grand' chose,  grâce  à  l'in- 
application de  l'écolier  paresseux.  Il  était  né,  il 
resta,  avec  quelques  modifications  d'éducation,  de 
situation,  le  personnage  énei^iqne  et  très-fin  qu'on 
voit  souvent  parmi  les  paysans  de  Champagne,  les  ru* 
ses  compatriotes  du  bon  La  Fontaine.  Les  formes 


486  IL  N'EUT  RIEM  DB  PHARISIEN. 

d'une  cordialité  grossière,  souvent  violente,  y  cachent 
d'autant  mieux  des  esprits  déliés,  capables,  au  be- 
soin, du  ménagement  des  affaires  et  des  intérêts* 

Ces  hommes  qu'on  cibit  simples,  n'en  sont  pas 
moins  très-propres  à  prendre  des  principes  qui  ne  le 
sont  guère.  Ils  acceptaient ,  sans  diflSculté,  en  ve- 
nant aux  affaires,  la  très-fausse  doctrine»  qu'il  y  a 
deux  morales,  une  publique,  une  privée,  et  que  la 
première,  au  besoin,  doit  étouffer  l'autre.  C'était 
la  théorie  de  tous  les  politiques  du  temps.  Ils  se 
croyaient  fils  de  Brutus  en  ceci,  et  Tétaient  de  Ma- 
chiavel. Les  Jésuites  eux-mêmes  n'ont  point  dit 
autre  chose  :  Tout  permis  pour  le  plus  grand  bien* 
—  Grave  principe  de  corruption  pour  les  hommes 
révolutionnaires.  Mais  Danton,  entre  eux,  eut  du 
moins  ceci  (en  quoi  il  valut  mieux),  c'est  qu'en  lui 
l'inconséquence  des  principes  opposés  éclata  nett^ 
ment,  que  la  violence  et  l'humanité  ne  se  nuancè- 
rent pus  de  mélanges  bâtards,  mais  agirent  tour-è- 
tour.  Il  ne  fut  pas  toujours  sincère,  il  s'en  faut  bien; 
comme  les  autres,  il  rusa,  mentit.  Il  ne  mentit  point 
pour  paraître  bon.  Dans  tant  de  paroles  improvisées, 
lancées  au  cours  variable  des  événements,  il  n'y  a  pas 
un  mot  pharisien.  Son  défaut  fut  eontraire.  Ce  qu*il 
cacha,  et  qui  éclata  souvent  dans  ses  actes ,  parfois 
dans  ses  paroles,  ce  fut  ce  qu'il  avait  de  bon.  Une 
foule  d'hommes  sauvés  par  lui  (chaque  jour  la  tra- 
dition révèle  de  nouveaux  faits  en  ce  genre)  sont 
venus  témoigner  successivement,  dénoncer  l'huma- 
nité de  Danton. 


LBS  IimCL6EI9TS  :  DANTON,  DBSMOULINS,  PABRE.  487 

Ses  ennemis  ne  s'y  trompèrent  pas.  Us  virent  ce 
côté  en  lai  y  par  où  on  pouvait  l'atteindre  dans  ce 
temps  impitoyable^  c'est  qu'il  avait  un  cœur.  C'est 
là  qu'il  fut  percé.  Il  fut,  lui  et  les  siens,  poignardé 
d'un  mot  :  Indulgents.  Leurs  vanteries  terroristes  ne 
leur  servirent  de  rien. 

Ils  ne  pouvaient  se  laver  de  ce  crime.  Ce  furent 
eux-mêmes,  Danton,  Camille  Desmoulins,  Fabre  d'Ë^ 
glantine,  qui  ouvrirent  et  fermèrent  la  Révolution  du 
mot  proscrit  :  Clémence.  Le  dernier,  dans  son  Phi-- 
linte,  inscrit  à  la  fin  de  sa  pièce,  ce  mot,  ce  vœu  du 
vrai  cœur  de  la  France  :  Rien  de  grand  sans  la 
pitié  ^ 

On  a  vu  (t.  II,  p.  352),  dans  nos  citations  de 
Camille  Desmoulins,  comment  il  essayait  d'éluder  les 
terribles  exigences  de  Marat,  lui  faisant  part  et  lui 
concédant  quelque  chose  pour  sauver  beaucoup  plus. 
C'était  là  leur  pensée  commune,  et  leur  contradiction. 
Ils  crurent  à  la  Terreur  comme  principe,  l'admirent 
comme  nécessité  absolue  de  salut  public,  crurent 
qu'en  l'organisant  on  la  limiterait.  Dans  l'attente 
journalière  d'un  retour  de  Septembre,  ils  pensaient, 
par  les  tribunaux,  couper  court  aux  massacres.  Ces 
tribunaux  les  condamnèrent  eux-mêmes. 
11  fallait  beaucoup  de  courage,  dès  la  fin  de  92, 

^ Qa*il  se  sounenne  bien 

Que  tous  les  sentiments^  dont  la  noble  alliance 
Compose  la  vertu,  Tbonneur,  la  bienfaisance, 
L*équité,  la  candeur,  Tamour  et  raroitié, 
N*exi8tireiU  jamaU  dans  un  ewnr  êam  pUié. 


4N     MOT  HASARIlft  PAR  AAlITOll  ER  PATEtm  DU  101  (OCT.  9^. 

pour  risquer  un  mot  dd  pitié.  Danton,  au  commence- 
ment du  procès  du  Roi,  se  hasarda  à  tàter  si  Ton 
pouvait  éveiller,  non  pas  la  miséricorde,  maïs  la  gé- 
nérosité du  vainqueur,  l'instinct  magnanime  qui  ré^ 
pi^e  à  achever  un  ennemi  par  terre.  J'emprunte 
ceci  à  un  historien  très-croyable  sur  un  fiùt  qui 
honore  Danton,  car,  partout  ailleurs,  il  lui  est 
hostile. 

La  chose  n'était  pas  difficile,  si  l'on  eût  parlé  à  /a 
France.  Mais  comment?  par  les  journaux?  Danton 
s'en  abstint  toujours;  rien  n'eût  été  moins  sûr.  Il  s'a- 
dressa plutôt  aux  clubs,  sûr  que  si  un  mot  juste  et 
fort  prenait  une  fois  dans  la  foule,  l'effet  irait  s'éten- 
dant,  rapidement,  à  l'infini,  comme  font  les  vibra- 
tions du  jour  et  de  la  lumière  qui  rayonnent  en  un 
moment  jusqu'à  des  millions  de  lieues.  Il  crut  que, 
chez  ce  peuple  éminemment  électrique,  rétîncelle 
magnanime,  si  elle  frappait  une  fois,  frapperait  à  la 
fois  partout,  transformerait  tout.  Il  se  garda  bien 
de  faire  un  tel  essai  aux  Jacobins,  au  centre  de 
la  politique  révolutionnaire;  il  préféra  les  Corde^ 
liers,  le  foyer  même  de  la  violence  et  de  la  fureur, 
il  crut  au  cœur  des  furieux.  Un  jour  que  des  Cor- 
deliers  lui  reprochaient  de  ne  pas  insister  sur  le 
procès  du  Roi,  de  ne  pas  hâter  sa  mort,  il  dit  brus- 
quement :  a  Une  nation  se  sauve,  mais  elle  ne  se 
venge  pas...  » 

Ils  admirèretit,  se  turent,  mais  le  mot  ne  gagna 
point.  Il  y  avait,  sur  cette  affaire,  une  sorte  de  parti 
pris,  uue  émulation,  et  comme  une  gageure  entre  les 


EMBARIUS  m  DANTON.  499 

tiolents.  C'était  un  terrain  fatal  d'honneur  et  de  foi 
réTolotionnaire^  où  chacun  eût  rougi  de  reculer 
d*an  pas. 

