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b'^i.A
V
HISTOIRE
DE
L'EMPIRE DE RUSSIE.
SE TROUVE CHEZ
BossANGE,frères,rue(le Seine, n". 12.. à Paris.
Marlln Boss.\>*GE et Compagnie, i^
Great Marlborough SirecI à Londres,
S.-Florent et Haler, libraires de la "j
Cour \ à S.-Pélershourg.
Veyher J
à Mosco
Jean Gautier 1
Ch. Urbain et Compagnie j
Zawadzki 1
T., ) h Vilna.
JMoritz j
Glucksberg à Vctrsoi'ie.
Schalbacoer à Vienne.
LOTTIS DE SAINT-GERMAIN, IMPRIMEUR,
RUE DE KAEARETH , NO, i.
HISTOIRE
DE
L'EMPIRE DE PxUSSIE,
PAU M. DE KARA:\1SIN;
TRADUITE
Par m. de DIVOFF,
GOKSEILLER. d'ÉTAT ACTLEL ET CHAMnELLAN DE SA TIAJISTÏ
l'empereur de RUSSIE.
TOME DIXIEME.
PARIS,
A LA GALERIE DE ROSSANGE, père,
Libraire de s. a. r. MO^"SEIGNE^:R le duc d'orléan^-,
rue Richelieu, n". 60, près Tarcade Colbert.
Ho
A SA MAJESTÉ IMPÉPJALE
NICOLAS r.
EMPEREUR ET AUTOCRATE
DE TOUTES LES RUS-SIES, etc., elc. , ClC.
S
IRE,
La permission que votue MAJESTÉ impériale
a daigné m accorder de faire paraîlre sous vos
augustes auspices la suite de la traduction de
EHisloire de Piussie , csilaplus noble et la plus
douce recompense que je pouvais espérer d'un si
faible traçail.
Sans doute je ne dois cette faveur insigne qu 'au
choiûc de mon sujet , qu 'au sentimeni qui m '«
porté à reproduire , dans la langue la plus
répandue en Europe, l oui rage qui renferme les
fastes de notre histoire.
Daignez, SIRE, agréer l'hommage de cette
traduction, qui, de même que l original ^ est
l œuvre d'un de vos sujets.
Je suis avec le plus profond respect ,
SIRE,
DE VOTRE MAJESTE IMPERIALE ,
UL TRES-HUMBLE, TRES-OBEISSANT
ET TRÈS-FIDÈLE SERVITEUR ET SUJET
P. DE DlYOf F.
(Mlt/VVVV\'VVV\%/VV1V%^VVVVVVVl^tA'\n/VVVt^'V\'\\/«;VI/VV«AlV\/«/«V)/\'«iV%'\'>lVVV\'\'lX'\\'\'\'%
AVERTISSEMENT
DU NOUVEAU TRADUCTEUR.
Un de mes plus célèbres compatriotes,
M. de Karamsin , e'kve en ce moment un
monviment à la gloire de iTia patrie ; grâce
à ses longues et savantes recherches , 1 Eu-
rope va posséder une Histoire Russe , dis-
sipant tous les nuages qui couvraient notre
origine, et retraçant un tableau fidèle
de nos malheurs et de notre prospérité.
J'avais conçu l'idée de consacrer les fai-
bles connaissances que j'ai acquises dans
la langue française à traduire cet impor-
tant ouvrage ; j étais déjà au troisième
volume , lorsque j appris que deux litté-
rateurs français avaient entrepris la même
tâche ; je renonçai dès- lors à mon projet.
Mais depuis , M. de Karamsin m instrui-
sit que cette traduction était interrom-
pue, et lïi invita a la continuer. Honoré
de cette marque de confiance et soutenu
];ar la promesse qu'il m'avait faite de
icvoir mon travail, j ai accepté ses offres
avec empressement. Malgré ses souf-
frances il a bien voulu m aider de ses lu-
mières. Puissé-je avoir l'épondu à sa con-
fiance, comme il a répondu à mon espoir ;
puissé-je en reproduisant cet ouvrage
dans une langue étrangère , n'avoir pas
trop affaibli tous les genres de mérite qui
le distinguent et qui ont valu à son auteur
la haute approbation de notre auguste
Souverain , et la reconnaissance de tous
iios compatriotes ; puissé-je enfin , pour
prix de mes veilles , mériter l'indulgence
de mes lecteurs.
HISTOIRE
DE
L'EMPIRE DE RUSSIE
CHAPITRE PREMIER.
Règne de Féoor Ivanovitche.
i584— 1^87.
Qualités (le Fédor. — Membres du (Conseil suprême. —
Emeute populaire. — Convocaiion des Etals généraux.
— Départ de Dnîilri et de sa mère pour Ouglitclie. —
Emeute à Moscou. — Pouvoir et qualités deGodounoff.
— Couronnement de Fédor. — Différentes grâces. —
Godounoff régent de lEmpire. — Révolte des Tchéré-
misses appaisée. — La Sibérie soumise pour la seconde
fois. — Relations avec l'Angleterre et la Lilhuanie. —
Conjuration contre Godounoff. — Parallèle de Godou-
noff et d'Adacbeff. — Armistice avec la Suède. — Am-
bassade en Aulricbe. — Renouvellement des relations
amicales avec le Danemarck. — Affaires de Crimée. —
Ambassade à Conslantinople. . — Le Tsar dlbérie oa
(ieorgie, tributaire de la Russie. — Relations avec la
Perse. — Affaires intérieures. — Fondalion d'Arkhan-»
lO HISTOIRE
gel. — Consiruclion delà vilie Blanche ou Tsargorod ,
à Moscou. — iondalion dOuralsk. — Dangers de la
position de Godounoff. — Exils ei supjjlices. — Mort
déplorable du héros Schouit^ky. — Sort de la fauiille de
Magnus. — Oisiveté de Fédor.
An i5Si. M JLjfs premiers jours qui suivent la mort
d'un tyran , dit Tacite , sont les plus heureux
pour les peuples ». En effet , cesser de souffrir
est une des plus douces jouissances que
l'homme puisse éprouver. Mais un règne
cruel prépare souvent un règne faible. Le
nouveau souverain , pour ne pas ressembler
à son odieux prédécesseur , et pour se conci-
lier Famour du peuple , tombe facilement ,
par excès contraire , dans un relâchement fu-
Qii.iiiirs <ie iit'ste à l'état. C'est ce que pouvait faire ap-
préhender aux vrais amis de la patrie , le ca-
ractère connu de l'héritier d'Ivan. Ce prince
joignait à une extrême douceur , un esprit
craintif , une piété excessive, et la plus pro-
fonde indifférence pour les grandeurs. Sur
ce trône , d'où un tyran avait lancé la foudre,
la Russie voyait monter un prince entière-
ment voue aux austérités des cloîtres, formé
plutôt pour la vie monastique que pour le
icJc
DE RUSSIE. 11
pouvoir souverain. C'est ainsi que le jugeait
son père , lorsque , dans des momens d'épan-
clieuient , il donnait des larmes à la mort de
son iils aîné, objet particulier de son affec-
tion (i). Fédor n'avait hérité ni du génie poli-
tique de son père, ni de son extérieur impo-
sant. Il n'avait aucun trait de la beauté mâle
de son grand père ni de son ayeul. Il était pâle,
sa taille était petite et son corps était grêle. Le
sourire était toujours sur ses lèvres; mais son
visage n'avait pas la moindre expression. Il
était lent dans tous ses mouvemens ; une
grande faiblesse de jambes le faisait marcher
d'un pas inégal; en un mot, tout indiquait
en lui un épuisement prématuré de forces
physiques et morales. En voyant un souverain
de vingt-sept ans , condamné par la nature à
une éternelle enfance et destiné à vivre dans
la dépendance entière des grands ou des
moines, on n'osait se réjouir de la fin de la
tyrannie. On craignait que les troubles et les
intrigues des Boyards ne lissent bientôt re-
gretter cet élat, plus funeste sans doute pour
les particuliers, mais moins dangereux peut-
être pour un grand empire, fondé sur un
Membre Ju
Consoil su-
prême.
Ï2 HISTOIRE
pouvoir monarchique, indivisible et puissant.
Heureusement pour la Russie, Fédor, redou-
tant ce même pouvoir comme une tentation
qui compromellait le salut de son âme, con-
fia les rênes du gouvernement à une main
habile ; et ce règne , sans être exempt d'iniqui-
tés , et quoique terni par le crime le plus hor-
rible , parut aux contemporains comme un
bienfait de Dieu; ils se crurent ramenés à
Fàge d'or, Ivan avait cessé de régner.
La nouvelle Penlarchie , ou Conseil su-
prême, établie par Ivan au moment de sa
mort , et composée de cinq grands de l'État ,
était généralement un objet d'attention , d'es-
pérance et de crainte. Le prince Mstisiafsky
n'était distingué que par l'illustration de sa
naissance et de son rang; il était le plus ancien
dos Boyards et des Voïévodes. ISikita Romano-
vilche lourieff était respecté , comme frère
d'Anastasie et oncle du souverain ; on l'aimait
à cause de sa probité que la calomnie même
n'avail osé attaquer dans ces tems homicides.
On révérait dans le prince Schouisky l'éclat
de ses grands talens militaires et la fermeté de
&on caractère. Mais Belsky, soupb^ et rusé,
DE RUSSIE. l3
t'iail délesté , comme premier favori d'Ivan.
On connaissait déjà les qualités éminentes de
Boris Godoiinoir ; et on ne Ten redoutait que
plus, parce qu'il avait su se concilier aussi la
faveur particulière du tyran , qu'il était le
gendre de l'odieux Malouta Skouratoff, et en-
fin l'allié et l'ami apparent de Belsky. Dès la
première nuit ( i8 mars), le Conseil suprême
ayant pris les rênes du gouvernement, bannit
de la capitale plusieurs des créatures d'Ivan ,
ministres connus de ses cruautés ; d'autres
furent mis en prison ( 2 ). Les Nagoï , parens
de la douairière, furent gardés à vue. On leur
supposa des projets criminels , probablement
celui de vouloir fairedéclarer le jeune Dmitri ,
successeur d'Ivan.
Moscou était dans une jurande asritation , Emcmepopu-
mais les Boyards y rétablirent la tranquillité ;
ils prêtèrent solennellement serment à Fédor ,
ainsi que tous les autres dignitaires de l'Etat,
£t publièrent le lendemain, par un manifeste,
son avènement au trône. Des détachemens de
troupes parcouraient les rues , et les canons
«ftaient braqués sur toutes les places (3 ).
l4 ttlSTOIRK
Convocation 1-^^ iiouvcau gouvemcmcnt ayant îmmédîa-
génevàuÀT lement envoyé des courriers dans les pro-
vinces , avec Tordre de faire des prières pour
le repos de Tàme d'Ivan et pour Thenreux
règne de Fédor , convoqua les Etats généraux ,
composés du haut clergé , de la noblesse et
des notables, pour convenir de certaines me-
sures générales , et pourvoir au bien-être de
Tempire. On lixa le jour du couronnement
et on en détermina le cérémonial par une
ordonnance (4). On discuta sur les intérêts de
l'Etat et sur les moyens de diminuer les im-
De'rait ,ic pots. On lit , en même temps , partir pour
s^"ni!re%ur Ouglitclic la vcuvc d'Ivan, avec son jeune fils,
ug lie le. ^^^ père , ses frères et tous les Nagoï , en lui
accordant Une cour , des enfans Boyards et des
Streletz pour sa garde (5). Fédor , toujours
bon , répandit des larmes sincères , en faisant
de tendres adieux à son frère Dmitri. On
voyait facilement qu'il remplissait, contre son
gré , un devoir qui affligeait son cœur. Cet
éloignemcnt du Tsarevitclie , seul héritier de
la couronne , pouvait être regardé comme un
éclatant exil ; et Belsky , menin de Dmitri ,
ne voulant point le partager , resta à Moscou.
DE RUSSIE. l5
Il espt'rait dominer dans le Conseil ; mais il
vit bientôt un orage se former sur sa tète.
Tandis que la Piussie applaudissait à la sa-
gesse des mesures prises par le nouveau j^ou-
vernement , iNIoseou élail le théâtre des riva-
lités les plus contraires et des ambitions les
plus effrénées. Il courut d'abord des bruits
sourds sur un grand danger qui menaçait le
jeune monarque , et bientôt on nomma
l'homme à qui des crimes à commettre , et le
projet de troubler la Russie devaient le moins
coûter. On prétendit que Belsky , après avoir
empoisonné Ivan , songeait à faire périr Fédor
et tous les Boyards , et à faire monter sur le
trône Godounoff (6), son ami et son con-
seiller. Les auteurs secrets de ces calomnies
étaient, d'après l'opinion générale, les princes
Schouiski, qui se servirent, pour les propager,
des Liapounoff et des Kikin, gentilshommes
de llézan. Ils parvinrent à soulever un peuple
crédule qui , ajoutant foi à leurs suggestions ,
voulut, dans son aveugle dévoiiment , sauver
\e souverain et l'Etat, des entreprises d'un
monstre.
Le cri de l'émeute se fit entendre d'un bout E>>i''"te
a Moscou.
l6 HISTOIRE
à l'autre de Moscou. Le peuple, les enlans
Boyards , et vingt mille hommes en armes se
précipitèrent vers le Kremlin. On eut à peine
le temps d'en fermer les portes , d'y rassem-
bler quelques Strelelz pour sa défense , et le
Conseil, pour prendre des mesures contre un
danger imminent. Les insurgés s'étaient em-
paré , dans Kitaïgorod , de l'artillerie qui s'y
trouvait; ils avaient braqué le canon appelé
caiton du l^sar contre la porte de Floroff et
voulaient l'enfoncer pour pénétrer dans la
forteresse. Alors le souverain envoya vers
eux le prince Ivan Mstislafsky , le boyard
Nikita Romanovitche et les diaks André et
Yassill Stchelkaloff , pour leur demander la
cause de ce soulèvement et ce qu'ils voulaient.
« Belsky , répondit le peuple ; livrez-nous ce
» scélérat ; il veut détruire la tige de nos sou-
» verains et toutes les familles des Boyards ».
Mille voix répétèrent le nom de Belsky. Ce
malheureux seigneur, accablé de cette accu-
sation , effrayé de la haine furieuse qu'il ins-
pirait, tout tremblant, et ne songeant qu'à
sauver ses jours, vint chercher un refuge jus-
que dans la chambre à coucher du souve-
DK RUSSIE. 17
raîii (7). Fédor connaissait son innocence ;
elle nVlail pas moins connue des Boyards ;
mais ceux-ci redoni an l, ou feignant de redou-
ter relfusion du sang, entrèrent en pour-
parler avec les insurges, les amenèrent à se
content(!r de Texil du prétendu coupable , et
Belsky fut immédiatement renvoyé de Moscou.
Le peuple se retira paisiblement, en criant ;
Vive le souverain ! vivent ses fidèles Boyards !
Belsky , à dater de cette époque , prit le gou-
vernement de ISijni Novgorod (8).
Que devail-on attendre d'un pareil acte de
faiblesse et d'un tel abaissement du pouvoir
souverain? Des dissentions dans le Conseil, la
licence dans le peuple , et le désordre dans le
gouvernement. On avait éloigné Belsky : Go-
dounoff resta pour la vengeance. Les sédi-
tieux n'avaient pas demandé sa tète , ni même
prononcé son nom , respectant en lui le frère
de leur souveraine ; mais il savait où l'on
voulait en venir ; il voyait que les auteurs
audacieux de celte émeute préparaient sa perte,
et il pensa à son salut. Jusqu'alors l'oncle du
Tsar, en vertu de la considération et du res-
pect qu'on portait aux anciens des familles ,
Tome X. 2
1 8 ïi I s T O I R E
avait pu se rogarticr comme le premier sei-
gneur (le FElal. Telle éUiit Topinion de la
cour el (lu peuple; c'éUiit aussi celle du rus(2
diak Audn* Stchelkalofï, qui cherchait à ga-
gner la confiance du boyard Iourieft'(c))dans
l'espoir de diriger avec lui le Conseil. On
connaissait le pouvoir que Godounoff exer-
çait sur sa sœur , la tendre et vertueuse Irène,
que les Annalistes comparent à Anastasie ; on
n'avait pas alors d'autre objet de comparaison
quand on voulait exprimer la r(^union de tou-
tes les vertus du sexe. On connaissait égale-
ment l'empire qu'avait Irène sur Ft*dor, qui
n'aimait peut-e'tre réellement que sa femme
au monde. Cependant Godounoff paraissait
avoir livré son ami ; et l'on se réjouissait de
sa faiblesse ou de sa timidité , sans penser que
son amitié pour Eelsky, pouvait n'être que
feinte ; et (jue redoutant en lui un compéti-
teur , il avait profité de cette circonslance
jDOur alfermir son pouvoir. Fédor , en effet,
prince débonnaire , accablé sous le poids de
son sceptre , encore effrayé de l'émeute dont
il venait d'(Hre témoin, sentait la nécessité
d'employer des mesures sévères pour conso-
DE r.ussiE. 19
licier lu IranqiiHlilé. publlniic , mais n'uyànt
ni perspicacité dans Tcsprit , ni fernielé dans
le caractère , il chercluiit pins qn'un con- i'""^^i'^t
' il jiiialiii!, de
seiller et ({u'iui aide; il désirait Ironvor nn ^«^"""Jftf.
homme capable de se charger de toiil le far-
deau du gouvernement , dont il n'eut à ré-
pondre qu'à Dieu. Fédor se livra donc en-
tièrement el avec une conliance aveugle , à un
ambitieux entreprenant et (lui appartenait
d'aussi près à son épouse chérie. Irène , sans
employer aucun arlilice , ne suivant que l'im-
pulsion de son cœur , connaissant le piérile
de GodounolT, mais ignorant ses mauvaises
et secrètes inlenlions , forma l'union intime
d'un Souverain inhabile à régner , avec un
sujet digne du pouvoir suprême. Boris Go-
dounoff était alors à la fleur de l'âge, dans
toute la plénitude de ses forces physiques et
morales : il avait trente-deux ans. Il surnas-
sait , dit l'Annaliste , tous les dignitaires de la
Cour , par une beauté mâle , un air de com-
mandement , une concej)tion rapide et pro-
fonde , et une éloquence séduisante. Il ne lui
manquait que de la vertu. Il voulait et savait
faire le bien , mais uniquement par amourde
20 IIlSTOir. E
la gloire el âv la puissance. 11 ne voyait dans la
vertu que le moyen de parvenir au but , et
lion le but même. S'il était né sur le trône,
il aurait ])u être cité comme le Souverain le
plus accompli ; mais né sujet , et dévoré de la
passion du pouvoir , lorsque , pour y parve-
nir, il crut nécessaire de faire le mal , il le fit...
et la malédiction de la postérité s'élève dans
riiisloire , pour flétrir à jamais la renommée
de Godounoif.
Le premier acte de Boris , fut la punition
des Liapounoff , des Kikin et autres auteurs
de rémeule de Moscou. On les envoya dans
des villes éloignées , où ils furent détenus. Le
peuple garda le silence ; on vantait l'équité
du Tsar ; mais la Cour savait à qui attribuer
cette juste sévérité , et tournait avec inquié-
tude ses regards sur Boris , dont le pouvoir
absolu ne se déclara qu'après le couronne-
ment de Fédor , remis au 3i mai (lo; , à
cause des prières de six semaines , pour l'àme
du défunt Souverain.
Ce jour arrivé , le soleil commençait à
Couronne— ^
nicnuki Jtior peine à paraître , qn'il s'éleva lout-a-coup une
horrible tempête ; des torrens de pluie inon-
DE RUSSIE. 21
«Irinit plusieurs rues de Moscou ; ce fut
coiuriie un présage de calamités. Mais ces
craintes superstitieuses se calmèrent, lors-
qu'après Forage, le soleil reparut radieux, au
milieu d'un ciel serein. Un peuple immense
se rassend)la sur la place du Kremlin , et la
foule était telle que les soldats purent à peine
frayer un chemin au confesseur du INIonar-
que , lorsqu'au son de toutes les cloches , il
sortit du palais pour porter à la basilique de
l'Assomption , les ornemens sacrés de Mono-
maque , la Sainte-Croix , la Couronne et la
Dalmalicpie qui servaient au sacre. Godounolf
suivait le confesseur et portait le sceptre.
Malgré la foule iumiensc qui couvrait la
place , le plus grand silence régna au moment
où Fédot* sortit de son palais, entouré de tous
les Boyards, Princes , Yoïévodes et Digni-
taires. Le Monarque était revêtu d'un habit
bleu de ciel (ii); les Seigneurs de la Cour
avaient des habits dorés. Ce silence extraordi-
naire accompagna le Souverain jusqu'à la
porte du temple , également rempli de gens
de tous états; car il était permis à tous les
Russes , sans distinction , d'assister à cette
22 lUSTOIRE
solennité , diins luqiu'llc la Russie offrait le
lauleau d'une même famille réunie sous le
pouvoird'un père et d'un Souverain. Pendant
ie Te Deum^ des fonctionnaires ecclésiasti-
ques et séculiers parcouraient l'église en disant
à voix basse au peuple : « Priez avec ferveur » !
Le Monarque et le Métropolitain Dionisi >
s'assirent aux places qui leur avaient été pré-
parées près de la porte occidentale; et Fédor,
au milieu du plus profond silence , dit au
Prélat :
« Seigneur! Notre père, le Souverain
» Ivan Yassiliévi telle a quitté la terre , et,
» traiîsforn.é en ange, il est allé habiter le
» royaume des Cieux. Il m'a légué TEinpire
>) et toutes les bannières de l'Etat. Il m'a or-
j> donné, selon l'antique usage , de me faire
» oindre, de ceindre la couronne et le dia-
» dénie , et de revêtir la Dalniatiquc sacrée.
» Son testament est connu du clergé , des
>î Boyards et du peuple. Ainsi , d'après la vo-
» lonté de Dieu, et le legs de mon père , ac-
» complissez ce saint office : que je sois le
3) Souverain sacré àe. mon peuple »!
Le Métropolitain , après avoir béni Fédor
DE RUSSIE. 23
avec la croix, lui (lit : « Seigneur, lijs clicri
y> de l'Eglise el de notre huniililé , élu de
•» Dieu et cOTiduil par lui au trône, par le
» pouvoir qui nous vient du Saint-Esprit,
» nous te sacrons et couronnons. Sois Sou-
» verain de la Russie ».
Dionisi, après avoir posé la croix, le ban-
deau et la couronne de Monomaque sur la
tèle de Fédor , en répétant la prière : que .Dieu
bénisse son règne ; le prit paria main , le plaça
sur une estrade , particulièrement destinée au
Souverain , et après lui avoir remis le sceptre
il lui dit: « Veille aux bannières de la grande
j> Russie ». Dans ce moment Tarcbidiacre ,
placé devant le sanctuaire, les prêtres qui
étaient dedans, et les chœurs entonnèrent
riiymne in plurhnos annos , adressé au Souve-
rain nouvellement couronné, qui fut alors
salué par le clergé , les dignitaires et le peu-
ple , au bruit des plus vives acclamations, l^e
Métropolitain , dans un discours succint ,
rappela à Fédor les principaux devoirs d'un
Monarque ; savoir: de veiller à la conserva-
tion de la Religion et de TÉtat, d'observer un
pieux respect pour le clergé ci la foi due aux
124 HISTOIRE
couvens , de garder à son Irèrc , une amitié
sincère ; d'avoir pour les Boyards une consi-
dération réglée sur leur ancienneté , enfin de
témoigner aux fonctionnaires , aux inililaires
et à toute la nation en général , une bienveil-
lance qui ne devait jamais se démentir. « Les
» Souverains, continua Dionisi , sont pour
» nous les délégués de la Divinité. Le Seigneur
» leur confie le destin des hommes. Qu'ils pré-
» servent de mal non-seulement eux-mêmes,
y> mais aussi leurs peuples; qu'ils empêchent
» les troubles du monde et qu'ils redoulent
y> la faux céleste. Et, comme, sans le soleil ,
« tout est obscurité sur la terre , de même
î> tout est ténèbre dans nos âmes sans Tins-
» truction ; chéris la sagesse , suis les précep-
» tes des sages , sois vertueux , puisque c'est la
» vertu seule qui pare le Souverain et qui est
» immortelle. Yeux-tu mériter la clémence
j) céleste ? Sois toujours clément pour tes
» sujets. Ne prête pas l'oreille aux caloni-
» niateurs , toi qui es né compatissant et sen-
» sible. Que ton règne soit celui de la vé-
» rite , et que la paix de l'Etat ne soit jamais
» troublée ! Que le Tout-Puissant te fasse
DE RUSSIE. 25
» triompher de tous tes ennemis, et puisse le
j> souvenir de ton règne pacillcpie se perpé-
>' tuer d'à{^e en âge ».
En ee moment , tons les assistons , les yeux
baignés de larmes ^ s'éerièrent: u Oui , qu'il
« soit de longue durée » !
Fédor entendit la messe , paré de tous les
insignes de la Souverainet(' , la eouronne de
Monomaque sur la tète , un riche manteau
sur les épaules et tenant en ses mains un long
sceptre, fait d'une dent de baleine de grand
prix (12) ; mais il avait Tair abattu et fatigué.
Devant lui étaient posées les com'onnes des
Royaumes conquis. Debout et à sa droite , se
tenait Godoimoff , à titre de Seigneur allié ; et
ISikita lourieff , oncle de Fédor , se tenait sur
le même rang avec les autres Boyards. Rien ,
au récit de ceux ([ui assistèrent à cette céré-
monie , ne pouvait en égale.r la magniticence.
L'estrade sur laquelle était placé le Monarque,
avec le INIétropolitain , le pupitre où étaient
déposés les habits royaux , les sièges occupés
par le clergé , étaient couverts de riches ve-
lours ; dans l'église , on marchait sur des tapis
de Perse et de drap rouge d'Angleterre. Les
2G HISTOIRE
costumes des grands , surloiil ceux deGodou-
uolï et du prince Ivan Glinsky , resplandis-
saient de diamans, de sapliirs et de perles
d'une énorme grosseur (i 3) , estimés plusieurs
millions y)ar les écrivains étrangers. Mais ce
qui donnait le plus d'éclat à cette cérémonie ,
c'était la joie répandue sur toutes les ligures ,
et l'expression du plus ardent amour pour le
Monarque. Après le cantique des chérubins ,
l(î Métropolitain , sur le seuil du sanctuaire ,
suspendit au cou de Fédor , la chaîne de Mo-
nomaque , faite de For d'Arabie le pins pur ;
et à la iin de la messe , il le sacra avec le Saint-
Créme et lui donna la Communion.
Dansée moment, Boris Godounoff tenait
le sceptre ; lourieff , et Dmitri Godounoff,
oncles d'Irène, tenaient la couronne posée sur
un plat d'or. Après avoir reçu la bénédiction
de Dionisi et après qu'on eut versé sur lui des
vases remplis de pièces de monnaie, sous la
porle méridionale du temple , Fédor alla
saluer les tombeaux de ses ancêtres , en de-
mandant au ciel d'hériter de leurs vertus.
Cependant , Irène , la couronne sur la tète,
et environnée des femmes des Boyards , était
DE RUSSIE. 27
assise à une fenêtre oiiverle de son palais (i 4).
Elle fui saliK-e par les aeelamations de toul \r.
peuple qui s'écriail: « vive la Tsarine » ! l^'S
{grands de la Cour et les autres fonctionnaires
baisèrent la main du Monarque dans la salle
du trône , et dinèrentavec lui , ainsi que les
membres du clergé. Les feslins et les réjouis-
sances publiques durèrent toute une semaine
et se terminèrent par un fête militaire , hors
de la ville. Là , en présence du Souverain et
de tous les habilans de Moscou, les décharges
de 170 canons de bronze se firent entendre
devant hui; lignes de Streletz habillés en drap
iin et en velours. Une multitude de cavaliers
également vêtus de riches habits, accompa-
gnait Fédor (i5).
Le Monarque , ijprès avoir fait des présens pirrévpnte*
au Métropolitain et aux Lveques, reçut lui-
même ceux des fonctionnaires , des étrangers,
des marchands de la Piussie , de l'Angleterre
et des Pays-Bas (16), et répandit différentes
grâces : il diminua les impôts; il rendit la li-
berté et les biens à plusieurs personnes de
distinction, qui, depuis près de vingt ans^
étaient emprisonnées. Pour se conformer au
28 HISTOIRE
testament criyan , il accorda la liberté à tous
les prisonniers de guerre , et conféra les titres
de Boyards aux princes Dmitri Khvorostinin ,
André et Yassili Scliouisky, Nikila Troubets-
koy, à Schesiounoir, aux deux Kourakin , à
Fédor Schéréineiierf et à trois Godounoff\
arrières-cousins d'Irène. Il donna au prince
Ivan Scliouisky , guerrier illustre , tous les re-
venus de la ville de Pskof, qu'il avait sau-
vée (17). Mais toutes ces largesses n'étaient
rien en comparaison de celles dont il combla
son beiu-frère , en lui donnant tout ce qu'un
sujet peut posséder dans un gouvernement
absolu. Il lui conféra non seidement l'ancien
litre de Grand Ecuyer , qui n'avait é lé accordé
à personne pendant l'espace de dix-sept ans ,
mais encore celui de Grand Boyard-allié ,
lieutenant des deux royaumes (18) de Kazan et
d'Astrakhan. x\ celte accumulation de titres,
jusqu'alors inouïe , Godounoff réunit bientôt
des richesses immenses. On lui donna , ou ,
plutôt, il s'appropria les meilleures terres et
les revenus des provinces de la Dvina et de la
Taga , toutes les belles prairies situées aux
bords de la Moskva, avec tous les bois et les
DE RUSSIE. 2()
niches qui en dépendaienl. Il lit ajouter à sou
Irallcmenl annuel plusieurs des revenus de la
Couronne, ce qui , joint au produit de ses
propres terres situées à Viazma et à Dorogo-
bouge , faisait monter ses revenus à huit ou
neuf cent mille roubles , argent d'aujour-
d'hui (19). 11 est le premier seigneur , depuis
le commencement de la Russie jusqu'à nos
jours, qui ail joui d'une pareille fortune.
Elle lui permettait de mefire en campagne, à
SCS propresfrais, jusqu'à cent mille soldals(2o).
Ce n'était plus l'homme d'un moment, un
simple favori, mais le maître de l'Empire.
Sûr de Fédor, Boris craignait encore ses en-
vieux et ses ennemis, il voulait les terrasser
par sa magnificence, afin qu'iJs n'osassent pas
même songer à le précipiter d'une hauteur
inaccessible à l'ambition ordinaire des cour-
tisans. Tandis que réellement étonnés, ces
envieux et ces ennemis , tout en gardant le
silence, ourdissaient en secret des trames
contre lui, Godounolf , s'abandonnant à l'élan
d'une âme avide de gloire, prit son essor vers
un grand et noble but. Il voulut justifier la
confiance de son souverain , mériter celle du
3o HISTOIRE
peuple cl la recoiinaissanee de la patrie, en
consacraul toutes ses ad ions au bien général.
GotionnotT La Peulareliie , établie 2)ar Ivan , disparut
tkrÈn.pirc. comuie une ombre ; il ne resta que Tancien
Conseil du Tsar, dans lequel Mstislalsky ,
lourielf et Schouisky dirigeaient les affaires
avee d'autres Boyards , en se soumettant aux
volontés du Régent : ear c'était le titre que l'on
donnait à Boris (-21). Lui seul , aux yeux de la
Russie , gouvernail TEtat; il eomniandait au
nom du Monarque, mais n'agissait que d'a-
près lui-même; il avait autour de lui des con-
vSeillers, mais personne avec qui il partageât
le pouvoir.
Tandis que, fatigué des grandeurs, Fédor
cherchait le repos dans la piété, tandis qu'a-
près avoir suspendu les réjouissances et les
festins, il allait en pèlerinage dans les couvens,
tels que celui de St. Serge et autres lieux de
retraite, accompagné de son épouse (22) qui
avait autour d'elle les femmes des princij)aux
Boyards, et un régiment entier des gardes du
ctirps (nouveau faste inventé par Godounoff,
alitj d'inspirer au peuple phis de respect
pour Irène ci sa famille), le régent sV)ccu-
DE RUSSIE. 3l
pait sans relàdio dos aifaiiTS importantes de
TElat , cherchait à corriger les abns du pon-
voir et rétahHssait la Iranquillilé tant an dedans
qu'au dehors. Comme aux temps heureux des
princes Ivan Celsky et Adachefr, on congé-
dia , sur tous les points de Tempire , les Lieu-
tenans , les Yoïévodes et les Juges dont on
avail à se plaindre, et on les remplaça par de
plus habiles fonctionnaires. On doubla les
appointemcns des employés, afin qu'ils pus-
sent vivre honorablement, sans exactions;
et en cas de forfailure, on les menaça du der-
nier supplice. On réorganisa l'armée et on la
dirigea sur les points où Ton avait à rétablir
l'honneur des armes ou la tranquillité du pays.
On commença par Kazan. Le sang Russe cou-
lait encore sur les bords du Yolga, et la ré-
volte couvait dans le pays des Tchéremisses.
Codounoiï, par son esprit plus que par la ,^^'';?^'^'^*'*
force (23), appaisa les rebelles, et leur persuada aj.pciisce.
que le nouveau souverain , oubliant leurs an-
tiens crimes, était disposé, comme un tendre
père , à pardonner aux coupables, s'ils se re-
pentaient sincèrement. Ils députèrent leurs
anciens à Moscou et prêtèrent serment de li-
tecuudi'loii)
32 nisToir, E
(lélilé. Dans ce nirnio U'inps, Boris lit cons-
truire des foiieresses sur les deux rives du
Volga , Tsivilsk , Ourjoum, Tsareij^orod sur
laKokchaga, Sanlchoursk el d'autres. Il les
])eu{)]a de Russes et établit ainsi la tranquillité
tians ce pays qiii nous avait été pendant si
long-temps fatal.
LaSibcripsou- Godounoff, en soumettant le royaume de
Kazan, acheva la conquête de la Sibérie. 11 n'é-
tait pas encore instruit de la moil de lermak;
mais sachant que les maladies «t le manque
de vivres avaient diminué son armée , il
lui envoya immédiatement le voïévode Ivan
Mansouroff avec un détachement de Streletz,
et, après lui , Basile Soukine , Ivan Miasnoï,
et Daniel Tchoulkoif, avec un corps considé-
rable de troupes et de l'artillerie (24). Le pre-
mier rencontra sur les bords de la Toura nos
héros sibériens, Thetnian MatveiMesichériak,
et le reste des compagnons d'armes de lermak.
« La joie , dit l'Annaliste, ranima les intré-
« pides Cosaques ». Ce n'est pas qu'ils redou-
tassent d'affronter de nouveaux périls et de
courir à de nouveaux combats; mais ils fré-
ujissaienl à l'idée de reparaitre dans leur pa-
DE Tussin. 33
trie, comme des fugitifs, apportant eii\-
mrmos la nouvelle de la perte de leur con-
(juète. Pleins de courage et d'espérance, ils
retournèrent aux bords de la Tobol ; cepen-
dant ils ne purent s'emparer d'Isker, qui
n'était plus sous la domination du vieux
Koutchoum, mais où commandait le jeune et
valeureux Seidiak (2j) son vainqueur. Ayant
appris la fuite des Cosaques, il avait rassemblé
une foule de Nogais , el de Tatars de la Sibérie
qui lui étaient dévoués , et avait chassé Kout-
choum. A la nouvelle du retour des Russes ,
il s'était placé avec une nombreuse armée sur
les bords de Tlrtiche , où il se préparait à
combattre. Les Cosaques proposèrent à Man-
souroff de continuer à descendre Tlrtiche ,
sans égard à la saison avancée , et malgré le
froid et les glaces. Ils débarquèrent à l'endroit
où ce fleuve se jette dans l'Obi et y construisi-
rent une forteresse en bois. On rapporte que
les Ostiaks , dans l'espoir de s'en emparer ,
amenèrent avec eux la fameuse idole de
Scliaitan , et qu'au moment où ils étaient
rassemblés autour d'elle sous un arbre pour
TOiME X. 3
§4 HISTOIRE
faire leurs prières , un coup <le canon âvH
Kusses , ayant brisé celle Idole , objet de leur
adoration , ils prirent tous la fuite. Les voïé-
vodes Soukine et Miasnoï, s'arrêtèrent sur
les bords de la Toura (26), et fondèrent la
\ille de Tumen, à la place où avait été celle de
Tshingui. Dans le même temps Tclioulkoff,
ne rencontrant pas d'obstacles, ou bien les^
surmontant tous, fonda, en 1587, la \ille
de Tobolsk et la première église chrétienne»
Après en avoir informé le voïévode Man-
fcouroff et Fhelman Mestcliériak , il se joi-
jmlt à eux et délit le prince Seidiak , qui
ayant osé assiéger la forteresse de Tobolsk,
fut blessé et fait prisonnier. Il s'empara de
tous ses bagages et de son trésor ; et par cette
victoire , qui coûta la vie au dernier hetman
de lerniak , îsikita Mestcliériak , il acheva
la chute de la puissance des î^ogais de Tlr-
liche. La ville d'Isker fut abandonnée et
Tobolsk devint la nouvelle capitale de la
Sibérie. Une autre tradition , moins digne de
foi , ne parle pas du courage qu'aurait montré
le voïévode Tchoulkoff, mais d'une ruse qui
lui ferait peu d'honneur. Ayant appris , dit
Di: RUSSIE. 35
celte Iradition , que Seidiak, son ami Ouraze
INIahniet , Tsarévilclie des Kirçuises , et le
Moursa Karalcha étaient sortis d'Isl^er , à la
tèle de cinqcenl^ hommes et se livraient au
plaisir de la chasse , dans la prairie des Princes
près de Tobolsk , il les invita à un festin , les
lit garrotter et les envoya à Moscou. Kout-
choum banni de ses Etals , se maintenait en-
core avec des bandes de Nogais , du camp de
Taïbouguine (27) , dans les stèpes de Bara-
binsk; il massacrait les habilans des contrées
de Kourdalsk et de Salinsk, incendiait leurs
demeures, et portait ses ravages jusque dans
les environs de la Tobol. Le nouveau YoYé-
Yode de Sibérie, le prince Kolzof'f Massalsky,
pour réduire ce brigand , alla le chercher au
fond des déserts d'Ichimsk et près du lac
Tchili-Koula ( i'". août logi ). Il détruisit la
plus grande partie de sa cavalerie , et s'empara
de deux femmes du Khan et de son iils ,
nommé Abdoul Khaïr (28). Envain, désirant
établir la tranquillité dans son nouveau et
lointain royaume , le Tsar proposa-t-il à
Koutchoum des revenus annuels , des villes et
des domaines en Russie. Il lui offrit même de
36 HISTOIRE
le laisser prince de Sibérie , s'il voulait con-
sentir à venir à Moscou , faire acte de soumis-
sion. Abdoul Khaïr, prisonnier en Russie ,
écrivait dans le inème sens à son père ; louant
la générosité de Fcdor , qui lui avait donné,
ainsi qu'au Tsarévitche Mahinet Koul de ri-
ches propriétés , ahnani à réjouir tout ce qui
respire et à pardonner aux coupables.
Abandonné par ses deux lils , alliés des
ÎSogais et de l'illustre Tcliin-Mourza ( qui
avait passé de notre côté avec la mère du Tsa-
révitche Malimet Koul),Koutclioum répondit
avec fierté aux propositions de Fédor : « Je
)) n'ai pas cédé la Sibérie à lermak quoiqu'il
j> l'ait con([uise ; mais désirant la paix , j'exige
)) pour frontière, les bords de rirliche ». La
rage impuissante de Koutchoum n'empêcha
pas les Puisses de se raffermir de plus en plus
en Sibérie , en y fondant de nouvelles villes ,
depuis la Pelchora , jusqu'à la Kéte et la Tara,
afin de faciliter les communications avec la
Permie et Ouffa , construite en même temps
que Samara pour réprimer les ÎSogais. L'an
1592, sous le commandement du Yoïévode
de Tobolsk , le prince Labanoff-Fiostofsky ,
DK RTSSIE. 87
fnronl fondées- les vil los de Pélini , Bc'ivzolT
et Sourgoiit ; celle de Tara , en ijQ/f , et celles
de Narim et de Ketskii-Oslroj> (29), en ifxjG.
Ces villes étaient des forts inabordables pour
les sanvages Ostiaks , Vogouli telles et toutes
les peuplades nomades qui , précédemment
soumises à Koutcboum , essayaient encore
quel([uefois de se défendre et refusaient de
payer le tribut. Il est question dans un édit du
Tsar , de la révolte du prince de Pélim Âble-
guirim. Il y est ordonné à notre Voïévode ,
de le prendre par ruse ou par force et de le
punir du dernier supplice , avec son lils et
cinq ou six des principaux révoltés entre les
Vogoulitches.
Outre des soldats, des Streletz et des Cosa-
ques, Godounoff envoyait en Sibérie des agri-
culteurs de Ferme , de Vialka , de Kargopol
et même des districts de Moscou , afin de peu-
pler ces déserts , et de défricher les terres les
plus favorables à la culture. Il affermit et
rangea pour toujours sous la domination de
la Russie cette importante conquête , par des
dispositionspleinesde sagesse et de prudence ;
sans sacrifices , sans efforts , il enrichit TEtal
^^ HISTOIRE
de nouveaux revenus , et ouvril de nouveaux
dcbouchcsau commerce ainsi qu'à Finduslrie
nafionale. Vers Tan i586, la Sibérie rappor-
ioit à la Couronne, deux cent milles zibelines,
dix milles reuards noirs et cinq cent milles
petits gris, outre les castors et les hermi-
nes (3o).
Dans les affaires de la politique extérieure ,
Boris se montra tel qu'on avait vu Ivan , aux
é])oques les plus glorieuses de son règne ; sage
et ferme à la fois, et soigneux de conserver Lt
la Piussie l'intégrité de son territoire, sagran-
i58i — loSy. deur et sa dignité. Deux ambassadeurs furent
témoins , à Moscou , de Favénement de Fédor
Kebtionsavec ^^ trôuc , ccluî d'Elisabclli d'Angleterre , et
ctialSiùL^ celui de Lithuanie. « La mort d'Ivan , écrit
)> Bowes , a changé la face des affaires et m'a
» livré aux mains des principaux ennemis de
» l'Angleterre ; au boyard lourieff et au diak
« André Stchelkaloff qui , dans les premiers
« jours du nouveau règne , se sont emparé
» du pouvoir dans le Conseil suprême. On
)> ne me laissait pas sortir de chez moi; on
)> me menaça pendant l'émeute de Moscou ;
3) et Stchelkaloff me fit dire par dérision que
BE RrSSIE. Tjr)
•> le Tsar Anglais était niorl (3i). Pjorls Go- i5âi— iSSj.
» dounolï qui nous t\st favorable y n'avait pas
«i encore de pouvoir à cette époque ».
Au comuieneenient du inois déniai, on
déclara à Bowes ({u'il pouvait retourner eu
Aiif^lerre. On le présenta au Monarque et on
le congédia avec honneur , après lui avoir fait
çles présents et remis une lettre amicale dans
lacpjelle Fédor disait à Elisabeth : « Quoique
» la mort de mon père ait mis lin aux pro-
» positionsde mariage et aux projets d'alliance
» étroite avec l'Angleterre, je n'en désire pas
» moins votre bonne amitié, et les n\arehands
•» de Londres ne perdront aucun des avan-
« tages que leur accorde la dernière patente
» qui leur a été donnée » (32). Mais Bowes ,
par un dépit irréfléchi , ne voulut prendre
ni la lettre, ni les présens du Tsar. Il les laissa
à Kolmogor, et quitta la Russie avec le méde-
cin Robert Jacobi. EtOTuié d'une pareille au-
dace , Fédor envoya auprès d'Elisabeth le Se-
crétaire Bekman. Il se plaignait à elle de Bowes
et lui faisait de nouvelles oifres d'amitié ;
promettant ses faveurs aux marchands Anglais,
à condition que les noires pourraient égale-
4o HISTOIRE
ment faire Je commerce dans son royaume.
Cet envoyé demeura long-lemps en Angle-
terre, sans parvenir à voir Elisabeth. Enfin
il en reçut une audience dans le jardin de son
palais, et lui remit la lettre de son maître.
« Pourquoi votre souverain actuel ne m'aime-
:» t-il pas, demanda la l\ei ne? son père était
3> mon ami ; et Fédor cliasse nos marchands
» de la llussie ». Quand elle eut appris, par
Bekman , que , loin de les chasser, le Tsar les
protégeait , et qu'ils payaient à la Couronne
moitié moins que ceux des autres nations ,
Elisabeth lit cette réponse à Fédor : « Très-
« cher frère , c'est avec une peine inexpri-
» niable que j'ai appris la mort du grand sou-
y> verain votre père, de glorieuse mémoire ,
» et mon plus tendre ami. Sous son règne ,
)^ d'intrépides Anglais ont découvert une
i» route par mer, inconnue jusqu'alors, vers
» votre lointain pays. Us y jouissaient de
» privilèges importans ; et s'ils s'y enrichis-
« saient , ils n'enrichissaient pas moins la
î> Fiussie , proclamant avec reconnaissance la
5) proleclion que leur accordait Ivan. Mais
3> j'ai une consolation dans mon affliction :
DE IIUSSIK. 4l
>^ votre envoyé m'a assurée que le fils d'Ivan,
» (ligne d'un tel père , a hérité de ses princi-
» pes et de son amitié pour l'Angleterre, et
j) je regretle d'aulant plus que Bowes, mon
» ambassadeur, ait encouru voire disgrâce.
)) C'est un homme qui s'est toujours montré
» prudent et sage , et qui a acquis, tant ici que
» dans d'autres pays, une grande expérience
» des affaires. Tout en ajoutant foi à vos griefs
j> contre lui, je ne laisse pas d'en être étonnée.
j> Ils peuvent cependant s'expliquer par les
» contrariétés qu'il a éprouvées de la part
)' d'un des membres de votre Conseil (Le diak
» Slchelkaloff ) , protecteur déclaré des Alle-
» mands. Mais notre amitié ne doit passouf-
)) frir de ce désagrément. Vous demandez la
» liberté du commerce en Angleterre, pour
» les marchands Piusses, chose qui n'a jamais
.jip existé et qui ne s'accorde pas avec les inté-
» rets des noires. Cependant nous ne nous y
» opposons pas , si vous accomplissez la pro-
» messe dTvan, en accordant un privilège
>^ exclusif de faire le commerce dans vos états,
)) à la compagnie des marchands de Londres ,
» établie par nous , sans permettre aux autres
4^ RISTOTRC
« Anglais de parliciper aux avantages Je la
» compagnie ». Le Tsar, peu satisfait de la
réponse d'Elisabeth , et de Taccucîil froid
qu'on avait fait, à Londres, à Bekman , mais
désirant conserver des rapports utiles avec
r Angle terre , chargea , en septembre 1 585, le
négociant Anglais , Jérôme Horsey , d'aller
auprès de la Pleine , afin de traiter avec elle
d'une manière plus satisfaisante, et de lui
prouver, par le choix d'un tel envoyé , la sin-
cérité de nos bonnes dispositions. Fédor écri-
vit, par Horsey , à Elisabeih: « Les frontières
« de la Russie , sur terre et sur mer ,. sont
» ouvertes au libre commerce de toutes les
* nations. Il nous arrive des marchands du
« Sultan , de l'Autriche , de l'Allemagne , de
» l'Espagne , de la France , de la Lithuanie ,
y> de la Perse , de la Bucharie , de Chiva , de
>♦ Schemaka et de beaucoup d'autres pays , de
» manière que nous pouvons nous passer des j
» Anglais ; et pour leur complaire, nous ne
* fermerons pas nos portes aux autres. Ils sont
» tous égaux à nos yeux; mais vous , n'écou-
» tantque l'intérêt des marchands de Londres,
>> vous voule?^ pour eujt des faveurs que you»
DE RUSSIE. 43
» iracccordcz iiirnio pas à vos anlros sujcls.
» Vous dites que jamais on n'a vu choz vous
» de nos marchands: cela est vrai , puisqu'ils
» peuvent faire un commerce avanlaiçeux sans
» sortir de chez eux; ils peuvent cj2;alement
» se passer à l'avenir d'aller ert Angleterre.
» Nous serons très-satisfaits de voir en Russie
» des marchands de Londres , pourvu que
M vous n'exigiez pas pour eux des privilèges
» exclusifs qui ne s'accordent pas avec les régie-
» mens de mes Elats ». Ces idées de Fédor, sur
la liberté du commerce , sont un sujet d'élon-
iiemcntpoiir l'hislorien Anglais Hume , qui y
trouve plus de juslesse et de sagacité ([ue dans
celles d'Elisabeth sur la même matière (iiS).
Cependant Elisabeth insista : s^^xcusant au-
près de Fédor, sur ce que des affaires d'Etat
de la plus haute importance l'avaient empê-
chée de s'expliquer plus amplement, avec
Bekman , et sur ce qu'elle ne l'avait vu que
dans le jardin , où elle se promène et cause or-
dinairement avec les personnes qui l'entou-
rent de plus près (34). Elle n'exigeait plus le
monopole pour les marchands de Londres;
elle demandait seulement qu'ils fussent dis-
44 lîTSTOIEE
pensés du paiement des droits d'entrée qui
leur étaient très-onéreux; et ayant appris par
Horsey toutes les partieiilarités de la Cour de
Moscou , elle ét:rivit à la Tsarine et à son frère,
donnanJ à la première le nom de chère sœur,
et celui de ti'ès-chcretaimé cousin , à Godou-
jiol'f (35). Elle louait Tesprit et les vertus
d'Irène , et lui annonçait qu'elle envoyait de
nouveau à Moscou , par amitié pour elle , le
médecin Jacobi , particulièrement expert dans
les maladies de femmes, et célèbre accou-
cheur. Elle remerciait Godounoff de ses
bonnes dispositions pour les Anglais; et es-
pérait qu'un homme d'un esprit aussi éclairé,
verrait un moyen de lui complaire et de servir
en même temps les véritables intérêts de la
T\ussie , en se déclarant à l'avenir leur pro-
tecteur. C'est ainsi qu'Elisabeth employait la
ruse ; et ce ne fut pas sans succès. Irène se
montra sensible aux flatteries de sa lettre, et
Godounoff, qui avait reçu avec la plus vive
satisfaction celle qui lui était adressée, accorda
en 1587 aux Anglais, le privilège de faire le
commerce sans payer de droits ; (ce qui pri-
vait la couronne d'un revenu ( plus de deux
DE RUSSIE. ♦ 4^
mille livres sterling ) sous la eondilloii:. i".
De n'imporler chez nous que leurs propres
niarchantlises; 2". De ne point envoyer de
commis dans les villes, mais de faire eux-
mêmes rechange des marchandises ; 3". De ne
rien vendre en détail, mais en gros, draps,
damas , velours en ballots, vins en tonneaux,
etc. ; 4"- De n'envoyer , par terre , en Angle-
terre , aucun des leurs , sans que le Souverain
en fut informé ; 5°. De reconnaitre , dans
leurs procès avec les Russes, la juridiction
du trésorier de TEtat et du Diak d'ambassade.
L'ambi lieux Boris n'hésita pas à faire savoir à
la Reine que c'était lui qui, touché de ses
bontés , avait procuré ces avantages aux mar-
chands de Londres. Il voulait , disait-il , être
toujours leur protecteur, espérant qu'ils s'en
rendraient dignes par une conduite sage, ho-
norable et loyale; et qu'ils n'empêcheraient
pas les Espagnols, les Français, les Alle-
mands, ni les autres Anglais de faire le com-
merce dans nos ports et dans nos villes ; puis-
ât que l'Océan était une route sans barrières,
« que Dieu avait ouverte; à tout le monde ».
C'est la première fois que nous voyons un
4G HISTOIRE
^rand Seigneur Russe eii correspondance
avec un Souverain étranger ; chose que n'avait
pas permise jusqu'aJors, la politique ombra-
geuse (le nos Tsars. A celle même époque Go-
dounoff ayant reçu une dépêche des ministres
d'Elisabeth, par laquelle ceux-ci élevaient de
nouvelles prétentions en faveur de leurs mar-
chands, il ordonna au diak Stchelkaloff de ré-
})ondre qu'on avait l'ait pour les Anglais, tout
ce qui était possible, et qu'on ne ferait rien de
plus. « Yous devriez rougir , ajoutait la lettre,
d'imporluner par de semblables demandes un
personnage aussi élevé ; et il ne convient pas
au bcaii-irère du Tsar , au plus grand Seigneur
de l'Etat, de répondre lui-même à votre indis-
crète missive ». Quoiqu'il mît le plus grand
})ri\ à la bienveillance de l'illustre Pieine , et
fui sensible à ses bontés, Godounoff savait
cependant mettre des bornes à ses complai-
iarces. Les Anglais cherchaient à renverser
Stchelkaloff qu'ils détestaient; mais Boris,
respectant son expérience et sa capacité , lui
confiait toutes les affaires extérieures ; et il
voulut le distinguer par un nouveau titre :
celui de Diak intime.
DE RUSSIE. 4?
ISos nipporlsavcc la Lilhuanie étale ni beau-
coup plus iniporlans encore et plus difficiles,
Klicnne , comme s'il eu! pressenti qu'il n'avait
pas loug-lemps à vivre, était imj)alicnt <raclie-
ver ce qu'il avait entrepris., et d'élever sa puis-
sance , en abaissant celle de la Russie. Déjà il
ne regardait pluà la Livonie que comme un
à-compte , et la paix , que comme une trêve.
Il songeait au rétablissement des anciennes
frontières de Vitoft sur les bords de l'Ougra.
Son ambassadeur Sapiéha , ayant appris à
Moscou la mort d'Ivan , dit aux Boyards que
sans un nouvel ordre de son Uoi , il ne pou-
vait se présenter au nouveau Souverain, ni
traiter d'affain's avec eux ( 3G ). Il attendit
cet ordre pendant trois mois; et présenté à
Fédor, le 22 juin , il lui confia sous le secr(!t ,
comme preuve des bonnes dispositions de son
gouvernement et de leur sincérité , que le
Sultan avait l'intention de lui déclarer la
guerre. La vérité était que Balhori voulait
effrayer Fédor et profiter de sa crainte pour
le disposer à des concessions en faveur de la
Liithuanie. Pendant cette présentation qui se
iit avec la pompe ordinaire , h Tsar était assis
48 HISTOIRE
sur son Irone tenant dans ses mains le glohe
d'or et le sceptre. Près de lui étaient rangés
les Piindasen liabils blancs , avec des chaînes
d'or au cou (jy). Godounoff , seul , était au-
près du trône ; tons les autres Seigneurs
étaient assis plus loin, L'Ambassadeur fut
reçu avec honneur , mais froidement. N'avant
pas été invité à la table de Fédor , il retourna
chez lui avec humeur , et n'admit pas l'officier
qui lui apportait les plats de la tid)le du Tsar.
Sapicha commença les négociations en de-
mandant que Fédor donnât au Pioi, cent vingt
milles florins pour le rachat de nos prison-
niers , et délivrât sans rançon ceux delà Li-
thuanie ; qu'il satisfît à toutes les plaintes de
ses compatriotes contre les Paisses , et ne prit
plus , dans les actes du gouvernement , le titre
de Prince de Livonie , s'il ne voulait pas la
guerre. Car Batliori regardait la convention
de Zapolsk , comme annullée par la ftiort
d'Ivan. On lui répondit que Fédor, n'écou-
lant que l'humanité, avait, le jour de son
couronnement, rendu la liberté à neuf cents
prisonniers Polonais, Hongrois et Alleiioands ;
qu'on attendait de la part d'Etienne, une
DE RUSSIE. /Jg
couvre aussi chrétienne ; que les rëdamalions
dos Liihuaniens qui seraient trouvées justes ,
ne resteraient pas sans satisfaction ; mais que
le tils d'Ivan, ayant hérité de la Couronne ,
avait également hérité du titre de son père ,
qui portait celui de prince de Livonie. Après
heaucoup de discussions, Sapiéha conclut
avec les Boyards un traité de paix, mais seu-
lement pour dix mois; et le Tsar envoya à
Varsovie, le boyard , prince TroëkourofT, et
le gentilhomme du Conseil , Beznin , afin de
déterminer le Roi à conclure une paix stable.
Mais Etienne voulait plus que jamais la
guerre , et se livrait à l'espoir d'un succès
certain , depuis qu'il savait ce qui se passait à
Moscou , par des rapports où la malveillance
ajoutait encore à la vérité.
Godounolf en cherchant à mériter la re-
connaissance publique par uneadministratio7i
sage et active , et l'amour des principaux
Boyards par ses caresses, gouverna tran([uilîe-
ment pendant seize à dix-sept mois, méprisant
SCS ennemis , et tout puissant sur le cœur du
Monarque. Il avait gagné l'amitié des deux
plus illustres seigneurs , Nikita lourieff et le
Tome X. 4
5o HISTOIRE
prince Ivon MslislaTsky. Il gouvernail seul :
mais il les consultait ; et satisfaisait par là leur
amour-propre peu exigeant.
Cette liaison , qui lui était si JCivoraMe , se
termina par la mort de lourieff (38). Le prince
Mstislafsky, quoiqu'il portât le nom de père
adoptif de Boris (39) se joignit , par faiblesse,
à ses ennemis , les Schouisky , les Yorotinsky
et les Golovin , et fut la dupe de leurs séduc-
Cnnjnraiion tious. Si Tou cu croit FAnnalisIe, il devint
nos; complice d une odieuse conjuration. On vou-
lait qu'il invitât Boris à un repas et qu'il le
livrât au fer des assassins. Mais celui-ci, averti
du complot par ses amis effrayés, en fit sur-
le-champ son rapport au Tsar. On ignore s'il
y eut ime enquête juridique ; nous savons
seulement , que le prince Ivan INIstislafsky ,
contraint de se faire moine , fut exilé dans le
couvent de Kiriloff, et les Yorotinsky de
même que les Golovin , dans des contrées
éloignées ; d'autres furent emprisonnés (4o).
Mais les Schouisky ne furent point inquiétés;
soit que l'on manquât de preuves contre eux,
ou que ce fut par considération pour l'inter-
cession du Métropolitain , leur ami. Toute-
DE rt:ssie. r;f
fois, il n'y eut pas un seul individu puni, de
mort. Il est possible que Godounoff craignit
de rappeler les temps abhorrés d'Ivan. Peut-
être aussi , ce qui est plus probable, ne vou-
lut-il (jue renverser ses ennemis particuliers,
en répandant le bruit de leur prétendu com-
plot. Le tils de MslislaTsky, le prince Fédor ,
resta même dans le Conseil , comme le pre-
mier ou le plus illustre des Boyards (4i). Ce-
pendant malgré une telle modération dans la
punition d'un crime réel ou imaginaire, la
capitale et la Cour étaient dans la plus grande
agitation. Les amis des accusés redoutaient une
plus grande vengeance; le conseiller Michel
Golovin , abandonnant sa terre de Médme ,
se réfugia chez Bathori , et justifia ainsi les
soupçons de Godounotr. En effet, ce traître
fugitif, bien accueilli en Lithuanie , conjura
le l\oi de ne point conclure de paix avec le
Tsar, l'assurant que Moscou et la Russie étaient
dans Tanarcliie et le plus grand désordre,
par la faiblesse d'esprit de Fédor et par le peu
d'accord qui régnait entre les Boyards; enfin
que le Ptoi n'avait qu'à marcher pour s'em-
parer de tout ce qu'il désirait dans notre triste
02 HISTOIRE
et mallieiirense pairie, où personne ne vou-
lait faire la guerre ni servir le souverain. Ba-
thori , ajoutant foi à ee cliseours , reçut très-
froidenienl les ambassadeurs de Moseon ; il
leur dit que , par eondescendanee , il pourrait
nous accorder une trêve de dix ans; si nous
rendions à la Lithuanie les villes de Novgo-
rod , Pskof , Louky , Smolensk , et le pays de
Seversk , et ajouta : c< Le père de Fédor n'avait
j) pas voulu ine connaître, et il m'a connu:
» autant en arrivera à son lils ».
Les Ambassadeurs cherchèrent à prouver le
peu de raison qu'il y avait dans les préten-
tions du Iloi ; mais on ne les écouta pas. Ils
furent obligés d'avoir recours à la ruse.
D'abord, ils firent adroitement circuler le
bruit que Michel Golovin était un espion,
envoyé auprès d'Etienne par les Boyards de
Moscou. Ensuite, ils proposèrent aux Sei-
gneurs de la Pologne etde la Lithuanie, de con-
clure une étroite alliance entre leur gouverne-
ment et la Piussie, pour la destruction totale
du Khan de (Crimée. Ces deux ressorts furent
mis en jeu avec un égal succès. Golovin n'ins-
pira plus bientôt aucune confiance ; on pensa
DE rrssTE.
que (les Puisses (le rlislinclion avaienl pu aban-
donner leur pairie , pendant le règne du
cruel Ivan, mais non sons eelni dn débon-
naire Fédor; on ne larda pas à croire que ce
j)rétendn fuyard semait l'argenl qui lui avait
été fourni par la caisse du Tsar , pour séduire
et corrompre , et on vit une nouvelle preuve
de sa fausseté dans le soin qu'il mettait à ra-
baisser la Pvussie et à la représenter comme
prête à tomber aux pieds d'Etienne. « C'est
5> ainsi , disait-on , que le Roi , séduit })ar
» David Belsky , a perdu une nombreuse ar-
>> mée sous les murs désastreux de Pskof;
» doit-il s'exposer à être une seconde fois
î> victime de sa crédidité ? Il approclie de la
» vieillesse : une mort soudaine peut lui arra-
» clier le glaive des mains et nous faire perdre
» le fruit même de ses victoires. Tandis
î) qu'une Diète turbulente disputerait pour
» le choix du successeur d'Etienne, un en-
î> nenii puissant ravagerait la Liihuanie. Il
» vaut donc mieux profiter de la faiblesse
» connue de Fédor , pour conclure avec les
» Bovards de Moscou , une allianc<! sincère
» et durable entre les deux états , alliance in-
54 HISTOIRE
>, tlépendanlc (le la vie 6u de la lïiort de nos
i. Souverains ». Cette opinion prévalut tello-
îiK nt <lan;> le Conseil du Roi , que , non
seulement Troëkouroff et Beznin revinrent h
Moscou , apportant avec eux un nouveau
traité de paix pour le terme de deux ans (42);
mais ([ue le Roi envoya même un ambassadeur
extraordinaire , avec des propositions (jui fu-
rent un sujet d'étonnement pour le conseil
du Tsar.
L'Ambassadeur, était Fillustre Miciiel Ha-
rabourda , connu depuis long-temps à la Cour
de Moscou , où il s'était fait aimer par la faci-
lité avec laquelle il parlait notre langue, par
son esprit subtil , par sa politesse et surtout
par son zèle pour la religion grecque. Il remit
aux Boyards des lettres de paix et d'amitié de
la part des Seigneurs de son pays ; et dans une
entrevue secrète, il leur dit: «Investi des
» pleins pouvoirs de notre Souverain, du
» Clergé et de tous les membres composant le
> conseil de la Pologne et de la Lithuanie , je
i> vous déclare que nous voulons former avec
» voire patrie une alliance sincère et indisso-
» lubie , à l'aide de laquelle nous puissions
DE RUSSIE. 55
» nous soulenir iiiutuelleinont contre nos
» ennemis communs. Pour y parvenir , aban-
» donnons de vaines discussions pour des
» villes et des provinces dont nous ne pour-
» rions devenir les maîtres , sans verser des
» flots de sang ; que chacun garde à l'avenir ,
» ce qu'il possède en ce moment! Nousn'exi-
» geons rien : n'exigez rien non plus
» Ecoutez encore ! îsous sommes frères , la
» même origine slave nous est commune ,
» nous sommes en partie de la même religion :
» pourquoi n'aurions nous pas le même
» maître ? Que Dieu accorde une longue vie
» aux deux Souverains; mais ils sont tous
» deux mortels : si Etienne meurt le premier
» nous sommes prêts à joindre la grande
» principauté de Lithuanie et la Pologne aux
)' Etats de Fédor , de manière que Cracovie
» soit l'égale de Moscou , et Yilna de Novgo-
» rod ; pourvu qu'à votre tour , en cas de
» prédécès de Fédor, vous vous engagiez à
1) reconnaître Etienne pour Souverain de
» toute la Piussie. Voilà le plus sûr moyen et
» le seul qui puisse consolider notre tran-
:)b HISTOIKE
>) qtiillilé et cimenter une amitié sineère
» entre nos deux Etats ».
Les Boyards tirent leur rapport au Tsar, et
après avoir pris solennellement les avis du
Conseil et des principaux membres du Clergé,
ils répondirent: « Nous ne voulons pas sup-
» poser la mort d'Etienne : Nous ne nous per-
» mettons même pas de songer à celle de notre
» grand Monarque. Vous avez des sentimens
» diiïérens que nous ne saurions approuver.
» Convient-il, en effet, à un And>assadeur
» d'aller dans un pays étranger , parler de la
:» mort de son Souverain ? Toutefois , écar-
5) tant cette inconvenance , nous vous décla-
» rons le consentement du Tsar à une paix
:» éternelle ». Mais Harabourda ne voulut pas
en entendre parler sans une convention rela-
tive à la réunion des deux Etats. « Seriez-vous
» donc, ajouta-t-il, disposés à nous rendre
» Novgorod et Pskof ? Car Etienne ne se con-
:» tentera ni de la province de Smolensk , ni
j) de celle de Seversk ». — « Notre Monarque ,
» lui répondirent les Boyards, ne vous don-
» nera pas seulement le ioU d'une chaïunière.
» Nous pouvons nous passer de la paix. La
DE RITSSIE. 57
» Paissie n'est plus ce qvi'elle était jadis : tà-
» chez de préserver de sa puissance, non
» plus la Livonie, ni Pololsk, mais Yihia
« même (43) >\
Après avoir tén^.oigné ses regrets de ce que
les Seigneurs et le Cierge n'avaient pas voulu
adopter une grande et bonne idée , Hara-
bourda prit congé du Tsar, et ensuite des
Boyards, (jui le reçurent en particulier, dans
une des salles du château , assis sur des gradins.
Boris occupait la quatrième place , cédant le
pas aux princes Mstislafsky , Ivan Schouisky,
et Dm i tri Godouuorf. l/s donnrreni la main à
Harahourda, et lui remirent une letire polie
pour les Seigneurs du ]\oi , en lui disant :
« Tu es venu chez nous chargé d'une mission
» imporlanie ; mais tu n'as rien terminé, l^e
» Tsar , qui a le carnage en horreur , s'expli-
» quera avec le Roi , par l'entremise de son
» propre Ambassadeur 5». llerabourda j)arlit
le 3o avril ; et le prince Troëkouroiï fut en-
voyé une seconde lois auprès d'Etienne, le 28
Juin , avec de nouvelles instructions.
Il est certain que Bathori aurait immédia-
tement déclaré la guerre à la Piussie , si les
58 HISTOIRE
Seigneurs de sa Cour, surtout ceux de Litliua-
nie , qui craignaient la dévastation de leur
pays, ne se lussent opposés à l'ambition du
Roi , et ne lui eussent laissé entrevoir que la
Diète lui refuserait des hommes et de l'argent.
Séduit par le succès de sa guerre avec Ivan , ce
n'était que pour la forme et par complai-
sance pour la noblesse qu'Etienne conservait
des rapports avec nous , sous prétexte de dé-
sirer la paix; et tandis qu'il fesait à notre
Conseil , l'inconvenante proposition de lui
donner la Russie , après la mort de Fédor, il
demandait de l'argent au Pape, pour marcher
contre Moscou , afin de conquérir notre pays
-pour lui-même, et notre Eglise pour le Saint-
Siège. Il avait un puissant intercesseur auprès
du Pape, dans la personne du jésuite Antoine,
qui conservait un vif ressentiment contre la
Russie , du mauvais succès de son ambassade
auprès d'Ivan; etSixle Y s'était engagé à four-
nir à Etienne, vingt-cinq milles scudi par
mois, pour une aussi grande entreprise (44)-
Dans de semblables dispositions , Etienne
ne songea pas à suivre l'exemple de généro-
sité que lui avait donné Fédor ; tout en louant
DE RUSSIE. 59
le désintéressement avec lequel on avait rendu
la liberté aux prisonniers Lithuaniens , il exi-
geait une rançon démesurée pour les noires.
Après avoir reçu cinquante-quatre milles rou-
bles du Tsar , il renvoya quelques-uns de ees
prisonniers , mais il garda les plus mar-
quans(45), et ne voulut pas rendre l'argent
enlevé à des voyageurs de Moscou, qui allaient
en Grèce porter des aumônes et demander
des prières pour le repos de lame du Tsaré-
vitche Ivan. Il ne fit rien pour arrêter les dé-
vastations de ses Yoïévodes , qui , de Livonie ,
de Yitehsk et d'autres endroits, envoyaient
des bandes de brigands dans les provinces de
Pskof, Yélikoioutsk et Tchernigof'f. En un
mot , il cherchait visiblement à lasser la pa-
tience de la Russie , atin d'amener la guerre.
Troëkouroff trouva Etienne à Grodno , et
remit aux Seigneurs de son Conseil , la lettre
de nos Boyards. Après en avoir pris connais-
sance , ils témoignèrent un grand méconten-
tement. " Désirant la tranquillité, dirent-ils,
>> et en dépit de notre Souverain , nous vous
» avons proposé les conditions d'une frater-
» nité sincère , d'accord avec les intérêts des
6o HISTOIRE
y deux étals ; et vous , sans répondre à la
» principale proposition , vous vous bornez
» à nous écrire que le Tsar veut bien accor-
» der au Roi le bonheur de h paix, si nous
y> vous cédons Kief, la Livonie et tout ce que
» vous appelez Tancienne propriété de la
» Russie ; c'est-à-dire , ffiie nous offrons du
» pain aux Boyards Jiisses^ et qu ils nous jettent
» des pierres\ D'où vous vient un pareil or-
» gueil ? Ne savons-nous pas dans ([uel triste
» état se trouve actuellement la Russie ? Vous
» avez un Souverain : mais quel est-il ? Il n'a
» que le souffle; il est sansenfans ; il ne sait
» que réciter des prières. La discorde règne
» parmi vos Boyards , et le trouble est parmi
» le peuple. L'Etat est en désordre, l'armée
» sans dévoûment et sans bons Yoïévodes.
