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Full text of "Histoire de l'empire de Russie"

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b'^i.A 


V 


HISTOIRE 

DE 

L'EMPIRE  DE  RUSSIE. 


SE  TROUVE  CHEZ 

BossANGE,frères,rue(le  Seine,  n".  12..     à  Paris. 

Marlln  Boss.\>*GE  et  Compagnie,   i^ 

Great  Marlborough  SirecI à  Londres, 

S.-Florent  et  Haler,  libraires  de  la  "j 

Cour \  à  S.-Pélershourg. 

Veyher    J 


à  Mosco 


Jean  Gautier 1 

Ch.  Urbain  et  Compagnie j 

Zawadzki 1 

T.,  )  h  Vilna. 

JMoritz j 

Glucksberg à   Vctrsoi'ie. 

Schalbacoer à   Vienne. 


LOTTIS    DE    SAINT-GERMAIN,    IMPRIMEUR, 
RUE   DE   KAEARETH  ,   NO,  i. 


HISTOIRE 

DE 


L'EMPIRE  DE  PxUSSIE, 

PAU  M.  DE  KARA:\1SIN; 


TRADUITE 


Par  m.  de  DIVOFF, 

GOKSEILLER.   d'ÉTAT    ACTLEL   ET   CHAMnELLAN     DE    SA     TIAJISTÏ 
l'empereur    de    RUSSIE. 


TOME    DIXIEME. 


PARIS, 

A  LA  GALERIE  DE  ROSSANGE,  père, 

Libraire  de  s.  a.  r.   MO^"SEIGNE^:R  le  duc  d'orléan^-, 

rue  Richelieu,  n".  60,  près  Tarcade  Colbert. 


Ho 


A  SA  MAJESTÉ  IMPÉPJALE 

NICOLAS   r. 

EMPEREUR  ET  AUTOCRATE 

DE     TOUTES    LES     RUS-SIES,     etc.,   elc. ,   ClC. 


S 


IRE, 


La  permission  que  votue  MAJESTÉ  impériale 
a  daigné  m  accorder  de  faire  paraîlre  sous  vos 
augustes  auspices  la  suite  de  la  traduction  de 
EHisloire  de  Piussie  ,  csilaplus  noble  et  la  plus 
douce  recompense  que  je  pouvais  espérer  d'un  si 
faible  traçail. 

Sans  doute  je  ne  dois  cette  faveur  insigne  qu  'au 
choiûc  de  mon  sujet ,   qu  'au  sentimeni  qui  m  '« 


porté  à  reproduire ,  dans  la  langue  la  plus 
répandue  en  Europe,  l  oui  rage  qui  renferme  les 
fastes  de  notre  histoire. 

Daignez,  SIRE,  agréer  l'hommage  de  cette 
traduction,  qui,  de  même  que  l  original  ^  est 
l  œuvre  d'un  de  vos  sujets. 

Je  suis  avec  le  plus  profond  respect , 


SIRE, 


DE   VOTRE    MAJESTE    IMPERIALE  , 


UL   TRES-HUMBLE,   TRES-OBEISSANT 
ET  TRÈS-FIDÈLE   SERVITEUR   ET   SUJET 

P.  DE  DlYOf  F. 


(Mlt/VVVV\'VVV\%/VV1V%^VVVVVVVl^tA'\n/VVVt^'V\'\\/«;VI/VV«AlV\/«/«V)/\'«iV%'\'>lVVV\'\'lX'\\'\'\'% 

AVERTISSEMENT 

DU  NOUVEAU  TRADUCTEUR. 

Un  de  mes  plus  célèbres  compatriotes, 
M.  de  Karamsin ,  e'kve  en  ce  moment  un 
monviment  à  la  gloire  de  iTia  patrie  ;  grâce 
à  ses  longues  et  savantes  recherches ,  1  Eu- 
rope va  posséder  une  Histoire  Russe ,  dis- 
sipant tous  les  nuages  qui  couvraient  notre 
origine,  et  retraçant  un  tableau  fidèle 
de  nos  malheurs  et  de  notre  prospérité. 
J'avais  conçu  l'idée  de  consacrer  les  fai- 
bles connaissances  que  j'ai  acquises  dans 
la  langue  française  à  traduire  cet  impor- 
tant ouvrage  ;  j  étais  déjà  au  troisième 
volume  ,  lorsque  j  appris  que  deux  litté- 
rateurs français  avaient  entrepris  la  même 
tâche  ;  je  renonçai  dès- lors  à  mon  projet. 
Mais  depuis ,  M.  de  Karamsin  m  instrui- 
sit que  cette  traduction  était  interrom- 


pue,  et  lïi  invita  a  la  continuer.  Honoré 
de  cette  marque  de  confiance  et  soutenu 
];ar  la  promesse  qu'il  m'avait    faite  de 
icvoir  mon  travail,  j  ai  accepté  ses  offres 
avec   empressement.    Malgré    ses    souf- 
frances il  a  bien  voulu  m  aider  de  ses  lu- 
mières. Puissé-je  avoir  l'épondu  à  sa  con- 
fiance, comme  il  a  répondu  à  mon  espoir  ; 
puissé-je  en  reproduisant  cet  ouvrage 
dans  une  langue  étrangère ,  n'avoir  pas 
trop  affaibli  tous  les  genres  de  mérite  qui 
le  distinguent  et  qui  ont  valu  à  son  auteur 
la  haute  approbation   de  notre  auguste 
Souverain ,  et  la  reconnaissance  de  tous 
iios  compatriotes  ;  puissé-je  enfin ,  pour 
prix  de  mes  veilles ,  mériter  l'indulgence 
de  mes  lecteurs. 


HISTOIRE 

DE 

L'EMPIRE  DE  RUSSIE 

CHAPITRE   PREMIER. 

Règne  de  Féoor  Ivanovitche. 

i584—  1^87. 


Qualités  (le  Fédor.  —  Membres  du  (Conseil  suprême.  — 
Emeute  populaire.  —  Convocaiion  des  Etals  généraux. 

—  Départ  de  Dnîilri  et  de  sa  mère  pour  Ouglitclie.  — 
Emeute  à  Moscou.  —  Pouvoir  et  qualités  deGodounoff. 

—  Couronnement  de  Fédor.  —  Différentes  grâces.  — 
Godounoff  régent  de  lEmpire.  —  Révolte  des  Tchéré- 
misses  appaisée.  —  La  Sibérie  soumise  pour  la  seconde 
fois.  — Relations  avec  l'Angleterre  et  la  Lilhuanie.  — 
Conjuration  contre  Godounoff.  —  Parallèle  de  Godou- 
noff et  d'Adacbeff.  —  Armistice  avec  la  Suède.  —  Am- 
bassade en  Aulricbe.  —  Renouvellement  des  relations 
amicales  avec  le  Danemarck.  —  Affaires  de  Crimée.  — 
Ambassade  à  Conslantinople.  . —  Le  Tsar  dlbérie  oa 
(ieorgie,  tributaire  de  la  Russie.  —  Relations  avec  la 
Perse.  —  Affaires  intérieures.  —  Fondalion  d'Arkhan-» 


lO  HISTOIRE 

gel.  —  Consiruclion  delà  vilie  Blanche  ou  Tsargorod  , 
à  Moscou.  —  iondalion  dOuralsk.  —  Dangers  de  la 
position  de  Godounoff.  —  Exils  ei  supjjlices.  —  Mort 
déplorable  du  héros  Schouit^ky.  —  Sort  de  la  fauiille  de 
Magnus.  —  Oisiveté  de  Fédor. 

An  i5Si.  M  JLjfs  premiers  jours  qui  suivent  la  mort 

d'un  tyran  ,  dit  Tacite ,  sont  les  plus  heureux 
pour  les  peuples  ».  En  effet ,  cesser  de  souffrir 
est  une  des  plus  douces  jouissances  que 
l'homme  puisse  éprouver.  Mais  un  règne 
cruel  prépare  souvent  un  règne  faible.  Le 
nouveau  souverain  ,  pour  ne  pas  ressembler 
à  son  odieux  prédécesseur  ,  et  pour  se  conci- 
lier Famour  du  peuple  ,  tombe  facilement , 
par  excès  contraire  ,  dans  un  relâchement  fu- 

Qii.iiiirs  <ie  iit'ste  à  l'état.  C'est  ce  que  pouvait  faire  ap- 
préhender aux  vrais  amis  de  la  patrie  ,  le  ca- 
ractère connu  de  l'héritier  d'Ivan.  Ce  prince 
joignait  à  une  extrême  douceur  ,  un  esprit 
craintif ,  une  piété  excessive,  et  la  plus  pro- 
fonde indifférence  pour  les  grandeurs.  Sur 
ce  trône ,  d'où  un  tyran  avait  lancé  la  foudre, 
la  Russie  voyait  monter  un  prince  entière- 
ment voue  aux  austérités  des  cloîtres,  formé 
plutôt  pour  la  vie  monastique  que  pour  le 


icJc 


DE     RUSSIE.  11 

pouvoir  souverain.  C'est  ainsi  que  le  jugeait 
son  père  ,  lorsque ,  dans  des  momens  d'épan- 
clieuient ,  il  donnait  des  larmes  à  la  mort  de 
son  iils  aîné,  objet  particulier  de  son  affec- 
tion (i).  Fédor  n'avait  hérité  ni  du  génie  poli- 
tique de  son  père,  ni  de  son  extérieur  impo- 
sant. Il  n'avait  aucun  trait  de  la  beauté  mâle 
de  son  grand  père  ni  de  son  ayeul.  Il  était  pâle, 
sa  taille  était  petite  et  son  corps  était  grêle.  Le 
sourire  était  toujours  sur  ses  lèvres;  mais  son 
visage  n'avait  pas  la  moindre  expression.  Il 
était  lent  dans  tous  ses  mouvemens  ;  une 
grande  faiblesse  de  jambes  le  faisait  marcher 
d'un  pas  inégal;  en  un  mot,  tout  indiquait 
en  lui  un  épuisement  prématuré  de  forces 
physiques  et  morales.  En  voyant  un  souverain 
de  vingt-sept  ans  ,  condamné  par  la  nature  à 
une  éternelle  enfance  et  destiné  à  vivre  dans 
la  dépendance  entière  des  grands  ou  des 
moines,  on  n'osait  se  réjouir  de  la  fin  de  la 
tyrannie.  On  craignait  que  les  troubles  et  les 
intrigues  des  Boyards  ne  lissent  bientôt  re- 
gretter cet  élat,  plus  funeste  sans  doute  pour 
les  particuliers,  mais  moins  dangereux  peut- 
être  pour  un  grand  empire,   fondé  sur  un 


Membre  Ju 
Consoil  su- 
prême. 


Ï2  HISTOIRE 

pouvoir  monarchique,  indivisible  et  puissant. 
Heureusement  pour  la  Russie,  Fédor,  redou- 
tant ce  même  pouvoir  comme  une  tentation 
qui  compromellait  le  salut  de  son  âme,  con- 
fia les  rênes  du  gouvernement  à  une  main 
habile  ;  et  ce  règne ,  sans  être  exempt  d'iniqui- 
tés ,  et  quoique  terni  par  le  crime  le  plus  hor- 
rible ,  parut  aux  contemporains  comme  un 
bienfait  de  Dieu;  ils  se  crurent  ramenés  à 
Fàge  d'or,  Ivan  avait  cessé  de  régner. 

La  nouvelle  Penlarchie ,  ou  Conseil  su- 
prême,  établie  par  Ivan  au  moment  de  sa 
mort ,  et  composée  de  cinq  grands  de  l'État , 
était  généralement  un  objet  d'attention ,  d'es- 
pérance et  de  crainte.  Le  prince  Mstisiafsky 
n'était  distingué  que  par  l'illustration  de  sa 
naissance  et  de  son  rang;  il  était  le  plus  ancien 
dos  Boyards  et  des  Voïévodes.  ISikita  Romano- 
vilche  lourieff  était  respecté  ,  comme  frère 
d'Anastasie  et  oncle  du  souverain  ;  on  l'aimait 
à  cause  de  sa  probité  que  la  calomnie  même 
n'avail  osé  attaquer  dans  ces  tems  homicides. 
On  révérait  dans  le  prince  Schouisky  l'éclat 
de  ses  grands  talens  militaires  et  la  fermeté  de 
&on  caractère.    Mais  Belsky,  soupb^  et  rusé, 


DE    RUSSIE.  l3 

t'iail  délesté  ,  comme  premier  favori  d'Ivan. 
On  connaissait  déjà  les  qualités  éminentes  de 
Boris  Godoiinoir  ;  et  on  ne  Ten  redoutait  que 
plus,  parce  qu'il  avait  su  se  concilier  aussi  la 
faveur  particulière  du  tyran  ,  qu'il  était  le 
gendre  de  l'odieux  Malouta  Skouratoff,  et  en- 
fin l'allié  et  l'ami  apparent  de  Belsky.  Dès  la 
première  nuit  (  i8  mars),  le  Conseil  suprême 
ayant  pris  les  rênes  du  gouvernement,  bannit 
de  la  capitale  plusieurs  des  créatures  d'Ivan  , 
ministres  connus  de  ses  cruautés  ;  d'autres 
furent  mis  en  prison  (  2  ).  Les  Nagoï  ,  parens 
de  la  douairière,  furent  gardés  à  vue.  On  leur 
supposa  des  projets  criminels  ,  probablement 
celui  de  vouloir  fairedéclarer  le  jeune  Dmitri , 
successeur  d'Ivan. 

Moscou  était  dans  une  jurande  asritation  ,  Emcmepopu- 
mais  les  Boyards  y  rétablirent  la  tranquillité  ; 
ils  prêtèrent  solennellement  serment  à  Fédor , 
ainsi  que  tous  les  autres  dignitaires  de  l'Etat, 
£t  publièrent  le  lendemain,  par  un  manifeste, 
son  avènement  au  trône.  Des  détachemens  de 
troupes  parcouraient  les  rues  ,  et  les  canons 
«ftaient  braqués  sur  toutes  les  places  (3  ). 


l4  ttlSTOIRK 

Convocation  1-^^  iiouvcau  gouvemcmcnt  ayant  îmmédîa- 
génevàuÀT  lement  envoyé  des  courriers  dans  les  pro- 
vinces ,  avec  Tordre  de  faire  des  prières  pour 
le  repos  de  Tàme  d'Ivan  et  pour  Thenreux 
règne  de  Fédor ,  convoqua  les  Etats  généraux , 
composés  du  haut  clergé  ,  de  la  noblesse  et 
des  notables,  pour  convenir  de  certaines  me- 
sures générales ,  et  pourvoir  au  bien-être  de 
Tempire.  On  lixa  le  jour  du  couronnement 
et  on  en  détermina  le  cérémonial  par  une 
ordonnance  (4).  On  discuta  sur  les  intérêts  de 
l'Etat  et  sur  les  moyens  de  diminuer  les  im- 
De'rait  ,ic  pots.  On  lit ,  en  même  temps ,  partir  pour 
s^"ni!re%ur  Ouglitclic  la  vcuvc  d'Ivan,  avec  son  jeune  fils, 
ug  lie  le.  ^^^  père  ,  ses  frères  et  tous  les  Nagoï ,  en  lui 
accordant  Une  cour ,  des  enfans  Boyards  et  des 
Streletz  pour  sa  garde  (5).  Fédor ,  toujours 
bon  ,  répandit  des  larmes  sincères  ,  en  faisant 
de  tendres  adieux  à  son  frère  Dmitri.  On 
voyait  facilement  qu'il  remplissait,  contre  son 
gré  ,  un  devoir  qui  affligeait  son  cœur.  Cet 
éloignemcnt  du  Tsarevitclie  ,  seul  héritier  de 
la  couronne  ,  pouvait  être  regardé  comme  un 
éclatant  exil  ;  et  Belsky  ,  menin  de  Dmitri  , 
ne  voulant  point  le  partager ,  resta  à  Moscou. 


DE  RUSSIE.  l5 

Il  espt'rait  dominer  dans  le  Conseil  ;  mais  il 
vit  bientôt  un  orage  se  former  sur  sa  tète. 

Tandis  que  la  Piussie  applaudissait  à  la  sa- 
gesse des  mesures  prises  par  le  nouveau  j^ou- 
vernement ,  iNIoseou  élail  le  théâtre  des  riva- 
lités les  plus  contraires  et  des  ambitions  les 
plus  effrénées.  Il  courut  d'abord  des  bruits 
sourds  sur  un  grand  danger  qui  menaçait  le 
jeune  monarque  ,  et  bientôt  on  nomma 
l'homme  à  qui  des  crimes  à  commettre ,  et  le 
projet  de  troubler  la  Russie  devaient  le  moins 
coûter.  On  prétendit  que  Belsky  ,  après  avoir 
empoisonné  Ivan  ,  songeait  à  faire  périr  Fédor 
et  tous  les  Boyards ,  et  à  faire  monter  sur  le 
trône  Godounoff  (6),  son  ami  et  son  con- 
seiller. Les  auteurs  secrets  de  ces  calomnies 
étaient,  d'après  l'opinion  générale,  les  princes 
Schouiski,  qui  se  servirent,  pour  les  propager, 
des  Liapounoff  et  des  Kikin,  gentilshommes 
de  llézan.  Ils  parvinrent  à  soulever  un  peuple 
crédule  qui  ,  ajoutant  foi  à  leurs  suggestions  , 
voulut,  dans  son  aveugle  dévoiiment ,  sauver 
\e  souverain  et  l'Etat,  des  entreprises  d'un 
monstre. 

Le  cri  de  l'émeute  se  fit  entendre  d'un  bout      E>>i''"te 

a  Moscou. 


l6  HISTOIRE 

à  l'autre  de  Moscou.  Le  peuple,  les  enlans 
Boyards  ,  et  vingt  mille  hommes  en  armes  se 
précipitèrent  vers  le  Kremlin.  On  eut  à  peine 
le  temps  d'en  fermer  les  portes ,  d'y  rassem- 
bler quelques  Strelelz  pour  sa  défense ,  et  le 
Conseil,  pour  prendre  des  mesures  contre  un 
danger  imminent.  Les  insurgés  s'étaient  em- 
paré ,  dans  Kitaïgorod  ,  de  l'artillerie  qui  s'y 
trouvait;  ils  avaient  braqué  le  canon  appelé 
caiton  du  l^sar  contre  la  porte  de  Floroff  et 
voulaient  l'enfoncer  pour  pénétrer  dans  la 
forteresse.  Alors  le  souverain  envoya  vers 
eux  le  prince  Ivan  Mstislafsky ,  le  boyard 
Nikita  Romanovitche  et  les  diaks  André  et 
Yassill  Stchelkaloff ,  pour  leur  demander  la 
cause  de  ce  soulèvement  et  ce  qu'ils  voulaient. 
«  Belsky ,  répondit  le  peuple  ;  livrez-nous  ce 
»  scélérat  ;  il  veut  détruire  la  tige  de  nos  sou- 
»  verains  et  toutes  les  familles  des  Boyards  ». 
Mille  voix  répétèrent  le  nom  de  Belsky.  Ce 
malheureux  seigneur,  accablé  de  cette  accu- 
sation ,  effrayé  de  la  haine  furieuse  qu'il  ins- 
pirait, tout  tremblant,  et  ne  songeant  qu'à 
sauver  ses  jours,  vint  chercher  un  refuge  jus- 
que   dans  la  chambre   à  coucher  du  souve- 


DK    RUSSIE.  17 

raîii  (7).  Fédor  connaissait  son  innocence  ; 
elle  nVlail  pas  moins  connue  des  Boyards  ; 
mais  ceux-ci  redoni an l,  ou  feignant  de  redou- 
ter relfusion  du  sang,  entrèrent  en  pour- 
parler  avec  les  insurges,  les  amenèrent  à  se 
content(!r  de  Texil  du  prétendu  coupable ,  et 
Belsky  fut  immédiatement  renvoyé  de  Moscou. 
Le  peuple  se  retira  paisiblement,  en  criant  ; 
Vive  le  souverain  !  vivent  ses  fidèles  Boyards  ! 
Belsky ,  à  dater  de  cette  époque ,  prit  le  gou- 
vernement de  ISijni  Novgorod  (8). 

Que  devail-on  attendre  d'un  pareil  acte  de 
faiblesse  et  d'un  tel  abaissement  du  pouvoir 
souverain?  Des  dissentions  dans  le  Conseil,  la 
licence  dans  le  peuple  ,  et  le  désordre  dans  le 
gouvernement.  On  avait  éloigné  Belsky  :  Go- 
dounoff  resta  pour  la  vengeance.  Les  sédi- 
tieux n'avaient  pas  demandé  sa  tète  ,  ni  même 
prononcé  son  nom  ,  respectant  en  lui  le  frère 
de  leur  souveraine  ;  mais  il  savait  où  l'on 
voulait  en  venir  ;  il  voyait  que  les  auteurs 
audacieux  de  celte  émeute  préparaient  sa  perte, 
et  il  pensa  à  son  salut.  Jusqu'alors  l'oncle  du 
Tsar,  en  vertu  de  la  considération  et  du  res- 
pect qu'on  portait  aux  anciens  des  familles  , 

Tome  X.  2 


1 8  ïi  I  s  T  O I R  E 

avait  pu  se  rogarticr  comme  le  premier  sei- 
gneur (le  FElal.  Telle  éUiit  Topinion  de  la 
cour  el  (lu  peuple;  c'éUiit  aussi  celle  du  rus(2 
diak  Audn*  Stchelkalofï,  qui  cherchait  à  ga- 
gner la  confiance  du  boyard  Iourieft'(c))dans 
l'espoir  de  diriger  avec  lui  le  Conseil.  On 
connaissait  le  pouvoir  que  Godounoff  exer- 
çait sur  sa  sœur ,  la  tendre  et  vertueuse  Irène, 
que  les  Annalistes  comparent  à  Anastasie  ;  on 
n'avait  pas  alors  d'autre  objet  de  comparaison 
quand  on  voulait  exprimer  la  r(^union  de  tou- 
tes les  vertus  du  sexe.  On  connaissait  égale- 
ment l'empire  qu'avait  Irène  sur  Ft*dor,  qui 
n'aimait  peut-e'tre  réellement  que  sa  femme 
au  monde.  Cependant  Godounoff  paraissait 
avoir  livré  son  ami  ;  et  l'on  se  réjouissait  de 
sa  faiblesse  ou  de  sa  timidité  ,  sans  penser  que 
son  amitié  pour  Eelsky,  pouvait  n'être  que 
feinte  ;  et  (jue  redoutant  en  lui  un  compéti- 
teur ,  il  avait  profité  de  cette  circonslance 
jDOur  alfermir  son  pouvoir.  Fédor  ,  en  effet, 
prince  débonnaire  ,  accablé  sous  le  poids  de 
son  sceptre  ,  encore  effrayé  de  l'émeute  dont 
il  venait  d'(Hre  témoin,  sentait  la  nécessité 
d'employer  des  mesures  sévères  pour  conso- 


DE    r.ussiE.  19 

licier  lu  IranqiiHlilé.  publlniic  ,  mais  n'uyànt 
ni  perspicacité  dans  Tcsprit ,  ni  fernielé  dans 
le    caractère  ,    il  chercluiit   pins  qn'un  con-     i'""^^i'^t 

'  il  jiiialiii!,    de 

seiller  et  ({u'iui  aide;  il  désirait  Ironvor  nn  ^«^"""Jftf. 
homme  capable  de  se  charger  de  toiil  le  far- 
deau du  gouvernement ,  dont  il  n'eut  à  ré- 
pondre qu'à  Dieu.  Fédor  se  livra  donc  en- 
tièrement el  avec  une  conliance  aveugle  ,  à  un 
ambitieux  entreprenant  et  (lui  appartenait 
d'aussi  près  à  son  épouse  chérie.  Irène  ,  sans 
employer  aucun  arlilice  ,  ne  suivant  que  l'im- 
pulsion de  son  cœur  ,  connaissant  le  piérile 
de  GodounolT,  mais  ignorant  ses  mauvaises 
et  secrètes  inlenlions  ,  forma  l'union  intime 
d'un  Souverain  inhabile  à  régner  ,  avec  un 
sujet  digne  du  pouvoir  suprême.  Boris  Go- 
dounoff  était  alors  à  la  fleur  de  l'âge,  dans 
toute  la  plénitude  de  ses  forces  physiques  et 
morales  :  il  avait  trente-deux  ans.  Il  surnas- 
sait ,  dit  l'Annaliste  ,  tous  les  dignitaires  de  la 
Cour  ,  par  une  beauté  mâle  ,  un  air  de  com- 
mandement ,  une  concej)tion  rapide  et  pro- 
fonde ,  et  une  éloquence  séduisante.  Il  ne  lui 
manquait  que  de  la  vertu.  Il  voulait  et  savait 
faire  le  bien  ,  mais  uniquement  par  amourde 


20  IIlSTOir.  E 

la  gloire  el  âv  la  puissance.  11  ne  voyait  dans  la 
vertu  que  le  moyen  de  parvenir  au  but ,  et 
lion  le  but  même.  S'il  était  né  sur  le  trône, 
il  aurait  ])u  être  cité  comme  le  Souverain  le 
plus  accompli  ;  mais  né  sujet ,  et  dévoré  de  la 
passion  du  pouvoir  ,  lorsque  ,  pour  y  parve- 
nir, il  crut  nécessaire  de  faire  le  mal ,  il  le  fit... 
et  la  malédiction  de  la  postérité  s'élève  dans 
riiisloire ,  pour  flétrir  à  jamais  la  renommée 
de  Godounoif. 

Le  premier  acte  de  Boris  ,  fut  la  punition 
des  Liapounoff ,  des  Kikin  et  autres  auteurs 
de  rémeule  de  Moscou.  On  les  envoya  dans 
des  villes  éloignées  ,  où  ils  furent  détenus.  Le 
peuple  garda  le  silence  ;  on  vantait  l'équité 
du  Tsar  ;  mais  la  Cour  savait  à  qui  attribuer 
cette  juste  sévérité  ,  et  tournait  avec  inquié- 
tude ses  regards  sur  Boris  ,  dont  le  pouvoir 
absolu  ne  se  déclara  qu'après  le  couronne- 
ment de  Fédor  ,  remis  au  3i  mai  (lo;  ,  à 
cause  des  prières  de  six  semaines  ,  pour  l'àme 
du  défunt  Souverain. 

Ce   jour  arrivé  ,   le   soleil    commençait  à 

Couronne—  ^ 

nicnuki  Jtior  peine  à  paraître  ,  qn'il  s'éleva  lout-a-coup  une 
horrible  tempête  ;  des  torrens  de  pluie  inon- 


DE     RUSSIE.  21 

«Irinit  plusieurs  rues  de  Moscou  ;  ce  fut 
coiuriie  un  présage  de  calamités.  Mais  ces 
craintes  superstitieuses  se  calmèrent,  lors- 
qu'après  Forage,  le  soleil  reparut  radieux,  au 
milieu  d'un  ciel  serein.  Un  peuple  immense 
se  rassend)la  sur  la  place  du  Kremlin  ,  et  la 
foule  était  telle  que  les  soldats  purent  à  peine 
frayer  un  chemin  au  confesseur  du  INIonar- 
que ,  lorsqu'au  son  de  toutes  les  cloches  ,  il 
sortit  du  palais  pour  porter  à  la  basilique  de 
l'Assomption  ,  les  ornemens  sacrés  de  Mono- 
maque  ,  la  Sainte-Croix  ,  la  Couronne  et  la 
Dalmalicpie  qui  servaient  au  sacre.  Godounolf 
suivait  le  confesseur  et  portait  le  sceptre. 

Malgré  la  foule  iumiensc  qui  couvrait  la 
place  ,  le  plus  grand  silence  régna  au  moment 
où  Fédot*  sortit  de  son  palais,  entouré  de  tous 
les  Boyards,  Princes  ,  Yoïévodes  et  Digni- 
taires. Le  Monarque  était  revêtu  d'un  habit 
bleu  de  ciel  (ii);  les  Seigneurs  de  la  Cour 
avaient  des  habits  dorés.  Ce  silence  extraordi- 
naire accompagna  le  Souverain  jusqu'à  la 
porte  du  temple  ,  également  rempli  de  gens 
de  tous  états;  car  il  était  permis  à  tous  les 
Russes ,   sans   distinction  ,   d'assister  à  cette 


22  lUSTOIRE 

solennité  ,  diins  luqiu'llc  la  Russie  offrait  le 
lauleau  d'une  même  famille  réunie  sous  le 
pouvoird'un  père  et  d'un  Souverain.  Pendant 
ie  Te  Deum^  des  fonctionnaires  ecclésiasti- 
ques et  séculiers  parcouraient  l'église  en  disant 
à  voix  basse  au  peuple  :  «  Priez  avec  ferveur  »  ! 
Le  Monarque  et  le  Métropolitain  Dionisi  > 
s'assirent  aux  places  qui  leur  avaient  été  pré- 
parées près  de  la  porte  occidentale;  et  Fédor, 
au  milieu  du  plus  profond  silence  ,  dit  au 
Prélat  : 

«  Seigneur!    Notre    père,    le    Souverain 
»  Ivan  Yassiliévi telle  a  quitté  la  terre  ,   et, 
»  traiîsforn.é  en  ange,  il  est  allé  habiter  le 
»  royaume  des  Cieux.  Il  m'a  légué  TEinpire 
>)  et  toutes  les  bannières  de  l'Etat.  Il  m'a  or- 
j>  donné,  selon  l'antique  usage  ,  de  me  faire 
»  oindre,  de  ceindre  la  couronne  et  le  dia- 
»  dénie  ,  et  de  revêtir  la  Dalniatiquc  sacrée. 
»  Son  testament  est  connu  du  clergé  ,   des 
>î  Boyards  et  du  peuple.  Ainsi ,  d'après  la  vo- 
»  lonté  de  Dieu,  et  le  legs  de  mon  père  ,  ac- 
»  complissez  ce  saint  office  :  que   je  sois  le 
3)  Souverain  sacré àe.  mon  peuple  »! 

Le  Métropolitain  ,  après  avoir  béni  Fédor 


DE      RUSSIE.  23 

avec  la  croix,  lui  (lit  :  «  Seigneur,  lijs  clicri 
y>  de  l'Eglise  el  de  notre  huniililé  ,  élu  de 
•»  Dieu  et  cOTiduil  par  lui  au  trône,  par  le 
»  pouvoir  qui  nous  vient  du  Saint-Esprit, 
»  nous  te  sacrons  et  couronnons.  Sois  Sou- 
»  verain  de  la  Russie  ». 

Dionisi,  après  avoir  posé  la  croix,  le  ban- 
deau et  la  couronne  de  Monomaque  sur  la 
tèle  de  Fédor ,  en  répétant  la  prière  :  que  .Dieu 
bénisse  son  règne  ;  le  prit  paria  main  ,  le  plaça 
sur  une  estrade  ,  particulièrement  destinée  au 
Souverain  ,  et  après  lui  avoir  remis  le  sceptre 
il  lui  dit:  «  Veille  aux  bannières  de  la  grande 
j>  Russie  ».  Dans  ce  moment  Tarcbidiacre , 
placé  devant  le  sanctuaire,  les  prêtres  qui 
étaient  dedans,  et  les  chœurs  entonnèrent 
riiymne  in  plurhnos  annos ,  adressé  au  Souve- 
rain nouvellement  couronné,  qui  fut  alors 
salué  par  le  clergé ,  les  dignitaires  et  le  peu- 
ple ,  au  bruit  des  plus  vives  acclamations,  l^e 
Métropolitain  ,  dans  un  discours  succint  , 
rappela  à  Fédor  les  principaux  devoirs  d'un 
Monarque  ;  savoir:  de  veiller  à  la  conserva- 
tion de  la  Religion  et  de  TÉtat,  d'observer  un 
pieux  respect  pour  le  clergé  ci  la  foi  due  aux 


124  HISTOIRE 

couvens ,  de  garder  à  son  Irèrc  ,  une  amitié 
sincère  ;  d'avoir  pour  les  Boyards  une  consi- 
dération réglée  sur  leur  ancienneté  ,  enfin  de 
témoigner  aux  fonctionnaires  ,  aux  inililaires 
et  à  toute  la  nation  en  général ,  une  bienveil- 
lance qui  ne  devait  jamais  se  démentir.  «  Les 
»  Souverains,  continua  Dionisi ,  sont  pour 
»  nous  les  délégués  de  la  Divinité.  Le  Seigneur 
»  leur  confie  le  destin  des  hommes.  Qu'ils  pré- 
»  servent  de  mal  non-seulement  eux-mêmes, 
y>  mais  aussi  leurs  peuples;  qu'ils  empêchent 
»  les  troubles  du  monde  et  qu'ils  redoulent 
y>  la  faux  céleste.  Et,  comme,  sans  le  soleil  , 
«  tout  est  obscurité  sur  la  terre  ,  de  même 
î>  tout  est  ténèbre  dans  nos  âmes  sans  Tins- 
»  truction  ;  chéris  la  sagesse  ,  suis  les  précep- 
»  tes  des  sages  ,  sois  vertueux  ,  puisque  c'est  la 
»  vertu  seule  qui  pare  le  Souverain  et  qui  est 
»  immortelle.  Yeux-tu  mériter  la  clémence 
j)  céleste  ?  Sois  toujours  clément  pour  tes 
»  sujets.  Ne  prête  pas  l'oreille  aux  caloni- 
»  niateurs  ,  toi  qui  es  né  compatissant  et  sen- 
»  sible.  Que  ton  règne  soit  celui  de  la  vé- 
»  rite  ,  et  que  la  paix  de  l'Etat  ne  soit  jamais 
»  troublée  !    Que  le  Tout-Puissant  te  fasse 


DE     RUSSIE.  25 

»  triompher  de  tous  tes  ennemis,  et  puisse  le 
j>  souvenir  de  ton  règne  pacillcpie  se  perpé- 
>'  tuer  d'à{^e  en  âge  ». 

En  ee  moment ,  tons  les  assistons ,  les  yeux 
baignés  de  larmes  ^  s'éerièrent:  u  Oui  ,  qu'il 
«  soit  de  longue  durée  »  ! 

Fédor  entendit  la  messe  ,  paré  de  tous  les 
insignes  de  la  Souverainet(' ,  la  eouronne  de 
Monomaque  sur  la  tète ,  un  riche  manteau 
sur  les  épaules  et  tenant  en  ses  mains  un  long 
sceptre,  fait  d'une  dent  de  baleine  de  grand 
prix  (12)  ;  mais  il  avait  Tair  abattu  et  fatigué. 

Devant  lui  étaient  posées  les  com'onnes  des 
Royaumes  conquis.  Debout  et  à  sa  droite  ,  se 
tenait  Godoimoff ,  à  titre  de  Seigneur  allié  ;  et 
ISikita  lourieff ,  oncle  de  Fédor  ,  se  tenait  sur 
le  même  rang  avec  les  autres  Boyards.  Rien  , 
au  récit  de  ceux  ([ui  assistèrent  à  cette  céré- 
monie ,  ne  pouvait  en  égale.r  la  magniticence. 
L'estrade  sur  laquelle  était  placé  le  Monarque, 
avec  le  INIétropolitain  ,  le  pupitre  où  étaient 
déposés  les  habits  royaux  ,  les  sièges  occupés 
par  le  clergé  ,  étaient  couverts  de  riches  ve- 
lours ;  dans  l'église ,  on  marchait  sur  des  tapis 
de  Perse  et  de  drap  rouge  d'Angleterre.  Les 


2G  HISTOIRE 

costumes  des  grands  ,  surloiil  ceux  deGodou- 
uolï  et  du  prince  Ivan  Glinsky  ,  resplandis- 
saient  de  diamans,  de  sapliirs  et  de  perles 
d'une  énorme  grosseur  (i 3) ,  estimés  plusieurs 
millions  y)ar  les  écrivains  étrangers.  Mais  ce 
qui  donnait  le  plus  d'éclat  à  cette  cérémonie  , 
c'était  la  joie  répandue  sur  toutes  les  ligures  , 
et  l'expression  du  plus  ardent  amour  pour  le 
Monarque.  Après  le  cantique  des  chérubins  , 
l(î  Métropolitain  ,  sur  le  seuil  du  sanctuaire  , 
suspendit  au  cou  de  Fédor  ,  la  chaîne  de  Mo- 
nomaque ,  faite  de  For  d'Arabie  le  pins  pur  ; 
et  à  la  iin  de  la  messe ,  il  le  sacra  avec  le  Saint- 
Créme  et  lui  donna  la  Communion. 

Dansée  moment,  Boris  Godounoff  tenait 
le  sceptre  ;  lourieff ,  et  Dmitri  Godounoff, 
oncles  d'Irène,  tenaient  la  couronne  posée  sur 
un  plat  d'or.  Après  avoir  reçu  la  bénédiction 
de  Dionisi  et  après  qu'on  eut  versé  sur  lui  des 
vases  remplis  de  pièces  de  monnaie,  sous  la 
porle  méridionale  du  temple  ,  Fédor  alla 
saluer  les  tombeaux  de  ses  ancêtres ,  en  de- 
mandant au  ciel  d'hériter  de  leurs  vertus. 

Cependant ,  Irène  ,  la  couronne  sur  la  tète, 
et  environnée  des  femmes  des  Boyards  ,  était 


DE    RUSSIE.  27 

assise  à  une  fenêtre  oiiverle  de  son  palais  (i 4). 
Elle  fui  saliK-e  par  les  aeelamations  de  toul  \r. 
peuple  qui  s'écriail:  «  vive  la  Tsarine  »  !  l^'S 
{grands  de  la  Cour  et  les  autres  fonctionnaires 
baisèrent  la  main  du  Monarque  dans  la  salle 
du  trône  ,  et  dinèrentavec  lui ,  ainsi  que  les 
membres  du  clergé.  Les  feslins  et  les  réjouis- 
sances publiques  durèrent  toute  une  semaine 
et  se  terminèrent  par  un  fête  militaire  ,  hors 
de  la  ville.  Là  ,  en  présence  du  Souverain  et 
de  tous  les  habilans  de  Moscou,  les  décharges 
de  170  canons  de  bronze  se  firent  entendre 
devant  hui;  lignes  de  Streletz  habillés  en  drap 
iin  et  en  velours.  Une  multitude  de  cavaliers 
également  vêtus  de  riches  habits,  accompa- 
gnait Fédor  (i5). 

Le  Monarque ,  ijprès  avoir  fait  des  présens  pirrévpnte* 
au  Métropolitain  et  aux  Lveques,  reçut  lui- 
même  ceux  des  fonctionnaires ,  des  étrangers, 
des  marchands  de  la  Piussie  ,  de  l'Angleterre 
et  des  Pays-Bas  (16),  et  répandit  différentes 
grâces  :  il  diminua  les  impôts;  il  rendit  la  li- 
berté et  les  biens  à  plusieurs  personnes  de 
distinction,  qui,  depuis  près  de  vingt  ans^ 
étaient  emprisonnées.  Pour  se  conformer  au 


28  HISTOIRE 

testament  criyan  ,    il  accorda  la  liberté  à  tous 
les  prisonniers  de  guerre ,  et  conféra  les  titres 
de  Boyards  aux  princes  Dmitri  Khvorostinin , 
André  et  Yassili  Scliouisky,  Nikila  Troubets- 
koy,  à  Schesiounoir,  aux  deux  Kourakin  ,  à 
Fédor  Schéréineiierf  et  à  trois  Godounoff\ 
arrières-cousins  d'Irène.  Il  donna  au  prince 
Ivan  Scliouisky ,  guerrier  illustre ,  tous  les  re- 
venus de  la  ville  de  Pskof,  qu'il  avait    sau- 
vée (17).   Mais  toutes  ces   largesses   n'étaient 
rien  en  comparaison  de  celles  dont  il  combla 
son  beiu-frère  ,  en  lui  donnant  tout  ce  qu'un 
sujet  peut  posséder  dans  un  gouvernement 
absolu.  Il  lui  conféra  non  seidement  l'ancien 
litre  de  Grand  Ecuyer ,  qui  n'avait  é lé  accordé 
à  personne  pendant  l'espace  de  dix-sept  ans , 
mais  encore    celui    de   Grand  Boyard-allié  , 
lieutenant  des  deux  royaumes  (18)  de  Kazan  et 
d'Astrakhan.  x\  celte  accumulation  de  titres, 
jusqu'alors  inouïe ,  Godounoff  réunit  bientôt 
des  richesses  immenses.  On  lui  donna  ,  ou  , 
plutôt,  il  s'appropria  les  meilleures  terres  et 
les  revenus  des  provinces  de  la  Dvina  et  de  la 
Taga  ,  toutes   les  belles  prairies  situées  aux 
bords  de  la  Moskva,  avec  tous  les  bois  et  les 


DE     RUSSIE.  2() 

niches  qui  en  dépendaienl.  Il  lit  ajouter  à  sou 
Irallcmenl annuel  plusieurs  des  revenus  de  la 
Couronne,  ce  qui  ,  joint  au  produit  de  ses 
propres  terres  situées  à  Viazma  et  à  Dorogo- 
bouge  ,   faisait  monter  ses  revenus  à  huit  ou 
neuf  cent  mille    roubles  ,    argent   d'aujour- 
d'hui (19).  11  est  le  premier  seigneur  ,  depuis 
le  commencement  de  la  Russie   jusqu'à   nos 
jours,   qui   ail    joui    d'une  pareille    fortune. 
Elle  lui  permettait  de  mefire  en  campagne,  à 
SCS  propresfrais,  jusqu'à  cent  mille  soldals(2o). 
Ce  n'était  plus   l'homme  d'un  moment,   un 
simple  favori,   mais  le  maître  de   l'Empire. 
Sûr  de  Fédor,  Boris  craignait  encore  ses  en- 
vieux et  ses  ennemis,   il  voulait  les  terrasser 
par  sa  magnificence,  afin  qu'iJs  n'osassent  pas 
même  songer  à  le  précipiter  d'une  hauteur 
inaccessible  à  l'ambition  ordinaire  des  cour- 
tisans.  Tandis  que  réellement  étonnés,    ces 
envieux  et  ces  ennemis ,   tout  en  gardant  le 
silence,    ourdissaient   en    secret    des   trames 
contre  lui,  Godounolf ,  s'abandonnant  à  l'élan 
d'une  âme  avide  de  gloire,  prit  son  essor   vers 
un  grand  et   noble  but.  Il  voulut   justifier  la 
confiance  de  son  souverain  ,  mériter  celle  du 


3o  HISTOIRE 

peuple  cl  la  recoiinaissanee  de  la  patrie,  en 
consacraul  toutes  ses  ad  ions  au  bien  général. 
GotionnotT  La  Peulareliie ,  établie  2)ar  Ivan ,  disparut 
tkrÈn.pirc.  comuie  une  ombre  ;  il  ne  resta  que  Tancien 
Conseil  du  Tsar,  dans  lequel  Mstislalsky  , 
lourielf  et  Schouisky  dirigeaient  les  affaires 
avee  d'autres  Boyards  ,  en  se  soumettant  aux 
volontés  du  Régent  :  ear  c'était  le  titre  que  l'on 
donnait  à  Boris  (-21).  Lui  seul  ,  aux  yeux  de  la 
Russie  ,  gouvernail  TEtat;  il  eomniandait  au 
nom  du  Monarque,  mais  n'agissait  que  d'a- 
près lui-même;  il  avait  autour  de  lui  des  con- 
vSeillers,  mais  personne  avec  qui  il  partageât 
le  pouvoir. 

Tandis  que,  fatigué  des  grandeurs,  Fédor 
cherchait  le  repos  dans  la  piété,  tandis  qu'a- 
près avoir  suspendu  les  réjouissances  et  les 
festins,  il  allait  en  pèlerinage  dans  les  couvens, 
tels  que  celui  de  St.  Serge  et  autres  lieux  de 
retraite,  accompagné  de  son  épouse  (22)  qui 
avait  autour  d'elle  les  femmes  des  princij)aux 
Boyards,  et  un  régiment  entier  des  gardes  du 
ctirps  (nouveau  faste  inventé  par  Godounoff, 
alitj  d'inspirer  au  peuple  phis  de  respect 
pour  Irène  ci  sa  famille),  le  régent  sV)ccu- 


DE    RUSSIE.  3l 

pait  sans  relàdio  dos  aifaiiTS  importantes  de 
TElat ,  cherchait  à  corriger  les  abns  du  pon- 
voir  et  rétahHssait  la  Iranquillilé  tant  an  dedans 
qu'au  dehors.  Comme  aux  temps  heureux  des 
princes  Ivan  Celsky  et  Adachefr,  on  congé- 
dia ,  sur  tous  les  points  de  Tempire  ,  les  Lieu- 
tenans ,  les  Yoïévodes  et  les  Juges  dont  on 
avail  à  se  plaindre,  et  on  les  remplaça  par  de 
plus  habiles  fonctionnaires.  On  doubla  les 
appointemcns  des  employés,  afin  qu'ils  pus- 
sent vivre  honorablement,  sans  exactions; 
et  en  cas  de  forfailure,  on  les  menaça  du  der- 
nier supplice.  On  réorganisa  l'armée  et  on  la 
dirigea  sur  les  points  où  Ton  avait  à  rétablir 
l'honneur  des  armes  ou  la  tranquillité  du  pays. 
On  commença  par  Kazan.  Le  sang  Russe  cou- 
lait encore  sur  les  bords  du  Yolga,  et  la  ré- 
volte couvait  dans  le  pays  des  Tchéremisses. 
Codounoiï,  par  son  esprit  plus  que  par  la  ,^^'';?^'^'^*'* 
force  (23),  appaisa  les  rebelles,  et  leur  persuada  aj.pciisce. 
que  le  nouveau  souverain ,  oubliant  leurs  an- 
tiens  crimes,  était  disposé,  comme  un  tendre 
père  ,  à  pardonner  aux  coupables,  s'ils  se  re- 
pentaient sincèrement.  Ils  députèrent  leurs 
anciens  à  Moscou  et  prêtèrent  serment  de  li- 


tecuudi'loii) 


32  nisToir,  E 

(lélilé.  Dans  ce  nirnio  U'inps,  Boris  lit  cons- 
truire des  foiieresses  sur  les  deux  rives  du 
Volga  ,  Tsivilsk  ,  Ourjoum,  Tsareij^orod  sur 
laKokchaga,  Sanlchoursk  el  d'autres.  Il  les 
])eu{)]a  de  Russes  et  établit  ainsi  la  tranquillité 
tians  ce  pays  qiii  nous  avait  été  pendant  si 
long-temps  fatal. 
LaSibcripsou-  Godounoff,  en  soumettant  le  royaume  de 
Kazan,  acheva  la  conquête  de  la  Sibérie.  11  n'é- 
tait pas  encore  instruit  de  la  moil  de  lermak; 
mais  sachant  que  les  maladies  «t  le  manque 
de  vivres  avaient  diminué  son  armée  ,  il 
lui  envoya  immédiatement  le  voïévode  Ivan 
Mansouroff  avec  un  détachement  de  Streletz, 
et,  après  lui  ,  Basile  Soukine  ,  Ivan  Miasnoï, 
et  Daniel  Tchoulkoif,  avec  un  corps  considé- 
rable de  troupes  et  de  l'artillerie  (24).  Le  pre- 
mier rencontra  sur  les  bords  de  la  Toura  nos 
héros  sibériens,  Thetnian  MatveiMesichériak, 
et  le  reste  des  compagnons  d'armes  de  lermak. 
«  La  joie ,  dit  l'Annaliste,  ranima  les  intré- 
«  pides  Cosaques  ».  Ce  n'est  pas  qu'ils  redou- 
tassent d'affronter  de  nouveaux  périls  et  de 
courir  à  de  nouveaux  combats;  mais  ils  fré- 
ujissaienl  à  l'idée  de  reparaitre  dans  leur  pa- 


DE    Tussin.  33 

trie,  comme  des  fugitifs,  apportant  eii\- 
mrmos  la  nouvelle  de  la  perte  de  leur  con- 
(juète.  Pleins  de  courage  et  d'espérance,  ils 
retournèrent  aux  bords  de  la  Tobol  ;  cepen- 
dant ils  ne  purent  s'emparer  d'Isker,  qui 
n'était  plus  sous  la  domination  du  vieux 
Koutchoum,  mais  où  commandait  le  jeune  et 
valeureux  Seidiak  (2j)  son  vainqueur.  Ayant 
appris  la  fuite  des  Cosaques,  il  avait  rassemblé 
une  foule  de  Nogais ,  el  de  Tatars  de  la  Sibérie 
qui  lui  étaient  dévoués  ,  et  avait  chassé  Kout- 
choum. A  la  nouvelle  du  retour  des  Russes  , 
il  s'était  placé  avec  une  nombreuse  armée  sur 
les  bords  de  Tlrtiche  ,  où  il  se  préparait  à 
combattre.  Les  Cosaques  proposèrent  à  Man- 
souroff  de  continuer  à  descendre  Tlrtiche , 
sans  égard  à  la  saison  avancée ,  et  malgré  le 
froid  et  les  glaces.  Ils  débarquèrent  à  l'endroit 
où  ce  fleuve  se  jette  dans  l'Obi  et  y  construisi- 
rent une  forteresse  en  bois.  On  rapporte  que 
les  Ostiaks ,  dans  l'espoir  de  s'en  emparer , 
amenèrent  avec  eux  la  fameuse  idole  de 
Scliaitan ,  et  qu'au  moment  où  ils  étaient 
rassemblés  autour  d'elle  sous  un  arbre  pour 
TOiME  X.  3 


§4  HISTOIRE 

faire  leurs  prières  ,  un   coup  <le  canon  âvH 
Kusses ,  ayant  brisé  celle  Idole  ,  objet  de  leur 
adoration  ,  ils  prirent  tous  la  fuite.  Les  voïé- 
vodes  Soukine  et  Miasnoï,  s'arrêtèrent  sur 
les  bords  de  la  Toura  (26),  et  fondèrent  la 
\ille  de  Tumen,  à  la  place  où  avait  été  celle  de 
Tshingui.   Dans  le  même  temps  Tclioulkoff, 
ne  rencontrant  pas  d'obstacles,   ou  bien  les^ 
surmontant  tous,  fonda,  en  1587,   la  \ille 
de  Tobolsk  et  la  première  église  chrétienne» 
Après  en  avoir  informé  le   voïévode  Man- 
fcouroff  et  Fhelman  Mestcliériak  ,  il  se  joi- 
jmlt  à  eux   et  délit  le  prince  Seidiak  ,    qui 
ayant  osé  assiéger  la  forteresse  de  Tobolsk, 
fut  blessé  et  fait  prisonnier.  Il  s'empara  de 
tous  ses  bagages  et  de  son  trésor  ;  et  par  cette 
victoire  ,  qui  coûta  la  vie  au  dernier  hetman 
de   lerniak  ,  îsikita   Mestcliériak  ,  il  acheva 
la  chute  de  la  puissance  des  î^ogais  de  Tlr- 
liche.    La   ville    d'Isker  fut  abandonnée    et 
Tobolsk  devint  la  nouvelle    capitale    de   la 
Sibérie.  Une  autre  tradition  ,  moins  digne  de 
foi  ,  ne  parle  pas  du  courage  qu'aurait  montré 
le  voïévode  Tchoulkoff,  mais  d'une  ruse  qui 
lui  ferait  peu  d'honneur.  Ayant  appris ,  dit 


Di:  RUSSIE.  35 

celte  Iradition  ,  que  Seidiak,  son  ami  Ouraze 
INIahniet ,  Tsarévilclie  des  Kirçuises ,  et  le 
Moursa  Karalcha  étaient  sortis  d'Isl^er  ,  à  la 
tèle  de  cinqcenl^  hommes  et  se  livraient  au 
plaisir  de  la  chasse  ,  dans  la  prairie  des  Princes 
près  de  Tobolsk  ,  il  les  invita  à  un  festin ,  les 
lit  garrotter  et  les  envoya  à  Moscou.  Kout- 
choum  banni  de  ses  Etals  ,  se  maintenait  en- 
core avec  des  bandes  de  Nogais ,  du  camp  de 
Taïbouguine  (27) ,  dans  les  stèpes  de  Bara- 
binsk;  il  massacrait  les  habilans  des  contrées 
de  Kourdalsk  et  de  Salinsk,  incendiait  leurs 
demeures,  et  portait  ses  ravages  jusque  dans 
les  environs  de  la  Tobol.  Le  nouveau  YoYé- 
Yode  de  Sibérie,  le  prince  Kolzof'f  Massalsky, 
pour  réduire  ce  brigand  ,  alla  le  chercher  au 
fond  des  déserts  d'Ichimsk  et  près  du  lac 
Tchili-Koula  (  i'".  août  logi  ).  Il  détruisit  la 
plus  grande  partie  de  sa  cavalerie  ,  et  s'empara 
de  deux  femmes  du  Khan  et  de  son  iils , 
nommé  Abdoul  Khaïr  (28).  Envain,  désirant 
établir  la  tranquillité  dans  son  nouveau  et 
lointain  royaume  ,  le  Tsar  proposa-t-il  à 
Koutchoum  des  revenus  annuels ,  des  villes  et 
des  domaines  en  Russie.  Il  lui  offrit  même  de 


36  HISTOIRE 

le  laisser  prince  de  Sibérie  ,  s'il  voulait  con- 
sentir à  venir  à  Moscou  ,  faire  acte  de  soumis- 
sion. Abdoul  Khaïr,  prisonnier  en  Russie  , 
écrivait  dans  le  inème  sens  à  son  père  ;  louant 
la  générosité  de  Fcdor  ,  qui  lui  avait  donné, 
ainsi  qu'au  Tsarévitche  Mahinet  Koul  de  ri- 
ches propriétés  ,  ahnani  à  réjouir  tout  ce  qui 
respire  et  à  pardonner  aux  coupables. 

Abandonné  par  ses  deux  lils  ,  alliés  des 
ÎSogais  et  de  l'illustre  Tcliin-Mourza  (  qui 
avait  passé  de  notre  côté  avec  la  mère  du  Tsa- 
révitche Malimet  Koul),Koutclioum  répondit 
avec  fierté  aux  propositions  de  Fédor  :  «  Je 
))  n'ai  pas  cédé  la  Sibérie  à  lermak  quoiqu'il 
j>  l'ait  con([uise  ;  mais  désirant  la  paix  ,  j'exige 
))  pour  frontière,  les  bords  de  rirliche  ».  La 
rage  impuissante  de  Koutchoum  n'empêcha 
pas  les  Puisses  de  se  raffermir  de  plus  en  plus 
en  Sibérie  ,  en  y  fondant  de  nouvelles  villes  , 
depuis  la  Pelchora ,  jusqu'à  la  Kéte  et  la  Tara, 
afin  de  faciliter  les  communications  avec  la 
Permie  et  Ouffa  ,  construite  en  même  temps 
que  Samara  pour  réprimer  les  ÎSogais.  L'an 
1592,  sous  le  commandement  du  Yoïévode 
de  Tobolsk  ,  le  prince  Labanoff-Fiostofsky , 


DK    RTSSIE.  87 

fnronl  fondées- les  vil los  de  Pélini  ,  Bc'ivzolT 
et  Sourgoiit  ;  celle  de  Tara  ,  en  ijQ/f ,  et  celles 
de  Narim  et  de  Ketskii-Oslroj>  (29),  en  ifxjG. 
Ces  villes  étaient  des  forts  inabordables  pour 
les  sanvages  Ostiaks  ,  Vogouli telles  et  toutes 
les  peuplades  nomades  qui  ,  précédemment 
soumises  à  Koutcboum  ,  essayaient  encore 
quel([uefois  de  se  défendre  et  refusaient  de 
payer  le  tribut.  Il  est  question  dans  un  édit  du 
Tsar  ,  de  la  révolte  du  prince  de  Pélim  Âble- 
guirim.  Il  y  est  ordonné  à  notre  Voïévode  , 
de  le  prendre  par  ruse  ou  par  force  et  de  le 
punir  du  dernier  supplice  ,  avec  son  lils  et 
cinq  ou  six  des  principaux  révoltés  entre  les 
Vogoulitches. 

Outre  des  soldats,  des  Streletz  et  des  Cosa- 
ques, Godounoff  envoyait  en  Sibérie  des  agri- 
culteurs de  Ferme  ,  de  Vialka  ,  de  Kargopol 
et  même  des  districts  de  Moscou  ,  afin  de  peu- 
pler ces  déserts  ,  et  de  défricher  les  terres  les 
plus  favorables  à  la  culture.  Il  affermit  et 
rangea  pour  toujours  sous  la  domination  de 
la  Russie  cette  importante  conquête  ,  par  des 
dispositionspleinesde  sagesse  et  de  prudence  ; 
sans  sacrifices  ,  sans  efforts  ,  il  enrichit  TEtal 


^^  HISTOIRE 

de  nouveaux  revenus  ,  et  ouvril  de  nouveaux 
dcbouchcsau  commerce  ainsi  qu'à  Finduslrie 
nafionale.  Vers  Tan  i586,  la  Sibérie  rappor- 
ioit  à  la  Couronne,  deux  cent  milles  zibelines, 
dix  milles  reuards  noirs  et  cinq  cent  milles 
petits  gris,  outre  les  castors  et  les  hermi- 
nes (3o). 

Dans  les  affaires  de  la  politique  extérieure  , 
Boris  se  montra  tel  qu'on  avait  vu  Ivan  ,  aux 
é])oques  les  plus  glorieuses  de  son  règne  ;  sage 
et  ferme  à  la  fois,  et  soigneux  de  conserver  Lt 
la  Piussie  l'intégrité  de  son  territoire,  sagran- 

i58i  —  loSy.   deur  et  sa  dignité.  Deux  ambassadeurs  furent 
témoins ,  à  Moscou  ,  de  Favénement  de  Fédor 

Kebtionsavec  ^^  trôuc  ,  ccluî  d'Elisabclli  d'Angleterre ,  et 
ctialSiùL^  celui  de  Lithuanie.  «  La  mort  d'Ivan  ,  écrit 
)>  Bowes  ,  a  changé  la  face  des  affaires  et  m'a 
»  livré  aux  mains  des  principaux  ennemis  de 
»  l'Angleterre  ;  au  boyard  lourieff  et  au  diak 
«  André  Stchelkaloff  qui ,  dans  les  premiers 
«  jours  du  nouveau  règne  ,  se  sont  emparé 
»  du  pouvoir  dans  le  Conseil  suprême.  On 
)>  ne  me  laissait  pas  sortir  de  chez  moi;  on 
)>  me  menaça  pendant  l'émeute  de  Moscou  ; 
3)  et  Stchelkaloff  me  fit  dire  par  dérision  que 


BE    RrSSIE.  Tjr) 

•>  le  Tsar  Anglais  était  niorl  (3i).  Pjorls   Go-   i5âi— iSSj. 
»  dounolï  qui  nous  t\st  favorable  y  n'avait  pas 
«i  encore  de  pouvoir  à  cette  époque  ». 

Au  comuieneenient  du  inois  déniai,  on 
déclara  à  Bowes  ({u'il  pouvait  retourner  eu 
Aiif^lerre.  On  le  présenta  au  Monarque  et  on 
le  congédia  avec  honneur  ,  après  lui  avoir  fait 
çles  présents  et  remis  une  lettre  amicale  dans 
lacpjelle  Fédor  disait  à  Elisabeth  :  «  Quoique 
»  la  mort  de  mon  père  ait  mis  lin  aux  pro- 
»  positionsde  mariage  et  aux  projets  d'alliance 
»  étroite  avec  l'Angleterre,  je  n'en  désire  pas 
»  moins  votre  bonne  amitié,  et  les  n\arehands 
•»  de  Londres  ne  perdront  aucun  des  avan- 
«  tages  que  leur  accorde  la  dernière  patente 
»  qui  leur  a  été  donnée  »  (32).  Mais  Bowes , 
par  un  dépit  irréfléchi  ,  ne  voulut  prendre 
ni  la  lettre,  ni  les  présens  du  Tsar.  Il  les  laissa 
à  Kolmogor,  et  quitta  la  Russie  avec  le  méde- 
cin Robert  Jacobi.  EtOTuié  d'une  pareille  au- 
dace ,  Fédor  envoya  auprès  d'Elisabeth  le  Se- 
crétaire Bekman.  Il  se  plaignait  à  elle  de  Bowes 
et  lui  faisait  de  nouvelles  oifres  d'amitié  ; 
promettant  ses  faveurs  aux  marchands  Anglais, 
à  condition  que  les  noires  pourraient  égale- 


4o  HISTOIRE 

ment  faire  Je  commerce  dans  son  royaume. 
Cet  envoyé  demeura  long-lemps  en  Angle- 
terre, sans  parvenir  à  voir  Elisabeth.  Enfin 
il  en  reçut  une  audience  dans  le  jardin  de  son 
palais,  et  lui  remit  la  lettre  de  son  maître. 
«  Pourquoi  votre  souverain  actuel  ne  m'aime- 
:»  t-il  pas,  demanda  la  l\ei ne?  son  père  était 
3>  mon  ami  ;  et  Fédor  cliasse  nos  marchands 
»  de  la  llussie  ».  Quand  elle  eut  appris,  par 
Bekman  ,  que ,  loin  de  les  chasser,  le  Tsar  les 
protégeait ,  et  qu'ils  payaient  à  la  Couronne 
moitié  moins  que  ceux  des  autres  nations  , 
Elisabeth  lit  cette  réponse  à  Fédor  :  «  Très- 
«  cher  frère  ,  c'est  avec  une  peine  inexpri- 
»  niable  que  j'ai  appris  la  mort  du  grand  sou- 
y>  verain  votre  père,  de  glorieuse  mémoire  , 
»  et  mon  plus  tendre  ami.  Sous  son  règne  , 
)^  d'intrépides  Anglais  ont  découvert  une 
i»  route  par  mer,  inconnue  jusqu'alors,  vers 
»  votre  lointain  pays.  Us  y  jouissaient  de 
»  privilèges  importans  ;  et  s'ils  s'y  enrichis- 
«  saient ,  ils  n'enrichissaient  pas  moins  la 
î>  Fiussie  ,  proclamant  avec  reconnaissance  la 
5)  proleclion  que  leur  accordait  Ivan.  Mais 
3>  j'ai  une  consolation  dans  mon  affliction  : 


DE     IIUSSIK.  4l 

>^  votre  envoyé  m'a  assurée  que  le  fils  d'Ivan, 
»  (ligne  d'un  tel  père  ,  a  hérité  de  ses  princi- 
»  pes  et  de  son  amitié  pour  l'Angleterre,  et 
j)  je  regretle  d'aulant  plus  que  Bowes,  mon 
»  ambassadeur,  ait  encouru  voire  disgrâce. 
))  C'est  un  homme  qui  s'est  toujours  montré 
»  prudent  et  sage ,  et  qui  a  acquis,  tant  ici  que 
»  dans  d'autres  pays,  une  grande  expérience 
»  des  affaires.  Tout  en  ajoutant  foi  à  vos  griefs 
j>  contre  lui,  je  ne  laisse  pas  d'en  être  étonnée. 
j>  Ils  peuvent  cependant  s'expliquer  par  les 
»  contrariétés  qu'il  a  éprouvées  de  la  part 
)'  d'un  des  membres  de  votre  Conseil  (Le  diak 
»  Slchelkaloff  )  ,  protecteur  déclaré  des  Alle- 
»  mands.  Mais  notre  amitié  ne  doit  passouf- 
))  frir  de  ce  désagrément.  Vous  demandez  la 
»  liberté  du  commerce  en  Angleterre,  pour 
»  les  marchands  Piusses,  chose  qui  n'a  jamais 
.jip  existé  et  qui  ne  s'accorde  pas  avec  les  inté- 
»  rets  des  noires.  Cependant  nous  ne  nous  y 
»  opposons  pas  ,  si  vous  accomplissez  la  pro- 
»  messe  dTvan,  en  accordant  un  privilège 
>^  exclusif  de  faire  le  commerce  dans  vos  états, 
))  à  la  compagnie  des  marchands  de  Londres  , 
»  établie  par  nous ,  sans  permettre  aux  autres 


4^  RISTOTRC 

«  Anglais  de  parliciper  aux  avantages  Je  la 
»  compagnie  ».  Le  Tsar,  peu  satisfait  de  la 
réponse  d'Elisabeth ,  et  de  Taccucîil  froid 
qu'on  avait  fait,  à  Londres,  à  Bekman  ,  mais 
désirant  conserver  des  rapports  utiles  avec 
r  Angle  terre  ,  chargea ,  en  septembre  1 585,  le 
négociant  Anglais ,  Jérôme  Horsey ,  d'aller 
auprès  de  la  Pleine  ,  afin  de  traiter  avec  elle 
d'une  manière  plus  satisfaisante,  et  de  lui 
prouver,  par  le  choix  d'un  tel  envoyé  ,  la  sin- 
cérité de  nos  bonnes  dispositions.  Fédor  écri- 
vit, par  Horsey ,  à  Elisabeih:  «  Les  frontières 
«  de  la  Russie  ,  sur  terre  et  sur  mer  ,.  sont 
»  ouvertes  au  libre  commerce  de  toutes  les 

*  nations.  Il  nous  arrive  des  marchands  du 
«  Sultan  ,  de  l'Autriche  ,  de  l'Allemagne  ,  de 
»  l'Espagne  ,  de  la  France  ,  de  la  Lithuanie , 
y>  de  la  Perse  ,  de  la  Bucharie ,  de  Chiva ,  de 
>♦  Schemaka  et  de  beaucoup  d'autres  pays  ,  de 
»  manière  que  nous  pouvons  nous  passer  des  j 
»  Anglais  ;  et  pour  leur  complaire,   nous  ne 

*  fermerons  pas  nos  portes  aux  autres.  Ils  sont 
»  tous  égaux  à  nos  yeux;  mais  vous  ,  n'écou- 
»  tantque  l'intérêt  des  marchands  de  Londres, 
>>  vous  voule?^  pour  eujt  des  faveurs  que  you» 


DE    RUSSIE.  43 

»  iracccordcz  iiirnio  pas  à  vos  anlros  sujcls. 
»  Vous  dites  que  jamais  on  n'a  vu  choz  vous 
»  de  nos  marchands:  cela  est  vrai  ,  puisqu'ils 
»  peuvent  faire  un  commerce avanlaiçeux  sans 
»  sortir  de  chez  eux;  ils  peuvent  cj2;alement 
»  se  passer  à  l'avenir  d'aller  ert  Angleterre. 
»  Nous  serons  très-satisfaits  de  voir  en  Russie 
»  des  marchands  de  Londres ,  pourvu  que 
M  vous  n'exigiez  pas  pour  eux  des  privilèges 
»  exclusifs  qui  ne  s'accordent  pas  avec  les  régie- 
»  mens  de  mes  Elats  ».  Ces  idées  de  Fédor,  sur 
la  liberté  du  commerce  ,  sont  un  sujet  d'élon- 
iiemcntpoiir  l'hislorien  Anglais  Hume  ,  qui  y 
trouve  plus  de  juslesse  et  de  sagacité  ([ue  dans 
celles  d'Elisabeth  sur  la  même  matière  (iiS). 
Cependant  Elisabeth  insista  :  s^^xcusant  au- 
près de  Fédor,  sur  ce  que  des  affaires  d'Etat 
de  la  plus  haute  importance  l'avaient  empê- 
chée de  s'expliquer  plus  amplement,  avec 
Bekman  ,  et  sur  ce  qu'elle  ne  l'avait  vu  que 
dans  le  jardin  ,  où  elle  se  promène  et  cause  or- 
dinairement avec  les  personnes  qui  l'entou- 
rent de  plus  près  (34).  Elle  n'exigeait  plus  le 
monopole  pour  les  marchands  de  Londres; 
elle  demandait  seulement  qu'ils  fussent  dis- 


44  lîTSTOIEE 

pensés  du  paiement  des  droits  d'entrée  qui 
leur  étaient  très-onéreux;  et  ayant  appris  par 
Horsey  toutes  les  partieiilarités  de  la  Cour  de 
Moscou  ,  elle  ét:rivit  à  la  Tsarine  et  à  son  frère, 
donnanJ  à  la  première  le  nom  de  chère  sœur, 
et  celui  de  ti'ès-chcretaimé  cousin  ,  à  Godou- 
jiol'f  (35).  Elle  louait  Tesprit  et  les  vertus 
d'Irène  ,  et  lui  annonçait  qu'elle  envoyait  de 
nouveau  à  Moscou  ,  par  amitié  pour  elle  ,  le 
médecin  Jacobi ,  particulièrement  expert  dans 
les  maladies  de  femmes,  et  célèbre  accou- 
cheur. Elle  remerciait  Godounoff  de  ses 
bonnes  dispositions  pour  les  Anglais;  et  es- 
pérait qu'un  homme  d'un  esprit  aussi  éclairé, 
verrait  un  moyen  de  lui  complaire  et  de  servir 
en  même  temps  les  véritables  intérêts  de  la 
T\ussie  ,  en  se  déclarant  à  l'avenir  leur  pro- 
tecteur. C'est  ainsi  qu'Elisabeth  employait  la 
ruse  ;  et  ce  ne  fut  pas  sans  succès.  Irène  se 
montra  sensible  aux  flatteries  de  sa  lettre,  et 
Godounoff,  qui  avait  reçu  avec  la  plus  vive 
satisfaction  celle  qui  lui  était  adressée,  accorda 
en  1587  aux  Anglais,  le  privilège  de  faire  le 
commerce  sans  payer  de  droits  ;  (ce  qui  pri- 
vait la  couronne  d'un  revenu     (  plus  de  deux 


DE    RUSSIE.  ♦  4^ 

mille  livres  sterling  )  sous  la  eondilloii:.  i". 
De  n'imporler  chez  nous  que  leurs  propres 
niarchantlises;  2".  De  ne  point  envoyer  de 
commis  dans  les  villes,  mais  de  faire  eux- 
mêmes  rechange  des  marchandises  ;  3".  De  ne 
rien  vendre  en  détail,  mais  en  gros,  draps, 
damas  ,  velours  en  ballots,  vins  en  tonneaux, 
etc.  ;  4"-  De  n'envoyer  ,  par  terre  ,  en  Angle- 
terre ,  aucun  des  leurs  ,  sans  que  le  Souverain 
en  fut  informé  ;  5°.  De  reconnaitre  ,  dans 
leurs  procès  avec  les  Russes,  la  juridiction 
du  trésorier  de  TEtat  et  du  Diak  d'ambassade. 
L'ambi lieux  Boris  n'hésita  pas  à  faire  savoir  à 
la  Reine  que  c'était  lui  qui,  touché  de  ses 
bontés  ,  avait  procuré  ces  avantages  aux  mar- 
chands de  Londres.  Il  voulait ,  disait-il ,  être 
toujours  leur  protecteur,  espérant  qu'ils  s'en 
rendraient  dignes  par  une  conduite  sage,  ho- 
norable et  loyale;  et  qu'ils  n'empêcheraient 
pas  les  Espagnols,  les  Français,  les  Alle- 
mands, ni  les  autres  Anglais  de  faire  le  com- 
merce dans  nos  ports  et  dans  nos  villes  ;  puis- 
ât que  l'Océan  était  une  route  sans  barrières, 
«  que  Dieu  avait  ouverte;  à  tout  le  monde  ». 
C'est  la  première  fois  que  nous  voyons  un 


4G  HISTOIRE 

^rand  Seigneur  Russe  eii  correspondance 
avec  un  Souverain  étranger  ;  chose  que  n'avait 
pas  permise  jusqu'aJors,  la  politique  ombra- 
geuse (le  nos  Tsars.  A  celle  même  époque  Go- 
dounoff  ayant  reçu  une  dépêche  des  ministres 
d'Elisabeth,  par  laquelle  ceux-ci  élevaient  de 
nouvelles  prétentions  en  faveur  de  leurs  mar- 
chands, il  ordonna  au  diak  Stchelkaloff  de  ré- 
})ondre  qu'on  avait  l'ait  pour  les  Anglais,  tout 
ce  qui  était  possible,  et  qu'on  ne  ferait  rien  de 
plus.  «  Yous  devriez  rougir ,  ajoutait  la  lettre, 
d'imporluner  par  de  semblables  demandes  un 
personnage  aussi  élevé  ;  et  il  ne  convient  pas 
au  bcaii-irère  du  Tsar ,  au  plus  grand  Seigneur 
de  l'Etat,  de  répondre  lui-même  à  votre  indis- 
crète missive  ».  Quoiqu'il  mît  le  plus  grand 
})ri\  à  la  bienveillance  de  l'illustre  Pieine  ,  et 
fui  sensible  à  ses  bontés,  Godounoff  savait 
cependant  mettre  des  bornes  à  ses  complai- 
iarces.  Les  Anglais  cherchaient  à  renverser 
Stchelkaloff  qu'ils  détestaient;  mais  Boris, 
respectant  son  expérience  et  sa  capacité  ,  lui 
confiait  toutes  les  affaires  extérieures  ;  et  il 
voulut  le  distinguer  par  un  nouveau  titre  : 
celui  de  Diak  intime. 


DE     RUSSIE.  4? 

ISos  nipporlsavcc  la  Lilhuanie  étale  ni  beau- 
coup plus  iniporlans  encore  et  plus  difficiles, 
Klicnne ,  comme  s'il  eu!  pressenti  qu'il  n'avait 
pas  loug-lemps  à  vivre,  était  imj)alicnt  <raclie- 
ver  ce  qu'il  avait  entrepris.,  et  d'élever  sa  puis- 
sance ,  en  abaissant  celle  de  la  Russie.  Déjà  il 
ne  regardait  pluà  la  Livonie  que  comme  un 
à-compte  ,  et  la  paix  ,  que  comme  une  trêve. 
Il   songeait  au  rétablissement  des  anciennes 
frontières  de  Vitoft  sur  les  bords  de  l'Ougra. 
Son    ambassadeur  Sapiéha  ,    ayant  appris    à 
Moscou  la  mort  d'Ivan  ,  dit  aux  Boyards  que 
sans  un  nouvel  ordre  de  son  Uoi ,  il  ne  pou- 
vait se  présenter  au  nouveau  Souverain,  ni 
traiter  d'affain's   avec  eux  (  3G  ).    Il  attendit 
cet  ordre  pendant  trois  mois;   et  présenté  à 
Fédor,  le  22  juin  ,  il  lui  confia  sous  le  secr(!t , 
comme  preuve  des  bonnes  dispositions  de  son 
gouvernement  et  de  leur  sincérité  ,  que   le 
Sultan  avait  l'intention  de   lui    déclarer    la 
guerre.  La  vérité   était  que  Balhori  voulait 
effrayer  Fédor  et  profiter  de  sa  crainte  pour 
le  disposer  à  des  concessions  en  faveur  de   la 
Liithuanie.   Pendant  cette  présentation  qui  se 
iit  avec  la  pompe  ordinaire  ,  h  Tsar  était  assis 


48  HISTOIRE 

sur  son  Irone  tenant  dans  ses  mains  le  glohe 
d'or  et  le  sceptre.  Près  de  lui  étaient  rangés 
les  Piindasen  liabils  blancs  ,  avec  des  chaînes 
d'or  au  cou  (jy).  Godounoff ,  seul ,  était  au- 
près du  trône  ;  tons  les  autres  Seigneurs 
étaient  assis  plus  loin,  L'Ambassadeur  fut 
reçu  avec  honneur ,  mais  froidement.  N'avant 
pas  été  invité  à  la  table  de  Fédor  ,  il  retourna 
chez  lui  avec  humeur  ,  et  n'admit  pas  l'officier 
qui  lui  apportait  les  plats  de  la  tid)le  du  Tsar. 
Sapicha  commença  les  négociations  en  de- 
mandant que  Fédor  donnât  au  Pioi,  cent  vingt 
milles  florins  pour  le  rachat  de  nos  prison- 
niers ,  et  délivrât  sans  rançon  ceux  delà  Li- 
thuanie  ;  qu'il  satisfît  à  toutes  les  plaintes  de 
ses  compatriotes  contre  les  Paisses  ,  et  ne  prit 
plus  ,  dans  les  actes  du  gouvernement ,  le  titre 
de  Prince  de  Livonie  ,  s'il  ne  voulait  pas  la 
guerre.  Car  Batliori  regardait  la  convention 
de  Zapolsk  ,  comme  annullée  par  la  ftiort 
d'Ivan.  On  lui  répondit  que  Fédor,  n'écou- 
lant que  l'humanité,  avait,  le  jour  de  son 
couronnement,  rendu  la  liberté  à  neuf  cents 
prisonniers  Polonais,  Hongrois  et  Alleiioands  ; 
qu'on  attendait  de  la   part   d'Etienne,  une 


DE     RUSSIE.  /Jg 

couvre  aussi  chrétienne  ;  que  les  rëdamalions 
dos  Liihuaniens  qui  seraient  trouvées  justes  , 
ne  resteraient  pas  sans  satisfaction  ;  mais  que 
le  tils d'Ivan,  ayant  hérité  de  la  Couronne  , 
avait  également  hérité  du  titre  de  son  père , 
qui  portait  celui  de  prince  de  Livonie.  Après 
heaucoup  de  discussions,  Sapiéha  conclut 
avec  les  Boyards  un  traité  de  paix,  mais  seu- 
lement pour  dix  mois;  et  le  Tsar  envoya  à 
Varsovie,  le  boyard  ,  prince  TroëkourofT,  et 
le  gentilhomme  du  Conseil ,  Beznin  ,  afin  de 
déterminer  le  Roi  à  conclure  une  paix  stable. 
Mais  Etienne  voulait  plus  que  jamais  la 
guerre  ,  et  se  livrait  à  l'espoir  d'un  succès 
certain  ,  depuis  qu'il  savait  ce  qui  se  passait  à 
Moscou ,  par  des  rapports  où  la  malveillance 
ajoutait  encore  à  la  vérité. 

Godounolf  en  cherchant  à  mériter  la  re- 
connaissance publique  par  uneadministratio7i 
sage  et  active ,  et  l'amour  des  principaux 
Boyards  par  ses  caresses,  gouverna  tran([uilîe- 
ment  pendant  seize  à  dix-sept  mois,  méprisant 
SCS  ennemis  ,  et  tout  puissant  sur  le  cœur  du 
Monarque.  Il  avait  gagné  l'amitié  des  deux 
plus  illustres  seigneurs  ,  Nikita  lourieff  et  le 

Tome  X.  4 


5o  HISTOIRE 

prince  Ivon  MslislaTsky.  Il  gouvernail  seul  : 
mais  il  les  consultait  ;  et  satisfaisait  par  là  leur 
amour-propre  peu  exigeant. 

Cette  liaison  ,  qui  lui  était  si  JCivoraMe  ,  se 
termina  par  la  mort  de  lourieff  (38).  Le  prince 
Mstislafsky,  quoiqu'il  portât  le  nom  de  père 
adoptif  de  Boris  (39)  se  joignit ,  par  faiblesse, 
à  ses  ennemis ,  les  Schouisky ,  les  Yorotinsky 
et  les  Golovin  ,  et  fut  la  dupe  de  leurs  séduc- 
Cnnjnraiion  tious.  Si  Tou  cu  croit  FAnnalisIe,  il  devint 
nos;  complice  d  une  odieuse  conjuration.  On  vou- 

lait qu'il  invitât  Boris  à  un  repas  et  qu'il  le 
livrât  au  fer  des  assassins.  Mais  celui-ci,  averti 
du  complot  par  ses  amis  effrayés,  en  fit  sur- 
le-champ  son  rapport  au  Tsar.  On  ignore  s'il 
y  eut  ime  enquête  juridique  ;  nous  savons 
seulement ,  que  le  prince  Ivan  INIstislafsky , 
contraint  de  se  faire  moine ,  fut  exilé  dans  le 
couvent  de  Kiriloff,  et  les  Yorotinsky  de 
même  que  les  Golovin ,  dans  des  contrées 
éloignées  ;  d'autres  furent  emprisonnés  (4o). 
Mais  les  Schouisky  ne  furent  point  inquiétés; 
soit  que  l'on  manquât  de  preuves  contre  eux, 
ou  que  ce  fut  par  considération  pour  l'inter- 
cession du  Métropolitain  ,  leur  ami.   Toute- 


DE  rt:ssie.  r;f 

fois,  il  n'y  eut  pas  un  seul  individu  puni,  de 
mort.  Il  est  possible  que  Godounoff  craignit 
de  rappeler  les  temps  abhorrés  d'Ivan.  Peut- 
être  aussi  ,  ce  qui  est  plus  probable,  ne  vou- 
lut-il (jue  renverser  ses  ennemis  particuliers, 
en  répandant  le  bruit  de  leur  prétendu  com- 
plot. Le  tils  de  MslislaTsky,  le  prince  Fédor  , 
resta  même  dans  le  Conseil ,  comme  le  pre- 
mier ou  le  plus  illustre  des  Boyards  (4i).  Ce- 
pendant malgré  une  telle  modération  dans  la 
punition  d'un  crime  réel  ou  imaginaire,  la 
capitale  et  la  Cour  étaient  dans  la  plus  grande 
agitation.  Les  amis  des  accusés  redoutaient  une 
plus  grande  vengeance;  le  conseiller  Michel 
Golovin  ,  abandonnant  sa  terre  de  Médme  , 
se  réfugia  chez  Bathori  ,  et  justifia  ainsi  les 
soupçons  de  Godounotr.  En  effet,  ce  traître 
fugitif,  bien  accueilli  en  Lithuanie  ,  conjura 
le  l\oi  de  ne  point  conclure  de  paix  avec  le 
Tsar,  l'assurant  que  Moscou  et  la  Russie  étaient 
dans  Tanarcliie  et  le  plus  grand  désordre, 
par  la  faiblesse  d'esprit  de  Fédor  et  par  le  peu 
d'accord  qui  régnait  entre  les  Boyards;  enfin 
que  le  Ptoi  n'avait  qu'à  marcher  pour  s'em- 
parer de  tout  ce  qu'il  désirait  dans  notre  triste 


02  HISTOIRE 

et mallieiirense  pairie,  où  personne  ne  vou- 
lait faire  la  guerre  ni  servir  le  souverain.  Ba- 
thori ,  ajoutant  foi  à  ee  cliseours  ,  reçut  très- 
froidenienl  les  ambassadeurs  de  Moseon  ;  il 
leur  dit  que  ,  par  eondescendanee  ,  il  pourrait 
nous  accorder  une  trêve  de  dix  ans;  si  nous 
rendions  à  la  Lithuanie  les  villes  de  Novgo- 
rod ,  Pskof ,  Louky  ,  Smolensk ,  et  le  pays  de 
Seversk  ,  et  ajouta  :  c<  Le  père  de  Fédor  n'avait 
j)  pas  voulu  ine  connaître,  et  il  m'a  connu: 
»  autant  en  arrivera  à  son  lils  ». 

Les  Ambassadeurs  cherchèrent  à  prouver  le 
peu  de  raison  qu'il  y  avait  dans  les  préten- 
tions du  Iloi  ;  mais  on  ne  les  écouta  pas.  Ils 
furent  obligés  d'avoir  recours  à  la  ruse. 
D'abord,  ils  firent  adroitement  circuler  le 
bruit  que  Michel  Golovin  était  un  espion, 
envoyé  auprès  d'Etienne  par  les  Boyards  de 
Moscou.  Ensuite,  ils  proposèrent  aux  Sei- 
gneurs de  la  Pologne  etde  la  Lithuanie,  de  con- 
clure une  étroite  alliance  entre  leur  gouverne- 
ment et  la  Piussie,  pour  la  destruction  totale 
du  Khan  de  (Crimée.  Ces  deux  ressorts  furent 
mis  en  jeu  avec  un  égal  succès.  Golovin  n'ins- 
pira plus  bientôt  aucune  confiance  ;  on  pensa 


DE    rrssTE. 


que  (les  Puisses  (le  rlislinclion  avaienl  pu  aban- 
donner  leur   pairie  ,    pendant  le   règne  du 
cruel  Ivan,  mais  non  sons  eelni  dn  débon- 
naire Fédor;  on  ne  larda  pas  à  croire  que  ce 
j)rétendn  fuyard  semait  l'argenl  qui  lui  avait 
été  fourni  par  la  caisse  du  Tsar ,  pour  séduire 
et  corrompre  ,  et  on  vit  une  nouvelle  preuve 
de  sa  fausseté  dans  le  soin  qu'il  mettait  à  ra- 
baisser la  Pvussie  et  à  la  représenter  comme 
prête  à  tomber  aux  pieds  d'Etienne.  «  C'est 
5>  ainsi ,  disait-on  ,  que  le  Roi  ,  séduit  })ar 
»  David  Belsky  ,  a  perdu  une  nombreuse  ar- 
>>  mée   sous  les  murs  désastreux   de  Pskof; 
»  doit-il  s'exposer  à  être  une   seconde  fois 
î>  victime  de  sa  crédidité  ?  Il  approclie  de  la 
»  vieillesse  :  une  mort  soudaine  peut  lui  arra- 
»  clier  le  glaive  des  mains  et  nous  faire  perdre 
»  le   fruit  même    de    ses    victoires.    Tandis 
î)  qu'une  Diète  turbulente  disputerait  pour 
»  le  choix  du  successeur  d'Etienne,   un  en- 
î>  nenii  puissant  ravagerait  la  Liihuanie.    Il 
»  vaut  donc  mieux  profiter  de  la  faiblesse 
»  connue  de  Fédor ,  pour  conclure  avec  les 
»  Bovards  de  Moscou  ,  une  allianc<!  sincère 
»  et  durable  entre  les  deux  états  ,  alliance  in- 


54  HISTOIRE 

>,  tlépendanlc  (le  la  vie  6u  de  la  lïiort  de  nos 
i.  Souverains  ».  Cette  opinion  prévalut  tello- 
îiK  nt  <lan;>  le  Conseil  du  Roi  ,  que ,  non 
seulement  Troëkouroff  et  Beznin  revinrent  h 
Moscou  ,  apportant  avec  eux  un  nouveau 
traité  de  paix  pour  le  terme  de  deux  ans  (42); 
mais  ([ue  le  Roi  envoya  même  un  ambassadeur 
extraordinaire  ,  avec  des  propositions  (jui  fu- 
rent un  sujet  d'étonnement  pour  le  conseil 
du  Tsar. 

L'Ambassadeur,  était  Fillustre  Miciiel  Ha- 
rabourda ,  connu  depuis  long-temps  à  la  Cour 
de  Moscou ,  où  il  s'était  fait  aimer  par  la  faci- 
lité avec  laquelle  il  parlait  notre  langue,  par 
son  esprit  subtil  ,  par  sa  politesse  et  surtout 
par  son  zèle  pour  la  religion  grecque.  Il  remit 
aux  Boyards  des  lettres  de  paix  et  d'amitié  de 
la  part  des  Seigneurs  de  son  pays  ;  et  dans  une 
entrevue  secrète,  il  leur  dit:  «Investi  des 
»  pleins  pouvoirs  de  notre  Souverain,  du 
»  Clergé  et  de  tous  les  membres  composant  le 
>  conseil  de  la  Pologne  et  de  la  Lithuanie  ,  je 
i>  vous  déclare  que  nous  voulons  former  avec 
»  voire  patrie  une  alliance  sincère  et  indisso- 
»  lubie ,  à  l'aide  de  laquelle  nous  puissions 


DE     RUSSIE.  55 

»  nous  soulenir  iiiutuelleinont  contre  nos 
»  ennemis  communs.  Pour  y  parvenir ,  aban- 
»  donnons  de  vaines  discussions  pour  des 
»  villes  et  des  provinces  dont  nous  ne  pour- 
»  rions  devenir  les  maîtres  ,  sans  verser  des 
»  flots  de  sang  ;  que  chacun  garde  à  l'avenir  , 
»  ce  qu'il  possède  en  ce  moment!  Nousn'exi- 

»  geons    rien  :    n'exigez    rien    non    plus 

»  Ecoutez  encore  !  îsous  sommes  frères ,  la 
»  même  origine  slave  nous  est  commune  , 
»  nous  sommes  en  partie  de  la  même  religion  : 
»  pourquoi  n'aurions  nous  pas  le  même 
»  maître  ?  Que  Dieu  accorde  une  longue  vie 
»  aux  deux  Souverains;  mais  ils  sont  tous 
»  deux  mortels  :  si  Etienne  meurt  le  premier 
»  nous  sommes  prêts  à  joindre  la  grande 
»  principauté  de  Lithuanie  et  la  Pologne  aux 
)'  Etats  de  Fédor ,  de  manière  que  Cracovie 
»  soit  l'égale  de  Moscou  ,  et  Yilna  de  Novgo- 
»  rod  ;  pourvu  qu'à  votre  tour ,  en  cas  de 
»  prédécès  de  Fédor,  vous  vous  engagiez  à 
1)  reconnaître  Etienne  pour  Souverain  de 
»  toute  la  Piussie.  Voilà  le  plus  sûr  moyen  et 
»  le  seul  qui  puisse  consolider  notre  tran- 


:)b  HISTOIKE 

>)  qtiillilé  et    cimenter    une   amitié    sineère 
»  entre  nos  deux  Etats  ». 

Les  Boyards  tirent  leur  rapport  au  Tsar,  et 
après  avoir  pris  solennellement  les  avis  du 
Conseil  et  des  principaux  membres  du  Clergé, 
ils  répondirent:  «  Nous  ne  voulons  pas  sup- 
»  poser  la  mort  d'Etienne  :  Nous  ne  nous  per- 
»  mettons  même  pas  de  songer  à  celle  de  notre 
»  grand  Monarque.  Vous  avez  des  sentimens 
»  diiïérens  que  nous  ne  saurions  approuver. 
»  Convient-il,  en  effet,  à  un  And>assadeur 
»  d'aller  dans  un  pays  étranger ,  parler  de  la 
:»  mort  de  son  Souverain  ?  Toutefois  ,  écar- 
5)  tant  cette  inconvenance  ,  nous  vous  décla- 
»  rons  le  consentement  du  Tsar  à  une  paix 
:»  éternelle  ».  Mais  Harabourda  ne  voulut  pas 
en  entendre  parler  sans  une  convention  rela- 
tive à  la  réunion  des  deux  Etats.  «  Seriez-vous 
»  donc,  ajouta-t-il,  disposés  à  nous  rendre 
»  Novgorod  et  Pskof  ?  Car  Etienne  ne  se  con- 
:»  tentera  ni  de  la  province  de  Smolensk ,  ni 
j)  de  celle  de  Seversk  ».  —  «  Notre  Monarque  , 
»  lui  répondirent  les  Boyards,  ne  vous  don- 
»  nera  pas  seulement  le  ioU  d'une  chaïunière. 
»  Nous  pouvons  nous  passer  de  la  paix.   La 


DE    RITSSIE.  57 

»  Paissie  n'est  plus  ce  qvi'elle  était  jadis  :  tà- 
»  chez  de  préserver  de  sa  puissance,  non 
»  plus  la  Livonie,  ni  Pololsk,  mais  Yihia 
«  même  (43)  >\ 

Après  avoir  tén^.oigné  ses  regrets  de  ce  que 
les  Seigneurs  et  le  Cierge  n'avaient  pas  voulu 
adopter  une  grande  et  bonne  idée  ,  Hara- 
bourda  prit  congé  du  Tsar,  et  ensuite  des 
Boyards,  (jui  le  reçurent  en  particulier,  dans 
une  des  salles  du  château ,  assis  sur  des  gradins. 
Boris  occupait  la  quatrième  place  ,  cédant  le 
pas  aux  princes  Mstislafsky  ,  Ivan  Schouisky, 
et  Dm i tri  Godouuorf.  l/s  donnrreni  la  main  à 
Harahourda,  et  lui  remirent  une  letire  polie 
pour  les  Seigneurs  du  ]\oi ,  en  lui  disant  : 
«  Tu  es  venu  chez  nous  chargé  d'une  mission 
»  imporlanie  ;  mais  tu  n'as  rien  terminé,  l^e 
»  Tsar  ,  qui  a  le  carnage  en  horreur  ,  s'expli- 
»  quera  avec  le  Roi ,  par  l'entremise  de  son 
»  propre  Ambassadeur  5».  llerabourda  j)arlit 
le  3o  avril  ;  et  le  prince  Troëkouroiï  fut  en- 
voyé une  seconde  lois  auprès  d'Etienne,  le  28 
Juin  ,  avec  de  nouvelles  instructions. 

Il  est  certain  que  Bathori  aurait  immédia- 
tement déclaré  la  guerre  à  la  Piussie  ,  si   les 


58  HISTOIRE 

Seigneurs  de  sa  Cour,  surtout  ceux  de  Litliua- 
nie  ,  qui  craignaient  la  dévastation  de  leur 
pays,  ne  se  lussent  opposés  à  l'ambition  du 
Roi ,  et  ne  lui  eussent  laissé  entrevoir  que  la 
Diète  lui  refuserait  des  hommes  et  de  l'argent. 
Séduit  par  le  succès  de  sa  guerre  avec  Ivan  ,  ce 
n'était  que  pour  la  forme  et  par  complai- 
sance pour  la  noblesse  qu'Etienne  conservait 
des  rapports  avec  nous ,  sous  prétexte  de  dé- 
sirer la  paix;  et  tandis  qu'il  fesait  à  notre 
Conseil ,  l'inconvenante  proposition  de  lui 
donner  la  Russie  ,  après  la  mort  de  Fédor,  il 
demandait  de  l'argent  au  Pape,  pour  marcher 
contre  Moscou  ,  afin  de  conquérir  notre  pays 
-pour  lui-même,  et  notre  Eglise  pour  le  Saint- 
Siège.  Il  avait  un  puissant  intercesseur  auprès 
du  Pape,  dans  la  personne  du  jésuite  Antoine, 
qui  conservait  un  vif  ressentiment  contre  la 
Russie  ,  du  mauvais  succès  de  son  ambassade 
auprès  d'Ivan;  etSixle  Y  s'était  engagé  à  four- 
nir à  Etienne,  vingt-cinq  milles  scudi  par 
mois,  pour  une  aussi  grande  entreprise  (44)- 

Dans  de  semblables  dispositions ,  Etienne 
ne  songea  pas  à  suivre  l'exemple  de  généro- 
sité que  lui  avait  donné  Fédor  ;  tout  en  louant 


DE   RUSSIE.  59 

le  désintéressement  avec  lequel  on  avait  rendu 
la  liberté  aux  prisonniers  Lithuaniens  ,  il  exi- 
geait une  rançon  démesurée  pour  les  noires. 
Après  avoir  reçu  cinquante-quatre  milles  rou- 
bles du  Tsar  ,  il  renvoya  quelques-uns  de  ees 
prisonniers  ,  mais  il  garda  les  plus  mar- 
quans(45),  et  ne  voulut  pas  rendre  l'argent 
enlevé  à  des  voyageurs  de  Moscou,  qui  allaient 
en  Grèce  porter  des  aumônes  et  demander 
des  prières  pour  le  repos  de  lame  du  Tsaré- 
vitche  Ivan.  Il  ne  fit  rien  pour  arrêter  les  dé- 
vastations de  ses  Yoïévodes ,  qui ,  de  Livonie , 
de  Yitehsk  et  d'autres  endroits,  envoyaient 
des  bandes  de  brigands  dans  les  provinces  de 
Pskof,  Yélikoioutsk  et  Tchernigof'f.  En  un 
mot ,  il  cherchait  visiblement  à  lasser  la  pa- 
tience de  la  Russie ,  atin  d'amener  la  guerre. 