L'embarras  de  Danton  devait  être  grand.  Ne  pou^ 
vant  agir  sur  les  violents,  devait-il  s'adresser  aux 
modftrès,  donner  la  main  à  la  Gironde,  regagner  par 
elle  le  côté  droit,  et  par  lui  entraîner  le  centre,  don- 
ner le  surprenant  spectacle  d'un  Danton  modéré, 
affronter  le  nom  de  traître  qui  d'un  coup  lui  ôterait 
tous  ses  amis  de  la  Montagne,  le  livrant  seul  au  côté 
droit,  à  la  pitié  de  ses  nouveaux  amis?...  Cela  ne  se 
pouvait. 

Il  se  fût  perdu,  sans  nul  doute,  et  peut-être  eût 
perdu  la  France.  L'éclat  d'une  telle  défection  eût  af- 
faibli la  Montagne  et  la  Convention  tout  entière,  et 
le  profit  en  eût  été,  non  pas  même  k  la  Gironde,  mais 

bientôt  aux  royalistes Non  aux  royalistes  seuls , 

mais  à  l'étranger,  à  l'ennemi. 

Il  fallait  que  la  Gironde  ne  l'obligeât  pas  d'être  gi- 
rondin, qu^elle  le  laissât  ce  qu'il  était,  qu'il  restât 
Danton,  que  le  combat  continuât  sur  les  sujets  se- 
condaires, que  seulement,  sur  un  point  ou  deux 
d'actualité,  de  salut,  où  la  vie,  la  mort  de  la  Ré- 
publique, étaient  engagées,  il  y  eût  entente  et  bon 
accord. 

Danton  fit  un  suprême  effort  pour  l'unité  de  la  pa- 
trie. Il  demanda  (vers  le  30  novembre,  ou  bien  peu 
après)  une  dernière  entrevue  avec  les  chefs  de  la 
Gironde.  I!  était  vraiment  nécessaire,  pour  lui,  de 
la  tenir  secrète.  Si  elle  devenait  publique,  dans  un 


800  SA  FEMIIB  NALADB. 

tel  moment,  il  était  perdu.  L'entrevue  eut  lieu  (le 
soir  ou  la  nuit),  dans  une  maison  de  campagne,  à  qua- 
tre lieues  de  Paris,  aux  environs  de  Sceaux.  Ce  pays 
de  bois  était  alors  plus  boisé  qu'aujourd'hui,  et  mé- 
ritait le  nom  qu'un  de  ses  cantons  porte  encore, 
Val-aux-Loups.  Comment,  si  connu  dévisage,  Danton 
sortit-il  de  Paris  sans  qu'on  y  fit  attention  ?  Il  est  in- 
finiment probable  qu'il  alla  d*abord  à  Cachant,  pelit 
village  sur  la  route,  où  put  le  recevoir  Camille  Des- 
moulins, chez  sa  belle-mère,  la  mère  de  Lucile, 
l'amie  de  M"'  Danton. 

L'influence  de  celle-ci,  très-forte  sur  Danton,  (ut 
pour  beaucoup  dans  la  démarche,  si  nous  ne  nous 
trompons.  Danton  aimait  sa  femme  de  passion  et  la 
voyait  mourir.  L'écrasante  rapidité  d'une  telle  révo- 
1  utiou  qui  lui  jetait  sur  le  cœur  événement  sur  événe- 
ment, brisait  la  pauvre  femme.  La  réputation  terrible 
de  son  mari,  sa  forfanterie  épouvantable  d'avoir  fait 
Septembre,  l'avait  tuée.  Elle  était  entrée  tremblante 
dans  ce  fatal  hôtel  du  ministère  de  la  Justice,  et  elle 
en  sortit  morte,  je  veux  dire  frappée  à  mort.  Ce  fut 
une  ombre  qui  revint  au  petit  appartement  du  passage 
du  Commerce,  dans  la  triste  maison  qui  fait  arcade 
et  voûte  entre  le  passage  et  la  rue  (triste  elle-même) 
des  Cordeliers  ;  c'est  aujourd'hui  la  rue  de  l'ËcoIe- 
de- Médecine. 

Le  coup  était  fort  pour  Danton.  Il  arrivait  au  point 
fatal  où  l'homme  ayant  accompli  par  la  concentration 
de  ses  puissances  l'œuvre  principale  de  sa  vie,  son 
unité  diminue,  sa  dualité  reparaît.  Le  ressort  de  la 


MÉRITB  ET  FIN  I«  H»  BAMTOM.  801 

ToloDté  étant  moins  tendu,  reviennent  avec  force  la 
nature  et  le  cœur,  ce  qui  fut  primitif  en  Thomme. 
Cela^  dans  le  cours  ordinaire  des  choses,  arrive  en 
deux  âges  distincts,  divisés  par  le  temps.  Mais  alors, 
nous  l'avons  dit,  il  n'y  avait  plus  de  temps  ;  la  Révo- 
lution Tavait  tué  avec  bien  d'autres  choses. 

C'était  déjà  ce  moment  pour  Danton.  Son  œuvre 
fiûte,  le  salut  public  en  92,  il  eut^  contre  la  volonté 
un  moment  détendue,  l'insurrection  de  la  nature, 
qui  lui  reprit  le  cœur,  le  fouilla  durement»  jusqu'à  ce 
que  l'orgueil  et  la  fureur  le  reprissent  à  leur  tour  et 
le  menassent  rugissant  à  la  mort. 

Les  hommes  qui  jettent  la  vie  au-debors  dans  une 
si  terrible  abondance,  qui  nourrissent  les  peuples  de 
leur  parole,  de  leur  poitrine  brûlante,  du  sang  de 
leur  cœur,  ont  un  grand  besoin  du  foyer.  II  faut  qu'il 
se  refasse,  ce  cœur,  qu'il  se  calme,  ce  sang.  Et  cela 
ne  se  fait  jamais  que  par  une  femme,  et  très-bonne, 
comme  était  M"'  Danton.  Elle  était,  si  nous  en  ju- 
geons par  le  portrait  et  le  buste,  forte  et  calme,  au- 
tant que  belle  et  douce  ;  la  tradition  d'Ârcis,  où  elle 
alla  souvent,  ajoute  qu'elle  était  pieuse,  naturelle- 
ment mélancolique,  d'un  caractère  timide. 

Elle  avait  eu  le  mérite,  dans  sa  situation  aisée  et 
calme,  de  vouloir  courir  ce  hasard,  de  reconnaître  et 
suivre  ce  jeune  homme,  ce  génie  ignoré,  sans  répu- 
tation ni  fortune.  Vertueuse,  elle  l'avait  choisi  mal- 
gré ses  vices,  visibles  en  sa  face  sombre  et  boulever- 
sée. Elle  s'était  associée  à  cette  destinée  obscure  » 
flottante,  et  qu'on  pouvait  dire  bâtie  sur  Torage. 


soi  nfQuitnmB  jm  hkmm. 