» Nous savons que vous entretenez des rap-
» ports secrets avec l'Empereur d'Allemagne :
» quel est votre but? Pouvez-vous espérer de
» Irouveren lui un défenseur, lorsqu'il se
» déiend si mal lui-même ? Vous élcs déjà le
y> point de mire de plusieurs Souverains de
j> l'Europe. Le Sultan demande Astrakhan et
» Kazan ; le Khan porte le fer et la flamme au
DE RUSSIE. 6l
'> cœur de la Puissie , et les Tchéremisses sont
» en révolte. Où est la sagesse de vos Boyards?
» Leur pairie est en péril, et ils méprisent
» nos bons offices ; et ils répètent que le Tsar
« est prêt à résister à tous ses ennemis! Nous
» v(;rrons ! Jusqu'à présent nous avons em-
» péché Etienne d'accomplir le serment qu'il
)> a prêté en montant sur le trône , de repren-
» dre à la Russie tout ce qui tient à la Lilliua-
« nie et dont elle s'est emparé après Yitolt ,
» maintenant nous ne voulons pas l'irriter
» en lui rapportant vos frivoles discours ;
>i mais nous lui dirons : Majchc contre la
» Russie jiisfju aux bords de l Ougra : voilà
» Tiofî'C or, nos bras et nos têtes » !
Le prince Troëkouroff écouta ces paroles
avec sang-froid, eL répondit avec chaleur: « Ce
» n'est pas nous, Seigneurs, mais vous ([ui
» tenez des discours frivoles : quel langage
» téméraire et inconvenant! Vous appelez in-
« digne et malheureux, un règne qui fait le
« bonheur de la l\ussie ! Vous voyez la colère
» divine où nous ne voyons que la bénédic-
» tion du Ciel ; l'avenir est-il donc connu des
» mortels? Le Tout-Puissant a-t- il lenucon-
62 aiwSTOiRE
» seil avec vous ? Malheur à celui qui iiu'dif:
» d'un Souverain ! Nous avons un Tsar sain
» d'espril et de corps, sage, heureux et digne
« de tous st^s augustes ancêtres. Fidèle aux
» préceptes de son père, de son a'ieul et de son
i> bisaïeul, Fédor gouverne son peuple, atl-
» ministre son pays et aime la paix. Mais il
M n'en est pas moins prêt à combattre et à
» vaincre ses ennemis. Il a une armée supé-
7> rieure à toutes celles qui ont existé jusqu'à
j) présent en Kussie ; car il est bon pour les
« guerriers , et les récompense avec généro-
» site. ISous avons d'illustres \ oïévodes, qui
» n'aspirent qu'à la gloire de mourir pour la
» patrie. Oui, Fédor sait prier; et le Seigneur
» agréant la foi qu'il a dans la protection cé-
« leste , lui donnera la victoire , la paix, le
» bonheur et une longue postérité. Fxègnent
» à jamais les descendans de Saint-Vladimir !
» Que les traitres remplissent le monde d'in-
)> dignes calomnies sur les discordes des
» Boyards et la désorganisation de notre Em-
» pire : le vent emporte leurs imposlures.
>> Mais nous ne voulons pas imiter votre ar-
» rogance , même en vous tenant le langage
DE RUSSIE. 63
« (le la vériU', et nous nous taisons sur ce
» (jue nous voyons en Lilhuanie et en Polo-
» gne , parce que nous ne sommes pas en-
» voyés comme agens de discorde ». Après
avoir ajouté que les Seigneurs russes ne con-
naissaient que leur Souverain , et n'avaient de
relations avec aucun Prince étranger; que le
Sultan ne demandait ni Kazan ni Astrakhan,
mais seulement notre amitié ; que le Kfian ,
se rappelant encore Tannée 1572 et le prince
Michel Vorotinsky, n'osait pas même jeter les
yeux sur notre Ukraine ; que la tranquillité la
plus parfaite régnait dans toule la Russie; que
nous commandions paisiblement, même dans
les contrées éloignées de la Sibérie , sur la
Konda, dans le royaume de Pelyme , dans le
pays des Kolmacks et sur TOby , où quatre-
vingt-quatorze villes nous payai(îr.t tribut ;
l'Ambassadeur conclut en ces termes: «' Est-
» ce là ce que vous appelez la décadence de la
» Piussie ? jNous désirons la paix : mais nous
» ne rachèterons pas. Voulez-vous la guerre ?
» Commencez-la. Voulez-vous faire mieux :'
» Entrons en accommodemens ».
Les négociations commencèrent. Le Tsar
64 HISTOIRE
consenUnil à nVxigor ni Kief , ni la Volhinlo ,
ni la Poflolic! , ne demandant , comme con-
ditions de la j)aix , qne la l.ivonie seule^ ouau
moins les villes de Dorpat , de ÎSeïhause,
d'Alzel , de Kirempé , de Mariembourg et de
Tarvasl. « Pourquoi une pareille générosité,
dirent avec ironie les seigneurs Polonais à
Troëkouroff ? Vous êtes maîtres de désirer
toute la Litliuanie ; faites-en la conquête et
prenez-la ». Ils proposèrent une seconde fois
la réunion des deux Etats, et, pour y parvenir,
ils dcîniandaient que les Seigneurs de jMoscou
et ceux du ]»oi , se réunissent sur la frontière.
Troëkouroff leur représenta que le Tsar ne
pouvait pas décider une affaire de cette im-
portance sans Tavis des Etats-Généraux; qu'il
fallait beaucoup de temps pour réunir à
Moscou tous les députés de Novgorod, de
Kazan, d'Astrakhan, de Sibérie ; et il demanda
nne prolongation de trêve. « Ce n'eét pas
« l'usage en Russie , de consulter la nation ,
:» lui répliquèrent les Seigneurs pcjlonais. Le
» Tsar prend une résolution ; les Boyards
» disent oui^ et i'aflaire est faite ». Après avoir
discuté pendant quelques jours, on prolongea
DE RUSSIE. 65
encore la \vv\c. de doux mois , du 3 juin au
mois d'aoïit i588, afin de donner aux Ambas-
sadeurs des deux partis, le temps de se réunir
sur les bords de l'Ivata , entre Orclia et Smo-
lensk , et d'y convenir , i°. des moyens à pren-
dre pour établir une alliance fraternelle entre
Fédor et Etienne ; 2". du moyen à employer
pour que leurs Etats se trouvassent sous le
même sceptre , en cas de mort de Fédor ou
d'Etienne (46); 3". enfin, des villes qui appar-
tiendraient définitivement à la Lithuanie où
à la Russie , si elles ne consentaient pas à se
réunir.
Quoique le troisième article diminuât l'im-
portance du second; quoique, dans le fait,
nous ne fissions aucune concession, et que ,
par de semblables conventions , il n'y eut au-
cune atteinte de portée à l'honneur ni al'inté-
grité de notre territoire , ce traité , cependant,
ne fut signé par Troëkouroff, qu'à la dernière
extrémité, et lorsque les seigneurs Lithuaniens
lui annoncèrent son congé. Nous désirions
gagner du temps , et nous fondions nos espé-
nmces sur l'avenir, en voyant le pays ennemi
disposé à la paix. L'Archevêque de Gnésen ,
Tome X. 5
CG niSToïKE
lui-même, dans une conversation avec mi
officier du Tsar, IMovossillzo ff, envoyé alors
à Vienne , lui avait dit que le seul ennemi
irréconciliable que la Uussie eut en Lilhuanie
cl en Pologne, était Balliori ; mais (ju'il ne
pouvait vivre long-temps , car il s'était formé
à ses jambes des plaies fort dangereuses que
les médecins n'osaient guérir , dans la crainte
de balcr sa mort; il avait ajouté qu'Etienne
n'était pas aimé de la Nation , à cause de son
ambition démesurée et des mauvais Iraite-
mens qu'il faisait éprouver à sa fenmie ; enfin,
que les grands et la noblesse désiraient être
sous l'empire de Fédor, connaissant les vcrtiis
chrétiennes de ce Monarque, l'esprit et la
bienveillance de la Tsarine , la sagesse et les
grandes qualités du Régent , Boris GodounollT.
V Cet homme illustre, disait l'Archevêque ,
» a nourri et consolé nos prisonniers , lors-
» qu'ils étaient encore détenus; et après les
» avoir rendus à la liberté , il les a traités gé-
» néreusement dans son palais, faisant à cha-
» cun d'eux des présens de, drap et d'argent..
» Sa gloire se répand partout. Vous êtes heu-
^ reux d'avoir un administrateur qui ressem- ^
DE r.ussiE. G7
» ble à Alexis Adacheff , ce f^rand liommo qui PainiiMe <ie
» gouvernail la Russie sous Ivan (47) ». En- «lAdaduH.
chérissant encore sur celle comparaison , No-
vossillzoff ajouta ({ue Godounoff surpassait
AdachefF par Téclat de son rang el parla pro-
fondeur de son génie.
La vSaine politique nous ordonnait d'éloi-
gner la guerre tant que nous le pourrions.
Etienne avait encore de la force d'àme et un
corps vigoureux : grand et fier dans ses ma-
nières, en congédiant le prince Troëkouroff,
il lui tendit la main avec un air sévère , et lui
ordonna de saluer Fédor de sa part. Il termina
ainsi ses rapports avec la Russie qui , en le
haïssant, ne pouvait cependant lui refuser de
l'estime. En effet , en se montrant notre en-
nemi , il ne faisait que remplir le devoir pres-
crit au Souverain par Tintérét de l'Etal; et
d'ailleurs il connaissait mieux que son Con-
seil rimpossibiiilé d'une paix réelle et la dil-
ficulté de réunir son Royaume à l'Empire de
Moscou. Balhori avait déjà désigné le jour de
l'ouverture de la Diète à Varsovie , afin de
fixer le sort futur de la Pologne par le choix
d'un successeur. Il espérait par son éloquence
C)^ niSTOIRR
ol par la force de la vérité , raulnior à la fois
dans les ciciivs l'amour de la patrie et le désir
de la gloire, et arracher enfin hî consente-
ment à la guerre contre la Kussie. Mais le sort
ne favorisa pas ses projets.
Notre gouvernement avait encore un autre
but secret , dans ces derniers rapports avec
Batliori : il désirait rendre à la natrie leshom-
mes que Fexil et la désertion nous avaient
enlevés sous le règne d'Ivan , non par pitié
pour eux , mais pour l'avantage de l'Etat. Le
Tsar , ayant appris que beaucoup d'entr'eux
avaient le désir de rentrer en Ptussie, mais
qu'ils craignaient de s'y montrer, envoya des
lellres de grâce à plusieurs, et nommément
aux princes Gabriel Tclierkasky , Thimoliiée
Teterin , au moursa Koupkceff, Kachkaroff,
et même au traître David Belsky, parent de
Godounoff, leur prometUnt avec l'oubli de
leurs fautes , des rangs et des appointemens ,
s'ils revenaient à Moscou avec un n^penlir
sincère, et s'ils prouvaient leur zèle endonnant
toutes les notions nécessaires sur létnt intérieur
de la Lithuanie , de même que sur les vues et
les moyens de sa politique ('{8). Fédor faisait
DE RUSSIE. 6q
aussi grAce à tous Its déserteurs, exceplé au
malheureux Kourbsky , qui prol)ablemeut
n'existait déjà pius , et au nouveau traître
jMiehel Golovin. Balhori, qui avait appris de
ce seigneur beaucoup de choses secrètes sur la
Piussie , avait en outre à Moscou des espions
particuliers parmi les marchands Lithuaniens:
ce qui détermina Fédor à ne leur permettre
de faire le commercé qu'à Smolensk , et à leur
défendre de venir dans la capitale.
Cependant le Tsar , tout en cherchant à avec^irsuède!
éloigner la rupture avec la Lilhuanie, mais en
s'y attendant sans cesse , ne montrait que plus
d'amour pour la paix et de facilité dans ses
relations avec le roi de Suède ; il ne voulait
point avoir deux ennemis en même temps.
Toutefois, il n'oubliait pas la dignité de la
llussie ; il sentait le besoin d'effacer notre
honte, en reconquérant notre ancienne pro-
priété envahie par les Suédois ; mais il remet-
tait la guerre à une épo([ue plus favorable.
De la Gardi , lieutenant d'Ksthonie, ayant
appris la mort dTvan , demanda au prince
Basile Schouisky-Skopin , voïévode de Nov-
gorod, si nous étions disposés à tenir la coq-
r-O I1I5TGIRS
vcniion conclue sur 1rs bords de la Pljissa('J9),
ri si r.os ambassadeurs se rendraient à Slok-
liolm pour traiter de la paix. Mais , dans sa
lettre, comme pour piquer le Tsar, il nommait
le ï\oi, Grand-Duc ù'JJora et de lajiroiince de
Schclona, dans le pays liusse. On lui répondit
cjue jamais en Russie Ton n'avait entendu par-
jler dun Grand-Duc Suédois de la province
de Scliélon;i , mais ou'on excusait son igno-
rance , parce qu'il était étranger et éloigné
delà Cour et des affaires du Conseil; que du
reste le Tsar voulait remplir les engagemens
de son père, et que n'aimant pas les maux
de la guerre, il atîendait des Ambassadeurs
suédois, mais qu'il ne pouvait en envoyer à
Stokliolm. Cette aigreur de part et d'autre
falîlitamener une rupture. De la Gardi, dans
une nouvelle lettre à Schouisky , parlait de
l'ancienne ignorance et de l'orgueil insensé
des Piusses, qui n'en étaient pas encore corri-
gés, même par leurs revers. « Sachez, écrivait-
3> il , qu'on ne m'appelle pas un étranger dans
:»> le glorieux royaume de Suède. Il est vrai
» queTJe suis souvent éloigné de la Cour, mais
» uniquement pour vous tenir en respect. Je
DE Ri; s 31 s. -Jl
j> suppose qiic vous n'avez pas oublié cgni-
» bien de Ibisvos drapeaux se sont reueonlrés
» avee les miens , e'est-à-dire eonibien de lois
» ils se sont abaissés devant eux , et que vous
» n'avez trouvé voire salut que dans la fuite ».
On ne répondit à eelle bravade que par le
silenee du mépris.
Fédor se eondnisit d'une manière encore
plus sage et plus digne d'éloges , dans ses rap-
ports directs avec le roi Jean qui, en nous
proposant de ne pas renouveler la guerre ,
s'exprimait ainsi dans sa lettre au Tsar : « Ton
» père , en désolant son propre pays , en s'a-
» breuvanl du sang de ses sujets , fut un mau-
» vais voisin pour nous et pour les autres
)> souverains ».
Fédor renvoya celte lettre au Roi, en lui
faisant dire, qu'il n'était pas permis de se ser-
vir de pareilles expressions, en parlant à un
fiîs , de son père. Mais les paroles n'empè-
cliaient pas les affaires de marcher. l>.c boyard,
prince Fédor Scheslounoff et le gentilhomme
du Conseil , Ignace Tatislcheff , se réunirent
le 25 octobre i585, à l'embouchure de la
Plussa , près de Narva, aux dignitaires Suédois
'J2 HISTOIRE
Klas Toit, fie la Gnrdi et autres. Les Suéclois
exigeaient Novgorod et Pskoff ; et de noire
côté nonsdemandions non seulementles villes
Piussrs dont ils s'étaient emparé , mais toute
TEsthonie etsept eent mille roubles en argent.
Cependant on lit des concessions de pari et
d'autre , mais on ne put s'accorder. Les Sué-
dois lions menaçaient de faire une alliance
avec Bathori et de solder cent nnille étrangers.
Nous ne laur opposions que la puissance de
la Russie seule, en ajoutant que nous n'avions
pas besoin , comme eux, d'engager nos villes
et de louer des soldais ; que nous n'agissions
qu'avec nos tètes et nos bras ÇSo). Eniin nos
dernières propositions de paix , que les Sué-
dois refusèrent , étaient : que le Roi nous
restituât Ivangorod , Jama , Koporié , pour la
somme de dix mille roubles ou vingt mille
ducats hongrois. On résolut la guerre , mais
bientôt on changea d'avis, et, au mois de
décembre i58!> , on conclut une trêve de qua-
tre ans, sans aucune concession , et avec l'en-
gagement d'une nouvelle réunion des Am-
bassadeurs des deux puissances, au mois d'août
i586 , afin de traiter de la paix détlnilive. Pen-
DE RUSSIE. 73
dant ces conférences , de la Gartli se noya
dans la Narova.
Deuxaulres puissances européennes TAu- Ami.nssKie
eu Auiiiciic.
triche et le Danemarck étaient alors également
en relations avec Fédor. Après avoir fait part
à Piodolplie de son avènement au trône , il lui
offrait son amitié et la liberté du commerce
entre leurs Etats. L'ambassadeur de Moscou ,
Novossiltzoff (5i) fut traité avec honneur à
Prague , oii résidait TEmpereur ; et il fut in-
vité à diner non seulement chez les Ministres
aulrichiens, mais même chez le Légat du Pape
et les Ambassadeurs d'Espagne et de Venise.
Ils le queslionnèrent sur l'Orient et le Nord,
sur la Perse , sur les pays de la mer Caspienne
et sur la Sibérie. Ils vantèrent la puissance du
Tsar, et donnèrent des éloges à l'esprit de
TAmbassadeur qui en avait effectivement,
connue le prouvent ses dépèches. Piodolphe,
disait-il dans ses rapports au Conseil des
Boyards , Piodolphe s'occupe plus de ses ma-
gnifiques écuries que du gouvernement; il a
cédé un pouvoir qui lui était à charge, à Adam
Ditrichstein , un des seigneurs les plus distin-
gués de sa Cour. L'empereur, pauvre comme
f
74 HISTOIRE
il l'est, ne rougit pas de payer un tribut au
Sultan , et ne fait par là que retenir pour i
quel([ue temps le glaive Ottoman déjà sus-
pendu sur sa tète. L'état de l'Europe est
déplorable ; l'Autriche soullre au milieu de
la paix, et la France , au milieu des guerres
civiles. Phili])pe il , soupçonnant son fils , |
Carlos, de vouloir attenter aux jours de son
père, songe à déclarer héritier de la couronne
d'Espagne, Ernest , frère de FEmpereur.
Dans ses rapports , Novossillzoff parle des
mœurs, des fruits delà civilisation, et des
éiablisscmcns utiles ou agréables qu'il a visi-
tés , et qui étaient inconnus en Russie. Il dé-
crit même les jardins et les serres; remplissant
ainsi les instructions du curieux Godounoff.
Les Ministres autrichiens lui coiilîèrent , sous
le secret , qu'ils avaient le désir de conclure
une alliance avec la Russie , afin de renverser >
Calhori et de parlager son royaume : mais
cette idée trop hardie pour le faible Rodolphe
resta sans effet. L'Empereur promit d'envoyer
au Tsar un de ses Grands, et ne tint pas parole;
il se borna à écrire, par Novossillzoff , ime
lettre polie à Fédor.
Di: r.ussiE.
7'
Frédéric, roi de Danemarck; qui s'était Renouveite-
, ,, • 1 ' 1 ' HT /"- \ 1 V mciil tics rel.i-
luonlre 1 ennemi déclare d Ivan (02) , se hala lions an.icai»
(le lairedes olires de l)onne aniitie au nouveau uuua.
souverain , par un Ambassadeur qu'il envoya
à Moscou , et qu'il chargea d'une lellre dans
laquelle il disait que le caractère et les senti-
mens chrétiens de Fédor, universellement
connus, lui donnaient l'espérance de voir un
terme à tous les anciens mécontentemens, et
(le renouveler des rapports d'amitié , de com-
merce et de poiiticpie avec la Piussie. Ces rap-
]>orls se rélablirent en elïet , et le Danemarck
>);', songea plus à inquiéter notre commerce
maritime du nord , se bornant à prohter des
avantiigcs qu'il lui offrait.
Tranquille au dedans, et en paix, au moins Afaiies a»
pour le moment, avec l'Europe chrétienne,
la Russie , sans redouter la Tauride, était tou-
jours en garde contre ses entreprises. Mahmet
Ghinï promeliaiten même temps son alliance
au Tsar et à la Litliuanie ; il entretenait des
rapports secrets avec les Tchéreriiisses, et en-
vovait ostensiblement des bandes de brigands
dans nos provinces du Sud-est (53), lorsqu'il
tomba sous le fer de son frère , Islam Ghireï ^
-r.
HISTOIRE
qui arriva de Conslaiilinople avec une troupe
(le Janissaires, elle tilre (1(; Khan (54). Islam
ndopla la politique rie celui auquel il succé-
dait par un assassinat, et il écrivit à Fédor:
« Ton père, outre des pelleteries précieuses
» envoyées de son pays, à mon frère, a payé
» dix mille roubles pour avoir la paix. Donne
j> m'en encore davantage , et n >us écraserons
» Tennemi Lithuanien ; atLiqué de tous côtés
» par mes troupes , celles du Sultan , les No-
3) gais , et tes soldats , nous ravagerons ses
» terres ».
Cependant les hordes de la Crimée , les
Azoviens et les Nogais nomades deKazieff,
incendiaient les habitations dans les districts
de Béb'iT, Koselsk, Vorotinsk, Mestcliofsk et
Massalsk. Le gentilhomme du Conseil, Michel
Besnine , à la tète de la cavalerie légère , les
rencontra sur les bords de FOka, les délit
complètement , leur enleva les prisonniers
qu'ils avaient faits, et reçut, en récompense de
sa bravoure , une médaille d'or de la part du
Tsar. Deux fois encore les brigands de Crimée,
au nombre de trente ou quarante mille
hommes, ravagèrent l'Ukraine. Au mois de
DE RUSSIE. 77
juin 1587, ils prirentet incendièrent Krapivna.
Les Voïévodes de Moscou les battirent et les
poursuivirent, à la trace des cendres et tlu
sang f[u'ils laissaient sur leur passage ; ensuite
ils demeurèrent sur les bords de l'Oka , cam-
pant à Toula, à Serpoukbof, et attendant
le Kban lui-même. La Tauride était pour
nous , comme un reptile venimeux , qui ,
même en expirant, lance encore son venin ;
elle portait la mort et la flamme dans nos
provinces , malgré son propre épuisement ,
et les mallieurs dont elle était alors victime.
Les fils de INIalimet Gbireï, Saidet et Mourat,
cbassés par leur oncle, en i585, revinrent avec
quinze mille INogais , renversèrent Islam
Ghireï du trône, s'emparèrent de ses femmes,
de ses trésors et dévastèrent tout le p.tys.
Saidet prit le titre de Khan; mais Islam , s"é-
tant réfugié à Cafa , revint deux mois après ,
et chassa de nouveau ses neveux. A la tèle de
quatre mille soldats du Sultan , il les délit dans
un combat sanglant , lit donner la mort à
beaucoup de Princes et deMourzas, accusés
de trahison ; et s'en ton rant de Turcs , il leur
permit de violer , de tuer et de piller. Le Tsar
•;8 IIISTOIIÎE
|)ioiila âc CCS circonslarices pour proposi'i' un
refuge i\ Saidet et à Mourat; il permit au pre-
mier , de camper avec jes hordes de JNogais ,
aux environs d'Astrakhan , et invitale second
à venir à Moscou. H le combla dlionneurs, se
raîtacha par un serment , et Tenvoya , accom-
])agné de deux Yoïévodcs , à Astrakhan où il
devait elre un instrument de notre poiititpie,
et où il fut reçu avec tous les honneurs dûs à
un liiustre Prince Souverain. Les troupes
étaient sous les armes; on tira le canon dans
la forteresse et sur le port ; on- battUle tambour,
H Von fît retentir l air du son des lirnhalles et des
trompettes. Mourat affecta d'ébler une magni-î
ficence royale dans cette ancienne ville , rem-
plie de marchands orientaux ; il s? créa une
Cour brillante , et reçut solennellement les
Princes voisins et leurs Ambassadeurs , tenant
en main la charte de Fédor, avec un sceau d'or.
Tl se nomma Souverain des quatres fleuves ,
du Don , du Volga , du Jaik et du Térek , ainsi
ffue de toutes les peuplades libres et des Go^
saques ; il se vantait de fouler aux pieds Islain,
et d'humilier l'allier Sultan. « Par la grâce et
>> Tamitié du Tsar de Moscou , disait-il , nous
DE RUSSIE. 7^
» serons Souverains, mon frère, de Crimée ,
» et nu)i , d'Astrakhan ; c'est pour cela ({u'on
» a destiné à mon service de grands person-
» nages de la lliissie ». Tel était le langage
qu'il tenait à ses coreligionnaires, tandis (pi'il
conjurait en secret le voïévode d'Astrakhan ,
le prince Labanoff Roslolsky , de le délivrer
de la surveillance sévère et visible dont il
était l'objet , afin que les Nogais et les peu-
ples de Crimée pussent avoir plusde confiance
et ne vissent pas en lui un esclave de Moscou;
car Labanofi'et les autres Yoïévodes , en con-
servant tous les égards possibles envers lui ,
observaient toutes ses démarches; et tandis
qu'il se glorifiait des marques d'une considé-
ration apparente, il ne se rendait à la mosquée
qu'à travers les rangs des Streletz , et il ne
pouvait entretenir personne sans témoins.
', Cependant il nous.servait avec zèle ; il enga-
geait les Nogais à la tranquillité et à la soumis-
: sion; il cherchait à leur persuader que ce
n'était que pour leur sécurité et pour mettre
un frein à la rapacité des Cosaques, que le Tsar
iaisait construire des villes sur la Samara et
rOufa. Il menaçait le séditieux Jakchissat ,
So HISTOIRE
prince de celte horde , de lui l'aire payer cher
Finimitié qu'il })orlail à la Russie, et se pré-
parait, conjoinleiiienl avec son frère Sa i de l ,
à fondre sur la Tau ride , à la tète des jSogais ,
des Gosaquess et des Tcherkesses, n'attendant
pour celle expédition que Tordre de ledor ,
des canons et dix mille Slreletz qui lui avaient
été promis.
Mais le Tsar temporisait; il redoutait beau-
coup plus Etienne qu'Islam; et peu sûr de la
paix avec le premier , il écrivit à Mouratau
mois de février laSy : « Le temps propice
» pour la conquête de la Tauride n'est point
» encore venu : nous devons auparavant
» dompter un autre ennemi plus puissant.
» Sois prêt , avec les fidèles TSogais et les Co-
» saques , à marcher sur Vilna , où lu me ren-
n contreras; lorsque nous aurons eu raison
» de noire ennemi lithuanien, alors nous dé-
» Iruironsfacilement ton ennemi particulier;
» et nous saluerons SaidetGhireï, Khan des
» peuplades de Crimée 'k En même temps le
Tsar faisait dire à Islam : « Le khan Saidet
» Ghireï, le tsarévitche Mourat , les Princes
» jNogaiset Tcherkesses, nous conjurent de
I
DE RTiSSlE. 8l
>) leur permellre de te détrôner. Nous les re-
» tenons encore, et nous pouvons même ou-
» blier tes brigandages , si tu es sincèrement
» décidé à t'armer contre la Lithuanie , lors-
» que la trêve , conclue avec son Souverain
)> sanguinaire, sera expirée ; car nous sommes
i-> fidèles va notre parole et à nos conventions.
» Je conduirai moi-même mes troupes de
>) Smolensk à Vilna; et toi , à la tête de tes
» principales forces, marche en Yolhinie ,
» en Galicie et plus loin ; fais avancer d'autres
» troupes contre Poutivle , où elles se réuni-
» ront àcellesdeSeversk afin d'assiéger Kief;
j) tu auras à ton aile droite mon armée d'As-
t) trakhan , qui , conjointement avec le tsa-
« révitche Mourat , doit également entrer en
«> Lithuanie. Après avoir lait l'expérience des
» malheurs attachés à tes invasions en Piussie,
» essaye enfin du bonheur que te promet son
» alhance ».
Mais Fcdor prévoyait que Saidet, après
avoir renversé Islam , ne serait pour nous
qu'un nouveau chef de brigands , et que nous
ne ferions qu'échanger un barbare contre un
autre , il chercha donc à séduire les fils de
Tome X. 6
82 HISTOIIU:
Mahmel Ghireï par la dignité de Klian de
Crimée, el se servit d'eux pour en imposer
au Khan, aiin d'avoir plus de ressources dans
la guerre conlre Balhori. Cette ruse ne resta
pas sans cfTel: Islam redoutant ses neveux,
assura Fédor (jue les invasions des troupes de
Crimée en Russie, ne provenaient que de
l'indiscipline de(juelquesMourzas,quiavaient
été suppliciés sans miséricorde ; et il ajouta
qu'il n'attendait qu'un Ambassadeur de Mos-
cou avec un traité d'alliance, pour marcher
avec toutes ses forces contre la Lilhuanie. En
effet. Islam annonça aux peuplades soumises
à ses ordres, qu'il valait mieux, pour le mo-
ment , piller le pays d'Etienne que celui de
Fédor.
Toutefois, en nous occupant principale-
ment de Bathori, de la Suède et de la Tauride,
nous ne laissions pas d'apercevoir le dani^er
qui nous menaçait d'un autre côté. Voisins
d'une puissance redoutable à toute l'Europe,
nous n'avions pas besoin des avertit semens de
la Cour d'Aulriche, pour prévoir l'orage dont
le Bosphore nous menaçait. Les trophées du
Sullan qui étaient entre nos mains, la tentative
DE hlSSIE. 8j
de Soliman contre Astrakhan, la destruction et
la défaite de l'armée de Sélim , dans les déserts
qui avoisinenl la mer Caspienne, ne pouvaient
rester sans suite. Toute la iinesse de la poli-
tique de Moscou , devait consister à remettre
à des temps plus propices pour la Russie,
une guerre terrible mais inévitable. Elle avait
besoin de se fortifier par des conquêtes et par
une meilleure organisation intérieure , avant
de commencer une lutte décisive avec les des-
tructeurs de l'empire de Byzance. C'est ainsi
qu'en avaient agi Ivan-le-Grand , son fils et
son petit-fils; quelquefois même ils avaient
su, à l'aide des Sultans, tenir en respect la
Crimée et la Lithuanie. C'est aussi ce que vou-
lait obtenir Fédor, et ce qui l'engagea, au
mois de juillet i584 , à envoyer l'ambassadeur
Blagoffà Constantinople, pour annoncer au
Sultan son avènement au trône , lui faire part
des dispositions pacifiques de la Russie envers
la Turquie, et inviter Amurat à conclure une
alliance avec nous, «c Nos ancêtres , Ivan et
» Bajazet, lui écrivait-il, nos grands-pères,
» Vassili et Soliman, et nos pères, Ivan et
»> Selim, s'appelaient frères et entretenaient
Amtfissade
il t'uiiblauti-
ÎS4 HISTOIRE
» des rapports (ramltié entr'eux ; qnc celte
» même amitié existe entre nous La Pmssie
» est ouverte à tes marchands , sans exception
» pour aucune marchandise et sans impôts.
» Nous demandons la n'ci procité el rien de
« pUis ». 11 élail prescrit à TAmbassadenr de
dire aux Pachas d'A mural : « Nous savons que
» vous vous plaignez des brigandages des Co-
» saques du Térek, qui gênent les communi-
» cations entre Conslantinople et Derbent,
» pays qui est maintenant sous la domination
» du Sultan , depuis qu'il l'a enlevé au Schah
» de Perse. Ivan , père de notre Souverain ,
>) avait consiruit une forteresse sur le Térek ,
« pour la sécurité de Tcmgruk , prince Tcher-
j) kesse ; mais il en fit sortir ses troupes afin
5> de complaire à Seiim ; depuis ce temps elle
j) est occupée , sans l'aveu du Tsar , par les
» Cosaques du Volga qui sont des déserteurs.
» Yous vous plaignez encore de l'oppression
» qu'éprouve lareligion de Mahomet, enPius-
» sie ; maiscpii est opprimé chez nous? A Kassi-
» moff, au cœur de noire Empire, ne s'élève-
» t-il pas des mosquées et des monumeas mu-
» sulmans , érigés en l'honneur de S( hig Aley
DE RUSSIE. 85
>) et du tsarévitche Kaïboula. Saïn Boulai, au-
» jourd'hui Siméon , Grand Duc de Tver , a
« embrassé volontairement la religion chrc-
» tienne , et à sa place, quoique mahomélan ,
» Mousta-Falei , fils de Kaïhoula, a été fait
» Tsar de Kassimoff. Non , nous n'avons ja-
j> mais persécuté, et nous ne persécuterons
» point les peuples d'une religion différente
» de la notre ». Blagoff n'avait point d'ordres
pour entrer dans de plus grands détails. Traité
avec considération à Constantinople , à l'égal
de l'Hospodar de Valactiie, et mieuxque l'Am-
bassadeur de Venise , il n'obtint pourtant pas
sans peine qu'Amurat envoyât un de ses di-
gnitaires à Moscou. Les Pacbas disaient : « Le
» Sultan est un puissant monarque , ses Am-
" bassadeurs ne vont qu'auprès d'illustres
» Souverains tels que l'Empereur, les Piois
» de France, d'Espagne et d'Angleterre, qui
» ont avec lui des affaires d'Etat importantes
» et qui lui envoyent de l'argent ou des dons
» précieux. Quant à vous, nous n'avons h trai-
i> ter ensemble que d'affaires de commerce >».
M Blagoff répondit : « Le Sultan est grand
» parmi les Souverains mahométans ; mais
$6 iiisTOiriK
» ]el\sar est grand aussi parmi ceux de la chrc'-
» tientc. <^)iiaiit à l'argenl et aux dojis, nous
» n'en envoyo ns à pe rso n ne .Quoi cpie le co rn-
" merce soit iniporlant pour les Etats, il peut
j> se présenter des affaires plus importantes
« encore ; rabais si le Sultan n'envoie pas avec
» moi un de ses dignitaires à Moscou, jamais
» à l'avenir ses ambassadeurs ne verront les
5> yeux du Tsar ». Le Sultan ordonna de revê-
tir Blagoff d'un Cafetan de velours brodé en
or, et de le faire accompagner par Adzi-Ibra-
him, qui fut reçu sur les bords du Don par
les Y oïévodes Russes, envoyés au-devant de
lui pour la sûreté de son voyage (55). Après
avoir remis à Fédor la lettre du Sultan, (en
décembre i585), Ibrahim se refusa à toutes,
conférences avec les Boyards. Le Sultan don-
nait à Fédor le titre de Fioi de Moscou ; il le
remerciait de ses dispositions à vivre amicale-
ment avec l'empire Ottoman, confirmait la
liberté du commerce pour nos marchands à
Azoff, et parlait , en style oriental , du bon-
heur de la paix ; mais il exigeait , comme
preuve d'une amitié sincère , que le Tsar li-
vrât à Ibrahim, le traitre Mourat, lils de Mah-
DE RUSSIE. 87
met Ghireï, et qu'il fit rentrer dans le devoir
Kichkin , helman des Cosaques du Don , qui
dévastait les contrées d'Azoiï. Voyant que le
système de la Gourde Constantinople n'avait
pas changé envers la Ptussie; que le Sultan ne
songeait pas à conclure une alliance avec nous,
et qu'il ne désirait que de conserver la liberté
de commerce entre les deux nations , jusqu'au
moment de se déclarer notre ennemi , le Tsar
congédia Ibrahim en lui donnant pour ré-
ponse , que c'était plutôt les Cosaques Lithua-
niens que ceux de la Russie, qui dévastaient
les bords du Don; que l'hetman Kichkin avait
été rappelé à Moscou, et qu'il avait été défendu
à ses compagnons d'inquiéter les Azoviens ;
qu'à l'égard du tîls de Mahmet Ghireï, notre
serviteur et sujet, on en parlerait au Sulian
par un nouvel Ambassadeur du Tsar. Mais ,
dans l'espace des six années suivantes, nous
n'envoyâmes plus personne à Constantinople,
et la Piussie ne craignit pas d'agir ostensible-
ment contre la Porte Ottomane.
Le jour même du départ d'Ibrahim, 5 octo-
bre i58G, le Tsar prit des engagemens solen-
nels qui pouvaient et devaient extrêmement
S8 IlISTOIRK
drplaire au Sultan. Nous venons de traver-
ser un Siècle et plus, sansflnre mention de
la Géorgie (56). Cette maliieureuse contrée,
opprimée par les Turcs et les Persans, était
Letsardiié- gouveméc par le prince ou tsar Alexandre »
deiaRussie. qui avait envoyé un prêtre, un moine et un .
cavalier tcherkesse à Moscou, pour supplier
I edor de prendre sous sa puissante protection
l'antique et illustre ibérie, en lui disant : « Les
M lemps de calamité pour les chrétiens, pré-
» vus par plusieurs hommes inspirés de Dieu,
j> sont arrivés. Nous, frères coreligionnaires
» des Russes, nous gémissons sous les inli-
» dèles; Souverain orlhodoxe , tu peux seul
» sauver notre vie et nos âmes. Moi et mon
» peuple nous tombons à tes pieds, en de-
j) mandant de t'apparlenir à jamais (Sj) ».
C'est avec de pareilles instances qu'on offrait
à la Russie un nouveau Royaume, qui n'avait
pu être soumis, ni par les anciens Persans ,
ni par les Macédoniens , et qui fut la plus glo-
rieuse conquête de Pompée.La Russie l'accepta:
mais c'était un présent dangereux, parce qu'en
établissant notre souveraineté sur les bonis du
Kour, nous nous mettions entre deux forte
DE RUSSIE. 89
pnissances bcllioérnntcs ; laTiir({iiie possédait
déjà rihérie occidenlale et dispulail au Scliali
la partie orientale, exigeant un Iribul du Caket
où régnait Ah xandre , et du Carthuel soumis
au prince Siméon , son gendre. Mais il s'agis-
sait plutôt d'un \ain honneur , que d'une do-
mination réellesurdescontréesaussi éloignées
et tellement inaccessibles à la Russie, que Fé-
dor , en se déclarant Souverain de la Géorgie,
ne connaissait pas encore la route (pii y con-
duisait. Alexandre lui proposa de construire
des forteresses sur le Térek , et d'envoyer une
vingtaine de mille hommes contre \i; Schm^-
kal ou Schamhal (58), Prince turbulent du
Dagestim, pour s'emparer de Tarki sa capitale,
et ouvrir des communications avec i'Il^éric
par les bords de ia mer Caspienne , à travers
le pays du petit prince de SaTour , son tribu-
taire. Cette expédition demandait du temps et
des préparatifs, et l'on choisit une autre route
plus sure par le pays du pacifique prince des
Avares. On expédia d'abord des courriers de
Moscou (09) , afin de faire prêter serment de
iidélité , au Tsar et à la nation d'Ibérie ; et
après eux , on envoya le prince Siméon Zvé-
go HISTOIRE
Tiigorodsky , avec une leltre tie grâce. Alexan-
dre , en baisant la croix , jura avec ses Irois
lils , lléraclius , David , et Georges, ainsi que
toute la >'alion, de rester toujours sujet iidèle
de Fédor , de ses enfans et de ses successeurs ;
d'avoir les mêmes amis et ennemis que la
Russie, et de la servir avec zèle jusqu'à la
mort; d'envoyer chaque année à Moscou
cinquante pièces de drap d'or de Perse , et dix
tapis brodés en or et en argent, ou la valeur
de ces objets en productions du pays. De son
côté , Fédor leur promit sa protection , et il
tint cet engagement autant qu'il fut en son
pouvoir.
La petite ville de Tersk, abandonnée par
nous pour complaire au Sultan, servait depuis
quelque temps de refuge aux Cosaques libres ;
elle fut rétablie et occupée par des Stréletz
sous les ordres du voïévode Khvorostinin.
Cet officier était chargé de consolider l'auto-
rité de la Russie , sur les princes Tcherkesses
et de la Kabarda , nos sujets depuis les temps
d'Ivan , et de protéger flbérie, conjointement
avec eux. D'autres troupes d'Astrakhan sou-
mirent le Scliavkal et s'emparèrent des bords
DK RUSSIE. f)I
de la Koïssa.FtHlor,qiii avait envoyé de Tarlil-
lorieà Alexandre, lui avai t promis égalenienl
des lioninie habiles dans Tari de Iboilre les
canons.
Enconragé par les promesses de la Piussic ,
Alexandre augmenta sa propre armée ; il ras-
sembla quinze mille cavaliers et fantassins ;
il les mena au camp, les exerça, leur remit
des drapeaux ornés de la croix, el leur donna
des évèquesel des moines pour chefs. 11 disait
au prince Zvénigorodsky : « Gloire au souve-
» rain de la Russie ! Celle armée n'est point
» à moi , mais à Dieu et à Fédor ». A celle
époque les Pachas Ollomans lui demandèrent
des provisions pour Baka et Derbent; il les
leur refusa en disant : « Je suis sujet du grand
» Tsar de Moscou ». Et lorsqu'ils lui hrent
observer que Moscou était éloigné et que les
Turcs étaient près , il leur répondit : « Le
Térek et Astrakhan ne sont pas loin ». Mais
notre Conseil lui donna le sage avis d'amuser
le Sultan , et de ne pas l'irriter jusqu'au mo-
ment où l'Europeentière se soulèverait contre
l'empire Ottoman. Le bruit s'était répandu
que le tsarévitche Mourat , gendre du Schav-
9^ lîISTOIlVK
kal , songeait à nous trahir, et se concertait
secrètement avec son ])eaii-père, les Nogais et
les perfides princes Tclierkesses , pour s'em-
parer d'Astrakhan et livrer cette ville au Sul-
tan. Alexandre conjurale TvSar de ne pas se lier
aux Mahométans, en ajoutant ({ue s'il arrivait
quelque chose à Astrakhan , il abandonnerait
son misérable Pioyaume et s'enfuirait là où
ses yeux le conduiraient. ]Mais le prince Zvé-
nigorodsky le calma. « Nous ne perdrons pas
» de vue Mourat , lui diî-il , et nous avons des
» otages de tous les princes Nogais. Le Sul-
w tan et le Khan ont déjà honteusement fui,
» en 1569, devant Astrakhan , ville main-
» tenant encore mieux forliiiée et qui est
» remplie de soldats. La Pvussie sait se délen-
» dre et défend les siens ». Cependant, en
nous occupant de la sûreté politique de l'Ibé-
rie , nous y répandions aussi les bienfaisantes
lumières de la religion : on y envoya des prê-
tres éclairés pour réformer les usages de son
Eglise , et des peintres pour orner ses temples
de saintes images. Alexandre répétait avec at-
tendrissement , que la lettre de grâce du Tsar
était tombce, poiw lui y du ciel et l'avait tiré des
DE RUSSIE. C)3
Icni'Lres ; que nos pnirrs riaient des anges
pour le clergé (ril)érie abruti par rignorance.
En effet, se glorifiant de l'ancienneté du chris-
tianisme dans son pays, ce clergé malheureux
avait déjà oublié les principaux dogmes des
conciles œcuméniques et les rites sacrés du
service divin. La plupart des églises, cons-
truites au haut des montijgnes , étaient isolées
et désertes: en les examinant avec attention ,
les prêtres de Moscou trouvèrent dans quel-
ques-unes des restes de riches orneniens , avec
la marque de Tannée 144^ " Dans ces temps,
j> leur disait AJexandre , Tlbérie était sons la
» domination du grand d(\spole Georges; elle
V ne formait alors ([u'un seul état : par mal-
» heur , mon ayeul la divisa en trois princi-
» pautés, et la livra à la merci des ennemis
» du Christ. Nous sommes entourés d'infi-
» dèles, mais nous rendons encore hommage
» au vrai Dieu et au Tsar orthodoxe «. Le
prince Zvénigorodsky promit, au nom de la
Russie , rindépeiidance de toute Tibérie et le
rétablissement de ses temples et de ses villes ,
dont il voyait partout les ruines. 11 ne paria
dans ses dépêches que de deux petites villes ,
ÎJelrlir.ns
arccla Perse.
94 itisToinE
Krini et Zahem (60) vl (Vun pclit iiDiribrc rie
bourgs et de couvens. D('s ce inoinent IVclor
commença à ajouter à ses titres celui dé Soiwc-
raindlberic, des Tsars de Géorgie ^ de la Ka-
barda el des princes Tcherhesscs.
Non seulement nous otïensions le Sultan
par le rétablissement de la forteresse de Terslc
et par la prise de possession de la Géorgie ,
mais nous excitions encore plus son mécon-
tentement par notre amitié avec la Perse. Le
schali Godabent (ou lloudabeiidé ) informa
Fédor de ses prétendues victoires sur les Turcs,
et lui proposa de les chasser de Caka et de Der-
bent , s'engageant à nous céder à jamais ces
villes, qui avaient long-temps appartenu à la
Perse (6i).Fédor, pour conclure à ces con-
ditions un iraité avec leSchah , envoya auprès
de lui ., en i588 , le gentiliiomme Yassiltchi-
koff , qui trouva déjà Godabent en prison ,
et sur le trône son fils Mirza Abbas qui TeH
avait renversé. Mais ce changement ne troublaf
pas la bonne harmonie qui ri'gnait entre lîl
Pvussie et la Perse. Le nouveau Schah reçut
avec une grande considération Fenvoyé de
Fédor à Kasbin; il fit partir au^silot pour
DE RUSSIE. 95
Moscou deux de ses dignitaires, Boutakbeket
Andiheï , chargés d'annoncer au Tsar qu'il lui
cédai! non seulement Derbent et Baka , niais
Tauris cl tout le pays de Chirvan (62) , si l'on
parvenait , par notre secours, à en ch:isser les
Turcs; il ajoutait cpie le Sultan , désirant ma-
rier sa lille au neveu d'Abb:is, lui avait offert
la paix; mais qu'il ne voulait même pas en
entendre parler, dans l'espoir d'une alliance
avec la Russie et avec le Souverain de l'Espa-
gne , dont l'Ambassadeur se trouvait alors en
Perse (60). Présentés en particulier à Godou-
noff, les envoyés du Scliali s'exprimèrent
ainsi : « Si nos Souverains sont alliés et amis,
» que ne pourront-ils pas faire avec leurs
» forces réunies ? C'est peu que de chasser les
» Turcs du territoire de la Perse , on peut
» même concjuérir Constantinople (64). Mais
» de pareilles œuvres ne s'opèrent que par
7> des hommes d'un grand génie ; quelle gloire
» ce serait pour toi , homme illustré par
» ton rang et les grâces de ton Souverain , si ,
» par tes sages conseils, le monde était délivré
» des violences des Ottomans » ! On leur ré-
pondit que nous agissionsdéjà contre Amurat ;
96 HISTOIRE
que notre armée élait sur le Térek, el coupait
à celle du Sultan la route de la mer Noire vers
les possessions de la Perse; qu'une autre, plus
nombreuse, était à Astrakhan; qu'Amur.jt
avait déjà ordonné à ses Pachas de marcher
vers la mer Caspienne , mais qu'il les avait
reienus , lorsqu'il avait eu connaissance des
nouveaux forts que les Russes avaient élevés
dans ces contrées dangereuses , et de la réu-
nion de tous les Princes Tcherkesses et Nogais
prêts à se raliier et à marcher contre les Turcs
sous les drapeaux Moscovites. On congédia
ainsi ces Ambassadeurs , en leur disant qu'ils
seraient suivis par ceux que nous devions en-
vover au Schah ; mais ils n'avaient pas encore
eu le temps de partir , qu'on apprit à Moscou
la nouvelle qu'Abbas venait de conclure la
paix avec le Sultan.
C'est ainsi que , pendant les premières an-
nées du règne de Fédor ou de la puissance de
Godounol'f, agissait au dehors la politique
pacifique et ambitieuse delà Russie; politique
qui n'était ni sans tinesse ni sans succès ; mon-
trant plus de prudence que de hardiesse , et
employant habilement tour à tour la menace,
DE RXISStK. 97
la flaitcrio , et dos promesses pou sineères,
Nons ne voulions pas provoquer la guerre ,
mais nous nous y préparions, on nous forti-
fiant partout , et en augmentant l'armée (65).
Fédor , désirant être en quolciue sorte invi- ^^^""'s '"■
sihle et présent au milieu de ses eamps , insli-
tua des revues générales, el ehoisit , à cet effet ,
parmi les hommes de sa Cour , des militaires
habiles et expérimentés, qui allaient d'un
corps à l'autre examiner l'état des hommes et
des armes , pour en faire leur rapport nu
Monarque (GG). Les Yoïévodes , inflexibles
dans leurs funestes disputes sur ranciennelé
de leurs familles , se soumettaient sans mur-
mure au jugement des Gentilshommes , des
Stolniks et des enfans Boyards , qui , à ces re-
vues , représentaient le Souverain.
Tout était tranquille dans l'intérieur de
l'Empire. Le gouvernement s'occupait d'im
nouveau recensement des lionimes et des terres
labourables (Gy) , de la répartition égale des
impôts, dcs moyens de peupler les déserts ,
et de la construction de nouvelles villes. En
i584, les voïévodes Nastchokin et Volohoff r ,
fondèrent , sur les bords de la Dvina , la ville <^ '^ '-''"'a'^'-
ÏU3IE X. 7
î)8 HISTOIRE
(FArkhangtl, jirts de la place oùse trouvaient
le couvent de ce nom et rétablissement des
luarcliands An^^lais. On lortilia, en Tcnlou-
rant irune muraille en pierre (G8), Astrakhan,
qui élail menacée par le Suilan. Ceîle place ,
d'une grande imporlance pour noire poli-
tique ainsi que pour noire commerce avec
rOrient, n'était pas moins nécessaire pour
tenir en respect les Nogais , les Tcherkesses et
Constri.c- tous Ics Princcs leurs voisins. A Moscou on
tion lie la < il le . , i r i
Biai.du: , ou batit, en ijob, autour du grand iaubourg ,
Moscou. la ville Blanclie ou Tsargorod , enceinte (pii
commençait à la porte de Tver. On construi-
sit beaucoup de palais dans le Kremlin , la
cour des Monnaies , le collège des Ambassa-
deurs, celui des Domaines, la Trésorerie et
Fondniicu le pakus de Kazan. On place aussi , vers cette
époque, la Ibudation de la ville d'Ouralsk.
En i584 , six ou sept cents Cosaques du Volga,
se choisirent une habitation aux bords du
Jaïk , dans un endroit favorable à la pèche ; ils
Fenlourèrent de remparts de terre , et devin-
3'ent la terreur des Nogais et particulièrement
du prince Ourouse, iils d'ismael , qui ne ces-
sait d'adresser des plaintes au Tsar sur leurs
DE RUSSIE. (jy
brlganJagos; le Tsar lui répondait toujours
que c'étaient des fuyards, des vagabonils, et
qu'ils y demeuraient de leur propre volonté ;
mais Ourouse lui écrivait: « Une ville aussi
» iniporlanle peut-elle exister sans que lu le
» saches? Quelques-uns de ces brigands, (jui
» sont nos prisonniers, déclarent appartenir
>' au Tsar ». Observons que cette époque est
la plus florissante de l'histoire des Cosaques
du Don et du Volga. Leur réputation de cou-
rage s'était répandue depuis Azotf jusqu'à ITs-
ker. En irritant le Sultan, en menaçant le
Khan , en domptant les Nogais, ils alTermis-
saient le pouvoir des Souverains de Moscovie
dans le Nord de l'Asie.
Au milieu de ces circonstances favorables à
la grandeur ejt à la sécurité de la Russie, lors-
que tout prouvait la pénétration et l'activité
du gouvernement, c'est-à-dire de Godounoff,
ce Boyard était en butte à l'envie et à Tinlrigue,
malgré son habileté dans l'art de séduire les
hommes. L'orgueilleux Godounoff, qui com- d .nsTs lU
muniquaitenson propre nom avec les Souve- Godounoff.
rains de l'Asie et de l'Europe, qui échangeait
des présens avec eux et recevait solennelle-
loo nisTouiE
nienl leurs Ambassacieurs dans sa maison (6<)),
voulait paraître modt'sto , cl , à œt effet, cé-
dait, dans le Conseil, la préséance aux 'sei-
gneurs plus anciens que lui ; mais quoiqu'il
y siégeât à la quatrième place , d'un seul mot ,
d'un seul regard ou d'un seul geste, il impo-
sait silence à la contradiction. Il inventait des
distinctions , des marques de la faveur souve-
raine , pour flatter la vanité des Boyards. C'est
ain§i qu'il introduisit l'usage des diners invi-
tés , pour les membres du Conseil, dans les
appartemens intérieurs du palais (70), où
Fédor recevait lesGodounoff et les Schouisky,
quelquefois sans inviter Boris. Vaine ruse ;
ceux que le Grand Boyard admettait ces jours-
là à sa table, étaient enviés parles hôtes mêmes
du Monarque. Tout le monde savait que le
Régent ne laissait à Fédor que le nom de Tsar,
et ce n'était pas seulement parmi les premiers
personnages de l'Etat, mais même dans la
bourgeoisie de la capitale , qu'on avait en gé-
néral j)eu d'amour pour Boris. Un pouvoir
absolu entre les mains , même du plus digne
des sujets , déplait à la nation ; Adacheff avait
eu de l'empire sur le cœur d'Ivan ; il gouverna
DE RUSSIE. ICI
la Puisslc , mais il se tint toujours moclcste-
mcnt derrière un Monarque plein (Fénerf^ie
et d'activité ; il fut comme invisible au milieu
de la gloire d'Ivan : Godounoff , au contraire,
• commandait en souverain ; il se plaçait or-
gueilleusement devant le trône, et semblait
effacer par son éclat la splendeur du faible
Monarque. On plaignait la nullité de Fédor ,
et on ne voyait en Godounoff que l'usurpa-
teur de la souveraineté. On se rappelait son
origine tatare (71) , et l'on rougissait de l'a-
baissement des successeurs de Kurik. On écou-
tait ses flatteurs avec indifférence , et ses enne-
mis avec intérêt; on croyait facilement ceux-
ci lorqu'ils disaient que le gendre de Malutin,
favori d'Ivan , était un tyran encore timide.
Tout ce qu'il avait fait pour le bien général ,
ses entreprises les plus heureuses , ne faisaient
qu'irriter l'envie, envenimer ses traits, et
mettre le favori dans la dangereuse nécessité
d'agir par la terreur ; mais il chercha à éloi-
gner encore ce moyen extrême : c'est pour
l'éviter qu'il parut désirer une réconciliation
avec les Schouisky , qui , ayant des amis dans
le Conseil et des gens dévoués parmi le peu-
I02 HISTOIRE
pie , surtout parmi It-s marchands , ne cos-
saient de témoigner ouvertement leur inimi-
tié contre GodounolT (72). Le prélat Dionisi
se chargea du rôle de pacilicateur : il ménagea
aux deux partis une entrevue dans son palais ,
au Kremlin , et parla au nom de la patrie et
de la religion. Il paraissait les avoir touchés et
convaincus. Boris , avec Tapparence de la sin-
cérité, tendit la main aux Schouisky : ils ju-
rèrent de vivre en frères, et de travailler, d'un
commun accord , au bonheur de l'Etat. Le
prince Ivan Schouisky , sortit avec un air ra-
dieux de chez le Métropolitain , et se rendit
sur la grande place du palais , afin d'informer
de cette heureuse réconciliation , le peuple
que la curiosité y avait rassemblé : ce cpii
prouve le vif intérêt qu'à cette époque les ci-
toyens prenaient aux affaires publiques ; ils
commençaient déjà à se relever de l'abatte-
ment où les avait plongés la tyrannie d'ïvan.
Tous écoutèrent en silence le héros de Pskoff ;
mais deux marchands sortirent de la foule en
disant : « Prince Iran , c'est de nos têtes que
nous payerons votre réconciliation ; et vous
et nous, serons à la fois victimes de Boris »,
«E RUSSIE. Io3
La mémo nu il ces deux marchands furent ar-
rêtés et envoyés, par les ordres de Godounoiï",
dans un endroit ignoré. Il avait désiré désar-
mer les Scliouisky par sa réconciliation avec
eux; mais il s'aperçut bientôt qu'ils ne lui
cédaient pas en ruse, et que, sous Tapparence
d'une fausse amitié, ils étaient restés ses en-
nemis irréconciliables, agissant de concert
avec un autre ennemi de Boris, mais inconnu
jusqu'alors.
Quoique le clergé de Russie n'eut jamais
témoigné un grand empressement à interve-
nir dans les choses temporelles, et qu'il se fut
toujours montré plutôt docile que rebelle à
la volonté des souverains , même dans les
affaires de l'Eglise ; quoique , dès le temps
d'Ivan III, nos métropolitains eussent répon-
du solennellement, dans différentes circons-
tances , qu'ils s'occupaient uniquement des
réglemens du service divin , de l'instruction
chrétienne, de la conscience des hommes et du
salut des âmes (73); toutefois, assistant à l'as-
semblée des Etats-Généraux, convoqués dans
les occasions extraordinaires, pour des régle-
mens politiques de haute importance, avec le
Io4 HISTOIRE
droit, sinon de proposer, au moins d'ap-
prouver ou de conliriner les lois civiles (74) »
elavec celui de donner des conseils au Tsar et
aux Boyards, et de leur expliquer les lois di-
vines pour le bonheur des hommes, sur la
terre, ces hiérarques prenaient part au gou-
vernement , chacun dans la mesure de ces pro-
pres talens, el selon le caractère des souve-
rains. Cette autorité fut faible sous Ivan III et
sous Basile, plus grande pendant Fenfance et
la jeunesse d Ivan IV, et réduite à presque
rien durant Fépoque de sa tyrannie. Sous un
prince tel que Fédor, si faible d'esprit et de
caractère , s'occupant avec plus de zèle de
l'Eglise que de FEmpire, et préférant la so-
ciété des moines à celle des Boyards, on sent
quelle prépondérance , dans les affaires poli-
tiques , aurait pu obtenir un Métropolitain
ambitieux , plein de talent et d'éloquence,
(car tel était Dionisi, surnommé le savaiU
grammairien (70)), si Godounoîf n'y avait
opposé son autorité sans bornes : ce n'était
point pour la céder à des moines qu'il l'avait
recherchée ; il hanorait le Clergé , comme les
Boyards , seulement par des marques de con-
DE RUSSIE. I05
siik'ralion. Il (TOiitait avec bienvcillanco le
Mctropolilaiii, entrait en discussion avec lui ,
mais agissait avec indépendance , et Tirritait
par l'énergie inflexible de sa volonté : ce qui
explique rinimitié de Dionisi conlre Godou-
noff , et son intime liaisonavec lesScliouisky.
Sachant que le llégent n'était puissant que par
la Tsarine, et persuadés que le faible Tédor
ne pouvait avoir un grand attachement ni
pour Boris ni pour Irène, et qu'il serait fa-
cile de l'entraîner par la surprise et la crainte
à un grand coup d'Etat , le Métropolitain, les
Schouisky et leurs amis, convinrent secrète-
ment, avec les marchands de Moscou (76), et
quelques fonctionnaires civils et militaires,
de supplier Fédor, au nom de toute la Russie,
de faire divorce avec sa femme , pour cause
de stérilité, de la faire entrer, comme une
seconde Solomée , dans un couvent, et d'en
prendre une autre, afin d'avoir des héritiers,
gages précieux delà tranquillité de l'Etat. On
voulait appuyer par une émeute populaire ,
cette demande de la nation , qu'on prétendait
effrayée de voir s'éteindre sur le trône la race
de ïlurik. On assure même qu'on avait choisi
If>f> HISTOIRE
Ja l'utiire épouse; cVlail la sœur du prince
Fcdor jMslisJafsky , donllo père , renversé par
Godounolf, était mort dans le eouvent de
Saint-Cyrille. On écrivit une supplique , et
on s'engagea par serment à la soutenir. Mais
Boris avait un grand nombre de créatures et
d'espions , il découvrit encore à temps ce
complot si terrible pour lui, et se conduisit
en apparence avec une rare générosité. Sans
montrer de colère, sans faire de reproches au
Métropolitain, il essaya de loucher sa cons-
cience; il lui représenta que le divorce était
illégal; que Fédor pouvait encore avoir des
enfans d'Jrène , qu^elle était à la Heur de Tàge,
et brillante de beauté et de vertus: dans tous
les cas, ajouta-t-iî , le trône ne serait pas va-
cant, puisque le tsarévitche Dmitri était en
vie et en parfaite santé. Trompé peut-être par
cette modération , Dionisi s'excusa , chercha
à excuser aussi ses complices, alléguant leur
amour craintif et zélé pour la tranquillité de
la Russie, el donna sa parole, en son nom et
au leur, de ne plus songer à séparer de ten-
dres époux. Godounoff , en promettant de ne
tirer vengeance , ni des auteurs ni des com-
DE RUSSIE. lO^
pllcos de celte manœuvre , se coiilenla d'une
seule victime. La malheureuse princesse Mslis-
lafsky, rivale dangereuse d"lrèue, fut con-
trainte à prendre: le voile.
Tout était tranquille dans la capilde, au
Conseil el h la Cour; mais cet état de choses
ne dura pas long-lemps. Pour ne point violer
ouvertement sa parole , Godounoff, chercha
un autre préfexte de vengeance. Il se jus-
tifiait à ses propres yeux en songeant à la haine
irréconciliable de ses ennem.is , à la nécessité
d'assurer, avec son propre salut, le salut de
l'Etat , enlin , en se r.ippelant tous les services
qu'il avail rendus à la Russie, et tous ceux
que , dans son zèle pour sa prospérité , il pro-
jettait de lui rendre encore. Il chercha et ne
rougit pas d'employer un moyen vil el bas ,
l'arme usée de la tyrannie d'Ivan , de fausses
dénoncialions. On raconte qu'un serviteur
des Sciiouisky , lui vendant son honneur et
sa conscience, se présenta au palais, en les
accusant d'avoir tramé un complot avec les
marcliands de Moscou , et de songer à trahir
le Tsar (77). Les Schouisky furent arrêtés^ de
même que leurs amis, les princes Taleff, Ou-
loS HISTOIRE
roussoff, Kaiitcheir, Bikassoff, beaucoup de
genlilshommes et de riches marcliands. Ou
nomma une commission extraordinaire ; les
accusés et les témoins lurent interrogés. On
ne mit pas à la question les nobles et les di-
gnitaires , mais on tortura sans miséricorde
les valets et les marchands; ce iiit sans succès,
car aucun d'eux , selon ce qu'on disait parmi
le peuple , ne voulut appuyer la calomnie du
délateur. Toutefois les accusés ne furent pas
Exiisctsup- absous ijar le tribunal. On exila les Schouiskv,
en se vantant d'user encore de clémence et de
reconnaître les services du héros de Pskoff.
Le prince André , déclaré principal coupable,
fut exilé à Kargopol ; le prince Ivan , sous le
prétexte de s'être laissé séduire par lui et par
ses frères, à Belooséro. On ôta la lieutenance
de Kargopol, au prince Basile Skopin Schouis-
ky, leur aine; mais ayant été déclaré inno-
cent, on lui permit d'habiter Moscou ; d'au-
tres furent envoyés dans la petite ville de
Boui , à Galitche , à Schouïa ; le prince Tateff,
à Astrakhan; Kruk-Kolitcheff, à Nijni Mov-
gorpd ; les Bikassoff et beaucoup de gentils-
hommes , à Vologda et en Sibérie. Les mar-
JIE RUSSIE. TO9
cliancîs de Moscou , qui avalent trempé dans
1( complot coiilre Irène , Fédor Nagoï et six
de SCS compagnons eurent la tèie tranchée sur
la place publique. Jusque-là, le Métropoli-
tain avait été épargné ; mais il ne voulut pas
être le témoin pusillanime de cette persécu-
tion , et plein d'un généreux courage , en pré-
sence de Fédor , il nomma publiquement Go-
dounoff calomniateur et tyran , en attestant
que les Schouisky et leurs amis ne périssaient
que pour avoir voulu sauver la Russie de
ravnbillon démesurée de Boris. Yarlaam , ar-
chevêque de Khoutinsk , accusa le régent avec
la même audace : il le menaçait de la ven-
geance céleste, et, sans redouter celle des
hommes, il accusa Fédor de faiblesse et d'a-
veuglement. On déposa Dionisi et Variaam,
a ce qu'il parait sans aucun jugement ; le pre-
mier fut renfermé dans le couvent de Khou-
tinsk, le second dans celui de Saint-Antoine
à Novgorod , et Ton consacra Métropolitain,
Job, archevèfjue de Piostoli". Craignant les
hommes, mais ayant perdu toute crainte de
Dieu, le Piègent, à ce qu'assurent les Anna-
listes , ordonna d'étrangler dans leur prison
IlO JiisroïKE
los deux principaux Schoulsky , Itî li()}ar(l
Andrc dislingue par son esprit, et l'illustr.'
prince Ivan, le sauveur de PskoO et de noire
gloire Tuililaire. I^liomme inriniortel dans
riiistoiro , dont Téclatante action a clé dé-
crite, dansplusieursdes langues Européennes,
par les contemporains qui se sont plus à ren-
dre cet hommage à la llussie (78) , périt mi-
sérablement au fond d'un o'oscur cachot ; on
livra à un infâme cordon sa tète couronnée de
Mort<i.'|jio. lauriers. Son corps lut inhumé dans le cou-
r;ib'c tlii hc'ios ,
sciiouisky. vent de Saint-Cyrille.
C'est ainsi que commencèrent les crimes de
Godounofl et que son âme parut au grand
jour. Enivré des séiluctions du pouvoir, ir-
rité par les complots de ses ennemis et en-
durci parla vengeance, espérant retenir par
la crainte les maiveillans, augmenter par des
grâces le nombre de ses créatures, et imposer
silence à la malignité, par sa sagesse dans la
conduite des ailaires de l'Etat, Boris osa se
rendre coupable d'un nouveau forfait, où la
perfidie s'unissait à la cruauté. Le malheureux
Magnus, roi unique dans l'histoire de la Li-
vonie, étail mort avant la fin du règne d'Ivan,
I)E r, T'SSIF.. III
à Pilten (79), où sa veuve Marie, el sa lille Eu-
doxie âgée de doux ans, étaient rrslécs sans
forlune , sans i)alrio et sans aaiis. Godonnnff ^ , ,
les appela à >Ioscou, en promeiiant à Marie '"""''•• l'e Ma-
nn riche, domaine et nn éponx iilnsire. Mais
prévoyant Tavenir el craignant («u'en cas de
mort de Fédor et de Dniitri , celte arriérc-pe-
tile-lille d'Ivan le Grand ne prétendit à se {aire.
proclamer héritière du Trône, quoicjiie la
chose lut sans exemple et en opposition avec
nos lois, Ijoris , qui disposait déjà de ce trône
dans son esprit , au lieu d'un domaine et (Vun
époux, lui <lonna le choix entre un couvent
et une prison. Religieuse contre son gré ,
Marie ne demanda que hi consolation de ne
pas être séparée de sa chère Eudoxie ; mais
bientôt elle eut à pleurer sa mort, qu'oii ne
crut pas naturelle, et e\\(t vécut encore une
huitaine d'années, dans la plus profonde ai-
lliclion , versant des larmes amères sur le sort
de son père , de son époux et de sa fille (8o\
Marie et Eudoxie, cos deux victimes d'un
ambitieux cruel et soupçonneux, reposent
dans le couvent de Troïtza, liors de l'église ,
près de l'endroit où est placé, comme à l'é-
112 IIISTOIIIE
cart, le simple lombeau de leur persécuteur ,
de ce Boris cpie ni sa grandeur ni sa gloire nu
purent sauver de la jusie vengeance du ciel.
Mais cette vengeance, pour éclater, atten-
dit encore de nouveaux crimes.... Godounoil
avait dompté la Cour par la chute des Scliouis-
ky, le Clergé par celle du Métropolitain, et
les citoyens de la capitale par le supplice des
principaux marchands de Moscou; il avait
entouré le Tsar et rempli le Conseil de ses
plus proches parens ; il ne voyait donc plus
d'opposition, ni de danger alarmant pour
lui, jusqu'à la tin des jours, ou plutôt du
sommeil de Fédor, car c'CvSt le nom qu'on
peut donner à la pieuse oisiveté dans laquelle
languissait ce déhile Monarc^ue , et dont les
contemporains nous ont don né la description
suivanle.
Oisiveté Je Fédor se levait régulièrement à auatrc
Fédor. ^ . 7
heures du matin, et attendait son confesseur
dans sa chamhre à coucher , ([ui était remplie
d'imagesetéclairée jouret nuit par des lampes.
Le conlesseur venait avec la croix , Feau bé-r
nile et l'image du saint que l'Eglise fêtait ce
jour-là. Le Souverain se proslcrnaii , priait à
DE HUSSIE. Il3
baille vol\ pendant pins de dix minutes , pas-
sait dans l'apparlement particulier d'Irène, et
allait avec elle aux Matines; à son retour, il
s'asseyait dans un fauteuil placé dans une
grande chanihre où les courtisans et les moi-
nes venaient lui souhaiter le bon jour ; à neuf
beures, il allait à la Messe et dinait à onze.
Après diner, ii dormait trois heures, retour-
nait à l'église pour les Yespres, et tout le reste
du temps jusqu'au souper, il le passait avec la
Tsarine, et avec des bouffons et des nains,
s'amusanl de leurs lazzis ou écoutant des chan-
sons. Quelquefois il admirait les ouvrages de
ses joailliers , de ses orfèvres , de ses brodeurs
et de ses peintres. La nuit , il se préparait
au sommeil en priant de nouveau avec son
confesseur, et il se couchait, après avoir reçu
sa bénédiction. Chaque semaine , il visitait
les couvens des environs de la capitale, et,
les jours de féies, il s'amusait à la chasse des
ours. Souvent les gens qui avaient des sup-
pliques à présenter entouraient Fédor au
moment où il sortait de son palais; mais
éçiiani les affaires et les fatigues de ce monde , ii
Tome X. 8
U4 HISTOIKE
ne voulait pas les cnlenJre et les renvoyait à
Boris (8 1)
Le rusé Godounon , tout en se réjouissant
intérieurement de cette honteuse inactivité du
Souverain , ne cherchait qu'à relever Irène
aux yeux des Piusscs , publiant des ordon-
dances de grâce , accordant des pardons , des
récompenses et des consolations, au seul nom
de cette princesse , sans y joindre celui de Fé-
dor. C'est ainsi qu'il faisait servir Famour , le
respect et la reconnaissance de la nation pour
la Souveraine , à cimenter sa propre puis-
sance , pour le présent et dans l'avenir.
DE RUSSIE. lia
CIIAPITIIE II.
:o_
i3oy — ijg2.