Troëkouroff  trouva  Etienne  à  Grodno  ,  et 
remit  aux  Seigneurs  de  son  Conseil ,  la  lettre 
de  nos  Boyards.  Après  en  avoir  pris  connais- 
sance ,  ils  témoignèrent  un  grand  méconten- 
tement. "  Désirant  la  tranquillité,  dirent-ils, 
>>  et  en  dépit  de  notre  Souverain  ,  nous  vous 
»  avons  proposé  les  conditions  d'une  frater- 
»  nité  sincère  ,  d'accord  avec  les  intérêts  des 


6o  HISTOIRE 

y  deux  étals  ;  et  vous  ,    sans   répondre   à  la 
»  principale  proposition ,  vous  vous  bornez 
»  à  nous  écrire  que  le  Tsar  veut  bien  accor- 
»  der  au  Roi  le  bonheur  de  h  paix,  si  nous 
y>  vous  cédons  Kief,  la  Livonie  et  tout  ce  que 
»  vous   appelez    Tancienne  propriété    de   la 
»  Russie  ;  c'est-à-dire  ,    ffiie  nous  offrons  du 
»  pain  aux  Boyards  Jiisses^  et  qu  ils  nous  jettent 
»  des pierres\  D'où  vous  vient  un  pareil  or- 
»  gueil  ?  Ne  savons-nous  pas  dans  ([uel   triste 
»  état  se  trouve  actuellement  la  Russie  ?  Vous 
»  avez  un  Souverain  :  mais  quel  est-il  ?  Il  n'a 
»  que  le  souffle;  il  est sansenfans  ;  il  ne  sait 
»  que  réciter  des  prières.    La  discorde  règne 
»  parmi  vos  Boyards ,  et  le  trouble  est  parmi 
»  le  peuple.    L'Etat  est  en  désordre,  l'armée 
»  sans  dévoûment  et  sans  bons  Yoïévodes. 
»  Nous  savons  que  vous  entretenez  des  rap- 
»  ports  secrets  avec  l'Empereur  d'Allemagne  : 
»  quel  est  votre  but?  Pouvez-vous  espérer  de 
»  Irouveren  lui  un  défenseur,  lorsqu'il   se 
»  déiend  si  mal  lui-même  ?  Vous  élcs  déjà   le 
y>  point  de  mire  de  plusieurs  Souverains  de 
j>  l'Europe.  Le  Sultan  demande  Astrakhan  et 
»  Kazan  ;  le  Khan  porte  le  fer  et  la  flamme  au 


DE    RUSSIE.  6l 

'>  cœur  de  la  Puissie ,  et  les  Tchéremisses  sont 
»  en  révolte.  Où  est  la  sagesse  de  vos  Boyards? 
»  Leur  pairie  est  en  péril,  et  ils  méprisent 
»  nos  bons  offices  ;  et  ils  répètent  que  le  Tsar 
«  est  prêt  à  résister  à  tous  ses  ennemis!  Nous 
»  v(;rrons  !  Jusqu'à  présent  nous  avons  em- 
»  péché  Etienne  d'accomplir  le  serment  qu'il 
)>  a  prêté  en  montant  sur  le  trône ,  de  repren- 
»  dre  à  la  Russie  tout  ce  qui  tient  à  la  Lilliua- 
«  nie  et  dont  elle  s'est  emparé  après  Yitolt , 
»  maintenant  nous  ne  voulons  pas  l'irriter 
»  en  lui  rapportant  vos  frivoles  discours  ; 
>i  mais  nous  lui  dirons  :  Majchc  contre  la 
»  Russie  jiisfju  aux  bords  de  l  Ougra  :  voilà 
»  Tiofî'C  or,  nos  bras  et  nos  têtes  »  ! 

Le  prince  Troëkouroff  écouta  ces  paroles 
avec  sang-froid,  eL  répondit  avec  chaleur:  «  Ce 
»  n'est  pas  nous,  Seigneurs,  mais  vous  ([ui 
»  tenez  des  discours  frivoles  :  quel  langage 
»  téméraire  et  inconvenant!  Vous  appelez  in- 
«  digne  et  malheureux,  un  règne  qui  fait  le 
«  bonheur  de  la  l\ussie  !  Vous  voyez  la  colère 
»  divine  où  nous  ne  voyons  que  la  bénédic- 
»  tion  du  Ciel  ;  l'avenir  est-il  donc  connu  des 
»  mortels?  Le  Tout-Puissant  a-t- il  lenucon- 


62  aiwSTOiRE 

»  seil  avec  vous  ?  Malheur  à  celui  qui  iiu'dif: 
»  d'un  Souverain  !  Nous  avons  un  Tsar  sain 
»  d'espril  et  de  corps,  sage,  heureux  et  digne 
«  de  tous  st^s  augustes  ancêtres.  Fidèle  aux 
»  préceptes  de  son  père,  de  son  a'ieul  et  de  son 
i>  bisaïeul,  Fédor  gouverne  son  peuple,  atl- 
»  ministre  son  pays  et  aime  la  paix.  Mais  il 
M  n'en  est  pas  moins  prêt  à  combattre  et  à 
»  vaincre  ses  ennemis.  Il  a  une  armée  supé- 
7>  rieure  à  toutes  celles  qui  ont  existé  jusqu'à 
j)  présent  en  Kussie  ;  car  il  est  bon  pour  les 
«  guerriers  ,  et  les  récompense  avec  généro- 
»  site.  ISous  avons  d'illustres  \  oïévodes,  qui 
»  n'aspirent  qu'à  la  gloire  de  mourir  pour  la 
»  patrie.  Oui,  Fédor  sait  prier;  et  le  Seigneur 
»  agréant  la  foi  qu'il  a  dans  la  protection  cé- 
«  leste  ,  lui  donnera  la  victoire  ,  la  paix,  le 
»  bonheur  et  une  longue  postérité.  Fxègnent 
»  à  jamais  les  descendans  de  Saint-Vladimir  ! 
»  Que  les  traitres  remplissent  le  monde  d'in- 
)>  dignes  calomnies  sur  les  discordes  des 
»  Boyards  et  la  désorganisation  de  notre  Em- 
»  pire  :  le  vent  emporte  leurs  imposlures. 
>>  Mais  nous  ne  voulons  pas  imiter  votre  ar- 
»  rogance  ,  même  en  vous  tenant  le  langage 


DE   RUSSIE.  63 

«  (le  la  vériU',  et  nous   nous  taisons  sur  ce 
»  (jue  nous  voyons  en  Lilhuanie  et  en  Polo- 
»  gne ,  parce  que  nous  ne  sommes  pas  en- 
»  voyés  comme  agens  de  discorde  ».  Après 
avoir  ajouté  que  les  Seigneurs  russes  ne  con- 
naissaient que  leur  Souverain  ,  et  n'avaient  de 
relations  avec  aucun  Prince  étranger;  que  le 
Sultan  ne  demandait  ni  Kazan  ni  Astrakhan, 
mais  seulement  notre  amitié  ;  que  le  Kfian  , 
se  rappelant  encore  Tannée   1572  et  le  prince 
Michel  Vorotinsky,  n'osait  pas  même  jeter  les 
yeux  sur  notre  Ukraine  ;  que  la  tranquillité  la 
plus  parfaite  régnait  dans  toule  la  Russie;  que 
nous  commandions  paisiblement,  même  dans 
les  contrées  éloignées  de  la  Sibérie ,  sur  la 
Konda,  dans  le  royaume  de  Pelyme  ,  dans  le 
pays  des  Kolmacks  et  sur   TOby  ,  où  quatre- 
vingt-quatorze  villes    nous  payai(îr.t  tribut  ; 
l'Ambassadeur  conclut  en  ces  termes:   «'  Est- 
»  ce  là  ce  que  vous  appelez  la  décadence  de  la 
»  Piussie  ?  jNous  désirons  la  paix  :  mais  nous 
»  ne  rachèterons  pas.  Voulez-vous  la  guerre  ? 
»  Commencez-la.    Voulez-vous  faire  mieux  :' 
»  Entrons  en  accommodemens  ». 
Les  négociations  commencèrent.  Le  Tsar 


64  HISTOIRE 

consenUnil  à  nVxigor  ni  Kief ,  ni  la  Volhinlo  , 
ni  la  Poflolic! ,  ne  demandant ,  comme  con- 
ditions de  la  j)aix ,  qne  la  l.ivonie  seule^  ouau 
moins  les  villes  de  Dorpat ,  de  ÎSeïhause, 
d'Alzel ,  de  Kirempé  ,  de  Mariembourg  et  de 
Tarvasl.  «  Pourquoi  une  pareille  générosité, 
dirent  avec  ironie  les  seigneurs  Polonais  à 
Troëkouroff  ?  Vous  êtes  maîtres  de  désirer 
toute  la  Litliuanie  ;  faites-en  la  conquête  et 
prenez-la  ».  Ils  proposèrent  une  seconde  fois 
la  réunion  des  deux  Etats,  et,  pour  y  parvenir, 
ils  dcîniandaient  que  les  Seigneurs  de  jMoscou 
et  ceux  du  ]»oi  ,  se  réunissent  sur  la  frontière. 
Troëkouroff  leur  représenta  que  le  Tsar  ne 
pouvait  pas  décider  une  affaire  de  cette  im- 
portance sans  Tavis  des  Etats-Généraux;  qu'il 
fallait  beaucoup  de  temps  pour  réunir  à 
Moscou  tous  les  députés  de  Novgorod,  de 
Kazan,  d'Astrakhan,  de  Sibérie  ;  et  il  demanda 
nne  prolongation  de  trêve.  «  Ce  n'eét  pas 
«  l'usage  en  Russie  ,  de  consulter  la  nation  , 
:»  lui  répliquèrent  les  Seigneurs  pcjlonais.  Le 
»  Tsar  prend  une  résolution  ;  les  Boyards 
»  disent  oui^  et  i'aflaire  est  faite  ».  Après  avoir 
discuté  pendant  quelques  jours,  on  prolongea 


DE     RUSSIE.  65 

encore  la  \vv\c.  de  doux  mois ,  du  3  juin  au 
mois  d'aoïit  i588,  afin  de  donner  aux  Ambas- 
sadeurs des  deux  partis,  le  temps  de  se  réunir 
sur  les  bords  de  l'Ivata ,  entre  Orclia  et  Smo- 
lensk ,  et  d'y  convenir ,  i°.  des  moyens  à  pren- 
dre pour  établir  une  alliance  fraternelle  entre 
Fédor  et  Etienne  ;  2".  du  moyen  à  employer 
pour  que  leurs  Etats  se  trouvassent  sous  le 
même  sceptre  ,  en  cas  de  mort  de  Fédor  ou 
d'Etienne  (46);  3".  enfin,  des  villes  qui  appar- 
tiendraient définitivement  à  la  Lithuanie  où 
à  la  Russie ,  si  elles  ne  consentaient  pas  à  se 
réunir. 

Quoique  le  troisième  article  diminuât  l'im- 
portance du  second;  quoique,  dans  le  fait, 
nous  ne  fissions  aucune  concession,  et  que  , 
par  de  semblables  conventions ,  il  n'y  eut  au- 
cune atteinte  de  portée  à  l'honneur  ni  al'inté- 
grité  de  notre  territoire ,  ce  traité ,  cependant, 
ne  fut  signé  par  Troëkouroff,  qu'à  la  dernière 
extrémité,  et  lorsque  les  seigneurs  Lithuaniens 
lui  annoncèrent  son  congé.  Nous  désirions 
gagner  du  temps  ,  et  nous  fondions  nos  espé- 
nmces  sur  l'avenir,  en  voyant  le  pays  ennemi 
disposé  à  la  paix.  L'Archevêque  de  Gnésen  , 
Tome  X.  5 


CG  niSToïKE 

lui-même,  dans  une   conversation  avec   mi 

officier  du  Tsar,  IMovossillzo ff,  envoyé  alors 

à  Vienne  ,   lui  avait  dit  que    le  seul  ennemi 

irréconciliable  que  la  Uussie  eut  en  Lilhuanie 

cl  en  Pologne,  était  Balliori  ;   mais  (ju'il  ne 

pouvait  vivre  long-temps  ,  car  il  s'était  formé 

à  ses  jambes  des  plaies  fort  dangereuses  que 

les  médecins  n'osaient  guérir  ,  dans  la  crainte 

de  balcr  sa  mort;  il  avait  ajouté  qu'Etienne 

n'était  pas  aimé  de  la  Nation  ,  à  cause  de  son 

ambition   démesurée   et  des  mauvais  Iraite- 

mens qu'il  faisait  éprouver  à  sa  fenmie  ;  enfin, 

que  les  grands  et  la  noblesse  désiraient  être 

sous  l'empire  de  Fédor,  connaissant  les  vcrtiis 

chrétiennes  de  ce    Monarque,  l'esprit  et  la 

bienveillance  de  la  Tsarine ,  la  sagesse  et  les 

grandes  qualités  du  Régent ,  Boris  GodounollT. 

V   Cet  homme   illustre,  disait  l'Archevêque , 

»  a  nourri  et  consolé  nos  prisonniers  ,  lors- 

»  qu'ils  étaient  encore  détenus;  et  après  les 

»  avoir  rendus  à  la  liberté  ,  il  les  a  traités  gé- 

»  néreusement  dans  son  palais,  faisant  à  cha- 

»  cun  d'eux  des  présens  de,  drap  et  d'argent.. 

»  Sa  gloire  se  répand  partout.  Vous  êtes  heu- 

^  reux  d'avoir  un  administrateur  qui  ressem-  ^ 


DE    r.ussiE.  G7 

»  ble  à  Alexis  Adacheff ,  ce  f^rand  liommo  qui     PainiiMe  <ie 
»  gouvernail  la  Russie  sous  Ivan  (47)  ».  En-  «lAdaduH. 
chérissant  encore  sur  celle  comparaison  ,  No- 
vossillzoff  ajouta  ({ue  Godounoff  surpassait 
AdachefF  par  Téclat  de  son  rang  el  parla  pro- 
fondeur de  son  génie. 

La  vSaine  politique  nous  ordonnait  d'éloi- 
gner la  guerre  tant  que  nous  le  pourrions. 
Etienne  avait  encore  de  la  force  d'àme  et  un 
corps  vigoureux  :  grand  et  fier  dans  ses  ma- 
nières, en  congédiant  le  prince  Troëkouroff, 
il  lui  tendit  la  main  avec  un  air  sévère ,  et  lui 
ordonna  de  saluer  Fédor  de  sa  part.  Il  termina 
ainsi  ses  rapports  avec  la  Russie  qui ,  en  le 
haïssant,  ne  pouvait  cependant  lui  refuser  de 
l'estime.  En  effet ,  en  se  montrant  notre  en- 
nemi ,  il  ne  faisait  que  remplir  le  devoir  pres- 
crit au  Souverain  par  Tintérét  de  l'Etal;  et 
d'ailleurs  il  connaissait  mieux  que  son  Con- 
seil rimpossibiiilé  d'une  paix  réelle  et  la  dil- 
ficulté  de  réunir  son  Royaume  à  l'Empire  de 
Moscou.  Balhori  avait  déjà  désigné  le  jour  de 
l'ouverture  de  la  Diète  à  Varsovie  ,  afin  de 
fixer  le  sort  futur  de  la  Pologne  par  le  choix 
d'un  successeur.  Il  espérait  par  son  éloquence 


C)^  niSTOIRR 

ol  par  la  force  de  la  vérité  ,  raulnior  à  la  fois 
dans  les  ciciivs  l'amour  de  la  patrie  et  le  désir 
de  la  gloire,  et  arracher  enfin  hî  consente- 
ment à  la  guerre  contre  la  Kussie.  Mais  le  sort 
ne  favorisa  pas  ses  projets. 

Notre  gouvernement  avait  encore  un  autre 
but  secret ,  dans  ces  derniers  rapports  avec 
Batliori  :  il  désirait  rendre  à  la  natrie  leshom- 
mes  que  Fexil  et  la  désertion  nous  avaient 
enlevés  sous  le  règne  d'Ivan ,  non  par  pitié 
pour  eux  ,  mais  pour  l'avantage  de  l'Etat.  Le 
Tsar ,  ayant  appris  que  beaucoup  d'entr'eux 
avaient  le  désir  de  rentrer  en  Ptussie,  mais 
qu'ils  craignaient  de  s'y  montrer,  envoya  des 
lellres  de  grâce  à  plusieurs,  et  nommément 
aux  princes  Gabriel  Tclierkasky  ,  Thimoliiée 
Teterin  ,  au  moursa  Koupkceff,  Kachkaroff, 
et  même  au  traître  David  Belsky,  parent  de 
Godounoff,  leur  prometUnt  avec  l'oubli  de 
leurs  fautes  ,  des  rangs  et  des  appointemens  , 
s'ils  revenaient  à  Moscou  avec  un  n^penlir 
sincère,  et  s'ils  prouvaient  leur  zèle  endonnant 
toutes  les  notions  nécessaires  sur  létnt  intérieur 
de  la  Lithuanie  ,  de  même  que  sur  les  vues  et 
les  moyens  de  sa  politique  ('{8).  Fédor  faisait 


DE     RUSSIE.  6q 

aussi  grAce  à  tous  Its  déserteurs,  exceplé  au 
malheureux  Kourbsky  ,  qui  prol)ablemeut 
n'existait  déjà  pius  ,  et  au  nouveau  traître 
jMiehel  Golovin.  Balhori,  qui  avait  appris  de 
ce  seigneur  beaucoup  de  choses  secrètes  sur  la 
Piussie  ,  avait  en  outre  à  Moscou  des  espions 
particuliers  parmi  les  marchands  Lithuaniens: 
ce  qui  détermina  Fédor  à  ne  leur  permettre 
de  faire  le  commercé  qu'à  Smolensk ,  et  à  leur 
défendre  de  venir  dans  la  capitale. 

Cependant  le  Tsar ,  tout  en  cherchant  à  avec^irsuède! 
éloigner  la  rupture  avec  la  Lilhuanie,  mais  en 
s'y  attendant  sans  cesse ,  ne  montrait  que  plus 
d'amour  pour  la  paix  et  de  facilité  dans  ses 
relations  avec  le  roi  de  Suède  ;  il  ne  voulait 
point  avoir  deux  ennemis  en  même  temps. 
Toutefois,  il  n'oubliait  pas  la  dignité  de  la 
llussie  ;  il  sentait  le  besoin  d'effacer  notre 
honte,  en  reconquérant  notre  ancienne  pro- 
priété envahie  par  les  Suédois  ;  mais  il  remet- 
tait la  guerre  à  une  épo([ue  plus  favorable. 

De  la  Gardi ,  lieutenant  d'Ksthonie,  ayant 
appris  la  mort  dTvan  ,  demanda  au  prince 
Basile  Schouisky-Skopin ,  voïévode  de  Nov- 
gorod, si  nous  étions  disposés  à  tenir  la  coq- 


r-O  I1I5TGIRS 

vcniion  conclue  sur  1rs  bords  de  la  Pljissa('J9), 
ri  si  r.os  ambassadeurs  se  rendraient  à  Slok- 
liolm  pour  traiter  de  la  paix.  Mais ,  dans  sa 
lettre,  comme  pour  piquer  le  Tsar,  il  nommait 
le  ï\oi,  Grand-Duc  ù'JJora  et  de  lajiroiince  de 
Schclona,  dans  le  pays  liusse.  On  lui  répondit 
cjue  jamais  en  Russie  Ton  n'avait  entendu  par- 
jler  dun  Grand-Duc  Suédois  de  la  province 
de  Scliélon;i ,  mais  ou'on  excusait  son  igno- 
rance ,  parce  qu'il  était  étranger  et  éloigné 
delà  Cour  et  des  affaires  du  Conseil;  que  du 
reste  le  Tsar  voulait  remplir  les  engagemens 
de  son  père,  et  que  n'aimant  pas  les  maux 
de  la  guerre,  il  atîendait  des  Ambassadeurs 
suédois,  mais  qu'il  ne  pouvait  en  envoyer  à 
Stokliolm.  Cette  aigreur  de  part  et  d'autre 
falîlitamener  une  rupture.  De  la  Gardi,  dans 
une  nouvelle  lettre  à  Schouisky ,  parlait  de 
l'ancienne  ignorance  et  de  l'orgueil  insensé 
des  Piusses,  qui  n'en  étaient  pas  encore  corri- 
gés, même  par  leurs  revers.  «  Sachez,  écrivait- 
3>  il ,  qu'on  ne  m'appelle  pas  un  étranger  dans 
:»>  le  glorieux  royaume  de  Suède.  Il  est  vrai 
»  queTJe  suis  souvent  éloigné  de  la  Cour,  mais 
»  uniquement  pour  vous  tenir  en  respect.  Je 


DE    Ri;  s 31  s.  -Jl 

j>  suppose  qiic  vous  n'avez  pas  oublié  cgni- 
»  bien  de  Ibisvos  drapeaux  se  sont  reueonlrés 
»  avee  les  miens  ,  e'est-à-dire  eonibien  de  lois 
»  ils  se  sont  abaissés  devant  eux  ,  et  que  vous 
»  n'avez  trouvé  voire  salut  que  dans  la  fuite  ». 
On  ne  répondit  à  eelle  bravade  que  par  le 
silenee  du  mépris. 

Fédor  se  eondnisit  d'une  manière  encore 
plus  sage  et  plus  digne  d'éloges ,  dans  ses  rap- 
ports directs  avec  le  roi  Jean  qui,  en  nous 
proposant  de  ne  pas  renouveler  la  guerre , 
s'exprimait  ainsi  dans  sa  lettre  au  Tsar  :  «  Ton 
»  père  ,  en  désolant  son  propre  pays  ,  en  s'a- 
»  breuvanl  du  sang  de  ses  sujets  ,  fut  un  mau- 
»  vais  voisin  pour  nous  et  pour  les  autres 
)>  souverains  ». 

Fédor  renvoya  celte  lettre  au  Roi,  en  lui 
faisant  dire,  qu'il  n'était  pas  permis  de  se  ser- 
vir de  pareilles  expressions,  en  parlant  à  un 
fiîs ,  de  son  père.  Mais  les  paroles  n'empè- 
cliaient  pas  les  affaires  de  marcher.  l>.c  boyard, 
prince  Fédor  Scheslounoff  et  le  gentilhomme 
du  Conseil ,  Ignace  Tatislcheff ,  se  réunirent 
le  25  octobre  i585,  à  l'embouchure  de  la 
Plussa ,  près  de  Narva,  aux  dignitaires  Suédois 


'J2  HISTOIRE 

Klas  Toit,  fie  la  Gnrdi  et  autres.  Les  Suéclois 
exigeaient  Novgorod  et  Pskoff  ;  et  de  noire 
côté  nonsdemandions non  seulementles  villes 
Piussrs  dont  ils  s'étaient  emparé  ,  mais  toute 
TEsthonie  etsept  eent  mille  roubles  en  argent. 
Cependant  on  lit  des  concessions  de  pari  et 
d'autre  ,  mais  on  ne  put  s'accorder.  Les  Sué- 
dois lions  menaçaient  de  faire  une  alliance 
avec  Bathori  et  de  solder  cent  nnille  étrangers. 
Nous  ne  laur  opposions  que  la  puissance  de 
la  Russie  seule,  en  ajoutant  que  nous  n'avions 
pas  besoin ,  comme  eux,  d'engager  nos  villes 
et  de  louer  des  soldais  ;  que  nous  n'agissions 
qu'avec  nos  tètes  et  nos  bras  ÇSo).  Eniin  nos 
dernières  propositions  de  paix ,  que  les  Sué- 
dois refusèrent ,  étaient  :  que  le  Roi  nous 
restituât  Ivangorod ,  Jama  ,  Koporié  ,  pour  la 
somme  de  dix  mille  roubles  ou  vingt  mille 
ducats  hongrois.  On  résolut  la  guerre ,  mais 
bientôt  on  changea  d'avis,  et,  au  mois  de 
décembre  i58!> ,  on  conclut  une  trêve  de  qua- 
tre ans,  sans  aucune  concession  ,  et  avec  l'en- 
gagement d'une  nouvelle  réunion  des  Am- 
bassadeurs des  deux  puissances,  au  mois  d'août 
i586 ,  afin  de  traiter  de  la  paix  détlnilive.  Pen- 


DE     RUSSIE.  73 

dant  ces  conférences  ,  de  la  Gartli  se  noya 
dans  la  Narova. 

Deuxaulres  puissances  européennes  TAu-      Ami.nssKie 

eu  Auiiiciic. 

triche  et  le  Danemarck  étaient  alors  également 
en  relations  avec  Fédor.  Après  avoir  fait  part 
à  Piodolplie  de  son  avènement  au  trône ,  il  lui 
offrait  son  amitié  et  la  liberté  du  commerce 
entre  leurs  Etats.  L'ambassadeur  de  Moscou  , 
Novossiltzoff  (5i)  fut  traité  avec  honneur  à 
Prague  ,  oii  résidait  TEmpereur  ;  et  il  fut  in- 
vité à  diner  non  seulement  chez  les  Ministres 
aulrichiens,  mais  même  chez  le  Légat  du  Pape 
et  les  Ambassadeurs  d'Espagne  et  de  Venise. 
Ils  le  queslionnèrent  sur  l'Orient  et  le  Nord, 
sur  la  Perse ,  sur  les  pays  de  la  mer  Caspienne 
et  sur  la  Sibérie.  Ils  vantèrent  la  puissance  du 
Tsar,  et  donnèrent  des  éloges  à  l'esprit  de 
TAmbassadeur  qui  en  avait  effectivement, 
connue  le  prouvent  ses  dépèches.  Piodolphe, 
disait-il  dans  ses  rapports  au  Conseil  des 
Boyards ,  Piodolphe  s'occupe  plus  de  ses  ma- 
gnifiques écuries  que  du  gouvernement;  il  a 
cédé  un  pouvoir  qui  lui  était  à  charge,  à  Adam 
Ditrichstein  ,  un  des  seigneurs  les  plus  distin- 
gués de  sa  Cour.  L'empereur,  pauvre  comme 


f 

74  HISTOIRE 

il  l'est,  ne  rougit  pas  de  payer  un  tribut  au 
Sultan  ,  et  ne  fait  par  là  que  retenir  pour  i 
quel([ue  temps  le  glaive  Ottoman  déjà  sus- 
pendu sur  sa  tète.  L'état  de  l'Europe  est 
déplorable  ;  l'Autriche  soullre  au  milieu  de 
la  paix,  et  la  France  ,  au  milieu  des  guerres 
civiles.  Phili])pe  il ,  soupçonnant  son  fils  ,  | 
Carlos,  de  vouloir  attenter  aux  jours  de  son 
père,  songe  à  déclarer  héritier  de  la  couronne 
d'Espagne,  Ernest ,  frère  de  FEmpereur. 

Dans  ses  rapports  ,  Novossillzoff  parle  des 
mœurs,  des  fruits  delà  civilisation,  et  des 
éiablisscmcns  utiles  ou  agréables  qu'il  a  visi- 
tés ,  et  qui  étaient  inconnus  en  Russie.  Il  dé- 
crit même  les  jardins  et  les  serres;  remplissant 
ainsi  les  instructions  du  curieux  Godounoff. 
Les  Ministres  autrichiens  lui  coiilîèrent ,  sous 
le  secret ,  qu'ils  avaient  le  désir  de  conclure 
une  alliance  avec  la  Russie  ,  afin  de  renverser  > 
Calhori  et  de  parlager  son  royaume  :  mais 
cette  idée  trop  hardie  pour  le  faible  Rodolphe 
resta  sans  effet.  L'Empereur  promit  d'envoyer 
au  Tsar  un  de  ses  Grands,  et  ne  tint  pas  parole; 
il  se  borna  à  écrire,  par  Novossillzoff ,  ime 
lettre  polie  à  Fédor. 


Di:    r.ussiE. 


7' 


Frédéric,    roi  de  Danemarck;   qui  s'était     Renouveite- 

,    ,,  •      1  '    1         '     HT  /"-     \  1    V  mciil  tics  rel.i- 

luonlre  1  ennemi  déclare  d  Ivan  (02)  ,  se  hala  lions an.icai» 
(le  lairedes  olires  de  l)onne  aniitie  au  nouveau  uuua. 
souverain  ,  par  un  Ambassadeur  qu'il  envoya 
à  Moscou  ,  et  qu'il  chargea  d'une  lellre  dans 
laquelle  il  disait  que  le  caractère  et  les  senti- 
mens  chrétiens  de  Fédor,  universellement 
connus,  lui  donnaient  l'espérance  de  voir  un 
terme  à  tous  les  anciens  mécontentemens,  et 
(le  renouveler  des  rapports  d'amitié  ,  de  com- 
merce et  de  poiiticpie  avec  la  Piussie.  Ces  rap- 
]>orls  se  rélablirent  en  elïet ,  et  le  Danemarck 
>);',  songea  plus  à  inquiéter  notre  commerce 
maritime  du  nord  ,  se  bornant  à  prohter  des 
avantiigcs  qu'il  lui  offrait. 

Tranquille  au  dedans,  et  en  paix,  au  moins  Afaiies  a» 
pour  le  moment,  avec  l'Europe  chrétienne, 
la  Russie  ,  sans  redouter  la  Tauride,  était  tou- 
jours en  garde  contre  ses  entreprises.  Mahmet 
Ghinï  promeliaiten  même  temps  son  alliance 
au  Tsar  et  à  la  Litliuanie  ;  il  entretenait  des 
rapports  secrets  avec  les  Tchéreriiisses,  et  en- 
vovait  ostensiblement  des  bandes  de  brigands 
dans  nos  provinces  du  Sud-est  (53),  lorsqu'il 
tomba  sous  le  fer  de  son  frère ,  Islam  Ghireï  ^ 


-r. 


HISTOIRE 

qui  arriva  de  Conslaiilinople  avec  une  troupe 
(le  Janissaires,  elle  tilre  (1(;  Khan  (54).  Islam 
ndopla  la  politique  rie  celui  auquel  il  succé- 
dait par  un  assassinat,  et  il  écrivit  à  Fédor: 
«  Ton  père,  outre  des  pelleteries  précieuses 
»  envoyées  de  son  pays,  à  mon  frère,  a  payé 
»  dix  mille  roubles  pour  avoir  la  paix.  Donne 
j>  m'en  encore  davantage  ,  et  n  >us  écraserons 
»  Tennemi  Lithuanien  ;  atLiqué  de  tous  côtés 
»  par  mes  troupes  ,  celles  du  Sultan  ,  les  No- 
3)  gais ,  et  tes  soldats ,  nous  ravagerons  ses 
»  terres  ». 

Cependant  les  hordes  de  la  Crimée  ,  les 
Azoviens  et  les  Nogais  nomades  deKazieff, 
incendiaient  les  habitations  dans  les  districts 
de  Béb'iT,  Koselsk,  Vorotinsk,  Mestcliofsk  et 
Massalsk.  Le  gentilhomme  du  Conseil,  Michel 
Besnine ,  à  la  tète  de  la  cavalerie  légère  ,  les 
rencontra  sur  les  bords  de  FOka,  les  délit 
complètement ,  leur  enleva  les  prisonniers 
qu'ils  avaient  faits,  et  reçut,  en  récompense  de 
sa  bravoure  ,  une  médaille  d'or  de  la  part  du 
Tsar.  Deux  fois  encore  les  brigands  de  Crimée, 
au  nombre  de  trente  ou  quarante  mille 
hommes,  ravagèrent  l'Ukraine.  Au  mois  de 


DE    RUSSIE.  77 

juin  1587,  ils  prirentet  incendièrent  Krapivna. 
Les  Voïévodes  de  Moscou  les  battirent  et  les 
poursuivirent,  à  la  trace  des  cendres  et  tlu 
sang  f[u'ils  laissaient  sur  leur  passage  ;  ensuite 
ils  demeurèrent  sur  les  bords  de  l'Oka  ,  cam- 
pant à  Toula,  à  Serpoukbof,  et  attendant 
le  Kban  lui-même.  La  Tauride  était  pour 
nous  ,  comme  un  reptile  venimeux  ,  qui  , 
même  en  expirant,  lance  encore  son  venin  ; 
elle  portait  la  mort  et  la  flamme  dans  nos 
provinces  ,  malgré  son  propre  épuisement , 
et  les  mallieurs  dont  elle  était  alors  victime. 
Les  fils  de  INIalimet  Gbireï,  Saidet  et  Mourat, 
cbassés  par  leur  oncle,  en  i585,  revinrent  avec 
quinze  mille  INogais  ,  renversèrent  Islam 
Ghireï  du  trône,  s'emparèrent  de  ses  femmes, 
de  ses  trésors  et  dévastèrent  tout  le  p.tys. 
Saidet  prit  le  titre  de  Khan;  mais  Islam  ,  s"é- 
tant  réfugié  à  Cafa  ,  revint  deux  mois  après  , 
et  chassa  de  nouveau  ses  neveux.  A  la  tèle  de 
quatre  mille  soldats  du  Sultan  ,  il  les  délit  dans 
un  combat  sanglant ,  lit  donner  la  mort  à 
beaucoup  de  Princes  et  deMourzas,  accusés 
de  trahison  ;  et  s'en  ton  rant  de  Turcs  ,  il  leur 
permit  de  violer ,  de  tuer  et  de  piller.  Le  Tsar 


•;8  IIISTOIIÎE 

|)ioiila  âc  CCS  circonslarices  pour  proposi'i'  un 
refuge  i\  Saidet  et  à  Mourat;  il  permit  au  pre- 
mier ,  de  camper  avec  jes  hordes  de  JNogais  , 
aux  environs  d'Astrakhan ,  et  invitale  second 
à  venir  à  Moscou.  H  le  combla  dlionneurs,  se 
raîtacha  par  un  serment ,  et  Tenvoya  ,  accom- 
])agné  de  deux  Yoïévodcs ,  à  Astrakhan  où  il 
devait  elre  un  instrument  de  notre  poiititpie, 
et  où  il  fut  reçu  avec  tous  les  honneurs  dûs  à 
un  liiustre  Prince  Souverain.  Les  troupes 
étaient  sous  les  armes;  on  tira  le  canon  dans 
la  forteresse  et  sur  le  port  ;  on-  battUle  tambour, 
H  Von  fît  retentir  l  air  du  son  des  lirnhalles  et  des 
trompettes.  Mourat  affecta  d'ébler  une  magni-î 
ficence  royale  dans  cette  ancienne  ville  ,  rem- 
plie de  marchands  orientaux  ;  il  s?  créa  une 
Cour  brillante ,  et  reçut  solennellement  les 
Princes  voisins  et  leurs  Ambassadeurs ,  tenant 
en  main  la  charte  de  Fédor,  avec  un  sceau  d'or. 
Tl  se  nomma  Souverain  des  quatres  fleuves  , 
du  Don ,  du  Volga ,  du  Jaik  et  du  Térek ,  ainsi 
ffue  de  toutes  les  peuplades  libres  et  des  Go^ 
saques  ;  il  se  vantait  de  fouler  aux  pieds  Islain, 
et  d'humilier  l'allier  Sultan.  «  Par  la  grâce  et 
>>  Tamitié  du  Tsar  de  Moscou ,  disait-il ,  nous 


DE   RUSSIE.  7^ 

»  serons  Souverains,  mon  frère,  de  Crimée  , 
»  et  nu)i ,  d'Astrakhan  ;  c'est  pour  cela  ({u'on 
»  a  destiné  à  mon  service  de  grands  person- 
»  nages  de  la   lliissie  ».   Tel   était  le  langage 
qu'il  tenait  à  ses  coreligionnaires,  tandis  (pi'il 
conjurait  en  secret  le  voïévode  d'Astrakhan  , 
le  prince  Labanoff  Roslolsky  ,  de  le  délivrer 
de  la  surveillance  sévère  et  visible  dont   il 
était  l'objet ,  afin  que  les  Nogais  et  les  peu- 
ples de  Crimée  pussent  avoir  plusde  confiance 
et  ne  vissent  pas  en  lui  un  esclave  de  Moscou; 
car  Labanofi'et  les  autres  Yoïévodes  ,  en  con- 
servant tous  les  égards  possibles  envers  lui  , 
observaient  toutes  ses  démarches;   et  tandis 
qu'il  se  glorifiait  des  marques  d'une  considé- 
ration apparente,  il  ne  se  rendait  à  la  mosquée 
qu'à  travers  les  rangs  des  Streletz  ,   et  il  ne 
pouvait  entretenir   personne  sans  témoins. 
',    Cependant  il  nous.servait  avec  zèle  ;  il  enga- 
geait les  Nogais  à  la  tranquillité  et  à  la  soumis- 
:    sion;   il  cherchait  à  leur  persuader  que  ce 
n'était  que  pour  leur  sécurité  et  pour  mettre 
un  frein  à  la  rapacité  des  Cosaques,  que  le  Tsar 
iaisait  construire  des  villes  sur  la  Samara  et 
rOufa.  Il  menaçait  le  séditieux   Jakchissat  , 


So  HISTOIRE 

prince  de  celte  horde  ,  de  lui  l'aire  payer  cher 
Finimitié  qu'il  })orlail  à  la  Russie,  et  se  pré- 
parait, conjoinleiiienl  avec  son  frère  Sa i de l , 
à  fondre  sur  la  Tau  ride  ,  à  la  tète  des  jSogais  , 
des  Gosaquess  et  des  Tcherkesses,  n'attendant 
pour  celle  expédition  que  Tordre  de  ledor  , 
des  canons  et  dix  mille  Slreletz  qui  lui  avaient 
été  promis. 

Mais  le  Tsar  temporisait;  il  redoutait  beau- 
coup plus  Etienne  qu'Islam;  et  peu  sûr  de  la 
paix  avec  le  premier  ,  il  écrivit  à  Mouratau 
mois  de  février  laSy  :  «  Le  temps  propice 
»  pour  la  conquête  de  la  Tauride  n'est  point 
»  encore  venu  :  nous  devons  auparavant 
»  dompter  un  autre  ennemi  plus  puissant. 
»  Sois  prêt ,  avec  les  fidèles  TSogais  et  les  Co- 
»  saques ,  à  marcher  sur  Vilna ,  où  lu  me  ren- 
n  contreras;  lorsque  nous  aurons  eu  raison 
»  de  noire  ennemi  lithuanien,  alors  nous dé- 
»  Iruironsfacilement  ton  ennemi  particulier; 
»  et  nous  saluerons  SaidetGhireï,  Khan  des 
»  peuplades  de  Crimée  'k  En  même  temps  le 
Tsar  faisait  dire  à  Islam  :  «  Le  khan  Saidet 
»  Ghireï,  le  tsarévitche  Mourat ,  les  Princes 
»  jNogaiset  Tcherkesses,  nous  conjurent  de 


I 


DE    RTiSSlE.  8l 

>)  leur  permellre  de  te  détrôner.  Nous  les  re- 
»  tenons  encore,  et  nous  pouvons  même  ou- 
»  blier  tes  brigandages  ,  si  tu  es  sincèrement 
»  décidé  à  t'armer  contre  la  Lithuanie  ,  lors- 
»  que  la  trêve  ,  conclue  avec  son  Souverain 
)>  sanguinaire,  sera  expirée  ;  car  nous  sommes 
i->  fidèles  va  notre  parole  et  à  nos  conventions. 
»  Je  conduirai  moi-même  mes  troupes  de 
>)  Smolensk  à  Vilna;  et  toi ,  à  la  tête  de  tes 
»  principales  forces,  marche  en  Yolhinie  , 
»  en  Galicie  et  plus  loin  ;  fais  avancer  d'autres 
»  troupes  contre  Poutivle ,  où  elles  se  réuni- 
»  ront  àcellesdeSeversk  afin  d'assiéger  Kief; 
j)  tu  auras  à  ton  aile  droite  mon  armée  d'As- 
t)  trakhan  ,  qui ,  conjointement  avec  le  tsa- 
«  révitche  Mourat ,  doit  également  entrer  en 
«>  Lithuanie.  Après  avoir  lait  l'expérience  des 
»  malheurs  attachés  à  tes  invasions  en  Piussie, 
»  essaye  enfin  du  bonheur  que  te  promet  son 
»  alhance  ». 

Mais  Fcdor  prévoyait  que  Saidet,  après 
avoir  renversé  Islam ,  ne  serait  pour  nous 
qu'un  nouveau  chef  de  brigands  ,  et  que  nous 
ne  ferions  qu'échanger  un  barbare  contre  un 
autre  ,  il  chercha  donc  à  séduire  les  fils  de 

Tome  X.  6 


82  HISTOIIU: 

Mahmel  Ghireï  par  la  dignité  de  Klian  de 
Crimée,  el  se  servit  d'eux  pour  en  imposer 
au  Khan,  aiin  d'avoir  plus  de  ressources  dans 
la  guerre  conlre  Balhori.  Cette  ruse  ne  resta 
pas  sans  cfTel:  Islam  redoutant  ses  neveux, 
assura  Fédor  (jue  les  invasions  des  troupes  de 
Crimée  en  Russie,  ne  provenaient  que  de 
l'indiscipline  de(juelquesMourzas,quiavaient 
été  suppliciés  sans  miséricorde  ;  et  il  ajouta 
qu'il  n'attendait  qu'un  Ambassadeur  de  Mos- 
cou avec  un  traité  d'alliance,  pour  marcher 
avec  toutes  ses  forces  contre  la  Lilhuanie.  En 
effet.  Islam  annonça  aux  peuplades  soumises 
à  ses  ordres,  qu'il  valait  mieux,  pour  le  mo- 
ment ,  piller  le  pays  d'Etienne  que  celui  de 
Fédor. 

Toutefois,  en  nous  occupant  principale- 
ment de  Bathori,  de  la  Suède  et  de  la  Tauride, 
nous  ne  laissions  pas  d'apercevoir  le  dani^er 
qui  nous  menaçait  d'un  autre  côté.  Voisins 
d'une  puissance  redoutable  à  toute  l'Europe, 
nous  n'avions  pas  besoin  des  avertit semens  de 
la  Cour  d'Aulriche,  pour  prévoir  l'orage  dont 
le  Bosphore  nous  menaçait.  Les  trophées  du 
Sullan  qui  étaient  entre  nos  mains,  la  tentative 


DE     hlSSIE.  8j 

de  Soliman  contre  Astrakhan,  la  destruction  et 
la  défaite  de  l'armée  de  Sélim  ,  dans  les  déserts 
qui  avoisinenl  la  mer  Caspienne,  ne  pouvaient 
rester  sans  suite.  Toute  la  iinesse  de  la  poli- 
tique de  Moscou  ,  devait  consister  à  remettre 
à  des  temps  plus  propices  pour  la  Russie, 
une  guerre  terrible  mais  inévitable.  Elle  avait 
besoin  de  se  fortifier  par  des  conquêtes  et  par 
une  meilleure  organisation  intérieure  ,  avant 
de  commencer  une  lutte  décisive  avec  les  des- 
tructeurs de  l'empire  de  Byzance.  C'est  ainsi 
qu'en  avaient  agi  Ivan-le-Grand ,  son  fils  et 
son  petit-fils;  quelquefois  même  ils  avaient 
su,  à  l'aide  des  Sultans,  tenir  en  respect  la 
Crimée  et  la  Lithuanie.  C'est  aussi  ce  que  vou- 
lait obtenir  Fédor,  et  ce  qui  l'engagea,  au 
mois  de  juillet  i584 ,  à  envoyer  l'ambassadeur 
Blagoffà  Constantinople,  pour  annoncer  au 
Sultan  son  avènement  au  trône  ,  lui  faire  part 
des  dispositions  pacifiques  de  la  Russie  envers 
la  Turquie,  et  inviter  Amurat  à  conclure  une 
alliance  avec  nous,  «c  Nos  ancêtres  ,  Ivan  et 
»  Bajazet,  lui  écrivait-il,  nos  grands-pères, 
»  Vassili  et  Soliman,  et  nos  pères,  Ivan  et 
»>  Selim,  s'appelaient  frères  et  entretenaient 


Amtfissade 
il  t'uiiblauti- 


ÎS4  HISTOIRE 

»  des  rapports  (ramltié  entr'eux  ;  qnc  celte 
»  même  amitié  existe  entre  nous  La  Pmssie 
»  est  ouverte  à  tes  marchands ,  sans  exception 
»  pour  aucune  marchandise  et  sans  impôts. 
»  Nous  demandons  la  n'ci procité  el  rien  de 
«  pUis  ».  11  élail  prescrit  à  TAmbassadenr  de 
dire  aux  Pachas  d'A mural  :  «  Nous  savons  que 
»  vous  vous  plaignez  des  brigandages  des  Co- 
»  saques  du  Térek,  qui  gênent  les  communi- 
»  cations  entre  Conslantinople  et  Derbent, 
»  pays  qui  est  maintenant  sous  la  domination 
»  du  Sultan ,  depuis  qu'il  l'a  enlevé  au  Schah 
»  de  Perse.  Ivan  ,  père  de  notre  Souverain , 
>)  avait  consiruit  une  forteresse  sur  le  Térek  , 
«  pour  la  sécurité  de  Tcmgruk ,  prince  Tcher- 
j)  kesse  ;  mais  il  en  fit  sortir  ses  troupes  afin 
5>  de  complaire  à  Seiim  ;  depuis  ce  temps  elle 
j)  est  occupée  ,  sans  l'aveu  du  Tsar ,  par  les 
»  Cosaques  du  Volga  qui  sont  des  déserteurs. 
»  Yous  vous  plaignez  encore  de  l'oppression 
»  qu'éprouve  lareligion  de  Mahomet,  enPius- 
»  sie  ;  maiscpii  est  opprimé  chez  nous?  A  Kassi- 
»  moff,  au  cœur  de  noire  Empire,  ne  s'élève- 
»  t-il  pas  des  mosquées  et  des  monumeas  mu- 
»  sulmans  ,  érigés  en  l'honneur  de  S(  hig  Aley 


DE    RUSSIE.  85 

>)  et  du  tsarévitche  Kaïboula.  Saïn  Boulai,  au- 
»  jourd'hui  Siméon  ,  Grand  Duc  de  Tver  ,  a 
«  embrassé  volontairement  la  religion  chrc- 
»  tienne  ,  et  à  sa  place,  quoique  mahomélan  , 
»  Mousta-Falei ,  fils  de  Kaïhoula,  a  été  fait 
»  Tsar  de  Kassimoff.  Non  ,  nous  n'avons  ja- 
j>  mais  persécuté,  et  nous  ne  persécuterons 
»  point  les  peuples  d'une  religion  différente 
»  de  la  notre  ».  Blagoff  n'avait  point  d'ordres 
pour  entrer  dans  de  plus  grands  détails.  Traité 
avec  considération  à  Constantinople  ,  à  l'égal 
de  l'Hospodar  de  Valactiie,  et  mieuxque  l'Am- 
bassadeur de  Venise ,  il  n'obtint  pourtant  pas 
sans  peine  qu'Amurat  envoyât  un  de  ses  di- 
gnitaires à  Moscou.  Les  Pacbas  disaient  :  «  Le 
»  Sultan  est  un  puissant  monarque  ,  ses  Am- 
"  bassadeurs  ne  vont  qu'auprès  d'illustres 
»  Souverains  tels  que  l'Empereur,  les  Piois 
»  de  France,  d'Espagne  et  d'Angleterre,  qui 
»  ont  avec  lui  des  affaires  d'Etat  importantes 
»  et  qui  lui  envoyent  de  l'argent  ou  des  dons 
»  précieux.  Quant  à  vous,  nous  n'avons  h  trai- 
i>  ter  ensemble  que  d'affaires  de  commerce  >». 
M  Blagoff  répondit  :  «  Le  Sultan  est  grand 
»  parmi  les  Souverains  mahométans  ;  mais 


$6  iiisTOiriK 

»  ]el\sar  est  grand  aussi  parmi  ceux  de  la  chrc'- 
»  tientc.  <^)iiaiit  à  l'argenl  et  aux  dojis,  nous 
»  n'en  envoyo  ns  à  pe  rso  n  ne  .Quoi  cpie  le  co  rn- 
"  merce  soit  iniporlant  pour  les  Etats,  il  peut 
j>  se  présenter  des  affaires  plus  importantes 
«  encore  ;  rabais  si  le  Sultan  n'envoie  pas  avec 
»  moi  un  de  ses  dignitaires  à  Moscou,  jamais 
»  à  l'avenir  ses  ambassadeurs  ne  verront  les 
5>  yeux  du  Tsar  ».  Le  Sultan  ordonna  de  revê- 
tir Blagoff  d'un  Cafetan  de  velours  brodé  en 
or,  et  de  le  faire  accompagner  par  Adzi-Ibra- 
him,  qui  fut  reçu  sur  les  bords  du  Don  par 
les  Y oïévodes  Russes,  envoyés  au-devant  de 
lui  pour  la  sûreté  de  son  voyage  (55).  Après 
avoir  remis  à  Fédor  la  lettre  du  Sultan,  (en 
décembre  i585),  Ibrahim  se  refusa  à  toutes, 
conférences  avec  les  Boyards.  Le  Sultan  don- 
nait à  Fédor  le  titre  de  Fioi  de  Moscou  ;  il  le 
remerciait  de  ses  dispositions  à  vivre  amicale- 
ment avec  l'empire  Ottoman,  confirmait  la 
liberté  du  commerce  pour  nos  marchands  à 
Azoff,  et  parlait ,  en  style  oriental ,  du  bon- 
heur de  la  paix  ;  mais  il  exigeait ,  comme 
preuve  d'une  amitié  sincère  ,  que  le  Tsar  li- 
vrât à  Ibrahim,  le  traitre  Mourat,  lils  de  Mah- 


DE     RUSSIE.  87 

met  Ghireï,  et  qu'il  fit  rentrer  dans  le  devoir 
Kichkin  ,  helman  des  Cosaques  du  Don  ,  qui 
dévastait  les  contrées  d'Azoiï.  Voyant  que  le 
système  de  la  Gourde  Constantinople  n'avait 
pas  changé  envers  la  Ptussie;  que  le  Sultan  ne 
songeait  pas  à  conclure  une  alliance  avec  nous, 
et  qu'il  ne  désirait  que  de  conserver  la  liberté 
de  commerce  entre  les  deux  nations ,  jusqu'au 
moment  de  se  déclarer  notre  ennemi ,  le  Tsar 
congédia  Ibrahim  en  lui  donnant  pour  ré- 
ponse ,  que  c'était  plutôt  les  Cosaques  Lithua- 
niens que  ceux  de  la  Russie,  qui  dévastaient 
les  bords  du  Don;  que  l'hetman  Kichkin  avait 
été  rappelé  à  Moscou,  et  qu'il  avait  été  défendu 
à  ses  compagnons  d'inquiéter  les  Azoviens  ; 
qu'à  l'égard  du  tîls  de  Mahmet  Ghireï,  notre 
serviteur  et  sujet,  on  en  parlerait  au  Sulian 
par  un  nouvel  Ambassadeur  du  Tsar.  Mais  , 
dans  l'espace  des  six  années  suivantes,  nous 
n'envoyâmes  plus  personne  à  Constantinople, 
et  la  Piussie  ne  craignit  pas  d'agir  ostensible- 
ment contre  la  Porte  Ottomane. 

Le  jour  même  du  départ  d'Ibrahim,  5  octo- 
bre i58G,  le  Tsar  prit  des  engagemens  solen- 
nels qui  pouvaient  et  devaient  extrêmement 


S8  IlISTOIRK 

drplaire  au  Sultan.  Nous  venons  de  traver- 
ser un  Siècle  et  plus,  sansflnre  mention  de 
la  Géorgie  (56).  Cette  maliieureuse  contrée, 
opprimée  par  les  Turcs  et  les  Persans,  était 
Letsardiié-  gouveméc  par  le  prince  ou  tsar  Alexandre  » 
deiaRussie.  qui  avait  envoyé  un  prêtre,  un  moine  et  un  . 
cavalier  tcherkesse  à  Moscou,  pour  supplier 
I  edor  de  prendre  sous  sa  puissante  protection 
l'antique  et  illustre  ibérie,  en  lui  disant  :  «  Les 
M  lemps  de  calamité  pour  les  chrétiens,  pré- 
»  vus  par  plusieurs  hommes  inspirés  de  Dieu, 
j>  sont  arrivés.  Nous,  frères  coreligionnaires 
»  des  Russes,  nous  gémissons  sous  les  inli- 
»  dèles;  Souverain  orlhodoxe ,  tu  peux  seul 
»  sauver  notre  vie  et  nos  âmes.  Moi  et  mon 
»  peuple  nous  tombons  à  tes  pieds,  en  de- 
j)  mandant  de  t'apparlenir  à  jamais  (Sj)  ». 
C'est  avec  de  pareilles  instances  qu'on  offrait 
à  la  Russie  un  nouveau  Royaume,  qui  n'avait 
pu  être  soumis,  ni  par  les  anciens  Persans  , 
ni  par  les  Macédoniens  ,  et  qui  fut  la  plus  glo- 
rieuse conquête  de  Pompée.La  Russie  l'accepta: 
mais  c'était  un  présent  dangereux,  parce  qu'en 
établissant  notre  souveraineté  sur  les  bonis  du 
Kour,  nous  nous  mettions  entre  deux  forte 


DE    RUSSIE.  89 

pnissances  bcllioérnntcs  ;  laTiir({iiie  possédait 
déjà  rihérie  occidenlale  et  dispulail  au  Scliali 
la  partie  orientale,  exigeant  un  Iribul  du  Caket 
où  régnait  Ah  xandre  ,  et  du  Carthuel  soumis 
au  prince  Siméon  ,  son  gendre.  Mais  il  s'agis- 
sait plutôt  d'un  \ain  honneur  ,  que  d'une  do- 
mination réellesurdescontréesaussi  éloignées 
et  tellement  inaccessibles  à  la  Russie,  que  Fé- 
dor  ,  en  se  déclarant  Souverain  de  la  Géorgie, 
ne  connaissait  pas  encore  la  route  (pii  y  con- 
duisait. Alexandre  lui  proposa  de  construire 
des  forteresses  sur  le  Térek  ,  et  d'envoyer  une 
vingtaine  de  mille  hommes  contre  \i;  Schm^- 
kal  ou  Schamhal (58),  Prince  turbulent  du 
Dagestim,  pour  s'emparer  de  Tarki  sa  capitale, 
et  ouvrir  des  communications  avec  i'Il^éric 
par  les  bords  de  ia  mer  Caspienne  ,  à  travers 
le  pays  du  petit  prince  de  SaTour ,  son  tribu- 
taire. Cette  expédition  demandait  du  temps  et 
des  préparatifs,  et  l'on  choisit  une  autre  route 
plus  sure  par  le  pays  du  pacifique  prince  des 
Avares.  On  expédia  d'abord  des  courriers  de 
Moscou  (09) ,  afin  de  faire  prêter  serment  de 
iidélité ,  au  Tsar  et  à  la  nation  d'Ibérie  ;  et 
après  eux  ,  on  envoya  le  prince  Siméon  Zvé- 


go  HISTOIRE 

Tiigorodsky  ,  avec  une  leltre  tie  grâce.  Alexan- 
dre ,  en  baisant  la  croix  ,  jura  avec  ses  Irois 
lils ,  lléraclius  ,  David  ,  et  Georges,  ainsi  que 
toute  la  >'alion,  de  rester  toujours  sujet  iidèle 
de  Fédor  ,  de  ses  enfans  et  de  ses  successeurs  ; 
d'avoir  les  mêmes  amis  et  ennemis  que  la 
Russie,  et  de  la  servir  avec  zèle  jusqu'à  la 
mort;  d'envoyer  chaque  année  à  Moscou 
cinquante  pièces  de  drap  d'or  de  Perse  ,  et  dix 
tapis  brodés  en  or  et  en  argent,  ou  la  valeur 
de  ces  objets  en  productions  du  pays.  De  son 
côté  ,  Fédor  leur  promit  sa  protection  ,  et  il 
tint  cet  engagement  autant  qu'il  fut  en  son 
pouvoir. 

La  petite  ville  de  Tersk,  abandonnée  par 
nous  pour  complaire  au  Sultan,  servait  depuis 
quelque  temps  de  refuge  aux  Cosaques  libres  ; 
elle  fut  rétablie  et  occupée  par  des  Stréletz 
sous  les  ordres  du  voïévode  Khvorostinin. 
Cet  officier  était  chargé  de  consolider  l'auto- 
rité de  la  Russie  ,  sur  les  princes  Tcherkesses 
et  de  la  Kabarda  ,  nos  sujets  depuis  les  temps 
d'Ivan  ,  et  de  protéger  flbérie,  conjointement 
avec  eux.  D'autres  troupes  d'Astrakhan  sou- 
mirent le  Scliavkal  et  s'emparèrent  des  bords 


DK     RUSSIE.  f)I 

de  la  Koïssa.FtHlor,qiii  avait  envoyé  de  Tarlil- 
lorieà  Alexandre,  lui  avai  t  promis  égalenienl 
des  lioninie  habiles  dans  Tari  de  Iboilre  les 
canons. 

Enconragé  par  les  promesses  de  la  Piussic  , 
Alexandre  augmenta  sa  propre  armée  ;  il  ras- 
sembla quinze  mille  cavaliers  et  fantassins  ; 
il  les  mena  au  camp,  les  exerça,  leur  remit 
des  drapeaux  ornés  de  la  croix,  el  leur  donna 
des  évèquesel  des  moines  pour  chefs.  11  disait 
au  prince  Zvénigorodsky  :  «  Gloire  au  souve- 
»  rain  de  la  Russie  !  Celle  armée  n'est  point 
»  à  moi ,  mais  à  Dieu  et  à  Fédor  ».  A  celle 
époque  les  Pachas  Ollomans  lui  demandèrent 
des  provisions  pour  Baka  et  Derbent;  il  les 
leur  refusa  en  disant  :  «  Je  suis  sujet  du  grand 
»  Tsar  de  Moscou  ».  Et  lorsqu'ils  lui  hrent 
observer  que  Moscou  était  éloigné  et  que  les 
Turcs  étaient  près  ,  il  leur  répondit  :  «  Le 
Térek  et  Astrakhan  ne  sont  pas  loin  ».  Mais 
notre  Conseil  lui  donna  le  sage  avis  d'amuser 
le  Sultan  ,  et  de  ne  pas  l'irriter  jusqu'au  mo- 
ment où  l'Europeentière  se  soulèverait  contre 
l'empire  Ottoman.  Le  bruit  s'était  répandu 
que  le  tsarévitche  Mourat ,  gendre  du  Schav- 


9^  lîISTOIlVK 

kal ,  songeait  à  nous  trahir,  et  se  concertait 
secrètement  avec  son  ])eaii-père,  les  Nogais  et 
les  perfides  princes  Tclierkesses  ,   pour  s'em- 
parer d'Astrakhan  et  livrer  cette  ville  au  Sul- 
tan. Alexandre  conjurale  TvSar  de  ne  pas  se  lier 
aux  Mahométans,  en  ajoutant  ({ue  s'il  arrivait 
quelque  chose  à  Astrakhan  ,   il  abandonnerait 
son  misérable  Pioyaume  et  s'enfuirait  là  où 
ses  yeux  le  conduiraient.  ]Mais  le  prince  Zvé- 
nigorodsky  le  calma.  «  Nous  ne  perdrons  pas 
»  de  vue  Mourat ,  lui  diî-il ,  et  nous  avons  des 
»  otages  de  tous  les  princes  Nogais.  Le  Sul- 
w  tan  et  le  Khan  ont  déjà  honteusement  fui, 
»  en  1569,    devant  Astrakhan  ,   ville  main- 
»  tenant  encore  mieux   forliiiée   et  qui   est 
»  remplie  de  soldats.  La  Pvussie  sait  se  délen- 
»  dre  et  défend  les  siens   ».  Cependant,  en 
nous  occupant  de  la  sûreté  politique  de  l'Ibé- 
rie ,  nous  y  répandions  aussi  les  bienfaisantes 
lumières  de  la  religion  :  on  y  envoya  des  prê- 
tres éclairés  pour  réformer  les  usages  de  son 
Eglise ,  et  des  peintres  pour  orner  ses  temples 
de  saintes  images.  Alexandre  répétait  avec  at- 
tendrissement ,  que  la  lettre  de  grâce  du  Tsar 
était  tombce,  poiw  lui  y  du  ciel  et  l'avait  tiré  des 


DE    RUSSIE.  C)3 

Icni'Lres  ;   que  nos  pnirrs  riaient   des  anges 
pour  le  clergé  (ril)érie  abruti  par  rignorance. 
En  effet,  se  glorifiant  de  l'ancienneté  du  chris- 
tianisme dans  son  pays,  ce  clergé  malheureux 
avait  déjà  oublié   les  principaux  dogmes  des 
conciles  œcuméniques  et  les  rites  sacrés  du 
service  divin.  La  plupart  des  églises,   cons- 
truites au  haut  des  montijgnes  ,  étaient  isolées 
et  désertes:  en  les  examinant  avec  attention  , 
les  prêtres  de  Moscou  trouvèrent  dans  quel- 
ques-unes des  restes  de  riches  orneniens ,  avec 
la  marque  de  Tannée  144^    "  Dans  ces  temps, 
j>  leur  disait  AJexandre  ,  Tlbérie  était  sons  la 
»  domination  du  grand  d(\spole  Georges;  elle 
V  ne  formait  alors  ([u'un  seul  état  :  par  mal- 
»  heur  ,  mon  ayeul  la  divisa  en  trois  princi- 
»  pautés,  et  la  livra  à  la  merci  des  ennemis 
»  du  Christ.  Nous  sommes  entourés  d'infi- 
»  dèles,  mais  nous  rendons  encore  hommage 
»  au  vrai   Dieu  et  au  Tsar  orthodoxe  «.  Le 
prince  Zvénigorodsky  promit,  au  nom  de  la 
Russie  ,  rindépeiidance  de  toute  Tibérie  et  le 
rétablissement  de  ses  temples  et  de  ses  villes  , 
dont  il  voyait  partout  les  ruines.  11  ne  paria 
dans  ses  dépêches  que  de  deux  petites  villes  , 


ÎJelrlir.ns 
arccla  Perse. 


94  itisToinE 

Krini  et  Zahem  (60)  vl  (Vun  pclit  iiDiribrc  rie 
bourgs  et  de  couvens.  D('s  ce  inoinent  IVclor 
commença  à  ajouter  à  ses  titres  celui  dé  Soiwc- 
raindlberic,  des  Tsars  de  Géorgie  ^  de  la  Ka- 
barda  el  des  princes  Tcherhesscs. 

Non  seulement  nous  otïensions  le  Sultan 
par  le  rétablissement  de  la  forteresse  de  Terslc 
et  par  la  prise  de  possession  de  la  Géorgie  , 
mais  nous  excitions  encore  plus  son  mécon- 
tentement par  notre  amitié  avec  la  Perse.  Le 
schali  Godabent  (ou  lloudabeiidé  )  informa 
Fédor  de  ses  prétendues  victoires  sur  les  Turcs, 
et  lui  proposa  de  les  chasser  de  Caka  et  de  Der- 
bent ,  s'engageant  à  nous  céder  à  jamais  ces 
villes,  qui  avaient  long-temps  appartenu  à  la 
Perse  (6i).Fédor,  pour  conclure  à  ces  con- 
ditions un  iraité  avec  leSchah  ,  envoya  auprès 
de  lui .,  en  i588  ,  le  gentiliiomme  Yassiltchi- 
koff  ,  qui  trouva  déjà  Godabent  en  prison  , 
et  sur  le  trône  son  fils  Mirza  Abbas  qui  TeH 
avait  renversé.  Mais  ce  changement  ne  troublaf 
pas  la  bonne  harmonie  qui  ri'gnait  entre  lîl 
Pvussie  et  la  Perse.  Le  nouveau  Schah  reçut 
avec  une  grande  considération  Fenvoyé  de 
Fédor  à  Kasbin;   il   fit  partir    au^silot  pour 


DE    RUSSIE.  95 

Moscou  deux  de  ses  dignitaires,  Boutakbeket 
Andiheï  ,  chargés  d'annoncer  au  Tsar  qu'il  lui 
cédai!  non  seulement  Derbent  et  Baka  ,  niais 
Tauris  cl  tout  le  pays  de  Chirvan  (62) ,  si  l'on 
parvenait ,   par  notre  secours,  à  en  ch:isser  les 
Turcs;  il  ajoutait cpie  le  Sultan  ,  désirant  ma- 
rier sa  lille  au  neveu  d'Abb:is,  lui  avait  offert 
la  paix;  mais  qu'il  ne  voulait  même  pas  en 
entendre  parler,  dans  l'espoir  d'une  alliance 
avec  la  Russie  et  avec  le  Souverain  de  l'Espa- 
gne ,  dont  l'Ambassadeur  se  trouvait  alors  en 
Perse  (60).  Présentés  en  particulier  à  Godou- 
noff,    les   envoyés    du   Scliali  s'exprimèrent 
ainsi  :  «  Si  nos  Souverains  sont  alliés  et  amis, 
»  que  ne   pourront-ils   pas  faire  avec  leurs 
»  forces  réunies  ?  C'est  peu  que  de  chasser  les 
»  Turcs  du  territoire  de  la  Perse  ,   on  peut 
»  même  concjuérir  Constantinople  (64).  Mais 
»  de  pareilles  œuvres  ne  s'opèrent  que  par 
7>  des  hommes  d'un  grand  génie  ;  quelle  gloire 
»  ce  serait  pour   toi  ,    homme  illustré   par 
»  ton  rang  et  les  grâces  de  ton  Souverain  ,  si , 
»  par  tes  sages  conseils,  le  monde  était  délivré 
»  des  violences  des  Ottomans  »  !  On  leur  ré- 
pondit que  nous  agissionsdéjà  contre  Amurat  ; 


96  HISTOIRE 

que  notre  armée  élait  sur  le  Térek,  el  coupait 
à  celle  du  Sultan  la  route  de  la  mer  Noire  vers 
les  possessions  de  la  Perse;  qu'une  autre,  plus 
nombreuse,  était  à  Astrakhan;  qu'Amur.jt 
avait  déjà  ordonné  à  ses  Pachas  de  marcher 
vers  la  mer  Caspienne  ,  mais  qu'il  les  avait 
reienus ,  lorsqu'il  avait  eu  connaissance  des 
nouveaux  forts  que  les  Russes  avaient  élevés 
dans  ces  contrées  dangereuses  ,  et  de  la  réu- 
nion de  tous  les  Princes  Tcherkesses et  Nogais 
prêts  à  se  raliier  et  à  marcher  contre  les  Turcs 
sous  les  drapeaux  Moscovites.  On  congédia 
ainsi  ces  Ambassadeurs  ,  en  leur  disant  qu'ils 
seraient  suivis  par  ceux  que  nous  devions  en- 
vover  au  Schah  ;  mais  ils  n'avaient  pas  encore 
eu  le  temps  de  partir  ,  qu'on  apprit  à  Moscou 
la  nouvelle  qu'Abbas  venait  de  conclure  la 
paix  avec  le  Sultan. 

C'est  ainsi  que  ,  pendant  les  premières  an- 
nées du  règne  de  Fédor  ou  de  la  puissance  de 
Godounol'f,  agissait  au  dehors  la  politique 
pacifique  et  ambitieuse  delà  Russie;  politique 
qui  n'était  ni  sans  tinesse  ni  sans  succès  ;  mon- 
trant plus  de  prudence  que  de  hardiesse ,  et 
employant  habilement  tour  à  tour  la  menace, 


DE   RXISStK.  97 

la  flaitcrio ,  et  dos  promesses  pou  sineères, 
Nons  ne  voulions  pas  provoquer  la  guerre  , 
mais  nous  nous  y  préparions,  on  nous  forti- 
fiant partout ,  et  en  augmentant  l'armée  (65). 
Fédor  ,  désirant  être  en  quolciue  sorte  invi-  ^^^""'s  '"■ 
sihle  et  présent  au  milieu  de  ses  eamps  ,  insli- 
tua  des  revues  générales,  el  ehoisit ,  à  cet  effet , 
parmi  les  hommes  de  sa  Cour  ,  des  militaires 
habiles  et  expérimentés,  qui  allaient  d'un 
corps  à  l'autre  examiner  l'état  des  hommes  et 
des  armes  ,  pour  en  faire  leur  rapport  nu 
Monarque  (GG).  Les  Yoïévodes ,  inflexibles 
dans  leurs  funestes  disputes  sur  ranciennelé 
de  leurs  familles  ,  se  soumettaient  sans  mur- 
mure au  jugement  des  Gentilshommes  ,  des 
Stolniks  et  des  enfans  Boyards  ,  qui  ,  à  ces  re- 
vues ,  représentaient  le  Souverain. 

Tout  était  tranquille  dans  l'intérieur  de 
l'Empire.  Le  gouvernement  s'occupait  d'im 
nouveau  recensement  des  lionimes  et  des  terres 
labourables  (Gy)  ,  de  la  répartition  égale  des 
impôts,  dcs  moyens  de  peupler  les  déserts  , 
et  de  la  construction  de  nouvelles  villes.  En 
i584,  les  voïévodes  Nastchokin  et  Volohoff  r  , 
fondèrent ,  sur  les  bords  de  la  Dvina  ,  la  ville  <^  '^ '-''"'a'^'- 

ÏU3IE   X.  7 


î)8  HISTOIRE 

(FArkhangtl,  jirts  de  la  place  oùse  trouvaient 
le  couvent  de  ce  nom  et  rétablissement  des 
luarcliands  An^^lais.  On  lortilia,  en  Tcnlou- 
rant  irune  muraille  en  pierre (G8),  Astrakhan, 
qui  élail  menacée  par  le  Suilan.  Ceîle  place  , 
d'une  grande  imporlance  pour  noire  poli- 
tique ainsi  que  pour  noire  commerce  avec 
rOrient,  n'était  pas  moins  nécessaire  pour 
tenir  en  respect  les  Nogais ,  les  Tcherkesses  et 
Constri.c-  tous  Ics  Princcs  leurs  voisins.  A  Moscou  on 

tion  lie  la  <  il  le  .  ,  i      r       i 

Biai.du:  ,  ou  batit,  en  ijob,  autour  du  grand  iaubourg  , 
Moscou.  la  ville  Blanclie  ou  Tsargorod  ,  enceinte  (pii 

commençait  à  la  porte  de  Tver.  On  construi- 
sit beaucoup  de  palais  dans  le  Kremlin  ,    la 
cour  des  Monnaies  ,  le  collège  des  Ambassa- 
deurs, celui  des  Domaines,  la  Trésorerie  et 
Fondniicu  le  pakus  de  Kazan.  On  place  aussi  ,  vers  cette 
époque,  la  Ibudation  de   la  ville  d'Ouralsk. 
En  i584 ,  six  ou  sept  cents  Cosaques  du  Volga, 
se  choisirent  une   habitation   aux  bords  du 
Jaïk ,  dans  un  endroit  favorable  à  la  pèche  ;  ils 
Fenlourèrent  de  remparts  de  terre  ,  et  devin- 
3'ent  la  terreur  des  Nogais  et  particulièrement 
du  prince  Ourouse,  iils  d'ismael ,  qui  ne  ces- 
sait d'adresser  des  plaintes  au  Tsar  sur  leurs 


DE    RUSSIE.  (jy 

brlganJagos;  le  Tsar  lui  répondait  toujours 
que  c'étaient  des  fuyards,  des  vagabonils,  et 
qu'ils  y  demeuraient  de  leur  propre  volonté  ; 
mais  Ourouse  lui  écrivait:  «  Une  ville  aussi 
»  iniporlanle  peut-elle  exister  sans  que  lu  le 
»  saches?  Quelques-uns  de  ces  brigands,  (jui 
»  sont  nos  prisonniers,  déclarent  appartenir 
>'  au  Tsar  ».  Observons  que  cette  époque  est 
la  plus  florissante  de  l'histoire  des  Cosaques 
du  Don  et  du  Volga.  Leur  réputation  de  cou- 
rage s'était  répandue  depuis  Azotf  jusqu'à  ITs- 
ker.  En  irritant  le  Sultan,  en  menaçant  le 
Khan  ,  en  domptant  les  Nogais,  ils  alTermis- 
saient  le  pouvoir  des  Souverains  de  Moscovie 
dans  le  Nord  de  l'Asie. 

Au  milieu  de  ces  circonstances  favorables  à 
la  grandeur  ejt  à  la  sécurité  de  la  Russie,  lors- 
que tout  prouvait  la  pénétration  et  l'activité 
du  gouvernement,  c'est-à-dire  de  Godounoff, 
ce  Boyard  était  en  butte  à  l'envie  et  à  Tinlrigue, 
malgré  son  habileté  dans  l'art  de  séduire  les 
hommes.  L'orgueilleux  Godounoff,  qui  com-  d  .nsTs  lU 
muniquaitenson  propre  nom  avec  les Souve-  Godounoff. 
rains  de  l'Asie  et  de  l'Europe,  qui  échangeait 
des  présens  avec  eux  et  recevait  solennelle- 


loo  nisTouiE 

nienl  leurs  Ambassacieurs  dans  sa  maison  (6<)), 
voulait  paraître  modt'sto ,  cl  ,  à  œt  effet,  cé- 
dait, dans  le  Conseil,  la  préséance  aux 'sei- 
gneurs plus  anciens  que  lui  ;  mais  quoiqu'il 
y  siégeât  à  la  quatrième  place  ,  d'un  seul  mot , 
d'un  seul  regard  ou  d'un  seul  geste,  il  impo- 
sait silence  à  la  contradiction.  Il  inventait  des 
distinctions  ,  des  marques  de  la  faveur  souve- 
raine ,  pour  flatter  la  vanité  des  Boyards.  C'est 
ain§i  qu'il  introduisit  l'usage  des  diners  invi- 
tés ,  pour  les  membres  du  Conseil,  dans  les 
appartemens  intérieurs  du  palais  (70),  où 
Fédor  recevait  lesGodounoff  et  les  Schouisky, 
quelquefois  sans  inviter  Boris.  Vaine  ruse  ; 
ceux  que  le  Grand  Boyard  admettait  ces  jours- 
là  à  sa  table,  étaient  enviés  parles  hôtes  mêmes 
du  Monarque.  Tout  le  monde  savait  que  le 
Régent  ne  laissait  à  Fédor  que  le  nom  de  Tsar, 
et  ce  n'était  pas  seulement  parmi  les  premiers 
personnages  de  l'Etat,  mais  même  dans  la 
bourgeoisie  de  la  capitale  ,  qu'on  avait  en  gé- 
néral j)eu  d'amour  pour  Boris.  Un  pouvoir 
absolu  entre  les  mains  ,  même  du  plus  digne 
des  sujets  ,  déplait  à  la  nation  ;  Adacheff  avait 
eu  de  l'empire  sur  le  cœur  d'Ivan  ;  il  gouverna 


DE     RUSSIE.  ICI 

la  Puisslc ,  mais  il  se  tint  toujours  moclcste- 
mcnt  derrière  un  Monarque  plein  (Fénerf^ie 
et  d'activité  ;  il  fut  comme  invisible  au  milieu 
de  la  gloire  d'Ivan  :  Godounoff ,  au  contraire, 
•  commandait  en  souverain  ;  il  se  plaçait  or- 
gueilleusement devant  le  trône,  et  semblait 
effacer  par  son  éclat  la  splendeur  du  faible 
Monarque.  On  plaignait  la  nullité  de  Fédor  , 
et  on  ne  voyait  en  Godounoff  que  l'usurpa- 
teur de  la  souveraineté.  On  se  rappelait  son 
origine  tatare  (71) ,  et  l'on  rougissait  de  l'a- 
baissement des  successeurs  de  Kurik.  On  écou- 
tait ses  flatteurs  avec  indifférence  ,  et  ses  enne- 
mis avec  intérêt;  on  croyait  facilement  ceux- 
ci  lorqu'ils  disaient  que  le  gendre  de  Malutin, 
favori  d'Ivan  ,  était  un  tyran  encore  timide. 
Tout  ce  qu'il  avait  fait  pour  le  bien  général , 
ses  entreprises  les  plus  heureuses  ,  ne  faisaient 
qu'irriter  l'envie,  envenimer  ses  traits,  et 
mettre  le  favori  dans  la  dangereuse  nécessité 
d'agir  par  la  terreur  ;  mais  il  chercha  à  éloi- 
gner encore  ce  moyen  extrême  :  c'est  pour 
l'éviter  qu'il  parut  désirer  une  réconciliation 
avec  les  Schouisky ,  qui  ,  ayant  des  amis  dans 
le  Conseil  et  des  gens  dévoués  parmi  le  peu- 


I02  HISTOIRE 

pie  ,  surtout  parmi  It-s  marchands ,  ne  cos- 
saient  de  témoigner  ouvertement  leur  inimi- 
tié contre  GodounolT  (72).  Le  prélat  Dionisi 
se  chargea  du  rôle  de  pacilicateur  :  il  ménagea 
aux  deux  partis  une  entrevue  dans  son  palais  , 
au  Kremlin  ,  et  parla  au  nom  de  la  patrie  et 
de  la  religion.  Il  paraissait  les  avoir  touchés  et 
convaincus.  Boris  ,  avec  Tapparence  de  la  sin- 
cérité, tendit  la  main  aux  Schouisky  :  ils  ju- 
rèrent de  vivre  en  frères,  et  de  travailler,  d'un 
commun  accord  ,  au  bonheur  de  l'Etat.  Le 
prince  Ivan  Schouisky  ,  sortit  avec  un  air  ra- 
dieux de  chez  le  Métropolitain  ,  et  se  rendit 
sur  la  grande  place  du  palais  ,  afin  d'informer 
de  cette  heureuse  réconciliation  ,  le  peuple 
que  la  curiosité  y  avait  rassemblé  :  ce  cpii 
prouve  le  vif  intérêt  qu'à  cette  époque  les  ci- 
toyens prenaient  aux  affaires  publiques  ;  ils 
commençaient  déjà  à  se  relever  de  l'abatte- 
ment où  les  avait  plongés  la  tyrannie  d'ïvan. 
Tous  écoutèrent  en  silence  le  héros  de  Pskoff  ; 
mais  deux  marchands  sortirent  de  la  foule  en 
disant  :  «  Prince  Iran  ,  c'est  de  nos  têtes  que 
nous  payerons  votre  réconciliation  ;  et  vous 
et  nous,  serons  à  la  fois  victimes  de  Boris  », 


«E    RUSSIE.  Io3 

La  mémo  nu  il  ces  deux  marchands  furent  ar- 
rêtés et  envoyés,  par  les  ordres  de  Godounoiï", 
dans  un  endroit  ignoré.  Il  avait  désiré  désar- 
mer les  Scliouisky  par  sa  réconciliation  avec 
eux;  mais  il  s'aperçut  bientôt  qu'ils  ne  lui 
cédaient  pas  en  ruse,  et  que,  sous  Tapparence 
d'une  fausse  amitié,  ils  étaient  restés  ses  en- 
nemis irréconciliables,  agissant  de  concert 
avec  un  autre  ennemi  de  Boris,  mais  inconnu 
jusqu'alors. 

Quoique  le  clergé  de  Russie  n'eut  jamais 
témoigné  un  grand  empressement  à  interve- 
nir dans  les  choses  temporelles,  et  qu'il  se  fut 
toujours  montré  plutôt  docile  que  rebelle  à 
la  volonté  des  souverains  ,  même  dans  les 
affaires  de  l'Eglise  ;  quoique  ,  dès  le  temps 
d'Ivan  III,  nos  métropolitains  eussent  répon- 
du solennellement,  dans  différentes  circons- 
tances ,  qu'ils  s'occupaient  uniquement  des 
réglemens  du  service  divin  ,  de  l'instruction 
chrétienne,  de  la  conscience  des  hommes  et  du 
salut  des  âmes  (73);  toutefois,  assistant  à  l'as- 
semblée des  Etats-Généraux,  convoqués  dans 
les  occasions  extraordinaires,  pour  des  régle- 
mens politiques  de  haute  importance,  avec  le 


Io4  HISTOIRE 

droit,  sinon  de  proposer,  au  moins  d'ap- 
prouver ou  de  conliriner  les  lois  civiles  (74)  » 
elavec  celui  de  donner  des  conseils  au  Tsar  et 
aux  Boyards,  et  de  leur  expliquer  les  lois  di- 
vines pour  le  bonheur  des  hommes,  sur  la 
terre,  ces  hiérarques  prenaient  part  au  gou- 
vernement ,  chacun  dans  la  mesure  de  ces  pro- 
pres talens,  el  selon  le  caractère  des  souve- 
rains. Cette  autorité  fut  faible  sous  Ivan  III  et 
sous  Basile,  plus  grande  pendant  Fenfance  et 
la  jeunesse  d  Ivan  IV,  et  réduite  à  presque 
rien  durant  Fépoque  de  sa  tyrannie.  Sous  un 
prince  tel  que  Fédor,  si  faible  d'esprit  et  de 
caractère ,  s'occupant  avec  plus  de  zèle  de 
l'Eglise  que  de  FEmpire,  et  préférant  la  so- 
ciété des  moines  à  celle  des  Boyards,  on  sent 
quelle  prépondérance  ,  dans  les  affaires  poli- 
tiques ,  aurait  pu  obtenir  un  Métropolitain 
ambitieux  ,  plein  de  talent  et  d'éloquence, 
(car  tel  était  Dionisi,  surnommé  le  savaiU 
grammairien  (70)),  si  Godounoîf  n'y  avait 
opposé  son  autorité  sans  bornes  :  ce  n'était 
point  pour  la  céder  à  des  moines  qu'il  l'avait 
recherchée  ;  il  hanorait  le  Clergé ,  comme  les 
Boyards  ,  seulement  par  des  marques  de  con- 


DE   RUSSIE.  I05 

siik'ralion.  Il  (TOiitait  avec  bienvcillanco  le 
Mctropolilaiii,  entrait  en  discussion  avec  lui , 
mais  agissait  avec  indépendance ,  et  Tirritait 
par  l'énergie  inflexible  de  sa  volonté  :  ce  qui 
explique  rinimitié  de  Dionisi  conlre  Godou- 
noff ,  et  son  intime  liaisonavec  lesScliouisky. 
Sachant  que  le  llégent  n'était  puissant  que  par 
la  Tsarine,  et  persuadés  que  le  faible  Tédor 
ne  pouvait  avoir  un  grand  attachement  ni 
pour  Boris  ni  pour  Irène,  et  qu'il  serait  fa- 
cile de  l'entraîner  par  la  surprise  et  la  crainte 
à  un  grand  coup  d'Etat ,  le  Métropolitain,  les 
Schouisky  et  leurs  amis,  convinrent  secrète- 
ment, avec  les  marchands  de  Moscou  (76),  et 
quelques  fonctionnaires  civils  et  militaires, 
de  supplier  Fédor,  au  nom  de  toute  la  Russie, 
de  faire  divorce  avec  sa  femme ,  pour  cause 
de  stérilité,  de  la  faire  entrer,  comme  une 
seconde  Solomée  ,  dans  un  couvent,  et  d'en 
prendre  une  autre,  afin  d'avoir  des  héritiers, 
gages  précieux  delà  tranquillité  de  l'Etat.  On 
voulait  appuyer  par  une  émeute  populaire  , 
cette  demande  de  la  nation  ,  qu'on  prétendait 
effrayée  de  voir  s'éteindre  sur  le  trône  la  race 
de  ïlurik.  On  assure  même  qu'on  avait  choisi 


If>f>  HISTOIRE 

Ja  l'utiire  épouse;  cVlail  la  sœur  du  prince 
Fcdor  jMslisJafsky  ,  donllo  père  ,  renversé  par 
Godounolf,  était  mort  dans  le  eouvent  de 
Saint-Cyrille.  On  écrivit  une  supplique ,  et 
on  s'engagea  par  serment  à  la  soutenir.  Mais 
Boris  avait  un  grand  nombre  de  créatures  et 
d'espions  ,  il  découvrit  encore  à  temps  ce 
complot  si  terrible  pour  lui,  et  se  conduisit 
en  apparence  avec  une  rare  générosité.  Sans 
montrer  de  colère,  sans  faire  de  reproches  au 
Métropolitain,  il  essaya  de  loucher  sa  cons- 
cience; il  lui  représenta  que  le  divorce  était 
illégal;  que  Fédor  pouvait  encore  avoir  des 
enfans  d'Jrène ,  qu^elle  était  à  la  Heur  de  Tàge, 
et  brillante  de  beauté  et  de  vertus:  dans  tous 
les  cas,  ajouta-t-iî ,  le  trône  ne  serait  pas  va- 
cant, puisque  le  tsarévitche  Dmitri  était  en 
vie  et  en  parfaite  santé.  Trompé  peut-être  par 
cette  modération  ,  Dionisi  s'excusa  ,  chercha 
à  excuser  aussi  ses  complices,  alléguant  leur 
amour  craintif  et  zélé  pour  la  tranquillité  de 
la  Russie,  el  donna  sa  parole,  en  son  nom  et 
au  leur,  de  ne  plus  songer  à  séparer  de  ten- 
dres époux.  Godounoff ,  en  promettant  de  ne 
tirer  vengeance ,  ni  des  auteurs  ni  des  com- 


DE    RUSSIE.  lO^ 

pllcos  de  celte  manœuvre  ,  se  coiilenla  d'une 
seule  victime.  La  malheureuse  princesse  Mslis- 
lafsky,  rivale  dangereuse  d"lrèue,  fut  con- 
trainte à  prendre:  le  voile. 

Tout  était  tranquille  dans  la  capilde,  au 
Conseil  el  h  la  Cour;  mais  cet  état  de  choses 
ne  dura  pas  long-lemps.  Pour  ne  point  violer 
ouvertement  sa  parole  ,  Godounoff,  chercha 
un  autre  préfexte  de  vengeance.  Il  se  jus- 
tifiait à  ses  propres  yeux  en  songeant  à  la  haine 
irréconciliable  de  ses  ennem.is  ,  à  la  nécessité 
d'assurer,  avec  son  propre  salut,  le  salut  de 
l'Etat  ,  enlin  ,  en  se  r.ippelant  tous  les  services 
qu'il  avail  rendus  à  la  Russie,  et  tous  ceux 
que  ,  dans  son  zèle  pour  sa  prospérité  ,  il  pro- 
jettait  de  lui  rendre  encore.  Il  chercha  et  ne 
rougit  pas  d'employer  un  moyen  vil  el  bas  , 
l'arme  usée  de  la  tyrannie  d'Ivan  ,  de  fausses 
dénoncialions.  On  raconte  qu'un  serviteur 
des  Sciiouisky ,  lui  vendant  son  honneur  et 
sa  conscience,  se  présenta  au  palais,  en  les 
accusant  d'avoir  tramé  un  complot  avec  les 
marcliands  de  Moscou  ,  et  de  songer  à  trahir 
le  Tsar  (77).  Les  Schouisky  furent  arrêtés^  de 
même  que  leurs  amis,  les  princes  Taleff,  Ou- 


loS  HISTOIRE 

roussoff,  Kaiitcheir,  Bikassoff,  beaucoup  de 
genlilshommes  et  de  riches  marcliands.  Ou 
nomma  une  commission  extraordinaire  ;  les 
accusés  et  les  témoins  lurent  interrogés.  On 
ne  mit  pas  à  la  question  les  nobles  et  les  di- 
gnitaires ,  mais  on  tortura  sans  miséricorde 
les  valets  et  les  marchands;  ce  iiit  sans  succès, 
car  aucun  d'eux  ,  selon  ce  qu'on  disait  parmi 
le  peuple ,  ne  voulut  appuyer  la  calomnie  du 
délateur.  Toutefois  les  accusés  ne  furent  pas 
Exiisctsup-  absous  ijar  le  tribunal.  On  exila  les  Schouiskv, 
en  se  vantant  d'user  encore  de  clémence  et  de 
reconnaître  les  services  du  héros  de  Pskoff. 
Le  prince  André  ,  déclaré  principal  coupable, 
fut  exilé  à  Kargopol  ;  le  prince  Ivan  ,  sous  le 
prétexte  de  s'être  laissé  séduire  par  lui  et  par 
ses  frères,  à  Belooséro.  On  ôta  la  lieutenance 
de  Kargopol,  au  prince  Basile  Skopin  Schouis- 
ky,  leur  aine;  mais  ayant  été  déclaré  inno- 
cent, on  lui  permit  d'habiter  Moscou  ;  d'au- 
tres furent  envoyés  dans  la  petite  ville  de 
Boui ,  à  Galitche ,  à  Schouïa  ;  le  prince  Tateff, 
à  Astrakhan;  Kruk-Kolitcheff,  à  Nijni  Mov- 
gorpd  ;  les  Bikassoff  et  beaucoup  de  gentils- 
hommes ,  à  Vologda  et  en  Sibérie.  Les  mar- 


JIE    RUSSIE.  TO9 

cliancîs  de  Moscou  ,  qui  avalent  trempé  dans 
1(  complot  coiilre  Irène  ,  Fédor  Nagoï  et  six 
de  SCS  compagnons  eurent  la  tèie  tranchée  sur 
la  place  publique.  Jusque-là,  le  Métropoli- 
tain avait  été  épargné  ;  mais  il  ne  voulut  pas 
être  le  témoin  pusillanime  de  cette  persécu- 
tion ,  et  plein  d'un  généreux  courage ,  en  pré- 
sence de  Fédor ,  il  nomma  publiquement  Go- 
dounoff  calomniateur  et  tyran  ,  en  attestant 
que  les  Schouisky  et  leurs  amis  ne  périssaient 
que  pour  avoir  voulu  sauver  la  Russie  de 
ravnbillon  démesurée  de  Boris.  Yarlaam  ,  ar- 
chevêque de  Khoutinsk  ,  accusa  le  régent  avec 
la  même  audace  :  il  le  menaçait  de  la  ven- 
geance céleste,  et,  sans  redouter  celle  des 
hommes,  il  accusa  Fédor  de  faiblesse  et  d'a- 
veuglement. On  déposa  Dionisi  et  Variaam, 
a  ce  qu'il  parait  sans  aucun  jugement  ;  le  pre- 
mier fut  renfermé  dans  le  couvent  de  Khou- 
tinsk, le  second  dans  celui  de  Saint-Antoine 
à  Novgorod  ,  et  Ton  consacra  Métropolitain, 
Job,  archevèfjue  de  Piostoli".  Craignant  les 
hommes,  mais  ayant  perdu  toute  crainte  de 
Dieu,  le  Piègent,  à  ce  qu'assurent  les  Anna- 
listes ,  ordonna  d'étrangler  dans  leur  prison 


IlO  JiisroïKE 

los  deux  principaux  Schoulsky  ,  Itî  li()}ar(l 
Andrc  dislingue  par  son  esprit,  et  l'illustr.' 
prince  Ivan,  le  sauveur  de  PskoO  et  de  noire 
gloire  Tuililaire.  I^liomme  inriniortel  dans 
riiistoiro  ,  dont  Téclatante  action  a  clé  dé- 
crite, dansplusieursdes langues  Européennes, 
par  les  contemporains  qui  se  sont  plus  à  ren- 
dre cet  hommage  à  la  llussie  (78) ,  périt  mi- 
sérablement au  fond  d'un  o'oscur  cachot  ;  on 
livra  à  un  infâme  cordon  sa  tète  couronnée  de 
Mort<i.'|jio.  lauriers.  Son  corps  lut   inhumé  dans  le  cou- 

r;ib'c  tlii  hc'ios  , 

sciiouisky.      vent  de  Saint-Cyrille. 

C'est  ainsi  que  commencèrent  les  crimes  de 
Godounofl  et  que  son  âme  parut  au  grand 
jour.  Enivré  des  séiluctions  du  pouvoir,  ir- 
rité par  les  complots  de  ses  ennemis  et  en- 
durci parla  vengeance,  espérant  retenir  par 
la  crainte  les  maiveillans,  augmenter  par  des 
grâces  le  nombre  de  ses  créatures,  et  imposer 
silence  à  la  malignité,  par  sa  sagesse  dans  la 
conduite  des  ailaires  de  l'Etat,  Boris  osa  se 
rendre  coupable  d'un  nouveau  forfait,  où  la 
perfidie  s'unissait  à  la  cruauté.  Le  malheureux 
Magnus,  roi  unique  dans  l'histoire  de  la  Li- 
vonie,  étail  mort  avant  la  fin  du  règne  d'Ivan, 


I)E    r,  T'SSIF..  III 

à  Pilten  (79),  où  sa  veuve  Marie,  el  sa  lille  Eu- 

doxie    âgée  de  doux  ans,  étaient  rrslécs  sans 

forlune  ,  sans  i)alrio  et  sans  aaiis.  Godonnnff      ^      ,   , 

les  appela  à  >Ioscou,   en  promeiiant  à  Marie  '"""''••  l'e Ma- 

nn  riche,  domaine  et  nn  éponx  iilnsire.  Mais 

prévoyant  Tavenir  el  craignant  («u'en  cas  de 

mort  de  Fédor  et  de  Dniitri ,  celte  arriérc-pe- 

tile-lille  d'Ivan  le  Grand  ne  prétendit  à  se  {aire. 

proclamer  héritière  du   Trône,   quoicjiie  la 

chose  lut  sans  exemple  et  en  opposition  avec 

nos  lois,  Ijoris  ,  qui  disposait  déjà  de  ce  trône 

dans  son  esprit ,  au  lieu  d'un  domaine  et  (Vun 

époux,  lui  <lonna  le  choix  entre  un  couvent 

et   une  prison.    Religieuse  contre  son  gré , 

Marie  ne  demanda  que  hi  consolation  de  ne 

pas  être  séparée  de  sa  chère   Eudoxie  ;   mais 

bientôt  elle  eut  à  pleurer  sa  mort,  qu'oii  ne 

crut  pas  naturelle,  et  e\\(t  vécut  encore  une 

huitaine  d'années,  dans  la  plus  profonde  ai- 

lliclion  ,  versant  des  larmes  amères  sur  le  sort 

de  son  père  ,  de  son  époux  et  de  sa  fille  (8o\ 

Marie   et  Eudoxie,   cos  deux   victimes  d'un 

ambitieux  cruel  et   soupçonneux,   reposent 

dans  le  couvent  de  Troïtza,  liors  de  l'église  , 

près  de  l'endroit  où  est  placé,  comme  à  l'é- 


112  IIISTOIIIE 


cart,  le  simple  lombeau  de  leur  persécuteur  , 
de  ce  Boris  cpie  ni  sa  grandeur  ni  sa  gloire  nu 
purent  sauver  de  la  jusie  vengeance  du  ciel. 

Mais  cette  vengeance,  pour  éclater,  atten- 
dit encore  de  nouveaux  crimes....  Godounoil 
avait  dompté  la  Cour  par  la  chute  des  Scliouis- 
ky,  le  Clergé  par  celle  du  Métropolitain,  et 
les  citoyens  de  la  capitale  par  le  supplice  des 
principaux  marchands  de  Moscou;  il  avait 
entouré  le  Tsar  et  rempli  le  Conseil  de  ses 
plus  proches  parens  ;  il  ne  voyait  donc  plus 
d'opposition,  ni  de  danger  alarmant  pour 
lui,  jusqu'à  la  tin  des  jours,  ou  plutôt  du 
sommeil  de  Fédor,  car  c'CvSt  le  nom  qu'on 
peut  donner  à  la  pieuse  oisiveté  dans  laquelle 
languissait  ce  déhile  Monarc^ue  ,  et  dont  les 
contemporains  nous  ont  don  né  la  description 
suivanle. 
Oisiveté  Je       Fédor   se    levait    régulièrement   à    auatrc 

Fédor.  ^  .  7 

heures  du  matin,  et  attendait  son  confesseur 
dans  sa  chamhre  à  coucher  ,  ([ui  était  remplie 
d'imagesetéclairée  jouret  nuit  par  des  lampes. 
Le  conlesseur  venait  avec  la  croix  ,  Feau  bé-r 
nile  et  l'image  du  saint  que  l'Eglise  fêtait  ce 
jour-là.  Le  Souverain  se  proslcrnaii ,  priait  à 


DE  HUSSIE.  Il3 

baille  vol\  pendant  pins  de  dix  minutes  ,  pas- 
sait dans  l'apparlement  particulier  d'Irène,  et 
allait  avec  elle  aux  Matines;  à  son  retour,  il 
s'asseyait  dans  un  fauteuil  placé  dans  une 
grande  chanihre  où  les  courtisans  et  les  moi- 
nes venaient  lui  souhaiter  le  bon  jour  ;  à  neuf 
beures,  il  allait  à  la  Messe  et  dinait  à  onze. 
Après  diner,  ii  dormait  trois  heures,  retour- 
nait à  l'église  pour  les  Yespres,  et  tout  le  reste 
du  temps  jusqu'au  souper,  il  le  passait  avec  la 
Tsarine,  et  avec  des  bouffons  et  des  nains, 
s'amusanl  de  leurs  lazzis  ou  écoutant  des  chan- 
sons. Quelquefois  il  admirait  les  ouvrages  de 
ses  joailliers  ,  de  ses  orfèvres ,  de  ses  brodeurs 
et  de  ses  peintres.  La  nuit ,  il  se  préparait 
au  sommeil  en  priant  de  nouveau  avec  son 
confesseur,  et  il  se  couchait,  après  avoir  reçu 
sa  bénédiction.  Chaque  semaine  ,  il  visitait 
les  couvens  des  environs  de  la  capitale,  et, 
les  jours  de  féies,  il  s'amusait  à  la  chasse  des 
ours.  Souvent  les  gens  qui  avaient  des  sup- 
pliques à  présenter  entouraient  Fédor  au 
moment  où  il  sortait  de  son  palais;  mais 
éçiiani  les  affaires  et  les  fatigues  de  ce  monde ,  ii 
Tome  X.  8 


U4  HISTOIKE 

ne  voulait  pas  les  cnlenJre  et  les  renvoyait  à 
Boris  (8 1) 

Le  rusé  Godounon ,  tout  en  se  réjouissant 
intérieurement  de  cette  honteuse  inactivité  du 
Souverain  ,  ne  cherchait  qu'à  relever  Irène 
aux  yeux  des  Piusscs ,  publiant  des  ordon- 
dances  de  grâce  ,  accordant  des  pardons ,  des 
récompenses  et  des  consolations,  au  seul  nom 
de  cette  princesse  ,  sans  y  joindre  celui  de  Fé- 
dor.  C'est  ainsi  qu'il  faisait  servir  Famour  ,  le 
respect  et  la  reconnaissance  de  la  nation  pour 
la  Souveraine  ,  à  cimenter  sa  propre  puis- 
sance ,  pour  le  présent  et  dans  l'avenir. 