Simple  femme,  mais  pleine  de  cœur,  elle  avait 

au  passage  cet  ange  de  ténèbres  et  de  lumière  pour 

le  suivre  à  travers  Tablme,  passer  le  Pont  aigu 

Là,  elle  n'eut  plus  la  force,  et  glissa  dans  la  main  de 
Dieu. 

a  La  femme,  c'est  la  Fortune,  »  a  dit  TOrient 
quelque  part.  Ce  n'était  pas  seulement  la  femme  qui 
échappait  à  Danton ,  c'était  la  fortune  et  sob  bon 
destin;  c'était  la  jeunesse  et  la  Grftce,  cette fiaveiur 
dont  le  sort  doue  l'homme,  en  pur  don,  quand  il  n'a 
rien  mérité  encore.  C'était  la  confiance  et  la  foi,  le 
premier  acte  de  foi  qu'on  eût  ftût  en  lui.  Une  femme 
du  prophète  arabe  lui  demandant  pourquoi  toujours 
il  regrettait  sa  première  femme:  «  C'est,  dit-il,  qu^elle 
a  cru  en  moi  quand  personne  n'y  croyait.  » 

Je  ne  doute  aucunement  que  ce  ne  soit  Mh*  Danton 
qui  ait  fait  promettre  à  son  mari,  s'il  fallait  renverser 
le  Roi,  de  lui  sauver  la  vie,  du  moins  de  sauver  la 
Reine,  la  pieuse  M"*  Elisabeth,  les  deux  enfants.  Lui 
aussi,  il  avait  deux  enfants  :  l'un  conçu  (on  le  voit  par 
les  dates)  du  moment  sacré  qui  suivit  la  prise  de  la 
Bastille  ;  l'autre,  de  Tannée  91,  du  moment  où  Hira- 
beau  mort  et  la  Constituante  éteinte  livraient  l'ave- 
nir à  Danton,  où  l'Assemblée  nouvelle  allait  venir  et 
le  nouveau  roi  de  la  parole. 

Cette  mère,  entre  deux  berceaux,  gisait  malade, 
soignée  par  la  mère  de  Danton.  Chaque  fois  qu*il 
rentrait,  froissé,  blessé  des  choses  du  dehors,  qu'il  lais- 
sait à  la  porte  l'armure  de  l'homme  politique  et  le 
masque  4'^^Î6r>  îl  trouvait  cette  blessure  bien  autre, 


^AMTOM  NB  POUVAIT  BBSTBa  A  PARIS»         fj» 

oetto  plaie  terrible  et  saignante  »  la  certitude  que^ 
sons  pWy  il  devait  être  déchiré  de  lui-même^  coupé 
•li  deiix^  guillotiné  du  cœur*  Il  avait^  toujours  aimé 
cette  femme  excellente^  mais  sa  légèreté,  sa  fougue^ 
l'avaient  parfois  mené  ailleurs*  Et  voilà  qu'elle  par* 
tait^  voilà  qu'il  s'apercevait  de  la  force  et  profondeur 
de  sa  passion  pour  elle.  Et  il  n'y  pouvait  rien,  elle 
fondait^  fuyait,  s'échappait  de  lui,  à  mesure  .que  se» 
htu  contractés  serraient  davantage. 

Le  plus  dur,  c'est  qu'il  ne  lui  était  pas  même  donné 
de  la  voir  au  moins  jusqu'au  bout  et  de  recevoir  son 
adieu.  Il  ne  pouvait  rester  ici  ;  il  lui  fallait  quitter  ce 
lit  de  mort«  9a  situation  contradictoire  allait  éclater  ; 
il  lui  était  impossible  de  mettre  d'accord  Danton  et 
Danton.  La  France^  le  monde,  allaient  avoir  les  yeuE 
80r  lui,  dans  ce  fatal  procès*  Il  ne  pouvait  pas  parler, 
il  ne  pouvait  pas  se  taire.  S'il  ne  trouvait  quelque 
ménagement  qui  ralliât  le  côté  droit,  et,  par  lui,  le 
centre,  la  masse  de  la  Convention,  il  lui  fallait  s'éloi* 
gner^  fuir  Paris,  se  faire  envoyer  en  BelgiquOi  sauf  à 
revenir,  quand  le  cours  des  choses  et  la  desjinée  au« 
raîèt)t  délié  ou  tranché  le  nœud.  Mais  alors,  cette 
femme  malade,  si  malade,  vivrait-elle  encore?  trou^ 
verait*«elle  en  son  amour  assei  de  souflSe  et  de  force 
pour  vivre  jusque-là,  malgré  la  nature,  et  garder  le 
dernier  soupir  pour  son  mari  de  retour?...  On  pou- 
vait prévoir  ce  qui  arriva,  qu'il  serait  trop  tafd,  qu'il 
ne  reviendrait  que  pour  trouver  la  maison  vide,  le» 
en&nts  sans  mère,  et  ce  corps,  si  violemment  aimé, 
au  fond  du  cerciieiK  Danton  ne]croyait  guère  à 


804  SA  DBRMltRB  ENTREVUE  AVEC  LES  GIRONDIRS  (miV.-DÉC.  98). 

rame,  et  c'est  le  corps  qu'il  poursaivit  et  voulat 
revoir,  qu'il  arracha  de  la  terre,  effroyable  et  déE^- 
r6y  au  bout  de  sept  nuits  et  sept  jours,  qu'il  disputa 
aux  vers  d'un  frénétique  embrassement. 

Un  voile  couvrait  encore  ce  tragique  avenir.  Et 
toutefois  (telle  est  la  prescience  des  grandes  douleurs), 
Danton,  sans  nul  doute,  en  avait  le  trouble  confus, 
pendant  qu'il  allait  le  soir  chercher  aux  bois  de 
Sceaux  l'amnistie  de  ses  jennemis.  Il  allait,  cet  homme 
fier,  traîné  par  la  nécessité,  bien  plus  que  par  l'es- 
poir, sur  cette  route  de  décembre,  déjà  désolée  et 
sombre,  aux  premiers  souffles  de  l'hiver. 

Nous  ignorons  malheureusement  tout  le  détail  de 
l'entrevue.  Le  hasard  seul  a  conservé,  fait  connaître 
le  résultat,  si  fatal  à  la  France. 

Nous  ne  savons  même  point  lesquels  des  Girondins 
furent  appelés  au  mystérieux  rendez-vous.  Il  parait 
que  plusieurs  (Yergniaud  sans  doute,  etPétion^  Gon- 
dorcet,  Gensonné,Glaviére,  peut-être  Brissot  encore) 
amnistiaient  Danton  ;  les  autres  ne  voulurent  point 
de  traité. 

Les  autres,  c'étaient  les  amis  personnels  des  Ro- 
land ,  Buzot  et  Barbaroux. 