Mon (le Eaihorî. — îségociaiinns importantes avec la
Lllhuanie. — Trêve. — Relations avec l'Aulrithe et la
Tauride. — Guerre de Suède. — Nouvel r.nnislice
avec la Lilhuanie. — Gloire de Godounoff. — Elablîs-
sement du patriarcat en Russie. — Projet de Godou-
noff. — Assassinai du Tsarévilche Dmilri. — Incendie
de iMoscou. — Invasion du Khan, et combat sous les
murs de Moscou. — Nouveau titre de Godounoff. — Le
Couvent ce Donskoï. — Calomnie contre le Pxégent, et
sa vengeance. — Clémence et gloire de Godounoff. —
(irosscsse d'Irène. — Naissance et mort de la Tsarcvna
Thcodosie.
Etienne Bailiorl mourut le 12 déceni]>re 15.S7--1592.
i586 , et Ton altribua sa mort au poison (82^^, Bathori. *
ou à l'inhabileté des médecins. Il fut un des
plus illustres souverains du monde et un des
plus redoutables ennemis de la Russie ; aussi
celle mort nous causa-l-elle plus de joie ,
qu'elle ne causa de peine à ses sujets. En effet,
Ilb HISTOIRE
i5S7-i5ç)2. nous craignions de retrouver en lui un aafre
Gédimin , un autre Vilofl ; et la Pologne et la
Lilhuanie ingrates , préieraient une tranquil-
lité qui ne leur coulait rien, à une gloire
onéreuse. Si Bailiori , avec le génie dont il
était doué , avait survécu à Godounoi'f, les dix
premières années du nouveau siècle auraient
peut-être vu s'évanouir pour jamais la gran-
deur de la Russie, tant le sort des Etats dépend
des individus et des circonstances!
Le2odécembre le Conseil des Boyards reçut
de diiiérens endroits le nouvelle de la mort
de Balhori, quoiqu'elle ne fut pas encore ofii-
cielie. Nos Voïévodes, qui se trouvaient sur la
frontière de la Lithuanie , l'écrivaient au Tsar
comme un simple bruit, en ajoutant cpie les
seigneurs Polonais songeaient à choisir pour
leur Roi, ou le frère d'Etienne, prince de
Transylvanie , ou le fils de Sigismond , roi de
Suède ) ou bien lui-même Fédor. Godounoff
vit aussit(M flionneur et l'avantage qu'olfri-
rait la réunion des trois couronnes. On en-
voya sur-le-champ en Lilhuanie le gentil-
homme Rjevsky , alin de s'assurer de la mort
d'Etienne, de témoigner aux Seigneurs la part
DE RUSSIE. 117
qu'on prenait à leur chagrin , cl de leur pro-
i)oser d'élire le Tsar pour leur Roi. Pijevsky N''?'>'^i'«>"Tis
•• 1 I j jiTijioi t;iiiUs
revint avec une leltre de remercîmens delà ^;e( '« ll-
part des seigneurs Lithuaniens ; mais ils
n'avaient pas voulu entamer de négociations,
disant qu'une aiiaire de cette imporlance se-
rait décidée par la Diète à Varsovie, où le Tsar
devait envoyer ses ambassadeurs. Ils avaient
confié sous le secret , à Rjevsky , que Fédor et
les Boyards de Moscou leur avaient écrit avec
trop de froideur , et sans suivre l'exemple de
l'Empereur , do la France et de la Suède qui
les comblaient de caresses en même temps que
de présens. A cette époque la Lithuanie et la
Pologne étaient dans une grande agitation;
les passions étaient en mouvement. Les Séna-
teurs et les Nobles se divisèrent; les uns sou-
tenaient le parti de Zamoïsky , compagnon
d'armes d'Etienne; les autres celui des Zbo-
rovsky , ennemis de Bathori. Ceux-ci en vin-
rent au point , que dans des réunions solen-
nelles , ils tirèrent leurs glaives contre ceux
qui étaient dévoués à la glorieuse mémoire du
roi défunt. Les deux partis attendaient la
Diète comme un combat ; ils s'armaient , sala-
Il8 HISTOIRE
rialenl des soldats , avaient des gardes et des
camps. Mais la Uihiianie , limitrophe de la
lUissie , redoulail noire puissance ; et deii\
ilhislros ambassadeurs, Tcliernikovsky et le
prince Oginsky arrivèrent à Moscou , le 6
avril, et conjurèrent Fédor de proroger jus-
qu'à l'année i588, la trêve avec leur Etat,
privé de chef. Les Boyards, se prêtant volon-
tiers à celte convention, leur dirent que le
bonheur ou le malheur de la Pologne et de
ia Liiluianie dépendait de la conduite de leurs
Nobles ; le bonheur , s'ils se soumettaient
au grand monarque de la Ptussie, le malheur,
s'ils se tournaient de nouveau vers le barbare
de la Transylvanie, ou vers Tonibre du royau-
me de Suède. « Déjà vous avez eu Balhori sur
» le trône , leur dirent-ils , et avec lui , la
» guerre , la ruine et la honte : puisque vous
» avez payé , par les mains même de votre
» Souverain , un tribut au SuUan. Que peut-
» on attendre de la générosité d'un aventurier
» dont l'àmc est aussi basse que son exirac-
« tion, qui n'est guidé que par un vil intérêt,
» et qui est sans pitié pour les Chrétiens ? Est-
» ce dans son cœur que peut habiter le saint
DE RUSSIE. ug
» amour, sans liMjuel, selon les paroles de
i^ TApcMre , le pouvoir même tîe remuer des
» monJagnes , n'est rien? jS'est-ce point pour
» complaire aux Ottomans que vous songez
» à élire le prince héréditaire de Suède ? Nul
» doute qu'ils n'en soient satisfaits ; car ils se
» réjouissent de la discorde des Chréliens , et
» les massacres sont inévitables, si jamais Si-
j> f^ismond monte sur le tronc des Jageilon
» avec la haine qui l'anime contre la Ilussie.
» Vouscomiaissez déjà noire monarque ; il est
» aussi puissant que clément ; voussavez que la
» première action de son avènement au trône,
» a été de rendre la liberté, sans rançon, à vos
i> prisonniers : générosité que Bathori ne
» pouvait comprendre , lui qui a fait le com-
» merce des prisonniers russes, jusqu'à la
» lin de ses jours. Bathori est au tombeau et
» Fédor ne s'en réjouit pas ; il ne songe pas à
» la vengeance ; mais il vous témoigne la part
» qu'il prend à votre affliction , et vous pro-
» pose le moyen d'assurer à jamais la tran-
» quiîlité de la Pologne et de la Lithuanie ; il
j> désire régner sur vous , non pour augmcn-
>» ter sa puissance et ses richesses, car il est
I :>.o
H I S T U î R F.
assez puissant et. riche par la Russie, mais
pour vous défendre contre les Infidèles ; il
ne veut aucun avantage et abandonnera à la
Noblesse, tout ce que le pays payait au Roi :
il lui donnera de plus, des domaines dans
les contrées nouvellement conquises par
nous , et construira à ses frais des forte-
resses sur les bords du Dnieper, du Donetz
et du Don , afin que les pays de Kief, de
Yolliinie et de Podolie ne puissent plus
être foulés par les Ottomans et les Ta tares.
Les princes Infidèles laisseront tomber leurs
bras désarmés ; renfermés dans leurs pro-
pres limites, à peine pourront-ils encore
s'y maintenir. I^ Russie prendra pour elle
Azoff, Caffa et la Crimée, et vous laissera les
contrées du Danube. D'innombrables ar-
mées n'attendent que l'ordre du Tsar pour
se précipiter.... contre qui? C'est à vous à
le décider ; contre les ennemis du Christia-
nisme, si vous avez le même souverain que
nous , ou contre la Lithuanie et la Livonie ,
si vous nous préférez les Suédois. Ne songez
pas à l'amitié du Sultan , car quelle alliance
» peut exister entre le jour et les ténèbres.'*
DE BISSIE. 121
« Onols rnpports entre un Chrétien et nn In-
» iiflèle ? Songez h la gloire , songezà vaincre.
» Qu'est-ce qui s'oppose à noire fraternité ?
» Votre haine invétérée contre la Russie? Eh!
'i> bien,soyonsamis.Touttlépen(l diiconrinien-
» cernent, et somment la plus faible étincelle
y> suffit pour produire une grande flamme. Le
« Tsar en échange de la sécurité et de la gran-
» deurqu'il vous promet, n'exige de vous que
» votre affection ». Les Ambassadeurs enga-
gèrent Fédor à envoyer à la Diète quelqu'un
de ses grands Dignitaires ; et deux Boyards
Etienne Godounoff et le prince Fédor Troë-
kouroff, avec lediak Vassili Stchelkaioff par-
tirent immédiatement de Moscou pour Var-
sovie, munis des pleins pouvoirs du Tsar et
ayant quarante-huit lettres pour les fonction-
naires, ecclésiastiques et laïques , les seigneurs
de Pologne et de Lithuanie; mais ils ne leur
portaient point de présens. Fédor proposait
à la Diète les conditions suivantes:
1°. Le Tsar sera roi de Pologne, et grand
duc de Lithuanie et les deux peuples seront
réunis par une amitié éternelle et inviolable ;
2°. Le Souverain de la Piussie fera person-
122 HISTOIRE
iicllomcnl la guerre à lempire Ottoman , et
il y emploiera toutes ses forces ; il culbutera le
Khan de Crimée , et melira à sa place Saidet
Ghireï, serviteur de la Russie. Après avoir
conclu des alliances avec l'Empereur , le lloi
d'Espagne et le Scliah de Perse , il délivrera la
Moldavie, la Yalachie , la Bosnie, la Servie et
la Hongrie du jougdu Sultan, pour les réunir
à la Litiiuanie et à la Pologne , dont les trou-
pes agiront dans ce cas conjointement avec
celles de la Russie ;
3°. Les troupes de Moscou , Kazan et Astra-
khan , seront toujours à la disposition de la
Lithuanie et de la Pologne , sans en exiger au-
cun paiement;
4°. Le Souverain ne changera rien à leurs
droits ni à leurs libertés, sans le consentement
du Sénat qui disposera du trésor et de tous les
revenus de l'Etat ;
5°. Les Russes auront la liberté d'habiler en
Lithuanie et en Pologne, de même que les
Liihuaniens et les Polonais en Russie , et les
deux peuples pourront former des mariages
entr'eux ;
G". Le Tsar donnera aux pauvres gentils-
DE RUSSIE. 123
hommes de Lithiianie et de Poloj^ne , des
terres situées sur le Don et sur !e Douetz ;
7". Les délies conlraelées par Etienne Ba-
tliori envers les soldats , seront payées argent
coniplant , sur les propres fonds du Tsar, jus-
qu'à concurrence de cent milles florins de
Hongrie ;
8°. Les sommes qui servaient à l'entretien
des forteresses devenues inutiles entre la Li-
thuanie et la Russie, seront employées par
les deux Etats à faire la guerre aux Infidèles ;
9°. La Russie, ayant cliassé les Suédois et les
Danois de TEslbonie, cédera toutes les villes
de celte contrée, Narva seule exceptée, à la
Lilhuanie et à la Pologne ;
10°. On accordera une libre circulation ,
dans tout l'empire de Moscou, aux marchands
Lithuaniens et Polonais ; ils pourront tra-
verser la Russie pour aller en Perse, en Bu-
charie et autres contrées du Levant , et on leur
donnera un libre passage , par mer, pour se
rendre aux bouches de la Dvina, en Sibérie, et
dans le grand empire de la Chine , où se trou-
vent des pierres précieuses et de l'or.
Dans les instructions par écrit, données à
124 niSTOIRE
nos ambassadeurs, l'article qui concerne le
Tsarévilclie Dinilri est digne de remarque ,
il y est dit : « Si les seigneurs Polonais par-
>> lent du jeune frère du Souverain , il faut
« leur expliquer qu'il est encore dans l'en-
» fance , qu'il ne peut monter sur leur trône
» et qu'il doit être élevé dans Si? patrie ». Le
Piègent lui reservait un autre sort.
Fédor ne désirait sincèrement, ainsi que
l'avaient ambitionné son père et son grand-
père, d'être élu roi de Pologne, qu'aiin de
réunir par les liens de la fraternité, deux
puissances toujours ennemies, et, pour y par-
venir, il offrait au Sénat des conditions avan-
tageuses, des promesses flatteuses et des espé-
rances.brillantes. Il y sacrifiait près d'un mil-
lion de nos roubles, et renonçait à la princi-
pale prétention d'ivan , en consentant à n'être
qu'un roi électif, avec un pouvoir restreint,
sans aucun droit de succession pour ses en-
fans et sa famille. Il n'est pas probable que
le Tsar ou le Régent, songeât sérieusement à
s'armer contre le Sidtan , et voulut, par la
conquête des contrées du Danube , aggrandir
la Lithuanie et la Pologne , qui pouvaient ,
DE RUSSIE. 125
par la suite , avoir de nouveau dos souverains
parliculiers, et recicvenir ennemies de la Pius-
sie ; mais, à une entreprise aussi importante,
il mettaiî pour eondilion ralliance avecTEm-
pereur , avec l'Espagne et la Perse , et ne pro-
mettait rien délinitivement , cherchant uni-
quement à séduire rimagination des seigneurs
Polonais, par une idée aussi grande que har-
die. Fédor , disposé , en apparence , à faire
des concessions pour réussir dans son projet,
montra une résistance invincible lorsque la
Diète exigea de lui des sacrifices qui ne s'ac-
cordaient ni avec la religion , ni avec la di-
gnité et rintérét de la Russie.
ÎSosboyards Etienne Godounoff et le prin-
ce Troëkourofi", ibrent arrêtés au nom du
Sénat de Pologne, le 12 juillet, dans le bourg
d'Okounelï, à quinze verstes de Varsovie ; on
leur dit qu'il n'y avait pas un seul endroit
dans la Capitale, où ils pussent être en sûreté,
et qu'elle était pleine d'une soldatesque in-
disciplinée, et remplie de troubles et de dé-
sordres. Ce récit était véritable. Le Clergé , les
Grands, les Chevaliers ne pouvaient s'accor-
der sur le choix d'un Roi. Zamoïskv et ses
126 HISTOIRE
amis , pour complaire à la veuve de Balhori ,
proposaient le prince; de Suède Sigismond,
fils de sa sœur; les Zborovsky voulaient le
duc Maximllien d'Autriche; eniin les Sei-
gneurs de Lithuanie et le Primat archevêque
de Gnéseii demandaient Fédor. Le Sultan, dis-
posé en laveur du frère d'Elienne, menaçait
de la guerre , si le choix, au lieu de favoriser
ce frère, tombait sur Maximilien ou sur le
Tsar de Moscou, tous deux ennemis de la
Porte ottomane. L'endroit qu'on appelait
l'Enceinte des Chevaliers, et où. se tenaient
ces assemblées bruyantes, présentait quel-
quefois l'aspect d'un champ de bataille; des
bandes armées tiraient les unes contre les au-
ires. A la fin , ils convinrent sagement de ter-
miner leurs différends et de planter dans le
champ trois enseignes, une Russe, une Au-
trichienne et une Suédoise, pour voir la quan-
tité d'électeurs qui se rangeraient sous chacune
d'elles, et pour déterminer ainsi la pluralité
des voix. L'enseigne de Fédor était un bonnet
russe; celle d'Autriche, un chapeau allemand,
et celle de Suède, un hareng ; la première eut
la supériorité : elle réunit autour d'elle un si
DE RUSSIE. 127
grand nombre d\Uecleurs , que les amis de
rAulrichc et de la Suède, honleiix de Jeiir
minoriié , se joignirent aux noires. Mais ceUe
victoire éclalanle du parti Russe resta sans
effet quand on en vint aux conditions.
Le 4 août , Le (Clergé , les Sénateurs et les
îsoblesdes deux Etats réunis, reçurent, avec
de grands honneurs, Godounoffet Trotikou-
roif, dans TEnceinte des Clievaliers; ils écou-
tèrent les propositions de Eédor, et désirant
de plus amples explications, ils choisirent
quinze seigneurs, parmi le clergé et les laï-
ques, qui devaient se réunira cet effet avec
nos ambassadeurs , à Kameneten , près de
Yarsovie. Là , au grand étonnement de Go-
dounoff et de Troëkouroff , ils leur firent
ces questions inattendues : Le Tsar réunira-t-
il la Russie au Royaume , comme la Lithua-
nie s'est réunie à la Pologne, pour toujours
et indissolublement? Adoptera-t-il la religion
catholique romaine? Obéira-t-il au lieutenant
de Saint-Pierre ? Se fera-t-il couronner Roi
et recevra-t-il la Communion dans une église
latine, à Cracovie , des mains de rArchevéque
de Gnéscn ? Sera-t-il à Varsovie dans dix se-
128 nisToir.E
îiiaines, ot fcra-t-il primer , dans son tilre , le
Roi de Pologne sur le Tsar de Moscou?
Les Boyards répondirent :
1°. « Notre Souverain désire réunira jamais
» la Litliuanie et la Pologne à la llussie, de
« manière qu'elles s'entr'aident de toutes leurs
» forces en cas d'une attaque des (ennemis , <;t
» afin que leurs habitans puissent librement
» aller d'un pays à un autre , les Lithuaniens
» chez nous, et les Kusscsen Lithuanie, avec
>) la permission du Monar([ue ;
2". » Le Tsar est né et vivra toujours dans
)) la religion orthodoxe greccjue, et observera
» ses rites sacrés ; quant à son couronne-
» ment comme Roi, il doitse faire à Moscou
» ou à Smolensk en présence de vos Digni-
» iaires; il s'engage à respecter le Pape et à
» ne pas s'opposer à son pouvoir sur le clergé
)> polonais; mais il ne lui permettra jamais
» de s'immiscer dans les affaires de l'église
» grecque »;
3". « Le Tsar viendra chez vous quand il
» pourra » ;
4". « La couronne de Jagelloii sera sous le
» bonnet de Monomaque, etFédor aura pour
nr. RissiE. 129
« titre: Tsnr v\ j>TniKl Duc de toute la Russie,
» de Vladimir et de Moscou , Roi de Polo^^ne
» et grand Duc de l^ithuauie. Alors même que
» Tancieune et la nouvelle Rome, lors même
» que Byzance se seraient soumises à nous , le
» Tsar n'aurait pas mis dans son titre leurs
» anciens et illustres noms au dessus de celui
» de la Russie ».
« Ainsi Fédor ne désire pas être notre Roi,
j> répliquèrent les Seigneurs ; il refuse posi-
» livement , et promet sans sincérité ; il nous
» écrit , par exemple , que son armée est prête
>) à nous défendre contre le Sultan ; les Turcs
» font ordinairement leurs invasions chez
» nous, du côté de la Moldavie, du Danube,
» de la Transilvanie , et de Bielgorod , et les
» troupes de Moscou sont éloignées; celles
» d'Astrakhan et de Kazan le sont encore da-
» vantage. Le Sullazi , FEmpereur et les Sué-
j» dois nous menacent de la guerre , si nous
» nommons un roi contre leur gré. Que nous
» accordera donc le Tsar, et combien donnera-
» t-il annuellement d'argent pour l'entretien
« de l'armée? Car pour des hommes, nousen
» avons assez : nous n'en demandons pas à la
Tome X. 9
l3o IIISTOIIIK
)) Russie. L'arg(Mit est (''i;a!emoiil n('( essai rc
» pour augmenter vos parlisans à la Diète. Sa-
» vez-vous que riunpcrejir, pour appuyer le
:» choix de IMaximilien , s'engage à envoyer
» iout Je suite à notre Sénal , six cent mille
3> florins, (t autant chaque année, pendant
» Tespace de six ans, et le roi d'Espagne huit
» cent mille , pendant huit ans » i"
Les Ambassadeurs répondirent: « Le Tsr.r
» tient une nombreuse armée de cavalerie lé-
» gère prête à votiT défense; il vous promet
» les Cosaques du Volga, du Don, et ceux
» de la Crimée, car se sera Saidet Ghireï ,
j) sujet du Tsar , qui sera leur Khan. Le Tsar
j> est prêt à vous donner également des se-
» cours pécuniaires, mais sans prendre (Fen-
3> gageraens à cet égard. Glt)ririez-vous de la
:» générosité de rAutriche et de l'Espagne;
» mais songez que le souverain orthodoxe ne
»» désire pas la Couronne royale, pour sa
>) gloire et pour ses intérêts, mais unique-
» ment pour votre tranquillité et votre gran-
» deur. Depuis combien d'années le sang
» chrétien ne coule-t-il j)as d:\us l(\s combats
•) entre la Piussie et la Lithuanie? Le Tsar
DF. Ri; S SI K. l3£
» son;;o à melirc à jamais lin à cette calamité,
r> et vous , sans y avoir égard , vous pesez l'or
» tic l'Espagne et de rAutriehe. Qu'il en soit
>' ce c[U(; vous voudrez ; et si vous préférez
» l'argent au n'pos de la chrétienté, appre-
» nez que le Tsar ne veut point être marchand,
» et qu'il ne veut acheter ni des partisans , ni
» votre Couronne ; qu'il ne veut point entre-
» tenir la cupidité d'hommes insensibles au
» bien de la patrie, et les armer les uns contre
» Jes autres dans leurs dissentions tumul-
« tueuses à la Diète, car il n'aime ni les que-
» relies, ni l'anarchie ».
Cette fermeté produisit un grand effet sur
les Députés : ils se levèrent, se concertèrent
secrètement pendant quelques minutes , et
eniin ils annoncèrent avec mécontentement
aux Ambassadeurs, que Fédor ne monterait
pas sur le trùne de Jagellon ; et lorsque Go-
dounoff et Troëkouroff leur proposèrent de
différer l'élection et d'envoyer des dignitaires
à Moscou, ])our avoir de nouvelles explica-
tions avec le Tsar, le cardinal Radzivil et
d'autres Députés répondirent : « Ce que vous
»♦ proposez est une dérision. Nous nous som-
1^2 HISTOIRE
» mes réunis à Varsovie de tous les points de
j> la Litbuanie et de la Pologne ; voilà la hui-
» tiènie semaine que nous y passons eomme
» à la guerre, perdant argent et repos, et vous
» demandez encWe une autre Diète ! Nous ne
» nous séparerons pas sans avoir fait noire
» choix »! Alors les Ambassadeurs de Fédor
leur conseillèrent d'élire Maximilien , ami de
la llussie. « Nous n'avons pas besoin de vos
» conseils, répondirent grossièrement les
» Seigneurs; c'est à Dieu et non au Tsar de
>i Russie que nous obéissons ». ils voulurent
au moins conclure alors un traité de paix ;
mais ils ne s'accordèrent pas davantage sur les
conditions: la Litbuanie demandait Smolensk
et le pays de Seyersk , et Fédor, Dorpat. On
se sépara mécontens les uns des autres , mais
les négociations n'en furent pas moins con-
tinuées.
Ce jour même et les jours suivans , il y eut
des disputes très-vivesentre les membres de la
Diète et les partisans de l'Autriche, de la Suè-
de et de la Russie (83). Les j)remiers , surtout
le Clergé et tous les Evèques , disaient que
leur conscience ne leurpermettait pas d'avoir
DE RFSSTE. l33
un Souverain tl'une autro religion , un héré-
tique, et les Seigneurs laV([ues «le leur parti ,
ajoutaient: « L'ennemi naturel et enthirei de
» la Liihuanie et de la Pologne ne montera
n sur le trône, avec la puissance oppressive
» de la Russie , que pour écraser nos libertés,
» nos droits et nos lois. Vous vous êtes plaints
» lorsqu'Elienne amena avec lui quelques
>> centaines de Hongrois ; que sera-ce lorque
« nous verrons ici des milliers de fiers et fa-
» rouches Moscovites (84)! Croyez-vous que
» leur orgueil leur permette de se réunira
» nous? Ne voudront-ils pas plutôt joindre
« notre monarchie à celle de Moscou, comme
» une manche à un habit » ? D'autres rava-
laient Fédor en l'appelant un homme d'un
esprit faible , incapable de gouverner , de
mettre un frein à la licence et de faire respec-
ter le pouvoir royal, ajoutant qu'à peine dans
six mois il serait parmi eux, et que les Turcs,
ennemis irréconciliables du Tsar, qui avait
conquis deux ou trois états Musulmans, au-
raient , en attendant , le temps de s'emparer
de Cracovie. Les Seigneurs de notre parti ré-
pliquaient : « La première loi d'un Etat est sa
"'-' nrsTCîRE
» sûreté. Par le choix de Fédor nous nous
» réconcilions avec un ennemi puissant, et
» nous trouvons en lui un délenseur contre
» une autre puissance ennemie non moins
» redoulal)le, la Turquie. Le Sultan nous dé-
») fend de faire monter Fédor sur le Irone ;
» mais doit-on Técouter ? Ne devrait-on pas
» justement faire le contraire de ce qu'il dé-
i> sire? Quanta ce qui regarde la religion ,
» Fédor est baptisé au nom de la Sainte Tri-
j) nité ; et nous savons qu'il y a une église
» grecque à Rome ; par conséquent le Pape
» ne condamne pas cette religion , et il per-
n mettra sans doute au Tsar de la garder, en
» lui imposant peut-être quelques conditions.
5) Fédor a généreusement donné la liberté à
» nos prisonniers ; il a rendu la tranquillité
» à ses propres Etats; deux fois il a vaincu le
» Kban. Ami de la paix , il a le désir de réu-
» nir deux puissances dont la haine mutuelle
» a causé tant de calamités, et, ({uoique Sou-
» verain absolu, il veut régner au nom delà
» loi sur des hommes libres. Où voyez-vous
» donc la faiblesse de son esprit ? N'est-il pas
« plutôt un monarque humain et sage ? Et
DE RUSSIE. l35
•» sans inlellij;cnce , pourrait-il gouverner les
» Russes, peuple inconslanl et rusé (85)?
» D'ailleurs la faiblesse d'esprit dans un mo-
» narcpie est moins pernicieuse à l'Etat que
i> des troubles intérieurs. Nous ne denian-
» dons rien de nouveau : combien d'entre
» vous, avant Téiection et après la fuite de
» Henry, voulaient un roi Moscovite, dans
» la persuasion qu'Ivan aurait laissé la lyran-
» nie en Russie, et ne serait venu chez nous
» qu'avec une puissance protectrice? Y a-t-il
« ([uelque chose de changé depuis ce temps,
j> à moins que ce ne soit en mieux, puisque
» Fédor ne se montre pas tyran, même à
» Moscou , qu'au contraire il aime ses sujets
» et en est aimé » ?
Ces raisons engagèrent la Diète à renouve-
ler les négociations; les Députés curent une
seconde conférence avec nos Ambassadeurs, à
Kamenetz, et demandèrent que le Tsar don-
nât tout de suite au Sénat cent mille florins ,
pour les frais de la guerre ; qu'il construisit
des forteresses , non sur le Don , où elles ne
pouvaient servir qu'à la Russie , mais sur la
frontière Sud-ouest de la l.,ithuanie ; qu'il
, 1
1.36 iiiSTOir. E
soldat, (le sa caisse , les (Cosaques du Dnieper,
donnât des terres à la noblesse Polonaise , non
dans des stèpes éloignées et sauvages, telles
qu'il y en a beaucoup en Lithuanie , au delà
de Kief , mais dans les contrées de Smolensk
et de Seversk. Les Ambassadeurs montrèrent
quelque délérence : ils consentirent à donner
cent mille florins, ne refusèrent pas les autres
demandes , et proposèrent ({ue Fédor prit le
titre de Tsar de ioiiic la Russie^ Roi de Pologne,
grand Duc de Tludiniir , de Moscou et de Li-
thuanie ; enfin le plus grand obstacle , celui de
la religion , diminua, lorsque le voïévode de
Vilna, Christophe Ptadzivil, et celui de Troki,
Yan Glébovitche , dirent en secret à nos Am-
bassadeurs, que Fédor, malgré Topposition de
leur Clergé, pouvait rester dans la religion
grecque , en demandant seulement la béné-
diction du pape , et en lui donnant l'espé-
rance de la réunion des deux Eglises (86).
« Fédor, pour son bien et pour le nôtre , di-
» saient-ils, doit montrer quelque condes-
*» cendance : car , en cas d'opiniâtreté de sa
» part, nousélirions un ennemi de la Pvussie,
« le Suédois , et non Maximilien dont per-
DE RUSSIE. l37
» sonne ne veut eiilendre parler en Litbiianie,
j -» parce qu'il esl inléressé el pauvre, qu'il
' » nous niellrait en j^uerre avec le Sultan , et
:» ne donnerait de secours au l\oyauine ni en
» hommes, ni en argent. L'Empereur lui-
» même n'est grand que par son titre , et n'est
« riche qu'en dettes. ISous connaissons l'usage
»» des Autrichiens de détruire les libertés et
» les droits des pays qui se soumettent à eux,
» et de surcharger l(!s hahitans d'impôts oné-
» reux. De plus , il est dit dans nos livres , et
j» cela est devenu proverbe : que les peuples
» Slaves n'ont aucun bien à attendre des Al-
» lemands ».
Mais Fédor ne voulut pas solliciter de grâce
auprès du Pape , ni le flatter de la promesse
mensongère de réunir les deux Eglises ; il ne
voulut pas non plus, ce que tous les seigneurs
Lithuaniens exigeaient absolument , être cou-
ronné roi de Pologne par les mains d'un pré-
lat latin , craignant de manquer par là à l'or-
thodoxie ou à la dignité du monarque de la
Russie; et nos Ambassadeurs qui avaient des
entrevues toujours amicales avec les Députés
de la Diète , apprirent d'eux , le i3 d'août,
i3^
HISTOIRE
quo le chancfllicr Zamoisky el quelques soi-
f^iuiirs avaient élu le prince de Suède; el Sta-
nislas Zgourka, voïévode de Posen, et les Zbo-
rovsky, Maxiniilien. Ce fut envain que les
seigneurs lithuaniens assurèrent nos Boyards
que ce choix serait regardé commet nul , parce
qu'il était illicite, et que si Fédor désirait sin-
cèrement être Pvoi , et se décidait à venir chez
eux sans perdre de temps, ils se rendraient
tous à Cracovie , et ne donneraierit la cou-
ronne ni au Suédois , ni à rAutrichien. Enhn
Zamoisky, moitié à Faide du glaive, moitié
avec l'argent de la reine douairière Anne,
procura le trône à Sigismond , après avoir
TrcHc. annulé l'élection de Maximilieti. Nos Ambas-
sadeurs ne réussirent que dans une chose; ils
conclurent avec le Sénat une trêve de quinze
ans, sans aucune concession ni aucun avan-
tage , et sous les seules conditions que les
deux puissances garderaient ce qu'elles possé-
daient , et que le roi nouvellement élu confir-
merait celte convention par des plénipoten-
tiaires qu'il enverrait à Moscou (87), Fédor,
après avoir écouté la relation d'FJienne Go-
dounoff et de TroëkourofT, espérait encore
DE RUSSIE. j3c^
que du moins la Lilhuanie ne reconnaîtrait
pas Sigismond pour roi , et il orrivit de nou-
veau des lelîres amicales aux seigneurs de son
parti, consentant à être séparément grand duc
de Lithuanie, de Kieff, de Yolhinieel de Ma-
zovie , leur promettant indépendance et sécu-
rité. Godounoffleur écrivit aussi , en leur en-
voyant à chacun de riches présens de la valeur
de vingt mille roubles actuels ; mais il était
trop tard. Le gentilhomme Rjevsky revint de
Lithuanie avec la nouvelle que , le i6 décem-
bre , Sigismond avait été couronné à Cracovie,
et que les seigneurs lithuaniens avaient con-
senti à ce choix. Rjevsky le savait déjà , mais
il leur remit les présens qu'ils acceptèrent en
témoignant leur reconnaissance , et en faisant
des vœux pour que Fédor conservai toujours
sa bienveillance à la Lithuanie.
Cependant le Tsar témoigna son méconten-
tement , non du refus de ses propositions à la
Diète, mais de l'élection de Sigismond. Nous
avons vu que Fédor , à l'exemple d'îvan , cé-
dait volontiers le Royaume à FArchiduc ,
n'ayant aucune contestation avec l'Autriche ;
mais une alliance étroite entre la Suède et la
l4^ HISTOIRE
Pologne renforçait ces deux puissances qui
ét;)ienl nos ennemies, et le principal englue-
ment que Sigismond prit avec Zamoïsky , fut
de s'armer avec son père , le roi Jean , contre
la Russie , ci de s'emparer de Moscou (88) , ou
au moins de Smolensk el de Pskoff , tandis
que la flotte Suédoise se rendrait maitresse du
port Saint-Nicolas , sur la Dvina , afin de dé-
truire notre commerce maritime. L'esprit de
Bathori semblait encore vivre dans Zamoisky
pour nous menacer, ce qui faisait désirer
d'autiint plus à Fédor de s'unir aux vues et au
système politique de l'Autriche.
Rclalionsavrc t\ • ro • 7> -- *
r Ami ici, e et Depuis iboy jusqu a 1^90 , nous envoyâmes
courrier sur courrier a Vienne (89), conju-
rant l'Empereur d'employer tous les moyens
pour faire obtenir la couronne de Pologne à
Maximilien , sinon par l'élection au moins
par la force. Nous lui promettions de l'argent
pour l'armement, et nous l'assurions qu'il
nous serait plus agréable de céder ce royaume
à l'Autriche que de le réunir à la Russie. Nous
lui faisions le tableau du bonheur ctde la tran-
quillité qui régneraient alors dans l'Europe
septentrionale , et qui lui procureraient les
DE' RUSSIE. I^I
moyens de s'occuper du j^rand oniivre de
chasser les Turcs de Cyzance. Nous vantions
nos forces, en lui disant qu'il ne dépendait
que de la Russie , de lancer contre le Sultan
les innombrables bordes de l'Asie ; (pie le
Schah de Perse mettrait deux cent mille
hommes en campagne, le Tsar de Bucharie
cent mille, celui de Chiva cinquante mille,
celui dTbérie cinquante mille, le Schavkal
trente mille , les princes Tcherkesses, de Tu-
men et d'Okoustk soixante-dix mille, et les
jSogais cent mille; que la Russie, pouvant
aisément vaincre la Suède , et n'ayant plus
d'autre ennemi , joindrait, sous le signe de la
Croix , ses légions aux troupes de l'Autriche,
de l'Allemagne, de l'Espagne , du Pape , de
la France et de l'Angleterre , et que les barba-
res Musulmans n'existeraient plus bientôt
que dans la mémoire des hommes. Comme on
retenait les courriers russes en Lithuanie et à
Riga, nous ouvrîmes une conununicalion
avec l'Autriche , à travers la mer du Nord et
Hambourg. Nous demandions que Piodolphe
et Maximilien envoyassent immédiatement
des plénipotentiaires à Moscou pour arrêter
l4^ lîlSTUIRE
OÙ et comment 11 fallailagir. Cependant nous
opprimes que Zamoïsky , en poursuivant
jMaximilien qui fuyait (levant lui ^ était entré
en Silésie , et qu'après Favoir eomplèlenuînt
baliu et fait prisonnier , il Ini rendait la cap-
tivité aussi cruelle qu'humiliante. Fédor lit
sentir à Rodolphe toute la honte de cette hu-
miliation inouie de TAulriche. Mais tout lut
inutile. Î/Empereur , dans ses réponses , n(;
témoignait que sa reconnaissance pour les
bonnes dispositions du Tsar; au lieu d'un
grand dignitaire , il n'envoya à Moscou , au
mois de juin iSSg , que Yarkotche , fonction-
naire subalterne , s'excusant sur ses occup;i-
tîons et sur le peu de facilités qui existaient
dansles communications entre l'Autriche et la
Russie. Quant à la guerre de Turquie , il di-
sait ([u'il fallait préalablement en convenir
avec l'Espagne , et cacher une entreprise aussi
importante à la France et à l'Angleterre ; car
elles travaillaient à se mettre bien avec le Sul-
tan ; que la guerre de Pologne était inévitable;
mais qu'il fallait auparavant, délivrer Maxi-
milien. Cependant bientôt après, le Tsar ap-
prit ([ue rEnspereur avait obtenu la liberté
DE RUSSIE. 1^3
de son frore ; en sVngageant par serment à ne
plus songer à la couronne de Pologne, et à
vivre désormais en paix avec cetle puissance.
« ^ ous en lame z de grandes aliaires, mais
» vous ne les terminez pas , écrivit Boris Go-
» dounolï" au ministère Autrichien (90), à
» cause de vous , notre Souverain n'a voidu
» écouter aucunes propositions amicales de
» la part ni du Sultan, ni du Khan ; c'est en-
« core à cause de vous , que nous sommes en
» froideur avec eux et avec la Lithuanie ; et
» vous, sans songer à rhonneur , vous faiiis
» la paix avec le Sultan et avec Sigismond ».
En un mot nous perdions notre temps et
notre argent avec l'Autriche, sans en retirer
aucun avantage.
Un barbare, le nouveau Khan de Crimée,
le prince Kazi-Ghireï, successeur de son frère
Islam , mort en i588, agissait d'une manière
beaucoup plus conforme à notre politique.
Etant arrivé de Constantinople avec un Fir-
man du Sultan et trois cents janissaires, pour
régnersurdes camps ruinés (9 1 ) , i l vil la néces-
sité de les rétablir, c'est-à-dire , de chercher à
faire du butin , ne connaissant d'autre indus-
l44 ^ HISTOIRE
trie que la rapine. Il s'agissailde choisir entre
la Paissie et la Lilhuanie, pour le théâtre des
incendies et du carnage. Le Khan préféra la
Lithuanie , Tondant ses espérances sur l'anar-
chie qui y régnait, ou sur la faiblesse de son
nouveau roi. lise préparait à dévaster par la
force le pays de Sigisniond , et il voulut en
flattant Fédor , en obtenir de riches présens.
11 lui écrivit , que, nous voulant plus de bien
qu'aucun de ses prédécesseurs, il avait per-
suadé au Sultan de renor.cerà la conquête
d'Astrakhan (t)2) , et que Moscou et ia Tauride
n'auraient jamais que les mêmes ennemis. En
1589, Kazi-Ghireï informa Fédor, que les
habilans de la Crimée avaient incendié plu-
sieurs villes et bourgs de la Lithuanie et de la
Gallicie. Le Tsar, en louant son courage et ses
dispositions amicales envers nous , honora
le Khan , en témoignage de reconnaissance ,
de quelques présens de peu de valeur , mais il
entretint maigre cela , une forte armée sur les
bords de l'Oka (rp). Ce qui prouve qu'il
n'avait pas une grande confiance en lui.
Cncirc de Mais Bathori n'existait plus, le Sultan ne
s'armait pas contre la Piussie , et le Khan ra-
DE R rssir. 14 »
v.'igrail la Llthiianie : ces circonstances paru-
rent favorables au Tsar , pour une entreprise
iniportante que réclamait depuis long-temps
riionneur de la Russie. Nous nous \anlions
de notre puissance, ayant effectivement la
plus nombreuse armée de l'Europe , et pour-
tant une partie de Tancienne Faissie était au
pouvoir du la Suède ! La Iréve, conclue avec le
roi Jean , expirait au commencement de l'an-
née 1 590 (94)» et la seconde entrevue des Am-
bassadeurs , sur les bords de la Plussa , au
mois de septembre 1 586 , était restée sans ré-
sultat , les Suédois n'ayant pas voulu consen-
tir à nous rendre leurs conquêtes ; condition
sans laquelle nous ne voulions pas entendre
parler de paix. Ils ne proposèrent tju'un
écliange , en rendant Koporié pour le district
de Soumersk et les bords de la Neva. Jean se
plaignait que les Puisses inquiétaient la Fin-
lande par leurs incursions , et qu'ils la rava-
geaient comme des tigres (go). Fédor repro-
chait aux Yoïévodes suédois leurs brigandages
dans les contrées de Zaonéga , d'Olonetz , de
Ladoga et de la Dvina. Pendant l'été de iSSy ,
ils étaient venus de la Caïanie piller les terres
Tome X. ,10
l40 lIlSTOIIiR
(les couvons dv. Solovelzk et (Je Pcldiensk ,
Kola, KfiTlc , Kovdu , cl avaient fait un butin
de plus d'un demi-million de roubles d'ar-
gent , monnaie actuelle (9G). En engageant le
Roi à des concessions , le Tsar lui parlait de
ses grands alliés, rEmpereurel le Schali. Mais
Jean lui répondit avec ironie : « Je me n'jouis
» de voir que lu connais maintenant la l'ai-
» blesse , et que tu atlenJs des secours des
» autres (97}. Nous verrons quels seront ceux
» que te donnera notre parent llodolpbe ;
j> quant à nous, nous n'avons pas besoin d'al-
» liés pour venir à bout de toi ». NonobsLnit
cette impertinence , Jean désirait une troi-
sième entrevue des Ambassadeurs, lorsque Fé-
dor lui fit déclarer que nous ne voulions ni
paix, ni trêve, si les Suédois ne nous cédaient,
outre les terres ap})artenantà Novgorod, qu'ils
avaient envaliies , Ilevcl et toule l'Esliionie ,
c'est-à-dire que nous déclarâmes la guerre.
Jusqu'à présent , Godounoff n'avait brillé
que par son génie dans les affaires de la poli-
tique intérieure <'t extérieure. Toujours pru-
dent et pacifique , n'ayant pas les dispositions
guerrières, n'aspirant point à la gloire des
DE RISSIR. l47
armes , il voiilul cependant prouver que son
amour pour la paix ne provenait pas de pusil-
lanimité , dans une occasion où, sans lionle et
sans manquer au devoir sacré du pouvoir, ou
ne pouvait éviter reriusiori du sang. Pour
remplir ce devoir, il employa tous les moyens
propres à s'assurer le succès. Il mit en campa-
gne (si Ton doit ajouter foi aux documens of-
ficiels de ce temps), près de trois cent mille
combattans, infanterie et cavalerie, avec trois
cents pièces d'artillerie (98). Tous les Boyards,
tous les Tsarévitches (Malimet koul de Sibé-
rie , Rouslanei lils de Kaiboula , et Ouraze
Biagmct des Kirguises), tous les Voïévodesdes
contrées voisines et éloignées , des villes et des
bourgs , où ils vivaient dans la retraite (99),
furent obligés de se trouver, à une époque
marquée , sous les drapeaux du Tsar ; car le
pacifique Fédor ayant quitté , non sans regret,
ses occupations pieuses, se mit à la tète de son
armée : ainsi le voulut Godounoff , afin d'a-
nimer les troupes et d'empêcher les disputes
insensées des principaux dignitaires, sur leur
ancienneté. Le prince Fédor Mstislafsky , le
plus illustre dos seigneurs, commandait la
il
i48 îiiSToinE
grande armée ; Tavant-j^arde était sous les or-
dres du prince Dn»ilri Klivorostinin, voïévode
distingué j)ar ses taleiis et son eourage (loo) ;
GodounoiCel Fédor Iiomanorf-Iouried' ( qui
devint Tiliustre Philaréte ), eousin germain
du Tsar, se trouvaient près de luiavee le litre
de T^^oïéçoâcs de la Cour. La tsarine Irène suivit
son époux depuis Moscou jusqu'à Novgorod,
où le Monarque régla la destination des trou-
pes. Il ordonna aux unes de marcher en
Finlande , au delà de la Neva; à d'autres, en
Esliionie jusqu'à la mer ; et lui-même, à la tète
de la principale armée , se mit en route , le 18
janvier iSgo, pour marcher contre Narva( toi).
La campagne fut pénible à cause dts froids de
l'hiver ; mais brillante par le zèle des troupes.
Les Pvusses marchaient pour reprendre ce qui
leur avait appartenu , et le 27 janvier ils s'em-
parèrent de Jama. Vingt mille Suédois , tant
cavalerie qu'infanterie , sous les ordres de
Gustave Banère, rencontrèrent, près de Narva,
le prince Dmilri Khvorostinin, qui les délit et
les refoula dans la ville , remplie de monde ,
mais dépourvue de vivres; c'est pourquoi Ba-
nère, ayant laissé dans la forteresse le nombre
DE RUSSIE. Ij^r)
nrcpssairc de soldais, s'enfuit pendant la nuit
(talla à Yésemberg, poursuivi par notre cava-
lerie asiatique , en lui abandonnant ses ba{:ça-
ges et son artillerie. Au nombre des prison-
niers se trouvèrent plusieurs Suédois de dis-
tinction. Le 4 février, les Russes assiégèrent
Narva, parvinrent, par un bombardement
vigoureux , à faire trois brèches, et demandè-
rent la reddition de la ville. Le commandant ,
CbarlesHorn, les appela iièrement à Tassant,
et les repoussa vaillannnent le i8 février. Les
voïévodes Sabourolf et le prince Jean Tok-
makoff , de même que plusieurs enfans
Boyards , Strélelz et soldais Mordviens et
Tcherckesses , périrent sur la brèche (102).
Néanmoins cette affaire , brillante pour les
Suédois , n'aurait pu sauver la vaille ; la ca-
nonnade ne cessait point, les murs s'écrou-
laient, et nos troupes préparaient un nouvel
assaut, le 21 février. A cette époque même,
les Russes ravageaient l'Eslhonie sans obstacle
jusqu'à Rével, et la Finlande jusqu'à Abo ; car
le roi Jean avait plus d'orgueil que de forces.
Les négociations s'ouvrirent. Nous deman-
dions Narva et toute TEsthonie pour accor-
IJO HISTOIRE
der la paix aux Suc'dois; inais le Tsar(io3),
cédant aux instances clireliennes de Godoiuiojf^
comme il est dit dans nos papiers officiels,
se conlenla du rétablissement de Tancienne
frontière. Le 25 février , Horn , au nom du
Roi, conclut une tiève (\:\\\\ an, cédant au
Tsar, outre Jama , Ivangorod et Koporié ,
avec tous leurs magasins et toutes les muni-
tions de guerre. On convint de fixer le sort de
l'Esilionie à la prochaine réunion des ambas-
sadeurs Piusses et Suédois , en promettant
même de céder à la llussie , la Carélie , Narva
et d'autres villes de TEsthonie (io4). Nous
faisions gloire de modération. Fédor, après
avoir laissé des Yoïévodes dans les trois for-
teresses qui avaient été prises , se hàla de re-
tourner à Novgorod , près de son épouse ,
pour se rendre avec elle à Moscou , célébrer
sa victoire sur une des puissances de l'Europe
avec laquelle son père lui avait conseillé de
n'être jamais en guerre , redoutant la supé-
riorité de ses talens militaires. Le Clergé ,
la Croix en tête, alla au devant du Souverain,
hors de la ville, et le métropolitain Job, dans
un discours pompeux , le compara à Cons-
I>E RUSSIE. l5l
ianlîn le Grand cl à Vladimir , et lui adressa
des actions de grâce de la part de la pairie et
de réalise , pour avoir chassé les infidèles du
sein de laSainle Russie, et pour avoir rétahli
les autels du vrai Dieu, dans la ville d'Ivan III,
et dans les anciennes possessions des Slaves
d'Ilmen Cio5).
Bientôt la perfidie des Suédois procura un
nouveau et important succès aux armes du
pacifique Fédor. Le roi Jean, accusant Ilorn,
de pusillanimilé , déclara que la convention
signée par lui était criminelle, renforça ses
troupes en Estlionie , et envoya deux Sei-
gneurs, l'un lieutenant d'ITpsal et l'autre de
Yestergot, aux bouches de la Plussa, pour y
avoirune entrevue avec le prince FédorKhvo-
rostinin , et le gentilhomme du conseil Pis-
semsky, non pour donner l'Esthonie à la
Russie , mais pour exiger qu'elle rendit Jama,
Ivangorod et Koporié. A cette nouvelle, non-
seulement les andwssadeurs de Fédor, mais
même les soldats Suédois , témoignèrent leur
mécontentement ; rangés de l'autre côté de la
Plussa , ils criaient aux nôtres: nous ne vou-
lons plus de carnage (io6) ; et ils forcèrent
l.>2 KlSTOir. E
leurs plénipotentiaires à se relâcher de leurs
prétentions, au point que n'exigeant plus
rien que la paix , ils iinirent pas consentir à
céder à la liussie toute la Carélie. Mais nous
voulions absolument Tsarva , et les Ambassa-
deurs se séparèrent. l>a même nuit, le général
Suédois Joran Boyé assiégea traîtreusement
Ivangorod , tandis que le terme de la conven-
tion conclue à Narva , n'était pas encore ex-
piré ; mais l'intrépide voïévode Ivan Sabou-
roff, battit complètement dans une sortie
vigoureuse , non seulement le général Boyé ,
mais aussi le Duc de Siidermanie qui s'était
joint à lui. La principale armée de Moscou»
était à Novgorod ; elle n'eut pas le temps d'ar-
river pour rafïaire , elle trouva la forteresse
déjà délivrée , et ne put voir que de loin la
fuite de l'ennemi.
Fédor en guerre avec la Suède, voulait con-
server la paix avec la Lithuanie ; et tandis que
les armées Moscovites allaient combattre en
Estlionie, Godounoff avait fait signifier à tous
les Commandans des villes de la Livonie Po-
lonaise, qu'ils pouvaient être sans inquiétude
et que nous ne loucherions pas à son terri-
DE RUSSIE. l53
toire , nous coiirorniant scnipuloiisomonl à
la convention de Varsovie. Mais Sigismond
gardait le silence : pour connaître ses inten-
tions, le Conseil de IMoscou, envoya un cour-
rier à Yilna avec une lettre aux Seigneurs
Lilhuanicns , qui les informait de l'inlention
du Khan , de niarcher de nouveau contre leur
pays, ajoutant : « Kazi-Ghiréï a conjuré notre
:•' Souverain de se joindre à lui pour porter
3> la guerre en Lithuanie, et lui a proposé, au
)) nom du Sultan , une paix éternelle; mais
» I Y'dor sincèrement bien disposé pour vous ,
« s'y est refusé. IXous vous en prévenons ,
>' parce que nous croyons que tôt ou tard ,
» vous sentirez qu'il est indispensable que
» vous vous réunissiez à la Russie , pour la
» iranquillilé commune de tous les Cliré-
» tiens ». Cette ruse ne put tromper les Sei-
gneurs l^ithuaniens. Ils souriaient en lisant la
letlre ; ils y répondirent avec politesse, en
nous exprimant leur reconnaissance , mais en
disant , cependant , qu'ils avaient des nou-
velles contraires aux nôtres; que Fédor lui-
même , si l'on devait ajouter foi aux prison-
niers de la Crimée , employait les promesses
IJj. HISTOIRE
et les présens pour engager le Khan à faire une
invasion en Lilîiiianie. Dans le même temps
six cents cosaques Lilhuaniens commettaient
des brigandages dans le midi de la llussie,
brûlaient la nouvelle ville de Woronège , et
massacraient le prince Ivan Dolgorouky , qui
en était commandant. ]Soiis en dc'mandames
satisfaction et nous donnâmes ordre au tsarc-
vi telle Araslan-Aley, fils de Kaïhoula, de mar-
cher avec ses troupes sur Tcliernigoff. Enhn,
au mois d'octobre 1^90 , Slanislas Iladomins-
ky et Gabriel Yoïna , Ambassadeurs de Sigis-
mond , arrivèrent à Moscou , pour traiter de
paix et d'alliance ; mais dès leur première con-
férence avec les Boyards , ils déclarèrent que
la Russie avait rompu la trêve , en s'emparant
des villes appartenant à la Suède , et qu'elle
devait les rendre. On leur répondit que la
Suède n'était pas la Lithuanie , que la politi-
que n'admettait pas la considération des liens
du sang entre les Souverains , et que nous
n'avions pris que ce qui nous appartenait,
tout en châtiant l'injustice et la pertidie. On
parla long-temps d'une paix éternelle. Sigis-
mond , comme par générosité ', renonçait à
DE RI SSIE, l55
Novgorod , l\ Pskolf , aux villes de la provînn»
deSeversk , loulefois il ne voulait point faire
la paix sans avoir obtenu Sniolensk. Mais les
Boyards de Moscou ne cessaient de répéter :
« Nous ne vous donnerons seulement pas un
seul village du district de Sniolensk ». Pen-
dant plus de deux mois , les deux partis par-
lèrent beaucoup des avantag<'S d'une étroite
alliance entre toutes les puissances européen-
nes. Les Boyards représentaient avec chaleur
aux Seigneurs Lithuaniens , que le Boi sans
doute ne désirait point sincèrement celte
alliance , puisqu'il sollicitait en même temps
(comme nous le savions) celle du Sultan ; ils
ajoutaient que Sigismond aurait le sort de
Bathori qui n'avait recueilli que l'humiliation
et la honte de son dévouement à l'orgueil
Ottoman. En effet , Bathori avait cru com-
plaire à Amurat, par l'assassinat de Paclkocay
le plus illustre des guerriers de Lilhuanie,
mais n'y avait pas réussi. Jusqu'à sa mort il
avait tremblé devant la colère du Sultan, et
lui avait payé tribut comme un esclave; les
Boyardsrappelaient également que la Russie
seule , qui sentait sa dignité et avait refusé
rainitié fallacieuse des Infidèles , était le bou-
clier le plus sûr de la Clirclicnté ; et que le
Khan, si redoutable à la puissance de Sigis-
nîond, n'osait offenser, ni par ses actions ni
par ses discours , Fédor qui avait à son service
plus de deux cents Princes et Mourzas de
Crimée. Quoique les Ambassadeurs ne témoi-
gnassent plus d'arrogance , ni d'insolence ,
comme ils l'avaient fait du temps d'Etienne ,
ils n'acceptèrent pourtant pas notre proposi-
tion modérée : « De conserver chacun ses pos-
» sessions naturelles ». Ayant épuisé tous les
Nouvelle moyens de persuasion , le i". janvier iSgi ,
Liituiauic! * le Tsar appela au Conseil , le Clergé , les
Boyards , les Dignitaires et résolut , de ne
faire que confirmer et prolonger encore pour
douze ans, la trêve conclue à Varsovie , avec
la nouvelle clause que les Suédois ne nous
feraient pas la guerre, ni nous aux Suédois
pendant l'espace d'un an. Fédor, se confor-
mant à l'ancien usage , prêta serment de rem-
plir la convention , et envoya l'Okolnitchii
Soltikoff recevoir à son tour le serment réci-
proque de Sigismond.
Tandis que la Russie n'avait plus d'enne-
DE RUSSIE. iSy
mis à combaltre , la paix élait loin île rame
du Régenl. Laissons les alfairesdc la polllique
exk'iieiire pour parler des grands événeniens
qui se passaient au dedans de TEuipire.
Cette époque est celle où Boris Godounoff,
aux yeux de la Russie et de toutes les puissan-
ces qui étaient en relations avec Moscou , avait
alleint le liiîte de la «randeur, et semblait le -^[^"''''"T'^^
maître absolu de l'Etat ; il ne voyait autour de
lui que des serviteurs muets (107) , ou qui n'a-
vaient de voix que pour exalter ses grandes
qualités. L'adulation n'était pas circonscrite
dans le palais du Kremlin ; dans les provin-
ces voisines ou éloignées de la Capitale , hors
même de la Russie , devant les Souverains et
ministres étrangers , les envoyés du Tsar ,
suivant leurs instructions , s'exprimaient
ainsi (108): « Boris Godounoff est le chef de
» l'Etat : le Souverain lui en a remis les rênes.
» 11 y a établi un ordre que tout le monde ad-
» mire et dont chacun se réjouit. L'armée , le
» commerce et le peuple, tout prospère; les
« villes s'embellissent d'édifices en pierre ,
» sans contributions ni corvées; les ouvriers
» et les artistes sont richement payés des re-
ir)8 lîïsToir. s
» venus du Tsar ; les la[)()ureurs vivent dans
» l'aisance et ne connaissenl pas d'impôts ; la
» justice régne parloul ; le fort ne peut op-
» primer le iaible; Torplielin pauvre va droit
» à Boris, se plaindre du frère ou du neveu
» de ce Boyard , qui , véritablement grand ,
^> donne lort à ses proches, même sans au-
>» cune forme de procès , car il a de la partia-
» lité pour ceux qui sont faibles et sans défen-
» senrs ». Boris étalait ainsi son pouvoir et
sa bienfaisance. Non moins ambitieux que
rusé, il imagina de donner un nouvel éclata
sa domination par une innovation impor-
tante dans la hiérarchie de notre Eglise.
Le nom de Patriarche ne désignait, dans
(lu.aiiuicat j^^ premiers temps du Christianisme, que
d'humbles instituteurs de la foi. Mais, dès le
quatrième siècle, il devint un titre éclatant
des premiers pasteurs de l'Eglise , dans les
trois parties du monde, ou dans les trois villes
ks plus imporiantes de l'Empire chrétien ,
Borne, Alexandrie et Antioche. Jérusalem,
lieu plein de saints souvenirs, et Constanti-
nople, capitale du Christianisme triomphant,
furent également reconnus comme grands»
Einlilisspmcrit
(lu l'alliai
en Kiiasit'.
DE RUSSIK. i5q
Palrlarcals. La Russie n'ambilionna pas cet
honiu'ur depuis le temps de Saiiil-Yladimir
jusqu'à celui de Fédor. La lière et souveraine
Byzance n'aurait pas consenti à une égalilé de
hiérarchie avec Kief ou Moscou; nsais By-
zance, esclave des Ottomans , ne l'aurait point
refusé à Ivan III , à son fils et à son petit-fils ;
ils ne l'avaient pas demandé, peut-être par
rcspecl pour les premiers réglemens de notre
Eglise, on dans la crainte d'augmenter, par
ce titre pompeux, le pouvoir ecclésiastique
au détriment du pouvoir souverain. Boris
avait d'aulres idées. Après avoir renversé le
métropolitain Dionisi , et l'avoir ainsi puni
de ses intrigues et de son audace , il n'avait pas
hésité à élever à cette dignité le pacifique Job
qui lui était dévoué. Il cherchait en lui un
puissant appui pour ses vastes projets. Joa-
clîim, patriarche d'Aiitioche , était venu, en
i586, à Moscou, pour recueillir des aumônes.
Le Tsar lui témoigna le désir d'établir un Pa-
triarcat en Russie (io9\ Joachim promit d'en
faire la proposition an concile de l'Eglise
grecque, et il la ht en effet, en donnant des
éloges à la pureté de notre foi. Au mois de
iGo HISTOIRE
juillet I j88 , arriva à Moscou , au j^raiid con-
tentement de Fédor , Jéréniie , patriarche de
Constantinoplc. Toute la Capitale fut en mou-
vement, lorsque ce prélat de la Chrélienté
(car le trône archi-épiscopal de Constanti-
noplc était considéré depuis long-temps com-
me le premier) , ce vieillard , connu par ses
malheurs et s(^s vertus , traversa les rues de
•Moscou , monté sur un àne , pour se rendre
au Kremlin , regardant avec intérêt sa nom-
breuse population et la magnificence de ses
églises, et bénissant le peuple avec attendris-
sement. Il était suivi par Jérophée , métropo-
litiiin de Malvoisie, et Arsène (no), arche-
vêque d'Elasson ; ces deux derniers étaient à
cheval. Lorsqu'ils entrèrent dans le Palais
dore\ Fédor se leva et alla au devant de Jéré-
luie qu'il rencontra à quelques pas du trône ;
il le ht asseoir à côté de lui , et reçût avec bien-
veillance les dons qu'il lui apportait : ils con-
sistaient en une image renfermant quelques
gouttes du sang du Christ , et des reliques de
Saint-Constantin. Il ordonna à Boris de s'cn-
1 retenir en parliculic;r avec le Patriarche. On
le conduisit dans une autre chambre où il lui
DE RUSSir. i6i
raconta son histoire. Jércmic , après avoir
pendant dix ans gouverné TEglisc , ayant clé
calomnié par un Grec, fut exilé à llhodes , et
le Sultan, sans égard à la promesse solennelle
de ^Mahomet II , de ne point se mêler des at-
fains du Clergé chrétien , éleva Théotiple au
patriarcat. Cinq ans après , on rendit à l'exilé
le rang de Hiéranjue ; mais les voûtes de l'an-
cien temple des archevêques de Byzance , re-
tentissaient déjà des noms d'Alla et de Maho-
met : cette église était devenue une Mosquée.
C'est par mes larmes, dit Jérémie, que j'ohtins
du cruel Amurat la permission d'aller dans
les pays chrétiens recueillir des aumônes,
pour élever un nouveau templeau vrai Dieu,
> dans l'ancienne Capitale de l'orthodoxie.
> Dans quelle au Ire conlrt-e que la Russie au-
rais-jepu trouver du zèle, de la compassion
> etde la générosité » ? Dans le cours de sa con-
versation avec Godounoff , il loua l'idée de
Fédor d'avoir un Patriarche en Piussie ; et le
rusé Boris en proposa la dignité à Jérémie lui-
même , à condition qu'il hahiterait Vladimir.
Jérémie accepta le Patriarcat , mais voulait
habiter la résidence du Tsar , c'est-à-dire Mos-
TOMF. X. II
102 HISTOIRE
COU (i 1 1). Godoiinoff s'y rclusa , disant qu'il
éJait injuste d'éloigner de Moscou et du tem-
ple illustre de la Vierge , un homme saint
et vertueux comme le métropolitain Job.
11 ajouta que Jérémie , ne connaissant ni la
langue , ni les usages de la Russie , ne pouvait
être le directeur du Tsar dans les aiïaires de
l'Eglise , sans se servir d'un interprète auquel j
il ne convenait pas de laisser lire dans la cons- '
cience du Monarque. « Que la volonté Sou- .
j> veraine s'accomplisse , répondit le Patriar"
» elle ; chargé des pleins pouvoirs de notre
» Eglise, je sacrerai et conlirmerai par Tins-
» j)iration divine, celui que choisira Fédor ».
Le choix n'était pas douteux; mais, pour la
forme , les Evéques russes nommèrent trois
candidats , le métropolitain Job , Alexandre ,
archevêque de iNovgorod, et Varlaam , arche-
vêque de Rostoff lis présentèrent ces trois
noms au Tsar, et Job fut élu (112). Le 23 jan-
vier 1589, après les Vespres, le Patriarche nou-
vellement nommé , célébra un Te JJcuin dans
la Basilique de l'Assomption. Entouré de tous
les évéques , en présence du Tsar et d'un peu-
ple nombreux , il sortit du sanctuaire et se
DE BISSIK. l63
plaça sur une estrade, tenant dans une de ses
mains un cierge allumé , et dans l'autre une
lettre de renierciniens adressée au Souverain
et au Clergé. Dans ce moment un des prin-
ci paux dignitaires , tenant également un cierge
dans sa main , s'approcha de lui et dit à haute
voix : « Le Tsar orthodoxe , le Patriarche
>' œcuménique , et le Concile sacré , t'élèvent
» au Trône patriarcal de Vladimir, de Moscou
^> et de toute la Russie ». Job répondit: « Je ne
» suis qu'un indigne pécheur, maispuisquele
» Souvera i n , l'évèque oocunKhi i que Jérémie et
» le Concile m'élèvent à une dignité aussi im-
» portante, je l'accepte avec reconnaissance ».
Il baissa la tète avec humililé , et se tournant
vers le clergé et le peuple , il prononça le ser-
ment de gouverner avec zèle le troupeau que
Dieu lui confiait. C'est ainsi que fut accomplie
l'élection. La consécration solennelle eut lieu
le 26 janvier pendant la célébralion de la Messe,
avec les cérémonies d'usage aux sacres des mé-
tropolitains et desévéques, et sans aucun chan-
gement. Au centre de la cathédrale, sur le
plancher, était tracée à la craie une aigle à
deux tètes, et s'élevait une estrade de douze
iGf HISTOIRE
marches ; à celle place , le plus ancien des pas-
Icurs de rEglise irOrient, après avoir salué
Job , comme Vv'^iû des Palriarcîies de la chré-
lientc , injposa ses mains Ireniblantes sur sa
lèle , et demanda au ciel que cet Archevêque
de Jésus-Christ devint une lumière élern<dle
de la foi. Le nouveau patriarche de Moscou ,
ayant sur la tète la mitre ornée de la Croix et
d'une couronne (i i3) , ofiicia conjointement
avec celui de Byzance , et lorsque roltice fut
terminé et qu'il se fut dépouillé de ses orne-
nicns, il reçut de la propre main du Tsar, une
croix précieuse qui renfermait un morceau
de la vraie Croix , un manteau de velours vert
avec des raies brodées en perles, et lamitrc
blanche sur laquelle était aussi une croix. 11
lui remit la crosse du métropolitain Saint
Pierre , et lui ordonna de porter le titre de
Chef des Evèques , de Père des Pères et de Pa-
triarche de tous les pays septentrionaux , par
la grâce de Dieu et la volonté du Tsar. Job
donna sa bénédiction à Fédor et au peuple,
et le chœur chanta l'hymne, Inplurimos annos^
en l'honneur du Souverain et des deux arche-
vêques de Byzance et de Moscou, qui étaient
DE RUSSIE. l65
nssis à coté de lui. Job , suivi de deux Evequcs,
des Boyards et d'un grand nomljre de fonc-
tionnaires, sortit de Téglisc, et, monté sur
un ane , il lit le lour des murs du Kremlin ,
en les aspergeant d'eau bénite , les bénissant
de la croix et recitant des prières pour la con-
servation de la ville (i i4). H dîna chez le Sou-
verain , avec Jérémie et avec tout le Clergé et
les autorités séculières.
Afin de consolider la dignité et la supréma-
tie de l'Eglise russe, on dressa une Charte (i 1 5)
dans laquelle il était dit: Que l'ancienne Rome
étaittombéeparrhérésied'Appollinaire(i i6);
({ue la nouvelle Piome, Constantinople , étiiit
au pouvoir de la race impie des Sarrasins ;
que la troisième Rome était Moscou ; qu'au
lieu du faux chefde l'Eglise d'Occident, Eglise
obscurcie par de fausses doctrines, le premier
prélat œcuménique était le patriarche de Cons-
tantinople, le second, celui d'Alexandrie , le
troisième, celui de Moscou et de toute la Rus-
sie , le quatrième, celui d'Antioche , et le
cinquième, celui de Jérusalem (117); qu'en
Russie on devait prier pour les Patriarches de
la Grèce , et en Grèce pour le nôtre , qui do-
iGG HISTOIRE
irnavant et jiis{[a';i la lin du monde , serait
clioisl cl consacré à Moscou, sans avoir be-
soin du consentement ni de l'approhalion des
Grecs. Onajoutad'autres distinctions extérieu-
res à la dignité de Patriarche de notre Eglise ;
on régla qu'il ne sortirait que précédé d'une
lampe , au milieu des chants des fidèles et au
son des cloches; qu'il aurait une estrade à trois
marches sur laquelle il se revêtirait ; qu'il por-
terait, les jours ordinaires, un bonnet avec
des séraphins , des croix et un manteau rayé ;
que lorsqu'il marcherait , il aurait en main la
croix et la crosse, et qu'il irait à six che-
vaux (ii8). Ensuite le Souverain, conjointe-
ment avec les deux Patriarches, régla qu'il y
aurait en Russie quatre Métropolitains, sa-
voir : à JSovgorod^ l\ Kazan^ à Rosfoff ei à
Kroutlisk (119); six Archevêques, dont le
siège serait , à J^ologda , à Sousdal , à Nignîgo-
rod , k Srnolensk ^ à Re'zan et à 2'r^r ; et huit
Evèques, dont le diocèse serait hPskoJ/, à
ii/V/ , à Ousfioug , à Bicloozéro , à Kolornna , à
Dmitrefei dans le pays de Secersk.
Il y avait plus d'apparence que de réalité
dans la part que prenaient à ces dispositions
DE RUSSIE. 167
de l'Eglise , Jérémie, métropolitain de Mal-
voisie et rarchevèque d'Elassou. Cependant ,
ils visitèrent le couvent de Saint-Serge (120) ,
et là , comme dans les églises de Moscou , ils
s'étonnèrent de la richesse des images , des
vases et des habits qui servaient à roflice divin.
Dans la Capitale, ils dînaient chez le patriar-
che Job , et admiraient la sagesse de sa con-
versation. Ils louaient également les grandes
qualités de Godounoif , et l'esprit distingué
du vieillard André Stchelkaloff; mais ce qu'ils
vantaient le plus , c'était la générosité des
Russes; car on leur donnait sans cesse des
vases de prix , des perles, des étoffes de
soie (121), des zibelines et de l'argent. Présen-
tés à la Tsarine , ils furent enchantés de sa
piété , de sa modestie, de sa beauté angélique,
et du charme de ses paroles; ils ne le furent
pas moins de la magnificence de sa parure.
Elle portait une couronne avec douze pointes
en perles ; son bandeau et la chaîne d'or
qu'elle avait au cou étaient ornés de pierres
précieuses ; son habit était de velours brodé
en grosses perles, et son manteau n'était pas
moins riche. Le Tsar se tenait debout à côte
lG8 HISTOIRE
d'elle, de Tantre côlé élait Boris Godourioff ,
télé nue , et dans un mainlien modeste etres-
peclucLix ; plus loin (Haient rangées les dames
de distinction, en vétemens blancs et les mains
jointes. Irène demanda avec ferveur aux prélals
Grecs , d'adresser leurs prières au Tout-Puis-
sant, afin qu'il lui accordât un fds , héritier
du Trône; « et nous tous, touchés juscpi'au
» fond du cœur (dit rarchevéque d'Elasson
» dans la description de son voyage à Mos-
» cou ) , confondant nos larmes avec les sien-
» nés, nous demandâmes unanimement au
» ciel qu'il exauçât la prière pure et fervente
» d'une âme aussi pieuse ». Enfin, au mois
de mai 1089 , le Tsar permit à Jérémie de re-
tourner à Gonstantinople , en lui remettant ,
pour le Sultan , une lettre dans laquelle il le
conjurait de ne point opprimer les Chrétiens;
outre les présens , il y envoya mille roubles
ou deux mille ilorins hongrois , pour l'érec-
tion d'une nouvelle église Patriarcale. Cette
générosité lui mérita la plus vive reconnais-
sance de la part de tout le Clergé grec , qui ,
par une Charte du Concile , approuva l'éta-
blissement du Patriarcat à Moscou (122) et la
DE RUSSIE. 169
fit parvenir à Fédor , au mois de juin 1591 ,
par le métropolitain de Tcrnova , avec des re-
liques et deux couronnes , Tune pour le Tsar
et Tautre pour la Tsarine (i23).