DE     RUSSIE.  lia 


CIIAPITIIE    II. 


:o_ 


i3oy  —  ijg2. 


Mon  (le  Eaihorî.  —  îségociaiinns  importantes  avec  la 
Lllhuanie.  —  Trêve.  —  Relations  avec  l'Aulrithe  et  la 
Tauride.  —  Guerre  de  Suède.  —  Nouvel  r.nnislice 
avec  la  Lilhuanie.  —  Gloire  de  Godounoff.  —  Elablîs- 
sement  du  patriarcat  en  Russie.  —  Projet  de  Godou- 
noff. —  Assassinai  du  Tsarévilche  Dmilri.  —  Incendie 
de  iMoscou. — Invasion  du  Khan,  et  combat  sous  les 
murs  de  Moscou.  —  Nouveau  titre  de  Godounoff. —  Le 
Couvent  ce  Donskoï.  —  Calomnie  contre  le  Pxégent,  et 
sa  vengeance.  —  Clémence  et  gloire  de  Godounoff.  — 
(irosscsse  d'Irène. —  Naissance  et  mort  de  la  Tsarcvna 
Thcodosie. 

Etienne  Bailiorl  mourut  le  12  déceni]>re  15.S7--1592. 
i586  ,  et  Ton  altribua  sa  mort  au  poison  (82^^,  Bathori.  * 
ou  à  l'inhabileté  des  médecins.  Il  fut  un  des 
plus  illustres  souverains  du  monde  et  un  des 
plus  redoutables  ennemis  de  la  Russie  ;  aussi 
celle  mort  nous  causa-l-elle  plus  de  joie  , 
qu'elle  ne  causa  de  peine  à  ses  sujets.  En  effet, 


Ilb  HISTOIRE 

i5S7-i5ç)2.  nous  craignions  de  retrouver  en  lui  un  aafre 
Gédimin  ,  un  autre  Vilofl  ;  et  la  Pologne  et  la 
Lilhuanie  ingrates  ,  préieraient  une  tranquil- 
lité qui  ne  leur  coulait  rien,  à  une  gloire 
onéreuse.  Si  Bailiori ,  avec  le  génie  dont  il 
était  doué ,  avait  survécu  à  Godounoi'f,  les  dix 
premières  années  du  nouveau  siècle  auraient 
peut-être  vu  s'évanouir  pour  jamais  la  gran- 
deur de  la  Russie,  tant  le  sort  des  Etats  dépend 
des  individus  et  des  circonstances! 

Le2odécembre  le  Conseil  des  Boyards  reçut 
de  diiiérens  endroits  le  nouvelle  de  la  mort 
de  Balhori,  quoiqu'elle  ne  fut  pas  encore  ofii- 
cielie.  Nos  Voïévodes,  qui  se  trouvaient  sur  la 
frontière  de  la  Lithuanie  ,  l'écrivaient  au  Tsar 
comme  un  simple  bruit,  en  ajoutant  cpie  les 
seigneurs  Polonais  songeaient  à  choisir  pour 
leur  Roi,  ou  le  frère  d'Etienne,  prince  de 
Transylvanie ,  ou  le  fils  de  Sigismond  ,  roi  de 
Suède )  ou  bien  lui-même  Fédor.   Godounoff 
vit  aussit(M  flionneur  et  l'avantage  qu'olfri- 
rait  la  réunion  des  trois  couronnes.  On  en- 
voya sur-le-champ   en  Lilhuanie   le   gentil- 
homme Rjevsky ,  alin  de  s'assurer  de  la  mort 
d'Etienne,  de  témoigner  aux  Seigneurs  la  part 


DE    RUSSIE.  117 

qu'on  prenait  à  leur  chagrin  ,  cl  de  leur  pro- 

i)oser  d'élire  le  Tsar  pour  leur   Roi.  Pijevsky  N''?'>'^i'«>"Tis 

••  1  I  j        jiTijioi  t;iiiUs 

revint  avec  une  leltre  de  remercîmens  delà  ^;e(  '«  ll- 
part  des  seigneurs  Lithuaniens  ;  mais  ils 
n'avaient  pas  voulu  entamer  de  négociations, 
disant  qu'une  aiiaire  de  cette  imporlance  se- 
rait décidée  par  la  Diète  à  Varsovie,  où  le  Tsar 
devait  envoyer  ses  ambassadeurs.  Ils  avaient 
confié  sous  le  secret ,  à  Rjevsky  ,  que  Fédor  et 
les  Boyards  de  Moscou  leur  avaient  écrit  avec 
trop  de  froideur  ,  et  sans  suivre  l'exemple  de 
l'Empereur  ,  do  la  France  et  de  la  Suède  qui 
les  comblaient  de  caresses  en  même  temps  que 
de  présens.  A  cette  époque  la  Lithuanie  et  la 
Pologne  étaient  dans  une  grande  agitation; 
les  passions  étaient  en  mouvement.  Les  Séna- 
teurs et  les  Nobles  se  divisèrent;  les  uns  sou- 
tenaient le  parti  de  Zamoïsky  ,  compagnon 
d'armes  d'Etienne;  les  autres  celui  des  Zbo- 
rovsky  ,  ennemis  de  Bathori.  Ceux-ci  en  vin- 
rent au  point ,  que  dans  des  réunions  solen- 
nelles ,  ils  tirèrent  leurs  glaives  contre  ceux 
qui  étaient  dévoués  à  la  glorieuse  mémoire  du 
roi  défunt.  Les  deux  partis  attendaient  la 
Diète  comme  un  combat  ;  ils  s'armaient ,  sala- 


Il8  HISTOIRE 

rialenl  des  soldats ,  avaient  des  gardes  et  des 
camps.  Mais  la  Uihiianie ,  limitrophe  de  la 
lUissie  ,  redoulail  noire  puissance  ;  et  deii\ 
ilhislros  ambassadeurs,  Tcliernikovsky  et  le 
prince  Oginsky  arrivèrent  à  Moscou  ,  le  6 
avril,  et  conjurèrent  Fédor  de  proroger  jus- 
qu'à l'année  i588,  la  trêve  avec  leur  Etat, 
privé  de  chef.  Les  Boyards,  se  prêtant  volon- 
tiers à  celte  convention,  leur  dirent  que  le 
bonheur  ou  le  malheur  de  la  Pologne  et  de 
ia  Liiluianie  dépendait  de  la  conduite  de  leurs 
Nobles  ;  le  bonheur ,  s'ils  se  soumettaient 
au  grand  monarque  de  la  Ptussie,  le  malheur, 
s'ils  se  tournaient  de  nouveau  vers  le  barbare 
de  la  Transylvanie,  ou  vers  Tonibre  du  royau- 
me de  Suède.  «  Déjà  vous  avez  eu  Balhori  sur 
»  le  trône  ,  leur  dirent-ils  ,  et  avec  lui ,  la 
»  guerre  ,  la  ruine  et  la  honte  :  puisque  vous 
»  avez  payé  ,  par  les  mains  même  de  votre 
»  Souverain  ,  un  tribut  au  SuUan.  Que  peut- 
»  on  attendre  de  la  générosité  d'un  aventurier 
»  dont  l'àmc  est  aussi  basse  que  son  exirac- 
«  tion,  qui  n'est  guidé  que  par  un  vil  intérêt, 
»  et  qui  est  sans  pitié  pour  les  Chrétiens  ?  Est- 
»  ce  dans  son  cœur  que  peut  habiter  le  saint 


DE    RUSSIE.  ug 

»  amour,  sans  liMjuel,  selon  les  paroles  de 
i^  TApcMre  ,  le  pouvoir  même  tîe  remuer  des 
»  monJagnes  ,  n'est  rien?  jS'est-ce  point  pour 
»  complaire  aux  Ottomans  que  vous  songez 
»  à  élire  le  prince  héréditaire  de  Suède  ?  Nul 
»  doute  qu'ils  n'en  soient  satisfaits  ;  car  ils  se 
»  réjouissent  de  la  discorde  des  Chréliens  ,  et 
»  les  massacres  sont  inévitables,  si  jamais  Si- 
j>  f^ismond  monte  sur  le  tronc  des  Jageilon 
»  avec  la  haine  qui  l'anime  contre  la  Ilussie. 
»  Vouscomiaissez  déjà  noire  monarque  ;  il  est 
»  aussi  puissant  que  clément  ;  voussavez  que  la 
»  première  action  de  son  avènement  au  trône, 
»  a  été  de  rendre  la  liberté,  sans  rançon,  à  vos 
i>  prisonniers  :  générosité  que  Bathori  ne 
»  pouvait  comprendre  ,  lui  qui  a  fait  le  com- 
»  merce  des  prisonniers  russes,  jusqu'à  la 
»  lin  de  ses  jours.  Bathori  est  au  tombeau  et 
»  Fédor  ne  s'en  réjouit  pas  ;  il  ne  songe  pas  à 
»  la  vengeance  ;  mais  il  vous  témoigne  la  part 
»  qu'il  prend  à  votre  affliction  ,  et  vous  pro- 
»  pose  le  moyen  d'assurer  à  jamais  la  tran- 
»  quiîlité  de  la  Pologne  et  de  la  Lithuanie  ;  il 
j>  désire  régner  sur  vous ,  non  pour  augmcn- 
>»  ter  sa  puissance  et  ses  richesses,  car  il  est 


I  :>.o 


H I  S  T  U  î  R  F. 


assez  puissant  et.  riche  par  la  Russie,  mais 
pour  vous  défendre  contre  les  Infidèles  ;  il 
ne  veut  aucun  avantage  et  abandonnera  à  la 
Noblesse,  tout  ce  que  le  pays  payait  au  Roi  : 
il  lui  donnera  de  plus,  des  domaines  dans 
les  contrées  nouvellement  conquises  par 
nous  ,  et  construira  à  ses  frais  des  forte- 
resses sur  les  bords  du  Dnieper,  du  Donetz 
et  du  Don  ,  afin  que  les  pays  de  Kief,  de 
Yolliinie  et  de  Podolie  ne  puissent  plus 
être  foulés  par  les  Ottomans  et  les  Ta  tares. 
Les  princes  Infidèles  laisseront  tomber  leurs 
bras  désarmés  ;  renfermés  dans  leurs  pro- 
pres limites,  à  peine  pourront-ils  encore 
s'y  maintenir.  I^  Russie  prendra  pour  elle 
Azoff,  Caffa  et  la  Crimée,  et  vous  laissera  les 
contrées  du  Danube.  D'innombrables  ar- 
mées n'attendent  que  l'ordre  du  Tsar  pour 
se  précipiter....  contre  qui?  C'est  à  vous  à 
le  décider  ;  contre  les  ennemis  du  Christia- 
nisme, si  vous  avez  le  même  souverain  que 
nous ,  ou  contre  la  Lithuanie  et  la  Livonie , 
si  vous  nous  préférez  les  Suédois.  Ne  songez 
pas  à  l'amitié  du  Sultan  ,  car  quelle  alliance 
»  peut  exister  entre  le  jour  et  les  ténèbres.'* 


DE     BISSIE.  121 

«  Onols  rnpports  entre  un  Chrétien  et  nn  In- 
»  iiflèle  ?  Songez  h  la  gloire  ,  songezà  vaincre. 
»  Qu'est-ce  qui  s'oppose  à  noire  fraternité  ? 
»  Votre  haine  invétérée  contre  la  Russie?  Eh! 
'i>  bien,soyonsamis.Touttlépen(l  diiconrinien- 
»  cernent,  et  somment  la  plus  faible  étincelle 
y>  suffit  pour  produire  une  grande  flamme.  Le 
«  Tsar  en  échange  de  la  sécurité  et  de  la  gran- 
»  deurqu'il  vous  promet,  n'exige  de  vous  que 
»  votre  affection  ».  Les  Ambassadeurs  enga- 
gèrent Fédor  à  envoyer  à  la  Diète  quelqu'un 
de  ses  grands  Dignitaires  ;  et  deux  Boyards 
Etienne  Godounoff  et  le  prince  Fédor  Troë- 
kouroff,  avec  lediak  Vassili  Stchelkaioff  par- 
tirent immédiatement  de  Moscou  pour  Var- 
sovie, munis  des  pleins  pouvoirs  du  Tsar  et 
ayant  quarante-huit  lettres  pour  les  fonction- 
naires, ecclésiastiques  et  laïques  ,  les  seigneurs 
de  Pologne  et  de  Lithuanie;  mais  ils  ne  leur 
portaient  point  de  présens.  Fédor  proposait 
à  la  Diète  les  conditions  suivantes: 

1°.  Le  Tsar  sera  roi  de  Pologne,  et  grand 
duc  de  Lithuanie  et  les  deux  peuples  seront 
réunis  par  une  amitié  éternelle  et  inviolable  ; 

2°.  Le  Souverain  de  la  Piussie  fera  person- 


122  HISTOIRE 

iicllomcnl  la  guerre  à  lempire  Ottoman  ,  et 
il  y  emploiera  toutes  ses  forces  ;  il  culbutera  le 
Khan  de  Crimée  ,  et  melira  à  sa  place  Saidet 
Ghireï,  serviteur  de  la  Russie.  Après  avoir 
conclu  des  alliances  avec  l'Empereur ,  le  lloi 
d'Espagne  et  le  Scliah  de  Perse ,  il  délivrera  la 
Moldavie,  la  Yalachie  ,  la  Bosnie,  la  Servie  et 
la  Hongrie  du  jougdu  Sultan,  pour  les  réunir 
à  la  Litiiuanie  et  à  la  Pologne  ,  dont  les  trou- 
pes agiront  dans  ce  cas  conjointement  avec 
celles  de  la  Russie  ; 

3°.  Les  troupes  de  Moscou  ,  Kazan  et  Astra- 
khan ,  seront  toujours  à  la  disposition  de  la 
Lithuanie  et  de  la  Pologne  ,  sans  en  exiger  au- 
cun paiement; 

4°.  Le  Souverain  ne  changera  rien  à  leurs 
droits  ni  à  leurs  libertés,  sans  le  consentement 
du  Sénat  qui  disposera  du  trésor  et  de  tous  les 
revenus  de  l'Etat  ; 

5°.  Les  Russes  auront  la  liberté  d'habiler  en 
Lithuanie  et  en  Pologne,  de  même  que  les 
Liihuaniens  et  les  Polonais  en  Russie  ,  et  les 
deux  peuples  pourront  former  des  mariages 
entr'eux  ; 

G".  Le  Tsar  donnera  aux  pauvres  gentils- 


DE     RUSSIE.  123 

hommes  de  Lithiianie  et  de  Poloj^ne  ,  des 
terres  situées  sur  le  Don  et  sur  !e  Douetz  ; 

7".  Les  délies  conlraelées  par  Etienne  Ba- 
tliori  envers  les  soldats ,  seront  payées  argent 
coniplant ,  sur  les  propres  fonds  du  Tsar,  jus- 
qu'à concurrence  de  cent  milles  florins  de 
Hongrie  ; 

8°.  Les  sommes  qui  servaient  à  l'entretien 
des  forteresses  devenues  inutiles  entre  la  Li- 
thuanie  et  la  Russie,  seront  employées  par 
les  deux  Etats  à  faire  la  guerre  aux  Infidèles  ; 

9°.  La  Russie,  ayant  cliassé  les  Suédois  et  les 
Danois  de  TEslbonie,  cédera  toutes  les  villes 
de  celte  contrée,  Narva  seule  exceptée,  à  la 
Lilhuanie  et  à  la  Pologne  ; 

10°.  On  accordera  une  libre  circulation  , 
dans  tout  l'empire  de  Moscou,  aux  marchands 
Lithuaniens  et  Polonais  ;  ils  pourront  tra- 
verser la  Russie  pour  aller  en  Perse,  en  Bu- 
charie  et  autres  contrées  du  Levant ,  et  on  leur 
donnera  un  libre  passage  ,  par  mer,  pour  se 
rendre  aux  bouches  de  la  Dvina,  en  Sibérie,  et 
dans  le  grand  empire  de  la  Chine ,  où  se  trou- 
vent des  pierres  précieuses  et  de  l'or. 

Dans  les  instructions  par  écrit,  données  à 


124  niSTOIRE 

nos  ambassadeurs,  l'article  qui  concerne  le 
Tsarévilclie  Dinilri  est  digne  de  remarque  , 
il  y  est  dit  :  «  Si  les  seigneurs  Polonais  par- 
>>  lent  du  jeune  frère  du  Souverain  ,  il  faut 
«  leur  expliquer  qu'il  est  encore  dans  l'en- 
»  fance  ,  qu'il  ne  peut  monter  sur  leur  trône 
»  et  qu'il  doit  être  élevé  dans  Si?  patrie  ».  Le 
Piègent  lui  reservait  un  autre  sort. 

Fédor  ne  désirait  sincèrement,   ainsi  que 
l'avaient  ambitionné  son  père  et  son  grand- 
père,   d'être  élu  roi  de  Pologne,  qu'aiin  de 
réunir  par  les  liens  de   la   fraternité,    deux 
puissances  toujours  ennemies,  et,  pour  y  par- 
venir, il  offrait  au  Sénat  des  conditions  avan- 
tageuses, des  promesses  flatteuses  et  des  espé- 
rances.brillantes.  Il  y  sacrifiait  près  d'un  mil- 
lion de  nos  roubles,  et  renonçait  à  la  princi- 
pale prétention  d'ivan ,  en  consentant  à  n'être 
qu'un  roi  électif,   avec  un  pouvoir  restreint, 
sans  aucun  droit  de  succession  pour  ses  en- 
fans  et  sa  famille.  Il  n'est  pas  probable  que 
le  Tsar  ou  le  Régent,  songeât  sérieusement  à 
s'armer  contre  le  Sidtan ,   et  voulut,  par  la 
conquête  des  contrées  du  Danube  ,  aggrandir 
la  Lithuanie  et  la  Pologne  ,  qui  pouvaient , 


DE     RUSSIE.  125 

par  la  suite ,  avoir  de  nouveau  dos  souverains 
parliculiers,  et  recicvenir  ennemies  de  la  Pius- 
sie  ;  mais,  à  une  entreprise  aussi  importante, 
il  mettaiî  pour  eondilion  ralliance  avecTEm- 
pereur ,  avec  l'Espagne  et  la  Perse ,  et  ne  pro- 
mettait rien  délinitivement ,  cherchant  uni- 
quement à  séduire  rimagination  des  seigneurs 
Polonais,  par  une  idée  aussi  grande  que  har- 
die. Fédor  ,  disposé  ,  en  apparence  ,  à  faire 
des  concessions  pour  réussir  dans  son  projet, 
montra  une  résistance  invincible  lorsque  la 
Diète  exigea  de  lui  des  sacrifices  qui  ne  s'ac- 
cordaient ni  avec  la  religion  ,  ni  avec  la  di- 
gnité et  rintérét  de  la  Russie. 

ÎSosboyards  Etienne  Godounoff  et  le  prin- 
ce Troëkourofi",  ibrent  arrêtés  au  nom  du 
Sénat  de  Pologne,  le  12  juillet,  dans  le  bourg 
d'Okounelï,  à  quinze  verstes  de  Varsovie  ;  on 
leur  dit  qu'il  n'y  avait  pas  un  seul  endroit 
dans  la  Capitale,  où  ils  pussent  être  en  sûreté, 
et  qu'elle  était  pleine  d'une  soldatesque  in- 
disciplinée, et  remplie  de  troubles  et  de  dé- 
sordres. Ce  récit  était  véritable.  Le  Clergé ,  les 
Grands,  les  Chevaliers  ne  pouvaient  s'accor- 
der sur  le  choix  d'un  Roi.  Zamoïskv  et  ses 


126  HISTOIRE 

amis  ,  pour  complaire  à  la  veuve  de  Balhori  , 
proposaient  le  prince;  de  Suède  Sigismond, 
fils  de  sa  sœur;  les  Zborovsky  voulaient  le 
duc  Maximllien  d'Autriche;  eniin  les  Sei- 
gneurs de  Lithuanie  et  le  Primat  archevêque 
de  Gnéseii  demandaient  Fédor.  Le  Sultan,  dis- 
posé en  laveur  du  frère  d'Elienne,  menaçait 
de  la  guerre ,  si  le  choix,  au  lieu  de  favoriser 
ce  frère,  tombait  sur  Maximilien  ou  sur  le 
Tsar  de  Moscou,  tous  deux  ennemis  de  la 
Porte  ottomane.  L'endroit  qu'on  appelait 
l'Enceinte  des  Chevaliers,  et  où.  se  tenaient 
ces  assemblées  bruyantes,  présentait  quel- 
quefois l'aspect  d'un  champ  de  bataille;  des 
bandes  armées  tiraient  les  unes  contre  les  au- 
ires.  A  la  fin  ,  ils  convinrent  sagement  de  ter- 
miner leurs  différends  et  de  planter  dans  le 
champ  trois  enseignes,  une  Russe,  une  Au- 
trichienne et  une  Suédoise,  pour  voir  la  quan- 
tité d'électeurs  qui  se  rangeraient  sous  chacune 
d'elles,  et  pour  déterminer  ainsi  la  pluralité 
des  voix.  L'enseigne  de  Fédor  était  un  bonnet 
russe;  celle  d'Autriche,  un  chapeau  allemand, 
et  celle  de  Suède,  un  hareng  ;  la  première  eut 
la  supériorité  :  elle  réunit  autour  d'elle  un  si 


DE   RUSSIE.  127 

grand  nombre  d\Uecleurs ,  que  les  amis  de 
rAulrichc  et  de  la  Suède,  honleiix  de  Jeiir 
minoriié  ,  se  joignirent  aux  noires.  Mais  ceUe 
victoire  éclalanle  du  parti  Russe  resta  sans 
effet  quand  on  en  vint  aux  conditions. 

Le  4  août ,  Le  (Clergé  ,   les  Sénateurs  et  les 
îsoblesdes  deux  Etats  réunis,  reçurent,  avec 
de  grands  honneurs,  Godounoffet  Trotikou- 
roif,  dans  TEnceinte  des  Clievaliers;  ils  écou- 
tèrent les  propositions  de  Eédor,  et  désirant 
de  plus  amples  explications,   ils   choisirent 
quinze  seigneurs,  parmi  le  clergé  et  les  laï- 
ques, qui  devaient  se  réunira  cet  effet  avec 
nos  ambassadeurs ,  à  Kameneten ,    près   de 
Yarsovie.  Là ,  au  grand  étonnement  de  Go- 
dounoff  et  de  Troëkouroff ,  ils  leur  firent 
ces  questions  inattendues  :  Le  Tsar  réunira-t- 
il  la  Russie  au  Royaume  ,  comme  la  Lithua- 
nie  s'est  réunie  à  la  Pologne,   pour  toujours 
et  indissolublement?  Adoptera-t-il  la  religion 
catholique  romaine?  Obéira-t-il  au  lieutenant 
de  Saint-Pierre  ?  Se  fera-t-il  couronner  Roi 
et  recevra-t-il  la  Communion  dans  une  église 
latine,  à  Cracovie ,  des  mains  de  rArchevéque 
de  Gnéscn  ?  Sera-t-il  à  Varsovie  dans  dix  se- 


128  nisToir.E 

îiiaines,  ot  fcra-t-il  primer ,  dans  son  tilre  ,  le 
Roi  de  Pologne  sur  le  Tsar  de  Moscou? 

Les  Boyards  répondirent  : 

1°.  «  Notre  Souverain  désire  réunira  jamais 
»  la  Litliuanie  et  la  Pologne  à  la  llussie,  de 
«  manière  qu'elles s'entr'aident  de  toutes  leurs 
»  forces  en  cas  d'une  attaque  des  (ennemis ,  <;t 
»  afin  que  leurs  habitans  puissent  librement 
»  aller  d'un  pays  à  un  autre  ,  les  Lithuaniens 
»  chez  nous,  et  les  Kusscsen  Lithuanie,  avec 
>)  la  permission  du  Monar([ue  ; 

2".  »  Le  Tsar  est  né  et  vivra  toujours  dans 
))  la  religion  orthodoxe  greccjue,  et  observera 
»  ses  rites  sacrés  ;  quant  à  son  couronne- 
»  ment  comme  Roi,  il  doitse  faire  à  Moscou 
»  ou  à  Smolensk  en  présence  de  vos  Digni- 
»  iaires;  il  s'engage  à  respecter  le  Pape  et  à 
»  ne  pas  s'opposer  à  son  pouvoir  sur  le  clergé 
)>  polonais;  mais  il  ne  lui  permettra  jamais 
»  de  s'immiscer  dans  les  affaires  de  l'église 
»  grecque  »; 

3".  «  Le  Tsar  viendra  chez  vous  quand  il 
»  pourra  »  ; 

4".  «  La  couronne  de  Jagelloii  sera  sous  le 
»  bonnet  de  Monomaque,  etFédor  aura  pour 


nr.   RissiE.  129 

«  titre:  Tsnr  v\  j>TniKl  Duc  de  toute  la  Russie, 
»  de  Vladimir  et  de  Moscou  ,  Roi  de  Polo^^ne 
»  et  grand  Duc  de  l^ithuauie.  Alors  même  que 
»  Tancieune  et  la  nouvelle  Rome,  lors  même 
»  que  Byzance  se  seraient  soumises  à  nous ,  le 
»  Tsar  n'aurait  pas  mis  dans  son  titre  leurs 
»  anciens  et  illustres  noms  au  dessus  de  celui 
»  de  la  Russie  ». 

«  Ainsi  Fédor  ne  désire  pas  être  notre  Roi, 
j>  répliquèrent  les  Seigneurs  ;  il  refuse  posi- 
»  livement ,  et  promet  sans  sincérité  ;  il  nous 
»  écrit ,  par  exemple ,  que  son  armée  est  prête 
>)  à  nous  défendre  contre  le  Sultan  ;  les  Turcs 
»  font  ordinairement  leurs  invasions  chez 
»  nous,  du  côté  de  la  Moldavie,  du  Danube, 
»  de  la  Transilvanie ,  et  de  Bielgorod ,  et  les 
»  troupes  de  Moscou  sont  éloignées;  celles 
»  d'Astrakhan  et  de  Kazan  le  sont  encore  da- 
»  vantage.  Le  Sullazi ,  FEmpereur  et  les  Sué- 
j»  dois  nous  menacent  de  la  guerre  ,  si  nous 
»  nommons  un  roi  contre  leur  gré.  Que  nous 
»  accordera  donc  le  Tsar,  et  combien  donnera- 
»  t-il  annuellement  d'argent  pour  l'entretien 
«  de  l'armée?  Car  pour  des  hommes,  nousen 
»  avons  assez  :  nous  n'en  demandons  pas  à  la 

Tome  X.  9 


l3o  IIISTOIIIK 

))  Russie.  L'arg(Mit  est  (''i;a!emoiil  n('( essai rc 
»  pour  augmenter  vos  parlisans  à  la  Diète.  Sa- 
»  vez-vous  que  riunpcrejir,  pour  appuyer  le 
:»  choix  de  IMaximilien  ,  s'engage  à  envoyer 
»  iout  Je  suite  à  notre  Sénal ,  six  cent  mille 
3>  florins,  (t  autant  chaque  année,  pendant 
»  Tespace  de  six  ans,  et  le  roi  d'Espagne  huit 
»  cent  mille  ,  pendant  huit  ans  »  i" 

Les  Ambassadeurs  répondirent:  «  Le  Tsr.r 
»  tient  une  nombreuse  armée  de  cavalerie  lé- 
»  gère  prête  à  votiT  défense;  il  vous  promet 
»  les  Cosaques  du  Volga,  du   Don,   et  ceux 
»  de  la  Crimée,  car  se  sera  Saidet  Ghireï  , 
j)  sujet  du  Tsar  ,  qui  sera  leur  Khan.  Le  Tsar 
j>  est  prêt  à  vous  donner  également  des  se- 
»  cours  pécuniaires,  mais  sans  prendre  (Fen- 
3>  gageraens  à  cet  égard.  Glt)ririez-vous  de  la 
:»  générosité  de  rAutriche  et  de  l'Espagne; 
»  mais  songez  que  le  souverain  orthodoxe  ne 
»»  désire  pas  la    Couronne  royale,    pour  sa 
>)  gloire  et  pour  ses  intérêts,   mais  unique- 
»  ment  pour  votre  tranquillité  et  votre  gran- 
»  deur.   Depuis    combien   d'années   le    sang 
»  chrétien  ne  coule-t-il  j)as  d:\us  l(\s  combats 
•)  entre  la  Piussie  et  la  Lithuanie?  Le  Tsar 


DF.     Ri;  S  SI  K.  l3£ 

»  son;;o  à  melirc  à  jamais  lin  à  cette  calamité, 
r>  et  vous  ,  sans  y  avoir  égard  ,  vous  pesez  l'or 
»  tic  l'Espagne  et  de  rAutriehe.  Qu'il  en  soit 
>'  ce  c[U(;  vous  voudrez  ;  et  si  vous  préférez 
»  l'argent  au  n'pos  de  la  chrétienté,  appre- 
»  nez  que  le  Tsar  ne  veut  point  être  marchand, 
»  et  qu'il  ne  veut  acheter  ni  des  partisans  ,  ni 
»  votre  Couronne  ;  qu'il  ne  veut  point  entre- 
»  tenir  la  cupidité  d'hommes  insensibles  au 
»  bien  de  la  patrie,  et  les  armer  les  uns  contre 
»  Jes  autres  dans  leurs  dissentions  tumul- 
«  tueuses  à  la  Diète,  car  il  n'aime  ni  les  que- 
»  relies,  ni  l'anarchie  ». 

Cette  fermeté  produisit  un  grand  effet  sur 
les  Députés  :  ils  se  levèrent,  se  concertèrent 
secrètement  pendant  quelques  minutes ,  et 
eniin  ils  annoncèrent  avec  mécontentement 
aux  Ambassadeurs,  que  Fédor  ne  monterait 
pas  sur  le  trùne  de  Jagellon  ;  et  lorsque  Go- 
dounoff  et  Troëkouroff  leur  proposèrent  de 
différer  l'élection  et  d'envoyer  des  dignitaires 
à  Moscou,  ])our  avoir  de  nouvelles  explica- 
tions avec  le  Tsar,  le  cardinal  Radzivil  et 
d'autres  Députés  répondirent  :  «  Ce  que  vous 
»♦  proposez  est  une  dérision.  Nous  nous  som- 


1^2  HISTOIRE 

»  mes  réunis  à  Varsovie  de  tous  les  points  de 
j>  la  Litbuanie  et  de  la  Pologne  ;  voilà  la  hui- 
»  tiènie  semaine  que  nous  y  passons  eomme 
»  à  la  guerre,  perdant  argent  et  repos,  et  vous 
»  demandez  encWe  une  autre  Diète  !  Nous  ne 
»  nous  séparerons  pas  sans  avoir  fait  noire 
»  choix  »!  Alors  les  Ambassadeurs  de  Fédor 
leur  conseillèrent  d'élire  Maximilien  ,  ami  de 
la  llussie.  «  Nous  n'avons  pas  besoin  de  vos 
»  conseils,  répondirent  grossièrement  les 
»  Seigneurs;  c'est  à  Dieu  et  non  au  Tsar  de 
>i  Russie  que  nous  obéissons  ».  ils  voulurent 
au  moins  conclure  alors  un  traité  de  paix  ; 
mais  ils  ne  s'accordèrent  pas  davantage  sur  les 
conditions:  la  Litbuanie  demandait  Smolensk 
et  le  pays  de  Seyersk  ,  et  Fédor,  Dorpat.  On 
se  sépara  mécontens  les  uns  des  autres  ,  mais 
les  négociations  n'en  furent  pas  moins  con- 
tinuées. 

Ce  jour  même  et  les  jours  suivans  ,  il  y  eut 
des  disputes  très-vivesentre  les  membres  de  la 
Diète  et  les  partisans  de  l'Autriche,  de  la  Suè- 
de et  de  la  Russie  (83).  Les  j)remiers ,  surtout 
le  Clergé  et  tous  les  Evèques  ,  disaient  que 
leur  conscience  ne  leurpermettait  pas  d'avoir 


DE    RFSSTE.  l33 

un  Souverain  tl'une  autro  religion  ,  un  héré- 
tique, et  les  Seigneurs  laV([ues  «le  leur  parti  , 
ajoutaient:  «  L'ennemi  naturel  et  enthirei  de 
»  la  Liihuanie  et  de  la  Pologne  ne  montera 
n  sur  le  trône,  avec  la  puissance  oppressive 
»  de  la  Russie  ,  que  pour  écraser  nos  libertés, 
»  nos  droits  et  nos  lois.  Vous  vous  êtes  plaints 
»  lorsqu'Elienne  amena  avec  lui  quelques 
>>  centaines  de  Hongrois  ;  que  sera-ce  lorque 
«  nous  verrons  ici  des  milliers  de  fiers  et  fa- 
»  rouches  Moscovites  (84)!  Croyez-vous  que 
»  leur  orgueil  leur  permette  de  se  réunira 
»  nous?  Ne  voudront-ils  pas  plutôt  joindre 
«  notre  monarchie  à  celle  de  Moscou,  comme 
»  une  manche  à  un  habit  »  ?  D'autres  rava- 
laient Fédor  en  l'appelant  un  homme  d'un 
esprit  faible ,  incapable  de  gouverner ,  de 
mettre  un  frein  à  la  licence  et  de  faire  respec- 
ter le  pouvoir  royal,  ajoutant  qu'à  peine  dans 
six  mois  il  serait  parmi  eux,  et  que  les  Turcs, 
ennemis  irréconciliables  du  Tsar,  qui  avait 
conquis  deux  ou  trois  états  Musulmans,  au- 
raient ,  en  attendant ,  le  temps  de  s'emparer 
de  Cracovie.  Les  Seigneurs  de  notre  parti  ré- 
pliquaient :  «  La  première  loi  d'un  Etat  est  sa 


"'-'  nrsTCîRE 


»  sûreté.   Par  le  choix  de  Fédor  nous  nous 
»  réconcilions  avec  un  ennemi  puissant,  et 
»  nous  trouvons  en  lui  un  délenseur  contre 
»  une  autre  puissance  ennemie  non  moins 
»  redoulal)le,  la  Turquie.  Le  Sultan  nous  dé- 
»)  fend  de  faire  monter  Fédor  sur  le   Irone  ; 
»  mais  doit-on  Técouter  ?  Ne  devrait-on  pas 
»  justement  faire  le  contraire  de  ce  qu'il  dé- 
i>  sire?  Quanta  ce  qui  regarde  la  religion  , 
»  Fédor  est  baptisé  au  nom  de  la  Sainte  Tri- 
j)  nité  ;  et  nous  savons  qu'il  y  a  une  église 
»  grecque  à  Rome  ;   par  conséquent  le  Pape 
»  ne  condamne  pas  cette  religion  ,  et  il  per- 
n  mettra  sans  doute  au  Tsar  de  la  garder,  en 
»  lui  imposant  peut-être  quelques  conditions. 
5)  Fédor  a  généreusement  donné  la  liberté  à 
»  nos  prisonniers  ;  il  a  rendu  la  tranquillité 
»  à  ses  propres  Etats;  deux  fois  il  a  vaincu  le 
»  Kban.  Ami  de  la  paix ,  il  a  le  désir  de  réu- 
»  nir  deux  puissances  dont  la  haine  mutuelle 
»  a  causé  tant  de  calamités,  et,  ({uoique  Sou- 
»  verain  absolu,  il  veut  régner  au  nom  delà 
»  loi  sur  des  hommes  libres.  Où  voyez-vous 
»  donc  la  faiblesse  de  son  esprit  ?  N'est-il  pas 
«  plutôt  un  monarque  humain  et  sage  ?  Et 


DE    RUSSIE.  l35 

•»  sans  inlellij;cnce  ,  pourrait-il  gouverner  les 
»  Russes,  peuple  inconslanl  et  rusé  (85)? 
»  D'ailleurs  la  faiblesse  d'esprit  dans  un  mo- 
»  narcpie  est  moins  pernicieuse  à  l'Etat  que 
i>  des  troubles  intérieurs.  Nous  ne  denian- 
»  dons  rien  de  nouveau  :  combien  d'entre 
»  vous,  avant  Téiection  et  après  la  fuite  de 
»  Henry,  voulaient  un  roi  Moscovite,  dans 
»  la  persuasion  qu'Ivan  aurait  laissé  la  lyran- 
»  nie  en  Russie,  et  ne  serait  venu  chez  nous 
»  qu'avec  une  puissance  protectrice?  Y  a-t-il 
«  ([uelque  chose  de  changé  depuis  ce  temps, 
j>  à  moins  que  ce  ne  soit  en  mieux,  puisque 
»  Fédor  ne  se  montre  pas  tyran,  même  à 
»  Moscou  ,  qu'au  contraire  il  aime  ses  sujets 
»  et  en  est  aimé   »  ? 

Ces  raisons  engagèrent  la  Diète  à  renouve- 
ler les  négociations;  les  Députés  curent  une 
seconde  conférence  avec  nos  Ambassadeurs,  à 
Kamenetz,  et  demandèrent  que  le  Tsar  don- 
nât tout  de  suite  au  Sénat  cent  mille  florins  , 
pour  les  frais  de  la  guerre  ;  qu'il  construisit 
des  forteresses ,  non  sur  le  Don  ,  où  elles  ne 
pouvaient  servir  qu'à  la  Russie  ,  mais  sur  la 
frontière   Sud-ouest   de   la   l.,ithuanie  ;    qu'il 


,  1 


1.36  iiiSTOir.  E 

soldat,  (le  sa  caisse  ,  les  (Cosaques  du  Dnieper, 
donnât  des  terres  à  la  noblesse  Polonaise ,  non 
dans  des  stèpes  éloignées  et  sauvages,   telles 
qu'il  y  en  a  beaucoup  en  Lithuanie  ,  au  delà 
de  Kief ,  mais  dans  les  contrées  de  Smolensk 
et  de  Seversk.  Les  Ambassadeurs  montrèrent 
quelque  délérence  :  ils  consentirent  à  donner 
cent  mille  florins,  ne  refusèrent  pas  les  autres 
demandes  ,   et  proposèrent  ({ue  Fédor  prit  le 
titre  de  Tsar  de  ioiiic  la  Russie^  Roi  de  Pologne, 
grand  Duc  de  Tludiniir ,  de  Moscou  et  de  Li- 
thuanie ;  enfin  le  plus  grand  obstacle  ,  celui  de 
la  religion  ,  diminua,  lorsque  le  voïévode  de 
Vilna,  Christophe  Ptadzivil,  et  celui  de  Troki, 
Yan  Glébovitche  ,  dirent  en  secret  à  nos  Am- 
bassadeurs, que  Fédor,  malgré  Topposition  de 
leur  Clergé,   pouvait  rester  dans  la  religion 
grecque ,  en  demandant  seulement  la  béné- 
diction du  pape  ,  et  en  lui  donnant  l'espé- 
rance de  la   réunion   des  deux   Eglises  (86). 
«  Fédor,  pour  son  bien  et  pour  le  nôtre ,  di- 
»  saient-ils,  doit  montrer  quelque   condes- 
*»  cendance  :  car ,  en  cas  d'opiniâtreté  de  sa 
»  part,  nousélirions  un  ennemi  de  la  Pvussie, 
«  le  Suédois  ,  et  non  Maximilien  dont  per- 


DE    RUSSIE.  l37 

»  sonne  ne  veut  eiilendre  parler  en  Litbiianie, 
j -»  parce  qu'il  esl  inléressé  el  pauvre,  qu'il 
'  »  nous  niellrait  en  j^uerre  avec  le  Sultan  ,  et 
:»  ne  donnerait  de  secours  au  l\oyauine  ni  en 
»  hommes,  ni  en  argent.  L'Empereur  lui- 
»  même  n'est  grand  que  par  son  titre  ,  et  n'est 
«  riche  qu'en  dettes.  ISous  connaissons  l'usage 
»»  des  Autrichiens  de  détruire  les  libertés  et 
»  les  droits  des  pays  qui  se  soumettent  à  eux, 
»  et  de  surcharger  l(!s  hahitans  d'impôts  oné- 
»  reux.  De  plus  ,  il  est  dit  dans  nos  livres  ,  et 
j»  cela  est  devenu  proverbe  :  que  les  peuples 
»  Slaves  n'ont  aucun  bien  à  attendre  des  Al- 
»  lemands  ». 

Mais  Fédor  ne  voulut  pas  solliciter  de  grâce 
auprès  du  Pape  ,  ni  le  flatter  de  la  promesse 
mensongère  de  réunir  les  deux  Eglises  ;  il  ne 
voulut  pas  non  plus,  ce  que  tous  les  seigneurs 
Lithuaniens  exigeaient  absolument ,  être  cou- 
ronné roi  de  Pologne  par  les  mains  d'un  pré- 
lat latin  ,  craignant  de  manquer  par  là  à  l'or- 
thodoxie ou  à  la  dignité  du  monarque  de  la 
Russie;  et  nos  Ambassadeurs  qui  avaient  des 
entrevues  toujours  amicales  avec  les  Députés 
de  la  Diète  ,   apprirent  d'eux  ,  le  i3  d'août, 


i3^ 


HISTOIRE 


quo  le  chancfllicr  Zamoisky  el  quelques  soi- 
f^iuiirs  avaient  élu  le  prince  de  Suède;  el  Sta- 
nislas Zgourka,  voïévode  de  Posen,  et  les  Zbo- 
rovsky,  Maxiniilien.  Ce  fut  envain  que  les 
seigneurs  lithuaniens  assurèrent  nos  Boyards 
que  ce  choix  serait  regardé  commet  nul ,  parce 
qu'il  était  illicite,  et  que  si  Fédor  désirait  sin- 
cèrement être  Pvoi ,  et  se  décidait  à  venir  chez 
eux  sans  perdre  de  temps,  ils  se  rendraient 
tous  à  Cracovie ,  et  ne  donneraierit  la  cou- 
ronne ni  au  Suédois  ,  ni  à  rAutrichien.  Enhn 
Zamoisky,  moitié  à  Faide  du  glaive,  moitié 
avec  l'argent  de  la  reine  douairière  Anne, 
procura  le  trône  à  Sigismond ,  après  avoir 
TrcHc.  annulé  l'élection  de  Maximilieti.  Nos  Ambas- 
sadeurs ne  réussirent  que  dans  une  chose;  ils 
conclurent  avec  le  Sénat  une  trêve  de  quinze 
ans,  sans  aucune  concession  ni  aucun  avan- 
tage ,  et  sous  les  seules  conditions  que  les 
deux  puissances  garderaient  ce  qu'elles  possé- 
daient ,  et  que  le  roi  nouvellement  élu  confir- 
merait celte  convention  par  des  plénipoten- 
tiaires qu'il  enverrait  à  Moscou  (87),  Fédor, 
après  avoir  écouté  la  relation  d'FJienne  Go- 
dounoff  et  de  TroëkourofT,  espérait  encore 


DE  RUSSIE.  j3c^ 

que  du  moins  la  Lilhuanie  ne  reconnaîtrait 
pas  Sigismond  pour  roi ,  et  il  orrivit  de  nou- 
veau des  lelîres  amicales  aux  seigneurs  de  son 
parti,  consentant  à  être  séparément  grand  duc 
de  Lithuanie,  de  Kieff,  de  Yolhinieel  de  Ma- 
zovie  ,  leur  promettant  indépendance  et  sécu- 
rité. Godounoffleur  écrivit  aussi ,  en  leur  en- 
voyant à  chacun  de  riches  présens  de  la  valeur 
de  vingt  mille  roubles  actuels  ;  mais  il  était 
trop  tard.  Le  gentilhomme  Rjevsky  revint  de 
Lithuanie  avec  la  nouvelle  que ,  le  i6  décem- 
bre ,  Sigismond  avait  été  couronné  à  Cracovie, 
et  que  les  seigneurs  lithuaniens  avaient  con- 
senti à  ce  choix.  Rjevsky  le  savait  déjà  ,  mais 
il  leur  remit  les  présens  qu'ils  acceptèrent  en 
témoignant  leur  reconnaissance  ,  et  en  faisant 
des  vœux  pour  que  Fédor  conservai  toujours 
sa  bienveillance  à  la  Lithuanie. 

Cependant  le  Tsar  témoigna  son  méconten- 
tement ,  non  du  refus  de  ses  propositions  à  la 
Diète,  mais  de  l'élection  de  Sigismond.  Nous 
avons  vu  que  Fédor ,  à  l'exemple  d'îvan  ,  cé- 
dait volontiers  le  Royaume  à  FArchiduc  , 
n'ayant  aucune  contestation  avec  l'Autriche  ; 
mais  une  alliance  étroite  entre  la  Suède  et  la 


l4^  HISTOIRE 

Pologne  renforçait  ces  deux  puissances  qui 
ét;)ienl  nos  ennemies,  et  le  principal  englue- 
ment que  Sigismond  prit  avec  Zamoïsky ,  fut 
de  s'armer  avec  son  père  ,  le  roi  Jean  ,  contre 
la  Russie  ,  ci  de  s'emparer  de  Moscou  (88)  ,  ou 
au  moins  de  Smolensk  el  de  Pskoff ,  tandis 
que  la  flotte  Suédoise  se  rendrait  maitresse  du 
port  Saint-Nicolas  ,  sur  la  Dvina  ,  afin  de  dé- 
truire notre  commerce  maritime.  L'esprit  de 
Bathori  semblait  encore  vivre  dans  Zamoisky 
pour  nous  menacer,  ce  qui  faisait  désirer 
d'autiint  plus  à  Fédor  de  s'unir  aux  vues  et  au 
système  politique  de  l'Autriche. 

Rclalionsavrc  t\  •         ro       •  7>        --  * 

r  Ami  ici, e  et  Depuis  iboy  jusqu  a  1^90  ,  nous  envoyâmes 
courrier  sur  courrier  a  Vienne  (89),  conju- 
rant l'Empereur  d'employer  tous  les  moyens 
pour  faire  obtenir  la  couronne  de  Pologne  à 
Maximilien  ,  sinon  par  l'élection  au  moins 
par  la  force.  Nous  lui  promettions  de  l'argent 
pour  l'armement,  et  nous  l'assurions  qu'il 
nous  serait  plus  agréable  de  céder  ce  royaume 
à  l'Autriche  que  de  le  réunir  à  la  Russie.  Nous 
lui  faisions  le  tableau  du  bonheur  ctde  la  tran- 
quillité qui  régneraient  alors  dans  l'Europe 
septentrionale ,   et  qui  lui  procureraient  les 


DE' RUSSIE.  I^I 

moyens  de  s'occuper  du  j^rand  oniivre  de 
chasser  les  Turcs  de  Cyzance.  Nous  vantions 
nos  forces,  en  lui  disant  qu'il  ne  dépendait 
que  de  la  Russie  ,  de  lancer  contre  le  Sultan 
les  innombrables  bordes  de  l'Asie  ;  (pie  le 
Schah  de  Perse  mettrait  deux  cent  mille 
hommes  en  campagne,  le  Tsar  de  Bucharie 
cent  mille,  celui  de  Chiva  cinquante  mille, 
celui  dTbérie  cinquante  mille,  le  Schavkal 
trente  mille  ,  les  princes  Tcherkesses,  de  Tu- 
men  et  d'Okoustk  soixante-dix  mille,  et  les 
jSogais  cent  mille;  que  la  Russie,  pouvant 
aisément  vaincre  la  Suède  ,  et  n'ayant  plus 
d'autre  ennemi  ,  joindrait,  sous  le  signe  de  la 
Croix  ,  ses  légions  aux  troupes  de  l'Autriche, 
de  l'Allemagne,  de  l'Espagne  ,  du  Pape  ,  de 
la  France  et  de  l'Angleterre  ,  et  que  les  barba- 
res Musulmans  n'existeraient  plus  bientôt 
que  dans  la  mémoire  des  hommes.  Comme  on 
retenait  les  courriers  russes  en  Lithuanie  et  à 
Riga,  nous  ouvrîmes  une  conununicalion 
avec  l'Autriche ,  à  travers  la  mer  du  Nord  et 
Hambourg.  Nous  demandions  que  Piodolphe 
et  Maximilien  envoyassent  immédiatement 
des  plénipotentiaires  à  Moscou  pour  arrêter 


l4^  lîlSTUIRE 

OÙ  et  comment  11  fallailagir.  Cependant  nous 
opprimes  que  Zamoïsky  ,  en  poursuivant 
jMaximilien  qui  fuyait  (levant  lui  ^  était  entré 
en  Silésie  ,  et  qu'après  Favoir  eomplèlenuînt 
baliu  et  fait  prisonnier  ,  il  Ini  rendait  la  cap- 
tivité aussi  cruelle  qu'humiliante.  Fédor  lit 
sentir  à  Rodolphe  toute  la  honte  de  cette  hu- 
miliation inouie  de  TAulriche.  Mais  tout  lut 
inutile.  Î/Empereur  ,  dans  ses  réponses  ,  n(; 
témoignait  que  sa  reconnaissance  pour  les 
bonnes  dispositions  du  Tsar;  au  lieu  d'un 
grand  dignitaire  ,  il  n'envoya  à  Moscou  ,  au 
mois  de  juin  iSSg  ,  que  Yarkotche  ,  fonction- 
naire subalterne  ,  s'excusant  sur  ses  occup;i- 
tîons  et  sur  le  peu  de  facilités  qui  existaient 
dansles  communications  entre  l'Autriche  et  la 
Russie.  Quant  à  la  guerre  de  Turquie  ,  il  di- 
sait ([u'il  fallait  préalablement  en  convenir 
avec  l'Espagne  ,  et  cacher  une  entreprise  aussi 
importante  à  la  France  et  à  l'Angleterre  ;  car 
elles  travaillaient  à  se  mettre  bien  avec  le  Sul- 
tan ;  que  la  guerre  de  Pologne  était  inévitable; 
mais  qu'il  fallait  auparavant,  délivrer  Maxi- 
milien.  Cependant  bientôt  après,  le  Tsar  ap- 
prit ([ue  rEnspereur  avait  obtenu  la  liberté 


DE    RUSSIE.  1^3 

de  son  frore  ;  en  sVngageant  par  serment  à  ne 
plus  songer  à  la  couronne  de  Pologne,  et  à 
vivre  désormais  en  paix  avec  cetle  puissance. 
«  ^  ous  en  lame  z  de  grandes  aliaires,  mais 
»  vous  ne  les  terminez  pas  ,  écrivit  Boris  Go- 
»  dounolï"  au  ministère  Autrichien  (90),  à 
»  cause  de  vous  ,  notre  Souverain  n'a  voidu 
»  écouter  aucunes  propositions  amicales  de 
»  la  part  ni  du  Sultan,  ni  du  Khan  ;  c'est  en- 
«  core  à  cause  de  vous  ,  que  nous  sommes  en 
»  froideur  avec  eux  et  avec  la  Lithuanie  ;  et 
»  vous,  sans  songer  à  rhonneur  ,  vous  faiiis 
»  la  paix  avec  le  Sultan  et  avec  Sigismond  ». 
En  un  mot  nous  perdions  notre  temps  et 
notre  argent  avec  l'Autriche,  sans  en  retirer 
aucun  avantage. 

Un  barbare,  le  nouveau  Khan  de  Crimée, 
le  prince  Kazi-Ghireï,  successeur  de  son  frère 
Islam  ,  mort  en  i588,  agissait  d'une  manière 
beaucoup  plus  conforme  à  notre  politique. 
Etant  arrivé  de  Constantinople  avec  un  Fir- 
man  du  Sultan  et  trois  cents  janissaires,  pour 
régnersurdes  camps  ruinés  (9 1  ) ,  i  l  vil  la  néces- 
sité de  les  rétablir,  c'est-à-dire ,  de  chercher  à 
faire  du  butin  ,  ne  connaissant  d'autre  indus- 


l44  ^    HISTOIRE 

trie  que  la  rapine.  Il  s'agissailde  choisir  entre 
la  Paissie  et  la  Lilhuanie,  pour  le  théâtre  des 
incendies  et  du  carnage.  Le  Khan  préféra  la 
Lithuanie  ,  Tondant  ses  espérances  sur  l'anar- 
chie qui  y  régnait,  ou  sur  la  faiblesse  de  son 
nouveau  roi.  lise  préparait  à  dévaster  par  la 
force  le  pays  de  Sigisniond  ,  et  il  voulut  en 
flattant  Fédor ,  en  obtenir  de  riches  présens. 
11  lui  écrivit ,  que,  nous  voulant  plus  de  bien 
qu'aucun  de  ses  prédécesseurs,  il  avait  per- 
suadé au  Sultan  de  renor.cerà  la  conquête 
d'Astrakhan  (t)2)  ,  et  que  Moscou  et  ia  Tauride 
n'auraient  jamais  que  les  mêmes  ennemis.  En 
1589,  Kazi-Ghireï  informa  Fédor,  que  les 
habilans  de  la  Crimée  avaient  incendié  plu- 
sieurs villes  et  bourgs  de  la  Lithuanie  et  de  la 
Gallicie.  Le  Tsar,  en  louant  son  courage  et  ses 
dispositions  amicales  envers  nous  ,  honora 
le  Khan  ,  en  témoignage  de  reconnaissance  , 
de  quelques  présens  de  peu  de  valeur  ,  mais  il 
entretint  maigre  cela  ,  une  forte  armée  sur  les 
bords  de  l'Oka  (rp).  Ce  qui  prouve  qu'il 
n'avait  pas  une  grande  confiance  en  lui. 
Cncirc  de  Mais  Bathori  n'existait  plus,  le  Sultan  ne 
s'armait  pas  contre  la  Piussie  ,  et  le  Khan  ra- 


DE   R rssir.  14  » 

v.'igrail  la  Llthiianie  :  ces  circonstances  paru- 
rent favorables  au  Tsar  ,  pour  une  entreprise 
iniportante  que  réclamait  depuis  long-temps 
riionneur  de  la  Russie.  Nous  nous  \anlions 
de  notre  puissance,  ayant  effectivement  la 
plus  nombreuse  armée  de  l'Europe  ,  et  pour- 
tant une  partie  de  Tancienne  Faissie  était  au 
pouvoir  du  la  Suède  !  La  Iréve,  conclue  avec  le 
roi  Jean  ,  expirait  au  commencement  de  l'an- 
née 1 590  (94)»  et  la  seconde  entrevue  des  Am- 
bassadeurs ,  sur  les  bords  de  la  Plussa ,  au 
mois  de  septembre  1 586 ,  était  restée  sans  ré- 
sultat ,  les  Suédois  n'ayant  pas  voulu  consen- 
tir à  nous  rendre  leurs  conquêtes  ;  condition 
sans  laquelle  nous  ne  voulions  pas  entendre 
parler  de  paix.  Ils  ne  proposèrent  tju'un 
écliange  ,  en  rendant  Koporié  pour  le  district 
de  Soumersk  et  les  bords  de  la  Neva.  Jean  se 
plaignait  que  les  Puisses  inquiétaient  la  Fin- 
lande par  leurs  incursions  ,  et  qu'ils  la  rava- 
geaient comme  des  tigres  (go).  Fédor  repro- 
chait aux  Yoïévodes  suédois  leurs  brigandages 
dans  les  contrées  de  Zaonéga  ,  d'Olonetz  ,  de 
Ladoga  et  de  la  Dvina.  Pendant  l'été  de  iSSy  , 
ils  étaient  venus  de  la  Caïanie  piller  les  terres 
Tome  X.  ,10 


l40  lIlSTOIIiR 

(les  couvons  dv.  Solovelzk  et  (Je  Pcldiensk , 
Kola,  KfiTlc  ,  Kovdu  ,  cl  avaient  fait  un  butin 
de  plus  d'un  demi-million  de  roubles  d'ar- 
gent ,  monnaie  actuelle  (9G).  En  engageant  le 
Roi  à  des  concessions  ,  le  Tsar  lui  parlait  de 
ses  grands  alliés,  rEmpereurel  le  Schali.  Mais 
Jean  lui  répondit  avec  ironie  :  «  Je  me  n'jouis 
»  de  voir  que  lu  connais  maintenant  la  l'ai- 
»  blesse  ,  et  que  tu  atlenJs  des  secours  des 
»  autres  (97}.  Nous  verrons  quels  seront  ceux 
»  que  te  donnera  notre  parent  llodolpbe  ; 
j>  quant  à  nous,  nous  n'avons  pas  besoin  d'al- 
»  liés  pour  venir  à  bout  de  toi  ».  NonobsLnit 
cette  impertinence  ,  Jean  désirait  une  troi- 
sième entrevue  des  Ambassadeurs,  lorsque  Fé- 
dor  lui  fit  déclarer  que  nous  ne  voulions  ni 
paix,  ni  trêve,  si  les  Suédois  ne  nous  cédaient, 
outre  les  terres  ap})artenantà  Novgorod,  qu'ils 
avaient  envaliies  ,  Ilevcl  et  toule  l'Esliionie  , 
c'est-à-dire  que  nous  déclarâmes  la  guerre. 

Jusqu'à  présent ,  Godounoff  n'avait  brillé 
que  par  son  génie  dans  les  affaires  de  la  poli- 
tique intérieure  <'t  extérieure.  Toujours  pru- 
dent et  pacifique  ,  n'ayant  pas  les  dispositions 
guerrières,  n'aspirant  point  à  la  gloire  des 


DE    RISSIR.  l47 

armes  ,  il  voiilul  cependant  prouver  que  son 
amour  pour  la  paix  ne  provenait  pas  de  pusil- 
lanimité ,  dans  une  occasion  où,  sans  lionle  et 
sans  manquer  au  devoir  sacré  du  pouvoir,  ou 
ne  pouvait  éviter  reriusiori  du  sang.  Pour 
remplir  ce  devoir,  il  employa  tous  les  moyens 
propres  à  s'assurer  le  succès.  Il  mit  en  campa- 
gne (si  Ton  doit  ajouter  foi  aux  documens  of- 
ficiels de  ce  temps),  près  de  trois  cent  mille 
combattans,  infanterie  et  cavalerie,  avec  trois 
cents  pièces  d'artillerie  (98).  Tous  les  Boyards, 
tous  les  Tsarévitches  (Malimet  koul  de  Sibé- 
rie ,  Rouslanei  lils  de  Kaiboula ,  et  Ouraze 
Biagmct  des  Kirguises),  tous  les  Voïévodesdes 
contrées  voisines  et  éloignées ,  des  villes  et  des 
bourgs  ,  où  ils  vivaient  dans  la  retraite  (99), 
furent  obligés  de  se  trouver,  à  une  époque 
marquée  ,  sous  les  drapeaux  du  Tsar  ;  car  le 
pacifique  Fédor  ayant  quitté  ,  non  sans  regret, 
ses  occupations  pieuses,  se  mit  à  la  tète  de  son 
armée  :  ainsi  le  voulut  Godounoff ,  afin  d'a- 
nimer les  troupes  et  d'empêcher  les  disputes 
insensées  des  principaux  dignitaires,  sur  leur 
ancienneté.  Le  prince  Fédor  Mstislafsky  ,  le 
plus  illustre  dos  seigneurs,  commandait    la 


il 


i48  îiiSToinE 

grande  armée  ;  Tavant-j^arde  était  sous  les  or- 
dres du  prince  Dn»ilri  Klivorostinin,  voïévode 
distingué  j)ar  ses  taleiis  et  son  eourage  (loo)  ; 
GodounoiCel  Fédor  Iiomanorf-Iouried' (  qui 
devint  Tiliustre  Philaréte  ),  eousin  germain 
du  Tsar,  se  trouvaient  près  de  luiavee  le  litre 
de  T^^oïéçoâcs  de  la  Cour.  La  tsarine  Irène  suivit 
son  époux  depuis  Moscou  jusqu'à  Novgorod, 
où  le  Monarque  régla  la  destination  des  trou- 
pes. Il  ordonna  aux  unes  de  marcher  en 
Finlande  ,  au  delà  de  la  Neva;  à  d'autres,  en 
Esliionie  jusqu'à  la  mer  ;  et  lui-même,  à  la  tète 
de  la  principale  armée  ,  se  mit  en  route ,  le  18 
janvier  iSgo,  pour  marcher  contre  Narva(  toi). 
La  campagne  fut  pénible  à  cause  dts  froids  de 
l'hiver  ;  mais  brillante  par  le  zèle  des  troupes. 
Les  Pvusses  marchaient  pour  reprendre  ce  qui 
leur  avait  appartenu  ,  et  le  27  janvier  ils  s'em- 
parèrent de  Jama.  Vingt  mille  Suédois  ,  tant 
cavalerie  qu'infanterie  ,  sous  les  ordres  de 
Gustave  Banère,  rencontrèrent,  près  de  Narva, 
le  prince  Dmilri  Khvorostinin,  qui  les  délit  et 
les  refoula  dans  la  ville  ,  remplie  de  monde  , 
mais  dépourvue  de  vivres;  c'est  pourquoi  Ba- 
nère, ayant  laissé  dans  la  forteresse  le  nombre 


DE     RUSSIE.  Ij^r) 

nrcpssairc  de  soldais,  s'enfuit  pendant  la  nuit 
(talla  à  Yésemberg,  poursuivi  par  notre  cava- 
lerie asiatique  ,  en  lui  abandonnant  ses  ba{:ça- 
ges  et  son  artillerie.  Au  nombre  des  prison- 
niers se  trouvèrent  plusieurs  Suédois  de  dis- 
tinction. Le  4  février,  les  Russes  assiégèrent 
Narva,  parvinrent,  par  un  bombardement 
vigoureux ,  à  faire  trois  brèches,  et  demandè- 
rent la  reddition  de  la  ville.  Le  commandant , 
CbarlesHorn,  les  appela  iièrement  à  Tassant, 
et  les  repoussa  vaillannnent  le  i8  février.  Les 
voïévodes  Sabourolf  et  le  prince  Jean  Tok- 
makoff ,  de  même  que  plusieurs  enfans 
Boyards  ,  Strélelz  et  soldais  Mordviens  et 
Tcherckesses  ,  périrent  sur  la  brèche  (102). 
Néanmoins  cette  affaire ,  brillante  pour  les 
Suédois ,  n'aurait  pu  sauver  la  vaille  ;  la  ca- 
nonnade ne  cessait  point,  les  murs  s'écrou- 
laient, et  nos  troupes  préparaient  un  nouvel 
assaut,  le  21  février.  A  cette  époque  même, 
les  Russes  ravageaient  l'Eslhonie  sans  obstacle 
jusqu'à  Rével,  et  la  Finlande  jusqu'à  Abo  ;  car 
le  roi  Jean  avait  plus  d'orgueil  que  de  forces. 
Les  négociations  s'ouvrirent.  Nous  deman- 
dions Narva  et  toute  TEsthonie  pour  accor- 


IJO  HISTOIRE 

der  la  paix  aux  Suc'dois;  inais  le  Tsar(io3), 
cédant  aux  instances  clireliennes  de  Godoiuiojf^ 
comme  il  est  dit  dans  nos  papiers  officiels, 
se  conlenla  du  rétablissement  de  Tancienne 
frontière.  Le  25  février  ,  Horn  ,  au  nom  du 
Roi,  conclut  une  tiève  (\:\\\\  an,  cédant  au 
Tsar,  outre  Jama  ,  Ivangorod  et  Koporié  , 
avec  tous  leurs  magasins  et  toutes  les  muni- 
tions de  guerre.  On  convint  de  fixer  le  sort  de 
l'Esilionie  à  la  prochaine  réunion  des  ambas- 
sadeurs Piusses  et  Suédois  ,  en  promettant 
même  de  céder  à  la  llussie  ,  la  Carélie  ,  Narva 
et  d'autres  villes  de  TEsthonie  (io4).  Nous 
faisions  gloire  de  modération.  Fédor,  après 
avoir  laissé  des  Yoïévodes  dans  les  trois  for- 
teresses qui  avaient  été  prises ,  se  hàla  de  re- 
tourner à  Novgorod ,  près  de  son  épouse  , 
pour  se  rendre  avec  elle  à  Moscou  ,  célébrer 
sa  victoire  sur  une  des  puissances  de  l'Europe 
avec  laquelle  son  père  lui  avait  conseillé  de 
n'être  jamais  en  guerre  ,  redoutant  la  supé- 
riorité de  ses  talens  militaires.  Le  Clergé  , 
la  Croix  en  tête,  alla  au  devant  du  Souverain, 
hors  de  la  ville,  et  le  métropolitain  Job,  dans 
un  discours  pompeux ,  le  compara  à  Cons- 


I>E    RUSSIE.  l5l 

ianlîn  le  Grand  cl  à  Vladimir  ,  et  lui  adressa 
des  actions  de  grâce  de  la  part  de  la  pairie  et 
de  réalise  ,  pour  avoir  chassé  les  infidèles  du 
sein  de  laSainle  Russie,  et  pour  avoir  rétahli 
les  autels  du  vrai  Dieu, dans  la  ville  d'Ivan  III, 
et  dans  les  anciennes  possessions  des  Slaves 
d'Ilmen  Cio5). 

Bientôt  la  perfidie  des  Suédois  procura  un 
nouveau  et  important  succès  aux  armes  du 
pacifique  Fédor.  Le  roi  Jean,  accusant  Ilorn, 
de  pusillanimilé  ,  déclara  que  la  convention 
signée  par  lui  était  criminelle,  renforça  ses 
troupes  en   Estlionie ,  et   envoya   deux  Sei- 
gneurs, l'un  lieutenant  d'ITpsal  et  l'autre  de 
Yestergot,  aux  bouches  de  la  Plussa,  pour  y 
avoirune  entrevue  avec  le  prince  FédorKhvo- 
rostinin  ,  et  le  gentilhomme  du  conseil  Pis- 
semsky,  non  pour  donner  l'Esthonie  à   la 
Russie ,  mais  pour  exiger  qu'elle  rendit  Jama, 
Ivangorod  et  Koporié.  A  cette  nouvelle,  non- 
seulement  les  andwssadeurs  de  Fédor,  mais 
même  les  soldats  Suédois ,  témoignèrent  leur 
mécontentement  ;  rangés  de  l'autre  côté  de  la 
Plussa  ,  ils  criaient  aux  nôtres:  nous  ne  vou- 
lons plus  de  carnage  (io6)  ;  et  ils  forcèrent 


l.>2  KlSTOir.  E 

leurs  plénipotentiaires  à  se  relâcher  de  leurs 
prétentions,  au  point  que  n'exigeant  plus 
rien  que  la  paix  ,  ils  iinirent  pas  consentir  à 
céder  à  la  liussie  toute  la  Carélie.  Mais  nous 
voulions  absolument  Tsarva  ,  et  les  Ambassa- 
deurs se  séparèrent.  l>a  même  nuit,  le  général 
Suédois  Joran  Boyé  assiégea  traîtreusement 
Ivangorod  ,  tandis  que  le  terme  de  la  conven- 
tion conclue  à  Narva  ,  n'était  pas  encore  ex- 
piré ;  mais  l'intrépide  voïévode  Ivan  Sabou- 
roff,  battit  complètement  dans  une  sortie 
vigoureuse  ,  non  seulement  le  général  Boyé  , 
mais  aussi  le  Duc  de  Siidermanie  qui  s'était 
joint  à  lui.  La  principale  armée  de  Moscou» 
était  à  Novgorod  ;  elle  n'eut  pas  le  temps  d'ar- 
river pour  rafïaire  ,  elle  trouva  la  forteresse 
déjà  délivrée  ,  et  ne  put  voir  que  de  loin  la 
fuite  de  l'ennemi. 

Fédor  en  guerre  avec  la  Suède,  voulait  con- 
server la  paix  avec  la  Lithuanie  ;  et  tandis  que 
les  armées  Moscovites  allaient  combattre  en 
Estlionie,  Godounoff  avait  fait  signifier  à  tous 
les  Commandans  des  villes  de  la  Livonie  Po- 
lonaise, qu'ils  pouvaient  être  sans  inquiétude 
et  que  nous  ne  loucherions  pas  à  son  terri- 


DE     RUSSIE.  l53 

toire  ,  nous  coiirorniant  scnipuloiisomonl  à 
la  convention  de  Varsovie.  Mais  Sigismond 
gardait  le  silence  :  pour  connaître  ses  inten- 
tions, le  Conseil  de  IMoscou,  envoya  un  cour- 
rier à  Yilna  avec  une  lettre  aux  Seigneurs 
Lilhuanicns  ,  qui  les  informait  de  l'inlention 
du  Khan  ,  de  niarcher  de  nouveau  contre  leur 
pays,  ajoutant  :  «  Kazi-Ghiréï  a  conjuré  notre 
:•'  Souverain  de  se  joindre  à  lui  pour  porter 
3>  la  guerre  en  Lithuanie,  et  lui  a  proposé,  au 
))  nom  du  Sultan  ,  une  paix  éternelle;  mais 
»  I Y'dor  sincèrement  bien  disposé  pour  vous , 
«  s'y  est  refusé.  IXous  vous  en  prévenons  , 
>'  parce  que  nous  croyons  que  tôt  ou  tard  , 
»  vous  sentirez  qu'il  est  indispensable  que 
»  vous  vous  réunissiez  à  la  Russie ,  pour  la 
»  iranquillilé  commune  de  tous  les  Cliré- 
»  tiens  ».  Cette  ruse  ne  put  tromper  les  Sei- 
gneurs l^ithuaniens.  Ils  souriaient  en  lisant  la 
letlre  ;  ils  y  répondirent  avec  politesse,  en 
nous  exprimant  leur  reconnaissance  ,  mais  en 
disant  ,  cependant  ,  qu'ils  avaient  des  nou- 
velles contraires  aux  nôtres;  que  Fédor  lui- 
même  ,  si  l'on  devait  ajouter  foi  aux  prison- 
niers de  la  Crimée ,  employait  les  promesses 


IJj.  HISTOIRE 

et  les  présens  pour  engager  le  Khan  à  faire  une 
invasion  en  Lilîiiianie.  Dans  le  même  temps 
six  cents  cosaques  Lilhuaniens  commettaient 
des  brigandages  dans  le  midi  de  la   llussie, 
brûlaient  la  nouvelle  ville  de  Woronège  ,  et 
massacraient  le  prince  Ivan  Dolgorouky  ,  qui 
en  était  commandant.  ]Soiis  en  dc'mandames 
satisfaction  et  nous  donnâmes  ordre  au  tsarc- 
vi telle  Araslan-Aley,  fils  de  Kaïhoula,  de  mar- 
cher avec  ses  troupes  sur  Tcliernigoff.  Enhn, 
au  mois  d'octobre  1^90  ,  Slanislas  Iladomins- 
ky  et  Gabriel  Yoïna  ,  Ambassadeurs  de  Sigis- 
mond  ,  arrivèrent  à  Moscou  ,  pour  traiter  de 
paix  et  d'alliance  ;  mais  dès  leur  première  con- 
férence avec  les  Boyards  ,  ils  déclarèrent  que 
la  Russie  avait  rompu  la  trêve ,  en  s'emparant 
des  villes  appartenant  à  la  Suède  ,  et  qu'elle 
devait  les  rendre.    On  leur  répondit  que  la 
Suède  n'était  pas  la  Lithuanie  ,  que  la  politi- 
que n'admettait  pas  la  considération  des  liens 
du  sang  entre  les  Souverains  ,   et  que  nous 
n'avions  pris  que  ce   qui  nous  appartenait, 
tout  en  châtiant  l'injustice  et  la  pertidie.  On 
parla  long-temps  d'une  paix  éternelle.  Sigis- 
mond  ,  comme  par  générosité ',   renonçait  à 


DE    RI  SSIE,  l55 

Novgorod  ,  l\  Pskolf ,  aux  villes  de  la  provînn» 
deSeversk  ,  loulefois  il  ne  voulait  point  faire 
la  paix  sans  avoir  obtenu  Sniolensk.  Mais  les 
Boyards  de  Moscou  ne  cessaient  de  répéter  : 
«  Nous  ne  vous  donnerons  seulement  pas  un 
seul  village  du  district  de  Sniolensk  ».  Pen- 
dant plus  de  deux  mois  ,  les  deux  partis  par- 
lèrent beaucoup  des  avantag<'S  d'une  étroite 
alliance  entre  toutes  les  puissances  européen- 
nes. Les  Boyards  représentaient  avec  chaleur 
aux  Seigneurs  Lithuaniens  ,  que  le  Boi  sans 
doute  ne  désirait  point  sincèrement  celte 
alliance  ,  puisqu'il  sollicitait  en  même  temps 
(comme  nous  le  savions)  celle  du  Sultan  ;  ils 
ajoutaient  que  Sigismond  aurait  le  sort  de 
Bathori  qui  n'avait  recueilli  que  l'humiliation 
et  la  honte  de  son  dévouement  à  l'orgueil 
Ottoman.  En  effet ,  Bathori  avait  cru  com- 
plaire à  Amurat,  par  l'assassinat  de  Paclkocay 
le  plus  illustre  des  guerriers  de  Lilhuanie, 
mais  n'y  avait  pas  réussi.  Jusqu'à  sa  mort  il 
avait  tremblé  devant  la  colère  du  Sultan,  et 
lui  avait  payé  tribut  comme  un  esclave;  les 
Boyardsrappelaient  également  que  la  Russie 
seule ,  qui  sentait  sa  dignité  et  avait  refusé 


rainitié  fallacieuse  des  Infidèles ,   était  le  bou- 
clier le  plus  sûr  de  la  Clirclicnté  ;   et  que  le 
Khan,  si  redoutable  à  la  puissance  de  Sigis- 
nîond,  n'osait  offenser,  ni  par  ses  actions  ni 
par  ses  discours ,  Fédor  qui  avait  à  son  service 
plus  de  deux   cents   Princes  et  Mourzas  de 
Crimée.  Quoique  les  Ambassadeurs  ne  témoi- 
gnassent plus   d'arrogance  ,   ni  d'insolence , 
comme  ils  l'avaient  fait  du  temps  d'Etienne  , 
ils  n'acceptèrent  pourtant  pas  notre  proposi- 
tion modérée  :  «  De  conserver  chacun  ses  pos- 
»  sessions  naturelles  ».  Ayant  épuisé  tous  les 
Nouvelle  moyens  de  persuasion  ,  le  i".  janvier  iSgi  , 
Liituiauic!    *  le   Tsar   appela  au   Conseil ,    le  Clergé ,    les 
Boyards  ,   les   Dignitaires  et  résolut ,   de  ne 
faire  que  confirmer  et  prolonger  encore  pour 
douze  ans,  la  trêve  conclue  à  Varsovie  ,  avec 
la  nouvelle  clause   que  les  Suédois  ne  nous 
feraient  pas  la  guerre,  ni  nous  aux  Suédois 
pendant  l'espace  d'un  an.  Fédor,  se  confor- 
mant à  l'ancien  usage  ,  prêta  serment  de  rem- 
plir la  convention  ,   et  envoya  l'Okolnitchii 
Soltikoff  recevoir  à  son  tour  le  serment  réci- 
proque de  Sigismond. 

Tandis  que  la  Russie  n'avait  plus  d'enne- 


DE     RUSSIE.  iSy 

mis  à  combaltre ,  la  paix  élait  loin  île  rame 
du  Régenl.  Laissons  les  alfairesdc  la  polllique 
exk'iieiire  pour  parler  des  grands  événeniens 
qui  se  passaient  au  dedans  de  TEuipire. 

Cette  époque  est  celle  où  Boris  Godounoff, 
aux  yeux  de  la  Russie  et  de  toutes  les  puissan- 
ces qui  étaient  en  relations  avec  Moscou ,  avait 
alleint  le  liiîte  de  la  «randeur,  et  semblait  le  -^[^"''''"T'^^ 
maître  absolu  de  l'Etat  ;  il  ne  voyait  autour  de 
lui  que  des  serviteurs  muets  (107) ,  ou  qui  n'a- 
vaient de  voix  que  pour  exalter  ses  grandes 
qualités.  L'adulation  n'était  pas  circonscrite 
dans  le   palais  du  Kremlin  ;  dans  les  provin- 
ces voisines  ou  éloignées  de  la  Capitale  ,  hors 
même  de  la  Russie  ,  devant  les  Souverains  et 
ministres   étrangers  ,   les  envoyés  du   Tsar , 
suivant     leurs    instructions  ,    s'exprimaient 
ainsi  (108):  «  Boris  Godounoff  est  le  chef  de 
»  l'Etat  :  le  Souverain  lui  en  a  remis  les  rênes. 
»  11  y  a  établi  un  ordre  que  tout  le  monde  ad- 
»  mire  et  dont  chacun  se  réjouit.  L'armée ,  le 
»  commerce  et  le  peuple,  tout  prospère;  les 
«  villes    s'embellissent  d'édifices  en  pierre  , 
»  sans  contributions  ni  corvées;  les  ouvriers 
»  et  les  artistes  sont  richement  payés  des  re- 


ir)8  lîïsToir.  s 

»  venus  du  Tsar  ;  les  la[)()ureurs  vivent  dans 
»  l'aisance  et  ne  connaissenl  pas  d'impôts  ;  la 
»  justice  régne  parloul  ;  le  fort  ne  peut  op- 
»  primer  le  iaible;  Torplielin  pauvre  va  droit 
»  à  Boris,  se  plaindre  du  frère  ou  du  neveu 
»  de  ce  Boyard ,  qui  ,  véritablement  grand  , 
^>  donne  lort  à  ses  proches,  même  sans au- 
>»  cune  forme  de  procès  ,  car  il  a  de  la  partia- 
»  lité  pour  ceux  qui  sont  faibles  et  sans  défen- 
»  senrs  ».  Boris  étalait  ainsi  son  pouvoir  et 
sa  bienfaisance.  Non  moins  ambitieux  que 
rusé,  il  imagina  de  donner  un  nouvel  éclata 
sa  domination  par  une  innovation  impor- 
tante dans  la  hiérarchie  de  notre  Eglise. 

Le  nom  de  Patriarche  ne  désignait,  dans 
(lu.aiiuicat  j^^  premiers  temps  du  Christianisme,  que 
d'humbles  instituteurs  de  la  foi.  Mais,  dès  le 
quatrième  siècle,  il  devint  un  titre  éclatant 
des  premiers  pasteurs  de  l'Eglise ,  dans  les 
trois  parties  du  monde,  ou  dans  les  trois  villes 
ks  plus  imporiantes  de  l'Empire  chrétien  , 
Borne,  Alexandrie  et  Antioche.  Jérusalem, 
lieu  plein  de  saints  souvenirs,  et  Constanti- 
nople,  capitale  du  Christianisme  triomphant, 
furent  également  reconnus   comme   grands» 


Einlilisspmcrit 
(lu  l'alliai 
en  Kiiasit'. 


DE    RUSSIK.  i5q 

Palrlarcals.  La  Russie  n'ambilionna  pas  cet 
honiu'ur  depuis  le  temps  de  Saiiil-Yladimir 
jusqu'à  celui  de  Fédor.  La  lière  et  souveraine 
Byzance  n'aurait  pas  consenti  à  une  égalilé  de 
hiérarchie  avec  Kief  ou  Moscou;  nsais  By- 
zance, esclave  des  Ottomans  ,  ne  l'aurait  point 
refusé  à  Ivan  III ,  à  son  fils  et  à  son  petit-fils  ; 
ils  ne  l'avaient  pas  demandé,  peut-être  par 
rcspecl  pour  les  premiers  réglemens  de  notre 
Eglise,  on  dans  la  crainte  d'augmenter,  par 
ce  titre  pompeux,  le  pouvoir  ecclésiastique 
au  détriment  du  pouvoir  souverain.  Boris 
avait  d'aulres  idées.  Après  avoir  renversé  le 
métropolitain  Dionisi ,  et  l'avoir  ainsi  puni 
de  ses  intrigues  et  de  son  audace ,  il  n'avait  pas 
hésité  à  élever  à  cette  dignité  le  pacifique  Job 
qui  lui  était  dévoué.  Il  cherchait  en  lui  un 
puissant  appui  pour  ses  vastes  projets.  Joa- 
clîim,  patriarche  d'Aiitioche  ,  était  venu,  en 
i586,  à  Moscou,  pour  recueillir  des  aumônes. 
Le  Tsar  lui  témoigna  le  désir  d'établir  un  Pa- 
triarcat en  Russie  (io9\  Joachim  promit  d'en 
faire  la  proposition  an  concile  de  l'Eglise 
grecque,  et  il  la  ht  en  effet,  en  donnant  des 
éloges  à  la  pureté  de  notre  foi.  Au  mois  de 


iGo  HISTOIRE 

juillet  I  j88  ,  arriva  à  Moscou  ,  au  j^raiid  con- 
tentement de  Fédor  ,  Jéréniie  ,  patriarche  de 
Constantinoplc.  Toute  la  Capitale  fut  en  mou- 
vement,   lorsque  ce  prélat  de  la    Chrélienté 
(car  le   trône  archi-épiscopal    de   Constanti- 
noplc était  considéré  depuis  long-temps  com- 
me le  premier)  ,  ce  vieillard  ,  connu  par  ses 
malheurs  et  s(^s  vertus ,   traversa  les  rues  de 
•Moscou  ,   monté  sur  un  àne  ,  pour  se  rendre 
au  Kremlin  ,  regardant  avec  intérêt  sa  nom- 
breuse population  et  la  magnificence  de  ses 
églises,  et  bénissant  le  peuple  avec  attendris- 
sement. Il  était  suivi  par  Jérophée  ,  métropo- 
litiiin  de  Malvoisie,  et  Arsène   (no),  arche- 
vêque d'Elasson  ;   ces  deux  derniers  étaient  à 
cheval.   Lorsqu'ils  entrèrent  dans  le  Palais 
dore\  Fédor  se  leva  et  alla  au  devant  de  Jéré- 
luie  qu'il  rencontra  à  quelques  pas  du  trône  ; 
il  le  ht  asseoir  à  côté  de  lui ,  et  reçût  avec  bien- 
veillance les  dons  qu'il  lui  apportait  :  ils  con- 
sistaient en  une  image  renfermant  quelques 
gouttes  du  sang  du  Christ ,  et  des  reliques  de 
Saint-Constantin.  Il  ordonna  à  Boris  de  s'cn- 
1  retenir  en  parliculic;r  avec  le  Patriarche.  On 
le  conduisit  dans  une  autre  chambre  où  il  lui 


DE    RUSSir.  i6i 

raconta  son  histoire.  Jércmic  ,  après  avoir 
pendant  dix  ans  gouverné  TEglisc  ,  ayant  clé 
calomnié  par  un  Grec,  fut  exilé  à  llhodes  ,  et 
le  Sultan,  sans  égard  à  la  promesse  solennelle 
de  ^Mahomet  II ,  de  ne  point  se  mêler  des  at- 
fains  du  Clergé  chrétien  ,  éleva  Théotiple  au 
patriarcat.  Cinq  ans  après  ,  on  rendit  à  l'exilé 
le  rang  de  Hiéranjue  ;  mais  les  voûtes  de  l'an- 
cien temple  des  archevêques  de  Byzance  ,  re- 
tentissaient déjà  des  noms  d'Alla  et  de  Maho- 
met :  cette  église  était  devenue  une  Mosquée. 
C'est  par  mes  larmes, dit  Jérémie, que  j'ohtins 
du  cruel  Amurat  la  permission  d'aller  dans 
les  pays  chrétiens  recueillir  des  aumônes, 
pour  élever  un  nouveau  templeau  vrai  Dieu, 

>  dans  l'ancienne   Capitale  de  l'orthodoxie. 

>  Dans  quelle  au  Ire  conlrt-e  que  la  Russie  au- 
rais-jepu  trouver  du  zèle,  de  la  compassion 

>  etde  la  générosité  »  ?  Dans  le  cours  de  sa  con- 
versation avec  Godounoff ,  il  loua  l'idée  de 
Fédor  d'avoir  un  Patriarche  en  Piussie  ;  et  le 
rusé  Boris  en  proposa  la  dignité  à  Jérémie  lui- 
même  ,  à  condition  qu'il  hahiterait  Vladimir. 
Jérémie  accepta  le  Patriarcat  ,  mais  voulait 
habiter  la  résidence  du  Tsar  ,  c'est-à-dire  Mos- 

TOMF.  X.  II 


102  HISTOIRE 

COU  (i  1 1).  Godoiinoff  s'y  rclusa  ,  disant  qu'il 
éJait  injuste  d'éloigner  de  Moscou  et  du  tem- 
ple illustre  de  la  Vierge ,  un  homme  saint 
et  vertueux  comme  le  métropolitain  Job. 
11  ajouta  que  Jérémie ,  ne  connaissant  ni  la 
langue  ,  ni  les  usages  de  la  Russie  ,  ne  pouvait 
être  le  directeur  du  Tsar  dans  les  aiïaires  de 
l'Eglise  ,  sans  se  servir  d'un  interprète  auquel  j 
il  ne  convenait  pas  de  laisser  lire  dans  la  cons-  ' 
cience  du  Monarque.  «  Que  la  volonté  Sou-  . 
j>  veraine  s'accomplisse  ,  répondit  le  Patriar" 
»  elle  ;  chargé  des  pleins  pouvoirs  de  notre 
»  Eglise,  je  sacrerai  et  conlirmerai  par  Tins- 
»  j)iration  divine,  celui  que  choisira Fédor  ». 
Le  choix  n'était  pas  douteux;  mais,  pour  la 
forme  ,  les  Evéques  russes  nommèrent  trois 
candidats  ,  le  métropolitain  Job  ,  Alexandre  , 
archevêque  de  iNovgorod,  et  Varlaam  ,  arche- 
vêque de  Rostoff  lis  présentèrent  ces  trois 
noms  au  Tsar,  et  Job  fut  élu  (112).  Le  23  jan- 
vier 1589,  après  les  Vespres,  le  Patriarche  nou- 
vellement nommé  ,  célébra  un  Te  JJcuin  dans 
la  Basilique  de  l'Assomption.  Entouré  de  tous 
les  évéques ,  en  présence  du  Tsar  et  d'un  peu- 
ple nombreux ,  il  sortit  du  sanctuaire  et  se 


DE    BISSIK.  l63 

plaça  sur  une  estrade,  tenant  dans  une  de  ses 
mains  un  cierge  allumé  ,  et  dans  l'autre  une 
lettre  de  renierciniens  adressée  au  Souverain 
et  au  Clergé.  Dans  ce  moment  un  des  prin- 
ci  paux  dignitaires ,  tenant  également  un  cierge 
dans  sa  main  ,  s'approcha  de  lui  et  dit  à  haute 
voix  :  «  Le  Tsar  orthodoxe ,  le  Patriarche 
>'  œcuménique ,  et  le  Concile  sacré ,  t'élèvent 
»  au  Trône  patriarcal  de  Vladimir,  de  Moscou 
^>  et  de  toute  la  Russie  ».  Job  répondit:  «  Je  ne 
»  suis  qu'un  indigne  pécheur, maispuisquele 
»  Souvera i n ,  l'évèque  oocunKhi i que  Jérémie  et 
»  le  Concile  m'élèvent  à  une  dignité  aussi  im- 
»  portante,  je  l'accepte  avec  reconnaissance  ». 
Il  baissa  la  tète  avec  humililé  ,  et  se  tournant 
vers  le  clergé  et  le  peuple ,  il  prononça  le  ser- 
ment de  gouverner  avec  zèle  le  troupeau  que 
Dieu  lui  confiait.  C'est  ainsi  que  fut  accomplie 
l'élection.  La  consécration  solennelle  eut  lieu 
le  26  janvier  pendant  la  célébralion  de  la  Messe, 
avec  les  cérémonies  d'usage  aux  sacres  des  mé- 
tropolitains et  desévéques,  et  sans  aucun  chan- 
gement. Au  centre  de  la  cathédrale,  sur  le 
plancher,  était  tracée  à  la  craie  une  aigle  à 
deux  tètes,  et  s'élevait  une  estrade  de  douze 


iGf  HISTOIRE 

marches  ;  à  celle  place  ,  le  plus  ancien  des  pas- 
Icurs  de  rEglise  irOrient,  après  avoir  salué 
Job ,  comme  Vv'^iû  des  Palriarcîies  de  la  chré- 
lientc  ,  injposa  ses  mains  Ireniblantes  sur  sa 
lèle  ,  et  demanda  au  ciel  que  cet  Archevêque 
de  Jésus-Christ  devint  une  lumière  élern<dle 
de  la  foi.  Le  nouveau  patriarche  de  Moscou  , 
ayant  sur  la  tète  la  mitre  ornée  de  la  Croix  et 
d'une  couronne  (i  i3) ,   ofiicia  conjointement 
avec  celui  de  Byzance  ,  et  lorsque  roltice  fut 
terminé  et  qu'il  se  fut  dépouillé  de  ses  orne- 
nicns,  il  reçut  de  la  propre  main  du  Tsar,  une 
croix  précieuse  qui   renfermait  un  morceau 
de  la  vraie  Croix  ,  un  manteau  de  velours  vert 
avec  des  raies  brodées  en  perles,  et  lamitrc 
blanche  sur  laquelle  était  aussi  une  croix.  11 
lui  remit  la   crosse  du   métropolitain  Saint 
Pierre ,  et  lui  ordonna  de  porter   le  titre  de 
Chef  des  Evèques  ,  de  Père  des  Pères  et  de  Pa- 
triarche de  tous  les  pays  septentrionaux  ,  par 
la  grâce  de  Dieu  et  la  volonté  du  Tsar.  Job 
donna  sa  bénédiction  à  Fédor  et  au  peuple, 
et  le  chœur  chanta  l'hymne,  Inplurimos  annos^ 
en  l'honneur  du  Souverain  et  des  deux  arche- 
vêques de  Byzance  et  de  Moscou,  qui  étaient 


DE   RUSSIE.  l65 

nssis  à  coté  de  lui.  Job  ,  suivi  de  deux  Evequcs, 
des  Boyards  et  d'un  grand  nomljre  de  fonc- 
tionnaires, sortit  de  Téglisc,  et,  monté  sur 
un  ane  ,  il  lit  le  lour  des  murs  du  Kremlin  , 
en  les  aspergeant  d'eau  bénite  ,  les  bénissant 
de  la  croix  et  recitant  des  prières  pour  la  con- 
servation de  la  ville  (i  i4).  H  dîna  chez  le  Sou- 
verain ,  avec  Jérémie  et  avec  tout  le  Clergé  et 
les  autorités  séculières. 

Afin  de  consolider  la  dignité  et  la  supréma- 
tie de  l'Eglise  russe,  on  dressa  une  Charte (i  1 5) 
dans  laquelle  il  était  dit:  Que  l'ancienne  Rome 
étaittombéeparrhérésied'Appollinaire(i  i6); 
({ue  la  nouvelle  Piome,  Constantinople  ,  étiiit 
au  pouvoir  de  la  race  impie  des  Sarrasins  ; 
que  la  troisième  Rome  était  Moscou  ;  qu'au 
lieu  du  faux  chefde  l'Eglise  d'Occident,  Eglise 
obscurcie  par  de  fausses  doctrines,  le  premier 
prélat  œcuménique  était  le  patriarche  de  Cons- 
tantinople, le  second,  celui  d'Alexandrie  ,  le 
troisième,  celui  de  Moscou  et  de  toute  la  Rus- 
sie ,  le  quatrième,  celui  d'Antioche ,  et  le 
cinquième,  celui  de  Jérusalem  (117);  qu'en 
Russie  on  devait  prier  pour  les  Patriarches  de 
la  Grèce ,  et  en  Grèce  pour  le  nôtre  ,  qui  do- 


iGG  HISTOIRE 

irnavant  et  jiis{[a';i  la  lin  du  monde  ,  serait 
clioisl  cl  consacré  à  Moscou,  sans  avoir  be- 
soin du  consentement  ni  de  l'approhalion  des 
Grecs.  Onajoutad'autres  distinctions  extérieu- 
res à  la  dignité  de  Patriarche  de  notre  Eglise  ; 
on  régla  qu'il  ne  sortirait  que  précédé  d'une 
lampe  ,  au  milieu  des  chants  des  fidèles  et  au 
son  des  cloches;  qu'il  aurait  une  estrade  à  trois 
marches  sur  laquelle  il  se  revêtirait  ;  qu'il  por- 
terait,  les  jours  ordinaires,  un  bonnet  avec 
des  séraphins  ,  des  croix  et  un  manteau  rayé  ; 
que  lorsqu'il  marcherait ,  il  aurait  en  main  la 
croix  et  la  crosse,  et  qu'il  irait  à  six  che- 
vaux (ii8).  Ensuite  le  Souverain,  conjointe- 
ment avec  les  deux  Patriarches,  régla  qu'il  y 
aurait  en  Russie  quatre  Métropolitains,  sa- 
voir :  à  JSovgorod^  l\  Kazan^  à  Rosfoff  ei  à 
Kroutlisk  (119);  six  Archevêques,  dont  le 
siège  serait ,  à  J^ologda  ,  à  Sousdal ,  à  Nignîgo- 
rod ,  k  Srnolensk  ^  à  Re'zan  et  à  2'r^r  ;  et  huit 
Evèques,  dont  le  diocèse  serait  hPskoJ/,  à 
ii/V/  ,  à  Ousfioug  ,  à  Bicloozéro  ,  à  Kolornna  ,  à 
Dmitrefei  dans  le  pays  de  Secersk. 

Il  y  avait  plus  d'apparence  que  de  réalité 
dans  la  part  que  prenaient  à  ces  dispositions 


DE    RUSSIE.  167 

de  l'Eglise ,  Jérémie,  métropolitain  de  Mal- 
voisie et  rarchevèque  d'Elassou.  Cependant , 
ils  visitèrent  le  couvent  de  Saint-Serge  (120) , 
et  là  ,  comme  dans  les  églises  de  Moscou  ,  ils 
s'étonnèrent  de  la  richesse  des  images ,  des 
vases  et  des  habits  qui  servaient  à  roflice  divin. 
Dans  la  Capitale,  ils  dînaient  chez  le  patriar- 
che Job  ,  et  admiraient  la  sagesse  de  sa  con- 
versation. Ils  louaient  également  les  grandes 
qualités  de  Godounoif ,  et  l'esprit  distingué 
du  vieillard  André  Stchelkaloff;  mais  ce  qu'ils 
vantaient  le  plus  ,  c'était  la  générosité  des 
Russes;  car  on  leur  donnait  sans  cesse  des 
vases  de  prix  ,  des  perles,  des  étoffes  de 
soie  (121),  des  zibelines  et  de  l'argent.  Présen- 
tés à  la  Tsarine  ,  ils  furent  enchantés  de  sa 
piété  ,  de  sa  modestie,  de  sa  beauté  angélique, 
et  du  charme  de  ses  paroles;  ils  ne  le  furent 
pas  moins  de  la  magnificence  de  sa  parure. 
Elle  portait  une  couronne  avec  douze  pointes 
en  perles  ;  son  bandeau  et  la  chaîne  d'or 
qu'elle  avait  au  cou  étaient  ornés  de  pierres 
précieuses  ;  son  habit  était  de  velours  brodé 
en  grosses  perles,  et  son  manteau  n'était  pas 
moins  riche.  Le  Tsar  se  tenait  debout  à  côte 


lG8  HISTOIRE 

d'elle,  de  Tantre  côlé  élait  Boris  Godourioff , 
télé  nue  ,  et  dans  un  mainlien  modeste  etres- 
peclucLix  ;  plus  loin  (Haient  rangées  les  dames 
de  distinction,  en  vétemens blancs  et  les  mains 
jointes.  Irène  demanda  avec  ferveur  aux  prélals 
Grecs  ,  d'adresser  leurs  prières  au  Tout-Puis- 
sant, afin  qu'il  lui  accordât  un  fds  ,  héritier 
du  Trône;  «  et  nous  tous,  touchés  juscpi'au 
»  fond  du  cœur  (dit  rarchevéque  d'Elasson 
»  dans  la  description  de  son  voyage  à  Mos- 
»  cou  )  ,  confondant  nos  larmes  avec  les  sien- 
»  nés,  nous  demandâmes  unanimement  au 
»  ciel  qu'il  exauçât  la  prière  pure  et  fervente 
»  d'une  âme  aussi  pieuse  ».  Enfin,  au  mois 
de  mai  1089  ,  le  Tsar  permit  à  Jérémie  de  re- 
tourner à  Gonstantinople  ,  en  lui  remettant , 
pour  le  Sultan  ,  une  lettre  dans  laquelle  il  le 
conjurait  de  ne  point  opprimer  les  Chrétiens; 
outre  les  présens ,  il  y  envoya  mille  roubles 
ou  deux  mille  ilorins  hongrois  ,  pour  l'érec- 
tion d'une  nouvelle  église  Patriarcale.  Cette 
générosité  lui  mérita  la  plus  vive  reconnais- 
sance de  la  part  de  tout  le  Clergé  grec ,  qui  , 
par  une  Charte  du  Concile  ,  approuva  l'éta- 
blissement du  Patriarcat  à  Moscou  (122)  et  la 


DE     RUSSIE.  169 

fit  parvenir  à  Fédor  ,  au  mois  de  juin  1591  , 
par  le  métropolitain  de  Tcrnova ,  avec  des  re- 
liques et  deux  couronnes  ,  Tune  pour  le  Tsar 
et  Tautre  pour  la  Tsarine  (i23). 