Les  autres,  c'étaient  les  trois  girondins  proprement 
dits,  avocats  de  Bordeaux,  Guadet,  Ducos  et  Fon- 
fréde.  Les  deux  derniers,  dans  leur  jeune  enthou- 
siasme de  pureté  républicaine,  voulaient  que  la  Ré- 
volution, leur  vierge  adorée,  portât  sa  robe  sans  ta- 
che. Guadet,  l'athlète  ordinaire  du  côté  droit,  son 
ardent  et  infatigable  parleur,  s'était  trop  souvent 


LA  GIRONDE  LE  REPOUSSE  (DEC.  9t).  S05 

battu  contre  Danton,  pour  perdre  jamais  l'aigreur  de 
la  lutte. 

Quelles  furent  les  paroles  de  Danton ,  ses  réponses, 
et  ce  qu'il  trouva  dans  son  cœur,  à  ce  moment  déci- 
sif, pour  l'unité  de  la  patrie,  pour  défendre  lui  et  la 
France  (ici  c'était  même  cause)?  Personne  ne  l'a 
su,  personne  ne  le  retrouvera.  Que  l'histoire  ici  se 
taise  et  n^entreprenne  point  de  l'imaginer.  On  ne  sait 
que  le  dernier  mot,  mot  très-fort,  où  Danton  alla 
loin ,  descendit ,  fit  céder  son  orgueil  :  «  Guadet, 
Guadet,  tu  as  tort;  tu  ne  sais  point  pardonner...  Tu 
ne  sais  pas  sacrifier  ton  ressentiment  à  la  patrie... 
Tu  es  opiniâtre,  et  tu  périras.  » 


TABLE 


LIVRE    VII 


CHAPITRE  L 

U  10  août. 

La  pensée  du  10  août.  4 

Les  vainqueurs  du  10  août.  S 
Les  sections  nomment  des  commissaires  à  l'HÔ- 

tel-de-Ville.  6 
Précautions  militaires  de  la  cour.  8 
Elle  tient  Pétion  aux  Tuileries.  9 
Pétion  délivré.  10 
La  nouvelle  Commune  prépare  la  voie  à  l'in- 
surrection. 13 
État  intérieur  du  Château.  14 
Les  Nobles,  les  Suisses,  la  Garde  nationale.  15 
Défiance  témoignée  à  la  Garde  nationale.  16 
Le  Roi  essaie  de  passer  la  revue.  17 
Le  Roi  universellement  abandonné.  1 8 
La  Commune  arrête  le  commandant  delà  garde 

nationale.  Mandat,  qui  est  tué.  31 

Le  Roi  quitte  le  Château.  La  reine  le  suit.  2S 


L'avant-garde  derinsurrection  se  présente  aux 

Tuileries.  !26 

Elle  est  surprise,  égorgée,  dispersée.  28 

La  Cour  espérait-elle  frapper  un  coup  sur  TAs- 

semblée?  30 

L'insurrection  attaque  les  Tuileries.  51 

Le  Roi;  n'ayant  plus  d'espoir,  fait  dire  de  ces- 
ser le  feu.  Si 
Défense  obstinée  des  Suisses ,  leur  belle  re- 
traite. 
La  garde  nationale  pour  Tinsurrection.  55 
Massacre  des  Suisses.                                         36 
Modération  de  plusieurs  des  vainqueurs  du 
10  août.                                                      S7 

CHAPITRE  IL 

Le  10  août  dans  VÀssembUe.^LuUe  de  V As- 
semblée et  de  la  Commune.  —  Ftn  d^aotU. 

Des  vainqueurs  du  10  août,  fédérés,  gardes* 

françaises,  etc.  41 
Théroigne  de  Héricourt.  43 
Meurtre  de  Suleau.  47 
Impuissance  de  l'Assemblée.  Inertie  des  Giron- 
dins. 48 
Situation  de  l'Assemblée,  dans  la  matinée  du 

10  août.  80 

Le  Roi  se  réfugie  dans  le  sein  de  l'Assemblée.  5S 

Deux  paniques  dans  l'Assemblée.  54 

Le  Roi  fait  cesser  le  feu,  n'ayant  plus  d'espoir.  55 


L'Assemblée  cmserve  &  la  royauté  une  chance 

de  résurrection.  S6 

L'Assemblée  s'annule  elle-même.  S8 

Désespoir  des  familles  des  victimes  du  10  août.  59 

Défiance  et  fureur  du  peuple.  60 

La  Commune  organe  de  cette  fureur.  61 
Sentiments  contradictoires  du  peuple^  sensible 

et  furieux.  62 

Danger  de  la  situation.  64 

Le  Roi  prisonnier,  enfermé  au  Temple.  65 
1  l-i7  août  92.  La  Commune  exige  la  création  d'un 

tribunal  extraordinaire.  66 
Influence  de  Harat  sur  la  Commune. 

19  août  92.  Création  du  tribunal  extraordinaire.  70 

20  août  92.  Danger  de  la  France;  Longwy  assiégé.  71 

Menaces  de  Lafayette;  sa  fuite.  72 
Fermeté  magnanime  de  Danton.  73 
Premiers  mouvements  de  la  Vendée.  74 
Le  nouveau  tribunal  accusé  de  fonctionner  len- 
tement. 75 
Nouvelle  de  la  prise  de  Longwy.  76 
27  août  92.  Fête  funèbre  des  morts  du  10  août.  77 

CHAPITRE  m. 

L'invasion. — Terreur  ei  {tireur  du  Peuple.  Fin  d*août. 

Terreur  de  Paris  à  la  nouvelle  de  l'invasion.  81 
Attente  d'un  jugement  solennel  de  la  révolution 

par  les  rois.  82 
Août-septembre.  La  France  se  voit  surprise  et 

trahie.  84 


Combien  le  roi  prisonnier  était  encore  redoutable.  86 

Héroïque  élan  de  la  France  entière.  87 
Nos  ennemis ,  dans  ce  tableau  immense,  n'ont 

voulu  voir  qu'un  point ,  une  tache  sanglante.  89 

La  France  entière  se  donna  à  la  patrie.  90 

Dévouement,  déchirement  des  femmes,  des  mères.  93 

Danton  fut  alors  la  voix  de  la  France.  94 

Danton  demande  des  visites  domiciliaires.  96 

29  août.  Visites  domiciliaires.  98 

Lutte  de  l'Assemblée  et  de  la  Commune.  99 

Violence  de  la  Commune.  KM 

L'Assemblée  essaie  de  la  briser.  103 
La  Commune  veut  se  maintenir  par  tous  les 

moyens.  404 

Disposition  au  massacre.  406 

CHAPITRE  IV. 
Prélude  du  tnanaere ,  1^'  septembre  92. 

Nul  homme,  ni  Danton,  ni  Robespierre,  ne 

domina  la  situation.  106 
Caractères  divers  de  ceux  qui  voulaient  le  mas- 
sacre. 440 
Influence  des  maratistes  sur  la  Commune.  412 
La  Commune  obstinée  à  ne  point  se  dissoudre.  4 14 
L 'Assemblée  veut  apaiser  la  Commune.  417 
Robespierre  conseille  à  la  Commune  de  remettre 

le  pouvoir  au  peuple.  430 

Du  comité  de  surveillance  ;  Sergent,  Panis.  4  22 
Panis,  beau-frère  de  Santerre,  ami  commun  de 

Robespierre  et  de  Marat.  424 


Panis  introduit  Ifarat  au  comité  de  surveil- 
lance (2  septembre).  iS6 

CHAPITRE  V. 