C'est ainsi que s'établit une nouvelle supré-
matie dans notre sacerdoce ; suprématie ren-
versée cent dix ans après , par un grand mo-
narque , comme inutile à l'Eglise , et dange-
reuse pour la puissance des Souverains, quoi-
que son sage instituteur n'eut donné au Clergé
aucun nouveau pouvoir politique, et qu'en
changeant seulement un titre , il eut laissé
le hiérarque dans la dépendance absolue du
chef de l'Etat. Pierre I". connaissait l'histoire
de Nikon, et il dkisa^ pour l'affaiblir, le pou-
voir ecclésiastique ; il aurait également sup-
primé le rang de Métropolitain , si, de son
temps, comme dans celui d'Ivan et plus an-
ciennement encore , nu seul Métropolitain se
lut trouvé à la tète de l'Eglise russe. Pierre
régnait et ne voulait que des serviteurs ; Go-
dounoff était encore sujet et cherchait un ap-
pui , prévoyant des événemens où l'amitié de
la Tsarine ne suffirait pas à son ambition et à
son salut. II avait comprimé les Boyards ,
l'jO HISTOIRE
mais il voyait au fond do leurs cœurs la haine,
Tenvie, et un juste ressentiment contre l'as-
sassin des Scliouisky; il avait des amis , mais
qui n'existaient que par lui et qu'il entraîne-
rait dans sa chute, ou qui le trahiraient dans
un changement de fortune; il comblait le peu-
ple de bienfaits , mais comptait peu sur sa
gratitude , ayant la conscience involontaire
des motifs peu vertueux qui le portaient au
bien , et n'ignorant pas que ce peuple , dans
un moment critique , tournerait ses regards
vers les Boyards et le Clergé , pour agir d'après
leur impulsion. Godounoff , dans la position
de Pierre le Grand , aurait pu , comme lui ,
renverser la dignité de Patriarche, mais les
circonstances n'étaient pas les mêmes ; il vou-
lut flatter l'ambition de Job, par un titre écla-
tant , et se ménager en lui un serviteur plus
zélé et plus illustre : car le moment décisif
était venu, et ce Boyard tout-puissant osa
enfin soulever, pour son ambition , le voile
de l'avenir.
En supposant même que Godounoff, maî-
tre de tout, excepté delà couronne de Fédor,
n'y eût point prétendu , encore pouvait-il
DE RUSSIE. 171
jouir paisihlcmoiU de sa f^randour, eu soii-
gcaiil à la niurl prochaine d'un Monarque
aussi faible de corps que d'esprit, à riiérilier
légitime du irone , qui, au milieu des hon-
neurs dus à son rang , n'en était pas moins
exilé , et que sa mère et ses parens élevaient
dans la haine contre le régent, et dans des
sentimens de fureur et de vengeance ? Si Dmi-
tri venait à succéder à Fédor , quel sort atten-
dait Irène ? Un couvent. Et Godounoff? L;i
prison ou l'échafaud , lui qui d'un geste
ébranlait l'Etat , et que flattaient les Piois de
rOrient et de l'Occident !... Déjà les faits
avaient dévoilé l'àme de Boris : les infortunés
qu'il redoutait, avaient péri dans les cachots
ou sur le billot. Et quel ennemi était plus
dangereux pour lui que Dmitri î
INlais l'àme de Godounoff était encore dé-
vorée de désirs insatiables. Fier de ses qualités
brillantes , de ses services , de sa gloire et des
flatteries dont il était l'objet ; ivre de bonheur
et de pouvoir , cédant à ce charme qui en-
traîne lésâmes même les plus nobles ; étourdi
par une élévation qu'il n'avait été donné d'at-
teindre à aucun sujet en Pvussie, Boris portait
i;^ HISTOIRE
encore plus haut ses regards et ses vues ambi-
tieuses : quoiqu'il gouvernât en maître, ce
n'était point en son propre nom ; il ne bril-
lait que d'un éclat emprunté ; il devait se con-
traindre et cacher son orgueil sous le masque
de la soumission , s'abaisser publiquement
devant l'ombre du Tsar et se prosterner devant
elle en esclave. Le trône, aux yeux de Godou-
noff, n'était pas seulement le brillant sanc-
tuaire du pouvoir; c'était aussi le paradis de
paix , où ne pouvaient atteindre les flèches
empoisonnées de l'envie , et où un mortel
jouissait , <'n quelque sorte , des prérogatives
de la divinité. Cette image du pouvoir absolu
avec tous ses attraits, s'offrait chaque jour
avec plus de force àGodounoff; elle agitait
de plus en plus son cœur, et il finit par n'avoir
plus d'autre idée. L'Annaliste raconte à ce
sujet, un fait très-intéressant, quoique fort
douteux (124). « Boris, malgré l'esprit supé-
)' rieur dont il était doué , croyait aux devins ;
)> il en rassembla plusieurs au milieu de la
5> nuit , et leur demanda son horoscope. Les
» Devins ou les Astrologues , pour le flatter,
« lui répondirent : c'est la couronne qui t'at-
DE RUSSIE. iy3
» tond... Mais ils se lurent loul-à-coiip comme
» efTi'ayés tle ce qu'ils prévoyaient encore,
» L'impatient Boris leur ordonna d'achever
» leur prédiction , et il apprit qu'il né régne-
» rait que sept ans; transporté de la joie
» la plus vive, il embrassa les Devins , en
j> s'écriant : ne fut-ce que sept jours , pourvu,
» que je règne » ! Comme si Boris avait pu
dévoiler aussi indiscrètement les senlimens
de son ame à ces prétendus sages d'un siècle
superstitieux! Au moins il ne se cachait plus
à lui-même ; il savait ce qu'il voulait! 11 atten-
dait la mort d'un Souverain sans postérité ; il
disposai! de la volonté de la Tsarine; il avait
rempli le Conseil , la Cour et les Tribunaux ,
de ses parens et de ses amis , et ne doutait pas
du dévouement de l'illustre Hiérarque de
l'Eglise; il comptait aussi sur l'éclat de son
gouvernement , et inventait de nouvelles ruses
pour s'emparer de l'amour ou de l'imagina-
tion du peuple. Boris, a])rès avoir ainsi tout
préparé, ne s'effrayait point d'une circons-
tance sans exemple dans notre patrie , depuis
Rurik jusqu'à Fédor: la vacance du trône par
l'extinction de la race Souveraine. Il ne redou-
174 HISTOIRE
tait point le tumulte des passions clans le
choix d'une nouvelle dynastie ; et fermement
persuadé que le sceplre , tombé des mains du
dernier prince du sang de Monomaque, serait
remis à celui qui régnait déjà depuis long-
temps et avec gloire , sans porter le litre de
Souverain, cet ambitieux effréné ne voyait
entre lui et le Trône, qu'un en fa ni sans dé-
fense ; et, comme un lion féroce , il dévorait
déjà des yeux sa proie La perte de Dmitri
était inévitable.
Pour commencer l'exécution de son hor-
rible dessein , Boris pensa à faire déclarer bâ-
tard le Tsarévitche , comme élant fils de la
sixième ou septième femme d'Ivan (i25). Il
défendit de prier pour lui et de prononcer
son nom dans l'office divin ; mais il considéra
ensuite que ce mariage, quoiijue réellement
contraire aux lois , avait été confirmé ou to-
léré par l'autoi'ité ecclésiastique ; que celle-ci ,
en le rompant, ferait un aveu humiliant de
sa faiblesse humaine : ce qui produirait un
double scandale dans la chrétienté ; que d'ail-
leurs Dmilri n'en resterait pas moins Tsaré-
Titche , dans l'opinion publique , et seul suc-
DE RUSSIE. 1^5
©fsscur de Fcilor. Godounolf recourut dont
au moyeu le plus sur pour écarter un compé-
titeur. Il se préparait une excuse dans les bruits,
répandus sans doute par ses amis , sur les in-
clinations perverses et cruelles de Dmitri ,
dans un âge encore teudre. On disait tout
haut à Moscou (et par conséquent sans crainte
d'olïenser le Tsar ni le Piègent ) , que cet en-
fant , qui n'avait encore c|ue six ou sept ans ,
était une image vivante de son père; qu'il ai-
mait le sang et le spectacle des tortures ; qu'il
prenait plaisir à voir tuer les animaux , et les
tuait lui-même. On voulait, par ces men-
songes, exciter la haine du peuple contre
Dmitri. On en inventa un autre pour effrayer
les Grands: on disait ([iie le Tsarévilche, jouant
un jour sur la glace avec d'autres enfans, or-
donna de faire avec de la neige vingt figures
humaines, leur donna le nom des premiers
hommes de l'Etat , et après les avoir fait pla-
cer en rang , commença à les sal)rer ; il tran-
cha la tète au simulacre de Boris Godounolf;
à d'autres, il coupa les mains et les pieds, en
disant : « Yoilà le sort qui vous attend lorsque
» je régnerai (126) ». Cependant d'autres dé-
I-G HISTOIRE
mentaient celle absurde calomnie , (;t affir-
maient que le jeune Tsarévitche montrait un
cspril et des qualités dignes d'un iils de Sou-
verain (127). On en parlait avec une compas-
sion mêlée de crainte ; car on devinait les dan-
gers que courait ce malheureux enfant , et l'on
ne selrompa point sur le but de ces calom-
nies. Si Godounoff avait jamais eu à lutter
contie sa conscience, elle élail déjà vaincue;
ayant préparé la crédulité à apprendre sans
frémir le crime qui allait se commettre , il te-
nait en mains le poison et le fer pour Dmitri ,
et ne cherchait plus que le meurtrier auquel
il devait les remettre.
La confiance et la franchise peuvent-elles
s'accorder avec un projet aiîssi odieux ? Cepen-
danlBorisavailbesoin d'aides; il s'ouvrit donc
à ses proches ; mais l'un d'eux, le grand Maré-
chal Grégoire Godoiinoff , ayant répandu des
larmes , arrachées par la pitié , Thumanité et
la crainte de Dieu , on l'éloigna du Conseil.
Tous les autres pensèrent que la mort de
Dmitri était indispensable à la sécurité du
Piègent et au bien de l'Etat. On commença par
le poison, l.a gouvernante du Tsarévitche ,
DE RUSSIE. I-y
Vassi lissa, femme du boyard Voloklioff (128),
<etson fils Joseph , s'clant lâchement vendus à
Godounoff, lui servirent d'instrument. Mais,
dit l'Annaliste , le poison n'agit point sur l'en-
fant (129). Peut-être la conscience arrêtait-elle
encore les exécuteurs de ce projet digne de
renfer ; peul-èlre une main tremblante ne
versait-elle le^ poison qu'avec hésitation, et en
diminuait la dose , au grand mécontentement
de rimpatient Godounoff ([ui résolut de se ser-
vir d'exécuteurs plus hardis. Son choix tomba
sur deux fonctionnaires, Zagriasky et Tchept-
chougoff , qui étaient comblés des bienfaits
du Régent ; mais tous les deux refusèrent la
proposition qui leur fut faite. Prêts à verser
leur sang pour Boris , ils frémissaient à l'idée
d'un assassinat. Ils promirent seulement de se
taire , et dès cet instant ils furent persécu-
tés (i3o). Alors , le plus dévoué des complices
de Boris, l'Okolnitcbeï Klechnin , menin du
Tsar, présenta un homme sur , le diak Bitia-
gofsky , dont tous les traits annonçaient la fé-
rocité et répondaient de sa fidélité dans le
crime. Godounolf lui donna de l'or à pleines
mains, il lui en promit encore davantage et
To3i£ X. 12
l^S HISTOIRE
l'assura de l'impiinilé. Il ordonna à ce monstre
de se rendre à Ouglitchc pour s'y occuper des
affaires de la province cl de la Maison de la
veuve du Tsar ; de ne jamais perdre de vue sa
victime, et de proiilcr du premier moment
favorable. Biiiagofsky promit de se conformer
à cet ordre et tint parole.
Avec lui arrivèrent à Ouglitche son fils Da-
niel et son neveu Katchalolf , qui , tous deux,
avaient fenlière confiance de Godounolf. Le
succès paraissait facile. Ils pouvaient être du
matin au soir chez la Tsarine, ayant le soin de
ses affaires domestiques et l'intendance de ses
gens et de sa table ; la gouvernante du jeune
Prince les aidant, avec son fils, de ses con-
seils et de ses actions : mais une tendre mère
veillait sur Dmitri! Avertie peut-être par quel-
ques amis secrets ou par son propre cœur,
elle redoubla de soin pour son fils chéri. Elle
ne le quitUvit ni le jour, ni la nuit; elle ne
sortait de sa chambre que pour aller à féglise;
préparait elle-même et seule sesalimens, et
ne le confeait, ni à la perfide Yolokhoff, sa
gouvernante, ni même à Irène sa nourrice dé-
vouée. Il se passa un temps considérable après
DE RUSSIE. 179
lequel les assassins , ne voyant pas la possi-
hilifé de commettre leur crime en secret ,
résolurent de Texécuter ouvertement , dans
Tespoir que le puissant et artificieux Godou-
nolT trouVeraîl, pour sauver son honneur,
un nioye^i de déguiser ce forfait aux yeux
d'esclaves muets ; car ils ne songeaient qu'aux
hommes et non à Dieu ! Le jour affreux ar- Assassinat ,hi
riva, qui devait éclairer cet atroce attentat, i^n^i'»-
jour non moins affreux par ses longues con-
séquences! Le 1 5 mai , un samedi , à la sixième
heure du jour, la Tsarine revenait de Téglise
avec son fils et se préparait à diner (i3i). Ses
frères ne se trouvaient pas au Palais ; les do-
mestiques étaient occupés à servir. Dans cet
instant , la gouvernante Volokhoff appelle
Dmitri pour le faire promener dans la cour ;
la Tsarine qui voulait le suivre, malheureu-
sement distraite de cette idée , s'arrête. La
nourrice voulait retenir le Tsarévitche sans
aucun motif dont elle put se rendre compte ,
mais la gouvernante l'entraine par force dans
le vestibule et , de là, sur l'escalier où ils ren-
contrèrent Joseph Volokhoff, Daniel Bitia-
gofsky et Katchaloff. Le premier , en prenant
iSo HISTOIRE
Dmilrl par la main lui dil : « Sei^^mciir, vous
» avez un nouveau collier ». L'eniant, en le-
vant la [vie et avec le sourire de l'innocence ,
lui répond : « Non , c'est l'ancien ». Dans ce
moment le fer assassin le frappe ; mais après
avoir à peine effleuré la gorge du Prince , il
tombe des mains de Volokhoff La nourrice
jette des cris d'effroi , en serrant dans ses
bras l'enfant Souverain. Yolokboff prend la
fuite ; Mais Daniel , Bitiagofsky et Katcbaloff
arrachent le Tsarévitclie à sa iiourrice, le poi-
gnardent et se précipitent au bas de l'escalier ,
au moment même où la Tsarine y arrivait,
sortant du vestibule. Le jeune martyr, âgé de
neuf ans, était étendu ensanglanté dans les
bras de celle qui l'avait nourri , et qui avait
voulu le défendre aux dépens de sa vie. // pul-
piia'd cominc une colombe , et il exhala son der-
nier soupir sans entendre les lamentations de
sa mère au désespoir, La nourrice montrait
du doigt l'infâme gouvernante, troublée par
le crime , et les assassins qui traversaient la
cour. Personne ne se trouva là pour les ar-
rêter; mais le vengeur céleste était présent.
Un moment après la vilie entière offrit l'as-
DE RUSSIE. l8l
pect d'une agitai ion inexprimable. Le mar-
guillier de la cathédrale, soit qu'il eut été,
comme on le dit, témoin de l'assassinat, soit
qu'il en eut été instruit par quelques servi-
teurs de la Tsarine , sonna le tocsin , et toutes
]es rues se remplirent de monde. Saisis d'éton-
nement et de frayeur, tous les habitans cou-
raient vers l'endroit d'où partaient les sons de
la cloche. On cherchait à apercevoir la fu-
mée ou la flamme , croyant que le feu était au
palais. On en brise la porte , et l'on voit le
Tsarévitche étendu mort sur la terre ; auprès
de lui étaient sa mère et sa nourrice sans con-
naissance ; mais les noms des assassins avaient
déjà été prononcés par elles. Ces monstres ,
désignés à une juste punition par un juge in-
visible , n'eurent pas le temps de se cacher ,
ou ne l'osèrent pas, de peur de découvrir par
là le crime qu'ils venaient de commettre. Dans
le trouble et l'effroi que leur causèrent le toc-
sin, le bruit et l'effervescence du peuple , ils
se réfugièrent dans l'Hôtel-de-Ville , et leur
chef secret, Michel Bitiagofsky , courut au
clocher pour arrêter le sonneur ; mais il ne
put enfoncer la porte que celui-ci avait fer-
l82 HISTOIRE
niée. Il alla de là, sans crainte, au Heu on le
crime s'clait commis, s'approcha du cadavre,
et voulant calmer rexaspération du peuple par
un mensonge concerté d'avance avec Klechnia
ou avec Godounoff, il osa dire aux citoyens
que l'enfant s'était tué lui-même avec un cou-
teau, dans un accès d'épi le psie. « Meurtrier ! »
s'écrièrent mille voix, et des pierres volèrent
sur le scélérat. Il chercha un asile dans le pa-
lais avec un de ses complices, Daniel Trélia-
koff; mais le peuple s'empara d'eux et les
massacra, ainsi que le lils de Bitiagofsky, et
Katchaloff , après avoir forcé la porte de l'Iio-
tel-de-Yille. Le troisième des assassins, Joseph
Tolokhoff , se cacha dans la maison de Michel
Bitiagofsky ; on le prit et on le mena dans
l'église du Sauveur où se trouvait déjà le cer-
cueil de Dmitri , et là on l'immola aux yeux
de la Tsarine. On tua également les domes-
tiques de Michel et trois bourgeois qui étaient
convaincus ou soupçonnés d'intelligence avec
les assassins, de même qu'une femme, préten-
due inspirée , qui demeurait dans la maison
de Bitiagofsky , et qui allait souvent au palais.
On conserva la vie à la gouvernante pour avoir
DE RUSSIE. l83
d'elle de plus amples informations ; car les
scélérats avaient, à ce qu'on dit, avant de
mourir (i32) , allégé leur conscience par un
aveu sincère , et avaient nommé Boris Godou-
noif comme premier coupable de la mort de
Dmitri. Il est probable que la gouvernante ef-
frayée ne niait point cet infernal complot ;
mais le juge de ce crime était le criminel lui-
même.
Après avoir assouvi sa vengeance, illégale
quoique juste, le peuple pouvait être excusé
par le sentiment qui l'avait conduit , mais il
était coupable devant la loi. Il se calma toute-
fois, et attendit avec inquiétude des nouvelles
de Moscou, où les commandans avaient en-
voyé un courrier avec le rapport exact du fu-
neste événement , rapport où rien n'était
dissimulé et qu'ils adressaient directement au
Tsar. Mais Godounoff avait tout prévu; des
officiers dévoués étaient placés sur la route
d'Ouglitche ; ils arrêtaient tous les passans ,
les questionnaient, les visitaient. Ils retin-
rent le courrier et l'amenèrent à Boris. Les
désirs de l'ambitieux étaient accomplis!.... Il
ne s'agissait plus que de masquer la vérité par
t84 histoire
une imposture , sinon pour convaincre la na-
tion , du moins pour la Torme el la bienséance.
On s'empara des lettres qui arrivaient d'Ou-
glitche, et l'on en écrivit d'autres à la place.
On y disait que le Tsarévitche s'était tué avec
un couteau , dans un accès d'épilepsie , et que
ce malheur élait arrivé par la négligence des
ISagoï qui , voulant cacher leur faute , avaient
impudemment accusé le diak Bitiagofsky
et ses proches , de l'assassinat de Dmilri ,
ameuté le peuple et sacrifié les innocens. Go-
dounoff se lîàta de se présenter à Fédor avec
le rapport mensonger. Il montrait une aîïlic-
tion hypocrite ; il tremblait, levait les yeux au
ciel , et en prononçant le terrible mot de la
mort de Dmilri , il confondit ses larmes de
crocodile avec les larmes sincères d'un bon et
tendre frère. Le Tsar, d'après le témoignage
de l'Annaliste, pleura amèrement, garda long-
temps le silence et dit enfin : « Que la volonté
de Dieu soit faite » ! Il crut tout ce qu'on lui
dit. Mais la Russie exigeait quelque chose de
plus. On feignit de mettre du zèle à la rechei^
che de toutes les circonstances de ce malheur ;
et, sans perdre de temps, on envoya à Ou-
DE RUSSIE. l85
«^lilchc deux dignilairos de l'Etat : el lesquels ?
L'Okolnitclieï André Kleehnin , prineipal
compliee de Boris ; on ne fut pas élonné de ee
choix , mais on le fut de l'autre qui était tom-
bé sur le boyard prince Basile Scliouisky , dont
le frère aine, le prince André avait péri vic-
time de Godounoif, et qui lui-même, ayant
été en disgrâce pendant plusieurs années ,
avait attendu sa perte du Régent. Mais le rusé
Boris s'était déjà réconcilié avec ce prince
ambitieux , léger, spirituel et sans principes,
de même qu'avec son frère cadet Dmitri , qu'il
avait marié avec sa jeune belle-sœur, et qu'il
avait élevé à la dignité de Boyard. Godounoff
connaissait les hommes , et il ne se trompa
point sur le compte du prince Basile , en
même temps qu'un pareil choix semblait
prouver de sa part une parfaite absence de
crainte et de partialité. Le 19 mai au soir, le
prince Schouisky, Kleehnin et le diak Vilous-
guin arrivèrent à Ouglitclie, ayant avec eux
le métropolitain de Kroulitzi , et descendirent
droit à l'église de la Transfiguration.
Le corps tout sanglant de Dmitri y était en-
core exposé , et sur lui se trouvait le fer de
I S6 II I s j- O I R E
l'assassin. La mère inforliinéc, ses parens et
tous les !)ons ciloyens l'arrosaient de leurs
larmes. Schoiiisky , avec des témoignages de
sensibilité , s'approche du cercueil , pour exa-
miner le visage du défunt et sa blessure ; mais
Klechnin, ayant aperçu cette figure sur la-
quelle était empreinte une douceur angélique,
et voyant le sang et le fer , trembla de tous ses
membres, resta comme pétrifié et, répandant
des larmes, ne put proférer un seul mot ([33) :
il avait encore de la conscience. La. blessure
profonde de Dmitri , sa gorge qu'on voyait
bien avoir été coupée par la main vigoureuse
d'un scélérat et non par celle d'un enfant,
prouvaient l'assassinat d'une manière irrécu-
sable ; c'est pourquoi on se hâta de livrer à la
terre les restes sacrés de l'innocence ; le Mé-
tropolitain les inhuma, et le prince Schouisky
commença son interrogatoire , monument
d'impostures, conservé par le temps, comme
pour justifier les calamités qui, quelques an-
nées après, tombèrent sur la tète, déjà cou-
ronnée, de ce courtisan si criminel dans sa
faiblesse. Après avoir assemblé le Clergé et
les citoyens, il leur demanda: « Comment, par
DE RUSSIE. 187
» la négligence des Nagoï, Dmitri a-t-il pu se
» tuer ?(iv^4)" Les moines, les prèlreSj les hom-
mes et les femmes, les vieux et les jeunes, tous
répondirent unanimement: « IjcTsarévilchc a
» été tué par Michel Biliagofsky et ses cornpli-
» CCS, et par V ordre de Boris GodowiofJ ( 1 35) ».
Schouisky ne voulut pas en entendre davan-
tage ; il les congédia, et résolut de continuer
son interrogatoire non publiquement, mais
en secret et en particulier, et de faire agir les
menaces et les promesses. Il appelait qui il
voulait et écrivait ce que bon lui semblait.
Enlin, il composa, avec Klechnin et le diak
Yilousguin, le rapport suivant au Tsar, fondé,
à ce qu'il prétendait, sur les preuves qui lui
avaient été fournies par les fonctionnaires de
la ville, la gouvernante Yoloklioff , les enfans
Boyards du Tsarévitclie, Irène, la nourrice
de Dmitri, la femme de charge, Marie Sa-
moïloff , les deux Nagoï , Grégoire et André ,
des sommeil lers de la Tsarine , ses domes-
tiques , quelques citoyens et quelques moines.
«< Mercredi, 12 mai, Dmitri tomba malade
j) d'un accès d'épilepsie ; vendredi il se trouva
» mieux , sortit avec la Tsarine pour aller i
1^8 HISTOIRE
» la Messe et se promena dans la conr; samedi,
» également après la Messe , ii se promena
» dans la cour avec sa gouvernante , sa nour-
>> rice , la femme de charge , les jeunes enfans
» Boyards; il commença à jouer avec eux , un
» couteau à la main , et , dans un nouvel accès
» d'épilepsie , il se perça la gorge. Il se débattit
» long-temps à terre et enfin expira. Dmitri ,
» qui était depuis quelque temps atteint de
» cetîe maladie , avait déjà anlérîeurement
» blessé sa mère ; un autre jour, il avait rongé
» la main de la fille d'xVndré Nagoï. La Tsa-
>) ri ne , ayant appris le malheur arrivé à son
» fils , accourut et commença à battre la gou-
« vernante,en disant qu'il avait été assassiné
» par Yolokhoff , Katchaloff et Daniel Bitia-
« gofsky, dont pas un seul n'était présent.
>> Mais la Tsarine et son frère Michel P^agoï,
» qui était ivre , ordonnèrent de les massa-
» crer, de même que le diakBitiagofsky, sans
« qu'ils fussent coupables , uniquement parce
» que cet homme dévoué ne satisfaisait point
» à l'avarice des Nagoï et ne leur donnait pas
» d'argent au-delà de l'ordonnance du Tsar.
» Michel Nagoï ayant appris que des dignilai-
DE RUSSIE. l8g
ï» ros du Tsar allaient arriver à Oiiglilche , fit
^) apporter quelques arquebuses , quelques
j> couteaux, uue massue en fer, les iil ensan-
» glanler et déposer sur les corps de ceux (pii
» avaient élé tués, comme des témoignages
j> de leur prétendu crime ». Cette absurdité
était confirmée par les signatures de Théodo-
rite , archimandrite de Yoskresensk, de deux
abbés, et du confesseur des iSagoï, qui Tap-
posèrent par crainte , et par faiblesse de ca-
ractère ; ce fut ainsi que le témoignage una-
nime de la vérité fut étouffé. On n'inscrivit
les réponses de Michel Nagoï, que comme
celles d'un véritable calomniateur qui s'opi-
niàtrait à dire que Dmitri avait péri par les
mains des scélérats.
Schouisky , revenu à Moscou , présenta le 2
juin son interrogatoire au Monarque ; celui-
ci le renvoya au Patriarche et aux Evéques,
qui , réunis en Conseil avec les Boyards , or-
donnèrent d'en faire la lecture au diak Basile
Stclielkaloff. Après en avoir pris connaissance
Gélasi, métropolitain de Kroutitzi, dit à Job:
« Je déclare au Saint Concile , que le jour de
» mon départ d'Ouglilche, la Tsarine douai-
ir)0 HISTOIRE
» rière, nie fit venir aiipt'ès d'elle, et me con-
» jura de calmer la colère du Souverain ,
« contre ceux qui avaient massacré le diak
» Bitiagofskyetsescompagnons; qu'elle voyait
» elle-même que cette affaire était criminelle,
» et qu'elle suppliait humblement le Monar-
» que de ne point faire périr ses parens ». Le
rusé Gélasi ayant probablement dénaturé les
paroles de celte mère infortunée, présentai
Job un nouveau papier de la part de l'inten-
dant d'Ougîitche , qui disait : que Dmitri
était effectivement mort dans un accès d'épi-
lepsie et que Michel Nagoï, ivre , avait ordon-
né de massacrer des innocens. . . Et le Conseil
ecclésiastique ( souvenir douloureux pour
l'Église ! ) présenta à Fédor un rapport conte-
nant ces mots: « Que la volonté du Tsar s'ac-
» complisse , quant à nous, nous nous soni-
» mes convaincus que la vie du Tsarévitche
» s'est terminée par la volonté de Dieu ; que
» Michel Nagoï est l'auteur de l'horrible mas-
» sacre qui a eu lieu ; qu'il n'a agi que d'après
» les inspiiationsde son inimitié personnelle;
» au'il s'était concerté avec des méchants as-
» trologues , André Motchaloff et d'autres ;
DE RUSSIE. igi
» et que les citoyens d'Ouglitche , ainsi que
) lui , mériteraient le supplice pour Icurtra-
> ///Vowetleur crime. Mais celte alTaire est
entièrement séculière et ne doit être jugée
> que par Dieu et le Souverain dans les mains
) duquel est le pouvoir de punir et de faire
) grâce. Quant à nous, nous ne pouvons
> qu'adresser nos prières au ciel pour la con-
> serval ion des jours du Tsar et de la Tsarine,
) et pour le bonheur et la tranquillité de la
> nation ». Fédor ordonna aux Boyards de
juger celte affaire et de livrer au supplice les
coupables On amena à Moscou les Nagoï, la
nourrice de Dmilri , son mari et le prétendu
astrologue iNIotchaloff. Ils étaient fortement
enchaînés. On les interrogea de nouveau, on
les tortura et principalement Michel Nagoï ,
sans pouvoir obtenir de lui le faux aveu du
suicide de Dmitri (i3G). Enfin on exila tous les
Nagoï dans des villes éloignées, et on les en-
ferma dans des prisons. La Tsarine douairière,
forcée de prendre, le voile, fut menée dans
le sauvage couvent de Saint-Nicolas sur la
Vlksa , près de Tchérépovetz. Les corps du
scélérat Bitiagofsky et de ses complices , que le
If)^ HISTOIRE
peuple d'Oiif^lilchc avait jelcs dans une fosse ,
en furent retirés , portés à l'église et enterrés
avec de grands honneurs. Les citoyens de cette
ville, déclarés meurtriers, furent suppliciés
au nombre de deux cents ; d'autres eurent la
langue coupée; plusieurs furent exilés et la
plupart transportés en Sibérie pour peupler
la ville de Pélim (iSy). La rigueur fut telle que
l'ancienne et grande ville d'Ouglitche qui
avait renfermé, si l'on ajoute foi à la tradition,
cent cinquante églises et trente mille liabi-
tans, devint à jamais déserte, pour servir de
monument à la terrible colère de Boris , con-
tre ceux qui avaient osé mettre son forfait au
jour. Il ne resta que des ruines pour implorer
la vengeance céleste.
Godounoff montrait la même audace à ré-
compenser le crime qu'à punir la vertu. Il
donna de riches domaines à l'inûime gouver-
nante Yoloklîoff , à la femme et aux filles de
Bitiagofsky (i38) ; il comblait de présens les
membres du Conseil et tous les grands digni-
taires (iSg). Il les flattait et leur donnait de
magni^ques repas. Le seul dont il ne put par-
venir à calmer la conscience, fut Klechnin qui
DE RUSSIE. If)1
mourut moine quelques années après, dévoré
(le remords. Cependant, au milieu du silence
de la Cour et de TEgiise , on entendait le
murmure du peuple qui n'avait été trompé,
ni par Tinstruction de Taffaire suivie par
Sehouisky , ni par le jugement des pères de
FKglise, [li par lacondanination prononcée par
les Boyards. Les espions de Boris entendaient
parler à demi-voix de llioiTiblc assassinat , de
son secret auteur (l^o) » <-" triste aveuglement
du Tsar et de la vile bassesse des Grands et du
Clergé; ils ne voyaient dans la foule que des
figures sur lesquelles était peinte la tristesse.
Boris était touraienît' de ces bruits, lorsque
riiorrible désastre (jui vint ravager la Capi-
tale, lui fournit le moyen de les faire cesser.
La veille du jour de la Trinité , pendant Tab- ./"'-«'^^'^ J«
sence du jMonar([ue , qui élait allé avec les
Boyards au couvent de Saint-Serge, un incen-
die éclata dans la cour des Carrossiers. Dans
quelques heures, les rues de l'Arbate , de la
Nikitskaïa , de la Tverskaïa , de la Pétrofskaïa ,
toute la ville Blanche, les Slobodes des Stre-
leiz (i/fi), les maisons, les boutiques, les
églises furent réduites en cendres , et im grand
Tome X. i3
iqJ. lusTOir. t:
iivOîiibrc dliabllaiis puril dans les flammes. Le
Kremlin et Kitaï, où demeurait la noblesse,
furent épargnés; mais les eiloyens restèrent
sans abri , et plusieurs sans ressourees. Les
cris et les gémissemens se faisaient entendre
au milieu de ces cendres fumantes, et le peu-
ple courait en foule sur le chemin du couvent
de Saint-Serge à la rencontre du Souverain,
pour implorer.sv'.ç /«<6't/r.vet des secours. Mais
Boris Jes empêcha de parvenir jusqu'au Mo-
narque; il se montra au milieu d'euxavec l'air
de l'amour et de la pitié, écouta toutes leurs
réclamations , fit des promesses à tout le
inonde , et les remplit. Il fit reconstruire des
rues entières , distribua de l'argent et des dis-
penses d'impôts. Enfin , il fit preuve d'une
telle générosité que les habitans de Moscou ,
consolés et élonnés de tant de bienfaits, com-
mencèrent à louer sincèrement GodounolT,
On ne sait si c'est le hasard qui lui procura
cette occasion de conquérir l'amour du peu-
ple , ou s'il fut l'auteur secret du désastre de
la Capitale , comme le soutien l'Annaliste et
comme le croyaient plusieurs de ses contem-
porains (i/j 2). Dans les actes officiels il esl dit:
DE RUSSIE. If)5
« Que des sccl('rat§ avaient mis le feu à Mos-
» cou ». Mais Boris tourna ce soupçon contre
ses ennemis. On s'empara des gens d'Athanase
Nagoïet de ceux de ses frères; on les mit à la
question et on répandit le bruit qu'ils avaient
Conf< ssé ce crime. Pourtant on ne les exécuta
pas, et raHaire, non éclaircie, est demeurée un
sujet de doute pour la postérité.
Bientôt, conmie pour favoriser Godounoff, i„v.ision du
un autre événement, en menaçant Moscou et l!,''']é\,,î^^p^!fr"
toule la ]\ussie d'un grand -tlanger, vint y ^"J^'^io*«=""-
porter le trouble et distraire Tatlention du
peuple de fborrible mort de Dmitri ; cetévé-
iiement fut l'irruption des barbares. Le khan
Kazi-Ghiréï, tout en trompant Fédor, par de
fausses assurances d'amitié, entretenait des
rapports avec le Roi de Suède (i4^^)- H lui de-
ir.andait de l'or et lui promettait de fcrire
trembler Moscou par une invasion terrible,
à laquelle il se préparait effectivement. Il
obéissait aux ordres du Sultan, notre ennemi,
et lui-même était mécontent de laPiussie. Son
premier grief était que nous avions averti les
Seigneurs Lithuaniens de son projet de mar-
cher contre leur pays, et que nous leur avions-
igG HISTOIRE
proposa* tie réunir nos forcos, pour porter la
guerre dans la Tauride ; ce dont il avait pro-
bablement été instruit par le Roi Sigisrnond.
Son second reproche était , que Fédor n'avait
pas permis au tsarévitche Mourat de rejoin-
dre le Khan qui était parvenu à obtenir de son
neveu, l'oubli du passé , et qu'il voulait élever
à la dignité de Kalga ou principal Seigneur
de la horde Taurique. Mourat habitait Astra-
khan , servant toujours la Puissie avec lidélité
et tenant les ISogais en respect, lors([u'au
grand regret de Fédor , il mourut de mort
subite , empoisonné , comme on le suppose ,
par des scélérats envoyés de Crimée. Mais le
Khan soutenait que c'étaient les Russes (jui
avaient empoisonné Mourat; et il ht serment
de le venger. Le troisième motif de l'arme-
ment de Kazi-Ghiréï contre la Russie , était
que, dans l'opinion de ses Mourzas, tout bon
Khan était ot^ligé , par un ancien usage , de
voir, ne fut-ce qu'une fois, les bords de l'Oka,
pour acquérir ime renommée jnililaire (i44}«
La vérité est qu'ils voulaient faire un riche
l)utin sur nous , et qu'ils ajoutaient loi à un
ambassadeur Suédois qui se trouvait chez eux,
DE RT SSir.. If)y
ri qui leur disait que toute notre armée était,
occupée à la guerre que le Tsar faisait à son
maître. iSous entretenions toujours des amis
et des espions en Crimée , non seulement
pour connaître toutes les actions des Khans ,
mais même pour être instruits de leurs projets.
A celle époque il s'y trouvait aussi des émis-
saires de Moscou ; par conséquent le Khan ne
put dérober à notre connaissance, ses redou-
tables préparatifs; mais il sut nous tromper.
Il persuada au vigilant Boris qu'il allait ravager
Vilna et Cracovie, nomma une ambassade qui
devait se rendre à Moscou , pour y conclure
une alliance avec nous , et exigea que le Tsar,
de son côté , envoyât auprès de lui un de ses
premiers Dignitaires. Pendant ce temps le
plus grand mouvement régnait parmi les hor-
des nomades ; tout ce qui pouvait porter les
armes , jeunes et vieux , montait à cheval. Ils
furent joints par des troupes des Nogais et
par celles du Sultan qui vinrent d'Azof et de
Bielgorod avec de l'artillerie (14.'^). Le prin-
tems, toujours dangereux pour la Pi ussie mé-
ridionale , allait arriver ; le Conseil du Tsar
était sans inquiétude , il avait envoyé au com-
igS HISTOIRE
niencoment du mois d'avril d'illustres Voïé-
vodcs à noire arnîce postée sur les bords de
rOka ; le j)rinee Mslislafsky, Nogalkolf, les
Troubetskoy, Galilziii , Fédor Chvorostinin,
à Serpoukolf , à Kalouga el en d'autres en-
droits. Au moisde mai nos patrouilles n'avaient
pas encore rencontré un seul Tatare sur les
bords du Donetz septentrional etdelaBorova.
Elles ne virent que les traces d'un camp d'hiver
et des tentes abandonnées. Mais le 26 juin,
des courriers arrivèrent à Moscou avec la
nouvelle que le Slepe se couvrait des hordes
du Khan; que plus de cent cinquante mille
guerriers de Crimée, marchaient sur Toula,
laissant derrière eux toutes les forteresses , ne
s'arrét.ant nulle part et ne se divisant pas pour
piller. Godounoir eut à déployer toute sa
présence d'esprit pour réparer sa faute. Au
même instant, on expédia des ordres à tous
les Voïévodes des villes frontières, en leur
ordonnant de se rendre en toute hâte à Ser-
poukoff, pour s'y réunir avec le prince Mstis-
lafsky, afin de rencontrer le Khan dans la
plaine. Malheureusement notre principale ar-
mée se trouvait à Novgorod et à Pskoff , pour
DE RUSSIE. irjQ
observer le Roi de Suède. Elle ne poiivnit
arriver assez à temps pour assister à la bataille
décisive ; on ne pensa plus à elle. On déclara
Moscou en état de siège; on confia la garde du
Palais, au prince Ivan Glinsky (146) ; celle du
Kremlin, au boyard prince Dmiiri Schouisky ;
ct'ihî de Kiiaï, à Galitzin ; celle de la Yille-
Blanche, à Nogtef et à Tourenin. Le 27 juin
Ton apprit la marche rapide de Tennemi vers
la capitale ; on se persuada de l'impossibilité
de réunir toutes les forces sur les bords de
rOka avant l'arrivée du Khan , et on changea
toutes les dispositions. On ordonna à Mstis-
lafsky de se replier vers Moscou , aiin que de-
vant ses murs sacrés, à la vue des temples et
des palais du Kremlin , et à celle du Tsar et de
la Tsarine, on put combattre les Infidèles au
nom de lalAeligion et de la Patrie. Pour cal-
nierle peuple, on répandit le bruit que c'était
pour attirer l'ennemi dans nos lilets, que nous
abandonnions les bords de l'Oka (147)5 et que
nous voulions le détruire complètement en
l'amenant au centre de la Piussie. En effet,
celle retraite de Mstislafsky, ajoutait à ses
troupes , quelques milliers des meilleurs sol-
200 HISTOIRE
(lais (le INÏoscou, la ^iwda noble du Souverain,
ics Gtnlilshoiunu's vA les cnfans Boyards,
oiilrc tous ics ciloycns qui avaient pris les
armes; elle noirs donnait une grande supé-
riorité de force et l'avantage de combattre sous
des murs irnprenables et sous le feu de la
grosse artillerie , terrible pour les Barbares. Il
ne s'agissait qne de prendre des précautions ,
pour empéclier le Kban de porter le fer et la
destruction au centre de la Capitale, comme
l'avait fait Devlet-Ghiréï , en i jy i : à cet effet,
on fortifia avec une rapidité étonnante le fau-
bourg au-delà de la Moskva, par des murailles
faites en boisetavec des meurtrières(i43). On
transforma en forteresses les couvens de Da-
niloff , Novospask et Simonoff. On établit le
camp de l'armée à deux verstes delà ville entre
les roules de Kalouga et de Toula. On y cons-
truisit un fort en planches , monté sur des
roues, et une église dédiée à Saint-Serge, dans
laquelle on plaça fimagede U Vierge, la même
qui avait accompagné le grand prince Dmitri,
dans le combat qu'il avait livré sur le Don.
Onciiantades prières eton fit des processions
autour de Moscou, attendant avec impatience
DE RUSSIE. 201
INIstislafsky. Le 29 juin , ce Vou-vode avait
quille Serpoukolt , après avoir laissé une fai-
ble garde sur FOka. 11 passa la nuit à Lopasnia,
au milieu des lerlres, illustres monumens de
réclatanle victoire remportée en 1572. C'était
l(î même ennemi que l'on avait à combattre ;
mais la Russie n'avait plus de Vorotinsky!
Le i". juillet au soir les troupes se portèrent
dans les prairies qui bordent la Moskva , de-
vant Kolomenskoé* , et les Voïévodes se hâtè-
rent de se rendre auprès du Monarque , pour
lui faire leur rapport et assister au Conseil.
Ils revinrent le lendemain et firent entrer
les troupes dans le camp qui avait été pré-
paré, vis-à-vis le couvent de Danilefsk. Ce
jour là même , le Tsar passa l'armée en revue,
combla de paroles bienveillantes les Yoïévo-
des, et s'informa de leur santé ; il ne témoignait
aucune inquiétude, et disait qu'il avait mis
toute son espérance en Dieu et en ses bons
Russes.
Le 3 juillet Fédor reçut la nouvelle que le
Khan , après avoir passé l'Oka sous Techtoff,
couchait à Lopasnia et marchait droit sur
Moscou; que Tavant-garde de l'ennemi ayant
202 HISTOIRE
renconiré rintrrpide voïëvodc prince MacU-
inir Bachlciaroir, envoyé à Pakhra avec deux
cent cinquante enfans Boyards, l'avait battu
et poursuivi jusqu'au village de Bitz. Alors nos
Iroupes se préparèrent au combat; cliaque
régiment prit sa place, sans sortir des retran-
cliemens , et le soir ils furent joints par toute
la garde du Tsar. Boris Godounoll parut enfin
armé de pied en cap , sur son cheval de ba-
taille, sous l'antique élendard desgrandsDucs.
Celui qui était l'àme de FElat dans le Conseil,
devait également animer les troupes dans un
combat où il y allait du sort de TEmpire ;
Fédor lui donna tous ses Nobles et ses Gardes-
du-Corps , jusqu'alors inséparables de sa per-
sonne ; il s'enferma dans un appartement
isolé , avec sa femme et son confesseur , pour
y prier ; il ne craignait point le danger, parce
qu'il regardait la peur comme un péché , et
après avoir fait tout ce qu'il pouvait pour la
défense de la patrie, il se livrait lui et son
Empire, avec une tranquillité angélique, à
la volonté du Tout-Puissant. Le Régent en-
touré de tous les Boyards, qui le suivaient
comme le Monarque, fui reçu et salué par les
DE RUSSIE. 2o3
VoÏL'Vodcs ; mais il ne j)rii pas le coinniande-
nient des mains du prince Mslislafsky, le plus
illustre el le plus expérimenté des cheis ; il se
contenta du second rang dansla grande armée,
s'élant composé un Conseil militaire de six
Dignitaires au nombre des([uels se trouvait
aussi le célèbre banni , Bogdan Bclsky, guer-
rier décoré des insignes de l'honneur et de la
gloire , et réconcilié avec la Cour elle Peuple
par la puissante entremise de Godounolï(i49).
L'armée passa la nu il sous les armes; Go-
dounoff remploya tout entière à animer les
soldais, traversant les rangs et excitant leur
courage (i5o\ Il donnait et recevait de.s con-
seils , demandait qu'on eut confiance eo lui ,
et rinspirait en remplaçant par son génie ce
qui lui manquait d'expérience. On savais"; que
l'ennemi approchait , on entendait du J>ruit
dans l'éloignement el le pas des chevaux; à la
pointe du jour on aperçut les masses épaisses
desïatares. Kazi-Ghiréï avançait avec précau-
tion ; il s'arrêta devant le bourg de Kolemens-
koïet la montagne Poklonnaïa. Ayant observé
les lieux, il ordonna à ses Ts-^^révitches d'atta-
quer l'armée Russe. Jusqu'alors tout avait été
2()4 lîISTOinF.
Irnnqiiille, mais dès que rimioiu])ra])le cava-
lerie ennemie fut descendue de la hauteur dans
la plaine, le feu partit à la foi de toutes les
meurtrières du camp , des couvens et du
Kremlin (i5i) ; descentaines d'hommes d'élite
de tous les régimens avec des chefs choisis ,
les compagnies Lithuaniennes et Allemandes
avec leurs capitaines , sortirent des retranche-
mens pour aller à la rencontre des Tatares.
Les Yoïévodes, avec le principal corps d'ar-
mée , restèrent dans le fort de planches , at-
tendant que le moment fut venu pour eux.
Le combat s'engagea à la fois sur plusieurs
points, parce que l'ennemi, écrasé par nos
boulets, s'était dispersé et lançait des flèches ;
dans la niclée , il se servait de sabre mieux que
nous; mais nous avions l'avantage sur lui , en
faisant habilement usage d'arquebuses porta-
tives, nous tenant serrés et attaquant avec plus
d'ensemble. La plaine sablonneuse se jonchait
d'un plus grand nombre de morts Musulmans
que Piusses, aux yeux du Khan et des Mosco-
vites. Ceux-ci couvraient les murs, les tours
et les clochers , les uns armés et les autres sans
armes , tous remplis de curiosité et de terreur.
DE RUSSIE. 20:>
car il y aliall du sort do Moscou , dont le saint
ou la perle dépendait du vainqueur. Le peu-
ple , tantôt gardait le plus morne silence, tan-
tôt jetait des cris, suivant des yeux tous les
niouvemens de ce combat meurtrier. Spec-
tacle toul-à-fait nouveau pour notre antique
Capitale, qui avait vu ses murs escaladés, mais
qui n'avait pas encore été témoin d'une bataille
rangée dans ses plaines. On n'avait pas besoin
de courriers j l'œil dirigeait le sentiment de
relTroi ou de rcspérancc. Quelques-uns ne
voulaient rien voir , et prosternés devant les
saintes images, baignaient de leurs larmes le
pavé des églises, où le cliant des prêtres était
couvert par le bruit des armes à feu, et où
l'odeur de l'encens se mêlait à la fumée de la
poudre. Un fait presqu'incroyable , c'est que,
dans ce moment solennel et décisif , lorsque
les cœurs battaient avec force , même dans les
viellards centenaires de Moscou , un seul
bomme goûtait la paixd'u ne âme inébranlable ;
celui dont le nom était invoqué par les Russes
en même temps que celui de Dieu , dans le
combat; celui pour lequel ils mouraient de-
vant les murs de laCapitale , le ^lonarque lui-
2o6 llISTOir, E
mi'me!.... Faligiu' par une longue prière, Fé-
<lor reposait lran([iiilier.ient à Theure de
midi (i52)! Il se leva , et, de son appartement,
regarda le eombat avee indifférence ; derrière
lui se trouvait le boyard Grégoire Godounoff
(jiii ])ieurait : Fédor se tourna vers lui et
apercevant ses larmes : « Sois tranquille , lai
:» dit-il, demain le Khan ne sera plus ici ».
Ce mot, dit TAnnaliste , devint une pro-
phétie.
Le combat ne fut pas décisif; des deux côtés
on réparait les pertes par de nouveaux com-
battans ; mais les forces principales n'étaient
pas encore engagées ; Mstislafsky, Godounoff,
avec les bannières du Tsar et la meilleure
partie des troupes, n'avaient pas encore donné.
Ils attendaient le Khan , qui , avec l'élite de
son armée , avait occupé , vers le soir , le
bourgde Vorobieff (i52) , et ne voulait pas
descendre de la montagne, d'où son regard
avide dévorait la Capitale , comme une proie
pleine d'attraits pour lui , mais difficile à ob-
tenir. Les airs retentissaient encore du bruit
des canons de Moscou , et les Piusscs se batli-
rent vaillament dans la plaine, jusqu'à la nuil.
DL RUSSIE. 20-J
qui vint enfin apporter quelque repos à l'une
cl à Taulre armée. Une multitude de Tatares
périrent dans le combat; beaucoup furent
blessés, au nombre desquels se trouvaient le
Isarévilche Bacliti-Gliiréï et quelques Mour-
zas(i53). Plusieurs guerriers de distinction
furent faits prisonniers. LeKlian et les princes
de Crimée manquèrent de cœur, ils tinrent
conseil, et, dans leurs conjectures sur les
suites d'un nouveau combat décisif, ils trou-
vaient plus de raisons de s'épouvanter que de
s'enhardir. Ils entendaient une canonnade
vive et soutenue, et remarquaient un grand
mouvement entre notre camp et Moscou. En
effet, Goîlounoff, sans épargner la poudre ,
avait ordonné de continuer à tirer, même
pendant la nuit , pour effrayer l'ennemi; et
les citoyens , après le combat , s'étaient préci-
pités en foule dans noire camp , pour félici-
ter les braves , reconnaître les vivans et déplo-
rer la perte des morts. Les pnsonniers Russes,
fidèles à la patrie même dans les chaînes, di-
saient, en répondant aux qucslionsdu Khan,
qu'il était arrivé à Moscou des troupes fraî-
ches de Novgorod et de Pskoff ; que la canon-
206 HISTOIRE
iiadc qu'il entendait clail en signe de réjouis-
sance , le succès de nos armes n'étant pas
doii(cux,et (ju'avant le jour, nous aUacjue-
rions les Talares avec toutes nos forces réu-
nies. Le Khan , peut-èlrc , ne les croyait pas
entièrement: mais déjà il voyait qu'il avait été
trompé par le Roi de Suède , et que, la Russie,
malgré sa guerre a^ec ce Prince , conservait
encore assez de déiènseurs; il prit donc pru-
demment le parti de la fuite une heure avant
le jour.
Après en avoir informé le Tsar, lesVoïé-
vodes, au son de toutes les cloches de Moscou
triomphante , se mirent avec toute l'armée à
la poursuite du Khan , qui fuyait en laissant
sur sa route, ses bagages et ses munitions, il
entendait derrière lui le bruit des pas de notre
cavalerie, et sans prendre un instant de repos,
en vingt-quatre heures il parvint aux bords de
rOka; au soleil levant, il aperçut l'avant-garde
des Russes et se précipita dans la rivière,
abandonnant après lui ses propres voitures:
une grande partie des siens fut noyée dans ce
passage dang(;reux; mais i! continua de fuir ,
sans s'en embarrasser.
DE RUSSIE. 209
Msllslaiskyol GodounolfcouchèrenlàBilzi,
dc-ià , ils poiirsuivirt'iit reniicmi avec des
détachoniens de cavalerie It'gx^re, ([u'i aileigni-
rentson arrière-garde près de Toula; ils la
battirent et firent prisonniers un millier de
soldais et quelques Mourzas des plus distin-
gués ; ils foulaient aux pieds et exterminaient
les Tatares qu'ils trouvaient dans les Stèpes, et
ils les chassèrent entièrement de nos posses-
sions , où Kazi-Gliiréï n'eut pas le temps de
commettre les ravages qu'il projettait. Il ar-
riva le 2 août à Ijakschisaraï , en charrette, nu
milieu de la nuit , avec un bras blessé et en
écharpe ; quant aux Tatares de Crimée , il y
en eut à peine le tiers qui revint, à pied, et
mourant de faim. Cette invasion du Khan fut
la plus désastreuse pour la Tauride et la moins
lalale à la Russie, dont les villes, les villages et
les habitans n'éprouvèrent aucun dommage.
Les principaux Yoïévodes n'allèrent pas
plus loin que Serpoukhoff. Le Tsar , peut-être
par le conseil de la sage Irène , leur avait écrit
de poursuivre le Khan et de tâcher de détruire
son armée dans les déserts ; mais Mstislafsky
lui répondit qu'il ne pouvait l'atteindre; et,
Tome X. i4
2IO HlSiOinR
connue iJ s\' lait nomme iowlseul dans sa re-
l.ilion , il roçul une réprimande sévère de Fé-
dor, pour ne pas yayoir {"ail mention du grand
nom de Boris auquel la Cour attribuait la vic-
toire. Cependant on observa une parfaite éga-
lité dans les récompenses Le lo juillet , arriva
à Serpoukhoirrofiîcier lourieff , avec des pa-
roles de grâce de son Souverain, et des dons
pour les principaux chefs de l'armée. Il remit
des médailles aux.YoYévodes; à Mstislafsky et
à Godounoff , des pciiugalses , et à d'autres
officiers de l'armée, des ducats de Hongrie.
Le Monarque, ayant ordonné aux plus jeunes
d'entr'eux de rester sur les ]>ords de l'Oka ,
invita tous les autres à se rendre à Moscou où
les attendaient encore de nouvelles faveurs.
Dès qu'ils furent arrivés, Fédor revêtit Boris,
a})rès s'en être dépouillé lui-même , d'une
pelisse Russe avec des boutons d'or de 1.» va-
leur de mille roubles ( cinq mille roubles
d'argent actuel) et lui remit également une
chaîne d'or ([u'il portait ordinairement ; il lui
donna encore le vase d'or de iNLunaï, célèbre
butin de la bataille de Koulikolf , et la posses-
sion des trois villes du district de Yaga ; iJ joi-
n E n u s s I E. 2 11
gnlt àces dons , le lilrc de Seniteur qui était Nnnvfie
plus important alors que celui de Boyard, et u'ml.'^
qui, pendant l'espace d'un siècle , n'avait été
accordé qu'à trois grandsDignitaires, au prince
Siniéon Rapololsky, dont le père avait sauvé
le jeune Ivan III de la fureur de Schemiaka ;
au prince Ivan Yorolinsky, pour la victoire
de Vedroclia , et à son fils, rininiorlel prince
INIichel , pour avoir vaincu les Tsarévitches
de Crimée sur le Don et pour la prise de
Kazan. Fédor donna également au prince
Mslisiafsky, une pelisse avec des boutons d'or
qu'il ôla aussi de dessus ses épaules, pour l'en
revêtir , un bocal d'or et le bourg de Kacbin ,
avec son district. Aux autres Voïévodes, Chefs
et enfans Boyards, ils donna des pelisses , des
vases, des domaines ou de l'argent, des damas,
des velours, des satins , des zibelines, et des
martres ; aux Streletz et aux Cosaques, des
taffetas , des draps et de l'argent ; en un mot ,
il ne resta pas un guerrier qui ne fut récom-
pensé. Ce fut un festin continuel dans le
Palais , beaucoup plus en l'honneur de Go-
dounoit, qu'en celui du Souverain ; car Fédor
ordonnad'annoncer solennellement en Russie
2f2 HISTOIRE
et dans les pays étrangers, que le Tout-Puis-
sant ne lui avait accordé la victoire que par la
valeur et les talens de Boris. Ce favori de la
gloire et du Prince, brilla donc de tout Téclat
que donnent les exploits militaires , aux yeux
d'un peuple guerrier ([ue tant de dangers et
d'ennemis menaçaient encore. A la place où
l'armée avait été retranchée , près de Moscou,
on fonda une église en pierre , dédiée à la
Convcnt de Vierge , et un couvent nommé Donskoï, du
nom de la Sainte image qui avait cte portée
par Dmitri au camp de Koulikoff, et par Go-
dounoiï à la bataille de Moscou. Pour pré-
server désormais la capitale , d'une nouvelle
invasion des Barbares , on entoura tous ses
faubourgs de murailles en bois , surmontées
de tours élevées.
Mais le triomphe de Boris , les festins de la
Cour et de l'Armée , les grâces et les dons du
Tsar , se terminèrent par des tortures et des
Calomnie suppliccs. Ou rapporta au Kégent qu'il avait
geuiitsaven- couru dcs bruils déshonnorans pour lui dans **
les villes de province et surtout à Alexin. Ces
bruits répandus par ses ennemis, étaient au
moins absurdes. On disait, que c'élait lui qui
DE lirSSIE. 21.)
avait al lire le Klian aux portes de ^Nïoseoii, afin
de faire une sorte de diversion à la douleur
prolonde qu'avait éprouvée la Russie, depuis
le cruel assassinat de Dmitri. ]^e peuple seul ,
écoutait et répétait cette calomnie. Godounolf,
s'il avait été généreux- et innocent, aurait dii
mépriser cette ridicule accusation, qui se serait
dissipée d'elle-même, mais comme il n'avait
pas la conscience pure , il s'enflanmia de co-
lère à ces récits. Il expédia des olficiers dans
différens endroits , et leur ordonna d'interro-
ger et de torturer des malheureux qui , dans
leursimplicité, servaient d'échos à la calomnie
et qui , au milieu de la terreur et des tour-
mens, accusaient des innocens. Plusieurs pé-
rirent dans les tortures ou en prison ; d'autres
furent exécutés ; quelques-uns eurent la lan-
gue coupée , et beaucoup de lieux peuplés,
(d'après ce que dit l'Annaliste), devinrent
déserts en Ukraine ; nouvelles ruines ajou-
tées à celles d'Ouglitche.
Cette cruauté, digne du temps d'Ivan, parut
indispensable à Godounoff pour sa sécurité
et son honneur. Il voulait que personne n'osât
ni parler, ni rien penser contre lui ; ce n'était
2l4 HISTOIRE '
([u'à celle condition (ju'il clait permis de vivre
tranquille et heureux sous le règne de Fédor.
pioive <M Co- lerrible pour ses seuls ennemis , Godounoil,
dans tout ce qui ne touchait pas à son autorité,
voulait paraître clément. Si quelqu'un avait
mérité un châtiment , mais pouvait s'en excu-
ser sur la faiblesse naturelle à l'humanité, il
était pardonné , et on disait dans la lettre de
grâce. « Le ïsar pardonne par égard pour Tin-
» lercession de son grand Boyard et Seniteur ».
Boris alla jusqu'à proposer à des traîtres , à
IMicliel Golovin lui-même, qui vivait en Li-
ihuanie (i5j), de revenir dans leur patrie,
ajoutant à cette permission la promesse d'un
rang plus distingué et de plus riches domaines,
comme s'il eut voulu récompenser leur inla-
me trahison. A l'égard de ceux qui étaient
condamnés à mort, on se servait dans leur
jugement des expressions suivantes: « C'est
y> ainsi que l'ont ordonné les boyards princes
» Mstislafsky et ses collègues » ; et Godounoff
n'éUiit point nommé. Excepté l'autorité su-
prême qu'il gardait pour lui seul et sans par-
tage , il ne refusait rien à ses amis , à ses
llatteurs , et à ceux qui s'étaient dévoués à lui.
DE RTS SI E. 21.)
Aussi en angmciilail-il Ions les jours le nom-
bre ; el plus il méritait de reproches , })lns il
recherchait la louanj^e et voulait l'entendre de
tous coîés , fut-elle fausse ou vraie. Il la Irou-
vait également dans les livres (i56) que com-
posaient les Ecrivains ecclésiastiquesel laïques
du temps ; en im mot, par l'adresse et la force,
la terreur et les bienfaits , il produisit autour
de lui, comme un bruit de gloire qui, s'il
n'éloulfait pas tout-à-fait le cri de sa cons-
cience, faisait taire au moins la voix de la
vérité chez le peuple.
Mais Godounoff avait beau sacrifier, aune
seule pensée , et le ciel et le véritable bonheur
de riiomme sur la terre , cette tranquillité de
l'àme, ces jouissances intérieures de la vertu ,
celle gloire légitime de bienfaiteur de félat et
celle d'un nom sans tache dans l'histoire; il
n'en fut pas moins au moment de perdre le
fruit tant désiré de ses intrigues , par une cir-
constance naturelle , mais inattendue. Tout-
à-cowp, depuis le palais du Kremlin jusqu'aux
contrées les plus reculées de l'Empire , se
répand un bruit cpii , à l'exception de Boris ,
remplit tous les cœurs d'une heureuse espé-
2l6 HISTOIRE
rance ; cVlait la nouvelle delà grossesse d'Irène.
Jamais la Russie, au rapport de l'Annaliste ,
ne témoigna une plus grande joie; il semblait
que le Ciel , irrité des crimes de Godounoff,
mais touché des larmes secrètes des véritables
patriotes , voulait se réconcilier avec ce grand
peuple , et faire sortir des cendres du tombeau
de Dmitri , une nouvelle tige de l'arbre royal
dont les rameaux devaient ombrager les siècles
futurs de la Russie. Il est facile de se faire une
idée des sentimens d'une nation dévouée à la
dynastie souveraine de Saint-Yladimir; mais
il est plus difticile de se rendre compte de ceux
qu'éprouva Godounoff à cette nouvelle inat-
tendue. Le plus affreux des assassinats deve-
nait inutile à son auteur. Il était dévoré de
remords, et l'espérance l'abandonnait pour
toujours ou du moins jusqu'à l'accomplisse-
ment d'un nouveau crime , dont l'idée était
terrible , même pour un scélérat ! Godounoff
fut obligé de souffrir la joie générale , de pa-
raître y prendre part , de tromper la Cour et
sa sœur. Après quelques mois d'attente, Irène
^^aissance et j. i x
Tnondeiitsa- accoucha d'une fille , ce qui soulagea le cœur
rme 1 lieouotie ^ "
de Godounoff; mais les parens en furent sa-
DE RUSSIE. 217
tibfaits , quelque désir qu'ils eussent d'avoir
un successeur au Irone. La stérililé n'était
plus à craindre , et leur tendresse pouvait être
couronnée d'un nouveau fruit ([ui aurait
répondu au désir général. Non seulement
la tendre mère, mais même le tran([uille et
froid Fédor remercia avec transport le Tout-
Puissant de lui avoir donné une tille chérie
(iSy), qui fut baptisée sous le nom de Tliéo-
dosie , le 14 juin , dans le couvent de Tchou-
doO '; il pardonna à tous les disgraciés, même
aux criminels qui avaient été condamnés à
mort ; il ordonna d'ouvrir les prisons , fit de
riclies présens aux couvens , et envoya une
quantité d'argent au clergé de la Palestine.
Le peuple se réjouissait également, mais les
hommes soupçonneux, croyant lire au fond
de l'àmede Boris, se communiquaient secrè-
tement un doute: Godounoff n'avait-il paspu
changer l 'enfant , dans le cas où Irène aurait
mis au monde un fils , et lui substituer par
supercherie Théodosie qu'il aurait prise à
quelque pauvre accouchée (i58)? Nous ver-
rons plus loin les suites de cette idée, quoitjuc
peu vraisemblable. D'un autre coté, les eu-
Il 8 HISTOIRE
rif iix se demandaient « si Théodosie , venant
» à rravoir point de frère, succéderait au trône,
» et si un cas, sans exemple jusqu'alors , ne
» pourrait pas servir de règle pour l'avenir ?
» Jamais en Russie une femme n'avait hérité
» de la Couronne ; mais ne valait-il pas mieux
5) établir une nouvelle loi que de laisser le trône
ï) vacant?» Ces questions délicates troublaient
peut-être aussi Godounoff ; elles furent déci-
dées, pour satranquiiiité, par la mort de Théo-
dosie qui arriva l'année suivante. Malgré toutes
les consolationsde la religion, Fédor ne put de
long-temps tarir ses larmes; toute la capitale
pleurait avec lui à l'enterrement de la jeune
Tsarine dans le couvent des religieuses, nom-
mé Yosnesensk , et partageait le chagrin d'une
tendre mère qui, frappée de ce coup, renonça
à toute espèce de bonheur sur la terre. Gçdou-
noff, renfermant dans son ame une joie fé-
roce , feignit habilement le désespoir (car il
est plus facile de témoigner une fausse afflic-
tion qu'une fausse joie); mais cet liomme
ambitieux et cruel fut de nouveau en butle au
soupçon : on crut qu'ayant causé la mort
d'Eudoxio, il était également Tauteur de celle
DE RUSSIE. 2IC)
(le Théodosie (i5n); Dieu seul connaissait la
I vérité , mais celui qui sV'lail couverl du sang-
sacré de Dm il ri , avait perdu le droit de se
plaindre de la médisance et de la loi (ju'ou y
i accordait. Tout lui servait de juste punition ,
jusqu'à la calonniie la plus invraiscmbl ible.
220 lïISTOIRK
CHAPITRE III.
Conilnuatlon du Règne de FÉDOR.
Guerre et paix avec la Suè<le. — Correspondance avi.'c les
Seigneurs de Lilhuanie. — InvasTon des Talares de
Crimée. — Ambassade à ConsJantinople. — Indisci-
pline des Cosaques du Don. — Constructions de villes.
— Paix avec le Khan. — Secours donnés à TEnipereur.
— Illustre Ambassadeur d'Autriche. — Le Légat de
Clément YllI à Moscou. — Amitié entre Fédor et le
Schah Abbas. — Guerre contre le Schavkal. — Rela-
tions avec le Danemarck et l'Angleterre. — Lois de
servitude pour les paysans cl les domestiques. — jSou-
Aelle forteresse construite à Smolensk. — Incendiaires.
— La Cour de Moscou. — Cécité du tsar Siméon. —
Évoques grecs à Moscou. — Destrnciion du couvent de
Petchcrsk. — Paroles de Fédor à Godounoff. — Mort
de Fédor. — Serment prêté à Irène. — Irène prend le
voile. — (iodounoff est nommé Tsar.
Cuenectpaix La Russic pouvaït , à cclte époquc comme
avec la Suède. , , i • n -i > . i
par le passe, se gloniier de ses succès et de sa
politique dans les affaires extérieures. Comp-
r>E RUSSIE. 221
tant sur la coopc-ralioii du Khan , Jean , roi de i^gi.
Suède, avait rompu rarmistice qui lui avait
! été accordé par Fcdor , à la considération de
Sigismond (i6o); et son général, Maurice
Gripe , étant entré dans le pays de Novgorod ,
incendia plusieurs villages, aux environs de
Jama et de Koporié. Nos Voïévodes , étonnés
de cette attaque imprévue , lui envoyèrent un
courrier pour lui demander s'il avait connais-
sance de 1 a cou ve n t i o n s i gnée à M osco u ? « Je ne
« la connais pas, » répondit-il, et il continua
à s'avancer jusqu'à cinquante verstes de Nov-
gorod. Ayant appris que de nombreuses trou-
pes Russes l'attendaient devant cette ville, il
ne voulut pas combattre et retourna sur ses
pas; mais après avoir presque perdu son ar-
mée qui avait été détruite par le froid et les
maladies. Pendant l'été de iSgi, lorsque le
Khan marchait sur Moscou , les Suédois paru-
rent de nouveau près de Gdoff, battirent un
de nos détacliemens et firent prisoiMiicr le
voYévode prince Vladimir Dolgorouky (iGi) ;
d'autres détacliemens de leurs troupes péné-
trèrent , de la Caïanie , à travers les déserts et
les forets, dans la Russie septentrionale, et
n I s T O I r. K
s'cmparèrcnl du i'orl Sounisky, sur la inor
- Blanche , coniplaiil éj^aienieut se rendre
maîtres de tous ses ports. Mais cet imporlant
projet, de nous priver des avantages du com-
merce maritime, deniandait des efiorts im-
possibles à la faiblesse de la Suède. Le Tsar y
envoya de Moscou les deux princes , André et
Grégoire Volkonsky , avec des compagnies de
Streletz ; le premier occupa le couvent de So-
lovetsk, menacé par l'ennemi ; le second dé-
truisit tous les Suédois qui se trouvaient à
Soumsky et prit quelques canons (162). Ayant
appris que les brigands de la Caïanie avaient
incendié , dans la nuit même de Noël , le cou-
vent de Kola ou de Pelchensk, après avoir
cruellement massacré cinquante moines el
soixante cinq serviteurs du couvent, le prince
Grégoire Volkonsky s'en vengea par le ravage
de la Caïanie, et revint au couvent de Solo-
veîsk avec un riche butin. Ces hostilités man-
quèrent d'amener une rupture avec la Lilhua-
nie, Sigismond s'étant refusé pendant long-
temps à coniirmer la trêve conclue à Moscou,
sans un engagement de notre pari de ne point
inquiéter la Suède. On lassait la patience des
DE RUSSIE. 22.3
ambassadeurs de IVdor , SoUikoff cl Tatisl-
chen(iG3), par 1<!S relards qu'on leur laisait
éprouver dans leur voyage à Varsovie ; on les
irrilaitpardes insultes; on les privaitde loules
les commodilés de la vie, même du nécessaire,
au point que, dans leur indignation, ils of-
frirent au lieu d'argent, aux fonctionnaires
du Roi, cinquante vases précieux, pour ob-
tenir de la nourriture pour leurs serviteurs
qui mouraient de faim. A quelque temps de là,
Sigismond, ayant appris que le Khan s'était
enfui de Russie , coniirma la convention de
Moscou , mais en obligeant nos Ambassadeurs
à y ajouter une nouvelle clause , qui défendait
au Tsar et à la Lithuanie de songer à la con-
quête de Narva , pendant fespacc de douze
ans. Ce fut en baisant la Croix qu'il dit à Solti-'
kolf: « Nous serons en paix avec le Tsar jus-
» qu'à sa première attaque contre la Suède ,
i) carie fils doit prendre le parti de son père ».
Celte menace ne sauva pourtant pas les pos-
sessions Suédoises de leur ruine.
Pendant l'hiver de 1092, le Tsar envoya les i5,j2_,i5f,5.