C'est  ainsi  que  s'établit  une  nouvelle  supré- 
matie dans  notre  sacerdoce  ;  suprématie  ren- 
versée cent  dix  ans  après  ,  par  un  grand  mo- 
narque ,  comme  inutile  à  l'Eglise  ,  et  dange- 
reuse pour  la  puissance  des  Souverains,  quoi- 
que son  sage  instituteur  n'eut  donné  au  Clergé 
aucun  nouveau  pouvoir  politique,  et  qu'en 
changeant  seulement  un  titre  ,  il  eut  laissé 
le  hiérarque  dans  la  dépendance  absolue  du 
chef  de  l'Etat.  Pierre  I".  connaissait  l'histoire 
de  Nikon,  et  il  dkisa^  pour  l'affaiblir,  le  pou- 
voir ecclésiastique  ;  il  aurait  également  sup- 
primé le  rang  de  Métropolitain  ,  si,  de  son 
temps,  comme  dans  celui  d'Ivan  et  plus  an- 
ciennement encore  ,  nu  seul  Métropolitain  se 
lut  trouvé  à  la  tète  de  l'Eglise  russe.  Pierre 
régnait  et  ne  voulait  que  des  serviteurs  ;  Go- 
dounoff  était  encore  sujet  et  cherchait  un  ap- 
pui ,  prévoyant  des  événemens  où  l'amitié  de 
la  Tsarine  ne  suffirait  pas  à  son  ambition  et  à 
son  salut.    II   avait  comprimé   les   Boyards  , 


l'jO  HISTOIRE 

mais  il  voyait  au  fond  do  leurs  cœurs  la  haine, 
Tenvie,  et  un  juste  ressentiment  contre  l'as- 
sassin des  Scliouisky;  il  avait  des  amis  ,  mais 
qui  n'existaient  que  par  lui  et  qu'il  entraîne- 
rait dans  sa  chute,  ou  qui  le  trahiraient  dans 
un  changement  de  fortune;  il  comblait  le  peu- 
ple de  bienfaits  ,  mais  comptait  peu  sur  sa 
gratitude  ,  ayant  la  conscience  involontaire 
des  motifs  peu  vertueux  qui  le  portaient  au 
bien  ,  et  n'ignorant  pas  que  ce  peuple  ,  dans 
un  moment  critique ,  tournerait  ses  regards 
vers  les  Boyards  et  le  Clergé ,  pour  agir  d'après 
leur  impulsion.  Godounoff ,  dans  la  position 
de  Pierre  le  Grand ,  aurait  pu ,  comme  lui  , 
renverser  la  dignité  de  Patriarche,  mais  les 
circonstances  n'étaient  pas  les  mêmes  ;  il  vou- 
lut flatter  l'ambition  de  Job,  par  un  titre  écla- 
tant ,  et  se  ménager  en  lui  un  serviteur  plus 
zélé  et  plus  illustre  :  car  le  moment  décisif 
était  venu,  et  ce  Boyard  tout-puissant  osa 
enfin  soulever,  pour  son  ambition  ,  le  voile 
de  l'avenir. 

En  supposant  même  que  Godounoff,  maî- 
tre de  tout,  excepté  delà  couronne  de  Fédor, 
n'y   eût  point  prétendu  ,  encore  pouvait-il 


DE    RUSSIE.  171 

jouir  paisihlcmoiU  de  sa  f^randour,  eu  soii- 
gcaiil  à  la  niurl  prochaine  d'un  Monarque 
aussi  faible  de  corps  que  d'esprit,  à  riiérilier 
légitime  du  irone  ,  qui,  au  milieu  des  hon- 
neurs dus  à  son  rang ,  n'en  était  pas  moins 
exilé  ,  et  que  sa  mère  et  ses  parens  élevaient 
dans  la  haine  contre  le  régent,  et  dans  des 
sentimens  de  fureur  et  de  vengeance  ?  Si  Dmi- 
tri  venait  à  succéder  à  Fédor  ,  quel  sort  atten- 
dait Irène  ?  Un  couvent.  Et  Godounoff?  L;i 
prison  ou  l'échafaud ,  lui  qui  d'un  geste 
ébranlait  l'Etat ,  et  que  flattaient  les  Piois  de 
rOrient  et  de  l'Occident  !...  Déjà  les  faits 
avaient  dévoilé  l'àme  de  Boris  :  les  infortunés 
qu'il  redoutait,  avaient  péri  dans  les  cachots 
ou  sur  le  billot.  Et  quel  ennemi  était  plus 
dangereux  pour  lui  que  Dmitri  î 

INlais  l'àme  de  Godounoff  était  encore  dé- 
vorée de  désirs  insatiables.  Fier  de  ses  qualités 
brillantes  ,  de  ses  services ,  de  sa  gloire  et  des 
flatteries  dont  il  était  l'objet  ;  ivre  de  bonheur 
et  de  pouvoir ,  cédant  à  ce  charme  qui  en- 
traîne lésâmes  même  les  plus  nobles  ;  étourdi 
par  une  élévation  qu'il  n'avait  été  donné  d'at- 
teindre à  aucun  sujet  en  Pvussie,  Boris  portait 


i;^  HISTOIRE 

encore  plus  haut  ses  regards  et  ses  vues  ambi- 
tieuses :  quoiqu'il  gouvernât  en  maître,  ce 
n'était  point  en  son  propre  nom  ;  il  ne  bril- 
lait que  d'un  éclat  emprunté  ;  il  devait  se  con- 
traindre et  cacher  son  orgueil  sous  le  masque 
de  la  soumission  ,  s'abaisser  publiquement 
devant  l'ombre  du  Tsar  et  se  prosterner  devant 
elle  en  esclave.  Le  trône,  aux  yeux  de  Godou- 
noff,  n'était  pas  seulement  le  brillant  sanc- 
tuaire du  pouvoir;  c'était  aussi  le  paradis  de 
paix  ,  où  ne  pouvaient  atteindre  les  flèches 
empoisonnées  de  l'envie  ,  et  où  un  mortel 
jouissait ,  <'n  quelque  sorte ,  des  prérogatives 
de  la  divinité.  Cette  image  du  pouvoir  absolu 
avec  tous  ses  attraits,  s'offrait  chaque  jour 
avec  plus  de  force  àGodounoff;  elle  agitait 
de  plus  en  plus  son  cœur,  et  il  finit  par  n'avoir 
plus  d'autre  idée.  L'Annaliste  raconte  à  ce 
sujet,  un  fait  très-intéressant,  quoique  fort 
douteux  (124).  «  Boris,  malgré  l'esprit  supé- 
)'  rieur  dont  il  était  doué ,  croyait  aux  devins  ; 
)>  il  en  rassembla  plusieurs  au  milieu  de  la 
5>  nuit ,  et  leur  demanda  son  horoscope.  Les 
»  Devins  ou  les  Astrologues  ,  pour  le  flatter, 
«  lui  répondirent  :  c'est  la  couronne  qui  t'at- 


DE    RUSSIE.  iy3 

»  tond...  Mais  ils  se  lurent  loul-à-coiip  comme 
»  efTi'ayés  tle  ce  qu'ils  prévoyaient  encore, 
»  L'impatient  Boris  leur  ordonna  d'achever 
»  leur  prédiction  ,  et  il  apprit  qu'il  né  régne- 
»  rait  que  sept  ans;  transporté  de  la  joie 
»  la  plus  vive,  il  embrassa  les  Devins ,  en 
j>  s'écriant  :  ne  fut-ce  que  sept  jours  ,  pourvu, 
»  que  je  règne  »  !  Comme  si  Boris  avait  pu 
dévoiler  aussi  indiscrètement  les  senlimens 
de  son  ame  à  ces  prétendus  sages  d'un  siècle 
superstitieux!  Au  moins  il  ne  se  cachait  plus 
à  lui-même  ;  il  savait  ce  qu'il  voulait!  11  atten- 
dait la  mort  d'un  Souverain  sans  postérité  ;  il 
disposai!  de  la  volonté  de  la  Tsarine;  il  avait 
rempli  le  Conseil ,  la  Cour  et  les  Tribunaux  , 
de  ses  parens  et  de  ses  amis ,  et  ne  doutait  pas 
du  dévouement  de  l'illustre  Hiérarque  de 
l'Eglise;  il  comptait  aussi  sur  l'éclat  de  son 
gouvernement ,  et  inventait  de  nouvelles  ruses 
pour  s'emparer  de  l'amour  ou  de  l'imagina- 
tion du  peuple.  Boris,  a])rès  avoir  ainsi  tout 
préparé,  ne  s'effrayait  point  d'une  circons- 
tance sans  exemple  dans  notre  patrie  ,  depuis 
Rurik  jusqu'à  Fédor:  la  vacance  du  trône  par 
l'extinction  de  la  race  Souveraine.  Il  ne  redou- 


174  HISTOIRE 

tait  point  le  tumulte  des  passions  clans  le 
choix  d'une  nouvelle  dynastie  ;  et  fermement 
persuadé  que  le  sceplre  ,  tombé  des  mains  du 
dernier  prince  du  sang  de  Monomaque,  serait 
remis  à  celui  qui  régnait  déjà  depuis  long- 
temps et  avec  gloire ,  sans  porter  le  litre  de 
Souverain,  cet  ambitieux  effréné  ne  voyait 
entre  lui  et  le  Trône,  qu'un  en  fa  ni  sans  dé- 
fense ;  et,  comme  un  lion  féroce  ,  il  dévorait 

déjà  des  yeux  sa  proie La  perte  de  Dmitri 

était  inévitable. 

Pour  commencer  l'exécution  de  son  hor- 
rible dessein  ,  Boris  pensa  à  faire  déclarer  bâ- 
tard le  Tsarévitche ,  comme  élant  fils  de  la 
sixième  ou  septième  femme  d'Ivan  (i25).  Il 
défendit  de  prier  pour  lui  et  de  prononcer 
son  nom  dans  l'office  divin  ;  mais  il  considéra 
ensuite  que  ce  mariage,  quoiijue  réellement 
contraire  aux  lois ,  avait  été  confirmé  ou  to- 
léré par  l'autoi'ité  ecclésiastique  ;  que  celle-ci  , 
en  le  rompant,  ferait  un  aveu  humiliant  de 
sa  faiblesse  humaine  :  ce  qui  produirait  un 
double  scandale  dans  la  chrétienté  ;  que  d'ail- 
leurs Dmilri  n'en  resterait  pas  moins  Tsaré- 
Titche  ,  dans  l'opinion  publique ,  et  seul  suc- 


DE    RUSSIE.  1^5 

©fsscur  de  Fcilor.  Godounolf  recourut  dont 
au  moyeu  le  plus  sur  pour  écarter  un  compé- 
titeur. Il  se  préparait  une  excuse  dans  les  bruits, 
répandus  sans  doute  par  ses  amis  ,  sur  les  in- 
clinations perverses  et  cruelles  de  Dmitri , 
dans  un  âge  encore  teudre.  On  disait  tout 
haut  à  Moscou  (et  par  conséquent  sans  crainte 
d'olïenser  le  Tsar  ni  le  Piègent  ) ,  que  cet  en- 
fant ,  qui  n'avait  encore  c|ue  six  ou  sept  ans  , 
était  une  image  vivante  de  son  père;  qu'il  ai- 
mait le  sang  et  le  spectacle  des  tortures  ;  qu'il 
prenait  plaisir  à  voir  tuer  les  animaux ,  et  les 
tuait  lui-même.  On  voulait,  par  ces  men- 
songes, exciter  la  haine  du  peuple  contre 
Dmitri.  On  en  inventa  un  autre  pour  effrayer 
les  Grands:  on  disait  ([iie  le  Tsarévilche,  jouant 
un  jour  sur  la  glace  avec  d'autres  enfans,  or- 
donna de  faire  avec  de  la  neige  vingt  figures 
humaines,  leur  donna  le  nom  des  premiers 
hommes  de  l'Etat ,  et  après  les  avoir  fait  pla- 
cer en  rang ,  commença  à  les  sal)rer  ;  il  tran- 
cha la  tète  au  simulacre  de  Boris  Godounolf; 
à  d'autres,  il  coupa  les  mains  et  les  pieds,  en 
disant  :  «  Yoilà  le  sort  qui  vous  attend  lorsque 
»  je  régnerai  (126)  ».  Cependant  d'autres  dé- 


I-G  HISTOIRE 


mentaient  celle  absurde  calomnie  ,  (;t  affir- 
maient que  le  jeune  Tsarévitche  montrait  un 
cspril  et  des  qualités  dignes  d'un  iils  de  Sou- 
verain (127).  On  en  parlait  avec  une  compas- 
sion mêlée  de  crainte  ;  car  on  devinait  les  dan- 
gers que  courait  ce  malheureux  enfant ,  et  l'on 
ne  selrompa  point  sur  le  but  de  ces  calom- 
nies. Si  Godounoff  avait  jamais  eu  à  lutter 
contie  sa  conscience,  elle  élail  déjà  vaincue; 
ayant  préparé  la  crédulité  à  apprendre  sans 
frémir  le  crime  qui  allait  se  commettre  ,  il  te- 
nait en  mains  le  poison  et  le  fer  pour  Dmitri , 
et  ne  cherchait  plus  que  le  meurtrier  auquel 
il  devait  les  remettre. 

La  confiance  et  la  franchise  peuvent-elles 
s'accorder  avec  un  projet  aiîssi  odieux  ?  Cepen- 
danlBorisavailbesoin  d'aides;  il  s'ouvrit  donc 
à  ses  proches  ;  mais  l'un  d'eux,  le  grand  Maré- 
chal Grégoire  Godoiinoff ,  ayant  répandu  des 
larmes ,  arrachées  par  la  pitié ,  Thumanité  et 
la  crainte  de  Dieu  ,  on  l'éloigna  du  Conseil. 
Tous  les  autres  pensèrent  que  la  mort  de 
Dmitri  était  indispensable  à  la  sécurité  du 
Piègent  et  au  bien  de  l'Etat.  On  commença  par 
le  poison,  l.a  gouvernante  du  Tsarévitche  , 


DE     RUSSIE.  I-y 

Vassi lissa,  femme  du  boyard  Voloklioff  (128), 
<etson  fils  Joseph ,  s'clant  lâchement  vendus  à 
Godounoff,  lui  servirent  d'instrument.  Mais, 
dit  l'Annaliste ,  le  poison  n'agit  point  sur  l'en- 
fant (129).  Peut-être  la  conscience  arrêtait-elle 
encore  les  exécuteurs  de  ce  projet  digne  de 
renfer  ;  peul-èlre  une  main  tremblante  ne 
versait-elle  le^ poison  qu'avec  hésitation,  et  en 
diminuait  la  dose  ,  au  grand  mécontentement 
de  rimpatient  Godounoff  ([ui  résolut  de  se  ser- 
vir d'exécuteurs  plus  hardis.  Son  choix  tomba 
sur  deux  fonctionnaires,  Zagriasky  et  Tchept- 
chougoff ,  qui  étaient  comblés  des  bienfaits 
du  Régent  ;  mais  tous  les  deux  refusèrent  la 
proposition  qui  leur  fut  faite.  Prêts  à  verser 
leur  sang  pour  Boris  ,  ils  frémissaient  à  l'idée 
d'un  assassinat.  Ils  promirent  seulement  de  se 
taire  ,  et  dès  cet  instant  ils  furent  persécu- 
tés (i3o).  Alors  ,  le  plus  dévoué  des  complices 
de  Boris,  l'Okolnitcbeï  Klechnin  ,  menin  du 
Tsar,  présenta  un  homme  sur ,  le  diak  Bitia- 
gofsky  ,  dont  tous  les  traits  annonçaient  la  fé- 
rocité et  répondaient  de  sa  fidélité  dans  le 
crime.  Godounolf  lui  donna  de  l'or  à  pleines 
mains,  il  lui  en  promit  encore  davantage  et 
To3i£  X.  12 


l^S  HISTOIRE 


l'assura  de  l'impiinilé.  Il  ordonna  à  ce  monstre 
de  se  rendre  à  Ouglitchc  pour  s'y  occuper  des 
affaires  de  la  province  cl  de  la  Maison  de  la 
veuve  du  Tsar  ;  de  ne  jamais  perdre  de  vue  sa 
victime,  et  de  proiilcr  du  premier  moment 
favorable.  Biiiagofsky  promit  de  se  conformer 
à  cet  ordre  et  tint  parole. 

Avec  lui  arrivèrent  à  Ouglitche  son  fils  Da- 
niel et  son  neveu  Katchalolf ,  qui  ,  tous  deux, 
avaient  fenlière  confiance  de  Godounolf.  Le 
succès  paraissait  facile.  Ils  pouvaient  être  du 
matin  au  soir  chez  la  Tsarine,  ayant  le  soin  de 
ses  affaires  domestiques  et  l'intendance  de  ses 
gens  et  de  sa  table  ;  la  gouvernante  du  jeune 
Prince  les  aidant,  avec  son  fils,  de  ses  con- 
seils et  de  ses  actions  :  mais  une  tendre  mère 
veillait  sur  Dmitri!  Avertie  peut-être  par  quel- 
ques amis  secrets  ou  par  son  propre  cœur, 
elle  redoubla  de  soin  pour  son  fils  chéri.  Elle 
ne  le  quitUvit  ni  le  jour,  ni  la  nuit;  elle  ne 
sortait  de  sa  chambre  que  pour  aller  à  féglise; 
préparait  elle-même  et  seule  sesalimens,  et 
ne  le  confeait,  ni  à  la  perfide  Yolokhoff,  sa 
gouvernante,  ni  même  à  Irène  sa  nourrice  dé- 
vouée. Il  se  passa  un  temps  considérable  après 


DE    RUSSIE.  179 

lequel  les  assassins ,  ne  voyant  pas  la  possi- 
hilifé  de  commettre  leur  crime  en  secret  , 
résolurent  de  Texécuter  ouvertement ,  dans 
Tespoir  que  le  puissant  et  artificieux  Godou- 
nolT  trouVeraîl,  pour  sauver  son  honneur, 
un  nioye^i  de  déguiser  ce  forfait  aux  yeux 
d'esclaves  muets  ;  car  ils  ne  songeaient  qu'aux 
hommes  et  non  à  Dieu  !  Le  jour  affreux  ar-  Assassinat  ,hi 
riva,  qui  devait  éclairer  cet  atroce  attentat,  i^n^i'»- 
jour  non  moins  affreux  par  ses  longues  con- 
séquences! Le  1 5  mai ,  un  samedi ,  à  la  sixième 
heure  du  jour,  la  Tsarine  revenait  de  Téglise 
avec  son  fils  et  se  préparait  à  diner  (i3i).  Ses 
frères  ne  se  trouvaient  pas  au  Palais  ;  les  do- 
mestiques étaient  occupés  à  servir.  Dans  cet 
instant ,  la  gouvernante  Volokhoff  appelle 
Dmitri  pour  le  faire  promener  dans  la  cour  ; 
la  Tsarine  qui  voulait  le  suivre,  malheureu- 
sement distraite  de  cette  idée  ,  s'arrête.  La 
nourrice  voulait  retenir  le  Tsarévitche  sans 
aucun  motif  dont  elle  put  se  rendre  compte  , 
mais  la  gouvernante  l'entraine  par  force  dans 
le  vestibule  et ,  de  là,  sur  l'escalier  où  ils  ren- 
contrèrent Joseph  Volokhoff,  Daniel  Bitia- 
gofsky  et  Katchaloff.  Le  premier  ,  en  prenant 


iSo  HISTOIRE 

Dmilrl  par  la  main  lui  dil  :  «  Sei^^mciir,  vous 
»  avez  un  nouveau  collier  ».  L'eniant,  en  le- 
vant la  [vie  et  avec  le  sourire  de  l'innocence  , 
lui  répond  :  «  Non  ,  c'est  l'ancien  ».  Dans  ce 
moment  le  fer  assassin  le  frappe  ;  mais  après 
avoir  à  peine  effleuré  la  gorge  du  Prince  ,  il 
tombe  des  mains  de  Volokhoff   La  nourrice 
jette    des  cris  d'effroi ,  en  serrant  dans  ses 
bras  l'enfant  Souverain.  Yolokboff  prend  la 
fuite  ;   Mais  Daniel ,  Bitiagofsky  et  Katcbaloff 
arrachent  le  Tsarévitclie  à  sa  iiourrice,  le  poi- 
gnardent et  se  précipitent  au  bas  de  l'escalier  , 
au  moment  même   où  la  Tsarine  y  arrivait, 
sortant  du  vestibule.  Le  jeune  martyr,  âgé  de 
neuf  ans,  était  étendu  ensanglanté  dans  les 
bras  de  celle  qui  l'avait  nourri  ,  et  qui  avait 
voulu  le  défendre  aux  dépens  de  sa  vie.  //  pul- 
piia'd  cominc  une  colombe ,  et  il  exhala  son  der- 
nier soupir  sans  entendre  les  lamentations  de 
sa  mère  au  désespoir,  La  nourrice  montrait 
du  doigt  l'infâme  gouvernante,  troublée  par 
le  crime ,  et  les  assassins  qui  traversaient  la 
cour.  Personne  ne  se  trouva  là  pour  les  ar- 
rêter; mais  le  vengeur  céleste  était  présent. 
Un  moment  après  la  vilie  entière  offrit  l'as- 


DE     RUSSIE.  l8l 

pect  d'une  agitai  ion  inexprimable.  Le  mar- 
guillier  de  la  cathédrale,  soit  qu'il  eut  été, 
comme  on  le  dit,  témoin  de  l'assassinat,  soit 
qu'il  en  eut  été  instruit  par  quelques  servi- 
teurs de  la  Tsarine  ,  sonna  le  tocsin  ,  et  toutes 
]es  rues  se  remplirent  de  monde.  Saisis  d'éton- 
nement  et  de  frayeur,  tous  les  habitans  cou- 
raient vers  l'endroit  d'où  partaient  les  sons  de 
la  cloche.  On  cherchait  à  apercevoir  la  fu- 
mée ou  la  flamme  ,  croyant  que  le  feu  était  au 
palais.  On  en  brise  la  porte ,  et  l'on  voit  le 
Tsarévitche  étendu  mort  sur  la  terre  ;  auprès 
de  lui  étaient  sa  mère  et  sa  nourrice  sans  con- 
naissance ;  mais  les  noms  des  assassins  avaient 
déjà  été  prononcés  par  elles.  Ces  monstres  , 
désignés  à  une  juste  punition  par  un  juge  in- 
visible ,  n'eurent  pas  le  temps  de  se  cacher  , 
ou  ne  l'osèrent  pas,  de  peur  de  découvrir  par 
là  le  crime  qu'ils  venaient  de  commettre.  Dans 
le  trouble  et  l'effroi  que  leur  causèrent  le  toc- 
sin, le  bruit  et  l'effervescence  du  peuple  ,  ils 
se  réfugièrent  dans  l'Hôtel-de-Ville ,  et  leur 
chef  secret,  Michel  Bitiagofsky ,  courut  au 
clocher  pour  arrêter  le  sonneur  ;  mais  il  ne 
put  enfoncer  la  porte  que  celui-ci  avait  fer- 


l82  HISTOIRE 

niée.  Il  alla  de  là,  sans  crainte,  au  Heu  on  le 
crime  s'clait  commis,  s'approcha  du  cadavre, 
et  voulant  calmer  rexaspération  du  peuple  par 
un  mensonge  concerté  d'avance  avec  Klechnia 
ou  avec  Godounoff,  il  osa  dire  aux  citoyens 
que  l'enfant  s'était  tué  lui-même  avec  un  cou- 
teau, dans  un  accès  d'épi  le  psie.  «  Meurtrier  !  » 
s'écrièrent  mille  voix,  et  des  pierres  volèrent 
sur  le  scélérat.  Il  chercha  un  asile  dans  le  pa- 
lais avec  un  de  ses  complices,  Daniel  Trélia- 
koff;  mais  le  peuple  s'empara  d'eux  et  les 
massacra,  ainsi  que  le  lils  de  Bitiagofsky,  et 
Katchaloff ,  après  avoir  forcé  la  porte  de  l'Iio- 
tel-de-Yille.  Le  troisième  des  assassins,  Joseph 
Tolokhoff ,  se  cacha  dans  la  maison  de  Michel 
Bitiagofsky  ;  on  le  prit  et  on  le  mena  dans 
l'église  du  Sauveur  où  se  trouvait  déjà  le  cer- 
cueil de  Dmitri ,  et  là  on  l'immola  aux  yeux 
de  la  Tsarine.  On  tua  également  les  domes- 
tiques de  Michel  et  trois  bourgeois  qui  étaient 
convaincus  ou  soupçonnés  d'intelligence  avec 
les  assassins,  de  même  qu'une  femme,  préten- 
due inspirée ,  qui  demeurait  dans  la  maison 
de  Bitiagofsky  ,  et  qui  allait  souvent  au  palais. 
On  conserva  la  vie  à  la  gouvernante  pour  avoir 


DE   RUSSIE.  l83 

d'elle  de  plus  amples  informations  ;  car  les 
scélérats  avaient,  à  ce  qu'on  dit,  avant  de 
mourir  (i32)  ,  allégé  leur  conscience  par  un 
aveu  sincère ,  et  avaient  nommé  Boris  Godou- 
noif  comme  premier  coupable  de  la  mort  de 
Dmitri.  Il  est  probable  que  la  gouvernante  ef- 
frayée ne  niait  point  cet  infernal  complot  ; 
mais  le  juge  de  ce  crime  était  le  criminel  lui- 
même. 

Après  avoir  assouvi  sa  vengeance,  illégale 
quoique  juste,  le  peuple  pouvait  être  excusé 
par  le  sentiment  qui  l'avait  conduit ,  mais  il 
était  coupable  devant  la  loi.  Il  se  calma  toute- 
fois, et  attendit  avec  inquiétude  des  nouvelles 
de  Moscou,  où  les  commandans  avaient  en- 
voyé un  courrier  avec  le  rapport  exact  du  fu- 
neste événement  ,  rapport  où  rien  n'était 
dissimulé  et  qu'ils  adressaient  directement  au 
Tsar.  Mais  Godounoff  avait  tout  prévu;  des 
officiers  dévoués  étaient  placés  sur  la  route 
d'Ouglitche  ;  ils  arrêtaient  tous  les  passans  , 
les  questionnaient,  les  visitaient.  Ils  retin- 
rent le  courrier  et  l'amenèrent  à  Boris.  Les 
désirs  de  l'ambitieux  étaient  accomplis!....  Il 
ne  s'agissait  plus  que  de  masquer  la  vérité  par 


t84  histoire 

une  imposture  ,  sinon  pour  convaincre  la  na- 
tion ,  du  moins  pour  la  Torme  el  la  bienséance. 
On  s'empara  des  lettres  qui  arrivaient  d'Ou- 
glitche,  et  l'on  en  écrivit  d'autres  à  la  place. 
On  y  disait  que  le  Tsarévitche  s'était  tué  avec 
un  couteau  ,  dans  un  accès  d'épilepsie  ,  et  que 
ce  malheur  élait  arrivé  par  la  négligence  des 
ISagoï  qui ,  voulant  cacher  leur  faute  ,  avaient 
impudemment    accusé    le    diak    Bitiagofsky 
et  ses  proches  ,  de  l'assassinat  de  Dmilri  , 
ameuté  le  peuple  et  sacrifié  les  innocens.  Go- 
dounoff  se  lîàta  de  se  présenter  à  Fédor  avec 
le  rapport  mensonger.  Il  montrait  une  aîïlic- 
tion  hypocrite  ;  il  tremblait,  levait  les  yeux  au 
ciel ,  et  en  prononçant  le  terrible  mot  de  la 
mort  de  Dmilri ,  il  confondit  ses  larmes  de 
crocodile  avec  les  larmes  sincères  d'un  bon  et 
tendre  frère.  Le  Tsar,  d'après  le  témoignage 
de  l'Annaliste,  pleura  amèrement,  garda  long- 
temps le  silence  et  dit  enfin  :  «  Que  la  volonté 
de  Dieu  soit  faite  »  !  Il  crut  tout  ce  qu'on  lui 
dit.  Mais  la  Russie  exigeait  quelque  chose  de 
plus.  On  feignit  de  mettre  du  zèle  à  la  rechei^ 
che  de  toutes  les  circonstances  de  ce  malheur  ; 
et,  sans  perdre  de  temps,  on  envoya  à  Ou- 


DE     RUSSIE.  l85 

«^lilchc  deux  dignilairos  de  l'Etat  :  el  lesquels  ? 
L'Okolnitclieï  André  Kleehnin  ,  prineipal 
compliee  de  Boris  ;  on  ne  fut  pas  élonné  de  ee 
choix ,  mais  on  le  fut  de  l'autre  qui  était  tom- 
bé sur  le  boyard  prince  Basile  Scliouisky ,  dont 
le  frère  aine,  le  prince  André  avait  péri  vic- 
time de  Godounoif,  et  qui  lui-même,  ayant 
été  en  disgrâce  pendant  plusieurs  années  , 
avait  attendu  sa  perte  du  Régent.  Mais  le  rusé 
Boris  s'était  déjà  réconcilié  avec  ce  prince 
ambitieux  ,  léger,  spirituel  et  sans  principes, 
de  même  qu'avec  son  frère  cadet  Dmitri ,  qu'il 
avait  marié  avec  sa  jeune  belle-sœur,  et  qu'il 
avait  élevé  à  la  dignité  de  Boyard.  Godounoff 
connaissait  les  hommes ,  et  il  ne  se  trompa 
point  sur  le  compte  du  prince  Basile  ,  en 
même  temps  qu'un  pareil  choix  semblait 
prouver  de  sa  part  une  parfaite  absence  de 
crainte  et  de  partialité.  Le  19  mai  au  soir,  le 
prince  Schouisky,  Kleehnin  et  le  diak  Vilous- 
guin  arrivèrent  à  Ouglitclie,  ayant  avec  eux 
le  métropolitain  de  Kroulitzi ,  et  descendirent 
droit  à  l'église  de  la  Transfiguration. 

Le  corps  tout  sanglant  de  Dmitri  y  était  en- 
core exposé  ,  et  sur  lui  se  trouvait  le  fer  de 


I S6  II I  s  j-  O  I  R  E 

l'assassin.  La  mère  inforliinéc,  ses  parens  et 
tous  les  !)ons  ciloyens  l'arrosaient  de  leurs 
larmes.  Schoiiisky  ,  avec  des  témoignages  de 
sensibilité ,  s'approche  du  cercueil ,  pour  exa- 
miner le  visage  du  défunt  et  sa  blessure  ;  mais 
Klechnin,  ayant  aperçu  cette  figure  sur  la- 
quelle était  empreinte  une  douceur  angélique, 
et  voyant  le  sang  et  le  fer  ,  trembla  de  tous  ses 
membres,  resta  comme  pétrifié  et,  répandant 
des  larmes,  ne  put  proférer  un  seul  mot  ([33)  : 
il  avait  encore  de  la  conscience.  La.  blessure 
profonde  de  Dmitri ,  sa  gorge  qu'on  voyait 
bien  avoir  été  coupée  par  la  main  vigoureuse 
d'un  scélérat  et  non  par  celle  d'un  enfant, 
prouvaient  l'assassinat  d'une  manière  irrécu- 
sable ;  c'est  pourquoi  on  se  hâta  de  livrer  à  la 
terre  les  restes  sacrés  de  l'innocence  ;  le  Mé- 
tropolitain les  inhuma,  et  le  prince  Schouisky 
commença  son  interrogatoire  ,  monument 
d'impostures,  conservé  par  le  temps,  comme 
pour  justifier  les  calamités  qui,  quelques  an- 
nées après,  tombèrent  sur  la  tète,  déjà  cou- 
ronnée, de  ce  courtisan  si  criminel  dans  sa 
faiblesse.  Après  avoir  assemblé  le  Clergé  et 
les  citoyens,  il  leur  demanda:  «  Comment,  par 


DE     RUSSIE.  187 

»  la  négligence  des  Nagoï,  Dmitri  a-t-il  pu  se 
»  tuer  ?(iv^4)" Les  moines,  les  prèlreSj  les  hom- 
mes et  les  femmes,  les  vieux  et  les  jeunes,  tous 
répondirent  unanimement:  «  IjcTsarévilchc  a 
»  été  tué  par  Michel  Biliagofsky  et  ses  cornpli- 
»  CCS,  et  par  V ordre  de  Boris  GodowiofJ  (  1 35)  ». 
Schouisky  ne  voulut  pas  en  entendre  davan- 
tage ;  il  les  congédia,  et  résolut  de  continuer 
son  interrogatoire  non  publiquement,  mais 
en  secret  et  en  particulier,  et  de  faire  agir  les 
menaces  et  les  promesses.  Il  appelait  qui  il 
voulait  et  écrivait  ce  que  bon  lui  semblait. 
Enlin,  il  composa,  avec  Klechnin  et  le  diak 
Yilousguin,  le  rapport  suivant  au  Tsar,  fondé, 
à  ce  qu'il  prétendait,  sur  les  preuves  qui  lui 
avaient  été  fournies  par  les  fonctionnaires  de 
la  ville,  la  gouvernante  Yoloklioff ,  les  enfans 
Boyards  du  Tsarévitclie,  Irène,  la  nourrice 
de  Dmitri,  la  femme  de  charge,  Marie  Sa- 
moïloff ,  les  deux  Nagoï  ,  Grégoire  et  André  , 
des  sommeil lers  de  la  Tsarine  ,  ses  domes- 
tiques ,  quelques  citoyens  et  quelques  moines. 
«<  Mercredi,  12  mai,  Dmitri  tomba  malade 
j)  d'un  accès  d'épilepsie  ;  vendredi  il  se  trouva 
»  mieux  ,  sortit  avec  la  Tsarine  pour  aller  i 


1^8  HISTOIRE 

»  la  Messe  et  se  promena  dans  la  conr;  samedi, 
»  également  après  la  Messe  ,  ii  se  promena 
»  dans  la  cour  avec  sa  gouvernante  ,  sa  nour- 
>>  rice  ,  la  femme  de  charge ,  les  jeunes  enfans 
»  Boyards;  il  commença  à  jouer  avec  eux ,  un 
»  couteau  à  la  main  ,  et ,  dans  un  nouvel  accès 
»  d'épilepsie  ,  il  se  perça  la  gorge.  Il  se  débattit 
»  long-temps  à  terre  et  enfin  expira.  Dmitri  , 
»  qui  était  depuis  quelque  temps  atteint  de 
»  cetîe  maladie ,  avait  déjà  anlérîeurement 
»  blessé  sa  mère  ;  un  autre  jour,  il  avait  rongé 
»  la  main  de  la  fille  d'xVndré  Nagoï.  La  Tsa- 
>)  ri  ne  ,  ayant  appris  le  malheur  arrivé  à  son 
»  fils ,  accourut  et  commença  à  battre  la  gou- 
«  vernante,en  disant  qu'il  avait  été  assassiné 
»  par  Yolokhoff ,  Katchaloff  et  Daniel  Bitia- 
«  gofsky,  dont  pas  un  seul  n'était  présent. 
>>  Mais  la  Tsarine  et  son  frère  Michel  P^agoï, 
»  qui  était  ivre ,  ordonnèrent  de  les  massa- 
»  crer,  de  même  que  le  diakBitiagofsky,  sans 
«  qu'ils  fussent  coupables ,  uniquement  parce 
»  que  cet  homme  dévoué  ne  satisfaisait  point 
»  à  l'avarice  des  Nagoï  et  ne  leur  donnait  pas 
»  d'argent  au-delà  de  l'ordonnance  du  Tsar. 
»  Michel  Nagoï  ayant  appris  que  des  dignilai- 


DE   RUSSIE.  l8g 

ï»  ros  du  Tsar  allaient  arriver  à  Oiiglilche  ,  fit 
^)  apporter  quelques  arquebuses  ,  quelques 
j>  couteaux,  uue  massue  en  fer,  les  iil  ensan- 
»  glanler  et  déposer  sur  les  corps  de  ceux  (pii 
»  avaient  élé  tués,  comme  des  témoignages 
j>  de  leur  prétendu  crime  ».  Cette  absurdité 
était  confirmée  par  les  signatures  de  Théodo- 
rite  ,  archimandrite  de  Yoskresensk,  de  deux 
abbés,  et  du  confesseur  des  iSagoï,  qui  Tap- 
posèrent  par  crainte  ,  et  par  faiblesse  de  ca- 
ractère ;  ce  fut  ainsi  que  le  témoignage  una- 
nime de  la  vérité  fut  étouffé.  On  n'inscrivit 
les  réponses  de  Michel  Nagoï,  que  comme 
celles  d'un  véritable  calomniateur  qui  s'opi- 
niàtrait  à  dire  que  Dmitri  avait  péri  par  les 
mains  des  scélérats. 

Schouisky ,  revenu  à  Moscou ,  présenta  le  2 
juin  son  interrogatoire  au  Monarque  ;  celui- 
ci  le  renvoya  au  Patriarche  et  aux  Evéques, 
qui ,  réunis  en  Conseil  avec  les  Boyards  ,  or- 
donnèrent d'en  faire  la  lecture  au  diak  Basile 
Stclielkaloff.  Après  en  avoir  pris  connaissance 
Gélasi,  métropolitain  de  Kroutitzi,  dit  à  Job: 
«  Je  déclare  au  Saint  Concile  ,  que  le  jour  de 
»   mon  départ  d'Ouglilche,  la  Tsarine  douai- 


ir)0  HISTOIRE 

»  rière,  nie  fit  venir  aiipt'ès  d'elle,  et  me  con- 
»  jura  de   calmer  la   colère  du   Souverain  , 
«  contre  ceux  qui  avaient  massacré  le  diak 
»  Bitiagofskyetsescompagnons;  qu'elle  voyait 
»  elle-même  que  cette  affaire  était  criminelle, 
»  et  qu'elle  suppliait  humblement  le  Monar- 
»  que  de  ne  point  faire  périr  ses  parens  ».  Le 
rusé  Gélasi  ayant  probablement  dénaturé  les 
paroles  de  celte  mère  infortunée,  présentai 
Job  un  nouveau  papier  de  la  part  de  l'inten- 
dant  d'Ougîitche  ,   qui  disait  :   que  Dmitri 
était  effectivement  mort  dans  un  accès  d'épi- 
lepsie  et  que  Michel  Nagoï,  ivre ,  avait  ordon- 
né de  massacrer  des  innocens. . .  Et  le  Conseil 
ecclésiastique   (  souvenir   douloureux    pour 
l'Église  !  )  présenta  à  Fédor  un  rapport  conte- 
nant ces  mots:  «  Que  la  volonté  du  Tsar  s'ac- 
»  complisse  ,  quant  à  nous,  nous  nous  soni- 
»  mes  convaincus  que  la  vie  du  Tsarévitche 
»  s'est  terminée  par  la  volonté  de  Dieu  ;  que 
»  Michel  Nagoï  est  l'auteur  de  l'horrible  mas- 
»  sacre  qui  a  eu  lieu  ;  qu'il  n'a  agi  que  d'après 
»  les  inspiiationsde  son  inimitié  personnelle; 
»  au'il  s'était  concerté  avec  des  méchants  as- 
»  trologues  ,  André  Motchaloff  et  d'autres  ; 


DE     RUSSIE.  igi 

»  et  que  les  citoyens  d'Ouglitche  ,  ainsi  que 
)  lui ,  mériteraient  le  supplice  pour  Icurtra- 

>  ///Vowetleur  crime.   Mais  celte  alTaire  est 
entièrement  séculière  et  ne  doit  être  jugée 

>  que  par  Dieu  et  le  Souverain  dans  les  mains 
)  duquel  est  le  pouvoir  de  punir  et  de  faire 
)  grâce.    Quant  à  nous,   nous   ne  pouvons 

>  qu'adresser  nos  prières  au  ciel  pour  la  con- 

>  serval  ion  des  jours  du  Tsar  et  de  la  Tsarine, 
)  et  pour  le  bonheur  et  la  tranquillité  de  la 

>  nation  ».  Fédor  ordonna  aux  Boyards  de 
juger  celte  affaire  et  de  livrer  au  supplice  les 
coupables  On  amena  à  Moscou  les  Nagoï,  la 
nourrice  de  Dmilri ,  son  mari  et  le  prétendu 
astrologue  iNIotchaloff.  Ils  étaient  fortement 
enchaînés.  On  les  interrogea  de  nouveau,  on 
les  tortura  et  principalement  Michel  Nagoï  , 
sans  pouvoir  obtenir  de  lui  le  faux  aveu  du 
suicide  de  Dmitri  (i3G).  Enfin  on  exila  tous  les 
Nagoï  dans  des  villes  éloignées,  et  on  les  en- 
ferma dans  des  prisons.  La  Tsarine  douairière, 
forcée  de  prendre,  le  voile,  fut  menée  dans 
le  sauvage  couvent  de  Saint-Nicolas  sur  la 
Vlksa  ,  près  de  Tchérépovetz.  Les  corps  du 
scélérat  Bitiagofsky  et  de  ses  complices ,  que  le 


If)^  HISTOIRE 

peuple  d'Oiif^lilchc  avait  jelcs  dans  une  fosse  , 
en  furent  retirés  ,  portés  à  l'église  et  enterrés 
avec  de  grands  honneurs.  Les  citoyens  de  cette 
ville,  déclarés  meurtriers,  furent  suppliciés 
au  nombre  de  deux  cents  ;  d'autres  eurent  la 
langue  coupée;  plusieurs  furent  exilés  et  la 
plupart  transportés  en  Sibérie  pour  peupler 
la  ville  de  Pélim  (iSy).  La  rigueur  fut  telle  que 
l'ancienne  et  grande  ville  d'Ouglitche  qui 
avait  renfermé,  si  l'on  ajoute  foi  à  la  tradition, 
cent  cinquante  églises  et  trente  mille  liabi- 
tans,  devint  à  jamais  déserte,  pour  servir  de 
monument  à  la  terrible  colère  de  Boris  ,  con- 
tre ceux  qui  avaient  osé  mettre  son  forfait  au 
jour.  Il  ne  resta  que  des  ruines  pour  implorer 
la  vengeance  céleste. 

Godounoff  montrait  la  même  audace  à  ré- 
compenser le  crime  qu'à  punir  la  vertu.  Il 
donna  de  riches  domaines  à  l'inûime  gouver- 
nante Yoloklîoff ,  à  la  femme  et  aux  filles  de 
Bitiagofsky  (i38)  ;  il  comblait  de  présens  les 
membres  du  Conseil  et  tous  les  grands  digni- 
taires (iSg).  Il  les  flattait  et  leur  donnait  de 
magni^ques  repas.  Le  seul  dont  il  ne  put  par- 
venir à  calmer  la  conscience,  fut  Klechnin  qui 


DE    RUSSIE.  If)1 

mourut  moine  quelques  années  après,  dévoré 
(le  remords.  Cependant,  au  milieu  du  silence 
de  la  Cour  et  de  TEgiise  ,  on  entendait  le 
murmure  du  peuple  qui  n'avait  été  trompé, 
ni  par  Tinstruction  de  Taffaire  suivie  par 
Sehouisky  ,  ni  par  le  jugement  des  pères  de 
FKglise,  [li  par  lacondanination  prononcée  par 
les  Boyards.  Les  espions  de  Boris  entendaient 
parler  à  demi-voix  de  llioiTiblc  assassinat ,  de 
son  secret  auteur  (l^o)  »  <-"  triste  aveuglement 
du  Tsar  et  de  la  vile  bassesse  des  Grands  et  du 
Clergé;  ils  ne  voyaient  dans  la  foule  que  des 
figures  sur  lesquelles  était  peinte  la  tristesse. 
Boris  était  touraienît'  de  ces  bruits,  lorsque 
riiorrible  désastre  (jui  vint  ravager  la  Capi- 
tale, lui  fournit  le  moyen  de  les  faire  cesser. 
La  veille  du  jour  de  la  Trinité  ,  pendant  Tab-  ./"'-«'^^'^  J« 
sence  du  jMonar([ue  ,  qui  élait  allé  avec  les 
Boyards  au  couvent  de  Saint-Serge,  un  incen- 
die éclata  dans  la  cour  des  Carrossiers.  Dans 
quelques  heures,  les  rues  de  l'Arbate  ,  de  la 
Nikitskaïa ,  de  la  Tverskaïa  ,  de  la  Pétrofskaïa , 
toute  la  ville  Blanche,  les  Slobodes  des  Stre- 
leiz  (i/fi),  les  maisons,  les  boutiques,  les 
églises  furent  réduites  en  cendres ,  et  im  grand 
Tome  X.  i3 


iqJ.  lusTOir.  t: 


iivOîiibrc  dliabllaiis  puril  dans  les  flammes.  Le 
Kremlin  et  Kitaï,  où  demeurait  la  noblesse, 
furent  épargnés;   mais  les  eiloyens  restèrent 
sans  abri ,  et  plusieurs  sans  ressourees.  Les 
cris  et  les  gémissemens  se  faisaient  entendre 
au  milieu  de  ces  cendres  fumantes,  et  le  peu- 
ple courait  en  foule  sur  le  chemin  du  couvent 
de  Saint-Serge  à  la  rencontre  du  Souverain, 
pour  implorer.sv'.ç /«<6't/r.vet  des  secours.  Mais 
Boris  Jes  empêcha  de  parvenir  jusqu'au  Mo- 
narque; il  se  montra  au  milieu  d'euxavec  l'air 
de  l'amour  et  de  la  pitié,  écouta  toutes  leurs 
réclamations  ,    fit  des    promesses   à  tout  le 
inonde  ,  et  les  remplit.  Il  fit  reconstruire  des 
rues  entières  ,  distribua  de  l'argent  et  des  dis- 
penses d'impôts.  Enfin  ,  il  fit  preuve  d'une 
telle  générosité  que  les  habitans  de  Moscou  , 
consolés  et  élonnés  de  tant  de  bienfaits,  com- 
mencèrent à  louer  sincèrement  GodounolT, 
On  ne  sait  si  c'est  le  hasard  qui  lui  procura 
cette  occasion  de  conquérir  l'amour  du  peu- 
ple ,  ou  s'il  fut  l'auteur  secret  du  désastre  de 
la  Capitale  ,   comme  le  soutien  l'Annaliste  et 
comme  le  croyaient  plusieurs  de  ses  contem- 
porains (i/j  2).  Dans  les  actes  officiels  il  esl  dit: 


DE    RUSSIE.  If)5 

«  Que  des  sccl('rat§  avaient  mis  le  feu  à  Mos- 
»  cou  ».  Mais  Boris  tourna  ce  soupçon  contre 
ses  ennemis.  On  s'empara  des  gens  d'Athanase 
Nagoïet  de  ceux  de  ses  frères;  on  les  mit  à  la 
question  et  on  répandit  le  bruit  qu'ils  avaient 
Conf<  ssé  ce  crime.  Pourtant  on  ne  les  exécuta 
pas, et  raHaire,  non  éclaircie,  est  demeurée  un 
sujet  de  doute  pour  la  postérité. 

Bientôt,  conmie  pour  favoriser  Godounoff,  i„v.ision  du 
un  autre  événement,  en  menaçant  Moscou  et  l!,''']é\,,î^^p^!fr" 
toule  la  ]\ussie  d'un  grand -tlanger,  vint  y  ^"J^'^io*«=""- 
porter  le  trouble  et  distraire  Tatlention  du 
peuple  de  fborrible  mort  de  Dmitri  ;  cetévé- 
iiement  fut  l'irruption  des  barbares.  Le  khan 
Kazi-Ghiréï,  tout  en  trompant  Fédor,  par  de 
fausses  assurances  d'amitié,  entretenait  des 
rapports  avec  le  Roi  de  Suède  (i4^^)-  H  lui  de- 
ir.andait  de  l'or  et  lui  promettait  de  fcrire 
trembler  Moscou  par  une  invasion  terrible, 
à  laquelle  il  se  préparait  effectivement.  Il 
obéissait  aux  ordres  du  Sultan,  notre  ennemi, 
et  lui-même  était  mécontent  de  laPiussie.  Son 
premier  grief  était  que  nous  avions  averti  les 
Seigneurs  Lithuaniens  de  son  projet  de  mar- 
cher contre  leur  pays,  et  que  nous  leur  avions- 


igG  HISTOIRE 

proposa*  tie  réunir  nos  forcos,  pour  porter  la 
guerre  dans  la  Tauride  ;  ce  dont  il  avait  pro- 
bablement été  instruit  par  le  Roi  Sigisrnond. 
Son  second  reproche  était ,  que  Fédor  n'avait 
pas  permis  au  tsarévitche  Mourat  de  rejoin- 
dre le  Khan  qui  était  parvenu  à  obtenir  de  son 
neveu,  l'oubli  du  passé ,  et  qu'il  voulait  élever 
à  la  dignité  de  Kalga  ou  principal  Seigneur 
de  la  horde  Taurique.  Mourat  habitait  Astra- 
khan ,  servant  toujours  la  Puissie  avec  lidélité 
et  tenant  les  ISogais  en  respect,  lors([u'au 
grand  regret  de  Fédor ,  il  mourut  de  mort 
subite  ,  empoisonné  ,  comme  on  le  suppose  , 
par  des  scélérats  envoyés  de  Crimée.  Mais  le 
Khan  soutenait  que  c'étaient  les  Russes  (jui 
avaient  empoisonné  Mourat;  et  il  ht  serment 
de  le  venger.  Le  troisième  motif  de  l'arme- 
ment de  Kazi-Ghiréï  contre  la  Russie  ,  était 
que,  dans  l'opinion  de  ses  Mourzas,  tout  bon 
Khan  était  ot^ligé  ,  par  un  ancien  usage  ,  de 
voir,  ne  fut-ce  qu'une  fois,  les  bords  de  l'Oka, 
pour  acquérir  ime  renommée  jnililaire  (i44}« 
La  vérité  est  qu'ils  voulaient  faire  un  riche 
l)utin  sur  nous  ,  et  qu'ils  ajoutaient  loi  à  un 
ambassadeur  Suédois  qui  se  trouvait  chez  eux, 


DE   RT  SSir..  If)y 

ri  qui  leur  disait  que  toute  notre  armée  était, 
occupée  à  la  guerre  que  le  Tsar  faisait  à  son 
maître.  iSous  entretenions  toujours  des  amis 
et  des  espions  en  Crimée  ,  non  seulement 
pour  connaître  toutes  les  actions  des  Khans  , 
mais  même  pour  être  instruits  de  leurs  projets. 
A  celle  époque  il  s'y  trouvait  aussi  des  émis- 
saires de  Moscou  ;  par  conséquent  le  Khan  ne 
put  dérober  à  notre  connaissance,  ses  redou- 
tables préparatifs;  mais  il  sut  nous  tromper. 
Il  persuada  au  vigilant  Boris  qu'il  allait  ravager 
Vilna  et  Cracovie,  nomma  une  ambassade  qui 
devait  se  rendre  à  Moscou  ,  pour  y  conclure 
une  alliance  avec  nous  ,  et  exigea  que  le  Tsar, 
de  son  côté  ,  envoyât  auprès  de  lui  un  de  ses 
premiers  Dignitaires.  Pendant  ce  temps  le 
plus  grand  mouvement  régnait  parmi  les  hor- 
des nomades  ;  tout  ce  qui  pouvait  porter  les 
armes ,  jeunes  et  vieux  ,  montait  à  cheval.  Ils 
furent  joints  par  des  troupes  des  Nogais  et 
par  celles  du  Sultan  qui  vinrent  d'Azof  et  de 
Bielgorod  avec  de  l'artillerie  (14.'^).  Le  prin- 
tems,  toujours  dangereux  pour  la  Pi ussie  mé- 
ridionale ,  allait  arriver  ;  le  Conseil  du  Tsar 
était  sans  inquiétude  ,  il  avait  envoyé  au  com- 


igS  HISTOIRE 

niencoment  du  mois  d'avril  d'illustres  Voïé- 
vodcs  à  noire  arnîce  postée  sur  les  bords  de 
rOka  ;  le  j)rinee  Mslislafsky,  Nogalkolf,  les 
Troubetskoy,  Galilziii  ,  Fédor  Chvorostinin, 
à  Serpoukolf ,  à  Kalouga  el  en  d'autres  en- 
droits. Au  moisde  mai  nos  patrouilles  n'avaient 
pas  encore  rencontré  un  seul  Tatare  sur  les 
bords  du  Donetz  septentrional  etdelaBorova. 
Elles  ne  virent  que  les  traces  d'un  camp  d'hiver 
et  des  tentes  abandonnées.  Mais  le  26  juin, 
des  courriers  arrivèrent  à  Moscou  avec  la 
nouvelle  que  le  Slepe  se  couvrait  des  hordes 
du  Khan;  que  plus  de  cent  cinquante  mille 
guerriers  de  Crimée,  marchaient  sur  Toula, 
laissant  derrière  eux  toutes  les  forteresses ,  ne 
s'arrét.ant  nulle  part  et  ne  se  divisant  pas  pour 
piller.  Godounoir  eut  à  déployer  toute  sa 
présence  d'esprit  pour  réparer  sa  faute.  Au 
même  instant,  on  expédia  des  ordres  à  tous 
les  Voïévodes  des  villes  frontières,  en  leur 
ordonnant  de  se  rendre  en  toute  hâte  à  Ser- 
poukoff,  pour  s'y  réunir  avec  le  prince  Mstis- 
lafsky,  afin  de  rencontrer  le  Khan  dans  la 
plaine.  Malheureusement  notre  principale  ar- 
mée se  trouvait  à  Novgorod  et  à  Pskoff ,  pour 


DE    RUSSIE.  irjQ 

observer  le  Roi  de  Suède.  Elle  ne  poiivnit 
arriver  assez  à  temps  pour  assister  à  la  bataille 
décisive  ;  on  ne  pensa  plus  à  elle.  On  déclara 
Moscou  en  état  de  siège;  on  confia  la  garde  du 
Palais,  au  prince  Ivan  Glinsky  (146)  ;  celle  du 
Kremlin,  au  boyard  prince  Dmiiri  Schouisky  ; 
ct'ihî  de  Kiiaï,  à  Galitzin  ;  celle  de  la  Yille- 
Blanche,  à  Nogtef  et  à  Tourenin.  Le  27  juin 
Ton  apprit  la  marche  rapide  de  Tennemi  vers 
la  capitale  ;  on  se  persuada  de  l'impossibilité 
de  réunir  toutes  les  forces  sur  les  bords  de 
rOka  avant  l'arrivée  du  Khan  ,  et  on  changea 
toutes  les  dispositions.  On  ordonna  à  Mstis- 
lafsky  de  se  replier  vers  Moscou ,  aiin  que  de- 
vant ses  murs  sacrés,  à  la  vue  des  temples  et 
des  palais  du  Kremlin  ,  et  à  celle  du  Tsar  et  de 
la  Tsarine,  on  put  combattre  les  Infidèles  au 
nom  de  lalAeligion  et  de  la  Patrie.  Pour  cal- 
nierle  peuple,  on  répandit  le  bruit  que  c'était 
pour  attirer  l'ennemi  dans  nos  lilets,  que  nous 
abandonnions  les  bords  de  l'Oka  (147)5  et  que 
nous  voulions  le  détruire  complètement  en 
l'amenant  au  centre  de  la  Piussie.  En  effet, 
celle  retraite  de  Mstislafsky,  ajoutait  à  ses 
troupes  ,  quelques  milliers  des  meilleurs  sol- 


200  HISTOIRE 

(lais  (le  INÏoscou,  la  ^iwda  noble  du  Souverain, 
ics  Gtnlilshoiunu's  vA  les  cnfans  Boyards, 
oiilrc  tous  ics  ciloycns  qui  avaient  pris  les 
armes;  elle  noirs  donnait  une  grande  supé- 
riorité de  force  et  l'avantage  de  combattre  sous 
des  murs  irnprenables  et  sous  le  feu  de  la 
grosse  artillerie ,  terrible  pour  les  Barbares.  Il 
ne  s'agissait  qne  de  prendre  des  précautions  , 
pour  empéclier  le  Kban  de  porter  le  fer  et  la 
destruction  au  centre  de  la  Capitale,  comme 
l'avait  fait  Devlet-Ghiréï  ,  en  i  jy  i  :  à  cet  effet, 
on  fortifia  avec  une  rapidité  étonnante  le  fau- 
bourg au-delà  de  la  Moskva,  par  des  murailles 
faites  en  boisetavec  des  meurtrières(i43).  On 
transforma  en  forteresses  les  couvens  de  Da- 
niloff ,  Novospask  et  Simonoff.  On  établit  le 
camp  de  l'armée  à  deux  verstes  delà  ville  entre 
les  roules  de  Kalouga  et  de  Toula.  On  y  cons- 
truisit un  fort  en  planches  ,  monté  sur  des 
roues,  et  une  église  dédiée  à  Saint-Serge,  dans 
laquelle  on  plaça  fimagede  U  Vierge,  la  même 
qui  avait  accompagné  le  grand  prince  Dmitri, 
dans  le  combat  qu'il  avait  livré  sur  le  Don. 
Onciiantades  prières  eton  fit  des  processions 
autour  de  Moscou,  attendant  avec  impatience 


DE     RUSSIE.  201 

INIstislafsky.  Le  29  juin  ,  ce  Vou-vode  avait 
quille  Serpoukolt ,  après  avoir  laissé  une  fai- 
ble garde  sur  FOka.  11  passa  la  nuit  à  Lopasnia, 
au  milieu  des  lerlres,  illustres  monumens  de 
réclatanle  victoire  remportée  en  1572.  C'était 
l(î  même  ennemi  que  l'on  avait  à  combattre  ; 
mais  la  Russie  n'avait  plus  de  Vorotinsky! 
Le  i".  juillet  au  soir  les  troupes  se  portèrent 
dans  les  prairies  qui  bordent  la  Moskva  ,  de- 
vant Kolomenskoé* ,  et  les  Voïévodes  se  hâtè- 
rent de  se  rendre  auprès  du  Monarque ,  pour 
lui  faire  leur  rapport  et  assister  au  Conseil. 
Ils  revinrent  le  lendemain  et  firent  entrer 
les  troupes  dans  le  camp  qui  avait  été  pré- 
paré, vis-à-vis  le  couvent  de  Danilefsk.  Ce 
jour  là  même  ,  le  Tsar  passa  l'armée  en  revue, 
combla  de  paroles  bienveillantes  les  Yoïévo- 
des,  et  s'informa  de  leur  santé  ;  il  ne  témoignait 
aucune  inquiétude,  et  disait  qu'il  avait  mis 
toute  son  espérance  en  Dieu  et  en  ses  bons 
Russes. 

Le  3  juillet  Fédor  reçut  la  nouvelle  que  le 
Khan  ,  après  avoir  passé  l'Oka  sous  Techtoff, 
couchait  à  Lopasnia  et  marchait  droit  sur 
Moscou;  que  Tavant-garde  de  l'ennemi  ayant 


202  HISTOIRE 

renconiré  rintrrpide  voïëvodc  prince  MacU- 
inir  Bachlciaroir,  envoyé  à  Pakhra  avec  deux 
cent  cinquante  enfans  Boyards,  l'avait  battu 
et  poursuivi  jusqu'au  village  de  Bitz.  Alors  nos 
Iroupes  se  préparèrent  au  combat;  cliaque 
régiment  prit  sa  place,  sans  sortir  des  retran- 
cliemens  ,  et  le  soir  ils  furent  joints  par  toute 
la  garde  du  Tsar. Boris  Godounoll parut  enfin 
armé  de  pied  en  cap  ,  sur  son  cheval  de  ba- 
taille, sous  l'antique  élendard  desgrandsDucs. 
Celui  qui  était  l'àme  de  FElat  dans  le  Conseil, 
devait  également  animer  les  troupes  dans  un 
combat  où  il  y  allait  du  sort  de  TEmpire  ; 
Fédor  lui  donna  tous  ses  Nobles  et  ses  Gardes- 
du-Corps ,  jusqu'alors  inséparables  de  sa  per- 
sonne ;  il  s'enferma  dans  un  appartement 
isolé ,  avec  sa  femme  et  son  confesseur  ,  pour 
y  prier  ;  il  ne  craignait  point  le  danger,  parce 
qu'il  regardait  la  peur  comme  un  péché  ,  et 
après  avoir  fait  tout  ce  qu'il  pouvait  pour  la 
défense  de  la  patrie,  il  se  livrait  lui  et  son 
Empire,  avec  une  tranquillité  angélique,  à 
la  volonté  du  Tout-Puissant.  Le  Régent  en- 
touré de  tous  les  Boyards,  qui  le  suivaient 
comme  le  Monarque,  fui  reçu  et  salué  par  les 


DE    RUSSIE.  2o3 

VoÏL'Vodcs ;  mais  il  ne  j)rii  pas  le  coinniande- 
nient  des  mains  du  prince  Mslislafsky,  le  plus 
illustre  el  le  plus  expérimenté  des  cheis  ;  il  se 
contenta  du  second  rang  dansla  grande  armée, 
s'élant  composé  un  Conseil  militaire  de  six 
Dignitaires  au  nombre  des([uels  se  trouvait 
aussi  le  célèbre  banni  ,  Bogdan  Bclsky,  guer- 
rier décoré  des  insignes  de  l'honneur  et  de  la 
gloire  ,  et  réconcilié  avec  la  Cour  elle  Peuple 
par  la  puissante  entremise  de  Godounolï(i49). 
L'armée  passa  la  nu  il  sous  les  armes;  Go- 
dounoff  remploya  tout  entière  à  animer  les 
soldais,  traversant  les  rangs  et  excitant  leur 
courage  (i5o\  Il  donnait  et  recevait  de.s  con- 
seils ,  demandait  qu'on  eut  confiance  eo  lui , 
et  rinspirait  en  remplaçant  par  son  génie  ce 
qui  lui  manquait  d'expérience.  On  savais";  que 
l'ennemi  approchait ,  on  entendait  du  J>ruit 
dans  l'éloignement  el  le  pas  des  chevaux;  à  la 
pointe  du  jour  on  aperçut  les  masses  épaisses 
desïatares.  Kazi-Ghiréï  avançait  avec  précau- 
tion ;  il  s'arrêta  devant  le  bourg  de  Kolemens- 
koïet  la  montagne  Poklonnaïa.  Ayant  observé 
les  lieux,  il  ordonna  à  ses  Ts-^^révitches  d'atta- 
quer l'armée  Russe.  Jusqu'alors  tout  avait  été 


2()4  lîISTOinF. 

Irnnqiiille,  mais  dès  que  rimioiu])ra])le  cava- 
lerie ennemie  fut  descendue  de  la  hauteur  dans 
la  plaine,  le  feu  partit  à  la  foi  de  toutes  les 
meurtrières  du    camp  ,    des   couvens  et   du 
Kremlin  (i5i)  ;  descentaines  d'hommes  d'élite 
de  tous  les  régimens  avec  des  chefs  choisis , 
les  compagnies  Lithuaniennes  et  Allemandes 
avec  leurs  capitaines  ,  sortirent  des  retranche- 
mens  pour  aller  à  la  rencontre  des  Tatares. 
Les  Yoïévodes,  avec  le  principal  corps  d'ar- 
mée ,  restèrent  dans  le  fort  de  planches ,  at- 
tendant que  le  moment  fut  venu  pour  eux. 
Le  combat  s'engagea  à  la  fois  sur  plusieurs 
points,  parce  que  l'ennemi,  écrasé  par  nos 
boulets,  s'était  dispersé  et  lançait  des  flèches  ; 
dans  la  niclée  ,  il  se  servait  de  sabre  mieux  que 
nous;  mais  nous  avions  l'avantage  sur  lui ,  en 
faisant  habilement  usage  d'arquebuses  porta- 
tives, nous  tenant  serrés  et  attaquant  avec  plus 
d'ensemble.  La  plaine  sablonneuse  se  jonchait 
d'un  plus  grand  nombre  de  morts  Musulmans 
que  Piusses,  aux  yeux  du  Khan  et  des  Mosco- 
vites. Ceux-ci  couvraient  les  murs,  les  tours 
et  les  clochers ,  les  uns  armés  et  les  autres  sans 
armes ,  tous  remplis  de  curiosité  et  de  terreur. 


DE    RUSSIE.  20:> 

car  il  y  aliall  du  sort  do  Moscou  ,  dont  le  saint 
ou  la  perle  dépendait  du  vainqueur.  Le  peu- 
ple ,  tantôt  gardait  le  plus  morne  silence,  tan- 
tôt jetait  des  cris,  suivant  des  yeux  tous  les 
niouvemens  de  ce  combat  meurtrier.  Spec- 
tacle toul-à-fait  nouveau  pour  notre  antique 
Capitale,  qui  avait  vu  ses  murs  escaladés,  mais 
qui  n'avait  pas  encore  été  témoin  d'une  bataille 
rangée  dans  ses  plaines.  On  n'avait  pas  besoin 
de  courriers  j  l'œil  dirigeait  le  sentiment  de 
relTroi  ou  de  rcspérancc.  Quelques-uns  ne 
voulaient  rien  voir  ,  et  prosternés  devant  les 
saintes  images,  baignaient  de  leurs  larmes  le 
pavé  des  églises,  où  le  cliant  des  prêtres  était 
couvert  par  le  bruit  des  armes  à  feu,  et  où 
l'odeur  de  l'encens  se  mêlait  à  la  fumée  de  la 
poudre.  Un  fait  presqu'incroyable  ,  c'est  que, 
dans  ce  moment  solennel  et  décisif ,  lorsque 
les  cœurs  battaient  avec  force  ,  même  dans  les 
viellards  centenaires  de  Moscou ,  un  seul 
bomme  goûtait  la  paixd'u ne  âme  inébranlable  ; 
celui  dont  le  nom  était  invoqué  par  les  Russes 
en  même  temps  que  celui  de  Dieu  ,  dans  le 
combat;  celui  pour  lequel  ils  mouraient  de- 
vant les  murs  de  laCapitale ,  le  ^lonarque  lui- 


2o6  llISTOir,  E 

mi'me!....  Faligiu'  par  une  longue  prière,  Fé- 
<lor  reposait  lran([iiilier.ient  à  Theure  de 
midi  (i52)!  Il  se  leva ,  et,  de  son  appartement, 
regarda  le  eombat  avee  indifférence  ;  derrière 
lui  se  trouvait  le  boyard  Grégoire  Godounoff 
(jiii  ])ieurait  :  Fédor  se  tourna  vers  lui  et 
apercevant  ses  larmes  :  «  Sois  tranquille  ,  lai 
:»  dit-il,  demain  le  Khan  ne  sera  plus  ici  ». 
Ce  mot,  dit  TAnnaliste  ,  devint  une  pro- 
phétie. 

Le  combat  ne  fut  pas  décisif;  des  deux  côtés 
on  réparait  les  pertes  par  de  nouveaux  com- 
battans  ;  mais  les  forces  principales  n'étaient 
pas  encore  engagées  ;  Mstislafsky,  Godounoff, 
avec  les  bannières  du  Tsar  et  la  meilleure 
partie  des  troupes,  n'avaient  pas  encore  donné. 
Ils  attendaient  le  Khan ,  qui ,  avec  l'élite  de 
son  armée  ,  avait  occupé ,  vers  le  soir ,  le 
bourgde  Vorobieff  (i52) ,  et  ne  voulait  pas 
descendre  de  la  montagne,  d'où  son  regard 
avide  dévorait  la  Capitale  ,  comme  une  proie 
pleine  d'attraits  pour  lui ,  mais  difficile  à  ob- 
tenir. Les  airs  retentissaient  encore  du  bruit 
des  canons  de  Moscou  ,  et  les  Piusscs  se  batli- 
rent  vaillament  dans  la  plaine,  jusqu'à  la  nuil. 


DL   RUSSIE.  20-J 

qui  vint  enfin  apporter  quelque  repos  à  l'une 
cl  à  Taulre  armée.  Une  multitude  de  Tatares 
périrent  dans  le  combat;  beaucoup  furent 
blessés,  au  nombre  desquels  se  trouvaient  le 
Isarévilche  Bacliti-Gliiréï  et  quelques  Mour- 
zas(i53).  Plusieurs  guerriers  de  distinction 
furent  faits  prisonniers.  LeKlian  et  les  princes 
de  Crimée  manquèrent  de  cœur,  ils  tinrent 
conseil,  et,  dans  leurs  conjectures  sur  les 
suites  d'un  nouveau  combat  décisif,  ils  trou- 
vaient plus  de  raisons  de  s'épouvanter  que  de 
s'enhardir.  Ils  entendaient  une  canonnade 
vive  et  soutenue,  et  remarquaient  un  grand 
mouvement  entre  notre  camp  et  Moscou.  En 
effet,  Goîlounoff,  sans  épargner  la  poudre  , 
avait  ordonné  de  continuer  à  tirer,  même 
pendant  la  nuit ,  pour  effrayer  l'ennemi;  et 
les  citoyens ,  après  le  combat ,  s'étaient  préci- 
pités en  foule  dans  noire  camp  ,  pour  félici- 
ter les  braves ,  reconnaître  les  vivans  et  déplo- 
rer la  perte  des  morts.  Les  pnsonniers  Russes, 
fidèles  à  la  patrie  même  dans  les  chaînes,  di- 
saient, en  répondant  aux  qucslionsdu  Khan, 
qu'il  était  arrivé  à  Moscou  des  troupes  fraî- 
ches de  Novgorod  et  de  Pskoff  ;  que  la  canon- 


206  HISTOIRE 

iiadc  qu'il  entendait  clail  en  signe  de  réjouis- 
sance ,  le  succès  de  nos  armes  n'étant  pas 
doii(cux,et  (ju'avant  le  jour,  nous  aUacjue- 
rions  les  Talares  avec  toutes  nos  forces  réu- 
nies. Le  Khan  ,  peut-èlrc  ,  ne  les  croyait  pas 
entièrement:  mais  déjà  il  voyait  qu'il  avait  été 
trompé  par  le  Roi  de  Suède ,  et  que,  la  Russie, 
malgré  sa  guerre  a^ec  ce  Prince  ,  conservait 
encore  assez  de  déiènseurs;  il  prit  donc  pru- 
demment le  parti  de  la  fuite  une  heure  avant 
le  jour. 

Après  en  avoir  informé  le  Tsar,  lesVoïé- 
vodes,  au  son  de  toutes  les  cloches  de  Moscou 
triomphante  ,  se  mirent  avec  toute  l'armée  à 
la  poursuite  du  Khan  ,  qui  fuyait  en  laissant 
sur  sa  route,  ses  bagages  et  ses  munitions,  il 
entendait  derrière  lui  le  bruit  des  pas  de  notre 
cavalerie,  et  sans  prendre  un  instant  de  repos, 
en  vingt-quatre  heures  il  parvint  aux  bords  de 
rOka;  au  soleil  levant,  il  aperçut  l'avant-garde 
des  Russes  et  se  précipita  dans  la  rivière, 
abandonnant  après  lui  ses  propres  voitures: 
une  grande  partie  des  siens  fut  noyée  dans  ce 
passage  dang(;reux;  mais  i!  continua  de  fuir  , 
sans  s'en  embarrasser. 


DE     RUSSIE.  209 

Msllslaiskyol  GodounolfcouchèrenlàBilzi, 
dc-ià  ,  ils  poiirsuivirt'iit  reniicmi  avec  des 
détachoniens  de  cavalerie  It'gx^re,  ([u'i  aileigni- 
rentson  arrière-garde  près  de  Toula;  ils  la 
battirent  et  firent  prisonniers  un  millier  de 
soldais  et  quelques  Mourzas  des  plus  distin- 
gués ;  ils  foulaient  aux  pieds  et  exterminaient 
les  Tatares  qu'ils  trouvaient  dans  les  Stèpes,  et 
ils  les  chassèrent  entièrement  de  nos  posses- 
sions ,  où  Kazi-Gliiréï  n'eut  pas  le  temps  de 
commettre  les  ravages  qu'il  projettait.  Il  ar- 
riva le  2  août  à  Ijakschisaraï  ,  en  charrette,  nu 
milieu  de  la  nuit  ,  avec  un  bras  blessé  et  en 
écharpe  ;  quant  aux  Tatares  de  Crimée  ,  il  y 
en  eut  à  peine  le  tiers  qui  revint,  à  pied,  et 
mourant  de  faim.  Cette  invasion  du  Khan  fut 
la  plus  désastreuse  pour  la  Tauride  et  la  moins 
lalale  à  la  Russie,  dont  les  villes,  les  villages  et 
les  habitans  n'éprouvèrent  aucun  dommage. 

Les  principaux  Yoïévodes  n'allèrent  pas 
plus  loin  que  Serpoukhoff.  Le  Tsar ,  peut-être 
par  le  conseil  de  la  sage  Irène  ,  leur  avait  écrit 
de  poursuivre  le  Khan  et  de  tâcher  de  détruire 
son  armée  dans  les  déserts  ;  mais  Mstislafsky 
lui  répondit  qu'il  ne  pouvait  l'atteindre;  et, 

Tome  X.  i4 


2IO  HlSiOinR 

connue  iJ  s\' lait  nomme  iowlseul  dans  sa  re- 
l.ilion  ,  il  roçul  une  réprimande  sévère  de  Fé- 
dor,  pour  ne  pas  yayoir  {"ail mention  du  grand 
nom  de  Boris  auquel  la  Cour  attribuait  la  vic- 
toire. Cependant  on  observa  une  parfaite  éga- 
lité dans  les  récompenses  Le  lo  juillet ,  arriva 
à  Serpoukhoirrofiîcier  lourieff ,  avec  des  pa- 
roles de  grâce  de  son  Souverain,  et  des  dons 
pour  les  principaux  chefs  de  l'armée.  Il  remit 
des  médailles  aux.YoYévodes;  à  Mstislafsky  et 
à  Godounoff ,  des  pciiugalses  ,   et  à  d'autres 
officiers  de  l'armée,   des  ducats  de  Hongrie. 
Le  Monarque,  ayant  ordonné  aux  plus  jeunes 
d'entr'eux  de  rester  sur  les  ]>ords  de  l'Oka , 
invita  tous  les  autres  à  se  rendre  à  Moscou  où 
les  attendaient  encore  de  nouvelles  faveurs. 
Dès  qu'ils  furent  arrivés,  Fédor  revêtit  Boris, 
a})rès  s'en  être  dépouillé  lui-même  ,    d'une 
pelisse  Russe  avec  des  boutons  d'or  de  1.»  va- 
leur  de  mille  roubles    (  cinq   mille  roubles 
d'argent  actuel)  et  lui  remit  également  une 
chaîne  d'or  ([u'il  portait  ordinairement  ;  il  lui 
donna  encore  le  vase  d'or  de  iNLunaï,  célèbre 
butin  de  la  bataille  de  Koulikolf ,  et  la  posses- 
sion des  trois  villes  du  district  de  Yaga  ;  iJ  joi- 


n  E    n  u  s  s  I E.  2  11 

gnlt  àces  dons  ,  le  lilrc  de  Seniteur  qui  était  Nnnvfie 
plus  important  alors  que  celui  de  Boyard,  et  u'ml.'^ 
qui,  pendant  l'espace  d'un  siècle  ,  n'avait  été 
accordé  qu'à  trois grandsDignitaires, au  prince 
Siniéon  Rapololsky,  dont  le  père  avait  sauvé 
le  jeune  Ivan  III  de  la  fureur  de  Schemiaka  ; 
au  prince  Ivan  Yorolinsky,  pour  la  victoire 
de  Vedroclia  ,  et  à  son  fils,  rininiorlel  prince 
INIichel  ,  pour  avoir  vaincu  les  Tsarévitches 
de  Crimée  sur  le  Don  et  pour  la  prise  de 
Kazan.  Fédor  donna  également  au  prince 
Mslisiafsky,  une  pelisse  avec  des  boutons  d'or 
qu'il  ôla  aussi  de  dessus  ses  épaules,  pour  l'en 
revêtir ,  un  bocal  d'or  et  le  bourg  de  Kacbin  , 
avec  son  district.  Aux  autres  Voïévodes,  Chefs 
et  enfans  Boyards,  ils  donna  des  pelisses  ,  des 
vases,  des  domaines  ou  de  l'argent,  des  damas, 
des  velours,  des  satins  ,  des  zibelines,  et  des 
martres  ;  aux  Streletz  et  aux  Cosaques,  des 
taffetas  ,  des  draps  et  de  l'argent  ;  en  un  mot  , 
il  ne  resta  pas  un  guerrier  qui  ne  fut  récom- 
pensé. Ce  fut  un  festin  continuel  dans  le 
Palais ,  beaucoup  plus  en  l'honneur  de  Go- 
dounoit,  qu'en  celui  du  Souverain  ;  car  Fédor 
ordonnad'annoncer  solennellement  en  Russie 


2f2  HISTOIRE 

et  dans  les  pays  étrangers,  que  le  Tout-Puis- 
sant ne  lui  avait  accordé  la  victoire  que  par  la 
valeur  et  les  talens  de  Boris.  Ce  favori  de  la 
gloire  et  du  Prince,  brilla  donc  de  tout  Téclat 
que  donnent  les  exploits  militaires  ,  aux  yeux 
d'un  peuple  guerrier  ([ue  tant  de  dangers  et 
d'ennemis  menaçaient  encore.  A  la  place  où 
l'armée  avait  été  retranchée ,  près  de  Moscou, 
on  fonda  une  église  en  pierre  ,  dédiée  à  la 
Convcnt  de  Vierge  ,  et  un  couvent  nommé  Donskoï,  du 
nom  de  la  Sainte  image  qui  avait  cte  portée 
par  Dmitri  au  camp  de  Koulikoff,  et  par  Go- 
dounoiï  à  la  bataille  de  Moscou.  Pour  pré- 
server désormais  la  capitale ,  d'une  nouvelle 
invasion  des  Barbares ,  on  entoura  tous  ses 
faubourgs  de  murailles  en  bois ,  surmontées 
de  tours  élevées. 

Mais  le  triomphe  de  Boris  ,  les  festins  de  la 
Cour  et  de  l'Armée  ,  les  grâces  et  les  dons  du 
Tsar ,  se  terminèrent  par  des  tortures  et  des 
Calomnie  suppliccs.  Ou  rapporta  au  Kégent  qu'il  avait 
geuiitsaven-  couru  dcs  bruils  déshonnorans  pour  lui  dans  ** 
les  villes  de  province  et  surtout  à  Alexin.  Ces 
bruits  répandus  par  ses  ennemis,  étaient  au 
moins  absurdes.  On  disait,  que  c'élait  lui  qui 


DE     lirSSIE.  21.) 

avait  al  lire  le  Klian  aux  portes  de  ^Nïoseoii,  afin 
de  faire  une  sorte  de  diversion  à  la  douleur 
prolonde  qu'avait  éprouvée  la  Russie, depuis 
le  cruel  assassinat  de  Dmitri.  ]^e  peuple  seul , 
écoutait  et  répétait  cette  calomnie.  Godounolf, 
s'il  avait  été  généreux- et  innocent,  aurait  dii 
mépriser  cette  ridicule  accusation,  qui  se  serait 
dissipée  d'elle-même,  mais  comme  il  n'avait 
pas  la  conscience  pure  ,  il  s'enflanmia  de  co- 
lère à  ces  récits.  Il  expédia  des  olficiers  dans 
différens  endroits ,  et  leur  ordonna  d'interro- 
ger et  de  torturer  des  malheureux  qui ,  dans 
leursimplicité,  servaient  d'échos  à  la  calomnie 
et  qui ,  au  milieu  de  la  terreur  et  des  tour- 
mens,  accusaient  des  innocens.  Plusieurs  pé- 
rirent dans  les  tortures  ou  en  prison  ;  d'autres 
furent  exécutés  ;  quelques-uns  eurent  la  lan- 
gue coupée  ,  et  beaucoup  de  lieux  peuplés, 
(d'après  ce  que  dit  l'Annaliste),  devinrent 
déserts  en  Ukraine  ;  nouvelles  ruines  ajou- 
tées à  celles  d'Ouglitche. 

Cette  cruauté,  digne  du  temps  d'Ivan,  parut 
indispensable  à  Godounoff  pour  sa  sécurité 
et  son  honneur.  Il  voulait  que  personne  n'osât 
ni  parler,  ni  rien  penser  contre  lui  ;  ce  n'était 


2l4  HISTOIRE  ' 

([u'à  celle  condition  (ju'il  clait  permis  de  vivre 
tranquille  et  heureux  sous  le  règne  de  Fédor. 
pioive  <M  Co-   lerrible  pour  ses  seuls  ennemis ,  Godounoil, 
dans  tout  ce  qui  ne  touchait  pas  à  son  autorité, 
voulait  paraître  clément.  Si  quelqu'un  avait 
mérité  un  châtiment ,  mais  pouvait  s'en  excu- 
ser sur  la  faiblesse  naturelle  à  l'humanité,  il 
était  pardonné  ,  et  on  disait  dans  la  lettre  de 
grâce.  «  Le ïsar  pardonne  par  égard  pour  Tin- 
»  lercession  de  son  grand  Boyard  et  Seniteur  ». 
Boris  alla  jusqu'à  proposer  à  des  traîtres  ,  à 
IMicliel  Golovin  lui-même,  qui  vivait  en  Li- 
ihuanie  (i5j),   de  revenir  dans  leur  patrie, 
ajoutant  à  cette  permission  la  promesse  d'un 
rang  plus  distingué  et  de  plus  riches  domaines, 
comme  s'il  eut  voulu  récompenser  leur  inla- 
me  trahison.  A  l'égard  de  ceux  qui  étaient 
condamnés  à  mort,  on  se  servait  dans  leur 
jugement  des  expressions  suivantes:   «  C'est 
y>  ainsi  que  l'ont  ordonné  les  boyards  princes 
»  Mstislafsky  et  ses  collègues  »  ;  et  Godounoff 
n'éUiit  point  nommé.   Excepté  l'autorité  su- 
prême qu'il  gardait  pour  lui  seul  et  sans  par- 
tage ,  il  ne   refusait   rien  à  ses  amis ,  à  ses 
llatteurs  ,  et  à  ceux  qui  s'étaient  dévoués  à  lui. 


DE     RTS  SI  E.  21.) 

Aussi  en  angmciilail-il  Ions  les  jours  le  nom- 
bre ;  el  plus  il  méritait  de  reproches  ,  })lns  il 
recherchait  la  louanj^e  et  voulait  l'entendre  de 
tous  coîés  ,  fut-elle  fausse  ou  vraie.  Il  la  Irou- 
vait  également  dans  les  livres  (i56)  que  com- 
posaient les  Ecrivains ecclésiastiquesel  laïques 
du  temps  ;  en  im  mot,  par  l'adresse  et  la  force, 
la  terreur  et  les  bienfaits  ,  il  produisit  autour 
de  lui,  comme  un  bruit  de  gloire  qui,  s'il 
n'éloulfait  pas  tout-à-fait  le  cri  de  sa  cons- 
cience,  faisait  taire  au  moins  la  voix  de  la 
vérité  chez  le  peuple. 

Mais  Godounoff  avait  beau  sacrifier,  aune 
seule  pensée  ,  et  le  ciel  et  le  véritable  bonheur 
de  riiomme  sur  la  terre  ,  cette  tranquillité  de 
l'àme,  ces  jouissances  intérieures  de  la  vertu  , 
celle  gloire  légitime  de  bienfaiteur  de  félat  et 
celle  d'un  nom  sans  tache  dans  l'histoire;  il 
n'en  fut  pas  moins  au  moment  de  perdre  le 
fruit  tant  désiré  de  ses  intrigues  ,  par  une  cir- 
constance naturelle  ,  mais  inattendue.  Tout- 
à-cowp,  depuis  le  palais  du  Kremlin  jusqu'aux 
contrées  les  plus  reculées  de  l'Empire  ,  se 
répand  un  bruit  cpii ,  à  l'exception  de  Boris  , 
remplit  tous  les  cœurs  d'une  heureuse  espé- 


2l6  HISTOIRE 

rance  ;  cVlait  la  nouvelle  delà  grossesse  d'Irène. 
Jamais  la  Russie,  au  rapport  de  l'Annaliste  , 
ne  témoigna  une  plus  grande  joie;  il  semblait 
que  le  Ciel ,  irrité  des  crimes  de  Godounoff, 
mais  touché  des  larmes  secrètes  des  véritables 
patriotes  ,  voulait  se  réconcilier  avec  ce  grand 
peuple ,  et  faire  sortir  des  cendres  du  tombeau 
de  Dmitri  ,  une  nouvelle  tige  de  l'arbre  royal 
dont  les  rameaux  devaient  ombrager  les  siècles 
futurs  de  la  Russie.  Il  est  facile  de  se  faire  une 
idée  des  sentimens  d'une  nation  dévouée  à  la 
dynastie  souveraine  de  Saint-Yladimir;  mais 
il  est  plus  difticile  de  se  rendre  compte  de  ceux 
qu'éprouva  Godounoff  à  cette  nouvelle  inat- 
tendue. Le  plus  affreux  des  assassinats  deve- 
nait inutile  à  son  auteur.  Il  était  dévoré  de 
remords,  et  l'espérance  l'abandonnait  pour 
toujours  ou  du  moins  jusqu'à  l'accomplisse- 
ment d'un  nouveau  crime ,  dont  l'idée  était 
terrible  ,  même  pour  un  scélérat  !  Godounoff 
fut  obligé  de  souffrir  la  joie  générale  ,  de  pa- 
raître y  prendre  part ,  de  tromper  la  Cour  et 
sa  sœur.  Après  quelques  mois  d'attente,  Irène 

^^aissance  et  j.  i  x 

Tnondeiitsa-  accoucha  d'une  fille  ,  ce  qui  soulagea  le  cœur 

rme  1  lieouotie  ^  " 

de  Godounoff;  mais  les  parens  en  furent  sa- 


DE    RUSSIE.  217 

tibfaits  ,  quelque  désir  qu'ils  eussent  d'avoir 
un  successeur  au  Irone.  La  stérililé  n'était 
plus  à  craindre  ,  et  leur  tendresse  pouvait  être 
couronnée  d'un  nouveau  fruit  ([ui  aurait 
répondu  au  désir  général.  Non  seulement 
la  tendre  mère,  mais  même  le  tran([uille  et 
froid  Fédor  remercia  avec  transport  le  Tout- 
Puissant  de  lui  avoir  donné  une  tille  chérie 
(iSy),  qui  fut  baptisée  sous  le  nom  de  Tliéo- 
dosie  ,  le  14  juin ,  dans  le  couvent  de  Tchou- 
doO ';  il  pardonna  à  tous  les  disgraciés,  même 
aux  criminels  qui  avaient  été  condamnés  à 
mort  ;  il  ordonna  d'ouvrir  les  prisons ,  fit  de 
riclies  présens  aux  couvens  ,  et  envoya  une 
quantité  d'argent  au  clergé  de  la  Palestine. 
Le  peuple  se  réjouissait  également,  mais  les 
hommes  soupçonneux,  croyant  lire  au  fond 
de  l'àmede  Boris,  se  communiquaient  secrè- 
tement un  doute:  Godounoff  n'avait-il  paspu 
changer  l 'enfant ,  dans  le  cas  où  Irène  aurait 
mis  au  monde  un  fils ,  et  lui  substituer  par 
supercherie  Théodosie  qu'il  aurait  prise  à 
quelque  pauvre  accouchée  (i58)?  Nous  ver- 
rons plus  loin  les  suites  de  cette  idée,  quoitjuc 
peu  vraisemblable.   D'un  autre  coté,  les  eu- 


Il  8  HISTOIRE 

rif  iix  se  demandaient  «  si  Théodosie  ,  venant 
»  à  rravoir  point  de  frère,  succéderait  au  trône, 
»  et  si  un  cas,  sans  exemple  jusqu'alors  ,  ne 
»  pourrait  pas  servir  de  règle  pour  l'avenir  ? 
»  Jamais  en  Russie  une  femme  n'avait  hérité 
»  de  la  Couronne  ;  mais  ne  valait-il  pas  mieux 
5)  établir  une  nouvelle  loi  que  de  laisser  le  trône 
ï)  vacant?»  Ces  questions  délicates  troublaient 
peut-être  aussi  Godounoff  ;  elles  furent  déci- 
dées, pour  satranquiiiité,  par  la  mort  de  Théo- 
dosie qui  arriva  l'année  suivante.  Malgré  toutes 
les  consolationsde  la  religion,  Fédor  ne  put  de 
long-temps  tarir  ses  larmes;  toute  la  capitale 
pleurait  avec  lui  à  l'enterrement  de  la  jeune 
Tsarine  dans  le  couvent  des  religieuses,  nom- 
mé Yosnesensk  ,  et  partageait  le  chagrin  d'une 
tendre  mère  qui,  frappée  de  ce  coup,  renonça 
à  toute  espèce  de  bonheur  sur  la  terre.  Gçdou- 
noff,  renfermant  dans  son  ame  une  joie  fé- 
roce ,  feignit  habilement  le  désespoir  (car  il 
est  plus  facile  de  témoigner  une  fausse  afflic- 
tion qu'une  fausse  joie);  mais  cet  liomme 
ambitieux  et  cruel  fut  de  nouveau  en  butle  au 
soupçon  :  on  crut  qu'ayant  causé  la  mort 
d'Eudoxio,  il  était  également  Tauteur  de  celle 


DE    RUSSIE.  2IC) 

(le  Théodosie  (i5n);   Dieu  seul  connaissait  la 

I  vérité  ,  mais  celui  qui  sV'lail  couverl du  sang- 
sacré  de  Dm  il  ri  ,  avait  perdu  le  droit  de  se 
plaindre  de  la  médisance  et  de  la  loi  (ju'ou  y 
i  accordait.  Tout  lui  servait  de  juste  punition  , 
jusqu'à  la  calonniie  la  plus  invraiscmbl  ible. 


220  lïISTOIRK 


CHAPITRE    III. 

Conilnuatlon  du  Règne  de  FÉDOR. 


Guerre  et  paix  avec  la  Suè<le.  —  Correspondance  avi.'c  les 
Seigneurs  de  Lilhuanie.  —  InvasTon  des  Talares  de 
Crimée.  —  Ambassade  à  ConsJantinople.  —  Indisci- 
pline des  Cosaques  du  Don.  —  Constructions  de  villes. 

—  Paix  avec  le  Khan.  —  Secours  donnés  à  TEnipereur. 

—  Illustre  Ambassadeur  d'Autriche.  —  Le  Légat  de 
Clément  YllI  à  Moscou.  —  Amitié  entre  Fédor  et  le 
Schah  Abbas.  —  Guerre  contre  le  Schavkal.  —  Rela- 
tions avec  le  Danemarck  et  l'Angleterre.  —  Lois  de 
servitude  pour  les  paysans  cl  les  domestiques.  —  jSou- 
Aelle  forteresse  construite  à  Smolensk.  —  Incendiaires. 

—  La  Cour  de  Moscou.  —  Cécité  du  tsar  Siméon.  — 
Évoques  grecs  à  Moscou.  —  Destrnciion  du  couvent  de 
Petchcrsk.  —  Paroles  de  Fédor  à  Godounoff.  —  Mort 
de  Fédor.  —  Serment  prêté  à  Irène.  —  Irène  prend  le 
voile.  —  (iodounoff  est  nommé  Tsar. 

Cuenectpaix      La  Russic  pouvaït ,   à  cclte  époquc  comme 

avec  la  Suède.  ,  ,  i        •  n  -i  >  .     i 

par  le  passe,  se  gloniier  de  ses  succès  et  de  sa 
politique  dans  les  affaires  extérieures.  Comp- 


r>E     RUSSIE.  221 

tant  sur  la  coopc-ralioii  du  Khan  ,  Jean  ,  roi  de  i^gi. 
Suède,  avait  rompu  rarmistice  qui  lui  avait 
!  été  accordé  par  Fcdor ,  à  la  considération  de 
Sigismond  (i6o);  et  son  général,  Maurice 
Gripe ,  étant  entré  dans  le  pays  de  Novgorod , 
incendia  plusieurs  villages,  aux  environs  de 
Jama  et  de  Koporié.  Nos  Voïévodes  ,  étonnés 
de  cette  attaque  imprévue ,  lui  envoyèrent  un 
courrier  pour  lui  demander  s'il  avait  connais- 
sance de  1  a  cou  ve n  t i o n  s i gnée  à  M osco u  ?  «  Je  ne 
«  la  connais  pas,  »  répondit-il,  et  il  continua 
à  s'avancer  jusqu'à  cinquante  verstes  de  Nov- 
gorod. Ayant  appris  que  de  nombreuses  trou- 
pes Russes  l'attendaient  devant  cette  ville,  il 
ne  voulut  pas  combattre  et  retourna  sur  ses 
pas;  mais  après  avoir  presque  perdu  son  ar- 
mée qui  avait  été  détruite  par  le  froid  et  les 
maladies.  Pendant  l'été  de  iSgi,  lorsque  le 
Khan  marchait  sur  Moscou  ,  les  Suédois  paru- 
rent de  nouveau  près  de  Gdoff,  battirent  un 
de  nos  détacliemens  et  firent  prisoiMiicr  le 
voYévode  prince  Vladimir  Dolgorouky  (iGi)  ; 
d'autres  détacliemens  de  leurs  troupes  péné- 
trèrent ,  de  la  Caïanie  ,  à  travers  les  déserts  et 
les  forets,  dans  la  Russie  septentrionale,  et 


n  I  s  T  O  I  r.  K 


s'cmparèrcnl  du  i'orl  Sounisky,  sur  la  inor 
-  Blanche  ,  coniplaiil  éj^aienieut  se  rendre 
maîtres  de  tous  ses  ports.  Mais  cet  imporlant 
projet,  de  nous  priver  des  avantages  du  com- 
merce maritime,  deniandait  des  efiorts  im- 
possibles à  la  faiblesse  de  la  Suède.  Le  Tsar  y 
envoya  de  Moscou  les  deux  princes ,  André  et 
Grégoire  Volkonsky  ,  avec  des  compagnies  de 
Streletz  ;  le  premier  occupa  le  couvent  de  So- 
lovetsk,  menacé  par  l'ennemi  ;  le  second  dé- 
truisit tous  les  Suédois  qui  se  trouvaient  à 
Soumsky  et  prit  quelques  canons  (162).  Ayant 
appris  que  les  brigands  de  la  Caïanie  avaient 
incendié  ,  dans  la  nuit  même  de  Noël ,  le  cou- 
vent de  Kola  ou  de  Pelchensk,  après  avoir 
cruellement  massacré  cinquante  moines  el 
soixante  cinq  serviteurs  du  couvent,  le  prince 
Grégoire  Volkonsky  s'en  vengea  par  le  ravage 
de  la  Caïanie,  et  revint  au  couvent  de  Solo- 
veîsk  avec  un  riche  butin.  Ces  hostilités  man- 
quèrent d'amener  une  rupture  avec  la  Lilhua- 
nie,  Sigismond  s'étant  refusé  pendant  long- 
temps à  coniirmer  la  trêve  conclue  à  Moscou, 
sans  un  engagement  de  notre  pari  de  ne  point 
inquiéter  la  Suède.  On  lassait  la  patience  des 


DE    RUSSIE.  22.3 

ambassadeurs  de  IVdor  ,  SoUikoff  cl  Tatisl- 
chen(iG3),  par  1<!S  relards  qu'on  leur  laisait 
éprouver  dans  leur  voyage  à  Varsovie  ;  on  les 
irrilaitpardes  insultes;  on  les  privaitde  loules 
les  commodilés  de  la  vie,  même  du  nécessaire, 
au  point  que,  dans  leur  indignation,  ils  of- 
frirent au  lieu  d'argent,  aux  fonctionnaires 
du  Roi,  cinquante  vases  précieux,  pour  ob- 
tenir de  la  nourriture  pour  leurs  serviteurs 
qui  mouraient  de  faim.  A  quelque  temps  de  là, 
Sigismond,  ayant  appris  que  le  Khan  s'était 
enfui  de  Russie  ,  coniirma  la  convention  de 
Moscou ,  mais  en  obligeant  nos  Ambassadeurs 
à  y  ajouter  une  nouvelle  clause ,  qui  défendait 
au  Tsar  et  à  la  Lithuanie  de  songer  à  la  con- 
quête de  Narva ,  pendant  fespacc  de  douze 
ans.  Ce  fut  en  baisant  la  Croix  qu'il  dit  à  Solti-' 
kolf:  «  Nous  serons  en  paix  avec  le  Tsar  jus- 
»  qu'à  sa  première  attaque  contre  la  Suède , 
i)  carie  fils  doit  prendre  le  parti  de  son  père  ». 
Celte  menace  ne  sauva  pourtant  pas  les  pos- 
sessions Suédoises  de  leur  ruine. 