Le  2  septembre. 

•Proposition  conciliante  du  dantoniste  Tburiot.  130 

Deux  sections  votent  le  massacre.  434 

La  Commune  voulait  la  dictature  et  le  massacre.  4  53 

Courageux  discours  de  Vergniaud.  454, 
On  demande  à  TAssemblée  la  dictature  pour  le 

ministère.  ISS 
L'Assemblée  se  défie  de  Danton ,  qui  néan- 
moins évite  de  se  réunir  à  la  Commune.  1 .16 
Le  comité  de  surveillance  livre  vingt*quatre 

prisonniers  à  la  mort.  439 
Massacre  de  l'Abbaye.  440 
Danton  n'accepte  point  l'invitation  de  la  Com- 
mune. 444 
Quels  furent  les  massacreurs  de  l'Abbaye.  442 
Massacre  des  Carmes.  445 
Impuissance  des  autorités.  447 
L'hôtel  de  Roland  est  envahi.  148 
Robespierre  dénonce  une  grande  conspiration .  4  49 
Tentative  des  ministres  pour  calmer  le  peuple.  4  5 1 
Intervention  inutile.  453 
Massacre  du  Chàtelet.  454 
Massacre  de  la  Conciergerie.  455 
Maillard  organise  un  tribunal  A  l'Abbaye.  45G 
Ce  tribunal  sauve  43  personnes.  159 


Dévouement  de  Geoffroy  Saint-Hiiaire.  i  fK) 

Dévouement  de%M"«*  Gazette  et  Sombrenil.  i6l 

CHAPITRE  VI. 

Suite,  —  Le  9  et  le  A  septembre  92. 

Terreur  universelle  dans  la  nuit  du  2  au  3.  i65 

Inertie  calculée  de  Danton  (2-5  septembre).  i66 

Progrès  dans  la  barbarie,  aui  3  et  4  septemb.  168 
A  l'Abbaye,  le  massacre  devient  un  spectacle 

(3  septembre).  170 

Tentative  sur  THospice  des  femmes.  179 

Danger  des  femmes  à  la  Force.  —  Massacre.  473 

Mort  de  M««  de  Lamballe.  4  76 

Sa  tète  portée  au  Temple.  ISS 
Les  ministres  demandent  en  vain  queTAssem- 

blée  appelle  la  garde  nationale  aux  armes.  185 
lettre  de  Roland  à  l'Assemblée  (3  septembre).  486 
Circulaire  de  Marat  au  nom  de  la  Commune, 
pour  conseiller  le  massacre  aux  départe- 
ments (3  septembre).  488 
Massacres  des  femmes  et  des  enfants  â  la  Sal- 
pètrière  et  à  Bicètre  (4  septembre  92).  490 

CHAPITRE  VII. 

Etal  de  Paris  après  le  massacre  {sept.9i). 

Prostration  morale.  190 
Le  peuple  et  l'armée  eurent  horreur  du  mas- 
sacre. 498 


Opinion  de  Marat,  de  Danton  sur  le  massacre.  200 
L'Assemblée  juré  de  combattre  la  royauté 

(4  septembre).  201 

Cambon  attaque  la  Commune  (4  septembre).  903 

Réaction  de  l'humanité.  305 

Cependant  le  massacre  continue  (5-6  sept.).  204 
Craintes  de  la  Commune.  Les  maratistes  essaient 

d'étendre  le  massacre  à  toute  la  France.  307 
Les  prisonniers  d'Orléans  massacrés  à  Yersail* 

les  (9  septembre).  310 
Danton  sauve  Duport»  lutte  avec  Marat.  314 
Élections  sous  l'influence  des  massacres .  316 
Fédération  de  garantie  mutuelle.  319 
Vols,  pillages,  meurtres,  craintes  de  massacre.  333 
Craintes  pour  l'Assemblée  ;  discours  de  Yer-  335 
gnlaud,  et  dévouement  solennel  de  l'Assem- 
blée (17  septembre).  237 
Clôture  de  l'Assemblée  législative  (30  sept.).  339 

CHAPITRE  VIIK 
Bataille  de  Falmy,  30  sept.  92. 

Élan  de  la  guerre.  330 
Mort  héroïque  de  Beaurepaire  (1*'  sept.).  233 
Offrandes  patriotiques.  335 
Admirable  accord  des  partis.  356 
Damouriez  soutenu  des  Girondins,  de»  Jaco- 
bins, de  Danton.  337 
Dévouement  unanime  de  tous.  338 
Immoralité  profonde  des  puissances  envahis* 
santés.  259 


DoQte  et  incertitude  des  AHemands.  241           | 

Gœthe  et  Faust.  242           \ 

Indécision  du  duc  de  Brunswick.  24o            \ 

Les  Prussiens  parlent  de  restaurer  le  clergé  et  , 

de  faire  rendre  les  biens  nationaux.  244            • 
Pureté  héroïque  de  notre  armée;  comment  elle 

reçoit  les  septembriseurs.  ^248 
Habileté  de  Dumouriez,  qui  pourtant  se  laisse 

tourner.  2S0           * 

Unanimité  pour  le  soutenir.  251 

Etat  formidable  des  campagnes  de  TEst.  252 

Dumouriez  et  Kellermann  â  Yalmy  (20  sept.)  255 

Fermeté  de  la  jeune  armée  sous  le  feu^i  255 

Les  Prussiens  avancent  deux  fois,  et  se  retirent.  257 


LIVRE    VIII 


CHAPITRE  I. 

Le  mande  se  donne  à  la  France. — La  Vendée  contre  la 

France. 

Élan  universel  du  monde  vers  la  France.  264 

Facile  conquête  de  Nice.  266 

LaSavoiesedonneà laFrance  (fin  septemb.  92).  267 

Les  populations  du  Rhin  appellent  la  France.  268 

Spire^  WoraiS;  Mayence  (sept.-oct.  92).  269 
Lille  bombardée   repousse   les   Autrichiens 

(6  octobre  92).  271 

La  France  conquérante  malgré  ellg.  272 

Les  peuples  délivrés  veulent  être  Français.  273 

La  France  les  accepte  pour  les  sauver.  274- 
Elle  trouve  un  ennemi  dans  son  sein  (24- 

25  août  92).  275 

Ingratitude  de  la  Vendée.  276 

Partialité  de  la  Révolution  pour  le  paysan.  277 

La  révolution  plus  chrétienne  que  la  Vendée.  279 

CHAPITRE  IL 

Le  prêtre ,  la  femme  et  la  Vendée. 