Yoïévodes les plus illustres, le prince Mslis-
lalsky et Troubetskoï, deux Godounoff , Ivan
224 HISTOIRE
1692— i5(j6. et Etienne , le, priiiee iVogoikoiT et Boodan-
Belsky, en FinlajKle où ils incendièrent plu-
sieurs villes et villages et firent (iuel([ues mil-
liers de prisonniers (164). Les Suédois n'osè-
rent pas livrer bataille et se tinrent enfermés
à Yibourg et à Abo , (]ont les Russes ne s'ap-
prochèrent pas, se contentant de les avoir en-
tourés de cendres et de ruines. A la Ihi d'avril,
les Voïévodes ayant terminé cette campagne ,
revinrent à iSIoscou se plaindre les uns des
autres. Le prince Fédor Troubelskoï accusait
les Godounoff, et ceux-ci l'accusaient lui-
même de peu de zèle pour le service du Tsar.^
Le Monarque leur témoigna à ton s son mé-
contentement de leurs divisions dangereuses
pour la patrie , et leur ordonna de garder les
arrêts dans leurs maisons, depuis la semaine
des Rameaux jusqu'à celle de Pâques. Le Ré-
gent voulait , par cette légère disgrâce, passer
pour juste et prouver qu'il n'épargnait pas
même sesparcns , lorsqu'il s'agissait du bien
de l'Etat.
A T'époque même où nous ravagions sans
opposition la Finlande, setrouvaitàStokliolm
un ambassadeur du Khan de Crimée , le
l)l: RUSSIE. 225
Tcherkosse Anloliie, qui demandait de For ,
à la Suède, pour payer l'invasion de Kazi-
Gliiréï en Kussie. « L'or est prêt pour le vain-
» queur , répondit le roi Jean , Le Khan a vu
» Moscou , mais n'a pas sauvé notre pays du
» glaive des Piusses([G5) ». Voyant que Si-
gisniond même ne pouvait être un défenseur
puissant pour la Suède, Jean, dans les derniers
momens de sa vie , désirait sincèrement la
paix avec la Ptussie. Il envoya , au mois d'août
1592, le maréchal Flémingue , le général
Boyé et d'autres dignitaires , sur les hords
de laPlussa, où ils conclurent avec Michel
Soltikoff , lieutenant de Sousdal , et déjà au
nom du nouveau souverain de la Suède (16G),
une trêve de deux ans. Jean était mort le 25
novembre, et son hls Sigismond lui avait
succédé, réunissant ainsi sous son sceptre les
forces de deux puissances ennemies de la Rus-
sie. Cet événement causa une grande joie à
Varsovie et à Stokholm; il inquiéta Moscou ,
mais pour peu de temps. Il se présenta des cir-
constances inattendues et plus favorables à la
Russie que dangereuses pour elle; car l'avé-
ïicmentde Sigismond au trône de Suède, au
T03IE X. I 5
li-io iiisruiBE
lieu crime éiroUe liaison , lil iiailre une haine
niuluelle entre les diiu\ Royaumes. Plein de
déiérence pour les seigneurs de Pologne et de
Lilhuanie , Sigismond voulut traiter la Suède
en état despotique, y rétablir la religion latine,
et rendre TEsthonie à la Pologne ; s'aper-
cevant d'un niéeontentenienl général et d'une
opposition acùve, il prit presque la fuite de
Sloklîolni , pour se rendre à Varsovie , en lais-
sant le pouvoir suprême entre les mains du
Sénat. La Suède, dans ces tristes conjonctures,
au milieu de ces troubles et de ces divisions ,
ne pouvait songer à faire la guerre à la Piussie.
Elle chercha à conclure une paix solide et per-
p<îtuelle avec elle, et consentit, pour com-
plaire au Tsar, a ce que ses ambassadeurs
Sten-Banner, Horn et Boyé , se réunissent à
ceux de Moscou, le prince Tourenin et Pouch-
kin , sur le territoire Pi usse , à Tiavsin, près
d'Ivangorod (167); mais les Suédois rassem-
blèrent des troupes à Yibourg et à ÎSarva ,
pour donner plus de poids à leurs demandes
ou à leurs refus. L'armée Russe , beaucoup
plus nond^reusc, s'étendait depuis Novgorod
jusqu'aux frontières de l'Esthonie et de la
DE RITSSÎE. 227
firilande, attendant, en repos cl dans l'inac-
lion , le résultat des négociations. Des deux
côtés, on exigea, j)our la forme, nous, l'Estho-
nie, les Suédois, Ivangorod , Jama, Konorié,
Orechek , Ladoga , Gdoff , ou de l'argent pour
les frais d'une longue guerre ; mais , dans le
fait , la Suède ne voulait que la paix sans au-
cune concession de sa part; et la Russie vou-
lait de plus la Carélie. Les Ambassadeurs des
deux puissances se plaignirent de leur mu-
tuelle obstination; Irrités les uns contre les
autres , ils se séparèrent , mais pour se réunir
de nouveau. Enfin , on signa, le 18 mai iSgS,
la convention suivante :
« I. Il y aura une paix j)erpéluelle entre la
» Suède et la Russie..
» 2. La première possédera Narva , Ptevel
» et toute FEsthonie , en cédant Kcxholrn à la
» Russie.
» 3. Celle-ci n'accordera pas de secours
)> aux eimemis de la Suède ; ni la Suède à
T> ceux de la Russie , soit en argent , soit en
« hommes.
» 4- ^n délivrera les prisonniers sans ran-
» con et sans échange.
■2lS> HISTOIRE
» 5. Los Lapons de rOsterbolhnie et de
» Waranga, paieront leurs tributs à la Suède;-
» et ceux de TEst (de Kola et voisins des eon-
>> trées de la Dvina ) , à la IVussie.
» 6. Les Suédois jouiront de la .liberté de
» eomnieree à Moscou, Novgorod, Pskofïet
» autres lieux ; les Russes jouiront des mêmes
j) avantages en Suède.
« 7. On se prêtera des secours mutuels en
» cas de naufrages et d'autres calaniilés.
>) 8. Les ambassadeurs de Moscou pour-
» ront librement traverser la Suède , en se
» rendant auprès de l'Empereur, du Pape,
» du roi d'Espagne et d'autres grands souve-
» rains de l'Europe , de même que les ambas-
» sadeurs de ces puissances lorsqu'ils se ren-
5) dront à Moscou. Les ncgoclans, les militai-
i-> res, les médecins , les artistes et les artisans
» jouiront des mêmes avantages (168).
Cette paix contenta Tune et l'autre puis-
sance. Elle délivrait les Suédois d'une guerre
ruineuse , consolidait les possessions de TEs-
ihonie et de îNarva , et rendait à la Russie sou
ancienne possession de Novgorod, où nos
frères et nos églises gémissaient sous l'empire
DE RT'SSîE. 229
(le conqiK'rans étrangers. Fédor, en envoyant
(les Voïévodes à Kexiiolm , lit partir avec eux
lin évèqiie , afin d'y pnriCier Torlhodoxie des
traces d'une au're religion.
Quoique Sten-Banner, liorn et Boyé trai-
tassent encore avec nousau nom de Sigismond,
celui-ci prenait peu de part à ces négociations;
ne s'occupant que faiblement de la Suède re-
belle , il était plongé dans une espèce de lé-
tbargie morale, et communiquait rarement ^..j^cTa^^Tr^
avec Moscou, même pour les affaires de U- LÉnic/'
thuanie (169). INotre Conseil n'en agissait
qu'avec plus de ruse avecles plénipotentiaires.
Cherchant à inspirer aux seigneurs Polonais
de la méfiance envers un roi indolent , et leiir
faisant remarquer avec élonnement que Si-
gismond mettait dans son titre le nom de la
Suède avant celui de la Pologne , ils leur de-
mandèrent , « Si c'était de leur aveu qu'il
» abaissait ainsi la couronne des Jagellons au
» dessous de celle des Goths , si nouvelle et
» si nulle? Car il n'y avait pas long-temps
» que les Suédois étaient encore sujets du Da-
» nemarck , et qu'au lieu de Souverains , ils
» n'avaient que des Régents dont toutes les
23o HISTOIRE
» relations so bornaient à celles qu'ils cntre-
« tenaient avec les commandans de Novgo-
» rod ». Mais les orgueilleux seigneurs Polo-
nais, encore ulcérés de la iierté altière de Ba-
thori , chérissaient le débonnaire Sigisniond ,
et vantaient le bonheur qu'il avait eu de rem-
porter une victoire sur le Khan de Crimée. Us
espéraient s'emparer sans guerre de TEsthonie,
après avoir obtenu de la Russie une trêve
dont elle était également contente.
Affaibli par la malheureuse campagne de
Russie , le Khan n'en continuait pas moins
d'agir oîfensivement envers les puissances
( hréiiennes ses voisines , et d'y chercher du
butin. Cette conduite avait pour principal but
de ne point encourir le mépris de ses Princes
avides , et de conserver un pouvoir que la co-
lère d'Amurat lui aurait infailliblement en-
levé ; car le Sultan lui avait fait les plus cruels
reproches sur sa fuite pusillanime de Russie ,
et dont la honte rejaillissait sur les drapeaux
Ottomans (170). Pour endormir Fédor, Kazi-
Ghiréï lui écrivit, en l'engageant à renouer
leurs anciens rapporis d'amitié ; il s'excusait
sur sa facilité à croire des rapports d'hommes
DE ET'SSIE. 2J1
,mt'chi.ns qui vDiilaicnt les brouillvT. L'rn-
Toyé de Crinu'e apprit coufidcnlit'llcnicnt
au lic-genl , (jue le Khan , connaissant Tin-
îtenlion du Sultan de donner un autre maître
à la Tauride, était décidé à abandonner les
Turcs , à se réunir de ton le son àme au Tsar ,
à faire sortir tous ses camps de la presqu'ile ,
à dévaster la Crimée , à fonder j)Our lui-
même un nouvel état et une forteresse ,
sur les bords du Dnié})er auprès du passage
de Kochkin , afin de servir à la Russie de bar-
rière insurmontable et (Tépouvantail contre
les Ottomans(i 7 1). Kazi-Ghiréi demandait seu-
lement que Fédor lui donnât de Targent pour
la construction de cette forteresse, et que pour
preuve de son amitié, et comme arrhes des
imporTans services qu'il rendrait à l'avenir ,
le Khan s'engageait à aller de nouveau ravager
'a Lilhuanie. 11 nous trompait comme a son
ordinaire; mais nous n'étions pas ses dupes.
INous envoyâmes un courrier en Tauride, en
lui répondant que nous oublierions tous ses
outrages, s'il voulait être franc dans sa récon-
cilhtion avec nous; ({ue l'amitié du grand
Moiarque chrétien était , même pour vin mu-
I
:2.)2 llISTOir. E
sulman, piéférnble au joLi<^ Olluinan; que,
quoique nous ne fussions point en guerre
avec la Lithuanie, nous ne lui en voudrions
pas des ravages qu'il commettrait dans ce pays
qui élait son ennemi ; cet acte de duplicité
étant de Ceux permis en politique. Mais Ten-
voyé n'était point encore parvenu en Tau ride,
TÎt^i^ dcCri- i<^^>rsqu'il apprit que les tsarévitchcs, Kalga-Feti-
™^^- Gliiréï et iSouradi n Bakhta , avaient déjà porté
le fer et la flamme dans les pays de Rézan, Ca-
ciiir et Toula. Le Piègent ayant négligé de
pourvoir à leur défense , ils devinrent la proie
de leur vengeance et de leur cupidité. Cepen-
dant ils ne songèrent point à marcher contre
Moscou ; ils retournèrent sur leurs pas , mais
après avoir réduit en cendres les villages et
fait prisonniers un grand nombre de noble?
avec leurs femmes et leurs enfans. Ce défaut
de prévoyance de la Russie lui valut les sar-
casmes du Khan , qui dit, avec un air d'éton-
nement, à un des envoyés de Fédor : « Qu'est
« devenue l'armée moscovite ?.... Nos Tsaré-
» vitches et nos Princes n'ont tiré , ni lears
j' sabres de leurs fourreaux, ni leurs flèches
M de leurs carquois ; ils chassaient devant
DE RISSIE. 233
« eux à coups (le louet des milliers de pri-
» soniiiers , landis que vos braves Yoïévodes
» se cacliaieiil (Ions les lorèls ». Le Khan,
revêtit cet olliciec Russe d'un habit dor,
lui ordonna d'ai-surer Fedor que les Tsaré-
vitches avaient agi sans son ordre, et qu'il
ne dépendait que de nous d'acheter la paix
avec la Tau ride, par de Targent et des four-
rures précieuses.
GeJte paix était toujours Tobjet des désirs Ambass.icJe
de redor, aussi se decida-t-a alors a renouve- nopie.
1er ses relations avec le Sultan. Il envoya à
Constantinople , par Kafa, le gentilhomme
TSasIchokin, demander à Amu rat qu'il défen-
dit au Khan, aux Azoviens et aux Bielgoro-
diens (172) , de ravager la Pmssie , par recon-
naissance pour nos bonnes dispositions envers
lui : « Car , écrivait le Tsar au Sultan , et Go-
j) dounoff au grand Visir, nous n'écoutons
» pas l'Empereur , le roi d'Espagne , celui de
» Lithuanie , le Pape et le Schah qui nous
» conjurent de nous joindre à eux pour nous
» armer contre le chef des Musulmans ». Le
Yisir, après beaucoup de politesses, dit à
l'envoyé. « Le Tsar nous offre son amitié :
2.14 - IirSTOIllG
>) nous y croirons lorsqu'il aura consenti à
» rendre au Sullan Astrakhan et Kazan. Nous
» ne redouions, ni l'Europe, ni TAsie. Notre
» armée est tellement nonil)reuse , que le
» monde peut à peine la contenir ; par terre ,
» elle est prête à se précipit'Tsur le Schah ,
5> la l^ilhuanie et l'Empereur; et par mer,
» sur les rois d'Espagne et de France. Nous ne
j) pouvons que louer votre prudence si , effec-
» tivement , vous n'avez pas voulu vous
>) joindre à eux; et le Sultan ordonnera au
5) Khan de ne point inquiéter la Pvussie, si le
» Tsar relire ses Cosaques des bords du Don
» et détruit les quatre nouvelles forteresses
)) qu'il a fait construire sur «:e (leuve cl sur le
» Terek, atin de couper nos communications
« avec Derbent. Piendez-vous h cette propo-
)» sition , sinon , j'en jure par Dieu, non seu-
» lement nous ordonnerons au Khan el aux
y> Nogais d'inquiéter conSinuellement. la Rus-
» sie , mais nous marcherons nous-mêmes
» contre Moscou , par terre et par mer, sans
» redouter , ni les fatigues, ni les dangers , et
» sans épargner, ni nos trésors, ni notre sang,
w Vous aimez la paix : mais pourquoi vous
DE r.rssiF. 2.35
)) mrloz voiîs des alTaires de l'Ibérie qui op-
>) pnrlient au Sultan » ? Naslchokin répondit
qu'AstraUian vl Kazan étaient ins('{)ara})les de
Moscou; que le Tsar ordonnerait de chasser
les Cosaques des environs du Don où nous
n'avions aucune forteresse; que nos r.q)porls
avec la Géorgie ne provenaient que de ce
qu'elle professait la même religion que nous;
que nous y envoyions, non des troupes, mais
des })rèlres, et que nous ne permetlious à ses
hai)iians de venir en Russie, que pour y faire
le commerce. Naslchokin {)roposa au Yisir de
sVxplit[uer avec le Tsar par le moyen d'un
ambassadeur que le Sultan lui enverrait. Le
Yisir ne le voulut pas d'abord , en lui disant :
« Nous ne connaissons point cet usage. Nous
« recevons les ambassadeurs étrangers, mais
>' nous n'en envoyons pas chez les autres ».
A la lin , cependant , il se décida à faire partir
pour Moscou le dignitaire Tschaouch-llesvan
avec les demandes qui avaient été faites à
Nastchokin. De son côté, le Tsar envoya en-
core à Constantinople , au mois de juillet
i5fj4, h* gentilhomme Islenief, porter sa ré-
ponse et des présens qui consistaient en une
236
II I s T O T n E
pelisse de renard noir, pour le SuUan, et de
zibelines, ponr le Visir. Il promettait de ré-
primer les Cosaf[ijes et de laisser passer libre-
ment les Turcs qjii se rendraient à Derbent,
à Schaniakha et à Bakou , si Amurat s'enga-
geait à tenir en respect Kazi-Ghiréï. « Nous
i> avons ordonné, écrivait Fédor au Sultan ,
j> de construire des forteresses dans les pays
» de la Kabarda et du Schafkal , non pour t'ir-
j> riter, mais pour assurer la tranquillité des
» habilans. Nous ne vous avons rien enlevé,
» car les Princes des montagnes, des Tcber-
» kesses et le Schafkal étaient nos anciens su-
» jets de la province de Pvézan. Ils s'enfuirent
« dans les montagnes et se soumirent ensuite
» à mon père, leur ancien et légitime souve-
). rain ». Cette histoire nouvelle de la Cabar-
die et du Gaguestan , ne persuada pas le Sultan
que leurs princes fussent des transfuges de
Kézan. 11 vit la tendance de la politique de
Moscou à s'étendre dans FOrient. Il ne pou-
vait la favoriser, et il ne songea point h con-
tribuer à la tranquillité de la Russie, c'est-à-
dire à la réconcilier avec le Khan.
Les seuls fruits que nous retirâmes de ces
DE RUSSIE. 207
ambassades à Conslanlinople, furent des no-
tions intéressantes sur l'état de Fempire Oito-
nian et des Grecs. « Tout est changé aujour-
» d'hui en Tunjuie, disait Naslchokin ; le
» Sultan et les Pachas ne songent qu'à l'intérêt;
« le premier augmente le trésor, et l'on ne
» sait à quelle iîn ; il cache l'or dans des cof-
» fres et ne paye point l'armée qui dernière-
» ment se révolta et assaillit le palais, en de-
» mandant la tèle du Defterdar ou Trésorier.
» Il n'y a plus ni ordre ni justice dans l'Em-
» pire. Le Sultan pille les fonctionnaires , et
» ceux-ci pillent le peuple. 1/on ne voit par-
j) tout que vols et assassinats ; plus de sécurité
» pour les voyageurs sur les routes, ni pour
» les marchands dans le commerce ; ces vio-
» lences et la guerre de Perse , ont épuisé
» l'Empire , surtout la Moldavie et la Vala-
» chie, où sans cesse on change lesHospodars
» par vénalité. Les Grecs sont opprimés et
)' gémissent sans avoir même d'espoir dans
» l'avenir ». Islenief lut retenu à Constanti-
nople par l'avènement au trône de Mahomet
III, en i5()5 ; ce nouveau Sullan, infâme assas-
sin de ses dix-neuf frères, ii'allendait qnun
238 lIlSTOlKt
moment propice pour déclarer ia guerre à la
Paissie. CcpeiidanI, (luoifju'à Conslanlinople
nous irailassions de hrif^ands, les {guerriers du
Don , lîous leur Iburnissions des nmnilions
de guerre, du plomb et du salpêtre. Leur
nombre s'accrut des Cosaques du Dnieper ci
de lous les déserteurs , qu'ils accueillirent
parmi eux. Ils élaient continuellement en
Iudisci[)linc i r« i tvt ' i n> t
<Vs los.qucs guerre avec Azoi et les INogais, les 1 cherkesscs
du Don. 1nn-I 11' 11
et la lauride , et aliaient en mer chercher du
butin , tantôt soumis au Tsar, tantôt en ré-
volte coiîtrekii. isaslcholdn écrivit d'Azof à
Moscou , qi'.e les Cosaques des camps clu midi
lui avaient enlevé de vive force les présens du
Tsar; qu'ils lie voulaient pas lui rendre sans
rançon, leurs prisonniers, un Tschaouschdu
Suîîan avec six Princes Tcîierkesses , et que,
dans un accès de colère , ils avaient coupé la
main à un d'enir'eux en s'écriant: « nous
» sommes fidèles au Tsar blanc , mais ceux ,
» dont nous nous rendons maitres par nos
» armes, nous ne les rendons pas pour rien ».
Les Cosaques méritaient d'être punis de leur
indiscipline; mais à titre d'ennciiiis irrécon-
DE RUSSIE. 23q
ciliables de ceux de la Russie, ils avaient des
droils à riiiiltilgence du Tsar.
iN'ayaiil point réussi dans noire j)roj<'t de
maîtriser le Khan par Fentremisc de la Tur-
(piie, nous y parvimmes sans elle et par nos
proj)res moyens. Nous le désarmâmes, moins
par nos complaisances et nos négociations,
que par des mesures sages , prises pour la dé-
fense des possessionsméridionalesde la Russie.
Ayant renouvelé Tancienne ville de Koursk
déserte d(îpuis long-temps (ivo), et construit
les forteresses de Livna , Kroma et Yoronège ,
le Tiar, en uyj , ordonna d'en bâtir encore
de nouvelles sur loutes les routes des Tatares ,
depuis le Donetz jusqu'aux bords de FOka,
telles que Bielgorod , Oskol et Yalouïka , et
de les peupler de soldats , de Slreletz et de Co-
sa([ues, ensorte qu'il devint diOicile aux bri-
gands de Crimée de tourner ces forteresses
d'où, pendant l'été, il sortait sans cesse des
détacliemens de cavalerie pour les observer,
et oii le bruit continuel du canon les tenait en
respect. Le Tsar, ayant le glaive dans una
mai n, de l'or dans l'autre, faisaitdire au Khan :
« Le Pape, l'Empereur, les rois d'Espagne ,
Cf>nslTuciioii
de \ iUts.
24<^ lllSTUlllE
j) de Poiiiigal et de Danemark m'ont conjuré
j> de déiruire Ion royaume, pendant qu'ils
» agiraient de toutes leurs forces contre le
» Sultan. Mes propres Boyards, mes Princes,
)) mes Voïé\odes et particulièrement les ha-
>» biUmsde l'Ukraine, mcsnpplientëgalement
}^ de me rappeler iou'.es vos iniquités et vos
» cruautés, défaire marcher mes troupes et
» de ne point laisser pierre sur pierre dans
» le centre même de ta horde. IMais, désirant
» tonannitié et celle du Sultan , je n'écoute ,
» ni les îmîbassadeurs des Souverains euro-
» péens, ni les cris de mon peuple, el je te
» propose mon alliance et de riches pré-
j) sens (174) ». Obligé par Amurat d'aller sans
cesse d'un pays à un autre, en Moldavie , en
Yalachie ou en Hongrie, pour réprimer les
révoltes des tributaires Ottomans , ou com-
battre les Autrichiens , le Khan fatiguait ses
troupes par des marches continuelles, et en
perdait un grand nombre dans les combats ,
sans en retirer d'autre avantage qu'un faible
butin. Dans ces fâcheuses conjonctures , Kazi-
Ghiréï obtint du Sultan la permission de
tromper la Tiussie par une -fausse réconcilia-
DE RUSSIE. 24^
tion solennelle, éclatante et telle que nous
n'en avions pas eue av^c la Tauride dans l'es-
pace de soixante-quinze ans. Au mois de no-
vembre iSgo, les ambassadeurs du Kiian,
Acbmet-Pacha , et ceux de Moscou , le prince
Fédor Klivorostinin et Bogdan Belsky, se
réunirent sur les bordsde la Sosna, au-dessous
de Livna , pour Us conférences préliminaires.
Cette rivière servait alors de frontière à la
Russie liabitée. Plus loin , vers le midi , com-
mençaient lesslèpes. L'envoyé de Kazi-Glnréï
ne voulut pas passer sur le côté gauche de la
rivière, craignant de se livrer entre nos mains,
et de compromettre ainsi la dignité du Khan.
Les Ambassadeurs , après s'èlre réunis sur un
pont, convinrent de cesser les hostilités de
part et d'autre, de délivrer les prisonniers, et
de conclure une paix et une alliance perpé-
tuelles. A cette fin , le prince de Crimée, Iciii-
mamet, devait se rendre à Moscou, et le prince
jMercure Stcherbatoff , en Tauride. Ces deux
nouveaux Ambassadeurs s'étant rencontrés
sur le pont, se saluèrent avec politesse et con^
tinuèrent leur route. Comme gage de son
amitié, Fédor permit à la veuve du tsarévitche
Toi.iE X. i6
242 nisToir. E
Mouratqui ctail mort à Astrakhan , de se ren-
dre auprès du Khan ; il envoya à Kazi-Ghiréï
dix mille roubles , outre des pelisses et des
étoiles préeieuses , promettant de lui en faire
passer autant ehaque année; entin , il parvint,
dans le courant de l'été de iSg/j , à recevoir de
r.iixarccie lui UH actc d'alHanc»; avcc un cachet d'or. Cet
acte , par les condilions qu'i} contenait et par
ses termes , rappelait les anciens traités par
lesquels le bon elsage Mengli-Ghiréï assurait
Ivan lïl de son amitié Iralernelle. Kazi-Ghiréï
s'engageait à être reiinemi de nos ennemis ; à
punir sans miséricorde ceux de ses sujets qui
attaqueraient la Russie ; à rendre le butin et
les prisonniers qu'ils pourraient faire; à veil-
ler à la sûreté des ambassadeurs du Tsar, à
celle des négocians, et à ne point arrêter dans
leur route les étrangers qui se rendraient à
Moscou. Quoiqu'il dater de cette époque , et
pendant environ trois ans , les Tatares de Cri-
mée n'eussent pas inquiélé nos possessions,
employant toules leurs forces à aider le Sullan
dans sa guerre avec la Hongrie , Tarmée Mos-
covite n'en continua pas moins à rester sur les
bords de l'Oka , prête à combattre.
DE RUSSIE. 2^3
Ce lemps de paix profonde pour la Russie,
ne fut pas perdu pour sa politique extérieure.
La Gourde Moscou, tout en assurant le Sultan
qu'uniquement par amitié pour lui, nous
ne voulions pas nous lier avec ses ennemis ,
recherchait leur alliance avec plus d'ardeur
que jamais. Au mois de septembre i5g3 , TErn-
pereur envoya de nouveau à Moscou, le digni-
taire Nicolas Varkotsche, pour prouver avec
éloquence la nécessité d'un armement général
de toutes les puissances chrétiennes , contre le
Sultan , et exiger de nous, ou dos secours pé-
cuniaires, ou de riches pelleteries, pour la
guerre contre les Infidèles. Dans une conver-
sation conhdeniieile, il dit à Godounoff , que
Rodolphe avait le projet d'épouser la fille de
Philippe, roi d'Espagne, et de s'approprier la
France , du consentement d'un grand nombre
de seigneurs de ce pays , qui délestaient
IJenri IV ; que Sigismond , offensé de l'arro-
gance et de l'indépendance des seigneurs Polo-
nais , voulait abdiquer la couronne des Jagel-
lons et retourner en Suède ; que Maximiiien ,
frère de l'Empereur, avait de nouveau l'espoir
d'élre roi de Pologne , et pi'iait Fédor de l'ai-
244 HISTOIRE
dcr de tous nos moyens pour y parvenir, pro-
mettant de cédera la lUissie une partie de Ja
Livonie. Les Boyards répondirent au nom
du Tsar : « ]^e grand-père , ie père de lédor et
» Fédor lui-même ont témoif^iié plus d'une
» fois, à la Cour de Vienne, leur disposition
)) de se joindre à l'Europe, pour combattre
» les Ottomans; mais c'est envain que nous
j> avons attendu, jusqu'à présent et ([ue nous
>) attendons encore une ambassade à Moscou ,
» de la part de FEmpereur, de l'Espagne et
>^ de Rome, pour établir nos conventions.
» Nous ne refusons pas l'argent, pourvu que
i> le grand oeuvre du salut et de la gloire des
» Chrétiens commence. Le Tsar souhaite en
j) tout le plus grand succès à l'Empereur ; il
» agira avec le plus grand zèle, afin de procurer
» la couronne de Pologne à Maximiiien , et ,
» dans ce cas, nous lui céderons toute la Li-
» vonie , à l'exception de Dorpat et de Narva ,
» qui sont indispensables à la lUissic ». On
congédia Yarkotche en lui remettant des lettres
pour Piodolphe , pour Philippe et pour le
Pape, auxquels nous demandions qu'on en-
voyât au plutôt des ambassadeurs à Moscou ^
DE RUSSIE. 2^5
de même qne pour le prince de Suède , Gus-
tave fils d'Erick , à ([ui Fédor offrait un refuge
eu ces termes : « j\os pères étaient amis et
» alliés, ayant appris que tu errais en fugilif,
» en Italie , je t'invite à venir en Russie où tu
» auras un traitement convenable, plusieurs
» domaines, une vie tranquille, et la liberté
» d'en sortir et d'aller où bon te semblera et
» quand tu le voudras ». La suite nous ex-
pliquera pourquoi nous faisions ces avances à
Gustave.
Cependant l'indolent Piodolphe combatlait
le Sultan en Hongrie , et ne se hâtait pas de
conclure une alliance avec la Faissie. Au mois
d'août 1594, il arriva à Moscou un de ses
envoyés avec une lettre singulière, en latin
et ouverte , adressée en même temps à Fédor
et à riîospodar de Moldavie Arron , au voïé-
vode de Briaslavle , et aux Cosaques du Dnie-
per; voici ce qu'elle contenait : « Le porteur
» de la présente , Stanislas Chlopitzky , chef
» des guerriers Zaporogues , nous a témoigné
» le désir de servir FEmpire contre l'infidèle
« vSultan, avec huit ou dix mille Cosaques ;
)) nous l'avons accueilli avec plaisir et lui
2.\G HISTOIRE
» avons remis iiolrc hanninrc, portant une
« aigle noire, à condition quMl fermerait tous
» les passages aux Tal ares de Crimée, vers le
» Danube, et porterait le fer et la flamme dans
» les possessions du Sultan, en épargnant la
» Lithuanie et les autres pays chrétiens. C'est
î> pourquoi nous vous prions de favoriser
» notre serviteur dévoué (175) ». L'adresse à
Fédor était visiblement controuvée : l'Empe-
reur ne pouvait tenir le même langage au Tsar
et aux Cosaques. Chlopitzky, en causant avec
les Boyards, les informa, au nom de Pvodol-
phe, des victoires de rEmpereurelderalliance
que le prince de Transylvanie et les bospodars
de Moldavie et de Yalachie avaient conclue
avec lui ; il les assura que les Zaporogues , re-
gardant la Russie comme leur véritable patrie,
n'osaient agir sans la volonté du Tsar , et de-
manda que Fédor, après leur avoir donné
quelques troupes moscovites, leur ordonnât
de marcher avec elles et sous les drapeaux de
la Russie, contre les Turcs, On ne laissa pas
parvenir Chlopitzky jusqu'au Tsar, en lui re-
présentant l'inconvenance de la lettre de l'Em-
pereur ; et on lui dit : « Le Tsar , par considé-
DE RUS S IF.. 247
* vallon pour Rodolphe, te laisse parlirsans
» colère, et il écrira à Bogdan ^likochiiisky ,
» helinan des Zaporogucs, qu'ils peuvent ser-
» vir l'Empereur ». Cette circonstance est très-
remarquable , en ce qu'elle présente les Cosa-
ques du Dnieper comme snjetsde laLilhuanie,
qui elle-même tremblait d'offenser le Sultan ,
s'alliant, contre le gré de leur Souverain, à
r Empereur pour faire la guerre aux Turcs, et
se reconnaissant , en quelque façon, dépen-
dans du Tsar. Quoique cette alliance illégale
n'eut point pour l'Autriche le succès qu'elle
en attendait ; quoique le gouvernement Li-
thuanien punit les Cosaques de cette manière
indépendante d'agir, en leur ôlant les canons,
les drapeaux, les trompettes d'argent, la mas-
sue qui leur avaient été donnés par Etienne
Bathori , et l'aigle noire de l'Empereur (17(3) ;
cependant les souvenirs d'une ancienne pa-
trie commune, l'unité de religion, l'oppres-
sion sous laquelle gémissait l'Eglise grecque
en Lithuauie, et la vengeance nationale, pré-
paraient déjà dans l'àme des guerriers du
Dnieper, le désir de réunir leur contrée flo-
rissante à l'empire de Moscou.
2 j8 IIISTOir. E
Fédor voulant obtenir un résultat de nos
longues et inutiles négociations avec l'Aulii-
che, envoya un courrier à Rodolplie (177) ,
pour lui demander les véritables raisons des
relards qu'il apportait dans une affaire d'une
aussi haute importance. Il apprit que Nico-
las Yarkolche, ayant quitté la Russie, avait
trouvé l'Empereur à Prague, mais qu'il n'a-
vait pu lui être présenté que long-temps après
son arrivée, à cause de l'indolence ordinaire
de ce Monarque ; que Rodolphe avait enfin
communiqué à la Dièle des électeurs la ré-
ponse favorable dé Fédor, et que ceux-ci, atta-
chant un grand prix à falliance de la Russie ,
avaient obtenu de lui qu'il envoyât une nou-
velle ambassade à Moscou. Quelques mois
après, en décembre 1594 1 arriva dans cette
ville le même Varkotche , avec la nouvelle que
les Turcs se renforçaient de plus en plus en
Hongrie. Il demandait de prompts secours
pécuniaires, et nous étonnâmes l'Autriche par
secouis.ion- jjQtre eéuérosité , en envoyant à l'Empereur,
^'"^- pour les frais de la guerre , quarante mille
trois cent soixante zibelines, vingt mille sept
cent soixante martres , cent vingt renards
DE RUSSIE. 249
noirs, trois cent trente-sept mille deux cent
Irenle-cinrj petits-gris, et trois mille castors ,
valant quaranle-qiiatre mille roubles (Talors.
Le gentilhonnne du Conseil, Yéliaminolf,
fut chargé de les porter; on lui rendit des
honneurs extraordinaires à Prague : les trou-
pes étaient sous les armes dans toutes les rues
par lesquelles il devait passer, pour se rendre
au palais, dans la voiture de l'Empereur; il
reçut des invitations de toutes parts et fut
Tobjet de toutes les prévenances. Il était sans
cesse prié à des diners qui étaient toujours
accompagnés de musique ; cet envoyé , cepen-
dant, ne recherchait point ces occasions de
plaisir, disant que le Tsar pleurait la mort de
sa hlle , et que toute la Russie pleurait avec
lui. Après avoir étalé , dans vingt chambres du
palais, les présens de Fédor aux yeux de FEni-
pereur et de ses seigneurs, il satisfit leur cu-
riosité par la description de la Sibérie si riche
en belles fourrures , mais il ne leur dit pas le
prix de cet envoi du Tsar, que les juifs de
Bohème et les marchands estimèrent à huit
tonneaux d'or. Yéliaminoff fit sentir au mi-
nistère Autrichien qu'un secours pécuniaire
2,>0 IJISTOIIVE
fleceite importance prouvait toute lasincdrilé
des bonnes dispositions de Fédor , malgré les
retards inexplicables de l'Empereur et de ses
alliés , à conclure un traité solennel avec
nous. On comprend, en effet diflicilement
pourquoi la Cour de Vienne avait l'air d'évi-
ter celte alliance , beaucoup plus dangereuse
ri sujette à des chances plus fâcheuses pour
nous que pour l'Autriche, puisqu'elle devait
conduire la Russie, qui était en paix, à une
guerre avec le Sultan, qui combattait déjà
rAutriche. L'Empereur répondit au Tsar ,
que l'éloigncKienl des lieux, la haine qui exis-
tait en Espagne contre l'Angleterre et la
France , les troubles des Pays-Bas, la vieillesse
de Philippe et le nouvel avènement du pape
Clément VIII, retardaient une. alliance gé-
nérale des puissances chrétiennes contre les
nii.sireAm- Ottomaus. Ileuvova Dourtanl aupTcs dc Fédor
l;:>f.sinJeur de j l x
lEmpcreui. j^jq grand de sa Cour, Abraham , burgrave de
Donau(i78), avec un membre du Conseil,
Georges Kal, vingt gentilshommes et quatre-
vingt-douze valets.
Cette ambassade ne satisfaisait que Tamour-
propre de la cour de Moscou par sa magniti-
DE RUSSIE. 2JI
ccncc , et en exigeait une pareille de sa part.
Le Ijingrave , en traversant la Russie, vit,
dans toutes les villes et à tous les relais, une
quantité de gens proprement vêtus et rassem-
blés des endroits les plus éloignés par ordre
du Tsar, afin de lui prouver combien le pays
était peuplé et riche. Depuis la frontière jus-
qu'à Moscou, il fut reçu et accompagné par
des détachemens de troupes , montés sur de
magnifiques chevaux. Partout sur son passage,
il trouvait le luxe et toute espèce d'agrémens ,
à la liberté près; car, sans cesse on veillait
autour de lui, afin qu'il ne vint à sa connais-
sance rien de ce qui pouvait offenser l'amour-
propre des Russes. A Moscou , cet illustre
étranger fut conduit par les plus belles rues et
devant les plus beaux édifices. On lui assigna
pour demeure Télégante maison du prince
Nosdrovatoï. On lui donna le service de la
Cour. On lui apportait , sur des plats d'or et
d'argent, toutes les friandises de la table du
Tsar, et on lui servait les vins les plus pré-
cieux du midi de l'Europe. Le jour de son au-
dience , le 22 mai iSgy, la cour de Moscou
resplendissait de magnificence. Le Burgravc,
252 HISTOIRE
ayant la goutte, ne put montera cheval , mais
il se rendit au Kremlin dans une voiture alle-
mande , ouverte. Il était précédé par cent
\ingt cavaliers nobles, couverts d'habits ma-
gniliques. Fédor le reçut dans le grand Palais
Joré-, assis sur son trône, le diadème sur la
tète et le sceptre en main. Godounoff était
debout derrière lui et tenait la pomme d'or ;
à sa droite étaient assis le tsarévitche Araslan-
Aley, fils de Kaïboula, Mamet-Koul, de Si-
bérie , et le prince Mstislafsky ; à sa gauche ,
Ouraze Malimet , tsarévitche des Kirguisses ;
plus loin étaient les Boyards, les tils des Hos-
podars de Moldavie et de Valachie , les grands
Ofiiciers, les Gentilshommes du Conseil,
deux cents Princes et Nobles; les Secrétaires
du Conseil , étaient dans un appartement
voisin. L'Empereur envoyait en présent , au
Tsar, les reliques de Saint-Nicolas renfermées
dans une chasse d'or , deux voitures , douze
chevaux, une pendule avec de la musique et
quelques vases en cristal ; à Godounoff, un
bocal précieux , orné d'émeraudes , une pen-
dule et deux étalons avec des housses de ve-
lours ; et à son jeune fils , Fédor, des singes et
DE RUSSIE. 253
(les perroquets. li adressait ses remereîmens
au ïsar et au Kégenl ; celui-ei permit, quel-
ques jours après , à rAnibassadeur , de venir
dans sa propre maison ; et prenant un air de
Souverain, il lui adressa des paroles graeieu-
ses et donna sa main à baiser aux Gentilshom-
mes d'Ambassade.
Mais , la magnificence et le bon accueil ne
produisirent rien d'important. L'Ambassa-
deur d'Autriche, en entamant l'afiaire priil-
cipale, déclara que liodolphe attendait de
nous de nouveaux services ; que nous devions
nous opposer aux incursions du Khan en
Hongrie et à la paix du Schah avec le Sul-
tan ; que nous devions donner encore à TEm-
pereur des secours pécuniaires à des époques
iixcs , et dont les quotités seraient réglées en
or ou en argent et non en pelleterie , car
l'Autriche ne pouvait s'en défaire avantageu-
sement en Europe. Mais les Boyards répon-
dirent catégoriquement que , sans un engage-
ment mutuel et par écrit de la part de l'Autri-
cîie , Fédor n'était point disposé à prodiguer
pour elle les trésors de la Piussie ; qu'Islenief,
envoyé par le Tsar avait été retenu à Constan-
2j4 histoire
linople ;i cause des secours pécuniaires que
nous avions accordés à liodolplie ; que tou-
jours nous lenions le Klian en res})ect , et que
depuis long-temps nous aurions obtenu Tal-
liance de l'Europe chrétienne avec la Perse,
si ri^mpereur ne nous avait point trompés
par de vaines promesses. En même temps il
arriva à Moscou, un couriier de Maximilieii
qui désirait queFédor lui accordât dessecours
en argent, pour Faider à obtenir la couronne
de Pologne ; on désirait qu'il l'obtînt, mais
on lui reiusa l'argent. Le Burgrave qui lia
Moscou au mois de juillet , ii'eroporlant que
beaucoup d'honueurs et de riches présens.
LcLrVnt.iu Ce qu'il y a de plus étonnant c'est que Ro-
cou. dolphe , pour excuser ses (ielais, preiextait Je
nouvel avènement du pape Clément VIII , et
que ce pape envoyait, à cette époque même,
auprès de Fédor, par la Litlmanie, le légat
Alexandre Comuleus pour la même affaire,
conjurant le Tsar de délivrer les puissances
chrétiennes du joug des Otlomans (179). Il
est douteux que Comuleus et l'ambassadeur
Autrichien se soient vusii Moscou ; du moins
ils parlaient et agissaient sans la moindre com-
DE RUSSIE. 2J^
municnllon enlrc eux. Le Pape, avec la finesse
ordinaire de la cour de Pvome , flatlail le Tsar
el la Russie ; il lui représenlait que les Otto-
mans, une fois uiailres de la Hoii.^rie, pou-
vaient s'emparer également de la Pologne et
de la Litliuanie ; que déjà ils touchaient à nos
possessions, ayant soumis d'un autre côté une
partie de la Géorgie et de la Perse ; et que Teiri-
pire deByzance et beaucoup d'autres n'avaient
trouvé leur ruine que dans leur trop grand
amour pour la paix, dans leur inaction et
dans leur imprévoyance des dangers. Il était
facile àFédor , disait-il, d'envoyer des troupes
en Moldavie, et de s'emparer des villes appar-
tenantau Sultan, surles bords delà mer Noire,
où nous attendaient la gloire et un riche butin ;
cl oh nous pourrions nous perfectionner dans Varl
de la guerre^ en voyant comment les Allemands,
les Hongrois et les Italiens combattent les
Turcs , et combien ils ont d'avant^ige sur eux.
Il ne dépendait que de nous, ajoutait-il, de
réunir à la liussie des contrées que la beauté
du climat , la fertilité du sol et les richesses de
la nature, rendaient heureuses et llorissan tes;
et de nous ouvrir, parla Tiirace, un chemin
^56 HISTOUIE
jusqu'à Byzance , domaine hérc'ditaire dis
souverains de Ja Russie. Le zèle de la religion,
disail-il encore , rapproche les distances;
Rome et IMadrid élaient loin du Bosphore,
cependant Constanlinople verrait les éten-
dards du Saint Apôtre et de Philippe; les peu-
ples opprimés par les Turcs étaient nos frères,
parleur langage et leur religion ; le moment
était favorable, les troupes Ottomanes ayant été
défaites en Perse et en Hongrie. Enfin , ajou-
tait-il, au centre de FEmpire Turc où il n'était
point resté la moitié des habitans, régnait le
plus complet désordre. Les passages suivans
des instructions données par le Pape au Légat,
sont également dignes d'être remarqués :
« Nous avons appris que les Souverains de
« Moscou , aiment à se glorifier de descendre
» des anciens Empereurs Romains et se don-
» nent des titres pompeux ; expliquez aux
» Boyards, que les degrés de la dignité et de
» la grandeur des Monarques doivent être
)) coniirmés par nous, et citez pour exemple,
» les rois de Pologne et de Bohème qui doi-
» vent leur couronne au chef de l'Eglise œcu-«
« ménique. Cherchez à imprimer dans leurs*
DE rii'ssiE. 207
» àmcsle respecl pour le chef des ehréliens,
» traii(|uilles et heureux sous notre pouvoir
» spirituel. Cherchez à persuader que la véri-
» tahle Eglise de Jésus-Chrisl est à Rome et
>> iK)ii à Conslanlinople, où les infidèles Sul-
» tans vendent les titres de Patriarches cscla-
» ves, étrangers à l'influence du Saint-Esprit ;
» que dépendre des prétendus pasteurs de
» Byzance , c'est dépendre des ennemis du
» Sauveur, et queFillustre Russie est digne
» d'un plus heau sort. Vous , homme éclairé ,
» vous connaissez la différence des dogmes
» des religions Romaine et Grecque ; persua-
» dez les Russes des vérités de notre ortho-
» doxie , avec force , mais avec ménagement ,
>» et d'autant plus qu'ils aiment la précision ,
» et que, parlant leur propre langue, vous ne
» pouvez vousexcuser sur l'ignorance delà vé-
» ritable valeur desmots. Maisque d'avantages
» n'avez-vous pas sur tous les docteurs qui
» ont été envoyés chez eux de Rome, dans
» l'espace de sept siècles , et qui ne connais-
)■> saient, ni la langue, ni les usages des Russes?
» Si le Tout-Puissant couronne votre entre-
7) prise, s'il ouvre un chemin à la réunion
T'J3IE X. 17
258 HISTOIRE
» des religions, notre cœur sera consolé, et
» par la gloire de TEglise, el par le salut d'une
» cpianlilé innombrable d'âmes ». Nous sa-
vons que Tambassadeur de Clément vint deux
fois à Moscou avec ces mêmes instructions,
en 1095 et en i5()7 ; mais nous ne connaissons
rien de ses négociations qui, au reste, n'eurent
pas des résultats importans, et diminuèrent
])robablement, au moins pour quelque temps,
les espérances qu'avait conçues Rome , de
conclure nne alliance politique et spirituelle
avec la Russie.
Amiù.; entre En promettant à l'Empcreur et probable-
Fédor et le
schah ^Vbbas. ment au Pape, un allié lidèle dans le Schah de
Perse , nous pouvions effectivement tenir
notre parole, ayant renouvelé nos rapports
d'amitié avec lui. Déjà l'illustre Schah Abbas
se préparait à des exploits glorieux qui lui
méritèrent dans l'Histoire le nom de Grand;
héritier d'un empire désorganisé par la fai-
blesse de Tamasse et de Godabent, troublé
parles révoltes des Khans apanages, restreint
par les conquêtes des Turcs , il ne voulait ob-
tenir de ces derniers qu'une paix momenta-
née, pour s'allerniir sur le trône et appaiser
DE RLSSIE. 25q
les rebelles de son pays; il cherchai l à con-
iiailre les rapports qui existaient entre les
Etats les j)liis éloignés; saluant, au-delà des
mers , un fidèle allié dans le roi d'Espagne , il
en voyait un bien j)Uis fort dans le puissant
monarque de la Fiussie, dont les possessions
conlinaient déjà avec la Perse et la Turquie.
Azi Khosref , nouvel ambasSvideur du Schali ,
après avoir remis une lettre amicale d'Abbas ,
s'occupa principalemeîit à flatter le Régenl ;
dans les entrevues particulières qu'il eut avec
lui, il lui disait , avec la pompe des expressions
orientales : « D'une seule main tu gouvernes
» le pays Russe, tu dois tendre l'autre au
» Schah et établir une amitié fraternelle entre
» lui et le Tsar (i8o) ». Boris répondit mo-
destement : « Je ne fais que remplir la volonté
» de mon Souverain; son impulsion seule
» dirige mon esprit ». Mais il se chargea d'être
auprès de Fédor le plus ferme appui du Schah.
L'Ambassadeur expliqua à Godounoff que la
trêve , conclue par la Perse avec les Turcs ,
n'était qu'une ruse de guerre. « Afin de les
» endormir , lui dit-il , le Schah leur a donné
» son neveu âgé de six ans pour otage ou
260 HISTOIRE
» pour vicllnie; ils n'ont qu'à le tuer au pre-
» niier moment où ils verront briller nos ci-
» melères, et tout n'en ira (pie mieux , ear le
« terrible Abbas n'aime , ni ses neveux , ni ses
» frères, et il leur réserve le repos éternel delà
» tombe ou la nuit des eaeliots ». Azi ne calom-
niait point le Sebah. Cependant ce destructeur
impitoyable de sa race déploya les qualités et
l'appareil d'un grand monarque aux yeux de
l'ambassadeur de Fédor , le prince Svénigo-
rodsky, qui devait prendre connaissance de
l'état des choses en Perse et des projets d' Abbas.
En 1594, cet envoyé traversa le pays de Gbi-
lan , déjà soumis au Schab qui en avait cbassé
le roi Acbmet , accusé par lui d'inlidélité.
L'ordre etla tranquillité qui y régnaient prou-
vaient l'infatigable acliviié du nouveau Sou-
verain. On traita partout avec distinction l'am-
bassadeur de Fédor. Abbas le reçut à Kachan ,
environné d'une Cour brillante deTsarévit-
cbes et des grands de son Empire. 11 portait à
son côté im sabre enrichi de diamans, et il
avait auprès de lui un arc et une fièclie. Il lui
tendit la main sans lui proposer de baiser son
pied ; il témoigna la plus grande satisfaction,
DE RîSSIE, 2G1
ri fit l't'logo du Tsar et de Godounoff. Les
plaisirs et ies festins précédèrent les affaires;
pendant le jour, il y eut des promenades dans
les jardins, de la musique , des danses et des
exercices niililaires dans lesquels Abbas lui-
même montra une grande adresse , tant à lan-
cer un coursier avec la rapidité de l'éclair,
qu'à IVapper juste un but avec des flèches. Le
soir on fit des feux de joie; on illumina les
jardins, les cascades, les places publiques et
les boutiques, où se précipitait une foule de
peuple, et où Ton étalait les plus riches pro-
ductions de TAsie. Le Schah se glorifiait de
son armée, de l'état florissant des arts et du
commerce , et de sa magnificence. En mon-
trant au prince Svénigorodsky ses nouveaux
palais, il lui dit: » Ni mon père, ni mon
» grand-père n'en eurent de pareils ». Il lui
lit voir aussi son trésor, et lui lit admirer un
diamant jaune qui pesait cent zolonitks, et
qu'il destinait en cadeau au Tsar , la riche selle
de Tamerlan , des cuirasses et des casques tra-
vaillés en Perse. A diner, l'ayant placé à côté
de lui, le Schah lui dit : « Vois-tu l'ambas-
» sadeur des Indes qui est placé plus bas que
2G2 HISTOIRE
j> loi: son maître, Djcladiii-Aïber, possède
« des contrées Incommensurables et prescjne
}> Jesdeux tiers du monde peuplé ; mais j'es-
» lime encore plus ton maître que lui ». En-
suite Abbas commença à traiter d'affaires avec
le prince Svénigorodsky ; il l'assura qu'il était
fermement résolu à chasser les odieux Otto-
mans des possessions occidentales de la Perse,
mais qu'auparavant il voulait reprendre le
Khorozan à Abdoula , Tsar de Bukharie , qui
s'en était emparé dans les malheureux temps
de Godabent, et qui avait aussi conquis le
pays de Kliiva. « Je ne nourris, dit-il, qu'une
» seule grande idée, celle de rétablir Tinté-
» grité et la gloire de l'ancienne Perse. J'ai
» quarante mille homme de cavalerie , trente
j) mille d'infanterie et six mille canonniers.
i) Je conmiencerai par mettre à la raison
M l'ennemi le plus voisin et je parviendrai
i> jusqu'au Sultan , j'en fais le serment. Il me
D suffira de la promesse sincère du souverain
» de Moscou, de me seconder lorsqu'arrivera
» le moment de cette grande entreprise, afin
» que nous en partagions et la gloire et les
» avantages ». Abbas consentait à entrer en
DE RUSSIE. 263
rnpporls avec TAii triche ; son Ambassadeur
vil celui de l\odolplie , à Moscou ; il nous cé-
dait sans opposition Tlbérie, mais il ajouta :
« Le Tsar Alexandre trompe la Ilussie; il me
» manque de respect et paye secrètement un
» tribut au Sultan ». Constantin, fils d'A-
lexandre, se trouvait en otage en Perse , ou ,
de gré ou de force, il avaitembrassé Tlslamisme
et avait épousé une musulmane. Le Schali ,
pour complaire à Fédor, lui permit d'aller à
Moscou; mais le jeune Prince s'y refusa , et
dit à notre Ambassadeur , en versant des lar-
mes : « Mon sort est de mourir ici dans un
» honorable esclavage ». Abbas, pour prou-
ver toute Tamilié qu'il portait à la Piussie, vint
inopinément visiter le prince Zvénigorodsky,
amenant avec lui Azim , Tsar chassé de Khiva,
et son premier ministre, Tergat-Khan. Il y
but du vin et de l'hydromel (car il aimait les
boissons fortes, en dépit de Mahomet). Il
examina, avec la plus grande attention , les
images de la Yierge et de Saint Nicolas. Il ac-
cepta de l'Ambassadeur un bonnet de renard
noir, en lui faisant cadeau à son tour d'un
superbe coursier et d'une image de la Yierge ,
2Gi
HISTOIRE
pi'inle sur or en Perse, d'après une image
ilalienne qui avait été envoyée d'Ormus au
Scliah (i8i;. Pour conlirmer tout ce qui avait
élé dit au prince Z^énigorodsky , Abbas en-
voya avec lui à Moscou, un de ses grands
seigneurs, nommé Kouli , et Fédor envoya
au Schah le Prince Tiouiiakin (182) , avec le
projet d'un traité dont les bases étaient qu'ils
seraient alliés fidèles , et qu'ils employeraient
conjointement leurs forces pour chasser les
Turcs des contrées de la mer Caspienne ; que
la Piussie s'emparerait de Derbent et de Bakou,
et la Perse, du pays de Scbirvan. Mais Tiou-
fiakin et son secrétaire moururent en route ,
ce qu'on ignora long-temps à Moscou ; et les
relations avec Abbas, occupé alors à une
guerre heureuse en Bukharie, furent inter-
rompues jusqu'à un nouveau règne en Piussie.
Le Schah nous céda du moins l'Ibérie. Fé-
dor, sans la disputer encore ouvertement au
Sultan , voulut établir un droit de souverai-
Campagnc jj(.|^; g^^j. ^1}^ ^ ^u soumcttaiit Ic Schavkal , im-
rnntre le
Schavkal. placablc ennemi d'Alexandre. Deux fois il
envoya contre lui ses Yoïévodes , les princes
Zassckin , et Khvorostinin. Le premier mit en
DE RUSSIE. 265
fuite \c Schavkal et le força de se réfugier dans
des montagnes inabordables; le second devait
achever de rtkluire celle parlie dn Dagucslan ,
s'y joindre aux troupes d'ibérie , conduiles
par Youri , fils d'Alexandre, s'emparer de
Tarky, sa capitale , afin de la donner au beau-
père d'Youri, autre princedu Dagueslan (i8j).
Khvoroslinin prit en effet Tarky, mais n'y
trouva ni Youri , ni son beau-père : il les at-
tendit envain ; ses forces s'épuisaient dans des
combats journaliers contre les habitans des
montagnes. Entin , après avoir rasé Tarky , il
fut obligé de se retirer dans la forteresse de
Térek. Près de trois mille Ilusses périrent dans
ces pays sauvages. Ce malheur pouvait être
attribué à Alexandre. Le Tsar lui témoigna
son étonnement de ce ([ue son fils ne s'était
point réuni à notre Yoïévode. Alexandre
s'excusa sur la difficulté de traverser les monta-
gnes; mais Fédor lui fit observer judicieu-
sement que, puisque le Schavkal trouvait des
routes pour aller piller l'îbérie, les troupes
dTbéric auraient pu également les trouver
pour entrer dans le pays du Schavkal. Cepen-
dant, ni cette cause de mécontentement , ni
266 niSToir.E
l'avarice d'Alexandre» ni ses hésitations à nous
payer tribut , ne changèrent rien à noire
politique patiente et sage. « Mon trésor est
» épuisé , disait ce Prince , par le mariagtî de
» ma lille avec le prince de Uadian , et par les
» présens qu'exigent de moi les puissans Sou-
» verains nialiomélans (i84) ». Ayanl appris
qu'Alexandre avait l'ail la paix avec son gendre
Siméon, sous prétexte de complaire à la Rus-
sie, le Tsar écrivit au premier : « Je crois à
» ton zèle et j'y croirai encore davantage si tu
» engages Siméon à nous prêter serment de
y> fidélité ». Alexandre trompait-il la Russie ,
comme l'avait assuré le Schah au prince Zvé-
nigorodsky? INon, il n'était que faible au mi-
lieu dés forts ; nul doute qu'il ne préférât sin-
cèrement la domination de la Russie à celle
de la Turquie ou de la Perse. Il conservait
l'espoir, il reprenait courage ; mais en voyant
que nous ne pouvions ou ne voulions point
envoyer en Ibérie des forces assez considérables
pour sa délense, son zèle pour nous se refroi-
dissait. Il ne quittait point le titre de tributaire
de la Piussie, mais, en réalité, il payait tribut
au Sultan , en soie et en chevaux ; en même
DE RUSSIE. 267
temps il conjurait Fcdor de dL'fendrc au moins
1 Iberie du colé du Dagucsian , où les Voïé-
vodes de jNIoscou avaient construit alors de
nouvelles forteresses sur les hordsde la Koïssa,
afin de réprimer le Schavkal et d'effacer Téciiec
du prince Khvorostinin.
Déjà maîtreprétendude Tlbérie, des princes
Tcherkesses et Nogais également nos vassaux ,
quoique souvent rebelles (i 85), Fédor, dans
l'année i ogj, se fit encore proclamer Soiiverain
de la horde populeuse des Kirguises. Son Khan,
Tefkel, qui prenait le titre de Tsar des Co-
saques et des Calmaks , se soumit volontaire-
ment à lui , ne demandant que la liberté de
son neveu, Ouraze-Mahmel, ([ue nous avions
fait prisonnier avec le prince de Sibérie Seï-
diak. Fédor promit à Tefkel de le pro léger et
de lui donner de l'artillerie . Il consentiiit à
lui rendre son neveu à condition qu'il lui en-
verrait son fils en ôlagc. Outre Thonneur
d'être Pioi des Rois, Fédor attendait du profit
de ce nouveau serviteur de la Russie. Kout-
schouin notre ennemi , chassé de Sibérie , er-
rait dans les stèpes des Kirguises; nous exigions
de Tefkel qu'il nous en défit, ou qu il l'en*
268 HISTOIRE
voyât à Moscou , el portât ensuite la guerre en
Bukharie, parce que son souverain, Abdoula,
protégeait Koulschoum et manquait de respect
à Fédor tlansses lettres. C'est ainsi qu'en agis-
sait notre polilique en Asie pour établir la
puissance de la Russie dans T Orient.
Relations £jj Europc, uous étions encore en relations
avec le Uiine- ■•■ '
ti.aickcii'An- avcc îc Dauemarck et l'Angleterre ; avec le
gletene. " '
premier, pour les limites en Laponie , et avec
la seconde, pour le commerce. Frédéric , le
dernier roi de Danemarck, désirant établir des
frontières certaines entre ses possessions et les
nôtres, au fond du Nord, entre Kola et Yar-
gaw^, y avait envoyé un fonctionnaire nommé
Kcrsten-Frise (i8ô) ; mais il était reparti sans
attendre l'envoyé de Moscou, le prince Baria-
tinsky. Le nouveau roi , Christian IV , iils de
Frédéric, ayant témoigné à Fédor le désir de
vivre avec lui dans la plus intime amitié , con-
vint d'une réunion d'Ambassadeurs en Lapo-
nie , qui n'eut également point de résultat.
En 1592, le voïévode prince Zvénigorodsky
et le gentilhomme Yassiltchikofr demeurè-
rent long-temps à Kola , et ne virent point
arriver les plénipotentiaires de Christian.
DE RUSSIE. 269
Des deiixcôlcs on allégua, pour excuse, réloi-
'• gneuient et les dangers de la route , les tem-
pcles el les neiges ; mais de part et d'aulre on
parvint à connaître par les anciens habilans
de Kola et de Yargaw , la vcriiable ligne de
démarcation entre la Norwège et la Laponie
Novgorodienne ; on ordonna aux habitansde
cesser leurs querelles et de faire librenient et
tranquillement le commerce , jusqu'à un
nouveau traité par écrit entre le Tsar et le
Roi. Fédor, par égard pour Christian, donna
sa parole de délivrer quelques prisonniers
faits par les Russes, lors de l'invasion des
Danois , dans le district de Kolmogor, et en
donna effectivement Tordre aux conunandans
d'Astrakhan , de la forteresse de Térek et de
Sibérie, où l'on exilait les prisonniers de
guerre. En un mot le Danemarck rechercha
de nouveau notre alliance, ne songeant pics à
mettre d'entraves au commerce maritime de
Ja Russie avec l'Angleterre.
Ce commerce important manqua d'être in-
terrompu par des méconlentemens mutuels
de notre gouvernement et de celui d'Angle-
terre, ÎS0U3 nous plaignions de la mauvaise
270 HISTOIRE
foi des marchands de Londres , et nous récla-
mions d'eux près d'un demi milJion de rou-
bles actuels (187) qu'ils avaient empruntés au
trésor du Tsar , à Godounoff , aux Boyards et
auxiSobles. Les marchands niaient cetledefte,
en chargeaient tantôt l'un, tantôt l'autre, et se
plaignaient d'être opprimés. Le Tsar, en ij88,
envoya un seconde lois Bekman à Londres ,
pour s'expliquer avec Elisabeth ; mais il fut
long-temps sans pouvoir être admis auprès
d'elle. La Reine pleurait alors un homme qui
avait été cher à son cœur, le comte de Leices-
ler ; enfin elle reçut l'envoyé Russe avec une
grande bienveillance , elle le prit à part , et
s'entretint avec lui à voix basse ; elle lui repro-
cha , mais sans colère, ([ue ({uatre ans aupara-
vant , l'ayant enlretenu dans un jardin , il
s'était servi dans un rapporl au Tsar , du mot
trivial de potager , en parlant de ce lieu de
plaisance ; elle demanda des nouvelles de Go-
dounoff; elle assura qu'il n'y avait rien qu'elle
ne fit par amitié pour Fédor; mais elle an-
nonça de nouvelles prétentions ; et le docteur
rielcher arriva à Moscou , cliaigé de les faire
connaître. Cet envoyé , plusdislingué par son
DE RUSSIE. 271
instruction que par son rang, proposa à notre
Constll , au nom d'Elisabeth , les articles
suivans : « La Reine désire conclure une
>) étroite alliance avec le Tsar ; mais TOcéan
» les sépare : l'éloignenient , cjui s'oppose à
» ces rapports intimes entre leurs étals, ne
» peut être un obstacle pour les senlimens du
» cœur. C'est ainsi que le père de Fétlor,
» Souverain illustre et sage , se montra tou-
» jours ami sincère d'Elisabeth, qui veut égale-
» ment conserver pour son illustre llls les sen-
» timens d'une tendre sœur. Cette airecl ion ,
» quoique désintéressée , s'entretient par les
» rapports fVéquens des Souverains pour les
» affaires de commerce : s'il n'y avait plus de
» négocians Anglais en Russie, la Reine n'cn-
» tendrait plus parler du Tsar ; et toute rela-
» tion venant à manquer entr'eux , leurami-
» lié mutuelle ne courrait-elle pas risque de
» se refroidir ?
j> Pour affermir cette union agréable à son
î> cœur, la Reine conjure le Tsar d'ordonner,
» 1°. qu'on examine avec plus d'atleniion l'af-
» faire de la dette douteuse des marchands de
» Londres; 2" qu'ils ne soient jugés que par
272 HISTOIRE
« le seul Godoiinoff, bien(aileur des Anglais ;
» 3°. qu'il leur soit accordé , comme au lemps
)> d'Ivan , un libre passage de Moscou en
» Fiukharie , à Schamaka et en Perse , sans les
« arrêter et les visiier à Asirakhan cl à Kazan :
» 4"- <!"<-' ^*'s dignitaires du Tsar ne leur pren-
» nenl rien de force et sans les payer; 5°. qu'on
« supprime tou le espèce d'exception dans les
» marchandises que les Anglais achèteront en
« Russie; G", qu'on les aide à découvrir une
ji route pour parvenir en Chine , en leur
» fournissant des conducteurs, des vaisseaux
» etdeschevauxsurtoutes les routes; 7°. qu'on
« n'admette pas sans un passeport signé par
» Elisabeth , aucun négociant anglais dans les
« poris entre Vargaw et l'embouchure de la
» Dvina, ni à Novgorod ; 8^ que les ouvriers
» employés à la monnaie puissent fondre sans
» rétribution les écus pour les marchands de
» Londres; 9". qwc , dans aucune circons-
» tance , on ne mette les Anglais à la question,
î> mai s qu ' o n les e n voie pou r é 1 re p u n i s à leu r
» Ancien ou en Angleterre; 10". qu'aucun
» d'eux ne soit inquiété sous le rapport de la
» P\eligion. C'est en remplissant ces condi-
DE RUSSIE. 273
« lions que le Tsar peut prouver son amitié
5^ pour Elisabt ili ».
Les Boyards écrivirent en réponse : « Notre
« maitre, en remerciant la Heine de ses bonnes
j> dispositions à son égard , désire lui-même
» raî'fection d'Elisabelli , avec la plus grande
» ardeur et à l'égal de son illustre père; mais
j) il ne peut convenir que Tamitié desSouve-
» rains ne soit entretenue que parles rapports
» commerciaux et que sans eux il n'y ait plus
» de moyen de communication. Desexpres-
» sions de ce genre sont inconvenantes. Le
j' Tsar désire vivre en bonne intelligence avec
» tous les illustres souverains, le Sultan,
» l'Empereur, les rois d'Espagne et de France,.
♦> Elisabeth et tous les autres; non pour les
« avantages des marchands , mais pour l'hon-
» }ieurde son empire. Pour complaire à Ell-
*> sabeih, il prolégeaitles négociansde Londres
» qui, oubliant ses bienfaits , ont commencé
f> à vivre de fraudes , à ne pas payer leurs
j> dettes, à exercer un vil espionnage, à médire
» de la Piussie dans leurs lettres et à intercep-
» ter la route aux vaisseaux des autres puis-
» sauces , aux bouches de la Dvina; en un mot
ToJME X, 18
^t-Jlf. inSTOIRE
)• ils ont nit'rilé le dernier supplice, d'après
» les réglemens de lous les Elats; mais le
» Tsar, par considération pour la Reine , a
>> épargné les coupables, el lui a écrit sur ces
« affaires ; il les épargne encore , et voici l'ex-
» pression de sa volonté :
y> i". Quoique les délies des marchands de
» Londres soient parfailement connues; quoi-
ï> que cette affaire ait été examinée à fond dans
» le conseil du Tsar , le Monarque , par géné-
» rosité , leur fait grâce de la moitié , exigeant
» qu'ils payent sans retard deiix mille quatre
3> cents livres d'argent. 2°. Il ne convient point
:» au plus grand des Boyards , allié et beau-
» frère du Souverain, de juger les marchands;
:» c'est à lui qu'est conliée l'administration de
>) l'Etat, et rien ne wse fait sans ses ordres. Les
>♦ Anglais seront jugés par des employés qui ,
« seulement lui feront leur rapport. 3". Ce
» n'est que par l'amitié personnelle que le
» Tsar porte à sa sœur Elisabeth qu'il permet
» aux Anglais de traverser la Russie pour se
» rendre en Bukharie et en Perse , sans payer
» de droils sur leurs marchandises , quoi({u"il
» soit défendu à tous les autres étrangers d'al-
DE RUSSIE. 0-.)
t> \vr à une vcrsie nu delà de Moscou. 4"- ï^
» Tsar ne permet pas que , dans son pays , on
» s'empare de force de la propriété de qui
» que ce soit. 5°. Il n'exisle en Russie aucune
» défense pour les marchandises que 1(îs né-
» gocians de J.ondres peuvent acheter chez
» nous, à Texception de la cire que lesétran-
» *;ers échangent contre de la poudre à canon
» et du soufre. (>°, Il n'est point possihîe au
>) Tsar de permettre aux étrangers de traver-
» ser la Russie pour aller à la recherche d'au-
» 1res EUals. 7". Il est éionnant que la Reine
» fasse de nouveau une demande si peu rai-
» sonnahie et si j)eu amicale. ÎSous avons dé-
>• claré et nous le répétons , pour complaire
T> à l'Anglelcrre , nous ne fermerons pas nos
» })orts et ne changerons pas les lois de notre
T> commerce qui est libre. 8°. Les Anglais sont
>^ niailres de faire frapper monnaie en payant
» Fi m pot d'usage à l'égal des Russes. 9". En
» Russie on ne livre aucun étranger à la ques-
« iion , et Ton remet entre les mains de leurs
)) Anciens les Anglais accusés des plus grands
» crimes. 10°. Quant à la religion, le Souve-
» rain ne s'en occupe même pas ; cîîacun vil.
^
2t6 histoire
/
)) iranquilleiiient et en paix dans la sienne,
» comme cela s'est toujours pratiqué et se
« pratique encore ».
L'Ambassadeur, peu content des réponses
a chacun des articles de son mémoire , de-
manda une entrevue à Godounoff , et lui
écrivit : « Illustre Seigneur , la l\eine m'a or-
» donné de te saluer affectueusement; elle
« connait tes bonnes dispositions pour sa na-
« tion , et t'aiiTie plus qvie tous les Souverains
» de la chrétienté. Je n'ose importuner celui
ji sur lequel repose tout l'Empire, mais je me
» réjouirai dans le fond de mon âme si tu me
» permets de contempler l'éclat de tes yeux ,
» car tu es l'honneur et la gloire de la Russie ».
Malgré toutes ses flatteries, Flelcher n'obtint
point un succès complet ; et dans les nouveaux
privilèges donnés aux marchands de Londres,
il est question de paiement de droits , quoi-
que légers. G odounoff n'accepta même pas les
présens de la Reine ; « parce que , écrivait-il
» à Elisabeth , comme si tu voulais manquer
« de considération au grand Tsar , tu lui as
» envoyé en don, des petites monnaies d'or »>,
Notre Cour eut encore un plus grand sujet de
DE RUSSIE. 277
mécontentement , lorsqu'elle vit arriver à
Moscou, un nouvel Ambassadeur crAngle-
terre, Jérôme Horsey , autrefois chéri crivan
et de Boris , mais chassé de Piussic , en i588 ,
pour avoir conçu le projet d'empêcher les
Allemands de iaire le commerce à Arkliangel
(188). Ni le Tsar , ni le Régent ne le virent, et
la Reine écrivit à Boris, qu'elle ne reconnais-
sait plus en lui son ancien ami; que les An-
glais persécutés par André Slchelkalofr, ne
trouvaient plus de protecteur en Russie et
devaient se résoudre à la quitter pourtoujours.