Pendant  l'hiver  de  1092,  le  Tsar  envoya  les    i5,j2_,i5f,5. 
Yoïévodes  les  plus  illustres,  le  prince  Mslis- 
lalsky  et  Troubetskoï,  deux  Godounoff ,  Ivan 


224  HISTOIRE 

1692— i5(j6.  et  Etienne  ,  le,  priiiee  iVogoikoiT  et  Boodan- 
Belsky,  en  FinlajKle  où  ils  incendièrent  plu- 
sieurs villes  et  villages  et  firent  (iuel([ues  mil- 
liers de  prisonniers  (164).  Les  Suédois  n'osè- 
rent pas  livrer  bataille  et  se  tinrent  enfermés 
à  Yibourg  et  à  Abo  ,  (]ont  les  Russes  ne  s'ap- 
prochèrent pas,  se  contentant  de  les  avoir  en- 
tourés de  cendres  et  de  ruines.  A  la  Ihi  d'avril, 
les  Voïévodes  ayant  terminé  cette  campagne  , 
revinrent  à  iSIoscou  se  plaindre  les  uns  des 
autres.  Le  prince  Fédor  Troubelskoï  accusait 
les  Godounoff,  et  ceux-ci  l'accusaient  lui- 
même  de  peu  de  zèle  pour  le  service  du  Tsar.^ 
Le  Monarque  leur  témoigna  à  ton  s  son  mé- 
contentement de  leurs  divisions  dangereuses 
pour  la  patrie ,  et  leur  ordonna  de  garder  les 
arrêts  dans  leurs  maisons,  depuis  la  semaine 
des  Rameaux  jusqu'à  celle  de  Pâques.  Le  Ré- 
gent voulait ,  par  cette  légère  disgrâce,  passer 
pour  juste  et  prouver  qu'il  n'épargnait  pas 
même  sesparcns  ,  lorsqu'il  s'agissait  du  bien 
de  l'Etat. 

A  T'époque  même  où  nous  ravagions  sans 
opposition  la  Finlande,  setrouvaitàStokliolm 
un   ambassadeur  du   Khan    de    Crimée ,    le 


l)l:     RUSSIE.  225 

Tcherkosse  Anloliie,  qui  demandait  de  For  , 
à  la  Suède,  pour  payer  l'invasion  de  Kazi- 
Gliiréï  en  Kussie.  «  L'or  est  prêt  pour  le  vain- 
»  queur  ,  répondit  le  roi  Jean  ,  Le  Khan  a  vu 
»  Moscou  ,  mais  n'a  pas  sauvé  notre  pays  du 
»  glaive  des  Piusses([G5)  ».  Voyant  que  Si- 
gisniond  même  ne  pouvait  être  un  défenseur 
puissant  pour  la  Suède,  Jean,  dans  les  derniers 
momens  de  sa  vie  ,  désirait  sincèrement  la 
paix  avec  la  Ptussie.  Il  envoya  ,  au  mois  d'août 
1592,  le  maréchal  Flémingue  ,  le  général 
Boyé  et  d'autres  dignitaires  ,  sur  les  hords 
de  laPlussa,  où  ils  conclurent  avec  Michel 
Soltikoff ,  lieutenant  de  Sousdal ,  et  déjà  au 
nom  du  nouveau  souverain  de  la  Suède  (16G), 
une  trêve  de  deux  ans.  Jean  était  mort  le  25 
novembre,  et  son  hls  Sigismond  lui  avait 
succédé,  réunissant  ainsi  sous  son  sceptre  les 
forces  de  deux  puissances  ennemies  de  la  Rus- 
sie. Cet  événement  causa  une  grande  joie  à 
Varsovie  et  à  Stokholm;  il  inquiéta  Moscou  , 
mais  pour  peu  de  temps.  Il  se  présenta  des  cir- 
constances inattendues  et  plus  favorables  à  la 
Russie  que  dangereuses  pour  elle;  car  l'avé- 
ïicmentde  Sigismond  au  trône  de  Suède,  au 
T03IE  X.  I  5 


li-io  iiisruiBE 

lieu  crime  éiroUe  liaison ,  lil  iiailre  une  haine 
niuluelle  entre  les  diiu\  Royaumes.  Plein  de 
déiérence  pour  les  seigneurs  de  Pologne  et  de 
Lilhuanie  ,  Sigismond  voulut  traiter  la  Suède 
en  état  despotique,  y  rétablir  la  religion  latine, 
et  rendre  TEsthonie  à  la   Pologne  ;   s'aper- 
cevant  d'un  niéeontentenienl  général  et  d'une 
opposition  acùve,  il  prit  presque  la  fuite  de 
Sloklîolni ,  pour  se  rendre  à  Varsovie ,  en  lais- 
sant le  pouvoir  suprême  entre  les  mains  du 
Sénat.  La  Suède,  dans  ces  tristes  conjonctures, 
au  milieu  de  ces  troubles  et  de  ces  divisions  , 
ne  pouvait  songer  à  faire  la  guerre  à  la  Piussie. 
Elle  chercha  à  conclure  une  paix  solide  et  per- 
p<îtuelle  avec  elle,   et  consentit,  pour  com- 
plaire au  Tsar,    a  ce   que  ses  ambassadeurs 
Sten-Banner,  Horn  et  Boyé  ,   se  réunissent  à 
ceux  de  Moscou,  le  prince  Tourenin  et  Pouch- 
kin  ,  sur  le  territoire  Pi usse  ,  à  Tiavsin,  près 
d'Ivangorod  (167);  mais  les  Suédois  rassem- 
blèrent des  troupes  à   Yibourg  et  à  ÎSarva  , 
pour  donner  plus  de  poids  à  leurs  demandes 
ou  à  leurs  refus.  L'armée  Russe  ,   beaucoup 
plus  nond^reusc,  s'étendait  depuis  Novgorod 
jusqu'aux  frontières  de  l'Esthonie    et  de   la 


DE     RITSSÎE.  227 

firilande,  attendant,  en  repos  cl  dans  l'inac- 
lion  ,  le  résultat  des  négociations.  Des  deux 
côtés,  on  exigea,  j)our la  forme,  nous,  l'Estho- 
nie,  les  Suédois,  Ivangorod  ,  Jama,  Konorié, 
Orechek  ,  Ladoga ,  Gdoff ,  ou  de  l'argent  pour 
les  frais  d'une  longue  guerre  ;  mais  ,  dans  le 
fait ,  la  Suède  ne  voulait  que  la  paix  sans  au- 
cune concession  de  sa  part;  et  la  Russie  vou- 
lait de  plus  la  Carélie.  Les  Ambassadeurs  des 
deux  puissances  se  plaignirent  de  leur  mu- 
tuelle obstination;  Irrités  les  uns  contre  les 
autres  ,  ils  se  séparèrent ,  mais  pour  se  réunir 
de  nouveau.  Enfin  ,  on  signa,  le  18  mai  iSgS, 
la  convention  suivante  : 

«  I.  Il  y  aura  une  paix  j)erpéluelle  entre  la 
»  Suède  et  la  Russie.. 

»  2.  La  première  possédera  Narva  ,  Ptevel 
»  et  toute  FEsthonie  ,  en  cédant  Kcxholrn  à  la 
»  Russie. 

»  3.  Celle-ci  n'accordera  pas  de  secours 
)>  aux  eimemis  de  la  Suède  ;  ni  la  Suède  à 
T>  ceux  de  la  Russie  ,  soit  en  argent ,  soit  en 
«  hommes. 

»  4-  ^n  délivrera  les  prisonniers  sans  ran- 
»  con  et  sans  échange. 


■2lS>  HISTOIRE 

»  5.  Los  Lapons  de   rOsterbolhnie   et   de 
»  Waranga,  paieront  leurs  tributs  à  la  Suède;- 
»  et  ceux  de  TEst  (de  Kola  et  voisins  des  eon- 
>>  trées  de  la  Dvina  )  ,  à  la  IVussie. 

»  6.  Les  Suédois  jouiront  de  la  .liberté  de 
»  eomnieree  à  Moscou,  Novgorod,  Pskofïet 
»  autres  lieux  ;  les  Russes  jouiront  des  mêmes 
j)  avantages  en  Suède. 

«  7.  On  se  prêtera  des  secours  mutuels  en 
»  cas  de  naufrages  et  d'autres  calaniilés. 

>)  8.  Les  ambassadeurs  de  Moscou  pour- 
»  ront  librement  traverser  la  Suède ,  en  se 
»  rendant  auprès  de  l'Empereur,  du  Pape, 
»  du  roi  d'Espagne  et  d'autres  grands  souve- 
»  rains  de  l'Europe ,  de  même  que  les  ambas- 
»  sadeurs  de  ces  puissances  lorsqu'ils  se  ren- 
5)  dront  à  Moscou.  Les  ncgoclans,  les  militai- 
i->  res,  les  médecins  ,  les  artistes  et  les  artisans 
»  jouiront  des  mêmes  avantages  (168). 

Cette  paix  contenta  Tune  et  l'autre  puis- 
sance. Elle  délivrait  les  Suédois  d'une  guerre 
ruineuse  ,  consolidait  les  possessions  de  TEs- 
ihonie  et  de  îNarva  ,  et  rendait  à  la  Russie  sou 
ancienne  possession  de  Novgorod,  où  nos 
frères  et  nos  églises  gémissaient  sous  l'empire 


DE    RT'SSîE.  229 

(le  conqiK'rans  étrangers.  Fédor,  en  envoyant 
(les  Voïévodes  à  Kexiiolm  ,  lit  partir  avec  eux 
lin  évèqiie  ,  afin  d'y  pnriCier  Torlhodoxie  des 
traces  d'une  au're  religion. 

Quoique  Sten-Banner,  liorn  et  Boyé  trai- 
tassent encore  avec  nousau  nom  de  Sigismond, 
celui-ci  prenait  peu  de  part  à  ces  négociations; 
ne  s'occupant  que  faiblement  de  la  Suède  re- 
belle ,  il  était  plongé  dans  une  espèce  de  lé- 
tbargie  morale,  et  communiquait  rarement  ^..j^cTa^^Tr^ 
avec  Moscou,  même  pour  les  affaires  de  U-  LÉnic/' 
thuanie  (169).  INotre  Conseil  n'en  agissait 
qu'avec  plus  de  ruse  avecles  plénipotentiaires. 
Cherchant  à  inspirer  aux  seigneurs  Polonais 
de  la  méfiance  envers  un  roi  indolent ,  et  leiir 
faisant  remarquer  avec  élonnement  que  Si- 
gismond  mettait  dans  son  titre  le  nom  de  la 
Suède  avant  celui  de  la  Pologne  ,  ils  leur  de- 
mandèrent ,  «  Si  c'était  de  leur  aveu  qu'il 
»  abaissait  ainsi  la  couronne  des  Jagellons  au 
»  dessous  de  celle  des  Goths ,  si  nouvelle  et 
»  si  nulle?  Car  il  n'y  avait  pas  long-temps 
»  que  les  Suédois  étaient  encore  sujets  du  Da- 
»  nemarck  ,  et  qu'au  lieu  de  Souverains  ,  ils 
»  n'avaient  que  des  Régents  dont  toutes  les 


23o  HISTOIRE 

»  relations  so  bornaient  à  celles  qu'ils  cntre- 
«  tenaient  avec  les  commandans  de  Novgo- 
»  rod  ».  Mais  les  orgueilleux  seigneurs  Polo- 
nais, encore  ulcérés  de  la  iierté  altière  de  Ba- 
thori ,  chérissaient  le  débonnaire  Sigisniond , 
et  vantaient  le  bonheur  qu'il  avait  eu  de  rem- 
porter une  victoire  sur  le  Khan  de  Crimée.  Us 
espéraient  s'emparer  sans  guerre  de  TEsthonie, 
après  avoir  obtenu  de  la  Russie  une  trêve 
dont  elle  était  également  contente. 

Affaibli  par  la  malheureuse  campagne  de 
Russie ,  le  Khan  n'en  continuait  pas  moins 
d'agir  oîfensivement  envers  les  puissances 
(  hréiiennes  ses  voisines  ,  et  d'y  chercher  du 
butin.  Cette  conduite  avait  pour  principal  but 
de  ne  point  encourir  le  mépris  de  ses  Princes 
avides  ,  et  de  conserver  un  pouvoir  que  la  co- 
lère d'Amurat  lui  aurait  infailliblement  en- 
levé ;  car  le  Sultan  lui  avait  fait  les  plus  cruels 
reproches  sur  sa  fuite  pusillanime  de  Russie , 
et  dont  la  honte  rejaillissait  sur  les  drapeaux 
Ottomans  (170).  Pour  endormir  Fédor,  Kazi- 
Ghiréï  lui  écrivit,  en  l'engageant  à  renouer 
leurs  anciens  rapporis  d'amitié  ;  il  s'excusait 
sur  sa  facilité  à  croire  des  rapports  d'hommes 


DE     ET'SSIE.  2J1 

,mt'chi.ns  qui  vDiilaicnt   les  brouillvT.    L'rn- 
Toyé    de    Crinu'e  apprit   coufidcnlit'llcnicnt 
au  lic-genl ,   (jue  le   Khan  ,  connaissant  Tin- 
îtenlion  du  Sultan  de  donner  un  autre  maître 
à  la  Tauride,   était  décidé  à  abandonner  les 
Turcs  ,  à  se  réunir  de  ton  le  son  àme  au  Tsar , 
à  faire  sortir  tous  ses  camps  de  la  presqu'ile  , 
à  dévaster   la  Crimée  ,   à    fonder   j)Our   lui- 
même    un    nouvel   état   et   une    forteresse  , 
sur  les  bords  du  Dnié})er  auprès  du  passage 
de  Kochkin  ,  afin  de  servir  à  la  Russie  de  bar- 
rière insurmontable  et  (Tépouvantail  contre 
les  Ottomans(i  7 1).  Kazi-Ghiréi  demandait  seu- 
lement que  Fédor  lui  donnât  de  Targent  pour 
la  construction  de  cette  forteresse,  et  que  pour 
preuve  de  son  amitié,  et  comme  arrhes  des 
imporTans  services  qu'il  rendrait  à  l'avenir , 
le  Khan  s'engageait  à  aller  de  nouveau  ravager 
'a  Lilhuanie.  11  nous  trompait  comme  a  son 
ordinaire;  mais  nous  n'étions  pas  ses  dupes. 
INous  envoyâmes  un  courrier  en  Tauride,  en 
lui  répondant  que  nous  oublierions  tous  ses 
outrages,  s'il  voulait  être  franc  dans  sa  récon- 
cilhtion  avec   nous;  ({ue  l'amitié  du  grand 
Moiarque  chrétien  était ,  même  pour  vin  mu- 


I 


:2.)2  llISTOir.  E 

sulman,  piéférnble  au  joLi<^  Olluinan;  que, 
quoique  nous  ne  fussions  point  en  guerre 
avec  la  Lithuanie,  nous  ne  lui  en  voudrions 
pas  des  ravages  qu'il  commettrait  dans  ce  pays 
qui  élait  son  ennemi  ;  cet  acte  de  duplicité 
étant  de  Ceux  permis  en  politique.  Mais  Ten- 
voyé  n'était  point  encore  parvenu  en  Tau  ride, 
TÎt^i^  dcCri-  i<^^>rsqu'il  apprit  que  les  tsarévitchcs,  Kalga-Feti- 
™^^-  Gliiréï  et  iSouradi n  Bakhta ,  avaient  déjà  porté 

le  fer  et  la  flamme  dans  les  pays  de  Rézan,  Ca- 
ciiir  et  Toula.   Le   Piègent  ayant   négligé  de 
pourvoir  à  leur  défense ,  ils  devinrent  la  proie 
de  leur  vengeance  et  de  leur  cupidité.  Cepen- 
dant ils  ne  songèrent  point  à  marcher  contre 
Moscou  ;  ils  retournèrent  sur  leurs  pas ,   mais 
après  avoir  réduit  en  cendres   les  villages  et 
fait  prisonniers  un  grand  nombre  de  noble? 
avec  leurs  femmes  et  leurs  enfans.   Ce  défaut 
de  prévoyance  de  la  Russie  lui  valut  les  sar- 
casmes du  Khan ,  qui  dit,  avec  un  air  d'éton- 
nement,  à  un  des  envoyés  de  Fédor  :  «   Qu'est 
«  devenue  l'armée  moscovite  ?....  Nos  Tsaré- 
»  vitches  et  nos  Princes  n'ont  tiré ,  ni  lears 
j'  sabres  de  leurs  fourreaux,  ni  leurs  flèches 
M  de  leurs  carquois  ;   ils    chassaient    devant 


DE    RISSIE.  233 

«  eux  à  coups  (le  louet  des  milliers  de  pri- 
»  soniiiers ,  landis  que  vos  braves  Yoïévodes 
»  se  cacliaieiil  (Ions  les  lorèls  ».  Le  Khan, 
revêtit  cet  olliciec  Russe  d'un  habit  dor, 
lui  ordonna  d'ai-surer  Fedor  que  les  Tsaré- 
vitches  avaient  agi  sans  son  ordre,  et  qu'il 
ne  dépendait  que  de  nous  d'acheter  la  paix 
avec  la  Tau  ride,  par  de  Targent  et  des  four- 
rures précieuses. 

GeJte  paix  était  toujours  Tobjet  des  désirs  Ambass.icJe 
de  redor,  aussi  se  decida-t-a  alors  a  renouve-  nopie. 
1er  ses  relations  avec  le  Sultan.  Il  envoya  à 
Constantinople ,  par  Kafa,  le  gentilhomme 
TSasIchokin,  demander  à  Amu rat  qu'il  défen- 
dit au  Khan,  aux  Azoviens  et  aux  Bielgoro- 
diens  (172)  ,  de  ravager  la  Pmssie  ,  par  recon- 
naissance pour  nos  bonnes  dispositions  envers 
lui  :  «  Car ,  écrivait  le  Tsar  au  Sultan  ,  et  Go- 
j)  dounoff  au  grand  Visir,  nous  n'écoutons 
»  pas  l'Empereur ,  le  roi  d'Espagne ,  celui  de 
»  Lithuanie ,  le  Pape  et  le  Schah  qui  nous 
»  conjurent  de  nous  joindre  à  eux  pour  nous 
»  armer  contre  le  chef  des  Musulmans  ».  Le 
Yisir,  après  beaucoup  de  politesses,  dit  à 
l'envoyé.  «  Le  Tsar  nous  offre  son  amitié  : 


2.14  -      IirSTOIllG 

>)  nous  y  croirons  lorsqu'il  aura  consenti  à 
»  rendre  au  Sullan  Astrakhan  et  Kazan.  Nous 
»  ne  redouions,  ni  l'Europe,  ni  TAsie.  Notre 
»  armée  est  tellement  nonil)reuse ,  que  le 
»  monde  peut  à  peine  la  contenir  ;  par  terre , 
»  elle  est  prête  à  se  précipit'Tsur  le  Schah  , 
5>  la  l^ilhuanie  et  l'Empereur;  et  par  mer, 
»  sur  les  rois  d'Espagne  et  de  France.  Nous  ne 
j)  pouvons  que  louer  votre  prudence  si ,  effec- 
»  tivement ,  vous  n'avez  pas  voulu  vous 
>)  joindre  à  eux;  et  le  Sultan  ordonnera  au 
5)  Khan  de  ne  point  inquiéter  la  Pvussie,  si  le 
»  Tsar  relire  ses  Cosaques  des  bords  du  Don 
»  et  détruit  les  quatre  nouvelles  forteresses 
))  qu'il  a  fait  construire  sur  «:e  (leuve  cl  sur  le 
»  Terek,  atin  de  couper  nos  communications 
«  avec  Derbent.  Piendez-vous  h  cette  propo- 
)»  sition  ,  sinon  ,  j'en  jure  par  Dieu,  non  seu- 
»  lement  nous  ordonnerons  au  Khan  el  aux 
y>  Nogais  d'inquiéter  conSinuellement. la  Rus- 
»  sie ,  mais  nous  marcherons  nous-mêmes 
»  contre  Moscou  ,  par  terre  et  par  mer,  sans 
»  redouter ,  ni  les  fatigues,  ni  les  dangers ,  et 
»  sans  épargner,  ni  nos  trésors,  ni  notre  sang, 
w  Vous  aimez  la  paix  :  mais  pourquoi  vous 


DE  r.rssiF.  2.35 

))  mrloz  voiîs  des  alTaires  de  l'Ibérie  qui  op- 
>)  pnrlient  au  Sultan  »  ?  Naslchokin  répondit 
qu'AstraUian  vl  Kazan  étaient  ins('{)ara})les  de 
Moscou;  que  le  Tsar  ordonnerait  de  chasser 
les  Cosaques  des  environs  du  Don  où  nous 
n'avions  aucune  forteresse;  que  nos  r.q)porls 
avec  la  Géorgie  ne  provenaient  que  de  ce 
qu'elle  professait  la  même  religion  que  nous; 
que  nous  y  envoyions,  non  des  troupes,  mais 
des  })rèlres,  et  que  nous  ne  permetlious  à  ses 
hai)iians  de  venir  en  Russie,  que  pour  y  faire 
le  commerce.  Naslchokin  {)roposa  au  Yisir  de 
sVxplit[uer  avec  le  Tsar  par  le  moyen  d'un 
ambassadeur  que  le  Sultan  lui  enverrait.  Le 
Yisir  ne  le  voulut  pas  d'abord  ,  en  lui  disant  : 
«  Nous  ne  connaissons  point  cet  usage.  Nous 
«  recevons  les  ambassadeurs  étrangers,  mais 
>'  nous  n'en  envoyons  pas  chez  les  autres  ». 
A  la  lin ,  cependant ,  il  se  décida  à  faire  partir 
pour  Moscou  le  dignitaire  Tschaouch-llesvan 
avec  les  demandes  qui  avaient  été  faites  à 
Nastchokin.  De  son  côté,  le  Tsar  envoya  en- 
core à  Constantinople  ,  au  mois  de  juillet 
i5fj4,  h*  gentilhomme  Islenief,  porter  sa  ré- 
ponse et  des  présens  qui  consistaient  en  une 


236 


II I  s  T  O  T  n  E 


pelisse  de  renard  noir,  pour  le  SuUan,  et  de 
zibelines,  ponr  le  Visir.  Il  promettait  de  ré- 
primer les  Cosaf[ijes  et  de  laisser  passer  libre- 
ment les  Turcs  qjii  se  rendraient  à  Derbent, 
à  Schaniakha  et  à  Bakou ,  si  Amurat  s'enga- 
geait à  tenir  en  respect  Kazi-Ghiréï.  «  Nous 
i>  avons  ordonné,  écrivait  Fédor  au  Sultan  , 
j>  de  construire  des  forteresses  dans  les  pays 
»  de  la  Kabarda  et  du  Schafkal ,  non  pour  t'ir- 
j>  riter,  mais  pour  assurer  la  tranquillité  des 
»  habilans.  Nous  ne  vous  avons  rien  enlevé, 
»  car  les  Princes  des  montagnes,  des  Tcber- 
»  kesses  et  le  Schafkal  étaient  nos  anciens  su- 
»  jets  de  la  province  de  Pvézan.  Ils  s'enfuirent 
«  dans  les  montagnes  et  se  soumirent  ensuite 
»  à  mon  père,  leur  ancien  et  légitime  souve- 
).  rain  ».  Cette  histoire  nouvelle  de  la  Cabar- 
die  et  du  Gaguestan ,  ne  persuada  pas  le  Sultan 
que  leurs  princes  fussent  des  transfuges  de 
Kézan.  11  vit  la  tendance  de  la  politique  de 
Moscou  à  s'étendre  dans  FOrient.  Il  ne  pou- 
vait la  favoriser,  et  il  ne  songea  point  h  con- 
tribuer à  la  tranquillité  de  la  Russie,  c'est-à- 
dire  à  la  réconcilier  avec  le  Khan. 

Les  seuls  fruits  que  nous  retirâmes  de  ces 


DE    RUSSIE.  207 

ambassades  à  Conslanlinople,  furent  des  no- 
tions intéressantes  sur  l'état  de  Fempire  Oito- 
nian  et  des  Grecs.  «  Tout  est  changé  aujour- 
»  d'hui  en  Tunjuie,  disait  Naslchokin  ;  le 
»  Sultan  et  les  Pachas  ne  songent  qu'à  l'intérêt; 
«  le  premier  augmente  le  trésor,  et  l'on  ne 
»  sait  à  quelle  iîn  ;  il  cache  l'or  dans  des  cof- 
»  fres  et  ne  paye  point  l'armée  qui  dernière- 
»  ment  se  révolta  et  assaillit  le  palais,  en  de- 
»  mandant  la  tèle  du  Defterdar  ou  Trésorier. 
»  Il  n'y  a  plus  ni  ordre  ni  justice  dans  l'Em- 
»  pire.  Le  Sultan  pille  les  fonctionnaires  ,  et 
»  ceux-ci  pillent  le  peuple.  1/on  ne  voit  par- 
j)  tout  que  vols  et  assassinats  ;  plus  de  sécurité 
»  pour  les  voyageurs  sur  les  routes,  ni  pour 
»  les  marchands  dans  le  commerce  ;  ces  vio- 
»  lences  et  la  guerre  de  Perse ,  ont  épuisé 
»  l'Empire  ,  surtout  la  Moldavie  et  la  Vala- 
»  chie,  où  sans  cesse  on  change  lesHospodars 
»  par  vénalité.  Les  Grecs  sont  opprimés  et 
)'  gémissent  sans  avoir  même  d'espoir  dans 
»  l'avenir  ».  Islenief  lut  retenu  à  Constanti- 
nople  par  l'avènement  au  trône  de  Mahomet 
III,  en  i5()5  ;  ce  nouveau  Sullan,  infâme  assas- 
sin de  ses  dix-neuf  frères,  ii'allendait  qnun 


238  lIlSTOlKt 

moment  propice  pour  déclarer  ia  guerre  à  la 
Paissie.  CcpeiidanI,  (luoifju'à  Conslanlinople 
nous  irailassions  de  hrif^ands,  les  {guerriers  du 
Don  ,  lîous  leur  Iburnissions  des  nmnilions 
de  guerre,  du  plomb  et  du  salpêtre.  Leur 
nombre  s'accrut  des  Cosaques  du  Dnieper  ci 
de  lous  les  déserteurs  ,  qu'ils  accueillirent 
parmi   eux.   Ils  élaient    continuellement   en 

Iudisci[)linc  i  r«         i         tvt  '        i         n>    t 

<Vs  los.qucs   guerre  avec  Azoi  et  les  INogais,  les  1  cherkesscs 

du  Don.  1nn-I  11'  11 

et  la  lauride  ,  et  aliaient  en  mer  chercher  du 
butin  ,  tantôt  soumis  au  Tsar,  tantôt  en  ré- 
volte coiîtrekii.  isaslcholdn  écrivit  d'Azof  à 
Moscou ,  qi'.e  les  Cosaques  des  camps  clu  midi 
lui  avaient  enlevé  de  vive  force  les  présens  du 
Tsar;  qu'ils  lie  voulaient  pas  lui  rendre  sans 
rançon,  leurs  prisonniers,  un  Tschaouschdu 
Suîîan  avec  six  Princes  Tcîierkesses ,  et  que, 
dans  un  accès  de  colère  ,  ils  avaient  coupé  la 
main  à  un  d'enir'eux  en  s'écriant:  «  nous 
»  sommes  fidèles  au  Tsar  blanc  ,  mais  ceux  , 
»  dont  nous  nous  rendons  maitres  par  nos 
»  armes,  nous  ne  les  rendons  pas  pour  rien  ». 
Les  Cosaques  méritaient  d'être  punis  de  leur 
indiscipline;  mais  à  titre  d'ennciiiis  irrécon- 


DE   RUSSIE.  23q 

ciliables  de  ceux  de  la  Russie,  ils  avaient  des 
droils  à  riiiiltilgence  du  Tsar. 

iN'ayaiil  point  réussi  dans  noire  j)roj<'t  de 
maîtriser  le  Khan  par  Fentremisc  de  la  Tur- 
(piie,  nous  y  parvimmes  sans  elle  et  par  nos 
proj)res  moyens.  Nous  le  désarmâmes,  moins 
par  nos  complaisances  et  nos  négociations, 
que  par  des  mesures  sages  ,   prises  pour  la  dé- 
fense des  possessionsméridionalesde  la  Russie. 
Ayant  renouvelé  Tancienne  ville   de  Koursk 
déserte  d(îpuis  long-temps  (ivo),  et  construit 
les  forteresses  de  Livna  ,  Kroma  et  Yoronège  , 
le  Tiar,  en  uyj  ,  ordonna  d'en  bâtir  encore 
de  nouvelles  sur  loutes  les  routes  des  Tatares  , 
depuis  le  Donetz  jusqu'aux  bords  de  FOka, 
telles  que  Bielgorod  ,  Oskol  et  Yalouïka ,  et 
de  les  peupler  de  soldats  ,  de  Slreletz  et  de  Co- 
sa([ues,  ensorte  qu'il  devint  diOicile  aux  bri- 
gands de    Crimée  de   tourner  ces  forteresses 
d'où,  pendant  l'été,  il  sortait  sans  cesse  des 
détacliemens  de  cavalerie  pour  les  observer, 
et  oii  le  bruit  continuel  du  canon  les  tenait  en 
respect.   Le  Tsar,   ayant  le    glaive  dans  una 
mai  n,  de  l'or  dans  l'autre,  faisaitdire  au  Khan  : 
«  Le  Pape,  l'Empereur,  les  rois  d'Espagne , 


Cf>nslTuciioii 
de  \  iUts. 


24<^  lllSTUlllE 

j)  de  Poiiiigal  et  de  Danemark  m'ont  conjuré 
j>  de  déiruire  Ion    royaume,  pendant  qu'ils 
»  agiraient  de  toutes  leurs    forces  contre  le 
»  Sultan.  Mes  propres  Boyards,  mes  Princes, 
))  mes  Voïé\odes  et  particulièrement  les  ha- 
>»  biUmsde  l'Ukraine,  mcsnpplientëgalement 
}^  de  me  rappeler  iou'.es  vos  iniquités  et  vos 
»  cruautés,  défaire  marcher  mes  troupes  et 
»  de  ne  point  laisser  pierre  sur  pierre  dans 
»  le  centre  même  de  ta  horde.  IMais,  désirant 
»  tonannitié  et  celle  du  Sultan  ,  je  n'écoute  , 
»  ni  les  îmîbassadeurs  des  Souverains  euro- 
»  péens,  ni  les  cris  de  mon  peuple,  el  je  te 
»  propose  mon   alliance   et  de    riches  pré- 
j)  sens  (174)  ».  Obligé  par  Amurat  d'aller  sans 
cesse  d'un  pays  à  un  autre,  en  Moldavie  ,  en 
Yalachie  ou  en  Hongrie,  pour  réprimer  les 
révoltes  des  tributaires  Ottomans ,  ou  com- 
battre les  Autrichiens ,  le  Khan  fatiguait  ses 
troupes  par  des  marches  continuelles,  et  en 
perdait  un  grand  nombre  dans  les  combats , 
sans  en  retirer  d'autre  avantage  qu'un  faible 
butin.  Dans  ces  fâcheuses  conjonctures  ,  Kazi- 
Ghiréï   obtint  du  Sultan  la  permission  de 
tromper  la  Tiussie  par  une  -fausse  réconcilia- 


DE    RUSSIE.  24^ 

tion  solennelle,  éclatante  et  telle  que  nous 
n'en  avions  pas  eue  av^c  la  Tauride  dans  l'es- 
pace de  soixante-quinze  ans.  Au  mois  de  no- 
vembre iSgo,  les  ambassadeurs  du  Kiian, 
Acbmet-Pacha ,  et  ceux  de  Moscou  ,  le  prince 
Fédor  Klivorostinin  et  Bogdan  Belsky,  se 
réunirent  sur  les  bordsde  la  Sosna,  au-dessous 
de  Livna ,  pour  Us  conférences  préliminaires. 
Cette  rivière  servait  alors  de  frontière  à  la 
Russie  liabitée.  Plus  loin ,  vers  le  midi ,  com- 
mençaient lesslèpes.  L'envoyé  de  Kazi-Glnréï 
ne  voulut  pas  passer  sur  le  côté  gauche  de  la 
rivière,  craignant  de  se  livrer  entre  nos  mains, 
et  de  compromettre  ainsi  la  dignité  du  Khan. 
Les  Ambassadeurs  ,  après  s'èlre  réunis  sur  un 
pont,  convinrent  de  cesser  les  hostilités  de 
part  et  d'autre,  de  délivrer  les  prisonniers,  et 
de  conclure  une  paix  et  une  alliance  perpé- 
tuelles. A  cette  fin  ,  le  prince  de  Crimée,  Iciii- 
mamet,  devait  se  rendre  à  Moscou,  et  le  prince 
jMercure  Stcherbatoff ,  en  Tauride.  Ces  deux 
nouveaux  Ambassadeurs  s'étant  rencontrés 
sur  le  pont,  se  saluèrent  avec  politesse  et  con^ 
tinuèrent  leur  route.  Comme  gage  de  son 
amitié,  Fédor  permit  à  la  veuve  du  tsarévitche 
Toi.iE  X.  i6 


242  nisToir.  E 

Mouratqui  ctail  mort  à  Astrakhan  ,  de  se  ren- 
dre auprès  du  Khan  ;  il  envoya  à  Kazi-Ghiréï 
dix  mille  roubles ,  outre  des  pelisses  et  des 
étoiles  préeieuses ,  promettant  de  lui  en  faire 
passer  autant  ehaque  année;  entin  ,  il  parvint, 
dans  le  courant  de  l'été  de  iSg/j ,  à  recevoir  de 
r.iixarccie  lui  UH  actc  d'alHanc»;  avcc  un  cachet  d'or.  Cet 
acte  ,  par  les  condilions  qu'i}  contenait  et  par 
ses  termes ,  rappelait  les  anciens  traités  par 
lesquels  le  bon  elsage  Mengli-Ghiréï  assurait 
Ivan  lïl  de  son  amitié  Iralernelle.  Kazi-Ghiréï 
s'engageait  à  être  reiinemi  de  nos  ennemis  ;  à 
punir  sans  miséricorde  ceux  de  ses  sujets  qui 
attaqueraient  la  Russie  ;  à  rendre  le  butin  et 
les  prisonniers  qu'ils  pourraient  faire;  à  veil- 
ler à  la  sûreté  des  ambassadeurs  du  Tsar,  à 
celle  des  négocians,  et  à  ne  point  arrêter  dans 
leur  route  les  étrangers  qui  se  rendraient  à 
Moscou.  Quoiqu'il  dater  de  cette  époque ,  et 
pendant  environ  trois  ans ,  les  Tatares  de  Cri- 
mée n'eussent  pas  inquiélé  nos  possessions, 
employant  toules  leurs  forces  à  aider  le  Sullan 
dans  sa  guerre  avec  la  Hongrie  ,  Tarmée  Mos- 
covite n'en  continua  pas  moins  à  rester  sur  les 
bords  de  l'Oka ,  prête  à  combattre. 


DE   RUSSIE.  2^3 

Ce  lemps  de  paix  profonde  pour  la  Russie, 
ne  fut  pas  perdu  pour  sa  politique  extérieure. 
La  Gourde  Moscou,  tout  en  assurant  le  Sultan 
qu'uniquement  par  amitié  pour  lui,  nous 
ne  voulions  pas  nous  lier  avec  ses  ennemis , 
recherchait  leur  alliance  avec  plus  d'ardeur 
que  jamais.  Au  mois  de  septembre  i5g3  ,  TErn- 
pereur  envoya  de  nouveau  à  Moscou,  le  digni- 
taire Nicolas  Varkotsche,  pour  prouver  avec 
éloquence  la  nécessité  d'un  armement  général 
de  toutes  les  puissances  chrétiennes ,  contre  le 
Sultan  ,  et  exiger  de  nous,  ou  dos  secours  pé- 
cuniaires, ou  de  riches  pelleteries,  pour  la 
guerre  contre  les  Infidèles.  Dans  une  conver- 
sation conhdeniieile,  il  dit  à  Godounoff ,  que 
Rodolphe  avait  le  projet  d'épouser  la  fille  de 
Philippe,  roi  d'Espagne,  et  de  s'approprier  la 
France ,  du  consentement  d'un  grand  nombre 
de  seigneurs  de  ce  pays  ,  qui  délestaient 
IJenri  IV  ;  que  Sigismond  ,  offensé  de  l'arro- 
gance et  de  l'indépendance  des  seigneurs  Polo- 
nais ,  voulait  abdiquer  la  couronne  des  Jagel- 
lons  et  retourner  en  Suède  ;  que  Maximiiien  , 
frère  de  l'Empereur,  avait  de  nouveau  l'espoir 
d'élre  roi  de  Pologne ,  et  pi'iait  Fédor  de  l'ai- 


244  HISTOIRE 

dcr  de  tous  nos  moyens  pour  y  parvenir,  pro- 
mettant de  cédera  la  lUissie  une  partie  de  Ja 
Livonie.   Les  Boyards   répondirent  au   nom 
du  Tsar  :  «  ]^e  grand-père  ,  ie  père  de  lédor  et 
»   Fédor  lui-même  ont  témoif^iié  plus  d'une 
»  fois,  à  la  Cour  de  Vienne,  leur  disposition 
))  de   se  joindre  à  l'Europe,  pour  combattre 
»  les  Ottomans;  mais  c'est  envain  que  nous 
j>  avons  attendu,  jusqu'à  présent  et  ([ue  nous 
>)  attendons  encore  une  ambassade  à  Moscou  , 
»  de  la  part  de  FEmpereur,  de  l'Espagne  et 
>^  de  Rome,   pour  établir  nos  conventions. 
»  Nous  ne  refusons  pas  l'argent,  pourvu  que 
i>  le  grand  oeuvre  du  salut  et  de  la  gloire  des 
»  Chrétiens  commence.  Le  Tsar  souhaite  en 
j)  tout  le  plus  grand  succès  à  l'Empereur  ;   il 
»  agira  avec  le  plus  grand  zèle,  afin  de  procurer 
»  la  couronne  de  Pologne  à  Maximiiien  ,  et , 
»  dans  ce  cas,  nous  lui  céderons  toute  la  Li- 
»  vonie ,  à  l'exception  de  Dorpat  et  de  Narva , 
»  qui  sont  indispensables  à  la  lUissic  ».  On 
congédia  Yarkotche  en  lui  remettant  des  lettres 
pour  Piodolphe ,  pour  Philippe  et  pour  le 
Pape,  auxquels  nous  demandions  qu'on  en- 
voyât au  plutôt  des  ambassadeurs  à  Moscou  ^ 


DE     RUSSIE.  2^5 

de  même  qne  pour  le  prince  de  Suède  ,  Gus- 
tave fils  d'Erick ,  à  ([ui  Fédor  offrait  un  refuge 
eu  ces  termes  :  «  j\os  pères  étaient  amis  et 
»  alliés,  ayant  appris  que  tu  errais  en  fugilif, 
»  en  Italie ,  je  t'invite  à  venir  en  Russie  où  tu 
»  auras  un  traitement  convenable,  plusieurs 
»  domaines,  une  vie  tranquille,  et  la  liberté 
»  d'en  sortir  et  d'aller  où  bon  te  semblera  et 
»  quand  tu  le  voudras  ».  La  suite  nous  ex- 
pliquera pourquoi  nous  faisions  ces  avances  à 
Gustave. 

Cependant  l'indolent  Piodolphe  combatlait 
le  Sultan  en  Hongrie ,  et  ne  se  hâtait  pas  de 
conclure  une  alliance  avec  la  Faissie.   Au  mois 
d'août   1594,  il  arriva  à   Moscou  un  de  ses 
envoyés  avec  une  lettre  singulière,  en  latin 
et  ouverte ,  adressée  en  même  temps  à  Fédor 
et  à  riîospodar  de  Moldavie  Arron ,  au  voïé- 
vode  de  Briaslavle  ,  et  aux  Cosaques  du  Dnie- 
per; voici  ce  qu'elle  contenait  :  «  Le  porteur 
»  de  la  présente  ,  Stanislas  Chlopitzky ,  chef 
»  des  guerriers  Zaporogues  ,  nous  a  témoigné 
»  le  désir  de  servir  FEmpire  contre  l'infidèle 
«  vSultan,  avec  huit  ou  dix  mille  Cosaques  ; 
))  nous  l'avons  accueilli  avec  plaisir  et  lui 


2.\G  HISTOIRE 

»  avons  remis  iiolrc  hanninrc,  portant  une 
«  aigle  noire,  à  condition  quMl  fermerait  tous 
»  les  passages  aux  Tal  ares  de  Crimée,  vers  le 
»  Danube,  et  porterait  le  fer  et  la  flamme  dans 
»  les  possessions  du  Sultan,  en  épargnant  la 
»  Lithuanie  et  les  autres  pays  chrétiens.  C'est 
î>  pourquoi  nous  vous  prions  de  favoriser 
»  notre  serviteur  dévoué  (175)  ».  L'adresse  à 
Fédor  était  visiblement  controuvée  :  l'Empe- 
reur ne  pouvait  tenir  le  même  langage  au  Tsar 
et  aux  Cosaques.  Chlopitzky,  en  causant  avec 
les  Boyards,  les  informa,  au  nom  de  Pvodol- 
phe,  des  victoires  de  rEmpereurelderalliance 
que  le  prince  de  Transylvanie  et  les  bospodars 
de  Moldavie  et  de  Yalachie  avaient  conclue 
avec  lui  ;  il  les  assura  que  les  Zaporogues ,  re- 
gardant la  Russie  comme  leur  véritable  patrie, 
n'osaient  agir  sans  la  volonté  du  Tsar  ,  et  de- 
manda que  Fédor,  après  leur  avoir  donné 
quelques  troupes  moscovites,  leur  ordonnât 
de  marcher  avec  elles  et  sous  les  drapeaux  de 
la  Russie,  contre  les  Turcs,  On  ne  laissa  pas 
parvenir  Chlopitzky  jusqu'au  Tsar,  en  lui  re- 
présentant l'inconvenance  de  la  lettre  de  l'Em- 
pereur ;  et  on  lui  dit  :  «  Le  Tsar ,  par  considé- 


DE     RUS  S  IF..  247 

*  vallon  pour  Rodolphe,  te  laisse  parlirsans 
»  colère,  et  il  écrira  à  Bogdan  ^likochiiisky , 
»  helinan  des  Zaporogucs,  qu'ils  peuvent  ser- 
»  vir  l'Empereur  ».  Cette  circonstance  est  très- 
remarquable  ,  en  ce  qu'elle  présente  les  Cosa- 
ques du  Dnieper  comme snjetsde  laLilhuanie, 
qui  elle-même  tremblait  d'offenser  le  Sultan  , 
s'alliant,  contre  le  gré  de  leur  Souverain,  à 
r Empereur  pour  faire  la  guerre  aux  Turcs,  et 
se  reconnaissant ,  en  quelque  façon,  dépen- 
dans  du  Tsar.  Quoique  cette  alliance  illégale 
n'eut  point  pour  l'Autriche  le  succès  qu'elle 
en  attendait  ;  quoique  le  gouvernement  Li- 
thuanien punit  les  Cosaques  de  cette  manière 
indépendante  d'agir,  en  leur  ôlant  les  canons, 
les  drapeaux,  les  trompettes  d'argent,  la  mas- 
sue qui  leur  avaient  été  donnés  par  Etienne 
Bathori ,  et  l'aigle  noire  de  l'Empereur  (17(3)  ; 
cependant  les  souvenirs  d'une  ancienne  pa- 
trie commune,  l'unité  de  religion,  l'oppres- 
sion sous  laquelle  gémissait  l'Eglise  grecque 
en  Lithuauie,  et  la  vengeance  nationale,  pré- 
paraient déjà  dans  l'àme  des  guerriers  du 
Dnieper,  le  désir  de  réunir  leur  contrée  flo- 
rissante à  l'empire  de  Moscou. 


2  j8  IIISTOir.  E 

Fédor  voulant  obtenir  un  résultat  de  nos 
longues  et  inutiles  négociations  avec  l'Aulii- 
che,  envoya  un  courrier  à  Rodolplie  (177)  , 
pour  lui  demander  les  véritables  raisons  des 
relards  qu'il  apportait  dans  une  affaire  d'une 
aussi  haute  importance.  Il  apprit  que  Nico- 
las Yarkolche,  ayant  quitté  la  Russie,  avait 
trouvé  l'Empereur  à  Prague,  mais  qu'il  n'a- 
vait pu  lui  être  présenté  que  long-temps  après 
son  arrivée,  à  cause  de  l'indolence  ordinaire 
de  ce  Monarque  ;  que  Rodolphe  avait  enfin 
communiqué  à  la  Dièle  des  électeurs  la  ré- 
ponse favorable  dé  Fédor,  et  que  ceux-ci,  atta- 
chant un  grand  prix  à  falliance  de  la  Russie  , 
avaient  obtenu  de  lui  qu'il  envoyât  une  nou- 
velle ambassade  à  Moscou.  Quelques  mois 
après,  en  décembre  1594  1  arriva  dans  cette 
ville  le  même  Varkotche ,  avec  la  nouvelle  que 
les  Turcs  se  renforçaient  de  plus  en  plus  en 
Hongrie.  Il  demandait  de  prompts  secours 
pécuniaires,  et  nous  étonnâmes  l'Autriche  par 
secouis.ion-  jjQtre  eéuérosité ,  en  envoyant  à  l'Empereur, 
^'"^-  pour   les  frais  de  la  guerre ,  quarante  mille 

trois  cent  soixante  zibelines,  vingt  mille  sept 
cent    soixante  martres  ,   cent  vingt  renards 


DE    RUSSIE.  249 

noirs,  trois  cent  trente-sept  mille  deux  cent 
Irenle-cinrj  petits-gris,  et  trois  mille  castors  , 
valant  quaranle-qiiatre  mille  roubles  (Talors. 
Le  gentilhonnne  du  Conseil,  Yéliaminolf, 
fut  chargé  de  les  porter;  on  lui  rendit  des 
honneurs  extraordinaires  à  Prague  :  les  trou- 
pes étaient  sous  les  armes  dans  toutes  les  rues 
par  lesquelles  il  devait  passer,  pour  se  rendre 
au  palais,  dans  la  voiture  de  l'Empereur;  il 
reçut  des  invitations  de  toutes  parts  et  fut 
Tobjet  de  toutes  les  prévenances.  Il  était  sans 
cesse  prié  à  des  diners  qui  étaient  toujours 
accompagnés  de  musique  ;  cet  envoyé  ,  cepen- 
dant, ne  recherchait  point  ces  occasions  de 
plaisir,  disant  que  le  Tsar  pleurait  la  mort  de 
sa  hlle ,  et  que  toute  la  Russie  pleurait  avec 
lui.  Après  avoir  étalé ,  dans  vingt  chambres  du 
palais,  les  présens  de  Fédor  aux  yeux  de  FEni- 
pereur  et  de  ses  seigneurs,  il  satisfit  leur  cu- 
riosité par  la  description  de  la  Sibérie  si  riche 
en  belles  fourrures ,  mais  il  ne  leur  dit  pas  le 
prix  de  cet  envoi  du  Tsar,  que  les  juifs  de 
Bohème  et  les  marchands  estimèrent  à  huit 
tonneaux  d'or.  Yéliaminoff  fit  sentir  au  mi- 
nistère Autrichien  qu'un  secours  pécuniaire 


2,>0  IJISTOIIVE 

fleceite  importance  prouvait  toute  lasincdrilé 
des  bonnes  dispositions  de  Fédor  ,  malgré  les 
retards  inexplicables  de  l'Empereur  et  de  ses 
alliés  ,  à  conclure  un  traité  solennel  avec 
nous.  On  comprend,  en  effet  diflicilement 
pourquoi  la  Cour  de  Vienne  avait  l'air  d'évi- 
ter celte  alliance ,  beaucoup  plus  dangereuse 
ri  sujette  à  des  chances  plus  fâcheuses  pour 
nous  que  pour  l'Autriche,  puisqu'elle  devait 
conduire  la  Russie,  qui  était  en  paix,  à  une 
guerre  avec  le  Sultan,  qui  combattait  déjà 
rAutriche.  L'Empereur  répondit  au  Tsar  , 
que  l'éloigncKienl  des  lieux,  la  haine  qui  exis- 
tait en  Espagne  contre  l'Angleterre  et  la 
France  ,  les  troubles  des  Pays-Bas,  la  vieillesse 
de  Philippe  et  le  nouvel  avènement  du  pape 
Clément  VIII,  retardaient  une.  alliance  gé- 
nérale des  puissances  chrétiennes  contre  les 
nii.sireAm-  Ottomaus.  Ileuvova  Dourtanl  aupTcs  dc  Fédor 

l;:>f.sinJeur     de  j      l  x 

lEmpcreui.  j^jq  grand  de  sa  Cour,  Abraham  ,  burgrave  de 
Donau(i78),  avec  un  membre  du  Conseil, 
Georges  Kal,  vingt  gentilshommes  et  quatre- 
vingt-douze  valets. 

Cette  ambassade  ne  satisfaisait  que  Tamour- 
propre  de  la  cour  de  Moscou  par  sa  magniti- 


DE     RUSSIE.  2JI 

ccncc  ,  et  en  exigeait  une  pareille  de  sa  part. 
Le  Ijingrave ,  en  traversant  la  Russie,  vit, 
dans  toutes  les  villes  et  à  tous  les  relais,  une 
quantité  de  gens  proprement  vêtus  et  rassem- 
blés des  endroits  les  plus  éloignés  par  ordre 
du  Tsar,  afin  de  lui  prouver  combien  le  pays 
était  peuplé  et  riche.  Depuis  la  frontière  jus- 
qu'à Moscou,  il  fut  reçu  et  accompagné  par 
des  détachemens  de  troupes ,  montés  sur  de 
magnifiques  chevaux.  Partout  sur  son  passage, 
il  trouvait  le  luxe  et  toute  espèce  d'agrémens  , 
à  la  liberté  près;  car,  sans  cesse  on  veillait 
autour  de  lui,  afin  qu'il  ne  vint  à  sa  connais- 
sance rien  de  ce  qui  pouvait  offenser  l'amour- 
propre  des  Russes.  A  Moscou  ,  cet  illustre 
étranger  fut  conduit  par  les  plus  belles  rues  et 
devant  les  plus  beaux  édifices.  On  lui  assigna 
pour  demeure  Télégante  maison  du  prince 
Nosdrovatoï.  On  lui  donna  le  service  de  la 
Cour.  On  lui  apportait ,  sur  des  plats  d'or  et 
d'argent,  toutes  les  friandises  de  la  table  du 
Tsar,  et  on  lui  servait  les  vins  les  plus  pré- 
cieux du  midi  de  l'Europe.  Le  jour  de  son  au- 
dience ,  le  22  mai  iSgy,  la  cour  de  Moscou 
resplendissait  de  magnificence.  Le  Burgravc, 


252  HISTOIRE 

ayant  la  goutte,  ne  put  montera  cheval ,  mais 
il  se  rendit  au  Kremlin  dans  une  voiture  alle- 
mande ,  ouverte.  Il  était  précédé  par  cent 
\ingt  cavaliers  nobles,  couverts  d'habits  ma- 
gniliques.  Fédor  le  reçut  dans  le  grand  Palais 
Joré-,  assis  sur  son  trône,  le  diadème  sur  la 
tète  et  le  sceptre  en  main.  Godounoff  était 
debout  derrière  lui  et  tenait  la  pomme  d'or  ; 
à  sa  droite  étaient  assis  le  tsarévitche  Araslan- 
Aley,  fils  de  Kaïboula,  Mamet-Koul,  de  Si- 
bérie ,  et  le  prince  Mstislafsky  ;  à  sa  gauche  , 
Ouraze  Malimet ,  tsarévitche  des  Kirguisses  ; 
plus  loin  étaient  les  Boyards,  les  tils  des  Hos- 
podars  de  Moldavie  et  de  Valachie ,  les  grands 
Ofiiciers,  les  Gentilshommes  du  Conseil, 
deux  cents  Princes  et  Nobles;  les  Secrétaires 
du  Conseil ,  étaient  dans  un  appartement 
voisin.  L'Empereur  envoyait  en  présent ,  au 
Tsar,  les  reliques  de  Saint-Nicolas  renfermées 
dans  une  chasse  d'or  ,  deux  voitures  ,  douze 
chevaux,  une  pendule  avec  de  la  musique  et 
quelques  vases  en  cristal  ;  à  Godounoff,  un 
bocal  précieux ,  orné  d'émeraudes  ,  une  pen- 
dule et  deux  étalons  avec  des  housses  de  ve- 
lours ;  et  à  son  jeune  fils  ,  Fédor,  des  singes  et 


DE     RUSSIE.  253 

(les  perroquets.  li  adressait  ses  remereîmens 
au  ïsar  et  au  Kégenl  ;  celui-ei  permit,  quel- 
ques jours  après  ,  à  rAnibassadeur  ,  de  venir 
dans  sa  propre  maison  ;  et  prenant  un  air  de 
Souverain,  il  lui  adressa  des  paroles  graeieu- 
ses  et  donna  sa  main  à  baiser  aux  Gentilshom- 
mes d'Ambassade. 

Mais  ,  la  magnificence  et  le  bon  accueil  ne 
produisirent  rien  d'important.  L'Ambassa- 
deur d'Autriche,  en  entamant  l'afiaire  priil- 
cipale,  déclara  que  liodolphe  attendait  de 
nous  de  nouveaux  services  ;  que  nous  devions 
nous  opposer  aux  incursions  du  Khan  en 
Hongrie  et  à  la  paix  du  Schah  avec  le  Sul- 
tan ;  que  nous  devions  donner  encore  à  TEm- 
pereur  des  secours  pécuniaires  à  des  époques 
iixcs  ,  et  dont  les  quotités  seraient  réglées  en 
or  ou  en  argent  et  non  en  pelleterie  ,  car 
l'Autriche  ne  pouvait  s'en  défaire  avantageu- 
sement en  Europe.  Mais  les  Boyards  répon- 
dirent catégoriquement  que  ,  sans  un  engage- 
ment mutuel  et  par  écrit  de  la  part  de  l'Autri- 
cîie  ,  Fédor  n'était  point  disposé  à  prodiguer 
pour  elle  les  trésors  de  la  Piussie  ;  qu'Islenief, 
envoyé  par  le  Tsar  avait  été  retenu  à  Constan- 


2j4  histoire 

linople  ;i  cause  des  secours  pécuniaires  que 
nous  avions  accordés  à  liodolplie  ;  que  tou- 
jours nous  lenions  le  Klian  en  res})ect ,  et  que 
depuis  long-temps  nous  aurions  obtenu  Tal- 
liance  de  l'Europe  chrétienne  avec  la  Perse, 
si  ri^mpereur  ne  nous  avait  point  trompés 
par  de  vaines  promesses.  En  même  temps  il 
arriva  à  Moscou,  un  couriier  de  Maximilieii 
qui  désirait  queFédor  lui  accordât  dessecours 
en  argent,  pour  Faider  à  obtenir  la  couronne 
de  Pologne  ;  on  désirait  qu'il  l'obtînt,  mais 
on  lui  reiusa  l'argent.  Le  Burgrave  qui  lia 
Moscou  au  mois  de  juillet ,  ii'eroporlant  que 
beaucoup  d'honueurs  et  de  riches  présens. 
LcLrVnt.iu  Ce  qu'il  y  a  de  plus  étonnant  c'est  que  Ro- 
cou.  dolphe  ,  pour  excuser  ses  (ielais,  preiextait  Je 

nouvel  avènement  du  pape  Clément  VIII ,  et 
que  ce  pape  envoyait,  à  cette  époque  même, 
auprès  de  Fédor,  par  la  Litlmanie,  le  légat 
Alexandre  Comuleus  pour  la  même  affaire, 
conjurant  le  Tsar  de  délivrer  les  puissances 
chrétiennes  du  joug  des  Otlomans  (179).  Il 
est  douteux  que  Comuleus  et  l'ambassadeur 
Autrichien  se  soient  vusii  Moscou  ;  du  moins 
ils  parlaient  et  agissaient  sans  la  moindre  com- 


DE    RUSSIE.  2J^ 


municnllon  enlrc  eux.  Le  Pape,  avec  la  finesse 
ordinaire  de  la  cour  de  Pvome  ,  flatlail  le  Tsar 
el  la  Russie  ;  il  lui  représenlait  que  les  Otto- 
mans, une  fois  uiailres  de  la  Hoii.^rie,  pou- 
vaient s'emparer  également  de  la  Pologne  et 
de  la  Litliuanie  ;  que  déjà  ils  touchaient  à  nos 
possessions,  ayant  soumis  d'un  autre  côté  une 
partie  de  la  Géorgie  et  de  la  Perse  ;  et  que  Teiri- 
pire  deByzance  et  beaucoup  d'autres  n'avaient 
trouvé  leur  ruine  que  dans  leur  trop  grand 
amour  pour  la  paix,  dans  leur  inaction  et 
dans  leur  imprévoyance  des  dangers.  Il  était 
facile  àFédor  ,  disait-il,  d'envoyer  des  troupes 
en  Moldavie,  et  de  s'emparer  des  villes  appar- 
tenantau  Sultan,  surles  bords  delà  mer  Noire, 
où  nous  attendaient  la  gloire  et  un  riche  butin  ; 
cl  oh  nous  pourrions  nous  perfectionner  dans  Varl 
de  la  guerre^  en  voyant  comment  les  Allemands, 
les  Hongrois  et  les  Italiens  combattent  les 
Turcs  ,  et  combien  ils  ont  d'avant^ige  sur  eux. 
Il  ne  dépendait  que  de  nous,  ajoutait-il,  de 
réunir  à  la  liussie  des  contrées  que  la  beauté 
du  climat ,  la  fertilité  du  sol  et  les  richesses  de 
la  nature,  rendaient  heureuses  et  llorissan  tes; 
et  de  nous  ouvrir,  parla  Tiirace,  un  chemin 


^56  HISTOUIE 

jusqu'à  Byzance  ,  domaine  hérc'ditaire  dis 
souverains  de  Ja  Russie.  Le  zèle  de  la  religion, 
disail-il  encore  ,  rapproche  les  distances; 
Rome  et  IMadrid  élaient  loin  du  Bosphore, 
cependant  Constanlinople  verrait  les  éten- 
dards du  Saint  Apôtre  et  de  Philippe;  les  peu- 
ples opprimés  par  les  Turcs  étaient  nos  frères, 
parleur  langage  et  leur  religion  ;  le  moment 
était  favorable,  les  troupes  Ottomanes  ayant  été 
défaites  en  Perse  et  en  Hongrie.  Enfin  ,  ajou- 
tait-il, au  centre  de  FEmpire  Turc  où  il  n'était 
point  resté  la  moitié  des  habitans,  régnait  le 
plus  complet  désordre.  Les  passages  suivans 
des  instructions  données  par  le  Pape  au  Légat, 
sont  également  dignes  d'être  remarqués  : 
«  Nous  avons  appris  que  les  Souverains  de 
«  Moscou ,  aiment  à  se  glorifier  de  descendre 
»  des  anciens  Empereurs  Romains  et  se  don- 
»  nent  des  titres  pompeux  ;  expliquez  aux 
»  Boyards,  que  les  degrés  de  la  dignité  et  de 
»  la  grandeur  des  Monarques  doivent  être 
))  coniirmés  par  nous,  et  citez  pour  exemple, 
»  les  rois  de  Pologne  et  de  Bohème  qui  doi- 
»  vent  leur  couronne  au  chef  de  l'Eglise  œcu-« 
«  ménique.  Cherchez  à  imprimer  dans  leurs* 


DE   rii'ssiE.  207 

»  àmcsle  respecl  pour  le  chef  des  ehréliens, 
»  traii(|uilles  et  heureux  sous  notre  pouvoir 
»  spirituel.  Cherchez  à  persuader  que  la  véri- 
»  tahle  Eglise  de  Jésus-Chrisl  est  à  Rome  et 
>>  iK)ii  à  Conslanlinople,  où  les  infidèles  Sul- 
»  tans  vendent  les  titres  de  Patriarches  cscla- 
»  ves,  étrangers  à  l'influence  du  Saint-Esprit  ; 
»  que  dépendre  des  prétendus  pasteurs  de 
»  Byzance ,  c'est  dépendre  des  ennemis  du 
»  Sauveur,  et  queFillustre  Russie  est  digne 
»  d'un  plus  heau  sort.  Vous ,  homme  éclairé , 
»  vous  connaissez  la  différence  des  dogmes 
»  des  religions  Romaine  et  Grecque  ;  persua- 
»  dez  les  Russes  des  vérités  de  notre  ortho- 
»  doxie ,  avec  force ,  mais  avec  ménagement , 
>»  et  d'autant  plus  qu'ils  aiment  la  précision  , 
»  et  que,  parlant  leur  propre  langue,  vous  ne 
»  pouvez  vousexcuser  sur  l'ignorance  delà  vé- 
»  ritable  valeur  desmots.  Maisque  d'avantages 
»  n'avez-vous  pas  sur  tous  les  docteurs  qui 
»  ont  été  envoyés  chez  eux  de  Rome,  dans 
»  l'espace  de  sept  siècles ,  et  qui  ne  connais- 
)■>  saient,  ni  la  langue,  ni  les  usages  des  Russes? 
»  Si  le  Tout-Puissant  couronne  votre  entre- 
7)  prise,  s'il  ouvre  un  chemin  à  la  réunion 

T'J3IE    X.  17 


258  HISTOIRE 

»  des  religions,  notre  cœur  sera  consolé,  et 
»  par  la  gloire  de  TEglise,  el  par  le  salut  d'une 
»  cpianlilé  innombrable  d'âmes  ».  Nous  sa- 
vons que  Tambassadeur  de  Clément  vint  deux 
fois  à  Moscou  avec  ces  mêmes  instructions, 
en  1095  et  en  i5()7  ;  mais  nous  ne  connaissons 
rien  de  ses  négociations  qui,  au  reste,  n'eurent 
pas  des  résultats  importans,  et  diminuèrent 
])robablement,  au  moins  pour  quelque  temps, 
les  espérances  qu'avait  conçues  Rome ,  de 
conclure  nne  alliance  politique  et  spirituelle 
avec  la  Russie. 
Amiù.; entre       En  promettant  à  l'Empcreur  et  probable- 

Fédor     et     le 

schah ^Vbbas.  ment  au  Pape,  un  allié  lidèle  dans  le  Schah  de 
Perse  ,  nous  pouvions  effectivement  tenir 
notre  parole,  ayant  renouvelé  nos  rapports 
d'amitié  avec  lui.  Déjà  l'illustre  Schah  Abbas 
se  préparait  à  des  exploits  glorieux  qui  lui 
méritèrent  dans  l'Histoire  le  nom  de  Grand; 
héritier  d'un  empire  désorganisé  par  la  fai- 
blesse de  Tamasse  et  de  Godabent,  troublé 
parles  révoltes  des  Khans  apanages,  restreint 
par  les  conquêtes  des  Turcs ,  il  ne  voulait  ob- 
tenir de  ces  derniers  qu'une  paix  momenta- 
née, pour  s'allerniir  sur  le  trône  et  appaiser 


DE     RLSSIE.  25q 

les  rebelles  de  son  pays;    il  cherchai l  à  con- 
iiailre  les  rapports    qui    existaient  entre  les 
Etats  les  j)liis  éloignés;  saluant,  au-delà  des 
mers ,  un  fidèle  allié  dans  le  roi  d'Espagne  ,  il 
en  voyait  un  bien  j)Uis  fort  dans  le  puissant 
monarque  de  la  Fiussie,  dont  les  possessions 
conlinaient  déjà  avec  la  Perse  et  la  Turquie. 
Azi  Khosref ,  nouvel  ambasSvideur  du  Schali , 
après  avoir  remis  une  lettre  amicale  d'Abbas  , 
s'occupa  principalemeîit  à  flatter  le  Régenl  ; 
dans  les  entrevues  particulières  qu'il  eut  avec 
lui,  il  lui  disait ,  avec  la  pompe  des  expressions 
orientales  :  «   D'une  seule  main  tu  gouvernes 
»  le  pays  Russe,   tu  dois  tendre   l'autre  au 
»  Schah  et  établir  une  amitié  fraternelle  entre 
»  lui  et  le  Tsar  (i8o)  ».  Boris  répondit  mo- 
destement :  «  Je  ne  fais  que  remplir  la  volonté 
»  de  mon  Souverain;   son  impulsion  seule 
»  dirige  mon  esprit  ».  Mais  il  se  chargea  d'être 
auprès  de  Fédor  le  plus  ferme  appui  du  Schah. 
L'Ambassadeur  expliqua  à  Godounoff  que  la 
trêve ,   conclue  par  la  Perse  avec  les  Turcs  , 
n'était  qu'une  ruse  de  guerre.  «  Afin  de  les 
»  endormir  ,  lui  dit-il ,  le  Schah  leur  a  donné 
»  son  neveu  âgé  de  six  ans  pour  otage   ou 


260  HISTOIRE 

»  pour  vicllnie;  ils  n'ont  qu'à  le  tuer  au  pre- 
»  niier  moment  où  ils  verront  briller  nos  ci- 
»  melères,  et  tout  n'en  ira  (pie  mieux  ,   ear  le 
«  terrible  Abbas  n'aime ,  ni  ses  neveux ,  ni  ses 
»  frères,  et  il  leur  réserve  le  repos  éternel  delà 
»   tombe  ou  la  nuit  des  eaeliots  ».  Azi  ne  calom- 
niait point  le  Sebah.  Cependant  ce  destructeur 
impitoyable  de  sa  race  déploya  les  qualités  et 
l'appareil  d'un  grand  monarque  aux  yeux  de 
l'ambassadeur  de  Fédor ,   le  prince  Svénigo- 
rodsky,  qui  devait  prendre  connaissance  de 
l'état  des  choses  en  Perse  et  des  projets  d' Abbas. 
En  1594,  cet  envoyé  traversa  le  pays  de  Gbi- 
lan ,  déjà  soumis  au  Schab  qui  en  avait  cbassé 
le   roi   Acbmet  ,   accusé  par  lui  d'inlidélité. 
L'ordre  etla  tranquillité  qui  y  régnaient  prou- 
vaient l'infatigable  acliviié  du  nouveau  Sou- 
verain. On  traita  partout  avec  distinction  l'am- 
bassadeur de  Fédor.  Abbas  le  reçut  à  Kachan , 
environné  d'une  Cour  brillante  deTsarévit- 
cbes  et  des  grands  de  son  Empire.  11  portait  à 
son  côté  im  sabre  enrichi  de  diamans,  et  il 
avait  auprès  de  lui  un  arc  et  une  fièclie.  Il  lui 
tendit  la  main  sans  lui  proposer  de  baiser  son 
pied  ;  il  témoigna  la  plus  grande  satisfaction, 


DE    RîSSIE,  2G1 

ri  fit  l't'logo  du  Tsar  et  de  Godounoff.  Les 
plaisirs  et  ies  festins  précédèrent  les  affaires; 
pendant  le  jour,  il  y  eut  des  promenades  dans 
les  jardins,  de  la  musique  ,  des  danses  et  des 
exercices  niililaires  dans  lesquels  Abbas  lui- 
même  montra  une  grande  adresse  ,  tant  à  lan- 
cer un  coursier  avec  la  rapidité  de  l'éclair, 
qu'à  IVapper  juste  un  but  avec  des  flèches.  Le 
soir  on  fit  des  feux  de  joie;  on  illumina  les 
jardins,  les  cascades,  les  places  publiques  et 
les  boutiques,  où  se  précipitait  une  foule  de 
peuple,  et  où  Ton  étalait  les  plus  riches  pro- 
ductions de  TAsie.  Le  Schah  se  glorifiait  de 
son  armée,  de  l'état  florissant  des  arts  et  du 
commerce  ,  et  de  sa  magnificence.  En  mon- 
trant au  prince  Svénigorodsky  ses  nouveaux 
palais,  il  lui  dit:  »  Ni  mon  père,  ni  mon 
»  grand-père  n'en  eurent  de  pareils  ».  Il  lui 
lit  voir  aussi  son  trésor,  et  lui  lit  admirer  un 
diamant  jaune  qui  pesait  cent  zolonitks,  et 
qu'il  destinait  en  cadeau  au  Tsar ,  la  riche  selle 
de  Tamerlan  ,  des  cuirasses  et  des  casques  tra- 
vaillés en  Perse.  A  diner,  l'ayant  placé  à  côté 
de  lui,  le  Schah  lui  dit  :  «  Vois-tu  l'ambas- 
»  sadeur  des  Indes  qui  est  placé  plus  bas  que 


2G2  HISTOIRE 

j>  loi:  son  maître,  Djcladiii-Aïber,  possède 
«  des  contrées  Incommensurables  et  prescjne 
}>  Jesdeux  tiers  du  monde  peuplé  ;  mais  j'es- 
»  lime  encore  plus  ton  maître  que  lui  ».  En- 
suite Abbas  commença  à  traiter  d'affaires  avec 
le  prince  Svénigorodsky  ;  il  l'assura  qu'il  était 
fermement  résolu  à  chasser  les  odieux  Otto- 
mans des  possessions  occidentales  de  la  Perse, 
mais  qu'auparavant  il  voulait  reprendre  le 
Khorozan  à  Abdoula ,  Tsar  de  Bukharie ,  qui 
s'en  était  emparé  dans  les  malheureux  temps 
de  Godabent,  et  qui  avait  aussi  conquis  le 
pays  de  Kliiva.  «  Je  ne  nourris,  dit-il,  qu'une 
»  seule  grande  idée,  celle  de  rétablir  Tinté- 
»  grité  et  la  gloire  de  l'ancienne  Perse.  J'ai 
»  quarante  mille  homme  de  cavalerie ,  trente 
j)  mille  d'infanterie  et  six  mille  canonniers. 
i)  Je  conmiencerai  par  mettre  à  la  raison 
M  l'ennemi  le  plus  voisin  et  je  parviendrai 
i>  jusqu'au  Sultan  ,  j'en  fais  le  serment.  Il  me 
D  suffira  de  la  promesse  sincère  du  souverain 
»  de  Moscou,  de  me  seconder  lorsqu'arrivera 
»  le  moment  de  cette  grande  entreprise,  afin 
»  que  nous  en  partagions  et  la  gloire  et  les 
»  avantages  ».  Abbas  consentait  à  entrer  en 


DE    RUSSIE.  263 

rnpporls  avec  TAii triche  ;  son  Ambassadeur 
vil  celui  de  l\odolplie  ,  à  Moscou  ;  il  nous  cé- 
dait sans  opposition  Tlbérie,  mais  il  ajouta  : 
«  Le  Tsar  Alexandre  trompe  la  Ilussie;  il  me 
»  manque  de  respect  et  paye  secrètement  un 
»  tribut  au  Sultan  ».  Constantin,  fils  d'A- 
lexandre, se  trouvait  en  otage  en  Perse  ,  ou  , 
de  gré  ou  de  force,  il  avaitembrassé  Tlslamisme 
et  avait  épousé  une  musulmane.  Le  Schali  , 
pour  complaire  à  Fédor,  lui  permit  d'aller  à 
Moscou;  mais  le  jeune  Prince  s'y  refusa ,  et 
dit  à  notre  Ambassadeur  ,  en  versant  des  lar- 
mes :  «  Mon  sort  est  de  mourir  ici  dans  un 
»  honorable  esclavage  ».  Abbas,  pour  prou- 
ver toute  Tamilié  qu'il  portait  à  la  Piussie,  vint 
inopinément  visiter  le  prince  Zvénigorodsky, 
amenant  avec  lui  Azim ,  Tsar  chassé  de  Khiva, 
et  son  premier  ministre,  Tergat-Khan.  Il  y 
but  du  vin  et  de  l'hydromel  (car  il  aimait  les 
boissons  fortes,  en  dépit  de  Mahomet).  Il 
examina,  avec  la  plus  grande  attention ,  les 
images  de  la  Yierge  et  de  Saint  Nicolas.  Il  ac- 
cepta de  l'Ambassadeur  un  bonnet  de  renard 
noir,  en  lui  faisant  cadeau  à  son  tour  d'un 
superbe  coursier  et  d'une  image  de  la  Yierge  , 


2Gi 


HISTOIRE 


pi'inle  sur  or  en  Perse,   d'après  une  image 
ilalienne  qui  avait  été  envoyée  d'Ormus  au 
Scliah  (i8i;.  Pour  conlirmer  tout  ce  qui  avait 
élé  dit  au  prince  Z^énigorodsky ,  Abbas  en- 
voya avec  lui  à  Moscou,    un   de  ses  grands 
seigneurs,  nommé  Kouli ,   et  Fédor  envoya 
au  Schah  le  Prince  Tiouiiakin  (182)  ,  avec  le 
projet  d'un  traité  dont  les  bases  étaient  qu'ils 
seraient  alliés  fidèles  ,  et  qu'ils  employeraient 
conjointement  leurs  forces  pour  chasser  les 
Turcs  des  contrées  de  la  mer  Caspienne  ;  que 
la  Piussie  s'emparerait  de  Derbent  et  de  Bakou, 
et  la  Perse,  du  pays  de  Scbirvan.  Mais  Tiou- 
fiakin  et  son  secrétaire  moururent  en  route  , 
ce  qu'on  ignora  long-temps  à  Moscou  ;  et  les 
relations  avec  Abbas,    occupé   alors   à   une 
guerre  heureuse  en  Bukharie,  furent  inter- 
rompues jusqu'à  un  nouveau  règne  en  Piussie. 
Le  Schah  nous  céda  du  moins  l'Ibérie.  Fé- 
dor, sans  la  disputer  encore  ouvertement  au 
Sultan  ,  voulut  établir  un   droit  de  souverai- 
Campagnc     jj(.|^;  g^^j.  ^1}^  ^  ^u  soumcttaiit  Ic  Schavkal ,  im- 

rnntre        le 

Schavkal.  placablc  ennemi  d'Alexandre.  Deux  fois  il 
envoya  contre  lui  ses  Yoïévodes  ,  les  princes 
Zassckin ,  et  Khvorostinin.  Le  premier  mit  en 


DE    RUSSIE.  265 

fuite  \c  Schavkal  et  le  força  de  se  réfugier  dans 
des  montagnes  inabordables;  le  second  devait 
achever  de  rtkluire  celle  parlie  dn  Dagucslan  , 
s'y  joindre  aux  troupes  d'ibérie ,  conduiles 
par  Youri ,  fils  d'Alexandre,  s'emparer  de 
Tarky,  sa  capitale  ,  afin  de  la  donner  au  beau- 
père  d'Youri,  autre  princedu  Dagueslan  (i8j). 
Khvoroslinin  prit  en  effet  Tarky,  mais  n'y 
trouva  ni  Youri ,  ni  son  beau-père  :  il  les  at- 
tendit envain  ;  ses  forces  s'épuisaient  dans  des 
combats  journaliers  contre  les  habitans  des 
montagnes.  Entin ,  après  avoir  rasé  Tarky  ,  il 
fut  obligé  de  se  retirer  dans  la  forteresse  de 
Térek.  Près  de  trois  mille  Ilusses  périrent  dans 
ces  pays  sauvages.  Ce  malheur  pouvait  être 
attribué  à  Alexandre.  Le  Tsar  lui  témoigna 
son  étonnement  de  ce  ([ue  son  fils  ne  s'était 
point  réuni  à  notre  Yoïévode.  Alexandre 
s'excusa  sur  la  difficulté  de  traverser  les  monta- 
gnes; mais  Fédor  lui  fit  observer  judicieu- 
sement que,  puisque  le  Schavkal  trouvait  des 
routes  pour  aller  piller  l'îbérie,  les  troupes 
dTbéric  auraient  pu  également  les  trouver 
pour  entrer  dans  le  pays  du  Schavkal.  Cepen- 
dant, ni  cette  cause  de  mécontentement ,  ni 


266  niSToir.E 

l'avarice  d'Alexandre»  ni  ses  hésitations  à  nous 
payer  tribut ,  ne  changèrent  rien  à  noire 
politique  patiente  et  sage.  «  Mon  trésor  est 
»  épuisé  ,  disait  ce  Prince  ,  par  le  mariagtî  de 
»  ma  lille  avec  le  prince  de  Uadian ,  et  par  les 
»  présens  qu'exigent  de  moi  les  puissans  Sou- 
»  verains  nialiomélans  (i84)  ».  Ayanl  appris 
qu'Alexandre  avait  l'ail  la  paix  avec  son  gendre 
Siméon,  sous  prétexte  de  complaire  à  la  Rus- 
sie, le  Tsar  écrivit  au  premier  :  «  Je  crois  à 
»  ton  zèle  et  j'y  croirai  encore  davantage  si  tu 
»  engages  Siméon  à  nous  prêter  serment  de 
y>  fidélité  ».  Alexandre  trompait-il  la  Russie  , 
comme  l'avait  assuré  le  Schah  au  prince  Zvé- 
nigorodsky?  INon,  il  n'était  que  faible  au  mi- 
lieu dés  forts  ;  nul  doute  qu'il  ne  préférât  sin- 
cèrement la  domination  de  la  Russie  à  celle 
de  la  Turquie  ou  de  la  Perse.  Il  conservait 
l'espoir,  il  reprenait  courage  ;  mais  en  voyant 
que  nous  ne  pouvions  ou  ne  voulions  point 
envoyer  en  Ibérie  des  forces  assez  considérables 
pour  sa  délense,  son  zèle  pour  nous  se  refroi- 
dissait. Il  ne  quittait  point  le  titre  de  tributaire 
de  la  Piussie,  mais,  en  réalité,  il  payait  tribut 
au  Sultan ,  en  soie  et  en  chevaux  ;  en  même 


DE   RUSSIE.  267 

temps  il  conjurait  Fcdor  de  dL'fendrc  au  moins 
1  Iberie  du  colé  du  Dagucsian ,  où  les  Voïé- 
vodes  de  jNIoscou  avaient  construit  alors  de 
nouvelles  forteresses  sur  les  hordsde  la  Koïssa, 
afin  de  réprimer  le  Schavkal  et  d'effacer  Téciiec 
du  prince  Khvorostinin. 

Déjà  maîtreprétendude  Tlbérie,  des  princes 
Tcherkesses  et  Nogais  également  nos  vassaux , 
quoique  souvent  rebelles  (i 85),  Fédor,  dans 
l'année  i  ogj,  se  fit  encore  proclamer  Soiiverain 
de  la  horde  populeuse  des  Kirguises.  Son  Khan, 
Tefkel,  qui  prenait  le  titre  de  Tsar  des  Co- 
saques et  des  Calmaks  ,  se  soumit  volontaire- 
ment à  lui ,  ne  demandant  que  la  liberté  de 
son  neveu,  Ouraze-Mahmel,  ([ue  nous  avions 
fait  prisonnier  avec  le  prince  de  Sibérie  Seï- 
diak.  Fédor  promit  à  Tefkel  de  le  pro léger  et 
de  lui  donner  de  l'artillerie .  Il  consentiiit  à 
lui  rendre  son  neveu  à  condition  qu'il  lui  en- 
verrait son  fils  en  ôlagc.  Outre  Thonneur 
d'être  Pioi  des  Rois,  Fédor  attendait  du  profit 
de  ce  nouveau  serviteur  de  la  Russie.  Kout- 
schouin  notre  ennemi ,  chassé  de  Sibérie  ,  er- 
rait dans  les  stèpes  des  Kirguises;  nous  exigions 
de  Tefkel  qu'il  nous  en  défit,   ou  qu  il  l'en* 


268  HISTOIRE 

voyât  à  Moscou  ,  el  portât  ensuite  la  guerre  en 
Bukharie,  parce  que  son  souverain,  Abdoula, 
protégeait  Koulschoum  et  manquait  de  respect 
à  Fédor  tlansses  lettres.  C'est  ainsi  qu'en  agis- 
sait notre  polilique  en  Asie  pour  établir  la 
puissance  de  la  Russie  dans  T Orient. 
Relations      £jj Europc,  uous  étions  encore  en  relations 

avec  le  Uiine-  ■•■      ' 

ti.aickcii'An-  avcc  îc  Dauemarck  et  l'Angleterre  ;  avec  le 

gletene.  "  ' 

premier,  pour  les  limites  en  Laponie ,  et  avec 
la  seconde,  pour  le  commerce.  Frédéric  ,  le 
dernier  roi  de  Danemarck,  désirant  établir  des 
frontières  certaines  entre  ses  possessions  et  les 
nôtres,  au  fond  du  Nord,  entre  Kola  et  Yar- 
gaw^,  y  avait  envoyé  un  fonctionnaire  nommé 
Kcrsten-Frise  (i8ô)  ;  mais  il  était  reparti  sans 
attendre  l'envoyé  de  Moscou,  le  prince  Baria- 
tinsky.  Le  nouveau  roi ,  Christian  IV  ,  iils  de 
Frédéric,  ayant  témoigné  à  Fédor  le  désir  de 
vivre  avec  lui  dans  la  plus  intime  amitié ,  con- 
vint d'une  réunion  d'Ambassadeurs  en  Lapo- 
nie ,  qui  n'eut  également  point  de  résultat. 
En  1592,  le  voïévode  prince  Zvénigorodsky 
et  le  gentilhomme  Yassiltchikofr  demeurè- 
rent long-temps  à  Kola  ,  et  ne  virent  point 
arriver   les   plénipotentiaires    de    Christian. 


DE   RUSSIE.  269 

Des  deiixcôlcs  on  allégua,  pour  excuse,  réloi- 
'•  gneuient  et  les  dangers  de  la  route  ,  les  tem- 
pcles  el  les  neiges  ;  mais  de  part  et  d'aulre  on 
parvint  à  connaître  par  les  anciens  habilans 
de  Kola  et  de  Yargaw  ,  la  vcriiable  ligne  de 
démarcation  entre  la  Norwège  et  la  Laponie 
Novgorodienne  ;  on  ordonna  aux  habitansde 
cesser  leurs  querelles  et  de  faire  librenient  et 
tranquillement  le  commerce  ,  jusqu'à  un 
nouveau  traité  par  écrit  entre  le  Tsar  et  le 
Roi.  Fédor,  par  égard  pour  Christian,  donna 
sa  parole  de  délivrer  quelques  prisonniers 
faits  par  les  Russes,  lors  de  l'invasion  des 
Danois  ,  dans  le  district  de  Kolmogor,  et  en 
donna  effectivement  Tordre  aux  conunandans 
d'Astrakhan  ,  de  la  forteresse  de  Térek  et  de 
Sibérie,  où  l'on  exilait  les  prisonniers  de 
guerre.  En  un  mot  le  Danemarck  rechercha 
de  nouveau  notre  alliance,  ne  songeant  pics  à 
mettre  d'entraves  au  commerce  maritime  de 
Ja  Russie  avec  l'Angleterre. 

Ce  commerce  important  manqua  d'être  in- 
terrompu par  des  méconlentemens  mutuels 
de  notre  gouvernement  et  de  celui  d'Angle- 
terre, ÎS0U3  nous  plaignions  de  la  mauvaise 


270  HISTOIRE 

foi  des  marchands  de  Londres  ,  et  nous  récla- 
mions d'eux  près  d'un  demi  milJion  de  rou- 
bles actuels  (187)  qu'ils  avaient  empruntés  au 
trésor  du  Tsar  ,  à  Godounoff ,  aux  Boyards  et 
auxiSobles.  Les  marchands  niaient  cetledefte, 
en  chargeaient  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre,  et  se 
plaignaient  d'être  opprimés.  Le  Tsar,  en  ij88, 
envoya  un  seconde  lois  Bekman  à  Londres , 
pour  s'expliquer  avec  Elisabeth  ;  mais  il  fut 
long-temps  sans  pouvoir  être  admis  auprès 
d'elle.  La  Reine  pleurait  alors  un  homme  qui 
avait  été  cher  à  son  cœur,  le  comte  de  Leices- 
ler  ;  enfin  elle  reçut  l'envoyé  Russe  avec  une 
grande  bienveillance  ,  elle  le  prit  à  part ,  et 
s'entretint  avec  lui  à  voix  basse  ;  elle  lui  repro- 
cha ,  mais  sans  colère,  ([ue  ({uatre  ans  aupara- 
vant ,  l'ayant  enlretenu  dans  un  jardin  ,  il 
s'était  servi  dans  un  rapporl  au  Tsar  ,  du  mot 
trivial  de  potager  ,  en  parlant  de  ce  lieu  de 
plaisance  ;  elle  demanda  des  nouvelles  de  Go- 
dounoff; elle  assura  qu'il  n'y  avait  rien  qu'elle 
ne  fit  par  amitié  pour  Fédor;  mais  elle  an- 
nonça de  nouvelles  prétentions  ;  et  le  docteur 
rielcher  arriva  à  Moscou  ,  cliaigé  de  les  faire 
connaître.  Cet  envoyé  ,  plusdislingué  par  son 


DE    RUSSIE.  271 

instruction  que  par  son  rang,  proposa  à  notre 
Constll ,  au  nom  d'Elisabeth ,  les  articles 
suivans  :  «  La  Reine  désire  conclure  une 
>)  étroite  alliance  avec  le  Tsar  ;  mais  TOcéan 
»  les  sépare  :  l'éloignenient ,  cjui  s'oppose  à 
»  ces  rapports  intimes  entre  leurs  étals,  ne 
»  peut  être  un  obstacle  pour  les  senlimens  du 
»  cœur.  C'est  ainsi  que  le  père  de  Fétlor, 
»  Souverain  illustre  et  sage  ,  se  montra  tou- 
»  jours  ami  sincère  d'Elisabeth,  qui  veut  égale- 
»  ment  conserver  pour  son  illustre  llls  les  sen- 
»  timens  d'une  tendre  sœur.  Cette  airecl ion  , 
»  quoique  désintéressée ,  s'entretient  par  les 
»  rapports  fVéquens  des  Souverains  pour  les 
»  affaires  de  commerce  :  s'il  n'y  avait  plus  de 
»  négocians  Anglais  en  Russie,  la  Reine  n'cn- 
»  tendrait  plus  parler  du  Tsar  ;  et  toute  rela- 
»  tion  venant  à  manquer  entr'eux  ,  leurami- 
»  lié  mutuelle  ne  courrait-elle  pas  risque  de 
»  se  refroidir  ? 

j>  Pour  affermir  cette  union  agréable  à  son 
î>  cœur,  la  Reine  conjure  le  Tsar  d'ordonner, 
»  1°. qu'on  examine  avec  plus  d'atleniion  l'af- 
»  faire  de  la  dette  douteuse  des  marchands  de 
»  Londres;  2"  qu'ils  ne  soient  jugés  que  par 


272  HISTOIRE 

«  le  seul  Godoiinoff,  bien(aileur  des  Anglais  ; 
»  3°.  qu'il  leur  soit  accordé ,  comme  au  lemps 
)>  d'Ivan  ,  un  libre  passage  de  Moscou  en 
»  Fiukharie  ,  à  Schamaka  et  en  Perse  ,  sans  les 
«  arrêter  et  les  visiier  à  Asirakhan  cl  à  Kazan  : 
»  4"-  <!"<-'  ^*'s  dignitaires  du  Tsar  ne  leur  pren- 
»  nenl  rien  de  force  et  sans  les  payer;  5°.  qu'on 
«  supprime  tou le  espèce  d'exception  dans  les 
»  marchandises  que  les  Anglais  achèteront  en 
«  Russie;  G",  qu'on  les  aide  à  découvrir  une 
ji  route  pour  parvenir  en  Chine ,  en  leur 
»  fournissant  des  conducteurs,  des  vaisseaux 
»  etdeschevauxsurtoutes  les  routes;  7°.  qu'on 
«  n'admette  pas  sans  un  passeport  signé  par 
»  Elisabeth  ,  aucun  négociant  anglais  dans  les 
«  poris  entre  Vargaw  et  l'embouchure  de  la 
»  Dvina,  ni  à  Novgorod  ;  8^  que  les  ouvriers 
»  employés  à  la  monnaie  puissent  fondre  sans 
»  rétribution  les  écus  pour  les  marchands  de 
»  Londres;  9".  qwc ,  dans  aucune  circons- 
»  tance ,  on  ne  mette  les  Anglais  à  la  question, 
î>  mai  s  qu  '  o  n  les  e  n  voie  pou  r  é  1  re  p  u  n  i  s  à  leu  r 
»  Ancien  ou  en  Angleterre;  10".  qu'aucun 
»  d'eux  ne  soit  inquiété  sous  le  rapport  de  la 
»  P\eligion.  C'est  en  remplissant  ces   condi- 


DE   RUSSIE.  273 

«  lions  que  le  Tsar  peut  prouver  son  amitié 
5^  pour  Elisabt ili  ». 

Les  Boyards  écrivirent  en  réponse  :  «  Notre 
«  maitre,  en  remerciant  la  Heine  de  ses  bonnes 
j>  dispositions  à  son  égard ,  désire  lui-même 
»  raî'fection  d'Elisabelli ,  avec  la  plus  grande 
»  ardeur  et  à  l'égal  de  son  illustre  père;  mais 
j)  il  ne  peut  convenir  que  Tamitié  desSouve- 
»  rains  ne  soit  entretenue  que  parles  rapports 
»  commerciaux  et  que  sans  eux  il  n'y  ait  plus 
»  de  moyen  de  communication.  Desexpres- 
»  sions  de  ce  genre  sont  inconvenantes.  Le 
j'  Tsar  désire  vivre  en  bonne  intelligence  avec 
»  tous  les  illustres  souverains,  le  Sultan, 
»  l'Empereur,  les  rois  d'Espagne  et  de  France,. 
♦>  Elisabeth  et  tous  les  autres;  non  pour  les 
«  avantages  des  marchands  ,  mais  pour  l'hon- 
»  }ieurde  son  empire.  Pour  complaire  à  Ell- 
*>  sabeih,  il  prolégeaitles  négociansde  Londres 
»  qui,  oubliant  ses  bienfaits  ,  ont  commencé 
f>  à  vivre  de  fraudes ,  à  ne  pas  payer  leurs 
j>  dettes,  à  exercer  un  vil  espionnage,  à  médire 
»  de  la  Piussie  dans  leurs  lettres  et  à  intercep- 
»  ter  la  route  aux  vaisseaux  des  autres  puis- 
»  sauces ,  aux  bouches  de  la  Dvina;  en  un  mot 

ToJME  X,  18 


^t-Jlf.  inSTOIRE 

)•  ils  ont  nit'rilé  le  dernier  supplice,  d'après 
»  les  réglemens  de  lous  les  Elats;  mais  le 
»  Tsar,  par  considération  pour  la  Reine  ,  a 
>>  épargné  les  coupables,  el  lui  a  écrit  sur  ces 
«  affaires  ;  il  les  épargne  encore ,  et  voici  l'ex- 
»  pression  de  sa  volonté  : 

y>  i".  Quoique  les  délies  des  marchands  de 
»  Londres  soient  parfailement  connues;  quoi- 
ï>  que  cette  affaire  ait  été  examinée  à  fond  dans 
»  le  conseil  du  Tsar ,  le  Monarque ,  par  géné- 
»  rosité  ,  leur  fait  grâce  de  la  moitié ,  exigeant 
»  qu'ils  payent  sans  retard  deiix  mille  quatre 
3>  cents  livres  d'argent.  2°.  Il  ne  convient  point 
:»  au  plus  grand  des  Boyards ,  allié  et  beau- 
»  frère  du  Souverain,  de  juger  les  marchands; 
:»  c'est  à  lui  qu'est  conliée  l'administration  de 
>)  l'Etat,  et  rien  ne  wse  fait  sans  ses  ordres.  Les 
>♦  Anglais  seront  jugés  par  des  employés  qui , 
«  seulement  lui  feront  leur  rapport.  3".  Ce 
»  n'est  que  par  l'amitié  personnelle  que  le 
»  Tsar  porte  à  sa  sœur  Elisabeth  qu'il  permet 
»  aux  Anglais  de  traverser  la  Russie  pour  se 
»  rendre  en  Bukharie  et  en  Perse ,  sans  payer 
»  de  droils  sur  leurs  marchandises ,  quoi({u"il 
»  soit  défendu  à  tous  les  autres  étrangers  d'al- 


DE    RUSSIE.  0-.) 

t>  \vr  à  une  vcrsie  nu  delà  de  Moscou.  4"-  ï^ 
»  Tsar  ne  permet  pas  que ,  dans  son  pays ,  on 
»  s'empare  de  force  de  la  propriété  de  qui 
»  que  ce  soit.  5°.  Il  n'exisle  en  Russie  aucune 
»  défense  pour  les  marchandises  que  1(îs  né- 
»  gocians  de  J.ondres  peuvent  acheter  chez 
»  nous,  à  Texception  de  la  cire  que  lesétran- 
»  *;ers  échangent  contre  de  la  poudre  à  canon 
»  et  du  soufre.  (>°,  Il  n'est  point  possihîe  au 
>)  Tsar  de  permettre  aux  étrangers  de  traver- 
»  ser  la  Russie  pour  aller  à  la  recherche  d'au- 
»  1res  EUals.  7".  Il  est  éionnant  que  la  Reine 
»  fasse  de  nouveau  une  demande  si  peu  rai- 
»  sonnahie  et  si  j)eu  amicale.  ÎSous  avons  dé- 
>•  claré  et  nous  le  répétons ,  pour  complaire 
T>  à  l'Anglelcrre  ,  nous  ne  fermerons  pas  nos 
»  })orts  et  ne  changerons  pas  les  lois  de  notre 
T>  commerce  qui  est  libre.  8°.  Les  Anglais  sont 
>^  niailres  de  faire  frapper  monnaie  en  payant 
»  Fi  m  pot  d'usage  à  l'égal  des  Russes.  9".  En 
»  Russie  on  ne  livre  aucun  étranger  à  la  ques- 
«  iion  ,  et  Ton  remet  entre  les  mains  de  leurs 
))  Anciens  les  Anglais  accusés  des  plus  grands 
»  crimes.  10°.  Quant  à  la  religion,  le  Souve- 
»  rain  ne  s'en  occupe  même  pas  ;   cîîacun  vil. 


^ 


2t6  histoire 

/ 

))  iranquilleiiient  et  en  paix  dans  la  sienne, 
»  comme  cela  s'est  toujours  pratiqué  et  se 
«  pratique  encore  ». 