La  femme  fut  l'agent  de  la  Vendée.  281 
Ije  femme^  en  général;  devenait  contre-révolu- 
tionnaire. 287 


Elle  empêche  le  mari  d'acheter  les  biens  natio- 
naux. 288 
Le  paysan   aimait-il    le   prêtre,    le  noble 

avant  89?  290 

Relations  du  prêtre  et  de  la  France,  surtout 

dans  l'Ouest.  294 

Attachement  passionné  des  femmes  de  l'Ouest 

pour  le  prêtre.  296 

Désespoir  des  femmes,  lorsque  le  prêtre  est 

éloigné  du  chef-lieu.  298 

Les  couvents,  foyers  de  conspiration.  300 

Les  prêtres  annoncent  la  guerre  civile  (Mnier 

1792).  301 

Gomment  ils  la  fomentent.  503 

Apparitions,  miracles,  etc.  804 

Premiers  massacres  (juin  92) .  305 

Association  noble  de  la  Rouerie.  306 

La  noblesse  se  contente  de  donner  de  Tar- 

gent.  307 

Une  lettre  du  Roi  est  l'oôcasion  de  la  guerre  ci- 
vile (juillet  92).  309 
Vaste  soulèvement  de  la  Vendée  et  premier 
combat  à  Châtillon  et  Bressuire  (24-23 
août  92).                                                      310 
Nantes  et  le  Finistère  pour  la  Révolution.           313 
La  Vendée  peu  contagieuse  pour  la  France.         314 
Le  paysan   achète  partout  les  biens  natio- 
naux.                                                           316 
Ce  qui  rassurait  la  conscience  du  paysan.           316 
Nullité  des  actes  féodaux.                                 517 
Le  paysan  épouse  la  terre.                                 330 


CHAPITRE  III. 

La  Convention.  —  La  Gironde  tt  la  Montagne. 

Divisions  de  la  Convention.  322 

Eltes  $ont  le  plas  grand  danger  de  la  France.     323 
Accusations  mutuelles  des  deux  partis,  égale- 
ment injustes.  324' 
Défiances  mutuelles  de  Paris  et  des  départe- 
ments. 327 
Ouverture  de  la  Convention(âl  septembre  02).    329 
La  GouventioD ,  en  général;  appuie  d'abord  la 

droite.  330 

Danton  et  Robespierre  veulent  rassurer  la  Cou- 

ventioq.  332 

Danton  demande  qu'on  garantisse  la  propriété.  334 
Abolition  de  la  royauté  (21  septembre  92].  338 
Première  opposition  de  Danton  et  de  la  Gironde 

sur  la  capacité  du  peuple  (22  septembre).       340 
Accusations  mutuelles  de  désorganisation  et  de 

démembreu^ent  (23  septembre).  342 

Apologie  de  Danton ,  ses  conseils  pacifiques* 

(25  septembre).  344 

Apologie  de  Robespierre.  346 

Apologie  de  Marat.  348 

Apologie  de  la  Commune^  qui  désavoue  le9 

bommes  de  septembre.  334 

CHAPITRE  IV. 

La  Gironde  contre  Danton  (Sepfembre-oetobrt  92). 

La  Gironde  croit  voir  Danton  toucher  à  la  ty- 
rannie. 357 


La  Gironde,  josqae-là  démocratique ,  s*aiq>oie 
8or  la  boargeoisie  contre  la  dictatare.  SSi 

Les  Jacobins  prennent  le  poste  qu'occupait  la 
Gironde,  l'avant-garde  du  mouvement  vers 
l'égalité.  S64 

L'incapacité  pratique  des  Girondins  avait  obligé 
Danton  de  prendre  le  pouvoir.  S66 

Les  Girondins  harcèlent  et  poursuivent  Danton 
(septembre-octobre  93).  368 

Les  Girondins  poursuivent  Danton  comme  com- 
plice de  Septembre  (sept.-oct.  9S).  370 

Les  Girondins  poursuivent  Danton  et  la  Com- 
mune pour  infidélité  dans  le  maniement  des 
deniers  publics.  378 

Danton  ne  peut  rendre  compte  de  ses  dé- 
penses secrètes  (sept.-oct.  92).  374 

Gomment  Danton  avait  saisi,  arrêté  la  grande 
conspiration  de  l'Ouest  (sept.  92).  376 

Comment  Danton  avait  négocié  l'évacuation  du 
territoire  (sept.  92).  380 

Dumouriez  à  Paris  (12-16  octobre  92).  386 

Danton  et  Dumouriez  veulent  se  concilier  la 
Gironde.  388 

Avances  de  Danton  aux  Girondins  (fin  octo- 
bre 92).  396 

La  Convention,  en  réalité^  n'était  pas  divi- 
sée. 597 

Le  faubourg  Saint-Antoine  exhorte  la  Conven- 
tion à  la  concorde  (21  oct.  92).  598 

Adresse    de    la    Convention    aux    armées- 
(mars93).  40» 


CHAPITRE  V. 

Jemfnapes  (6  novembre). 

Importance  de  la  bataille  de  Jemmapes.  404 

Chances  que  l'armée  de  Jemmapes  avait  contre 

elle.  406 

La  guerre  d'ensemble  et  par  masses  est  sortie 

de  Tinstinct  français  et  de  la  fraternité.  409 

Ce  que  furent  nos  grandes  armées  républicaines.  41 0 
Ce  que  fut  Tarmée  de  Jemmapes.  412 

Exaltation  de  celte  armée.  413 

Probité  ferme  et  modeste  de  nos  ofBciers  plé- 
béiens. 414 
Sévérité  de  l'armée  pour  les  excès  sanguinaires.    41 5 
L'armée  n'est  nullement  abattue  d'un  premier 

échec  (4  nov.  92).  416 

Position  formidable  des  Autrichiens  à  Jem- 
mapes (5  nov.  92).  419 
La  bataille  ouverte  par  la  Marseillaise  (6  no- 
vembre 92).  422 
Vaillance  de  nos  volontaires  à  la  droite  de  l'ar- 
mée.                                                          424 
La  bataille  de  Jemmapes,  gagnée  par  la  Mar- 
seillaise; a  elle-même  inspiré  le  Chant  du 
Départ.                                                        426 
CHAPITRE  VI. 

Invasion  de  la  Belgique.  —  Lutte  de  Canibon  et  de 
Dumouriez  (Novembre  92.) 

L'Angleterre  se  joint  à  la  coalition.  432 

Joie  des  populations  maritimes  des  Pays-Bas*      433 


Terreur  de  l'Angleterre,  434 

L'Angleterre  travaille  contre  nous.  436 

La  Traie  et  la  fensse  Belgique.  438 
La  France  anathématisée  par  ceux  qu'elle  dér 

livre,  439 
Daplicité  de  Dumouriez.  441 
Il  prend  sur  lui  de  garantir  le  clergé  belge.  443 
Les  Belges  refusent  la  liberté,  au  nom  de  la  li- 
berté. 443 
Les  Pays-Bas  seront-ils  réunis  à  la  France?  44i 
Cambon  contre  Dumouriez.  44(> 
Dictature  financière  de  Cambon.  448 
Foi  financière  de  l'Angleterre  et  de  la  France.  449 

CHAPITRE  VIL 

Grandmr  t(  décadtneê  de  la  Girm^. 
(Octobre-novembre  9$.) 