Cette menace produisit peut être son effet ;
car Godouiioff connaissait tout l'avantage que
nous retirions de notre commerce arec l'An-
gleterre , pour notre prospérité et notre civi-
lisation. Il savait qu'Ivan III n'avait jamais pu
réparer la faute qu'il avait commise en éloi-
gnant, par trop de sévérité, de IXovgorod ,
les marchands anséatiques. Godounoff, à ce
que Ton assure (189) , préférait les Anglais à
tous les autres Européens, et portait un res-
pect particulier à l'adroite Elisabeth qui , au
milieu de ses plaintes et de ses menaces, ne
cessait de témoigner de l'amitié à Fédor, et
2;8 HISTOIRE
qui , pour lui en donner une preuve, avait
défendu un livre publié par Fletcher,en i5gi,
sur la Russie ; livre offensant pour le Tsar, et
i'ciit en général , dans un esprit d'inimitié
contre notre patrie (190). Peut être aussi la
mort d'un illustre dignitaire du Tsar, que les
Anglais baissaient , contribua-t-elle à leur suc-
cès. En iSgS (191), mourut le premier Diak,
André Slchelkaloff , le plus habile homme
d'Etat de la Russie et qui , pendant l'espace de
vingt-cinc] ans , avait su plaire à Ivan et à
Boris par ses talens , par son esprit subtil et
rusé, par une conscience facile, et un mé-
lange de bonnes et de mauvaises qualités né-
cessaire au serviteur de pareils maîtres. En
1096 , Elisabeth remerciait déjà le Tsar de ses
bonnes dispositions et des nouveaux privi-
lèges donnés au commerce de Londres ; ces
privilèges lui accordaient le droit de faire le
commerce dans toute la Russie , avec toute
liberté, sans aucune restriction et sans payer
de droits. Elisabeth, en louant la sagesse de
notre Conseil Suprême , dans lequel Vassili
Stchelkaloff, frère d'André, avait pris sa place
et le titre de Diak et Garde des Sceaux , écrivit
DE RUSSIE. 279
une socondc Iclirr à Gotloiinoil , et repoussai
en i:cs lernics, 11 110 calomnie qui lui élail sen-
sible : « Tu (S le véritable bieniaii<îur des
j) Anglais en Puissie, et c'est à toi seul que
» sont (lus les privilèges que le Tsar leur a
w accordés. Tu m'as informée secrètement
» que les Ambassadeurs de TEmpereur et du
j> Pape, se trouvant à Moscou, ont inventé
5> un indigne niensonge sur ma préiendue
» alliance avec les Turcs, contre les puis-
» sauces chrétiennes ; tu n'y as point cru et tu
» ne dois pas y croire. îSon , je suis pure de-
» vant Dieu et devant ma conscience , ayant
» toujours voulu du bien aux Chrétiens, De-
» mandez au Roi de Pologne qui lui a pro-
» curé la paix avec le Sulian?.... C'est l'An-
)) gleterre. Demandez à l'Empereur lui-même
» si je n'ai point employé tous mes moyens
» pour éloigner la guerre de ses Etats? 11
}> m'en a remercié, mais il a voulu cette
» guerre; maintenant il s'en repcnt , et mai-
« heureusement il est trop tard. Si un de mes
» Dignitaires réside à Constantinople, c'est
» uniquement pour veiller aux avantages de
» notre commerce , et pour la délivrance des
28o HISTOIRE
» esclaves Chrétiens. Le Pape me déteste à
3> cause du Roi d'Espagne , ennemi irrt'con-
5> ciliable de l'Angleterre , puissant par ses
» tlotîes et par les richesses des deux Indes ,
)> mais que j'ai mis à la raison aux yeux de
» toute l'Europe occidentale. Je compte aussi
» dans l'avenir sur la protection du Très-Haut,
» dont puisse également jouir la Russie ».
Tels furent les derniers actes de la politique
extérieure de Fédor, marquée par le génie
de Godounoff. Passons aux affaires de l'in-
térieur.
LoisniTas- Nous SQvous quc daus les temps les plus
scrvisseniciit
des rnj«;ir!s Tcculés , Ics pajsaus jouissaicut en Russie de
liçiues. la liberté civile, mais sans posséder de biens
f(3nds; qu'àuneépoquedésignéeparlaloi(i92)
ils avaient le droit de changer de domicile et
de Seigneur, à la condition de faire valoir une
partie de la terre pour leur propre compte ,
et l'autre , pour celui du propriétaire ; ou
bien de lui payer une redevance ( Ohrok). Le
Pvégentvitle désavantage de ces émigrations
qui souvent trompaient l'espoir qu'avaient eu
les cultivateurs , de trouver un meilleur maî-
tre , et ne leur donnaient le temps ni de s'éta-
DE RUSSIE. 281
blir, ni de s'habituer au pays et aux hommes.
Il vit , qu'en aiif»menlant le nombre des fai-
néans et des pauvres , elles s'opposaient aux
progrès de l'éeonomie domestique , et à eeux
de la sociabilité. Des bourgs et des villages
abandonnés par ces habitans nomades , deve-
naient déserts (igS) ; les maisons et les chau-
mières tombaient en ruine par la négligence
de propriétaires momentanés. Le Régent se
vantait d'avoir accordé des avantages particu-
liers aux cultivateurs , dans les domaines du
Tsar, et peut être dans les siens propres:
animé sans doute d'une égale bienveillance
envers les propriétaires et leâ fermiers; dési-
rant établir entre eux une union constante,
comme entre membres d'une même famille,
et voulant fonder cette union sur leur intérêt
commun , il supprima en i5c)2 0u i5g3(i94),
la loi qui donnait aux paysans le droit de
passer d'un village à l'autre , et il les rendit à
jam.ais serfs des Seigneurs. Quelle fut la con-
séquence de cette innovation? Le mécontente-
ment de la plus grande partie de la nation et
de beaucoup de riches propriétaires. Les pay-
sans regrettèrent leur ancienne liberté, quoi-
2^2 HISTOIRE
(jne souvent avec elle ils rrrasspnt on vaga*
bonds y depuis leur enfance jusqu'au tom-
beau , et qu'elle ne les sauvât pas des violences
des Seigneurs temporaires , impitoyables en-
vers des fermiers rju'ijs n'élaient jamais surs
de garder ; d'un autre côté, les ricbes proprié-
taires qui possédaient beaucoup de terres dé-
sertes , se trouvaient privés par là , de Fayan-
tage de les peupler de cultivateurs libres. Les
Seigneurs moins riches en devaient d'autant
plus de reconnaissance à Godounoff , n'ayant
j)lus à craindre de voir leurs villages et leurs
champs abandonnés, par l'émigration des ha-
bilans et des cultivateurs. îSous verrons plus
loin que, si le législateur bien intentionné
avait prévu la satisfaction des uns et le mécon-
tentement des autres, il n'avait pas deviné
toutes les graves conséquences de ce nouveau
règlement, auquel l'Edit de i Sgy servit de com-
plément. Cetédit prescrivait les mesures les
plus rigoureuses pour rendre aux Seigneurs
ceux de leurs paysans qui avaient fui dans l'es-
pace des cinq dernières années , pour échap-
per au servage, avec leurs femmes, leurs en-
fans et leurs biens. A cette même époque »
DE IHSSTF.. 283
parut rOukase ([ui ordonnait que tous les
Doyards, les Princes, les Nobles, les Em-
ployés mililaires el civils , et les Marchands ,
tissent valoir leurs droits sur leurs domesti-
ques-serfs, a tin qu'ils fussent inscrits sur le
livre du Tribunal des Serfs , avec ordre à ce
Tribunal de reconnaître pour tels, même les
domestiques-libres qui servaient, ne fut-ce que
depuis six mois. C'est-à-dire, que le législa-
teur voulait contenter les Seigneurs , sans
craindre d'opprimer les pauvres serviteurs, ni
riuimaniîé ; mais il contirma la liberté des
aOranchis et celle de leurs femmes et de leurs
enfans des deux sexes.
Boris , après avoir mis à couvert le midi de
la Pxussie par de nouveaux forts, voulut pour-
voir de même à la sûreté de notre frontière du
coté de la Lilhuanie. Il fonda, en iSgô, une
nouvelle forteresse en pierre à Smolensk, où
il se rendit lui-même , pour indiquer la place
des fossés, celle des murs et des tours. Ce
voyage avait encore un autre but ; Boris vou-
lait, par ses bienfaits, gagner l'amour des
habitans de la Russie occidentale ; il s'arrêtait
dans tous les villages et dans les villes, satis-
NoiJvrUfi
forleresse ;i
SiuoIeiikU.
284 HISTOIRE
faisait à toutes les demandes , donnait de Tar-
j^enl aux pauvres, et recevait ies riches à sa
table. De retour à Moscou , le Régent dil au
Tsar que Snnolensk serait comme un beau col-
lier \)Ouv la Piussie. « Mais dans ce collier ^ lui
j> répliqua ïroubelskoï, il peut s'introduire
« une vermine que nous n'en chasserons pas
» de silO)t (iv^^) ». Paroles mémorables, dit
l'Annaliste, et qui se réalisèrent, car Smo-
lensk, lortitié par nous, devint pour la Po-
logne un bouclier contre la Russie. Fédor y
envoya des maçons de toutes les vilies voi-
sines et éloignées. Cette construction fut ter-
minée en 1600.
Moscou s'embellit d'édifices durables. En
1595 , pendant que Fédor était allé au monas-
tère de Borofsk , tout le Kitàïgorod fut con-
sumé par les flammes. Quelques mois après ,
il se releva de ses cendres avec des maisons et
des boutiques en pierres (196) ; mais il man-
qua de nouveau de devenir la proie d'un in-
cendie et d'être anéanti par un crime dont,
l'audace impie remplit leshabitans de Moscou
incciidiaiics dc terrcuT. Des scélérats , parmi lesquels il se
trouva même des gens de distinction, tels que
DE BUSSIE. 285
le prince Sichopiii , les gentilshommes Lebe-
def, les deuxBaykofïpère et lils, et d'autres ,
convinrent en secret de mettre le feu à la Ca-
piiale, pendantla nuit, et sur differens points,
aiin de profiter du trouble général pour s'em-
parer du Trésor , en dépôt dans l'église de
Saint-Basile. Heureusement le gouvernement
fut instruit de ce complot. On s'empara des
coupables, et ils furent punis. Le prince
Stchepin et les Baykolf eurent la tète tranchée
sur la place publi([ue ; d'autres furent pendus
ou enfermés pour le reste de leurs jours. Celle
exécution produisit une forte impression sur
le peuple de Moscou qui commençait à se
déshabituer de ces spectacles sangians. Plein
d'une juste horreur pour cet infernal projet ,
il sentait vivement comhien la rigueur des
lois élail nécessaire pour prévenir de sem-
blables atlenlats.
L'activité bienfaisante du pouvoir suprême
se montra dans pluiùeurs calamités; des villes
entières, détruites par des incendies, furent
reconstruites aux frais du Tsar (197). Le blé
des provinces fertiles était transporté dans les
endroits où se déclarait la disette , des quaran-
28G IIISTOIKE
taincs élaieiit clablios dans ceux où ('clalaierit
Ln reste, des maladies contagieuses. En i5t)5, les Anna-
les font mention de la peste épouvantable qui
désola Pskoli où il resta si peu d'habilans que
le Tsar ordonna d'y transporter de plusieurs
autres villes, des ianiilics entières. La tran-
quillité intérieure de la Russie fut troublée
par l'invasion des brigands de la Crimée dans
les contrées de Mestcbersk , de Koselsk , de
Yorotinsk et Pérémiclile. Le voïévode de Ka-
louga , Michel Besnin , les rencontra sur les
bords de la Vissa et les défit com])lèlement.
T.aCcni du La CouT de Moscou était plus brillante que
jamais; tandis (ju'au temps orageux d'Ivan ,
les seuls favoris du Souverain étalent admis
auprès de lui , sous Fédor , tous les Boyards ■
et tous les hommes d'Etat se rassemblaient %
journellement le malin et le soir (198) dans
le palais du Kremlin, pour saluer le Tsar,
faire leurs prières avec lui , assislerau Conseil,
qui se réuTiissait, à moins de cas extraordinai-
res , trois fois par semaine , le lundi , le mer-
credi et le vendredi, depuis sept heures du
matin jusqu'à dix et plus tard, ou bien pour
recevoir les Ambassadeurs , ou seulement
DE RUSSIE. 287
pour sVnIretenIr ensemble. Ils retournaient
chez eux pour dîner et pour souper, à l'excep-
tion de deux ou trois Grands de TEtat, qui,
de temps en temps, élaient invités à la table
du Tsar; car Fédor, d'une santé faible et dé-
licate, avait supprimé les nombreux el fali-
gans repas usités du temps de son père, de
son grand-père et de son bisaïeul. Il dinait
aussi très-rarement avec les Ambassadeurs. La
magnificence de sa Cour était augmentée par
la présence de quelques illustres bannis de
l'Asie elde TEurupe. Le tsarévitcîie de Kliiva ,
les hospodarsde ïMoldavie, Etienne et Dmilri;
les fds de celui de Yalacliie ; un parent des
empereurs de Ryzance ,, Emmanuel Musko-
polo ; Dmilri , seigneur de Tliessalonique, et
uï\ grand nombre de nobles Grecs, environ-
naient le troue de Fédor avec d'autres étran-
gers titrés qui venai(;nt demander du service
en Fiussie. Devant le Palais se tenaient ordi-
nairement deux cent cinquante Stndetz avec
leurs arquebuses chargées et les mèches allu-
mées. La garde intérieure du palais du
Kremlin était composée de deux cents cnfans
Boyards les plus disîi ngués, ils passaient la nu it
288 msToïKfi
à tour de rôle , dans la lioisième piîîcc , avant
la chambre à coucher du Tsar: dans la pre-
mière et, la seconde étaient les grands ofticiers
de la Cour. Chaque porte était gardée par un
laquais qui connaissail ceux qui avaient le
droit d"y passer. Partout Tordre était uni à
une dignité imposante (199).
Godounofi" en approchant de son but ,
cherchait de plus en plus à fasciner les yeux
par l'apparence de toutes les vertus privées et
politiques. Mais , si Ton doit en croire le tra-
dition , il ajouta encore à ses crimes secrets un
Cécité (le nouveau forfait. Siméon , qui portait le nom
Siinéon.
de Tsar , Grand-Duc de Tver, marié à la sœur
du i>oyard Fédor Msiisiafsky, et qui avait mé-
rité la faveur dTvan , tant par ses fidèles ser-
vices que par sa conversion au Christianisme,
Siméon , qui avait à Tver une cour brillante
et le pouvoir d'un gouverneur avec quelques
privilèges de prince apanage (200), fut obligé,
sous le règne de Fédor, de quitter celte ville
et de vivre isolé dans sa terre de Kouchaline.
Peu distingvié par son esprit et par son carac-
tère , il montrait pourtant de la modestie dans
la prospérité , et de la noblesse dans l'exil. U
DE n US S lE. 28y
parut dangereux au PiégenI par son iilre pom-
peux de Tsar et comme gendre du plus illustre
des Boyards. Boris , en gage d'amilié , lui en-
voya , pour le jour de sa fêle , du vin d'Es-
pagne. Siméon en but un bocal en porlant la
sanlé du Tsar, el perdit la vue quelques jours
après. On attribua cet accident à du poison qui
r avait été mêlé à ce vin. C'est du reste ce que
I dit l'Annaliste et ce qu'avait dit le malheureux
Siméon lui-même au français Margeret. Cette
cécité, du moins , pouvait être utile à Boris;
car des actes officiels , du siècle suivant, prou-
vent que ridée de mettre la couronne de Mo-
nomaque sur la tête d'un Tatare , ne parais-
sait point a])surdeaux Russes de ce tems (201).
Pour la dernière fois, atiachons nos regards
sur Fédor lui-même. N'ayant eu à la lleur dç
l'âge d'autre idée que le salut de son anie , il
s'occupait encore njoins que jamais , à cette
époque , du monde et de l'Etat. Il allait à pied
ou en voiture d'un couvent à l'autre , répan-
dait ses bienfaits sur les pauvres et sur les ec-
clésiastiques, principalement sur les moines
grecs de Jérusalem ;, du Péloponèse et d'autres
qui nous apportiiient des objets auxquels la
Tome X. tq
2f)0 llISTOlIlt
)r
Religion seule doniinil c!u prix, et qui, poi
celte raison , n'avaient pas été pillés par les
Turcs ; des croix , des images et des reli(jues.
Plusieurs de ces pauvres exilés restaient en
Evèques grecs Pi^issîc ; Isfnace , archevclfiue de Chypre, de-
a Moscou. ' n ' 1 * 1 '
meurait à Moscou ; x\rsène, archevêque d'El-
lasson , (pii était venu chez nous avec le pa-
triarche Jérémie , était revenu et se trouvait à
la tète de l'Eparchie de Sousdal. Fédor apprit
avec joie l'apparition à Onglitche, des reliques
(202) du prince Roman Yladimirovitche, pe-
lit-lils de Constantin , et fut sensihlement af-
fecté du malheur arrivé au monastère de Pet-
chersk, ])rès de rsijuigorod , dans lequel
avaient cherché leur salut Dionisi de Sousdal ,
sondisciple,EuphemetMaLaired'Ounja(2o3).
rrsiruciion La montague au pied de laquelle se trouvait
du Monastère r> l ±
dereiciursk. cc niouastère s'éboula tout à coup avec un Ira-
cas effroyable vers le Volga , et détruisit, en
les couvrant déterre, l'Eglise, les cellules et
l'enceinte. Celte destruction d'un lieu saint,
porta le trouble dans iàme des gens supersli- >
tieux et fut appelée, dans les annales , un ter-
rible présage du sort qui attendait la Russie ,
ainsi que Fédor, dont la santé s'affaiblissait
DE RUSSIE. 2()I
visiblement. Onécrit qu'en ijqG, pendant qu'il
était occupé à la translation solennelle des re-
liques du métropolitain Alexis, dans un nou-
veau sarcophage d'argent, i! ordonna à Go-
dounoff de les prendre dans ses mains, et
qu'en portant sur lui ses regards avec tristesse,
il lui dit : « Touche aux choses saintes. Régent Paiohs de
Fi-dor à Go-
» du peuple orlhodoxe ; gouverne-le aussi à douuoU.
» l'avenir avec zèle, tu parviendras à ce que
» lu désires; mais tout , sur celte terre , n'est
») que vain et tran^ûtoire » (20^). Fédor pré-
voyait sa fhi prochaine et son heure était
venue.
Nous ne voulons point ajouter foi à l'hor-
rible tradition qui accusa Boris d'avoir hâté ce
moment par le poison (203) ; les Annalistes les
plus dignes de foi n'en parlent pas, quoi([u'ils
mettent au grand jour, et avec une juste hor-
reur, tous les autres forFaits de Godounoff. Il
n'est pas jusqu'au lion farouche que la recon-
naissance ne captive (20G). Alors même que
le sacré caractère de Monarque et de bienfai-
teur n'eut pas été un frein pour Godounoff,
il aurait pu s'arrêter encore en voyant , dans le
débile Fédor, une victime prochaine de la
2(J-Î HISTOIRE
mort naturelle , tandis que lui même jouis-
sait de tous les charmes du pouvoir (pie clia-
que jour consolidait entre ses mains. Quand
par des forfaits on a mérité d'être calomnié ,
THistoire ne peut passer ces alomnies sous
silence.
Moridere'dor. A la fiu dc iSgy, Fédor tomba dangereuse-
ment malade (207). Le 6 janvier, il se déclara
en lui des symptômes mortels. Cette nouvelle
répandit la terreur dans la Capitale. Le peuple
chérissait Fédor comme un Ange descendu
sur la terre ; et il attribuait à ses ferventes priè-
res le bonheur de la Patrie. Il l'aimait avec
vénération, comme le dernier Tsar du sang
de Monomaque ; et lorsque dans les temples ,
sans cesse ouverts, il demandait au Tout-Puis-
sant la guérison de ce bon Monarque , le Pa-
triarche , les grands de l'Etat, les dignitaires,
ayant perdu tout espoir et dans une affliction
profonde , entouraient le lit du malade, atten-
dant le dernier acle de l'autorité souveraine
de Fédor, ses dernières volontés sur le sort de
la Fiussie orpheline ; mais Fédor, à cette heure
suprême , comme pendant la durée de sa vie,
n'eut d'autre volonté que celle de Boris ; il
TiT. RUSSIE. 293
tournait encore ses regards nioiirans sur Go-
«.lounolf, écoulant aveceOort les inslruclioiis
<[u*il lui donnait à voix basse.
Les Boyards gardaient le silence , le métro-
politain Job dit eniin, d'une voix tremblante:
w La lumière s'obscurcit à nos yeux; le juste
» va passer dans les bras de FElernel.... Sei-
» gneur, à qui lègues-tu la couronne, nous
» autres orphelins et ton épouse »? Fédor ré-
pondit d'une voix éteinte : « Le Tout-Puissant
» doit disposer de ma couronne , de vous au-
» très et de mon épouse... Je laisse un tesla-
j) ment ». Ce testament était déjà écrit. Fédor
remettait le sceptre à Irène (208) et nommait
exécuteurs testamentaires le Métropolitain,
son cousin Fédor llomanoff-Jourieff, neveu
de la Tsarine Anastasie , et son beau-frère
Boris-Godounoff, comme principaux con-
seillers du Trône. Il voulut être seul en pre-
nant congé de sa tendre épouse, et lui parla
sans autre témoin que le Ciel (209). Cet entre-
tien resta inconnu. A onze heures du soir, Job
donna l'Extréme-Onction au Tsar, le confessa
et le lit communier. A une heure du matin,
le 7 janvier, Fédor expira sans convulsions ,
294 HISTOIRE
sans agonie , ci conimc s'il sVlait etidorrai.
d'un sommeil doux et tranquille (210).
rermrnt pi^ij Dansce premier moment de saisissement
et de douleur, parut la Tsarine , qui se préci-
pita sur le corps du défunt ; on l'emporta éva-
nouie. Alors Godounoif, témoignant une pro-
fonde affliction et une grande fermeté de
caractère , rappela aux Boyards , que n'ayant
plus de Tsar, ils devaient prêter serment à la
Tsarine. Tous remplirent avec zèle ce devoir
sacré, en baisant la Croix que tenait le Patriar-
che. On n'avait encore rien vu de semMabie
dans les fastes de la Russie ; car Hélène , mère
d'Ivan , n'avait régné qu'au nom de son lils
enfant ; mais , quant à Irène, on lui remettait
le sceptre de Monoraaque, avec tous les droits
d'un pouvoir absolu. A la pointe du jour on
sonna la grande cloche de l'église de l'Assomp-
tion , pour annoncer au peuple la mort de
Fédor; et , tout relentit de gémissemens, de-
puis les palais jusqu'aux chaumières. Chaque
maison , d'après l'expression d'un conlem-
porain , devint une maison de deuil. Le palais
ne pouvait contenir la quantité de monde qui
accourait auprès du lit de mort du Tsar. Pau-
DE RI' S su:. 29a
j vres c\ grands , Ions s'y précipilaioiil. Los lar-
' mes coulaient; mais les fonclionnaires elles
eifoyens , à l'exemple des lloyanls , ])rL'lèrent
avec zèle le sermeiil de (idélilé à la Tsarine,
princesse chérie , par qui la Ptnssie se voyait
encore préservée du malheur de rester enliè-
rement orpheline. La capitale était désolée,
mais paisible. Le conseil envoya des courriers
dans les provinces, enjoij^nit de cesser, jusqu'à
nouvel ordre , toutes les communications
avec l'étranger, et de veiller parlout avec les
plus grands soins à maintenir la tranquillité.
Le corps de Fédor fut mis dans un cercueil ,
en présence d'Irène , (]ui effrayait tous les
spectateurs par l'excès de son inexprimable
douleur. Elle se lamentait, se tordait les mem-
bres , n'écoutait ni son frère , ni le Patriarche ;
de sa bouche , d'où jaillissait le sang , s'échap-
paient quelques mots entrecoupés. « Je suis
« une veuve stérile... C'est par moi que périt
» la souche souveraine » !... Le soir on trans-
porta le cercueil dans l'église de Michel-Ar-
change. Le Patriarche, lesEvèques, les Boyards
el le peuple étaient pèle-méie ; il n'exislait plus
de dislinction de rangs, la douleur les avait
296 niSTOIRE
rendus égaux. Le 8 janvier, eut lieu Tenterre-
menl; cérémonie mémorable, non par sa ma-
gnificence , mais par un désordre touchant. Le
Clergé, que suffoquaient les larmes, i nterrom-
])ait l'office , les chants cessaient, ou l'on ne
pouvait les entendre à cause des gémissemens
du peuple. Irène seule ne pleurait plus; on
l'avait apportée presque morte à l'Eglise. Go-
dounoff avait les yeux noyés de larmes en la
regardant , mais en même temps il donnait
tous les ordres nécessaires. On ouvrit une
fosse pour le cercueil de Fédor, auprès de
celui d'Ivan ; le peuple exprima à haute voix
sa reconnaissance au défunt, pour le bonheur
dont il avait joui pendant son règne, louant
avec altendrisseuient les vertus personnelles
de cet ange de douceur, qu'il avait reçues en
héritage d'Anastasie , d'éternelle mémoire. Il
l'appelait , non pas son Tsar, mais son tendre
Père, et, dans sa sincère affliction , il oubliait
ila faiblesse de caractère de Fédor. Lorsque Ton
eut livré le corps à la terre , le Patriarche et
tout le peuple levant leurs mains au Ciel , de-
mandèrent au Tout-Puissant qu'il sauvât la
Russie et qu'il la prît sous sa protection.
DE RT'SSir.. 297
Ouand ccfte lugul)rc crrémonio fut lorminéo,
onrt'[)an(lit de riches aumônes sur les pnuvrrs,
sur les Egli'-es et les Mouaslères ; ou ouvrit les
prisons ei on délivra tous les détenus même
les meurtriers, aiin de couronner par cet acte
de clémence , la gloire terrestre des vertus
bienfaisantes de Fédor.
Ainsi s'éleignit sur le trône de Moscou l'il-
lustre dynastie Yarèj^ue, à laquelle la Pujssie
doit son existence, son nom et sa grandeur ;
(jui , faible comme on l'a vue à sa naissance,
parvint, à travers des siècles de troubles, au
milieu des combats et du snug , à maîtriser le
nord de l'Europe et de l'Asie, par l'esprit
martial de ses souverains et de son peuple,
par le bonheur qui accompagna ses entrepri-
ses , et la volonté de la divine Providence.
Bientôt la Capitale apprit que la mort de
Fvîdor avait frappé du même veuvage Irène et
le trône de -Monomaque; que la couronne et
le sceptre y restaient déj)osés, et qu'enfin la
Pxussie , privée de son Tsar, était également
privée de sa Souveraine.
On dit que le pieux Fédor, dans ses adieux
à Irène, et malgré son testament, lui avait
2t)8 HISTOIRE
ordonné secrètement de mépriser les gran-
(leiiis mondaines et de se consacrer à Dieu.
Peul-èlre aussi qu'Irène, veuve , sans enfans,
et ne trouvant pas de consolation dans le pou-
voir suprême , prit, dans son profond déses-
poir, le monde en haine. Mais il est beaucoup
plus probable que telle était la volonté de Go-
dounolf qui disposait du cœur et du sort
d'une tendre sœur. Après avoir joui sous Fé-
dor d'une puissance illimitée, il ne voyait plus
d'élév;>tion possible sous le règne d'Irène.
Il approchait d'ailleurs de sa cinquantième
année, et ne pouvait plus attendre ni tempo-
riser. Il avait donc remis le sceptre à Irène
pour le reprendre des mains d'une sœur,
comm€ par droit d'héritage ; remplacer sur le
Trône une Godounoff, et non la dynastie
souveraine de Monomaque, et paraître ainsi
moins usurpateur aux yeux du peuple. Jamais
cet adroit ambiticîux n'avait été aussi aclifen
secret et publiquement que dans les derniers
jours de la vie de Tédor , et dans les premiers
du prélendu régne d'Irène. Au dehors , cette
activité avait pour but de persuader le peuple
qu'il n'était pas possible que Tordre existât
DE RUSSIE. 299
dans l'Elat , sans les soins de Boris; et secrè-
tement, il travaillait à donner une apparence
de liberté et d'amour à ce qu'il obtenait par
la force, par la séduclion et Tarlitice. 11 tenait
Moscou, comme dans une main invisible, et
par ses innombrables alVides, dirigeait les
mouvemens de la Capitale (211). L'Eglise , les
autorités laïques, Tarmée el le peuple écou-
taient et suivaient l'impulsion qu'il donnait.
Tous le servaient, moitié par crainte, moitié
par un sentiment de reconnaissance sincère
pour ses services et ses bieniliits. On promet-
tait et on menaçait; on disait en secret et à
haute voix que le salut de la Russie était insé-
parable du pouvoir de Boris. Enfin , après
avoir préparé les passions et les esprits à une
grande scène dramatique , le neuvième jour
après la mort de Fédor, on déclara solennel-
lement qu'Irène refusait la couronne et se
retirait pour toujours dans un couvent , pour
y prendre l'habit monastique. Cette nouvelle prisc rie voiic
affligea Moscou; les Evèques, le Conseil, les
INobles et les ciloyens en masse, tombèrent
aux pieds de la veuve couronnée ; ils versaient
des larmes , l'appelaient leur mère, et la cou-
ûOO HISTOIRE
juraient de ne pas les délaisser dans une telle
crise; mais la Tsarine, (jui jusqu'alors avait
toujours montré un cœur compatissant, ne
lut point touchée de leurs supplications, et
dit que sa résolution était inébranlable et que
TEtat serait gouverné par les Boyards con-
jointement avec le Patriarche, jusqu'au mo-
ment où tous les Ordres de l'empire de Russie
pourraient se réunir à Moscou (212) , aiin de
décider du sort de la patrie selon l'inspiralion
divine. Le même jour (2i3), Irène sorlit du
palais du Kremlin pour se rendre au monas-
li're des V icrgcs ^ et prit le voile sous le nom
d'Alexandra. La Russie resta sans chef et Mos-
cou dans le trouble et l'agiiation.
Où se trouvait alors et que faisait G odou-
noff ? Il s'était enfermé dans le monastère avec
sa sœur , pleurait et priait avec elle. Il semblait
qu'à son exemple, il avait renoncé au monde,
à ses grandeurs, au pouvoir, et qu'il avait
abandonné le gouvernail de l'Empire et livré ;
la Russie aux orages; mais le pilote ne s'en-
dormait pas , et Godounoff , du fond de
l'humble cellule d'un monastère, tenait l'Em-
pire d'une inain ferme.
DE RUSSIE. 30l
Dès que le Cleroé , les Dignitaires et les ci-
toyens, eonnnrent la prise de voile d'Irène,
ils se rassemblèrent au Kremlin où Vassili
Slclielkalort", Diak d'Elatet Garde des Sceaux,
après leur avoir représenté les funestes con-
séquences de Fanarchie , exigea d'eux le ser-
ment d'obéir au Conseil. Personne ne voulut
en entendre parler; tous s'écrièrent : « Nous
)> ne connaissons , ni les Princes , ni les
» Boyards, nous ne connaissons que la Tsa-
» rine ; c'est à elle que nous avons prêté se r-
» ment et nous ne le prêterons pas à d'autres;
» même sous ses habits religieux , elle est
» toujours la mère de la Flussie (214) »• Le
Garde des Sceaux , après avoir pris conseil des
Grands, se présenta de nouveau aux citoyens,
et leur dit : Que la Tsarine ayant abandonné
le monde, ne s'occupait plus des affaires de
l'Etat , et que le peuple devait prêter serment
aux Boyards, s'il ne voulait voir la destruc-
lion de rEn)pire. La réponse unanime fut :
» S'ilen est ainsi , que son frère règne ». Nui
n'osa contredire ce vœu ni garder le silence :
tous s'écrièrent : « Vive notre père Boris Go- nov.sprotia-
dounofi! 11 succédera à notre mère la Tsa- "'^'^''"•
302 îtlSTOiRE
rine ». Sur le clianip on se rendit en corps au
mounsière des IHerges ^ où le patriarche Job ,
au nom de la pairie, conjura la religieuse
Alexandra d'autoriser, par sa bénédiction ,
son Irère à monter sur le Trône qu'elle avait
mc^prisé , par amour pour Jésus-Christ son
immortel époux ; ajoutant qu'elle rempli-
rait j)ar-îà la volonté divine et celle de la
nation ; qu'elle calmerait le trouble qui agitait
tous les cœurs ; qu'elle essuyerait les larmes
des Piu sses, malheureux orphelins sans pro-
tecteur, et rétablirait l'tLmpire ébranlé , avant
que les ennemis du Christianisme n'eussent
appris que le trône de Monomaque était va-
cant. Tous, sans en excepter Irène, répan-
daient des larmes en écoutant les paroles élo-
quentes du Patriarche. Job se tourna vers Go-
dounolf, lui offrit humblement la Couronne
et le nomma élu de Dieu pour renouveler la j
«lynasiie régnante en Paissie , et successeur lé-
gitime du Trône, après son beau-frère et son
ami qui availdû tous les succès de son règne
à la sagesse de Boris.
C'est ainsi que s'accomplit le désir de l'am-
bitieux Boris; mais il savait se contraindre.
i)L uussii:. 3o3
et la joie qu'il éprouvait au fond de son âme,
ne renipèclia pasde rester maître dehii-nième.
Il avait eu , sept ans auparavant , Thorrible
courage de pIong( r le poignard dans le sein
du jeune Dniitri , pour s'emparer de la cou-
ronne; il feignit de la repousser avec effroi
lorsqu'elle lui fut offerte solennellement et
d'un accord unanime , par le Clergé , les Au-
torités et la nation. Il jura qu'étant né sujet
fidèle , il n'avait jamais songé à régner , et
qu'il n'oserait jamais prendre le sceptre sanc-
tifié parles mains du défunt Tsar, qu'il re-
gardait comme un ange, un père et un bien-
faiteur. Il dit que la Kussie comptait beau-
coup de Princes et de Boyards plus illustres
elplus recommandables (jiie lui; mais que,
sensible à l'amour que la naiion lui portait ,
il promettait de s'occuper conjointement avec
eux du bien de l'Etat avec plus de zèle encore
qij'au{)aravant. A ce discours préparé d'avanc*',
le Patriarche répondit par un disconrssembîa-
bje, rempli de mouvemens oratoires et de
citations historiques. Il accusa Boris de trop
de modestie et même de dés<^béissance envers
la volonté de Dieu qui se manifestait si visi-
3()4 IIISTOIHE
blenioiil tlatis celle de louie la nalion. 11 prouva
que le Tout-Puissant a\ait destiné depuis
long-teiiîps à lui et à ses descendans le Trône
occupé par la dynastie de Yladiaiir, cjui ve-
nait de s'éteindre dans la personne de Fédor.
Il paria de David , roi des Juils , de Théodose-
le-Grand, de Marcian , de Miehel-le-Bègue ,
de Bazile de Macédoine , de Tibère et d'autres
Empereurs de Byzance (jui , des rangs les plus
obcurs, avaient été élevés au Trône , par des
décrets inconipréliensibles de la Providence ;
il compara leurs vertus à celles de Boris; il
l'exliorta , le conjura de céder, et ne put
ébraider sa fermeté , ni dans ce jour, ni dans
les snivans , ni devant le peuple , ni sans lé-
moins, ni par les prières , ni par les menaces.
Godounoff" refusa positivement la couronne.
Mais les Patriarches et les Boyards ne per-
daient point encore Fespoir; ils attendaient
l'assemblée générale qui devait avoir lieu à
Moscou , six semaines après la mort de Fédor;
c'est-à-dire, qu'ils y convoquèrent tous les
hommes uotabies des vilies, des gouverne-
mens; le clergé, les employés civils et mili-
taires, les marchands et les bourgeois. Godou-
DE RUSSIE. 3o5
Doff voulait ([ue ce ne lut point la Capitale
seule , mais la Russie entière qui Tappelàl au
Trône ; et il prit ses mesures pour la réu.^sile
de ce projet, en envoyant partout des servi-
teurs dévoués. Cette apparence d'un choix li-
bre et unanime lui paraissait nécessaire, peut-
être pour calmer sa conscience, peut-être pour
la sécurité de son pouvoir. En attendant , Bo-
ris se tint renfermé dans le couvent; etTEtat
fut {j;ouverné par le Conseil , qui en référait
au Patriarche dans les atfaires importantes ,
mais (jui ne donnait ses Edits qu'au nom de la
'J\sarine Alexandra. Les rapports des Voïévodes
parvenaient également au Conseil , adressés à
la Tsarine. Cependant il se manifesta quelques
désordres ; à Smolensk , à Pskof et dans d'au-
tres villes, les Voïévodes refusaient d'obéir les
uns aux autres , et même aux ordres du Con-
seil (21 5). Le bruit se répandit en même temps,
que le Khan de Crimée faisait une invasion en
Russie ; et le peuple effrayé disait : le Klian
sera aux portes de Moscou , et nous sommes
sans Tsar et sans défenseurs. En un mot , tout
favorisait Godounoff, car lout avait été ar-
rangé par lui.
Tome X. 20
3oG IlISTOlllE
Le vendredi 17 lévrier, s'ouvrit au Kremlin
la grande assemblée nationale, où siégeaient,
outre les principaux membres du clergé, h s
autorilés séculières et c(.'lles de la cour, plus
de cinq cents fonctionnaires , dépulés de tous
les gouvernemens, pour une affaire dt; la plus
haute importance et qui ne s'était point pré-
sentée depuis les temps de Rurik. Il s'agissait
d'élire un souverain à la Russie , où jusqu'a-
lors avait régné sans interruption et par droit
de succession, la dynastie des princes Varègues;
où l'Etat n'existait que par le Souverain , où
toutes les lois ne provenaient que de son droit
absolu de juger et de gouverner son pays d'a-
près sa seule conscience. Ce moment était
critique : celui qui choisit donne le pouvoir
et par conséquent le possède. Ni les réglemens,
ni l'exemple du passé ne garantissaient la
tranquillité de la Nation dans l'acte imposant
qu'elle allaitremplir; et la Diète du Kremlin,
pouvait ressembler à celle de Varsovie. Mais
une longue habitude de l'obéissance etl'adresse
de Loris, offrirent un spectacle surprenant ,
l'ordre, l'accord le plus parfait et une condes-
cendance mutuelle dans une foule si diverse ,
PE RUSSIE. 3o^
et dans ce mélange de ran<^s deioiile espèce. Ils
sendilaient Ions n'avoir qu'un désir; on eut
dit des orplieiins empressés de trouver un
père et qui savaient où le chercher. Les ci-
tovens re.f^ardaient les nobles , les nobles les
grands et ceux-ci tournaient leurs regards vers
le Patriarche. Enfin Job, après avoir annoncé
à Tassemlée qu'Irène n'avait point voulu ré-
gner, ni donner le Trône à son frère , et que
Godounoff refusait lui-même la couronne de
Monomaque, s'exprima ainsi : « La Russie
)» privée d'un Souverain, l'attend avec impa-
» lience de la sagesse de l'assemblée ; vous
>♦ Evèques , Archimandrites et Abbés ; vous
w Boyards , ISobles , Employés , Enfans-
») Boyards et gens de toutes les classes de la
>» ville souveraine de Moscou et de toute la
>♦ Russie, faites-nous part de vos idées et don-
>» ncz-nous vos conseils pour ch(!rcher un
* Maître ? Quant à nous , témoins de la mort
» du Tsar et Grand-Duc Fédor, nous croyons
» que nous ne devons point chercher d'autre
» monarque que Boris Godounoff ». A' rs
tout le clergé, les Boyards, les Militaires et le
peuple répondirent unanimement (21 G). « No-
01
o8 HISTOIRE
» tre conseil et notre vœu est de nous pros-
» terner devant Boris, et de ne point chercher
» à la Piussie d'autre maître que lui ». Le zèle
devint un transport , et pendant long- temps
l'on ne put entendre autre chose que le nom
de Boris , répété à haute voix par cette nom-
breuse assemblée. Il s'y trouvait des princes
du sang de Pairik, tels que les Schouisky ,
les Silsuy , les Yorotinsky , les Rostolsky,
1rs Teliatefsky et d'autres; mais ils étaient
privés , depuis long-temps, des droiis de
Princes souverains, et se trouvaient servi-
teurs de ceux de Moscou. A l'égard des simples
Enfons-Boyards, ils n'osèrent même pas son-
ger à leur droit de naissance , ni disputer !a
couronne à celui qui, sans porter le titre de
Tsar, avait gouverné laPiussie pendant treize
ans avec un pouvoir obsolu et qui , quoique
descendant d'un Mourza Tatare , était frère
delà Tsarine. Le calmeétant rétabli , les grands
racontèrent, en l'honneur de Godounoff, les
circonstances suivantes , au clergé, aux fonc-
tionnaires et aux citoyens : « La Tsarine Irène
» et son illustre frère, dès leur plus tendre
» enfance , ont été élevés dans le palais du
DE RUSSIE. 309
» grand Tsar tvan et nourris de sa lablc ; le
M Tsar ayant Iroiivé ïrcnedignc d'('trosa bcllo-
» tille, di.'puis ce temps liorls ne le quitta plus
» et se Forma sous lui dans la science du gou-
» vernement. Un jour le Tsar ayant appris
» que son jeune favori était malade , il alla le
» Yoir avec nous et lui dit avec bienveillance :
M Boris , je souffre pour toi comme pour mon
» fils, pour mon fils , comme pour ma belle-file,
w et pour ma belle-fille, comme, pour moi-même.
» Il leva trois de ses doigts et dit : Voilà Fcdor^
« Irène et Boris ^ ht n'es point mon sujet , mais
>' mon fis. A ses derniers moinens , lorsque
» tout le monde s'éloigna pour lui laisser faire
i> sa confession , Ivan garda Godounoff au-
» près de son lit et lui dit : Mon cœur na rien
» de cache pour toi ; je remets à tes soins mon
>•> flsj ma file et tout l Empire ; veille sur eu.T ;
» tu en repondras dccanl Dieu. Boris , se rap-
» pelant ces paroles mémorables, a veillé avec
« un soin religieux sur le jeune Monarque et
» sur l'Etat ». Ils dépeignirent ensuite com-
ment le Piègent, par sa prudence et son infati-
gable activité, avait élevé notre Patrie, vaincu
le Khan et les Suédois, réprimé la Lithuanie,
3 1 0 II I s T C I U E
élendii les possessions de la llussie, augmenté
le nombre des Pririees, ses tributaires et ses
serviteurs (217). Ils tirent valoir la considéra-
lion que lui témoignaient les plus illustres
souverains de l'Europe et de l'Asie , la tran-
quillité dont on jouissait à l'intérieur, les
bienfaits répandus sur l'armée et sur le peu-
})ie, la justice qui régnait dans les tribunaux,
la protection que trouvaient les pauvres , les
veuvesetles orphelins. LesBoyards conclurent
en disant : « Nous vous rappellerons une par-
» ticularilé mémorable. Lorsque le Tsar Fé-
» dor eut , par le courage et les talens du Pxé-
i> gent, remporté une éclatante victoire sur
î> le Khan , il s'en réjouit dans un festin avec
3> les Evéques et les Grands de l'Etat. Alors,
)' dans une effusion de reconnaissance, il ôta
» de son cou la chaîne d'or des Tsars et la
» passa à celui de Godounoff ». Le Patriarche
expliqua à l'Assemblée que le Tsar, par une
inspiration du Saint-Esprit, avait ainsi mys-
térieusement signalé le rang suprême réservé
à Boris. De nouveaux cris de « vive notre Sou-
« verain Godounoff « se iirent entendre ; et
le Patriarche dit à l'Assemblée ; « La voix du
I)K lU'SSIE. .ill
» peuple est la voix de Dieu ; que sa volonté
»» soit faite ->.
Le lendemain, i8 lévrier, l'église de TAs-
somption se remplit de monde , dès le plus
grand malin. Le C^lerj^é, les autorités civiles et
le peuple , à genoux , adressèrent avec ferveur
leurs prières au Tout-Puissanl , pour obtenir
du Régent , (pi'il s'attendrit et acceptât la cou-
ronne. On pria pendant deux jours, et le 20
février, Job , les Evéques, les Grands déclarè-
rent à Godounoir qu'il était élu Tsar, non-
seulement par jMoscou , mais par toute la
Russie. Cependant, Godounofï' répondit en-
core que l'élévation et l'éclat du Trône de Fé-
dor effrayaient son àme ; il jura de nouveau
qu'une pensée aussi hardie ne s'était jamais
présentée à lui dans les mouvemens les plus
secrets de son cœur, iî vit les pleurs , entendit
les supplications et resta inébranlable. Il ren-
voya du couvent les Tcnlalcurs , le Clergé et
les Boyards , et leur défendit de revenir au-
près de lui.
Il iallut chercher un moyen plus efficace ;
on s'en occupa et on le trouva. Les Evéques ,
dans un conseil générai qu'ils tinrent avec les
ÔI2 HISTOIRE
Boyards, convinrent de faire chanter, le 21
lévrier, un 2^e Deinn dans loiiles les Eglises ;
et d'aller ensuite avec les insignes de la Religion
et de la Patrie , tenter, pour la dernière lois ,
le pouvoir des larmes et des instances sur
le cœur de Boris. En même temps , le Patriar-
clie et les Evèques décidèrent secrètement en-
tr'eux ce qui suit :
« Si Boris prend pitié de nous , nous le re-
î) lèverons du serment qu'il a fait de ne point
» accepter la couronne de Russie ; s'il ne le fait
ji pas,nousrexcommunieronsetdans le même
)) couvent où il se trouve, nous déposerons
3) nos croix et nos ornemens pontificaux; nous
y> y laisserons les images miraculeuses, nous
» défendrons le service divin et leschantsdans
M toutes les Eglises ; nous livrerons le peuple
3) à son désespoir et f'^mpire à sa ruine, aux
« troubles et aux massacres ; Fauteur de tous
j) ces maux en répondra devant Dieu au jour
i) du jugement dernier ».
Cette nuit, toutes les maisons de Moscou
restèrent éclairées : tout se préparait à racle
solennel; dès l'aube du jour, au son de toutes
les cloches , la Capitale se mit en mouvement.
DE RUSSIE. 3l3
Les Temples et les maisons s'ouvrirent , le
Clergé, en ebantant des prières , sortit du
Krenilin ; le peuple se pressait sur les places ,
, dans un protond silence. Le Patriarche et les
Evéques portaient les images illustrées par de
I glorieux souvenirs, celle de la Vierge de Vla-
dimir, celle du Don , et les Etendards sacrés
de la Patrie. Le Clergé était accompagné des
Boyards, de la Cour, des hommes de guerre ,
des Tribunaux, des Députés des villes. Tous
les iiabitans de Moscou , à leur suite , les ci-
toyens et la po})ulace, femmes etenfans, se
précipitèrent vers \q. Monastère des T^ierges ,
d'où l'on lit sortir, également au son des clo-
ches, à la rencontre du Patriarche, l'image de
Notre-Dame de Smolensk. Godounoff la sui-
vait, comme étonné d'une procession aussi
solennelle. Il se prosterna devant l'image de
la Vierge de Vladimir et les yeux remplis de
larmes , il s'écria : << G mère de Dieu ! quelle
» est la cause de ton apparition dans ce lieu ?
)' Prends , ô prends-moi sous ta sainte pro-
» tection » ! Il se tourna vers Job , et lui dit
avec un air de reproche : « Grand Patriarche ,
» tu en répondras devant Dieu ». Job lui ré-
3 £ 4 HISTOIRE
pliqua : « Mon fils, cesse de raffligcr et crois
» à la Providence. C'est la Sainte- Yierj^^e, (jiii,
» paramoiir pourtoi, vient ici te faire rougir
» de ton obstination ». lise rendit alors dans
Tcglise du Monastère avec le Clergé et les
Grands; les Dignitaires et les Dépuiés se te-
naient dans l'enceinte, et le peuple, en dehors,
couvrait toute l'immense étendue de la plaine.
Après avoir célébiui la Messe , le Patriarche
conjui'a de nouveau, mais vainement, Boris
de ne point refuser la Couronne, et ordonna
de porter les Images dans les cellules de la Tsa-
rine , et là , avec les Evèques et les Grands, ils
s'inclinèrent jusqu'à terre. Au même instant ,
à un signal convenu, la foule innombrable qui
remplissait les cellules , l'enceinte et les envi-
rons du couvent , tomba àjgenoux en poussant
des gémissemens inouis. Tous demandaient
un Tsar, un père , enfin Boris. Les mères jetè-
rent à teiTe les en/ans qu elles açaient à leurs rna-
nielles, sans écouter leurs cT'is (218). L'enthou-
siasme Femporiait sur la ruse ; il agissait sur
les indifférens el sur les hypocrites eux-
mêmes. Le Patriarche, ensanglottant, conjura
long-temps la Tsarine, au nom des saintes
DE RUSSIE. .5l5
Images qui se Ironvalent devant elle, au nom
(lu Sauveur, de l'Eglise et de la Piussie, de
donner à des millions de Cliréliens un Sou-
verain adoré dans son illustre frère.
Enfin, on entendit la parole de grâce ; les
yeux de la Tsarine, qui avait été insensibles
jusqu'alors, se remplirent de larmes, et elle
dit : « Puisque lelle est la volonté du Tout-
» Puissanfet de la Sainte-Vierge, prenez pour
» vous gouverner, mon frère , afin de sécher
« les larmes du peuple. Que le désir de vos
» cœurs s'accomplisse pour le bonheur de la
» Russie. Je donne ma bénédiction à voire
>) élu, et je le confie au Tout-PuissanI , à la
), Vierge, aux saints de Moscou , à toi Patriar-
» che et à vous Evèques et Boyards; qu'il
« monte à ma place sur le Trône >' ! Tous
lombèrent aux pieds de la Tsarine , (jui , ayant
jeté un regard de tristesse s\iv l'hunihle Boris,
lui ordonna de régner sur la Piussie. Mais il
témoigna encore de la répugnance , effrayé
du poids que l'on confiait à ses faibles mains,
et il demanda à en être exempté en disant à sa
sœur : « Que , ne fut-ce que par pitié , elle ne
» devait pas faire de lui une victime du
Olb HISTOIRE
j) Trône ». Il jura de nouveau que jamais son
espril timide n'avait conçu l'idée d'une pa-
reille élévation, effrayante pour un mortel.
Il prenait à témoin le Tout-Puissant, Irèue
eUe-mèioe , qu'il n'avait point d'autres désirs
que de vivre auprès d'elle et de contempler sa
figure angélique. La Tsarine insista, et Boris,
comme au désespoir, dit: « Que ta volonté
» s'accomplisse, ô mon Dieu! montre-moi
» la véritable route et ne sois point un juge
» rigoureux de ton serviteur. Je me soumets
» à tes décrets, en remplissant le désir de la
» nation ». Les Evèqucs et les grands fléchi-
rent le genou devant lui. Le Pafriarchc , après
avoir béni de la Croix Boris et la Tsarine , se
hâta d'informer les nobles , les magistrats et
tous les citoyens , que le Tout Puissant leur
avait donné un Tsar. La joie fut universelle
et inexprimable. On levait les mains au ciel ,
on lui adressait des actions de grâce ; on pleu-
rait ; on s'embrassait , et, depuis la cellule de
la Tsarine jusqu'à l'extrémité de la grande
plaine, on n'entendait que le cri d'allégresse :
Gloire! Gloire à Dieu ! Entouré des nobles,
pressé par le peuple, Boris , précédé du Cler-
DE RUSSIE. Sry
r.i' , se rendit à l'église du monastère, où le
Pritriarche , devant les images de la Vierge de
^ ladimir et du Don, lui donna sa bénédiction
pour régnersurMoscou et sur toute la Russie,
le proclama Tsar et lui adressa le premier Jn
j)hirimos annos.
Quel choix , en effet , aurait pu être , en
apparence, plus solennel, plus unanime,
])lus légitime que celui-ci et en même temps
plus sage ? Il n'y avait de changé que le litre
de Tsar : le pouvoir restait entre les mains de
celui qui le possédait depuis long-lemps , et
Texerçait heureusement pour le salut de l'Em-
pire , sa tran([uillité intérieure, son hoinieur
au dehors et sa sécurité au dedans ! Telles
étaient les apparences ; mais ce nouveau Mo-
narque , doué de tant de sagesse humaine ,
était parvenu au Trône par un forfait : la co-
lère céleste menaçait le Souverain criminel
et l'Empire maliieureux.
OlS IIISTOlilE
CIÎAPITllE IV.
Éliil de 1(1 îlussie à la fin du seizième siècle
Sécurllc de la Russie par rapport aux puissances voisines.
— Année. — AppoinleiiieiiS. — Revenus. — Richesses
(les Slrogonoff. — Juridiction. — Tdriures el supplice.^.
Couinierce. — "^ aisseaux Russes. — Civilisalion. —
Géoniéirie et Ariîliniélinue. — (>liif{Ves ou écriture
secrèie. — Géographie. — Littérature. — Arts cl Mé-
IJ4.,-s. — iMoscou. — Mœurs. — Exemples de disputes
sur l'anciennelé des familles et des rangs. — La Cour.
Yins étrangers cl mets Russes. — ïlospilaliîé. —
Longévité. — Médecins. — PJédicamcns. — Apolln-
^.^iics.— Difrérer.s usages. — Asyle des morts. — (cos-
tume des femmes. — Divertissemens. — lîaius. —
\;<>cs. Piété. — IMorldu premier fils de Boris. —
Insoirés. — Tolérance. — Union en Lithuanie.
ApiTS avoir rciracc le sort de noire pairie
sous le sceplrc lu'rcclitaire des Souverains de
la dynastie Yarègue , terminons l'ÏIisloire de
s(M)î Li'iilirenio-six ans parle tableau de TéUit
politique et civil de la Russie.
DE RUSSIE. 3 19
Jamais , à aiuuiic aulro époCjUC, Tompire sjptirité ,1-
, , m r I I • 1" Russie pu-
(le ^ioscoii , (lonl jvan 111 loiida la puissance rii.pmt a.i>t
, 11- • • Tiuissances vol-
et prépara ia «gloire , n avait pu se promettre , siucs.
dans ses relations extérieures, une plus par-
faite sécurité. En Lilhuanie, le successeur de
Bathori sommeillait sur le Tronc, environné
de Nobles ailiers, turbulens et frivoles, l^a
Suède était livrée à fanarchie ; le Khan ne sa-
vait que piller par surprise ; Mahomet III ,
occupé d'une guerre sanglanteavecrAutriche,
en redoutait une plus dangereuse encore avec
le Scliah ; et la Pvussie , presque sans verser de
sang , s'élant emparé de pays d'une immense
étendue au nord de l'Asie, ayant construit
des forteresses à l'ombre du Caucase , rétabli
ses anciennes limites sur les rochers de la Ca-
rélie et n'attendant que le moment favorable
pour reconquérir ce (jui avait été arraché à la
faiblesse d'Ivan , les forleresses Livoniennes
et un port sur la Balti([ue , la llussie , paisible
au dehors et au dedans, possédait l'armée la Anne*?.
plus nombreuse de l'Europe et travaillait sans
cesse à l'augmenter encore. Voici ce que disent
les contemporains étrangers, des forces mi-
litaires de Fédor.
320 niSTOIliE
« La seule garde du Tsar se compose de
» quinze mille cavaliers nobles. Soixante-cinq
» mille enians Boyards, cavalerie excellente,
» se rassemblent tous les ans sur les bords de
» rOka pour en imposer au Khan. La nieil-
» leure inianlerie est composée de Slrelelz et
» de Cosaques. Les premiers s'élèvenl à dix
» mille, outre deux mille hommes d'élite;
» les seconds à six mille environ. Avec eux et
yy sur la même ligne , servent quatre mille
» trois cents Allemands et Polonais, quatre
» mille cosaques Lithuaniens, cent cinquante
» Ecossais et Hollandais, cent Danois, Sué-
» dois et Grecs. Lorsquil est question d'une
» expédition militaire importante, tous les
j» enfans Boyards apanages se présentent aus-
>> sitôt pour le service, avec hîurs domestiques
» etserls qui ont phitôt Tair de paysans que
» de guerriers , quoiqu'ils soient vèius avec
>> élégance; ils portent des habits étroits avec
» un grand collet ra])attu. On ne peut en dé-
» terminer le nombre, parce ([u'il est aug-
» mente en cas de besoin par les bourgeois, les
» INogais et les Tclierkesses, anciens sujets du
» rovaurae de Kazan et serviteurs salariés du
DE RUSSIE. 321
» souverain de Moscou. Les regimens rasseni-
» blés dans les gonvernemens portent le nom
» de leurs villes, tel est celui deSmolensk,
» de Novgorod etc. ; ils sont composés de
» troiscents à douze cents hommes; beaucoup
» sont mal armés; il n'y a que Tinfanterie
» qui ail des arquebuses ; mais l'artillerie ne
» le cède pas à la meilleure d'Europe. Les ar-
» mes et l'attirail des chevaux des Voïévodes ,
» des officiers et des Nobles, resplendissent
» du poli de l'acier et de l'éclat des pierres
» précieuses. Surlesdrapeaux , qui sont bénis
)) par le Patriarche, est représentée l'image
» de Saint Georges (219). Les attaques de ca-
» Valérie se font toujours au bruit d'énormes
» tambours, de trompettes et de timballes.
» l^es cavaliers lancent une nuée de flèches,
» tirent leurs cimetères , les font brandir au-
» tour de leur tète , et se précipitent en avant
)i en masses compactes. L'infanterie, agissant
)) dans les stèpes contre les tatares de la Cri-
» mée , se relranche ordinairement derrière
» un fort en boisct mobile, qu'on transporte
» sur des chariots ; c'est-à-dire qu'on place
)) deux rangs de planches sur la distance de
Tome X. 21
02 2 HISTOIRE
» deux OU trois versles de longueur, et on
M tire (le ee fort par des ouverlures prati-
» q nées dans ees deux murs. En attendant le
» Kkan, les Yoïévodes envoyent des Cosa-
» ques dans les slèpes, où il eroit de loin à
j> loin des ehênes élevés ; là , sous ehaque
» arbre , on voit deux ehevaux sellés , Tun
)) des cavaliers les tient par la bride, son com-
« pagnou est sur la cime de Tarbrc et regarde
)^ de tous côtés; quand il aperçoit de la pous-
» sière , il descend, monte à cheval et court
» à toute bride à un autre chêne. Il crie de
rt loin et désigne de la main l'endroit où il a
» vu s'élever la poussière. Le gardien de eet
» arbre ordonne à son camarade de courir
» également vers le troisième chêne pour
>■> porter cette nouvelle qui , dans quekjues
>) heures, parvient de celte manière à- la ville
» la plus proche ou au Yoïévode d'à van l-
» garde ».
Les mêmes auteurs auxquels nous enq>run-
toik _ détails, observent que , de même
qu'au temps divan , les Russes se battent
mieux dans les retranchemens qu'en rase
campagne (220); ilsajoulent: « Que nepeut-ou
DE RUSSIE. 323
« pas attendre , avec le temps, d'une arnx'c
« innombrable , qui , ne craignant ni le froid
» ni la faim, et ne redoutant que la colère du
» Tsar , erre dans les déserts du Nord , sans
» autre nourriture que de l'avoine pilée et du
» biscuit , sans équipages, sans abri, et dans
» laquelle on n'accorde , pour l'action la plus
» éclatante, qu'une petite monnaie en or, à
» l'eitigie de Saint Georges, et que le guerrier
» favorisé porte sur sa manche ou sur son
» bonnet » ?
Mais les Tsars n'étaient plus avares et n'é- ^
pargnaient pas leurs trésors pour améliorer
l'organisation de leurs armées. Déjà Ivan don-
nait en campagne des appointemens en argent
aux guerriers (221). Fédor, ou plutôt Godou-
noff , outre des domaines, donnait depuis
douze jusqu'à cent roubles, à chaque Noble
et enfant Boyard, qui composaient la garde'
des quinze mille du Tsar ; il donnait à chaque
Streletz ou Cosaque, sept roubles outre la
nourriture, et à la cavalerie des bords de
rOka, à peu près quarante mille roubles par
an. Cette somme, jointe à la solde des guer-
riers étrangers, à celle des Boyards, des grands
3-24 H1ST(3IP. E
Oiricicrs cl aux Iraitcmens dos autres fonc-
iionnaires les plus distingués, dont les pn*-
miers avaient sept cents roubles et les seconds
de deux cents à quatre cents, montait à quel-
ques millions d'argent d'aujourd'hui et prou-
vait la prospérité croissante de la lUissie ;
prospérité démontrée d'une manière encore
plus évidente par les détails suivans et cir-
constanciés des revenus de l'Empire (222).
Revenus. I "• L*^ domaluc particulier du Tsar, composé
de trente-six villes avec des bourgs et des vil-
lages , fournissait à la Chambre des finances ,
outre la rétribution en argent, du blé, du
bétail , de la volaille , du poisson , du miel ,
du bois et du foin , dont on vendait pour une
valeur de soixante mille roubles , après avoir
fourni à l'entretien de la Cour , et malgré les
prodigalités d'Ivan. Mais , sous le règne de Fé-
dor, un meilleur système d'administration,
introduit par le grand maréchal Grégoire Go-
dounoff , mit à même de vendre de ces objets
pour plus de deux cent Irenle mille roubles,
à peu près un million cent cinquante mille
roubles d'argent actuel.
2°. La taille et l'impôt de la Couronne ,.
^i'
DE RUSSIE. 325
qu'on porcevail en blé et en argent, rappor-
! taient à la caisse des provinces (223) quatre
cent mille roubles; le pays de Pskoff, dix-biiit
mille ; celui de Novgorod, trente-cinq mille;
ceux de Tver et de Torjek , huit mille; celui
de Rézan , trente mille; celui de Mourom ,
douze mille ; de Kholmogory et de la Dvina ,
huit mille; de Yologda, douze mille; de Ka-
zan, dix-huit mille; d'Oustioug, trente mille;
de Rostoff, cinquante mille ; de Moscou, qua-
rante mille; de la Sibérie, en fourrures,
vingt mille ; de Kostroma , douze mille , etc.
3°. Il y avait encore differens impôts pour
les villes, tels que ceux qui étaient prélevés
sur le commerce, sur les procédures, les ca-
barets et les bains , et qui étaient portés au
Trésor de la grande recette. Moscou y était
compris pour douze mille roubles, Smolensk
pour huit, Pskoff pour douze, Novgorod
pour six, Roussa , où se faisait le sel , pour
dix-huit, Torjek pour huit cents, Tver pour
sept cents, Jaroslaf, pour douze cents, Kos-
troma pour dix-huit cents, Nijni pour sept
mille, Kazan pour onze mille , Vologda pour
deux mille, etc. Ces impôts montaient à huit
■)26 HISTOIRE
cent mille rcîiiblcs, on comptant les économies
<!es Chambres militaires, celles des Si reletz,
(les étrangers et de Tarlillerle, qui, ayant leurs
propres revenus, envoyaient également au
trésor de la grande recette , les sommes qui
leur restaient;, de manière que le trésor du
Kremlin , sous le cachet de Fédor ou de Go-
dounoff (224) , après avoir satisfait à toutes les
principales dépenses de FEmpire pour la
Cour et larmée, ne recevait pas moins cha-
que année d'un million quatre cent mille
roubles (six à sept millions de nos roubles
d'argent d'aujourd'hui ). Malgré cette richesse,
dit Fletcher dans son livre sur la Piussie , Fé-
dor , suivant le conseil de Godounoff, lit
fondre une quantité de vases d'or et d'argent
dont il avait hérité de son père , et en fit battre
monnaie; voulant, par cette preuve d'une
prétendue pénurie, jusliher l'énormité des
impôts.
l'our augmenter les richesses de l'Etat , Fé-
dor, à l'assemblée générale du Clergé et des
Boyards, au mois de juillet i584, conlirma
l'ordonnance d'Ivan , de i582, qui prescrivait
aux Evèques, aux Eglises et aux Couyens, de
DE RUSSIE. 327
céder à la Couronne et sans paiement, tous
les anciens domaines des Princes avec les ter-
res qui leur avaient été engagées; en même
temps il supprimait, jusqu'à nouvel ordre, les
lettres d'immunité , qui dispensaient de tout
impôt une grande partie des biens de TEglise,
des Boyards et des Princes ; ce qui faisait un
grand tort au Trésor et un grand mal aux au-
tres propriétaires ; car les paysans les quittaient
pour aller habiter les terres affranchies d'im-
pôts (2 y 5). Dans ce même Edit, on lit : « Les
j> terres et villages légués aux Monastères pour
» le repos des âmes, doivent être rachetés par
» les héritiers et, à leur défaut , par le Souvc-
» rain, pour être distribués aux militaires » ,
pour lesquels il ne se trouvait plus assez de
domaines (226).
Mais l'enrichissement du Trésor, au dire
des étrangers (227), était en quelque sorte pré-
judiciable à la prospérité publique : 1° les im-
pots, quoique diminués par Fédor, étaient
encore onéreux ; 2° l'établissement des caba-
rets dans les villes , propageait l'ivrognerie ,
ruinait les citoyens, les artisans, même les
cultivateurs et détruisait leur fortune et leur
?)lS . HISTOIRE
inornlilé ; 3" le monopole qu'exerçait la Cou-
ronne faisait souffrir le commerce en le pri-
vant (le la liberté fie vendre ses marchandises
avant que celles du Tsar ne fussent vendues.
RiohfSRP^^ii.s ftetclier dit, que « parmi les marchands, il
» n'y avait de connus pour leurs richesses que
« les frères Strogonoff, qui avaient jusqu'à
i> trois cent mille roubles, argent comptant ,
» environ un million et demi des nos roubles
« d'argent actuel , outre leur fortune en im-
3) meubles ; qu'ils avaient à leur service l>eau-
» coup de maître-ouvriers étrangers et Hol-
» landais, quelques apothicaires et médecins,
» dix mille hommes libres et cinq mille serfs,
j3 occupés à cuire le sel , à abattre les forets et
?). à cultiver la terre depuis la Vitchegda jus-
« qu'aux frontières de la Sibérie ; il ajoute
» qu'ils payaient annuellementauTsar,vingt-
» trois mille roubles d'impôts, mais que le
» gouvernement les ruinait impitoyablement
j' en leur demandant tous les jours davantage;
» tantôt sous la forme d'impôt, tantôt sous
» celle d'emprunt ; qu'en général , il Y avait
» peu de gens riches en Piussie, car le Trésor
« absorbait tout ; que les Princes apanages et
I
DE RUSSIE. 329
» les Boyards, ne vivaient que des faibles ap-
» poinlemens qu'ils recevaient et des revenus
» de leurs iiels, à peu près mille roubles pour
» cbacun, dépendant entièrement de la fa-
» veur du Tsar ». Cependant les Boyards et
plusieurs Dignitaires avaient de riclies do-
maines , tant héréditaires que ceux qu'ils
avaient reçus des Souverains; et les descendans
des anciens Princes conservaieaat encore ,
même au temps d'Ivan, une partie de leurs
apanages ; c'est ainsi que le célèbre prince Mi-
chel Yorotinsky, en 1572, possédait le tiers
de Yorotinsk , à litre de propriété hérédi-
taire (228).
En augmentant l'armée et les reveinis , le
gouvernement, comme nous l'avons vu, s'oc-
cupait d'une meilleure organisation de l'Em-
pire et songeait à la sécurité di-s individus et de
leurs fortunes. Quoique des étrangers aient dit
qu'il n'y avait, à cette époque, en Russie , au-
cunes lois civiles , excepté l'aveugle volonté
du Tsar, ces X0/5 données par le premier Au-
locratc de Moscou, vv qui est digne de remar-
que, complétées par son iils, corrigées et per-
fectionnées par son petil-lils , servaient de
Jiuidiclion.
j3o HISTOIRE
rt'gle fondamenlale dans Ions les procès ; et
Ivan-le-Terrible , qui foula à ses pieds tout
principe d'hunianilé , ne loucha point aux.
Lois Civiles. Il ne reprit même pas les terres
de la Couronne , à ceux ([ui pouvaient prou-
ver qu'ils en jouissaient depuis plus de six
ans (229). Godounoff, ayant, au nom de Fé-
dor, publié cette Loi politique, si impor-
tante sur l'asservissement des cultivateurs,
n'avait rien ajouté au Code ; mais il veillait à
ce qu'il fùl exaclenient observé ; car, il ambi-
tionnait la réputation d'homme juste , et s'en
luonfrait digne dans toutes les affaires publi-
ques ; ce qu'attestent les Annalistes, qui font
l'éloge du siècle heureux de Fédor. Comme au
temps d'Ivan , les tribunaux des provinces
étaient présidés par les Lieutenans du Tsar ,
qui étaient choisis parmi les Boyards et les
premiers Dignitaires ; tous les membres du
Conseil de Fédor étaient Licutenans de quel-
que province et quittaient rarement Moscou ;
mais ils avaient des adjoints, des Diaks, auto-
risés par eux à juger. On dit que le peuple dé-
testait généralement les Diaks pour leur cupi-
dité : n'étanl jamais en place que pour peu de
DE RUSSIE.
I^mps, cesfoncUoniiaircs ne cherchaient qu'à
's'enrichir au philùt par toutes sorles de
„ moyens ; les plaintes recevaient satisfaction ,
(mais c'était ordinairement après que celui qui
i avait pillé, élait déjà remplacé : alors on le ja-
l'geait avec sévérité; on le privait de tout ce
I qu'il avait acquis illégitimement, on l'exposait
[[en public , on le fouettait et on lui attachait au
jcou quelques-uns des objets pillés par lui,
'une bourse avec de Targent, des zibelines ou
autres choses. La Loi ne permettait aucun pré-
sent; mais les gens rusés trouvèrent moyen
de l'éluder. Le pétitionnaire, en entrant chez
le juge , déposait de l'argent sous les Images ,
prenant pour prétexte d'acheter des cierges ;
mais cette invention fut bientôt défendue par
un Oukase. Ce n'est que le jour de Pâques qu'il
était permis aux Juges et aux Employés de re-
cevoir en présent, avec un œuf rouge , quel-
ques ducats, dont le prix montait ordinaire-
ment (23o) à cette époque, de seize à vingt-
quatre altines et plus. Du moins, nous voyons
le louable effort que faisait le gouvernement
pour remédier à un mal connu même dans
des siècles plus civilisés. Le même zèle qui Tortmcs
^ ^ supplices.