L'Ambassadeur,  peu  content  des  réponses 
a  chacun  des  articles  de  son  mémoire ,  de- 
manda une  entrevue  à  Godounoff ,  et  lui 
écrivit  :  «  Illustre  Seigneur  ,  la  l\eine  m'a  or- 
»  donné  de  te  saluer  affectueusement;  elle 
«  connait  tes  bonnes  dispositions  pour  sa  na- 
«  tion  ,  et  t'aiiTie  plus  qvie  tous  les  Souverains 
»  de  la  chrétienté.  Je  n'ose  importuner  celui 
ji  sur  lequel  repose  tout  l'Empire,  mais  je  me 
»  réjouirai  dans  le  fond  de  mon  âme  si  tu  me 
»  permets  de  contempler  l'éclat  de  tes  yeux  , 
»  car  tu  es  l'honneur  et  la  gloire  de  la  Russie  ». 
Malgré  toutes  ses  flatteries,  Flelcher  n'obtint 
point  un  succès  complet  ;  et  dans  les  nouveaux 
privilèges  donnés  aux  marchands  de  Londres, 
il  est  question  de  paiement  de  droits ,  quoi- 
que légers.  G odounoff  n'accepta  même  pas  les 
présens  de  la  Reine  ;  «  parce  que  ,  écrivait-il 
»  à  Elisabeth  ,  comme  si  tu  voulais  manquer 
«  de  considération  au  grand  Tsar ,  tu  lui  as 
»  envoyé  en  don,  des  petites  monnaies  d'or  »>, 
Notre  Cour  eut  encore  un  plus  grand  sujet  de 


DE    RUSSIE.  277 

mécontentement ,  lorsqu'elle  vit  arriver  à 
Moscou,  un  nouvel  Ambassadeur  crAngle- 
terre,  Jérôme  Horsey  ,  autrefois  chéri  crivan 
et  de  Boris  ,  mais  chassé  de  Piussic  ,  en  i588  , 
pour  avoir  conçu  le  projet  d'empêcher  les 
Allemands  de  iaire  le  commerce  à  Arkliangel 
(188).  Ni  le  Tsar ,  ni  le  Régent  ne  le  virent,  et 
la  Reine  écrivit  à  Boris,  qu'elle  ne  reconnais- 
sait plus  en  lui  son  ancien  ami;  que  les  An- 
glais persécutés  par  André  Slchelkalofr,  ne 
trouvaient  plus  de  protecteur  en  Russie  et 
devaient  se  résoudre  à  la  quitter pourtoujours. 
Cette  menace  produisit  peut  être  son  effet  ; 
car  Godouiioff  connaissait  tout  l'avantage  que 
nous  retirions  de  notre  commerce  arec  l'An- 
gleterre ,  pour  notre  prospérité  et  notre  civi- 
lisation. Il  savait  qu'Ivan  III  n'avait  jamais  pu 
réparer  la  faute  qu'il  avait  commise  en  éloi- 
gnant, par  trop  de  sévérité,  de  IXovgorod , 
les  marchands  anséatiques.  Godounoff,  à  ce 
que  Ton  assure  (189) ,  préférait  les  Anglais  à 
tous  les  autres  Européens,  et  portait  un  res- 
pect particulier  à  l'adroite  Elisabeth  qui  ,  au 
milieu  de  ses  plaintes  et  de  ses  menaces,  ne 
cessait  de  témoigner  de  l'amitié  à  Fédor,  et 


2;8  HISTOIRE 

qui  ,  pour  lui  en  donner  une  preuve,  avait 
défendu  un  livre  publié  par  Fletcher,en  i5gi, 
sur  la  Russie  ;  livre  offensant  pour  le  Tsar,  et 
i'ciit  en  général  ,  dans  un  esprit  d'inimitié 
contre  notre  patrie  (190).  Peut  être  aussi  la 
mort  d'un  illustre  dignitaire  du  Tsar,  que  les 
Anglais  baissaient ,  contribua-t-elle  à  leur  suc- 
cès. En  iSgS  (191),  mourut  le  premier  Diak, 
André  Slchelkaloff ,  le  plus  habile  homme 
d'Etat  de  la  Russie  et  qui ,  pendant  l'espace  de 
vingt-cinc]  ans  ,  avait  su  plaire  à  Ivan  et  à 
Boris  par  ses  talens ,  par  son  esprit  subtil  et 
rusé,  par  une  conscience  facile,  et  un  mé- 
lange de  bonnes  et  de  mauvaises  qualités  né- 
cessaire au  serviteur  de  pareils  maîtres.  En 
1096  ,  Elisabeth  remerciait  déjà  le  Tsar  de  ses 
bonnes  dispositions  et  des  nouveaux  privi- 
lèges donnés  au  commerce  de  Londres  ;  ces 
privilèges  lui  accordaient  le  droit  de  faire  le 
commerce  dans  toute  la  Russie ,  avec  toute 
liberté,  sans  aucune  restriction  et  sans  payer 
de  droits.  Elisabeth,  en  louant  la  sagesse  de 
notre  Conseil  Suprême  ,  dans  lequel  Vassili 
Stchelkaloff,  frère  d'André,  avait  pris  sa  place 
et  le  titre  de  Diak  et  Garde  des  Sceaux  ,  écrivit 


DE    RUSSIE.  279 

une  socondc  Iclirr  à  Gotloiinoil ,  et  repoussai 
en  i:cs  lernics,  11 110  calomnie  qui  lui  élail  sen- 
sible :  «  Tu  (S  le  véritable  bieniaii<îur  des 
j)  Anglais  en  Puissie,  et  c'est  à  toi  seul  que 
»  sont  (lus  les  privilèges  que  le  Tsar  leur  a 
w  accordés.  Tu  m'as  informée  secrètement 
»  que  les  Ambassadeurs  de  TEmpereur  et  du 
j>  Pape,  se  trouvant  à  Moscou,  ont  inventé 
5>  un  indigne  niensonge  sur  ma  préiendue 
»  alliance  avec  les  Turcs,  contre  les  puis- 
»  sauces  chrétiennes  ;  tu  n'y  as  point  cru  et  tu 
»  ne  dois  pas  y  croire.  îSon  ,  je  suis  pure  de- 
»  vant  Dieu  et  devant  ma  conscience ,  ayant 
»  toujours  voulu  du  bien  aux  Chrétiens,  De- 
»  mandez  au  Roi  de  Pologne  qui  lui  a  pro- 
»  curé  la  paix  avec  le  Sulian?....  C'est  l'An- 
))  gleterre.  Demandez  à  l'Empereur  lui-même 
»  si  je  n'ai  point  employé  tous  mes  moyens 
»  pour  éloigner  la  guerre  de  ses  Etats?  11 
}>  m'en  a  remercié,  mais  il  a  voulu  cette 
»  guerre;  maintenant  il  s'en  repcnt ,  et  mai- 
«  heureusement  il  est  trop  tard.  Si  un  de  mes 
»  Dignitaires  réside  à  Constantinople,  c'est 
»  uniquement  pour  veiller  aux  avantages  de 
»  notre  commerce  ,  et  pour  la  délivrance  des 


28o  HISTOIRE 

»  esclaves  Chrétiens.  Le  Pape  me  déteste  à 
3>  cause  du  Roi  d'Espagne  ,  ennemi  irrt'con- 
5>  ciliable  de  l'Angleterre  ,  puissant  par  ses 
»  tlotîes  et  par  les  richesses  des  deux  Indes , 
)>  mais  que  j'ai  mis  à  la  raison  aux  yeux  de 
»  toute  l'Europe  occidentale.  Je  compte  aussi 
»  dans  l'avenir  sur  la  protection  du  Très-Haut, 
»  dont  puisse  également  jouir  la  Russie  ». 

Tels  furent  les  derniers  actes  de  la  politique 
extérieure  de   Fédor,   marquée  par  le  génie 
de  Godounoff.   Passons  aux  affaires  de  l'in- 
térieur. 
LoisniTas-       Nous  SQvous  quc  daus  les  temps  les  plus 


scrvisseniciit 


des  rnj«;ir!s  Tcculés ,  Ics  pajsaus  jouissaicut  en  Russie  de 
liçiues.  la  liberté  civile,  mais  sans  posséder  de  biens 

f(3nds;  qu'àuneépoquedésignéeparlaloi(i92) 
ils  avaient  le  droit  de  changer  de  domicile  et 
de  Seigneur,  à  la  condition  de  faire  valoir  une 
partie  de  la  terre  pour  leur  propre  compte  , 
et  l'autre ,  pour  celui  du  propriétaire  ;  ou 
bien  de  lui  payer  une  redevance  (  Ohrok).  Le 
Pvégentvitle  désavantage  de  ces  émigrations 
qui  souvent  trompaient  l'espoir  qu'avaient  eu 
les  cultivateurs ,  de  trouver  un  meilleur  maî- 
tre ,  et  ne  leur  donnaient  le  temps  ni  de  s'éta- 


DE     RUSSIE.  281 

blir,  ni  de  s'habituer  au  pays  et  aux  hommes. 
Il  vit ,  qu'en  aiif»menlant  le  nombre  des  fai- 
néans  et  des  pauvres  ,  elles  s'opposaient  aux 
progrès  de  l'éeonomie  domestique  ,  et  à  eeux 
de  la  sociabilité.  Des  bourgs  et  des  villages 
abandonnés  par  ces  habitans  nomades  ,  deve- 
naient déserts  (igS)  ;  les  maisons  et  les  chau- 
mières tombaient  en  ruine  par  la  négligence 
de  propriétaires  momentanés.  Le  Régent  se 
vantait  d'avoir  accordé  des  avantages  particu- 
liers aux  cultivateurs  ,  dans  les  domaines  du 
Tsar,  et  peut  être  dans  les  siens  propres: 
animé  sans  doute  d'une  égale  bienveillance 
envers  les  propriétaires  et  leâ  fermiers;  dési- 
rant établir  entre  eux  une  union  constante, 
comme  entre  membres  d'une  même  famille, 
et  voulant  fonder  cette  union  sur  leur  intérêt 
commun  ,  il  supprima  en  i5c)2  0u  i5g3(i94), 
la  loi  qui  donnait  aux  paysans  le  droit  de 
passer  d'un  village  à  l'autre  ,  et  il  les  rendit  à 
jam.ais  serfs  des  Seigneurs.  Quelle  fut  la  con- 
séquence de  cette  innovation?  Le  mécontente- 
ment de  la  plus  grande  partie  de  la  nation  et 
de  beaucoup  de  riches  propriétaires.  Les  pay- 
sans regrettèrent  leur  ancienne  liberté,  quoi- 


2^2  HISTOIRE 

(jne  souvent  avec  elle  ils  rrrasspnt  on  vaga* 
bonds  y  depuis  leur  enfance  jusqu'au  tom- 
beau ,  et  qu'elle  ne  les  sauvât  pas  des  violences 
des  Seigneurs  temporaires  ,  impitoyables  en- 
vers des  fermiers  rju'ijs  n'élaient  jamais  surs 
de  garder  ;  d'un  autre  côté,  les  ricbes  proprié- 
taires qui  possédaient  beaucoup  de  terres  dé- 
sertes ,  se  trouvaient  privés  par  là  ,  de  Fayan- 
tage  de  les  peupler  de  cultivateurs  libres.  Les 
Seigneurs  moins  riches  en  devaient  d'autant 
plus  de  reconnaissance  à  Godounoff ,  n'ayant 
j)lus  à  craindre  de  voir  leurs  villages  et  leurs 
champs  abandonnés,  par  l'émigration  des  ha- 
bilans  et  des  cultivateurs.  îSous  verrons  plus 
loin  que,  si  le  législateur  bien  intentionné 
avait  prévu  la  satisfaction  des  uns  et  le  mécon- 
tentement des  autres,  il  n'avait  pas  deviné 
toutes  les  graves  conséquences  de  ce  nouveau 
règlement,  auquel  l'Edit  de  i  Sgy  servit  de  com- 
plément. Cetédit  prescrivait  les  mesures  les 
plus  rigoureuses  pour  rendre  aux  Seigneurs 
ceux  de  leurs  paysans  qui  avaient  fui  dans  l'es- 
pace des  cinq  dernières  années ,  pour  échap- 
per au  servage,  avec  leurs  femmes,  leurs  en- 
fans  et  leurs  biens.   A  cette  même  époque  » 


DE     IHSSTF..  283 

parut  rOukase  ([ui  ordonnait  que  tous  les 
Doyards,  les  Princes,  les  Nobles,  les  Em- 
ployés mililaires  el  civils  ,  et  les  Marchands  , 
tissent  valoir  leurs  droits  sur  leurs  domesti- 
ques-serfs,  a  tin  qu'ils  fussent  inscrits  sur  le 
livre  du  Tribunal  des  Serfs ,  avec  ordre  à  ce 
Tribunal  de  reconnaître  pour  tels,  même  les 
domestiques-libres  qui  servaient,  ne  fut-ce  que 
depuis  six  mois.  C'est-à-dire,  que  le  législa- 
teur voulait  contenter  les  Seigneurs ,  sans 
craindre  d'opprimer  les  pauvres  serviteurs,  ni 
riuimaniîé  ;  mais  il  contirma  la  liberté  des 
aOranchis  et  celle  de  leurs  femmes  et  de  leurs 
enfans  des  deux  sexes. 

Boris ,  après  avoir  mis  à  couvert  le  midi  de 
la  Pxussie  par  de  nouveaux  forts,  voulut  pour- 
voir de  même  à  la  sûreté  de  notre  frontière  du 
coté  de  la  Lilhuanie.  Il  fonda,  en  iSgô,  une 
nouvelle  forteresse  en  pierre  à  Smolensk,  où 
il  se  rendit  lui-même  ,  pour  indiquer  la  place 
des  fossés,  celle  des  murs  et  des  tours.  Ce 
voyage  avait  encore  un  autre  but  ;  Boris  vou- 
lait, par  ses  bienfaits,  gagner  l'amour  des 
habitans  de  la  Russie  occidentale  ;  il  s'arrêtait 
dans  tous  les  villages  et  dans  les  villes,  satis- 


NoiJvrUfi 
forleresse  ;i 
SiuoIeiikU. 


284  HISTOIRE 

faisait  à  toutes  les  demandes ,  donnait  de  Tar- 
j^enl  aux  pauvres,  et  recevait  ies  riches  à  sa 
table.  De  retour  à  Moscou  ,  le  Régent  dil  au 
Tsar  que  Snnolensk  serait  comme  un  beau  col- 
lier \)Ouv  la  Piussie.  «  Mais  dans  ce  collier  ^  lui 
j>  répliqua  ïroubelskoï,  il  peut  s'introduire 
«  une  vermine  que  nous  n'en  chasserons  pas 
»  de  silO)t  (iv^^)  ».  Paroles  mémorables,  dit 
l'Annaliste,  et  qui  se  réalisèrent,  car  Smo- 
lensk,  lortitié  par  nous,  devint  pour  la  Po- 
logne un  bouclier  contre  la  Russie.  Fédor  y 
envoya  des  maçons  de  toutes  les  vilies  voi- 
sines et  éloignées.  Cette  construction  fut  ter- 
minée en  1600. 

Moscou  s'embellit  d'édifices  durables.  En 
1595 ,  pendant  que  Fédor  était  allé  au  monas- 
tère de  Borofsk  ,  tout  le  Kitàïgorod  fut  con- 
sumé par  les  flammes.  Quelques  mois  après  , 
il  se  releva  de  ses  cendres  avec  des  maisons  et 
des  boutiques  en  pierres  (196)  ;  mais  il  man- 
qua de  nouveau  de  devenir  la  proie  d'un  in- 
cendie et  d'être  anéanti  par  un  crime  dont, 
l'audace  impie  remplit  leshabitans  de  Moscou 
incciidiaiics  dc  terrcuT.  Des  scélérats  ,  parmi  lesquels  il  se 
trouva  même  des  gens  de  distinction,  tels  que 


DE    BUSSIE.  285 

le  prince  Sichopiii ,  les  gentilshommes  Lebe- 
def,  les  deuxBaykofïpère  et  lils,  et  d'autres  , 
convinrent  en  secret  de  mettre  le  feu  à  la  Ca- 
piiale,  pendantla  nuit,  et  sur  differens  points, 
aiin  de  profiter  du  trouble  général  pour  s'em- 
parer du  Trésor ,  en  dépôt  dans  l'église  de 
Saint-Basile.  Heureusement  le  gouvernement 
fut  instruit  de  ce  complot.  On  s'empara  des 
coupables,  et  ils  furent  punis.  Le  prince 
Stchepin  et  les  Baykolf  eurent  la  tète  tranchée 
sur  la  place  publi([ue  ;  d'autres  furent  pendus 
ou  enfermés  pour  le  reste  de  leurs  jours.  Celle 
exécution  produisit  une  forte  impression  sur 
le  peuple  de  Moscou  qui  commençait  à  se 
déshabituer  de  ces  spectacles  sangians.  Plein 
d'une  juste  horreur  pour  cet  infernal  projet , 
il  sentait  vivement  comhien  la  rigueur  des 
lois  élail  nécessaire  pour  prévenir  de  sem- 
blables atlenlats. 

L'activité  bienfaisante  du  pouvoir  suprême 
se  montra  dans  pluiùeurs  calamités;  des  villes 
entières,  détruites  par  des  incendies,  furent 
reconstruites  aux  frais  du  Tsar  (197).  Le  blé 
des  provinces  fertiles  était  transporté  dans  les 
endroits  où  se  déclarait  la  disette ,  des  quaran- 


28G  IIISTOIKE 

taincs  élaieiit  clablios  dans  ceux  où  ('clalaierit 
Ln  reste,  des  maladies  contagieuses.  En  i5t)5,  les  Anna- 
les font  mention  de  la  peste  épouvantable  qui 
désola  Pskoli  où  il  resta  si  peu  d'habilans  que 
le  Tsar  ordonna  d'y  transporter  de  plusieurs 
autres  villes,  des  ianiilics  entières.  La  tran- 
quillité intérieure  de  la  Russie  fut  troublée 
par  l'invasion  des  brigands  de  la  Crimée  dans 
les  contrées  de  Mestcbersk ,  de  Koselsk ,  de 
Yorotinsk  et  Pérémiclile.  Le  voïévode  de  Ka- 
louga  ,  Michel  Besnin  ,  les  rencontra  sur  les 
bords  de  la  Vissa  et  les  défit  com])lèlement. 
T.aCcni  du  La  CouT  de  Moscou  était  plus  brillante  que 
jamais;  tandis  (ju'au  temps  orageux  d'Ivan , 
les  seuls  favoris  du  Souverain  étalent  admis 
auprès  de  lui ,  sous  Fédor  ,  tous  les  Boyards  ■ 
et  tous  les  hommes  d'Etat  se  rassemblaient  % 
journellement  le  malin  et  le  soir  (198)  dans 
le  palais  du  Kremlin,  pour  saluer  le  Tsar, 
faire  leurs  prières  avec  lui ,  assislerau  Conseil, 
qui  se  réuTiissait,  à  moins  de  cas  extraordinai- 
res ,  trois  fois  par  semaine ,  le  lundi ,  le  mer- 
credi et  le  vendredi,  depuis  sept  heures  du 
matin  jusqu'à  dix  et  plus  tard,  ou  bien  pour 
recevoir  les   Ambassadeurs  ,    ou    seulement 


DE    RUSSIE.  287 

pour  sVnIretenIr  ensemble.  Ils  retournaient 
chez  eux  pour  dîner  et  pour  souper,  à  l'excep- 
tion de  deux  ou  trois  Grands  de  TEtat,  qui, 
de  temps  en  temps,  élaient  invités  à  la  table 
du  Tsar;  car  Fédor,  d'une  santé  faible  et  dé- 
licate, avait  supprimé  les  nombreux  el  fali- 
gans  repas  usités  du  temps  de  son  père,  de 
son  grand-père  et  de  son  bisaïeul.  Il  dinait 
aussi  très-rarement  avec  les  Ambassadeurs.  La 
magnificence  de  sa  Cour  était  augmentée  par 
la  présence  de  quelques  illustres  bannis  de 
l'Asie  elde  TEurupe.  Le  tsarévitcîie  de  Kliiva  , 
les  hospodarsde  ïMoldavie,  Etienne  et  Dmilri; 
les  fds  de  celui  de  Yalacliie  ;  un  parent  des 
empereurs  de  Ryzance ,,  Emmanuel  Musko- 
polo  ;  Dmilri ,  seigneur  de  Tliessalonique,  et 
uï\  grand  nombre  de  nobles  Grecs,  environ- 
naient le  troue  de  Fédor  avec  d'autres  étran- 
gers titrés  qui  venai(;nt  demander  du  service 
en  Fiussie.  Devant  le  Palais  se  tenaient  ordi- 
nairement deux  cent  cinquante  Stndetz  avec 
leurs  arquebuses  chargées  et  les  mèches  allu- 
mées. La  garde  intérieure  du  palais  du 
Kremlin  était  composée  de  deux  cents  cnfans 
Boyards  les  plus  disîi  ngués,  ils  passaient  la  nu  it 


288  msToïKfi 

à  tour  de  rôle ,  dans  la  lioisième  piîîcc ,  avant 
la  chambre  à  coucher  du  Tsar:  dans  la  pre- 
mière et,  la  seconde  étaient  les  grands  ofticiers 
de  la  Cour.  Chaque  porte  était  gardée  par  un 
laquais  qui  connaissail  ceux  qui  avaient  le 
droit  d"y  passer.  Partout  Tordre  était  uni  à 
une  dignité  imposante  (199). 

Godounofi"  en  approchant  de  son  but , 
cherchait  de  plus  en  plus  à  fasciner  les  yeux 
par  l'apparence  de  toutes  les  vertus  privées  et 
politiques.  Mais ,  si  Ton  doit  en  croire  le  tra- 
dition ,  il  ajouta  encore  à  ses  crimes  secrets  un 
Cécité  (le    nouveau  forfait.  Siméon  ,  qui  portait  le  nom 

Siinéon. 

de  Tsar  ,  Grand-Duc  de  Tver,  marié  à  la  sœur 
du  i>oyard  Fédor  Msiisiafsky,  et  qui  avait  mé- 
rité la  faveur  dTvan  ,  tant  par  ses  fidèles  ser- 
vices que  par  sa  conversion  au  Christianisme, 
Siméon  ,  qui  avait  à  Tver  une  cour  brillante 
et  le  pouvoir  d'un  gouverneur  avec  quelques 
privilèges  de  prince  apanage  (200),  fut  obligé, 
sous  le  règne  de  Fédor,  de  quitter  celte  ville 
et  de  vivre  isolé  dans  sa  terre  de  Kouchaline. 
Peu  distingvié  par  son  esprit  et  par  son  carac- 
tère ,  il  montrait  pourtant  de  la  modestie  dans 
la  prospérité  ,  et  de  la  noblesse  dans  l'exil.  U 


DE    n  US  S lE.  28y 

parut  dangereux  au  PiégenI  par  son  iilre  pom- 
peux de  Tsar  et  comme  gendre  du  plus  illustre 
des  Boyards.  Boris  ,  en  gage  d'amilié  ,  lui  en- 
voya ,  pour  le  jour  de  sa  fêle  ,  du  vin  d'Es- 
pagne. Siméon  en  but  un  bocal  en  porlant  la 
sanlé  du  Tsar,  el  perdit  la  vue  quelques  jours 
après.  On  attribua  cet  accident  à  du  poison  qui 
r  avait  été  mêlé  à  ce  vin.  C'est  du  reste  ce  que 
I  dit  l'Annaliste  et  ce  qu'avait  dit  le  malheureux 
Siméon  lui-même  au  français  Margeret.  Cette 
cécité,  du  moins  ,  pouvait  être  utile  à  Boris; 
car  des  actes  officiels ,  du  siècle  suivant,  prou- 
vent que  ridée  de  mettre  la  couronne  de  Mo- 
nomaque  sur  la  tête  d'un  Tatare  ,  ne  parais- 
sait point  a])surdeaux  Russes  de  ce  tems  (201). 
Pour  la  dernière  fois,  atiachons  nos  regards 
sur  Fédor  lui-même.  N'ayant  eu  à  la  lleur  dç 
l'âge  d'autre  idée  que  le  salut  de  son  anie  ,  il 
s'occupait  encore  njoins  que  jamais ,  à  cette 
époque  ,  du  monde  et  de  l'Etat.  Il  allait  à  pied 
ou  en  voiture  d'un  couvent  à  l'autre  ,  répan- 
dait ses  bienfaits  sur  les  pauvres  et  sur  les  ec- 
clésiastiques, principalement  sur  les  moines 
grecs  de  Jérusalem ;,  du  Péloponèse  et  d'autres 
qui  nous  apportiiient  des  objets  auxquels  la 
Tome  X.  tq 


2f)0  llISTOlIlt 


)r 


Religion  seule  doniinil  c!u  prix,  et  qui,  poi 
celte  raison  ,  n'avaient  pas  été  pillés  par  les 
Turcs  ;  des  croix  ,  des  images  et  des  reli(jues. 
Plusieurs  de  ces  pauvres  exilés  restaient  en 
Evèques  grecs  Pi^issîc  ;  Isfnace  ,  archevclfiue  de  Chypre,  de- 

a  Moscou.  '      n  '  1  *  1         ' 

meurait  à  Moscou  ;  x\rsène,  archevêque  d'El- 
lasson ,  (pii  était  venu  chez  nous  avec  le  pa- 
triarche Jérémie  ,  était  revenu  et  se  trouvait  à 
la  tète  de  l'Eparchie  de  Sousdal.  Fédor  apprit 
avec  joie  l'apparition  à  Onglitche,  des  reliques 
(202)  du  prince  Roman  Yladimirovitche,  pe- 
lit-lils  de  Constantin  ,  et  fut  sensihlement  af- 
fecté du  malheur  arrivé  au  monastère  de  Pet- 
chersk,  ])rès  de  rsijuigorod ,  dans  lequel 
avaient  cherché  leur  salut  Dionisi  de  Sousdal , 
sondisciple,EuphemetMaLaired'Ounja(2o3). 
rrsiruciion  La  montague  au  pied  de  laquelle  se  trouvait 

du  Monastère  r>  l  ± 

dereiciursk.  cc  niouastère  s'éboula  tout  à  coup  avec  un  Ira- 
cas  effroyable  vers  le  Volga  ,  et  détruisit,  en 
les  couvrant  déterre,  l'Eglise,  les  cellules  et 
l'enceinte.  Celte  destruction  d'un  lieu  saint, 
porta  le  trouble  dans  iàme  des  gens  supersli-  > 
tieux  et  fut  appelée,  dans  les  annales ,  un  ter- 
rible présage  du  sort  qui  attendait  la  Russie  , 
ainsi  que  Fédor,  dont  la   santé  s'affaiblissait 


DE    RUSSIE.  2()I 

visiblement.  Onécrit  qu'en  ijqG,  pendant  qu'il 
était  occupé  à  la  translation  solennelle  des  re- 
liques du  métropolitain  Alexis,  dans  un  nou- 
veau sarcophage  d'argent,  i!  ordonna  à  Go- 
dounoff  de  les  prendre  dans  ses  mains,  et 
qu'en  portant  sur  lui  ses  regards  avec  tristesse, 
il  lui  dit  :  «  Touche  aux  choses  saintes.  Régent      Paiohs  de 

Fi-dor  à    Go- 

»  du  peuple  orlhodoxe  ;  gouverne-le  aussi  à  douuoU. 
»  l'avenir  avec  zèle,  tu  parviendras  à  ce  que 
»  lu  désires;  mais  tout ,  sur  celte  terre  ,  n'est 
»)  que  vain  et  tran^ûtoire  »  (20^).  Fédor  pré- 
voyait sa  fhi  prochaine  et  son  heure  était 
venue. 

Nous  ne  voulons  point  ajouter  foi  à  l'hor- 
rible tradition  qui  accusa  Boris  d'avoir  hâté  ce 
moment  par  le  poison  (203)  ;  les  Annalistes  les 
plus  dignes  de  foi  n'en  parlent  pas,  quoi([u'ils 
mettent  au  grand  jour,  et  avec  une  juste  hor- 
reur, tous  les  autres  forFaits  de  Godounoff.  Il 
n'est  pas  jusqu'au  lion  farouche  que  la  recon- 
naissance ne  captive  (20G).  Alors  même  que 
le  sacré  caractère  de  Monarque  et  de  bienfai- 
teur n'eut  pas  été  un  frein  pour  Godounoff, 
il  aurait  pu  s'arrêter  encore  en  voyant ,  dans  le 
débile  Fédor,  une  victime   prochaine  de  la 


2(J-Î  HISTOIRE 

mort  naturelle  ,  tandis  que  lui  même  jouis- 
sait de  tous  les  charmes  du  pouvoir  (pie  clia- 
que  jour  consolidait  entre  ses  mains.  Quand 
par  des  forfaits  on  a  mérité  d'être  calomnié  , 
THistoire  ne  peut  passer  ces    alomnies  sous 
silence. 
Moridere'dor.       A  la  fiu  dc  iSgy,  Fédor  tomba  dangereuse- 
ment malade  (207).  Le  6  janvier,  il  se  déclara 
en  lui  des  symptômes  mortels.  Cette  nouvelle 
répandit  la  terreur  dans  la  Capitale.  Le  peuple 
chérissait  Fédor  comme   un  Ange  descendu 
sur  la  terre  ;  et  il  attribuait  à  ses  ferventes  priè- 
res le  bonheur  de  la  Patrie.  Il  l'aimait  avec 
vénération,  comme  le  dernier  Tsar  du  sang 
de  Monomaque  ;  et  lorsque  dans  les  temples  , 
sans  cesse  ouverts,  il  demandait  au  Tout-Puis- 
sant la  guérison  de  ce  bon  Monarque  ,  le  Pa- 
triarche ,  les  grands  de  l'Etat,  les  dignitaires, 
ayant  perdu  tout  espoir  et  dans  une  affliction 
profonde  ,  entouraient  le  lit  du  malade,  atten- 
dant le  dernier  acle  de  l'autorité  souveraine 
de  Fédor,  ses  dernières  volontés  sur  le  sort  de 
la  Fiussie  orpheline  ;  mais  Fédor,  à  cette  heure 
suprême ,  comme  pendant  la  durée  de  sa  vie, 
n'eut  d'autre  volonté  que  celle  de  Boris  ;  il 


TiT.    RUSSIE.  293 

tournait  encore  ses  regards  nioiirans  sur  Go- 
«.lounolf,  écoulant  aveceOort  les  inslruclioiis 
<[u*il  lui  donnait  à  voix  basse. 

Les  Boyards  gardaient  le  silence ,  le  métro- 
politain Job  dit  eniin,  d'une  voix  tremblante: 
w   La  lumière  s'obscurcit  à  nos  yeux;  le  juste 
»  va  passer  dans  les  bras  de  FElernel....  Sei- 
»  gneur,  à  qui  lègues-tu  la  couronne,  nous 
»  autres  orphelins  et  ton  épouse  »?  Fédor  ré- 
pondit d'une  voix  éteinte  :  «  Le  Tout-Puissant 
»  doit  disposer  de  ma  couronne ,  de  vous  au- 
»  très  et  de  mon  épouse...  Je  laisse  un  tesla- 
j)  ment  ».  Ce  testament  était  déjà  écrit.  Fédor 
remettait  le  sceptre  à  Irène  (208)  et  nommait 
exécuteurs  testamentaires    le  Métropolitain, 
son  cousin  Fédor  llomanoff-Jourieff,  neveu 
de  la  Tsarine  Anastasie  ,     et  son  beau-frère 
Boris-Godounoff,  comme  principaux  con- 
seillers du  Trône.  Il  voulut  être  seul  en  pre- 
nant congé  de  sa  tendre  épouse,  et  lui  parla 
sans  autre  témoin  que  le  Ciel  (209).  Cet  entre- 
tien resta  inconnu.  A  onze  heures  du  soir,  Job 
donna  l'Extréme-Onction  au  Tsar,  le  confessa 
et  le  lit  communier.  A  une  heure  du  matin, 
le  7  janvier,  Fédor  expira  sans  convulsions  , 


294  HISTOIRE 

sans  agonie ,  ci  conimc  s'il  sVlait  etidorrai. 
d'un  sommeil  doux  et  tranquille  (210). 
rermrnt  pi^ij       Dansce   premier  moment  de  saisissement 
et  de  douleur,  parut  la  Tsarine  ,  qui  se  préci- 
pita sur  le  corps  du  défunt  ;  on  l'emporta  éva- 
nouie. Alors  Godounoif,  témoignant  une  pro- 
fonde affliction   et  une   grande   fermeté  de 
caractère  ,  rappela  aux  Boyards  ,  que  n'ayant 
plus  de  Tsar,  ils  devaient  prêter  serment  à  la 
Tsarine.  Tous  remplirent  avec  zèle  ce  devoir 
sacré,  en  baisant  la  Croix  que  tenait  le  Patriar- 
che. On  n'avait  encore  rien  vu  de  semMabie 
dans  les  fastes  de  la  Russie  ;  car  Hélène  ,  mère 
d'Ivan  ,  n'avait  régné  qu'au  nom  de  son  lils 
enfant  ;  mais  ,  quant  à  Irène,  on  lui  remettait 
le  sceptre  de  Monoraaque,  avec  tous  les  droits 
d'un  pouvoir  absolu.  A  la  pointe  du  jour  on 
sonna  la  grande  cloche  de  l'église  de  l'Assomp- 
tion ,  pour  annoncer  au  peuple  la  mort  de 
Fédor;  et ,  tout  relentit  de  gémissemens,  de- 
puis les  palais  jusqu'aux  chaumières.  Chaque 
maison  ,  d'après  l'expression  d'un  conlem- 
porain  ,  devint  une  maison  de  deuil.  Le  palais 
ne  pouvait  contenir  la  quantité  de  monde  qui 
accourait  auprès  du  lit  de  mort  du  Tsar.  Pau- 


DE   RI' S  su:.  29a 

j  vres  c\  grands  ,  Ions  s'y  précipilaioiil.  Los  lar- 
'  mes  coulaient;  mais  les  fonclionnaires  elles 
eifoyens  ,  à  l'exemple  des  lloyanls  ,  ])rL'lèrent 
avec  zèle  le  sermeiil  de  (idélilé  à  la  Tsarine, 
princesse  chérie  ,  par  qui  la  Ptnssie  se  voyait 
encore  préservée  du  malheur  de  rester  enliè- 
rement  orpheline.  La  capitale  était  désolée, 
mais  paisible.  Le  conseil  envoya  des  courriers 
dans  les  provinces,  enjoij^nit  de  cesser,  jusqu'à 
nouvel  ordre  ,  toutes  les  communications 
avec  l'étranger,  et  de  veiller  parlout  avec  les 
plus  grands  soins  à  maintenir  la  tranquillité. 
Le  corps  de  Fédor  fut  mis  dans  un  cercueil , 
en  présence  d'Irène  ,  (]ui  effrayait  tous  les 
spectateurs  par  l'excès  de  son  inexprimable 
douleur.  Elle  se  lamentait,  se  tordait  les  mem- 
bres ,  n'écoutait  ni  son  frère ,  ni  le  Patriarche  ; 
de  sa  bouche  ,  d'où  jaillissait  le  sang ,  s'échap- 
paient quelques  mots  entrecoupés.  «  Je  suis 
«  une  veuve  stérile...  C'est  par  moi  que  périt 
»  la  souche  souveraine  »  !...  Le  soir  on  trans- 
porta le  cercueil  dans  l'église  de  Michel-Ar- 
change. Le  Patriarche,  lesEvèques,  les  Boyards 
el  le  peuple  étaient  pèle-méie  ;  il  n'exislait  plus 
de  dislinction  de  rangs,  la  douleur  les  avait 


296  niSTOIRE 

rendus  égaux.  Le  8  janvier,  eut  lieu  Tenterre- 
menl;  cérémonie  mémorable,  non  par  sa  ma- 
gnificence ,  mais  par  un  désordre  touchant.  Le 
Clergé,  que  suffoquaient  les  larmes,  i nterrom- 
])ait  l'office  ,  les  chants  cessaient,  ou  l'on  ne 
pouvait  les  entendre  à  cause  des  gémissemens 
du  peuple.  Irène  seule  ne  pleurait  plus;  on 
l'avait  apportée  presque  morte  à  l'Eglise.  Go- 
dounoff  avait  les  yeux  noyés  de  larmes  en  la 
regardant  ,  mais  en  même  temps  il  donnait 
tous  les  ordres  nécessaires.  On  ouvrit  une 
fosse  pour  le  cercueil  de  Fédor,  auprès  de 
celui  d'Ivan  ;  le  peuple  exprima  à  haute  voix 
sa  reconnaissance  au  défunt,  pour  le  bonheur 
dont  il  avait  joui  pendant  son  règne,  louant 
avec  altendrisseuient  les  vertus  personnelles 
de  cet  ange  de  douceur,  qu'il  avait  reçues  en 
héritage  d'Anastasie  ,  d'éternelle  mémoire.  Il 
l'appelait ,  non  pas  son  Tsar,  mais  son  tendre 
Père,  et,  dans  sa  sincère  affliction  ,  il  oubliait 
ila  faiblesse  de  caractère  de  Fédor.  Lorsque  Ton 
eut  livré  le  corps  à  la  terre ,  le  Patriarche  et 
tout  le  peuple  levant  leurs  mains  au  Ciel ,  de- 
mandèrent au  Tout-Puissant  qu'il  sauvât  la 
Russie  et  qu'il  la  prît  sous  sa  protection. 


DE     RT'SSir..  297 

Ouand  ccfte  lugul)rc  crrémonio  fut  lorminéo, 
onrt'[)an(lit  de  riches  aumônes  sur  les  pnuvrrs, 
sur  les  Egli'-es  et  les  Mouaslères  ;  ou  ouvrit  les 
prisons  ei  on  délivra  tous  les  détenus  même 
les  meurtriers,  aiin  de  couronner  par  cet  acte 
de  clémence  ,  la  gloire  terrestre  des  vertus 
bienfaisantes  de  Fédor. 

Ainsi  s'éleignit  sur  le  trône  de  Moscou  l'il- 
lustre dynastie  Yarèj^ue,  à  laquelle  la  Pujssie 
doit  son  existence,  son  nom  et  sa  grandeur  ; 
(jui ,  faible  comme  on  l'a  vue  à  sa  naissance, 
parvint,  à  travers  des  siècles  de  troubles,  au 
milieu  des  combats  et  du  snug  ,  à  maîtriser  le 
nord  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  par  l'esprit 
martial  de  ses  souverains  et  de  son  peuple, 
par  le  bonheur  qui  accompagna  ses  entrepri- 
ses ,  et  la  volonté  de  la  divine  Providence. 

Bientôt  la  Capitale  apprit  que  la  mort  de 
Fvîdor  avait  frappé  du  même  veuvage  Irène  et 
le  trône  de  -Monomaque;  que  la  couronne  et 
le  sceptre  y  restaient  déj)osés,  et  qu'enfin  la 
Pxussie ,  privée  de  son  Tsar,  était  également 
privée  de  sa  Souveraine. 

On  dit  que  le  pieux  Fédor,  dans  ses  adieux 
à  Irène,   et  malgré  son  testament,  lui  avait 


2t)8  HISTOIRE 

ordonné  secrètement  de  mépriser  les  gran- 
(leiiis  mondaines  et  de  se  consacrer  à  Dieu. 
Peul-èlre  aussi  qu'Irène,  veuve  ,  sans  enfans, 
et  ne  trouvant  pas  de  consolation  dans  le  pou- 
voir suprême  ,  prit,  dans  son  profond  déses- 
poir, le  monde  en  haine.  Mais  il  est  beaucoup 
plus  probable  que  telle  était  la  volonté  de  Go- 
dounolf  qui  disposait  du  cœur  et  du  sort 
d'une  tendre  sœur.  Après  avoir  joui  sous  Fé- 
dor  d'une  puissance  illimitée,  il  ne  voyait  plus 
d'élév;>tion  possible  sous  le  règne  d'Irène. 
Il  approchait  d'ailleurs  de  sa  cinquantième 
année,  et  ne  pouvait  plus  attendre  ni  tempo- 
riser. Il  avait  donc  remis  le  sceptre  à  Irène 
pour  le  reprendre  des  mains  d'une  sœur, 
comm€  par  droit  d'héritage  ;  remplacer  sur  le 
Trône  une  Godounoff,  et  non  la  dynastie 
souveraine  de  Monomaque,  et  paraître  ainsi 
moins  usurpateur  aux  yeux  du  peuple.  Jamais 
cet  adroit  ambiticîux  n'avait  été  aussi  aclifen 
secret  et  publiquement  que  dans  les  derniers 
jours  de  la  vie  de  Tédor ,  et  dans  les  premiers 
du  prélendu  régne  d'Irène.  Au  dehors ,  cette 
activité  avait  pour  but  de  persuader  le  peuple 
qu'il  n'était  pas  possible  que  Tordre  existât 


DE    RUSSIE.  299 

dans  l'Elat ,  sans  les  soins  de  Boris;  et  secrè- 
tement, il  travaillait  à  donner  une  apparence 
de  liberté  et  d'amour  à  ce  qu'il  obtenait  par 
la  force,  par  la  séduclion  et  Tarlitice.  11  tenait 
Moscou,  comme  dans  une  main  invisible,  et 
par  ses  innombrables  alVides,  dirigeait  les 
mouvemens  de  la  Capitale  (211).  L'Eglise  ,  les 
autorités  laïques,  Tarmée  el  le  peuple  écou- 
taient et  suivaient  l'impulsion  qu'il  donnait. 
Tous  le  servaient,  moitié  par  crainte,  moitié 
par  un  sentiment  de  reconnaissance  sincère 
pour  ses  services  et  ses  bieniliits.  On  promet- 
tait et  on  menaçait;  on  disait  en  secret  et  à 
haute  voix  que  le  salut  de  la  Russie  était  insé- 
parable du  pouvoir  de  Boris.  Enfin ,  après 
avoir  préparé  les  passions  et  les  esprits  à  une 
grande  scène  dramatique ,  le  neuvième  jour 
après  la  mort  de  Fédor,  on  déclara  solennel- 
lement qu'Irène  refusait  la  couronne  et  se 
retirait  pour  toujours  dans  un  couvent ,  pour 
y  prendre  l'habit  monastique.  Cette  nouvelle  prisc  rie  voiic 
affligea  Moscou;  les  Evèques,  le  Conseil,  les 
INobles  et  les  ciloyens  en  masse,  tombèrent 
aux  pieds  de  la  veuve  couronnée  ;  ils  versaient 
des  larmes  ,  l'appelaient  leur  mère,  et  la  cou- 


ûOO  HISTOIRE 

juraient  de  ne  pas  les  délaisser  dans  une  telle 
crise;  mais  la  Tsarine,  (jui  jusqu'alors  avait 
toujours  montré  un  cœur  compatissant,  ne 
lut  point  touchée  de  leurs  supplications,  et 
dit  que  sa  résolution  était  inébranlable  et  que 
TEtat  serait  gouverné  par  les  Boyards  con- 
jointement avec  le  Patriarche,  jusqu'au  mo- 
ment où  tous  les  Ordres  de  l'empire  de  Russie 
pourraient  se  réunir  à  Moscou  (212) ,  aiin  de 
décider  du  sort  de  la  patrie  selon  l'inspiralion 
divine.  Le  même  jour  (2i3),  Irène  sorlit  du 
palais  du  Kremlin  pour  se  rendre  au  monas- 
li're  des  V  icrgcs  ^  et  prit  le  voile  sous  le  nom 
d'Alexandra.  La  Russie  resta  sans  chef  et  Mos- 
cou dans  le  trouble  et  l'agiiation. 

Où  se  trouvait  alors  et  que  faisait  G odou- 
noff  ?  Il  s'était  enfermé  dans  le  monastère  avec 
sa  sœur ,  pleurait  et  priait  avec  elle.  Il  semblait 
qu'à  son  exemple,  il  avait  renoncé  au  monde, 
à  ses  grandeurs,  au  pouvoir,  et  qu'il  avait 
abandonné  le  gouvernail  de  l'Empire  et  livré  ; 
la  Russie  aux  orages;  mais  le  pilote  ne  s'en- 
dormait pas ,  et  Godounoff ,  du  fond  de 
l'humble  cellule  d'un  monastère,  tenait  l'Em- 
pire d'une  inain  ferme. 


DE    RUSSIE.  30l 

Dès  que  le  Cleroé  ,  les  Dignitaires  et  les  ci- 
toyens, eonnnrent  la  prise  de  voile  d'Irène, 
ils  se   rassemblèrent  au  Kremlin   où   Vassili 
Slclielkalort",  Diak  d'Elatet  Garde  des  Sceaux, 
après  leur  avoir  représenté  les  funestes  con- 
séquences de  Fanarchie ,  exigea  d'eux  le  ser- 
ment d'obéir  au  Conseil.  Personne  ne  voulut 
en  entendre  parler;  tous  s'écrièrent  :  «   Nous 
)>  ne   connaissons  ,   ni   les    Princes  ,    ni   les 
»  Boyards,  nous  ne  connaissons  que  la  Tsa- 
»  rine  ;  c'est  à  elle  que  nous  avons  prêté  se r- 
»  ment  et  nous  ne  le  prêterons  pas  à  d'autres; 
»  même  sous  ses  habits  religieux  ,    elle   est 
»  toujours  la  mère  de  la  Flussie  (214)  »•   Le 
Garde  des  Sceaux  ,  après  avoir  pris  conseil  des 
Grands,  se  présenta  de  nouveau  aux  citoyens, 
et  leur  dit  :  Que  la  Tsarine  ayant  abandonné 
le  monde,   ne  s'occupait  plus  des  affaires  de 
l'Etat ,  et  que  le  peuple  devait  prêter  serment 
aux  Boyards,  s'il  ne  voulait  voir  la  destruc- 
lion  de  rEn)pire.   La  réponse  unanime  fut  : 
»  S'ilen  est  ainsi  ,  que  son  frère  règne  ».  Nui 
n'osa  contredire  ce  vœu  ni  garder  le  silence  : 
tous  s'écrièrent  :   «  Vive  notre  père  Boris  Go-    nov.sprotia- 
dounofi!  11  succédera  à  notre  mère  la  Tsa-  "'^'^''"• 


302  îtlSTOiRE 

rine  ».  Sur  le  clianip  on  se  rendit  en  corps  au 
mounsière  des  IHerges  ^  où  le  patriarche  Job  , 
au  nom  de  la  pairie,    conjura   la   religieuse 
Alexandra   d'autoriser,   par  sa  bénédiction  , 
son  Irère  à  monter  sur  le  Trône  qu'elle  avait 
mc^prisé  ,  par  amour  pour  Jésus-Christ  son 
immortel   époux  ;   ajoutant    qu'elle  rempli- 
rait   j)ar-îà  la  volonté  divine  et  celle  de  la 
nation  ;  qu'elle  calmerait  le  trouble  qui  agitait 
tous  les  cœurs  ;  qu'elle  essuyerait  les  larmes 
des  Piu sses,  malheureux  orphelins  sans  pro- 
tecteur, et  rétablirait  l'tLmpire  ébranlé ,  avant 
que  les  ennemis  du  Christianisme  n'eussent 
appris  que  le  trône  de  Monomaque  était  va- 
cant.  Tous,  sans  en  excepter  Irène,  répan- 
daient des  larmes  en  écoutant  les  paroles  élo- 
quentes du  Patriarche.  Job  se  tourna  vers  Go- 
dounolf,  lui  offrit  humblement  la  Couronne 
et  le  nomma  élu  de  Dieu  pour  renouveler  la     j 
«lynasiie  régnante  en  Paissie  ,  et  successeur  lé- 
gitime du  Trône,  après  son  beau-frère  et  son 
ami  qui  availdû  tous  les  succès  de  son  règne 
à  la  sagesse  de  Boris. 

C'est  ainsi  que  s'accomplit  le  désir  de  l'am- 
bitieux Boris;   mais  il  savait  se  contraindre. 


i)L  uussii:.  3o3 

et  la  joie  qu'il  éprouvait  au  fond  de  son  âme, 
ne  renipèclia  pasde  rester  maître  dehii-nième. 
Il  avait  eu  ,  sept  ans  auparavant  ,  Thorrible 
courage  de  pIong(  r  le  poignard  dans  le  sein 
du  jeune  Dniitri ,  pour  s'emparer  de  la  cou- 
ronne; il  feignit  de  la  repousser  avec  effroi 
lorsqu'elle  lui  fut  offerte  solennellement  et 
d'un  accord  unanime ,  par  le  Clergé  ,  les  Au- 
torités et  la  nation.  Il  jura  qu'étant  né  sujet 
fidèle ,  il  n'avait  jamais  songé  à  régner  ,  et 
qu'il  n'oserait  jamais  prendre  le  sceptre  sanc- 
tifié parles  mains  du  défunt  Tsar,  qu'il  re- 
gardait comme  un  ange,  un  père  et  un  bien- 
faiteur. Il  dit  que  la  Kussie  comptait  beau- 
coup de  Princes  et  de  Boyards  plus  illustres 
elplus  recommandables  (jiie  lui;  mais  que, 
sensible  à  l'amour  que  la  naiion  lui  portait  , 
il  promettait  de  s'occuper  conjointement  avec 
eux  du  bien  de  l'Etat  avec  plus  de  zèle  encore 
qij'au{)aravant.  A  ce  discours  préparé  d'avanc*', 
le  Patriarche  répondit  par  un  disconrssembîa- 
bje,  rempli  de  mouvemens  oratoires  et  de 
citations  historiques.  Il  accusa  Boris  de  trop 
de  modestie  et  même  de  dés<^béissance  envers 
la  volonté  de  Dieu  qui  se  manifestait  si  visi- 


3()4  IIISTOIHE 

blenioiil  tlatis  celle  de  louie la  nalion.  11  prouva 
que  le  Tout-Puissant  a\ait  destiné  depuis 
long-teiiîps  à  lui  et  à  ses  descendans  le  Trône 
occupé  par  la  dynastie  de  Yladiaiir,  cjui  ve- 
nait de  s'éteindre  dans  la  personne  de  Fédor. 
Il  paria  de  David  ,  roi  des  Juils ,  de  Théodose- 
le-Grand,  de  Marcian  ,  de  Miehel-le-Bègue  , 
de  Bazile  de  Macédoine  ,  de  Tibère  et  d'autres 
Empereurs  de  Byzance  (jui ,  des  rangs  les  plus 
obcurs,  avaient  été  élevés  au  Trône  ,  par  des 
décrets  inconipréliensibles  de  la  Providence  ; 
il  compara  leurs  vertus  à  celles  de  Boris;  il 
l'exliorta  ,  le  conjura  de  céder,  et  ne  put 
ébraider  sa  fermeté  ,  ni  dans  ce  jour,  ni  dans 
les  snivans  ,  ni  devant  le  peuple  ,  ni  sans  lé- 
moins,  ni  par  les  prières  ,  ni  par  les  menaces. 
Godounoff"  refusa  positivement  la  couronne. 
Mais  les  Patriarches  et  les  Boyards  ne  per- 
daient point  encore  Fespoir;  ils  attendaient 
l'assemblée  générale  qui  devait  avoir  lieu  à 
Moscou  ,  six  semaines  après  la  mort  de  Fédor; 
c'est-à-dire,  qu'ils  y  convoquèrent  tous  les 
hommes  uotabies  des  vilies,  des  gouverne- 
mens;  le  clergé,  les  employés  civils  et  mili- 
taires, les  marchands  et  les  bourgeois.  Godou- 


DE    RUSSIE.  3o5 

Doff  voulait  ([ue  ce  ne  lut  point  la  Capitale 
seule  ,  mais  la  Russie  entière  qui  Tappelàl  au 
Trône  ;  et  il  prit  ses  mesures  pour  la  réu.^sile 
de  ce  projet,  en  envoyant  partout  des  servi- 
teurs dévoués.  Cette  apparence  d'un  choix  li- 
bre et  unanime  lui  paraissait  nécessaire,  peut- 
être  pour  calmer  sa  conscience,  peut-être  pour 
la  sécurité  de  son  pouvoir.  En  attendant ,  Bo- 
ris se  tint  renfermé  dans  le  couvent;  etTEtat 
fut  {j;ouverné  par  le  Conseil  ,  qui  en  référait 
au  Patriarche  dans  les  atfaires  importantes  , 
mais  (jui  ne  donnait  ses  Edits  qu'au  nom  de  la 
'J\sarine  Alexandra.  Les  rapports  des  Voïévodes 
parvenaient  également  au  Conseil ,  adressés  à 
la  Tsarine.  Cependant  il  se  manifesta  quelques 
désordres  ;  à  Smolensk  ,  à  Pskof  et  dans  d'au- 
tres villes,  les  Voïévodes  refusaient  d'obéir  les 
uns  aux  autres ,  et  même  aux  ordres  du  Con- 
seil (21 5).  Le  bruit  se  répandit  en  même  temps, 
que  le  Khan  de  Crimée  faisait  une  invasion  en 
Russie  ;  et  le  peuple  effrayé  disait  :  le  Klian 
sera  aux  portes  de  Moscou  ,  et  nous  sommes 
sans  Tsar  et  sans  défenseurs.  En  un  mot ,  tout 
favorisait  Godounoff,  car  lout  avait  été  ar- 
rangé par  lui. 

Tome  X.  20 


3oG  IlISTOlllE 

Le  vendredi  17  lévrier,  s'ouvrit  au  Kremlin 
la  grande  assemblée  nationale,  où  siégeaient, 
outre  les  principaux  membres  du  clergé,  h  s 
autorilés  séculières  et  c(.'lles  de  la  cour,  plus 
de  cinq  cents  fonctionnaires  ,  dépulés  de  tous 
les  gouvernemens,  pour  une  affaire  dt;  la  plus 
haute  importance  et  qui  ne  s'était  point  pré- 
sentée depuis  les  temps  de  Rurik.  Il  s'agissait 
d'élire  un  souverain  à  la  Russie  ,  où  jusqu'a- 
lors avait  régné  sans  interruption  et  par  droit 
de  succession,  la  dynastie  des  princes  Varègues; 
où  l'Etat  n'existait  que  par  le  Souverain  ,  où 
toutes  les  lois  ne  provenaient  que  de  son  droit 
absolu  de  juger  et  de  gouverner  son  pays  d'a- 
près  sa    seule  conscience.    Ce  moment  était 
critique  :  celui  qui  choisit  donne  le  pouvoir 
et  par  conséquent  le  possède.  Ni  les  réglemens, 
ni  l'exemple  du    passé    ne   garantissaient  la 
tranquillité  de  la  Nation  dans  l'acte  imposant 
qu'elle  allaitremplir;  et  la  Diète  du  Kremlin, 
pouvait  ressembler  à  celle  de  Varsovie.  Mais 
une  longue  habitude  de  l'obéissance  etl'adresse 
de  Loris,  offrirent  un  spectacle  surprenant , 
l'ordre,  l'accord  le  plus  parfait  et  une  condes- 
cendance mutuelle  dans  une  foule  si  diverse  , 


PE     RUSSIE.  3o^ 

et  dans  ce  mélange  de  ran<^s  deioiile  espèce.  Ils 
sendilaient  Ions  n'avoir  qu'un  désir;   on  eut 
dit  des  orplieiins  empressés  de  trouver  un 
père  et  qui  savaient  où  le  chercher.  Les  ci- 
tovens  re.f^ardaient  les  nobles ,  les  nobles  les 
grands  et  ceux-ci  tournaient  leurs  regards  vers 
le  Patriarche.  Enfin  Job,  après  avoir  annoncé 
à  Tassemlée  qu'Irène  n'avait  point  voulu  ré- 
gner, ni  donner  le  Trône  à  son  frère  ,  et  que 
Godounoff  refusait  lui-même  la  couronne  de 
Monomaque,   s'exprima  ainsi  :  «  La  Russie 
)»  privée  d'un  Souverain,  l'attend  avec  impa- 
»  lience   de  la  sagesse  de  l'assemblée  ;    vous 
>♦  Evèques  ,  Archimandrites  et  Abbés  ;   vous 
w  Boyards ,    ISobles  ,     Employés  ,     Enfans- 
»)  Boyards  et  gens  de  toutes  les  classes  de  la 
>»  ville  souveraine  de  Moscou  et  de  toute  la 
>♦  Russie,  faites-nous  part  de  vos  idées  et  don- 
>»  ncz-nous  vos  conseils  pour  ch(!rcher  un 
*  Maître  ?  Quant  à  nous ,  témoins  de  la  mort 
»  du  Tsar  et  Grand-Duc  Fédor,  nous  croyons 
»  que  nous  ne  devons  point  chercher  d'autre 
»  monarque  que  Boris  Godounoff  ».  A'   rs 
tout  le  clergé,  les  Boyards,  les  Militaires  et  le 
peuple  répondirent  unanimement (21  G).  «  No- 


01 


o8  HISTOIRE 


»  tre  conseil  et  notre  vœu  est  de  nous  pros- 
»  terner  devant  Boris,  et  de  ne  point  chercher 
»  à  la  Piussie  d'autre  maître  que  lui  ».  Le  zèle 
devint  un  transport ,  et  pendant  long- temps 
l'on  ne  put  entendre  autre  chose  que  le  nom 
de  Boris  ,  répété  à  haute  voix  par  cette  nom- 
breuse assemblée.  Il  s'y  trouvait  des  princes 
du  sang  de  Pairik,  tels  que  les  Schouisky , 
les  Silsuy  ,  les  Yorotinsky  ,  les  Rostolsky, 
1rs  Teliatefsky  et  d'autres;  mais  ils  étaient 
privés ,  depuis  long-temps,  des  droiis  de 
Princes  souverains,  et  se  trouvaient  servi- 
teurs de  ceux  de  Moscou.  A  l'égard  des  simples 
Enfons-Boyards,  ils  n'osèrent  même  pas  son- 
ger à  leur  droit  de  naissance ,  ni  disputer  !a 
couronne  à  celui  qui,  sans  porter  le  titre  de 
Tsar,  avait  gouverné  laPiussie  pendant  treize 
ans  avec  un  pouvoir  obsolu  et  qui ,  quoique 
descendant  d'un  Mourza  Tatare  ,  était  frère 
delà  Tsarine. Le  calmeétant  rétabli ,  les  grands 
racontèrent,  en  l'honneur  de  Godounoff,  les 
circonstances  suivantes  ,  au  clergé,  aux  fonc- 
tionnaires et  aux  citoyens  :  «  La  Tsarine  Irène 
»  et  son  illustre  frère,  dès  leur  plus  tendre 
»  enfance  ,  ont  été  élevés  dans  le  palais  du 


DE    RUSSIE.  309 

»  grand  Tsar  tvan  et  nourris  de  sa  lablc  ;  le 
M  Tsar  ayant  Iroiivé  ïrcnedignc  d'('trosa  bcllo- 
»  tille,  di.'puis  ce  temps  liorls  ne  le  quitta  plus 
»  et  se  Forma  sous  lui  dans  la  science  du  gou- 
»  vernement.  Un  jour  le  Tsar  ayant  appris 
»  que  son  jeune  favori  était  malade  ,  il  alla  le 
»  Yoir  avec  nous  et  lui  dit  avec  bienveillance  : 
M  Boris  ,  je  souffre  pour  toi  comme  pour  mon 
»  fils,  pour  mon  fils ,  comme  pour  ma  belle-file, 
w  et  pour  ma  belle-fille,  comme,  pour  moi-même. 
»  Il  leva  trois  de  ses  doigts  et  dit  :  Voilà  Fcdor^ 
«  Irène  et  Boris ^  ht  n'es  point  mon  sujet ,  mais 
>'  mon  fis.  A  ses  derniers  moinens  ,  lorsque 
»  tout  le  monde  s'éloigna  pour  lui  laisser  faire 
i>  sa  confession  ,  Ivan  garda  Godounoff  au- 
»  près  de  son  lit  et  lui  dit  :  Mon  cœur  na  rien 
»  de  cache  pour  toi  ;  je  remets  à  tes  soins  mon 
>•>  flsj  ma  file  et  tout  l  Empire  ;  veille  sur  eu.T  ; 
»  tu  en  repondras  dccanl  Dieu.  Boris ,  se  rap- 
»  pelant  ces  paroles  mémorables,  a  veillé  avec 
«  un  soin  religieux  sur  le  jeune  Monarque  et 
»  sur  l'Etat  ».  Ils  dépeignirent  ensuite  com- 
ment le  Piègent,  par  sa  prudence  et  son  infati- 
gable activité,  avait  élevé  notre  Patrie,  vaincu 
le  Khan  et  les  Suédois,  réprimé  la  Lithuanie, 


3 1 0  II I  s  T  C I  U  E 

élendii  les  possessions  de  la  llussie,  augmenté 
le  nombre  des  Pririees,  ses  tributaires  et  ses 
serviteurs  (217).  Ils  tirent  valoir  la  considéra- 
lion  que  lui  témoignaient  les  plus  illustres 
souverains  de  l'Europe  et  de  l'Asie  ,  la  tran- 
quillité dont  on  jouissait  à  l'intérieur,  les 
bienfaits  répandus  sur  l'armée  et  sur  le  peu- 
})ie,  la  justice  qui  régnait  dans  les  tribunaux, 
la  protection  que  trouvaient  les  pauvres  ,  les 
veuvesetles  orphelins.  LesBoyards  conclurent 
en  disant  :  «  Nous  vous  rappellerons  une  par- 
»  ticularilé  mémorable.  Lorsque  le  Tsar  Fé- 
»  dor  eut ,  par  le  courage  et  les  talens  du  Pxé- 
i>  gent,  remporté  une  éclatante  victoire  sur 
î>  le  Khan  ,  il  s'en  réjouit  dans  un  festin  avec 
3>  les  Evéques  et  les  Grands  de  l'Etat.  Alors, 
)'  dans  une  effusion  de  reconnaissance,  il  ôta 
»  de  son  cou  la  chaîne  d'or  des  Tsars  et  la 
»  passa  à  celui  de  Godounoff  ».  Le  Patriarche 
expliqua  à  l'Assemblée  que  le  Tsar,  par  une 
inspiration  du  Saint-Esprit,  avait  ainsi  mys- 
térieusement signalé  le  rang  suprême  réservé 
à  Boris.  De  nouveaux  cris  de  «  vive  notre  Sou- 
«  verain  Godounoff  «  se  iirent  entendre  ;  et 
le  Patriarche  dit  à  l'Assemblée  ;  «  La  voix  du 


I)K     lU'SSIE.  .ill 

»  peuple  est  la  voix  de  Dieu  ;  que  sa  volonté 
»»  soit  faite  ->. 

Le  lendemain,  i8  lévrier,  l'église  de  TAs- 
somption  se  remplit  de  monde  ,  dès  le  plus 
grand  malin.  Le  C^lerj^é,  les  autorités  civiles  et 
le  peuple  ,  à  genoux  ,  adressèrent  avec  ferveur 
leurs  prières  au  Tout-Puissanl ,  pour  obtenir 
du  Régent ,  (pi'il  s'attendrit  et  acceptât  la  cou- 
ronne. On  pria  pendant  deux  jours,  et  le  20 
février,  Job  ,  les  Evéques,  les  Grands  déclarè- 
rent à  Godounoir  qu'il  était  élu  Tsar,  non- 
seulement  par  jMoscou  ,  mais  par  toute  la 
Russie.  Cependant,  Godounofï' répondit  en- 
core que  l'élévation  et  l'éclat  du  Trône  de  Fé- 
dor  effrayaient  son  àme  ;  il  jura  de  nouveau 
qu'une  pensée  aussi  hardie  ne  s'était  jamais 
présentée  à  lui  dans  les  mouvemens  les  plus 
secrets  de  son  cœur,  iî  vit  les  pleurs  ,  entendit 
les  supplications  et  resta  inébranlable.  Il  ren- 
voya du  couvent  les  Tcnlalcurs ,  le  Clergé  et 
les  Boyards  ,  et  leur  défendit  de  revenir  au- 
près de  lui. 

Il  iallut  chercher  un  moyen  plus  efficace  ; 
on  s'en  occupa  et  on  le  trouva.  Les  Evéques  , 
dans  un  conseil  générai  qu'ils  tinrent  avec  les 


ÔI2  HISTOIRE 

Boyards,  convinrent  de  faire  chanter,  le  21 
lévrier,  un  2^e  Deinn  dans  loiiles  les  Eglises  ; 
et  d'aller  ensuite  avec  les  insignes  de  la  Religion 
et  de  la  Patrie  ,  tenter,  pour  la  dernière  lois  , 
le  pouvoir  des  larmes  et  des  instances  sur 
le  cœur  de  Boris.  En  même  temps ,  le  Patriar- 
clie  et  les  Evèques  décidèrent  secrètement  en- 
tr'eux  ce  qui  suit  : 

«  Si  Boris  prend  pitié  de  nous  ,  nous  le  re- 
î)  lèverons  du  serment  qu'il  a  fait  de  ne  point 
»  accepter  la  couronne  de  Russie  ;  s'il  ne  le  fait 
ji  pas,nousrexcommunieronsetdans  le  même 
))  couvent  où  il  se  trouve,  nous  déposerons 
3)  nos  croix  et  nos  ornemens  pontificaux;  nous 
y>  y  laisserons  les  images  miraculeuses,  nous 
»  défendrons  le  service  divin  et  leschantsdans 
M  toutes  les  Eglises  ;  nous  livrerons  le  peuple 
3)  à  son  désespoir  et  f'^mpire  à  sa  ruine,  aux 
«  troubles  et  aux  massacres  ;  Fauteur  de  tous 
j)  ces  maux  en  répondra  devant  Dieu  au  jour 
i)  du  jugement  dernier  ». 

Cette  nuit,  toutes  les  maisons  de  Moscou 
restèrent  éclairées  :  tout  se  préparait  à  racle 
solennel;  dès  l'aube  du  jour,  au  son  de  toutes 
les  cloches ,  la  Capitale  se  mit  en  mouvement. 


DE    RUSSIE.  3l3 

Les  Temples  et  les  maisons  s'ouvrirent ,  le 
Clergé,  en  ebantant  des  prières ,  sortit  du 
Krenilin  ;  le  peuple  se  pressait  sur  les  places  , 

,   dans  un  protond  silence.  Le  Patriarche  et  les 
Evéques  portaient  les  images  illustrées  par  de 

I   glorieux  souvenirs,  celle  de  la  Vierge  de  Vla- 
dimir, celle  du  Don  ,  et  les  Etendards  sacrés 
de  la  Patrie.  Le  Clergé  était  accompagné  des 
Boyards,  de  la  Cour,  des  hommes  de  guerre  , 
des  Tribunaux,  des  Députés  des  villes.  Tous 
les  iiabitans  de  Moscou  ,  à  leur  suite  ,  les  ci- 
toyens et  la  po})ulace,  femmes  etenfans,  se 
précipitèrent  vers  \q.  Monastère  des  T^ierges , 
d'où  l'on  lit  sortir,  également  au  son  des  clo- 
ches, à  la  rencontre  du  Patriarche,  l'image  de 
Notre-Dame  de  Smolensk.  Godounoff  la  sui- 
vait, comme  étonné  d'une  procession  aussi 
solennelle.  Il  se  prosterna  devant  l'image  de 
la  Vierge  de  Vladimir  et  les  yeux  remplis  de 
larmes ,  il  s'écria  :  <<  G  mère  de  Dieu  !  quelle 
»  est  la  cause  de  ton  apparition  dans  ce  lieu  ? 
)'  Prends  ,  ô  prends-moi  sous  ta  sainte  pro- 
»  tection  »  !  Il  se  tourna  vers  Job  ,  et  lui  dit 
avec  un  air  de  reproche  :  «  Grand  Patriarche  , 
»  tu  en  répondras  devant  Dieu  ».  Job  lui  ré- 


3  £  4  HISTOIRE 

pliqua  :  «  Mon  fils,  cesse  de  raffligcr  et  crois 
»  à  la  Providence.  C'est  la  Sainte- Yierj^^e,  (jiii, 
»  paramoiir  pourtoi, vient  ici  te  faire  rougir 
»  de  ton  obstination  ».  lise  rendit  alors  dans 
Tcglise  du  Monastère  avec  le  Clergé  et  les 
Grands;  les  Dignitaires  et  les  Dépuiés  se  te- 
naient dans  l'enceinte,  et  le  peuple,  en  dehors, 
couvrait  toute  l'immense  étendue  de  la  plaine. 
Après  avoir  célébiui  la  Messe ,  le  Patriarche 
conjui'a  de  nouveau,  mais  vainement,  Boris 
de  ne  point  refuser  la  Couronne,  et  ordonna 
de  porter  les  Images  dans  les  cellules  de  la  Tsa- 
rine ,  et  là ,  avec  les  Evèques  et  les  Grands,  ils 
s'inclinèrent  jusqu'à  terre.  Au  même  instant , 
à  un  signal  convenu,  la  foule  innombrable  qui 
remplissait  les  cellules  ,  l'enceinte  et  les  envi- 
rons du  couvent ,  tomba  àjgenoux en  poussant 
des  gémissemens  inouis.  Tous  demandaient 
un  Tsar,  un  père  ,  enfin  Boris.  Les  mères  jetè- 
rent à  teiTe  les  en/ans  qu  elles  açaient  à  leurs  rna- 
nielles,  sans  écouter  leurs  cT'is  (218).  L'enthou- 
siasme Femporiait  sur  la  ruse  ;  il  agissait  sur 
les  indifférens  el  sur  les  hypocrites  eux- 
mêmes.  Le  Patriarche,  ensanglottant,  conjura 
long-temps  la  Tsarine,  au    nom  des  saintes 


DE    RUSSIE.  .5l5 

Images  qui  se  Ironvalent  devant  elle,  au  nom 
(lu  Sauveur,  de  l'Eglise  et  de  la  Piussie,  de 
donner  à  des  millions  de  Cliréliens  un  Sou- 
verain adoré  dans  son  illustre  frère. 

Enfin,  on  entendit  la  parole  de  grâce  ;  les 
yeux  de  la  Tsarine,  qui  avait  été  insensibles 
jusqu'alors,  se  remplirent  de  larmes,  et  elle 
dit  :  «  Puisque  lelle  est  la  volonté  du  Tout- 
»  Puissanfet  de  la  Sainte-Vierge,  prenez  pour 
»  vous  gouverner,  mon  frère  ,  afin  de  sécher 
«  les  larmes  du  peuple.  Que  le  désir  de  vos 
»  cœurs  s'accomplisse  pour  le  bonheur  de  la 
»  Russie.  Je  donne  ma  bénédiction  à  voire 
>)  élu,  et  je  le  confie  au  Tout-PuissanI ,  à  la 
),  Vierge,  aux  saints  de  Moscou  ,  à  toi  Patriar- 
»  che  et  à  vous  Evèques  et  Boyards;  qu'il 
«  monte  à  ma  place  sur  le  Trône  >' !  Tous 
lombèrent  aux  pieds  de  la  Tsarine  ,  (jui ,  ayant 
jeté  un  regard  de  tristesse  s\iv  l'hunihle  Boris, 
lui  ordonna  de  régner  sur  la  Piussie.  Mais  il 
témoigna  encore  de  la  répugnance  ,  effrayé 
du  poids  que  l'on  confiait  à  ses  faibles  mains, 
et  il  demanda  à  en  être  exempté  en  disant  à  sa 
sœur  :  «  Que ,  ne  fut-ce  que  par  pitié  ,  elle  ne 
»  devait    pas    faire    de  lui   une   victime    du 


Olb  HISTOIRE 

j)  Trône  ».  Il  jura  de  nouveau  que  jamais  son 
espril  timide  n'avait  conçu  l'idée  d'une  pa- 
reille élévation,  effrayante  pour  un  mortel. 
Il  prenait  à  témoin  le  Tout-Puissant,  Irèue 
eUe-mèioe  ,  qu'il  n'avait  point  d'autres  désirs 
que  de  vivre  auprès  d'elle  et  de  contempler  sa 
figure angélique.  La  Tsarine  insista,  et  Boris, 
comme  au  désespoir,  dit:  «  Que  ta  volonté 
»  s'accomplisse,  ô  mon  Dieu!  montre-moi 
»  la  véritable  route  et  ne  sois  point  un  juge 
»  rigoureux  de  ton  serviteur.  Je  me  soumets 
»  à  tes  décrets,  en  remplissant  le  désir  de  la 
»  nation  ».  Les  Evèqucs  et  les  grands  fléchi- 
rent le  genou  devant  lui.  Le  Pafriarchc ,  après 
avoir  béni  de  la  Croix  Boris  et  la  Tsarine  ,  se 
hâta  d'informer  les  nobles  ,  les  magistrats  et 
tous  les  citoyens  ,  que  le  Tout  Puissant  leur 
avait  donné  un  Tsar.  La  joie  fut  universelle 
et  inexprimable.  On  levait  les  mains  au  ciel , 
on  lui  adressait  des  actions  de  grâce  ;  on  pleu- 
rait ;  on  s'embrassait ,  et,  depuis  la  cellule  de 
la  Tsarine  jusqu'à  l'extrémité  de  la  grande 
plaine,  on  n'entendait  que  le  cri  d'allégresse  : 
Gloire!  Gloire  à  Dieu  !  Entouré  des  nobles, 
pressé  par  le  peuple,  Boris  ,  précédé  du  Cler- 


DE    RUSSIE.  Sry 

r.i' ,  se  rendit  à  l'église  du  monastère,  où  le 
Pritriarche  ,  devant  les  images  de  la  Vierge  de 
^  ladimir  et  du  Don,  lui  donna  sa  bénédiction 
pour  régnersurMoscou  et  sur  toute  la  Russie, 
le  proclama  Tsar  et  lui  adressa  le  premier  Jn 
j)hirimos  annos. 

Quel  choix  ,  en  effet ,  aurait  pu  être  ,  en 
apparence,  plus  solennel,  plus  unanime, 
])lus  légitime  que  celui-ci  et  en  même  temps 
plus  sage  ?  Il  n'y  avait  de  changé  que  le  litre 
de  Tsar  :  le  pouvoir  restait  entre  les  mains  de 
celui  qui  le  possédait  depuis  long-lemps  ,  et 
Texerçait  heureusement  pour  le  salut  de  l'Em- 
pire ,  sa  tran([uillité  intérieure,  son  hoinieur 
au  dehors  et  sa  sécurité  au  dedans  !  Telles 
étaient  les  apparences  ;  mais  ce  nouveau  Mo- 
narque ,  doué  de  tant  de  sagesse  humaine  , 
était  parvenu  au  Trône  par  un  forfait  :  la  co- 
lère céleste  menaçait  le  Souverain  criminel 
et  l'Empire  maliieureux. 


OlS  IIISTOlilE 


CIÎAPITllE    IV. 

Éliil  de  1(1  îlussie  à  la  fin  du  seizième  siècle 


Sécurllc  de  la  Russie  par  rapport  aux  puissances  voisines. 
—  Année.  —  AppoinleiiieiiS. —  Revenus.  — Richesses 
(les  Slrogonoff.  —  Juridiction. —  Tdriures  el  supplice.^. 

Couinierce. —  "^  aisseaux  Russes.  —  Civilisalion. — 

Géoniéirie  et  Ariîliniélinue.  —  (>liif{Ves  ou  écriture 
secrèie.  —  Géographie.  —  Littérature.  —  Arts  cl  Mé- 
IJ4.,-s.  —  iMoscou. —  Mœurs.  —  Exemples  de  disputes 
sur  l'anciennelé  des  familles  et  des  rangs.  —   La  Cour. 

Yins  étrangers  cl  mets  Russes.  —  ïlospilaliîé.   — 

Longévité.  —  Médecins.  —  PJédicamcns.  —  Apolln- 
^.^iics.—  Difrérer.s  usages.  —  Asyle  des  morts.  —  (cos- 
tume des  femmes.   —  Divertissemens.  —   lîaius.  — 

\;<>cs. Piété.  —  IMorldu  premier  fils   de  Boris. — 

Insoirés.  —  Tolérance.  —  Union  en  Lithuanie. 

ApiTS  avoir  rciracc  le  sort  de  noire  pairie 
sous  le  sceplrc  lu'rcclitaire  des  Souverains  de 
la  dynastie  Yarègue ,  terminons  l'ÏIisloire  de 
s(M)î  Li'iilirenio-six  ans  parle  tableau  de  TéUit 
politique  et  civil  de  la  Russie. 


DE    RUSSIE.  3 19 

Jamais  ,  à  aiuuiic  aulro  époCjUC,  Tompire      sjptirité  ,1- 

,  ,  m    r  I      I  •  1"    Russie   pu- 

(le  ^ioscoii  ,  (lonl  jvan  111  loiida  la  puissance  rii.pmt    a.i>t 

,  11-  •  •  Tiuissances  vol- 

et prépara  ia  «gloire  ,  n  avait  pu  se  promettre  ,  siucs. 

dans  ses  relations  extérieures,  une  plus  par- 
faite sécurité.  En  Lilhuanie,  le  successeur  de 
Bathori  sommeillait  sur  le  Tronc,  environné 
de  Nobles  ailiers,  turbulens  et  frivoles,  l^a 
Suède  était  livrée  à  fanarchie  ;  le  Khan  ne  sa- 
vait que  piller  par  surprise  ;  Mahomet  III , 
occupé  d'une  guerre  sanglanteavecrAutriche, 
en  redoutait  une  plus  dangereuse  encore  avec 
le  Scliah  ;  et  la  Pvussie ,  presque  sans  verser  de 
sang  ,  s'élant  emparé  de  pays  d'une  immense 
étendue  au  nord  de  l'Asie,  ayant  construit 
des  forteresses  à  l'ombre  du  Caucase  ,  rétabli 
ses  anciennes  limites  sur  les  rochers  de  la  Ca- 
rélie  et  n'attendant  que  le  moment  favorable 
pour  reconquérir  ce  (jui  avait  été  arraché  à  la 
faiblesse  d'Ivan ,  les  forleresses  Livoniennes 
et  un  port  sur  la  Balti([ue  ,  la  llussie ,  paisible 
au  dehors  et  au  dedans,  possédait  l'armée  la  Anne*?. 
plus  nombreuse  de  l'Europe  et  travaillait  sans 
cesse  à  l'augmenter  encore.  Voici  ce  que  disent 
les  contemporains  étrangers,  des  forces  mi- 
litaires de  Fédor. 


320  niSTOIliE 

«  La  seule  garde  du  Tsar  se  compose  de 
»  quinze  mille  cavaliers  nobles.  Soixante-cinq 
»  mille  enians  Boyards,  cavalerie  excellente, 
»  se  rassemblent  tous  les  ans  sur  les  bords  de 
»  rOka  pour  en  imposer  au  Khan.  La  nieil- 
»  leure  inianlerie  est  composée  de  Slrelelz  et 
»  de  Cosaques.  Les  premiers  s'élèvenl  à  dix 
»  mille,  outre  deux  mille  hommes  d'élite; 
»  les  seconds  à  six  mille  environ.  Avec  eux  et 
yy  sur  la  même  ligne ,  servent  quatre  mille 
»  trois  cents  Allemands  et  Polonais,  quatre 
»  mille  cosaques  Lithuaniens,  cent  cinquante 
»  Ecossais  et  Hollandais,  cent  Danois,  Sué- 
»  dois  et  Grecs.  Lorsquil  est  question  d'une 
»  expédition  militaire  importante,  tous  les 
j»  enfans  Boyards  apanages  se  présentent  aus- 
>>  sitôt  pour  le  service,  avec  hîurs  domestiques 
»  etserls  qui  ont  phitôt  Tair  de  paysans  que 
»  de  guerriers ,  quoiqu'ils  soient  vèius  avec 
>>  élégance;  ils  portent  des  habits  étroits  avec 
»  un  grand  collet  ra])attu.  On  ne  peut  en  dé- 
»  terminer  le  nombre,  parce  ([u'il  est  aug- 
»  mente  en  cas  de  besoin  par  les  bourgeois,  les 
»  INogais  et  les  Tclierkesses,  anciens  sujets  du 
»  rovaurae  de  Kazan  et  serviteurs  salariés  du 


DE     RUSSIE.  321 

»  souverain  de  Moscou.  Les  regimens  rasseni- 
»  blés  dans  les  gonvernemens  portent  le  nom 
»  de  leurs  villes,  tel  est  celui  deSmolensk, 
»  de  Novgorod  etc.  ;  ils  sont  composés  de 
»  troiscents  à  douze  cents  hommes;  beaucoup 
»  sont  mal  armés;  il  n'y  a  que  Tinfanterie 
»  qui  ail  des  arquebuses  ;  mais  l'artillerie  ne 
»  le  cède  pas  à  la  meilleure  d'Europe.  Les  ar- 
»  mes  et  l'attirail  des  chevaux  des  Voïévodes  , 
»  des  officiers  et  des  Nobles,  resplendissent 
»  du  poli  de  l'acier  et  de  l'éclat  des  pierres 
»  précieuses.  Surlesdrapeaux  ,  qui  sont  bénis 
))  par  le  Patriarche,  est  représentée  l'image 
»  de  Saint  Georges  (219).  Les  attaques  de  ca- 
»  Valérie  se  font  toujours  au  bruit  d'énormes 
»  tambours,  de  trompettes  et  de  timballes. 
»  l^es  cavaliers  lancent  une  nuée  de  flèches, 
»  tirent  leurs  cimetères  ,  les  font  brandir  au- 
»  tour  de  leur  tète  ,  et  se  précipitent  en  avant 
)i  en  masses  compactes.  L'infanterie,  agissant 
))  dans  les  stèpes  contre  les  tatares  de  la  Cri- 
»  mée  ,  se  relranche  ordinairement  derrière 
»  un  fort  en  boisct  mobile,  qu'on  transporte 
»  sur  des  chariots  ;  c'est-à-dire  qu'on  place 
))  deux  rangs  de  planches  sur  la  distance  de 
Tome  X.  21 


02  2  HISTOIRE 

»  deux  OU  trois  versles  de  longueur,  et  on 
M  tire  (le  ee  fort  par  des  ouverlures  prati- 
»  q nées  dans  ees  deux  murs.  En  attendant  le 
»  Kkan,  les  Yoïévodes  envoyent  des  Cosa- 
»  ques  dans  les  slèpes,  où  il  eroit  de  loin  à 
j>  loin  des  ehênes  élevés  ;  là  ,  sous  ehaque 
»  arbre  ,  on  voit  deux  ehevaux  sellés  ,  Tun 
))  des  cavaliers  les  tient  par  la  bride,  son  com- 
«  pagnou  est  sur  la  cime  de  Tarbrc  et  regarde 
)^  de  tous  côtés;  quand  il  aperçoit  de  la  pous- 
»  sière  ,  il  descend,  monte  à  cheval  et  court 
»  à  toute  bride  à  un  autre  chêne.  Il  crie  de 
rt  loin  et  désigne  de  la  main  l'endroit  où  il  a 
»  vu  s'élever  la  poussière.  Le  gardien  de  eet 
»  arbre  ordonne  à  son  camarade  de  courir 
»  également  vers  le  troisième  chêne  pour 
>■>  porter  cette  nouvelle  qui ,  dans  quekjues 
>)  heures,  parvient  de  celte  manière  à- la  ville 
»  la   plus  proche   ou  au   Yoïévode  d'à  van  l- 


»  garde  ». 


Les  mêmes  auteurs  auxquels  nous  enq>run- 
toik  _  détails,  observent  que  ,  de  même 
qu'au  temps  divan  ,  les  Russes  se  battent 
mieux  dans  les  retranchemens  qu'en  rase 
campagne (220);  ilsajoulent:  «  Que  nepeut-ou 


DE    RUSSIE.  323 

«  pas  attendre ,  avec  le  temps,  d'une  arnx'c 
«  innombrable  ,  qui ,  ne  craignant  ni  le  froid 
»  ni  la  faim,  et  ne  redoutant  que  la  colère  du 
»  Tsar ,  erre  dans  les  déserts  du  Nord  ,  sans 
»  autre  nourriture  que  de  l'avoine  pilée  et  du 
»  biscuit ,  sans  équipages,  sans  abri,  et  dans 
»  laquelle  on  n'accorde  ,  pour  l'action  la  plus 
»  éclatante,  qu'une  petite  monnaie  en  or,  à 
»  l'eitigie  de  Saint  Georges,  et  que  le  guerrier 
»  favorisé  porte  sur  sa  manche  ou  sur  son 
»  bonnet  »  ? 

Mais  les  Tsars  n'étaient  plus  avares  et  n'é-  ^ 
pargnaient  pas  leurs  trésors  pour  améliorer 
l'organisation  de  leurs  armées.  Déjà  Ivan  don- 
nait en  campagne  des  appointemens  en  argent 
aux  guerriers  (221).  Fédor,  ou  plutôt  Godou- 
noff  ,  outre  des  domaines,  donnait  depuis 
douze  jusqu'à  cent  roubles,  à  chaque  Noble 
et  enfant  Boyard,  qui  composaient  la  garde' 
des  quinze  mille  du  Tsar  ;  il  donnait  à  chaque 
Streletz  ou  Cosaque,  sept  roubles  outre  la 
nourriture,  et  à  la  cavalerie  des  bords  de 
rOka,  à  peu  près  quarante  mille  roubles  par 
an.  Cette  somme,  jointe  à  la  solde  des  guer- 
riers étrangers,  à  celle  des  Boyards, des  grands 


3-24  H1ST(3IP.  E 

Oiricicrs  cl  aux  Iraitcmens  dos  autres  fonc- 
iionnaires  les  plus  distingués,  dont  les  pn*- 
miers  avaient  sept  cents  roubles  et  les  seconds 
de  deux  cents  à  quatre  cents,  montait  à  quel- 
ques millions  d'argent  d'aujourd'hui  et  prou- 
vait la  prospérité  croissante  de  la  lUissie  ; 
prospérité  démontrée  d'une  manière  encore 
plus  évidente  par  les  détails  suivans  et  cir- 
constanciés des  revenus  de  l'Empire  (222). 
Revenus.  I  "•  L*^  domaluc  particulier  du  Tsar,  composé 

de  trente-six  villes  avec  des  bourgs  et  des  vil- 
lages ,  fournissait  à  la  Chambre  des  finances  , 
outre  la  rétribution  en  argent,  du  blé,  du 
bétail ,  de  la  volaille  ,  du  poisson  ,  du  miel  , 
du  bois  et  du  foin ,  dont  on  vendait  pour  une 
valeur  de  soixante  mille  roubles  ,  après  avoir 
fourni  à  l'entretien  de  la  Cour  ,  et  malgré  les 
prodigalités  d'Ivan.  Mais ,  sous  le  règne  de  Fé- 
dor,  un  meilleur  système  d'administration, 
introduit  par  le  grand  maréchal  Grégoire  Go- 
dounoff ,  mit  à  même  de  vendre  de  ces  objets 
pour  plus  de  deux  cent  Irenle  mille  roubles, 
à  peu  près  un  million  cent  cinquante  mille 
roubles  d'argent  actuel. 

2°.  La  taille  et  l'impôt  de  la  Couronne  ,. 


^i' 


DE    RUSSIE.  325 

qu'on  porcevail  en  blé  et  en  argent,  rappor- 
!  taient  à  la  caisse  des  provinces  (223)  quatre 
cent  mille  roubles;  le  pays  de  Pskoff, dix-biiit 
mille  ;  celui  de  Novgorod,  trente-cinq  mille; 
ceux  de  Tver  et  de  Torjek  ,  huit  mille;  celui 
de  Rézan  ,  trente  mille;  celui  de  Mourom  , 
douze  mille  ;  de  Kholmogory  et  de  la  Dvina  , 
huit  mille;  de  Yologda,  douze  mille;  de  Ka- 
zan,  dix-huit  mille;  d'Oustioug,  trente  mille; 
de  Rostoff,  cinquante  mille  ;  de  Moscou,  qua- 
rante mille;  de  la  Sibérie,  en  fourrures, 
vingt  mille  ;  de  Kostroma  ,  douze  mille  ,  etc. 

3°.  Il  y  avait  encore  differens  impôts  pour 
les  villes,  tels  que  ceux  qui  étaient  prélevés 
sur  le  commerce,  sur  les  procédures,  les  ca- 
barets et  les  bains ,  et  qui  étaient  portés  au 
Trésor  de  la  grande  recette.  Moscou  y  était 
compris  pour  douze  mille  roubles,  Smolensk 
pour  huit,  Pskoff  pour  douze,  Novgorod 
pour  six,  Roussa  ,  où  se  faisait  le  sel ,  pour 
dix-huit,  Torjek  pour  huit  cents,  Tver  pour 
sept  cents,  Jaroslaf,  pour  douze  cents,  Kos- 
troma pour  dix-huit  cents,  Nijni  pour  sept 
mille,  Kazan  pour  onze  mille  ,  Vologda  pour 
deux  mille,  etc.  Ces  impôts  montaient  à  huit 


■)26  HISTOIRE 

cent  mille  rcîiiblcs, on  comptant  les  économies 
<!es  Chambres  militaires,  celles  des  Si reletz, 
(les  étrangers  et  de  Tarlillerle,  qui,  ayant  leurs 
propres  revenus,  envoyaient  également  au 
trésor  de  la  grande  recette  ,  les  sommes  qui 
leur  restaient;,  de  manière  que  le  trésor  du 
Kremlin  ,  sous  le  cachet  de  Fédor  ou  de  Go- 
dounoff  (224) ,  après  avoir  satisfait  à  toutes  les 
principales  dépenses  de  FEmpire  pour  la 
Cour  et  larmée,  ne  recevait  pas  moins  cha- 
que année  d'un  million  quatre  cent  mille 
roubles  (six  à  sept  millions  de  nos  roubles 
d'argent  d'aujourd'hui  ).  Malgré  cette  richesse, 
dit  Fletcher  dans  son  livre  sur  la  Piussie  ,  Fé- 
dor ,  suivant  le  conseil  de  Godounoff,  lit 
fondre  une  quantité  de  vases  d'or  et  d'argent 
dont  il  avait  hérité  de  son  père ,  et  en  fit  battre 
monnaie;  voulant,  par  cette  preuve  d'une 
prétendue  pénurie,  jusliher  l'énormité  des 
impôts. 

l'our  augmenter  les  richesses  de  l'Etat ,  Fé- 
dor, à  l'assemblée  générale  du  Clergé  et  des 
Boyards,  au  mois  de  juillet  i584,  conlirma 
l'ordonnance  d'Ivan  ,  de  i582,  qui  prescrivait 
aux  Evèques,  aux  Eglises  et  aux  Couyens,  de 


DE     RUSSIE.  327 

céder  à  la  Couronne  et  sans  paiement,  tous 
les  anciens  domaines  des  Princes  avec  les  ter- 
res qui  leur  avaient  été  engagées;  en  même 
temps  il  supprimait,  jusqu'à  nouvel  ordre,  les 
lettres  d'immunité ,  qui  dispensaient  de  tout 
impôt  une  grande  partie  des  biens  de  TEglise, 
des  Boyards  et  des  Princes  ;  ce  qui  faisait  un 
grand  tort  au  Trésor  et  un  grand  mal  aux  au- 
tres propriétaires  ;  car  les  paysans  les  quittaient 
pour  aller  habiter  les  terres  affranchies  d'im- 
pôts  (2 y 5).  Dans  ce  même  Edit,  on  lit  :  «  Les 
j>  terres  et  villages  légués  aux  Monastères  pour 
»  le  repos  des  âmes,  doivent  être  rachetés  par 
»  les  héritiers  et,  à  leur  défaut ,  par  le  Souvc- 
»  rain,  pour  être  distribués  aux  militaires  »  , 
pour  lesquels  il  ne  se  trouvait  plus  assez  de 
domaines  (226). 

Mais  l'enrichissement  du  Trésor,  au  dire 
des  étrangers  (227),  était  en  quelque  sorte  pré- 
judiciable à  la  prospérité  publique  :  1°  les  im- 
pots, quoique  diminués  par  Fédor,  étaient 
encore  onéreux  ;  2°  l'établissement  des  caba- 
rets dans  les  villes ,  propageait  l'ivrognerie  , 
ruinait  les  citoyens,  les  artisans,  même  les 
cultivateurs  et  détruisait  leur  fortune  et  leur 


?)lS  .    HISTOIRE 

inornlilé  ;  3"  le  monopole  qu'exerçait  la  Cou- 
ronne faisait  souffrir  le  commerce  en  le  pri- 
vant (le  la  liberté  fie  vendre  ses  marchandises 
avant  que  celles  du  Tsar  ne  fussent  vendues. 
RiohfSRP^^ii.s  ftetclier  dit,  que  «  parmi  les  marchands,  il 
»  n'y  avait  de  connus  pour  leurs  richesses  que 
«  les  frères  Strogonoff,  qui  avaient  jusqu'à 
i>  trois  cent  mille  roubles,  argent  comptant , 
»  environ  un  million  et  demi  des  nos  roubles 
«  d'argent  actuel ,   outre  leur  fortune  en  im- 
3)  meubles  ;  qu'ils  avaient  à  leur  service  l>eau- 
»   coup  de  maître-ouvriers  étrangers  et  Hol- 
»  landais,  quelques  apothicaires  et  médecins, 
»  dix  mille  hommes  libres  et  cinq  mille  serfs, 
j3  occupés  à  cuire  le  sel ,  à  abattre  les  forets  et 
?).  à  cultiver  la  terre  depuis  la  Vitchegda  jus- 
«  qu'aux  frontières  de  la  Sibérie  ;  il  ajoute 
»  qu'ils  payaient  annuellementauTsar,vingt- 
»  trois  mille  roubles  d'impôts,  mais  que  le 
»  gouvernement  les  ruinait  impitoyablement 
j'  en  leur  demandant  tous  les  jours  davantage; 
»  tantôt  sous  la  forme  d'impôt,  tantôt  sous 
»  celle  d'emprunt  ;  qu'en  général ,  il  Y  avait 
»  peu  de  gens  riches  en  Piussie,  car  le  Trésor 
«  absorbait  tout  ;  que  les  Princes  apanages  et 


I 


DE     RUSSIE.  329 

»  les  Boyards,  ne  vivaient  que  des  faibles  ap- 
»  poinlemens  qu'ils  recevaient  et  des  revenus 
»  de  leurs  iiels,  à  peu  près  mille  roubles  pour 
»  cbacun,  dépendant  entièrement  de  la  fa- 
»  veur  du  Tsar  ».  Cependant  les  Boyards  et 
plusieurs  Dignitaires  avaient  de  riclies  do- 
maines ,  tant  héréditaires  que  ceux  qu'ils 
avaient  reçus  des  Souverains;  et  les  descendans 
des  anciens  Princes  conservaieaat  encore , 
même  au  temps  d'Ivan,  une  partie  de  leurs 
apanages  ;  c'est  ainsi  que  le  célèbre  prince  Mi- 
chel Yorotinsky,  en  1572,  possédait  le  tiers 
de  Yorotinsk  ,  à  litre  de  propriété  hérédi- 
taire (228). 

En  augmentant  l'armée  et  les  reveinis ,  le 
gouvernement,  comme  nous  l'avons  vu,  s'oc- 
cupait d'une  meilleure  organisation  de  l'Em- 
pire et  songeait  à  la  sécurité  di-s  individus  et  de 
leurs  fortunes.  Quoique  des  étrangers  aient  dit 
qu'il  n'y  avait,  à  cette  époque,  en  Russie  ,  au- 
cunes lois  civiles  ,  excepté  l'aveugle  volonté 
du  Tsar,  ces  X0/5  données  par  le  premier  Au- 
locratc  de  Moscou,  vv  qui  est  digne  de  remar- 
que, complétées  par  son  iils,  corrigées  et  per- 
fectionnées par   son  petil-lils  ,    servaient  de 


Jiuidiclion. 


j3o  HISTOIRE 

rt'gle  fondamenlale  dans  Ions  les  procès  ;  et 
Ivan-le-Terrible  ,  qui  foula  à  ses  pieds  tout 
principe  d'hunianilé  ,  ne  loucha  point  aux. 
Lois  Civiles.  Il  ne  reprit  même  pas  les  terres 
de  la  Couronne  ,  à  ceux  ([ui  pouvaient  prou- 
ver qu'ils  en  jouissaient  depuis  plus  de  six 
ans  (229).  Godounoff,  ayant,  au  nom  de  Fé- 
dor,   publié   cette  Loi    politique,  si  impor- 
tante sur  l'asservissement  des    cultivateurs, 
n'avait  rien  ajouté  au  Code  ;  mais  il  veillait  à 
ce  qu'il  fùl  exaclenient  observé  ;  car,  il  ambi- 
tionnait la  réputation  d'homme  juste  ,  et  s'en 
luonfrait  digne  dans  toutes  les  affaires  publi- 
ques ;  ce  qu'attestent  les  Annalistes,  qui  font 
l'éloge  du  siècle  heureux  de  Fédor.  Comme  au 
temps  d'Ivan  ,    les    tribunaux  des  provinces 
étaient  présidés  par  les  Lieutenans  du  Tsar  , 
qui  étaient  choisis  parmi  les  Boyards  et  les 
premiers  Dignitaires  ;  tous  les  membres  du 
Conseil  de  Fédor  étaient  Licutenans  de  quel- 
que province  et  quittaient  rarement  Moscou  ; 
mais  ils  avaient  des  adjoints,  des  Diaks,  auto- 
risés par  eux  à  juger.  On  dit  que  le  peuple  dé- 
testait généralement  les  Diaks  pour  leur  cupi- 
dité :  n'étanl  jamais  en  place  que  pour  peu  de 


DE    RUSSIE. 