La  Gironde  très-forte  en  octobre.  459 
Pétipn.  obtieut  l'unanimité  de  Paris  (15  ocr 

tobre).  460 
Danger  de  la  Révolution,  si  elle  enraye.  461 
Les  violents  poussent  au  procès  du  Roi.  462 
La  Commune  lance  une  adresse  contre  la  Con- 
vention (19  octobre.)  464 
La  violence  de  la  Commune  compromet  la 

Montagne^  et  la  société  des  Jacobins.  466 

Irritation  muette  de  Sieyès  et  du  centre.  469 

La  Convention  frappe  Danton  et  la  Commune*  470 

Division  du  parti  Girondin.  471 
Une  fraction  de  la  Gironde  (la  fraction  Ro- 


land)  attaque  Robespierre  par  Louvét  (29  oc- 
tobre), 472 
Les  meoears  de  la  Commune  j  menacés^  font 

amende  honorable  (31  octobre).  478 
Apologre  de  lElobespierfe  aux  Jacobins  et  A  la 

Convention  (8  novembre).  480 

Barrère  le  sauve  en  l'insultant.  482 

La  Gironde  perd  son  influence  sur  Paris.  484 

Elle  ouvre  le  procès  du  Roi  (7  novembre).  485 

.   Danger  de  ce  procès  pour  la  France.  486 

CHAPITRE  Vin. 

Bufture  définitive  des  Girondins  et  de  Danton. 
(Novembre  92.) 

Danton  poursuivi  par  la  Gironde  (Oct.  92).  488 
.  Les  trois  ennemis  de  Danton  :  Lafayette,  Roland. 
.  Robesprerre.  489 
Leurs  accusations  sans  preuves.  491 
Caractère tle  Danton.  Son  insouciance.  492 
panton  ue  voulait  rien  qu'être  Danton.  495 
En  quoi  il  différa  des  Girondins  et  des  Jaco- 
bins, /•  494 
.  fi  fut  paysan  d'ôrigioe,  non  bourgeois.  495 
*n  n'eût,  rien  .de  pharisien.  496 
I^s  Indulgents  :  Danton,  Desmoulins,  Fabre.  497 
}lpt  hasardé,  par  Danton  en  faveur  du  Roi  (Oc- 
tobre 92}*  498 
Embarras  de  Danton  •  499 
Sfi  :  femme  malade.  500 


Mérite  et  fin  de  M"*  Danton.  801 
Inquiétude  de  Danton.  SOS 
Danton  ne  pouvait  rester  à  Paris  SOS 
Sa  dernière  entrevue  avec  les  Girondins  (No- 
vembre-décembre 92).  504 
La  Gironde  le  repousse  (Dec.  92).  SOS 


LIBRAIRIE    DE    CHAMEROT, 
■•t  eu  lartfMt,  u. 

-»»)O0O00CKXXXXXXX)O0O00OOO00O00i(XX>0C0COOlX««r 

ATLAS  HISTORIQUE 

DE 

LA  FRANGE 

D'UN  VOLUME  DE  TEXTE 


RBWFEUIART 


DEb  REMARQUES  EXPLICATIVES 

ET  UNE  CHRONOLOGIE  POLITIQUE,   RELIGIEUSE,    LITTÉRAIRE 

ET  SCIENTIFIQUE, 

Pam  V.    DVRVT. 


ATLAS.  Il  TEXTE 

1  vol.  in-4'  de  16  cartes  coloriées.       1  vol.  in -8*  de  25  à  30  feuilles. 
•  9rîT  de  l'oavraffe  complet,  ta  ffr. 


Nous  avons  en  France  d*excellentes  cartes.  Celles  delaMarine 
et  du  Dépôt  de  la  guerre  n'ont  rien  à  envier  aux  plus  belles  pu- 
blications du  même  genre  faites  en  Angleterre  et  en  Allemagne. 
Mais  ces  cartes ,  et  la  plupart  des  autres  qui  se  publient ,  né  se 
rapportent  qu'à  l'état  présent  de  la  France  ou  de  ses  possessions. 
Dès  qu'il  s'agit  d'étudier,  pour  suivre  et  comprendre  l'histoire  de 
notre  pays,  les  transformations  successives  des  divisions  terri- 
toriales et  de  retrouver  sur  la  carte ,  précisées  et  fixées  au  sol , 
toutes  ces  notions  que  les  meilleurs  livres  ne  présentent  jamais 
que  d'une  manière  incertaine  et  vague,  on  manque  de  secours,  ou 
il  faut  s'adresser  à  des  guides  peu  sûrs,  qui  le  plus  souvent  répè- 


—  2  — 
tent  avec  une  eoutante  fidélité  les  mêmes  eneors.  Ct  seecmn , 
M.  DuBUY  voudrait  Toffrir  à  tout  lecteur  attentif  de  notre 
histoire. 

Son  Atlas  est  ainsi  composé  : 

1*  Carte  physique  de  la  France^  présentant  la  havtevr  ida- 
tivedes  montagnes,  les  bassins  hydrographiques,  les  grandes 
divisions  géologiques  du  sol,  les  lignes  de  culture  et  d'égale  inten- 
'  site  pluviale,  les  lignes  isothëres  et  isochimënes. 

2^  La  Gaule  indépendante  et  romaine ,  avec  la  division  en 
17  provinces  et  le  tracé  des  voies  militaires. 

3"*  La  France  mèrotingienne^  vers  630,  à  V^oque  de  la  pins 
grande  extension  de  la  puissance  des  rois  mérovingiens,,  avec  l'in- 
dication des  vilke  regiœ^  et  des  lieux  où  l'on  battait  monnaie  sofos 
les  deux  premières  races ,  plus  un  carton  pour  le  paita^  entre 
les  quatre  fils  de  Clovis. 

4®  L'Empire  de  Charlemagne. 

6^  La  France  carlovingienncj  présentant  les  divisions  territo- 
riales en  comtés  et  cantons  [pagi] ,  et  la  limite  imposée  i  la  France 
par  le  traité  de  Verdun. 

6*  La  France  au  temps  de  la  première  croisade,  avec  l'indica- 
tion des  principaux  fiefs  laïques  et  ecclésiastiques. 

7®  La  France  à  l avènement  de  Philippe  VI y  1328,  avec  l'in- 
dication des  principales  villes  de  commune  et  des  terres  dont 
les  seigneurs  allèrent  à  la  croisade. 

&"  La  France  au  temps  de  Louis  XI.  avec  Tindicaiion  des 
lieux  devenus  historiques  durant  la  guerre  de  cent  ans  contre  l'An- 
gleterre. 

9*  La  France  en  1589,  avec  l'indication  des  provinces  et  des 
villes  occupées  par  les  ligueurs,  les  calvinistes  et  les  royalistes,  et 
celle  de  tous  les  points  devenus  historiques  pendant  lesgoenes  de 
religion  ;  plus  une  carte  de  la  vallée  du  Pô  pour  les  guerres 
dltalie  et  de  Piémont. 

10*  La  France  divisée  en  32  gouvernements  militaireSf  avee 
rindication  des  principales  subdivisions  et  terres  titrées,  plus  celle 
de  tous  les  points  historiques  en  France ,  et  le  long  de  nos  firon- 
tiëres  pour  les  campagnes  d'Italie  et  d'Allemagne  de  1610  à  1789. 

11*  La  France  ecciésiastique  y  donnant  les  divisions  des  pro- 
vinces ecclésiastiques  et  des  évêchés  avant  1789,  avec  l'indication 
des  abbayes  les  plus  célèbres  pendant  toute  la  durée  du  moyen 
ige. 