002 IIÎSTOIRE
cherchait à (liminner les délits, inlroduisait
(111 (onservait clicz nous l'nsaj^e harbare de la
lorlure : afin de parvenir à connaître la vérité
de ia bouche d'un accusé , on le brûlait à dif-
férentes reprises , on lui rompait les cotes, el
on lui enfonçait des dons dans le corps. Les
menrtriers et autres scélérats étaient pendus ,
avaient la tète tranchée, étaient noyés ou em-
pallés. Le condamné, en se rendant an lieu du
supplice, tenait dans ses mains liées un cierge
allumé. La peine était commuée pour les nobles
militaires : le crime pour lequel on pendait
im paysan ou un bourgeois, n'était puni, dans
lin Enfant-îioyard, ([ue de la prison ou des
verges. Le meurtrier d'un de ses propres escla-
ves, payait une amende en argent. Les nobles
jouissaient encore d'un singulier privilège,
dans les procès civils ; ils avaient le droit de se
faire remplacer par leurs serviteurs pour prê-
ter serment de même cjue pour les punitions
corporelles, auxquelles ils étaient condamnés
pour avoir manqué à payer ce qu'ils devaient.
Commerce. Le commcrce , quoiqu'en partie comprimé
par le monopole du Gouvernement , acquit
pourtant de l'extension au temps de Fédor ,
DK RISSIE. 333
parles projjjrès de iindusiric. Nous devons à
la curiosité et à l'esprit d'observation des An-
glais , qui savaient le plus en profiter, les don-
nées Irès-détaillées que nous avons à cet égard.
« Il existe peu de eontrées au monde , éeri-
» venl-ils, où la nature ait été plus généreuse
» envers les hommes qu'eu Jlussie, et où elle
j» ait répandu ses dons avec plus d'abondance.
» Les jardins et les vergers sont remplis de
» fruits et de légumes savoureux ; de poires ,
» de pommes, de prunes, de melons, de
» pastèques, de eoneombref, , de cerises , de
» framboises, de fraises, de groseilles; les bois
» et les prairies tiennent lieu de potagers. Des
» plaines d'une immense étendue sont cou-
» vertes de blé, de froment, de seigle, d'orge,
>) d'avoine, de pois, de sarrazin , de millet.
« L'abondance fait naître le bon marché : une
» mesure de froment ne vaut ordinairement
>) pas plus de deux altines , ( trente kopecks
» d'argent actuel). Il n'y a que l'indolence
» des cultivateurs et la cupidité des rich( s qui
» produisent quelquefois la cherté. Ce fut la
» cause pour laquelle on paya à Moscou^ en
« i582, treize altines pour une mesure de
33 1 IIISTOIUE
» froment et de seigle. Le blé et les fruits for-
» ment un des ol)jets prineipaiix du com-
» merce de l'intérieur; pour c(!lui du dehors
» les Russes possède; nt :
» i". Des pelleteries de zibelines, de re-
» nards , de easlors , de lynx, de loups,
» d'ours, d'hermines, de petils-gris dont on
» vend pour l'Europe et l'Asie, aux mnr-
» eliands Persans, Turcs, Bukhars , Ibt'riens
» et Arméniens , pour cinq cent mille rou-
» blés (23 1). Les plus belles zibelines viennent
» de robdorie ; les ours blancs de Petchera ;
» les castors de Kola , les marlres de Sibérie ,
» de Kadoni , Mourom , Pernie et Kazan ; les
« petits-gris et les hermines de Galilche, Ou-
» glitche , î^ovgorod et Perme.
^1 2°. La cire : on en vend chaque année de
» dix à cinquante mille pouds ('202).
» 3°. Le miel : il s'emploie dans la boisson
» favorite des Russes , mais il se transporte
» également dans les pays étrangers et prin-
» cipalement des contrées de la Mordva, des
» Tcliérémisses, de Seversk, de Rézan , de
» Mourom , de Kazan , de Dorogobouge tî
>' de Viasma.
DE RUSSIE. ^^fi
» 4". Le suif: on en exporte près de cent
mille pouds , de Smolensk , Jaioslaf, Oii-
glilehe , Novgorod, Vologda, Tver et Go-
rodelz; mais loute la Russie , riche en pâ-
turages, abonde également en suif dont il
se dépense très-peu, dans l'intérieur, à la
fabrication des chandelles, car lesgens riches
se servent de bougies et le peuple d'alu-
mettes.
» 5°. Les peaux d'élans, de daims et d'au-
tres : on en exporte jusqu'à dix mille. Les
plus grands élans se trouvent dans les forèls
aux environs de Rostoff, Yilcliegda, Nov-
gorod , Mourom et Ferme ; ceux de Kazan
sont moins grands.
» 6". l^a graisse de veaux marins : ces ani-
maux se pèchent près d'Arkhangel , dans le
golplie de Saint-Nicolas.
» 7". Les piiissons: on regarde comme le
meilleur celui qu'on appelle poisson blanc ;
les villes les plus célèbres pour la pèche,
sont, Jaroslaf, Biélooséro , Nijni , Astra-
» khan et Kazan. Elles rapportent par-là un
)) revenu considérable au Tsar.
» S". Le Kaviar, d'Esturgeon, dcSévriouga,
31)6 nisToiHE
» ileSlorled, se vend aux marchands Jlollan-
» dais , Français, et en partie aux Anglais , et
» s'exporte en Italie el en Espagne.
» 9". Une quantité d'oiseaux : le gerfault se
» vend un prix très-élevé.
» 10". l^e lin et le chanvre : il s'en exporte
« beaucoup moins en Europe depuis que ia
» Russie a perdu Narva. Le lin abonde à
» Pskof, et le chanvre à Smolensk , Dorogo-
» bouge et Yiasma.
» 1 1". Le sel : les meilleures salines stî trou-
» vent à Staraïa-Rouza ; il y en a aussi à Penne,
j) à Vitchegda , à Tolma , à Kinechma et à
» Solovki. Les lacs d'Astrakhan produisent
» du sel naturel. Les marchands payent pour
» lui, à la Couronne, ivo'istlengas ^r poud.
» 12". Le goudron : on en exporte une
» grande quantité des contrées de Smolensk
» et de la Dvina.
» 13". Ce qu'on appelle les dents de pois-
.> sons ou défenses de chevaux marins : on en
;» fait des rosaires, des manches , etc. , une
>» poudre iTiédicale , propre , à ce (jii'on pré-
>' tend, à détruire l'effet du poison. On eu
» exporte en Perse et en Bukharie.
DE RUSSIE. 337
>» i4". Le Talque, ([u'oii emploie en guise
» de verre , se trouve en grande quanlilé en
« Carélie et dans le pays de la Dvina.
» iS". Le salpêtre et le souffre : le premier
w se fait à Ougliîche, Jaroslaf, Ouslioug; le
» second se trouve près du Volga , dans les
» lacs de Saniara; mais on ne sait point lé-
« purer.
» 16". Le fer; il est très-mauvais; on le
» trouve en Carélie , à Kargapol et à Ous-
», tionjna.
» 17". Les soi-disant perles de Novgorod:
» on en trouve dans les rivières du pays de
» Novgorod et de la Dvina (233) ».
Pour ces richesses naturelles et variées de la
Piussie, lEurope et l'Asie lui fournissaient en
échange les produits de leur industrie et les
productions de leur sol. Voici le prix de quel-
ques-uns des objets qu'on apportait alors à
Astrakhan sur des vaisseaux Anglais, Hollan-
dais et Français (234).
La plus belle émeraude ou saphir coulait
soixante roubles (trois cents roubles d'argent
actuel); un zolotnik de perles de moyenne
grosseur, deux roubles et plus; l'or et l'argent
Tome X. 22
33S HISTOIUE
lilé , six. roubles la livre ; Tauiie de velours, de
Damas, de salin, près d'un rouble; une pièce
de drap iin anglais , trente roubles, plus or-
dinaire , douze , et une aune, vingt altines;
une pièce de perkale, deux roubles ; un ton-
neau de vin de France, quatre roubles; un
de citrons , trois roubles ; de harengs, deux
roubles; le poud de sucre, de quatre à six
roubles ; de sucre d'orge , dix roubles ; de
clous de girofles et de canelle , vingt roubles ;
de riz, quarante copecks; d'huile , un rouble
et demi ; de poudre à canon , trois roubles ;
d'encens, trois rotd)les; de vif-argent , sept
roubli's, de plomb , deux roubles; de cuivre
travaillé, deux roubles; de fer en lame, qua-
rante copecks ; de coton, deux roubles; de
bois de sandale , un rouble ; une main de pa-
pier, quarante copecks. Outre cela, les étran-
gers nous procuraient une quantité de leur
argent monnoyé , en évaluant l'écu de Hol-
lande à douze altines. Un seul vaisseau appor-
tait quelquefois jusqu'à quatrevingt uiille
écus, qui payaient le droit d'entrée comme
les marchandises; ce droit, en général, était
très-considérable; par exemple, les Isolais
DE RUSSIE. 3v')9
qui faisaient le commerce des chevaux ,
payaient à la Couronne cinq pour cent du
prix, et, outre cela, donnaient encore au
Tsar, et à son choix, la dixième partie de
leurs troupeaux de chevaux. Un beau cheval
nogai ne coûtait pas moins de vingt roubles.
Le commerce d'échange que nos marchan'Js
faisaient dans nos ports septentrionaux , avec
les nations Européennes, leur présentait assez
d'avantages pour qu'ils ne songeassent pas à
aller par mer dans d'jmtres pays. Mais il est
intéressant de savoir qu'à cette époque nous
avions déjà des vaisseaux à nous. En iSgg , un V;.isseaux
ambassadeur de Bons revint d Allemagne sur
deux grands vaisseaux qu'il avait achetés et ar-
més à Lubeck, avec un pilote et des matelots
qu'il y avait loués (23.")).
Le commerce anséatique, naguère si célè-
bre et si utile à la Russie , presqu'entièrement
détruit par la concurrence de l'Angleterre et
de la Hollande , essayait de retrouver , dans les
ruines de Novgorod, les traces de son an-
cienne splendeur. En i5c)6 , le Tsar permit de
nouveau à la ville de Lubeck, d'y établir un
bazar (236). Mais Novgorod, Pskoff et toute
n/jO HISTOIRE
la Russie regrctlaicntencore la perle de Narva;
et les Suédois qui en étaient maîtres, étaient
un obstacle à la prospérité de cet établisse-
ment.
« Trouvant dans le commerce un moyen
» d'enricliir la Couronne , dit Fletcher , et
« s'occupant peu du bien-être des Négocians,
« les Tsars ne favorisent guère non plus la
j) civilisation , sont ennemis des innovations
» et ne laissent entrer chez eux d'étrangers
Civilisation. « q»^ les gcus néccssaircs à leur service ; ils
» ne permettent pas à leurs sujets de quitter
» leur patrie, dans la crainte des lumières
» que Tesprit naturel des Russes, esprit qui
« se fait remarquer même dans les enfans,
» les rend particulièrement propres à acqué-
» rir (23-). Les seuls Russes qui paraissenl de
j) temps en temps en Europe , sont les Am-
>) bassacleursou les déserteurs ». Ce récit est en
partie dénué de vérité : nous ne voyagions
pas, parce que cela n'clait pas dans nos usages
et que rien n'avait encore éveillé en nous ce
sentiment de curiosité, apanage d'un esprit
cultivé. Il n'était point défendu aux marchands
défaire le commerce hors de leur patrie; et
DE ET^SSIE. 341
le despolo Ivan envoyait en Europe des jeu-
nes gens pour s'y instruire. Il est vrai que les
étrangers n'étaient admis cliez nous qu'avec
choix et circonspection. En i-^qi, Nicolas
Varkolclie, ambassadeur de Piodolphc , écri-
vit à Boris , qu'un certain comte Italien
nommé Scotti , appelé à Moscou par Ivan ,
désirait servir Fédor; que ce Comte , distin-
gué par l'Empereur et par plusieurs Souve-
rains, possédait le don de toutes les langues
qu'on parlait sur la terre, et toutes les sciences;
au point que , ni en Italie , ni en Allemagne ,
on ne pouvait trouver personne à lui compa-
rer. Loris répondit: « Je loue l'intention du
» Comte, homme aussi noble et aussi instruit.
j> Notre grand Souverain, bienveillant pour
» tous les étrangers qui nous arrivent , le
w distinguera sans doute, mais je n'ai pas
» encore eu le temps de lui en parler ». Il
n'y a nul doute que le Comte ne fut connu en
Russie pour un espion ou pour un homme
dangereux et que cette raison n'ait fait re-
jeter ses offres; car, non seulement nous ne
refusions pas les gens instruits, mais nous les
invitions à venir chez nous ; témoin John
,'>42 II f s loin E
Dee , illustre inalhcmaticien , astrologue cl
alchimisle , que la reine Elisabeth appelait
son philosophe, et (pil se trouvait alors en
Bohème : Fédor lui fit proposer par les né-
goeians de Londres, deux mille livres ster-
lings par an , à quoi Boris ajouta mille rou-
bles , la table du Tsar et tout le serviee , pour
profiter, à ce que Ton prétendait, de ses con-
naissances pour la découverte de nouveaux
pays au iSord-est , au delà de la Sibérie. Mais
n"esl-il pas plus j)robable que c'était pour
lui confier l'éducation du fils de Boris , que,
dans ses pensées secrètes , le père destinait
déjà au Trône? La réputation d'alchimiste et
d'astrologue relevait encore aux yeux de l'i-
gnorance celle de mathématicien; mais Dee,
dont l'imagination n'était tendue qu'à îa re-
cherche de la pierre pliilosophale , et fier
dans sa pauvreté , refusa les propositions du
Tsar en témoignant sa reconnaissance , et
sembla ainsi avoir prévu, par les calculs de
l'astrologie , sa science favorite , le sort futur
de la Russie et de la famille de Boris.
Ce que nous recherchions avec le plus de
zèle en Europe , c'était des métallurgistes '
DK RITSSTF.. , 7>\3t
pour nos mines de Pelchera, découvertes déjà
en 1491 , mais qui étaient presque inutiles par
le manque de mineurs habiles. En i5()7 , lors-
que le Tsar envoya auprès de l'Empereur le
gentilhomme Véhaminoff, il lui ordonna de
nous procurer en Italie , à quelque prix que
ce fut , des ouvriers qui sussent trouver et
couler l'or et l'argent. Outre quatre ou cinq
mille soldats étrangers que Fédor payait, la
Slohode de la Jaousa^ à Moscou , se peuplait
chaque jour davantage d'Allemands qui , du
temps d'Ivan, s'enrichissaient par la vente de
l'eau-de-vie et de l'hydromel , et étalaient un
luxe scandaleux ; leurs femmes ne voulaient
porter que des habits de velours et de satin.
Sous le règne de Boris, ils obtinrent de nou-
veau la permission d'avoir une église , et
quoiqu'ils vécussent séparés , ils communi-
quaient librement et amicalement avec les
liusses. Les Tsars , en suivant lidèlement les
principes divan III , et en attirant, au moyen
de l'or et des honneurs , les artistes , les savans
Européens , en multipliant les écoles parois-
siales et le nombre des lettrés parmi les em-
ployés, auxquels la noblesse même portait
344 HISTOIRE
t'iivie l^à cause de Timporlance qu'ils avaient
acquise dans le gouvernemenl , les Tsars, dis-
je, étaient loin de redouter les lumières; ils
cherchaienl au contraire à les propager autant
qu'ils le pouvaient ou savaient le faire , et si
nous ne connaissons pas leur pensée, nous
voyons leurs actions favorables à la civilisa-
tion de la Piussie , dont nous présenterons ici
quelques nouveaux résultats.
Une opération d'arpentage qu'on lit, depuis
1587 jusqu'en 1094 , dans le pays de la Dvina,
sur les deux rives du Yolga (208) , et proba-
blement dans d'autres provinces, donna peut-
être lieu à la composition du premier ouvrage
Genmrtriect dc géométric en^angue Russe. Les copies que
Amhiaeiiqut. ^^^^^ ^^ avons ne vont pas au-delà du dix-
septième siècle. Ce livre est appelé, Lkrc de
science profonde , par l'auteur , « qui donne
j) un moyen facile de mesurer les endroits
« les plus inaccessibles , les plaines, les élé-
j^ valions et les vallées, à Faide du compas ».
Il explique la division de toutes les contrées
habitées de la Piussie en charmes et en parties,
pour les impôts à payer à la Couronne. (On
comptait dans une charrue quatre cents arpens
T)E RUSSIE. 345
i]c bonne terre, et dans une pmik, six). C'est
à eelte époque également (|ue nous rappor-
tons le premier Jivre trarilhmél'ujue v^oc)) ,
écrit d'une manière peu intelligible. Dans la
préface de cet ouvrage , il est dit : « Sans cette
» philosophie des nombres , inventée par les
» Phéniciens , et une des sept sciences libérales ,
» on ne peut être , ni philosophe y ni docteur , m
» négociant h ahi le ., et par sa connaissance , on
» obtient la phi s grande fai'cnr auprès du Tsar ».
A la tin (le ce livre, on parle du cycle, de la
composition du corps liumain et de la plii-
siognomonie. Dans les deux livres , dans celui
qui traite de la géométrie et <lans celui de
rarillimétique , on emploie , pour les calculs ,
des lettres slaves et des cbiîlres. C'est à cette ciiifrirsou
, -. -. . ^ . , . éi:vitiue se-
epoque que, dans les papiers diplomatupies, ciite.
nous commençâmes à nous servir de cbiifres
secrets. En i5qo, l'en voyé Ivanoff écrivit de
Lithuanieau Tsar au moyen d'un nouvel alpha-
bet^ emprunté à l'ambassadeur d' Autriche ,
Nicolas Yarkofche (240). Le livre intitulé , GJograpi.ie.
Géographie détaillée de V empire de Russie^ fut
probablement composé sous le règne de Fé-
dor, puisque nous y trouvons les noms de
o46 HISTOIRE
Koiirsk, Voronègeel Osko] , villes construi-
tes de son temps, et que nous n'y trouvons
pas ceux des villes plus modernes fondées par
Godounolf , telles que ilorissoif sur le Do-
nelz septentrional , et celle de Tsaref-Borissoi
à remhoucliure de la Protva (241). Ce livre ,
copié en 1627 au Bureau rnilitalrc , décide pour
nous plusieurs questions géographiques im-
portantes, en désignant, par exemple, où se
trouvaient Tancienne Ugorie , l'Obdorie , la
capitale de Bâti et les camps des Nogais.
LiiLhaïuit. Le champ de la littérature ne nous offre
point de moisson abondante , depuis le temps
d'Ivan jusqu'à celui de Godounoff ; mais le
langage s'épura , et il s'embellit d'une nou-
velle harmonie. On ne trouve de véritable
éloquence inspirée par le sentiment , que dans
les lettres de Kourbsky à Ivan. Jojndrons-nous
au nombre des écrivains, Ivan lui-même, au-
teur d'écrits pompeux et prolixes^ tant reli-
gieux que satiriques (242) ? Il y a de la vivacité
daiis son style et de la force dans sa dialectique.
3-.es meillenres productions de ce siècle, sont ,
le Licre fies degrés, les ries des Saints , par Ma-
caire , cl les ceiii chapitres du grand Concile,
DE RUSSIE. 347
Il est probable que le mélropolilain Dionisi
mérita le surnom de Grammairien par quel-
(jiies écrifs estimés ; mais nous ne les connais-
sons pas. Le patriarche Job a décrit la vie, les
vertus et la mort de Fédor, d'un style fleuri
et qui n'est pas dépourvu de chaleur. ^ tiici
comme il parle de son héros : « Ses vertus
» l'ont égalé aux plus dignes Souverains de
» l'antiquité ; il i^ut rornement et la lumière
» de ses contemporains , et le plus bel excm-
» pie pour ceux à venir; sans s'attacher au
» vain éclal de la terre, il nourrissait son ame
» royale de la parole de Dieu , et tel (pi'une
» source inl,arissable, il répandait ses bienfaits
» sur Tunivers. Il prospérait , avec sa tendre
» épouse , dans la pratique de la vertu et dans
» la foi divine... Il n'avait qu'un seul bien sur
» la terre , un seul rejeton de la dynastie ré-
« gnante , et il fut privé de sa fille chérie ; afin
» qu'il donnât l'exemple d'un cœur brisé par
» la douleur, et qui cependant se soumet,
» avec une humilité chrétienne, à la volonté
» du Tout-Puissant, tandis que la nation en-
» tière se livrait au désespoir.... O nouvelle
» effrayante et terrible ! Le Tsar adoré de la
348 HISTOIRE
r Russie passe flans les hrns de VFJerncl /
» INIais ce n'est point par la mort, c'est par
» un sommeil tranquille ; l'àme s'envole et le
» corps reste immobile.... Nous ne voyons,
» ni frémissemens , ni convulsions.... Voilà
» le moment des sanglols et non des discours;
» de la prière et non de l'éloquence.... La pa-
« rôle du Prophète s'accomplit sur nous :
» Qui donnera une source à mes larmes , afin
» que je puisse assez pleurer !'.... Tout est dou-
» leur, tout est plainte.... Dès ce moment le
« Trône antique et brillant de la grande Rus-
M sie commence son veuvage , et la populeuse
» et grande ville de Moscou devient une triste
» orpheline (240) ». Job qui devait le Patriar-
cat à Boris, et qui lui était sincèrement dé-
voué, dit de lui dans ce discours : « Aux
» temps heureux de Fédor , gouvernait sous
» lui son illustre beau-frère et serviteur^
» homme supérieur, unique en Russie, non
j) seulement par l'éclat de son rang , mais
» aussi par sa profonde sagesse , sa bravoure
» et sa piété. Par ses soins, cet Empire floris-
» sait dans une paix glorieuse, à l'étonnement
» de tout le monde et même du Tsar , et à la
DE RUSSIE. 3J9
» gloire du Régent, gloire qui rclontissait ,
» non seulement clans notre patrie , mais dans
>' les contrées les plus éloignées de l'univers ,
« d'où arrivaient chez nous des ambassadeurs
j> avec des dons précieux, pour se prosterner
» devant le Tsar , et contempler la beauté
» éclatante, la sagesse , les vertus du Piègent,
» au milieu d'un peuple heureux par lui, au
>» milieu de la Capitale qu'il avait si magniii-
» quemenl embellie ». Job écrivit aussi une
lettre de consolation à Tépouse de Fédor, lors-
qu'elle pleurait la perte de sa iille chérie (244)-
Il conjurait Irène d'être non seulement mère,
mais Tsarine et chrétienne ; il condamnait sa
faiblesse avec le zèle d'un pasteur, mais il
plaignait son malheur avec la sensibilité d'un
ami , ranimant en elle l'espoir de donner un
successeur au Trône. Cet écrit est plus remar-
quable par l'intérêt du sujet que par les pen-
sées et l'éloquence. Le Patriarche , en rappe-
lant à Irène les préceptes de l'Evangile sur la
confiance qu'on doit mettre dans le Très-Haut,
ajouta : « Qui mieux (jue loi connais l'Ecri-
« ture-Sainte? Tu peux en instruire les au-
» très , conservant dans Ion cœur et dans ta
OJO HISTOIRE
» mémoire tous les principes de sagesse qui y
» sont renfermés ». Irène, élevée à la Cour
cFlyan, avait rinstruciion cle son temps ; elle
lisait la Bible et les œuvresdes Pères les plus cé-
lèbres de notre Eglise, Les Russes possédaient
déjà une Bible imprinne el publiée à Ostrog;
mais les œuvres des Saints-Pères n'existaient
qu'en manuscrits (245). Parmi les traductions
manuscrites des ouvragcsd'auleursanciens, en
langue Slave ou llusse , cjue l'on connaissait
alors et que nous conservons dans nos biblio-
thèques , se trouve la disserlalion de Gallien
sur les élemens du grand et du petit univers ,
sur l'âme et le corps, traduite du latin, lan-
gue que les Pousses , quoi qu'en dise un étran-
ger contemporain, n'avaient point en horreur :
pauvres encore dans les moyens de s'instruire,
ils profilaient de toutes les occasions de satis-
faire leur curiosité ; souvent ils cherchaient
h trouver un sens là où il n'y en avait pas,
à cause de Tignorance des copistes ou des tra-
ducteurs, et mettaient une patience admirable
à recopier des livres remplis de fautes. Celle
obscure traduction de Gallien se trouvait par-
mi les manuscrits de Saint Cvrile de Biélo-
DE RUSSIE. 33 1
oz(;'io,elpar conséquent existait déjà au quin-
zième sièele. Faisons également, mention d'un
manuscrit qui avait rapport à la médecine ,
traduit du Polonais, en 1 588, pour le voïévode
de Serpoukholf , Thomas Boutourlin. Ce
monument de la science et de Tignorance de
ce temps, est très-curieux par rapporta la lan-
gue et par la traduction hardie de quehjues
noms ou de quelques termes techniques (246;.
C'est peut-être au temps de Fédor ou de
Godounoi'f que se rapportent également les
anciennes chansons Russes, dans lesquelles il
est question de la conquête de Kazan et de la
Sibérie ; des orages du règne d'Ivan ; du ver-
tueux ISikita Romaiiovitche , frère de la tsa-
rine Anaslhasie ; du scélérat Mai ou ta wSkoura-
toff; des invasions des Khans en Russie. Les
contemporains racontent et leurs descendans
chantent ks événemens. La mémoire trompe,
Fimagiiiation amplifie , le goût moderne coi-
rige, mais ftsprit reste et conserve quelques
traits marquans du siècle ; et , non seulement
dans nos chansons de guerre ou de chasse,
mais même dans celles d'amour , on retrouve
le cachet de l'antiquité : on y voit comme Tem-
3j2 iiisToir. e
prt'inte d'un ol)jel (jui n'existe plus pour nous;
nous y entendons eomme Técho d'une voix
qui ne résonne plus; nous y trouvons la iraî-
Ciieur de sentiment que Tliomnie perd avee
les années, et les nations avec les siècles. Ou
connaît la chanson sur le tsar Ivan (247).
<f On Viyail nnîlie la gloire de la ville de Moscou ;
j) On voyait naître aussi la tyriiuuic du Tsar terrible.
w Son coup d'essai dans les arnie^- fut la prise de Kazun ;
« Et ce fut en passant fju^ il s'empara d'ylstrakhan »,
Sur le ills d'Ivan condamné à mort :
« L 'astre terrestre va tumhcr ;
» La bougie , fuite de la cire la plus pure , va s 'éteindre ;
» ]\ous allons perdre le Tsaréoitche ».
Voici celle sur un guerrier qui va mourir
dans un stèpe sauvage , sur un lapis étendu au-
près d'un feu qui s'éteint :
« Le sang coule de ses plaies sur la cendre brûlante ;
» A sa tête se trouoe un crurifi v ;
» A sa droite est son gluicc acéré ;
» A sa gauche son arc détendu ,
)) Et à ses pieds se tient son fidèle coursier.
» En mourant il dit au coursier :
>• Lorsrpie je mourrai ., o mon coursier fitlclc !
» Coui>re de terre mon corps blanc ,
>• Au milieu de ce vaste désert ;
DE RUSSIE. 353
» Cours ensuite dans la sainte Russie ;
M Salue mon père et ma Tncie\
» Pur le ma Itencdirtiuu à mes petits enfants ;
n Dis à ma jeune veuçe :
» Que j'ai rontnii/c une autre union.
n J 'ai pris en dot la vaste plaine ;
n C'est une flèche qui m 'a marié ;
n C 'est un glaive acéré qui m 'a mis au lit.
» Tous mes amis et frères m'ont ahandonné ;
» Tous mes compagnons se sont dispersés ;
» // n'y a que toi, mon excellent coursier,
» Qui m 'as se r\ù fidèlement jus(fu 'à la mort » .'
Nous rapporterons encore un fragment de
la chanson sur un guerrier tué , auquel les
joncs servent de lit, un buisson d'oreiller ,
une sombre nuit de couverture, et sur le corps
duquel pleurent une mère, une sœur et une
jeune épouse :
« Hélas ! la mère pleure comme unfleui>e roule ses flots ;
» La sœur pleure comme coulent les ruisseaux ;
» L'épouse pleure comme la rosée qui tumùe.
» Le sa eil paraîtra et fera disparaître la rosée ».
Ces poésies et d'autres pièces populaires qui
se distinguent par la vérité du sentiment et par
la hardiessse des expressions, se raprochent
plutôt du seizième que du dix-huitième siècle,
Tome X. 23
354 IIISTUIHE
si ce n'est par le slyle, du moins par leur es-
prit.... Combien de chansons, plus ou moins
anciennes, sont déjà oubliées dans la Capitale
et que nous entendons encore dans les campa-
gnes et les petites villes, où le peuple a plus
de mémoire pour les anciennes traditions.
Ts^)us savons que , du temps d'Ivan , des trou-
pes de troubadours Russes allaient de village
en village et égayaient les habitans par leurs
chants; le goût du peuple favorisait alors les
compositions des chansonniers que le pieux
Fédor aimait aussi.
AnsetMciieis Ce Prlncc aimait également les arts. Sous
son règne nous avions d'habiles joailliers dont
un Vénitien, nommé François Ascentini , des
orR'vres , des brodeurs et des peintres. Le
bonnet, donné par Fédor au patriarche Jéré-
mie , qui était orné de pierres précieuses et de
saintes images , est appelé, dans la description
du voyage d'Arsène , une magniiique produc-
tion des artistes de Moscou. Cet Evéque grec
vil, sur les murs du palais d'Irène, de très-
belles mosaïques représentant les images du
Sauveur, de la Sainte Vierire , des Anees des
Hiérarques et des Martyrs; et sur la voûte, un
DE RUSSIE. ôyj
lion parfaitement exécuté et qui tenait dans
ses (ienls un serpent au(îuel étaient suspendus
des lustres précieux. Arsène vit également
avec surprise, dans le palais, une cpiantilé
d'énormes vases en or et en argent; les uns en
forme de quadrupèdes , tels que des licornes ,
des lions, des ours et des cerfs; d'autres en
forme d'oiseaux, tels que des pélicans, des
cygnes , des faisans et des paons , et qui étaient
d'un tel poids que douze hommes pouvaient
à peine les transporter d'un endroit à l'autre.
Ces vases extraordinaires se fabriquaient pro-
bablement à Moscou, du moins une partie; les
plus lourds d'enlr'eux étaient fondus eu ar-
gent de Livonie, conquis par les arftes d'Ivan.
L'art de la broderie, que nous avons imité des
Grecs, était connu depuis long-temps en Rus-
sie où les nobles et les riches portaient dans
tous les temps des habits brodés. Fédor vou-
lut aussi établir àMocou une fabrique de soie-
ries. INlarco-Cinopi, appelé par lui d'Italie,
fabriquait du velours et des étoffes d'or dans
une maison qui lui avait été assignée près de
la cathédrale de l'Assomption. La multiplicité
des églises augmentait le nombre des peintres.
356 HISTOIRE
Pendant long-lcnips on ne peignit qne des
images. Nous eommençâmes à peindre des
tableaux précisément sous le règne de Fédor ,
époque à laquelle les deux palais, BaUhdia
Granaçiiuia, monument d'Ivan III, et Zola-
idia-Granailidia , eonstniil par son petit-lils ,
s'embellirent de peintures. Dans le premier
étaient représentés l'Eternel, les actions des
anges et des hommes , toule l'Histoire du
vieux et du nouveau Testament, le prétendu
partage de l'univers entre les trois prétendus
frères de César- Auguste, et le partage réel de
notre antique patrie entre les fils de Saint
Vladimir, représentés en mitres, en babils
de damas, %vec des eolets et des ceintures d'or,
le grand JaroslaC, Ysévolod I". et Monomacjue
en habits de Tsar ; Georges Dolgorouky ,
Alexandre Nevsky, Daniel de Moscou, Kalita ,
Dmitri Donskoy et ses successeurs jusqu'à Fé-
dor, qui était assis sur le trône avec une cou-
ronne sur la tète, un manteau , un collier
en perles, une chaîne d'or sur la poitrine,
'et tenant dans ses mains le sceptre etlaponime
d'or; auprès du Trône se tenait le Piègent Boris
Godounolf en bonnet noimand , et avec
DE RUSSIR. 357
un habit d'or tléboulonné. Dans la Zalataïa
PaJaia^ sur les murs et sur les voûtes , étaient
également peintes Thistoire sacrée et celjt;
de Russie , en même temps que quelques
ligures allégoriques des vertus et des vices,
des saisons et des phénomènes de la nature.
Le Printemps était représenté par une jeune
lille , TEté par un adolescent, l'Automne par
un homme tenant un bocal, et l'Hiver par un
vieillard avec les bras nus. Quatre anges , avec
des trompettes , désignaient les quatre vents.
Dans quelques tableaux , il se trouvait des rou-
leaux sur lesquels les mots étaient écrits, non
en lettres ordinaires, mais avec des chiffres
mystérieux. La Zalatdia Pnlata n'existe plus ;
à sa place a été construit le palais d'Elisabeth ;
et quant aux tableaux qui se trouvaient sur les
murs de la Granadidia Palata , ils ont été ef-
facés depuis long-temps , et ne nous sont
connus que par la description des contempo-
rains (258j. Faisons mention aussi de l'art de
la fonderie. Sous le règne de Fédor nous avions
un célèbre fondeur, André Tchokoff, dont
nous voyons le nom sur les plus anciens ca-
nons du Kremlin , sur le Drobovik , qui pèse
Moscou.
JJO HISTOIRE
deux mille quatre cents pouds , sur le Tro'il et
sur YAspide ; le premier a été coulé en 1 586 ,
et les deux autres en 1590.
Les progrès de la civilisation se faisaient re-
marquer au seul aspect de la Capitale. Moscou
s'embellit aux yeux, non seulement par de
nouveaux édifices en pierres, mais par l'élar-
gissement des rues , pavées en bois et moins
boueuses (249). Le nombre de belles maisons
augmenta : elles étaient ordinairement cons-
truites en bois de sapin , à deux ou trois étages,
avec de grands escaliers et de grands toits en
planches qui avançaient en dehors. Les cham-
bres à coucher d'été et les magasins en pierres
se trouvaient dans les cours. L'élévation de l'é-
diiice et la grandeur de la cour désignaient le
rang du maître. Les bourgeois pauvres habi-
taient encore dans des cabanes, avec des poêles
sans tuyaux; dans les apparfemens des riches
il y avait des cheminées en l'aïence. Pour pré-
venir les incendies , des employés militaires ,
chaque jour, en été , parcouraient la ville et
faisaient éteindre tous les feux , après qu'on
avait fini de préparer le manger (25o). Mos-
cou, c'est-à-dire le Kremlin, le Kiiaï, le Tscu
DE RUSSIE. 3,")f)
refou BirJgorod , la nouvelle ville en bo's , le
quartier au-delà delà iMoskva, les Slobodcs ^
au-delà de la Jaousa, avait alors en circonfé-
rence plus de vingt verstes. On complait au
Kremlin trente-cinq églises en pierres, et en
tout, dans la Capitale, environ quatre cents ,
outre les chapelles; le nombre des cloches
montait à cinq mille. « Aux heures où l'on
» sonnait pour les fêtes , disent les étrangers,
» il était im[)ossihle de s'entretenir dans les
» rues». La cloche principale, qui pesait mille
pouds, était suspendue à un clocher en bois
sur la place du Kremlin; on la sonnait lors-
que le Tsar parlait pour un long voyage ,
lorsqu'il revenait dans la Capitale , ou qu'on
recevait des étrangers de distinction. Le Kiiai-
gorod^ entouré d'une muraille en briques non
recrépies, et réuni au quartier au-delà de la
Moskva, par des ponts de bois ilottans et par
un pont de pierres , était embelli par la ma-
guilique église gothique de Saint Basile, et par
le Bazar , divisé en vingt alignemcns : dans
l'un on vendait des étoffes de soie, dans un
autre des draps, dans un troisième de l'ar-
gent , etc. Sur la Grande place se trouvaient ,
36o ^ HISTOIRE
deux énormes canons démon lés. Colle partie
de la ville renfermait les maisons d'un grand
nombre de Boyards , de dignitaires , de mar-
chands distingués, et un arsenal bien fourni.
Dans le Bicigorod ^ ainsi appelé à cause de ses
murs blanchis, étaient la fonderie, sur le bord
de la Néglinnaïa , riiotel des Ambassadeurs ,
celui des Lithuaniens, des Arméniens, les
marchés aux chevaux et au foin, la boucherie,
les maisons des enfans Boyards, des employés
aux tribunaux et des marchands. Dans la ville
de bois ou Skorodoni, c'est-à-dire bâlie à la
haie ^ en iSgi , demeuraient les bourgeois et
les artisans. Autour des édifices, on voyait des
bois , des jardins , des potagers et des prairies.
Auprès du Palais même on fauchait du foin ;
et les trois jardins du Tsar n'occupaient pas
un petit espace au Kremlin. Les niouiins, dont
un se trouvait à Fembouchure de la INéglin-
naïa, les autres sur la Jaousa , donnaient un
aspect de campagne à la ville. La Slobode alle-
mande ne faisail point partie de la ville, non
plus que Krasnoé-Sclo , où habitaient sept
cents ouvriers et petits marchands , auxquels
le sort, pour le malheur de la famille de Boris,
Me
liiiif:».
DR RUSSIE. 36l
réservait un rcMo si important dans notre his-
toire.
Il est probable que les mœurs de la nation
cliangèrenl peu sous les règnes d'Ivan et de
rédor. Mais , dans des relations contemporai-
nes, nous trouvons, à ce sujet , quelques dé-
tails nouveauxet intéressans pour nous.
Godounoff", rhabile et ambitieux Godou- Evcn^pir»
Jp (llS|)llt.S
noff, ne put ou ne voulut point détruire les snHiMicien-
' ^ i inU- des ia-
prétentions de prééminence entre les familles "ùi-sfiJ';»
des Bovards et des Nobles. Cet orurueil des
rangs était arrivé à un point difficile à imagi-
ner, et tel qu'aucune nomination de Voïé-
vodes, aucune désignation pour le service de
la Cour dans les jours de fête, ne se passait
sans amener des querelles plus ou moins gra-
ves. En voici un exemple : On entendait déjà
à Moscou , en i5c)i, le pas des chevaux du
Khan, que les Voïévodes disputaient encore
sur l'ancienneté de leurs titres et les honneurs
du pas, et ne se rendaient point à leurs postes,
par un faux point d'honneur. Ils ne crai-
gnaient pas de s'exposer à la diffamation et à
des punitions sévères; car ceux qui se plai-
gnaient à tort étaient quelquefois punis cor-
362 HISTOIRE
porellcmcnt et sans lorinc de procès. En
iSSg, le prince Gvosdeif fut hatlu de verges,
])Our une dispute de prééminence avec les
princes Odoevsky, et il leur fui livré , c'est-à-
dire qu'on lui ordonna de leur demander
humblement pardon. Le prince liarialinsky
fut mis trois jours en prison , pour une dis-
pute semblable avec Schérémélieff ; mais il ne
voulut pas s'humilier; il sortit de prison et
n'alla point servir. Comment expliquer cette
singukvpité , si ce n'est par celte vanité tou-
jours renaissante chez l'homme, qui cher-
che un aliment dans toutes les circonstances
de la vie sociale , et qui est souvent excitée par
la politique même des Tsars ; car cette préémi-
nence des titres , soutenait l'ambition , néces-
saire même dans un gouvernement absolu,
pour rintérét de l'Etat, toujours servi avec
plus de zèle par ceux qui en attendent des dis-
linctions. Il n'existe point un usage, pas un
préjugé qui, dans son origine , n'ait euun but
raisonnable, quoique, dansées usages con-
sacrés par les siècles , le mal l'emporte quel-
quefois sur le bien. Godounoff pouvait aussi
avoir un but particulier et suivre le funeste
DE RUSSIE. ' 363
principe : Divisez pour régner. Ces éternelles
qnerelli^s d'ambition entretenaient une haine
niuluelle parmi leslamilles 1rs plus illustres ,
les Mstislaslky et les Schouisky, les Glinsky
et les Troubetskoy , les Schérémélielf et les
Sabourofï', les Kourakin et les SchestounolT.
Ils étaient divisés et Boris régnait, <
Mais les disputes de rangs ne troublaient
pas la décence dans les assemblées de la Cour.
Tout rentrait dans le silence, dès que le Tsar
paraissait avec un éclat qui étonnait même les
ambassadeurs étrangers (25 1). « Les yeux fer-
» mes, disent les Contemporains, on croirait
'> que le Palais est désert ; cette grande multi-
>> tude de grands dignitaires couverts (For , est
» muette, et comme sans mouvement. Ils sont
« assis sur des bancs et forment plusieurs
» rangs, depuis la porte jusqu'au trône où
» se tiennent les liindns , jeunes gardes du
» corps , en vètemens blancs de velours ou de
» satin garnis d'hermine ; ils ont de grands
» bonnets blancs sur la tête , deux chaînes
« d'or qui se croisent snr leur poitrine et
» tiennent des cimetères précieux levés sur
» leurs épaules, comme s'ils étaient toujours
La Cour.
364 HISTOIRE
3) prêts à frapper. Aux repas solennels donnés
»> par le Tsar, le service se l'ait par deux ou
» trois cents oOiciers du Palais, habillés d'é-
j) tofies d'or, portant des chaînes d'or sur la
» poitrine et des bonnets de renard noir sur
» la tête. Lorsque le Souverain s'assied sur une
>» estrade élevée de trois marches, seul , à la
» table d'or (252), les dignitaires servans lui
» font une profonde révérence, et deux à
» deux^ défilent pour aller chercher les plats.
» En attendant, on présente de l'eau-de-vie.
» Sur les tables, il n'y rien que du pain, du sel,
» du vinaigre, du poivre, des couteaux et des
» cuillers ; on n'y voit ni assiettes ni serviet-
» tes. On apporte à la fois plus de cent plats
» auxquels le cuisinier a goûté devant le niaî-
» Ire-d'hôtel. Le Grand Maréchal les goûte
}> pour la seconde fois devant le Tsar qui, lui
« même, envoie aux convives, des morceaux
» de pain , des mets de sa table, des vins, de
» rhydron:iel ; et à la fin du repas, il leur dis-
» tribue de sa propre main, des prunes sèches
» de Hongrie. Chaque convive, en s'en allant,
j> reçoit encore un plat entier de viandes ou
» de pâtés. Quelquefois les Ambassadeurs
DE RUSSIE. 365
» étrangers dînent à leur Ilolel, de la table eo-
» pieuse du Tsar; un des prineipaux dif^ni-
») taires se rend chez eux pour leur annoncer
» cet honneur, et il dine avec eux. Quinze ou
» vingt serviteurs entourent son cheval, des
» Streletz, richement vêtus, portentla nappe,
» les salières, etc.; d'autres, jus(prà deux
» cents, le pain, l'hydromel et une quantité
» de plats d'or et d'argent, chargésde différens
» mets (253) ». Les détails suivans, extraits de
papiers oiiicieis, donnent une idée du luxe et
de la friandise de ce temps. En iSgg, on four- vinsttran-
nissaitdu Palais, pour la table de l'ambassa- RÙs^e»? """"
deur d'Autriche, sept pintes de romanée , au-
tant de vin du Rhin, de muscat, de vin blanc
de France, de vin de Canarie, d'Alicante et de
Malvoisie ; douze cruches du meilleur hydro-
mel de cerise et d'autres de la première qua-
lité ; cinq seaux d'hydromel de groseille , de
genièvre, de Heurs de cerisier à grappes , etc. ;
soixante-cinq seaux d'hydromel de fram-
boise; de celui que buvaient les Boyards et les
Princes. En fait de vivres, on livrait huit plats
de cygnes , huit de cigognes avec des légumes,
quelques coqs au gingembre , des poules dé-
3G6 HISTOIRE
sossécs, des coqs de bruyère ansaffran, desg{'-
linoUcs aux prunes, des canards aux concom-
bres, des oies au riz, des lièvres au vermicel et
aux navets, des cervelles de daim, etc.; des sou-
pes de saiïran, blanches el noires , de citrons
et de concombres , du pain blanc , des paies
avec de la viande, du fromage et du sucre ; des
crêpes, des gâteaux, des blancs-manger, de la
crème, des noisettes, etc. Les Tsars voulaient
étonner les étrangers par une telle abondance,
et ils y parvenaient.
,, ., v, • On retrouvait, également l'ancien luxe de
rhospitalité des Slaves, dans les maisons des
particuliers à Moscou; il n'y avait point d'hô-
tes avares pour leurs convives; aussi le re-
proche d'ingratitude, le plus offensant était-
il : « tu as oublié mon pain et mon sel «. Ces
copieux repas, les longues méridiennes et le
peu d'exercice que faisaient les gens de dis-
tinction et les riches, produisaient en eux cet
embonpoint qui passait alors pour une qua-
lité : être un homme fort et puissant signifiait
avoir des droits au respect ; mais cet embon-
point ne les empêchait pas de vivre jusqu'à
Longéviié. quatre-vingts, cent el cent vingt ans. 11 n'y
DE RUSSIE. 367
avait que la Cour et les grands qui <:onsullas-
sent les médecins élrangers(254).Fédor en avait ^i^^^J^'^'os.
deux, Marc l\idley, envoyé par la reine d'An-
gleterre en i594i ^t Paul, citoyen de ]Slilan. Le
premier passa cinq ans à Moscou et retourna
à Londres. Pour le second, Henri IV écrivit à
Fédor en ijqd, lui demandant de vouloir bien
le laisser partir, pour passer sa vieillesse à
Paris, auprès de ses parens. Cette lettre ami-
cale du plus illustre Monarque de la France ,
est le seul monument qui se soit conservé
chez nous de ses relations avec la Ptussie, à la
iin du seizième siècle. Pour remplacer Piidley,
Elisabeth envoya à Boris le docteur Willis. Il
fut examiné par le secrétaire de TEmpire Yas-
sili Stchelkaloff , qui lui demanda s'il avait
apporté avec lui des livres et des médicamens ;
quels principes il suivait et si c'élait sur le
pouls qu'il jugeait les maladies ousur Tétaldes
humeurs dans le corps ? ^yillis réponditqu'il
avait jeté tous ses livres à Lubeck et avait con-
tinué sa roule pour se rendre chez nous sous
le nom dun marchand, parce qu'il savait,
combien en Allemagne et dans les autres pays,
on favorisait peu les médecins qui se rendaient
3G8 HISTOIRE
VU Russie ; il ajouta que le meilleur livre était
dans sa tèle ; que les médicamens étaient pn*-
parés par des apolliicaires et non par les Doc-
teurs; que le pouls et Télat des humeurs
étaient également imporlans pour un obser-
vateur habile. Ces réponses ne parurent pas
assez satisfaisantes à Slchelkalolf, et Ton ne
chercha pas à retenir Willis à Moscou.
En iGoo, Boris lit venir d'Allemagne six mé-
decins ; il donnait à chacun deux cents rou-
bles de traitement, outre un domaine , le ser-
vice, la table et réf[U i[)age ; il leur délivrait
aussi des patentes de Docteurs. Celte singulière
idée lui fut inspirée par Lée, Ambassadeur
d'Elisabeth, qui ledétermina adonner le titre
de Docteur, au chirurgien Reillinger, arrivé
avec lui pour servir le Tsar.
iSous avions alors plusieurs apothicaires;
Vun d'eux nommé Frenchham, anglais de na-
tion et qui avait déjà résidé chez nous , sous le
rè"^ne d'ivan , revint de Londres sous celui de
Godounoff et rapporta avec lui une riche col-
lection de plantes et de minéraux propres à la
iTiédecine; un autre, Arend-Klausend , ïlol-
Mjaicim.ns. landais, passa quarante ans à Moscou ; mais
DE RUSSIE. 369
les Russes, excepté les nobles, n'avaient point
de eonfiance dans les remèdes. Les gens du
commun se servaient ordinairement d'eau-de-
vie dans laijuelle iîsmettaienl de la poudre à
canon, de l'oignon et de Tail piles, après
quoiilsemployaient les bains. Ils ne pouvaient
soulfrir le musc ni les pilulles ; quant aux la-
vemens ils en avaient une telle répugnance
qu'on ne put jamais la vaincre , même dans
les cas les plus désespérés. Celui qui, après DiffcieDs
avoir ele malade a toute extrémité et avoir
reçu l'Extréme-Onction, relevait d'une grande
maladie, portait jusqu'à sa mort un vêtement
noir pareil à celui des moines. On prétend
que sa femme pouvait se remarier. Les morts
étaient enterrés avant l'expiration des vingt-
quatre heures. Les riches étaient pleures dans
leurs maisons et sur leurs tombes par une
quantilé de femmes qu'un louait à cet effet , et
qui chantaient en san2:lotant : <( Etait-ce à toi
» de quitter ce monde? Ne possédais-tu pas
» la faveur du Tsar? N'avais-tu pas des ri-
» chesses et des honneurs, une épouse tendre
» et d'aimables enfans ?.... etc. ». Les quarante
jours de deuil se terminaient par un fvsliii
Tome X. 24
Moits
370 HISTOIRE
dans la maison du défunt ; et la veuve pou-
vait, sans manquer aux bienséances, prendre
un autre époux au bout de six semaines. Fiel-
clier assure que , pendant l'hiver , on n'enter-
rait pas les morts à Moscou, maisciu'on trans-
portait les cadavres hors de la ville dans la
Afijic des Maison de Dieu (hospice) , et on les y laissait
jusqu'au printemps, ^lorsque la terre se dége-
lait et qu'on pouvait sans peine creuser des
fosses (255).
« Les Piusses, dilMargere , conservent en-
» core beaucoup de leurs anciens usages, mais
» ils commencent déjà à en prendre de nou-
» veaux , depuis qu'ils voient chez eux des
» étrangers. 11 n'y a pas plus de vingt à trente
» ans que, dans leurs contestations, ils se
»> disaient sans détour, le serviteur an Boyard »
» celui-ci au Tsar, et même à Ivan-le-Terrihle :
« Ton raisonnement est fauœ , lu inenis. Main-
» tenant ils sont moins grossiers et commen-
» cent à connaître la politesse; mais ils ont
» d'autres idées que nous sur le point dhon-
» neiir. Par exemple, ils ne permettent pas
» le duel et marchent (oujours sans armes ;
» en temps de paix ils n'en portent que dans
DE RUSSIE. 071
r- leurs voyages. Eu cas d'oiTcnso personnelle
» ils s'aclressenl loujours aux Irihunaux, Le
» coupable est puni de verges en présence de
» roilensé el du juge , ou par une amende eu
» argent , qui est fixée en raison des appoin-
» temens de raccusalenr: celui quia delà
» Couronne quinze roubles par an , reçoit
» une îUTiende de quinze roubles , et sa femme
) le double, parce que rolTense du mari rc-
» jaillit sur elle. Pour une insulte grave on
» donne le knout sur les places, on met en
)> prison et on exile. La justice n'est jamais
» aussi sévère que dans les cas d'une offense
» personnelle, ou celui d'une calomnie avé-
» rée. Le duel est un crime capital en Kussie ,
« même pour les étrangers ».
Los femmes, comme chez les anciens Grecs,
ou chez les peuples d'Orient, avaient des ap-
pnriemens séparés, et ne se montraient qu'aux
pkjs proches parens et amis. Les dames de Fe^,uf,',"I"^ "^^
distinction allaient l'hiver en traîneau et l'été
en charriot; et quand elles suivaient la Tsa-
rine , lorsque celle-ci sortait pour aller prier
ou se promener, elles mf)ntaient à cheval
avec des chapeaux blancs de feutre, garnis de
3^2 HISTOIKE
talîelas couleur de L'hair, <l<!rul)ans, de bou-
tons Cil or, et de gros glands pendans jus-
qu'aux épaules ;^256). Dans leurs maisons, elles
portaient sur la tète un petit bonnet de lalfe-
ias ordinairement de couleur rouge avec un
bandeau blanc el en soie par-dessus ; pour sor-
tir elles mettaient un grand bonnet de drap
d'or orné de perles; celles ([ui n'étaient pas
mariées ou qui n'avaient pas encore d'enfans ,
étaient distinguées par des bonnets en renard
noir; elles portaient aussi des boucles d'oreille
en or avec des émeraudes et des saphirs , des
colliers de perles , un habit long et large de
drap rouge, avec des manches pendantes, bou-
tonnées par douze boutons d'or, surmontées
d'un collet de zibeline, tombant jusqu'à la
moitié du dos. Sous cet habit elles en met-
taient un autre en soie, qu'on appelait Xé'/w/c,
avec des manches dans lesquelles elles pas-
saient leurs bras, et qui étaient garnies en
drap d'or jusqu'au coude ; au-dtssous du Lc/.-
fiikse trouvait une férèse bouloniiée jusqu'en
bas ; les dames mettaient encore à leurs bras
des bracelets larges de deux doigts, en pierres
précieuses ; elles portaient des bottines de
inarocuiin jaune et bleu, brodées en perles;
CCS bollincs avaient de grands talons. Toutes
les icmmes , jeunes et vieilles , se fardaient et
regardaient comme une honte de ne pas se
peindre la figure.
Parmi les divertissemens de cette époque , Divciiissc-
m«'ns.
voici la description que Ton lait d'un com-
bat d'ours , plaisir favori de Fédor ('^.^7).
« Les chasseurs du Tsar, tels que les gladia-
» teurs Romains , affrontent la mort pour
» amuser le Souverain par leur art dangc-
» reux. 0,n tient ordinairement en cages des
» ours sauvages pris dans des filets ou dans des
» fosses. Au jour et à l'heure fixée , la Cour et
>> une foule immense se rassemblent devant
» le théâtre où doit se livrer le combat; cette
» place est entourée par un large fossé , pour
» la sûreté des spectateurs , et a-'in que , ni l'a-
>' nimal , ni le chasseur ne puissent échapper
» l'un à l'autre. C'est là que parait Tinlré-
» pide combattant, armé seulement d'une pi-
» que, et qu'on lâche l'ours, qui , dès qu'il
>> l'aperçoit, se redresse sur les pal tes de der-
» rière , rugit , et, la gueule ouverte, se pré-
» cipite sur lui. Le chasseur reste immobile ,
.>7.| HISTOIRE
» regarde , \ise , et d'un coup porté de toutes
» ses forces, il enfonce sa pique dans le corps
)» de l'animal, et cherche avec son pied à en
» appuyer Tautre hout contre terre. L'ours ,
» irrité , blessé, s'enferre de plus en plus; il
« arrose la pi((ue de sang et d'écume ; cherche
« à la briser, à en ronger le bois, et ne pou-
» vanl y parvenir, il tombe, il expire en
» poussant un dernier rugissement étouffé.
^) Le peuple , qui , jusqu'à cet instant, a gardé
:» le plus profond silence, fait alors retentir
3' la place du bruit de ses acclamations, et l'on
» mène le vainqueur en triomphe dans les
» caves de la Cour, pour boire à la santé du
» Souverain. Celui-ci se trouve heureux de
» cette seule récompense , et peut-être un peu
» plus d'avoir échappé à la fureur de Tours ,
» qui , en cas de maladresse ou de défaut de
» forces du combattant, prendrait une cruelle
» revanche, en mettant d'abord la pique en
» pièces , et en le déchirant lui-même , en un
« instant, avec ses dents et ses griffes ».
Tains. Fletchcr , en parlant de la passion des habi-
tans de Moscou pour les bains, s'étonne sur-
tout de leur insensibilité au chaud et au froid.
DE RUSSIE. O-:»
« Par les gelées les plus rigoureuses , dit-il,
» on les voit sortir du bain, nus et rouges
» comme du feu, et se précipiter dans des
» trous pratiqués sous la glaee ».
Les Piusses irétaient point Ilattés dans le Vices.
portrait que cet observateur faisait de leur
moralité. Admetlant, comme tout écrivain
poli , des exceptions, il reprocbait aux Mos-
covites d'être menteurs, et, par conséquent ,
dune méliance sans bornes les uns envers les
autres. Il s'exprime ainsi : «■ Les Moscovites
>> ne croient pas à la parole des autres, parce
» que personne ne croit à la leur ». Lesvols ,
d'après lui , étaient très-fréquens à cause de la
quantité de vagabons et de mendians , (pii , en
demandant Taumône , disaient à chaque pas-
sant : « Fais-moi la charité, ou tue-moi »! Le
jour ils imploraient la pitié , et la nuit ils vo-
laient ou dérobaient, au point que, lorsque
les soiréesétaient obscures, les gens prudens ne
qu ittaient pas leurs maisons. Fletcher, serviteur
dévoué d'Elisabeth, ennemi de l'Eglise d'occi-
dent , et condamnant également dans la nôtre
tout ce qui avait quebjue rapport avec les régle-
mens de l'Eglise latine, fait une peinture des
ô-b HISTOIRE
mœurs monastiques, qui a tout le caractère du
Piéié. (Icuigrement. Il avoue cependant qu'il y avait
en Russie une véritable piélé. Soit pour plaire à
la disposition générale des esprits, soit pour
calmer les remords dont sa conscience était
déchirée, Godounoff afiectait une grande dé-
votion. En i588, n'ayant qu'un seul lils en bas
âge , il le porta , malade , pendant l'hiver ,
sans la moindre précaution et sans écouter les
Mort ji, pie- médecins, dans l'église de Saint Basile : l'en-
micr tils de ' n
^°r^- . , faut mourut (258). Il y avait alors à Moscou
luspues. \ / j
un inspiré qu'on respectait à cause de sa sain-
teté réelle ou feinte. Il marchait dans les rues,
avec les cheveux tlottans , et nu , par les ge-
lées les plus fortes; il prédisait des calamités
et disait publiquement du mal de Boris , qui
n'osa cependant sévir contre lui , craignant
peut-être le peuple, ou ajoutant foi à la sain-
teté de cet homme. De semblables ùupirés ou
bienheureux paraissaient souvent dans la Capi-
tale ; ils portaient des chaînes ou des cilices,
et avaient le droit de reprocher à chacun la vie
licencieuse qu'il menait , et même aux gens les
plus distingués ; ils pouvaient également pren-
dre sans payer, dans les boutiques , tout ce
DF, RUSSIE. 877
qui leur convenait; les niarcliands les en re-
merciaient comme crune i^rande faveur qu'ils
leur accordaient. On assure (|ue Saint Basile
de Moscou, contemporain d'[van , parlait
avec une hardiesse étonnante de ses cruautés.
Les Etrangers, en reproclianl aux Russes Toi.Vancf.
leurs superstitions, donnaient cependant des
éloges cà leur tolérance. Elle existait chez nous
depuis le siècle d'Oleg , phénomène étonnant
dans notre ancienne histoire; on ne sait par
quoi Texpliquer; serait-ce par défaut de lu-
mières ? ou par une véritahle connaissance de
Tesprit de la religion Chrétienne ? Quoique
sur ce point important, les savans et les meil-
leurs logiciens du temps, eussent peine à s'ac-
corder entre eux. Serait-ce par indifférence
sur les divers dogmes? Ce qui n'est pas très-
présumable, chez une nation très-religieuse ;
mais ne serait-ce pas plutôt par une sage pré-
voyance de nos Princes gueriiers, ([ui pour
maintenir leurs conquêtes , auraient voulu
réunir différens peuples entre eux , par une
entière liberté de conscience, et les enchaîner
parla tolérance;? Cette opinion semblerait la
^"^'7^ iiiSToir.E
plus vraisemblable. Noirnricrons-iious donc
celle loléraiice une vertu polilique? Dans lous
les cas, elle fut d'un très-^^rand avantage; pour
la Russie, en favorisanl non-seulement Tesprit
de conquête, mais aussi les progrès de la civi-
lisation pour lesquels nous avions besoin
d'attirer ebez nous des étrangers qui pussent
coopérer à celle grande œuvre.
Union en
Liii.ua. .i(. Pour notre bonbeur, les vrais ennemis de
la Piussie ne suivaient point son sage système :
ebez nous, les Maboméians, les Idolâtres ado-
r.jient Dieu comme ils l'entendaient ; et , en
Lîtiiuanie, on forçait les Cbrétiens de l'Eglise
d'Orient, à devenir papistes. Nous parlons du
tommenceiTient de iunion^ du temps de Sigis-
mond : événement important par ses consé-
quences politiques et (|ue ses auteurs ne pou-
vaient ni désirer, ni prévoir.
Le Clergé de Lilbuanie, ayant rejeté le dé-
cret du concile de Florence (209), reconnais-
sait de nouveau, le Patriarcbe de Constanli-
nople, pour cbef de son Eglise. Le Patriarcbe
Jérémie, à son retour de Moscou, passa par
Kief ; ily destituale Métropolitain Onicépbor,
DE RUSSIE. 879
comme I)lp;ame, et consacra à sa f)]ac<' jNIichel
IVaj^osa ; il y )ii«,^ea les Evcqucs cl punit les ar-
cliinian(iritvs indi^çnes (260). Celle sévérité
produisit un grand méconlenlement.D'aulrcs
causes agissaient en même temps , telles que
les efforts du Pape et la volonté du lloi , les
séductions et les menaces. Dès i58i, le rusé
jésuite Antoine Poissevin , trompé par Ivan
non moins tin que lui, écrivit, des bords de
la Chelona, à Grégoire XIII, que , pour faci-
liler la conversion des hérétiques .Moscovites,
il fallait auparavant éclairer de la vraie lumière,
-Kief, berceau de leur religion (261). 11 ren-
gageait à se mettre en rapport avec le Métro-
politain et lesévéques de Lilhuanie ; à envoyer
auprès d'eux un homme instruit et sage qui ,
par la conviction et les caresses , put préparer
le triomphe de TEglise latine dans le pays de
l'hérésie. Antoine écrivait et agissait en même
temps. Il inspira à P»alhori l'idée d'établir un
collège de jésuites à Yilna, })Our y élever de
pauvres jeunes gens de la religion Grecque
dans les préceptes de celle de Piome. Il s'occu-
pait de la traduction, en langue Paisse, des
38o niSTOinE
principaux livres de la religion Latine. Il prê-
chait lui-même avec un zèle qui ent raina beau-
coup de genlilshommes Lithuaniens. Ceux-ci
commencèrent à parler de la réunion des
deux Eglises, et à favoriser celle d'Occident,
écoutant moins en cela leur conscience que
des intérêts mondains ; car nos coréli^ion-
naires en Litliuanie, sans qu'on eut égard à
]vurs droits et à leurs libertés confirmés par
les Lois et les Diètes, étaient obligés, partout
et toujours , de céder le pas aux catholiques ;
ils étaient même souvent opprimés*, ils se
plaignaient, et n'obtenaient point de satisfac-
tion. Il y avait de l'agitation dans les esprits ,
et même parmi les principaux dignitaires ec-
clésiastiques ; car le Pape et Sigismond III ,
suivant les conseils du jésuite Antoine , leur
offraient, d'un côté , des avantages , des hon-
neurs et des revenus nouveaux; et de l'autre ,
leur représentait l'abaissement de l'Egîiso de
Byzance sous le joug Ottoman. Ils ne mena-
çaient point de violence et de persécution ;
cependant, en louant le bonheur qui résultait
de l'uniformité de la religion dans un Etat ,
DK RUSSIE. 38l
ils rappelaient les désagrémens qu'éprouva le
Clergé eu Litliuanie , lorsqu'il rejeta le décret
du Concile de Florence, l^e métropolitain
Ragosa cachait encore sa trahison ; il se vantait
(le son zèle pour l'orthodoxie, et il fit dire
aux ambassadeurs de Moscou, qui traversaient
les états de Sigismond pour se rendre en Au-
triche, qu'il n'osait les voir, étant en disgrâce,
et persécuté pour sa fermeté dans les dogmes
de l'Eglise d'orient, trahie et abandonnée par
les faibles. 11 n'était soutenu , ajoutait-il , que
par le voïévode de Novgorod , Seversky, qui
déjà, lui-même, était réduit au silence par la
])eur. Le Pape exigeait absolument du Roi et
des grands, la n'îunion des éparchies de Li-
thuanie à l'Eglise romaine, et voulait donner
la métropole de Kief, à un de ses Evèques ;
quant à lui, métropolitain Ragosa, il se voyait
forcé inévilablement à abdiquer son titre et à
se renfermer dans un couvent C262). Les Am-
bassadeurs lui conseillèrent d'être inébranla-
ble au milieu de la tempête , et de souffrir plu-
tôt la mort que d'abandonner son troupeau a
la merci des loups dc'çorans de la coniniuiiioît,
332 HISTOIIIE
Latine. Michel , aussi rusé que cupide , voulut
encore , pour la dernière lois, avoir de notre
or, et prit quelques ducats à titre d'arrhes, car
les Tsars distribuaient des aumônes au Clerj^é
de l>itiiuanie, et avec intention. Us voulaient
par là entretenir dans le peuple Famour pour
leurs coreligionnaires. (>e fut dans la même
année , i595 , que ce fourbe , ayant appelé à
Kief tous les Evêques, les détermina à cher-
cher la paix et la sécurité dans le sein de l'E-
glise d'occident. Il n'y eut cjue deux évéques,
Gédéoii Balaban de Lemberg, et Micliel de
Pérémichle , qui se montrèrent opposans;
mais on ne les écoula pas, et, à la grande sa-
tisfaction du Roi, on envoya à Rome lis pré-
l.iîs Ipate de Yladimir et (>yrile de Loutsk,
(ji;i, en plein Vatican , baisèrent solennelle-
ment le pied de Clément Mil , et lui livrè-
rent leur Eglise.
Cet événement remplit de joie le Pape et les
Cardinaux. On loua Dieu et on honora les
Anibassadew^s du Clergé de Russie , titre qu'on
donnait aux évéques de Yladimir et de Loutsk,
pour relever le triomphe de Rome. On leur
assigna un palais niagniiiqne , of lorsque, après
beaucoup de discussions, toutes les diUiculles
furent a]>{)lanies, lorsque les Amlx'.ssadenrs
eurer.l fait le serinent d'observer iidèiement
les réglemens du Concile de Florence, et cu-
rent reconnu la Procession du Saint-Esprit
du Père et du Fils , Texistence du Purj^atoire ,
la suprématie de l'évèque de Home, mais en
conservant leur ancien rite el la lani^ue Slave,
alors le Pape ïes embrassa et leur donna sa
bénédiction , et Sylve Anlonin , directeur de
son Conseil , dit à haute voix : « Eniin , après
» cent cinquante ans , écoulés depuis le Con-
» cile de Florence, vous revenez , vous évé-
j> ques de llussie , à ia pierre fondamentale
» de la reli}^ion sur laquelle Jésus-Christ fon-
» da son Eglise ; à la sainte Montagne où TÉ-
» ternel habita ; à la mère et à l'institutrice de
« toutes les églises ; à la seule véritable , en un
» mot, à l'Eglise catholique-romaine »! On
chanta des Te Deum , et , pour en conserver
le souvenir dans les siècles futurs, on inscrivit
dans les annales de TEglise la relation du nou-
veau jour qui luisait dans les couirc'es sepien-
384 IIISIOIHL
ir'ionales. On grava sur du bronze l'image de
Clémcut Ylll et un Piusse proslerné devant
son trône , avec celte légende latine : Ruiheiùs
receplis (269). Cependant celte joe ne lut pas
de longue durée. Première nient ^ les évèques
Lithuaniens, en trahissant l'orthodoxie, espé-
raient , d'après les promesses de Clément, sié-
ger au Sénat à l'égal du Clergé romain ; mais
ils furent trompés dans leurs espérances. Le.
Pape ne put leur tenir parole à cause de la
forte opposition des prélats Polonais qui ne
voulurent point être traités dVgal à égal avec
\Qsiinls. Secomhrncni^ non seulement Gédéon,
l'évêque de Lemberg et d'autres dignitaires
ecclésiastiques, mais même plusieurs seigneurs
laïques, nos coreligionnaires , s'opposèrent à
l union ^ principalement le prince Constantin
Osirojsky , voïévode de Kief , à qui , ses ri-
chesses elles séntimens élevés de son àme ,
donnaient une grande considération. Ondisait
et l'on écrivait que cette prétendue réunion
des deux Eglises n'était qu'une supercherie ;
(jue le Métropolitain et ses confrères avaient
entièrement adopté la religion Latine , ne
DE RUSSIE. Ô8.'>
conservant que pour la forme les rites de
l'Eglise grecque. Le peuple sV.gilait, les tem-
ples devenaient déserts. Afin de calmer ces
troubles par Tacte solennel d'un Concile,
tous les prélats se réunirent à Brest où assistè-
rent aussi tous les grands du Pioyaume et les
ambassadeurs de Clément VIII et du patriarche
de Byzance. Mais, au lieu d'obtenir la paix,
on ne lit qu'irriter les haines. Le Concile se
partagea en deux partis dont l'un anathématisa
l'autre ; et , depuis cette époque, il existe deux
Eglises en Lithuanie, celle des unis ^ et l'an-
cienne Eglise Orthodoxe. La première fut
sous la dépendance de Rome, et la seconde,
sous celle de Gonstantinople. Celle >de /w7?/o/2,
sous la protection spéciale des Rois et des
Diètes, se renforçait et opprimait l'orthodoxe,
dans son état déplorable d'abandon ; et , j)en-
dant long-temps les gémissemens de nos frè-
res coreligionnaires se perdaient dans les airs,
ne trouvant , ni pitié, ni justice dans le pou-
voir suprême. C'est ainsi que , dans la Diète
même, un de ces chrétiens zélés de la confes-
sion Grecque (264), osadireauroiSigismond:
Tome X. 25
386 HISTOIRE
« Nous sommes des cnfans dévoués de la ré-
» publique, prêts à défendre sou intégrité,
» mais pouvons-nous marcher contre des en-
» neniis extérieurs, étant persécutés par ceux
» que nous avons dans le pays, et par l Union
» cruelle qui nous prive du bien-être civil et
» de la paix de l'âme ? Pouvons-nous , de no-
» tre sang , éteindre les murs enflammés de la
« patrie, lorsque nous voyons le feu chez
» nous, et que personne ne veut l'éteindre ?
« partout nos temples sont fermés, les prêtres
)> exilés , les biens de l'Eglise dilapidés ; on ne
» baptise plus les enfans; on ne confesse plus
« les mourans; on n'enterre plus les morts ;
» on jette leurs corps dans les champs, comme
» des animaux immondes. Tous ceux qui
» n'ont pas trahi la foi de leurs pères, sont
» éloignés des fonctions civiles; l'orthodoxie
)) est un crime ; la loi ne nous protège pas ,
» nos cris ne sont point entendus !...TMais que
» la tyrannie cesse ! Ou bien, ce que nous ne
» pensons qu'avec terreur , nous pouvons
î) nous écrier avec le Prophète : Que Dieu soit
» inonjuge , et quil dcGide dans ma crtï/5^. Celte
DE RUSSIE. 387
menace s'accomplit plus lard , et ce furent ces
persécutions religieuses qui , sous Theureux
règne d'Alexis, iacilitèrent pour nous rac(|ui-
sition de Kief et de la petite Russie.