I^mps,  cesfoncUoniiaircs  ne  cherchaient  qu'à 
's'enrichir  au  philùt  par  toutes  sorles  de 
„ moyens  ;  les  plaintes  recevaient  satisfaction  , 
(mais  c'était  ordinairement  après  que  celui  qui 
i  avait  pillé,  élait  déjà  remplacé  :  alors  on  le  ja- 
l'geait  avec  sévérité;  on  le  privait  de  tout  ce 
I  qu'il  avait  acquis  illégitimement,  on  l'exposait 
[[en  public ,  on  le  fouettait  et  on  lui  attachait  au 
jcou  quelques-uns  des  objets  pillés  par  lui, 
'une  bourse  avec  de  Targent,  des  zibelines  ou 
autres  choses.  La  Loi  ne  permettait  aucun  pré- 
sent; mais  les  gens  rusés  trouvèrent  moyen 
de  l'éluder.  Le  pétitionnaire,  en  entrant  chez 
le  juge  ,  déposait  de  l'argent  sous  les  Images  , 
prenant  pour  prétexte  d'acheter  des  cierges  ; 
mais  cette  invention  fut  bientôt  défendue  par 
un  Oukase.  Ce  n'est  que  le  jour  de  Pâques  qu'il 
était  permis  aux  Juges  et  aux  Employés  de  re- 
cevoir en  présent,  avec  un  œuf  rouge  ,  quel- 
ques ducats,  dont  le  prix  montait  ordinaire- 
ment (23o)  à  cette  époque,  de  seize  à  vingt- 
quatre  altines  et  plus.  Du  moins,  nous  voyons 
le  louable  effort  que  faisait  le  gouvernement 
pour  remédier  à  un  mal  connu  même  dans 
des  siècles  plus  civilisés.  Le  même  zèle  qui     Tortmcs 

^  ^         supplices. 


002  IIÎSTOIRE 

cherchait  à  (liminner  les  délits,  inlroduisait 
(111  (onservait  clicz  nous  l'nsaj^e  harbare  de  la 
lorlure  :  afin  de  parvenir  à  connaître  la  vérité 
de  ia  bouche  d'un  accusé  ,  on  le  brûlait  à  dif- 
férentes reprises  ,  on  lui  rompait  les  cotes,  el 
on  lui  enfonçait  des  dons  dans  le  corps.  Les 
menrtriers  et  autres  scélérats  étaient  pendus  , 
avaient  la  tète  tranchée,  étaient  noyés  ou  em- 
pallés.  Le  condamné,  en  se  rendant  an  lieu  du 
supplice,  tenait  dans  ses  mains  liées  un  cierge 
allumé.  La  peine  était  commuée  pour  les  nobles 
militaires  :  le  crime  pour  lequel  on  pendait 
im  paysan  ou  un  bourgeois,  n'était  puni,  dans 
lin  Enfant-îioyard,  ([ue  de  la  prison  ou  des 
verges.  Le  meurtrier  d'un  de  ses  propres  escla- 
ves, payait  une  amende  en  argent.  Les  nobles 
jouissaient  encore  d'un  singulier  privilège, 
dans  les  procès  civils  ;  ils  avaient  le  droit  de  se 
faire  remplacer  par  leurs  serviteurs  pour  prê- 
ter serment  de  même  cjue  pour  les  punitions 
corporelles,  auxquelles  ils  étaient  condamnés 
pour  avoir  manqué  à  payer  ce  qu'ils  devaient. 
Commerce.  Le  commcrce  ,  quoiqu'en  partie  comprimé 
par  le  monopole  du  Gouvernement ,  acquit 
pourtant  de  l'extension  au  temps  de  Fédor , 


DK    RISSIE.  333 

parles  projjjrès  de  iindusiric.  Nous  devons  à 
la  curiosité  et  à  l'esprit  d'observation  des  An- 
glais ,  qui  savaient  le  plus  en  profiter,  les  don- 
nées Irès-détaillées  que  nous  avons  à  cet  égard. 
«  Il  existe  peu  de  eontrées  au  monde  ,  éeri- 
»  venl-ils,  où  la  nature  ait  été  plus  généreuse 
»  envers  les  hommes  qu'eu  Jlussie,  et  où  elle 
j»  ait  répandu  ses  dons  avec  plus  d'abondance. 
»  Les  jardins  et  les  vergers  sont  remplis  de 
»  fruits  et  de  légumes  savoureux  ;  de  poires  , 
»  de  pommes,  de  prunes,  de  melons,  de 
»  pastèques,  de  eoneombref, ,  de  cerises ,  de 
»  framboises,  de  fraises,  de  groseilles;  les  bois 
»  et  les  prairies  tiennent  lieu  de  potagers.  Des 
»  plaines  d'une  immense  étendue  sont  cou- 
»  vertes  de  blé,  de  froment,  de  seigle,  d'orge, 
>)  d'avoine,  de  pois,  de  sarrazin  ,  de  millet. 
«  L'abondance  fait  naître  le  bon  marché  :  une 
»  mesure  de  froment  ne  vaut  ordinairement 
>)  pas  plus  de  deux  altines  ,  (  trente  kopecks 
»  d'argent  actuel).  Il  n'y  a  que  l'indolence 
»  des  cultivateurs  et  la  cupidité  des  rich(  s  qui 
»  produisent  quelquefois  la  cherté.  Ce  fut  la 
»  cause  pour  laquelle  on  paya  à  Moscou^  en 
«  i582,   treize  altines  pour  une   mesure  de 


33 1  IIISTOIUE 

»  froment  et  de  seigle.  Le  blé  et  les  fruits  for- 
»  ment  un  des  ol)jets  prineipaiix  du  com- 
»  merce  de  l'intérieur;  pour  c(!lui  du  dehors 
»  les  Russes  possède; nt  : 

»  i".  Des  pelleteries  de  zibelines,  de  re- 
»  nards  ,  de  easlors  ,  de  lynx,  de  loups, 
»  d'ours,  d'hermines,  de  petils-gris  dont  on 
»  vend  pour  l'Europe  et  l'Asie,  aux  mnr- 
»  eliands  Persans,  Turcs,  Bukhars ,  Ibt'riens 
»  et  Arméniens  ,  pour  cinq  cent  mille  rou- 
»  blés  (23 1).  Les  plus  belles  zibelines  viennent 
»  de  robdorie  ;  les  ours  blancs  de  Petchera  ; 
»  les  castors  de  Kola  ,  les  marlres  de  Sibérie  , 
»  de  Kadoni ,  Mourom  ,  Pernie  et  Kazan  ;  les 
«  petits-gris  et  les  hermines  de  Galilche,  Ou- 
»  glitche  ,  î^ovgorod  et  Perme. 

^1  2°.  La  cire  :  on  en  vend  chaque  année  de 
»  dix  à  cinquante  mille  pouds  ('202). 

»  3°.  Le  miel  :  il  s'emploie  dans  la  boisson 
»  favorite  des  Russes  ,  mais  il  se  transporte 
»  également  dans  les  pays  étrangers  et  prin- 
»  cipalement  des  contrées  de  la  Mordva,  des 
»  Tcliérémisses,  de  Seversk,  de  Rézan ,  de 
»  Mourom ,  de  Kazan  ,  de  Dorogobouge  tî 
>'  de  Viasma. 


DE    RUSSIE.  ^^fi 

»  4".  Le  suif:  on  en  exporte  près  de  cent 
mille  pouds  ,  de  Smolensk  ,  Jaioslaf,  Oii- 
glilehe  ,  Novgorod,  Vologda,  Tver et  Go- 
rodelz;  mais  loute  la  Russie  ,  riche  en  pâ- 
turages, abonde  également  en  suif  dont  il 
se  dépense  très-peu,  dans  l'intérieur,  à  la 
fabrication  des  chandelles,  car  lesgens  riches 
se  servent  de  bougies  et  le  peuple  d'alu- 
mettes. 

»  5°.  Les  peaux  d'élans,  de  daims  et  d'au- 
tres :  on  en  exporte  jusqu'à  dix  mille.  Les 
plus  grands  élans  se  trouvent  dans  les  forèls 
aux  environs  de  Rostoff,  Yilcliegda,  Nov- 
gorod ,  Mourom  et  Ferme  ;  ceux  de  Kazan 
sont  moins  grands. 

»  6".  l^a  graisse  de  veaux  marins  :  ces  ani- 
maux se  pèchent  près  d'Arkhangel ,  dans  le 
golplie  de  Saint-Nicolas. 
»  7".  Les  piiissons:  on  regarde  comme  le 
meilleur  celui  qu'on  appelle  poisson  blanc  ; 
les  villes  les  plus  célèbres  pour  la  pèche, 
sont,  Jaroslaf,   Biélooséro ,  Nijni ,  Astra- 

»  khan  et  Kazan.  Elles  rapportent  par-là  un 

))  revenu  considérable  au  Tsar. 

»  S".  Le  Kaviar,  d'Esturgeon,  dcSévriouga, 


31)6  nisToiHE 

»  ileSlorled,  se  vend  aux  marchands  Jlollan- 
»  dais  ,  Français,  et  en  partie  aux  Anglais  ,  et 
»  s'exporte  en  Italie  el  en  Espagne. 

»  9".  Une  quantité  d'oiseaux  :  le  gerfault  se 
»  vend  un  prix  très-élevé. 

»  10".  l^e  lin  et  le  chanvre  :  il  s'en  exporte 
«  beaucoup  moins  en  Europe  depuis  que  ia 
»  Russie  a  perdu  Narva.  Le  lin  abonde  à 
»  Pskof,  et  le  chanvre  à  Smolensk ,  Dorogo- 
»  bouge  et  Yiasma. 

»  1 1".  Le  sel  :  les  meilleures  salines  stî  trou- 
»  vent  à  Staraïa-Rouza  ;  il  y  en  a  aussi  à  Penne, 
j)  à  Vitchegda ,  à  Tolma ,  à  Kinechma  et  à 
»  Solovki.  Les  lacs  d'Astrakhan  produisent 
»  du  sel  naturel.  Les  marchands  payent  pour 
»  lui,  à  la  Couronne,  ivo'istlengas  ^r  poud. 

»  12".  Le  goudron  :  on  en  exporte  une 
»  grande  quantité  des  contrées  de  Smolensk 
»  et  de  la  Dvina. 

»  13".  Ce  qu'on  appelle  les  dents  de  pois- 
.>  sons  ou  défenses  de  chevaux  marins  :  on  en 
;»  fait  des  rosaires,  des  manches ,  etc. ,  une 
>»  poudre  iTiédicale  ,  propre  ,  à  ce  (jii'on  pré- 
>'  tend,  à  détruire  l'effet  du  poison.  On  eu 
»  exporte  en  Perse  et  en  Bukharie. 


DE   RUSSIE.  337 

>»  i4".  Le  Talque,  ([u'oii  emploie  en  guise 
»  de  verre ,  se  trouve  en  grande  quanlilé  en 
«   Carélie  et  dans  le  pays  de  la  Dvina. 

»  iS".  Le  salpêtre  et  le  souffre  :  le  premier 
w  se  fait  à  Ougliîche,  Jaroslaf,  Ouslioug;  le 
»  second  se  trouve  près  du  Volga ,  dans  les 
»  lacs  de  Saniara;  mais  on  ne  sait  point  lé- 
«  purer. 

»  16".  Le  fer;  il  est  très-mauvais;  on  le 
»  trouve  en  Carélie ,  à  Kargapol  et  à  Ous- 
»,  tionjna. 

»  17".  Les  soi-disant  perles  de  Novgorod: 
»  on  en  trouve  dans  les  rivières  du  pays  de 
»  Novgorod  et  de  la  Dvina  (233)  ». 

Pour  ces  richesses  naturelles  et  variées  de  la 
Piussie,  lEurope  et  l'Asie  lui  fournissaient  en 
échange  les  produits  de  leur  industrie  et  les 
productions  de  leur  sol.  Voici  le  prix  de  quel- 
ques-uns des  objets  qu'on  apportait  alors  à 
Astrakhan  sur  des  vaisseaux  Anglais,  Hollan- 
dais et  Français  (234). 

La  plus  belle  émeraude  ou  saphir  coulait 

soixante  roubles  (trois  cents  roubles  d'argent 

actuel);  un  zolotnik  de  perles  de  moyenne 

grosseur,  deux  roubles  et  plus;  l'or  et  l'argent 

Tome  X.  22 


33S  HISTOIUE 

lilé ,  six.  roubles  la  livre  ;  Tauiie  de  velours,  de 
Damas,  de  salin,  près  d'un  rouble;  une  pièce 
de  drap  iin  anglais  ,  trente  roubles,  plus   or- 
dinaire ,  douze  ,  et  une  aune,   vingt  altines; 
une  pièce  de  perkale,  deux  roubles  ;   un  ton- 
neau de  vin  de  France,   quatre  roubles;   un 
de  citrons  ,  trois  roubles  ;  de  harengs,   deux 
roubles;  le  poud  de  sucre,  de  quatre  à  six 
roubles  ;   de  sucre  d'orge  ,   dix  roubles  ;   de 
clous  de  girofles  et  de  canelle ,  vingt  roubles  ; 
de  riz,  quarante  copecks;  d'huile  ,  un  rouble 
et  demi  ;   de  poudre  à  canon  ,   trois  roubles  ; 
d'encens,  trois  rotd)les;    de  vif-argent ,   sept 
roubli's,  de  plomb  ,  deux  roubles;  de  cuivre 
travaillé,  deux  roubles;  de  fer  en  lame,  qua- 
rante copecks  ;  de  coton,   deux  roubles;  de 
bois  de  sandale ,  un  rouble  ;  une  main  de  pa- 
pier, quarante  copecks.  Outre  cela,  les  étran- 
gers nous  procuraient   une  quantité  de  leur 
argent  monnoyé  ,  en  évaluant  l'écu  de  Hol- 
lande à  douze  altines.  Un  seul  vaisseau  appor- 
tait   quelquefois    jusqu'à   quatrevingt   uiille 
écus,  qui  payaient  le  droit  d'entrée   comme 
les  marchandises;   ce  droit,  en  général,  était 
très-considérable;   par    exemple,   les   Isolais 


DE    RUSSIE.  3v')9 

qui  faisaient  le  commerce  des  chevaux  , 
payaient  à  la  Couronne  cinq  pour  cent  du 
prix,  et,  outre  cela,  donnaient  encore  au 
Tsar,  et  à  son  choix,  la  dixième  partie  de 
leurs  troupeaux  de  chevaux.  Un  beau  cheval 
nogai  ne  coûtait  pas  moins  de  vingt  roubles. 

Le  commerce  d'échange  que  nos  marchan'Js 
faisaient  dans  nos  ports  septentrionaux  ,  avec 
les  nations  Européennes,  leur  présentait  assez 
d'avantages  pour  qu'ils  ne  songeassent  pas  à 
aller  par  mer  dans  d'jmtres  pays.  Mais  il  est 
intéressant  de  savoir  qu'à  cette  époque  nous 
avions  déjà  des  vaisseaux  à  nous.  En  iSgg  ,  un  V;.isseaux 
ambassadeur  de  Bons  revint  d  Allemagne  sur 
deux  grands  vaisseaux  qu'il  avait  achetés  et  ar- 
més à  Lubeck,  avec  un  pilote  et  des  matelots 
qu'il  y  avait  loués  (23.")). 

Le  commerce  anséatique,  naguère  si  célè- 
bre  et  si  utile  à  la  Russie  ,  presqu'entièrement 
détruit  par  la  concurrence  de  l'Angleterre  et 
de  la  Hollande ,  essayait  de  retrouver ,  dans  les 
ruines  de  Novgorod,  les  traces  de  son  an- 
cienne splendeur.  En  i5c)6 ,  le  Tsar  permit  de 
nouveau  à  la  ville  de  Lubeck,  d'y  établir  un 
bazar  (236).  Mais  Novgorod,  Pskoff  et  toute 


n/jO  HISTOIRE 

la  Russie  regrctlaicntencore  la  perle  de  Narva; 
et  les  Suédois  qui  en  étaient  maîtres,  étaient 
un  obstacle  à  la  prospérité  de  cet  établisse- 
ment. 

«  Trouvant  dans  le  commerce  un  moyen 
»  d'enricliir  la  Couronne ,  dit  Fletcher ,  et 
«  s'occupant  peu  du  bien-être  des  Négocians, 
«  les  Tsars  ne  favorisent  guère  non  plus  la 
j)  civilisation  ,  sont  ennemis  des  innovations 
»  et  ne  laissent  entrer  chez  eux  d'étrangers 
Civilisation.  «  q»^  les  gcus  néccssaircs  à  leur  service  ;  ils 
»  ne  permettent  pas  à  leurs  sujets  de  quitter 
»  leur  patrie,  dans  la  crainte  des  lumières 
»  que  Tesprit  naturel  des  Russes,  esprit  qui 
«  se  fait  remarquer  même  dans  les  enfans, 
»  les  rend  particulièrement  propres  à  acqué- 
»  rir  (23-).  Les  seuls  Russes  qui  paraissenl  de 
j)  temps  en  temps  en  Europe  ,  sont  les  Am- 
>)  bassacleursou  les  déserteurs  ».  Ce  récit  est  en 
partie  dénué  de  vérité  :  nous  ne  voyagions 
pas,  parce  que  cela  n'clait  pas  dans  nos  usages 
et  que  rien  n'avait  encore  éveillé  en  nous  ce 
sentiment  de  curiosité,  apanage  d'un  esprit 
cultivé.  Il  n'était  point  défendu  aux  marchands 
défaire  le  commerce  hors  de  leur  patrie;  et 


DE     ET^SSIE.  341 

le  despolo  Ivan  envoyait  en  Europe  des  jeu- 
nes gens  pour  s'y  instruire.  Il  est  vrai  que  les 
étrangers  n'étaient  admis  cliez  nous  qu'avec 
choix  et  circonspection.  En  i-^qi,  Nicolas 
Varkolclie,  ambassadeur  de  Piodolphc  ,  écri- 
vit à  Boris  ,  qu'un  certain  comte  Italien 
nommé  Scotti ,  appelé  à  Moscou  par  Ivan  , 
désirait  servir  Fédor;  que  ce  Comte  ,  distin- 
gué par  l'Empereur  et  par  plusieurs  Souve- 
rains, possédait  le  don  de  toutes  les  langues 
qu'on  parlait  sur  la  terre,  et  toutes  les  sciences; 
au  point  que  ,  ni  en  Italie  ,  ni  en  Allemagne  , 
on  ne  pouvait  trouver  personne  à  lui  compa- 
rer. Loris  répondit:  «  Je  loue  l'intention  du 
»  Comte,  homme  aussi  noble  et  aussi  instruit. 
j>  Notre  grand  Souverain,  bienveillant  pour 
»  tous  les  étrangers  qui  nous  arrivent ,  le 
w  distinguera  sans  doute,  mais  je  n'ai  pas 
»  encore  eu  le  temps  de  lui  en  parler  ».  Il 
n'y  a  nul  doute  que  le  Comte  ne  fut  connu  en 
Russie  pour  un  espion  ou  pour  un  homme 
dangereux  et  que  cette  raison  n'ait  fait  re- 
jeter ses  offres;  car,  non  seulement  nous  ne 
refusions  pas  les  gens  instruits,  mais  nous  les 
invitions  à  venir  chez  nous  ;  témoin  John 


,'>42  II  f  s  loin  E 

Dee ,  illustre  inalhcmaticien  ,  astrologue  cl 
alchimisle ,  que  la  reine  Elisabeth  appelait 
son  philosophe,  et  (pil  se  trouvait  alors  en 
Bohème  :  Fédor  lui  fit  proposer  par  les  né- 
goeians  de  Londres,  deux  mille  livres  ster- 
lings  par  an  ,  à  quoi  Boris  ajouta  mille  rou- 
bles ,  la  table  du  Tsar  et  tout  le  serviee  ,  pour 
profiter,  à  ce  que  Ton  prétendait,  de  ses  con- 
naissances pour  la  découverte  de  nouveaux 
pays  au  iSord-est ,  au  delà  de  la  Sibérie.  Mais 
n"esl-il  pas  plus  j)robable  que  c'était  pour 
lui  confier  l'éducation  du  fils  de  Boris  ,  que, 
dans  ses  pensées  secrètes  ,  le  père  destinait 
déjà  au  Trône?  La  réputation  d'alchimiste  et 
d'astrologue  relevait  encore  aux  yeux  de  l'i- 
gnorance celle  de  mathématicien;  mais  Dee, 
dont  l'imagination  n'était  tendue  qu'à  îa  re- 
cherche de  la  pierre  pliilosophale  ,  et  fier 
dans  sa  pauvreté  ,  refusa  les  propositions  du 
Tsar  en  témoignant  sa  reconnaissance  ,  et 
sembla  ainsi  avoir  prévu,  par  les  calculs  de 
l'astrologie ,  sa  science  favorite  ,  le  sort  futur 
de  la  Russie  et  de  la  famille  de  Boris. 

Ce  que  nous  recherchions  avec  le  plus  de 
zèle    en   Europe  ,   c'était  des   métallurgistes    ' 


DK     RITSSTF..  ,        7>\3t 

pour  nos  mines  de  Pelchera,  découvertes  déjà 
en  1491 ,  mais  qui  étaient  presque  inutiles  par 
le  manque  de  mineurs  habiles.  En  i5()7  ,  lors- 
que le  Tsar  envoya  auprès  de  l'Empereur  le 
gentilhomme  Véhaminoff,  il  lui  ordonna  de 
nous  procurer  en  Italie ,  à  quelque  prix  que 
ce  fut ,  des  ouvriers  qui  sussent  trouver  et 
couler  l'or  et  l'argent.  Outre  quatre  ou  cinq 
mille  soldats  étrangers  que  Fédor  payait,  la 
Slohode  de  la  Jaousa^  à  Moscou  ,  se  peuplait 
chaque  jour  davantage  d'Allemands  qui ,  du 
temps  d'Ivan,  s'enrichissaient  par  la  vente  de 
l'eau-de-vie  et  de  l'hydromel  ,  et  étalaient  un 
luxe  scandaleux  ;  leurs  femmes  ne  voulaient 
porter  que  des  habits  de  velours  et  de  satin. 
Sous  le  règne  de  Boris,  ils  obtinrent  de  nou- 
veau  la   permission   d'avoir    une  église  ,   et 
quoiqu'ils  vécussent  séparés ,  ils  communi- 
quaient librement    et  amicalement   avec  les 
liusses.  Les  Tsars  ,  en  suivant  lidèlement   les 
principes  divan  III ,  et  en  attirant,  au  moyen 
de  l'or  et  des  honneurs ,  les  artistes ,  les  savans 
Européens  ,  en  multipliant  les  écoles  parois- 
siales et  le   nombre  des  lettrés  parmi  les  em- 
ployés, auxquels  la  noblesse  même   portait 


344  HISTOIRE 

t'iivie  l^à  cause  de  Timporlance  qu'ils  avaient 
acquise  dans  le  gouvernemenl ,  les  Tsars,  dis- 
je,  étaient  loin  de  redouter  les  lumières;  ils 
cherchaienl  au  contraire  à  les  propager  autant 
qu'ils  le  pouvaient  ou  savaient  le  faire  ,  et  si 
nous  ne  connaissons  pas  leur  pensée,  nous 
voyons  leurs  actions  favorables  à  la  civilisa- 
tion de  la  Piussie ,  dont  nous  présenterons  ici 
quelques  nouveaux  résultats. 

Une  opération  d'arpentage  qu'on  lit,  depuis 
1587  jusqu'en  1094  ,  dans  le  pays  de  la  Dvina, 
sur  les  deux  rives  du  Yolga  (208) ,  et  proba- 
blement dans  d'autres  provinces,  donna  peut- 
être  lieu  à  la  composition  du  premier  ouvrage 
Genmrtriect  dc  géométric  en^angue  Russe.  Les  copies  que 
Amhiaeiiqut.  ^^^^^  ^^  avons  ne  vont  pas  au-delà  du  dix- 
septième  siècle.  Ce  livre  est  appelé,  Lkrc  de 
science  profonde  ,  par  l'auteur  ,  «  qui  donne 
j)  un  moyen  facile  de  mesurer  les  endroits 
«  les  plus  inaccessibles ,  les  plaines,  les  élé- 
j^  valions  et  les  vallées,  à  Faide  du  compas  ». 
Il  explique  la  division  de  toutes  les  contrées 
habitées  de  la  Piussie  en  charmes  et  en  parties, 
pour  les  impôts  à  payer  à  la  Couronne.  (On 
comptait  dans  une  charrue  quatre  cents  arpens 


T)E    RUSSIE.  345 

i]c  bonne  terre,  et  dans  une  pmik,  six).  C'est 
à  eelte  époque  également  (|ue  nous  rappor- 
tons le  premier  Jivre  trarilhmél'ujue  v^oc))  , 
écrit  d'une  manière  peu  intelligible.  Dans  la 
préface  de  cet  ouvrage  ,  il  est  dit  :  «  Sans  cette 
»  philosophie  des  nombres ,  inventée  par  les 
»  Phéniciens ,  et  une  des  sept  sciences  libérales  , 
»  on  ne  peut  être ,  ni  philosophe  y  ni  docteur ,  m 
»  négociant  h ahi le .,  et  par  sa  connaissance  ,  on 
»  obtient  la  phi  s  grande  fai'cnr  auprès  du  Tsar  ». 
A  la  tin  (le  ce  livre,  on  parle  du  cycle,  de  la 
composition  du  corps  liumain  et  de  la  plii- 
siognomonie.  Dans  les  deux  livres  ,  dans  celui 
qui  traite  de  la  géométrie  et  <lans  celui  de 
rarillimétique  ,  on  emploie ,  pour  les  calculs  , 
des  lettres  slaves  et  des  cbiîlres.  C'est  à  cette     ciiifrirsou 

,  -.  -.  .  ^ .     ,  .  éi:vitiue    se- 

epoque  que,  dans  les  papiers  diplomatupies,  ciite. 
nous  commençâmes  à  nous  servir  de  cbiifres 
secrets.  En  i5qo,  l'en voyé  Ivanoff  écrivit  de 
Lithuanieau  Tsar  au  moyen  d'un  nouvel  alpha- 
bet^ emprunté  à  l'ambassadeur  d' Autriche  , 
Nicolas  Yarkofche  (240).  Le  livre  intitulé  ,  GJograpi.ie. 
Géographie  détaillée  de  V empire  de  Russie^  fut 
probablement  composé  sous  le  règne  de  Fé- 
dor,  puisque  nous  y  trouvons  les  noms  de 


o46  HISTOIRE 

Koiirsk,  Voronègeel  Osko] ,  villes  construi- 
tes de  son  temps,  et  que  nous  n'y  trouvons 
pas  ceux  des  villes  plus  modernes  fondées  par 
Godounolf ,  telles  que  ilorissoif  sur  le  Do- 
nelz  septentrional ,  et  celle  de  Tsaref-Borissoi 
à  remhoucliure  de  la  Protva  (241).  Ce  livre  , 
copié  en  1627  au  Bureau  rnilitalrc ,  décide  pour 
nous  plusieurs  questions  géographiques  im- 
portantes, en  désignant,  par  exemple,  où  se 
trouvaient  Tancienne  Ugorie ,  l'Obdorie  ,  la 
capitale  de  Bâti  et  les  camps  des  Nogais. 
LiiLhaïuit.  Le  champ  de  la  littérature  ne  nous  offre 
point  de  moisson  abondante  ,  depuis  le  temps 
d'Ivan  jusqu'à  celui  de  Godounoff  ;  mais  le 
langage  s'épura ,  et  il  s'embellit  d'une  nou- 
velle harmonie.  On  ne  trouve  de  véritable 
éloquence  inspirée  par  le  sentiment ,  que  dans 
les  lettres  de  Kourbsky  à  Ivan.  Jojndrons-nous 
au  nombre  des  écrivains,  Ivan  lui-même,  au- 
teur d'écrits  pompeux  et  prolixes^  tant  reli- 
gieux que  satiriques  (242)  ?  Il  y  a  de  la  vivacité 
daiis  son  style  et  de  la  force  dans  sa  dialectique. 
3-.es  meillenres  productions  de  ce  siècle,  sont , 
le  Licre  fies  degrés,  les  ries  des  Saints ,  par  Ma- 
caire  ,   cl  les  ceiii  chapitres  du  grand   Concile, 


DE     RUSSIE.  347 

Il  est  probable  que  le  mélropolilain  Dionisi 
mérita  le  surnom  de  Grammairien  par  quel- 
(jiies  écrifs  estimés  ;  mais  nous  ne  les  connais- 
sons pas.  Le  patriarche  Job  a  décrit  la  vie,  les 
vertus  et  la  mort  de  Fédor,  d'un  style  fleuri 
et  qui  n'est  pas  dépourvu  de  chaleur.  ^  tiici 
comme  il  parle  de  son  héros  :  «  Ses  vertus 
»  l'ont  égalé  aux  plus  dignes  Souverains  de 
»  l'antiquité  ;  il  i^ut  rornement  et  la  lumière 
»  de  ses  contemporains ,  et  le  plus  bel  excm- 
»  pie  pour  ceux  à  venir;  sans  s'attacher  au 
»  vain  éclal  de  la  terre,  il  nourrissait  son  ame 
»  royale  de  la  parole  de  Dieu  ,  et  tel  (pi'une 
»  source  inl,arissable,  il  répandait  ses  bienfaits 
»  sur  Tunivers.  Il  prospérait ,  avec  sa  tendre 
»  épouse ,  dans  la  pratique  de  la  vertu  et  dans 
»  la  foi  divine...  Il  n'avait  qu'un  seul  bien  sur 
»  la  terre  ,  un  seul  rejeton  de  la  dynastie  ré- 
«  gnante ,  et  il  fut  privé  de  sa  fille  chérie  ;  afin 
»  qu'il  donnât  l'exemple  d'un  cœur  brisé  par 
»  la  douleur,  et  qui  cependant  se  soumet, 
»  avec  une  humilité  chrétienne,  à  la  volonté 
»  du  Tout-Puissant,  tandis  que  la  nation  en- 
»  tière  se  livrait  au  désespoir....  O  nouvelle 
»  effrayante  et  terrible  !  Le  Tsar  adoré  de  la 


348  HISTOIRE 

r  Russie   passe    flans  les  hrns   de  VFJerncl  / 
»  INIais  ce  n'est  point  par  la  mort,  c'est  par 
»  un  sommeil  tranquille  ;  l'àme  s'envole  et  le 
»  corps  reste  immobile....  Nous  ne  voyons, 
»  ni  frémissemens ,   ni  convulsions....  Voilà 
»  le  moment  des  sanglols  et  non  des  discours; 
»  de  la  prière  et  non  de  l'éloquence....  La  pa- 
«  rôle  du    Prophète  s'accomplit  sur  nous  : 
»   Qui  donnera  une  source  à  mes  larmes ,  afin 
»  que  je  puisse  assez  pleurer  !'....  Tout  est  dou- 
»  leur,  tout  est  plainte....  Dès  ce  moment  le 
«  Trône  antique  et  brillant  de  la  grande  Rus- 
M  sie  commence  son  veuvage ,  et  la  populeuse 
»  et  grande  ville  de  Moscou  devient  une  triste 
»  orpheline  (240)  ».  Job  qui  devait  le  Patriar- 
cat à  Boris,  et  qui  lui  était  sincèrement  dé- 
voué,  dit  de  lui  dans    ce   discours  :  «   Aux 
»  temps  heureux  de  Fédor ,  gouvernait  sous 
»  lui    son    illustre    beau-frère    et    serviteur^ 
»  homme  supérieur,  unique  en  Russie,  non 
j)  seulement  par   l'éclat  de  son   rang ,   mais 
»  aussi  par  sa  profonde  sagesse  ,  sa  bravoure 
»  et  sa  piété.  Par  ses  soins,  cet  Empire  floris- 
»  sait  dans  une  paix  glorieuse,  à  l'étonnement 
»  de  tout  le  monde  et  même  du  Tsar ,  et  à  la 


DE    RUSSIE.  3J9 

»  gloire  du  Régent,  gloire  qui  rclontissait  , 
»  non  seulement  clans  notre  patrie ,  mais  dans 
>'  les  contrées  les  plus  éloignées  de  l'univers  , 
«  d'où  arrivaient  chez  nous  des  ambassadeurs 
j>  avec  des  dons  précieux,  pour  se  prosterner 
»  devant  le   Tsar  ,  et  contempler  la  beauté 
»  éclatante,  la  sagesse ,  les  vertus  du  Piègent, 
»  au  milieu  d'un  peuple  heureux  par  lui,  au 
>»  milieu  de  la  Capitale  qu'il  avait  si  magniii- 
»  quemenl  embellie  ».  Job   écrivit  aussi  une 
lettre  de  consolation  à  Tépouse  de  Fédor,  lors- 
qu'elle pleurait  la  perte  de  sa  iille  chérie  (244)- 
Il  conjurait  Irène  d'être  non  seulement  mère, 
mais  Tsarine  et  chrétienne  ;  il  condamnait  sa 
faiblesse  avec  le  zèle  d'un  pasteur,    mais   il 
plaignait  son  malheur  avec  la  sensibilité  d'un 
ami ,  ranimant  en  elle  l'espoir  de  donner  un 
successeur  au  Trône.  Cet  écrit  est  plus  remar- 
quable par  l'intérêt  du  sujet  que  par  les  pen- 
sées et  l'éloquence.  Le  Patriarche  ,  en  rappe- 
lant à  Irène  les  préceptes  de  l'Evangile  sur  la 
confiance  qu'on  doit  mettre  dans  le  Très-Haut, 
ajouta  :  «   Qui  mieux  (jue  loi  connais  l'Ecri- 
«  ture-Sainte?  Tu  peux  en  instruire  les  au- 
»  très ,  conservant  dans  Ion  cœur  et  dans  ta 


OJO  HISTOIRE 

»  mémoire  tous  les  principes  de  sagesse  qui  y 
»  sont  renfermés  ».  Irène,  élevée  à  la  Cour 
cFlyan,  avait  rinstruciion  cle  son  temps  ;  elle 
lisait  la  Bible  et  les  œuvresdes  Pères  les  plus  cé- 
lèbres de  notre  Eglise,  Les  Russes  possédaient 
déjà  une  Bible  imprinne  el  publiée  à  Ostrog; 
mais  les  œuvres  des  Saints-Pères  n'existaient 
qu'en  manuscrits  (245).  Parmi  les  traductions 
manuscrites  des  ouvragcsd'auleursanciens,  en 
langue  Slave  ou  llusse  ,  cjue  l'on  connaissait 
alors  et  que  nous  conservons  dans  nos  biblio- 
thèques  ,  se  trouve  la  disserlalion  de  Gallien 
sur  les  élemens  du  grand  et  du  petit  univers  , 
sur  l'âme  et  le  corps,  traduite  du  latin,  lan- 
gue que  les  Pousses  ,  quoi  qu'en  dise  un  étran- 
ger contemporain,  n'avaient  point  en  horreur  : 
pauvres  encore  dans  les  moyens  de  s'instruire, 
ils  profilaient  de  toutes  les  occasions  de  satis- 
faire leur  curiosité  ;  souvent  ils  cherchaient 
h  trouver  un  sens  là  où  il  n'y  en  avait  pas, 
à  cause  de  Tignorance  des  copistes  ou  des  tra- 
ducteurs, et  mettaient  une  patience  admirable 
à  recopier  des  livres  remplis  de  fautes.  Celle 
obscure  traduction  de  Gallien  se  trouvait  par- 
mi les  manuscrits  de  Saint  Cvrile  de  Biélo- 


DE    RUSSIE.  33 1 

oz(;'io,elpar  conséquent  existait  déjà  au  quin- 
zième sièele.  Faisons  également,  mention  d'un 
manuscrit  qui  avait  rapport  à  la  médecine  , 
traduit  du  Polonais,  en  1 588,  pour  le  voïévode 
de    Serpoukholf  ,   Thomas    Boutourlin.    Ce 
monument  de  la  science  et  de  Tignorance  de 
ce  temps,  est  très-curieux  par  rapporta  la  lan- 
gue et  par  la  traduction  hardie  de  quehjues 
noms  ou  de  quelques  termes  techniques  (246;. 
C'est  peut-être  au  temps  de  Fédor  ou  de 
Godounoi'f  que  se  rapportent  également  les 
anciennes  chansons  Russes,  dans  lesquelles  il 
est  question  de  la  conquête  de  Kazan  et  de  la 
Sibérie  ;  des  orages  du  règne  d'Ivan  ;  du  ver- 
tueux ISikita  Romaiiovitche  ,  frère  de  la  tsa- 
rine Anaslhasie  ;  du  scélérat  Mai  ou  ta  wSkoura- 
toff;  des  invasions  des  Khans  en  Russie.  Les 
contemporains  racontent  et  leurs  descendans 
chantent  ks  événemens.  La  mémoire  trompe, 
Fimagiiiation  amplifie  ,  le  goût  moderne  coi- 
rige,   mais  ftsprit  reste  et  conserve  quelques 
traits  marquans  du  siècle  ;  et ,  non  seulement 
dans  nos  chansons  de  guerre  ou  de  chasse, 
mais  même  dans  celles  d'amour  ,  on  retrouve 
le  cachet  de  l'antiquité  :  on  y  voit  comme  Tem- 


3j2  iiisToir.  e 

prt'inte  d'un  ol)jel  (jui  n'existe  plus  pour  nous; 
nous  y  entendons  eomme  Técho  d'une  voix 
qui  ne  résonne  plus;  nous  y  trouvons  la  iraî- 
Ciieur  de  sentiment  que  Tliomnie  perd  avee 
les  années,  et  les  nations  avec  les  siècles.  Ou 
connaît  la  chanson  sur  le  tsar  Ivan  (247). 

<f    On  Viyail  nnîlie  la  gloire  de  la  ville  de  Moscou  ; 
j)    On  voyait  naître  aussi  la  tyriiuuic  du  Tsar  terrible. 
w  Son  coup  d'essai  dans  les  arnie^-  fut  la  prise  de  Kazun  ; 
«   Et  ce  fut  en  passant  fju^  il  s'empara  d'ylstrakhan  », 

Sur  le  ills  d'Ivan  condamné  à  mort  : 

«    L 'astre  terrestre  va  tumhcr  ; 
»   La  bougie ,  fuite  de  la  cire  la  plus  pure ,  va  s 'éteindre  ; 
»   ]\ous  allons  perdre  le  Tsaréoitche  ». 

Voici  celle  sur  un  guerrier  qui  va  mourir 
dans  un  stèpe  sauvage  ,  sur  un  lapis  étendu  au- 
près d'un  feu  qui  s'éteint  : 

«   Le  sang  coule  de  ses  plaies  sur  la  cendre  brûlante  ; 
»   A  sa  tête  se  trouoe  un  crurifi  v  ; 
»  A  sa  droite  est  son  gluicc  acéré  ; 
»    A  sa  gauche  son  arc  détendu , 
))   Et  à  ses  pieds  se  tient  son  fidèle  coursier. 
»   En  mourant  il  dit  au  coursier  : 
>•    Lorsrpie  je  mourrai .,  o  mon  coursier  fitlclc  ! 
»    Coui>re  de  terre  mon  corps  blanc , 
>•   Au  milieu  de  ce  vaste  désert  ; 


DE    RUSSIE.  353 

»    Cours  ensuite  dans  la  sainte  Russie  ; 

M  Salue  mon  père  et  ma  Tncie\ 

»   Pur  le  ma  Itencdirtiuu  à  mes  petits  enfants  ; 

n  Dis  à  ma  jeune  veuçe  : 

»    Que  j'ai  rontnii/c  une  autre  union. 

n   J 'ai  pris  en  dot  la  vaste  plaine  ; 

n    C'est  une  flèche  qui  m 'a  marié  ; 

n    C  'est  un  glaive  acéré  qui  m 'a  mis  au  lit. 

»    Tous  mes  amis  et  frères  m'ont  ahandonné  ; 

»    Tous  mes  compagnons  se  sont  dispersés  ; 

»  //  n'y  a  que  toi,  mon  excellent  coursier, 

»    Qui  m 'as  se r\ù  fidèlement  jus(fu  'à  la  mort  » .' 

Nous  rapporterons  encore  un  fragment  de 
la  chanson  sur  un  guerrier  tué  ,  auquel  les 
joncs  servent  de  lit,  un  buisson  d'oreiller , 
une  sombre  nuit  de  couverture,  et  sur  le  corps 
duquel  pleurent  une  mère,  une  sœur  et  une 
jeune  épouse  : 

«  Hélas  !  la  mère  pleure  comme  unfleui>e  roule  ses  flots  ; 
»    La  sœur  pleure  comme  coulent  les  ruisseaux  ; 
»   L'épouse  pleure  comme  la  rosée  qui  tumùe. 
»   Le  sa  eil  paraîtra  et  fera  disparaître  la  rosée  ». 

Ces  poésies  et  d'autres  pièces  populaires  qui 
se  distinguent  par  la  vérité  du  sentiment  et  par 
la  hardiessse  des  expressions,  se  raprochent 
plutôt  du  seizième  que  du  dix-huitième  siècle, 

Tome  X.  23 


354  IIISTUIHE 

si  ce  n'est  par  le  slyle,  du  moins  par  leur  es- 
prit.... Combien  de  chansons,  plus  ou  moins 
anciennes,  sont  déjà  oubliées  dans  la  Capitale 
et  que  nous  entendons  encore  dans  les  campa- 
gnes et  les  petites  villes,  où  le  peuple  a  plus 
de  mémoire  pour  les  anciennes  traditions. 
Ts^)us  savons  que ,  du  temps  d'Ivan ,  des  trou- 
pes de  troubadours  Russes  allaient  de  village 
en  village  et  égayaient  les  habitans  par  leurs 
chants;  le  goût  du  peuple  favorisait  alors  les 
compositions  des  chansonniers  que  le  pieux 
Fédor  aimait  aussi. 
AnsetMciieis  Ce  Prlncc  aimait  également  les  arts.  Sous 
son  règne  nous  avions  d'habiles  joailliers  dont 
un  Vénitien,  nommé  François  Ascentini ,  des 
orR'vres  ,  des  brodeurs  et  des  peintres.  Le 
bonnet,  donné  par  Fédor  au  patriarche  Jéré- 
mie  ,  qui  était  orné  de  pierres  précieuses  et  de 
saintes  images ,  est  appelé,  dans  la  description 
du  voyage  d'Arsène ,  une  magniiique  produc- 
tion des  artistes  de  Moscou.  Cet  Evéque  grec 
vil,  sur  les  murs  du  palais  d'Irène,  de  très- 
belles  mosaïques  représentant  les  images  du 
Sauveur,  de  la  Sainte  Vierire  ,  des  Anees  des 
Hiérarques  et  des  Martyrs;  et  sur  la  voûte,  un 


DE     RUSSIE.  ôyj 

lion  parfaitement  exécuté  et  qui  tenait  dans 
ses  (ienls  un  serpent  au(îuel  étaient  suspendus 
des  lustres  précieux.    Arsène   vit  également 
avec   surprise,  dans  le  palais,   une  cpiantilé 
d'énormes  vases  en  or  et  en  argent;  les  uns  en 
forme  de  quadrupèdes  ,  tels  que  des  licornes , 
des  lions,  des  ours  et  des  cerfs;   d'autres  en 
forme  d'oiseaux,   tels  que  des  pélicans,   des 
cygnes ,  des  faisans  et  des  paons ,  et  qui  étaient 
d'un  tel  poids  que  douze  hommes  pouvaient 
à  peine  les  transporter  d'un  endroit  à  l'autre. 
Ces  vases  extraordinaires  se  fabriquaient  pro- 
bablement à  Moscou,  du  moins  une  partie;  les 
plus  lourds  d'enlr'eux  étaient  fondus  eu  ar- 
gent de  Livonie,  conquis  par  les  arftes  d'Ivan. 
L'art  de  la  broderie,  que  nous  avons  imité  des 
Grecs,  était  connu  depuis  long-temps  en  Rus- 
sie où   les  nobles  et  les  riches  portaient  dans 
tous  les  temps  des  habits  brodés.  Fédor  vou- 
lut aussi  établir  àMocou  une  fabrique  de  soie- 
ries. INlarco-Cinopi,  appelé  par  lui  d'Italie, 
fabriquait  du  velours  et  des  étoffes  d'or  dans 
une  maison  qui  lui  avait  été  assignée  près  de 
la  cathédrale  de  l'Assomption.  La  multiplicité 
des  églises  augmentait  le  nombre  des  peintres. 


356  HISTOIRE 

Pendant  long-lcnips  on  ne  peignit  qne  des 
images.  Nous  eommençâmes  à  peindre  des 
tableaux  précisément  sous  le  règne  de  Fédor  , 
époque  à  laquelle  les  deux  palais,  BaUhdia 
Granaçiiuia,  monument  d'Ivan  III,  et  Zola- 
idia-Granailidia  ,  eonstniil  par  son  petit-lils  , 
s'embellirent  de  peintures.  Dans  le  premier 
étaient  représentés  l'Eternel,  les  actions  des 
anges  et  des  hommes  ,  toule  l'Histoire  du 
vieux  et  du  nouveau  Testament,  le  prétendu 
partage  de  l'univers  entre  les  trois  prétendus 
frères  de  César- Auguste,  et  le  partage  réel  de 
notre  antique  patrie  entre  les  fils  de  Saint 
Vladimir,  représentés  en  mitres,  en  babils 
de  damas, %vec  des  eolets  et  des  ceintures  d'or, 
le  grand  JaroslaC,  Ysévolod  I".  et  Monomacjue 
en  habits  de  Tsar  ;  Georges  Dolgorouky  , 
Alexandre  Nevsky,  Daniel  de  Moscou,  Kalita  , 
Dmitri  Donskoy  et  ses  successeurs  jusqu'à  Fé- 
dor, qui  était  assis  sur  le  trône  avec  une  cou- 
ronne sur  la  tète,  un  manteau  ,  un  collier 
en  perles,  une  chaîne  d'or  sur  la  poitrine, 
'et  tenant  dans  ses  mains  le  sceptre  etlaponime 
d'or;  auprès  du  Trône  se  tenait  le  Piègent  Boris 
Godounolf   en    bonnet    noimand  ,    et    avec 


DE     RUSSIR.  357 

un  habit  d'or  tléboulonné.  Dans  la  Zalataïa 
PaJaia^  sur  les  murs  et  sur  les  voûtes ,  étaient 
également  peintes  Thistoire  sacrée  et  celjt; 
de  Russie  ,  en  même  temps  que  quelques 
ligures  allégoriques  des  vertus  et  des  vices, 
des  saisons  et  des  phénomènes  de  la  nature. 
Le  Printemps  était  représenté  par  une  jeune 
lille ,  TEté  par  un  adolescent,  l'Automne  par 
un  homme  tenant  un  bocal,  et  l'Hiver  par  un 
vieillard  avec  les  bras  nus.  Quatre  anges  ,  avec 
des  trompettes  ,  désignaient  les  quatre  vents. 
Dans  quelques  tableaux  ,  il  se  trouvait  des  rou- 
leaux sur  lesquels  les  mots  étaient  écrits,  non 
en  lettres  ordinaires,  mais  avec  des  chiffres 
mystérieux.  La  Zalatdia  Pnlata  n'existe  plus  ; 
à  sa  place  a  été  construit  le  palais  d'Elisabeth  ; 
et  quant  aux  tableaux  qui  se  trouvaient  sur  les 
murs  de  la  Granadidia  Palata  ,  ils  ont  été  ef- 
facés depuis  long-temps  ,  et  ne  nous  sont 
connus  que  par  la  description  des  contempo- 
rains (258j.  Faisons  mention  aussi  de  l'art  de 
la  fonderie.  Sous  le  règne  de  Fédor  nous  avions 
un  célèbre  fondeur,  André  Tchokoff,  dont 
nous  voyons  le  nom  sur  les  plus  anciens  ca- 
nons du  Kremlin  ,  sur  le  Drobovik ,  qui  pèse 


Moscou. 


JJO  HISTOIRE 

deux  mille  quatre  cents  pouds ,  sur  le  Tro'il  et 
sur  YAspide  ;  le  premier  a  été  coulé  en  1 586  , 
et  les  deux  autres  en  1590. 

Les  progrès  de  la  civilisation  se  faisaient  re- 
marquer au  seul  aspect  de  la  Capitale.  Moscou 
s'embellit  aux  yeux,  non  seulement  par  de 
nouveaux  édifices  en  pierres,  mais  par  l'élar- 
gissement des  rues  ,  pavées  en  bois  et  moins 
boueuses  (249).  Le  nombre  de  belles  maisons 
augmenta  :  elles  étaient  ordinairement  cons- 
truites en  bois  de  sapin ,  à  deux  ou  trois  étages, 
avec  de  grands  escaliers  et  de  grands  toits  en 
planches  qui  avançaient  en  dehors.  Les  cham- 
bres à  coucher  d'été  et  les  magasins  en  pierres 
se  trouvaient  dans  les  cours.  L'élévation  de  l'é- 
diiice  et  la  grandeur  de  la  cour  désignaient  le 
rang  du  maître.  Les  bourgeois  pauvres  habi- 
taient encore  dans  des  cabanes,  avec  des  poêles 
sans  tuyaux;  dans  les  apparfemens  des  riches 
il  y  avait  des  cheminées  en  l'aïence.  Pour  pré- 
venir les  incendies  ,  des  employés  militaires  , 
chaque  jour,  en  été  ,  parcouraient  la  ville  et 
faisaient  éteindre  tous  les  feux ,  après  qu'on 
avait  fini  de  préparer  le  manger  (25o).  Mos- 
cou, c'est-à-dire  le  Kremlin,  le  Kiiaï,  le  Tscu 


DE    RUSSIE.  3,")f) 

refou  BirJgorod ,  la  nouvelle  ville  en  bo's  ,  le 
quartier  au-delà  delà  iMoskva,  les  Slobodcs  ^ 
au-delà  de  la  Jaousa,  avait  alors  en  circonfé- 
rence plus  de  vingt  verstes.  On  complait  au 
Kremlin  trente-cinq  églises  en  pierres,  et  en 
tout,  dans  la  Capitale,  environ  quatre  cents  , 
outre  les  chapelles;  le  nombre  des  cloches 
montait  à  cinq  mille.  «  Aux  heures  où  l'on 
»  sonnait  pour  les  fêtes  ,  disent  les  étrangers, 
»  il  était  im[)ossihle  de  s'entretenir  dans  les 
»  rues».  La  cloche  principale,  qui  pesait  mille 
pouds,  était  suspendue  à  un  clocher  en  bois 
sur  la  place  du  Kremlin;  on  la  sonnait  lors- 
que le  Tsar  parlait  pour  un  long  voyage  , 
lorsqu'il  revenait  dans  la  Capitale ,  ou  qu'on 
recevait  des  étrangers  de  distinction.  Le  Kiiai- 
gorod^  entouré  d'une  muraille  en  briques  non 
recrépies,  et  réuni  au  quartier  au-delà  de  la 
Moskva,  par  des  ponts  de  bois  ilottans  et  par 
un  pont  de  pierres ,  était  embelli  par  la  ma- 
guilique  église  gothique  de  Saint  Basile,  et  par 
le  Bazar ,  divisé  en  vingt  alignemcns  :  dans 
l'un  on  vendait  des  étoffes  de  soie,  dans  un 
autre  des  draps,  dans  un  troisième  de  l'ar- 
gent ,  etc.  Sur  la  Grande  place  se  trouvaient , 


36o  ^  HISTOIRE 

deux  énormes  canons  démon  lés.  Colle  partie 
de  la  ville  renfermait  les  maisons  d'un  grand 
nombre  de  Boyards  ,  de  dignitaires  ,  de  mar- 
chands distingués,  et  un  arsenal  bien  fourni. 
Dans  le  Bicigorod  ^  ainsi  appelé  à  cause  de  ses 
murs  blanchis,  étaient  la  fonderie,  sur  le  bord 
de  la  Néglinnaïa ,  riiotel  des  Ambassadeurs  , 
celui   des  Lithuaniens,  des  Arméniens,  les 
marchés  aux  chevaux  et  au  foin,  la  boucherie, 
les  maisons  des  enfans  Boyards,  des  employés 
aux  tribunaux  et  des  marchands.  Dans  la  ville 
de  bois  ou  Skorodoni,  c'est-à-dire   bâlie  à  la 
haie  ^  en   iSgi  ,  demeuraient  les  bourgeois  et 
les  artisans.  Autour  des  édifices,  on  voyait  des 
bois ,  des  jardins ,  des  potagers  et  des  prairies. 
Auprès  du  Palais  même  on  fauchait  du  foin  ; 
et  les  trois  jardins  du  Tsar  n'occupaient  pas 
un  petit  espace  au  Kremlin.  Les  niouiins,  dont 
un  se  trouvait  à  Fembouchure  de  la  INéglin- 
naïa,  les  autres  sur  la  Jaousa  ,  donnaient  un 
aspect  de  campagne  à  la  ville.  La  Slobode  alle- 
mande ne  faisail  point  partie  de  la  ville,  non 
plus  que  Krasnoé-Sclo ,    où    habitaient   sept 
cents  ouvriers  et  petits  marchands  ,  auxquels 
le  sort,  pour  le  malheur  de  la  famille  de  Boris, 


Me 


liiiif:». 


DR    RUSSIE.  36l 

réservait  un  rcMo  si  important  dans  notre  his- 
toire. 

Il  est  probable  que  les  mœurs  de  la  nation 
cliangèrenl  peu  sous  les  règnes  d'Ivan  et  de 
rédor.  Mais ,  dans  des  relations  contemporai- 
nes, nous  trouvons,  à  ce  sujet ,  quelques  dé- 
tails nouveauxet  intéressans  pour  nous. 

Godounoff",   rhabile  et  ambitieux  Godou-       Evcn^pir» 

Jp    (llS|)llt.S 

noff,   ne  put  ou  ne  voulut  point  détruire  les    snHiMicien- 

'  ^  i  inU-  des  ia- 

prétentions  de  prééminence  entre  les  familles  "ùi-sfiJ';» 
des  Bovards  et  des  Nobles.  Cet  orurueil  des 
rangs  était  arrivé  à  un  point  difficile  à  imagi- 
ner, et  tel  qu'aucune  nomination  de  Voïé- 
vodes,  aucune  désignation  pour  le  service  de 
la  Cour  dans  les  jours  de  fête,  ne  se  passait 
sans  amener  des  querelles  plus  ou  moins  gra- 
ves. En  voici  un  exemple  :  On  entendait  déjà 
à  Moscou ,  en  i5c)i,  le  pas  des  chevaux  du 
Khan,  que  les  Voïévodes  disputaient  encore 
sur  l'ancienneté  de  leurs  titres  et  les  honneurs 
du  pas,  et  ne  se  rendaient  point  à  leurs  postes, 
par  un  faux  point  d'honneur.  Ils  ne  crai- 
gnaient pas  de  s'exposer  à  la  diffamation  et  à 
des  punitions  sévères;  car  ceux  qui  se  plai- 
gnaient à  tort  étaient  quelquefois  punis  cor- 


362  HISTOIRE 

porellcmcnt  et  sans  lorinc  de  procès.  En 
iSSg,  le  prince  Gvosdeif  fut  hatlu  de  verges, 
])Our  une  dispute  de  prééminence  avec  les 
princes  Odoevsky,  et  il  leur  fui  livré  ,  c'est-à- 
dire  qu'on  lui  ordonna  de  leur  demander 
humblement  pardon.  Le  prince  liarialinsky 
fut  mis  trois  jours  en  prison  ,  pour  une  dis- 
pute semblable  avec  Schérémélieff  ;  mais  il  ne 
voulut  pas  s'humilier;  il  sortit  de  prison  et 
n'alla  point  servir.  Comment  expliquer  cette 
singukvpité  ,  si  ce  n'est  par  celte  vanité  tou- 
jours renaissante  chez  l'homme,  qui  cher- 
che un  aliment  dans  toutes  les  circonstances 
de  la  vie  sociale ,  et  qui  est  souvent  excitée  par 
la  politique  même  des  Tsars  ;  car  cette  préémi- 
nence des  titres  ,  soutenait  l'ambition ,  néces- 
saire même  dans  un  gouvernement  absolu, 
pour  rintérét  de  l'Etat,  toujours  servi  avec 
plus  de  zèle  par  ceux  qui  en  attendent  des  dis- 
linctions.  Il  n'existe  point  un  usage,  pas  un 
préjugé  qui,  dans  son  origine ,  n'ait  euun  but 
raisonnable,  quoique,  dansées  usages  con- 
sacrés par  les  siècles  ,  le  mal  l'emporte  quel- 
quefois sur  le  bien.  Godounoff  pouvait  aussi 
avoir  un  but  particulier  et  suivre  le  funeste 


DE   RUSSIE.  '         363 

principe  :  Divisez  pour  régner.  Ces  éternelles 
qnerelli^s  d'ambition  entretenaient  une  haine 
niuluelle  parmi  leslamilles  1rs  plus  illustres  , 
les  Mstislaslky  et  les  Schouisky,  les  Glinsky 
et  les  Troubetskoy ,  les  Schérémélielf  et  les 
Sabourofï',  les  Kourakin  et  les  SchestounolT. 
Ils  étaient  divisés  et  Boris  régnait,  < 

Mais  les  disputes  de  rangs  ne  troublaient 
pas  la  décence  dans  les  assemblées  de  la  Cour. 
Tout  rentrait  dans  le  silence,  dès  que  le  Tsar 
paraissait  avec  un  éclat  qui  étonnait  même  les 
ambassadeurs  étrangers  (25 1).  «  Les  yeux  fer- 
»  mes,  disent  les  Contemporains,  on  croirait 
'>  que  le  Palais  est  désert  ;  cette  grande  multi- 
>>  tude  de  grands  dignitaires  couverts  (For ,  est 
»  muette,  et  comme  sans  mouvement.  Ils  sont 
«  assis  sur  des  bancs  et  forment  plusieurs 
»  rangs,  depuis  la  porte  jusqu'au  trône  où 
»  se  tiennent  les  liindns ,  jeunes  gardes  du 
»  corps ,  en  vètemens  blancs  de  velours  ou  de 
»  satin  garnis  d'hermine  ;  ils  ont  de  grands 
»  bonnets  blancs  sur  la  tête  ,  deux  chaînes 
«  d'or  qui  se  croisent  snr  leur  poitrine  et 
»  tiennent  des  cimetères  précieux  levés  sur 
»  leurs  épaules,  comme  s'ils  étaient  toujours 


La  Cour. 


364  HISTOIRE 

3)  prêts  à  frapper.  Aux  repas  solennels  donnés 
»>  par  le  Tsar,  le  service  se  l'ait  par  deux  ou 
»  trois  cents  oOiciers  du  Palais,  habillés  d'é- 
j)  tofies  d'or,  portant  des  chaînes  d'or  sur  la 
»  poitrine  et  des  bonnets  de  renard  noir  sur 
»  la  tête.  Lorsque  le  Souverain  s'assied  sur  une 
>»  estrade  élevée  de  trois  marches,  seul ,  à  la 
»  table  d'or  (252),  les  dignitaires  servans  lui 
»  font  une  profonde  révérence,  et  deux  à 
»  deux^  défilent  pour  aller  chercher  les  plats. 
»  En  attendant,  on  présente  de  l'eau-de-vie. 
»  Sur  les  tables,  il  n'y  rien  que  du  pain,  du  sel, 
»  du  vinaigre,  du  poivre,  des  couteaux  et  des 
»  cuillers  ;  on  n'y  voit  ni  assiettes  ni  serviet- 
»  tes.  On  apporte  à  la  fois  plus  de  cent  plats 
»  auxquels  le  cuisinier  a  goûté  devant  le  niaî- 
»  Ire-d'hôtel.  Le  Grand  Maréchal  les  goûte 
}>  pour  la  seconde  fois  devant  le  Tsar  qui,  lui 
«  même,  envoie  aux  convives,  des  morceaux 
»  de  pain  ,  des  mets  de  sa  table,  des  vins,  de 
»  rhydron:iel  ;  et  à  la  fin  du  repas,  il  leur  dis- 
»  tribue  de  sa  propre  main,  des  prunes  sèches 
»  de  Hongrie.  Chaque  convive,  en  s'en  allant, 
j>  reçoit  encore  un  plat  entier  de  viandes  ou 
»  de   pâtés.    Quelquefois    les    Ambassadeurs 


DE    RUSSIE.  365 

»  étrangers  dînent  à  leur  Ilolel,  de  la  table  eo- 
»  pieuse  du  Tsar;  un  des  prineipaux  dif^ni- 
»)  taires  se  rend  chez  eux  pour  leur  annoncer 
»  cet  honneur,  et  il  dine  avec  eux.  Quinze  ou 
»  vingt  serviteurs  entourent  son  cheval,  des 
»  Streletz,  richement  vêtus,  portentla  nappe, 
»  les  salières,  etc.;  d'autres,  jus(prà  deux 
»  cents,  le  pain,  l'hydromel  et  une  quantité 
»  de  plats  d'or  et  d'argent,  chargésde  différens 
»  mets  (253)  ».  Les  détails  suivans,  extraits  de 
papiers  oiiicieis,  donnent  une  idée  du  luxe  et 
de  la  friandise  de  ce  temps.  En  iSgg,  on  four-  vinsttran- 
nissaitdu  Palais,  pour  la  table  de  l'ambassa-  RÙs^e»?  """" 
deur  d'Autriche,  sept  pintes  de  romanée  ,  au- 
tant de  vin  du  Rhin,  de  muscat,  de  vin  blanc 
de  France,  de  vin  de  Canarie,  d'Alicante  et  de 
Malvoisie  ;  douze  cruches  du  meilleur  hydro- 
mel de  cerise  et  d'autres  de  la  première  qua- 
lité ;  cinq  seaux  d'hydromel  de  groseille  ,  de 
genièvre,  de  Heurs  de  cerisier  à  grappes  ,  etc.  ; 
soixante-cinq  seaux  d'hydromel  de  fram- 
boise; de  celui  que  buvaient  les  Boyards  et  les 
Princes.  En  fait  de  vivres,  on  livrait  huit  plats 
de  cygnes ,  huit  de  cigognes  avec  des  légumes, 
quelques  coqs  au  gingembre  ,  des  poules  dé- 


3G6  HISTOIRE 

sossécs,  des  coqs  de  bruyère  ansaffran,  desg{'- 
linoUcs  aux  prunes,  des  canards  aux  concom- 
bres, des  oies  au  riz,  des  lièvres  au  vermicel  et 
aux  navets,  des  cervelles  de  daim,  etc.;  des  sou- 
pes de  saiïran,  blanches  el  noires  ,  de  citrons 
et  de  concombres  ,  du  pain  blanc  ,  des  paies 
avec  de  la  viande,  du  fromage  et  du  sucre  ;  des 
crêpes,  des  gâteaux,  des  blancs-manger,  de  la 
crème,  des  noisettes,  etc.  Les  Tsars  voulaient 
étonner  les  étrangers  par  une  telle  abondance, 
et  ils  y  parvenaient. 

,,  .,  v,  •  On  retrouvait,  également  l'ancien  luxe  de 
rhospitalité  des  Slaves,  dans  les  maisons  des 
particuliers  à  Moscou;  il  n'y  avait  point  d'hô- 
tes avares  pour  leurs  convives;  aussi  le  re- 
proche d'ingratitude,  le  plus  offensant  était- 
il  :  «  tu  as  oublié  mon  pain  et  mon  sel  «.  Ces 
copieux  repas,  les  longues  méridiennes  et  le 
peu  d'exercice  que  faisaient  les  gens  de  dis- 
tinction et  les  riches,  produisaient  en  eux  cet 
embonpoint  qui  passait  alors  pour  une  qua- 
lité :  être  un  homme  fort  et  puissant  signifiait 
avoir  des  droits  au  respect  ;  mais  cet  embon- 
point ne  les  empêchait  pas  de  vivre  jusqu'à 

Longéviié.     quatre-vingts,  cent  el  cent  vingt  ans.  11   n'y 


DE   RUSSIE.  367 

avait  que  la  Cour  et  les  grands  qui  <:onsullas- 
sent  les  médecins  élrangers(254).Fédor  en  avait  ^i^^^J^'^'os. 
deux,  Marc  l\idley,  envoyé  par  la  reine  d'An- 
gleterre en  i594i  ^t  Paul,  citoyen  de  ]Slilan.  Le 
premier  passa  cinq  ans  à  Moscou  et  retourna 
à  Londres.  Pour  le  second,  Henri  IV  écrivit  à 
Fédor  en  ijqd,  lui  demandant  de  vouloir  bien 
le  laisser  partir,  pour  passer  sa  vieillesse  à 
Paris,  auprès  de  ses  parens.  Cette  lettre  ami- 
cale du  plus  illustre  Monarque  de  la  France  , 
est  le  seul  monument  qui  se  soit  conservé 
chez  nous  de  ses  relations  avec  la  Ptussie,  à  la 
iin  du  seizième  siècle.  Pour  remplacer  Piidley, 
Elisabeth  envoya  à  Boris  le  docteur  Willis.  Il 
fut  examiné  par  le  secrétaire  de  TEmpire  Yas- 
sili  Stchelkaloff ,  qui  lui  demanda  s'il  avait 
apporté  avec  lui  des  livres  et  des  médicamens  ; 
quels  principes  il  suivait  et  si  c'élait  sur  le 
pouls  qu'il  jugeait  les  maladies  ousur  Tétaldes 
humeurs  dans  le  corps  ?  ^yillis  réponditqu'il 
avait  jeté  tous  ses  livres  à  Lubeck  et  avait  con- 
tinué sa  roule  pour  se  rendre  chez  nous  sous 
le  nom  dun  marchand,  parce  qu'il  savait, 
combien  en  Allemagne  et  dans  les  autres  pays, 
on  favorisait  peu  les  médecins  qui  se  rendaient 


3G8  HISTOIRE 

VU  Russie  ;  il  ajouta  que  le  meilleur  livre  était 
dans  sa  tèle  ;  que  les  médicamens  étaient  pn*- 
parés  par  des  apolliicaires  et  non  par  les  Doc- 
teurs; que  le  pouls  et  Télat  des  humeurs 
étaient  également  imporlans  pour  un  obser- 
vateur habile.  Ces  réponses  ne  parurent  pas 
assez  satisfaisantes  à  Slchelkalolf,  et  Ton  ne 
chercha  pas  à  retenir  Willis  à  Moscou. 
En  iGoo,  Boris  lit  venir  d'Allemagne  six  mé- 
decins ;  il  donnait  à  chacun  deux  cents  rou- 
bles de  traitement,  outre  un  domaine  ,  le  ser- 
vice, la  table  et  réf[U i[)age  ;  il  leur  délivrait 
aussi  des  patentes  de  Docteurs.  Celte  singulière 
idée  lui  fut  inspirée  par  Lée,  Ambassadeur 
d'Elisabeth,  qui  ledétermina  adonner  le  titre 
de  Docteur,  au  chirurgien  Reillinger,  arrivé 
avec  lui  pour  servir  le  Tsar. 

iSous  avions  alors  plusieurs  apothicaires; 
Vun  d'eux  nommé  Frenchham,  anglais  de  na- 
tion et  qui  avait  déjà  résidé  chez  nous  ,  sous  le 
rè"^ne  d'ivan ,  revint  de  Londres  sous  celui  de 
Godounoff  et  rapporta  avec  lui  une  riche  col- 
lection de  plantes  et  de  minéraux  propres  à  la 
iTiédecine;  un  autre,  Arend-Klausend  ,  ïlol- 
Mjaicim.ns.   landais,  passa  quarante  ans  à  Moscou  ;    mais 


DE     RUSSIE.  369 

les  Russes,  excepté  les  nobles,  n'avaient  point 
de  eonfiance  dans  les  remèdes.  Les  gens  du 
commun  se  servaient  ordinairement  d'eau-de- 
vie  dans  laijuelle  iîsmettaienl  de  la  poudre  à 
canon,  de  l'oignon  et  de  Tail  piles,  après 
quoiilsemployaient  les  bains.  Ils  ne  pouvaient 
soulfrir  le  musc  ni  les  pilulles  ;  quant  aux  la- 
vemens  ils  en  avaient  une  telle  répugnance 
qu'on  ne  put  jamais  la  vaincre  ,  même  dans 
les  cas  les  plus  désespérés.  Celui  qui,  après  DiffcieDs 
avoir  ele  malade  a  toute  extrémité  et  avoir 
reçu  l'Extréme-Onction,  relevait  d'une  grande 
maladie,  portait  jusqu'à  sa  mort  un  vêtement 
noir  pareil  à  celui  des  moines.  On  prétend 
que  sa  femme  pouvait  se  remarier.  Les  morts 
étaient  enterrés  avant  l'expiration  des  vingt- 
quatre  heures.  Les  riches  étaient  pleures  dans 
leurs  maisons  et  sur  leurs  tombes  par  une 
quantilé  de  femmes  qu'un  louait  à  cet  effet ,  et 
qui  chantaient  en  san2:lotant  :  <(  Etait-ce  à  toi 
»  de  quitter  ce  monde?  Ne  possédais-tu  pas 
»  la  faveur  du  Tsar?  N'avais-tu  pas  des  ri- 
»  chesses  et  des  honneurs,  une  épouse  tendre 
»  et  d'aimables  enfans  ?....  etc.  ».  Les  quarante 
jours  de  deuil  se  terminaient  par  un  fvsliii 
Tome  X.  24 


Moits 


370  HISTOIRE 

dans  la  maison  du  défunt  ;  et  la  veuve  pou- 
vait, sans  manquer  aux  bienséances,  prendre 
un  autre  époux  au  bout  de  six  semaines.  Fiel- 
clier  assure  que  ,  pendant  l'hiver  ,  on  n'enter- 
rait pas  les  morts  à  Moscou,  maisciu'on  trans- 
portait les  cadavres  hors  de  la  ville  dans  la 
Afijic  des  Maison  de  Dieu  (hospice)  ,  et  on  les  y  laissait 
jusqu'au  printemps,  ^lorsque  la  terre  se  dége- 
lait et  qu'on  pouvait  sans  peine  creuser  des 
fosses  (255). 

«  Les  Piusses,  dilMargere  ,  conservent  en- 
»  core  beaucoup  de  leurs  anciens  usages,  mais 
»  ils  commencent  déjà  à  en  prendre  de  nou- 
»  veaux ,  depuis  qu'ils  voient  chez  eux  des 
»  étrangers.  11  n'y  a  pas  plus  de  vingt  à  trente 
»  ans  que,  dans  leurs  contestations,  ils  se 
»>  disaient  sans  détour,  le  serviteur  an  Boyard  » 
»  celui-ci  au  Tsar,  et  même  à  Ivan-le-Terrihle  : 
«  Ton  raisonnement  est  fauœ  ,  lu  inenis.  Main- 
»  tenant  ils  sont  moins  grossiers  et  commen- 
»  cent  à  connaître  la  politesse;  mais  ils  ont 
»  d'autres  idées  que  nous  sur  le  point  dhon- 
»  neiir.  Par  exemple,  ils  ne  permettent  pas 
»  le  duel  et  marchent  (oujours  sans  armes  ; 
»  en  temps  de  paix  ils  n'en  portent  que  dans 


DE     RUSSIE.  071 

r-  leurs  voyages.  Eu  cas  d'oiTcnso  personnelle 
»  ils  s'aclressenl  loujours  aux  Irihunaux,  Le 
»  coupable  est  puni  de  verges  en  présence  de 
»  roilensé  el  du  juge  ,  ou  par  une  amende  eu 
»  argent  ,  qui  est  fixée  en  raison  des  appoin- 
»  temens  de  raccusalenr:  celui  quia  delà 
»  Couronne  quinze  roubles  par  an  ,  reçoit 
»  une  îUTiende  de  quinze  roubles  ,  et  sa  femme 
)  le  double,  parce  que  rolTense  du  mari  rc- 
»  jaillit  sur  elle.  Pour  une  insulte  grave  on 
»  donne  le  knout  sur  les  places,  on  met  en 
)>  prison  et  on  exile.  La  justice  n'est  jamais 
»  aussi  sévère  que  dans  les  cas  d'une  offense 
»  personnelle,  ou  celui  d'une  calomnie  avé- 
»  rée.  Le  duel  est  un  crime  capital  en  Kussie , 
«  même  pour  les  étrangers  ». 

Los  femmes,  comme  chez  les  anciens  Grecs, 
ou  chez  les  peuples  d'Orient,  avaient  des  ap- 
pnriemens  séparés,  et  ne  se  montraient  qu'aux 
pkjs  proches  parens  et  amis.  Les  dames  de  Fe^,uf,',"I"^  "^^ 
distinction  allaient  l'hiver  en  traîneau  et  l'été 
en  charriot;  et  quand  elles  suivaient  la  Tsa- 
rine ,  lorsque  celle-ci  sortait  pour  aller  prier 
ou  se  promener,  elles  mf)ntaient  à  cheval 
avec  des  chapeaux  blancs  de  feutre,  garnis  de 


3^2  HISTOIKE 

talîelas  couleur  de  L'hair,  <l<!rul)ans,  de  bou- 
tons Cil  or,  et  de  gros  glands  pendans  jus- 
qu'aux épaules  ;^256).  Dans  leurs  maisons,  elles 
portaient  sur  la  tète  un  petit  bonnet  de  lalfe- 
ias  ordinairement  de  couleur  rouge  avec  un 
bandeau  blanc  el  en  soie  par-dessus  ;  pour  sor- 
tir elles  mettaient  un  grand  bonnet  de  drap 
d'or  orné  de  perles;  celles  ([ui  n'étaient  pas 
mariées  ou  qui  n'avaient  pas  encore  d'enfans  , 
étaient  distinguées  par  des  bonnets  en  renard 
noir;  elles  portaient  aussi  des  boucles  d'oreille 
en  or  avec  des  émeraudes  et  des  saphirs  ,  des 
colliers  de  perles ,  un  habit  long  et  large  de 
drap  rouge,  avec  des  manches  pendantes,  bou- 
tonnées par  douze  boutons  d'or,  surmontées 
d'un  collet  de  zibeline,  tombant  jusqu'à  la 
moitié  du  dos.  Sous  cet  habit  elles  en  met- 
taient un  autre  en  soie,  qu'on  appelait  Xé'/w/c, 
avec  des  manches  dans  lesquelles  elles  pas- 
saient leurs  bras,  et  qui  étaient  garnies  en 
drap  d'or  jusqu'au  coude  ;  au-dtssous  du  Lc/.- 
fiikse  trouvait  une  férèse  bouloniiée  jusqu'en 
bas  ;  les  dames  mettaient  encore  à  leurs  bras 
des  bracelets  larges  de  deux  doigts,  en  pierres 
précieuses  ;   elles    portaient  des  bottines   de 


inarocuiin  jaune  et  bleu,  brodées  en  perles; 
CCS  bollincs  avaient  de  grands  talons.  Toutes 
les  icmmes  ,  jeunes  et  vieilles  ,  se  fardaient  et 
regardaient  comme  une  honte  de  ne  pas  se 
peindre  la  figure. 

Parmi  les  divertissemens  de  cette  époque  ,      Divciiissc- 

m«'ns. 

voici  la  description  que  Ton  lait  d'un  com- 
bat d'ours  ,  plaisir  favori  de  Fédor  ('^.^7). 
«  Les  chasseurs  du  Tsar,  tels  que  les  gladia- 
»  teurs  Romains  ,  affrontent  la  mort  pour 
»  amuser  le  Souverain  par  leur  art  dangc- 
»  reux.  0,n  tient  ordinairement  en  cages  des 
»  ours  sauvages  pris  dans  des  filets  ou  dans  des 
»  fosses.  Au  jour  et  à  l'heure  fixée ,  la  Cour  et 
>>  une  foule  immense  se  rassemblent  devant 
»  le  théâtre  où  doit  se  livrer  le  combat;  cette 
»  place  est  entourée  par  un  large  fossé  ,  pour 
»  la  sûreté  des  spectateurs ,  et  a-'in  que ,  ni  l'a- 
>'  nimal ,  ni  le  chasseur  ne  puissent  échapper 
»  l'un  à  l'autre.  C'est  là  que  parait  Tinlré- 
»  pide  combattant,  armé  seulement  d'une  pi- 
»  que,  et  qu'on  lâche  l'ours,  qui ,  dès  qu'il 
>>  l'aperçoit,  se  redresse  sur  les  pal  tes  de  der- 
»  rière ,  rugit ,  et,  la  gueule  ouverte,  se  pré- 
»  cipite  sur  lui.  Le  chasseur  reste  immobile  , 


.>7.|  HISTOIRE 

»  regarde ,  \ise  ,  et  d'un  coup  porté  de  toutes 
»  ses  forces,  il  enfonce  sa  pique  dans  le  corps 
)»  de  l'animal,  et  cherche  avec  son  pied  à  en 
»  appuyer  Tautre  hout  contre  terre.  L'ours  , 
»  irrité  ,  blessé,  s'enferre  de  plus  en  plus;  il 
«  arrose  la  pi((ue  de  sang  et  d'écume  ;  cherche 
«  à  la  briser,  à  en  ronger  le  bois,  et  ne  pou- 
»  vanl  y  parvenir,   il   tombe,  il  expire    en 
»  poussant  un  dernier  rugissement  étouffé. 
^)  Le  peuple  ,  qui ,  jusqu'à  cet  instant,  a  gardé 
:»  le  plus  profond  silence,  fait  alors  retentir 
3'  la  place  du  bruit  de  ses  acclamations,  et  l'on 
»  mène  le  vainqueur  en  triomphe   dans  les 
»  caves  de  la  Cour,   pour  boire  à  la  santé  du 
»  Souverain.  Celui-ci  se  trouve  heureux  de 
»  cette  seule  récompense ,  et  peut-être  un  peu 
»  plus  d'avoir  échappé  à  la  fureur  de  Tours  , 
»  qui ,  en  cas  de  maladresse  ou  de  défaut  de 
»  forces  du  combattant,  prendrait  une  cruelle 
»  revanche,  en   mettant  d'abord  la  pique  en 
»  pièces  ,  et  en  le  déchirant  lui-même  ,  en  un 
«  instant,  avec  ses  dents  et  ses  griffes  ». 
Tains.  Fletchcr ,  en  parlant  de  la  passion  des  habi- 

tans  de  Moscou  pour  les  bains,  s'étonne  sur- 
tout de  leur  insensibilité  au  chaud  et  au  froid. 


DE    RUSSIE.  O-:» 

«  Par  les  gelées  les  plus  rigoureuses ,  dit-il, 
»  on  les  voit  sortir  du  bain,  nus  et  rouges 
»  comme  du  feu,  et  se  précipiter  dans  des 
»  trous  pratiqués  sous  la  glaee  ». 

Les  Piusses  irétaient  point  Ilattés  dans  le  Vices. 
portrait  que  cet  observateur  faisait  de  leur 
moralité.  Admetlant,  comme  tout  écrivain 
poli ,  des  exceptions,  il  reprocbait  aux  Mos- 
covites d'être  menteurs,  et,  par  conséquent , 
dune  méliance  sans  bornes  les  uns  envers  les 
autres.  Il  s'exprime  ainsi  :  «■  Les  Moscovites 
>>  ne  croient  pas  à  la  parole  des  autres,  parce 
»  que  personne  ne  croit  à  la  leur  ».  Lesvols  , 
d'après  lui ,  étaient  très-fréquens  à  cause  de  la 
quantité  de  vagabons  et  de  mendians ,  (pii  ,  en 
demandant  Taumône ,  disaient  à  chaque  pas- 
sant :  «  Fais-moi  la  charité,  ou  tue-moi  »!  Le 
jour  ils  imploraient  la  pitié  ,  et  la  nuit  ils  vo- 
laient ou  dérobaient,  au  point  que,  lorsque 
les soiréesétaient  obscures,  les  gens  prudens  ne 
qu  ittaient  pas  leurs  maisons.  Fletcher,  serviteur 
dévoué  d'Elisabeth,  ennemi  de  l'Eglise  d'occi- 
dent ,  et  condamnant  également  dans  la  nôtre 
tout  ce  qui  avait  quebjue  rapport  avec  les  régle- 
mens de  l'Eglise  latine,  fait  une  peinture  des 


ô-b  HISTOIRE 

mœurs  monastiques,  qui  a  tout  le  caractère  du 
Piéié.  (Icuigrement.  Il  avoue  cependant  qu'il  y  avait 
en  Russie  une  véritable  piélé.  Soit  pour  plaire  à 
la  disposition  générale  des  esprits,  soit  pour 
calmer  les  remords  dont  sa  conscience  était 
déchirée,  Godounoff  afiectait  une  grande  dé- 
votion. En  i588,  n'ayant  qu'un  seul  lils  en  bas 
âge  ,  il  le  porta ,  malade  ,  pendant  l'hiver , 
sans  la  moindre  précaution  et  sans  écouter  les 
Mort  ji,  pie-  médecins,  dans  l'église  de  Saint  Basile  :  l'en- 

micr    tils    de  '  n 

^°r^-  .  ,        faut  mourut  (258).  Il  y  avait  alors  à  Moscou 

luspues.  \  /  j 

un  inspiré  qu'on  respectait  à  cause  de  sa  sain- 
teté réelle  ou  feinte.  Il  marchait  dans  les  rues, 
avec  les  cheveux  tlottans ,  et  nu ,  par  les  ge- 
lées les  plus  fortes;  il  prédisait  des  calamités 
et  disait  publiquement  du  mal  de  Boris  ,  qui 
n'osa  cependant  sévir  contre  lui ,  craignant 
peut-être  le  peuple,  ou  ajoutant  foi  à  la  sain- 
teté de  cet  homme.  De  semblables  ùupirés  ou 
bienheureux  paraissaient  souvent  dans  la  Capi- 
tale ;  ils  portaient  des  chaînes  ou  des  cilices, 
et  avaient  le  droit  de  reprocher  à  chacun  la  vie 
licencieuse  qu'il  menait ,  et  même  aux  gens  les 
plus  distingués  ;  ils  pouvaient  également  pren- 
dre sans  payer,  dans  les  boutiques ,  tout  ce 


DF,     RUSSIE.  877 

qui  leur  convenait;  les  niarcliands  les  en  re- 
merciaient comme  crune  i^rande  faveur  qu'ils 
leur  accordaient.  On  assure  (|ue  Saint  Basile 
de  Moscou,  contemporain  d'[van  ,  parlait 
avec  une  hardiesse  étonnante  de  ses  cruautés. 

Les  Etrangers,  en  reproclianl  aux  Russes  Toi.Vancf. 
leurs  superstitions,  donnaient  cependant  des 
éloges  cà  leur  tolérance.  Elle  existait  chez  nous 
depuis  le  siècle  d'Oleg  ,  phénomène  étonnant 
dans  notre  ancienne  histoire;  on  ne  sait  par 
quoi  Texpliquer;  serait-ce  par  défaut  de  lu- 
mières ?  ou  par  une  véritahle  connaissance  de 
Tesprit  de  la  religion  Chrétienne  ?  Quoique 
sur  ce  point  important,  les  savans  et  les  meil- 
leurs logiciens  du  temps,  eussent  peine  à  s'ac- 
corder entre  eux.  Serait-ce  par  indifférence 
sur  les  divers  dogmes?  Ce  qui  n'est  pas  très- 
présumable,  chez  une  nation  très-religieuse  ; 
mais  ne  serait-ce  pas  plutôt  par  une  sage  pré- 
voyance de  nos  Princes  gueriiers,  ([ui  pour 
maintenir  leurs  conquêtes  ,  auraient  voulu 
réunir  différens  peuples  entre  eux  ,  par  une 
entière  liberté  de  conscience,  et  les  enchaîner 
parla  tolérance;?  Cette  opinion  semblerait  la 


^"^'7^  iiiSToir.E 

plus  vraisemblable.  Noirnricrons-iious  donc 
celle  loléraiice  une  vertu  polilique?  Dans  lous 
les  cas,  elle  fut  d'un  très-^^rand  avantage;  pour 
la  Russie, en  favorisanl non-seulement  Tesprit 
de  conquête,  mais  aussi  les  progrès  de  la  civi- 
lisation pour  lesquels  nous  avions  besoin 
d'attirer  ebez  nous  des  étrangers  qui  pussent 
coopérer  à  celle  grande  œuvre. 

Union    en 

Liii.ua. .i(.  Pour  notre  bonbeur,  les  vrais  ennemis  de 

la  Piussie  ne  suivaient  point  son  sage  système  : 
ebez  nous,  les  Maboméians,  les  Idolâtres  ado- 
r.jient  Dieu  comme  ils  l'entendaient  ;  et  ,  en 
Lîtiiuanie,  on  forçait  les  Cbrétiens  de  l'Eglise 
d'Orient,  à  devenir  papistes.  Nous  parlons  du 
tommenceiTient  de  iunion^  du  temps  de  Sigis- 
mond  :  événement  important  par  ses  consé- 
quences politiques  et  (|ue  ses  auteurs  ne  pou- 
vaient ni  désirer,  ni  prévoir. 

Le  Clergé  de  Lilbuanie,  ayant  rejeté  le  dé- 
cret du  concile  de  Florence  (209),  reconnais- 
sait de  nouveau,  le  Patriarcbe  de  Constanli- 
nople,  pour  cbef  de  son  Eglise.  Le  Patriarcbe 
Jérémie,  à  son  retour  de  Moscou,  passa  par 
Kief ; ily destituale Métropolitain  Onicépbor, 


DE    RUSSIE.  879 

comme  I)lp;ame,  et  consacra  à  sa  f)]ac<' jNIichel 
IVaj^osa  ;  il  y  )ii«,^ea  les  Evcqucs  cl  punit  les  ar- 
cliinian(iritvs  indi^çnes  (260).  Celle  sévérité 
produisit  un  grand  méconlenlement.D'aulrcs 
causes  agissaient  en  même  temps  ,  telles  que 
les  efforts  du  Pape  et  la  volonté  du  lloi  ,  les 
séductions  et  les  menaces.  Dès  i58i,  le  rusé 
jésuite  Antoine  Poissevin  ,  trompé  par  Ivan 
non  moins  tin  que  lui,  écrivit,  des  bords  de 
la  Chelona,  à  Grégoire  XIII,  que  ,  pour  faci- 
liler  la  conversion  des  hérétiques  .Moscovites, 
il  fallait  auparavant  éclairer  de  la  vraie  lumière, 
-Kief,  berceau  de  leur  religion  (261).  11  ren- 
gageait à  se  mettre  en  rapport  avec  le  Métro- 
politain et  lesévéques  de  Lilhuanie  ;  à  envoyer 
auprès  d'eux  un  homme  instruit  et  sage  qui , 
par  la  conviction  et  les  caresses ,  put  préparer 
le  triomphe  de  TEglise  latine  dans  le  pays  de 
l'hérésie.  Antoine  écrivait  et  agissait  en  même 
temps.  Il  inspira  à  P»alhori  l'idée  d'établir  un 
collège  de  jésuites  à  Yilna,  })Our  y  élever  de 
pauvres  jeunes  gens  de  la  religion  Grecque 
dans  les  préceptes  de  celle  de  Piome.  Il  s'occu- 
pait de  la  traduction,   en  langue  Paisse,  des 


38o  niSTOinE 

principaux  livres  de  la  religion  Latine.  Il  prê- 
chait lui-même  avec  un  zèle  qui  ent raina  beau- 
coup de  genlilshommes  Lithuaniens.  Ceux-ci 
commencèrent  à  parler  de  la  réunion  des 
deux  Eglises,  et  à  favoriser  celle  d'Occident, 
écoutant  moins  en  cela  leur  conscience  que 
des  intérêts  mondains  ;  car  nos  coréli^ion- 
naires  en  Litliuanie,  sans  qu'on  eut  égard  à 
]vurs  droits  et  à  leurs  libertés  confirmés  par 
les  Lois  et  les  Diètes,  étaient  obligés,  partout 
et  toujours  ,  de  céder  le  pas  aux  catholiques  ; 
ils  étaient  même  souvent  opprimés*,  ils  se 
plaignaient,  et  n'obtenaient  point  de  satisfac- 
tion. Il  y  avait  de  l'agitation  dans  les  esprits  , 
et  même  parmi  les  principaux  dignitaires  ec- 
clésiastiques ;  car  le  Pape  et  Sigismond  III  , 
suivant  les  conseils  du  jésuite  Antoine  ,  leur 
offraient,  d'un  côté  ,  des  avantages  ,  des  hon- 
neurs et  des  revenus  nouveaux;  et  de  l'autre  , 
leur  représentait  l'abaissement  de  l'Egîiso  de 
Byzance  sous  le  joug  Ottoman.  Ils  ne  mena- 
çaient point  de  violence  et  de  persécution  ; 
cependant,  en  louant  le  bonheur  qui  résultait 
de  l'uniformité  de  la  religion  dans  un  Etat , 


DK    RUSSIE.  38l 

ils  rappelaient  les  désagrémens  qu'éprouva  le 
Clergé  eu  Litliuanie  ,  lorsqu'il  rejeta  le  décret 
du  Concile  de  Florence,  l^e  métropolitain 
Ragosa  cachait  encore  sa  trahison  ;  il  se  vantait 
(le  son  zèle  pour  l'orthodoxie,  et  il  fit  dire 
aux  ambassadeurs  de  Moscou,  qui  traversaient 
les  états  de  Sigismond  pour  se  rendre  en  Au- 
triche, qu'il  n'osait  les  voir,  étant  en  disgrâce, 
et  persécuté  pour  sa  fermeté  dans  les  dogmes 
de  l'Eglise  d'orient,  trahie  et  abandonnée  par 
les  faibles.  11  n'était  soutenu  ,  ajoutait-il ,  que 
par  le  voïévode  de  Novgorod  ,  Seversky,  qui 
déjà,  lui-même,  était  réduit  au  silence  par  la 
])eur.  Le  Pape  exigeait  absolument  du  Roi  et 
des  grands,  la  n'îunion  des  éparchies  de  Li- 
thuanie  à  l'Eglise  romaine,  et  voulait  donner 
la  métropole  de  Kief,  à  un  de  ses  Evèques  ; 
quant  à  lui,  métropolitain  Ragosa,  il  se  voyait 
forcé  inévilablement  à  abdiquer  son  titre  et  à 
se  renfermer  dans  un  couvent  C262).  Les  Am- 
bassadeurs lui  conseillèrent  d'être  inébranla- 
ble au  milieu  de  la  tempête ,  et  de  souffrir  plu- 
tôt la  mort  que  d'abandonner  son  troupeau  a 
la  merci  des  loups  dc'çorans  de  la  coniniuiiioît, 


332  HISTOIIIE 

Latine.  Michel ,  aussi  rusé  que  cupide ,  voulut 
encore  ,  pour  la  dernière  lois,  avoir  de  notre 
or,  et  prit  quelques  ducats  à  titre  d'arrhes,  car 
les  Tsars  distribuaient  des  aumônes  au  Clerj^é 
de  l>itiiuanie,  et  avec  intention.  Us  voulaient 
par  là  entretenir  dans  le  peuple  Famour  pour 
leurs  coreligionnaires.  (>e  fut  dans  la  même 
année  ,  i595  ,  que  ce  fourbe  ,  ayant  appelé  à 
Kief  tous  les  Evêques,  les  détermina  à  cher- 
cher la  paix  et  la  sécurité  dans  le  sein  de  l'E- 
glise d'occident.  Il  n'y  eut  cjue  deux  évéques, 
Gédéoii  Balaban  de  Lemberg,  et  Micliel  de 
Pérémichle ,  qui  se  montrèrent  opposans; 
mais  on  ne  les  écoula  pas,  et,  à  la  grande  sa- 
tisfaction du  Roi,  on  envoya  à  Rome  lis  pré- 
l.iîs  Ipate  de  Yladimir  et  (>yrile  de  Loutsk, 
(ji;i,  en  plein  Vatican  ,  baisèrent  solennelle- 
ment le  pied  de  Clément  Mil ,  et  lui  livrè- 
rent leur  Eglise. 

Cet  événement  remplit  de  joie  le  Pape  et  les 
Cardinaux.  On  loua  Dieu  et  on  honora  les 
Anibassadew^s  du  Clergé  de  Russie ,  titre  qu'on 
donnait  aux  évéques  de  Yladimir  et  de  Loutsk, 
pour  relever  le  triomphe  de  Rome.  On  leur 


assigna  un  palais niagniiiqne ,  of  lorsque,  après 
beaucoup  de  discussions,  toutes  les  diUiculles 
furent  a]>{)lanies,  lorsque  les  Amlx'.ssadenrs 
eurer.l  fait  le  serinent  d'observer  iidèiement 
les  réglemens  du  Concile  de  Florence,  et  cu- 
rent reconnu  la  Procession  du  Saint-Esprit 
du  Père  et  du  Fils ,  Texistence  du  Purj^atoire  , 
la  suprématie  de  l'évèque  de  Home,  mais  en 
conservant  leur  ancien  rite  el  la  lani^ue  Slave, 
alors  le  Pape  ïes  embrassa  et  leur  donna  sa 
bénédiction  ,  et  Sylve  Anlonin  ,  directeur  de 
son  Conseil ,  dit  à  haute  voix  :  «  Eniin  ,  après 
»  cent  cinquante  ans ,  écoulés  depuis  le  Con- 
»  cile  de  Florence,  vous  revenez ,  vous  évé- 
j>  ques  de  llussie ,  à  ia  pierre  fondamentale 
»  de  la  reli}^ion  sur  laquelle  Jésus-Christ  fon- 
»  da  son  Eglise  ;  à  la  sainte  Montagne  où  TÉ- 
»  ternel  habita  ;  à  la  mère  et  à  l'institutrice  de 
«  toutes  les  églises  ;  à  la  seule  véritable  ,  en  un 
»  mot,  à  l'Eglise  catholique-romaine  »!  On 
chanta  des  Te  Deum ,  et ,  pour  en  conserver 
le  souvenir  dans  les  siècles  futurs,  on  inscrivit 
dans  les  annales  de  TEglise  la  relation  du  nou- 
veau jour  qui  luisait  dans  les  couirc'es  sepien- 


384  IIISIOIHL 

ir'ionales.  On  grava  sur  du  bronze  l'image  de 
Clémcut  Ylll  et  un  Piusse  proslerné  devant 
son  trône  ,  avec  celte  légende  latine  :  Ruiheiùs 
receplis  (269).  Cependant  celte  joe  ne  lut  pas 
de  longue  durée.  Première  nient  ^  les  évèques 
Lithuaniens,  en  trahissant  l'orthodoxie,  espé- 
raient ,  d'après  les  promesses  de  Clément,  sié- 
ger au  Sénat  à  l'égal  du  Clergé  romain  ;  mais 
ils  furent  trompés  dans  leurs  espérances.  Le. 
Pape  ne  put  leur  tenir  parole  à  cause  de  la 
forte  opposition  des  prélats  Polonais  qui  ne 
voulurent  point  être  traités  dVgal  à  égal  avec 
\Qsiinls.  Secomhrncni^  non  seulement  Gédéon, 
l'évêque  de  Lemberg  et  d'autres  dignitaires 
ecclésiastiques,  mais  même  plusieurs  seigneurs 
laïques,  nos  coreligionnaires  ,  s'opposèrent  à 
l union  ^  principalement  le  prince  Constantin 
Osirojsky ,  voïévode  de  Kief ,  à  qui ,  ses  ri- 
chesses elles  séntimens  élevés  de  son  àme , 
donnaient  une  grande  considération.  Ondisait 
et  l'on  écrivait  que  cette  prétendue  réunion 
des  deux  Eglises  n'était  qu'une  supercherie  ; 
(jue  le  Métropolitain  et  ses  confrères  avaient 
entièrement   adopté   la  religion  Latine  ,    ne 


DE    RUSSIE.  Ô8.'> 

conservant  que  pour  la  forme  les  rites  de 
l'Eglise  grecque.  Le  peuple  sV.gilait,  les  tem- 
ples devenaient  déserts.  Afin  de  calmer  ces 
troubles  par  Tacte  solennel  d'un  Concile, 
tous  les  prélats  se  réunirent  à  Brest  où  assistè- 
rent aussi  tous  les  grands  du  Pioyaume  et  les 
ambassadeurs  de  Clément  VIII  et  du  patriarche 
de  Byzance.  Mais,  au  lieu  d'obtenir  la  paix, 
on  ne  lit  qu'irriter  les  haines.  Le  Concile  se 
partagea  en  deux  partis  dont  l'un  anathématisa 
l'autre  ;  et ,  depuis  cette  époque,  il  existe  deux 
Eglises  en  Lithuanie,  celle  des  unis  ^  et  l'an- 
cienne Eglise  Orthodoxe.  La  première  fut 
sous  la  dépendance  de  Rome,  et  la  seconde, 
sous  celle  de  Gonstantinople.  Celle >de /w7?/o/2, 
sous  la  protection  spéciale  des  Rois  et  des 
Diètes,  se  renforçait  et  opprimait  l'orthodoxe, 
dans  son  état  déplorable  d'abandon  ;  et ,  j)en- 
dant  long-temps  les  gémissemens  de  nos  frè- 
res coreligionnaires  se  perdaient  dans  les  airs, 
ne  trouvant ,  ni  pitié,  ni  justice  dans  le  pou- 
voir suprême.  C'est  ainsi  que ,  dans  la  Diète 
même,  un  de  ces  chrétiens  zélés  de  la  confes- 
sion Grecque  (264),  osadireauroiSigismond: 

Tome  X.  25 


386  HISTOIRE 

«  Nous  sommes  des  cnfans  dévoués  de  la  ré- 
»  publique,  prêts  à  défendre  sou  intégrité, 
»  mais  pouvons-nous  marcher  contre  des  en- 
»  neniis  extérieurs,  étant  persécutés  par  ceux 
»  que  nous  avons  dans  le  pays,  et  par  l  Union 
»  cruelle  qui  nous  prive  du  bien-être  civil  et 
»  de  la  paix  de  l'âme  ?  Pouvons-nous ,  de  no- 
»  tre  sang ,  éteindre  les  murs  enflammés  de  la 
«  patrie,  lorsque  nous  voyons   le  feu   chez 
»  nous,  et  que  personne  ne  veut  l'éteindre  ? 
«  partout  nos  temples  sont  fermés,  les  prêtres 
)>  exilés ,  les  biens  de  l'Eglise  dilapidés  ;  on  ne 
»  baptise  plus  les  enfans;  on  ne  confesse  plus 
«  les  mourans;  on  n'enterre  plus  les  morts  ; 
»  on  jette  leurs  corps  dans  les  champs,  comme 
»  des  animaux    immondes.   Tous    ceux  qui 
»  n'ont  pas  trahi  la  foi  de  leurs  pères,  sont 
»  éloignés  des  fonctions  civiles;  l'orthodoxie 
))  est  un  crime  ;  la  loi  ne  nous  protège  pas  , 
»  nos  cris  ne  sont  point  entendus  !...TMais  que 
»  la  tyrannie  cesse  !  Ou  bien,  ce  que  nous  ne 
»  pensons  qu'avec  terreur  ,    nous  pouvons 
î)  nous  écrier  avec  le  Prophète  :  Que  Dieu  soit 
»  inonjuge ,  et  quil  dcGide  dans  ma  crtï/5^.  Celte 


DE    RUSSIE.  387 

menace  s'accomplit  plus  lard ,  et  ce  furent  ces 
persécutions  religieuses  qui  ,  sous  Theureux 
règne  d'Alexis,  iacilitèrent  pour  nous  rac(|ui- 
sition  de  Kief  et  de  la  petite  Russie. 