—  a  — 

12°  Le  Poitou,  T Anjou  et  la  Bretagne,  pour  rintolligenoe  de 
la  guerre  de  Vendée,  les  vallées  du  Pô  et  de  ÏAdige  pour  l'his- 
toire des  campagnes  de  Bonaparte  en  Italie  ;  la  vallée  du  Rhin 
pour  rintelligence  des  opérations  militaires  dont  ces  pays  forent 
le  théâtre  sous  la  république  et  Tempire. 

13®  L  Empire  français  enlSll,  et  les  paya  voisins,  pour  l'in- 
telligence des  guerres  de  l'empire. 

14'  La  France  actuelle^  avec  sa  division  en  86  départements , 
et  Tindication  des  archevêchés,  évêchés  et  des  cours  d'^)pel ,  des 
places  fortes  et  des  ports  militaires ,  des  grandes  usines  et  des 
principaux  lieux  de  production,  des  canaux  et  des  chemins  de 
fer,  plus  un  cartotl  pour  Paris  et  ses  fortifications. 

15*  Planisphère  pour  l'intelligence  des  guerres  maritimes,  avec 
huit  cartons  pour  V  Algérie^  le  Sénégal,  la  Guadeloupe,  la  Marti* 
nique,  l'ile  de  la  Réunion,  la  Guyane,  Saint-Pierre  et  Miquelon, 
les  Marquises  et  Tahiti. 

Le  seul  énoncé  de  ces  cartes  prouve  de  quelle  utilité  devra  être 
cet  Atlas  pour  montrer  aux  yeux  et  faire  toucher  du  doigt  les  ré- 
volutions territoriales  par  lesquelles  la  France  a  passé ,  et  pour 
localiser,  si  j'ose  dire,  tous  les  grands  faits  de  notre  histoire. 

Autrefois  on  disait  que  la  géographie  et  la  chronologie  étaient 
les  deux  yeux  de  l'histoire.  On  dédçdgne  un  peu  trop  aujourd'hui 
ces  études  en  apparence  ingrates  et  stériles  :  le  vieil  axiome  est 
pourtant  toujours  vrai,  et  pour  le  mettre  en  pratique  M.  Duruy 
a  joint  à  son  Atlas  une  chronologie  où  tous  les  faits  par  lesquels 
s'est  révélée  la  vie  nationale  ont  trouvé  leur  place.  Aussi  n'est-il 
pas  fait  mention  seulement  dans  cette  chronologie  des  batailles 
gagnées  ou  perdues  et  dessaccagements  de  villes,  mais  des  grands 
faits  de  l'histoire,  de  la  religion,  des  lettres  et  des  arts,  des  décou- 
vertes scientifiques,  des  édits,  capitulaires,  ordonnances  ou  lois 
qui  ont  gravement  modifié  la  législation  antérieure  ou  mis  en 
avant  des  principes  nouveaux,  des  événements  intéressant  le  com- 
merce ou  l'industrie,  de  mille  choses,  enfin,  qui,  pour  ne  pas  appar- 
tenir directement  à  l'histoire  politique,  n'en  sont  pas  moins  d'in- 
dispensableis  matériaux  pour  l'histoire  générale  du  peuple  français. 

Cette  chronologie  est  divisée  en  périodes  qui  répondent  aux 
cartes  de  l'Atlas.  Chaque  période  est,  suivant  le  besoin,  précédée 
de  notes  explicatives  pour  la  carte  correspondante,  et  suivie  d'une 
liste  des  personnages  qui  se  sont  rendus  célèbres  dans  le  même 


-  4  — 

espace  de  temps,  et  d'un  tableau  sommaire  des  institutions  et  coû- 
tâmes. 

Ces  explications  ont  parfois  une  grande  étendue.  Celles  qui 
se  rapportent  à  la  première  carte  forment  comme  un  cours  de  géo- 
graphie physique  pour  la  France,  et  celles  qui  sont  placées  ei 
regard  des  deux  dernières  cartes  présentent  en  quelques  pages, 
si  l'on  peut  le  dire,  le  bilan  de  la  France  actuelle. 

Quant  à  l'exécution  matérielle^  l'éditeur  n'a  voulu  rien  épargner 
pour  que,  par  la  gravure  et  le  coloriage,  ces  cartes  pussent  soutenir 
toute  concurrence. 


GÉOGRAPHIE   HISTORIQUE    UNIVERSELLE, 

Par  MM.  DUaiJY,  WALLON  et  BVHBTTB, 

Prafrucara  i  TarxIéaU  de  Part*. 
OUVRAGE    AUTORISIÊ    PAR    l'uNIVERSITÉ. 

FOBMAT   I]V-12« 

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Géographie  physique Cours  de  septiteie.  .  1  toL  i  25 

—  ancienne  (i"  partie).       —    de  «liëme.    -  1  roi.  i  15 

—  '—      (2««  partie).       —    de  cinquièBie.  1  roU  I  25 

—  romaine —    de  quatrième,  i  toL  2  50 

—  du  moyen  âge.    •    .       —    de  troisième.  •  1  vol.  2  50 

—  moderne —    de  seconde.    .  4  vol.  î  50 

—  de  h  France    ...       —    de  rhétorique.  2  toL  2  50 

—  contemporaine.    « i  vol.  3    • 


ATLAS    HISTORIQUE    UNIVERSEL, 

Var  M.  miBtlT. 

OUVRAGE  AUTORISÉ  PAR  L  UNIVERSITE, 

FORMAT    IH-S,    CARTONNi. 

AUas  physique Cours  de  septième.  .  2  25 

—  des  temps  anciens  (1'*  partie)  •      —    de  sixième.     .  2    > 

—  —  (2"«  partie).       —    de  cinquième.  2    » 

—  de  la  répubfique  romaine   .    .      —    de  quatrième  •  &    • 

—  du  moyen  Age.     •    .    •    .    .      —    de  troisième.  .  5    » 
^    des  temp  modernes ....      —    de  seconde.    •  5    • 

—  de  la  France.     ' —    de  rhétorique .  2  50 

—  contemporaine 5    • 


PARIS.  -  IMPRIMERIE  DE  L.  MARTINET,  RCE  MIGNON  ,3 
OrARTlKA  DC  l/SCOLK-DC-lirORaKI. 


3  0^7) 


On 


(le   M 


IRE    OE     FRANCE 

DE     l^'HISTOIRè^    PJL     ÂHAfN^ 
^£    L  HISTOIRE    IMOOCRNîl 

TABLEAU?!  svnfCHaoMiaue^    DE 


romE  f^^ 


GTiCfM      A    i.  MIS 

HOMAINE       • 
5    DE     LUT:    . 


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OBI  .    DU     DROIT    Wn/kHÇ^U.       ... 

DU  PRÉTmC,   Om   Uh  rEPRiHÊ,  DE   Ui  FAmiLLE   . 

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^i  *lt*  «.  E^OlMt 

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THB  NEW  YORK;PUBUC  UBRARY 
RBFERBNGB  OBPARTMBOT 


This  book  ia  undor  no  etroamstenee*  to  be 
taken  from  the  Building 

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