C'est ainsi que le jésuite Antoine, le roi
Sigismond et le pape Clément YIII , agissant
avec zèle en faveur de l'Eglise d'Occident,
contribuèrent involontairement à l'aggran-
dissement de la Russie.
FIN BU DIXIEME VOLUME.
inSTOIRE DE RUSSIE. SSg
NOTES
DU DIXIÈME VOLUME.
(i) Pélréjus (p. 256). — Mémoires Russes (p. ijo).
— Annales «le ?Sikon (t. A II , p. 3iq}. — et Annales de
MorosofT.
(2) Selon les Annales de Tsikon, rcniculc cul lieu pen-
dant la nuil. — Selon le Livre du Rosrède , à trois heures
avant le soir. — Ilorsey en parle aussi dans Haklvit
|[^avig. SaS), sans eu marquer l'heure.
(3) Horsey , couronnement de Fédor. — Dans Haklvit,
( p. 52Ô ).
(4.) Le même, il dit que îe Parlement ëlait assemble',
le 4 Tn3i\. — Collection des acles du gouvernement ( t. II,
p. 72 ). — Annales de Nikon.
(5) Annales de Morosoff, — Ilorsev, dans Haklvit
( Navîg. 526), parle du père de l'Impératrice F. -F. Nagoï,
cl de cinq de ses parens.
(G) Annales de Nikon. — Livres des Degrés de Lalou-
khin et autres. — D'après Haklvit (Navig. Sai ), cette
émeute eut lieu avant le couronnement de Fédor, et
pendant le séjour de l'ambassadeur Bonvs, et selon les
affaires de l'Angleterre , le 10 mai. — Je me lais sur ce
que disent très-faussement Oderborn et Pélréjus. — Hei—
'>90 HISTOIRE
denslein ( Res Polon. aaS ) , raconte sans plus de vérité,
que les Boyards Moscovites se disputèrent avec Bielskv ,
au conseil même et en pré^ence de Sapièha, alors Ambas-
sadeur en Liihuanie, et cpiils tuèrent vingt hommes à
coups de sabres. Sapièha n'était pas au Conseil, n'ayant
jamais eu que des enireliens particuliers avec le diak
Stchelkaloff et avec quelques uns des membres du Conseil.
(7) Bows dans Haklvil (Navig. 621 ).
(8) Dans le Livre du Rosrède, de celte année el des
années suivantes, il est dit : qu'en iSgi, Bielsky était
déjà de retour dans la capitale.
(g) Bows dans Haklvit ( Navlg. Sai ). — Différens ma-
nuscrits disent que Boris mourut à 1 âge de cinquante-
trois ans. — Horsey le croyait de trois ans plus âgé.
(10) Horsey, couronnement de Fédor (p. 526). —
Affaires de Pologne (n°, i5). — Précis de l'histoire de
Russie.
(11) Livre des Degrés de Latoukhin. — D'autres anna-
les. — Horsey — Oderborn — et dans la Collection des
actes de l'Empire ( t. H , p. 72 ).
(12) Horsey, Coronation ^ dans Haklvit (p. 527): « His
j> staffe imperiall in his zighl hand of an unicorneshorne ».
(Licorne; mais ce nom est celui d'une espèce particulière
de baleine). Ce sceptre, orné de pierres précieuses, avait
trois pieds et demi de long , et avait été payé par Ivan ,
en i58i,sept mjlle livres slerlings,à des marchands d'Augs-
bourg qui le tenaient de Horsey, qui dit que 1 habillement
de Fédor ne pesait pas moins de deux cents livres; que
SIX Princes tenaient la queue du manteau du Tsar, et Dmi-
DE RUSSIE. 3gi
tri GniloiiTioff, Nikiln Komanovitche , Etienne, Grégoire
l't Ivan (iddounoft letiaienl six couronnts : mais quelles
éiaient-elles ?
(i3) Horsey dit, dans Haklvii (j). 527), que Thabillc-
nienl et l'ancien harnais ilu cheval du prince Ivan Glinsky
coiitailcent mille livres slerlings.
(i4) Horsey, en parlant de la Tsarine, dit, entre autres
choses: « Ses robes étaient extrêmement précieuses, ri-
)' ches et brillantes, garnies de diainans et de perles
*> fines ".
(i5) Idem (p. 528). Il y avait vingt mille Slreletz et
cinquante mille cavaliers.
(16) Horsey dit que lorsqu'il fui chez le Tsar, il y fut ac-
compagné par un négociant des Pays-Bas , très-connu,
nommé John de Wale ; qu'on vouliU le faire approcher
le premier du trAne, mais que lui Horsçy s'y était oppose,
ne voulant pas lui céder cet honneur, et que Fedor ne
reçut Wale qu'après les négocians Anglais.
(17) Généalogie des Godounoff.
Grégoire.
Pierre. Ivan.
Vassili. Fédor. Dmitri.
Kîlenne-Grégoirc-Ivan. Boris-Irène.
(18) Affaires de l'Angleterre (n". 1 , f. o.{(j). — Hor-
sey dans Haklvil (p. ^27).
(19) Selon Flelcher, de l'Empire Russe (p. 28), les
revenus de Godounoff montaient à cent quatre mille cinq
3()2 HISTOIRE
cciils roubles outre ceux qu'il lirall de sestcrrcs. — Ilorsey ,
dans Haklvil (p. SaS) , tlil : « La province de Waga seule
» rapportait annuellement à Godounoff trente-cinq mille
j) marcs ou roubles, ce qui ne fait que la cinquième partie
» de ses revenus ».
(20) Horsey, dans Haklvit (p. 528).
(22) Annales de ISikon (vol. Vil , p. 337 1 ^^o ei 35f>).
— Horsey dans Haklvil (p. 527). — Pélréjus, Chroniques
Moscovites (p. 206), raconte que les Boyards, connais-
sant la faiblesse de Fédor, du consentement du Tsar, lui
donnèrent pour aide Godounoiï; que Fiidor se leva de sa
place, passa une chaîne d'or au cou de son beau-frère et
lui dit : « Boris, avec celte chaîne je te confère leHitre de
» Régent, désirant que tu me débarrasses de tout le poids
» du pouvoir et que lu t'en charges ; que lu décides toutes
» les affaires peu importantes, et que, dans celles qui en
» méritent la peine, tu t'en référés à «moi comme à un
» Souverain ». Cette chaîne d'or de Grand-Duc fut don-
née beaucoup plus lard par Fédor à Boris. Le Suédois
Pélréjus, envoyé plusieurs fois en Bussie par Charles IX,
du temps des Imposteurs, donne des détails très-circonstan-
ciés des événemens d'alors, et dit qu'il en avait é lé témoin ocu-
laire; mais ses récits les plus iniéressans sont tirés du manus"
crit delà Chroniquede Moscou, par Martin Bdr(el non de
Conrad Bussau, comme le dit Kelch), natif de Neisladt
et curé de l'église luthérienne de Moscou, sous le règne de
Godounoff et du faux Dmilri (Voyez la Chronique de Pé-
lréjus, p. 276). Ainsi, en nous référant à Pélréjus, nous
nous référons à Bar dont les Annales, en allemand avec
DE RUSSIE. 893
lin lilrc latin (^Chronùon Mttscovîtum ^ rontinens r^s a morte
.hxinnis Basilidis tyraniù^ omnium qtios sol pnsf nains huniines
ri'li'/, iriimariîssim! cl trucul.ntissiini , ai:. Clir'sl- i58+-iGi2),
m'onl clé communiquées par IM. le comte île F»oinanzoff.
(2 2) Haklvit(p. 528).
(20) Annales de Nikon ( t. VllI , p. 7 )■ — Les livres
àcs, Degrés de Latoukhin. — Le livre du Uosrèdc. — Affaires
de Pologne ('n°. i5. f. 4.27 ).
(24.) Chronique de Strogonoff et celle de Rémesoff.
(25) V. tome IX, de cet ouvrai;»^.
(26) L'endroit à rembouchurc de Tlrliche où des forii-
fications avaient été construites par Mansouroff et Meclil-
chcriak, s'appelle encore aujourd'hui en laugue Ostiaque
l\ouche\ ache, c"esl-à-dlre Ville Russe.
(27) Collection des actes de TEinpire ( t. II , p. i34).
(28) (Chronique de l\émesoft". — Histoire c Sibérie,
par Millier (p. 224). — Collection des actes de l'Empire
(t. II, p. i3i ).
(29) Histoire de Sibérie, par Miiller.
(30) Affaires de Pologne (n" 16, f. 27).
(3i) Haklvit (p. 521). Bows quitta Moscou le 3o mai,
la veille du jour du couronnement de Fédor.
(32) Affaires de l'Angleterre (n° i, f. 236).
(33) History of J£ngla;id,appeudi:'j ( t. Ill ).
(34) Horsey retourna auprès du Tsar, le i5 juillet 1 536.
(35) Affaires d'Angleterre. — Elisabeth nomme Go-
dounoff « Oiir mosl (leur and loiu'ng Cousin » , notre très-cher
et aimable Cousin.
(3C) Affaires de Pologne ( n" i5, f. i et suiv. ). Fédor
594 HISTOIRE
envoya le 12 avril i584., le dignitaire Ismaïloff à Balhori,
pour lui annoncer son avènement au TrAne.
(3;) Affaires de Pologne, Sapieha quitta Moscou le 28
jiiillet. Le Tsar envoya le gentilhomme Isleniefà Balhori,
avec la nouvelle qu'il avait rendu la liberté à tous les pri-
sonniers Liihuaniens. iîaîbori le remercia et promit d'agir
de même envers les prisonniers faits sur nous, excepté les
"V oïévodes et les principaux Enfans-Boyards.
(38) JNikita Komauovilche mourut en i585, selon la
Liste des Boyards, et selon d'autres le 23 avril i58G. Flet-
cher (de l'Empire Russe), dit qu'on supposait qu'il avait
été empoisonné.
(39) Livres des Degrés de Latoukhin. — La Chronique
de Morosoff et celle de Nikon.
(40) Flelcher, de l'Empire Busse (p. 27). — Millier,
Essai d'une nouvelle Histoire de la Russie (p. 4i )• —La
Liste des Boyards.
(40 Affaires de Pologne.
(4.2) Depuis le 29 mai jusqu'au 3 juin 1587, les Ambas-
sadeurs Russes ne réussirent pas dans leurs négociations
avec Batbori, au sujet de la rançon des prisonniers Russes;
mais le secrétaire de Batbori , Jean Loveisky, les atteignit
à leur retour à Borisoff, et convint avec eux que le Roi
donnerait la liberté à tous les prisonniers, si le Tsar en-
voyait au Roi trente-deux mille roubles, quinze jours
avant la Pentecôte. Les Ambassadeurs Russes arrivèrent à
Moscou le 4 avril , et se plaignirent de la grossièreté de
Batbori et de ses Grands.
(4-3) Affaires de Pologne (n° 16, f. 29 'j.
DE RUSSIE. 395
(44) Heitîenst. Rcs Pu/. ( p. 23i> ). — Etienne envoya à
Rome son neveu André lialhori et le jésuite Antoine
Poissevin ( V. lonie IX de cet ouvrage ).
(4-5) Affaires de Pologne (n" 16).
(46) Nos Ambassadeurs prirent congé du Roi le aj)
août et retournèrent à Moscou le premier octobre.
(47) Affaires de la Cour d'Autriche (n° 5, f. 4-5).
(48) Affaires de Pologne ( n° i5, f. S98 ).
(49) V. tome IX de cet ouvrage et Affaires de la Suède
(no/,).
(50) Lorsque Schestounoff redemanda les villes prises
sur nous par les Suédois , Toit et de La Gardie répondi-
rent : « A-t ou jamais entendu dire qu'on rend des villes
» gratis ? On donne bien des pommes et des poires , mais
j) pas des villes ».
(5f) Affaires de la Cour d'Autriche ( n° 4 )• — Novos-
sillzoff quitta Moscou avec son interprète au mois de
ncveuibre i584. Il eut plusieurs conversations avec Daniel
Prinz , employé autrichien , qui , à ce qu'il paraît , connais-
sait la langue slave.
(02) K. tome IX de cet ouvrage et dans les Archives du
Collège desaffairesétrangères la lei tre du Roi de Danemarck
Frédéric II, auTsar Fèdorl<^', en daledu25 août 1 585. On
y trouve aussi un passeport allemand, donné le 1 3 août 1592,
par le capitaine Normann , et d'après les ordres du Roi de
Danemarck, au négociant Meyer, qui allait en Russie avec
des marchandises, ainsi qu'une lettre des Bourgmestres de
Lubeck, au lieutenant de Pskoff , Ivan Schouisky, par la-
quelle ils le supplient d'accorder un libre passage à leurs
Zç)G hî(;toire
Dépulés , pour se rendre auprès de T Empereur de loule
la Uussie. Hors cela, nous ne savons rien sur nos relalîons
de ce Icinps avec les villes anséalirpics.
(53) V. loine IX de cet ouvrage et Affaires de la Crimée
(n" i6).
(54) Affaires de la Turquie ( n" 2 ).
(55) Livres du Rosrède, an i5S5.
(5G) \. lome \ I de cet ouvrage.
(57) Affaires de la Géorgie (n". i ).
(58) Chavkal ou Clianikal, élail le nom du prince su-
prême du Daguestan , qui résidait à Tarki ou Terki, ville
abandonnée et rasée en 1728. La ville actuelle de Terki
est bâtie sur un autre plan. (Affaires de la (àéorgie
f. 92).
(5f)) Les présens pour le Tsar de Tlbéric , dont les en-
voyés furent chargés, consistaient en quarante zibclmes à
cent roubles la pièce, deux renards noirs à trente roubles,
mille hermines àquaranle roubles, dix dents de poisson à
vingt roubles, une cotîe de maille de trente roubles, une
cuirasse (le vingt roubles, uu casque de trente roubles.
( Affaires de la Géorgie ).
En octobre i588, une nouvelle ambassade d'Alexandre
arriva à Moscou avec la confirmation de sa soumission.
Les présens envoyés au Tsar consistaient en un tapis d'or,
une couverture d'or, deux pièces de damas de Perse et dif-
férentes soieries brochées en or; quinze pièces de damas
de Perse, sans or, trois pièces de velours uni , trois pièces
de salin uni, un coursier bai, une housse en velours rouge,
une ccinlure en drap d'or.
DE RUSSIE. 39^
(60) Quant au nouveau lilrc dcFédor, vovez les actes
(liplomaliqiie.s «le ce ijmps, comme, ])ar exemple les Af-
faires de Pologne (n°. 2i,f. 208), dans le rapport de
Tambassadeur Islenief.
(61) Affaires de la Lilhuanie (n". iG). — Affaires de la
Perse (11°. i)
(G2) Les ambassadeurs du Schah arrivèrent chex nnus
au moisde mai i5f)o.
(63) Affaires de la Géorgie (n^. i).
(64.) Affaires de la Perse (f. 199).
(05) Voyez plus bas pour le nombre des troupes de
Fédordans la guerre avec la Suède , en iSqo.
(66) Livres du Rosrède , règne de fédor en i584^.
(67) Annales de la Dvina.
(68) Annales de Nikon.
(69) Affaires de la Perse (n°. i).
(70) Livres du Rosrède , pendant le règne de Fédor,
an i584.. Par fois Fédor dinail dans le couvent de Tchou-
dofîavec des Boyards qu'il inviiait,
(71) Voyez les Livres généalogiques.
(72) Annales de Nikon et autres. Selon les livres des
Degrés de Latoukbin, Godounoff se réconcilia avec les
Schouisky encore en i585.
(78) Telle fut toujours la réponse des Métropolitains
au Conseil de Lithuanie , lorsqu'ils étaient invités à prendt e
part dans les affaires politiques.
(74) Le Soudcbnik, Code donné par le tsar ïvanVass...
(75) Livres des Degrés de liatoukliin. — On conserve
encore danslabibliolhèquc synodale, l'acte en original, don-
398 HISTOIUE
né par le tsar Fédor Iv : à ce Métropolitain, le 24. jan-
vier i58j; il y est dit, entre aulre, qu'il est défhridiiaux
fonctionnaires d'entrer dans les possessions des couvens ou
du Mélropolilain , pour lever des droits.
(76) Selon le récit invraisemblable de Chitrée, le Tsar
Ivan avait écrit dans son leslainenl, que , si Irène ne deve-
nait pas mère après deux ans, elle devait être séparée de
Fédor , et que celui-ci devait prendre une autre épouse.
— Pétréjus, dans la Cbronique de Moscou, dit : « Boris
» représcnfa au Mélropolilain qu'il serait préférable que
» Fédor n'eut point de fils, parce qu'ils ne pourraient pas
» abandonner, sans exciter des troubles, la Couronne à
» Dmilri,niDniilri à eux ». Ce n'est point vraisemblable.
Dmitrl n'aurait eu aucun droit à la Couronne, si Fédor
avait laissé des fils. — Pétréjus nomme i'épouse choisie
pour Fédor, sœur du prince Floro Ivanovilciie Zizlpbo'.i-
cliis (au lieu de Fédor Iv : Mslislafsky), en ajoutant qu'elle
fut secrètement conduite de la maison au couvent.
(77) Affaires de la Pologne (n". 18 ). — Annales de Ni-
ton. —Livres des Degrés de Laloukhin.— Chronique de jMo-
rosoff (p. 7095, an 1097 ). — Annales de Pskoff.
(78) Heidenstein et Flelcher.
(79) V. tome IX, de cet ouvrage et Kelch (p. 392).
(80) Fletcher, de l'Empire Russe.
(81) Cbronique de Morosoff
(82) Heidenstein { Rcs Pul. p. 238-2.'{.i ). Balhori mou-
rut le 2 décembre, vieux style. — Pijevsky partit de Mos-
cou le 20 janvier 1087 , et retourna au mois de mai, —
\ oyez Aiïaires de Pologne (n", 17).
DE RUSSIE. 399
(83) Journal Je la Diète Je iSSj ( t. IV), en langue
Polonaise.
(84) Selon ce que dit Christophe Sborovsky qui ajoute:
n Les Russes saluent en ôlanl leurs bonnets avec une cer-
j> taine gravité, qui approche plus de la grossièreté que
» de la politesse ". — Kadzivil et le voïévode de Posen
s'opposaient encore àréleclion deFédor; Les voïévodes
de Vilna et de Troki, l'évéque de A ihia, Jean Sborovsky,
et beaucoup d'autres étaient pour lui.
(85) Dans le discours du Maréchal de la Lilhuanie.
(86) Affaires de Poh)gne (n». 18).
(87) La trêve fut conclue le i6 aoi\t : les Ambassadeurs
retournèrent à Moscou le 20 septembre. Rjevsky partit
pour la Lilhuanie le 20 octobre, et revint le 4- février i588.
(88) Traités de Sigismond. — Affaires de Pologne
(n«. 18).
(89) Affaires d'Autriche (n°. 5). Parmi les souverains
de l'Asie prêts à nous aider contre les Turcs , il y avait un
Tsarévitche d'isoursk qui pouvait mettre en campagne
jusqu'à trente mille soldats.
(90) Par rentreniise d'un des serviteurs de ISicobs
Varkolche.
(91) F. plus haut dans ce volume.
(92) Affaires de la Crimée ( n" 17 ).
(93) Livres du Rosrède, années i588 — 1590.
(94) V. plus haut dans ce volume. — Aftaircs de la
Suède (n° 5). — Dalin , Histoire du royaume de Suède
( chap. XV, p. i34).
4oO IIISTOIUE
(gj) Affaires de la Suède (n" G), dans la lettre de Fédor
au Koi Jean.
(9G) Affaires de Pologne (ri° 20).
(<j7) Affaires de la Suède (n" 6 ), à la fin.
(98) Affaires de la Perse (11° i).
{<j(j) Livres du Ixosrèdc , amiécs i58g — i5<jO,
(100) Flelclier ( f. ;'»G). — Notices sur les Boyards
dans la bibliothèque Russe ( t. XX, p. 63 ).
(loi) Livres du Piosrcde. — Affaires de Pologne ( n*
20 ). — Affaires de Perse ( \\" i ). — Dalin ( p. 168 ).
(102) Les Annales de Pskoff.
(2o3) Affaires de Pologne (n^ 20).
(104.) y. tome IX de col ouvrage.
(io5) Annales de iSikon.
(106) Dalin ( p. 17G, 177). — Affaires de Pologne
(n" 20).
(10^) Chronique de Morosoff.
(108) Affaires de Pologne ( n" 21 ).
(100) Affaires de la Grèce (n" 2 ).
(110) Affaires de la Grèce (n" 3, p. i — iS^.). Arsène
prélat grec, le compagnon de voyage de Jérémie, décrit
son séjour à IMoscou en grec moderne. Ce manuscrit inté-
ressant fut conservé dans la bibliothèque de Turin, et plus
lard imprimé par trois savans llalicns en 17.(9, ^^"^ '^ '*"
tre : Codices inunusr.riptlBlblioth. R"gn Tauniiensis Allienacl.
La traduction latine de ce voyage Ih'scripllo illncris in Mos~
cooiam^ ctc, se trouve aussi dans le recueil des écrits de
AA ichmann.
(m) Arsène avait tort de dire dans son ouvrage
DE RUSSIE. 4<^I
i\nc Jcrcmlc ne voulait absolument pas être Patriarche au
grand regret de Godouuoft" el du Tsar.
(112) Collection des Actes du Gouvernement ( I. II,
P- 9-i )•
(ii3) Cérémonial du Clergé. — Séjour d'Arsène h
3Ioscon.
(i i4) Tel que nos anciens Métropolitains (F. Tome IX
de cet ouvrage ) , les Patriarches, le joiir de leur sacre,
D'.onlés sur un àne , faisaient le tour des murs de la ville.
On trouve la description dclaillée d'une semblable pro-
cession dans la Bibliothèque Russe ( t. XI , p. 24.5 ).
(i i5) Collection des Actes du Gouvernement (t. II ,
p. (j5).
(i 16) Evèque savant qui vécut dans le IV« siècle et qui
devint hérétique.
(117) Affaires de la Grèce (n° 3).
(118) Cérémonial du Clergé, dans la Bibliothèque
Russe(t.XYI, p. 3o8).
(119) Collection des Actes du Gouvernement (t. II,
p. f)8 ). — Les Evèques de Kroulilzy portaient anlérieu-
renient le tilre d'Evèques de Saray ( tome IV de cet ou-
vrage ).
(120) Affaires de la Grèce (n° 3). — Séjour d'Arsène h
Moscou.
(i2i) Il est probable que le Tsar dépensa pour ce.?
dons plus de cent mille roubles actuels.
(122) Af. de la Grèce (n° 3). L'acie est revêtu de qua-
tre-vingt-troissignatures :de celles des Patriarches de Con.";-
lantinople, d'Auîioche , de Jérusalem (celui d'Alexandrie
Tome X, 26
402 HlSiUUlE
clail mon) et «le beaucoup de Mclropnlilains (parmi les-
quels se irouvaienl ceux «rAtlièncs, de L2fedéniouc,d'I-
béric ) et d'Archcvcfjues cl d Lvcqucs.
(i23) Llrni ( p. i5j ). — Le Mclropolilain de Terno ,
Dyonisi , quitta JMoscouen iévricr iSga.
(12/^) Chronique de Morosoff, et un manuscrit de ce
temps, inliîulé : Récit de la manière dont B. Godcunoff
usurpa le Ti ône des Tsars.
(i25) FIcIcher ( p. 99).
(126 Chronique de Bar. — Pcitréjus ( p. 260). —
Kelcl». L. G. — Ilisldire d'Abraham Falilsin.
(127) Précis de Tilisloire de Bus-sie (p. 267 ).
(128) El non Marie , connue il est dit dans les Chro-
Tiiqiies(F". dans la Collecliun des Actes du Gouvernement,
t. H, p. 107).
(129 Annales de Nikon ( t, VllI, p. iG ). — Flelcher
(p. 16 ) , dit « La nourrice de Dmitri, ayant goûté le plat
qui lui élait destiné, mourut sur-le-champ ». iSous verrons
cependant que long-temps après la bonne nourrice était
encore en vie.
(i3o) Nikon. — (Chronique de Bostoff ci d'autres.
(i3ij Colleclion des Acies du Gouvernement ( t. Il,
p. ii3).
(i32) Il u't'sl question de ces aveux que dans quel<|ucs
copies de 1 Annaliste de jMoscou. La Chronique de Mo-
rosoff dit : « On s'empara aussitôt des assassins, on les
» conduisit sur la place, et les habilans leur crièrent:
» hommes damnés et médians! comment avez-vous osé
n commettre un tel crime » '■'... Bcconnaiôsanl leur délit,
1)K lîTSSIE. 4o3
ils répondireni .iu peuple : ■< !N(>us nous sommes cnuveils
» du sang iiinoceiil; nous avons obéi au sédiiclcur lioris
» Goilouuoff... , cl à présenl nous devons souffrir la inorl
» pour lui ».
(i33) Ccsl ce qui se trouve dans l'Annaliste de Mos-
cou le plus digne de fin, dans Nikon el dans la Clirouique,
de Uosloff.
(ij4) / . dans la Collection àcs Actes du Gouverne-
ment ( t. H , p. i(i3).
11 est vraisemblable que l'on n'a pas inscrit tout ce que
Mich. Nagoï déclara; dans les autres queslious, le men-
songe éiail mêlé à la vérité pour donner plus de force au
premier. Ci-t interrogatoire, où l'on voit agir très-distinc-
tement la crainte, les menaces, la contrainte et la mau-
vaise foi , prouve assez les embûches de Godounoff.
(i35) Nikon et la Chrnniipie de Rostoff, ainsi que la
Collection des Actes du (Gouvernement (t. II, p. 121, laS,
243).
(i36) Annales de >Jikon et Annoles de Rostoff. — An-
nales de Morosoff. — !\ la Légende des Saints le 3 de juin.
— Le couvent de \ iksinsk est détruit. A sa place exisiR
actuellement le bourg de \ iksino, à ^ ingt-cinq verstcs do
ïchérépoveiz. — Il renferme deux Eglises, de Sainl-
Kicolas et de la Sainle-Trinilé ; dans la première, se
trouve Kl chapelle de Saint-Dmitri le Tsarévitthc.
{loj) Annales de la Sibérie et le Dictionnaire géogra-
phi)juc de l'Empire Russe, sous l'arlirle dOuglitche. A
Tobolsk, on montre parmi les cloches de l'Eglise du Sau-
veur, le tocsin d'Oirglilciuv qui av.-ui annoncé aii.x habitans
4o4 HISTOIRE
Tassassioat du Tsaréviîrlic , cl ([ui , si l'on doit en croire la
Iradilion fui exilé , avec eux , on Sibérie, par Godounoff.
(i38) Annales de Nikon et Annales de Roslolf. — Col-
lecliou des Actes du Gouvernenienl (l. II , p. 120 ).
(iSg) Histoire du Père Abraham Palilzin. A JSorovsk,
danslecouvenl de Pafuoulieff, dans l'Eglise de Sainle-Irène,
conslruiie , comme on dit par la Tsarine Irène, sœur de
Godounoff , on trouve le toniLcau d'André Klecbnin, avec
une inscription qui fixe sa mort au 6 avril de l'année i5gg.
(i4o) Récits de la destruction de l'Kmpire Moscovite
(n" 95, parn)i les manuscrits de nin Bibliothèque).
(141) Histoire d'Abraham Palilzin, et Annales de
Nikon.
(i.^a) Palilzin. — Margerel. — La Chronique de Moro-
soff. ~ Les livres du llosrède. — Affaires de Pologne
(n^ai , f. 206) , confirment le soupçon que l'incendie fut
ordonné par Godounoff.
(i43) Affaires de la Crimée (n° 19, f. 109 ).
(i44) Affaires de la Crimée (n°. 19, f. 106).
(i4.5) Affaires de la Pologne (n«. 21 , f. 178 et 183).
(14.6) Livres du Kosrède , ainsi que les annales de Ni-
kon (t. \ll,p. 33G).
(i/^j) Affaires de Pologne (n°. 21). — Livres du Pxos-
rède.
(i^S) Annales de Nikon (t. VII, p. Soj-SSS).
(14.9) Bielsky se distingua dans la guerre de la Livonie,
en iSjy.
(i5o) Job , dans les annales de Nikon (t. \ II , p. 3.{j ).
(i5i) Iilerii II est dit que, des murs de la ville et des
r>E RUSSIE. 4^5
couvens voisins, on lirait conliuneHcmcnt le canon. Mais,
Comme les murs du Kremlin étaient éloignés d'environ
trois vcrstes du cliamp de bataille , et que les couvens de
Novospask et Si. nonof étaient aussi assez éloignés de celui
de Donskoï, il est probable que nous ne fîmes que tirer
sans pouvoir al teindre.
(iSa) Quelques Annalistes chioniqueiu's disent que
Boris avait ordonné d'empoisonner Grégoire (iodounolY ,
parce qu'il refusait son consentement à l'assassinat de
Dmiiri; mais il vécut encore, remplissant les fonctions de
iMaréchal de la Cour, jusqu'à i5g8. — \ o\ ez la liste des
employés dans la Bibliothèque Russe (t. XX, p. 67).
(i52bis) Job, Annales de Nikon (t. Vil, p.34i).
(i53) Affaires de Pologne (n». 21. f. 184 ).
(i54^) Récits de la destruction de l'empire de Moscou.
(i55) Affaires de Pologne (n". 23).
(i56) Récits de la destruction de Tcmpire de?»Ioscou.
(iby) Livres du Rosrède. — Le jour du baplème, le
Clergé , les Boyards et toute la Cour dinèrenl chez le
Tsar, sans aucune distinction de rangs ni de dignités.
— Dans les affaires de Pologne et de la Grèce , il est dit
que le Tsar envoya Triphon Korobelnikoff et Michel
i Ogarkoff porter aux Patriarches grecs cinq mille cinq
cent trente-quatre florins d'Ongorsk et trois pièces d'or
de Portugal, dont chacune était de dix ducats, et, outre
I cela, une quantité de zibelines, de nsartres, etc. Nous
avons une description de ce voyage , mais qui n'est pas
très-intéressante. — Voyez encore la Bibliothèque Russe
(t. XII, p. 425).
4()6 HISTOIRE
(i58) Après le premier fau^ Umiirl, Il se pri'senla aussi
un prcicndu fils de Fédor, sous ici nom de Pierre, coutmc
nous le verrons plus loin.
(i5y) Voyez MUller, Coilcclion de riiisloire l\usse
(f.V,p. Go).
(i6o) Affaires de Pologne (n". 20). — Dalin (t. XV ,
p. 178).
(161) Affaires de Polo{;nc(n". 21). — Les Suédois
ccrivîrenl ( voyez Dalin , p. i^ç)) qu'ils avaient lue alors
(.noùt i.'îgi) six mille Russes, cl fail prisonniers trois
Voïtivodes et cinquante Boyards, c'esl-a-dire enfans
Boyards.
(162) Annales de ISikon (t. VIlï, p. 23), et l'Histoire
de rhiérarchie Russe (t. IV, p. 584-).
(i63) Voyez les Affaires de Pologne (n". 21). Sigis-
mond baisa la croix le 4- décembre, et Sollikoff et Talis-
tthcff relournèrenl à Moscou en janvier 1592.
(164) Livres du Rosrède. — Annales de Nikon (t.VIlI,
p. a4-25). — Affaires de la Crimée (n". ig). — Bielsky
cortimandall rarllUerie, el la campagne se terminale 21
février,
(i65) Affaires de la Crimée (n°. 19). — Dalin (p. 179).
(166) Affaires de l'Aulrichc (n". 5 ). — Dalin (t. XVI,
p. 207).
(167) Affaires de la Suède (n°. 7 ).— - Dalin , (t. XVII ,
p. 254.).
(168) Voici quelques articles de la convention : « Nous,
>) Ambassadeurs plénipotentiaires; moi, Okolnilchei el
u Liculenani de Kalouga, Prince Ivan Tourenin ; moi,
DF. RUSSIE. 4^7
M Noble cl Liculcriatit crElatonisk, Ostaft-l Pouchkiu;
« nous,Diak5, KlobimkolY ol Diniiiittï, nous nous soin -
w mes rendus sur la Xarova, près de Tavzlu, sur !a rive
» il'Ivangorod. . . Tous les sujets Suédois pourront venir
» sur leurs vaisseaux et a^'ec leurs niarch.iudiscs à l\oii-
w godive (Narva); mais non ceux des contrées étrangères-,
» et le commerce doit se faire sur la rive de Rougodive ,
u el non sur celle d'Jvangorod. . . . Le Roi prélèvera des
» impôts sur les Lapons, du coté oriental, près de ^ a-
» ranga. ... et le Tsar, sur ceux qui sont vers la Dvina
}> el les pays de Korel et de Kola. . . . Tous les prison -
w niers seront délivrés. .. . Les Russes auront la liberté
» d'envoyer des hommes à eux en Suède, pour y chercher
» les prisonniers. . . . el lorsque les Voïévodes auront fixé
» les frontières des deux côtés, comme elles l'élaient an-
3) cicnnement, la ville de Korel et ses districts doivent
» être évacués, et les Russes qui habitent la province de
M Korel ne doivent pas être conduits en Suède etc. »...
(169) Affaires de Pologne (u". 19).
(170) Parce qu'il y avait beaucoup de Turcs avec le
Khan.
(lyi) Affaires de la Crimée (n". 19).
(172) C'est-à-dire aux habitans d'Akcrman. — Voyez
les Affaires de la Turquie (n". 3).
(ijS) Tome IV, de cet Ouvrage, dans l'année laS^-
— H est dit dans les Annales que Koursk fcl fondé en
même temps que Aoronège cl Livny, conséqueniment en
ï586. Je n'ai rien trouvé dans les relations des contempo-
rains sur la fondation de Saraloff.
4o8 HISTOIRE
(174.) Affaires de la Crimée (11". 21). — Affaires tle
l'Autriche (n°. 5).
(lySj Idem ( 15". 6, f. /^ , 25 cl 34 ). — Klopilzky quillâ
IMoscoule 3 seplembre.
(176) Hcidenslein , ( 7Ϋ PuJ. p. oaG-SSj), Tanncc
1096.
(177) L'Allemand Jean Hanse. — A'oyez Affaires de
rAutrichc (n". 6).
(178) Voyez colleclion de Wichmann, et relalions de
M. Schièle.
(179) Alexandre Comuieiis (et dans les actes Russes,
Koleinus), vint deux fois à Moscou , en avril i5g5 et en
mars i5g7. — Voyez Affaires de la Cour de P\onie. L'ins-
truction qui lui avait été donnée par le Pape, en langue
Italienne, a été copiée, par ordre de Timpératrice Cathe-
rine 11 , sur le manuscrit conservé à la bibliotlièque du
Vatican , et transmise par le prince Michel Stcherhatoff
aux archives de Moscou.
(180) Affaires de la Perse ( n». 4).
(181) « Le Schah fit présent au prince André d'une
w cornaline montée en or, et de l'image de la Sainte Vierge,
j' peinte sur or, en disant qu'elle avait été peinte pour lui
» d'après une image italienne, et qu'elle lui fut envoyée
» d'Ormus ».
(182) Le prince Vassili TiouGakin, et le diak Jémélia-
Tioff (le premier ayant reçu du Trésor trois cents roubles
et le second deux cents ) , furent envoyés de iloscou au
Tnois de Juin i5g5. Tioufiakin mourut avant d arriver en
Perse, le 8 août \ le Diak à Guilan , et l'écrivain , l'inler-
DE IIUSSIE. 4^9
proie cl leurs p;cns, au nombre de lrcnlc-!mil personnes,
moururent en Perse. H ne revint, en i5<j8, que trois
fauconniers, un arclùnioine et quelques Slrelelz.
(i83) Voyez Affaires de Géorgie. — Fëdor écrivit à
Alexaiulre , au mois de juin de i-^g6 : « J'ai envoyé contre
» Schavkat mes A oïévodcs j ils ont tué beaucoup de
» monde et blessé Schavkal lui-même. Après, lu as en-
» voyé auprès de noire Majeslé, pour nous conjurer de
j> faire marcher une armée considérable contre Schavkal,
n pour nous emparer de la ville de Tarki et d en donner
M de nos mains la souveraineté à ton parent Krim-Schav-
» kal. . . . et nous t'avons écrit pour te dire que tu devais,
M de ton côté, envoyer contre Schavkal, à la tcle de ton
» armée , ton fils Jouri et ton parent Krim-Schavkal ».
On dit que le nom de Krim-Schavkal était toujours porté
par le successeur de Schavkal (Voyez Millier, collection
de l'Histoire de Russie, t. IV , p. 35 ). Plus loin : « Nous
» avons reçu de Tarky le rapport de notre voïévode prince
n Khvorostinin et de ses compagnons, par lequel il nous
n informent qu'ils ont porté la guerre dans le pays du
» Schavkal et qu'ils se sont emparé de Tarki, mais que
j> lu n'y avais pas envoyé ton fils ; que ton parent, Krim-
w Schavkal , n'avait pas marché contre Schavkal , et que les
» Voïévodes, étant restés long-temps à Tarki, avaient
M fmi par détruire celte ville et étaient reloumés sur le
M Térek ». — Gârber , en parlant de Tarki, dit en 1780 :
« Celte ville est siluée à cinq verstes de la mer Caspienne
M dans une grande vallée , au milieu des rochers. ... Le
" » palais du Schamkhal ou Schavkal est construit sur un
4lO HISTOIRE
1» endroit élevé ; les rues en sù!jI élroifcs el les maisons
j> mal balles; 1 eau y arrive des nioiilagiics par des con-
}> diiils, dans le palais du khan el dans les dificrens quar-
» tiers de celle ville ancieiir:e et assez considérable ».
Acluellcaienl l'on n'y voit que des ruines. Gàrber dil en-
core : « Le liUe de Sclianiklial lire son origine des Maures
» qui, dans les premiers siècles de l'ère musulmane ; s'é-
î> laient emparé des bords de la mer Caspienne. Schara
T> csl le nom de la ville de Damas, d'où Ton envoyait de»
» gouverneurs ou des princes dans ces provinces conquises.
» l-e mol de Kbal s'\^ï\\{ic prince » . — Oléarlus explique
" que Scbemkhal signifie clarté.
(184^) Affaires de la Géorgie. — Dans les rapports de
nos envoyés en Géorgie il est dit , que les VoYévodes
Russes avaienl construll des forts sur les bords de la
Koïssa.
(i85) Le prince Slcherbatofi", se référant aux livres
du Kosrède , dit qu'au mois de mai iSg^» le prince des
IXogais, Kasi, avec huit mille Nogais, el le Tsarévilche
larouslam , avec douze mille Azovicns assiégeaient la ville
de Schalzk, commandée par le voïévode prince Mossalsky;
que ce vaillant guerrier les vainquit e! les obligea à se re-
tirer sur la rivière Medvèditsa. Je n'ai point trouvé ce
passage dans les livres du Rosrède que je possède. Il n'exis-
tait point alors de princes nommés Kasi; il n'existait
que le Catnp de Kasi, et la rivière Medvèditsa est loin de
Schalzk.
(18G) Archives du Collège des Affaires Etrangères. —
Copies de deux lettres au roi de Danemarck ; la première,
D F. R r s s I E. 4 * ï
dcritc le i5 aoùl i5«j2, de Kola, par nos ambassaJeuis ,
Zvcnigoro(l>ki el Vassillchik(.ff; cl la scconHo, par le Tsar
lui-ntême. Ces copies ont clé oblenaes des archives de
Copenhague par M. le comte înicolas RumauzoIT.
(i8--) Affaires de l'Afij^lelerre (u". i ).
(i88) Si l'on doit ajoulcr foi à ce que dit llorscy, il
éprouva la disgrâce de Fédor par une fausse dénonciation
d'un de ses serviteurs, el les intrigues du premier diak ,
André Slchelkaloff ( AV>/«/yA- iwJ rnan ofthat rountry); on
l'accusait d avoir mal parlé du Tsar à un diuer chez lui
( Voyez, A (ù'srourse of the second and third imfjloyment uf
M. Je/: Ilorsey, Esq. sent frurn Jti's Muje.sty tu the Enipewr
of Ptussia , dans les papiers envoyés au comte de Roman-
zofï, du Musée B:ilann!que, eu 1817). Même les Anglais
qui faisaient le comni'jrcc en Russie se plaignaient des
tromperies de Horsey : par exemple, ayant obtenu de la
Reine une sage-femme habile pour la Tsarine, il la
retint quelque temps à Vologda el la fil repartir secrè-
tement pour Londres (Voyez les mêmes papiers du
Musée Britannique). Ilorsey arriva à Moscou le i5
août i5go, avec le litre d'Ambassadeur d'Klisabelh.
L'année suivante la Reine écrivit à Fédor el à lioris pour
s'excuser d'avoir choisi un pareil liomme pour ses rapports
avec le Tsar. En iSga cl iSc^S, la correspondance entre les
Cours de Moscou et de Londres, se fit parrentremise des
négocians Anglais. En i5g4i Elisabeth envoya à Moscou
son médecin Marc Ridlcy, d'après le désir du Tsar, et le
chargea de lui remettre une lettre très-amicalc, dans la-
4l2 HISTOIRE
quelle elle le félicitait sur la naissance de sa fille. — Voyez
Affaires de l'Angleterre (n". 2).
(189) Dlscouis de Horsey.
(igo) Cambden (f. 36ô), el les papiers du Musée Bri-
tannique, dans la bibliolhèque du cnniie Romanzoff. Voici
le titre du livre de Fletcher : Of the Russe Coinmon
VS'ealth, or manner ofgovernmcnt by the Russe Empe-
rour, commonly called the Empcrour of Moskovia, Avilh
the manners and fashions of the people of ihat counlry ,
at London printed by T. D. for Thomas Charde iSyi.
Fletcher dédia son livre à Elisabcll), et, dans sa lettre, il
dit de la Russie que c'était un pays sans lois écrites, sans
justice générale 1 Malgré cette phrase étrange, Fletcher a
dit beaucoup de choses justes et intéressantes sur l'état
d'alors de noire patrie.
(igi) Affaires de l'Autriche (n". 26). — Horsey dis-
course.— Papiers du Musée Britannique.
(192) Le jour de Jouri. — Voyez le tome VI de cet
ouvrage , en Russe (p. 358 de la deuxième édition , et le
tome ^ II, p. 214.).
(19.3) Fletcher (f. 46)- — Herbersfein (p. ^o) —
Tome. \ II de cet ouvrage.
(ig^) Soudebnik d'iv : Vassili el les Oukases de ses
prédécesseurs, rassemblés par Tatistchcff (p. 221 et 240).
— Cette loi de iS(j3 n'est pas parvenue jusqu'à nous,
mais on en fait mention dans la loi de 1^97 (voyez plus
bas). — Dans TOukase du Tsar Vassili Schouisky il est
dil,« Qu'en 7115(1607), le 9 mars, le Tsar et Grand-
« Duc de toute la J\ussie, Vassili-Iv : , avec son père,
DE RUSSIE. 4i3
» le palrîarclie Hcrinoj^ène, en prcscncc de tout le clergé
» et des aultniiéî civiles du Tsar, ayant enlemlu le rap-
» port du tribunal des Domaines, que réinigralion des
» paysans causait de grandes émeutes, des procès et des
» violences de la part des puissans, ce qui ne pouvait pas
M arriver sous le Tsar Iv: Vassili, parce qu'alors les pay-
» sans étaient libres; le Tsar Fédor Iv :, sur l'insinuation
» de Boris Godounoft" , et contre 1 opinion des plus vieux
» Boyards, ôta aux paysans le droit de choisir leur do-
j> micile, et fit inscrire dans un livre le nombre des pay-
» sans que cliacun possédait ». — ^ oyez aussi Guide «les
lois Russes (t. I"., p. 127 et ijo). J'avoue que cet
Oukase de Schouisky et même celui de Fédor sur les
paysans, me paraissent douteux par leur style et leurs ex-
pressions peu analogues à ce temps ; je laisse aux recherches
futures des historiens à décider si les copies de Talislcheff
sont vraies ou non. Tatistchefr dit qu'il a copié les lois
de Fédor et de Boris, sur les manuscrits de Bartenevskv,
Galitzin et Vàlinsky, et qu'il reçut la loi du Tsar Vassili
Schouisky, du gouverneur de Kasan le prince Serge Ga-
litzin.
(iqd) Livres des Degrés de Laloukhin. — Annales de
Nikon) t.Vni,p. 3oet 45).
(196) Annales de Nikon (t. VU, p. 828 et t. VIII , p.
28 ). — Livres des Degrés de Laloukhin. — Dans les Chr<»-
nographes, il est dit que l'on construisait à Kilaïgorod des
maisons et des boutiques en pierre, qui furent achevées en
7ic4(i5(jG).
(197) Piécit de la destruction de l'Empire Moscovite.
4l4 llIvSTOlKE
Sur la famiiie , il est ilit dans les Annales de Pskolf ;
» Le 8 n'.ai, il lomba «me forte neige cl il fit un froid Irès-
>« rigoureux; la famine régnait à Novogorod et dans les
>• bourgs; le blé se vendait à vingt allines le tchetverie,
» et il Tïhinquait entièrement dans les bourgs ».
(198) Flelcbcr (f. 36). — IMargerel dit que les séances
in Conseil duraient depuis la première heure du jour jus-
qu'à la sixième.
(199) Annales de Nikon ( t. AIII, p. 2'3). — Livres des
Degrés de Laloukhin.— Flclcber ( I. IJI ).
(200) Margeret (p. q^» g^). Annales de TSikon (t. VIII,
p. 3o ) , en I lJ(jS. — Livres des Degrés de Laloukhin.
(201) V. le serment des Boyards, des Dignitaires et du
peuple, prêté au Tsar et à Fédor Borissovitche , dans la
Collection des Actes du Gouvernement ( 1. II, p. 192 ).
(202) En logS. — V. Annales de ISikon ( t, YIII, p.
23, 3i et 32. — Le Prince d'Ouglilcbe mourut en 1286.
(203) Histoire de l'hiérarcbie Russe (t. V, p. i6.[). — Ce
couvent bâti par Saint-Dion) si, dans le XI Y* siècle, était
éloigné d'une verstc du couvent de Pelchersk, en descen-
dant le Vciga et sur sa rive droite.
(20^) Livres des Degrés de Latcukhin.
(20.">) Aniiales de Pokoff ( f. Sg ). — Livres des Degrés
de Latoukliin. — (Chronique de Morosoff , où les détails
sont assez fabuleux. ' — Chronique de Pétrcjus ( p. 263 ).
(20G) On connaît Thisloire touchante d'Androclcs el du
Li )n , dans k'S Nuits Alhénicriîios.
(207) Annales de !Nikon (t. Vil, p. .3^7 et f. VIII, p.
34 ). — Livres des Degrés de Laloukhin el Chronique de
DE RUSSIE. 4'^
]\r()roiofr, où il esl dll que Fc-dor oui une agonie de 12
jours.
(208) Dans les Livres des Degrés de Latoukhin o.l dans
d'autres , il e.sl dil , que Fédor avail nommé pour son suc-
cesseur Fédor Nikililclic Roitiuiioff. — Pélréjus (p. 263),
copiant Bar, conte la Table s(iivanlc : « Sur la quesliori des
» lîoyards , qui devrait régner en Russie :' Fédor répondit
» en mourant : Celui auquel , dans le dernier moment de
)> ma vie , je remellrai le sceptre , et il le donna à Fédor
» Nikililche Romanoff. Mais celui-ci voulut transférer cet
)■ honneur à son frère Alexandre, Alexandre à son frère
» Ivan, Ivan à son frère Michel, Michel à quelque aulre
j» Boyard. Le Tsar, perdant patience , jeta le sceptre par
» terre , en s'écrianl : règne donc qui voudra ! C'est alors
» que (iodounoff s'en saisit et devint Souverain ».
Les Livres du Rosrède el les Listes du service des Di-
gnitaires ( Bibliothèque Russe , t. XX, p. G6), diseni que
Fédor transféra le scepire à son épouse; c'est ce que ron-
fninent le Patriarche Job (Annales de Nikon (t. Vli, p.
302 ), David Chilrée ( F. de Thou, Histoire TJniverselle,
livre CXX, p. 177), el lonvoyé Autrichien, Micliol
Schille ou Schelle ( Collcclion, etc., de Wichmann, 1. 1,
p. 4-47)- Voici encore un témoignage des plus véridiq-.ies :
Dans laclc de réleclion au Trône Moscovite, non-sculf-
ment de Godounoff , mais encore dans celui de Michil
Fédorovitche, il est dit ( T. Bibliothèque Ru.sse, t. VU ,
p. i?»G) : « Fédor (vanovitchc la!."<sa la souveraineté de
» tous ses étals à la Tsarine Irène Fédorovna, cl rccom-
>» manda son aiiic au Palria;che Job. , . cl à sou cousin
4l6 HISTOIRE
>. Fédor Nikitilche, Ronianolf-Jourieff cl à son bean-
» frère, lîoris Y: Godounnff ».
(209) Annales de ISikon ( I. YIIl , p. 34- ).
(210) Fc.ior fit appeler Job, dans la seplièinc lieure de
la nuil, pour recevoir rExlremo-Onciion, et mourut dans
la neuvième bcure de la nuit. On rapporte (pi'il avait vu,
en mourant , des Anges, elc.
(211) Livres des Degrés de Latoukhin. — Chronirpie de
Morosoff, cl Bar dil , que t'élail la 'Ksarine Irène qui fai-
sait venir chez elle beaucoup de soùii'ks et piutidkcliiiks ^ de
la ville, et qu'elle les disposait par des promesses et par de
l'argent à élire Boris pour Tsar.
(212) r. l'acte de l'élection de Boris, dans la Ciblio-
ihèque Russe ( t. Vil, p. Sg et 4o). — Une autre copie de
cet acte m'est parvenue par M. J. Jermolajeff. Les noms
de tous les membres du Clergé et des Députés ecclésiasti-
ques et séculiers v sont désignés.
(21 3) Dans les Cbroniques, il est faussement dit qu'I-
rène, dès i'insiant de l'enterrement de Fedor, ne voulut
plus rentrer dans les apparlemeus du Palais, et qu'elle se
fil conduire an couveni,
(2i4) Stbèle (p. 4-5ij i^-) cl <le ThouC Histoire I^ni-
verselle, i. CXX, p. 180) ; selon leur récit, Godounoff
était présent à cette assemblée des Dignitaires et ÔlCîs
Bourgeois, et après avoir déclaré qu'il ne voulait pas être
Tsar, il alla rejoindre sa sœur. JMais l'cicle d'éleclion dit ,
qu'il était déjà au couvcnl , lorsquon lui olb il la cou-
ronne.
(21 5) Livres du Rosrèdc. — Le Patriarche écrivil en
DE RUSSIE. /jiy
Sot» nom aux Voïévodcs o[)iiiiiitre.s qu'ils aîont h obéir
aax ordres de la Tsarine ; mais les ^ oïévodcs s"v refusè-
rent. — Selon Margerel, c'était Godounoflf qui répandit
le bruil de l'invasion du Khan eu Ilussie.
(216) Dans les Clirouiques il est dit ( V. Annales de
ÎSikon ), que les SchouisVy seuls ne voulaient jias de Go—
^OJinoff sur le Trône; mais les Schoui.sky même ne s'y
apposèrent pas. ( T. L'acle d'IIleclion.)
(2(7) C'est-à-dire par la Géorgie et le pays des Kir-
guises.
(218) V. L'Acte d'I'^lection. 11 est dit dans une Chroni '
que, que quelques personnes craignant de ne pas pleurer»,
et qui ne connaissaient pas l'art de répandre des larmes
feintes, s'humectaient les yeux avec de la salive.
(2r9) F. Margertt et Flelcher,
(220) Fletclier(f. 59,61). —Dans la leîîre d'Ivan à
Magnus, il est question pour la première fois de biscuits
(t. IX de cet ouvrage).
(221) Tome A m de cet ouvrage. — Flelcîier ail :
« On donna à chaque noble de première classe denuis
» soixante-dix Jusqu'à quatre cents roubles; aux moyens,
» quarante à soixante, et aux moins anciens et aux enfans
î) Boyards, douze à trente ». — Voyez aussi Margcret
(p. 87).
(222) Fletcher (f. ."îj, ^i ), Nous évaluons ici le rou-
ble du seizième siècle, comme nous l'avons fait déjà plus
liaut, à cinq roubles en argent blanc d'aujourd'hui, à deux
ducats ou quelque chose de moins. jMargerel dit ( p. 56
et 66) qu'un rouble valait six livres douze snus ; qu'uu
TUMF. X. 27
4l8 HISTOIRE
ëcii de l'ompire (rcîchslhalcr) valall douze altines, cl un
ducat dix-huil allincs ( ou cinquante-quatre kopcks nc-
lucllcs), quelquefois plus, quelquefois moin .
(223) Des Tcheltcsou Tchclverles. — Voyez tome IX
de CGl ouvrage. — Doil-on ajouler foi à Margerel qui dit
(p. 56) , que les paysans du Tsar lui payaieni annuelle-
menl dix, douze el quinze roubles (c'est-à-dire soixante
roubles eu argent actuel), pour sept ou huit desselines de
terre labourable.
(22^^) Flelcher (f. l^o et ^2).
(225) Collection des actes du gouvtiineinent ( t. I*'. ,
p. 584).
(226) Flelcher (f. 53).
(227) Flelcher dit, par plaisanterie je crois, quivan
avait exige un jour des liabilans de Moscou pijsieurs me-
sures de puces vivantes, et que coux-ci,ne pouvant les ras-
sembler, furent obligés de payer sept mille roubles. 0:i
prête aux riches.
(228) Testament d'Ixao (1572).
(229) Le Soudcbnik de Tatisiclieff ( p. io3).
(280) Flelcher (p. 02). — Margerel (p. 4-3, 67). La
dernier dit que le présent, selon la loi, ne pouvait être
taxé plus haut que dix à douze roubles. Les ducats haus-
saient toujours de prix au niomenl des couronnemens,
parce que les ntarchands faisaient leurs présens au nou-
veau Souverain en pièces d'or.
(23 1) Les conquêtes de Jermak et celles que nous
avions faites plus récemment dans l'Asie septentrionale ,
nous avaient enrichis de pelleteries. Fcdor défendit aus
DE RITSSIF. /jlf)
vcMevrîtlcs tle S'bt'iie (voyez Aflairos «le la Perse, n". 4-)
àv laisser sor:ir pour aller on Bukharlc , ni zibelines pré-
cieuses , ni renards noirs , ni les far.cons nécessaires pour
la chasse <lu Tsar et pour les prciscns à faire aux souve-
rains européens.
(232) Auparavant, dit Flelcher, ils exportaient cin-
quante mille pouds, mais à présent ils n'en exportent que
dix mille, parce que la Russie ne possède plus le port de
^arva.
(233) Affaires de la Perse ( n". 4 , f- 71 )•
(234.) Voyez, dans les Archives du Collège des affaires
étrangères, les rapports de Kolmogore eu 160,^ cl i6o5
(n». i).
(235) ^ ovcz, dans les Affaires de l'Autriche, l'ambas-
sade du diak Vlassieff auprès de l'Empereur (i^qq).
(23G) Chronique Ansdaiiquc (t. lîl , p. i63).
(237) Voyez tome IX de cet ouvrage. — Fletcher ,
louant le bon sens dos Russes, ajoute que Ton apercevait
un esprit naturel chez les hommes et chez, les enfans en
bas âge.
(238) Livres du Rosrède ( i594).
(23f)) Le titre : Livre nomme en grec , Àn'iJuncliijue ;
en allemand, yi/^^omm^, et en russe, \di Science du calcul
en chiffres. — A la fin de mon exemplaire, et d'une écri-
ture pîus moderne , se trouve intercalé l'ouvrage de Ga-
lène sur le grand et le petit monde ^ avec coite note :
*' Extrait, au couvent de Kirilof, du livre de notre révé-
« rend père l'abbé Saint-Cyrille de Béloscrsk, en ^^y^ ».
(2.(0) Affaires de Pologne (n". 20).
/j2(> HISTOIRE
(240 Borissoff, sur le Don, fut bàli en 1600 (Livres
du llosrède), et TsarelT-liorissoff , à leniboucliurc- de la
Prolva, à peu près dans le niOnie temps. Bâr parle, dans
sa ciironifiiie, de la c(însiruction de ces villes. — D-ans
l'ancienne géographie delà Russie (p. 233), on Ir -uvc
une ville Tsanlzinc; niais ce n'est pas la viil<' acluelle :
c'est la ville ancienne Talarc; car, dans un autre passage
de ce livre (p. 8-i ) , il est dit : « Le fleuve Tsariiza lora-
» bail dans le Volga vis-à-vis de Tile de Tsarilzinc, et
» dans l'/'i'e était la ville de Tsarilzine ». — Daiss les
Livres du Uosrède , depuis 1600, on parle de Tsaritzine
d'aujourd'hui : celle ville et celle de lîorissoff ont éié bâ-
ties vraisemblablement vers ce temps par Godounoff.
(242) A Kourbsky, — à l'abbé de Kiriloff, Koznnia e!c,
(243) Annales de jSikon (t. MI , p. 3iG, 359).
(2>4') Celle épllre, jointe à l'acte d'éleclion de lioris ,
se trouve parmi les manuscrits appartenant à M. Jermo-
laieff.
(24.5) Voyez tome îX de cet ouvrage, et Margcrot
(p. 28).
(24G) La belle copie de ce livre de médecine se Irou-
vail à 3I0SCOU à la bibliothèque du professeur Bausé, et
fut brûlée comme beaucoup d'autres nionumens précieux
de noire histoire , en 1812 ; en voici le litre : Sur les lier-
les , sur les liqueurs et h s eimx-de-vie , sur les poissons
ddiis la mer et dans 1rs nWèrcs , sur les pierres précieuses y
sur lu science philosophirpie , sur les saignées , sur la
science des apothicaires. Dans le commencement il est
dit que ce livre à été traduit du latin en polonais à Craco-
DE nrssiE. 4^1
vie, en 14.23, par le seigneur Stanislas Galchkoff, voïii-
vcdc (k' 'l'roky , cl en 7096, en russe , à SiM-poiikholï, d'a-
près les ordres du voïévodc F. A. liouiourlin. L'aaleur
assure que le grenat réjouit le cœwr; que les Indes situées
nu Lord du grand Océan sont la patrie de lainianl ; que le
saphir préserve des rêves cffr.iyans, etc.
(2^7) Collcclion des chatisons Tinsses (1780). —
Poésies anciennes des Russes ( 1818).
(248) Je possèile l'original de celle description.
(24.9) Voyez Voyage à ^loscou «lans l'année 1G02,
dans le Magasin de ijuclung(f. VII, p. 2G5), cl Chro-
nique de Pétréjus (p. 3-io). Pélréjus qui fui à Moscou
sous Godounoft et plus lard, dit que Ion y coiuplail qua-
tre mille cinq cenls églises , couvcns et chapelles, el dans
le Kremlin cinquante ; quà chacun de cesbàtiracns, il se
Irouvail do qKÎkIre jusqu'à douze cloches ; qu'il y avait des
églises si pellles qu'elles pouvaient à peine contenir sept
personnes. — L auteur du ^ oyagc à Moscou ne parle que
de trente-cinq églises au Kremlin, mais 11 en porle le
nombre à Moscou jusqu'à cinq mille trois ceals, d'aprè»
ce que lui avaient dit des Allemands , anciens habllans de
cette capitale. — Abraham Palilzin, dans son Histoire,
parle de quatre ccjils églises dans la ville des Tsars.
(250) Livres du Fiosrède , an 1597.
(25 1) Margeret (p. 97 , »j8 ), et Fletchcr (p. 108).
(262) Fletcher dit que Fédor avait ordinairement jus-
qu'à soixanle-dix plats sur sa table ; et , selon Pélréjus
( p. 281 ), le Tsar Boris, aux jours de fêles, jusqu'à deux
cents. Le Tsar goûtait lai-mcme les plais qu'il envoyait dk
422 HISTOIRE
la maison de ceux de ses convives qui jouissaient de sa
faveur.
(253) IMargerct (p, 99 , loT)).
(254.) Margeret (p. 29, 33, ^o, 47? 52,53). — La
Jcltre suivante d'Henri IV à Fcrlor se trouve dans les ar-
chives du Collège des affaires élrangcres : « Très-illustre
» et très-excellent Prince, notre cher et bon amy ....
» il y a un nommé Paul, citadin delà ville de ftlilan , qui
j> vous sert en qualité de médecin il y a long-temps,
» lequel, eslant fort âgé, désire passer dans ce Royaume
» pour y revoir ses parens et aniys qui sont en notre
j) Cour, et nous ont supplié très-humblement d'inlercé-
» der pour lui vers vous. Au moyen de quoi nous vous
» prions aussi le lui vouloir permettre. Et si en son Heu
» vous désirez un autre de ce'.te profession, nous tiendrons
» lamalu de vous en envoyer un, de la doctrine et fidé-
» lllé duquel vous aurez toute satisfaction. Comme en
» toutes autres occasions nous serons très-aise d'avoir
ï» movcn d'user de revanche et faire chose qui vous soit
» agréable et tournée à votre contentement. Priant Dieu,
» très-Illustre et très-excellent Prince, notre très-cher
» etbonamy, qu'il vous ait en sa très-sainte et digne
» garde. Escript à Paris le 7"=. jour d'avril 1695 ».
Volrr.Lonamyy Henry.
Le docteur Paul vivait encore en 1600.
Le pasteur lîâr écrit : « En iGoo, Boris fit venir d'Alle-
» magne des médecins et des apothicaires : des premiers, il
>» y en eut six : i". Christophe Reillinger de Hongrie ,
»> arrivé à Moscou avec l'ambassadeur d" Angle terre, très-
DE RUSSIE. 4^3
» habile tlaas sa science et possédant les langues ; 2°. Da-
» vid Wasnier ; 3°. Henry Schroder de Lubeck ; 4^°, Jean
n Wilké de Kiga ; 5". Gaspard Fidler de Kœnig.sberg ;
» 6°. rétudiaut en médecine Erasme Bcnsky de Prague.
» Chacun deux recevait chaque mois une quanlilc suffi-
« santé de pain , soixante charelécs de bois, un tonneau
» de bierre ; el journellemcnl, une mesure d'eau-de-vie, de
M vinaigre, des provisions débouche el trois ou quatre
» plais de la cuisine du Tsar. Le Tsar leur donnait ordi-
« nairement cinq chevaux de selle et de voiture. On assl-
» gnait à chacun un village avec trente laboureurs et plus.
» Lorsqu'ils soignaient le Tsar et que leur médecine pro-
» duisait un effet favorable , on faisait aux médecins des
») cadeaux en damas , velours el zibelines ; ils recevaient
» également dos présens après la guérison des iJoyards
» où dignitaires, etc, ».
Nos actes, dans les arcbires, touio'gnent que Boris en-
voya, en 1600, son interprète Reinhold lîekmann dans les
villes allemandes, pour engager des médecins, et que
Bekmann persuada, à Riga , Gaspard Çidler, ci-devant
médecin de rEmperei'.r , du roi de France, des ducs de
la Prusse et de la Courlande , d'aller en Russie. Il est vrai-
semblable que les autres médecins ci-de.ssus mentionnés
furent également engagés par Lekmann.
(255) Flelcher(p. 106). — Margcrel(p. 35 cl ii3),
el lome IX de cel ouvrage.
(256) Margcrct (p. 48). — riclchcr (p. ii3). —
Voyage en Moscovie , en 1G02, — Dans le Magasin de
Buching (I. VII, p. 271 ).
/^24 hiSToir. K
(sSy) Descriplion âc l'habillenjcnl des hommes (VoycZ
lome VIll Je cel ouvra^^e).
(258) Fletcherdil que (ioJounoff donnait aussi à boiic
de l'eau bénite froide à son fils malade. — Le trois juillet
i58g, mourut à Moscou l'inspiré Ivan , surnommé /e
Crand Bonnet et le Parieur d'Eau. 11 naquit à Vologda , îl
s'affaiblit dans sa jeunesse par des jeûtjes et des prières.
11 portait sur son corps des croix avec des chaînes en fer ,
sur sa lèie un bonnet pesant , aux doigis beaucoup d'an-
neaux et bagues en cuivie, et dans les mains des rosaires
en bois. Il fui enferré avec grande cérémonie dans l'église
de Yassili Blngennoy. Le récit de sa vie se trouve en
manuscrit dans la bibliothèque du comte j'\ x\. Tolstoï.
(25<^) Voyez tome VI de cel ouvrage.
(260) Histoire de l'Union de N. N. Santiche-Kamensky
( p. 39 et suiv. ).
(261) Moscov. de T'oissevin (p. 9-11 ).
(262) Affaires de rAuîriclie (n". 6). D'aprèî ce qui! y
est dit , le ]^Jétropo^itain ne deineuiail pas alors à Kieff ,
mais à Novgorod-Litofsky.
(263) Vovcz Annales ecclésiastiques de Baron (t. \ Il ,
p. G, i4 et 24.), et la Chronique dePiassetzky (f. i38 ,
164 ).
(264.) Laurent Drevitisky, député de la province de
Voîinie en 1620. (^ oyez ITlistoire de Tl riion p. G9, ^S).
FIN DFS NOTRS.
TABLE
DES MATIÈRES
DU DIXIÈME VOLUME.
DÉDICACE à S. M. NICOLAS I." , paire 5
Avertissement du nom eau Traduclcur. y
Chapitre prejiier. Hrgne de Fddor hano-
çitche. i584 — i^Sy. 8
Qualités de Fédor, page lo. — Membres du Conseil su-
prême, 12. — Emeute populaire, i3. — Convocallou
des Elals-généraux, Départ de Dmilri elde sa mère pour
Ouglilche , i4- — Emeute à Moscou , i5. — Pouvoir
et qualités de Godouiioff, iQ. — Couronnement de
Fédor, 20. — Différentes grâces, 2j. — Godounoff ré-
gent de lEmpire, 3o. — Révolte des Tchérémisses
appaisée , 3i. — La Sibérie soumise pour la seconde
fois, 82. — Relations avec l'Angleterre et la Liiliua-
nie , 38. — Conjuration contre Godounoff, 5o. — Pa-
rallèle de Godounoff et tFAdacheff, 67. — Armistice
avec la Suède, Gg. — Ambassade en Autriche , ^3. —
Renouvellement dos relations amicales avec le Dane-
ïTiarck. Affaires de Crimée, ^S. — Abfibassade à Coas-
tanllnople , 83. — Le tsar d'Ibérie , tributaire de la
Russie, 88. — Relations avec la Perse, g^. — Affaires
intérieures. Fondation d'Arkhangel, 97, — Construction
4.26 TABLE
de la ville Blanche, où Tsargorod à IMoscou. Fondation
d'Ouralsk, y8. — Dangers de la posilion de (iodoimoff,
f)g. — Exi's et supj^lices, 108. — Mort déplorable du
héros Schouisky, 110. — Oisiveté de Fédor , 112.
Chapitre II. 1^87 — 1592. ii5
JMorl de Balhori, 1 1 5. — Négociations importantes avec
la Lillmanie, 1 17. — Trêve, i38. — Kelalion avec TAu-
iriche et la Tauride , i+o. — (juerre de Suède, i4-4- —
ISouvelle trêve avec la Liihuanie , loG. — (Grandeur
de Godounoff, iSy. — Etablissement du Patriarcat en
Russie, i58. — Projet de GodounolY, 177. — Assas-
ginal du fsarévilche Dmiiri, 17g. — Incendie de Moscou,
icj3. — Invasion du Khan, et bataille aux portes de
IMoscou, iqS. — Nouvelle dignité de Boris, 211. — Cou-
vent de Donskoi. Calomnie contre le Régent et sa ven-
geance, 212. — Clémence el gloire de Godounoff, 214.
— Naissance et mort de la tsarine l'héodosic , 21G.
Chapitre ïïî. Contlnualion du règne de Fédor.
i5{)i — 1598. 220
Guerre et paix avec là Suéde , 220. — Correspondance
avec les seigneurs de Liihuanie , 22f). — Invasion des
Tatares de Crimée , 232. — Ambassade à Conslanti-
nople , 233. — Indiscipline des Cosaques du Don , 238.
— Construction de villes, 239. — Paix avec le Khan ,
242. — Secours donnés à l'Empereur , 248. — Illustre
Ambassadeur de l'Empereur, 25o. — Le Le'gat de Clé-
ment A 111 à Moscou , 254. — Amitié entre Fédor el le
DES MATIERES. 227
sclial» Abbas, 258. — Campagne conlrc lo Schavkal,
264. — Relations avec le Dancmarck cl rAnglclerrc ,
268. — Lois sur rasservissement des Paysans cl dcsUo-
mesliqaes , 280. — Nouvelle forteresse à Smolensk , 282.
— Incendiaires, 284- — La Peste. La Cojr du Tsar, 28G.
— Cécile du lsarSiniéon,238. — Eveques grecs à Moscou.
Deslrucllon du Monastère dePelchersk, 290. — Paroles
de Fédor à Godounoff, 291. — Mort de Féiior , 292. —
Serment prêté à Irène, 294- — Prise de voile d'Irène, 299.
— Godounoff est nommé Tsar, 3i5.
Chapitre 1Y. Efai de hi Russie à la fui du
seizième siècle, 3i8
Sécurité de la Russie par rapport aux puissances voisines.
Armée , 3ig. — Appointemens ,323. — Revenus, 324.
— Richesses des Strogonoff, 328. — Juridiction , 329.
— Tortures et supplices, 33i. — Commerce , 332. —
— ^ aisseaux Piusses, 339. — Civilisation , 34o. — Géo-
métrie et Arithmétique , 344- — Chiffres ou écriture
secrète. Géographie , 345; — Littérature , 346. — Arts
et Métiers , 354- — Moscou, 358. — Mœurs. Exemples
de disputes sur Tancienneté des familles el des rangs .
36i. — La Cour, 363. — Vins étrangers et mets Russes,
365 — Hospilalilé. Longévité, 366. — Médecins , 367.
— Médicamens, 368. — Différens usages, 369. — Asylc
des Morts , 370. — Costume des Femmes ,371. — Di-
vertissemens , 373. — Bains, 374. — Vins, 375.—
Piété. Mort du premier fils de Roris. Inspirés, 37G— .
Tolérance , 377. — Union en Llthuanie , 378.
FIN DE L\ TASLE DES >l.\TiÈRES.
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K33
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Karamzin, Nikolai I>likhailovich
Histoire de l'empire de
Russie
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