C'est  ainsi  que  le  jésuite  Antoine,  le  roi 
Sigismond  et  le  pape  Clément  YIII ,  agissant 
avec  zèle  en  faveur  de  l'Eglise  d'Occident, 
contribuèrent  involontairement  à  l'aggran- 
dissement  de  la  Russie. 


FIN   BU   DIXIEME    VOLUME. 


inSTOIRE   DE  RUSSIE.  SSg 

NOTES 

DU    DIXIÈME   VOLUME. 


(i)  Pélréjus  (p.  256).  —  Mémoires  Russes  (p.  ijo). 
—  Annales  «le  ?Sikon  (t.  A  II ,  p.  3iq}.  —  et  Annales  de 
MorosofT. 

(2)  Selon  les  Annales  de  Tsikon,  rcniculc  cul  lieu  pen- 
dant la  nuil.  —  Selon  le  Livre  du  Rosrède ,  à  trois  heures 
avant  le  soir.  —  Ilorsey  en  parle  aussi  dans  Haklvit 
|[^avig.  SaS),  sans  eu  marquer  l'heure. 

(3)  Horsey  ,  couronnement  de  Fédor.  — Dans  Haklvit, 
(  p.  52Ô  ). 

(4.)  Le  même,  il  dit  que  îe  Parlement  ëlait  assemble', 
le  4  Tn3i\.  —  Collection  des  acles  du  gouvernement  (  t.  II, 
p.  72  ).  —  Annales  de  Nikon. 

(5)  Annales  de  Morosoff,  —  Ilorsev,  dans  Haklvit 
(  Navîg.  526),  parle  du  père  de  l'Impératrice  F. -F.  Nagoï, 
cl  de  cinq  de  ses  parens. 

(G)  Annales  de  Nikon. —  Livres  des  Degrés  de  Lalou- 
khin  et  autres.  —  D'après  Haklvit  (Navig.  Sai  ),  cette 
émeute  eut  lieu  avant  le  couronnement  de  Fédor,  et 
pendant  le  séjour  de  l'ambassadeur  Bonvs,  et  selon  les 
affaires  de  l'Angleterre  ,  le  10  mai.  —  Je  me  lais  sur  ce 
que  disent  très-faussement  Oderborn  et  Pélréjus. —  Hei— 


'>90  HISTOIRE 

denslein  (  Res  Polon.  aaS  ) ,  raconte  sans  plus  de  vérité, 
que  les  Boyards  Moscovites  se  disputèrent  avec  Bielskv  , 
au  conseil  même  et  en  pré^ence  de  Sapièha,  alors  Ambas- 
sadeur en  Liihuanie,  et  cpiils  tuèrent  vingt  hommes  à 
coups  de  sabres.  Sapièha  n'était  pas  au  Conseil,  n'ayant 
jamais  eu  que  des  enireliens  particuliers  avec  le  diak 
Stchelkaloff  et  avec  quelques  uns  des  membres  du  Conseil. 

(7)  Bows  dans  Haklvil  (Navig.  621  ). 

(8)  Dans  le  Livre  du  Rosrède,  de  celte  année  el  des 
années  suivantes,  il  est  dit  :  qu'en  iSgi,  Bielsky  était 
déjà  de  retour  dans  la  capitale. 

(g)  Bows  dans  Haklvit  (  Navlg.  Sai  ).  — Différens  ma- 
nuscrits disent  que  Boris  mourut  à  1  âge  de  cinquante- 
trois  ans.  —  Horsey  le  croyait  de  trois  ans  plus  âgé. 

(10)  Horsey,  couronnement  de  Fédor  (p.  526). — 
Affaires  de  Pologne  (n°,  i5).  — Précis  de  l'histoire  de 
Russie. 

(11)  Livre  des  Degrés  de  Latoukhin.  —  D'autres  anna- 
les. —  Horsey  —  Oderborn  —  et  dans  la  Collection  des 
actes  de  l'Empire  (  t.  H ,  p.  72  ). 

(12)  Horsey,  Coronation ^  dans  Haklvit  (p.  527):  «  His 
j>  staffe  imperiall  in  his  zighl  hand  of  an  unicorneshorne  ». 
(Licorne;  mais  ce  nom  est  celui  d'une  espèce  particulière 
de  baleine).  Ce  sceptre,  orné  de  pierres  précieuses,  avait 
trois  pieds  et  demi  de  long ,  et  avait  été  payé  par  Ivan  , 
en  i58i,sept  mjlle  livres  slerlings,à  des  marchands  d'Augs- 
bourg  qui  le  tenaient  de  Horsey,  qui  dit  que  1  habillement 
de  Fédor  ne  pesait  pas  moins  de  deux  cents  livres;  que 
SIX  Princes  tenaient  la  queue  du  manteau  du  Tsar,  et  Dmi- 


DE    RUSSIE.  3gi 

tri  GniloiiTioff,  Nikiln  Komanovitche ,  Etienne,  Grégoire 
l't  Ivan  (iddounoft  letiaienl  six  couronnts  :  mais  quelles 
éiaient-elles  ? 

(i3)  Horsey  dit,  dans  Haklvii  (j).  527),  que  Thabillc- 
nienl  et  l'ancien  harnais  ilu  cheval  du  prince  Ivan  Glinsky 
coiitailcent  mille  livres  slerlings. 

(i4)  Horsey,  en  parlant  de  la  Tsarine,  dit,  entre  autres 
choses:  «  Ses  robes  étaient  extrêmement  précieuses,  ri- 
)'  ches  et  brillantes,  garnies  de  diainans  et  de  perles 
*>  fines  ". 

(i5)  Idem  (p.  528).  Il  y  avait  vingt  mille  Slreletz  et 
cinquante  mille  cavaliers. 

(16)  Horsey  dit  que  lorsqu'il  fui  chez  le  Tsar,  il  y  fut  ac- 
compagné par  un  négociant  des  Pays-Bas ,  très-connu, 
nommé  John  de  Wale  ;  qu'on  vouliU  le  faire  approcher 
le  premier  du  trAne,  mais  que  lui  Horsçy  s'y  était  oppose, 
ne  voulant  pas  lui  céder  cet  honneur,  et  que  Fedor  ne 
reçut  Wale  qu'après  les  négocians  Anglais. 

(17)  Généalogie  des  Godounoff. 

Grégoire. 

Pierre.  Ivan. 

Vassili.  Fédor.  Dmitri. 

Kîlenne-Grégoirc-Ivan.       Boris-Irène. 

(18)  Affaires  de  l'Angleterre  (n".  1  ,  f.  o.{(j).  — Hor- 
sey dans  Haklvil  (p.  ^27). 

(19)  Selon  Flelcher,  de  l'Empire  Russe  (p.  28),  les 
revenus  de  Godounoff  montaient  à  cent  quatre  mille  cinq 


3()2  HISTOIRE 

cciils  roubles  outre  ceux  qu'il  lirall  de  sestcrrcs.  —  Ilorsey  , 
dans  Haklvil  (p.  SaS)  ,  tlil  :  «  La  province  de  Waga  seule 
»  rapportait  annuellement  à  Godounoff  trente-cinq  mille 
j)  marcs  ou  roubles,  ce  qui  ne  fait  que  la  cinquième  partie 
»  de  ses  revenus  ». 

(20)  Horsey,  dans  Haklvit  (p.  528). 

(22)  Annales  de  ISikon  (vol.  Vil ,  p.  337 1  ^^o  ei  35f>). 
—  Horsey  dans  Haklvil  (p.  527). — Pélréjus,  Chroniques 
Moscovites  (p.  206),  raconte  que  les  Boyards,  connais- 
sant la  faiblesse  de  Fédor,  du  consentement  du  Tsar,  lui 
donnèrent  pour  aide  Godounoiï;  que  Fiidor  se  leva  de  sa 
place,  passa  une  chaîne  d'or  au  cou  de  son  beau-frère  et 
lui  dit  :  «  Boris,  avec  celte  chaîne  je  te  confère  leHitre  de 
»  Régent,  désirant  que  tu  me  débarrasses  de  tout  le  poids 
»  du  pouvoir  et  que  lu  t'en  charges  ;  que  lu  décides  toutes 
»  les  affaires  peu  importantes,  et  que,  dans  celles  qui  en 
»  méritent  la  peine,  tu  t'en  référés  à  «moi  comme  à  un 
»  Souverain  ».  Cette  chaîne  d'or  de  Grand-Duc  fut  don- 
née beaucoup  plus  lard  par  Fédor  à  Boris.  Le  Suédois 
Pélréjus,  envoyé  plusieurs  fois  en  Bussie  par  Charles  IX, 
du  temps  des  Imposteurs,  donne  des  détails  très-circonstan- 
ciés des  événemens  d'alors,  et  dit  qu'il  en  avait  é  lé  témoin  ocu- 
laire; mais  ses  récits  les  plus  iniéressans  sont  tirés  du  manus" 
crit  delà  Chroniquede  Moscou,  par  Martin  Bdr(el  non  de 
Conrad  Bussau,  comme  le  dit  Kelch),  natif  de  Neisladt 
et  curé  de  l'église  luthérienne  de  Moscou,  sous  le  règne  de 
Godounoff  et  du  faux  Dmilri  (Voyez  la  Chronique  de  Pé- 
lréjus, p.  276).  Ainsi,  en  nous  référant  à  Pélréjus,  nous 
nous  référons  à  Bar  dont  les  Annales,  en  allemand  avec 


DE    RUSSIE.  893 

lin  lilrc  latin  (^Chronùon  Mttscovîtum  ^  rontinens  r^s  a  morte 
.hxinnis  Basilidis  tyraniù^  omnium  qtios  sol pnsf  nains  huniines 
ri'li'/,  iriimariîssim!  cl  trucul.ntissiini ,  ai:.  Clir'sl-  i58+-iGi2), 
m'onl  clé  communiquées  par  IM.  le  comte  île  F»oinanzoff. 

(2  2)  Haklvit(p.  528). 

(20)  Annales  de  Nikon  (  t.  VllI ,  p.  7  )■  —  Les  livres 
àcs,  Degrés  de  Latoukhin. — Le  livre  du  Uosrèdc. — Affaires 
de  Pologne  ('n°.  i5.  f.  4.27  ). 

(24.)  Chronique  de  Strogonoff  et  celle  de  Rémesoff. 

(25)  V.  tome  IX,  de  cet  ouvrai;»^. 

(26)  L'endroit  à  rembouchurc  de  Tlrliche  où  des  forii- 
fications  avaient  été  construites  par  Mansouroff  et  Meclil- 
chcriak,  s'appelle  encore  aujourd'hui  en  laugue  Ostiaque 
l\ouche\  ache,  c"esl-à-dlre  Ville  Russe. 

(27)  Collection  des  actes  de  TEinpire  (  t.  II ,  p.  i34). 

(28)  (Chronique  de  l\émesoft".  —  Histoire  c  Sibérie, 
par  Millier  (p.  224).  —  Collection  des  actes  de  l'Empire 
(t.  II,  p.  i3i  ). 

(29)  Histoire  de  Sibérie,  par  Miiller. 

(30)  Affaires  de  Pologne  (n"  16,  f.  27). 

(3i)  Haklvit  (p.  521).  Bows  quitta  Moscou  le  3o  mai, 
la  veille  du  jour  du  couronnement  de  Fédor. 

(32)  Affaires  de  l'Angleterre  (n°  i,  f.  236). 

(33)  History  of  J£ngla;id,appeudi:'j  (  t.  Ill  ). 

(34)  Horsey  retourna  auprès  du  Tsar,  le  i5  juillet  1 536. 

(35)  Affaires  d'Angleterre. — Elisabeth  nomme  Go- 
dounoff  «  Oiir  mosl  (leur and  loiu'ng  Cousin  »  ,  notre  très-cher 
et  aimable  Cousin. 

(3C)  Affaires  de  Pologne  (  n"  i5,  f.  i  et  suiv.  ).  Fédor 


594  HISTOIRE 

envoya  le  12  avril  i584.,  le  dignitaire  Ismaïloff  à  Balhori, 
pour  lui  annoncer  son  avènement  au  TrAne. 

(3;)  Affaires  de  Pologne,  Sapieha  quitta  Moscou  le 28 
jiiillet.  Le  Tsar  envoya  le  gentilhomme  Isleniefà  Balhori, 
avec  la  nouvelle  qu'il  avait  rendu  la  liberté  à  tous  les  pri- 
sonniers Liihuaniens.  iîaîbori  le  remercia  et  promit  d'agir 
de  même  envers  les  prisonniers  faits  sur  nous,  excepté  les 
"V  oïévodes  et  les  principaux  Enfans-Boyards. 

(38)  JNikita  Komauovilche  mourut  en  i585,  selon  la 
Liste  des  Boyards,  et  selon  d'autres  le  23  avril  i58G.  Flet- 
cher  (de  l'Empire  Russe), dit  qu'on  supposait  qu'il  avait 
été  empoisonné. 

(39)  Livres  des  Degrés  de  Latoukhin.  —  La  Chronique 
de  Morosoff  et  celle  de  Nikon. 

(40)  Flelcher,  de  l'Empire  Busse  (p.  27).  —  Millier, 
Essai  d'une  nouvelle  Histoire  de  la  Russie  (p.  4i  )•  —La 
Liste  des  Boyards. 

(40  Affaires  de  Pologne. 

(4.2)  Depuis  le  29  mai  jusqu'au  3  juin  1587,  les  Ambas- 
sadeurs Russes  ne  réussirent  pas  dans  leurs  négociations 
avec  Batbori,  au  sujet  de  la  rançon  des  prisonniers  Russes; 
mais  le  secrétaire  de  Batbori ,  Jean  Loveisky,  les  atteignit 
à  leur  retour  à  Borisoff,  et  convint  avec  eux  que  le  Roi 
donnerait  la  liberté  à  tous  les  prisonniers,  si  le  Tsar  en- 
voyait au  Roi  trente-deux  mille  roubles,  quinze  jours 
avant  la  Pentecôte.  Les  Ambassadeurs  Russes  arrivèrent  à 
Moscou  le  4  avril ,  et  se  plaignirent  de  la  grossièreté  de 
Batbori  et  de  ses  Grands. 

(4-3)  Affaires  de  Pologne  (n°  16,  f.  29 'j. 


DE    RUSSIE.  395 

(44)  Heitîenst.  Rcs  Pu/.  (  p.  23i>  ).  — Etienne  envoya  à 
Rome  son  neveu  André  lialhori  et  le  jésuite  Antoine 
Poissevin  (  V.  lonie  IX  de  cet  ouvrage  ). 

(4-5)  Affaires  de  Pologne  (n"  16). 

(46)  Nos  Ambassadeurs  prirent  congé  du  Roi  le  aj) 
août  et  retournèrent  à  Moscou  le  premier  octobre. 

(47)  Affaires  de  la  Cour  d'Autriche  (n°  5,  f.  4-5). 

(48)  Affaires  de  Pologne  (  n°  i5,  f.  S98  ). 

(49)  V.  tome  IX  de  cet  ouvrage  et  Affaires  de  la  Suède 
(no/,). 

(50)  Lorsque  Schestounoff  redemanda  les  villes  prises 
sur  nous  par  les  Suédois  ,  Toit  et  de  La  Gardie  répondi- 
rent :  «  A-t  ou  jamais  entendu  dire  qu'on  rend  des  villes 
»  gratis  ?  On  donne  bien  des  pommes  et  des  poires  ,  mais 
j)  pas  des  villes  ». 

(5f)  Affaires  de  la  Cour  d'Autriche  (  n°  4  )•  —  Novos- 
sillzoff  quitta  Moscou  avec  son  interprète  au  mois  de 
ncveuibre  i584.  Il  eut  plusieurs  conversations  avec  Daniel 
Prinz ,  employé  autrichien  ,  qui ,  à  ce  qu'il  paraît ,  connais- 
sait la  langue  slave. 

(02)  K.  tome  IX  de  cet  ouvrage  et  dans  les  Archives  du 
Collège  desaffairesétrangères la  lei  tre  du  Roi  de  Danemarck 
Frédéric  II,  auTsar  Fèdorl<^',  en  daledu25  août  1 585.  On 
y  trouve  aussi  un  passeport  allemand,  donné  le  1 3 août  1592, 
par  le  capitaine  Normann  ,  et  d'après  les  ordres  du  Roi  de 
Danemarck,  au  négociant  Meyer,  qui  allait  en  Russie  avec 
des  marchandises,  ainsi  qu'une  lettre  des  Bourgmestres  de 
Lubeck,  au  lieutenant  de  Pskoff ,  Ivan  Schouisky,  par  la- 
quelle ils  le  supplient  d'accorder  un  libre  passage  à  leurs 


Zç)G  hî(;toire 

Dépulés  ,  pour  se  rendre  auprès  de  T Empereur  de  loule 
la  Uussie.  Hors  cela,  nous  ne  savons  rien  sur  nos  relalîons 
de  ce  Icinps  avec  les  villes  anséalirpics. 

(53)  V.  loine  IX  de  cet  ouvrage  et  Affaires  de  la  Crimée 
(n"  i6). 

(54)  Affaires  de  la  Turquie  (  n"  2  ). 

(55)  Livres  du  Rosrède,  an  i5S5. 
(5G)  \.  lome  \  I  de  cet  ouvrage. 

(57)  Affaires  de  la  Géorgie  (n".  i  ). 

(58)  Chavkal  ou  Clianikal,  élail  le  nom  du  prince  su- 
prême du  Daguestan  ,  qui  résidait  à  Tarki  ou  Terki,  ville 
abandonnée  et  rasée  en  1728.  La  ville  actuelle  de  Terki 
est  bâtie  sur  un  autre  plan.  (Affaires  de  la  (àéorgie 
f.  92). 

(5f))  Les  présens  pour  le  Tsar  de  Tlbéric  ,  dont  les  en- 
voyés furent  chargés,  consistaient  en  quarante  zibclmes  à 
cent  roubles  la  pièce,  deux  renards  noirs  à  trente  roubles, 
mille  hermines àquaranle  roubles,  dix  dents  de  poisson  à 
vingt  roubles,  une  cotîe  de  maille  de  trente  roubles,  une 
cuirasse  (le  vingt  roubles,  uu  casque  de  trente  roubles. 
(  Affaires  de  la  Géorgie  ). 

En  octobre  i588,  une  nouvelle  ambassade  d'Alexandre 
arriva  à  Moscou  avec  la  confirmation  de  sa  soumission. 
Les  présens  envoyés  au  Tsar  consistaient  en  un  tapis  d'or, 
une  couverture  d'or,  deux  pièces  de  damas  de  Perse  et  dif- 
férentes soieries  brochées  en  or;  quinze  pièces  de  damas 
de  Perse,  sans  or,  trois  pièces  de  velours  uni ,  trois  pièces 
de  salin  uni,  un  coursier  bai,  une  housse  en  velours  rouge, 
une  ccinlure  en  drap  d'or. 


DE   RUSSIE.  39^ 

(60)  Quant  au  nouveau  lilrc  dcFédor,  vovez  les  actes 
(liplomaliqiie.s  «le  ce  ijmps,  comme,  ])ar  exemple  les  Af- 
faires de  Pologne  (n°.  2i,f.  208),  dans  le  rapport  de 
Tambassadeur  Islenief. 

(61)  Affaires  de  la  Lilhuanie  (n".  iG).  — Affaires  de  la 
Perse  (11°.  i) 

(G2)  Les  ambassadeurs  du  Schah  arrivèrent  chex  nnus 
au  moisde  mai  i5f)o. 

(63)  Affaires  de  la  Géorgie  (n^.  i). 

(64.)  Affaires  de  la  Perse  (f.  199). 

(05)  Voyez  plus  bas  pour  le  nombre  des  troupes  de 
Fédordans  la  guerre  avec  la  Suède ,  en  iSqo. 

(66)  Livres  du  Rosrède ,  règne  de  fédor  en  i584^. 

(67)  Annales  de  la  Dvina. 

(68)  Annales  de  Nikon. 

(69)  Affaires  de  la  Perse  (n°.  i). 

(70)  Livres  du  Rosrède ,  pendant  le  règne  de  Fédor, 
an  i584..  Par  fois  Fédor  dinail  dans  le  couvent  de  Tchou- 
dofîavec  des  Boyards  qu'il  inviiait, 

(71)  Voyez  les  Livres  généalogiques. 

(72)  Annales  de  Nikon  et  autres.  Selon  les  livres  des 
Degrés  de  Latoukbin,  Godounoff  se  réconcilia  avec  les 
Schouisky  encore  en  i585. 

(78)  Telle  fut  toujours  la  réponse  des  Métropolitains 
au  Conseil  de  Lithuanie ,  lorsqu'ils  étaient  invités  à  prendt  e 
part  dans  les  affaires  politiques. 

(74)  Le  Soudcbnik,  Code  donné  par  le  tsar  ïvanVass... 

(75)  Livres  des  Degrés  de  liatoukliin. —  On  conserve 
encore  danslabibliolhèquc  synodale,  l'acte  en  original,  don- 


398  HISTOIUE 

né  par  le  tsar  Fédor  Iv  :  à  ce  Métropolitain,  le  24.  jan- 
vier i58j;  il  y  est  dit,  entre  aulre,  qu'il  est  défhridiiaux 
fonctionnaires  d'entrer  dans  les  possessions  des  couvens  ou 
du  Mélropolilain  ,  pour  lever  des  droits. 

(76)  Selon  le  récit  invraisemblable  de  Chitrée,  le  Tsar 
Ivan  avait  écrit  dans  son  leslainenl,  que  ,  si  Irène  ne  deve- 
nait pas  mère  après  deux  ans,  elle  devait  être  séparée  de 
Fédor ,  et  que  celui-ci  devait  prendre  une  autre  épouse. 
—  Pétréjus,  dans  la  Cbronique  de  Moscou,  dit  :  «  Boris 
»  représcnfa  au  Mélropolilain  qu'il  serait  préférable  que 
»  Fédor  n'eut  point  de  fils,  parce  qu'ils  ne  pourraient  pas 
»  abandonner,  sans  exciter  des  troubles,  la  Couronne  à 
»  Dmilri,niDniilri  à  eux  ».  Ce  n'est  point  vraisemblable. 
Dmitrl  n'aurait  eu  aucun  droit  à  la  Couronne,  si  Fédor 
avait  laissé  des  fils.  —  Pétréjus  nomme  i'épouse  choisie 
pour  Fédor,  sœur  du  prince  Floro  Ivanovilciie  Zizlpbo'.i- 
cliis  (au  lieu  de  Fédor  Iv  :  Mslislafsky),  en  ajoutant  qu'elle 
fut  secrètement  conduite  de  la  maison  au  couvent. 

(77)  Affaires  de  la  Pologne  (n".  18  ).  —  Annales  de  Ni- 
ton. —Livres  des  Degrés  de  Laloukhin.— Chronique  de  jMo- 
rosoff  (p.  7095,  an  1097  ).  —  Annales  de  Pskoff. 

(78)  Heidenstein  et  Flelcher. 

(79)  V.  tome  IX,  de  cet  ouvrage  et  Kelch  (p.  392). 

(80)  Fletcher,  de  l'Empire  Russe. 

(81)  Cbronique  de  Morosoff 

(82)  Heidenstein  {  Rcs  Pul.  p.  238-2.'{.i  ).  Balhori  mou- 
rut le  2  décembre,  vieux  style.  —  Pijevsky  partit  de  Mos- 
cou le  20  janvier  1087  ,  et  retourna  au  mois  de  mai,  — 
\  oyez  Aiïaires  de  Pologne  (n",  17). 


DE    RUSSIE.  399 

(83)  Journal  Je  la  Diète  Je  iSSj  (  t.  IV),  en  langue 
Polonaise. 

(84)  Selon  ce  que  dit  Christophe  Sborovsky  qui  ajoute: 
n  Les  Russes  saluent  en  ôlanl  leurs  bonnets  avec  une  cer- 
j>  taine  gravité,  qui  approche  plus  de  la  grossièreté  que 
»  de  la  politesse  ".  —  Kadzivil  et  le  voïévode  de  Posen 
s'opposaient  encore  àréleclion  deFédor;  Les  voïévodes 
de  Vilna  et  de  Troki,  l'évéque  de  A  ihia,  Jean  Sborovsky, 
et  beaucoup  d'autres  étaient  pour  lui. 

(85)  Dans  le  discours  du  Maréchal  de  la  Lilhuanie. 

(86)  Affaires  de  Poh)gne  (n».  18). 

(87)  La  trêve  fut  conclue  le  i6  aoi\t  :  les  Ambassadeurs 
retournèrent  à  Moscou  le  20  septembre.  Rjevsky  partit 
pour  la  Lilhuanie  le  20  octobre,  et  revint  le  4-  février  i588. 

(88)  Traités  de  Sigismond.  —  Affaires  de  Pologne 
(n«.  18). 

(89)  Affaires  d'Autriche  (n°.  5).  Parmi  les  souverains 
de  l'Asie  prêts  à  nous  aider  contre  les  Turcs  ,  il  y  avait  un 
Tsarévitche  d'isoursk  qui  pouvait  mettre  en  campagne 
jusqu'à  trente  mille  soldats. 

(90)  Par  rentreniise  d'un  des  serviteurs  de  ISicobs 
Varkolche. 

(91)  F.  plus  haut  dans  ce  volume. 

(92)  Affaires  de  la  Crimée  (  n"  17  ). 

(93)  Livres  du  Rosrède,  années  i588 — 1590. 

(94)  V.  plus  haut  dans  ce  volume.  —  Aftaircs  de  la 
Suède  (n°  5).  —  Dalin  ,  Histoire  du  royaume  de  Suède 
(  chap.  XV,  p.  i34). 


4oO  IIISTOIUE 

(gj)  Affaires  de  la  Suède  (n"  G),  dans  la  lettre  de  Fédor 
au  Koi  Jean. 

(9G)  Affaires  de  Pologne  (ri°  20). 

(<j7)  Affaires  de  la  Suède  (n"  6  ),  à  la  fin. 

(98)  Affaires  de  la  Perse  (11°  i). 

{<j(j)  Livres  du  Ixosrèdc  ,  amiécs  i58g — i5<jO, 

(100)  Flelclier  (  f.  ;'»G).  —  Notices   sur  les  Boyards 
dans  la  bibliothèque  Russe  (  t.  XX,  p.  63  ). 

(loi)  Livres  du  Piosrcde.  —  Affaires  de  Pologne  (  n* 
20  ).  —  Affaires  de  Perse  (  \\"   i  ).  —  Dalin  (  p.  168  ). 

(102)  Les  Annales  de  Pskoff. 

(2o3)  Affaires  de  Pologne  (n^  20). 

(104.)   y.  tome  IX  de  col  ouvrage. 

(io5)  Annales  de  iSikon. 

(106)  Dalin  (  p.  17G,  177).  —  Affaires  de  Pologne 
(n"  20). 

(10^)  Chronique  de  Morosoff. 

(108)  Affaires  de  Pologne  (  n"  21  ). 

(100)  Affaires  de  la  Grèce  (n"  2  ). 

(110)  Affaires  de  la  Grèce  (n"  3,  p.  i  —  iS^.).  Arsène 
prélat  grec,  le  compagnon  de  voyage  de  Jérémie,  décrit 
son  séjour  à  IMoscou  en  grec  moderne.  Ce  manuscrit  inté- 
ressant fut  conservé  dans  la  bibliothèque  de  Turin,  et  plus 
lard  imprimé  par  trois  savans  llalicns  en  17.(9,  ^^"^  '^  '*" 
tre  :  Codices  inunusr.riptlBlblioth.  R"gn  Tauniiensis  Allienacl. 
La  traduction  latine  de  ce  voyage  Ih'scripllo  illncris  in  Mos~ 
cooiam^  ctc,  se  trouve  aussi  dans  le  recueil  des  écrits  de 
AA  ichmann. 

(m)  Arsène    avait   tort    de    dire    dans    son   ouvrage 


DE     RUSSIE.  4<^I 

i\nc  Jcrcmlc  ne  voulait  absolument  pas  être  Patriarche  au 
grand  regret  de  Godouuoft"  el  du  Tsar. 

(112)  Collection  des  Actes  du  Gouvernement  (  I.  II, 

P-  9-i  )• 

(ii3)  Cérémonial  du  Clergé.  —  Séjour  d'Arsène  h 
3Ioscon. 

(i  i4)  Tel  que  nos  anciens  Métropolitains  (F.  Tome  IX 
de  cet  ouvrage  )  ,  les  Patriarches,  le  joiir  de  leur  sacre, 
D'.onlés  sur  un  àne ,  faisaient  le  tour  des  murs  de  la  ville. 
On  trouve  la  description  dclaillée  d'une  semblable  pro- 
cession dans  la  Bibliothèque  Russe  (  t.  XI  ,  p.  24.5  ). 

(i  i5)  Collection  des  Actes  du  Gouvernement  (t.  II , 
p.  (j5). 

(i  16)  Evèque  savant  qui  vécut  dans  le  IV«  siècle  et  qui 
devint  hérétique. 

(117)  Affaires  de  la  Grèce  (n°  3). 

(118)  Cérémonial  du  Clergé,  dans  la  Bibliothèque 
Russe(t.XYI,  p.  3o8). 

(119)  Collection  des  Actes  du  Gouvernement  (t.  II, 
p.  f)8  ).  —  Les  Evèques  de  Kroulilzy  portaient  anlérieu- 
renient  le  tilre  d'Evèques  de  Saray  (  tome  IV  de  cet  ou- 
vrage ). 

(120)  Affaires  de  la  Grèce  (n°  3).  —  Séjour  d'Arsène  h 
Moscou. 

(i2i)  Il  est  probable  que  le  Tsar  dépensa  pour  ce.? 
dons  plus  de  cent  mille  roubles  actuels. 

(122)  Af.  de  la  Grèce  (n°  3).  L'acie  est  revêtu  de  qua- 
tre-vingt-troissignatures  :de  celles  des  Patriarches  de  Con.";- 
lantinople,  d'Auîioche  ,  de  Jérusalem  (celui  d'Alexandrie 

Tome  X,  26 


402  HlSiUUlE 

clail  mon)  et  «le  beaucoup  de  Mclropnlilains  (parmi  les- 
quels se  irouvaienl  ceux  «rAtlièncs,  de  L2fedéniouc,d'I- 
béric  )  et  d'Archcvcfjues  cl  d  Lvcqucs. 

(i23)  Llrni  (  p.  i5j  ).  —  Le  Mclropolilain  de  Terno  , 
Dyonisi ,  quitta  JMoscouen  iévricr  iSga. 

(12/^)  Chronique  de  Morosoff,  et  un  manuscrit  de  ce 
temps,  inliîulé  :  Récit  de  la  manière  dont  B.  Godcunoff 
usurpa  le  Ti  ône  des  Tsars. 

(i25)  FIcIcher  (  p.  99). 

(126  Chronique  de  Bar. —  Pcitréjus  (  p.  260).  — 
Kelcl».  L.  G.  —  Ilisldire  d'Abraham  Falilsin. 

(127)  Précis  de  Tilisloire  de  Bus-sie  (p.  267  ). 

(128)  El  non  Marie  ,  connue  il  est  dit  dans  les  Chro- 
Tiiqiies(F".  dans  la  Collecliun  des  Actes  du  Gouvernement, 
t.  H,  p.  107). 

(129  Annales  de  Nikon  (  t,  VllI,  p.  iG  ).  —  Flelcher 
(p.  16  ) ,  dit  «  La  nourrice  de  Dmitri,  ayant  goûté  le  plat 
qui  lui  élait  destiné,  mourut  sur-le-champ  ».  iSous  verrons 
cependant  que  long-temps  après  la  bonne  nourrice  était 
encore  en  vie. 

(i3o)  Nikon.  —  (Chronique  de  Bostoff  ci  d'autres. 
(i3ij  Colleclion  des  Acies  du   Gouvernement  (  t.   Il, 
p.  ii3). 

(i32)  Il  u't'sl  question  de  ces  aveux  que  dans  quel<|ucs 
copies  de  1  Annaliste  de  jMoscou.  La  Chronique  de  Mo- 
rosoff dit  :  «  On  s'empara  aussitôt  des  assassins,  on  les 
»  conduisit  sur  la  place,  et  les  habilans  leur  crièrent: 
»  hommes  damnés  et  médians!  comment  avez-vous  osé 
n  commettre  un  tel  crime  »  '■'...  Bcconnaiôsanl  leur  délit, 


1)K     lîTSSIE.  4o3 

ils  répondireni  .iu  peuple  :  ■<  !N(>us  nous  sommes  cnuveils 
»  du  sang  iiinoceiil;  nous  avons  obéi  au  sédiiclcur  lioris 
»  Goilouuoff... ,  cl  à  présenl  nous  devons  souffrir  la  inorl 
»  pour  lui  ». 

(i33)  Ccsl  ce  qui  se  trouve  dans  l'Annaliste  de  Mos- 
cou le  plus  digne  de  fin,  dans  Nikon  el  dans  la  Clirouique, 
de  Uosloff. 

(ij4)  /  .  dans  la  Collection  àcs  Actes  du  Gouverne- 
ment (  t.  H  ,  p.  i(i3). 

11  est  vraisemblable  que  l'on  n'a  pas  inscrit  tout  ce  que 
Mich.  Nagoï  déclara;  dans  les  autres  queslious,  le  men- 
songe éiail  mêlé  à  la  vérité  pour  donner  plus  de  force  au 
premier.  Ci-t  interrogatoire,  où  l'on  voit  agir  très-distinc- 
tement la  crainte,  les  menaces,  la  contrainte  et  la  mau- 
vaise foi ,  prouve  assez  les  embûches  de  Godounoff. 

(i35)  Nikon  et  la  Chrnniipie  de  Rostoff,  ainsi  que  la 
Collection  des  Actes  du  (Gouvernement  (t.  II,  p.  121,  laS, 
243). 

(i36)  Annales  de  >Jikon  et  Annoles  de  Rostoff.  —  An- 
nales de  Morosoff.  —  !\  la  Légende  des  Saints  le  3  de  juin. 
—  Le  couvent  de  \  iksinsk  est  détruit.  A  sa  place  exisiR 
actuellement  le  bourg  de  \  iksino,  à  ^  ingt-cinq  verstcs  do 
ïchérépoveiz.  —  Il  renferme  deux  Eglises,  de  Sainl- 
Kicolas  et  de  la  Sainle-Trinilé  ;  dans  la  première,  se 
trouve  Kl  chapelle  de  Saint-Dmitri  le  Tsarévitthc. 

{loj)  Annales  de  la  Sibérie  et  le  Dictionnaire  géogra- 
phi)juc  de  l'Empire  Russe,  sous  l'arlirle  dOuglitche.  A 
Tobolsk,  on  montre  parmi  les  cloches  de  l'Eglise  du  Sau- 
veur, le  tocsin  d'Oirglilciuv  qui  av.-ui  annoncé  aii.x  habitans 


4o4  HISTOIRE 

Tassassioat  du  Tsaréviîrlic ,  cl  ([ui ,  si  l'on  doit  en  croire  la 
Iradilion  fui  exilé  ,  avec  eux ,  on  Sibérie,  par  Godounoff. 

(i38)  Annales  de  Nikon  et  Annales  de  Roslolf.  —  Col- 
lecliou  des  Actes  du  Gouvernenienl  (l.  II ,  p.  120  ). 

(iSg)  Histoire  du  Père  Abraham  Palilzin.  A  JSorovsk, 
danslecouvenl  de  Pafuoulieff,  dans  l'Eglise  de  Sainle-Irène, 
conslruiie  ,  comme  on  dit  par  la  Tsarine  Irène,  sœur  de 
Godounoff ,  on  trouve  le  toniLcau  d'André  Klecbnin,  avec 
une  inscription  qui  fixe  sa  mort  au  6  avril  de  l'année  i5gg. 

(i4o)  Récits  de  la  destruction  de  l'Kmpire  Moscovite 
(n"  95,  parn)i  les  manuscrits  de  nin  Bibliothèque). 

(141)  Histoire  d'Abraham  Palilzin,  et  Annales  de 
Nikon. 

(i.^a)  Palilzin. — Margerel.  —  La  Chronique  de  Moro- 
soff.  ~  Les  livres  du  llosrède.  —  Affaires  de  Pologne 
(n^ai  ,  f.  206)  ,  confirment  le  soupçon  que  l'incendie  fut 
ordonné  par  Godounoff. 

(i43)  Affaires  de  la  Crimée  (n°  19,  f.  109  ). 

(i44)  Affaires  de  la  Crimée  (n°.  19,  f.  106). 

(i4.5)  Affaires   de  la  Pologne  (n«.  21 ,  f.  178  et  183). 

(14.6)  Livres  du  Kosrède  ,  ainsi  que  les  annales  de  Ni- 
kon (t.  \ll,p.  33G). 

(i/^j)  Affaires  de  Pologne  (n°.  21).  —  Livres  du  Pxos- 
rède. 

(i^S)  Annales  de  Nikon  (t.  VII,  p.  Soj-SSS). 

(14.9)  Bielsky  se  distingua  dans  la  guerre  de  la  Livonie, 
en  iSjy. 

(i5o)  Job ,  dans  les  annales  de  Nikon  (t.  \  II ,  p.  3.{j  ). 

(i5i)  Iilerii   II  est  dit  que,  des  murs  de  la  ville  et  des 


r>E   RUSSIE.  4^5 

couvens  voisins,  on  lirait  conliuneHcmcnt  le  canon.  Mais, 
Comme  les  murs  du  Kremlin  étaient  éloignés  d'environ 
trois  vcrstes  du  cliamp  de  bataille  ,  et  que  les  couvens  de 
Novospask  et  Si. nonof  étaient  aussi  assez  éloignés  de  celui 
de  Donskoï,  il  est  probable  que  nous  ne  fîmes  que  tirer 
sans  pouvoir  al  teindre. 

(iSa)  Quelques  Annalistes  chioniqueiu's  disent  que 
Boris  avait  ordonné  d'empoisonner  Grégoire  (iodounolY  , 
parce  qu'il  refusait  son  consentement  à  l'assassinat  de 
Dmiiri;  mais  il  vécut  encore,  remplissant  les  fonctions  de 
iMaréchal  de  la  Cour,  jusqu'à  i5g8.  —  \  o\ ez  la  liste  des 
employés  dans  la  Bibliothèque  Russe  (t.  XX,  p.  67). 

(i52bis)  Job,  Annales  de  Nikon  (t.  Vil,  p.34i). 

(i53)  Affaires  de  Pologne  (n».  21.  f.  184 ). 

(i54^)  Récits  de  la  destruction  de  l'empire  de  Moscou. 

(i55)  Affaires  de  Pologne  (n".  23). 

(i56)  Récits  de  la  destruction  de  Tcmpire  de?»Ioscou. 

(iby)  Livres  du  Rosrède. — Le  jour  du  baplème,  le 
Clergé ,  les  Boyards  et  toute  la  Cour  dinèrenl  chez  le 
Tsar,  sans  aucune  distinction  de  rangs  ni  de  dignités. 
—  Dans  les  affaires  de  Pologne  et  de  la  Grèce  ,  il  est  dit 
que  le  Tsar  envoya  Triphon  Korobelnikoff  et  Michel 
i  Ogarkoff  porter  aux  Patriarches  grecs  cinq  mille  cinq 
cent  trente-quatre  florins  d'Ongorsk  et  trois  pièces  d'or 
de  Portugal,  dont  chacune  était  de  dix  ducats,  et,  outre 
I  cela,  une  quantité  de  zibelines,  de  nsartres,  etc.  Nous 
avons  une  description  de  ce  voyage ,  mais  qui  n'est  pas 
très-intéressante.  —  Voyez  encore  la  Bibliothèque  Russe 
(t.  XII,  p.  425). 


4()6  HISTOIRE 

(i58)  Après  le  premier  fau^  Umiirl,  Il  se  pri'senla  aussi 
un  prcicndu  fils  de  Fédor,  sous  ici  nom  de  Pierre,  coutmc 
nous  le  verrons  plus  loin. 

(i5y)  Voyez  MUller,  Coilcclion  de  riiisloire  l\usse 
(f.V,p.  Go). 

(i6o)  Affaires  de  Pologne  (n".  20). —  Dalin  (t.  XV  , 
p.  178). 

(161)  Affaires  de  Polo{;nc(n".  21).  —  Les  Suédois 
ccrivîrenl  (  voyez  Dalin  ,  p.  i^ç))  qu'ils  avaient  lue  alors 
(.noùt  i.'îgi)  six  mille  Russes,  cl  fail  prisonniers  trois 
Voïtivodes  et  cinquante  Boyards,  c'esl-a-dire  enfans 
Boyards. 

(162)  Annales  de  ISikon  (t.  VIlï,  p.  23),  et  l'Histoire 
de  rhiérarchie  Russe  (t.  IV,  p.  584-). 

(i63)  Voyez  les  Affaires  de  Pologne  (n".  21).  Sigis- 
mond  baisa  la  croix  le  4-  décembre,  et  Sollikoff  et  Talis- 
tthcff  relournèrenl  à  Moscou  en  janvier  1592. 

(164)  Livres  du  Rosrède.  —  Annales  de  Nikon  (t.VIlI, 
p.  a4-25).  —  Affaires  de  la  Crimée  (n".  ig). — Bielsky 
cortimandall  rarllUerie,  el  la  campagne  se  terminale  21 
février, 

(i65)  Affaires  de  la  Crimée  (n°.  19). —  Dalin  (p.  179). 

(166)  Affaires  de  l'Aulrichc  (n".  5  ).  —  Dalin  (t. XVI, 
p.  207). 

(167)  Affaires  de  la  Suède  (n°.  7  ).— -  Dalin ,  (t.  XVII , 
p.  254.). 

(168)  Voici  quelques  articles  de  la  convention  :  «  Nous, 
>)  Ambassadeurs  plénipotentiaires;  moi,  Okolnilchei  el 
u  Liculenani  de  Kalouga,  Prince  Ivan  Tourenin  ;  moi, 


DF.     RUSSIE.  4^7 

M  Noble  cl  Liculcriatit  crElatonisk,  Ostaft-l  Pouchkiu; 
«  nous,Diak5,  KlobimkolY  ol  Diniiiittï,  nous  nous  soin - 
w  mes  rendus  sur  la  Xarova,  près  de  Tavzlu,  sur  !a  rive 
»  il'Ivangorod.  .  .  Tous  les  sujets  Suédois  pourront  venir 
»  sur  leurs  vaisseaux  et  a^'ec  leurs  niarch.iudiscs  à  l\oii- 
w  godive  (Narva);  mais  non  ceux  des  contrées  étrangères-, 
»  et  le  commerce  doit  se  faire  sur  la  rive  de  Rougodive  , 
u  el  non  sur  celle  d'Jvangorod.  .  .  .  Le  Roi  prélèvera  des 
»  impôts  sur  les  Lapons,  du  coté  oriental,  près  de  ^  a- 
»  ranga.  ...  et  le  Tsar,  sur  ceux  qui  sont  vers  la  Dvina 
}>  el  les  pays  de  Korel  et  de  Kola. .  . .  Tous  les  prison - 
w  niers  seront  délivrés. ..  .  Les  Russes  auront  la  liberté 
»  d'envoyer  des  hommes  à  eux  en  Suède,  pour  y  chercher 
»  les  prisonniers.  . . .  el  lorsque  les  Voïévodes  auront  fixé 
»  les  frontières  des  deux  côtés,  comme  elles  l'élaient  an- 
3)  cicnnement,  la  ville  de  Korel  et  ses  districts  doivent 
»  être  évacués,  et  les  Russes  qui  habitent  la  province  de 
M  Korel  ne  doivent  pas  être   conduits  en  Suède  etc.  »... 

(169)  Affaires  de  Pologne  (u".  19). 

(170)  Parce  qu'il  y  avait  beaucoup  de  Turcs  avec  le 
Khan. 

(lyi)  Affaires  de  la  Crimée  (n".  19). 

(172)  C'est-à-dire  aux  habitans  d'Akcrman.  — Voyez 
les  Affaires  de  la  Turquie  (n".  3). 

(ijS)  Tome  IV,  de  cet  Ouvrage,  dans  l'année  laS^- 
—  H  est  dit  dans  les  Annales  que  Koursk  fcl  fondé  en 
même  temps  que  Aoronège  cl  Livny,  conséqueniment  en 
ï586.  Je  n'ai  rien  trouvé  dans  les  relations  des  contempo- 
rains sur  la  fondation  de  Saraloff. 


4o8  HISTOIRE 

(174.)  Affaires  de  la  Crimée  (11".  21).  —  Affaires  tle 
l'Autriche  (n°.  5). 

(lySj  Idem  (  15".  6,  f.  /^ ,  25  cl  34  ).  —  Klopilzky  quillâ 
IMoscoule  3  seplembre. 

(176)  Hcidenslein  ,  (  7Ϋ  PuJ.  p.  oaG-SSj),  Tanncc 
1096. 

(177)  L'Allemand  Jean  Hanse. — A'oyez  Affaires  de 
rAutrichc  (n".  6). 

(178)  Voyez  colleclion  de  Wichmann,  et  relalions  de 
M.  Schièle. 

(179)  Alexandre  Comuieiis  (et  dans  les  actes  Russes, 
Koleinus),  vint  deux  fois  à  Moscou  ,  en  avril  i5g5  et  en 
mars  i5g7.  —  Voyez  Affaires  de  la  Cour  de  P\onie.  L'ins- 
truction qui  lui  avait  été  donnée  par  le  Pape,  en  langue 
Italienne,  a  été  copiée,  par  ordre  de  Timpératrice  Cathe- 
rine 11 ,  sur  le  manuscrit  conservé  à  la  bibliotlièque  du 
Vatican ,  et  transmise  par  le  prince  Michel  Stcherhatoff 
aux  archives  de  Moscou. 

(180)  Affaires  de  la  Perse  (  n».  4). 

(181)  «  Le  Schah  fit  présent  au  prince  André  d'une 
w  cornaline  montée  en  or,  et  de  l'image  de  la  Sainte  Vierge, 
j'  peinte  sur  or,  en  disant  qu'elle  avait  été  peinte  pour  lui 
»  d'après  une  image  italienne,  et  qu'elle  lui  fut  envoyée 
»  d'Ormus  ». 

(182)  Le  prince  Vassili  TiouGakin,  et  le  diak  Jémélia- 
Tioff  (le  premier  ayant  reçu  du  Trésor  trois  cents  roubles 
et  le  second  deux  cents  ) ,  furent  envoyés  de  iloscou  au 
Tnois  de  Juin  i5g5.  Tioufiakin  mourut  avant  d  arriver  en 
Perse,  le  8  août  \  le  Diak  à  Guilan ,  et  l'écrivain ,  l'inler- 


DE    IIUSSIE.  4^9 

proie  cl  leurs  p;cns,  au  nombre  de  lrcnlc-!mil  personnes, 
moururent  en  Perse.  H  ne  revint,  en  i5<j8,  que  trois 
fauconniers,  un  arclùnioine  et  quelques  Slrelelz. 

(i83)  Voyez  Affaires  de  Géorgie.  —  Fëdor  écrivit  à 
Alexaiulre ,  au  mois  de  juin  de  i-^g6  :  «  J'ai  envoyé  contre 
»  Schavkat  mes  A  oïévodcs  j  ils  ont  tué  beaucoup  de 
»  monde  et  blessé  Schavkal  lui-même.  Après,  lu  as  en- 
»  voyé  auprès  de  noire  Majeslé,  pour  nous  conjurer  de 
j>  faire  marcher  une  armée  considérable  contre  Schavkal, 
n  pour  nous  emparer  de  la  ville  de  Tarki  et  d  en  donner 
M  de  nos  mains  la  souveraineté  à  ton  parent  Krim-Schav- 
»  kal.  . .  .  et  nous  t'avons  écrit  pour  te  dire  que  tu  devais, 
M  de  ton  côté,  envoyer  contre  Schavkal,  à  la  tcle  de  ton 
»  armée  ,  ton  fils  Jouri  et  ton  parent  Krim-Schavkal  ». 
On  dit  que  le  nom  de  Krim-Schavkal  était  toujours  porté 
par  le  successeur  de  Schavkal  (Voyez  Millier,  collection 
de  l'Histoire  de  Russie,  t.  IV  ,  p.  35  ).  Plus  loin  :  «  Nous 
»  avons  reçu  de  Tarky  le  rapport  de  notre  voïévode  prince 
n  Khvorostinin  et  de  ses  compagnons,  par  lequel  il  nous 
n  informent  qu'ils  ont  porté  la  guerre  dans  le  pays  du 
»  Schavkal  et  qu'ils  se  sont  emparé  de  Tarki,  mais  que 
j>  lu  n'y  avais  pas  envoyé  ton  fils  ;  que  ton  parent,  Krim- 
w  Schavkal ,  n'avait  pas  marché  contre  Schavkal ,  et  que  les 
»  Voïévodes,  étant  restés  long-temps  à  Tarki,  avaient 
M  fmi  par  détruire  celte  ville  et  étaient  reloumés  sur  le 
M  Térek  ».  —  Gârber ,  en  parlant  de  Tarki,  dit  en  1780  : 
«  Celte  ville  est  siluée  à  cinq  verstes  de  la  mer  Caspienne 
M  dans  une  grande  vallée  ,  au  milieu  des  rochers. ...  Le 
"  »  palais  du  Schamkhal  ou  Schavkal  est  construit  sur   un 


4lO  HISTOIRE 

1»  endroit  élevé  ;  les  rues  en  sù!jI  élroifcs  el  les  maisons 
j>  mal  balles;  1  eau  y  arrive  des  nioiilagiics  par  des  con- 
}>  diiils,  dans  le  palais  du  khan  el  dans  les  dificrens  quar- 
»  tiers  de  celle  ville  ancieiir:e  et  assez  considérable  ». 
Acluellcaienl  l'on  n'y  voit  que  des  ruines.  Gàrber  dil  en- 
core :  «  Le  liUe  de  Sclianiklial  lire  son  origine  des  Maures 
»  qui,  dans  les  premiers  siècles  de  l'ère  musulmane  ;  s'é- 
î>  laient  emparé  des  bords  de  la  mer  Caspienne.  Schara 
T>  csl  le  nom  de  la  ville  de  Damas,  d'où  Ton  envoyait  de» 
»  gouverneurs  ou  des  princes  dans  ces  provinces  conquises. 
»  l-e  mol  de  Kbal  s'\^ï\\{ic  prince  » . —  Oléarlus  explique 
"  que  Scbemkhal  signifie  clarté. 

(184^)  Affaires  de  la  Géorgie.  — Dans  les  rapports  de 
nos  envoyés  en  Géorgie  il  est  dit ,  que  les  VoYévodes 
Russes  avaienl  construll  des  forts  sur  les  bords  de  la 
Koïssa. 

(i85)  Le  prince  Slcherbatofi",  se  référant  aux  livres 
du  Kosrède ,  dit  qu'au  mois  de  mai  iSg^»  le  prince  des 
IXogais,  Kasi,  avec  huit  mille  Nogais,  el  le  Tsarévilche 
larouslam  ,  avec  douze  mille  Azovicns  assiégeaient  la  ville 
de  Schalzk,  commandée  par  le  voïévode  prince  Mossalsky; 
que  ce  vaillant  guerrier  les  vainquit  e!  les  obligea  à  se  re- 
tirer sur  la  rivière  Medvèditsa.  Je  n'ai  point  trouvé  ce 
passage  dans  les  livres  du  Rosrède  que  je  possède.  Il  n'exis- 
tait point  alors  de  princes  nommés  Kasi;  il  n'existait 
que  le  Catnp  de  Kasi,  et  la  rivière  Medvèditsa  est  loin  de 
Schalzk. 

(18G)  Archives  du  Collège  des  Affaires  Etrangères.  — 
Copies  de  deux  lettres  au  roi  de  Danemarck  ;  la  première, 


D  F.     R  r  s  s  I  E.  4  *  ï 

dcritc  le  i5  aoùl  i5«j2,  de  Kola,  par  nos  ambassaJeuis , 
Zvcnigoro(l>ki  el  Vassillchik(.ff;  cl  la  scconHo,  par  le  Tsar 
lui-ntême.  Ces  copies  ont  clé  oblenaes  des  archives  de 
Copenhague  par  M.  le  comte  înicolas  RumauzoIT. 

(i8--)  Affaires  de  l'Afij^lelerre  (u".  i  ). 

(i88)  Si  l'on  doit  ajoulcr  foi  à  ce  que  dit  llorscy,  il 
éprouva  la  disgrâce  de  Fédor  par  une  fausse  dénonciation 
d'un  de  ses  serviteurs,  el  les  intrigues  du  premier  diak , 
André  Slchelkaloff  (  AV>/«/yA- iwJ  rnan  ofthat  rountry);  on 
l'accusait  d  avoir  mal  parlé  du  Tsar  à  un  diuer  chez  lui 
(  Voyez,  A  (ù'srourse  of  the  second  and  third  imfjloyment  uf 
M.  Je/:  Ilorsey,  Esq.  sent  frurn  Jti's  Muje.sty  tu  the  Enipewr 
of  Ptussia  ,  dans  les  papiers  envoyés  au  comte  de  Roman- 
zofï,  du  Musée  B:ilann!que,  eu  1817).  Même  les  Anglais 
qui  faisaient  le  comni'jrcc  en  Russie  se  plaignaient  des 
tromperies  de  Horsey  :  par  exemple,  ayant  obtenu  de  la 
Reine  une  sage-femme  habile  pour  la  Tsarine,  il  la 
retint  quelque  temps  à  Vologda  el  la  fil  repartir  secrè- 
tement pour  Londres  (Voyez  les  mêmes  papiers  du 
Musée  Britannique).  Ilorsey  arriva  à  Moscou  le  i5 
août  i5go,  avec  le  litre  d'Ambassadeur  d'Klisabelh. 
L'année  suivante  la  Reine  écrivit  à  Fédor  el  à  lioris  pour 
s'excuser  d'avoir  choisi  un  pareil  liomme  pour  ses  rapports 
avec  le  Tsar.  En  iSga  cl  iSc^S,  la  correspondance  entre  les 
Cours  de  Moscou  et  de  Londres,  se  fit  parrentremise  des 
négocians  Anglais.  En  i5g4i  Elisabeth  envoya  à  Moscou 
son  médecin  Marc  Ridlcy,  d'après  le  désir  du  Tsar, et  le 
chargea  de  lui  remettre  une  lettre  très-amicalc,  dans  la- 


4l2  HISTOIRE 

quelle  elle  le  félicitait  sur  la  naissance  de  sa  fille.  —  Voyez 
Affaires  de  l'Angleterre  (n".  2). 

(189)  Dlscouis  de  Horsey. 

(igo)  Cambden  (f.  36ô),  el  les  papiers  du  Musée  Bri- 
tannique, dans  la  bibliolhèque  du  cnniie  Romanzoff.  Voici 
le  titre  du  livre  de  Fletcher  :  Of  the  Russe  Coinmon 
VS'ealth,  or  manner  ofgovernmcnt  by  the  Russe  Empe- 
rour,  commonly  called  the  Empcrour  of  Moskovia,  Avilh 
the  manners  and  fashions  of  the  people  of  ihat  counlry  , 
at  London  printed  by  T.  D.  for  Thomas  Charde  iSyi. 
Fletcher  dédia  son  livre  à  Elisabcll),  et,  dans  sa  lettre,  il 
dit  de  la  Russie  que  c'était  un  pays  sans  lois  écrites,  sans 
justice  générale  1  Malgré  cette  phrase  étrange,  Fletcher  a 
dit  beaucoup  de  choses  justes  et  intéressantes  sur  l'état 
d'alors  de  noire  patrie. 

(igi)  Affaires  de  l'Autriche  (n".  26).  —  Horsey  dis- 
course.—  Papiers  du  Musée  Britannique. 

(192)  Le  jour  de  Jouri.  —  Voyez  le  tome  VI  de  cet 
ouvrage  ,  en  Russe  (p.  358  de  la  deuxième  édition  ,  et  le 
tome  ^  II,  p.  214.). 

(19.3)  Fletcher  (f.  46)-  —  Herbersfein  (p.  ^o)  — 
Tome.  \  II  de  cet  ouvrage. 

(ig^)  Soudebnik  d'iv  :  Vassili  el  les  Oukases  de  ses 
prédécesseurs,  rassemblés  par  Tatistchcff  (p.  221  et  240). 
—  Cette  loi  de  iS(j3  n'est  pas  parvenue  jusqu'à  nous, 
mais  on  en  fait  mention  dans  la  loi  de  1^97  (voyez  plus 
bas).  —  Dans  TOukase  du  Tsar  Vassili  Schouisky  il  est 
dil,«  Qu'en  7115(1607),  le  9  mars,  le  Tsar  et  Grand- 
«  Duc  de  toute  la  J\ussie,  Vassili-Iv  : ,  avec  son  père, 


DE    RUSSIE.  4i3 

»  le  palrîarclie  Hcrinoj^ène,  en  prcscncc  de  tout  le  clergé 
»  et  des  aultniiéî  civiles  du  Tsar,  ayant  enlemlu  le  rap- 
»  port  du  tribunal  des  Domaines,  que  réinigralion  des 
»  paysans  causait  de  grandes  émeutes,  des  procès  et  des 
»  violences  de  la  part  des  puissans,  ce  qui  ne  pouvait  pas 
M  arriver  sous  le  Tsar  Iv:  Vassili,  parce  qu'alors  les  pay- 
»  sans  étaient  libres;  le  Tsar  Fédor  Iv  :,  sur  l'insinuation 
»  de  Boris  Godounoft" ,  et  contre  1  opinion  des  plus  vieux 
»  Boyards,  ôta  aux  paysans  le  droit  de  choisir  leur  do- 
j>  micile,  et  fit  inscrire  dans  un  livre  le  nombre  des  pay- 
»  sans  que  cliacun  possédait  ».  —  ^  oyez  aussi  Guide  «les 
lois  Russes  (t.  I".,  p.  127  et  ijo).  J'avoue  que  cet 
Oukase  de  Schouisky  et  même  celui  de  Fédor  sur  les 
paysans,  me  paraissent  douteux  par  leur  style  et  leurs  ex- 
pressions peu  analogues  à  ce  temps  ;  je  laisse  aux  recherches 
futures  des  historiens  à  décider  si  les  copies  de  Talislcheff 
sont  vraies  ou  non.  Tatistchefr  dit  qu'il  a  copié  les  lois 
de  Fédor  et  de  Boris,  sur  les  manuscrits  de  Bartenevskv, 
Galitzin  et  Vàlinsky,  et  qu'il  reçut  la  loi  du  Tsar  Vassili 
Schouisky,  du  gouverneur  de  Kasan  le  prince  Serge  Ga- 
litzin. 

(iqd)  Livres  des  Degrés  de  Laloukhin.  —  Annales  de 
Nikon)  t.Vni,p.  3oet  45). 

(196)  Annales  de  Nikon  (t.  VU,  p.  828  et  t.  VIII  ,  p. 
28  ). —  Livres  des  Degrés  de  Laloukhin.  —  Dans  les  Chr<»- 
nographes,  il  est  dit  que  l'on  construisait  à  Kilaïgorod  des 
maisons  et  des  boutiques  en  pierre,  qui  furent  achevées  en 
7ic4(i5(jG). 

(197)  Piécit  de  la  destruction  de  l'Empire  Moscovite. 


4l4  llIvSTOlKE 

Sur  la  famiiie  ,  il  est  ilit  dans  les  Annales  de  Pskolf  ; 
»  Le  8  n'.ai,  il  lomba  «me  forte  neige  cl  il  fit  un  froid  Irès- 
>«  rigoureux;  la  famine  régnait  à  Novogorod  et  dans  les 
>•  bourgs;  le  blé  se  vendait  à  vingt  allines  le  tchetverie, 
»  et  il  Tïhinquait  entièrement  dans  les  bourgs  ». 

(198)  Flelcbcr  (f.  36).  —  IMargerel  dit  que  les  séances 
in  Conseil  duraient  depuis  la  première  heure  du  jour  jus- 
qu'à la  sixième. 

(199)  Annales  de  Nikon  (  t.  AIII,  p.  2'3).  —  Livres  des 
Degrés  de  Laloukhin.— Flclcber  (  I.  IJI  ). 

(200)  Margeret  (p.  q^»  g^).  Annales  de  TSikon  (t.  VIII, 
p.  3o  )  ,  en  I  lJ(jS.  —  Livres  des  Degrés  de  Laloukhin. 

(201)  V.  le  serment  des  Boyards,  des  Dignitaires  et  du 
peuple,  prêté  au  Tsar  et  à  Fédor  Borissovitche  ,  dans  la 
Collection  des  Actes  du  Gouvernement  (  1.  II,  p.  192  ). 

(202)  En  logS.  —  V.  Annales  de  ISikon  (  t,  YIII,  p. 
23,  3i  et  32.  —  Le  Prince  d'Ouglilcbe  mourut  en  1286. 

(203)  Histoire  de  l'hiérarcbie  Russe  (t.  V,  p.  i6.[). — Ce 
couvent  bâti  par  Saint-Dion)  si,  dans  le  XI Y*  siècle,  était 
éloigné  d'une  verstc  du  couvent  de  Pelchersk,  en  descen- 
dant le  Vciga  et  sur  sa  rive  droite. 

(20^)  Livres  des  Degrés  de  Latcukhin. 

(20.">)  Aniiales  de  Pokoff  (  f.  Sg  ). —  Livres  des  Degrés 
de  Latoukliin.  —  (Chronique  de  Morosoff ,  où  les  détails 
sont  assez  fabuleux.  ' —  Chronique  de  Pétrcjus  (  p.  263  ). 

(20G)  On  connaît  Thisloire  touchante  d'Androclcs  el  du 
Li  )n  ,  dans  k'S  Nuits  Alhénicriîios. 

(207)  Annales  de  !Nikon  (t.  Vil,  p.  .3^7  et  f.  VIII,  p. 
34  ).  — Livres  des  Degrés  de  Laloukhin  el  Chronique  de 


DE    RUSSIE.  4'^ 

]\r()roiofr,  où  il  esl  dll  que  Fc-dor  oui  une  agonie  de  12 
jours. 

(208)  Dans  les  Livres  des  Degrés  de  Latoukhin  o.l  dans 
d'autres  ,  il  e.sl  dil ,  que  Fédor  avail  nommé  pour  son  suc- 
cesseur Fédor  Nikililclic  Roitiuiioff.  —  Pélréjus  (p.  263), 
copiant  Bar,  conte  la  Table  s(iivanlc  :  «  Sur  la  quesliori  des 
»  lîoyards ,  qui  devrait  régner  en  Russie  :'  Fédor  répondit 
»  en  mourant  :  Celui  auquel ,  dans  le  dernier  moment  de 
)>  ma  vie ,  je  remellrai  le  sceptre  ,  et  il  le  donna  à  Fédor 
»  Nikililche  Romanoff.  Mais  celui-ci  voulut  transférer  cet 
)■  honneur  à  son  frère  Alexandre,  Alexandre  à  son  frère 
»  Ivan,  Ivan  à  son  frère  Michel,  Michel  à  quelque  aulre 
j»  Boyard.  Le  Tsar,  perdant  patience  ,  jeta  le  sceptre  par 
»  terre  ,  en  s'écrianl  :  règne  donc  qui  voudra  !  C'est  alors 
»   que  (iodounoff  s'en  saisit  et  devint  Souverain  ». 

Les  Livres  du  Rosrède  el  les  Listes  du  service  des  Di- 
gnitaires (  Bibliothèque  Russe  ,  t.  XX,  p.  G6),  diseni  que 
Fédor  transféra  le  scepire  à  son  épouse;  c'est  ce  que  ron- 
fninent  le  Patriarche  Job  (Annales  de  Nikon  (t.  Vli,  p. 
302  ),  David  Chilrée  (  F.  de  Thou,  Histoire  TJniverselle, 
livre  CXX,  p.  177),  el  lonvoyé  Autrichien,  Micliol 
Schille  ou  Schelle  (  Collcclion,  etc.,  de  Wichmann,  1. 1, 
p.  4-47)-  Voici  encore  un  témoignage  des  plus  véridiq-.ies  : 
Dans  laclc  de  réleclion  au  Trône  Moscovite,  non-sculf- 
ment  de  Godounoff ,  mais  encore  dans  celui  de  Michil 
Fédorovitche,  il  est  dit  (  T.  Bibliothèque  Ru.sse,  t.  VU  , 
p.  i?»G)  :  «  Fédor  (vanovitchc  la!."<sa  la  souveraineté  de 
»  tous  ses  étals  à  la  Tsarine  Irène  Fédorovna,  cl  rccom- 
>»  manda  son  aiiic  au  Palria;che  Job. ,  .  cl  à  sou  cousin 


4l6  HISTOIRE 

>.  Fédor  Nikitilche,  Ronianolf-Jourieff  cl  à  son  bean- 
»   frère,  lîoris  Y:  Godounnff  ». 

(209)  Annales  de  ISikon  (  I.  YIIl ,  p.  34-  ). 

(210)  Fc.ior  fit  appeler  Job,  dans  la  seplièinc  lieure  de 
la  nuil,  pour  recevoir  rExlremo-Onciion,  et  mourut  dans 
la  neuvième  bcure  de  la  nuit.  On  rapporte  (pi'il  avait  vu, 
en  mourant ,  des  Anges,  elc. 

(211)  Livres  des  Degrés  de  Latoukhin. — Chronirpie  de 
Morosoff,  cl  Bar  dil ,  que  t'élail  la  'Ksarine  Irène  qui  fai- 
sait venir  chez  elle  beaucoup  de  soùii'ks  et  piutidkcliiiks  ^  de 
la  ville,  et  qu'elle  les  disposait  par  des  promesses  et  par  de 
l'argent  à  élire  Boris  pour  Tsar. 

(212)  r.  l'acte  de  l'élection  de  Boris,  dans  la  Ciblio- 
ihèque  Russe  (  t.  Vil,  p.  Sg  et  4o).  —  Une  autre  copie  de 
cet  acte  m'est  parvenue  par  M.  J.  Jermolajeff.  Les  noms 
de  tous  les  membres  du  Clergé  et  des  Députés  ecclésiasti- 
ques et  séculiers  v  sont  désignés. 

(21 3)  Dans  les  Cbroniques,  il  est  faussement  dit  qu'I- 
rène, dès  i'insiant  de  l'enterrement  de  Fedor,  ne  voulut 
plus  rentrer  dans  les  apparlemeus  du  Palais,  et  qu'elle  se 
fil  conduire  an  couveni, 

(2i4)  Stbèle  (p.  4-5ij  i^-)  cl  <le  ThouC  Histoire  I^ni- 
verselle,  i.  CXX,  p.  180)  ;  selon  leur  récit,  Godounoff 
était  présent  à  cette  assemblée  des  Dignitaires  et  ÔlCîs 
Bourgeois,  et  après  avoir  déclaré  qu'il  ne  voulait  pas  être 
Tsar,  il  alla  rejoindre  sa  sœur.  JMais  l'cicle  d'éleclion  dit , 
qu'il  était  déjà  au  couvcnl ,  lorsquon  lui  olb  il  la  cou- 
ronne. 

(21 5)  Livres  du  Rosrèdc.  —  Le  Patriarche  écrivil  en 


DE   RUSSIE.  /jiy 

Sot»  nom  aux  Voïévodcs  o[)iiiiiitre.s  qu'ils  aîont  h  obéir 
aax  ordres  de  la  Tsarine  ;  mais  les  ^  oïévodcs  s"v  refusè- 
rent. —  Selon  Margerel,  c'était  Godounoflf  qui  répandit 
le  bruil  de  l'invasion  du  Khan  eu  Ilussie. 

(216)  Dans  les  Clirouiques  il  est  dit  (  V.  Annales  de 
ÎSikon  ),  que  les  SchouisVy  seuls  ne  voulaient  jias  de  Go— 
^OJinoff  sur  le  Trône;  mais  les  Schoui.sky  même  ne  s'y 
apposèrent  pas.  (  T.  L'acle  d'IIleclion.) 

(2(7)  C'est-à-dire  par  la  Géorgie  et  le  pays  des  Kir- 
guises. 

(218)  V.  L'Acte  d'I'^lection.  11  est  dit  dans  une  Chroni  ' 
que,  que  quelques  personnes  craignant  de  ne  pas  pleurer», 
et  qui  ne  connaissaient  pas  l'art  de  répandre  des  larmes 
feintes,  s'humectaient  les  yeux  avec  de  la  salive. 

(2r9)   F.  Margertt  et  Flelcher, 

(220)  Fletclier(f.  59,61). —Dans  la  leîîre  d'Ivan  à 
Magnus,  il  est  question  pour  la  première  fois  de  biscuits 
(t.  IX  de  cet  ouvrage). 

(221)  Tome  A  m  de  cet  ouvrage.  —  Flelcîier  ail  : 
«  On  donna  à  chaque  noble  de  première  classe  denuis 
»  soixante-dix  Jusqu'à  quatre  cents  roubles;  aux  moyens, 
»  quarante  à  soixante,  et  aux  moins  anciens  et  aux  enfans 
î)  Boyards,  douze  à  trente  ».  —  Voyez  aussi  Margcret 
(p.  87). 

(222)  Fletcher  (f.  ."îj,  ^i  ),  Nous  évaluons  ici  le  rou- 
ble du  seizième  siècle,  comme  nous  l'avons  fait  déjà  plus 
liaut,  à  cinq  roubles  en  argent  blanc  d'aujourd'hui,  à  deux 
ducats  ou  quelque  chose  de  moins.  jMargerel  dit  (  p.  56 
et  66)  qu'un   rouble   valait  six  livres   douze   snus  ;   qu'uu 

TUMF.   X.  27 


4l8  HISTOIRE 

ëcii  de  l'ompire  (rcîchslhalcr)  valall  douze  altines,  cl  un 
ducat  dix-huil  allincs  (  ou  cinquante-quatre  kopcks  nc- 
lucllcs),  quelquefois  plus,  quelquefois  moin  . 

(223)  Des  Tcheltcsou  Tchclverles.  —  Voyez  tome  IX 
de  CGl  ouvrage.  —  Doil-on  ajouler  foi  à  Margerel  qui  dit 
(p.  56)  ,  que  les  paysans  du  Tsar  lui  payaieni  annuelle- 
menl  dix,  douze  el  quinze  roubles  (c'est-à-dire  soixante 
roubles  eu  argent  actuel),  pour  sept  ou  huit  desselines  de 
terre  labourable. 

(22^^)  Flelcher  (f.  l^o  et  ^2). 

(225)  Collection  des  actes  du  gouvtiineinent  (  t.  I*'. , 
p.  584). 

(226)  Flelcher  (f.  53). 

(227)  Flelcher  dit,  par  plaisanterie  je  crois,  quivan 
avait  exige  un  jour  des  liabilans  de  Moscou  pijsieurs  me- 
sures de  puces  vivantes,  et  que  coux-ci,ne  pouvant  les  ras- 
sembler, furent  obligés  de  payer  sept  mille  roubles.  0:i 
prête  aux  riches. 

(228)  Testament  d'Ixao  (1572). 

(229)  Le  Soudcbnik  de  Tatisiclieff  (  p.  io3). 

(280)  Flelcher  (p.  02).  —  Margerel  (p.  4-3,  67).  La 
dernier  dit  que  le  présent,  selon  la  loi,  ne  pouvait  être 
taxé  plus  haut  que  dix  à  douze  roubles.  Les  ducats  haus- 
saient toujours  de  prix  au  niomenl  des  couronnemens, 
parce  que  les  ntarchands  faisaient  leurs  présens  au  nou- 
veau Souverain  en  pièces  d'or. 

(23 1)  Les  conquêtes  de  Jermak  et  celles  que  nous 
avions  faites  plus  récemment  dans  l'Asie  septentrionale  , 
nous  avaient  enrichis  de  pelleteries.  Fcdor  défendit  aus 


DE    RITSSIF.  /jlf) 

vcMevrîtlcs  tle  S'bt'iie  (voyez  Aflairos  «le  la  Perse,  n".  4-) 
àv  laisser  sor:ir  pour  aller  on  Bukharlc ,  ni  zibelines  pré- 
cieuses ,  ni  renards  noirs  ,  ni  les  far.cons  nécessaires  pour 
la  chasse  <lu  Tsar  et  pour  les  prciscns  à  faire  aux  souve- 
rains européens. 

(232)  Auparavant,  dit  Flelcher,  ils  exportaient  cin- 
quante mille  pouds,  mais  à  présent  ils  n'en  exportent  que 
dix  mille,  parce  que  la  Russie  ne  possède  plus  le  port  de 
^arva. 

(233)  Affaires  de  la  Perse  (  n".  4  ,  f-  71  )• 

(234.)  Voyez,  dans  les  Archives  du  Collège  des  affaires 
étrangères,  les  rapports  de  Kolmogore  eu  160,^  cl  i6o5 
(n».  i). 

(235)  ^  ovcz,  dans  les  Affaires  de  l'Autriche,  l'ambas- 
sade du  diak  Vlassieff  auprès  de  l'Empereur  (i^qq). 

(23G)  Chronique  Ansdaiiquc  (t.  lîl ,  p.  i63). 

(237)  Voyez  tome  IX  de  cet  ouvrage.  —  Fletcher  , 
louant  le  bon  sens  dos  Russes,  ajoute  que  Ton  apercevait 
un  esprit  naturel  chez  les  hommes  et  chez,  les  enfans  en 
bas  âge. 

(238)  Livres  du  Rosrède  (  i594). 

(23f))  Le  titre  :  Livre  nomme  en  grec  ,  Àn'iJuncliijue  ; 
en  allemand,  yi/^^omm^,  et  en  russe,  \di  Science  du  calcul 
en  chiffres.  —  A  la  fin  de  mon  exemplaire,  et  d'une  écri- 
ture pîus  moderne ,  se  trouve  intercalé  l'ouvrage  de  Ga- 
lène sur  le  grand  et  le  petit  monde ^  avec  coite  note  : 
*'  Extrait,  au  couvent  de  Kirilof,  du  livre  de  notre  révé- 
«  rend  père  l'abbé  Saint-Cyrille  de  Béloscrsk,  en  ^^y^  ». 

(2.(0)  Affaires  de  Pologne  (n".  20). 


/j2(>  HISTOIRE 

(240  Borissoff,  sur  le  Don,  fut  bàli  en  1600  (Livres 
du  llosrède),  et  TsarelT-liorissoff ,  à  leniboucliurc- de  la 
Prolva,  à  peu  près  dans  le  niOnie  temps.  Bâr  parle,  dans 
sa  ciironifiiie,  de  la  c(însiruction  de  ces  villes.  —  D-ans 
l'ancienne  géographie  delà  Russie  (p.  233),  on  Ir -uvc 
une  ville  Tsanlzinc;  niais  ce  n'est  pas  la  viil<'  acluelle  : 
c'est  la  ville  ancienne  Talarc;  car,  dans  un  autre  passage 
de  ce  livre  (p.  8-i  ) ,  il  est  dit  :  «  Le  fleuve  Tsariiza  lora- 
»  bail  dans  le  Volga  vis-à-vis  de  Tile  de  Tsarilzinc,  et 
»  dans  l'/'i'e  était  la  ville  de  Tsarilzine  ».  —  Daiss  les 
Livres  du  Uosrède ,  depuis  1600,  on  parle  de  Tsaritzine 
d'aujourd'hui  :  celle  ville  et  celle  de  lîorissoff  ont  éié  bâ- 
ties vraisemblablement  vers  ce  temps  par  Godounoff. 

(242)  A  Kourbsky, —  à  l'abbé  de  Kiriloff,  Koznnia  e!c, 

(243)  Annales  de  jSikon  (t.  MI ,  p.  3iG,  359). 
(2>4')  Celle  épllre,  jointe  à  l'acte  d'éleclion  de  lioris  , 

se  trouve  parmi  les  manuscrits  appartenant  à  M.  Jermo- 
laieff. 

(24.5)  Voyez  tome  îX  de  cet  ouvrage,  et  Margcrot 
(p.  28). 

(24G)  La  belle  copie  de  ce  livre  de  médecine  se  Irou- 
vail  à  3I0SCOU  à  la  bibliothèque  du  professeur  Bausé,  et 
fut  brûlée  comme  beaucoup  d'autres  nionumens  précieux 
de  noire  histoire  ,  en  1812  ;  en  voici  le  litre  :  Sur  les  lier- 
les  ,  sur  les  liqueurs  et  h  s  eimx-de-vie ,  sur  les  poissons 
ddiis  la  mer  et  dans  1rs  nWèrcs ,  sur  les  pierres  précieuses  y 
sur  lu  science  philosophirpie  ,  sur  les  saignées ,  sur  la 
science  des  apothicaires.  Dans  le  commencement  il  est 
dit  que  ce  livre  à  été  traduit  du  latin  en  polonais  à  Craco- 


DE  nrssiE.  4^1 

vie,  en  14.23,  par  le  seigneur  Stanislas  Galchkoff,  voïii- 
vcdc  (k'  'l'roky  ,  cl  en  7096,  en  russe  ,  à  SiM-poiikholï,  d'a- 
près les  ordres  du  voïévodc  F.  A.  liouiourlin.  L'aaleur 
assure  que  le  grenat  réjouit  le  cœwr;  que  les  Indes  situées 
nu  Lord  du  grand  Océan  sont  la  patrie  de  lainianl  ;  que  le 
saphir  préserve  des  rêves  cffr.iyans,  etc. 

(2^7)  Collcclion  des  chatisons  Tinsses  (1780).  — 
Poésies  anciennes  des  Russes  (  1818). 

(248)  Je  possèile  l'original  de  celle  description. 

(24.9)  Voyez  Voyage  à  ^loscou  «lans  l'année  1G02, 
dans  le  Magasin  de  ijuclung(f.  VII,  p.  2G5),  cl  Chro- 
nique de  Pétréjus  (p.  3-io).  Pélréjus  qui  fui  à  Moscou 
sous  Godounoft  et  plus  lard,  dit  que  Ion  y  coiuplail  qua- 
tre mille  cinq  cenls  églises  ,  couvcns  et  chapelles,  el  dans 
le  Kremlin  cinquante  ;  quà  chacun  de  cesbàtiracns,  il  se 
Irouvail  do  qKÎkIre  jusqu'à  douze  cloches  ;  qu'il  y  avait  des 
églises  si  pellles  qu'elles  pouvaient  à  peine  contenir  sept 
personnes.  —  L  auteur  du  ^  oyagc  à  Moscou  ne  parle  que 
de  trente-cinq  églises  au  Kremlin,  mais  11  en  porle  le 
nombre  à  Moscou  jusqu'à  cinq  mille  trois  ceals,  d'aprè» 
ce  que  lui  avaient  dit  des  Allemands  ,  anciens  habllans  de 
cette  capitale. — Abraham  Palilzin,  dans  son  Histoire, 
parle  de  quatre  ccjils  églises  dans  la  ville  des  Tsars. 

(250)  Livres  du  Fiosrède ,  an  1597. 

(25 1)  Margeret  (p.  97  ,  »j8  ),  et  Fletchcr  (p.  108). 

(262)  Fletcher  dit  que  Fédor  avait  ordinairement  jus- 
qu'à soixanle-dix  plats  sur  sa  table  ;  et ,  selon  Pélréjus 
(  p.  281  ),  le  Tsar  Boris,  aux  jours  de  fêles,  jusqu'à  deux 
cents.  Le  Tsar  goûtait  lai-mcme  les  plais  qu'il  envoyait  dk 


422  HISTOIRE 

la  maison  de  ceux  de  ses  convives  qui  jouissaient  de  sa 
faveur. 

(253)  IMargerct  (p,  99  ,  loT)). 

(254.)  Margeret  (p.  29,  33,  ^o,  47?  52,53).  —  La 
Jcltre  suivante  d'Henri  IV  à  Fcrlor  se  trouve  dans  les  ar- 
chives du  Collège  des  affaires  élrangcres  :  «  Très-illustre 
»  et  très-excellent  Prince,  notre  cher  et  bon  amy  .... 
»  il  y  a  un  nommé  Paul,  citadin  delà  ville  de  ftlilan  ,  qui 
j>  vous  sert  en  qualité  de  médecin  il  y  a  long-temps, 
»  lequel,  eslant  fort  âgé,  désire  passer  dans  ce  Royaume 
»  pour  y  revoir  ses  parens  et  aniys  qui  sont  en  notre 
j)  Cour,  et  nous  ont  supplié  très-humblement  d'inlercé- 
»  der  pour  lui  vers  vous.  Au  moyen  de  quoi  nous  vous 
»  prions  aussi  le  lui  vouloir  permettre.  Et  si  en  son  Heu 
»  vous  désirez  un  autre  de  ce'.te  profession,  nous  tiendrons 
»  lamalu  de  vous  en  envoyer  un,  de  la  doctrine  et  fidé- 
»  lllé  duquel  vous  aurez  toute  satisfaction.  Comme  en 
»  toutes  autres  occasions  nous  serons  très-aise  d'avoir 
ï»  movcn  d'user  de  revanche  et  faire  chose  qui  vous  soit 
»  agréable  et  tournée  à  votre  contentement.  Priant  Dieu, 
»  très-Illustre  et  très-excellent  Prince,  notre  très-cher 
»  etbonamy,  qu'il  vous  ait  en  sa  très-sainte  et  digne 
»  garde.  Escript  à  Paris  le  7"=.  jour  d'avril  1695  ». 

Volrr.Lonamyy  Henry. 
Le  docteur  Paul  vivait  encore  en  1600. 

Le  pasteur  lîâr  écrit  :  «  En  iGoo,  Boris  fit  venir  d'Alle- 
»  magne  des  médecins  et  des  apothicaires  :  des  premiers,  il 
>»  y  en  eut  six  :  i".  Christophe  Reillinger  de  Hongrie  , 
»>  arrivé  à  Moscou  avec  l'ambassadeur  d"  Angle  terre,  très- 


DE    RUSSIE.  4^3 

»  habile  tlaas  sa  science  et  possédant  les  langues  ;  2°.  Da- 
»  vid  Wasnier  ;  3°.  Henry  Schroder  de  Lubeck  ;  4^°,  Jean 
n  Wilké  de  Kiga  ;  5".  Gaspard  Fidler  de  Kœnig.sberg  ; 
»  6°.  rétudiaut  en  médecine  Erasme  Bcnsky  de  Prague. 
»  Chacun  deux  recevait  chaque  mois  une  quanlilc  suffi- 
«  santé  de  pain ,  soixante  charelécs  de  bois,  un  tonneau 
»  de  bierre  ;  el  journellemcnl,  une  mesure  d'eau-de-vie,  de 
M  vinaigre,  des  provisions  débouche  el  trois  ou  quatre 
»  plais  de  la  cuisine  du  Tsar.  Le  Tsar  leur  donnait  ordi- 
«  nairement  cinq  chevaux  de  selle  et  de  voiture.  On  assl- 
»  gnait  à  chacun  un  village  avec  trente  laboureurs  et  plus. 
»  Lorsqu'ils  soignaient  le  Tsar  et  que  leur  médecine  pro- 
»  duisait  un  effet  favorable  ,  on  faisait  aux  médecins  des 
»)  cadeaux  en  damas  ,  velours  el  zibelines  ;  ils  recevaient 
»  également  dos  présens  après  la  guérison  des  iJoyards 
»   où  dignitaires,  etc,  ». 

Nos  actes,  dans  les  arcbires,  touio'gnent  que  Boris  en- 
voya, en  1600,  son  interprète  Reinhold  lîekmann  dans  les 
villes  allemandes,  pour  engager  des  médecins,  et  que 
Bekmann  persuada,  à  Riga  ,  Gaspard  Çidler,  ci-devant 
médecin  de  rEmperei'.r  ,  du  roi  de  France,  des  ducs  de 
la  Prusse  et  de  la  Courlande  ,  d'aller  en  Russie.  Il  est  vrai- 
semblable que  les  autres  médecins  ci-de.ssus  mentionnés 
furent  également  engagés  par  Lekmann. 

(255)  Flelcher(p.  106).  —  Margcrel(p.  35  cl  ii3), 
el  lome  IX  de  cel  ouvrage. 

(256)  Margcrct  (p.  48).  —  riclchcr  (p.  ii3).  — 
Voyage  en  Moscovie  ,  en  1G02,  — Dans  le  Magasin  de 
Buching  (I.  VII,  p.  271  ). 


/^24  hiSToir.  K 

(sSy)  Descriplion  âc  l'habillenjcnl  des  hommes  (VoycZ 
lome  VIll  Je  cel  ouvra^^e). 

(258)  Fletcherdil  que  (ioJounoff  donnait  aussi  à  boiic 
de  l'eau  bénite  froide  à  son  fils  malade.  —  Le  trois  juillet 
i58g,  mourut  à  Moscou  l'inspiré  Ivan  ,  surnommé  /e 
Crand  Bonnet  et  le  Parieur  d'Eau.  11  naquit  à  Vologda ,  îl 
s'affaiblit  dans  sa  jeunesse  par  des  jeûtjes  et  des  prières. 
11  portait  sur  son  corps  des  croix  avec  des  chaînes  en  fer  , 
sur  sa  lèie  un  bonnet  pesant ,  aux  doigis  beaucoup  d'an- 
neaux et  bagues  en  cuivie,  et  dans  les  mains  des  rosaires 
en  bois.  Il  fui  enferré  avec  grande  cérémonie  dans  l'église 
de  Yassili  Blngennoy.  Le  récit  de  sa  vie  se  trouve  en 
manuscrit  dans  la  bibliothèque  du  comte  j'\  x\.  Tolstoï. 

(25<^)  Voyez  tome  VI  de  cel  ouvrage. 

(260)  Histoire  de  l'Union  de  N.  N.  Santiche-Kamensky 
(  p.  39  et  suiv.  ). 

(261)  Moscov.  de  T'oissevin  (p.  9-11  ). 

(262)  Affaires  de  rAuîriclie  (n".  6).  D'aprèî  ce  qui!  y 
est  dit ,  le  ]^Jétropo^itain  ne  deineuiail  pas  alors  à  Kieff , 
mais  à  Novgorod-Litofsky. 

(263)  Vovcz  Annales  ecclésiastiques  de  Baron  (t.  \  Il  , 
p.  G,  i4  et  24.),  et  la  Chronique  dePiassetzky  (f.  i38  , 
164  ). 

(264.)  Laurent  Drevitisky,  député  de  la  province  de 
Voîinie  en  1620.  (^  oyez  ITlistoire  de  Tl  riion  p.  G9,  ^S). 


FIN   DFS   NOTRS. 


TABLE 
DES   MATIÈRES 

DU  DIXIÈME  VOLUME. 


DÉDICACE  à  S.  M.  NICOLAS  I."  ,  paire  5 

Avertissement  du  nom  eau  Traduclcur.  y 

Chapitre  prejiier.  Hrgne  de  Fddor  hano- 
çitche.  i584 — i^Sy.  8 

Qualités  de  Fédor,  page  lo.  —  Membres  du  Conseil  su- 
prême, 12.  —  Emeute  populaire,  i3.  —  Convocallou 
des Elals-généraux,  Départ  de  Dmilri  elde  sa  mère  pour 
Ouglilche  ,  i4-  —  Emeute  à  Moscou  ,  i5.  —  Pouvoir 
et  qualités  de  Godouiioff,  iQ.  —  Couronnement  de 
Fédor,  20.  — Différentes  grâces,  2j.  —  Godounoff  ré- 
gent de  lEmpire,  3o. —  Révolte  des  Tchérémisses 
appaisée  ,  3i.  —  La  Sibérie  soumise  pour  la  seconde 
fois,  82.  —  Relations  avec  l'Angleterre  et  la  Liiliua- 
nie ,  38.  —  Conjuration  contre  Godounoff,  5o. —  Pa- 
rallèle de  Godounoff  et  tFAdacheff,  67.  —  Armistice 
avec  la  Suède,  Gg.  —  Ambassade  en  Autriche  ,  ^3.  — 
Renouvellement  dos  relations  amicales  avec  le  Dane- 
ïTiarck.  Affaires  de  Crimée,  ^S.  —  Abfibassade  à  Coas- 
tanllnople  ,  83.  —  Le  tsar  d'Ibérie  ,  tributaire  de  la 
Russie,  88.  —  Relations  avec  la  Perse,  g^.  —  Affaires 
intérieures.  Fondation  d'Arkhangel,  97,  —  Construction 


4.26  TABLE 

de  la  ville  Blanche,  où  Tsargorod  à  IMoscou.  Fondation 
d'Ouralsk,  y8.  —  Dangers  de  la  posilion  de  (iodoimoff, 
f)g. —  Exi's  et  supj^lices,  108. —  Mort  déplorable  du 
héros  Schouisky,    110.  — Oisiveté  de  Fédor ,  112. 

Chapitre  II.   1^87  —  1592.  ii5 

JMorl  de  Balhori,  1 1  5.  —  Négociations  importantes  avec 
la  Lillmanie,  1 17.  — Trêve,  i38.  —  Kelalion  avec  TAu- 
iriche  et  la  Tauride  ,  i+o.  —  (juerre  de  Suède,  i4-4-  — 
ISouvelle  trêve  avec  la  Liihuanie  ,  loG.  —  (Grandeur 
de  Godounoff,  iSy.  —  Etablissement  du  Patriarcat  en 
Russie,  i58.  — Projet  de  GodounolY,  177.  — Assas- 
ginal  du  fsarévilche  Dmiiri,  17g.  —  Incendie  de  Moscou, 
icj3.  —  Invasion  du  Khan,  et  bataille  aux  portes  de 
IMoscou,  iqS.  —  Nouvelle  dignité  de  Boris,  211.  —  Cou- 
vent de  Donskoi.  Calomnie  contre  le  Régent  et  sa  ven- 
geance, 212. —  Clémence  el  gloire  de  Godounoff,  214. 

—  Naissance  et  mort  de  la  tsarine  l'héodosic  ,  21G. 

Chapitre  ïïî.  Contlnualion  du  règne  de  Fédor. 
i5{)i  —  1598.  220 

Guerre  et  paix  avec  là  Suéde  ,  220.  —  Correspondance 
avec  les  seigneurs  de  Liihuanie  ,  22f).  —  Invasion  des 
Tatares  de  Crimée  ,  232.  —  Ambassade  à  Conslanti- 
nople  ,  233.  —  Indiscipline  des  Cosaques  du  Don  ,  238. 

—  Construction  de  villes,  239.  —  Paix  avec  le  Khan  , 
242.  —  Secours  donnés  à  l'Empereur  ,  248.  —  Illustre 
Ambassadeur  de  l'Empereur,  25o.  —  Le  Le'gat  de  Clé- 
ment A  111  à  Moscou ,  254.  —  Amitié  entre  Fédor  el  le 


DES    MATIERES.  227 

sclial»  Abbas,  258.  —  Campagne  conlrc  lo  Schavkal, 
264.  —  Relations  avec  le  Dancmarck  cl  rAnglclerrc , 
268.  —  Lois  sur  rasservissement  des  Paysans  cl  dcsUo- 
mesliqaes  ,  280. — Nouvelle  forteresse  à  Smolensk  ,  282. 

—  Incendiaires,  284- — La  Peste.  La  Cojr  du  Tsar,  28G. 
— Cécile  du  lsarSiniéon,238. — Eveques  grecs  à  Moscou. 
Deslrucllon  du  Monastère  dePelchersk,  290. —  Paroles 
de  Fédor  à  Godounoff,  291.  —  Mort  de  Féiior  ,  292.  — 
Serment  prêté  à  Irène,  294- — Prise  de  voile  d'Irène,  299. 

—  Godounoff  est  nommé  Tsar,  3i5. 

Chapitre  1Y.  Efai  de  hi  Russie  à  la  fui  du 
seizième  siècle,  3i8 

Sécurité  de  la  Russie  par  rapport  aux  puissances  voisines. 
Armée  ,  3ig.  — Appointemens  ,323.  —  Revenus,  324. 

—  Richesses  des  Strogonoff,  328.  — Juridiction  ,  329. 

—  Tortures  et  supplices,  33i.  —  Commerce  ,  332.  — 

—  ^  aisseaux  Piusses,  339. —  Civilisation  ,  34o.  —  Géo- 
métrie et  Arithmétique  ,  344-  —  Chiffres  ou  écriture 
secrète.  Géographie  ,  345;  —  Littérature ,  346.  —  Arts 
et  Métiers  ,  354-  —  Moscou,  358.  —  Mœurs.  Exemples 
de  disputes  sur  Tancienneté  des  familles  el  des  rangs . 
36i.  — La  Cour,  363.  —  Vins  étrangers  et  mets  Russes, 
365  —  Hospilalilé.  Longévité,  366.  —  Médecins ,  367. 

—  Médicamens,  368.  —  Différens  usages,  369.  —  Asylc 
des  Morts  ,  370.  —  Costume  des  Femmes  ,371.  —  Di- 
vertissemens  ,  373.  —  Bains,  374.  — Vins,  375.— 
Piété.  Mort  du  premier  fils  de  Roris.  Inspirés,  37G— . 
Tolérance ,  377.  —  Union  en  Llthuanie ,  378. 

FIN   DE    L\   TASLE    DES   >l.\TiÈRES. 


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Karamzin,   Nikolai  I>likhailovich 

Histoire  de  l'empire  de 
Russie 


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